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le 27 décembre 2006


N° 3526

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2006.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête chargée d’examiner les causes du dépôt de bilan de la société DAPTA SAS et d’étudier les conséquences économiques et sociales de la gestion de DAPTA par le groupe EURODEC Industries,

PRÉSENTÉE

PAR MM. André CHASSAIGNE, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXES (,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 2 février 2006, l’entreprise DAPTA SAS, située à Thiers (Puy-de-Dôme), déposait son bilan au tribunal de commerce de la ville. DAPTA MALLINJOUD était une affaire de décolletage fondée en 1942, cotée en 1985 au second marché de la Bourse de Lyon.

INTRODUCTION

L’entreprise DAPTA s’est rapidement spécialisée dans le décolletage de pièces de précision en moyennes et grandes séries. Elle a été pendant de très nombreuses années une entreprise leader dans l’industrie du décolletage, réputée notamment pour sa qualité d’innovation et le savoir-faire de sa main d’œuvre. Elle était considérée, jusqu’au dépôt de bilan le 2 février 2006, comme le navire amiral du groupe de décolletage EURODEC Industries.

DAPTA reste aujourd’hui un sous-traitant reconnu notamment dans l’industrie automobile. En 2004, l’entreprise avait pour principaux clients Renault (14 % de son chiffre d’affaires), Ford (13 %), mais aussi les équipementiers Valeo (23 % de son chiffre d’affaires en 2004) ou Delphi (13 %). Cependant, si le chiffre d’affaires Ford s’est maintenu, le chiffre d’affaires avec Renault a complètement décliné à compter du troisième trimestre 2005, et celui des équipementiers n’a également fait que baisser.

À la cession, intervenue le 10 octobre 2006, l’entreprise n’emploie plus que 351 personnes, alors que le repreneur ne conservera que 250 personnes. Cependant, elle constitue encore un des principaux employeurs du bassin d’emploi de Thiers, qui a été très durement touché ces dernières années.

LE BASSIN D’EMPLOI DE THIERS

Avec 45,5 % des salariés travaillant dans l’industrie, la zone d’emploi de Thiers est fortement industrialisée. Toutefois, les emplois sont en baisse régulière depuis plusieurs années, baisse qui s’est accentuée récemment (- 10 % en 2003). Le secteur métallurgie et équipements mécaniques concentre près de 70 % des effectifs de l’industrie de la zone. Ce secteur s’est développé autour de deux axes :

– les activités de mécanique générale et tôlerie : usinage, outils tranchants, décolletage avec les entreprises DAPTA SAS et REXO SA à Thiers ;

– les activités de transformation des métaux : forge, estampage, laminage, matriçage avec les entreprises Wichard, Forginal, Serinox, Preciforge SA, Setforge Gauvin…

La métallurgie est issue de la coutellerie dont Thiers reste la capitale. Mais l’activité coutelière est en pleine évolution, des restructurations internes se sont opérées : constitution de groupes, rachats de petites fabriques par des entreprises plus importantes. Les effectifs salariés diminuent sous les effets des gains de productivité et d’une forte concurrence asiatique : la mécanisation et l’automatisation remplacent désormais une activité coutelière traditionnelle plus artisanale.

Sur ce bassin en grandes difficultés et multipliant les fermetures d’entreprises et suppressions d’emplois, la SAS DAPTA constituait encore au 31 décembre 2003 le premier employeur, avec un effectif de 570 salariés. Aussi, l’avenir de cette usine comme de ses salariés est déterminant pour cette région.

LES DIFFICULTÉS ET LES ATOUTS DE DAPTA

Le chiffre d’affaires de DAPTA à fin 2005 s’élevait à 45 millions d’euros, en baisse de 6,5 millions d’euros par rapport à fin 2004. Le budget de DAPTA pour 2006 prévoyait une nouvelle réduction du chiffre d’affaires à 34 millions d’euros, soit 24 %. La mise en redressement judiciaire de la société a réduit encore son activité avec un chiffre d’affaires prévisionnel sur l’année de 29 millions d’euros.

À fin 2005, la marge brute s’élevait à 52 % du C.A., contre 62 % trois ans plus tôt. Les pertes de DAPTA pour 2005 se sont élevées à 6 millions d’euros.

À l’audience sur les offres de reprise, le mandataire déclarait que le passif « se situerait entre 27 et 31 millions d’euros », alors que lors du dépôt de bilan, le passif déclaré par le groupe EURODEC Industries était de 11 millions d’euros. On peut se poser la question du passif réel sur les autres sites du groupe.

Pourtant, à son dépôt de bilan, début février 2006, DAPTA disposait encore d’atouts suffisamment importants pour justifier une reprise rapide de ses activités. Ses pertes restaient d’ailleurs relativement réduites au vu de l’état d’abandon dans lequel les actionnaires de DAPTA avaient laissé cette entreprise.

DAPTA dispose en effet d’une fantastique puissance commerciale de leader dans la grande et la très grande série, qu’elle tire de son énorme parc de plus de 150 machines multibroches, auxquelles il faut ajouter une vingtaine de tours à commandes numériques, une trentaine de machines de reprise automatisées, et une vingtaine de machines de tri automatique.

Au niveau européen, il existe sur les capacités courantes une concurrence normale, quoique restreinte dans le créneau de DAPTA si l’on considère sa capacité de production, mais la concurrence est très limitée sur le marché des gros diamètres : par exemple, il n’y a pas de multibroche passant du 120 mm en Haute-Savoie, département qui concentre pourtant plus de 80 % de l’industrie du décolletage en France.

On pourrait donc espérer, avec son repreneur, l’entreprise allemande Leipold Group, un accroissement du chiffre d’affaires qui permettrait d’utiliser le parc machines actuel, puis d’investir dans de nouvelles technologies de fabrication, en corrélation avec la demande du marché.

Aussi, au vu de cette situation, il convient d’étudier plus profondément les origines qui ont conduit DAPTA au dépôt de bilan et, de manière générale, les causes des difficultés économiques auxquelles cette entreprise a été confrontée.

LES RAISONS DU DÉPÔT DE BILAN

Il existe bien sûr un certain nombre de facteurs exogènes : le marché de l’automobile stagne depuis trois ans, et DAPTA ne figure pas parmi les clients des rares constructeurs dont la croissance reste forte, notamment Toyota.

De la même façon, les clients de DAPTA ont accentué la pression sur leurs sous-traitants, exigeant notamment une réduction permanente de leurs prix. Cette situation a affecté évidemment l’évolution du chiffre d’affaires.

Cet environnement économique peu favorable à DAPTA ne saurait pourtant expliquer à lui seul les difficultés qu’a connues cette entreprise. Ainsi, en 2005, le marché du décolletage avait encore progressé de 2,5% : avant tout, les raisons de ce dépôt de bilan étaient bien endogènes.

En effet, toutes les études de l’entreprise menées depuis le dépôt de bilan au 2 février 2006 laissent affleurer l’évidence : cette usine a été abandonnée, voire pillée, par ses dirigeants pendant plus de dix ans.

DAPTA Mallinjoud fut d’abord une entreprise familiale qui, du fait de sa qualité d’entreprise leader, a vécu dès la fin des années 80 sur ses acquis, négligeant l’investissement comme la veille technologique des innovations techniques sur ce secteur.

Cette absence de dimension prospective dans la gestion de DAPTA fut exacerbée par la succession de rachats et de changements d’actionnaires que connut l’entreprise dans les années 90 (voir ci-après). Onze directeurs de site se sont ainsi succédé en neuf ans, pendant lesquels aucune stratégie ne put évidemment être déployée. Pendant la même période, la succession de cinq directeurs des ressources humaines a alimenté logiquement un sentiment de vacance du pouvoir parmi les salariés. Cette forte rotation des cadres dirigeants est significative d’une entreprise démunie de facto de projet de développement. Le sous-encadrement structurel du personnel de DAPTA ne permit pas non plus de pallier cette carence de direction pérenne. Sans ingénieurs qualifiés, sans direction véritable, DAPTA a vécu pendant plus de dix ans au fil de l’eau.

Les difficultés qu’a connues DAPTA ont bien été la conséquence de l’abandon de cette entreprise par ses dirigeants… et certains de ses clients. Ainsi, le président des achats de Renault, au nom de son PDG, M. Carlos Ghosn, interpellé par André Chassaigne, a précisé, par courrier daté du 17 juillet 2006, que « le désengagement de Renault concernant la société DAPTA, filiale du Groupe EURODEC, fait suite à des défaillances en terme de qualité et à un décalage important en terme de compétitivité sur le marché. Renault a alerté EURODEC à plusieurs reprises. Ces alertes n’ont pas été suivies d’amélioration. »

Certaines pièces façonnées chez DAPTA relèvent en effet de pièces à faible valeur ajoutée et dépendent donc de segments de marché concurrentiels. De plus, au sein même du groupe EURODEC Industries, la production de ces pièces a été aussi assurée par sa filiale installée en Pologne, l’entreprise POLDEC. DAPTA rachetait même à POLDEC des pièces qu’elle fabriquait initialement à moindre coût. Ces opérations se faisaient à l’insu du client puisque les pièces étaient expédiées de Thiers.

Le seul investissement véritable de ces dernières années, mais effectué à mauvais escient, un « petit train » installé en 2001 afin d’accroître l’automatisation des chaînes de production, dut être rapidement abandonné : l’absence de formation du personnel et le mauvais fonctionnement entraînèrent de larges dysfonctionnements dans la production et à terme son abandon (malgré un crédit-bail restant à courir sur de nombreuses années).

L’immobilisme des dirigeants comme des actionnaires de DAPTA ne saurait pourtant être mis sur le dos d’une simple incompétence. Ce sont plutôt les traces d’un véritable pillage des actifs de DAPTA que révèle l’histoire de l’entreprise sur ces quinze dernières années.

LA FINANCIARISATION DE L’ENTREPRISE

DAPTA MALLINJOUD était dans les années 80 une entreprise industrielle familiale prospère, leader européen du décolletage. Séduits par les sirènes de la libéralisation financière et par les promesses des marchés boursiers, ses dirigeants d’alors firent le choix de coter leur entreprise au second marché de Lyon. Cette décision fut le prélude à la descente aux enfers de DAPTA MALLINJOUD.

En 1991, la holding IFI, contrôlée par des proches de l’homme d’affaires François Pinault, racheta DAPTA MALLINJOUD.

Puis la nouvelle holding, IFI-DAPTA, racheta en 1992 à ce même François Pinault l’ensemble du pôle ameublement de sa holding Pinault-Printemps-la Redoute (PPR), dont faisait partie l’entreprise LAFA. La cohérence industrielle de cette opération de croissance externe ne paraît pas évidente pour IFI-DAPTA. Elle fut en revanche bien plus bénéfique pour le groupe PPR, qui détenait alors des participations au sein d’IFI-DAPTA : ce pôle d’ameublement, et notamment l’entreprise LAFA, étant en grande difficulté économique, sa vente a permis au groupe PPR de se débarrasser de sociétés qui grevaient son bilan. Plus grave, cette vente fut marquée par la sensible et fictive majoration des actifs de ces sociétés de meubles : les actifs de LAFA étaient notamment gonflés par le biais d’avances en trésorerie douteuses, de majorations de stocks et d’inscriptions de créances fictives non provisionnées. Et une perquisition menée dans les locaux du groupe PPR avait permis d’établir que le groupe Pinault avait connaissance de ses anomalies comptables.

La justice n’eut au final pas le loisir de se prononcer sur ces escroqueries manifestes : l’enquête pénale lancée contre François Pinault fut arrêtée du fait de la seule prescription des faits. Au civil, un règlement à l’amiable entre ces deux holdings atténua cependant le préjudice financier subi par le groupe IFI-DAPTA. Mais elle permit surtout de sceller le désengagement définitif de PPR du groupe IFI-DAPTA.

Enfin, malgré une condamnation en première instance du cabinet d’audit, KPMG, qui avait couvert ces faux en écriture, par la commission des opérations de bourse (COB), le cours de la justice fut stoppé net en appel suite à un arrêt de la cour d’appel de Paris : la COB y fut condamnée pour avoir violé l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme proclamant le droit au procès équitable. C’est cet arrêt qui entraîna une profonde réforme des autorités de régulation des marchés financiers, une nouvelle AMF (autorité des marchés financiers) se substituant à la COB. Mais cette évolution jurisprudentielle entraîna aussi l’absence de jugement au fonds de la Cour d’appel de Paris sur l’affaire DAPTA ; la réparation du préjudice subi par DAPTA au cours de cette opération financière fut de facto sacrifiée sur l’autel de l’évolution du droit financier.

Dès 1992, le bilan du groupe IFI-DAPTA était donc alourdi du fait de ces douteuses opérations financières. Cette mauvaise situation n’empêcha cependant pas le groupe de poursuivre sa croissance externe et d’organiser un pôle décolletage au sein d’un groupe appelé EURODEC Industries.

DAPTA était alors une entreprise encore prospère au sein d’un groupe qui accumulait les déficits. Mais les bénéfices de DAPTA, plutôt que d’être utilisés au renouvellement de l’outil industriel, ont servi à éponger autant que possible les dettes d’IFI-DAPTA. Le groupe dut, sans surprise, déposer son bilan en 1996 : le résultat courant d’IFI-DAPTA laissait apparaître un déficit de 170 millions de francs, le passif du groupe étant alors évalué dans une fourchette allant de 1 à 1,5 milliard de francs.

EURODEC et DAPTA furent alors repris, au bout de six mois de procédures, par le groupe VALOIS détenu à 100 % par un affairiste connu, actionnaire à 51 % de l’équipementier automobile VALFOND.

Au sein de ce nouveau groupe financier, le repreneur organisa, difficilement, la fusion des ses deux filiales, les groupes VALFOND et EURODEC. La légalité de cette fusion prêta là encore à débat, la reprise d’EURODEC par VALOIS en 1996 s’effectuant à un prix apparemment quatre fois inférieur au rachat, deux ans plus tard, d’EURODEC par VALFOND, en 1998. Il semble manifeste que cet affairiste ait cherché à réaliser une plus-value exceptionnelle au bénéfice de son groupe financier, VALOIS, quitte à plomber le bilan de sa filiale industrielle, le groupe VALFOND. VALFOND s’était pourtant engagé dans une stratégie de croissance externe, rachetant notamment, en 1997, TERMOZ WAELES LOIRE (TWL), équipementier spécialisé dans la fabrication en série de pièces automobiles qui a réalisé, en 1998, un chiffre d’affaires de cent neuf millions de francs (16,6 millions d’euros) avec 188 salariés. TWL, situé au Chambon-Feugerolles (LOIRE), est aujourd’hui le siège industriel du groupe EURODEC.

Toutes ces opérations financières se firent évidemment au détriment de DAPTA : en l’absence de tout projet industriel, ses bénéfices n’ont servi qu’à financer la croissance externe d’EURODEC...

L’UNION DES BANQUES SUISSES

Rattrapé par la justice et par les difficultés financières du groupe VALFOND, cet affairiste vendit ce groupe en 1999 à l’Union des banques suisses (UBS) : UBS rachète VALFOND pour 1,6 milliard de francs, une somme démesurée au vu des pertes colossales enregistrées par VALFOND (82 millions de francs en 1999), qui conduiront plus tard UBS à restructurer dans sa totalité ce groupe industriel. Au vu des conditions de vente à UBS du groupe VALFOND, qui employait alors 10 000 salariés, il semble nécessaire de s’interroger sur les réels tenants et aboutissants de cette opération. L’incompétence des dirigeants d’UBS, deuxième banque mondiale, pouvant difficilement être présumée, cette opération n’aurait-elle pas pu dissimuler certaines opérations de blanchiment ?

Devant l’ampleur des pertes de VALFOND, UBS décide d’injecter cent millions d’euros trois ans plus tard, à l’automne 2002, pour éviter un dépôt de bilan général, divers cabinets comptables évaluant alors les besoins de refinancement de VALFOND à un milliard d’euros. Lassé, UBS, de la même façon qu’il lâcha le groupe VALIANCE et ses trois mille employés en 2001, décida de démanteler VALFOND, quitte à acculer ses entreprises les moins rentables à la faillite.

UBS plaça EURODEC, groupe encore rentable et dont les bénéfices ont longtemps contribué à limiter les pertes de VALFOND, sous son contrôle direct, et restructura le pôle fonderie et usinage du groupe au sein d’une société rebaptisée APM. L’entreprise APM fut cédée pour une bouchée de pain à deux directeurs d’EURODEC, UBS leur concédant même 35 millions d’euros pour cette opération.

Le départ de ces dirigeants coûta de plus 750 000 euros d’indemnités à EURODEC.

DAPTA tient alors, encore, le rôle de banquier du groupe EURODEC. Le pillage organisé de ses actifs ne s’arrêta pas là : les curiosités de la gestion d’UBS prêteraient en effet à sourire si elles n’avaient pas mis en jeu, depuis 2003, le sort de 570 salariés (540 CDI et 30 interim), chiffre ramené à 442 au dépôt de bilan, puis 351 au moment de la cession le 10 octobre 2006, après 91 départs volontaires ou par FNE. Rappelons que le repreneur, l’entreprise Leipold Group, s’est engagé au final à reprendre seulement 250 salariés.

Autre curiosité, ces deux hommes d’affaire ont par exemple organisé la vente des copeaux d’acier de l’usine et du groupe, à un prix inférieur au marché, au profit de la société EUROMETAL à Villeurbanne ; à ce jour, deux responsables sont mis en examen par le parquet de Clermont-Ferrand. En 2005, cette stratégie fut poursuivie par la nouvelle présidente du directoire d’EURODEC, qui a cédé au groupe Guy Dauphin Environnement (GDE) le marché des copeaux, alors que celui-ci offrait pourtant un prix parfois inférieur de moitié au prix du marché… La perte sur le prix de vente sur ces copeaux s’est élevée, pour DAPTA, à près d’un million d’euros. Le contrat signé avec GDE n’ayant d’ailleurs toujours pas été rompu pour le groupe, seul DAPTA a pu sortir de ce contrat par le biais du redressement judiciaire. L’enquête ouverte par le procureur de la République de Clermont-Ferrand sur ces modalités de vente des copeaux de DAPTA devrait permettre d’en expliquer les raisons : le caractère illégal de ce contrat ne laisse malheureusement guère de doute.

Longtemps pillée, longtemps la banque du groupe EURODEC, DAPTA a donc été affaiblie par l’accumulation des coups qui lui ont été portés depuis vingt ans. C’est bien pourquoi sa place dans le groupe EURODEC a fait question.

QUEL DEVENIR POUR EURODEC ?

Avec un chiffre d’affaires s’élevant à environ 250 millions d’euros, EURODEC comptait encore en 2005 une dizaine de sociétés en France, avec deux milles salariés, et contrôlait quatre sites industriels à l’étranger. Très endetté par les multiples opérations financières qui ont accompagné son éclosion, EURODEC fut provisoirement renfloué en juillet 2005 par un moratoire signé sous l’égide du Comité interministériel pour la restructuration industrielle (CIRI), et ses principaux créanciers. Ce moratoire faisait suite à une période de dix-huit mois de mandat ad hoc, ce qui paraît irresponsable en matière industrielle. UBS a alors injecté quinze millions d’euros dans le groupe et sa dette a été étalée jusqu’en 2012. Cet apport financier aura seulement permis de répondre à une situation difficile en matière de trésorerie. Aucun projet industriel n’a en effet été prévu pour EURODEC.

Aussi, après dix ans d’existence, aucune synergie n’est apparue entre la dizaine de sites industriels du groupe EURODEC. Certains sites étaient même mis en concurrence entre eux : il fut ainsi question, lors de la restructuration du groupe GIAT Industries, de fermer DAPTA au profit d’APPLIFIL, filiale d’EURODEC basée à Cusset (Allier) : EURODEC avait alors imaginé toucher les aides publiques offertes alors par l’État aux entreprises investissant dans les bassins d’emplois touchés par la restructuration de GIAT.

De plus, des pièces produites par POLDEC étaient similaires à celles de DAPTA, la filiale polonaise d’EURODEC, si bien que DAPTA effectuait de plus en plus de devis destinés, en réalité, à la fabrication des pièces en Pologne. Aujourd’hui, DAPTA attend toujours que le groupe EURODEC tienne ses engagements de rendre au site de Thiers les références qui ont été confiées à d’autres sites, comme les « valves alu » transférés à Aquidec…

Ainsi, loin d’être au service de DAPTA, EURODEC, par son absence de gestion stratégique, a été un frein, voire une entrave au développement de cette entreprise. Car, au-delà de l’incapacité d’UBS à déterminer une stratégie industrielle pour DAPTA, au-delà du pillage organisé des actifs, DAPTA a payé à EURODEC 850 000 € de management fees en 2005 soit 1,9 % du chiffre d’affaires, pour des services commerciaux censés être rendus par EURODEC. Sur les trois premiers mois de 2006, la facture s’élevait à 110 000 € / mois, soit près de 4 % du chiffre d’affaires.

Plusieurs députés concernés par les sites d’EURODEC, dont André Chassaigne, ont rencontré à l’Assemblée nationale la présidente du directoire d’Eurodec, le 4 octobre 2006. Il est apparu que le groupe Union des banques suisses (UBS), souhaitait céder EURODEC dans sa totalité après la mise en œuvre de différentes mesures « de toilettage » :

– liquidations : deux sites déjà fermés, celui de l’entreprise CAMUS à Belleville, dans le Rhône, et l’entreprise BRIFFAZ à Marnaz en Haute-Savoie ;

– cessions : Les FORGES DE FRONCLES (Haute-Marne), après avoir réduit l’effectif de 30 %, puis DAPTA, toutes deux cédées à des entreprises allemandes ;

– suppressions d’emplois, dont 44 en cours à TWL à Chambon-Feugerolles.

LA REPRISE DE DAPTA

Ainsi, depuis 2003, DAPTA est passée de 570 à 250 emplois, puisque l’entreprise allemande Leipold Group a limité sa reprise à 250 personnes, dont vingt pour une période transitoire de cinq mois dans la perspective d’un chiffre d’affaires suffisant : 320 emplois ont donc été supprimés en trois ans !

Il faut enfin préciser que le repreneur s’est associé au fonds d’investissement Green Recovery pour la reprise de DAPTA. Ce fonds d’investissement a été créé il y a près de quatre ans, par trois d’hommes d’affaires, qui après l’explosion d’Internet et des start up se sont transformés en spécialistes des restructurations, c’est-à-dire dans le rachat d’entreprises à prix cassés à l’occasion de procédures pour défaillance.

En quelques années, Green Recovery a pu reprendre plusieurs PME industrielles dans des secteurs très différents les uns des autres (vaisselle, bois, avion, etc.). Avec le rachat de l’entreprise DAPTA, ce petit fonds d’investissement est ainsi passé à la vitesse supérieure, bien que n’ayant aucune connaissance du métier du décolletage : l’entrée de Green Recovery dans DAPTA, alors que la reprise est faite par un industriel, n’est pas sans inquiéter les salariés et les élus locaux.

Au regard de la situation actuelle de DAPTA, il est temps aujourd’hui d’éclaircir la politique de gestion d’EURODEC et de ses différents sites industriels, afin d’établir la responsabilité de ce groupe.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’examiner les causes réelles du dépôt de bilan de la société DAPTA SAS.

À cette fin, seront notamment étudiées les conséquences précises, pour le bilan de DAPTA, du pillage de ses actifs organisé par ses actionnaires depuis bientôt quinze ans ; les conséquences, pour la société DAPTA, de la déréglementation du système financier français à la fin des années 80 ; les liens manifestement étroits entre cette déréglementation des marchés financiers et la mise sous tutelle par des investisseurs financiers douteux, voire corrompus, de cette société industrielle alors prospère ; les liens existant entre l’absence de projet industriel de cette entreprise et son rachat par des investisseurs financiers ; les liens financiers entre le groupe EURODEC Industries et EURODEC International, concernant les opérations passées notamment entre POLDEC et DAPTA.

Elle s’intéressera notamment à l’évaluation exacte des enrichissements indus réalisés par les actionnaires d’EURODEC au détriment de ses différentes sociétés et de ses salariés.

Elle s’intéressera enfin aux pistes de réforme de notre système de financement de l’économie ; aux moyens existants de privilégier la croissance et l’emploi contre la rentabilité financière ; aux évolutions législatives à prendre pour prévenir l’apparition de cas similaires à celui de DAPTA, notamment aux évolutions législatives qui pourraient permettre de renforcer le droit d’alerte, avec la prise en compte d’orientations alternatives, et d’ester en justice pour les salariés, organisations syndicales et comités d’entreprises, dans les groupes financiers.

( constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.


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