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le 19 février 2007


N° 3624

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 janvier 2007.

PROPOSITION DE LOI

relative à la prise en charge médicale et aux droits des personnes atteintes de troubles mentaux,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR MM. Georges HAGE, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 12 avril 1994, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe recommandait qu’aucun internement psychiatrique ne devait intervenir sans décision d’un juge, dans la mesure où une telle décision est privative de liberté.

En 2000, la Cour des comptes relevait dans son rapport annuel une augmentation phénoménale des internements sans consentement dans notre pays. En 1992, leur nombre (37 688) demeurait pratiquement identique à celui de 1988, mais, dès 1993, le nombre devait atteindre 42 762, puis 48 922 l’année suivante. Nous atteignions en 2003 les 76 700 admissions annuelles sous contrainte, en rejoignant ainsi les chiffres antérieurs à 1970, date de la mise en place de la politique de secteur et de la généralisation de l’hospitalisation libre, qui avait permis de faire chuter considérablement le nombre des internements sous contrainte.

Nous pouvons donc légitimement nous interroger sur les raisons de cette altération de la santé mentale de nos concitoyens. Certes, les périodes de crise économique, la montée du chômage, de la précarité et de l’exclusion ont des effets sur les comportements. Elles suscitent angoisses, déstabilisations, perte de repères et sont souvent marquées par un accroissement des dépressions et des maladies mentales.

Toutefois la situation économique et sociale ne peut suffire à expliquer cette brutale augmentation du nombre des internements psychiatriques sous contrainte, d’autant que les disparités départementales sont considérables. Dans plusieurs départements, les internements ont quadruplé, tandis que l’augmentation demeure modérée dans certains autres, sans qu’aucun critère démographique, épidémiologique ou socio-économique ne puisse rendre compte de telles différences.

Il y a ainsi en France, selon les périodes considérées, deux à quatre fois plus d’internements qu’au Royaume-Uni et deux fois plus qu’en Italie pour des populations à peu près similaires.

Nous sommes, en outre, le pays européen qui fournit à la Cour européenne des droits de l’homme le plus grand nombre de contentieux relatifs à la psychiatrie.

Cette situation est indigne de la France, qui pourtant a joué un rôle progressiste dans la définition de l’alternative à l’internement, au cours des années 70, avec le développement de la politique de secteur.

Il s’agit aujourd’hui d’effectuer une véritable rupture avec l’esprit des lois du 30 juin 1838 et du 27 juin 1990.

Nous souhaitons une psychiatrie, qui donne à l’hôpital une finalité de soins et qui tisse dans la vie sociale des lieux de santé, qui permettent à celui qui est en difficulté de vivre sa différence et de trouver ainsi les moyens d’exercer comme tout autre ses libertés.

Le secteur psychiatrique doit être le point d’appui médical et psychologique à sa conscience d’être social et singulier. Innovation décisive, par conséquent, que cette politique de secteur, qui a tant de mal à se frayer son chemin et qui, faute de moyens, reste bien fragile dans sa mise en œuvre.

À l’évidence, notre pays a besoin d’une réforme en profondeur de la prise en charge médicale des personnes atteintes de troubles mentaux. Un débat national est nécessaire pour la préparer. Cette proposition de loi se fixe un objectif plus limité mais répond à une urgence.

Il est grand temps, en effet, d’emboîter le pas des réformes entreprises par nos voisins européens en matière d’hospitalisation sous contrainte.

L’article 66 de notre Constitution précise :

« Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

Cela implique donc de définir strictement le placement d’office dans tous les cas sous l’autorité et la responsabilité d’un juge.

Aujourd’hui, en effet, l’hospitalisation sous contrainte relève en France d’une décision administrative puisque l’hospitalisation à la demande d’un tiers est décidée par le chef de l’établissement hospitalier au vu d’une demande écrite et signée par un tiers et de deux certificats médicaux, dont l’un doit être établi par un médecin non rattaché à l’établissement d’accueil. Toutefois, en cas de péril imminent, un seul certificat, établi par le médecin de garde de l’hôpital, peut suffire, dès lors qu’il s’accompagne d’une demande écrite et signée par un tiers.

L’hospitalisation d’office est décidée par arrêté du préfet au vu d’un certificat médical émanant d’un médecin non rattaché à l’établissement d’accueil. En cas de danger imminent, les commissaires de police, à Paris, et les maires, dans les autres communes, peuvent prendre toutes les mesures provisoires utiles, à charge pour eux d’en référer dans les vingt-quatre heures à l’autorité préfectorale. L’imminence du danger doit être attestée par la notoriété publique ou par un avis médical. Ainsi dans la logique française, le médecin émet un avis et l’administration décide. La justice n’intervient donc qu’a posteriori, dès lors qu’elle est saisie. Or, le patient, s’il lui est remis la copie de l’arrêté préfectoral d’hospitalisation comprenant les voies de recours, n’est le plus souvent pas en état d’engager les démarches nécessaires.

Or, le Gouvernement affirme sa volonté d’aggraver ce dispositif déjà peu digne d’un État de droit.

Ainsi s’agit-il de créer un fichier national des personnes ayant été l’objet d’un placement d’office, de permettre aux maires ou, à Paris, aux commissaires de police, de se substituer aux préfets pour décider de l’hospitalisation d’une personne au vu d’un simple avis médical en cas de danger imminent et au vu d’un certificat médical hors d’urgence et de tout danger imminent. En outre, le délai de placement provisoire serait porté de quarante-huit heures à soixante-douze heures.

Ces mesures ont été présentées au Parlement dans un projet de loi concernant non la psychiatrie et la santé mentale, mais la prévention de la délinquance.

C’est un retour à la préhistoire de la psychiatrie, dans lequel se trouvent assimilés santé mentale, délinquance et troubles à l’ordre public.

Dans le même esprit, le Gouvernement s’apprêtait à réformer par ordonnances la loi du 27 juin 1990, dessaisissant la représentation nationale de l’un des fondements du domaine de la loi : la garantie des libertés. Le Conseil constitutionnel a censuré ce choix, dans sa décision n° 2007-546 (DC du 25 janvier 2007).

La présente proposition de loi vise à mettre en conformité le système français d’hospitalisation psychiatrique sous contrainte, l’article 66 précité de la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en instaurant un contrôle automatique du juge de l’ordre judiciaire au-delà de 72 heures de rétention administrative.

Ainsi, qu’il s’agisse de l’hospitalisation à la demande d’un tiers ou de l’hospitalisation d’office, le chef d’établissement, dans le premier cas, les maires, les préfets et les commissaires de police à Paris, dans le second, devront immédiatement saisir le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance du lieu de l’hospitalisation, qui se prononcera sur la nature des mesures à prendre au vu des circonstances, d’un certificat médical étayé et après débat contradictoire.

La prolongation du placement, dont la durée est déterminée par la présente proposition, relèvera de la même démarche. L’avis motivé du psychiatre devra décrire les particularités de la maladie, la démarche suivie pour recueillir le consentement du patient aux soins. Il précisera le protocole thérapeutique mis en place, les effets attendus et ceux obtenus, ainsi que les éventuels effets secondaires du traitement, de même que les perspectives permettant d’envisager les modalités alternatives de traitement éventuel en dehors de la contrainte.

Ainsi le présent texte permettra-t-il à notre pays de se mettre en conformité avec les préconisations respectées par nos partenaires européens en matière d’hospitalisation sous contrainte, d’être plus que jamais la « patrie des droits de l’homme » et de faire œuvre de progrès dans le traitement de la santé mentale.

Sous le bénéfice de ces observations nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d’adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article L. 3212-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3212-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3212-1-1.– Les chefs d’établissement qui auront admis une personne en hospitalisation à la demande d’un tiers en saisiront aussitôt le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance du lieu de l’hospitalisation, lequel se prononcera, au-delà de soixante-douze heures d’hospitalisation et dans un délai maximum de sept jours, après les vérifications nécessaires et après débat contradictoire sur la légalité tant interne qu’externe de la mesure et sur la nécessité de sa prolongation.

« Au vu des circonstances particulières de l’espèce, des débats et d’un certificat médical circonstancié, datant de moins de quinze jours, attestant de l’existence de troubles mentaux graves aliénant la personne au point de rendre impossible son consentement aux soins, le juge des libertés et de la détention peut ordonner :

« – l’assignation à résidence de la personne ;

« – son placement dans un établissement médical.

« Il peut également autoriser le directeur de l’établissement hospitalier à maintenir l’intéressé, hospitalisé sans son consentement, pour une durée maximum de quinze jours. »

Article 2

Après l’article L. 3212 -1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3212-1-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 3212-1-2.– Dans les trois jours précédant l’expiration des quinze premiers jours d’hospitalisation, le juge des libertés et de la détention peut prononcer, sur saisine d’office et après avis motivé d’un psychiatre et débat contradictoire, la prolongation, pour une durée maximum d’un mois, de la mesure prise, en application de l’article L. 3212-1-1. Au-delà, la mesure peut être maintenue ou modifiée par le juge des libertés et de la détention pour des périodes d’un mois renouvelables, selon les mêmes modalités.

« L’avis motivé du psychiatre, visé à l’alinéa précédent, devra décrire les particularités de la maladie, la démarche suivie pour recueillir le consentement du patient aux soins et, en cas de refus de soins, dire si le patient est en état d’accepter ou de refuser valablement de tels traitements ou si ses troubles mentaux rendent impossible son consentement. Il devra préciser le protocole thérapeutique mis en place, les effets attendus et ceux obtenus, ainsi que les éventuels effets secondaires du traitement. Il devra enfin préciser le pronostic en cas de préconisation d’une poursuite des soins en hospitalisation sans consentement du patient et les modalités alternatives de traitement éventuel, en dehors d’une telle contrainte. Le rapport médical précisera notamment si le traitement envisagé est compatible avec un maintien en détention.

« À tout moment, le juge des libertés et de la détention peut, sur saisine d’office ou sur simple requête telle que prévue à l’article L. 3211-12, mettre fin à la mesure et ordonner le sortie immédiate de l’établissement.

« Faute de décision judiciaire à l’issue de chacun des délais prévus à l’article L. 3212-1-1 et au présent article, la mainlevée de la mesure est acquise. »

Article 3

L’article L. 3212-5 du code de la santé publique est abrogé

Article 4

L’article L. 3213-1 du code de la santé publique devient l’article L. 3213-1-1.

Article 5

Après l’article L. 3213-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3213-1-2 ainsi rédigé :

« Art. 3213-1-2.– À Paris , les commissaires de police et les maires des autres communes et les représentants de l’État qui auront prononcé l’hospitalisation d’office d’une personne en saisiront aussitôt le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance du lieu de l’hospitalisation, lequel se prononcera, au-delà de soixante-douze heures d’hospitalisation et dans un délai maximum de sept jours, après les vérifications nécessaires et après débat contradictoire, sur la légalité tant interne qu’externe de la mesure et sur la nécessité de sa prolongation.

« Au vu des circonstances particulières de l’espèce et des débats et d’un certificat médical circonstancié, datant de moins de quinze jours, attestant de l’existence de troubles mentaux graves, aliénant la personne au point de réduire notablement son discernement et de compromettre gravement l’ordre public ou de porter atteinte à la sécurité des personnes, le juge des libertés et de la détention peut ordonner :

« – l’assignation à résidence de la personne admise à l’hôpital sur ordre du maire ;

« – son placement dans un établissement médical.

« Il peut également :

« – autoriser le directeur de l’établissement hospitalier à maintenir l’intéressé, hospitalisé sans son consentement, pour une durée maximum d’un mois ;

« – ou ordonner toute autre mesure jugée utile au maintien de l’ordre public et à la sûreté des personnes, compatible avec les exigences de l’éventuel traitement du patient. »

Article 6

Après l’article L. 3213-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3213-1-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 3213-1-3.– Dans les trois jours précédant l’expiration du premier mois d’hospitalisation, le juge des libertés et de la détention peut prononcer, sur saisine d’office et après avis motivé d’un psychiatre, la prolongation, pour une durée maximum de trois mois, de la mesure prise, en application de l’article L. 3213-1-2. Avant l’expiration du premier mois d’hospitalisation le juge des libertés et de la détention se saisit d’office en vue de prononcer, s’il y a lieu, le renouvellement de la mesure édictée à l’article L. 3213-1-2, ou en modifie les dispositions, conformément audit article, pour une période de trois mois. Il statue, après débat contradictoire. Au-delà, la mesure peut être maintenue ou modifiée par le juge des libertés et de la détention et dans les mêmes conditions, pour les périodes de six mois renouvelables, selon les mêmes modalités.

« L’avis motivé du psychiatre, visé à l’alinéa précédent devra décrire les particularités de la maladie, la démarche suivie pour recueillir le consentement du patient aux soins et, en cas de refus de soins, dire si le patient est en état d’accepter ou de refuser valablement de tels traitements ou si ses troubles mentaux rendent impossible son consentement. Il devra préciser le protocole thérapeutique mis en place, les effets attendus et ceux obtenus, ainsi que les éventuels effets secondaires du traitement. Il devra enfin préciser le pronostic en cas de préconisation d’une poursuite des soins en hospitalisation sans consentement du patient et les modalités alternatives de traitement éventuel, en dehors d’une telle contrainte. Le rapport médical précisera notamment si le traitement envisagé est compatible avec un maintien en détention.

« À tout moment le juge des libertés et de la détention peut, sur saisine d’office ou sur simple requête telle que prévue à l’article L 3211-12, mettre fin à la mesure et ordonner la sortie immédiate de l’établissement.

« Faute de décision judiciaire à l’issue de chacun des délais prévus à l’articles L 3213-1-2 et au présent article, la mainlevée de la mesure est acquise. »

Article 7

Les articles L. 3213-2 et L. 3213-4 du code de la santé publique sont abrogés.

Article 8

Les articles L. 3213-3, L. 3213-5, L. 3213-6, L. 3213-7, L. 3213-8, L. 3213-9 et L. 3213-10 du code de la santé publique deviennent respectivement les articles L. 3213-2, L. 3213-3, L. 3213-4, L. 3213-5, L. 3213-6, L. 3213-7 et L. 3213-8.

(  constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.


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