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N° 825

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 mai 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CONDITIONS
DE LA PRÉSENCE DU LOUP EN FRANCE ET L'EXERCICE
DU PASTORALISME DANS LES ZONES DE MONTAGNE (1)

Président

M. Christian ESTROSI,

Rapporteur

M. Daniel SPAGNOU,

Députés.

--

TOME I

RAPPORT

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Animaux.

La commission d'enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne est composée de : M. Christian Estrosi, Président ; M. François Brottes et Mme Henriette Martinez, Vice-Présidents ; M. André Chassaigne et M. Jean Lassalle, Secrétaires ; M. Daniel Spagnou, Rapporteur ; MM. Gabriel Biancheri, Jean-Louis Bianco, Augustin Bonrepaux, Michel Bouvard, Jean-Paul Chanteguet, Roland Chassain, Lucien Degauchy, Philippe Folliot, Joël Giraud, Jean-Claude Guibal, Antoine Herth, Christian Kert, Jean Launay, Michel Lefait, Lionnel Luca, Hervé Mariton, Pierre Morel-a-l'Huissier, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jacques Remiller, Vincent Rolland, Martial Saddier, Mme Michèle Tabarot, M. Léon Vachet.

S O M M A I R E

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Pages

AVANT PROPOS 11

INTRODUCTION 13

PREMIÈRE PARTIE : LE RETOUR DU LOUP EN FRANCE : DES CIRCONSTANCES MAL ÉLUCIDÉES ET UN MANQUE TOTAL DE TRANSPARENCE 19

I. UN RETOUR NATUREL DU LOUP EST POSSIBLE MAIS DE LOURDES INCERTITUDES SUBSISTENT 19

A.- LE LOUP EN FRANCE : HISTOIRE ET COMPORTEMENT 19

1.- La disparition du loup en France 19

2.- Le rôle du loup dans l'écosystème 20

a) Un prédateur socialement organisé et opportuniste 20

1. Ethologie du loup 20

2. Régime alimentaire du loup 21

3. Organisation sociale du loup 22

b) Un prédateur en principe peu dangereux pour l'homme 23

1. Attaques liées à la contamination par le virus de la rage 23

2. Attaques défensives 24

3. Comportement de prédation 24

4. Attaques liées à un comportement d'accoutumance 24

B.- DES RÉINTRODUCTIONS ARTIFICIELLES NE SONT PAS À EXCLURE 25

1.- Le problème des loups en captivité ou détenus par des particuliers 26

2.- L'existence d'opérations de réintroduction clandestine de loups dans les années 80 27

3.- La réintroduction officielle du lynx 30

C.- L'HYPOTHÈSE D'UN RETOUR NATUREL EST POSSIBLE MAIS NON DÉMONTRÉE 32

1.- Le mode d'expansion du loup 32

2.- Des circonstances biologiques favorables au retour du loup 33

3.- L'expansion du loup en Italie et l'incertaine colonisation des Apennins occidentales 34

4.- Les analyses génétiques 37

a) Les loups présents en France sont d'origine italienne 37

b) L'identification des individus 39

II.- UNE OPACITÉ DÉLIBÉRÉE EST À L'ORIGINE DES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES AUJOURD'HUI 41

A.- LA POLITIQUE DU PARC DU MERCANTOUR ET DE LA DIRECTION DE LA PROTECTION DE LA NATURE : UN DÉNI DE DÉMOCRATIE 41

1.- La version officielle : la surprise 41

2.- La réalité : le loup était attendu 42

3.- Les conséquences désastreuses de cette politique 44

4.- La nécessaire réforme des parcs nationaux 45

B.- LE RÔLE CAPITAL ET AMBIGU DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE LA NATURE 45

1.- Un réseau international 46

2.- Un vrai pouvoir d'influence : l'insuffisante étanchéité entre l'administration et les associations de protection de la nature 46

3.- Une minorité agissante 48

4.- Une utilisation abusive du contentieux 49

C.- UN AUTRE EXEMPLE DE MAUVAISE GESTION DES PRÉDATEURS : LA RÉINTRODUCTION DES OURS DANS LES PYRÉNÉES CENTRALES 50

1.- Le non respect du protocole de réintroduction prévu par la convention de Berne 51

2.- Une cohabitation très difficile 52

D.- UNE RÉUSSITE ET UN EXEMPLE À SUIVRE : LA GESTION DES OURS DU BÉARN PAR L'INSTITUTION PATRIMONIALE DU HAUT-BÉARN 54

1.- Une situation extrêmement conflictuelle au début des années 90 54

2.- Un mode de gestion original et performant 56

3.- La situation de l'ours dans les Pyrénées aujourd'hui 58

III.- LA SITUATION ACTUELLE DU LOUP ET SON STATUT JURIDIQUE 60

A.- LE LOUP COLONISE PROGRESSIVEMENT L'ENSEMBLE DE L'ARC ALPIN 60

1.- La situation du loup en Europe 60

2.- L'état actuel de la population de loups en France 63

a) La méthodologie 63

b) Les secteurs de présence permanente 66

c) Secteurs de présence temporaire 68

3.- Quelle extension future ? 69

a) Un impératif : anticiper 69

b) Le loup, jusqu'où ? 70

B.- LE LOUP EST UNE ESPÈCE PROTÉGÉE PAR DES NORMES JURIDIQUES INTERNATIONALES, EUROPÉENNES ET NATIONALES 71

1.- La protection internationale du loup : la convention de Berne 72

2.- La directive « Habitats » et la protection du loup 74

3.- La protection du loup en droit interne 75

DEUXIÈME PARTIE : LE PASTORALISME DE MONTAGNE : UNE ACTIVITÉ INDISPENSABLE POUR L'ÉQUILIBRE DES TERRITOIRES MAIS FRAGILE ET MENACÉE. 79

I. LE PASTORALISME EST UNE ACTIVITÉ INDISPENSABLE AU DÉVELOPPEMENT DE LA MONTAGNE ET À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT 79

A.- UNE ACTIVITÉ QUI PARTICIPE À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT 80

1. Pastoralisme et biodiversité en montagne 80

2. Pastoralisme et entretien des territoires 81

B.-  UNE ACTIVITÉ QUI RÉSISTE À LA RÉGRESSION DE L'AGRICULTURE EN MONTAGNE 82

1.- De l'espace mais proportionnellement peu de surfaces agricoles en montagne 82

2.- De l'espace mais peu de foncier disponible 83

3.- Une omniprésence de l'herbe et un réel savoir-faire qui expliquent la résistance du pastoralisme 84

II. L'EXERCICE DU PASTORALISME RECOUVRE DES FORMES TRÈS DIVERSIFIÉES QUI ONT ÉVOLUÉ DANS LE TEMPS 84

A.- UNE ACTIVITÉ ÉVOLUTIVE 84

B.- LES DIFFÉRENTS SYSTÈMES D'ELEVAGE DE MONTAGNE EN FRANCE 86

1.- De grandes diversités sur le massif alpin 86

2.- Des diversités encore plus grandes dans le massif pyrénéen 89

C.- UNE APPROCHE COMPARATIVE 89

1.- Des situations globalement contrastées 90

2.- L'exemple du Parc national italien du Gran Sasso et Monti della Laga 91

3.- Le cas de la Suisse, peut-être plus proche de celui de la France 92

III.- LA FILIÈRE OVINE SE HEURTE À DE GRAVES DIFFICULTÉS EN FRANCE 92

A.- UNE PRODUCTION EN DÉCLIN ET PEU COMPÉTITIVE 93

1. Une baisse continue de la production nationale 93

2. De nombreuses causes d'abandon du domaine pastoral 95

3. Une activité fortement subventionnée bien que mal prise en compte par la PAC 95

B.- DES CONTRAINTES FORTES ET DES RISQUES ÉLEVÉS INHÉRENTS À L'ACTIVITÉ 98

1. Les maladies, les contraintes sanitaires et les accidents 98

2. La prédation des chiens 100

C.- DES REVENUS TROP FAIBLES POUR LES ÉLEVEURS ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL SOUVENT INDIGNES POUR LES BERGERS 103

1. Des revenus insuffisants pour les éleveurs 103

2. Le métier de berger à valoriser 106

IV.- LE RETOUR DU LOUP A AGGRAVÉ LA CRISE ET IMPOSE UNE ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE RURALE EN MONTAGNE 107

A.- LE CHOC DU RETOUR DU LOUP A ÉTÉ PLUS VIOLENT QUE POUR LES AUTRES PRÉDATEURS 109

1. La situation face aux lynx 109

2. La situation face aux ours 110

3. La situation face aux loups 111

B.- CETTE CRISE EXIGE UNE POLITIQUE OFFENSIVE POUR LE DÉVELOPPEMENT RURAL EN MONTAGNE 112

1. Renforcer et concentrer tous les soutiens financiers 112

2. Faire évoluer le pastoralisme ovin vers des conduites d'élevage améliorées et plus productives 113

3. Encourager la pluri-activité en montagne 114

a) Développer le tourisme 114

b) Faire vivre le patrimoine naturel 115

4.- Exploiter le capital nature 115

a) Renouer le dialogue 116

b)  Valoriser l'agneau des Alpes par rapport aux produits d'importation 119

5.- Améliorer la formation au métier de berger ainsi que les conditions de travail dans les alpages 119

a) Beaucoup d'efforts restent à faire dans le domaine de la formation 119

b) Grâce au soutien des parcs, les conditions de travail peuvent être améliorées en estive. 120

6.- Développer l'expertise en matière de pastoralisme et créer une discipline universitaire 121

TROISIÈME PARTIE : LES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION ET DE RÉPARATION DES ATTAQUES DE GRANDS PRÉDATEURS, BIEN QU'IMPORTANTS, N'ONT PAS SUFFI À RÉGLER LES IMMENSES DIFFCULTÉS AUXQUELLES SONT CONFRONTÉS LES ÉLEVEURS

I.- DES DÉPENSES DÉJÀ IMPORTANTES QUI VONT S'AMPLIFIER ET QU'IL REVIENT À LA SOLIDARITÉ NATIONALE DE PRENDRE INTÉGRALEMENT EN CHARGE

A.- L'ÉLEVEUR EST LA PRINCIPALE VICTIME DE LA RÉAPPARITION DU LOUP

1.- Des conséquences économiques qui remettent en cause la viabilité des exploitations

2.- Des études de cas qui confirment cette analyse

3.- Des conséquences psychologiques redoutables

B.- LES MOYENS MIS EN œUVRE : LE COÛT DU LOUP

1.- Le premier programme LIFE

2.- Le deuxième programme LIFE

3.- La situation en 2003

C.- PÉRENNISER LE SYSTÈME

II.- DES MESURES DE PROTECTION TRÈS INÉGALEMENT EFFICACES SUR LE TERRITOIRE

A.- LES MESURES DE PROTECTION PRÉCONISÉES

1.- La présence humaine : les aides-bergers

2.- Les chiens de protection

3.- Les parcs de contention

B.- DES MESURES TRÈS INÉGALEMENT ET JAMAIS TOTALEMENT EFFICACES

1.- Des départements diversement touchés

a) Dommages constatés dans les secteurs identifiés de présence permanente

b) Dommages constatés hors des secteurs identifiés de présence permanente

2.- Les mesures de protection ne sont efficaces que sous certaines conditions

C.- UN SYSTÈME D'INDEMNISATION QUI NE DONNNE PAS SATISFACTION

1.- Le système actuel

2.- Les difficultés d'application

3.- Les pistes de réforme

a) Le système assurantiel

b) Une prime forfaitaire

QUATRIÈME PARTIE : SEULE UNE POLITIQUE DE RẾGULATION ET DE MAÎTRISE DE L'ÉVOLUTION DE L'ESPÈCE LOUP EN FRANCE ET DANS LES PAYS VOISINS PERMETTRA DE CONCILIER LES OBLIGATIONS LIÉES À LA PROTECTION DE LA FAUNE SAUVAGE ET LA SAUVEGARDE DU PASTORALISME

I.- UNE APPLICATION PLUS ADAPTÉE DES DÉROGATIONS À LA PROTECTION DES GRANDS CARNIVORES EN EUROPE ET EN FRANCE

A.- DEUX CONDITIONS À LA DÉROGATION SONT PRÉVUES PAR LES TEXTES

1.- L'absence de solution alternative

2.- Un état de conservation favorable

B.- L'APPLICATION DES DÉROGATIONS PAR LA FRANCE

1.- La régulation des lynx et des ours

a) Un protocole d'élimination de lynx

b) Un protocole d'intervention sur l'ours

2.- L'échec des modalités de régulation des loups

a) Le plan loup

b) Des protocoles inapplicables

c) L'inefficacité des battues

C.- POUR UNE GESTION TRANSFRONTALIÈRE DES GRANDS CARNIVORES

1.- Les recommandations du Conseil de l'Europe

2- L'aire de répartition des loups dans les Alpes se situe de part et d'autre de la frontière franco-italienne.

3.- La nécessité d'élaborer un plan de gestion commun entre la France et l'Italie

4.- La mobilisation des fonds communautaires

a) L'utilisation du fonds de développement rural

b) L'utilisation des fonds structurels

II.- LE LOUP N'A PAS SA PLACE DANS LES SECTEURS D'ÉLEVAGE OU AUCUNE PROTECTION EFFICACE N'EST POSSIBLE

A.- DÉFINIR DES SEUILS D'INCOMPATIBILITÉ

1.- La problématique du zonage

2.- Diligenter des diagnostics pastoraux très fins pour déterminer les territoires d'exclusion des loups

B. LES MÉTHODES DE RÉGULATION DOIVENT ÊTRE ENCADRÉES, EFFICACES ET RÉACTIVES

1.- Fixer des conditions claires pour un exercice réel du droit de régulation des loups

2.- Redonner aux communes le pouvoir d'éliminer les prédateurs qui présentent un danger sur leur territoire, hors zone de protection totale.

a) La modification de l'article L. 2122-21- 9° du code général des collectivités territoriales n'était pas justifiée.

b) Les maires doivent pouvoir exercer leur pouvoir de police dans le cadre de l'autorisation de dérogation ministérielle

c) Ce pouvoir peut prendre la forme d'un droit de riposte susceptible d'être délégué aux bergers exerçant sur la commune

d) Des conditions exceptionnelles pour les éleveurs dans les zones de protection totale.

3.- Créer des brigades de louveterie pour surveiller les zones où le loup est exclu

4.- Interdire et sanctionner toute autre forme de destruction des prédateurs

III.- DÉFINIR UN PLAN DE GESTION MAÎTRISÉE POUR L'AVENIR

A.- FAUT-IL LAISSER SE POURSUIVRE L'EXPANSION TERRITORIALE DES LOUPS ET COMMENT L'ENCADRER ?

B.- RENÉGOCIER AU NIVEAU EUROPÉEN LES CONDITIONS D'EXPANSION DES PRÉDATEURS D'UN ÉTAT À L'AUTRE

C.- RENÉGOCIER LES CONDITIONS DE LA MISE EN PLACE DU DISPOSITIF NATURA 2000

CONCLUSION

PROPOSITIONS

EXPLICATIONS DE VOTE

ANNEXES

Annexe n° 1 : Table des sigles

Annexe n° 2 : Chronologie de l'arrivée des loups en France

Annexe n° 3 : Courrier du secrétariat général du Conseil de l'Europe

Annexe n° 4 : Courrier du ministère de l'environnement italien (avec traduction de l'ambassade de France) du 28 mars 2003

Annexe n° 5 : Courrier de la direction du parc du Mercantour du 14 avril 1992

Annexe n° 6 : Courrier de la direction de la protection de la nature du 27 avril 1991

Annexe n° 7 : Rapport de la gendarmerie impériale de Giandola (Breil-sur-Roya) datant de 1862 relatif à une attaque de louve

AVANT PROPOS

La réapparition du loup dans le Vallon de Mollières au cœur du Parc du Mercantour en 1992, et son expansion à d'autres territoires depuis, a ouvert une période de crise et de conflit dans tout le massif alpin entre partisans et adversaires de ce grand prédateur. Il convient, sans plus tarder, de mettre fin à cette regrettable situation.

La commission d'enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne, a effectué un travail conséquent d'écoute, d'analyse et de réflexion, mais aussi de proposition pour, qu'enfin, l'ensemble des problèmes posés par la présence du loup soit examiné, sans passion, mais avec pragmatisme et réalisme.

En ma qualité de Président, je souhaite en préambule à ce rapport, affirmer mon plus profond attachement au maintien des équilibres économiques et sociaux, patiemment établis dans les zones de montagne, au fil des ans, par des populations qui, malgré les nombreuses difficultés auxquelles elles ont été confrontées, ont su aménager, gérer et entretenir les espaces hérités de leurs parents.

C'est cette vision, qui privilégie l'homme dans son environnement, que je souhaite ériger en garde-fou permanent contre toute approche conceptuelle relative à la présence du loup.

Certains, habités par des considérations idéologiques, ont transformé le retour du loup en un débat de société opposant monde rural et monde urbain. Je me refuse à accepter une telle alternative manichéenne. Le débat oppose plus sûrement les personnes qui connaissent les difficultés de la vie en montagne et celles qui les ignorent.

Tous ceux qui, mesurent la tâche accomplie, au quotidien, par les hommes et les femmes qui, avec foi et amour de leur terre, ont choisi l'élevage comme métier, mais aussi comme passion, savent combien cette profession recèle de contraintes, exige d'abnégation et nécessite de courage.

Vouloir imposer des difficultés supplémentaires aux éleveurs de montagne qui, par leurs efforts, demeurent souvent les seuls acteurs d'un monde rural fragilisé, constituerait une faute lourde.

La présence de l'homme en montagne ne doit pas reculer devant un quelconque prédateur. Cette conviction profonde ne saurait être négociable.

Forte de ce postulat, la commission d'enquête, a dégagé des propositions qui devraient enfin permettre, si le gouvernement accepte de les appliquer, de sortir de l'impasse actuelle.

Il ne s'agit pas de remettre en cause les engagements internationaux de la France en matière de protection des espèces sauvages. Il suffit, simplement, de constater l'incompatibilité entre la présence du loup et l'activité humaine dans certains territoires et d'en tirer les conséquences en terme de régulation du prédateur.

Le loup ne peut trouver sa place dans certaines parties du territoire national, même si, pour autant, il ne peut être exclu du territoire national dans son ensemble.

Pour parvenir à cet équilibre, des efforts devront être entrepris par tous les acteurs de ce dossier, Etat, éleveurs, écologistes, chasseurs....

Les multiples auditions auxquelles nous avons procédé invitent à l'optimisme quant au succès de la démarche entreprise.

Si nous parvenons à cet objectif, alors la commission aura fait œuvre utile pour assurer un véritable développement durable dans les zones de montagne de notre pays.

Le Président,

Christian ESTROSI

INTRODUCTION

En décidant, le 5 novembre 2002, de créer une commission d'enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne, l'Assemblée nationale a montré qu'elle était consciente de la gravité d'un problème qui perturbe le monde rural depuis dix ans.

Au-delà des sourires et des critiques qui ont pu accompagner cette initiative, alors que d'autres questions pouvaient paraître plus cruciales, la décision unanime de l'Assemblée témoigne de l'intérêt de la représentation nationale pour un problème qui transcende les courants politiques et affecte douloureusement une activité essentielle à l'économie de nos montagnes.

Beaucoup ont voulu voir dans la constitution d'une commission d'enquête sur le retour du loup, un problème de terroir mêlant folklore et traditions. En réalité, à travers les témoignages recueillis, notre commission a vérifié combien ce dossier est représentatif des tensions qui continuent à opposer « villes et campagnes » dans notre pays et combien il se situe au coeur des choix relatifs aux modes de fonctionnement de l'Etat et de l'Europe.

Comme l'a rappelé le Président de la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire, Patrick Ollier, rapporteur de la proposition de résolution qui a créé la commission, « Il n'y a pas de petit problème quand nombre de nos concitoyens sont atteints dans leur vie, dans leur espérance, dans leur travail au quotidien, dans la simple volonté de rester, habiter, vivre au pays dans ces zones de montagnes ».

C'est un même souci de défense du pastoralisme qui avait conduit plusieurs parlementaires en décembre 1998 à demander la création d'une commission d'enquête. On avait préféré, à l'époque, la constitution d'une mission d'information dont les travaux, conduits par son président et son rapporteur, MM. Robert Honde et Daniel Chevallier, ont conclu à l'incompatibilité de principe entre la présence du loup et un pastoralisme durable.

Faute de moyens d'investigation suffisants, la mission n'avait pas pu examiner la question controversée des circonstances du retour du loup, de sorte qu'il demeurait nécessaire de renouveler la demande de création d'une commission d'enquête pour tenter de faire la lumière sur un dossier qui continue à polluer les conditions d'exercice du pastoralisme de montagne.

Conformément au souhait de certains parlementaires, et pour tenir compte, au-delà de la présence du loup, de l'ensemble des problèmes auxquels se heurte cette activité, le champ d'investigation de la commission a été opportunément étendu à l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne et, dès sa réunion constitutive, celle-ci a décidé de s'intéresser aux problèmes posés par les autres prédateurs, ours et lynx.

Bien qu'une actualité récente eût confirmé, s'il en était besoin, la nécessité de créer cette commission - on rappellera que le 20 juillet 2002, 404 moutons avaient péri dans les Alpes-Maritimes à la suite d'un décrochement provoqué par un loup - il ne s'agit pas à proprement parler d'un sujet d'actualité immédiate, comme le sont beaucoup des thèmes de nos commissions d'enquête. Pour autant, il s'agit bien d'un sujet brûlant et récurrent qui, depuis dix ans mobilise un nombre impressionnant de protagonistes non seulement dans les départements concernés mais également à Paris.

On rappellera que c'est dix ans, jour pour jour, avant la création de cette commission, le 5 novembre 1992, dans le vallon de Mollières, en zone centrale du Mercantour, que deux loups étaient vus pour la première fois, en France, après l'éradication du prédateur dans les années trente. Depuis, les loups n'ont cessé de s'étendre à d'autres territoires et les prédations constituent un problème constant pour les éleveurs.

C'est pourquoi, dans un souci d'objectivité, la commission a souhaité entendre l'ensemble des parties prenantes, qu'il s'agisse des organismes professionnels, des hommes de terrain, éleveurs et bergers, des scientifiques, des associations de protection de la nature ou des responsables administratifs et politiques locaux et nationaux ainsi que des autorités étrangères.

Constituée le 20 novembre 2002, la commission a commencé ses auditions le 11 décembre 2002 et les a achevées le 2 avril 2003 après avoir entendu 285 personnes, à l'occasion de 65 auditions, 14 tables rondes et des déplacements effectués dans 7 des départements concernés (Alpes de Haute-Provence, Hautes-Alpes, Drôme, Alpes-Maritimes, Isère, Ariège et Pyrénées-Atlantiques) ainsi qu'en Italie. Elle a également entendu tous les ministres de l'environnement qui se sont succédé depuis 1992.

Conformément à sa mission, elle s'est attachée à établir un état des lieux du pastoralisme de montagne dont l'exercice se heurte à des difficultés aggravées par les prédations et elle s'est livrée à l'exercice difficile, eu égard au contexte psycho-sociologique, de proposer des solutions susceptibles d'assurer la survie de cette activité, tout en tenant compte des engagements internationaux de notre pays.

A l'issue de ses investigations, qu'elle a tenu à mener sous le régime du secret pour assurer la sérénité de son travail, la commission a pu vérifier l'extrême complexité d'un dossier aux implications non seulement économiques mais également humaines, le caractère passionnel du débat et la forte implication de toutes les personnes entendues.

Ses membres garderont notamment le souvenir des témoignages douloureux et poignants de certains professionnels, particulièrement marqués par des expériences traumatisantes. Au-delà de ces traumatismes et des pertes économiques subies, les éleveurs souffrent d'une véritable remise en cause de leur utilité sociale. Le pastoralisme de montagne est, en effet, l'une des activités agricoles les plus écologiques puisqu'il contribue à l'entretien des montagnes, à leur beauté mais aussi à leur sécurité. C'est pourquoi, les éleveurs se sont sentis bafoués dans le sentiment, justifié, qui était le leur de contribuer pleinement à l'entretien de l'environnement.

Au fond, et la commission l'a constaté au fil de ses auditions, ce sont deux conceptions de la nature qui s'opposent. Les naturalistes et les militants posent la question en termes d'écosystème et de biotopes. Ils se considèrent comme les seuls protecteurs et aménageurs d'un espace rural qu'ils connaissent souvent mal et qu'ils entendent gérer au nom d'une vision parfois idéologique, en y assurant la restauration et le maintien d'une diversité biologique qui doit faire sa place au prédateur, indispensable, selon eux, au maintien des équilibres.

Face à eux, le monde rural et ses représentants, parlent d'exploitations, d'outil de travail, de parcelles, de lots et se sentent niés dans leur existence d'habitants et de gestionnaires de l'espace par le retour d'un prédateur dans des lieux qu'ils habitent et où ils travaillent depuis des générations et qu'ils contribuent à entretenir, à protéger et à embellir.

Les écologistes défendent souvent une vision mythifiée de la nature, pure, originelle et surtout non artificielle. De tels espaces peuvent effectivement exister dans des pays disposant d'une surface très importante et l'on pense alors aux grands parcs nationaux des Etats-Unis. Mais la France ne dispose pas d'une telle superficie et l'ensemble du territoire national est maintenant « artificiellement » organisé. Ce terme ne revêt aucune connotation péjorative dans l'esprit de votre rapporteur car là où cette gestion « artificielle », liée à l'activité humaine, fait défaut, on voit des vallées se refermer, victimes de l'embroussaillement et d'une reforestation non maîtrisée.

Cette vision mythologique et fantasmée de la nature s'est particulièrement portée sur le loup. Pour disqualifier les arguments des éleveurs, de nombreux défenseurs du loup leur reprochent une attitude irrationnelle, liée à une peur profonde du loup, héritée de siècles de conflit avec le prédateur. Ainsi, le fait d'être opposé au loup serait nécessairement un signe d'irrationalité !

La peur du loup existe bien mais votre rapporteur a eu le sentiment, au cours des auditions, que l'opposition au loup résultait davantage d'une souffrance réelle que d'une peur fantasmée. Et l'on pourrait d'ailleurs aisément renverser l'argument ! Le loup que défendent avec tant de passion les écologistes n'est-il pas tout aussi fantasmé que le « grand méchant loup » des temps anciens ?

Ainsi, le retour du loup fut-il annoncé avec enthousiasme dans le magazine « Terre sauvage » dont l'éditorial conseilla à ses lecteurs « de protéger comme un trésor ces pionniers de la reconquête animale. Voyons y des fragments d'âme celtique qui hurlent leur liberté dans la montagne » ! Le loup semble en effet devenu, au fil des ans, le symbole d'une liberté sauvage et pure, emblème parfait d'un combat pour une nature originelle et non encore souillée. Cette popularité du loup peut être facilement vérifiée sur l'Internet. Une recherche effectuée à partir du terme français recueille 4.900 réponses (1.131.000 en anglais) contre 1.590 pour la baleine (497.000 en anglais) (1).

On le voit, l'irrationalité du regard sur le loup est très largement partagée et, si l'on veut avoir une approche constructive de ce dossier, il convient d'écarter tous les mythes, en particulier celui d'une nature originelle et pure vers laquelle il conviendrait de revenir.

Il n'y a de nature qu'organisée, par et pour l'homme, et celui-ci doit rester au centre des priorités.

Cela ne signifie pas que les grands prédateurs n'ont pas leur place sur notre territoire. La France est en effet tenue par ses engagements internationaux relatifs à la protection de la biodiversité. Mais cette biodiversité ne saurait être utilement défendue que si les populations locales se l'approprient. Il faut parvenir à gérer la tension inévitable entre une vision mondiale des enjeux de la protection de l'environnement et la conception plus immédiate et plus locale que peuvent en avoir les populations rurales. L'exemple de la protection des ours dans le Haut-Béarn est à ce titre très instructif et a beaucoup intéressé les membres de la commission.

Dans un même esprit, la présence des grands prédateurs ne saurait être acceptée que dans la mesure où elle est compatible avec celle de l'homme. Les travaux de la commission ont permis de constater que cela n'est pas toujours possible et, dans un tel cas, la commission estime que la priorité doit être donnée à l'homme, sans hésitation.

Or, on a le sentiment, notamment chez les éleveurs que le loup n'est pas « négociable » et que la priorité politique consiste à favoriser son développement tout en essayant de limiter les dégâts qui en résultent.  Tant que le loup n'a pas atteint une population estimée viable sur le territoire français (sans qu'il soit possible de donner des chiffres précis sur le nombre nécessaire), il est hors de question d'y toucher, quelles que soient les conséquences pour l'élevage : tel semble avoir été le discours de l'Etat français depuis la réapparition du prédateur.

Votre rapporteur tient à replacer le loup dans le champ du négociable et, quand il y a incompatibilité avec l'homme, donner la priorité à ce dernier. Telle est la philosophie du rapport. Elle s'inscrit parfaitement dans le souhait exprimé par le Président de la République d'une écologie humaniste.

*

Le présent rapport reprend la logique de la démarche en quatre temps de la commission :

La commission a d'abord entrepris un patient travail de réexamen des évènements de 1992, sources de tous les blocages constatés aujourd'hui. Il a fallu, pour mieux cerner l'hypothèse de lâchers de loups, revenir sur des faits antérieurs, puisque les années 80 avaient été riches en déclarations enflammées sur l'intérêt de réintroduire le loup en France et même de tenter des lâchers de loups. Une démarche de même nature a prévalu pour aborder les arguments, notamment scientifiques, utilisés à l'appui de l'autre thèse, celle du retour naturel. Petit à petit, la réflexion des commissaires a évolué vers l'idée qu'il n'y avait peut-être pas de contradiction absolue entre les deux thèses. En revanche, l'examen des pièces et la confrontation des auditions, effectuées sous serment, ont indiscutablement mis en relief toute l'opacité qui a prévalu dans la gestion de ce dossier depuis l'origine, opacité que l'on peut presque qualifier de « déni de démocratie ». Pourtant, votre rapporteur estime inutile de demander que la France se retire des conventions internationales organisant la protection du loup : les marges de manœuvre que confèrent, tant la directive Habitats que la convention de Berne, lui semblent, en effet, suffisantes pour proposer une politique plus active de gestion de la population de loups.

La deuxième partie, conformément à l'objet de la commission, est consacrée au pastoralisme de montagne dont les difficultés dépassent très largement le seul problème de la présence de grands prédateurs. Elle propose un certain nombre de mesures visant à favoriser son développement, condition essentielle pour que nos montagnes ne deviennent pas des déserts abandonnés de toute activité humaine.

La problématique du coût du loup est traitée dans un troisième temps. La commission fait le point, à partir des éléments dont elle a disposé, sur les dépenses engagées en raison de la réapparition du prédateur et préconise, malgré le coût induit, la pérennisation du système de financement à l'issue du programme LIFE, prévue pour la fin de l'année 2003. Cette partie est également l'occasion de procéder à une évaluation, aussi fine que possible, des mesures de protection préconisées pour limiter la prédation. Le constat est clair : ces mesures, correctement appliquées, peuvent être efficaces, mais pas partout. Sur certains territoires, du fait du climat, de la topographie, elles sont inefficaces et ne parviennent pas à réduire la prédation.

A partir de ce constat, la commission a réfléchi aux modalités, tant juridiques que pratiques, d'un contrôle des loups, là ou ils posent problème. Exclure l'éradication ne saurait signifier passivité et impuissance pour ceux qui subissent des attaques répétées et de plus en plus insupportables. Constatant que des marges d'interprétation et d'assouplissement des textes internationaux existent sur la question de la régulation des grands prédateurs, votre rapporteur propose une procédure d'intervention nouvelle, respectueuse des objectifs de la directive Habitats mais débarrassée de toute la lourdeur, de toute la complexité et de l'inefficacité des protocoles jusqu'à présent mis en place. La commission a constaté que le sentiment, partagé par les éleveurs et les élus locaux, selon lequel les gouvernements ont jusqu'à présent organisé la paralysie de l'action publique, est justifié.

PREMIÈRE PARTIE : LE RETOUR DU LOUP EN FRANCE : DES CIRCONSTANCES MAL ÉLUCIDÉES ET UN MANQUE TOTAL DE TRANSPARENCE

I. UN RETOUR NATUREL DU LOUP EST POSSIBLE MAIS DE LOURDES INCERTITUDES SUBSISTENT

A.- LE LOUP EN FRANCE : HISTOIRE ET COMPORTEMENT

1.- La disparition du loup en France (2)

Jusque là très présent en France, comme dans le reste du monde, le loup a disparu de notre territoire peu avant la seconde guerre mondiale, hormis quelques rares et ponctuelles réapparitions. Cette disparition s'explique par la progressive humanisation du territoire, via l'élevage, la déforestation... Elle s'explique surtout par la politique délibérée d'éradication vis-à-vis d'un prédateur considéré comme ennemi de l'homme, tant en termes d'occupation du territoire que de prédation sur les troupeaux.

Les populations de loups avaient certainement subi des fluctuations multiples depuis des millénaires, en fonction de facteurs très divers : abondance ou migration du gibier, puis du bétail domestique, guerres et armées qui les entraînaient à leur suite, apparition et perfectionnement des armes à feu, organisation de la chasse ... Mais c'est au début du XXème siècle que l'on voit la courbe s'infléchir inéluctablement vers le bas, les prélèvements dépassant régulièrement les possibilités de reconstitution naturelle des populations.

La cadence de la diminution est encore faible à cette époque et, sans certains prélèvements importants effectués à des époques clés, la survie du loup aurait été assurée jusqu'au-delà de l'an 2000, repoussant l'échéance d'un petit siècle. Mais une destruction, méthodiquement organisée, a empêché l'espèce de se maintenir : ainsi, entre 1810 et 1820, le nombre de captures augmente considérablement, plus qu'il n'aurait fallu pour compenser les lacunes de la période post-révolutionnaire.

Un coup fatal sera porté entre 1872 et 1890, avec l'usage du poison : le nombre de loups tués arrivera à quintupler par rapport aux périodes précédentes. L'ultime atteinte sera portée peu après 1914, la guerre ayant laissé quelque répit aux loups, et les effectifs déjà réduits à 150 ou 200 vont être ramenés au seuil d'extinction ; seuls subsisteront quelques individus aux mœurs discrètes, pratiquement invisibles.

Au début du XIXème siècle, il pouvait y avoir 5 000 loups en France ; en 1850, ce chiffre avait clairement diminué de moitié avec des fluctuations diverses. La population était réduite à moins de 1 000 vers 1890 pour tomber à 500 en 1900 et s'amenuiser en ne laissant survivre en 1930 qu'une ou deux dizaines d'individus.

2.- Le rôle du loup dans l'écosystème

a) Un prédateur socialement organisé et opportuniste

1. Ethologie du loup

Le loup est le deuxième plus grand prédateur en Europe, après l'ours brun. L'espèce ayant une zone de répartition très importante et vivant dans des habitats très différents, ses variations morphologiques (taille, couleur et poids) sont très importantes. Plusieurs sous-espèces de Canis lupus ont été décrites. Des différences dans la morphologie externe et les caractéristiques crâniennes ont conduit à l'identification dans la zone eurasienne de 8 sous-espèces. Plus récemment, néanmoins, de nouvelles méthodes taxonomiques tendent à réduire ce chiffre à 6.

Un loup mâle adulte pèse entre 20 et 80 kg ; les femelles sont plus petites (15-55 kg). Les animaux les plus grands se trouvent dans les latitudes les plus septentrionales; le poids moyen du loup méditerranéen est de 25-35 kg, rarement plus de 45 kg. La taille du corps de l'animal adulte est de 110-148 cm ; la queue représente habituellement le tiers de la longueur du corps (30-35 cm). La hauteur au niveau des épaules est de 50-70 cm. Les oreilles sont longues de 10-11 cm et triangulaires. Les loups marchent sur leurs orteils et leurs traces sont similaires à celles d'un grand chien.

La couleur de la fourrure est extrêmement variable : elle va du blanc pur en arctique, au brun, roux, gris, gris pale ou argenté.

Le loup est le mammifère terrestre ayant eu la plus grande zone de présence dans l'histoire récente. Il a occupé la totalité de l'hémisphère nord au dessus du 20ème parallèle, dont le continent nord américain, l'Eurasie et le Japon.

2. Régime alimentaire du loup

Le loup a un régime alimentaire très diversifié. C'est un véritable généraliste qui se nourrit de façon opportuniste de ce qui est le plus disponible dans son habitat. Le régime alimentaire peut inclure des proies importantes comme des petits vertébrés, invertébrés, végétaux et carcasses. Un loup a besoin en moyenne de 3 à 5 kg de viande par jour, même s'il peut jeûner pendant plusieurs jours quand aucune nourriture n'est disponible. Comme l'explique M. Luigi Boitani : « Nous avons étudié le loup dans plusieurs parties des Apennins italiens. L'écologie alimentaire du loup change selon les disponibilités alimentaires. Par exemple, en 1975, dans les Abruzzes, les loups mangeaient surtout les déchets des villages. Dans le parc national du Pollino en Calabre, ces dernières années, le loup se nourrissait essentiellement de sangliers. En Toscane, dans les zones de collines entre Sienne et Grosseto, il mange des sangliers et des brebis - donc aussi des animaux domestiques. »

L'impact du loup sur la population de proies est le suivant : parmi les espèces sauvages, le loup chasse généralement les animaux jeunes ou les animaux vieux ou malades, participant ainsi à la sélection des individus aptes à survivre.

Dans le parc du Mercantour, l'étude de l'impact du loup sur les proies, notamment les proies sauvages, a été effectuée par le comptage des ongulés sauvages pour apprécier comment ces populations évoluaient, mais également par le biais de données relatives aux taux de reproduction ; il s'agissait de déterminer les classes d'âge les plus touchées, notamment ce qu'il en était des jeunes animaux, et également d'étudier la vigilance des proies. Comme l'explique M. Benoît Lequette, chef du service scientifique du parc national du Mercantour :

« Nous nous sommes ainsi rendu compte en étudiant l'impact du loup sur les mouflons que ce dernier était particulièrement sensible à la prédation du loup, contrairement aux autres ongulés de montagne. En fait, le mouflon est originaire de Corse et a été introduit dans les Alpes. On pense qu'il est issu d'un marronnage, c'est-à-dire qu'il est le fruit du retour à l'état sauvage d'un mouton domestiqué il y a très longtemps, une sorte d'ancêtre du mouton qui serait revenu à l'état sauvage. Il s'avère qu'en milieu alpin, cet animal a du mal à vivre. Il est très sensible au froid et, quand il neige, nous constatons des mortalités catastrophiques.

Nous avons constaté qu'en présence de loup, ces animaux étaient capturés fréquemment. Le terme « vigilance » est une manière de décrire le comportement de défense anti-prédateurs. Nous avons remarqué que les mouflons peuvent rester vingt minutes la tête dans l'herbe à brouter sans regarder autour d'eux. Il est donc bien plus facile à un loup de s'en approcher et de les capturer que cela ne l'est dans le cas du chamois qui, lui, relève la tête régulièrement pour surveiller les alentours.

Pour le chamois, le dernier comptage a eu lieu sur deux ans, aux automnes 2001 et 2002. Actuellement, nous sommes toujours en phase de progression des populations de chamois dans le Mercantour. En 1981, quelque temps après la création du parc, on décomptait presque 1 700 chamois ; en 2002, ils étaient 9 000. La population a donc continué de progresser, même si localement, sur certains territoires, le nombre de chamois est stabilisé, voire en baisse. Cela se produit sur deux ou trois communes de la Vésubie et de la moyenne Tinée. Mais, a priori, entre 1997-1998 et 2001-2002, date du dernier comptage, la population des chamois a progressé selon un accroissement annuel moyen de 5,3 %.

Néanmoins, je marquerai une différence entre le mouflon et les autres ongulés sauvages que sont le chamois, le bouquetin, le cerf, le chevreuil et le sanglier. En effet, le nombre de mouflons a fortement baissé, notamment celui de certaines populations du Mercantour. Dans de petites populations de Moyenne Tinée, nous avons constaté certaines années une absence quasi totale de survie des jeunes. La population qui a le plus négativement évolué depuis la présence du loup est une population située sur le vallon de Mollièrse, lieu où le loup a été observé pour la première fois en 1992. Il y a eu là un impact certain puisqu'en 1993, ils étaient 169 mouflons et, qu'en 2002, ils n'étaient plus que 55. Il est vrai que, d'un point de vue biologique, le mouflon est une espèce introduite et n'est pas très bien adaptée aux prédateurs. »

3. Organisation sociale du loup

Au niveau de l'organisation sociale, les loups vivent au sein de meutes qui coopèrent pour la chasse, la reproduction et la défense du territoire. Une meute est fondamentalement une structure familiale qui se crée quand un couple s'établit sur un territoire et se reproduit. Des liens sociaux forts unissent les membres de la meute ce qui permet d'assurer la stabilité et le dynamisme de la meute. Une hiérarchie linéaire entre les membres de la meute est construite et maintenue grâce à des comportements agressifs organisés. Les individus dominants prennent la plupart des initiatives et bénéficient de la plupart des privilèges en termes de reproduction et d'alimentation. La hiérarchie change constamment en fonction de la force relative des membres de la meute.

Les jeunes animaux restent dans la meute jusqu'à l'âge de deux ans, âge auquel ils sont confrontés à une alternative : soit se disperser à la recherche d'un nouveau partenaire et d'un nouveau territoire ; soit rester dans la meute et essayer d'atteindre un plus haut niveau dans la hiérarchie. La densité des proies, des loups et l'existence de territoires vierges à coloniser jouent un rôle déterminant dans la stratégie reproductive qui sera adoptée.

Une meute comprend en moyenne 7 loups (2-15), le nombre dépendant de sa productivité, du succès d'une éventuelle dispersion et de la densité des proies disponibles. En Europe, la taille de la meute est surtout liée au contrôle exercé par l'homme et les meutes importantes sont très rares.

Un loup est actif sexuellement à partir de deux ans. La gestation dure 60-62 jours et la taille des portées varie entre 1 et 11. Généralement, il y a une seule une portée par meute chaque année, seul le couple dominant se reproduisant.

b) Un prédateur en principe peu dangereux pour l'homme

Qu'en est-il du danger du loup pour l'homme ? On connaît les peurs collectives et ancestrales liées aux loups et les nombreuses histoires et contes circulant dans les récits traditionnels. Cette perception, on peut dire viscérale, du loup, prend ses racines dans les prédations réelles dont l'homme fut victime au cours des siècles et explique en partie le caractère passionnel du problème. On trouvera en annexe du présent rapport un procès-verbal de la gendarmerie impériale de Giandola (Breil sur Roya) datant de 1862 relatif à une attaque de loup enragé sur l'homme.

Il a semblé important à la commission d'éclaircir le problème du risque actuel pour l'homme afin d'apprécier objectivement sa réalité.L'examen des données montre l'existence réelle, mais rare, d'attaques sur l'homme. Quatre cas de figure sont observés (3).

1. Attaques liées à la contamination par le virus de la rage

C'est de loin le cas le plus fréquent. Le loup n'est pas une espèce au sein de laquelle le virus de la rage peut se maintenir et ainsi contribuer à la pérennité d'une épidémie. En Europe de l'ouest, le vecteur sauvage principal de la rage est le renard. Cependant, un loup enragé peut développer une forme dite « furieuse » qui, associée à ses capacités physiques, le rend particulièrement dangereux. Les cas d'attaque du loup enragé sont en nette diminution en Europe de l'ouest et en Amérique du nord du fait de la régression importante de la rage.

2. Attaques défensives

Elles sont peu fréquentes et aucun cas mortel n'a été recensé. Elles concernent essentiellement des bergers qui ont du défendre leurs troupeaux avec des moyens rudimentaires (bâton, pierre...). La littérature regorge a contrario de cas où des loups ont été capturés, voire déterrés de la tanière, sans avoir attaqué le piégeur.

3. Comportement de prédation

En principe, le loup ne considère pas l'homme comme une proie potentielle et, de fait, ces attaques sont assez rares de nos jours. Parmi les données historiques, certaines sont d'ailleurs soumises à controverse, comme par exemple la « bête du Gévaudan » en France. Cependant, dans certains cas exceptionnels, la prédation sur l'homme est possible et plusieurs cas ont effectivement été recensés au XXème siècle. Il s'agit de circonstances dans lesquelles les conditions écologiques sont radicalement modifiées : absence de proies sauvages, utilisation importante des proies domestiques, enfants laissés seuls pour la garde des troupeaux. Dans ces conditions, certains individus peuvent développer un comportement d'attaque, essentiellement orienté sur des cibles faciles, comme les enfants.

Ces situations étaient rencontrées en Europe avant le XXème siècle, elles se rencontrent toujours en Asie, en particulier en Inde où des cas sont toujours rapportés.

En Europe de l'ouest, seuls trois épisodes d'attaques ont été rapportés au cours du XXème siècle (1959, 1974, 1975). Ils sont tous survenus en Espagne dans la région de la Galice, région agricole où les loups se nourrissent essentiellement de proies domestiques ou à partir des décharges. En tout, huit personnes, dont sept enfants, ont été attaquées, et quatre enfants sont morts.

4. Attaques liées à un comportement d'accoutumance

Ces attaques sont rares. Elles ont souvent lieu dans des zones protégées où certains individus peuvent perdre la peur de l'homme. Des cas récents (années 90) ont toutefois été rapportés dans des parcs nord-américains. Aucun cas mortel n'a été recensé.

En définitive, des attaques sur l'homme existent, même si leur fréquence est faible et, de plus, essentiellement liée à une contamination rabique. Si l'on compare la fréquence des attaques de loup sur l'homme avec celles engendrées par d'autres carnivores (dingo, grizzli, tigre, couguar...), le loup apparaît comme une espèce relativement peu dangereuses au regard d'une part de ses capacités physiques et d'autre part de l'évolution de son aire de répartition et de ses effectifs. Mais, au cours des 50 dernières années, 9 morts ont quand même été recensées en Europe (dont 5, à l'est, liées à des loups enragés) pour une population lupine estimée entre 10.000 et 20.000 individus ; 8 morts recensées en Russie (4 liées à la rage) pour 40 000 loups.

Deux recommandations peuvent être faites pour diminuer encore cette fréquence :

- continuer et/ou améliorer les programmes de lutte contre la rage ;

- maintenir le comportement craintif des loups, en éliminant tout individu qui deviendrait « familier ».

B.- DES RÉINTRODUCTIONS ARTIFICIELLES NE SONT PAS À EXCLURE

Disparu depuis plus d'un demi-siècle, c'est officiellement le 5 novembre 1992 que le loup fait sa réapparition sur le territoire français. C'est en effet à cette date que furent pour la première fois observés deux loups, à l'occasion d'un dénombrement des ongulés - chamois et mouflons - dans le parc national du Mercantour.

Problème controversé s'il en est, la question du retour naturel ou de la réintroduction du loup en France a suscité l'attention toute particulière de la commission. Celle-ci a entendu la plupart des scientifiques les plus renommés sur la question. Elle a également entendu les arguments des défenseurs de la thèse de la réintroduction, principalement la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes qui, en réponse au document du ministère de l'environnement de 1996 « Premiers éléments d'enquête sur le retour du loup dans les Alpes françaises » qui tentait de démontrer un retour naturel, avait fourni un travail détaillé et très documenté soulignant les imprécisions, les incertitudes de la version officielle et concluait à la probable réintroduction du loup.

La conviction de votre rapporteur, et, semble-t-il d'une majorité de la commission, est que la vérité se situe probablement entre les deux : au vu des connaissances scientifiques actuellement disponibles, un retour naturel du loup d'Italie (et non des Abruzzes, point sur lequel nous reviendrons) est tout à fait possible et les analyses génétiques effectuées depuis 1996 confirment cette possibilité, sans bien sur la prouver. De même, il est probable que des lâchers clandestins de loups ont eu lieu mais, encore une fois, sans qu'il soit possible de le prouver.

En tout état de cause, ces lâchers n'ont sans doute pas fait l'objet d'un complot impliquant le parc national du Mercantour et la direction de la nature et des paysages (DNP) du ministère de l'environnement. Ces lâchers ont probablement été le fait de particuliers passionnés de la nature et particulièrement irresponsables.

Si complot il y avait eu, cela signifierait que plus de la moitié des personnes entendues sur ce sujet auraient délibérément tenu des propos mensongers à la commission, alors qu'ils étaient sous serment.

Il ne s'agit pas pour autant d'exonérer de toute responsabilité les responsables du parc de l'époque ni les fonctionnaires du ministère de l'environnement : on verra un peu plus loin que, s'il nous semble difficile de leur reprocher une entreprise organisée de réintroduction du loup, leur gestion de la réapparition du loup sur le territoire a été pour le moins désastreuse, pleine de dissimulations et source de beaucoup des difficultés auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés.

1.- Le problème des loups en captivité ou détenus par des particuliers

Signe de la fascination que peut exercer le loup sur certains, cet animal est parfois gardé en captivité par des particuliers comme animal de compagnie. Malheureusement, la détention de ces animaux, outre qu'elle est contraire à la convention de Berne, fait naître de lourdes suspicions quant à de possibles lâchers dans la nature.

A la suite du rapport de la mission interministérielle sur la cohabitation entre l'élevage et le loup (rapport Braque, rendu public en mars 1999), un effort réglementaire a été fait pour mieux contrôler la population de loups captifs : l'objectif de l'arrêté ministériel du 19 mai 2000 relatif à l'autorisation de détention de loups est de contrôler la détention des loups en captivité afin de diminuer les risques de lâchers, accidentels ou non, dans la nature.

Désormais, seuls les établissements d'élevage ou de présentation au public, dûment autorisés, peuvent détenir ces animaux. Les personnes autres que ces établissements détenant des animaux à la date de parution de l'arrêté disposent d'un délai de six mois pour solliciter une autorisation de détention. Tous les loups captifs doivent être clairement identifiés par marquage, afin de connaître leur provenance et leurs propriétaires.

L'autorisation de détention des loups est délivrée par arrêté préfectoral. Le marquage des loups est imposé, par tatouage ou par puce électronique, complété par l'inscription sur un fichier national. Cette autorisation est délivrée pour cinq ans. A terme, les particuliers détenant des loups ne seront pas autorisés à faire reproduire les animaux en leur possession ou à les remplacer, à moins de demander l'autorisation d'ouverture d'un établissement à cette fin, et d'obtenir un certificat de capacité.

Selon Michel Perret, vétérinaire chargé de mission en matière de faune sauvage captive au ministère de l'écologie et du développement durable, que la commission a auditionné, on dénombre aujourd'hui exactement 524 loups en captivité, dans 62 sites de détention différents. Un établissement particulier, le parc à loups du Gévaudan, en détient 127. Le deuxième par ordre décroissant d'importance est le parc de la Haute-Touche qui dépend du Muséum d'histoire naturelle, qui en détient 30. Sur les 62 sites, on compte 46 parcs zoologiques, 5 dresseurs animaliers pour présentation de loups au public dans le cadre de spectacles, et 11 éleveurs détenteurs à titre particulier.

Le fichier national est actuellement en cours de mise en oeuvre. Les 524 loups sous contrôle administratif ne figurent pas tous dans le fichier national. Celui-ci n'a en effet été mis en place qu'à compter du printemps 2002 (en raison d'un agrément tardif du matériel nécessaire), de sorte que les loups enregistrés dans le fichier national sont en effectif beaucoup moins nombreux. Sur les 62 établissements répertoriés, 21 seulement ont fait la demande. 77 loups sont enregistrés officiellement et 36 sont en attente.

Constatant le décalage entre le nombre de loups enregistrés et les 524 loups recensés, une circulaire a rappelé aux préfets, en octobre dernier, l'obligation d'appliquer les règles de recensement.

Les premiers fruits de ce rappel apparaissent puisque, pour le seul mois de janvier 2003, il a été enregistré davantage de loups que durant toute l'année 2002. On peut donc espérer finir par obtenir un enregistrement exhaustif.

Il est impératif que tous les loups en captivité soient clairement répertoriés et contrôlés par l'administration.

2.- L'existence d'opérations de réintroduction clandestine de loups dans les années 80

De nombreux textes écrits à la fin des années 80 et au début des années 90 évoquent des lâchers clandestins de loups.

En premier lieu, une enquête réalisée en 1990 par la direction de la nature et des paysages (DNP) recense 42 opérations « d'introductions, réintroductions et renforcement de populations » en France entre 1950 et 1989, concernant diverses espèces, dont des lâchers clandestins de loups :

« Nous n'avons relevé que trois cas de réintroductions d'espèces disparues du territoire national ou supposées telles : la réintroduction du lynx, bien qu'il n'ait pas tout à fait disparu du Jura, les tentatives de lâchers de loup qui se sont d'ailleurs soldées par des échecs, et l'opération actuellement en cours sur le phoque moine. » (4)

Il est pour le moins surprenant que le ministère de l'environnement ait officiellement recensé des lâchers clandestins de loups (et d'autres espèces), opérations par définition illégales, sans s'inquiéter outre mesure des auteurs et des conditions de ces pratiques illégales. Peut-être faut il y voir un signe de l'anormale proximité entre la toute jeune administration de l'environnement et les milieux associatifs écologistes dont elle est en partie issue.

Lorsqu'un loup est tué à Aspres-les-Corps (Hautes-Alpes) en novembre 1992, Gilbert Simon, alors directeur de la DNP, explique qu'il provient probablement d'un lâcher clandestin, lors d'un entretien avec une journaliste de Libération :

« Ce sont les fédéraux de l'Office national de la chasse qui sont chargés de remonter les traces de l'animal insolite. Première hypothèse, il serait venu des Abruzzes, où l'Italie mène actuellement une politique de sauvegarde comparable à celle de la France pour l'ours des Pyrénées. (...) Le plus probable serait donc un loup parti d'un cirque ou de l'élevage d'un particulier. « Un fugueur peut-être, explique Gilbert Simon, directeur de la direction de la protection de la nature et des paysages, mais il existe aujourd'hui une catégorie de nostalgiques qui font de la provocation et lâchent clandestinement des animaux sauvages » (5).

Certains passionnés du loup paraissent d'ailleurs, eux aussi, avoir connaissance de ces lâchers clandestins :

« La pression de l'homme sur son milieu est devenue si pesante que quelques révoltés, désireux de recoller les morceaux d'un monde perdu, n'hésitent pas à prendre le maquis : ça et là en Europe, des loups captifs auraient déjà été discrètement relâchés, dans quelques sites tenus secrets... Ces tentatives marginales suffiront-elles à rendre à Canis Lupis la place qui était la sienne ? » (6)

« Voici donc (le projet de réintroduction de loups) envisagé en Suède. Il est évident que si un projet similaire était présenté à notre ministère de l'environnement, il commencerait par être surpris et à tout le moins on imagine qu'il ne danserait pas de joie. Il envisagerait d'abord les côtés négatifs. Il s'inquiéterait des réactions de la population et, s'il était par hasard l'élu du secteur où la réintroduction serait envisagée, il craindrait tellement pour sa réélection qu'il ne se hasarderait pas à donner le feu vert au projet. En d'autres termes, ceux qui rêvent de la réintroduction du loup en France risquent fort de ne pas être entendus ; il n'est pas impossible qu'ils ne soient même pas compris. Alors, faudra-t-il réintroduire les loups subrepticement ? En réalité quelques tentatives ont déjà eu lieu en France, à ma connaissance du moins, elles n'ont pas connu le succès ». (7)

Comme l'explique Laurent Garde (8), ingénieur au CERPAM (Centre d'études et de réalisation pastorales Alpes Méditerranée) « l'ensemble de ces citations ne prouve pas que le couple de loups vu dans le Mercantour en novembre 1992 provienne d'un lâcher. Par contre, elles établissent avec certitude le fait que des loups ont été lâchés clandestinement en France. (...) Elles témoignent également de la passion de lâchers de prédateurs qui animait les milieux écologistes dans les années 1980, et qui a conduit avec certitude à lâcher des ours et des lynx ».

Le succès de ces lâchers est très incertain : la commission a entendu des déclarations contradictoires à ce sujet ; certains estiment qu'un loup élevé en captivité a beaucoup de mal à s'acclimater à la vie sauvage et disparaît rapidement. D'autres pensent au contraire que le loup captif relâché peut très bien survivre dans la nature.

Il est toutefois scandaleux que le ministère de l'environnement ait délibérément passé sous silence l'existence de ces lâchers, refusant même d'en discuter dans sa publication de 1996. Cela participe manifestement de la politique d'opacité pratiquée par le ministère.

3.- La réintroduction officielle du lynx

Le cas des réintroductions de lynx est une bonne illustration de la passion qui animait certains courants écologistes dans les années 70 et 80.

De 1971 à 1976, environ 25 lynx ont été introduits, certains légalement, d'autres illégalement, par des associations de protection de la nature et de nombreux lâchers ont été effectués à proximité des frontières françaises. Il en est résulté une colonisation naturelle du massif jurassien (Ain, Jura, mais aussi Doubs et Haute-Saône) et du massif alpin par l'espèce, très bien accueillie par les associations de protection de la nature et les administrations françaises, bien qu'elles n'aient nullement été consultées ou tenues au courant de ces opérations menées depuis la Suisse et que les populations locales n'aient bien sur jamais été consultées, ni même averties !

Un programme de réintroduction du lynx est pourtant mis en œuvre en France à partir de 1983, à la suite d'un colloque tenu à Strasbourg en 1978, au cours duquel sont évoqués les multiples avantages théoriques liés à la réintroduction du lynx.

Après des hésitations, le site des Vosges est préféré par l'administration au site préalpin du Vercors (le Mercantour ou les Cévennes avaient également été envisagés) pour de multiples raisons, parmi lesquelles un contexte humain jugé plus favorable : sensibilité « verte » de la région, élevage ovin en déclin, chasseurs jugés plus disciplinés et participation des dirigeants cygénétiques. Cette participation n'est cependant que partielle : si la Fédération des chasseurs du Bas-Rhin soutient le projet, celle du Haut-Rhin, département choisi pour la majorité des lâchers, s'opposera à l'opération par un vote quasi unanime.

Ainsi, de 1983 à 1993, 21 animaux sont réintroduits. Le premier lâcher est d'ailleurs fait dans des conditions quasi-clandestines puisqu'il est effectué à l'initiative de Christian Kempf, responsable de l'opération au nom de l'IREAP, un organisme privé, quelques jours avant une réunion de concertation avec les chasseurs organisée par le préfet à la suite de leur vote de défiance.

Un certain nombre d'entre eux disparaissent, soit par mort naturelle, soit à cause du braconnage, soit parce que, pour deux d'entre eux, ils ont été repris, les autorités s'étant aperçu que ces animaux étaient « imprégnés » (c'est-à-dire préalablement mis en contact avec l'homme) et qu'ils ne pouvaient donc plus vivre dans la nature. Les autres sont à l'origine de la population vosgienne actuelle.

Par la suite, des réintroductions sauvages ont très clairement eu lieu en France : fin 1988, une photo de caracal (lynx exotique dont la présence prouve une intervention humaine) est présentée par des éleveurs ; une femelle piégée le 29 juillet 1990 à Sonthonnax-la-Montagne a l'oreille perforée, ce qui correspond à la pose d'une bague ; un garde observe en novembre 1990 un lynx adulte équipé d'un collier rouge brique, modèle non utilisé par les Suisses pour leur opération de suivi.

Quel est le bilan de cette réintroduction ?

Biologiquement, le lynx n'a pas tenu, loin de là, les promesses annoncées lors du colloque de 1978. Comme le résume Jean-Michel Vandel, responsable du réseau Lynx à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), « On dit que le lynx est un indice de biodiversité. Ce n'est pas vrai : le lynx peut vivre dans des milieux très simplifiés ». Et de conclure : « La seule motivation pouvant justifier la réintroduction est d'ordre éthique. Le lynx n'est pas un indicateur de biodiversité et son impact sur les populations de proies est très mal connu. Dans les années 70, les partisans de la réintroduction disaient que le lynx pouvait avoir un effet sanitaire sur les populations de proies. A ma connaissance, aucun élément ne permet de le montrer à l'heure actuelle. »

Pourquoi alors envisager un plan de restauration du lynx dans l'arc alpin ?

En effet, lors de son audition par la commission, M.Vandel a expliqué qu'à la demande du ministère de l'environnement, « un plan de restauration du lynx était en cours d'élaboration. Il propose des mesures de conservation adaptées à la problématique du lynx, qui peut être différente d'un massif à l'autre. Dans le massif alpin, ce plan propose de développer la présence de l'espèce sur l'ensemble des compartiments de l'habitat favorable et de favoriser les connexions entre ces compartiments. Dans le massif jurassien, ce plan préconise le maintien de la présence de l'espèce et la réduction des dommages sur le cheptel domestique. (...) Dans le massif vosgien, le plan prévoit le maintien de la présence de l'espèce dans les Vosges du sud et dans les Vosges moyennes et la réintroduction de l'espèce dans les Vosges du nord ou dans le massif du Palatinat, qui est le prolongement forestier de ce massif en Allemagne. Le plan prévoit ensuite des mesures visant à améliorer l'acceptation par le monde de la chasse ».

Votre rapporteur exprime, à l'instar des membres de la commission présents lors de l'audition, sa surprise et son indignation face à ce projet de restauration, alors même que la situation ne cesse de se dégrader pour les éleveurs ovins et les bergers, déjà confrontés aux attaques du loup.

Encore une fois, les cultivateurs et les éleveurs des zones de montagne pourront légitimement se demander pourquoi ils ne sont jamais consultés.

Votre rapporteur a donc interrogé madame la ministre de l'écologie et du développement durable, laquelle lui a répondu très clairement : « Je comprends l'inquiétude que l'éventualité d'un plan de restauration du lynx peut susciter parmi les éleveurs qui vivent de façon précaire dans nos alpages et qui cohabitent parfois difficilement avec le loup. Ma réponse est donc sans équivoque : il n'y a pas de projet de restauration du lynx dans les Alpes, et tant que je serai là, il n'y en aura pas. » (9)

Votre rapporteur se félicite de cette réponse franche et sans équivoque mais s'interroge néanmoins sur le fait que la DNP ait pu ne serait-ce qu'envisager un tel plan de restauration au vu des difficultés dues à la présence d'un autre prédateur, le loup. C'est, au mieux de la naïveté, au pire, de la provocation !

*

Face à cet impressionnant faisceau d'indices, on voit bien que le ministère de l'environnement, s'agissant des lâchers de prédateurs, a fait preuve d'une légèreté coupable et d'un manque d'objectivité, qualité que l'on est tout de même en droit d'attendre d'une administration.

S'agissant du loup, le ministère a complètement occulté ces faits, niant totalement les interrogations apparues chez une large partie de la population victime de la réapparition du loup. Il s'est arc-bouté sur la thèse d'un retour naturel du loup qui, même si elle n'est pas impossible, n'a nullement le caractère d'évidence absolue et indiscutable.

C.- L'HYPOTHÈSE D'UN RETOUR NATUREL EST POSSIBLE MAIS NON DÉMONTRÉE

1.- Le mode d'expansion du loup

Les loups sont des animaux territoriaux et chaque animal défend son propre territoire contre les membres des meutes avoisinantes. La taille du territoire varie beaucoup, selon la densité de loups et de proies, les caractéristiques géographiques, la présence humaine, les infrastructures. Tandis que le territoire en Amérique du nord varie entre 80 km2 et 2.500 km2, il mesure généralement entre 100 km2 et 500 km2 en Europe. Les territoires sont signalés par des traces d urine ou des excréments laissés à des endroits stratégiques, à l'intérieur du territoire et à ses frontières. Les frontières territoriales sont rarement transgressées et quand cela arrive, cela conduit à de violentes agressions.

Un petit nombre d'individus vit sans territoire fixe : ces animaux sont en phase de dispersion, à la recherche d'un nouveau territoire dans lequel s'installer ou bien ils ont été rejetés par la meute (quand un dominant perd son statut, par exemple).

Dans la population animale des vertébrés, il existe deux modèles essentiels d'expansion selon lesquels une espèce étend son territoire. Le premier, celui du chamois ou du lynx, est un modèle en « tache d'huile », c'est-à-dire qu'il s'effectue selon un mouvement progressif et lent. Les animaux ne sont pas capables de passer tout d'un coup dans une nouvelle zone.

En revanche, le deuxième modèle d'expansion, qui est typique du loup, est le modèle en « tache de guépard », c'est-à-dire celui d'une population qui s'étend progressivement en colonisant de nouvelles régions, même très lointaines les unes des autres.

Selon M.Luigi Boitani, auditionné par la commission, « C'est l'une des données les plus significatives de l'étude menée ces dernières années en Suède et Scandinavie portant sur l'expansion de la population des loups en Scandinavie. Débutée sur trois individus, elle concerne maintenant plus de cent animaux. Dans cette population, la distance moyenne entre un territoire et un autre est de 140 kilomètres, tout en vivant sur un milieu homogène. Le loup colonise donc une nouvelle région par « patch » - nous utilisons ce terme anglais. De nouvelles taches se constituent au fur et à mesure. C'est ainsi qu'en ce qui concerne la répartition du loup sur les Apennins, nous trouvons des zones vides, qui ne témoignent pas de la présence du loup, alors que toutes les conditions de vie y sont réunies ».

2.- Des circonstances biologiques favorables au retour du loup

La disparition du loup à la fin du XIXème et début XXème est probablement liée à trois facteurs principaux :

- une disponibilité alimentaire en ongulés sauvages extrêmement faible ;

- une couverture forestière servant de zone refuge très réduite, ces deux premiers facteurs étant liés à une présence humaine forte sur tout le territoire ;

- une volonté organisée de faire disparaître le loup (primes à la destruction), elle-même facilitée par l'utilisation massive du poison.

Or, chacun de ces facteurs a été inversé depuis plusieurs décennies. Il y a aujourd'hui :

- une expansion géographique et une progression démographique forte des proies sauvages du loup ;

- une reforestation très rapide du territoire, ces deux premiers changements étant notamment liés à la baisse de la présence humaine sur le milieu naturel dans certaines zones rurales montagnardes ;

- la protection du loup, ainsi que l'interdiction de l'utilisation du poison.

Ainsi, M. Jean-Dominique Lebreton du laboratoire de dynamique des populations de Montpellier s'est-il demandé devant la commission si « la recolonisation par le loup n'est pas une simple conséquence d'une politique implicite de réhabilitation de la biodiversité dans les Alpes. Dès lors que l'on a créé des parcs nationaux, des réserves, que l'on a mis en place des plans de chasse et que l'on a réintroduit des populations, on a créé un paysage avec plus de biodiversité qui a, lui-même, appelé plus de biodiversité, et le mouvement s'est fait d'un pays, l'Italie, où cette biodiversité avait subsisté à cause de conditions économiques différentes dans les montagnes du centre de l'Italie. »

3.- L'expansion du loup en Italie et l'incertaine colonisation des Apennins occidentales

En Italie, la population de loups s'accroît et étend son territoire depuis plus de 30 ans maintenant. Au début des années 70, après des siècles de tentative d'extermination, il n'en substituait plus qu'une centaine, répartis en plusieurs petits noyaux de population situés à l'est de Rome. Depuis 1976, le loup a recolonisé progressivement la chaîne des Appenins sur laquelle il était présent autrefois. Sa présence dans la région de Gênes est certifiée dès 1983. Ainsi la plupart des indices de présence signalés par le ministère dans son document de 1996(10) sont-ils situés à l'est et au nord de Gênes.

Dès lors, si l'on a longuement parlé de la recolonisation des Alpes-Maritimes par les loups du parc des Abruzzes, l'assertion selon laquelle des loups seraient partis du parc des Abruzzes pour arriver jusqu'aux Alpes reste très improbable, pas impossible, mais très improbable ; il y a plus vraisemblablement eu une progressive recolonisation de tous les Apennins. Il est donc envisageable que les loups qui sont arrivés (et qui continuent d'arriver) dans les Alpes-Maritimes soient des animaux partis des régions recolonisées des Apennins du Nord, c'est-à-dire de Toscane ou de Ligurie, et non des Abruzzes.

Tout le débat est donc de savoir si des signes de présence ont été retrouvés à l'ouest de Gênes dans les provinces de Ligurie et d'Imperia. Il faut rappeler que la partie septentrionale, et notamment l'arrière-pays des provinces de Savona et Imperia, constitue un espace favorable à l'expansion géographique du loup. En effet, ces deux provinces sont montagneuses et caractérisées par un couvert forestier continu (150 000 hectares dans la seule province de Savona) composé de hêtraies, chênaies, pinèdes et quelques châtaigneraies. Elles sont très giboyeuses en abritant d'importantes populations d'ongulés sauvages, notamment de sangliers. Le ministère de l'environnement conclut que cette zone possède des caractéristiques d'habitat parmi les plus favorables au loup.

On peut dès lors se demander pourquoi une meute ne s'est pas installée dans cette zone. Comme l'explique le professeur Silvio Spano de l'institut de zoologie de l'université de Gênes dans une lettre du 21 octobre 1996 adressée à la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes : « en se basant sur les données scientifiques, il est très difficile d'expliquer le « trou » entre Gênes et le Mercantour, c'est-à-dire l'absence de loups dans une longue bande de territoire située entre l'arrière-pays de Gênes et le Mercantour, suffisamment adaptée aux loups et riche de gros gibier pour sa nourriture. Les notices de présence ne sont pas suffisantes pour avoir la certitude du passage du loup dans cette zone ».

La chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes fait enfin justement remarquer qu'aucun dégât sur le bétail n'a été signalé avant 1992. Ce dont convient M.Luigi Boitani tout en proposant une interprétation différente : « D'après les chiffres officiels de l'association des éleveurs de la province de Savone, le nombre d'animaux domestiques présents dans les provinces de Ligurie, voisines de la France est de cinq à six cents vaches, qui ne vivent pas sur les alpages mais sont gardées dans les étables. Il n'y a ni brebis ni chèvre. Dans ces conditions, il est très difficile de repérer la présence du loup car nous ne savons où il se trouve que parce qu'il cause des ravages sur les animaux domestiques. C'est différent quand le loup se nourrit d'animaux sauvages. L'étude de terrain que nous avons effectuée dans la zone des Apennins nous a permis de constater que le loup s'approchait très près des villages sans que personne ne s'en rende compte, pas même les chiens parfois. On est conscient de sa présence uniquement s'il cause des dégâts au bétail or, je viens de vous donner le nombre d'animaux domestiques de la région voisine de la France, vous voyez que ce nombre est très réduit. »

Autre élément d'incertitude : la présence d'infrastructures autoroutières importantes semble pour beaucoup être un obstacle évident au passage du loup par ce territoire. On notera toutefois que l'exemple de l'Espagne a été cité où la question a donné lieu à un véritable débat. Celui-ci a conduit le gouvernement espagnol à financer une étude sur l'influence qu'aurait la construction de nouvelles autoroutes sur la population des loups. Les organisations de protection et de sauvegarde du loup étaient, par avance, certaines que l'autoroute interromprait toute communication et menacerait la survie du loup. Un territoire de loups se trouvait à cheval sur l'autoroute. Le résultat de cette recherche a démontré que ceux-ci traversaient, de jour comme de nuit, cet obstacle, sans aucune difficulté. L'autoroute, les fleuves, les chemins de fer seraient donc des barrières quasi inexistantes pour les loups.

Le débat est donc complexe : il est possible que le loup soit passé par les Appenins occidentales, sans qu'il ait été repéré et sans qu'il ait colonisé cette région pourtant favorable à l'installation d'une meute. Il est vrai que le loup est capable de parcourir facilement plus de 100 kilomètres en quelques jours avant de s'établir, même s'il traverse sur son chemin des zones potentiellement favorables, quitte à revenir combler les espaces interstitiels par la suite comme cela semble s'être produit. Signalons également que c'est ainsi que s'est opérée, à partir du Mercantour, la recolonisation de l'arc alpin français, mais sur de moindres distances. Aussi curieux que cela paraisse, on ne peut donc pas exclure cette hypothèse.

On est bien dans le domaine de l'incertitude et des hypothèses, loin de l'évidence qui était présentée par le ministère de l'environnement dans le document de 1996, avant même que les analyses génétiques ne viennent conforter l'hypothèse du retour naturel.

On rappellera que le ministère de l'environnement n'a jamais eu à sa disposition de documents officiels des autorités italiennes attestant la présence du loup dans les Apennins. Il s'est contenté d'écrits de scientifiques, certes très compétents, mais qui n'ont pas l'autorité d'un document officiel. Lors de son déplacement en Italie, la commission a pu enfin obtenir un document du ministère de l'environnement italien (Ministero dell'Ambiente e della Tutele del Territorio) confirmant la présence de loups dans les Apennins septentrionaux dans la région de Gênes.

4.- Les analyses génétiques

Ce n'est qu'en 1996 que le ministère de l'environnement a demandé au Laboratoire d'écologie alpine à Grenoble d'effectuer des analyses génétiques sur le loup réapparu en France. Ce laboratoire spécialisé en génétique des populations, est connu internationalement pour le développement de méthodes non invasives en génétique, c'est-à-dire l'utilisation de poils et de matières fécales comme source d'ADN.

Malgré ces compétences, la commission a constaté lors de ses auditions et de ses déplacements un scepticisme récurrent quant à la neutralité du laboratoire Taberlet en charge de ces analyses. Afin de dissiper ces soupçons et que la confiance soit rétablie, il serait bienvenu, comme cela a été plusieurs fois suggéré, que des tests en aveugle soient pratiqués régulièrement et que les résultats soient comparés à ceux de laboratoires étrangers. Ainsi les doutes seraient- ils dissipés.

Un rappel technique est nécessaire pour mieux comprendre la suite.

On trouve dans les cellules animales, donc dans celles du loup, par exemple, deux types d'ADN : de l'ADN dans le noyau de la cellule que l'on appelle l'ADN nucléaire. Transmis par les deux parents, il permet de reconnaître l'individu et d'identifier son sexe. Il ne faut pas le confondre avec l'ADN mitochondrial, qui est un tout petit fragment d'ADN très particulier, car il est présent à de très nombreuses copies par cellule, ce qui le rend plus facile à étudier. Quand on ne parvient pas à étudier de l'ADN nucléaire, souvent, on arrive à étudier l'ADN mitochondrial. Celui-ci permet d'identifier l'espèce et la lignée. Ce sont donc deux caractéristiques bien différentes.

Trois questions principales ont été posées au laboratoire Taberlet : la première concernait l'origine des loups du Mercantour ; la seconde était de savoir s'il était possible d'identifier l'espèce et la lignée à partir d'indices collectés sur le terrain ; la troisième était de savoir s'il était possible d'identifier les individus et leur sexe à partir d'indices collectés sur le terrain.

Des réponses ont été apportées aux deux premières, et également à la troisième question mais avec plus de difficultés.

a) Les loups présents en France sont d'origine italienne

Le professeur Taberlet s'est ainsi exprimé devant la commission : « Je commencerai par l'identification de l'espèce et de la lignée. C'est le travail que nous avons réalisé au niveau historique. Nous avons utilisé des poils et des matières fécales comme source d'ADN. Nous avons séquencé ce que l'on appelle la « région de contrôle » de cet ADN mitochondrial - soit une région de trois ou quatre cents paires de base environ, qui est relativement variable - et, information très intéressante, nous avons trouvé à cette époque, en même temps qu'Ettore Randi en Italie, que la lignée italienne de loups possède une séquence mitochondriale qui est tout à fait unique au niveau mondial. C'est extrêmement intéressant car cela veut dire que, par la suite, on a pu caractériser cette lignée italienne. »

Que peut-on conclure sur l'identification de l'espèce et de la lignée à partir de l'ADN mitochondrial ?

Premièrement, il est parfaitement possible de discerner le chien du loup en France, quand il s'agit de la lignée italienne, à partir d'indices collectés sur le terrain. Deuxièmement, la lignée italienne est identifiable de manière certaine. Reste toujours le problème des hybrides potentiels : Il faut signaler que l'ADN mitochondrial pose un problème car comme il n'est transmis que par les femelles, si l'on a un croisement entre une louve et un chien, l'hybride sera identifié comme étant un loup, dès lors que sa mère est un loup. C'est une des limites de la méthode.

Ainsi, l'analyse génétique des loups présents sur le territoire français confirme leur origine italienne, du moins, plus précisément, de ceux dont on a retrouvé des poils ou des excréments. Pour autant, elle ne nous dit pas comment ces loups sont arrivés jusqu'en France. Cela suppose simplement que s'il y a eu lâché de loup, ceux-ci auront dû être pris en Italie puis transportés en France. En effet, tous les loups captifs en France sont soit de souche polonaise, soit nord-américaine, soit, plus récemment, mongole.Une telle opération est-elle possible ?

Selon M. Luigi Boitani, «  il n'existe que trois centres dans lesquels le loup est élevé en captivité : le parc national de la Maiella, le parc national de la Sila en Calabre et le parc du Mont Amiata en Toscane. Ensuite, il y a un loup, un seul individu, gardé par l'université de Pérouse. Ces loups sont sous le contrôle d'un organisme public, le Corpo forestale delle stato, un corps de gardes forestiers. A part celui-ci, il n'existe aucun autre endroit en Italie où le loup italien soit captif. Tous les autres loups qui vivent dans les jardins zoologiques ou dans d'autres parcs en Italie sont des loups non italiens, provenant de Yougoslavie, de Russie ou d'autres pays. Or aucun des centres que j'ai cités n'a jamais laissé libre un loup. »

Reste l'hypothèse d'une capture de plusieurs loups sauvages et de leur transport, puis de leur lâcher en France. Cette hypothèse n'est pas à exclure, même si l'on sait qu'il est très difficile de capturer un loup sauvage et qu'un loup « imprégné » par l'homme, est beaucoup moins adapté à la vie sauvage.

b) L'identification des individus

Qu'en est-il de la troisième question posée par le ministère de l'environnement, sur l'identification des individus. Quelle est la technique utilisée ?

De la même façon que précédemment, des poils et des matières fécales sont utilisés comme sources d'ADN. Ce sont les mêmes techniques que celles qu'emploie la police scientifique à la différence près que, sur le loup, elles sont plus difficiles à développer car les connaissances génétiques sont beaucoup moins importantes.

Le sexe est identifié en amplifiant une petite région du chromosome Y, qui n'est présent que chez les mâles. Ces analyses sont difficiles en raison des faibles quantités disponibles d'ADN. Mais le laboratoire a beaucoup travaillé cette question et a trouvé une solution technique. On appelle cela l'approche « multitubes », c'est-à-dire que l'on répète plusieurs fois les mêmes expérimentations pour être certain du résultat.

Quelle est la fiabilité de cette méthode, les risques d'erreur ? Selon le professeur Taberlet, «  si on tire deux individus au hasard dans les populations, la probabilité de confondre deux individus est de 3 sur 100.000. Attention, cependant, dans les populations naturelles, il ne s'agit jamais d'individus tirés au hasard, nous avons des individus apparentés. Dans une meute, il y a des frères et sœurs et il ne s'agit donc plus d'individus tirés au hasard, nous devons prendre en compte la probabilité entre frère et sœur. Le risque d'erreur est alors d'environ 1 %. Dans la pratique, en fonction des données, nous pensons avoir une probabilité de 1 sur 1.000. Le système génétique que nous avons développé est donc, en fait, tout à fait convenable pour répondre aux questions posées. »

Où en est-on des analyses ? Parmi les échantillons collectés et transmis par le réseau Loup, la quasi-totalité des individus, hors Mercantour, a été analysée et ceux des individus du Mercantour sont en cours d'analyse.

Les résultats de ces analyses sont les suivants : première surprise, la plupart des individus n'ont été détectés qu'une seule fois. Il n'y a pas beaucoup de chevauchement d'une année sur l'autre. Si on fait le total de la répartition par année : on a détecté quatre individus en 1998 ; treize en 1999 ; dix-huit en 2000 ; dix-neuf en 2001 et cinq seulement en 2002, mais les analyses ne sont pas complètes. Ce chiffre ne restera donc pas à cinq, mais il n'est pas dit que l'on arrive à dix-neuf.

Les individus communs d'une année sur l'autre sont au nombre de trois entre 1999 et 2000 - deux mâles et une femelle - un individu entre 2000 et 2001, un individu entre 2001 et 2002 ; puis, une femelle qui est restée quatre ans au même endroit et une autre probablement trois ans.

Au total, 50 génotypes ont été identifiés hors Mercantour. Cela signifie qu'il y a eu au moins cinquante individus hors Mercantour depuis 1998, mais cela ne veut pas dire qu'il y en a cinquante maintenant.

Ces chiffres confirment le sentiment que la commission s'est forgé au cours de ses déplacements, que la présence de loups est bien plus importante qu'annoncée officiellement. Par ailleurs, il y a pratiquement autant de femelles que de mâles, d'où de fortes possibilités de reproduction et d'expansion futures.

Entre outre, cette analyse génétique des individus nous éclaire sur l'hypothèse d'une réintroduction. En effet, le polymorphisme génétique est assez élevé ce qui indique que la colonisation s'est certainement faite par un nombre d'individus relativement élevé. M. Taberlet estime qu'il « ne peut aller trop loin dans les analyses car nous ne possédons pas de données génétiques sur la population source en Italie. Si c'était le cas, nous pourrions faire une estimation du nombre de colonisateurs. En tout état de cause, on peut dire qu'il y a au moins eu quatre individus à l'origine. Je pense même que ce nombre est très largement sous-estimé. (...) Il serait intéressant d'analyser le polymorphisme génétique de la population italienne avec les mêmes marqueurs génétiques afin de pouvoir estimer le nombre de colonisateurs, c'est-à-dire voir combien il faudrait que l'on tire d'individus au hasard dans cette population italienne pour obtenir le polymorphisme que l'on trouve actuellement en France. Cela pourrait être assez intéressant à réaliser. »

Dernier éclairage apporté par la génétique, même s'il n'est pour l'instant que potentiel : en Suisse, M. Luca Fumagalli a récemment conduit des expérimentations qui lui ont permis d'identifier l'espèce et la lignée à partir de matériel prélevé au niveau de la morsure sur une proie. En récoltant la salive à l'endroit où les crocs se sont plantés, on peut être certain qu'il s'agit d'un loup et obtenir des indications, au coup par coup, sur les attaques. Il s'agit là d'une information très intéressante, surtout dans la perspective d'une accélération du processus d'indemnisation.

Quels sont les enseignements que l'on peut tirer de ces analyses ?

D'abord que les loups présents en France sont bien d'origine italienne, sans que cela nous dise quoi que ce soit sur la manière dont ils sont arrivés.

Ensuite, que le modèle de dispersion établi est tout à fait compatible avec le mode connu de colonisation de nouveaux territoires par le loup.

Enfin, qu'étant donné le polymorphisme génétique des individus analysés, la recolonisation s'est faite à partir d'au moins quatre individus, et probablement plus.

II.- UNE OPACITÉ DÉLIBÉRÉE EST À L'ORIGINE DES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES AUJOURD'HUI

A.- LA POLITIQUE DU PARC DU MERCANTOUR ET DE LA DIRECTION DE LA PROTECTION DE LA NATURE : UN DÉNI DE DÉMOCRATIE

1.- La version officielle : la surprise

Deux loups sont donc aperçus pour la première fois dans la zone centrale du parc du Mercantour au début du mois de novembre 1992. La réapparition du loup sur notre territoire n'est rendue publique que six mois plus tard par voie de presse via un article paru dans la revue « Terre Sauvage » en avril 1993.

Ce laps de temps a officiellement été utilisé pour s'assurer qu'il s'agissait bien de loups et non de chiens divagants.

Il s'agissait de mettre à profit la période hivernale pour recueillir le maximum d'indices et d'informations, à une époque où l'on ne disposait pas encore de l'outil génétique. Ainsi, un grand nombre d'agents s'est trouvé mobilisé pour tenter, sur le territoire le plus vaste possible, de localiser les secteurs occupés par les loups. Dès le début du mois de décembre, un protocole de suivi systématique fut donc mis en œuvre en collaboration avec des partenaires du groupe loup italien venus reconnaître les secteurs a priori visités et dont les caractéristiques (altitude, couvert, ressource alimentaire) leur sont apparus favorables à l'installation des canidés.

Les déclarations des responsables locaux et nationaux de l'époque recueillies par la commission sont contradictoires : il s'agit parfois de savoir si ce sont bien des loups, parfois seulement (comme si la réponse à la première question était évidente), s'il s'agit de loups en phase de colonisation ou simplement en phase de prospection.

De même, chacun se renvoie la responsabilité de la publication de l'article paru dans « Terres sauvages », et semble regretter son caractère prématuré. Or, selon le témoignage de Mme Carbonne, ethnozoologue qui a travaillé pour le parc du Mercantour, cet article a été préparé, organisé, par la DNP et le parc national du Mercantour, en parfaite concertation, du moins au début.

On voit qu'on était davantage dans la mise en place d'une stratégie de communication que dans un processus scientifique de rassemblement des preuves destiné à vérifier l'identité des canidés repérés à l'automne 1992.

2.- La réalité : le loup était attendu

Malgré les déclarations de M. Gilbert Simon, alors directeur de la DNP, la commission a pu établir que l'arrivée du loup dans le parc du Mercantour n'a été une surprise ni pour le parc national, ni pour la direction de la nature et des paysages.

L'un comme l'autre étaient tout à fait conscients de l'arrivée imminente du prédateur : comme l'explique M. Patrick le Meignen, alors directeur-adjoint du parc dans un document du 16 juillet 1993 faisant le bilan du suivi scientifique des deux canidés aperçus quelques mois auparavant, « cette découverte ne fut en fait qu'une relative surprise ». En effet au mois de septembre 1991, à l'occasion d'un colloque sur les ongulés qui se déroulait à Toulouse, des représentants de l'établissement avaient rencontré M. Alberto Meriggi de l'Université de Pavia. Ce chercheur qui travaille sur la prédation du loup dans la région de Gênes leur avait alors indiqué que l'expansion géographique des loups dans la partie nord-est des Appenins laissait supposer une possible arrivée de l'espèce à court terme dans les Alpes Ligures, et même dans les Alpes maritimes françaises.

De plus, l'attention du parc avait été attirée par la diminution, depuis plusieurs années, avant même 1992, de la fameuse population de mouflons de Mollières, qui était estimée à la fin des années quatre-vingt entre 300 et 350 individus. Cette population, particulièrement suivie par les équipes du parc, avait chuté assez rapidement en deux ans, pour des raisons inexpliquées, tant du point de vue sanitaire que du point de vue des conditions climatiques. Si le mouflon résiste assez mal à la neige, ces années-là étaient caractérisées par un déficit d'enneigement, de sorte que la réduction de cette population de mouflons ne s'expliquait pas clairement.

De son côté, la direction de la nature et des paysages, par un courrier daté du 27 août 1991, indiquait que « d'après les éléments en (sa) possession, les populations de loup italiennes se développaient suffisamment pour pénétrer dans ces prochaines années en France ». Elle demandait au parc de rentrer en contact avec ses homologues italiens afin de dresser « la situation actuelle précise de cette espèce et ses possibilités de colonisation du territoire ».

Le parc national prit donc contact avec M. Merrigi cité plus haut et en informa la direction de la nature et des paysages. M. Denis Grandjean, alors directeur du parc, conclut sa lettre (datée du 7 novembre 1991) ainsi : « Il me paraîtrait tout à fait opportun d'offrir un statut à l'espèce avant que sa présence soit effective sur le territoire français ».

Dans un courrier du 2 janvier 1992, le professeur Boscalgli du groupe-Loup Italie, indique : « Effectivement, depuis quelques années, le loup est occasionnellement présent dans la province de Cunéo, mais selon toute probabilité cette présence ne peut être considérée comme stable comme cela l'est plus à l'est, le long de la frontière de nos régions Piémont et Ligurie. Cela ne veut pas dire que quelques spécimens isolés, jeunes, en déplacement à la recherche de zone-refuge (selon une tendance naturelle à la recolonisation vérifiée dans des différentes zones d'Italie) ne puissent arriver jusqu'au parc du Mercantour ».

Fort de ses informations, le directeur du parc national prévient sa tutelle, la direction de la nature et des paysages, par un courrier du 14 avril 1992 de l'arrivée imminente du loup sur le territoire français et indique : « Il paraît nécessaire d'être préparé à l'éventualité de l'arrivée du loup et au cortège de difficultés notamment sociologiques qui l'accompagneront ». Et de poursuivre : « En l'état actuel des choses, il nous semble que c'est au niveau du pastoralisme que se situe le plus gros problème ». Un éclair de lucidité qui n'a malheureusement pas eu les conséquences espérées. Suite à ce constat, M. Granjean fixe un programme d'action pour faire face à l'arrivée du loup et établit une évaluation des besoins financiers (diagnostic pastoraux, missions à l'étranger, indemnisations, lâchers d'ongulés sauvages...) pour un montant total d'un million de francs (150 000 euros).

On voit donc très clairement que, tant la direction de la nature et des paysages que le parc étaient parfaitement au courant non seulement du retour imminent du prédateur sur le territoire national mais aussi de ses conséquences néfastes sur le pastoralisme ovin.

Pourquoi cette attente entre la réapparition en novembre 1992 et l'annonce « officielle » en avril 1993 ?

Comme l'explique M. Pierre Pfeffer, alors président du comité scientifique du parc, qui n'apprit la présence du loup que le 13 avril 1993, « le ministère de l'environnement n'a pas voulu ébruiter cette nouvelle, car le loup n'était pas encore inscrit sur la liste des espèces protégées ». En effet, comme cela sera détaillé plus loin, le loup ne figurait pas encore sur la liste des espèces protégées fixée par un arrêté de 1981, et ce malgré les demandes de M. Denis Grandjean.

Ainsi, ni la direction de la nature et des paysages, ni le parc n'ont prévenu les élus ou les associations agricoles alors qu'il eut été indispensable que les éleveurs se préparent à cette contrainte qui devait tant modifier leurs pratiques pastorales. On peut très clairement parler de « chape de plomb » sur ce dossier, tant de la part de la DNP que du parc.

Encore plus scandaleux est le fait que la ministre de l'époque, Mme Ségolène Royal, n'ait pas même été mise au courant de cet évènement majeur, selon les propos qu'elle a elle-même tenus devant la commission !

Où sont la démocratie et le bon fonctionnement de l'Etat quand une décision d'une telle importance, qui a profondément bouleversé la vie de plusieurs départements français, est le fait d'une petite technostructure qui ne rend de comptes à personne ?

3.- Les conséquences désastreuses de cette politique

Ainsi, les responsables administratifs de l'environnement ont choisi le secret face au retour annoncé du prédateur. Ce refus d'associer les élus et les éleveurs à un évènement qui allait les affecter profondément explique en grande partie les difficultés rencontrées sur ce dossier par la suite.

D'abord, la soudaineté de la nouvelle, qui a empêché les éleveurs de disposer de tous les éléments annonçant le retour du loup, a nourri les suspicions et les doutes sur le caractère naturel de cette réapparition. Du jour au lendemain, on leur a dit : « Le loup est là, il faut vous adapter » ! Il n'est pas étonnant que la majorité des éleveurs ait cru à un complot écologiste les mettant devant le fait accompli. Ce refus de transparence a installé une méfiance durable et profonde, toujours présente aujourd'hui.

M. Denis Grandjean, directeur du parc à l'époque, regrette aujourd'hui cette politique : « Je pense que l'on aurait sans doute pu le gérer beaucoup mieux avec la classe politique des Alpes-Maritimes et des Alpes-de-Haute-Provence au sein de laquelle j'avais beaucoup d'amis. Mais c'est un peu l'idée d'un parc sacré et porté par des équipes qui, dans le Mercantour, en tout cas, étaient peu inervés dans le tissu local. Je pense que c'est une erreur. »

Ensuite, le caractère tardif de cette annonce ainsi que l'absence de préparation des éleveurs et d'équipement en moyens de protection a fait que les premiers dégâts dus à la prédation du loup furent très importants, créant un traumatisme profond et durable chez les éleveurs et renforçant encore leur radicale opposition à cet animal. Cette même erreur se répètera dans tous les départements : on attend les premières prédations pour s'équiper des mesures de protection, lesquelles mettent, bien sur, un certain temps à être efficaces.

Ainsi, dans le parc national de la Vanoise en Savoie, les élus membres du conseil d'administration seront-ils prévenus au dernier moment de la présence du loup.

Enfin, cette politique du secret s'apparente à un déni de démocratie : on a refusé d'associer les populations à la gestion d'un évènement qui allait profondément modifier leurs pratiques, pire on les en a exclues.Il est évident qu'à l'opposé, il aurait fallu, pour que les enjeux liés à la protection du patrimoine naturel soient compris et acceptés par la population, surtout s'agissant d'un phénomène comme le retour du loup, que celle-ci fut actrice de cette gestion et non spectatrice.

4.- La nécessaire réforme des parcs nationaux

A cet égard, le traitement différent de ce dossier par les parcs régionaux et les parcs nationaux est tout à fait révélateur : alors que les parcs régionaux du Queyras et du Vercors ont réussi à impliquer tant les élus que les autres acteurs locaux à la gestion des problèmes posés par le loup, le parc national du Mercantour a préféré garder le secret le plus longtemps possible et a retardé la diffusion de l'information auprès des élus et de la profession agricole.

Certes, les parcs nationaux ont des contraintes et des missions que n'ont pas les parcs régionaux et un alignement des premiers sur les seconds serait impossible. Néanmoins, votre rapporteur souhaite que l'on aille le plus loin possible dans la décentralisation de la gestion des parcs, sans, bien sur, qu'il soit porté atteinte aux missions originales des parcs nationaux. Le rôle des conseils d'administration, où sont présents les élus locaux, doit, en particulier, être réévalué. Votre rapporteur espère que les conclusions de la mission confiée à notre collègue Jean-Pierre Giran iront dans ce sens. Elles susciteront alors de notre part un soutien sans réserve.

B.- LE RÔLE CAPITAL ET AMBIGU DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE LA NATURE

La gestion de la réapparition du loup par le parc national du Mercantour et par la direction de la nature et des paysages est donc clairement en cause.

Ces institutions semblent avoir été beaucoup influencées par les positions des associations de protection de l'environnement qui, comme nous l'avons vu, faisaient, déjà à cette époque, du loup un symbole de leur combat.

Au cours de ses investigations, la commission a été frappée par le nombre d'associations de défense du loup, signe de la popularité du prédateur au sein de la population, ou plutôt de la popularité de l'image qu'en donnent les médias, image travestie et bien éloignée de la réalité de l'animal. Ces associations sont sans doute plus nombreuses que le loup ne l'est lui-même sur notre territoire !

Votre rapporteur a donc souhaité se pencher sur le fonctionnement de ces associations.

1.- Un réseau international

De par la globalité des enjeux qui motivent les associations de protection de la nature, il est logique que la plupart d'entre elles appartiennent à des réseaux internationaux. Dans la plupart des domaines écologiques, on constate l'existence de réseaux d'experts et de spécialistes qui se rencontrent régulièrement. C'est également vrai pour la connaissance des prédateurs, tels que le loup, le lynx ou l'ours.

Ainsi, les lâchers officiels et clandestins de lynx réalisés dans les années 70 en Suisse ont marqué le début des tentatives de restauration de cette espèce en Europe. D'autres campagnes de réintroduction, d'ampleur inégale, ont suivi peu après en Slovénie, en Autriche, en Bohème et Bavière ou en Italie. Dans le même temps s'organisait au niveau européen un collège informel de spécialistes et de naturalistes convaincus de la nécessité de réintroduire le lynx. Réunies dans une structure nommée « Groupe Lynx », ces personnes ont développé une intense activité de communication et d'échanges autour du thème de la réintroduction du lynx en Europe. L'activité du groupe Lynx a sans doute largement contribué à ce que la France initie, à partir de 1980, le dernier des programmes de réintroduction de cet animal.

L'équivalent existe pour le loup. Un réseau loup a été organisé en Europe et à travers le monde regroupant les spécialistes de l'animal et les associations qui se sont donné comme objectif la protection de ce prédateur. Ces associations, on l'a dit, sont particulièrement nombreuses tant le loup est une cause très populaire au sein des milieux écologistes. On notera d'ailleurs qu'il y a souvent une certaine confusion entre le statut de militants et celui de scientifique.

Il ne s'agit bien sur pas de remettre en cause la rigueur scientifique de ces chercheurs mais on ne peut nier que certains sont totalement fascinés par leur objet d'étude et qu'il leur est sans doute parfois difficile de séparer jugement scientifique et jugement militant.

2.- Un vrai pouvoir d'influence : l'insuffisante étanchéité entre l'administration et les associations de protection de la nature

Il n'est bien sur nullement question de remettre en cause l'existence de ces associations qui sont, pour la plupart, composées de militants sincères croyant profondément en leur cause. Même si l'on ne partage pas leurs idées, il est de leur droit le plus fondamental de s'associer pour les défendre idées.

Mais il est également du devoir de toute administration de rester neutre dans son action et de s'en tenir aux directives du pouvoir politique. Or, on constate malheureusement que l'étanchéité entre le monde associatif et les responsables administratifs est très insuffisante expliquant, en partie, le peu de confiance qu'ont beaucoup d'acteurs de ce dossier dans l'administration du ministère de l'environnement.

Au niveau central, Yves Cochet, ministre de l'écologie de juillet 2001 à mai 2002, reconnaît lui-même : « Il fut un temps, mais j'ai essayé d'y mettre bon ordre, où l'on avait tendance à dire « Le ministère de l'environnement, c'est le ministère des associations d'environnement... » Il y avait même une sorte de cogestion, un peu comme il y a eu une cogestion entre le ministère de l'agriculture et un certain syndicat agricole ».

Cette « cogestion » est-elle bien terminée ? Pas totalement si l'on en croit Mme Sophie Béranger, directrice de la direction de l'agriculture et de la forêt  (DDAF) des Alpes-Maritimes : «  Lorsque nous avons mis en place le protocole(...), nous avons prévenu le ministère de l'agriculture et la direction de la nature et des paysages. Dans l'heure qui a suivi, l'ensemble des associations de défense de la nature étaient prévenues. Or, à l'époque, seuls étaient au courant le préfet, M. Gonella, la DNP, la direction de l'agriculture et moi-même. Je ne soupçonne pas la direction de l'agriculture d'avoir des relations avec ces associations. Je considère que les fonctionnaires de l'administration française ont une obligation de réserve et ne peuvent communiquer certaines informations.»

On retrouve cette porosité au niveau local. Mme Béranger explique en effet qu'« avec l'actuel directeur du parc de Mercantour, (elle) a des relations de confiance. Toutefois, certains de ses agents ont des liens très forts avec certaines associations, dont France nature environnement. D'ailleurs, le directeur Louis Olivier avait été informé par ses agents, qui eux-mêmes avaient été informés par France Nature Environnement, de la mise en place du protocole. »

Et Louis Olivier, directeur actuel du parc national du Mercantour de confirmer : « J'ai la conviction, sans en avoir la preuve, que des agents du parc sont encore engagés dans des associations. Lorsque je suis arrivé, je leur ai demandé de choisir entre continuer à être des agents assermentés de l'Etat ou à assumer des responsabilités dans le monde associatif. J'ai donné comme consigne de mettre en place une barrière étanche dans l'information. J'ai rappelé aux agents leur obligation de réserve, particulièrement au moment où la commission d'enquête parlementaire travaille. (...) Si j'ai la preuve qu'un agent du parc national est impliqué dans la transmission de faits mensongers aux journalistes de « Terre Sauvage », je ne manquerai pas de prendre mes responsabilités. »

Votre rapporteur se félicite de cette détermination et espère qu'elle est partagée par toutes les structures administratives du ministère de l' écologie et du développement durable.

3.- Une minorité agissante

Outre cette anormale promiscuité avec l'administration, les mouvements écologistes utilisent parfois des méthodes très discutables du point de vue de la démocratie.

Comme toute minorité, la mouvance écologique estime être en avance par rapport à la majorité de la population, au point que certains dénient aux autres citoyens le statut de protecteur de la nature : introduisant le célèbre colloque de Saint Jean du Gard consacré aux « réintroductions et renforcements de populations animales en France », M. François Letourneux, alors directeur de la Direction de la protection de la nature, explique que les vrais protecteurs de la nature ne sont pas « les 99,5 % des français qui aiment la nature, mais les quelques 10 ou 15 % des français qui y comprennent quelque chose (11) », c'est-à-dire, bien sur, les écologistes.

Une telle affirmation méconnaît gravement la connaissance de la nature dont est riche le monde rural : seul le savoir scientifique et naturaliste compterait ! Une telle conception, pseudo-élitiste, de l'écologie laisse la porte ouverte à beaucoup d'abus.

Ainsi, certain préféreront refuser des solutions raisonnables à tel problème écologique et pratiquer la politique du pire plutôt que de transiger et prendre en compte le point de vue des opposants. Dans le dossier de l'ours des Pyrénées, au début des années 90, le rôle de certaines associations a, semble-t il, davantage consisté à jeter de l'huile sur le feu qu'à essayer de trouver des solutions. A tel point que certains ont pu douter de leur réelle motivation à l'égard de la sauvegarde de l'ours (12)...

De même, lors de la seule tentative d'application du protocole de prélèvement d'un loup décidée par le préfet des Alpes-Maritimes, les associations, très rapidement informées comme on l'a vu, se sont rendues sur place pour faire fuir l'animal et empêcher l'application du dispositif.

4.- Une utilisation abusive du contentieux

Une des armes préférées des associations écologistes est l'arme juridique grâce à laquelle elles peuvent remettre en cause devant le juge administratif tel ou tel arrêté ou décision préfectorale ne leur plaisant pas.

M. Bernard FOUCAULT, ancien responsable auprès des DDAF des Alpes de Haute-Provence et des Alpes-Maritimes a très clairement présenté ce type d'agissement à la commission : « Ces sphères d'influence utilisent volontiers le contentieux administratif en déposant des recours qui sont construits par des juristes de très haut niveau, dont on ne voit jamais le visage. Derrière, se greffent le ROC, l'ASPAS, etc. et tout se passe en procédure écrite. On aboutit ainsi à des décisions du juge administratif totalement déconnectées de la réalité. On se demande comment c'est possible de se retrouver si loin des faits. Il y a un écart qui s'est creusé de par ce type de fonctionnement entre le factuel que constate un maire, un préfet, un acteur de l'exécutif d'Etat ou des collectivités locales, et la décision du juge. (...) Un autre contentieux célèbre que vous avez eu à connaître est celui de la chasse aux oiseaux d'eau. Ce sont des rapports qui sont faits une fois pour toute et que les associations envoient de manière tournante à toutes les juridictions administratives. Ils vont attaquer une fois le Var, le Finistère ; l'année suivante, ils vont changer de département. Il y a tout un aspect tactique derrière, mais c'est le même rapport. Ensuite, ils vont faire monter derrière un certain nombre d'autres associations d'intérêt local».

L'ancien président de la FNE, M. Lionel BRARD, s'est même permis de mettre en garde la commission avec des propos très durs mais également très clairs plaçant le débat au niveau de l'OMC et de la PAC : «  Si on veut que demain les boîtes vertes de l'OMC, qui seront les seuls justificatifs des aides agricoles, soient accordées aux filières françaises, il ne faut pas que celles-ci s'engagent dans un processus d'éradication car elles nous trouveront sur leur chemin au niveau international. Notre mouvement a pendant 20 ans fait son travail sur les périodes de chasse et nous avons gagné. Si dans le dossier du loup, on nous mettait dans une situation où nous n'aurions pas d'autre choix que de combattre, nous le ferions et nous obtiendrons le même succès qu'avec les périodes de chasse. Si les détracteurs du loup se positionnent délibérément sur le secteur économique, notre discours ne sera pas uniquement juridique, il sera aussi économique là où on sera prêt à nous entendre sur le problème du subventionnement des exploitations agricoles. Nous serions disposés à passer des alliances avec des partenaires du groupe de Cairns sur les filières ovines. ».

Et M. Brard d'expliquer ensuite qu'il est bien sur très opposé au modèle de société proposé par l'OMC mais, qu'après tout, la fin justifie les moyens. On voit à quelles alliances contre-nature une conception extrémiste de ses convictions peut mener.

Nous laisserons chacun juge de ces propos mais la commission a été, dans son ensemble, choquée par ces paroles. Elles prouvent bien la technique de certains : faute de pouvoir convaincre de la justesse de leur cause, certains écologistes préfèrent passer au-dessus et imposer aux populations locales des diktats qui n'ont quasiment aucune chance d'être acceptés.

C'est au contraire par une appropriation locale de ce patrimoine naturel que la nature a le plus de chances d'être préservée. C'est ce qui est tenté avec un succès certain dans les Pyrénées-Atlantiques, via l'Institution Patrimoniale du Haut-Béarn. C'est précisément ce qui n'a pas été fait lors de la réintroduction des ours dans les Pyrénées centrales.

C.- UN AUTRE EXEMPLE DE MAUVAISE GESTION DES PRÉDATEURS : LA RÉINTRODUCTION DES OURS DANS LES PYRÉNÉES CENTRALES

Conformément à son objet, la commission d'enquête s'est intéressée à la situation de l'ours dans les Pyrénées et s'est déplacée dans l'Ariège et dans les Pyrénées-Atlantiques afin d'entendre les principaux acteurs de ce dossier. Même si la problématique « Ours » est différente de celle du loup ou du lynx, du fait de l'éthologie particulière de cet animal et des spécificités locales, la commission a retrouvé nombre de discours, d'argumentations, de difficultés, qu'elle avait déjà rencontrés lors de ses déplacements dans les Alpes.

L'ours brun des Pyrénées est le dernier grand prédateur autochtone existant sur le territoire français. Autrefois présent sur l'ensemble du massif pyrénéen, il a petit à petit disparu des Pyrénées centrales et orientales (Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège, Aude et Pyrénées Orientales). La seule population survivante est située dans les Pyrénées-Atlantiques, et plus précisément dans le Béarn.

A la suite de l'intense lobbying de certaines associations écologistes et de l'accord de quatre communes de Haute-Garonne, des ours slovènes sont réintroduits en 1996 et 1997, sans que la procédure prévue par la convention de Berne pour les réintroductions ne soit respectée. Ces ours se sont implantés sur des territoires où les éleveurs n'étaient absolument pas préparés à la présence d'un prédateur tel que l'ours, de sorte que celui-ci a provoqué d'importants dégâts à un secteur déjà économiquement et socialement très fragilisé.

Ainsi, faut-il bien distinguer aujourd'hui entre la population de souche présente dans le Béarn qui comprend officiellement entre 5 et 7 individus et la population issue de la réintroduction d'ours slovènes. La première est gérée localement par une institution originale qui a été mise en place au début des années 90 et dont le fonctionnement est très instructif de ce que peut être un mode de gestion efficace du patrimoine naturel. Il s'agit de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB).

1.- Le non respect du protocole de réintroduction prévu par la convention de Berne

Dans le cadre de la charte signée en 1993 entre le ministère de l'environnement et l'Association de développement économique et touristique (ADET) regroupant quatre communes de la vallée de la Garonne (Melles, Fos, Boutx, Arlos), le lâcher de 3 ours slovènes adultes (2 femelles et un mâle) est effectué à partir de 1996.

Comme cela était prévisible, ces ours et leur descendance ont rapidement délaissé le territoire des quatre communes concernées pour divaguer en Espagne et dans l'ensemble des Pyrénées centrales (Hautes-Pyrénées, Ariège, sud de l'Aude et partie ouest des Pyrénées Orientales), vaste zone d'élevage extensif de troupeaux ovins-viande et bovins-lait.

Cette réintroduction s'est faite au mépris des termes mêmes de la convention de Berne qui prévoit en son article 11-2A « l'obligation de consulter les populations concernées en procédant à une étude d'impact en cas d'introduction de nouvelles espèces animales ». Or, en dehors de l'ADET et l'association Artus, à l'origine du projet, les consultations ont été très réduites et n'ont, en tout cas concerné que la Haute-Garonne, alors même qu'il était très probable que les ours relâchés ne se cantonneraient pas aux territoires des communes ayant accepté la présence du prédateur.

Mme Anne Chêne, qui était en poste à l'Office national des forêts en Haute-Garonne au moment des réintroductions, estime que « l'exécution de la mise en œuvre de l'introduction de l'ours a peut-être été un peu rapide dans sa partie préparatoire, notamment celle de concertation avec les différents départements. Je ne suis pas sûre qu'il y ait eu suffisamment de possibilités de s'exprimer des différents côtés ni forcément connaissance de tous les problèmes qui allaient se poser pour les éleveurs en fonction du type d'élevage pratiqué.

Il y a eu une concertation, mais assez restreinte en Haute-Garonne et la précipitation - encore une fois, je ne porte aucune critique - s'est faite en raison de cette opportunité venue d'un accord qui n'était pas facile à obtenir On peut constater que c'est cette opportunité qui a enclenché la réintroduction et qu'un travail préparatoire plus avancé de concertation et de discussion montrant que des difficultés pourraient apparaître mais que des moyens financiers seraient mis en face et permettant de réfléchir à la filière dans son ensemble - car c'est un soutien à la filière, au monde pastoral qui est important - aurait pu être plus prudent et plus sage. »

Aujourd'hui toute opération importante touchant à l'environnement et à l'urbanisme est précédée d'une étude d'impact. L'absence d'étude d'impact entraîne l'irrégularité de la procédure. Il parait aberrant et tout à fait irrégulier que, pour une opération aussi lourde de conséquences sur l'environnement, aucune étude d'impact sérieuse n'ait été effectuée.

Il semble que le ministère de l'environnement se soit quelque peu précipité sur l'occasion que lui ouvrait l'offre de l'ADET et d'Artus, sans qu'une réflexion ne soit menée sur les conséquences prévisibles d'un tel lâcher, en particulier vis-à-vis des conditions d'exercice du pastoralisme.

Ainsi, à la question de savoir si elle relâcherait aujourd'hui des ours en Pyrénées centrales, Mme Lepage, ministre de l'environnement en 1996 répond très clairement à la commission : « Non, je pense que je ne le referais pas, sauf à encourager ceux qui, localement, auraient envie de le faire. Je pense que cela doit être géré au niveau de la région et du département et non pas imposé par l'Etat. »

Cette mesure imposée par l'Etat a profondément bouleversé les pratiques pastorales des éleveurs qui ont été les premières victimes du retour de ce prédateur. Un front du refus s'est constitué face à ce déni de démocratie qui avait permis à quatre communes d'imposer à l'ensemble du massif pyrénéen la présence non désirée, et pas même discutée, d'ours réintroduits.

Votre Rapporteur tient d'ailleurs à rendre hommage au travail effectué par le « groupe prédateurs » au sein du Conseil national de la Montagne, travail qui a beaucoup contribué aux lignes qui vont suivre.

2.- Une cohabitation très difficile

Mme Marie-Lyse Broueilh, présidente de l'ADDIP (Association pour la développement durable de l'identité pyrénéenne) explique très bien la façon dont les acteurs locaux ont ressenti cette réintroduction : « Il est important de voir comment, dans cette problématique de l'ours slovène, notre existence a été niée. Nous sommes des acteurs de ces vallées depuis des générations, nous y travaillons, nous y vivons. Nous nous impliquons dans cet espace montagnard à différents titres. Nous avons donc des choses à raconter, à dire et à faire et nous avons, bien évidemment, une vision du développement de nos vallées. Cette première constatation - voir à quel point notre parole était bafouée, était mise à l'écart - nous a inspiré une grande révolte. »

Comme pour les autres prédateurs, les principales victimes de la présence du prédateur sont toujours les éleveurs. L'exemple des prédations de l'été 1999 dans la Haute-Ariège est particulièrement éloquent : sur les seules quatre communes d'Ascou, Orlu, Orgeix et Mérens-les-Vals, les dégâts ont concernés 201 brebis et agneaux, 2 poulains et plusieurs ruches.

Au-delà de ces chiffres, il faut ajouter la peine des hommes et des femmes qui effectuent un travail extrêmement pénible et qui ont vu leurs conditions de travail encore aggravées par la présence des ours. Les bergers, au détriment de leur sécurité et de leur santé, ont dû souvent coucher près de leurs troupeaux, loin du refuge, souvent sans succès, car ils n'ont pas évité la prédation. Il faut comprendre leur désarroi, leur découragement, leur révolte, quand ils retrouvent leurs brebis dévorées, parfois mutilées et agonisantes.

Comme l'explique M. Philippe Quainon, directeur de la DDAF d'Ariège, « Par rapport aux pratiques d'élevage, on ne peut pas se cacher le fait que l'ours est un élément nouveau et perturbateur qui amène la nécessité d'évolutions de pratiques, qui ne sont pas acceptées de façon spontanée, voire réalisables dans leur mise en œuvre en fonction des personnes concernées. Au-delà des positions personnelles sur la présence de l'ours, il y a aussi en terme d'élevage, des considérations topographiques et, au bout du compte, des conditions économiques qui font qu'à dispositif égal, les interventions peuvent avoir une chance d'efficacité ou pas. »

L'Etat a, certes, mis en place un dispositif d'accompagnement afin de limiter les prédations (aides-bergers, chiens patous...) ainsi qu'un système d'indemnisation dont M. Quainon expose clairement les limites : « Quant à l'indemnisation, il est vrai que réapparaît régulièrement la question de la prise en compte les effets des dégâts non constatés occasionnés par les ours, c'est-à-dire les animaux disparus et consommés dont on ne retrouve pas les carcasses, mais aussi les effets indirects de la présence de l'ours, c'est-à-dire excitation et agitation des animaux entraînant la perte physique d'animaux effrayés par l'ours par accident, constat de mortalité ou pas. »

On constate donc que des difficultés importantes sont liées à la réapparition des ours sur des territoires qui n'y étaient pas du tout préparés. Or, la charte signée en 1993 entre l'ADET et l'Etat reconnaît en son article 4 le droit à chaque commune adhérente de demander le retrait des animaux lâchés, par simple délibération du conseil municipal.

Article 4 : « Dans le cas où l'expérience de réintroduction des ours, visés par la présente charte mettrait en péril des biens, des personnes ou aurait des répercussions sur le bon équilibre des autres espèces sauvages, les communes pourront y mettre un terme immédiatement en demandant à l'Etat de procéder à la capture, et cela par simple décision exprimée par délibération des conseils municipaux. »

Votre rapporteur estime indispensable qu'un droit identique soit expressément reconnu à toutes les communes sur le territoire desquelles l'ours est effectivement présent, au-delà de celles sur le territoire desquelles a été faite la réintroduction. Cela leur donnera la possibilité de réagir face à un ours dont le comportement de prédation serait anormal et excessif.

Le bilan de cette réintroduction est donc globalement très négatif. Certes, biologiquement, les ours slovènes se sont plutôt bien acclimatés à leur nouvel environnement, puisque des reproductions ont eu lieu. Mais, politiquement et sociologiquement, l'échec est patent : les populations locales concernées par la présence de l'ours y sont farouchement opposées. La méthode a été désastreuse : on a imposé, en prenant pour prétexte l'accord de quatre communes, la présence de prédateurs à des territoires et à des populations qui n'y étaient pas du tout préparés, créant ainsi un très compréhensible sentiment d'injustice et de rejet.

En outre, cette réintroduction a compliqué la gestion de la population d'ours autochtones, telle qu'elle avait été organisée dans le Béarn.

D.- UNE RÉUSSITE ET UN EXEMPLE À SUIVRE : LA GESTION DES OURS DU BÉARN PAR L'INSTITUTION PATRIMONIALE DU HAUT-BÉARN

Le Béarn est la seule partie de la chaîne des Pyrénées où subsiste une petite population d'ours autochtones. Ces ours ont été, au début des années 1990, à l'origine d'une très grave crise dont le règlement a abouti à la mise en place d'un outil original de gestion du patrimoine naturel par les populations locales.

1.- Une situation extrêmement conflictuelle au début des années 90

Après la mise en place du parc national des Pyrénées en 1967 et du « plan Ours » en 1984 et face à la baisse continue de la population d'ours bruns des Pyrénées, le ministre de l'écologie, M. Brice Lalonde, prend en 1990 un arrêté délimitant des réserves à ours, alors même que les acteurs locaux s'apprêtaient à proposer un plan de sauvegarde de l'ours. Ces « réserves Lalonde » vont déclencher une véritable guerre civile dans le Haut-Béarn.

Encore une fois, et ce alors même que les populations locales prenaient conscience de la nécessité de sauvegarder et de préserver cette richesse patrimoniale que constitue l'ours, on imposait, de Paris, des contraintes aux populations et aux territoires, selon des critères pseudo-scientifiques.

Or, il faut avoir à l'esprit le chemin parcouru par ces populations locales pour accepter l'importance de ce prédateur qu'elles avaient combattu une partie de leur vie. M. René Rose, doyen des élus de ces vallées, maire de Borce et président de la communauté de communes de la Vallée d'Aspe, souligne à quel point «... il est important de faire confiance aux hommes de nos vallées, de ces hameaux, même si certains se montrent récalcitrants. Il leur est extrêmement difficile de changer de mentalité aussi vite alors que l'ours était déjà l'ennemi quand ils étaient encore au berceau ! Et on voudrait qu'ils le protégent ! Imaginez la démarche que ce chasseur ou ce berger doit faire. » La réponse a été à la hauteur du mépris affiché de la part des autorités parisiennes.

Comme l'explique M. Michel Maumus, conseiller général de Lasseube et président de la commission environnement du conseil général des Pyrénées Atlantiques, ces réserves «  ont provoqué une guerre armée avec des gardes à vues, des emprisonnements, des menaces physiques sur les personnes ; autrement dit un climat délétère ».

Pour sortir de cette crise, le nouveau ministre de l'environnement, Michel Barnier , décide d'abroger les réserves Lalonde, contre l'avis de son administration, et prend le parti de faire confiance aux Béarnais en leur confiant la tâche de rédiger une charte de développement durable des vallées béarnaises et de protection de l'ours.

Cette charte est très officiellement signée par le ministre le 31 janvier 1994, lançant ainsi une tentative originale et innovante de gestion du patrimoine naturel. Encore aujourd'hui, Michel Barnier, à présent commissaire européen est particulièrement heureux de la sortie de crise qu'il a trouvée avec les populations locales :

« Je reste fier, personnellement, du temps que j'ai passé, de mon engagement personnel dans le dossier du Haut-Béarn et de la création de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn qui me paraît une démarche exemplaire du point de vue de la gestion de plusieurs problèmes ayant abouti à une confrontation générale et à une absence totale de crédibilité de l'Etat.

Nous avons de nouveau fait confiance aux gens de ce pays. Dès lors, ils ont accepté d'écouter à nouveau l'Etat qui avait à l'époque des obligations au titre de la convention de Berne et peut-être aussi une politique à mener en faveur de ces grandes espèces en voie de disparition comme l'ours. Nous avons, me semble-t-il, par la confiance mutuelle et par la confiance faite par l'Etat aux acteurs locaux créé une situation nouvelle. Je reste persuadé qu'il s'agit d'une bonne démarche, si l'on veut bien créer ce climat de confiance. »

2.- Un mode de gestion original et performant

Alors que l'Etat décidait seul de ce qui pouvait se faire, ou pas, sur ce territoire dans le domaine pastoral, forestier, etc., la charte de développement durable des vallées béarnaise et de protection de l'ours confie désormais le pouvoir de décision à un syndicat mixte. Celui-ci est composé des vingt communes qui ont accepté de signer cette charte, du conseil général et du conseil régional d'Aquitaine. Mais le syndicat mixte ne peut décider qu'à condition d'avoir recueilli l'avis formel d'une grande assemblée appelée « le conseil de gestion patrimoniale ».

Il ne s'agit pas d'une assemblée de consultation, mais bien d'une assemblée de concertation, de réflexion et de proposition. Elle est constituée de trois collèges : celui des élus où les 28 membres du syndicat mixte en ont désigné 11 pour les représenter et celui des personnalités qualifiées où l'on retrouve les administrations et établissements publics de l'Etat, autour du sous-préfet d'Oloron Sainte-Marie, les représentants du parc national, du conseil général, du conseil régional, des scientifiques ainsi que le centre ovin. Le plus important est le collège des valléens.

Comme l'explique Didier Hervé, directeur de l'IPHB : « nous y donnons la parole à ceux qui ne l'avaient pas ou plus, c'est-à-dire des bergers, des chasseurs, des associations de protection de la nature, des exploitants forestiers, des représentants des chambres consulaires. C'est ainsi qu'a initialement été constituée la charte. »

Depuis la mise en place de ce système, en 1994, l'arrivée volontaire de nouveaux acteurs a été enregistrée : d'abord quatre communes, puis l'office du tourisme de la Vallée d'Aspe qui a estimé devoir participer à cette gestion transversale relevant de son rôle d'explication du territoire aux touristes, l'association départementale des accompagnateurs en montage et, plus récemment, les sociétés de pêche, les transhumants gros bétail et le lycée agricole.

Il s'agit donc d'un ensemble de très large concertation. L'organisation peut sembler un peu compliquée, mais on notera que 167 délibérations ont été prises depuis huit ans, pas une seule n'ayant été attaquée devant le tribunal administratif, alors que cela était quasiment la règle auparavant pour tout dossier touchant à l'environnement.

Ainsi, les conditions de travail des bergers ont gagné en qualité : ouverture de nouvelles pistes, rénovation de cabanes, mise aux normes européennes des estives... Preuve du dynamisme de l'activité pastorale, 25 % des bergers ont moins de 35 ans et 10 % sont des bergères. Enfin, l'exploitation s'est améliorée, tout en tenant compte des spécificités de l'environnement, et 10.000 hectares de réserves de chasse volontaire ont été mis en place.

Par ailleurs, plusieurs actions ont été menées en faveur de l'ours : plantation d'arbres fruitiers, complément de nourriture naturelle fournie avant l'hiver, réglementation de l'accès aux estives, mise en place de systèmes de protection des troupeaux pour limiter, si ce n'est éviter, les conflits avec les bergers.

Le résultat est positif : la baisse de la population oursine a été enrayée et trois naissances ont été enregistrées ces dernières années (1995-1998-2000). L'IPHB a même proposé au ministère de l'environnement, en 1997, un plan de renforcement de la population d'ours par deux femelles. Ce plan n'a malheureusement pas abouti essentiellement du fait, du moins est-ce la conviction de votre rapporteur, de la mauvaise volonté du ministère.

Celui-ci a en effet refusé qu'il soit procédé à la capture préventive d'un ours (qui aurait été ensuite relâché), afin de prouver aux éleveurs que l'Etat serait capable, techniquement, de capturer un animal dont le comportement de prédation serait considéré comme anormal. Il a contesté l'ensemble du programme d'accompagnement de l'opération qui avait été construit par les acteurs du territoire réunis dans l'IPHB. Il a ensuite subordonné son acceptation du plan à la mise en place du réseau Natura 2000, alors qu'il savait pertinemment qu'une telle condition ne serait jamais acceptée dans les Pyrénées-Atlantiques, département très opposé à Natura 2000. Ici encore, une position « jusqu'au boutiste » a prévalu, cela au détriment de l'ours lui-même.

Dans le même temps, l'Etat cautionnait des lâchers d'ours dans les conditions que l'on a déjà décrites ! C'est peu dire que la confiance qui s'était créée lors de la signature de la charte fut totalement brisée, en particulier chez les éleveurs qui avaient le sentiment d'avoir fait un pas important en acceptant le projet de renforcement. Par la suite, cette déception s'est encore accentuée, lorsque l'IPHB a vu ses outils de gestion grignotés par l'Etat et ses crédits diminués.

A tel point que certains ont pu se demander si la réussite de cette expérimentation, hors normes en terme de gestion du territoire, ne constituait pas un exemple à étouffer pour éviter le risque de voir d'autres massifs tenter de gérer leurs problèmes de grande faune de la même façon.

Cette crise de confiance a conduit à l'impossibilité de construire le second contrat de programme pluriannuel de la charte, les services et établissements publics de l'Etat bloquant l'élaboration des nouveaux contrats.

Aujourd'hui, grâce à une attitude plus ouverte du ministère de l'écologie, la situation semble s'apaiser et la visite de madame la ministre en début d'année y a beaucoup contribué. Votre rapporteur souhaite ardemment que cette réconciliation se poursuive, afin qu'un nouveau contrat puisse être rapidement signé.

Une précision pour conclure : il ne s'agit pas de dire que le modèle de l'IPHB est parfait et qu'il faut l'exporter partout où de tels problèmes apparaissent. Lors de son déplacement sur place, la commission a pu constater le caractère encore très passionnel du dossier et les oppositions très profondes et vives qui subsistent entre les différents acteurs du territoire. Mais au moins existe-t-il un lieu où ces oppositions, ces divergences et ces contestations peuvent s'exprimer, un lieu qui dispose de véritables pouvoirs et où l'obligation de parvenir in fine à une décision responsabilise très clairement les acteurs.

Ainsi, c'est bien plus la méthode et l'inspiration théorique qui doivent être retenues dans l'exemple du Haut-Béarn. Comme l'explique Henri Ollagnon, professeur à l'Institut national agronomique de Paris-Grignon (INA-PG), et l'un des inspirateurs de la charte de 1994 : « il ne peut pas y avoir de présence durable d'ours dans les Pyrénées, si la qualité de sa population et de son habitat n'est pas prise en charge par l'ensemble de la société, laquelle prise en charge traverse les propriétés publiques et privées ce qui fait surgir une exigence qui est essentielle : la qualité doit devenir un patrimoine commun local d'intérêt général. »

3.- La situation de l'ours dans les Pyrénées aujourd'hui

A la suite des naissances constatées sur le versant espagnol (2 naissances en 2000 et de nouveau 2 en 2002), la population oursine se compose officiellement aujourd'hui de 14 à 15 individus.

On peut considérer que la population d'ours sur le massif est répartie en trois noyaux. Le noyau occidental est composé des derniers ours autochtones (selon les sources officielles 4-5 individus, dont une seule femelle identifiée), auxquels s'ajoute, depuis le printemps 2001, un ours issu de la réintroduction. Les noyaux central et oriental sont composés uniquement d'ours issus de la réintroduction (9 individus, dont 2 femelles adultes connues, deux sub-adultes et deux oursons).

Restent certaines incertitudes : les analyses génétiques relatives aux dernières naissances n'ont pas été effectuées et il n'est pas possible de connaître le sexe de ces oursons. C'est là une donnée essentielle, particulièrement dans le Béarn, où l'éventualité d'une femelle supplémentaire permettrait d'ouvrir des perspectives de reproduction, aujourd'hui quelque peu assombries par l'âge attribué à la seule femelle officiellement présente. La mise en place d'un laboratoire spécialisé de génétique devrait permettre de pallier cette lacune. Pour peu que le principe de transparence absolue de l'information soit parfaitement respecté ce qui n'a malheureusement pas été le cas ces dernières années.

A terme, se posera certainement la question d'un éventuel renforcement de nouvelles femelles, ne serait-ce que pour des raisons de variabilité génétique.

Le contre-exemple de la réintroduction ratée des Pyrénées centrales a au moins le mérite de nous indiquer a contrario ce qu'il faut faire : consultation et approbation de toutes les populations locales concernées, préparation et soutien aux éleveurs avant la réintroduction, suivi précis des animaux réintroduits.

Ces conditions ne sont clairement pas réunies aujourd'hui. Il appartient aux acteurs locaux, soutenus par l'Etat, en tant que de besoin, d'y remédier si tel est le désir des populations.

III.- LA SITUATION ACTUELLE DU LOUP ET SON STATUT JURIDIQUE

A.- LE LOUP COLONISE PROGRESSIVEMENT L'ENSEMBLE DE L'ARC ALPIN

1.- La situation du loup en Europe

A l'origine présents sur l'ensemble du territoire européen, les loups ont progressivement été exterminés de la plupart les pays d'Europe centrale et d'Europe du nord. Une population conséquente de loups vit encore en Finlande, au Portugal, en Espagne, en Italie et en Grèce mais les populations les plus importantes se retrouvent en Europe orientale. Il y aurait aujourd'hui entre 10 000 et 20 000 loups en Europe. L'amplitude des estimations montre d'ailleurs à quel point il est difficile de vérifier la présence effective de ce prédateur.

Aujourd'hui, par le biais d'une recolonisation naturelle, de petites populations de loups sont réapparues en Allemagne, en Norvège, en Suède et en Suisse. Ce sont les populations d'Espagne et d'Italie qui connaissent actuellement la plus forte progression (13).

En Autriche, les loups ont été exterminés à la fin du XIXème siècle mais des individus semblent être revenus sur le territoire autrichien, en provenance de Slovaquie et de Slovénie. D'après les scientifiques, une recolonisation naturelle de l'espace semble possible.

En Grèce, les loups sont présents au centre et au nord de la partie continentale du pays, dans les zones montagneuses et semi-montagneuses. Le loup a disparu de la Grèce du sud dans les années 30 et a perdu près de 30 % de son emprise territoriale sur les 20 dernières années. La population totale est aujourd'hui estimée à environ 700 individus, la majeure partie étant concentrée au nord du pays.

Au Portugal, le loup est présent dans presque toute la région, au nord de la rivière Dureo, ainsi que dans certaines zones montagneuses au sud de la rivière. La population se situerait entre 300 et 400 individus.

En Italie, la population de loups est estimée entre 600 et 1 000 individus. Elle était de moins d'une centaine au début des années 1970 en grande partie à cause du braconnage. Une stricte politique de protection de l'espèce a alors été mise en place, notamment pour des raisons symboliques et historiques, et, aujourd'hui, le loup est présent, avec des degrés variables de densité, dans les régions (dans le sens nord-sud) du Piémont, de la Ligurie, de la Lombardie, de l'Emilie Romagne, de la Toscane, des Ombres, des Marches, des Abruzzes, du Latium, de la Campanie et jusqu'en Calabre. La plus grande partie de la population de loups se trouve dans l'Italie centrale, dans la région des Abruzzes.

C'est en Espagne que l'on trouve la population de loups la plus importante de l'Union européenne. Aujourd'hui, celle-ci est estimée entre 2 500 et 3 000 individus, la plupart se trouvant au nord-ouest du pays. La population, au sud de la rivière Duevo est menacée tandis que la population au nord semble plutôt saine et en bon état de conservation. Vers la fin des années 70, les loups sont passés à un effectif minimum de 300 à 500 individus, à la suite des destructions directes de ces prédateurs et d'une chasse excessive de leurs proies naturelles, les ongulés sauvages. Une loi sur la chasse de 1970 a donné le statut de gibier au loup alors qu'il était considéré comme nuisible auparavant. Une recolonisation a pu ainsi s'opérer. Dix ans après la première estimation, un recensement réalisé à la fin des années 1980 évaluait l'effectif des loups espagnols à 1 500-2 000 individus ; la croissance s'est poursuivie après cette date, notamment dans le quart nord-ouest de la péninsule ibérique. Mais, depuis le milieu des années 90, les tensions qui accompagnent l'augmentation des dégâts au cheptel conduisent à une réduction du nombre de loups dans certaines régions (Asturies, Cantabrie, Castille-Léon, Galice...).

On le voit, le loup n'est nullement une espèce en voie de disparition en Europe, et encore moins dans le reste du monde.

2.- L'état actuel de la population de loups en France

En France, le loup serait aujourd'hui présent dans huit départements de l'arc alpin, de façon certaine.

Rappelons encore qu'il est très difficile de donner un chiffrage précis du nombre de loups actuellement présents sur le territoire français. L'impossibilité d'arriver à un chiffrage exhaustif a été soulignée par nombre des interlocuteurs de la commission. D'abord parce que certaines meutes sont transfrontalières et se partagent entre la France, l'Italie et la Suisse. Ensuite, parce que le loup est un animal très discret qu'il est difficile de repérer et donc de comptabiliser.

Secteurs de présence temporaire

Concerne les zones sur lesquelles la présence du loup

est nouvelle ou discontinue;

la présence de l'espèce y est déterminée par analyse génétique.

Secteurs de présence permanente

Ce sont les secteurs temporaires qui se sont avérés être occupés

durant deux hivers consécutifs par des loups, et qui attestent

par analyse génétique d'une présence continue de l'espèce.

a) La méthodologie

C'est l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) qui est en charge du suivi du loup, ou du moins de l'animation d'un réseau de correspondants à grande échelle qui permet de suivre le loup dans toutes les Alpes.

Comme l'explique M. Christophe Duchamp, biologiste à l'ONCFS chargé de coordonner le réseau Loup, « la méthodologie retenue pour le relevé des effectifs de loups est le suivi des pistes dans la neige. C'est la méthode de référence utilisée partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis. Le principe consiste à relever la taille des groupes de loups qui se déplacent ensemble. Cela se pratique en hiver parce que c'est la période où la cohésion sociale de la meute est la plus forte. Le printemps et l'automne sont les périodes de dispersion, des jeunes partent, donc, vous n'avez jamais le groupe dans son ensemble, et entre les deux, c'est la période de reproduction. La période hivernale est donc la plus appropriée. Et l'on retient la plus grande taille de groupe observée, soit à partir de traces, soit à partir d'observations visuelles fiables - c'est-à-dire observées et confirmées. »

Le réseau Loup comprend 450 personnes formées à cette tâche. Ce sont pour près de 80 % d'entre eux des agents de l'Etat assermentés : agents de l'ONCFS, de l'ONF, des parcs naturels, des agents des DDAF, gendarmes... Les 20 % restant regroupent des bénévoles, souvent membres d'associations écologistes de défense du loup, ce qui n'est pas sans soulever quelques problèmes.

Certes, la plupart des relevés d'indices de présence du loup sont effectués par des agents assermentés mais le fait que des particuliers participent à ce réseau peut faire craindre une confusion entre les positions de ces personnes, très impliquées, du fait de leurs convictions, et la nécessaire impartialité de l'Etat. Or cette confusion entre militants écologistes et administration d'Etat est à l'origine, pour une grande part, des difficultés rencontrées sur ce dossier et, à tout le moins, comme a pu le constater la commission, de la méfiance très ancrée de certains contre une administration qui leur apparaît comme de parti pris.

Il serait donc souhaitable de clarifier cette situation en réservant aux agents de l'Etat assermentés le soin de récolter les indices de présence.

Comme chaque année, les données recueillies entre octobre 2001 et mars 2002 par les agents du réseau Loup ont été analysées. A partir de ces analyses ont pu être déterminés les secteurs de présence permanente, les secteurs de présence temporaire, les estimations du nombre minimum de loups par zone de présence permanente.

b) Les secteurs de présence permanente

Mercantour (Alpes-Maritimes)

Les 4 zones de présence permanente déjà connues (Vésubie/Roya, Vésubie/Tinée, Moyenne-Tinée et Haute-Tinée) ont à nouveau été confirmées durant l'hiver 2001-2002. Ces 4 secteurs regrouperaient une douzaine de loups. Aucun cas de mortalité n'a pu être recensé durant cette période. Sur le versant italien, la présence du loup est toujours attestée sur la Valle Pesio.

Ces loups effectuent des incursions régulières sur les communes de Tende et de la Brigue. Par ailleurs, une nouvelle zone de présence permanente a été mise en évidence en Italie dans la province d'Imperia. Les loups présents dans ce secteur pourraient être responsables des dommages enregistrés dans la partie française de la vallée de la Bendola.

Enfin la présence permanente du loup est toujours identifiée sur le versant italien dans différents vallons adjacents à la Valle Stura, sans qu'il soit possible de savoir avec certitude si ces individus sont différents de ceux présents sur le versant français (meute de la Moyenne-Tinée). En effet, tout au long de ce secteur très montagneux, plusieurs traces traversant la frontière ont été relevées. Seules des analyses génétiques comparatives entre les données françaises et italiennes permettront de savoir s'il s'agit de meutes distinctes.

Monges (Alpes de Haute-Provence)

La continuité de présence du loup a été confirmée par les derniers résultats d'analyses génétiques. Au cours de l'hiver 2001-2002, les deux seuls relevés de traces réalisés ne font état que d'un individu.

Queyras (Hautes-Alpes)

La présence permanente du loup y est toujours mise en évidence, en particulier par les analyses génétiques. Les dernières données de l'hiver 2001/2002 recensent deux observations visuelles fiables et le suivi de deux traces dénombrant respectivement 7 et 8 animaux dans cette meute. Des excursions de loups dans le Val Pellice laissent penser à un débordement de ces individus sur le versant italien.

Béal-Traversier (Hautes-Alpes)

Les loups présents sur ce massif ont été distingués de ceux présents sur le Queyras en 2000, car des indices ont été retrouvés simultanément dans les deux secteurs. De plus, l'ensemble de ces deux zones couvre 450 km2 ce qui peut correspondre à la surface de deux territoires moyens de loups en Europe (200-250 km2). Les analyses génétiques individuelles devraient permettre de confirmer ou d'infirmer cette appréciation de terrain. Ce dernier hiver, la taille du groupe relevée était, au minimum, de 2 animaux.

Clarée (Hautes-Alpes)

A la suite de la découverte de quelques indices, dont un excrément identifié «loup» par analyse génétique, ce secteur, qui était en zone temporaire l'hiver dernier, est passé au cours de l'hiver 2001/2002 en zone permanente selon la définition retenue (indices de présence relevés durant deux hivers consécutifs, identifiés «loup» après analyse génétique). Un seul relevé de traces a été réalisé sur ce secteur, ce qui ne permet pas d'apprécier de manière fiable la taille du groupe. L'origine géographique des animaux n'est pas non plus certaine, ce secteur pouvant être en relation avec celui du Val Bardonechia, sur le versant Italien. L'Italie recense par ailleurs deux secteurs de présence dans deux autres vallons : Val Chizone/Suza et Val Troncea.

Vercors (Drôme)

La zone de présence concerne toujours essentiellement la réserve naturelle des Hauts-Plateaux où de nouvelles analyses génétiques ont confirmé la continuité de la présence de l'espèce. Les relevés de traces de l'hiver 2001/2002 font tous état de 2 animaux, sans qu'aucune reproduction n'ait pu être mise en évidence, ni au travers des observations visuelles, ni par les écoutes de hurlements réalisées par les agents du parc naturel régional du Vercors.

Belledonne (Isère/Drôme)

La présence du loup est toujours attestée dans ce secteur. Les traces relevées, associées à des écoutes de hurlements, permettent de confirmer la présence d'au moins 2 individus à la fin de l'hiver 2001/2002. Un relevé de traces effectué début avril faisait état de 3 individus mais il n'a pas pu être confirmé.

c) Secteurs de présence temporaire

Canjuers (Var)

Depuis 1997, aucun élément n'a pu attester de la présence du loup sur ce site où le «Réseau loup» n'a été mis en place qu'en 2001. Quelques indices, et surtout 2 excréments identifiés «loup» collectés cet hiver, ont permis de montrer de nouveau la présence de l'espèce dans ce secteur, toujours temporaire (discontinuité de la présence).

Ubaye (Alpes de Haute-Provence)

Les analyses génétiques réalisées sur des excréments collectés au printemps 2002 dans le massif du Bachelard confirment une présence, au moins temporaire, de l'espèce dans cet espace interstitiel encore vacant, entre la Haute-Tinée (Alpes-Maritimes) et le Queyras (Hautes-Alpes). Les quelques dommages observés sont par contre toujours situés plus à l'est sur les alpages limitrophes de la Haute-Tinée.

Cheiron (Alpes-Maritimes)

En 2001, aucun indice ne venait étayer une suspicion de présence de l'espèce dans ce secteur. Cependant, une observation visuelle, réalisée en avril 2002 par un particulier dans le jardin de sa villa située en périphérie de la commune de Vence, attestée par une collecte de poils identifiés «loup» par analyses génétiques, a mis en évidence la présence au moins temporaire de l'espèce dans ce nouveau secteur habité. Des loups ont récemment été vus dans ce même secteur, au col de Vence, situé à un peu plus de 1000 mètres d'altitude et seulement à 10 kilomètres de Vence et 6 kilomètres du village de Coursegoule.

Autres secteurs

Parmi les 3 nouveaux foyers de dommages observés en 2001, seul Canjuers a été confirmé comme nouveau secteur de présence temporaire. Sur les deux autres secteurs (Taillefer en Isère et Hauts Forts en Haute-Savoie), aucun indice probant n'est venu confirmer les éventuelles suspicions de présence de l'espèce. Les résultats négatifs des analyses génétiques conduites dans d'autres secteurs des Alpes où la présence du loup n'a jamais été attestée (Jabron, Dévoluy, Cheiron, Diois, Aravis, Tarentaise) n'apporte pas d'éléments nouveaux.

Une trentaine de loups ont donc été officiellement détectés sur le territoire alpin au cours de l'hiver 2001-2002.

Toutefois, il s'agit là d'un chiffre minimum. Par ailleurs, au vu des nombreuses rencontres effectuées par la commission lors de ses déplacements et des analyses génétiques étudiées précédemment, il est très probable que les loups soient beaucoup plus nombreux, sans qu'il soit possible, compte tenu des moyens actuels, de détecter avec précision leur localisation en raison de leur extrême discrétion.

3.- Quelle extension future ?

a) Un impératif : anticiper

S'il est une conclusion claire et précise à laquelle est arrivée la commission, à la lumière des nombreuses auditions qu'elle a tenues, notamment sur le terrain, c'est l'absolue nécessité d'une concertation avec l'ensemble des acteurs potentiels du dossier, pas seulement une fois que la présence du loup est avérée, mais surtout avant son arrivée pour préparer, dans le dialogue, les adaptations éventuelles et les mesures à mettre en place.

C'est précisément ce que n'a pas fait le parc national du Mercantour au début des années 90 et qui explique bon nombre des difficultés actuelles.

Faute d'informations suffisantes et de mesures d'anticipation adaptées, les éleveurs ont été systématiquement pris au dépourvu et ont subi de très lourds dommages lors de l'arrivée du loup sur leurs estives. Le premier contact avec l'animal sauvage s'est fait dans la douleur, expliquant l'attitude d'absolu refus des éleveurs face à cet animal.

Aussi est-il indispensable d'anticiper les déplacements du prédateur afin de préparer, quand cela est possible, les adaptations nécessaires aux pratiques pastorales.

L'Etat ne peut se contenter d'attendre que les premières attaques aient eu lieu, pour aller trouver l'éleveur ou le berger et lui expliquer qu'il doit très vite appliquer les mesures de protection.

Votre Rapporteur propose une plus grande implication des comités de massif dans la réception et la diffusion de l'information. Le comité de massif a, en effet, l'avantage d'être une structure permanente regroupant élus, professionnels (dont des agriculteurs), associations (dont des représentants des milieux de protection de la nature). Il constitue donc une structure adaptée pour disposer d'une vision globale du dossier et assurer l'indispensable effort de transparence.

Le préfet coordinateur de massif serait tenu d'effectuer deux communications annuelles devant le comité sur la gestion des grands prédateurs et les conséquences de leur présence.

La première communication aurait lieu au mois d'avril avant l'estive : elle permettrait de faire le point sur les espèces, leur population, les moyens de protection prévus pour les troupeaux et les crédits budgétaires disponibles pour y faire face.

La deuxième communication interviendrait à l'automne, à l'issue de l'estive, afin de faire un bilan des dégâts constatés, de l'efficacité des mesures de protection et des indemnisations versées ainsi que des délais de versement.

b) Le loup, jusqu'où ?

Signe du manque de recul sur ce dossier et des problèmes brûlants à régler à court terme, il n'est fait état nulle part d'une réflexion au sein du ministère de l'environnement sur l'extension future probable du loup sur le territoire national.

Comme le rappelle M. Laurent Garde, chercheur au CERPAM, « On fait comme si le loup était un animal de haute montagne restant dans les alpages. On en fait une grosse marmotte qui, de temps en temps, mangerait une brebis. ». La réalité est totalement différente : le loup peut vivre dans quasiment n'importe quel environnement et s'adapte très bien aux différentes conditions qu'il est susceptible de rencontrer lors de la colonisation d'un territoire. A travers le monde, on trouve des loups aussi bien en montagne qu'en plaine, dans le désert que sur des territoires gelés toute l'année, dans les espaces boisés que dans les zones urbaines.

Il est donc tout à fait certain que le loup ne va pas rester dans les montagnes de l'arc alpin mais qu'il va, au contraire, en descendre et recoloniser petit à petit les plaines et les forêts. Il ne s'agit pas ici de « crier au loup », ni de créer un sentiment de panique mais bien de faire preuve de lucidité. On a déjà constaté que les loups descendaient de plus en plus en zone de moyenne montagne et il n'y a aucune raison qu'ils en restent là.

Quel est le territoire potentiel de présence du loup ?

Il est difficile à déterminer tant cet animal est opportuniste dans ses territoires de prédilection. Tout juste pouvons nous nous tourner vers le passé comme nous y invite M. Laurent Garde : « M. de Beaufort a établi des cartes sur la présence du loup. En 1800, on peut voir que les zones de plus grande abondance du loup correspondaient à une diagonale de faible densité humaine, de forêts abondantes et de climat humide allant du centre-ouest aux Ardennes et à la Lorraine. Un siècle après, en 1900 donc, les zones de forte présence du loup sont celles où il a le mieux résisté aux tentatives d'éradication. En 2000, on s'aperçoit que les zones d'élevage ovin se concentrent dans les zones historiques de plus grande concentration du loup et dans les zones de montagne où les prédateurs sont revenus, les Alpes et les Pyrénées ».

La présence du loup sur d'autres parties du territoire national ne créera pas nécessairement les mêmes difficultés que celles rencontrées dans les Alpes. Tout dépend du type d'élevage pratiqué, des pratiques pastorales, du relief, de la topologie. Par provocation, on pourrait même dire que le loup est revenu précisément là où il est susceptible de créer le plus de problèmes. Dans le Massif central, par exemple, où il n'y a pas d'élevage extensif, le loup ne créerait pas le même type de difficultés ; il permettrait même de réguler la population de sangliers qui est source de nombreux dommages et dépenses.

Il n'appartenait pas à la commission de se pencher, territoire par territoire, sur l'impact hypothétique de la présence du loup. Par contre, il lui revient d'affirmer qu'il est indispensable que les autorités de l'Etat, mais aussi les collectivités locales, anticipent cette présence, faute de quoi, il sera encore plus difficile de regagner l'indispensable confiance des éleveurs.

Ainsi, lors de son déplacement en Pyrénées-Atlantiques, la commission s'est-elle étonnée du peu de préparation des différentes autorités, tant locales que nationales, face à la très probable arrivée du loup dans les Pyrénées françaises. Comme il l'a été dit plus haut, le loup est désormais très proche de la frontière française et, sauf à ce que les autorités régionales espagnoles continuent de pratiquer une politique déterminée d'élimination du prédateur dès les premiers dégâts, il ne saurait tarder à pénétrer sur le territoire français.

B.- LE LOUP EST UNE ESPÈCE PROTÉGÉE PAR DES NORMES JURIDIQUES INTERNATIONALES, EUROPÉENNES ET NATIONALES

La France a souscrit de nombreux engagements internationaux et européens qui l'ont amenée à modifier sa législation nationale afin d'assurer une protection importante de la faune sauvage.

On rappellera que le droit de l'environnement est un droit d'origine très largement conventionnelle, de par la dimension mondiale des problèmes qu'il entend traiter. Par ailleurs, tout comme le reste de notre droit, le droit de l'environnement est également sous très forte influence européenne.

Il ne s'agit pas ici de faire des instances européennes les boucs émissaires des difficultés rencontrées dans les montagnes de notre pays : si l'on peut regretter le caractère excessif de certaines normes européennes, et surtout le manque de concertation qui a prévalu dans leur élaboration -on reviendra sur ce point - il n'en reste pas moins que ces normes ne sont que l'expression de la volonté des Etats-membres et que toutes les directives dont il sera plus loin question ont été approuvées par le gouvernement français et doivent être respectées.

Il s'agit même d'une obligation constitutionnelle, l'article 55 de notre Constitution disposant que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».

Au moment où le Président de la République a placé son nouveau mandat sous le signe du développement durable, il est tout à fait essentiel de prendre conscience du caractère contraint de l'exercice auquel s'est livré la commission dans l'examen de ce dossier.

1.- La protection internationale du loup : la convention de Berne

Au niveau international, le loup est intégré dans différentes conventions de conservation des espèces. La CITES (Convention on International Trade in Endangered Species of the Wild Fauna and Flora, c'est-à-dire la convention sur le commerce international des espèces menacées de la faune sauvage et de la flore) du 3 mars 1973 intègre le loup dans son annexe II (Espèces potentiellement menacées) à l'exception du Bhutan, du Pakistan de l'Inde et du Népal où il est cité à l'annexe I « Espèces en voie d'extinction »).

Plus importante ici est la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe du 19 septembre 1979, dont l'approbation a été autorisée par la loi n° 89-1004 du 31 décembre 1989 et dont la mise en œuvre, en France, résulte du décret n° 90-756 du 22 août 1990.

Dans son article 6, elle stipule que « Chaque partie contractante prend les mesures législatives et réglementaires appropriées et nécessaires pour assurer la conservation particulière des espèces de faune sauvage énumérées dans l'annexe II (laquelle mentionne expressément l'espèce « lupus canis »). Seront notamment interdits, pour ces espèces :

a) toute forme de capture intentionnelle, de détention et de mise à mort intentionnelle ;

b) la détérioration ou la destruction intentionnelles des sites de reproduction ou des aires de repos;

c) la perturbation intentionnelle de la faune sauvage, notamment durant la période de reproduction, de dépendance et d'hibernation, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente Convention ;

d) la destruction ou le ramassage intentionnels des oeufs dans la nature ou leur détention, mêmes vides;

e) la détention et le commerce interne de ces animaux, vivants ou morts, y compris des animaux naturalisés, et de toute partie ou de tout produit, facilement identifiables, obtenus à partir de l'animal, lorsque cette mesure contribue à l'efficacité des dispositions du présent article. »

A propos de cet article 6, le Conseil d'Etat a jugé «  que si ces stipulations font obligation aux Etats-parties à la convention d'adapter leur législation et leur réglementation à l'objectif qu'elles définissent, elles ne produisent pas pour autant d'effets directs dans l'ordre juridique interne » de sorte que des particuliers ne pourraient utilement se prévaloir de la méconnaissance des stipulations de cette convention devant les juridictions nationales. Cette jurisprudence du Conseil d'Etat est constante.

Le statut protecteur accordé au loup par la convention n'est pas absolu puisqu'elle prévoit, en son article 9, des dérogations au régime de protection générale des espèces visées par ses annexes :

« A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas à la survie de la population concernée, chaque Partie contractante peut déroger aux dispositions des articles 4, 5, 6, 7 et à l'interdiction de l'utilisation des moyens visés à l'article 8 :

- dans l'intérêt de la protection de la flore et de la faune ;

- pour prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et aux autres formes de propriété.»

Cette marge de souplesse doit pouvoir être exploitée dans le cadre d'une politique globale de gestion du loup, comme cela sera expliqué dans la quatrième partie du présent rapport.

Enfin, il convient de rappeler que certains Etats ont, au moment de la ratification du texte, exprimé un certain nombre de réserves : ainsi parmi tous les pays signataires de la convention, la Bulgarie, la République tchèque, la Finlande, la Lituanie, la Pologne, la Slovénie, l'Espagne, et la Turquie ont émis des réserves quant à la protection du loup. La France n'a pas jugé utile de le faire, étant donné l'absence de loups sur son territoire, lors de son approbation en 1990.

2.- La directive «Habitats » et la protection du loup

La Communauté européenne a très tôt, bien avant la France, été partie à la convention de Berne (Décision n° 82/72/CEE du Conseil du 3 décembre 1981 concernant la conclusion de la convention de Berne). Elle est aussi garante de son respect : l'Etat membre qui ne la respecterait pas pourrait faire l'objet d'une procédure en manquement engagée par la Commission européenne.

La Directive 92/43/CEE concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats », contribue à la réalisation des objectifs de la convention de Berne, dont elle reprend quasiment mots pour mots certaines de ses dispositions. L'objectif de cette directive est d'assurer le maintien de la diversité biologique ainsi que le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d'intérêt communautaire.

Comme l'a expliqué devant la commission M. Nicholas Hanley, chef de l'unité Nature et Biodiversité de la direction générale de l'environnement de la Commission européenne, « La directive Habitats est, dans une grande mesure, la mise en œuvre de la convention de Berne dans le droit communautaire. Il y a donc une forte relation entre les deux. »

L'article 12 de la directive impose aux Etats-membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales d'intérêt communautaire, dont le loup qui figure aux annexes II (« espèces animales et végétales d'intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation) et IV (espèces animales et végétales d'intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte) de la directive.

Comme pour la convention de Berne, certains Etat-membres ont émis des réserves quant au champ d'application de la directive : ainsi les populations de loups qui ne sont pas concernées par l'article 12 sont celles se trouvant au nord du Duero en Espagne, au nord du 39ème parallèle en Grèce ainsi que les populations de loups en Finlande et en Suède. Ces populations sont néanmoins protégées au titre de l'annexe V qui en interdit l'extermination totale. La France n'a émis aucune réserve de ce type, le loup n'étant pas encore présent sur le territoire, du moins officiellement comme on l'a vu précédemment.

De même, sur le modèle de la convention, l'article 16 de la directive « Habitats » prévoit des dérogations à l'obligation de protection du loup dans certaines circonstances bien définies. Les Etats-membres souhaitant exercer des dérogations, qui permettent, par exemple, de limiter la population de loups ou d'en tuer, doivent démontrer que les conditions d'application prévues par l'article sont bien remplies et doivent remettre tous les deux ans un rapport à la Commission sur les dérogations qu'ils ont autorisées.

Il convient de noter que, compte tenu du délai d'entrée en vigueur de deux ans de la directive, au moment de sa réapparition officielle dans le parc du Mercantour, le loup n'était pas encore protégé au titre de la directive « habitats ». En revanche, la convention de Berne était, quant à elle, de pleine application depuis août 1990.

3.- La protection du loup en droit interne

La protection de l'espèce en droit interne est réalisée par un ensemble de textes, lois, décrets et arrêtés s'articulant de la manière suivante :

- L'article L.411-1 du code de l'environnement fixe le cadre de la protection en énumérant des interdictions identiques à celles de la convention de Berne, tandis que l'article L.411-2 fixe les modalités de mise en œuvre et renvoie en particulier à un décret en Conseil d'Etat pour l'établissement d'une liste limitative des espèces non domestiques protégées.

- Les articles R.211-1 à R.211-5 du code rural fixent les conditions d'application des articles précités du code de l'environnement. La liste des espèces animales non domestiques est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et, soit du ministre chargé de l'agriculture, soit lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes, après avis du Conseil national de la protection de la nature.

- Enfin, l'arrêté du 17 avril 1981 modifié par l'arrêté du 10 octobre 1996 fixe la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire : «Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps (...), la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la naturalisation des mammifères d'espèces non domestiques suivantes ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat : (...) carnivores : canidés : loups (canis lupus) ».

Ce texte prévoit également, en son alinéa 2, la possibilité, pour les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture, d'autoriser la capture ou la destruction de spécimens de loup, d'ours ou de lynx sous réserves de certaines conditions et « ...pour prévenir des dommages importants aux cultures ou au bétail, ou dans l'intérêt de la sécurité publique, ou pour assurer la conservation de l'espèce elle-même ».

Le loup est donc aujourd'hui strictement protégé en droit interne, conformément aux engagements internationaux de la France.

Qu'en était-il lors de sa réapparition en novembre 1992 ? Il ne figurait bien sur pas sur la liste de l'arrêté du 17 avril 1981 et il faudra attendre le 22 juillet 1993 pour qu'un arrêté remédiant à cette lacune entre en vigueur.

Ainsi jusqu'à cette date, le loup n'était pas protégé en droit interne et, compte tenu de l'absence d'effets directs pour les particuliers de la convention de Berne et de la non entrée en vigueur de la directive Habitats, l'Etat n'aurait eu aucun recours juridique contre l'élimination d'un loup par un particulier. Ceci explique très certainement le secret gardé autour de la réapparition du loup jusqu'à la publication de l'arrêté. Par contre l'Etat aurait pu voir sa responsabilité engagée par une telle élimination devant le secrétariat permanent, pour non respect des engagements pris en signant la convention de Berne.

Trois ans après son entrée en vigueur, à la demande de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, cet arrêté du 22 juillet 1993 sera annulé par le Conseil d'Etat pour des raisons de procédure (incompétence du seul ministre chargé de l'environnement pour autoriser des dérogations), le 31 juillet 1996. Ainsi entre le 31 juillet et le 10 octobre 1996, date du nouvel arrêté, le loup n'a bénéficié d'aucune protection en droit interne même si, rappelons-le, à cette date, la directive était devenue d'application directe.

Le nouvel arrêté a été confirmé par le Conseil d'Etat (Conseil d'Etat, 30 décembre 1998 chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes) qui a estimé que, compte tenu de l'entrée en vigueur de la directive « Habitats », les ministres de l'agriculture et de l'environnement étaient tenus de modifier la liste des espèces protégées pour y inclure le loup.

Cette obligation existait-elle déjà en 1993, alors que la directive n'était pas encore entrée en vigueur ? Probablement car, si la convention de Berne ne créé pas de droits ou d'obligations vis-à-vis des particuliers, elle lie l'Etat signataire et l'engage à modifier sa législation et sa réglementation afin de la respecter.

L'environnement juridique est donc extrêmement contraint au point que nombreux sont ceux qui, hostiles aux excès de la protection, demandent le retrait de la France de la convention de Berne.

Tout en comprenant et en partageant le désarroi des éleveurs et des bergers auxquels s'impose un risque de prédation inacceptable, votre rapporteur s'est convaincu des difficultés que poserait une modification de l'économie générale du droit en vigueur : une telle démarche serait d'abord tout à fait incohérente avec les engagements pris au plus haut niveau de l'Etat et mettrait à mal le crédit de la France dans les instances internationales, alors qu'elle a déjà tant de mal à faire entendre sa voix face à une puissance américaine qui se montre peu sensible depuis quelques temps au considérations environnementales.

Par ailleurs, un hypothétique retrait de la convention de Berne ne nous exonèrerait nullement de nos obligations européennes liées à la  directive « Habitats ». Votre rapporteur a, pourtant, tout à fait conscience des difficultés liées à l'application de cette directive et en particulier à la mise en place du réseau Natura 2000. Cette question sera abordée plus avant dans le rapport.

L'attitude juridiquement et politiquement la plus acceptable est de rester dans ce cadre mais d'essayer de voir comment exploiter les zones de souplesse et de flexibilité qu'offre le dispositif.

La conviction de votre rapporteur est que malgré les contraintes juridiques existantes et l'étroitesse des marges de manœuvre disponibles, il est possible de trouver une solution viable et satisfaisante dans le cadre juridique européen existant, en adaptant la réglementation nationale.

DEUXIÈME PARTIE : LE PASTORALISME DE MONTAGNE : UNE ACTIVITÉ INDISPENSABLE POUR L'ÉQUILIBRE DES TERRITOIRES MAIS FRAGILE ET MENACÉE.

Conformément à sa mission, la commission d'enquête s'est interrogée sur la place du pastoralisme dans l'économie agricole d'aujourd'hui, sur le rôle des acteurs pastoraux et sur leur place dans une démarche de maintien de la biodiversité. Face aux enjeux de la gestion de l'espace, comment doivent évoluer l'économie montagnarde et la société rurale ?

La commission a estimé que la présence des grands prédateurs, facteur aggravant des difficultés du pastoralisme de montagne, devait être l'occasion d'engager une réflexion sur la nature du pastoralisme du XXIème siècle, en vue sans doute, de son évolution, mais surtout de sa pleine reconnaissance.

I. LE PASTORALISME EST UNE ACTIVITÉ INDISPENSABLE AU DÉVELOPPEMENT DE LA MONTAGNE ET À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

L'espace montagnard est un territoire parmi les plus difficiles à rentabiliser et les plus fragiles. De surcroît, les territoires montagnards sont confrontés aux problèmes sociétaux du monde rural et agricole : déclin démographique et dilution de l'identité rurale.

La commission a souhaité aborder lucidement cette situation complexe et douloureuse. Sans prétendre détenir les solutions à tous les problèmes, et tout en comprenant la profonde détresse des éleveurs et des bergers, elle a refusé d'enfermer le monde de l'élevage montagnard dans la seule expression d'une souffrance qui anéantirait toute possibilité de réaction collective. Il n'a pas été question pour elle, non plus, de dissimuler les urgences liées à la crise de l'élevage ovin, quelque peu masquées par le problème des loups ou des grands prédateurs.

Les leviers de l'action sont de plusieurs ordres et on les retrouvera tout au long de ce rapport. Il s'agit, tout d'abord d'affirmer la solidarité nationale face à un réel enjeu de société, celui du développement économique de la montagne. Il s'agit ensuite de faire vivre, concrètement, la notion de développement durable qui doit associer le soutien de l'activité productive, le progrès social et la protection de l'environnement.

L'élevage ovin et bovin favorise la diversité des écosystèmes montagnards et le maintien des paysages traditionnels. Les Alpes du sud accueillent 577 000 moutons et les Alpes du nord 282 000. En revanche les bovins sont plus nombreux dans les Alpes du nord avec 72 000 bêtes (76 % des effectifs alpins).

A.- UNE ACTIVITÉ QUI PARTICIPE À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

Comme de nombreux interlocuteurs de la commission, M. Denis Grosjean, vice-président de la Fédération nationale ovine (FNO), lors de la table ronde du 17 décembre 2002, a souligné la multifonctionnalité des moutons, au-delà de la production de biens alimentaires, pour l'entretien des paysages, le maintien de prairies ouvertes et l'écologie, au sens large.

1. Pastoralisme et biodiversité en montagne

Les nombreux témoins entendus par la commission ont tous affirmé que les troupeaux sont indispensables à la maîtrise de la végétation et à l'équilibre de la flore.

Certaines plantes et certains insectes disparaîtraient si l'activité pastorale devait cesser et rares sont les pelouses qui resteraient à l'état naturel sans les animaux. La conduite pastorale exige une technicité et une bonne connaissance du milieu pour choisir la bonne période selon les lieux et moduler la durée et l'intensité de la pâture afin d'exploiter dans les meilleures conditions et sur une longue période la ressource végétale.

La présence de plusieurs sites Natura 2000 sur l'ensemble des territoires pastoraux de montagne, confirme d'ailleurs - s'il en était besoins - les effets positifs de ce mode d'élevage en matière de maintien de la biodiversité floristique et faunistique.

Par ailleurs les exploitations pastorales d'ovins utilisent souvent des races locales à faible effectif plutôt bien adaptées au milieu montagnard. Outre que cela correspond à l'attente des consommateurs à la recherche de produits en phase avec leur milieu, cette démarche contribue à préserver la diversité génétique des races domestiques.

La création des parcs nationaux a engendré, en une décennie, une recolonisation importante d'espèces telles que chamois, chevreuils, bouquetins, sangliers et mouflons. Cette colonisation a débordé la zone centrale des parcs pour atteindre les zones périphériques. Aujourd'hui, à l'exception du mouflon, mal adapté aux conditions climatiques de la montagne, toutes ces espèces ont reconstitué des effectifs supérieurs à ceux du début du XXème siècle, et même parfois excessifs pour ce qui est des sangliers. Afin d'équilibrer la pression de pâturage par les troupeaux, entre les quartiers de début d'estive et les quartiers d'août, plusieurs parcs tel le parc national des Ecrins, ont élaboré un calendrier de pâturage et apportent une aide au gardiennage des troupeaux. L'amélioration de la gestion de l'alpage, en tenant compte de la maturité de la végétation, améliore la protection des grands ongulés sauvages et contribue à la protection du patrimoine naturel. L'adaptation de la gestion pastorale à des milieux fragiles particuliers est au cœur de la politique agri-environnementale.

Selon M. Pierre Migot, directeur-adjoint des études et des recherches appliquées de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), la dynamique des populations de chevreuils et de chamois, mise en relation avec les attributions de plans de chasse, a, au cours des quinze dernières années, enregistré une progression sur les trois principaux massifs.

L'appréciation de M. Dominique Lebreton directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la dynamique des populations, va dans le même sens. Après avoir constaté que « la population de chamois qui était en très mauvais état dans les années 60 connaît encore un accroissement conséquent : + 70 % entre 1989 et 1995 », il se demande « si la recolonisation par le loup n'est pas la simple conséquence d'une politique implicite de réhabilitation de la biodiversité dans les Alpes. Dès lors que l'on a créé des parcs nationaux, des réserves, que l'on a mis en place des plans de chasse et que l'on a réintroduit des populations, on a créé un paysage avec plus de biodiversité qui a, lui-même, appelé plus de biodiversité, et le mouvement s'est fait d'un pays, l'Italie, où cette biodiversité avait subsisté à cause de conditions économiques différentes dans les montagnes du centre de l'Italie».

2. Pastoralisme et entretien des territoires

A l'échelle du pays, le pastoralisme représente 1,7 million d'hectares de pâturages d'altitude et un cheptel de 430 000 bovins, 1 560.000 ovins, 54 000 caprins et 20 000 équins, avec une concentration dans les massifs montagneux des Alpes, des Pyrénées et du Massif central.

Le pâturage par les moutons fait reculer les friches et contribue à réduire les avalanches en hiver et les incendies en été. A de nombreuses reprises, la commission s'est vu rappeler la mission environnementale de l'élevage ovin en montagne, trop souvent mal prise en compte dans l'évaluation de cette activité.

En permettant la mise en valeur des zones difficiles, le mouton joue un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire et l'entretien des paysages, ce qui correspond à un besoin et à une attente de la société. Il est donc légitime que ce service soit rémunéré dans le cadre de contrats avec l'Etat, ou les autorités locales, dans le but de dynamiser le tissu socio-économique de la montagne et de créer des emplois.

Les producteurs de viande d'agneau sont devenus de véritables producteurs d'espace dans le cadre des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) qui ont succédé aux contrats agri-environnementaux. Ces contrats d'une durée de cinq ans, signés entre les éleveurs et la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF), réglementent la gestion de certains alpages dans le parc régional du Queyras, la vallée de l'Ubaye, les parcs nationaux du Mercantour et des Ecrins. Contre rémunération, les éleveurs s'engagent à faire des investissements pour améliorer la qualité de la production et privilégier les méthodes d'élevage favorables à l'environnement, à la protection de la faune et de la flore et à la défense des forêts contre le feu. Malheureusement, en région PACA, ces contrats n'existent que dans 13 % des zones pastorales. Les CTE ont trouvé, semble-t-il, davantage d'écho chez les éleveurs bovins.

Le pastoralisme de montagne est également propice au tourisme et donc, indirectement, au dynamisme économique. Pour les deux massifs alpin et pyrénéen, deux tiers des unités pastorales sont traversés par un sentier balisé, 10 % accueillent un refuge ou un gîte touristique et 15 % sont utilisés comme domaine skiable. Les troupeaux en alpage constituent une incontestable valorisation des paysages de montagne auxquels les touristes sont très sensibles.

Toutefois, la commission a entendu de nombreux témoignages évoquant les troubles causés par des touristes, peu préparés aux réalités de la montagne et parfois, trop nombreux. Ainsi, une meilleure harmonie dans l'utilisation de cet espace doit être trouvée, notamment par l'éducation des touristes au respect de la tranquillité des troupeaux.

L'activité pastorale a donc un rôle social essentiel puisqu'elle contribue à la lutte contre la désertification des milieux ruraux montagnards.

B.-  UNE ACTIVITÉ QUI RÉSISTE À LA RÉGRESSION DE L'AGRICULTURE EN MONTAGNE

1.- De l'espace mais proportionnellement peu de surfaces agricoles en montagne

Malgré leurs vastes espaces, les massifs ne regroupent, avec près de 4 millions d'hectares de surface agricole utile (SAU), que 13  % de la surface agricole nationale.

La composition du territoire de montagne se caractérise en effet par l'importance des surfaces impropres à toute activité productive (près de 20 %). La surface agricole utile représente moins de 30 % de ce territoire contre plus de 50 % en moyenne nationale.

Les différences entre massifs sont notables : le territoire du Massif central est composé, pour près de la moitié, de surface agricole, alors que celle-ci ne représente guère plus de 10 % dans les Alpes du Sud. Outre son faible poids dans le territoire de montagne, l'espace agricole se caractérise par l'importance des surfaces toujours en herbe, qui concerne près des trois quarts de cet espace contre seulement 36 % en moyenne nationale. Les conditions climatiques et la pente sont à l'origine de cette omniprésence de l'herbe.

Ainsi, les conditions climatiques et topographiques ont fait de la montagne l'espace privilégié de l'élevage, qui est aujourd'hui la première activité agricole en montagne. 75 % des exploitations montagnardes sont spécialisées dans l'élevage contre moins de 40  % en moyenne nationale. Les zones de montagne rassemblent 40 % des brebis, 20 % des vaches allaitantes et 16 % des vaches laitières de notre pays.

2.- De l'espace mais peu de foncier disponible

D'autres handicaps s'imposent à l'agriculture de montagne. L'impression visuelle de vastes étendues herbagères est trompeuse car les agriculteurs ont à faire face à une rareté foncière et à un coût d'acquisition de la terre que le sénateur Jean Paul Amoudry, rapporteur de la mission commune d'information du Sénat sur l'avenir de la montagne (14) a qualifié d'« aberrant » et de « beauceron ».

Cette rareté foncière s'explique, par un fort morcellement du foncier et par l'exiguïté fréquente des parcelles, en raison des difficultés de remembrement. L'augmentation du prix des terres résulte aussi de la concurrence avec d'autres activités économiques dans les régions à fort potentiel touristique.

Le grand nombre de parcelles entraîne, pour les producteurs, de multiples déplacements, des pertes de temps et au total une limitation de la productivité du travail agricole.

Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que le nombre d'exploitations situées en zone de montagne ne cesse de diminuer : 143 500 en 1988, 105 000 en 1995 comptant 36 hectares en moyenne.

3.- Une omniprésence de l'herbe et un réel savoir-faire qui expliquent la résistance du pastoralisme

L'élevage constitue une activité de dernier recours dans les terroirs les moins propices aux grandes cultures fortement mécanisées. Il répond principalement, désormais, à l'exigence du maintien de l'agriculture sur tout le territoire et au refus de son cantonnement à quelques bassins de production intensive.

En effet, l'accès aux ressources fourragères ne peut généralement se faire que par des « ventes d'herbe » c'est-à-dire des ventes sur pied, annuelles et précaires, ce qui explique le rôle prépondérant du pastoralisme.

L'élevage en montagne est nettement plus extensif qu'en plaine, la charge animale y est en moyenne de 0,7 UGB/ha (unité de gros bétail par hectare) contre 1,1 UGB/ha pour le reste de la France.

Contrairement à l'image souvent dévalorisée ou teintée de folklore, qui est donnée de cette forme d'élevage, elle repose sur des savoir-faire agricoles montagnards qui doivent allier tradition et modernité.

Au fil de ses travaux, la commission a acquis la conviction que cette forme d'élevage doit être mieux défendue et mieux soutenue dans ses efforts d'adaptation, lesquels devraient notamment lui permettre une meilleure valorisation de ses produits.

II. L'EXERCICE DU PASTORALISME RECOUVRE DES FORMES TRÈS DIVERSIFIÉES QUI ONT ÉVOLUÉ DANS LE TEMPS

A.- UNE ACTIVITÉ ÉVOLUTIVE

M. Bernard Bruno, président de la Fédération départementale ovine des Alpes-Maritimes et éleveur, a considéré, lors de la table ronde du 17 décembre 2002, répondant à une question de M. Jean Launay, que les pratiques pastorales n'ont pas changé : « Je travaille dans le parc du Mercantour depuis vingt ans comme mon père avant moi. Les pratiques n'ont pas changé. La commune met en location une montagne, d'une superficie délimitée, qu'il appartient aux éleveurs de gérer. L'éleveur possède 350 ou 400 moutons, ce qui fait avec les agneaux 700 ou 800 bêtes. Auparavant, il prenait 500 ou 600 brebis en garde pour compléter sa montagne. Il y a des montagnes de mille moutons, des montagnes de 3.000 moutons en fonction des superficies. Il en est ainsi depuis des générations. On montait, on savait que sur telle montagne, on pouvait rassembler 1.000 moutons. Il y avait une adjudication. Celui qui avait un gros troupeau avait besoin d'une grande superficie. Aujourd'hui, on subit une perte économique, parce que l'on ne trouve plus de moutons à prendre en pension dans les zones à loups. On paie pour les superficies occupées même s'il y a moins de moutons regroupés. La montagne que je loue peut accueillir 3.000 moutons mais je n'en fais paître que 2.000. Je perds ce que me rapportaient les 1.000 moutons que je prenais en garde ».

Pour autant, votre rapporteur est amené à faire quelques observations qui suggèrent que le pastoralisme ovin a évolué au cours du temps et dispose d'un fort potentiel d'adaptation.

Au XIXème siècle l'élevage ovin a tout d'abord été extensif, puis est devenu intensif. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, le commencement de la déprise rurale qui s'est accompagnée de reboisements a conduit à un abandon progressif des terrains de parcours, comme d'ailleurs de nombreuses parcelles cultivées.

Ces mutations se sont accélérées à partir des années 50 avec le mouvement général d'intensification agricole. Dans la seconde moitié du XXème siècle, la mondialisation progressive des échanges et la libre concurrence économique ont mis en péril l'économie montagnarde et pour réduire les coûts de production, les éleveurs ont renoué avec l'élevage extensif qui réduit au maximum les coûts de main d'œuvre et d'installation de bâtiments.

A partir de 1992, les aides de la PAC ont favorisé l'accroissement de la taille des troupeaux dans le but, également, de réduire les coûts de production, la réduction du nombre d'exploitants étant compensée par l'augmentation des effectifs.

M. Pierre Braque, auteur d'un rapport de mission interministérielle sur la cohabitation entre l'élevage et le loup, a déclaré à la commission le 29 janvier 2003,, conformément aux conclusions de son rapport : « Il est vrai que le pastoralisme avait beaucoup changé au cours des dernières années, notamment grâce à la politique agricole commune (PAC), puisque, depuis 1980, des aides étaient accordées tant à l'hectare qu'au nombre de bêtes ce qui s'était traduit par une explosion du nombre des moutons. La coutume de la transhumance vers les alpages, l'été, se poursuivait, les moutons venant en grande quantité des Bouches-du-Rhône, mais on assistait, grâce aux primes, à un développement local de l'élevage ovin et à une augmentation des cheptels, non seulement dans le Mercantour, mais également dans les Alpes du Nord. On a vu alors, dans cette filière si difficile, les troupeaux, qui comptaient cinq cents têtes dans le passé, grossir jusqu'à 1.500, voire 1.600 têtes ce qui implique des conditions de travail totalement différentes. ».

Il semble, d'après certains autres témoignages, que les troupeaux peuvent même être encore plus importants.

Sur l'évolution des pratiques d'élevage dans les Alpes-Maritimes, M. Jean-Pierre Legeard, directeur du Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (CERPAM) a apporté les précisions suivantes : « On a assisté dans la zone du parc du Mercantour, et plus globalement dans les Alpes-Maritimes, à un changement radical au début des années 1980 dans l'organisation générale des activités d'élevage. Auparavant, le département des Alpes-Maritimes était largement tourné vers la production laitière. Ainsi, l'ensemble de la collecte laitière des Alpes-du sud, c'est-à-dire les Hautes-Alpes - gros département bovin - les Alpes-de-Haute-Provence et les Alpes-Maritimes redescendait vers la centrale laitière de Nice basée à Mouans-Sartoux. En raison d'un contexte économique difficile et d'orientations mal choisies, puisque toute la production était convertie en lait UHT sans aucune valorisation, très peu d'éléments de collecte ont subsisté et cette pratique a disparu. Seules quelques petites unités des Hautes-Alpes, de la vallée de l'Ubaye ou de la vallée de Guillaumes restent tournées vers la collecte laitière et sont orientées vers le pôle Rhône-Alpes. Les éleveurs de vaches laitières se sont donc retrouvés face à un problème de réorientation rapide. Certains ont choisi de se reconvertir dans la transformation fromagère, qui existait déjà, mais qu'ils ont déplacée sur la partie estivale, dans l'alpage. Cette reconversion s'est traduite par une bonne valorisation. Beaucoup de petites unités d'estive, notamment dans le parc du Mercantour, auraient été complètement abandonnées sans ces activités relativement valorisantes. D'autres ont choisi de se reconvertir dans l'élevage ovin. Il faudrait analyser ces phénomènes, qui remontent à peine à une vingtaine d'années, de façon plus précise, car ils ont fortement marqué l'évolution de l'économie agricole des Alpes-Maritimes ».

B.- LES DIFFÉRENTS SYSTÈMES D'ELEVAGE DE MONTAGNE EN FRANCE

La grande variété des systèmes d'élevage, avec ou sans transhumance, avec ou sans gardiennage, avec hivernage sur l'alpage local ou sur le littoral, s'oppose à une approche trop globale et théorique des problèmes.

1.- De grandes diversités sur le massif alpin

La région PACA est une des principales régions concernées par l'activité pastorale. Les espaces pastoraux y couvrent 750 000 hectares, soit 23 % du territoire et 2 500 éleveurs ovins y travaillent à un moment ou à un autre de l'année. Le pastoralisme commence en haute montagne, dans les alpages et descend jusqu'au bord de la méditerranée. La transhumance estivale concerne 550 000 ovins qui parcourent les Alpes du sud chaque année. Dans la région Rhône-Alpes les surfaces rattachées au pastoralisme représentent 13 % du territoire total.

Entre la côte et la haute montagne le pastoralisme se déploie sur des zones très variées tels de grands espaces comme la Crau ou les massifs forestiers du littoral varois ou des Alpes-Maritimes.

M. Bernard Bruno président de la fédération départementale ovine des Alpes6Maritimes, a ainsi décrit l'activité pastorale dans son département : « Nous sommes dans un système extensif : les troupeaux de moutons pâturent quasiment toute l'année dehors et ne sont enfermés qu'un mois à deux mois l'hiver -  cela dépend de l'exploitation, des lieux où elle se situe - pour l'agnelage. On les relâche ensuite à la mise à l'herbe dehors dans des collines qui couvrent de grandes surfaces. Les animaux pâturent dans le département, du haut du Mercantour, avec des crêtes à 2 500 mètres d'altitude, jusqu'en bord de mer, aux abords des villes. Ce mode d'élevage requiert beaucoup de surface et beaucoup de déplacements de troupeaux. Nous produisons des agneaux de qualité, mais non de conformité. Lorsque l'on a commencé à entendre parler du bio, nous étions dans notre département déjà plus bio que les bios. L'hiver, les troupeaux débroussaillent les garrigues, l'été, avec la pousse de l'herbe, ils gagnent les montagnes. Dans notre département, on monte et on descend toute l'année ; on est toujours en transhumance, à la pousse et à la repousse de l'herbe ».

Même au sein de l'élevage extensif dans un même département, des distinctions importantes pour la compréhension des difficultés de cette activité doivent être signalées. Les petits troupeaux locaux de moins de 500 brebis n'ont pas la même rentabilité que les gros troupeaux transhumants de plus de 1000 têtes. De même, les éleveurs mono-actifs qui ne vivent que de l'activité pastorale ne peuvent vivre les réalités de l'élevage dans les mêmes termes que ceux qui développent parallèlement des activités touristiques ou qui travaillent l'hiver dans les stations de ski et dont le revenu salarié est souvent bien supérieur à celui procuré par l'élevage.

Le gardiennage est un autre élément de différenciation. Dans les Alpes du sud, selon une enquête pastorale conduite par les services du ministère de l'agriculture, 80 % des alpages disposent d'un berger pour conduire les troupeaux. Le seuil de rentabilité, pour l'emploi d'un berger, étant fixé par l'ensemble des spécialistes à 1 500 bêtes, cela explique l'absence de gardiennage, caractéristique des petits troupeaux. C'est majoritairement le cas des exploitations de la région PACA, hors alpages d'altitude, où les techniques de gestion en parc clôturé électrifié se sont développées. La faible rentabilité de ces petits troupeaux se trouve alors aggravée par l'absence de garde, des brebis non surveillées étant plus vulnérables et plus souvent victimes d'accidents, de maladies ou de prédations.

A contrario, il faut observer que des troupeaux de plus de 1 500 bêtes, gardés par un seul berger ne bénéficient pas non plus de la meilleure protection. La recherche de rentabilité, à la base du regroupement des troupeaux, peut, en effet, être alors contrariée par des pertes importantes d'animaux, lorsqu'ils sont insuffisamment surveillés.

Laurent Garde, chercheur au CERPAM a présenté à la commission les quatre grands systèmes d'élevage utilisateurs de l'arc alpin, sur lesquels on reviendra dans la suite du rapport sous l'angle de leur vulnérabilité aux prédations.

Le système herbassier, présent dans les départements méditerranéens, peut être qualifié de semi-nomade. Il utilise les alpages de haute montagne pendant la phase d'estive.

Le système préalpin est présent dans les montagnes sèches des Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes Haut Var et Vaucluse.

Le système montagnard est présent dans les hautes vallées des Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes et Alpes-Maritimes.

Enfin dans les vallées humides des Alpes-Maritimes (Roya, Vésubie, Moyenne-Tinée), la régression de l'élevage bovin laitier a fait émerger des systèmes ovins méditerranéens originaux.

Il faut signaler également, les zones de plaine comme La Crau, où on a le plus souvent affaire à de gros troupeaux de plus de 2 000 têtes appartenant à un seul propriétaire et qui pratiquent la grande transhumance jusqu'en Isère et en Savoie.

De surcroît, la qualité des alpages, leur accessibilité, leur escarpement, leur enrochement, la rareté des points d'eau, modifient profondément les conditions de l'activité et notamment les possibilités de regrouper les troupeaux, la nuit, à l'intérieur des filets de protection.

Malgré la grande diversité des systèmes d'élevage, un élément plutôt favorable semble, néanmoins, rapprocher toutes les situations. Les zones pastorales sont en majorité, sauf peut-être dans la Mercantour, propriété de l'Etat, de collectivités locales ou de syndicats de communes. Cette propriété publique peut favoriser la prise en charge collective de l'entretien, des investissements lourds, de la protection contre les risques naturels et la contractualisation de la gestion de ces espaces.

2.- Des diversités encore plus grandes dans le massif pyrénéen

Les zones d'altitude sont des régions de grand tourisme, la partie orientale connaît une activité touristique moins développée et la partie occidentale est constituée de régions agricoles en difficulté.

Le pastoralisme est un mode d'élevage présent dans toute la région. Les Pyrénées-Atlantiques pratiquent principalement l'élevage ovin et bovin laitier orienté vers des productions fromagères (200 tonnes de fromage d'estive). Le cheptel transhumant qui représente 50 % du cheptel de tout le massif, compte 340 000 ovins et 29 000 bovins. Cette zone, de petites exploitations, est couverte de surfaces d'estives représentant 146 000 hectares, de surfaces de parcours collectifs utilisés au printemps et à l'automne pour 5 000 hectares et de surfaces de pâturages pour 100 000 hectares.

Dans les trois autres départements, Hautes-Pyrénées, Ariège et Pyrénées-Orientales prédomine le pastoralisme ovin destiné à la production de viande.

C.- UNE APPROCHE COMPARATIVE

Existe-t-il une spécificité du pastoralisme à la française ?

Plusieurs interlocuteurs de la commission l'ont affirmé. M. Bernard Moser, secrétaire général de la Confédération paysanne, l'a ainsi décrite : « Dans mon département [Drôme], 60 % des alpages ne sont pas gardés. Nous ne sommes pas dans la situation roumaine, yougoslave, voire de celle des Abruzzes où le gardiennage des troupeaux se fait avec de la main-d'œuvre familiale ou par des travailleurs immigrés, dans certains cas en provenance d'Albanie, en tout cas avec de la main-d'œuvre nombreuse. Chez nous, les alpages ne sont pas ou peu gardés. On a bien souvent un berger pour un nombre élevé de brebis. Cette spécificité n'est pas un choix économique, mais une adaptation au relief, au climat et aux modes d'élevage en montagne ».

M. Moser a signalé également la particularité des petits troupeaux regroupés en grandes unités gardées par un seul salarié et enfin la dominante des agneaux de boucherie en France «... alors que dans certaines zones, comme les monts cantabriques en Espagne et même dans les Abruzzes en Italie, il s'agit d'effectifs plus petits, de troupeaux laitiers qui rentrent le soir en bergerie pour la traite ».

Selon Eurostat, le service de statistiques de l'Union européenne, l'élevage des ovins est pratiqué essentiellement dans cinq Etats-membres qui élèvent 85 % du cheptel total, la Grèce, l'Espagne, la France, l'Italie et le Royaume Uni. L'Espagne et le Royaume-Uni regroupent à eux seuls 52 % du cheptel. Le troisième pays est l'Italie avec 11 millions de têtes de bétail suivi par la France et la Grèce avec 9,2 millions de têtes chacune. Les brebis laitières sont prépondérantes et en forte augmentation en Italie alors qu'elles sont minoritaires, bien qu'en légère augmentation en France.

1.- Des situations globalement contrastées

Le groupement d'intérêt public (GIP) ATEN (15), a organisé plusieurs stages de rencontre avec des éleveurs, en Italie, en Espagne et en Roumanie. Les résultats de ce travail figurent dans un document publié en juin 2000(16).

La première différence frappante avec la France est non seulement la présence massive des loups dans ces pays (2 000 en Espagne, entre 500 et 1 000 en Italie, environ 3 000 en Roumanie) et aussi d'ours et de lynx, mais surtout le fait que le loup n'a jamais disparu de ces régions ce qui a considérablement influencé les systèmes d'élevage.

Les conflits sont toujours beaucoup plus importants dans les régions où le loup avait totalement disparu, comme en France.

Les stratégies de protection contre les prédateurs dans ces pays, sont anciennes, généralement regardées comme inhérentes à l'activité et grandement facilitées par les faibles coûts d'une main d'œuvre nombreuse et souvent immigrée. La situation est évidemment différente en France.

On constate toutefois de grandes disparités dans les formes d'élevage.

En Italie, dans le parc national des Abruzzes et le parc del Gigante et contrairement au parc national Gran Sasso où la commission s'est rendue, l'agriculture traditionnelle a été pratiquement abandonnée et remplacée par l'élevage des bovins pour la production de parmesan. Les pâturages situés au-dessus de 1 100 mètres se trouvent pratiquement abandonnés. Le cheptel ovin qui comptait 20 000 têtes il y a quinze ans est tombé à 2 000 ou 2 500 têtes. Les interlocuteurs que la commission a rencontrés en Italie ont contesté l'argument selon lequel cette régression est liée à la présence du loup, pourtant cette explication a souvent été affirmée par d'autres. La principale activité du parc des Abruzzes aujourd'hui, est le tourisme qui a maintenant pratiquement remplacé l'élevage.

Il faut cependant noter qu'à l'échelle de tout le territoire italien, l'élevage ovin reste très important. Si l'on rapporte le nombre d'ovins à la superficie de l'Etat, il y a 36 ovins au km2 en Italie contre 16 ovins au km2 en France.

En Espagne, la tradition du mouton est encore fortement ancrée. La province de Zamora dans la Sierra de la Culebra, possède le plus gros troupeau ovin de tout le pays avec 800 000 brebis. L'exode rural y est néanmoins très important, la population est majoritairement composée de bergers et de retraités. Dans la réserve régionale de la Sierra de la Culebra, où le loup est présent en densité importante, on compte environ 25 000 brebis avec des troupeaux entre 200 et 800 têtes. Dans les Asturies, le parc naturel de Somiedo, a vu également le nombre d'éleveurs diminuer et l'élevage bovin est dominant. Il ne reste qu'environ 5 000 moutons transhumants à Somiedo. Globalement en Espagne, la majorité des dommages provoqués par les loups ont lieu dans les régions montagneuses où les troupeaux ne sont pas gardés. Dans la province de Zamora où le gardiennage est systématique, les pertes sont beaucoup moins nombreuses.

La Roumanie concentre plus d'un tiers des grands carnivores d'Europe avec 5 600 ours, 3 000 loups et 1 500 lynx, qui vivent dans les Carpates roumaines. Comme en Espagne, la chasse y est autorisée sous certaines conditions. L'élevage ovin y est très important avec de longues périodes d'estives en altitude. Il se pratique le plus souvent dans un cadre familial, dont tous les membres sont mobilisés pour la surveillance du troupeau.

2.- L'exemple du Parc national italien du Gran Sasso et Monti della Laga

La commission s'est rendue le 17 février 2003 en Italie, dans le parc national du Gran Sasso, situé dans le massif des Abruzzes. Elle y a rencontré les présidents et directeurs de plusieurs parcs nationaux, un chercheur de l'Institut national de la faune sauvage, des responsables des administrations de l'agriculture et de l'environnement, des éleveurs et des agents du parc.

Le parc du Gran Sasso couvre 150 000 hectares, divisés en trois régions et quarante quatre communes. La population de loups est évaluée à 35 individus environ. L'élevage y constitue un volet économique important et les produits de l'élevage bénéficient d'un label délivré par le parc. Comme partout en Italie, l'élevage n'est pas extensif, mais parfois semi-extensif. Les communes édictent des règlements pour l'usage des pâturages et les troupeaux doivent avoir une autorisation pour paître. Depuis le XIXème siècle, la transhumance connaît un déclin régulier et irréversible pour des raisons sociales et économiques. Sur le territoire du parc on dénombre 76 100 ovins, 4 906 bovins et 850 chevaux. Le nombre de bergers par bêtes diminue, même si la main d'œuvre albanaise ou macédonienne souvent recrutée, est peu exigeante en matière de salaires. Un troupeau d'un millier de moutons procure, à l'éleveur, un revenu annuel moyen de 51 000 euros.

3.- Le cas de la Suisse, peut-être plus proche de celui de la France

Il faut enfin s'arrêter un instant sur la situation de la Suisse qui est semble-t-il la plus comparable à celle de la France. Après un ralentissement important dans la première moitié du XXème siècle, l'élevage ovin pour la viande a repris de la vigueur grâce une forte politique de subventions publiques. A l'heure actuelle on compte 450 000 moutons dont les trois quarts sont menés en estive sur les différents alpages de montagne. La majorité des éleveurs exercent une autre activité professionnelle et ne sont pas en mesure de contrôler quotidiennement leurs troupeaux. L'élevage est extensif mais pour des raisons climatiques, les bêtes passent de 120 à 140 jours en bergerie ce qui augmente considérablement les coûts de production. Le revenu des éleveurs est en recul constant et il est impossible pour nombre d'entre eux d'embaucher un berger. Dans ces conditions, le retour du loup cent ans après son éradication se révèle extrêmement conflictuel.

III.- LA FILIÈRE OVINE SE HEURTE À DE GRAVES DIFFICULTÉS EN FRANCE

M. Philippe De Mester, préfet des Alpes-de-Haute-Provence a bien résumé la situation de l'élevage ovin dans son département, situation que la commission a pu constater partout où elle s'est rendue : « Le pastoralisme [...] constitue dans les Alpes-de-Haute-Provence un système économique d'une extrême fragilité. L'économie pastorale s'y maintient dans des conditions de grande précarité, la faible rémunération liée à la production ovine en étant la principale cause. Par conséquent, toute perturbation dans le fonctionnement de ce système a des conséquences extrêmement dommageables ».

A.- UNE PRODUCTION EN DÉCLIN ET PEU COMPÉTITIVE

La compétition mondiale à laquelle se heurte la filière ovine de montagne pourrait bien lui être fatale si l'on s'en tenait à une logique purement économique et commerciale. C'est pourquoi l'approche de la seule rentabilité économique doit être tempérée par l'intégration des données sociales et territoriales auxquelles répond le pastoralisme de montagne.

La filière ovine est en difficulté partout en France. Cela ressort, notamment, du rapport de mission confiée par le ministre de l'agriculture et de la pêche, en 1999 M. Jean Launay, député et Michel Thomas, inspecteur général de l'agriculture.

1. Une baisse continue de la production nationale

La filière ovine est le seul secteur agricole à perdre à la fois ses producteurs et son potentiel de production. Cette production a subi un déclin continu depuis vingt ans.

Selon les auteurs du rapport précité, en dix ans, la France a perdu 1 million de brebis et près de 20 000 éleveurs. La baisse des effectifs s'est principalement répercutée sur les petits troupeaux de moins de 200 brebis, alors que les troupeaux de plus de 500 têtes ont fortement augmenté. Toutefois ces derniers ne représentent encore que 3 % des éleveurs et 17 % des moutons.

Ce déclin est particulièrement marqué pour les ovins élevés pour la viande. La filière ovine laitière connaît, à l'inverse, un réel dynamisme lié à la bonne valorisation des produits fromagers dans des zones, notamment les Pyrénées, bénéficiant d'une forte identité. Le cheptel ovin laitier a ainsi progressé de 11 % en dix ans, alors que dans le même temps le cheptel viande, s'est réduit de 22 %.

La concentration des élevages ovins s'est opérée dans les zones défavorisées qui rassemblent 85 % de l'effectif total, alors que les zones non défavorisées ont perdu depuis 1989, 700 000 brebis et 9 500 éleveurs. Dans les plaines et les bassins mixtes où coexistent élevage bovin et élevage ovin, la tentation est forte de délaisser ce dernier élevage et de transférer la totalité des activités vers l'élevage bovin, mieux rémunéré et moins contraignant.

Cette tendance à la concentration dans les zones défavorisées ou de montagne, est confirmée par M. Laurent Garde, chercheur au CERPAM qui a indiqué, s'agissant de l'élevage ovin dans les Alpes du sud et en Provence, que selon les derniers recensements agricoles, les effectifs sont stables dans cette région qui est la région française ayant le mieux résisté. La production principale dans cette zone, est l'agneau de boucherie qui, le plus souvent, est élevé en bergerie pour des raisons de qualité de viande. La dimension extensive de ce système d'élevage concerne donc essentiellement la conduite des brebis mères.

On rappellera que les besoins de consommation intérieure de viande ovine ne sont couverts qu'à 45 % par la production nationale. Le commerce mondial est dominé par la Nouvelle Zélande qui exporte chaque année 400 000 tonnes de viande ovine à très faible coût et par l'Australie.

Outre le poids des charges structurelles, beaucoup plus lourdes dans le cadre du pastoralisme de montagne que dans des pays aux vastes espaces comme la Nouvelle Zélande ou l'Australie, la production française d'agneaux souffre de son caractère saisonnier. Les producteurs ne sont pas en mesure de mettre des agneaux sur le marché tout au long de l'année ce qui perturbe l'approvisionnement des marchés et rend impossible des relations contractuelles stables avec l'aval de la filière.

Le recul régulier de la production déclarée, s'il est incontestable, doit être toutefois légèrement tempéré par le volume important des ventes directes et de l'auto-consommation fréquentes dans ce secteur. C'est ainsi que l'OFIVAL (Office national interprofessionnel des viandes de l'élevage), dans sa présentation du marché des ovins en France en 2002, indique que pour calculer la production indigène totale, le SCES (service central des enquêtes et statistiques) majore de 22 % les abattages contrôlés. L'OFIVAL a quand même constaté en 2002, que la production contrôlée d'ovins a baissé de 1,6 % par rapport à 2001.

Parmi les grandes régions moutonnières, l'Auvergne a perdu en un an 4,5 % de ses effectifs de brebis, le Limousin 3,5 %, et la PACA 2,5 %. En revanche, d'autres régions résistent mieux comme le Midi-Pyrénées (- 0,9 %) et l'Aquitaine (- 1,5 %).

En ce qui concerne les prix à la production des agneaux, l'OFIVAL constate qu'après avoir été exceptionnellement hauts en 2001 ils ont amorcé un repli en 2002 (5,04 euros/kg), tout en restant supérieurs à la moyenne des années précédentes. Cette situation résulte de l'épidémie de fièvre aphteuse qui a entraîné une baisse de l'offre en raison des abattages et du retrait du marché français des produits d'origine britannique et irlandaise. Au fur et à mesure du retour de ces produits plus compétitifs, les prix sont redescendus.

2. De nombreuses causes d'abandon du domaine pastoral

Sous la responsabilité des services statistiques du ministère de l'agriculture et de la pêche, une enquête a été réalisée en 1997, sur les pratiques pastorales en région PACA(17).

Cette enquête fait apparaître que par rapport au précédent recensement de 1983, environ 10 % des surfaces en pelouses n'étaient plus pâturées en 1997. Un tiers des surfaces abandonnées se situent en haute altitude, 40% en moyenne altitude et le reste sur les parcours de plaine. Les trois quarts des unités pastorales abandonnées l'étaient depuis plus de cinq ans. Les causes d'abandon ou de non utilisation de ces surfaces révélées par l'enquête sont dans l'ordre d'importance : une ressource fourragère insuffisante, un manque d'eau, un relief trop accidenté, un problème foncier ou encore la dégradation des cabanes pastorales.

Des travaux de réhabilitation et d'aménagement de ces unités pastorales abandonnées ou inutilisées sont nécessaires pour la mise en valeur de toute la région, les priorités étant l'aménagement de points d'eau et de clôtures, le débroussaillement de certains accès et la rénovation des cabanes.

Les équipements des estives sont très souvent médiocres et les cabanes pastorales, surtout lorsqu'elles appartiennent à des propriétaires privés, sont vétustes, sans confort, souvent sans eau ni électricité. La commission a entendu de nombreux témoignages sur ce point important.

3. Une activité fortement subventionnée bien que mal prise en compte par la PAC

A partir de 1980, l'élevage ovin de viande est rentré dans le cadre de la politique agricole commune avec l'adoption d'un règlement communautaire spécifique. La diminution du prix de vente de l'agneau, consécutive à l'ouverture des marchés, a été régulée par l'adoption de la prime compensatrice ovine (PCO) qui permet d'ajuster la recette finale perçue par l'éleveur en fonction d'une référence communautaire moyenne.

Un dispositif d'aides directes au revenu des éleveurs a été ensuite mis en place, ces aides étant attribuées à l'hectare ou à la tête de bétail et contingentées sous forme de droits à primes individualisés.

Par ailleurs une indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN), a été mise en place en 1971 par la France et généralisée en 1975, par la Communauté européenne à l'ensemble des zones de montagne et des zones défavorisées communautaires. Cette indemnité représentait, en 2000, 4 833 euros (31 700 francs), par exploitation bénéficiaire.

La prime au maintien des systèmes d'élevage extensif (prime à l'herbe) accompagnant la réforme de la PAC en 1992, a eu un impact important, concernant tous les éleveurs herbagers extensifs montagnards, car elle a permis de reconquérir un certain nombre d'espaces pastoraux en voie d'abandon. Cette prime était cependant d'un faible montant (300 francs/hectare).

Dans le cadre de la réorientation des soutiens vers les mesures agri-environnementales, l'Union européenne a refusé la reconduction de la prime à l'herbe, en raison de son caractère national et insuffisamment environnemental : elle a pris fin à compter du 1er avril 2003. Elle est d'ores et déjà remplacée par des mesures agri-environnementales élaborées au niveau régional et co-financées à hauteur de 50 % dans le cadre du deuxième pilier de la PAC (développement rural).

Ces mesures pouvaient être contractualisées par l'établissement de contrats territoriaux d'exploitation (CTE) dont le nombre est resté très inférieur au nombre de bénéficiaires de la prime à l'herbe. Les CTE vont d'ailleurs disparaître et être remplacés par les contrats d'agriculture durable (CDA) qui bénéficieront en 2003 de 500 millions d'euros, y compris les crédits européens.

Un nouveau dispositif en faveur des anciens bénéficiaires de la prime à l'herbe est également en cours d'élaboration avec l'allocation d'une nouvelle prime herbagère agri-environnementale (PHAE), d'un montant majoré, mais d'application plus restrictive.

Dans le cadre national, la politique agricole de la montagne verse une indemnité spéciale montagne (ISM), dont le montant, par bénéficiaire, s'élevait en 2000 à environ 6 982 euros dans les Alpes du sud, 3 883 euros dans les Alpes du nord et 2 896 euros dans les Pyrénées. Cette indemnité s'apparente plus à un soutien aux revenus qu'à un soutien à l'investissement. Le tableau ci-après résume la répartition de l'ISM selon les massifs.

Répartition de l'ISM selon les massifs en 2000

Vosges

Jura

Alpes du Nord

Alpes du Sud

Massif central

Pyrénées

Corse

Nombre de bénéficiaires de l'ISM

913

3.280

7.453

2.664

36.768

6.896

365

Montant (en millions de francs)

13,3

123,6

189,8

122

1.153,7

131

37,7

Montant par bénéficiaire (en francs)

14.580

37.680

25.470

45.800

31.880

19.000

27.580

Source : Ministère de l'agriculture

D'une façon générale il faut regretter que le soutien à l'investissement en montagne soit à peu près inexistant, à l'exception des soutiens à la mécanisation. On dénombre très peu d'aides accordées pour l'entretien ou la construction de bâtiments pour les animaux, alors que le surcoût d'un bâtiment en montagne est évident. De surcroît le retour sur investissement des propriétaires d'alpages, par exemple pour la réfection des cabanes de bergers, est nul puisque, quel que soit l'état de la cabane, le prix de location de la montagne est le même.

Les financements publics doivent donc s'orienter vers le soutien des programmes d'équipement ovins facilitant la conduite des troupeaux et leur gestion sanitaire, quelles que soient les formules de location de la montagne.

Par ailleurs, les primes aux éleveurs ovins sont plus impressionnantes par leur accumulation et leur manque de lisibilité que par leur montant total. Sur les 8 milliards d'euros d'aides directes à l'agriculture française fournis par la PAC, environ 300 millions d'euros seulement vont à l'agriculture de montagne. Le revenu des exploitants de montagne reste ainsi inférieur de 30 % au revenu agricole moyen en France.

Les principes qui ont guidé la réforme de la PAC de 1992, auraient du être favorables aux systèmes extensifs. En fait, les modalités d'octroi des aides directes ont conforté le différentiel favorable aux systèmes intensifs de plaine.

Une aide aurait pu résulter de la réforme suivante, adoptée dans le cadre du programme d'actions communautaires Agenda 2000 qui mettait plus fortement l'accent sur un soutien renforcé à l'aménagement de l'espace rural et aux activités agricoles respectueuses de l'environnement. Toutefois les montants correspondants sont faibles puisque le deuxième pilier de la PAC ne représente que 15 % des crédits à l'agriculture.

La configuration actuelle des aides européennes et du soutien national à l'agriculture est donc clairement défavorable à l'élevage ovin extensif de montagne.

Certes l'agriculture est une activité économique qui doit d'abord trouver sa rémunération sur le marché, mais le pastoralisme pas plus que les autres secteurs, et même plutôt moins, compte tenu du rôle environnemental qui lui est reconnu.

Votre rapporteur s'inquiète de la persistance des autorités nationales et européennes à négliger ce secteur dont on a démontré la fragilité et l'importance.

Les très volumineux soutiens accordés aux céréales et aux oléo- protéagineux absorbent, sans contrepartie environnementale, la plus large part des financements du premier pilier de la PAC, c'est-à-dire les aides directes. Mais ces aides concernent très marginalement l'agriculture de montagne.

Ces orientations ont évidemment contribué à réduire la production agricole en montagne et à inciter nombre d'éleveurs, dont les conditions de travail sont par ailleurs très difficiles, à se reconvertir vers des productions céréalières plus rémunératrices.

La commission tient à dénoncer clairement ce qui lui semble être à la fois une injustice sociale et un contre sens économique.

B.- DES CONTRAINTES FORTES ET DES RISQUES ÉLEVÉS INHÉRENTS À L'ACTIVITÉ

1. Les maladies, les contraintes sanitaires et les accidents

Dans les modèles démographiques utilisés par l'AFSSA (Agence française pour la sécurité sanitaire des aliments) et l'INRA (Institut national de la Recherche agronomique), on admet qu'environ 2 % des ovins meurent accidentellement chaque année, ce qui représente 200 000 ovins, parmi lesquels ne sont pas comptabilisés ceux qui meurent dans la période néonatale.

Si l'on intègre les cadavres d'agneaux, ce sont 715 000 ovins et caprins qui ont été envoyés à l'équarrissage en 2000, selon les chiffres communiqués par Mme Nathalie Lacour, vétérinaire chargée de mission au ministère de l'écologie et du développement durable qui a fait devant la commission le constat suivant : « Plus de 2 % de l'élevage ovin français ne part pas dans les circuits de commercialisation en vue de l'alimentation humaine mais sont détruits chaque année. C'est un chiffre énorme, mais il faut souligner que l'élimination d'ovins par la voie de l'équarrissage est parfois plus intéressante économiquement pour les éleveurs que l'envoi des animaux à l'abattoir ».

Les chiffres cités par Mme Lacour ont été confirmés par M. Jean-François Noblet, conseiller technique à l'environnement au conseil général de l'Isère. Selon lui, sur 10 millions d'ovins en France, plus de 700 000 passent chaque année à l'équarrissage, dont seulement 2 500 à cause du loup, a-t-il été précisé. Le reste s'explique par un agnelage problématique, des maladies, ou encore la foudre et les dérochements.

Selon M. Guy Joncour, vétérinaire : « On sait qu'il y a actuellement moins de 10 millions de moutons en France et que la mortalité naturelle ou par abattage, hors pathologie, est importante, elle se situe entre 2 % et 4 % et touche donc de 200 000 à 400 000 bêtes ».

M. François Moutou chercheur à l'AFSSA, a pour sa part fait la déclaration suivante : « J'aimerais juste citer des chiffres qui m'ont un peu surpris lorsque je les ai découverts mais que je tiens de source officielle puisqu'ils proviennent du ministère de l'agriculture. Ils concernent les animaux d'élevage qui, au niveau national, disparaissent à l'équarrissage, ce qui n'est quand même pas le but de l'élevage des animaux domestiques : en 1999, 652 533 ovins et caprins ont été envoyés à l'équarrissage, ce qui n'est pas négligeable et, en 2000, 715 449 autres ont subi le même sort. Je n'ai pas d'explications et j'aimerais bien comprendre d'où viennent tous ces animaux qui ne sont sans doute pas tous élevés pour disparaître de cette façon. Je pense que ces effectifs englobent beaucoup de jeunes, mais que ce n'est pas la seule explication. Il serait d'autant plus important d'élucider cette question que l'on sait que certains animaux éliminés dans la montagne ne passent pas forcément par l'équarrissage ».

S'agissant de la brucellose ovine, selon Mme Lacour, en région PACA, 6000 ovins ont été abattus en 1998, soit un coût de 37 millions de francs. Dans le département des Alpes-Maritimes, 434 ovins ont été abattus en 1998 pour cette même raison et 148 en 1999. Dans les Hautes-Alpes, ce sont près de 1 000 ovins qui ont été abattus en 1998 et plus de 600 dans le département des Alpes de Haute-Provence.

Toutefois il faut souligner que le dossier de la brucellose ovine est significatif de la vitalité du monde pastoral. Depuis vingt ans la mobilisation pour l'éradication de cette maladie en zone méditerranéenne française n'est pas retombée. Il a fallu faire admettre aux autorités sanitaires la spécificité de l'élevage ovin, liée au mélange des troupeaux et à la pratique de la transhumance, afin de trouver des schémas de prophylaxie adaptés à cette réalité. Aujourd'hui, la brucellose ovine a considérablement reculé là où elle était endémique.

Si la France est de nouveau indemne de fièvre aphteuse, les menaces liées à la tremblante du mouton subsistent. L'arrêté du 27 janvier 2003 fixant les mesures de police sanitaire relatives à la tremblante ovine, confirme malheureusement la nécessité des mesures d'abattages systématiques en cas de détection de la maladie mais ajoute une nouvelle contrainte aux éleveurs.

2. La prédation des chiens

Aucune évaluation véritablement exhaustive de l'impact des attaques de chiens sur les troupeaux n'a pu être fournie à la commission. Aucune source fiable ne peut être consultée et seules des estimations et des extrapolations sont disponibles pour quantifier ce type de dégâts.

La commission a pu observer que le problème est parfois éludé par les exploitants et cette question est apparue comme un sujet assez « tabou ». Dans le contexte de l'arrivée des loups, la crainte que les dégâts provoqués par ces derniers soient systématiquement imputés aux chiens a, sans doute, contribué à une certaine négation du problème.

Par la suite, lorsque les indemnités ont été attribuées sur la base de la simple présomption d'une attaque de loups, le problème des chiens dans les zones à loups est devenu indissociable de celui de l'ensemble des grands prédateurs.

A ce propos, M. François-Marie Perrin, berger salarié a déclaré à la commission : « Lorsque j'ai commencé ce métier, on m'a dit à propos des chiens divagants : tu tues et tu te tais....Pendant trois ans, j'ai tué des chiens. Je n'avais jamais tenu un fusil de ma vie avant d'être berger. La première année où j'ai eu à faire face à des attaques de chiens, 60 brebis ont été tuées, aucune indemnisation pour les éleveurs. Cela a certainement changé mes méthodes de travail, car je n'avais pas la paix. Il a fallu vingt et un jours pour éliminer ces chiens. Le problème semble parfois occulté ». 

De surcroît, il apparaît qu'une grande majorité de cheptels, surtout les plus petits, ne sont pas assurés en raison du surcoût que cela induirait. Les attaques de chiens donnent donc rarement lieu à déclaration, ce qui réduit considérablement la portée de cette source d'information.

Pour autant il y a lieu de penser que ce type de prédation est la cause de pertes assez importantes pour les éleveurs, même si les évaluations sont extrêmement variables. M. Pascal Wick, spécialiste du pastoralisme de montagne, auditionné par la commission, considère que chaque année en France les chiens domestiques sont à l'origine de la mort de 500 000 moutons, pour un cheptel comptant une dizaine de millions de têtes. Selon différentes autres sources, les chiens errants décimeraient 100 000 animaux domestiques chaque année en France. Mme Sophie Bobbé, ethnologue, évoque dans ses articles les plus récents le chiffre de 250 000 bêtes domestiques tuées chaque année, par des chiens. Elle cite dans sa contribution au livre « Le fait du loup » (18) un extrait d'un article du journal « Le paysan savoyard », du 24 août 2000, consacré à ce problème « En 1999, alors que le loup était responsable de la mort de 1 100 moutons dans l'arc alpin, plus de 50 000 moutons étaient victimes de chiens errants et 300 000 à 400 000 moutons étaient tués du fait de problèmes sanitaires, de la foudre, de dérochement ou de vol ».

Une autre source d'information vient toutefois tempérer ces chiffres. Il s'agit d'une enquête menée en 2001 auprès des éleveurs, dans le massif des Monges, par M. Laurent Garde et Mme Emmanuelle Vors, du CERPAM. La méthode a consisté à enquêter sur les prédations, avant l'arrivée des loups soit de 1990 à 1998 et de comparer les résultats avec le niveau de prédation après l'arrivée des loups. Il résulte de cette étude que le nombre d'attaques antérieures à 1998 - et donc susceptibles d'être attribuées aux chiens - est de l'ordre de 2 ou 3 par an sur l'ensemble du massif. En dix ans, 21 attaques de chiens errants ont affecté 15 troupeaux dans les Monges, occasionnant la perte de 539 animaux.

Une explosion des prédations, à partir de 1998, correspond à l'arrivée des loups sur le massif, et permet donc de relativiser la part qui revient aux chiens. Ce travail d'enquête est résumé dans le document ci-après transmis à la commission par M. Laurent Garde.

Enfin, il faut évoquer les propos de M. Guy Joncour, vétérinaire, auteur d'une étude sur les dommages des chiens en France qui a tout d'abord souligné que l'espèce des huskies, chiens tracteurs qui se rapprochent des loups, font des ravages tant sur la faune sauvage que sur les troupeaux de moutons.

Selon M. Joncour, l'identification systématique des chiens qui est obligatoire mais peu contrôlée, permettrait de réduire le nombre de chiens en liberté et par là même les dégâts qu'ils causent. Les chiens reviennent sur les lieux des sinistres parce que c'est une forme de jeu qui se termine par un carnage. M. Joncour a estimé que tout cela est affaire de responsabilisation personnelle des propriétaires car dans un village chacun connaît les chiens errants et divagants.

Aussi, votre rapporteur propose t-il de systématiser le contrôle de l'identification des chiens par le tatouage. On peut, par ailleurs, considérer que les mesures de protection générées par l'arrivée du loup, se traduiront, à terme, par la disparition des attaques de des chiens errants, voire par leur éviction.

C.- DES REVENUS TROP FAIBLES POUR LES ÉLEVEURS ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL SOUVENT INDIGNES POUR LES BERGERS

1. Des revenus insuffisants pour les éleveurs

M. Christian Ernoult, chercheur au Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts (CEMAGREF), a indiqué que les éleveurs d'ovins sont en général plus âgés que les éleveurs d'autres espèces, ce qui explique un taux de disparition très important entre deux recensements. Ils sont en général pluriactifs, le taux de pluriactivité pouvant atteindre 70 %, comme c'est le cas en Haute-Maurienne.

Dans les Alpes-Maritimes, la majorité des éleveurs assurent eux-mêmes le travail de gardiennage. Le recours à un berger salarié est beaucoup plus répandu dans les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute-Provence

Le secteur connaît les plus bas revenus de l'agriculture pour la plus forte charge de travail et un vieillissement très préoccupant des producteurs puisque 50% ont plus de 50 ans.

Des informations ont été communiquées à la commission par M. Christian Ernoult, sur les revenus des éleveurs ovins sous la forme d'un graphe que l'on trouvera ci-après. Ces informations proviennent du réseau d'information comptable agricole (RICA) et prennent en compte l'ensemble des zones de montagne française. Malheureusement elles remontent à 1996. La dernière ligne du graphe concerne les éleveurs d'ovins pour la viande (50 UGB/ha, unités de gros bétail par hectare), soit un cheptel de 350 à 400 brebis.

Les résultats figurant dans le graphe permettent de comparer les revenus des différentes catégories d'éleveurs de montagne en fonction de la nature de l'élevage (bovins lait, bovins viande, ovins lait et ovins viande) et de la taille des troupeaux. L'étude met également en évidence le revenu agricole dégagé par les éleveurs et le niveau de subventions et démontre la disparité entre les revenus tirés de la production de viande et ceux tirés de la production laitière.

Ainsi, M. Christian Ernoult a conclu sa présentation dans ces termes : « On constate que les revenus et les niveaux de subventions sont à peu près équivalents, sauf pour les deux systèmes allaitant bovins et ovins où les niveaux de subvention représentent pratiquement le double du revenu agricole dégagé par l'activité. Ainsi, pour les ovins viande, le revenu était à l'époque de 90 000 francs pour 180 .000 francs de subvention ».

Ces chiffres ont été actualisés par M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à l'Institut national agronomique, qui a été auditionné par la mission commune d'information du Sénat pour le rapport sur l'avenir de la montagne précité. M. Bazin a fourni au Sénat le tableau suivant  concernant les revenus des agriculteurs en 2000 qui souligne la faiblesse des revenus en zone de montagne :

Revenu courant avant impôts et aides directes en 2000

Zones de montagne

Zones défavorisées

Zones normales

Total

Revenu (en francs)

138 500

170 800

197 400

181 900

Aides directes (francs)

98 600

165 000

122 700

128 700

Dont ICHN

31 700

7 300

_

6 900

Aides/revenu (en %)

71

62

_

71 %

Aides/hectare (en francs)

1 680

1 990

1 950

1 930

Source : Réseau d'information comptable agricole

M. Bazin a ajouté le commentaire suivant : « Le revenu des exploitants de montagne reste inférieur de 30 % à la moyenne nationale. L'ICHN en montagne représente aujourd'hui le tiers des aides et environ 20 à 25 % du revenu ».

Le revenu brut annuel moyen d'un agriculteur en zone de montagne s'élève donc à environ 21 116 euros.

La montagne est bien la zone où les revenus sont les moins élevés, la charge de travail et les contraintes les plus lourdes et les soutiens publics les plus faibles.

Cela explique, pour une grande part, le découragement et la colère souvent exprimés devant la commission, aggravés par les contraintes supplémentaires liées à la prédation.

2. Le métier de berger à valoriser

Le terme de « berger » est souvent utilisé, notamment par les médias, de façon générique pour désigner une activité pastorale qui, notamment, face au problème du loup, représenterait une catégorie professionnelle unitaire et intangible.

La réalité est un peu différente puisqu'il faut distinguer au minimum, les éleveurs, les éleveurs-bergers et les bergers salariés dont les activités et souvent les intérêts divergent. Les auditions ont montré que tous partagent un authentique attachement aux traditions pastorales, un réel amour des bêtes et une vraie interdépendance. Mais la relation de l'éleveur au berger reste quand même une relation de patron à salarié.

La crise liée au retour du loup a été l'occasion, pour les bergers, y compris les bergers salariés qui sont en France entre 700 et 750, de faire reconnaître la réelle technicité et le professionnalisme exigés par une activité érigée au rang de métier et enfin sortie d'une représentation folklorique peu valorisante.

M. François-Marie Perrin, président de l'Association des bergers des Alpes de Haute-Provence, participant à la table ronde organisée par la commission le 17 décembre 2002, a présenté la situation de berger salarié dans les termes suivants : « Nous avons des responsabilités de chirurgien avec des obligations de garde, de banquier et un salaire de manœuvre ». Il précise un peu plus loin, « Au cours d'une saison, nous effectuons une durée de travail mensuelle effective équivalente à 300-340 heures » Il a décrit également la dureté de ce métier qui se déroule en moyenne 4 mois, en estive.

Les cabanes n'ont pas les surfaces annoncées (dix ou douze mètres carrés), elles sont placées loin des voies de communication et des chemins, elles sont difficiles d'accès, ce qui rend très difficile toute communication avec l'extérieur, notamment en cas d'accident ou de prédation.

Il existe clairement, chez les bergers, le désir de ne pas rester dans l'ombre et d'apparaître comme les détenteurs du savoir de l'alpage et des troupeaux. Valoriser cette technicité passe nécessairement par la capacité à s'adapter aux évolutions de la profession et à gérer les contraintes nouvelles, comme la présence imposée des grands prédateurs.

Cette valorisation implique l'amélioration de la formation et la diversification des recrutements. A cet égard, la commission a pu noter une féminisation de la profession, largement présentée comme bénéfique.

Gravement isolés, les bergers ont constaté que le fait du loup avait suscité des rencontres, des débats et des positionnements, parfois même la constitution de véritables réseaux de solidarité. Cette crise, en accentuant le désarroi de la profession, aura au moins servi à rompre cet isolement et l'on peut espérer que les échanges permettront de faire évoluer, non seulement les conditions de travail, mais aussi le sentiment d'appartenance à une collectivité mieux reconnue.

Un statut national de berger devrait être l'aboutissement de ces rapprochements et du renforcement de cette identité collective. Cela correspond certainement au vœu de M. François Marie Perrin qui a vivement regretté devant la commission le fait que les bergers, directement concernés par les problèmes du pastoralisme ne soient jamais associés aux prises de décision, alors qu'ils auraient assurément des propositions à présenter.

IV.- LE RETOUR DU LOUP A AGGRAVÉ LA CRISE ET IMPOSE UNE ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE RURALE EN MONTAGNE

Depuis leur réapparition dans les Alpes-Maritimes en 1992, les loups sont présents dans les Alpes de Haute-Provence, les Hautes-Alpes, la Drôme l'Isère, la Savoie et la Haute-Savoie.

Comme l'a indiqué à la commission, M. François Dobremez, président du comité scientifique du parc naturel régional du Vercors, la présence du loup a été un formidable révélateur des difficultés rencontrées par la filière ovine.

Si l'image du loup a évolué de manière positive dans la population urbaine, il a cristallisé dans les populations rurales, et surtout chez les éleveurs, tous les maux de la profession et de la crise d'identité rurale.

M. Salim Bacha, technicien à l'Organisation Régionale de l'Elevage Alpes-Méditerranée (OREAM), a apporté le témoignage suivant : « En discutant avec les éleveurs, je me suis rendu compte qu'ils vivaient la situation actuelle comme une offense. Car s'il existe un élevage respectueux de l'environnement et des ressources naturelles, c'est bien l'élevage qui se pratique en Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Il s'agit en effet d'un élevage très extensif qui n'a pas cédé aux appels de l'hyperproductivisme et de la spécialisation. Les éleveurs ont su rester près du terrain, produire des animaux de qualité et bien entretenir l'espace naturel. Ils vivent donc très mal les leçons d'écologie qu'on entend leur donner du jour au lendemain. On prétend qu'ils sont contre l'environnement alors qu'ils ont toujours œuvré au maintien de la biodiversité. Sans compter que, pour le commun des mortels, on devient berger quand on n'a pas réussi sa vie. En refusant la présence du loup, on les accuse d'aller à l'encontre des attentes citoyennes. Ils vivent d'autant plus mal cette situation qu'on ne cherche pas à entendre leurs arguments ».

La commission a auditionné de nombreux éleveurs et les représentants de tous les syndicats professionnels agricoles, à Paris et lors de ses déplacements sur le terrain. Elle a été très sensible aux témoignages souvent poignants et au découragement qui domine dans la profession en raison de l'accumulation des contraintes et d'un fort sentiment d'isolement. Mais elle a néanmoins acquis la conviction que des solutions existent à cette crise.

Comme on l'a vu, le pastoralisme doit gérer des contraintes techniques et économiques complexes dans un secteur en crise. L'arrivée du loup ne pouvait être perçue autrement que comme un facteur aggravant des conditions de travail, déjà très difficiles, et un facteur de stress intense. Les éleveurs ont vécu ce retour comme une remise en cause de leurs modes de vie et une atteinte insupportable à leur identité, à leurs traditions et à leur liberté.

Fallait-il en rester là et se borner à un constat d'incompatibilité totale fermant la porte à toute évolution et surtout à toute solution réaliste ?

Il existe incontestablement des seuils d'incompatibilité qu'il faudra traiter aussi finement que possible en se gardant des solutions simplificatrices et trop générales. Mais votre rapporteur considère qu'il faut surtout éviter d'enfermer le monde de l'élevage dans une situation sans perspective, et donc sans avenir.

Il est intéressant de citer une étude réalisée en 1999, par M. Thierry Durand(19), vétérinaire-inspecteur, selon laquelle 71 % des personnes consultées admettent que le retour du loup a permis de mieux faire connaître les problèmes d'un pastoralisme ovin de montagne, dont les acteurs se sont longtemps considérés comme les laissés pour compte de la politique agricole.

Le problème que pose ce prédateur à l'élevage ne peut trouver de solution que dans son dépassement et dans une approche globale de soutien et de dynamisation de l'agro-pastoralisme et de l'économie montagnarde.

M.  Dobremez, président du comité scientifique du parc du Queyras, a déclaré devant la commission, à propos de la motivation des éleveurs: « Lorsqu'on parle en tête à tête avec eux, la plupart des éleveurs sont prêts à accepter de nouvelles conditions de travail, à condition d'être aidés. Ces nouvelles conditions de travail incluent le loup, mais aussi d'autres contraintes qui s'ajoutent à celles qui étaient traditionnelles. » A propos des éleveurs du Mercantour il a également indiqué : « Les plus violents d'entre eux, dans la discussion en tête à tête, admettaient que les choses changent tous les dix ans en matière d'élevage et qu'ils étaient prêts à continuer leur activité si on les aidait ».

La guerre du loup doit cesser, sauf à ruiner définitivement les économies locales.

Dans toutes ses propositions, votre rapporteur s'est efforcé de répondre à un double objectif d'apaisement et de vision de long terme.

Nous sommes face à un problème majeur de société qui n'est autre que le devenir de territoires qui, dans une économie dominée par le productivisme et la compétition mondiale, se sont peu à peu vidés de leurs habitants et de leurs activités traditionnelles.

Dans un tel enjeu il faut considérer toutes les données et éviter les solutions d'urgence adoptées sous la pression des évènements, mêmes dramatiques, qui ne feraient qu'enfoncer davantage les territoires de montagne dans leur isolement.

L'adaptation progressive, dans la durée, aux conditions nouvelles de fonctionnement de leur profession, dans la concertation, avec derrière eux le soutien de tout le pays, est certainement plus porteuse d'espoir, pour les éleveurs, qu'un brutal constat d'impuissance.

A.- LE CHOC DU RETOUR DU LOUP A ÉTÉ PLUS VIOLENT QUE POUR LES AUTRES PRÉDATEURS

1. La situation face aux lynx

Les derniers lynx ont disparu du massif vosgien dans les années 1910. Les premières réintroductions ont eu lieu en Allemagne, puis en Suisse dans les années 70, en Yougoslavie, en Italie en Autriche et en Tchécoslovaquie à la fin des années 70.

M. Pierre Pfeffer, biologiste, a été chargé de l'opération de réintroduction de lynx en France dans les Vosges, dans la forêt de Ribauvillé en 1983, sous le contrôle du ministère de l'environnement. Selon ce chercheur, il n'y a pas eu d'attaques sur le bétail dans la région concernée, grâce à la présence de nombreux chevreuils. En revanche il y a eu des attaques dans le Jura à la suite de l'arrivée de lynx qui avaient été réintroduits en Suisse en 1974.

Aujourd'hui les six départements alpins, sont colonisés par le lynx.

M. Pascal Grosjean, éleveur de moutons dans le département de l'Ain où on trouve une quinzaine de lynx, déplore la perte de nombreux animaux. Il considère que depuis sa réapparition, ce prédateur serait à l'origine de la mort de 3 000 moutons sur l'ensemble des territoires où il est présent contre 8 000 à l'actif des loups. Il estime toutefois que la présence du lynx est moins dramatique que celle du loup car c'est un tueur isolé et un sélectionneur qui tue « à peu près proprement » entre une à quatre brebis par attaque.

Lorsqu'un grand nombre d'attaques se concentrent sur un petit nombre de troupeaux, ce qui se produit surtout dans les départements de l'Ain et du Jura, les préfets peuvent délivrer une autorisation de destruction sélective de l'animal qui se spécialise sur les troupeaux. Selon Mme Martine Bigan, chef du bureau faune et flore du ministère de l'écologie et du développement durable, interrogée par la commission, «Si l' on intervient immédiatement après une attaque et que le lynx est tué, les dégâts cessent pour une période assez longue ».

Cette soupape de sécurité, facilitée par le fait que le lynx est un animal solitaire, a incontestablement contribué à atténuer les conflits liés à la présence du lynx et à rendre plus acceptable cette présence.

La prédation de moutons par le lynx s'établirait aujourd'hui, en France, à près de 400 animaux indemnisés par an, pour une population totale de lynx estimée, très approximativement, à 135 individus. 95 % des prédations sur le cheptel domestique ont été constatés dans le seul massif jurassien.

2. La situation face aux ours

Aujourd'hui, dans les Pyrénées, on compte entre 14 et 15 ours. Les individus issus du programme de réintroduction d'ours slovènes en 1996 en 1997, se sont dispersés et ont colonisé des territoires couvrant l'ensemble de la chaîne alors que les ours autochtones étaient relativement circonscrits dans la partie la plus à l'ouest.

Les conflits avec les éleveurs tiennent surtout, on l'a vu, aux conditions très mal négociées dans lesquelles les réintroductions ont eu lieu, car les ours autochtones semblent relativement tolérés. L'ours peut causer des dommages importants aux troupeaux mais ils restent épisodiques dans la mesure où il n'a pas besoin de proies en permanence.

3. La situation face aux loups

Les attaques de loups provoquent des réactions émotionnelles beaucoup plus violentes que pour les autres prédateurs. Les éleveurs, confrontés à la présence des loups, vivent avec un sentiment d'impuissance et de remise en cause de l'utilité de leur travail, tant dans son aspect production qu'environnemental. Ce sentiment d'impuissance et d'inutilité conduit certains éleveurs à envisager l'arrêt de leur activité, même si peu de cas de cessation d'activité pure et simple ont été signalés à la commission. En revanche, il est évident qu'actuellement un environnement où ce prédateur est présent, est défavorable à l'installation de nouveaux exploitants.

Avec l'arrivée des loups, les éleveurs ont eu le sentiment d'être mis hors jeu et, avec eux, le patrimoine pastoral fondé sur la paix et la tranquillité des grands espaces montagnards. Les éleveurs alpins vivent cette situation comme une injustice et un abandon. Leur statut même au sein de la société leur semble brutalement remis en question par la protection légale attribuée au loup et la bienveillance générale dont il semble bénéficier dans le pays.

Il faut aider les éleveurs à sortir de cette logique d'exclusion en affirmant que leur métier est totalement en phase avec le milieu naturel. Si elle évolue et se transforme, souvent en rapport direct avec l'activité humaine, la nature n'est pas un sanctuaire intouchable et sa préservation ne doit pas se faire au détriment d'une activité économique.

Malgré les moyens mis en œuvre par l'Etat et l'Union européenne qui seront analysés plus avant dans le rapport, pour défendre les troupeaux contre les attaques de loups, il est incontestable que ces attaques ont un coût financier pour les éleveurs. Cette surcharge financière a, notamment, été évoquée par M. Pascal Grosjean, vice président de l'Association française de pastoralisme dans les termes suivants : « Nous avons réalisé une étude sur les coûts liés à la présence du loup pour les petits élevages ovins. Quel que soit le système ovin, le surcoût est de 50 000 à 60 000 francs par an, ce qui, compte tenu de la faiblesse des revenus dans cette filière, est très important ».

Le loup représente des contraintes nouvelles et lourdes pour l'élevage car c'est un animal territorial. Sa présence sur un territoire rend obligatoire une protection permanente des troupeaux et induit des contraintes structurelles supplémentaires pour l'élevage.

B.- CETTE CRISE EXIGE UNE POLITIQUE OFFENSIVE POUR LE DÉVELOPPEMENT RURAL EN MONTAGNE

Comme cela a été exposé, le pastoralisme ovin de montagne, malgré ses difficultés et ses handicaps, ne manque pas d'atouts sur lesquels il faut s'appuyer pour revaloriser et pérenniser cette forme d'élevage.

La remotivation des professionnels et l'amélioration des conditions d'exercice de leur métier, la rupture de leur isolement social et la reprise d'un dialogue confiant avec les autres acteurs de l'espace rural, enfin un effort pour valoriser leur production, devraient ouvrir de meilleures perspectives.

Votre rapporteur ne peut que signaler les pistes à suivre, sans être en mesure de proposer, sur ces thèmes, un véritable plan d'action pour le sauvetage du pastoralisme. Ces pistes rejoignent d'ailleurs les solutions proposées dans le cadre de deux rapports d'information récents du Sénat(20).

S'agissant de la gestion des grands prédateurs dans ce paysage, la commission s'est, en revanche, efforcée, conformément à sa mission, d'apporter réponses et propositions de la façon la plus précise possible. Cet aspect sera traité plus avant dans le présent rapport.

1. Renforcer et concentrer tous les soutiens financiers

La commission a constaté un éparpillement préjudiciable des subventions et des aides communautaires, et surtout une dilution des aides dans des programmes plus larges de soutien aux zones fragiles et défavorisées.

Un effort de clarification et de meilleure lisibilité des aides financières passe par l'évaluation des besoins spécifiques des éleveurs ovins de montagne en raison de leurs difficultés propres.

Outre les interventions liées à la contrainte spécifique des grands prédateurs qui seront développées plus loin, quatre types de soutien sont particulièrement justifiés par les conditions de cette activité.

Des aides à l'investissement dans les bâtiments et l'ensemble des installations en montagne ;

Des emplois aidés de bergers en nombre important ;

Des aides à l'installation des jeunes exploitants ;

Une meilleure rémunération du volet agro-environnemental du pastoralisme.

En second lieu il est indispensable, dans le cadre des négociations en vue de la prochaine réforme de la PAC de redéployer les aides de façon significative en faveur de l'élevage ovin et d'augmenter les fonds alloués au deuxième pilier en faveur du développement rural.

Votre rapporteur considère qu'il est grand temps que la politique agricole, tant au niveau national que communautaire, procède à un rééquilibrage, trop longtemps différé, des aides et des financements, en faveur de l'élevage ovin.

2. Faire évoluer le pastoralisme ovin vers des conduites d'élevage améliorées et plus productives

Il est de l'intérêt du pastoralisme ovin de systématiser, avec des aides adaptées, la garde des troupeaux, indépendamment de la présence des grands prédateurs. Les aides pour l'emploi de bergers permettraient, en outre de réduire la taille des troupeaux regroupés pour des raisons économiques.

La présence constante d'un ou de plusieurs bergers permet tout d'abord d'améliorer la conduite du troupeau et de lui faire suivre les meilleures possibilités de pâturages, évitant notamment le surpâturage des crêtes et l'embroussaillement des piémonts. L'utilisation optimale des capacités fourragères et le respect de plans de pâturage, devraient améliorer l'état général des troupeaux et éviter la dégradation de certaines prairies. Les ovins, peu ou mal encadrés, effectuent, en effet, de plus grands déplacements au détriment de leur engraissement et de la production allaitante.

En second lieu la présence constante de professionnels auprès des animaux permet de prodiguer des soins rapides et d'éviter une mortalité naturelle qui est très supérieure dans les troupeaux non gardés par rapport à celle des troupeaux soumis à un gardiennage constant.

La commission a ainsi constaté que les deux programmes LIFE ont totalisé 4,5 millions d'euros sur sept ans et pour l'ensemble des départements concernés. A titre de comparaison, sur la même période, le seul traitement de l'une des maladies de l'élevage, la brucellose ovine, a coûté à la collectivité 44  millions d'euros. En 2002, le déficit du commerce extérieur de la filière ovine s'élève à 501 millions d'euros. Cependant, les productions agricoles bénéficient chaque année de 11 milliards d'euros d'aides publiques.

3. Encourager la pluri-activité en montagne

Dans la situation actuelle, la pluriactivité des éleveurs est apparue plutôt comme un handicap. En effet elle rend difficile une surveillance continuelle des troupeaux et elle suscite une production saisonnière qui répond mal aux besoins du marché. En outre cette diversité d'occupations répond essentiellement à une nécessité financière individuelle et assez peu à une politique générale de dynamisme économique.

Or, la commission a pu constater à quel point les paysages montagnards et les zones rurales recèlent de potentiels d'activités, souvent peu exploités.

a) Développer le tourisme

C'est bien entendu au développement du tourisme qu'il convient tout d'abord de s'attacher.

Le rapport précité du Sénat sur l'avenir de la montagne relève des signes inquiétants de l'érosion de la demande touristique en montagne, tout en constatant que les recettes du tourisme d'été sont supérieures à celles du tourisme d'hiver.

Le tourisme de montagne, avec le développement des métiers de guides naturalistes et d'accompagnateurs de moyenne montagne peut se développer dans des proportions importantes et assurer la reconversion des stations de faible altitude.

L'exemple du massif du Vercors, cité par M. Jean Marie Ouary, vice président de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) Drôme, est encourageant. Ce massif compte aujourd'hui « 1 700 habitants, répartis dans cinq villages, contre 10 000 auparavant. Nous sommes passés de 4 000 journées vacances à 60 000. Je sais donc comment faire vivre le monde rural avec toute la richesse du milieu naturel, notamment assurée par le retour du lynx, du loup et de l'ours. Les citadins demandent à découvrir les richesses du milieu naturel pendant leurs vacances ».

Certains interlocuteurs de la commission ont fait valoir que la présence des loups pourrait effrayer et détourner les touristes. Cette éventualité semble peu conforme au comportement habituel des loups, animal extrêmement discret et furtif et elle est contredite par l'exemple de plusieurs pays étrangers.

Cette politique nécessite une vaste campagne de mobilisation ainsi que des travaux de réhabilitation des gîtes, voire de construction de nouveaux lieux d'hébergement, en harmonie avec la protection des sites.

b) Faire vivre le patrimoine naturel

L'image, fortement revendiquée, d'une région engagée dans la promotion du terroir peut constituer un levier très attractif pour toutes les activités et toutes les fabrications locales.

Une gamme importante des produits d'artisanat, le développement de l'art animalier, le secteur de l'édition et des revues naturalistes, peuvent bénéficier du support de la défense du patrimoine naturel.

L'éducation populaire à l'environnement, à la biologie des espèces sauvage et à leur observation, dispensée dans le respect des activités humaines du terrain, peut aussi largement contribuer à relancer le dynamisme économique en montagne.

Une image nouvelle des milieux montagnards, en phase avec leur environnement et la protection de la nature, sans renoncement à leurs traditions, est susceptible, d'attirer une clientèle nouvelle séduite par ce contexte. La fabrication de produits agroalimentaires de qualité constitue également un atout majeur.

4.- Exploiter le capital nature

On ne peut pas nier l'intérêt du public pour la faune sauvage. La littérature et les médias regorgent de descriptions exaltantes sur les vastes territoires ensauvagés qui répondent à un attrait grandissant pour la nature, notamment chez les urbains.

La commission a ainsi constaté, lors de son déplacement en Italie l'enthousiasme pour le loup et l'attraction touristique qu'il suscite. Deux millions de visiteurs se rendent chaque année dans le parc national des Abruzzes où la vente de produits locaux est dopée par des labels agro-environnementaux à l'effigie du loup. Il ne s'agit pas pour autant, de perdre de vue que le contexte agricole et sociologique de ces régions italiennes se prête mieux à une telle évolution que le contexte alpin français.

Le mythe d'une nature sauvage pourrait-il avoir en France une véritable valeur économique ? Une telle orientation, surtout si elle touchait à la problématique loup exigerait, à l'évidence, du dialogue, des actions concertées entre tous les acteurs concernés et, en tout état de cause, une approche locale.

M. Patrick Strzoda, préfet des Hautes-Alpes a invité la commission à ne pas négliger cette approche qui voisine, bien sûr, avec un discours radicalement plus hostile au loup : «  Il s'agit du discours tenu par les acteurs du tourisme, mais également, en filigrane, par un certain nombre d'élus qui constatent que la présence du loup n'a pas que des effets négatifs dans un département de haute montagne qui construit son image et son identité sur la nature préservée et l'environnement. Et parfois même, j'entends dire que cette présence du loup est porteuse ».

a) Renouer le dialogue

Un verrou doit sauter si l'on veut vraiment donner toutes ses chances au pastoralisme et au développement économique en montagne. Il s'agit de l'affrontement regrettable et finalement stérile entre les professionnels de l'élevage et les associations de défense de l'environnement.

Votre rapporteur souhaite la reprise du dialogue et de la coopération entre tous les acteurs concernés par la montagne et son environnement. Un rapprochement semble possible à la condition que chacun accepte et respecte la place et le rôle de l'autre.

M. Henry Ollagnon, chercheur à l'Institut national agronomique, a posé le problème dans des termes pertinents à partir du constat de l'effacement de plus en plus rapide de la séparation entre le privé et le public : « Aujourd'hui, cette séparation qui n'a jamais été aussi marquée ne marche plus parce que les entités « qualités de populations animales », « qualité de troupeaux », « qualité de massifs » exigent que des acteurs privés et publics, par des processus politiquement légitimes et pertinents, s'accordent, pour une durée donnée, sur un dessein commun et sur une intelligence stratégique partagée ! Une telle démarche correspond pour moi à la définition de la notion de bien commun. Elle n'est d'ordre ni éthique, ni moral, étant entendu que, si je souscris à la nécessité d'un questionnement éthique et moral, je me place à un niveau strictement stratégique ».

La commission a acquis la conviction que les objectifs poursuivis par les uns et par les autres ne sont finalement pas si éloignés et qu'une fois dissipés tous les malentendus et tous les conflits résultant le plus souvent d'un déficit de dialogue, un travail en commun fructueux pour les régions concernées pourrait être amorcé. C'est ce qui s'est passé, comme on l'a vu, dans le Haut-Béarn.

Les propos de certains éleveurs ou de responsables professionnels permettent de croire à la reprise du dialogue, pourvu que les exploitants aient le sentiment d'être écoutés.

M. André Pinatel, président de la chambre d'agriculture des Alpes de Haute-Provence souhaite visiblement aller dans ce sens : « Je suis responsable professionnel, je respecte les lois et je comprends qu'on cherche à trouver des moyens pour que les bergers supportent mieux la présence du loup. Des parcs ont été construits grâce à des financements. Ce pourrait être une solution, mais elle n'est pas facile à mettre en place et les financements sont insuffisants. Les chiens patous ? On connaît les dangers qu'ils représentent pour les promeneurs. Dans les Alpes-Maritimes, on le sait, des chiens ont attaqué des randonneurs. Mais les patous posent aussi de gros problèmes de gestion. Un éleveur me rappelait récemment qu'il lui faudrait dix patous pour encadrer son troupeau de 1 500 bêtes, soit un hélicoptère par semaine pour leur amener à manger. Toutes ces solutions ne sont donc pas forcément adaptées à la montagne. Mais le plus grave, c'est que les bergers ont eu le sentiment, dès 1995-1996, que tout était fait pour protéger le loup et qu'ils étaient mis au second plan ».

C'est ce sentiment d'exclusion qu'il faut briser et des propos encourageants dans cette perspective, ont incontestablement été tenus devant la commission.

M. René Burle, président du groupe Loup : « Depuis sa fondation, le groupe Loup France a plus que décuplé le nombre de ses adhérents, mais ce ne sont pas des adhérents comme les autres. En effet, notre association, née en milieu rural, a soutenu, depuis le début, que le retour du loup ne pourrait se faire sans l'acceptation du monde de l'élevage et des populations concernées. C'est pour cette raison que nous avons toujours préconisé le dialogue et la concertation et que nous continuons dans cette voie sans relâche et avec obstination. Pour nous, les éleveurs et les bergers ne sont pas des adversaires, mais bien des partenaires avec qui nous souhaitons trouver des solutions, car elles existent, à la cohabitation entre les hommes, les troupeaux et les loups. Le retour du loup doit donc se faire avec les éleveurs et non contre eux. Cette approche tolérante et raisonnable, nos adhérents la soutiennent en connaissance de cause et sont de plus en plus nombreux à le faire. Nous recevons des centaines de messages d'encouragement dans ce sens ».

A l'initiative du groupe Loup, des opérations d'écovolontariat ont été mises en place depuis 1999 pour rapprocher les milieux urbains et les milieux ruraux. Ces opérations rencontrent un vif succès « recevant à la fois l'accueil enthousiaste de jeunes urbains désireux de se rendre utiles et l'accueil chaleureux de bergers réconfortés de se sentir soutenus ».

M. Bernard Cressens, directeur scientifique de WWF France et ancien éleveur, a de son côté déclaré : « Nous avons mené plus de 13 000 programmes de conservation de la nature sur le terrain. Nous vivons donc constamment la réalité des relations entre l'homme et l'animal et de la gestion de l'espace » et également : « Il faut améliorer les méthodes d'élevage. Le travail fait par les associations pour soutenir les éleveurs va dans le bon sens et il faut soutenir les initiatives permettant d'adapter la conduite des troupeaux et d'accompagner les éleveurs. Le problème fondamental est liée à la conduite des troupeaux ».

M. Roland Guichard, administrateur d'Artus, s'est situé dans la même tonalité : « Nous militons pour le respect de la différence. Si l'on respecte l'ours brun, le loup ou le lynx, qui peuvent paraître hostiles, on apprend des valeurs utiles à la coexistence entre humains en se posant des questions essentielles sur le partage des usages et du territoire et sur l'acceptation de gens que l'on ne comprend pas. Il faut aussi respecter le berger et l'éleveur en essayant de trouver une solution à leurs problèmes. Nous sommes prêts à nous asseoir à vos côtés pour vous y aider »

Des exemples de collaboration existent, telle que la mise en place par WWF France et « Gîtes de France » des gîtes pandas labellisés pour la découverte de la nature et qui sont tenus par des agriculteurs et des éleveurs d'ovins.

D'autres points de vue sont également encourageants, tel celui de M.  Alain Rondepierre préfet de l'Isère : « L'Isère est un département moderne, tourné vers l'avenir, et les agriculteurs y participent. Ils sont bien conscients de l'importance des enjeux environnementaux dans le développement économique. Ils ont donc le souci de travailler de concert avec les associations de défense de l'environnement, lesquelles sont très pragmatiques, et ne s'opposent pas de façon systématique aux contraintes du développement économique.».

Citons enfin M. Jean François Noblet, conseiller technique à l'environnement au conseil général de l'Isère et membre de la FRAPNA : « Les éleveurs peuvent compter sur les écologistes pour les aider. Nous les aiderons à passer le cap de cette révolution culturelle qui les oblige à s'adapter à la présence des prédateurs dont ils avaient perdu l'habitude ».

b)  Valoriser l'agneau des Alpes par rapport aux produits d'importation

L'élevage ovin souffre d'un déficit d'image et le renversement de cette image est peut-être le levier le plus important pour transformer la situation, en tout cas, c'est celui qui requiert l'intervention du plus grand nombre d'acteurs locaux.

De plus en plus, les consommateurs sont attentifs à l'origine et à la qualité des produits qu'ils consomment, en particulier s'agissant des viandes. Cette aspiration doit être prise en compte par les éleveurs pour valoriser les agneaux qu'ils produisent dans un cadre montagnard, respectueux du bien être des animaux, de la nature et de la faune sauvage.

Cette marque d'identification qui pourrait être commune au massif alpin, serait diffusée sur le thème du haut niveau de savoir faire du pastoralisme français capable de produire des agneaux de grande qualité dans un environnement partagé avec la faune sauvage.

L'élevage ovin français doit de plus en plus faire le choix des filières de qualité, dans une stratégie de différenciation vis-à-vis de la viande importée. Dans cette perspective, pourrait être labellisé, au même titre que l'agriculture biologique, ou le fromage des Pyrénées, l'agneau de montagne élevé en pleine nature.

5.- Améliorer la formation au métier de berger ainsi que les conditions de travail dans les alpages

a) Beaucoup d'efforts restent à faire dans le domaine de la formation

La commission a entendu Mme Michèle Jallet, responsable de la formation des bergers à l'école du domaine du Merle(21). L'organisation de cette formation professionnelle a été profondément remaniée depuis 1998. Il s'agit désormais d'une formation qualifiante et diplômante de niveau 5.

Elle se déroule sur une année et comporte de nombreux stages en exploitations notamment pendant la transhumance. La majorité des stages se déroulent en zone de prédation et la partie théorique de la formation consacre un temps important aux techniques de prévention contre les prédateurs et à la préparation psychologique des stagiaires à ce genre de situation. Tous les stagiaires qui terminent la formation et qui souhaitent rester dans ce métier trouvent un emploi.

Toutefois, Mme Jallet a déploré le trop faible nombre de jeunes admis à suivre cette formation tant par rapport au nombre de candidats que par rapport aux besoins de la profession. « ...notre centre est sous convention dans le cadre des programmes régionaux de formation et (...) l'on ne nous accorde que dix places conventionnées ce qui nous permet, grâce à quelques financements extérieurs, de former entre dix et quinze personnes par an. Nous ne pouvons pas en admettre plus alors même que les besoins l'exigeraient ». Selon madame Jallet, des promotions de vingt personnes par an constitueraient une meilleure réponse aux besoins.

L'interlocutrice de la commission a constaté depuis quelques années la féminisation des élèves qui comptent actuellement 40 % de femmes. Le profil type du berger a également changé. Depuis la mise en place de la nouvelle formation, les stagiaires sont plus jeunes, de 27 à 28 ans en moyenne, le niveau scolaire s'est élevé, les bacheliers sont nombreux et les titulaires de diplômes de l'enseignement supérieur sont de moins en moins rares. Les motivations sont le plus souvent très positives, s'agissant de la recherche d'une certaine qualité de vie au contact de la nature.

Il n'existe en France qu'un autre centre de formation diplômante, tel que celui du domaine de Merle, c'est le centre Etcharry dans les Pyrénées. A l'évidence il faut augmenter dans des proportions importantes le nombre de ces contrats de formation et le nombre de places dans les écoles.

Une main d'œuvre qualifiée, nombreuse, correctement logée et rémunérée pour assurer une surveillance constante et professionnelle des troupeaux est à la base de toute démarche consistant à revaloriser le pastoralisme ovin et la qualité des produits.

b) Grâce au soutien des parcs, les conditions de travail peuvent être améliorées en estive.

Les conditions de vie sur les estives restent encore très précaires. Pourtant des exemples encourageants existent qui doivent être généralisés.

Selon M. Pierre Weick, directeur du parc naturel régional du Vercors, le parc a développé depuis une quinzaine d'années des actions pour améliorer sans cesse la vie des bergers. « ...en améliorant les moyens de communication grâce à un système radio mis en place depuis très longtemps et financé par le parc, en installant l'électricité dans chaque bergerie, grâce à un système photovoltaïque, en améliorant sans cesse l'accès aux cabanes ainsi que leur confort. Aujourd'hui, plusieurs de nos bergeries ont des douches, l'eau chaude et des sanitaires ».

M. André Pinatel, président de la chambre d'agriculture des Alpes-de-Haute-Provence, a suggéré également d'améliorer les moyens de communication des bergers en estives en construisant des relais pour les téléphones potables ou en dotant les bergers d'appareils de communication adaptés.

6.- Développer l'expertise en matière de pastoralisme et créer une discipline universitaire

La commission a constaté une relative faiblesse du dispositif recherche/ développement en matière de pastoralisme.

Mme Nathalie Lacour a par exemple déclaré à la commission : « Dans le cadre du programme LIFE, qui est cofinancé par l'Europe, on a cherché à évaluer les conséquences économiques du retour du loup en France. Nous n'avons pas pu trouver d'interlocuteur acceptant de se positionner sur cette question et nous n'avons donc pas pu faire faire d'études pour chiffrer les pertes ni les conséquences du stress sur les troupeaux, comme les avortements provoqués ou les pertes de productivité en lait ».

Le pastoralisme est une technique qui sait évoluer et s'adapter, alliant tradition et modernité, ce n'est pas un sous-élevage. Les informations et les études relatives aux différents aspects de cette activité sont trop dispersées, mal relayées auprès des autorités publiques et surtout ne répondent pas à des thématiques précises.

Il serait donc utile de créer une discipline universitaire pour répondre à un besoin de cohérence et pour améliorer la connaissance du milieu pastoral dans toute sa complexité et sous tous ses aspects : social, économique, environnemental, agronomique, sociologique, etc. Cette démarche aurait également l'avantage de regrouper les moyens humains et financiers très dispersés et peu lisibles aujourd'hui.

Le pastoralisme doit devenir un thème de recherche/développement en phase avec les besoins du monde rural. Ce type de programme de recherche pourrait, notamment, être éligible aux fonds européens du VIème programme cadre de recherche/développement.

Inscrire les thématiques pastorales dans des programmes de recherche faciliterait et rendrait plus crédible la pratique généralisée de la gestion agri-environnementale des espaces.

Cette démarche, porteuse d'une forte valeur ajoutée pour le pastoralisme, devrait contribuer à rapprocher, les gestionnaires des parcs, les agriculteurs, les administrations concernées et les milieux écologistes.

TROISIÈME PARTIE : LES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION ET DE RÉPARATION DES ATTAQUES DE GRANDS PRÉDATEURS, BIEN QU'IMPORTANTS, N'ONT PAS SUFFI À RÉGLER LES IMMENSES DIFFCULTÉS AUXQUELLES SONT CONFRONTÉS LES ÉLEVEURS

I.- DES DÉPENSES DÉJÀ IMPORTANTES QUI VONT S'AMPLIFIER ET QU'IL REVIENT À LA SOLIDARITÉ NATIONALE DE PRENDRE INTÉGRALEMENT EN CHARGE

Confrontée à la présence du loup, la France, on l'a vu, ne peut plus, si elle veut respecter ses engagements internationaux, recourir à l'éradication de l'animal pratiquée au cours des siècles derniers. Il faut donc accepter la présence du prédateur mais il faut la gérer.

Ainsi, le loup ne saurait être toléré partout, en particulier quand il pose des problèmes insurmontables à l'élevage, nous y reviendrons. De plus, dans les zones où la présence du loup peut être acceptée, les conséquences négatives, liées à cette présence, doivent être intégralement compensées par la solidarité nationale.

Au contraire, le poids, économique, de cette présence est aujourd'hui intégralement subi par les éleveurs et les bergers victimes des prédations. L'Etat, avec l'aide de l'Union européenne, a mis en place un certain nombre de dispositifs visant à prendre en charge le surcoût, mais ils sont insuffisants, malgré un coût budgétaire important que la commission a tenté d'évaluer.

Reste la question du futur : comme on l'a vu dans la première partie, il n'y a aucune raison pour que l'expansion du loup s'arrête ou se ralentisse entraînant ainsi des coûts budgétaires supplémentaires. La France est elle prête à supporter cette charge ? « Le jeu en vaut-il la chandelle ? » La question mérite, au moins, d'être posée ! 

A.- L'ÉLEVEUR EST LA PRINCIPALE VICTIME DE LA RÉAPPARITION DU LOUP

Au cours de ses auditions, la commission a eu l'occasion d'entendre le témoignage de nombreux bergers et éleveurs. A chaque fois, elle a été frappée par la détresse et le profond sentiment d'injustice qu'ils exprimaient. Les bergers et les éleveurs ont effectivement le sentiment de subir une situation qui leur a été imposée, sans qu'ils aient jamais été consultés, et dont ils sont les principales victimes. Sentiment d'injustice aggravé par le fait qu'ils avaient la certitude de s'inscrire pleinement dans la logique d'une réorientation de l'agriculture moderne qui accorde plus de place à l'environnement.

Qui, en effet, à part ces bergers et ces éleveurs, s'occupe encore d'entretenir les montagnes, de lutter contre la reforestation et la fermeture des espaces de montagne ? Or ces montagnards ont le sentiment très net de se faire déposséder d'un territoire qu'ils ont contribué, et contribuent encore, à façonner au bénéfice d'une population urbaine qui a une idée de la montagne exclusivement ludique et une vision de la nature plus proche du fantasme que de la réalité.

La réapparition du loup a des conséquences fondamentales sur les pratiques pastorales de l'arc alpin, pratiques qui s'étaient développées à une époque où le prédateur était absent et qui s'étaient même accrues grâce à l'absence de prédateurs.

1.- Des conséquences économiques qui remettent en cause la viabilité des exploitations

L'attaque d'un troupeau ovin par un prédateur comme le loup n'a pas comme seule conséquence la perte d'animaux. Les effets d'une action de prédation sont à la fois directs et indirects. Une étude du groupement d'intérêt économique (GIE) « Alpages et forêts » de Savoie(22) recense parfaitement les multiples conséquences négatives de la présence du loup sur les exploitations ovines.

Les pertes directes sont, bien sûr, les animaux morts ou disparus mais aussi les animaux abattus suite à de fortes blessures ainsi que la perte de l'acquis génétique du troupeau. La sélection des bêtes à l'achat s'effectue en effet selon des critères qualitatifs précis.

Les pertes indirectes sont la baisse de fécondité, la chute de la production laitière, les nombreux avortements, la perturbation de l'ovulation, le non-sevrage d'agneaux rendus orphelins, le renouvellement des brebis tuées par des agnelles (d'où une diminution du nombre d'agneaux pendant deux saisons), la perte de poids des agneaux et enfin la baisse de qualité qui se traduit par le déclassement de certains agneaux.

Toutes ces pertes, directes et indirectes, se traduisent par une augmentation des charges : augmentation des frais vétérinaires, achat, entretien et alimentation de chiens de protection, déplacement sur l'alpage pour soigner les chiens lors de la période de non gardiennage, usure accélérée des véhicules professionnels, achat de clôtures électrifiées et de piles solaires supplémentaires, aménagement de cabanes en vue de l'occupation permanente par du personnel salarié durant l'été, recours à l'embauche d'aides-bergers et, enfin, le complément d'alimentation des agneaux.

En terme de temps également, la présence de prédateurs implique un investissement supplémentaire pour surveiller le troupeau, rechercher les brebis disparues, élaborer les constats d'attaque, établir les démarches administratives de remboursement et acheter de nouvelles bêtes.

Il existe en outre un risque de baisse de certaines primes, si les bêtes perdues ne sont pas renouvelées ou si des engagements de mesures agro-environnementales ne sont pas tenues.

2.- Des études de cas qui confirment cette analyse

De nombreuses études de cas ont été menées pour évaluer le coût économique pour une exploitation de la présence du prédateur. Ainsi la chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône(23) a-t-elle essayé d'effectuer cette évaluation sur l'exploitation de M. Jean-Pierre Jouffrey, éleveur à Arles, pratiquant la transhumance estivale sur la commune d'Allevard en Isère, et qui fut d'ailleurs le premier éleveur affecté par l'arrivée du loup dans ce département.

La chambre d'agriculture estime que : « Les incidences technico-économiques des attaques des prédateurs survenues en alpages sur le troupeau de M. Jean-Pierre Jouffrey ces deux dernières saisons sont considérables. Elles remettent en cause l'organisation même de la conduite de l'élevage : lutte principale de printemps incomplète, production d'agneaux d'alpages impossible, perturbation du travail estival en plaine...Elles désorganisent également le schéma habituel de pâturage des alpages : parcage nocturne forcé du troupeau avec abandon des lieux traditionnels de couchade, surpâturage de certains secteurs près des cabanes, impossibilité de pâturage des quartiers d'automne, stress permanent du troupeau »

Et d'ajouter, après un calcul économique serré et précis : « les pertes économiques liées aux attaques de l'été 1999 représentent à ce jour près de 20 % du chiffre d'affaires de l'exploitation (indemnisations prévisionnelles déduites). Elles sont largement supérieures aux indemnisations prévues dans le cadre du programme « LIFE Loup ».

Une analyse économique(24) semblable a été effectuée par l'APPAM (Association pour le pastoralisme dans les Alpes-Maritimes) sur deux exploitations pour l'année 2002, année où les prédations n'ont, en l'occurrence, pas été particulièrement élevées. Les calculs sont fondés sur le travail effectué lors de la constitution des CTE respectifs des exploitants. L'étude conclut, pour les deux exploitations, à une perte de revenus située entre 35 et 40 %  du fait de la présence du prédateur sur ses pâturages! Le stress engendré, lui, ne se chiffre pas et il est pourtant un élément perturbateur majeur, même en l'absence de prédations importantes cette année-là.

Ce dernier point est fondamental. Il prouve bien que, même en l'absence de prédations, l'exploitant voit ses revenus diminuer du fait de la simple présence du prédateur et de la possibilité d'une attaque. Or, cette baisse de revenus est très insuffisamment compensée par l'Etat, puisque l'indemnisation n'intervient que lorsqu'il y a eu prédation.

3.- Des conséquences psychologiques redoutables

Au-delà de ces considérations économiques, la présence du prédateur a des conséquences morales et émotionnelles très importantes en termes de stress, de fatigue, d'énervement et de découragement pouvant mener à de véritables dépressions, tant cette remise en cause de l'utilité du travail de l'éleveur ou du berger est profonde.

Ainsi M. René Tramier, chargé du dossier Loup à la Fédération nationale ovine, membre du conseil d'administration de la FNO et président de la Fédération ovine du Sud-Est, explique-t-il : « Les éleveurs et les bergers vivent dans un stress permanent. On ne sait jamais le matin, voire dans la journée, ce que l'on va trouver. Aujourd'hui, on nous parle beaucoup de bien-être animal. Or, nous malmenons nos animaux : nous les ramenons tous les soirs au point de départ. Le pastoralisme signifie de très grandes superficies à parcourir, des kilomètres et des heures de marche. Tout cela porte tort aux animaux comme le piétinement des bêtes porte tort à la flore. »

De même, Denis Grosjean, vice-président de la FNO, en charge du dossier Prédateurs, président de la Fédération régionale ovine Rhône-Alpes et secrétaire général de l'Association de défense du pastoralisme contre les prédateurs, raconte-t-il : « Je voudrais vous faire part du sentiment d'un éleveur de moutons, que l'on n'arrive jamais à faire partager. Le matin, vous partez faire le tour de vos parcs ou de votre troupeau en montagne avec l'estomac noué, en vous demandant ce que vous allez trouver et précisément vous trouvez des cadavres de moutons, et cela à répétition. C'est absolument insupportable. Je ne crois pas qu'il y ait une autre profession dont on oserait saccager les outils de travail, démolir les magasins, les bureaux, les voitures en lui expliquant que quelques loubards ont besoin de se défouler et qu'elle sera indemnisée. C'est à peu près dans cette situation que l'on nous met et c'est en usant de ce type de procédé que l'on veut nous faire accepter l'impossible ! ».

Les nombreux éleveurs entendus par la commission, notamment lors de ses déplacements, sont unanimes, et la commission dans son ensemble soutient leur volonté de refuser toute régression sociale due à la présence du loup.

Les métiers d'éleveur et de berger sont des métiers très difficiles que les progrès techniques ont quelque peu facilités, mais il est hors de question de demander à ces personnes de revenir à des pratiques du début du siècle, certes encore pratiquées mais dans certains pays dont le niveau de développement n'est pas comparable à celui de la France. Alors que le reste de la France est passée aux 35 heures, il faudrait que les bergers et les éleveurs reviennent à des méthodes de travail ancestrales !

Si cohabitation entre loup et pastoralisme il doit y avoir - et nous verrons qu'elle n'est pas possible partout -  celle-ci doit se faire à coût zéro pour l'éleveur, la collectivité nationale devant prendre intégralement en charge le surcoût engendré par la présence du prédateur. Or, aujourd'hui, malgré l'importance des sommes investies, les surcoûts liés aux changements de pratiques des éleveurs et à la mise en œuvre quotidienne des mesures de protection en « année de croisière », en dehors des surcharges de travail et de stress liées aux attaques, ne sont pas pris en compte.

Par ailleurs, la souffrance psychologique des éleveurs et des bergers est encore insuffisamment reconnue. Comme le reconnaît Mme Geneviève Carbonne, ethnozoologue et actrice de la première heure de cette histoire maintenant vieille de dix ans : « Je crois que l'on a vraiment manqué d'humanité à l'égard de cette profession. Je considère qu'on ne les a pas suffisamment accompagnés dans ce problème. Souvent, ce n'est pas seulement une question d'argent ou une question technique, il s'agit d'être avec eux et de ne pas monter les voir, juste pour faire un constat ».

B.- LES MOYENS MIS EN œUVRE : LE COÛT DU LOUP

La présence des loups est due à un choix de société et il revient à la société toute entière d'en assumer les conséquences, notamment financières, non à une petite partie de la population. Ainsi, l'Etat , avec l'aide de l'Union européenne, a investi des sommes importantes, pourtant insuffisantes, dans la gestion de ce dossier.

Choix de société donc, même si ce choix n'a pas, à notre avis, été fait en toute connaissance de cause. Comme on l'a vu, lors de la ratification de la convention de Berne, le loup n'était pas encore présent sur notre territoire ; en outre, l'arrêté de protection de 1993 n'a pas fait l'objet d'un débat suffisamment approfondi. Il a davantage été la conséquence d'une décision prise dans les administrations parisiennes, sans que les premiers concernés, les populations locales et leurs élus, aient été effectivement consultés.

Choix de société encore, mais qui repose souvent sur une image tronquée du loup que les médias répandent avec une certaine complaisance, loin de la réalité du loup, telle qu'elle est vécue par les populations locales. Enfin, ce choix est entaché de certaines ignorances, en particulier concernant le coût du loup. Dans un souci de transparence, la commission d'enquête a tenté de clarifier ce point.

L'exercice est en soi difficile : une analyse économique complète du loup, devrait intégrer à la fois les pertes financières liées à la prédation sur l'élevage ovin, les crédits publics mis en œuvre, mais aussi (pourquoi pas ?) les bénéfices que certaines activités, touristiques par exemple, peuvent, le cas échéant, tirer de la présence de ce prédateur. Une telle étude, qui devrait analyser les flux monétaires entre les différents acteurs, reste à faire. Elle était d'ailleurs prévue par le deuxième programme LIFE mais l'appel à candidature est resté sans réponse.

La commission a dû se limiter à répertorier les dépenses publiques liées à la présence du loup, exercice lui-même délicat, étant donné l'absence de comptabilité analytique de l'Etat. Il est, par exemple, difficile de savoir, au sein des administrations, quel pourcentage du temps de travail est consacré à ce dossier. Les chiffres indiqués ci-dessous sont donc a minima. Ils ne comprennent pas, notamment, les crédits investis par les associations de protection de la nature que la commission n'a pas été en mesure de calculer, malgré la demande effectuée auprès desdites associations.

Ils permettront néanmoins à tous ceux que cela intéresse d'avoir une vision plus équilibrée de la présence du loup en considérant les conséquences budgétaires importantes de sa présence.

1.- Le premier programme LIFE

A la suite de la réapparition du loup dans le parc national du Mercantour, le ministère de l'environnement de l'époque a chargé le parc, en 1993, du suivi scientifique de l'espèce, de la gestion et de la prévention des dommages sur le cheptel domestique ainsi que de la communication à destination du grand public, dernière tâche dont le parc s'est chargé avec un prosélytisme certain.

A partir de 1997, au vu de l'expansion du loup sur l'arc alpin, la France obtient de la Commission européenne l'attribution, pour trois ans, d'un programme LIFE nature dont les objectifs étaient les suivants :

- rechercher les méthodes et les solutions de nature à permettre l'acceptation sociale et la conservation de la population de loups installée dans les Alpes-Maritimes ;

- accompagner l'expansion de l'espèce dans l'ensemble du massif alpin.

Ces objectifs sont déclinés en quatre volets :

- améliorer la connaissance du loup ;

- mettre en place des mesures d'accompagnement en faveur des éleveurs ovins concernés (notamment le développement de pratiques pastorales particulières dans les zones à loups et l'amélioration de la protection des troupeaux) ;

- réintroduire des ongulés sauvages ;

- développer la communication à ce sujet.

Qu'est-ce qu'un programme LIFE ?

Un programme LIFE (L'Instrument Financier pour l'Environnement) est un programme européen « de lancement » qui permet, grâce à la mobilisation de fonds communautaires sur une période donnée (en général trois ans), d'initier des actions de gestion, de protection ou de conservation dans les domaines de l'environnement ou de la nature.

Les programmes LIFE favorisent des expérimentations qui peuvent permettre, par la suite, l'adoption de mesures nationales ou de mesures s'appuyant sur des fonds communautaires. Les crédits liés aux programmes LIFE ne sont donc pas pérennes puisque, si les mesures sont considérées comme devant être poursuivies, il revient à l'Etat-membre de les prendre à sa charge. Ainsi l'Union européenne a-t-elle refusé que les crédits d'indemnisation des dommages prévus dans le deuxième programme LIFE soient utilisés dans le Mercantour, dans la mesure où une telle mesure était déjà inscrite dans le deuxième programme et où il revenait donc au ministère de l'environnement de financer ces indemnisations.

Doté de 1,136 million d'euros, ce programme fut financé, au départ, pour moitié chacun, par l'Union européenne et l'Etat français, sur les crédits du ministère de l'environnement. Sa gestion fut assurée par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Conçu à l'origine pour les Alpes-Maritimes, il a dû être rapidement étendu aux autres départements des Alpes du sud : Alpes de Haute-Provence et Hautes-Alpes.

Détail des crédits engagés de 1997 à 1999 par le ministère chargé de l'environnement et l'Europe (premier programme LIFE)

LIFE 96 NAT/F/3202

 

1997 à 1999

Financement CE/ETAT

CE 50%

ETAT 50 %

TOTAL

Suivi scientifique

187 400,83 €

187 400,83 €

374 801,65 €

Mesures de protection et
soutien au pastoralisme

203 546,54 €

203 546,54 €

407 093,07 €

Indemnisation des dommages

99 107,11 €

99 107,11 €

198 214,21 €

Information et sensibilisation

26 347,08 €

26 347,08 €

52 694,16 €

Autres Suivi dossier financier

51 541,07 €

51 541,07 €

103 082,14 €

TOTAUX

567 942,62 €

567 942,62 €

1 135 885,23 €

Les crédits prévus pour l'indemnisation des dommages et le financement des mesures de protection ont malheureusement été insuffisamment provisionnés et ont été épuisés au bout, respectivement, de 17 et 24 mois. Le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement a donc pris le relais financier, allant au-delà des obligations auxquelles il s'était engagé dans le cadre du programme LIFE.

2.- Le deuxième programme LIFE

Afin de faire face à l'expansion du loup dans les Alpes du Nord, le ministère de l'environnement a déposé un dossier au début de l'année 1999 sollicitant l'obtention d'un deuxième programme LIFE.

Ce deuxième programme, doté de 2,836 millions d'euros, est financé à 40 % par l'Union européenne, à 55 % par le ministère de l'environnement et à 5 % par le ministère de l'agriculture. En effet, comme l'explique M. Bruno Julien, responsable des programmes LIFE à la direction de la protection de la nature de la Commission européenne, « Nous avons exigé du ministère de l'environnement que le ministère de l'agriculture soit cofinanceur afin qu'il soit partie prenante dans la stratégie de protection du loup dans le cadre du zonage. La Commission, souhaitant protéger la nature, mais pas au détriment de l'homme, a exigé que les acteurs économiques, ou tout au moins les ministères les représentant, soient impliqués dans ce dossier. Nous avons donc un taux de cofinancement de 5 % du ministère de l'agriculture. »

Deux régions (Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes) et 10 départements (Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Vaucluse, Ain, Drôme, Isère, Savoie, Haute-Savoie, Var) sont concernés par le programme sachant que deux départements (Ain et Vaucluse) n'ont pas encore été atteints par le prédateur et que deux autres (Var et Haute-Savoie) ne sont concernés que de façon épisodique. Encore une fois, c'est l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) qui est chargé de la gestion administrative et financière.

Comme pour le premier programme LIFE, certaines lignes de crédits ont été utilisées très rapidement et l'Etat a dû prendre le relais du financement, par exemple, la ligne des « aides-bergers » et la ligne « indemnisation ». Comme le craignait M. Braque dans son rapport, la ligne « indemnisation » a été, en particulier, largement sous-évaluée.

Actions financées à 100 % par le ministère de l'écologie et du développement durable Après épuisement des crédits LIFE

2000

2001

2002

Total

Mesures de protection et de soutien au pastoralisme  :

_ subvention éleveurs / aides-bergers

_ subvention éleveurs / parcs mobiles

337 361

293 617

374 953

1 005 931

Indemnisation des dommages :

_ Alpes-Maritimes,

_ Autres départements

192 042

123 237

289 180

33 913

638 372

Autres

_ secrétariat DDAF 06

_ vacations constats de dommages / ONCFS

25 350

27 000

7 274

59 624

Déficit des dommages LIFE

33 913

33 913

Information et sensibilisation :

_ achat d'un véhicule à la DIREN PACA

14 000

14 000

TOTAUX

529 403

456 204

766 233

1 751 840

Source : ministère de l'écologie et du développement durable

De son côté, le ministère de l'agriculture a également été au-delà des 5 % (soit 141.800 euros) prévus par le programme LIFE : sur la période 2000-2002, ce sont près de 997 016 euros qui ont été débloqués sur le budget du pastoralisme pour financer des mesures pastorales destinées à aider les éleveurs confrontés au prédateur.

LIFE 96 NAT/F/3202 - LIFE 99

NAT/F/006299

LIFE 99 NAT/F/006299

LIFE 99 NAT/F/006299

  ( en euros)

1997 à 1999

2000

2001

2002

Etat

CE

Etat

CE

Etat

CE

Etat

CE

Suivi scientifique

217 167

207 245

86 808

57 872

86 599

57 733

105 725

70 484

Mesures de protection et
soutien au pastoralisme

268 248

246 681

512 029

116 445

378 358

132 717

438 686

93 489

Indemnisation des dommages

100 936

100 327

299 684

71 761

189 727

44 327

306 455

11 516

Information et sensibilisation

28 176

27 567

20 366

13 578

70 024

37 350

62 802

41 868

Autres suivi dossier financier

51 541

51 541

0

0

52 361

18 007

55 487

17 156

TOTAUX

666 068

633 361

918 887

259 655

777 069

290 134

969 155

234 513

TOTAUX

1 299 429

1 178 542

1 076 203

1 203 668

Source : ministère de l'écologie et du développement durable

Le tableau ci-dessus retrace l'ensemble des crédits consacrés à la politique de soutien du pastoralisme et de gestion du loup de 1997 à 2002. Précisons que seuls les 5 % prévus par le programme LIFE pour le ministère de l'agriculture sont pris en compte, mais pas les mesures évoquées plus haut qui vont au-delà.

Ainsi, pour les années 2000, 2001 et 2002, l'ensemble des crédits destinés au loup, si l'on ajoute les crédits de soutien au pastoralisme ouverts par le ministère de l'agriculture, est de 7,446 millions d'euros.

Encore faut-il préciser que ces chiffres n'intègrent pas le coût des agents titulaires de l'Etat qui travaillent sur ce dossier et ils sont particulièrement nombreux. Tous ne sont pas employés à 100 % sur ce problème mais celui-ci occupe une partie importante de leur activité : comme le détaille Louis Olivier, directeur du parc national du Mercantour, en 1997, le dossier loup occupait les agents du parc à plus d'un titre :

« - les observations de terrain destinées à recueillir les indices de la présence du loup, afin de déterminer ses effectifs et le territoire des meutes, ont représenté 816 demi journées d'agent de terrain ;

- le parc participa cette année-là aux constats de dommages sur les troupeaux à hauteur de 415 demi-journées ;

- à titre de comparaison, les comptages et programmes de recherche sur les ongulés sauvages ont occupé les agents du parc pendant 576 demi-journées. »

De même, la DDAF des Alpes-Maritimes estime-t-elle que ce dossier monopolise un agent de catégorie A à 30 % de son temps, soit, sur 10 ans, une somme de 180 000 euros.

Selon les documents transmis par le ministère de l'environnement et du développement durable à la commission, le coût en personnel du constat des dégâts peut être globalement évalué à trois ETP (équivalent temps plein) techniques par an, soit 160 000 euros. Le coût du fonctionnement du réseau de suivi du loup (mais aussi du lynx) mobilise le même nombre d'agents, soit 160 000 euros de nouveau. En termes de personnels administratifs, en administration centrale et dans les services déconcentrés, il faut compter 3 ETP, soit de l'ordre de 120.000 euros pour l'environnement et 4,6 ETP pour l'agriculture soit près de 190.000 euros. Ces dépenses de personnel approcheraient donc globalement environ 630.000 euros par an.

Ainsi en intégrant tous les coûts de fonctionnement et
de personnels, on arrive, pour les trois dernières années, à une
somme globale légèrement inférieure à 9 millions d'euros
(7 millions + (3 x 630.000)).

3.- La situation en 2003

Quelle est la situation budgétaire pour l'année 2003 ?

Cette question soulève beaucoup d'inquiétudes parmi les éleveurs qui craignent qu'avec la fin du second programme LIFE (il devait se clôturer le 31 mars 2003), les aides qui leur sont accordées ne soient plus financées.

La France a d'abord demandé le 18 décembre 2002 que le programme LIFE soit prolongé d'un an. Plusieurs raisons motivaient cette demande : d'une part, le démarrage différé du programme sur plusieurs massifs et d'autre part, la non-consommation de certains crédits et la non-réalisation de certaines actions. Cette prolongation a été accordée le 18 décembre 2002 et le programme s'achèvera en décembre 2003 (avec une clôture administrative et financière en mars 2004).

Il faut bien préciser que cette prolongation ne s'accompagne d'aucune ouverture supplémentaire de crédits : elle permet simplement de gagner un peu de temps pour dépenser les crédits européens restant disponibles. Pour autant, nous l'avons vu, de nombreuses lignes budgétaires sont déjà épuisées et le financement de ces actions (indemnisations, mesures de protection) est déjà assuré quasi intégralement par l'Etat.

L'enjeu pour 2003 était donc de connaître la répartition de ce financement entre les deux ministères concernés, l'environnement d'un côté, l'agriculture de l'autre.

Un accord a été trouvé, ce dont se félicite votre rapporteur, selon une répartition fonctionnelle du financement : le ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales prendra à sa charge les moyens de prévention tandis que le ministère de l'écologie et du développement durable prendra à sa charge :

- l'ensemble des coûts liés au personnel de l'équipe LIFE (les techniciens pastoraux, le chargé de communication, les 2 biologistes et 3 personnes pour le secrétariat) ;

- les crédits d'urgence pour la mise en place du protocole ;

- l'indemnisation des dégâts et les coûts liés à la procédure de constat des dommages ;

- le fonctionnement du réseau loup.

Après consultation des DDAF concernées, un budget prévisionnel a été établi. Le tableau ci-dessous retrace la répartition des tâches et des financements entre les deux ministères :

Tableau récapitulatif des besoins financiers pour 2003

MEDD

MAAPAR

Europe

 

TOTAL

Montant

MEDD

Niveau de
participation

Montant

MAAPAR

Niveau de
participation

Montant

UE

Niveau de
participation

Aides bergers - bergers

1 240 000

0

620 000

50%

620 000

50%

Aides bergers : formation

82 600

0

41 300

50 %

41 300

50%

Chiens de protection,
achat et entretien (éducation pas prise en charge)

82 000

0

41 000

50 %

41 000

50%

Parcs de nuits, mise en place

32 900

0

16 450

50 %

16 450

50%

Déplacement et regroupement du troupeau

38 100

0

19 050

50 %

19 050

50%

Améliorations des conditions de vie (communication)

11 150

0

5 575

50 %

5 575

50%

SOUS TOTAL MAE 17

1 486 750

0

0

743 375

50 %

743 375

50 %

Chien de protection, sélection

10 000

0

0%

10 000

100%

 

Parcs de nuits, acquisition

114 300

0

0%

114 300

100%

 

Clôtures actives

60 000

0

0%

60 000

100%

 

Perte de temps en cas d'attaque

62 100

62 100

100%

0

0%

 

Salaire des 7 techniciens pastoraux

184 100

184 100

100%

0

 

Salaire du chargé de communication

32 000

32 000

100%

0

0%

 

Salaire des deux biologistes:
Non compris les coûts de fonctionnement du réseau de surveillance du loup

76 600

76 600

100%

0

0%

 

Salaire secrétaire DDAF 06

30 000

30 000

100%

 

Salaire secrétaire régionale RA

23 300

23 300

100%

0

0%

 

Salaire secrétaire comptable nationale

25 000

25 000

100%

0

0%

 

Crédits d'urgence pour la mise en place du protocole (attribués aux DDAF)

76 500

76 500

100%

0

0%

 

Indemnisations des dégâts directs

341 000

341 000

100%

0%

 

Recrutement de vacataires pour les constats
de dommages
(non compris le coût des constats de dommages )

21 000

21 000

100%

0

0%

 

Fonctionnement des réseaux (suivi-constats dégâts)

31 000

31 000

100%

0

0%

 

TOTAL

2 573 650

902 600

927 675

743 375

Source : ministère de l'écologie et du développement durable / ministère de l'agriculture, de l'alimentation de la pêche et des affaires rurales.

Les crédits présentés sous la colonne Europe sont ceux que le ministère de l'agriculture espère voir financés par des fonds européens, via le deuxième pilier de la politique agricole commune.

On constate, par ailleurs, une montée en puissance du ministère de l'agriculture dans le financement des mesures dues à la présence du loup. Votre rapporteur approuve cette réorientation car elle permet d'intégrer les mesures de protection dans une politique plus globale de soutien au pastoralisme qui est très demandée par les éleveurs.

C.- PÉRENNISER LE SYSTÈME

On voit donc que, pour l'année 2003, un plan Loup et de soutien au pastoralisme est programmé dont le financement semble assuré. Mais qu'en sera-t-il dans les années futures ?

Il est très important que les acteurs de ce dossier, et plus particulièrement les éleveurs, disposent d'une certaine visibilité financière à moyen terme. Comme toute activité économique, l'élevage doit disposer, pour fonctionner, d'un horizon financier dégagé. La présence du loup a déjà multiplié les incertitudes et les aléas économiques. Si, de surcroît, les aides de l'Etat pour pallier ces difficultés ne sont pas pérennes et sont sujettes à des arbitrages budgétaires chaque année, l'exercice deviendra impossible pour les éleveurs.

Or, il est très probable que les coûts, déjà importants, liés à la présence de ce prédateur vont aller en augmentant, ne serait-ce qu'en raison de la poursuite de son expansion territoriale. La collectivité est-elle prête à assumer cette charge ?

Il est d'ores et déjà acquis - ou quasiment - qu'il n'y aura pas de troisième programme LIFE : ceux-ci ont une vocation expérimentale et de démarrage, et les mesures mises en place doivent, en cas de succès, être prises en charge par l'Etat-membre.

L'Etat français doit donc s'engager très clairement sur le financement à long terme du dispositif.

Il conviendrait en particulier de réfléchir à une « Indemnité compensatrice de prédation » qui intégrerait l'ensemble des surcoûts d'exploitation. Cette indemnité pourrait contribuer fortement à la survie des pratiques pastorales ovines sur d'immenses territoires de montagne, au maintien d'éleveurs dans ces zones et à leur production de qualité, d'une « force de tonte » animale irremplaçable dans ces milieux difficiles et qui contribue à entretenir une diversité biologique et paysagère unanimement reconnue.

Ce financement peut passer, comme le prévoit le ministère de l'agriculture pour 2003, par une meilleure utilisation des fonds communautaires, et en particulier le fonds de développement rural.

Comme l'explique M. Nicholas Hanley de la direction de la protection de la nature de la Commission européenne, « Jusqu'à présent, la France n'a pas fait appel à des fonds communautaires pour financer la gestion de programme de cohabitation avec le loup, mais d'autres pays l'ont fait. Ainsi, la région de Lazio en Italie utilise actuellement les fonds de développement rural dans le deuxième pilier de la PAC pour financer un programme de compensation des pertes liées à la présence du loup. Autre exemple, en Grèce, celui du financement d'un programme visant à gérer la présence de l'ours dans les pâturages. Ce programme prévoit notamment la compensation des pertes de revenus et l'achat de chiens de protection. »

M. Hanley ajoute que «  dans le cadre de la révision du fonds de développement rural, la Commission a inclus pour la première fois une référence explicite à l'éligibilité des dépenses de compensation liées à une mise en œuvre des directives Habitats et Oiseaux. La situation n'était pas très claire jusqu'à présent et certains ministères de l'agriculture contestaient cette éligibilité. Pour éviter toute confusion, la Commission a donc, dans sa nouvelle proposition, indiqué clairement que des dépenses qui sont liées à la mise en œuvre des directives Habitats et Oiseaux sont éligibles pour les aides aux agriculteurs découlant de ces directives. »

Il appartient donc au gouvernement d'exploiter toutes les pistes possibles, en particulier européennes, pour que ce dossier bénéficie d'un financement pérenne.

II.- DES MESURES DE PROTECTION TRÈS INÉGALEMENT EFFICACES SUR LE TERRITOIRE

Ces sommes, importantes, ont servi à financer de nombreuses actions : le suivi de la population de loups, sa connaissance scientifique mais surtout, et c'est ce qui nous intéresse ici, les mesures de protection. Celles-ci sont essentiellement au nombre de trois : les aides-bergers, les chiens de protection et les parcs de contention. Pour que la protection ait des chances d'être efficace (et même ainsi, cette efficacité ne saurait être garantie partout), les trois éléments suivants doivent être réunis : présence humaine, regroupement du troupeau la nuit, chiens de protection.

Nombre d'associations écologistes ont tendance à faire de ces mesures de protection l'alpha et l'oméga de la problématique du loup, sans avoir pleinement conscience des difficultés, réelles, de leur mise en œuvre et des conditions de leur efficacité.

C'est en effet la conclusion à laquelle est arrivée la commission : les mesures de protection, si elles sont correctement mises en place, peuvent être efficaces mais ont des effets négatifs non négligeables. Par ailleurs, même avec toute la bonne volonté de l'éleveur, certaines conditions topographiques ou géographiques rendent ces mesures totalement inefficaces.

Il n'existe donc pas « une » solution à une problématique mais « des » solutions variées à des situations diverses et complexes. D'où l'absolue nécessité de partir du territoire et de sa réalité concrète.

A.- LES MESURES DE PROTECTION PRÉCONISÉES

1.- La présence humaine : les aides-bergers

Dès le premier programme LIFE, il est apparu que les mesures d'aide au gardiennage étaient les plus appréciées des éleveurs. Cette réalité souligne l'importance de la dimension psychologique du problème.

On a vu précédemment que la présence du loup engendre des contraintes supplémentaires dans la conduite des troupeaux ovins et la gestion de l'unité pastorale d'altitude. Pour tenter de répondre à la surcharge de travail qu'entraîne la mise en place de la prévention sur les alpages, la mesure aide-berger est donc proposée aux alpagistes. Les missions de l'aide-berger consistent à participer au surcroît de travail qu'impose la présence des prédateurs sur l'alpage :

- le déplacement des parcs mobiles pour le regroupement nocturne du troupeau ;

- l'aide au transport du matériel lors du changement de quartier ;

- l'alimentation et les soins du ou des chiens de protection ;

- la participation, en collaboration avec les agents chargés des constats, à la recherche des bêtes tuées, blessées ou égarées, permettant de prouver les dommages.

Ainsi en 2002, plus d'une centaine d'emplois d'aides-bergers ont été financés.

2002

Nombre

d'aides bergers

Alpes de Hautes Provence (04)

13

Hautes Alpes (05)

21

Alpes Maritimes (06)

39

Drôme (26)

6

Isère (38)

10

Savoie (73)

18

Total Alpes

107

La diversité des modes d'élevage constatée entre les départements les plus au sud et les plus septentrionaux entraîne des modalités de mise en place des aides-bergers différentes.

Si la mesure, telle qu'elle est proposée, permet l'embauche d'aides-bergers sur une durée satisfaisante (3 mois) dans le contexte des Alpes du nord, en revanche, les conditions climatiques d'autres départements, situés plus au sud, peuvent justifier le maintien des troupeaux à l'extérieur sur une période dépassant celle d'estive. L'utilisation des zones intermédiaires (prairies et parcours de printemps et d'automne), se traduit par des besoins en aides-bergers durant l'intersaison, lesquels sont rarement satisfaits, faute de moyens.

Restent des difficultés et des écueils à éviter : d'une part la cohabitation, sur le plan pratique, entre l'éleveur ou le berger et l'aide-berger est parfois difficile dans des logements d'alpage souvent peu spacieux et peu confortables. Il convient donc d'aménager ces lieux de vie de façon appropriée.

Par ailleurs, il ne faut pas confondre berger et aide-berger : le rôle du berger est de permettre l'alimentation du troupeau pendant toute la durée d'estive et de veiller au bon état sanitaire des animaux. Il doit ainsi connaître et savoir soigner les pathologies spécifiques des ovins de montagne. Surtout, c'est lui qui est responsable, devant son employeur, de l'état du troupeau et qui lui rend compte du déroulement de la campagne d'estive. Son rôle est donc tout à fait différent de celui de l'aide-berger, tel qu'il a été décrit plus haut, et ce dernier ne saurait le remplacer. Cela soulève le problème des petits troupeaux qui ne sont gardés que par un aide-berger et pour lesquels l'utilisation d'un berger n'est absolument pas rentable.

Source : DIREN-PACA

graphique

graphique

Il conviendrait donc de mettre en place un système d'aides permettant à ces petits troupeaux de financer un vrai berger.

Peut-être faudrait il envisager une aide complémentaire permettant d'aider ces petits éleveurs, qui sont déjà les plus sensibles aux conséquences économiques de la prédation, à rémunérer un berger lors des estives.

2.- Les chiens de protection

Dans le cadre du programme LIFE Loup, une des mesures de prévention proposée aux éleveurs ovins consiste en la mise en place de ce type de chiens dit « de protection ».

Ces chiens sont parfois présentés comme la solution miracle à la prédation. La réalité est beaucoup plus nuancée. Certes, ces chiens peuvent être efficaces contre les attaques de loups mais ils posent aussi de nombreux problèmes : un coût d'entretien très important qui n'est pas pris en charge par la collectivité, une agressivité très problématique et maintes fois soulignées, une interaction également problématique avec la faune sauvage ... Il faut donc avoir conscience de ces limites et de ces difficultés avant de présenter les chiens de protection comme l'ultime panacée.

Qu'est-ce qu'un chien de protection ?

Il s'agit, en fait, de certains chiens de races particulières, dont on a développé l'instinct de protection vis-à-vis d'un troupeau. Cet instinct se développe au cours d'une phase d'imprégnation du jeune chiot au troupeau qu'il devra défendre : placé au milieu d'ovins, il adapte son comportement à celui des brebis et non pas à celui de ses congénères. Cependant, en cas d'agression du troupeau, le chien doit retrouver son comportement instinctif de canidé dans une attitude de protection que lui dicte son attachement au troupeau.

La mise en place des chiens de protection est un peu particulière. On ne peut parler de dressage mais plutôt d'éducation spécifique. Le principe de base est d'effectuer un transfert d'affection du chien vers les moutons avec une bonne acceptation de l'humain (à l'inverse du chien de conduite dont toute l'affection est portée sur le maître). Le chien doit, à proprement parler, vivre avec le troupeau. Il doit dormir, manger et rester avec lui, quelles que soient les conditions climatiques ou environnementales.

Il assure ainsi la protection du troupeau durant les circuits de pâturage d'estive, d'intersaison et d'hiver, aussi bien en présence du berger qu'en son absence (au cours de la journée durant la chôme, et surtout la nuit). Cela évite à l'aide-berger ou au berger d'avoir à veiller à proximité des brebis, avec une efficacité, en terme de protection, bien supérieure.

Reste une difficulté importante : que faire des chiens patous hors des saisons d'estive ? Il est indispensable qu'ils restent avec le troupeau mais cela peut créer des difficultés importantes avec les voisins, sans oublier le coût que représente leur nourriture.

La mise en place de chiens de protection constitue souvent la dernière mesure de prévention prise par les éleveurs, compte tenu de l'investissement à long terme que cela implique, de la mauvaise réputation de ces chiens et des problèmes posés par leur présence au sein du troupeau. Ainsi la plupart des éleveurs attendent d'être en situation de prédation pour introduire des chiens (ce délai peut même atteindre plusieurs années de présence du loup, pour certains).

On a néanmoins observé en 2002 une montée en puissance en Savoie et dans l'Isère de cette mesure. Ainsi, au cours de l'année 2002, 66 chiens ont été financés dont 30 chiens pour la PACA et 36 chiens pour la région Rhônes-Alpes. Cette action se poursuit de façon satisfaisante puisque la mise en place de chiens pendant l'hiver 2002-2003 pourrait concerner une quarantaine de chiens.

Le nombre de chiens financés par le programme est très inférieur au nombre réellement présent sur l'ensemble de l'arc alpin (cf. tableau ci-dessous). On estime à un tiers le nombre de chiens en activité ayant pu bénéficier de subventions, avec des variations importantes selon les départements : de 11% des chiens présents, effectivement subventionnés au titre du programme LIFE dans les Alpes-Maritimes à 56 % pour les Hautes-Alpes.

Chiens financés 2ème LIFE


Estimation chiens
en activité

Alpes de Hautes Provence (04)

8

40

Hautes Alpes (05)

39

70

Alpes Maritimes (06)

17

150

Drôme (26)

10

40

Isère (38)

16

30

Savoie (73)

35

70

Haute Savoie (74)

1

Total Alpes

126

400

Source : DIREN PACA 2002

Malgré ces progrès, on constate un indéniable scepticisme, voire une certaine inquiétude chez les éleveurs, vis-à-vis du chien de protection. Ils craignent en effet les interactions avec les êtres humains et en particulier avec les randonneurs qui sont nombreux, parfois trop d'ailleurs au goût des bergers, et qui ne respectent pas les règles d'usage en cas de confrontation avec un troupeau et ses chiens de protection. L'éleveur craint que sa responsabilité ne soit engagée en cas d'accident. A juste titre, d'ailleurs, puisque plusieurs bergers ont été poursuivis après des dommages causés par leurs chiens à des tiers.

Ainsi l'excès de confiance ou d'optimisme mis dans l'efficacité des chiens de protection a rapidement déclenché, sans doute par opposition, une exagération des dysfonctionnements, bien réels toutefois, et des problèmes qu'on pouvait leur reprocher.

Le chien de protection, son statut juridique : chien en état de divagation ?

L'analyse des textes juridiques conduit à laisser penser que le chien de protection peut être assimilé à un chien «en action de garde du troupeau», notion qui semble englober à la fois les chiens de conduite du troupeau et les chiens de protection, puisque aucune mention ne dit le contraire (art.213 al.2 du Code rural).

La définition la plus claire de l'état de divagation se trouve à l'article 213 du code rural. En tenant compte de ses caractéristiques de chien à usage professionnel, le chien de protection pourrait faire partie des exceptions mentionnées à l'article 213 al.2 du code rural au même titre que le chien en action de chasse, et le chien en action de garde du troupeau.

En revanche, si le chien de protection est en réel état de divagation, c'est-à-dire qu'au moment où il divaguait il n'exerçait pas son travail de protection, le propriétaire du chien devra assumer entièrement la divagation de son chien.

Poursuites en cas de divagation : Les poursuites contre les propriétaires de chiens «dits divagants» n'aboutissent généralement que s'il y a eu attaque, poursuite (course) ou mouvement intempestif du chien envers une personne ou un autre animal.

La divagation est réprimée :

> par le code pénal (art. R.622-2 et R. 623-3)

> par le code rural (art. R. 228-5)

> engage la responsabilité civile du propriétaire de l'animal divaguant dans l'optique d'une réparation des dommages subis (art. 1385 du code civil).

Responsabilité du propriétaire ou du gardien du chien en cas de dommage

Les responsabilités pénale et civile du gardien de l'animal peuvent se cumuler, car les deux n'ont pas les mêmes finalités : la première tend à réprimer une infraction pénale et la seconde vise à réparer le dommage subi par la victime. Si le gardien de l'animal a commis une faute ayant entraîné un dommage, l'action en justice pourra être fondée sur les articles 1382 ou 1385 du code civil ; en revanche, si le dommage est du à la seule action du chien, seul l'article 1385 du code civil sera applicable (responsabilité du propriétaire pour les animaux dont il a la garde).

Le berger, s'il est employé pour garder le troupeau n'est pas considéré comme le gardien du chien car il est salarié : c'est le propriétaire du chien qui en reste responsable.

Comme le constate une étude de l'APPAM(25), sur le terrain, les éleveurs se sont souvent retrouvés seuls, faute d'une assistance technique suffisante, lors de la mise en place de leurs chiens et ils se sont débrouillés comme ils le pouvaient. Or, pour que cette technique soit efficace, elle suppose le respect d'un certain nombre de règles et de procédures, particulièrement lors des premiers mois d'existence du chien. Cette précipitation imposée par l'urgence de la situation peut expliquer certains des comportements de ces chiens.

Ainsi il y a bien des chiens de protection qui mordent et qui sont dangereux pour les tiers. Quatre causes principales sont citées :

- à l'intérieur des différentes races de chien de protection, il y a des lignées qui ont plus tendance à mordre que d'autres ;

- certains éleveurs pensent à tort qu'un bon chien de protection est un chien dominant et facilement hargneux ;

- l'éleveur donne à son chien de protection une éducation qui incite le chien à devenir un chien dangereux, le plus souvent sans que l'éleveur lui-même ne s'en rende compte ;

- les tiers ont une très mauvaise connaissance du chien et adoptent en présence de chiens de protection, des comportements qui encouragent le chien à les agresser.

On le voit, toutes ces causes sont susceptibles d'être modifiées pour peu qu'un travail de fond intervienne. Il est en particulier indispensable que la filière chien de protection soit mieux organisée : une réflexion doit être menée pour organiser cette filière sur le long terme.

Une base de données visant à recenser les chiens de protection en activité (Alpes et Pyrénées) est déjà en cours de constitution. Il existe par ailleurs des « lignées pastorales » connues chez des éleveurs cynophiles et compétents. Mais il reste encore beaucoup de travail pour effectuer un effort de sélection génétique.

Ainsi, serai-il utile de réfléchir au choix de critères de sélection, définis de façon objective, pour l'élaboration d'une grille permettant d'apprécier la valeur des chiens de protection au travail par leurs qualités génétiques et phénotypiques. Un schéma de sélection permettrait, à l'avenir, d'orienter les éleveurs dans leurs choix et d'effectuer des accouplements raisonnés (éviter la consanguinité...).

En France, cela fait douze ans que différents acteurs intervenant dans ce domaine tentent en vain de mettre en place une telle structure. A l'issue du programme LIFE Loup, l'expérience acquise devrait pouvoir concourir à créer une prise de conscience globale en la matière : il faudrait modifier l'article de loi 213-1. (L. n° 89-412 du 22 juin 1989) du Code rural sur le statut des chiens au travail, y ajouter les chiens de protection, proposer un encadrement en matière de formation, conseil et suivi auprès des éleveurs, et structurer cet encadrement. Il serait illusoire de vouloir améliorer la qualité de ces chiens et leur efficacité en protection des troupeaux domestiques, et ce quel que soit le prédateur incriminé, sans de tels efforts.

Une autre incertitude subsiste : quelle interaction entre le chien patou et la faune sauvage ? De nombreux témoignages font état d'une prédation importante, sur les marmottes en particulier, témoignages qui ne sont pas toujours confirmés par les études de terrain. Il apparaît néanmoins que certains éleveurs laissent leurs chiens chasser, ce qui leur évite d'avoir à les nourrir.

Il y a, en effet, un vrai problème d'alimentation des chiens de protection : celle-ci reste à la charge du propriétaire et le chien peut consommer entre 800g et 1kg de nourriture par jour selon l'activité. L'alimentation ajoute, en outre, de nouvelles contraintes pour son transport en alpage et un coût financier important.

Ainsi, confrontés à un outil de travail qui a prouvé son efficacité, les éleveurs se trouvent dans une situation difficile : il n'est pas toujours aisé d'obtenir des subventions pour l'achat des chiens ; il n'existe aucune aide pour leur entretien, leur soin et surtout leur alimentation ; aucun travail de sélection n'est fait pour éliminer les souches mordantes ; leur éducation n'est pas accompagnée alors qu'elle est primordiale pour l'efficacité future du chien ; la responsabilité de l'éleveur est engagée en cas d'accident.

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que de nombreux éleveurs hésitent avant d'investir dans ces chiens de protection.

3.- Les parcs de contention

Troisième élément du triptyque de protection contre les prédateurs, le regroupement nocturne des animaux implique la mise en place de parcs de contention. Ainsi des parcs mobiles de regroupement nocturne des troupeaux sont installés afin d'éviter que les brebis ne se dispersent sur leur lieu de couchade. Ce regroupement augmente aussi l'efficacité des chiens de protection pour la surveillance de nuit.

Mais la mise en place de ces parcs de regroupement a fait naître des contraintes supplémentaires pour les bergers : cela les oblige à modifier leurs pratiques pour tenir compte des déplacements supplémentaires des troupeaux afin de revenir au lieu de parcage et ce, au détriment du temps de pâture. De plus, un déplacement des parcs (quand la topographie le permet) est nécessaire pour des raisons sanitaires évidentes (piétin lors d'années pluvieuses, gros pied...). Ainsi le comité scientifique du parc national du Mercantour soulignait(26) les impacts négatifs associés à ce type de mesures (impact esthétique ou paysager, problème écologique lié à l'accumulation des déjections et de pollutions...).

Il est difficile de préconiser un seul type de matériel, identique pour l'ensemble des unités pastorales. Pour définir les matériels les plus pertinents en fonction des contextes, une étroite collaboration entre l'éleveur, le berger et le technicien pastoral est nécessaire. Sur des unités pastorales d'alpage, les filets électriques sont généralement utilisés, et sur des zones embroussaillées (zones basses de l'alpage, quartiers d'intersaison...), c'est l'utilisation des clôtures qui est généralement privilégiée (exemples des clôtures actives dans les Alpes-Maritimes, ainsi que des clôtures électriques fixes développées au cours de ces 15 dernières années en zones préalpines).

Le bilan des moyens de contention mis en place au cours de l'année 2002 est de 83 parcs pour l'ensemble des Alpes. Ce chiffre correspond à 117 alpages équipés dans tout l'arc alpin.

Total parcs

Nombre d'alpages équipés

Alpes de Hautes Provence (04)

9

9

Hautes Alpes (05)

11

38

Alpes Maritimes (06)

32

17

Drôme (26)

2

9

Isère (38)

21

14

Savoie (73)

8

30

Total Alpes

83

117

Source : DIREN-PACA 2002

Dans le département des Alpes-Maritimes, les éleveurs considèrent ces clôtures comme un outil à développer, le besoin de plusieurs parcs de regroupement par alpage (1 à 3) ou unité pastorale se faisant ressentir.

Au-delà de l'action des parcs, il est indispensable que l'Etat soutienne financièrement l'aménagement des estives. On constate, en effet, une réponse insuffisante de l'Etat et des collectivités aux besoins rencontrés par les éleveurs en ce qui concerne l'aménagement des accès aux alpages, l'amélioration des cabanes pastorales, l'équipement des estives en parcs de contention, abreuvoirs, pédiluves, réserves d'eau, captage de sources...

Une implication plus lourde de la collectivité serait très bénéfique au monde pastoral :

- les accès aux alpages devraient être améliorés autant pour faciliter la transhumance que pour permettre le ravitaillement des bergers et des troupeaux et, dans certains cas, la fourniture en matériaux et équipements ;

- la réhabilitation des cabanes pastorales est absolument essentielle pour offrir aux bergers des conditions de confort minimales et éviter la marginalisation sociale de leur statut. A ce titre, l'équipement photovoltaïque et la desserte en eau courante des cabanes doivent absolument être inscrits au programme de leur réhabilitation ;

- les équipements ovins facilitant la conduite des troupeaux et leur gestion sanitaire doivent enfin être intégrés dans les programmes soutenus par financement publics, d'une part parce qu'ils contribuent à la protection des troupeaux contre les prédateurs, et d'autre part parce qu'ils favorisent la productivité de l'élevage, en assurant un meilleur contrôle sanitaire des brebis.

Enfin, les réseaux de communication doivent être développés afin de limiter la solitude du berger face à la prédation d'une part mais aussi, plus généralement, pour lui permettre de garder un contact avec les vallées.

On constate donc que les mesures de protection préconisées dans le cadre du programme LIFE se mettent progressivement en place, non sans difficulté. En effet, leur mise en place est complexe et nécessite un lourd travail et un investissement important de la part de l'éleveur sans que les aides publiques soient toujours à la hauteur de ce surcroît de travail. De plus, ces nouvelles pratiques pastorales rendues nécessaires par la présence du prédateur sont totalement inédites pour les éleveurs et les efforts qu'ils ont consacrés à leur mise en place traduisent la motivation et le réel attachement à ce métier.

Peu d'activités économiques sont capables en en laps de temps aussi court, à peine 10 ans, de revoir de fond en comble leur méthode de travail et leur mode de production, comme l'ont fait les éleveurs ovins de l'arc alpin.

B.- DES MESURES TRÈS INÉGALEMENT ET JAMAIS TOTALEMENT EFFICACES 

Quelle est l'efficacité des mesures de protection préconisées et financées par les programmes LIFE successifs ? Deux éléments peuvent être affirmés :

- les mesures de protection ne peuvent pas être efficaces partout et dans toutes les situations ;

- là où elles sont globalement efficaces, il reste toujours un seuil minimum de prédation : la prédation « zéro » n'existe pas.

En conséquence, il faut prendre en compte la diversité des territoires.

1.- Des départements diversement touchés

Au 15 mars 2003, quelques constats sont encore en cours d'instruction (soit en attente de décision du comité local de concertation soit en attente de décision d'indemnisation). Les estimations financières ne sont donc pas exhaustives.

Sur l'ensemble des 8 départements concernés, une progression des dommages est enregistrée, aussi bien en nombre d'attaques que de victimes (y compris pour les seules victimes directes). Ceci semble essentiellement lié à l'expansion territoriale du loup sur de nouvelles zones.

Nombre de constats indemnisés au titre du loup, ventilés selon les zones
de présence connues et dans les nouveaux foyers en 2002.
(Un foyer est défini lorsque le seuil de 10 attaques ou plus est atteint).

Département

Nombre de nouveaux foyer

Constats hors zone connue

Nom des foyers

n

(%)

Alpes Maritimes

3

80

(25%)

Cians/Daluis, Haut var, Cheiron

Alpes Haute Prov.

1

42

(86%)

Haut Verdon

Hautes Alpes

0

9

(17%)

-

Drôme

2

23

(68%)

Gge Omblèze, Vercors sud

Isère

2

51

(59%)

Gdes Rousses, Taillefer

Savoie

0

4

(80%)

-

Haute Savoie

0

3

(100%)

-

Var

0

1

(1%)

-

Source : ONCFS.

a) Dommages constatés dans les secteurs identifiés de présence permanente

Par rapport à 2001, le volume de dommages a augmenté uniquement dans le Queyras-Béal-Traversier. Une partie des dommages constatés dans cette zone a touché plus particulièrement 3 éleveurs. Le volume de dommages reste stable dans le Vercors ainsi que dans le Mercantour. Sur ce dernier site, l'augmentation du nombre de victimes est lié à un dérochement important de plus de 400 bêtes (dont 7 présentaient des signes caractéristiques de prédation qui ont conduit à ne pas exclure la responsabilité du loup). Le volume de dommages a même diminué dans les massifs de Belledonne et des Monges, sans que l'on ait pu en identifier les raisons.

b) Dommages constatés hors des secteurs identifiés de présence permanente

L'apparition et/ou la montée en puissance des dommages dans chacun de ces secteurs concourent, pour l'essentiel, à l'augmentation globale constatée :

Mercantour - zone d'extension (Alpes-Maritimes) : cette zone correspond grossièrement aux secteurs des gorges de Daluis et du Cians, situés en marge des zones de présence permanente. Des dommages y ont déjà été enregistrés les années précédentes mais ils sont en progression ;

- Haut Verdon (Alpes de Haute-Provence) : cette zone (essentiellement le massif des trois évêchés situé entre le Mercantour et les Monges) constitue un nouveau foyer, accompagné d'autres indices de présence certifiés ;

- Omblèze-Vercors Ouest (Drôme) : ce secteur, en marge du Vercors, où la présence temporaire du loup avait été signalée en 2000, constitue en 2002 un nouveau foyer de dommages important, avec d'autres indices convergents qui traduisent la présence de l'espèce ;

Oisans (Isère) : nouveau foyer essentiellement situé dans le massif du Taillefer (sud Belledonne) et des Grandes Rousses (sud-est Belledonne), sur lequel des dommages avaient déjà été enregistrés les années précédentes sans que la présence du loup n'ait pu y être mise en évidence. En 2002, des traces et un excrément ont certifié la présence, au moins temporaire, de l'espèce sur ces 2 sites, en marge de la zone de présence permanente de Belledonne.

Des dommages sont par ailleurs toujours enregistrés sur le plateau de Canjuers (Var) où la présence au moins temporaire de l'espèce a été attestée l'hiver dernier, et sur le massif des Hauts Forts (Haute-Savoie) avec une forte hétérogénéité dans la conclusion technique des dossiers de constat de dommages.

On constate donc que si certains départements ont vu la prédation diminuer du fait de la mise en place des mesures de protection, certains, et en particulier les Alpes-Maritimes, connaissent toujours un taux de prédation important et qui ne régresse pas. Ainsi, corrélativement à l'expansion du loup dans le département, les dommages augmentent régulièrement depuis 1993 (10 attaques et 36 victimes) avec des paliers de 1996 à 1998 (193 attaques et 708 animaux) et de 1999 à 2001 (260 attaques et 1.152 victimes). En 2002, il y a eu 330 attaques et 1 500 victimes, dont un dérochement de 404 animaux.

On peut expliquer cette diversité des situations de prédation par l'hétérogénéité des modes d'élevage et des territoires.

2.- Les mesures de protection ne sont efficaces que sous certaines conditions

Comme on l'a vu, à l'échelle de l'arc alpin français où le loup est présent, on peut distinguer schématiquement quatre types de systèmes d'élevage en fonction de critères liés au mode de production des animaux et au mode de conduite des animaux en pâturage : le système herbassier grand transhumant, le système montagnard, le système préalpin et le système des Alpes-Maritimes.

Le système de protection des troupeaux face au loup a surtout montré une certaine efficacité dans la situation des estives de haute montagne où se regroupent de gros effectifs pendant une durée limitée. Après 7 à 8 ans d'expérience, on constate que, à engagements de moyens de protection égaux, la protection des troupeaux est relativement efficace en estive de haute montagne, plus difficile à mettre en œuvre dans les Préalpes et très insuffisante dans les Alpes-Maritimes. La raison en est simple : la vulnérabilité liée au territoire ainsi qu'aux systèmes d'élevage est très différente selon les régions géographiques.

L'échec de la protection des troupeaux en présence du loup dans les Alpes-Maritimes illustre les limites d'un programme inadapté pour ce système d'élevage dans cette région, et non pas une quelconque incompétence des hommes qui conduisent les animaux au pâturage, comme le soutiennent certains écologistes.

De plus, comme nous l'avons vu plus haut, les pertes dues à la prédation ne suffisent pas à rendre compte de l'ampleur des contraintes que le loup fait peser sur les exploitations d'élevage, même celles qui n'ont pas fait l'objet d'attaques. La présence territorialisée du loup représente une contrainte structurelle pour tous les éleveurs emmenant leurs animaux au pâturage dans une zone de présence permanente du loup.

Mais l'ampleur de ces contraintes et le niveau de vulnérabilité peuvent être hiérarchisés dans chacun des quatre types de système d'élevage en fonction d'une série de critères liés aux caractéristiques de ces systèmes ainsi qu'au territoire :

- durée au pâturage dans une zone à loup ;

- couvert végétal : arbres, buissons, pâturages secs ;

- effectif et mode de conduite du lot d'animaux au pâturage ;

- mobilité du système pastoral ;

- sécurité du système d'alimentation.

En appliquant ces critères aux quatre systèmes décrits plus haut, on arrive au constat suivant (27).

Premier système, le système herbassier grands transhumants utilisateur d'estive en haute montagne pendant la phase d'été. Ce système présente une vulnérabilité au loup sur la période précise de son estive, c'est-à-dire pendant quatre mois. On connaît l'ampleur des difficultés. Néanmoins, par le grand nombre des effectifs présents sur les pâturages en même temps, c'est-à-dire des unités de 2 000 bêtes, les éleveurs ont moins de difficultés à se prémunir contre la prédation. Plus le troupeau est important, plus il est facile d'empêcher la prédation pour la raison très simple que la taille du troupeau permet de recourir aux services d'un berger et à d'autres mesures de protection, ce qui est impossible pour un troupeau local de 200 bêtes.

La commission a pu constater qu'un gros travail est mené depuis plusieurs années dans l'organisation du regroupement des troupeaux sur le plan des conditions sanitaires, juridiques et techniques et dans l'utilisation des territoires. Plusieurs combinaisons existent, par exemple des éleveurs locaux s'organisent entre eux, ou bien des éleveurs locaux regroupent leurs troupeaux avec ceux d'éleveurs transhumants.

Deuxième système, le système montagnard, qui utilise les mêmes alpages. Il est vulnérable, car d'une part il prolonge son pâturage au-delà de l'estive pendant environ 7 mois et d'autre part il est moins mobile qu'un transhumant qui peut toujours changer de territoire, si les dégâts occasionnés par le loup sont trop importants. Les troupeaux, plus petits, de 150 à 500 brebis, passent 5 à 6 mois en bergerie. L'estive s'effectue sur l'alpage local et le reste de l'année, les troupeaux sont dans les prairies.

Troisième système, le système préalpin. Il est encore plus vulnérable, la durée en bergerie étant plus courte, 3 mois, puisque les conditions climatiques changent et que la cohabitation avec le loup en estive dans les montagnes locales est plus longue, 9 mois. Les troupeaux comptent entre 300 et 800 brebis De plus, les quartiers de pâturage sont boisés et secs, donc difficiles à utiliser et propices aux prédations Les systèmes d'élevage sont en outre peu mobiles puisque les zones de transhumance sont proches.

Dernier système, celui des vallées des Alpes-Maritimes ou la régression de l'élevage bovin a fait émerger des élevages ovins méditerranéens originaux. C'est le système qui cumule tous les facteurs de vulnérabilité, puisque les troupeaux, qui peuvent avoir des effectifs très variables, sont dans les pâturages pendant douze mois, grâce au climat, et que les quartiers de pâturages sont difficiles à utiliser s'agissant de montagnes sèches avec brouillard et neige. En outre, il n'y a pas de mobilité, puisque l'estive et le quartier d'hiver se regroupent sur la même commune. Enfin, le système d'alimentation n'est pas sécurisé, à la différence des autres systèmes d'élevage qui assurent la sécurité alimentaire des animaux par des stocks fourragers. Or, dans les Alpes-Maritimes, compte tenu de l'étroitesse des terres capables de produire du foin, il n'est pas possible d'assurer une telle sécurité.

En résumé, les facteurs de vulnérabilité se divisent en deux catégories. Les facteurs liés au système d'élevage : petits effectifs, faible sécurité du système alimentaire, en raison de l'impossibilité de constituer des stocks fourragers, faible mobilité et durée plus longue dans les pâturages, cette dernière pouvant varier entre 4 et 12 mois.

Les facteurs liés au territoire : les quartiers de pâturage boisés permettent au loup d'être plus discret et donc d'attaquer en plein jour, ce qui n'est pas possible dans les grandes estives dégagées de haute altitude ; les quartiers de pâturage secs sont aussi favorables au loup, en raison de la rareté des points d'eau qui oblige le troupeau à traverser des quartiers boisés pour atteindre des points d'eau et à rallonger les circuits pour aller chercher une herbe plus sèche.

A cette analyse des systèmes d'élevage et des territoires, vient s'ajouter la modification des méthodes d'attaque du prédateur : dans les Alpes-Maritimes, la proportion d'attaques de jour a eu tendance à augmenter entre 1994 et 2001. La même tendance est observée dans le massif des Monges. Cette augmentation des dommages enregistrés pendant la journée dans le Mercantour pourrait être liée à la diminution de l'accessibilité aux troupeaux durant la nuit et à la mise en place progressive de moyens de prévention.

En comparaison, dans les Abruzzes (Italie), les troupeaux ovins laitiers, qui sont mis en enclos la nuit et gardés par des chiens et/ou des bergers, sont plus souvent attaqués de jour que les troupeaux équins ou bovins qui ne bénéficient pas de mesures de prévention. Pendant la journée, l'efficacité des moyens de protection (chien et/ou berger) peut diminuer lorsque les troupeaux s'étendent sur les pâturages ou lorsque la visibilité diminue (couvert forestier ou conditions climatiques difficiles). Pour exemple, en Roumanie, des attaques de jour sont observées lorsque les troupeaux pâturent dans ou à proximité de la forêt.

Sur les 125 attaques de jour recensées dans les Alpes-Maritimes, dont les conditions climatiques sont connues, plus de la moitié ont eu lieu lors de conditions climatiques difficiles (brouillard, pluie régulière, orage), situation qui est aussi rencontrée dans les Abruzzes. De plus, même en cas de beau temps, les loups ne sont aperçus, parfois de façon furtive ou à grande distance, que dans un quart des attaques vraisemblablement parce qu'ils mettent à profit des conditions topographiques particulières ou un moment d'absence du berger.

C.- UN SYSTÈME D'INDEMNISATION QUI NE DONNNE PAS SATISFACTION

état des animaux tués par les loups et des indemnités versées aux éleveurs
de 1993 à 2001

Animaux tués de 1993 à 2000

Indemnités

1993-2000

(en euros)

Animaux tués en

2001

Indemnités

2001

(en euros)

Total animaux tués

Total des indemnités aux éleveurs

1993-2001

(en euros)

Alpes Maritimes

4058

900.476

1152

206.802

6191

1.107.278

Alpes de Haute-Provence

212

18.682

85

15.838

297

34.520

Hautes-Alpes

827

36.328

97

19.356

924

55.684

Var

0

0

20

3.217

20

3.216

Isère

182

32.212

474

56.351

656

88.593

Drôme

64

9.913

0

0

64

9.912

Savoie

417

5.793

0

0

417

5.793

Total

5.760

1.003.404

1828

301.595

8549

1.304.999

Source : DIREN-PACA

1.- Le système actuel

En cas de prédation, une procédure de compensation des dommages fondée sur une évaluation technique de la responsabilité du prédateur est prévue. Après avoir constaté un cas de prédation, l'éleveur fait une déclaration à l'administration, ce qui déclenche la procédure d'indemnisation. Pour ce faire, des agents du réseau Loup présents dans les huit départements alpins concernés sont habilités à réaliser les constats de dommages. Le dommage est formalisé dans un dossier de constatation standard pour chaque attaque. Le constat s'attache à dresser l'inventaire des animaux tués ou blessés, à en faire l'examen (recherche des traces de morsure, description de la consommation) et à rechercher les indices de présence du prédateur (fécès, poils...).

Jusqu'en 2002, ce constat devait ensuite être validé par le vétérinaire du programme LIFE. Mais une grille de lecture systématique du constat a été élaborée et doit permettre d'exclure ou non la responsabilité du prédateur et d'aboutir à une décision équitable de tous les cas de dommages sur des bases techniques fiables et homogènes.

L'étape d'expertise systématique (devenue obsolète par la création de cette grille) est ainsi supprimée et le transfert de compétence du vétérinaire du programme LIFE vers les DDAF (au préalable chargées de pré-instruire chaque constat) a été réalisé en décembre 2002. La possibilité de solliciter l'ONCFS pour des expertises techniques est conservée dans les nouveaux secteurs de présence ou en cas de dossier d'instruction difficile (éléments techniques contradiction ....) à la demande des DDAF. Cette simplification administrative devrait rendre la procédure plus efficace en terme de délai de paiement des indemnités aux éleveurs.

Bilan des attaques pour 2002

Département

Nombre de constats établis

Nombre d'attaques indemnisées loup + lynx

Nombre de victimes indemnisées loup + lynx

Montant financier

(Euro)

provisoire

instruits

En cours

Hors déroche-ment

Déroche-ment

Total provisoire

Hors déroche-ment

Déroche-ment

Total provisoire

Alpes Maritimes

356

26

321+2

(2 sursis)

323

1085+6

441

1091

217 471,64

Alpes Haute Prov.

71

1

48+2

1

51

244+2

16

262

38 589,36

Hautes Alpes

70

3

53+1

0

54

161+7

0

168

31 842,12

Drôme

43

0

32+1

2

35

95+6

55

156

27 802,50

Isère

102

0

83+5

2

90

423+10

118

551

88 860,69

Savoie

6

0

5

0

5

21

0

21

3 402,89

Haute Savoie

0

8

En cours

0

En cours

En cours

0

En cours

En cours

Var

15

0

12

0

12

55

0

55

9214,94

Total

671

30

565

7

570

2121

-

2304

417 184,14

Source : ONCFS

2.- Les difficultés d'application

Malgré ces progrès, le système d'indemnisation reste sujet à critiques. D'abord, il ne repose pour l'instant sur aucun texte réglementaire précis, ce qui est la source d'une insécurité juridique peu appréciée des éleveurs.

Ensuite, ne sont indemnisés que les moutons qui sont retrouvés par le berger ou l'éleveur. Outre qu'une telle recherche peut prendre beaucoup de temps, du temps qui n'est pas compensé financièrement, toutes les brebis ne peuvent pas toujours être retrouvées. Par ailleurs, l'abondance de charognards limite fortement le laps de temps disponible avant que les cadavres ne disparaissent complètement. Ainsi, la plupart des éleveurs estime que pour deux brebis perdues, une seulement est en moyenne aujourd'hui indemnisée.

Enfin, il ne faut pas oublier les pertes induites qui concernent la baisse de la qualité provoquée notamment par les descentes anticipées des bêtes dans des secteurs où la prédation est élevée ; la baisse de capacité d'investissement de l'éleveur ; le temps passé par l'éleveur à rechercher les brebis disparues ou mortes, à élaborer les constats, à redescendre dans la vallée pour téléphoner, à procéder aux démarches administratives de remboursement, à rechercher de nouvelles bêtes pour remplacer les anciennes ; les frais divers représentés par les déplacements, par le coût financier provoqué par le retard des remboursements administratifs et par la baisse de certaines primes...

Enfin, les éleveurs sont unanimes à se plaindre de la lenteur des indemnisations qui arrivent souvent plusieurs mois après la prédation. Pendant ce temps, l'éleveur est obligé de faire une avance de trésorerie qui n'est pas compensée. Par ailleurs, de nombreux éleveurs se plaignent du manque de transparence sur la qualification des attaques et sur une insuffisante communication de la part de certaines DDAF. Rappelons que les agents assermentés constatant les attaques ne sauraient se contenter d'un passage rapide dans les estives et du remplissage du formulaire. Il est indispensable que cela soit accompagné d'un soutien psychologique fort pour l'éleveur qui vient de subir la prédation.

La nécessité d'un laboratoire d'expertise en génétique moléculaire

La France ne possède pas de laboratoire d'expertise génétique au services des gestionnaires de l'environnement, comme cela existe déjà dans de nombreux pays. Cependant, un laboratoire universitaire français a acquis une expérience internationalement reconnue dans le domaine de l'expertise génétique à partir de fèces ou de poils collectés sur le terrain : il s'agit du laboratoire de Biologie des Populations d'Altitude situé à Grenoble.

Compte tenu des opérations de renforcement des populations pyrénéennes d'ours, et de la progression constante des effectifs de loups dans les Alpes françaises, il est certain que ce laboratoire sera de plus en plus sollicité. Or cette unité de recherche se trouve maintenant en situation de ne plus pouvoir assurer convenablement ces expertises pour plusieurs raisons : en ce qui concerne le loup, le nombre d'expertises demandées dans l'urgence est difficilement compatible avec les moyens disponibles en personnel, en ce qui concerne l'ours, le laboratoire ne travaille plus en routine sur le sujet, et la remise en route des analyses génétiques sur cet animal nécessite trop d'investissements en temps.

Il semble donc que la solution la plus efficace pour fournir aux gestionnaires de l'environnement un accès fiable et rapide aux expertises génétiques serait la création d'une structure légère, entièrement au service du ministère de l'environnement et du développement durable. La création d'une telle structure avait été décidée lors d'une réunion du CIAT (Comité interministériel d'aménagement du territoire) en 2000, mais les gouvernements successifs n'ont jamais encore été capables de dégager un budget permettant à ce laboratoire de travailler dans des conditions correctes.

Il semble impératif à votre rapporteur que ce laboratoire soit mis rapidement en place. En effet, entre le dossier du lynx, le dossier de l'ours et celui du loup, la France, a besoin de se doter d'une véritable capacité d'expertise et de recherche.

En outre, on sait qu'il est désormais possible d'identifier le prédateur (chien ou loup) grâce à des prélèvements sur les traces de morsure. Sachant qu'une analyse prendrait moins d'une semaine si un tel laboratoire était constitué, cela permettrait de dissiper les incertitudes sur la source de la prédation et d'accélérer les indemnisations.

3.- Les pistes de réforme

Il semble aujourd'hui indispensable de réformer le système d'indemnisation pour aller vers une plus grande efficacité, un traitement des dossiers plus rapides et, au final, un règlement définitif moins lent.

a) Le système assurantiel

Un système d'assurance grand prédateur est une des hypothèses régulièrement évoquée, en premier lieu dans le rapport Braque.

L'assurance des troupeaux ovins contre la prédation est actuellement proposée aux éleveurs mais ne connaît qu'un succès limité en raison de son coût et surtout de la franchise (5 animaux non indemnisés par attaque subie).

Il faudrait donc que les compagnies d'assurance proposent un produit d'un coût limité (de l'ordre de 1 euro par brebis) et sans franchise. Dès lors que le contrat serait souscrit par l'ensemble des éleveurs présents dans une zone soumise à la présence du loup, et que le principe de constat par les pouvoirs publics (c'est-à-dire par agents assermentés) serait maintenu, un tel système serait possible.

En effet, un poste important de dépense pour les compagnies d'assurance réside dans l'exécution des constats qu'elles ne peuvent assurer dans le contexte d'un contrat à prix modique pour l'éleveur.

Sachant que l'indemnisation des dégâts occasionnés par le loup (ou l'ours et le lynx) serait toujours financée par l'Etat, le contrat d'assurance prendrait en charge, de façon systématique, tout dégât incombant aux chiens errants. Les cas d'attaque où la responsabilité du loup ou du lynx est peu plausible ne seraient plus à la charge de l'Etat, qui pourrait alors redéployer les volumes financiers épargnés vers la prévention et le soutien au pastoralisme.

En tout état de cause, cette piste doit être approfondie et discutée avec les partenaires agricoles. Certains d'entre eux y semblent effectivement très opposés tandis que d'autres sont, selon les auditions réalisées par la commission, beaucoup plus ouverts.

b) Une prime forfaitaire

Une autre hypothèse est l'élaboration d'une prime forfaitaire dont bénéficierait tout éleveur travaillant dans une zone à loups. Celle-ci devrait prendre en compte le temps passé à la recherche des animaux, les animaux perdus mais non retrouvés, les avortements, le stress des brebis... Un tel système permettrait-il de faire l'économie d'une procédure de contrôle des prédations et d'indemnisation ? Votre rapporteur est sceptique sur ce point mais aucune porte ne doit être fermée a priori.

Quel que soit le système, il semble nécessaire de subordonner les indemnisations ou le versement de la prime au respect des normes de protection.

QUATRIÈME PARTIE : SEULE UNE POLITIQUE DE RẾGULATION ET DE MAÎTRISE DE L'ÉVOLUTION DE L'ESPÈCE LOUP EN FRANCE ET DANS LES PAYS VOISINS PERMETTRA DE CONCILIER LES OBLIGATIONS LIÉES À LA PROTECTION DE LA FAUNE SAUVAGE ET LA SAUVEGARDE DU PASTORALISME

Votre rapporteur a acquis la conviction, à l'issue des travaux de la commission, que la principale raison des conflits, parfois violents, suscités par la protection de la faune sauvage et des grands prédateurs est que l'on n'a pas su, ou pas voulu, intégrer la dimension humaine dans cette politique.

Si l'on veut vraiment, sur le long terme, rendre acceptable par le milieu rural, la coexistence d'une vie sauvage, il faut, dans l'immédiat, s'efforcer de réduire au minimum les interactions nuisibles aux activités humaines vulnérables.

Il faut également, au-delà des aides matérielles, retrouver la voie de la négociation, du dialogue et restituer un réel pouvoir d'initiative aux acteurs locaux.

La dimension humaine de la gestion des prédateurs doit consister à donner aux hommes, et notamment aux hommes de terrain, les moyens de la maîtrise de la situation.

C'est probablement en réduisant le sentiment que se font les éleveurs de la toute puissance de l'administration, que l'on rétablira leur confiance dans les institutions et les pouvoirs publics.

I.- UNE APPLICATION PLUS ADAPTÉE DES DÉROGATIONS À LA PROTECTION DES GRANDS CARNIVORES EN EUROPE ET EN FRANCE

A.- DEUX CONDITIONS À LA DÉROGATION SONT PRÉVUES PAR LES TEXTES

Comme il a été indiqué précédemment, l'article 9 de la convention de Berne prévoit des dérogations au régime de protection générale des espèces visées par ses annexes. Les Etats-parties disposent donc de la faculté de déroger à l'interdiction de tuer ou de pratiquer certaines activités sur les espèces protégées, dont le loup, lorsque certaines conditions sont remplies.

La directive 92/43/CEE, dite directive « Habitats », reprend les dispositions de la convention de Berne afin de contribuer à son application au sein des Etats-membres.

Les Etats-membres qui décident d'appliquer les dérogations prévues, ont l'obligation d'adresser tous les deux ans, à la Commission européenne, un rapport sur les dérogations mises en œuvre, la Commission faisant connaître son avis dans un délai de douze mois suivant la réception du rapport.

La même demande est formulée par la convention de Berne vis-à-vis des Etats-parties qui doivent établir un rapport sur les mesures de dérogations qu'ils décident d'appliquer.

On notera dès à présent que ni la convention de Berne ni la directive n'exigent que soit formulée une demande préalable à la mise en œuvre des dérogations et qu'aucun contrôle a priori n'est exercé sur le bien fondé des mesures appliquées par les Etats.

Il apparaît, d'après les auditions de la commission, qu'au niveau européen, une certaine souplesse dans l'application des dispositions protectrices se fait jour et que la prise en compte des problèmes économiques et des difficultés d'adaptation des populations concernées est plus présente.

Il est donc possible, sans remettre en cause les objectifs généraux des obligations internationales, d'espérer faire progresser l'idée d'une nécessaire adaptation de ces objectifs aux spécificités locales.

M. Nicholas Hanley, directeur du bureau protection de la nature à la Commission européenne, a ainsi indiqué aux députés : « La Commission comprend que la cohabitation du loup avec les habitants peut poser des problèmes dans les pays de la Communauté, surtout dans les milieux agricoles de montagne. Il faut donc gérer cette cohabitation. (...) Le problème du loup en France s'inscrit dans le cadre plus général du problème des grands carnivores en Europe. Mes services sont en train de mener une enquête auprès des autorités nationales pour alimenter le débat au sein du comité scientifique de suivi de la directive Habitats sur la gestion des grands carnivores - loup, lynx, ours... - dans l'Europe des quinze et dans les pays qui vont entrer dans l'Union l'année prochaine. Cette enquête devra nous permettre de confronter les expériences, afin de mieux comprendre la problématique et de mieux la gérer »

Les conclusions de notre commission d'enquête joueront évidemment leur rôle dans ce réexamen général de la situation au niveau européen

Les dispositions nationales autorisent les mêmes dérogations, selon les mêmes conditions. L'article 2 de l'arrêté du 12 octobre 1996 dispose : « Toutefois, à condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle, une autorisation de capture ou de destruction de spécimens d'espèces mentionnées [loup, lynx, ours......] peut être accordée par arrêté conjoint des ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture, pris après avis du Conseil national de la protection de la nature, pour prévenir des dommages importants aux cultures, ou au bétail, ou dans l'intérêt de la sécurité publique, ou pour assurer la conservation de l'espèce elle-même. » Cette rédaction, on le verra, est un peu plus restrictive que les dispositions internationales.

1.- L'absence de solution alternative

Des techniques ont été mises au point pour protéger les troupeaux contre les attaques de loups et de grands prédateurs. Votre rapporteur les a scrupuleusement examinées en présentant leurs limites, leur coût et leurs difficultés de réalisation, dans certains cas.

Lorsque le rapport d'information parlementaire de MM. Robert Honde et Daniel Chevallier, sur la présence du loup en France, a été déposé le 20 octobre 1999 et a conclu à l'incompatibilité entre la présence du loup et le pastoralisme à la française, les mesures de protection n'étaient pas en place ou n'avaient pas eu le temps de produire leurs effets.

Il en est différemment aujourd'hui et il paraît donc nécessaire que, dans un contexte de protection juridique des prédateurs, toutes les solutions qui permettent de prévenir les attaques ou d'en limiter les conséquences soient privilégiées.

En conséquence, il est nécessaire que pour se prévaloir des mesures de dérogations, obligation soit faite de réduire au maximum les circonstances favorisant les attaques de loups sur un troupeau.

Afin de rendre légitimes, au regard des règles de protection, les mesures d'élimination de certains prédateurs, l'Etat doit donc, partout où cela est possible et dans un cadre contractuel, négocier avec les éleveurs et les autres parties prenantes, afin de mettre en œuvre les mesures de prévention les plus adaptées (regroupement nocturne des troupeaux,  gardiennage en nombre suffisant, chiens de protection en nombre suffisant...).

2.- Un état de conservation favorable

La directive « Habitats » dresse la liste des espèces qui doivent être protégées, au sein de la Communauté, dans leurs aires de répartition naturelle. Selon M. Nicholas Hanley, « Cette aire ne peut être considérée comme une zone géographique figée dans le temps parce que la nature change ».

Le bon sens commande d'ajouter que cette aire ne saurait encore moins se confondre avec les frontières administratives d'un Etat ou d'un département.

Au risque de décevoir une certaine forme de fierté nationale qui exigerait la présence d'une population viable de loups en France, on ne saurait soutenir sérieusement que l'état de conservation d'une espèce, telle que le loup, doit se mesurer à l'échelle d'un Etat. C'est bien plutôt parce que les problèmes environnementaux comme l'expansion des espèces sauvages transcendent les frontières que seules des normes internationales peuvent les appréhender efficacement. Il ne faut pas voir dans cette approche une volonté de reporter sur les voisins les contraintes liées à l'obligation de protection de l'espèce car votre rapporteur affirme à nouveau que la France doit mettre en œuvre tous les moyens concourant à cette protection.

L'objectif de la directive « Habitats » est d'assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des Etats-membres. On notera dès à présent, que l'article 2 de la directive qui fixe cet objectif en détermine également la limite en précisant que les mesures prises doivent tenir compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales.

L'article premier de la directive fournit des indications sur les différents concepts biologiques utilisés dans la suite du texte.

La définition de l'état de conservation d'une espèce est « l'effet de l'ensemble des influences qui, agissant sur l'espèce peuvent affecter à long terme la répartition et l'importance de ses populations sur le territoire visé à l'article 2 », c'est-à-dire le territoire européen des Etats membres. L'état de conservation sera considéré comme « favorable » lorsque la dynamique de la population considérée lui permet, sur le long terme, d'être un élément viable des habitats naturels et que son aire de répartition naturelle ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible.

Il s'agit donc bien de mettre en œuvre des mesures dont les effets s'évaluent à une échelle géographique propre à chaque espèce et non à l'intérieur de frontières nationales auxquelles il n'est jamais fait allusion dans la définition d'une population viable.

De la même façon, la convention de Berne, que la directive « Habitats » applique, autorise dans son article 9, des dérogations à la protection stricte à condition de ne pas nuire à la survie de la population concernée. Là non plus la notion de survie d'une espèce n'est pas rapportée à l'échelle d'un territoire national mais s'entend au niveau de l'habitat naturel d'une espèce. La convention précise d'ailleurs à l'article premier que la conservation de la flore et de la faune sauvages, « nécessite la coopération de plusieurs Etats » et le même article encourage cette coopération.

C'est bien sur le terrain de l'évolution écologique d'une espèce, ou d'une sous-espèce, qu'il faut donc se placer pour apprécier son état de conservation et sa viabilité.

Votre rapporteur entend donc réfuter les arguments entendus à plusieurs reprises par la commission selon lesquels l'espèce loup n'ayant pas atteint sur le territoire français un seuil de viabilité, fixé plus ou moins arbitrairement à 150 individus, l'une des conditions exigées pour déroger à la protection totale ne serait pas remplie. Rappelons les propos contestables de M. Lionel Brard devant la commission: « En dessous de 25 à 30 meutes installées sur le territoire national en interconnexion, il y a péril et il ne faut donc pas toucher aux populations de loups».

L'approche transfrontalière de la viabilité des espèces pour apprécier la recevabilité des mesures dérogatoires est implicitement admise par la Commission européenne comme par le Comité permanent de la convention de Berne.

Le plan d'action pour la préservation du pastoralisme et du loup dans l'arc alpin dit « plan loup » établi par la France en juillet 2000, indique que la population concernée est constituée par les loups des Alpes occidentales franco-italo-suisses et, implicitement, s'appuie sur cette réalité pour tenter d'élaborer un système de zonage avec des possibilités de tir ou de capture.

Or quelle a été la réaction des autorités communautaires et européennes ?

M. Nicholas Hanley a déclaré à la commission d'enquête : « Nous avons pris connaissance récemment du plan loup préparé par le ministère de l'environnement. Ce plan d'action comporte des éléments très importants qui forment d'après nous la base d'une approche sensée et raisonnée du problème ».

A propos de ce même plan, dans une lettre du secrétariat général du Conseil de l'Europe adressée à la commission d'enquête le 12 décembre 2002(28), on peut lire : « A notre avis la France a toujours suivi une politique appropriée vis-à-vis de cette espèce (...). Le retour du loup ne se fait jamais sans problème d'adaptation du pastoralisme et il convient de traiter ce dossier à long terme. C'est la raison pour laquelle le Comité permanent n'a pas voulu imposer une protection plus stricte du loup en France même si il y a eu des actions de « contrôle » plus ou moins spontanées réalisées par les populations locales en dehors du cadre réglementaire prévu ».

On a vu qu les études génétiques démontrent que les loups présents en France appartiennent à une sous espèce italienne de loups dont le code ADN est bien spécifique en raison de l'absence de contact avec les autres populations d'Europe. C'est bien la dynamique de cette sous-espèce dans son ensemble, qui doit être prise en compte dans sa sphère d'évolution naturelle qui est notamment l'arc alpin.

M. Luigi Boitani, biologiste italien de renommée internationale a pris position, lors d'une conférence internationale sur le loup en février 2000 aux Etats-Unis, pour une gestion coordonnée du loup à l'échelle européenne. Selon lui, la taille des pays européens ne leur permet généralement pas d'accueillir une population viable de loups. Dans ce contexte, la gestion du loup doit s'inscrire dans le cadre d'une démarche de coordination européenne qui viserait à apprécier le niveau de la conservation de la biodiversité sur plusieurs pays. Pour être efficace, dit ce chercheur, il faut entreprendre les stratégies de conservation à grande échelle.

Le juge communautaire n'a jamais eu à se prononcer sur les conditions d'application des dérogations. Toutefois, en raison de ce qui vient d'être exposé, et du fait que les textes communautaires doivent être interprétés en fonction de l'objectif qu'ils poursuivent, on peut considérer que la survie de l'espèce italienne de loups n'étant pas menacée, des mesures dérogatoires encadrées et limitées sont conformes aux objectifs.

B.- L'APPLICATION DES DÉROGATIONS PAR LA FRANCE

1.- La régulation des lynx et des ours

a) Un protocole d'élimination de lynx

Les dispositions de la convention de Berne sur le lynx sont plus souples que celles applicables au loup puisqu'elles autorisent sa chasse, dans certaines régions, à condition qu'elle soit réglementée pour éviter la disparition de l'espèce. En revanche, la directive « Habitats » prévoit le même niveau de protection et les mêmes conditions de dérogations que pour le loup.

A la demande du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, un protocole a été adopté au cours de l'été 2001 dans les départements du Jura et de l'Ain autorisant des prélèvements dans certaines conditions. En cas de dégâts répétés sur un site, ce protocole prévoit qu'une commission composée, outre des représentants de l'administration, des principaux acteurs départementaux concernés (syndicats des éleveurs, associations de défense de l'environnement, fédération départementale des chasseurs, ONCFS...) est réunie sous la direction du préfet.

Cette commission peut, en dernier ressort, et si toutes les mesures de protection sont appliquées, proposer l'élimination d'un lynx, après dix attaques sur une ou plusieurs exploitations situées dans le même périmètre. Lorsqu'un foyer d'attaques persistant est ainsi détecté, ce qui est souvent le cas par exemple en zone forestière, le déclenchement de l'opération d'élimination est décidé par le préfet du département. Ce protocole ne peut aboutir qu'à l'élimination d'un seul animal par an et par département. Si un second prélèvement est indispensable, le préfet doit requérir l'autorisation du ministre de l'environnement.

Le 12 octobre 2001, le préfet de l'Ain a ainsi autorisé jusqu'au 31 décembre suivant, l'élimination d'un lynx dans le secteur de Cerdon-Labalme. Le service départemental de l'ONCFS à qui a été confiée l'élimination n'a pu capturer ni tuer aucun lynx pendant la période autorisée. Selon Mme Martine Bigan, chef du bureau faune et flore sauvages du ministère de l'écologie et du développement durable, «Il n'y a eu guère plus qu'une ou deux opérations de capture par an » ce qui représente depuis 2001 un nombre très réduit de prélèvements.

Le braconnage est, semble-t-il, une cause de mortalité du lynx beaucoup plus élevée que les prélèvements autorisés.

b) Un protocole d'intervention sur l'ours

Dans le contexte très conflictuel du début des années 90, dans les Pyrénées, un protocole de capture de « l'ours familier », originaire des Pyrénées, a été autorisé par le ministère de l'environnement en juin 1992. L'Office national de la chasse, assisté de gardes chasse et de gardes du parc national, s'est vu confier l'opération de capture de l'animal en vue de l'équiper d'un collier émetteur, puis de le relâcher. La demande de déplacement de l'animal formulée par des élus et des éleveurs n'avait pas été accordée. Après plus d'un mois d'attente, un piège au lacet a été installé, l'animal s'est fait prendre mais a réussi à se libérer et à s'enfuir, sans doute blessé. Aucune autre attaque due à cet ours ne s'étant produite par la suite, l'opération a été finalement abandonnée, laissant beaucoup d'interrogations sans réponse.

2.- L'échec des modalités de régulation des loups

Dans le prolongement de ce qui a été constaté sur les conditions du retour du loup, la politique française de gestion du loup, depuis l'adoption des premières mesures en 1993, se caractérise par un manque de lisibilité et beaucoup de confusion.

Les autorités publiques refusant d'opter clairement pour une régulation efficace de l'espèce en nombre et en lieu d'installation des meutes, ont adopté des mesures d'affichage qui n'ont contribué qu'à aggraver la colère des éleveurs et leur perte de confiance dans le pouvoir de l'Etat.

a) Le plan loup

Constatant la rapidité de l'expansion des loups et ses grandes capacités d'adaptation, M. Pierre Bracque, dans son rapport de mission, sans se prononcer sur la question du bon état de conservation de l'espèce, évoque la possibilité d'une protection graduée en fonction d'un zonage lié à la configuration des territoires. L'idée d'autoriser la destruction de loups dans des conditions hautement délimitées fait ainsi son apparition. Le problème des modalités de mise en œuvre reste cependant en suspens à cette époque.

En mars 2000, les réflexions du comité national loup débouchent sur un projet de plan d'action de gestion du loup, établi conjointement par le ministère de l'agriculture et celui de l'environnement, inspiré du rapport de M. Bracque mais aussi de celui de M. Jean-François Dobremez(29), et du rapport d'information parlementaire de MM. Honde et Chevalier.

Ce plan loup est publié et adressé aux préfets le 4 juillet 2000, sous l'intitulé « dispositif de soutien du pastoralisme et de gestion du loup dans la partie française de l'arc alpin ».

En dépit d'idées intéressantes, tels que le zonage en fonction de la vulnérabilité des exploitations et le principe du contrôle des loups, ce plan renvoyant chaque modalité d'application à des échéances ultérieures et à de nouvelles négociations n'a pas été valablement concrétisé.

Comme paralysée par la peur de prescrire des mesures simples et lisibles pour contrôler les loups, l'administration s'est enlisée dans des schémas irréalistes tels les « corridors de circulation » pour les loups entre deux parcs nationaux, ou encore un programme d'expérimentation à peu près vide de contenu. Agissant ainsi, les pouvoirs publics ont fini de perdre toute crédibilité au yeux de nombreux éleveurs qui ont alors déserté les lieux de négociation.

b) Des protocoles inapplicables

Avec l'envoi du plan loup, les préfets ont reçu un premier protocole « visant à réduire le nombre d'attaques de loups ou de chiens sur les troupeaux domestiques », valable pour l'année 2000.

Ce protocole prévoyait des mesures d'intervention sur les loups, par tir ou piégeage, sous la direction d'agents assermentés, en concertation avec les éleveurs. De nombreuses conditions préalables à la décision d'intervention du préfet devaient être remplies et en dernier lieu, une intervention ne pouvait être déclenchée qu'à la suite d'une série de trois attaques totalisant au moins 18 animaux tués ou blessés, survenues au cours de trois semaines consécutives. En l'absence de mesure de protection des troupeaux, les conditions de prélèvements étaient plus restrictives.

Pour l'année 2000, chaque préfet de département était autorisé a priori à mettre en œuvre une opération de prélèvement.

Les chambres d'agriculture et les syndicats professionnels de l'arc alpin ont déclaré refuser la mise en œuvre de ce protocole, le considérant inapplicable sur le terrain.

De fait ce protocole a fait l'objet d'une seule décision d'autorisation délivrée par le préfet des Alpes-Maritimes le 4 décembre 2000, sur le territoire de la commune de Venanson. L'affût organisé par quatre gardes de l'ONCSF des Alpes-Maritimes, assistés de deux gardes de la brigade mobile de Provence, n'ayant pas abouti, le préfet a ordonné la levée de la mise en oeuvre du protocole le 12 décembre. La présence sur le lieu de l'intervention, de journalistes et d'opposants au prélèvement, a très probablement contribué à l'échec et à l'abandon de l'action.

Un second protocole, plus restrictif que le premier, a été adopté en juillet 2001 pour l'année 2002. Cette seconde version reprend la majorité des principes précédents mais pose, en préalable à toute décision d'application, l'existence de mesures de prévention. En cas d'attaques répétées, une expertise doit être diligentée afin d'évaluer la réalité et l'efficacité des mesures de protection, avant toute procédure de prélèvement du loup. Si la démarche est susceptible de renforcer et d'améliorer les mesures de protection, elle rend inopérante toute possibilité d'élimination du loup. Ce protocole n'a reçu aucune application en 2002.

A ce jour, aucun loup n'a été abattu dans le cadre de ces décisions ce dont on pourrait se féliciter si cela signifiait que les prédateurs sont désormais fermement tenus éloignés des troupeaux ou mis dans l'incapacité de les attaquer.

Malheureusement, force est de constater que tel n'est pas le cas, comme l'ont répété un grand nombre d'éleveurs devant la commission.

M. Philippe De Mester, préfet des Alpes-de-Haute-Provence a dans une note adressée à la commission le 10 mars 2003, porté sur ce protocole le jugement suivant : « Le prélèvement devant être effectué par des agents assermentés, il n'y a qu'une chance extrêmement réduite que le prédateur soit au « rendez-vous ». Animal particulièrement fugace, le loup ne se fait pas prendre au tir d'un agent assermenté occasionnellement présent : le protocole en vigueur, au contraire, met en évidence l'incapacité des pouvoirs publics à supprimer le prédateur indésirable, ce qui conduit à leur discrédit ».

Votre rapporteur oppose trois critiques majeures aux mesures jusqu'à présent mises en place :

· le manque de clarté dans l'objectif d'élimination des loups, là où ils posent trop de problèmes ;

· l'absence d'initiative revenant aux éleveurs ;

· l'absence de réactivité d'une procédure trop lourde ;

Il en est résulté encore plus de méfiance et, malheureusement, le gel des négociations et du dialogue indispensables à la mise en place de toutes les techniques de protection et d'amélioration des activités pastorales.

c) L'inefficacité des battues

Toutes les battues au loup, légales ou illégales, organisées en France au cours des dernières années ont été vaines, à l'exception d'une opération non autorisée menée aux Orres, au cours de laquelle un loup a été tué.

La discrétion des loups est certainement l'une des causes de cet échec. On pourrait évoquer également le manque d'expérience ou la volonté d'effaroucher les loups plutôt que de les tuer. Mais, comme l'évoque Isabelle Mauz dans sa thèse (30), les battues qui ont laissé des traces dans les archives départementales de la Savoie s'étaient toutes soldées par le même résultat. Il s'agissait plus souvent de dédouaner l'administration que d'éliminer les loups.

Il semble que les battues organisées dans certaines régions d'Espagne soient tout aussi inefficaces, si l'on en croit le témoignage d'un naturaliste cité par Isabelle Mauz : « Je sais que les espagnols pratiquent les battues aux loups. Personne n'est dupe. A titre de défoulement collectif : il y a un problème, on organise une battue, la rentabilité est vraiment maigre mais ça sert d'exutoire ».

Votre rapporteur tenait à apporter ces précisions afin d'éviter pour l'avenir de telles mesures «exutoires», même s'il ne faut pas négliger l'impact psychologique qui doit accompagner les décisions. L'objectif principal à rechercher est certainement de redonner aux éleveurs et aux acteurs locaux le sentiment de la maîtrise de leur sort.

C.- POUR UNE GESTION TRANSFRONTALIÈRE DES GRANDS CARNIVORES

1.- Les recommandations du Conseil de l'Europe

Le 8 décembre 1989, le comité permanent de la convention de Berne a adopté une première recommandation (31) relative à la protection du loup en Europe.

Ce document énumère une longue liste de principes et de directives relatifs à la conservation des loups. Quelques recommandations éclairent utilement le débat qui nous occupe aujourd'hui, en posant le principe d'un zonage. Il est dit par exemple : « dans les régions à vocation essentiellement agricole, il n'est pas souhaitable de maintenir des loups ou de chercher à les réintroduire ». Quelques paragraphes plus loin, il est précisé: « Chaque pays définira dans son territoire des régions adaptées à l'existence des loups et adoptera en conséquence une législation permettant de maintenir les populations et de faciliter la réintroduction de cette espèce. Ces régions incluront les zones où le loup bénéficiera d'une protection juridique totale, par exemple dans des parcs nationaux, des réserves ou des zones de conservation spéciales ainsi que d'autres zones où les populations de loups seront modulées en fonction de principes écologiques en vue de réduire les conflits qui peuvent survenir avec d'autres modes d'utilisation des terres ».

Une recommandation du comité permanent beaucoup plus récente concernant les grands carnivores (32), a été adoptée le 1er décembre 2000 et concerne les actions à mener par la France, l'Italie et la Suisse. On trouve dans l'exposé des motifs de cette recommandation le considérant intéressant suivant « Reconnaissant que les mesures de conservation pour les grands carnivores dans les pays voisins doivent prendre en compte les aspects transfrontaliers ». Puis s'agissant du loup dans les Alpes occidentales, il est recommandé aux trois pays voisins de :

- reconnaître que la population alpine doit être gérée comme une entité distincte des autres populations voisines ;

- collaborer à la gestion commune de la population alpine du loup en établissant les contacts et structures politiques et techniques appropriées ;

- veiller à préserver le statut de sauvegarde favorable de la population alpine du loup dans le respect du développement durable des zones rurales ;

- prendre en compte, à ce propos, les travaux menés dans le cadre de l'initiative « grands carnivores pour l'Europe ».

L'initiative « grands carnivores pour l'Europe », diligentée par le Conseil de l'Europe, finance des études écologiques sur ces espèces. L'une d'entre elles, mentionnée par M. Nicholas Hanley devant la commission d'enquête, s'intitule « Corridors écologiques et espèces : grands carnivores dans la région alpine »(33) et a été publiée en août 2002.

On y trouve notamment, les résultats de travaux de recherche sur les zones de conservation des grands carnivores. Les chercheurs considèrent que la gestion des grands carnivores ne peut être traitée à une échelle locale et que la dynamique des populations de carnivores en Europe occidentale est fondamentalement celle d'une métapopulation. L'objectif de conservation des espèces concernées ne peut être atteint que dans une vision globale. Par ailleurs, compte tenu de la densité de population et d'activité en Europe occidentale, il est indispensable, selon cette étude, « de définir des zones prioritaires nécessitant une protection totale et des zones secondaires d'où, en raison d'activités et d'intérêts incompatibles, l'espèce doit être délogée ».

2- L'aire de répartition des loups dans les Alpes se situe de part et d'autre de la frontière franco-italienne.

La dynamique des populations de loups dans les Alpes occidentales va dans le sens d'une réelle consolidation de l'espèce. M. Dominique Lebreton, directeur-adjoint du centre d'écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier a fourni les précisions suivantes à la commission : « Le taux de croissance en Mercantour a été de 37 % dans la période de 1993-1998 ; on peut soupçonner un excédent de femelles pour expliquer un taux de croissance aussi élevé, mais on peut aussi invoquer une immigration continue depuis l'Italie. Ce taux est en baisse depuis, mais nous avons évoqué les destructions de loups par empoisonnement »

Selon M. Fulco Pratesi, directeur du parc national des Abruzzes, l'Italie abrite aujourd'hui 500 loups. Une quarantaine de loups sont présents dans le parc des Abruzzes, environ 35 dans celui de Gran Sasso et 15 à 20 dans le parc de la Maiella. On en compte 25 à 30 dans le Piémont, en provenance des Appenins, répartis sur cinq meutes. Ces loups sont en interconnexion constante avec ceux qui sont installés, ou en cours d'installation, sur les versants français des Alpes et également sur le versant suisse. La rapidité d'expansion de l'espèce d'abord dans les Alpes du Sud, puis dans les Alpes du Nord, confirme la vitalité démographique des meutes de l'arc alpin et ce, malgré le braconnage. Les conditions d'une régulation négociée et tenant compte des spécificités socio-économiques de part et d'autre de la frontière sont réunies.

3.- La nécessité d'élaborer un plan de gestion commun entre la France et l'Italie

L'évidence de la nécessité d'une gestion commune est partagée par nombre de responsables italiens. M. Walter Mazitti, président du parc national de Gran Sasso a déclaré lors du déplacement de la commission :

« J'ai beaucoup apprécié la préoccupation manifestée par votre délégation pour les graves problèmes que semblent rencontrer les éleveurs en France. Nous connaissons le même type de problème que pose le loup en France, avec le sanglier. Il faut trouver un consensus sur la façon de gérer les prédateurs. En Italie comme en France, les agriculteurs doivent savoir coexister avec les prédateurs. On peut atteindre cet objectif grâce à une communication forte et significative et grâce à l'amélioration des indemnisations et des techniques de gestion. Il faut parvenir à faire baisser au maximum la tension sociale résultant de la présence des prédateurs. La France et l'Italie doivent travailler ensemble en ce sens. Nous sommes prêts à nous engager pour une collaboration étroite, en conseillant au gouvernement français d'intensifier la création de parcs nationaux et régionaux, qui sont autant d'instruments qui peuvent aider les populations à mieux comprendre la présence des prédateurs et à l'accepter ».

M. Nicola Cimini, directeur du parc national de la Maiella a rappelé à la commission qu' « il existe déjà un observatoire dans le cadre de la convention des Alpes, toutes les zones protégées de l'arc alpin ont constitué un réseau. C'est le parc de la Vanoise qui coordonne ce réseau ».

La commission n'a pas été en mesure de prendre des contacts avec les autorités suisses et ne peut donc pas faire état de leur approche de ces problèmes. L'actualité récente fait toutefois état d'un durcissement de la problématique dans ce pays où les prédations sont très mal acceptées. Il est évident que la Suisse devra également être associée à cette coopération.

Le suivi en commun de l'évolution des populations de loups, l'échange des bonnes pratiques sur les techniques de protection et la mise en réseau des parcs apparaissent comme le minimum indispensable à une réelle coopération franco-italienne. La France pourrait, par exemple, fort utilement s'inspirer de la méthode de suivi des loups par collier émetteur utilisée par le professeur Luigi Boitani.

Mais il faut aller plus loin et votre rapporteur souhaite que le gouvernement français engage des négociations avec les responsables italiens en vue de l'établissement d'un véritable plan de gestion et de contrôle commun des populations de prédateurs présents sur l'arc alpin, qui tienne compte des contraintes propres à chaque secteur et des activités économiques locales. L'efficacité des programmes de gestion dépend en effet directement de l'échelle à laquelle on se place et il faut concevoir des stratégies de conservation qui tiennent compte des activités humaines propres à chaque secteur.

Comme première orientation de ce plan commun, votre rapporteur considère qu'accepter une population viable de loups dans les Alpes ne signifie pas encourager le développement d'une population abondante qui serait socialement et économiquement inacceptable.

4.- La mobilisation des fonds communautaires

a) L'utilisation du fonds de développement rural

Ainsi que l'a indiqué à la commission M. Nicholas Hanley, la France, contrairement à l'Italie, n'a pas fait appel, en sus de programme LIFE, au fonds de développement rural dans le deuxième pilier de la PAC, pour abonder les indemnités de compensation des pertes liées à la présence du loup.

Pour l'avenir, votre rapporteur engage le gouvernement à mieux mobiliser ces aides, d'autant que dans le cadre de la révision, en cours, du règlement du fonds de développement rural, une référence explicite à l'éligibilité des dépenses de compensation des coûts de la mise en œuvre de la directive « Habitats » est incluse.

M. Nicholas Hanley a ajouté : « C'est encore une preuve que la Commission comprend que la mise en œuvre de ces directives, que ce soit le réseau Natura 2000 ou les dispositions de protection des espèces, nécessite un financement et nous cherchons progressivement à trouver les fonds communautaires appropriés pour aider des Etats-membres dans la poursuite des objectifs communs ».

b) L'utilisation des fonds structurels

Les aides structurelles européennes ont pour objectif d'accompagner des projets de revitalisation des territoires en déclin. Cofinancé par le Fonds européen pour le développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE), l'objectif 2 de la politique régionale européenne vise plus particulièrement à soutenir les zones industrielles, rurales ou urbaines qui connaissent des difficultés structurelles.

Pour la période 2000-2006, les régions Midi-Pyrénées, PACA et Rhône Alpes se sont vu attribuer, pour les zones éligibles à l'objectif 2, des dotations financières importantes (respectivement : 376 millions d'euros, 274 millions d'euros et 361 millions d'euros). Des actions de soutien au pastoralisme, d'aménagement des zones d'alpage, de formation de bergers ou d'emploi de bergers, de développement du tourisme, associées à un repeuplement des régions montagneuses pourraient certainement être cofinancées par l'Europe.

Votre rapporteur regrette la sous utilisation chronique de ces instruments financiers par la France et l'absence de mobilisation locale pour élaborer des projets de développement.

Le programme LEADER+, cofinancé par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), a également vocation à soutenir des projets de développement rural initiés par des acteurs locaux. La France bénéficie de 268 millions d'euros au titre de ce programme pour la période 2000-2006.

Enfin le programme INTERREG III, dont la gestion est déléguée aux collectivités locales, vise à développer les coopérations transfrontalières, transnationales et interrégionales sur des problèmes d'intérêt commun, comme la gestion des grands prédateurs. Il devra aussi être utilisé.

L'Italie a su, mieux que la France, mettre à profit les fonds structurels, notamment pour financer des travaux scientifiques sur le nombre de loups installés dans les Alpes et dans le Piémont. Dans le cadre du programme INTERREG II, qui s'est achevé en 2001, de nombreux aspects de la connaissance et de la présence des loups dans les Alpes occidentales ont été ainsi financés, de même que des compensations de dommages sur les animaux domestiques. De nombreuses données ont été récoltées et stockées dans le cadre du programme INTERREG, notamment sur l'identification des territoires plus favorables au loup. Ces données et de nombreuses statistiques sont stockées par le Parc Alpi Maritime et pourraient utilement être utilisées et complétées dans le cadre d'une gestion franco-italienne des prédateurs.

II- LE LOUP N'A PAS SA PLACE DANS LES SECTEURS D'ÉLEVAGE OU AUCUNE PROTECTION EFFICACE N'EST POSSIBLE

A.- DÉFINIR DES SEUILS D'INCOMPATIBILITÉ

M. François Moutou, directeur de l'unité épidémiologique de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a déclaré devant la commission : « Je ne suis pas forcément convaincu qu'à terme, les Alpes soient le territoire le plus approprié pour maintenir la présence du loup en France. Si l'on tombe d'accord pour conserver des loups en France, des zones comme la Franche-Comté, la Lorraine, la Champagne ou la Bourgogne qui sont des zones bien boisées avec très peu d'élevages ovins, mais avec des populations de cerfs, de chevreuils et de sangliers abondantes - les plans de chasse en témoignent et ces populations ne sont pas tirées à hauteur de ce qui est autorisé - me semblent, à terme, mieux convenir ».

1.- La problématique du zonage

Comme cela a été confirmé par M. Nicholas Hanley, la Commission européenne a accepté le concept de zonage prévu par le plan loup français qui prévoit d'identifier des régions pour la recolonisation en dehors desquelles les dérogations de l'article 16 de la directive peuvent s'appliquer.

Le problème du zonage est donc posé, corrélé à une graduation de la protection des prédateurs en fonction de la vulnérabilité et des particularités socioéconomiques de chaque zone, afin de minimiser les conflits.

Toutefois, sur le principe même du zonage, des avis divergents se sont exprimés devant la commission.

Le zonage figurait parmi les mesures proposées dès 1996 par Jean François Dobremez dans son rapport précité. Il proposait, sur la base d'une étude de l'Office national de la chasse, un découpage en zones où la présence de loups peut être supportée et en zones où les loups sont indésirables comme cela a été fait en Italie, précisait-il.

Pour atteindre l'objectif de la conservation d'une population viable de loups, tout en limitant au maximum les conflits avec l'élevage, un zonage géographique évolutif de l'espace à partager, apparaît plutôt convaincant.

Pour autant de nombreux problèmes subsistent comme l'a expliqué M. Pierre Migot de l'ONCFS : « Au cours des discussions sur ce sujet, des zones biologiques où le loup s'était installé avaient été déterminées. Sur ces zones, le loup aurait été protégé, partant du principe qu'il fallait une certaine surface pour que la population de loups soit viable. On peut convenir de définir les communes concernées pour que la situation soit administrativement plus gérable, mais ce n'est pas une mesure biologique ce qui renvoie au problème de savoir pourquoi on pose la limite en tel ou tel endroit, d'autant que les loups s'installent en un point donné, mais qu'ils peuvent en changer et créer d'autres meutes. Relevant du domaine opérationnel, la question posée est de savoir quoi faire dans les zones définies comme étant des zones à loups et dans les zones où le loup ne serait pas opportun.(...) Honnêtement, je ne sais pas, avec des critères objectifs, comment établir un zonage. Ce serait de toute façon un choix et il serait difficile à gérer dans la mesure où les limites seraient arbitraires. Si l'on prenait des mesures différentes d'un côté à l'autre d'une vallée, rien ne prouve que le loup ne la franchirait pas et même si l'on décidait, dans une zone, de le détruire ou de l'éliminer, il ne serait pas si facile d'éviter les dommages! Pour me résumer, je ne sais pas comment exclure le loup d'un territoire où le loup ne serait pas souhaité ».

M. Laurent Garde a lui aussi exprimé des réticences : « Je suis très réticent concernant le zonage, mais si un zonage devait être mis en place, il devrait se fonder sur le critère de la typologie des systèmes d'élevage et donc de la masse des contraintes posées par le loup. Sous forme de boutade, je dirais que si l'on mettait le loup dans le bois de Boulogne, cela ne poserait aucun problème à l'élevage. Au-delà de la boutade, il faut bien voir que, étant donné la dynamique de l'espèce, une telle politique demanderait une pression permanente de régulation et de pression des animaux sortant des zones protégées.En pratique, j'ai du mal à imaginer la faisabilité d'un tel zonage. Cela dit, si le zonage était implicite, c'est-à-dire s'il consistait à enlever le loup là où il provoque des dégâts majeurs, si le zonage se fondait sur l'acceptabilité sociale du retour du loup plutôt que sur une limite, nous ne ferions que suivre la politique de la Suisse et de la Norvège, pourtant signataires de la convention de Berne qui n'ont pas hésité à tirer sur les loups dès qu'ils ont posé trop de problèmes à l'élevage et qui le laissent s'installer là où ils causent moins de problème ».

La délimitation des zones est en effet un problème délicat et M. Eric Arnou, vice-président du parc naturel régional du Vercors, a illustré cette difficulté lors de son audition par la commision. Après avoir constaté la possible coexistence, dans les zones d'alpage du parc du Vercors, il a ajouté: « Mais désormais, nous rencontrons de nouveaux problèmes en périphérie de réserve, bien que le conseil d'administration du parc ait toujours voulu que les mesures financées par LIFE ne se limitent pas aux frontières de la réserve mais prennent en compte l'ensemble du massif. Une partie du problème s'est donc sans doute déplacée vers la périphérie de la réserve. En bref, le problème peut être maîtrisé sur la réserve, là où la présence du loup est passagère et où le territoire nous a permis d'appliquer nos recettes. Par contre, si la présence du loup devait s'étendre à la moyenne montagne, là où la végétation est importante et là où les structures d'exploitation ne permettent pas la même organisation de la pratique pastorale, je ne suis pas sûr que nos recettes puissent s'appliquer, donc que ces zones soient viables. Je tire donc pour l'instant des conclusions très mitigées de notre expérience ».

La majorité des chercheurs et des biologistes sont très réservés sur le zonage des loups dans l'arc alpin, mais M. Luigi Boitani, déjà cité, est un des rares chercheurs à penser que le zonage est la seule façon rationnelle de gérer le retour du loup.

Il se prononce cependant pour un zonage a posteriori qui suppose que l'on laisse les loups occuper l'espace qui leur convient et que l'on adapte le réseau de zones de protection en fonction de la plus ou moins grande compatibilité constatée. Cette démarche peut être appliquée sur tous les territoires où les loups sont installés. En revanche, pour l'avenir, il serait préférable d'anticiper et d'étudier, dès à présent, les zones probables d'expansion où le loup ne pourra pas être toléré.

Confronté à toutes ces incertitudes, votre rapporteur considère que l'approche par niveau de compatibilité entre les prédateurs et les activités humaines est la seule possible. Trois conditions méritent cependant d'être posées.

La délimitation des différents secteurs ne peut être envisagée qu'à la suite d'études pastorales approfondies intégrant le degré d'acceptation des populations concernées.

En second lieu, ces secteurs doivent être évolutifs en fonction du niveau des prédations ce qui exige un suivi très régulier.

Enfin, il n'est pas question de cantonner le loup aux seules régions alpines alors qu'il existe en France bien des territoires de plaines et de massifs forestiers riches en ongulés sauvages où l'élevage est peu présent.

Sous ces réserves et en l'état actuel des connaissances et des informations, votre rapporteur propose de retenir le projet de trois grands types de territoires.

Les territoires où le pastoralisme ovin n'est pas pratiqué pourront devenir des secteurs de protection intégrale des grands prédateurs.

Dans les territoires où le pastoralisme est présent mais où l'efficacité des mesures de protection des troupeaux aura été démontrée, le loup sera toléré mais pourra être éliminé, sous certaines conditions.

En dernier lieu, dans les secteurs d'élevage très vulnérables où les techniques de prévention sont inapplicables, les loups ne seront pas autorisés à s'installer et devront être éliminés.

Comme on va le voir, ce canevas devra se construire dans la durée, prendre en compte l'évolution des situations et surtout, s'appuyer sur une connaissance très fine, inexistante actuellement, de chaque territoire.

2.- Diligenter des diagnostics pastoraux très fins pour déterminer les territoires d'exclusion des loups

Les diagnostics pastoraux financés dans le cadre du programme LIFE portent essentiellement sur l'analyse de la ressource fourragère d'un alpage en vue d'adapter la conduite du troupeau à cette ressource.

Il est indispensable d'intégrer, dans ce type d'analyse de la valeur pastorale d'une unité, les paramètres de la prédation par le loup et d'élargir les conclusions à la faisabilité des mesures de prévention ou aux raisons de leur manque d'efficacité.

Cette approche nouvelle du diagnostic pastoral a été prise en compte dans la réorientation de certains outils du programme pour l'année 2002. Les actions concernant les diagnostics pastoraux ont été requalifiées « Analyse de vulnérabilité des unités pastorales face à la prédation ».

Ce travail d'analyse qui peut être conduit par le CEMAGREF et le CERPAM doit être systématisé et réalisé parallèlement à un diagnostic classique ou de façon autonome. Mais il faut accélérer les travaux car, à ce jour, 16 unités pastorales seulement ont fait l'objet d'un diagnostic pastoral dans le cadre du programme LIFE, dont 8 comprenant une analyse de vulnérabilité. On rappellera que le seul département des Alpes-Maritimes compte une centaine d'unités pastorales(34).

Le coût d'un diagnostic simplifié de repérage des dysfonctionnements du système pastoral dus au risque de prédation par le loup, a été estimé entre 3.354 euros et 4.574 euros.

Votre rapporteur souhaite l'accélération et la pérennisation de ces diagnostics, essentiels pour la gestion des loups, à l'expiration du programme LIFE.

B. LES MÉTHODES DE RÉGULATION DOIVENT ÊTRE ENCADRÉES, EFFICACES ET RÉACTIVES

La régulation est non seulement possible au regard des obligations internationales comme on l'a vu, mais elle est nécessaire, pour des raisons socioéconomiques qui ne sont plus à démontrer.

On peut ajouter qu'elle est favorable à la biodiversité. Plusieurs interlocuteurs de la commission ont ainsi fait état de situations absurdes où, pour ne pas limiter la prolifération de certaines espèces, on a pris le risque de provoquer des catastrophes écologiques. Il convenait effectivement de le rappeler, même si la situation des grands carnivores européens n'est pas comparable à celle des sangliers ou des grands cormorans et des vautours dont la prolifération et les dégâts consécutifs, démontrent que le problème n'est certainement plus la recherche d'un état de conservation favorable.

Des précautions doivent donc être prises pour respecter les objectifs de viabilité des loups de l'arc alpin, mais les dispositions réglementaires en vigueur en France ne posent pas clairement les termes d'une régulation adaptée, à la fois au respect de ces objectifs et à la protection des élevages.

La France doit élaborer une nouvelle procédure de régulation, mettant en place des moyens clairs, efficaces, encadrés par un nouveau règlement interministériel. En dehors des zones de protection totale, un droit de prélèvement des loups indésirables doit être reconnu et mis en œuvre, le cas échéant, par les éleveurs ou les bergers eux-mêmes, s'ils l'acceptent.

1.- Fixer des conditions claires pour un exercice réel du droit de régulation des loups

En l'état actuel du droit interne, le prélèvement d'un loup (comme d'un lynx ou d'un ours) s'effectue en trois temps.

L'arrêté du 10 octobre 1996, après avoir rappelé les conditions préalables à la dérogation, prévoit qu'une autorisation de capture ou de destruction peut être accordée, par arrêté conjoint des ministres de l'agriculture et de l'environnement, après avis du Conseil national de la protection de la nature.

Cette autorisation interministérielle a pris la forme, à deux reprises, de protocoles visant à réduire le nombre d'attaques de loups, valables pour l'année 2001, puis pour l'année 2002, que votre rapporteur a examinés précédemment.

Enfin, au-delà d'un certain seuil de dégâts et de diverses autres conditions, le déclenchement d'une opération de dissuasion ou de prélèvement, doit faire l'objet d'une autorisation préfectorale limitée dans le temps. Le préfet confie à la DIREN et à la DDAF, par l'intermédiaire de leurs agents assermentés, l'organisation des phases de l'intervention.

On comprend que les éleveurs et les élus locaux, confrontés à des attaques aussi furtives que meurtrières soient restés plus que perplexes devant un tel échafaudage de conditions et de niveaux d'intervention qui conduisent inévitablement à la paralysie de l'action publique.

De fait une seule décision d'intervention a été prise, comme on l'a vu, par le préfet des Alpes-Maritimes qui n'a abouti à rien.

De plus, pour 2003, il y a un vide juridique puisque aucun nouveau protocole n'a été adopté. Aucune mesure de prélèvement d'un loup n'est donc juridiquement possible à l'heure actuelle.

Votre rapporteur considère qu'il faut sortir de cette impasse et de ces faux semblants.

Tout le monde s'accorde pour dire que l'on ne peut pas laisser le loup s'installer partout. Il faut donc pouvoir le déloger ou le faire disparaître des secteurs où sa présence est reconnue strictement incompatible avec les activités humaines.

Comme le faisait observer M. Pierre Bracque dans son rapport, la majorité des pays engagés dans la protection du loup ont été amenés à mettre en œuvre des politiques de régulation de ses effectifs : officielles dans certains cas (Etats-Unis, Espagne, Pologne, Finlande), officieuses dans d'autres, comme l'Italie où le loup est strictement protégé mais où le braconnage est toléré.

Il incombe à l'Etat, dans le respect de ses obligations internationales, d'encadrer, par la voie réglementaire, l'impact de la régulation sur l'accroissement normal de la population protégée, de déterminer les territoires où la régulation est justifiée et le seuil d'attaque autorisant le déclenchement d'une action.

Un arrêté interministériel doit poser clairement ces trois limites à la mise en oeuvre des actions de régulation, pour répondre aux objectifs de l'article 16 de la directive « Habitats », sans ajouter d'autres conditions ou restrictions.

S'agissant de l'impact sur l'espèce, Laurent Garde a fourni des indications intéressantes dans l'une de ses études(35). S'appuyant sur des travaux nord américains, il considère qu'un taux de prélèvement de 20 à 30 % maintient une population de loups à un niveau stable, à condition de ne pas éliminer les louveteaux. Au-delà de 30%, la population déclinerait. En Espagne 20 % de loups sont tués chaque année et la population continue de croître.

Quant aux territoires où la régulation sera autorisée, ils seront déterminés en fonction de la plus ou moins grande vulnérabilité aux prédations des unités pastorales, conformément aux diagnostics pastoraux qui doivent être rapidement mis en œuvre. Leur délimitation devra faire l'objet d'un arrêté préfectoral, au fur et à mesure où cela sera possible.

Enfin le seuil de déclenchement de l'action de prélèvement pourrait être fixé, dès la première attaque meurtrière, sans contrôle préalable de l'existence de mesures de protection puisque notre hypothèse de départ est la généralisation et le renforcement de ces mesures.

Votre rapporteur propose donc de modifier les dispositions relatives à l'autorisation de capture ou de destruction des loups, des lynx et des ours qui figurent à l'article 2 de l'arrêté du 10 octobre 1996 fixant la liste des mammifères protégés. Les nouvelles dispositions poseraient le principe d'un droit de régulation des trois espèces, dès la première attaque meurtrière. Les limites seraient celles d'un pourcentage de prélèvement compatible avec la survie de l'espèce, et les territoires où les prédateurs bénéficieraient d'une protection totale.

Il faut maintenant se demander qui sera chargé de l'exécution de la régulation.

Deux mesures distinctes doivent être envisagées. D'une part, la restitution du pouvoir, pour les communes ou les groupements de communes, d'ordonner des tirs ou des captures, en riposte à des situations gravement dommageables, d'autre part dans les secteurs où le loup ne doit pas être toléré, la définition d'actions préventives confiées à des professionnels spécialisés.

Enfin dans les territoires de protection totale des mesures exceptionnelles d'aide aux éleveurs qui continueront à y travailler devront être mises en place.

2.- Redonner aux communes le pouvoir d'éliminer les prédateurs qui présentent un danger sur leur territoire, hors zone de protection totale.

a) La modification de l'article L. 2122-21- 9° du code général des collectivités territoriales n'était pas justifiée.

Entre avril et octobre 1996, à la suite d'importantes pertes subies par les troupeaux, 8 communes des Alpes-Maritimes (36) ont pris des délibérations autorisant le maire, sur le fondement de l'article L. 2122-21-9° du code général des collectivités territoriales, à prendre les mesures propres à éliminer les loups.

Ce paragraphe 9 autorise le maire, sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du préfet, à prendre « à défaut des propriétaires ou des détenteurs du droit de chasse, à ce dûment invités, toutes mesures nécessaires à la destruction des animaux nuisibles... ». A l'époque, le texte précisait, « ...désignés dans l'arrêté pris en vertu des articles L.427-8 et L.427-9 du code de l'environnement, ainsi que des loups et sangliers remis sur le territoire ».

Le préfet des Alpes-Maritimes a déféré les huit délibérations municipales au tribunal administratif de Nice qui les a annulées, au motif de leur incompatibilité avec la convention de Berne. La Cour administrative d'appel ayant confirmé les huit jugements, le Conseil d'Etat a été saisi de l'ensemble du litige.

Après avoir écarté le moyen de la violation de la convention de Berne, au motif que ses dispositions ne créent d'obligations qu'entre les Etats-parties et ne produisent pas d'effet dans l'ordre juridique interne, le Conseil d'Etat a annulé, le 8 décembre 2000 les délibérations des communes en se fondant sur la méconnaissance des articles 12 et 16 de la directive Habitats.

La haute juridiction a considéré que l'article L.2122-21-9° n'est pas par lui-même incompatible avec les objectifs de la directive, dont il résulte que la capture ou la mise à mort de certains animaux sauvages, dont les loups, ne peut avoir lieu que dans des cas strictement limités. Les délibérations ont été annulées parce que, en violation des conditions de dérogations de l'article 16 de la directive, elles prescrivaient la destruction sans restriction des loups présents sur le territoire des communes. Selon le Conseil d'Etat, une telle mesure dont « ni le but ni les limites n'étaient précisées a méconnu la portée des règles dans le cadre desquelles la mise en oeuvre de l'article L.2122-21-9° s'inscrit ».

Ainsi, ce n'est pas le bien fondé de l'intervention municipale qui a été condamné, mais les moyens utilisés pour exercer ce droit.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat, par un arrêt(37) du 30 décembre 1998, avait jugé que si les mesures édictées par l'arrêté interministériel du 10 octobre 1996 confient aux ministres concernés, le pouvoir de délivrer des autorisations de capture et de destruction du loup lorsqu'elles sont nécessaires, elles n'ont pas eu pour effet de retirer aux autorités municipales le pouvoir dont elles disposent en vertu du paragraphe 9° de l'article L.2122-21 du code général de collectivités territoriales.

Il résulte donc de cette jurisprudence que le conseil municipal peut disposer, dans les limites réglementaires, et en réponse à un but précis, du pouvoir de mettre en œuvre les dérogations de l'article 16 de la directive « Habitats » et que les dispositions de l'article L.2122-21 9°, n'étaient pas contraires aux objectifs de cette directive.

Néanmoins, le gouvernement a cru bon, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 2000, lequel, en réponse à une question du Premier ministre, a procédé à la délégalisation de l'article L.427-6 du code de l'environnement et de l'article L.2122-21-9° du code général des collectivités territoriales, de supprimer le loup et le sanglier de la liste des animaux nuisibles.

C'est par le décret du 25 mai 2001, portant modification des dispositions du code général des collectivités territoriales et du code rural relatives à la destruction d'animaux nuisibles, que le paragraphe 9° de l'article L.2122-21 du CGCT, a été modifié par la suppression des mots « désignés dans l'arrêté pris en vertu des article L.427-8 et L.427-9 du code de l'environnement ainsi que des loups et sangliers remis sur le territoire ».

Outre l'incohérence qui consiste à faire relever loups et sangliers de dispositions qui les excluent de la catégorie des animaux nuisibles - car ils le restent potentiellement quand ils deviennent dangereux -  on comprend la colère des acteurs locaux de se voir dépossédés, sans véritable justification juridique, du seul pouvoir d'intervention dont ils disposaient.

Cette incompréhension a été bien exprimée par M. Hervé Benoit chargé de mission à l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) « L'autonomie de gestion des élus sur leur propre territoire est remise en cause. De quelle façon doit-on gérer la faune sauvage ? Pourquoi se substitue-t-on à l'élu local  qui est pourtant le meilleur observateur ? Pourquoi empêche-t-on le maire de gérer une crise à laquelle il est pourtant sensible à travers les dommages que subissent les éleveurs sur le territoire de sa commune ? Le mal essentiel que nous cherchons tous à combattre est bien les dommages économiques que cause le retour du loup ».

Il est vrai que le décret du 25 mai 2001 a fait suite à un avis motivé adressé à la France par la Commission européenne, le 2 février 2001, concernant la non-conformité de la législation française à la directive « Habitats » pour la protection du loup. Cet avis était fondé sur la contradiction supposée entre l'arrêté du 10 octobre 1996, qui organise la protection du loup, et l'article L 2122-21-9° du code général des collectivités territoriales.

La Commission européenne reprochait à ce dernier texte de ne pas appréhender le loup comme une espèce dont la protection est obligatoire et de prévoir sa mise à mort intentionnelle. Selon la Commission, les dispositions incriminées ne pouvaient pas, en l'absence de précisions supplémentaires, constituer des modalités d'application de l'article 16 de la directive.

Votre rapporteur constate tout d'abord que cette interprétation est contraire à celle exprimée par le Conseil d'Etat qui a critiqué les moyens mis en oeuvre par les délibérations municipales, mais pas leur fondement juridique.

En second lieu il est possible, tout en conservant aux municipalités leur pouvoir de police face aux animaux dangereux, d'encadrer et de limiter ce pouvoir lorsqu'il s'agit d'espèces protégées. Un tel équilibre entre protection de la faune sauvage et sécurité n'est pas contraire à la logique des textes européens, bien interprétée.

b) Les maires doivent pouvoir exercer leur pouvoir de police dans le cadre de l'autorisation de dérogation ministérielle

Votre rapporteur propose donc de compléter l'article L.2122-21 du code général des collectivités territoriales afin de donner aux maires le pouvoir de faire exécuter une décision du conseil municipal visant à l'élimination, par tir sélectif, d'un loup ou d'un lynx ou d'un ours dangereux pour les troupeaux.

Il ne s'agit pas d'organiser des battues, dont on a vu qu'elles sont le plus souvent inefficaces et surtout qu'elles ne répondent pas à l'obligation d'une élimination sélective pour prévenir des dommages importants sur les troupeaux, conformément aux exigences de l'article 16 de la directive « Habitats ».

Les maires pourront, après délibération du conseil municipal sur l'opportunité de la décision, et sous le contrôle administratif du préfet, autoriser un droit de riposte sélectif par tir sur un loup qui attaque un troupeau.

c) Ce pouvoir peut prendre la forme d'un droit de riposte susceptible d'être délégué aux bergers exerçant sur la commune

Les éleveurs et les bergers sont partagés sur un pouvoir de riposte directe qui leur serait délégué, sous la forme d'une autorisation de tir. Beaucoup d'entre eux refusent de se transformer en tueurs de loups.

M. Franck Bonneval, membre du bureau national des Jeunes agriculteurs, l'a clairement indiqué à la commission : « Nous ne voulons pas que, demain, on tue tous les loups, mais si un loup s'approche d'un troupeau, il faut que nous ayons la possibilité de faire quelque chose. Que ce ne soit pas de la responsabilité des éleveurs me semble logique et qu'un organisme vienne à gérer tout cela serait quelque chose de bien et d'utile. Il conviendrait que les pouvoirs publics prennent leur responsabilité dans cette affaire. Selon nous, les pouvoirs publics, et un certain ministère n'ont sans doute pas fait ce qu'il fallait au moment où il le fallait. Selon les Jeunes Agriculteurs, s'il doit y avoir tir, il doit être fait par des personnes assermentées, afin d'éviter toutes difficultés futures sur le sujet. C'est un moyen de se protéger, car si l'on sait qui tire, on ne sait jamais trop sur quoi on tire ».

A l'inverse, M. Philippe De Mester, préfet des Alpes-de-Haute-Provence a déclaré : « Nous sommes de plus en plus convaincus de la nécessité d'engager un système de régulation par les bergers eux-mêmes. Les éleveurs, en effet, ont le sentiment de ne pas être reconnus. Ils ont un grand sentiment d'abandon et pensent que le loup passe avant leur profession. C'est un gros problème, qui relève largement d'une approche psychologique. Les responsabiliser en matière de régulation du loup serait non seulement un moyen de réhabiliter leur profession, mais aussi de réduire les dégâts provoqués par le loup. Bien sûr, il ne s'agit pas de rétablir un droit d'affût généralisé, qui a été supprimé il y a une quarantaine d'années, mais d'autoriser un droit de riposte dès la première attaque. Ce droit s'exercerait, bien entendu, sous certaines conditions, dans un temps et un espace limité, et en s'engageant dans une politique contractuelle visant à mettre en place des mesures de protection efficaces. J'ai lu dans d'anciens rapports que les bergers ne souhaitaient pas se transformer en régulateurs. Moi, ce n'est pas ce que j'ai entendu du terrain. Les bergers, les éleveurs et les agriculteurs souhaitent pouvoir prendre en main leurs affaires. Pourquoi pas, s'ils le font sérieusement ».

De son côté l'ANEM, serait plutôt favorable à une action confiée aux gardiens des troupeaux. Écoutons M. Hervé Benoit  qui s'exprimait ainsi devant la commission : «(...) le loup aurait dans certains espaces le statut d'animal protégé que lui reconnaît la convention de Berne, alors que dans d'autres, où son rôle nocif pour les activités pastorales est reconnu, des moyens seraient mis en œuvre pour le contrer. Ces moyens pourraient consister à valider les pouvoirs de police des élus locaux d'organiser des battues et à reconnaître le droit des propriétaires de troupeaux et des gardiens de pratiquer en quelque sorte la légitime défense en cas d'attaque du troupeau. Le berger pourrait manier le fusil sans avoir à recourir à la procédure administrative actuelle prévue par le protocole d'enlèvement qui oblige à comptabiliser les pertes, à prouver qu'elles ont été causées par le loup, à redescendre jusqu'à la préfecture pour déposer le dossier et obtenir l'autorisation nécessaire pour que les louvetiers puissent procéder à l'enlèvement du loup ».

Dans un souci de pragmatisme et de respect de la liberté de chacun, votre rapporteur considère qu'il faut laisser le choix aux éleveurs et aux bergers disposant d'un permis de chasse, soit d'exécuter eux-mêmes les autorisations de prélèvement, soit de demander au maire de faire appel aux agents de l'ONCFS ou à des gardes forestiers.

d) Des conditions exceptionnelles pour les éleveurs dans les zones de protection totale.

Dans les territoires où l'élevage est très peu présent ou très peu vulnérable, on a vu que la présence des loups pourra faire l'objet d'une protection totale.

Les éleveurs peuvent néanmoins faire le choix de maintenir ou de créer des activités pastorales dans ces secteurs.

C'est pourquoi il faut leur proposer des conditions de protection et d'aides renforcées telles que :

- la prise en charge par l'Etat de la location des pâturages ;

- le versement d'une indemnité forfaitaire annuelle de dommages, calculée en fonction de la composition du troupeau ;

- le renforcement des mesures de protection et l'accompagnement des éleveurs par des techniciens pastoraux qualifiés.

3.- Créer des brigades de louveterie pour surveiller les zones où le loup est exclu

Au fur et à mesure de la réalisation des diagnostics pastoraux réclamés par votre rapporteur et grâce à l'amélioration du suivi de l'expansion des loups et de ses agissements, il apparaîtra inévitablement que sa présence devra être totalement exclue de certains territoires.

Sur ces territoires, dont la désignation devra reposer sur des critères scientifiques et économiques incontestables, des actions préventives de mise en fuite ou de destruction des loups devront être organisées.

Seuls des groupes de professionnels assermentés et spécialistes de l'espèce loup pourront être chargés de cette tâche.

Votre rapporteur propose de confier cette tâche au corps de la louveterie.

Ce corps n'a pas été dissous après la disparition des loups du territoire français. Il a été adapté à la situation nouvelle en 1971 et les articles L427-1 et L427-2 du code de l'environnement en organisent le fonctionnement. Ses membres sont des auxiliaires techniques et bénévoles de l'administration. Les lieutenants de louveterie sont nommés par le préfet sur proposition du DDAF et après avis du président de la fédération départementale de chasse. Ils doivent être de nationalité française, justifier d'aptitudes physiques et de compétences cynégétiques.

En améliorant leur formation et en leur attribuant une rémunération, ils peuvent être rétablis dans leur activité ancestrale de suivi et prélèvement des loups, sous le contrôle des préfets.

Dans le cadre de la formation envisagée, et pour des raisons déontologiques évidentes, il sera nécessaire d'insister sur l'obligation d'une impartialité totale attendue de ces agents assermentés.

4.- Interdire et sanctionner toute autre forme de destruction des prédateurs

Votre rapporteur a acquis la conviction que, faute d'une politique de régulation claire et efficace de la part de l'Etat, un contrôle officieux sous forme de braconnage des loups et des autres grands prédateurs s'est installé.

Des exemples de destruction sont connus, et même parfois revendiqués. Des éleveurs ont d'ailleurs été poursuivis devant les tribunaux.

D'autres formes d'élimination, plus discrètes, par l'empoisonnement notamment, si elles révèlent le niveau de désarroi des victimes d'attaques de loup, mettent en péril l'ensemble de la faune sauvage et domestique et ont été à plusieurs reprises condamnées par les fédérations de chasseurs.

Cet ensemble de faits alourdit encore davantage, s'il est possible, le climat conflictuel qui existe autour du problème de la protection des prédateurs. Les éleveurs considèrent que si l'on en arrive à de telles extrémités c'est que l'on n'a pas le choix et que, confrontés à l'impuissance de l'administration, certains ne supportent pas de rester inactifs face à des prédations qui sont parfois de véritables désastres.

Sensible au désarroi des éleveurs, votre rapporteur considère qu'un Etat de droit ne peut laisser s'installer de telles situations où l'on se fait justice soi même, faute d'autre recours.

Une régulation officielle, encadrée, limitée mais efficace, comme on vient de le proposer, est évidemment la seule réponse à la régulation sauvage et à la violation de la loi, à laquelle les éleveurs et les bergers ne recourent évidemment qu'en désespoir de cause.

Cette position devra faire partie des aspects de la gestion du loup qu'il convient de négocier en commun avec l'Italie. Dans ce pays en effet, contrairement à la Suisse, aucune dérogation à la protection totale du loup n'est admise. En revanche, un braconnage important est toléré : 61 ours auraient été tués dans les Abruzzes entre 1970 et 1985. Dans ce même massif selon des chiffres officieux non contestés par les autorités italiennes, 15% de la population de loups est abattue clandestinement chaque année(38).

III.- DÉFINIR UN PLAN DE GESTION MAÎTRISÉE POUR L'AVENIR

A.- FAUT-IL LAISSER SE POURSUIVRE L'EXPANSION TERRITORIALE DES LOUPS ET COMMENT L'ENCADRER ?

L'objectif du maintien de populations de grands prédateurs viables en Europe et donc en France, ne doit pas être confondu avec une expansion incontrôlée de ces espèces qui deviendrait vite insupportable.

Il faut du temps pour permettre à une organisation humaine d'intégrer un bouleversement tel que le retour des loups dans la vie rurale. Non seulement il faut, souvent en catastrophe, transformer les méthodes de travail, mais c'est tout autant à une forme d'adaptation culturelle qu'il faut se résoudre. L'exemple de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn dans la gestion des ours est un exemple de ce qu'il faut faire.

L'accompagnement technique, financier, psychologique qui s'est mis en place a sans doute contribué à panser quelques plaies. Mais c'est surtout le manque d'anticipation des pouvoirs publics et, en conséquence, l'impréparation totale des éleveurs qui sont à l'origine de tant de drames.

C'est pourquoi, votre rapporteur considère que tout doit être fait pour éviter à l'avenir un tel décalage entre des décisions prises par les uns et les conséquences dramatiques subies par les autres.

Pourtant, les travaux de la commission ne porteraient pas vraiment à l'optimisme quant aux capacités de nos institutions à placer réellement sous contrôle, à long terme, le « stock » et le « flux » de loups sur notre territoire.

Le rapport a déjà souligné la faiblesse des moyens scientifiques et techniques dont dispose la France pour améliorer les connaissances sur les grands prédateurs, leur dispersion prévisible et leur comportement sous nos latitudes. Certes, cette démarche doit relever principalement d'initiatives et d'organismes européens. Mais notre pays ne doit pas rester passif. Par exemple il pourrait être utile de faire dresser par des spécialistes une cartographie de la probable expansion dans les années à venir des loups en France, en fonction des corridors biologiques historiquement connus et de la configuration actuelle des territoires.

A ce type d'interrogation, Mme Roselyne Bachelot-Narquin ministre de l'écologie et du développement durable a apporté les éléments de réponse suivants, lors de son audition par la commission : « Je tiens à la garantie scientifique de mon action. La science est à même de résoudre un certain nombre de conflits. En ce moment même, au ministère, se tient un colloque sur la charte de l'environnement, partie juridique et partie scientifique. J'ai souhaité que les deux puissent se rencontrer. C'est dans cet esprit qu'un observatoire national de la faune sauvage et de ses habitats a été créé. Dès 2003, il s'attachera à un suivi scientifique plus approfondi du loup sous l'œil vigilant du conseil scientifique que je vais installer et pour lequel j'attends les propositions du Professeur Jacques Lecomte (39). Je suis frappée des difficultés que nous avons à obtenir des résultats rapides, par exemple, des analyses génétiques sur les prélèvements d'indices ».

C'est une avancée, mais le souci de votre rapporteur porte principalement sur l'absence de positionnement, tant au niveau national qu'européen, sur le niveau acceptable de présence de grands prédateurs. L'Europe occidentale est constituée de régions peuplées, économiquement dynamiques et qui entendent le rester. Le problème global de la compatibilité de ces situations avec une dispersion incontrôlée de loups doit être clairement posé, et si possible, résolu dans la transparence.

Contrairement aux loups, l'accroissement des ours des Pyrénées est, certes, très lent mais personne ne semble véritablement s'interroger sur les perspectives d'un retour des ours italiens dans les Alpes françaises.

Sur ces problèmes des études sérieuses et transparentes doivent être lancées en liaison avec des chercheurs et des responsables italiens pour évaluer au mieux cette perspective.

De la même façon, on a vu que l'arrivée annoncée du loup dans les Pyrénées, en provenance d'Espagne, n'est pas suffisamment anticipée.

B.- RENÉGOCIER AU NIVEAU EUROPÉEN LES CONDITIONS D'EXPANSION DES PRÉDATEURS D'UN ÉTAT À L'AUTRE

Une assez grande confusion règne sur une éventuelle présence, même erratique, de loups dans les Pyrénées occidentales.

La commission, malgré un déplacement dans cette région et de nombreuses auditions, n'est pas en mesure d'apporter des éléments de réponse précis, ce qui traduit une relative indifférence, tant locale que nationale.

M. Gérard Caussimont président du fonds d'intervention éco- pastoral (FIEP Groupe Ours Pyrénées) et membre du comité scientifique du parc national des Pyrénées, a communiqué à la commission quelques informations en provenance des services de l'environnement des régions espagnoles de Navarre et d'Aragon. Selon ces services, il n'y aurait aucune donnée certaine de présence du loup dans la partie ouest de la Navarre. S'agissant de la partie sud ouest de la Navarre, éloignée d'environ cent kilomètres des Pyrénées-Atlantiques, l'incertitude est plus grande. Pour ce qui est de l'Aragon, des indications de présence ont été révélées par des incursions occasionnelles d'individus dans les provinces de Teruel et de Saragosse, distantes de 150 à 300 kilomètres de la frontière.

Autant dire que l'on ne sait pas grand-chose et qu'il est urgent de diligenter une mission d'expertise dans un cadre franco-espagnol si l'on ne veut pas réitérer les errements de 1992 dans les Alpes.

La France ne doit pas subir à nouveau la pression de prédateurs imposés par les choix des Etats voisins, sans concertation préalable ni mise en place de modalités de contrôle de ces espèces.

Face à la perspective d'arrivées de loups en provenance d'Espagne ou d'ours en provenance d'Italie qui viendraient aggraver la situation de l'élevage dans les versants français des Alpes et des Pyrénées, il faut prendre des dispositions.

Votre rapporteur considère que le gouvernement doit engager, au sein de la Commission européenne d'une part et du comité permanent de la convention de Berne d'autre part, des négociations afin de redéfinir les conditions dans lesquelles la France pourra se protéger contre l'expansion prévisible sur son territoire, des loups dans les Pyrénées et des ours dans les Alpes.

Des procédures de suivi et de contrôle de ces espèces doivent être adoptées au niveau européen afin de ne pas tendre vers une expansion des grands carnivores, insupportable pour la France, tant économiquement que socialement

C.- RENÉGOCIER LES CONDITIONS DE LA MISE EN PLACE DU DISPOSITIF NATURA 2000

Outre la protection des espèces menacées, la directive « Habitats » se préoccupe de la protection de leur cadre de vie par l'instauration de zones spéciales de conservation (ZSC).

Pour la conservation de ces habitats naturels, notamment ceux des ours et des loups, la directive a prévu la mise en place dans toute l'Europe du réseau Natura 2000 qui devrait être achevé en 2004. Ces zones de protection des espèces menacées et de leur espace bénéficieront d'un outil financier qui a déjà démontré son efficacité dans le soutien du pastoralisme contre les loups, le programme LIFE (40). L'article 8 de la directive prévoit que, parallèlement à leurs propositions concernant les sites susceptibles d'être désignés comme ZSC, les Etats-membres communiquent les montants qu'ils estiment nécessaires dans le cadre du cofinancement communautaire pour leur permettre de remplir les obligations auxquelles ils s'engagent.

Les dispositions de la directive « Habitats » qui prévoient l'organisation de ce réseau ont été très mal acceptées par le monde rural, lequel a eu le sentiment d'être, une fois de plus, dépossédé de toute capacité d'initiative. Un manque de concertation évident, lors de la mise en place du dispositif et la délimitation des périmètres, est venu accroître le malaise. Dans ce contexte, un faible nombre de propositions a été formulé par la France auprès de la Commission européenne, proposition d'ailleurs contestée au niveau local, pour la constitution de ce réseau écologique et beaucoup de retard a été pris.

Votre rapporteur considère qu'il faut sortir de cette impasse et reprendre les négociations avec les acteurs locaux en tenant compte de leurs propositions.

La mise en place du réseau Natura 2000 et des modes de gestion et de conservation relèvent de l'initiative des Etats membres et de leurs propositions. S'il ne faut pas perdre de vue les avantages financiers associés au réseau Natura 2000, lesquels pourraient, au moins partiellement, prendre le relais du programme LIFE loup, il est absolument indispensable que l'appréciation des situations locales ne néglige pas les obstacles économiques et sociaux, notamment dans les Alpes et dans les Pyrénées.

Le ministère de l'écologie et du développement durable a transmis en septembre 2002 à la Commission européenne une proposition de site d'intérêt communautaire concernant la zone centrale du parc du Mercantour. Cette proposition doit être réexaminée à la lumière des constatations de la commission d'enquête sur la particulière vulnérabilité aux prédations, du système pastoral pratiqué dans le Mercantour.

D'une manière générale, il convient de réexaminer tous les projets de sites susceptibles d'être proposés par la France en diligentant, partout où des problèmes se posent, des expertises à caractère scientifique et socioéconomique et en organisant une véritable consultation avec les acteurs locaux concernés et les élus.

Dans cette perspective, il est indispensable que le gouvernement obtienne le report des délais fixés par la directive « Habitats » pour la transmission à la Commission européenne de la liste des sites d'importance communautaire.

CONCLUSION

A l'issue de travaux conduits à un rythme soutenu, en donnant la parole à tous les représentants des secteurs concernés par la confrontation du pastoralisme et des prédateurs, la commission a fondé ses propositions sur un certain nombre de constats et de principes directeurs que l'on peut ainsi résumer :

· Le pastoralisme ovin doit être reconnu comme une activité économique essentielle à la vie montagnarde.

· Les grands prédateurs, dont la protection représente une contrainte lourde pour les éleveurs, doivent faire l'objet d'une régulation encadrée mais efficace.

· La France doit respecter ses engagements internationaux en matière de protection de la faune sauvage sans mettre en péril ses activités économiques.

· Un dialogue constructif entre toutes les parties concernées est nécessaire et les problèmes en cause requièrent une gestion au plus près du terrain qui donne toute leur place aux élus locaux.

· La protection des grands prédateurs découlant d'un choix de société, la solidarité nationale doit compenser toutes les conséquences qui en résultent pour les éleveurs.

· Seule une gestion transfrontalière du loup, du lynx et de l'ours est réaliste. Une réelle coopération européenne est donc indispensable tant pour le suivi et l'étude de ces espèces que pour leur contrôle en fonction des spécificités économiques et sociales des différentes régions.

· Le pragmatisme et la recherche permanente d'un équilibre entre protection des espèces et défense des activités humaines constituent la clé qui devrait permettre de résoudre bien des conflits en ajoutant l'impérieuse nécessité, pour l'Etat, d'agir dans la transparence.

· Enfin au-dessus de tout, il faut placer le principe absolu de la priorité de l'homme, des ses activités et de ses traditions, sur l'animal fût-il protégé.

PROPOSITIONS

Vingt cinq propositions d'actions ont été retenues
par la commission d'enquête

Sur la gestion du loup et sa régulation

1. Affirmer que la solidarité nationale doit prendre en charge la totalité des surcoûts imposés aux éleveurs par la présence des grands prédateurs.

2. Pérenniser les aides du programme LIFE loup, à l'expiration du co-financement européen. Mobiliser les fonds communautaires en faveur du développement rural et régional.

3. Créer, au niveau départemental, un fonds d'indemnisation des éleveurs alimenté chaque année à hauteur des montants versés au cours de l'année précédente, avec délégation de paiement aux préfets.

4. Diligenter des études sur le coût économique, pour les exploitations, de la présence des prédateurs, en vue de la création d'une indemnité compensatrice de prédation.

5. Améliorer et renforcer les techniques de protection des troupeaux contre les prédateurs. Multiplier la présence de techniciens pastoraux auprès des éleveurs et des bergers pour la mise en place de ces techniques, notamment des spécialistes des chiens de protection.

6. Etudier la faisabilité d'un système assurantiel d'indemnisation des dégâts provoqués par toutes les espèces de prédateurs, y compris les chiens, dont les primes seraient prises en charge par l'Etat.

7. Systématiser les contrôles d'identification, par le tatouage, des chiens divagants.

8. Créer une structure de recherche spécialisée dans l'expertise en génétique moléculaire, disposant des moyens suffisants pour répondre rapidement aux demandes d'analyses. Développer la pratique des tests en aveugle sur l'analyse des indices.

9. Diligenter des diagnostics pastoraux sur la vulnérabilité aux prédations des unités pastorales de l'arc alpin, intégrant le degré d'acceptabilité de la présence de prédateurs sur ces unités.

10. Déterminer des seuils de compatibilité entre l'élevage et la présence de loups et délimiter des territoires où la protection serait intégrale, des territoires où le loup pourrait être prélevé sous certaines conditions et des territoires où sa présence ne devrait pas être tolérée. Désigner ces territoires par arrêtés préfectoraux.

11. Accorder des moyens de protection renforcée et des primes exceptionnelles aux éleveurs qui exerceraient leur activité dans les territoires de protection totale : prise en charge par l'Etat de la location des pâturages, indemnité forfaitaire annuelle de dommages calculée en fonction de la composition du troupeau.

12. Réunir, à l'initiative des préfets, en avril et en novembre de chaque année, les comités de massif pour évaluer, en début et en fin d'estive, la situation face aux prédateurs et les dégâts subis.

13. Engager le gouvernement par l'intermédiaire des autorités administratives compétentes, à avertir sans délai les maires, de l'arrivée de loups, ours ou lynx sur le territoire de leur commune.

14. Adopter, par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement les dispositions encadrant et limitant la mise en oeuvre des actions de régulation des loups, dans le respect de l'article 16 de la directive « Habitats » et prévoyant notamment :

- le taux de prélèvement annuel autorisé sur la population de loups ;

- le déclenchement d'une action dès la première attaque meurtrière ;

- l'interdiction des battues administratives ou de toute autre mesure d'élimination non sélective à l'encontre des espèces protégées.

Aménager en conséquence l'arrêté du 12 octobre 1996, modifiant l'arrêté du 17 avril 1981 fixant la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire.

15. Compléter l'article L.2122-21 du code général des collectivités territoriales afin de donner aux maires le pouvoir de faire exécuter une décision du conseil municipal visant à l'élimination, par tir sélectif, d'un loup ou d'un lynx dangereux pour les troupeaux. Donner la possibilité aux bergers titulaires d'un permis de chasse, de procéder à l'élimination autorisée. Ce pouvoir ne pourra s'exercer que dans les communes situées hors des territoires de protection totale des prédateurs. Dans les secteurs d'exclusion des loups, créer des brigades de louveterie en nombre suffisant pour déloger les loups.

16. Engager le gouvernement à renégocier au niveau européen les conditions dans lesquelles la France pourra se protéger de l'expansion prévisible, sur son territoire, des loups venant d'Espagne et des ours venant d'Italie. Exiger davantage de souplesse dans les modalités de contrôle de ces prédateurs supplémentaires lorsqu'ils viendront aggraver les problèmes de l'élevage du côté français des Alpes et des Pyrénées.

17. Engager le gouvernement à reprendre les négociations avec les acteurs locaux, sur la mise en place du dispositif Natura 2000 et la délimitation des périmètres concernés sur tout le territoire et notamment en ce qui concerne la zone centrale du parc du Mercantour. Engager le gouvernement à obtenir le report du délai fixé pour la transmission par la France, à la Commission européenne, de la liste des sites d'importance communautaire.

Sur la défense du pastoralisme

18. Redéployer les aides versées dans le cadre du premier pilier de la PAC, au profit de la filière ovine. Prévoir, dans le cadre de la réforme de la PAC, l'augmentation des fonds alloués au deuxième pilier en faveur du développement rural

19. Développer et améliorer la formation au métier de berger : augmenter le nombre de places dans les centres de formation diplômante. Créer des emplois aidés de bergers et d'aide-bergers. Améliorer les conditions de travail dans les estives (moyens de communication téléphonique, confort des cabanes, chemins d'accès, aide à l'acheminement du matériel de protection, meilleur accès aux points d'eau).

20. Améliorer la productivité de l'élevage ovin et mieux valoriser l'agneau des Alpes et des Pyrénées par rapport à la viande d'importation. Encourager la pluriactivité en montagne.

21. Rétablir le dialogue entre tous les acteurs concernés par le pastoralisme et la protection de la faune sauvage.

Sur l'amélioration du fonctionnement de l'Etat

22. Réformer les parcs nationaux : décentraliser et démocratiser la gestion des parcs et renforcer leur fonction de soutien au pastoralisme. Augmenter les pouvoirs de décision et de contrôle des conseils d'administration.

23. Faire respecter leur devoir de réserve aux agents des parcs nationaux et aux agents de l'Etat qui travaillent dans le secteur de l'environnement. Sanctionner les agents de l'Etat ou des établissements publics qui ne porteraient pas immédiatement à la connaissance de leur responsable hiérarchique des faits constatés dans l'exercice de leurs fonctions.

24. Rompre avec le maintien d'une certaine forme de cogestion du ministère de l'écologie et du développement durable par les associations de défense de l'environnement. Exclure les bénévoles du réseau loup et réserver aux agents assermentés le soin de récolter les indices de présence. Accélérer la procédure d'identification et de contrôle des loups en captivité.

25. Subordonner toute réintroduction de l'ours dans les Pyrénées à la concertation et à l'acceptation des acteurs locaux. Etendre à toutes les communes concernées le droit de demander le retrait d'un ours au comportement de prédation anormal.

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La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du mercredi 30 avril 2003 et l'a adopté.

Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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EXPLICATIONS DE VOTE

Déclaration des commissaires
appartenant au groupe socialiste et apparentés

L'objectif de cette commission était d'enquêter sur les conditions de la présence du loup en France et du pastoralisme dans les zones de montagne. En fait, cette commission a été principalement motivée par la question de l'éventuelle réintroduction du loup et, par voie de conséquence, par une mise en doute du bien fondé des textes internationaux, dont la convention de Berne.

Dans ce cadre, les députés socialistes et apparentés ont souhaité élargir le débat à la question du pastoralisme en zone de montagne car c'est bien la survie de cette activité indispensable aux territoires qui doit être au cœur de nos préoccupations. La précédente mission d'information parlementaire avait d'ailleurs considéré que le fait de répondre à la question de l'origine de la présence du loup ne réglait en rien le problème posé. Il nous faut agir en considérant la présence du loup, quelle que soit son origine et sachant que notre pays se doit de respecter le cadre des conventions internationales.

Au terme de cette commission d'enquête, nous constatons que le travail fourni par les commissaires a été important, que le programme des auditions a été varié et équilibré, que les grandes difficultés que les prédateurs posent au pastoralisme ont été appréhendées et que les données techniques du rapport peuvent faire référence. Toutefois, malgré les moyens déployés et les postulats affichés a priori par ceux qui sont à l'origine de la commission d'enquête, démonstration n'est pas faite d'un retour autre que naturel du loup. Le rapport traduit les difficultés à critiquer le fondement des conventions internationales et à sortir de leur cadre. Ce résultat, prévisible avant même le début des travaux, nous semble d'ailleurs compatible avec l'initiative de l'actuel Président de la République, qui souhaite annexer une charte de l'environnement à la Constitution !

Ainsi, sur le fond, le rapport de la commission ne répond pas aux objectifs initialement fixés, ce qui conduit ses auteurs à émettre des propositions bien en deçà des enjeux exposés.

Au-delà de ce constat, nous nous inquiétons du fait que les propos qui y sont tenus, n'apaisent pas les relations tendues entre les partenaires traitant des questions de pastoralisme. Nous regrettons vivement que dans ce rapport, des accusations gratuites et polémiques soient portées. Elles ne pourront que contribuer à poser les débats de manière manichéenne. Ces propos regrettables vont à l'encontre de la volonté qui nous est chère d'apaiser les débats.

Enfin, nous constatons avec regret que des titres du rapport sont volontairement provocateurs et surtout inappropriés puisque dans certains cas, ils sont en décalage, voire en contradiction, avec le contenu même du texte qu'ils sont censés annoncer et synthétiser.

En ayant conscience des enjeux discutés au cours de cette commission d'enquête, en marquant clairement notre déception à la lecture du rapport au vue du travail préalable réalisé, nous ne pouvons cautionner les propos abusifs et polémiques qui y sont tenus et en conséquence nous ne prendrons pas part au vote.

Explication de vote de M. André CHASSAIGNE,
commissaire appartenant au groupe des députés communistes
et républicains

Ce rapport est un document remarquable et une synthèse de qualité sur la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne. Rappelons que cette commission d'enquête avait été constituée à la suite des sollicitations de nombreux éleveurs désemparés par la présence du loup dans leurs montagnes et par l'impossibilité qu'ils avaient de réagir aux attaques des loups contre leurs troupeaux.

Les auditions et visites sur le terrain ont été d'une extrême richesse et les éléments recueillis constituent une base de données de grand intérêt : le rapport rassemble ainsi des informations, témoignages, analyses et appréciations qui permettent de mieux comprendre la problématique du loup et plus largement des autres grandes prédateurs (lynx, ours).

Aussi, faut-il saluer en premier lieu le travail réalisé et l'apport indiscutable qu'il représente.

Il n'en est pas moins gâché par des orientations qu'il est difficile d'approuver et qui conduisent à des affirmations caricaturales, inutilement polémiques et occultant certains témoignages recueillis, avec, au final, une série de propositions élaborées d'ailleurs sans concertation réelle au sein de la commission.

¬ Certains titres de chapitre expriment un parti-pris manquant d'objectivité et confortant des thèses en contradiction avec les auditions et visites effectuées par la commission d'enquête : il en est ainsi de l'affirmation d'un doute sur le retour naturel du loup, s'appuyant sur le fait que « de lourdes incertitudes subsistent », ce qui est complètement faux. L'enquête a révélé tout au contraire qu'aucun doute ne subsiste aujourd'hui sur cette question.

Non seulement cette assertion est inexacte mais elle alimente inutilement une controverse démentie par des témoignages multiples et des preuves scientifiques irréfutables : colonisation progressive des Apennins par le loup, mode de dispersion, annonce de l'imminence de son retour dans le Mercantour, analyses génétiques...

Le texte est ainsi souvent perverti par des propos maximalistes et démagogiques qui n'aident pas à résoudre un problème qui exige au contraire de la rigueur, de la mesure et une objectivité scrupuleuse.

¬ Un autre parti-pris est de privilégier les conséquences négatives de la présence du loup.

Or, de nombreux témoignages ont aussi montré un apport appréciable pour le développement des territoires concernés. Le texte lui-même démontre fort bien que cette crise a aussi des effets positifs sur l'évolution du pastoralisme.

Quand les acteurs locaux ont la volonté de positiver, des bénéfices non négligeables peuvent être tirés de la présence du loup sur un territoire : au-delà d'un simple attrait touristique en terme d'image, souligné certes dans le rapport avec une approche utilitariste, il s'agit aussi de valoriser l'apport éducatif pour une meilleure compréhension de notre environnement, de la biodiversité et aussi en terme de responsabilité vis-à-vis des générations futures.

Mais, pour valoriser cette dimension, il aurait fallu expliquer, ce qui n'est pas fait dans le texte, que les grands prédateurs sont aussi des éléments de l'équilibre biologique et combien de loup, animal protégé, a sa place dans le patrimoine de l'humanité.

Il s'agit-là d'une réalité qui ne peut être réduite à un fantasme sorti de l'imaginaire d'urbains sentimentalement bucoliques.

¬ Il ne suffit pas d'affirmer la nécessité «d'un dialogue constructif entre toutes les parties concernées ». Encore faut-il proposer formellement des espaces de discussions et surtout renouer le dialogue, ce qui exige, contrairement au rapport, de ne pas jeter l'anathème sur le milieu associatif intervenant dans la protection de l'environnement.

Ainsi, la proposition d'exclure les bénévoles du réseau loup comme l'interprétation outrancière des propos de certaines personnes auditionnées ne vont pas dans le bon sens.

Il en est aussi de la proposition de «créer une structure de recherche spécialisée dans l'expertise en génétique moléculaire ».

En effet, cette structure existe déjà à Grenoble, avec le « Laboratoire d'écologie alpine » remarquablement animé par le professeur Taberlet : il s'agit désormais de lui donner des moyens supplémentaires pour fonctionner dans de bonnes conditions en valorisant un savoir-faire reconnu, avec les objectifs de mieux répondre aux besoins et d'être plus réactifs.

¬ En ce qui concerne le dispositif de régulation proposé, avec une différenciation entre territoires, comment ne pas s'interroger sur les critères de délimitation des zones où le loup serait « interdit »... et par voie de conséquence supprimé dès la première attaque meurtrière !

Les zones d'exclusion seraient donc celles où la cohabitation pose le plus de problèmes, avec de graves nuisances pour l'élevage, mais surtout celles où les mesures d'accompagnement ont été a priori rejetées. Le risque est grand d'encourager ainsi les comportements de repli et de refus de toute évolution.

Il faut au contraire, avant tout, conforter les mesures d'accompagnement et conditionner les éventuelles actions de régulation à la mise œuvre effective de mesures techniques de protection.

Les propositions de régularisation proposées conduiront inéluctablement à des abus, et d'autant plus que l'autorisation d'élimination pourra être accordée à tout berger-chasseur sur décision d'un conseil municipal.

De fait, au regard de la faible population de loups, ne s'agit-il pas d'une volonté masquée d'éradication sur le territoire français ?

Une autre approche aurait pu être celle de la contractualisation entre toutes les parties concernées. Elle n'est pas prise en compte alors que c'est une dimension fondamentale. Des aides spécifiques pour les contraintes induites par la présence du loup et le financement des mesures de protection des troupeaux seraient accordées sur la base d'une politique partagée concrétisée par des chartes d'occupation des territoires.

Une assurance pour couvrir les prédations ne pourrait d'ailleurs se concevoir qu'en accompagnement d'une telle contractualisation.

¬ En ce qui concerne l'élevage ovin et le pastoralisme, n'aurait-il pas fallu davantage souligner que la question du loup est devenue le symbole de la crise profonde de cette filière ? Le loup n'est qu'un problème supplémentaire dans la crise structurelle de l'élevage ovin : aussi est-il essentiel de porter tous les efforts sur les solutions à porter à cette crise ovine.

Le rapport a bien mis en évidence les difficultés de la filière. Trois points mériteraient d'être approfondis :

Comme dans toute l'agriculture la filière ovine se heurte à l'absence de prix rémunérateurs. Une politique agricole de soutien des prix paraît nécessaire pour protéger cette filière et le revenu des éleveurs ovins confrontés à la concurrence des moutonniers du groupe de Cairns (Nouvelle Zélande, Australie notamment). La démarche de valorisation de la viande ovine française doit dans cette perspective être encouragée, sans exclure a priori l'adoption de labels valorisants tels que « l'agneau de la région du loup », à l'image du « broutard du pays de l'ours ».

Il devient effectivement nécessaire de mener une véritable politique de formation des bergers et d'encourager la modernisation des exploitations. Cette exigence répond à l'évolution de la filière : les élevages ovins à titre d'activité complémentaire tendent à disparaître et ce sont surtout les exploitations où l'élevage ovin constitue l'activité principale qui se maintiennent. Pour cela, des aides européennes à l'investissement, et non plus seulement de soutien au revenu, sont à privilégier. De tels efforts en faveur du pastoralisme, avec davantage de bergers, permettraient aussi de mieux contrôler les troupeaux et ainsi de réduire les pertes accidentelles (200 000 victimes par an), les attaques des troupeaux par les chiens (50 000 victimes)... et bien sûr par les loups (2 500 victimes).

La pression foncière, la configuration des aides européennes au revenu (qui n'ouvrent pas droit au complément pour élevage extensif dont bénéficie la filière bovine) déplacent les élevages ovins vers les zones les plus défavorisées du territoire. Cette évolution exigerait d'aider les éleveurs en conséquence. Les éleveurs sont aujourd'hui des éléments déterminants de la protection des territoires et de l'occupation des espaces.

Il est nécessaire de bien appréhender le fait que les principaux prédateurs, pour les bergers, ne sont aujourd'hui pas les loups, mais bien plutôt ces institutions européennes et mondiales (OMC, Union Européenne...) qui fragilisent toujours davantage les éleveurs par leurs politiques libérales et la marchandisation du monde qu'elles organisent.

¬ En réagissant durement contre la présence du loup, les bergers expriment une légitime préoccupation : celle que leurs montagnes en particulier et que tous les territoires ruraux en général restent des territoires vivants, d'activité, voués à la production. Ils refusent justement que ces territoires se transforment en espaces naturels aseptisés, avec une « agriculture de plaisance », organisés pour des touristes attirés par la vision fausse d'une nature sauvage, source de sensations fortes, mais cependant sécurisée.

On ne répondra pas à ce véritable « impérialisme culturel » des citadins contre les territoires ruraux et de montagne par des incantations démagogiques. Des réponses pérennes sont à trouver. Et le loup n'est ici qu'un épiphénomène. Ce rapport cède trop souvent à la facilité et à la démagogie. Il n'analyse pas assez profondément les solutions à développer pour redynamiser ces montagnes confrontées à la présence du loup et y développer la filière ovine.

Ainsi, n'aurait-on pas dû considérer que c'est la désertification des territoires et le déclin progressif des activités humaines qui a permis le retour du loup dans des montagnes redevenues sauvages ? Et que le loup est plus la conséquence visible de la crise des zones de montagnes que sa cause ? L'économie pastorale doit être aidée et soutenue. Elle est déterminante pour maintenir une forte présence humaine dans les zones de montagne fragilisées, et plus particulièrement celles du sud des Alpes.

C'est pour toutes ces raisons, que le représentant du groupe des députés communistes et républicains juge nécessaire de s'abstenir.

Contribution de M. Jean LASSALLE,

commissaire-membre du groupe Union pour la Démocratie française

Le rapport sur lequel nous avons à nous prononcer est excellent. Il constitue une avancée importante dans la connaissance de la présence des grands fauves dans notre pays.

Jamais depuis bien longtemps le risque de voir s'éteindre toute une partie de notre civilisation n'avait été abordé avec autant de réalisme. Les problèmes du pastoralisme, de la transhumance, les conditions de vie de nos bergers, sont très bien compris et présentés. Le rapport fait preuve d'un bon équilibre dans la présentation des forces en présence et illustre bien la formidable complexité de la gestion de ce dossier. L'homme est repositionné comme il ne l'a été depuis bien longtemps dans les textes.

Cependant, le fait de reconnaître dans ce rapport l'existence implicite de la directive « HABITATS », contribuant à la mise en place du réseau NATURA 2000, est pour moi inacceptable. Au contraire le Gouvernement français doit demander d'urgence à l'Union européenne sa remise à plat totale ainsi que la celle de la directive « Oiseaux » de 1979 concernant la chasse. Ces textes ne sont pas adaptés à notre pays, du fait de son histoire, de son organisation, mais également de la variété et de l'étendue de son territoire (troisième en Europe par sa superficie).

La directive « HABITATS » dessaisit et dépossède totalement la France de ses moyens propres d'action sur son territoire et brise le principe de subsidiarité. Elle empêche, au moment où notre Gouvernement réengage une forte action au niveau de la décentralisation, toute prise de responsabilité et toute prise en charge par les populations concernées, de leur propre destin.

Au moment où des risques si graves pour l'avenir de notre planète que la surconcentration urbaine, l'énorme et si dangereux problème des transports, l'émanation massive de gaz carbonique, la multiplication d'immondes friches industrielles aux quatre coins de la planète, on se polarise sur des questions, des territoires, sur lesquels ne planent aucun danger grave, si ce n'est celui de la désertification. La directive « HABITATS » condamne, irrémédiablement et pour des raisons purement idéologiques, à court et moyen terme, une partie très importante de notre territoire à la sanctuarisation.

Cette situation, si on n'y remédie pas à temps, provoquera de graves troubles dans notre pays et des remises en cause brutales au sein de l'Union européenne.

Le dossier, qui nous occupe aujourd'hui, a été constitué avec sérieux et rigueur. Je tiens à dire combien j'ai été heureux d'y travailler avec les participants de tous les groupes politiques. Je veux saluer l'action du Président de la commission et du Rapporteur.

Du fait de ces éléments positifs je ne peux voter contre ce rapport. Mais la reconnaissance de la directive « HABITATS » rend totalement inopérant, avant même leur mise en œuvre, la plupart des excellentes propositions qui nous ont été présentées.

Ainsi face à ce dilemme cornélien, j'ai décidé de ne pas participer au vote. Je pense que l'on comprendra ce choix.

Contribution de M. Joël GIRAUD,
commissaire-membre du groupe socialiste

Tout en partageant le point de vue et le vote exprimés par le groupe socialiste et apparentés, je tiens à préciser que la lecture du rapport pose le problème de :

- la contradiction entre le contenu du texte et les titres et sous titres ;

- la contradiction entre des propositions mesurées et des propos inutilement maximalistes.

Dans la mesure où il est affirmé (page 109) « la guerre du loup doit cesser », « notre objectif est l'apaisement », il aurait fallu à mon sens modérer les affirmations sur la probabilité de lâchers clandestins alors même que si une introduction artificielle n'est bien sûr pas à exclure, tout concourre à démontrer que le retour naturel du loup est l'hypothèse la plus probable. Ainsi, le titre du chapitre I devrait être « Un retour naturel du loup est probable même si quelques incertitudes subsistent ». S'agissant du retour du loup dans le Parc du Mercantour, la recolonisation de tous les Apennins démontre que le loup est ou serait revenu naturellement dans ce secteur et les conclusions sur ce passage à savoir que « les loups concernés sont bien italiens, que le modèle de dispersion est compatible avec le mode connu de colonisation. » est plus une affirmation de la forte présomption d'un retour naturel que de l'existence de « lourdes incertitudes ».

En tout état de cause, il aurait fallu insister dans le rapport sur le fait que le caractère naturel ou non du retour du loup n'a aucune conséquence sur son statut juridique, ce qui est un élément de non pérennisation d'une inutile polémique, qui masque la réalité du problème de l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne.

Concernant les conclusions :

1. Dans l'exposé des motifs, il convenait de rappeler que le poids de la prédation est lié au niveau de revenu des éleveurs ovins et que, en l'espèce, la situation dans les Alpes françaises (où le revenu annuel est de 8.000 €) contraste avec celle des autres pays et notamment l'Italie (où ce revenu atteint 51.000 € dans les zones visitées par la commission d'enquête). En ce sens, insister à nouveau dans les propositions sur une réorganisation de la filière ovine et l'étayer par des propositions concrètes aurait été nécessaire pour assurer l'avenir du pastoralisme en zone de montagne.

2. Dans les propositions :

L'information aux élus doit être une priorité, le mieux étant d'exiger une information des comités de massif concernés deux fois par an (en automne, pour un bilan ; au printemps pour les actions à entreprendre). Je me réjouis que cet amendement ait été retenu ainsi que je l'ai souhaité par note du 24 avril au rapporteur et ce sera un pas important vers moins d'opacité.

Il faut plus insister sur les réductions des délais de versement des indemnisations en délégant dès le printemps les crédits ad hoc aux préfets de département (l'exemple italien, en terme de rapidité, aurait du être mis en relief).

La possibilité d'élimination autorisée (proposition 11) aurait du être clairement assortie d'un contrôle de l'ONCFS.

Le terme « exclure les bénévoles » (proposition 19) du réseau loup est à la fois blessant et irréaliste (sauf à multiplier par 10 le nombre de fonctionnaires), il convenait en revanche de placer ces bénévoles sous le contrôle et l'autorité des agents assermentés, ne serait-ce que pour une meilleure harmonisation des méthodes.

La recherche de l'utilisation d'autres chiens de protection que les patous aurait du faire l'objet d'une proposition, suivant en cela l'exemple du Parc National Gran Sasso où les éleveurs ont acquis un savoir-faire (garde par des chiens bergers des Abruzzes issus d'une même portée afin d'avoir un effet de clan face aux prédateurs) qui contribue à l'amélioration de leurs revenus par exportation des portées.

En ce sens, je crains que le travail fourni, pour intéressant qu'il soit, ne soit pas à la hauteur des attentes.

Contribution de M. Roland CHASSAIN,
commissaire-membre du groupe Union pour un mouvement populaire

Je tiens à souligner la qualité du travail effectué par le Rapporteur, le Président et les membres de la Commission d'enquête. L'ensemble des auditions s'est déroulé dans la plus grande courtoisie et les diverses personnalités auditionnées ont été très coopératives et ont fait preuve d'un remarquable sens des responsabilités.

Cependant, l'opacité sur l'introduction des loups en France et le coût réel du maintien de ces prédateurs subsiste, notamment par le manque de transparence du Ministère en charge à l'époque de ce dossier.

Je suis particulièrement satisfait que ce rapport prenne en considération les questions liées au pastoralisme. Il sera nécessaire dans ce domaine de mettre en place des mécanismes simplifiés, plus rapides et plus efficaces pour l'indemnisation de la filière ovine qui souffre directement des ravages causés par l'introduction de ces prédateurs.

Je m'associe pleinement aux conclusions du présent rapport qui ouvre la voie vers la prise en compte du mode spécifique de gestion du territoire rural.

TABLE DES SIGLES

ACCA

Association communale de chasse agrée

ADN

Acide d Acide désoxyribonucléique

AFP

Association française du pastoralisme
Association foncière pastorale

AFSSA

Agence française de sécurité sanitaire des aliments

ANEM

Association nationale des élus de la montagne

APPAM

Association pour le pastoralisme dans les Alpes-Maritimes

ARTUS

Association de protection de l'ours

ATEM

Atelier technique des espaces naturels

BPE

Brevet professionnel agricole

CADEA

Commissariat à l'aménagement et au développement économique des Alpes

CDA

Contrat d'agriculture durable

CEMAGREF

Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts

CERPAM

Centre d'études et de recherches pastorales Alpes-Méditerranée

CIAT

Comité interministériel d'aménagement du territoire

CITES

Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune sauvages menacées d'extinction

CNERA

Centre national d'étude et de recherche appliquée de l'ONCFS

CNL

Comité national loup

CNJA/CDJA

Centre national / départemental des jeunes agriculteurs

CNM

Conseil national de la montagne

CNPN

Conseil national de la protection de la nature

CNRS

Centre nationale de recherche scientifique

CRAVE

Centre de recherche alpin sur les vertébrés

CTE

contrat territorial d'exploitation (créé par la LOG)

DATAR

Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale

DDAF/DRAF

Direction départementale/régionale de l'agriculture et de la forêt

DIREN

Direction régionale de l'équipement

DNP

Direction de la nature et des paysages

DOCOB

Document d'objectif

DOCUP

Document unique de programmation

ENITAC

École nationale des travaux agricoles (Clermont-Ferrand)

ETP

Équivalent temps plein

FEDER

Fonds européen pour le développement régional

FEOGA-Garantie

Fonds européen d'organisation et de garantie agricole

FIEP

Fonds d'intervention éco-pastoral

FNADT

Fonds national d'aménagement et de développement du territoire

FNE

France nature environnement (Fédération des associations de protection de la nature)

FNO

Fédération nationale ovine

FNSEA/FDSEA

Fédération nationale/départementale des syndicats d'exploitants agricoles

FRAPNA

Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature

FROSE

Fédération régionale des éleveurs du Sud-Est

FSE

Fonds social européen

ICHN

Indemnité compensatoire de handicaps naturels

INA

Institut national agronomique

INRA

Institut national de recherche agronomique

ISM

Indemnité spéciale de montagne

LIFE

L'instrument financier pour l'environnement

OFIVAL

Office national interprofessionnel des viandes de l'élevage

OGM

Organisme génétiquement modifié

ONCFS

Office national de la chasse et de la faune sauvage

ONF

Office national des forêts

ONG

Organisation non gouvernementale

OREAM

Organisation régionale de l'élevage Alpes-Méditerranée

PAC

Politique agricole commune

PCO

Prime compensatrice ovine

PACA

Région Provence-Alpes-Côte d'Azur

PLU

Plan local d'urbanisation

POS

Plan d'occupation du sol

RICA

Réseau d'information comptable agricole

SAU

Surface agricole utilisée

UGB

Unités gros bétail

URCF

Union régionale des communes forestières

ZSC

Zones spéciales de conservation

TOME SECOND

Volume 1

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la commission

AUDITION DE MME MARTINE BIGAN, CHEF DU BUREAU FAUNE ET FLORE SAUVAGES, MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE 7

AUDITION DE M. DANIEL CHEVALLIER, RAPPORTEUR DE LA MISSION PARLEMENTAIRE D'INFORMATION SUR LA PRÉSENCE DU LOUP EN FRANCE 17

AUDITION DE MME VÉRONIQUE GENEVEY, RESPONSABLE DU PROGRAMME LIFE-LOUPS, CHARGÉE DE MISSION À LA DIRECTION RÉGIONALE DE L'ENVIRONNEMENT (DIREN) POUR LA RÉGION RHÔNE-ALPES 22

AUDITION DE M. PIERRE PFEFFER, BIOLOGISTE, MEMBRE DU COMITÉ SCIENTIFIQUE DU PARC DU MERCANTOUR, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS ET AU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE 28

AUDITION CONJOINTE DE MME MAURICETTE STEINFELDER, DIRECTRICE RÉGIONALE ADJOINTE POUR L'ENVIRONNEMENT À LA DIRECTION RÉGIONALE DE L'ENVIRONNEMENT PROVENCE-ALPES-CÔTE-D'AZUR (DIREN-PACA), ET DE M. FLORENT FAVIER, CHARGÉ DE COMMUNICATION DU PROGRAMME LIFE-LOUPS 35

TABLE RONDE RÉUNISSANT LES REPRÉSENTANTS DES SYNDICATS PROFESSIONNELS M. FRANCK BONNEVAL, MEMBRE DU BUREAU NATIONAL DES JEUNES AGRICULTEURS, ET DE M. JEAN-PIERRE ISNARD, ADMINISTRATEUR, DE M. PASCAL FEREY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES SYNDICATS D'EXPLOITANTS AGRICOLES (FNSEA) ET PRÉSIDENT DE LA COMMISSION ENVIRONNEMENT, DE M. RENÉ TRAMIER, CHARGÉ DU DOSSIER LOUP À LA FÉDÉRATION NATIONALE OVINE (FNO), MEMBRE DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DE LA FNO ET PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION OVINE DU SUD-EST, DE M. DENIS GROSJEAN, VICE-PRÉSIDENT DE LA FNO, EN CHARGE DU DOSSIER PRÉDATEURS, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION RÉGIONALE OVINE RHÔNE-ALPES, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ASSOCIATION DE DÉFENSE DU PASTORALISME CONTRE LES PRÉDATEURS, DE M. BERNARD BRUNO, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE OVINE DES ALPES-MARITIMES, DE M. BERNARD MOSER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION PAYSANNE, DE M. FRANÇOIS MARIE PERRIN, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES BERGERS DES ALPES DE HAUTE-PROVENCE 46

TABLE RONDE SUR LE PASTORALISME OVIN EN MONTAGNE RÉUNISSANT  M. CHRISTIAN ERNOULT, CHERCHEUR À L'UNITÉ DE RECHERCHE MONTAGNE ET MILIEU MONTAGNARD DU CEMAGREF (CENTRE NATIONAL DU MACHINISME AGRICOLE, DU GÉNIE RURAL, DES EAUX ET FORÊTS) DE GRENOBLE ET MEMBRE DU GROUPE DE TRAVAIL INTERMINISTÉRIEL SUR LE PASTORALISME, MME FRANCE DRUGMANT, INGÉNIEUR AGRONOME, MEMBRE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES PARCS NATURELS RÉGIONAUX ET DU GROUPE DE TRAVAIL INTERMINISTÉRIEL SUR LE PASTORALISME, M. JEAN-PIERRE LEGEARD, INGÉNIEUR, DIRECTEUR DU CERPAM (CENTRE D'ÉTUDE ET DE RECHERCHES PASTORALES ALPES MÉDITERRANÉE) ET MEMBRE DU GROUPE DE TRAVAIL INTERMINISTÉRIEL SUR LE PASTORALISME, MME NATHALIE LACOUR, CHARGÉE DE MISSION SUR LE LOUP AU MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET MEMBRE DU GROUPE DE TRAVAIL INTERMINISTÉRIEL SUR LE PASTORALISME, M. GÉRARD L'HOMME, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DE PASTORALISME ET MEMBRE DU GROUPE DE TRAVAIL INTERMINISTÉRIEL SUR LE PASTORALISME ACCOMPAGNÉ DE M. PASCAL GROSJEAN, VICE-PRÉSIDENT, M. RENÉ BLANCHET, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION EUROPÉENNE DE DÉFENSE DU PASTORALISME CONTRE LES PRÉDATEURS

TABLE RONDE SUR LES CONDITIONS DU RETOUR DU LOUP RÉUNISSANT M. LUIGI BOITANI BIOLOGISTE AU DÉPARTEMENT DE BIOLOGIE ANIMALE DE L'UNIVERSITÉ DE ROME, M. CHRISTOPHE DUCHAMP, BIOLOGISTE À L'OFFICE NATIONAL DE LA CHASSE ET DE LA FAUNE SAUVAGE (ONCFS), M. PATRICK HAFFNER, SPÉCIALISTE DE L'HISTORIQUE DU LOUP EN FRANCE AU MUSÉUM NATIONAL D'HISTOIRE NATURELLE, EN CHARGE DE L'INVENTAIRE NATIONAL DU PATRIMOINE NATUREL, M. JEAN-DOMINIQUE LEBRETON, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU LABORATOIRE DE DYNAMIQUE DES POPULATIONS, CNRS DE MONTPELLIER, M. BENOÎT LEQUETTE, BIOLOGISTE, CHEF DU SERVICE SCIENTIFIQUE DU PARC NATIONAL DU MERCANTOUR, M. PIERRE TABERLET, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS, LABORATOIRE D'ÉCOLOGIE ALPINE DE GRENOBLE, SPÉCIALISÉ DANS L'ANALYSE GÉNÉTIQUE DES LOUPS, M. FRANCO ZUNINO, ENVIRONNEMENTALISTE ITALIEN

AUDITION DE M. PIERRE BRACQUE, RAPPORTEUR DE LA MISSION INTERMINISTÉRIELLE SUR LA COHABITATION ENTRE L'ÉLEVAGE ET LE LOUP (FÉVRIER 1998)

AUDITION DE M. MICHEL DANTIN, CONSEILLER TECHNIQUE POUR LA MONTAGNE ET L'ENVIRONNEMENT AU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE, DE L'ALIMENTATION, DE LA PÊCHE ET DES AFFAIRES RURALES, (ANCIEN DIRECTEUR DE LA FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE DES SYNDICATS D'EXPLOITANTS AGRICOLES DE SAVOIE), SPÉCIALISTE DES MILIEUX AGRICOLES

AUDITION DE M. GILLES PIPIEN, DIRECTEUR DE CABINET DU MINISTRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

AUDITION DE M. GILBERT SIMON, INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ÉQUIPEMENT, ANCIEN DIRECTEUR DU BUREAU DE LA NATURE ET DES PAYSAGES (1992-1996) AU MINISTÈRE DE L'ENVIRONNEMENT

AUDITION CONJOINTE DE M.  PHILIPPE DE MESTER, PRÉFET DES ALPES-DE-HAUTE-PROVENCE, ACCOMPAGNÉ DE M. PHILIPPE BODA, DIRECTEUR DÉPARTEMENTAL DE L'AGRICULTURE ET DE LA FORÊT DES ALPES-DE-HAUTE-PROVENCE, ET DE MME JEANNE HEURTAUX, CHEF DU SERVICE AMÉNAGEMENT ET ENVIRONNEMENT DE LA DDAF DES ALPES-DE-HAUTE-PROVENCE

AUDITION DE M. ANDRÉ PINATEL, PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE D'AGRICULTURE DES ALPES-DE-HAUTE-PROVENCE

AUDITION DE M.  FRANCIS SOLDA, PRÉSIDENT DU SYNDICAT OVIN DES ALPES-DE-HAUTE-PROVENCE ET PRÉSIDENT DU CENTRE D'ÉTUDES ET DE RECHERCHES PASTORALES ALPES-MÉDITERRANÉE (CERPAM)

AUDITION DE M. SALIM BACHA, TECHNICIEN RÉGIONAL À L'ORGANISATION RÉGIONALE DE L'ÉLEVAGE ALPES-MÉDITERRANÉE (OREAM)

TABLE RONDE INFORMELLE ORGANISÉE À DIGNE

AUDITION CONJOINTE DE M. PATRICK STRZODA, PRÉFET DES HAUTES-ALPES, ET DE MME MIREILLE JOURGET, DIRECTRICE DÉPARTEMENTALE DE L'AGRICULTURE ET DE LA FORÊT DES HAUTES-ALPES.

AUDITION DE M. DOMINIQUE GAUTHIER, DOCTEUR VÉTÉRINAIRE, DIRECTEUR-ADJOINT DU LABORATOIRE VÉTÉRINAIRE DES HAUTES-ALPES

AUDITION CONJOINTE DE M. PIERRE EYMEOUD, CONSEILLER GÉNÉRAL D'AIGUILLES, PRÉSIDENT DU PARC NATUREL RÉGIONAL DU QUEYRAS, DE M. JEAN-YVES ASTRUC, DIRECTEUR DU PARC NATUREL RÉGIONAL DU QUEYRAS, ET DE M. YVES FOUQUE, DÉLÉGUÉ AU COMITÉ SYNDICAL DU PARC SUR LA PRÉSENCE DU LOUP ET CONSEILLER MUNICIPAL DE CEILLAC

AUDITION CONJOINTE DE M. MICHEL SOMMIER, DIRECTEUR DU PARC DES ECRINS, ET DE M. HERVÉ CORTOT, CHEF DU SERVICE SCIENTIFIQUE DU PARC

AUDITION DE M. PIERRE-YVES MOTTE, PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE D'AGRICULTURE DES HAUTES-ALPES.

AUDITION CONJOINTE DE MME CHRISTIANE PREPOSIET, RESPONSABLE DE LA SOCIÉTÉ ALPINE DE PROTECTION DE LA PÂTURE, ET DE M. BERNARD GOLTSCHALK, RESPONSABLE DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LA RÉHABILITATION ET LA DÉFENSE DU LOUP.

TABLE RONDE INFORMELLE ORGANISÉE À GAP

AUDITION CONJOINTE DE M. PIERRE WEICK, DIRECTEUR DU PARC NATUREL RÉGIONAL DU VERCORS, DE M. YVES PILLET, MAIRE DE PONT EN ROYANS, PRÉSIDENT DU PARC NATUREL RÉGIONAL DU VERCORS, DE M. ERIC ARNOU, CONSEILLER RÉGIONAL, VICE-PRÉSIDENT DU PARC NATUREL RÉGIONAL DU VERCORS, ET DE M. JEAN-FRANÇOIS DOBREMEZ, PRÉSIDENT DU COMITÉ SCIENTIFIQUE DU PARC NATUREL RÉGIONAL DU VERCORS

TABLE RONDE INFORMELLE ORGANISÉE À DIE

AUDITION CONJOINTE DE M. BRUNO JULIEN, RESPONSABLE DU PROGRAMME LIFE LOUP, COMMISSION EUROPÉENNE, DIRECTEUR GÉNÉRAL ENVIRONNEMENT, ACCOMPAGNÉ DE MME MARIELLA FOURLI, CHARGÉE DE SUIVI DE PROJET LIFE DANS L'ÉQUIPE EXTERNE LIFE, DE M. NICHOLAS HANLEY, DIRECTION DE LA PROTECTION DE LA NATURE À LA COMMISSION EUROPÉENNE

AUDITION CONJOINTE  DE M. GILBERT MARY, CONSEILLER GÉNÉRAL DES ALPES-MARITIMES ET MEMBRE DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES ÉLUS DE LA MONTAGNE (ANEM), ET DE M. HERVÉ BENOIT, CHARGÉ DE MISSION À L'ANEM

AUDITION DE M. LAURENT GARDE, CHERCHEUR AU CENTRE D'ÉTUDES ET DE RÉALISATIONS PASTORALES ALPES-MÉDITERRANÉE POUR LA GESTION DES ESPACES NATURELS PAR L'ÉLEVAGE (CERPAM)

TABLE RONDE AVEC DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE LA NATURE RÉUNISSANT  M. MICHEL VANDEVILLE, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES (ASPAS), M. OLIVIER ROUSSEAU, DIRECTEUR, M. RENÉ BURLE, PRÉSIDENT DU GROUPE LOUP, M. BERTRAND SICARD, VICE-PRÉSIDENT, M. BERNARD CRESSENS, DIRECTEUR SCIENTIFIQUE DU WWF FRANCE, M. ROLAND GUICHARD, ADMINISTRATEUR D'ARTUS, (OURS PYRÉNÉES ET PASTORALISME) M. PASCAL WICK, SPÉCIALISTE DU PASTORALISME DE MONTAGNE (ARTUS) MME ALINE MAATOUK DE LA FONDATION BRIGITTE BARDOT, MME LAURIANE D'ESTE DE LA SPA

TABLE RONDE RÉUNISSANT  M. WALTER  Mazzitti, PRÉSIDENT DU PARC NATIONAL DU GRAN SASSO, ET M. DARIO FebbO, DIRECTEUR, M. FULCO PratesI, PRÉSIDENT DU PARC NATIONAL DES ABRUZZES, ET M. ALDO DI Benedetto, DIRECTEUR, M. CESARE Patrone, PRÉSIDENT DU PARC NATIONAL DE LA MAIELLA, ET M. NICOLA Cimini, DIRECTEUR, M. FRANCESCO Sciarretta, RESPONSABLE RÉGIONAL DES AFFAIRES AGRICOLES DANS LES ABRUZZES, M. GIORGIO Morelli, COORDINATEUR DU CORPO FORESTALE, (AGENTS DU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE ÉQUIVALENTS DES GARDES FORESTIERS) DU PARC DU GRAN SASSO, MME LIVIA Mattei, COORDINATRICE DU CORPO FORESTALE DU PARC DE LA MAIELLA, M. ENZO TaglierI, COORDINATEUR DU CORPO FORESTALE DU PARC DES ABRUZZES, M. ETTORE Randi, CHERCHEUR À L'INSTITUT NATIONAL ITALIEN DE LA FAUNE SAUVAGE, M. EUGENIO Dupré, MINISTÈRE DE L'ENVIRONNEMENT ITALIEN, M. PASQUALINO Leone, AGENT DU CORPO FORESTALE

AUDITION CONJOINTE DE MME SOPHIE BEranger, DIRECTRICE À LA DIRECTION DE L'AGRICULTURE ET DE LA FORÊT  (DDAF) DES ALPES-MARITIMES, ET DE M. CLAUDE Gonella, DIRECTEUR DÉPARTEMENTAL ADJOINT À LA DIRECTION DE L'AGRICULTURE ET DE LA FORÊT DES ALPES-MARITIMES

AUDITION DE M. LOUIS Olivier, DIRECTEUR DU PARC NATIONAL DU MERCANTOUR

TABLE RONDE INFORMELLE ORGANISÉE À NICE

AUDITION DE M. MICHEL Ingigliardi

AUDITION CONJOINTE DE M. JOËL MANDARON, DIRECTEUR À LA DIRECTION DÉPARTEMENTALE DE L'AGRICULTURE ET DE LA FORÊT (DDAF), ET DE M. BERTRAND Pedroletti, INGÉNIEUR DIVISIONNAIRE DES TRAVAUX DES EAUX ET FORÊTS

AUDITION DE M. ALAIN Rondepierre, PRÉFET DE L'ISÈRE,

AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS Noblet, CONSEILLER TECHNIQUE À L'ENVIRONNEMENT AU CONSEIL GÉNÉRAL DE L'ISÈRE

AUDITION CONJOINTE DE MM. PIERRE GIMEL, ROGER PELLAT-FINET, JEAN-AUGUSTE RICHARD ET CHARLES GALVIN, REPRÉSENTANTS DU CONSEIL GÉNÉRAL DE L'ISÈRE CHARGÉS DU DOSSIER LOUP

AUDITION DE MME CATHERINE Brette, CONSEILLÈRE GÉNÉRALE DE L'ISÈRE

TABLE RONDE AVEC LES ASSOCIATIONS ÉCOLOGISTES RÉUNISSANT : M. HENRI BIRON, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION RHÔNE-ALPES DE PROTECTION DE LA NATURE (FRAPNA), MME LISE DONNEZ (GROUPE LOUP RÉSEAU DAUPHINÉ-SAVOIE), M. ARMAND FAYARD (MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE DE GRENOBLE), MME HÉLÈNE FOGLAR, INGÉNIEUR AGRONOME À LA FRAPNA, MME MARIE-PAULE DE THIERSANT (CENTRE ORNITHOLOGIQUE RHÔNE-ALPES), M. RAYMOND SELVA, BERGER

TABLE RONDE AVEC LES ASSOCIATIONS D'ÉLEVEURS RÉUNISSANT M. FERNAND SILLON, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES ALPAGES DE L'ISÈRE, M. YVES RAFFIN, DIRECTEUR DE LA FÉDÉRATION DES ALPAGES DE L'ISÈRE M. PATRICK ROLLAND, MEMBRE DU SYNDICAT DES OVINS, ÉLEVEUR, M. MICHEL VALLIER, ÉLEVEUR, M. CONSTANT PLANCON, MEMBRE DU SYNDICAT DES OVINS, ÉLEVEUR, M. FRANÇOIS PROUST, ÉLEVEUR, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DE LA TRANSHUMANCE, M. JEAN-PIERRE JOUFFREY, ÉLEVEUR, M. TONI DEL MONTE, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES BERGERS DE L'ISÈRE, M. JACKY TURC, ÉLEVEUR

AUDITION DE M. JEAN-MICHEL VANDEL, RESPONSABLE DU RÉSEAU LYNX À L'OFFICE NATIONAL DE LA CHASSE ET DE LA FAUNE SAUVAGE (ONCFS)

AUDITION DE M. FRÉDÉRIC DECK, VICE-PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION ALSACE NATURE

AUDITION DE MME MARTINE BIGAN, CHEF DU BUREAU FAUNE ET FLORE SAUVAGES AU MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE SUR LA PROBLÉMATIQUE DU LYNX

TABLE RONDE REGROUPANT DES ASSOCIATIONS MEMBRES DE FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT (FNE) : MME FLORENCE ENGLEBERT, CHARGÉE DE MISSION LOUP À FNE, M. CHRISTOPHE AUBEL, SECRÉTAIRE NATIONAL DE FNE ET PILOTE DE LA MISSION LOUP, M. LIONEL BRARD, ANCIEN PRÉSIDENT DE FNE, M. MICHEL PHISEL, PRÉSIDENT DU CENTRE DE RECHERCHE ALPIN SUR LES VERTÉBRÉS (CRAVE), CONSEILLER MUNICIPAL DE VITROLLES, M. CLAUDE REMY, ASSOCIATION ARNICA MONTANA, M. JEAN-MARIE OUARY, VICE-PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION RHÔNE-ALPES DE PROTECTION DE LA NATURE (FRAPNA) DRÔME, MEMBRE DE L'ASSOCIATION MILLE TRACES, GUIDE NATURALISTE, M. JÉRÔME BONNARDOT, MEMBRE DE L'ASSOCIATION MILLE TRACES, GUIDE NATURALISTE

TABLE DES SIGLES

Audition de Mme Martine BIGAN,
chef du bureau faune et flore sauvages, ministère de l'écologie
et du développement durable

(Extrait du procès-verbal de la séance du 11 décembre 2002)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

Mme Martine Bigan est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation du Président, Mme Martine Bigan prête serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons Mme Martine Bigan, chef du bureau Faune et Flore sauvages au ministère de l'écologie et du développement durable.

Madame, pouvez-vous dans votre exposé liminaire nous rappeler depuis quelle date vous assurez le suivi de ce dossier sensible, dans quelles conditions vous l'avez effectué, les responsabilités que vous y avez exercées et comment vous avez abordé le sujet ?

Mme Martine BIGAN : Je suis biologiste de formation. Je suis rentrée au ministère de l'environnement peu après mes études, en 1977. Je fais sans doute partie des personnes qui sont restées le plus longtemps au ministère de l'environnement ! J'ai occupé jusqu'à la fin de l'année 1990 des fonctions de chargée de mission pour la faune sauvage.

De 1990 à 1996, j'ai assumé d'autres fonctions au sein de la Direction de la protection de la nature (DPN), qui a aujourd'hui changé de nom. J'ai alors occupé des missions consacrées aux relations internationales dans le domaine de la biodiversité s'agissant de conventions que la France a signées au cours de cette période et antérieurement.

C'est à partir de 1996, en prenant mes fonctions de chef du bureau de la faune et de la flore, que je suis revenue à la biodiversité des espèces, faune et flore.

Quelles sont les activités de ce bureau ?

Il s'agit d'assurer la préservation du patrimoine biologique naturel, c'est-à-dire des espèces de faune et de flore sauvages. La priorité de l'action du bureau et de celle du ministère de l'écologie porte sur les espèces les plus menacées, qui disparaissent pour de multiples raisons. Il s'agit également d'assurer la gestion d'espèces qui, bien que protégées au titre de la loi de protection de la nature, ont reconstitué des populations qui, par le passé, avaient été décimées et qui peuvent poser problème. Je ne citerai qu'un seul exemple : celui du grand cormoran, qui fut, dans les années 70, une espèce au seuil de l'extinction en France et qui pose maintenant les problèmes que l'on connaît à la fois à la pisciculture et à la pêche du fait de sa relative prolifération. Notre action est complexe, car nous devons tout à la fois accomplir notre mission qui est la conservation des espèces très menacées et gérer les problèmes qui en découlent, soit du fait de la prolifération, soit, du fait des problèmes posés aux activités humaines.

J'en arrive à l'un des cas les plus difficiles à appréhender par notre ministère : celui de la gestion des grands prédateurs. De par leur caractère de grands prédateurs, ces espèces occasionnent des dégâts aux élevages. Le travail du ministère de l'environnement consiste à préserver ces espèces, mais nous ne pouvons assurer leur conservation sans prendre en compte leur impact économique et social. Cela ne vous est pas inconnu : la gestion du dossier des grands prédateurs en France - l'ours, le loup et le lynx, ce dernier peut-être dans une moindre mesure - est une question qui occupe, presque majoritairement, les activités de mon bureau comme celle de la DNP.

Je termine là mon exposé, car j'ai cru comprendre que vous souhaitiez m'interroger sur ma participation au colloque de Saint-Jean-du-Gard. Mais je suis prête à répondre à toutes autres questions pour autant qu'elles relèvent de ma compétence.

M. le Président : Je vous remercie.

La première communication sur la perspective de réintroduction ou de retour du loup en France remonte, d'après les éléments dont nous disposons, à un colloque auquel vous avez participé en 1988 à Saint-Jean-du-Gard. A l'occasion de ce colloque, vous avez clairement évoqué des opérations de réintroduction - selon le compte rendu dont nous disposons.

Pouvez-vous confirmer ces propos ? A quel titre, avez-vous fait allusion aux opérations de réintroduction : sous instruction d'une hiérarchie ? Quel était l'état des lieux de la réflexion en cours au ministère de l'environnement à l'époque sur ce retour ou cette réintroduction ? À quoi faisiez-vous précisément allusion ? De quelle manière et sur la base de quel calendrier le ministère de l'environnement envisageait-il une telle opération ?

Mme Martine BIGAN : J'ai participé, au titre de mes fonctions au ministère de l'environnement, non en tant que scientifique extérieur, à l'organisation de ce colloque qui, en 1988, avait pour but de dresser un bilan sur toutes les opérations de réintroduction d'espèces animales. L'exercice était limité aux espèces animales en France et dans une période relativement récente. Nous avions constaté, au cours des années 70, dans la vague d'émergence du mouvement associatif en matière de préservation de la nature et la création du ministère de l'environnement, une très forte volonté, émanant de divers organismes, de restaurer la faune qui avait totalement disparu du territoire national ou de certaines régions. Nous avions constaté, voire autorisé, des opérations pour reconstituer cette faune. Outre dresser le bilan de ce qui avait pu être fait, il s'agissait, dans ce colloque, de préciser certaines des règles de conduite des opérations sur la base de recommandations qui existaient au niveau international, notamment en provenance de l'Union internationale de conservation de la nature, qui avait déjà prescrit des règles à suivre pour ces opérations. L'objet consistait pour la France à dresser un bilan et à reconstituer une sorte de code de déontologie dans la conduite des opérations.

J'avais été pressentie pour dresser un bilan, le plus complet possible, sur les actions conduites. Pour réaliser ce bilan, je m'étais appuyée sur les documents dont nous disposions : un certain nombre d'espèces étant protégées au titre de la loi sur la protection de la nature, depuis codifiée dans le code de l'environnement, nous disposions des pièces pour certaines opérations que nous avions autorisées. Pour les opérations plus anciennes, nous n'avions pas forcément connaissance de ce qui avait été fait, parce qu'elles n'avaient pas nécessairement donné lieu à des autorisations. J'avais adressé un questionnaire à plusieurs organismes : les associations de protection de la nature, qui étaient souvent maîtres d'ouvrage des opérations, mais aussi les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux. Peut-être, à l'époque, avions-nous adressé ce questionnaire aux directions régionales de l'environnement.

J'ai exploité les réponses reçues et présenté la synthèse de ces opérations lors du colloque, intégrant les éléments communiqués par mes collègues au cours de la manifestation, notamment des synthèses par groupe d'espèces. J'ai fourni une synthèse globale, en précisant, notamment dans un graphique, espèce par espèce, le nombre des opérations. C'est le castor qui a sans doute fait l'objet du nombre le plus élevé de réintroductions dans certaines régions de France, parce que c'est une espèce facile à réintroduire, qui ne pose pas de problèmes particuliers. J'ai donc cité, parmi ces opérations de réintroduction, une réintroduction de loups. En fait, je faisais référence à des documents, dont un article de François de Beaufort, scientifique au Muséum d'histoire naturelle qui a présenté une synthèse sur le loup lors de ce colloque, laquelle faisait état d'une réintroduction intervenue en 1968 ou 1970, j'ai un doute, dans les Landes, où un couple de loups a été lâché. À l'époque, on ne connaissait pas l'auteur de ce lâcher qui n'avait fait l'objet d'aucune autorisation. Dans les années 70, je le rappelle, le loup n'était pas protégé. Le ministère chargé de l'environnement, qui d'ailleurs n'existait pas en tant que tel, n'a pas autorisé cette opération. Le loup était considéré à l'époque comme une espèce de gibier non chassable.

M. le Président : Par qui a été lâché ce couple de loups ?

Mme Martine BIGAN : On ne le savait pas à l'époque. Des personnes ont sans doute eu la tentation de lâcher des loups. Votre commission doit entendre M. Pfeffer qui est informé de cette opération. Je pense qu'il aura des éléments à vous apporter. Lorsque j'ai établi cette communication, il me semble- je ne puis l'affirmer - que l'on ne savait pas qui avait lâché les loups. En tout cas, c'est un fait, des loups ont été lâchés. Évidemment, l'opération a échoué, tout simplement, parce que ces loups n'étaient pas préparés à la vie sauvage : ils ont immédiatement pillé des poulaillers et attaqué des chiens. Ils ont été tués l'un après l'autre dans les quelques semaines qui ont suivi leur lâcher.

A l'époque, j'ai considéré que l'on pouvait estimer qu'il s'agissait d'une opération de réintroduction de loups. Dans ma communication, je faisais référence à cette opération, sans pour autant la citer expressément lors du colloque comme je ne l'ai pas dit pour les autres cas d'espèces. J'ai prêté serment et je puis encore le renouveler : c'est à cette opération à laquelle je faisais allusion. Ce fut d'ailleurs écrit à M. le président de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, laquelle a émis une suspicion. En effet, nous n'avons pas été en mesure de produire les réponses au questionnaire qui avait servi à rédiger ma communication, tout simplement parce que l'administration ne l'avait pas conservé. En revanche, j'avais expliqué par lettre à M. Mathieu que, bien évidemment, nous faisions référence à cette opération de réintroduction dans les Landes.

La chambre d'agriculture des Alpes maritimes s'est adressée au parc national du Mercantour, puisque j'avais fait état, au cours de ma présentation, du questionnaire adressé au parc. Celui-ci a répondu que, parmi les pièces qu'il avait renvoyées, ne figurait aucune opération de réintroduction de loups. Il évoquait en revanche des réintroductions de bouquetins. Encore une fois, je faisais référence à cette opération, que l'on qualifie de réintroduction de loups dans les Landes. J'aurais pu en citer d'autres. Dans l'article de François de Beaufort, vous lirez que, bien après la disparition effective du loup en France, les derniers ayant été vus dans la région du Limousin dans les années 30, la présence de loups a été détectée en des endroits totalement saugrenus, par exemple, en Bretagne où il avait disparu depuis fort longtemps. Bien après sa disparition, des loups ont probablement été vus, dont on ignorait l'origine et dont on peut supposer qu'il ne s'agissait pas de loups qui avaient échappé à la destruction systématique. Il est un fait que, dans les années postérieures à 1930, on a certainement observé des loups dont l'origine était inconnue. Pour d'autres espèces, la presse rapporte régulièrement des faits liés à la présence de lynx dans des régions qu'ils n'occupent pas habituellement, de pumas dans les Deux-Sèvres... des cas d'apparitions ou de réapparitions pour certaines espèces sont fréquents.

M. le Président : A Saint-Jean-du-Gard, vos propos ne faisaient référence qu'à cette réintroduction en 1970 dans les Landes, en aucun cas à une perspective de réintroduction envisagée sur un site précis sur le territoire national ou plus vaste dans les années qui devaient suivre. N'a-t-il pas été fait référence au site du Mercantour ?

Mme Martine BIGAN : Je vous ai expliqué ce qui figurait dans ma communication ; j'ai prêté serment, je dis la vérité. Il n'a pas été fait mention dans ma communication d'un fait, quel qu'il soit, en rapport avec le Mercantour. Ce qui peut peut-être prêter à confusion c'est le fait que François de Beaufort, dans cette même communication, fait référence à une affaire qui a eu lieu en novembre 1987, l'affaire du loup de Fontan, dans le Mercantour. Un loup a été abattu, à l'occasion d'une chasse, me semble-t-il. J'ignore si le chasseur a cru voir un loup, ou s'il a cru tirer sur un chien, peu importe. Ce loup a été expertisé par Pierre Pfeffer. D'après ses caractères morphologiques - il avait des cales sur les avant-bras, des pattes abîmées - il a été suspecté être d'origine captive. François de Beaufort, en tant que scientifique, c'est son droit, a considéré qu'il pouvait s'agir d'un cas de réintroduction. Nous étions en 1987. J'avais eu connaissance de l'affaire du loup de Fontan, qui, avant d'être tué, avait d'ailleurs fait beaucoup de dégâts. Je ne l'ai pas pris comme référence dans ma communication. C'était aussi mon choix. Pour quelles raisons ? Dans l'affaire des Landes, le fait qu'il se soit agi d'un couple de loups supposait un but de reproduction et de colonisation ce qui n'était pas aussi net dans le cas d'un loup isolé comme celui de Fontan. En 1987, aucun autre loup n'avait été observé. Je n'ai pas estimé que ce pouvait être une opération de réintroduction, mais c'était mon choix, de la même façon que François de Beaufort a considéré qu'il s'agissait d'une réintroduction. C'est de cette affaire que provient, peut-être, cette confusion de projet de réintroduction dans le Mercantour. Je le pense, je ne puis l'affirmer pour autant.

M. le Président : Selon vous, le loup des Alpes est revenu naturellement.

Mme Martine BIGAN : J'en suis persuadée. Cela dit, si je suis biologiste, je ne suis pas spécialiste du loup. Beaucoup de scientifiques, grands spécialistes étudient cette espèce. J'espère que vous entendrez les experts Italiens avec lesquels nous avons beaucoup travaillé. Tout porte à croire que le loup a colonisé naturellement les Alpes-Maritimes, et ensuite le nord des Alpes. On a retrouvé beaucoup d'articles qui annonçaient cette progression du loup en Italie. Quand on connaît la biologie du loup et son dynamisme, on sait qu'il est capable de franchir de très grandes distances pour s'installer dans des endroits propices. Les jeunes sont très rapidement exclus par la meute et doivent rechercher des territoires. Tout porte à croire que le loup est revenu naturellement.

La génétique est une autre discipline scientifique qui a apporté et continuera d'apporter, je l'espère, beaucoup d'éléments de preuve. A l'époque du loup de Fontan, on ne procédait pas à des analyses génétiques. Les premières analyses ont été produites en 1996, grâce au rapport de Pierre Taberlet de l'université de Grenoble qui s'est spécialisé dans les identifications génétiques, notamment à partir de poils et des excréments. On ne trouve pas toujours des loups sur lesquels procéder à des prélèvements. Il est évidemment très précieux d'être en mesure d'analyser toutes les traces.

M. le Président : A-t-on trouvé de telles traces génétiques le long d'un parcours qui aurait permis au loup de venir jusque dans les Alpes ?

Mme Martine BIGAN : Dans un premier temps, les analyses génétiques ont exclusivement été réalisées par les Français. Je ne sais quand les Italiens ont commencé à les utiliser, leur méthodologie en matière de génétique était autre. En 1996, je ne crois pas que l'on avait entamé une collaboration en ce domaine. Actuellement, les généticiens français et italiens travaillent ensemble. Depuis 1996, les scientifiques sont en mesure de déterminer s'il s'agit d'un chien ou d'un loup et, en ce cas, s'il est d'origine italienne. Tous les échantillons trouvés depuis cette date sont analysés. En outre, ils arrivent aujourd'hui à procéder à l'identification individuelle des animaux. Il s'agit de travaux en cours d'achèvement qui devraient permettre de déterminer que le fils ou la fille du loup observé en 1997 dans le Mercantour, voire en Italie, a été retrouvé en Savoie. Ce n'est qu'un exemple que nous ne sommes pas encore capables de démontrer. L'identification individuelle et la filiation permettront de mieux connaître la colonisation du loup en France et de mieux cerner les mécanismes de la colonisation.

M. le Président : Votre avis se fonde sur une intuition, puisque, à aucun moment, vous n'établissez de faits selon lesquels des analyses génétiques ont permis de relever un parcours effectué par le loup entre l'Italie et la France. En outre, avant 1996, il n'a été procédé à aucune analyse génétique alors que le loup est apparu pour la première fois en 1992. Cette année-là, on a décrété, sans analyses génétiques, que le loup était venu naturellement.

Mme Martine BIGAN : En 1996, on était capable d'analyser des poils ou des excréments d'animaux bien antérieurs à cette date. Cela dit, au-delà d'une durée trop longue, l'ADN commence à perdre ses informations. En 1996, des échantillons antérieurs ont été analysés ; il ne s'agissait pas uniquement d'échantillons de cette année-là. Comme je vous l'indiquais, les analyses génétiques sont un plus.

M. le Président : Sur quelles bases le ministère décrète-t-il dès 1993 : « Le couple de loups apparu dans le Mercantour est venu naturellement. » ?

Mme Martine BIGAN : Sur la base d'analyses scientifiques qui ne comportaient pas d'analyses génétiques, mais qui résultaient de travaux scientifiques réalisés notamment par les Italiens sur la colonisation du loup en Italie et sur un certain nombre de faits. Par exemple, un scientifique italien, M. Boitani, a suivi par télémétrie, des loups équipés d'émetteurs. Il a noté qu'un jeune loup qui s'émancipe était capable de parcourir une distance de 85 kilomètres, distance minimum pour s'installer dans des territoires.

M. le Président : Confirmez-vous que le ministère de l'environnement, lorsqu'il décide de classer le loup comme une espèce revenue naturellement, ne le fait que sur la base de rapports scientifiques italiens qui ont évalué qu'un loup pouvait parcourir 85 kilomètres de trajet et non sur la base de relevés d'indices qui auraient permis d'identifier un parcours précis effectué par le loup ?

Mme Martine BIGAN : Il est assez difficile de refaire l'histoire. Tout portait à croire, d'après les analyses réalisées par les Italiens, que la colonisation du loup vers les Alpes françaises était en marche.

M. le Président : A-t-on relevé des indices - poils ou excréments - dont il serait fait référence dans les dossiers du ministère de l'environnement, attestant du passage du loup sur un parcours précis lorsqu'il s'est rendu du parc des Abruzzes au parc du Mercantour ?

Mme Martine BIGAN : Je ne pense pas que l'on puisse aller aussi loin. Le domaine des sciences biologiques n'est pas un domaine où l'on peut tout analyser.

Pour citer un autre exemple, M. Boitani a suivi dans une région des Abruzzes un animal qu'il avait équipé d'un collier émetteur alors que pendant très longtemps, la population locale était persuadée qu'il n'y avait pas de loups dans le secteur, car aucune trace n'avait été relevée. On ne peut refaire l'histoire. Toutes les analyses produites à l'époque par les scientifiques, dont on ne peut douter des compétences, montraient que l'arrivée des loups en France était imminente. On trouve des échanges de courriers en 1991 entre le ministère et le parc du Mercantour demandant à ce dernier de s'enquérir de la progression du loup. On ne pouvait faire davantage à l'époque. On ne pourra vous apporter la preuve irréfutable que le loup est revenu naturellement, mais, à l'inverse, c'est à ceux qui accusent - au reste, je ne sais qui ; je ne pense pas que le ministère de l'environnement soit accusé d'avoir lâché des loups - d'apporter la preuve qu'il y a eu des loups lâchés.

M. le Président : Vous avez fait état, depuis 1970, de pressions fortes de mouvements associatifs et de différents groupements.

Mme Martine BIGAN : Oui, tout à fait. En matière de réintroduction d'espèces animales, peut-être dans l'euphorie de l'émergence de la notion de protection de la nature, notamment avec la préparation de la loi de 1976, beaucoup d'associations de protection de la nature - j'y fais référence dans ma communication - ont été maîtres d'ouvrage d'opérations de réintroduction de faune sauvage.

M. le Rapporteur : Après l'historique, quelques questions : quels sont les objectifs de votre ministère et vos moyens d'intervention concernant le loup ? Quels sont vos interlocuteurs et où en sont les travaux du conseil national consultatif du loup ?

Mme Martine BIGAN : Sans vouloir m'esquiver, je n'occupe pas un rang hiérarchique suffisant pour répondre au nom du ministère de l'écologie et du développement durable. Je suis biologiste ; ce n'est pas moi qui arrête la politique du ministère, je suis chargée de mesurer si les objectifs que se donne ce dernier sur telle ou telle question sont compatibles avec le maintien de certaines espèces sur le territoire.

Le retour naturel du loup est assorti de mesures, notamment d'ordre financier qui, je l'espère, permettront d'accompagner le problème épineux du pastoralisme. Ces moyens ont été ceux propres du ministère pendant les premières années d'apparition du loup en France. Ils ont été relayés, dès 1997, par un premier programme européen LIFE, lui-même relayé par le second programme, actuellement en cours, lequel, avec des moyens financiers importants, prévoit des mesures de prévention des dégâts.

C'est l'une des actions sur laquelle nous nous penchons avec le ministère de l'agriculture, ce qui n'était pas le cas avec le premier programme LIFE, qui disposait seulement d'un budget de 8 millions de francs financé à 50 % par la Commission européenne. Le second programme - qui a commencé en 1999 et qui doit en principe s'achever à la fin 2002 - s'élève à 18 millions de francs au titre duquel la Commission européenne participe à hauteur de 40 % des fonds ; 5 % proviennent du ministère de l'agriculture, le reste du ministère de l'écologie. Actuellement, la politique des deux ministères, puisque nous travaillons en commun, est résumée dans un document intitulé « Dispositions de soutien du pastoralisme et de gestion du loup ». L'essentiel est consacré à des moyens de mise en place de mesures de prévention, l'indemnisation des dégâts ne formant qu'un des points.

M. le Rapporteur : Pourquoi le conseil national consultatif du loup ne se réunit-il plus ?

Mme Martine BIGAN : Il ne s'est en effet pas réuni cette année. Il est vrai que nous avons rencontré quelques difficultés, les représentants de la profession agricole, ayant, en 2001, très peu participé à ce comité. En 2002, nous ne l'avons pas réuni. Pour autant, cela ne signifie pas que nous ne le réunirons pas. Mais, dans la mesure où les représentants de la profession agricole ne souhaitaient pas y participer, nous n'avons pas organisé de réunion de cette instance cette année. Cela dit, le travail de concertation se réalise, notamment au plan départemental ; en effet, dans chaque département, la profession agricole est représentée dans un comité de suivi.

M. Hervé MARITON : Madame, vous avez évoqué les apparitions, anciennes et multiples, du loup. Le terme « apparition » porte à interrogation. S'agit-il bien de loups constatés, attestés ? C'est ce que je comprends de ce que vous nous en avez dit ensuite, mais le terme « apparition » peut laisser la question ouverte.

Vous avez évoqué le constat du loup de Fontan, même si vous avez expliqué les raisons qui vous faisaient utiliser le mot « réintroduction ». Il s'agissait bien d'une introduction et d'une réintroduction, puisque vous avez indiqué, me semble-t-il, qu'il n'était pas arrivé seul, la distinction avec le loup des Landes portant sur la possibilité d'une reproduction.

Avez-vous eu connaissance, avant le début des années 90, soit en étant interrogée « sur », soit en acquérant la certitude « de » - je fais la distinction - d'autres cas de réintroduction que celui du loup de Fontan ? Au début des années 90, quelle était la situation ?

Vous soulignez qu'un loup, peut, pour s'établir, accomplir un parcours de 85 kilomètres. Est-ce à dire que le parcours entre les Abruzzes et les Alpes se réalise facilement ? En quels délais ? Sur combien de générations ?

M. le Président : Nous allons regrouper les questions, et vous répondrez, madame, à l'ensemble des intervenants.

M. François BROTTES : Selon vous, la rédaction actuelle de la convention de Berne, y compris dans l'hypothèse d'un retour naturel, permet-elle en l'état une régulation ?

M. Jean LASSALLE : Je suis très heureux, madame, que le Président ait pris l'initiative de vous rencontrer parmi les toutes premières personnes auditionnées, parce que vous avez joué au cours de ces vingt dernières années un rôle central dans le dossier qui nous préoccupe au point que nous avons mis en place une commission d'enquête.

Vous qui connaissez parfaitement le sujet, malgré votre modestie, n'avez-vous pas eu le sentiment que vous aviez fonctionné en circuit fermé, c'est-à-dire ministère de l'environnement avec quelques administrations, et certains milieux associatifs très intéressés par la réapparition naturelle ou artificielle des loups, des ours et des lynx ? Pensez-vous avoir suffisamment privilégié le dialogue en amont avec les populations, leurs élus qui les représentent démocratiquement, la profession agricole ? N'avez-vous pas le sentiment que vous avez, vingt ans durant, vécu en cercle fermé ? Dans le fond, il était plus important de privilégier le retour de la faune sauvage que de maintenir la vie de l'homme dans ce territoire alors que vous auriez pu avoir une autre approche si vous aviez eu des contacts ?

Pourquoi une association comme celle de Artus a-t-elle été chargée par l'Etat de réintroduire les ours dans les Pyrénées centrales ? Est-ce le rôle d'une association d'agir quasiment exclusivement pour le compte d'un État et, si oui, pourquoi cela a-t-il été fait si précipitamment, entraînant les désordres que vous savez ?

Mme Martine BIGAN : Pour répondre à M. Mariton, j'ai dit, en effet, qu'il y avait eu des apparitions de loups - je ne sais quel autre terme utiliser après sa disparition effective. Ni le ministère de l'environnement, ni personne n'a pu expliquer ces réapparitions. On ne sait s'il s'agissait de loups échappés d'élevage ou lâchés volontairement. L'affaire du loup de Fontan exceptée, je ne crois pas que le ministère de l'environnement ait eu connaissance d'autres apparitions, tout au moins dans le Mercantour.

M. Hervé MARITON : Et ailleurs ?

Mme Martine BIGAN : Dans une période récente ?

M. Hervé MARITON : Sur la période que vous avez eu à connaître depuis vingt ans.

Mme Martine BIGAN : Nous avons eu connaissance du cas d'un loup dans les Pyrénées Orientales, qui est un loup relativement récent et dont les analyses génétiques ont montré qu'il s'agissait d'un loup d'origine italienne. Je ne crois pas qu'il y ait d'autres exemples, mais je ferai des recherches.

M. le Président : Confirmez-vous que le loup trouvé dans les Pyrénées présentait les mêmes caractéristiques génétiques que celui des Alpes et qu'il était d'origine italienne ?

Mme Martine BIGAN : Oui, cela a été confirmé. Nous pourrons communiquer les résultats à votre commission.

M. Hervé MARITON : A-t-il été réintroduit ?

Mme Martine BIGAN : On ne le sait pas. Bien que ce soit étonnant, il est possible que ce loup soit revenu naturellement. Nous ne connaissons pas son origine. S'il avait été d'origine génétique espagnole, nous aurions pu penser que c'était un loup d'Espagne, encore que la distance qui sépare le lieu où vivent les loups espagnols et le massif du Carlitte où il a été observé est presque au moins aussi longue.

M. Hervé MARITON : Vous semblez dire que la distance vous paraît plus difficile à parcourir dans les Pyrénées que dans les Alpes.

Mme Martine BIGAN : J'expose simplement les faits ; nous ne disposons pas d'interprétation sur l'origine de ce loup.

J'en viens à la question de M. Brottes. La convention de Berne prévoit l'obligation pour les pays parties à cette convention, dont la France, de protéger intégralement le loup : interdiction de le détruire, de le transporter, d'en faire un commerce, de le capturer. Cette même convention prévoit sous certaines conditions, tout comme la directive européenne Habitats, un mécanisme de dérogation pour de multiples raisons, dont les dégâts aux activités agricoles. L'utilisation des mécanismes dérogatoires est assujettie à des conditions et son respect fait l'objet d'une grande vigilance, notamment de la part de la Cour européenne de Justice, chargée du respect de la directive Habitats, laquelle a transposé, pour l'Union européenne, la convention de Berne.

Est-ce que nous avons vécu en circuit fermé depuis vingt ans, privilégiant la faune sauvage par rapport à l'homme ? Je m'exprimerai en mon nom personnel ...

M. Jean LASSALLE : Je souhaiterais avoir les deux facettes.

Mme Martine BIGAN : Elles sont proches.

Mon travail consiste à assurer la conservation, voire la restauration de la faune et de la flore sauvages. Ainsi que je l'ai relevé, ce n'est pas uniquement - loin s'en faut - le problème des grands carnivores, bien qu'il nous occupe beaucoup.

S'agissant du maintien sur notre territoire, voire de la restauration de certaines espèces de grands carnivores, le ministère ne peut faire abstraction du contexte humain. En ce qui concerne le loup, notre mission au ministère de l'environnement consiste à assurer un statut de conservation au loup, comme à l'ours et au lynx, mais nous n'ignorons pas les difficultés considérables que ces espèces peuvent engendrer, notamment au monde pastoral. Ces espèces avaient disparu de bon nombre d'endroits du territoire national ; les pratiques de l'élevage ont évidemment évolué dans un contexte marqué par l'absence de tout prédateur, ce qui n'est évidemment pas le cas de pays comme l'Espagne ou l'Italie, où les prédateurs ont continué à vivre.

La présence des prédateurs remet en question ces pratiques d'élevage. Le loup est arrivé dans une situation où le monde pastoral était en grandes difficultés. Le loup a certes ajouté des contraintes supplémentaires. Nous essayons avec le ministère de l'agriculture de ne pas oublier qu'il y a des hommes, qu'ils subissent les effets perturbants d'une prédation. C'est ce que nos actions tentent de prendre en compte, notamment au travers du programme LIFE. Lorsque celui-ci s'achèvera, le gouvernement français avec le ministère de l'agriculture et de l'écologie reprendra à son compte ces contraintes et essayera d'améliorer la situation.

M. Jean LASSALLE : De quel droit une association comme Artus intervient-elle pour le compte de l'Etat ?

Mme Martine BIGAN : On sort un peu du contexte « loup », mais le problème de l'ours...

M. le Président :... fait partie du champ d'action de la commission.

Mme Martine BIGAN : Dans le cadre de l'opération de réintroduction des ours dans les Pyrénées centrales, nous avons privilégié dans un premier temps des opérateurs associatifs. Ce sont souvent les plus motivés, mais vous savez, monsieur Lassalle, que, depuis plusieurs années déjà, l'Etat a repris à son compte cette opération. C'était l'une des rares opérations conduites par le ministère de l'environnement. Nous ne fuyons pas devant nos responsabilités s'agissant de la réintroduction de l'ours. Depuis des années, c'est le préfet de la Région Midi-Pyrénées qui anime, non pas la réintroduction, aujourd'hui stoppée, mais l'ensemble du processus d'accompagnement de la présence des ours. Certes, l'association de protection de la nature, Artus, a fait émerger le projet, mais l'opération a été menée par le ministère de l'écologie et du Développement durable.

M. le Président : Madame, je vous remercie.

Audition de M. Daniel CHEVALLIER,
rapporteur de la mission parlementaire d'information sur la présence du loup
en France

(Extrait du procès-verbal de la séance du 11 décembre 2002)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

M. Daniel Chevallier est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Daniel Chevallier prête serment.

M. François BROTTES : Il apparaissait indispensable au Président Estrosi d'auditionner le Rapporteur de la mission d'information sur la présence du loup en France. Je souhaiterais que vous nous disiez comment, avec le recul, vous jugez la façon dont les choses ont évolué.

M. Daniel CHEVALLIER : Merci de m'associer à la réflexion de la commission d'enquête sur le loup en tant que Rapporteur de la mission d'information qui a établi l'incompatibilité du loup avec le maintien du pastoralisme durable.

Lorsque nous avons été confrontés au problème posé par le retour du loup dans les milieux ruraux, en particulier dans les Alpes, nous avons, par choix, écarté le problème des conditions mêmes du retour de ce canidé. Nous sommes partis du principe selon lequel il était là et qu'il convenait de rechercher les conditions d'une possible cohabitation de ce prédateur avec l'élevage ovin dans les zones de montagne.

Il était entendu que les informations reçues jusqu'alors faisaient état d'un retour naturel du loup à partir de l'Italie. En effet, les analyses génétiques montraient qu'il s'agissait de la même lignée. La question de savoir s'il était revenu sur ses quatre pattes, dans le coffre d'une voiture ou par avion n'avait pas été abordée !

Nous sommes partis du principe qu'étant de retour, ce prédateur, protégé par la convention de Berne ratifiée par la France, voyait sa présence gérée par la directive Habitats de 1992. A l'époque, nous avions effectué plusieurs auditions ; celle qui nous avait le plus marqués était celle de M. Pierre Bracque qui a d'ailleurs rédigé un rapport de mission interministérielle sur le sujet. Nous étions partis de la possibilité de pratiquer un zonage pour permettre la cohabitation du loup et du pastoralisme. Le zonage n'est guère aisé à mettre en place, mais le principe retenu ensuite dans l'arbitrage interministériel entre le ministère de l'Environnement et celui de l'Agriculture s'inspirait en partie de nos conclusions. Le constat était l'incompatibilité du pastoralisme à la française, c'est-à-dire extensif, avec la présence du loup. Il a fallu faire admettre l'idée au ministère de l'environnement, ce qui ne fut pas chose facile. Un écho favorable émanait du ministère de l'agriculture, mais auprès du ministère de l'environnement, il convenait de faire preuve de beaucoup de conviction.

Le pastoralisme à la française nous a conduits à proposer la protection de zones où ce pastoralisme est nécessaire à l'entretien de l'espace et au maintien de la présence de l'homme et des exploitations agricoles et où le loup ne peut être toléré. Cela signifiait l'existence d'un droit de défense qui est aussi une question de dignité pour l'éleveur et le berger présents sur place. D'où une possibilité de réaction face à une attaque du loup. Dans ces zones, la priorité doit être donnée au pastoralisme, à la transhumance et à l'élevage. En revanche, il est possible de créer des zones de cohabitation où la présence du prédateur et de troupeaux ovins peut être assurée par des suivis humains et financiers. Il convenait de s'engager dans un système de gestion de la présence du prédateur, à condition de dégager un consensus sur les conditions de sa présence.

Enfin, troisième zonage, les parcs à loups. Si, à un moment donné, on acceptait la présence du loup dans des zones jusqu'alors indemnes de la présence de ce canidé, pourquoi ne pas faire en sorte que ce soit le loup qui soit parqué et non les animaux d'élevage ?

Par rapport à ces trois propositions, je dois préciser fortement ici que nous nous sommes aperçu très rapidement qu'à partir d'un problème assez localisé, qui provoquait parfois un accueil narquois de nos concitoyens, se posait un véritable problème de société sous forme d'affrontement entre les urbains et les ruraux. Ces derniers vivaient sur place cette difficulté supplémentaire qui leur était imposée alors que les urbains souhaitaient un retour à l'état naturel et un retour du prédateur dans ces zones. Nous ne sommes pas entrés dans le débat philosophique, mais, il est vrai que c'est un phénomène que nous avons rapidement constaté au cours des différentes rencontres organisées sur le terrain. C'est pourquoi, pour partie, nous avons proposé une première zone où se dégageait la nécessité de maintenir un élevage extensif avec un droit de réaction lorsque le troupeau où l'activité humaine était menacée. Voilà le résultat auquel nous sommes parvenus.

Je ferai une remarque supplémentaire : le problème du loup, protégé par la convention de Berne et la directive Habitats, pouvait, au-delà des Alpes françaises, être traité à l'échelle de l'arc alpin. A cette échelle, le loup est en nombre suffisant et n'est pas une espèce en danger d'éradication. En retenant une vision plus globale que celle centralisée sur de petits départements ou de petites zones alpines françaises, on pouvait gérer le problème autrement en insistant sur les particularités du pastoralisme à la française. Vous êtes suffisamment informés des différences de conditions d'élevage et de pastoralisme en France et en Italie. Cela peut conduire à des appréciations différentes sur la présence du loup et la manière dont il peut être géré en France et en Italie, mais également dans d'autres pays. Nous avons pensé utile de dépasser la dimension française pour arriver à une gestion du loup au niveau de l'arc alpin européen.

La mise en place de la première zone, qui devait être gérée au niveau départemental, s'est heurtée à des difficultés d'application sur le terrain. Il était admis qu'il existait un droit de réponse lors de la première attaque. Mais lors d'une deuxième attaque, il était prévu d'en référer à la direction de la protection de la nature à Paris. Le dossier devait revenir au niveau du Préfet afin qu'il accorde une éventuelle autorisation. En plein débat sur la décentralisation, je pense que ce type de gestion - même si elle doit contenir une dimension globale au niveau de l'arc européen - doit être assurée, au plus près du terrain, pour ce qui est du droit de réaction lors d'attaques du loup en zone de pastoralisme. Nous avions obtenu la possibilité d'une réponse circonstanciée, mais d'une seule au niveau du département. Ensuite, toute autre attaque du loup devait être traitée à Paris. Nous avons rédigé plusieurs courriers à l'époque et entrepris plusieurs démarches pour obtenir que les décisions soient prises au minimum par le préfet de région, voire le préfet de département, afin que le problème soit géré au plus près du terrain. A ce jour, nous n'y sommes pas parvenus ; aucune décision n'a été prise en ce sens. Je crois cependant que c'est un point sur lequel il faudrait insister fortement.

M. François BROTTES : On parle de battues administratives, le cas échéant, pour réguler la présence du loup.

M. Daniel CHEVALLIER : Voilà l'essentiel des conclusions de nos travaux.

Le constat : le loup est de retour. Nous ne nous sommes pas attardés sur les conditions de ce retour. A partir de sa présence, nous avons essayé de proposer un schéma pouvant permettre de concilier l'inconciliable. Tout le monde connaît bien, et nous l'avons ressenti sur le terrain, l'angoisse qui s'empare des éleveurs et la tension qui traverse le monde montagnard. Tout cela rend le problème difficile à régler. A chaque saison d'estives, l'on vit dans l'angoisse d'éventuelles attaques du prédateur. Je pense qu'il faut être le plus convaincant possible pour traiter ce problème au niveau le plus direct. Les mesures qui aident au retour du loup, c'est-à-dire les mesures d'accompagnement du plan « LIFE-loups » au niveau européen, sont considérées, sur le terrain, comme insuffisantes ou comme une forme d'aumône donnée à la zone de montagne sur le thème : « Vous avez des ennuis ; on vous en ajoute un supplémentaire. Mais ne faites pas trop de bruit, car on vous donne quelques pilules pour mieux digérer l'affaire » ! C'est là un aspect très sensible que j'ai ressenti dans le cadre de la mission d'information : les moyens sont insuffisants ou ceux accordés sont considérés comme une aumône. D'où une remarque qui revenait fréquemment selon laquelle les crédits pourraient être utilisés à meilleur escient, à d'autres projets que celui de faciliter le retour du loup.

Je vous souhaite bon courage pour la suite, car je sais que ce n'est pas un sujet facile.

M. François BROTTES : Merci.

M. le Rapporteur : Monsieur Chevallier, j'ai beaucoup apprécié le travail que vous avez accompli, d'autant que j'avais participé à plusieurs réunions sur le terrain. A l'époque, les gens étaient encore plus braqués qu'aujourd'hui. Depuis, le sujet a été grandement évoqué et devient un peu plus facile.

Lors d'une audition précédente, M. Pierre Pfeffer, chercheur reconnu, a déclaré clairement que les zones se révélaient impossibles à mettre en place. En tout cas, il était contre.

Toutes les auditions de ce matin nous conduisent à nous intéresser à la question suivante : le loup a-t-il été réintroduit ou est-il revenu d'une façon naturelle ? Dans votre rapport, vous déclariez qu'il serait revenu de façon naturelle. Quels éléments recueillis lors de votre mission étayent cette affirmation ?

M. Daniel CHEVALLIER : Les seuls éléments dont je disposais revêtaient un caractère un peu personnel dont j'ai fait état auprès de mes collègues. En effet, dans des fonctions anciennes, j'étais enseignant-chercheur à l'université de Grenoble et j'avais la chance, à l'époque, de travailler dans le laboratoire voisin de celui de M. Taberlet que vous auditionnerez certainement sur la génétique des populations. Les quelques entretiens que j'ai eus avec lui étaient catégoriques : nous sommes en présence de la lignée canis lupus italianus, c'est-à-dire le loup des Abruzzes et des Apennins. Au surplus, le mode de vie du loup et son comportement font que les distances ne sont pas pour lui un obstacle. Il sera difficile de démontrer qu'il est venu à quatre pattes et l'on pourra toujours suspecter un transport dans le coffre d'une voiture. La démonstration sera extrêmement difficile ; les seules preuves tangibles pourraient être tirées de la détection de différences sur le plan génétique ou biologique. Or, toutes les analyses réalisées jusqu'à présent montrent qu'il s'agit bien du loup d'Italie. Les quelques loups d'élevage, présents en Corrèze je crois, présentent des caractéristiques différentes. En tout cas, M. Taberlet est capable de descendre au niveau de la lignée, et même au niveau des fratries. Il sera capable de démontrer que tel loup, capturé dans le Mercantour ou ailleurs, est issu de telle lignée et de telle fratrie. L'origine sera déterminée. A mon sens, elle se situe en Italie. Quant à la question de savoir comment ils sont venus d'Italie en France..., je ne peux me prononcer.

M. le Rapporteur : Quand on connaît les autoroutes qui coupent le tracé qui relie les Abruzzes au Mercantour, on se demande comment un loup a pu les traverser.

M. Daniel CHEVALLIER : Oui, mais le spécialiste est formel sur la possibilité du retour du loup. Je n'ai pas suffisamment de connaissances sur la biologie ou le comportement du loup pour m'avancer sur son mode de déplacement.

Ce sujet mérite une grande attention car, même si la tension est moindre sur le terrain, il reste des plaies assez vives et des inquiétudes fortes. Si le zonage n'est pas possible, je ne sais quelle sera la solution.

M. Jean LAUNAY : Il n'existe pas de contradictions entre les propos de M. Pfeffer et les zonages.

M. le Rapporteur : Il voit le Mercantour en son entier, il voit les parcs, non les couloirs.

M. Daniel CHEVALLIER : A un moment donné, nous avions envisagé de localiser le loup dans les parcs où il existe des moyens humains pour le surveiller, le contrôler et le suivre. L'idée était celle-ci : pourquoi ne pas tolérer la présence du loup dans des lieux où, effectivement, il peut être suivi, étudié, canalisé et accompagné ? Mais il ne s'agissait pas des couloirs. Quand nous en avons débattu en commission, on ne croyait guère à l'idée de zones reliées par des couloirs où des « autoroutes à loups » fonctionneraient.

M. François BROTTES : Les délais de publication des circulaires ont été longs. Quel est le sentiment du Rapporteur de l'époque sur la bonne ou mauvaise volonté des services concernés pour diligenter les dispositifs ?

M. Daniel CHEVALLIER : Il y avait, et il doit subsister, une forte pression des associations de défense de la nature qui interviennent au niveau du ministère de l'environnement en faveur du retour naturel du loup et d'un accompagnement financier de sa présence. Un antagonisme assez fort opposait le ministère de l'environnement et celui de l'agriculture. L'administration de l'agriculture comprenait parfaitement les difficultés et les problèmes vécus sur le terrain par les éleveurs alors que le ministère de l'environnement voulait, dans de cadre d'une politique de reconquête de l'espace naturel pour le lynx, l'ours et le loup, un processus un peu plus libre dans l'application sur le terrain.

A l'époque, l'antagonisme était très fort entre le ministère de l'environnement et celui de l'agriculture, au point que le dossier était remonté un temps chez le Premier ministre pour essayer de dégager une décision. Les arbitrages ont été difficiles et, comme toujours, les arbitrages sur de tels dossiers furent mi-figue, mi-raisin. Nous avons abouti à une situation qui n'est pas satisfaisante, mais que nous avions considérée à l'époque comme un premier pas vers une gestion de la présence du loup. Je crois qu'il faut progresser et essayer d'améliorer ce dispositif amorcé par le rapport.

M. François BROTTES : Merci.

Audition de Mme Véronique GENEVEY,
responsable du programme LIFE-Loups, chargée de mission à la direction régionale de l'environnement (DIREN) pour la région Rhône-Alpes

(Extrait du procès-verbal de la séance du 11 décembre 2002)

Présidence de M. François Brottes, Vice-président

Mme Véronique Genevey est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation du Président, Mme Véronique Genevey prête serment.

M. François BROTTES : Merci, madame, d'être parmi nous ce matin. Je vous propose de présenter un propos liminaire ; ensuite, mes collègues et moi-même nous vous poserons des questions.

Mme Véronique GENEVEY : Je souhaite vous présenter les travaux menés dans le cadre du programme « LIFE, le retour du loup dans les Alpes françaises ». A ce titre, je suis tenue d'établir un rapport annuel. Les informations que je vais vous transmettre seront publiées dans un rapport administratif. Je ne sais dans quelle mesure elles doivent être tenues secrètes.

m. François BROTTES : La réponse est très claire. Vous faites votre travail qui, par définition, est rendu public. Mais nous n'allons pas nous contenter de votre exposé liminaire, nous allons vous interroger au-delà des marges !

Mme Véronique GENEVEY : Je suis chargée de mission Nature, à la direction régionale de l'environnement Rhône-Alpes, où j'ai en charge la coordination administrative des services de l'État impliqués dans le programme « LIFE, le retour du loup dans les Alpes françaises » ainsi que de l'animation de l'ensemble des personnels embauchés dans le cadre du programme LIFE.

Le programme LIFE - instrument financier pour l'environnement - est un programme européen, souvent expérimental, qui permet, grâce à la mobilisation de fonds communautaires sur une période donnée assez courte, trois ans en moyenne, d'initier des actions de gestion, de protection et de conservation dans des domaines de l'environnement ou de la nature. Dans le cas présent, il s'agit de « LIFE nature » qui concerne une espèce classée en annexe IV de la directive européenne Habitats.

Le montant total de ce programme s'élève à 2,836 millions d'euros ; il a été validé par la Commission européenne le 1er juillet 1999 pour une durée de 45 mois, ce qui signifie que son terme est prévu le 31 mars 2003, mais il fait l'objet d'une demande de prolongation. La liste des financeurs du programme rassemble l'Union européenne pour 40 %, soit 1,134 million d'euros, le reste provient de l'Etat français et est réparti entre le ministère de l'écologie à hauteur de 55 %, soit 1,560 million d'euros et le ministère de l'agriculture pour 5 %, soit 141.800 euros.

Nous travaillons à une demande de prolongation de la durée du programme.

L'actuel programme, qui est un programme environnemental et non pas agricole, fait suite à un premier intervenu dans les seules Alpes du sud. Il concerne deux régions administratives : Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Rhône-Alpes. Le dossier de candidatures prévoyait l'utilisation des fonds sur dix départements, cinq dans chaque région : les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, les Alpes-Maritimes, le Var, le Vaucluse, l'Ain, la Drôme, l'Isère, la Savoie et la Haute-Savoie. J'ai coordonné l'ensemble des services impliqués sur les deux régions. Au final, deux départements - l'Ain et le Vaucluse - n'ont pas été intégrés dans le programme compte tenu de l'absence du loup sur la période de trois ans. Deux départements sont concernés marginalement : le Var et la Haute-Savoie.

L'objectif du programme est, selon les termes du dossier de notre candidature, « d'assurer l'installation d'une population viable de loups dans les Alpes, en recherchant les conditions d'une coexistence de ce prédateur avec les activités humaines et notamment le pastoralisme. »

M. François BROTTES : Nous sommes en fin de programme. Avez-vous trouvé ces conditions ?

Mme Véronique GENEVEY : Nous avons essayé.

Mme Henriette MARTINEZ : La locution « assurer l'installation » signifie-t-elle que les loups sont absents ?

Mme Véronique GENEVEY : Effectivement, dans les départements de l'Ain, du Vaucluse et de la Haute-Savoie, les loups ne sont pas installés. Il nous faut trouver les moyens pour que leur installation éventuelle puisse se réaliser selon une démarche de cohabitation avec les activités en place.

M. François BROTTES : Ce peut être une installation constatée où une installation facilitée.

Mme Véronique GENEVEY : Je vais énumérer les actions ; vous constaterez qu'aucune ne vise une installation aidée par l'homme.

Sur deux régions, huit départements, de nombreux services de l'État ou d'établissements publics sont impliqués, puisque l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) suit à la fois la gestion administrative et financière du dossier - il est l'employeur des personnels engagés - et assure la coordination des actions scientifiques sur le suivi du loup. Le Parc national du Mercantour assure, quant à lui, le suivi du loup sur son territoire. La DIREN (Direction régionale de l'environnement) Rhône-Alpes est à la fois en charge de la coordination des services de l'État et de l'animation de l'équipe LIFE, soit, au total, neuf personnes. La DIREN PACA (Provence-Alpes-Côtes d'Azur) prend en charge la partie relative à la communication. Les directions départementales de l'agriculture et de la forêt assurent la coordination des réseaux « Loup » départementaux - ce sont des réseaux d'observateurs - et le suivi des mesures de prévention mises en place dans le département. Nous avons aussi associé les parcs naturels régionaux concernés du Queyras et du Vercors ainsi que les autres parcs nationaux territorialement concernés.

Le réseau « Loup » a été constitué dans huit départements et globalement, il rassemble 450 personnes, dont des observateurs chargés d'apporter des informations visuelles ou des indices de présence et des agents constatateurs en cas d'attaques.

Dans le programme, quatorze actions identifiées ont été réparties en quatre types. La première série d'actions concerne le suivi de la présence du loup via le réseau « grands prédateurs ». Nous suivons ainsi la colonisation du loup, nous constatons les dégâts aux troupeaux, nous coordonnons des réseaux locaux et assurons la coordination transfrontalière avec l'Italie et la Suisse. Des études écologiques, éthologiques du loup et surtout des études relatives à sa dynamique de population sont menées. L'outil privilégié pour suivre cette population de loups est l'analyse génétique, d'où une collaboration avec un laboratoire génétique spécialisé dans les analyses ADN sur les animaux, qui a mis en place une méthode pour déterminer les espèces et les sous-espèces à partir d'analyses ADN. C'est pourquoi les rapports évoquent souvent la lignée italienne. Nous avons réussi à définir des caractéristiques différentes entre les loups des pays de l'Est, les loups italiens et les loups espagnols. Actuellement, des travaux sont en cours en vue d'une prochaine publication, sur les analyses individuelles. Ces travaux portent sur l'ADN des noyaux des cellules et permettent d'individualiser les cartes génétiques des loups et de recomposer les filiations d'un individu, puisque l'on retrouve les caractéristiques transmises d'un loup à sa descendance.

Pour l'ensemble de ces actions, un biologiste coordonnateur et un vétérinaire ont été engagés. Le biologiste restera à l'Office national de la chasse pour l'après programme LIFE.

Les actions portant sur le suivi de la présence du loup représentent 601.000 euros, soit 21 % du programme LIFE.

Le deuxième type d'actions vise la cohabitation du loup et du pastoralisme et prévoit des études sur l'approche agronomique, écologique et économique de la gestion des alpages en présence du loup. Nous avons eu quelques difficultés à initier ce type d'études dans la mesure où très peu de structures sont en mesure de les mener à bien. Le Centre national de machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts (CEMAGREF) de Grenoble élabore actuellement des études sur la caractérisation des alpages et des troupeaux et leur évolution en présence du loup. Le principal volet de ce type d'actions est la mise en place de moyens de prévention : aides-bergers, chiens de protection, parcs de contention et expérimentation de nouveaux dispositifs. Des conseils sont donnés aux éleveurs et les dommages sont compensés. Pour le parc du Mercantour, la compensation des dommages n'est pas prise en charge par le programme LIFE, puisque l'Europe a considéré, du fait de l'ancienneté de l'arrivée du loup dans le secteur, qu'il revenait à la France de prendre le relais ; c'est donc l'État qui assume l'intégralité des dommages dans le Mercantour.

Les actions visant la coexistence avec le loup s'élèvent à 1,697 million d'euros, soit près de 60 % du programme LIFE. Pour cette action, nous avons recruté quatre techniciens pastoraux en charge, chacun, d'un territoire d'action, soit une personne pour deux départements. Leurs missions comprennent le conseil aux éleveurs en matière de chiens de protection et de moyens de prévention de manière générale.

La troisième série d'actions recouvre les actions de formation et de communication. Des actions auprès des professionnels sont également prévues. Des modules de formation, en particulier auprès des aides-bergers comportent une information sur la biologie du loup, son implication sur le terrain, sur les moyens de prévention, sur les chiens en particulier. Nous avons recruté un chargé de communication.

La quatrième catégorie d'actions rassemble tout ce qui a trait à la gestion administrative et financière, deux agents administratifs ayant été recrutés pour assurer le suivi des contrats passés avec les éleveurs à chaque fois qu'un aide-berger est engagé ou qu'un chien est acheté et le suivi des dossiers d'indemnisation.

M. François BROTTES : Comment mesurez-vous les écarts entre les budgets prévus et la manière dont ils ont été réalisés ? Existe-t-il des écarts significatifs entre l'intention et la réalité ?

Mme Véronique GENEVEY : Effectivement, certaines lignes sont utilisées depuis longtemps et l'État a pris le relais du financement, par exemple, la ligne « des aides bergers » et la ligne « indemnisation ». D'autres lignes n'ont pas été entièrement consommées, en particulier celle destinée à la réalisation d'études, faute d'avoir trouvé des organismes susceptibles de fournir les études souhaitées. La ligne relative aux chiens de protection n'a pas non plus été consommée en totalité. Il avait été prévu d'en financer 250. Nous nous sommes rendu compte que la réactivité des éleveurs variait d'un département à l'autre, même si globalement les éleveurs sont tous hostiles à la présence du loup. Dans certains départements, les éleveurs ont voulu utiliser tous les moyens qui leur étaient proposés alors que dans d'autres nous nous sommes heurtés à une opposition de principe très forte des organismes professionnels qui ont retardé jusqu'à cette année la mise en place des moyens de prévention. Par exemple, en Savoie ou dans les Hautes-Alpes, ils ont été instaurés très rapidement. A l'inverse dans la Drôme, l'Isère ou dans les Alpes-de-Haute-Provence, cela s'est réalisé plus tardivement.

Trois ans est une période trop courte pour certaines actions. Inversement, il est impossible d'estimer les montants des dommages sur une période aussi longue et l'enveloppe a été sous-estimée.

M. François BROTTES : Par dommages, entendez-vous uniquement les brebis mortes ?

Mme Véronique GENEVEY : Pour l'indemnisation des dommages, une procédure est en place. En cas d'attaque, l'éleveur appelle une personne responsable qui centralise les appels du département. Des agents constatateurs se rendent sur place, en général dans les 24 heures, mais cela peut être plus long, et établissent un constat d'attaque. Au vu des informations figurant au constat, l'on attribue ou non l'attaque à un prédateur. Ce peut être un lynx. Dans plusieurs secteurs, lynx et loups cohabitent. L'attaque peut être aussi le fait de chiens. Toutefois, pour la majorité des attaques, la mention « grands prédateurs » figure dans le rapport sans plus de précisions. D'autres constats d'attaques sont sans indice de prédation. La mort peut être due à un dérochement de faible importance lié à d'autres causes que l'attaque du loup.

Les constats sont étudiés, la décision finale d'indemnisation revenant à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF) dans chaque département qui se réunit en commission spéciale. Dans des secteurs nouvellement colonisés où l'on peut suspecter la présence de loups, les analyses ADN revêtent une importance toute particulière pour confirmer ou infirmer cette présence.

Une fois ces étapes franchies, le bilan des constats débouche ou non sur des indemnisations.

M. le Rapporteur : Vous avez énuméré pour le programme LIFE les actions écrites sur le papier ; en réalité, sur le terrain, il n'en va pas du tout ainsi.

Combien compte-t-on de patous actuellement sur les huit départements ?

Mme Véronique GENEVEY : Nous estimons à 360 le nombre des patous en activité sur les départements, sachant qu'une centaine est financée par le programme LIFE.

M. le Rapporteur : Combien d'ovins sont-ils tués en France dans l'année ? Et combien par le loup ?

Mme Véronique GENEVEY : Toutes causes confondues, je n'ai pas trouvé de sources. L'Institut national de la recherche agronomique (INRA) considère que l'on peut avancer le nombre de 200.000 moutons tués chaque année de façon accidentelle, toutes causes confondues.

M. le Rapporteur : C'est considérable.

Mme Véronique GENEVEY : Je n'ai pas trouvé de sources d'origine agricole.

Pour les moutons tués par les loups, nous disposons des chiffres pour les années 1993 à 2001. Le bilan 2001 fait état de 1.830 brebis tuées et indemnisées, suite à une attaque du loup. Des brebis, il est vrai, ne sont pas retrouvées et donc ne sont pas comptabilisées. Mais la preuve n'a pas été apportée, pour toutes les brebis indemnisées, qu'il s'agissait du loup.

M. le Rapporteur : Cela signifie la disparition d'un troupeau par an, puisque c'est là l'effectif moyen des troupeaux dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Mme Véronique GENEVEY : En 2001, les déclarations auprès des services vétérinaires des ovins en alpages faisaient état de plus de 930.000 ovins en alpage, donc 1.830 ovins tués représentant une perte annuelle d'à peu près 0,2 %.

M. François BROTTES : Les brebis pleines sont-elles comptabilisées comme un seul animal ?

Mme Véronique GENEVEY : Le montant de l'indemnisation n'est pas le même selon la bête. Mais je pense que la brebis pleine est comptabilisée comme un seul animal.

M. le Rapporteur : Il faut savoir, madame, qu'une brebis pleine attaquée par un loup signifie la perte d'un an de production pour l'éleveur, même si l'indemnité est un peu plus élevée. C'est ce qu'il faudrait évaluer.

Mme Véronique GENEVEY : Tel était le but des études économiques. Concrètement, personne n'a voulu s'y impliquer.

M. François BROTTES : Avez-vous lancé un appel d'offres ?

Mme Véronique GENEVEY : Le ministère l'a fait. Je ne suis pas responsable de la totalité du programme LIFE, des services sont responsables des études scientifiques. Le ministère de l'environnement et l'ONCFS sont en charge des appels d'offres.

Nous avons sollicité la division des études sur les alpages du CEMAGREF de Grenoble. Apparemment, l'approche économique demande beaucoup de travail et les coûts prévus dans le programme ne permettent pas d'aboutir à des résultats.

M. François BROTTES : Quel est le montant de la somme qui serait nécessaire ?

Mme Véronique GENEVEY : Nous avions prévu un budget de 200.000 francs.

M. André CHASSAIGNE : Sur les 200.000 brebis tuées chaque année, environ une sur cent serait tuée par le loup. Existe-t-il des éléments de comparaison avec la période où les brebis étaient tuées hors la présence du loup ? Avez-vous des chiffres de comparaison ?

Combien représente ce chiffre de 1.830 brebis imputé au loup par rapport au total des brebis tuées pour raisons diverses ?

Mme Véronique GENEVEY: Les recherches effectuées ont porté sur les prédations du loup par rapport aux effectifs annoncés dans les alpages. Malheureusement, recueillir ces données a nécessité une recherche poussée. Il a fallu questionner les huit départements pour obtenir l'effectif en alpages. Je n'ai pu comparer, faute d'éléments, la prédation du loup à d'autres causes de mortalité naturelle. Ce sont là des axes de recherche qu'il convient de poursuivre.

Les chiffres sur les maladies sont également publiés globalement et non par département. En 1996, la brucellose a fait plus de 7000 victimes dans la seule région PACA. Rien n'est comparable.

A partir des effectifs en alpages, j'ai essayé de resserrer l'analyse sur des zones à loups, que leur présence soit permanente ou temporaire. J'ai exclu le Var où, en 2001, un seul troupeau a été attaqué, ce qui aurait faussé les résultats. Si l'on focalise l'analyse sur les ovins en alpages dans les zones de présence du loup, l'on compte environ 450.000 ovins ; si l'on restreint l'étude aux zones de présence permanente où il existe des meutes, l'on compte 220.000 ovins. Si l'on resserre encore l'étude sur l'effectif des troupeaux qui ont subi des prédations en 2001, on en est à 159.000 ovins.

Si l'on rapporte les 1.810 prédations (hors les chiffres du Var) aux 159.000 moutons ayant subi une attaque, on atteint un pourcentage de 1,14 %. Voilà des chiffres. Je ne veux pas les interpréter, mais ils donnent une idée. Une personne a travaillé six mois pour récolter ces données. Il conviendrait de poursuivre l'étude sur l'année 2002, tant il est vrai que les chiffres varient d'une année sur l'autre.

M. François BROTTES : Parmi les 1.830 brebis, combien de brebis tuées ou mortes n'ont-elles pas été reconnues alors que les professionnels considèrent qu'elles auraient pu être attaquées par un grand prédateur ?

Mme Véronique GENEVEY: Les constats ne rapportent pas les chiffres des brebis non recensées.

M. François BROTTES : Madame, je vous remercie.

Audition de M. Pierre PFEFFER,
biologiste, membre du comité scientifique du parc du Mercantour,
directeur de recherche au CNRS et au Muséum d'histoire naturelle

(Extrait du procès-verbal de la séance du 11 décembre 2002)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

M. Pierre Pfeffer est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation du Président, M Pierre Pfeffer prête serment.

M. Pierre PFEFFER : Non seulement je jure de dire la vérité, mais je précise que j'aurais souhaité prêter serment même si vous ne me l'aviez pas demandé, car je veux très sincèrement dire tout ce que je sais, pense et ressens sur cette affaire qui est en train de ridiculiser notre pays.

M. François BROTTES : Monsieur Pfeffer, je rappelle que vous êtes directeur de recherche au CNRS et au Muséum national d'histoire naturelle, laboratoire des mammifères et oiseaux. Vous êtes un spécialiste des grands herbivores et donc des proies du loup. Vous avez été président du comité scientifique du parc du Mercantour pendant quatorze ans, donc pendant et après l'arrivée du loup dans le parc en 1992. Vous avez été administrateur, puis vice-président du conseil d'administration de ce parc national depuis sa création jusqu'en 2001. Vous faites également partie de la Commission scientifique Loups et de la Commission scientifique Ours auprès du ministère de l'Écologie. Vous avez été maître d'œuvre de la réintrocution du lynx en France en 1983 en collaboration avec le ministère.

Pour dire la vérité, c'est à cause du loup que j'ai demandé à ne pas être renouvelé dans les fonctions d'administrateur et de président du comité scientifique du parc du Mercantour. J'ai pris mes distances avec cette affaire, que j'espère pouvoir traiter de façon calme et objective. J'ai été impliqué malgré moi dans des histoires de loup pour la première fois en 1968. Je sais que beaucoup d'entre vous, beaucoup d'éleveurs et de responsables locaux pensent à une introduction ou réintroduction par la main de l'homme de ces animaux. En effet, en France, il y avait - et il subsiste - des groupes de protecteurs et de passionnés du loup ayant pour objectif sa réintroduction. En 1968, j'ai découvert tout à fait par hasard un groupe qui s'appelait « La Main Verte ». Ses membres avaient pour but de restaurer la faune française du temps des Gaulois ! Ils avaient établi une liste d'animaux et avaient commencé par le loup. En mai 1968, arrivant un matin très tôt au Muséum, je découvris un monsieur impatient qui m'expliquait être venu des Landes en voiture malgré les circonstances avec un animal dont il voulait connaître l'espèce ; c'était un loup. A l'époque, je présentais l'émission « Les animaux du monde » avec François Delagrange. Nous préparions une émission sur les loups et François Delagrange m'avait demandé ce que je pensais du « loup des Landes » qui avait fait grand bruit. Un de mes collègues, François de Beaufort, s'était emparé de cet animal - il voulait faire sa thèse sur le loup - et l'avait identifié comme un loup d'Espagne dont il présentait tous les caractères.

Il se trouve que, par hasard, j'ai rencontré à cette époque un psychiatre qui traitait un personnage étonnant, membre d'une association, « La Main Verte », qui réintroduisait des loups dans les Landes. J'ai fait le lien. Quand François Delagrange, à la télévision, me posa la question sur le loup des Landes, je lui répondis que l'on avait sans doute affaire à un mystificateur. Rentré chez-moi, le téléphone sonna, un homme se présenta comme étant « le mystificateur ». J'ai rencontré ce monsieur, qui m'a expliqué son objectif et sa fureur à mon encontre. Il me reprochait d'avoir saboté une action de longue haleine !

Ces loups venaient en fait de l'élevage du Gévaudan et très rapidement après les lâchers - une semaine pour l'un, une quinzaine de jours pour l'autre - ils ont été tués. Voilà des animaux provenant d'un élevage, dépourvus de la crainte de l'homme qui se sont aussitôt rapprochés des habitations et des élevages ; ils ont tué des moutons ou attaqué des poulaillers. Tous ceux qui s'occupent des carnivores savent que les carnivores d'élevage - lions, guépards... - sont pratiquement impossibles à réintroduire, car même s'ils n'ont fait qu'un très bref séjour en captivité, ils ont perdu la crainte de l'homme : ils s'en approchent et fatalement occasionnent des dégâts et se font tuer.

A la fin des années 1980 ou du début des années 1990, le maire de Saint-Maximin, M. Burle, est venu me voir avec l'un de ses collègues. Il avait fondé le groupe Loups de France, dont l'objectif était de réintroduire le loup partout où c'était possible. Ils sollicitaient ma collaboration ; je m'y suis absolument opposé. Le fait que j'ai été le maître d'œuvre officiel, au titre du ministère de l'environnement, de la réintroduction du lynx en France laissait croire à certains que je serais tout aussi d'accord pour réintroduire le loup. Or, j'y étais totalement opposé, précisément pour les raisons que je viens d'évoquer. Je répondais à tous que, non seulement ils allaient faire naître des problèmes incommensurables, mais qu'ils allaient envoyer tout droit les loups à l'abattoir. De la même façon, j'étais opposé à la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées centrales - pour d'autres raisons. Il reste des ours naturels en France ; il n'y a donc aucune raison d'en réintroduire d'autres, surtout si l'on ne supprime pas les causes du déclin des populations naturelles d'ours. Au surplus, je savais que cela alimenterait l'argumentation selon laquelle « on » réintroduisait des carnivores. Le président Lassalle me comprendra. Il existe en effet pour conforter les arguments de ceux qui pensent que ces animaux ont été réintroduits, une réalité affective et psychologique : des personnes sont partisanes de la réintroduction de certaines espèces de carnivores.

Au sujet des loups du Mercantour, je vais vous livrer mon intime et profonde conviction. Je ne pense pas qu'ils aient été introduits ou réintroduits. Je ne le pense vraiment pas. Le bulletin des chambres d'agriculture précise que des renseignements confidentiels, des informations que l'on ne peut dévoiler parlent de réintroduction. Mais qu'ils publient donc ces informations ! Jusqu'alors, personne ne nous a fourni le moindre argument, le moindre renseignement concernant une opération de réintroduction. Une opération de réintroduction ne s'opère pas comme cela, je vous l'assure. Je n'en ai fait qu'une, celle des lynx. Ce ne fut pas simple : il a fallu importer les animaux, les conduire sur le lieu du lâcher, d'autant que - élément essentiel - pour que cette réintroduction réussisse, il faut absolument opérer avec des animaux capturés à l'état sauvage, comme nous l'avons fait pour les lynx. Deux lynx ont été lâchés dont on nous a garanti en Roumanie qu'ils venaient de l'état sauvage ; or, ils avaient effectué un petit séjour en zoo. Nous avons tout de suite eu des problèmes avec ces deux lynx. En effet, ils se sont approchés des touristes en forêt de Ribauvillé - ils avaient perdu toute crainte de l'homme. Nous avons été obligés de les rattraper immédiatement. Les autres étaient des lynx de Tchécoslovaquie capturés à l'état sauvage. C'est dire que, pour le cas qui nous occupe, il aurait fallu capturer à l'état sauvage un groupe de loups, les transporter et les lâcher dans le Mercantour. Je ne dis pas que c'est impossible, mais cela me paraît très difficile. Je ne vois pas comment, en Italie, l'opération de capture aurait pu s'effectuer efficacement et discrètement. Le transport et le lâcher sont moins difficiles. Je ne vois vraiment pas comment l'on aurait pu réaliser une telle opération. Je parle de loups d'Italie puisque les travaux de mon collègue Taberlet ont montré que génétiquement il s'agissait de la même souche ; nul ne peut contester qu'ils soient originaires de ce pays. Les différentes tentatives préalables ont été réalisées avec des loups d'élevage. Or, en France, les loups d'élevage sont d'origine polonaise, américaine ou plus récemment mongole, puisque, grâce à Brigitte Bardot, 130 loups mongols de Roumanie ou de Hongrie, où ils étaient en captivité, ont été importés.

Les études de M. Taberlet excluent les souches d'élevage de l'Hexagone ; ce sont bien des loups d'Italie. La précision des travaux de M. Taberlet est telle que l'on ne peut se permettre un doute. Mais la certitude qu'ils soient d'Italie ne dit rien sur la façon dont ils sont venus. Cela me paraît beaucoup plus simple et plus probable de considérer qu'ils sont venus naturellement.

Du temps où je travaillais au Mercantour, nous entretenions des relations avec nos collègues italiens, notamment avec Luigi Boitani, président du groupe Loups d'Italie et spécialiste du loup. Nous avons même fait avec lui et Frédéric Mitterrand une émission de radio sur le sujet. Je me souviens que Luigi Boitani nous disait que les loups étaient en accroissement et en extension vers le nord et vers l'ouest.

L'Italie a pris des mesures drastiques en 1970 alors qu'il ne restait plus qu'une centaine de loups. Ainsi la population s'est développée. Dans les années 1990, on en comptait entre 400 et 500 contre 700 aujourd'hui. Les cartes qui figurent dans le petit opuscule de Geneviève Carbonne montrent l'extension du loup, sa remontée vers le nord et vers l'ouest. En 1992, ils étaient déjà à la frontière française. Reste un grand argument, le seul donné par les éleveurs et par un jeune Italien, Franco Zunino, qui avait des problèmes avec son patron au parc national des Abruzzes. Cet argument consiste à demander comment ils ont pu parcourir une telle distance - deux cents kilomètres ou plus - sans s'arrêter et sans être vus. Voilà des arguments avancés par des personnes qui ne connaissent absolument pas la faune sauvage. La preuve élémentaire tient dans le fait que ceux que l'on a trouvés dans le Mercantour y séjournaient depuis au moins un ou deux ans et que personne ne les avait remarqués. Il a fallu l'opération de comptage des ongulés qui mobilise tous les trois ans une cinquantaine de personnes et nécessite des battues pour que les loups soient dérangés et pour qu'une garde, Anne-Marie Issautier, voie, le 5 novembre 1992, deux animaux qui manifestement n'étaient pas des chiens. Comme tous les carnivores, ces animaux sont extraordinairement discrets. Combien en avez-vous vu dans votre vie ? La France compte beaucoup d'espèce de carnivores. Les voyez-vous ? Non. Voyez-vous beaucoup de renards, de fouines ?

Mme Henriette MARTINEZ : On voit des renards partout dans les Hautes-Alpes.

M. Pierre PFEFFER : Je veux bien l'admettre, mais ce sont des animaux extrêmement discrets.

Je travaillais un temps avec Roger Settimo, qui faisait partie du conseil scientifique du Parc du Mercantour et qui m'a signalé en 1990 et 1991 une prédation anormale sur des mouflons, dont la proportion de jeunes était très inférieure à celle des autres années. Il avait trouvé des restes de cadavres. Selon lui, il devait y avoir des chiens errants qui opéraient dans le secteur. Nous avons signalé le fait aux gardes qui ont accru la surveillance ; ils n'ont rien vu. Mais, a posteriori, après l'observation des loups en 1992, et surtout les études qui ont montré que, parmi les ongulés sauvages, le mouflon est une des proies préférées du loup, nous pensons que les loups étaient là depuis au moins un an. Ils ne sont pas arrivés en hiver. Ce sont donc des animaux extrêmement discrets et tous les travaux, que ce soit en Europe, au Canada ou aux États-Unis, montrent que les éléments colonisateurs - les jeunes loups d'environ 20 mois - quittent le territoire de la meute, partent en éclaireurs et réalisent des parcours très rapides et très longs : un minimum d'une centaine de kilomètres par 24 heures.

Ils sont partis tout naturellement vers l'ouest, puisqu'ils étaient en extension dans cette direction. Certes, ils ne sont pas restés sur une route nationale et, bien entendu, pendant la journée, ils restaient cachés. Deux cents kilomètres à pied du temps de Napoléon, ce n'était rien ; aujourd'hui cela nous paraît une barrière infranchissable. Pour les loups, ce n'est rien. Pourquoi rechercher une autre explication à la venue du loup ?

Un autre point m'a heurté et a, pour partie, justifié mon abandon du comité scientifique : ces loups furent observés le 5 novembre 1992. J'étais alors président du comité scientifique. Or, je ne l'ai appris que le 13 avril 1993. Pendant six mois, je me suis couvert un peu de ridicule en répondant aux gens qu'il n'y avait pas de loups. Quand j'ai demandé pourquoi je n'en avais pas été informé, l'on m'a répondu que le ministère de l'environnement ne voulait par ébruiter cette nouvelle car le loup n'était pas encore inscrit sur la liste des espèces protégées. Effectivement, quand on a dressé la liste des espèces protégées en France, le loup étant absent de notre territoire, on ne l'y a pas inscrit. Personnellement, je fus choqué d'être tenu à l'écart.

Il y avait eu auparavant l'affaire du loup de Fontan. En novembre 1987, des attaques sont intervenues contre des moutons et l'animal, lui-même, a été abattu. Nous avions eu alors des réunions avec des éleveurs et la chambre d'agriculture. En qualité de président du comité scientifique, il convenait que je leur fasse face seul. Comme mes contradicteurs savaient que j'avais introduit des lynx, cela les portait à croire que les lynx avaient attaqué leurs moutons. Finalement, l'animal que l'on avait essayé de piéger a été tué par des chasseurs à Noël 1987. On m'a tout de suite fait venir pour l'identifier. C'était un loup avec des caractéristiques un peu bizarres. On l'a amené au muséum et expertisé. C'était un animal qui, de toute évidence, était d'élevage. Il avait des callosités aux pattes qui attestaient qu'il avait effectué un séjour sur du ciment en captivité et deux énormes cals de fractures à la patte postérieure gauche qui prouvaient qu'il avait été immobilisé au moins plusieurs semaines. Seul dans la nature, il n'aurait pu survivre à une telle immobilité. Vu son état, cet animal avait été « largué » par son éleveur et, après enquête, on a trouvé la présence d'un éleveur à Cunéo en Italie, dans le prolongement de la vallée de la Roya vers Fontan. Il élevait ce qu'il appelait le lupo italiano, il souhaitait créer une race de chien de défense particulièrement agressive en croisant des chiens et des loups. La police a fermé son élevage le jugeant par trop dangereux. Le loup en question a été naturalisé au Muséum et il est maintenant à Fontan. Peut-être serait-il intéressant de procéder à une analyse génétique de ses poils, ce qui permettrait de savoir s'il s'agit d'un loup d'Italie pur ou d'un croisement chien et loup d'origine polonaise ou américaine. On saurait si génétiquement il est apparenté aux actuels loups du Mercantour.

Pourquoi s'obstiner à dire que les loups auraient été introduits ? Si vraiment ils l'ont été, l'Etat peut répondre, s'agissant des indemnisations, que les éleveurs devraient s'adresser aux importateurs ou porter plainte contre eux. Il n'y a aucune raison pour que l'Etat paie pour un animal de captivité lâché. Je ne vois pas l'intérêt de cette histoire, hormis son caractère passionnel qui permet d'accuser le parc du Mercantour, les écolos...

À mon avis, le loup est là, quoique de moins en moins puisque les effectifs baissent drastiquement. D'après mon collègue Roger Settimo, les derniers comptages font état de cinq loups dans le Mercantour. Vous savez tous que, malgré l'interdiction, des animaux sauvages et des loups sont empoisonnés et d'autres animaux tués par tous moyens. Je m'étonne que les élus locaux ne protestent pas. En 1998 dans le Mercantour, on estimait la population de loups à 19 unités ; ils devraient donc être beaucoup plus nombreux aujourd'hui.

M. François BROTTES : Nous ne répondrons pas à votre interrogation, car c'est bien la question que se pose la commission d'enquête. En revanche, nous allons vous poser quelques questions, compte tenu de votre observation privilégiée.

M. le Rapporteur : Poursuivez-vous encore des travaux scientifiques sur le loup ?

M. Pierre PFEFFER : Non. J'ai mis fin à mes activités en France et je suis revenu à l'Afrique où je préside le réseau des aires protégées d'Afrique centrale. Les éleveurs là-bas ne touchent aucune aide, ni européenne ni gouvernementale. Confronté à une difficulté avec une bête fauve, on tue l'animal qui pose problème, mais on ne demande pas l'éradication d'une espèce !

... Je ne veux plus en entendre parler des loups en France.

M. Antoine HERTH : Vous avez évoqué vos travaux relatifs au lynx. Il est apparu que le lynx est lui aussi actif et participe également du paysage des prédateurs : loups, lynx, sangliers... Avez-vous une idée sur la part du lynx et celle du loup dans les prédations constatées ? Dans les Vosges, il n'y a pas de loups, mais des lynx. Le lynx seul peut-il poser des problèmes ?

M. Pierre PFEFFER : J'avais accepté de défendre la cause du lynx, parce que les travaux de tous les collègues étrangers montraient que c'était un prédateur de mammifères petits et moyens, rongeurs ou léporidés, tels les lapins et les lièvres, mais pas un prédateur de grands ongulés. Très honnêtement, je vous dirai que le choix de la forêt de Ribauvillé fut mauvais. Le groupe lynx local avait déterminé cette zone après négociation avec les propriétaires et l'Office natinal de la forêt (ONF). C'est pour des raisons de sécurité que les lynx y ont été lâchés ; mais, précisément, c'est une zone où les proies de petite et moyenne tailles sont peu nombreuses. En revanche, on compte nombre de chevreuils. Alors, évidemment, le lynx s'est attaqué au chevreuil. A ma connaissance, il n'y a pas eu d'attaques sur le bétail dans cette région. Un combat a opposé un lynx et un chien-loup, les deux ayant été trouvés morts à peu de distance l'un de l'autre. En revanche, il y a des attaques, mais en faible nombre, sur le bétail dans le Jura du fait de lynx venus de Suisse où ils ont été lâchés en 1974 et de façon clandestine. Sur de tels sujets, la Suisse procède à des votations populaires, mais cela prenait du temps. Aussi les passionnés des prédateurs ont-ils lâché des lynx en Suisse en 1974. Pour dire à quel point l'animal est discret : personne ne s'en est aperçu avant plusieurs années, plus précisément avant d'en trouver un écrasé sur une autoroute. Les lynx ont colonisé une partie de la Suisse pour s'étendre vers le Jura. Il y a un peu plus de cent lynx aujourd'hui en France. Je ne pense pas que leur présence pose autant de problèmes que celle du loup.

M. Jean LASSALLE : Professeur, j'ai beaucoup apprécié votre remarquable exposé et ce que vous avez dit à propos de la réintroduction des ours dans les Pyrénées centrales.

M. Pierre PFEFFER : C'est pour cela que j'ai quitté le groupe Ours de France avec lequel j'étais en désaccord.

M. Jean LASSALLE : Deux propos m'ont surpris dans votre exposé : « Ce débat qui ridiculise la France. » et « ... Je ne veux plus en entendre parler des loups. ». Je pense, au contraire, qu'ouvrir une discussion sur un problème que l'on n'a jamais voulu regarder en face honore la France. Il ne se pose pas de manière aussi aiguë en Afrique ou en Amérique du sud, parce que nous ne sommes pas parvenus au même degré de développement. Il s'agit aujourd'hui de savoir s'il est possible de faire cohabiter l'homme avec des espèces en voie de disparition et des animaux sauvages. Je comprends votre sentiment, mais je crois, au contraire, qu'ouvrir un débat de cette ampleur et de cette complexité sur le vivant honore la France. On ne peut, sur un tel sujet, se contenter de lois.

Je m'adresse à l'éminent scientifique connu et reconnu en France comme dans le monde entier. Vous êtes professeur au muséum national d'histoire naturelle et membre du CNRS, ne pensez-vous pas un peu dangereux le fait que les grands scientifiques français aient travaillé durant des années en circuit fermé avec les mouvements de protection de la nature et une partie de l'administration sans le faire en relation plus étroite avec la représentation nationale et les élus des collectivités concernées ?

Cette affaire qui dure depuis une trentaine d'années n'aurait-elle pas mérité d'être portée à la connaissance de nos concitoyens et, finalement ne payons-nous pas aujourd'hui l'absence de débats clairs sur ce sujet ?

Par exemple, la mise en place de directives européennes a été faite sur la foi de rapports scientifiques du Muséum d'histoire naturelle, de la Fondation Cousteau et du CNRS dans une moindre mesure. Les élus n'ont-ils pas été privés des informations utiles ?

Comment pensez-vous que l'on puisse sortir de cette crise, à mon sens profonde, qui résulte du sentiment d'abandon d'un certain nombre de territoires de notre pays ? L'homme est aussi une espèce très menacée dans certaines zones.

M. André CHASSAIGNE : Au regard de l'occupation actuelle de l'espace dans les régions concernées, de la situation de la faune sauvage dans ces zones et dans la perspective où des mesures de protection suffisamment efficaces seraient prises en direction des élevages ovins, pensez-vous qu'une présence du loup serait toujours possible, c'est-à-dire une population de loups qui n'aurait pas besoin de s'attaquer aux élevages pour survivre et qui s'alimenterait uniquement de la faune sauvage ?

M. Pierre PFEFFER : C'est une question complexe que vous posez là. La majorité de l'opinion est favorable au loup, mais l'état d'esprit officiel est contre. Cet état d'esprit est éclairé par le simple fait que trois espèces de mustélidés, dont tous les travaux montrent qu'elles seraient plutôt positives - surtout la belette - ont récemment été classées parmi les nuisibles. La France est très retardataire dans ce domaine. Ces espèces sont intégralement protégées en Italie. Le président Lassalle a parlé des différences entre pays. Bien entendu, je ne compare pas la France à l'Afrique, mais à l'Espagne qui n'est pas un pays arriéré et qui compte 2.500 loups, à l'Italie qui en compte 700. La Pologne qui n'est pas arriérée, je vous l'assure, s'est inquiétée, parce que le loup était classé gibier et que les effectifs étaient descendus à un millier. Le loup y est désormais protégé. Le débat, la psychose qui règne en France pour une vingtaine de loups m'incite à utiliser le terme de « ridicule ».

Revenons à votre question : est-il possible, dans l'avenir, de faire cohabiter hommes et loups ? Il n'est pas possible de les faire cohabiter partout. Nous sommes d'accord : dans les zones d'élevage très modifiées, un animal comme le loup est indésirable, il n'a pas sa place. Mais justement, il faudrait savoir ce qu'on laisse aux loups. Nous parlons du Mercantour, n'oublions pas que nous sommes en zone centrale d'un parc national, créé à l'origine par les chasseurs pour protéger mouflons, bouquetins et chamois. Or, voilà que ce parc est envahi chaque année par des populations de moutons excessives. Lorsque je siégeais au comité scientifique, le problème était soulevé chaque année. Quand plus de 100.000 moutons sont lâchés en estive du 1er juin à la fin septembre, les pelouses alpines sont rasées début octobre. Et, finalement les mouflons, les bouquetins, les chamois qui ont un hiver difficile à passer n'ont plus grand-chose à manger, d'où une malnutrition et une mortalité naturelle excessive au détriment même des chasseurs qui, en zones périphériques, chassent les mêmes animaux, sans compter les maladies introduites par les moutons : le piétin, la brucellose, etc.

Je ne pense pas que l'on puisse faire vivre beaucoup de loups en France, mais soyons lucides et n'oublions pas que l'étendue de nos parcs nationaux n'occupe que 0,6 % du territoire de l'Hexagone. Si au moins on leur laissait les parcs nationaux ! Là réside le problème de la France qui n'existe dans nul autre des pays où j'ai travaillé : l'Etat n'a pas la maîtrise foncière des terres incluses dans les parcs nationaux. Ce sont les communes et les propriétaires privés qui les possèdent. Bien entendu, ils veulent les rentabiliser, louer à des éleveurs. Il y a là une incompatibilité. Les parcs nationaux ont été créés pour le grand public, pour protéger la nature. Or, on y autorise l'élevage. En tant qu'homme de terrain, je ne puis qu'éprouver une sympathie considérable pour les éleveurs et leur travail, mais on atteint aujourd'hui un point critique. Je dialogue avec certains d'entre eux qui reconnaissent le problème ; il faudrait se mettre d'accord sur ce qu'on laisse à la faune sauvage et ce qu'on laisse à l'élevage.

A un moment donné, fut avancée l'idée d'un zonage, des espaces où le loup serait toléré. Aussi bien éleveurs que protecteurs de la nature étaient tous contre : c'était à l'évidence aussi inapplicable qu'aberrant. Le Mercantour et le parc italien de l'Argentera composent un ensemble significatif. Si au moins on pouvait les réserver à la faune sauvage ! Dès lors, les éleveurs accepteraient que leurs moutons soient attaqués par le loup et on les laisserait poursuivre leur activité d'élevage avec évidemment des aides appropriées à la défense de leurs troupeaux ; sinon, qu'ils s'inclinent devant la loi et aillent s'installer ailleurs. Aujourd'hui, on veut tout et son contraire.

M. François BROTTES : Merci, monsieur le professeur.

Audition conjointe de
Mme Mauricette STEINFELDER,
directrice régionale adjointe pour l'environnement à la direction régionale de l'environnement Provence-Alpes-Côte-d'Azur (DIREN-PACA),
et de M. Florent FAVIER,
chargé de communication du programme LIFE-Loups

(Extrait du procès-verbal de la séance du 11 décembre 2002)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président,

Puis de M. François Brottes, Vice-président

Mme Mauricette Steinfelder et M. Florent Favier sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation du Président, Mme Mauricette Steinfelder et M. Florent Favier prêtent serment à tour de rôle.

M. le Président : Je souhaite la bienvenue à Mme Mauricette Steinfelder, directrice régionale adjointe pour l'environnement, et à M. Florent Favier, chargé de mission pour la communication du programme LIFE-Loups à la direction régionale de l'environnement (DIREN) Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA).

Madame, vous avez la parole pour un exposé sur les conditions d'exercice de vos responsabilités et sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui.

Mme Mauricette STEINFELDER : Je me propose de présenter le rôle de la DIREN PACA dans la mise en œuvre du programme LIFE-Loups en termes de communication et de pilotage d'un comité régional. Ensuite, Florent Favier exposera la stratégie de communication, les produits de communication et présentera une cassette vidéo sur le loup.

Je suis directrice adjointe à la DIREN PACA depuis novembre 1999 ; c'est seulement depuis le printemps 2001 que le directeur a souhaité que je le seconde sur le dossier du loup.

Dans le cadre de cette mission, j'ai pris connaissance des éléments du dossier et j'ai rencontré les différentes personnes qui en avaient la charge, non seulement à la DIREN, mais également aux directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF). Je me suis rendue sur le terrain dans le Mercantour, en Vésubie, dans les Monges, dans les Hautes-Alpes, à la fois dans le Buëch et dans le Queyras. J'ai à chaque fois rencontré des éleveurs, des bergers, des élus. J'ai été accompagnée des agents, soit des DDAF, soit de l'Office national de la forêt (ONF), soit de l'Office national de la chasse et de la faune sauvages (ONCFS), soit des techniciens pastoraux. C'est ainsi que j'ai pris connaissance de manière plus approfondie du dossier.

La direction de la nature et des paysages (DNP) du ministère de l'écologie et du développement durable est bénéficiaire du programme LIFE. La coordination interrégionale a été confiée à la DIREN Rhône-Alpes et la communication à la DIREN PACA, sans doute pour des raisons historiques, car, depuis 1996, la DIREN avait jugé utile de produire une petite lettre d'information sur le dossier du loup à l'attention des organisations professionnelles, des associations et de tous ceux qui étaient confrontés au problème, ceci dans une volonté forte de la direction de la nature et des paysages de se placer au plus près du terrain pour traiter du dossier.

Dans ce cadre, la DIREN PACA joue deux rôles essentiels : d'une part, un rôle de coordination régionale, puisque trois départements alpins sont concernés, d'autre part, un rôle de communication du programme LIFE.

Le rôle de coordination et d'animation au niveau régional s'est traduit par la mise en place d'un comité régional dès 1999. Il se réunit en moyenne trois fois par an. Je tiens à votre disposition les ordres du jour et les comptes rendus. Il est normalement présidé par le préfet de région, mais celui-ci en a délégué la responsabilité au directeur de la DIREN. Nous en assurons le secrétariat.

Ce comité est composé des administrations en charge du dossier : la Direction régionale de l'agriculture et de la forêt, la DATAR, partie CADEA, c'est-à-dire partie aménagement des Alpes, la DIREN Rhône-Alpes, toutes les DDAF de la région concernée, l'antenne LIFE-Loups de l'ONCFS, le parc du Mercantour, un représentant du conseil régional. Nous invitons systématiquement à ces réunions la DNP, M. Migot de l'ONCFS ainsi que le bureau Ecosphère, chargé pour la Commission européenne de suivre le programme LIFE.

Ces réunions ont pour objet de suivre les actions du programme, mais elles sont avant tout un lieu d'échanges important et d'information mutuelle sur le dossier, et parfois de débats techniques. Ainsi organisons-nous des points réguliers sur les besoins et les bilans financiers, le bilan des prédations, la mise en œuvre des mesures de prévention, les contrats territoriaux d'exploitation (CTE), les diagnostics pastoraux. Nous livrons des informations sur les actions de communication projetées ou en cours, sur les rapports et les études qui nous sont connues. Nous avons des séances d'ordre plus technique, par exemple, sur les chiens de protection, sur la question des analyses génétiques et les systèmes d'aides aux éleveurs. Nous avons, notamment, organisé une réunion spécifique sur le système d'aides mis en place dans le parc naturel régional du Queyras.

Le second volet porte sur la communication dont nous sommes en charge. Le deuxième programme LIFE prévoit spécifiquement un volet de communication, puisqu'un paragraphe « E-a » lui est spécifiquement dédié. Le souhait d'avoir un volet communication est venu de l'enquête réalisée par M. Alistair Bath, qui nous a aidés à déterminer une stratégie de communication à l'intention de l'ensemble des éleveurs et des professionnels touchés par le retour du loup. Le programme prévoyait le recrutement d'un chargé de mission. Ce recrutement s'est réalisé sur la base d'une fiche de poste établie à la fois par l'ONCFS, la DIREN et un jury. Nous avons auditionné les candidats, qui étaient tous d'excellents scientifiques, qui connaissaient bien la faune sauvage, mais ils n'avaient pas de formation en communication ni en techniques de communication. Un seul avait les deux compétences qui nous intéressaient, mais les conditions de travail et de rémunération ne lui convenaient pas. Le jury s'est alors réuni et a décidé de porter la priorité sur une personne qui maîtrisait parfaitement les techniques de communication et pas forcément un scientifique de la faune sauvage. En revanche, nous souhaitions que le candidat démontre des aptitudes à s'intéresser au dossier dans tous ses aspects, non seulement scientifiques « vie naturelle », mais aussi socio-économiques, et qu'il soit doté d'un très bon contact.

Finalement, ce fut un choix judicieux, puisque Florent Favier, qui ne connaissait pas particulièrement les questions de la faune sauvage a appréhendé le dossier de façon neutre, sereine et sans pression d'aucune sorte.

M. le Président : Nous comprenons donc que vous êtes organisés en matière de communication, ce qui est pour moi une découverte : le ministère de l'environnement a fait le choix de consacrer des efforts importants à la communication sur ce dossier - et une communication plutôt positive. Mais ce qui nous intéresse, ce sont les aspects plus scientifiques de la gestion du dossier.

Mme Mauricette STEINFELDER : Le ministère développe en effet une communication ouverte, transparente et sur l'ensemble du dossier. C'est du moins ce que nous avons souhaité entreprendre.

M. le Président : Le film que vous allez projeter est-il celui dont nous avons vu des extraits sur une grande chaîne de télévision nationale ?

Mme Mauricette STEINFELDER : Tout à fait. Ce film n'était pas prévu spécifiquement dans la stratégie de communication ni dans le programme des actions qu'il était envisagé d'entreprendre. Il a été réalisé par les techniciens du parc du Mercantour avec une caméra infrarouge prêtée par la Sagem, l'éleveur ayant accepté que l'on filme le travail de ses chiens patous de nuit.

Ce film ne faisait pas partie de la stratégie de communication, c'est un document supplémentaire. Il a été diffusé par trois chaînes de télévision sans autorisation de l'administration. Nous ignorons comment les chaînes ont obtenu cette cassette. Nous avons très scrupuleusement veillé à ce que la cassette soit communiquée tout de suite à l'éleveur, ensuite à la chambre d'agriculture, aux techniciens pastoraux, ainsi qu'aux agents du parc du Mercantour. Je tiens à votre disposition les courriers qui en attestent. Nous avons gravé sur la cassette le logo du parc, un copyright, mais aucune autorisation n'a été demandée à la DIREN ou au parc du Mercantour par les trois grandes chaînes qui l'ont diffusée.

Ce film n'est qu'un exemple d'une situation de défense d'un troupeau par des chiens patous dans un contexte qui est celui de cet élevage particulier. Il mérite d'être regardé sous l'éclairage d'une situation spécifique ; les conditions de surveillance ne sont pas partout les mêmes, les conditions d'attaque non plus.

M. François BROTTES : Qui a financé le film ?

M. Florent FAVIER : Le film a été tourné à l'initiative de deux agents du parc du Mercantour qui ont réussi à obtenir de la Sagem une caméra à titre gracieux.

M. François BROTTES : Le tournage s'est fait sur leur temps de travail ?

M. Florent FAVIER : Oui, il y a eu seize nuits observations du 16 août au 31  août 2000. Des loups ont été observés dans la nuit du 27 au 28 août au cours de laquelle une attaque a eu lieu ; deux nuits plus tard, on a simplement vu les loups passer.

Je n'étais pas présent sur place, je venais d'être engagé. Ma stratégie de communication est axée sur la transparence. C'est pourquoi j'ai considéré ce document comme un élément d'information qui devait être porté à connaissance du milieu de l'élevage.

Le film a été tourné de nuit. Les agents sont placés à 600-800 mètres du troupeau. Le troupeau a été réuni à la cabane en début de nuit par le berger, puis le berger est descendu. Le troupeau compte 2400 brebis, entourées par cinq chiens de protection : deux adultes et trois jeunes âgés de dix mois. En début de nuit, les bêtes sont à proximité de la cabane, puis elles montent. Quand l'éleveur a vu les images, il a pensé qu'une attaque à proximité de la cabane avait poussé le troupeau à monter en crête. Le film est tourné avec une caméra à infrarouges qui permet de détecter la chaleur.

Le film « Expérimentation de la vision nocturne pour comprendre le travail des chiens de protection sur des troupeaux d'ovins lors d'attaques de loups » est projeté.

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

M. Florent FAVIER : Il convient de préciser que ce film n'est pas diffusé en son entier pour une raison de durée. Sur deux heures de tournage, nous avons retenu les éléments qui nous paraissaient importants et intéressants dans un souci d'information et de transparence.

Il faut savoir que les deux loups ont fait, en tout et pour tout, dans la nuit, une douzaine de tentatives d'attaques, dont dix ont été repoussées par les chiens ; deux se sont soldées par la mort d'un agneau et d'une brebis. Ces images nous permettent de déterminer le nombre d'attaques, mais comme l'a relevé Mme Steinfelder, il s'agit d'une situation particulière : on ne peut en tirer de conclusions, sinon des interprétations ou des hypothèses.

Mme Henriette MARTINEZ : Que mangent les loups quand ils ne mangent pas les moutons ? Il me semble que la vie est difficile pour les loups. Avant d'arriver à attraper un mouton, il faut qu'il se batte une nuit entière et le manger est encore toute une aventure !

M. Florent FAVIER : Une étude du régime alimentaire a été réalisée dans le Mercantour. En été, dans un secteur, la proportion de proies domestiques peut aller jusqu'à 50 % sur trois mois, sinon c'est une part assez minime de son alimentation. Vous allez auditionner des scientifiques qui seront mieux à même de répondre à vos questions. Mais les proies sauvages ne manquent pas.

Mme Mauricette STEINFELDER : Ce sont en général des ongulés sauvages.

Mme Henriette MARTINEZ : Des petites proies donc.

Mme Mauricette STEINFELDER : Non, ce peut être des mouflons, des chamois, des sangliers.

M. François BROTTES : Dans le film, le sanglier, apparemment, n'était pas une proie suffisamment facile à attraper.

M. le Rapporteur : Les bouquetins sont d'ailleurs beaucoup moins nombreux dans le Mercantour qu'auparavant.

Mme Henriette MARTINEZ : Si les loups ont autant de mal à attraper les moutons, comment expliquez-vous qu'il y ait autant de moutons qui disparaissent et qui soient mangés ? Dans le film, la vie du loup semble très dure d'autant que les patous semblent être des chiens très courageux. Certes, le mouton est une victime innocente ; pour autant, s'alimenter ne semble pas facile pour le loup. Comment expliquez-vous qu'il soit présent dans nos massifs et qu'il y prolifère si par ailleurs les conditions d'alimentation sont pour lui aussi difficiles.

M. François BROTTES : Le troupeau, en l'occurrence, est gardé par un nombre de patous un peu inhabituel.

M. Florent FAVIER : Tous les troupeaux ne sont pas protégés par des patous, tous les patous ne sont pas efficaces, tous les troupeaux non pas la même configuration, les alpages non plus. Les situations varient.

Mme Henriette MARTINEZ : C'est donc un troupeau particulièrement bien protégé qui nous a été montré.

M. Florent FAVIER : Cinq chiens pour 2.500 brebis et un troupeau rassemblé cela n'est pas chose courante.

M. le Rapporteur : Le Mercantour étant dans ma circonscription, j'ai vécu toutes les situations possibles. Le film projeté est la situation idéale pour un troupeau. En général, il y a très peu de chiens ; en tout cas, dans le Sisteronais, les patous sont rares. L'été dernier, on a pu observer, comme les étés précédents, que les loups poussent les moutons qui décrochent et c'est ainsi que deux cents, trois cents, voire quatre cents moutons meurent.

Le film montre l'excellent travail réalisé par les patous. Il a été fait pour cela. Ce n'est pas le scénario que l'on connaît tous les étés dans nos montagnes ou dans les Monges.

M. François BROTTES : On voit dans le film que lors d'une attaque, le troupeau recule, mais ne fuit pas, est-ce courant ?

Mme Mauricette STEINFELDER : C'est la nuit, les brebis dorment, elles ont un temps de réaction avant de s'écarter. De plus, la pente était très raide. Ce n'est pas une situation que l'on retrouve partout dans les Alpes. Dans le Mercantour ou les Monges, les pentes sont extrêmement raides et provoquent plus facilement des dérochements.

M. François BROTTES : On ne constate pas un phénomène de panique généralisée dans le troupeau de moutons.

M. Florent FAVIER : Il est difficile de tirer beaucoup d'informations d'un tel film, car il n'a été réalisé qu'une fois. On imaginait qu'une attaque de loups était très dirigée, très rapide, que le troupeau éclatait en tous sens. Or, le travail du loup ressemble plus à un travail de chien de conduite qui rabat les brebis, en l'occurrence dans la pente. Des crêtes plus dangereuses peuvent parfois occasionner des dérochements, ce qui, heureusement, est un accident assez rare.

L'abandon des couchades libres est l'une des premières choses qui est demandée ou faite par les éleveurs eux-mêmes, car cela permet d'éviter de tels accidents quand les bêtes vont coucher en crête. C'est dans les lieux les plus escarpés que les risques sont les plus importants.

M. François BROTTES : Des mesures de stress ont-elles été effectuées ? Cela peut-il s'observer ? On sait que ce n'est pas sans incidence sur le troupeau, y compris ultérieurement, puisque l'on assiste, entre autres, à des avortements.

Avez-vous considéré cet aspect des choses dans ce que vous avez filmé ?

M. Florent FAVIER : Mon rôle s'est borné à conserver les meilleures images et à les porter à connaissance. Pour ce qui est de mesurer le stress, des études ont dû être faites par des organismes professionnels, qui pourraient sans doute vous éclairer.

M. Jean-Paul CHANTEGUET : Avant de pouvoir filmer l'attaque des deux loups, beaucoup d'heures de film ont-elles été tournées ?

M. Florent FAVIER : Il y a eu entre 8 et 10 heures d'observation par nuit entre le 16 août et le 30 août 2000. Ces images ont été filmées au bout de la treizième ou douzième nuit. Auparavant aucun loup n'a été observé, uniquement des renards et divers ongulés sauvages.

M. Jean-Paul CHANTEGUET : Le troupeau était-il au même endroit ?

M. Florent FAVIER : Les configurations furent diverses. Le troupeau, qui était le même, n'a pas toujours été au même endroit. Plusieurs nuits, le berger a regroupé le troupeau dans un parc, à proximité de la cabane ; d'autres fois, le troupeau se dirigeait seul en couchade libre. En l'occurrence, il était rassemblé en début de nuit et c'est vraisemblablement une attaque en début de nuit qui l'a poussé à monter en crête.

M. Jean-paul CHANTEGUET : Pendant combien de nuits les loups ont-ils été vus ?

M. Florent FAVIER : Deux nuits : la nuit de l'attaque et deux nuits après.

M. André CHASSAIGNE : Au vu de l'apparente efficacité des chiens patous - c'est ce qui ressort du film - pourquoi l'utilisation de ces chiens n'est-elle pas généralisée, et combien d'éleveurs se sont-ils dotés de ce type de chiens ?

M. Florent FAVIER : Nous estimons à environ quatre cents le nombre de chiens qui travaillent dans les Alpes avec des troupeaux. Beaucoup d'éleveurs ont entrepris la démarche volontaire de se doter de patous. Mais ce sont des chiens qui ne sont pas toujours aisés à éduquer. Leur efficacité peut varier, car, dans une exploitation, nombre d'éléments sont à prendre en compte : le boisement, l'escarpement, la fréquentation touristique, le nombre de brebis, le fait qu'il y ait ou non un gardien permanent. En l'occurrence, on peut juger de l'efficacité des chiens présents dans le film, car on les a vus à l'œuvre. Pour les autres, c'est difficile. On peut juger de l'efficacité des chiens par rapport à leur taux d'échec, lorsque l'on constate le nombre de brebis mortes le matin. Si aucune brebis n'est morte, on ne sait pas si les chiens ont été efficaces ou si c'est par absence d'attaques. Dans le film, sur les cinq chiens en présence, deux sont adultes ; on peut les juger efficaces, puisqu'ils ont repoussé bravement les assauts.

M. le Rapporteur : Les patous sont dangereux pour l'homme aussi. On a des exemples de promeneurs tenus en respect par des patous.

Mme Mauricette STEINFELDER : Ce sont des chiens de protection élevés avec les brebis ; ils les défendent toujours. C'est pourquoi, des panneaux signalent leur présence aux promeneurs. Ces chiens ne savent pas toujours déterminer si l'attitude du promeneur est hostile ou non, ils adoptent une attitude de défense. Cela dit, à ma connaissance, il n'y a eu que deux cas de morsures, très peu d'attaques réelles. Ils se campent et aboient. Ils sont de taille imposante et il convient d'être vigilant, de la même manière qu'un promeneur doit savoir que l'on ne traverse pas impunément un troupeau, car les brebis ont tendance à se disperser. Les promeneurs doivent éviter les troupeaux et les contourner lorsqu'ils sont sur leur chemin.

M. Jean LASSALLE : Ma première observation est faite à la lumière de ma modeste expérience. Je suis fils et frère de berger ; je l'ai été moi-même quelques années. Je n'ai pas vécu la situation avec des loups, mais avec des ours. On a l'impression que les attaques du loup ne font pas très mal. Ainsi que vous le releviez, le loup semble jouer comme les chiens de garde, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Ce sont des attaques de nuit. Le troupeau, très statique, ne sait où aller. Il n'est pas en situation exceptionnelle. Une nuit d'orage, avec brouillard, encore plus stressante, est un contexte privilégié pour les attaques. La proximité d'un précipice aggrave les conséquences.

Le président vous interrogeait sur la mesure du stress. C'est un élément très important pour un troupeau qui subit plusieurs attaques, car, même s'il y a peu de mouvements, le stress est profond. Nous avons constaté des avortements nombreux lorsque les bêtes redescendaient.

Deuxièmement, s'agissant des patous, le film est très intéressant, très bien fait. Il montre à l'état naturel le positionnement de chacun. Le loup veut vivre, le pauvre troupeau est ballotté en tous sens ; quant au chien, il fait preuve de bravoure. Mais l'homme est absent de la scène. Jadis, il y avait une communauté organisée et, autour des bêtes, les hommes prenaient leur part de stress. Ici, on ne voit pas d'hommes. C'est d'ailleurs très révélateur ; le règne animal est revenu. Finalement, y a-t-il une place pour l'homme ?

Je partage les propos sur les patous. Il s'agit d'une très bonne espèce. Il n'en reste pas moins qu'ils peuvent s'attaquer à l'homme - selon les circonstances, par exemple une mère peut faire assez mal. Pensez-vous que la situation que vous avez montrée est durable, qu'elle sera acceptée sur le long terme ? Quelle est votre vision des choses ?

M. Mauricette STEINFELDER : J'ai écouté les éleveurs et les bergers. Des propos de ces hommes qui travaillent et qui vivent du pastoralisme, se dégage un stress très fort né des contraintes supplémentaires réelles liées à la présence du loup.

Les six années du programme LIFE ont permis d'expérimenter des mesures de prévention qui, pour certaines, se sont révélées très intéressantes pour la profession. Je pense aux diagnostics pastoraux, à la présence de techniciens pastoraux qui visitent régulièrement les bergers, à certaines mesures de parcs de contention lesquels, selon le relief, permettent de limiter les dégâts. Aujourd'hui, le loup est une espèce protégée aux termes de la convention de Berne. Il nous appartient de prendre toutes les mesures pour que le loup continue à vivre, mais en protégeant les troupeaux et l'élevage. Des premières mesures des six années du programme LIFE, nous avons tiré des enseignements. D'autres mesures, je pense, pourront être prises pour protéger les troupeaux plus efficacement et pour rassurer les éleveurs et les bergers qui vivent ce stress très profondément.

L'absence de bergers la nuit ne me choque pas, bien au contraire. Les bergers font leur travail dans la journée. On ne peut leur demander d'être là auprès du troupeau toute la nuit. Je n'imagine pas une telle situation au XXIème siècle. Ils ont droit à des conditions de vie et de travail décentes.

Le programme LIFE a permis de financer des cabanes, d'apporter des aides bergers, qui leur ont été d'un grand secours pour faire face aux travaux supplémentaires qu'ils doivent assumer pour se défendre contre la prédation. Il s'agit d'une phase expérimentale de six ans. Il faut encore réfléchir et travailler à des mesures supplémentaires, peut-être de façon pointilliste, tant il est vrai qu'une situation en montagne n'est pas la même qu'en plaine.

M. François BROTTES : A quelles mesures pensez-vous ?

M. Mauricette STEINFELDER : A des mesures d'effarouchement comme l'utilisation du tonne-fort, que certains bergers utilisent et qu'ils jugent efficace. Mais le loup, comme tous les prédateurs, est un animal intelligent qui apprend au fur et à mesure.

M. François BROTTES : Comment se présente le tonne-fort ?

M. Mauricette STEINFELDER : C'est un appareil que l'on déclenche et qui fait du bruit.

M. François BROTTES : Que l'on déclenche à l'arrivée du prédateur ?

M. Mauricette STEINFELDER : C'est automatique certaines nuits.

M. François BROTTES : Le bruit intervient donc de manière aléatoire. Ne perturbe-t-il pas les brebis ?

M. Mauricette STEINFELDER : Non.

Le loup, s'il apprend, s'habituera aussi au tonne-fort. Il faut réfléchir avec la profession agricole et les professionnels de la faune sauvage à des mesures qui effarouchent véritablement le loup, surtout dans des zones où les risques de dérochement et d'attaques sont très importants. On voit que certains bergers sont attaqués de manière aléatoire : certains troupeaux une ou deux fois, d'autres systématiquement, de façon répétée.

M. Florent FAVIER : L'homme est absent du film projeté ; le berger n'est pas là. C'est une remarque qui m'a été adressée à plusieurs reprises. La présentation par l'éleveur de son élevage aurait pu être un élément intéressant d'information.

Il serait important de prendre des mesures structurantes comme l'abandon de points d'eau vulnérables en créant des impluviums ou des cabanes de couchade à des endroits stratégiques pour faire dormir les troupeaux. Il conviendrait d'ouvrir des sentiers, d'installer des relais radio. Nombre d'exploitations ovines ne disposent d'aucune de ces structures. L'ensemble de ces pistes est envisagé avec le ministère de l'agriculture. On s'est rendu compte que les exploitations qui mettaient le mieux en place les systèmes de protection étaient celles qui étaient les mieux organisées au niveau de la structure de l'exploitation et des conditions d'équipement dans les alpages.

M. le Rapporteur : Le 10 juillet dernier, avec le Président Christian Estrosi, nous nous sommes rendus au col de Restefond, à notre Dame-du-Très-Haut. Nous avons rencontré les bergers, complètement démoralisés, qui nous ont dit que c'était la dernière année où ils venaient dans ces conditions, se refusant à passer toutes leurs nuits debout à côté de la cabane. C'est souvent pour cette raison que les troupeaux sont sur les crêtes et non plus à proximité de la cabane où dort le berger. Plusieurs montagnes ne sont plus louées, soit des milliers d'hectares non entretenus. La montagne, à cause du loup, est en grave danger, en tout cas dans les Alpes-de-Haute-Provence. J'ai visionné un film amateur, que j'essayerai de me procurer, où l'on voit la réaction des bergers face aux brebis tuées dans la nuit. Dans celui que nous venons de voir, on ne peut qu'être admiratif du travail remarquable des animaux. Mais l'homme est-il encore protégé dans ce pays ? C'est la question que l'on peut se poser quand on voit ce film.

M. Jean LASSALLE : Je ne reproche pas au film de ne pas montrer l'homme en train de participer au combat pendant la nuit, mais il aurait été bon de le situer dans le contexte - avant ou après l'action. Pour que votre film soit totalement convaincant, il aurait fallu filmer l'homme pendant la nuit, là où il se trouvait, avec son stress, montrer le nombre de fois où il se lève parce qu'il pressent qu'il arrive quelque chose à son troupeau. Vous auriez ainsi montré le rôle joué par tous les acteurs.

Mme Mauricette STEINFELDER : Ainsi que nous l'avons précisé en préambule, ce film n'était pas prévu dans la stratégie ni dans les produits de communication. Il y en a d'autres, notamment, un film, réalisé avec le CERPAM et la Fédération régionale des éleveurs du Sud Est (FROSE) qui vient d'être tourné sur les différentes mesures de prévention. Il s'agit d'interviews de bergers. Ils n'ont pas été coupés, ils ont été replacés dans un film qui montre les différentes mesures de prévention, les bergers faisant part de leur réaction face à ces mesures. Ce document est complémentaire du film que vous avez vu aujourd'hui. D'autres produits de communication ont été réalisés à l'intention de la profession et de tous ceux qui sont confrontés à des difficultés liées à la présence du loup. Je pense qu'il serait intéressant que vous en preniez connaissance.

M. Antoine HERTH : Apparemment, l'approche est différente en Italie, où l'on procède au parcage systématique en clôture des troupeaux. Cela fait-il également partie des réflexions engagées sur le massif alpin ?

Par ailleurs, en début d'audition, vous faisiez référence à la diffusion du document filmé sans votre autorisation par deux chaînes de télévision. Avez-vous engagé des actions en justice à l'encontre de ces chaînes qui utilisaient ces documents sans autorisation ?

Mme Mauricette STEINFELDER : Les mesures de rassemblement et de parcage des troupeaux se font systématiquement dans certaines parties des Alpes, notamment dans le Vercors et en Savoie, moins en région PACA. Les résultats obtenus sont intéressants, toutefois ils s'accompagnent d'inconvénients d'ordre sanitaire, notamment, de maladies pour les troupeaux comme le piétin.

En Italie, les dommages causés par les loups aux troupeaux ne sont pas indemnisés, seuls le sont les dommages engendrés par les chiens. Peut-être faut-il considérer les mesures prises en Italie à la lumière de cet élément.

Sur la deuxième question, à la suite de la diffusion d'un extrait du film sans logo de la Sagem, nous avons immédiatement réagi en écrivant aux chaînes.

M. Florent FAVIER : Nous avons écrit un courrier aux chaînes, leur indiquant que ces images nécessitaient une autorisation. Nous n'avons pas encore engagé d'action en justice, puisque l'auteur de ces images est le parc du Mercantour, qui, jusqu'à ce jour, n'a pas souhaité intenter d'action en justice contre les chaînes, « le mal étant fait ».

S'agissant de l'Italie, les troupeaux sont constitués d'ovins laitiers, donc plus petits qu'en France et rentrés systématiquement pour la traite du soir et du matin alors que les éleveurs de la région PACA pratiquent un système d'élevage destiné à la viande. Les troupeaux français sont plus importants et s'agissant d'un système extensif, ils sont vulnérables, même la nuit.

M. François BROTTES : Pour conclure cette audition, dans le secret de cette salle, en qualité d'observateurs privilégiés ayant échangé avec les professionnels, pensez-vous qu'il y a une compatibilité possible entre la présence du loup et le pastoralisme tel qu'il se présente, y compris avec les quelques améliorations apportées ? Compte tenu de la désespérance des bergers, pensez-vous qu'il est possible de remonter la pente pour les convaincre ou est-ce inenvisageable ? Essayez de répondre avec votre propre conviction plus qu'au nom de l'administration qui vous emploie.

M. Mauricette STEINFELDER : Je ne pense pas qu'il y ait une seule réponse. Dans certaines zones, des mesures peuvent être prises qui satisfont d'ailleurs d'ores et déjà les éleveurs et les bergers ; elles permettent de protéger efficacement les troupeaux et de maintenir cette activité qui me paraît essentielle tant du point de vue économique que du point de vue de l'espace et de la vie dans les montagnes. C'est, me semble-t-il, beaucoup plus aléatoire pour d'autres zones ; certains alpages sont très escarpés, très difficiles d'accès. Aujourd'hui, sans doute faudrait-il se poser la question de la pertinence du maintien de ces zones d'alpages et des dédommagements afférents.

A l'inverse, dans d'autres zones, lorsque les attaques du loup sont répétées sur un même élevage et causent stress et dégâts, il faudrait pouvoir prendre des mesures d'effarouchement plus efficaces que celles d'aujourd'hui, afin que le prédateur comprenne qu'il ne doit pas revenir dans ce secteur, car sa vie y est menacée.

Pour résumer, il n'y a pas une situation, mais plusieurs. C'est pourquoi il faut prendre des mesures adaptées au terrain, aux types d'élevage, aux troupeaux et aux formes de gardiennage.

M. François BROTTES : Monsieur Favier, communiquez-vous pour une cause perdue ou gagnable ?

M. Florent FAVIER : Il est important, dans cette affaire, de prendre en compte les éleveurs, les bergers, l'aspect humain de la problématique. C'est d'ailleurs ce que tend à faire le ministère à travers la communication engagée depuis 2000 : mieux faire connaître le pastoralisme et mieux prendre en compte ses difficultés.

S'il s'agissait d'une cause perdue, je communiquerais avec moins de conviction et d'enthousiasme. J'ai rencontré beaucoup d'éleveurs et l'action de terrain a été un élément prépondérant et déterminant. Il faut vraiment poser les bonnes questions. Je pense que votre commission les pose, puisqu'elle s'interroge aussi sur l'exercice du pastoralisme dans les Alpes. Ma conviction est qu'un élevage structuré est mieux à même de se défendre contre des prédations, quels que soient les prédateurs.

M. François BROTTES : Merci pour la franchise de vos réponses.

Table ronde réunissant les représentants des syndicats professionnels
M. Franck BONNEVAL, membre du bureau national
des Jeunes agriculteurs, et de M. Jean-Pierre ISNARD, administrateur,
de M. Pascal FEREY, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et président
de la commission environnement,
de M. René TRAMIER, chargé du dossier Loup à la Fédération nationale ovine (FNO), membre du conseil d'administration de la FNO
et président de la Fédération ovine du Sud-Est,
de M. Denis GROSJEAN, vice-président de la FNO,
en charge du dossier prédateurs, président de la Fédération régionale ovine Rhône-Alpes, secrétaire général de l'Association de défense du pastoralisme
contre les prédateurs,
de M. Bernard BRUNO, président de la Fédération départementale ovine des Alpes-Maritimes,
de M. Bernard MOSER, secrétaire général de la Confédération paysanne,
de M. François Marie PERRIN, président de l'Association des bergers
des Alpes de Haute-Provence

(Extrait du procès-verbal de la séance du 17 décembre 2002)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

Les témoins sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous allons procéder à votre audition. Ensuite, les membres de la commission vous poseront des questions.

M. Franck BONNEVAL : Mesdames, messieurs, messieurs les députés, les Jeunes Agriculteurs se félicitent de la mise en place de la commission d'enquête sur le loup et le pastoralisme. Je vous remercie en leur nom de bien vouloir écouter nos demandes pour résoudre le problème de l'incompatibilité du loup et du pastoralisme, car c'est bien de ce sujet que doit traiter, aux yeux des Jeunes Agriculteurs, la commission d'enquête.

Les éleveurs touchés par les réintroductions du loup dans les alpages ne comprendraient pas que cette mission débouche sur le simple constat de l'incompatibilité du loup et du pastoralisme. Votre commission doit déboucher sur des propositions concrètes pour que l'agriculteur ne soit plus la seule espèce en voie de disparition en zone de montagne.

Comme vous le savez peut-être, le principal cheval de bataille des Jeunes Agriculteurs est l'installation de nouveaux actifs en agriculture. L'installation de nouveaux agriculteurs ne passe que par un milieu accueillant et susceptible de les faire vivre. La présence du loup et des autres prédateurs est un frein à toute activité économique agricole.

Aujourd'hui, les surcoûts engendrés par la présence du loup rendent l'exercice de l'activité agricole non rentable. En effet, ses conséquences sur les troupeaux - avortements, mortalité, stress des animaux - et le surcoût des mesures de protection - alimentation des animaux parqués, pose des parcs, alimentation des chiens - engendrent une augmentation des charges d'exploitation, selon nos estimations, de 25 %, cette augmentation n'étant que très partiellement couverte par les indemnisations trop lentes et trop faibles.

Aujourd'hui, la rentabilité des exploitations est mise à mal : trente et un éleveurs touchés dans le seul département des Alpes de Haute Provence en 2002 pour soixante-douze attaques recensées, soit environ deux attaques par troupeau. Toutes les mesures de protection proposées ont été mises en place par les éleveurs - parcage, gardiennage, chiens patous... Cela démontre la bonne foi des éleveurs qui ont essayé de cohabiter avec le loup, mais en vain. Ces mesures de protection se sont révélées inefficaces et peu adaptées. On peut évoquer le gardiennage et les chiens. Ces mesures sont limitées et coûteuses pour les agriculteurs et l'Etat. Je ne parlerai pas de certaines dispositions du plan Loup, qui devaient, en cas d'attaques répétées et avérées, déclencher un dispositif de protection des troupeaux qui, à notre connaissance, est à la veille de voir le jour.

Voilà, madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, le constat peu reluisant que font les Jeunes Agriculteurs de la présence du loup dans les alpages.

Au vu de l'inefficacité des mesures de protection préconisées et d'un plan Loup inapplicable, au vu du constat du rapport Chevallier de la précédente mission d'information parlementaire qui a conclu à l'incompatibilité du loup et du pastoralisme, au vu de l'article 9 de la convention de Berne qui donne la possibilité de prélèvement des animaux en cas de nuisance au bétail, les Jeunes Agriculteurs demandent le prélèvement des prédateurs lors des attaques.

Les Jeunes Agriculteurs sont prêts à étudier toutes modalités de retrait possible, que ce soit par une intervention privée ou publique. Il est maintenant urgent et nécessaire qu'une telle mesure soit prise si l'on veut que, demain, l'homme et le pastoralisme perdurent dans nos montagnes. De plus, la présence et l'attaque des loups se croisent souvent avec celles du lynx. En effet, de nombreuses attaques se confondent, faisant paraître qu'au-delà de la problématique « loups », se pose une problématique « grands prédateurs » dans son ensemble. Je citerai également le cas des ours dans les Pyrénées. Je n'ai pas dit « l'ours des Pyrénées ». Si les éleveurs pyrénéens toléraient la présence des ours autochtones qui connaissaient leur territoire, il n'en est pas de même des ours réintroduits. La situation devient très tendue et les agriculteurs demandent à se protéger au même titre que les éleveurs de l'arc alpin. De plus, les mesures de soutien à l'investissement pour les pastoralismes ne doivent plus être subordonnées à la présence des grands prédateurs. C'est valable pour les massifs alpins et le massif pyrénéen. Les troupeaux ne doivent pas être considérés comme le garde-manger du loup, du lynx ou de tout autre grand prédateur. C'est pourquoi les Jeunes Agriculteurs demandent que l'objet de la commission d'enquête parlementaire soit étendu à tous les grands prédateurs et à la problématique « grands prédateurs » en général.

A l'heure où, au ministère de l'environnement, on se pose la question de nouvelles introductions des ours dans le massif, il serait bon que l'ensemble des parties concernées sur le territoire, en particulier les agriculteurs, soit consulté.

Afin de prendre conscience du problème, les Jeunes Agriculteurs vous invitent à vous rendre dans tous les départements concernés par le lynx, le loup ou l'ours, afin d'entendre les témoignages d'éleveurs, d'écouter leurs préoccupations et leurs attentes. Ce que proposent les Jeunes Agriculteurs - le prélèvement des loups lors des attaques et l'extension de cette commission à la problématique « grands prédateurs » dans son ensemble - ne vise qu'un seul objectif : faire que, demain, le territoire des massifs français soit riche en hommes, vivant des métiers de l'agriculture et cela dans le plus grand respect de l'environnement.

Mme Henriette MARTINEZ : En réponse à vos questions, je précise que notre commission d'enquête parlementaire s'étend à tous les grands prédateurs. Il est, par ailleurs, également prévu que nous nous déplacions dans les départements, les premiers déplacements devant intervenir les 30 et 31 janvier dans les Hautes-Alpes, les Alpes de Haute-Provence et la Drôme.

M. Pascal FEREY : la FNSEA se félicite de la mise en place de la commission d'enquête parlementaire sur la problématique du loup, et plus globalement sur la problématique « grands prédateurs », ceci pour deux raisons. Premièrement, depuis neuf ans, la profession dénonce les risques non mesurés et les dégâts occasionnés par la réintroduction des grands prédateurs en général, par celle du loup en particulier. Deuxièmement, il nous paraît important que toute la lumière puisse être faite sur les différentes pratiques de réintroduction, qu'elles soient volontaires ou involontaires.

Je citerai trois faits. Le 11 septembre 2000 a marqué la volonté du ministère de l'environnement de l'époque de ne pas vouloir écouter les dires de la profession ; on assistait à l'époque à une mascarade de concertation avec le ministère de l'environnement. Le deuxième a trait à un rapport que nous avions émis et adressé, au nom du Conseil de l'agriculture française, à l'ensemble des parlementaires et ministres concernés à l'époque par la réintroduction du loup. Le troisième porte sur un point très particulier, l'article 9 de la convention de Berne.

Il y a deux ans, suite aux différents rapports alarmistes qui nous avaient été délivrés par les éleveurs de moutons dans les zones sensibles, nous avions écrit à la directrice de la direction de la nature et des paysages (DNP)  du ministère de l'environnement à propos de la mascarade de concertation qui avait lieu à l'époque, notamment sur deux points précis. D'une part, nous avions sollicité une enquête précise sur les conditions de réintroduction des loups dans ces massifs, sur leur nombre et leur localisation précise. Aucune réponse ne nous a été fournie - et pour cause ! D'autre part, sur le plan d'action pour la préservation du pastoralisme et du loup dans l'arc alpin, nous avions émis à l'époque trois remarques : la première réaffirmait l'incompatibilité entre le pastoralisme et la réintroduction du loup. La deuxième dénonçait les plans d'indemnisation offerts aux éleveurs, largement insuffisants, ne prenant en compte que les pertes directement reconnues après une procédure lourde, complexe, parfois insurmontable pour les éleveurs. Enfin, la non prise en compte des coûts indirects par les indemnisations : avortements, préjudices moraux...

Enfin, je rappelle que, dans le cadre de la convention de Berne de 1979, l'article 11 dispose : « Chaque partie contractante s'engage à contrôler strictement l'introduction des espèces non indigènes. » Si les Italiens ont consenti des efforts en la matière, au niveau de la France, et des ministères concernés, aucune preuve manifeste n'a été donnée à ce jour pour aboutir à un comptage précis, mais surtout aucun élément n'a été fourni sur le contrôle des animaux indigènes ou non indigènes.

Cet exemple français a eu des dérives importantes. J'en veux pour preuve les rencontres européennes des éleveurs victimes des grands prédateurs du 8 septembre 2001 à Nice, où une motion commune des agriculteurs français, italiens, norvégiens, espagnols a mis en avant les mêmes difficultés engendrées par une forme de laxisme du gouvernement français de l'époque.

En ce qui nous concerne, nous souhaitons que l'actuel gouvernement puisse se saisir des travaux de la commission d'enquête pour obtenir une révision rapide de l'article 9 de la convention de Berne permettant un contrôle précis des grands prédateurs. A cette seule condition, la compatibilité des grands prédateurs avec l'avenir de l'agriculture, l'installation des jeunes agriculteurs et le maintien d'une population agricole et rurale vivante pourra exister.

M. René TRAMIER : Je suis chargé du dossier Loup à la Fédération nationale ovine. Je suis aussi éleveur transhumant et confronté au loup.

Le loup est incompatible avec le pastoralisme. Plus central encore que la prédation elle-même, est en cause le travail supplémentaire qu'elle induit. Nous avons mis en œuvre les moyens de protection préconisés. Ils s'avèrent efficaces, mais dès que les bêtes sortent de ces moyens de protection, le loup est là et il y a prédation. Nous sommes arrivés à plus ou moins protéger nos animaux la nuit ; cependant, dès qu'on les emmène aux pâturages, surtout les jours de mauvais temps et de pluie, nous ne pouvons pas les protéger et il y a prédation. Nous avons également mis en place les chiens de protection. Ils ne sont efficaces qu'en partie ; en outre, ils portent un grave préjudice à la petite faune. Aujourd'hui, trois cents chiens de protection sont présents sur le massif et on peut prévoir la disparition des marmottes et des lièvres d'ici quelques années.

Les éleveurs et les bergers vivent dans un stress permanent. On ne sait jamais le matin, voire dans la journée, ce que l'on va trouver. Aujourd'hui, on nous parle beaucoup de bien-être animal. Or, nous malmenons nos animaux : nous les ramenons tous les soirs au point de départ. Le pastoralisme signifie de très grandes superficies à parcourir, des kilomètres et des heures de marche. Tout cela porte tort aux animaux comme le piétinement des bêtes porte tort à la flore.

M. Denis GROSJEAN : Mon propos s'appuie sur mon intervention au colloque à Nice tenu en septembre 2001. Je me contenterai de vous en rappeler les grandes lignes.

Je suis secrétaire général de la Fédération nationale ovine, éleveur de moutons dans le département de l'Ain et victime d'attaques de lynx. J'ai en charge, avec René Tramier, le dossier des prédateurs. Autant nous sommes satisfaits de voir qu'une commission d'enquête s'intéresse au problème du loup, autant nous souhaiterions qu'elle s'élargisse aussi aux prédations du lynx et de l'ours. Le lynx est à l'origine de près de 3.000 moutons tués depuis sa réapparition, le loup 8.000 et, pour avoir vécu la prédation du lynx, je puis vous assurer que la cohabitation avec le lynx n'est pas envisageable, à moins - ce qui ne semble plus du tout être le cas - d'éradiquer les lynx tueurs de moutons. Je dis « cela ne semble plus être le cas », car, si auparavant on obtenait une autorisation de tir ou de piégeage qui aboutissait, aujourd'hui, nous avons la liberté de décider en commission départementale de cette possibilité, limitée à un seul lynx, mais la commission se réunissant très tard en saison, l'autorisation de tir ou de piégeage intervient au moment où les moutons sont rentrés. Autrement dit, il s'agit pour nous d'un marché de dupes, puisque l'autorisation est caduque dès la fin de l'année. On recommence chaque nouvelle campagne avec les mêmes problèmes.

La situation avec le loup est plus dramatique encore. Le lynx est un tueur sélectionneur, qui tue entre une à quatre brebis par attaque et ce à peu près proprement, alors que le loup chasse à courre, chasse en meute. Au début, on pouvait avoir la naïveté de penser que l'on pourrait trouver un modus vivendi, mais des années d'expériences, de co-occupation d'un même territoire entre le loup et les moutons nous conduisent à dire qu'il n'y a aucune cohabitation possible.

Les victimes du lynx sont des animaux enfermés dans des parcs, pour ainsi dire « mis à la disposition du prédateur ». Quant au loup, depuis son arrivée dans le Mercantour à une période récente, il s'attaquait à de grands troupeaux transhumants, en liberté dans un espace montagnard. Ils pouvaient éclater, se disperser, ce qui était épouvantable, mais le nombre des victimes était limité. Aujourd'hui la Savoie et l'Isère sont colonisées ; c'est dire que l'on arrive dans des zones où les moutons sont sédentaires, enfermés dans des parcs. Les massacres vont être plus systématiques et la problématique sera pire encore.

Aux yeux des professionnels, le retour du lynx dans les départements de l'Ain et du Jura, je ne parle pas des réintroductions bien organisées dans les Vosges, et le retour du loup dans le Mercantour n'ont rien de naturel. Nous sommes persuadés que le loup est revenu de la main de l'homme aidé par quelques passionnés de la protection du loup ; de même pour le lynx. Les écologistes helvétiques se sont vantés d'avoir organisé des lâchers de lynx dans le massif du Jura. Dans le département de l'Ain, on a capturé une femelle qui portait la trace d'une médaille dans l'oreille. Elle a été photographiée et les gardes de l'Office national de la chasse en ont rendu compte, ce qui prouve bien que l'on a affaire à des lâchers délibérés et à une réintroduction, quand elle n'est pas officielle, clandestinement organisée.

Dès lors que des personnes sont animées de cette passion qui les pousse à réintroduire clandestinement des animaux, on s'aperçoit à quel point un problème de société profond oppose les ruraux, les occupants d'un espace fragile - les moutons sont les derniers occupants de l'espace le plus difficile à rentabiliser et le plus fragile de nos montagnes - et une minorité urbaine ou citadine, passionnée, qui voit dans l'espace montagnard, non pas l'outil de travail des éleveurs, leur espace vital, mais une sorte d'espace ludique, une sorte de zoo à ciel ouvert où l'on peut se permettre n'importe quelle expérience. Or, les éleveurs ont besoin de vendre des agneaux pour vivre et c'est leur raison d'être que de faire reproduire leurs brebis. Même si la situation est beaucoup plus positive pour l'élevage ovin français depuis deux ans, on ne peut se permettre ce type de prédation ni cette réponse extrêmement courte : « Vous n'avez rien à dire, puisque vous êtes indemnisés. » Certes, nous sommes indemnisés, à la condition toutefois de retrouver les cadavres, de les retrouver à temps et de prouver que la responsabilité du lynx et du loup est bien engagée, ce qui n'est pas toujours facile pour le lynx. A cela s'ajoute la surpopulation des sangliers qui dévorent les cadavres de brebis ou d'agneaux avant même que nous ayons pu intervenir ou que nous ayons pu faire constater par des experts mandatés l'importance des dégâts. Ce dernier phénomène camoufle le problème, le rendant plus douloureux et plus insupportable encore pour nous.

On peut se poser la question : pourquoi et pour qui réintroduirait-on des prédateurs ? Si c'est en faveur de l'équilibre naturel de la faune sauvage, il suffit d'accorder un peu plus ou un peu moins de bracelets (limitant le nombre de têtes à abattre) aux chasseurs ou demander aux gardes de l'Office national de la chasse de procéder à des tirs de nuit. Nous n'avons pas besoin de loups, de lynx ou d'ours pour réguler la faune sauvage.

Pour qui ? La réponse est plus subjective. Je ne comprends pas très bien. J'ai l'impression que l'on est en train de satisfaire les fantasmes de naturalistes, d'écologistes extrêmes qui s'imaginent que la France est un espace sauvage où l'on peut, comme en Sibérie, dans le Grand nord canadien ou en Afrique, avoir une grande faune de carnassiers sauvages. C'est faux ! Sur la base de tels raisonnements, il faudrait réintroduire le bison d'Europe au bord de nos autoroutes, l'aurochs, que sais-je encore ! L'espace montagnard français est occupé par des moutons et des animaux extrêmement vulnérables à ce type de cohabitation.

Les Suisses, mieux notés comme écologistes que nous et auxquels on attribue des bons points sur leur conduite vis-à-vis de la nature, éliminent systématiquement les loups qui sont apparus sur leur territoire. Bien que les Suisses aient signé la convention de Berne, il n'y a aucun loup en liberté de toute la Confédération helvétique.

C'est par ailleurs une régression profonde. La disparition des grands carnassiers a permis en France l'élevage en plein air, l'élevage sans clôture et le gardiennage des grands troupeaux transhumants en montagne. Si l'élevage anglo-saxon ovin domine en Europe continentale, c'est parce que la Grande-Bretagne s'est débarrassée des loups avant nous. Nous ne comprendrions pas que nous, éleveurs de moutons français, on nous demande de régresser et d'être encore un peu moins compétitifs par rapport à nos partenaires. A ce titre, une anecdote m'a énormément choqué : j'ai vu une émission sur Arte consacrée au loup. Il était expliqué qu'il existe des moyens de protection, que l'on pouvait se défendre. Il nous fut montré l'exemple d'une famille roumaine. Tous les membres de la famille, entourés de leurs chiens, passaient des nuits blanches à veiller sur leurs moutons pour éloigner les loups du troupeau. Malgré cela, les loups arrivaient d'ailleurs à leur prendre quelques brebis.

Je ne vois pas pourquoi l'on nous imposerait une telle régression. C'est, à notre époque, un métier extrêmement pointu et difficile que celui d'éleveur de moutons, qui demande beaucoup de compétences, beaucoup de travail. Il ne faut pas nous demander de redevenir des espèces de peaux-rouges ou d'hommes de Neandertal, veillant nuit et jour au coin du feu pour la survie de nos troupeaux. Ce type de régression démontre aussi le mépris dans lequel on nous tient. J'ai, certains jours, le sentiment d'être un Pygmée ou un aborigène observé par les Européens conquérants du dix-neuvième siècle ! C'est une sensation très désagréable.

On nous qualifie de consommateurs de budgets européens ; on semble sous-entendre que l'on doit pouvoir supporter le loup, puisque nous bénéficions de la prime compensatrice ovine ou des aides européennes. Je tiens à rappeler que les éleveurs de moutons ne touchent pas plus de primes que les autres et si on procède à des comparaisons, production par production, les éleveurs de brebis en toucheraient moins que certaines autres productions en zone de montagne. De toute façon, cela n'a rien à voir : les compensations économiques ne sont pas là pour réparer les errements écologiques de certains. Il ne faut mélanger ni les genres ni les sujets !

Je voudrais vous faire part du sentiment d'un éleveur de moutons, que l'on n'arrive jamais à faire partager. Le matin, vous partez faire le tour de vos parcs ou de votre troupeau en montagne avec l'estomac noué, en vous demandant ce que vous allez trouver et précisément vous trouvez des cadavres de moutons, et cela à répétition. C'est absolument insupportable. Je ne crois pas qu'il y ait une autre profession dont on oserait saccager les outils de travail, démolir les magasins, les bureaux, les voitures en lui expliquant que quelques loubards ont besoin de se défouler et qu'elle sera indemnisée. C'est à peu près dans cette situation que l'on nous met et c'est en usant de ce type de procédé que l'on veut nous faire accepter l'impossible !

S'ajoute la propagande continuelle des amis du loup, du lynx et des prédateurs, selon laquelle tout le monde accepte le loup, le lynx et l'ours. Je puis vous affirmer qu'une telle assertion est fausse dans mon département, ainsi que dans les zones à loups. Certes, si l'on interroge des Bretons, des Lillois ou des Parisiens sur la présence du loup dans le massif alpin, du lynx dans le Jura ou de l'ours dans les Pyrénées, ils y seront tous favorables ! Lorsqu'on le vit sur le terrain, c'est totalement différent. Il ne faudrait pas nous prendre pour plus bêtes ou plus primitifs ou plus rustres que nous ne le sommes.

En un mot, je rappellerai, reprenant les propos de mes collègues, la multifonctionnalité du mouton. Pour l'entretien du paysage en France, pour le maintien de prairies ouvertes, pour l'écologie au sens large, le mouton est indispensable. Malheureusement, c'est une espèce menacée alors que le loup est une espèce en voie d'expansion sur tout le territoire européen et dans le monde entier. Dans le même temps, les éleveurs de moutons disparaissent progressivement. L'effectif ovin français n'a fait que diminuer depuis vingt ans. Pour preuve : l'on n'arrive même pas à utiliser les droits à produire que nous accorde l'Union européenne alors que l'on pourrait installer plus d'un million de brebis supplémentaires en France sans que cela ne pose aucun problème.

Sur l'entretien et l'occupation de l'espace, autant on peut trouver que le couple mouton-espace, mouton-pastoralisme est un couple bienfaisant, forme une symbiose au bénéfice de tous, autant le couple loup-mouton est un couple infernal, impossible, inadmissible.

Quelles réponses nous propose-t-on ? En fait, il n'y en a pas. Nous avons essayé de voir si la cohabitation était possible. Elle est envisageable entre le lynx et le mouton, dans la mesure où le ministère de l'environnement joue le jeu et élimine systématiquement les lynx qui se spécialisent sur le mouton, et à la condition de le faire vraiment et rapidement. Avec le loup, il n'y a pas de cohabitation possible. Là où il y a des moutons, les loups mangent les moutons, les stressent et les terrorisent. Les pertes directes sont énormes ; au surplus, vient s'ajouter une chute de fécondité des troupeaux qui oscille entre 20 % et 30 %. C'est dire que l'on fait tomber un troupeau économiquement rentable en dessous du seuil de rentabilité. La situation est impossible.

La FNO comme l'Association européenne de défense du pastoralisme contre les prédateurs s'accordent à dire que la présence des loups est possible, encore qu'il ne nous appartient pas de répondre à une telle question, à la condition qu'il n'y ait pas de moutons. En revanche, dès qu'il y a des moutons, l'intelligence devrait donner la priorité aux moutons et le loup être retiré de l'espace ovin français. En tant que secrétaire général de l'Association européenne de défense du pastoralisme, j'indique que Italiens, Français, Norvégiens, Suisses, partagent le même avis. Nous nous sommes aperçu - cela nous a fortement frappés - que les autorités de nos pays respectifs nous disaient que tout se passait bien dans les autres pays. En France, on nous dit qu'en Italie, en Espagne, cela se passe très bien. Or, maintenant que nous nous rencontrons entre éleveurs de différents pays de l'Union européenne, nous nous s'apercevons que cela se passe très mal partout et que pas un seul pays n'accepte, ne tolère, ne supporte et n'arrive à cohabiter avec les lynx ou les ours, le point d'orgue étant les loups.

Mme Henriette MARTINEZ : Je vous remercie.

Nous accueillons M. Jean-Pierre Isnard, administrateur du bureau national des Jeunes Agriculteurs et M. Bernard Bruno, Président de la Fédération départementale ovine des Alpes-Maritimes, qui viennent de nous rejoindre.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, M. Jean-Pierre Isnard et M. Bernard Bruno prêtent serment.

Mme Henriette MARTINEZ : Monsieur Bruno, vous avez la parole.

M. Bernard BRUNO : Je suis éleveur. Je voudrais expliquer ce qu'est le pastoralisme dans notre département, que je prendrai comme point d'appui, car il a été le premier touché en France.

Nous sommes dans un système extensif : les troupeaux de moutons pâturent quasiment toute l'année dehors et ne sont enfermés qu'un mois à deux mois l'hiver - cela dépend de l'exploitation, des lieux où elle se situe - pour l'agnelage. On les relâche ensuite à la mise à l'herbe dehors dans des collines qui couvrent de grandes surfaces. Les animaux pâturent dans le département, du haut du Mercantour, avec des crêtes à 2.500 mètres d'altitude, jusqu'en bord de mer, aux abords des villes. Ce mode d'élevage requiert beaucoup de surface et beaucoup de déplacements de troupeaux.

Nous produisons des agneaux de qualité, mais non de conformité. Lorsque l'on a commencé à entendre parler du bio, nous étions dans notre département déjà plus bio que les bios.

L'hiver, les troupeaux débroussaillent les garrigues, l'été, avec la pousse de l'herbe, ils gagnent les montagnes. Dans notre département, on monte et on descend toute l'année ; on est toujours en transhumance, à la pousse et à la repousse de l'herbe.

Avant, nous vivions. Avant l'arrivée du loup, nous étions l'un des départements à ne pas subir le déclin économique. Nous nous maintenions très bien dans nos montagnes. Puis le loup est arrivé, qui est venu tout chambouler. C'est parti d'un noyau au centre du Mercantour qui s'est développé. Tant que nous n'avons pas été touchés, sa présence fut difficile à croire et difficile à comprendre.

Auparavant, nos parents, nos grands-parents, même à quatre-vingts ans, nous donnaient un coup de main. Mais tous les vieux ont vite arrêté. Depuis dix ans que le loup est arrivé, même les éleveurs qui ont cinquante/cinquante-cinq ans ne pensent plus qu'à la retraite et à s'arrêter. Depuis dix ans, nous n'avons plus installé de jeunes dans le département et les seuls jeunes dont je fais partie avec quelques amis sont très rares.

Que faire ? Que nous est-il arrivé ? On a tout essayé. Nous étions jeunes ; on nous a dit qu'il fallait mettre en place des systèmes de protection dans nos montagnes. Ce fut dramatique. Sur des milliers d'hectares, regrouper des brebis tous les soirs pour ne pas se les faire manger, on a essayé ; c'était le début. Quand on ne se les faisait pas manger la nuit, on se les faisait manger la journée. Nous nous sommes rendu compte qu'il ne servait à rien de les parquer le soir. Retourner sur les traces tous les soirs au même endroit, piétiner à 2000 mètres d'altitude, enfermer les moutons par beau ou mauvais temps, c'était impossible. Cela se traduisait par une perte d'agneaux, de poids d'agneau. Nous élevions la qualité des agneaux en les montant à la montagne pour qu'ils grossissent à la belle saison - juillet et août - pour faire des agneaux magnifiques et ils étaient parqués. Plus de liberté pour nos moutons ! Les agneaux ne grossissaient plus. Ils perdaient de cinq à six kilos, stressés par les attaques ; les mères ne passaient plus au bélier l'automne. C'était un fléau insupportable.

On nous a dit qu'il fallait acheter des chiens de protection, ce que nous avons fait. Il faut trois ans pour habituer un chien au troupeau et pour que le troupeau n'ait plus peur. Les patous, efficaces ou non, ont limité les dégâts. Ils n'ont toutefois pas empêché les attaques. Par ailleurs, les propriétaires de fermes et de pâturages refusent de les louer si nous avons des chiens patous. Des communes ont essayé de prendre des arrêtés pour nous interdire d'avoir des patous sur leur territoire. Cela nous a mis dans de telles situations que nous ne savions plus où donner de la tête ! Quand une commune en arrive à prendre un arrêté pour interdire la présence de vos chiens, on mesure à quel point la population de son propre village est contre vous. Tout le monde se plaint des patous à la mairie. Les cyclistes, les cavaliers, les promeneurs, tout le monde a peur des chiens. Si on s'approche d'un troupeau, deux, trois, quatre chiens sortent et aboient : cela peut faire peur, c'est vrai.

Il est difficile d'habituer les patous au troupeau et, quand ils sont habitués aux moutons, ils les défendent, mais ne supportent rien. Aucune présence n'est tolérée parmi les moutons : ni oiseaux, ni marmottes, ni chamois, ni chevreuils, ni petits sangliers, rien, tout est dévasté, tout y passe.

Nous étions des éleveurs d'ovins. Nous n'avions pas de chèvres dans nos troupeaux. Certains de nos voisins en avaient. Quand leurs troupeaux se trouvaient à proximité, il est arrivé que nos chiens tuent ou fassent fuir les chèvres du troupeau. Cela nous a créé des problèmes de voisinage aberrants. Il faut supporter. Depuis que l'on doit supporter, nous supportons ... J'ignore jusqu'à quand.

Un jour, on nous a informés que des aides-bergers seraient donnés. Dans notre département, les pâtures durent douze mois de l'année ; or, on nous a donné des aides-bergers pour quatre mois. L'été, en montagne, nous vivons dans des cabanes de vingt à trente mètres carrés. Celui qui a une belle cabane s'en réjouit, celui qui n'a que deux tôles, il fait avec. Nous ne nous en étions jamais plaints quand il n'y avait pas le loup. Avec le loup, on nous a imposé l'aide-berger, il a fallu vivre avec lui dans une cabane. Imaginez la vie de famille, le peu de temps de vacances en montagne, le fait de se retrouver avec un étranger tous les soirs qui vous aide à garder le troupeau parce que vous ne pouvez pas être là toute la journée. Il faut bien dormir un moment, car travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, cela n'existe pas. La cohabitation avec l'aide-berger en cabane a été très dure, mal vécue par nos femmes, mal vécue par les femmes des bergers, mal vécue par les bergers eux-mêmes. Moi, je suis là en permanence, comme souvent les éleveurs de notre département, sur les alpages avec les aides-bergers, d'où des conflits avec notre vie de famille.

Je reviens à la question du parcage. Cette année où il a beaucoup plu, il n'a pas été possible de parquer tous les soirs le troupeau. Quand il pâture à 2500 mètres, nous ne pouvons pas les faire redescendre à proximité de la cabane à 2000 mètres ou à 1500 mètres. Les moutons doivent rester libres. Nous avons fait ce métier, de génération en génération. Nous avons l'amour des brebis et l'envie de faire ce travail comme il faut et nous ne pouvons accepter de les maltraiter en les faisant redescendre pour les parquer.

Cette année a connu un temps de pluie, les troupeaux ont été atteints du piétin, la maladie du pied - la corne pourrit - conséquence du parcage en terrain mou, par temps de pluie. Voilà ce qui est arrivé aux éleveurs du département qui ont voulu parquer et protéger leur troupeau. Cette année, le piétin est un fléau qui coûte cher et qui engendre du travail supplémentaire. Dans nos montagnes, le piétin est une maladie que nous n'avons jamais vue auparavant, ou que très rarement, car les moutons y étaient libres et ne piétinaient pas.

Dans notre département, la vie de famille des éleveurs est partie en fumée. Un moment donné, il a fallu passer des heures, encore des heures et de plus en plus à côté de nos moutons. Nous avons délaissé notre vie de famille pour essayer de protéger notre revenu. J'ai reçu plusieurs appels à ce sujet ; j'ai moi-même vécu ce drame. On nous a demandé de choisir entre ce métier de fou et notre vie de famille : nous avons choisi le métier de fou, laissé tomber nos familles. Imaginez le drame que ce fut pour nous, pour moi, pour les éleveurs. Quand le loup avance dans le département, quand les éleveurs appellent et me disent : « Le loup est arrivé, je subis des attaques » que puis-je répondre à ceux qui ont passé dix ans, qui on tout perdu, qui en ont assez... ? Je ne sais plus quoi répondre, moi-même je suis touché profondément, je n'ai pas de solution. Je reste muet. Je ne peux même pas expliquer ce que nous, nous avons vécu et ce qu'ils devront vivre si cela continue. Aujourd'hui, j'ai espoir dans nos élus, j'ai espoir qu'ils nous aient compris, qu'ils comprennent le problème de ce pastoralisme de nos montagnes et j'ai espoir qu'ils feront quelque chose pour nous.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous sommes particulièrement émus de votre témoignage et nous allons essayer de vous aider.

M. Bernard MOSER : Je suis éleveur dans la Drôme, le plus beau département de France. J'ai connu cet été mes premières attaques de loups. Il est très difficile de s'exprimer après un témoignage aussi poignant et j'essayerai de traiter le sujet d'un point de vue global.

De nombreux travaux ont été publiés à ce jour sur l'utilité, la pertinence, la spécificité de l'élevage ovin en montagne ainsi que sur les difficultés liées à la présence des prédateurs. C'est pourquoi j'exprimerai ce que ressentent depuis dix ans les éleveurs de notre syndicat sur ce problème. L'existence même de cette commission d'enquête nous conforte dans l'idée que tout n'est peut-être pas aussi limpide qu'on peut le penser sur la présence des loups et sur sa gestion, à commencer par la signature de la convention de Berne par la France qui s'est faite dans le plus grand secret, sans que les paysans et la population des zones concernées n'aient été consultés ni même informés. Cette signature a induit une activité nouvelle dont l'Etat est, par voie de conséquence, devenu le gestionnaire. Depuis, les gouvernements qui se sont succédé n'ont fait qu'instaurer des mesures de protection passive des troupeaux et interpréter la convention de Berne afin de rendre les mesures de protection active inapplicables, comme les protocoles de tir.

Les moyens pour gérer cette politique de protection passive sont puisés, d'une part, chez le contribuable européen, d'autre part, chez le contribuable français, mais je crois, surtout, chez les éleveurs de moutons qui doivent participer, de gré ou de force, en donnant leur temps, leur argent, leur outil de travail et leur qualité de vie. M. Bruno l'a très bien dit, je n'irai pas plus avant.

Le concept retenu promettait une cohabitation harmonieuse entre les loups et le pastoralisme, devait être un atout sur le terrain de la biodiversité, de la régulation de la faune sauvage, du tourisme, de l'emploi, de la gestion des pâturages, or il se révèle être un échec sur toute la ligne. Nous insistons sur le fait que la protection passive n'est relativement efficace que dans le cas d'un troupeau pouvant rémunérer suffisamment de personnel, c'est-à-dire un troupeau qui évoluerait dans un site à grande visibilité, à pente modérée et un troupeau suffisamment important. Dans tous les autres cas, la fameuse cohabitation dont tout le monde parle est un véritable cauchemar et une impossibilité. Voilà pourquoi les troupeaux ont commencé de disparaître, discrètement pour la plupart, car ce sont souvent de petits troupeaux, dont la disparition les uns après les autres est difficile à comptabiliser. Parallèlement, l'effectif des loups au comportement passablement dévoyé s'accroît à un rythme record, ce qui, additionné à de multiples faits s'accumulant au fil des ans, contribue à accréditer la thèse de l'introduction pure et simple. Le taux de croissance de la population de loups sur les territoires concernés se situe au-delà de toutes les autres références citées ailleurs dans le monde. En cas de harcèlement, les éleveurs les plus touchés n'ont aucun recours et ne reçoivent aucune protection spécifique.

Sans vouloir entrer dans des illustrations édifiantes, je citerai le cas d'un éleveur des Alpes-Maritimes, Johannès Pogunkte, petit éleveur fromager du pays brigasque, qui est sous la pression des loups, été comme hiver, depuis maintenant six ans. Il a appliqué de manière exemplaire toutes les mesures de prévention édictées par le ministère. Il a un molosse pour quarante brebis. Un molosse a d'ailleurs été tué par les loups - ce n'était pas la première fois que cela se produisait. Malgré la mise en place de mesures de protection, les dégâts ont été chez lui constants et désastreux : un cadavre sur trois en moyenne retrouvé, indemnisation bien en dessous de la valeur des animaux, temps insuffisant à consacrer à la fabrication et à la commercialisation des fromages... C'est la litanie habituelle.

Très rapidement, cet éleveur a demandé l'intervention des pouvoirs publics pour une protection efficace. Sans réponse, il s'estime en état de légitime défense et se résout à empoisonner un loup. Il goûte quelques mois de répit suite à cet empoisonnement, puis l'enfer recommence. Il renouvelle sa demande de protection appuyée cette fois-ci par l'organisation syndicale à laquelle il appartient, la Confédération paysanne, auprès des deux ministères concernés de l'époque. Aucune réponse. Psychologiquement très éprouvé, un jour de Noël, il écobue une partie de son pâturage d'hiver, c'est-à-dire qu'il y met le feu pour dégager la broussaille et gagner de la visibilité pour observer ou éventuellement repérer les loups plus commodément et ainsi protéger son troupeau. La seule réponse qu'il obtient est une mise en examen pour empoisonnement et incendie volontaire. De plus, il est complètement ruiné. Son cheptel a été renouvelé à 200 %, il a besoin d'acheter en permanence du foin pour nourrir ses animaux. Une seule chose le fait encore tenir, ce qui anime tous les éleveurs ici : la passion du métier. Mais lorsqu'un métier ne tient plus que par la passion et que la raison économique, c'est-à-dire gagner sa vie avec son travail, n'est plus une motivation primordiale, ce métier a réellement du plomb dans l'aile. A cela s'ajoute au cas très particulier de Johannès Pogunkte le fait qu'il travaille avec une race en voie de disparition, la brebis brigasque, non parce que les éleveurs l'abandonnent, mais précisément à cause du facteur loup, présent dans la zone. Je rappelle que les races ovines françaises font aussi partie de notre patrimoine, et peut-être bien plus que les prédateurs !

Nous soutiendrons Johannès Pogunkte à son procès. Comme nous le ferons avec tout éleveur qui, de victime, se sera transformé en coupable du fait de la carence des pouvoirs publics.

Je dresse un constat consternant reprenant les quatre étapes qui ont marqué l'installation de la vie des loups : d'abord, l'Etat installe un élément nouveau dans l'environnement principalement montagnard. Cet élément détériore une partie de ce qui existait. L'Etat ne fait pas le nécessaire pour que cette activité humaine puisse continuer à exister comme auparavant et laisse l'hémorragie des éleveurs se perpétrer. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'Etat ne s'est pas comporté en « bon père de famille », pas plus d'ailleurs qu'il ne l'avait fait en interdisant, trop tardivement, l'utilisation des farines animales ou en autorisant les essais d'OGM en plein air. Le problème est comparable. Reste à essayer de sauver ce qui peut l'être.

Si nous ne pouvons rester sur un doute quant à une manipulation faunistique, voire une atteinte grave à la biodiversité, le rapport d'analyse qui a servi à authentifier les premiers loups nous paraît totalement insuffisant. Des études génétiques comparatives entre loups des Abruzzes et loups alpins doivent être effectuées par plusieurs laboratoires indépendants. Il convient de compléter ces analyses par une investigation sur la gestion des parcs à loups français depuis dix ans au moins. Ces parcs sont-ils, par exemple, soumis à l'identification obligatoire, comme le sont les éleveurs ? De quelle manière est traitée la croissance démographique dans ces parcs à loups ? Des contrôles totalement fiables y sont-ils exécutés ? Un autre point d'écologie doit être éclairci. Ce sont les conséquences directes et indirectes de la présence des loups sur la faune sauvage. Enfin, dans le cas où la thèse de la migration naturelle serait irréfutablement confirmée par ces analyses, l'enquête devra se rendre à l'évidence : la politique menée jusqu'à présent en matière de loups et qui doit s'inverser totalement a conduit à de plus en plus d'actes d'autodéfense, rarement revendiqués, mais réels, c'est-à-dire un gâchis écologique. Personne ne prend plaisir à se débarrasser d'un animal sauvage. C'est bien un acte d'autodéfense et surtout de défense contre l'élimination inexorable du pastoralisme.

Le temps, par exemple, est un élément qui joue énormément en défaveur des éleveurs, notamment les plus petits, qui sont précieux pour le tissu rural et qui sont le dernier rempart avant la friche. Ils mettent en valeur les espaces difficiles évoqués à plusieurs reprises. Ce sont ceux qui pratiquent une agriculture propre, de qualité et cela sur des ressources naturellement fournies par la nature. Provoquer la disparition de ces éleveurs revient à nier toutes les promesses de développement durable dont on parle beaucoup et de plus en plus actuellement. Un jour, il faudra nous démontrer concrètement, dans les faits, ce que cela signifie réellement. Protéger ces éleveurs sera une priorité et demandera un effort particulièrement important afin de leur permettre de vivre et de travailler comme avant en toute quiétude, ce qui n'a rien à voir avec une éventuelle distribution de subsides supplémentaires. Les subventions et les aides diverses ne résoudront pas le problème - à ce titre je rejoins totalement Denis Grosjean.

Dix ans d'incompatibilité c'est pour nous déjà beaucoup trop. Le statu quo, c'est-à-dire l'absence de véritables choix politique revient au choix implicite de laisser disparaître à moyen terme toute activité pastorale de toutes les zones, tôt ou tard, et d'immenses pans de territoire se verront irrémédiablement transformés en zones désertifiées où des promoteurs auront quartiers libres pour y installer des Disneyland faunistico-touristiques à la grandeur de la nature !

Pour résumer à l'extrême nos positions et pour les globaliser, l'Etat doit tout d'abord assumer l'entière responsabilité de la situation qu'il a créée. Cette notion de responsabilité de l'Etat peut aussi être examinée sur le terrain du droit, c'est-à-dire de la responsabilité sans faute qui préoccupe certains juristes.

Deuxièmement, l'État doit se donner les moyens d'empêcher toute perturbation de l'activité d'élevage sans faire appel à la contribution des éleveurs. Il n'appartient pas aux éleveurs de supporter ni psychologiquement ni financièrement les conséquences liées à la présence des prédateurs.

Troisièmement, les éleveurs qui ont été contraints à des actes d'autodéfense pour pallier la carence de l'Etat ne doivent en aucun cas être poursuivis.

M. François Marie PERRIN : Mesdames, messieurs les députés, je représente les gens de terrain, les bergers salariés. Nous opérons un petit distinguo. Même si l'interdépendance est grande entre éleveurs et bergers et même si nous travaillons sur les mêmes produits, nous ne faisons pas tout à fait le même métier. Nous passons en moyenne quatre mois en estive. Pour définir la profession de berger, je prendrai une image : nous avons des responsabilités de chirurgien avec des obligations de garde, de banquier et un salaire de manœuvre.

Nous sommes les gens de terrain - c'est dire que c'est à nous que les choses arrivent, quand il y a prédation. C'est difficile à vivre, plus pour nous encore, parce que nous avons en charge la gestion d'un capital, celui des éleveurs. La moyenne des troupeaux gardés se situe entre 1.200 et 1.500 bêtes. Faire garder un troupeau plus petit est difficile pour un éleveur, car ce n'est pas rentable. Nous sommes donc comptables des animaux que l'on nous confie, comptables de la gestion d'un territoire que sont nos pâturages.

Comme tout le monde, nous avons été placés devant le fait : le loup arrive. Que faire ? Nous étions totalement démunis, plus encore que les autres, puisque nous étions sur le terrain. Il a fallu improviser. C'est difficile quand on est confronté à un animal que l'on ne voit pas, qui attaque dans des conditions climatiques difficiles, la nuit, les jours de pluie, les jours de brouillard. Nous avons vécu les choses de façon très dure. Nos conditions de vie en montagne, n'en déplaise à M. Bruno, sont plus dures, parce que les cabanes n'ont pas les surfaces annoncées - elles couvrent entre dix et douze mètres carrés -, elles sont souvent placées loin des voies de communication, des chemins, il faut y aller à pied, elles sont parfois difficiles d'accès. La difficulté s'accroissait pour nous, du simple fait qu'il n'était guère aisé en cas de prédation de prévenir les gens qui nous avaient confié leur troupeau.

En tant qu'association de bergers, nous avons refusé d'entrer dans la polémique, car il nous a semblé plus important d'être pragmatiques que polémiques. On nous a donc proposé des mesures dites de « protection ». Certaines se sont révélées d'une efficacité moyenne comme l'utilisation des chiens patous. Cela nous a permis, non pas d'empêcher les tentatives d'attaques, mais parfois de faire baisser la mortalité due à la prédation. On nous a donné des filets de contention pour garder les animaux la nuit. Comme cela a été souligné, on ne peut impunément déplacer un troupeau sur une estive. Nous avons une gestion de quartier très précise. Chacun de nous prend la responsabilité de le faire, mais une dominante veut que nous commencions en bas aux mois de juin et juillet, que nous montions dans les quartiers les plus hauts au mois d'août pour redescendre aux mois de septembre et octobre dans les quartiers pâturés en juin.

La contention des bêtes près des cabanes n'est pas forcément possible pour diverses raisons : des raisons « morphologiques » de terrain, des raisons liées au flux touristique de plus en plus important dans les montagnes. J'ai choisi de travailler sur une montagne où le tourisme est très élevé. Des chemins de randonnée passent à proximité des cabanes, dans les chaumes, c'est-à-dire les lieux où on réunit les animaux pour leur permettre de ruminer aux heures les plus chaudes de la journée. Etre obligé de contourner un troupeau, ce qui nous semble normal et évident, est ressenti comme un désagrément par les touristes qui viennent en montagne. Cela pose des problèmes de cohabitation et des problèmes sanitaires, suscités par le rassemblement des bêtes, plusieurs jours de suite par temps de pluie et de mauvais temps en un même lieu. Tout cela induit un coût et pour nous un travail supplémentaire. Cette année, j'ai expérimenté des parcs de contention de tailles différentes pour savoir à quoi cela nous engageait exactement. Plus le parc est grand, moins la protection est efficace, en revanche, meilleures sont les conditions sanitaires.

Pour monter un grand parc, un minimum de quatre heures est nécessaire. Où les prendre? Au cours d'une saison, nous effectuons une durée de travail mensuelle effective équivalente à 300-340 heures. Un berger ne se contente pas d'être à côté d'un troupeau. Une bête ne mange pas n'importe quoi à n'importe quel moment de la journée. Pour une bonne gestion, nous tenons compte de ces paramètres. Les paramètres qui déterminent notre travail sont multiples, très complexes. Il faut beaucoup de temps pour les intégrer, pour avoir les compétences requises pour exercer ce métier - ce n'est pas en quelques années que l'on devient berger professionnel.

Quand on a à gérer un pâturage, on ne peut pas se permettre de faire n'importe quoi. On n'installera pas un parc n'importe où ; les couchages naturels sont préférables, parce que les bêtes y sont mieux. On ne montera pas un parc de contention à trois ou quatre kilomètres de la cabane si on est seul.

On nous avait proposé des aides-bergers. La mesure en a satisfait certains - c'était un moyen de calmer les gens. Nous n'en percevions pas l'efficacité. Un aide-berger portera les filets, le sel ; il n'est pas berger, ce n'est pas son métier, ce n'est pas sa fonction. Il n'a pas été embauché pour cela. Cela a créé des dérives peu souhaitables vis-à-vis des bergers salariés, parce que certains aides-bergers ont été embauchés en tant que bergers. Nous le déplorons, c'est une dérive grave et, en outre, il ne remplit pas de fonctions précises. Si l'aide-berger sert à prévenir le berger la nuit et qu'il y a une attaque... Qu'est-ce que cela change ? Que peut-on faire de plus ?

La meilleure réponse proposée n'est pas la plus satisfaisante, car, comme je l'ai indiqué, il y a les problèmes du tourisme, du gibier, de la gestion des chiens patous. Un chien patou est confié à un éleveur, qui doit le dresser. C'est difficile. Ces chiens ont un comportement très particulier, ce ne sont pas des chiens de conduite de troupeaux comme ceux que nous utilisons : il faut les tenir à la fois éloignés de l'homme, mais les nourrir quand même ; nous fixons leur affectif sur un troupeau pour qu'ils puissent le défendre. L'alpage où je travaille est très visité par les touristes. Le chien intervient vingt à trente fois par jour minimum les journées calmes ; parfois, jusqu'à soixante ou quatre-vingts fois par jour. Je n'exagère pas, car j'ai la possibilité de comptabiliser les personnes qui viennent sur mon quartier d'août, puisqu'ils utilisent le télésiège. Il suffit de demander le nombre de personnes qui montent tel ou tel jour. Sur mille personnes, j'en vois trois ou quatre cents. C'est dire que mon troupeau est dérangé en permanence et que je ne suis plus en mesure de faire mon travail. Pour qu'un troupeau puisse se nourrir convenablement, la plupart des bêtes étant gestantes l'été, il ne faut pas qu'elles soient dérangées. L'une des conditions primordiales de notre travail est la tranquillité. Ces chiens, somme toute, font leur travail, puisqu'ils se placent entre le troupeau et l'éventuel intrus, mais ils déplacent les bêtes. Or, les bêtes ont un biais. La façon d'installer un troupeau sur une montagne n'est pas le fruit du hasard : on leur donne un biais afin qu'elles aient le déplacement le plus naturel possible en fonction de ce que nous voulons leur faire manger. Réinstaller les bêtes vingt fois par jour prend du temps ; en outre, cela les stresse et nous crée d'énormes difficultés.

Quant au loup, je ne puis en parler, car je n'ai pas eu à subir ses attaques. J'ai connu des problèmes avec des chiens divagants. Les conséquences en termes de stress généré par leurs attaques sont les mêmes. Cela dit, nombre de bergers de notre association ont eu affaire au loup. Le volet humain n'est jamais pris en compte, parce qu'un berger reste un berger. Même si l'image du berger revêt un aspect mythique pour la société, même si l'aspect social est récemment devenu à la mode - le berger c'est sympa -, l'aspect professionnel, reste ignoré. Les gens n'ont aucune idée des difficultés de notre métier.

Nous subissons parfois des attaques répétées, pendant quinze jours-trois semaines. Même si nous ne sommes pas présents vingt-quatre heures sur vingt-quatre, parce que ce n'est pas possible, nous subissons toutefois le stress, car nous avons des comptes à rendre. Le fait de s'approprier un troupeau nous rend sensibles à son état, à ce qui se passe. Des bêtes gestantes qui vont avorter, c'est quelque chose qui atteint notre fierté. Cela paraît peut-être ridicule, mais nous avons cette fierté, c'est ainsi et nous tenons à l'avoir !

Le fait de ne pas vouloir entrer dans la polémique nous a fait accepter de mettre en place les moyens de prévention proposés par différents services de l'Etat, comme la DDAF. Nous sommes la dernière roue de la charrette. Bien que nous subissions en première ligne les attaques du loup, nous avons été avertis a posteriori que des décisions avaient été prises alors que nous pensions être de vrais partenaires. Nous sommes concernés - on ne peut l'être plus directement - mais jamais associés aux prises de décisions. Or, nous pourrions avoir des propositions à présenter, dans la mesure où nous savons de quoi nous parlons. Cela n'a pas l'air d'intéresser grand monde. Ce sont des faits que nous déplorons.

Sur l'introduction ou la réintroduction du loup, j'ai entendu beaucoup de choses. Je représente les bergers et à ce titre j'assiste à nombre de commissions. Même si sur le terrain l'importance des conditions du retour du loup n'est pas évidente, nous aimerions savoir ce qu'il en est réellement. J'entends des bruits de toutes sortes. D'un côté, il s'agit d'introductions ; de l'autre, de migrations par l'Italie. Nous aimerions que les choses soient claires. Sur ce sujet, nous n'avons jamais obtenu de réponses. Il y a deux ans, j'ai participé à une réunion du Comité national Loup ; je n'ai pas eu plus de réponse. Je pensais qu'il s'agissait d'une question réglée. Eh bien, il n'en est rien !

En résumé, dans la mesure où les bergers subissent les attaques, nous aimerions pouvoir participer aux prises de décision, - merci de nous avoir accueillis aujourd'hui -, savoir à quelle sauce nous allons être mangés et surtout si nous allons pouvoir continuer notre métier dans les conditions dans lesquelles nous aimons à le pratiquer. Etre berger n'est pas qu'un métier, c'est aussi un choix de vie. Passer quatre mois en estive, c'est un lieu de vie. Nous y vivons réellement. Or, si c'est pour vivre dans des états de stress permanents, les jeunes hésiteront à choisir ce métier. On dit que c'est un métier en voie de disparition. C'est faux. Il suscite de nombreuses candidatures. Travaillant avec l'école nationale de bergers du domaine du Merle, j'ai l'occasion de voir augmenter chaque année le nombre de candidats. Certes, la population de bergers a changé : on a de plus en plus souvent affaire à des citadins, non à des personnes issues de milieux ruraux. Ces gens doivent avoir le droit d'exercer ce métier, puisqu'ils le choisissent, mais dans quelles conditions ?

Mme Henriette MARTINEZ : Je vous remercie. Soyez assurés qu'il nous paraît tout à fait légitime et respectable que vous soyez fier de faire votre métier et que vous ayez à cœur de bien le faire.

M. Pierre ISNARD : Je suis administrateur au bureau des Jeunes agriculteurs et avant tout éleveur ovin dans les Alpes-Maritimes avec un troupeau de 800 têtes en brebis viande de race Mourerous, en voie de disparition et subventionnée par l'Europe pour son maintien.

Je me posais beaucoup de questions sur le retour du loup. Depuis la signature de la convention de Berne, d'autres textes se superposent, la directive Habitats du 21 mai 1992, un texte interministériel du 12 octobre 1996, lequel précise que la destruction, la manipulation, la capture et l'enlèvement de certaines espèces sont interdits. Dans la liste, on retrouve l'ours, le lynx et le loup. Une question s'impose : pourquoi le ministère de l'environnement est-il allé plus loin que la directive Habitats ? En 2001, la phrase suivante a été supprimée des articles L-427.8 et L-427-9 du code de l'environnement relatifs à la destruction d'animaux nuisibles : « Ainsi que les loups et les sangliers remis sur le territoire ». Pourquoi supprime-t-on cette phrase en 2001 du code de l'environnement ? Nous posons la question.

Sur le terrain, pour parler des Alpes-Maritimes, mon département, ce ne sont plus seulement les zones d'estive qui sont touchées, mais 80 % du département, une bonne partie des zones d'hivernage, c'est-à-dire que les éleveurs sont soumis à la pression toute l'année, qu'ils soient en estives ou en quartiers d'hiver. Effectivement, cela devient difficile d'installer des jeunes. Dans notre département, nous n'avons aucun projet pour 2003. C'est assez inquiétant. Dans un département qui a une vocation pastorale, nous aimerions réinstaller des jeunes, mais il est difficile de retenir les candidats, car ils préfèrent s'installer dans des départements moins problématiques.

Le phénomène lié au prédateur progresse. Chaque semaine, nous connaissons des premières attaques sur de nouvelles exploitations. On se demande si cela va s'arrêter, si un jour il y aura une gestion ou si nous continuerons ainsi à laisser progresser le loup jusqu'à ce qu'il arrive en Aquitaine !

Il existe des élevages de loups en France, en Italie. Souvent, nos amis défenseurs du prédateur reprochent aux éleveurs de polémiquer encore sur le retour du loup alors qu'il est prouvé qu'il vient d'Italie ! Nous ne contestons pas les analyses ADN ; peut-être vient-il d'Italie, mais il n'est certainement pas venu seul : on l'a amené. Peut-être l'a-t-on capturé dans les Abruzzes, pour ensuite le relâcher au centre du parc du Mercantour. Il n'est pas nécessaire d'être scientifique pour le comprendre ou le prouver. Entre les Abruzzes et le centre du parc du Mercantour, les exploitations n'ont fait l'objet d'aucune attaque, d'aucune prédation. Pourtant, l'élevage des brebis y est présent. C'est une question qu'il faut soulever.

En ce qui concerne les loups d'élevage, il nous faudrait une meilleure traçabilité, puisque nous, éleveurs d'ovins, avons joué le jeu de la traçabilité de nos bêtes, nous avons également joué le jeu des mesures de protection qui, finalement, coûtent de l'argent aux exploitations. Mais nous n'avons rien demandé ! A la limite, il revient à l'Etat de supporter le coût total de la mise en place des parcs de protection. Pourquoi sont-ce les éleveurs qui les mettent en place ? Pourquoi sont-ce les éleveurs qui s'occupent des patous ? Nous n'avons rien demandé de tout cela. Nous demandons simplement à travailler comme nous avons toujours travaillé, de poursuivre l'élevage extensif, le pastoralisme et la transhumance.

Ces trois composantes de l'élevage tel qu'on le connaît dans l'arc alpin sont très sérieusement menacées. Dès lors que l'on commence à mettre des brebis en parc tous les soirs, ce n'est plus de l'élevage extensif, ce n'est plus du pastoralisme ; cela devient une sorte de semi-élevage, de pastoralisme semi-intensif. Cela oblige les éleveurs soit à parquer, soit à rentrer en bergerie, surtout en ce moment où certaines zones d'élevage d'hiver sont touchées. On arrive à un point où les éleveurs sont constamment soumis à la pression.

Les incidences économiques peuvent atteindre 25 %, voire plus sur certaines exploitations. Or, les indemnisations ne couvrent pas la baisse du chiffre d'affaires. Une baisse de notre revenu ne va pas dans le bon sens. C'est pourquoi certains éleveurs ne souhaitent pas mettre en place des mesures de protection ; par ailleurs, elles ne devraient pas être à leur charge.

Nous souhaitons l'enlèvement des loups et estimons que la gestion du problème revient à l'Etat.

Mme Henriette MARTINEZ : Pour entamer le débat, je rappelle que notre commission s'occupe également de l'ours et du lynx ; c'est un point qui a été posé en préalable par nos collègues, membres de la commission.

M. Denis GROSJEAN : Viendrez-vous, par exemple, dans le département de l'Ain ?

Mme Henriette MARTINEZ : Non, pour l'heure, nous n'y avons pas programmé de déplacement.

M. Denis GROSJEAN : Je vous suggère de vous rendre dans un département où la problématique du lynx se pose.

Mme Henriette MARTINEZ : Je note votre remarque . J'ouvre le débat par quelques questions :

Certains d'entre vous ont fait allusion à ce qui se passe dans d'autres pays d'Europe. Y a-t-il une spécificité du pastoralisme à la française ? Si oui, laquelle ?

Vous avez été nombreux à faire référence au retour du loup qui ne serait pas naturel. Monsieur Bonneval, vous avez parlé d'animaux sauvages réintroduits et de la différence de comportement entre ceux-ci et les animaux sauvages. M. Ferey a parlé de réintroductions volontaires ou involontaires. Pouvez-vous préciser vos propos ? M. Grosjean a souligné que le retour du loup n'avait rien de naturel. Avez-vous des preuves sur ce point ? M. Moser a soutenu la thèse de l'introduction pure et simple ; M. Isnard a avancé que le loup n'était pas venu seul.

Suite à vos remarques, qu'en est-il de la réintroduction du loup ? La réintroduction d'animaux issus d'élevage est-elle possible en milieu naturel ? Peut-on prendre des loups adultes, des louveteaux, les transporter ? Peuvent-ils se réacclimater, redevenir sauvages s'ils sont issus d'un élevage ? Pensez-vous - certains ont semblé le sous-entendre - que des loups ont été préparés dans les élevages pour être remis en milieu naturel ? Les loups que vous voyez dans vos montagnes seraient-ils issus de certains élevages que vous semblez connaître ?

Autrefois, du temps de vos pères et grands-pères, comment cela se passait-il ? M. Bruno a fait allusion aux générations précédentes. Y avait-il des loups dans les montagnes des Alpes-Maritimes ? Si oui, comment a-t-on lutté ? Les loups ont-ils disparu ?

Êtes-vous en mesure d'informer la commission sur l'importance de la population lupine sur le territoire national ? Arrivez-vous à l'évaluer - du moins par massif et très précisément sur le Mercantour ?

Au moins deux d'entre vous ont évoqué l'installation des jeunes. Ils nous ont laissé comprendre qu'ils ne s'installaient plus en élevage ovin à cause du loup. Monsieur Isnard, vous avez cité le pourcentage de 25 % pour évaluer le surcoût lié à toutes les mesures de protection. Ce chiffre est-il confirmé par les interlocuteurs présents ? Sinon, quel chiffre moyen pourrait-on avancer ?

M. Pascal FEREY : Sur la réintroduction du loup et sa comptabilité, nous avons demandé à plusieurs reprises, au ministère de l'environnement hier, au ministère de l'écologie et du développement durable aujourd'hui, de produire des documents qui attestent et qui prouvent la réintroduction sous contrôle des services de l'Etat. On nous a répondu que bon nombre de ces documents n'étaient pas disponibles ; on peut en déduire qu'ils ont disparu. Je l'affirme ici. C'est regrettable, parce qu'il y a dix ans, dans le cadre du plan d'introduction du loup sous contrôle, il était analysé, dit et écrit qu'elle devait intervenir sur un nombre précis et suivi d'animaux. Je laisserai mes collègues, plus habilités, parler du nombre.

Sur le loup d'élevage pour réintroduction, on entend tout et, encore une fois, il faut être prudent. Un point me gêne davantage : il est apparemment avéré que des loups ont été capturés dans la zone des Abruzzes et réintroduits dans les massifs alpins de façon manifeste. Des tests d'ADN le prouvent. Une demande, à laquelle je m'associe, a été formulée. Au-delà de l'analyse difficile, lourde à mettre en place en termes de procédure, nous demandons que plusieurs laboratoires indépendants soient agréés pour contrecarrer le mouvement de suspicion sur le terrain. Je ne remets nullement en cause la qualité des tests réalisés ni leur véracité, mais il faut mettre un terme à la suspicion actuelle.

Mme Henriette MARTINEZ : Le fait que l'on prouve que les loups que vous voyez sur le terrain sont des loups des Abruzzes suffit-il à prouver qu'ils ont été réintroduits ? N'ont-ils pu venir seuls ?

M. Pascal FEREY : Cela ne suffit pas. L'ensemble des gens de bonne volonté et de bonne foi qui acceptent de parler - je ne me limite pas aux éleveurs ; un certain nombre d'élus dialoguent avec nous - admettent que l'on ne peut certifier que la réintroduction a été faite exclusivement par la main de l'homme, mais l'on ne peut non plus prouver que le loup soit venu de façon naturelle.

M. Pierre ISNARD : Il existe toutefois quelques suspicions, évoquées précédemment, à savoir l'arrivée du loup au centre du parc du Mercantour sans commettre de prédations. C'est un élément qui laisse supposer la réintroduction du loup. Le deuxième élément est la présence d'élevages de loups. Dès lors qu'il y a des élevages, on ne peut pas prouver qu'ils n'en sont pas issus. Des loups d'origine italienne peuvent y être élevés. Ensuite, je m'interroge sur l'arrêté interministériel : pourquoi, en 1996, a-t-on publié ce texte qui va plus loin que la directive Habitats ? Ne voulait-on pas renforcer la protection du loup ? Nous sommes arrivés au point où le loup est « superprotégé ». On a ajouté des articles, supprimé des phrases dans les textes, en 1996, en 2001. Tout cela laisse supposer une réintroduction volontaire, peut-être même voulue par le ministère de l'environnement et cachée parce que l'on s'est aperçu qu'il y avait eu des problèmes avec la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées. Selon moi, on s'est dit que le jour où on réintroduirait le loup on agirait de façon cachée pour éviter les ennuis comme celui de se battre sur le terrain juridique. On a fait en sorte de le protéger et de le surprotéger afin de rendre le loup intouchable. Le loup est placé plus haut que l'homme ! A l'heure qu'il est, un homme qui défend son troupeau est mis en examen et un loup qui attaque des brebis est en liberté et a le droit d'aller et venir comme il le souhaite. Pour nous, il ne fait aucun doute : le loup a été réintroduit !

M. Pascal FEREY : J'abonderai dans le sens de mes collègues, car si je représente la FNSEA, il n'y a pas, sur le dossier Loup, d'appréciations différentes entre les syndicats. Un intérêt général s'impose à nous : nous défendons le pastoralisme.

Je reprendrai les propos des Jeunes Agriculteurs sur un point. Nous discutons régulièrement avec les membres de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), parce que nous avons un souci commun partagé qui est celui, fondamental, du maintien de l'élevage, mais aussi de l'entretien du territoire qui doit être sauvegardé. Je ne vous cache pas notre inquiétude, souvent relayée par les responsables de l'ANEM, sur le fait que la disparition d'un élevage signifie, qu'à terme, des coins entiers de la montagne risquent de disparaître sous des friches. On assistera également à des fermetures du milieu avec des avalanches en hiver et des incendies en été.

Avec les Jeunes agriculteurs et nos collègues de la FNO nous sommes sur ce point étroitement associés.

Il est nécessaire d'aller jusqu'au bout de la démarche. C'est d'ailleurs pourquoi, sans préjuger de ses conclusions, nous sommes satisfaits de la mise en place de la commission d'enquête.

C'est ma qualité de responsable du dossier Environnement à la FNSEA qui m'amène ici et non ma qualité d'éleveur, puisque je suis éleveur d'ovins dans la Manche. J'ai pu constater la difficulté d'être éleveur de moutons dans mon département. Psychologiquement, financièrement, moralement, les éleveurs espèrent beaucoup de l'issue de cette commission d'enquête et attendent du gouvernement la mise en place de mesures concrètes pour lutter contre la disparition programmée du secteur de l'élevage dans ces zones les plus difficiles. Ce n'est pas un plaidoyer, un cri peut-être car des régions entières sont concernées. Les élus de l'ANEM nous suivent ; je dispose de différents courriers qui l'attestent et que je puis vous remettre si vous le désirez. C'est bien un choix délibéré qui s'offre à notre République entre le maintien d'une activité humaine ou celui des grands prédateurs. Il faut savoir raison garder sur l'ensemble des points.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous en sommes conscients et les élus qui participent à cette commission représentent les différents massifs alpins. Je suis moi-même élue des Hautes-Alpes.

M. Denis GROSJEAN : Sur la polémique concernant un retour spontané ou artificiel du loup, notre position est claire : il est revenu par la volonté humaine. A ce sujet, je vous renvoie aux excellents travaux de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes qui a réalisé une étude exhaustive, complète, remarquable, ainsi qu'aux travaux du professeur italien, Franco Zunino, qui a participé au colloque de Nice. Il a démontré la rupture dans la chaîne territoriale conduisant des Apennins aux Alpes-Maritimes et conclu à la réintroduction. Au surplus, la façon dont le loup a essaimé dans l'arc alpin français implique des réintroductions. Entre le parc du Mercantour et les attaques subies en Savoie et dans le département de l'Isère, l'absence de continuité rend improbable une colonisation spontanée. Pour argumenter en faveur de la réintroduction, je vous renvoie au colloque de Saint-Jean-du-Gard, où furent dévoilées les tentatives de réintroductions clandestines de loups, aussi bien dans le département des Landes que dans les Alpes-Maritimes. Il y a un vieux rêve, un vieux fantasme chez les naturalistes les plus extrêmes de réintroduire le loup.

Un point nous inquiète énormément : la volonté apparente des pouvoirs publics français de limiter la colonisation du loup à l'arc alpin. Depuis que le loup est revenu spontanément, au milieu du parc du Mercantour pour y être protégé de façon intransigeante et terrible, on a vu un loup dans le Cantal qui s'est fait tuer, un loup dans l'Aveyron qui a été abattu sur ordre du ministère de l'environnement, un loup dans les Vosges. Des loups apparaissent ou sont relâchés ici ou là en France, aussitôt condamnés à mort, alors que ceux de l'arc Alpin sont plus que protégés. Nous avons l'impression extrêmement désagréable que les pouvoirs publics français ont décidé, au nom de la biodiversité, qu'il y aurait des loups en France, mais pas n'importe où. Seuls seraient sacrifiés à ce titre les éleveurs de moutons de l'arc alpin. Nous éprouvons une forte inquiétude et la peur d'être abandonnés, d'être sacrifiés sur l'autel d'une écologie, selon nous ringarde, qui veut faire « peau neuve » avec les « vieux » animaux disparus !

M. Bernard MOSER : Je répondrai à la question portant sur la spécificité du pastoralisme à la française. Il en existe une, voire plusieurs. Le rapport de M. Pierre Bracque le relevait très justement : il existe plusieurs spécificités. Mais comparativement aux autres régions d'Europe, où le loup et le mouton sont présents, quelques-unes ressortent : dans mon département, 60 % des alpages ne sont pas gardés. Nous ne sommes pas dans la situation roumaine, yougoslave, voire de celle des Abruzzes où le gardiennage des troupeaux se fait avec de la main-d'œuvre familiale ou par des travailleurs immigrés, dans certains cas en provenance d'Albanie, en tout cas avec de la main-d'œuvre nombreuse. Chez nous, les alpages ne sont pas ou peu gardés. Le représentant des bergers salariés a décrit les conditions de travail. On a bien souvent un berger pour un nombre élevé de brebis. Cette spécificité n'est pas un choix économique, mais une adaptation au relief, au climat et aux modes d'élevage en montagne.

Il y a aussi le problème du pastoralisme regroupé. Beaucoup de petits éleveurs de fond de vallée au pied des montagnes ont l'habitude de regrouper leurs troupeaux pour les mettre en alpages, parfois en été, mais aussi pour des transhumances hivernales. Cette particularité incite les petits éleveurs à engager un berger pour s'occuper d'un troupeau regroupé. La main-d'œuvre ayant le coût que l'on sait, même si les bergers salariés sont souvent trop peu rémunérés, les troupeaux regroupés sont gardés par un seul salarié.

Troisième particularité : les troupeaux pour la plupart regroupent des producteurs d'agneaux de boucherie alors que dans certaines zones, comme les monts cantabriques en Espagne et même dans les Abruzzes en Italie, il s'agit d'effectifs plus petits, de troupeaux laitiers qui rentrent le soir en bergerie pour la traite.

J'en viens à la question portant sur l'introduction des loups. On peut trouver des éléments forts dans les travaux de Franco Zunino et de Vincent Vignon, chercheur français mondialement reconnu sur la question, qui pistent les loups depuis près de trente ans dans les monts cantabriques en Espagne et ailleurs. Selon leurs travaux, les chiffres officiellement connus aujourd'hui, soit trente loups vivants et quinze loups tués en dix ans en France, démontrent une croissance exponentielle à partir d'un seul couple, que l'on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde. Comment expliquer une croissance de la population aussi rapide si ce n'est par des arrivées organisées ? Les loups qui se sont installés d'abord dans le Mercantour, puis ailleurs, ne sont pas plus fertiles que les autres loups de par le monde. Ces travaux démontrent l'aspect aberrant de la prolifération de la population de loups.

Les élevages de loups existent : il y a des parcs à loups, des parcs animaliers de démonstration, où des couples se forment, se reproduisent. Je ne vois pas pourquoi on soumettrait les éleveurs à des contrôles de façon à les pousser à prouver, en cas d'attaques, que le prédateur est bien le loup, alors que, dans le même temps, pas très loin de là, des loups vivent dans des parcs animaliers sans quasiment aucun contrôle. C'est pourquoi nous demandons des contrôles extrêmement rigoureux sur ces parcs animaliers, non pour porter entrave à cette activité touristique, mais pour savoir s'il peut y avoir communication avec l'extérieur, des grillages qui s'ouvrent, des petits qui s'échappent.

Comment cela se passait-il autrefois ? Les loups ont été éliminés de nos zones pastorales, parce que le conflit était permanent entre loups et bergers. Le loup, comme tout autre animal dans la nature, avait son prédateur qui était l'homme. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation surréaliste, où l'on interdit au seul prédateur naturel du loup qu'est l'homme d'exercer son rôle de prédation. On dit aux éleveurs qu'ils font partie intégrante de la nature, on rappelle leur multifonctionnalité, leur rôle d'entretien du paysage, de maintien des milieux ouverts, en leur accordant des subsides de l'Europe, mais on leur refuse le rôle de prédateur. La contradiction est insupportable.

Voilà comment cela se passait avant. Et maintenant, posons la question : comment cela se passe-t-il ailleurs ? On nous a beaucoup fait croire que cela se passe bien ; on cite l'exemple de l'Amérique du nord notamment. Parce que j'ai vécu au Canada avec un troupeau dans une zone où nous connaissions des attaques des loups, je puis témoigner : là où vivent des loups et des coyotes, les attaques sont permanentes et la soi-disant cohabitation en douceur dans le parc de Yellow Stone aux Etats-Unis n'existe pas. On peut recenser - ce que d'aucuns ont fait - le nombre de procès intentés en justice par les éleveurs victimes de loups introduits dans le parc de Yellow Stone, mais qui s'en sont échappés pour coloniser les Etats voisins. Les problèmes sont quotidiens, les procès aussi. Ce n'est donc pas la cohabitation pacifique !

Par ailleurs, on nous a dit que le loup ne s'attaquait pas à l'homme. Or, en 1997, dans un village en Inde, à proximité duquel il y a une forte population de loups, quarante enfants au cours d'une année ont été dévorés. Je ne veux pas dire que le loup est dangereux pour l'homme, mais étant par nature opportuniste, le loup peut présenter ce risque dans certaines circonstances extrêmes - c'est aujourd'hui prouvé.

Le loup est-il une cause de non-installation ? Bien sûr, encore plus dans les zones très difficiles, c'est la cerise sur le gâteau. Lorsqu'un jeune qui veut s'installer dans ces zones et monter un troupeau apprend qu'il aura à subir des attaques et les dégâts causés par le loup, lui rendant la vie impossible, il va voir ailleurs.

M. François BROTTES : Une précision sur le périmètre de notre commission d'enquête : elle s'intéresse d'abord au loup et à l'ensemble des prédateurs, dans la mesure où ils peuvent mettre en péril le pastoralisme en zone de montagne. La commission ne s'intéresse pas au lynx ou à l'ours en zone de plaine. Je le dis afin de lever toute ambiguïté.

Monsieur Bruno, vous avez indiqué que certaines communes avaient pris des arrêtés à l'encontre des patous. Je souhaiterais disposer de la liste des communes en question.

Monsieur Moser et monsieur Isnard, vous avez souligné que vous éprouviez des doutes quant aux qualités professionnelles du laboratoire qui réalisent les analyses génétiques et que vous souhaitiez des contre-expertises. Sur quoi porte le doute, puisque, précisément, il y a doute dans l'expression que vous avez eue ?

Sur la question du retour naturel et sur l'absence d'attaques constatées sur le trajet qui aurait amené le loup d'Italie au parc du Mercantour - argument fort -, avez-vous les moyens de nous dire qu'aucune attaque ne s'est produite ? En avez-vous la preuve ? Recensait-on alors les attaques de chiens errants ?

Monsieur Grosjean, vous avez précisé que le ministère de l'environnement avait demandé l'abattage d'un loup : quand, où ? Qui en a pris l'initiative : le ministère, le préfet ?

M. Moser a évoqué l'attaque d'enfants en Inde. J'ai lu des articles de presse sur ce sujet, y compris en France. Avez-vous eu connaissance les uns et les autres d'attaques d'enfants ou d'hommes par le loup ?

M. Augustin BONREPAUX : Un loup des Abruzzes a été trouvé dans les Pyrénées orientales ces dernières années. Il a été identifié par le laboratoire de Grenoble. On ne l'a pas revu depuis. Est-il reparti dans les Abruzzes ? On ne sait d'ailleurs pas non plus comment il est venu. Un spécialiste, dont je tairai le nom, m'a dit qu'il avait dû s'échapper d'un élevage. Nous devons en effet vérifier comment sont surveillés les élevages. Il ne s'agit pas de les faire disparaître. Il y en a un sur ma circonscription. Les loups se reproduisent en captivité, ce qui prouve qu'il n'est pas si menacé qu'on le dit et cela attire beaucoup de touristes.

Certains se demandent pourquoi les éleveurs se plaignent dans la mesure où ils sont largement indemnisés. Voilà ce que j'entends souvent. J'aimerais que vous nous expliquiez qui cherche les bêtes disparues après une attaque, ce que vous devez faire pour que la DIREN vienne sur place et de quelle manière se déroule l'indemnisation. La DIREN dans votre département subventionne-t-elle les associations ? Estime-t-elle que cela doit continuer ainsi et que personne n'a à se plaindre ?

Je pense qu'il faudra se pencher sur la question de la responsabilité. J'ai posé plusieurs questions écrites au Gouvernement pour savoir qui était responsable. Personne ne répond. En cas d'accident, le maire est responsable. Pourquoi le maire ? Il n'est pas responsable.

M. Bernard BRUNO : Après une attaque de loup sur le troupeau ou quand on trouve une brebis tuée et mangée, nous appelons un numéro de la DDAF des Alpes-Maritimes. Nous laissons un message. En montagne, dès que nous sommes derrière une colline, nous connaissons des problèmes de portable. Le soir, nous écoutons nos messages pour savoir quand les responsables vont venir. S'ils sont dans les parages, ce peut être le lendemain, sinon deux, trois jours après. Lorsqu'ils viennent, nous devons les mener sur le lieu du constat - ce sont des heures de marche -, ils voient la bête, constatent, procèdent à des prélèvements, s'il reste quelque chose.

Lors des premières attaques, lorsque nous n'avions pas de système de protection, le loup tuait cinq, dix, quinze brebis - jusqu'à vingt-huit dans notre département - et en mangeait une. Il y avait les morsures. C'était flagrant. Avec le système de protection, le loup prend deux ou trois moutons - cela dépend de la meute - qu'il dévore complètement. Des constats ont été réalisés uniquement sur du sang et de la panse et des débris d'os quand ils avaient mis « table dans l'herbe ». Au bout de deux jours, le responsable dresse le constat de ce qu'il voit et l'envoie à la DDAF. Il nous laisse un feuillet répertoriant les animaux constatés, ne nous dit rien de ce qu'il a écrit. Nous nous sommes battus pour que les agents ne disent rien, car, au début, c'était le parc du Mercantour qui réalisait les constats. Selon eux, le loup n'était jamais en cause, il s'agissait toujours de chiens. Même lorsque la présence du loup a été avérée, les agents continuaient de dire que ce ne pouvait être le loup, parce que le loup ne mange qu'une ou deux brebis, qu'il n'en tue pas davantage. Et cela bien que nous n'ayons jamais vu de chiens dans le Mercantour ! J'y vis depuis dix ans ; nul n'a jamais vu de chiens dans le Mercantour.

L'agent envoie donc son dossier à la DDAF. Il nous est répondu entre trois et six mois après, selon les périodes. Je commence tout juste à recevoir les réponses au sujet des attaques qui ont eu lieu aux mois de juillet et d'août, justifiant du paiement ou du non-paiement selon que les éléments ont prouvé ou non la responsabilité du « gros canidé ». Il est rarement fait référence au loup.

Lorsque nous ne sommes pas indemnisés et que nous contestons la décision, nous pouvons engager un recours, qui ne donne rien, puisque nous ne pouvons fournir davantage d'éléments ; six mois après l'attaque, nous ne disposons plus de preuves.

La commune de Caussols a pris un arrêté qui a été annulé par le préfet. Celle de Saint-Vallier-de-Thiey, qui était en train de prendre les mêmes dispositions, a évidemment tout stoppé. Les communes font fortement pression auprès des éleveurs. La mairie leur demande de se séparer de leurs chiens, faute de quoi elle ne leur louera plus les pâturages communaux. Des éleveurs se voient contraints de se séparer des chiens. Que faire alors des chiens ?

Sauf à être né dans ce métier, personne ne veut s'installer dans le Mercantour ; c'est facile à comprendre. Les jeunes qui veulent s'installer viennent faire un tour, comprennent les conditions et se disent que ce n'est pas la peine. Ils ne vont pas élever un agneau, le voir naître, le voir grandir - une brebis met deux ans avant d'agneler - pour le voir se faire manger en cinq minutes.

Sur la réimplantation du loup, qu'il soit venu seul ou en voiture, le problème et les difficultés sont les mêmes ! Cela dit, des loups se sont approchés que nous avons pris comme des chiens. Ils ne devaient pas avoir mangé depuis une semaine ou quinze jours. Comparés aux autres, on voyait bien qu'ils n'avaient pas vécu dehors. Certains loups sont prudents, alors que d'autres, à peine entendent-ils et sentent-ils les moutons qu'ils arrivent. Ceux-là se suicident. Cela nous fait penser que, de temps à autre, des loups sont lâchés, mais nous n'avons pas de preuves.

M. Denis GROSJEAN : Je voudrais apporter un complément d'information sur les constats dressés pour le lynx qui n'est pas un animal de plaine ; il ne sévit qu'en zone de montagne ou de piémont. L'éleveur doit apporter la sacro-sainte preuve qu'il s'agit d'un lynx. Le constat se fonde sur l'écartement des dents, sur le fait que la trachée de l'animal tué est en général perforée et que le lynx consomme le gigot en ouvrant, comme au scalpel, la cuisse du mouton en respectant les tendons. C'est le cas typique d'école. Ces preuves rassemblées, la responsabilité du lynx est reconnue. Le problème réside dans le fait que les autres consommateurs naturels de cadavres qui hantent la nature brouillent les pistes. On nous dit alors que la responsabilité du lynx est douteuse ; si le cadavre n'est pas très frais, il n'est pas classé. Si on ne trouve que l'estomac ou la peau, c'est fini, nous n'avons que la perte à subir et aucun recours. C'est arrivé cette semaine : un chasseur est venu m'informer qu'il avait trouvé deux de mes brebis mortes. Lorsque je me suis rendu sur place, je n'ai pas pris la peine d'appeler le garde de l'ONCFS ni le vétérinaire expert, parce que je n'aurais pas été indemnisé et au surplus j'aurais eu à payer la facture du vétérinaire, sans recours aucun.

Je ne sais si la commission auditionnera M. Stahl et M. Vandel de l'Office national de la chasse, qui font autorité dans leur domaine et qui ont des choses à dire sur les constats et les prédations.

A propos du retour du loup, il est un fait surprenant pour un animal qui serait venu spontanément des Abruzzes, à nos amis italiens, de la région de Cuneo ou de la zone frontalière française, il est dit que les loups qui viennent tuer leurs moutons sont des loups de France. La colonisation se serait uniquement développée au sein du parc du Mercantour, en quelque sorte dans un sanctuaire ; au surplus, il aurait recolonisé l'Italie - donc l'Italie ne l'aurait préalablement pas été. En Suisse, on comptabilise cinq loups. Nos collègues suisses ont été informés que les loups venaient de France. C'est du loup mythique du Mercantour que tout est venu.

Je suggère humblement aux membres de la commission de rencontrer nos collègues italiens et suisses. Il me semble important de constater que les problématiques sont très proches.

M. Bernard MOSER : J'apporterai des éléments de réponse à trois questions posées.

Premièrement, je n'ai pas émis de doutes sur les qualités du laboratoire qui réalise les analyses, mais sur la procédure d'expertise. Nulle part ailleurs on ne voit des procédures d'expertise confiées à un seul expert sans possibilité que celle-ci soit contredite. La notion d'expertise contradictoire n'existe pas s'agissant du loup ; c'est pourquoi je propose plusieurs laboratoires, sans pour autant émettre de doutes sur le laboratoire de Grenoble.

Nous avons trouvé les références liées aux attaques d'enfants sur le site international de CNN avec citation des sources et des circonstances du déroulement de ces massacres d'enfants.

Sur la notion de responsabilité, j'avancerai un élément de droit en forme de question : s'il s'avère que les moyens de protection préconisés sont totalement inopérants, tout tribunal peut considérer que le dommage est alors inévitable. Dans la mesure où seule la capture ou la destruction du loup permettrait d'éviter ce dommage, mais que celles-ci sont interdites par la loi, c'est la loi qui devient cause directe du dommage. C'est pour cela que j'ai beaucoup insisté dans ma présentation sur la notion de responsabilité de l'État. Une loi peut être contestée dès lors qu'elle est responsable d'un dommage auquel on ne peut s'opposer. C'est un sujet sur lequel la Confédération paysanne travaille.

M. le Rapporteur : Je suis député des Alpes de Haute Provence. Une grande partie de la circonscription que je représente se situe dans le Mercantour et part du col de Restefond. Elle touche la circonscription de M. Christian Estrosi. Le 18 juillet dernier, nous avons rencontré les bergers du col de Restefond.

Pour avoir siégé au conseil d'administration du parc du Mercantour il y a des années, chaque fois que l'on évoquait la question du loup, on nous répondait qu'il n'y en avait pas, qu'il s'agissait de chiens errants. Le fait fut admis uniquement avec les analyses d'ADN.

Tout le long de la discussion qui a été très enrichissante et très intéressante, j'ai eu l'impression que les mesures de protection variaient selon les départements. Comment peut-on expliquer ces différences ?

Monsieur Perrin, vous qui êtes le Président de l'association des bergers du département des Alpes-Maritimes, combien y a-t-il de bergers ovins en France ? Combien y a-t-il d'ovins tués chaque année pour des causes diverses et en particulier par les loups ? Jusqu'à maintenant, les chiffres varient selon les interlocuteurs.

Monsieur Bruno, à combien estimez-vous le nombre de loups dans le Mercantour ? Le chiffre qui nous a été donné par les scientifiques me semble ridicule au vu des dégâts engendrés chaque année.

Pour régler le problème, il est suggéré, ce que l'on retrouve dans la presse, de limiter l'extension du pastoralisme dans les parcs naturels régionaux, comme le parc du Mercantour. Monsieur Bruno, vous qui vivez dans le parc du Mercantour, qu'en pensez-vous ? Et puis une question abrupte, qu'il faut que nous nous posions ici, tant il est vrai que vos propos ont été nuancés au cours du débat : faut-il tout simplement éradiquer le loup ? Ou préconisez-vous d'autres solutions ?

M. Jean LAUNAY : Ma question porte sur l'exercice du pastoralisme. Les pratiques sont-elles immuables ou évoluent-elles ? Depuis la création du parc du Mercantour, les pratiques pastorales ont-elles changé ou non ? Les parcours sur les estives sont-ils pratiqués par des troupeaux plus importants qu'avant ? S'agit-il d'éleveurs qui étaient déjà installés avant l'arrivée du loup ?

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je voudrais appeler votre attention sur le fait que les problématiques posées par l'ours et le lynx ne sont pas exactement les mêmes que celles posées par le loup. Lorsque nous avons mis en place la commission, on traitait soit du pastoralisme en prenant en compte le loup, le lynx et l'ours, soit on traitait du loup et du pastoralisme. Je crois que si nous voulons faire un travail sérieux, nous ne pouvons mélanger, en regard des spécificités des espèces, tous les problèmes. Je tiens à le faire remarquer, car sinon les personnes auditionnées ne seront pas les mêmes. En effet, pourquoi auditionner en des lieux où le loup est présent plutôt que là où le lynx est présent ? Il faut que nous clarifiions ce problème entre nous à un moment donné.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous le ferons en présence du Président Estrosi.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Bien entendu, mais je préfère le dire, car je crois que la problématique n'est pas la même et que nous ne pouvons nous permettre un travail mal fait sur d'autres espèces.

J'ai entendu toutes les interventions extrêmement intéressantes. Je me tourne simplement vers M. Grosjean pour lui dire que je ne le considère pas comme un Pygmée, pas plus que je ne me considère moi-même comme une Pygmée parce que je suis une élue urbaine et non d'une zone de montagne. J'essaye simplement de comprendre votre problématique et d'apprécier plusieurs éléments. Pour autant, tout le monde est respectable dans notre pays, vous comme moi. Je ne voudrais pas que l'on me fasse valoir que je suis en zone de plaine et non élue de montagne.

M. Denis GROSJEAN : Ce n'est pas ce que j'ai dit.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous avez déclaré vous-même que vous vous considériez comme des pygmées. Je dis simplement que nous ne vous considérons pas comme tels. Vous avez des problèmes et nous sommes là pour les entendre. Vous n'êtes pas particulièrement différents de tout un chacun.

M. Tramier a indiqué qu'il existait des moyens de protection efficaces, d'autres ont dit qu'ils ne l'étaient guère. Je voudrais une clarification. En fonction des personnes qui s'expriment ou de leur vécu, les choses ne sont pas perçues de la même façon.

Y a-t-il des circonstances favorisant ou non les attaques du loup ? Dans la façon d'exercer le pastoralisme, certaines conditions rendent-elles ou non l'attaque du loup plus probable? M. Perrin qui est berger et en permanence sur le terrain a souligné qu'il n'avait jamais connu d'attaques de loups ; en revanche, il a connu celles de chiens errants. Quel est l'impact du chien errant ? Disposez-vous de chiffres ? La problématique est souvent évacuée alors qu'elle existe. Je ne voudrais pas que nous l'écartions.

Quelles sont les causes de mortalité en pourcentage ; quelle est la part affectée aux maladies, à la brucellose par exemple, et celle affectée au loup ? Il faut que nous disposions d'éléments pour avoir une idée précise.

J'ai bien entendu M. Perrin. Les troubles apportés empêchent une bonne reproduction des brebis. C'est prouvé pour toutes les espèces animales, que ce soit les bovins, les poulets, les oiseaux. Les éléments extérieurs perturbent la reproduction, conduisent à des avortements... Monsieur Perrin, vous avez parlé du tourisme. Pour vous tous, y aurait-il un conflit d'intérêts entre le tourisme et le pastoralisme ? Si oui, c'est un élément que la commission se doit de prendre en compte.

M. Christian KERT : M. Spagnou demandait s'il fallait éradiquer le loup. Lorsque vous évoquez les solutions possibles, songez-vous à la dépénalisation du fait de tuer un loup lorsqu'il présente un véritable danger pour le troupeau ou le berger ?

M. Perrin a évoqué les problèmes de formation. Le domaine du Merle se situe à Salon-de-Provence où j'habite. A-t-on commencé dans les modules de formation à préparer les bergers à ce type de situations un peu extrêmes, autrement dit commence-t-on à penser à la prévention dans la formation ?

M. Bernard BRUNO : Il est difficile d'estimer le nombre de loups dans le Mercantour ; disons une cinquantaine.

M. le Rapporteur : Le chiffre de cinq a été avancé.

M. Bernard BRUNO : Dans le Mercantour, six à sept meutes sont reconnues. Nous avons vu des meutes de huit ou neuf loups. On nous dit qu'un loup ne mange que deux ou trois kilos de viande. Or, il est arrivé qu'il ait mangé deux ou trois moutons entiers et rien laissé. C'est dire qu'il n'y a pas deux ou trois loups, mais des meutes organisées.

L'éradication du loup : nous n'osons pas même la demander mais c'est ce qui serait le mieux pour nous.

Je travaille dans le parc du Mercantour depuis vingt ans comme mon père avant moi. Les pratiques n'ont pas changé. La commune met en location une montagne, d'une superficie délimitée, qu'il appartient aux éleveurs de gérer. L'éleveur possède 350 ou 400 moutons, ce qui fait avec les agneaux 700 ou 800 bêtes. Auparavant, il prenait 500 ou 600 brebis en garde pour compléter sa montagne. Il y a des montagnes de mille moutons, des montagnes de 3.000 moutons en fonction des superficies. Il en est ainsi depuis des générations. On montait, on savait que sur telle montagne, on pouvait rassembler 1.000 moutons. Il y avait une adjudication. Celui qui avait un gros troupeau avait besoin d'une grande superficie. Aujourd'hui, on subit une perte économique, parce que l'on ne trouve plus de moutons à prendre en pension dans les zones à loups. On paie pour les superficies occupées même s'il y a moins de moutons regroupés. La montagne que je loue peut accueillir 3.000 moutons mais je n'en fais paître que 2.000. Je perds ce que me rapportaient les 1.000 moutons que je prenais en garde. Cela pour l'aspect économique.

Selon moi, le loup et le lynx sont deux choses totalement différentes. Le loup agit d'une façon, le lynx d'une autre. N'étant pas touché par le lynx, je ne connais pas les problèmes qu'il pose.

Les attaques de chiens existent : on peut sans doute reprocher à nos organisations agricoles de n'avoir jamais défendu les éleveurs contre les attaques de chiens. Je suis touché aux abords de Grasse, à Saint-Vallier-de-Thiey, Caussols..., par les attaques de chiens. Les lois, si elles existent, ne sont pas appliquées : tout le monde laisse traîner ses chiens. Nous connaissons des attaques sur troupeaux. Mais, tout chien qui tue un de mes moutons est mort vingt-quatre heures ou quarante-huit heures après dans le cadre des procédures existantes. Je suis en tort si je tue un chien qui divague, mais s'il tue un mouton, j'ai le droit de l'abattre. C'est la règle. Cela a toujours existé. Mon père faisait ainsi. Même si le propriétaire reprend son chien, le jour où il le relâche on le tue car un chien qui a goûté au sang retourne aux moutons. Un chien peut tuer vingt, cinquante, quatre-vingts moutons, comme cela m'est arrivé. Le lendemain, vous vous postez et tuez le chien. Il y a une procédure, vous payez, mais vous allez dormir tranquille. Votre troupeau reprend les collines tranquilles. Avec le loup, il n'y a plus de tranquillité, parce que si ce n'est pas la nuit, c'est la journée, si ce n'est pas la journée, c'est le matin. Vous ne savez pas : c'est lui qui nous surveille, non le contraire, et c'est lui qui attaque au moment où nous avons une faille. Il attaque, plus souvent par mauvais temps, mais même par grand soleil. On s'est fait mener par le bout du nez. Mes moutons, ils chaument au pied des mélèzes. En été, vous n'allez pas poster un berger au pied des mélèzes pour regarder des moutons dormir. Le loup venait les manger, car il avait trouvé qu'à cette heure-là on les laissait, il nous les mangeait là en plein jour. Les chiens dormaient.

Nous n'avons pas de solution. Trois cents de mes moutons ont été tués par le loup. La plus grosse attaque s'est soldée par la mort de dix-huit moutons ; en général, il en tue trois ou quatre. Il attaque, même dans les parcs clôturés. J'ai cinq patous. Un film de cinquante minutes a été réalisé par le parc du Mercantour sur les attaques ; je puis vous le laisser.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous l'avons visionné.

M. Bernard BRUNO : On peut y voir que les chiens font leur travail, mais ils se font avoir quand même.

J'aurais souhaité que vous interrogiez la personne qui a tourné le film, car dans le reportage de France 3, elle a dit que des images de son film avaient été coupées ; j'aimerais savoir de quelles images il s'agit. Il y a bien des conflits. Ils ont filmé ce qu'ils ont voulu. Nous avons été d'accord pour laisser les moutons pâturer là où ils voulaient, dans la mesure où ils souhaitaient filmer une attaque. A la fin du film, ils ont pris des endroits où il y avait des moutons isolés, avant une crête. Ils ont bien choisi leurs images. Ils ne l'ont fait qu'à leur avantage. A vous d'en tirer les conclusions !

Je reviens maintenant sur les morsures sur homme. Une attaque a eu lieu il y a deux ans à Saint-Sauveur-sur-Tinée. Le berger a déclaré qu'il avait été attaqué par un loup. On ne l'a pas cru. En tant que président, n'ayant pas assisté aux faits, je me suis rendu à la gendarmerie et ai demandé ce qui s'était passé. On m'a répondu qu'il s'agissait de morsures. Le parc du Mercantour a contre-attaqué arguant que c'était les patous du berger qui l'avaient mordu. J'ai sauté sur l'occasion et ai répondu que si nos patous commençaient à nous manger, c'était le comble ! Depuis, plus de nouvelles. Ce ne pouvait être les patous, cela aurait posé trop de problèmes ; cela ne pouvait être le loup, cela aurait posé trop de problèmes. L'affaire est tombée au panier !

Une semaine après, un loup entre dans un jardin. On sait qu'il s'agit d'un loup du Mercantour, un poil ayant été relevé. Quant aux poils sur la veste du berger, près d'un an après, on nous informe qu'ils appartenaient à un chien ou à un chat ! Cela n'est pas très sérieux et il convient de demander des précisions au laboratoire. Si vous pouviez les demander à ma place...!

M. René TRAMIER : Je voudrais répondre à Mme Perrin-Gaillard sur les moyens de protection dont j'ai dit qu'ils étaient efficaces. C'est vrai, pour autant qu'on peut les mettre en place. Dès que l'on sort de ce cadre, il y a prédation. Dès lors qu'il y a prédateur, il y a prédation. On n'empêche pas la prédation. Si on construit un château fort pour y mettre les brebis, elles seront protégées. Sorties de l'enceinte, elles seront attaquées.

On parle beaucoup des chiens errants. Dans notre région, il y a toujours eu présence humaine à côté des troupeaux. J'ignore les chiffres, car ils sont très difficiles à obtenir, mais les attaques de chiens errants sont rares. Quand elles interviennent, elles sont catastrophiques, parce qu'elles se passent dans un parc ou dans une bergerie. La dernière attaque dans mon département a fait 450 cadavres. Mais c'est très rare. Sur nos alpages du sud, il y a toujours eu présence humaine et les chiens, comme l'a dit M. Bruno, ne reviennent pas deux fois, car on leur en retire l'envie.

M. Spagnou a parlé de l'éradication des loups. J'userai d'un terme moins fort : l'enlèvement qui devrait être obligatoire. Le pastoralisme, l'installation des jeunes ne souffrent pas la présence du loup. Comme dans beaucoup de filières, les éleveurs ont entre 55 et 60 ans et vont prendre leur retraite. Dans nos régions, il n'y aura pas de relève. D'ici cinq à dix ans, ce sera catastrophique, la campagne sera abandonnée : il n'y aura plus d'éleveurs pour entretenir l'espace. Il faut en être conscient.

Pour ce qui est des maladies, on a beaucoup parlé de la brucellose, car notre région a été très atteinte. Mais je voudrais vous dire, madame que cette année, sur 680.000 brebis, nous avons seulement abattu trois brebis à cause de la brucellose.

M. Pierre ISNARD : Je suis étonné que vous nous demandiez le nombre de loups ; demandez-le aux agents ONCFS dont c'est le travail.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous vous le demandons aussi !

M. Pierre ISNARD : Nous passons nos journées à compter les brebis, pas les loups ! Demandez-nous combien nous avons de brebis, nous serons en mesure de vous répondre !

Mme Henriette MARTINEZ : Pour avoir une idée précise, il faut que nous demandions les chiffres à tous ceux que nous auditionnons et que nous les comparions si nous voulons être objectifs.

M. Pierre ISNARD : En tant qu'éleveurs, nous ne pouvons procéder à des comptages, excepté sur les zones où nous travaillons. Peut-être pouvons nous avancer qu'un ou deux loups attaquent sur telle ou telle zone, quatre ou cinq s'il s'agit d'une meute, mais nous ne pouvons déterminer le nombre de loups dans l'arc alpin.

Vous avez parlé de la DIREN. C'est la DIREN qui a subventionné le film qui a été tourné chez Bernard Bruno. Je vous parlerai quant à moi du réseau Natura 2000 et des contrats territoriaux d'exploitation. Le pastoralisme a été reconnu par Natura 2000 ; dans mon secteur, le pastoralisme est reconnu pour le maintien de certaines espèces d'insectes. Le loup n'a pas été reconnu, car, à l'époque, il n'existait pas. Il n'était pas présent dans les documents d'objectifs. Quand on me dit qu'il faudrait le maintenir, établir un zonage dans les zones Natura 2000 ou dans les parcs nationaux ou régionaux, j'estime que c'est un grand danger, car il s'agit d'une grande partie du territoire où le pastoralisme est exercé. Les documents d'objectifs Natura 2000 mettaient en avant le pastoralisme, non le loup. Il faut savoir si l'on veut maintenir des coléoptères grâce au pastoralisme ou le loup grâce aux moutons. En ce cas, nous ne sommes plus des éleveurs ni des exploitants, mais le garde-manger du loup et alors l'Etat nous finance - totalement. Nous ne ferions alors que mettre des brebis à disposition du loup.

Les éleveurs ont signé des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) qui engagent les exploitants à appliquer des mesures agro-environnementales, c'est-à-dire du raclage serré avec le troupeau, du gardiennage en parc serré, du gardiennage serré en liberté afin de racler au maximum certains quartiers. Si nous sommes obligés tous les soirs de mettre nos brebis en parcs ou en bergerie, les exploitations qui ont signé des CTE ne pourront pas les appliquer. Il me semble qu'il y a là une politique agricole et une politique environnementale qui entrent en conflit et nous nous demandons où l'on veut en venir : soit on maintient le pastoralisme, nous signons des CTE et recevons diverses primes ; soit on ne parle plus de pastoralisme et on ne donne plus de primes. Voilà.

Sur les constats, il faut savoir qu'en cas d'attaque, le troupeau a tendance à exploser, ce qui induit une perte de temps pour l'éleveur qui doit rassembler les brebis, puis une perte de temps pour retrouver les cadavres. Une fois retrouvés, on appelle les agents constateurs. Le but consiste à retrouver les cadavres rapidement, car les renards, les corbeaux mangent les restes. On ne peut ensuite déterminer l'auteur de l'attaque. Cela incite les éleveurs à employer des méthodes un peu contraires au métier, lesquelles consistent à sélectionner la brebis qui va se faire manger. Ceux qui aiment leur métier ne pratiquent pas cela ; ceux qui sont dégoûtés risquent de le faire.

Selon moi, on doit revoir le barème d'indemnisation. Une brebis de deux ans ne coûte pas le même prix qu'une brebis de huit ans. Une brebis en race sélection ou en race reproduction ne coûte pas le même prix qu'une brebis viande en race classique. Il y a un problème d'indemnisation ; ce n'est à l'avantage ni de l'Etat ni de l'éleveur. Les deux sont floués. Bien sûr, certaines bêtes sont indemnisées au-dessus du prix, les indemnisations sont confortables. Je n'ai pas peur de le dire : pour certaines bêtes, les indemnisations sont confortables, mais les bêtes non retrouvées, celles constatées désignées comme n'étant pas des victimes du loup, le temps que l'éleveur passe à chercher les cadavres ou à mener l'agent constateur sur les lieux, tout cela n'est pas pris en compte. En gros, une mauvaise politique d'indemnisation incite les éleveurs à agir à la limite de ce qui est correct, ce qui est compréhensible, vu le travail et les préjudices non pris en compte.

Je ne reviens pas sur les protections. Je suis d'accord avec M. Tramier : il est des endroits où on ne peut les mettre en place, les terrains étant trop pentus.

Le pourcentage des casses naturelles et des avortements, du stress, de la baisse de fertilité, pour des éleveurs qui font de la sélection, est d'environ 5 % ; en présence du loup, la perte se situe à 10 ou 15 %. Je fais moi-même de la sélection. J'ai subi des attaques l'automne dernier. L'avortement est passé de 5 % ou 6 %, les autres années, à 15 %.

Mme Henriette MARTINEZ : Monsieur Grosjean, pourriez-vous répondre à la question posée par M. Brottes : quel est le lieu et la date de l'abattage d'un loup à l'initiative du ministère de l'Environnement ?

M. Denis GROSJEAN : Je ne m'en souviens pas de mémoire, mais je fournirai la réponse à la commission par courrier. Il s'agit d'un loup présent dans l'Aveyron et qui a été jugé comme malvenu et d'un loup dans les Vosges, celui du Cantal ayant été écrasé sur la route. Mais je me fais fort de vérifier mes dires et de vous les confirmer par écrit.

Je voudrais répondre à Mme Perrin-Gaillard que personne n'est parfait, mais que j'ai choisi ce métier délibérément, parce qu'il me paraissait la forme d'agriculture la plus douce et la plus respectueuse de l'environnement. Je suis moi-même parisien ; j'ai une sensibilité qui rejoint parfois celle des citadins. C'est pourquoi je vis très mal d'être dépossédé de ma vision sur la nature et sur la campagne par des gens qui en parlent uniquement de façon théorique.

Les chiens errants sont un problème que, comme tout éleveur de moutons, j'ai connu. Nous ne l'admettons pas, nous luttons depuis toujours contre les chiens errants avec des moyens parfois extrêmement radicaux. Mais ce n'est pas parce que l'on a le cancer que l'on doit supporter le sida, ce n'est pas parce qu'il y a des chiens errants que l'on doit supporter des prédations de loups et de lynx. De surcroît, les prédations des chiens sont plus occasionnelles.

Je suis du département de l'Ain. Dans la périphérie lyonnaise, mes collègues éleveurs de moutons ont mis la clef sous la porte, ont arrêté l'élevage ovin à cause des attaques à répétition des chiens. C'est pour nous un problème inadmissible et insupportable. Mon élevage connaît une attaque de chiens en moyenne tous les trois ou quatre ans. C'est dramatique, car le chien est une bête brute qui déchire les animaux, qui ne les tuent pas proprement. C'est un stress insupportable. Le lynx quand on se trouve sur son territoire, le loup quand on conduit un troupeau sur le sien persécutent berger et troupeau en permanence. Nous ne disposons d'aucune protection juridique ; bien au contraire, c'est le loup qui est protégé. Quant à dire que l'on va les braconner, les faire disparaître, les tuer... Il y a des tentatives, ici ou là, d'inculper des éleveurs. Je reconnais à mes collègues un droit naturel de légitime défense. Il n'empêche que notre métier c'est d'être berger, d'être éleveur de moutons, non d'être affûteur la nuit. Au reste, nous en sommes incapables. Si c'était aussi facile que cela, il n'y aurait plus de loups, plus de lynx.

Bernard Bruno a évacué le problème du lynx un peu facilement. Sur le fond, il est le même. C'est la décision par les pouvoirs publics de la protection immuable d'un prédateur ; la différence réside dans le fait que l'on ne fait rigoureusement rien concernant le loup, qu'on laisse la situation s'aggraver dans tout l'arc alpin sans aucune limitation alors que l'on obtient de temps à autre des autorisations de prélèvement pour le lynx. Le troupeau connaît alors la paix pendant deux ou trois ans. Cela dit, je suis à la veille de la retraite et je suis incapable de trouver un successeur, non pour des raisons économiques, car le mouton se porte beaucoup mieux économiquement depuis la crise de la fièvre aphteuse en Angleterre. Nous vendons cher les agneaux. Pour ceux qui ont su les saisir au bon moment, les CTE se sont révélés intéressants. Nous sommes reconnaissants envers ceux qui les ont mis en place. Il n'empêche, lorsque vous annoncez à un jeune que l'exploitation se situe dans une zone à loups ou une zone à lynx, il essaye de s'installer ailleurs.

J'en viens au stress des animaux. Les brebis, quand elles sont stressées par des attaques de chiens comme celles d'autres prédateurs peuvent perdre jusqu'à deux fœtus, plus généralement un seul. C'est dire que les brebis agnèlent, mais au lieu de donner 1,5 agneau en moyenne, elles n'en font plus que 0,8 ou un au maximum.

On a dit que les moyens de protection étaient différenciés. Pour le loup, il existe une gamme de moyens de protection, dont l'enfermement des moutons tous les soirs. Dans le nord des Alpes, dans le Jura et dans le secteur à lynx, les troupeaux sont sédentaires dans des parcs clos, il n'y a pas réunion possible du troupeau le soir. Seuls sont préconisés les patous, qui posent des problèmes. Il faut savoir qu'ils tuent les autres chiens, ce qui engendre des difficultés relationnelles avec les chasseurs et autres utilisateurs de l'espace. J'en ai moi-même possédé un pendant un temps ; j'ai eu trop de problèmes avec les voisins. Un jour, ils ont crevé un pneu de leur voiture devant un parc à moutons ; ils ont passé six heures enfermés dans la voiture avec le chien qui tournait autour. Vous pouvez toujours leur expliquer quand vous arrivez que c'est pour protéger votre troupeau contre les prédateurs, quand les enfants ont uriné dans la voiture ... ! C'était des voisins et des amis mais nos relations se sont nettement détériorées à partir de ce jour-là !

Mme Henriette MARTINEZ : Ce sont là des effets induits que l'on ne soupçonne pas toujours !

M. Franck BONNEVAL : Je ne reviendrai pas sur le fait de savoir si le loup est la cause principale de mortalité des brebis. Comme l'a très bien dit M. Grosjean, quand on a le cancer, inutile en plus d'avoir le sida ! Nous avons suffisamment de problèmes comme cela, notamment avec la tremblante à l'heure actuelle.

Je ne pense pas que les éleveurs réclament l'éradication du loup. Nous sommes citoyens et si, après tout, le loup peut vivre dans le Mercantour, pourquoi pas, sans toutefois en subir les conséquences. Nous ne voulons pas que, demain, on tue tous les loups, mais si un loup s'approche d'un troupeau, il faut que nous ayons la possibilité de faire quelque chose. Que ce ne soit pas de la responsabilité des éleveurs me semble logique et qu'un organisme vienne à gérer tout cela serait quelque chose de bien et d'utile. Il conviendrait que les pouvoirs publics prennent leur responsabilité dans cette affaire. Selon nous, les pouvoirs publics et un certain ministère n'ont sans doute pas fait ce qu'il fallait au moment où il le fallait.

Selon les Jeunes Agriculteurs, s'il doit y avoir tir, il doit être fait par des personnes assermentées, afin d'éviter toutes difficultés futures sur le sujet. C'est un moyen de se protéger, car si l'on sait qui tire, on ne sait jamais trop sur quoi on tire.

Une remarque sur un point cher à notre ministre de l'agriculture : le principe de précaution. Si une chèvre ou un mouton est soupçonné d'avoir la tremblante, il faut tuer l'ensemble du troupeau « au cas où ». On ne sait jamais !... si dans vingt ans on prouvait que la tremblante est transmissible à l'homme. Aujourd'hui, on sait que dans certains pays, y compris en France, des hommes ont été attaqués par des loups. Dès que l'on touche à l'humain, le principe de précaution, selon moi, doit s'appliquer. Que ce soit une brebis, une chèvre, une vache, un ours ou un lynx, le problème est le même : qui dit principe de précaution dit éradication.

M. François Marie PERRIN : Le nombre de bergers ovins est évalué entre 700 et 750 ; je ne compte pas les personnes qui gardent des vaches et que l'on appelle aussi bergers.

Sur le nombre de brebis tuées par des loups, je dispose des chiffres qui m'ont été fournis par le parc régional du Queyras : « Bêtes reconnues prédatées par le loup : 464. » Quant aux chiffres sur l'ensemble du territoire cette année, on m'a répondu qu'ils n'étaient pas disponibles pour le moment. Je ne peux pas répondre plus complètement à votre question.

L'exercice du pastoralisme est-il immuable ou en évolution ? C'est un métier qui est immuable dans sa façon de fonctionner. La seule composante qui a introduit un changement est la création des CTE précédemment évoqués : un contrat est signé par un éleveur mais le travail est réalisé par le berger, bien que nous ne soyons pas signataires du contrat. C'est nous qui faisons le travail - je tenais à le souligner.

Mme Henriette MARTINEZ : Précisons que les CTE n'existent plus et ont laissé la place aux CAD.

M. François Marie PERRIN : Ceux qui ont été signés, malheureusement pour nous, iront à leur terme, bien que nous ne soyons pas contre des mesures agro-environnementales.

Le système de garde que nous pratiquons consiste à être en permanence avec le troupeau. Un autre système est en voie de disparition. Les bêtes étaient sur un alpage, l'éleveur venait les voir deux ou trois fois par semaine.

Les moyens de protection sont-ils efficaces ? Je ne considère pas un filet de contention comme un moyen de protection efficace.

Le fait d'avoir les bêtes à proximité de la cabane nous permet une surveillance accrue, ce qui ne nous arme nullement en cas de prédation.

On a parlé des chiens patous. J'en ai deux, j'ai travaillé avec des éleveurs qui en ont. J'évoquais les difficultés de mise en place, car ce n'est pas nous qui y procédons, ce qui ne signifie nullement que c'est plus ou moins bien fait, mais cela a toutefois une incidence : un éleveur a-t-il le temps et la disponibilité de dresser un chien ? Nous ne le savons que quand nous avons le chien. Parfois, les chiens sont efficaces, parfois non. Les chiens jeunes ne sont pas très efficaces, faute d'expérience. Un laps de temps est nécessaire avant qu'un chien puisse remplir totalement son rôle.

Madame Perrin-Gaillard, vous avez évoqué la question du tourisme. Je fais le lien entre les chiens et le tourisme, parce que j'ai volontairement choisi une estive où il y a beaucoup de monde, pour voir comment on pouvait gérer ce problème. Le flux touristique est de plus en plus important, car l'image du berger est vendue comme un produit de la montagne. Nous faisons partie du kit vendu aux touristes. « Ah, il y a une montagne, un berger, c'est sympa ! Vous verrez, c'est très bien. »

Malheureusement, plus il y a de touristes, moins on peut travailler, d'autant que si on a des chiens, cela peut poser des problèmes de confrontation, même s'ils ne sont pas dramatiques. D'après les études réalisées il y a deux ans, les accidents sont extrêmement rares, mais on n'échappera pas au monsieur ou à la dame qui voudra photographier l'un ou l'autre à l'intérieur d'un troupeau, ce qui motivera une intervention plus précise du chien. On n'entre pas dans un troupeau ; il faut savoir qu'un berger ne traverse jamais son propre troupeau. Quand vingt touristes passent par jour, ce n'est pas grave, mais quand leur nombre dépasse le supportable, cela engendre des problèmes.

Les causes de maladie et de mortalité : les troupeaux qui montent en montagne sont indemnes de brucellose, autrement, ils ne pourraient pas monter ; ils sont également indemnes de fièvre aphteuse. Ces maladies doivent être déclarées légalement.

On considère une perte de 1 % du troupeau au titre de la mortalité naturelle comme un pourcentage qui n'est pas excessif. Une brebis peut mourir de mort naturelle, il peut y avoir un accident, une patte mal cassée que l'on ne peut réparer, c'est-à-dire une brebis perdue. On pense que 1 % n'est pas un chiffre défini légalement, mais il est admis communément entre éleveurs et bergers. S'il est dépassé, c'est la marque d'un réel problème.

Vous avez demandé si les futurs bergers étaient informés des conditions dans lesquelles ils allaient travailler, ce à quoi ils allaient être confrontés. Nous avons des contacts avec l'école du Merle à Salon-de-Provence. Nous participons au comité de sélection des futurs candidats et chaque année intervenons pour informer les étudiants des conditions réelles du travail qu'ils auront à effectuer. De plus, les stages que les candidats font chez les éleveurs locaux les placent dans les conditions de travail effectives qu'ils connaîtront plus tard.

Sans pour autant entrer dans les détails, la formation suit le cycle de la brebis. Les personnes qui entrent dans le centre de formation se rendent chez les éleveurs pour participer à des agnelages. Ils suivent le cycle naturel. Ces personnes sont donc informées. Même si les conditions sont difficiles pour un jeune berger et s'il connaît des attaques lors de ses premières estives, il n'est pas totalement démuni, même s'il ne peut répondre. Il sait que cela peut arriver et que l'on fait alors ce que l'on peut.

M. René TRAMIER : Je ne connais pas le nombre de loups qui peut vivre dans le massif ; en revanche, je suis à peu près persuadé qu'il y a des lâchers intempestifs. Nous sommes confrontés à des attaques de bêtes qui ont le comportement de chiens errants. Dans le Loisin, tout le monde disait qu'il s'agissait de chiens, car les personnes estimaient que les

loups n'attaquaient pas ainsi. Suite aux analyses, on nous a informés qu'il s'agissait de loups, du moins d'un loup. Ce sont certainement des lâchers intempestifs de loups de captivité.

Mme Henriette MARTINEZ : Les loups de captivité auraient donc des comportements s'apparentant à celui des chiens.

M. René TRAMIER : Oui, ils ont perdu leur instinct sauvage et ont, en effet, des comportements de chiens. On le voit souvent dans les nouvelles régions colonisées. Les attaques commencent souvent ainsi.

Pour répondre à la question sur le tourisme, je travaille, moi aussi, sur un alpage très touristique. Aujourd'hui, plus il y a de touristes, plus je suis ravi, parce que cela tient les loups à l'écart !

M. François Marie PERRIN : Lorsque j'ai commencé ce métier, on m'a dit à propos des chiens divagants : « Tu tues et tu te tais. »

Nous avons demandé à la préfecture des Hautes-Alpes de prendre des mesures. Des chiens divagants ne sont pas forcément des chiens locaux. Pendant trois ans, j'ai tué des chiens. Je n'avais jamais tenu un fusil de ma vie avant d'être berger. La première année où j'ai eu à faire face à des attaques de chiens, soixante brebis ont été tuées, aucune indemnisation par mes éleveurs. Cela a certainement changé mes méthodes de travail, car je n'avais pas la paix. Il a fallu vingt et un jours pour éliminer ces chiens. Le problème semble parfois occulté. Je ne fais pas d'amalgame entre loups et chiens. Ce sont deux prédations que nous avons à subir. Mais il est un fait : lorsque nous parlons des chiens, nous n'obtenons jamais de réponse.

J'avais demandé qu'en période d'estive, les touristes ou les autres utilisateurs de la montagne soient tenus d'avoir leur chien en laisse, d'autant que ce sont là des dispositions de loi existant déjà. Un chien est considéré comme divagant dès l'instant qu'il est à une centaine de mètres de son propriétaire. Les chiens réagissent à la fuite. Ils dérangent un troupeau, les brebis prennent la fuite et les chiens les attaquent. J'aimerais que l'on mette en place d'autres solutions que celle de tuer des chiens. Cela dit, je ne peux prendre la responsabilité de laisser des chiens traîner sur un alpage avec un potentiel de dégâts élevé. Je n'ai aucun autre moyen que de les tuer.

M. Denis GROSJEAN : Je souligne que nous sommes la seule profession qui s'assure contre les dégâts des autres. Nous nous assurons contre les chiens errants ; les piétons ne s'assurent pas contre les voitures ! Le législateur aurait peut-être aussi quelque chose à faire : les propriétaires de chiens, mutuellement, devraient payer les dégâts occasionnés par leur chien et non nous-mêmes par nos propres assurances !

M. Bernard BRUNO : La brucellose est une maladie contagieuse pour l'homme. Les éleveurs de mon département ont abattu des troupeaux entiers ; mais la santé publique étant en jeu, il n'y avait rien à dire. Notre secteur est inscrit dans Natura 2000. Sur chaque secteur Natura 2000, priorité est donnée aux ovins. C'est un fait rappelé à chaque réunion.

Quant à la gestion de la faune dans le parc du Mercantour, il y a vingt ans, l'on parlait de protéger les bartavelles ou les coqs de bruyère sur certaines zones ; de ce fait, nous n'y allions pas. Nous étions tous d'accord avec le parc du Mercantour. Nous avons consenti des efforts, participé à la protection. Quand, en 1990, le gypaète - grand rapace de trois mètres d'envergure qui ne mange que des os - a été introduit, nous nous sommes demandé d'où viendraient les os. Il nous a été répondu qu'il y en aurait. En fait, les personnes qui nous ont répondu savaient bien ce qui se préparait ! Et leurs propos sont restés marqués dans nos mémoires.

Avec les gardes du parc, l'on se tutoyait. Ils passaient à la cabane, ils buvaient le café et la gnôle, on discutait. Le matin des premières attaques du loup, ils sont arrivés et m'ont tous vouvoyé. J'étais appelé « monsieur » parce que j'avais touché du loup ! Ensuite, nous avons compris que quand ils nous avaient annoncé que les gypaètes mangeraient les os, ils savaient bien qui les fabriquerait !

Le problème du loup n'est pas un problème de sous. Nous ne sommes pas éleveurs pour l'argent, sinon nous aurions essayé de faire un autre métier. L'élevage, c'est un mode de vie, une passion pour les brebis. L'on ne devient pas éleveur du jour au lendemain, il faut avoir cela dans le sang. Dans ce métier, nous n'avons pas de montre et ce n'est même pas la peine de penser aux heures. Quand on embauche des bergers et qu'ils nous parlent des horaires, nous ne savons que leur répondre. Quand le Parlement a voté les trente-cinq heures, nul n'a pensé aux éleveurs ovins. Garder des moutons trente-cinq heures par semaine, cela n'existe pas, pas plus que soixante-dix heures !

On a souvent reproché aux éleveurs de notre département de ne par garder les moutons. Or, nous les gardons dans les zones louées. Il est vrai que nous n'avons pas beaucoup de bergers dans notre département où les éleveurs eux-mêmes gardent les moutons. C'est peut-être pourquoi nous sommes parfois un peu plus agressifs.

Sur les chiens patous, je dois préciser que quand ils voient du monde, ils s'habituent et ne sont plus trop agressifs, mais les gens continuent à en avoir peur. En revanche, quand des chiens, pendant trois mois dans des zones du Mercantour ne voient personne, le premier touriste qui arrive... C'est alors qu'il y a parfois eu des morsures.

S'agissant des chiens qui divaguent, il est vrai que tous les élus que j'ai rencontrés y ont beaucoup réfléchi. Il n'y a pas d'autres solutions que de les tuer. Certains éleveurs les tuent et ne disent rien. Ce n'est pas mon genre. Moi je les tue et je le dis. Pour les moutons, les lois sur la traçabilité exigent un suivi. De même, les chiens devraient tous être tatoués. Or, ils ne le sont pas. Pourquoi ne pas créer un impôt sur les chiens ? Les gens tiendraient leur chien. Et il y a là des sous à prendre !

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je souhaiterais rétablir les choses en matière de brucellose. En 1999, 221 ovins ont été abattus dans les Alpes-de-Haute-Provence pour cause de brucellose, 209 dans les Hautes-Alpes, 148 dans les Alpes-Maritimes. Cela ne signifie pas qu'il en est obligatoirement ainsi aujourd'hui ; simplement, je ne voudrais pas qu'à travers les propos entendus sur le sujet l'on puisse croire que la brucellose n'existe plus.

M. Pierre ISNARD : Les éleveurs ont joué le jeu.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : L'on sait où l'on peut trouver ces résultats. Nous ne sommes pas obligatoirement des experts vétérinaires. Je souhaite que l'on dise les choses jusqu'au bout : il existe encore des cas de brucellose ovine en France, en particulier dans la région PACA. Bien entendu, cette maladie est en régression, mais ne dites pas qu'il n'y a eu qu'un ou deux cas d'abattage.

M. René TRAMIER : Quel rapport avec le loup ?

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Il n'y en a pas. Quand la commission s'interroge sur les causes de mortalité des ovins, elle découvre que le loup en est une, les chiens divaguant en sont une autre, les avortements et les problèmes de maladie peuvent en être une autre encore, les accidents aussi... Je souhaite que la commission aborde l'ensemble des aspects.

Mme Henriette MARTINEZ : Je ne souhaite pas lancer le débat sur la brucellose.

M. Denis GROSJEAN : Pourquoi le huis clos ?

Mme Henriette MARTINEZ : C'est une volonté de la commission, qui s'est prononcée à l'unanimité pour que ses débats aient lieu à huis clos dans la sérénité, afin de ne pas alimenter des polémiques déjà suffisamment nombreuses sur un thème sensible. Ensuite le rapport sera publié.

M. Denis GROSJEAN : Aurons-nous un compte rendu ?

Mme Henriette MARTINEZ : Vous recevrez un compte rendu de votre audition qui vous sera soumis pour que vous puissiez éventuellement le corriger s'il n'est pas conforme à vos propos. Un rapport sera publié avec les auditions en annexe. Pendant la durée de l'enquête, les auditions ne sont pas publiques. La commission d'enquête progresse dans le secret.

M. Frank BONNEVAL : Sur le fait que cette commission soit étendue aux grands prédateurs en général, je sens une divergence entre vous et j'aimerais qu'elle soit précisée dans le compte rendu.

Je suis responsable du dossier Grands prédateurs au niveau des Jeunes Agriculteurs, pas seulement du dossier loup ; à mes yeux, les problématiques lynx et ours sont tout aussi importantes.

Mme Henriette MARTINEZ : Je ne peux que m'exprimer au nom du président Estrosi que je représente ici aujourd'hui en tant que vice-présidente : lors de notre première réunion, la question des autres prédateurs a été posée. M. Estrosi a souhaité que nous étudiions la présence et les dégâts causés au pastoralisme par les autres prédateurs. Très vite, il nous est apparu que parler du loup en tant que prédateur conduisait à se pencher sur les autres prédateurs ; il convient en effet de ne pas sous-estimer les dégâts qu'ils engendrent. M. Bonrepaux et M. Lassalle n'ont pas manqué d'appeler notre attention sur la question des ours.

M. François Marie PERRIN : Quand vous vous déplacerez dans les départements, rencontrerez-vous les bergers ?

Mme Henriette MARTINEZ : Il est prévu que nous rencontrions dans les départements tous les partenaires locaux et l'ensemble des interlocuteurs qui peuvent apporter un éclairage à nos travaux et, naturellement, les bergers.

Je vous remercie.

Table ronde sur le pastoralisme ovin en montagne réunissant 
M. Christian ERNOULT,
chercheur à l'unité de recherche montagne et milieu montagnard du CEMAGREF (Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts) de Grenoble et membre du groupe de travail interministériel sur le pastoralisme,
Mme France DRUGMANT,
ingénieur agronome, membre de la Fédération nationale des parcs naturels régionaux et du groupe de travail interministériel sur le pastoralisme,
M. Jean-Pierre LEGEARD,
ingénieur, directeur du CERPAM (Centre d'étude et de recherches pastorales
Alpes Méditerranée) et membre du groupe de travail interministériel sur le pastoralisme,
Mme Nathalie LACOUR, chargée de mission sur le loup au ministère de l'écologie
et du développement durable et membre du groupe de travail interministériel
sur le pastoralisme,
M. Gérard L'HOMME, président de l'Association française de pastoralisme
et membre du groupe de travail interministériel sur le pastoralisme
accompagné de M. Pascal GROSJEAN, vice-président,
M. René BLANCHET,
président de l'Association européenne de défense du pastoralisme contre les prédateurs

(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 décembre 2002)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

Mme France DRUGMANT : Je représente les parcs naturels régionaux. Ils sont au nombre de 40 en France et couvrent 12 % du territoire. Ils représentent un réseau de poids pour l'agriculture puisque les parcs abritent 61.000 exploitations avec 40 % de surface toujours en herbe.

Deux parcs sont plus particulièrement concernés par le loup, celui du Vercors et celui du Queyras. Deux autres parcs pourraient être à l'avenir touchés par le loup, celui de la Chartreuse et celui du Verdon. Le parc du Mercantour, qui est le plus touché par les loups, est un parc national. Les parcs naturels régionaux sont des projets de développement reconnus par les élus, avec une charte. Ce sont des territoires habités et ils sont donc plus particulièrement concernés par le problème du loup.

J'ai contacté les parcs les plus directement concernés pour connaître leur avis sur le problème. Deux questions ont été plus particulièrement soulevées.

D'abord, l'avenir du programme de prévention et de concertation qui a été mis en place dans ces parcs. Il y a un fort besoin de moyens, notamment financiers, pour pérenniser ces actions qui sont, comme vous le verrez, impressionnantes sur le plan des résultats.

Ensuite, les responsables des parcs insistent sur l'urgence des conclusions de la commission d'enquête, car le problème des loups suscite beaucoup de questions.

Il semblerait que le loup n'ait pas été réintroduit, mais qu'il soit revenu naturellement. Des laboratoires, notamment à Grenoble, ont fait d'importantes analyses semblant prouver que le loup soit revenu naturellement.

Je voudrais revenir rapidement sur le contexte européen, puisque d'autres pays sont concernés par le loup où le nombre de loups est d'ailleurs plus important qu'en France. En effet, il y a environ 3.000 loups en Roumanie, 2.000 en Espagne et 1.000 en Italie. Dans presque toutes les régions de ces pays le loup n'a jamais vraiment disparu. Le problème est plus aigu quand le loup réapparaît puisque les éleveurs ne sont pas préparés à ce retour. C'est le cas par exemple des Appenins.

Il ressort de nombreux travaux, notamment ceux de l'Atelier technique des espaces naturels (ATEN) dont je peux vous transmettre les références, que le trio chiens, bergers, enclos de nuit est un bon moyen de prévenir les attaques du loup.

Les problèmes viennent donc bien du phénomène de réapparition du loup, tel qu'on le connaît en France.

Par ailleurs, le contexte de l'élevage est aujourd'hui assez difficile, puisque la filière ovine est fortement fragilisée. Les pratiques ont changé : les troupeaux sont moins gardés qu'auparavant, il n'y a plus vraiment de systèmes avec chiens de garde. Les conditions de travail des bergers ne sont donc pas faciles. Le loup est un problème supplémentaire pour cette filière.

Je voudrais vous parler maintenant de l'expérience menée dans les deux parcs régionaux où le loup est réapparu. On sait que dans la réserve naturelle des hauts plateaux du Vercors, qui couvre 17.000 hectares avec 16.000 brebis, il y a au minimum deux loups. Dans le Queyras, il y a deux meutes, l'une comptant huit individus minimum et l'autre en comptant deux ou trois.

Le travail sur le terrain de ces deux parcs s'est fondé sur une logique de concertation avec les éleveurs pour mettre en place des chiens de berger (des chiens patous) protégeant le troupeau des attaques, des enclos de nuit, où les animaux sont parqués afin d'éviter les attaques et une mise en réseau des bergers.

Ces systèmes fonctionnent bien puisqu'on a constaté une très forte diminution des pertes depuis leur mise en place. Ainsi, dans le Queyras, 40 brebis ont été tuées en 2001 contre 240 en 2000.

On a aussi constaté que les attaques de chiens errants étaient importantes, notamment dans le Queyras. On confond parfois les attaques du loup avec celle du chien. Le loup apparaît ainsi parfois comme un prétexte pour attirer l'attention sur la filière de l'élevage.

Les expériences de ces deux parcs sont intéressantes car elles ont permis de mettre en place des mesures qui ne concernent pas le seul problème du loup, lequel n'est que la partie émergée de l'iceberg par rapport à tous les problèmes que rencontre la filière ovine. Ainsi, la mise en réseau des bergers dans le parc du Queyras leur a permis de se rencontrer, d'échanger leurs expériences et de se former ensemble.

On a constaté que ce sont les éleveurs qui ne participaient pas au programme qui avaient subi les attaques de loup. Un travail d'accompagnement et de suivi exemplaire a été mené, grâce notamment à l'appui de deux emplois jeunes, occupés par des gens du cru, fils d'agriculteurs, ayant une formation naturaliste. Ils ont notamment expliqué aux éleveurs comment les loups réagissaient.

Il faut se poser la question de l'avenir de la filière ovine, car, je le répète, le problème du loup n'est qu'un épiphénomène.

La filière ovine en France est importante économiquement, mais pas seulement, puisqu'elle touche aussi à la gestion de l'espace, à l'entretien des paysages et à la défense contre les incendies.

Le problème du loup nous donne l'occasion de traiter ces questions de fond. Les deux exemples que je vous ai rapidement présentés démontrent que les solutions existent et qu'elles sont dans la concertation. Les parcs ont associé dans leur démarche les éleveurs, mais aussi les élus.

Dans la réserve des hauts plateaux du Vercors, où des mesures d'appui aux bergers et de mise en réseau ont été appliquées, le nombre d'attaques a diminué entre 2001 et 2002 alors que leur nombre a augmenté en dehors de la réserve. La Fédération nationale des parcs naturels régionaux a pris position en 2000 sur le « Plan loup » en soulignant que la question du loup était liée à celle de l'élevage et qu'il fallait donc continuer à appuyer cette filière. Elle s'est exprimée contre le zonage, c'est-à-dire le fait de cantonner le loup à une zone. Il nous semble que le problème du loup n'est pas un problème naturaliste, mais qu'il s'agit bien d'une question d'agriculture.

M. François BROTTES : Vous parlez de la position de la fédération il y a deux ans. A-t-elle évolué depuis ?

Mme France DRUGMANT : Il n'y a pas eu de nouveaux débats, mais la question pourrait être reprise. Ceci dit, les conclusions restent d'actualité.

M. Jean-Pierre LEGEARD: Je suis directeur du Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (CERPAM), chargé des questions pastorales pour les six départements de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). Cet organisme fonctionne sous la forme d'une association loi de 1901 et a la particularité de travailler depuis maintenant plus de vingt ans avec la profession agricole et le monde des éleveurs ainsi qu'avec la recherche et les gestionnaires des espaces naturels, notamment avec les organismes forestiers, comme l'Office national des forêts ou l'Union régionale des communes forestières, et avec certains parcs naturels régionaux avec lesquels nous avons des relations de partenariat très développées.

La région Provence-Alpes-Côte d'Azur est une des principales régions concernées par les questions pastorales dans la mesure où les espaces pastoraux couvrent 750.000 hectares, selon les estimations de l'enquête pastorale de 1997, et concerne 2.500 éleveurs ovins qui travaillent, dans leur quasi-totalité à un moment ou l'autre de l'année, sur des espaces pastoraux, les alpages englobant environ un millier d'unités pastorales. Tous sont concernés, tout au long de l'année, par la transhumance. Ainsi, en ce qui concerne la transhumance estivale, dont on dit qu'elle est fléchissante, 550.000 ovins utilisent les alpages des Alpes du sud chaque année.

Le pastoralisme en PACA ne se pratique pas qu'en montagne, on l'oublie souvent. Il commence en haute montagne, dans les alpages, pour descendre jusqu'aux bord de la méditerranée. De grands espaces emblématiques, comme La Crau, sont concernés par le pastoralisme, ainsi que les massifs forestiers du littoral varois ou des Alpes-Maritimes. Depuis une dizaine d'années, on constate d'ailleurs que les gestionnaires - collectivités locales, gestionnaires forestiers - font appel aux éleveurs, sous forme contractuelle, afin de faire participer leurs troupeaux aux dispositifs de protection contre les risques d'incendie.

L'investissement du monde pastoral dans tous les schémas de gestion des espaces naturels en PACA est donc très avancé. Il existe de nombreuses opérations locales, sous forme de contrats notamment.

Notre région est la première à avoir connu les problèmes de prédation par le loup, puisque le parc national du Mercantour s'y trouve. Ces problèmes existent depuis maintenant dix ans. Je ne vais pas m'étendre ni me livrer à un descriptif détaillé.

Je me contenterai de vous dire que nous vivons les problèmes posés par la prédation à la fois de l'intérieur dans nos relations avec les éleveurs et de l'extérieur dans nos relations avec les gestionnaires d'espaces naturels, que ce soit les parcs naturels régionaux et nationaux, les réserves ou les dispositifs Natura 2000.

Où en est la question de la prédation dix ans après le retour du phénomène ? Face à l'arrivée des prédateurs, le phénomène se manifeste en plusieurs étapes.

Première étape, les éleveurs sont totalement pris de court par l'arrivée des prédateurs. On en a eu des exemples très récents dans les Alpes-de-Haute-Provence au cours de l'été 2002. Les dégâts sont alors très importants en raison de l'impréparation complète des éleveurs.

Deuxième étape, les éleveurs réagissent et mobilisent tous les moyens disponibles pour se protéger. Le niveau de prédation diminue alors considérablement. Malgré la mise en place de moyens de protection comme les aides-bergers, les chiens patous, les parcs de nuit, le retour systématique des troupeaux en période nocturne avec une surveillance quasi-continue, une prédation structurelle et permanente subsiste dans le contexte montagnard des Alpes du sud ; je pense qu'il est équivalent dans les Alpes du nord. Compte tenu du relief et des conditions de milieux - espaces plus ou moins boisés, espaces embroussaillés - de circulation des troupeaux, il subsiste un prélèvement structurel imparable. Cette prédation structurelle, en nombre d'animaux, reste limitée, mais il faut bien voir que l'éleveur le vit de la même manière qu'un citadin qui saurait qu'il va être agressé quand il sort dans la rue, sans savoir ni quand ni comment.

Cette prédation structurelle s'explique par le fait que tout dispositif de protection, même conséquent, comme c'est le cas de ceux protégeant aujourd'hui la plupart des unités pastorales, a forcément des failles qui s'expliquent notamment par les conditions climatiques, comme le brouillard qui peut faire perdre de vue le troupeau, ou par le milieu naturel, comme des broussailles, qui obligeront le troupeau à s'éclater. Autre exemple : le berger fait descendre en file le troupeau jusqu'à un point d'eau, ce qui facilite l'attaque.

Cette prédation structurelle, je le répète, n'est peut-être pas conséquente, mais elle est systématique et régulière et les bergers en sont bien conscients.

Il faut bien distinguer deux types de situation.

D'abord, celle des alpages, qui est la plus connue, puisque c'est là qu'ont lieu l'essentiel des phénomènes de prédation. Dans les Alpes du sud, selon l'enquête pastorale menée par les services statistiques du ministère de l'agriculture, plus de 80 % des alpages bénéficient de la présence permanente d'un berger conduisant le troupeau. L'absence de berger dans les autres cas s'explique par des raisons économiques : la taille de l'unité pastorale est insuffisante pour assurer le salaire d'un berger, compte tenu des conditions d'emploi actuelles. Le seuil de rentabilité permettant l'emploi permanent d'un berger se situe autour de 1.100 / 1.200 têtes, ce qui est la moyenne de la taille des troupeaux en région PACA.

Une autre situation est celle des zones périurbaines, qui sont concernées par des phénomènes de prédation des chiens errants. Des travaux menés sur ce sujet montrent que le risque de prédation lié aux chiens errants est réel. En alpage, des accidents peuvent arriver de temps à autre, par exemple quand un touriste qui ne tient pas son chien, contrairement à ce qu'impose la réglementation des parcs nationaux, mais ces accidents sont vécus comme tels par les éleveurs. En revanche dans les zones périurbaines, qui sont nombreuses en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, les accidents sont plus importants et plus fréquents, mais, tous les témoignages d'éleveurs convergent sur ce point, le phénomène est rapidement identifié et le problème est vite et définitivement réglé, d'autant plus que le message d'alerte passe rapidement d'un berger à un autre. Dans les zones périurbaines, qui sont assez étendues chez nous, les systèmes d'organisation des troupeaux sont différents de ceux pratiqués dans les alpages où se pratiquent des formules collectives. Au contraire, ce sont des formules individuelles qui sont privilégiées en zones périurbaines, car le pastoralisme se pratique à d'autres périodes de l'année et la taille des troupeaux diminue pour s'établir à 500 têtes environ, la région ayant parmi les plus gros effectifs de France. De ce fait, il y a concurrence entre le gardiennage et les travaux de l'exploitation, qui doivent bien être assurés.

Depuis maintenant vingt ans, dans les zones de moyenne montagne, de plaine et de forêts, on a développé, notamment grâce à l'accompagnement très fort des gestionnaires territoriaux et en s'appuyant sur des avancées technologiques, des dispositifs de gestion des parcours en parc, généralement électrifiés. L'astreinte du gardiennage, quand le grand-père n'est plus là pour aider, a été donc été reportée sur la gestion en parc et la question centrale qui se pose à nous aujourd'hui est de savoir comment faire face aux phénomènes structurels de prédation avec des dispositifs de gestion en parc clôturé où la présence humaine n'est pas permanente, puisqu'il y a seulement une surveillance. Nous n'avons pas vraiment de réponses et des éleveurs se trouvant dans cette situation en sont à se demander si leur exploitation pourra survivre à ce problème. Certes, il ne s'agit pas de phénomènes massifs.

Je voudrais illustrer mon propos par un exemple. Le massif des Monges compte 25 unités pastorales. Il culmine à 1.800 mètres - c'est donc une zone de moyenne montagne - et descend dans les vallées jusqu'à 600 mètres. Les phénomènes de prédation sont apparus il y a quelques années et ont pris tout le monde par surprise, d'autant que le massif est assez éloigné du Mercantour. Nous avons mené un travail de fond avec les éleveurs afin de retrouver les principaux paramètres de la prédation et vérifier le fondement des bruits qui couraient. Nous nous sommes notamment efforcés de faire la part entre la prédation liée aux chiens errants et celle liée au loup. Pour ce faire, faute d'observations directes, nous avons dû nous fier à la mémoire des éleveurs à laquelle il me semble que l'on peut faire confiance, dans la mesure où ils impriment ces phénomènes de façon très précise.

Avant la présence du loup, avérée par les traces et les analyses, le taux moyen de prédation s'établissait à 0,34 % de l'effectif présent sur l'année, ce qui était relativement peu important. Lors de la première année de présence du loup, au cours de laquelle les éleveurs ont été pris par surprise avec des attaques en cascade, le taux a été multiplié par dix. Progressivement, les éleveurs ont mis en place tous les moyens de protection possibles, étant entendu que la prédation s'est reportée sur ceux qui n'ont pas réagi tout de suite. Le taux moyen de prédation est alors tombé à 1 %, ce qui reste tout de même trois fois supérieur au taux que l'on connaissait avant le retour du loup. C'est ainsi que l'on peut faire une différentiation assez nette entre la part du chien et celle du loup, sachant que le massif des Monges se trouve à mi-chemin entre les zones périurbaines et la montagne proprement dite. Ceci pour souligner que le phénomène, une fois installé, est très difficile à surmonter. Aujourd'hui, le phénomène de prédation a tendance à s'amplifier, la presse en a d'ailleurs fait état.

On a effet constaté des accidents dans la région du Haut-Verdon, qui avait jusqu'à présent été épargnée ou qui n'avait été touchée que par la prédation de loups erratiques dont l'incidence sur les troupeaux est équivalente à celle des chiens errants. Je vous parle ici de la prédation liée aux meutes installées, comme dans le cas du Queyras et du Mercantour.

La zone de l'arrière pays grassois, qui abrite de vastes zones pastorales réparties entre la moyenne montagne et des zones périurbaines, a elle aussi commencé à être touchée par des phénomènes de prédation à la fin de l'automne.

Sur le plateau de Canjuers, dans le Haut-Var, pourtant situé en zone militaire où se pratiquent des exercices de tir, la présence du loup, pour le moment sous forme erratique, a été repérée.

Le phénomène est donc en train de se diffuser lentement et notre inquiétude principale concerne les zones intermédiaires.

En alpage, il est vrai que les conditions de travail des bergers sont plus ou moins difficiles. Du fait de l'histoire et de l'évolution des conditions économiques, familiales et sociales, l'alpage est un espace de paix. Les brebis partent en vacances, les bergers avec. Bien sûr, c'est par jour de beau temps que l'on prend des photos et il ne faut pas oublier qu'à partir de la mi-août le brouillard et la neige s'installent. C'est d'ailleurs à la faveur de la détérioration des conditions climatiques que les phénomènes de prédation se multiplient.

C'est dans les zones intermédiaires, où se situent les sièges d'exploitation avec les surfaces pastorales périphériques, que la pression est la plus forte.

M. François BROTTES : Chers collègues, je vous propose que nous passions aux questions après deux orateurs. Si nous écoutons tous les intervenants, nous risquons de ne plus savoir à qui nous voulions poser la question.

M. le Rapporteur : Mme Drugmant, comment expliquez-vous qu'on puisse voir les loups en tout lieu, à tout moment nuit et jour - les témoignages, les photos et les films sont nombreux - alors que l'on sait que le loup est un prédateur très secret ? J'ai été élevé dans la vallée de l'Ubaye et je me souviens de mon grand-père me racontant des histoires de loups sans en avoir vu un seul et pourtant, à l'époque, au début du siècle dernier, il y en avait. Maintenant on les voit partout. Le maire de Saint-Pons m'a raconté qu'il a dû arrêter sa voiture pour laisser passer un couple de loups qui traversait la route à dix heures du soir. Autre exemple, à Saint-Vallier, un loup est entré dans le jardin d'une propriété et il a fallu appeler les pompiers pour l'en faire sortir. Comment expliquez-vous que les loups n'aient plus peur de l'homme ? Ce qui est encore plus dangereux. M. Legeard nous a dit que le loup était arrivé dans le Verdon. C'est préoccupant, car pour y arriver, il faut traverser des autoroutes.

Vous avez dit, Madame Drugmant, que la filière ovine était en grande difficulté. J'ai bien compris que votre rôle était de protéger le loup.

Mme France DRUGMANT : Non, je ne suis pas là pour protéger le loup.

M. François BROTTES. Je vous rappelle que M. le Rapporteur se contente de vous poser des questions, il ne vous fait pas de procès d'intention.

M. le Rapporteur : Pensez-vous qu'il faille sacrifier la filière ovine dans nos départements de montagne pour favoriser le loup ? Nous avons entendu le 17 décembre dernier des bergers, c'était pathétique. Ils subissent nuit et jour ce prédateur.

Sait-on comment les deux loups identifiés dans le Vercors y sont arrivés ? A-t-on pu procéder à des analyses d'ADN pour savoir d'où ils viennent ? Il est important de le savoir.

M. Legeard, pouvez-vous quantifier plus précisément la baisse de la prédation après la mise en place des plans de protection, d'ailleurs extrêmement coûteux ?

Vous avez parlé du massif des Monges. J'ai été conseiller général d'un canton recouvrant une bonne partie du massif pendant quinze ans et je suis maire de Sisteron. Vous nous avez dit qu'avant l'arrivée du loup, le taux de prédation, imputable aux chiens errants, était de 0,34 % et que ce taux a augmenté jusqu'à 3,4 % après l'arrivée du loup pour se stabiliser à 1 % après la mise en place de plans de protection, notamment l'utilisation de chiens patous. Je connais d'ailleurs des éleveurs travaillant à quelques kilomètres de Sisteron, donc tout près d'un centre urbain, qui en possèdent. J'avais des chiffres de prédation beaucoup plus élevés, mais je vous fais confiance, car, dans ce domaine, on exagère souvent.

M. Jean-Pierre LEGEARD : Le taux de prédation de 1 % que j'ai cité a été établi après avoir recoupé les informations des éleveurs avec les données des constats faits par l'administration, étant entendu que ne sont pas seulement pris en compte les relevés de constats. Cette procédure assez lourde suppose le déplacement d'un vétérinaire, ce qui explique que toutes les pertes, mêmes réelles, pas simplement les pertes induites, ne sont pas systématiquement déclarées, les éleveurs, pour une ou deux bêtes perdues, ne redescendant pas dans la vallée pour téléphoner et avertir l'administration. De plus, les animaux perdus qui ne sont pas immédiatement retrouvés après une attaque ne sont pas pris en compte par les déclarations, puisqu'ils ne peuvent faire l'objet d'une expertise. Je tiens l'analyse complète sur le massif des Monges à votre disposition.

La baisse de la prédation intervient après la mise en place de plans de protection effectivement très coûteux. Ces coûts d'ailleurs ne sont pas seulement financiers, mais aussi humains. Il faut souligner l'effort des éleveurs et des bergers. Je ne possède pas de statistiques précises, mais elles vous seront sans doute communiquées par l'administration. Les chiffres cités pour le Queyras ne me surprennent pas. La réduction de pertes est en effet importante et rapide, d'autant plus que les pertes lourdes, dues par exemple à un dérochement et qui peuvent concerner plusieurs centaines d'animaux, disparaissent grâce au renforcement considérable de la surveillance, qui se fait jour et nuit, grâce à la reconduite systématique des troupeaux à proximité des cabanes, grâce aux chiens patous - je souligne au passage que les éleveurs souhaitant agir le plus rapidement possible, n'ont pas toujours utilisé ces chiens de façon très cadrée - et grâce aux parcs de protection.

Les problèmes de prédation ont d'ailleurs agi comme un révélateur et on s'est rendu compte que les infrastructures de base pour toute l'activité pastorale sont considérablement en retard pour répondre aux besoins élémentaires. Je peux ici en témoigner. Dans les Alpes-Maritimes, où notre intervention est très récente, nous avons constaté que les éleveurs distinguent bien leurs conditions de travail et de pratique concrète du pastoralisme -les éleveurs sont très fortement pastoraux dans ce département- et la prédation. Ils nous ont demandé de ne jamais mélanger les deux. Ce qui compte pour eux, c'est leur activité économique. La prédation est un problème supplémentaire, mais ils refusent que l'on règle l'un par l'autre. Nous nous attachons donc, en relation avec les collectivités et les gestionnaires, à mettre en état l'ensemble du territoire pastoral, son organisation et l'articulation conventionnelle avec les gestionnaires pour offrir aux éleveurs des conditions de travail à peu près satisfaisantes et prendre en compte les facteurs environnementaux qui les préoccupent.

Mme France DRUGMANT : Je ne voudrais pas que vous vous mépreniez sur mes propos. Je ne suis pas venue défendre le loup. Au contraire, je suis venue vous présenter le travail réalisé par les parcs naturels régionaux précisément pour aider les éleveurs à lutter contre les prédations. D'ailleurs, les élus souhaiteraient être entendus par votre commission, notamment ceux du Queyras et du Vercors, qui sont plus particulièrement concernés, pour exposer le travail réalisé. Je suppose que cela est prévu.

Pour répondre à votre question sur le fait que les loups se rapprochent sans crainte des habitations, je vous dirais que cela pose un problème, car le loup pourrait peut-être attaquer des enfants. Pour limiter ce risque et rendre le loup craintif par rapport à l'homme, des mesures « d'effraiement » pensées avec les acteurs locaux peuvent être mises en œuvre.

Le bureau du parc du Vercors demande que des dispositions de régulation de l'espèce du loup soient mises en place en cas de problèmes importants de prédation constatés sur les troupeaux et demande également que les critères et modalités de régulation de l'espèce soient définis localement, après concertation des différents acteurs concernés.

Vous m'avez demandé si des analyses d'ADN ont été faites pour déterminer l'origine des loups. Je ne suis pas spécialiste du loup et je vous conseille donc de prendre contact avec M. Pierre Taberlet, du laboratoire de biologie des populations d'altitude de Grenoble, qui a fait une étude très complète sur ce sujet. J'ai posé la question à des spécialistes de savoir si le loup avait ou non été réintroduit et la réponse a été négative.

Les parcs naturels régionaux qui sont habités ont travaillé en concertation avec les éleveurs, les élus et tous les acteurs du territoire pour lutter contre les prédations. Même dans les parcs où le loup n'est pas encore arrivé, comme en Chartreuse, les responsables se préoccupent de cette question qui est importante.

M. Augustin BONREPAUX : J'avais cru entendre que le loup était revenu naturellement. Cela m'interroge.

Il y a quelques années, on a identifié un loup des Abruzzes dans le massif du Madrès, situé dans la partie est des Pyrénées-Orientales. Comment a-t-il pu y arriver ? J'ai déjà posé cette question à M. Pierre Taberlet, puisque c'est lui qui a identifié l'origine de ce loup. J'habite dans les Pyrénées, on parle des loups, mais je n'en ai jamais vu ni même de traces. Pensez-vous que les parcs à loup sont suffisamment réglementés ? Nous en avons un en Ariège, mais il en existe ailleurs en France, en Espagne et dans d'autres pays. Sont-ils suffisamment protégés pour éviter que les animaux s'en échappent ? Pensez-vous qu'une protection insuffisante puisse expliquer la réapparition du loup ?

J'entends souvent dire que le loup est révélateur des difficultés du pastoralisme. Je crois quand même que sur le terrain beaucoup de personnes se sont déjà rendu compte de ces difficultés. A-t-on vraiment besoin du loup pour que les difficultés du pastoralisme et de l'élevage ovin apparaissent ?

Si cela devait vraiment servir les éleveurs, comment expliquer qu'ils se mobilisent tellement malgré leurs faibles revenus ? Je connais des éleveurs de l'Ariège qui sont allés jusqu'à Nice pour participer à un rassemblement ou même à Paris pour expliquer leurs difficultés. Or, ce sont eux qui se sont payé le voyage et il faut savoir que leurs revenus ne dépassent pas les 60.000 francs par an. Ils ont donc bien un problème.

La question qui se pose est de savoir, à un moment où on appelle à la réduction des dépenses, si notre pays peut à la fois soutenir le pastoralisme, en aidant les bergers et en compensant les dégâts causés par les prédateurs, et préserver l'espèce du loup. Notre pays a-t-il les moyens de financer ces deux types d'actions ? Le pastoralisme et l'élevage ovin ne sont-ils pas condamnés à disparaître ?

M. François BROTTES : Certaines questions concernent aussi les intervenants suivants qui pourront y répondre dans leurs interventions.

M. Joël GIRAUD : Je suis député de la deuxième circonscription des Hautes-Alpes dans laquelle se trouve le Queyras. Mes questions s'adressent à l'ensemble des intervenants de cette table ronde.

Je peux témoigner du fait qu'il n'y a pas que deux meutes de loups dans le Queyras. Je me promène beaucoup en montagne et j'utilise beaucoup les axes routiers de ce secteur. Au cours des cinq dernières années, j'ai vu autant de loups traversant la RN 94 reliant Gap à Briançon que de blaireaux ou d'animaux de ce type, mais sur cette question, il y a une chape de plomb en terme d'information. J'ai ainsi appris, 48 heures après, qu'un loup s'était fait écrasé par un 40 tonnes traversant mon agglomération, mais que son corps avait disparu, rendant ainsi impossible toute analyse. J'aurais bien aimé savoir d'ailleurs qui était le conducteur de ce véhicule, car les 40 tonnes ne pouvaient pas circuler ce jour-là dans l'agglomération. J'ai aussi vu un loup traverser l'agglomération de Briançon à 3 heures du matin à la hauteur du point de passage entre le Queyras et les Ecrins.

J'ai donc des doutes, si j'en crois mes propres observations, sur le nombre de loups annoncés dans le Queyras, à moins qu'il n'y ait effectivement que huit blaireaux dans ce parc.

Ceci dit, je partage totalement le point de vue exprimé par M. Jean-Pierre Legeard lorsqu'il dit que les phénomènes de prédation ne concernent pas que les loups, mais aussi les chiens errants. D'ailleurs, les chiens errants ne font pas de dégâts qu'en zone périurbaine puisque la mode est aux chiens de types husky qui sont souvent remis dans la nature après que leur propriétaire se soit aperçu que la cohabitation avec un chien de ce type dans un appartement de dix-huit mètres carrés est difficile. Le problème est sérieux.

Je ne partage pas non plus l'enthousiasme pour les chiens patous pour avoir vu des comportements schizophréniques de la part de ces chiens en alpage, notamment face aux touristes et j'avoue qu'en tant que randonneur je préférerais me retrouver face à un loup plutôt que face à un patou. Je peux ainsi vous citer l'exemple en Isère d'un parapentiste qui s'est fait littéralement dévoré par un patou craignant qu'il s'attaque au troupeau. J'ai donc des doutes sur l'utilisation du patou ainsi que d'autres chiens, comme les Labris dans les Pyrénées qui sont souvent mentalement dérangés.

J'ai eu l'occasion de discuter avec les gens du Queyras et ils m'ont raconté qu'il y a une semaine les habitants de la commune de Ristola ont pu voir six loups traverser le village à la queue leu leu à la tombée du jour. Cela a généré une inquiétude légitime chez les habitants de cette région, qui ont pourtant l'habitude de voir leur chat mangé par un renard qui s'est introduit dans la cave. Les loups, c'est un fait, se rapprochent de plus en plus des milieux habités. D'ailleurs, on peut croiser des loups à la lisière des forêts bordant les lotissements de la deuxième couronne au sud de l'agglomération de Munich.

Je n'ai pas de solution toute faite et je ne suis pas  « anti-loup », mais que ferons-nous quand les loups s'attaqueront à l'homme ? En Allemagne, on a connu le cas de renards ayant mangé un enfant dans une cave en zone périurbaine.

J'aimerais, comme l'a souligné M. le rapporteur, que la question des retours d'informations provenant des analyses ADN, notamment, soit bien posée. La transparence est nécessaire. Les habitants du Queyras, qui ne sont pas des excités prêts à sortir le fusil, m'ont d'ailleurs fait part de leur revendication que des analyses soient faites clairement sur les loups abattus afin de déterminer leur origine.

Il est aussi tout à fait exact que ce sont les éleveurs ayant participé aux programmes de protection qui ont subi le moins d'attaques. Cette politique de territoire est donc efficace, mais ils souhaitent la transparence.

Je voudrais vous faire part d'une anecdote, peu connue. D'ailleurs, si elle l'avait été, il y aurait sans doute eu des poursuites judiciaires. Lors des inondations qui ont dévasté le Queyras il y a deux ans, on n'a pas retrouvé que des morceaux de la scierie d'Aiguilles au fond du barrage de la Maison du Roy, mais aussi des prédateurs avec une corde autour du cou lesté d'une pierre, à l'instar des mafieux marseillais que l'on retrouve dans les Calanques. Pour en arriver à une telle situation, il faut bien que les gens se sentent démunis face au phénomène. La transparence permettrait que les mesures soient prises en tenant compte de l'origine des bêtes, de leur nombre, à mon avis supérieur à ce qui est annoncé, et des dégâts qu'elles peuvent causer.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je voudrais m'adresser d'abord à M. Legeard, qui nous a expliqué qu'avant la présence du loup, 0,34 % des effectifs étaient victimes de la prédation, puis que, dans l'année au cours de laquelle le loup est apparu, ce taux est monté jusqu'à 3,4 % pour se stabiliser à 1 % après que les bergers et les éleveurs aient pris des mesures de protection. Je souhaiterais savoir s'il est possible de déterminer la part des loups et celle des chiens errants et autres prédateurs dans ce taux de 1 %. Cela est important, car on ne peut imputer au loup la totalité de la prédation.

Vous nous avez ensuite expliqué que, grâce aux moyens de protection, la prédation diminuait et que les accidents étaient moins dramatiques, en particulier les dérochements. Pouvez-vous nous donner une estimation chiffrée de la réduction de ces accidents et de leurs conséquences ?

Autre question, que j'ai déjà posée lors de la table ronde du 17 décembre dernier, mais à laquelle personne n'a apporté de réponse : j'aimerais savoir si on a pu identifier les conditions des attaques des loups. S'agit-il de loups nouvellement arrivés ? Quelle est l'influence de la quantité d'animaux ?

M. Legeard a souligné qu'un berger est maintenant présent dès que le troupeau atteint environ 1.100 têtes, mais qu'en deça il n'y en a pas, pour des raisons économiques. J'aimerais que les intervenants nous donnent des informations sur l'évolution du pastoralisme depuis quelques années et qu'ils nous disent quel verrou il faudrait lever pour qu'en dessous de 1.100 têtes, la présence d'un berger puisse être envisageable.

Je voudrais aussi avoir votre point de vue sur les indemnisations, car certains des représentants des syndicats professionnels que nous avons entendus hier les jugent insuffisantes, voire étonnantes.

Ils nous ont aussi dit que la crise de la fièvre aphteuse en Angleterre avait considérablement amélioré la situation de la filière ovine dans notre pays. Pensez-vous que la crise de la filière ovine ait des répercussions sur le pastoralisme en montagne ?

M. François BROTTES : Monsieur Legeard, j'aimerais que vous nous précisiez comment est financée votre association.

Par ailleurs, disposez-vous de statistiques sur les attaques de chiens errants avant l'arrivée du loup ? Je vous pose cette question car on entend dire que ce qui prouve que le loup est arrivé dans un coffre de voiture, c'est qu'il n'y a pas eu d'attaque de loup entre l'endroit où l'on a constaté les premières attaques de loup et le lieu d'où il est censé arriver. Est-ce qu'au cours de cette période préalable à l'arrivé du loup on a mesuré les attaques de chiens ou d'autres prédateurs ?

Troisième question, avez-vous connaissance de dispositifs anti-patous pris par des collectivités locales ?

Dernière question, qui pourra aussi être traitée par Mme Drugmant : est-ce que le loup pourrait contribuer, s'il ne mangeait pas les moutons, à une meilleure régulation de l'équilibre sylvo-cynégétique qui est défaillant, notamment dans les massifs de montagnes ?

M. Jean-Pierre LEGEARD : Je vais vous répondre le plus honnêtement possible, mais je n'ai pas de réponses immédiates à toutes vos questions.

Le massif des Monges est la seule zone où nous avons pu reconstituer un historique relativement précis de la prédation et de la nature des prédateurs. Je ne vous donnerai pas maintenant la part relative du loup et celle du chien errant dans la prédation, je me contenterai d'insister à nouveau sur le fait que le taux de prédation moyen a triplé après l'arrivée du loup, même si celui-ci semble aujourd'hui avoir disparu du massif des Monges.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je pense que la prédation liée aux chiens errants n'était pas la même il y a une dizaine d'années. Je m'en suis rendu compte lors de la mission d'information sur les chiens que j'ai menée. Ce phénomène a évolué.

Si je vous ai bien compris, vous pensez que le taux de prédation de 0,34 % que l'on constatait dans le massif des Monges avant l'arrivée du loup était imputable aux chiens errants et que le loup serait donc responsable de 0,7 % des prédations aujourd'hui.

M. Jean-Pierre LEGEARD : Notre étude, que je tiens à votre disposition, n'est pas remontée à des périodes très anciennes, mais a pris suffisamment de recul. Elle s'appuie sur les témoignages des éleveurs, que nous avons recoupés. S'agissant de prédation de leur troupeau et donc d'un traumatisme, leur mémoire est très précise.

Vous évoquiez les accidents lourds, comme les dérochements, qui peuvent atteindre plusieurs centaines de têtes. Ce sont des phénomènes typiques de l'arrivée brutale de la prédation sur un massif qui n'était pas touché jusque là. Cela a pu aussi arriver ponctuellement avec des chiens errants. Il ne faut pas le sous-estimer, mais c'est en général le phénomène apparent et immédiat dans les questions de prédation. Je ne vous donnerais pas de chiffre. Il faudrait reconstituer toutes les statistiques qui sont tenues par le ministère de l'agriculture. Ces phénomènes sont largement répertoriés.

Ces gros accidents disparaissent une fois que les dispositifs de protection sont mis en place car ils bouleversent les pratiques pastorales en imposant par exemple le retour quotidien du troupeau près de la cabane, avec parc de protection et chien. Auparavant, les troupeaux chômaient sur les crêtes en des points choisis pour que tout le territoire montagnard, et notamment les parties les plus hautes, soient correctement exploités. Aujourd'hui, des quartiers entiers ne sont plus fréquentés ou très peu parce que le risque est trop grand et que les équipements manquent, par exemple une cabane pour ramener le troupeau.

M. Augustin BONREPAUX : Pensez-vous qu'il est possible de ramener le troupeau tous les soirs, même quand il y a du brouillard et que le relief est accidenté ?

M. Jean-Pierre LEGEARD : Le troupeau est ramené, mais des bêtes sont perdues. Je mets au défi quiconque de ramener un troupeau de 1.500 têtes par temps de brouillard sans perdre un seul animal. Les animaux perdus, c'est certain, seront attaqués pendant la nuit.

Mme Perrin-Gaillard a posé une question sur les conditions d'attaque des loups. Je ne peux y répondre. Je peux en revanche vous dire, on l'a constaté dans le massif des Monges, que le loup s'adapte aux moyens de protection mis en place. Ainsi, le loup commence à attaquer la nuit -c'est un prédateur furtif- les éleveurs protègent donc leur troupeau la nuit. Le loup s'adapte et aujourd'hui la plupart des attaques ont lieu de jour, à la faveur des conditions climatiques ou d'un terrain accidenté. Le contexte des milieux pastoraux méditerranéens est ici à prendre en compte : il faut parfois chercher l'eau loin, le milieu peut être plus ou moins embroussaillé, etc. Le savoir-faire et la connaissance du terrain du berger doivent donc être importants.

Sur la question du seuil de rentabilité en terme de taille du troupeau pour l'emploi d'un berger. Dans les zones de plaine, on a affaire à de gros troupeaux d'environ 1.500 têtes appartenant à un seul propriétaire, comme c'est typiquement le cas des éleveurs de La Crau, qui montent jusqu'en Isère et en Savoie. En alpage, du fait de la taille des unités pastorales et des conditions générales d'exploitation de ces zones, des troupeaux de taille plus réduite sont regroupés pour constituer des unités de taille suffisamment conséquente. Plusieurs combinaisons sont possibles : des éleveurs locaux entre eux, des éleveurs locaux avec un transhumant, etc. Un gros travail d'organisation et de regroupement des troupeaux a été mené depuis plusieurs années sur le plan des conditions sanitaires, juridiques et techniques et de l'utilisation des territoires.

La question que je posais était celle du retour sur les exploitations. Je ne parle plus ici de la formule collective pratiquée dans les alpages ou dans les transhumances hivernales, dans certains cas. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, la taille moyenne des exploitations dites professionnelles est de 400 têtes. Pour ces exploitations, l'emploi à temps plein d'un berger est impensable. D'ailleurs, si les techniques de gestion en parc clôturé électrifié se sont développées, c'est bien pour pallier cette difficulté, mais aussi parce qu'elle permet aux gestionnaires territoriaux de faire un travail de gestion pastorale et de gestion environnementale extrêmement fin, surtout quand cette technique est associée à des séquences de gardiennage.

Au-delà de ces aspects techniques, la question est aussi financière. La réglementation pour les aides bergers n'est pas simple puisque l'on attribue des fractions de mois ou de semaines aux éleveurs. Dans le massif des Monges par exemple, des éleveurs ont demandé des aides-bergers pendant les périodes hivernales. On a été obligé de leur dire que, pour 500 têtes et pour une période de deux mois, cela n'était pas possible.

Quant aux effets de la fièvre aphteuse sur la filière ovine, les professionnels que vous avez rencontrés connaissent sûrement ce sujet mieux que moi. Les exportations d'ovins de la Grande-Bretagne vers la France ont été suspendues pendant plusieurs années et les accords d'autolimitation avec d'autres pays comme l'Australie étant contingentés, le prix de la viande ovine a fortement augmenté, d'autant que le marché français est fortement déficitaire sur ce produit. On revient petit à petit, maintenant que les frontières ont été réouvertes, à une normalisation. Les éleveurs, en tout cas ceux de la région PACA, ont profité de ces événements pour promouvoir un discours d'appel à l'installation de nouveaux éleveurs. Cela montre que malgré la crise de la filière de l'élevage ovin - il ne faut pas la sous-estimer, car les revenus sont loin d'être brillants - il y a une volonté très forte d'installer des jeunes pour maintenir l'activité.

On a dit que le loup est le révélateur de la crise du monde pastoral. J'aurais tendance à penser qu'il permet surtout de faire connaître le pastoralisme aux personnes ne vivant pas dans des régions où il se pratique, de démontrer que les éleveurs et les bergers ont des capacités de résistance et d'entendre le cri d'alarme qu'ils poussent pour dénoncer les conditions dans lesquelles ils travaillent.

Je n'insiste pas sur la question des indemnisations. Je pense que d'autres intervenants le feront.

Le CERPAM est financé pour moitié, à parts égales, par le conseil régional et par l'Etat, à travers notamment le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) et le ministère de l'agriculture, et pour l'autre moitié par la rémunération des travaux que nous menons en relation avec les conseils généraux, les collectivités locales et les gestionnaires d'espaces naturels. Nous nous situons au milieu de tous les acteurs. Nous avons donc des relations très développées avec l'ensemble des gestionnaires territoriaux, qui considèrent que le pastoralisme bien dirigé, avec une réelle prestation technique est un élément intéressant. Nous menons aussi des travaux dans le domaine de la protection contre le risque d'incendie. Dans ce domaine, les engagements des éleveurs sont de même niveau que ceux des sapeurs forestiers. Nous demandons aussi aux éleveurs de participer financièrement à nos travaux, ce qui montre qu'ils considèrent que les services que nous pouvons leur apporter ont une certaine valeur. Le CERPAM travaille avec une équipe de dix personnes.

Vous m'avez aussi interrogé sur les statistiques des attaques de chiens errants avant l'arrivée du loup. C'est une vaste discussion. Il n'existe aucune référence nationale, tout juste des bouts d'enquêtes par-ci par-là. La seule référence solide dont nous disposons est celle concernant le massif des Monges, car le périmètre était précis et les interlocuteurs étaient identifiés. Au niveau national, les estimations oscillent entre 20.000 et 700.000 ovins tués par an. Cette dernière estimation semble irréaliste, car avec un tel taux de prédation il n'y aurait plus un seul troupeau en France depuis bien longtemps. La réalité doit se situer à mi-chemin. Le manque d'informations précises sur les attaques de chiens errants avant l'arrivée du loup laisse le champ libre à toutes les interprétations.

Les dispositifs anti-patous pris par les collectivités locales posent de vraies questions. Le patou doit être pris en charge par l'éleveur pendant toute l'année et pas simplement pendant les trois mois d'alpage. Le patou redescend donc avec l'éleveur, souvent dans des zones périurbaines. J'ai eu connaissance, dans les Alpes-Maritimes, d'un arrêté municipal interdisant aux éleveurs de sortir leurs patous alors que le patou ne devrait pas quitter le troupeau. Dans ces conditions, que faire ? Le troupeau doit-il rester en bergerie ? Il y a là une incohérence complète.

Quant à l'équilibre sylvo-cynégétique, je laisserai les spécialistes en parler.

Mme France DRUGMANT : Pour répondre à M. Bonrepaux, je voudrais souligner que les mesures prises pour protéger les éleveurs contre le loup ne sont pas forcément en opposition avec des actions en faveur de l'élevage ovin. Ces deux actions ne sont pas antinomiques. On a pu constater que les mesures appliquées dans le Vercors et dans le Queyras avaient eu un impact très positif sur l'élevage, notamment parce qu'elles ont favorisé la concertation et l'échange.

M. Augustin BONREPAUX : Je continue de penser qu'on n'aura pas les moyens pour à la fois aider le pastoralisme et financer les mesures de protection contre le loup. Je constate que la présence du loup se développe. Il faudrait se poser la question de savoir à qui appartient la nature.

Mme France DRUGMANT : C'est peut-être aussi l'objet de cette commission de statuer sur la régulation et les mesures de protection contre le loup.

M. François BROTTES : Notre préoccupation sur ce point est l'adaptabilité du loup. On constate que ce prédateur arrive à contourner les dispositifs régulièrement mis en place. Le phénomène est donc en évolution permanente et mérite que l'ensemble des acteurs se positionnent en permanence afin de ne pas prendre de retard.

M. Christian ERNOULT : Je suis fonctionnaire du ministère de l'agriculture, mis à la disposition du CEMAGREF. Cet établissement public de recherche travaille depuis deux ans sur une étude pour la direction nature et paysages du ministère de l'écologie. Je ne représente ni ne défends donc personne et j'essaye dans mes analyses d'être le plus neutre possible, autant qu'on peut l'être face à un problème où l'affectif est très présent.

Je vais vous présenter une partie de l'étude sur les systèmes ovins utilisateurs d'espace dans le massif alpin. Elle est fondée sur la dernière enquête pastorale réalisée par les services statistiques du ministère de l'agriculture, à laquelle Jean-Pierre Legeard a fait référence. Cette étude a été réalisée, par interrogation de jurys communaux, en 1996 pour la partie Rhône-Alpes et en 1997 pour la partie Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Sur les dix départements concernés par le massif, le recensement pastoral a permis de décrire très finement un peu plus de 5.000 unités pastorales, sachant que dans l'enquête de cette année, contrairement à celles des années précédentes, nous avons essayé de cerner au plus près possible toutes les surfaces qui pouvaient être rattachées au pastoralisme. Il ne s'agit pas seulement du domaine pastoral d'altitude, mais aussi de tous les espaces pastoraux intermédiaires, tels qu'on en trouve beaucoup, notamment dans l'arrière-pays méditerranéen et dans la région de la Crau et de la Camargue. L'ensemble de ces surfaces représente une part importante du territoire. En région PACA, ces territoires représentent 23 % du total et 13 % dans la région Rhône-Alpes.

Sur la carte que je vous ai communiquée, vous pouvez voir représentées les 5.363 unités pastorales, les unités occupées par les ovins étant figurées en rouge. Celles-ci représentent 49 % de l'ensemble.

Forts de cette exhaustivité, nous avons cherché à déterminer des niveaux de sensibilité à la prédation en mobilisant un certain nombre de paramètres qui étaient présents dans l'enquête.

Les premiers paramètres auxquels nous avons pensé sont le mode de gardiennage combiné avec la présence de clôtures, parcs de nuit, clôtures fixes, etc.

Nous avons également pris en compte la configuration de l'unité pastorale, en particulier sa taille, ainsi que la présence de bois, qui est favorable à une approche des prédateurs.

Nous avons également mobilisé la période et la durée d'utilisation. On sait d'une part que des périodes comme l'automne sont particulièrement propices aux attaques et d'autre part que plus l'unité va être occupée durant une longue période, plus on aura de probabilités de la voir attaquée. Les durées d'occupation vont donc en général de trois mois pour les unités d'altitude à six mois, voire plus, pour certaines unités méditerranéennes.

Dernier critère pris en compte, le multiusage de l'unité en partant du principe que plus l'unité était visitée par des touristes, par des chasseurs, par des pêcheurs, par des activités sylvicoles ou de cueillette, plus les dérangements pour le prédateur étaient importants.

Ces différents paramètres ont été traduits dans une deuxième carte. Elle ne concerne toutefois que les 926 unités d'altitude ovine, puisque, pour un certain nombre d'unités, en particulier celles du bassin méditerranéen, qui sont occupées pendant une longue période, et les unités d'intersaison qui sont occupées avant la montée à l'alpage et à la descente de l'alpage, nous ne disposions pas de critères suffisants pour permettre cette analyse.

Sur ces 926 unités, qui représentent un échantillon non négligeable, nous avons distingués cinq classes de sensibilité à la prédation, symbolisées par des couleurs, le vert foncé représentant une très faible sensibilité et le rouge une forte sensibilité. Nous avons ainsi identifié 5 % d'unités très fortement sensibles. Elles sont localisées dans le Champsaur, dans l'Oisans, dans la Maurienne et dans la Vésubie.

Je prendrais l'exemple d'une de ces zones prédatées, celle de la haute Maurienne. Nous avons analysé cette zone en 1997 puisque l'enquête a été réalisée en 1996 et puisque le loup est apparu en haute Maurienne en 1997. En 1997, huit attaques ont été recensées dans la haute vallée de la Maurienne, notamment sur les communes de Bramans et de Sollière-Sardières. Sur la carte, les attaques sont symbolisées par des étoiles. Six des huit attaques ont eu lieu en dehors du domaine pastoral tel qu'il avait été décrit par les commissions communales. C'est une première interrogation. En ce qui concerne les deux unités attaquées, notre typologie ne fonctionne pas très bien puisqu'une est réputée moyennement sensible et l'autre faiblement sensible.

M. François BROTTES : Elu d'une circonscription voisine, je peux vous dire qu'il y a pas mal de loups dans la région de la Belledonne.

M. Christian ERNOULT : Nous avons donc amélioré le système pour l'année suivante en prenant en compte un nouveau paramètre de sensibilité, la proximité supposée de la meute de loup.

En haute Maurienne, deux ou trois meutes sont localisées sur la commune de Bardonecchia. Les unités à proximité sont plus sensibles que celles qui en sont éloignées. En fond de carte, nous avons figuré le relief, pour avoir une idée des zones de passage. En 1998, il y a eu un peu moins d'attaques dans cette région de la Maurienne. On constate que les unités attaquées étaient celles situées le plus près des meutes sur la commune de Bardonecchia.

En Belledonne, il n'y avait eu aucune attaque en 1997. En 1998, deux loups se sont sans doute installés et ont fait 14 attaques dès la première année.

On aurait pu valider ces observations pour les années suivantes, car, tant en Maurienne qu'en Belledonne, les attaques se sont poursuivies avec une ampleur moindre, mais les changements de pratiques des éleveurs et la mise en place des moyens de prévention ont fait en sorte que les données de l'enquête pastorale ont vieilli prématurément. Nous avons donc abandonné cette piste.

M. François BROTTES : Je voudrais apporter une précision, car notre commission travaille dans la transparence. Dans les années qui ont suivi celles qui sont en référence, on a retrouvé un loup pendu sur la place d'un village et il y a eu d'autres exemples de braconnage. Il faut prendre en compte ces éléments. Je ne sais pas de quelles informations le ministère dispose, mais quand vous nous dites qu'il y a eu moins d'attaques telle année, c'est peut-être aussi parce que des loups ont disparu dans des circonstances troublantes.

M. Christian ERNOULT : En effet, cela fait une dizaine d'années que les estimations s'établissent entre 20 et 30 loups. Or, même avec une reproduction diminuée, la population de loup devrait être bien plus importante.

M. Bonrepaux a parlé tout à l'heure du revenu des éleveurs ovins. Il a cité le chiffre de 52.000 francs. Je vous ai fourni un tableau concernant ces revenus. Les informations qu'il contient sont assez anciennes, puisqu'elles datent de 1996. Elles proviennent du réseau d'information comptable agricole. Ce réseau est essentiellement cadré sur les régions de programme. Par conséquent, un traitement sur l'ensemble des zones de montagne françaises surtout si, comme nous l'avons fait, les informations sont classées par orientations technico-économiques en distinguant les tailles des élevages, représente un travail très important.

Nous avons comparé le revenu agricole dégagé par les agriculteurs et le niveau de subvention. Nous avons distingué les troupeaux de bovins lait, grande taille, taille moyenne et petite taille ; les troupeaux d'ovins lait, grande taille et petite taille ; ceux de bovins viande, grande taille et petite taille ; et ceux d'ovins viande qui correspondent à des effectifs de 350 à 400 brebis.

On constate que les revenus et les niveaux de subvention sont à peu près équivalents, sauf pour les deux systèmes allaitant bovins et ovins où les niveaux de subvention représentent pratiquement le double du revenu agricole dégagé par l'activité. Ainsi, pour les ovins viande, le revenu était à l'époque de 90.000 francs pour 180.000 francs de subvention.

M. Augustin BONREPAUX : Pourriez-vous préciser pendant combien de temps le revenu agricole de la filière ovine est resté stable ? Cette année, il a augmenté.

M. Christian ERNOULT : Les revenus ont en effet augmenté cette année, mais il y a eu la prise en compte des contrats territoriaux d'exploitation, qui pourraient aussi faire augmenter le poste subvention.

M. Bonrepaux a posé une question sur le loup dans les Pyrénées-Orientales. Une étude récente sur la dispersion des loups en Europe du nord est parue. Elle montre que, lors de l'éclatement de la meute, les individus qui partaient étaient en général retrouvés à une distance de 120 à 200 kilomètres du lieu d'origine de la meute. Cette étude concerne certes l'Europe du nord, où les territoires permettent des déplacements plus faciles que dans les zones françaises concernées, mais elle apporte un élément de réponse.

Mme Nathalie LACOUR : Je suis vétérinaire de formation. Je suis chargée au ministère de l'écologie et de l'aménagement durable du dossier protection de la faune sauvage et donc, à ce titre, des grands prédateurs d'un point de vue technique. Mon travail consiste à trouver avec le ministère de l'agriculture des mesures permettant de gérer les prédateurs et en même temps de soutenir le pastoralisme. La politique du ministère auquel j'appartiens est bien de conduire cette politique à deux piliers en trouvant des outils adaptés.

Les mesures de prévention financées par le ministère de l'environnement participent à ce soutien au pastoralisme.

Ainsi, les aides-bergers étaient, jusqu'à cette année, payés à 40 % par l'Europe. Ce n'était pas suffisant, aussi le ministère a rajouté de l'argent, sur ses propres crédits, pour payer des aidesb-ergers dans différents départements. Nous n'avons toutefois pas pu répondre à toutes les demandes. Ces aides-bergers sont présents dans les alpages pour protéger les troupeaux contre les prédateurs, mais ils aident aussi les bergers et les éleveurs dans leurs tâches quotidiennes leur permettant ainsi de se livrer à d'autres activités, comme les fenaisons, ou d'être plus présents lors des périodes d'agnelage. Les aides-bergers favorisent donc l'activité pastorale. Les chiens de protection, qui sont également subventionnés, étaient utilisés autrefois et continuent de l'être même par des éleveurs qui ne sont pas victimes du loup pour se protéger contre les attaques d'autres prédateurs, comme les sangliers ou les renards, qui attaquent souvent pendant les périodes d'agnelage, mais aussi contre les vols de brebis qui représentent une cause importante de disparition des animaux, en particulier dans le sud-est.

En ce qui concerne le rassemblement des troupeaux, certains éleveurs et bergers apprécient ce genre de mesure qui leur permet de regrouper les animaux et de voir ainsi ceux qui sont en bon état physiologique et ceux qui ont des problèmes sanitaires, comme les boiteries.

Le débat sur l'origine de la réapparition du loup est déjà ancien. Il est à noter qu'il existe dans tous les pays dans lesquels le prédateur est présent. La mission d'information conduite par MM. Chevallier et Honde n'avait pas voulu trancher la question, mais s'était prononcée en faveur de l'hypothèse du retour naturel. Le loup a fait son apparition en Suisse à partir d'Italie et en Allemagne, en provenance de la Pologne. Les rumeurs de réintroduction artificielle existent dans tous les pays dans lesquels le prédateur est présent. Il me semble donc que cette question parasite le débat et empêche d'avancer. La vraie question est de savoir comment nous devons gérer la présence du loup.

Le loup est protégé en droit national, en droit européen et en droit international. Il est en effet protégé par la directive Habitats et par la convention de Berne. Celle-ci a été ratifiée en 1989 et est entrée en application en France en 1990. Elle protège le loup, qu'il soit revenu naturellement ou qu'il ait été réintroduit. Le débat sur l'origine du retour du loup doit donc être dépassé.

Je voudrais vous donner quelques chiffres sur la mortalité des ovins en France. Dans les modèles démographiques utilisés par l'AFSSA (Agence française pour la sécurité sanitaire des aliments) et l'INRA (Institut national de la Recherche agronomique), on admet qu'environ 2 % des ovins meurent accidentellement chaque année, ce qui représente 200.000 ovins parmi lesquels ne sont pas comptabilisés ceux qui meurent par exemple dans la période néonatale.

Par ailleurs, selon les chiffres du service public de l'équarrissage, en 2000, 715.000 ovins et caprins ont été envoyés à l'équarrissage et 652.000 en 1999. La différence des chiffres entre 200.000 et 715.000 est due en particulier à la non prise en compte des cadavres d'agneaux dans le premier chiffre. Cela veut dire que plus de 2 % de l'élevage ovin français ne part pas dans les circuits de commercialisation en vue de l'alimentation humaine mais sont détruits chaque année. C'est un chiffre énorme, mais il faut souligner que l'élimination d'ovins par la voie de l'équarrissage est parfois plus intéressante économiquement pour les éleveurs que l'envoi des animaux à l'abattoir. Il faut aussi rapprocher ce chiffre d'un autre, celui des ovins disparus à la suite d'une prédation pour laquelle la responsabilité du loup n'a pas été écartée. Ce chiffre s'établit à environ 2.000 ovins par an. Depuis 2000, la procédure de constatation des dommages et de prise des décisions a changé. En effet, dans certains cas, il était impossible de savoir si la prédation devait être imputée à un chien errant ou à un loup. Désormais, si la responsabilité du loup ne peut pas être écartée, le ministère de l'écologie et du développement durable indemnise les dégâts.

M.le Rapporteur : De nombreux élus se posent la question de savoir si la convention de Berne s'applique de la même manière que le loup ait été réintroduit ou qu'il soit revenu naturellement.

Mme Nathalie LACOUR : Je vous le confirme. Ainsi, la Suisse, qui a ratifié la convention sans réserve, elle en est d'ailleurs à l'origine, se doit de protéger le loup qui est aujourd'hui présent sur son territoire.

M.le Rapporteur : On parle beaucoup des dégâts occasionnés par les loups sur les ovins, mais le loup s'attaque aussi à d'autres animaux, comme les mouflons dans le parc du Mercantour par exemple ou les chamois. Ainsi, des amis ont vu deux loups attaquer un groupe de six chamois et égorger deux d'entre eux. Ces pertes ont-elles pu être évaluées ?

Par ailleurs, avez-vous des chiffres concernant la prédation par les chiens de protection ? En effet, ces chiens s'attaquent au petit gibier, marmottes, renards, lièvres...

Mme Nathalie LACOUR : La prédation des loups sur la faune sauvage apparaît comme un moindre mal et nous voudrions d'ailleurs arriver à ce que le loup se nourrisse essentiellement d'animaux de la faune sauvage. Sur la pression de prédation sur la faune sauvage, je n'ai pas de chiffre en tête. Les scientifiques sauront sans doute vous répondre mieux que moi.

En revanche, une étude a été menée sur les chiens de protection pour évaluer leur prédation sur la faune sauvage. Elle se révèle marginale, puisque environ 1 % de ces chiens sont défaillants. Toutefois, leur nourriture étant difficile à porter jusqu'aux estives, dans certains cas, ces chiens ne sont pas nourris et se nourrissent donc par eux-mêmes en s'attaquant aux animaux qu'ils trouvent sur place.

Dans le parc du Queyras, une expérience intéressante a été faite. Il a été mis à disposition du monde pastoral une brigade composée de trois agents équipés de chevaux afin de pouvoir monter du matériel, dont la nourriture pour les chiens, environ 5 tonnes par été. Un système de radiocommunication a également été mis en place permettant aux bergers de rompre l'isolement qu'ils subissent dans les estives. Ils peuvent en effet, grâce à ce système, se parler et, en cas d'urgence, attaque de prédateur par exemple, demander du secours dans les vallées.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : J'aimerais que vous nous communiquiez, si possible, des chiffres concernant les prédations sur les animaux sauvages.

Lors de la table ronde du 17 décembre, les intervenants ont souligné les troubles indirects que pouvait causer le loup aux troupeaux ovins. Il s'agit de problèmes d'avortement et de problèmes liés à la reproduction.

Chère consœur, j'aimerais que vous me disiez quel est l'impact de la maladie de la brucellose, qui reste endémique et plus importante qu'on ne le pense, sur les avortements. Par ailleurs, pouvez-vous préciser l'impact du tourisme sur le stress des animaux ? J'ai entendu dire que le tourisme avait une influence positive puisqu'il dérangerait les loups. J'ai aussi entendu dire que le tourisme dérangeait les moutons. Il y a là manifestement un conflit d'intérêts et la problématique du pastoralisme est difficile. J'aimerais donc avoir des informations afin que notre commission d'enquête puisse aboutir à des propositions équitables.

M. Jean LASSALLE : Je regrette de ne pas avoir pu entendre les exposés de tous ceux qui se sont exprimés, car ceux que j'ai entendus sont passionnants.

Je voudrais demander à Mme Lacour, représentante du ministère de l'écologie, qui a si bien décrit la complexité de cette affaire, qui imprègne d'ailleurs tous les membres de notre commission, pourquoi le ministère continue à gérer le dossier du loup en circuit si fermé, n'y associant que les milieux associatifs, les lobbies et quelques scientifiques. Pourquoi tenir à l'écart les élus locaux, la représentation nationale et les élus professionnels ? Je suis assez ancien dans l'affaire et j'ai posé la même question à Mme Bigan qui, bien que jeune, travaille depuis longtemps sur le sujet.

N'avez-vous pas le sentiment que nous - je dis « nous » pour être charitable - avons joué les apprentis sorciers dans cette affaire ? La question qui se pose désormais est de savoir comment gérer les loups et non de savoir comment ils sont revenus.

Ne pensez-vous pas que nous sommes en train de commettre les mêmes erreurs avec Natura 2000 ? Pourquoi continuez-vous à gérer Natura 2000 de la manière dont vous gérez le dossier du loup, c'est-à-dire en circuit fermé ? Vous savez très bien, comme l'a d'ailleurs fait remarquer le professeur Pfeiffer, du Muséum d'histoire naturelle, que la convention de Berne n'est pas totalement satisfaisante pour protéger les loups. Elle présente des failles dans lesquelles on pourrait s'engouffrer. Le réseau Natura 2000, lui, est un filet hermétique. Le monde associatif pourrait agir devant la cour européenne et couper la route à tous ceux qui pensent que l'homme a encore son mot à dire et en particulier le droit de vivre en milieu naturel.

M. Augustin BONREPAUX : Je suis d'accord avec Mme Lacour quand elle évalue les pertes en montagne à 2 %, mais je voudrais savoir pourquoi les indemnisations ne tiennent pas compte de ce pourcentage. Il faut justifier et retrouver les bêtes, ce qui est difficile. Pourquoi ne pas simplifier les règles d'indemnisation et les aligner sur le niveau des pertes ?

Vous avez dit que le ministère de l'environnement aide les éleveurs, mais pourquoi ne met-il pas en place des dispositifs définitifs d'organisation de l'élevage qui rendraient plus supportables les prédations ? Je ne vois pas comment un berger gardant un troupeau de 1.500 têtes peut le faire rentrer le soir. C'est possible avec un troupeau de 400 têtes. En multipliant les équipements, on peut couvrir tout l'espace. Au lieu de cela, on voit des aides-bergers et des bergers itinérants. Le système du berger itinérant a été inventé dans les Pyrénées. On ne sait jamais où il se trouve et il arrive toujours après la bataille, même quand l'ours a un émetteur. Les bergers itinérants sont très satisfaits de leur situation puisqu'ils sont payés 8 mois dans l'année et non 4 comme les autres et à un tarif supérieur.

Il me semble qu'il y a trop de loups par rapport aux effectifs de l'élevage. Or, la convention de Berne interdit la régulation. Comment faire dans ces conditions ? La situation pourrait être supportable s'il existait une bonne organisation, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Monsieur le Président, il serait souhaitable que notre commission auditionne un responsable de la mission ours. Je lui demanderais alors pourquoi on consacre autant de moyens à subventionner des associations, que je considère comme des mercenaires du ministère de l'environnement, chargées d'expliquer que la situation actuelle n'est pas préoccupante, et que l'on peut gérer les prédateurs. Ces associations sont notamment composées de bergers itinérants. Il faudra s'intéresser au bien fondé de ces subventions et auditionner les responsables de cette situation.

M. François BROTTES : Monsieur Bonrepaux, je peux d'ores et déjà vous dire que votre demande sera satisfaite.

Mme Nathalie LACOUR : Madame Perrin-Gaillard, je peux vous communiquer des chiffres sur les causes d'abattage d'ovins en France pour cause de brucellose ovine. En région PACA, 6.000 ovins ont été abattus en 1998, soit un coût de 37 millions de francs. Dans le département des Alpes-Maritimes, 434 ovins ont été abattus en 1998 pour cause de brucellose, contre 148 en 1999. Dans les Hautes-Alpes, ce sont près de 1.000 ovins qui ont été abattus en 1998, pour cause de brucellose, et plus de 600 dans le département des Alpes-de-Haute-Provence.

En ce qui concerne l'impact de la prédation sur le stress et les avortements, il est bien pris en compte dans le montant des indemnisations versées aux éleveurs. Dans le cas de troupeaux appartenant à plusieurs propriétaires différents et regroupés en un seul, pratique courante permettant de ne payer qu'un seul berger pour tout le troupeau formé, chaque éleveur perçoit une indemnisation appelée « prime de stress » y compris si aucun des animaux de son troupeau n'a subi de dégâts apparents (blessure ou mort). L'indemnisation moyenne par ovin tué ou blessé est de 1.200 francs. Nous appliquons des quotas en fonction du stade physiologique de l'animal, de son sexe, de son inscription au livre officiel de la généalogie. Une prime de stress est en outre versée à l'éleveur ou au berger. Dans le cas de troupeaux regroupés, par exemple dans les estives afin de bénéficier d'un berger, tous les éleveurs bénéficient de la prime de stress, même si un seul troupeau est attaqué.

Dans le cadre du programme « LIFE », qui est cofinancé par l'Europe, on a cherché à évaluer les conséquences économiques du retour du loup en France. Nous n'avons pas pu trouver d'interlocuteur acceptant de se positionner sur cette question et nous n'avons donc pas pu faire faire d'études pour chiffrer les pertes ni les conséquences du stress sur les troupeaux, comme les avortements provoqués ou les pertes de productivité en lait.

Je dirais à M. Lassalle, qui nous reproche de gérer l'affaire en circuit fermé, que le comité national loup était ouvert au milieu agricole, mais il a été boycotté, en 1999, par les associations professionnelles agricoles. C'était pourtant un lieu de concertation où chacun pouvait s'exprimer qui n'a pas été utilisé. En 2001, lorsque nous avons mis à l'ordre du jour du comité national loup le protocole d'intervention visant à limiter les attaques sur les troupeaux ovins dues à des loups ou à des chiens errants, les deux principaux syndicats agricoles ne sont pas venus.

En ce qui concerne les informations techniques sur le loup, un chargé de communication, qu'on peut joindre par téléphone, répond à toutes les questions. Il travaille à la DIREN-PACA, laquelle a d'ailleurs mis sur son site internet une rubrique spécifique sur le loup où l'on peut consulter les rapports intermédiaires 2000, 2001 et bientôt le rapport intermédiaire 2002, sur le soutien au pastoralisme et la gestion du loup. Vous y trouverez une quantité incroyable d'éléments chiffrés. Je n'ai donc pas l'impression que ce dossier soit géré en circuit fermé, bien au contraire.

M. Lassalle, je ne peux vous répondre sur Natura 2000, car ce dossier ne fait pas partie de mon domaine de compétence.

M. François BROTTES : Certes, mais vous avez le droit d'avoir un avis.

Mme Nathalie LACOUR : Je n'ai pas d'avis non plus.

M. Bonrepaux a suggéré d'indemniser les pertes ovines au-delà des 2 % de pertes annuelles survenant par exemple en estive. Ce système est pratiqué à l'étranger, notamment en Grèce mais n'a pas été retenu en France.

Le système de décompte des animaux avant la montée en alpage puis à la descente ne permettrait pas, à moins de dispositions plus précises à étudier, d'attribuer aux canidés, de façon sûre, le surplus de perte au-delà des 2 % mentionnés, car il faudrait tenir compte des naissances qui ont lieu en estive. Le calcul se complique alors car il faudrait tenir compte du fait qu'une brebis fait de 1 à 3 agneaux par portée mais que la mortalité néonatale peut atteindre 10 à 15 %. En outre, compte tenu que les montants des indemnisations des dommages pour lesquels la responsabilité du loup ne peut pas être écartée sont parfois plus intéressants financièrement que d'autres systèmes d'indemnisation (compagnies d'assurance) il faudrait éviter des dérives prévisibles à ce système (indemnisation pour prédation due à un canidé alors qu'il s'agit d'animaux volés, de pertes exceptionnelles dues à la foudre par exemple ou de prédation due à un autre prédateur...).

Par exemple, en 2001, il y a eu 455 constats de dommage pour 350 dossiers indemnisés. Cette différence entre le nombre de déclarations de dommages et le nombre de dommages indemnisés s'explique par le fait que la prédation n'est pas toujours reconnue. Nous tenons à maintenir les procédures des constats de dommage, bien qu'elles soient lourdes à organiser et donc assez coûteuses, car elles permettent, d'une part, de vérifier la véracité des faits, donc les déclarations des éleveurs et, d'autre part, d'apporter un soutien psychologique aux éleveurs victimes de ces prédations. Une autre raison pour laquelle jusqu'à présent les constats de dommages sont systématiquement réalisés est qu'ils permettent de fournir des informations précieuses exploitées par les scientifiques qui assurent le suivi biologique de l'espèce.

Pour pouvoir indemniser le surplus des 2 % de dégâts, il faudrait que nous soyons sûrs des méthodes d'identification ovine. Or, ces méthodes reposent encore sur une identification par lot, contrairement aux bovins, qui sont identifiés individuellement. Il faudrait être sûr que, à la montée en alpage, tous les ovins soient répertoriés pour pouvoir les compter à nouveau à la descente de l'alpage, ce qui n'est pas évident actuellement.

M. Bonrepaux m'a par ailleurs interrogée sur la régulation du loup. La convention de Berne, en son article 9, permet une régulation des prédateurs, de même que la directive Habitats. Ainsi, le protocole d'intervention visant à réduire le nombre d'attaques sur les troupeaux domestiques, qui a été assorti d'une autorisation de détruire un loup par département pour les six départements concernés, est conforme à la directive Habitats et à la convention de Berne.

M. Jean LAUNAY : Je voudrais vous poser une question, qui s'adresse d'ailleurs aussi aux autres membres du groupe de travail interministériel sur le pastoralisme, pour confronter les réponses qui nous ont été faites sur la pratique du pastoralisme.

Lors de la table ronde du 17 décembre, il nous a été dit que ces pratiques étaient quasi immuables et que les modes d'organisation étaient uniformes sur le territoire. A d'autres moments, nous avons entendu que le massif du Mercantour notamment était envahi en période estivale par des populations de moutons excessives lâchées en estive.

Où est donc la vérité, à supposer qu'il n'y en ait qu'une ?

La création du parc naturel du Mercantour a-t-elle eu une influence sur la pratique du pastoralisme ? A-t-elle été renforcée ? Y a-t-il plus de troupeaux de moutons ?

L'autre question que je voulais vous poser concerne le protocole d'enlèvement d'un loup par département auquel vous venez de faire référence. Bien que ce protocole ait été déféré devant le Conseil d'Etat, considérez-vous que l'affaire est définitivement classée et qu'il est applicable ?

Mme Nathalie LACOUR : Le protocole est applicable et l'Etat a d'ailleurs envoyé une autorisation à chacun des préfets concernés, mais nous sommes en phase de précontentieux avec l'Europe qui considère que, vu l'état de la population de loups en France, elle ne peut être régulée.

M. Joël GIRAUD : Vous serait-il possible de faire un point juridique complet - quitte à nous le transmettre par écrit plus tard - sur les recours des éleveurs en cas d'attaque de leur troupeau ? Comment sont contrôlés les droits de riposte et d'autodéfense ? Qui les détient ? Quel est le rôle de l'ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) ?

Beaucoup d'élus des collectivités territoriales se posent des questions sur le cadre juridique et la légitimité des actions, comme la battue par exemple, visant à mettre fin à des actes de prédation majeure, imputable au loup, mais aussi au chien errant ou à tout autre prédateur. Je souhaiterais avoir des réponses très précises à des cas concrets. Par exemple, quels risques encourt un éleveur qui voit un prédateur fondre sur son troupeau et l'abat d'un coup de fusil ?

M. François BROTTES : J'ai moi aussi le droit de poser des questions. J'en profite donc.

Première question : il paraît que le ministère de l'environnement avait autorisé, voire ordonné, l'abattage d'un loup dans le Massif Central et dans le Jura. En avez-vous eu connaissance ? Cela nous a été dit lors de la table ronde du 17 décembre, je vous demande donc des précisions.

Deuxième question : quelles sont les statistiques dont vous disposez sur le braconnage ? On ne peut nier le phénomène.

Troisième question : d'aucuns disent que le protocole d'intervention et la circulaire sont inapplicables et qu'ils ne sont donc pas appliqués. Ainsi, s'agissant d'une brebis prête à mettre bas, faut-il comptabiliser un ou deux individus ? J'ai eu connaissance d'un cas dans lequel le préfet a considéré qu'il fallait prendre en compte les individus vivants et non pas à naître. C'est un point de détail qui, dans l'application du protocole, peut avoir son importance.

M. Jean LASSALLE : C'est très important.

M. François BROTTES : Quatrième question : quid du financement du programme LIFE l'année prochaine ?

Cinquième question : comment appréciez-vous le danger que représente le loup pour l'homme ? Avez-vous eu des remontées à ce sujet ?

Mme Nathalie LACOUR : Je ne suis pas au courant d'une autorisation délivrée par le ministère pour l'abattage d'un loup dans le Massif Central.

Les cadavres d'une dizaine de loups dont la mort résulte d'un acte de braconnage (par balle, poison ou piège) ont été retrouvés. Au total, c'est une quinzaine de cadavres de loups qui ont été retrouvés depuis le retour de l'espèce sur le territoire français.

J'en profite pour revenir sur un point déjà évoqué, celui du nombre de loups en France. C'est une question tout à fait fondée, mais on ne pourrait y répondre que s'il était possible de les identifier individuellement afin de les suivre et les compter. C'est impossible. En revanche, il est possible d'identifier un nombre minimum de loups. Ainsi, dans le Queyras, on sait qu'il y a au minimum 8 loups. Ces estimations se font grâce à des sorties sur le terrain au cours desquelles on procède à des découpages de territoires de 5 à 15 kilomètres afin d'essayer de repérer des traces de loup ce qui est notamment facilité par la neige. Il faut donc que les conditions d'enneigement soient favorables. Pour avancer un chiffre, il est nécessaire d'avoir, sur les 10 sorties positives enregistrées au cours d'un hiver, repéré au moins deux fois le nombre minimum de loups. Ainsi, dans le Queyras, au cours de l'hiver 2001-2002, on a retrouvé au moins deux fois huit traces de loup différentes en même temps. D'autres systèmes permettent d'apprécier la taille d'une population, comme l'évolution d'une année sur l'autre du nombre de zones de présence permanente et du nombre de zones de présence temporaire.

Quant au braconnage, on en a constaté encore un cas cet été. Cela reste un épiphénomène, puisque de nombreux animaux sont éliminés sans qu'on n'en entende jamais parler, comme ceux qui ont été retrouvés au fond du barrage de la Maison du Roy.

Le problème de la comptabilité d'une brebis gestante pour l'application du protocole d'intervention est nouveau, il ne nous avait jamais encore été soumis. Il faut souligner que ce protocole est parfois critiqué car, avant de pouvoir passer à la phase d'élimination d'un loup, il faut que les mesures de prévention soient mises en œuvre. Certains éleveurs refusent ces mesures de prévention dans les alpages et les estives, considérant qu'accepter la présence de chiens patous ou d'un aide-berger, avec lequel il n'est pas toujours facile de cohabiter vu les conditions d'hébergement, c'est accepter la présence du prédateur. Le préalable de la mise en place des mesures de prévention est pourtant nécessaire, notamment pour justifier l'abattage d'un loup au regard de la réglementation européenne. 

Le programme LIFE sera reconduit d'une année, avec le même financement. La fin du programme est fixée désormais au 31 décembre 2003. Cela nous permet donc d'utiliser des crédits européens qui n'avaient pas été utilisés.

Toutes les études bibliographiques que nous avons menées montrent que le danger que représente le loup pour l'homme est minime. Il n'est cependant pas nul. On a ainsi recensé des cas de prédation du loup sur l'homme en Inde. Il s'agit de petits enfants, âgés de trois à quatre ans, laissés sans surveillance, s'étant éloignés pour aller faire leurs besoins au bout d'un champ. Dans les sociétés anthropisées, aucun cas de prédation n'a été signalé, pas même en Italie ou en Espagne où il y a pourtant beaucoup plus de loups qu'en France. La pratique du pastoralisme en zone de parc est prise en compte, y compris dans les parcs nationaux comme celui du Mercantour. Elle est accompagnée par les agents du parc. D'ailleurs, des parcs de regroupement nocturne ou d'enclos ont été construits, y compris dans les zones centrales du parc du Mercantour. La pratique du pastoralisme n'y est donc pas réprouvée ni limitée.

Vous avez parlé, monsieur Launay, de pratiques immuables. Je ne vois pas bien ce que vous voulez dire, mais il est vrai que, en raison de la présence du prédateur, il a fallu revoir les pratiques.

M. Jean LAUNAY : Je me permets de préciser ma question. Abstraction faite des problèmes posés par le loup, est-ce que la pratique du métier de berger et de celui d'éleveur a changé ? Les pâturages et les mises en estives restent-ils les mêmes ou y a-t-il plus de bêtes aujourd'hui ?

Mme Nathalie LACOUR : La pression du pâturage en certains endroits représente un risque pour la flore sauvage. Le pâturage par les ovins, même s'il contribue à entretenir des espaces ouverts, élimine des espèces florales protégées. En outre, l'évolution des pratiques agricoles et du revenu agricole de la filière ovine a fait que pour des raisons de rentabilité il n'est plus possible de recruter un berger pour des troupeaux inférieurs à 1.200 ovins. Les pratiques pastorales ont donc évolué et ne sont pas immuables, indépendamment de la présence du loup.

M. Jean-Pierre LEGEARD : Je ne pense pas que la pression pastorale sur le parc national du Mercantour, sur sa zone centrale en particulier, ait radicalement changé depuis la création du parc, au début des années 80. Il y a toujours eu des phénomènes de transhumance et une partie des transhumants fréquentant les vallées du parc national du Mercantour sont eux-mêmes originaires des vallées des Alpes-Maritimes.

En revanche, on a assisté dans la zone du parc du Mercantour, et plus globalement dans les Alpes-Maritimes, à un changement radical au début des années 80 dans l'organisation générale des activités d'élevage. Auparavant, le département des Alpes-Maritimes était largement tourné vers la production laitière. Ainsi, l'ensemble de la collecte laitière des Alpes du sud, c'est-à-dire les Hautes-Alpes - gros département bovin - les Alpes-de-Haute-Provence et les Alpes-Maritimes redescendait vers la centrale laitière de Nice basée à Mouans-Sartoux. En raison d'un contexte économique difficile et d'orientations mal choisies, puisque toute la production était convertie en lait UHT sans aucune valorisation, très peu d'éléments de collecte ont subsisté et cette pratique a disparu. Seules quelques petites unités des Hautes-Alpes, de la vallée de l'Ubaye ou de la vallée de Guillaumes restent tournées vers la collecte laitière et sont orientées vers le pôle Rhône-Alpes. Les éleveurs de vaches laitières se sont donc retrouvés face à un problème de réorientation rapide.

Certains ont choisi de se reconvertir dans la transformation fromagère, qui existait déjà, mais qu'ils ont déplacée sur la partie estivale, dans l'alpage. Cette reconversion s'est traduite par une bonne valorisation. Beaucoup de petites unités d'estive, notamment dans le parc du Mercantour, auraient été complètement abandonnées sans ces activités relativement valorisantes. D'autres ont choisi de se reconvertir dans l'élevage ovin. Il faudrait analyser ces phénomènes, qui remontent à peine à une vingtaine d'années, de façon plus précise, car ils ont fortement marqué l'évolution de l'économie agricole des Alpes-Maritimes.

M. François BROTTES : Mme Lacour, quelle est votre réponse à la requête de M. Giraud sur l'encadrement juridique des mesures d'autodéfense que pourraient prendre les éleveurs et les bergers ?

Mme Nathalie LACOUR : J'en ai pris note et je satisferai à sa demande le plus rapidement possible.

M. Gérard L'HOMME : Je suis un enseignant chercheur à l'Ecole nationale des travaux agricoles de Clermont-Ferrand (ENITAC), ce qui me permet d'avoir du recul par rapport à ce problème, puisque je suis d'un autre massif. Je suis agronome, spécialiste du pastoralisme, ce qui m'a amené à présider l'Association française de pastoralisme. C'est à ce titre que je participe, avec Pascal Grosjean, au groupe montagne et pastoralisme et que nous avons été invités à la réunion d'aujourd'hui.

L'Association française de pastoralisme (APF) regroupe depuis 1984 la fine fleur du pastoralisme dans les domaines de la recherche, de la formation et du développement. Elle travaille sur les problèmes qui se posent au pastoralisme et à l'élevage de montagne en formant des groupes de travail. Ainsi, en 1998, l'association a mis en place un groupe dit « grands prédateurs ». Nous allons essayer d'articuler notre exposé en deux parties, puisque la réunion d'aujourd'hui concerne le pastoralisme et le loup. Je vous parlerai plus spécifiquement, en tant qu'agronome, du pastoralisme et de sa nécessité dans le milieu montagnard.

Nous avons mené une étude afin d'évaluer l'importance du pastoralisme qui s'est traduite par l'élaboration d'un document, « Le pastoralisme en France à l'aube de l'année 2000 ». Je le tiens à votre disposition.

Cette étude révèle que 1,7 million d'hectares de massifs montagnards sont concernés par le pastoralisme. Les troupeaux regroupent 430.000 bovins, 1.560.000 ovins, 54.000 caprins et 20.000 équins.

Ces animaux, de par leur nombre et de par la surface concernée, ne peuvent pas passer inaperçus aux yeux des praticiens de l'agriculture, des touristes ou même des loups. Ils sont indispensables au milieu pour différentes raisons. Le milieu pastoral est une flore composée essentiellement d'espèces spontanées et c'est une végétation pâturée qui a sa dynamique propre et qui intègre l'action des troupeaux dans son évolution.

L'action du pastoraliste consiste à choisir les espèces animales les plus adaptées au milieu. Ainsi, je suis plus familiarisé, dans le Massif Central, avec les bovins. Le pastoraliste devra aussi choisir la période d'exploitation, c'est-à-dire la période de végétation, dite période d'estive, et l'intensité et la durée de la pâture permettant d'exploiter cette ressource végétale et d'en assurer la pérennité lorsqu'elle est bien conduite. Le pastoralisme qui n'assurerait pas la pérennité de la ressource fourragère serait bien sûr une aberration. Le pastoralisme doit donc intégrer le milieu, le sol et le climat de la région dans laquelle il va s'exercer. Les systèmes d'exploitation sont donc très variés et sont très adaptés à leur contexte. Ils sont très techniques.

Le pastoralisme, à travers l'utilisation des milieux, a deux fonctions.

La première est évidemment de produire du lait et de la viande. Cette production, grâce notamment aux techniques appliquées et au milieu où elle se pratique, est de qualité, ce qui est très recherché de nos jours. Le pastoralisme a donc une conséquence économique importante à la fois pour la zone dans laquelle il s'exerce et pour les zones où se pratique la transhumance.

La deuxième fonction du pastoralisme est environnementale et sociale, à la fois pour les populations locales et les populations urbaines. Le pastoralisme a une action multiusages. Quelques exemples : les pistes de ski, si elles ne sont pas correctement pâturées, voient se développer les risques d'avalanche, car elles nécessitent une herbe rase ; la maîtrise de la végétation est nécessaire pour certaines activités touristiques, comme la randonnée, qui ont besoin de milieux ouverts, et même pour la chasse, tous les gibiers n'appréciant pas la forêt ou les ligneux ; le pastoralisme joue aussi un rôle au niveau du paysage, par rapport au tourisme ; n'oublions pas non plus son rôle écologique, car il y a des plantes et des insectes qui disparaîtront si l'activité pastorale cesse, rares sont les pelouses qui resteraient à l'état naturel sans les animaux. Les troupeaux sont donc indispensables à la maîtrise de la végétation, à l'évolution socio-économique de ces régions et à la préservation d'un environnement où l'homme a sa place.

Le pastoralisme en tant que technique n'est ni ringard ni passéiste. Ce n'est pas un sous-élevage, c'est une technique qui a su prouver ses capacités d'adaptation car elle sait harmoniser à la fois la tradition et la modernité. Sa réactivité par rapport au problème du loup en est un exemple.

Le problème du pastoralisme et ce que l'on appelle la crise ovine résultent du fait que la fonction de production est rémunérée, même mal, mais que la fonction liée à l'environnement et aux activités socio-économiques est très peu prise en compte, si ce n'est à travers les systèmes de primes et d'aides qui ne touchent pas directement l'éleveur.

Pour conclure, je voudrais vous faire part de mon sentiment en tant qu'animateur de l'Association française de pastoralisme et en tant que citoyen.

Les gros efforts d'aménagement qui ont été faits en matière de pastoralisme et qui ont concerné tous les massifs de France, y compris le Massif Central, mais dans une plus large mesure les Alpes et les Pyrénées ont été conçus à un moment où le loup n'était plus présent. Ainsi, les bâtiments et les parcs n'ont pas nécessairement été construits aux endroits de moindre risque.

Le retour du loup naturel ou pas, en raison de ses conséquences économiques et sociales, mais aussi psychologiques, puisque des éleveurs quittent leur métier à cause du loup, et cela ne se rémunère pas, est incompatible avec l'activité pastorale telle qu'elle est pratiquée dans nos montagnes.

On doit raisonner à l'échelle européenne pour résoudre le problème du loup, et l'on s'aperçoit alors que le loup est loin d'être une espèce en voie de disparition.

Je voulais surtout insister sur le fait qu'il faut prendre en compte les particularités du pastoralisme sans se focaliser uniquement sur le loup.

M. Pascal GROSJEAN : Je vais intervenir en tant que coordinateur de notre groupe de travail sur les grands prédateurs pour la partie loup.

Notre groupe de travail étudie ces questions depuis 1998. On a pu observer que le retour du loup, d'origine italienne, était prévisible. Le premier problème auquel nous nous sommes heurtés est le manque d'informations, notamment en direction du monde de l'élevage qui, pour reprendre une formule du sénateur Amoudry, s'est senti méprisé par l'administration.

On nous a souvent dit qu'il y avait un manque de connaissance sur l'arrivée du loup dans le secteur s'étendant de Gênes aux Alpes du sud. Peu de chercheurs italiens travaillaient sur cette zone. Il s'agit d'un arrière-pays peu peuplé, essentiellement forestier avec peu d'élevage et beaucoup d'ongulés sauvages. Les indices que l'on a retrouvés dernièrement, dont les premiers datent de 1985, attestent que la colonisation par le loup s'est faite dans cette zone par des bonds de plusieurs centaines de kilomètres, le lynx progressant différemment. Le loup laisse ainsi des espaces vacants, mais qui sont comblés trois ou quatre ans plus tard. On a pu observer ce phénomène sur la chaîne alpine en France.

La question de l'origine du loup m'amène à parler des analyses génétiques. Celles auxquelles a procédé le laboratoire Taberlet ont dressé des cartes d'identité. Il serait souhaitable d'avoir les cartes d'identité des loups se trouvant dans les parcs afin de savoir où ils vont.

Il semble bien que l'arc alpin est en train d'être colonisé par les loups, j'en ai discuté récemment avec un collègue suisse. Parallèlement, un autre axe de colonisation, de la plaine de Venise jusqu'à la Suisse, le long d'un fleuve dont toutes les berges sont classées en espace naturel protégé, est un train de se développer. Il s'agit d'un ancien axe de passage des loups, entre l'Italie et la Suisse, connu depuis des siècles.

Dans notre domaine, nous avons principalement à notre disposition des études nord-américaines qui portent sur des populations différentes des loups italiens. S'agissant de la question du loup en Italie, il est le plus souvent admis qu'il pose peu de problèmes pour les troupeaux dans le Abruzzes. Toutefois, un collègue, Davide Cugno, a récemment publié une thèse sur les troupeaux à viande dans cette région concluant que les problèmes rencontrés par les éleveurs italiens de troupeaux à viande sont identiques à ceux rencontrés par les éleveurs français.

La présence du loup peut être décelée et évaluée grâce à plusieurs indices. D'abord, le loup se focalisant surtout sur les ongulés sauvages, la présence de carcasses dans les massifs forestiers est révélatrice. Ensuite, la rapidité de l'exécution du plan de chasse, notamment concernant le chevreuil. Ainsi, plus un plan de chasse s'exécute rapidement, plus la dynamique de population est importante. Si le plan de chasse se réalise sur un délai plus long au cours de la saison de chasse, c'est qu'il y a eu une diminution de la population d'ongulés sauvages.

Dans les zones où le loup semble s'être installé, les études démarrent et permettront d'avoir une connaissance plus fine des populations de loups.

Je voudrais maintenant vous parler des conséquences des attaques de loups sur l'élevage.

Les attaques entraînent en premier lieu des pertes : pertes directes, pertes indirectes et pertes induites.

Les pertes directes concernent les animaux morts, les animaux disparus et les animaux blessés puis abattus.

Les pertes indirectes concernent les animaux blessés à soigner -ovins et chiens de protection- entraînant des frais de vétérinaires ; les dégâts matériels, sur le parc notamment ; les problèmes d'avortement, qui ont déjà été évoqués ; les baisses de fécondité dues au stress ; les perturbations des périodes d'ovulation provoquant des allongements des agnelages et donc plus de travail pour les éleveurs ; les pertes d'efficacité du travail de sélection.

Les pertes induites concernent la baisse de la qualité provoquée notamment par les descentes anticipées des bêtes dans des secteurs où la prédation est élevée ; la baisse de capacité d'investissement de l'éleveur ; le temps passé par l'éleveur à rechercher les brebis disparues ou mortes, à élaborer les constats, à redescendre dans la vallée pour téléphoner, à procéder aux démarches administratives de remboursement, à rechercher de nouvelles bêtes pour remplacer les anciennes ; les frais divers représentés par les déplacements, par le coût financier provoqué par le retard des remboursements administratifs et par la baisse de certaines primes.

Les attaques des loups peuvent aussi provoquer une atteinte émotionnelle de l'éleveur qui doit vivre avec un sentiment d'impuissance et une remise en cause de l'utilité de son travail à la fois économique et environnemental, surtout pour ceux travaillant en zones protégées dans lesquelles l'élevage permet la pérennisation de la biodiversité.

Les attaques perturbent la seconde activité chez les pluriactifs et perturbent aussi la vie familiale, car les éleveurs à la tête de petits troupeaux n'ont souvent pas les moyens d'employer un berger.

Les attaques ont enfin des conséquences plus globales, comme une tension perceptible au cours des discussions sur le dossier ; une baisse de dynamisme des éleveurs ; une diminution des mises en pension, un éleveur aura tendance à ne plus confier ses bêtes à un berger installé dans une zone à loups ; une baisse des reprises d'exploitation, car il n'est pas évident d'installer un agriculteur dans une zone prédatée, à moins de lui donner des incitations, comme cela se fait en Italie ; un abandon par les éleveurs de certaines zones impossibles à protéger.

Les attaques de loup ont toutefois eu quelques effets positifs, comme une plus grande médiatisation du pastoralisme montagnard, une plus grande attention portée par les pouvoirs publics, comme en témoigne la mission ministérielle  et une augmentation des aides techniques et financières.

Je voudrais dire quelques mots sur les conditions de travail des bergers et des aides bergers et notamment sur leur logement, qui avait attiré l'attention de l'inspection du travail. Je citerai un exemple. Nous avions installé une banquette clic-clac pour gagner de la place. L'inspecteur du travail a estimé que c'était dangereux, car l'aide berger pourrait s'y coincer les doigts, et qu'il fallait donc installer un lit fixe, ce qui nous obligeait à faire une rotation d'hélicoptère pour faire monter le lit jusqu'à l'alpage.

Un autre problème est celui de la mise en conformité du bâtiment avec le POS (Plan d'occupation du sol), désormais PLU (Plan local d'urbanisation). Ce sont souvent des bâtiments en bois démontables, puisqu'il faut les monter jusqu'à l'alpage. Nous devons aussi faire face à des problèmes d'assainissements - comment gérer les rejets ?- de permis de construire ; de rassemblement des troupeaux, puisque l'emploi d'un berger n'est rentable qu'à partir d'environ 1.200 têtes, mais il y a heureusement des aides. La rénovation de chalets d'alpage pour l'installation d'un berger nécessite des délais trop longs, d'environ six mois, devant la commission des sites.

Les chiens de protection doivent faire l'objet d'un suivi. C'est important pour mieux les connaître. Quant aux animaux à problèmes, nous conseillons leur élimination.

Les gros dégâts, par exemple plusieurs centaines d'animaux dérochés, représentent des coûts induits importants : dans le cas d'un dérochement par exemple, il faut des rotations d'hélicoptère pour éliminer les animaux.

Je voudrais maintenant aborder rapidement la question du coût de la protection à travers un exemple, celui de la Savoie. On y trouve 165 unités pastorales ovines, dont 110 ont été estimées comme étant à risque. Le coût annuel de protection, y compris les indemnisations, a été estimé à 1,8 million d'euros par an, ce qui représente à l'échelle de la population savoyarde une place de cinéma par an et par habitant.

Notre groupe de travail insiste sur l'importance de la formation, des éleveurs, des bergers et des aides bergers.

En conclusion, j'insisterais sur quelques points.

D'abord, la prévention est préférable à la protection. Ensuite, il faut une information claire et des moyens financiers adéquats. J'ai lu une étude faisant un parallèle entre deux animaux emblématiques de la protection de la faune, la baleine et le loup. Elle fait remarquer qu'une recherche sur la baleine sur internet affichait beaucoup moins de résultats qu'une recherche sur le loup, en anglais comme en français. Ainsi, en français, il y a près de 5.000 pages web concernant le loup contre 1.500 pour la baleine.

A travers la question du loup, c'est aussi celle de la biodiversité qui est en cause. Nous préconisons des diagnostics prenant en compte l'ensemble des facteurs, du plan de pâturage aux moyens de prévention et de protection.

Nous sommes préoccupés par le problème de la disparition des petits troupeaux et par ceux que risque de poser l'arrêt du programme LIFE.

Nous avons réalisé une étude sur les coûts liés à la présence du loup pour les petits élevages ovins. Quel que soit le système ovin, le surcoût est de 50.000 à 60.000 francs par an, ce qui, compte tenu de la faiblesse des revenus dans cette filière, est très important.

Il faut aussi poser la question du financement des services pastoraux et celui de l'Association française de pastoralisme qui remplit des missions de service public et joue le rôle d'organisme ressource.

M. René BLANCHET : Je suis président honoraire de la chambre d'agriculture de l'Isère et ancien maire de La Murette. Je suis aussi président de l'Association européenne de défense du pastoralisme contre les prédateurs. On parle beaucoup du loup, mais il ne faut pas oublier le lynx et l'ours.

En 1997, année au cours de laquelle le loup du Mercantour est remonté par le Queyras pour arriver en Belledonne, j'ai pris l'initiative, en tant que président de la chambre d'agriculture de l'Isère et avec le président de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, de mobiliser les éleveurs et d'instaurer le dialogue. Nous avons donc réunis l'ensemble des acteurs, chambres d'agriculture et syndicats d'éleveurs ovins. Notre initiative est intervenue après le rapport parlementaire Honde-Chevallier. J'avais été déçu par l'attitude du ministère, qui m'avait dit que les députés pouvaient toujours discuter, mais que c'était le gouvernement qui décidait. C'était faire fi des parlementaires. Nous entendions les responsables politiques et administratifs dire que, dans tous les autres pays, le loup ne posait pas de problème. Nous avons donc décidé d'organiser une réunion européenne à Nice, à laquelle M. Estrosi était d'ailleurs présent. Tous les massifs français y étaient représentés, ainsi que l'Espagne, l'Italie, la Suisse, l'Allemagne et la Norvège. Tous les intervenants européens ont dit qu'ils croyaient qu'en France, tout se passait bien.

Mme Drugmant nous a dit que dans le Vercors, il n'y avait pas de problème. Excusez-moi, mais vous êtes à Paris, alors que je suis à quelques kilomètres du parc du Vercors.

Mme France DRUGMANT : Je ne parlais pas du parc, mais de la réserve.

M. René BLANCHET : Je vous rappelle que, ces huit derniers jours, il y a eu trois attaques de loups dans le Vercors : deux à Monestier-de-Clermont et une à Chichilianne. Ces attaques ont d'ailleurs eu lieu à proximité d'habitations, ce qui a amené le conseil général à agir en demandant au préfet et aux ministères que le loup soit abattu.

J'ai ici des photos de bêtes tuées par un prédateur sur lesquelles on voit très bien qu'il s'agit d'un loup et non d'un chien errant. Le loup s'attaque à la gorge et mange le cœur et les poumons de la bête alors qu'un chien mange ce qui est bon, comme les hommes, à savoir les jambons.

Jusqu'à preuve du contraire, la convention de Berne dit qu'on peut retirer le loup revenu artificiellement. Or, j'ai entendu dire le contraire, mais peut-être s'agissait-il d'une personne plus au fait de ces problèmes. Comment dès lors expliquer que le Vallais ait décidé de retirer des loups, alors que la Suisse a ratifié la convention de Berne ? Au passage, le verbe « retirer » me semble préférable au verbe « tuer ». Il semble que le Vallais a pris la bonne décision, puisqu'il n'y a plus aucune attaque. Sans doute, la situation de la Suisse, qui ne fait pas partie de l'Union européenne, est-elle différente de celle de la France.

J'ai été jusqu'à très récemment responsable national de la santé animale. Il ne faut pas oublier le travail fabuleux accompli par les vétérinaires, par l'administration et par les éleveurs sur la santé animale. J'ai entendu dire, ici, que les abattages pour brucellose ont fait plus de dégâts que les attaques de loups en 1998. Je me permets de faire remarquer que le taux d'animaux malades de brucellose est passé de 10 % à 0,01 % en 2001. Il est vrai que, l'an passé, 400 animaux ont été abattus dans les Hautes-Alpes et 500 dans la Drôme, mais il ne faut pas oublier que, même s'il n'y a que quelques animaux malades dans un troupeau, il faut abattre tout le troupeau en raison de la contagiosité de la brucellose. Le stamping out est la seule solution pour éviter la propagation de la maladie. Alors qu'on ne vienne pas me dire que ces abattages, qui protègent toute une région, sont au même niveau que les abattages de loups.

Cela fait cinq ans que je suis le dossier du loup. J'aimerais avoir une réponse à la question suivante : quel est l'intérêt écologique et économique du retour du loup ? Personne jusqu'à présent ne m'a donné de réponse. Ce que je sais, c'est que ces magnifiques montagnes abritant les alpages et attirant des millions de touristes ont été façonnées avant le retour du loup par les gens qui y habitent et y travaillent.

Je voudrais maintenant aborder un point important, celui des causes du retour du loup. Certes, le loup est là et il faut maintenant trouver une solution, mais j'aimerais qu'on m'explique comment un couple de loups venant des Abruzzes, c'est prouvé par des tests d'ADN, a pu parcourir 160 kilomètres pour venir des Abruzzes jusqu'au cœur du parc du Mercantour. Un loup part seul quand il est éliminé de sa meute, mais un couple de loups, c'est différent, cela veut dire qu'il a muté. Ce couple est apparu dans le parc du Mercantour six mois après que ce parc ait souhaité que l'espèce y soit réintroduite. Dans ces conditions, il est aussi difficile de croire que le loup soit revenu naturellement qu'il ait été réintroduit. D'ailleurs, le loup s'est éclaté en étoile pour repartir dans les Alpes italiennes et remonter jusqu'à chez nous, par exemple dans la Chartreuse, même s'il n'y en a plus aujourd'hui. Il paraît donc certain que le loup a été réintroduit.

On a parlé de la protection contre les loups. Il ne faut pas oublier que les conseils généraux et régionaux n'ont pas attendu le programme LIFE pour apporter d'importantes améliorations dans les alpages. En Isère, cela fait 25 ans qu'il existe des subventions pour l'amélioration des alpages. Ce n'est donc pas la présence du loup qui a entraîné l'aménagement des alpages. D'ailleurs, ces améliorations évoquées à la suite du retour du loup n'en sont pas toujours. J'en veux pour preuve les cabanes construites dans le Mercantour pour héberger les bergers. Je les ai visitées : elles font 5 mètres carrés, on dirait des cabanes à chien, c'est se moquer des bergers.

Je reconnais volontiers que le revenu des éleveurs moutonniers provient exclusivement des aides de l'Etat, puisque la vente du produit ne couvre même pas les charges. Je rappellerais que c'est le Président de la République, ancien ministre de l'agriculture, qui a mis en place les indemnités compensatoires de handicap naturel, ICHN, afin de permettre aux paysans et à leurs troupeaux de rester dans les montagnes. Ces aides ont été utiles, car elles ont soutenu des activités économiques utiles. On ne peut pas, 25 ans après, venir dire qu'elles sont trop élevées et laisser les loups régler le problème.

Le processus d'indemnisation des éleveurs en cas de prédation de leur troupeau nécessite des tests ADN. Or, le laboratoire de Grenoble par exemple se plaint de ne pas avoir assez de moyens et de ne pouvoir donc aller assez vite. Il faut parfois attendre cinq ou six mois pour savoir si l'ADN retrouvé sur un mouton est bien celui d'un loup, période pendant laquelle l'éleveur n'est pas indemnisé et peut se retrouver dans une situation difficile.

On a parlé du problème de la taille des troupeaux. Nos troupeaux seraient trop grands, mais ce problème de taille ne me paraît pas propre à la filière ovine. On en a parle aussi à propos d'entreprises. Alors faut-il revenir aux années 30, quand les paysans avaient des petits troupeaux de 15, 20 ou 30 moutons qu'ils rentraient tous les soirs à la bergerie ? C'était très beau, mais qui va les payer aujourd'hui ? Si l'on veut que la montagne soit entretenue, elle doit continuer à l'être comme elle l'est aujourd'hui. C'est vrai que, par exemple en Aveyron, les moutons sont rentrés à 17 heures et ne sont pas mangés pendant la nuit.

J'en viens aux mesures de protection contre les loups.

René Tramier, président de la fédération régionale ovine PACA, a mis en place toutes les mesures de protection existantes. Celles-ci ont stoppé les attaques de loup la nuit, mais, maintenant, les loups attaquent de jour. Quelle différence cela fait-il ?

Quant aux mesures elles-mêmes, sont-elles toujours adéquates ? Réunir 1.200 moutons au même endroit par temps humide pose des problèmes, notamment au regard de la propagation des maladies comme le piétin. Ainsi, en Belledonne, on a réuni 2.000 moutons sur des emplacements boueux et ce troupeau est redescendu avec 800 bêtes atteintes de piétin.

Autre problème, celui de la surveillance. Un berger pour 1.200 moutons, ce n'est pas beaucoup, car le travail est énorme : il faut démonter tous les jours des barrières étendues pour les changer de place et planter des piquets dans les alpages, ce n'est pas comme dans la vallée du Rhône ou de l'Isère où un marteau suffit pour les planter dans la terre, car là, c'est de la roche.

Il faut donc que les mesures de protection contre les loups soient réalistes et prennent en compte les difficultés de travail des bergers.

Le façonnage de nos montagnes n'est pas le fait de quelques intellectuels à Paris. C'est le résultat du travail de plusieurs générations pendant des siècles. Il ne faut pas l'oublier.

La vie en montagne n'est pas facile et beaucoup de gens ont déménagé pour habiter dans les plaines ou dans les villes. Il ne reste plus grand monde et si le pastoralisme disparaît, la montagne sera abandonnée. Il existe déjà en Isère, et ce n'est pas François Brottes qui dira le contraire, des parties d'alpage qui ne sont plus pâturées depuis quelques années. Les résultats ne sont pas encore visibles, mais dans dix ans, les incendies, comme dans le Midi ou dans les Landes, reviendront. Le pastoralisme est aussi nécessaire à l'entretien des pistes de ski, car si les troupeaux n'y mangent pas l'herbe, la neige glisse et peut provoquer des avalanches.

Quelles sont les solutions ? On pourrait faire appel à l'armée. Au moins, cela résoudrait le problème du chômage. Restons réalistes, la seule solution, c'est que les hommes et les femmes - vous voyez, je ne suis pas misogyne, même si je suis paysan -restent sur le territoire avec des animaux (moutons, bovins), plutôt que des loups. Les mesures de protection et d'indemnisation ne sont pas la solution. Imaginez, vous qui habitez en ville, que des animaux viennent régulièrement détruire votre petit potager. On vous proposerait alors de l'argent pour racheter des poireaux et des salades. Seriez-vous contents ? Comment voulez-vous que des paysans et des bergers qui travaillent toute l'année puissent s'habituer aux dégâts provoqués par le loup ?

Je mets beaucoup d'espoir dans cette commission parlementaire qui a des pouvoirs pour qu'une solution soit trouvée. Je ne suis pas un sanguinaire, je ne souhaite pas prendre mon fusil et tuer tous les loups. Je pose une simple question : vaut-il mieux clôturer 120.000 moutons ou 2 ou 3 couples de loups ? Jean Faure, sénateur maire de l'Isère, avait offert 5.000 hectares de sapins pour y installer un parc à loups. Cela me semble une solution intelligente, d'autant que, je l'ai lu dans un rapport de cette assemblée, un loup coûte la bagatelle d'une classe primaire. Or, je pense que notre pays a plus besoin de classes primaires que de loups.

Je fais confiance aux hommes politiques qui détiennent aujourd'hui la majorité. Il y a une vraie majorité et j'espère que nous parviendrons à un vrai résultat. M. Bonrepaux a parlé de l'indemnisation au-delà des 2 % de pertes. Je m'adresse aux vétérinaires ici présents. 2 % de pertes dans le cheptel, qu'il soit ovin ou bovin, c'est la moyenne nationale. Toute activité génère des déchets, je le constate par exemple quand je vais en entreprise.

M. François BROTTES : Je rappelle qu'une commission d'enquête a un pouvoir d'investigation et non de décision.

Par ailleurs, j'ai, lors de la précédente législature, accompagné les travaux de la mission Honde-Chevallier et j'ai pu constater sur le terrain la difficulté de mise en œuvre des parcs en montagne, car cette mission avait pu se déplacer. Hélas, notre commission n'aura pas l'occasion de le faire, compte tenu de la saison à laquelle elle se déroule.

M.le Rapporteur : J'ai beaucoup apprécié le plaidoyer de M. Blanchet pour la montagne, en tant qu'élu de la montagne. Si on ne fait rien pour la montagne dans les années qui viennent, les montagnes deviendront des réserves d'Indiens, mais c'est peut-être ce que l'on veut. Je vous ai entendu fustiger les technocrates des villes, monsieur Blanchet. Je voulais aussi vous dire que tous les élus présents dans cette salle aujourd'hui sont des élus de la montagne.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Pas moi, je suis une élue des villes, mais je fais peut-être partie d'une réserve d'Indiens.

M.le Rapporteur : Je voudrais poser trois questions à M. L'Homme et à M. Grosjean.

Malgré les mesures de protection et d'indemnisation mises en place par le programme LIFE et les aides considérables de l'Etat, beaucoup d'éleveurs considèrent que la présence du loup est totalement incompatible avec le pastoralisme. Quelle est votre analyse de ce problème ?

Pensez-vous qu'il faille limiter l'extension du pastoralisme dans les parcs naturels régionaux et nationaux ?

D'après vous, faut-il éradiquer les loups et les grands prédateurs des zones de pastoralisme ?

M. Gérard L'HOMME : La liste des dégâts provoqués par le prédateur est très impressionnante et l'indemnisation des animaux perdus n'est que le dessus de l'iceberg. Les dégâts sont tels que des éleveurs songent à quitter leur profession alors que la population dans les montagnes ne tend pas augmenter.

Si l'espèce du loup était vraiment menacée, on pourrait se poser la question de savoir s'il faut garder ou non les loups en France. La solution des parcs à loup - nous en avons un très beau dans le Massif Central - me paraît bonne. Elle permet de conserver l'espèce en quantité non négligeable. Les moutons doivent rester dans les montagnes, sinon le pastoralisme disparaîtra. Les montagnes ne pourront en supporter le coût, cela a très bien été démontré dans le rapport Honde-Chevallier.

Je voudrais maintenant m'exprimer en mon nom personnel, et non plus en tant que président de l'association. Il y a beaucoup d'écologistes, qui habitent en ville et ne vivent donc pas les problèmes des populations de montagne, qui donnent leur avis sur le problème du loup. L'égoïsme social est trop fort. Si on réintroduit le loup, pourquoi ne pas l'introduire partout ? Je suis d'accord pour qu'on utilise mes impôts pour introduire des loups dans les forêts de Fontainebleau, de Rambouillet, de Saint-Germain ou de Sologne. Ainsi, les gens, de toutes les couches sociales, vivraient les problèmes posés par le loup. Il y avait sur notre territoire des lions, des tigres, des mammouths. Pourquoi ne pas relâcher quelques lions et quelques tigres ? Ils se plairaient sûrement beaucoup chez nous, tout cela tourne au burlesque. Ce n'est pas être anti-écologiste que de dire que le loup n'est pas à sa place dans les zones de pastoralisme. Notre société doit trancher et je suis heureux de voir que votre commission en a pris le chemin.

En conclusion, je pense qu'il y a assez d'espace pour le loup et le pastoralisme, mais il ne faut pas les mélanger.

M. Gabriel BIANCHERI : Je voulais poser une question à ma jeune consœur, Nathalie Lacour, à propos des morsures.

J'ai pratiqué jusqu'à l'été dernier. Je me souviens avoir dû intervenir dans un élevage d'ovins. J'exerçais dans la Drôme, près de la vallée du Rhône, région dans laquelle il n'y a pas de loup. Les responsables des dégâts sur le troupeau étaient des chiens, qui ont été capturés, ce qui a permis l'indemnisation de l'éleveur. La moitié du troupeau a été décimée. J'ai pu constater que les morsures concernaient aussi bien l'encolure que le gigot. J'ai vu des brebis proprement égorgées par ces chiens, qui pesaient dix kilos en moyenne et qui étaient donc de petits animaux.

Dans ces conditions, comment peut-on distinguer une morsure de chien d'une morsure de loup ?

J'ai apprécié l'intervention de M. Blanchet, mais je ne suis pas sûr qu'il ait raison lorsqu'il dit qu'on peut identifier à l'œil nu des morsures de loup et des morsures de chien.

Je voudrais dire à Mme Lacour que j'ai beaucoup apprécié son intervention.

M. René BLANCHET : C'est l'Office national des forêts qui a fait les constatations que j'ai citées.

Mme Nathalie LACOUR : En juillet 2000, la procédure de constat des dommages a changé. Désormais, le ministère de l'écologie indemnise tous les dommages pour lesquels la responsabilité du loup ne peut être écartée. Ceci résulte du fait que les spécialistes ne sont pas toujours capables de distinguer la morsure d'un chien de celle d'un loup, mais aussi du fait de la pression qui pèse localement sur les agents chargés de constater les dommages, les experts ou l'administration que l'on a décidé de changer la procédure de constat de dommages pour indemniser au titre du loup tous les dommages pour lesquels sa responsabilité ne pouvait pas être écartée.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Y a-t-il des troupeaux de caprins concernés par le loup ? Si c'est le cas, les problèmes sont-ils les mêmes que pour les moutons ?

Y a-t-il eu, au cours de ces dernières années, des évolutions dans les périodes d'estive ? Sont-elles de même durée que par le passé ?

M. Legeard nous a dit que, concernant les chiens errants, le problème était vite réglé. J'aimerais qu'il nous précise son propos. Enfin, je voudrais savoir comment sont financées l'Association française de pastoralisme et l'Association européenne de défense du pastoralisme contre les prédateurs.

M. Joël GIRAUD : J'ai été très intéressé par l'exposé de M. Grosjean, notamment lorsqu'il a insisté sur le fait qu'il ne sert à rien d'élaborer des mesures de protection qui sont impossibles à appliquer. Le cas qu'il a cité sur le droit de l'urbanisme en montagne est très instructif.

Il me semble qu'il serait utile que notre commission identifie d'une part ce qui relève du nécessaire « reroutage » - excusez ce langage de technicien des télécommunications - de la loi montagne et d'autre part ce qui relève de la non application du droit communautaire en France. En effet, une directive de 1994, relative à l'assainissement dans les zones de plus de 1.500 mètres, n'est toujours pas appliquée alors qu'il suffit de changer deux virgules et trois mots dans un texte réglementaire français, mais nous en sommes toujours au stade de la commission d'étude au ministère de l'écologie. Il me semble intéressant de rebondir sur des questions qui ne sont pas dans le cadre même de notre commission, car cela pourrait permettre d'éviter de recommander des mesures inapplicables, comme le logement des bergers en montagne incompatibles avec règles d'urbanisme en montagne.

M. François BROTTES : Mesure-t-on déjà l'incidence des problèmes de cohabitation d'un aide-berger avec un éleveur ou un berger en couple ?

Monsieur Grosjean, vous avez évoqué les plans de chasse et vous avez suggéré, si je vous ai bien compris, que les plans de chasse ne soient pas exécutés dans leur totalité pour permettre aux prédateurs de se nourrir. Que préconisez-vous dans l'élaboration des plans de chasse ? La prochaine loi sur les questions rurales pourrait être une occasion de les revoir, en tenant bien sûr compte des différents partenaires au niveau départemental à l'élaboration des plans de chasse.

On entend dire que les problèmes posés par le loup sont bien moindres en Italie et en Espagne, car la pratique du pastoralisme y permet une cohabitation moins difficile avec les prédateurs.

M. René BLANCHET : A ma connaissance, il y a peu de caprins qui vont faire de l'alpage en haute montagne. De plus, s'agissant d'une production laitière, les bêtes ne peuvent être dehors que le jour.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Le loup attaque aussi de jour.

M. René BLANCHET : A ma connaissance, les chèvres ne sont pas mangées. C'est peut-être parce qu'elles courent plus vite... Un loup mangera plus facilement un mouton qu'un chevreuil, parce qu'il n'aime pas courir.

Les estives, c'est vrai, commencent un mois plus tard et s'arrêtent parfois trois semaines plus tôt. Ce n'est pas une catastrophe, mais le phénomène est nouveau et pose des problèmes, car cela signifie qu'une partie des alpages n'est plus pâturée.

Notre association est financée par la profession agricole, éleveurs et chambres d'agriculture.

Les dégâts provoqués par les chiens errants sont minimes, car ces chiens sont très peu nombreux. Il arrive de temps en temps qu'un touriste se promenant dans les alpages tienne mal son chien qui fera des dégâts dans un troupeau. L'affaire est vite réglée : le touriste paie les dégâts. Il y a aussi quelques problèmes dans les zones périurbaines avec les chiens de chasse ou les chiens de berger, mais de vrais chiens errants, comme j'en ai vu en Algérie pendant mon service militaire, il n'y en a pas en France.

M. Brottes se demandait quelle était l'ampleur des problèmes posés par la cohabitation avec les aides bergers. J'ai eu connaissance de deux cas de divorce, mais il n'y a pas que chez les bergers que les gens divorcent.

M. Gérard L'HOMME : Notre association vit de peu de choses. Notre seule ressource continue vient de l'adhésion de nos membres, qui est de 40 euros pour les personnes physiques, 80 euros pour les personnes morales et 20 euros pour les étudiants. Les élus seraient les bienvenus, pour qu'il y ait une ouverture dans notre groupe par la présence de responsables politiques...

Lorsque l'association réalise des numéros spéciaux ou des études, de sa propre initiative ou sur demande de directions ministérielles, comme la direction de l'enseignement, de la recherche et du développement ou la sous-direction de l'espace rural et de la forêt au ministère de l'agriculture, des dossiers spécifiques sont montés pour couvrir les frais de l'action en question. Quand nos membres se rendent au conseil d'administration ou à nos journées, c'est notre propre structure ou nos petites économies personnelles qui assurent notre présence.

Notre association est née en 1984 d'une rébellion au sein de l'Association française de la production fourragère, la plus ancienne et la plus connue, car cette association avait beaucoup de difficultés à assister et à publier les chercheurs qui travaillent sur le pastoralisme. Contrairement à l'Association française de production fourragère, nous ne bénéficions d'aucun financement régulier et continu d'un ministère.

M. Pascal GROSJEAN : Monsieur le Président, je crois que nous nous sommes mal compris. J'ai évoqué la vitesse de réalisation des plans de chasse comme un élément de connaissance de la présence de grands prédateurs.

Si un plan de chasse se réalise vite, notamment un plan de chasse au chevreuil, car cet animal a une dynamique de population très forte, cela veut dire que les animaux concernés sont nombreux et qu'on peut attribuer des animaux aux chasseurs.

Il semblerait, au vu des éléments que notre groupe de travail a réunis auprès de membres de l'association ou d'autres collègues, mais je reste prudent, que, dans les zones de présence du loup, sachant que le loup se focalise sur les ongulés sauvages, les plans de chasse au chevreuil se réaliseraient moins vite. Si les agents de terrain recensent par ailleurs des carcasses dans ces zones, ce sont des indices pour y identifier des grands prédateurs.

Il y a eu des discussions au sein des commissions départementales de plan de chasse pour étudier la possibilité, dans les zones d'installation de grands prédateurs, de partager le plan de chasse entre les prédateurs et les chasseurs. Cette discussion me semble encore prématurée.

En Italie, en Espagne et en Roumanie, la cohabitation avec le loup est plus ancienne qu'en France. Chez nous, l'élevage s'est organisé sans le loup, avec des petits troupeaux et des éleveurs préoccupés avant tout par la qualité et la gestion du territoire. C'est donc plus compliqué chez nous. Nous connaissons en outre un problème de formation et d'accompagnement : il ne suffit pas de lâcher un chien de protection dans un troupeau pour résoudre le problème. Certains chiens pourront se révéler inefficaces et donc parfois dangereux, même si, selon une étude du ministère de l'environnement, cela ne concerne que 2 % des cas.

Il est nécessaire d'aménager des logements et d'assurer des conditions de vie décentes pour les bergers et les alpagistes. On ne peut pas par exemple concevoir que le week-end la femme et l'enfant du berger ne puissent pas monter le voir. Il faut aussi que les bergers soient bien rémunérés et qu'ils puissent profiter des 35 heures et de congés, à travers des conventions collectives.

Nous avons très peu d'éléments concernant les attaques sur les caprins, même si dans certains secteurs les animaux partent pâturer la nuit et reviennent à la bergerie. Nous avons en revanche des éléments, qui sont en cours d'analyse, relatifs à une prédation sur un jeune veau.

Nous avons peu d'informations sur l'évolution des périodes d'estive et les chiens errants et les chiens de protection ont aidé à résoudre le problème. Il a été suggéré de limiter l'expansion du loup dans les zones de pastoralisme et dans les zones de parcs naturels régionaux et nationaux. Les situations sont très complexes. Ainsi, dans le parc de la Vanoise, qui est un parc de haute altitude, l'installation des loups est difficile car il n'y a pas de couvert. En revanche dans le parc du Mercantour, le milieu est plus favorable à l'installation de loups. De plus, il faut résoudre la question de la tanière, où les loups se reproduisent. Il semble qu'elle ne soit pas fixe la première année et que les dégâts se fassent donc sur différents secteurs. Enfin, il y a la question de la dissémination des jeunes loups. Nos collègues suisses ont constatés que tous les loups qu'ils avaient tirés ces dernières années étaient de jeunes mâles, aucune femelle jusqu'à cette année. Nous n'avons pas de réponse à cette question, comme à beaucoup d'autres car nous avons beaucoup de connaissances sur les loups nord-américains et beaucoup moins sur le loup européen, notamment sur celui qui nous concerne, le loup des Abruzzes.

Mme Nathalie LACOUR : Lorsqu'on étudie l'expansion du loup sur le territoire français, on s'aperçoit qu'elle correspond à la biologie de l'espèce en matière de colonisation de nouveaux territoires qui s'appuie sur des animaux dispersants qui passent au début tout à fait inaperçus, ce qui est normal et on sait l'expliquer.

Certains prétendent que le loup a été réintroduit et que chaque année on introduit des loups dans de nouvelles zones. Cela me paraît tiré par les cheveux. L'ours a été réintroduit et personne ne s'en est caché. Pourquoi alors la réintroduction du loup aurait-elle été secrète ?

M. René BLANCHET : Nous faisons nôtres les conclusions du rapport Honde-Chevallier selon lequel il y a incompatibilité entre le mouton et le loup sur le même territoire. Si les deux espèces cohabitent, le mouton disparaîtra de nos montagnes et, avec lui, l'homme.

M. François BROTTES : Le rapport auquel M. Blanchet fait allusion, dont je suis un des cosignataires, a été signé par l'ensemble des sensibilités de l'Assemblée nationale précédente. Je pense ici notamment à M. Aschieri.

M. Christian ERNOULT : Les unités caprines sont au nombre de 320 sur les 5.000 que nous avons recensées soit environ 6 %.

Je voudrais nuancer la vision idyllique du pastoralisme qui a été présentée. Le pastoralisme n'est pas un. Les ovins y sont minoritaires. On a parlé à plusieurs reprises de lutte contre les avalanches. A ma connaissance, au moins dans les grandes stations de Savoie, ce sont les troupeaux bovins qui pâturent les pistes et non pas les ovins. Je rappellerais aussi que, il n'y a pas si longtemps, les éleveurs bovins portaient un regard condescendant sur les éleveurs ovins en leur reprochant notamment de dégrader la pelouse.

Des collègues pastoralistes ont réalisé dans un grand parc national alpin une étude qui paraîtra prochainement. Ils ont découvert que les alpages pâturés par les ovins présentaient une biodiversité moindre que les parcelles qui avaient été mises en défens.

Le recensement du ministère de l'agriculture nous apprend que la population des éleveurs ovins est atypique. Ils sont en général plus âgés que les éleveurs des autres espèces, ce qui explique un taux de disparition très important entre deux recensements. Ils sont en général pluriactifs, le taux de pluriactivité pouvant atteindre 70 %, comme c'est le cas en Haute Maurienne.

Mme France DRUGMANT : Je voudrais répondre à M. Blanchet. Je n'ai pas occulté le problème du loup dans le Vercors. Je voulais juste insister sur le fait que, là où des mesures des prévention et d'accompagnement ont été appliquées, il y avait une différence déterminante sur la manière dont le problème du loup était envisagé.

Je veux également insister sur l'importance du pastoralisme dans les parcs naturels régionaux et il n'est pas question de faire le choix entre le loup et le pastoralisme. Dans les parcs naturels régionaux, 40 % des surfaces sont toujours en herbe. Le rôle du pastoralisme y est donc très important et en fait le fondement.

M. Jean-Pierre LEGEARD : Il existe des caprins en alpage, en semi-liberté, essentiellement dans les Alpes-Maritimes. Il suffit donc de contacter la direction départementale de l'agriculture et des forêts pour avoir les relevés d'attaques déclarées. Ce n'est certes pas un phénomène dont on entend parler souvent, mais il peut exister.

La nature faisant bien les choses, les périodes d'estives, voire les périodes pastorales, sont calées par les conditions de milieux, de végétation, d'altitude et de climat. Elles sont donc relativement fixes. Il est vrai que, par exemple dans le Queyras, grande zone pastorale d'alpage, les éleveurs vont attendre, en début de saison, de voir les premiers d'entre eux qui monteront pour évaluer les dégâts qu'ils auront subi afin de déterminer s'ils peuvent suivre ou pas.

La question des dégâts occasionnés par les chiens errants est vite réglée, car il n'existe pas en France de chiens ensauvagés. Le plus souvent, le propriétaire est retrouvé, et les assurances interviennent. Parfois, le chien est purement et simplement éliminé quand on ne trouve pas d'autre solution.

J'étais présent à la réunion européenne à laquelle M. Blanchet faisait allusion. Nous avons vraiment été étonnés que nos interlocuteurs européens nous disent qu'ils croyaient que la présence du loup ne posait pas de problèmes en France alors qu'elle en posait de sérieux chez eux.

Notre étonnement vient peut être du fait que jamais nous n'avons entendu le témoignage direct d'éleveurs espagnols ou italiens, si ce n'est à travers des médiateurs qui interprètent leur discours.

J'ai été, il y a assez longtemps, dans le nord de la Grèce, zone pastorale où le loup et l'ours sont présents. Les problèmes de prédation étaient sérieux et les éleveurs vivaient avec, même si ils n'appréciaient pas la situation.

Le dossier de la brucellose ovine est symbolique de la vitalité du monde pastoral et de la spécificité de la filière de l'élevage ovin. Dans le document que vous a remis Gérard L'Homme, vous pourrez lire un article retraçant les vingt ans de la longue marche de l'éradication de la brucellose ovine en zone méditerranéenne française. Cela a été un combat très difficile, M. Blanchet pourra en témoigner. Il a fallu faire admettre aux autorités nationales sanitaires qu'on ne traitait pas la brucellose ovine comme on traitait la brucellose bovine et que, dans les milieux méditerranéen, caractérisés par le mélange de troupeaux, on ne pouvait pas interdire la transhumance au nom de la brucellose et que les schémas de prophylaxie devaient être adaptés à la réalité économique, humaine et sociale de la région. Cela a été difficile, mais aujourd'hui, notre région, où la brucellose était endémique, ne connaît pratiquement plus cette maladie.

M. François BROTTES : Je vous remercie.

Table ronde sur les conditions du retour du loup réunissant
M. Luigi BOITANI
biologiste au département de biologie animale de l'université de Rome,
M. Christophe DUCHAMP,
biologiste à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS),
M. Patrick HAFFNER,
spécialiste de l'historique du loup en France au Muséum national d'histoire naturelle, en charge de l'inventaire national du patrimoine naturel,
M. Jean-Dominique LEBRETON, directeur de recherche
au laboratoire de dynamique des populations, CNRS de Montpellier,
M. Benoît LEQUETTE,
biologiste, chef du service scientifique du parc national du Mercantour,
M. Pierre TABERLET,
directeur de recherche au CNRS, laboratoire d'écologie alpine de Grenoble, spécialisé dans l'analyse génétique des loups,
M. Franco ZUNINO, environnementaliste italien

(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 janvier 2003)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. François BROTTES : Nous remercions nos invités d'avoir répondu à notre invitation. Je remercie plus particulièrement les deux intervenants italiens, M. Boitani et M. Zunino car, à la différence de nos concitoyens français, ils n'ont aucune obligation de répondre à la convocation d'une commission d'enquête parlementaire.

Nous commencerons par écouter M. Patrick Haffner, spécialiste de l'historique du loup en France au Muséum national d'histoire naturelle, en charge de l'inventaire national du patrimoine naturel. J'imagine, monsieur, que vous avez une communication à nous faire concernant le champ de préoccupation de notre mission d'enquête, dont je rappelle qu'elle porte sur les conditions de la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne.

M. Patrick HAFFNER : Je suis ingénieur d'études au Service du patrimoine naturel (SPN) qui vient de changer de nom, mais comme nous devrions le retrouver, pour simplifier le débat, je conserverai ce nom. 

Ce service est situé au Muséum National d'histoire naturelle et a été créé en 1979 à la demande du ministère chargé de l'environnement. Il est chargé de répondre aux objectifs suivants : inventorier le patrimoine naturel - faune, flore, espaces remarquables - et estimer le statut des populations, c'est-à-dire savoir si les espèces sont menacées ou non, quelles sont les évolutions de ces populations, etc. Les données recueillies sont utilisées pour de l'expertise ou de l'évaluation, spécialement pour le ministère chargé de l'environnement. Nous faisons aussi de l'exploitation scientifique et de la vulgarisation par le biais de nombreuses publications.

Pour les espèces, les principales exploitations sont des cartographies, mais aussi des outils de décisions comme des listes rouges. Ces données sont récoltées essentiellement par l'intermédiaire de réseaux structurés d'observateurs, donc, recueillies via des associations de sciences naturelles, des établissements publics tels que le Conseil supérieur de la pêche (CSP) ou l'Office national de la chasse et de la faune sauvages (ONCFS), avec lesquels nous travaillons beaucoup.

Ce sont des données de terrain pour la plupart, mais nous exploitons aussi, lorsque cela est possible, les collections qui se trouvent dans les musées ou la bibliographie.

Ces données sont validées, puis, incluses dans une banque de données qui compte à l'heure actuelle près de huit millions de données.

Notre équipe est réduite et il nous est tout à fait impossible de traiter l'ensemble de la faune, de la flore et des espaces naturels. Par conséquent, le travail est réparti et certaines missions ont été confiées à d'autres établissements publics. Je le signale car c'est important : en fait, pour ce qui est des grands carnivores, les suivis sont confiés à l'ONCFS. Nous ne disposons donc pas de données originales concernant le retour de ce grand carnivore en France depuis le début des années 90 dans notre base de données. Si nous avions besoin de données sur ce thème, nous nous adresserions à l'ONCFS. Je n'ai donc pas apporté aujourd'hui de données originales sur le loup.

M. François BROTTES : Vous n'avez rien à dire sur le sujet ?

M. Patrick HAFFNER : Non, ce n'est pas tout à fait cela et je tiens à préciser que je l'ai signalé quand on nous a demandé de venir devant vous. Je voulais seulement dire que notre fichier principal concerne, en fait, l'historique de la disparition et la période entre la disparition officielle et le retour officiel du loup. Mais je ne sais si ces éléments pourront vous apporter des éclairages.

Ce fichier qui comporte quelque trente-deux mille données a été créé dans le cadre d'un travail de recherche qui fut effectué par le premier directeur du SPN, M. de Beaufort. Il s'agit de données collectées à partir de la bibliographie et surtout de documents administratifs, en particulier des rapports établis pour l'obtention de primes, qui permettent de reconstituer quelques éléments d'écologie du loup durant sa phase de disparition. Si vous le souhaitez, je peux vous en livrer quelques éléments car bien que n'étant pas un spécialiste de l'historique du loup, comme je l'ai déjà signalé, je dispose des données de M. de Beaufort qui l'était.

Les quelques éléments dont je peux vous faire part sont essentiellement des données biologiques tirées de cette base de données. Je ne vais vous livrer que quelques idées.

M. de Beaufort considérait qu'en France, concernant le régime alimentaire, les animaux domestiques représentaient plutôt un appoint, sauf pour quelques individus spécialisés.

Autre élément important, d'après ses calculs, la taille des portées était en moyenne de quatre louveteaux - le plus souvent, dans 60 % des cas, elles étaient de quatre à six, allant de deux à quatorze pour les extrêmes. Ce sont des tailles de portée importantes, mais cela est cohérent avec le fait qu'il s'agissait d'une population qu'il qualifie d'« exploitée », c'est-à-dire qui subissait de forts prélèvements. Il considère même qu'au XIXème siècle, tout du moins dans la seconde moitié du XIXème, très peu d'animaux parvenaient à l'âge adulte ; tous étaient exterminés avant une limite de vie normale.

Le rapport juvéniles-adultes était de cent dix-huit louveteaux pour cent adultes. En ce qui concerne les taux de reproduction, à partir des éléments historiques qu'il a pu recueillir, 42 % des femelles étaient reproductrices.

Il a également estimé la taille de la population française, ce qui est important car nous voyons parfois apparaître des évaluations exagérées sur des populations que l'on craint voir apparaître dans les Alpes. Pour lui, à la période maximale de présence du loup, c'est-à-dire courant et fin du XVIIIème siècle, il y avait entre 3.000 et 8.000 individus sur l'ensemble de la France, soit un loup par 80 à 100 km2 en moyenne, soit, pour les départements à plus forte densité, un loup par dix à vingt-cinq km2.

Pour ce qui est des Alpes, j'ai relevé que, pour la France, on situe la disparition officielle du loup à 1837 mais, en fait, il y a eu des polémiques à ce sujet. On peut dire qu'au cours du XIXème siècle, les populations dans les Alpes étaient considérées comme abondantes, sauf en Savoie. D'après les données de M. de Beaufort, le dernier individu fut signalé dans les Alpes du Nord, en Savoie, en 1897 ; de 1900 à 1910, le loup disparaît des Alpes du Sud et des Alpes Maritimes.

Après ces dates, j'ai récolté, au cours d'une analyse des données qui ont pu être collectées entre la période de la disparition du loup et celle de son retour officiel, trente-neuf mentions de loup, dont vingt authentifiées, c'est-à-dire que l'on peut considérer comme avérées, car il faut savoir que ces « loups » se sont souvent révélés être en fait des chiens. Sept d'entre eux seraient d'origine captive, un certain nombre d'éléments laissant à penser qu'ils avaient probablement été lâchés ou s'étaient échappés de captivité.

Mais il est intéressant de constater qu'il est fort possible que des loups aient survécu plusieurs années sur les territoires français après la date de leur disparition supposée. En effet, quand on compare la répartition des données obtenues dans les années 40 et en 1923 estimée par M. de Beaufort, notamment l'estimation de l'aire de répartition, on constate une très bonne superposition. On peut supposer - cela rejoint d'ailleurs certains résultats de sa thèse quand il analyse l'évolution des effectifs au cours du temps - qu'à partir du moment où on laisse du répit au loup, celui-ci possède une dynamique suffisante pour commencer à rétablir ses populations, ce qui fait qu'au cours des conflits qui se sont produits dans ces périodes - guerre de 70, première guerre mondiale, voire la seconde - le loup a pu éventuellement subsister. Il a peut-être survécu dans des endroits où sa présence était ignorée à partir du moment où il n'a pas commis de dégâts sur des animaux domestiques. Ce constat corrobore le fait qu'il s'agit d'une espèce qui peut être très discrète dans certaines circonstances.

Par la suite, la situation devient bien plus floue. Les observations se répartissent un peu partout sur le territoire français et l'on a pu déterminer qu'un certain nombre des cas signalés étaient, en fait, liés à des échappées de captivité. Il y a un cas connu de libération active dans les Landes.

Néanmoins, cette constatation ne contredit pas du tout l'hypothèse d'un retour naturel du loup. C'est un constat que nous faisons. Il faut dire honnêtement, qu'à plusieurs reprises, des individus d'origine captive ont été retrouvés en liberté dans le milieu naturel.

Il faut également voir que, dans le raisonnement visant à déterminer l'origine d'un animal, nous sommes un peu bloqués en ce qui concerne les preuves à apporter : on ne peut, en fait, déterminer avec certitude, l'origine sauvage ou captive que si on a des éléments concrets. Ces éléments sont quasiment impossibles à apporter dans le cas d'une origine sauvage.

La première question qu'il faut se poser lors de l'analyse d'une donnée est de savoir s'il s'agit bien d'un loup : soit nous n'avons pas d'éléments d'analyse et nous mettons l'affaire de côté, nous ne la conserverons même pas ; soit nous avons des éléments permettant d'arriver à l'espèce et nous aurons une réponse certaine (c'est un « loup » ou « ce n'est pas un loup »).

En revanche, pour déterminer s'il s'agit d'animaux d'origine sauvage ou d'origine captive, la démarche est plus compliquée : soit nous n'avons pas les éléments qui nous permettent d'en discuter et nous classons l'affaires ; soit nous avons des éléments qui nous permettent d'affirmer que l'animal est d'origine captive (témoignages photographies) ; soit nous avons des éléments, par exemple génétiques, qui montrent que les individus analysés ont une origine compatible avec un retour naturel, c'est-à-dire qu'ils sont issus de populations limitrophes.

Un argument assez fort milite toutefois en faveur de l'hypothèse d'un retour naturel de loups d'origine italienne. Les loups des élevages et les loups qui ont été relâchés étaient des loups de souches très différentes de la souche italienne - des loups soit américains, soit polonais. Il ne semble pas, au moins dans les années 50-60, que des loups italiens aient été maintenus captifs. Aussi, dès lors que, génétiquement, nous nous trouvons face à un loup italien, nous considérons que nous avons affaire à des individus d'origine sauvage.

Voilà tout ce que je peux dire en restant bref. Si cela se révélait intéressant pour le déroulement de la discussion, je montrerais les cartes de répartition des observations. J'ai également apporté un extrait de la base de données et s'il y a discussion sur des individus particuliers, je peux voir ce que nous possédons comme informations.

M. François BROTTES : Je vous remercie. Pourrez-vous nous laisser ces documents à la fin du débat pour que nous puissions éventuellement les annexer au rapport ?

Votre conviction est donc que lorsque l'on croise un loup en France, il s'agit d'un loup italien venu naturellement sur le territoire français.

M. Patrick HAFFNER : Absolument.

M. le Rapporteur : Quelle est la méthode de comptage des loups la plus fiable ? Et quel est le nombre d'animaux installés en France, par zone ?

M. Patrick HAFFNER : Si votre question concerne la population actuelle, je ne peux vous répondre. Pour ce qui est du travail de M. de Beaufort, en fait, ce dernier a estimé la population de loups en appliquant un taux de captures. Il a estimé le taux de captures et son influence sur la démographie de l'espèce et, à partir de cela, il a appliqué ce taux pour, à partir du nombre de captures qu'il a pu déterminer d'après les documents administratifs, reconstituer les effectifs.

Pour ce qui concerne les comptages aujourd'hui, je laisse les spécialistes en parler.

M. François BROTTES : Mme Perrin-Gaillard, vous avez une question ?...

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous nous avez dit que soit vous aviez des informations qui vous permettaient de poursuivre vos investigations dans le sens de la recherche du loup, soit que vous pouviez d'ores et déjà dire, à première vue, que c'était des chiens. Quels éléments, en dehors des éléments génétiques, vous permettent de penser à des chiens ?

M. Patrick HAFFNER : Je rapporte la bibliographie : soit les individus ont pu être examinés, auquel cas, par étude morphologique, il a été possible de déterminer à quelles espèces ils appartenaient ; soit des témoignages sont venus après dans lesquels la personne reconnaissait qu'elle avait vu, en fait, un chien...

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : C'est donc d'après des témoignages visuels.

M. Patrick HAFFNER : Absolument. Si nous n'avons pas cette information, nous restons avec un point d'interrogation sur l'origine de l'observation.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Mais cela se fait sur la visualisation de l'animal, pas sur l'observation de blessures, d'empreintes ou d'éléments de ce type ?

M. Patrick HAFFNER : Non, pas dans les cas que j'ai pu récolter. Tout d'abord, je ne sais pas si les personnes qui récoltaient les données étaient vraiment aptes à déterminer si, à partir d'une blessure ou une attaque, il s'agissait ou non d'un loup. Nous en reparlerons, mais ce n'est pas si évident que cela.

Il en est de même pour les traces. Pour un spécialiste, c'est peut-être évident, encore faut-il chercher ces traces... Ayant une petite expérience des naturalistes, je sais que si l'on n'a pas l'attention attirée sur une recherche précise, si l'on ne connaît pas bien les critères, il n'est pas évident du tout de trouver quelque chose. Si on n'y pense pas et que l'on n'a pas l'idée qu'il peut s'agir d'un loup, on peut passer sur une trace sans que cela fasse « tilt ».

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Nous reviendrons sur cette question ultérieurement. En revanche, vous nous avez dit que le loup a sûrement survécu à un moment où personne ne pensait qu'il était encore présent. J'imagine qu'il s'agit toujours de données historiques. Mais un loup peut-il vivre seul, voire en meute, sans que personne ne s'en aperçoive ?

M. Patrick HAFFNER : Il est difficile de dire s'il s'agissait de meutes ou non, puisque ce sont des individus qui sont signalés, mais des individus isolés peuvent continuer à survivre. La durée de vie était estimée, pour les populations françaises, entre douze et quatorze ans. Pour peu que quelques portées soient passées inaperçues, on peut imaginer que l'espèce ait survécu avec seulement quelques individus. Je ne sais si l'on peut parler de meutes constituées, mais en tout cas c'étaient des effectifs très réduits.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Dans les informations que vous possédez, rien ne laisse supposer que le loup a totalement disparu ?

M. Patrick HAFFNER : L'hypothèse qu'il ait pu survivre au moins jusqu'au début des années 50 est tenable.

M. François BROTTES : Je demande maintenant à M. Boitani, biologiste à l'Université de Rome, de bien vouloir nous apporter sa contribution qui nous sera extrêmement utile puisque nous parlons beaucoup de loups venus d'Italie. Vous allez, monsieur, pouvoir nous éclairer sur ces migrations.

M. Luigi BOITANI : Monsieur le Président, je vous remercie de votre invitation et de m'avoir ainsi fourni l'occasion de parler du loup italien, ici, en France. Je traite de ces questions depuis longtemps en Italie. J'étais dans le jury de thèse de M. de Beaufort que j'ai suivi dès le début de son activité. Je connais donc très bien son travail et son analyse historique.

J'ai amené à votre commission une illustration des modèles d'extension de la population du loup des Apennins à son arrivée en France, ainsi que certaines données qui pourraient vous être utiles pour élaborer d'autres hypothèses de gestion de ce problème.

La séquence des dates correspond au premier repérage du loup le long des Apennins. En 1983, nous avons relevé les premiers signes de la présence du loup dans la province de Gênes et d'Alessandria. En 1985, on a trouvé le premier loup tué par poison à Gênes et, en 1985, un autre loup tué au Col du Tende.

En 1975-76, le loup s'était établi à peu près jusqu'à Florence ; en 1980, nous avons trouvé les premiers loups dans le Nord de la Toscane, dans la zone du Casentino ; en 1985, à Gênes ; 1985 au Col de Tende ; en 1992, dans le Parc du Mercantour et ; en 1992, nous avons aussi trouvé un animal d'origine italienne dans le Val du Cerf ; en 1995, les premiers loups qui sont entrés dans le Val Ferré en Suisse en provenance d'Italie, étaient issus, en particulier de cette population des Alpes-Maritimes ; en 1995, ce fut le loup dont vous vous rappelez très bien qu'il a été tué dans les Vosges ; entre 1995 et 1996, la population a crû sur le côté italien du Piémont. En 1998-99, on a trouvé d'autres loups en Suisse au Col du Sempion et au Val Ferré. En l'an 2000, c'est la première mention du loup dans les Pyrénées. En 2001, le loup est signalé en Suisse dans les Grisons et le Tessin ainsi que dans la province de Domodo, au Nord du Piémont.

Nombre d'études scientifiques ont été écrites sur le loup. Les mentions scientifiques concernant l'espèce Canis lupus dépassent le nombre de 3 000 et, pour la plupart, ont été faites au cours de ces dix dernières années. Le loup est un animal qui a beaucoup été étudié. Des études conduites dans le monde entier, des Etats-Unis à l'Inde, ont permis de mettre en lumière de nombreux éléments sur ses caractéristiques biologiques, d'étudier son déplacement naturel ou le repeuplement naturel des Alpes par le loup.

Ceux qui prendront la parole après moi traiteront de façon plus détaillée des aspects de la génétique et des aspects démographiques. Cependant, je tenais à indiquer que cinq aspects différents au moins contribuent à l'hypothèse de la présence du loup dans les Alpes et du repeuplement naturel des Alpes par le loup en provenance des Apennins. Il ne s'agit pas d'aspects génétiques, mais d'aspects démographiques et de dispersion.

Je commencerai par souligner en particulier que, dans la population animale des vertébrés, il existe deux modèles essentiels d'expansion selon lesquels une espèce étend son territoire. Le premier, celui du chamois ou du lynx, est un modèle en « tache d'huile », c'est-à-dire qu'il s'effectue selon un mouvement progressif et lent. Les animaux ne sont pas capables de sauter d'un coup dans une nouvelle zone.

En revanche, le deuxième modèle d'expansion, qui est typique du loup, est le modèle en « tache de guépard », c'est-à-dire celui d'une population qui s'étend progressivement en colonisant de nouvelles régions même très lointaines les unes des autres.

C'est l'une des données les plus significatives de l'étude menée ces dernières années en Suède et Scandinavie portant sur l'expansion de la population des loups en Scandinavie. Débutée sur trois individus, elle concerne maintenant plus de cents animaux. Dans cette population, la distance moyenne entre un territoire et un autre est de 140 kilomètres, tout en vivant sur un milieu homogène. Le loup colonise donc une nouvelle région par « patch » - nous utilisons ce terme anglais. De nouvelles taches se constituent au fur et à mesure.

C'est ainsi qu'en ce qui concerne la répartition du loup sur les Apennins, nous trouvons des zones vides, qui ne témoignent pas de la présence du loup, alors que toutes les conditions de vie y sont réunies.

Je voudrais souligner un point, relevé d'ailleurs par mon prédécesseur en Italie, il n'existe que trois centres dans lesquels le loup est élevé en captivité : le parc national de la Maiella, le parc national de la Sila en Calabre et le parc du Mont Amiata en Toscane. Ensuite, il y a un loup, un seul individu, gardé par l'université de Pérouse. Ces loups sont sous le contrôle d'un organisme public, le Corpo forestale delle stato, un corps de gardes forestiers. A part celui-ci, il n'existe aucun autre endroit en Italie où le loup italien soit captif. Tous les autres loups qui vivent dans les jardins zoologiques ou dans d'autres parcs en Italie sont des loups non italiens, provenant de Yougoslavie, de Russie ou d'autres pays. Or aucun des centres que j'ai cités n'a jamais laissé libre un loup.

Je rappelle également que le loup n'a causé aucun dommage ou ravage en Ligurie. D'après les chiffres officiels de l'Association des éleveurs de la province de Savone, le nombre d'animaux domestiques présents dans les provinces de Ligurie, voisines de la France est de cinq à six cents vaches, qui ne vivent pas sur les alpages mais sont gardées dans les étables. Il n'y a ni brebis ni chèvre. Dans ces conditions, il est très difficile de repérer la présence du loup car nous ne savons où il se trouve que parce qu'il cause des ravages sur les animaux domestiques. C'est différent quand le loup se nourrit d'animaux sauvages. L'étude de terrain que nous avons effectuée dans la zone des Apennins nous a permis de constater que le loup s'approchait très près des villages sans que personne ne s'en rende compte, pas même les chiens parfois. On est conscient de sa présence uniquement s'il cause des dégâts au bétail or, je viens de vous donner le nombre d'animaux domestiques de la région voisine de la France, vous voyez que ce nombre est très réduit.

Je ne vois rien à ajouter pour le moment, mais reste à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. François BROTTES : Nous vous remercions. La parole est à M. le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Je vous remercie, monsieur Boitani, de nous avoir communiqué ces excellents renseignements sur l'évolution du loup en Italie. J'aurais souhaité savoir en quoi on peut distinguer le loup italien des loups des autres pays, notamment nord-américains.

M. Luigi BOITANI : Il existe des éléments morphologiques, mais la preuve, par excellence, est la preuve génétique. En effet, comme Pierre Taberlet vous le dira, le loup italien est un loup dont le code de l'ADN est bien spécifique.

Le loup est un animal très variable, c'est-à-dire que du grand loup blanc de l'Arctique au loup pâle et petit du désert de l'Arabie saoudite ou de l'Inde, il s'agit toujours de la même espèce Canis lupus. Même à l'intérieur d'une zone comme l'Italie, on constate des variations. Les variations apparaissent également entre le jeune loup et le loup adulte : le jeune est plus gris ; l'adulte, plus marron, roussâtre. Nous avons cependant trouvé une caractéristique : ils possèdent toujours une bande noire sur les membres antérieurs. Mais il y a d'autres caractères différents comme la longueur de la queue ; elle peut varier mais il y a une moyenne.

Un généticien pourrait vous expliquer cela très clairement ; cela s'appelle « random change of genotype », c'est-à-dire que quand la population traverse un goulot d'étranglement comme le loup italien en a connu, on peut avoir des caractères génotypiques anormaux. Parfois, on peut trouver une pointe de patte blanche, une longueur différente de l'oreille. Mais cela est tout à fait normal.

M. le Rapporteur : Peut-on retracer scientifiquement le parcours des loups depuis les Abruzzes jusqu'au parc du Mercantour ? Combien de temps a-t-il fallu ? Combien d'animaux cela a-t-il concerné ?

M. Luigi BOITANi : On a longuement parlé de la recolonisation des Alpes-Maritimes par les loups du parc des Abruzzes. Mais l'assertion selon laquelle des loups seraient partis du parc des Abruzzes pour arriver jusqu'aux Alpes est très improbable, pas impossible, mais très improbable ; il y a plus vraisemblablement eu une progressive recolonisation de tous les Apennins. Il est donc probable que les loups qui sont arrivés dans les Alpes Maritimes soient des animaux partis des régions recolonisées des Apennins du Nord, c'est-à-dire de Toscane ou de Ligurie, et non des Abruzzes.

Je ne sais pas si ma réponse est claire ?

M. le Rapporteur : Elle l'est, toutefois ce n'est pas ce que nous avions entendu dire jusqu'à présent, mais nous sommes ravis de ce renseignement. Comment se fait-il qu'en Italie, on ne voit pas le loup ? Vous nous dites qu'on les « devine ».

M. Luigi BOITANI : Il est très difficile de voir le loup directement. On voit les traces qu'il laisse, les excréments, les dommages qu'il cause mais on ne voit pas très facilement l'animal lui-même, d'autant que, dans les Apennins, le loup vit essentiellement dans les zones de bois de hêtres où il est difficile à apercevoir car il n'y a pas de clairières, comme on en a dans les Alpes.

M. le Rapporteur : En France, par contre, on voit les loups. Nous avons des films, des photos. Il y a quelques jours, dans les Hautes-Alpes, une meute de six loups a traversé un village en pleine journée ; les habitants les ont vus. On voit les loups près des troupeaux, près des fermes. J'ai encore rencontré un berger il y a quelques jours qui me disait qu'il les avait vus tout l'été. Comment se fait-il qu'en France, notamment dans le Mercantour, on voit si facilement les loups alors qu'en Italie, personne ne les voit ? Pourtant, nous avons aussi des forêts immenses.

M. François BROTTES : M. Boitani, avez-vous un point de vue sur cette question ?

M. Luigi BOITANI : Je ne voudrais pas que vous pensiez, d'après mes propos, que l'on ne voit jamais le loup en Italie. On le voit rarement, c'est-à-dire qu'on ne le voit pas tous les jours. Mais nous avons aussi des photos de loups en liberté en Toscane, par exemple. Le loup est vu par les chasseurs de sangliers, en Toscane, presque tous les dimanches. Ce n'est pas qu'on ne le voit pas, mais on ne le voit pas comme on peut voir le chevreuil ou le cerf.

M. le Rapporteur : Vous avez dû entendre dire qu'il y a quelques années, on a identifié, après analyse génétique, dans le massif du Madres situé dans la partie Est des Pyrénées-Orientales, un loup originaire des Abruzzes. Est-il vraisemblable qu'un loup ait pu parcourir une telle distance, franchissant tous les obstacles se trouvant sur son chemin, pour, de l'Italie, arriver dans les Pyrénées-Orientales ?

M. Luigi BOITANI : Si je puis me permettre de vous corriger, monsieur le rapporteur, il s'agit d'un loup italien, d'un loup appartenant à la population italienne, et non d'un loup des Abruzzes. Des Alpes-Maritimes aux Pyrénées, il y a un peu moins de 400 kilomètres de distance. Or la distance de dispersion la plus longue connue pour le loup est de 860 kilomètres dans le Nord de l'Amérique. Donc, il lui est tout à fait possible de parcourir 400 kilomètres.

Aller des Alpes Maritimes aux Pyrénées signifie aussi franchir des autoroutes routières, des autoroutes ferroviaires, le Rhône et bien d'autres obstacles. Mais le loup peut le faire. Absolument. 

Pour n'en apporter qu'une preuve, je citerai l'exemple de l'Espagne où la question a donné lieu à un véritable débat qui a conduit le gouvernement espagnol à financer une étude sur l'influence qu'aurait la construction de nouvelles autoroutes sur la population des loups. Les organisations de protection et de sauvegarde du loup étaient, par avance, certaines que l'autoroute interromprait toute communication et menacerait la survie du loup. Un territoire de loups se trouvait à cheval sur l'autoroute. Le résultat de cette fort intéressante recherche a démontré que ceux-ci traversaient, de jour comme de nuit, cet obstacle, sans aucune difficulté. L'autoroute, les fleuves, les chemins de fer sont des barrières quasi inexistantes pour les loups.

M. François BROTTES : La parole est à M. Roland Chassain.

M. Roland CHASSAIN : Dans la mesure où le nombre de loups se développe en Italie et que, apparemment, on ne constate pas de dégâts, que mange le loup là-bas ?

M. Luigi BOITANI : Nous avons étudié le loup dans plusieurs parties des Apennins italiens. L'écologie alimentaire du loup change selon les disponibilités alimentaires. Par exemple, en 1975, dans les Abruzzes, les loups mangeaient surtout les déchets des villages. Dans le parc national du Pollino en Calabre, ces dernières années, le loup se nourrissait essentiellement de sangliers. En Toscane, dans les zones de collines entre Sienne et Grosseto, il mange des sangliers et des brebis - donc aussi des animaux domestiques.

Les données dont nous disposons sont recueillies sur la base des dommages causés par le loup qui ont été indemnisés et, sur cette base, les dommages sont assez remarquables puisqu'ils équivalent à 1,2 million d'euros par an.

M. François BROTTES : Ce n'est pas insignifiant, tout de même.

M. Luigi BOITANI : Cela représente beaucoup ou peu, cela dépend du point de vue.

M. François BROTTES : Nous allons maintenant entendre M. Benoît Lequette, chef du service scientifique du Parc national du Mercantour.

M. Benoît LEQUETTE : Je vais présenter rapidement mon exposé et vous laisserai les dossiers que j'évoquerai en fin de réunion.

Sur la base du courrier qui m'a été envoyé, j'ai bâti mon exposé autour de l'arrivée du loup jusqu'à la mise en place d'études par le parc national à la demande du ministère de l'environnement et, donc, des résultats qui en sont issus.

Les faits tout d'abord.

Pour partir des faits historiques, le 4 novembre 1992, lors d'un comptage répété des ongulés sauvages, chamois et mouflons essentiellement, deux agents du parc du Mercantour ainsi que des agents de l'office national des forêts ont vu deux animaux qui ressemblaient fort à des loups. Il a fallu attendre la découverte d'un cadavre en juillet 1993 pour avoir la preuve formelle et absolue qu'il s'agissait bien d'un loup. Pendant tout l'hiver, le comportement avait été étudié, mais nous ne savions pas à l'époque combien d'animaux étaient présents, s'ils étaient sauvages ou non, s'il s'agissait de loups ou de chiens sauvages. Il a fallu plusieurs mois pour arriver à la conclusion qu'il s'agissait bien de loups.

En préambule, je voulais aussi insister sur un problème de vocabulaire qui a probablement posé problèmes dans la perception que l'on a de l'arrivée des loups. Le vocabulaire spécialisé et utilisé fréquemment par les biologistes n'est pas toujours partagé par tous. Il s'agit des trois mots : introduction, réintroduction et retour naturel qui, bien souvent, ont conduit à des amalgames et à des erreurs de communication.

L'introduction d'une espèce animale consiste à amener une espèce nouvelle dans un espace où elle n'a jamais été présente. Par exemple, on a introduit le castor du Canada en Espagne.

La réintroduction, c'est ce qui s'est fait, par exemple, avec le bouquetin dans les Alpes. Celui-ci avait disparu d'une partie de son territoire originel, l'homme a réintroduit volontairement l'animal sur le territoire qu'il occupait encore récemment.

Le retour naturel, c'est l'animal lui-même qui, par ses propres moyens, décide de revenir dans un lieu d'où il avait disparu.

M. François BROTTES : Si je peux vous interrompre, il y a aussi une quatrième hypothèse, si l'on en croit M. Haffner, c'est qu'il a vécu caché et qu'il est réapparu.

M. Patrick HAFFNER : Je n'ai pas dit qu'il était resté trente ou quarante ans caché.

M. François BROTTES : M. Haffner nous disait qu'il n'était pas impossible que, dans certaines régions, le loup ait survécu sans que l'on ait détecté sa présence. Cela n'entre pas dans vos trois catégories.

M. Benoît LEQUETTE : A priori, oui. Mais si j'ai bien compris les propos de M. Haffner, l'animal aurait pu survivre jusqu'au début des années 50, mais probablement pas au-delà.

M. Patrick HAFFNER : C'est cela.

M. Benoît LEQUETTE : Deuxième point, que nous avons déjà abordé, le loup a été, sans doute de manière erronée et simplifiée, appelé le « loup des Abruzzes » dans les médias. Or il s'agit bien du loup italien - et même maintenant d'une population italo-franco-suisse puisque certains individus sont apparus en Suisse. Quand les gens ont entendu parler du loup des Abruzzes au début des années 90, tout le monde a pris une carte et s'est dit que les Abruzzes étaient vraiment très loin, ce qui a provoqué une discussion sur l'arrivée très rapide de ces animaux. A cette époque, les populations de loup étudiées les plus proches se trouvaient à proximité de Gênes.

Troisième point, puisque la rumeur parle de lâchers clandestins - donc de réintroduction ; il faut savoir que depuis la création du parc national, d'autres rumeurs se sont répandues. On a parlé, en particulier, d'un lâcher de lynx, en 1984 et en 1987. En 1984, on disait qu'ils venaient de zoos. La rumeur a pu être démentie, mais cela a pris plusieurs mois. En 1987, à l'époque du loup de Fontan, dont certains se souviennent sans doute, localement, les gens parlaient d'un lynx et cherchaient à capturer un lynx. La presse s'en était fait l'écho, mais il s'agissait d'un loup qui a finalement été tué et qui, avant, avait provoqué de gros dommages. La rumeur d'un lâcher clandestin de lynx sur le territoire de la Vallée de la Roya s'était répandue dans la presse comme dans les rapports de la direction départementale de l'Agriculture.

A partir de cette période, des études ont été lancées sur le contexte de la disparition du loup, sur sa situation en Europe à la fin des années 80 et au début des années 90.

Premièrement, deux études, celle de M. Orsini et celle de M. Urs Breitenmoser, ont montré que les causes de la disparition du loup et d'autres prédateurs n'existent plus : le contexte écologique et humain a considérablement évolué. A l'époque de la disparition du loup en France, il y avait très peu de proies sauvages, mais, depuis, l'habitat a été fortement modifié. La France est en forte phase de reforestation ; les ongulés sauvages, par une gestion très efficace, sont en phase de colonisation et leur nombre est élevé. Les conditions de vie du loup ne sont donc plus les mêmes, d'autant que, depuis, il a été protégé, le poison a été interdit, etc. En conséquence, aujourd'hui, la présence de l'espèce est facilitée par rapport à il y a cent ans.

Dès que le loup de Fontan a été tué, des contacts ont été pris entre mes prédécesseurs au service scientifique et divers scientifiques italiens, notamment MM. Meriggi, Boscagli et Boitani. Ces personnes qui étudiaient les loups sur le versant italien ont écrit et publié des articles dans lesquels ils annonçaient le déplacement très probable du loup vers les Alpes, donc son arrivée en France. Et ce, dès 1991, soit plusieurs mois avant l'arrivée du loup.

Ces documents ont également été présentés lors d'une grande réunion placée sous l'égide de l'European Wolf Network, un réseau d'étude du loup, qui s'est tenue en 1991 et dont les actes furent publiés en 1992. En fait, l'expansion de l'animal est observée dans de nombreux pays européens : en Espagne, dans tous les pays scandinaves mais aussi en Allemagne, en Italie et autres. Il n'est pas étonnant que l'espèce, à partir des dernières populations qui avaient survécu depuis que le loup était protégé, ait pu voir son territoire s'accroître.

Une rumeur est née également autour d'un colloque qui s'est tenu à St Jean-du-Gard, dont je puis vous remettre le compte rendu, à propos d'une carte en page 62 de ces actes - à mon avis, il s'agit sans doute d'une erreur de rédaction ou de présentation - qui montrerait, en pointillé, un projet éventuel de réintroduction du loup qui aurait été présenté par M. de Beaufort. Or, dans les actes du colloque, la présentation de M. de Beaufort ne fait nullement référence à ce projet. Dans la mesure où il s'agit d'un argument qui nous a été donné récemment, je vous ai amené ces pièces. A priori, il s'agit plus d'une erreur de publication que de paroles ayant été prononcées lors de ce colloque.

Parlons plutôt de ce qui a été fait - puisque cela relève plus de mon domaine - en matière d'études scientifiques depuis le retour du loup.

J'ai pris mes fonctions en juillet 1993, quelques mois après l'arrivée du loup. Les premiers six mois, nous avons surtout essayé de répondre à la question qui s'impose dès l'abord : s'agit-il bien de loups ? Combien sont-ils ? Les deux sexes sont-ils présents - pour savoir s'il y avait possibilité de reproduction ?

Je l'ai déjà dit, un loup a été trouvé en juillet 1993. Cela a permis de répondre à la première question. Il s'agissait bien de loups ; ils avaient passé plus de six mois sur place ; donc, ils étaient bien implantés. Et nous avons eu la preuve, au cours de l'hiver suivant, qu'ils s'étaient reproduits car la meute avait augmenté de manière significative.

Parmi les études lancées à cette époque, un des premiers points a consisté à chercher à définir l'état sanitaire de la population : était-elle sensible à certaines maladies communes aux chiens et aux loups ? Tous les animaux retrouvés ont été autopsiés.

Nous avons ensuite très vite cherché à développer des analyses génétiques des individus pour connaître leur origine géographique, établir les relations de paternité entre jeunes produits et adultes ; connaître leur nombre et avoir une idée assez précise de la dynamique de population. Les premiers contacts ont été pris au cours de l'été 1993. Pierre Taberlet vous indiquera les résultats que l'on peut tirer de ces études.

En ce qui concerne l'étude des effectifs d'une population de loups, il existe plusieurs manières d'aborder la question, en suivant des techniques différentes. La seule à notre disposition était de suivre et de comptabiliser les différents loups pendant l'hiver, période où l'on a la possibilité d'avoir des traces dans la neige. La méthode mise en place a, par la suite, été validée par différentes instances et comités scientifiques du parc national, notamment le comité scientifique national sur le loup, qui avait été créé par le ministère de l'environnement, et le comité scientifique de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage.

Deuxièmement, le parc national a participé à la rédaction d'une carte sur les habitats potentiels en tenant compte des caractéristiques écologiques, même si elles sont très larges, de préférence d'habitat du loup. Il s'agit d'une des cartes qui vous a été présentée par M. Boitani. Cette carte sur les potentialités de présence de l'espèce couvre tout l'arc alpin - la Suisse, la France et l'Italie.

Dernier point étudié, l'étude de l'impact du loup sur les proies, notamment les proies sauvages a été abordée par des comptages des ongulés sauvages pour voir comment ces populations évoluaient, mais également par le biais d'éléments sur les taux de reproduction ; il s'agissait de déterminer les classes d'âge les plus touchées, notamment ce qu'il en était des jeunes produits, et également d'étudier la vigilance.

Nous nous sommes ainsi rendu compte en étudiant l'impact du loup sur les mouflons que ce dernier était particulièrement sensible à la prédation du loup, contrairement aux autres ongulés de montagne. En fait, le mouflon est originaire de Corse et a été introduit dans les Alpes. On pense qu'il est issu d'un marronnage, c'est-à-dire qu'il est le fruit du retour à l'état sauvage d'un mouton domestiqué il y a très longtemps, une sorte d'ancêtre du mouton qui serait revenu à l'état sauvage. Il s'avère qu'en milieu alpin, cet animal a du mal à vivre. Il est très sensible au froid et, quand il neige, nous constatons des mortalités catastrophiques.

M. le Rapporteur, vous vous souvenez sans doute que dans la haute vallée de l'Ubaye, pendant deux hivers successifs, jusqu'à soixante-dix mouflons sont morts de faim, bloqués dans la neige. Ils n'arrivaient pas à se nourrir.

Nous avons constaté qu'en présence de loup, ces animaux étaient capturés fréquemment. Le terme « vigilance » est une manière de décrire le comportement de défense anti-prédateurs. Nous avons remarqué que les mouflons peuvent rester vingt minutes la tête dans l'herbe à brouter sans regarder autour d'eux. Il est donc bien plus facile à un loup de s'en approcher et de les capturer que cela ne l'est dans le cas du chamois qui, lui, relève la tête régulièrement pour surveiller les alentours.

Le régime alimentaire a également été étudié au travers des restes des poils des proies et des matières fécales. Tout cela figure dans une série de rapports que je vous ai remis.

Les résultats obtenus correspondent assez parfaitement à ce qui est habituellement connu dans le reste des populations étudiées en Italie, mais aussi dans d'autres populations de loups. Tous ces éléments seront développés par MM. Taberlet et Duchamp.

Sur la base des éléments en ma possession qui concernent à la fois le contexte historique de la disparition et les caractéristiques du retour et de l'expansion en Italie, dans les Alpes, mais aussi dans d'autres pays de l'Europe, et sur la base des connaissances issues des études scientifiques, démographiques et génétiques - c'est un argument fort -, face aussi à la faiblesse de l'argumentation scientifique en faveur d'une réintroduction - les arguments avancés ne m'ont toujours pas convaincu et si parfois j'ai un doute, croyez que je les examine de très près - il m'apparaît que l'hypothèse du retour naturel est à retenir. C'était ma conclusion.

M. François BROTTES : Je veux simplement contester le terme « indiscutable ». Sinon, il serait inutile de discuter. Que ce soit votre point de vue, je le veux bien...

M. Benoît LEQUETTE : J'ai choisi ce terme en connaissance de cause. Mais, effectivement, nous sommes là pour discuter.

M. François BROTTES : En accord avec M. le rapporteur, je donne tout de suite la parole à M. Duchamp qui travaille sur un domaine très voisin à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Mes chers collègues, nous poserons ensuite des questions sur les deux exposés que nous aurons entendus.

M. Christophe DUCHAMP : A l'ONCFS, je travaille au CNERA PAD (Centre national d'études et de recherches appliquées sur les prédateurs prédateurs et animaux déprédateurs) car, aujourd'hui, l'Office national a en charge le suivi des loups, ou du moins de l'animation d'un réseau de correspondants à grande échelle qui sert à suivre le loup dans toutes les Alpes.

Je traiterai de deux sujets : les méthodes de suivi et l'aspect colonisation.

Quand vous commencez à analyser un système biologique, si vous prenez un point x à un instant t à un endroit s, vous ne savez rien. Vous êtes bien à l'instant t à l'endroit s, mais vous ne savez pas si vous y êtes venus en bus ou en courant de chez vous. On pose donc deux hypothèses. En l'occurrence : retour naturel ou retour artificiel. Mais si l'on en reste à une échelle aussi petite que ce seul point, on n'avance pas ; le principe est donc de prendre du recul dans le temps et l'espace et d'analyser selon divers angles : le premier est le niveau spatial - la répartition dans l'espace ; le deuxième est le niveau démographique - les taux de croissance de population, natalité, mortalité, etc. ; le troisième sont les structures génétiques des populations.

Au niveau spatial, si l'on compare une carte de la population en 1977 et une autre de la population en 1992, les données italiennes font ressortir un système de colonisation par taches. Dans les années 60, en Italie, la population était réduite à deux noyaux. Depuis, elle a progressé non seulement vers le nord, mais également vers le sud de l'Italie. On voit très bien ces patchs dispersés le long de la chaîne des Apennins vers le nord. Cette dispersion se combine bien aux capacités du loup. Il suffit pour s'en convaincre de se pencher sur la petite revue bibliographique que je vous ai amenée de ce que l'on peut trouver dans la littérature scientifique sur le sujet, puisqu'il sort en moyenne plus de cent articles scientifiques par an dans des revues internationales sur le loup. Ainsi, de nombreuses études permettent de collecter « les distances de dispersion », c'est-à-dire la distance parcourue par un animal qui est né sur un territoire et qui, en moyenne à l'âge d'un an révolu, va quitter ce territoire pour aller coloniser un nouveau territoire et pouvoir ainsi accroître ses chances de se reproduire.

Dans ce document figure les distances moyennes : par exemple, en Norvège, la distance moyenne est de 313 kilomètres selon les différentes études. En fait, les distances de dispersion varient de 80 à 800 kilomètres. Beaucoup de ces études ont été réalisées par radiotélémétrie - c'est-à-dire que des colliers émetteurs posés sur des loups ont permis de suivre plus aisément la dispersion. C'est le seul moyen d'arriver à estimer des distances d'un point à un autre et d'obtenir ces types de résultats.

Le champ peut s'étendre. Les distances que fait apparaître cette revue d'articles vont de 8 à 354 kilomètres ; de 40 à 840 kilomètres ; de 23 à 732 kilomètres et de 16 à 375 kilomètres, selon les différentes études. Vous avez toutes les capacités possibles. Ce mécanisme de dispersion peut être très variable selon les sites.

Parmi les causes déjà identifiées, vous avez notamment le milieu de vie : les loups qui vivent en plaine colonisent sur des distances plus faibles qu'en montagne.

De même, la dispersion varie selon que vous avez une population en expansion ou déjà stable, selon que les densités sont fortes ou faibles, car les loups vivent en territoires contigus et, une fois l'espace entre deux territoires comblé, il est très difficile pour un loup d'intégrer une autre meute. Cela peut cependant arriver car quelques cas montrent que l'intégration est parfois possible mais, généralement, il se déplace plus loin pour aller coloniser. Comme vous pouvez l'apprécier sur ces documents, dans toutes les populations en expansion, les distances de dispersion sont, en moyenne, de plus de 250 kilomètres.

Enfin, vous avez l'aspect démographique : les taux de croissance de la population font ressortir qu'en Norvège, il est de + 25,5 % par an sur huit ans. Dans le Montana, une étude a montré qu'il y avait eu 13 meutes supplémentaires en quinze ans. Les deux autres études sur le Minnesota ne donnent aucune référence sur ce taux. Vous trouvez aussi dans une période de contrôle des populations par le gouvernement américain, un taux de - 21 % pendant deux ans mais, ensuite, la reprise du taux de croissance a été de 87,5 % sur deux ans après l'arrêt des contrôles.

Ces deux facteurs, niveau reproductif et de dispersion, montrent bien que la capacité de l'espèce à croître de façon exponentielle est énorme.

M. François BROTTES : Le contrôle, c'est la régulation ?

M. Christophe DUCHAMP : Oui, il s'agit de contrôle par tir.

On constate que les deux sexes se dispersent de façon équivalente, mâle comme femelle. On entend souvent dire que ce sont seulement les mâles qui se dispersent : c'est totalement faux.

Le taux de croissance potentiel, basé sur un petit modèle très simple reposant sur des facteurs de natalité et de mortalité, est de 46 % par an, soit un taux de multiplication de 1,62 par an - en tenant compte d'un taux de survie adulte de 0,9 (soit 90 %), d'un taux de survie des jeunes de 50 % seulement, etc.

La situation en France est la suivante : la présente carte montre les indices de loup de l'hiver 2002. Pour retracer l'histoire de cette colonisation, est notifiée en encadré la première date - 1997-1998 - dans le Queyras est celle de la première apparition de la confirmation d'un loup sur ce site. Au niveau du Mercantour, vous avez la Vésubie-Tinée en 1992-1993, pour le premier hiver. Puis, il y a une colonisation au niveau de la Vésubie-Royat en 1994-1995. Deux hivers se sont écoulés. Ensuite, un groupe est venu se former en 1996-1997 en Haute Tinée, suivant toujours le système de colonisation par tache. Ensuite, par comblage des espaces interstitiels entre les deux, il y a colonisation de la Moyenne Tinée. En 1997-1998, le processus se poursuit dans les Alpes du Nord. En 1997-1998, vous avez déjà des loups dans le Queyras, c'est aussi la date des premières observations dans le massif des Monges. Notez que la plupart des premières observations sont des observations visuelles : quelqu'un rapporte une observation visuelle d'un quart de secondes et nous affirme que c'est un loup. C'est ensuite à nous, dans le cadre du réseau Loup, soit 450 personnes formées à cette tâche, - des agents d'Etat pour l'essentiel - de prendre sa déposition en essayant de faire converger plusieurs critères. Il existe un système de fiches de relevés techniques à partir desquels il sera décidé de la fiabilité de l'observation. Cela pour n'importe quel type d'indice : observations visuelles, poils, matières fécales, etc.

Je poursuis l'évolution de la colonisation : en 1998-1999, on le voit dans le Béal traversier ; puis, dans le Massif de Belledonne, puis, celui du Vercors et, aujourd'hui, nous avons les premières données confirmant la présence de loups dans la Vallée de la Clarée, dans les Hautes-Alpes. Nous avons également les premières données concernant la vallée de l'Ubaye, espace interstitiel encore vacant entre la Haute Tinée et le Queyras.

Nous voyons bien le schéma de colonisation par taches suivi du comblement des espaces interstitiels, largement connu par ailleurs.

La méthodologie retenue pour le relevé des effectifs de loups est le suivi des pistes dans la neige. C'est la méthode de référence utilisée partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis. Le principe consiste à relever la taille des groupes de loups qui se déplacent ensemble. Cela se pratique en hiver parce que c'est la période où la cohésion sociale de la meute est la plus forte. Le printemps et l'automne sont les périodes de dispersion, des jeunes partent, donc, vous n'avez jamais le groupe dans son ensemble, et entre les deux, c'est la période de reproduction. La période hivernale est donc la plus appropriée. Et l'on retient la plus grande taille de groupe observée, soit à partir de traces, soit à partir d'observations visuelles fiables - c'est-à-dire observées et confirmées.

Aujourd'hui, chaque zone de présence permanente du loup fait l'objet d'un suivi intensif, représentant plus de cinquante journées-agent par mois. Il y a donc une très forte pression d'observation. Bien sûr, nous ne pouvons l'exercer partout sur 2 millions d'hectares. C'est pour cela que nous nous concentrons pour l'estimation des effectifs sur les zones de présence permanente clairement identifiée.

Ensuite, vous avez des zones de présence temporaires comme dans l'Ubaye ou sur le plateau de Canjuers. La présence a été déjà certifiée au niveau génétique, mais elle est discontinue dans le temps et nous n'arrivons pas à mettre en évidence une présence permanente ; donc, soit celle-ci n'existe pas, soit nous n'arrivons pas à la mettre en évidence.

Je ne m'étendrai pas sur la carte de potentialité dont M. Boitani a déjà parlé.

Le dernier aspect est l'aspect génétique. J'en dirai deux mots avant de donner la parole à M. Taberlet, expert en la matière, avec lequel nous collaborons beaucoup car nous travaillons dans des disciplines différentes, lui, en génétique des populations et, nous, en dynamique des populations.

Les différents cas ayant fait l'objet d'une expertise de cadavres étaient tous de lignées italiennes. En ce qui concerne l'expertise d'excréments et de poils, 242 excréments sont passés à l'analyse pour la zone hors Mercantour. Parmi ceux-ci, 96 ont été identifiés Canis lupus, c'est-à-dire provenant de loups, les autres venaient de chiens ou autres animaux (renards ou chiens). Sur ces 96, 94 ont été identifiés Canis lupus de lignée italienne : soit 99,8 %. Les deux seuls animaux qui n'étaient pas de lignée italienne, étaient de lignée américaine. Ils s'étaient échappés de Montpellier et ont été récupérés et remis en zoo.

Ensuite, Pierre vous parlera sans doute des typages individuels.

Dans le Mercantour, vous avez la même chose : sept cadavres, tous de la lignée italienne ; les expertises d'excréments, pour l'instant au nombre de quarante six, ponctuellement relevés au fur et à mesure de la colonisation ont été analysées et aujourd'hui, plus de trois cents sont en cours d'analyse dont les résultats devraient être disponibles à la fin du printemps prochain.

En conclusion, si je reviens à nos deux hypothèses de départ - retour naturel ou artificiel - au niveau génétique, le retour artificiel implique d'aller chercher les individus dans un parc ou un enclos. Dès lors si vous considérez qu'il existe dans les parcs une répartition équitable, c'est-à-dire autant de loups italiens qu'américains ou polonais - ce qui n'est pas le cas puisque dans la plupart des zoos, vous avez des plutôt des loups polonais ou américains parce qu'ils sont plus jolis, plus gros avec plus de fourrure - vous devriez retrouver des chiffres similaires dans les analyses faites sur place. Or ce n'est pas le cas, puisque l'on a 99,8 % de chance d'avoir du loup italien.

Donc, en prenant ces trois angles d'entrée, que ce soit le spatial, le démographique ou le génétique, tout converge sans aucune ambiguïté vers un système de retour naturel et rien ne permet de croire à un retour artificiel.

M. François BROTTES : Nous vous remercions d'avoir exprimé votre point de vue.

M. le Rapporteur : Elu de la Vallée de l'Ubaye, j'aimerais savoir pour quelle raison une véritable chape de plomb a été posée sur tout ce qui concernait le loup dans le Mercantour. Nous n'avions aucun renseignement. On nous a même dit qu'il n'y avait pas de loup dans le Mercantour. Pourquoi le parc a-t-il ainsi nié sa présence et nie toujours d'ailleurs les dégâts que celui-ci inflige aux autres espèces protégées ?

Un de mes amis a dernièrement assisté vers Saint-Paul-sur-Ubaye à une scène d'attaque de loups sur des chamois. Heureusement, cet ami n'était pas seul sinon, on ne l'aurait pas cru. En fait, il disparaît beaucoup de mouflons, de chamois et d'animaux protégés du parc. Vous êtes, monsieur Lequette, le premier que j'entends reconnaître que le loup tue.

Donc, j'aimerais tout d'abord savoir combien de loups disparaissent par an car il en disparaît puisqu'il y a quelques jours encore un chasseur en a tué un avec un lacet - il est d'ailleurs traîné devant les tribunaux. J'aimerais également connaître le pourcentage de l'activité du parc du Mercantour consacré au loup et savoir pourquoi, si le retour du loup était prévisible en France, il ne s'est pas produit plus tôt. Enfin, j'aimerais connaître le nombre exact de loups dans le Mercantour pour vérifier si les chiffres qui ont pu nous être donnés correspondent aux vôtres.

M. Benoît LEQUETTE : Tout d'abord, en ce qui concerne la chape de plomb, comme je vous l'ai signalé, j'ai pris mes fonctions un peu après cette période. D'après les courriers que j'ai retrouvés et les échanges que j'ai pu avoir à mon arrivée avec mes prédécesseurs, je pense que les responsables en poste à l'époque ont alerté très vite le ministère chargé de l'environnement. Pour eux, la question primordiale était de s'assurer, de façon absolue, qu'il s'agissait bien de loups avant de lancer l'information afin de ne pas crier au loup alors qu'il aurait pu s'agir de chiens errants.

Tous les suivis sur le terrain assurés par les gardes durant l'hiver 1992-1993 ont servi à voir si les animaux étaient là de manière stable, s'ils chassaient des ongulés sauvages ou des ongulés domestiques et à rechercher des indices, taille des traces et autres visant à confirmer des hypothèses - loup ou chien ensauvagé. Même si les gardes qui les avaient observés étaient quasiment sûrs qu'il s'agissait de loups, la direction du parc n'en était pas sûre et a attendu d'avoir la certitude avant de diffuser l'information, laquelle, vous le savez, a été divulguée par la presse avant même que l'administration le fasse - puisque c'est dans un article de Terre Sauvage qu'elle le fût pour la première fois, au moment où l'administration n'en était pas encore certaine.

Concernant l'impact des loups sur les ongulés, nous avons un protocole de suivi des ongulés sauvages. Il ne concerne pas toutes les espèces parce que les techniques sont très lourdes et que nous ne disposons pas des moyens humains pour suivre toutes les populations de sangliers et de chevreuils, par exemple. Mais en ce qui concerne le chamois, le mouflon et le bouquetin, qui est une espèce protégée, le suivi est réalisé.

Pour le chamois, le dernier comptage a eu lieu sur deux ans, aux automnes 2001 et 2002. Actuellement, nous sommes toujours en phase de progression des populations de chamois dans le Mercantour. En 1981, quelque temps après la création du parc, on décomptait presque 1 700 chamois ; en 2002, ils étaient 9 000. La population a donc continué de progresser, même si localement, sur certains territoires, le nombre de chamois est stabilisé, voire en baisse. Cela se produit sur deux ou trois communes de la Vésubie et de la moyenne Tinée.

Il peut y avoir diverses explications dont le loup, mais d'autres raisons peuvent aussi être évoquées, notamment, lorsque l'on rapporte des chiffres à certaines communes. Comme les chamois fonctionnent par massif montagneux - ils ne connaissent pas les limites communales - de petites populations peuvent s'être déplacées d'une commune à l'autre engendrant, d'un comptage à l'autre, des variabilités dans la mesure des évolutions.

Mais, a priori, entre 1997-1998 et 2001-2002, date du dernier comptage, la population des chamois a progressé selon un accroissement annuel moyen de 5,3 %.

Le loup consomme effectivement ces ongulés. Les premières analyses de régime alimentaire que nous avions effectuées et publiées dans les années 1995 montraient que les ongulés sauvages représentaient sur l'année l'essentiel du régime alimentaire du loup et que, parmi eux, le chamois et le mouflon étaient les proies prépondérantes. Depuis, les analyses ont été poursuivies par l'ONCFS et, bien qu'elles ne soient pas encore toutes publiées, elles montrent qu'effectivement quelques bouquetins sont aussi mangés. Retrouver du bouquetin dans l'analyse de matières fécales signifie bien que cet animal a été consommé. Cependant, il faut savoir que l'on émet l'hypothèse que le loup l'a consommé alors qu'il pourrait s'agir d'excréments de chiens et que ces analyses ne permettent pas de dire si l'animal est mort dans une avalanche ou s'il a été tué. Pour moi, il ne fait aucun doute que les loups doivent, de temps à autre, tuer des bouquetins quand ces derniers sont accessibles.

Néanmoins, je marquerai une différence entre le mouflon et les autres ongulés sauvages que sont le chamois, le bouquetin, le cerf, le chevreuil et le sanglier. En effet, le nombre de mouflons a fortement baissé, notamment celui de certaines populations du Mercantour. Dans de petites populations de Moyenne Tinée, nous avons constaté certaines années une absence quasi totale de survie des jeunes. La population qui a le plus négativement évolué depuis la présence du loup est une population située sur le vallon de Molière, lieu où le loup a été observé pour la première fois en 1992. Il y a eu là un impact certain puisqu'en 1993, ils étaient cent soixante-neuf mouflons et, en 2002, ils n'étaient plus que cinquante-cinq. Il est vrai que, d'un point de vue biologique, le mouflon est une espèce introduite et n'est pas très bien adaptée aux prédateurs.

On retrouve aussi, vous avez raison, des loups morts. Il y a du braconnage. Comme vous l'avez peut-être compris, nous ne connaissons pas tous les loups présents. Nous effectuons ces comptages hivernaux qui ne nous permettent certainement pas de compter tous les loups. La génétique nous permettra de confronter les observations de traces et les résultats de l'analyse des excréments et nous pourrons alors les attribuer à des individus différents. Comme nous ne suivons pas les animaux au fil des jours, il se peut qu'il y en ait qui meurent, que nous ne retrouvons pas. Le premier animal retrouvé mort en juillet 1993 avait été emporté par une avalanche et déposé dans un arbre dans le couloir d'avalanche. Si un agent du conseil général n'était pas passé sur le versant d'en face pour repérer des sentiers, nous ne l'aurions jamais trouvé. Il est très difficile de retrouver des animaux morts.

Malgré tout, dans la mesure où il y a eu des cas d'empoisonnement, nous avons lancé un protocole de suivi des cas d'empoisonnement de la faune sauvage. Je vous ai aussi remis ce tableau. Il regroupe plusieurs dizaines d'animaux. Pour l'essentiel, ce sont des renards, mais aussi des martres et des blaireaux ainsi que trois loups ; l'un retrouvé parce qu'il a été déposé devant une maison du parc à Saint Martin-Vésubie et les deux autres détectés grâce à des regurgita de sang dans la neige sur une trace de loup qui, après analyse génétique du sang réalisée par le laboratoire vétérinaire de Grenoble, nous ont permis de confirmer qu'il s'agissait bien d'un loup et qu'il avait été empoisonné. Il existe donc des cas de mortalité liés à l'homme, volontaires, de braconnage, mais nous avons beaucoup de mal à savoir combien de loups en meurent par an.

M. François BROTTES : Vous n'avez pas dit combien il y a de loups dans le Mercantour.

M. Benoît LEQUETTE : Le transparent qui vous est présenté reprend la situation depuis le retour du loup en novembre 1992 : hiver 2001-2002, il y avait trois meutes avec trois individus et une meute avec six individus, soit un total pour une population minimale estimée de douze individus. Quelques années, avant, nous étions arrivés à un total de dix-huit ou dix-neuf individus, car nous ne sommes jamais sûrs à un individu près.

M. le Rapporteur : On nous a parlé de quarante, voire cinquante loups.

M. Benoît LEQUETTE : Le même protocole est toujours appliqué en hiver, entre novembre et mars, et le nombre d'individus retenu pour chaque groupe correspond au nombre maximum d'individus différents trouvé, ce nombre devant être confirmé par la suite au moins une fois au cours de cette période. En revanche, nous ne prenons pas en compte les animaux périphériques dont nous n'avons pas la certitude qu'ils appartiennent à une meute.

M. le Rapporteur : Quand on voit les dégâts qu'ils ont occasionné sur les troupeaux cet été et l'espace occupé, on voit bien qu'ils sont plus nombreux.

M. Benoît LEQUETTE : Je pense en effet qu'ils sont plus nombreux. Il s'agit d'un nombre minimum. La génétique nous apportera un nombre beaucoup plus fiable parce que, comme le comptage de ces loups s'effectue grâce aux traces mais également aux excréments, il sera possible de savoir combien d'individus différents sont présents. Mais, pour le moment, nous n'avons pas d'autre méthode pour donner un chiffre autre.

M. François BROTTES : La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé MARITON : Je n'ai pas de certitude scientifique, mais j'ai entendu M. Duchamp s'exprimer tout à l'heure et je souhaitais attirer l'attention sur des formulations qui me paraissent surprenantes.

Vous expliquiez, par exemple, monsieur, que s'il y avait eu réintroduction, les loups réintroduits auraient dû provenir de sources différentes et que, comme il existe une grande homogénéité, c'est donc qu'il n'y avait pas eu réintroduction. C'est bien ce que vous nous avez expliqué en soulignant que dans les zoos, on avait plutôt des loups de telle ou telle origine pour les raisons que vous avez dites. Je ne sais pas s'il y a eu réintroduction ou non mais, puisque nous sommes là dans un exercice de logique pure, rien ne permet de dire que la réintroduction, si elle a eu lieu, et je n'en sais rien, ait eu lieu de manière homogène ou non.

Quand vous dites que puisque l'on peut dire qu'il y a une grande homogénéité de la population, c'est donc que le loup n'a pas pu être réintroduit parce que sa réintroduction se serait faite sur des populations hétérogènes, je ne vois absolument pas sur quoi vous pouvez fonder un tel énoncé.

Deuxième point, je n'ai pas compris comment de 94 sur 96 cas, vous êtes passé à un pourcentage de 99,8 %. Ce n'est qu'un point que je relève pour sourire, mais en ce qui concerne le premier, réellement, excusez-moi de pinailler, mais vous êtes un scientifique et vous livrez devant la commission d'enquête une analyse qui se doit d'être rigoureuse. J'ai du mal à comprendre ce qui vous permet de passer de la présentation rigoureuse de l'analyse scientifique que vous nous faites à l'énoncé que je viens de résumer.

Je suis preneur d'autres réactions à ce sujet parce que je trouve que l'on passe d'un exposé scientifique à quelque chose qui l'est un peu moins.

M. Christophe DUCHAMP : J'ai essayé de présenter le problème de manière très impartiale. Nous partons d'une hypothèse à 50 % d'uniformité, ce qui est logique. Ensuite, par rapport à ce que vous énoncez de la distribution des animaux italiens qui représentent 94 échantillons sur les 96 qui sortent loups - d'où mon pourcentage de 99,8...

M. Hervé MARITON : A mon avis, cela ne fait pas 99 % mais, par contre, sur les origines, au nom de quoi, pouvez-vous nous dire...

M. Christophe DUCHAMP : Il s'agit d'une procédure statistique basée sur une hypothèse d'uniformité. Dès lors que vous avez une distribution qui n'est pas homogène à la base car, concrètement, cela voudrait dire que la personne qui les aurait amenés serait allée se servir toujours au même endroit, dans un enclos de loups italiens, qu'elle se serait toujours approvisionnée au même endroit et à plusieurs reprises. Or on sait qu'il en existe trois en Italie et qu'ils sont contrôlés par l'Etat.

Donc, en termes de procédures statistiques, si vous prenez un loup dans un enclos et le mettez dans la nature, vous devriez sur le plan des origines génétiques retrouver la distribution que vous aviez au départ dans les enclos. C'est une procédure totalement statistique, mais la biologie n'étant pas une science exacte, nous fonctionnons en modèle probabiliste : à partir d'une hypothèse, on exclut une hypothèse en donnant une probabilité associée à cette hypothèse.

M. Hervé MARITON : Je ne suis qu'un assez mauvais scientifique, mais dès lors que vous émettez l'hypothèse d'une intervention humaine, confirmée ou infirmée, rien ne permet en effet d'exclure que cette intervention se fasse sur les mêmes enclos, une telle hypothèse semble échapper aux arguments que vous venez de nous présenter. Je ne connais pas votre domaine mais il me semble que vous assimilez des démarches de nature quelque peu différente.

M. François BROTTES : Je propose que nous demandions l'avis de M. Boitani sur cette question assez fondamentale et sur la méthode qui a été présentée.

M. Luigi BOITANI : Je ne peux qu'ajouter que pour que ce qui a été dit ait lieu, il faudrait assumer une réintroduction qui envisage l'utilisation d'animaux de la même souche c'est-à-dire d'un même point d'origine de loups italiens disponibles en Italie. Or j'ai expliqué qu'en Italie, il n'existe pas de tels points d'approvisionnement en loups italiens car il n'existe que trois enclos qui n'ont jamais libéré ou cédé d'animaux à qui que ce soit. Il n'est donc pas possible d'imaginer qu'il y ait eu une réintroduction artificielle avec des animaux qui aient été prélevé dans des enclos italiens, car de tels enclos n'existent pas. Donc, l'explication la plus simple et la plus facile - et en biologie, les explications les plus élégantes sont les plus vraies - c'est que le loup, qui se trouve à quelques kilomètres de distance, a simplement traversé la frontière exactement comme cela se produit aujourd'hui pour les Suisses qui observent la même situation à leur frontière, la zone la plus proche étant les Alpes Maritimes. Il n'existe pas d'enclos de loups italiens autres que les trois que j'ai cités, où l'on puisse prélever des loups pour les amener en Suisse. La situation est conforme à la capacité naturelle du loup de franchir ces distances.

M. François BROTTES : Je vous remercie. Je propose d'en venir à l'aspect d'analyse génétique qui est l'un des plus intéressants car il donne le sentiment d'être incontestable. M. Taberlet a été cité à de très nombreuses reprises depuis que nous menons ces auditions - y compris pour nous dire parfois que comme il est le seul à s'exprimer sur le sujet, il serait bon de lui trouver un contre-expert. En tout cas, il va nous dire ce qu'est sa pratique, ses résultats, ce à quoi il parvient et en quoi la méthode utilisée ne mérite pas forcément de contre-expertise.

M. Pierre TABERLET : Directeur de recherche au CNRS, je dirige le Laboratoire d'Ecologie Alpine à Grenoble. Ce laboratoire, qui a des compétences en génétique des populations, est connu internationalement pour le développement de méthodes non invasives en génétique, c'est-à-dire l'utilisation de poils et de matières fécales comme source d'ADN. Il est également connu en phylogéographie/biogéographie qui concerne les aspects historiques, c'est-à-dire ce que la génétique peut nous apporter sur l'histoire récente des espèces.

Je vais essayer de résumer les travaux sur le loup que nous avons tous réalisés à la demande du ministère de l'environnement depuis 1996. Trois questions principales nous ont été posées : la première concernait l'origine des loups du Mercantour - à ce que je comprends, elle est toujours d'actualité ; la seconde était de savoir s'il était possible d'identifier l'espèce et la lignée à partir d'indices collectés sur le terrain ; la dernière était de savoir s'il était possible d'identifier les individus et leur sexe à partir d'indices collectés sur le terrain. Nous avons répondu aux deux premières, et également à la troisième mais avec plus de difficultés.

Un rappel technique pour mieux comprendre la suite. On trouve dans les cellules animales, donc dans celles de loup, par exemple, deux types d'ADN : de l'ADN dans le noyau de la cellule que l'on appelle l'ADN nucléaire. Transmis par les deux parents, il permet de reconnaître l'individu et d'identifier son sexe. Il ne faut pas le confondre avec l'ADN mitochondrial, qui est un tout petit fragment d'ADN très particulier, car il est présent à de très nombreuses copies par cellule, ce qui le rend plus facile à étudier. Quand on ne parvient pas à étudier de l'ADN nucléaire, souvent, on arrive à étudier l'ADN mitochondrial. Celui-ci nous permet d'identifier l'espèce et la lignée. Ce sont donc deux caractéristiques bien différentes.

Je commencerai par l'identification de l'espèce et de la lignée. C'est le travail que nous avons réalisé au niveau historique. Nous avons utilisé des poils et des matières fécales comme source d'ADN. Nous avons séquencé ce que l'on appelle la « région de contrôle » de cet ADN mitochondrial - soit une région de trois ou quatre cents paires de base environ, qui est relativement variable - et, information très intéressante, nous avons trouvé à cette époque, en même temps qu'Ettore Randi en Italie, que la lignée italienne de loups possède une séquence mitochondriale qui est tout à fait unique au niveau mondial. C'est extrêmement intéressant car cela veut dire que, par la suite, on a pu caractériser cette lignée italienne.

Si nous avions fait ces mêmes recherches en Europe de l'Est, où il y a plusieurs lignées mélangées dont certaines sont même communes avec le chien, nous n'aurions pas pu distinguer à 100 % le chien du loup et nous aurions eu plusieurs lignées différentes. Ce n'était pas le cas avec cette lignée italienne.

Or cette connaissance n'a été trouvée qu'en 1996. C'est un point intéressant à souligner parce que beaucoup d'échantillons de 1992 ou 1993 ont été analysés rétrospectivement, ce qui veut dire que s'il y avait eu une réintroduction, les personnes ayant participé à cette réintroduction auraient drôlement anticipé sur les avancées scientifiques du moment. Cela aurait été un peu surprenant.

M. François BROTTES : C'est une hypothèse.

M. Pierre TABERLET : C'est une hypothèse, si vous le voulez. Cela sur plusieurs centaines d'individus analysés au niveau mondial.

Il faut quand même signaler que l'ADN mitochondrial pose un problème car comme il n'est transmis que par les femelles, si l'on a un croisement entre une louve et un chien - cela peut arriver en fait, l'hybride sera identifié comme étant un loup du moment que sa mère est un loup. C'est une des limitations de la méthode. Je ne pense pas, d'après ce que l'on connaît des travaux d'Ettore Randi en Italie, que cela se produise fréquemment, mais ce n'est pas impossible.

Pour dresser l'historique, je serai bref. En 1992-1993 : le Mercantour puis Aspres-les-Cors ; 1994-1995 : le loup des Vosges qui était de la lignée italienne - je ne vous parle que de la lignée des loups italienne ; 1996 : le Valais, le Massif des Monges et Canjuers ; 1997 : la Savoie et le Massif Central. En 1998, il n'y a pas eu d'individus très éloignés ; en 1999-2000, un individu est repéré dans le Massif Central et un autre dans les Pyrénées-Orientales.

Quand on cumule toutes ces données, la présence d'individus relativement isolés à quelques centaines de kilomètres de zones où l'on sait qu'il est installé, semble être plutôt la règle que l'exception.

Voilà donc pour cette vue globale et cette colonisation à longue distance qui correspond tout à fait à ce que nous a expliqué le professeur Boitani dans son exposé.

Que peut-on conclure sur l'identification de l'espèce et de la lignée à partir de l'ADN mitochondrial ?

Premièrement, il est parfaitement possible de discerner le chien du loup en France, quand il s'agit de la lignée italienne, à partir d'indices collectés sur le terrain. Deuxièmement, la lignée italienne est identifiable de manière certaine ; nous avons eu de la chance. Reste toujours le problème des hybrides potentiels sur lesquels nous n'avons pas d'indications. Enfin, je peux en conclure que les localisations tant géographiques que temporelles (dates d'arrivée) sont parfaitement compatibles avec une recolonisation naturelle. Je pèse mes mots : « parfaitement compatibles ».

Alors une parenthèse, en collaboration avec Luca Fumagalli de l'université de Lausanne, qui a organisé les expérimentations complémentaires et échantillonné les loups du XIXème siècle dans des musées à travers l'Europe, dont je vais vous présenter une toute petite partie des résultats, il apparaît que la lignée présente en Italie aujourd'hui était la plus fréquente avant le goulot d'étranglement passé. C'est un peu logique. Ce qui est plus surprenant, c'est que cette même lignée était présente en France au XIXème siècle.

Quand on pose cela sur une carte de répartition, on a cinq individus provenant de museum qui possédaient cette lignée italienne d'ADN mitochondrial et qui ont été retrouvés dans la partie nord de la France. Cela signifie que tous ces individus possédaient un ancêtre maternel commun avec les loups qui étaient très communs en Italie. Cela confirme ou est en parfait accord avec ce que l'on sait de la dispersion du loup, à savoir que c'est un animal qui se disperse beaucoup : même en ayant un ancêtre commun à un temps t, il peut, quelques années plus tard, y avoir des individus répartis sur une zone géographique très large.

Je vais poursuivre mon exposé par l'identification des individus et de leur sexe.

De la même façon, nous avons utilisé des poils et des matières fécales comme source d'ADN et avons analysé des régions hypervariables d'ADN nucléaire, que nous appelons les microsatellites. Nous utilisons les mêmes techniques que celles qu'emploie la police scientifique sauf que, sur le loup, elles sont plus difficiles à développer car nous avons beaucoup moins de connaissances génétiques. Cela demande donc plus de développements au départ.

Nous identifions le sexe en amplifiant une petite région du chromosome Y, qui n'est présent que chez les mâles. Ces analyses sont difficiles, car nous sommes en limite au niveau technique en raison des faibles quantités disponibles d'ADN. Mais notre laboratoire a beaucoup travaillé cette question, notamment sur l'ours des Pyrénées pour lequel nous avons vraiment développé cette méthode et trouvé une solution technique à ces problèmes de faible quantité. On appelle cela l'approche « multitubes », c'est-à-dire que l'on répète plusieurs fois les mêmes expérimentations pour être certain du résultat.

Où en sommes-nous des analyses ? Parmi les échantillons qui nous ont été transmis par le réseau Loup, nous avons analysé la quasi-totalité des individus hors Mercantour et ceux des individus du Mercantour sont en cours d'analyse. Ce travail devrait s'achever fin février. Peut-être disposerons-nous de quelques indications lorsque vous viendrez nous voir.

Je puis vous montrer une fiche rassemblant les résultats bruts concernant les individus hors Mercantour. Sans entrer dans les détails, on peut voir qu'un individu a été observé sept fois, un autre trois fois, etc. Je vous la laisserai.

J'attire également votre attention sur la fiabilité du système génétique que nous employons, soit la probabilité que nous avons de confondre deux individus. Si on tire deux individus au hasard dans les populations, cette probabilité est de 3 sur 100.000. Attention, cependant, dans les populations naturelles, il ne s'agit jamais d'individus tirés au hasard, nous avons des individus apparentés. Dans une meute, il y a des frères et sœurs et il ne s'agit donc plus d'individus tirés au hasard, nous devons prendre en compte la probabilité entre frère et sœur. Le risque d'erreur est alors d'environs de 1 %. Dans la pratique, en fonction des données, nous pensons avoir une probabilité de 1 sur 1.000. Le système génétique que nous avons développé est donc, en fait, tout à fait convenable pour répondre aux questions posées.

Nous, nous n'avons que les codes département/année, nous ne disposons pas de toutes les indications sur les localisations précises, nous travaillons en aveugle en quelque sorte et lorsque nous avons reconstitué le tableau précédent, nous étions très satisfaits de constater que les individus que nous avions identifiés provenaient du même endroit, par exemple. Je n'insisterais pas sur les détails que je vous laisse puisque vous verrez vous-mêmes les transparents, mais je voudrais souligner la durée de présence. Si l'on fait la synthèse par département et par année, j'ai essayé de résumer sur un tableau l'ensemble des génotypes trouvés. Par exemple, nous avons un individu mâle, qui nous a fourni deux fèces en 2001 et une en 2002, qui a persisté deux ans. Un autre a été détecté quatre ans de suite à un endroit ; tel autre a été trouvé deux fois à un endroit, mais à deux années d'intervalle.

Ce qui est assez surprenant, c'est que la plupart des individus n'ont été détecté qu'une seule fois. Comme vous pourrez le constater, il n'y a pas beaucoup de chevauchement d'une année sur l'autre. Si on fait le total de la répartition par année : on a détecté quatre individus en 1998 ; treize en 1999 ; dix-huit en 2000 ; dix-neuf en 2001 et cinq seulement en 2002, mais les analyses ne sont pas complètes, car nous n'avons reçu que récemment des échantillons de 2002 qui devront passer en analyse. Ce chiffre ne restera donc pas à cinq, mais il n'est pas dit que nous arrivions à dix-neuf.

Les individus communs d'une année sur l'autre sont au nombre de trois entre 1999 et 2000 - deux mâles et une femelle - un individu entre 2000 et 2001, un individu entre 2001 et 2002 ; puis, les individus dont je vous ai parlé : une femelle qui est restée quatre ans au même endroit et une autre probablement trois ans.

Au total, nous avons identifié cinquante génotypes hors Mercantour. Cela veut dire qu'il y a eu au moins cinquante individus hors Mercantour depuis 1998, cela ne veut pas dire qu'il y en a cinquante maintenant. C'est un résultat sur quatre ans. Il y a un très faible chevauchement entre années consécutives. M. Lebreton vous expliquera cela, car je sortirais de mon domaine de compétences si j'allais plus loin.

Il y a pratiquement autant de femelles que de mâles, d'où des possibilités de reproduction et d'expansion future. Information assez intéressante, le polymorphisme génétique est relativement élevé. J'ai noté le nombre d'allèles, c'est-à-dire le nombre de copies différentes d'un même gène présent dans la population. Chaque individu possède deux copies, une qui provient de son père, l'autre de sa mère, et nous avons donc deux microsatellites de huit allèles. Le polymorphisme génétique est donc relativement élevé. La colonisation s'est certainement faite par un nombre d'individus relativement élevé. Je ne peux aller trop loin dans les analyses car nous ne possédons pas de données génétiques sur la population source en Italie. Si c'était le cas, nous pourrions faire une estimation du nombre de colonisateurs. En tout état de cause, on peut dire qu'il y a au moins eu quatre individus à l'origine. Je pense même que ce nombre est très largement sous-estimé.

Ce polymorphisme est là encore parfaitement compatible avec une recolonisation naturelle.

Un dernier et bref mot sur les perspectives. Il serait intéressant d'analyser le polymorphisme génétique de la population italienne avec les mêmes marqueurs génétiques afin de pouvoir estimer le nombre de colonisateurs, c'est-à-dire voir combien il faudrait que l'on tire d'individus au hasard dans cette population italienne pour obtenir le polymorphisme que l'on trouve actuellement en France. Cela pourrait être assez intéressant à réaliser.

Nous allons également à très court terme augmenter le nombre de marqueurs génétiques de six à douze, pour chaque génotype identifié. Cela se réalisera en collaboration avec la Suisse et l'Italie. Nous allons pouvoir combiner tous les jeux de données et estimer les liens de parenté entre les individus. Nous pourrons alors dire de tel individu trouvé à tel endroit que son père était à tel endroit et sa mère a tel autre. Nous pourrons comprendre ce qui s'est passé au cours de la colonisation de façon très fine.

Enfin, en Suisse, Luca Fumagalli a récemment conduit des expérimentations qui lui ont permis d'identifier l'espèce et la lignée à partir de matériel prélevé au niveau de la morsure sur une proie. En récoltant la salive à l'endroit où les crocs se sont plantés, nous pouvons être certains qu'il s'agit d'un loup et obtenir des indications, au coup par coup, sur les attaques, ce qui serait une information assez intéressante.

M. François BROTTES : Je vous remercie. Nous continuerons cet échange quand nous visiterons votre laboratoire. Je vais procéder aux trois prochaines auditions successivement car je crains qu'en passant aux questions, nous n'ayons plus de temps pour les derniers intervenants. La parole est à M.  Jean-Dominique Lebreton.

M.  Jean-Dominique LEBRETON : Comme Pierre Taberlet, je suis directeur de recherche au CNRS. Je suis directeur adjoint du Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive à Montpellier, le plus grand laboratoire de recherche en écologie en France. Je suis dynamicien de population, c'est-à-dire que je m'efforce de répondre à des questions portant sur la façon dont varient les populations animales, comment elles sont régulées, etc. Mon équipe est connue internationalement pour avoir participé à des applications à la gestion des populations. J'ai été à l'origine du plan de gestion du grand cormoran dans le cadre du rapport Lebreton-Gerdeaux en 1996, plan qui a conduit à la quasi-stabilisation des effectifs hivernant en France. Vous le voyez, le loup n'est pas un exemple isolé d'interactions entre les populations animales et les activités humaines.

Mon équipe intervient sur le loup en fournissant des éléments de dynamique des populations de loups et en effectuant une analyse de l'impact sur les troupeaux en appui aux programmes de recherche de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et du parc national du Mercantour.

La dynamique des populations de loups indique que l'installation d'une population passe par un comportement social complexe, que tout le monde connaît : la meute. Cette phase d'installation est forcément lente, le temps que se constitue une meute. Il y a un aspect comportement social, un nombre minimal d'individus pour démarrer qui est important, même si un couple isolé peut bien sûr se reproduire.

La croissance, hors immigration, c'est-à-dire les capacités de croissance, sont de l'ordre de 20 % par an. Dans un modèle basé sur des données démographiques extrêmes, on atteindrait 27 % par an, taux qui peut être supérieur temporairement s'il y a un excédent de femelles reproductrices, le temporaire pouvant durer deux ou trois ans. En revanche, les chiffres indiqués par M. Duchamp précédemment relèvent certainement d'immigrations qui, à ce moment-là, peuvent accélérer la croissance.

Je citerai un autre élément important car il permettra de relire les données génétiques sur une autre grille de lecture. C'est le renouvellement d'une population d'une année à l'autre. On mesure sur deux années, les individus communs, ceux qui ont survécu, et les autres, ceux entrés dans la population par naissance ou par recrutement. Le renouvellement mesuré par le pourcentage d'individus communs entre deux années consécutives varie de 35-40 % à 66 % dans les populations en hausse. D'après nos connaissances en dynamique des populations de loups, notamment issus des études nord-américaines, la moyenne se situe autour de 50 %.

Le taux de croissance en Mercantour a été de 37 % dans la période de 1993-1998 ; on peut soupçonner un excédent de femelles pour expliquer un taux de croissance aussi élevé, mais on peut aussi invoquer une immigration continue depuis l'Italie. Ce taux est en baisse depuis, mais nous avons évoqué les destructions de loups par empoisonnement.

Les études génétiques, quand on regarde le pourcentage d'individus permanents d'une année à l'autre (tableau montré par Pierre Taberlet), montrent seulement 18 % d'individus communs sur deux années consécutives. Ce pourcentage est très frappant, car il s'établit bien en dessous de ce qu'il devrait être dans une population qui tourne en régime régulier. Deux explications sont possibles : soit une immigration soutenue et régulière - je rappelle que ces données concernent uniquement les Alpes, le Massif Central et les Pyrénées hors Mercantour et que, bien évidemment, il peut y avoir des allers et venues d'individus du Mercantour ; soit de très forts effectifs, donc là aussi une population qui est plongée dans un ensemble plus large ou détectée incomplètement. Cela pose à nouveau la question du nombre de loups qui ne sera pleinement résolue que lorsque nous disposerons des typages génétiques des données du Mercantour.

Sur le plan dynamique de population, il est aussi très important de souligner - cela a été dit dans le premier exposé - la possibilité de très longues périodes de présence silencieuse, avant reproduction, d'un individu isolé qui aura peu d'interactions avec l'homme, avec les activités pastorales par exemple, et dont les dégâts occasionnels auraient pu être attribués à des chiens errants... avant la recherche systématique d'indices, bien sûr, car il faut bien comprendre qu'actuellement, dans les Alpes françaises, plusieurs centaines de personnes sur le terrain collectent de façon systématique des matières fécales qui sont ensuite typées ; cette capacité de détection n'a rien à voir avec celle où l'on ne serait ni averti ni à la recherche de la présence du loup.

En ce qui concerne la dispersion, comme cela a déjà été dit, le loup a une capacité de dispersion importante. Cette capacité à immigrer et à coloniser est liée à la structure sociale, à la notion de hiérarchie permanente dans les meutes. C'est un trait biologique de l'espèce. Ce n'est donc pas du tout forcément une réaction à une surpopulation. Ce sont des populations où, naturellement, des individus vont disperser et quitter leur meute de naissance dans l'espoir soit de fonder une nouvelle meute, soit de s'insérer dans une meute existante. C'est le cas pour les mâles comme pour les femelles. Les données de dispersion ont déjà été citées et avoisinent des moyennes de l'ordre de la centaine de kilomètres avec des extrêmes à plus de huit cents kilomètres.

Les pistes de réflexion à ce sujet montrent, en relation avec ce que ce que l'on sait de la dispersion et du turnover des individus d'une année sur l'autre dans les Alpes françaises, que tout cela est cohérent ; cohérence en ce qui concerne la dispersion et les mesures génétiques, cohérence avec un fort renouvellement inter annuel à rapprocher, bien sûr, des observations de loups « italiens » en Suisse et dans les Pyrénées. Pour un dynamicien de population, ce n'est pas spécifiquement étonnant.

En revanche, si l'on part de l'idée que les effectifs ont été assez rapidement de plusieurs dizaines d'individus en Mercantour et ont atteint au moins vingt individus, avec peut-être une sous-estimation dans les Alpes françaises, cela suggère une immigration régulière depuis une date antérieure à la détection. Bien que je ne suive pas le dossier d'un point de vue « événement particulier », je pense que les signes avant-coureurs avant 1992 cadrent tout à fait avec cette interprétation, qui est logique du point de vue de la dynamique des populations. A mon avis, il y avait déjà probablement des loups en présence silencieuse dans le Sud des Alpes françaises bien avant les années 1990 et cela s'est révélé peu à peu au fur et à mesure des années et de l'installation des meutes et des individus reproducteurs.

Deuxième thème : prédation et impact.

Il faut rappeler qu'il s'agit de ressources saisonnières. Dans le parc national du Mercantour, notamment en été, les ovins sont beaucoup plus abondants que les ongulés sauvages, environ dix fois plus. Cette situation est forcément attirante pour le loup. En hiver, même s'il reste des ovins, ce sont principalement les ongulés sauvages qui vont servir de proies.

Dans l'histoire de l'impact, il faut bien comprendre qu'il y a des attaques de troupeaux avec ou sans consommation, c'est-à-dire que le nombre de victimes est largement supérieur au nombre consommé. Il faut aussi garder à l'esprit que, dans le régime alimentaire des loups - cela a été bien prouvé par Marie-Lazarine Poulle au Mercantour - on constate en analysant les matières fécales que, même en été, au moment où la ressource ovine est largement disponible, les ongulés sauvages restent la part dominante de ce qui est réellement consommé, au moins à égalité avec les ovins.

Mon équipe travaille spécifiquement sur l'analyse des mesures de gestion. Nous avons travaillé pour l'instant sur l'effet des mesures de gestion sur le nombre d'attaques par mois. Ce travail a fait l'objet d'un diplôme universitaire en 1998. Le résultat le plus immédiat est qu'en ajoutant un chien, ces fameux chiens patou, on fait baisser les attaques de 12 %, c'est-à-dire que l'on multiplie le nombre d'attaques par 0,88. En ajoutant deux chiens, on multiplie à nouveau par 0,88 et, à quatre ou cinq chiens, les effets sont assez importants.

Nous avons travaillé aussi sur les effets marqués et complexes du gardiennage. On note une forte efficacité du gardiennage nocturne qui dépend cependant du fait que le troupeau est rassemblé ou pas. Il y a certainement là des gisements de possibilités. Le réexamen de cet aspect est en cours sur des données plus complètes, étant entendu que l'on souffre sur des données de ce genre du fait que l'on prend en compte les attaques attribuées au loup sans connaître le pourcentage, même s'il est forcément élevé, réellement dû au loup.

Quelques pistes de réflexions : la présence du loup et cette expansion des populations suppose qu'un maillon faible a tenu ; celui de la saison hivernale. En effet, sur le plan des ressources alimentaires pour le loup, la saison hivernale est de loin la plus difficile. Le chiffre de consommation des élans en Alaska, par exemple, est nettement supérieur en hiver à ce qu'il est en été pour de simples besoins énergétiques liés à la température ; un contexte historique a été favorable au loup, celui de l'extension des ongulés sauvages dans les Alpes, j'y reviendrai.

Et il y a des possibilités de gestion puisqu'un certain nombre de techniques de gestion ont un effet qui actuellement se révèle positif, même si ce n'est pas encore complètement étudié. Je vous parlerai du réexamen actuellement en cours. Si certaines mesures se révélaient définitivement efficaces, elles pourraient faire l'objet d'indemnisations conditionnelles qui permettraient de minimiser autant que possible l'impact des loups sur l'élevage ovin.

L'augmentation des ongulés sauvages dans les Alpes a été brièvement évoquée. Elle résulte de trois facteurs clés : la protection des espaces - les réserves, par exemple, celle de Combeynot dans les Hautes-Alpes a vraiment sauvé le chamois à une époque où chasse et braconnage étaient omniprésents ; les parcs nationaux à partir de 1963 avec les introductions et le renforcement de populations d'ongulés - parmi les techniques évoquées tout à l'heure, le renforcement n'apparaissait pas, mais cela consiste à réintroduire des individus dans des populations existantes dans l'espoir de les stimuler, un peu comme une transfusion sanguine ; puis, troisième facteur, les plans de chasse ont été généralisés, notamment pour le chamois à partir de 1989-1990.

Résultat : la population de chamois qui étaient en très mauvais état dans les années 60 connaît encore un accroissement conséquent : + 70 % entre 1989 et 1995. Il en va de même pour le mouflon et l'on sait que le bouquetin a été sauvé de l'extinction.

Dans le Parc du Mercantour, le chamois est encore en croissance. Il a crû à un taux moyen de 8 % par an sur les vingt dernières années, ce taux a été plus élevé au début et est plus faible à la fin, probablement à cause du loup comme cela a été dit, mais il est toujours en croissance. Le mouflon a connu une faible croissance sur la période de vingt ans ; en croissance au début, les effectifs sont désormais en décroissance : le + 1,6 % global cache, en fait, un + 3 % ou + 4 % en début de période et un - 2 % ou - 3 % en fin de période.

En guise de conclusion, du point de vue de la dynamique des populations, il est vrai que l'extension du loup en France est bien expliquée par les traits biologiques de l'espèce, sa structure sociale, sa capacité de présence silencieuse et sa forte capacité de dispersion. Le fort renouvellement interannuel est pleinement explicable par une recolonisation naturelle, vu les distances de dispersion, mais l'effectif est peut-être sous-estimé. Cette extension a été déclenchée notamment par l'augmentation des populations d'ongulés sauvages qui, elle-même, résulte de la protection des espaces et de la gestion de la chasse.

Donc, inévitablement, un dynamicien de population est amené à poser la question de savoir si la recolonisation par le loup n'est pas une simple conséquence d'une politique implicite de réhabilitation de la biodiversité dans les Alpes. Dès lors que l'on a créé des parcs nationaux, des réserves, que l'on a mis en place des plans de chasse et que l'on a réintroduit des populations, on a créé un paysage avec plus de biodiversité qui a, lui-même, appelé plus de biodiversité, et le mouvement s'est fait d'un pays, l'Italie, où cette biodiversité avait subsisté à cause de conditions économiques différentes dans les montagnes du centre de l'Italie.

Le but de cette remarque est de passer de l'implicite à l'explicite : le problème vu par un scientifique participant à des opérations de gestion de populations, se situe à l'interface d'une politique de réhabilitation de biodiversité et d'une politique de gestion d'interactions avec des activités humaines. Je souligne que les possibilités de gestion des troupeaux sont encore incomplètement exploitées, le rapport coût-bénéfice n'étant encore qu'imparfaitement connu. Comme je l'ai fait pour mon étude sur le cormoran, je plaide pour que l'on fasse intervenir des collègues économistes dans une prise de la pleine mesure de l'impact et de la manière dont l'impact peut être allégé ou modulé par les mesures.

L'équilibre loups-ongulés sauvages est également à suivre. Une conclusion « traditionnelle » pour ce genre de système consiste à dire que, vus les multiples enjeux, notamment économiques, vus les partages d'usage et l'incertitude, l'imprécision, inhérente à ce type de population, même si la génétique va permettre, de plus en plus, un travail très fin, nous sommes condamnés à une gestion adaptative, qui consiste à réévaluer régulièrement nos connaissances et notre capacité à gérer un système comme celui-ci.

M. François BROTTES : Je vous remercie de la clarté de votre exposé. Je cède la parole à M. Zunino.

M. Franco ZUNINO : Je suis un environnementaliste, un écologiste et j'ai travaillé pendant vingt ans au parc national des Abruzzes avec des naturalistes. J'ai étudié l'ours brun dont je suis un spécialiste, pendant des années, et sans être spécialiste du loup, je le connais également pour avoir vécu vingt-cinq ans dans son environnement. Je dois avouer que je suis un peu dans l'embarras parce que je suis le seul à soutenir et à être convaincu, même après avoir entendu mes collègues si je puis les appeler ainsi, que le loup en France ne provient pas d'Italie. Il est difficile, si ce n'est impossible de le prouver à moins d'une très grande volonté. Bien sûr, nous avons entendu des données scientifiques très importantes, mais l'impression demeure que tout cela ne correspond pas à la logique et, sans la logique, la science a ses limites.

Pour faire un historique de ma position et parce que je sais que quelqu'un a dit en France que j'étais conditionné par quelqu'un - les éleveurs ? Les chasseurs ? Je ne sais - je dirai simplement que j'ai engagé cette bataille pour la clarté du retour dans les Alpes pour un motif de pureté génétique ; le problème était qu'il ne s'agissait pas de loup italien. Au départ, j'étais convaincu que mes concitoyens libéraient ces loups. Ce fut ma première pensée parce que ces loups ne peuvent pas être venus des Apennins. Pourquoi cela ? Je suis originaire de la province de Savone et je peux vous assurer qu'entre Gênes et la France, les loups ne sont jamais passés. Personne n'a jamais trouvé de trace ou d'excrément de loup ni constaté d'attaque d'animaux domestiques dans cette région. C'est la province qui compte le plus de forêts, mais pourtant, vous pouvez en parler avec les chasseurs ou aux responsables des bois, dans cette province de Savone, il y a des milliers de chevreuils et de sangliers.

Les loups seraient passés par là sans jamais s'y arrêter ? C'est une hypothèse qui ne tient pas.

Ensuite, j'ai eu l'occasion de voir des films sur ces loups et j'ai été convaincu que ces loups provenaient de France. Quelqu'un les avait libérés. Il existe plein d'enclos en France avec des loups. Je ne sais pas qui les a libérés, je ne sais de quels enclos ils viennent, mais ils sont issus de France.

Il y a un loup dans le parc du Grand Paradis qui est encore en liberté ; c'est une absurdité biologique qu'il le soit et les analyses ADN disent que le loup est italien. Ces études sont gardées secrètes, mais j'aimerais avoir ce film pour vous le montrer. C'est absolument incroyable. Les biologistes soutiennent qu'il s'agit d'un loup italien, mais ce n'est pas vrai. Ils le soutiennent au vu des résultats de l'ADN, mais lorsque l'ADN nie certains faits logiques, il faut approfondir l'étude de cet ADN. Il faut l'étudier mieux car il peut y avoir un élément erroné en toute bonne foi.

Pour ma part, je pense que ces études ADN ne sont pas fiables. Pour vous donner un exemple, il y a deux ans ou l'an passé, des études ont été réalisées en Amérique, l'une d'elles était commandée par le gouvernement américain. Des environnementalistes, donc certains de mes collègues, pour sauver des forêts, ont démontré, à travers l'analyse ADN, que des lynx du Canada vivaient dans ces forêts, jusqu'au moment où quelqu'un s'est aperçu que l'ADN était faussé. Ils avaient fait réaliser des analyses par des laboratoires qui n'étaient pas officiels et, au bout du compte, on a découvert que tout cela n'était qu'une invention, que le lynx ne vivait pas dans ces forêts, qu'il s'agissait d'une tentative pour sauver les forêts.

Il ne faut donc pas trop se fier à l'analyse ADN. Il faut vraiment qu'elle soit sûre à 100 %.

Il me semble que le professeur Taberlet a dit que nous ne connaissions pas grand-chose sur l'ADN des loups italiens, alors comment peut-il parler de loups italiens ? On parle toujours de l'espèce du loup italien, jamais de sous-espèces. Si l'ADN est le même pour toutes les espèces, alors il est clair que cet ADN dira que les loups qui viennent des enclos français sont de loups italiens même si, au bout du compte, ce ne sont pas des loups italiens ! Le jour où la science parviendra à approfondir cette notion d'ADN, on découvrira qu'il y a en fait, x espèces différentes de loups et que le loup dit « italien » n'est pas un loup italien, mais provient de x enclos différents.

Je mélange un peu tout, excusez-moi, mais j'ai eu beaucoup de plaisir à entendre M. le Rapporteur nous dire qu'il y avait cinquante loups dans les Alpes françaises, que tout le monde voit le loup, le photographie, le filme, etc. Certains disent même l'avoir filmé pendant des heures. Dans les Apennins, cela ne s'est jamais produit car les loups sont des loups sauvages. Ces loups français, nés dans des enclos, sont habitués à l'homme. Ils ont une certaine familiarité avec l'homme, c'est pour cela que l'on peut les observer facilement.

C'est aussi pour cela qu'ils tuent plus en France qu'en Italie. Il n'est pas vrai qu'en Italie, il y ait une grosse prédation sur les troupeaux domestiques. Il y a peut-être un millier de loups en Italie et l'on n'entend jamais parler de dégâts causés par le loup car le loup italien est resté un loup sauvage : il mange des déchets, des souris, de petites proies. Il est inséré dans le contexte de son environnement depuis des milliers d'années ; il ne chasse donc pas de grosses proies ou d'animaux domestiques.

Le loup français, en revanche, est un loup qui a été élevé dans des enclos. Depuis tout petit, il a été habitué à manger de la viande en abondance, tous les jours, et il n'a pas peur des hommes. C'est la raison pour laquelle il attaque les ongulés et les troupeaux.

Je ne suis pas biologiste. Je ne suis ni professeur ni docteur. Je n'ai pas suivi d'études universitaires. Mais je connais bien les animaux sauvages et j'ai étudié l'ours pendant des années. J'essaie d'utiliser la logique. Quand la logique raconte certaines choses... Je vous prie de m'excuser si je sors de mes gongs, mais quand on regarde la carte de France comportant les zones de présence des loups, il me paraît impossible, d'un point de vue logique, que le loup vienne de l'Italie. Même en ce qui concerne les Pyrénées. Il faut suivre la logique et si l'ADN dit que c'est un loup italien, alors c'est que quelqu'un s'est trompé en réalisant l'analyse ADN !

Pourquoi ne capture-t-on pas ces loups ? Mettons-les dans des enclos et nous verrons bien de quel loup il s'agit.

J'ai eu l'occasion à San Remo il y a deux ans de voir des films sur ces loups alpins. Etait présent le professeur Boscali, un autre expert du loup italien, à qui j'ai demandé, devant tout l'auditoire, les personnes présentes pourront en témoigner, si les deux loups que l'on voyait dans ces films (il y en avait d'autres également non européens.) étaient des loups italiens et ce professeur n'a pas pu l'affirmer, même d'après l'aspect extérieur. Aujourd'hui, personne n'a parlé de l'aspect extérieur du loup. Le professeur Boitani a dit que tous les loups étaient semblables, à quelques différences sur la longueur de la queue. Mais je puis vous assurer que certains loups qui ont été photographiés sont très différents des loups italiens. N'importe quel profane peut s'en rendre compte.

Il faudrait vraiment les capturer, les mettre dans une cage et voir. Mais, il y a une véritable chape de plomb : on ne voit ni les films ni les photographies, les informations sont tenues secrètes et l'ADN n'est pas un élément très sérieux. Faisons des prises de sang ! Nous ne pouvons pas nous baser uniquement sur des études d'ADN des excréments et des poils. Faisons des études plus sérieuses.

A propos de l'ADN, je voulais préciser que la seule personne qui ait eu le courage de mettre en doute ces études sur l'ADN est le vétérinaire du parc de Grand Paradis dans la publication officielle du parc. Il a mis en doute la crédibilité, la fiabilité de l'étude ADN. C'est le seul qui ait eu le courage d'écrire la vérité. C'est une vérité déplaisante ; il a été critiqué pour cela, mais voyez que je ne suis pas le seul à avoir des doutes.

Si je puis poser une question au professeur Taberlet, j'aimerais qu'il m'explique pourquoi si ces loups proviennent d'Italie, leur date d'arrivée serait 1992. J'ai commencé à tenir cette polémique en 1996-1997. A mon avis, les loups sont arrivés avant. Pourtant aucun loup n'a traversé la province de Savone pour venir en France. Peu de loups sont donc arrivés au début. Si ces quelques loups ont créé une population de cinquante loups, l'ADN devrait démontrer qu'il s'agit d'une même famille. Est-ce le cas ? Car si ce n'est pas le cas, cela voudrait dire que quelque chose ne va pas : s'il y a eu passage et que personne ne les a vu passer, cela veut dire que quelqu'un les a libérés.

M. François BROTTES : Merci de cette fougue. Je laisserai M. le rapporteur poser les questions et, bien évidemment, M. Taberlet, s'il le souhaite, pourra répondre à la question que vous venez de poser. Mais pourriez-vous nous dire quelle est votre formation ?

M. Franco ZUNINO : Je suis un naturaliste. C'est tout. Je suis un self made man. J'ai étudié les ours, j'ai fait des publications scientifiques avec des chercheurs sur l'ours. Je suis donc un expert de l'ours.

M. le Rapporteur : Avant d'interroger M. Zunino, je poserai deux questions que je voulais poser depuis le début de cette mission. J'aimerais savoir s'il existe une ou plusieurs méthodes pour étudier le comportement du loup, son mode de colonisation des territoires, les conditions de sa reproduction, son alimentation et connaître les disciplines scientifiques concernées par ce problème.

A-t-on aujourd'hui de réelles certitudes sur le mode de vie et de chasse de cet animal, ou en est-on encore au stade des hypothèses, en tout cas, pour les loups européens ?

M. Jean-Dominique LEBRETON : Le tableau des mœurs du loup dont notre collègue M. Boitani a fait état lors de son exposé est parfaitement typique de l'espèce. M. Boitani est l'une des deux ou trois autorités mondialement reconnues sur le loup.

Comme toutes les espèces de prédateurs à sang chaud, le loup possède un neuropsychisme très développé. Il montre à la fois des traits d'histoire de vie parfaitement déterminés et répétables - on se reproduit à deux ans, on vit en meute, on fait quatre jeunes qui dispersent, etc. - et une grande adaptabilité au contexte parce que c'est un prédateur intelligent qui saura s'adapter aux proies, comme cela a été dit.

Il y a une réponse univoque qui est que la biologie du loup, comme l'a dit M. Boitani, est bien connue.

M. le Rapporteur : Vous avez cité les patous et il est vrai que les bergers utilisent de plus en plus ces chiens. Cela leur a certainement permis de sauver des animaux mais cette solution est loin d'être parfaite car les patous sont dangereux et, un jour, malheureusement, nous aurons un grave accident. Des bergers nous ont expliqué que le patou ne défend que son troupeau et qu'en été, cela devient difficile car il y a de plus en plus de touristes en montagne. Un berger nous rapportait que, dans le Mercantour, il lui était arrivé de voir passer à côté de son troupeau jusqu'à 350 personnes et qu'il était obligé toute la journée de protéger ces touristes contre les patous. Non seulement, il doit veiller sur son troupeau, mais il doit maintenant aussi protéger les randonneurs contre les patous.

De plus, il nous a été dit que, souvent, les patous se nourrissent seuls. Il est rare que les bergers les nourrissent. Ils mangent des marmottes, des lièvres, voire des chevreuils. Certains nous ont dit que là où il y avait des patous, il n'y avait plus une seule marmotte. Je l'ai constaté moi-même cet été dans mon secteur. Là où l'on entendait siffler des marmottes, on n'en entend plus une seule depuis qu'il y a loups et patous. Cela aussi mérite d'être étudié et signalé.

Le témoignage de M. Zunino est très intéressant également, notamment lorsqu'il dit que l'analyse d'ADN nie certains faits logiques, que ses résultats ne sont pas fiables à 100 %. Il conteste donc l'ADN. A cet égard et je reprends là les propos de M. François BROTTES, ne faudrait-il pas anticiper ces polémiques sur l'ADN en réalisant une contre-expertise car il est vrai que vous êtes les seuls à faire ces contrôles et ces analyses ? N'existe-t-il pas d'autres laboratoires en France que le vôtre ?

M. Pierre TABERLET : Il n'en existe pas d'autre en France, mais il y en a un en Suisse et, à Bologne, il y a le laboratoire d'Ettore Randi, avec lequel nous travaillons naturellement. Avec le laboratoire de Lausanne, nous avons répliqué des analyses entre les deux laboratoires. Ces trois laboratoires sont parfaitement ouverts à des analyses en aveugle, quand vous voulez et comme vous voulez.

M. le Rapporteur : La critique de M. Zunino a souvent été formulée.

M. Pierre TABERLET : Mais M. Zunino dit lui-même qu'il n'est pas biologiste et, sur ce fait, je veux parfaitement le croire.

M. le Rapporteur : Lorsque M. Zunino dit que les loups en France ne sont pas sauvages, il dit la vérité.

M. Pierre TABERLET : Cela sort de mon domaine.

M. le Rapporteur : C'est pourtant une question que l'on peut se poser : pour quelles raisons en France les voit-on partout, y compris près de maisons ? Ils viennent en plein jour maintenant. Un berger a été défiguré dernièrement pour s'être retrouvé nez à nez avec une louve et ses petits ; la louve l'a attaqué, cela a fait la une de tous les journaux et montre bien qu'ils sont beaucoup moins sauvages qu'en Italie, où l'on nous dit que l'on ne les voit jamais.

C'est une question très importante à nos yeux, car cela laisserait penser qu'à un moment donné, il a été réintroduit et qu'il est venu de parcs. M. Zunino a raison de dire qu'il y avait beaucoup de parcs en France ; des exemples nous ont d'ailleurs été donnés de parcs où il y avait beaucoup de loups alors que maintenant, il n'y en a presque plus. Où ont disparu les loups qui étaient dans ces parcs privés ?

M. Luigi BOITANI : Comme on l'a dit, le loup est un animal très intelligent et très adaptable d'un point de vue morphologique et d'un point de vue comportemental. C'est d'ailleurs pour cela que l'homme l'a utilisé pour créer le chien, c'est-à-dire un produit issu du loup différent d'un point de vue morphologique.

Le loup peut adapter, très rapidement, son comportement aux conditions dans lesquelles il vit. Donc, si dans la nouvelle région où il arrive, il n'est jamais dérangé par l'homme, jamais chassé, le loup gagne de plus en plus de confiance et peut se montrer plus facilement. Cette tendance vient de faire l'objet d'une publication dans une étude scientifique car de nombreuses données démontrent ce phénomène en Amérique du Nord : là où on ne le voyait pas depuis longtemps, aujourd'hui, dans certaines zones, on le voit de plus en plus fréquemment et, non seulement on le voit mais il est même arrivé qu'il s'approche de l'homme de façon dangereuse.

En l'espace d'une ou deux générations, le loup apprend à s'adapter à de nouvelles conditions, et peut donc se montrer plus facilement. Cela n'a pas eu lieu en Italie parce que le loup y est aussi un animal très fortement culturel ; dans les zones italiennes des Apennins, le loup vit toujours dans des endroits où il est encore chassé : 15 à 20 % de la population italienne de loups est abattue tous les ans par les braconniers. Le loup est sous pression, même à l'intérieur des parcs nationaux. Je possède des données parfaites où l'on avait équipé les loups avec des émetteurs sur la collerette.

Donc, le loup peut s'adapter et, dans des zones sur lesquelles il n'est pas dérangé, il est plus facile de le repérer.

M. Christophe DUCHAMP : Je voulais ajouter à ces observations qu'il faut faire la part entre la donnée récoltée et les divergences d'interprétation des témoignages. J'ai l'avantage de voir passer sur mon bureau par un système de fiches l'intégralité des observations visuelles relevées dans toute la France. Cela me permet d'avoir une vision globale. Le fait est que quand vous discutez avec des gens d'une vallée, chaque fois, c'est un cas particulier pour la personne qui y vit, c'est-à-dire qu'elle a vu le loup faire cela et, comme elle n'a pas trouvé dans un livre qu'il pouvait le faire, c'est un cas particulier.

Après, il faut, en effet, trouver tous les indices. Vous citiez précédemment le cas de cette louve avec ces petits qui a attaqué un berger dans les Alpes-Maritimes. L'enquête a été confiée à la gendarmerie, complétée par une enquête judiciaire, qui a conclu à l'absence d'éléments suffisants permettant d'affirmer qu'il s'agissait d'un loup. C'est l'exemple que je voulais vous donner pour exposer la divergence que l'on peut rencontrer.

Autre exemple, celui des six loups de Ristolas dans le Queyras. Vous disiez que les loups étaient passés dans le village. Je me suis rendu sur place une semaine après et M. le Maire a certifié qu'ils étaient passés sur la place du village, que, progressivement, les loups étaient entrés dans la ville, qu'ils allaient finir par manger les enfants et les petites filles... En fait, il avait neigé et nous avons vérifié le passage des loups. Les traces passent bien au bord du village - donc, les gens ont pu les voir de chez eux, de la dernière maison du village, ce qui ne représente pas plus de cent mètres, j'en conviens - mais le loup n'est pas passé sur la place même du village !

On note beaucoup de petites divergences comme celles-là et le fait est que l'on observe davantage le loup en France même si l'on ne peut pas dire que ce soit tout le temps car, personnellement, depuis quatre ans que je l'étudie, je ne l'ai aperçu qu'une fois, et c'était dans le sud-est de la Pologne. Je suis allé sur le terrain pendant un an tous les jours de 5 heures à 20 heures, je ne l'ai aperçu qu'une fois. Vous voyez que cela dépend totalement du milieu.

M. le Rapporteur : Si le loup pouvait être banalisé... Car le loup est un animal extraordinaire, on a beaucoup écrit et raconté d'histoires sur lui, la Bête du Gévaudan et tant d'autres, parce qu'on ne le voyait pas. Je suis originaire de la vallée de l'Ubaye, à 1.500 mètres d'altitude et mon beau-père me racontait qu'en 1920, il y avait des loups ; ils ne les avaient jamais vus, mais ils venaient tuer des moutons près des maisons, on voyait les marques. Cela crée un imaginaire autour de cet animal.

Si on le banalise et que l'on en voit partout, il n'y aura bientôt plus d'intérêt à le préserver, car quel intérêt aurions-nous à préserver un animal qui vient tuer nos moutons et faire de gros dégâts sur l'agriculture de montagne. C'est, en tout cas, ainsi chez moi. J'ai encore rencontré dimanche des agriculteurs de montagne qui vont s'en aller car ils ne pourront pas continuer. Nous avons entendu ici même des témoignages poignants.

M. François BROTTES : Combien y a-t-il aujourd'hui de loups en France ? Nous avons évoqué quelques hypothèses et vous nous avez dit qu'il était difficile de donner un chiffre car vous ne disposiez pas de tous les éléments qui vous le permettraient mais vous pouvez sans doute donner une fourchette.

Deuxièmement, on parlait tout à l'heure de petites filles. Quelques rapports montrent que le loup a déjà attaqué l'homme et des enfants dans certaines circonstances. Au vu des connaissances, pouvez-vous nous confirmer de telles affirmations ?

Troisièmement, des statistiques intéressantes indiquent que quand la protection augmente, le nombre d'attaques diminue. En même temps, on me parle de l'adaptabilité du loup. On a observé, par exemple, qu'auparavant, le loup attaquait de nuit et que maintenant, les chiens étant présents la nuit, il a plutôt tendance à attaquer de jour. Cette adaptabilité semble donc être confirmée. Dans ce cas, mesurer l'impact de telle ou telle protection alors que le loup est, semble-t-il, un animal doté d'une forte capacité d'adaptation, peut aussi avoir ses limites.

Par ailleurs, la génétique du loup peut-elle nous donner des indications sur ce dont il se nourrit ? La génétique peut-elle démontrer qu'il va se nourrir de tel type d'animal plutôt que de tel autre ? C'est peut-être une question totalement absurde sur le plan scientifique mais poser des questions, mêmes absurdes, est ce qui nous permet d'avancer.

Enfin, pour rejoindre ce que disait M. le Rapporteur, compte tenu de cette extension en « taches » et de cette évolution constante, est-il vraiment besoin de protéger à ce point le loup, d'autant que plus il est protégé, plus il est « méchant » si j'ai bien compris ?

M. Pierre TABERLET : La génétique ne pourra pas répondre à la question que vous posez.

M. Jean-Dominique LEBRETON : Monsieur le Président, si j'avais une baguette magique, cela se saurait. Bien entendu, je n'ai pas dit que le patou était la solution parfaite. Le patou a un certain mode d'action. Il est évident que si on mettait des patous partout, ils agiraient probablement moins.

Mon propos était de dire que certains curseurs ne sont pas complètement poussés au bout en terme de gestion de troupeaux, que les rapports coûts-bénéfices de ces mesures ne sont pas totalement évalués et qu'il reste des marges de manœuvre. Je le dis de par mon expérience de participation à des opérations de gestions de populations.

Je rejoins Christophe Duchamp en disant que, bien sûr, il y a des anecdotes et que, bien sûr, la souffrance économique et la souffrance des personnes sont à considérer - je les ai vécues avec les pisciculteurs pour le cormoran qui mettait des entreprises sur la paille - mais c'est une raison de plus pour utiliser des arguments statistiques et des analyses économiques, pour rendre l'action la plus efficace possible et sortir justement d'un discours fantasme-douleur, qui est parfaitement naturel.

M. François BROTTES : Sur l'attaque de l'homme et le nombre de loups, il y en a bien un qui va se mouiller quand même !

M. Christophe DUCHAMP : En ce qui concerne les attaques de loup sur l'homme, un très bon document est sorti l'année dernière, publié par John Linnell et coll., qui recense l'intégralité des attaques qui ont pu se produire dans le monde, des interactions entre le loup et l'homme, y compris au XIXème siècle.

Aujourd'hui, ils recensent quatre attaques en Europe occidentale, qui ont eu lieu en Espagne. Toutes les attaques précédentes étaient dues, dans leur intégralité, à des cas de rage. Un cas a été signalé aux Etats-Unis en 1996 dans le parc d'Algonquin d'un enfant qui s'est fait mordre dans un camping. Effectivement, le loup peut attaquer l'homme comme n'importe quelle espèce sauvage, tout comme l'interaction peut exister avec n'importe quel chien, n'importe quel sanglier pour un chasseur, etc.

M. François BROTTES : En Inde, les chiffres sont beaucoup plus élevés.

M. Christophe DUCHAMP : En Inde, effectivement, les chiffres sont beaucoup plus élevés. En Afghanistan, également. Il y a eu une publication à ce sujet dans le Monde récemment.

La cause tient tout simplement au fait que le mode de vie des gens n'est pas du tout le même que celui que nous connaissons ; les gens partent à un kilomètre pour aller chercher de l'eau, comme en France au Moyen-Age. Effectivement, l'interaction peut exister. Ensuite, il faut rapporter cela en notion de risque par rapport à l'homme. En termes de risque, par rapport aux attaques de chiens, qui ne sont quasiment jamais déclarées, ce qui rend la comparaison impossible, en tant que maire d'un village, vous avez plus intérêt de conseiller d'abattre les chiens d'un village que d'abattre les loups.

M. Franco ZUNINO : J'ai l'impression que l'on essaie d'adapter à la situation d'aujourd'hui les données du passé. Autrefois, on disait et on écrivait certaines choses et, aujourd'hui, on dit le contraire. En Italie, jamais un loup n'a attaqué l'homme. Et aujourd'hui, on dit que c'est un acte tout à fait normal en s'appuyant sur d'autres données.

Jusqu'à présent, le professeur Boitani avait toujours dit que jusqu'en 1983, le loup n'était jamais arrivé au Nord du Mont Sibillini. Aujourd'hui, il dit qu'en 1983, il était arrivé au-delà, au nord de la Toscane. Entre 1983 et 1985, M. Boitani disait, comme moi, que les loups de la province de Savone avaient été relâchés. Aujourd'hui, il affirme que ces loups proviennent des Apennins. Il y a vraiment une tendance à adapter le passé à la situation d'aujourd'hui. C'est une solution de facilité que de dire ceci.

Un documentaire tourné en France qui concerne le loup est assez symptomatique car on fait un collage entre un parc zoologique français et le Mercantour pour essayer de comprendre la raison de la présence du loup. Naturellement, ce documentaire est très long, il dure plus d'une heure, et comprend des éléments inutiles, mais jamais il n'est dit que le loup vient d'Italie. Il se termine par une phrase très laconique du style : « Nous remercions, par exemple, Franco Zunino, que les loups soient revenus en France » Mais on ne précise pas si c'est en France dans le parc zoologique ou dans le Mercantour. C'est très ambigu.

Je dis simplement que cela fait réfléchir à l'origine du loup. Je vous laisse ce documentaire, il est en italien, mais j'imagine que l'on peut le trouver en français.

M. le Rapporteur : M. Boitani ayant été cité, il est peut-être normal qu'il conclue.

M. Luigi BOITANI : Seulement deux mots, non pas pour répondre à ce qui vient d'être dit mais à la question de M. le Président qui voulait savoir pourquoi il faut maintenir ou protéger le loup. C'est une question politique et non technique. La responsabilité de cette décision vous incombe.

M. François BROTTES : Je vous remercie d'avoir participé à cette table ronde.

Audition de M. Pierre BRACQUE,
rapporteur de la mission interministérielle sur la cohabitation entre l'élevage
et le loup (février 1998)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président.

M. Pierre Bracque est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Pierre Bracque prête serment.

M. le Président : Monsieur, merci d'avoir répondu à l'invitation de notre commission d'enquête.

Nous allons procéder à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement et je propose que, durant une dizaine de minutes, vous nous fassiez un petit exposé sur les travaux qui vous ont conduit à déposer, en 1998, un rapport qui avait été diligenté par le gouvernement et sur les conditions dans lesquelles vous les avez menés. Nous souhaitons savoir quels points vous ont le plus sensibilisé et, s'agissant du retour du loup, quelles thèses vous semblent irréfutables et quelles zones d'ombre peuvent subsister.

Après ce bref exposé le rapporteur, les membres de la commission d'enquête et moi-même serons amenés à vous poser quelques questions.

M. Pierre BRACQUE : Je souhaiterais, avant tout, rappeler le contexte dans lequel cette mission m'a été confiée.

La décision a été prise en 1998, alors qu'un premier rapport avait déjà été établi par M. Lambert à la demande du ministère de l'agriculture, sur le pastoralisme dans le Mercantour, et qu'un second rapport sur le retour du loup avait été réalisé par M. Dobremez, à la demande, cette fois, du ministère de l'environnement.

Je ne vais pas rappeler toutes les dates que vous connaissez forcément et qui marquent l'arrivée du loup, le début des indemnisations, la gestion du loup par le parc du Mercantour et le début du programme « LIFE » qui prévoit, pour les dégâts causés par le loup, des aides et indemnisations supportées à part égale par Bruxelles et par le Gouvernement.

Peu de temps avant le début de ma mission, un comité consultatif du loup avait été créé qui réunissait toutes les parties concernées. Cette initiative devait être suivie de la mise en place d'une stratégie nationale du retour du loup préservant, bien sûr, la pérennité du pastoralisme. C'est lors de la réunion de ce comité, au mois de juin, que les représentants des organisations agricoles - FNSEA, CNJA, FNO - ont quitté la salle, estimant que le projet proposé mettait à égalité le retour du loup et la sauvegarde de leur activité et qu'en quelque sorte, on faisait autant cas de l'animal que de l'homme.

A la suite de ce « clash », nous nous trouvions vraiment dans une situation de crise et le gouvernement a alors décidé de créer une mission interministérielle avec les ministères de l'environnement et de l'agriculture, qui n'avaient jamais produit de rapport commun, et de me mandater pour la conduire.

C'était vraiment la première fois qu'une mission réunissait les ministères de l'environnement et de l'agriculture pour tenter de trouver un compromis, ce qui a son importance quand on sait que la ligne et les conclusions d'un rapport, aussi objectif soit-il, peuvent diverger selon qu'il répond à une demande du ministère de l'environnement ou du ministère de l'agriculture !

Ma mission a débuté en octobre 1998, exactement le jour de la grande manifestation de Lyon où les bergers ont défilé avec leurs troupeaux. Comme le gouvernement se trouvait interpellé, le préfet de région recevant une délégation de manifestants, leur aurait, paraît-il, alors annoncé la création d'une mission interministérielle et fait savoir qu'un « Monsieur loup » se trouvait chargé de la question.

Il est clair que j'ai tout de suite voulu que cette mission ne soit pas théorique et qu'elle ne se déroule pas en chambre : c'est ainsi que je me suis rendu sur le terrain et que j'ai rencontré l'ensemble, des partenaires, des élus - dont vous-même, monsieur le Président - des éleveurs, mais aussi des représentants des chasseurs et des mouvements écologistes.

J'ai tout de suite mesuré la nécessité d'ouvrir le dialogue : sur le terrain, les éleveurs et tout particulièrement les bergers, avaient des choses à dire et souhaitaient exprimer leurs craintes face au retour du loup car, comme chacun le sait, la filière ovine qui est déjà une filière fragile, l'est encore plus en montagne.

Depuis quelques années, un bon nombre d'éleveurs et de bergers en étaient arrivés à remplir une mission environnementale. En faisant pâturer l'herbe par leurs troupeaux, ils permettaient, ainsi, de maintenir des espaces ouverts. Or, avec le retour du loup, ils ont brutalement eu le sentiment d'être évincés de la politique environnementale et qu'ils devenaient soudainement inutiles, d'où la cassure ! Ils ont cru que l'on préférait le retour du loup à leur activité.

Dans ces conditions, tout en mettant l'accent sur le fait qu'en tant que haut fonctionnaire, je ne pouvais pas ne pas les appeler à respecter la loi et notamment la convention de Berne qui faisait du loup une espèce protégée, j'ai reconnu que le retour du loup rendait plus difficile l'exercice de leur métier. J'ai admis que nous devions en tenir compte et tout faire pour qu'ils puissent travailler sans handicap supplémentaire et dans des conditions normales. Conscient des efforts supplémentaires et des modifications des conditions de vie que la pratique du pastoralisme en montagne, en présence du loup, implique pour les éleveurs, je me suis attaché, dans le cadre de ma mission, à dialoguer avec eux. J'ai aussi étudié de très près dans quelles conditions ils travaillaient et comment nous pouvions, dans le respect de la loi, par des mesures de prévention et des aides, faire en sorte qu'ils puissent exercer leur activité dans des conditions normales, sans être pénalisés par le retour du loup.

Tout cela se passait en 1998 : il est évident qu'un certain nombre de mesures étaient déjà appliquées, mais, ainsi que je l'ai très vite déclaré, il n'était pas question que les bergers, au seuil du XXIème siècle travaillent comme au XIXème siècle !

Il est vrai que le pastoralisme avait beaucoup changé au cours des dernières années, notamment grâce à la politique agricole commune (PAC), puisque, depuis 1980, des aides étaient accordées tant à l'hectare qu'au nombre de bêtes ce qui s'était traduit par une explosion du nombre des moutons. La coutume de la transhumance vers les alpages, l'été, se poursuivait, les moutons venant en grande quantité des Bouches-du-Rhône, mais on assistait, grâce aux primes, à un développement local de l'élevage ovin et à une augmentation des cheptels, non seulement dans le Mercantour, mais également dans les Alpes du Nord.

On a vu alors, dans cette filière si difficile, les troupeaux, qui comptaient cinq cents têtes dans le passé, grossir jusqu'à 1 500, voire 1 600 têtes ce qui implique des conditions de travail totalement différentes.

La plupart des parlementaires issus des secteurs d'élevage connaissent les conditions d'exercice du pastoralisme. Je ne vais pas vous rappeler que, traditionnellement les troupeaux s'arrêtent le soir et par définition restent libres puisqu'il s'agit d'élevages extensifs. Le berger, faute de disposer d'un refuge à moins d'une demi-heure de marche, redescend chez lui et laisse le troupeau sur place sans surveillance. Du fait de la présence du loup, toutes les conditions se trouvaient réunies pour que le troupeau soit alors attaqué et, les attaques intervenaient principalement la nuit ou tôt le matin, rendant ainsi les troupeaux très vulnérables.

C'est la raison pour laquelle le programme « LIFE », aidé par Bruxelles, prévoyait des aides permettant d'une part, d'employer, l'été, des aides-bergers pour surveiller les troupeaux la nuit et d'autre part, de construire des parcs de contention pour rassembler les troupeaux. De plus, le principe du pastoralisme exigeant que les troupeaux soient conduits selon certains critères et montent au fur et à mesure de la pousse de l'herbe, la construction d'abris d'été dans les estives pour que le berger y range son matériel ou s'y réfugie en cas de mauvaises conditions climatiques s'est révélée nécessaire. Toutes ces installations n'existaient pas et il a fallu de gros moyens pour améliorer leurs conditions de travail.

Le programme « LIFE » a rendu cela possible mais, compte tenu de l'ampleur des moyens à mettre en œuvre et de l'extension prévisible de l'aire du loup qui, par nature, recolonise les territoires, il fallu l'étendre du Mercantour, au Queyras puis aux Alpes du Nord, de sorte que les financements sont restés nettement insuffisants.

Comme je l'avais dit aux représentants du ministère de l'environnement, il me semblait, si l'on voulait aider au mieux les éleveurs, qu'il fallait cantonner le loup dans les Alpes, et éviter un saupoudrage financier sur l'ensemble du territoire qui risquait d'être insuffisant, aussi bien en termes de prévention et d'aides que de rémunération. Je considère que tout travail mérite salaire et puisque la présence du loup impose des efforts accrus aux bergers et aux éleveurs, ces derniers méritent des aides supplémentaires.

Je crois avoir réussi, pendant ces quelques mois, à nouer un dialogue avec l'ensemble des éleveurs et des représentants de l'environnement pour les convaincre d'arriver à un compromis. Il faut bien comprendre que les bergers ne sont ni pour, ni contre le loup : leur problème, c'est de pouvoir exercer leur métier dans des conditions normales. Dans la mesure où ils doivent respecter la loi et où la loi protège le loup, ils estiment qu'il appartient à la nation de leur donner les moyens de travailler normalement.

En conclusion de mon rapport, j'avais d'ailleurs souligné qu'il nous fallait agir vite, qu'il était évident que nous ne pouvions pas laisser le loup coloniser l'ensemble du territoire et qu'il devait être cantonné. Je proposais une gestion maîtrisée du loup par l'homme et, puisque le loup vit en meutes et que ces meutes sont transfrontalières, particulièrement dans la Haute Tinée, par exemple, j'envisageais d'inclure cette gestion dans le cadre d'une coopération affirmée, qui n'existait pas, avec les Italiens pour intervenir simultanément sur les deux versant des Alpes. En effet, les loups - et c'est une lapalissade -ignorant les frontières, il me semblait préférable, pour gérer cette question, d'avoir une vision élargie du problème d'où ma suggestion de créer un observatoire européen du loup et d'instaurer une coopération tant au niveau des scientifiques, que des programmes « LIFE » entre l'Italie et la France.

Puisque les textes prévoient un niveau de bonne conservation du loup pour préserver l'espèce - les écologistes parlaient de 150 loups, mais je ne saurais dire à partir de combien d'animaux l'espèce ne serait plus menacée - il me semblait qu'un travail sur les deux côtés des Alpes présenterait l'avantage de pouvoir très vite atteindre un niveau de conservation suffisant, à ne surtout pas dépasser.

J'ai visité tous les départements concernés, dans les Alpes du Sud et dans les Alpes du Nord. Il est clair que, dans la Drôme, dans les Baronnies, par exemple, où la politique pastorale, voulue par les pouvoirs publics, est celle de troupeaux pâturant dans les sous-bois, en toute liberté, sans même un chien de conduite, la présence du loup serait catastrophique - et ce sera le cas si le loup atteint ces secteurs - du fait de notre incapacité à protéger les cheptels.

M. le Président : Je vous remercie et je retiens bon nombre de vos observations.

Vous nous avez indiqué que votre mission consistait essentiellement, en fin de compte, à faire des propositions sur la gestion même du loup puisque vous avez énoncé très clairement que vous étiez là pour dire que la loi devait s'appliquer, que la convention de Berne devait être respectée et le loup protégé.

Par conséquent, à aucun moment il ne vous a été demandé, dans le cadre de votre mission, de regarder si la convention de Berne s'appliquait bien aux loups des Alpes ?

M. Pierre BRACQUE : Effectivement, dans la mesure où la loi protégeait le loup, mon souci était de trouver un compromis, pour assurer la pérennité du pastoralisme en présence du loup.

M. le Président : Soyons clairs ! Votre étude ne consistait qu'à faire des propositions en matière de gestion du pastoralisme en présence du loup ? Le loup n'était pas à remettre en cause : pour vous il était un fait acquis. Vous n'avez pas eu à vous pencher sur des analyses et des rapports de nature à déterminer si la protection du loup se justifiait ou non ?

M. Pierre BRACQUE : Lorsque j'ai rencontré l'ensemble des partenaires, et je pense notamment aux responsables de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, ils m'ont dit qu'ils avaient eu des contacts avec les autorités italiennes et qu'ils estimaient que le loup n'était pas revenu naturellement. Ils contestaient la thèse du retour naturel...

M. le Président : Mais aucune étude sur ce point ne s'inscrivait dans votre travail ?

M. Pierre BRACQUE : La loi étant la loi, je ne pouvais pas dire autre chose !

M. le Président. La loi prévoit plusieurs volets : vous le savez, monsieur Bracque ! Il s'agissait, soit d'un loup revenu naturellement, soit d'un loup introduit. Et vous n'avez pas eu à travailler sur ce point ?

M. Pierre BRACQUE : Si, j'ai émis un avis qui figure dans le rapport.

J'ai rencontré un certain nombre de scientifiques que vous avez sans doute auditionnés vous-mêmes parmi lesquels, en particulier, M. Luigi Boitani qui est considéré comme l'un des meilleurs spécialistes italiens du loup. Au vu de l'historique et naturellement sans pouvoir l'affirmer, j'ai tendance à considérer, compte tenu de la colonisation à partir de l'Italie, que le loup est venu par la Ligurie.

M. le Président : Vous avez eu en main des documents du ministère de l'environnement italien ou de la région Ligurie qui l'attestaient ?

M. Pierre BRACQUE : Non, je me fonde sur de simples témoignages.

M. le Président : Vous n'avez donc jamais eu de documents officiels ?

M. Pierre BRACQUE : De documents italiens ? Bien sûr que non !

M. le Président : Les seuls documents dont vous avez disposé sont des documents émanant des ministères de l'environnement et de l'agriculture français ?

M. Pierre BRACQUE : Et de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes. Ma mission se déroulant sur le territoire français, je ne me suis pas rendu à l'étranger.

M. le Président : Par conséquent, à partir de documents français auxquels vous avez accordé toute la foi qu'ils vous paraissaient mériter, vous avez mené vos investigations et formulé vos propositions en considérant qu'il était un fait acquis que le loup était revenu naturellement par la Ligurie ?

M. Pierre BRACQUE : Je ne le dis pas aussi nettement ! J'ai écrit que la thèse du retour naturel me paraissait assez vraisemblable, mais je ne peux pas l'affirmer.

M. le Président : Vous nous confirmez donc que vous ne pouvez pas l'affirmer ?

M. Pierre BRACQUE : Je n'ai pas mené d'enquête sur ce point : ce n'était pas le but de ma mission !

M. le Président : Vous nous avez déclaré avoir alerté les autorités sur la nécessité de veiller à ce que le loup ne prolifère pas au-delà de certaines limites. Considérez-vous que les préconisations que vous avez formulées en 1998 auraient dû l'être dès 1992, lorsque l'on a appris la présence de deux loups dans le parc du Mercantour ?

M. Pierre BRACQUE : L'année 1992 correspond à la découverte du retour du loup et je crois que les premières mesures, en termes d'indemnisation, ont été proposées à partir de 1993.

En 1998, on a constaté une évolution de la population du loup. A partir de certains aspects techniques, d'analyses et du dialogue que j'entretenais avec les éleveurs, j'ai simplement constaté que, compte tenu de l'évolution de la colonisation du territoire par le loup, nous nous trouverions, dans certains cas et dans certaines régions, dans l'incapacité de protéger les troupeaux. Comme je viens de le signaler, dans les Baronnies, par exemple, il nous serait impossible de le faire. C'est pourquoi je pensais, puisque qu'il était dit dans la convention que les scientifiques estimaient à une centaine de loups, la population viable, qu'il serait intéressant de comptabiliser dans ce groupe les loups italiens.

Partant du fait qu'il y a quatre meutes représentant globalement une trentaine de loups sans évolution, les spécialistes de l'environnement estimaient qu'il fallait environ cent cinquante animaux pour considérer l'espèce en bon état de conservation et que la prolifération de l'espèce serait incompatible dans certains endroits avec le pastoralisme, faute de pouvoir protéger efficacement les troupeaux, je suggérais de cantonner le loup dans le parc du Mercantour, le Queyras, le Vercors et le parc du Grand Paradis - versant italien  - !

M. le Président : Donc, entre votre préconisation de sagesse de 1998 de cantonner le loup et les dispositions qui ont été prises en 1993 bien que l'on sache qu'il était installé dans le Mercantour et que, dès lors que l'on faisait le choix de l'indemnisation plutôt que du cantonnement, il allait proliférer dans les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes etc. il y a eu un choix d'encouragement à cette prolifération ?

M. Pierre BRACQUE. Le loup s'est installé tout naturellement parce que les conditions, notamment le grand nombre d'ongulés sauvages présents dans l'ensemble du massif alpin, s'y prêtaient. De toute façon, ce n'est qu'après le dépôt de mon rapport, vers l'année 1999, qu'un protocole a été envisagé dans le « plan loup » pour détruire les loups qui auraient un comportement particulièrement agressif et attaqueraient à plusieurs reprises, malgré les mesures de prévention. Avant ces dispositions il était totalement interdit de tuer un loup.

M. le Président : Vous vous êtes livré à une évaluation des coûts ?

M. Pierre BRACQUE : A l'époque l'indemnisation oscillait globalement entre 800 francs et 1.000 francs par animal.

Je n'ai pas les derniers chiffres, mais je crois que nous en sommes toujours à 1 000, voire 1 200 ovins dont il est reconnu qu'ils ont effectivement été tués par le loup, parce qu'il y a d'autres causes de mort possibles...

M. le Président : Vous avez aussi estimé le coût des mesures de gestion ?

M. Pierre BRACQUE : Bien sûr car le programme « LIFE » était un programme important. Sa première partie qui s'est déroulée de 1997 à 1999 a été supportée à hauteur de 50 % par la communauté européenne.

M. le Président : Et vous avez évalué les coûts de fonctionnement du ministère de l'environnement ?

M. Pierre BRACQUE : Non !

M. le Président : La parole est à M. le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais revenir sur votre rapport pour en extraire deux phrases qui me paraissent très importantes pour faire avancer le débat.

Vous avez écrit : «  La controverse demeure sur la question de la réintroduction ou du retour naturel du loup en dépit d'éléments qui vont plutôt dans le sens du retour naturel de ce grand prédateur ».

La question que l'on peut se poser est toute simple : pourquoi les nombreuses études scientifiques réalisées sur ce problème ne parviennent-elles pas à convaincre les éleveurs qui restent persuadés que le loup a été réintroduit ?

Vous avez mis l'accent, en conclusion de votre rapport sur : « La nécessité de la transparence » et demandé « une information complète et en temps réel du public ». Pensez-vous qu'il y ait réellement transparence ? Ce n'est, en tout cas, pas l'impression du grand public qui a l'impression qu'une véritable chape de plomb pèse sur tout ce qui a trait à la présence du loup sur nos territoires.

M. Pierre BRACQUE. Durant toute ma mission qui s'est déroulée sur quelques mois, je n'ai pas pu faire autrement, et j'en avais d'ailleurs averti les deux ministères concernés, que de travailler en présence de la presse. Sur ce plan, au moins, la transparence a été la plus totale puisque les rencontres, notamment dans les mairies, avaient toujours lieu publiquement.

Il est cependant vrai, et je le dis au tout début de mon rapport, que le retour du loup qui a été marqué par l'apparition du premier couple en 1992, n'a pas fait l'objet d'une communication claire. Ma première explication, c'est qu'il n'y a pas eu, au départ, suffisamment d'informations en temps réel. Cela tient sans doute à la grande prudence des scientifiques qui n'avancent que ce dont ils sont certains.

Cette période d'un an qui a précédé l'officialisation de la présence du loup a pu laisser croire à une volonté de taire les choses, ce qui, à mon avis, a créé un certain malentendu. Pour ce qui me concerne, je pense qu'il est effectivement nécessaire de donner les informations et d'assurer une information de proximité. En outre, le fait que l'indemnisation ait été, au départ, gérée par les agents du parc n'était pas, selon moi, de nature à faciliter les choses.

A compter de 1994, je pense que l'information a été bonne. Cela étant le loup est, par nature, très discret, il est très difficile à repérer. Il est malaisé de dire exactement quelle est l'évolution de sa population, car on ne peut procéder que par comptages, l'hiver. Même actuellement, on n'avance encore que des hypothèses en parlant d'une trentaine d'animaux, je remarque que la tendance n'est cependant pas à l'augmentation et que le nombre de loups reste toujours assez limité.

En revanche, on constate une extension de leur territoire puisque, partis du Mercantour, ils sont passés aux Alpes-de-Haute-Provence puis au Queyras et aux Alpes du Nord. On ne peut nier qu'une colonisation se fait mais avec un nombre assez limité d'animaux ce qui laisse à penser que les conditions ne sont, pour l'instant, pas si favorables à leur expansion. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas pu nier qu'il existait une controverse : c'était un constat !

Ce que je tiens à dire, c'est qu'il y a certainement beaucoup plus de loups captifs sur notre territoire - et parfois des loups qui se promènent - que de loups sauvages. Or, ces loups captifs en parcs animaliers, voire chez des particuliers, peuvent s'échapper : j'en veux pour exemple le cas de ce vieux monsieur de Guéret qui, vivant dans des conditions un peu particulières, hébergeait une quinzaine de loups qui, durant une de ses hospitalisations, se sont échappés, causant un vif émoi au sein de la population locale. Les loups captifs survivent rarement lorsqu'ils s'échappent mais face à ce risque, j'avais proposé une mesure assez difficile à mettre en place, mais qui, je crois a été appliquée : que tous les loups captifs soient répertoriés et suivis au moyen d'une puce électronique afin de déterminer, en cas de capture d'un animal, s'il est sauvage ou non.

Le nombre de loups sauvages dans notre pays est certainement inférieur à celui des loups détenus par des particuliers, et en plus il existe des hybrides issus de certains croisements ce qui est une source de confusion supplémentaire.

Par ailleurs, certains défenseurs de l'environnement soutenaient que des dégâts étaient provoqués par des meutes de chiens errants. J'ai pu constater sur le terrain que ce n'était pas le cas, qu'il y avait, naturellement, des chiens divagants mais qu'il s'agissait le plus souvent du chien du village ou du voisin : la montagne est un espace de liberté et l'arrivée inattendue d'un chien ou d'un promeneur près d'un troupeau peut suffire pour provoquer des catastrophes ! Toutes ne sont pas imputables aux loups, même s'il est vrai que l'équipe de « LIFE » avait tendance à dire, sans en avoir la certitude, quand un grand canidé était soupçonné, qu'il s'agissait bien d'un loup et qu'il y aurait indemnisation...

M. François BROTTES : Nous avions eu, durant la précédente mandature, l'occasion de vous auditionner avant de rédiger le premier rapport sur la mission d'information : qu'avez-vous pensé de ce rapport Chevallier ?

M. Pierre BRACQUE : Je n'ai pas à porter de jugement sur un rapport parlementaire, cela étant, il me paraît évident qu'il a eu une conséquence. Si vous avez lu mon rapport, vous aurez relevé que dans sa conclusion, j'écrivais, que si l'on prenait des mesures concrètes - si l'on faisait une bonne prévention, si l'on mettait en place une assurance pour les indemnisations - et j'avais eu des contacts avec le ministère des finances à ce sujet - si l'on créait des brigades de bergers en certains endroits, si l'on cantonnait le loup géographiquement et si l'on fixait un seuil à ne pas dépasser pour sa population, la cohabitation du pastoralisme et du loup serait possible.

D'ailleurs, vous pouvez remarquer que, dans certains départements et certaines régions, notamment le Queyras et la Savoie, où ces mesures ont été mises en œuvre suite à mon rapport, les choses se sont globalement bien passées au cours de l'année suivante. Je ne dirai pas que l'ensemble des éleveurs était convaincu. Vous savez, en effet, mieux que moi qu'il existe en montagne deux types d'éleveurs : les éleveurs traditionnels qui sont d'anciens agriculteurs, et ceux qui ont choisi de vivre dans la montagne et qui, par nature, ne sont pas forcément hostiles au loup, certains pouvant même le tolérer si on leur offre la possibilité de travailler dans des conditions correctes et d'être indemnisés.

Votre rapport, rédigé dans le cadre d'une mission d'information, dans la mesure où il concluait - je résume en une phrase et sans vouloir caricaturer - que là où il y avait du pastoralisme, il ne pouvait pas y avoir de loup et qu'en conséquence, il fallait parquer les loups - toutes choses reprises par la presse - a donné le sentiment qu'il pouvait être mis un coup d'arrêt à la politique conduite dans le cadre du programme « LIFE ».

A ce moment-là, il est vrai que tous les efforts que nous avions pu faire pour parvenir à un compromis et à un dialogue ont été, je dois le dire, un peu stoppés ! Beaucoup d'éleveurs ont pensé, et la presse l'a écrit un peu rapidement, qu'on allait pouvoir supprimer le loup ce qui a marqué le coup d'arrêt des mesures que nous mettions en place.

Mme Henriette MARTINEZ : Puisque vous avez évoqué le Queyras et que je suis, tout comme mon collègue, M. Joël Giraud, élue des Hautes-Alpes j'aimerais savoir sur quoi repose la satisfaction que vous avez semblé manifester par rapport à ce qui se passe aujourd'hui dans cette région.

En tant qu'élus, nous ne la partageons pas, bien au contraire, puisque nous connaissons de très gros problèmes dans cette zone où une meute de six loups a été vue traversant, derrière le car scolaire, le village de Ristolas

Certains peuvent toujours se satisfaire de ce que les loups soient quasiment domestiqués puisqu'ils rentrent dans les villages, mais je doute que ce soit le cas des éleveurs

M. Pierre BRACQUE : Pardonnez-moi, mais je m'exprimais pour la période où je faisais mon rapport et je parlais de l'année 1999 qui suivait la publication de mon rapport.

Si j'ai dit que les choses allaient un peu mieux alors dans le Queyras - vous affirmez qu'elles vont moins bien aujourd'hui et je ne peux pas vous contredire n'ayant pas d'informations à ce sujet - c'est tout simplement - et n'y voyez aucune forme d'autosatisfaction, parce que de gros efforts avaient été consentis, et notamment de la part du ministère de l'agriculture, pour doter cette région là - vous parlez de Ristolas qui ne compte qu'un éleveur - d'abris et de chiens patou. Comme nous avions engagé de gros moyens dans ce département, le dialogue fonctionnait bien et certains éleveurs, sans être d'accord avec la présence du loup, acceptaient les mesures de prévention, ce qui a trouvé sa traduction sur le terrain. Peut-être tout cela n'a-t-il fait que déplacer le problème, mais vous pouvez constater que durant les années 1998-1999, il y a eu moins d'attaques sur le Queyras. Nous pensons que c'est quand même grâce aux mesures de prévention que nous avions prises et aux aides que nous avions apportées.

Il faut dire que, comme le dialogue fonctionnait, nous avions, si vous me passez l'expression, « mis le paquet » sur votre département.

J'ai d'ailleurs terminé mon rapport en avertissant que si l'on ne faisait pas la même chose, dans les six mois, un peu partout, l'entreprise échouerait en ajoutant que, puisqu'il il paraissait difficile d'agir ainsi sur l'ensemble du territoire, mieux valait cantonner le loup et mener des actions fortes, le saupoudrage ne servant à rien !

M. Jean LASSALLE : Monsieur l'inspecteur général, vous êtes une personnalité extrêmement reconnue et respectée : est-ce que vous ne percevez pas une disproportion très importante entre l'effort consenti pour protéger les loups et les ours et les dispositions prises pour protéger les derniers hommes de ces massifs, qui vivent dans des conditions assez traditionnelles ? Ils sont, eux aussi, en voie de disparition ce que très peu de gens font valoir !

C'est autant à votre expérience qu'à votre sens de l'observation que j'en appellerai maintenant. Ne pensez-vous pas que ce qui se passe depuis plusieurs années peut donner le sentiment d'une collusion entre la communauté européenne par le biais du programme « LIFE », l'Etat, notamment le ministère de l'environnement, les administrations - pouvoirs publics, ONF, ONC, parcs nationaux - et les scientifiques qui parlent à peu près d'une seule voix face à des gens qui ne sont pas très organisés et qui se battent de façon disparate ? Une telle situation n'est-elle pas de nature à envenimer davantage la discussion, indépendamment de toute autre considération ?

M. Pierre BRACQUE : Je vous remercie des mots élogieux que vous avez eux à mon égard.

Je considère et c'est le propos que j'ai tenu tout au long de ma mission, qu'il est important d'assurer la pérennité du pastoralisme de montagne, qui est extrêmement fragile, que, puisque nous avons mené, dans le passé, des politiques allant dans ce sens, il convient donc de les conforter et de faire en sorte que le retour du loup ne les compromette pas.

Comme je l'ai dit, nous savons tous combien la filière est fragile, y compris en plaine et à plus forte raison en montagne.

Il est vrai que les éleveurs, avant le retour du loup, avaient, par le biais du pastoralisme, une action environnementale : leur utilité était reconnue et, brusquement, ils ont eu le sentiment qu'on leur accordait moins d'importance qu'aux loups.

Comme je l'ai dit partout, et notamment aux représentants de l'environnement, notre territoire n'est pas comparable à celui des Etats-Unis qui présente de grands espaces vierges. Nous avons, de tout temps, géré l'ensemble du territoire français en y maintenant partout la présence de l'homme et il faut donc prendre garde, avec le retour du loup, même s'il est naturel, à ne pas mettre en cause l'activité en montagne.

Des efforts ont été réalisés pour y maintenir la population et la pluri-activité. Le pastoralisme étant la seule activité agricole de ce secteur, ma priorité a été de ne pas le remettre en, cause, mais de l'aider, ce qui, à mon sens et compte tenu de la loi et de la Convention de Berne, exigeait une solidarité de l'ensemble de la nation.

Pour ce qui est de votre seconde question, je ne dispose pas de suffisamment d'éléments pour pouvoir me prononcer sur une éventuelle collusion. Simplement, dès lors qu'on est sur le terrain et qu'on voit les conditions de vie des éleveurs, le point de vue est forcément différent de celui que peut avoir un citadin.

Le dialogue que j'ai eu avec les éleveurs, le fait d'être à leur écoute, leur ont donné un grand espoir : ils ont pensé qu'ils pourraient être entendus et soutenus dans l'exercice de leur métier. Mais, il fallait des moyens très importants pour mettre en place une politique réellement efficace.

M. le Président : Nous vous remercions, monsieur de votre présence et des lumières que vous avez pu nous apporter.

Audition de M. Michel DANTIN,
conseiller technique pour la montagne et l'environnement
au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales,
(ancien directeur de la Fédération départementale
des syndicats d'exploitants agricoles de Savoie), spécialiste des milieux agricoles

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Michel Dantin est introduit

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Michel Dantin prête serment

M. le Président : Je vous remercie, monsieur, d'avoir répondu à notre invitation.

Dans le cadre de votre audition à laquelle nous allons maintenant procéder, je vous propose de nous rappeler en quelques minutes dans quelles conditions vous avez été conduit à vous pencher sur la présence du loup et le pastoralisme dans les zones de montagne lorsque vous aviez des responsabilités à la FDSEA et dans quel cadre, aujourd'hui, au ministère de l'agriculture, vous travaillez encore sur ce dossier sensible.

C'est à partir de cet exposé qu'avec les membres de la Commission nous vous poserons ensuite quelques questions.

M. Michel DANTIN : Effectivement, le dossier du loup me poursuit - ou peut-être est-ce l'inverse ? - puisque, dans une vie antérieure j'ai eu à le suivre, aussi bien en tant que directeur de la FDSEA de la Savoie, fonction que j'ai exercée de 1990 à mai 2002, qu'en qualité de Conseiller général du département de la Savoie et notamment de vice-président chargé de l'environnement, de 1994 à 1998.

C'est d'ailleurs à ce dernier titre que j'ai eu à connaître du dossier du loup car les contacts que nous entretenions avec les Italiens du Piémont nous ont permis de suivre l'avancée de l'animal par le versant italien. Le loup est, en effet, entré en Savoie par la Haute Maurienne : en 1995, si ma mémoire est bonne, les Italiens nous ont prévenus que dans la vallée de Bardonnèche, ils avaient identifié un couple ; l'année suivante, ils nous ont indiqué que ce couple avait une portée et c'est durant l'été 1997 que le loup est apparu sur le plateau du Mont Cenis.

Ensuite, on peut dire que son avancée dans le département de la Savoie a été environ de soixante kilomètres par an, c'est en tout cas à ce niveau que nous avons situé le bond annuel.

J'ai eu à suivre la mise en place des mesures de protection des troupeaux et, depuis le mois de mai dernier, auprès d'Hervé Gaymard, la gestion du dossier du loup, pour le compte du ministère de l'agriculture, entre dans mes attributions.

Les centres d'intérêt n'ont pas varié dans la mesure où la position du ministre de l'agriculture est relativement claire sur ce dossier : nous sommes là pour assurer la promotion et la défense du pastoralisme et non pas la promotion ou la défense du loup !

C'est d'ailleurs dans cet esprit, me semble-t-il, que les services du ministère de l'agriculture travaillaient précédemment, même si leurs relations avec le ministère de l'environnement étaient, aux dires des personnels, assez tendues.

Aujourd'hui, du fait du caractère plus institutionnel des relations que nous entretenons avec le ministère de l'écologie, y compris au niveau des cabinets, les discussions sont, toujours d'après les services, plus sereines.

Quoi qu'il en soit, notre position consiste à suivre le ministère de l'écologie pas à pas dans ce dossier, car je le répète, ce n'est pas le loup qui nous intéresse, mais la défense du cheptel ovin et du pastoralisme. Nous avons en effet la conviction que les superficies d'alpage sont une richesse pour nos départements de montagne et qu'elles doivent être entretenues sans quoi nous encourrons des risques naturels. On sait pourquoi la restauration des terrains en montagne (RTM) a été mise en place à la fin du siècle dernier, on voit bien aujourd'hui que si nous enregistrons des accélérations des risques naturels en quelques endroits, c'est parce que l'entretien des surfaces de pâturage n'y est plus correctement exercé.

Il est donc clair que nous devons faire preuve d'une vigilance particulière pour le pastoralisme. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le ministre de l'agriculture souhaite que la loi sur les affaires rurales, que le Parlement aura à examiner au cours de cette année 2003, comporte un volet consacré au pastoralisme. Il visera à la fois à remettre à jour la loi pastorale de 1972 dont un certain nombre de dispositions d'ordre juridique, fiscal ou autre ont vieilli et à apporter quelques soutiens nouveaux à l'activité pastorale, que ce soit dans les Alpes où se pose aujourd'hui la question du loup ou dans les autres massifs montagneux : je pense en particulier aux Pyrénées ou un animal d'une espèce différente soulève d'autres problèmes.

M. le Président : Je vous remercie de cette parfaite introduction.

Vous nous apportez une précision très important en indiquant que le loup serait arrivé en Savoie par le Piémont, Bardonecchia et la vallée de la Maurienne. Nous savons avec certitude que, des Alpes-Maritimes, il a gagné les Alpes de Haute-Provence et les Hautes-Alpes, mais des zones d'ombre demeurent sur son arrivée en Isère. Le fait qu'il soit apparu d'abord en Savoie et ensuite en Isère, nous a donné à penser qu'il aurait pu arriver par l'Italie.

Avez-vous disposé ou disposez-vous, au ministère de l'agriculture, de documents émanant des autorités italiennes qui l'attestent ?

M. Michel DANTIN : Pas à ma connaissance !

En revanche, l'ancien directeur du laboratoire départemental d'analyses de la Savoie, qui est aujourd'hui directeur du laboratoire départemental d'analyses des Hautes-Alpes, le Docteur Gauthier, suivait de très près les choses et serait susceptible de vous fournir des éléments d'information. Quand je présidais le laboratoire d'analyses, c'est lui qui me tenait régulièrement informé de nos échanges d'informations avec les Italiens.

M. le Président : S'agissait-il d'échanges formels ou informels ? Avez-vous eu un rapport, des documents d'un service vétérinaire italien, de la collectivité, de la province ou de la région voisine ?

M. Michel DANTIN : Pas à ma connaissance : il s'agissait simplement d'une collaboration dans le cadre de notre travail. Je ne peux pas vous dire que des documents de ce genre ont existé car je n'en ai pas connaissance...

M. le Président : Les Italiens du parc de l'Argentera, qui est voisin de celui du Mercantour, se plaignent, eux, d'avoir vu arriver le loup de France. Cela viendrait conforter la thèse selon laquelle le loup serait parti de France pour gagner l'Italie avant de revenir en Savoie...

M. Michel DANTIN : Selon les informations que je tiens du ministère de l'agriculture, la présence du loup a été constatée dans les années quatre-vingt en Ligurie, à environ 120 kilomètres des Alpes.

M. le Président : Le ministère de l'agriculture peut-il l'attester ?

M. Michel DANTIN : Je peux demander au service qui m'a fourni l'information de la formaliser à votre intention.

M. le Président : Le ministère de l'environnement nous a envoyé un certain nombre de cartes dont une carte portant le numéro 5, relative aux données concernant la présence du loup dans les régions Ligurie et Piémont, dans la période allant de 1984 à 1995.

Il s'agit d'un document officiel du ministère de l'environnement. Or, d'autres pièces sur lesquelles nous avons travaillé démontrent que ces cartes ont été reconstituées à partir de documents italiens retravaillés par le ministère de l'environnement français. Les documents italiens auraient été modifiés par la direction de la nature et des paysages.

Le document originaire d'Italie limite l'existence d'une meute de quinze loups à la partie orientale de la province de Gênes, laissant une bande de territoire de 150 kilomètres à vol d'oiseau vide de toute présence de ce prédateur et démontrant que le loup n'a pas colonisé tous les Apennins, ce que confirment les administrations et organismes officiels de la région ligure. A partir de ce document, les services français auraient rajouté des légendes de façon à confirmer la thèse que vous évoquez. J'aimerais, à partir de vos propos, que vous puissiez nous adresser un document officiel, tamponné par le ministère de l'agriculture, pour attester ces faits .

Ce n'est bien évidemment pas l'autorité française qui a pu établir un tel document sur la Ligurie...

M. Michel DANTIN : Bien sûr !

M. le Président : En conséquence, si vous disposez au ministère de l'agriculture d'un document officiel des autorités italiennes qui aurait permis aux autorités françaises d'établir le document en question, je serais désireux que vous nous le fassiez parvenir !

M. Michel DANTIN : Si c'est le cas, ce sera fait !

M. le Président : Sachez que nous nous rendrons à Rome prochainement et que nous le réclamerons nous-mêmes aux autorités italiennes !

M. Michel DANTIN : Pour ce qui est des déplacements du loup, je tiens à vous indiquer que nous avons eu un échange extrêmement intéressant, dans le courant du mois d'octobre, avec le Professeur Taberlet de l'université de Grenoble.

Il effectue, depuis plusieurs années, les résultats des analyses et il m'a indiqué qu'il travaillait à présent en liaison avec une université italienne : je pense que vous l'avez déjà auditionné et qu'il vous a montré les cartes qui lui permettent de suivre les déplacements des animaux...

M. le Président : A titre d'exemple, j'ai sous les yeux, une carte qui ne manque pas de nous surprendre sur l'aire de répartition du loup en 1988.

Il s'agit d'un document italien sur lequel figurent des points d'interrogation qui s'accompagnent de la formule « individus trouvés morts » faisant référence à des canidés croisés ou autres. Sur le document français, qui est une photocopie du document italien, il est rajouté, à côté de la phrase « individus trouvés morts ? », la légende : « présence suspectée ».

M. Michel DANTIN : Le Président de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes m'a fourni les mêmes explications ...

M. le Président : C'est vrai que c'est par les Italiens que nous pourrons obtenir ces documents italiens, ou que vous pourrez, vous au ministère de l'agriculture, nous aider à entrer en leur possession.

M. Michel DANTIN : Je vous promets, si j'obtiens quelque chose, de vous le transmettre.

J'ajoute simplement, s'agissant des documents italiens concernant la Savoie, que Michel Bouvard qui fait partie de cette commission est l'un des membres du Conseil général de la Savoie qui ont régulièrement des contacts avec la province de Turin auprès de laquelle il peut peut-être aussi se procurer un certain nombre de documents....

M. le Président : Bien sûr !

Ma dernière question touche au financement. Nous savons que, jusqu'à ce jour, les gouvernements ont fait le choix d'encourager l'épanouissement du loup par l'indemnisation des éleveurs, plutôt que d'essayer de le cantonner ou de le limiter et qu'au mois de mars, le financement du programme « LIFE » devrait s'interrompre.

Quelles sont dans le budget 2003, du ministère de l'écologie ou du ministère de l'agriculture, les dispositions qui ont été prises pour assurer le relais du programme « LIFE » ?

M. Michel DANTIN : C'est un chantier qui nous occupe et qui est en voie d'achèvement.

Dans ces discussions, le ministère de l'agriculture campe sur sa position qui est d'assurer la défense du cheptel ovin et nous devrions, dans les prochains jours, aboutir à un accord entre les deux ministères prévoyant un financement à hauteur de 900 000 euros pour chacun d'entre eux, au titre de l'exercice 2003 : exactement 902 000 euros pour le ministère de l'écologie et 927 000 euros pour le ministère de l'agriculture.

Il n'est pas question pour le ministère de l'agriculture de laisser, au cours de l'année 2003, le cheptel ovin sans mesures de protection. Il n'est pas question non plus pour nous de financer la promotion du loup ou des dégâts qu'il cause.

Dans la clé de répartition du financement, le ministère assumera la charge des mesures de protection du cheptel ovin et de gestion de l'alpage.

M. le Président : En d'autres termes, vous avez d'ores et déjà arrêté un choix de gestion ?

M. Michel DANTIN : Le ministre de l'agriculture s'est exprimé de manière claire à deux ou trois reprises. Le Premier ministre a déclaré que le gouvernement arrêterait sa position sur le dossier du loup, au vu des conclusions de vos travaux. En les attendant, nous nous sommes battus pour que soient mis en place, en 2003, des moyens suffisants pour assurer la continuité des actions engagées.

M. le Président : Parfait ! N'allons pas plus loin ! Je vous propose de vous envoyer un courrier auquel vous pourrez répondre de façon plus détaillée.

M. Michel DANTIN : Je vous communiquerai le document officiel dès qu'il sera signé !

M. le Président : Votre réponse me satisfait pleinement et je vous remercie de ces précisions.

M. le Rapporteur : Nous avons besoin d'explications, dans la mesure où certaines associations qui défendent le pastoralisme - deux, au moins - nous ont contactés à la suite des conversations téléphoniques qu'elles ont eues avec vous. Il y a probablement eu malentendu, car votre présentation des choses laisse aisément comprendre qu'il faut dégager des crédits pour assurer une continuité en attendant la mise en application de nouvelles mesures. Est-ce bien cela ?

M. Michel DANTIN : Tout à fait !

M. le Rapporteur : Pourtant, ces associations ont compris que l'on poursuivait la politique du passé et que la cohabitation avec le loup, telle qu'elle est vécue actuellement, serait inscrite dans la loi sur la ruralité.

Il convient donc, dès à présent, de démentir cela car des échos d'interprétations erronées faisant état de votre nom, nous parviennent tous les jours, notamment dans nos circonscriptions. Il serait bon que vous expliquiez bien que la politique conduite actuellement vise simplement à assurer un suivi et à éviter toute rupture car, malheureusement, les attaques de loups vont se renouveler dès que l'on va ressortir les ovins. D'ailleurs, dans les Alpes-Maritimes, et notamment dans le secteur de Saint-Vallier où les ovins passent tout l'hiver dehors, les éleveurs, je peux vous l'assurer pour en avoir discuté avec eux, protégent leurs troupeaux nuit et jour. Il est vraiment important que vous puissiez faire passer l'information parce que l'inquiétude est réelle et profonde !

J'ai d'ailleurs produit ce matin une motion, votée à l'occasion d'une assemblée générale, où votre nom était cité...

Par ailleurs, il y a tous ces millions et millions d'euros. A cet égard, il serait également important pour nous de savoir, une fois pour toutes, puisque vous estimez que les loups sont actuellement une trentaine, combien chacun coûte annuellement aux contribuables. Il va de soi que la somme doit être très supérieure à celle qui est accordée aux pauvres cultivateurs, car, au montant des indemnisations, viennent s'ajouter le prix de tout le travail que réalisent les scientifiques et le financement de toutes ces associations dont il faut bien dire qu'elles vivent grâce au loup.

Est-ce que toutes ces dépenses peuvent être chiffrées de façon à savoir à combien revient un loup ? Si on pouvait le dire à l'opinion publique, elle comprendrait mieux l'importance qu'il y a à trouver d'autres solutions.

M. Michel DANTIN : En réponse à votre première question, je dois vous dire que j'ai eu, hier matin, un contact téléphonique avec l'animateur de l'Association européenne de défense du pastoralisme à laquelle vous faites, je pense, référence.

M. le Rapporteur : Entre autres...

M. Michel DANTIN : Il m'a dit qu'il avait effectivement lu ces jours derniers un rapport sur le pastoralisme rendu au ministre de l'agriculture, le 30 juillet dernier, et qui avait été commandé par le Conseil national de la Montagne lors d'une réunion qui s'est tenue à Clermont-Ferrand, au début de l'année 2001.

Ce travail n'a été remis au ministre actuel qu'au mois juillet en raison des événements survenus au printemps.

Ce qui a provoqué un certain émoi, c'est que nous avons indiqué que le volet consacré au pastoralisme dans la loi consacrée aux affaires rurales était préparé à partir de ce document et il est vrai qu'un travail très important a été réalisé, notamment sur l'aspect juridique du problème, sous l'autorité de M. le sénateur Amoudry qui présidait l'un des sous-groupes de travail.

Cela étant, nous avons fait une référence au document en bloc, et comme je l'ai précisé hier à mon interlocuteur, je suis un peu désolé que l'on n'ait retenu de nos échanges que les quelques lignes paraissant sujettes à caution sur un point précis sans tenir compte des autres propos qui ont pu être tenus par le ministre. Il me semble en effet que le ministre, M. Gaymard, a, jusque là, été suffisamment clair chaque fois qu'il s'est exprimé sur le dossier du loup.

M. le Président : Je l'ai, en effet, toujours entendu tenir un seul discours !

M. Michel DANTIN : Pour ce qui est de la seconde association, dont le représentant est me semble-t-il, M. Prost, nous lui avons fait savoir dans une récente lettre, que nous mettions en place, pour 2003, des moyens de gestion.

J'en reviens à mes propos antérieurs : dès lors que le Premier ministre, dans l'attente des conclusions de votre rapport, ne prend pas de nouvelles décisions, je ne peux que dire, en son nom que, pour l'instant, nous prévoyons les moyens indispensables.

De là à interpréter cette déclaration comme une position ferme et définitive du gouvernement, il y a un pas à ne pas franchir : c'est une question de bonne foi !

Concernant les chiffres, vous avez, monsieur le député, évalué le nombre des loups à trente !

M. le Rapporteur : C'est ce que l'on nous a dit !

M. Michel DANTIN : Ce n'est pas moi qui ai avancé ce chiffre. Tout ce que je peux dire c'est que, dans le plan de financement du programme « LIFE nature », la contribution de l'Europe s'élevait à 1 134 525 euros...

M. le Rapporteur : Nous n'allons pas nous lancer dans le détail des chiffres. Il serait préférable que vous fassiez faire par le ministère le calcul du coût annuel d'un loup pour que l'on puisse le connaître avant la fin de nos travaux.

M. Michel DANTIN : Rien que pour ce qui concerne le ministère de l'agriculture, je peux vous dire que, sur la période 2000-2002, c'est un peu plus de 1,1 million d'euros qui ont été engagés : 141.778 euros dans le cadre du programme « LIFE » et 997.016 euros pour les mesures pastorales financées sur le budget du pastoralisme, hors programme «  LIFE ».

M. le Rapporteur : Et a tout cela, il convient d'ajouter les fonds européens ?

M. Michel DANTIN : Non, il s'agit strictement là de crédits dégagés par le ministère de l'agriculture !

Tous financements croisés le programme « LIFE » représentait 2 .836 000 euros sur la même période, somme à laquelle nous avons rajouté la somme de 997 016 euros, prélevée sur notre budget, au-delà du programme « LIFE ».

M. le Président : C'est énorme d'autant que cette somme ne prend pas en compte les crédits du ministère de l'environnement.

M. Michel DANTIN : Dans le programme «  LIFE », 1 560 000 euros proviennent du ministère de l'environnement. Ce dernier a-t-il dégagé d'autres moyens au-delà du programme « LIFE » ? Je vous laisse le soin de poser la question à ses responsables car, sincèrement, je l'ignore !

Je vais vérifier s'il y a eu plus de crédits débloqués mais, depuis six ou sept mois, mon avis n'a été sollicité sur aucun autre financement que ceux que je viens de vous signaler.

M. le Rapporteur : Le laboratoire de Grenoble coûte également très cher ?

M. Michel DANTIN : Les travaux du Professeur Taberlet, sont financés à partir de ce programme et lors d'une réunion du CIAT (Comité interministériel d'Aménagement du territoire) en 2000, il a été décidé d'individualiser le laboratoire et d'en faire un laboratoire de référence à l'échelon national.

Les gouvernements successifs n'ont jamais encore été capables de dégager un budget permettant à ce laboratoire de travailler dans des conditions correctes et, si vous me permettez ce qualificatif, en tant que « Rhône Alpin » du Gouvernement, le ministre m' a chargé de suivre plus particulièrement ce dossier : une réunion interministérielle est programmée la semaine prochaine avec les ministères de l'écologie, de l'aménagement du territoire et de la recherche pour savoir quels moyens peuvent être dégagés pour pérenniser ce laboratoire.

En effet, entre le dossier du lynx, le dossier de l'ours et celui du loup, la France, a besoin de se doter d'une véritable capacité d'expertise et de recherche.

M. le Rapporteur : Que financent les 900 000 euros qui s'ajoutent au programme « LIFE » ?

M. Michel DANTIN : Ils soutiennent des investissements pastoraux, et restent en dehors des crédits alloués dans les contrats de plan Etat-Région. C'est finalement une somme de 997 000 euros qui a été ciblée sur les Alpes pour soutenir le pastoralisme du fait de la présence du loup.

M. le Président : Il n'y a pas d'autres questions ?

Je tiens, M. Dantin à vous remercier : vous vous êtes montré très clair, vous nous avons apporté de vrais éléments d'information et par votre voix, le ministre a également témoigné toute sa confiance aux travaux de notre Commission, ce à quoi nous sommes, naturellement, très sensibles.

M. Michel DANTIN : Merci, je ne vous cache pas que j'avais eu un entretien très précis sur le sujet, avec lui, samedi, pour être certain d'avoir correctement interprété sa pensée depuis six mois! J'ai pu constater que c'était bien le cas !

Audition de M. Gilles PIPIEN,
directeur de cabinet du ministre de l'écologie
et du développement durable

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M.  Gilles Pipien est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Gilles Pipien prête serment.

M. le Président : M. le Directeur de cabinet, nous sommes heureux de vous accueillir devant notre commission d'enquête à deux titres : d'abord, en votre qualité actuelle de directeur de cabinet de Madame la ministre de l'écologie et du développement durable, ensuite, en votre qualité passée de directeur régional de l'environnement de la région Provence Alpes Côte d'Azur.

Je vous propose de vous situer, en quelques minutes, par rapport aux travaux que vous avez pu conduire et aux conditions dans lesquelles vous vous êtes, au fil des ans, investi dans ce dossier. Ensuite, nous procéderons avec le Rapporteur et les membres de la commission, à un échange un peu dynamique sur le sujet.

M. Gilles PIPIEN : M. le Président, mesdames et messieurs les députés, je tiens avant tout à dire que c'est avec un grand plaisir que je retrouve un certain nombre d'entre vous et que Madame la ministre a tenu personnellement, au moment même où elle prenait l'avion avec le Président de la République, à me faire passer un mot indiquant qu'elle souhaitait que je transmette toutes ses amitiés, tant à vous, M. le Président, qu'à l'ensemble des membres de la commission.

M. le Président : Vous la remercierez et lui transmettrez les nôtres en retour.

M. Gilles PIPIEN : Elle m'a également demandé de vous confirmer qu'elle même, à titre personnel, ainsi que l'ensemble de son cabinet et de ses services sont à votre entière disposition pour vous aider à mener à bien votre tâche, difficile mais essentielle. Je remets à M. le Président un courrier de Mme la Ministre, transmettant un dossier comprenant différents éléments pouvant être utiles à la Commission.

Je suis amené à évoquer avec vous deux aspects différents du sujet qui nous intéresse aujourd'hui : ce que j'ai vécu en tant que directeur régional de PACA - je vais très rapidement aborder ce sujet qui me paraît essentiel - et la politique de Mme la ministre et du Gouvernement.

Je suis entré en fonction à la direction régionale de l'environnement de PACA le 15 février 1998. Je me suis investi plus particulièrement sur ce dossier au bout de quelques mois, donc plutôt dans le courant de l'année 1999 et ma première initiative a d'ailleurs été de créer un comité régional avec les acteurs de l'administration. Je vous ai apporté, au cas où vous ne les auriez pas, l'intégralité des comptes-rendus que je vous remets très officiellement.

Dès le départ, il me semblait essentiel d'avoir au niveau national des orientations qui soient claires, ce qui ne me semblait pas être le cas. Je me suis consacré, tout particulièrement durant les années 1999 et 2000, sur cet aspect de la question. Estimant qu'à partir de 2000 un certain nombre d'orientations avaient été arrêtées, j'ai donné délégation, à partir de septembre 2001, à mon adjointe, Mme Steinfelder afin qu'elle suive ce dossier, tout en le laissant au niveau de la direction car il me paraissait assez sensible et important.

J'ai abordé le sujet, d'abord en considérant que le domaine du loup était un fait juridique - j'y reviendrai par la suite car cela me semble important - et un fait concret sur le terrain, dont il fallait tenir compte. J'étais animé de cette conviction personnelle importante que j'ai déjà été conduit à évoquer avec certains d'entre vous que dans notre pays de vieille civilisation, la nature n'est que le fait de l'homme. Je ne connais pas de nature « sauvage », au sens amazonien du terme. Tout, depuis les canaux jusqu'aux forêts, ne résulte que d'un acte et ce n'est pas avec qui connaît la vallée des merveilles que j'entrerai plus dans le détail et je ne vous ennuierai pas avec mon Ardèche natale, même si certains d'entre vous connaissent ma passion pour les châtaigniers qui forment un verger et non pas une forêt.

Cette appréciation personnelle n'était pas évidente pour l'ensemble de mes services et il a fallu quelque temps pour amener certains de mes collaborateurs à partager cette idée, idée que nous avons, au sein de la Direction régionale de l'environnement, traduite finalement dans une charte de la DIREN dont je n'extrairai, pour ne pas vous assommer, que cette phrase, relative à la région PACA : « Cette richesse naturelle et culturelle est le résultat d'une alliance intime consubstantielle de l'homme et de la nature. Nous croyons à cet équilibre et à l'importance de sa préservation ». Je vous remets officiellement aussi ce document, voté à l'unanimité, qui, à partir de 1999, a été, et j'espère reste, le guide de notre action.

Pour moi qui, étant Ardéchois, suis né plus au Nord, la richesse de cette région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, que vous connaissez mieux que moi, a été une découverte. C'est une richesse biologique qui est issue de la conjonction de trois facteurs

D'abord, la géologie puisque l'absence de glaciations a permis à une faune ante-glaciaire et post-glaciaire de se développer - dans les rivières de l'Argens, je peux vous faire découvrir des mollusques ante glaciaires ou des plantes ante glaciaires que l'on retrouve dans les forêts de Port-Cros.

Ensuite la géographie - dans la région de Nice on peut grimper jusqu'à 4.000 mètres d'altitude en étant à dix kilomètres de la mer, et on peut remonter le sillon de la Vallée de la Durance alors que Gap n'est qu'à quelques centaines de mètres au-dessus de la mer - dont l'influence se traduit par le mélange des biologies méditerranéenne et alpine et l'interpénétration des climats.

Enfin, l'histoire et l'homme : j'ignore ce que seraient les Alpes sans les travaux remontant à la nuit des temps, que les hommes y ont réalisés pendant des années, à commencer par les alpages et le pastoralisme.

Le pastoralisme constitue pour moi un exemple typique de que j'appelle « le développement durable » et que porte le Gouvernement aujourd'hui, justement parce qu'il joue un rôle essentiel pour le développement économique et la biodiversité.

Sans le pastoralisme, nos milieux seraient fermés. C'est un enjeu essentiel et les spécialistes de la biologie m'ont beaucoup parlé - je ne suis qu'ingénieur des Ponts et Chaussées et incompétent - notamment des lisières, des « écotones » comme ils disent. Il est clair, par ailleurs, que le maintien d'une population grâce à une activité économique est un facteur primordial pour l'entretien de ces espaces : s'il n'y avait plus personne, faudrait-il, mesdames et messieurs, que nous payions des fonctionnaires pour aller faucher, tailler des chemins dans ces espaces et les entretenir ?...

Si nous avons une nature c'est, à l'évidence, parce que des populations y sont en place. Le pastoralisme est d'abord, selon moi, un enjeu économique : c'était à mes yeux un point essentiel !

Il faut que le pastoralisme soit économiquement viable. Si le premier enjeu -c'est tout le travail que conduisent mes collègues du ministère de l'agriculture - consiste à l'aider et à le faire bénéficier d'un plus, je considère, en tant qu'ancien directeur régional de l'environnement, que le second consiste, pour le ministère de l'écologie et du développement durable, à éviter qu'il y ait des moins sur les développements économiques. Or, le loup pourrait en être un si nous n'y prenions garde !

C'est la raison pour laquelle, à l'époque, je m'étais investi en suivant quatre axes.

Le premier axe était la communication. Il me paraissait en effet essentiel d'abord de partager les informations, d'où le comité de pilotage régional que j'ai évoqué précédemment, ensuite de les diffuser J'avais la volonté très forte, puisque communication il devait y avoir, qu'elle ne se fasse pas depuis Paris, mais depuis la Direction régionale de l'environnement. J'ai donc souhaité qu'un chargé de communication soit, sur crédits « LIFE », mis à ma disposition - vous l'avez reçu : il s'agit de M. Favier - pour diffuser l'information et, avec le temps, créer, par exemple, un journal.

Le deuxième axe était le soutien à toutes les initiatives qui me semblaient aller dans le sens que je viens d'évoquer, y compris le travail conduit sous l'autorité des responsables du parc national du Mercantour quand ils ont tenté de travailler sur un document d'objectifs Natura 2000 comprenant l'intégration du loup. Il me paraissait important dans ce document d'objectifs de ne pas adopter une démarche abstraite consistant à protéger telle ou telle fleur sans s'occuper du pastoralisme. Ma volonté était aussi d'apporter tout le soutien nécessaire au travail du parc naturel régional du Queyras sur lequel j'aurai l'occasion de revenir.

Le troisième axe qui me paraissait primordial était la prévention des dégâts et le quatrième axe, la gestion de l'espèce.

Vous me permettrez de m'arrêter un peu plus longuement sur ces points car c'est sur ce nœud que s'est fixée mon attention et qu'il conviendra, selon moi, de revenir dans la politique qui doit à présent être conduite.

J'avais mis en place, en 2000, deux groupes de travail : l'un sur le gestion de l'espèce loup ; l'autre sur la prévention des dégâts dus à cette espèce et j'ai transmis ces documents, le 14 juin 2000, par courrier que je vous remets, à la directrice de la nature et des paysages de l'époque. Participaient à ces groupes de travail, non seulement les représentants des directions départementales de l'agriculture, mais aussi les équipes de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, du parc du Mercantour, sans compter Nous du parc naturel régional du Queyras qui sont venues ponctuellement nous soumettre leur avis.

Nous avons rendu compte de nos discussions aux trois préfets qui ont, in fine, approuvé le document que nous leur avons remis et l'ont d'ailleurs défendu, à Paris, à l'occasion d'une réunion présidée par un conseiller de la ministre de l'époque et par la directrice de la nature et des paysages. Cette réunion, dont je me souviens très bien, réunissait notamment des représentants de Rhône-Alpes - un secrétaire général et un sous-préfet - et les trois préfets de la région PACA que nous avions pu fortement mobiliser et qui s'étaient personnellement déplacés pour prouver leur engagement et montrer le soutien qu'ils apportaient au travail qui avait été réalisé.

Le premier aspect qui nous avait paru essentiel était la nécessité de gérer l'espèce loup. Nous estimions qu'il était primordial d'éviter les dégâts quels qu'ils soient  -qu'ils proviennent du loup, de maladies, de chiens errants ou autres - et qu'il n'était pas question de continuer à laisser un individu, quand bien même il s'agit du loup, se comporter en véritable délinquant, et cela au détriment des éleveurs et des troupeaux, et je pèse mes mots...

Il était clair que nous nous trouvions de surcroît dans une période que les biologistes appellent « de colonisation » par l'espèce loup. Il nous fallait donc, à mon avis, réagir pour éviter notamment des comportements d'autodéfense clandestins pouvant être graves. C'est là un paramètre qui m'apparaissait essentiel.

La gestion de l'évolution de l'espèce comporte deux aspects : premièrement, l'observation ; deuxièmement, l'intervention.

L'observation prend en compte tout ce qui suit l'espèce, l'individu lui-même, mais aussi le lien avec son environnement humain et les pratiques des autres pays. Je suis encore un peu frustré que mes demandes, depuis cette époque, ne m'aient pas permis de disposer d'informations plus détaillées sur les pratiques des autres pays : d'autres que nous ont eu à connaître de ces difficultés que ce soit, comme en Roumanie, en Italie, en Espagne ou ailleurs, parce qu'ils avaient une espèce prédatrice naturelle ou, comme aux Etats-Unis s'agissant du loup gris, parce qu'ils en ont réintroduit volontairement une. Je crois, si je pouvais me permettre la moindre suggestion à la commission, que ce point pourrait donner lieu à des investigations.

L'intervention me paraît capitale, notamment dans la régulation démographique ou géographique par déplacement, prélèvement, voire éradication du loup. Ce point méritait une analyse de détail : à partir du moment où l'on disait éradication, il fallait aussi éradiquer tous les autres prédateurs y compris les chiens errants et je persiste à penser qu'il faut vraiment protéger l'ensemble du pastoralisme et non pas s'attacher à telle ou telle nuisance.

Les moyens sont variés. On peut penser à l'empoisonnement, mais on sait bien qu'il pose un problème de sélectivité, au piégeage ou au tir, au piégeage non léthal, à l'empoisonnement par traitement spécifique des proies - nous avions constaté qu'à l'étranger avaient été expérimentées des peintures d'animaux empoisonnant en cas d'attaque - aux tirs par les gardiens de troupeaux eux-mêmes, à l'effarouchement éventuel par des tirs non léthaux, que ce soit des petits plombs, des balles de caoutchouc ou des déclenchements lumineux, sonores ou autres.

Quelles que soient les méthodes, il nous apparaissait qu'en France, le prélèvement devait, pour différentes raisons, conduire inévitablement à l'euthanasie. Pourquoi ? Parce que nous avions essayé de réfléchir aux prélèvements et aux déplacements, tels qu'ils se pratiquent aux Etats-Unis, mais il est évident que nous sommes dans un espace infiniment plus réduit que les Rocheuses et qu'en conséquence différents problèmes allaient se poser.

Ces problèmes étaient d'abord d'ordre juridique : la loi de 1976, comme vous le savez, traduite dans les articles du code de l'environnement, interdit tout transport d'un individu, mort ou vivant, d'une espèce protégée. Un prélèvement sans euthanasie pose donc, de toute façon, un problème juridique de même que la réintroduction dans un autre lieu.

Les problèmes étaient aussi d'ordre pratique : on sait par expérience qu'un individu libre remis en captivité, ne s'adapte pas s'il est adulte et qu'il meurt à brève échéance.

Nous nous en étions tenus, dans ce groupe de travail, à une approche que je considère responsable et réaliste et je suis étonné que ces données, transmises au niveau national, n'aient sans doute pas été plus largement reprises.

M. le Président : Vous allez nous les transmettre désormais.

M. Gilles PIPIEN : Je vais en parler et j'y reviendrai tout à l'heure car c'est un point essentiel !

L'observation me paraissait devoir être pilotée par un organisme scientifique indépendant car, ne serait-ce qu'en matière d'observation, les choses ne semblent pas suffisamment claires y compris quand il s'agit de mettre ou non des colliers, d'opérer un suivi etc.

S'agissant de l'intervention, il est clair qu'à l'époque, nous raisonnions à partir de deux zones. Cela me semblait une bonne approche parce que je crois que nous nous accordons à reconnaître que la présence du loup serait inacceptable sur la Promenade des Anglais, sur la Cannebière ou sur la place Bellecour. Par conséquent, entre les zones où le loup se développe, c'est-à-dire ce qui est appelé dans la Convention de Berne son « habitat naturel » et les autres zones, il devrait y avoir une limite, d'où l'idée que j' avais en tête, et qui me paraissait intéressante, de prévoir des zones d'exclusion.

Dans ces zones dites « d'exclusion » - Promenade des Anglais élargie, mais jusqu'où ? - le prélèvement devait, à mes yeux, être systématique et immédiat, tandis que dans les zones d'habitat naturel, au titre de la Convention de Berne, la Convention devait s'appliquer. Il convenait d'y exercer ce que j'appelle « une surveillance rapprochée », et dès qu'il y avait une attaque prendre tous les moyens pour opérer, éventuellement, à terme, un prélèvement. Je préconisais, parallèlement, une élimination systématique des chiens errants pour éviter le moindre doute sur les constats établis régulièrement.

Il me semblait et il nous semblait que pour être efficaces et éviter quelques fiascos, que nous avons d'ailleurs essuyés peu de temps après, il fallait employer des gens spécialisés, formés, équipés et intervenant dès la première attaque de manière à repérer le contexte : je n'expliquerai pas à ceux d'entre vous qui sont chasseurs que si l'on veut faire de l'affût, il faut connaître un peu le terrain et en quelque sorte, ne pas débarquer « la fleur au fusil » ... De même, si l'on veut faire du prélèvement, il faut reconnaître les lieux, procéder à des repérages etc. Je n'irai pas plus loin dans les explications.

Par conséquent, dès la première attaque, il fallait, non seulement faire des constats, tout de suite et sans attendre, non seulement aider l'éleveur confronté à cette situation inévitablement difficile - pour avoir fait de l'équitation, je sais ce qu'est une relation avec un animal domestique et je mesure la difficulté psychologique - mais aussi préparer immédiatement les mesures de prévention, les renforcer et engager sur le champ une action d'effarouchement - nous proposions de doter le berger du matériel nécessaire, voire de l'autoriser à intervenir lui-même - et préparer le prélèvement.

Tels sont les éléments que vous retrouverez dans les documents que nous avions établis à l'époque.

Vous me permettrez simplement de lire deux phrases qui en sont extraites : «L'un des éléments prégnants est le stress provoqué par la présence du loup » ; « Après une attaque, on ne peut s'en tenir à de simples constats : une présence d'écoute et de conseil par des techniciens compétents est indispensable ! »

Nous avions aussi étudié d'autres composantes relatives notamment au comportement du loup par rapport à l'homme, je ne m'étendrai pas plus sur le sujet puisque vous trouverez tout le détail des préconisations, notamment dans ce document annoté que je me permets de vous remettre car je pense qu'il peut être utile de repartir de ces bases qui me paraissent réalistes, sentiment totalement partagé par l'ensemble des services qui travaillaient à mes côtés.

Je n'en dirai pas plus sur cette période de ma carrière de directeur régional de l'environnement.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le directeur de cabinet. Ces documents que vous nous remettez sont des propositions que vous aviez formulées officiellement à votre hiérarchie ?

M. Gilles PIPIEN : Vous avez le courrier du 14 juin 2000, transmis à Mme Guth, directrice de la nature et des paysages. Ces propositions ont été soutenues officiellement par les trois préfets.

M. le Président : Très bien !

Ma première réaction, je ne vous le cache pas, c'est qu'elles constitueront pour nous une base de réflexion non négligeable et qui sous certains aspects me paraît particulièrement pragmatique, sur une éventuelle gestion future dont nous aurons à débattre.

Puis-je, monsieur le directeur, me permettre de vous demander si, hier dans ces fonctions, comme aujourd'hui dans celles qui sont les vôtres, vous avez la conviction personnelle que le loup est revenu naturellement ?

M. Gilles PIPIEN : Je suis incompétent, mais à la lumière des éléments dont je disposais hier et dont je dispose aujourd'hui, je réponds : oui !

M. le Président : Ces éléments dont vous disposiez et dont vous disposez reposent sur des sources franco-françaises ou franco-italiennes ?

M. Gilles PIPIEN : Ceux que j'ai en tête sont des documents scientifiques français. Je considérais que mon rôle n'était pas de me faire un jugement sur ce point, mais vous m'avez demandé ma conviction personnelle. Je suis un fonctionnaire et mon rôle était d'exécuter les instructions qui m'étaient données, si j'en avais, d'où mes propositions pour en avoir, de demander des informations au ministère et d'en tenir compte pour appliquer les lois et les textes.

Je me suis donc limité à poser des questions et je m'en suis tenu aux éléments que l'on me fournissait. Toutefois, je me rappelle avoir personnellement cherché un document qui me paraissait essentiel. Je n'ai trouvé ce que j'attendais qu'en arrivant à Paris, et j'ai d'ailleurs tenu, dès le départ, à ce que ces éléments vous soient communiqués. Je savais, par des élus de la profession, qu'un colloque s'était tenu à la fin des années quatre-vingt-dix ....

M. le Président. En 1988, à Saint-Jean-du-Gard.

M. Gilles PIPIEN : ... au cours duquel il avait été fait état d'une suggestion d'un scientifique, aujourd'hui décédé, concernant une réintroduction du loup. J'ai mis beaucoup de temps avant de retrouver ce document. Je ne l'ai eu véritablement en main qu'en mai 2002, et j'ai fait en sorte qu'il vous parvienne, par l'intermédiaire de Mme Martine Bigan, dès les premiers jours de vos auditions.

M. le Président. Cette dame, que nous avons auditionnée, nous a d'ailleurs indiqué qu'en 1990, un certain nombre d'opérations clandestines avaient été organisées sans faire par la suite l'objet d'un quelconque suivi permettant de conclure à leur réussite ou à leur échec. Disposez-vous de rapports relatifs à ces opérations, au ministère de l'écologie ?

M. Gilles PIPIEN : Non je n'ai aucune information à ce propos. J'ai des informations sur la découverte de loups, et notamment d'un loup à Fontan, mais je ne dispose d'aucune information relative à une réintroduction clandestine. Je suis surpris qu'un membre de mes services ait pu parler dans ces termes qui n'ont jamais été employés au sein du ministère...

M. le Président : Hormis les sources scientifiques franco-françaises auxquelles vous avez fait allusion, sur quoi le ministère s'est-il fondé pour classer le loup dans les espèces revenues naturellement sur notre territoire ?

M. Gilles PIPIEN : En tant que directeur régional de l'environnement, je n'ai pas eu à connaître de ces décisions qui ont été prises avant mon arrivée.

M. le Président : Globalement, vous me dites que l'on vous a demandé de considérer qu'il était revenu naturellement, que vous vous êtes conformé aux instructions que vous aviez reçues lorsque vous étiez directeur régional de l'environnement. Aujourd'hui, vous êtes directeur de cabinet et vous m'avez remis, de la part de notre ministre, un certain nombre de documents où nous trouverons peut-être la réponse à notre question.

En réalité, monsieur le directeur de cabinet, je ne vous cache pas que nous sommes à la recherche de documents émanant des institutions italiennes. En effet, tous les documents qui nous sont aujourd'hui communiqués par les institutions françaises, à moins que vous ne m'en ayez remis d'autres dans ce dossier, veulent à tout prix faire dire des choses aux Italiens mais sans jamais être assortis d'une attestation soit des services vétérinaires italiens, soit du ministère de l'environnement italien, soit de la région Ligurie ou de le région Piémont...

Disposeriez-vous, au ministère français de l'écologie, d'un certain nombre de documents des autorités italiennes permettant d'attester ce que prétendent et affirment les autorités françaises ?

M. Gilles PIPIEN : Je l'ignore. Je vais donc m'informer et, si nécessaire, nous prendrons officiellement contact avec les autorités italiennes.

M. le Président : Vous mesurez quelle est notre difficulté : nous avons, pour ne rien vous cacher, des associations qui, par rapport aux quelques cartes que vous nous avez adressées, nous déclarent avoir reçu les mêmes d'Italie. Elles prétendent que les Français les auraient photocopiées avant d'en modifier la légende.

Bien évidemment, nous allons nous rendre à Rome dans quelques jours, nous allons y rencontrer les autorités italiennes et leur demander de nous communiquer officiellement les cartes pour savoir ce qu'il en est !

Il semblerait, par exemple, que sur un document relatif à l'aire de répartition du loup et à ses déplacements, en 1988, les autorités italiennes font figurer des points d'interrogation en légendant qu'ils correspondent aux lieux où l'on aurait trouvé des individus morts. Or, à côté est rajoutée avec une frappe différente, la formule suivante : « présence suspectée ». Il s'agirait d'un élément surajouté par la France sur un document italien.

Je peux aussi vous citer l'exemple d'une autre carte qui marque un rapprochement du loup, à travers la Ligurie, du parc du Mercantour et où il semblerait que l'on ait, par rapport à la carte italienne qui limitait l'implantation du loup à la partie orientale de la province de Gênes, étendu par des tâches sombres, cette présence à la Ligurie où, à l'origine elle ne figurait pas !

Ce sont autant de questions que nous nous posons !

Nous avons, par ailleurs, eu un témoignage sur les conditions d'arrivée du loup en Savoie. Deux loups en 1992 ont fait leur apparition dans le vallon de Mollière dans le parc du Mercantour. Nous savons que, de là, le loup a gagné les Alpes-de-Haute-Provence puis les Hautes-Alpes.

Dans l'Isère, il n'est apparu que très tardivement et le fait qu'on l'ait aperçu en Savoie avant de l'apercevoir en Isère, signifierait qu'il serait arrivée par Bardonecchia, et la vallée de la Maurienne en Savoie, donc en provenance d'Italie.

Cette théorie pourrait être opposée aux réprimandes qui nous sont adressées par les autorités italiennes, et notamment par les responsables du parc de l'Argentera, qui se sont plaints, dans les années 1994,1995, 1996, de voir le loup français arriver en Italie ce qui corroborerait la thèse selon laquelle, parti du Mercantour, il serait passé par la province de Cuneo dans le Piémont, puis aurait remonté le Piémont pour regagner la France par la Savoie.

Toutes ces éventualités nous conduisent à nous poser de fortes questions et nous aurions vraiment besoin de votre coopération pour disposer de documents officiels des autorités italiennes.

Enfin, avant de laisser la parole à M. le Rapporteur, j'aurai deux questions dont la première a trait à la politique conduite par le ministère de l'environnement ces dernières années.

En 1992, deux loups ont fait leur apparition ; dans les mois suivants on cache la présence de l'animal ; en 1993, on décide de mettre sur pied un plan de financement et d'indemnisation ce qui revient à dire que l'on fait le choix du développement du loup : si on avait, en 1992, décidé de le contenir on n'aurait pas laissé l'animal franchir la limite des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes.

Le ministère de l'environnement a donc bien fait le choix stratégique et de permettre au loup de s'étendre dans le massif des Alpes, et d'assumer le poids financier de cette décision ?

Je souhaiterais que vous me disiez, d'abord, si, selon vous, il s'agit bien d'un plan stratégique de développement du loup pour qu'il arrive ensuite en Savoie, dans l'Isère et dans la Drôme. Je vous demanderai, ensuite, de nous faire le point sur le financement actuel, d'estimer le coût d'un loup pour la collectivité. J'aimerais, enfin, savoir quelles dispositions ont été prises dans le budget 2003 du ministère de l'environnement pour faire face à l'arrêt du programme « LIFE » qui doit intervenir au mois de mars prochain.

M. Gilles PIPIEN : En réponse à votre première question, l'ancien directeur régional de l'environnement que je suis peut vous dire qu'à l'époque, il n'avait pas d'informations sur une stratégie d'expansion, mais qu'en revanche il en possédait sur l'expansion biologique naturelle du loup par son éthologie, le loup éjectant les jeunes de la meute au bout d'un certain temps.

Nous n'avions aucune instruction pour contenir le loup, ni aucune instruction pour aider à son expansion. Nous n'avions, jusqu'en 2000, aucune instruction, c'est pourquoi j'en ai demandé et participé activement à ce qu'il y en ait, ce qui s'est traduit par le protocole et les circulaires de 2000 qui ont fixé des orientations plus claires et notamment un protocole de prélèvement.

Je pense que ces éléments sur le prélèvement peuvent être rapprochés de ce souci de contenir le loup auquel vous avez fait allusion précédemment. En tant que directeur régional de l'environnement, je n'en dirai pas plus !

Je souhaiterais, pour mieux répondre à votre seconde question, en venir à la politique qu'entend mener Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.

Tout d'abord c'est une politique gouvernementale qui est cadrée par les orientations du Gouvernement, à commencer par celles du Président de la République. Je souhaiterais rappeler quelques-uns de ses propos.

A Orléans, le 3 mai 2001, il indiquait clairement qu'il souhaitait « inscrire une écologie humaniste au cœur de notre pacte républicain ». Or, faire le choix de l'écologie humaniste, c'est faire le choix d'une démarche mettant l'homme au centre de tout projet.

A Avranches, le 18 mars 2002, il reprenait l'ensemble de ces éléments et les détaillait, mais il évoquait « une agriculture économiquement forte et écologiquement responsable ». Il parlait de « préserver notre patrimoine naturel ». Il indiquait que l'exigence écologique c'est « l'idée d'avancer pour l'élaboration de règles communes par la concertation, le dialogue et le débat public ».

A Johannesburg, le 2 septembre 2002, il mentionnait dans son discours général un troisième chantier : ce qu'il appelait « la diversité » en précisant « la diversité biologique et la diversité culturelle, toutes deux patrimoine commun de l'humanité, toutes deux sont menacées ». Sur ces bases, il intervient personnellement : je ne peux qu'évoquer en novembre 2002 son intervention personnelle pour que la France ait une attitude beaucoup plus protectrice vis-à-vis de l'éléphant, qui, dans le cadre de la convention de Washington, fait partie des espèces relevant de CITES - Convention on International Trade on Endangered Species. Le Président de la République est intervenu personnellement pour que l'éléphant soit reclassé dans l'annexe I qui concerne les espèces dont la chasse et le commerce sont formellement interdits, alors que la position de la France était auparavant beaucoup plus ouverte puisqu'elle admettait l'autorisation de certains quotas.

M. le Président : Est-ce à dire que vous comparez l'éléphant avec le loup ?

M. Gilles PIPIEN : Je vous livre des informations : environ 30.000 éléphants menacent directement par leurs dégradations, dans leurs zones respectives, des populations. Il faut avoir en tête certaines données importantes : le Président de la République a pris une position à l'échelle internationale sur une espèce protégée qui, par ailleurs, provoque des dégâts.

Le Premier ministre, de son côté, dans son discours de politique générale, le 3 juillet 2002, indiquait que « la protection de l'environnement est l'ambition de son Gouvernement » et que cette dernière sera de « réconcilier ». Il évoquait « une gestion décentralisée et contractualisée de notre patrimoine naturel ».

En ce qui concerne la ministre de l'écologie et du développement durable, elle considère que l'image du ministère donnée pendant les cinq années précédant son arrivée est celle d'un ministère « qui défend les petites fleurs, les animaux, qui ferait l'agrément des citadins au travers de l'air pur, des paysages, des espaces de promenade et des plages et que nos prédécesseurs par leur action étaient apparus contre les habitants de ces espaces, support de la qualité de la vie des citadins ». Elle pense que cela a participé à ce que le Premier ministre a appelé, à juste raison d'ailleurs, « la blessure du monde rural », laquelle s'est exprimée par des réactions d'agriculteurs, de forestiers ou de chasseurs et plus généralement des acteurs locaux et de leurs élus contre l'action de ce ministère de l'environnement de l'époque, c'est-à-dire d'un ministère qui s'occupait de tout ce qui entoure l'homme sans s'occuper de l'homme lui-même. Sur ce point, le dossier auquel nous nous intéressons me paraît assez éloquent !

Depuis son arrivée, elle estime qu'il faut placer l'homme et la femme au cœur de son action : elle a souhaité faire de ce ministère le ministère de l'homme, le ministère de la femme en choisissant deux approches essentielles.

La première approche est celle des sécurités, c'est-à-dire des vies humaines. La semaine prochaine, elle présentera devant le Sénat un projet de loi sur les risques technologiques. Je rappelle, en outre, qu'elle a effectué ses premiers déplacements sur les sites des inondations : il est donc clair que son choix, c'est l'homme...

La seconde approche est celle de la responsabilisation, c'est-à-dire, le respect de nos concitoyens et la confiance en leur capacité de se mobiliser eux-mêmes. Dès les premiers jours de sa prise de fonctions, elle a traduit et résumé cette orientation dans le slogan «  sécurité, transparence et participation ».

Elle a trois guides : le droit - les lois et les engagements internationaux - la garantie scientifique, les faits et le partenariat avec les autres ministères.

En ce qui concerne les lois par rapport au sujet qui nous intéresse, c'est la loi française qu'il importe avant tout d'écouter, à travers la loi du 10 juillet 1976 du code de l'environnement qui, dans son article L. 411-1, définit la notion d'espèce protégée.

Le loup est classé espèce protégée, ainsi que vous l'avez évoqué, au titre de l'arrêté de 1980, mais uniquement du fait d'une modification apportée en 1996. D'ailleurs, la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes était intervenue devant le Conseil d'Etat pour demander l'annulation de cet arrêté : elle a été déboutée, le Conseil d'Etat considérant que l'Etat français était obligé de classer le loup dans les espèces protégées. Cet arrêt du Conseil d'Etat de 1998 mérite relecture !

Il est à noter que cet arrêté de 1980 modifié, donne la possibilité de dérogations pour prélever des individus, notamment en cas de dégâts sur les activités agricoles.

La loi française c'est aussi la loi dite « loi Barnier » de 1995 qui dispose dans l'article L. 110-1 du code de l'environnement que les espèces animales font partie du patrimoine commun de la nation et que leur protection, leur restauration, leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable.

Ces dérogations ont pris toute leur ampleur, par exemple, pour le cormoran que l'on oublie souvent quand on parle de l'inapplicabilité. Depuis des années en effet, le cormoran fait l'objet, de la part du ministère, d'une rigoureuse politique de prélèvement, que nous avons poursuivie avec des quotas qui ont fortement augmenté. En 1996, le cormoran était prélevé à hauteur de 10 % de sa population et nous avons progressivement atteint, au cours de la campagne 2002-2003, un quota de 25.000 oiseaux, soit 24 % de la population hivernante, étant précisé que les prélèvements réels, 19.000 oiseaux, ont été largement inférieurs.

Au début de l'année 1997, à la demande du ministère de l'environnement, l'espèce a été retirée de l'annexe I de la directive européenne sur les oiseaux et elle n'est donc plus une espèce protégée. Il faut bien avoir en tête cette possibilité que se donne la loi française ainsi que les lois internationales de pouvoir effectuer des prélèvements.

Je ne reviendrai pas sur les engagements internationaux  - convention de Berne du 19 septembre 1979. Toutefois, il m'apparaît souhaitable d'avoir un éclairage plus précis de la part du secrétariat de la convention de Berne, car un certain nombre de questions qui appellent réponse me semblent importantes. Nous l'avons saisi et j'ai souhaité que le secrétariat de la convention vous réponde directement, notamment en ce qui concerne sa position sur les articles 9 et 11 et les possibilités de dérogation. Cette réponse, vous l'avez obtenue directement : il considère que l'article 9 permettant une dérogation est applicable quel que soit le statut juridique de l'espèce et sa façon d'être réintroduite.

M. le Président : Pouvez-vous apporter une réponse à ma question sur le coût ?

M. Gilles PIPIEN : Bien sûr, mais je pense qu'il vous importe quand même d'avoir une vision globale de la politique du ministère...

M. le Président : Puisque vous m'en parlez, le ministère est-il prêt, comme d'autres membres du Gouvernement en ont pris l'engagement, à respecter les conclusions du rapport que nous allons élaborer et à en suivre les orientations ou êtes-vous en train de nous indiquer qu'une politique est déjà toute tracée et que le ministère n'en déviera pas quels que soient les résultats des travaux de notre commission d'enquête ?

M. Gilles PIPIEN : M. le Président, je n'ai pas terminé mon exposé. Par conséquent, de deux choses l'une : soit je vous réponds sur les chiffres, soit je termine mon exposé, avec mes excuses, car je pense qu'il peut vous intéresser...

M. le Président : Avec mes excuses également, si vous pouviez évoquer ce point particulier, nous vous en saurions gré. Vous pouvez poursuivre.

M. Gilles PIPIEN : J'évoquerai simplement la directive Habitats.

En ce qui concerne la garantie scientifique, la ministre a mis en place par décret du 17 juillet 2002, un observatoire national de la faune sauvage et ses habitats qui nous paraît l'outil indispensable pour coordonner les études scientifiques et le suivi auquel j'ai fait référence précédemment dans les propositions du Directeur régional de l'environnement de 2000.

Par ailleurs, elle vient de mandater un professeur pour une mission de préfiguration avec une possibilité de créer un conseil scientifique au sein du ministère de l'écologie et du développement durable. Aujourd'hui, il existe de multiples conseils et comités où l'on mélange les associations et les acteurs et il nous paraît indispensable de séparer le lieu du débat et le lieu des données scientifiques. Je vous remets la lettre de mission, signée, le 13 janvier 2003, par Madame la ministre, au Professeur Lecomte et vous verrez quelles personnalités ont été pressenties pour être membres de cette mission de préfiguration et du conseil scientifique.

Outre cette garantie scientifique, Madame la ministre a mis l'accent sur la nécessité de s'appuyer sur des faits. Elle a demandé qu'enfin, les services aillent sur place et cessent de traiter les dossiers à Paris, d'où l'instruction qui a été donnée et qui a pu provoquer un certain trouble de voir Mme la directrice et des paysages aller, enfin ! à la rencontre des acteurs locaux : elle s'est rendue dans les Alpes-de-Haute-Provence, dans les Hautes-Alpes, dans les Alpes-Maritimes, dans la Drôme, dans l'Isère et en Savoie. Les comptes-rendus de ces déplacements qui vous ont, je crois, été communiqués dans le dossier, me semblent mériter analyse.

Je rappellerai d'abord la façon dont se sont déroulés ces déplacements : le principe était, après une réunion interadministrative, de laisser les rencontres ou visites à la diligence du préfet. Chaque préfet a donc organisé les choses à sa guise en convoquant tel ou tel participant et c'est ainsi que des rencontres ont eu lieu avec des éleveurs, des élus etc.

L'analyse de Mme la directrice de la nature et des paysages me paraît extrêmement intéressante sur la façon dont le loup a été appréhendé et traité dans les différents départements...

M. le Président : Permettez-moi de vous interrompre, monsieur le directeur, mais nous avons tous ces comptes-rendus, et nous savons que Mme la Directrice de la nature et des paysages s'est rendue dans chacun de nos départements...

Mme  Henriette MARTINEZ : Nous l'avons souvent appris par la presse

M. le Président : ...Comme le précise très justement Mme Martinez, nous en avons souvent été informés par la presse. Quoi qu'il en soit, nous étudierons ces comptes-rendus, mais dans l'immédiat, je vous demande de répondre aux questions que je vous ai posées.

M. Gilles PIPIEN : Puisque vous parlez de la presse, j'attire votre attention sur le fait que la presse, notamment dans les Hautes-Alpes, a sorti des articles, alors qu'elle n'était pas présente aux réunions. J'ai donc demandé à avoir une note de rectification : j'espère que vous avez une copie de ma demande sans quoi, je vous la ferai parvenir.

Toujours concernant les faits, je confirme que Mme la Ministre et l'ensemble du Gouvernement soutiennent totalement votre commission dont les travaux et conclusions seront, bien sûr, pris en compte.

Par ailleurs, Mme la ministre souhaite avoir des contacts directs : je sais qu'elle vous a reçu M. Lassalle... Elle est toujours prête à recevoir tous les élus et les parlementaires, comme je le fais moi-même.

En termes de méthode, un partenariat a été mis sur pied avec le ministère de l'agriculture. Deux actes récents ont été pris strictement en partenariat. : premièrement, la circulaire du 7 août 2002 sur laquelle j'insiste dans la mesure où elle réaffirme un point essentiel à savoir que, dès la première attaque, et sans attendre que tous les critères soient remplis, il faut que la mobilisation soit totale en appui des éleveurs, que la préparation des prélèvements s'engage et que les mesures de protection et d'effarouchement se déploient pour éviter de nouvelles attaques ; deuxièmement, l'élaboration du budget 2003, lequel a été calé en étroite liaison avec le ministère de l'agriculture. Nous avons, d'abord, reporté à mars 2004, l'aboutissement du programme « LIFE ».

M. le Président : Très bien !

M. Gilles PIPIEN : Nous avons, ensuite, mis en place un programme financé à part égale par le ministère de l'agriculture et le ministère de l'écologie et du développement durable, le premier prenant en charge les mesures de prévention et le second le suivi du loup et le coût de l'indemnisation. Ce programme permettra notamment d'avoir un technicien pastoral par département et deux dans les Alpes-Maritimes. L'ensemble des documents vous a été remis avec tous les tableaux financiers. C'est un programme important qui a été décidé pour 2003.

Nous continuons à travailler avec le ministère de l'agriculture, notamment sur les contrats d'agriculture durable car nous souhaitons que des contrats puissent être passés avec les éleveurs de façon à les aider, ce qui n'était juridiquement pas possible avec les anciens contrats territoriaux d'exploitation. Ces derniers ne pouvaient, en effet, être passés qu'avec des gens disposant de droits réels, alors que nous savons que, dans nos montagnes, les éleveurs font pâturer les moutons en dehors de propriétés reconnues. Il était donc important de dissocier la notion de propriété des contrats.

Je vais maintenant vous communiquer un certain nombre de chiffres que vous ne possédez pas et que j'ai regroupés de manière à savoir exactement ce dont on parle. Le total des indemnisations ressort à 1,5 million d'euros.

M. le Président : Monsieur le directeur, notre Rapporteur devant nous quitter je lui laisse le soin de vous poser ses questions de façon à ce que vous puissiez y apporter une réponse globale.

M. le Rapporteur : Comme il nous a été dit, et cette fois sans que pèse la moindre chape de plomb, que lynx et ours avaient été réintroduits officiellement, pourquoi n'en aurait-il pas été de même pour le loup ? Pensez-vous, même si on peut envisager l'hypothèse que le loup soit revenu de lui-même, notamment dans le Mercantour, que des réintroductions clandestines aient pu avoir lieu ? Pourquoi cette question ? Parce que, depuis le début des auditions, nous entendons dire que le loup est un animal discret, que l'on ne voit pas, que l'on devine dans les territoires, alors que dans le Mercantour, il traverse les villages, il se laisse voir et filmer, il pénètre dans les propriétés privées - cela a été le cas près de Saint-Vallier.

A quoi tient cette différence fondamentale de comportement entre, par exemple, le loup des Abruzzes et notre loup du Mercantour, qui laisse penser aux bergers et aux agriculteurs que le loup moins sauvage a pu être réintroduit ? Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Gilles PIPIEN : A titre personnel, je n'ai jamais d'avis : j'écoute ce que nous disent les services et les scientifiques que nous pourrons continuer à interroger et je pense que votre travail est essentiel pour cela.

Ce que j'ai appris, c'est que, contrairement à ce que vous dites, le loup , en Italie, est un loup très opportuniste qui en arrive même à venir chercher sa nourriture au plus près des villages, notamment dans les dépotoirs et les détritus. Ces informations qui nous ont été transmises méritent d'être vérifiées et je pense que, lorsque nous saisirons, comme je m'y suis engagé tout à l'heure, les autorités italiennes, nous leur demanderons des informations sur le comportement du loup dans leur pays.

M. le Président. Je vous remercie, vous pouvez poursuivre la démonstration dans laquelle vous vous étiez engagé.

M. Gilles PIPIEN : Il ne s'agit pas d'une démonstration, je vous livrais juste, en réponse à votre question, quelques informations relatives aux financements de nos actions.

Le total des indemnisations de 1992 à 2001 a été estimé à environ 1,55 millions d'euros. Le programme « LIFE »  2000-2002 est d'un montant de 2,84 millions d'euros. Je vais vous remettre ces documents que j'ai obtenus aujourd'hui et qui contiennent un certain nombre d'autres chiffres.

Il font apparaître qu'environ une centaine d'aides-bergers sont mobilisés chaque année, que 400 chiens patous sont à l'œuvre dans l'ensemble des départements alpins et qu'ils ont été mis en place soit à l'aide du programme, soit par les bergers eux-mêmes. Le nombre de loups, et cela rejoint des chiffres que vous avez évoqués précédemment, a été estimé à quinze en 1997 et à 29 en 2002. Il est à noter qu'il semblerait qu'aujourd'hui les deux départements où il est le plus présent sont les Alpes-Maritimes depuis le début avec une douzaine de loups et les Hautes-Alpes avec un nombre d'individus à peu près équivalent puisqu'il oscille entre neuf et onze.

Concernant le bilan des attaques, on a enregistré, en 2002 environ 630 constats établis. Je ne peux pas vous donner les chiffres officiels, mais seulement celui des constats  - vous savez que c'est après le constat que l'on détermine si l'attaque est bien due au loup. Ces attaques ont fait, à ce jour, 2.800 victimes dont environ 570 par dérochement et 2.200 victimes directes. Si l'on étudie l'évolution des chiffres au fil des années, il est intéressant de s'arrêter, comme je l'ai fait, aux deux départements où le loup est particulièrement présent : dans les Alpes-Maritimes, le nombre de constats établis oscille entre 224 en 1996 et 277 en 2000 et 2001 après une légère retombée à 205 en 1999. Les victimes dans les Alpes-Maritimes en 1996, première année extrêmement lourde de dégâts, étaient au nombre de 796. On est resté à des niveaux équivalents jusqu'à l'année 1998, à partir de laquelle on a indemnisé, selon les années, entre 1.000 et 1.200 victimes.

M. le Président. Monsieur le directeur, nous avons tous ces chiffres...

M. Gilles PIPIEN : Non, vous ne les avez pas et c'est pourquoi je vous les apporte !

M. le Président : Dans ce cas, vous pourriez nous les laisser !

M. Gilles PIPIEN : Ils me semblent importants parce qu'ils montrent que, dans les Hautes-Alpes, pour une même population de loups, si le nombre des attaques est stable, seulement une cinquantaine chaque année, le nombre des victimes a, en revanche, régulièrement diminué puisqu'il est passé de 300 en 1999 à 97 en 2001.

Ce sont là deux éléments importants parce que, comme je l'évoquerai par ailleurs, il y a eu dans les Hautes-Alpes une action volontaire remarquable des élus de notre majorité et du parc régional du Queyras. Ces résultats méritent donc que nous leur prêtions attention. L'action du Queyras, qui vous sera présentée, a bénéficié d'un concours de circonstances extrêmement important qui doit nous aider à bâtir une politique.

Pour ce qui est de la politique, nous attendrons les résultats des travaux de la Commission. Notre choix est clair : c'est le soutien au pastoralisme et le suivi du loup. Il est évident que, dans ces domaines, vous jouez un rôle-clé.

Puisque l'on parle de « soutien au pastoralisme », il faut avant tout travailler en étroite collaboration avec le ministère de l'agriculture et avec la profession. L'approche doit être économique et il nous faut travailler sur la filière, sur la qualité et sur les handicaps, quels qu'ils soient.

A partir du moment où le pastoralisme est extensif, il nous renvoie à l'histoire. Puisque vous êtes du terrain, vous pouvez en témoigner comme moi-même : dans les années cinquante, les troupeaux qui ne comptaient pourtant que 500 à 1.000 têtes, bénéficiaient systématiquement de la présence de trois gardes ; aujourd'hui, les troupeaux qui regroupent jusqu'à 2.500 bêtes n'ont qu'un seul garde !

Il nous faut prendre en compte les handicaps, la foudre, les dérochements, les chiens errants, le loup etc. de manière globale. Nous sommes face à une pratique qui, par rapport à d'autres, souffre de handicaps particuliers.

Il convient d'estimer les coûts : comme dans une entreprise, il faut savoir ce que l'on gagne et ce que l'on dépense, ce qui demande d'approfondir l'approche économique.

Il faut également une approche sociale car on ne peut pas parler « du pastoralisme », mais « des pastoralismes » : dans certains endroits nous trouverons un agriculteur dont la femme travaille à la ville qui va regrouper ses quelques ovins dans un grand troupeau ; en d'autres endroits nous aurons, au contraire, des transhumants qui connaissent peu le pays car ils se déplacent en camion et n'y séjournent pas. A partir du moment où l'on veut que la montagne soit peuplée, tout ce qui touche au pastoralisme sédentaire devient un enjeu essentiel !

Nous pensons qu'il faut aussi travailler sur le statut des éleveurs et des personnels dont certains, faute de statut, travaillent évidemment « au noir », sur les conditions d'exercice, sur le confort. Il faut des aides à la profession en matière de formation, d'appui technique, des aides aux éleveurs, qu'il faudrait vraisemblablement prévoir permanentes ou forfaitaires et non pas proportionnelles aux indemnités, adaptées aux situations, aux territoires. Il faut aller vers un contrat d'aide au pastoralisme territorialisé ! Il faut aussi prévoir un pilotage local qui serait exercé par la profession avec la Chambre d'agriculture et la direction départementale de l'agriculture.

Nous pensons que les élus locaux ont un rôle essentiel à jouer, comme ils l'ont démontré dans le Queyras.

S'agissant du suivi du loup, il convient d'abord d'en débattre localement car ce n'est à Paris que les décisions doivent se prendre. A l'échelle nationale j'ai constaté l'existence d'un comité « Théodule » - le comité national loup - qui est pléthorique et qui ne s'est réuni qu'à deux reprises depuis sa création.

Il nous faut des informations transparentes sur ce qui se passe, non seulement en France, mais aussi à l'étranger pour savoir comment nos contemporains s'y prennent avec les élevages équestres, ovins et autres. Nous devons aussi nous poser des questions sans tabou : le loup où ? Quelles éventuelles zones d'exclusion ? Ne serait-il pas préférable de parler de « zones de soutien renforcé au pastoralisme » là où le loup manifesterait sa présence ? A quel niveau de population convient-il de s'arrêter ? Quelles sont les méthodes employées ailleurs ? Faut-il des financements spécifiques ou liés à des territoires ? Comment réagir en cas d'attaque ? Je pense qu'il est clair que s'il faut éviter l'attaque, il faut aussi, quand elle a lieu faire preuve d'une grande réactivité. Il faut une approche globale, un cadre national, mais un traitement local !

M. le Président : M. le directeur, notre commission fonctionnant sur un jeu de questions/réponses interactives avec les parlementaires, je me vois contraint de vous interrompre.

M. Gilles PIPIEN : Je suis à votre disposition !

M. le Président : Si vous avez des propositions écrites à nous formuler, nous les recevrons et les consignerons dans nos comptes-rendus. Nous avons pris un peu de retard et je vais donc passer sans plus attendre la parole à M. Lassalle, député des Pyrénées, qui souhaiterait vous interroger.

M. Jean LASSALLE : Je voulais dire à M. le directeur de cabinet que, personnellement, j'ai beaucoup apprécié l'exposé courageux et pragmatique qu'il a présenté, comme il l'a rappelé, en qualité de fonctionnaire et de grand commis de l'Etat.

Nous sommes des hommes politiques : nous avons des décisions difficiles à prendre. Dans ce cadre, ne pensez-vous pas que la mise en application de la directive Natura 2000, qui pourrait être encore discutée aujourd'hui, peut nous enlever tout moyen d'action dans les mois et les années qui viennent ? La Convention de Berne nous permet peut-être encore de sortir un peu du cadre, mais ne craignez-vous pas que l'un de vos successeurs, d'ici à quatre ou cinq ans, avec toute la foi et la force d'un grand commis de l'Etat, vienne nous expliquer qu'il n'y a plus rien à faire, tout étant déjà verrouillé ?

M. Gilles PIPIEN : Mme la ministre vous a reçu et vous a déjà répondu !

M. le Président : Oui mais cette question intervient dans le cadre de la commission !

M. Gilles PIPIEN : La directive Habitats est une directive européenne qui est un engagement international de la France, qui dans son quatrième considérant indique que « le maintien des activités humaines est nécessaire à la biodiversité ». En conséquence, je ne pense pas que la directive Habitats soit un obstacle et Mme la ministre vous l'a dit !

M. le Président : Monsieur le directeur de cabinet, je vous propose de nous laisser tous les documents.

M. Gilles PIPIEN : Je le ferai. Laissez-moi, néanmoins vous soumettre cette dernière question que je me pose : ne faudrait-il pas dépasser le problème du loup et travailler sur les territoires et les hommes, avec une approche plus large, sur la base d'un projet global de développement économique porté par des élus au niveau local, qu'il s'agisse d'un parc naturel régional ou d'une zone périphérique de parc national et placé sous l'autorité des élus ? Je sais que M. Giran y réfléchit et qu'il a été missionné à cette fin. Il faudrait que des mesures législatives en faveur de la montagne répondent à cette nécessité de conduire des projets territoriaux locaux prenant en compte l'ensemble des difficultés et soutenant la montagne et son développement économique.

M. le Président : Je pense notamment à la décentralisation des parcs nationaux : son inscription dans la prochaine loi de décentralisation serait une bonne chose !

M. Gilles PIPIEN : M. Giran pourra vous entendre et nous attendons ses propositions.

M. le Président : Je vous remercie, M. le directeur du cabinet.

Audition de M. Gilbert SIMON,
inspecteur général de l'équipement, ancien directeur du bureau
de la nature et des paysages (1992-1996) au ministère de l'environnement

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Gilbert Simon est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Gilbert Simon prête serment.

M. le Président : Monsieur Simon, je vous remercie de votre présence. Je rappelle que vous êtes inspecteur général de l'équipement et que vous avez eu à exercer des responsabilités en relation avec le prédateur qui fait l'objet des travaux de notre commission. Vous êtes actuellement au conseil supérieur de la pêche.

Je propose qu'en quelques minutes, vous nous rappeliez dans quel cadre vous avez eu à travailler et à intervenir sur ce dossier lorsque vous étiez directeur de la nature et des paysages au ministère de l'environnement, après quoi nous procéderons au traditionnel jeu de questions et de réponses.

M. Gilbert SIMON : Je vais donc m'efforcer en quelques minutes, comme vous m'y avez invité, monsieur le Président, de vous expliquer comment j'ai vécu, en tant que directeur de la nature et des paysages, cette arrivée du loup entre 1992 et 1993, puisque, même si la gestion du dossier s'est poursuivie après mon départ de la direction de la nature et des paysage, il m'est évidemment difficile d'en parler, du moins sous cette casquette de fonctionnaire en responsabilité.

J'ai été informé de l'arrivée du loup, qui n'était pas certaine, mais potentielle, par un coup de téléphone et par un fax du parc du Mercantour, le 5 novembre 1992 et je dois dire que, bien entendu, je ne m'y attendais pas du tout ! Je précise d'ailleurs d'emblée qu'il est assez facile, a posteriori, et si je le souligne c'est parce que de nombreux journalistes et responsables ont glosé sur ce point, de dire qu'on aurait pu la prévoir !

Le nombre d'espèces qui sont actuellement, soit proches de la France ou de certaines régions, soit déjà entrées sur le territoire national et qui ne se développent pas, mais pourraient très bien le faire, est assez considérable. L'éthologie animale n'est pas une science exacte et il est toujours facile a posteriori de juger que les événements étaient faciles à prévoir...

Je rappelle pour mémoire que, depuis des décennies, une colonie d'écureuils gris vit au Cap d'Antibes sans se développer, que lorsque le chien viverrin a fait son apparition en France, on avait prédit une invasion qui ne s'est pas produite puisque les individus restent peu nombreux, que cela fait maintenant plus de vingt ans que des kangourous se reproduisent en forêt de Rambouillet sans que leur nombre augmente, que les chasseurs ont lâché des Sylvilagus au grand scandale des « écolo » de l'époque, et que leur nombre est resté stable, etc.

En revanche, nous avons été débordés par le cormoran ce que nous n'avions pas prévu. Tout cela pour dire qu'il est très difficile de faire de la prospective...

Il était vrai que nous savions que le loup était présent en Espagne et en Italie dans les années quatre-vingt, mais le chacal doré était également présent en Italie et personne n'a pris le risque de se livrer à une spéculation sur son arrivée en France, même s'il n'en est pas très loin...

De même, nous avons refusé, malgré l'arrivée du loup en 1992, de spéculer sur les lieux où il pourrait se rendre. Nous avions demandé aux scientifiques, en 1992-1993, s'il s'agissait vraiment d'un loup arrivé naturellement et où il pourrait aller. Après avoir travaillé, ils ont reconnu qu'ils étaient incapables de le dire, que cela n'avait pas de sens...

J'ai donc été informé d'une possible arrivée du loup, en novembre 1992 et nous avons immédiatement demandé au directeur du parc et aux scientifiques qui connaissaient un peu les mœurs de l'animal si cette apparition était plausible et s'il pouvait sérieusement s'agir de loups. Je me rappelle que nous avions notamment écrit, aux alentours du 10 février 1993, au préfet des Alpes-Maritimes et au directeur du parc pour leur demander de recueillir le maximum d'indices quant à une éventuelle présence du loup, et que nous avions envoyé, au début du mois de mars, un nouveau courrier au directeur du parc. Il se situait dans le prolongement d'une lettre que j'avais adressée à mes propres services pour leur demander de prendre tout un ensemble de mesures au cas où il s'agirait bien de loups.

Il s'agissait des mesures « classiques » puisque, globalement, j'essayais de transposer au loup un programme que nous avions déjà mis en œuvre pour un dossier que connaît bien M. Lassalle : je veux parler de l'ours !

Nous avions demandé aux scientifiques de réfléchir à la dynamique de population, aux experts de réfléchir aux modalités d'indemnisation, au parc et à la préfecture de réfléchir aux modalités d'identification des dégâts pour déterminer s'ils étaient bien causés par le loup.

Pour faire suite aux éventuelles craintes d'attaques déposées par des agriculteurs, nous avions également demandé à des responsables de communication de préparer un plan de communication. Par ailleurs, nous avions consulté immédiatement, parce que nous étions dans le flou, des experts internationaux qui avaient déjà eu à connaître des problèmes de loup, pour avoir participé à des missions ayant pour cadre les Etats-Unis, ou les pays européens fréquentés par des loups, notamment l'Espagne ou l'Italie.

Bref, nous avions essayé de mettre en place un dispositif incluant même des mesures financières en vue d'indemniser les dégâts pour le cas où il s'agirait bien de loups.

Nous avions envisagé de faire une communication plus large en direction du grand public dans le courant de l'été, mais nous avons été « grillés » par « Terre sauvage » qui, ayant appris la présence de canidés sauvages a déclaré, à la fin du mois de mars qu'elle se préparait à en faire l'annonce, ce qui a précipité les événements sans que cela ait réellement une grande importance...

Je signale que, même à l'automne de cette année 1993, le président du conseil scientifique du parc, le professeur Pfeffer, écrivait encore avec prudence qu'il s'agissait probablement de deux ou trois loups, mais qu'il n'était pas encore prouvé qu'ils soient durablement établis.

Encore une fois le temps a passé, mais il n'était pas du tout évident, durant l'année 1993, de déclencher tout un processus sans même avoir la certitude qu'il s'agissait bien de loups et qu'ils étaient durablement établis. C'est un premier point, mais il me semble important de préciser ce qu'ont été ces premières semaines et ces premiers mois.

J'en arrive à un second point. Globalement, les premières années de présence du loup en France n'ont rien eu d'exceptionnel si on les compare avec celles des autres pays étrangers développés qui abritent des loups.

Le retour du loup est un phénomène que l'on a appris à étudier et j'ai moi-même accompli de nombreuses missions dans un grand nombre de pays étrangers qui connaissent ce phénomène puisque le loup est revenu dans plusieurs nations du monde dont l'Allemagne, la Suisse ou la Norvège ou dans des régions comme l'Italie du Nord, l'Espagne du Sud, la Pologne de l'ouest, et cela après des siècles d'absence. Dans tous ces lieux, on retrouve exactement les mêmes phénomènes que ceux qui ont été observés en France et notre pays ne s'est en rien singularisé.

Que se passe-t-il ?

Premièrement, les apparitions du loup sont généralement assez mal accueillies par les éleveurs et, sont le plus souvent suivies d'accusations de lâchers de loups, portées contre les « écolo » ou contre les autorités quand les habitants sont défavorables à ces dernières.

Deuxièmement, et c'est une constante dans tous les pays, y compris, ce qui m'avait beaucoup frappé, dans l'ancienne URSS où je m'étais rendu à l'époque, on assiste à un refus du prédateur, qu'il soit canidé ou félin, par les éleveurs, y compris lorsqu'ils ne sont pas établis à leur compte : les éleveurs de l'ancienne URSS ne supportaient pas que les loups ou les ours leur mangent des moutons qui, pourtant, ne leur appartenaient pas ! Il n'est pas un pays au monde où la cohabitation soit harmonieuse entre les éleveurs et le prédateur : il y a plus ou moins de tensions, mais jamais d'acceptation et la France ne fait pas exception !

Troisièmement, dans tous les pays où le loup a effectué son retour et s'est développé, des moyens de prévention ou de « protection passive » ont été progressivement mis en place. Ils ont toujours donné les mêmes résultats : une forte diminution de la prédation après quelques années, dès que la population s'habitue à manier les chiens de protection et les mesures de rassemblement nocturne, mais il ont toujours un coût financier ou humain ce qui revient au même si l'on veut bien considérer que, dans certains pays, le coût humain a moins d'impact financier que dans les pays à haut niveau de vie.

Le système de prévention entraîne donc toujours un coût et des contraintes, mais, globalement, on le connaît puisque, que ce soit dans les pays de l'Est, en Italie, en Espagne ou dans les pays nordiques, on recourt toujours à des chiens de protection et à des mesures de rassemblement nocturne. Cela étant dit, dans les autres pays, le nombre de chiens par troupeau est généralement bien supérieur à ce qu'il est en France : pour un troupeau de 500 à 1.000 têtes, il oscille, en moyenne entre cinq et dix en Espagne, entre cinq et sept en Italie et il s'établit à six en Roumanie.

Il y a donc beaucoup plus de chiens que l'on n'en compte en France pour garder des troupeaux qui sont souvent plus petits que certains troupeaux des Alpes !

Dans tous ces pays sans exception, le loup a un impact sur les autres ongulés sauvages qui ne se traduit jamais par une disparition, mais par une fluctuation de population très classique. Elle a été étudiée sur une longue période par de nombreux scientifiques qui ont observé que le loup fait diminuer certaines populations avant de se raréfier lui-même ce qui permet aux autres populations de se reconstituer, mais qu'il ne fait disparaître aucune population.

Dans la plupart des pays que j'ai mentionnés, le loup est modérément chassé, mais la chasse a un effet très favorable d'apaisement de certaines tensions. Quand la coupe déborde, le fait de pouvoir légalement chasser quelques loups apaise le climat : c'est très net en Espagne, de même que dans les pays de l'Est et en Scandinavie.

Enfin, dans tous les pays européens, je ne parle pas des pays non européens que j'ai également étudiés, les mesures légales d'accompagnement du retour du loup s'inscrivent dans le cadre des textes européens ou de la convention de Berne qui s'applique au-delà de l'Union européenne. Ces textes qui s'efforcent de trouver un équilibre entre l'interdiction d'éradiquer une espèce et la nécessité de préserver un système d'élevage qui souffre de la présence du prédateur, dans la mesure où ils sont toujours assez équilibrés, ne peuvent satisfaire pleinement aucun des « camps ».

Pour conclure, je dirai que la France a, malgré tout, trois spécificités qui sont très nettes.

Premièrement, la France n'est pas un pays qui porte une grande passion à son patrimoine naturel et particulièrement à sa faune sauvage, alors qu'en raison de sa tradition gréco-latine elle attache un intérêt à son patrimoine bâti et culturel : je pense que c'est l'un de pays au monde qui protège le mieux ses monuments et leurs abords, alors que, s'agissant de la faune sauvage, il est nettement moins performant que les pays de tradition anglo-saxonne, qui lui consacrent beaucoup plus d'argent ! Comme le peuple ne le réclame pas, les dirigeants et les élus ont, depuis décennies, consacré moins d'argent et d'hommes à ces questions dont le traitement, du même coup, laisse à désirer.

Les personnes qui doivent dialoguer et négocier avec les populations qui vivent au contact de cette faune sauvage sont toujours peu nombreuses, mal formées et incapables de faire face aux problèmes quand ils se présentent. La chasse est le seul domaine où les choses se passent bien, précisément parce que les chasseurs sont assez nombreux pour pouvoir assumer des problèmes comme les dégâts causés par les gibiers, qui sont assez considérables puisqu'ils s'élèvent chaque année, rien que pour les sangliers, à 30 ou 40 millions d'euros.

Parmi les pays que j'ai cités, la France est certainement l'un des moins décidés à s'intéresser sérieusement à ces questions et elle en paye le prix !

Deuxièmement et à l'inverse, la France, avec l'aide de l'Europe, est un pays qui consacre des sommes considérables, de l'ordre de 70 milliards d'euros de transferts annuels, à son agriculture, élevage compris. Il y a donc là une marge de manœuvre, mais, malheureusement, notre pays est aussi l'un de ceux qui soutiennent le moins leur filière ovine : la filière ovine est assez peu aidée par rapport, par exemple, à le filière céréalière. Malgré tout, l'argent ne manque pas !

Troisièmement, très paradoxalement, même si la France a, globalement, et je fais partie de ceux qui en sont responsables, assez mal géré pour les raison que je viens d'énoncer ses problèmes de grands prédateurs, elle est, de très loin, le pays du monde qui indemnise le mieux les dégâts causés au bétail par le loup. J'ai toujours été frappé de voir combien les étrangers, qu'il s'agisse des Américains, des Allemands, des Scandinaves, des Italiens ou des Espagnols, ouvraient des yeux ronds en apprenant à quel niveau nous indemnisions les dégâts.

La surprise était particulièrement grande chez les Américains, étant précisé que nos situations sont peu comparables, la surface de leur territoire et l'ampleur de leurs effectifs étant bien supérieures aux nôtres. Pour autant, notre pays est, je le répète, celui qui, de très loin, indemnise le mieux au monde.

La situation de la France se caractérise par le fait que très peu de nos compatriotes s'intéressent au patrimoine naturel et aux questions qui y sont liées, que de grosses sommes sont dégagées, mais qu'elles sont mal orientées et profitent peu à la filière ovine extensive et que les indemnisations sont très élevées ce qui prouve que, quand on veut, on peut. Tout cela constitue une série de paradoxes qu'il convient de prendre en compte !

M. le Président. Très bien ! Je vous remercie et vous propose de passer aux questions.

J'ai sous les yeux, un courrier du directeur adjoint du parc national du Mercantour, qui vous est adressé, en date du 16 juillet 1993, et qui précise bien qu'à partir du mois de novembre 1992, ainsi que vous le confirmez, vous vous êtes mis à travailler sur l'élaboration d'un protocole et le suivi de deux loups, aperçus pour la première fois dans le vallon de Mollières, dans le parc du Mercantour.

J'ai, ensuite, un document émanant de vos services, daté de juin 1993, dans lequel il est indiqué : « cette découverte ne fut, en fait, qu'un surprise relative. En effet, au mois de septembre 1991, à l'occasion d'un colloque sur les ongulés qui se déroulait à Toulouse, les représentants de l'établissement avaient rencontré Alberto Meriggi. Le chercheur qui travaille sur les déplacements du loup dans la région de Gênes, leur indique alors que l'expansion géographique des loups, particulièrement dans les Apennins, laissait supposer une possible arrivée de l'espèce à court terme dans les Alpes ligures et même dans les Alpes-Maritimes françaises. Le service scientifique du parc national s'est ensuite rapproché du « groupe loup » italien afin de disposer d'informations plus précises sur les paramètres de colonisation, Il a, par ailleurs participé à un colloque sur le loup italien, qui s'est tenu à Parme au mois d'octobre 1992 ».

Vous êtes donc informé d'une apparition du loup dans le parc du Mercantour, en novembre1992, mais vous faites un rapport en 1993 indiquant qu'en septembre 1991 on annonçait déjà son arrivée et, en octobre 1992, soit, un mois seulement avant qu'il ne soit aperçu officiellement, pour la première fois, en prévision de sa gestion, vous participez à un colloque, à Parme...

M. Gilbert SIMON : Si je ne m'abuse, M. le Président, vous avez cité un texte qui émane du parc national du Mercantour, et non pas de mes services. Je rappelle que, comme tous les parcs nationaux, le parc du Mercantour est un établissement public de l'Etat, qu'il a la personne morale, et qu'il est placé sous la co-tutelle de la DNP (Direction de la nature et du paysage) et d'autres administrations dont celle des finances. J'ai découvert le texte que vous me lisez au cours de l'été 1993.

J'ajoute d'ailleurs que le parc n'est pas tenu de rendre compte de tous ses faits et gestes à son administration de tutelle. Le directeur du parc doit informer, quand il l'estime nécessaire, sa tutelle et son président : il aurait pu informer le président Ginésy et le conseil d'administration, un an plus tôt...

Pour ce qui me concerne, j'ai découvert ce texte à l'été 1993 ! J'ai appris aussi, durant l'été 1993, que des bergers croyaient avoir avaient vu des loups à Pont-Giraud, en 1991 et que le parc en avait pris acte : je constate qu'il ne nous l'a pas dit !

D'ailleurs l'aurait-il fait que nous aurions pensé que les bergers avaient pris des chiens pour des loups. De toute manière, cela ne concerne pas mes services, mais le parc. Je ne juge pas s'il a eu raison ou tort car, ayant la personne morale, il est autonome et il appartient au président et au directeur du parc d'informer, ou pas, leur tutelle en fonction de l'intérêt qu'ils attachent à l'événement. Je ne peux pas en dire plus !

M. le Président : Non, mais c'est important parce que cela revient à dire que la Direction de la nature et des paysages du ministère de l'environnement, dont vous étiez en charge, n'était pas informée, à cette époque, des initiatives personnelles du directeur et des agents du parc national...

M. Gilbert SIMON : Je ne sais pas quelles initiatives ils ont prises : d'après ce que je comprends, ils ont surtout été à l'écoute et ils ont participé à un colloque...

M. le Président : Ils sont informés en 1991, qu'un loup se dirigeait vers les Alpes-Maritimes et qu'il s'apprêtait à passer en France !

M. Gilbert SIMON : C'est le compte-rendu du parc !

M. le Président : Je m'en tiens à ce document qui m'a été remis par votre ministère !

En octobre 1992, un mois avant de certifier qu'ils aperçoivent un loup, les représentants du parc se rendent à un colloque à Parme, pour savoir comment gérer la présence de cet animal. Or, ils ne vous tiennent pas informé de tous ces éléments puisque vous ne les découvrez qu'au cours de l'été 1993.

Vous me confirmez, par là même, que c'est de leur propre initiative qu'ils ont admis que le loup pouvait pénétrer en France, qu'ils l'ont sciemment laissé pénétrer sur le territoire et qu'ils n'ont pas anticipé cette arrivée pour essayer de l'empêcher ?

M. Gilbert SIMON : Ce sont deux choses différentes. Je ne pense pas que quiconque, légalement du moins, aurait pu empêcher le loup de pénétrer en France. Je me place, moi, dans le cadre de la légalité et je vois mal par quels moyens on aurait légalement pu empêcher le loup d'entrer en France ! Aucune autorité de l'Etat, si petite soit-elle, et a fortiori les plus hautes, n'en aurait été capable. S'il s'agit d'envisager des solutions illégales, nous entrons dans un autre débat !

Toute la question est de savoir si les responsables du parc, parce qu'ils détenaient des informations ou disposaient d'un faisceau d'indices, devaient alerter leur tutelle du fait que le loup se rapprochait de la frontière : je vous en laisse juge !

J'ai déjà dit qu'il est a posteriori facile de dire que l'on pouvait prévoir. Vous savez très bien que, durant les trente dernières années, c'est par dizaines que des loups ont été, soit vus, soit abattus en France et qu'à chaque fois on a cherché, à découvrir leur origine sans toujours y parvenir : cela a été le cas pour le loup des Landes, le loup de Fontan, le loup des Vosges et autres....

A posteriori on peut toujours reconstituer l'histoire en disant que tel animal sauvage venait d'Italie et que tel autre venait d'ailleurs. Peut-être les dirigeants du parc se sont-ils dit, en octobre 1992, il faudrait poser la question au directeur de l'époque, qu'ils ne disposaient pas encore d'éléments assez fiables pour qu'une sonnette d'alarme soit entendue...

M. le Président : J'en viens à ma dernière question : avez-vous disposé, à cette époque, de documents provenant des autorités italiennes et attestant la présence du loup dans les Apennins et en Ligurie ?

Pour ne rien vous cacher et jouer la transparence, je vais vous révéler quel est le souci de notre commission au moment où je vous pose cette question : depuis le début de nos travaux , nous ne parvenons à obtenir des autorités françaises - ministère de l'agriculture et ministère de l'environnement - que des documents franco-français qui font tous référence à la présence et à l'évolution des loups, notamment entre les Apennins et la Ligurie, mais qui ne sont jamais authentifiés par les autorités italiennes que ce soit le ministère de l'environnement italien, ou les services vétérinaires nationaux ou régionaux.

Avez-vous eu connaissance de documents tamponnés par les autorités italiennes ?

M. Gilbert SIMON : Paradoxalement, non ! Nous n'avons pas de documents tamponnés par les autorités italiennes. Nous avons des documents émanant de scientifiques comme Franco Tassi, directeur du parc des Abruzzes ou Luigi Boitani, professeur italien qui centralise, pour l'université, toutes les données relatives au loup. Eux-mêmes, dans leurs documents font état d'autorités locales, comme le dottore Marsan de la Ligurie, ayant attesté dans des publications italiennes renommées la présence du loup entre 1983 et 1987.

Je possède ces documents, mais je crois que personne, pas plus moi qu'un autre, n'a jamais pensé à demander, à l'époque, à faire valider ces documents par un tampon d'une autorité régionale italienne puisque ce sont les autorités régionales et non pas nationales qui gèrent ces questions. Nous avons des documents scientifiques, mais aucun document validé par une autorité équivalente au ministère de l'environnement.

M. le Président : La parole est à M. Lassalle.

M. Jean LASSALLE : M. Simon est une vieille connaissance : nous avons eu beaucoup de « brûlures » communes durant ces vingt dernières années.

Vous venez, monsieur, de nous déclarer, contrairement au directeur du parc qui prétendait devant nous qu'il n'y avait qu'en France que le loup était mal accepté, que dans tous les pays d'Europe, la présence du loup était mal acceptée. Je constate qu'il aura fallu dix ans, voire quinze ans, pour l'admettre. Compte tenu de votre grande expérience et m'appuyant sur ce constat, je souhaiterais savoir si vous ne pensez pas que, finalement, dans cette affaire, en regardant les choses avec un peu de recul, les moyens humains ont été insuffisants pour gérer cette crise.

Par ailleurs, nous ne pouvons que constater un défaut d'anticipation. Or, la mise en place de la directive Habitats va complètement paralyser les hommes politiques et les décideurs dans leur action durant les mois et les années à venir. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Gilbert SIMON : Cette question appelle, au moins, deux réponses.

Premièrement, il n'y a pas de contradiction, tout au moins dans mon esprit. Je pense que les populations - au sens large car les éleveurs sont ultra minoritaires - des pays que j'ai cités sont globalement plus favorables, y compris localement, aux prédateurs que ne le sont les Français, ce qui n'empêche pas les éleveurs du lieu d'y être totalement hostiles !

Je ne veux pas multiplier les exemples, mais, en Italie, les élus locaux et les maires de petits pays comme Civitella sont favorables aux retombées touristiques du phénomène et aux 300.000 visiteurs qui viennent chaque année visiter le parc à loups de Pescasserolli

L'image de l'ours est également exploitée de façon très positive par les élus des Abruzzes et des Monts cantabriques ce qui n'empêche pas les éleveurs de l'endroit qui en sont victimes d'y être totalement hostiles ! Il n'y a donc pas de contradiction ! Disons simplement que, dans ces pays-là, l'opinion publique, y compris locale, est moins hostile, voire nullement hostile, aux prédateurs parce qu'elle y voit un symbole que les Français ne voient pas.

S'agissant de Natura 2000, votre analyse rejoint mes propos sur le manque de moyens. Je rappelle que la directive Habitats, comme la directive oiseaux, a été co-rédigée par les Français qui n'ont pas été les derniers à l'approuver mais que, lorsqu'il il s'est agi de mettre en œuvre ses prémices, mon homologue britannique, a pu, pour la seule Angleterre, Irlande et Ecosse non incluses, aligner 600 cadres A, qui sur le terrain, ont rencontré chaque propriétaire et chaque élu, avant même qu'elle n'entre en application. Or, je rappelle qu'à la même époque, pour la France qui est deux fois plus grande et où l'on dénombre dix fois plus de sites prioritaires, je ne disposais que de quarante hommes : tout est là !

C'est un écart qui ne se rattrapera jamais ! En France, nous restons enfermés dans des bureaux éloignés du terrain et nous n'avons pas les personnels pour aller au contact de la population, c'est pourquoi nous avons tenté, mais avec assez peu de succès, de faire transiter les messages par le seul réseau existant : celui des DDAF qui n'est pas fait pour cela !

Je suis donc d'accord avec vous pour reconnaître notre incapacité à faire face à ce genre de défi, d'où les accusations portées contre la technocratie, qui sont, à juste titre selon moi, reprises sur le terrain !

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le Directeur.

Audition conjointe de M.  Philippe De MESTER,
Préfet des Alpes-de-Haute-Provence,
accompagné de M. Philippe BODA, directeur départemental
de l'agriculture et de la forêt des Alpes-de-Haute-Provence,
et de Mme Jeanne HEURTAUX, chef du service aménagement et environnement
de la DDAF des Alpes-de-Haute-Provence

(Extrait du procès-verbal de la séance du 30 janvier 2003, tenue à Digne-les-Bains)

Présidence de M. Daniel Spagnou, Rapporteur

Les témoins sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Rapporteur, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. le Rapporteur : M. le Préfet, je veux vous remercier pour l'accueil que vous nous avez réservé. Cette réunion que vous préparez depuis plusieurs semaines nous permettra de mieux connaître les problèmes posés par le loup au pastoralisme et à l'agriculture de montagne.

M. Philippe DE MESTER : Nous avons décidé, M. Boda et moi-même, de vous présenter de façon globale et synthétique le point de vue de l'administration et de vous apporter les informations factuelles que nous avons pu centraliser en recueillant le sentiment et les positions de l'ensemble des intervenants sur ce sujet. Je vous remercie de bien avoir voulu accepter d'entendre Mme Jeanne Heurtaux, car c'est elle qui a la responsabilité des politiques relatives au loup et au pastoralisme.

Nous vous présenterons d'abord quelques éléments sur le pastoralisme dans notre département, ensuite des informations sur les dégâts causés aux troupeaux par les loups, un bilan de la mise en œuvre des mesures de prévention, enfin, quelques propositions qui permettraient de faire face à la présence du loup.

Je commencerai par le pastoralisme en rappelant qu'il constitue dans les Alpes-de-Haute-Provence un système économique d'une extrême fragilité. L'économie pastorale s'y maintient dans des conditions de grande précarité, la faible rémunération liée à la production ovine en étant la principale cause. Par conséquent, toute perturbation dans le fonctionnement de ce système a des conséquences extrêmement dommageables.

C'est dans ce contexte qu'il faut analyser le phénomène du loup. Dans un système d'opulence et de revenus importants, les dégâts provoqués par l'animal, c'est certain, n'auraient pas le même impact. Cette situation explique largement l'extrême sensibilité du sujet et les passions qu'il suscite. Une attaque de loups, en effet, peut compromettre l'équilibre complet d'une saison, particulièrement pour les exploitations les plus fragiles, celles qui évoluent dans les milieux les plus difficiles. Et la mise en place de mesures de protection aggrave le phénomène, puisqu'elle a un coût qui se répercute directement sur les marges. 

M. Philippe BODA : La zone pastorale occupe une très large moitié du département. Trois massifs font l'objet de prédations plus ou moins importantes que nous avons identifiées sur une carte que nous vous communiquerons. Le pastoralisme dans les Alpes-de-Haute-Provence, c'est 200 000 hectares où sont présentes chaque année 260 000 brebis, dont près de 180 000 appartiennent à des éleveurs du département et 90 000 à des éleveurs transhumants d'autres départements, comme la Drôme ou le Var.

Ces 200 000 hectares se répartissent d'une part entre 120 000 hectares de zones d'altitude, avoisinant les 2 000 mètres, où les brebis et, dans une moindre mesure, les bovins, vivent quatre mois par an, de juin à octobre ; d'autre part, des surfaces moins élevées en altitude qui représentent à peu près 80 000 hectares. C'est dans ce cadre que se développent le pastoralisme et l'élevage ovin du département, qui accueille également, dans le cadre de la transhumance, des brebis d'autres départements.

La propriété se partage entre les communes, le domaine public et les propriétaires privés avec lesquels les éleveurs rencontrent beaucoup de difficultés à signer des baux, ce qui n'est pas sans fragiliser le système ovin du département.

Les équipements des estives sont médiocres. Les cabanes pastorales, en effet, surtout lorsqu'elles appartiennent à des propriétaires privés, sont vétustes, sans confort, sans eau et sans électricité. Cette situation ne rend pas la vie dans les montagnes très facile, c'est le moins que l'on puisse dire. Quant aux équipements ovins, qu'il s'agisse des parcs de contention ou d'accès, ils sont souvent perfectibles. Des enquêtes réalisées sur la question entre 1983 et 1997 ont montré que très peu de choses étaient faites, ce qui traduit la situation d'abandon qui tend à s'installer depuis une vingtaine d'années sur un certain nombre d'estives.

Les pratiques pastorales s'apparentent à la cueillette, compte tenu de l'extensification qui caractérise les estives. Il n'est pas rare de compter des chargements d'une ou deux brebis par hectare  - 0,3 ou 0,4 UGB (unité gros bétail). Ce chargement très faible correspond à une extensification très poussée, avec un gardiennage très lâche. Pour autant, le système est cohérent : avec des troupeaux très peu denses, donc peu rentables, et un gardiennage très serré, il s'agit d'optimiser au maximum la technique pastorale en exploitant de la façon la plus large possible les surfaces fourragères disponibles.

J'en viens aux enjeux du pastoralisme dans les Alpes-de-Haute-Provence. L'élevage ovin représente à peu près le quart des exploitations. C'est loin d'être négligeable. Certes, on enregistre une décroissance générale du nombre d'exploitants, mais elle est désormais moins importante dans le système ovin, et il semblerait qu'on puisse avoir des espoirs dans ce secteur, surtout si on arrive à le conforter au plan économique par le renouvellement des exploitations. Par ailleurs, les soutiens au système ovin sont très importants : la vente des produits représente à peu près 20 000 euros par exploitation, sans compter les primes à la brebis et à la chèvre, sous forme d'indemnités compensatoires aux handicaps naturels, ou les primes à l'herbe qui représentent 20 000 à 21 000 euros par exploitation, soit autant que le produit de l'exploitation. Malgré ces aides - et c'est un point très important-le revenu reste modeste, de l'ordre de 13 000 euros par an. Au total, les subventions sont donc nettement supérieures au revenu de l'exploitant. Autrement dit, sans elles, il n'y aurait plus d'exploitants.

Mme Jeanne HEURTAUX : Venons-en à la cohabitation de cette activité pastorale avec le loup. Le réseau loup est l'association de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, de l'Office national des forêts, de la gendarmerie, du parc national du Mercantour, du groupe Loup-France et de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt.

Ce réseau recense les constats de prédations et les fiches d'information qui nous parvient de la part de membres du réseau ou de tierces personnes - promeneurs, éleveurs ou chasseurs.

La procédure de constat se fixe pour objectif d'être la plus transparente et la plus rapide possible, le constat devant être établi dans les 48 heures qui suivent l'appel. L'éleveur dont le troupeau est touché par une prédation appelle un numéro de téléphone de la DDAF. Une permanence y est assurée par une personne physique pendant les heures d'ouverture et une boîte vocale les week-ends, les jours fériés et en soirée. Une fois le message reçu, la DDAF informe les gardes assermentés qui, selon le secteur géographique, dépendent de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage ou du parc national du Mercantour. Une fois prévenus, ils se rendent sur place pour établir un constat à deux volets : un constat papier très détaillé et une fiche de synthèse récapitulant le nombre de victimes, le type de morsures, la date, et le lieu de constatation. Cette fiche de synthèse est faxée à la fois au vétérinaire spécialisé de l'équipe LIFE et à la DDAF, le dossier papier nous étant transmis par courrier sous dix jours. Lors d'une attaque, il ne faut pas oublier, en effet, qu'il n'est pas automatique que toutes les victimes soient retrouvées le soir même ou le lendemain matin. On se laisse donc dix jours de façon à ce que les éleveurs puissent nous rappeler et que les agents de constatation puissent retourner sur les lieux de l'attaque.

A partir des éléments recueillis par les gardes, le vétérinaire spécialisé, basé à Gap, pourra déterminer s'il s'agit d'une prédation imputable au loup, au lynx ou encore à un autre type de prédateur, sachant que le doute bénéficie de façon systématique à l'éleveur.

Si le constat permet d'établir que le loup ou le lynx ne peuvent être mis hors de cause, la structure nationale de l'ONCFS déclenche l'indemnisation.

J'en viens à la répartition des attaques par massif.

Dans les Monges, après des premières attaques constatées en 1998, on a assisté entre 1999 et 2001 à une augmentation du nombre d'attaques, et, depuis 2002, à une certaine accalmie, sans qu'on puisse être affirmatif sur les causes. Il est clair que le massif est bien équipé en mesures de prévention, notamment en filets de regroupement nocturne. Seule certitude : toutes les attaques ne peuvent pas être dues au loup, plusieurs constats ayant permis d'exclure la responsabilité de l'animal.

M. Jean LAUNAY : S'agit-il de chiens ?

Mme Jeanne HEURTAUX : Oui ! Cela dit, la présence du loup est certaine et a été mise en évidence grâce à des tests génétiques. Nous allons d'ailleurs profiter de l'hiver pour mener, grâce à des crédits du ministère de l'agriculture et de l'ONCFS, une vaste campagne de recherche de présence et d'indices.

En ce qui concerne le massif de l'Ubaye, les attaques étaient relativement constantes depuis 1996 jusqu'à 2002 où on enregistre un chiffre plus élevé qu'on ne sait pas expliquer. S'agit-il d'un nouvel individu qui s'est inféodé à ce périmètre géographique ? Y a-t-il de plus nombreux chiens qui ont attaqué cet été ? Les indices permettent de penser que d'autres prédateurs que le loup sont également présents.  Les témoignages verbaux qui nous sont rapportés, mais qui ne peuvent être considérés comme entièrement fiables, parlent de chiens errants qui ont attaqué cet été. La présence éventuelle d'un lynx ne peut être complètement exclue. Cela dit, le loup était bel et bien présent en 2001, et une partie des attaques enregistrées au cours des dernières années peut lui être imputée avec une forte probabilité.

S'agissant du haut Verdon et de la haute Bléone qui connaissaient jusqu'alors des niveaux d'attaques relativement modestes, on a assisté à une véritable explosion cet été, notamment en haute Bléone. Là encore, nous n'avons aucune certitude. On sait que le loup est présent dans le haut Verdon depuis 1998, mais il semblerait qu'il se soit ensuite déplacé. Et cette année, des personnes assermentées ont eu à constater des attaques de chiens, et ont même assisté à une telle attaque tout en rédigeant un rapport. Par ailleurs, de nombreux témoignages ont fait état d'attaques de chiens, alors que la Haute Bléone a enregistré une recrudescence d'attaques de loups, les individus se déplaçant probablement du haut Verdon vers la Haute Bléone.

S'agissant du bas Verdon, nous disposons de très peu d'éléments, tant s'agissant des observations qui nous sont rapportées que des établissements de constats.

An total, on assiste à une très forte augmentation des attaques, avec plus de 70 constats réalisés et 234 victimes, soit le double des victimes de la moyenne des trois dernières années. C'est considérable et c'est pourquoi les éleveurs sont particulièrement inquiets.

M. Jean LAUNAY : La totalité des résultats de 2002 a-t-elle été exploitée ?

Mme Jeanne HEURTAUX : Non, deux ou trois constats sont encore en cours d'examen.

(Mme Heurtaux présente un transparent sur la progression géographique des constats)

M. Jean LAUNAY : Pourra-t-on un jour distinguer une attaque de loup d'une attaque de chien ?

Mme Jeanne HEURTAUX : C'est impossible compte tenu des moyens actuels.

J'en viens aux mesures de prévention mises en place, notamment dans le cadre du programme LIFE. Il s'agit d'une part de filets électrifiés, notamment pour des parcs de regroupement nocturne, qui permettent de limiter les attaques de prédateurs. Livrés avec un électrificateur, ils restent à la disposition de l'éleveur. Il s'agit d'autre part de chiens patous qui peuvent être acquis grâce à une subvention de 3 500 francs. Ces chiens sont issus d'élevages. S'ils sont certifiés, toutes les garanties sont apportées sur la qualité de l'élevage des chiots et des reproducteurs dont ils sont issus. Ces chiens font l'objet de vives critiques de la part des promeneurs ou des chasseurs qui ont à se déplacer à proximité d'un troupeau. Car les patous ont été dressés pour ne pas laisser les chiens s'approcher du troupeau. La cohabitation sur le territoire pose donc problème. Il est dommage que le programme LIFE n'ait permis d'introduire que dix chiens dans le département, car les chiens introduits hors de ce programme, et insuffisamment dressés, présentent un facteur de risque beaucoup plus important.

M. Jean LAUNAY : Pourraient-ils être impliqués dans des prédations ?

Mme Jeanne HEURTAUX : Jusqu'à présent, non. Nous n'avons pas à déplorer d'incidents majeurs dans le département.

M. le Rapporteur : Dans le Mercantour, ce sont près de 450 touristes qui randonnent, il ne faut pas l'oublier. Or, quand ils s'approchent trop des troupeaux, les patous attaquent, ce qui est devenu un gros souci pour les bergers.

Cet été, j'ai passé mes vacances dans la vallée de l'Ubaye que je connais bien pour y avoir passé toute ma jeunesse. Je n'ai pas entendu un seul cri de marmottes, alors qu'elles étaient très nombreuses dans ces montagnes. D'après les bergers, elles sont mangées par les patous. Car si certains bergers nourrissent correctement leurs chiens, d'autres estiment qu'ils doivent apprendre à se nourrir eux-mêmes en chassant des lièvres, des chevreuils, paraît-il, et surtout des marmottes. Pouvez-vous le confirmer ?

Mme Jeanne HEURTAUX : Non, par contre, il nous a été rapporté que certains éleveurs avaient du mal à accepter le chien, parce qu'il coûte cher à nourrir. Un patou, en effet, est un animal qui mange beaucoup. Comme l'accès aux cabanes est difficile, lorsque l'héliportage n'a pas permis d'apporter la nourriture suffisante pour les chiens, ceux-ci doivent se débrouiller tout seuls. Il existerait même des éleveurs qui laissent les patous se nourrir de bêtes mortes. Le chien peut y prendre goût et la situation peut devenir problématique. Cela dit, lorsque tout est respecté, lorsque le chien est bien nourri et bien encadré, et qu'on s'en occupe correctement en hiver, il y a très peu de problèmes. C'est le comportement un peu léger du propriétaire qui peut entraîner des effets secondaires regrettables.

Autre mesure : les aides-bergers. Il s'agit de personnes qui assistent le berger titulaire et l'aide dans le surcroît de travail occasionné par la présence des prédateurs : la mise en place des filets de regroupement nocturne, les allers-retours vers la cabane, etc. Ils ont donc une fonction d'appui aux bergers. La subvention s'élève à 1 500 euros par mois. Mais les cabanes étant petites et mal équipées, la cohabitation d'un berger et d'un aide-berger dans 12 mètres carrés n'est jamais facile à gérer. C'est pourquoi beaucoup de propriétaires refusent l'aide, tout en admettant qu'un aide-berger leur rendrait de grands services.

M. le Rapporteur : Les cabanes sont en effet dans un état déplorable, j'ai pu le vérifier cet été. C'est une honte. Si l'on veut conserver le pastoralisme, les agriculteurs devront un peu se remettrent en cause, car on fait vivre des personnes plusieurs mois de l'année dans des conditions effroyables.

Mme Jeanne HEURTAUX : Pour conclure, un gros effort d'équipements a été réalisé dans les Monges dès l'année qui a suivi la présence avérée du loup, avec la mise en place de nombreux parcs de regroupement, des aides bergers et des chiens plus nombreux. Dans le massif de l'Ubaye, alors que le recours à l'aide berger et aux chiens était plutôt faible, il tend à devenir de plus en plus important. Quant au haut Verdon et à la haute Bléone, les montagnes y sont relativement peu équipées, mais la situation risque de s'inverser avec la recrudescence des attaques.

M. le Rapporteur : Les bêtes qui sont parquées sont souvent sujettes au piétin.

Mme Jeanne HEURTAUX : En effet, c'est pourquoi il faut déplacer le parc régulièrement. C'est un travail supplémentaire. Nous avons le témoignage d'un éleveur qui avait du mal à accepter l'idée. Suite à une attaque, il a décidé de parquer son troupeau. Quelques mois après, voyant la situation s'améliorer, il a décidé de rouvrir le parc, pensant que le loup avait disparu. Deux jours plus tard, son troupeau était attaqué. Parquer un troupeau a donc une efficacité réelle, car le loup a plus de mal à attaquer un troupeau très dense.

M. le Rapporteur : Certes, mais le loup est un animal intelligent qui comprend très vite.

Mme Jeanne HEURTAUX : L'efficacité des mesures de prévention dans le département n'est pas très évidente à chiffrer, car le prédateur est toujours en train de coloniser l'espace. Il serait par exemple présomptueux d'affirmer que la réduction des prédations dans les Monges s'explique par la mise en place de mesures de prévention, puisqu'on ne connaît pas la migration du prédateur. Peut-être les loups étaient-ils tout simplement moins nombreux dans cette région...

Si le département des Hautes-Alpes peut évaluer précisément leur retombée, nous n'en sommes pas encore là. Cela dit, les éleveurs sont globalement satisfaits des mesures de prévention.

M. le Rapporteur : Quels sont les obstacles qui s'opposent à l'entretien des cabanes ?

M. Philippe BODA : C'est une question très pertinente. Les financements
 - la fameuse mesure « J »  -  ne sont débloqués que pour les communes ou les groupements pastoraux, les exploitants individuels ou les propriétaires privés n'y ayant pas accès. Cela dit, de nombreux propriétaires privés ne sont pas très sensibles à cette question, et nous avons du mal à susciter une dynamique pour l'équipement des estives. Il faudrait mener une étude plus poussée. Le retour sur investissement est-il correct ? C'est une question à examiner.

M. le Rapporteur : Notre rapport pourrait donc proposer d'étendre les aides.

M. Philippe BODA : Il existe également très peu d'entreprises disponibles pour réaliser les travaux.

M. le Rapporteur : Elles peuvent être très chères.

M. Philippe BODA : Le prix s'explique par la difficulté des travaux.

Mme Jeanne HEURTAUX : Restaurer une cabane peut revenir, pour prendre un exemple, à 60 000 euros, pour un retour sur investissement nul, puisque la montagne sera toujours louée au même prix.

M. le Rapporteur : Quelles formes de concertation existe-t-il entre les différents acteurs concernés par la gestion du loup, les organismes publics, les associations, les chasseurs, les éleveurs et les élus ? La concertation existe-t-elle dans le département, notamment pour la mise en oeuvre des mesures de prévention ? Les mesures de prévention doivent-elles être complétées et renforcées ?

M. Philippe BODA : Ces questions sont prises en compte dans les propositions que nous vous ferons en fin d'exposé. La réussite du dispositif quasi institutionnel mis en place tient à la réactivité des différents partenaires en présence. Il y a un consensus pour trouver ensemble la meilleure formule pour faire face aux prédations. C'est dans cet état d'esprit que nous travaillons, et non en suivant une méthode préétablie. La profession fait part à M. Le Préfet et à moi-même des problèmes qu'elle rencontre, et l'on s'efforce de trouver des solutions immédiates, dans les quinze jours, mais aussi, lorsque nos moyens nous le permettent, de monter des plans à plus long terme, en proposant des mesures pour l'équipement des alpages.

Mme Jeanne HEURTAUX : La concertation avec les chasseurs pourrait être meilleure. Car les dispositifs de protection devraient prendre en compte le multiusage du territoire le plus en amont possible, ce qui est encore trop peu le cas à présent.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous du protocole visant à réduire le nombre d'attaques de loups ?

M. Philippe BODA : Cette question est prise en compte dans nos propositions.

M. le Rapporteur : Connaît-on le nombre exact de loups dans le département ?

Mme Jeanne HEURTAUX : Non.

M. Philippe DE MESTER : En s'en tenant aux informations objectives qui nous reviennent, nous ne sommes pas en mesure de connaître précisément le nombre de loups du département. Une attaque est-elle causée par un loup, un chien ou un lynx ? En l'état actuel des relevés, on ne peut y répondre de façon certaine. Le réseau d'observation est trop flou, et c'est pourquoi je me refuse à vous donner un chiffre exact.

M. le Rapporteur : Quelles mesures préconisez-vous pour l'amélioration des instituts pastoraux de montagne ? Que pourrait recouvrir la notion de présence maîtrisée du loup ? Quelle interaction entre le pastoralisme de montagne et le développement touristique ?

M. Philippe DE MESTER : Je répondrai à vos questions en vous présentant nos propositions. Les quatre thèmes que nous avons retenus s'appuient sur un constat très clair que dresse l'administration : la cohabitation entre le loup et les bergers est extrêmement difficile, voire impossible. C'est un point extrêmement important, car si l'on peut faire des propositions pour une meilleure coexistence, la cohabitation sera toujours problématique.

Nos propositions visent à soutenir le pastoralisme, à mettre en place un système d'assurances pour les troupeaux, à améliorer le réseau loup et à mieux gérer la population de loups.

Pour soutenir le pastoralisme, d'abord, il faudrait trouver des solutions pour restaurer les conditions d'un revenu correct pour les éleveurs. Dès lors, il sera possible d'envisager des améliorations notables des estives et des équipements de protection. En dégageant des revenus, en effet, on pourra sereinement faire des investissements tant en matériel qu'en hommes, pour une meilleure protection des troupeaux. Ceci posé, il faut avoir en perspective la réforme de la PAC, car elle aura des effets extrêmement perturbateurs sur l'économie pastorale du département, sauf à mettre en place, dans le cadre du découplage des aides, un cadre contractuel entre la puissance publique et l'éleveur, contrat qui portera sur les conditions du maintien de son activité, de l'entretien de l'espace naturel, en n'oubliant pas que la filière ovine, essentielle pour l'économie du département, va de l'abattage à la valorisation des produits.

Quant au système d'assurance de l'ensemble du cheptel, projet porté par la chambre d'agriculture, il permettrait de changer complètement le dispositif actuel. Certes, l'indemnisation à la suite d'une attaque a des effets pervers, et pour en bénéficier, on a tout intérêt que l'attaque soit attribuée au loup. Pour autant, la puissance publique doit s'impliquer dans ce système en mettant en place un système d'assurance à coût faible. Une assurance exhaustive permettrait de ramener la question du loup à sa réalité en supprimant les effets pervers du système.

Pas de système d'assurance sans amélioration du réseau loup. Car pour qu'un assureur accepte de s'engager dans cette voie, il doit avoir des garanties sur les conditions d'identification des causes de l'attaque. Sur le terrain, il est donc indispensable de maintenir et de renforcer un réseau d'observations fiable, avec des équipes solides. L'office national de la chasse aura certainement l'occasion de vous indiquer qu'il n'y a que douze gardes dans le département qui doivent procéder à des constats qui demandent beaucoup de temps, puisqu'en règle générale, il faut se rendre à pieds sur les lieux du constat.

Enfin, nous sommes de plus en plus convaincus de la nécessité d'engager un système de régulation par les bergers eux-mêmes. Les éleveurs, en effet, ont le sentiment de ne pas être reconnus. Ils ont un grand sentiment d'abandon et pensent que le loup passe avant leur profession. C'est un gros problème, qui relève largement d'une approche psychologique. Les responsabiliser en matière de régulation du loup serait non seulement un moyen de réhabiliter leur profession, mais aussi de réduire les dégâts provoqués par le loup. Bien sûr, il ne s'agit pas de rétablir un droit d'affût généralisé, qui a été supprimé il y a une quarantaine d'années, mais d'autoriser un droit de riposte dès la première attaque. Ce droit s'exercerait, bien entendu, sous certaines conditions, dans un temps et un espace limité, et en s'engageant dans une politique contractuelle visant à mettre en place des mesures de protection efficaces. J'ai lu dans d'anciens rapports que les bergers ne souhaitaient pas se transformer en régulateurs. Moi, ce n'est pas ce que j'ai entendu du terrain. Les bergers, les éleveurs et les agriculteurs souhaitent pouvoir prendre en main leurs affaires. Pourquoi pas, s'ils le font sérieusement ?

M. Jean LAUNAY : Les effectifs ovins du département sont-ils en décroissance ?

M. Philippe BODA : Oui.

M. Jean LAUNAY : Combien de nouvelles installations en 2001 ?

M. Philippe BODA : Vingt.

M. Jean LAUNAY : Sont-elles situées dans les zones concernées par le loup ?

M. Philippe BODA : Non. Les 170 000 brebis sont relativement bien réparties dans le département et ne sont pas toutes dans les zones de montagne. Globalement, on sent une certaine dynamique par rapport à une filière qui se structure, grâce notamment à des outils très performants d'abattage. La profession commence à s'organiser dans des groupements de producteurs, et la structuration de la filière a permis une certaine confiance. C'est un signal fort pour la profession.

M. Jean LAUNAY : Les auditions de certains éleveurs nous ont donné le sentiment que le droit de riposte était d'ores et déjà utilisé. Qu'en est-il dans votre département ?

M. Philippe DE MESTER : La situation est ambiguë, car on sait bien que certains bergers ont un fusil dans leur cabane et que des loups ont pu être éliminés. C'est probable, et la rumeur publique le dit, mais nous n'avons jamais eu de preuves.

Par contre, les gardes assermentés du département procèdent à des éliminations de chiens errants, et quelqu'un me disait récemment qu'il y a, dans le haut Verdon, des loups dont on connaît le nom et le propriétaire...

M. le Rapporteur : Ces chiens ne sont pas toujours errants... Ils se regroupent parfois en meute, et chacun retourne ensuite chez son propriétaire.

M. Philippe DE MESTER : Bien sûr !

M. Jean LASSALLE : Monsieur le Préfet, avez-vous trouvé dans d'autres postes des situations comparables, qui suscitent autant de passions, et en même temps, de détachement dès qu'on parcourt 100 kilomètres ?

M. Philippe DE MESTER : Non, c'est en effet un dossier unique.

M. Jean LASSALLE : Et 100 kilomètres plus loin, on s'inquiète plutôt du nombre de chômeurs, de SDF ou de Français sous tranquillisants...

M. Philippe DE MESTER : Il s'agit d'un dossier hors norme. Mais l'économie du département est extrêmement fragile, il ne faut pas l'oublier. Nous avons dans le département un espace énorme, occupé par quelques hommes dont la principale activité est l'élevage.

M. Jean LASSALLE : Par ailleurs, vous savez que le réseau Natura 2000 vise un objectif unique de protection. Lorsqu'il sera mis en place, pourra-t-on encore agir ? Ne craigniez-vous pas une aggravation de la situation ?

M. Philippe DE MESTER : Le problème est réel, et les niveaux de protection doivent être analysés de façon distincte. Un espace Natura 2000 doit être abordé d'une façon totalement différente qu'un parc national ou qu'une réserve naturelle. Il s'agit en effet d'un espace qui vise un objectif de développement durable et de préservation. Pour ma part, je m'efforce de faire admettre aux protagonistes de Natura 2000 qu'une logique de contractualisation permettra de se mettre d'accord sur des règles de gestion, mais pas des règles absolues de protection ou d'interdiction. On ne tiendra pas si on ne vise pas ce cap.

Mme Jeanne HEURTAUX : L'essentiel des espèces protégées par Natura 2000 dans le département est inféodé aux milieux pastoraux. Pour une espèce animale, faut-il alors remettre en cause la protection des 85 % espèces protégées ?

M. Philippe DE MESTER : S'il n'y pas plus de moutons, les broussailles et la forêt gagnent et ces espaces disparaîtront. Donc, on a absolument besoin des moutons.

M. le Rapporteur : Madame, Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. André PINATEL,
président de la chambre d'agriculture des Alpes-de-Haute-Provence

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 30 janvier 2003, tenue à Digne-les-Bains)

Présidence de M. Daniel Spagnou, Rapporteur

M. André Pinatel est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Rapporteur, M. André Pinatel prête serment.

M. André PINATEL : Tout d'abord, je veux remercier la commission d'être venue nous écouter. Lorsque j'ai été élu à la chambre d'agriculture, en 1995, on parlait encore peu du loup. Moi qui ne suis pas chasseur mais qui aime la nature et me promener dans les montagnes, je n'étais pas un opposant farouche au loup et j'ai même été catalogué comme « pro-loup » à la suite d'un article. Je n'avais donc aucun a priori. Mais la situation s'est dégradée au point qu'une mission d'information s'est emparée du sujet pour conclure à l'incompatibilité entre le loup et le pastoralisme. Les éleveurs étant de plus en plus touchés dans leur métier et dans leur foi, privilégier l'un ou l'autre est devenu une certitude.

Cela dit, je suis responsable professionnel, je respecte les lois et je comprends qu'on cherche à trouver des moyens pour que les bergers supportent mieux la présence du loup. Des parcs ont été construits grâce à des financements. Ce pourrait être une solution, mais elle n'est pas facile à mettre en place et les financements sont insuffisants. Les chiens patous ? On connaît les dangers qu'ils représentent pour les promeneurs. Dans les Alpes-Maritimes, on le sait, des chiens ont attaqué des randonneurs. Mais les patous posent aussi de gros problèmes de gestion. Un éleveur me rappelait récemment qu'il lui faudrait dix patous pour encadrer son troupeau de 1 500 bêtes, soit un hélicoptère par semaine pour leur amener à manger. Toutes ces solutions ne sont donc pas forcément adaptées à la montagne.

Mais le plus grave, c'est que les bergers ont eu le sentiment, dès 1995-1996, que tout était fait pour protéger le loup et qu'ils étaient mis au second plan. Certains bergers - j'en connais au moins un - n'ont d'ailleurs pas supporté cette situation et ont préféré abandonner leur métier. C'est très grave, surtout lorsqu'on connaît la foi qu'ils ont dans leur métier. Il s'agit certes de cas extrêmes, mais la profession travaille aujourd'hui dans un climat qui n'est pas du tout serein pour l'élevage. Voilà pourquoi on ne peut pas continuer ainsi.

Quoi faire ? Cette année, dans le Verdon, j'ai étudié la possibilité de mettre en place une assurance qui permettrait une indemnisation et de sécuriser le berger sur son avenir. Elle serait obligatoire, donc avec une franchise relativement faible de trois ou quatre francs par brebis. L'idée est de sécuriser le cheptel de l'éleveur que l'attaque soit d'un loup ou d'un chien. Car on sait très bien que de nombreuses attaques sont le fait de chiens.

M. le Rapporteur : L'indemnisation porte sur la brebis tuée. Or en général, elle est souvent pleine, sans compter qu'une attaque de loup occasionne de nombreux avortements chez les brebis. Il y a donc un gros manque à gagner pour l'éleveur. Un système d'assurance peut-il prendre en compte cette situation ?

M. André PINATEL : Avec Groupama, que nous avons déjà rencontré en décembre dernier, nous essayons de mettre au point un système. Nous avons fait un premier essai que l'on souhaite étendre à tout le département, avec une franchise sur l'année, qui ne dépasse pas les trois francs par brebis. J'ai pris contact avec les responsables du département afin que le Conseil général et la région interviennent.

M. le Rapporteur : L'Etat pourrait lui aussi intervenir dans le cadre du programme « LIFE ».

M. André PINATEL : Tout le monde serait ainsi concerné, et les responsables économiques pourraient alors s'engager. Reste à savoir comment y arriver. Mais à partir du moment où l'assurance ne serait pas élevée, le système serait forcément accepté.

M. le Rapporteur : C'est une proposition intéressante.

M. André PINATEL : Cela dit, nombreux sont ceux qui n'y sont pas favorables. Car s'engager dans cette voie, selon eux, c'est accepter le loup et ne plus rien faire contre sa présence. Moi, j'essaie de faire face à mes responsabilités, en constatant que les éleveurs n'arrivent plus à exercer leur métier dans la sérénité. Votre commission trouvera peut-être la solution. En attendant, nous devons trouver des solutions d'attente. Un dispositif d'assurance ne sera pas la solution miracle, mais il pourrait aider à passer un cap.

Autre proposition : mieux organiser les communications. Car aujourd'hui, le berger doit souvent faire une journée de marche pour demander un constat. Les portables ne sont pas toujours utilisables dans le département, ne l'oubliez pas. Ne serait-il pas possible de construire des relais ou de doter les bergers d'appareils ADHS ?

M. le Rapporteur : Cet été, j'étais à Saint Paul sur Ubaye. Une attaque de loup a eu lieu le vendredi. Le constat n'a pu être établi que le mardi suivant. Entre temps, les charognards avaient fait leur travail. Les délais sont donc trop longs.

M. André PINATEL : Autre mesure : sécuriser les cabanes et les doter d'une source électrique grâce à des cellules photovoltaïques.

M. le Rapporteur : Les cabanes des bergers ne sont pas entretenues. Faut-il faire quelque chose ?

M. André PINATEL : Lorsque le climat était serein, le manque de confort des cabanes n'était pas un problème. Mais aujourd'hui, le berger est perturbé toute la journée par le prédateur. Qu'il puisse se loger dans une cabane avec un minimum de confort permettrait de mieux les recruter. Car il n'est pas exclu que les éleveurs n'arrivent plus à trouver de bergers. Le confort des cabanes est donc un élément du débat. Il a permis à trois bergers que je connais d'aller faire l'estive avec leur femme et leurs enfants. Je les ai rencontrés pendant la saison : ils étaient particulièrement contents de leur travail.

M. le Rapporteur : Il y a encore trente ans, la plupart des communes de la vallée de l'Ubaye tirait leur revenu des montagnes pastorales. C'est désormais terminé, car elles ne se louent plus. Le statut du parc du Mercantour a-t-il permis d'améliorer les choses ?

M. André PINATEL : Nos amis des Alpes-Maritimes, qui ont été confrontés beaucoup plus tôt que nous aux attaques, nous ont dit que les loups étaient fortement protégés par les responsables des parcs dont les campagnes de communication sont souvent tendancieuses. Il faudrait un minimum de partialité, le loup étant toujours présenté comme la victime de l'homme. Les parcs ont donc contribué à déconsidérer le berger.

M. le Rapporteur : J'ai pu constater, le 18 juillet dernier, à la fête de Notre-Dame-du-Haut, que les bergers ne s'entendaient pas bien avec les directeurs du parc.

M. André PINATEL : En 1992, les responsables du parc ont contribué à entretenir un climat de suspicion en ne voulant pas reconnaître qu'ils avaient constaté des traces de loup. Toutes leurs informations sont désormais jugées suspectes.

M. Jean LASSALLE : Avez-vous le sentiment de peser sur le réseau loup ? Où avez-vous le sentiment que les orientations prises ne tiennent pas compte de vos observations ?

M. André PINATEL : Lors d'une réunion, il y a quatre ans, avec les responsables des Alpes Maritimes, le ministère de l'agriculture nous a indiqué qu'il défendait notre point de vue, mais que les mesures qu'il pouvait prendre en notre faveur se heurteraient constamment aux diktats de l'environnement, donc aux directeurs des parcs dont la communication pro-loups a contribué à dénigrer le métier de berger. On a même écrit que les bergers n'étaient plus intéressés que par le profit et que leur activité n'avait plus rien de commun avec celle de leurs ancêtres qui n'élevaient pas plus de 100 brebis. C'est oublier qu'il a fallu s'adapter à la conjoncture et à la concurrence de l'agneau de Nouvelle-Zélande.

M. Jean LAUNAY : Vous nous avez rapporté l'exemple d'un éleveur qui avait décidé d'arrêter son activité. Le loup est-il la seule explication de sa décision ?

M. André PINATEL : Oui, j'ai eu l'occasion de le rencontrer avec ma femme et des amis dans le gîte qu'il avait ouvert. Il nous a dit que les parcs qu'on lui avait conseillé de construire n'avaient pas empêché le loup de passer sous les grillages. Malgré tous ses efforts, il n'a pas pu protéger son troupeau des attaques de loups. L'animal a été le plus fort.

M. Jean LASSALLE : Avec la directive habitat, le Préfet aura l'obligation d'appliquer Natura 2000 dont le seul objectif est la protection de la nature. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour les bergers.

M. André PINATEL : Et pourtant, un paysan sait bien que laisser faire la nature n'a jamais donné des résultats intéressants. Nos paysages de montagne, est-ce à la nature qu'on les doit ? Non ! Lorsque l'homme fait son travail correctement, le patrimoine que se transmettent les générations ne se dégrade pas. Or, on veut nous imposer des directives destinées à modifier une façon de travailler qui nous a justement permis de conserver ce patrimoine. Il y a là quelque chose qui dépasse le bon sens.

M. le Rapporteur : Les technocrates veulent nous faire payer notre bonne gestion du territoire qui nous a permis de maintenir la faune et la flore.

Y a-t-il d'autres observations ? Monsieur, je vous remercie.

Audition de M.  Francis SOLDA, président du syndicat ovin
des Alpes-de-Haute-Provence et président du Centre d'études et de recherches pastorales Alpes-Méditerranée (CERPAM)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 30 janvier 2003, tenue à Digne-les-Bains)

Présidence de M. Daniel Spagnou, Rapporteur

M. Francis Solda est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Francis Solda prête serment.

M. Francis Solda : Pour comprendre notre opposition au loup, il faut d'abord se rappeler comment il est arrivé, en se demandant ce que sont devenus les loups d'élevage des Alpes-Maritimes. Que sont devenues, par exemple, les cinq ou six louves du président de France-Loup, René Burle ?

M. le Rapporteur : On pourrait le lui demander !

M. Francis SOLDA : Que sont devenus également les nombreux loups élevés dans les environs de Sainte-Maxime ? Ce type d'élevage n'est-il pas interdit ? A l'époque, j'ai informé les responsables politiques de la situation, mais la DDA n'a jamais fait son travail et n'a jamais cherché à savoir ce qu'ils étaient devenus. Près de Marseille, je suis même tombé par hasard sur un élevage de cinq ou six loups. A quoi ces loups étaient-ils destinés ? Au cirque, m'a-t-on répondu ! Je ne vais pas souvent au cirque, mais les seules fois où j'y suis allé, je n'y ai jamais vu de loups. Mais le plus gênant est que les services de l'Etat, notamment la DDA, n'ont jamais tenu compte de nos informations. Les responsables politiques ne se sont jamais demandés ce que devenaient ces loups. Les responsables de ces élevages les ont-ils vendus ou lâchés dans la nature ?

M. le Rapporteur : Ils ne nous le diront jamais puisque l'élevage est illégal.

M. Francis SOLDA : Je trouve cela inadmissible, alors que l'on n'a que des ennuis lorsqu'une de nos brebis s'égare. Je n'aime pas le loup, mais ce que je déplore le plus dans cette histoire, c'est le manque de clarté.

Plus généralement, les défenseurs du loup prétendent que l'animal ne quitte pas la haute-montagne. Moi, les traces de loup, je les ai toujours vues là où il y avait de quoi manger, là où il n'y avait pas trop de neige, c'est-à-dire à la limite de la plaine et de la haute-montagne, là où il y a du bois, pas trop de monde et beaucoup d'animaux. C'est pourquoi je crois que les éleveurs qui exercent en moyenne montagne disparaîtront, car ils n'ont pas, comme les gros transhumants, de troupeau assez important pour survivre économiquement.

Un éleveur veut vivre dignement et correctement de son travail. Ceux qui prétendent que c'est le loup qui le fait vivre seraient-ils contents si quelqu'un détruisait régulièrement leur maison ? Sans compter que le métier est de plus en plus difficile à exercer et qu'il faut vraiment avoir la foi pour continuer. Alors, on me dira que certains ont fait de l'argent avec le loup. Il y en a quelques-uns, en effet, comme partout. Mais ce n'est pas parce que quelques tricheurs des Alpes-Maritimes nous ont fait du tort qu'il faut généraliser.

M. le Rapporteur : Avez-vous des chiens patous ?

M. Francis SOLDA : Dix-huit.

M. le Rapporteur : Sont-ils agréés et financés par le programme « LIFE » ?

M. Francis SOLDA : Seulement trois. Je trouve d'ailleurs lamentable qu'il s'agisse du seul moyen pour que les chiens aient de la nourriture et des soins gratuits. Cela dit, mieux vaut acheter un bon chien de chasse à un bon chasseur que de l'acheter à un élevage dont les chiens ne sont pas au contact du gibier. Car sur les trois chiens que je possède agréés par le programme LIFE, un n'a jamais voulu quitter la bergerie et un autre s'est attaqué aux agneaux. Mais dans le Mercantour, le problème est que les bergers n'ont pas une mentalité d'éleveurs. Ils ne veulent ni du loup ni des patous. Cette année, si j'ai eu une attaque de loups, c'est à cause d'un mauvais berger qui préférait donner à manger aux patous le soir, alors qu'il faut leur donner le matin. Les patous ont donc mangé le soir dans les cabanes, et les loups ont pu attaquer.

Par contre, le gros problème n'est pas tant les pertes que le découragement et l'incertitude. Les professionnels ne supportent plus cette situation. Un loup a récemment tué une brebis tout en laissant son agneau la téter. Il faut avoir des tripes pour supporter ça !

M. le Rapporteur : Lors de la précédente audition, M. Pinatel nous a dit que la région allait bientôt manquer de bergers.

M. Francis SOLDA : En Roumanie, en Pologne et en Hongrie, les bergeries sont de moins en moins nombreuses. Pourquoi ne pas faire venir des bergers roumains ?

M. Jean LAUNAY : Quelle est la proportion d'éleveurs concernés par les zones de prédations qui ont recours aux bergers ? J'ai été très surpris quand vous nous avez dit que vous aviez eu une expérience négative avec un mauvais berger.

M. Francis SOLDA : Il y a bien des chauffeurs routiers qui ne connaissent pas leur moteur et qui ne sont pas capables de manœuvrer la remorque de leur camion.

M. Jean LAUNAY : Que pensez-vous des formations ?

M. Francis SOLDA : On y fait trop de théorie, et à la sortie de l'école, on ne sait pas ce qu'est un élevage. Pour moi, les bergers d'aujourd'hui ne sont plus de vrais bergers, mais des surveillants de moutons. C'est ma femme qui garde désormais les brebis. Pourquoi ? Parce que mes bergers ne savent plus et ne veulent plus s'occuper des brebis. Sans compter qu'ils peuvent vous «planter» du jour au lendemain. J'ai demandé à un de mes bergers de s'occuper des soins et de l'agnelage. Il m'a répondu que c'était trop de contraintes. On ne trouve plus de bons bergers en France. Et les 35 heures n'ont rien arrangé. J'ai même été envoyé aux prud'hommes par un technicien LIFE. Mais comment un inspecteur du travail pourrait-il dresser un PV au motif que les cabanes ne sont pas correctes et que les bergers y dorment parfois à deux ? Je suis le premier à reconnaître que des éleveurs ont exagéré, à condition de reconnaître également que le métier de berger est un métier totalement à part. Pour ma part, je suis un des rares à demander la signature d'une convention nationale sur le métier de berger.

Pour en revenir au loup, il faut bien savoir que lorsque le loup sera dans nos régions, on le trouvera à 800 mètres et pas à 2000 ou 3000 mètres.

M. le Rapporteur : Il y est déjà.

M. Francis SOLDA : Bien sûr ! J'ai eu l'occasion de recevoir un groupe de vingt-sept écologistes qui comprenaient des médecins, des informaticiens et des professeurs, et qui voulaient garder les moutons. En discutant avec eux, j'ai pu prendre conscience de toutes les idées fausses qui circulaient sur la profession. Pour eux, le travail en alpage se limitait à amener les bêtes en montagne au printemps, à apporter une fois par semaine du sel aux brebis, à récupérer les brebis en octobre, et à les compter une fois qu'elles sont au village, les brebis manquantes ayant été tuées par le loup. Voilà l'image qu'ils se faisaient de notre travail. La profession a sa part de responsabilité, parce qu'on a trop laissé dire n'importe quoi sur les éleveurs et qu'on n'a jamais su défendre notre métier comme il le méritait. Cela dit, si l'on veut faire de la montagne un désert, qu'on nous le dise !

M. le Rapporteur : Sans pastoralisme, comment entretiendra-t-on les espaces ?

M. Francis SOLDA : Les gens des villes en seront-ils capables ? J'en doute.

M. Jean LAUNAY : Comment appréciez-vous l'efficacité du réseau loup ? Que pensez-vous du droit de riposte ? Doit-il s'appliquer au chien comme au loup ?

M. Francis SOLDA : En haute montagne, les chiens sont peu nombreux ; ceux qui tuent les brebis encore moins. Cela dit, nous n'avons jamais pris de gants pour tuer les chiens errants.

S'agissant du droit de riposte, je constate que les gardes veillent à ce que les personnes qui ont un permis de chasser ne puissent pas se promener avec leur fusil, même s'il n'est pas chargé. Certains sont dans le camp des loups, d'autres dans celui des éleveurs et des moutons et sont prêts à fermer les yeux. Même chose en matière de constat. Tout dépend de la personnalité du chef. Certains ne cherchent pas à comprendre et attribuent les attaquent aux loups, d'autres ne se déplaceront pas considérant d'emblée qu'il s'agit d'une attaque de chiens errants. Au demeurant, je trouve lamentable que le prédécesseur de Mme Heurtaux ait pu laisser paraître ses sentiments en soutenant que nous vivions du loup.

Quoi qu'il en soit, et ce sera mon dernier mot, l'Administration doit prendre conscience de ce que c'est que vivre trois mois en montagne et l'ONC arrêter de nous verbaliser au motif que nos chiens ne sont pas toujours à proximité du troupeau et qu'il leur arrive de poursuivre un sanglier.

M. le Rapporteur : Y a-t-il d'autres observations ?... Je vous remercie.

Audition de M. Salim BACHA, technicien régional
à l'Organisation régionale de l'élevage Alpes-Méditerranée (OREAM)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 30 janvier 2003, tenue à Digne-les-Bains)

Présidence de M. Daniel Spagnou, Rapporteur

M. Salim Bacha est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Salim Bacha prête serment.

M. Salim BACHA : L'étude que j'ai réalisée sur l'impact des prédations causées par les loups sur les élevages ovins de Provence-Alpes-Côte-d'Azur visait d'abord à quantifier les pertes subies par les éleveurs à la suite des attaques. Très rapidement, je me suis rendu compte que les techniques habituelles n'étaient pas adaptées à ce travail et qu'elles ne permettaient pas de prendre en compte toute la dimension affective du problème.

Je suis donc parti d'un travail technico-économique classique qui m'a permis d'évaluer les pertes, puis j'ai cherché à quantifier le travail de l'éleveur. Jusqu'à présent, en effet, les études ne prenaient pas en compte le fait que les éleveurs sont obligés de travailler beaucoup plus que par le passé, tant et si bien que les surcharges de travail peuvent aller de 577 à 1 281 heures pour un éleveur qui travaille déjà 1 100 heures par an. Dans ces conditions, on peut légitimement s'interroger sur l'avenir des éleveurs et des élevages de la région.

Par ailleurs, en discutant avec les éleveurs, je me suis rendu compte qu'ils vivaient la situation actuelle comme une offense. Car s'il existe un élevage respectueux de l'environnement et des ressources naturelles, c'est bien l'élevage qui se pratique en Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Il s'agit en effet d'un élevage très extensif qui n'a pas cédé aux appels de l'hyperproductivisme et de la spécialisation. Les éleveurs ont su rester près du terrain, produire des animaux de qualité et bien entretenir l'espace naturel. Ils vivent donc très mal les leçons d'écologie qu'on entend leur donner du jour au lendemain. On prétend qu'ils sont contre l'environnement alors qu'ils ont toujours œuvré au maintien de la biodiversité. Sans compter que, pour le commun des mortels, on devient berger quand on n'a pas réussi sa vie. En refusant la présence du loup, on les accuse d'aller à l'encontre des attentes citoyennes. Ils vivent d'autant plus mal cette situation qu'on ne cherche pas à entendre leurs arguments.

M. le Rapporteur : Dans la conclusion de votre étude, vous écrivez « qu'à terme, il est à craindre un désintérêt croissant des éleveurs pour la montagne. Prendre la route ou sortir de bergerie n'est plus par le passé un moment attendu avec impatience mais au contraire craint et retardé. » Et vous ajoutez que «les éleveurs pâturant 9 mois de l'année sur des zones à loups se surveillent au printemps pour savoir qui sortira le premier et donc qui subira les premières pertes importantes. Cette attitude créée un climat malsain dans le milieu des éleveurs et risque en définitive de desservir l'ensemble de la société locale, quelle soit pro ou anti-loup ». C'est particulièrement pessimiste !

M. Jean LAUNAY : Qui a été à l'origine de l'OREAM ? Comment le dispositif fonctionne-t-il ? Comment avez-vous été amené à y travailler ?

M. Salim BACHA : L'OREAM est issue de la restructuration de l'ancien GIE ovin Sud Est et de l'Union Bétail et Viande Alpes Méditerranée-UBEVIAM. Cette structure est maître d'œuvre des politiques d'élevage pour la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Ses financements proviennent pour partie de l'Europe, de OFIVAL (Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'agriculture), du Conseil régional, voire des Conseils généraux.

Après une formation qui m'a amené à travailler sur le pastoralisme au CERPAM (Centre d'études et réalisations pastorales Alpes-Méditerranée), j'ai travaillé sur la gestion des ressources naturelles et j'ai été naturellement recruté à l'OREAM pour conduire une enquête sur la prédation. Je m'occupe également d'un plan de relance des élevages ovins.

M. le Rapporteur : Que proposez-vous pour lutter contre les prédations et relancer l'élevage ovin ?

M. Salim BACHA : S'agissant des prédations, le premier point à prendre en compte est de reconnaître qu'il s'agit d'un problème éminemment complexe, donc de cesser d'y apporter des solutions simplificatrices. Les discours simplificateurs et simplistes ne répondent pas à cette complexité. On ne peut donc affirmer que la panacée est le recours aux patous ou le parcage de nuit des animaux. En réalité, avec la présence du loup, il y a un seuil d'incompatibilité, et quels que soient les moyens mis en œuvre, il y a aura toujours de la prédation.

Je crois qu'il faudra un jour se demander si la société est prête à assumer les conséquences du maintien du loup sur le territoire. Faut-il continuer à injecter de l'argent public pour salarier des aides bergers, acheter et nourrir des chiens, et indemniser les éleveurs des prédations qu'ils subissent ? Il s'agit donc d'un véritable problème de société. Que se passera-t-il lorsque la profession refusera de travailler dans les conditions dans lesquelles elle travaille ? Ne l'oubliez pas, elle ne connaît pas les 35 heures et n'est pas tellement rémunérée pour son travail. Demain, les jeunes filles et les jeunes gens continueront-ils à s'installer ? Sans parler des problèmes d'aménagement du territoire et de gestion des ressources naturelles. Ce sont tous ces problèmes qu'il faut mettre à plat.

S'agissant de la relance de l'élevage ovin, nous avons décidé de porter notre action sur trois points. Le premier est de promouvoir le métier d'éleveur, en dépoussiérant l'image habituelle du berger, et en s'efforçant de mettre en avant une image moderne qui colle à la réalité.

Le deuxième point est le renforcement de l'accès du pastoralisme au foncier. Car il existe des communes et des particuliers qui possèdent des terrains qui pourraient être mis à disposition des éleveurs grâce à des outils juridiques assez simples qui protègent le propriétaire et la ressource.

Le troisième point est le renforcement du pôle formation. Nous sommes la seconde région ovine de France. Or, il n'existe que trois centres de formation à l'élevage ovin. Renforcer la formation permettrait de lancer une dynamique auprès des établissements de l'enseignement agricole.

M. le Rapporteur : Un danger grave pèse-t-il sur l'élevage ovin de nos départements alpins à cause du loup ?

M. Salim BACHA : Est-il vraiment crédible d'inciter des jeunes à s'engager dans un métier déjà très astreignant et peu rémunérateur si, de surcroît, s'y ajoute la charge de travail causée par les prédations ? Le loup, ne l'oubliez pas, c'est des heures de gardiennage et de surveillance supplémentaires, et du dérangement nocturne. Comment défendre le métier d'éleveur dans ces conditions ? Moi, je me vois mal inciter un jeune à s'engager en lui indiquant qu'il travaillera 80 heures par semaine pour une somme modique, alors qu'il existe d'autres filières agricoles plus attrayantes, sans parler de l'attrait des zones urbaines et d'un travail moins astreignant.

M. Jean LAUNAY : Etes-vous associé au réseau loup en votre qualité de technicien de l'OREAM ?

M. Salim BACHA : On bataille très dur au quotidien pour avoir des chiffres, il faut être franc. Seule la DDA des Alpes-de-Haute-Provence nous en communique. En revanche il y a un black out total de la part des autres départements. Dans ces conditions, il est impossible de disposer de données chiffrées sur la prédation. Lors de la dernière assemblée générale du syndicat ovin régional, j'ai ainsi été dans l'impossibilité de présenter aux professionnels des statistiques concernant la prédation.

M. Jean LAUNAY : Selon vous, quel est le pourcentage des attaques qu'on peut attribuer au loup et au chien ? Quelle est votre conviction ? Que faudrait-il faire ? Les constats doivent-ils être dressés plus rapidement ?

M. Salim BACHA : Dans le passé, on ne parlait pas des dégâts causés par les chiens errants. Et lorsqu'un éleveur subissait une attaque de chien, soit il demandait au propriétaire de l'animal des réparations, soit, s'il s'agissait d'un chien errant, il faisait ce qu'il fallait lui-même. Il est étonnant de constater qu'il existe une corrélation entre le retour du loup et le fait qu'on reparle des attaques de chiens errants. Ne s'agit-il pas, dans tous les cas, d'attaques de loups qui sont parfois en phase de reconnaissance de territoire ?

Cela dit, à chaque attaque, je pense que les gardes devraient intervenir plus rapidement pour dresser un constat bête par bête, et non de manière globale, même si je n'ignore pas que les bêtes sont souvent attaquées dans des endroits souvent peu accessibles et que les gardes manquent parfois de temps. Le retour d'information devrait enfin être rapide.

M. Jean LAUNAY : Certaines attaques sont indemnisées alors qu'elles sont probablement causées par des chiens. Le doute profite donc à l'éleveur. Qu'en pensez-vous ? N'est-ce pas la raison qui explique le manque de détermination du réseau à organiser la concertation entre les différents partenaires ?

M. Salim BACHA : Des échanges d'information rapides entre partenaires seraient cependant une bonne chose. Un chien n'a ni le même comportement ni la même logique qu'un loup. C'est visible au moment de l'attaque ou après. Vous dites que le doute profite aux éleveurs, mais ceux-ci pourraient se passer d'indemnisation s'il n'y avait pas d'attaques. Comment faisaient-ils auparavant ? Ils vivaient sans dédommagements. Pour moi, l'objectif est qu'ils puissent être fiers de leur travail, en cessant de mettre constamment en avant une comptabilité macabre. Il y a encore dix ans, ne l'oubliez pas, les prédations ne figuraient pas dans les lignes comptables.

M. Jean LASSALLE : Le travail que vous avez engagé avec l'appui de la profession est-il de nature à structurer une véritable action ?

M. Salim BACHA : Le problème, c'est que l'on ne dispose plus de moyens pour travailler sur les dégâts causés par le loup. Nous avons pu conduire notre étude grâce à un financement du Conseil général. Mais depuis, on n'a plus les moyens de continuer. Nous venons de déposer un dossier de financement pour étudier les conséquences des prédations sur la surcharge de travail et l'abandon des territoires pastoraux. Ce type d'évaluation serait très utile, mais elle n'a toujours pas pu être réalisée, faute de moyens.

Jusqu'à présent, il s'agissait d'être « pour ou contre » le loup. Il faut désormais mettre en avant un discours plus positif, en faisant la promotion des éleveurs et des bergers et en rappelant qu'il y a des hommes et des femmes qui vivent sur les alpages et qui voudraient continuer à le faire. Comment rendre leur activité sereine ? Nous venons de mettre en place un petit groupe de travail, avec des ingénieurs et des techniciens, pour y répondre.

M. Jean LASSALLE : C'est une très bonne chose !

M. le Rapporteur : Y a-t-il d'autres observations ...? Je vous remercie.

Table ronde informelle organisée à Digne

(30 janvier 2003)

Table ronde avec les éleveurs

(Cette table ronde informelle n'a pas fait l'objet d'un compte rendu)

- M. Patrick AILHAUD (massif des Monges)

- M. Alain BOSSO (La Bréole)

- Jean-Marc CLEMENT (Clumans)

- M. Jean DEBAYLE (St Jurson)

- Mme Maïté DIARTE (Antrevennes)

- Mme Roonie DIDIER (Lambrisse)

- Mme Martine ISNARD (Senez)

- M. Patrick JULIEN (Thoard)

- M. Jean-Christophe NOBLET (Castellane)

- M. Émile TRON (Maire de Méolans-Revel)

Audition conjointe de M. Patrick STRZODA, Préfet des Hautes-Alpes,
et de Mme Mireille JOURGET, directrice départementale
de l'agriculture et de la forêt des Hautes-Alpes.

(Extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2003, tenue à Gap)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

M. Patrick  Strzoda et Mme Mireille Jourget sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, M. Patrick Strzoda et Mme Mireille Jourget prêtent serment à tour de rôle.

M. Patrick STRZODA : J'ai la chance de travailler dans ce beau département des Hautes-Alpes depuis cinq mois. Bien évidemment, le loup et le pastoralisme sont des sujets dont j'entends parler régulièrement. Cela dit, j'entends deux grands discours. Le premier est très clair : la cohabitation entre la présence du loup et le pastoralisme est impossible. C'est un discours qui est essentiellement tenu par les organisations syndicales agricoles et aussi les organisations cynégétiques. Elles considèrent que la présence du loup met en cause une activité importante du département, importante sur le plan économique, social, mais aussi environnemental. Cette activité, c'est bien sûr le pastoralisme. Mes interlocuteurs me disent qu'elle était déjà fragile et que la présence du loup contribue à la fragiliser davantage en entraînant des coûts supplémentaires et des contraintes de gestion pour la profession. J'ai moi-même pu prendre la mesure de cette hostilité en constatant le traumatisme que subissent certains éleveurs qui sont directement concernés par les attaques du loup.

Mais il existe également un autre discours, beaucoup moins hostile à la présence du loup. Il s'agit du discours tenu par les acteurs du tourisme, mais également, en filigrane, par un certain nombre d'élus qui constatent que la présence du loup n'a pas que des effets négatifs dans un département de haute montagne qui construit son image et son identité sur la nature préservée et l'environnement. Et parfois même, j'entends dire que cette présence du loup est porteuse.

Après cinq mois de présence dans le département, je crois pouvoir dire que ces deux discours s'équilibrent, sans tourner à l'affrontement. J'ai le sentiment, en effet, que le département a plutôt réussi à assurer un équilibre - fragile - entre la présence du loup et le maintien et le développement du pastoralisme. En cinq mois, et je le dis comme je le ressens, la présence du loup n'a pas été une préoccupation majeure pour le Préfet. J'ai plus entendu parler des dégâts causés par le sanglier que du loup.

Comment expliquer que la cohabitation entre le pastoralisme et la présence du loup soit, à défaut d'être acceptée par tous, acceptable ?

J'y vois trois raisons. La première est que la présence du loup est bien cernée dans les Hautes-Alpes. On sait où il est et on connaît le nombre d'individus. La deuxième est que le fonds d'indemnisation fonctionne plutôt de manière satisfaisante. La troisième est que les contraintes imposées par la présence du loup au pastoralisme sont largement prises en compte sur le plan financier par la collectivité, notamment par l'Etat.

La présence du loup est donc bien cernée. On sait exactement où il y en a et combien, huit dans le Queyras, deux dans le Béal Traversier, et deux autres dans la vallée de la Clarée. Il existe peut-être également une nouvelle zone de prédation dans les Orres, mais nous n'avons pas encore de preuves formelles.

Donc, grâce aux systèmes d'observation mis en place dans les Hautes-Alpes, la population des loups est bien située et bien observée.

Elle est essentiellement concentrée dans des zones géographiquement limitées, où l'on constate que les enjeux agricoles sont plutôt en diminution. Ce sont les enjeux touristiques qui prennent le pas. Ainsi, dans le Queyras, il n'y a plus qu'un agriculteur dans la principale commune de ce territoire, Ristolas. Dans la vallée de la Clarée, on ne compte plus qu'un agriculteur également. Et ce tourisme s'appuie notamment sur l'image d'une nature préservée. Et pour ma part, lorsque je vais me promener dans le Queyras, je suis toujours surpris de constater que le loup fait l'objet d'une publicité plutôt positive dans les commerces. La communication sur le loup est plutôt positive, et elle est visiblement faite pour le tourisme.

Cela dit, dans ce département comme ailleurs, la présence du loup pose un véritable problème aux éleveurs transhumants. Dans les trois secteurs où le loup est recensé dans les Hautes-Alpes, on compte 75 000 ovins qui appartiennent à 270 éleveurs. Le pastoralisme est donc particulièrement important dans le département. Or, l'impact direct de la prédation en six ans s'est élevé à 1 053 ovins indemnisés, soit 1,5 % du cheptel. L'effet du loup est limité dans le temps - quatre mois - et la politique de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt est plutôt de favoriser l'indemnisation des victimes de prédation : lorsqu'il y a doute entre un loup et un chien, on déclare une prédation de loup.

L'indemnisation, vous le savez, se fait un peu au dessus de la valeur de la brebis. On indemnise en moyenne 150 euros une brebis, alors que sa valeur d'achat se situe entre 120 et 130 euros. En six ans, ce sont donc 180 000 euros qui ont été payés en indemnités, soit près de 1,2 million de francs.

On constate donc, ici, comme ailleurs, que la présence du loup a considérablement changé les conditions d'exercice de la profession. Une gestion a dû se mettre en place, et les bergers ont dû modifier leurs pratiques pastorales, notamment en recourant au regroupement nocturne des troupeaux, avec l'obligation de recourir aux services d'un berger et d'avoir un chien de garde. Ces contraintes supplémentaires sont pour le moment acceptées parce qu'elles sont prises en charge par la collectivité, notamment par le programme LIFE.

En six ans, de 1997 à 2002, nous avons consacré 1,5 million d'euros, soit 10 millions de francs, à des travaux d'équipements pastoraux. Les aides sont donc importantes. Mais j'ai le sentiment qu'elles contribuent à apaiser considérablement le contexte. On constate ainsi que la très grande majorité des éleveurs a opté pour des mesures de protection. Il y a un pragmatisme sur le terrain. Lorsqu'il s'agit de réaliser des équipements, les communes n'hésitent pas à se porter maître d'ouvrage. Vous rencontrerez lors de cette journée nombre d'acteurs de cette problématique, notamment des élus, qui vous diront que, même s'ils sont parfois hostiles, dans leur discours, à la présence du loup, ils n'hésitent pas sur le terrain à se porter maître d'ouvrage pour réaliser des équipements.

Tant que le loup est une espèce protégée, je crois que tout est question d'équilibre et que cet équilibre est extrêmement fragile à maintenir. Le problème de fond est de savoir comment intégrer une contrainte environnementale, juridiquement protégée, dans un secteur où l'activité humaine doit se maintenir et se développer. Voilà le véritable problème.

Face à cette problématique, nous essayons d'abord de conserver le dialogue entre toutes les parties en présence, et notamment avec les éleveurs. Le soutien psychologique est très important, et nous passons beaucoup de temps à l'écoute de tous les acteurs, notamment des bergers. Ensuite, nous essayons de favoriser toutes les mesures de prévention et de précaution. Nous militons ainsi pour que la plupart des bergers s'orientent vers des mesures de prévention et de protection. Mais cette exigence nécessite des moyens financiers extrêmement importants. Enfin, nous travaillons à améliorer encore le système d'indemnisations de manière à le rendre plus rapide. Peut-être faut-il aussi réfléchir à un système d'assurance qui couvre l'ensemble de la prédation, qu'elle résulte du loup ou du chien.

Sur le fond, je crois qu'il faut donner la priorité à l'homme. Tant que l'on peut maintenir l'équilibre, il faut le faire. Mais s'il venait à être mis en cause, si la présence du loup devenait trop importante, notamment dans des secteurs habités, il faudra sans doute réguler sa présence. Cela nécessitera une communication extrêmement intelligente, car on sent bien que le loup, même s'il pose des problèmes, est un peu un des éléments de l'identité de ce département.

Telle est l'analyse que je pouvais vous présenter après cinq mois de travail dans ce département.

Mme Mireille JOURGET : Que représente le pastoralisme dans les Hautes-Alpes ? On compte 374 unités d'alpage, qui couvrent 187 000 hectares, 15 000 bovins et 212 000 ovins qui montent en alpage chaque été. Le pastoralisme fait donc partie de la culture du département, et la population locale y est très attachée. Mais si cette activité est importante pour le département, elle reste néanmoins fragile, le revenu des éleveurs étant modeste.

La DDA est le service instructeur du dossier loup, à la fois pour le ministère de l'agriculture et le ministère de l'écologie et du développement durable.

Ce dossier suscite chez moi deux sentiments. D'abord, il faut faire preuve d'un grand pragmatisme. Car si les éleveurs sont souvent très désemparés, ils sont prêts à réagir et à accepter les mesures de prévention et nos conseils. S'ils ne le font pas nécessairement de gaîté de cœur, nous ne rencontrons pas d'oppositions de principe sur la mise en œuvre des mesures de prévention. Ensuite, on a réussi à faire travailler en réseau un bon nombre d'organismes. La DDA joue, certes, un rôle de coordination mais sans ce réseau d'organismes qui s'est mis en place au fil du temps, notre action serait moins efficace. Nous intervenons au niveau du réseau d'observation de la population de loups. Pour gérer une population, en effet, il faut d'abord la connaître. Donc, si la coordination technique est assurée par l'office national de la chasse, nous sommes chargés de l'organisation administrative de la mise en place de ce réseau. Dans le département, ce sont environ 50 personnes qui y participent, et qui travaillent pour l'office national de la chasse, le parc des Ecrins, le parc du Queyras, les gendarmes, et la chambre d'agriculture. Une cinquantaine d'observateurs examinent ainsi la validité des observations recueillies. Ce réseau se réunit régulièrement et fonctionne plutôt bien. Il a permis aux différents intervenants de se connaître et d'avoir envie de travailler ensemble.

J'en viens au constat des dommages. Comment fonctionne le dispositif ? Un numéro de téléphone a été mis en place à la DDA. Il fonctionne sept jours sur sept. Dans les quarante-huit heures après un appel, nous envoyons nos partenaires sur le terrain pour procéder au constat. Ces partenaires sont les agents du parc du Queyras, du parc des Ecrins, de l'ffice national de la chasse et la gendarmerie lorsque les prédations ont lieu dans la vallée de la Clarée. Le problème n'est donc pas porté par l'administration, mais par un ensemble d'établissements qui peuvent répondre au plus vite aux besoins des éleveurs. Beaucoup d'agents sont donc présents sur le terrain, et les réponses sont rapides.

Nous sommes en charge des dossiers d'indemnisation. Si le nombre d'attaques du département a augmenté, le chiffre moyen par attaque a baissé. Ce sont deux ou trois brebis qui sont tuées lors d'une attaque. Nous avons donc l'impression que les moyens de prévention sont efficaces. Nous sommes chargés d'instruire les dossiers d'indemnisation. En général, les éleveurs ne se plaignent pas de l'indemnisation, même s'ils regrettent la longueur des procédures et le fait que les dégâts indirects des prédations ne soient pas pris en compte. Nous intervenons enfin sur les mesures de prévention. Un technicien est chargé de ce problème à la DDA avec un technicien LIFE qui travaille également pour le département des Alpes-de-Haute-Provence. Ces deux personnes sont chargées d'apporter un appui technique aux éleveurs sur la mise en place des mesures de prévention. Le CERPAM nous aide beaucoup dans ce travail en réalisant des diagnostics pastoraux. Nous ne sommes donc pas seuls, et la collaboration du monde agricole est réelle, même si elle est non dite.

J'en viens aux mesures de prévention. Il me paraît indispensable de rester prêt des agriculteurs et d'être sur le terrain. Car en plus du stress causé par le loup, ils rencontrent des problèmes techniques. La mesure essentielle qui rencontre le plus de succès est l'aide-berger. Elle a été mise en place depuis 1999, et aujourd'hui, on compte 68 aide-bergers, financés à hauteur de 1,6 million de francs. C'est une mesure très importante, car l'aide-berger apporte à la fois une aide technique et psychologique. Comme elle impose cependant de transformer les cabanes, nous avons participé à des programmes d'amélioration pastorale, les communes nous ayant beaucoup aidés. Là aussi, il faut faire preuve de beaucoup de pragmatisme.

Depuis 1999, nous avons également permis aux éleveurs de disposer de 65 chiens patous, soit une mesure de 200 000 francs. Ils sont certes un peu décriés, mais le parc du Queyras a publié une étude qui montre que les problèmes ne sont pas si nombreux et qu'ils ne créent pas de difficultés aux touristes, moyennant une bonne information préalable.

La clé de voûte de la prévention est le gardiennage. Pour qu'un troupeau soit protégé, il faut qu'il soit gardé, par un berger, éventuellement un aide-berger, et des chiens. Pour le moment, le loup vit dans la haute montagne. S'il descend, les systèmes pastoraux devront évoluer. On s'interroge beaucoup, car une telle situation poserait aux éleveurs de grosses difficultés d'adaptation qui nécessiteraient peut-être une régulation.

Au total, le programme loup a été estimé en 2003 à 300 000 euros en fonctionnement qui servent à financer les aide-bergers, les chiens patous et toutes les mesures de prévention. Les indemnisations s'élèvent, quant à elles, à 180 000 euros, sans compter les programmes d'amélioration pastorale classiques qu'on met en place dans le département depuis plusieurs années. Mais finalement, le loup n'est qu'un sous ensemble d'un programme pastoral que l'on a conduit depuis plusieurs années avec les collectivités.

M. le Rapporteur : La commission ayant passé la journée d'hier dans les Alpes-de-Haute-Provence, nous pouvons comparer les exposés qui nous ont été présentés par les deux Préfets. Je viens d'un département où rien n'a été fait et où l'inquiétude des éleveurs est très forte. Le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a pu nous faire des propositions précises dont on tiendra compte. Les éleveurs ne sont pas du tout contents de la façon dont ils sont indemnisés, et il serait intéressant que la commission se demande pourquoi la situation est si différente dans les deux départements. Peut-être s'explique-t-elle par le fait que votre département ne compte que douze loups, alors que hier, on nous a dit qu'il était impossible de les compter. Ensuite, vous nous avez dit que les agriculteurs étaient contents des indemnisations et que les bergers étaient satisfaits. Nous avons pourtant auditionné à Paris le président de l'Association des bergers des Hautes-Alpes qui nous a tenu un langage tout à fait différent du vôtre. J'ai du mal à comprendre.

Vous nous avez également indiqué que les prédations étaient bien indemnisées. Je ne peux pas être de cet avis, car vous savez bien que lorsqu'un mouton a été tué, un autre a disparu. Or, les agriculteurs ne sont indemnisés que pour une bête, sans compter que les bêtes sont souvent pleines lorsqu'elles sont tuées et qu'elles avortent parce qu'elles sont stressées. Mais d'une façon générale, j'ai pu constater que vous aviez à déplorer beaucoup moins de dégâts que dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Vous nous avez parlé des parcs des Ecrins et du Queyras. Vous savez bien que le loup est leur fonds de commerce. Mais peut-être ont-ils fait un travail que n'a pas fait le parc du Mercantour. De même, en ce qui concerne les travaux d'équipements pastoraux, peut-être ont-il développé une politique beaucoup plus volontariste que la nôtre. Car hier, on nous a dit que nos cabanes étaient dans un état lamentable, que le système des aide-bergers ne fonctionnait pas, parce qu'il fallait faire cohabiter dans une même cabane l'aide-berger et le berger. Comment faites-vous d'ailleurs pour intervenir sur des cabanes privées ? Dans mon département, ce sont 36 % des cabanes de bergers qui sont privées, et leur propriétaire ne souhaite pas investir et engager des travaux très onéreux. Quant aux patous, ils ont été décriés, au motif qu'ils détruisent la faune des montagnes et qu'ils s'attaquent aux marmottes, aux chevreuils et même aux moutons car souvent, les paysans les nourrissent mal. Et il ne faut pas oublier qu'ils coûtent 2 000 francs d'entretien par an.

Cela dit, je ne peux que me réjouir du succès des mesures que vous avez mises en place. Il serait intéressant que vous vous rapprochiez de votre confrère des Alpes-de-Haute-Provence, car il nous tenu un discours complètement différent du vôtre. Et pourtant, les deux départements se touchent, ils ont les mêmes économies agricoles et les mêmes problèmes.

Mme Henriette MARTINEZ : Les efforts réalisés dans le parc du Queyras expliquent certainement le nombre moins élevé d'attaques et de pertes. Vous nous avez fait un exposé objectif, en prenant en compte à la fois les préoccupations des éleveurs et celles des écologistes et je vous remercie d'avoir préservé cet équilibre.

Vous avez parlé du problème de la descente du loup dans les vallées et de la nécessaire adaptation du pastoralisme. Pourquoi les loups descendent-ils ? Est-ce parce qu'ils n'ont pas suffisamment à manger dans les alpages ? Est-ce parce qu'ils se sont familiarisés avec la présence de l'homme ? Quelles mesures prendre s'ils descendent bel et bien ?

Par ailleurs, pouvez-vous évaluer le nombre de loups qui ont été tués, étant donné que nous savons bien qu'une régulation sauvage se fait et que tous les loups tués ne sont pas déclarés ?

M. Joël GIRAUD : L'économie agricole du département, je veux le rappeler, est bien différente de celle des Alpes-de-Haute-Provence. L'arrestation de l'éleveur qui avait tué un loup à la suite d'une prédation assez sauvage n'a pas déclenché les polémiques qui n'auraient pas manqué d'éclater dans des départements voisins, les organisations syndicales agricoles ayant mis un certain temps à émettre un avis sur ce dossier et à soutenir l'éleveur en question. Les passions semblent donc moins exacerbées dans les Hautes-Alpes. Pour y avoir vécu une campagne électorale, d'ailleurs, je n'ai rencontré qu'une personne qui déplorait l'absence de retour d'informations à l'occasion d'une prédation.

Quel est le rapport entre les prédations dues aux loups et celles dues à d'autres animaux ? Quelle est la chronologie de l'apparition du loup dans les massifs des Hautes-Alpes ? C'est une question importante, dans la mesure où l'on cherche à savoir comment le loup a réussi à s'implanter.

M. Jean LAUNAY : Je souhaiterais que l'on précise la définition du pastoralisme. J'ai cru comprendre que les pratiques n'étaient pas toujours les mêmes. Si les loups descendent des alpages, est-ce parce qu'ils sont de plus en plus nombreux ? Où commence la haute montagne ? A quelle altitude ? Les pratiques pastorales sont-elles les mêmes à toutes les altitudes et les massifs ?

Mme Mireille JOURGET : D'après moi, on trouve le loup dans des zones de transhumance. La notion de haute montage, pour moi, est une image. Des éleveurs y sont présents quatre ou cinq mois par an et subissent le stress des attaques de loups pendant cette période. Mais on compte ces éleveurs sur le doigt de la main, et l'aide qu'on leur apporte est presque de l'assistance individuelle.

Le premier loup a été tué aux Orres en 1996, et c'est à partir de cette date que nous avons été classés département à loups. Ensuite, le loup a manifesté sa présente dès 1997 dans le Queyras, puis dans la vallée de la Clarée. M. le préfet a parlé de douze loups. Il s'agit d'animaux dont on est sûrs qu'ils sont passés dans le département. Cela dit, ils se déplacent d'une frontière à l'autre, et l'on connaît très mal leur déplacement. Enfin, les attaques ont repris l'an dernier dans les Orres, mais nous n'avons aucune certitude sur l'identité des prédateurs.

Mme Henriette MARTINEZ : Avez-vous une idée du nombre de loups qui ont été tués ?

Mme Mireille JOURGET : Officiellement, il y en a trois, dont un dans les Orres et un autre dans le Queyras. On entend parler d'empoisonnements par anticoagulants mais ce ne sont que des rumeurs.

M. Joël GIRAUD : Il y beaucoup de non-dits, également. Un loup a ainsi été tué par un camion près d'Argentière, mais l'animal a disparu. De même, on a retrouvé un loup dans les eaux du barrage de la Maison du Roi. Il avait été légèrement lesté...

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous adresser une contribution écrite, M. le Préfet, en nous indiquant combien coûte un loup à la société ?

M. Patrick STRZODA : Bien sûr. Dans mon intervention, j'ai voulu rappeler l'action de l'administration et comment je ressentais le problème. Loin de moi l'idée que la situation est idyllique, et j'ai d'ailleurs employé les mots de traumatisme et de soutien psychologique pour les éleveurs. J'ai également mis en avant la fragilisation de la filière.

Pour autant, nous avons su faire preuve de pragmatisme et rester proches des personnes directement confrontées à ce problème. Nous faisons presque du « sur mesure », et c'est sans doute ce qui nous a permis de maintenir un équilibre très fragile.

Mme  Henriette MARTINEZ . Y a-t-il d'autres observations ...? Madame, Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Dominique GAUTHIER41, docteur vétérinaire,
directeur-adjoint du laboratoire vétérinaire des Hautes-Alpes

(Extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2003 tenue à Gap)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-présidente

M. Dominique Gauthier est introduit.

Mme la Présidente lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, M. Dominique Gauthier prête serment.

Mme Henriette MARTINEZ : Monsieur Gauthier, nous avons souhaité vous auditionner sur l'arrivée du loup dans les Hautes Alpes, car votre nom a été cité lors d'une audition de la commission qui s'est déroulée à Paris.

M. Joël GIRAUD : En effet, l'information qui nous a été donnée est relative à l'époque où vous étiez en poste en Savoie. Vous aviez alors informé les organisations agricoles du département de contacts que vous aviez eus avec vos collègues italiens. Ces derniers vous auraient indiqué en 1995 que le département devait s'attendre à une arrivée du loup venant d'Italie, sans doute par le col du Mont Cenis. Disposez-vous de documents ou de rapports des autorités italiens ou de vos homologues italiens ?

M. Dominique GAUTHIER : J'ai en effet dirigé le laboratoire vétérinaire de Savoie au cours des treize dernières années. Mon travail, qui concernait principalement l'agriculture et la santé publique, m'avait permis d'établir des collaborations avec les autorités italiennes sur les contextes d'élevage, notamment sur les interactions entre les activités humaines et la faune sauvage. C'est à l'occasion de ces travaux que j'ai appris en 1996 qu'une meute de loups s'était installée en Italie, dans le parc régional de Granbosco, installation attestée par des naissances qui avaient été suivies par des biologistes. Les Italiens ont alors immédiatement fait travailler plusieurs équipes scientifiques sur la question, les corps de l'administration environnement, chasse et pêche de Turin et des équipes universitaires. En recoupant les indices de présence, ces équipes ont pu montrer que les loups avaient probablement dû s'installer en 1995. Dès la connaissance de cette information, nous avons décidé avec les services d'Etat, notamment la DDAF, de la communiquer immédiatement aux corps d'Etat de la Savoie, ceux qui sont directement concernés par l'environnement, mais également la gendarmerie, la douane, mais également aux organisations agricoles et aux techniciens, de manière à anticiper le risque de franchissement de la frontière.

Mme Henriette MARTINEZ : En quelle année ?

M. Dominique GAUTHIER : Les premières séances d'information se sont déroulées en 1997. Les services départementaux de l'office national de la chasse qui avaient récolté des informations, des témoignages et des traces, ont pu faire remonter de probables incursions de loups dès 1995 sur le pourtour du Mont Cenis. En Haute-Maurienne, il faut attendre 1997 pour disposer de preuves irréfutables de la présence de loups, les expertises effectuées à la suite d'une attaque de troupeau sur une fécès ayant mis en évidence une empreinte génétique de loup. En faisant l'inventaire de tous les indices, le chef de la garderie de l'Office national de la chasse, Michel Lambrech, a alors indiqué que certaines observations faites sur le Mont-Cenis tendaient à prouver la présence du loup, dès 1995.

Mme Henriette MARTINEZ : D'après vous, le loup est donc arrivé à l'état sauvage.

M. Dominique GAUTHIER : A priori, oui. Car les travaux italiens que j'ai consultés sur l'historique de la présence du loup à travers notamment les épidémies ou les informations concernant les abattages survenus au XIXème siècle montrent que les colonisations actuelles du loup correspondent à celles du passé.

Mme Henriette MARTINEZ : L'occupation du loup est peut-être ancestrale, mais sa réapparition a quand même été une surprise !

M. Dominique GAUTHIER : Bien sûr, puisqu'il avait disparu pendant plus d'un demi siècle.

Mme Henriette MARTINEZ : Peut-on considérer qu'il avait vraiment disparu ?

M. Dominique GAUTHIER : Je ne suis pas un spécialiste de la biologie du loup, mais les travaux que j'ai consultés m'ont appris que le loup était un colonisateur de grande distance. Comme le bouquetin, sa colonisation est saltatoire et non en tâche d'huile, comme celle du chamois, du chevreuil ou du renard.

Mme Henriette MARTINEZ : Lorsqu'ils sont trop nombreux dans un endroit, peuvent-ils en coloniser un autre ?

M. Dominique GAUTHIER : Oui. L'organisation sociale d'une meute est très solide, et dès qu'un loup est en âge de procréer, il doit quitter la meute pour se reproduire.

Mme Henriette MARTINEZ : Il y a donc des zones de territoires à loups ?

M. Dominique GAUTHIER : Oui, ce sont des zones refuges avec un faciès de chasse approprié, comme pour le bouquetin. Ces deux animaux ont beaucoup de traits communs. Le bouquetin qui, lui aussi, a été exterminé au siècle dernier, réapparaît dans les territoires qu'il avait jadis colonisés.

M. Joël GIRAUD : Pourriez-vous nous communiquer les travaux dont vous avez fait état ?

M. Dominique GAUTHIER : Je vais essayer de les retrouver et de solliciter mes collègues italiens. Il s'agit des travaux de l'équipe de l'université de Turin et de travaux pilotées par Marco Apollonio de l'université de Pise.

Mme Henriette MARTINEZ : Y a-t-il d'autres observations ...? Je vous remercie.

Audition conjointe
de M. Pierre EYMEOUD, conseiller général d'Aiguilles,
président du parc naturel régional du Queyras,
de M. Jean-Yves ASTRUC, directeur du parc naturel régional du Queyras,
et de M. Yves FOUQUE, délégué au comité syndical du parc
sur la présence du loup et conseiller municipal de Ceillac

(Extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2003, tenue à Gap)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

Les témoins sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. Pierre EYMEOUD : J'interviendrai à un double titre, à la fois comme conseiller général du Queyras, donc élu au suffrage universel, et comme président du parc naturel régional du Queyras. Tout d'abord, je vous remercie de bien vouloir nous entendre, car contrairement à ce que l'on a pu dire, ce n'est pas parce que nous sommes un parc régional que les loups sont là, mais parce que nous sommes à la proximité de la frontière italienne. Les loups peuvent donc passer facilement de l'Italie à la France, ou de la France à l'Italie.

Pourquoi ce rappel ? Parce que j'ai été scandalisé de la façon dont ce dossier a été initialement traité, suite à un accord trouvé dans les cabinets du ministère de l'agriculture et du ministère de l'environnement, où cette fameuse circulaire loup instituait sur notre territoire deux zones où le loup avait un statut d'animal sacro-saint - le parc du Mercantour et le parc du Queyras - avec entre les deux, un corridor à loups. C'eut été la pire des choses, tout à la fois pour la politique de protection de la nature en France et le pastoralisme du Queyras. À l'heure qu'il est, si l'on avait laissé faire, il n'existerait probablement plus un seul alpage utilisé dans le cadre de cette activité vitale pour le devenir de nos montagnes, et j'avais dû à l'époque monter à Paris pour expliquer les choses. Nous avons été entendus et c'est tant mieux.

Ensuite, il a fallu être réactif. J'ai là encore été étonné - peut-être les médias n'ont-ils pas été sollicités comme il l'aurait fallu - par le fait que nous n'avons pas su expliquer aux gens, y compris aux petites gens, sans culture juridico-administrative, que la France était un Etat de droit et se devait de respecter ses engagements internationaux, en particulier la convention de Berne. Quelques explications auraient sans doute permis d'éviter que les passions s'enflamment.

Toujours est-il que nous sommes dans une logique où nous devons impérativement maintenir notre pastoralisme. En tant que parc régional, nous sommes devenus tout naturellement un terrain d'expérimentation où nous avons pris le dossier à bras le corps pour aider nos bergers et notre pastoralisme à perdurer. Car cette activité a une dimension essentielle, tant pour la biodiversité que pour le maintien de notre tissu économique et social. J'ai la faiblesse de penser que si nous n'avions rien fait, nous nous retrouverions dans un scénario où nous n'aurions plus d'alpages occupés dans les zones transfrontalières. Nous avons donc pu limiter les dégâts, et il vous reviendra d'apprécier scientifiquement et froidement le résultat de notre action.

Je voudrais également évoquer le problème de la chasse. Car là aussi, il faut faire très attention aux éventuels déséquilibres cynégétiques et ne pas réintroduire, à grand renfort d'argent public, une espèce comme le bouquetin qui peut être menacé par un prédateur qui prendrait sa place.

Je veux également rappeler que nous vivons du tourisme. Nous avons, dans ces zones de montagne, une image assez extraordinaire de la nature, et nous sommes quelque part les représentants emblématiques d'une espèce de culture rurale montagnarde authentique, les agriculteurs et les bergers renvoyant au mythe de la montagne et d'une nature idéalisée par les milieux urbains. Le pire serait de transformer ces éleveurs et ces bergers en tueurs de loups. Prenons donc garde de préserver cette image nationale qui fait partie aussi de notre tourisme.

Au total, les choses se passent plutôt bien dans le parc du Queyras, et il me paraît fondamental de ne pas perdre de vue que l'homme ne doit pas reculer face à l'arrivée de ce prédateur. L'Etat doit respecter ses engagements internationaux, et nous, trouver des mesures d'équilibre pour que tout un chacun s'y retrouve.

M. Jean-Yves ASTRUC : Mon travail dans le domaine de l'environnement m'a permis d'être confronté au problème de l'intégration des préoccupations environnementales dans le dispositif législatif français. En Côte d'Azur où j'ai exercé, le problème se traite de façon très concrète : comment régler les problèmes de stations d'épuration, d'urbanisme ou de gestion de l'eau ? Dans le Queyras, il s'agit de régler les problèmes de protection de la faune sauvage des grands prédateurs qui sont depuis quelques années déjà intégrés dans notre dispositif législatif.

Cette confrontation a été très simple et très concrète. Le jour de ma prise de fonction dans le parc du Queyras, en effet, 144 bêtes avaient déroché et étaient en train de pourrir depuis une quinzaine de jours sans que leurs propriétaires ou l'administration ne s'en occupent. Certes, les bêtes mortes étaient difficilement accessibles, mais la situation posait de graves problèmes pour la sécurité des touristes, puisque les bêtes pourrissaient à proximité de sources dans lesquelles les touristes s'approvisionnaient lors de leurs pérégrinations sur les sentiers de grande randonnée.

Très rapidement, j'ai eu le sentiment que ne pas régler collectivement le problème aurait des conséquences graves pour les habitants des parcs eux-mêmes, car dans cette problématique du loup, il ne faut pas l'oublier, tout le monde n'est pas berger. Il y a des commerçants, des hôteliers, et des intérêts divergents par rapport au loup. La situation était donc propice à mettre le feu aux poudres et à donner une image des habitants faite de rivalité et de guerre. Mais elle était également catastrophique pour le parc national régional qui a l'obligation de concilier écologie, économie et pastoralisme.

En discutant avec mon président, élu de terrain, nous nous sommes rendu compte que notre statut prévoyait un devoir d'expérimentation. Nous avons donc modestement expérimenté dans le domaine social, technique et environnemental. Tout n'est pas gagné, mais nous disposons maintenant d'éléments objectifs et « scientifiques » qui nous permettent, après quatre années d'expérience, de pouvoir communiquer des chiffres aux administrations et aux éleveurs.

Cette expérimentation, nous la conduisons au jour le jour, au plan territorial et inter-administration. Il s'agit d'une approche territoriale - c'est très important - qui se développe sur un territoire s'étendant sur 70 000 hectares et intégrant trois préoccupations : l'économie, avec l'élevage et le tourisme, l'écologie, avec un suivi scientifique du prédateur et de ses conséquences sur la faune sauvage, et enfin, une approche sociale. Cette dernière, la plus étonnante et atypique, consiste en un accompagnement très pointu du monde des bergers de manière à ce qu'ils soient convaincus qu'ils ne sont pas les seuls à supporter les effets des évolutions législatives.

Cette expérimentation nous conduit à des résultats de paix sociale. Tout n'est pas gagné, et l'équilibre peut être remis en question tous les jours. Mais les résultats sont encourageants, car ils sont le fruit d'une très grande responsabilité des habitants du département, tant au niveau des élus, des administrations, que des techniciens qui, sans passion et sans forfanterie, font leur travail de service public auprès d'une population qui, sans cette aide, aurait eu le sentiment d'être oubliée et isolée.

C'est sur cette vision de synthèse qu'on appelle « développement durable » que je terminerais mon exposé.

M. Yves FOUQUE : Je traiterai des mesures mises en oeuvre dans le parc du Queyras, souvent d'ailleurs bien avant l'arrivée du loup. Il s'agit d'abord de la reconstruction de cabanes pastorales, afin d'apporter plus de confort au berger, ensuite de l'achat de patous pour les éleveurs ou les bergers qui n'en avaient pas. Car avant le retour du loup, quatre bergers avaient déjà des patous pour se protéger du sanglier. Par contre, les éleveurs locaux n'en avaient pas, même s'ils avaient à déplorer quelques dégâts dûs au chien.

Autre mesure : la brigade pastorale, composée d'agents qui se déplacent à chevaux pour aider les bergers à transporter les filets et les parcs, mais également tout le matériel qui leur est nécessaire.

Mme Henriette MARTINEZ : Combien d'agents exercent-ils cette mission ?

M. Yves FOUQUE : Ils sont trois, dont deux emplois-jeunes et un salarié, qui sont supervisés par le directeur du parc.

Une des mesures les plus intéressantes est l'utilisation de radios. Pour permettre aux bergers de communiquer avec les agents du parc, nous avons acheté vingt-cinq radios et nous sommes dotés de deux relais sur des points très élevés, afin de pouvoir communiquer de vallée à vallée et de poste à poste. A l'origine, il s'agissait de relier les éleveurs au parc, mais très rapidement, le dispositif a permis d'établir un lien entre les éleveurs et n'a plus été uniquement utilisé pour cette mission d'alerte, à telle enseigne qu'il a permis de créer un lien social fort non seulement entre les éleveurs, mais aussi entre les éleveurs et le personnel du parc, alors qu'il existait une animosité forte entre ces deux groupes. Avec les radios, des relations de confiance se sont donc progressivement établies entre les agents du parc et les bergers. Ces derniers s'appellent pour s'entraider ou se donner des nouvelles, tant et si bien qu'ils ont souhaité se rencontrer. Nous avons donc mis en place un atelier pastoral, et en fin d'estive, nous organisons une réunion conviviale entre les gardes, les employés du parc et tous les bergers. Ces derniers ont même demandé à participer à un exposé sur la biologie du loup, et c'est dans le cadre de ces réunions que nous avons pu visionner le film sur le loup du Mercantour.

Quant aux aides-bergers, ils ont leurs avantages et leurs inconvénients. Mais lors des ateliers pastoraux, nous nous sommes aperçu que, bien souvent, l'aide-berger n'était autre que la compagne du berger. C'est une solution qui règle le problème de cohabitation dans les cabanes d'alpage.

M. le Rapporteur : Le travail réalisé dans le parc du Queyras est exemplaire et les résultats parlent d'eux-mêmes. Vous avez réussi à fédérer les énergies et à créer une bonne ambiance. Dans le Mercantour, par contre, ce n'est pas de l'animosité qui règne entre les bergers et les agents du parc : c'est de la haine. C'est une véritable chape de plomb, car non seulement il n'y a rien, notamment pas de relais radios, mais les bergers sont tenus dans l'ignorance la plus totale.

Quelles formations reçoivent les aides-bergers ? Ceux que nous avons déjà rencontrés ne sont pas très favorables aux aides bergers à cause de l'état des cabanes, notamment, et parce qu'ils ont l'impression qu'ils leur volent leur travail. Dans le Mercantour, les cultivateurs, bergers de père en fils, sont « anti-loups », alors que les bergers de métier qui sont passés par les écoles sont nettement « pro-loups » et pour les parcs.

Mme Henriette MARTINEZ : L'expérimentation que vous avez menée est très intéressante. Mais auriez-vous pu la mener sans le statut et les moyens du parc ? Avez-vous pu évaluer son coût réel pour le budget du parc, hors subvention et apport financier de l'Etat ?

M. Jean LAUNAY : A quelle date le parc du Queyras a-t-il été créé ? Quels enseignements tirez-vous de votre statut ? Comment apprécier la différence entre le statut national et régional d'un parc ? Un parc régional favorise-t-il plus facilement le lien social ?

M. Jean LASSALLE : Auriez-vous pu conduire le même travail avec le statut de parc national ? Auriez-vous pu susciter la même confiance et la même responsabilisation ?

M. Joël GIRAUD : Comment gérez-vous la cohabitation entre les patous et les touristes ? Quid des effets collatéraux de la récente traversée de Ristolas par une meute ?

M. Pierre EYMEOUD : Le statut de parc régional à la française nous est envié au plan international. La dérive, c'est effectivement la logique de confiscation du territoire par rapport aux populations qui y habitent. Personnellement, j'ai pris des risques politiques très importants en me présentant à la présidence du parc en tant que représentant de sa population locale, alors qu'on aurait pu imaginer une autre logique, avec un président qui n'aurait pas été originaire du Queyras. Mais il s'agissait de démontrer qu'un parc régional peut prendre en compte l'intérêt de ses habitants permanents, non seulement pour les générations futures, mais également pour les générations présentes. Notre objectif, d'ailleurs, vise à ce que les populations s'approprient cet outil remarquable qu'est le parc régional, dans lequel peuvent et doivent s'exercer des solidarités régionales, nationales, voire européennes. Nous sommes un des sept parcs régionaux français qui a pu contractualiser dans le cadre d'un contrat territorial de parc, et notre directeur veille au développement d'une écoute de la population et d'une logique de réponse les plus immédiates possibles par nos agents. Ces derniers sont imprégnés de cette culture de service à la population et font tout pour favoriser le dialogue, sans compter que je préside l'atelier du pastoralisme. Les bergers ne sont donc pas haineux envers le parc, bien au contraire, puisque ce sont eux qui ont demandé la mise an place de cet atelier. Tous ces résultats, j'en suis convaincu, auraient été plus difficiles à obtenir dans le cadre d'un parc national.

Vous comprendrez donc pourquoi j'ai été ulcéré par la publication de la circulaire scélérate dont les dispositions nous imposaient de faire tout l'inverse de ce qu'il fallait faire. Heureusement, les choses ont été remises à l'endroit, et nous avons pu avancer en devenant territoire d'expérimentation. Mais cette première circulaire dévastatrice aurait probablement fait tomber l'ensemble des parcs régionaux, comme un château de cartes.

Mme Henriette MARTINEZ : De quelle circulaire s'agit-il ?

M. Pierre EYMEOUD : De la circulaire loup publiée en 2001 qui instituait un corridor entre le parc national du Mercantour et le parc du Queyras.

M. Jean-Yves ASTRUC : Un parc national n'a pas les mêmes missions qu'un parc régional, puisqu'il a désormais vocation à être un sanctuaire pour la protection de la faune, donc à rendre des comptes en la matière. Un parc régional, par contre, doit tenir compte de la nature, mais aussi de l'activité économique des habitants d'un territoire. Donc, notre travail est bien évidemment facilité par notre statut, puisque nous avons été placés dans un cadre astucieux qui nous permet de défendre l'environnement comme l'activité économique du département. Cela dit, notre statut est une chose, l'esprit avec lequel on le met en application une autre, et nous avons la chance d'avoir des agents qui sont tout autant attachés à la nature qu'aux gens du pays.

Au demeurant, nos agents de terrain sont très bien formés, notre brigade équestre ayant reçu une formation très pointue de haute montagne mais aussi de naturaliste. Ils ont tous suivi un cursus en science de la vie et de la nature et sont à niveau BAC +2.

Enfin, j'indique à M. Giraud que le loup n'a pas traversé Ristolas. Il a certes été aperçu dans les environs, mais n'a pas traversé le village. La présence de l'homme a d'ailleurs tendance à le dissuader d'approcher les villages. Il n'a donc pas traversé le pont de Ristolas et n'est pas allé à l'Eglise !

M. Pierre EYMEOUD : La question des patous et du tourisme est essentielle. Qui doit payer ? Le pire serait qu'une décision nationale soit assumée par les acteurs locaux et les communes. Il est évident qu'il revient à l'Etat d'appliquer les textes qu'il édicte en donnant les moyens aux acteurs et notamment aux parcs régionaux de les appliquer, car ce n'est pas aux communes, aux éleveurs ou aux conseils généraux de proximité d'apporter des financements.

Les patous, c'est certain, coûtent relativement cher à la collectivité. Mais là encore, on a tout intérêt à sensibiliser les touristes, grâce à une information adaptée aux contraintes imposées par les loups aux montagnards et aux bergers. Il faut, certes, inviter nos visiteurs à respecter les petites fleurs et les animaux sauvages mais il faut leur apprendre à respecter avant tout l'homme et son travail, le pastoralisme et la gestion des pâturages avec ses contraintes. Les gens des villes avides de nos grands espaces montagnards doivent assimiler certaines règles et apprendre à ne jamais se placer entre un patou et un troupeau. Il faut les sensibiliser à ces problèmes.

M. Jean-Yves ASTRUC : Nous n'avons eu à déplorer aucune attaque de touristes. Par ailleurs, nous avons mis en place un dispositif de signalétique très concrète, négocié entre le parc et la Direction régionale de l'environnement. Tous les mots ont été pesés. Enfin, nos gardes sont chargés de distribuer des documents d'information aux touristes.

Quant à l'expérimentation, toutes nos opérations, qu'il s'agisse des radios, des émetteurs ou de la brigade pastorale, ont été financées à hauteur de 20 % par le parc et 80 % par l'Etat. C'est un pourcentage élevé, compte tenu de nos moyens.

Notre statut de parc régional nous a-t-il aidés à mener notre expérimentation ? C'est indiscutable puisque l'expérimentation fait partie de ses missions. Cela dit, un territoire de pays, une communauté de communes ou un espace territorial qui se fixeraient des objectifs de développement durable et qui bénéficieraient des mêmes concours financiers, pourraient, avec un peu d'intelligence, parvenir aux mêmes résultats.

Mme Henriette MARTINEZ : Avez-vous disposé de crédits supplémentaires du fait de votre statut ?

M. Jean-Yves ASTRUC : Absolument pas. Dans le cadre d'un contrat de montagne, une communauté de communes qui manifesterait une volonté de coordination pourrait se fixer des objectifs identiques aux nôtres.

Mme Henriette MARTINEZ : Il était important de le rappeler.

M. Yves FOUQUE : Les financements ne sont d'ailleurs pas forcément directement liés à la présence du loup. Les radios, par exemple, ont été financées par un fonds d'aide au développement rural.

M. Jean-Yves ASTRUC : Comme les cabanes pastorales, d'ailleurs.

M. Yves FOUQUE : S'agissant des panneaux installés sur les sentiers de randonnée pour sensibiliser les touristes aux patous, nous en sommes à la troisième mouture. Comme nos premiers panneaux faisaient peur aux touristes, nous nous sommes efforcés de faire évoluer le contenu du message et de donner une image plus positive de la présence des patous.

Par ailleurs, je veux insister sur l'aide psychologique que toutes nos mesures ont permis d'apporter aux bergers. Grâce aux radios, un berger qui se blesse peut appeler les secours immédiatement, et le jeune berger qui se retrouve pour la première fois confronté au loup, se sentir moins seul et moins stressé. Car la première rencontre avec le loup est particulièrement stressante, pour le berger comme pour le troupeau d'ailleurs. Mais avec l'habitude et la présence des patous, le stress du troupeau diminue.

Quant aux parcs, ils jouent un rôle de développement local dans une zone périphérique. Comme accompagnateur sur l'ensemble du massif alpin, j'ai pu me rendre compte que les parcs étaient plus ou moins sensibilisés et dynamiques à cette zone périphérique, le parc des Ecrins y étant beaucoup plus présent que celui du Mercantour, comme en témoigne la réhabilitation des cabanes pastorales.

M. Pierre EYMEOUD : A M. Giraud qui a fait état de la présence du loup à Ristolas, j'indique que nous venons de défendre avec succès notre dossier sur la réserve nationale de Ristolas, et que nous avons été mandatés pour préparer un dossier de mesures dans le cadre de l'expérimentation anticipée. Nous avançons en étant tous conscients que ce qui est vrai aujourd'hui ne le sera peut-être plus demain.

M. Jean-Yves ASTRUC : Notre comité scientifique travaille avec la commission scientifique des chasseurs, et un vétérinaire assure un suivi sur un éventuel retour de la rage, car dans l'histoire des relations de l'homme et du loup, l'essentiel de la psychose suscitée par le loup s'explique par les dégâts causés par les animaux enragés. Pour l'anecdote, nos équipes travaillent sur un produit dissuasif qui, pulvérisé sur les troupeaux ou dans certains endroits, permettrait d'éloigner les loups.

M. Jean LASSALLE : Comment imaginez-vous l'avenir ? Pensez-vous qu'une cohabitation est possible entre les hommes et les loups ?

M. Pierre EYMEOUD : C'est à vous d'y répondre, en prenant en compte nos propositions. L'expérimentation que l'on a mise en œuvre ne marche pas si mal, même s'il faut se prémunir d'un optimisme prématuré qui pourrait être remis en cause du jour au lendemain, par un carnage. Nous amenons une expérience sur la table. Est-elle généralisable ? C'est aux parlementaires d'y répondre, en n'oubliant ni les contraintes imposées par un pastoralisme extensif ni les équilibres cynégétiques à respecter. Mais nous faisons confiance à la sagesse de la commission.

M. Yves FOUQUE : L'été passé, deux zones ont plus spécialement été touchées par des attaques. Mais après analyse, on constate qu'elles ont concerné un troupeau qui pâturait sur un espace très grand, laissé en liberté et sans patou, et un troupeau mené par un berger sans expérience et qui ne connaissait pas son alpage. Ces deux exemples mettent en évidence l'importance des mesures de protection prises par les bergers.

Mme Henriette MARTINEZ : Le loup est donc très attentif à la faiblesse des systèmes de protection.

M. Jean-Yves ASTRUC : Lorsque j'ai débuté mon activité en Côte d'Azur, un des gros enjeux était la construction de stations d'épuration. Il a fallu des visionnaires pour les construire, tant les gens y étaient opposés au motif que l'investissement était trop important. Votre question, monsieur le député, relève de la même problématique. Nos mesures ont, certes, un coût pour la société mais après quatre années d'expérimentation, il y a autant d'éleveurs dans le Queyras, encore plus de moutons, des agents qui travaillent sur le dossier du loup, autant d'aides-bergers, un suivi scientifique exceptionnel et une solidarité renforcée. Lorsque l'intelligence est mise au service de l'environnement, on est gagnant. C'est un pari qui nous permet de monter d'un cran en matière d'exigence sociale et qui permet de mettre les énergies en mouvement. Sauf à avoir une catastrophe et que la rage se propage à l'occasion de trafics de bêtes, l'équilibre sera maintenu.

Mme Henriette MARTINEZ : Messieurs, je vous remercie.

Audition conjointe
de M. Michel SOMMIER, directeur du parc des Ecrins,
et de M. Hervé CORTOT, chef du service scientifique du parc

(Extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2003, tenue à Gap)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

MM. Michel Sommier et Hervé Cortot sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, MM. Michel Sommier et Hervé Cortot prêtent serment à tour de rôle.

M. Michel SOMMIER : J'exerce mes fonctions depuis bientôt deux ans, après avoir travaillé dans d'autres parcs naturels régionaux de l'arc alpin. M. Hervé Cortot est responsable du service scientifique du parc et à ce titre, coordonne les activités naturalistes, en particulier celles des équipes de terrain.

Le parc national des Ecrins, c'est d'abord le territoire « Ecrins », à cheval sur les Hautes-Alpes et l'Isère, donc sur les régions PACA et Rhône-Alpes. Comme tous les parcs nationaux, ce territoire a été organisé en deux zones distinctes, avec deux réglementations différentes. D'abord une zone centrale de 91 000 hectares où s'applique une réglementation assez forte dont nous sommes les garants et une zone périphérique, deux fois plus vaste, où la loi commune française s'applique et où l'établissement public du parc mène, en lien avec les collectivités et les socioprofessionnels, des actions d'appui au développement local.

Le parc est géré par un établissement public administratif de l'Etat, placé sous la tutelle du ministère en charge de l'environnement. Cette tutelle prend la forme de plusieurs orientations fortes, définies par la loi et par le décret de création du parc de 1973. Un conseil d'administration en assure la gestion en votant son budget et en jouant un rôle politique d'orientation et de déclinaison des principales dispositions du décret, l'équipe technique étant chargée de mettre en œuvre le programme d'action du parc.

J'en viens au loup, en observant d'abord qu'il est là et ensuite, qu'il s'agit d'une question autant nationale qu'internationale, la convention de Berne qui règle son statut ayant été ratifiée par la France. L'Etat est donc garant de ses engagements, le ministère de l'environnement jouant de fait un rôle important dans la gestion de cette espèce.

Ayant rappelé que l'établissement public du parc national est placé sous la tutelle de l'Etat, il est évident que nous avons un rôle à jouer, d'autant que nous avons une compétence et une connaissance d'un large territoire - 270 000 hectares sur deux départements - qui est potentiellement concerné par le loup. Enfin, nous avons une structure qui fait une large part à des équipes de terrain. En plus d'une équipe au siège, nous disposons d'une cinquantaine de gardes et techniciens de terrain, tous assermentés au titre de la loi de 1976 et placés, s'agissant du commissionnement, sous l'autorité des procureurs des deux départements. J'ajoute que le grand public, y compris les élus ou les acteurs socioprofessionnels, a tendance à confondre le parc et l'Etat. C'est un point qui n'est pas négligeable, surtout en termes de communication. En bref, nous avons une place légitime dans le dispositif loup. S'il s'agit d'un problème de la nation, c'est aussi un problème dans lequel le parc doit s'impliquer.

Nous avons deux raisons principales de nous sentir concernés par la question du loup. Premièrement, nous avons une mission de base importante en matière de conservation, de protection, de gestion des espaces et des espèces présentes sur le territoire. Il s'agit d'une approche cohérente, qui repose sur le même constat dressé par le parc régional du Queyras : à partir du moment où le loup est présent sur le territoire, nous ne pouvons pas nous en désintéresser et il est de notre responsabilité de participer à la gestion du problème. Deuxièmement, le parc a une politique très ancienne de coopération avec le milieu pastoral, les bergers et les organisations socioprofessionnelles agricoles. Il s'agit d'un très vieux partenariat, tout simplement parce que les alpages sont situés aussi bien en zone centrale qu'en zone périphérique et qu'ils ont pour nous une triple importance : d'abord économique ; ensuite de protection de la biodiversité, une bonne part de cette biodiversité étant due à l'action pastorale ; enfin culturelle, le pastoralisme faisant partie de notre patrimoine.

Ces deux raisons justifient la position de fond du parc qui est la recherche de l'équilibre. Cette politique a été retenue et actée par le précédent conseil d'administration, dès que le parc a été confronté au loup. Il s'agit d'une bonne politique mais elle sera difficile à mettre en œuvre dès lors que le phénomène évoluera.

Cette politique s'oriente sur plusieurs axes. D'abord un axe de formation à la connaissance de l'espèce et de sa biologie, mais aussi à la connaissance du pastoralisme pour que nos équipes gardent un lien très étroit avec le milieu pastoral. J'en profite pour vous indiquer que l'on enregistre une évolution dans les équipes de terrain des parcs nationaux, en particulier dans le nôtre, dans la mesure où nous sommes en train de vivre un changement de génération. De nombreux gardes recrutés en 1973, au moment de la création du parc, arriveront à la retraite dans les années qui viennent. Le renouvellement de génération se fait souvent par de jeunes gardes, tous issus d'un concours national, alors que les anciens étaient recrutés localement et contractuellement. Leur grande vertu, il y a trente ans, était d'être locaux. Désormais, par l'effet du concours national, beaucoup de jeunes gardes sont à l'image de la population française, majoritairement urbaine. Ils doivent donc acquérir une connaissance fine de l'agriculture de montagne et du pastoralisme. L'effort de formation est donc fondamental.

Le deuxième axe est la participation au dispositif de constat des dommages. Le troisième et dernier axe, enfin, est de travailler la force que nous donne notre présence de terrain grâce à ces 50 agents qui permettent de maintenir des contacts très étroits avec tous les acteurs locaux impliqués dans la gestion de cette question. On a parlé des bergers et des agriculteurs, mais les élus locaux sont aussi en première ligne. Notre présence sur le terrain est donc essentielle.

Quelles ont été les évolutions constatées ces dernières années ? En matière de formation, d'abord, nous avons fait un énorme effort pour la formation de nos agents de terrain, effort qui est monté encore en puissance en 2002 puisque j'ai décidé que l'ensemble de l'équipe de terrain devait avoir subi la formation de base sur le loup. Ce sont donc 27 agents supplémentaires qui ont suivi cette formation, organisée en interparc avec l'atelier technique des espaces naturels. Fin 2002, la quasi totalité des agents de terrain avaient reçu une formation de base leur permettant de faire face à l'urgence et d'être capables de mener une opération de constat et de présence auprès d'éventuelles victimes.

Ensuite, nous avons engagé un travail de reconnaissance de traces éventuelles, en coopération avec nos voisins du Queyras. Nous leur prêtons main forte pour quelques grands exercices de reconnaissance hivernale, de manière à jouer la solidarité entre territoires.

Quant aux constats de dommages, nous nous sommes de plus en plus impliqués en 2002. Historiquement, le parc intervenait avec ses équipes de terrain pour les constats de dommages en zone centrale, la zone périphérique relevant de l'office national de la chasse, de la gendarmerie ou de différents services. En 2002, l'ONC et la gendarmerie s'étant retirés du dispositif, nous avons décidé de jouer notre rôle de service public et d'assurer les constats en zone périphérique.

Enfin, en matière de communication, il s'agit de faire du parc un lieu de dialogue. C'est le rôle de la commission agricole placée auprès de notre conseil d'administration et présidée par un élu agricole. Cette commission, très vivante, a permis de faire du parc un lieu de débat et d'échange.

J'en viens à l'impact du phénomène loup sur notre territoire. Il n'y a pas de présence en zone centrale, à part quelques traces de passage. C'est plutôt la péripétie du territoire qui est concernée, l'essentiel des attaques ayant été constatées du côté isérois, dans la zone du massif de Taillefer. Cela dit, l'évolution des dégâts causés par le loup sur l'arc alpin nous fait redouter, dans l'hypothèse d'une expansion de l'espèce, d'être confrontés davantage au problème du loup. Nous nous y préparons, tout en sachant que certaines zones de périphérie pourront être plus fortement touchées dans l'avenir.

S'agissant de la communication, j'ai déjà indiqué que le loup était un problème du parc parce qu'il est un problème de la nation. Il s'agit d'une part d'éviter toute confusion entre le parc et l'Etat et entre le parc et le loup, d'autre part de se garder, dans un souci d'équilibre et de dialogue, de tout militantisme, dans un sens comme dans l'autre, en veillant à éviter toute position extrémiste.

En définitive, l'atout principal du parc, c'est la proximité. C'est tout l'enjeu de la question du loup. Notre grande force, ce sont notre cinquantaine d'agents de terrain et nos sept équipes réparties sur l'ensemble du territoire. Et le loup a sans doute été l'occasion pour nous de développer un partenariat plus fort avec les acteurs du pastoralisme et les collectivités locales. A cet égard, notre document de planification stratégique à l'horizon 2010 qui se discutera en 2003 avec les élus du conseil d'administration sera un axe fort où chacun pourra se retrouver.

En conclusion, les dégâts causés par le loup sont encore relativement modestes. Mais s'ils devaient devenir plus importants, il faudrait procéder à des arbitrages pour trouver un nouvel équilibre dans le plan de charge du parc.

Mme Henriette MARTINEZ : Combien de loups avez-vous dénombré ?

M. Hervé CORTOT : Les loups ne sont pas présents en permanence dans le parc national, et nous n'avons enregistré que quelques passages.

Mme Henriette MARTINEZ : Pouvez-vous quantifier ces passages ?

M. Michel SOMMIER : On ne peut quantifier que les dégâts provoqués par le loup.

M. Hervé CORTOT : Les indices de passages certains sont également quantifiables. Nous n'avons d'ailleurs pas relevé plus de dix contacts par an sur l'ensemble de 250 000 hectares, étant entendu qu'il peut s'agir d'un seul ou de plusieurs loups. La plus grande partie de ces contacts a été mise en évidence dans le nord du parc, sur le massif du Taillefer et le plateau d'Amparis. On pense au débordement des meutes de Belledonne où une petite population de loup est présente. D'autres contacts laissent penser qu'il y aurait un point de passage sur l'axe Durancien, dans la descente du Beal Traversier.

M. Michel SOMMIER : Le potentiel se situe plutôt aux marges du parc, dans des zones hors parc. Le risque est que ces meutes se déplacent en zone périphérique, voire en zone centrale.

M. le Rapporteur : Combien y a-t-il eu d'attaques en 2002 ?

M. Hervé CORTOT : Officiellement, neuf constats ont été réalisés, un seul sur le sud du massif, le reste au nord du parc. Le cœur du massif se prête mal à l'installation de meutes car il s'agit de zones de très hautes montagnes, avec des glaciers et des moraines. C'est loin d'être le biotope préféré du loup. Par contre, les potentialités sont beaucoup plus fortes dans les grands massifs forestiers de l'ouest du parc et les zones peu habitées du Dévoluy.

M. Michel SOMMIER : Oui, comme dans tout le reste de la France.

M. Hervé CORTOT : J'ai été agent de terrain du parc pendant vingt-cinq. Je connais bien le milieu rural, et la position d'équilibre qui caractérise le parc me paraît essentielle à conserver. Le compromis, le dialogue et l'échange permanents sont une bonne manière d'appréhender les problèmes. C'est pourquoi, en écho aux propos de M. Sommier qui faisait état du changement de génération, il me paraît essentiel que les futurs agents du parc acquièrent une culture rurale.

M. Michel SOMMIER : Le loup est un formidable révélateur des enjeux liés à l'évolution du recrutement des agents du parc et à l'approche rurale de l'établissement public.

M. Hervé CORTOT : Il faut tendre à une réelle solidarité entre les agents de terrain et la population locale.

M. Michel SOMMIER : Le loup est une occasion de faire face au défi de l'avenir du parc.

Mme Henriette MARTINEZ : Le travail de communication a-t-il contribué à faire évoluer les mentalités ?

M. Michel SOMMIER : Je ne le pense pas, car les mentalités sont fortement ancrées dans les mœurs. Notre travail permet plutôt aux gens de mieux accepter la situation. La présence sur le terrain est un élément essentiel de notre action et le volet psychologique est fondamental. A la suite d'une attaque, nous nous efforçons d'être présents immédiatement, avec le souci de comprendre les angoisses légitimes qui s'expriment. C'est essentiel, non seulement pour celui qui a vécu une attaque, mais également pour la légitimité du parc auprès des éleveurs. Dans ce sens, l'idée de découpler les constats des indemnisations pourrait constituer une piste de réflexion intéressante. Les constats et les preuves sont essentiels. Ils permettent le soutien psychologique indispensable après une attaque. Ils permettent aussi de connaître le comportement de l'espèce. Par contre, lier le constat à l'indemnisation fausse un peu les choses. Pourquoi ne pas réfléchir à une indemnisation qui serait déconnectée des attaques constatées et liée à une zone de présence avérée ? De la même manière qu'il existe une indemnité compensatoire de handicap naturel, pourquoi ne pas mettre au point un système qui connecterait l'indemnisation à une aire de présence avérée ? Un tel dispositif éviterait la confusion des genres, permettrait de financer la prévention en responsabilisant les éleveurs et les bergers.

M. Jean LASSALLE : Etes-vous originaire de la région et depuis combien de temps êtes-vous directeur du parc ? Vous insistez très fortement sur la notion d'équilibre. Avez-vous le sentiment qu'il s'agit d'un langage nouveau des parcs ? Est-ce un état d'esprit qu'ils n'avaient pas lors de leur création ? Les bergers ont-ils le sentiment d'être abandonnés et incompris ?

M. Jean LAUNAY : Sous quelle forme le pastoralisme est-il présent dans les zones de haute montagne du massif des Ecrins ? Y trouve-t-on des zones d'alpages et des zones d'estives ? Par ailleurs, vous avez peu parlé des rapports entre les éleveurs et le parc. Pourquoi ?

M. Michel SOMMIER : Parce que cette relation est évidente pour nous depuis la création du parc. On finance des héliportages en début d'été dans les alpages, lesquels sont très nombreux. Cette relation est très ancienne et très intense. Ce n'est d'ailleurs pas à l'occasion du loup que de nombreux investissements ont été mis en œuvre pour les équipements pastoraux, la rénovation des cabanes et les chemins d'accès.

Quant à mes origines, elles sont agricoles et bourguignonnes. J'ai effectué toute ma carrière dans le domaine de l'environnement, d'abord six ans comme directeur-adjoint du parc du Lubéron, puis, après avoir participé à une mission en Isère et à la mission de création du parc naturel régional du massif des Bauges que j'ai dirigé pendant cinq ans, j'exerce désormais mes fonctions de directeur du parc des Ecrins depuis deux ans.

Après douze années de travail dans les parcs nationaux, la recherche de l'équilibre est désormais dans mes gènes. D'ailleurs, tous les parcs dans lesquels j'ai exercé étaient animés par ce souci, celui des Ecrins étant probablement celui qui l'a poussé le plus loin. L'essentiel est de ne pas être arrogant et d'être à l'écoute. Le Premier ministre a chargé un de vos collègues parlementaires d'une mission de réflexion sur l'avenir des parcs. Le sujet dépasse largement le problème du loup, puisqu'il s'agit de savoir comment un établissement public de l'Etat, contraignant par nature, peut s'insérer au mieux dans un tissu local. Cette question est à relier à celle du sentiment d'abandon que vous évoquez, dans la mesure où les parcs nationaux font peser des contraintes qui pèsent sur des populations montagnardes, pour le bénéfice de l'ensemble de la population français. Encore une fois, tout est question d'équilibre à trouver, et c'est cette exigence qui doit guider les réflexions.

Mme Henriette MARTINEZ : Y a-t-il d'autres observations ...? Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Pierre-Yves MOTTE, Premier vice-président
de la Chambre d'agriculture des Hautes-Alpes.

(Extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2003, tenue à Gap)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

M. Pierre-Yves Motte est introduit.

Mme la Présidente lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, M. Pierre-Yves Motte prête serment.

M. Pierre-Yves MOTTE : Je veux d'abord excuser le président de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes, Paul Aubert, qui ne peut être présent aujourd'hui pour des raisons de santé. Je le remplace au pied levé et m'attacherai surtout à décrire un problème social plus qu'économique. Vous étiez hier chez nos voisins des Alpes-de-Haute-Provence, dont l'agriculture est très proche de la nôtre, et j'imagine que vous devez constater de nombreuses similitudes entre le discours des uns et des autres.

M. le Rapporteur : Pas exactement !

M. Pierre-Yves MOTTE : Quelles sont les conséquences du retour du loup ? Sans entrer dans des considérations trop générales, il me semble important de dire quelques mots sur l'agriculture très diverse des Alpes du Sud. Le sud du département se distingue par une importante production végétale, de type méditerranéen, avec des vergers, des cultures de céréales et de plantes aromatiques tout au long de la vallée du Buech et de la Durance. L'élevage, notamment ovin, y est également présent. Quant au reste du département, il est marqué par une forte emprise de l'élevage. Toutes les productions sont représentées, mais l'élevage ovin y est prépondérant, puisqu'il fait travailler la moitié de nos agriculteurs. L'élevage ovin est donc la caractéristique principale des Alpes du Sud.

Cet élevage, il faut le rappeler, est en voie d'extinction en France. Notre pays, si souvent décrié en matière de surproduction agricole, est déficitaire pour la production ovine, la France ne couvrant que 40 % de ses besoins. Pire, la production ne cesse de diminuer, puisque nous perdons 1 % de l'effectif du troupeau chaque année, 2 % en 2002. Pourquoi ? Principalement parce que le revenu des éleveurs est en chute libre, sans compter qu'ils ont, de toutes les productions agricoles, le revenu le plus faible. Et les crises qui ont touché ces dernières années le secteur de la viande, comme l'ESB (Encéphalopathie spongiforme bovine) qui, pourtant, n'a pas touché les ovins, a amplifié le recul.

Les chiffres ont cependant été moins négatifs dans les Hautes-Alpes. Pourquoi ? Peut-être parce que là plus qu'ailleurs, les éleveurs sont habitués à des revenus très faibles et ont accepté une fois de plus la baisse de leur revenu. Alors que le revenu moyen par actif agricole est de 21 480 euros, il est de 43 400 euros pour la région PACA et de 8 350 euros dans notre département, soit un revenu inférieur au SMIC. Nous avons su conserver dans nos montagnes des agriculteurs dont le revenu est de moins en moins rémunérateur, avec de surcroît une politique de montagne qui s'effrite. Il faudra trouver une solution.

Si l'élevage ovin est une production emblématique du département, il est extrêmement fragile, et c'est sans doute pourquoi l'arrivée du loup pose tant de problèmes aux éleveurs. Pourtant, c'est le pastoralisme, grâce à son système de production extensif qu'on entend prendre en exemple comme futur modèle agricole, qui a permis l'entretien et l'aménagement de l'espace. Aujourd'hui, ce système est mis à mal par l'arrivée et la présence du loup.

Mais d'abord, quelles sont les conséquences de la présence du loup ? Je ne dresserai pas la liste macabre des attaques et ne décrirai pas le choc que peut subir le berger lorsqu'il découvre les cadavres de ses brebis. En soi, ce n'est pas un préjudice économique direct, étant donné que les pertes sont compensées, pas toujours à hauteur des espérances. Mais une attaque de loup, il faut la comparer à un cambriolage ou à un feu de maison. L'assurance est là pour rembourser, certes, mais comment réagira la personne dont la maison vient d'être ravagée par un incendie ou cambriolée de fond en comble ? L'éleveur qui retrouve ses brebis égorgées n'est-il pas touché dans sa chair ? Sans compter qu'il doit subir les attaques de loups au jour le jour. Les gens des villes qui viennent passer leurs vacances dans nos montagnes voient surtout des paysages merveilleux, mais derrière le décor, ils ne savent rien de la vie de l'éleveur qui subit jour après jour la crainte d'une attaque. Accepteraient-ils qu'on cambriole leur maison régulièrement ?

Certes, les moyens de prévention existent lorsqu'il s'agit de prévenir un cambriolage. Lors du premier cambriolage, votre assureur vous indemnise, mais au troisième, il vous demande d'installer une alarme et de mettre des barreaux aux fenêtres. A l'éleveur, on demandera de mettre des parcs de contention et d'acheter des patous, renforçant ainsi toujours plus le sentiment d'insécurité.

Mme Henriette MARTINEZ : Les éleveurs rechignent-ils à mettre en œuvre les mesures de prévention ? D'après vous, ces mesures sont-elles efficaces ?

M. Pierre-Yves MOTTE : L'efficacité des mesures est reconnue, mais elles ne peuvent s'appliquer à l'ensemble des zones pastorales et des systèmes pastoraux. Les mettre en place dans un secteur permettra de protéger les troupeaux de l'alpage en question, mais les attaques se déplaceront vers le troupeau de l'alpage voisin. Dès que les éleveurs du Queyras ont réussi à se préserver du loup, celui-ci a aussitôt attaqué dans la vallée voisine. N'oubliez pas également que le loup est capable de s'habituer aux systèmes de prévention. On connaît son intelligence, et sa capacité à s'adapter le rend capable de ruser encore plus que l'imagination dont l'homme peut faire preuve pour préserver les troupeaux.

Par ailleurs, le système pastoral a évolué vers un système relativement extensif. Certains secteurs sont maintenant bien gardés et bien encadrés par les bergers qui ont pu mettre en œuvre des mesures de protection. Par contre, d'autres secteurs des Alpes du Sud ont la particularité d'être clos naturellement par des barres rocheuses et n'ont pas besoin d'être gardés. On y trouve de toutes petites unités pastorales pour lesquelles il n'y a pas de rentabilité à investir dans des mesures de protection et de gardiennage. Cela dit, ces pâturages tendent à disparaître. Pour l'agriculture, ce n'est pas un problème en soi. Mais très rapidement, l'embroussaillement va gagner, et la haute montagne se fermer de la zone vivante des basses vallées. Cette zone tampon de haute montagne se prête au pâturage de petits troupeaux, de 400 brebis tout au plus. Mais payer un berger, y mettre des patous ou des parcs de contention serait un non sens économique.

Mme Henriette MARTINEZ : Au-delà du problème des petits éleveurs, vous semble-t-il que les moyens de prévention ont porté leurs fruits ? Les troupeaux sont-ils moins attaqués ? Quelle vision portez-vous sur la poursuite du programme « LIFE » ?

M. Pierre-Yves MOTTE : Le développement des moyens de protection, en effet, a permis aux gens qui les ont mis en place, de préserver en partie leur troupeau. Cela dit, il y a toujours des attaques et les éleveurs subissent toujours des dommages. Mais là encore, les moyens sont tellement faibles au regard des besoins, qu'on n'arrivera pas à développer suffisamment les systèmes de protection pour protéger l'ensemble des troupeaux venant pâturer sur les alpages. Il ne faut pas non plus oublier que notre département accueille beaucoup de transhumants dont les troupeaux relativement importants se prêtent mal à la mise en place de moyens de protection. Mais ces transhumants sont présents dans nos vallées du 15 juin au 15 septembre. Le reste du temps, ce sont les agriculteurs locaux qui font pâturer sur place. Or les moyens de protection s'en vont avec les transhumants qui partent avec leurs patous et leurs aides-bergers. Les éleveurs du département se retrouvent alors avec les loups et la contrainte de surveiller les troupeaux.

Mme Henriette MARTINEZ : Un dialogue s'est-il instauré entre les pouvoirs publics et les éleveurs ?

M. Pierre-Yves MOTTE : A mon sens, il y a eu beaucoup trop de débats passionnés sur le loup, y compris de la part des éleveurs et des agriculteurs qui, dans un premier temps, ont rejeté le loup et n'ont pas voulu entendre parler des mesures de prévention proposées par les pouvoirs publics. Mais petit à petit, après réflexion et les attaques devenant de plus en plus évidentes, les agriculteurs ont accepté de parer au plus pressé, remettant à plus tard la question de fond de la présence du loup. Quant aux lobbies écologistes, ils tiennent le discours inverse, mais tout aussi passionné. Ils veulent du loup à tout prix, sans réfléchir à la remise en cause de l'écosystème que la présence du loup implique.

Les difficultés rencontrées pour se mettre autour d'une table et discuter trouvent leur origine dans le caractère passionné du débat. Mais certains responsables et gens de bonne foi ont malgré tout su préserver un débat, je pense en particulier à la commission agricole du parc national des Ecrins que je préside et au parc des Ecrins qui a su dialoguer avec les agriculteurs locaux et dépassionner le débat, même s'il existe toujours une opposition entre environnementalistes et agriculteurs et que l'on n'est pas arrivé à grand-chose s'agissant des mesures de protection.

Mme Henriette MARTINEZ : Les mentalités ont-elles évolué ?

M. Pierre-Yves MOTTE : Le revenu des éleveurs est devenu tellement faible que l'avenir n'est pas envisagé avec sérénité. Avec une présence de plus en plus affirmée du loup, les jeunes agriculteurs auront de plus en plus de mal à s'installer.

M. le Rapporteur : Depuis le début de nos auditions, on nous dit que le loup a ajouté des difficultés supplémentaires à une agriculture de montagne, elle-même en grande difficulté. Dans un système plus prospère, on peut penser que le loup vous toucherait moins. Cela dit, comment expliquer qu'un monde vous sépare de vos collègues des Alpes-de-Haute-Provence ? Les choses, me semble-t-il, se passent mieux chez vous. Pourquoi ? Le réseau mis en place par la DDA pour la gestion des attaques fonctionne-t-il bien ? Avez-vous des propositions pour améliorer encore le système ?

M. Joël GIRAUD : Le barrage de la prédation ne pourrait-il pas être levé grâce au sentiment de solidarité que permettent de créer les réseaux fédérés par un parc régional ou national, une communauté de communes ou un autre système ? L'expérience du Queyras est à cet égard un bon exemple.

Faut-il mettre en place un système d'ICHN (Indemnité compensatoire de handicaps naturels) propre aux zones à loups que sont ces zones intermédiaires où les agriculteurs sont en grande difficulté ?

M. Pierre-Yves MOTTE : Je veux tout de suite vous enlever de l'esprit l'idée que tout se passe bien dans le département et que les agriculteurs vivent bien la cohabitation avec le loup. De par mes responsabilités, je me dois d'être modéré, mais les témoignages d'éleveurs que je vous remettrai le sont beaucoup moins.

On pâtit énormément du manque de transparence. Il s'agit d'un dossier fait de non dits perpétuels, alors que la commission d'évaluation des dégâts mise en place par l'ancien Préfet des Hautes Alpes avait garanti aux organisations professionnelles une bonne information. Et nous ne disposerons du bilan des attaques de l'année 2002 établi par la DDA que le 5 février prochain. Cette situation concourt à laisser planer le doute sur la présence du loup. Quant aux techniciens de l'ONC, aux parcs régionaux ou nationaux, ils ne nous donnent pas d'informations, alors qu'ils pourraient informer ou confirmer la présence du loup dans certains secteurs. Les bergers en ont gros sur le cœur lorsqu'on met en doute systématiquement leur témoignage, alors qu'ils vivent 24 heures sur 24 dans les alpages. Seul un garde de l'ONC officiellement mandaté, je vous le rappelle, peut constater la présence du loup. L'éleveur qui a vu un loup, lui, on ne le croit pas ! Tout ce manque de transparence ne favorisera pas l'ambiance de travail.

S'agissant du système d'indemnisation, pourquoi vouloir élaborer une ICHN propre au loup alors qu'il s'agit d'abord de faire fonctionner celle mise en place pour les zones de montagne ? N'allons pas imaginer un nouveau dispositif qui nécessiterait un nouveau zonage forcément évolutif puisque le loup se déplace d'une zone à l'autre. Comment d'ailleurs y intégrer les transhumants ? Les agriculteurs de la plaine de la Cros recevraient-ils l'ICHN au motif que leur troupeau qui transhume dans les Queyras aurait subi des attaques ? Le système d'indemnisation existant n'est pas si mauvais en soi, même s'il n'est pas parfait et doit être amélioré. Ne mettons pas en place un nouveau système de compensations qui exigerait des remises à niveau régulières. Bref, je crois qu'il faut faire simple, et rester simple avec des gens simples.

M. Joël GIRAUD : Comment le système d'indemnisation pourrait-il mieux fonctionner ?

M. Pierre-Yves MOTTE : Avec des constats plus rapides et en reconnaissant, une bonne fois pour toutes, qu'une bête mordue a bel et bien été mordue.

Mme Henriette MARTINEZ : Y a-t-il d'autres observations ...? M. Motte, je vous remercie

Audition conjointe de
Mme Christiane PREPOSIET, responsable de la Société alpine
de protection de la pâture, et de M. Bernard GOLTSCHALK, responsable de l'Association française
pour la réhabilitation et la défense du loup.

(Extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2003, tenue à Gap)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-présidente.

Mme Christiane Préposiet et M.Bernard Goltschalk sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, Mme Christiane Préposiet et M. Bernard Goltschalk prêtent serment à tour de rôle.

Mme Christiane PREPOSIET : Je ne tiens pas à m'étendre sur le retour du loup -M. Goltschalk vous en parlera - car je considère que tous les résultats des scientifiques français ou étrangers apportent la preuve que le loup est arrivé sur le territoire français de manière naturelle.

M. Bernard GOLTSCHALK : Voilà maintenant vingt-cinq ans que je m'occupe du loup et que je fréquente les scientifiques. Pour moi, et comme le montrent d'ailleurs les travaux de MM. Boitani, Mech et Zimen, le loup est revenu en France d'une façon tout à fait naturelle que j'appelle la colonisation naturelle des espaces de l'arc alpin. Je peux d'ailleurs vous soumettre plusieurs études, puisqu'il semble que le but de votre enquête parlementaire, si j'ai bien lu les écrits de M. Estrosi, vise surtout à prouver que le loup a été réintroduit volontairement sur le territoire.

Mme  Henriette MARTINEZ : S'il s'agissait d'une affirmation, la commission d'enquête ne vous entendrait pas !

M. Bernard GOLTSCHALK : D'après l'article « Les animaux fuient l'ex-Yougoslavie » d'un professeur reconnu, « La guerre qui frappe l'ex-Yougoslavie a eu une conséquence inattendue. Des ours, des loups, des lynx et des élans fuient le conflit pour se réfugier dans les pays voisins d'Europe de l'Ouest. Du coup, les spécialistes ont été contraints de mettre sur pied une force de réaction rapide pour gérer cette migration. Ces animaux sauvages ont été retrouvés en Autriche, en Suisse, en Italie, en Allemagne et même dans les pays scandinaves. C'est ce qu'a précisé le directeur de l'institut universitaire viennois pour la biologie animale et l'économie de la chasse, Hartmut Gossow. Nous devons penser que les espèces animales vont continuer à émigrer de plus en plus dans les régions civilisées. La force de réaction rapide version animalière concerne plus particulièrement les ours. Il s'agirait notamment de les attraper s'ils sont dans des régions peu favorables pour les installer dans des parcs adaptés. Hartmut Gossow a également constaté que l'arrivé des loups et des ours a été bien accueillie par les humains qui retrouvent là des animaux légendaires. En revanche, cette réintroduction forcée du lynx est contestée notamment par les agriculteurs et les éleveurs ».

Les meutes fuyant le théâtre des opérations en ex-Yougoslavie ont alors dérangé celles de Ligurie, entraînant les loups des Apennins à franchir la frontière française, comme l'avait d'ailleurs annoncé dès 1985 M. Botinani dans son livre « Dalla parte del loupo », ouvrage dans lequel il rappelait que les loups se rapprochaient de 10 kilomètres par an de la frontière française.

Il m'arrive par ailleurs de lire de temps à autre « La Vie Agricole ». Dans son édition du 7 novembre 1996, ce journal reproduit une fiche tirée de la série « L'Univers fascinant des animaux », accompagnée d'une photo d'un homme qui porte sur son dos un loup muselé, accompagné de la légende suivante : « Un loup endormi est transporté à dos d'homme pour être relâché dans la nature », cette légende étant complétée par le commentaire suivant : « Cette fiche témoigne néanmoins des efforts consentis pour assurer le développement du loup européen. Elle peut également expliquer pourquoi Canis lupus est quelquefois capable de parcourir de très grandes distances sans laisser aucune trace de son passage. Bref, elle apporte sa contribution au débat sur l'origine du loup arrivé en novembre 1992 dans les Alpes-Maritimes. »

Cette photo est une grosse mascarade. A la lecture de cet article, bon nombre ont été ceux qui ont cru reconnaître un garde-moniteur du parc du Mercantour. Accusé d'avoir transporté le loup en question, il a longtemps subi harcèlements et injures. J'ai dû apporter la preuve de la désinformation en montrant que la photo représentait, en réalité, le biologiste Eric Zimen qui, dans le cadre de ses recherches, capturait des loups dans le parc des Abruzzes pour leur mettre des colliers émetteurs afin d'étudier le processus d'essaimage du loup. Voilà à quoi conduit la publication d'une photo.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous tordez donc le cou à la légende selon laquelle les loups auraient été transportés dans des cages. Pour vous, ils sont arrivés par leurs propres moyens et par les couloirs naturels, via l'Italie.

M. Bernard GOLTSCHALK : Bien sûr !

Autre mascarade : l'affaire du berger attaqué près d'Isola 2000 par une louve accompagnée de son louveteau, reprise par toutes les chaînes de télévision, dans tous les journaux et les grands quotidiens. J'avais pourtant pris le soin d'indiquer dans le « Dauphiné Libéré » que le loup ne pouvait attaquer l'homme que lorsque l'animal avait la rage, et qu'il ne s'attaque qu'aux parties visibles, contrairement au chien. Certains éthologues ont cependant affirmé que ce berger pouvait avoir été attaqué par le loup. L'affaire est passée devant le tribunal de Nice, mais le Procureur l'a jugée non recevable, le berger s'étant empêtré dans ses déclarations et étant resté trois jours sans se faire soigner. Quant aux recherches ADN, elles n'ont mis en évidence que la présence de poils de chat sur la veste du berger. « Nice Matin » a bien annoncé le classement de l'affaire. Mais pourquoi les grands quotidiens et les médias n'ont-ils pas relayé cette annonce ? Pourquoi l'agence AFP est-elle restée muette ? Pourquoi y a-t-il deux poids deux mesures dans la diffusion des informations ? Seul le « Dauphiné Libéré », à ma demande, a publié l'information, et je tiens à votre disposition tous les documents.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous vous battez donc pour la réhabilitation et la défense du loup.

M. Bernard GOLTSCHALK : Je travaille avec l'association «France, Nature et Environnement», et notre association participe, au même titre que celle de Mme Préposiet, à la défense du pastoralisme. Je veux que les bergers restent dans les alpages et qu'ils occupent leur territoire.

Mme Henriette MARTINEZ : Comment envisagez-vous les conditions du pastoralisme dans les montagnes et la cohabitation des bergers et du loup ?

Mme Christiane PREPOSIET : M. Ollier, dans sa résolution, rappelle que toutes les mesures de prévention des troupeaux ont été inutiles et très coûteuses. Or, dans le département des Hautes Alpes, il est reconnu que les mesures de prévention ont porté leurs fruits, et que les éleveurs qui avaient des chiens patous et des aides-bergers - nous avons d'ailleurs participé au paiement d'un aide-berger pendant deux années consécutives - n'ont plus eu de problèmes. Dans le Mercantour, les éleveurs qui ont des problèmes sont ceux qui ne veulent pas de mesures de prévention.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous pensez donc que les mesures de prévention ont été positives.

Mme Christiane PREPOSIET : Oui !

Mme Henriette MARTINEZ : Pensez-vous qu'il faut les amplifier ?

Mme Christiane PREPOSIET : Oui ! Il faudrait aussi que les éleveurs qui refusent systématiquement de les mettre en place ne bénéficient plus de subventions.

Mme Henriette MARTINEZ : Il y a de petits éleveurs avec de petits troupeaux qui n'ont pas les moyens de se payer des chiens. Le coût des mesures de prévention, disent-ils, diminuerait leur revenu déjà faible.

M. Bernard GOLTSCHALK :, Il faut aider ces petits éleveurs au maximum, car ils rencontrent plus de difficultés que les autres. J'ai rendu visite à un berger de l'alpage de Salens Malrif à qui nous avons payé un aide-berger pour l'aider à s'occuper de son troupeau de 2 700 moutons. Ce que j'ai bien du mal à comprendre, c'est que les bergers touchent un salaire dérisoire alors qu'ils travaillent bien plus de 35 heures par semaine. En l'occurrence, le berger que j'ai rencontré a des patous et se dit très satisfait de son aide-berger, alors que ceux qui sont subventionnés par le Groupe Loup France sont inefficaces car, comme ils ne connaissent pas le métier, ils sont une charge supplémentaire pour le berger. Le métier de berger, ce n'est pas n'importe quoi ! C'est un travail noble qui mérite le respect. Lorsque nous sommes allés à l'alpage de Salens Malrif, le berger avait perdu cinquante-neuf brebis en 1998. L'année d'après, grâce à l'aide-berger qu'on lui a payé - 13 000 francs, de façon à revaloriser le métier - il n'a eu qu'une brebis tuée par le chien d'un touriste. Nous avons reconduit notre financement pour qu'il puisse continuer à travailler avec son aide-berger, et depuis, il n'y a plus d'attaques. Mais à col Vieux, par contre, la DDA avec qui j'ai de bonnes relations, m'a adressé le détail des attaques, et j'ai pu m'apercevoir que 40 brebis avaient été tuées dans cet alpage, pour 151 brebis tuées dans le territoire. Pourquoi ? Parce que le berger n'était pas motivé et ne s'occupait pas de son troupeau. Cela dit, 151 brebis pour 73 constats, ce n'est pas grand-chose comparé au Mercantour où les espaces sont plus réduits, les brebis moins nombreuses, mais la prévention pas appliquée et les moutons mal gardés, comme en témoignent ces 403 bêtes qui ont sauté dans un précipice.

Mme Henriette MARTINEZ : Si l'on pousse votre raisonnement jusqu'au bout et en imaginant que tous les agriculteurs, les éleveurs et les bergers protègent leurs troupeaux au maximum, que deviendront les loups ? Que mangeront-ils ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Vous oubliez la faune sauvage ! Le loup mange du chevreuil.

Mme Henriette MARTINEZ : L'équilibre de la faune sauvage ne risque-il pas d'être perturbé ? Certaines espèces ne risquent-elles pas de disparaître ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Tous les comptages prouvent le contraire, sauf pour le mouflon. Mais il est vrai qu'il s'agit d'un animal qui n'est pas adapté à nos régions et qui, lui, a été réintroduit dans les années 1960.

Mme Henriette MARTINEZ : Si les troupeaux sont gardés dans les meilleures conditions possibles, les loups retourneront-ils dans les forêts ?

M. Bernard GOLTSCHALK : On aurait à déplorer moins de prédations sur les ovins, c'est certain. La diminution des chevreuils se ferait peut-être un peu sentir, mais il y a aussi des chamois. Le loup mange de tout, également des marmottes.

Mme Christiane PREPOSIET : Nous avons demandé aux chasseurs de revoir à la baisse leur plan de chasse.

Mme Henriette MARTINEZ : Et les chiens patous ? Ne déséquilibrent-ils pas l'équilibre écologique de la région ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Si le berger est compétent et qu'il tient le patou, non. Mais s'il le laisse attraper les marmottes et suivre les promeneurs, pourquoi pas. En 1995, à la demande des DDA, une enquête a été lancée dans 140 communes pour demander aux éleveurs de donner un récapitulatif des attaques des chiens. Seulement 20 % de réponses sont arrivées à la DDA. Pourquoi ? Parce qu'il est difficile d'accuser le chien du voisin...

Mme Christiane PREPOSIET : Je me souviens d'une réunion en préfecture où le préfet nous avait dit avoir réalisé pour son compte une étude sur les chiens errants et le nombre d'attaques avant le retour du loup. L'étude avait conclu, très logiquement, que les bêtes disparaissaient dans les alpages bien avant le retour du loup. Il avait même ajouté que les éleveurs devaient être bien contents du retour du loup.

M. Bernard GOLTSCHALK : Il faudrait que tous les chiens des communes pastorales soient tatoués par les services vétérinaires. Ils seraient alors facilement identifiables.

M. le Rapporteur : Avez-vous évalué ce que coûte un loup à la collectivité ? Je voudrais également vous faire réagir à la lettre qu'un éleveur ovin m'a adressée et dans laquelle il m'indique qu'à la suite d'une attaque causant la mort de 21 brebis, tous les indices mettant en évidence qu'il s'agissait bien d'une attaque de loup n'apparaissaient dans aucun document, comme si l'on voulait à tout prix montrer que le loup n'était pas en cause. Il parle également de la douleur sentimentale importante, du temps perdu, des séances de psychothérapie que son fils a dû suivre, et enfin d'un divorce. Il a certes des chiens patous, mais ils effraient les touristes, à tel enseigne qu'il a fait l'objet d'une plainte et qu'il a dû s'acquitter d'une somme de 3 000 francs. Enfin, il a constaté la destruction totale de tout le petit gibier des montagnes, des marmottes et des lièvres. Des témoignages de cette nature, nous en avons des dizaines. Qu'en pensez-vous ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Je comprends très bien sa détresse. Mais pourquoi ne rencontre-t-on pas de telle situation dans les Hautes-Alpes ?

M le Rapporteur : C'est justement un éleveur des Hautes-Alpes, et plusieurs témoignages signés semblables m'ont été remis tout à l'heure.

M. Bernard GOLTSCHALK : Des enquêtes plus poussées seraient probablement nécessaires. Il ne faut pas tomber dans l'excès inverse. Le loup apporte beaucoup de traumatisme aux éleveurs, j'en suis parfaitement conscient. Mais en mettant en œuvre des conditions de garde maximum, je suis sûr que de telles situations chuteraient.

Mme Henriette MARTINEZ : Pensez-vous que le loup est compatible avec le pastoralisme ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Oui, à condition de mettre en œuvre une prévention efficace. Et je suis pour que les bergers soient aidés au maximum.

M.  le Rapporteur : Qui va payer ?

M. Bernard GOLTSCHALK : L'ensemble des indemnisations coûte deux euros au contribuable par an.

Mme Henriette MARTINEZ : Et les mesures de prévention, qui les paiera ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Les éleveurs se plaignent que les patous leur coûtent cher. Mais avec une sélection bien faite, ils pourraient s'échanger les chiens à la naissance et cela ne leur coûterait rien. En Yougoslavie, vous pouvez faire l'acquisition d'un charplanina contre un pull-over.

Mme Henriette MARTINEZ : A combien estimez-vous la population des loups ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Il y a une meute de cinq à huit loups au-dessus de Ristolas qui, d'ailleurs, a traversé le pont de Ristolas.

Mme Henriette MARTINEZ : On vient de nous dire le contraire dans une audition précédente.

M. Bernard GOLTSCHALK : Moi, j'ai entendu le contraire. Par ailleurs, il y a deux ou trois loups dans le Béal Traversier. Au total, on compte donc une dizaine de loups. Il est possible qu'il y ait des loups dans la vallée de la Clarée, mais ce sont des loups transfrontaliers.

Mme Henriette MARTINEZ : Et aux Orres ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Je me suis moi-même occupé de la louve tuée aux Orres et j'ai participé à l'expertise. Elle n'était d'ailleurs pas seule, car à l'occasion d'une conférence que j'ai donnée dans une école des Orres Le Helezet, les enfants m'ont dit qu'un mâle avait également été tué et que son cadavre avait été jeté dans un pierrier.

Mme Henriette MARTINEZ : Il n'y a donc plus de loups dans les Orres ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Il est possible qu'il y en ait un ou deux. Car entre dix-huit et vingt mois, le loup peut être chassé d'une meute et doit chercher un nouveau territoire. Il essaime et peut faire des kilomètres, 80 dans une journée d'après M. Boitani.

M. Joël GIRAUD : Pourquoi la situation est-elle si différente dans le Mercantour ? Et comment peut-on y remédier ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Si les mesures de prévention étaient vraiment appliquées, il y aurait sans doute moins de prédations dans le Mercantour.

M. Joël GIRAUD : Pourquoi ne sont-elles pas appliquées ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Parce que les personnes sont poussées à ne pas garder les troupeaux. Depuis sa création en 1979, le parc n'a jamais été bien considéré, ni par les élus ni par les chasseurs. Ce qui m'étonne, c'est la discrétion des responsables du parc.

M. Joël GIRAUD : Que fait la direction du parc ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Je me le demande !

M. Jean LAUNAY : Pour moi, la garde du troupeau fait partie intégrante des conditions d'un bon exercice du pastoralisme. Or, lorsque je demande si ces conditions ont changé, on me répond qu'il n'y a pas eu de changement ni de nouvelles pratiques. Vous avez déclaré que les éleveurs du Mercantour étaient poussés à ne pas garder. Pourquoi ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Les éleveurs, c'est certain, ont dû s'adapter à l'arrivée du loup. Mais ont-ils tous eu la volonté d'engager des mesures d'accompagnement, de les suivre et de les respecter ? Car quand elles sont mises en œuvre, elles fonctionnent bien.

M. Jean LASSALLE : Avez-vous financé l'aide-berger que vous avez mis à disposition d'un éleveur par vos cotisations ou grâce aux subventions que votre association reçoit ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Nous l'avons financé avec les cotisations des adhérents.

Mme Christiane PREPOSIET : L'aide que nous recevons de la ville de Gap - 2 000 francs - ne nous permet pas de grandes fantaisies. Les associations fonctionnent souvent grâce à l'argent qui sort de la poche du président, du trésorier ou du secrétaire. Comme présidente de l'association, je peux vous assurer que ce qui sort de ma poche m'aurait permis de faire plusieurs voyages aux Bahamas.

Mme Henriette MARTINEZ : Y a-t-il d'autres observations ?

M. Bernard GOLTSCHALK : Je vous invite à lire le dernier numéro du magazine Terre sauvage qui développe une analyse remarquable sur toutes les questions que nous venons d'aborder.

Mme Henriette MARTINEZ : Madame, Messieurs, je vous remercie.

Table ronde informelle organisée à Gap

(31 janvier 2003)

Table ronde avec les organisations socioprofessionnelles
et des élus locaux

(Cette table ronde informelle n'a pas fait l'objet d'un compte rendu)

- M. Jean LAGIER-TOURENNE, président de la FDSEA

- M. Fabrice BOREL, président du CDJA

- M. Christian LAURENS, président de la Communauté de communes des Escartons du Queyras, maire de Ristolas

- M. Pierre BLANC, vice-président de la Communauté de communes des Escartons du Queyras, maire d'Arvieux

- M. Francis MARTIN, vice-président de la Communauté de communes des Escartons du Queyras, maire de Molines en Queyras

- Mme Anne-Marie GROS, présidente de la Coopérative agneau des Hautes-Alpes

- M. Franck DIENY, président de l'Association Ciel azur

- M. Jacques GALDINO, président de l'Union de promotion de la race préalpes du Sud (UPRA)

- M. Charles PELISSIER, président de l'Association pour l'utilisation des alpages d'altitude (ALPAGE)

- MM. les présidents des groupements pastoraux du Queyras et de la Vallée de la Clarée, ayant connu des problèmes de prédation :

M. Raymond IZARD - Groupement pastoral SALENS-MALRIF

M. Frédéric BUES - Groupement pastoral PELVAS

M. Désiré ROBIN - Groupement pastoral OURAGAN CHALVET

M. Francis BOFFANO - Groupement pastoral de LA CLARÉE

M. LATOME, Confédération paysanne.

Audition conjointe de M. Pierre WEICK,
directeur du parc naturel régional du Vercors,
de M. Yves PILLET, maire de Pont en Royans,
président du parc naturel régional du Vercors,
de M. Eric ARNOU, conseiller régional,
vice-président du parc naturel régional du Vercors,
et de M. Jean-François DOBREMEZ,
président du comité scientifique du parc naturel régional du Vercors

(Extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2003, tenue à Die)

Présidence de M. Daniel Spagnou, Rapporteur

Les témoins sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Rapporteur, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. Le Rapporteur : Pouvez-vous nous expliquer comment le parc a traité l'arrivée du loup sur son territoire et comment il a agi face à cette situation ?

M. Yves PILLET : Je laisserai au directeur du parc le soin d'aborder les problèmes plus spécifiquement techniques et vous présenterai la délibération officielle prise par le bureau du parc, délibération que je communiquerai à la commission d'enquête.

Dès l'instant où le loup est devenu un sujet très sensible pour les éleveurs et compte tenu de la représentativité territoriale du parc qui englobe les hauts plateaux de l'Isère, mais également ceux de la Drôme, il nous a semblé utile de jouer un rôle de médiateur. A cette fin, j'ai pris la responsabilité d'organiser à Die une première réunion avec les éleveurs et les administrations de l'Etat compétentes - la Direction départementale de l'agriculture (DDA) et la Direction régionale de l'environnement  (DIREN). Il était important, en effet, que le parc joue son rôle de médiateur. Le dialogue a d'abord été très dur, les éleveurs accusant l'administration aussi bien que le parc d'être responsables de l'arrivée du loup.

Nous avons réussi à faire en sorte que les gens se parlent dans une affaire où il y a peu d'écoute, peu de conciliation et peu de médiation. D'un côté, les éleveurs ne veulent pas reconnaître l'événement « loup» et ne veulent pas prendre les mesures de protection et d'accompagnement de l'élevage, considérant que, ce faisant, ce serait accepter le loup, ce à quoi ils se refusent. De l'autre, les défenseurs du loup considèrent que le prédateur est un élément de l'équilibre biologique et écologique du territoire.

Le parc a pris acte de la présence du loup, en soulignant qu'il n'était pas compétent pour savoir comment il était arrivé sur le territoire. Certains, en effet, considèrent qu'il est arrivé par camion, d'autres, par ses propres moyens. Comme directeur du parc, il ne m'appartient pas de décider et je n'ai pas d'avis. L'essentiel est de savoir ce qu'on fait à partir du moment où tout le monde est d'accord pour dire que le loup est bien là.

Le directeur du parc dispose d'éléments récents établis grâce à des analyses ADN qui tendraient à confirmer la présence permanente d'une louve sur le territoire des hauts plateaux, depuis quatre ans, et de plusieurs loups qui, eux, se déplaceraient y compris en dehors du territoire du Vercors. Cela dit, nous ne connaissons pas exactement le nombre de prédateurs présents sur les hauts plateaux.

Quant aux mesures de protection prises par le parc, elles constituent une grande avancée, car elles permettent de mesurer comment concilier la présence du prédateur avec l'exercice du pastoralisme. Les éleveurs souhaitent l'élimination du prédateur, mais ils ne suffit pas de le vouloir, encore faut-il être capable de le faire. Tous les renseignements dont nous disposons montrent que le loup est un animal extrêmement difficile à approcher, à plus forte raison à supprimer, sauf par des moyens d'empoisonnement qui risquent d'avoir des conséquences très dommageables sur le reste de la faune, donc des moyens dont on n'imagine pas qu'ils puissent être mis en œuvre. Si les éleveurs n'envisagent pas un instant de les utiliser, ils réclament par contre un droit de tir. Cela dit, ils constatent plus les résultats des attaques qu'ils ne voient le loup, et je n'ai pas le souvenir, sauf à une ou deux exceptions, qu'un éleveur nous ait dit avoir vu un loup. Au demeurant, cinq de nos gardes qui sont en permanence sur le terrain, été comme hiver, n'en ont jamais vu. Ils n'ont vu que des traces dont ils sont sûrs qu'elles sont bien des traces de loup. Et si les mesures consécutives aux attaques mettent en évidence que nous avons bel et bien affaire au loup, nous ne sommes pas sûrs de leur nombre, certains prétendant qu'ils seraient trois, une femelle et deux mâles.

Quoi qu'il en soit, grâce à la conciliation, nous avons réussi à mettre en œuvre des mesures d'accompagnement du pastoralisme. Qu'il s'agisse de la rénovation des cabanes, des patous ou des aides-bergers, elles sont financées par des aides européennes, d'Etat et du parc. Car pour que cette expérimentation soit acceptée, il ne fallait pas qu'elle occasionne de surcoûts supplémentaires aux éleveurs.

Ces mesures de prévention ont permis de stabiliser le nombre des attaques, voire de le diminuer, même si nous ne saurions tirer des conclusions trop hâtives. Pourtant, en 2002, les attaques se sont stabilisées et le nombre de victimes a plutôt régressé. Certains éleveurs ont accepté de jouer le jeu de la protection, d'autres pas. Reste que le parc a souhaité accompagner le pastoralisme.

Ceci posé, les mesures que nous avons prises auraient une efficacité certaine dans la mesure où l'on constate des attaques récentes en dehors du périmètre de la réserve des hauts plateaux. Le loup aurait donc moins de faculté à attaquer sur les hauts plateaux du parc, là où les éleveurs mettent en œuvre les mesures de protection et là où ils se sont dotés de chiens patous, à telle enseigne que le loup attaque désormais près des villages. Une attaque récente, en effet, s'est déroulée aux abords de la commune de Chichilianne, provoquant une forte émotion et un traumatisme au sein de la population. Les mesures de protection que nous avons su faire accepter aux éleveurs sont-elles à l'origine des attaques qui ont lieu sur des territoires moins surveillé ? C'est la question que l'on peut se poser.

Quoi qu'il en soit, la délibération du bureau du parc affirme l'indispensable présence du pastoralisme en tant que pratique à la fois économique et écologique, et que le territoire du haut plateau du Vercors a besoin du pastoralisme pour être ce qu'il est, c'est-à-dire un paysage magnifique et ouvert. Ensuite, l'éradication du loup étant très difficile à réaliser, et sans se demander s'il faut du loup ou non, nous pensons nécessaire d'accompagner la présence du prédateur en aidant les éleveurs à prendre les mesures adéquates. Cela dit, si la prolifération devenait de plus en plus importante - ce n'est pas le cas aujourd'hui - nous nous réservons la possibilité de revoir nos positions. Les hauts plateaux du Vercors, nous dit-on, seraient susceptibles d'accueillir une ou deux meutes, soit entre dix et quinze loups. C'est une éventualité, mais nous n'en sommes pas encore là.

Nous sommes donc dans une phase de supputations, où chacun juge sur pièces. Même les scientifiques ne sont pas absolument convaincus par les chiffres avancés. Quant aux éleveurs, ils supportent mal la situation, beaucoup plus du point de vue humain et sentimental qu'économique. Ils vivent avec leur troupeau, ne l'oubliez pas, et les dégâts causés par les attaques de loups sont toujours très difficiles à vivre. Et je comprends parfaitement qu'ils se retournent vers l'Etat ou le parc pour leur faire savoir qu'ils ne veulent pas de ce prédateur.

A chaque fin d'estives, nous rencontrons les éleveurs pour discuter et faire le bilan. Même s'ils sont toujours très hostiles à la présence du loup, ils reconnaissent que les mesures de prévention ont eu un effet positif. Au total, ils parlent moins de quitter le plateau.

M. Eric ARNOU : Je suis parti d'une position totalement défavorable au loup, car comme ancien éleveur, j'ai eu affaire à des chiens errants et à d'autres prédateurs. Cela dit, lorsque je me suis retrouvé en charge de la biodiversité d'un parc qui doit gérer la plus grande réserve naturelle de France, il m'était devenu impossible d'exprimer ouvertement une position totalement hostile au loup.

Ensuite, je me suis aperçu que les urbains qui vivaient à proximité du parc, dans des villes telles que Valence ou Grenoble, n'étaient pas défavorables à la présence du loup et qu'ils s'en faisaient une image plutôt positive. Enfin, compte tenu de ma qualification de géographe, je me suis efforcé d'analyser la dynamique de déplacement de cette espèce particulière. Mes conclusions m'ont ainsi progressivement amené à jouer la carte de la médiation, de manière à faciliter la vie des éleveurs.

Comme l'a rappelé le président Pillet, nous avons eu de nombreux débats, notamment concernant l'éradication. Pour ma part, je n'y crois pas, car les conditions naturelles et socio-économiques qui ont permis l'éradication du loup au siècle dernier ne sont plus les mêmes que celles d'aujourd'hui. En examinant les cartes postales du début du siècle ou les photos aériennes des années cinquante (qui traduisent un état proche du début du siècle), vous vous apercevrez que la montagne était exploitée au maximum et qu'il y avait très peu de couvert végétal. Cinquante ans plus tard, celui-ci a régulièrement progressé dans tout le quart sud-est de la France et en Rhône-Alpes, la population des espaces ruraux s'étant rétractée sur quelques vallées. Dans ces conditions, éradiquer le loup est devenu extrêmement difficile, sauf à utiliser du poison ou à mettre le feu de Marseille jusqu'à Besançon, en passant par Grenoble.

Voilà pourquoi je crois à la régulation. Au demeurant, vouloir éradiquer le loup serait très hasardeux, car le réservoir à loups existe à nos frontières et rien n'empêchera le loup de passer d'une frontière à l'autre. Les résultats ne seraient donc ni faciles à obtenir, ni immédiats.

Ceci posé, nous avons réussi à faire la preuve que nous étions capables d'organiser la cohabitation dans les zones d'alpage du parc où la visibilité n'est pas mauvaise et où les troupeaux pâturent pendant quatre mois, en essayant de la rendre la moins nuisible possible. Mais désormais, nous rencontrons de nouveaux problèmes en périphérie de réserve, bien que le conseil d'administration du parc ait toujours voulu que les mesures financées par LIFE ne se limitent pas aux frontières de la réserver mais prennent en compte l'ensemble du massif. Une partie du problème s'est donc sans doute déplacée vers la périphérie de la réserve.

En bref, le problème peut être maîtrisé sur la réserve, là où la présence du loup est passagère et où le territoire nous a permis d'appliquer nos recettes. Par contre, si la présence du loup devait s'étendre à la moyenne montagne, là où la végétation est importante et là où les structures d'exploitation ne permettent pas la même organisation de la pratique pastorale, je ne suis pas sûr que nos recettes puissent s'appliquer, donc que ces zones soient viables. Je tire donc pour l'instant des conclusions mitigées de notre expérience.

M. Jean-François DOBREMEZ : MM. les parlementaires, je suis universitaire, biologiste, président du conseil scientifique du parc, président du conseil scientifique de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, mais également lieutenant de louveterie et chasseur. Je me trouve donc à une interface, avec un pied dans chaque domaine. Ma situation m'a permis d'être, en 1996, le premier chargé de mission sur le loup, à la demande de Mme Corinne Lepage à qui j'ai remis mon rapport de médiation et d'inspection des services en novembre 1996.

Comme biologiste, j'ai beaucoup travaillé dans les montagnes du monde, notamment celles dans lesquelles cohabitent loup et pastoralisme. J'ai beaucoup partagé la vie des éleveurs et souvent vu des loups, mais pas dans le Vercors.

S'agissant de la première partie de notre mission, consacrée à la présence du loup, j'ai diligenté une enquête sur le retour du loup dès 1996. Avec mes collègues italiens, nous avons ainsi pu retracer le parcours probable du prédateur, des Abruzzes, du nord des Apennins et de la Ligurie, au parc du Mercantour. J'ai également réussi à décider le laboratoire d'analyse génétique de Grenoble de procéder aux analyses génétiques que vous connaissez. A la suite d'une réorganisation de nos unités de recherche, je fais d'ailleurs désormais partie de la même unité que Pierre Taberlet, responsable de ce laboratoire. J'ai également eu l'occasion de faire réaliser par des doctorants, des DEA et des maîtrises, de très nombreux mémoires sur le loup dans les Alpes françaises.

Quant à la présence du loup dans le Vercors, il faut savoir que les jeunes loups peuvent parcourir plusieurs centaines de kilomètres, et l'on connaît même un déplacement de 700 kilomètres en une seule année. Par ailleurs, les analyses génétiques ont bien mis en évidence que tous les loups avaient la même origine, italienne, y compris certains individus tués dans les Vosges ou en Isère, dès 1954, ou encore dans les Hautes-Alpes en 1978. Tant du point de vue biologique que de la dynamique de la population, il y a donc compatibilité entre la présence du loup et sa venue naturelle, je dis bien « compatibilité ».

Pour autant, rien n'interdit de penser que cette venue naturelle se soit accompagnée de lâchers volontaires ou involontaires. Mais nous ne disposons d'aucune preuve.

S'agissant de la deuxième partie de votre travail, consacrée au pastoralisme dans les zones de montagne, j'avais indiqué dès 1996, dans mon rapport, que la présence du loup avait été un formidable révélateur des difficultés que rencontrait la filière ovine en France. Vous le savez mieux que moi : on compte 10 millions d'ovins en France, et pourtant, on importe les deux-tiers de la consommation française, et malgré des aides à hauteur de 5 milliards de francs, le revenu des éleveurs reste dérisoire et ne leur permet pas de vivre. Le loup ne fait qu'accroître le malaise. Cependant, et j'ai sur ce point un discours un peu différent de celui du président du parc, lorsqu'on parle en tête à tête avec eux, la plupart des éleveurs sont prêts à accepter de nouvelles conditions de travail, à condition d'être aidés. Ces nouvelles conditions de travail incluent le loup, mais aussi d'autres contraintes qui s'ajoutent à celles qui étaient traditionnelles. Il me paraît notamment évident que la taille des troupeaux et le faible nombre de gardiens qui leur est affecté est le problème majeur. C'est en facilitant la garde du troupeau qu'on pourra aider le pastoralisme à cohabiter avec le loup. Je l'espère profondément et je le crois totalement.

M. Pierre WEICK : Je voudrais rapidement revenir sur les actions menées par le parc, en distinguant bien la réserve naturelle du haut plateau du Vercors, que le parc gère pour le compte de l'Etat - il s'agit de la plus grande réserve de la France métropolitaine, qui accueille tous les ans les estives des grands éleveurs du sud du pays - du reste du parc. Si notre action porte sur un espace protégé, les élus ont très rapidement indiqué que le loup pouvait causer des problèmes à l'ensemble du territoire, et que les conséquences humaines, sociales et économiques des prédations seraient probablement moins dommageables sur les hauts plateaux où transhument chaque année 16 000 moutons avec des troupeaux de 2 000 à 3 000 bêtes, que sur tout le reste du territoire, caractérisé par de petites exploitations, les élevages ne dépassant pas 400 moutons. La problématique n'est donc pas forcément la même pour tous les territoires.

Le président a déjà eu l'occasion de rappeler les actions de prévention qui ont été menées grâce à un arsenal de moyens financés par le programme LIFE. Il s'agit de la rénovation des cabanes, des parcs de contention, des parcs de nuit et des chiens patous - le parc en a financé une quinzaine - des aides-bergers pour lesquels le parc a construit cinq cabanes pour l'estive 2001. Il faut également noter que l'ensemble de la nourriture des patous est pris en charge par le parc, de manière à alléger les charges financières des éleveurs.

Ceci posé, contrairement à d'autres territoires où les conditions de vie des éleveurs sur les estives sont très précaires, nous menons dans le Vercors depuis une quinzaine d'années des actions pour améliorer sans cesse la condition de vie des bergers sur leurs estives. Cela en améliorant les moyens de communication grâce à un système radio mis en place depuis très longtemps et financé par le parc, en installant l'électricité dans chaque bergerie, grâce à un système photovoltaïque, en améliorant sans cesse l'accès aux cabanes ainsi que leur confort. Aujourd'hui, plusieurs de nos bergeries ont des douches, l'eau chaude et des sanitaires. Au total, ce sont huit unités pastorales qui ont fait l'objet de diagnostics pastoraux, réalisés par les associations compétentes, les fédérations des alpages de l'Isère et l'association d'économie montagnarde de la Drôme.

J'en viens aux prédations. La réserve des hauts plateaux dispose, depuis 1997, d'un suivi des attaques, donc avant la mise en place du dispositif de constat officiel élaboré par le ministère de l'agriculture et le ministère de l'environnement en 1999. Depuis 1997-1998, les constats concernent surtout des prédations liées aux chiens errants - il y en a d'ailleurs dans toute la France. En 1998, nous avons décidé d'installer des pièges photographiques grâce à des appâts. La seule photo que nous avons pu prendre était celle d'un chien Uski, cette race étant très présente dans le Vercors du fait d'une activité importante de chiens de traîneaux.

. Ceci posé, depuis 1998, il est admis que les prédations sont dues au loup. En augmentation jusqu'en 2001, on assiste depuis 2002 à une diminution. Est-ce le résultat des mesures de prévention ? On ne peut l'affirmer après seulement deux années d'application. Pour autant, ces mesures ont eu une incidence, y compris celles qui ont permis d'améliorer les conditions de vie des éleveurs. Quoi qu'il en soit, en deux ans, nous sommes passés de 130 victimes en 2000 à 90 en 2002.

M. le Rapporteur : S'agit-il de 90 attaques ?

M. Pierre WEICK : Non, de 90 victimes.

M. Jean-François DOBREMEZ : Sur un troupeau de 16 000 moutons !

M. Yves PILLET : Il faut rappeler que les attaques peuvent être attribuées aux loups comme aux chiens errants. Tout est comptabilisé en même temps, et on ne fait plus la distinction.

M. Pierre WEICK : En 2002, 90 victimes ont fait l'objet de constats par les services compétents par les cinq gardes de la réserve qui ont été mandatés pour procéder à tous les constats. Sur ces 90 constats, 88 brebis ont été indemnisées, l'administration ayant considéré que deux prédations ne pouvaient pas être attribuées au loup.

M. le Rapporteur : Les éleveurs que nous avons entendus nous ont tous dit que lorsqu'une brebis était tuée, une autre disparaissait, et que le préjudice n'était pas indemnisé.

M. Pierre WEICK : C'est également une des revendications importantes des éleveurs des hauts plateaux. Elle nous a amenés à réfléchir à un système. Il s'agissait de compter les moutons lors de leur montée en estive, et de les recompter à la descente, puis d'établir le différentiel. N'oubliez pas cependant qu'il y a toujours eu, de façon traditionnelle, une perte d'un certain nombre d'animaux en fin d'estive. Ce système est cependant difficile à mettre en place et à gérer, car il arrive aux éleveurs de monter des moutons en cours d'estive.

M. Jean-François DOBREMEZ : J'ajoute que les bergers ne savent pas, à 10 % près, combien ils ont de moutons en alpage. C'est assez dramatique. Cela dit, il est vrai que le système de collecte des troupeaux, lors de la montée, est difficile. Car un troupeau de 2 000 moutons est composé de quinze ou vingt troupeaux individuels. Certains éleveurs amènent 100 moutons, bien souvent au dernier moment. Les bêtes sont chargées dans des camions, sans compter les amis du berger qui lui confient trente ou quarante moutons. Ce n'est pas un système aussi clair et simple qu'on pourrait l'imaginer. C'est en fait un système traditionnel, ne l'oubliez pas.

M. Pierre WEICK : En conclusion, on souffre de ne pas pouvoir disposer rapidement d'informations et d'analyses d'indices prélevés sur les différents massifs. Aujourd'hui, par exemple, les résultats de la dernière estive ne sont toujours pas publiés.

M. Jean-François DOBREMEZ : C'est, en effet, une demande très pressante

M. Pierre WEICK : Disposer rapidement de résultats permettrait d'éviter les rumeurs et d'améliorer la gestion et la comptabilisation des constats de l'administration. Vendredi dernier, un comité régional sur le loup s'est tenu à la DIREN de Rhône-Alpes où toutes les administrations concernées étaient présentes. On s'aperçoit que la présentation des chiffres ne permet pas d'avoir une vision synthétique et globale de la situation des attaques. C'est donc un problème de communication.

Quant au problème du pastoralisme, il est essentiel et indispensable pour un parc régional, tant d'un point de vue patrimonial, social qu'économique. Aujourd'hui, la prédation du loup ne me paraît pas être le problème économique de l'élevage et du pastoralisme dans nos montagnes. C'est un problème essentiellement humain et social qui est compréhensif, et tous les élus qui rencontrent les bergers sur les hauts plateaux le constatent : il y a une situation de malaise et de mal être dramatique.

M. le Rapporteur : La situation est également dramatique dans le parc du Mercantour.

M. Pierre WEICK : Certains estiment cependant que le loup est un problème économique. Encore faut-il le prouver, en s'appuyant sur des bases objectives.

M. le Rapporteur : Ce que nous venons d'entendre correspond à ce que nous avons également entendu ce matin de la part des responsables du parc du Queyras. Les parcs régionaux, on le voit bien, collent mieux à la réalité du terrain et proposent des mesures intéressantes pour essayer de faire cohabiter le loup et les bergers. Les subventions sont cependant considérables, et l'on peut se demander si elles ne seraient pas mieux utilisées ailleurs ? Sans compter qu'elles mécontentent le monde agricole qui reste inquiet et déstabilisé. Certains jeunes nous ont même dit qu'à la prochaine attaque, ils arrêtaient leur activité. C'est inquiétant, car quand on est né dans une ferme et que l'on est paysan de père en fils, on n'est pas fait pour aller travailler dans les villes. Tout cet argent ne serait-il donc pas mieux utilisé ailleurs ?

Quant aux patous, vous avez oublié de dire qu'ils ont besoin de beaucoup de nourriture. Souvent, d'ailleurs, on leur donne à manger une brebis malade, de sorte qu'ils leur arrivent de s'attaquer au troupeau. Ils mangent également des marmottes et des lièvres. Dans la vallée de l'Ubaye, par exemple, les marmottes ont complètement disparu.

Vous avez parlé de l'impact économique. Mais d'après les éleveurs, ce n'est pas tant un problème d'argent qu'un problème moral. C'est une profession très difficile qui ne connaît pas les 35 heures. Je suis fils de paysan, et je me souviens qu'on se languissait de mener le troupeau à la montagne, parce qu'on savait qu'on serait tranquille pendant cinq mois. Maintenant, c'est l'enfer, les cinq mois d'estive deviennent épouvantables, car les bergers sont obligés de rester 24 heures sur 24 en montagne. Certes, vous avez construit des cabanes de luxe, mais elles n'existent pas dans le Mercantour. Tous ces éleveurs démoralisés ont touché notre cœur. Mais que faire ?

M. Jean-François DOBREMEZ : Cet argent, monsieur le député, il n'est pas utilisé pour trois loups, mais pour neuf unités pastorales. Autrement dit, il sert aux éleveurs, et pas aux loups.

M. le Rapporteur : Certes, mais s'il n'y avait pas de loups, il n'y aurait pas de patous.

M. Jean-François DOBREMEZ : Les patous qui mangent les marmottes, les lièvres et les brebis malades ? Cela fait partie de ces fameuses rumeurs...

M. Eric ARNOU : Lorsque j'étais éleveur, j'avais un patou pour me défendre des chiens errants. C'est un animal puissant qui peut être dangereux s'il est mal dressé, mais, en aucun cas, un animal qui a la vivacité nécessaire pour faire ce que vous nous avez dit.

Certains affirment même que les patous attaquent les randonneurs et leurs chiens. Mais il faut être clair : le patou doit être dressé, étant entendu que son dressage a été expérimenté et codifié. S'il ne l'est pas, on ne doit pas l'utiliser pour garder le troupeau.

M. Jean-François DOBREMEZ : Un patou mal dressé est dangereux.

M. Eric ARNOU : Un chien qui n'est pas dressé est dangereux et inutile.

M. le Rapporteur : En lisant votre rapport, je constate que vous demandez que les critères et les modalités de régulation de l'espèce soient définies localement après concertation après les acteurs concernés. C'est une bonne mesure.

M. Jean-François DOBREMEZ : Le fameux protocole, en effet, est inapplicable. Comme lieutenant de louveterie, j'avais proposé dès 1996, dans mon premier rapport, d'éliminer les loups gênants et de donner le droit d'autodéfense aux éleveurs. Mais le cabinet du ministre n'avait pas voulu en entendre parler. C'est une idée qui revient et, finalement, je constate que ce que j'avais proposé se met en place petit à petit, sauf ce droit d'autodéfense pour les éleveurs auquel je continue à tenir.

M. le Rapporteur : Dans les Hautes-Alpes, cinq loups ont disparu, tués par l'homme. C'est beaucoup. Mieux vaut des actions bien réglementées, claires et nettes, que des agissements illégaux.

M. Hervé MARITON : M. Patrick Strzoda, préfet des Hautes-Alpes et ancien secrétaire général de la Drôme nous a dit, lors du déjeuner, avoir eu à traiter, vers 1992, un dossier concernant un élevage de loup dans le Vercors. Que pouvez-vous nous en dire ?

M. Pierre WEICK : Je n'étais pas dans la région en 1992, mais on a effectivement croisé des loups avec des chiens. Les loups étaient en cage et grandissaient dans l'élevage. Ce qu'on m'a laissé entendre, c'est que les loups venaient des pays de l'Est et du Canada. Par contre, ce n'était pas des loups italiens.

M. Jean-François DOBREMEZ : En France, on estime à 2 000 le nombre de loups en captivité, chez des particuliers, dans des élevages non contrôlés.

M. Pierre WEICK : La question de l'inventaire de tous les élevages qui devraient être normalement déclarés a déjà été posée. Les Préfets ont d'ailleurs reçu des consignes, mais la déclaration reste volontaire.

M. Hervé MARITON : Y a-t-il toujours de tels élevages dans le Vercors ?

M. Pierre WEICK : Pas à ma connaissance.

M. Hervé MARITON : Y a-t-il des lâchers de loups ?

M. Yves PILLET : D'après les analyses, tous les loups du Vercors viennent d'Italie. 

M. Hervé MARITON : Et les loups d'élevage ?

M. Yves PILLET : Aucun d'entre eux n'est italien.

M. Pierre WEICK : Ils viennent plutôt des pays de l'Est ou d'Amérique du nord.

M. Hervé MARITON : Sur la réserve, le parc agit pour le compte de l'Etat ?

M. Yves PILLET : Avec les moyens de l'Etat et les moyens qui sont les siens, étant entendu qu'il est une collectivité territoriale de la région. Le parc est encouragé par l'Etat, car nous avons essayé de montrer qu'une médiation était possible. Ce qui tendrait à montrer que lorsqu'un parc couvre un territoire complet et qu'il se mouille la chemise, il peut être médiateur. Moi, je suis assez fier de notre action. Les choses n'ont pas été faciles, je vous prie de le croire, mais les éleveurs reconnaissent notre travail.

M. Hervé MARITON : M. Dobremez a indiqué que lorsqu'on leur parlait en tête à tête, les éleveurs étaient prêts à accepter de nouvelles conditions de travail. Or, ceux qu'on a entendus n'étaient pas loin des larmes. Pour la majorité, et de manière très forte, on a le sentiment qu'ils sont loin d'être prêts à accepter de nouvelles conditions de travail.

M. Jean-François DOBREMEZ : En tant que lieutenant de louveterie, fils d'éleveur et père d'éleveur, j'ai sans doute un rapport particulier avec eux. Mais même dans le Mercantour, les plus violents d'entre eux, dans la discussion en tête à tête, admettaient que les choses changent tous les dix ans en matière d'élevage et qu'ils étaient prêts à continuer leur activité si on les aidait. D'ailleurs, aucun des éleveurs du Mercantour qui disaient vouloir s'arrêter ne l'a fait.

Cela dit, il faut bien distinguer le discours public des responsables syndicaux ou de la chambre d'agriculteur qui ont un rôle à jouer et sont obligés de se positionner de façon très dure, du discours de terrain des gens qui vivent dans des conditions difficiles. Il y en a encore heureusement qui montent avec plaisir.

M. Hervé MARITON : Vous avez dit que le loup était un révélateur des problèmes de la filière ovine. Cela dit, la dépression économique est arrivée bien avant le loup.

M. Jean-François DOBREMEZ : Les problèmes étaient identifiés, mais n'étaient pas devenus publics. D'ailleurs, on a vécu la même situation avec le lynx dans le Jura et dans l'Ain où, dans le cadre des associations de lieutenants de louveterie, j'ai été de ceux qui ont essayé de voir comment réguler ces populations. Aujourd'hui, tout se passe bien dans ces départements, avec des populations de lynx qui sont bien installées, une régulation plus ou moins légale et des attaques stabilisées depuis dix ans à soixante brebis dans chaque département, ce qui est très supportable.

M. Hervé MARITON : Donc, la solution, c'est la régulation plus ou moins légale !

M. Jean-François DOBREMEZ : C'est très méditerranéen !

M. Yves PILLET : J'ai essayé de comprendre quel était l'intérêt fondamental du retour du loup. Car c'est un animal qu'on ne voit jamais. Du point de vue touristique ou économique, autant on sait bien mesurer l'intérêt de la réintroduction du vautour, du bouquetin ou de la marmotte, autant l'intérêt du loup m'échappe totalement. J'ai pris le parti de l'étudier, parce qu'il est là et qu'on ne sait pas comment l'éradiquer. Mais à titre personnel, je ne vois pas quel est l'intérêt de la présence de ce nouveau prédateur sur le territoire du Vercors. En termes biologique et écologique, son intérêt est sans doute le même que l'excessive prolifération du cormoran qui, pour l'amoureux des rivières et de la pêche à la truite que je suis, est une catastrophe.

M. Eric ARNOU : On est un peu dans l'irrationalité. Dans notre région, le loup est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Pourquoi y a-t-il un tel amour pour le loup dans les grandes villes ? Je ne me l'explique pas. On est dans le domaine du symbole ou du mythe.

M. le Rapporteur : 80 % des Français sont favorables aux loups.

M. Jean LAUNAY : En 1999, j'ai travaillé, à la demande de Jean Glavany, sur la filière ovine, en même temps que la mission d'information sur le loup. J'ai été particulièrement content qu'on élargisse le sujet de la commission d'enquête aux conditions d'exercice du pastoralisme. Le problème des aides a été évoqué. Pour moi, elles doivent tendre au maintien de l'homme, dans un exercice réel du pastoralisme. Lorsque je demande aux éleveurs si les conditions d'exercice du pastoralisme ont évolué, on me répond toujours que rien n'a changé. Or, je suis persuadé du contraire. Dans les estives et dans les exploitations de moyennes montagnes, on ne garde plus les troupeaux, on laisse faire. Avec le loup, les passions se sont exacerbées, mais j'ai le sentiment que lorsqu'on prend le taureau par les cornes et que l'on décide de soutenir le pastoralisme, on se situe plutôt dans une phase positive de maintien de l'activité.

M. Eric ARNOU : Les éleveurs sont beaucoup plus dérangés par les milliers de sangliers qui cassent leurs clôtures et labourent leurs prairies que par le loup. Je profite d'ailleurs de cette audition pour vous indiquer que, dans le massif central, le sanglier est en train de devenir une vraie prédation pour l'élevage ovin. Les éleveurs sont dégoûtés. Bien sûr, ils ont les chiens errants, mais surtout, les sangliers leur labourent des hectares de prairie. Une brebis tuée, on peut toujours la remplacer. Par contre, il faut des années pour retaper une prairie sèche et labourée, lorsque ce n'est pas l'orage qui l'emporte. Je crains que le retour du sauvage soit beaucoup plus prédateur du côté du sanglier que du côté du loup. Mais l'avenir nous le dira.

M. Jean LASSALLE : Je suis très impressionné par votre courage et l'action que vous conduisez. Je sais un peu de quoi vous parlez, puisque le sujet est mon pain quotidien depuis vingt ans. Il n'est pas étonnant qu'un tel débat soit difficile à mener, car il comporte beaucoup d'irrationnel et de passions, deux conceptions du monde que nous devrons équilibrer, en nous demandant comment l'homme doit se retrouver. Il faudra agir pour que les hommes des campagnes n'aient plus le sentiment d'être abandonnés, pire, que la société des hommes leur a définitivement préféré les fauves.

M. le Rapporteur : Messieurs, je vous remercie.

Table ronde informelle organisée à Die

(31 janvier 2003)

(Cette table ronde informelle n'a pas fait l'objet d'un compte rendu)

- M. Gérard VEDRINES, conseiller général du Canton de Châtillon en Diois

- M. Yves FEYDY, président de la Fédération départementale ovine de la Drôme (FDO)

- M. Clément GAUBERT, représentant sur le dossier Loup de la Confédération paysanne

- M. Thierry GEFFRAY, président de la Communauté de communes du Diois

- M. Alain GOLIN, président de la Fédération départementale de la chasse de la Drôme

- M. Jean-Louis GONDOUIN, président du SICA des éleveurs des Préalpes du Sud (Rémuzat)

- Mme Mary LAMONTELLERIE, secrétaire de l'Association des éleveurs transhumants du Vercors

- M. Jean-Louis MANCIP, vice-président des Jeunes Agriculteurs de la Drôme

- M. Olivier REY, représentant des Jeunes agriculteurs

- M. Bernard MANDAROUX, délégué cantonal de la FDSEA

- M. François MONGE, président de la coopérative DIE-Grillon

- M. Jean-Claude ODDON, président départemental de l'Association pour le développement de l'économie de Montagne

- M. Jean-François ARTIGE, président de l'Association sportive des xhasseurs de grand gibier de la Drôme

- M. Jean-Paul BONNARD, président de l'Association départementale des chasseurs de grand gibier de la Drôme

- M. Jean-Pierre THIERS, éleveur

Audition conjointe de
M. Bruno JULIEN, responsable du programme LIFE Loup,
Commission européenne, directeur général environnement, accompagné de Mme Mariella FOURLI, chargée de suivi de projet LIFE dans l'équipe externe LIFE,
de M. Nicholas HANLEY, Direction de la protection de la nature
à la Commission européenne

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

puis de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

M. Bruno Julien, Mme Mariella Fourli et M. Nicholas Hanley sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Bruno Julien, Mme Mariella Fourli et M. Nicholas Hanley prêtent serment à tour de rôle.

M. le Président : Nous accueillons M. Bruno Julien, responsable du programme LIFE Loup à la direction générale de l'environnement de la Commission européenne, accompagné de Mme Mariella Fourli, chargée du suivi du projet LIFE dans l'équipe externe LIFE et de M. Nicholas Hanley, de la direction Protection de la nature de la Commission européenne.

M. Bruno JULIEN : Si je puis me permettre, monsieur le président, je précise que mes responsabilités dépassent le seul cadre du projet LIFE Loup et s'étendent au projet LIFE dans son ensemble, même si je suis ici au titre du projet LIFE Loup.

M. le Président : Je vous remercie tous pour votre présence. Vous avez pris connaissance des règles régissant le fonctionnement d'une commission d'enquête parlementaire du parlement français. Elles exigent que nous fassions prêter serment aux personnes auditionnées. Toutefois, nous ne faisons pas prêter serment aux ressortissants étrangers qui nous font l'amitié d'accepter nos invitations. Or, votre délégation est composée d'un ressortissant français et de deux ressortissants étrangers. Je propose donc aux membres de la commission que nous dérogions globalement à la règle imposant le serment pour en exonérer également M. Julien.

Ceci étant, nous sommes ici dans un climat de confiance et, si vous avez accepté de venir devant notre commission, c'est pour nous éclairer de vos compétences sur ce sujet que vous connaissez bien.

Notre commission cherche à mieux connaître le dossier du loup dans son ensemble depuis les conditions de la réapparition du prédateur dans les Alpes jusqu'à la gestion du dossier par les autorités françaises, notamment par le ministère de l'environnement et ses directions déconcentrées, au cours des dix dernières années.

Je vous propose que nous passions tout de suite à la première phase de notre entretien. Nous pourrions dans un premier temps entendre vos exposés pour ensuite passer à des échanges les plus interactifs possibles avec le rapporteur et les autres membres de la commission pour que nous puissions mieux comprendre certaines règles qui régissent la gestion du loup au plan européen.

M. Nicholas HANLEY : Je suis chef d'unité Nature et Biodiversité au sein de la direction générale de l'environnement. Mes responsabilités couvrent la mise en œuvre de la directive Habitats et Oiseaux et toutes les politiques concernant la biodiversité mises en œuvre par la Communauté.

Nous avons accepté avec plaisir votre invitation. Elle est l'occasion pour nous de présenter notre position devant votre commission sur ce sujet important pour la Communauté. Ce dossier intéresse la Communauté à deux titres. D'abord en ce qui concerne la politique communautaire environnementale, particulièrement celle de protection de la nature. Ensuite en ce qui concerne la politique de développement rural et régional qui sont deux grands axes de la politique de la Communauté.

Nous nous réjouissons donc de l'ampleur de votre mandat, qui ne touche pas simplement le loup, mais aussi le pastoralisme et l'économie de montagne. C'est dans ce contexte que je vais, avec mes collègues ici présents, essayer de clarifier le contexte juridique européen -directives et règlements- mais aussi d'exposer la politique d'appui de la Communauté à la cohabitation entre le loup et le pastoralisme de montagne.

Je voudrais commencer par vous présenter la législation communautaire dans ce domaine.

Sur le territoire français, le loup est une espèce protégée par la législation communautaire, notamment par la directive sur les habitats naturels et la flore et la faune sauvage n°92-43, dite directive Habitats. Le loup est expressément nommé par la directive, dans son annexe 4. Les espèces visées dans cette annexe sont protégées par les dispositions des articles 12 et 13 de la directive. Ce texte énumère une série d'interdictions de capture, de commerce et de perturbation des espèces protégées.

J'ai cru comprendre que la commission d'enquête s'interroge sur la question de savoir si la population de loups en France est d'origine naturelle et mérite à ce titre la protection de la directive. Toutes les informations dont nous disposons, transmises depuis de nombreuses années par les autorités françaises et provenant également de nos enquêtes auprès des autorités italiennes, indiquent clairement que la population de loups en France provient d'une migration à partir du nord de l'Italie.

Les études génétiques indiquent que les loups en France sont de souche italienne et si l'on examine l'histoire de la recolonisation du territoire italien par le loup, on s'aperçoit que celle-ci est le fait d'une forte population venue des Apennins qui a d'abord recolonisé les Alpes italiennes pour progresser ensuite de l'autre côté de la frontière à travers un véritable couloir écologique.

Toutes les études internationales sur le loup démontrent qu'il s'agit d'une espèce qui, lors de problèmes de surdensité dans une région, a la capacité de migrer sur des centaines de kilomètres.

L'hypothèse d'une implantation artificielle du loup en France ne repose sur aucun indice solide. Toutes les informations en provenance des autorités françaises et italiennes prouvent le contraire.

C'est un point très important, car la directive Habitats réglemente en son article 22 la procédure de réintroduction des espèces. Lorsqu'un Etat membre veut procéder à une réintroduction, il doit respecter cette procédure, en concertation avec les différents milieux intéressés. S'il était avéré que la réintroduction du loup a été artificielle, hypothèse qui, je le répète, n'est soutenue aujourd'hui par aucun indice, il y aurait une question juridique à clarifier : une introduction autre que celle prévue par l'article 22 entraînerait-elle la protection de la directive Habitats ?

Outre une protection au titre de l'espèce, le loup bénéficie d'une autre protection. Dans la directive Habitats en effet, les Etats membres se sont engagés à protéger des aires d'habitat, dont celle du loup, dans le contexte du réseau Natura 2000. La France a accepté, sans réserve, l'obligation de classer des zones Natura 2000 pour la protection des loups. Il a donc été reconnu, et cela n'a jamais été contesté, qu'il y a une population d'origine naturelle de loups dans le sud-est de la France.

La Commission comprend que la cohabitation du loup avec les habitants peut poser des problèmes dans les pays de la Communauté, surtout dans les milieux agricoles de montagne. Il faut donc gérer cette cohabitation. Ainsi, la directive Habitats, en son article 16, prévoit des dérogations à l'obligation de protection du loup dans certaines circonstances bien définies. Les Etats membres souhaitant exercer des dérogations, qui permettent par exemple de limiter la population de loups ou d'en tuer, doivent démontrer que les conditions d'application prévues par l'article sont bien remplies et doivent remettre tous les deux ans un rapport à la Commission sur les dérogations qu'ils ont autorisées.

Le problème du loup en France s'inscrit dans le cadre plus général du problème des grands carnivores en Europe. Mes services sont en train de mener une enquête auprès des autorités nationales pour alimenter le débat au sein du comité scientifique de suivi de la directive Habitats sur la gestion des grands carnivores - loup, lynx, ours... - dans l'Europe des quinze et dans les pays qui vont entrer dans l'Union l'année prochaine. Cette enquête devra nous permettre de confronter les expériences afin de mieux comprendre la problématique et de mieux la gérer.

La Commission a toujours prôné pour ces espèces l'adoption de plans de gestion et, dans le contexte des projets LIFE, que mon collège Bruno Julien va aborder tout à l'heure, nous avons demandé à la France d'adopter un plan de gestion du loup. Nous avons reçu des plaintes de particuliers, que la Commission était obligée de suivre, sur la gestion du loup en France et nous avons interrogé l'administration française dans le cadre de l'instruction de ces plaintes.

Nous avons pris connaissance récemment du plan loup préparé par le ministère de l'environnement. Ce plan d'action comporte des éléments très importants qui forment d'après nous la base d'une approche sensée et raisonnée du problème.

Un de ces éléments est le concept de zonage. Il est clair qu'on ne peut pas permettre au loup de s'installer partout, par exemple dans des régions où il n'y a pas de proies naturelles et où la présence du loup risque d'être encore plus problématique et conflictuelle. Les dérogations prévues par l'article 16 devraient être mises en œuvre en relation avec un plan de zonage fixant des objectifs géographiques de population en relation avec les capacités naturelles des aires de répartition. Le Conseil de l'Europe a publié l'année dernière un rapport sur le suivi du sauvetage de la nature. Il s'agit du rapport 127 concernant les corridors écologiques et les espèces de grands carnivores dans les régions alpines. Il sera peut être utile aux membres de votre commission de l'étudier.

La Commission prônant l'adoption de plans de gestion, elle apporte son appui aux mesures de protection et de gestion, tel que le gardiennage par exemple. C'est dans ce contexte que la Commission a soutenu les deux projets LIFE Loup en France. Nous avons aussi soutenu d'autres projets dans d'autres pays membres. Les programmes LIFE favorisent des expérimentations qui peuvent permettre par la suite l'adoption de mesures nationales ou de mesures s'appuyant sur des fonds communautaires.

Jusqu'à présent, à moins que vous disposiez d'informations que j'ignore, la France n'a pas fait appel à des fonds communautaires pour financer la gestion de programme de cohabitation avec le loup, mais d'autres pays l'ont fait. Ainsi, la région de Lazio en Italie utilise actuellement les fonds de développement rural dans le deuxième pilier de la PAC pour financer un programme de compensation des pertes liées à la présence du loup. Autre exemple, en Grèce, celui du financement d'un programme visant à gérer la présence de l'ours dans les pâturages. Ce programme prévoit notamment la compensation des pertes de revenus et l'achat de chiens de protection.

Je vous signale également que, dans le cadre de la révision du fonds de développement rural, la Commission a inclus pour la première fois une référence explicite à l'éligibilité des dépenses de compensation liées à une mise en œuvre des directives Habitats et Oiseaux. La situation n'était pas très claire jusqu'à présent et certains ministères de l'agriculture contestaient cette éligibilité. Pour éviter toute confusion, la Commission a donc dans sa nouvelle proposition, indiqué clairement que des dépenses qui sont liées à la mise en œuvre des directives Habitats et Oiseaux sont éligibles pour les aides aux agriculteurs découlant de ces directives.

C'est encore une preuve que la Commission comprend que la mise en œuvre de ces directives, que ce soit le réseau Natura 2000 ou les dispositions de protection des espèces, nécessite un financement et nous cherchons progressivement à trouver les fonds communautaires appropriés pour aider des Etats membres dans la poursuite des objectifs communs.

M. le Président : Vous venez d'évoquer les aspects juridiques de la protection du loup ainsi que les dispositions prévues pour la gestion financière de la présence du loup et de sa cohabitation avec le pastoralisme. Je voudrais donc savoir de quoi va nous parler M. Julien.

M. Bruno JULIEN : Je vais vous parler des projets LIFE, c'est-à-dire de ce règlement financier pour l'environnement qui finance la protection de la nature.

M. le Président : Et Mme Fourli ?

M. Bruno JULIEN : Mme Fourli travaille avec moi. Elle fait le lien entre les projets et nous. Je suis le responsable des projets LIFE et une centaine de personnes travaillent pour moi, dont certaines sur le terrain. Mme Fourli connaît particulièrement bien les projets loup en Grèce, en Italie et dans d'autres pays. On a donc pensé qu'elle pouvait vous apporter un éclairage différent. Je connais bien pour ma part les projets loup français, parce que je les ai suivis personnellement. Je peux donc vous en parler, ainsi que du programme LIFE en général.

M. le Président : Vous pourrez donc nous parler, de manière très succincte, du programme LIFE loup et Mme Fourli pourra réagir par la suite, à travers nos questions. Nous avons besoin d'être davantage éclairés, notamment sur les aspects juridiques.

M. Bruno JULIEN : Le règlement LIFE est aussi un règlement communautaire, portant le numéro 1655/2000. Il prévoit le soutien financier de l'Union européenne a des projets de protection de l'environnement et notamment des projets de protection de la nature. L'article 3 de ce règlement prévoit que l'Union européenne peut cofinancer des projets permettant la mise en œuvre de la directive Habitats et en particulier du réseau Natura 2000.

Dans ce cadre, des projets nous sont soumis chaque année par des bénéficiaires potentiels. La France nous a déjà soumis, dans le cadre du loup, deux projets, l'un en 1996 et l'autre en 1999.

Nous avons accepté le premier projet en 1996. Ce projet visait à accompagner la réapparition du loup en France et il nous a semblé bon dans la mesure où il correspondait exactement à l'esprit du règlement communautaire LIFE. Ce projet nous a été soumis par le ministère de l'environnement. Nous l'avons cofinancé à hauteur de 50 %. Nous ne sommes évidemment pas les maîtres d'œuvre de ce projet, mais il correspond aux objectifs de la Commission.

Ce projet a pour but essentiel d'accompagner le retour du loup en essayant de l'intégrer dans la population locale. La Commission a un souci particulier, dans le cadre de la directive Habitats, qui est de protéger la nature sans exclure l'homme. Notre souci est donc de trouver des projets qui ne se préoccupent pas uniquement de l'espèce, mais qui cherchent également à aider les hommes qui peuvent avoir par exemple des problèmes de pertes de revenu.

Ainsi, les principales actions de ce projet concernent la connaissance scientifique de la progression du loup et des mesures visant à aider les éleveurs. Elles sont de plusieurs types : aides-bergers , regroupement des moutons, chiens patous, etc.

M. le Président : Tout cela a été largement évoqué par d'autres personnes que nous avons auditionnées, notamment par des gestionnaires du ministère de l'environnement français. Pouvez-vous nous apporter d'autres informations ?

M. Bruno JULIEN : Je ne sais pas ce que vous a dit le ministère. Posez-moi des questions si vous le voulez.

M. le Président : Monsieur Hanley, vous nous avez dit que le loup était une espèce protégée dans le cadre de la directive Habitats. A quelle date cette directive est-elle entrée en application ?

M. Nicholas HANLEY : La règle veut qu'une directive entre en vigueur une année après son adoption par le Conseil, à moins qu'une autre date soit précisée dans la directive même.

M. le Président : La directive n'est donc pas entrée en vigueur avant 1993.

M. Nicholas HANLEY : Probablement.

M. le Président : Vous pouvez donc confirmer que, lorsque le loup est apparu en France en 1992, il n'était pas protégé par cette directive.

M. Nicholas HANLEY : Il n'était probablement pas protégé par la directive, mais je tiens à vous rappeler que la France est signataire de la convention de Berne, qui protège également le loup, même si cet aspect relève plus des relations de la France avec le Conseil de l'Europe.

M. le Président : Dans la hiérarchie des normes, quelle est la position respective de la convention de Berne et de la directive Habitats ?

M. Nicholas HANLEY : Dans les pays de la communauté, les engagements pris dans le cadre de la directive Habitats sont beaucoup plus importants que la convention de Berne.

M. le Président : La convention de Berne est-elle obligatoire ou facultative ?

M. Nicholas HANLEY : Elle est obligatoire, mais cela relève des relations entre les Etats signataires de cette convention et le Conseil de l'Europe.

La directive Habitats est, dans une grande mesure, la mise en œuvre de la convention de Berne dans le droit communautaire. Il y a donc une forte relation entre les deux.

M. le Président : La directive Habitats s'applique à partir du moment où a été validé un territoire en relevant ?

M. Nicholas HANLEY : La directive Habitats s'applique à l'ensemble du territoire communautaire en ce qui concerne la protection des espèces nommées dans les annexes de la directive. Les dispositions Natura 2000 entrent en vigueur lorsque des propositions de sites spécifiques Natura 2000 sont adoptées par la Communauté européenne. Les mesures de protection des espèces entrent directement en vigueur, dès la date d'entrée en vigueur de la directive.

M. le Président : Vous nous avez parlé de la différence entre procédure de réintroduction artificielle et retour naturel du loup pour nous dire que vous estimiez que le loup des Alpes était venu naturellement en France en provenance d'Italie. Sur quels éléments fondez-vous cette affirmation ?

M. Nicholas HANLEY : Je fonde cette affirmation sur trois éléments.

D'abord, sur des informations fournies par les autorités françaises auxquelles nous avons posé cette question et qui fondent leur position sur des études génétiques des populations.

Ensuite, sur des informations fournies par le gouvernement italien, notamment le ministère de l'environnement, qui nous indique que la progression de la population de loups s'est faite à partir des années 50, des Apennins vers le nord. Le loup ne connaissant pas les frontières politiques, il est dès lors évident, en raison de son comportement biologique, qu'il est passé du côté français une fois bien établi du côté italien.

Enfin, sur des études relative à la biologie des loups qui démontrent qu'ils sont capables de migrer sur des centaines de kilomètres pour rechercher des territoires.

M. le Président : Possédez-vous des documents du gouvernement italien attestant ce que vous dites ?

M. Nicholas HANLEY : Je n'ai pas de document écrit. J'ai contacté par téléphone, en préparation de cette audition, des responsables du gouvernement italien.

M. le Président : J'insiste, car c'est très important. Y a-t-il, dans les bureaux de la direction générale de l'environnement à Bruxelles, dans le dossier du loup en France, un document officiel des autorités italiennes confirmant ce que vous dites ?

M. Nicholas HANLEY : Il n'y a pas de document officiel. Je vous répète que mes services ont pris contact avec les autorités italiennes pour leur demander notamment si une réintroduction artificielle du loup avait été faite dans les Alpes italiennes. Ils nous ont confirmé que la recolonisation par le loup des Alpes italiennes était un processus naturel, résultat de la progression de l'espèce à partir du noyau des Apennins et qu'ils n'ont jamais fait de réintroduction

Vous pourrez interroger vous-mêmes les autorités italiennes. Elles disposent certainement de documents, mais je n'en détiens pas, puisque je me suis contenté de contacts téléphoniques. Je suis certain qu'il y a des documents scientifiques qui démontrent cette progression.

M. le Président : C'est-à-dire que, après la réapparition du loup dans les Alpes françaises, alors que la France n'était pas à l'époque protégée par la directive Habitats, la Commission de Bruxelles a admis la thèse du retour naturel du loup, sans disposer de document officiel des autorités italiennes.

M. Nicholas HANLEY : Jusqu'à présent, les autorités françaises n'ont pas contesté le fait que la recolonisation par le loup était naturelle.

Ainsi, lors de l'élaboration des listes de référence des espèces à protéger dans le cadre du réseau Natura 2000, le gouvernement français a accepté, dans la liste de référence, annexe 2, que le loup était une espèce naturellement présente en France. Nous aurions besoin de milliers de documents s'il fallait demander à chaque Etat une confirmation écrite pour chaque espèce.

Nous avons instruit des plaintes d'ONG françaises concernant la gestion du loup en France. Dans les réponses des autorités françaises à ces plaintes, il n'a, à aucun moment, été contesté que l'origine de la population de loups en France était naturelle et que l'espèce était protégée par la directive.

M. le Président : Confirmez-vous que, s'il ne s'agissait pas d'un retour naturel, sauf dans le cas d'une procédure de réintroduction artificielle conformément à l'article 22 de la directive, celle-ci ne protégerait pas le loup ?

M. Nicholas HANLEY : Il n'y a pas de jurisprudence sur ce point, mais, ma lecture personnelle, après discussion avec un juriste de nos services, indique que, si vous présentez des preuves scientifiquement solides à la Cour de justice indiquant que l'espèce a été artificiellement réintroduite sans respecter la procédure de l'article 22, la France pourrait demander que la protection accordée par la directive ne s'applique pas. Mais il faudrait des preuves solides.

M. le Président : Votre réponse me convient parfaitement.

M. le Rapporteur : Si la France décidait demain de ne plus adhérer à la convention de Berne, resterait-elle liée par ses obligations communautaires, et notamment par la directive Habitats de 1992 ? Vous avez abordé ce point, mais j'aimerais avoir plus de précisions.

M. Nicholas HANLEY : Même si la France n'adhère plus à la convention de Berne, le droit communautaire continuera à s'appliquer à elle, avec les dérogations éventuelles.

Je voudrais préciser ce que j'ai dit tout à l'heure sur l'application de l'article 22. Je n'ai exprimé en aucun cas une position définitive de la Commission qui n'a jamais eu à connaître ce type de problème et l'interprétation finale des directives communautaires est du ressort de la seule Cour de justice.

M. le Rapporteur : Je voudrais savoir si la convention de Berne distingue les espèces venues naturellement de celles réintroduites.

M. Nicholas HANLEY : Je ne suis pas expert en ce domaine, mais en ce qui concerne la directive communautaire, les annexes de la directive Habitats dressent une liste des espèces qui sont à protéger au sein de la Communauté, dans leurs aires de répartition naturelle. Cette aire ne peut être considérée comme une zone géographique figée dans le temps, parce que la nature change, notamment avec les conditions climatiques.

Pour nous, jusqu'à preuve du contraire, le loup est arrivé naturellement en France et il est donc protégé par l'article 12 de la directive dans son aire de répartition naturelle.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais savoir si la protection juridique s'applique à tous les loups présents sur le territoire ou uniquement à ceux qui y sont venus naturellement.

M. Nicholas HANLEY : J'imagine que les loups du zoo de Vincennes ne sont pas protégés. Toute population pour laquelle il n'est pas prouvé que son origine est artificielle est protégée par la directive.

M. le Rapporteur : Combien y a-t-il de loups en Europe ? L'application de l'article 16 de la directive Habitats s'apprécie-t-elle au niveau de chaque Etat ou au niveau de l'Europe ?

M. Nicholas HANLEY : La directive a prévu certaines dérogations géographiques lors de son adoption. Dans ces zones géographiques, les loups ne relèvent pas du niveau strict de protection de l'article 12, mais ils sont protégés par l'annexe 5 de la directive qui interdit l'extermination totale. Ces dérogations concernent une partie de l'Espagne, une partie de l'Italie et une partie de la Finlande. Le Conseil des ministres, au moment de l'élaboration de la directive, a jugé que ces régions, en raison de l'importance des effectifs, n'abritaient pas de populations précaires de loups et qu'elles ne méritaient donc pas le niveau strict de protection prévu par l'article 12.

Mme Mariella FOURLI : Les populations de loups qui ne sont pas concernées par l'article 12 sont celles se trouvant au nord du Duero en Espagne, au nord du 39ème parallèle en Grèce et les populations de loups en Finlande et en Suède.

M. le Rapporteur : Le programme LIFE Loup mis en place en Italie prévoyait-il l'étude de la population des loups et notamment de leurs déplacements vers la France ?

M. Nicholas HANLEY : Le programme LIFE est un fonds communautaire pour financer des projets de gestion de la nature dans le contexte de la mise en oeuvre de la directive Habitats. La Commission étudie les propositions des Etats membres, elle ne décide pas des projets.

M. Bruno JULIEN : Le projet français comprend des études génétiques pour déterminer l'origine des loups. Les rapports que le ministère de l'environnement nous a communiqués contenant ces études indiquent qu'il s'agit de loups de la souche des Apennins qui étaient remontés progressivement vers les Alpes et qui avaient ensuite franchi la frontière. Certaines meutes sont d'ailleurs aujourd'hui à cheval sur la frontière.

M. Augustin BONREPAUX : Je voudrais savoir à partir de quelle population on peut considérer qu'une espèce est menacée. Dans l'Europe élargie, le loup, l'ours et le lynx sont-ils des espèces menacées ? L'objectif de l'Union européenne est-il qu'il y ait des prédateurs partout ? A quel niveau de population estimez-vous qu'il faut assurer une régulation ? Avec l'élargissement, il va falloir soit augmenter les dépenses soit réduire les recettes et certaines zones vont en supporter les conséquences. Est-ce qu'on va laisser les prédateurs se développer et augmenter les dépenses pour l'élevage ou bien l'élevage va-t-il être sacrifié ?

Vous avez rappelé qu'en cas de réintroduction, une consultation avec les milieux intéressés est nécessaire. Qu'entendez vous par concertation ? Les milieux intéressés doivent-ils être simplement informés ou doivent-ils être interrogés ? Je fais partie des milieux intéressés, mais on ne m'a jamais demandé mon avis alors que l'Etat a procédé à une réintroduction artificielle. Quels sont alors les recours que peut avoir la population ? Est-ce que la directive communautaire s'applique lorsque l'information n'a pas été faite ? Je rappelle que l'ours a été réintroduit dans les Pyrénées avec l'accord de 4 communes de Haute-Garonne, alors que, dans l'Ariège, où l'ours est maintenant présent, il y en a 330. Nous avons engagé une procédure, mais je ne voudrais pas me tromper. Quelle juridiction est compétente pour juger la plainte contre cette réintroduction qui n'a pas été faite dans la concertation ?

La directive s'applique-t-elle en cas de réintroduction artificielle ? Est-ce que la protection est la même ?

M. Nicholas HANLEY : Vous m'avez demandé à partir de quel niveau on peut considérer qu'une population est en bon état de conservation. C'est un sujet sur lequel s'interrogent les scientifiques depuis très longtemps. La réponse varie selon les espèces. Avec l'élargissement, la population de certains carnivores au niveau communautaire est impressionnante, mais ces populations sont fragmentées. Or, le bien-être d'une population repose sur une santé génétique demandant des échanges entre un nombre minimal d'animaux sans lequel il y a une dégradation génétique de la population.

Il y a un débat au sein de la communauté scientifique sur la notion de bon état de conservation pour les différentes espèces. Certains rapports du Conseil de l'Europe ont fait référence à une population minimale nécessaire à la bonne santé d'une espèce qui serait de plusieurs centaines d'individus.

La Commission ne cherche pas à introduire les grands carnivores partout. Nous avons accepté le concept de zonage prévu par le plan français qui identifie une région pour la recolonisation en dehors de laquelle les dérogations de l'article 16 peuvent s'appliquer. C'est aussi un débat qui demande discussion.

Vous m'avez aussi interrogé sur la consultation préalable à une réintroduction. Je vous renvoie aux dispositions législatives, qui ont été votées dans cette enceinte, transposant l'article 22 de la directive Habitats dans le droit français.

M. Michel BOUVARD : Ces dispositions ont été adoptées par voie d'ordonnance !

M. Nicholas HANLEY : La transposition peut comporter plusieurs textes. Je n'ai pas une mémoire encyclopédique et je ne peux donc pas vous dire comment les quinze Etats membres ont transposé nos directives, mais si vous ne disposez pas des ressources nécessaires ici, je peux vous faire parvenir les dispositions transposant la directive Habitats en droit français.

La directive prévoit que la réintroduction doit être décidée après consultation appropriée du public concerné. Cette phrase laisse une certaine marge d'interprétation, comme souvent dans les directives communautaires. S'il n'y a pas de concertation du tout, bien sûr, il y a un problème, mais entre les différents degrés de consultation, il y a une marge d'appréciation.

Si une autorité nationale a procédé à une réintroduction en conformité avec l'article 22 de la directive, c'est-à-dire dans une aire qui était historiquement l'aire de répartition de l'espèce, l'espèce ainsi réintroduite est protégée par la directive.

En Ecosse actuellement, il y a un grand débat sur la réintroduction du castor. Une partie du débat porte justement sur le fait que le castor, une fois réintroduit sera protégé, ce qui incite à la prudence.

Mme Henriette MARTINEZ : On ne peut pas permettre au loup de s'installer partout et il faut donc envisager des dérogations à l'article 16 en fonction de zonages et de plans de gestion.

Sur quels critères peut-on dire où le loup peut s'installer ? Comment délimiter ces zones ? Comment expliquer au loup où il ne peut pas aller ? Si le loup persiste à désobéir, comment lui faire comprendre ? Quel type de dérogation peut-on obtenir et sur quelles bases peut-on demander ces dérogations pour empêcher le loup de s'installer dans des zones où sa présence serait inopportune ?

M. Nicholas HANLEY : L'article 16 prévoit une série de critères pour autoriser une dérogation. On peut imaginer par exemple des zones dans lesquelles il n'y a pas de proies naturelles et où la présence du loup entraînera forcément beaucoup de conflits. Le rapport du Conseil de l'Europe dont j'ai parlé fait référence à l'absence de proies naturelles dans une zone, pour justifier une dérogation. C'est un des éléments que la Commission prendra en compte. Elle ne va pas définir les zones de façon générale pour chaque Etat membre.

Le ministère de l'environnement français a conçu le concept de zonage dans son plan d'action. La Commission a estimé que ce concept, qu'elle voyait pour la première fois, avait une logique dans le contexte des dérogations prévues par l'article 16. Certainement dans l'histoire il y a eu des loups dans le bois de Vincennes, mais s'il y en avait aujourd'hui, cela poserait d'énormes problèmes. Les Etats membres peuvent, en concertation avec la Commission, appliquer les dérogations de l'article 16 au-delà d'un certain zonage pour lequel, sur la base de critères scientifiques, il a été considéré que la présence du loup sera source de conflits. Ce zonage doit avoir une base scientifique. La France ne pourrait se contenter d'affirmer qu'il n'y a aucune zone en France où le loup peut être présent sans conflit. Cela serait contraire à la directive.

Nous sommes prêts à travailler avec les autorités françaises sur un plan de gestion censé et logique prévoyant le maintien d'une population en bon état de conservation tout en prenant en considération des aspects socio-économiques afin d'éviter au maximum les conflits. Ce plan pourra s'accompagner de mesures de compensation et d'assistance aux bergers, éligibles au financement communautaire.

M. Michel BOUVARD : J'ai d'abord une question sur les dérogations de l'article 16. Elles peuvent être fondées sur des critères naturels. Pourraient-elles être fondées sur des critères économiques ? Le principe de base du droit de l'environnement en France, je ne sais pas s'il est le même au niveau communautaire, est le rapport coût/avantage.

La présence d'un grand prédateur est susceptible de désorganiser l'économie pastorale, voire l'économie touristique d'une région. En effet, les mesures de protection peuvent poser des problèmes au tourisme d'été en montagne, en raison des chiens de protection qui se révèlent parfois agressifs vis-à-vis des randonneurs. Peut-on envisager des zones d'exclusion de loup à ce titre ?

Je voudrais savoir aussi quel est le montant des crédits affectés par l'Union européenne à ce jour au titre du programme LIFE Loup en France.

Peut-on par ailleurs savoir de quand date la première demande du ministère de l'environnement ? Un dossier a-t-il été remis à cette occasion ? Si oui, pourriez-vous nous le transmettre ?

Nous avons bien compris que la gestion des espèces n'est pas globalisée et que notamment le niveau de conservation d'une espèce ne s'appréciait pas en fonction de la population totale en Europe. Y a-t-il une obligation pour chaque Etat membre de conserver son espèce de prédateur ? Le Luxembourg doit-il avoir toutes les espèces de prédateurs protégés sur son territoire ?

Existe-t-il un programme de financement pour compenser les dégâts du lynx ? Dans certains secteurs, on assiste en effet au retour très rapide du lynx.

Il peut arriver que le retour d'une espèce protégée de prédateur puisse menacer l'existence d'une autre espèce. Je suis l'élu d'une région où les parcs naturels régionaux, notamment la réserve des Bauges, ont été sollicités par les services du ministère de l'environnement pour réintroduire le mouflon. On a consacré beaucoup de crédits à la réintroduction du mouflon pendant dix ans, mais aujourd'hui le retour du loup menace l'existence du mouflon. Comment la directive Habitats prévoit-elle de traiter ce type de difficulté ?

M. Nicholas HANLEY : Aucun Etat membre n'est bien sûr obligé d'avoir son quota d'espèces protégées. La directive parle des aires de répartition naturelle et il n'y a aucune obligation en dehors de ces aires.

Vous m'avez interrogé sur les critères de dérogation de l'article 16. Aucune dérogation ne peut nuire à l'état de conservation des populations des espèces concernées. Une dérogation ne pourrait donc être utilisée pour motiver l'extermination totale d'une espèce. Ces dérogations doivent seulement permettre de contrôler l'impact de la présence de prédateurs sur l'élevage, la forêt ou les pêcheries ou sur la santé publique.

M. Michel BOUVARD : Je parlais dans le cadre d'un zonage. Il ne s'agit donc pas d'une extermination sur tout le territoire.

M. Nicholas HANLEY : Un plan de gestion qui n'assurerait la survie que d'un petit noyau de population, trop faible pour garantir sa santé écologique, pourrait être considéré comme nuisible à la conservation de l'espèce.

La directive fixe les grands principes. Ils doivent être ensuite appliqués avec bon sens sur le terrain.

Votre troisième question concernait un dossier du ministère de l'environnement français. De quel dossier parlez-vous ?

M. Michel BOUVARD : Il s'agit du dossier déposé dans le cadre de l'accès aux crédits LIFE loup.

M. Bruno JULIEN : Deux dossiers ont été soumis dans ce cadre, l'un en 1996 et l'autre en 1999. C'est normalement à l'émetteur du dossier qu'il revient de le communiquer sur requête. Vous pouvez donc toujours adresser une demande à la Commission, mais elle demandera à l'Etat français de vous communiquer ce document. Si l'Etat français refuse, on verra, car il y a des règles de transmission des documents.

M. Michel BOUVARD : Vous confirmez donc qu'il existe un dossier à la Commission.

M. Bruno JULIEN : Il y a deux dossiers, un de 1996 et l'autre de 1999.

Sur le dossier de 1996, le taux de cofinancement communautaire a été de 50 %. Nous avons versé environ 600 000 euros, l'autre moitié ayant été versée par le ministère de l'environnement.

Sur le deuxième projet qui est en cours et qui se terminera en 2004, nous avons déjà dépensé deux tiers de ce qui était prévu. La part communautaire est de 40 % et se monte à 1, 1 million d'euros. Nous avons donc déjà engagé 800 000 euros.

M. Michel BOUVARD : Le financement communautaire a donc diminué entre le premier et le deuxième projet.

M. Bruno JULIEN : Il y a automatiquement une diminution, car les projets LIFE sont des projets novateurs.

Le dossier est la propriété du bénéficiaire, mais nous avons exigé du ministère de l'environnement que le ministère de l'agriculture soit cofinanceur afin qu'il soit partie prenante dans la stratégie de protection du loup dans le cadre du zonage. La Commission, souhaitant protéger la nature, mais pas au détriment de l'homme, a exigé que les acteurs économiques, ou tout au moins les ministères les représentant, soient impliqués dans ce dossier. Nous avons donc un taux de cofinancement de 5 % du ministère de l'agriculture.

M. Michel BOUVARD : Ce qui veut dire que la Commission s'arroge un droit de répartition des crédits budgétaires dépendant pourtant de la souveraineté du parlement français.

M. Bruno JULIEN : Pas du tout. La Commission est libre de choisir ou de ne pas choisir les projets et donc d'estimer s'ils sont bons ou mauvais.

M. Michel BOUVARD : Dans ce cas, la Commission ne décide pas si le projet est bon ou mauvais, elle se prononce sur l'origine des crédits budgétaires.

M. Nicholas HANLEY : Ce n'est pas une question de finances, mais plutôt d'engagement.

M. Bruno JULIEN : Le gouvernement français est libre de faire ce qu'il veut, mais la Commission est également libre de proposer ou non un financement. Ce droit de la Commission est contrebalancé par une procédure de réglementation. La Commission fait ses propositions devant un comité réglementaire et les Etats membres peuvent voter pour ou contre.

M. Nicholas HANLEY : Dans ce dossier, notre position était la suivante: étant donné que la gestion du loup en France implique fortement l'agriculture, cela n'aurait pas eu grand sens pour la Commission de continuer à financer sans un engagement du ministère de l'agriculture français dans la gestion d'un projet visant à aménager la cohabitation entre la nature et le monde agricole. Le rôle des projets LIFE est souvent expérimental. Nous cherchons à développer des techniques et des mesures qui peuvent être ensuite intégrées dans la gestion quotidienne. Certains Etats membres ont intégré ces mesures dans la gestion quotidienne agricole.

Au-delà du domaine des grands carnivores, nous avons beaucoup de projets LIFE nature ayant développé des techniques qui ont ensuite été entérinées par des mesures agro-environnementale de gestion des terres.

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

M. le Rapporteur : Quelle appréciation portez-vous sur le protocole visant à réduire le nombre d'attaques de loups et de chiens sur les troupeaux domestiques ? Ce protocole a été établi par le ministère de l'environnement en 2002.

Un protocole est-il à l'étude pour 2003 ?

M. Nicholas HANLEY : Vous devrez poser cette question aux autorités françaises, car la Commission n'est pas responsable de ces protocoles. Dans le contexte de l'instruction des plaintes que nous avons reçues, les autorités françaises ont avancé l'existence de ce protocole et du plan d'action. Le protocole, qui s'intègre au plan à long terme, devrait donc être renouvelé chaque année.

M. Bruno JULIEN : J'ai récemment rencontré les autorités françaises dans le cadre du programme Loup actuel. Je leur ai fait savoir que la Commission aimerait que, dans le cadre du programme qu'elle finance, il y ait un protocole de régulation défini de façon claire.

M. Nicholas HANLEY : Je voudrais apporter une précision à ma réponse à la question qui m'a été posée en début d'audition sur l'entrée en vigueur de la directive Habitats. Dans l'article 23 de la directive, les Etats membres se sont donnés un délai de deux ans à partir de la date d'adoption de la directive pour transposer ses dispositions dans leur législation nationale.

Mme Henriette MARTINEZ : Monsieur Julien, combien y a-t-il de loups en France et en Europe ?

Mme Fourli, pourriez-vous nous parler de la situation dans les autres pays d'Europe ? Comment les autres pays d'Europe concilient-ils la présence du loup et le pastoralisme ?

M. Bruno JULIEN : Les dernières estimations du nombre de loups en France, qui sont toujours difficiles à faire, sont d'une trentaine de loups, dont une partie seraient à cheval entre l'Italie et la France. On décèle une progression du loup, puisqu'au début du premier projet, l'estimation était d'une vingtaine de loups.

M. Nicholas HANLEY : Nous disposons pour les autres pays d'Europe d'estimations. Il y aurait ainsi en Italie entre 600 et 1 000 loups, en Grèce environ 700, en Espagne entre 2 500 et 3 000 et au Portugal environ 300. Pour les pays scandinaves, les estimations sont moins précises. Il y aurait environ 150 loups en Finlande. Nous n'avons pas d'estimation pour la Suède.

Mme Mariella FOURLI : Il faut remarquer que les estimations sont des fourchettes, il n'est pas possible de donner un chiffre précis.

M. Michel BOUVARD : La tendance est-elle à la hausse ou à la baisse ?

M. Nicholas HANLEY : Cela dépend des pays. Ainsi, dans les pays scandinaves, il y a beaucoup de problèmes et nous avons des interrogations juridiques concernant leur gestion du loup.

Mme Henriette MARTINEZ : Les problèmes qui se posent dans les autres pays d'Europe sont-ils identiques aux problèmes se posant en France ?

Mme Mariella FOURLI : La problématique de la coexistence du loup avec le pastoralisme est identique dans tous les pays. Elle est plus forte dans les régions où le loup a disparu avant de revenir.

En Grèce et en Espagne, la population est en hausse. La dynamique de population est telle que, quand une région est saturée, les loups vont se déplacer jusqu'à 200 kilomètres pour trouver des aires pouvant leur offrir les conditions nécessaires à leur survie. Ainsi, il y a une recolonisation vers le sud en Grèce.

Les conflits sont toujours plus importants dans les régions où le loup a brutalement reparu.

Dans le cadre du projet LIFE loup en Grèce, mené par une ONG soutenue par le ministère de l'agriculture, nous nous sommes aperçu que 67 % des éleveurs des régions nouvellement colonisées par le loup étaient convaincus que le loup avait été réintroduit par les autorités alors qu'il n'y a aucun preuve d'une quelconque réintroduction ni aucun intérêt à le faire.

La situation est la même en Espagne. Les conflits dans les régions où le loup a toujours été présent sont beaucoup moins forts, car les éleveurs ont maintenu leurs pratiques traditionnelles, à la différence de la France. Dans les Alpes françaises, les troupeaux ont souvent 1 500 têtes, alors qu'en Grèce et en Italie, les troupeaux ont en moyenne 200 à 500 têtes.

Mme Henriette MARTINEZ : Il y a toujours eu des troupeaux importants en France. La transhumance est traditionnelle.

M. Nicholas HANLEY : Oui, mais la transhumance était pratiquée dans le temps avec une présence humaine plus importante qu'aujourd'hui. La présence humaine est un élément de dissuasion important.

Mme Mariella FOURLI : C'est la prévention qui facilitera la coexistence entre le loup et le pastoralisme. Ce sont ces pratiques de prévention qui n'ont pas été perdues en Grèce et en Espagne. Les conflits y existent toujours, mais les pratiques de prévention permettent de les minimiser.

Le loup a une certaine image et il est intéressant d'étudier la perception de l'animal par les populations. Ainsi, en Grèce, nous nous sommes aperçu que la perception du loup a changé. Au début du projet, la bonne moitié des articles parus dans la presse étaient centrés les rumeurs concernant la réintroduction du loup. A la fin du projet, la presse parlait plus de sujets comme le braconnage de loup. Le loup a une très forte image, tous les pays connaissent le « grand méchant loup ». Un travail de sensibilisation peut donc aider à diminuer le conflit social.

Mme Henriette MARTINEZ : Y a-t-il des zones où l'on a interdit l'installation du loup ?

M. Nicholas HANLEY : Je n'ai aucune information de projets de réintroduction artificielle. Dans tous les pays que nous avons cités, l'expansion de la population de loup s'est faite par un processus naturel de population en excédent qui va conquérir de nouveaux territoires.

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Roland CHASSAIN : L'Italie connaît-elle les mêmes problèmes d'attaques de troupeaux que la France ?

Mme Mariella FOURLI : Les loups aiment les moutons dans tous les pays.

M. Bruno JULIEN : Le projet français, ainsi que ceux menés dans d'autres pays, nous ont appris que le loup est un animal extrêmement intelligent et que la coordination de toutes les mesures de protection est donc nécessaire : présence humaine, chien, enclos de garde, pour avoir une relative sécurité. Si un éleveur n'adopte pas toutes ces mesures, le loup va trouver le point faible. La protection doit être le plus renforcé possible.

Mme Henriette MARTINEZ : Dans les alpages, le principe des enclos me paraît impossible à mettre en œuvre parce que les moutons pâturent sur des surfaces très étendues et pentues. De surcroît, s'ils pâturent toujours au même endroit, il y a un risque de destruction de l'environnement naturel, notamment la flore, et ils peuvent attraper des maladies des pattes.

M. Bruno JULIEN : Je me suis rendu récemment dans les Alpes. C'est vrai que les déplacements d'enclos posent d'énormes problèmes aux éleveurs. On peut le faire mais le coût est élevé.

M. le Président : Vous mesurez donc les difficultés des éleveurs ?

M. Bruno JULIEN : Bien sûr, mais nous sommes là pour aider à les surmonter.

M. le Président : Le jeu en vaut-il la chandelle ?

M. Nicholas HANLEY : C'est un choix de société.

M. le Président : Mais c'est un choix de société qui n'est pas forcément fait par la société.

M. Nicholas HANLEY : Le Conseil des ministres et le Parlement européen sont les représentants de la société en ce qui concerne les législations communautaires.

M. Augustin BONREPAUX : Les mesures de protection que vous proposez peuvent être appliquées dans certains endroits et pas dans d'autres. N'y a-t-il pas là un risque de voir se développer un élevage de seconde qualité ? Pour faire un élevage de qualité, il faut en effet pouvoir sélectionner les animaux, ce qui n'est pas évident quand le troupeau est attaqué. Certaines mesures de protection risquent de nuire à la qualité des produits.

M. Nicholas HANLEY : J'ai rencontré la semaine dernière des éleveurs des Hautes-Pyrénées et des Alpes-Maritimes qui m'ont fait part de leurs préoccupations et de leurs difficultés. La Communauté, par le biais de ses différents programmes LIFE nature, cherche à favoriser le développement de technique de protection. Aucune technique n'est fiable à 100 %. Nous essayons aussi de favoriser les échanges entre les pays.

Dans les zones abritant des grands prédateurs, loup, ours ou lynx, il y aura toujours des risques. C'est pour cela que la Communauté a accepté que les fonds communautaires soient utilisés pour compenser ces risques.

Dans ce débat, on observe une tendance à résumer les problèmes du pastoralisme au seul problème des grands carnivores. Or, le pastoralisme est aussi confronté à des problèmes sociaux et économiques. Je me souviens d'un éleveur des Hautes-Pyrénées qui me disait que du temps de son grand-père, il y avait 7 bergers sur la montagne lors des transhumances alors que lui ne pouvait compter sur l'aide que d'une seule personne. Le malaise est plus profond et demande une réponse structurelle dans le cadre d'une politique de développement régional.

Il faudrait aussi favoriser l'écotourisme.

La présence des grands carnivores peut avoir un aspect positif, car des citadins veulent aller dans les montagnes pour les voir. C'est un avantage qui peut être intégré à un ensemble de mesures.

La Commission recommande l'adoption par la France de plans intégrant toutes ces mesures. Elle est prête, par le biais du programme LIFE nature, par le biais des fonds de développement rural, à être compréhensive et à donner tout son appui, dans la mesure des budgets permis par les Etats membres et dans le cadre de la législation communautaire.

M. le Président : Le programme LIFE est reconductible d'année en année. La France doit-elle s'inquiéter pour sa reconduction cette année ?

M. Bruno JULIEN : La France a des inquiétudes à avoir, car nous renouvelons rarement trois fois un programme. Le taux de cofinancement a baissé, car il s'agissait du deuxième projet. Normalement, nous laissons sa chance à l'Etat membre et c'est à lui de prouver que cela marche.

M. Nicholas HANLEY : Le programme LIFE est expérimental. Nous avons lancé un débat concernant les besoins de financement des directives Habitats et nous avons reçu un rapport d'expert, disponible sur notre site web, concernant les besoins financiers pour la mise en œuvre des directives Habitats. La Commission a pris l'engagement de présenter au Conseil et au Parlement, dans le courant de cette année, une communication présentant les besoins de financement pour l'application de la directive. La Commission a donc pris l'engagement d'aborder sérieusement ces questions dans le cadre du Conseil des ministres au-delà de l'achèvement des programmes LIFE.

M. le Président : Je note donc qu'il n'y a pas de garanties de renouvellement du programme LIFE et qu'il reviendra donc au seul contribuable français de financer la suite.

M. Nicholas HANLEY : Le nouveau règlement du fonds de développement rural prévoit l'éligibilité des dépenses nécessaires pour la mise en œuvre des directives Habitats. Plusieurs régions en Europe ont utilisé ce fonds et c'est une possibilité ouverte à la France.

M. le Président : Dernière question, le loup est-il une espèce en voie de disparition ?

M. Nicholas HANLEY : Cela dépend des pays.

M. le Président : Sur la planète, le loup n'est pas menacé de disparaître ?

M. Nicholas HANLEY : Non.

M. le Président : Madame, Messieurs, je vous remercie.

Audition conjointe 
de M. Gilbert MARY, conseiller général des Alpes-Maritimes
et membre de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM),
et de M. Hervé BENOIT, chargé de mission à l'ANEM

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Gilbert Mary et M. Hervé Benoit sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Gilbert Mary et M. Hervé Benoit prêtent serment à tour de rôle.

M. le Président : M. Pierre Jarlier, sénateur du Cantal et président de l'Association nationale des élus de la montagne, l'ANEM, s'est excusé.

Je salue la présence de M. Gilbert Mary, conseiller général des Alpes-Maritimes et membre de l'ANEM et de M. Hervé Benoit, chargé de mission à l'ANEM. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Nous avons une trentaine de minutes devant nous pour évoquer, avec M. le rapporteur et les autres membres de la commission, les conditions du retour du loup dans notre pays et les problèmes qu'il pose, ainsi que d'autres grands prédateurs, à la gestion du pastoralisme, problèmes que vous connaissez bien l'un et l'autre. M. Benoit gère au sein de l'ANEM ce dossier depuis plusieurs années sur le plan juridique, administratif et politique. Vous êtes donc un grand connaisseur de ce sujet.

Je vous demande à l'un et à l'autre de nous faire part de la manière dont vous avez été amenés à traiter ces dossiers et de la connaissance que vous en avez. Nous procéderons ensuite à un échange interactif avec les membres de la commission. Ce qui nous intéresse, c'est avant tout l'analyse et la position de l'ANEM sur ce dossier.

M. Gilbert MARY : La première apparition du loup ne date pas de 1992 puisqu'un loup est apparu sur le territoire de la commune de Fontan en 1987. Toutes les parties intéressées, la Direction départementale de l'agriculture, le parc national du Mercantour, les chasseurs et les bergers, étaient d'accord pour le tuer et il a été tué, d'ailleurs tout à fait par hasard, au cours d'une battue de sanglier.

Le loup n'est pas en voie de disparition comme le dit la convention de Berne. Au contraire, il prospère, y compris dans les Alpes-Maritimes, puisque des loups ont été vus au col de Vence.

Il existe une législation sur les chiens dangereux. Il n'a pas été besoin d'aller jusqu'à Bruxelles pour faire une convention. Des décisions ont été prises pour tuer les chiens dangereux et je ne vois pas pour quelles raisons les loups ne seraient pas traités de la même façon car ils causent des dégâts à l'économie de nos cantons ruraux. Par ailleurs, les chiens patous représentent un danger pour la population et pour les randonneurs.

Nous avons reçu des cartes toutes prêtes nous annonçant que notre commune allait être choisie comme lieu touristique pour voir les loups. On a alors très rapidement reçu des courriers de personnes désirant savoir s'il y avait vraiment des loups chez nous parce qu'elles n'avaient pas envie de se faire mordre.

Aujourd'hui, les chiens patous représentent un danger pour les randonneurs, qui hésitent à aller se promener, surtout après une attaque de loups.

M. Hervé BENOIT : Je vais évoquer quatre points : premièrement, l'implication des élus sur le dossier du loup ; deuxièmement, leur analyse des éléments du dossier ; troisièmement, leur action et, enfin, leurs propositions.

Les élus de montagne se sont trouvés impliqués, comme en a témoigné M. Mary, parce qu'on est venu les chercher pour prendre des arrêtés de battues. C'est donc dans l'exercice de leurs pouvoirs de police qu'ils sont directement concernés en tant qu'élus.

Ces pouvoirs ont été remis en cause : la convention de Berne aidant, les arrêtés de battues ont été censurés. Les élus ont donc un intérêt à agir et à faire connaître leur position sur ce dossier.

L'autonomie de gestion des élus sur leur propre territoire est remise en cause. De quelle façon doit-on gérer la faune sauvage ? Pourquoi se substitue-t-on à l'élu local  qui est pourtant le meilleur observateur ? Pourquoi empêche-t-on le maire de gérer une crise à laquelle il est pourtant sensible à travers les dommages que subissent les éleveurs sur le territoire de sa commune ? Le mal essentiel que nous cherchons tous à combattre est bien les dommages économiques que cause le retour du loup.

Au-delà de la gestion locale du loup, se pose la question que doit conduire l'Etat à son égard au niveau national. Il s'agit de gérer une contradiction historique. La disparition du loup sur le territoire national était le résultat d'une politique publique délibérée. Aujourd'hui, les mentalités ont changé, le loup est de retour avec un statut d'animal protégé. Le problème, c'est qu'entre temps, les éleveurs se sont adaptés à l'absence du loup. L'économie de production ovine notamment s'est adaptée à des milieux d'alpages dans lesquels le loup n'est pas présent. Le retour du loup dans ces milieux perturbe profondément ces activités économiques. Le dommage est durable, réel et sérieux et on ne l'a pas pris jusqu'à présent véritablement en compte.

Les élus refusent de se prononcer sur la question de savoir s'il s'agit d'un retour spontané ou d'une réintroduction. A ce stade, d'après les éléments en notre connaissance, s'il y avait eu réintroduction, elle aurait été sauvage et n'aurait pas été pilotée par les pouvoirs publics.

Ce qui importe, c'est que le loup est de nouveau chez nous. C'est ce problème qu'il faut résoudre.

Le contexte semble favorable au loup. Il y a la convention de Berne, qui est un système relativement lourd, et des engagements forts de l'Etat pour protéger le loup soutenus par l'opinion majoritairement favorable au loup, dont l'image a changé.

L'ANEM cherche avant tout à s'attaquer aux problèmes et a donc laissé de côté le débat sur l'origine du retour du loup. Même s'il était démontré que le loup a été réintroduit, il serait de mauvais aloi d'éradiquer le loup, car cela serait mal perçu par l'opinion.

L'ANEM a une analyse partagée de la conclusion des travaux de la mission Honde-Chevallier qui préconisait des parcs à loups. Il s'agit de retirer les loups qui sont dans la nature pour les mettre dans un enclos. Cela ne semble pas une solution conforme à la convention de Berne qui prône une gestion naturelle. L'enclos relève plutôt d'une logique de zoo.

Je signale toutefois qu'une expérimentation est menée en Haute-Loire, à Saugues. Un enclos gigantesque y a été installé, à l'intérieur duquel on essaye de faire vivre une meute dans des conditions naturelles mais dans un parc fermé.

M. Mary l'a judicieusement souligné, le loup, biologiquement parlant, est loin d'être une espèce menacée. C'est au contraire une espèce qu'il faut admirer pour sa résistance. Elle n'a donc a priori pas besoin d'un statut de protection particulier. Le loup a su résister aux agressions de l'homme, dont il a une très longue expérience historique.

En termes de sécurité publique, le loup est un animal qui peut être dangereux. Ses morsures sont fortes et redoutables et il peut être vecteur d'épidémie, comme la rage. La dangerosité de l'animal justifie donc pleinement que les autorités locales disposent d'instruments pour s'en prémunir.

La position de l'ANEM, et elle rejoint en cela les organisations agricoles, est de dire que pastoralisme et grands prédateurs ne sont pas compatibles. Il faut maintenir le loup à l'écart de l'élevage. C'est une solution abstraite, qu'il est beaucoup plus facile de proposer dans des bureaux que de mettre en chantier sur le terrain, mais l'ANEM s'efforce de rechercher des solutions concrètes.

L'ANEM propose que le statut du loup soit différencié en fonction de l'emplacement où il se trouve. Dans ce zonage, le loup aurait dans certains espaces le statut d'animal protégé que lui reconnaît la convention de Berne, alors que dans d'autres, où son rôle nocif pour les activités pastorales est reconnu, des moyens seraient mis en œuvre pour le contrer. Ces moyens pourraient consister à valider les pouvoirs de police des élus locaux d'organiser des battues et à reconnaître le droit des propriétaires de troupeaux et des gardiens de pratiquer en quelque sorte la légitime défense en cas d'attaque du troupeau. Le berger pourrait manier le fusil sans avoir à recourir à la procédure administrative actuelle prévue par le protocole d'enlèvement qui oblige à comptabiliser les pertes, à prouver qu'elles ont été causées par le loup, à redescendre jusqu'à la préfecture pour déposer le dossier et obtenir l'autorisation nécessaire pour que les louvetiers puissent procéder à l'enlèvement du loup. A notre connaissance, la seule fois où ce protocole a été appliqué, à Venanssons, le temps que l'on dépêche les louvetiers sur place, ils n'ont rien trouvé.

Le problème principal à l'heure actuelle se situe dans le parc national du Mercantour. La solution du zonage ne semble pas totalement adaptée à la situation dans ce parc, car, d'une part il y a une juxtaposition très étroite entre le pastoralisme et la présence forte du loup et, d'autre part la faune sauvage est protégée dans les parcs nationaux. Nous proposons donc de pousser l'idée de la gestion patrimoniale. Les outils de prévention - la fameuse trilogie berger, chien, parc nocturne - ont leur efficacité, mais cette efficacité a de sérieuses limites. Ces outils nécessitent en effet des moyens importants et ne présentent pas de garantie totale. L'argent public pourrait être utilisé d'une autre manière. Par ailleurs, l'Etat n'y met peut-être pas tous les moyens nécessaires. Le département de la Savoie en est un bon exemple. Le conseil général a mis en œuvre des moyens financiers colossaux pour pallier les insuffisances de l'Etat et prévenir l'arrivée du loup.

Il faut mettre les moyens nécessaires à ces systèmes de prévention, mais au-delà, il faut valoriser le pastoralisme, dans le contexte notamment du tourisme et d'une production agroalimentaire de qualité.

Voilà, je pense avoir exposé dans des délais resserrés tout ce que nous avions à vous dire sur le sujet.

M. le Président : D'après les études conduites par l'ANEM, est-ce que le loup est revenu naturellement ou bien a-t-il été réintroduit de manière artificielle ?

M. Gilbert MARY : Jusqu'à présent, personne n'a été capable de démontrer que le loup a été réintroduit. Des spécialistes l'ont dit, mais cela a été rejeté purement et simplement.

700 kilomètres à vol d'oiseau séparent les Abruzzes des Alpes françaises et 200 kilomètres d'un autre foyer près de Gênes. Le loup n'a pas pu traverser ces régions où se trouvent des terrains de chasse et des proies, sans causer aucun dégât pour se retrouver dans les Alpes-Maritimes par l'opération du Saint-Esprit.

Je tiens à votre disposition un relevé d'état civil des Causses et des Cévennes datant de 1909 à 1917. Vous pourrez y constater le nombre de décès dus à la présence du loup.

La commune dont j'ai été maire a pris une délibération autorisant le maire à pratiquer des battues, ce qui entre dans les pouvoirs du maire. Le préfet a attaqué cette délibération. Les juridictions administratives - tribunal administratif, cour administrative de Marseille et Conseil d'Etat - nous ont confirmés la position du préfet.

M. le Président : La problématique que rencontre la commission depuis des semaines est la suivante : nous disposons de documents des autorités françaises certifiant que le loup s'est installé, notamment en Ligurie, entre 1987 et 1989, puis s'est approché des Alpes françaises, mais chaque fois que nous avons demandé si cela été authentifié par des autorités italiennes, nous n'avons jamais réussi à obtenir ces documents des autorités françaises.

Est-ce que dans les relations de l'ANEM avec des autorités italiennes, vous avez obtenu des documents attestant de la présence du loup, notamment en Ligurie à la fin des années 80 et au début des années 90, émanant d'autorités italiennes comme le ministère de l'environnement, les directions régionales, les conseils régionaux... ?

M. Hervé BENOIT : Je ne dispose pas de tels documents. On peut adresser une demande à nos homologues italiens de l'Union nationale des communes et communautés de montagne, l'UNCEM.

Nous avons abordé le dossier du loup en passant par dessus la question de l'origine du loup en France. Nous avons pris pour acquis la présence du loup pour nous concentrer sur les problèmes posés par cette présence.

Tout approfondissement du débat sur l'origine du loup en France ne pourra que conduire à mettre en place une justification d'une nouvelle éradication, difficilement défendable.

M. le Président : Notre commission est habilitée à demander des poursuites en cas d'infractions. Vous avez évoqué la convention de Berne, mais il y aussi la directive Habitats, qui a été, semble-t-il, applicable à la France qu'à partir de 1994. Le loup est apparu en 1992. Les autorités françaises ne peuvent donc pas se réfugier derrière la directive Habitats pour assurer la protection du loup en 1992. Elles ne pourraient le faire que sur le fondement de la convention de Berne.

La directive Habitats dispose en son article 22 que la réintroduction d'une espèce protégée ne peut se faire qu'après avoir engagé une procédure, passant par des étapes d'études scientifiques, devant être validée.

M. Hervé BENOIT : La convention de Berne prévoit également une telle procédure.

M. le Président : De deux choses l'une : soit le loup est revenu naturellement et n'était pas à l'époque protégé par la directive Habitats, mais par la seule convention de Berne, soit il a été introduit de manière artificielle, sans que les procédures prévues par la convention de Berne et par la directive Habitats aient été respectées. Il appartiendrait alors aux autorités compétentes de déposer des plaintes contre X.

M. le Rapporteur : L'ANEM pense donc que le pastoralisme est en grave danger à cause du loup. Pensez-vous que, par ricochet, l'élevage en montagne soit en grande difficulté, voire menacé de disparition, à cause du loup ?

M. Gilbert MARY : Les élus de l'ANEM sont en grande majorité contre l'introduction du loup et pour le pastoralisme. Ils ont pris conscience, de manière presque unanime, du grand coup qui est porté au pastoralisme et au tourisme. En effet, les touristes ne viennent pas dans nos régions pour voir le loup et lui donner une cacahuète. Les randonneurs se promenaient tranquillement en montagne. Maintenant, ils ont peur et du loup et des chiens patous. Les bergers en ont assez et deviennent par moment agressifs et méchants.

M. le Président : Trois d'entre eux ont d'ailleurs été traduits en correctionnelle.

M. Gilbert MARY : Je me souviens d'une réunion à Breil-sur-Roya. Ils nous ont séquestrés jusqu'à ce que la télévision vienne pour les écouter. Le directeur-adjoint de la DDA a reçu une raclée.

M. Augustin BONREPAUX : Il faut certainement protéger les zones où l'on fait de l'élevage de qualité, mais faut-il laisser les loups tranquilles hors de ces zones et laisser les bergers attendre que les loups mangent leurs troupeaux et qu'ils soient dédommagés ? Je caricature à peine.

Je voudrais poser trois questions.

Le pastoralisme connaît le problème des prédateurs, mais aussi celui des chiens errants. On le règle parfois et je voudrais savoir si l'ANEM a une solution plus générale. Vous avez parlé, monsieur Benoit, des difficultés d'application des protocoles d'enlèvement de loup, mais pour les chiens errants le problème est similaire : quand les gendarmes arrivent, le chien a disparu.

Quelle est la solution ? J'avais demandé et obtenu en 1988 que les chiens soient tatoués. Il faudrait qu'il y ait une meilleure réglementation. Dans certaines zones, comme les parcs nationaux, l'entrée des chiens est interdite et il n'y a pas de problème. Que pensez-vous d'une généralisation de cette mesure ?

Vous avez parlé des pouvoirs de police. La responsabilité du maire est engagée, que l'animal soit arrivé naturellement ou artificiellement. J'ai interrogé à plusieurs reprises, par questions écrites, le ministère de l'intérieur et le ministère de l'écologie, pour savoir qui est responsable en cas d'accident. Notre commission d'enquête devra poser la question.

Ma dernière question m'a été suggérée par l'auteur d'un rapport, M. Braque. Dans les Pyrénées, pas loin de chez moi, un loup a été identifié par M. Taberlet comme venant des Abruzzes. C'est quand même loin ! On m'a dit qu'il s'était peut-être échappé d'un élevage. Vous avez parlé d'un parc à loup en Haute-Loire. J'en ai un chez moi et je trouve cela très bien. Il y a 40 000 entrées payantes. Je vois souvent des loups arriver. On me dit que ce sont des loups du Canada. Comment contrôle-t-on tout cela, les arrivées, les disparitions de loups ? Je sais bien qu'il faut des certificats, puisque c'est moi qui ai installé le parc, mais que se passe-t-il quand un loup s'échappe ?

M. François BROTTES : On parle du loup des Abruzzes, mais les scientifiques nous ont dit qu'il fallait parler du loup d'Italie.

Vu de l'ANEM, quel est le rôle et l'intérêt pour la montagne du pastoralisme extensif ? On entend dire qu'il faudrait pratiquer un pastoralisme différent, mais je crois qu'il ne faut pas perdre de vue l'intérêt qu'il y a à pratiquer un pastoralisme extensif.

M. Michel BOUVARD : Que pense l'ANEM de l'argument selon lequel le loup pourrait être un élément favorable au développement du tourisme durable et notamment du tourisme estival qui est une préoccupation dans les secteurs de montagne ?

M. Hervé BENOIT : Sur le potentiel touristique du loup, on constate deux choses contradictoires.

On ne peut pas nier l'intérêt du public pour le loup. Des produits touristiques peuvent donc être conçus autour de cette image, mais il ne faut pas oublier que le loup est un animal farouche, qui ne se laisse pas observer facilement. Il est donc utopique d'envisager des destinations loup où l'on pourrait observer l'animal. Les produits touristiques sur le loup sont donc, paradoxalement, indépendants de sa présence physique. Selon moi, l'approche touristique et la gestion du loup relèvent de deux niveaux d'approche différents.

Quel est l'intérêt du pastoralisme extensif pour la montagne ?

Il est vital, non seulement pour la beauté intrinsèque de nos paysages de haute montagne, mais aussi pour l'entretien des alpages. En effet, grâce au pacage des troupeaux, les herbes des terres d'altitude se trouvent tondues. Je rappelle peut-être quelque chose de très évident -je l'ai appris à l'école primaire- mais si l'on ne tond pas l'herbe, il y a des risques d'avalanche, car l'herbe se couche dans le sens de la pente lorsque la neige tombe. Le pastoralisme extensif a donc un rôle d'entretien des territoires.

Par ailleurs, le pacage en altitude a une fonction biologique : la digestion des moutons fait partie d'un processus de dissémination de certaines graines de plantes qui ne pourraient pas se reproduire sans cela.

J'en viens aux questions de M. Bonrepaux. Un loup des Abruzzes identifié par des tests d'ADN dans les Pyrénées occidentales, c'est une aberration. Il est en effet physiquement impossible que le loup soit venu de lui-même des Abruzzes. Selon toute probabilité, ce loup appartenait à un particulier et se serait évadé de son enclos. Il existe un phénomène sociologique bizarre, mais assez répandu : certains marginaux ont une fascination pour ce type d'animaux et, sans demander rien à personne, on est en dehors du droit, s'arrogent le droit de posséder ces animaux comme animaux de compagnie. Au bout d'un moment, soit parce qu'ils sont trop coûteux, soit parce qu'ils sont agressifs, ces animaux se retrouvent dans la nature. D'ailleurs, c'est un des scénarios sérieux à l'appui de la thèse de la réintroduction du loup dans les Alpes-Maritimes.

Cette thèse a autant de crédibilité que celle attestée par beaucoup de biologistes que le loup a la capacité physique de traverser de grands espaces sans laisser de traces. C'est d'ailleurs pourquoi l'ANEM n'a pas cherché à trancher le débat. Il y a autant d'arguments pour soutenir les deux thèses.

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M. André CHASSAIGNE : Je voudrais poser une question sur la solution évoquée par M. Benoit consistant à prévoir des zones de protection. L'ANEM a-t-elle réfléchi à quelles zones géographiques pourraient être appliquée cette solution ?

M. Hervé BENOIT : L'ANEM ne dispose pas des moyens techniques d'expertise suffisants pour proposer un zonage concret. Nous avons vécu la négociation d'un zonage, proposé par l'Administration. Il était proposé d'établir un corridor entre la zone centrale du Mercantour et le parc national du Queyras dans lequel le loup pourrait circuler librement et aurait le statut d'espèce protégée de façon pure et dure. Cette proposition a été faite dans le cadre d'un protocole d'enlèvement dont la première étape était l'établissement d'un zonage. Le problème était que dans la zone à loups, tous les moyens de protection étaient financés alors qu'hors de cette zone, aucune aide publique n'était accordée. Seule la politique d'indemnisation des prédations s'y appliquait, dont on sait qu'elle est inefficace et mal perçue. La solution n'était donc pas satisfaisante, même si le principe de base nous paraissait défendable. Il faut une solution qui soit plus proche du terrain et il ne faut pas qu'elle soit un prétexte à concentrer les moyens de la politique publique du loup à l'intérieur d'une zone, parce que le loup ne voit pas ces limites.

Il s'agit d'un enjeu d'appropriation du territoire. Il faut donc donner à l'homme, là où il est présent, les moyens de faire comprendre au loup qu'il est sur le territoire de l'homme. A l'heure actuelle, les bergers ne peuvent qu'effaroucher le loup, puisqu'ils ne peuvent pas tirer directement sur l'animal. Or, le loup perçoit ces limites d'intervention de l'homme et il en jouera. Il va rester près du troupeau pour le harceler avec sa meute. On a constaté ce comportement chez d'autres animaux, par exemple chez les corbeaux. Pour éviter que les corbeaux ne viennent manger les graines lors de l'ensemencement des champs, les agriculteurs peuvent mettre en place des dispositifs sonores mécaniques fonctionnant dans un premier temps. Une fois que le corbeau a perçu que le canon résonne à intervalle régulier et ne met pas sa vie en danger, il revient manger les graines. Le système n'est donc pas efficace.

M. Gilbert MARY : J'ai écouté avec beaucoup d'attention ce que vient de dire M. Benoit, mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui.

Le loup ne respectera pas les limites du zonage. On en a déjà une démonstration avec les sangliers. Ils savent qu'en restant dans le parc, ils sont protégés puisque les chasseurs ne peuvent y chasser. Cela ne les empêche pas de venir ramasser les pommes de terre jusqu'à la périphérie immédiate du village.

Par ailleurs, on ne peut demander aux bergers de rester dans un enclos, parce que les moutons iront plus loin que ces limites et les bergers veulent avoir davantage de terrain.

Enfin, M. Benoit a dit que ni la thèse de la réintroduction, ni celle du retour naturel n'a pas été démontrée. Or, certains spécialistes ont démontré qu'il y avait bien eu réintroduction. Le père de Xavier Becque, qui est vétérinaire, a démontré que les loups de Abruzzes ou ceux de la région de Gênes n'ont pas pu venir seuls jusqu'à chez nous.

M. le Président : Avez-vous les documents correspondants ?

M. Gilbert MARY : Je vous ferai parvenir le rapport dont je parle.

M. le Président : Quel est votre analyse de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat en décembre 2000 jugeant que le préfet ne pouvait sanctionner les délibérations de battues de la commune et de la décision du ministère de l'environnement qui s'en est suivie  déclassant la liste des prédateurs du domaine législatif vers le domaine réglementaire?

M. Hervé BENOIT : Il y a d'une part le déclassement du loup, certaines annexes relevant du pouvoir réglementaire et d'autres du pouvoir législatif. Cette manipulation s'est faite dans l'anonymat.

M. le Président : Il s'agissait de rendre inefficiente la décision du Conseil d'Etat, c'est bien cela ?

M. Hervé BENOIT : Il s'agissait de confirmer l'autorité de la convention de Berne protégeant le loup et interdisant de ce fait les battues contre cet animal.

Il y a d'autre part la disposition du code général des collectivités territoriales définissant les pouvoirs de police du maire. Un alinéa indique que le maire a tout pouvoir pour enlever du territoire de la commune les animaux nuisibles tels que les sangliers et les loups. Le terme « loup » a été retiré de cette disposition. Cela a été présenté comme un mécanisme juridique de mise à jour, la France étant signataire de la convention de Berne qui donne au loup le statut d'animal protégé ce qui interdit les décisions de battues.

M. le Président : Pourriez-vous transmettre votre dossier sur ce sujet à la commission ?

M. Hervé BENOIT : Bien sûr. Je vous transmettrai par la même occasion la note qui a servi de base à mon exposé.

M. Jean LASSALLE : Monsieur le président, la question que vous avez posée à M. Benoit est à mon avis fondamentale. Il y a ce que l'on déclare et il y ce que l'on fait. Or, la plupart des choses que nous déclarons aujourd'hui ne pourront pas être suivies d'effets, car il existe des directives européennes qui s'imposent au droit français. La directive Habitats que nous sommes en train d'approuver sur tout le territoire laisse le dernier mot à Bruxelles sur le dossier du loup.

M. Michel BOUVARD : De mémoire, des deux dispositions qui concernaient le loup, celle concernant les battues se trouvait dans le code général des collectivités territoriales et celle prévoyant la possibilité pour le berger de se défendre lui-même en cas d'attaque se trouvait dans le code rural.

Le Conseil d'Etat a décidé que les délibérations de battues prises par les communes n'avaient pas à être censurées par le préfet, puisque la convention de Berne autorise dans certains cas l'élimination de loups. La Constitution prévoit la répartition du domaine législatif et du domaine réglementaire et le gouvernement a la faculté de demander au Conseil constitutionnel son avis pour savoir si une disposition qui est restée dans le domaine législatif est bien du domaine législatif ou si elle relève du domaine réglementaire, auquel cas elle est versée automatiquement dans le domaine réglementaire. C'est ce qu'a fait le ministère de l'environnement qui a déclassé la liste des prédateurs du domaine législatif vers domaine réglementaire. Cette décision est intervenue après l'arrêt du Conseil d'Etat et l'épisode de la loi chasse, dans lequel nous avons une responsabilité collégiale. Des dispositions avaient été adoptées en première lecture à l'Assemblée et le Sénat. La ministre de l'environnement a voulu modifier ces dispositions après leur adoption conforme au Sénat. Le Conseil constitutionnel, saisi pour trancher un autre point, mais qui a le pouvoir de juger tout le texte, a considéré qu'une modification avait été introduite à la rédaction de l'article après un vote conforme des deux assemblées par amendement gouvernemental et que cet amendement gouvernemental n'avait pas lieu d'être. Il a donc fait tomber la disposition qu'on avait fait mettre dans la loi et que, à tort sans doute, certains de nos collègues avaient accepté de modifier à la marge. La disposition a disparu par décision du Conseil constitutionnel. Le ministère de l'environnement a considéré qu'il y avait une menace législative de la part du Parlement sur ce point et qu'il était urgent de retirer son pouvoir au Parlement en versant cette affaire dans le domaine réglementaire.

M. le Président : Ce qui est enlevé au Parlement peut lui être rendu.

M. Hervé BENOIT : J'ai omis de vous rappeler que la convention de Berne prévoit expressément la possibilité de réguler les espèces protégées. On a trop tendance à voir de la convention de Berne comme étant uniquement protectrice des espèces.

Je conclurais en disant qu'on ne pense à la régulation qu'à partir du moment où cela commence à coûter cher. On peut citer l'exemple des cormorans ou des campagnols, apparemment inoffensifs et nécessaires à l'équilibre de la nature. On ne s'est interrogé sur la possibilité de réguler l'espèce qu'à partir du moment où ils ont proliféré et sont devenus coûteux. Je pense que le gouvernement a malheureusement pris le parti d'envisager la régulation uniquement quand le loup sera sorti des Alpes.

M. Michel BOUVARD : Il serait utile que l'ANEM puisse enquêter auprès des départements et des communes concernées par la réintroduction du loup pour savoir si le loup a un coût pour les budgets des collectivités en question.

M. Gilbert MARY : Pour les communes, il n'y a pas eu de dépenses supplémentaires.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Laurent GARDE, chercheur au Centre d'études
et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée
pour la gestion des espaces naturels par l'élevage (CERPAM)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président,

puis de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Laurent Garde est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Laurent Garde prête serment.

M. le Président : Nous accueillons M. Laurent Garde, chercheur au Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée pour la gestion des espaces naturels par l'élevage. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Pourriez-vous exposer à la commission la teneur de vos travaux sur le sujet qui nous intéresse avant que les membres de la commission ne vous posent quelques questions ?

M. Laurent GARDE : Ayant en charge la mission redoutable de parler des problèmes que la présence du loup pose à l'élevage et d'une crise sociale qui dure depuis dix ans en un quart d'heure, je voudrais accompagner mon exposé d'une présentation au vidéoprojecteur. Ce sera plus vivant.

Le CERPAM est la structure en charge de l'animation pastorale dans l'ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. C'est un lieu original, puisque son conseil d'administration regroupe aussi bien la profession agricole que la recherche, le CEMAGREF y est représenté, et les gestionnaires d'espace. Cette structure a donc pu se poser les questions clés relatives à l'impact du retour du loup sur l'élevage et par conséquent sur le territoire.

M. le Président : Je souhaite vous poser tout de suite une question, avant que vous ne commenciez votre exposé. Peut-on considérer qu'avant le retour du loup, l'élevage extensif d'ovins était une activité rentable ?

M. Laurent GARDE : L'équilibre économique de l'élevage ovin se fondait sur deux piliers : la production d'agneaux d'une part et le soutien par les subventions publiques d'autre part. Cet équilibre avait été défini par la puissance publique. Le retour du loup a été un puissant accélérateur de la régression des activités d'élevage.

M. le Président : Dans quelles proportions l'élevage a-t-il régressé ces dix dernières années ?

M. Laurent GARDE : Je pense que l'on prendra toute la mesure de cette régression lors du renouvellement des exploitations d'élevage. Prenons le cas d'un éleveur local âgé d'une cinquantaine d'années. Il n'abandonnera pas son activité, même si le loup la rend plus difficile. Par contre, lorsqu'il arrêtera son activité, son fils hésitera beaucoup avant de la reprendre et toute installation venue d'ailleurs se fera dans des zones tranquilles. A l'échéance du renouvellement des exploitations, je suis terriblement inquiet quant à l'avenir de la filière d'élevage.

M. Jean LAUNAY : J'ai travaillé sur l'élevage ovin en 1999, à la même époque où M. Garde rendait son travail. On peut malheureusement constater la régression de l'élevage ovin dans beaucoup de zones, au-delà de celles où se pose le problème de la présence du loup.

Je voudrais poser une question à M. Garde sur l'évolution du pastoralisme. A chaque audition de la commission d'enquête où des éleveurs étaient présents, j'ai essayé de poser une question simple. La pratique du pastoralisme semble immuable. Personnellement, je pense que cela n'est pas vrai et que l'occupation des montagnes, même par l'estive, n'est pas la même que ce qu'elle pouvait être il y a vingt ou trente ans. J'aimerais donc que vous nous parliez des évolutions dans la zone Alpes Méditerranée, caractérisée par des reliefs importants, des pratiques de la filière ovine, notamment de la façon de mener et de garder les troupeaux et de l'insertion dans les filières à travers les groupements de producteurs. Il est de bon ton de dire que la production ovine est de nature extensive, mais ne constate-t-on pas, même dans les zones de montagne, une tendance à élever les agneaux en bergerie plutôt que dehors ?

M. Laurent GARDE : Votre question comporte de nombreux aspects. Je vais essayer d'y répondre de façon synthétique. Je parlerai de ce que je connais, c'est-à-dire l'élevage ovin dans les Alpes du sud et en Provence.

On constate dans les derniers recensements agricoles que les effectifs ovins sont stables dans cette région. C'est la région française qui a le mieux résisté puisque c'est la seule où les effectifs sont restés stables.

L'évolution des politiques publiques depuis vingt ans, et nous sommes au cœur de l'action technique dans ce sens, a conduit l'élevage à se redéployer sur des surfaces pastorales après la phase des années 70-80 qui a marqué un repli sur la surface agricole utilisée (SAU). C'est donc pendant cette phase de redéploiement pastoral qu'est venue s'ajouter la contrainte supplémentaire du loup.

En terme de pratiques, on constate des modifications. Les pratiques se modernisent en s'appuyant sur l'héritage du passé. Ainsi, le seuil de rentabilité du gardiennage est passé à 1 000, 1 500 brebis, voire 2 000 brebis en alpages. Les effectifs au pâturage sont donc plus importants qu'avant, mais je tiens à préciser que l'enquête pastorale de 1997 a montré que 81 % des troupeaux ovins étaient gardés en permanence en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Les pratiques se modifient, mais elles s'inscrivent dans un savoir-faire pastoral. Il faut le souligner, il ne s'agit pas d'un archaïsme suranné.

On constate dans certaines zones, par exemple dans le sud des Alpes-de-Haute-Provence, une concurrence entre éleveurs sur l'espace, à la suite du redéploiement dans la mesure où celui-ci permet des économies en hiver en particulier, sur le foin notamment. Il y a plus de demandes que de disponibilité d'espace.

Dans ce cadre, la production principale est l'agneau de boucherie. La dimension extensive du système est donc sur la conduite de la mère. Les agneaux sont quant à eux finis en bergerie pour répondre aux critères bouchers de qualité de viande : une croissance rapide et une viande pas trop rouge.

Je précise, certaines associations le disent, que la production de tardons et de broutards, qui était traditionnelle dans les Alpes-Maritimes et dans le Queyras par exemple, est en chute libre depuis le retour du loup. La conduite des tardons en alpage dans le Queyras est bien trop périlleuse si le loup est présent car c'est la trésorerie immédiate de l'éleveur qui est consommée si le loup s'attaque au tardon, qui est un agneau fini à l'herbe en montagne et vendu à la descente d'estive. On peut craindre que la production d'agneaux à l'herbe disparaisse. C'est paradoxal, mais il y a des groupes environnementalistes, par exemple dans les Pyrénées, qui recommandent de développer la production de broutards pour soutenir le pastoralisme. Nous autres observons, au contraire, que cela devient impossible

Je voudrais maintenant vous présenter l'élevage ovin face au loup, en m'aidant du vidéo projecteur, de trois points de vue : son emprise territoriale, parce que c'est de ce point de vue que la filière est menacée, sa vulnérabilité et les contraintes existantes pour la conduite des troupeaux.

Vous pouvez voir une carte de la partie sud de l'arc alpin représentant la première zone d'apparition du loup dans la région de Gênes, ensuite la première zone d'installation du loup dans le Mercantour. La colonisation de l'arc alpin se fait rapidement : Mercantour, Belledonne...

M. le Président : Le CERPAM valide donc une première zone d'installation autour de Gênes. La présence de meutes reproductrices dans la région de Gênes paraît figurer dans les documents italiens que j'ai pu consulter. Vous disposez donc de documents italiens ?

M. Laurent GARDE : Je vous le confirme.

M. Jean LAUNAY : Considérez-vous la région de Gênes comme étant la région dont les loups sont issus ?

M. Laurent GARDE : C'est la région dont on nous annonce que les loups sont issus.

M. le Président : Quand vous dites « on », à qui faites vous référence ?

M. Laurent GARDE : Je ne souhaite pas aborder le sujet de l'origine du retour du loup, qui est extrêmement conflictuel. Il y a deux thèses en présence : celle du ministère de l'environnement, selon lequel il s'agit d'un retour naturel à partir des meutes connues dans la région de Gênes et celle de la profession qui affirme que les loups ont été réintroduits.

Je ne peux vous donner qu'un avis personnel. Ecologiquement, il ne semble pas impossible que le loup ait recolonisé naturellement les Alpes françaises à partir de Gênes, mais sociologiquement, il ne semble pas impossible, vu la passion pour la réintroduction des prédateurs qui régnait dans les années 80, que des réintroductions aient pu être effectuées. Je suis incapable de trancher, mais j'ai des textes d'auteurs, passionnés de loup, datant de la fin des années 80 jusqu'en 1992, écrivant en toutes lettres que des loups ont été lâchés en France clandestinement sans préciser les zones en question. Je ne tranche pas entre les deux thèses.

Ces textes sont référencés dans un article que M. Legeard a dû vous communiquer et je peux vous communiquer les originaux, écrits par exemple par M. Ménatouri, M. Bayon, M. Simon, ancien directeur Nature et paysage au ministère de l'environnement.

M. André CHASSAIGNE : Votre carte montre 14 sites, alors qu'on nous a parlé tout à l'heure d'une population de 30 loups en France. Cela me semble contradictoire.

M. Laurent GARDE : Vous pouvez voir sur cette carte, signalisée en noir, toutes les zones reconnues de présence permanente du loup et en vert foncé les nouveaux foyers de prédation en 2002. La direction régionale de l'environnement (DIREN) estime à 27 ou 28 le nombre de loups adultes présents de façon permanente. Un territoire peut abriter d'un à huit loups. En terme de pression sur l'élevage, c'est l'ampleur de la présence territoriale du loup qui pose problème, quel que soit le nombre de loups. Sur les territoires signalés sur cette carte, il y a quelques loups en phase d'exploration, des foyers de prédation importants apparus en 2002, mais il y a des territoires à loups et donc des recensements qui ne sont pas encore pris en compte puisqu'ils sont trop récents et que les scientifiques se donnent un délai d'un ou deux ans par rigueur et par prudence pour valider la présence de loups. Bien évidemment, pour l'élevage, on n'a pas le droit d'attendre quand des éleveurs doivent faire face à des attaques répétées sur leurs troupeaux et que des indices de la présence de loups ont été repérés.

M. André CHASSAIGNE : Vous pensez donc qu'il y a plus de 30 loups en France ?

M. Laurent GARDE : Je pense que l'estimation de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) est valide sur les territoires connus, mais il est certain qu'il y a un nombre non négligeable de loups erratiques en phase de colonisations de zones nouvelles. Autrement dit, il y a toujours au moins un an d'écart entre un chiffrage et la réalité du terrain.

J'ai mené l'enquête territoriale dont je vous ai montré la carte auprès des services pastoraux du sud-est et auprès de quelques directions départementales de l'agriculture (DDA) qui ont bien voulu communiquer les chiffres. La DDA des Alpes-Maritimes refuse catégoriquement de communiquer la moindre information concernant les attaques de loups sur les troupeaux.

Les territoires concernés par la présence du loup - territoires de présence permanente du loup et nouveaux territoires de prédation - représentent plus de 400 000 hectares et plus de 300 000 ovins en pâturage si l'on prend en compte la transhumance, soit plus du tiers de l'effectif ovin des régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes. La présence du loup, malgré le faible effectif que vous avez évoqué, est devenue un problème majeur pour la filière de l'élevage. Il est impressionnant qu'un aussi petit nombre de loups puisse avoir un tel impact sur une activité.

J'en viens maintenant à la vulnérabilité des systèmes d'élevage.

J'ai classé en quatre grands groupes les systèmes d'élevage utilisateurs de l'arc alpin et j'ai indiqué pour chacun leur vulnérabilité sur une échelle de 5.

Premier système, le système herbassier grands transhumants utilisateurs d'estive en haute montagne pendant la phase d'été. Ce système présente une vulnérabilité au loup sur la période précise de son estive, c'est-à-dire pendant quatre mois. On connaît l'ampleur des difficultés. Cela dit, par le grand nombre des effectifs présents sur les pâturages en même temps, c'est-à-dire des unités de 2 000 bêtes, les éleveurs ont moins de difficultés à se prémunir contre la prédation. J'insiste sur le fait que plus le troupeau est important, plus il est facile de se prémunir contre la prédation pour la raison très simple que la taille du troupeau permet de recourir aux services d'un berger et à d'autres mesures de protection, ce qui est impossible pour un troupeau local de 200 bêtes. Il est important de le souligner, car les associations « pro-loup » disent exactement l'inverse.

Deuxième système, le système montagnard, qui utilise les mêmes alpages, est plus vulnérable, car d'une part il prolonge son pâturage au-delà de l'estive pendant environ sept mois et d'autre part il est moins mobile qu'un transhumant qui peut toujours changer de territoire si les dégâts occasionnés par le loup sont trop importants.

Troisième système, le système préalpin, qui est encore plus vulnérable car la durée en bergerie est plus courte, trois mois, puisque les conditions climatiques changent et que la cohabitation avec le loup en pâturage est plus longue, neuf mois. De plus, les quartiers de pâturage sont boisés et secs, donc difficiles à utiliser. Les systèmes d'élevage sont en outre peu mobiles puisque les zones de transhumance sont proches.

Dernier système, celui des vallées des Alpes-Maritimes, qui cumule tous les facteurs de vulnérabilité puisque les troupeaux sont dans les pâturages pendant douze mois grâce au climat, et que les quartiers de pâturages sont difficiles à utiliser s'agissant de montagnes sèches avec du brouillard et de la neige. En outre, il n'y a pas de mobilité, puisque l'estive et le quartier d'hiver se regroupent sur la même commune. Enfin, le système d'alimentation n'est pas sécurisé, à la différence des autres systèmes d'élevage dont je vous ai parlé, qui assurent la sécurité alimentaire des animaux par des stocks fourragers. Or, dans les Alpes-Maritimes, compte tenu de l'étroitesse des terres capables de produire du foin, il n'est pas possible d'assurer une telle sécurité.

En résumé, les facteurs de vulnérabilité se divisent en deux catégories.

Les facteurs liés au système : petits effectifs, faible sécurité du système alimentaire, en raison de l'impossibilité de constituer des stocks fourragers, faible mobilité et durée plus longue dans les pâturages, on a vu que cette dernière pouvait varier entre quatre et douze mois.

Les facteurs liés au territoire : les quartiers de pâturage boisés permettent au loup d'être plus discret et donc d'attaquer en plein jour, ce qui n'est pas possible dans des grandes estives dégagées de haute altitude ; les quartiers de pâturage secs sont aussi favorables au loup, en raison de la rareté des points d'eau qui oblige le troupeau à traverser des quartiers boisés pour atteindre des points d'eau et à rallonger les circuits pour aller chercher une herbe plus sèche.

Vous pouvez constater que les facteurs de vulnérabilité que j'énonce sont liés soit au système soit au territoire et non aux pratiques. Or, tous les programmes d'accompagnement du retour du loup en faveur du pastoralisme depuis maintenant sept ou huit ans se sont fondés uniquement sur les pratiques. Même si les pratiques s'adaptent à la présence du loup, on va buter sur la constante des facteurs intrinsèques de vulnérabilité à pratiques égales. Certains systèmes ne peuvent subsister face au loup. La remise en cause des pratiques a été vécue comme une remise en cause de l'homme qui assume ces pratiques, ce qui est inadmissible.

Le loup représente des contraintes nouvelles et lourdes pour l'élevage car c'est un animal territorial. La protection des troupeaux devient donc une contrainte structurelle pour l'élevage. Lorsque le loup est présent sur un territoire d'élevage, il entraîne des pertes directes liées à la prédation et des pertes indirectes, comme la baisse d'agnelage, mais aussi des contraintes sur le troupeau, même si celui-ci n'a pas été attaqué. C'est cela qui met en péril le devenir de l'élevage dans ces zones.

Ces contraintes concernent la gestion de l'espace et se traduisent par l'abandon des quartiers à risque, par la répétition obligatoire des circuits en particulier pour ramener les bêtes sur les couchades protégées, avec les risques d'érosion qui y sont liés.

Ces contraintes concernent aussi le travail et imposent un gardiennage permanent le jour en toute saison et une présence obligatoire la nuit en toute saison.

Elles concernent aussi les animaux et se traduisent par le stress, du dérangement et par le raccourcissement de la durée du pâturage. En été, les bêtes mangent la nuit et quand on doit les ramener dans un parc de protection avant la tombée de la nuit, on va à l'encontre de leur comportement naturel.

Enfin, ces contraintes pèsent sur les relations avec les autres usagers. Il faut mentionner ici cette bombe à retardement que constitue le chien de protection pour le multiusage, même s'il a une efficacité certaine sur la réduction de la prédation.

C'est la territorialité de la contrainte provoquée par le loup, qui se fixe sur un territoire donné, n'en sort pas et l'explore en permanence, douze mois sur douze, avec l'ampleur que je vous ai décrite tout à l'heure, qui met en cause l'élevage.

Je vais maintenant vous proposer une prospective. Jusqu'à présent, je n'ai jamais entendu d'objectifs annoncés sur le programme concernant le retour du loup. On fait comme si le loup était un animal de haute montagne restant dans les alpages. On en fait une grosse marmotte qui, de temps en temps, mangerait une brebis. M. de Beaufort a établi des cartes sur la présence du loup. En 1800, on peut voir que les zones de plus grande abondance du loup correspondaient à une diagonale de faible densité humaine, de forêts abondantes et de climat humide allant du centre-ouest aux Ardennes et à la Lorraine.

Un siècle après, les zones de forte présence du loup sont celles où il a le mieux résisté aux tentatives d'éradication.

En 2000, on s'aperçoit que les zones d'élevage ovin se concentrent dans les zones historiques de plus grande concentration du loup et dans les zones de montagne où les prédateurs sont revenus, les Alpes et les Pyrénées.

La carte du loup va-t-elle se superposer à celle de l'élevage ovin si la politique actuelle est maintenue ?

Pour conclure, je voudrais aborder les questions de l'impact de la présence du loup sur la filière ovine et sur les territoires.

Quel éleveur s'installera dans une zone à loups ? Un jeune éleveur n'a aucun intérêt à s'imposer toutes ces contraintes.

Veut-on vraiment des espaces ensauvagés ? La montagne est, certes, un patrimoine naturel, mais elle est aussi et peut-être d'abord un patrimoine culturel.

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Jean LASSALLE : Nous vous remercions pour ce brillant exposé et nous aimerions que vous puissiez nous laisser vos documents.

M. André CHASSAIGNE : Votre présentation montre l'importance de deux contraintes que sont le système d'élevage d'une part et le territoire d'autre part, et la difficulté de jouer sur ces deux facteurs. Or, tout le poids est mis sur l'évolution indispensable des pratiques, ce qui ne permet pas de résoudre ces deux points.

Ne pensez-vous pas que l'on pourrait envisager des zones de protection du loup et des zones dans lesquelles les contraintes sont telles que l'espèce devrait être régulée ?

M. Laurent GARDE : Je suis très réticent concernant le zonage, mais si un zonage devait être mis en place, il devrait se fonder sur le critère de la typologie des systèmes d'élevage et donc de la masse des contraintes posées par le loup.

Sous forme de boutade, je dirais que si l'on mettait le loup dans le bois de Boulogne, cela ne poserait aucun problème à l'élevage. Au-delà de la boutade, il faut bien voir que, étant donné la dynamique de l'espèce, une telle politique demanderait une pression permanente de régulation et de pression des animaux sortant des zones protégées.

En pratique, j'ai du mal à imaginer la faisabilité d'un tel zonage. Cela dit, si le zonage était implicite, c'est-à-dire s'il consistait à enlever le loup là où il provoque des dégâts majeurs, si le zonage se fondait sur l'acceptabilité sociale du retour du loup plutôt que sur une limite, nous ne ferions que suivre la politique de la Suisse et de la Norvège, pourtant signataires de la convention de Berne qui n'ont pas hésité à tirer sur les loups dès qu'ils ont posé trop de problèmes à l'élevage et qui le laissent s'installer là où ils causent moins de problème.

M. Christian KERT : Quelle est selon vous la solution idéale au problème du loup ?

M. Jean LAUNAY : Nous sommes allés la semaine dernière dans les Alpes-de-Haute-Provence, dans les Hautes-Alpes et dans la Drôme. Nous y avons rencontré des éleveurs, des groupements de producteurs, les fédérations départementales ovines. Lors des tours de table, on a eu le sentiment que c'était à celui qui chargerait le plus l'accusation, mais dans le cadre de discussions plus individualisées, y compris avec les responsables de parcs, comme celui du Queyras, des Ecrins ou du Vercors, on n'a pas la même pression. Dans ces départements, nous avons rencontré des éleveurs pratiquant tous les systèmes que vous avez décrit, sauf celui des herbassiers grands transhumants. J'étais un peu surpris quand vous avez parlé de la chute libre de la production d'agneau à l'herbe, les tardons, dans le Queyras, sachant que ce n'est pas dans cette zone qu'il y a eu le plus d'attaques. J'ai bien entendu que le loup, par sa seule présence, faisait peser une contrainte structurelle sur l'élevage.

Ne pourrait-on pas identifier des zones où la pression est plus forte ? Je voudrais mettre en balance les enjeux économiques des filières et la pression sur les éleveurs. Est-il possible d'établir une corrélation entre la présence du loup et le nombre d'attaques d'une part et les enjeux économiques d'autre part ?

M. Laurent GARDE : L'impact économique de la présence du loup ne se fait pas sentir que sur la filière ovine. C'est toute la politique agro-environnementale reposant dans nos régions en très grande partie sur l'élevage ovin qui est remise en cause par la présence du loup. Quand les éleveurs et les bergers ont à subir des charges de travail supplémentaires à cause du loup, et n'oublions pas que le travail est le point critique dans les systèmes d'élevage, les contractualisations agro-environnementales passent au deuxième plan. Une politique agro-environnementale très forte avait été mise en place, notamment avec les MAE, que je juge efficaces. Aujourd'hui, les systèmes de parcs tournants ou de chargement accru visant une meilleure gestion des territoires sont remis en cause. J'ai travaillé sur des dossiers Natura 2000 avec des éleveurs dans des zones où le loup est présent et dans des zones où il ne l'est pas. Je peux vous assurer que la présence du loup entraîne une crispation rendant extrêmement difficile tout travail agro-environnemental sur le territoire.

La présence du loup a donc un impact direct sur la filière ovine, mais elle aura un impact aussi sur le territoire qui concernera la société tout entière.

L'exemple du Queyras que vous mentionnez démontre qu'il est essentiel de parler de la prédation et des pertes directes et indirectes, mais le principal impact de la présence du loup n'est pas nécessairement les pertes directes. Dans les zones où, par la concertation et l'engagement de tous les partenaires, a été mise en place une politique massive de soutien, zones qui, par ailleurs, sont les moins difficiles à protéger contre les loups car elles abritent des estives bien dégagées de haute montagne et de durée courte, on arrive à une réduction de la prédation au prix de lourdes contraintes. Malgré cette réduction des pertes, les conséquences économiques sur les exploitations restent les mêmes, vous avez donné l'exemple de la production des tardons.

Que ferais-je si j'avais la responsabilité de définir une politique dans ce domaine ? Ce dossier suscite beaucoup de discours qui ressemblent plus à des actes de foi qu'à des réalités scientifiques de terrain. Il y a le discours des protecteurs du loup ressemblant à un acte de foi sur la cohabitation du loup et de l'agneau, qui doit exister par principe. Je suis un expert pastoral et je travaillais déjà avec les bergers et les éleveurs dix ans avant l'arrivée du loup. Depuis que le loup est de retour, on voit un nombre incroyable d'experts pastoraux arriver sur le terrain.

Mon rôle est de montrer les conséquences des choix qui seront faits. Je n'ai pas de solution idéale. Je tiens cependant, avec la passion qui m'habite sur ces questions, à bien faire mesurer les conséquences des choix qui seront faits. Elles seront majeures pour les systèmes d'élevage extensif viande. Je ne connais pas aujourd'hui les conséquences sur les systèmes d'élevage ovin viande en système herbager dans le centre-ouest, Limousin, Massif Central, Charente, Périgord, mais on sait d'ores et déjà que l'on s'oriente vers la multiplication des crises, telles qu'on les a connues dans le Mercantour et dans les autres régions.

La solution la plus logique pour un pastoraliste serait d'enlever le loup là où il cause le plus de dégâts. Malheureusement, c'est le Mercantour, un parc national, une zone sacrée, donc une zone où il sera difficile d'intervenir en ce sens.

M. Jean LAUNAY : J'ai mené une mission sur l'avenir de la filière ovine en 1999. Dans le département du Lot dont je suis l'élu, un ancien responsable de la fédération départementale me faisait part des propos de son grand-père qui avait vu le loup sur la Causse au début du siècle et avait exprimé sa conviction qu'il y reviendrait. Estimez-vous que le laisser faire pourrait conduire à une prolifération du loup au-delà des massifs où il est actuellement présent ?

M. Laurent GARDE : C'est une absolue certitude, à moins que l'on se convainque que chaque loup présent sur le territoire ait été lâché et qu'il n'a donc pas de capacité de colonisation.

On traite depuis 1992 le loup comme une espèce fragile, comme une espèce en voie de disparition qu'il s'agirait de protéger. C'est un abus : le loup est une espèce très dynamique qui occupe des dizaines de millions d'hectares à l'échelle de la planète et qui est en pleine explosion démographique. Le loup n'est pas spécialisé dans la montagne, il peut s'installer partout : dans la forêt, dans le grand nord, dans la taïga, dans la steppe, dans le bocage, en Galice, dans le désert, en Arabie saoudite ou dans le Néguev, dans les banlieues de grandes villes, comme Brasov où je suis allé en mission et où j'ai vu le loup explorer les poubelles. Le loup est donc un animal extrêmement vigoureux sur le plan démographique et qui recolonisera tous les massifs en déprise démographique.

M. Jean LASSALLE : Aujourd'hui, il n'y a que 30 loups en France. Certaines personnes que nous avons auditionnées ont attiré notre attention sur les chiens errants que l'on ne regarderait pas avec le même œil. Le loup ne serait-il pas le mal-aimé payant pour les autres ?

M. Laurent GARDE : Sur le problème des chiens errants, il est important de citer les sources. Les estimations d'attaques de chiens varient de quelques dizaines de milliers moutons à 700 000. Ce n'est pas très sérieux.

J'ai mené une enquête il y a trois ans sur le territoire précis d'une meute de loups dans le massif des Monges où une nouvelle population de loups s'est installée en 1998. J'ai travaillé en 1999 et en 2000 sur ce massif de façon systématique, c'est-à-dire sur toutes les unités pastorales et en enquêtant auprès de tous les éleveurs. J'ai recensé toute la prédation, quel que soit le prédateur, en faisant appel à leur mémoire, des années antérieures ainsi que la prédation qu'ils étaient en train de subir. Il ne s'agit donc pas des données de l'Administration. Ce ne sont pas des constats d'attaques. Cela est important car toutes les pertes ne sont pas déclarées, les éleveurs n'ayant pas toujours les moyens de redescendre dans la vallée pour déclarer une ou deux bêtes perdues et laisser leur troupeau sans gardiennage pendant une heure et demie. Mon enquête a montré que 30 % à 40 % des bêtes perdues n'étaient pas recensées et donc pas indemnisées. Elle montre par ailleurs un bruit de fond d'attaques avant l'arrivée du loup se résumant à l'échelle de 20 unités pastorales regroupant 20 000 brebis sur 20 000 hectares à deux à cinq attaques de chiens errants par an. Ces attaques sont le fait de chiens de chasseurs ou d'agriculteurs, parfois même de chiens d'éleveurs, partant le matin en maraude, qui attaquent un troupeau et rentrent le soir pour manger leur gamelle. Ce ne sont donc pas des chiens ensauvagés Avec l'accentuation de la périurbanisation et du lotissement, le phénomène est en train de s'aggraver.

Les attaques de chiens sont faciles à identifier : l'animal n'est pas malin, il se contente de foncer dans le troupeau sans se cacher. Le chien ne peut donc faire qu'une ou deux attaques avant d'être repéré et éliminé.

En 1998, on constate une explosion de la prédation de façon homogène sur le territoire. A ce moment-là, personne ne savait qu'il y avait des loups. Les éleveurs, qui ne s'attendaient pas à l'arrivée du loup, n'étaient pas protégés. La nuit, les bêtes dormaient donc librement.

En 1999, le nombre d'attaques est en augmentation. En 2000, le nombre d'attaques est constant alors qu'entre temps tous les éleveurs se sont massivement protégés, notamment en ramenant leurs bêtes le soir.

Ces données, qui ont été mises en cause par l'ONCFS, montrent que les problèmes posés par le chien et par le loup n'ont pas la même dimension quantitative et ne se manifestent pas dans les mêmes conditions. En effet, à partir de 1998, le prédateur n'est quasiment plus jamais vu dans les attaques. Des chiens ont été repérés dans 5 % des cas et les loups aussi et dans 90 % des cas, aucun prédateur n'a été repéré. Le loup est en effet un animal furtif et malin. Il peut surveiller trois nuits entières un troupeau avant de repérer la faille imparable, cela a été démontré par des expériences en Italie, grâce à des suivis par collier radio-émetteur.

Le chien représente une prédation accidentelle alors que le loup représente une prédation structurelle entraînant une contrainte permanente pour l'éleveur. Les protecteurs du loup ont besoin du chien errant comme rideau de fumée pour mieux faire passer le loup.

M. Jean LASSALLE : Votre témoignage est important, car il porte sur l'un des aspects les plus controversés de notre travail.

Quel rôle joue le pastoralisme dans l'économie de montagne ? Pourrait-on imaginer une montagne sans pastoralisme ? Quel est le rôle du pastoralisme dans l'équilibre écologique de la montagne ?

M. Laurent GARDE : C'est un choix de société majeur. J'observe qu'aujourd'hui dans le grand public, qui est urbain et est en train de perdre ses racines avec le monde rural dont il est pourtant issu, il y a une passion naissante, alimentée par des revues ou par des films, pour la nature sauvage. Il s'agit d'une nature sauvage fantasmée, puisqu'en Europe, il n'y a plus de nature sauvage.

On observe une révolution écologique dans les montagnes qui se referment massivement en terme d'embroussaillement et d'enrésinement sur une échelle de centaines de milliers d'hectares. Les vallées se vident et les éleveurs sont les derniers à les tenir. Vous voyez des hameaux quasiment désertés dans les vallées des pré-Alpes où les éleveurs sont les seuls à avoir une action sur l'espace. Par ailleurs, la population des ongulés sauvages est en train d'exploser, cerf, chamois, sanglier, chevreuil. La tendance à long terme est donc un ensauvagement des montagnes répondant au désir du public.

M. André CHASSAIGNE : C'est un raccourci un peu facile : chacun sait que l'ensauvagement et le désertification ont des causes autres que la volonté du public, comme les contraintes économiques au niveau mondial et l'évolution de l'activité agricole.

M. Laurent GARDE : L'ensauvagement a bien les causes que vous venez de citer, j'ai simplement dit qu'il répondait au désir du public. En revanche, sur le dossier du loup, la passion du grand public accompagne une évolution allant dans le sens de l'ensauvagement. Dans ces conditions d'ensauvagement des montagnes, ma crainte est que nous perdions toute lecture culturelle rurale et patrimoniale de nos massifs. C'est une perte irréparable, alors que la perte du loup, son retour nous le prouve, ne serait pas irréparable.

M. Jean LASSALLE: Les spécialistes nous disent que l'homme et le loup ne peuvent pas cohabiter. Il faudrait donc que l'un ou l'autre s'en aille. L'une comme l'autre solution semble très difficile à envisager. Ne pensez-vous donc pas qu'il y ait moyen de faire cohabiter ces deux espèces ? Toutes les grandes crises que l'homme a rencontrées ont trouvé leur issue dans une solution médiane. De nombreux peuples qui se sont fait la guerre se sont bien réconciliés.

M. Laurent GARDE : Ma réponse sera celle d'un acteur engagé dans le monde de l'élevage. Je prétends à un maximum de rigueur et d'honnêteté sur le sujet, j'espère que vous m'en donnerez acte, mais je ne prétends ni à l'objectivité ni à la neutralité.

Vu du monde des éleveurs, il me semble que si un premier acte était posé, cela ferait basculer le dossier. Je vous donne ici une opinion personnelle. Depuis dix ans, l'Etat a fait beaucoup pour venir en aide aux éleveurs confrontés au problème du loup, mais n'a rien fait pour soulager la contrainte qui pèse sur eux. Les éleveurs ont le sentiment que le loup est sacré. J'ai écrit dans un texte que le loup n'est pas négociable aujourd'hui. A part un protocole d'enlèvement de loup, qui a ridiculisé ses auteurs par sa non-application, en dix ans, l'Etat n'a pris aucune mesure de régulation. Ce sont les éleveurs eux-mêmes qui ont été acculés à réguler, parfois en employant le poison. Certains se sont retrouvés au tribunal. Je ne peux pas les défendre, mais je peux les comprendre. La Suisse et la Norvège n'ont pas attendu pour agir sur le terrain alors que la France a mené une politique intégriste.

J'ai visité le site internet du Conseil de l'Europe. 18 pays ayant signé la convention de Berne ont des loups sur leur territoire, soit dès avant 1992, soit des animaux qui sont revenus par la suite. Je vous cite les chiffres de mémoire. Sur ces 18 pays, 15 ont expressément émis des réserves sur la protection de l'espèce du loup parce qu'ils avaient des loups sur leur territoire, soit en totalité, soit sur une portion de leur territoire. La Suisse et la Norvège, et peut-être la Grèce, mais je ne peux le confirmer sans mes notes, n'ont pas hésité à utiliser une disposition de la convention de Berne prévoyant la régulation des populations si le loup cause trop de dégâts. Seuls deux pays ont une application intégriste intégriste de la convention de Berne : l'Italie et la France. Une autre politique n'est donc pas impossible. D'autres pays soumis à la même opinion publique ont eu le courage de la faire.

Il faut désacraliser le loup pour montrer qu'il est négociable. Il faut avoir le courage d'enlever les loups là où ils causent le plus de dégâts, en l'occurrence dans le parc du Mercantour et ce n'est pas en tirant un animal que l'on réduit la contrainte sur l'élevage, c'est en enlevant l'unité prédatrice, c'est-à-dire la meute territorialisée. Ce serait un signal fort qui favoriserait une décrispation du dossier. La régulation n'a de sens que si elle s'applique meute par meute.

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie.

Table ronde avec des associations de protection de la nature réunissant 
M. Michel VANDEVILLE, président de l'Association
pour la protection des animaux sauvages (ASPAS),
M. Olivier ROUSSEAU, directeur,
M. René BURLE, président du Groupe Loup,
M. Bertrand SICARD, vice-président,
M. Bernard CRESSENS, directeur scientifique du WWF France,
M. Roland GUICHARD, administrateur d'ARTUS, (Ours Pyrénées et pastoralisme)
M. Pascal WICK, spécialiste du pastoralisme de montagne (ARTUS)
Mme Aline MAATOUK de la Fondation Brigitte Bardot,
Mme Lauriane D'ESTE de la SPA

(Extrait du procès-verbal de la séance du 12 février 2003)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

Les témoins sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que la commission a décidé de fonctionner selon les règles du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

Mme Henriette MARTINEZ : Je vous remercie tous d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. Si vous le voulez bien, nous allons d'abord procéder à un tour de table qui permettra à chacun de s'exprimer, dans une limite de 5 minutes, à peu près, avant d'ouvrir le débat avec les membres de la commission.

M. Olivier ROUSSEAU : Nous représentons l'ASPAS et nous sommes présents devant cette commission parce que nous y sommes contraints. Lorsque cette commission a été créée, nous l'avons dénoncée. Nous avions alors indiqué que nous n'y prendrions pas part.

Nous avons néanmoins été convoqués avec la précision que la loi nous fait l'obligation de déférer à cette convocation. Notre association ayant une démarche républicaine et démocratique, nous sommes donc présents aujourd'hui.

Pourquoi avons-nous dénoncé la création de cette commission ? Nous considérons que cette commission est biaisée dès son départ puisqu'elle part de plusieurs présupposés subjectifs. Les questions sont mal posées. S'il est évident, et personne ici ne peut le contester, qu'il y a un grave problème dans la filière ovine française, il est insidieux de le mettre en parallèle avec la présence du loup et de sous-entendre par là même que le loup en serait responsable. Par ailleurs, il a été clairement évoqué au moment de la création de cette commission, par la voix même de son président, que le loup aurait été réintroduit en France. Or, si l'on peut comprendre que des éleveurs ou des bergers puissent colporter des rumeurs ou travailler à une certaine propagande, il n'est pas admissible qu'un député...

M. le Rapporteur : Monsieur, vous n'êtes pas ici pour faire le procès de qui que ce soit !

M. Olivier ROUSSEAU : Je me contente d'exprimer la position de l'association.

Mme Henriette MARTINEZ : Faites le rapidement, afin de nous donner vos arguments sur le fond.

M. Olivier ROUSSEAU : Nous avons été conviés à nous exprimer, donc nous le faisons.

Il n'est pas acceptable, compte tenu des informations officielles dont dispose la commission et qui ont déjà été évoquées par un certain nombre de travaux et de rapports, de sous-entendre, à l'encontre des travaux scientifiques, que le loup aurait été réintroduit. C'est entretenir une polémique sur ce dossier qui demande plus de sérénité à notre sens.

Mme Henriette MARTINEZ : Permettez-moi de vous interrompre pour vous dire que cette commission siège en toute sérénité et en toute objectivité. Elle siège volontairement dans le secret des auditions, justement pour ne pas développer de polémique autour du sujet. Nous avons entendu de très nombreux protagonistes depuis le début de ces auditions, puisque nous nous réunissons plusieurs heures chaque semaine. Nous avons fait des déplacements et nous en ferons encore. Je puis donc vous assurer de l'objectivité de cette commission.

Je souhaiterais maintenant que vous exprimiez votre sentiment sur le sujet qui nous préoccupe.

M. Olivier ROUSSEAU : Je souhaitais en préalable préciser que, de notre point de vue, il y a deux problèmes à prendre en considération : d'une part celui de la crise de la filière ovine, ce n'est pas de notre compétence, et d'autre part, celui de la présence du loup en France de par son retour naturel et les mesures d'accompagnement que cela implique. Il y a d'ailleurs déjà eu un rapport parlementaire antérieurement à cette commission. Beaucoup de mesures d'accompagnement ont été prises. Le ministère de l'écologie et antérieurement le ministère de l'environnement ont toujours abordé ce dossier avec beaucoup de sérénité et, jusque là, tout s'est bien passé.

La présence du loup en France doit faire l'objet de mesures d'accompagnement. Elles sont connues. Elles ont été mises en place depuis plusieurs années et ont prouvé leur efficacité. On ne voit donc pas pourquoi aujourd'hui, on pointe à nouveau du doigt le loup pour expliquer la crise de la filière ovine.

Ces mesures d'accompagnement sont connues : il faut que les troupeaux soient mieux gardés. Afin d'y parvenir, le berger peut avoir recours à des chiens de protection, il peut recourir aux services d'un aide berger bénéficiant d'une mesure d'accompagnement et d'aides financières et il peut installer des clôtures de contention permettant de mieux garder les troupeaux.

M Michel VANDEVILLE : Nous avons du mal à comprendre le pourquoi de cette commission, puisque le ministère a toujours traité au niveau national le loup à partir de la protection dont il bénéficie sur le plan européen et interne. Il y a de très nombreuses réunions autour de cet animal, peut-être même trop, car, après tout, il n'y a que 25 loups en France. La mobilisation qui se fait autour de cet animal est intéressante, mais nous souhaiterions que tous les animaux bénéficient de la même attention.

Nous sommes étonnés, car, tout au long des réunions des comités loups, nous avons entendu les syndicats ovins, les chambres d'agriculture dénoncer cet animal comme étant malfaisant et proposer de l'éliminer. Le ministère a toujours maintenu une position correcte, jusque là tout au moins. La question des fonds européens LIFE nous inquiète beaucoup plus, car ces fonds vont disparaître en mars 2003. Nous avons d'ailleurs interrogé Mme la ministre pour savoir ce qui se passera ensuite, car les fonds LIFE alimentent tout le système de protection et facilitent la cohabitation harmonieuse entre les loups et les moutons. Voilà une vraie question : quelle sera la suite donnée au fonds LIFE ?

Mme Henriette MARTINEZ : Ce n'est pas vous qui devez poser les questions, mais la représentation nationale.

Vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête où nous vous demandons de nous communiquer, de la façon la plus scientifique possible, les données qui nous permettront de nous faire une opinion sur ce sujet.

Nous ne sommes pas ici, Monsieur, dans le passionnel ni dans le subjectif. Vous êtes devant la représentation nationale, pas devant le ministère de l'environnement.

M Michel VANDEVILLE : Nous ne sommes pas passionnés par ce sujet. Nous avons essayé de gérer au mieux le problème dans les différents organismes auxquels nous participons. Les réactions passionnelles viennent du terrain et elles sont bien relayées, à ce que nous lisons dans la presse, par les députés qui représentent ce terrain.

Vous avez à votre disposition toute les études scientifiques, notamment celle s'appuyant sur l'ADN, qui prouvent le retour naturel de cet animal.

La question qu'il faut se poser, est celle de la gestion du dossier du loup. Que va-t-il se passer après l'arrêt des fonds LIFE en 2003 et comment anticiper l'arrivée des loups dans les Pyrénées ?

Les réactions passionnelles viennent d'une minorité et je trouve dommage que cette minorité trouve écho auprès de certains députés de cette commission.

M. René BURLE : Fondé en 1993, dès le retour des premiers loups sur notre territoire, le groupe Loup est actuellement une des premières associations thématiques françaises sur la protection d'un animal sauvage. Nous comptons des adhérents dans tous les départements français, aussi bien en milieu rural qu'urbain. Parmi ces adhérents, des scientifiques et naturalistes de terrain réputés, des bergers et éleveurs. La progression, depuis 1993, du nombre de nos adhérents démontre, si besoin était, l'intérêt porté par la population française au loup et à son retour dans nos montagnes. Pour beaucoup, le retour de cet animal sauvage mythique, prédateur au somment de la chaîne alimentaire, est le symbole d'une nature retrouvée et de la bonne santé écologique de notre pays.

Depuis sa fondation, le groupe Loup France a plus que décuplé le nombre de ses adhérents, mais ce ne sont pas des adhérents comme les autres. En effet, notre association, née en milieu rural, a soutenu, depuis le début, que le retour du loup ne pourrait se faire sans l'acceptation du monde de l'élevage et des populations concernées. C'est pour cette raison que nous avons toujours préconisé le dialogue et la concertation et que nous continuons dans cette voie sans relâche et avec obstination.

Pour nous, les éleveurs et les bergers ne sont pas des adversaires, mais bien des partenaires avec qui nous souhaitons trouver des solutions, car elles existent, à la cohabitation entre les hommes, les troupeaux et les loups. Le retour du loup doit donc se faire avec les éleveurs et non contre eux. Cette approche tolérante et raisonnable, nos adhérents la soutiennent en connaissance de cause et sont de plus en plus nombreux à le faire. Nous recevons des centaines de messages d'encouragement dans ce sens.

Au groupe Loup France, pas d'utopistes, simplement des citoyens passionnés de nature et de liberté et qui ne comprennent pas que le loup continue à être traqué et haï par certains pays. Ils considèrent, à juste titre, que le loup a le droit de vivre libre, sauvage et en paix dans notre pays. Nous tenons à apporter notre témoignage d'association de terrain à travers diverses réalisations visant à rapprocher les milieux urbains, qui sont globalement favorables à la protection de la nature, et les milieux ruraux, nettement plus réticents, même si des sondages récents montrent le contraire, car confrontés à la prédation du loup sur les troupeaux ovins, notamment dans l'arc alpin.

La recherche d'utilité sociale induite par ce rapprochement des points de vue et la mise en place de solutions est une de nos préoccupations majeures. Nous avons, par exemple, menés à bien récemment les trois actions de terrain suivantes :

- dotation en 1999, à 11 éleveurs, de chiens de garde et de protection de troupeaux, à titre gracieux et suivi de leur implantation ;

- mise en chantier, pour l'été 2000, de la restauration d'une cabane pastorale de montagne dans le massif des Monges, dans les Alpes-de-Haute-Provence, sur la commune d'Auzet, en collaboration avec l'Association pour l'action régionale, l'APAR ;

- mise en place d'une opération d'écovolontariat dénommée Pastoraloup à partir de 1999. Pastoraloup est pour nous, l'action principale que nous développons depuis plusieurs années. Elle rencontre un vif succès, recevant à la fois l'accueil enthousiaste de jeunes urbains désireux de se rendre utiles et l'accueil chaleureux de bergers réconfortés de se sentir soutenus.

Pour aider le loup, aidons les moutons, c'est notre slogan. Ce principe simple a entraîné la mise en place de ce chantier, trait d'union entre deux univers qui se connaissent mal : celui des éleveurs et celui des défenseurs du loup. La tâche du bénévole est très simple : apporter un soutien aux éleveurs et aux bergers et une présence humaine auprès des troupeaux en zones à loups afin d'éviter les attaques.

A ses débuts, Pastoraloup n'avait que l'ambition immédiate d'apaiser les conflits et de venir en aide à des éleveurs exaspérés pliant sous la contrainte. Commencé modestement avec 8 bénévoles et un éleveur, notre action s'est développée pour atteindre, en 2002, 35 bénévoles venus apporter leur soutien à 8 éleveurs dans le Mercantour, le haut Var et le massif des Monges. Pour 2003, l'ambition du groupe Loup France est de fortement accentuer cette action par un nombre encore plus important d'éleveurs partenaires et de bénévoles.

Nous réfléchissons également à la mise en place d'une brigade d'intervention rapide qui permettrait de venir en soutien dans les plus brefs délais à un éleveur qui subirait des attaques importantes. Les profils des bénévoles sont très diversifiés : étudiants, enseignants, retraités... Tous passionnés de nature, curieux de vivre une aventure humaine en découvrant la vie et le travail des éleveurs et bergers en estive et en la partageant dans les moments privilégiés comme dans les plus difficiles, toujours dans un esprit constructif et de dialogue.

L'expérience et le recul de trois années nous permettent d'affirmer, sans ambiguïtés, que ces rencontres sont positives et, dans tous les cas, offrent à des citoyens dont les logiques de vie sont parfois très éloignées de mieux se connaître, de mieux se comprendre et de s'accepter dans un respect mutuel. Les éleveurs de leur côté, par leur collaboration, prouvent leur attachement à cette forme de solidarité active. Forts de cette expérience de terrain, nous préconisons des mesures simples qui faciliteraient une adaptation et une acceptation plus rapide du monde de l'élevage à la présence du prédateur :

- prime spécifique, pour handicap naturel pour les éleveurs qui travaillent en zones à loups et qui acceptent de s'équiper de moyens de protection ;

- prime forfaitaire annuelle, en fonction de l'importance du troupeau, pour remplacer les constats qui ne sont que source de conflits ;

- aide soutenue aux éleveurs, pour s'équiper en moyens de protection et pour la prise en charge de frais induits, comme la nourriture de chiens ou les soins vétérinaires ;

- système d'assurance, garanti par l'Etat, qui permette une compensation aux éleveurs qui subiraient de la prédation malgré la mise en œuvre correcte des mesures de protection ;

- emplois pastoraux, aidés par l'Etat, pour que les éleveurs puissent employer des bergers et des aides-bergers supplémentaires ;

- aide au milieu associatif, pour la mise en place de bénévoles de type écovolontaires auprès des éleveurs afin d'assurer une présence humaine continue auprès des troupeaux ;

- signature entre l'éleveur et l'Etat d'une charte qui définisse les droits et les devoirs de chacun et qui conditionne la mise en place des aides de l'Etat ;

- état des lieux dans les parcs naturels pour les zones difficiles où il existe de grandes difficultés à mettre en place les mesures de protection et réflexion sur les mesures spécifiques à prendre pour ces zones.

Toutes ces mesures feront que, au fil des années, la cohabitation affirmée du loup et des troupeaux deviedra une réalité de terrain, acceptée par le monde de l'élevage. Il est urgent que les choses soient claires et que les éleveurs décidés à affirmer leur volonté de se protéger soient correctement aidés par l'Etat. Le retour du loup est une chance pour la France, mais il a un coût que la collectivité nationale doit assumer. Dans le même temps, il est impératif que l'Etat lutte contre l'implantation de véritables zones de non droit en montagne où le braconnage contre une espèce protégée reste impuni et sévit en toute illégalité, sans aucune poursuite judiciaire.

Pour le groupe Loup France, le dialogue avec les acteurs de terrain, l'écoute des problèmes rencontrés et la recherche de solutions sont la meilleure manière de résoudre les difficultés. Il est incompréhensible que notre pays, qui élève moins d'ovins que l'Italie et l'Espagne, détenant respectivement 700 et 2 000 loups, ne puisse tolérer la présence de 30 individus sur son territoire. Dans le même sens, faut-il rappeler que la France, dont la densité de population est environ deux fois moins élevée que celle de l'Italie, subit une déprise agricole importante qui libère d'autant de nombreux territoires vierges qui pourraient aisément être recolonisés par le loup, sans conflit avec les activités agro-pastorales.

D'autre part, nous nous étonnons que les autorités publiques et les décideurs du monde rural n'aient pas saisi l'extraordinaire opportunité de la présence du loup pour créer un foyer économique captif à l'instar du parc des Abruzzes en Italie où, chaque année, plus de 2 millions de visiteurs se rendent et où la vente de produits locaux est dopée par des labels agro-environnementaux à l'effigie du loup.

Enfin, le retour du loup doit nous interpeller sur notre rapport avec la nature. Alors qu'il est revenu naturellement grâce à l'excellente santé écologique du parc du Mercantour et à l'expansion de la population italienne de loups, devons-nous de nouveau l'éradiquer comme il y a un siècle ? Voulons-vous uniquement une nature domestiquée et régentée dans ses plus petits détails ? Le loup doit être défendu avec détermination comme un symbole fort de l'écologie, mais aussi comme l'emblème d'une nature indomptée. Car, si le loup revient, ce n'est pas pour être parqué dans quelques réserves, mais bien pour vivre libre. Il nous montre le chemin, bousculant les valeurs trop souvent utilitaristes de notre société moderne.

Mais nous l'affirmons haut et fort, cette protection totale ne doit pas se faire au détriment du monde de l'élevage. Nos montagnes sont assez vastes pour que la cohabitation soit possible et que les uns puissent vivre en harmonie avec les autres. La raison doit l'emporter sur la haine sur l'intolérance. La paix doit régner dans nos montagnes et dans nos forêts. Au groupe Loup France, nous ferons tout pour y parvenir en collaboration avec les acteurs ruraux.

Je précise que c'est un ancien éleveur qui vous parle.

M. Bernard CRESSENS : Je suis le nouveau directeur scientifique du WWF France. Je suis moi-même ancien éleveur de moutons dans les Alpes et j'ai eu à subir des attaques, pas des attaques de loups mais celles de chiens, sur mes troupeaux. Je parlerai donc, comme M. Burle, avec un peu d'émotion dans la voix.

Le WWF France est une structure associative qui a 40 ans d'âge et compte 100 000 membres . Il fait partie d'un réseau international regroupant 40 pays. Nous avons mené plus de 13 000 programmes de conservation de la nature sur le terrain. Nous vivons donc constamment la réalité des relations entre l'homme et l'animal et de la gestion de l'espace. Le WWF France est organisé autour de six missions prioritaires. L'une d'entre elles concerne les espèces et parmi elles, les grands carnivores car ils sont au sommet de la pyramide et sont donc le symbole d'un bon fonctionnement écologique. La présence de grands prédateurs signifie que notre écosystème fonctionne bien.

La problématique du loup est pour nous transfrontalière. Nous ne comprenons pas que seule la France en Europe polémique sur le sujet. Le retour naturel du loup ne fait pour nous aucun doute. Cet animal est capable de se déplacer sur de grandes distances. Les loups apparus dans le Dauphiné il y a plusieurs dizaines d'années étaient d'ailleurs certainement des loups errants en recherche de nouveaux espaces. Le loup est une espèce protégée par des conventions internationales signées par la France. Nous sommes un Etat de droit.

Le loup n'est pas un handicap pour le développement économique. Vous pourrez le constater dans les Abruzzes. Les grands animaux sauvages peuvent être exploités comme des labels de qualité et favoriser ainsi le développement éco-touristique. Le loup n'est pas responsable de la crise ovine. En tant qu'ancien éleveur ovin, j'ai vécu cette crise dès 1976, notamment quand nous avons pris dans la figure le Rainbow Warrior et les accords avec la Nouvelle-Zélande. La mondialisation et les échanges internationaux ont permis aux Néo-Zélandais et aux Australiens de livrer de l'agneau à un prix que nous ne pouvions pas concurrencer en France. Nous sommes attachés au pastoralisme. Il peut, et doit, vivre avec le loup. Il n'y a que 9 millions de têtes ovines et 30 loups en France, contre 11,5 millions de têtes et entre 500 et 1 000 loups en Italie et 24 millions de têtes ovines et 2 500 loups en Espagne. Nous ne comprenons pas dès lors l'ampleur des polémiques dans notre pays et cette incapacité à résoudre les problèmes.

Il y a un problème de coexistence. Il faut améliorer les méthodes d'élevage. Le travail fait par les associations pour soutenir les éleveurs va dans le bon sens et il faut soutenir les initiatives permettant d'adapter la conduite des troupeaux et d'accompagner les éleveurs. Le problème fondamental est liée à la conduite des troupeaux.

Notre conclusion tient en trois points.

Premièrement, nous sommes dans un Etat de droit qui ne peut tolérer l'existence de zones de non-droit. Il ne faut pas encourager les empoisonneurs.

Deuxièmement, les moutons bien gardés ne sont pas mangés. Il faut soutenir l'élevage et encourager les éleveurs.

Troisièmement, l'exception française ne se justifiera ni aux yeux de nos concitoyens ni aux yeux de nos partenaires européens et internationaux. Je travaille dans d'autres pays et je me demande quel exemple représente la France incapable de protéger ses 25 loups, pour des pays en développement abritant des lions, des tigres ou des jaguars et auxquels nous demandons de protéger ces espèces.

Notre Président de la République affirme que la guerre n'est pas une solution. La guerre contre le loup n'est pas non plus une solution et nous demandons à la commission de faire tout son possible pour favoriser la coexistence pacifique entre l'homme et le loup.

M. Roland GUICHARD : Lorsque j'ai présenté ma carte d'identité aux services d'accueil de l'Assemblée nationale, on m'a demandé avec un large sourire si j'étais pour ou contre le loup. Cette question résume la difficulté que nous avons en France à aborder le problème.

On ne peut pas se situer perpétuellement dans un référendum sur un animal qui est protégé par la loi française et par des conventions internationales. Le problème est réel et concerne le rapport entre un animal sauvage et un autre usager du milieu, l'éleveur. On ne peut pas résoudre ce problème si on laisse perpétuellement planer la possibilité d'une extermination du loup.

J'ai pu constater en allant dans d'autres pays, notamment au Canada en Colombie-Britannique ou en Slovénie, que nos interrogations n'avaient pas de sens. Dans ce dernier pays, j'ai rencontré des chasseurs et je leur ai maladroitement demandé, reprenant la mentalité française, s'ils étaient pour ou contre le lynx. Ils m'ont regardé avec des yeux ronds, car ils ne comprenaient pas ma question, le seul problème est sa gestion.

Nous sommes une association de protection de la nature. Nous militons donc pour la conservation des milieux naturels et des espèces de prédateurs. Nous n'opposons pas l'homme et la nature. Ce serait là le plus mauvais débat. Les prédateurs sont aujourd'hui - nous ne sommes plus au XIXème siècle - un atout notamment touristique, que d'autres pays exploitent. Il faut donc poser les bonnes questions : quelles est la nature des difficultés que nous rencontrons avec le loup et quels sont les outils dont nous disposons pour pouvoir les résoudre ?

Notre association a travaillé sur la réintroduction de l'ours et nous avons cherché à éviter les conflits. C'est cet objectif qu'il faut poursuivre si nous ne voulons pas être une nation archaïque, seule en Europe, où le loup est empoisonné, piégé, chassé. La modernité, c'est au contraire le respect de l'autre et de l'autre sauvage. Nous avons engagé nos fonds propres, notamment pour employer un spécialiste de pastoralisme, Pascal Wick, qui vous présentera son travail tout à l'heure.

Nous proposons plusieurs mesures.

Il faut que les troupeaux soient gardés, ce qui signifie une véritable politique de recrutement de bergers et de réhabilitation de ce métier.

Ensuite, nous prônons l'utilisation de la technique des chiens de protection, employée depuis le néolithique, car il ne faut pas oublier que cela fait 6 000 ans qu'il y a des moutons en France.

Enfin, il faut que l'éleveur retrouve un intérêt financier à la présence du loup par le versement de primes. Non pas des primes compensant un handicap ou des dégâts, mais des primes versées en amont afin d'associer le loup à un bénéfice pour l'éleveur. Aujourd'hui, l'éleveur ne retrouve son bien que lorsqu'il est remboursé. Il faut retourner la situation. Le droit national et européen protège le loup et il n'est pas normal que l'éleveur soit le seul à en payer les dégâts. La solidarité nationale impose de créer une prime liée aux zones de prédation.

Les chiens de protection sont à nos yeux la mesure la plus économique. Il s'agit en outre d'une technique bien connue, qui a fait l'objet de recherches scientifiques, notamment à l'étranger. Nous avons écrit avec Pascal Wick une méthode sur l'utilisation des chiens de protection et nous avons mis en place des stages didactiques pour les éleveurs et les bergers. Par ailleurs, grâce à des fonds privés, notamment ceux de la fondation Capitoul, de la fondation Nature et Découvertes, de Groupama, du WWF ou de la coopérative 3A, nous avons produit un film sur les chiens de protection.

M. Pascal WICK : Je voudrais d'abord insister sur le fait qu'il y a toujours eu de la prédation sur les petits ruminants, notamment du fait des chiens errants, qui font les plus gros dégâts, mais j'ai aussi connu la prédation des grands corbeaux, des sangliers, des renards ou encore des aigles. La situation n'a donc pas radicalement changé. Bien sûr, garder un troupeau dans une région à loups, alors que ce prédateur en avait disparu ou n'y existait pas impose des contraintes et des changements dans la gestion du troupeau. Afin que les bénéfices de son entreprise ne chutent pas vertigineusement, l'éleveur devra adopter des technologies impliquant des investissements et un engagement personnel.

Je pense que la majorité des Français sont prêts à aider les éleveurs subissant les coûts de la présence du loup. La cohabitation entre les loups et les éleveurs est donc possible grâce à ces techniques et ces systèmes de gestion.

J'ai gardé, à la fin des années 80, les troupeaux d'un éleveur du Montana, dans une zone sauvage, à quelques kilomètres au nord du parc de Yellowstone, habitées par des coyotes, qui y faisaient beaucoup de dégâts, des ours noirs, des ours bruns, des grizzlis et des pumas. Cet éleveur avait en moyenne une cinquantaine de ses bêtes tuées pendant la saison d'estive. Vers 1992, des loups ont commencé à apparaître. Je me suis intéressé au problème de la minimisation des conflits entre le troupeau domestique et les prédateurs et j'ai réussi à convaincre mon patron d'acheter des chiens de protection. J'avais eu connaissance des résultats étonnants des chiens de protection dans des troupeaux regroupant 15 000 à 20 000 brebis pâturant dans les forêts de la Couronne en Colombie-Britannique, dans une zone où la densité de prédateurs était encore plus forte que celle dans laquelle je travaillais. Les chiens de protection y réduisaient la prédation à quelques brebis par an.

Les techniques de protection des troupeaux existent depuis le néolithique et n'ont pas fondamentalement changé depuis : les bêtes doivent être gardées et regroupées, afin d'éviter qu'elles pâturent par petits groupes. Ces techniques ont fait l'objet de recherches scientifiques, notamment en Amérique du nord, quand l'empoisonnement des prédateurs a été interdit. Ces techniques sont donc parfaitement au point et l'exemple de la Colombie-Britannique le prouve. Je ne pense pas que les conditions de cette région soient différentes de celles de la France : les comportements des brebis et des prédateurs y sont les mêmes.

Faut-il aider les éleveurs une fois que les dégâts sont faits ? Je crois qu'il y a une grande différence entre des aides a priori et des indemnités après dégâts. Les éleveurs et les bergers travaillant dans des zones à prédateurs éprouvent une certaine fierté à faire un travail difficile comme celle des éleveurs travaillant dans les zones de montagne et touchant à ce titre l'indemnité spéciale montagne face aux éleveurs travaillant dans la plaine.

Il faut retourner la situation et faire en sorte que les différentes parties de la collectivité trouvent un intérêt à la présence des prédateurs en versant une prime a priori. L'éleveur aura ainsi les moyens financiers et techniques, notamment grâce à l'accompagnement des techniciens agricoles, de se prendre en charge. Il pourra en effet mettre en place les techniques anti-prédation, qui sont efficaces.

Mme Aline MAATOUK : Je voudrais présenter la fondation Brigitte Bardot en quelques mots. Elle a été créée en 1986 et reconnue d'utilité publique en 1992. Son objectif principal est de promouvoir et d'organiser la défense et la protection de l'animal sauvage et domestique tant en France qu'à l'étranger. La fondation compte environ 50 000 adhérents, en France et à l'étranger. Nous éditons un magazine, l'Info-Journal, qui est notamment envoyé aux parlementaires français afin de les informer de nos actions et demander leur soutien afin d'améliorer les lois concernant la protection et le bien-être animal.

Depuis bientôt dix ans, la fondation essaye de sensibiliser ses adhérents à la problématique du retour du loup en France. De nombreux articles ont été rédigés à ce sujet et un junior, sous forme d'un questionnaire à l'intention des enfants, lui a été consacré en 1998.

Il faut rappeler le statut juridique du loup, tel qu'il est notamment déterminé par la convention de Berne de 1979. Le loup figure en annexe II de cette convention en tant qu'espèce de faune strictement protégée. Les Etats signataires de cette convention reconnaissent que la faune et la flore sauvage constituent un patrimoine naturel d'une valeur esthétique, scientifique, culturelle, créative, économique et intrinsèque qu'il importe de préserver et de transmettre aux générations futures. Les Etats reconnaissent aussi le rôle essentiel de la flore et de la faune sauvage dans le maintien des équilibres biologiques. L'article 6 de cette convention précise que seront interdits pour les espèces de l'annexe II toute forme de capture intentionnelle, de détention et de mise à mort intentionnelle.

A l'heure actuelle, où les populations de loup présentes en France n'atteignent pas un seuil viable, l'article 9 de la convention, qui permet de déroger aux dispositions de la directive en cas d'atteinte aux activités d'élevage, ne peut être invoqué sans que cela nuise à la survie de cette population concernée.

Le loup est également protégé par la directive Habitats de 1992 concernant la conservation des habitats naturels, ainsi que la flore et de la faune sauvage. Dans cette directive, le loup est classé en espèce prioritaire et figure dans l'annexe II et l'annexe IV. Il est précisé que les Etats membres doivent prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte dans leurs aires de répartition naturelle, interdisant notamment toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelles des spécimens des espèces protégées dans la nature.

Nous estimons que tous les moyens doivent être mis en œuvre pour assurer la protection du loup dans le cadre du programme LIFE. Des mesures de protection ont déjà été mises en place : chiens de protection, parcs de regroupement nocturne, aides-bergers, conseils aux éleveurs.

Selon le dernier rapport d'activité du programme LIFE loup, 211 chiens de protection ont été mis en place durant l'année 2001 dans les six départements concernés et le nombre total de chiens est estimé entre 370 et 410 individus dans ces six départements. Une étude menée dans le cadre du rapport d'activité du programme LIFE, en 2001 et portant sur le Queyras conclut que les patous ne représentent manifestement pas plus de danger que tout autre type de chien pour les promeneurs et ne risquent pas de modifier leurs habitudes de randonnée.

Nous déplorons vivement que différentes organisations professionnelles agricoles refusent d'intégrer la problématique du loup dans leur diagnostic. Cette position est regrettable, car ce refus de coopération empêche les résultats d'être significatifs. Les études sont donc faussées dès le départ. Par conséquent, avant de condamner le loup en France, il faudrait inciter les éleveurs à mettre en place les mesures de prévention qui leur sont proposées et qui sont financièrement prises en charge par le programme LIFE loup.

En octobre dernier, suite à la création de cette commission d'enquête parlementaire, la fondation Brigitte Bardot a adressé un courrier à l'ensemble des députés français, afin de les informer de sa position sur ce dossier pour le moins sensible.

Nous regrettons vivement que le mythe du petit chaperon rouge soit encore d'actualité et ceci même auprès de certains de nos députés. Comme il nous a été répondu par un député de l'Est, tout père de famille est amené à se demander s'il est bien judicieux et prudent de revoir cet animal dans nos forêts et si des enfants ne pourraient pas se trouver en danger devant un tel fauve libre dans la nature.

De nombreux groupes de personnes se promènent aujourd'hui en sécurité, campent, cueillent des champignons... Devront-ils avoir peur demain de rencontrer un loup ?

En conclusion, il ne faut pas rendre le loup responsable des difficultés rencontrées par la filière ovine en France : concurrence, rentabilité, diminution du nombre des exploitations, maladies et attaques par les chiens errants. Si les 30 loups tuent moins de 2 000 moutons par an, 1 472 en 2000 et 1 830 en 2001 selon les chiffres du programme LIFE, ils ne font sûrement pas autant de dégâts que d'autres causes.

Pour la fondation Brigitte Bardot, le retour du loup en France est une chance pour tous. Son impact économique ne doit pas être négligé, mais plutôt développé. Sans minimiser les problèmes rencontrés, nous souhaitons trouver une solution qui garantisse la protection de cette espèce en France. Il ne faut pas oublier que nous avons une obligation morale envers les générations futures et que notre devoir est de maintenir la biodiversité.

Mme Lauriane d'ESTE : Je suis la première vice-Présidente de la SPA nationale. Bénévole à la SPA, je suis universitaire de métier. Je représente ici la section faune sauvage de la SPA, que j'ai fondée il y a trois ans. Nous collaborons par ailleurs au programme Pastoraloup, que nous aidons à financer. Etant une association de protection des animaux, nous sommes aussi sensibles aux problèmes de la filière ovine.

J'essaierai dans le bref temps qui m'est imparti de développer les six points suivants : le retour du loup, la protection internationale, les mesures et aides, la culture du loup, le problème économique et enfin la préservation et la conservation de l'espèce.

Je suis professeur et je connais donc à ce titre les vertus de la répétition. Je rappelle donc que le loup est revenu officiellement en France en 1992, dans un territoire qui avait été le sien naturellement. Il n'a pas été réintroduit par des moyens extérieurs. Une étude unique au monde, qui a été menée sur dix ans par des chercheurs grenoblois de l'université Joseph-Fourier et du CNRS sous la direction de Pierre Taberlet corrobore le scénario d'une expansion naturelle du loup dans les Alpes à partir de l'Italie. Cette étude se fonde sur des analyses génétiques à partir de 300 échantillons d'ADN et prouve l'origine génétique identique du loup italien et des meutes installés dans les Alpes. Elle complète les études biologiques sur le principe de territorialité et de la dispersion qui amène deux loups adultes à quitter leur meute d'origine pour fonder une autre meute sur un autre territoire. On sait par ailleurs que le loup peut parcourir jusqu'à 400 kilomètres, à raison de 30 kilomètres par jour.

Nous avons donc maintenant une vraie empreinte génétique qui nous renseigne sur les déplacements de l'animal dans le temps et dans l'espace. A moins d'être d'un obscurantisme doublé d'une méconnaissance de la science, ce sont des données qu'il est difficile de contester.

Je ne reviendrai pas sur la protection internationale du loup, d'autres intervenants en ont déjà parlé. Je rappelle simplement que la directive Habitats parle du loup comme une espèce strictement protégée et classe cette espèce en annexe II et en annexe IV comme étant prioritairement d'intérêt communautaire. En vertu du chapitre 3 de l'article  de la directive, il est possible de déroger à la protection des espèces à condition que cela ne nuise pas à la survie de la population concernée. Nous sommes loin du compte, avec une population de 25 loups en France.

La protection implique une stricte application de la loi. Or, le loup est victime d'un braconnage intense qui compromet la survie de l'espèce et, dans certains cas, empoisonne toute la chaîne alimentaire et la nature de manière criminelle. Je me demande comment on peut parler d'impunité zéro quand on laisse le braconnage totalement impuni dans les zones de montagne. C'est la loi, et à travers elle la France, qui est bafouée. Les montagnes sont devenues de véritables zones de non droit.

Au lieu de vivre le retour du loup comme un cataclysme, il faut s'y adapter. La plupart le font, mais d'autres résistent encore. Des dispositifs prévoient des mesures de prévention et d'indemnisation des dommages. L'indemnisation est de 180 euros par tête en moyenne, ce qui est supérieur au prix de vente de l'animal au prix du marché. Ces aides doivent être pérennisées et améliorées. Il faut mieux les adapter.

Les zones de montagne sont des espaces très fragiles, où il faut conjuguer l'entretien des alpages, la protection de l'environnement, le tout avec une production de qualité. Ce n'est pas toujours le cas. Certaines zones de montagne sont surpâturées, dans le cadre même du parc du Mercantour, au détriment de la couverture végétale.

Les aides doivent répondre à des chartes claires d'engagement vis-à-vis de l'Etat signées par les bergers-éleveurs. Elles doivent définir les droits et devoirs de chacun et conditionner le versement des aides soumises à la mise en place correctes des mesures de protection. Nous adhérons totalement aux propositions du WWF et du Groupe loup France

Les méthodes de protection ont fait leurs preuves ailleurs. Les aides ne doivent pas être versées de manière inconditionnelle et approximative. Elles doivent permettre la coexistence entre une espèce protégée et une activité économique que nous souhaitons rentable.

Le loup appartient à notre imaginaire et à notre patrimoine culturel. Sa réputation de férocité est due surtout à l'imagerie du XIXème siècle. Aujourd'hui, on ne la partage plus. Bien au contraire, le loup a désormais une connotation positive puisqu'il symbolise la vie sauvage et la liberté. Les sondages le prouvent et ce serait aller très fortement contre l'opinion publique que de prendre des mesures qui seraient contraires à la protection du loup. Je mets à la disposition de la commission notre revue. Vous pourrez y lire les courriers de nos lecteurs. Nous en avons des centaines. Une lectrice des Alpes-Maritimes a adressé une lettre ouverte à Mme Roselyne Bachelot. Elle y annonce qu'elle va boycotter le mouton français en faveur du mouton néo-zélandais parce qu'elle en a assez de la manière dont on traite les loups.

C'est vous dire qu'il y a une très forte connotation positive dans l'opinion française. C'est la volonté des Français de maintenir une grande faune sauvage et de donner à cette présence une forme adaptée à nos sociétés.

Le problème économique est évidemment crucial. Plusieurs constatations s'imposent sur ce point.

La filière ovine n'est pas florissante. La présence du loup n'a fait que mettre l'accent sur ce problème qui a été dénoncé par un imposant rapport du Sénat sur l'avenir de l'élevage écrit par le sénateur Gérard Bailly en 2002. Il y est dit notamment que la production ovine française est en déclin, avec 9,4 millions de têtes, dont 6,6 millions de brebis. Elle est au quatrième rang des cheptels ovins européens derrière le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Italie. Notons au passage, qu'en Espagne et en Italie, il y a beaucoup plus de moutons et de loups et que personne n'y crie « au loup ».

L'élevage du mouton subit de plein fouet l'effet de la mondialisation. La production ovine, toujours d'après le rapport du Sénat, a été divisée par deux entre 1980 et 1990, période au cours de laquelle la France a perdu 200 éleveurs ovins et un million de brebis. Ce déclin est davantage perceptible pour les ovins élevés pour leur viande. La filière ovine laitière connaît en effet un certain dynamisme due à la valorisation des produits fromagers. La France n'assure que 53 % de sa propre consommation, le reste venant de Nouvelle-Zélande, d'Australie, de Grande-Bretagne et d'Irlande. Ce sont les chiffres officiels, peut-être que cela ne représente qu'une partie de la production, s'il faut en croire un article récent qui a été publié dans Terre Sauvage. Je ne reprends pas cet article à mon compte, mais je l'ai lu.

La diminution globale du nombre de brebis touche aussi des régions indemnes du loup, comme les Deux-Sèvres, la Vienne et la Haute-Vienne. Du fait des subventions, bien des éleveurs ont préféré se reconvertir dans les céréales ou dans l'élevage bovin.

On peut donc dire que l'ennemi de la filière ovine ce n'est pas le loup, mais la mondialisation. Peut-être faudrait-il demander une meilleure répartition des primes au sein de la PAC, car ce sont les céréaliers qui ont la meilleure part. Les dégâts causés par le prédateur sont largement indemnisés, peut-être pas assez.

Quoi qu'il en soit, les lois de l'évolution énoncées par Darwin prouvent qu'il faut s'adapter ou mourir. La filière ovine doit donc impérativement s'adapter au XXIème siècle. Elle doit produire une viande de qualité, labellisée et répondant aux exigences du consommateur. Elle doit se diversifier notamment vers la filière laitière et la production de fromage, comme en Italie, et vers une certaine forme d'artisanat. Il est enfin envisageable de développer l'éco-tourisme, ardemment demandé par les Français, avides de nature profonde, pour lesquels le loup et la montagne sont un patrimoine naturel et commun.

Ce patrimoine commun doit être préservé dans l'équilibre des écosystèmes avec la présence de grands régulateurs, garants de la santé du monde naturel.

Je voudrais terminer en citant le message du Président de la République dans le discours de Nantes du 29 janvier 2002, lors des assises de l'environnement, lorsqu'il présenta la charte de l'environnement. Il a parlé d' « écologie humaniste » et a dit que «  les hommes ne sont pas propriétaires de la nature. Ils en sont d'abord les responsables ». Je cite à nouveau le président de la République : «  Notre responsabilité vis-à-vis des générations futures est de mettre fin à la dégradation générale qui est en train de s'opérer sous nos yeux. [...] Nous allons reconnaître les principes fondamentaux d'une écologie soucieuse du devenir de l'homme, avec des droits, mais aussi avec des devoirs. Ainsi, les préoccupations liées au développement durable irrigueront l'ensemble de notre droit, de notre économie, de notre vie sociale. Le respect de la nature deviendra une composante essentielle de notre conscience démocratique. » Le Président de la République poursuit en affirmant que « dans notre société de liberté et de responsabilité, chacun devra, dorénavant, peser les conséquences environnementales de ses actes. ». Enfin, il insiste sur le fait que « la responsabilité écologique, c'est la responsabilité de chacun envers l'environnement, qui est un bien commun de l'humanité. L'atmosphère, les océans, les ressources naturelles ou la biodiversité sont partagés entre tous les hommes. Personne ne peut s'arroger le droit d'en abuser. »

Il est inutile de parler de développement durable aujourd'hui, si l'on n'est pas capable dans ce cas précis de concilier la nature, c'est-à-dire la vie sauvage, avec l'homme, c'est-à-dire l'élevage. Pas d'hypocrisie vis-à-vis de nos concitoyens. Ce n'est pas la peine de parler de charte de l'environnement et de conservation du patrimoine naturel, si, à cette occasion très précise qui nous est donnée, nous ne réussissons pas à mettre en place la coexistence des bergers et des loups.

A l'heure où vous ferez vos propositions, j'espère que vous vous rappellerez, que, comme le dit le Président de la République, vous n'êtes pas propriétaires de la nature et n'avez nullement le droit d'en disposer. Les générations futures pourraient bien, dans le cas contraire, vous demander des comptes, sans oublier l'opinion internationale qui considérerait la France comme le pays le plus arriéré du monde en matière écologique.

J'ai récemment vu Nicolas Hulot dans son émission Ushuaïa. Il était en Inde, dans les territoires du tigre. Il évoquait les paysans indiens, qui avaient tellement conscience de l'importance de cet animal dans leur patrimoine national, qu'ils le protégeaient à n'importe quel prix, en acceptant, eux qui sont parmi les peuples les plus pauvres du monde, de donner leurs terres pour étendre les zones consacrées à la faune et à la flore. Nicolas  Hulot faisait remarquer qu'en France, pays riche, il n'y a que 25 loups qui ne sont même pas protégés et auxquels, au contraire, on dispute un sanctuaire. Je partage cette opinion.

Mme Henriette MARTINEZ : Avant de donner la parole à M. le Rapporteur et aux autres membres de la commission, je voudrais poser une question à M. Rousseau.

M. Rousseau, pouvez-vous nous préciser sur quoi se fonde votre engagement pour la défense du loup et quelles sont les actions menées par votre association en faveur de cette défense ?

M. Olivier ROUSSEAU : Notre engagement pour la défense du loup se fonde sur le respect du droit. Le loup est en effet intégralement protégé en France, par la convention de Berne et par la directive Habitats. Notre attitude légaliste nous amène à déposer plainte contre les braconniers. Malgré le fait qu'il y ait malheureusement peu de loups établis en France, beaucoup de cas de braconnages sont recensés. Conformément aux objectifs et aux statuts de notre association, nous assurons un travail de veille juridique visant au respect de la réglementation et, si besoin est, à son renforcement.

Le deuxième volet de notre travail consiste à sensibiliser et à informer afin de mieux faire connaître l'espèce et à mieux faire comprendre les enjeux de sa présence. Nous éditons ainsi des documents d'information. Nous mettons à la disposition de la commission une de nos brochures intitulée « Bienvenu au loup ». Nous éditons par ailleurs des supports pédagogiques comme des diaporamas, des expositions ou des plaquettes d'information destinés aux écoles, aux bibliothèques, aux médiathèques et aux associations qui nous les réclament.

Mme Henriette MARTINEZ : M. Burle, à partir de quel nombre d'individus peut-on considérer que l'état de conservation de l'espèce loup est favorable ?

M. René BURLE : Si vous le permettez, je vais passer la parole à mon collègue Bertrand Sicard.

M. Bertrand SICARD : En s'appuyant sur des références scientifiques, on peut affirmer qu'en dessous de 150 individus, une population de loups n'est pas viable écologiquement.

Mme Henriette MARTINEZ : A quelle échelle faut-il apprécier cette population ?

M. Bertrand SICARD : Nous sommes en France, il faut donc retenir l'échelle du territoire national.

Mme Henriette MARTINEZ : L'état de conservation d'une espèce doit-il s'évaluer à l'échelle nationale ou à une échelle plus large ?

 M. Bertrand SICARD : Votre question est un peu perverse. Les animaux ne s'arrêtent certes pas aux frontières, mais nous sommes fiers d'avoir une population de loups en France et nous tenons à la garder. En dehors des Alpes, il y a de nombreuses zones en France avec peu d'élevage extensif ou intensif, que le loup pourrait recoloniser sans perturber les activités agro-pastorales.

Mme Henriette MARTINEZ : Monsieur Cressens, vous avez souligné que le WWF avait mené plus de 13 000 programmes de protection de la nature.

J'aimerais que vous précisiez en quoi consiste votre programme de conservation de l'espèce loup, ainsi que sa date.

M. Bernard CRESSENS : Le WWF France ne mène pas de programme spécifique de conservation de l'espèce loup. Les 13 000 programmes dont je vous parlais s'inscrivent dans le cadre d'une action internationale.

Le WWF France, en revanche, participe activement au groupe Loup France et soutient l'initiative pastorale.

Mme Henriette MARTINEZ : Pouvez-vous nous préciser en quelle année le WWF France a mené sa campagne de promotion du loup auprès de ses adhérents et quelle a été la destination des fonds ainsi collectés ?

M. Bernard CRESSENS : Une partie de notre budget annuel provient d'une sollicitation de fonds auprès de nos membres. Nous n'avons pas fait de campagne spécifique de promotion du loup, mais des grands carnivores en général. Ces programmes permettent de soutenir les initiatives de nos partenaires, comme, par exemple, celles concernant les chiens de bergers ou encore l'appel aux écovolontaires. Nous faisons chaque année appel aux écovolontaires afin de pouvoir sélectionner les personnes capables d'apporter une assistance technique aux bergers. Cette assistance est gratuite pour le berger, mais elle ne l'est pas pour nous.

M. le Rapporteur : Je voudrais d'abord dire que j'ai beaucoup apprécié la tenue des débats ainsi que les propositions qui ont été faites, notamment par mon ami de longue date René Burle, dont je connais bien le travail.

Je voudrais ensuite insister, à l'intention de M. Rousseau et de M. Vandeville, qui ont fait d'entrée un procès d'intention à notre commission, sur le fait qu'il n'a jamais été question dans notre commission d'éradiquer le loup. La création d'une commission d'enquête démontre au contraire la volonté des députés de mettre les choses à plat. J'ai été surpris d'entendre très peu parler de l'homme, mais surtout du prédateur dans vos interventions. Or, la question est de savoir quelle est la place de l'homme dans nos territoires.

M. Wick a dit que les éleveurs de montagne étaient fiers de toucher des primes. Je pense que cela a dû lui échapper. Cela m'a choqué.

M. Pascal WICK : J'ai simplement dit que les bergers travaillant dans une zone sans prédateur ont une certaine estime pour ceux travaillant dans des zones abritant des prédateurs.

M. Hervé MARITON : Il me semble vous avoir entendu dire que l'éleveur qui, du fait de sa situation géographique, touche l'indemnité spéciale de montagne (ISM), était fier de ce fait.

M. Pascal WICK : J'ai été éleveur en zone de montagne comme d'autres ici, je touchais l'ISM et je n'en avais pas honte. Je me souviens de réunions avec les autres éleveurs dans la plaine de Valence où les éleveurs de montagne étaient plutôt bien vus.

M. le Rapporteur : Le coût du loup, en termes d'indemnités versées aux paysans de montagne, est énorme. On va avoir dans quelques jours le coût réel sur les dix dernières années. Vos propositions sont bonnes, mais elles vont coûter cher et c'est le budget national qui devra supporter leur coût, puisque le programme LIFE va se terminer. Ne pensez-vous pas que pour 25 ou 30 loups, c'est excessif ?

Certains d'entre vous ont dit qu'en Italie ou en Espagne, où les loups sont beaucoup plus nombreux qu'en France, il n'y a pas de problème. Il ne faut pas oublier que dans ces pays, l'élevage ne se pratique pas de la même façon qu'en France. En France, se pratique un élevage extensif qui s'est développé à partir du moment où le loup a été éradiqué, dans les années 30, alors qu'en Italie, les troupeaux sont de petite taille, aux alentours de 300 moutons, et sont, du fait que le berger peut les rentrer la nuit, beaucoup moins attaqués.

Je voulais demander à René Burle s'il sait s'il existe encore des élevages privés de loups en France.

M. René BURLE : Nous n'avons pas mené d'enquête exhaustive sur ce sujet, mais il est possible, dans des cas rarissimes, que des personnes relâchent dans la nature des animaux qu'ils ont pu avoir chez eux par des voies illégales. Les associations de protection de la nature sont unanimes pour affirmer que le loup est revenu naturellement par l'arc alpin.

Nous parlons des hommes. Je côtoie les bergers et je comprends leur désespoir et leurs angoisses. Il faut relativiser l'impact de ces quelques loups qui sont revenus chez nous. Je peux comprendre que ce soit la goutte d'eau qui fasse déborder le vase pour une profession qui vit depuis plusieurs années une situation économique et culturelle très difficile, mais la crise ovine n'est pas l'objet de la commission. Le loup arrive à un très mauvais moment pour la filière ovine, mais il n'est pas responsable de la crise ovine. Il faut tirer ce débat vers le haut.

M. Bernard CRESSENS : M. Spagnou nous a interrogé sur le coût que représente le loup.

En tant qu'ancien éleveur, je peux vous dire que quand je subissais des attaques de chiens, cela ne coûtait rien à la collectivité puisque mon assurance ne fonctionnait pas. Les dégâts se chiffraient en milliers de francs et quand j'allais voir les gendarmes, l'ONCFS ou le maire, j'étais élu à l'époque, tous me disaient que je ne pouvais rien faire si je n'attrapais pas les chiens. Il s'agit donc d'un coût réel que les éleveurs ont supporté et continuent à supporter qui n'a pas été transféré à la collectivité. Quant aux dégâts provoqués par le loup, il n'est pas besoin d'attraper l'animal pour être indemnisé. Des techniciens du ministère de l'agriculture et de l'ONCFS sont spécialement formés pour constater les dégâts sur les bêtes attaquées. Il faut donc comparer ce qui est comparable.

J'avais travaillé, lorsque j'étais élu du Triève-Vercors, sur la proposition de réintroduction de l'ours dans le parc naturel régional du Vercors. J'avais proposé que la collectivité et tous les acteurs qui pourraient profiter de la réintroduction de l'ours, qui a un intérêt écologique et économique, soutiennent les éleveurs en anticipant plutôt qu'en indemnisant a posteriori. Si tous les acteurs concernés ne soutiennent pas le projet, on ne met pas d'ours.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que dans le cadre de la PAC le soutien à l'élevage ovin est négligeable. Quand j'ai quitté l'élevage, je touchais 120 000 francs par an de primes de soutien pour 60 000 francs de revenu, mes primes me servant tout juste à payer mes charges.

Il faut aussi se demander combien coûtent la vache folle, la tremblante ou la fièvre aphteuse à la collectivité, car ce sont bien certains choix aberrants de notre développement économique qui ont mené à la vache folle et à la tremblante. Il faut donc rapporter le coût du loup à toutes ces dépenses.

Vous avez accusé les représentants de l'ASPAS de vous faire un procès d'intention, ne nous en faites pas un à votre tour : nous avons tous parlé de la place de l'homme dans la nature. Nous nous intéressons à la place économique de l'homme dans la nature, mais aussi à sa place sociale.

J'ai quitté l'élevage parce que je n'arrivais plus à en faire vivre ma famille de quatre enfants. Le problème est donc bien social. Les aspects économiques et sociaux sont intimement liés. La reconnaissance sociale du métier d'éleveur est une question importante, à laquelle d'ailleurs nous tentons de répondre à travers des initiatives comme le programme Pastoraloup. Le métier d'éleveur est en train de mourir.

Mme Lauriane d'ESTE : Si vous le permettez, je voudrais ajouter quelque chose.

Je souscris entièrement aux propos de Bernard Cressens. Le loup a certes un coût, mais c'est le coût du développement durable et de la nature. Il faut savoir quelle nature nous voulons demain. Voulons-nous des loups dans des parcs grillagés et bétonnés ? Cela coûterait sans doute moins cher que d'aider les éleveurs à comprendre que le loup est désormais définitivement installé et qu'il faut lui faire une place. Certains élus ont tort de jouer contre le loup. Il faut au contraire faire comprendre aux éleveurs que leurs concitoyens sont prêts à payer une nature dont ils ont l'intention de jouir et de profiter. Là, on est dans le cadre du développement durable.

Il n'est pas question d'exclure l'homme de la nature, car il a un rôle environnemental et nous souhaitons que les montagnes restent habitées, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait exclure le loup de la nature. Cet animal est au sommet de la chaîne de la prédation et il est le garant de la santé des écosystèmes. C'est parce que la nature se porte bien que nous avons aujourd'hui des loups en France.

Mme Henriette MARTINEZ : Si je comprends bien votre propos, le rôle des agriculteurs est principalement un rôle environnemental de protection de la nature.

Mme Lauriane d'ESTE : J'ai simplement dit que les agriculteurs doivent jouer un rôle dans l'environnement. Ils ont aussi, bien sûr, un rôle de producteur.

Ne serait-il pas possible de renégocier les aides de la PAC pour les éleveurs ovins ? Aujourd'hui, toutes les aides vont aux céréaliers et aux éleveurs bovins. Ce favoritisme s'explique par un productivisme rendu nécessaire par la mondialisation.

Mme Henriette MARTINEZ : Pensez-vous vraiment que le désespoir des éleveurs se situe uniquement sur le plan financier ?

Mme Lauriane d'ESTE : Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous semblez dire qu'il suffit de donner plus d'aides aux éleveurs.

Mme Lauriane d'ESTE : Je parle de développement durable dans le cadre duquel il faut apprendre aux éleveurs à coexister avec le loup et à s'adapter, en mettant en place les mesures de protection dont nous avons déjà parlé.

Mme Henriette MARTINEZ : Ne pensez-vous pas que le loup lui aussi s'adapte à ces mesures de protection et les contourne ?

Mme Lauriane d'ESTE : Le loup est très malin et on a pu constater, par exemple en Colombie-Britannique, que le loup ne vient pas tourner autour d'un troupeau protégé par des chiens patous.

M. Bertrand SICARD : Nous avons de nombreux contacts avec les éleveurs. Ils se sentent aujourd'hui abandonnés parce que l'Etat n'a pas fait son travail : le loup est revenu depuis dix ans et on cache son retour depuis dix ans. Ce n'est pas en fuyant les problèmes qu'on va les résoudre.

A travers notre programme Pastoraloup, le soleil revient dans certains alpages. Quand les bergers voient des jeunes urbains gravir les alpages enthousiastes pour venir les aider, ils sont fiers et très satisfaits que des gens s'intéressent à leur activité. On trouvera toujours des éleveurs qui, pour des raisons politiques, sont mécontents, mais nous avons beaucoup de témoignages positifs et nous vous invitons à venir dans les alpages interroger les bergers.

Le loup est un animal régi par l'apprentissage : plus les troupeaux sont protégés, moins ils les attaquent. On s'en est rendu compte dans le parc de Yellowstone, où les loups ont été réintroduits que lorsqu'ils étaient chassés, ils ne revenaient pas. Les louveteaux évoluant dans des zones où ils peuvent attaquer des troupeaux, sans danger, vont reproduire ce système d'attaque non par atavisme, mais par conditionnement.

M. Hervé MARITON : Mme d'Este a cité avec conviction des propos du Président de la République sur le développement durable dans lesquels il insiste notamment sur la responsabilité de l'homme. Cette responsabilité est aussi la responsabilité d'analyser et d'agir dans le souci que vous dites, mais avec le plein sens de la responsabilité.

Certains intervenants ont mis l'accent sur la crise de la filière ovine. Elle est à la fois plus ancienne et plus largement répandue que les problèmes résultants du retour du loup. Je ne sais pas si dans l'évolution de la PAC il faudrait que la filière ovine tire mieux son épingle du jeu, mais le niveau des aides publiques à cette filière est supérieur à 100 % du revenu des agriculteurs. Je ne suis donc pas sûr que le problème soit celui de l'affectation de moyens budgétaires supplémentaires à la filière. Il s'agit plutôt de problèmes de fond, complexes.

Je voudrais poser à Mme d'Este une question, sans doute un peu perverse.

Vous avez souligné que les mesures de gestion du loup ne pouvaient s'entendre que dans l'objectif de maintien de l'espèce et ne pouvaient donc pas porter atteinte à sa conservation. Vous avez par ailleurs insisté sur les méfaits d'un braconnage aujourd'hui assez répandu. Que penseriez-vous d'une mesure destinée à la préservation et à la conservation de l'espèce qui consisterait à autoriser les éleveurs à tirer un certain nombre de loups dans des conditions qui seraient à définir, mais qui pourraient être de nature à la fois à préserver leur troupeau et à préserver l'espèce car cela permettrait d'éviter le braconnage ?

Mme Lauriane d'ESTE : C'est en effet une question très perverse. Je voudrais être sûre de l'avoir bien comprise, aussi je me permets de vous poser une question. Est-ce que dans l'état actuel de la population de loups en France, environ 25 individus, vous envisageriez de donner le droit de tirer aux éleveurs ?

M. Hervé MARITON : Je vous invitais à comparer cette situation à celle plus dangereuse, si je comprends bien, qui résulte de l'exercice actuel du braconnage.

Mme Lauriane d'ESTE : Je ne comprends pas très bien votre question, dans la mesure où il y a un protocole de tir au loup qui existe déjà et qui, jusqu'à nouvel ordre, n'est pas remis en question. Votre question est-elle donc la suivante : faut-il donner le droit aux éleveurs de tirer à vue sur un loup lorsqu'il s'approche d'un troupeau ?

M. Hervé MARITON : Je n'ai pas défini les conditions de l'autorisation de tir de manière aussi précise.

Vous nous dites que le braconnage représente un grand danger pour le loup. Je vous demande si une autorisation de tir, dans des conditions moins strictes qu'actuellement, ne règlerait pas le problème.

Mme Lauriane d'ESTE : Il existe un protocole de tir au loup. Nous l'acceptons tel qu'il est. Peut-être faudra-t-il le réviser, mais je n'ai pas à me prononcer sur l'avenir de ce protocole.

Mme Henriette MARTINEZ : La commission vous demande votre avis sur le sujet.

Mme Lauriane d'ESTE : Il faudra étudier la question.

Mme Henriette MARTINEZ : Ce n'est pas une réponse.

Mme Lauriane d'ESTE : C'est ma réponse.

M. Bertrand SICARD : Ce n'est pas parce qu'on autorisera les éleveurs à tirer le loup que le braconnage disparaîtra. On braconne partout en France. Il ne faut pas organiser la disparition volontaire du loup.

Avant de tirer sur le loup, il faut se protéger par des chiens de protection. C'est efficace et on peut se demander pourquoi cela n'est pas généralisé. Cela résoudra une partie du problème et notamment celui de la prédation par les chiens divagants. C'est une prédation considérable, les éleveurs nous le disent. d'ailleurs, ceux que nous avons rencontrés il y a quinze jours nous ont pressé de vous dire qu'il ne fallait pas oublier le problème des chiens divagants.

M. Olivier ROUSSEAU : J'interviendrai dans le même sens que M. Sicard : avant de sortir les fusils, il faut mettre en œuvre les moyens de protection.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Au cours des auditions précédentes, nous avons entendu beaucoup de personnes nous dire que les chiens patous ne servaient strictement à rien et qu'en plus, ils sont agressifs. J'entends aujourd'hui un autre discours. Comment expliquez-vous que certaines personnes refusent les chiens patous ? On a parfois l'impression d'être dans l'irrationnel.

Le problème de la prédation par les chiens errants est selon moi bien réel, mais personne - élus locaux, Etat, organisations professionnelles -n'a été capable de nous donner des chiffres. Comptez-vous mener une étude précise sur ce problème ? La législation sur les chiens errants est claire, mais elle n'est sans doute pas très bien appliquée. Quels moyens recommandez-vous pour qu'elle soit enfin appliquée ?

M. Gabriel BIANCHERI : Je voudrais poser deux questions sur les chiens patous: qu'en fait-on l'hiver et comment les nourrit-on?

M. Roland GUICHARD : Notre association emploie un assistant pastoral, qui a été éleveur et berger et qui a mis en place la technique des chiens de protection pour le ministère de l'agriculture américain, dans une zone de forte de prédation aux Etats-Unis. Il pourra vous répondre.

Je voudrais signaler à Mme Perrin-Gaillard qu'une étude à été menée sur les dégâts provoqués par les chiens errants par M. Joël Pitte dans trois départements autour de Grenoble. Elle montre que le taux de prédation est compris entre 1,5 % et 4 % en moyenne sur les trois départements. Il faut que l'Etat s'en inquiète et fasse des études plus complètes, car notre association n'a pas de ressources suffisantes.

Je laisse la parole à Pascal Wick, qui vous parlera mieux que moi des chiens de protection.

M. Pascal WICK : M. le Rapporteur a affirmé que l'élevage extensif ne s'est développé qu'après que le loup ait été éradiqué. L'élevage extensif s'est généralisé dans les montagnes en France et en Europe quand la densité humaine a diminué.

J'ai placé des chiens de protection dans pas mal de régions en France, notamment dans le cadre de la réintroduction de l'ours. Je demandais toujours au berger à quand remontait la dernière attaque de chien qu'il avait eu à subir. Je souligne au passage que la plupart des attaques sont le fait de chiens domestiques, celui du voisin, d'un promeneur ou même le propre chien du berger. J'ai constaté que les attaques remontaient généralement à moins de cinq ans, en France, mais aussi en Espagne ce qui était mon argument pour introduire dans les systèmes d'exploitation la technique des chiens de protection. Ils sont aussi très efficaces contre les attaques de chiens domestiques et ce sont ces attaques qui représentent la plus grosse prédation pour les bergers. Avec un taux de prédation compris entre 1 % et 5 %, sur un effectif total d'environ 10 millions de têtes en France, cela représente 100 000 à 500 000 brebis par an. C'est énorme. Les éleveurs bénéficiaient de la mise en place de chiens de protection gratuitement, ainsi que d'une aide technique, gratuite elle aussi, dans le cadre de la réintroduction de l'ours. Les chiens étaient censés les protéger des ours, mais en réalité, ils les protègent surtout contre les attaques de chiens domestiques. La résolution du problème de la prédation par les chiens domestiques a beaucoup plus d'effet sur la rentabilité de l'élevage que la résolution du problème de la prédation sauvage.

Les chiens de protection sont très efficaces contre les chiens, car ils se comprennent bien entre eux. Ils sont aussi très efficaces contre les loups, car ce sont des espèces très proches, qui se reproduisent entre elles. J'ai pu constater moi-même cette efficacité dans le Montana. J'avais des chiens de protection avant que le loup soit réintroduit dans cette région et je n'ai jamais eu de problèmes. Au Canada, les bergers peuvent entendre les loups hurler, ils ne s'en préoccupent pas, car ils ont des chiens de protection. Avec l'ours, c'est un peu différent.

On a dit que le loup étant un animal très intelligent, qu'il va changer de tactique face à un troupeau protégé par des chiens, mais le chien est lui aussi un animal qui saura s'adapter aux changements de technique de prédation du loup.

Je peux vous citer le cas d'un éleveur de l'Ardèche travaillant à proximité de résidences dont les habitants lâchent leurs chiens le soir. Il a failli mettre la clé sous la porte tellement la situation était difficile. Sa femme a acheté deux chiens de protection et depuis, il n'a plus de problème de prédation.

Maintenant, il y a toute sorte de chiens : certains fonctionnent mieux que d'autres parce qu'ils sont génétiquement plus aptes ou parce que leur propriétaire a fait le travail nécessaire à leur mise en place. La technique de protection par des chiens, bien qu'assez simple, demande du travail et un investissement.

Je voudrais maintenant répondre aux questions de M. Biancheri. Les chiens de protection doivent impérativement rester avec le troupeau. Par conséquent, si l'éleveur abrite ses brebis dans une bergerie, le chien y habitera lui aussi. Le chien est une partie intégrante du troupeau. Là où est le troupeau doit être le chien.

M. René BURLE : Mme Perrin-Gaillard a raison de souligner que certains éleveurs ont des difficultés vis-à-vis de leurs collègues à assumer qu'ils acceptent les chiens de protection, car le discours de la profession est de dire qu'accepter le chien, c'est accepter le loup. La profession est en plein choc culturel.

Ce dossier doit être géré dans la durée. La sociologie rurale évolue. La formation des bergers, qui se distinguent la plupart du temps des éleveurs, c'est-à-dire des propriétaires, est significative d'une évolution. On peut citer l'exemple de l'école du Merle à Salon. De plus en plus de jeunes urbains se forment par amour de la nature et des animaux et entament leur formation avec des convictions totalement différentes de celles des éleveurs traditionnels, qui s'inscrivent dans une histoire de lutte contre les prédateurs. Je me souviens des récits de mes grands-parents sur les combats qu'ils menaient contre les prédateurs. Les personnes issues de cette famille culturelle ont dont beaucoup de mal à accepter les prédateurs. Les nouveaux venus sont porteurs d'une réflexion plus positive pour l'avenir.

J'avais fait des sondages, à titre personnel, dans quelques villages et dans des micro-vallées, donc sans aucune valeur scientifique. Je me suis aperçu que les positions ne sont pas aussi tranchées. Les élus savent bien que la profession ovine est très agressive sur le problème du loup, pour des raisons que l'on peut comprendre, mais d'autres composantes de la ruralité, comme les commerçants par exemple, sont loin d'avoir les mêmes positions.

M. Bernard CRESSENS : Je sais, par l'intermédiaire de la mutuelle des assurances agricoles Groupama, que la Fédération des alpages a conduit une étude de trois ans sur les dégâts provoqués par les chiens. Je n'en ai jamais eu le résultat et elle ne va sûrement pas être publiée maintenant. Elle ne peut que s'appuyer sur les déclarations des éleveurs et non sur les informations des mutuelles, puisque le risque n'était pas couvert à l'époque. C'est une étude que vous pourriez diligenter.

M. André CHASSAIGNE : Je suis élu d'une zone qui n'est pas actuellement concernée par le problème du loup, même si elle pourra l'être à l'avenir. Je ne suis donc pas sous pression.

Ma première question ne résulte pas d'un questionnement personnel et pourrait paraître insultante, mais je la pose quand même, car elle peut relever du non-dit. Il faut donc bien que quelqu'un la pose. Peut-on considérer que la démarche des associations de défense du loup est une démarche alimentaire ? Si le loup disparaissait demain de notre territoire, cela remettrait en cause leur existence.

Ma deuxième question concerne le développement local et j'espère qu'elle tirera davantage le débat vers le haut que ma précédente question. J'ai tout à fait conscience, comme élu rural, de l'importance du développement local. Je voudrais savoir ce que, selon vous, la présence du loup peut apporter au développement local. On parle de l'intérêt touristique par exemple, mais souvent cela prête à sourire et certains disent que cela ne correspond pas à la réalité. En quoi l'intervention de vos associations contribue-t-elle à l'évolution des consciences en milieu rural en favorisant les rencontres, l'animation, et en créant des réseaux en vue d'un devenir meilleur pour le monde rural ?

Ma dernière question porte sur le système de gestion. Certains d'entre vous proposent une prime a priori dans une démarche contractuelle. Dans le cadre de la mise en place de cette prime, faudrait-il à vos yeux délimiter des zones ? Si oui, comment concilier ce zonage avec l'éventualité que vous avez soulignée que le loup étende son territoire ? Pouvez-vous envisager qu'il y ait une délimitation de zones déterminées pour qu'il y ait une cohabitation tolérée par tous, sous une forme contractuelle avec des aides appropriées ?

M. François BROTTES : On a parlé de choc culturel et d'irrationnel. J'ai parfois moi aussi cette impression. Nous recevons des pétitions, des uns et des autres et l'apaisement ne semble pas au rendez-vous. Comment dans ces conditions va-t-on sortir de la crise ? M. Burle recommande de résoudre le problème sur le moyen terme. Peut-être, mais dans l'immédiat, nous sommes confrontés à des éleveurs et des bergers qui nous disent qu'ils baissent les bras parce qu'ils n'en peuvent plus. Je ne discute pas du fond, je me contente de prendre acte d'une situation de désespérance réelle. La montagne, c'est dur et le pastoralisme est un métier difficile. J'ai effectivement vu, M. Burle en parlait, des néo-ruraux s'installer, mais j'en ai vu aussi repartir.

Je suis convaincu que le pastoralisme extensif est nécessaire à la montagne, pour de nombreuses raisons. Comment, dans une approche pacifiée, peut-on envisager une sortie de crise à la prochaine saison, en attendant de nouveaux financements ou l'installation de nouveaux bergers ? La réponse sur le moyen terme ne me satisfait pas. Nous allons rendre un rapport dans quelques mois, qui aura son rôle à jouer dans la sortie de crise à court terme. Comment, selon vous, sortir de la crise à court terme ?

M. Roland GUICHARD : Il existe des solutions techniques au problème du loup qui sont mises en place dans d'autres pays. On entend souvent dans ce débat l'argument de la spécificité française. J'ai même entendu un honorable parlementaire dire que la situation dans les Rocheuses ne pouvait être comparée à celle des Pyrénées, car les montagnes y sont plus pointues. Si des solutions sont trouvées au problème du loup aux Etats-Unis par exemple où la pression de la prédation est beaucoup plus forte qu'en France, on doit pouvoir les adapter à notre pays.

Un problème de communication vient parasiter le débat. On est en France, depuis le retour du loup ou de l'ours, dans un référendum perpétuel. On ne peut être pour ou contre le loup, car il n'est pas possible de modifier les textes nationaux et internationaux protégeant le loup. Il faut poser le débat autrement : il y a un problème de prédation, comment faire pour le résoudre ? Une prime en amont pourrait être une solution. Ses conditions d'application en fonction de zonages restent à déterminer et devront être étudiées par des scientifiques et des sociologues.

Je ne comprends pas que notre pays, où il y a de l'intelligence, des services administratifs et techniques compétents, puisse être tenu en échec en 2003 par une quarantaine de loups, une douzaine d'ours et une centaine de lynx. C'est ridicule !

Je le répète, il faut davantage communiquer sur les solutions au problème du loup et ne pas faire croire que le loup pourrait être éradiqué grâce à un lobbying actif auprès des parlementaires et du gouvernement. Quand je vois M. Grosjean, secrétaire général de la fédération ovine, dire qu'il a pris des patous pour démontrer que cette solution ne marchait pas, je me demande comment on peut espérer une communication positive.

Il faut fermement rappeler que le droit international et européen protège le loup en France pour pouvoir se concentrer sur la vraie question : résoudre le problème de la prédation et montrer qu'il peut y avoir un intérêt à la présence du prédateur.

Nous sommes un lobby, c'est vrai. Nous faisons pression sur les parlementaires et sur les médias pour la protection de la nature, mais nous sommes modestes. Nos revenus sont sans commune mesure avec ceux du syndicalisme agricole.

Nous militons pour le respect de la différence. Si l'on respecte l'ours brun, le loup ou le lynx, qui peuvent paraître hostiles, on apprend des valeurs utiles à la coexistence entre humains en se posant des questions essentielles sur le partage des usages et du territoire et sur l'acceptation de gens que l'on ne comprend pas. Il faut aussi respecter le berger et l'éleveur en essayant de trouver une solution à leurs problèmes. Nous sommes prêts à nous asseoir à vos côtés pour vous y aider.

M. René BURLE : Je voudrais d'abord répondre à M. Chassaigne.

Le groupe Loup a été créé a une époque où j'étais élu d'une petite commune du Verdon pour essayer de travailler en amont sur le retour du loup, mais nous avons été rattrapé par l'histoire puisque le loup est apparu dans le Mercantour et nous avons tout de suite été dans l'arène. Si demain matin les problèmes posés par le loup sont résolus, nous sommes vraiment à l'aise et passons à autre chose.

Incontestablement, le loup apporte un plus aux régions dans lesquelles il est présent. Il y a des exemples à l'étranger, mais aussi en France. J'avais proposé à des élus des Alpes-Maritimes que se créent des rapports privilégiés entre le formidable bassin de consommation de Cannes-Nice et les hautes vallées sur des circuits courts de distribution avec l'éco-label du loup. C'est un exemple. Je ne peux répondre plus avant à votre question, monsieur Chassaigne, car cela exigerait des développements trop longs.

Concernant le zonage, il est difficile pour nous d'accepter ce mot.

M. François BROTTES : Il est quand même moins moche que le mot « éradication ».

M. René BURLE : C'est vrai.

Si le loup prospère et s'épanouit sur notre territoire, il faudra bien un jour se poser ce genre de question, mais aujourd'hui la question du zonage n'est pas, à nos yeux, d'actualité. Un plan de gestion de l'espace pourra être envisagé mais certainement pas dans les conditions actuelles.

Pour arriver à sortir de la crise, il faudrait que les uns et les autres sortent des rôles dans lesquels ils se sont enfermés. Quand on personnalise le rapport avec un éleveur ou même un défenseur de la nature, on s'aperçoit que les positions ne sont pas aussi extrêmes que celles exprimées en réunion publique où le débat s'envenime. La commission parlementaire pourrait alors jouer un rôle positif en désamorçant cette violence inutile et stupide. Je me souviens que la ligne jaune a été franchie dans le parc du Mercantour. La directrice d'un parc national s'est fait molester par des éleveurs. C'était il y a quelques années déjà et les choses évoluent. C'est l'écoute des autres qui nous permettra de sortir de la crise.

Mme Henriette MARTINEZ : Monsieur Burle, vous avez dit qu'il n'est pas exclu que des loups d'élevage puissent être lâchés dans la nature. Ces loups peuvent-ils s'acclimater au milieu des loups sauvages et se reproduire avec eux ?

M. René BURLE : Je ne suis pas spécialiste de la question, mais, d'après ce que j'ai lu, il semble que les loups d'élevage aient d'extrêmes difficultés à s'adapter à la vie sauvage.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous des parcs à loups ?

M. René BURLE : Vous connaissez sans doute l'initiative de Gaston Franco, maire de Saint-Martin-Vésubie et ancien député. Nous avons beaucoup réfléchi avant de nous positionner sur ce projet. Je vois dans ce projet la volonté, malgré ses vicissitudes et son parcours chaotique, de trouver une réponse positive au problème économique qui se pose dans cette vallée. Son initiative vise à dynamiser la vallée et à créer des emplois. Avec toutes les réserves d'usage, nous sommes donc plutôt enclins à soutenir, en tout cas à étudier, la proposition de Gaston Franco qui positive le problème du loup et crée de l'emploi.

Mme Henriette MARTINEZ : Si l'on devrait un jour créer un zonage, pourrait-on imaginer, selon vous, que des loups habitant des zones de pastoralisme puissent être capturés pour être mis dans des parcs ?

M. Bertrand SICARD : Nous ne sommes pas scientifiques, nous nous contentons de nous appuyer sur des études menées sur le loup, mais il nous semble qu'il faut être méfiant vis-à-vis du zonage. C'est un terme qui veut tout et rien dire : zonage a priori, zonage a posteriori ...

Le loup est un animal qui s'auto-régule et s'installe dans des zones et en délaisse d'autres. Ainsi, en Roumanie, où je vais très souvent, le loup est surtout présent dans les Carpates, de temps en temps en plaine et en ville, comme à Brasov, mais c'est une ville qui est au milieu de la forêt. Le loup est un animal intelligent qui ne s'installera pas dans des zones où il ne peut pas se reproduire en toute tranquillité.

Le loup va s'installer dans des zones écologiquement favorables, qu'elles lui soient interdites ou non. Nous nous sommes opposés au premier plan loup, car il revenait à créer des zones mouroir où les loups étaient attendus avec des fusils.

Il faut revenir à l'idée de protection des troupeaux. Ces mesures fonctionnent : dans les Hautes-Alpes, où les mesures de protection ont été généralisées, seules 97 brebis ont été tuées en 2001 alors que dans les Alpes-Maritimes, où la population de loups est moins importante et où il n'existe pratiquement aucune mesure de protection, 1 152 brebis ont été tuées en 2001.

Les éleveurs ne veulent pas s'équiper pour des raisons psychologiques, mais aussi économiques, car la profession est en difficulté économique.

Mme Henriette MARTINEZ : Au-delà de l'aspect économique, il ne faut pas oublier le traumatisme des éleveurs.

M. Bertrand SICARD : Nous ne le nions pas et nous demandons d'ailleurs à l'Etat d'intervenir pour aider les associations comme les nôtres, qui vont chercher des jeunes dans les villes pour les mettre dans la montagne. Nous voyons dans notre travail le fossé entre le monde urbain et le monde rural. Nous tentons de combler ce fossé, aidez-nous. Nous ne recevons pas un sou du ministère !

M. Bernard CRESSENS : Je voudrais répondre à M. Chassaigne que parmi les personnes auditionnées, il n'y a que trois salariés de structures, toutes les autres étant des bénévoles. Nous partageons tous une même vision philosophique de partage de la nature avec l'homme.

Le slogan du WWF France est « Offrons à nos enfants une planète vivante ». Nous sommes une très grosse structure, puisque nous avons 50 salariés, mais le WWF en Angleterre et en Hollande en a 150  et 250 en Allemagne. Ce n'est pas un fonds de commerce.

Si le loup était éradiqué en France, nous utiliserions les fonds pour la protection du tigre en Inde ou pour le jaguar en Guyane par exemple.

Le WWF France a mis en place, avec « Gîtes de France », des gîtes panda, qui sont des sites labellisés pour la découverte de la nature. La plupart de ces gîtes sont tenus par des agriculteurs, notamment par des éleveurs ovins, qui ont à subir les problèmes posés par le loup. Certains des acteurs de cette initiative de développement économique mise en place par le WWF France sont donc « anti-loups », alors que d'autres, comme les éleveurs bovins, seraient plutôt « pro-loups ». Il y a donc un débat entre ces acteurs, notamment à Chichilianne, dans le Vercors et nous allons tenir une réunion pour mettre à plat le problème.

M. Brottes souhaite sortir de la crise sur le court terme. Ce sera très difficile, mais, pour éviter que la pression de prédation augmente trop sur un délai d'un an, il faudrait aider les éleveurs, non pas financièrement, mais physiquement. Nous pouvons faire appel aux bénévoles, en sélectionnant nos candidats. Nous avons des urbains qui sont formés. Nous pouvons les encadrer et les mettre à disposition des éleveurs. C'est une solution de court terme pour amortir les conflits.

M. Jean LASSALLE : Nous retrouvons chez les personnes ici présentes le même engagement que chez les agriculteurs. Je connais bien le dossier et certains d'entre vous. Je souhaite poser mes questions dans un esprit de conciliation, qui est celui de la commission tout entière.

Quand on voit se réunir la fondation Cousteau avec la communauté scientifique, l'ensemble des associations de protection de la nature, l'association des journalistes et écrivains protecteurs de la nature et des donateurs généreux, ne pensez-vous pas que, vu de l'extérieur, cela peut sembler une concentration extraordinaire de moyens ?

Monsieur Cressens, vous avez remarquablement parlé de votre expérience d'éleveur. Ne pensez-vous pas que votre engagement aurait été plus fort vis-à-vis des éleveurs si vous étiez resté au pays exercer ce métier ?

M. Roland Guichard nous a dit que, parmi les donateurs, il y avait la coopérative 3A, Capitoul, Groupama et quelques autres. Pouvez-vous préciser quel est le montant de leurs dons et nous dire s'il y a d'autres donateurs ? On a par exemple parlé de Rhône-Poulenc. Recevoir de l'argent de Rhône-Poulenc, une entreprise qui pollue, ne gêne-t-il pas des protecteurs de la nature ?

M. Roland GUICHARD: Les budgets finançant notre travail sur la réintroduction de l'ours et sur les chiens de protection sont restés modestes. J'ai personnellement démarché le P.D.G. de la Maison de Valérie, M. Jean-Pierre Hourdin au nom d'un collectif d'associations, le groupe ours national. Les actions qui ont été menées l'ont toujours été par les membres des associations et les scientifiques. Pour le film que nous avons produit sur les chiens de protection, Capitoul a donné 60 000 francs, ainsi que la fondation Nature et Découvertes, Groupama et le WWF. L'association ARTUS a participé à hauteur de 240 000 francs prélevés sur les cotisations. Notre association n'avait pas un seul centime de subvention, car, n'étant pas d'accord avec l'Etat, nous avons attaqué certaines de ses décisions en justice, il nous a semblé normal de ne pas réclamer de l'argent de l'Etat pour l'attaquer ensuite. Notre financement provient donc de nos adhérents et de mécènes.

Nous faisons très attention à nos mécènes. Nous n'avons jamais eu de proposition de Rhône-Poulenc, et, de toute façon, nous l'aurions déclinée. J'ai connu une forte pression de la part de Norsk-Hydro, producteur d'engrais azotés et plus gros pollueur en Europe. J'ai refusé les 500 000 francs que le P.D.G. me proposait pour travailler avec lui, alors que nous en aurions eu besoin. Je lui ai dit qu'il était hors de question que nous fassions du repositionnement d'image sur la protection de la nature. Notre conseil d'administration agit en suivant une éthique, partagée par exemple par le P.D.G. de la Maison de Valérie, qui est quelqu'un d'extrêmement honnête et droit, comme le démontre par exemple son engagement religieux.

Mme Lauriane d'ESTE : Je serai très brève, car M. Cressens a déjà répondu en partie à M. Chassaigne.

La SPA est une très vieille association, puisqu'elle est née en 1845, pour lutter contre la maltraitance du cheval. Depuis 1845, nous défendons tantôt le cheval, tantôt le chien, tantôt le chat, tantôt le tigre, tantôt le lynx et, aujourd'hui, le loup. L'ensemble des bénévoles de nos associations sont des personnes qui croient à une certaine idée de la vie et qui ont une certaine éthique.

Aujourd'hui, je défends le loup devant vous et ce soir, la représentante de notre service juridique va défendre le mouton. Nous avons mis en place un téléphone rouge depuis deux jours, à l'occasion de l'Aïd el Kébir, de façon à être tenus au courant des abattages illégaux. Il y en a beaucoup dans la région parisienne.

Notre fonds de commerce perdurera donc malheureusement tant qu'il n'y aura pas de respect de la vie.

Nous sommes pratiquement tous ici des bénévoles qui ont une certaine éthique et qui croient à la vie et à la biodiversité.

Je voudrais conclure mon propos par une citation du grand biologiste Jean d'Orst : « Dans quelques années, la santé de la terre sera jugée à la biodiversité ». Il ne faut pas que les différents lobbies s'affrontent, lobby des associations, lobby des parlementaires de la montagne. Nous devons tous avoir le même respect pour la vie et de la biodiversité, car c'est aussi avoir le respect de l'homme.

Mme Henriette MARTINEZ : Il n'y a pas de lobby des parlementaires, nous essayons dans cette affaire d'observer la plus grande neutralité, malgré les pressions diverses. Nous n'avons pas d'avis a priori sur ces questions. Nous essayons en toute objectivité et en toute intégrité de nous faire une opinion afin de trouver une solution permettant de concilier l'exercice du pastoralisme avec la présence du loup.

M. Olivier ROUSSEAU : L'ASPAS est une association sans but lucratif qui ne reçoit aucune subvention et qui ne compte que sur la générosité de ses adhérents, de ses donateurs et de quelques mécènes, dans le respect de l'éthique de l'association.

Du point de vue de notre association, les deux hypothèses du zonage et du parc à loup sont totalement exclues pour la simple et bonne raison que le loup est un animal sauvage et que, par conséquent, le parquer ou le zoner est une aberration du point de vue biologique. La promotion d'une nature sous cloche n'a rien à voir avec le respect de la biodiversité.

M. Bernard CRESSENS : J'ai la chance d'avoir fait des études supérieures et d'être venu au milieu rural par mon épouse. J'ai donné 15 ans de ma vie au milieu rural et ces années, au cours desquelles j'étais éleveur et élu local, ont compté parmi les plus belles de ma vie. J'ai dû préférer à un moment l'avenir de mes quatre enfants à ma profession.

J'ai donc l'expérience de la vie en montagne, ce qui me permet de comprendre mes collègues éleveurs, et celle d'élu local, ce qui ne me fait jamais perdre de vue la nécessité du développement durable dans les actions de protection de la nature.

Le WWF France travaille beaucoup avec les entreprises. On accuse souvent les associations de protection de la nature d'oublier l'homme. Or, les entreprises sont bien des acteurs socio-économiques. Quand on travaille avec Carrefour, Champion ou Lafarge, on ne travaille pas que pour l'argent, mais aussi pour des projets d'entreprise. Nous essayons de ne pas vendre notre âme au diable, c'est pour cela par exemple que nous ne travaillons pas avec EDF, car le débat sur les centrales nucléaires va être rouvert.

Combien d'associations ont été au démarrage de questions de santé publique ou d'éducation !

J'ai milité dans les associations de soutien aux handicapés mentaux. A l'époque, il n'y avait que des bénévoles. Aujourd'hui ce sont l'Etat et d'autres structures coûtant très cher qui s'en occupent, d'ailleurs pas forcément pour un meilleur résultat. Dans de nombreux cas, les associations ont anticipé les évolutions de la société en travaillant dans des secteurs où la puissance était absente. Je suis persuadé que la protection de l'environnement deviendra, dans les 50 ans à venir, un secteur économique complet et prioritaire dans l'évolution de nos sociétés.

Mme Henriette MARTINEZ : Je remercie toutes les personnes auditionnées d'avoir répondu à nos questions dans le calme et la sérénité et je souhaite que vous repartiez persuadés de notre souci d'objectivité.

Table ronde réunissant 
M. Walter  MAZZITTI, président du parc national du Gran Sasso,
et M. Dario FEBBO, directeur,
M. Fulco PRATESI*, président du parc national des Abruzzes,
et M. Aldo di BENEDETTO*, directeur,
M. Cesare PATRONE*, président du parc national de la Maiella,
et M. Nicola CIMINI*, directeur,
M. Francesco SCIARRETTA*
responsable régional des affaires agricoles dans les Abruzzes,
M. Giorgio MORELLI, coordinateur du Corpo forestale,
(agents du ministère de l'agriculture équivalents des gardes forestiers)
du parc du Gran Sasso,
Mme Livia MATTEI*, coordinatrice du Corpo forestale du parc de la Maiella,
M. Enzo TAGLIERI*, coordinateur du Corpo forestale du parc des Abruzzes,
M. Ettore RANDI, chercheur à l'Institut national italien de la faune sauvage,
M. Eugenio DUPRÉ, ministère de l'environnement italien,
M. Pasqualino LEONE, agent du Corpo forestale

(Extrait du procès-verbal de la séance du 17 février 2003,
tenue au Parc national du Gran Sasso, en Italie)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. Walter MAZZITTI: Je souhaite la bienvenue aux membres de la commission parlementaire de l'Assemblée nationale au parc national du Gran Sasso. J'espère que la journée sera utile à votre travail.

M. le Président, je vous remercie d'avoir choisi le parc du Gran Sasso pour approfondir le dossier pour lequel le parlement français a décidé de créer une commission. Le parlement italien n'a pas pris de décision similaire, mais je pense que nous avons les mêmes problèmes de prédation et plus spécialement avec le sanglier. Ainsi, notre parc, qui couvre 50 000 hectares, compte 10 000 sangliers.

Les prédateurs sont protégés, mais il faut aussi protéger les intérêts de la population. Il faut trouver l'équilibre entre ces intérêts.

M. le Président : Au nom des membres de notre commission d'enquête parlementaire, je voudrais vous remercier pour le très bel accueil que vous nous réservez aujourd'hui.

Je veux remercier aussi les responsables du parc national du Gran Sasso ainsi que vos collègues du parc des Abruzzes et ceux du parc de la Maiella, sans oublier les représentants des autorités italiennes et les scientifiques qui sont aujourd'hui parmi nous.

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Pour bien vous faire comprendre l'importance de notre réunion, je voudrais vous expliquer le fonctionnement d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale française.

Contrairement aux commissions d'enquête du parlement italien, qui sont permanentes, nos commissions d'enquête ont une durée de vie très courte, de six mois. La commission a été créée le 5 novembre 2002 et devons rendre nos conclusions le 5 mai 2003. Nous avons auditionné les autorités françaises, par l'intermédiaire de représentants de l'Etat ou des collectivités, les associations d'éleveurs et les associations de défense de l'environnement. Nous avons également auditionné des fonctionnaires de l'Union européenne, chargé du dossier de la gestion de la faune sauvage et du programme LIFE.

Les autorités françaises nous indiquent que le loup est revenu naturellement dans les Alpes françaises en 1992. Par voie de conséquence, le loup se trouverait protégé de toute élimination. Depuis, des clivages très forts séparent les responsables du pastoralisme et les autorités de l'Etat français.

Nous aimerions connaître votre expérience, bien plus grande que la nôtre, notamment dans le suivi des déplacements du loup sur le territoire italien depuis les années 70. Les autorités françaises prétendent, sans jamais nous fournir aucun document officiel italien, que le loup est venu d'Italie et qu'il a suivi un parcours très précis, depuis les Apennins jusqu'aux Alpes françaises, à travers la Ligurie. Les autorités françaises se permettent donc d'affirmer un fait au nom des autorités italiennes, sans en apporter la preuve.

Ensuite, nous aurions besoin de savoir comment vous avez assuré la gestion du loup, particulièrement dans les relations avec le pastoralisme, et dans la préservation de l'équilibre entre la faune sauvage et le loup.

M. Fulco PRATESI. Je suis le président du parc national des Abruzzes et président du WWF Italie. Pour le parc des Abruzzes et le WWF, le problème du loup a commencé en 1973. Un recensement fait cette année-là a montré que le loup italien comptait 100 individus en Italie. Il est fondamental de savoir que l'ADN démontre que le loup italien, avec ses représentants des Abruzzes et des Apennins, est une sous-espèce en soi. Son nom scientifique est le canis lupus italicus. Le WWF a lancé, à l'époque, une campagne, la campagne San Francisco, protecteur de l'Italie, lequel avait d'excellents rapports avec les loups. Cette campagne avait pour but de protéger le loup, qui l'a été protégé dès 1973 mais de manière plus spécifique à partir de 1976. Nous avons obtenu que les régions dans lesquelles le loup était présent dédommagent les victimes des dégâts provoqués par le loup. Dans l'attente que ces dispositifs se mettent en place dans les régions, c'est le WWF qui a assuré le dédommagement des dégâts provoqués par le loup et l'ours. En outre, nous avons obtenu l'interdiction totale de l'utilisation d'appâts empoisonnés. Nous avons réussi à ramener dans les Apennins des espèces éteintes, telles que le cerf, le chevreuil et le sanglier. Nous avons fait en sorte que les dégâts provoqués par le loup sur le bétail soient moins importants.

Le loup a ensuite commencé à croître et à s'étendre vers le sud, en Calabre notamment, comme vers le nord, dans les Alpes italiennes, d'où il était totalement absent depuis plus d'un siècle, si bien qu'aujourd'hui, l'Italie abrite environ 500 loups.

Afin de parvenir à des rapports amicaux entre la population pastorale et les loups, nous avons mis en place trois mesures importantes, financées par le programme européen LIFE.

En premier lieu, l'installation de clôtures électrifiées afin d'éviter que le bétail ne soit attaqué.

En deuxième lieu, la fourniture de chiens de berger des Abruzzes qui sont parmi les meilleurs chiens de défense contre le loup. Ces chiens servent d'ailleurs en Norvège et aux Etats-Unis pour éviter les attaques de loups et de coyotes. Je souligne au passage que dans le Piémont, où le loup n'avait jamais habité, l'animal a été accueilli de façon très amicale. Le WWF a remis un trophée, un panda d'or, à cette région pour récompenser une telle attitude.

En troisième lieu, la création d'une banque du mouton. Nous avons acheté des moutons des meilleures races pour les donner aux victimes de prédation, notamment dans les Alpes italiennes orientales.

Voilà ce que le parc national des Abruzzes, dans un premier temps, et le WWF, dans un second temps, ont mis en œuvre afin de faire taire les attitudes négatives à l'égard de ce merveilleux animal qu'est le loup.

Le loup attire beaucoup les touristes. Il arrive que les touristes visitant le parc des Abruzzes puissent voir jouer quelques loups sur le bord de la route.

Le loup a par ailleurs un impact très important sur la gestion du sanglier. Les sangliers avaient disparu des Abruzzes depuis le moyen-âge. Par la suite, ramenés par les chasseurs, ils ont envahi le territoire du loup et ils ont provoqué des dégâts importants sur l'agriculture.

Le loup ne connaissait pas le sanglier. Un beau jour, un groupe de marcassins a été surpris par des loups, qui les ont dévorés. On trouve aujourd'hui dans 70 % des excréments de loups des poils de sanglier. Le loup nous permet de maintenir en l'état la population de chamois dans les Abruzzes, très semblable à l'isard des Pyrénées, ainsi que les populations de cerf et de chevreuil. Nous considérons que le loup, l'ours et le lynx contribuent beaucoup à maintenir l'équilibre biologique face aux excès de la faune herbivore.

Les problèmes spécifiques au parc national des Abruzzes seront abordés par Aldo di Benedetto, directeur du parc.

M. le Président : M. Pratesi, a quelle date le loup est-il arrivé en Italie ?

M. Fulco PRATESI : Dès les années 60, il y avait plus de 300 loups en Italie, mais à cause du braconnage notamment, cette population est tombée à une centaine au début des années 70.

Le loup est un animal très ancien en Italie. Il a nourri Romulus et Remus et s'est lié d'amitié avec Saint-François. Le loup des Abruzzes est caractérisé par ses oreilles rouges, une queue plus courte et des bandes noires sur les pattes de devant.

M. le Président : Une cartographie des déplacements et de l'implantation du loup a-t-elle été dressée par le ministère de l'environnement ? Quelqu'un à cette table pourrait-il nous fournir un document officiel attestant de cette cartographie ?

M. Fulco PRATESI : Nous avons pu suivre la progression du loup des Abruzzes vers le nord et le sud grâce à la présence d'animaux tués.

M. Eugenio DUPRE : Je suis fonctionnaire au ministère de l'environnement, mais j'ai aussi été chercheur à l'Institut de recherche sur la faune sauvage.

Cet institut, que le ministère de l'environnement sollicite souvent, a publié de nombreux documents scientifiques sur l'expansion du loup qui ont été approuvés par le ministère de l'environnement. Je tiens à votre disposition deux publications qui sont une bonne synthèse des travaux sur le sujet. Pour analyser la progression des loups, nous avons étudié les animaux tués. Le loup s'est déplacé des Abruzzes et de la Calabre, ses territoires d'origine dans les années 70, et semble coloniser le territoire en progressant d'environ 100 kilomètres tous les 5 ans. Ainsi, les cartes montrent qu'en 5 ans, le loup est arrivé en Toscane, puis, 5 ans plus tard, dans le Piémont.

M. le Président : Les documents français nous indiquent que le loup n'est pas arrivé en France par le Piémont, mais par la Ligurie.

M. Eugenio DUPRE : J'ai simplement voulu vous présenter des étapes mais il y en a eu d'autres.

M. le Président : La présence du loup a été authentifiée en France en novembre 1992 par des gardes du parc national du Mercantour. Dans le Piémont, sa présence a été authentifiée en 1996, soit 4 ans plus tard. Vous m'expliquez que le loup est arrivé en France via le Piémont et on m'a expliqué dans le Piémont que le loup y était arrivé via la France.

M. Eugenio DUPRE : Cela s'explique par la biologie du loup, qui ne se déplace pas de manière graduelle. Il a fort bien pu arriver en France par la Ligurie et revenir en Italie, dans le Piémont.

M. le Président : En quelle année la présence du loup a-t-elle été authentifiée en Ligurie ?

M. Ettore RANDI : Je suis responsable du laboratoire de génétique de l'Institut national de la faune sauvage. Nous suivons la population de loup en Italie grâce à des analyses génétiques à partir de prélèvements sur des carcasses et des excréments. Nous menons des projets de recherche en Emilie-Romagne, en Ligurie et dans le Piémont.

Nous avons analysé, en ce qui concerne la Ligurie, cinq échantillons d'excréments, prélevés en 1996, 2001, 2002 et 2003. Vous pourrez lire un résumé très bref des données génétiques du loup italien en page deux du document qui vous a été distribué. Les résultats détaillés de nos analyses ont été publiés dans des revues scientifiques que nous tenons à votre disposition.

M. le Président : Vous nous indiquez que vos premiers relevés en Ligurie ont été fait en 1996. Avez-vous fait une autre étude entre 1990 et 1996 ?

M. Ettore RANDI : Il n'y a pas eu d'étude suivie sur la région de la Ligurie. Ces échantillons proviennent de prélèvements effectués de façon occasionnelle.

M. le Président : Le loup étant une espèce protégée au titre de la convention de Berne, j'imagine que le gouvernement italien a donné des instructions à ses services déconcentrés lors de l'apparition du loup en Ligurie pour protéger et gérer l'animal.

M. Eugenio DUPRE : Il n'y a pas eu de communication officielle de l'Etat dans cette région, dans la mesure où le loup est protégé sur tout le territoire italien et où le Corpo Forestale, les gardes forestiers, est tenu de le protéger.

En Ligurie et dans la partie sud du Piémont, les loups ont causé peu de dégâts. C'est à partir du moment où les dégâts ont commencé à être plus importants que des actions financées par le programme LIFE ont été entreprises.

M. le Président : A quelle date le loup a-t-il été vu pour la première fois en Ligurie ?

M. Eugenio DUPRE : Le loup y a été vu pour la première fois en 1984 au début de la Ligurie. En 1987 et en 1988, on a retrouvé deux animaux tués à la moitié de la Ligurie, à peu près à la frontière avec le Piémont.

M. Fulco PRATESI : On fait cette confusion géographique parce que la Ligurie est une très mince bande bordée par la mer et que le Piémont commence dès que le terrain s'élève vers les montagnes.

M. le Président : Des mesures ont-elles été prises pour gérer la présence du loup en Ligurie ?

M. Eugenio DUPRE : Non, pas plus que dans les Abruzzes.

M. le Président : En Ligurie, il n'y a donc pas eu d'indemnisation ou de partenariats avec les syndicats agricoles.

M. Fulco PRATESI : Il n'y a pas d'élevage en Ligurie.

M. Eugenio DUPRE : La Ligurie paie, depuis le début des années 80, des dommages et intérêts pour les dégâts provoqués par le loup et surtout par le sanglier. Cela s'est fait de manière automatique.

M. le Président : Le ministère de l'environnement italien est donc en mesure de fournir à la commission un relevé des indemnisations versées au titre des dégâts provoqués par le loup ?

M. Eugenio DUPRE : Il faut vous adresser à la région de Ligurie.

M. Cesare PATRONE : Je suis le Président du parc national de la Maiella. Les données ponctuelles vous seront présentées par le directeur de parc. Je vais me concentrer sur une évaluation administrative des différences entre la France et l'Italie.

La France a la culture des préfectures et l'Italie celle des municipalités. Cela comporte des aspects positifs et négatifs. Ainsi, si vous demandez des informations à la Ligurie sur ce qui se passe dans les Abruzzes, il y a de fortes chances pour que vous ne le sachiez pas. L'aspect positif est que beaucoup de municipalités ont mis en place des dispositifs de manière autonome, sans attendre de directive centrale.

Dans le parc de la Maiella, le montant des indemnités pour les dégâts causés par le loup est de l'ordre de quelques milliers d'euros par an. Il est donc absurde de parler des dégâts du loup, vu la faiblesse de ces montants. Je pense que la question du loup est davantage psychologique et sociale qu'économique.

M. Nicola CIMINI : En tant que directeur du parc de la Maiella, je me suis rendu avec une délégation en France, notamment dans le parc du Queyras, en juin dernier. On nous a signalé la présence de loups dans le parc national du Vercors, mais il semble que loup y étant concentré dans une zone réservée, il n'y cause pas de dégâts. Dans le Queyras, les dégâts paraissent relativement limités.

Le loup est un élément très important dans l'écosystème. Le parc de la Maiella couvre 74 000 hectares et abrite plusieurs espèces de grands prédateurs : le loup, l'ours brun et, plus récemment, le lynx, comme dans les Abruzzes.

Dans notre parc, les loups ne posent pas de problème. Leur population est d'environ 15 à 20 individus. Le montant des dégâts causés par le loup pour l'année 2002 s'élève à 14 000 euros, contre 45 000 pour le sanglier. Par ailleurs, une bonne part de dégâts attribués au loup ne sont pas causés par le loup, mais par des chiens errants. Dans notre parc, mais c'est à peu près la même chose dans les autres parcs, la proportion est d'un loup pour cent chiens. Le problème principal des parcs naturels italiens est celui des chiens errants plutôt que celui des loups.

M. Fulco PRATESI : Les loups mangent souvent les chiens errants ou les chiens de chasse.

M. Nicola CIMINI : Afin d'éviter tout problème avec les agriculteurs, le parc a un mécanisme d'indemnisation très rapide. Lors du dernier conseil d'administration du parc, il a été décidé que les agriculteurs subissant des dégâts causés par le loup ou l'ours recevront une prime supplémentaire de façon à indemniser la valeur de la bête tuée et le manque à gagner jusqu'à l'achat de la nouvelle bête.

Le loup a un rôle capital de contention des sangliers. On a remarqué que plus la population de loups augmente, plus les dégâts provoqués par les sangliers diminuent. De manière plus générale, la présence du loup est garante de l'équilibre de l'écosystème. Sur le territoire du parc, nous avons constaté que les loups s'attaquaient surtout aux animaux malades et vieillissants.

M. le Président : Je m'adresse aux représentants des parcs nationaux en leur demandant si le pastoralisme pratiqué chez eux est extensif, à l'instar de celui pratiqué dans les Alpes françaises. Pour faire face à la prédation du loup, la France finance des mesures de protection. Je voudrais savoir si l'élevage est un élément économique important de votre ruralité.

M. Dario FEBBO : Une des premières recherches menée par le parc, en 1996, a concerné le loup du fait d'une part de l'importance culturelle de cet animal et d'autre part de sa protection par les règles internes et la directive européenne Habitats. Le parc du Gran Sasso couvre 150 000 hectares, divisés entre 3 régions, 5 provinces et 44 communes. Nous évaluons la population de loup dans notre parc à environ 35 individus.

Nous avons mené une autre recherche sur l'alimentation du loup. 75 % de l'alimentation du loup est constituée d'ongulés, notamment de sangliers, 13 % d'animaux d'élevage.

Nous sommes en train d'étudier les couloirs écologiques entre les trois parcs nationaux des Abruzzes et ceux de l'Ombrie. Cette partie centrale des Apennins couvre environ 500 000 hectares. Dans cette zone, il nous semble tout à fait possible de concilier la préservation du loup et la vitalité de l'élevage.

Notre parc a toujours régulièrement indemnisé les dégâts provoqués par le loup. D'abord, parce que la loi en fait une obligation, mais aussi parce que l'élevage est un élément économique important dans le parc, enfin parce que cela nous permet d'éliminer les conflits et donc de protéger le loup et les activités zootechniques. Notre dernier règlement, qui remonte à à peine un mois, met l'accent sur la prévention et l'incitation à l'activité d'élevage : protection des bergeries, achat de chiens bergers, indemnisation des dégâts. Nous avons par ailleurs pris des mesures d'incitation à l'activité d'élevage par la mise en place un label pour les produits d'élevage provenant du parc. Nous menons une politique de prévention indirecte en réintroduisant des ongulés, tels que le chevreuil et le cerf.

Le loup a toujours cohabité avec les activités de l'homme dans la partie centrale des Apennins. Nous entendons poursuivre notre travail pour maintenir l'équilibre entre le loup et l'homme, en insistant particulièrement sur la prévention.

M. le Président : Pourriez-vous communiquer à la commission les données suivantes, pour chacun de vos parcs : superficie, population, humaine, nombre d'éleveurs, nombre d'ovins ?

M. Aldo di BENEDETTO : Le parc national des Abruzzes, qui est très ancien, occupe une superficie de 50 000 hectares, auxquels il faut ajouter une zone de protection externe de 75 000 hectares. Notre parc abrite une quantité importante de grands prédateurs : plus de quarante loups, une soixantaine d'ours bruns. La population d'ongulés sauvages, elle aussi importante, constitue les proies de prédilection des grands prédateurs.

Dans les années 70, la population d'ongulés était pratiquement nulle. Le loup s'alimentait à l'époque essentiellement grâce aux déchetteries. Une recherche menée en 2002 nous a appris que l'alimentation principale du loup est aujourd'hui constituée de sangliers, cerfs, chevreuils. On compte dans le parc environ 800 cerfs, 400 chevreuils, 700 chamois. L'alimentation du loup est aujourd'hui constituée à 80% d'ongulés sauvages et 20% d'animaux domestiques. Le loup a une fonction importante de régulateur de la croissance des populations dont il se nourrit.

En 1998, nous avons recensé 106 attaques de loup indemnisées à hauteur de 52 000 euros dans la zone externe de protection du parc et 73 attaques dans le parc même, indemnisées à hauteur de 36 000 euros. Les données sont essentiellement les mêmes pour 1999, légèrement à la baisse

Dans les Abruzzes et en Italie, d'une façon générale, l'élevage n'est pas extensif. Les communes édictent des règlements pour l'usage des pâturages. Les troupeaux doivent avoir une autorisation pour paître, ce qui facilite le contrôle de la prédation.

A part le parc des Abruzzes, la plupart des parcs nationaux italiens sont récents et ont été créés à la suite de la loi n°394 de 1991. Cette loi permet au ministère de l'environnement de répartir les fonds entre les parcs nationaux. Malheureusement, les besoins d'indemnisation ne font pas partie des critères de répartition de ces fonds, ce qui pénalise les parcs subissant une forte pression de prédation. Les parcs ont demandé que les critères de répartition des fonds soient modifiés.

Mme Henriette MARTINEZ : Il me semble que le type d'élevage pratiqué en Italie est différent de celui pratiqué en France, où l'élevage est extensif.

Dans le document qui nous a été fourni, je lis que les clôtures électriques sont installées à côté des bergeries.

M. Dario FEBBO : Je me permets de vous faire remarquer que ce document ne concerne que le parc national du Gran Sasso.

Mme Henriette MARTINEZ : En France, au contraire, les troupeaux restent dans les montagnes, nuit et jour. Il s'agit d'un élevage pour la viande.

Certaines mesures de protection, telles que les clôtures électriques, ne peuvent pas être utilisées en montagne, où les surfaces de pâturage sont extrêmement étendues. Quelles mesures de prévention sont applicables, selon vous, à ce type d'élevage, sachant que la présence des ovins dans les montagnes est nécessaire à l'entretien de celles-ci ?

M. Aldo di BENEDETTO : Il faut bien comprendre que le loup, s'il en a la possibilité, s'attaque de préférence à une proie sauvage plutôt qu'à une proie domestique. Le loup est un animal très flexible : il apprend et s'adapte beaucoup. L'expérience des Abruzzes est très significative à cet égard : dans les années 70, le loup se nourrissait essentiellement de déchets, aujourd'hui, son alimentation est principalement composée d'ongulés.

Les décideurs politiques doivent mieux comprendre les relations existant à l'intérieur de la nature.

M. le Président : Il s'agit d'une vision idéologique. Cela fait 60 ans que le parc des Abruzzes fonctionne ainsi et son économie s'est organisée sur ce modèle. En France, notre ruralité de montagne vit sur un modèle politique reposant sur le soutien de l'Etat et des collectivités à l'implantation des services publics, sur la création de parcs naturels d'une très grande beauté représentant des outils touristiques importants avec une faune sauvage très diversifiée et sur le maintien d'une activité pastorale très forte assurée par les éleveurs installés et les éleveurs transhumants. Cette activité pastorale représente pour nos communes des ressources très importantes, car les éleveurs louent des pâturages aux communes. Par ailleurs, le risque d'incendie de forêt étant chaque fois plus élevé, l'entretien des espaces naturels par l'élevage constitue une protection importante de la nature.

Le loup, auquel nous n'étions pas du tout habitués, est arrivé et a perturbé cet équilibre.

M. Walter MAZZITTI : Ayant pris en considération que les types d'élevage différaient en France et en Italie, j'ai recommandé à mes collègues italiens de se concentrer sur les mesures.

M. Joël GIRAUD: J'ai quatre questions.

Premièrement, quelle est la situation économique de l'élevage ovin en Italie en général et dans les Abruzzes en particulier ? J'aimerais notamment connaître le revenu annuel moyen d'un éleveur ovin car je vois que le problème du loup, et vécu différemment selon que la situation est fragile ou, au contraire, florissante.

Deuxièmement, si j'ai bien compris, les indemnisations sont différentes selon que l'éleveur se trouve ou non dans un parc national ou dans telle ou telle région. Je voudrais savoir si un tel système ne pose pas de difficultés d'application.

Troisièmement, l'Italie applique-t-elle les dérogations prévues par la directive Habitats permettant d'autoriser le tir de loup en cas de dommages trop importants ?

Quatrièmement, je ne comprends pas pourquoi il n'existe pas d'observatoire transfrontalier entre la France, l'Italie, la Suisse et la Slovénie. Avez-vous connaissance de tentatives de mise en place d'un tel observatoire ? Si oui, pourquoi n'ont-elles pas abouti ?

M. Dario FEBBO : Il y a une grande différence entre la France et l'Italie non seulement en ce qui concerne le type d'élevage, mais aussi dans l'utilisation même des sols.

Dans la région du centre des Apennins, la pratique de l'élevage bovin, ovin ou équin a considérablement chuté au cours des 30 dernières années alors qu'il s'agissait d'activités extrêmement florissantes dans le passé. Un parc comme celui des Abruzzes qui existe depuis longtemps doit à la fois essayer de soutenir l'élevage, qui rencontre des difficultés, et satisfaire aux exigences du tourisme, puisque c'est un parc national.

La principale activité du parc aujourd'hui est le tourisme, qui a pratiquement remplacé l'élevage. Néanmoins, nous encourageons l'activité pastorale, comme cela a été évoqué tout à l'heure avec, par exemple, les labels de qualité.

M. Aldo di BENEDETTO : Notre situation socio-politique est très différente de celle que l'on peut rencontrer en France, mais nous pouvons partager notre expérience, notamment dans le domaine de la sensibilisation des populations grâce aux médias, mais aussi en s'appuyant sur une législation claire en matière d'indemnisation. En Italie, cette législation n'est pas claire et nous rencontrons des difficultés en raison d'une superposition des compétences entre les parcs, les régions et les provinces. Nous appelons de nos vœux une simplification des procédures d'indemnisation.

Nous pouvons aussi partager avec vous notre expérience de la réglementation de l'utilisation du territoire des parcs parce qu'elle permet un meilleur contrôle du territoire, y compris pour ceux qui utilisent le territoire pour le pâturage.

M. Joël GIRAUD: Pouvez-vous fournir un exemplaire de cette réglementation à notre commission?

M. Aldo di BENEDETTO : Bien sûr.

M. Cesare PATRONE : A l'extérieur du parc, les indemnisations sont de la compétence de la région et à l'intérieur du parc, c'est le parc lui-même qui en a la charge. Les indemnisations sont versées beaucoup plus rapidement par les parcs que par les régions.

M. Dario FEBBO : Je voudrais répondre rapidement à la question de M. Giraud sur le revenu des éleveurs : un troupeau d'un millier de moutons procure un revenu annuel moyen de 51 000 euros.

M. Eugenio DUPRE : La dérogation prévue par la directive Habitats n'est pas utilisée pour le loup, mais elle a été demandée à plusieurs reprises par certaines régions. Sur la base d'évaluations scientifiques établies par le ministère de l'environnement, il a été conclu qu'il n'était pas possible d'accorder une telle dérogation, car tuer un loup pourrait être dommageable à l'ensemble de la population.

M. Nicola CIMINI : M. Giraud a posé une question sur la coopération internationale. Il existe déjà un observatoire : dans le cadre de la convention des Alpes, toutes les zones protégées de l'arc alpin ont constitué un réseau. C'est le parc de la Vanoise qui coordonne ce réseau.

M. le Rapporteur : J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les interventions des dirigeants des parcs, mais je n'ai perçu aucune certitude quant au passage du loup italien à travers les Alpes en direction du Mercantour. Je souhaiterais donc savoir si les autorités italiennes disposent de documents fiables attestant du passage du loup depuis les Apennins jusqu'au Mercantour.

M. Fulco PRATESI : Existe-t-il au sein de la commission des soupçons sur un lâcher volontaire de loups dans le Mercantour ?

M. le Président : Je voulais justement vous interroger sur ce sujet, monsieur Pratesi. Vous indiquez en effet dans un article paru dans le numéro 49 du magazine italien « Oggi » que les loups ont été réintroduits par vos soins et ceux de vos amis du WWF dans le parc du Mercantour à partir de prélèvements effectués dans les Abruzzes.

M. Fulco PRATESI : Mon journal est l'« Espresso » et non « Oggi ».

Je suis accusé depuis toujours, avec le WWF, d'avoir réintroduit des loups, et même des vipères, un peu partout. C'est une vieille légende : on raconte que des loups sont importés d'endroits les plus étranges comme l'Afrique ou la Sibérie pour être lâchés en parachute par hélicoptère. Il faut avant toute chose se fonder sur l'ADN.

M. le Président : Vous ne répondez pas à ma question. Je me permets de citer vos propos retranscrits par le journal « Oggi » : « Grâce au WWF, ces splendides animaux ont encore leur royaume en Italie, arrivant au sud jusqu'à l'Aspromonte et au nord jusqu'aux Alpes occidentales. Pas seulement. C'est nous qui avons fait revenir le loup dans le parc du Mercantour en France. »

M. Fulco PRATESI : Grâce à la protection généreuse que l'Italie a offerte au loup et à l'activité intense du WWF depuis 1973 la population de loup a augmenté et a ainsi pu se répandre jusque dans le Mercantour et en Suisse, mais nous n'avons procédé à aucune réintroduction.

M. Eugenio DUPRE : Nous sommes tous au courant des rumeurs voulant que le loup ait été réintroduit par des Italiens. C'est totalement faux et cela n'a jamais été prouvé.

M. Ettore RANDI : Pour répondre à la question de M. Spagnou, il est difficile de prouver l'extension du loup lorsque celle-ci est dans sa phase initiale. D'autres régions ont vécu la même expérience, comme le sud de la Scandinavie où le loup avait disparu depuis des dizaines d'années. La recolonisation s'est faite à travers un épisode unique de dispersion sur des centaines de kilomètres. Ainsi, des loups sont réapparus dans une autre région, à plusieurs centaines de kilomètres de la population la plus proche. A moins qu'il n'existe des projets de suivi, il est très difficile de détecter et d'accompagner l'extension d'une population de loup dans sa phase initiale.

M. le Président : Vous ne pouvez donc attester du passage du loup des Apennins vers la France grâce à un document officiel de l'Etat italien.

M. Ettore RANDI : Les données citées précédemment, comme les relevés de carcasses le long de l'arc Apennin jusqu'en France permettent de témoigner d'une progression compatible avec une dispersion naturelle.

M. le Président : Reconnaissez-vous qu'il peut y avoir un doute ?

M. Ettore RANDI : Je vais vous donner d'autres informations génétiques difficilement compatibles avec un lâcher de loup en France.

M. le Président : Il y a deux ans a été retrouvé dans les Pyrénées un loup ayant les caractéristiques génétiques d'un loup des Abruzzes. Cela veut-il dire que ce loup a progressé naturellement depuis les Abruzzes jusqu'aux Pyrénées ?

M. Ettore RANDI : Nous n'avons pas examiné ces échantillons mais cela semble possible.

Nous avons examiné environ 400 échantillons d'excréments de loup dans la région des Alpes maritimes italiennes pour conclure que cette population était d'origine italienne. Nos analyses, provenant d'échantillons prélevés dans deux vallées distinctes, montrent que la population de loups ne peut pas avoir été engendrée par une population de moins de douze loups. Il faut ajouter à cela la présence de loups du côté français ainsi que plus au nord. Il nous semble difficile que quelqu'un ait pu prélever ce nombre tout de même assez conséquent de loups, qui d'ailleurs n'ont jamais existé en captivité en Italie, pour les lâcher en France.

M. Fulco PRATESI : Et d'ailleurs, quel serait le but d'une telle dépense?

M. Ettore RANDI : La diversité génétique de la population alpine de loup est trop grande pour qu'un seul individu en soit à l'origine.

M. le Président : Les autorités françaises ont identifié en novembre 1992 la présence d'un seul couple de loups qui serait à l'origine de la population de plusieurs dizaines de loups présente dans le massif des Alpes. Cela ne correspond pas à ce que vous expliquez.

M. Ettore RANDI : Les loups n'arrivent pas en masse dans les zones de colonisation. Il est probable que les premiers individus arrivés en France aient été seuls ou en couple. Les informations génétiques indiquent clairement que le processus de colonisation a continué à se faire au cours des années. Si un seul couple était à l'origine de l'ensemble de la population alpine, celle-ci n'aurait pas aujourd'hui la diversité génétique que nous pouvons observer.

M. André CHASSAIGNE : Je suis député d'un département du Massif Central qui devrait, selon vos explications, accueillir le loup d'ici une dizaine d'années. Ce serait une bonne chose, car nous avons une très forte population de sangliers que nous avons beaucoup de mal à contenir et pas d'élevage transhumant.

Un des problèmes que nous rencontrons est que les explications scientifiques à la progression du loup ne sont pas considérées comme des preuves suffisantes, ce qui risque d'avoir des effets négatifs sur les conséquences de cette commission d'enquête. Je voudrais donc insister sur la nécessité de nous fournir des documents précis.

Je voudrais poser trois questions.

Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le label apposé aux produits de l'élevage en zone de présence du loup et ses conséquences économiques ?

Les éleveurs français nous ont fait part des effets secondaires de la présence du loup, comme le stress du bétail, le danger représenté par les chiens de garde ou encore les effets négatifs sur le tourisme.

Le représentant du ministère nous a tout à l'heure dit que certaines régions avaient demandé des dérogations à la protection du loup. Quelles en étaient les raisons ?

M. Dario FEBBO : Le règlement concernant l'encouragement de l'activité pastorale, notamment grâce aux labels, est très récent puisqu'il n'a qu'un mois. Il faudra donc attendre un peu avant d'évaluer ses conséquences. Toutefois, nous avions déjà accordé notre logo à d'autres produits, notamment à un fromage et à un saucisson. Les résultats ont été très bons. Un fromage, le piccolino di farindola, vendu auparavant 11 euros le kilo est maintenant vendu 18 euros le kilo. Un miel auquel nous avons concédé le label du parc a été vendu pour une quantité de 40 quintaux à une entreprise japonaise, via internet. Le parc a entrepris de promouvoir deux autres produits : des lentilles de montagne et un vin très ancien.

Nous attendons beaucoup de ces initiatives qui devraient augmenter significativement le revenu des producteurs.

M. Fulco PRATESI : Nous sommes convaincus que la présence de grands carnivores, nous avons près de 150 ours, est un phénomène d'attraction très important pour le tourisme.

M. Eugenio DUPRE : C'est essentiellement la Toscane qui a demandé d'appliquer les dérogations à la directive Habitats. En Italie comme en France, il existe des pressions contre le loup.

La commission semble considérer qu'elle n'a toujours pas eu de réponse quant à la progression du loup de l'Italie vers la France. Nous sommes en mesure de pouvoir attester, à l'appui d'articles scientifiques, notamment l'analyse de carcasses de loup et des analyses génétiques, que le loup des Abruzzes a progressé de 500 kilomètres en direction des Apennins. Cette expansion a été graduelle et constante dans le temps. L'expansion vers la France à partir des Apennins, soit 100 kilomètres, nous semble être la conséquence naturelle du phénomène de colonisation du loup des Abruzzes, depuis une trentaine d'années.

M. le Président : Je relève que, dans vos exposés et dans vos réponses, vous utilisez toujours les verbes sembler, paraître... Nous sommes dans un domaine grave, car l'argent des contribuables est en jeu et qu'il s'agit de définition de politiques publiques. La France a fait le choix politique il y a quelques années d'éliminer le loup. Aujourd'hui, l'économie rurale des régions concernées fonctionne sur cette base. On nous dit que la France se doit d'appliquer la directive Habitats et la convention de Berne puisqu'il semblerait que le loup soit revenu naturellement d'Italie. Nous avons donc besoin d'un document officiel émanant d'une autorité publique centrale ou régionale certifiant les étapes de l'expansion du loup et décrivant la manière dont a été traité le dossier, notamment en ce qui concerne l'indemnisation, au cours des quinze dernières années.

Mme Henriette MARTINEZ : M. Febbo, vous avez dit que, depuis une trentaine d'années, l'élevage avait cédé le pas au tourisme dans la région des Abruzzes. Je voudrais savoir si la présence du loup a contribué à cette chute de l'élevage. Par ailleurs, je voudrais connaître le sort des éleveurs qui travaillaient dans la région des Abruzzes depuis que l'activité touristique est prépondérante.

M. Dario FEBBO : Ce changement d'activité a donné de bons résultats en termes économiques. L'abandon du pastoralisme a été dicté par les conditions socioéconomiques des bergers il y a une trentaine d'années et par le fait que l'Italie n'a sans doute pas mené de politique publique forte en faveur de la montagne. La présence du loup n'a en rien déterminé l'abandon de l'activité pastorale.

M. le Président : M. Sciarretta, je vous remercie d'être venu jusqu'à nous. Je rappelle que vous êtes responsable régional des affaires agricoles pour les Abruzzes.

Nous avons eu ce matin un entretien avec les responsables des trois parcs nationaux qui s'exprimaient au nom du gouvernement italien, puisqu'il s'agit d'institutions d'Etat, ainsi qu'avec un représentant du ministère de l'environnement. J'ai pu constater au cours de cet entretien que, chaque fois que nous abordions des sujets dépassant le strict cadre de la gestion des parcs, notamment l'indemnisation des éleveurs, la progression des loups en Italie et en France, leur comptage, on nous a répondu que ces sujets relevaient de l'autorité des conseils régionaux. Nous serions donc heureux de vous entendre.

M. Francesco SCIARRETTA : Je voudrais tout d'abord vous transmettre les salutations amicales du gouvernement régional des Abruzzes.

Je voudrais clarifier la procédure d'indemnisation et de gestion du loup.

Dans les zones protégées, gérées par les parcs régionaux ou nationaux, la procédure d'indemnisation est directement gérée par le parc. Certains recourent au personnel régional pour le relevé des dégâts ainsi qu'aux gardes forestiers du Corpo Forestale collaborent, sous un régime de convention, avec les régions et avec les parcs. Ce corps est un corps d'Etat.

Le Corpo Forestale a une fonction de police environnementale et est spécialisé dans la reconnaissance des dégâts provoqués par le loup. Pour les dégâts provoqués par d'autres animaux, c'est le personnel de la région qui est chargé de leur identification.

La région des Abruzzes a promulgué deux lois dans ce domaine : la loi régionale n°3 de 1974 et la loi régionale n°105 de 1994.

M. le Président : Il s'agit donc bien de lois spécifiques aux Abruzzes ?

M. Francesco SCIARRETTA : Absolument.

M. Fulco PRATESI : La région des Abruzzes est la première a avoir promulgué des lois spécifiques pour la protection du loup.

M. Francesco SCIARRETTA : A travers ces lois, la région intervient pour protéger le loup et pour pourvoir au dédommagement des dégâts provoqués par cet animal.

Les dégâts provoqués par le loup dans la région sont relativement faibles. 80% des dégâts indemnisés sont provoqués par le sanglier. 20% des dégâts indemnisés touchent le pastoralisme et seulement 15% du total de ces 20% sont imputables au loup. La région indemnise l'intégralité des dommages causés et prend en compte à hauteur de 100% la valeur fixée par le marché du bétail qui n'est pas encore commercialisé.

Nous sommes en train d'approuver une modification aux lois que je viens de citer, car une norme nationale oblige les régions à décentraliser certaines compétences, dont celle-ci. La compétence et les ressources financières seront donc transférées aux provinces mais celles-ci pourront continuer à se servir du personnel des régions et des agents du Corpo Forestale pour la constatation des dommages.

Chaque année, le montant global des dédommagements s'élève à 800 000 euros. Une grande partie des dégâts indemnisés étant provoquée aux cultures par les sangliers, nous cherchons, en accord avec les parcs, des moyens de contenir l'expansion des sangliers. Il est arrivé que des sangliers causent des dégâts sur les élevages. Nous avons donc besoin du loup pour contenir le sanglier.

Dans les Abruzzes, la peur atavique du loup a disparu. Même les éleveurs savent désormais cohabiter avec le loup, en se défendant par exemple grâce au chien des Abruzzes, qui est très docile avec l'homme, mais très agressif avec le loup. Si nous ajoutons à cela la disponibilité de la région pour les dédommagements, on peut dire que les éleveurs n'ont pas vraiment à se plaindre.

La présence du loup dans les Abruzzes est plus forte que dans les autres régions italiennes. Dans la proposition de réforme des lois régionales, nous avons exclu le sanglier des espèces d'intérêt scientifique et nous avons inclus le lynx, le blaireau ainsi bien sûr que le loup, le cerf et l'aigle royal.

M. Pasqualino LEONE : Quand un dommage est vérifié, aussi bien dans le parc que dans la zone externe, nous sommes chargés de procéder à un état des lieux. Nous envoyons ensuite notre rapport au centre d'études qui applique les tarifs établis par les chambres de commerce et d'agriculture des provinces pour le remboursement. Notre équipe comprend également des vétérinaires, chargés d'évaluer notamment les risques de transmission des maladies. Nous donnons un avis sur la demande de dédommagement.

Lorsque nous arrivons sur les lieux, nous cherchons tout d'abord des signes de présence d'animaux sauvages autour de la carcasse. Nous procédons ensuite à un examen attentif de la carcasse elle-même afin de déterminer quel animal a attaqué. Quand un ours attaque un ovin, il lui enlève la peau. Quant au lynx, son attaque se caractérise par la marque de deux crocs espacés d'environ deux centimètres et par un coup de griffe sous la peau. Il est en revanche difficile de faire la différence entre une attaque de loup et une attaque de chien, mais en général le loup attaque l'ovin à la gorge afin de l'étouffer alors que le chien est plus désordonné dans son attaque.

Mme Livia MATTEI : La première différence entre nos deux pays est qu'en France les politiques dans le domaine qui nous intéresse se décident au niveau national alors qu'en Italie elles se décident au niveau régional. C'est le cas du suivi des populations de loup. Celui-ci est plus ou moins important. On peut ainsi avoir des statistiques d'abattements différents d'un endroit à l'autre. Dans notre cas, le phénomène des abattements illégaux est encore important.

Je voudrais insister aussi sur la dimension humaine du problème. Ainsi, dans le parc de la Maiella, la confrontation entre l'homme et le loup est bien réelle puisque certains bergers passent jusqu'à quatre mois en montagne avec leur troupeau. La vie de ces bergers est très dure, si bien qu'il est parfois fait appel à des bergers étrangers, notamment de Macédoine.

En Toscane, la situation est comparable à celle de la France en ce sens que le loup est réapparu alors qu'il n'y existait plus depuis longtemps. Les conflits y sont donc plus forts qu'ailleurs et on y a demandé des dérogations, comme on l'a vu.

Il ne faut pas oublier l'importance du facteur temps. Nos régions ont connu les dégâts causés par le loup, mais leurs habitants ont eu le temps de s'adapter aux systèmes d'indemnisation et aux mesures de protection et en une dizaine d'années un équilibre a pu se faire. Une nouvelle culture s'est installée qu'il faut exporter.

M. le Président : Vous avez décrit des facteurs humains que nous connaissons bien. Vous avez dit qu'il faut aller chercher des bergers en Macédoine par exemple. Cela ne pose-t-il pas des problèmes au regard de la législation sur l'immigration et des lois sociales, notamment sur le temps de travail ?

M. Livia MATTEI : Nous procédons nous-mêmes, en tant qu'organe de police, aux contrôles.

M. Nicola CIMINI : Les contrats de travail des bergers, qu'ils soient étrangers ou italiens, sont établis en fonction des accords syndicaux.

M. Enzo TAGLIERI : Le loup n'est pas un problème dans les Abruzzes et en particulier dans le parc. Il a une faible incidence sur l'économie locale, dans la mesure où le pastoralisme est marginal et ne constitue plus le principal élément économique des familles. En outre, les dédommagements versés désamorcent les conflits.

M. Fulco PRATESI : D'une certaine façon, on peut dire que les éleveurs élèvent des moutons pour nourrir les loups !

M. Giorgio MORELLI : Les informations remontant des procédures de dédommagement ainsi que du suivi des populations sont mises ensemble afin d'avoir une image plus précise du phénomène.

Les éleveurs en montagne doivent faire face à un ensemble de difficultés, le loup n'en est qu'une parmi d'autres. Cette difficulté doit être gérée en même temps que les autres, sans pour autant devenir l'arbre qui cache la forêt. Il faut s'y habituer. Il est important d'aborder le problème de manière ouverte, globale et tranquille. Le nombre de dégâts causés par les loups dans une ère donnée est à peu près équivalent à ceux qui résultaient de problèmes physiologiques, sans présence de loup. Le loup cause des dégâts et il faut apporter un soutien aux éleveurs pour leur apprendre à cohabiter avec le loup.

M. Walter MAZZITTI : En conclusion, j'ai beaucoup apprécié la préoccupation manifestée par votre délégation pour les graves problèmes que semblent rencontrer les éleveurs en France. Nous connaissons le même type de problème que pose le loup en France avec le sanglier. Il faut trouver un consensus sur la façon de gérer les prédateurs. En Italie comme en France, les agriculteurs doivent savoir coexister avec les prédateurs. On peut atteindre cet objectif grâce à une communication forte et significative et grâce à l'amélioration des indemnisations et des techniques de gestion. Il faut parvenir à faire baisser au maximum la tension sociale résultant de la présence des prédateurs. La France et l'Italie doivent travailler ensemble en ce sens. Nous sommes prêts à nous engager pour une collaboration étroite, en conseillant au gouvernement français d'intensifier la création de parcs nationaux et régionaux, qui sont autant d'instruments qui peuvent aider les populations à mieux comprendre la présence des prédateurs et à l'accepter.

M. le Président : Je tiens au nom de toute notre commission à remercier chacune et chacun d'entre vous de nous avoir consacré autant de temps et de nous avoir accueilli avec autant de convivialité. En dépit des différences entre l'histoire du loup en France et en Italie, je suis convaincu que cette rencontre permettra aux parcs français et italiens de faire demain un grand bout de chemin ensemble. Nous avons aujourd'hui beaucoup appris et nous serons heureux d'accueillir chacune et chacun d'entre vous dans nos départements, dans nos régions et dans nos parcs.

Audition conjointe de
Mme Sophie BERANGER, directrice
à la Direction de l'agriculture et de la forêt  (DDAF) des Alpes-Maritimes,
et de M. Claude GONELLA, directeur départemental adjoint
à la Direction de l'agriculture et de la forêt des Alpes-Maritimes

(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 février 2003, tenue à Nice)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

Mme Sophie Béranger et M. Claude Gonella sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, Mme Sophie Béranger et M. Claude Gonella  prêtent serment à tour de rôle.

M. le Président : Les services de la direction départementale de l'agriculture ont toujours apporté un soutien fort, dans le cadre des règles établies, au monde agricole et notamment aux éleveurs.

Je souhaiterais tout d'abord que vous présentiez rapidement le mode de fonctionnement de vos services, en insistant notamment sur la procédure de constatation des dégâts, sur vos relations avec les services déconcentrés du ministère de l'environnement et sur une estimation chiffrée des dégâts et des coûts induits par la présence du loup.

Nous vous poserons ensuite quelques questions.

Mme Sophie BERANGER : Je voudrais d'abord rappeler quelques chiffres concernant le pastoralisme dans les Alpes-Maritimes car c'est le cœur du métier des personnels de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt.

L'élevage constitue l'essentiel de l'activité agricole de montagne du département. Les troupeaux comptent plus de 50 000 brebis, sans compter les agneaux, répartis sur environ 50 000 hectares. Près de 150 000 animaux viennent chaque année dans les alpages du département, soit environ 142 000 hectares, ce qui représente plus du tiers de la surface des Alpes-Maritimes.

Le pastoralisme est une activité essentielle en termes de prévention des risques, de conservation des milieux naturels et joue un rôle en matière d'attractivité touristique.

Le système des Alpes-Maritimes s'appuie sur une consommation très longue des ressources herbagères. Même l'hiver, certains troupeaux ne sont pas rentrés. Après la période d'estive, certains troupeaux restent sur des pâturages de demi-saison, à proximité des bergeries et d'autres pratiquent la transhumance inverse vers le littoral : 40 troupeaux vont vers le Var et 23 vers les Bouches-du-Rhône.

En se basant sur les déclarations PCO - prime compensatrice ovine - on recense 228 éleveurs dans le département. Il faut souligner que de nombreux troupeaux séjournent toute l'année dans les zones de présence du loup. C'est une différence importante avec les autres départements alpins, où la présence du loup n'est une contrainte que pendant les mois d'estive. Les parcours en sous-bois sont particulièrement utilisés en hiver, ce qui explique, en partie, une prédation importante.

Le nombre de troupeaux diminue régulièrement : les éleveurs étaient 280 en 1998 et 228 en 2002, soit une diminution de 23 %. Les installations ne compensent pas les cessations d'activité. Le taux de remplacement est de l'ordre de 45 % : quand deux éleveurs s'arrêtent, on arrive péniblement à en installer un. Plus de la moitié des éleveurs ont plus de 50 ans.

L'élevage est confronté à des difficultés multiples, dont la présence du loup qui a fortement perturbé la conduite traditionnelle du troupeau et l'élevage dans toutes ses composantes.

Les premières indemnisations pour des dégâts causés par le loup ont eu lieu en 1993, indépendamment des dommages causés par le loup de Fontan en 1988. Aujourd'hui, nous recensons dans les Alpes-Maritimes quatre meutes permanentes : une en Vésubie-Roya, une en Vésubie-Tinée, une en moyenne Tinée et une autre en haute Tinée, auxquelles il faut ajouter une meute transfrontalière en Roya.

Des dommages pour lesquels la responsabilité du loup n'a pas été écartée ont eu lieu dans le Haut Var et dans les pré-Alpes de Grasse, mais il n'est pas encore possible d'affirmer que des meutes s'y soient installées.

On constate corrélativement que les dégâts augmentent régulièrement par pallier, depuis 1993, date à laquelle on a recensé 10 attaques faisant 36 victimes, 200 attaques et un peu plus de 700 victimes entre 1996, 1997 et 1998, 260 attaques et 1 150 victimes entre 1999, 2000 et 2001. En 2002, 330 attaques et 1 500 victimes, en prenant en compte un dérochement important qui a tué 404 animaux.

Le montant total des indemnisations au cours de ces années a atteint 1,4 million d'euros pour 6 200 victimes. Malgré les mesures de protection utilisées par la majorité des éleveurs du département, les dégâts n'ont pas diminué et sont extrêmement importants.

Les éleveurs, cherchant à s'adapter à la présence du loup, ont modifié leurs pratiques pastorales, mais ces nouvelles contraintes pèsent sur l'équilibre financier des exploitations et la pénibilité des conditions de travail a été accrue.

En fonction de la durée de la cohabitation sur le terrain avec le prédateur, des désordres de gestion sur le troupeau et sur les conditions de travail ont pu être observés.

Sur le troupeau d'abord :

- perte d'animaux ayant une valeur génétique, les animaux étant indemnisés sans tenir compte de la valeur ajoutée liée au travail de sélection des éleveurs et à leur investissement personnel ;

- stress des brebis provoquant des avortements et des baisses de fécondité ;

- perte de poids des animaux, plus particulièrement chez les agneaux du fait des dérangements incessants et des regroupements plus nombreux ;

- diminution de la durée du pâturage, notamment en sous-bois, nécessitant l'achat supplémentaire de fourrages ;

- problèmes sanitaires, notamment le piétain, liés au regroupement nocturne en parc des ovins ;

- frais nouveaux occasionnés par l'achat d'aliments pour les chiens de protection.

Sur les conditions de travail ensuite :

- la garde permanente de jour et de nuit des troupeaux par certains éleveurs, indispensable pour limiter les risques d'attaque, entraîne des fatigues nerveuses aggravées parfois par de mauvaises conditions de logement en estive, et notamment par la cohabitation avec leur aide-berger ;

- un sentiment d'insécurité permanent lié à la présence du loup ;

- la gestion des chiens de protection vis-à-vis du voisinage est difficile, étant donné que la responsabilité des éleveurs est engagée en cas de dommage et que ce type de chien est interdit sur le territoire de certaines communes.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur l'action de l'Etat.

Avec des moyens propres jusqu'en 1996, avec l'appui du programme LIFE loup I de 1997 à 1999 et LIFE loup II de 2000 à 2002, l'Etat s'est efforcé de répondre aux contraintes de la présence du loup sur le pastoralisme en mobilisant des moyens humains et techniques.

Pour les Alpes-Maritimes, la direction départementale de l'agriculture et de la forêt a engagé ses moyens propres, dès qu'elle a eu connaissance de la présence du loup, pour tenter de limiter les effets de celle-ci, notamment par la recherche constante des moyens financiers nécessaires au soutien des éleveurs.

Son action a été renforcée à partir de 1997 par la présence d'un technicien pastoral, financé par des fonds européens, assurant conseils et présence sur le terrain auprès des éleveurs.

Au titre des moyens techniques, ont été mobilisés sur les estives des cabanes et des chalets d'alpage, des parcs et clôtures électrifiées, des chiens de protection et des aides-bergers, tandis qu'était assurée l'indemnisation des dommages pour lesquels la responsabilité du loup n'était pas exclue.

Ainsi, 38 cabanes et chalets ont été financés au titre de la présence du loup, pour une participation de l'Etat de 644 439 euros.

De 1997 à 2002, ont été financés :

- 358 mois d'aide-berger pour la vingtaine d'éleveurs les plus concernés par la présence du loup pour une coût total de 527 500 euros ;

- 297 parcs, filets avec électrificateurs et clôtures actives pour un montant de 103 000 euros ;

- 59 chiens de protection pour 46 éleveurs pour un montant de 30 100 euros ;

- la perte de 6 223 animaux a été indemnisée pour un montant de 1 140 065 euros.

Soit un montant total de 1,8 million d'euros.

Un protocole d'intervention a été élaboré en 2000. Ce protocole a été ensuite reconduit annuellement, avec quelques variantes. Il vise à réduire le nombre d'attaques de loups et de chiens sur les troupeaux domestiques. Hormis en zone centrale du parc où seules les mesures d'effarouchement sont autorisées, et cette exception est importante dans le département, il permet à certaines conditions - trois attaques en trois semaines consécutives concernant 18 animaux au moins - le prélèvement par tir d'un loup sous réserve que les mesures de protection aient été mises en œuvre.

Ce protocole a été déclenché une fois dans les Alpes-Maritimes en 2000. Cette action a suscité de nombreuses polémiques, en particulier de la part des associations de protection de l'environnement qui ont violemment attaqué l'éleveur concerné sur ses pratiques ainsi que les services de l'Etat, accusés d'avoir mis des charniers en place pour attirer le loup. Ces associations et les médias se sont rendus sur place, y compris la nuit, perturbant ainsi la mise en œuvre du dispositif. Dès lors, le loup a cessé ses attaques sur le secteur, ce qui a permis finalement d'atteindre l'objectif recherché, puisque les attaques ont cessé.

En 2002, les seuils du protocole ont été atteints onze fois. Les conditions locales et l'absence de moyens ont conduit à ne pas déclencher ce protocole de tir.

L'ensemble des mesures de protection a permis de limiter l'impact du loup sur les troupeaux, sans pour autant régler le problème.

La cohabitation du loup et de l'élevage dans les Alpes-Maritimes est particulièrement difficile. Compte tenu du climat, des troupeaux importants pâturent de grandes surfaces pendant presque toute l'année et il est illusoire dans ces conditions de croire que l'on pourra réduire la prédation à zéro. Il faudrait que cette situation soit admise par tous pour éviter en particulier les critiques stériles et injustifiées portées sur la qualité du travail des éleveurs du département. Quelles que soient les mesures de protection prises, le loup, animal opportuniste, trouvera toujours un moyen de les contourner. C'est ma conviction.

Dans le cas où le statut actuel du loup serait maintenu, il faudrait envisager une réorganisation du système d'élevage extensif et du pastoralisme, ce qui représenterait un coût humain et financier proportionnel à l'étendue de la zone de présence du loup. Il faut remettre en question le système extensif, tel qu'il est pratiqué dans le département.

Certaines unités pastorales particulièrement difficiles à défendre en raison de leur topographie devraient également être abandonnées, ce qui entraînerait des fermetures de milieu. L'unité qui a été victime du dérochement de l'été dernier est totalement indéfendable, quelles que soient les mesures de protection.

M. le Président : Je précise à l'attention de mes collègues que Mme Béranger fait allusion au dérochement du plus de 400 brebis qui ont été précipitées du haut d'une falaise car elles étaient poursuivies par un loup.

Mme Sophie BERANGER : Ce qui est certain, c'est que les brebis de conduite ont été attaquées à la gorge par un gros canidé dont elles portaient des traces de morsure. Le dérochement a eu lieu à plus de 1 000 mètres d'altitude et il me semble difficile de trouver des chiens errants à cette altitude. A cette hauteur là, à moins de mettre des barrières sur un nombre d'hectares très important, ce que le parc du Mercantour ne souhaite pas car cela empêcherait la faune sauvage de circuler, je n'imagine pas de moyens de protection efficaces. Sur certaines unités pastorales, il faut faire un diagnostic pastoral et assister les éleveurs.

Il serait également nécessaire de revoir en profondeur le dispositif actuel et de définir une politique d'Etat basée sur un dispositif réglementaire, qui n'existe pas actuellement, afin de disposer de moyens pérennes et adaptés au problème.

M. le Président : Quelles sont vos relations avec le ministère de l'environnement et avec le parc national du Mercantour dans le cadre du processus d'indemnisation où vous avez un rôle de constatation des dégâts ?

Mme Sophie BERANGER : Quatre agents, deux de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et deux du parc du Mercantour, ont pour rôle de se rendre sur place pour vérifier les dires de l'éleveur et pour relever les traces de prédation. La direction départementale de l'agriculture organise un tour de garde afin d'assurer une rotation des agents dans le département.

Sur la base de ce constat, un vétérinaire, expert de l'ONCFS, donnait un avis favorable, si la responsabilité du loup ne pouvait être écartée, à l'indemnisation. Le système a changé : désormais, l'expert n'intervient plus et c'est la Direction de l'agriculture et de la forêt (DDAF) qui donne son avis sur l'indemnisation.

M. Claude GONELLA : Ce changement est tout nouveau, puisque jusqu'au mois d'octobre dernier, l'expert, financé par des fonds du programme LIFE, devait donner son avis.

M. le Président : Vos constations vous ont permis de détecter une progression permanente du nombre de pertes. Selon vous, cette progression va-t-elle se poursuivre ou bien stagner ?

Mme Sophie BERANGER : J'espère que nous n'aurons pas des dégâts de la même ampleur que le dérochement dont je vous ai parlé, mais il est clair que si la population de loup continue à croître, il y aura des dégâts de ce type sur la zone concernée. Toutefois, cela dépend du type de pastoralisme. Mes collègues d'autres départements ont moins de problèmes, car le pastoralisme qui y est pratiqué est beaucoup moins extensif que le nôtre. Dans les Alpes-Maritimes, les montagnes sont sèches et il faut donc des surfaces importantes pour nourrir les troupeaux.

M. le Président : A combien estimez-vous la population de loups dans les Alpes-Maritimes ?

Mme Sophie BERANGER : L'estimation est très difficile. On y recense cinq meutes, avec chacune environ quatre animaux, soit une vingtaine de loups.

M. le Président : Le ministère de l'environnement estime à une trentaine la population totale de loups dans les Alpes, ce qui voudrait dire qu'il n'y aurait qu'une dizaine de loups dans les Hautes-Alpes, les Alpes-de-Haute-Provence et en Savoie, ce qui est peu.

Mme Sophie BERANGER : Le ministère de l'environnement se base uniquement sur des comptages hivernaux, c'est-à-dire sur la présence de loups en hiver dans un endroit donné. Ils ne prennent en compte que les indices relevés pendant cette période. Donc, ce qu'il compte correspond à un minimum.

Entre les estimations liées aux indices et celles des éleveurs, il me semble qu'avec une vingtaine de loups dans les Alpes-Maritimes, on ne doit pas être loin de la vérité.

M. le Président : Selon vous, l'élevage extensif est-il incompatible avec le loup ?

Mme Sophie BERANGER : L'élevage extensif, tel qu'il est pratiqué dans le département est incompatible avec la présence du loup, j'en suis persuadée.

M. le Président : Un zonage, après accord avec les syndicats d'éleveurs, serait-il selon vous plus utile dans des départements où il n'y a pas d'élevage extensif ? Par exemple, vaudrait-il mieux supprimer la présence du loup dans les Alpes-Maritimes pour le cantonner à la Savoie, où les troupeaux ne sont en estive que trois mois par an ?

Mme Sophie BERANGER : Dans un alpage où paissent des vaches laitières, les problèmes avec le loup seront évidemment beaucoup moins importants qu'avec des troupeaux importants de moutons à viande.

L'autre solution serait de modifier l'élevage dans le département, mais c'est délicat, dans la mesure où il faudrait dire à des éleveurs qui pratiquent leur métier comme leurs parents et leurs grands-parents de modifier leurs pratiques.

M. le Président : Cela signifie la fin de l'élevage extensif.

Mme Sophie BERANGER : Oui, ou bien de le pratiquer différemment, comme en Italie par exemple, avec de petits troupeaux, 5 aides-bergers et des chiens patous. Mais aujourd'hui dans les Alpes-Maritimes les troupeaux comptent 1 500 têtes et les éleveurs ne peuvent compter qu'avec un aide-berger les bonnes années et une moyenne de cinq chiens patous.

M. le Président : Cinq chiens patous, c'est ce qui est financé par le programme LIFE ?

Mme Sophie BERANGER : Non, c'est ce que pratiquent les éleveurs du département, car, au-delà, ils savent que, lorsqu'ils devront redescendre dans la vallée en période intermédiaire, ils auront d'énormes problèmes avec le voisinage.

M. le Président : Les charges de personnels engagés dans la gestion du loup sont-elles décomptées dans les coûts que vous nous avez cités ?

Mme Sophie BERANGER : Non, ces coûts ne comprennent ni le coût des agents qui font les constats, soit quatre personnes, ni le coût des agents de la DDA, ni le coût de l'expert scientifique qui était financé par les fonds LIFE. Ils ne comprennent que les coûts de prévention et d'indemnisation.

M. le Président : Pourrez-vous nous communiquer ces coûts, ainsi que les coûts de gestion imputables à vos services ?

Mme Sophie BERANGER : Bien sûr. Les autres coûts ne peuvent être qu'évalués.

M. le Président : A quelle date la direction départementale de l'agriculture a-t-elle été informée officiellement de l'authentification de l'arrivée des premiers loups dans le département ?

Mme Sophie BERANGER : D'après ce que je sais, c'est à partir du moment où les indemnisations ont commencé à être versées, c'est-à-dire à partir de 1993.

M. Claude GONELLA : En ce qui me concerne, je n'ai pas eu connaissance d'observations de loup avant la publication d'informations par la revue « Terre Sauvage ». J'ai pris la tête du service d'économie agricole en juillet 1993. Je m'occupais auparavant principalement de la protection du littoral en matière d'urbanisme. Je n'ai pas eu personnellement d'informations sur le loup et je ne me souviens pas d'échanges à ce sujet.

M. le Président : L'Etat ne vous a adressé aucun courrier officiel vous informant de la présence du loup et vous enjoignant à prendre des dispositions ?

M. Claude GONELLA : Non, mais après coup, des précisions ont été apportées dans des documents selon lesquels le loup aurait été aperçu de manière intermittente avant son observation officielle.

Mme Sophie BERANGER : Je vous confirme que nos archives n'abritent aucune lettre officielle nous informant avant la revue « Terre Sauvage » de la présence du loup dans le département.

M. le Président : A quelle date remonte la première information officielle écrite vous ayant été adressée ?

Mme Sophie BERANGER : J'ai retrouvé des courriers de 1993, postérieurs à la mise en place de la procédure d'indemnisation, au cours de l'été.

M. Claude GONELLA : Nous ne nous sommes pas occupés des indemnisations avant 1995 ou 1996. C'est le parc du Mercantour qui gérait le dossier. Celui-ci nous a été transmis à la suite des conclusions du rapport de la première mission Daubremez qui recommandait que le dossier soit géré par la direction départementale de l'agriculture.

M. le Président : A quelle date la gestion de l'indemnisation vous a-t-elle été confiée ?

M. Claude GONELLA : De mémoire, au cours de l'année 1996. Notre base de données date de 1996, les éléments antérieurs à cette date proviennent du parc du Mercantour.

M. le Président : Jusqu'en 1996, la gestion de l'indemnisation relevait donc de la pleine compétence et autorité du parc du Mercantour.

Mme Sophie BERANGER : Nous étions quand même informés par des courriers, que j'ai retrouvés, et associés ainsi à la réflexion sur la gestion des indemnisations.

M. Claude GONELLA : Il y avait certes des échanges, mais la responsabilité complète de la procédure a été transférée lors du démarrage du programme LIFE.

M. le Président : Avez-vous eu des échanges avec vos homologues italiens ?

Mme Sophie BERANGER : Non.

M. le Rapporteur : Estimez-vous que les diverses structures de l'Etat et les structures européennes intervenant dans le dossier du loup fonctionnent bien ? Quelles sont les formes de concertation mises en place ? Quelle est, par ailleurs, l'interaction entre le pastoralisme et montagne et le développement touristique ? Pensez-vous que le loup a été réintroduit ou bien qu'il est revenu naturellement ? Quelles sont vos relations avec le parc du Mercantour en ce qui concerne le loup ? En tant qu'élu de la vallée de l'Ubaye et ayant une partie du parc dans ma circonscription, il m'a semblé que la direction du parc mettait une chape de plomb sur l'information concernant le loup. L'avez-vous ressenti ?

Mme Sophie BERANGER : Nous avons des relations de confiance avec la Direction régionale de l'environnement  (DIREN) de la région PACA. Nos deux services ont même signé une convention de partenariat.

Les relations avec la direction de la nature et des paysages (DNP) sont plus compliquées, en fonction des différents interlocuteurs. Lorsque nous avons mis en place le protocole auquel j'ai fait allusion, nous avons prévenu le ministère de l'agriculture et la direction de la nature et des paysages. Dans l'heure qui a suivi, l'ensemble des associations de défense de la nature étaient prévenues. Or, à l'époque, seuls étaient au courant le préfet, M. Gonella, la DNP, le ministère de l'agriculture et moi-même. Je ne soupçonne pas la direction de l'agriculture d'avoir des relations avec ces associations. Je considère que les fonctionnaires de l'administration française ont une obligation de réserve et ne peuvent communiquer certaines informations. Je ne qualifierais pas nos relations avec la direction de la nature et des paysages de relations de confiance : mes communications avec eux se font systématiquement par écrit, afin d'éviter tout malentendu.

M. le Rapporteur : Vous éprouvez donc de la méfiance vis-à-vis de la direction de la nature et des paysages ?

Mme Sophie BERANGER : Honnêtement, oui.

Avec l'actuel directeur du parc de Mercantour, nous avons des relations de confiance. Toutefois, certains de ses agents ont des liens très forts avec certaines associations, dont France Nature Environnement. D'ailleurs, le directeur Louis Olivier avait été informé par ses agents, qui eux-mêmes avaient été informés par France Nature Environnement, de la mise en place du protocole.

Le pastoralisme entretient les paysages et permet l'ouverture des milieux. Sans milieu ouvert, les touristes pourront difficilement se promener dans nos pays.

Les éleveurs dans notre département vivent bien, car, ayant un circuit de commercialisation très court, ils valorisent très bien leurs produits. Plus d'un million de personnes demandent à consommer des produits du terroir. Dans les Alpes-Maritimes, à la différence d'autres départements, l'élevage ne connaît pas de crise.

Sur l'origine du retour du loup, je dispose certainement de beaucoup moins d'éléments que vous. Ce qui me gêne profondément dans ce dossier, c'est qu'il y a des deux côtés des partisans : d'un côté, des scientifiques rémunérés dans le cadre du programme LIFE et de l'autre des professionnels qui veulent démontrer que le loup a été réintroduit.

Aucune sommité scientifique, tel un professeur du Muséum, n'a pris position sur ce sujet. Toutefois, je voudrais citer les travaux de M. de Beaufort, qui est malheureusement décédé. Dans tous ses articles, j'ai pu constater une grande rigueur scientifique, mais il n'a malheureusement pas écrit sur le sujet.

Les scientifiques soutenant la thèse du retour naturel n'étayent le plus souvent lleurs affirmations par aucune référence bibliographique. Cela me met mal à l'aise. Il faudrait systématiquement rechercher la base scientifique sur laquelle ils s'appuient. Ce n'est pas parce qu'on est scientifique qu'on peut affirmer, sans devoir démontrer. De plus, ce ne sont pas des experts indépendants puisque rémunérés par le programme LIFE.

M. le Rapporteur : Quelles étaient vos relations avec l'ancien directeur de la DIREN, M. Gilles Pipien ? Quelle était son attitude vis-à-vis du loup ?

Mme Sophie BERANGER : J'ai toujours eu de très bonnes relations avec M. Pipien. Nous étions en phase sur ce dossier.

M. le Président : A des fins d'éclaircissement, je voudrais préciser que le programme d'élimination dont nous a parlé Mme Béranger repose sur un arrêté national prévoyant qu'en cas de trois attaques consécutives dans un délai de trois semaines touchant un minimum de 18 animaux, le préfet peut décider d'une opération d'élimination sur l'alpage concerné. Il s'agit là de la seule forme officielle d'élimination du loup. La seule fois où cet arrêté a été appliqué, dans le secteur de Venanson, les agents de l'ONCFS n'ont pu abattre aucun loup à cause des associations de défense de l'environnement qui faisaient de l'agitation dans le secteur pour faire fuir les loups.

M. Claude GONELLA : Le protocole prévoit que les agents chargés de l'élimination du loup doivent rester en poste à guet, sur les lieux de l'attaque, et attendre le loup. Il ne s'agit pas d'une battue.

M. le Président : Pourquoi le protocole n'a-t-il pas été appliqué d'autres fois alors que ses conditions d'application étaient remplies ?

Si nous étions amenés à suggérer des mesures d'élimination sous conditions, ne pensez-vous pas qu'il faudrait proposer la création d'une brigade spécialisée, telle qu'il en existe aux Etats-Unis, mise à la disposition de l'ensemble des départements concernés ?

Mme Sophie BERANGER : Il est clair que le protocole, tel qu'il a été mis en place à Venanson, n'est pas adapté. Nous avons pris beaucoup de coups. Pour expliquer que le protocole n'ait pas de nouveau été mis en œuvre, il faut dire que les éleveurs ne sont pas demandeurs et que le préfet ne peut autoriser une telle opération qu'une seule fois dans l'année. Dans ces conditions, la mise en place d'une brigade ne changera rien au problème.

Si on veut enlever le loup de certaines parties du territoire, il faut certainement confier cette tâche à des professionnels connaissant la biologie du loup ainsi que les techniques disponibles. Les agents de l'ONCFS n'ont pas, à mon avis, la formation requise.

L'expérience montre qu'il est difficile de trouver les loups. Nos grands-parents le faisaient grâce à un apprentissage poussé, à une époque où la France était beaucoup moins boisée. Dans le département, la forêt progresse chaque année de 1 000 hectares. Dans ces conditions, il est encore plus difficile de chasser le loup. C'est un métier.

M. Claude GONELLA : En vue de la préparation de la mise en place du protocole, on avait fait venir à l'époque un biologiste portugais qui avait assuré la formation d'une semaine, notamment aux pièges, de l'équipe de l'ONCFS. Ce spécialiste préconisait la pose de pièges le long d'un cheminement, plutôt qu'à côté d'un troupeau. Les Portugais savent attraper les loups, ils en ont l'expérience.

M. André CHASSAIGNE : Je prendrai le rôle de l'avocat du diable pour poser certaines questions que l'on peut entendre ici et là, mais qui ne sont pas forcément les miennes.

Dans un souci de tranquillité sociale, n'avez-vous pas tendance à attribuer trop facilement des dégâts au loup ?

Le stress, les avortements induits, les pertes de poids des bêtes sont-ils des conséquences bien réelles de la présence du loup ? Les éleveurs n'auraient-ils pas tendance à exagérer et à dramatiser la situation ?

Existe-t-il des chiffres permettant de comparer les dégâts sur les troupeaux, notamment du fait des chiens errants, avant et après l'arrivée du loup ?

Je souhaite poser deux autres questions qui me paraissent très importantes.

En se plaçant dans l'hypothèse que l'on ne peut rien faire - hypothèse d'école - en raison des contraintes européennes et nationales, une réorientation du pastoralisme, compte tenu notamment du taux de remplacement, qui est d'environ 45 % et de la formation des nouveaux bergers, vous semble-t-elle envisageable ? Sur combien d'années pourrait-elle se faire ? Dans quelles conditions ?

Pensez-vous que l'on pourra débloquer la situation ou êtes-vous pessimiste ?

Mme Sophie BERANGER : Je suis de manière générale assez peu sensible aux pressions, je rends donc mon avis sur l'indemnisation des dégâts en toute sérénité et objectivité. On parle beaucoup moins des refus d'indemnisations. Ainsi, cet été, il y a eu deux dérochements qui, manifestement, étaient dus à la foudre. Nous avons donc signifié aux éleveurs concernés qu'il n'y aurait pas d'indemnisation. Je ne me fonde que sur mon intime conviction et pas sur la paix sociale dans la procédure d'indemnisation.

Je pense que les pertes liées au stress sont effectivement importantes. Les moutons sont des animaux qui y sont très sensibles. Il y a effectivement des brebis qui avortent, ce n'est pas un mythe. J'évalue le taux de perte pour ces causes dans les secteurs où le loup est présent à 15 à 20 %, mais c'est difficile à quantifier. Ce phénomène existe, il est connu dans le monde vétérinaire. Une brebis stressée donnera un seul agneau au lieu d'en donner deux. Il faut aussi citer les cas de mammite. Ces pertes indirectes sont bien réelles.

Vous m'interrogez sur les pertes dans les troupeaux avant et après le retour du loup. Je ne peux vous répondre, mais il me semble peu probable que des chiens de ville se perdent sur un territoire de montagne. En revanche, des patous peuvent provoquer des dégâts. Il paraît que dans le Var des patous se sont ensauvagés et se sont adaptés au territoire de montagne.

Si la situation ne devait pas changer, il faudrait des moyens supplémentaires. Les moyens actuels, que j'ai détaillés, ne sont pas suffisants. Ainsi, pour l'année 2003, je n'ai actuellement aucun crédit pour financer des aides-bergers. On m'a promis deux techniciens pastoraux qu'il faudrait que j'emploie par des procédures complexes. Pour les parcs, on pourrait disposer d'un reliquat du programme LIFE, mais je n'en suis pas sûre. Nous avons besoin de moyens programmés et non accordés au coup par coup.

M. Claude GONELLA : Les moyens devraient être mobilisables dès le mois de janvier, car, les animaux étant dehors toute l'année, nous pouvons avoir des besoins à n'importe quel moment de l'année.

Mme Sophie BERANGER : Certains éleveurs dans le département ne pourront s'adapter. Il faudra installer des éleveurs qui vont dans les zones à loup en connaissance de cause et travaillent donc avec des troupeaux de taille plus réduite ou avec un autre type d'élevage, comme l'élevage bovin. Il faudrait, dans ce cas, dégager des droits à produire pour le secteur bovin, dont nous ne disposons pas dans le département.

Il faudrait alors repenser le système dans son ensemble et dégager des moyens supplémentaires, pour éviter par exemple que les éleveurs attendent six mois pour être indemnisés, pour que l'on puisse financer des aides-bergers, les aider à payer la nourriture pour leurs chiens...etc. Une véritable politique d'Etat traduite par des crédits et des  lignes budgétaires, et non des fonds de tiroir, est nécessaire.

M. Jean LASSALLE : Comment avez-vous personnellement vécu cette affaire ? Vous a-t-elle marquée ? Quelles conclusions en avez-vous tirées quant au fonctionnement de notre société ?

Mme Sophie BERANGER : Cela m'a profondément marquée, car jamais dans ma carrière administrative, je n'avais eu à gérer autant de difficultés humaines et financières. De plus, le problème du loup, au niveau national, fait plutôt sourire, alors qu'il est bien réel dans notre département. J'ai été marquée par de véritables drames, comme celui vécu par un éleveur qui a perdu un tiers de son troupeau, lequel avait nécessité cinq ans de travail.

Il faudrait avoir le courage politique de dire aux éleveurs travaillant dans certaines zones d'aller s'installer ailleurs, car ils risquent de perdre, notamment par dérochement, des moutons qu'ils ont soigneusement sélectionnés et que l'on ne trouve pas sur le marché.

M. le Président : Je vous remercie pour vos propos intéressants et courageux.

Audition de M. Louis OLIVIER, directeur du parc national du Mercantour

(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 février 2003, tenue à Nice)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Louis Olivier est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Louis Olivier prête serment.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. J'aimerais savoir comment vous avez appréhendé le problème du loup depuis votre arrivée à la tête du parc national du Mercantour et notamment comment vous avez organisé vos relations avec la direction départementale de l'agriculture, avec les éleveurs et le programme LIFE loup.

Nous procéderons ensuite à un jeu de questions et réponses avec les autres membres de la commission.

M. Louis OLIVIER : Si vous le permettez, je voudrais d'abord me présenter. J'ai un peu plus de 53 ans, j'ai été nommé à la direction du parc national du Mercantour le 1er février 1998. J'avais exercé auparavant les fonctions de directeur-adjoint du parc national de Port-Cros de 1994 à 1998 et celles de conservateur du conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles de 1979 à 1994.

Je structurerai mon intervention autour de trois thèmes : l'implication du parc national du Mercantour dans le suivi du loup, les orientations données par le conseil d'administration pour la politique du parc national et enfin les implications du parc national dans les questions pastorales.

Lorsque je suis arrivé au parc national du Mercantour un programme LIFE sur le loup était déjà en cours, mais il n'était plus géré par le parc. A la demande de la direction de la nature et des paysages du ministère de l'environnement, le parc national avait été déchargé de la responsabilité de ce programme qui avait été confiée à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt des Alpes-Maritimes. La direction de la nature et des paysages m'avait expliqué ce choix comme répondant à son souhait et à celui du conseil d'administration que le parc national redevienne un parc national à vocation généraliste et centré sur la gestion d'un territoire et de l'ensemble de ses problématiques. L'implication du parc national dans sa zone périphérique était particulièrement souhaitée par les élus du haut pays, ce qui m'a été confirmé plusieurs fois par le président du conseil d'administration du parc national.

L'implication du parc national dans la problématique du loup n'était cependant pas absente. A titre d'illustration de mon propos, je vous donne ces quelques chiffres pour l'année 1997, établis l'année de mon arrivé en 1998.

Les observations de terrain destinées à recueillir les indices de la présence du loup, afin de déterminer ses effectifs et le territoire des meutes, ont représenté 816 demi journées d'agent de terrain.

Le parc participa cette année-là aux constats de dommages sur les troupeaux à hauteur de 415 demi-journées.

A titre de comparaison, les comptages et programmes de recherche sur les ongulés sauvages ont occupé les agents du parc pendant 576 demi-journées.

L'organisation et les différents dispositifs mis en place ne me semblant adaptés ni au redéploiement des missions qui était demandé au parc national ni à la réalité du transfert du pôle de direction du programme loup vers le dispositif LIFE ni aux moyens humains du parc national, j'ai proposé au ministère de modifier et d'alléger le dispositif de recherche d'indices de présence du loup, en donnant notamment la priorité aux sorties après chute de neigé généralisée, car cette technique me semblait la plus à même de nous donner une idée assez précise sur la présence des loups et sur le territoire des meutes. Cette technique consiste à faire sortir le maximum de gardes sur le terrain pour trouver des traces et les suivre. J'ai donc ramené l'investissement des agents de terrain sur ce thème à moins de 400 demi-journées. Il ne s'agissait pas pour moi, ni pour quiconque, de nier le fait que le loup était une des espèces que le parc national se devait de suivre en priorité. J'ai aussi décidé de réorganiser la procédure de constat de dommages en spécialisant deux agents employés à plein temps. Ces agents interviennent en coordination avec ceux de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) sous la direction de la direction départementale de l'agriculture. Cette réorganisation me semble avoir donné de meilleurs résultats que les investissements qui étaient faits par le passé, qui n'assuraient pas une grande efficacité ni une grande disponibilité pour les bergers.

Le constat de dommages peut être un processus long, notamment lorsqu'ils sont survenus dans des quartiers très éloignés de tout accès par véhicule. L'agent de constat a aussi une mission d'assistance au berger, puisqu'il l'aide à rechercher les bêtes qui ont été attaquées et qu'il passe un minimum de temps avec le berger pour discuter, comme j'en ai donné la consigne. De telles missions exigent des agents sensibilisés à ce type de relation.

C'est de 1999 à 2001, au travers de plusieurs notes de service, que l'implication du parc national sur les questions de suivi de la présence du loup a été précisée. J'ai mis un certain temps pour tester l'efficacité des méthodes de suivi et arriver à la situation actuelle. Je ne prétends pas qu'elle soit idéale, mais elle est certainement la plus adaptée aux moyens dont nous disposons.

Aujourd'hui, l'ensemble des observations réalisées par les agents du parc national sont centralisées par l'équipe LIFE placée sous la responsabilité technique de l'ONCFS et les protocoles de recueil de données utilisés par nous ont fait l'objet d'une validation par le comité scientifique de l'ONCFS. J'avais demandé au directeur général de l'ONCFS cette validation du comité scientifique, un peu distant du parc national, pour avoir un avis le plus objectif possible.

Il est important de noter que, parallèlement, la région du Piémont, notamment au travers de ses parcs naturels, a mis en place un dispositif de suivi à peu près similaire à ce qui est fait en France, d'autant plus intéressant que, pour l'espace qui concerne plus particulièrement le parc national du Mercantour, un certain nombre de meutes ont des territoires transfrontaliers.

Je tiens à votre disposition deux documents retraçant l'état actuel de la connaissance des meutes en France, telle qu'elle ressort du travail de l'ONCFS, auquel nous contribuons par la fourniture de données. Les Italiens ont mené un travail similaire, notamment à travers un ouvrage publié par le Parco Naturale delle Alpi Maritime qui donne une idée de la répartition des deux meutes transfrontalières se trouvant au sud de la région du Piémont. Il y a une autre meute transfrontalière, plus au nord, dans la Valle Stura, mais il n'y a pas dans cette région de parc naturel dépendant de la région du Piémont.

Je voudrais maintenant rappeler les orientations données par le conseil d'administration pour la politique du parc national.

Ces orientations ont été précisées, notamment en 1999, à l'occasion des débats sur le contrat de Plan Etat-région.

Le conseil d'administration a souhaité que le parc redéploie ses moyens, selon trois axes :

- la nécessité de contribuer à la connaissance, à la gestion et à la restauration du patrimoine naturel et culturel, ainsi que des paysages du parc national du Mercantour ;

- la nécessite de contribuer à la mise à disposition du public du patrimoine naturel, culturel et paysager du parc national du Mercantour, décliné notamment au travers de la mise à disposition du public des informations et de la documentation sur le patrimoine, l'accueil du public et la découverte du parc national ;

- la nécessité du contribuer au développement durable, par le maintien du pastoralisme et d'une agriculture durable, la promotion d'un tourisme durable et l'appui à la filière bois.

Le parc national en collaboration avec ses nombreux partenaires et, à la demande de son conseil d'administration, s'est investi plus particulièrement dans la filière touristique. Les questions pastorales n'ont pas pour autant été absentes de ses préoccupations.

Il est bon de rappeler que le pragmatisme des pères fondateurs du parc national du Mercantour les avaient amenés à considérer que le maintien d'ongulés domestiques au côté d'ongulés sauvages sur le territoire du parc ne pouvait qu'être bénéfique pour garantir une certaine ouverture des milieux, nécessaire au maintien des paysages de prébois ou des pelouses dont l'intérêt biologique et esthétique avait été un des arguments qui militaient en faveur de la création du parc national du Mercantour et ce, depuis la fin des années 40 et le début des années 50.

En revanche, les pères fondateurs n'avaient pu prévoir l'ampleur de l'évolution économique et sociale qui allait concerner ces activités. Dans un contexte généralisé d'exode rural et de déprise, voire de crise économique et d'arrivée du loup, il n'a pas été simple de faire progresser la démarche partenariale souhaitée par le conseil d'administration.

L'analyse des interactions entre la faune sauvage et la faune domestique et entre la faune domestique et le milieu conduit à admettre une grande interdépendance et un rôle incontestable des troupeaux dans la genèse de certains habitats et dans leur entretien écologique à coût modéré où l'occupant domestique acquiert une légitimité, et pas seulement à travers l'imagerie populaire ou de la notion de paysage accueillant pour le tourisme, mais aussi en tant qu'élément de gestion des équilibres écologiques.

M. le Président : Vous avez pris vos fonctions en 1998 mais vous êtes détenteur des archives laissées par vos prédécesseurs, dont vous avez forcément pris connaissance. Il y a une période de flou entre 1992 et 1993. C'est par un numéro du magazine « Terre Sauvage » paru en 1993 que l'opinion publique et les décideurs, comme la direction départementale de l'agriculture par exemple, ont été informés de l'arrivée du loup dans le Mercantour. A quelle date le parc authentifie-t-il cette arrivée ?

M. Louis OLIVIER : Je pensais bien que vous alliez me poser cette question. J'ai donc photocopié quelques archives, en particulier des correspondances allant d'août 1991 jusqu'à la fin de l'année 1992.

Une télécopie du directeur adjoint du parc national, classée « confidentiel », en date du 6 novembre 1992 fait état de la découverte du loup dans le parc. Cette télécopie, qui a été précédée d'un échange téléphonique dont la note fait état, peut donc être considérée comme la déclaration officielle de la présence du loup dans le parc.

Des correspondances antérieures entre le parc et des scientifiques italiens font état de la présence de loups dans la province de Cuneo et de la possibilité de l'arrivée du loup dans le parc du Mercantour. Une lettre du 14 avril 1992, adressée au directeur de la protection de la nature, aux services des espaces naturels, fait état de la probabilité de l'arrivée du loup et demande des financements pour se préparer à cet événement.

M. le Président : On peut donc considérer que l'administration du parc du Mercantour était au courant de l'arrivée du loup en avril 1992.

M. Louis OLIVIER : Les Italiens avaient effectivement alerté la France sur l'arrivée possible du loup. Je vous cite un extrait de la lettre : «  En l'état actuel des choses, il nous semble que c'est au niveau du pastoralisme que se situe le plus gros problème. En effet, il y a dans la région, et en particulier dans le parc, des troupeaux d'ovins qui comptent parfois jusqu'à 2 000 brebis en estive. Ces troupeaux, dans la plupart des cas, sont peu gardés ou non remisés la nuit. Cette situation est favorable à des prédateurs qui n'auraient aucune difficulté pour attaquer des ovins la nuit ». La somme demandée dans la lettre atteint un million de francs.

M. le Président : Les courriers en provenance d'Italie émanent de quelle autorité ?

M. Louis OLIVIER : Il s'agit du docteur Boscagli du centre d'études écologiques du parc national des Abruzzes et du groupe Loup Italie.

M. le Président : Ces courriers n'émanent donc pas d'autorités publiques italiennes ?

M. Louis OLIVIER : Il s'agit d'autorités scientifiques.

M. le Président : Il est très surprenant qu'une autorité officielle française, en l'occurrence le ministère de l'environnement, que vous représentez, alertée par un courrier ne provenant pas d'une autorité officielle italienne, mais simplement d'un scientifique, considère qu'il s'agisse d'un document suffisamment officiel pour demander des financements à son ministère.

M. Louis OLIVIER : Pour compléter votre information, je me permets de vous citer une lettre du 27 août 1991 du ministère, adressée au directeur du parc du Mercantour : « Un loup a été tué dans votre département en 1987. L'origine de ce loup a été certifiée domestique par le Muséum d'histoire naturelle de Paris. A l'heure actuelle, d'après les éléments en notre possession, les populations de loups italiens se développeraient suffisamment pour pénétrer ces prochaines années en France. Je souhaiterais que, en liaison avec vos homologues italiens, vous puissiez me dresser la situation actuelle précise de cette espèce et ses possibilités de colonisation du territoire. »

M. le Président : Quelle a été la teneur des relations du parc avec ses homologues italiens ?

M. Louis OLIVIER : M. Grandjean, le directeur du parc à l'époque, dit avoir pris contact avec M. Meriggi de l'université de Pavie qui étudie l'espèce autour du bassin de Gênes.

M. le Président : Je suis très surpris : le ministère a demandé au parc de prendre contact avec ses homologues et c'est un universitaire qui est contacté, sans doute financé par un programme LIFE quelconque. Un homologue, selon moi, aurait du être un responsable du ministère de l'environnement italien.

M. Louis OLIVIER : Je n'étais pas en poste au parc du Mercantour à l'époque.

Je voudrais dire un mot sur le loup de Fontan. On a toujours dit que c'était un loup domestique. L'expertise faite par Pierre Pfeiffer me semble imprécise. Il évoque d'autres hypothèses, notamment celle d'un hybride entre chien et loup. A ma connaissance le loup de Fontan a été empaillé et se trouve à la mairie de Fontan. Si l'état de conservation du loup le permet, on pourrait obtenir des informations précises grâce à la génétique.

M. le Président : On nous dit que les relations des agents du parc avec les éleveurs et avec la direction départementale de l'agriculture ne sont pas très bonnes. Beaucoup d'agents du parc participeraient au mouvement associatif, à travers le groupe Loup France ou le WWF. Qu'en est-il ?

M. Louis OLIVIER : A mon arrivée, les relations avec les éleveurs n'étaient pas bonnes. Je me suis employé à les améliorer et j'ai demandé qu'un investissement significatif soit fait pour connaître les activités pastorales à l'intérieur du parc. A mon arrivée, j'ai été sidéré d'apprendre que nous n'avions aucune connaissance sur l'état des cabanes pastorales situées en zone centrale du parc. J'ai donc demandé que soit procédé à un inventaire précis de ces cabanes ainsi que de tous les équipements structurants des alpages. Une équipe d'architectes nous a aidés dans cette tache et vous pourrez voir sur le CD-rom que je tiens à votre disposition une présentation de notre travail.

Je suis plus optimiste aujourd'hui. Des progrès ont été faits, notamment grâce à un pilote de qualité, l'Association foncière pastorale de Roure sur le plateau de Langon. Les agents y mènent un travail quotidien avec les éleveurs.

Les relations avec les directions départementales de l'agriculture me semblent historiquement tendues. J'ai essayé d'arranger les choses, car les querelles sont de l'énergie perdue. Je continuerais à travailler en ce sens et j'enjoins mes agents à faire de même.

J'ai la conviction, sans en avoir la preuve, que des agents du parc sont encore engagés dans des associations. Lorsque je suis arrivé, je leur ai demandé de choisir entre continuer à être des agents assermentés de l'Etat ou à assumer des responsabilités dans le monde associatif. J'ai donné comme consigne de mettre en place une barrière étanche dans l'information. (...) J'ai rappelé aux agents leur obligation de réserve, particulièrement au moment où la commission d'enquête parlementaire travaille. J'ai d'ailleurs été épinglé par le magazine « Terre Sauvage » pour cela. Le dispositif de communication mis en place est basé sur le service de presse du préfet et sur un spécialiste placé à la direction régionale de l'environnement à Aix-en-Provence. Une vraie coordination est souhaitable pour éviter toute cacophonie.

Si j'ai la preuve qu'un agent du parc national est impliqué dans la transmission de ces faits mensongers aux journalistes de « Terre Sauvage », je ne manquerai pas de prendre mes responsabilités.

M. le Rapporteur : Je suis député des Alpes-de-Haute-Provence et ma circonscription comprend une partie du parc du Mercantour. Je me réjouis de vous voir aujourd'hui, car je suis élu de terrain dans la vallée de L'Ubaye depuis 15 ans et je n'ai jamais rencontré qui que ce soit du parc du Mercantour, lequel a toujours ignoré, et continue à ignorer, les élus de la vallée de l'Ubaye. Nous sommes obligés de subir le parc et nous ne pouvons rien dire. On ne répond pas à nos courriers.

Depuis l'arrivée du loup, le parc du Mercantour semble avoir mis une chape plomb sur tout ce qui concerne le loup. On montre du doigt ceux qui veulent parler du loup. J'ai l'impression que le parc veut minimiser tout ce qui touche le loup, et notamment les dégâts qu'il provoque sur l'agriculture de montagne, et laisser dans l'ignorance la plus totale les élus du peuple que nous sommes. Il a fallu que je sois devenu député pour parvenir à avoir enfin un contact avec un responsable du parc.

La commission a constaté, au cours des auditions des responsables des autres parcs, que certains parcs, notamment celui du Queyras, avaient mené un vrai travail de concertation avec les élus, les associations, les éleveurs et les chasseurs. Cela se passe beaucoup mieux dans ces parcs.

Depuis le début des travaux, j'entends dire que le parc du Mercantour ne fait rien pour lutter contre le loup et qu'au contraire il fait tout son possible pour favoriser l'installation du loup, et même l'arrivée d'autres animaux en provenance d'Italie. Le parc favorise-t-il vraiment la présence du loup aux dépens de l'homme ou est-ce simplement une impression ?

M. Louis OLIVIER : Je ne parlerai pas de la période antérieure à ma nomination à la tête du parc. Je vous présente mes excuses, mais je peux vous apporter des preuves que le parc est en contact avec les élus de l'Ubaye. Ainsi, j'ai rencontré très récemment M. le conseiller général, maire de Barcelonnette et M. le maire d'Uvernet-Fours pour discuter de l'avenir du refuge de Baillasses. Cet été, j'ai rencontré M. le maire de Jausiers et nous avons passé une journée entière à travailler.

M. le Rapporteur : Je m'efforce depuis des années, avec le président Estrosi, d'obtenir des crédits pour la route des Restefond, qui vous intéresse. Je suis en outre président de l'association des maires de mon département, puisque je suis né à Barcelonnette, que j'y ai vécu 40 ans de ma vie et je continue d'ailleurs à y vivre une partie de l'année.

J'ai bien compris que, dans la mesure où je me suis opposé à des décisions du parc, notamment en ce qui concerne le loup, j'étais l'élu qu'il fallait tenir à l'écart.

M. Louis OLIVIER : Je fais amende honorable, à titre personnel.

Depuis que je suis en poste, j'ai essayé de mener une politique de transparence, notamment grâce aux documents que je distribue au conseil d'administration et aux très nombreuses conventions, approuvées par le conseil d'administration et cosignées par le président du conseil d'administration.

Une des difficultés que je rencontre est la distance avec les Alpes-de-Haute-Provence qui pose des problèmes de déplacement. Je reconnais que j'ai des efforts à faire.

Je vous donnerai un autre exemple de notre politique de coopération. Nous avons passé une convention avec un bail emphytéotique avec le M. le maire d'Allos. Nous avons maintenant un siège commun et un office du tourisme au siège du parc qui a été ouvert l'an dernier.

Je tiens une carte à votre disposition retraçant le travail que nous avons entrepris en matière de description de l'espace.

Il n'y a aucune volonté de ma part de mettre une chape de plomb sur l'information. Bien au contraire, j'ai essayé, à travers de nombreux partenariats, initiés par le conseil d'administration, de développer des relations de transparence. Nous avons ainsi passé une convention avec le comité régional du tourisme de la Riviera Côte d'Azur sur la fréquentation en zone centrale du parc. Nos publications sont faites en partenariat. Nous travaillons en partenariat avec les chasseurs. M. Baudin, président de la fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes, est membre du conseil d'administration de la commission permanente et membre de la commission d'appels d'offre de l'établissement.

M. André CHASSAIGNE : Que penseriez-vous d'un zonage, recouvrant l'ensemble du parc ou seulement certaines parties, permettant de contractualiser la cohabitation entre le loup et les bergers ? Dans ce protocole d'élevage, la présence du loup serait considérée comme un état de fait, justifiant des aides spécifiques.

M. Louis OLIVIER : Tout n'est pas possible partout. Certains territoires sont très exposés, notamment les alpages se trouvant sur des zones de dérochement potentiel. Pour ces territoires, il faudrait étudier la question en détail. J'ai pensé à plusieurs hypothèses mais je n'ai pas encore trouvé de solution satisfaisante.

En revanche, il faut aller plus loin dans la voie de la contractualisation avec les bergers. Une des idées dont j'ai retrouvé la trace dans les archives du parc, mais qui n'avait pas été exploitée, était d'encourager les bergers à participer à l'effarouchement et au repoussement du loup.

Je suis personnellement convaincu que le pastoralisme doit être maintenu, sous toutes ses formes, y compris bovine et caprine. Par ailleurs, certains territoires, notamment ceux se trouvant dans l'étage subalpin et une partie des étages montagnards, risquent de connaître un phénomène de fermeture du milieu s'il n'y a pas de maintien d'activités. Si l'on veut l'éviter, la contractualisation doit être forte.

L'expérience du Queyras peut nous apporter des enseignements. L'équipe d'assistance permanente et mobile pouvant intervenir rapidement qui y a été mise en place est une voie à explorer.

M. André CHASSAIGNE : Quel est le rôle de cette équipe ?

M. Louis OLIVIER : Cette équipe a une mission d'assistance, elle peut aussi faire des constats. L'expérience montre qu'après deux ou trois attaques sur le même lieu, les loups changent de lieu. Une équipe mobile et rapide permettrait d'améliorer l'assistance aux bergers, car aujourd'hui les interventions sont très lentes.

M. le Président : Je vous remercie.

Table ronde informelle organisée à Nice

(18 février 2003)

(Cette table ronde informelle n'a pas fait l'objet d'un compte rendu)

Représentants des élus locaux

- M. José BALARELLO, sénateur des Alpes-Maritimes, conseiller général, président de la commission permanente du parc national du Mercantour

- M. Gaston FRANCO, conseiller général, maire de Saint-Martin-Vésubie, vice-président du parc national du Mercantour

- M. Charles-Ange GINESY, conseiller régional, maire de Péone-Valberg

- M. Jean-Mario LORENZI, conseiller général, maire de Sospel

- M. Gilbert MARY, conseiller général, président de l'ANEM

- M. Jean-Pierre MASCARELLI, conseiller général, maire de Bouillon

- M. René REGHEZZA, conseiller général du canton de Roquebillière

- M. Robert VELAY, conseiller général, maire de Puget-Théniers

- M. Jean-Paul BLANC, maire de Roure

- M. Marius BRES, maire de Pierlas

- M. Pierre BRUN, maire de Saint-Etienne-de-Tinée

- M. Jean-Paul DAVID, maire de Guillaumes

- M. Pierre DENIS, adjoint au maire de Tende

- M. Jean-Pierre ISSAUTIER, maire de Saint-Dalmas-le-Selvage

- Mme Denise LEIBOFF, maire de Lieuche

- M. Alain MARGARITORA, maire de la Bollène-Vésubie

- M. Jean-Yves RAMI, maire d'Isola

- M. Walter ROSSO, adjoint au maire, représentant de M. Fernand BLANCHI, maire de Valdeblore

- M. Jean-Pierre VASSALO, maire de Tende

Représentants de l'administration

- M. Abdel AISSOU, sous-préfet, chargé de la montagne

- Mme Sophie BERANGER, directrice départementale de l'agriculture

- M. Louis OLIVIER, directeur du parc national du Mercantour

- M. Claude GONELLA, directeur départemental adjoint de l'agriculture

Représentants des organismes socio-professionnels

- M. Raoul MATHIEU, président de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes

- Mme Mauricette MILLO, chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes

- M. Bernard BRUNO, président du Syndicat des ovins

- M. Bernard BAUDIN, président de la Fédération départementale de chasse des Alpes-Maritimes

- M. Bernard MASSON, éleveur

- M. Jean-Pierre CAVALLO, président de l'APPAM

Autres

- M. et Mme Catherine et Michel INGIGLIARDI

Audition de M. Michel INGIGLIARDI

(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 février 2003, tenue à Nice)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Michel Ingigliardi est introduit.

M. le Président lui rappelle les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête et lui indique que les auditions se déroulent sous le régime du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Michel Ingigliardi prête serment.

M. le Président : Vous avez la parole.

M. Michel INGIGLIARDI : Je m'occupe du loup depuis 1990 en le suivant et je passe en moyenne quatre nuits par semaine sur le terrain. En 1997, j'ai assisté à une attaque de loups sur un cheval. J'ai commis l'erreur de prévenir la télévision régionale, qui a diffusé immédiatement l'information dans son journal du soir. Dès le lendemain, la gendarmerie est venue. J'étais sur le terrain, j'y ai passé deux jours. Je suis finalement rentré chez moi. L'officier de police judiciaire avec qui j'ai parlé ne me croyait pas. Il m'a donc demandé de voir la cassette sur laquelle j'avais enregistré l'attaque que j'avais vue. Après avoir consulté sa hiérarchie, il a vu la cassette sur laquelle on peut voir une meute de six loups repartant de l'endroit où ils avaient dévoré un cheval. L'officier m'a ensuite dit que je devais dorénavant éviter de parler du loup à la presse et que je devais communiquer mes informations en premier lieu à la brigade de gendarmerie.

M. le Rapporteur : Le film est-il toujours en votre possession ?

M. Michel INGIGLIARDI : Oui.

M. le Président : A quel endroit avez-vous vu cette attaque ?

M. Michel INGIGLIARDI : C'était à Saint-Martin-Vésubie.

M. le Rapporteur : Avez-vous encore vu des loups cet hiver ?

M. Michel INGIGLIARDI : J'en ai vu notamment près de Lothion. J'y ai pris une photo d'une femelle pleine.

M. André CHASSAIGNE : Quelle est votre profession ?

M. Michel INGIGLIARDI : Je suis artisan plombier.

Je voudrais aussi signaler à la commission que, récemment, deux personnes ont été suivies par des loups dans la forêt. J'en ai parlé à la préfecture et l'on m'a, là aussi, demandé de ne pas ébruiter ce genre d'informations.

M. André CHASSAIGNE : Dans le secteur où vous intervenez, combien de loups sont annoncés officiellement et combien en recensez-vous ?

M. Michel INGIGLIARDI : On annonce 13 ou 14 loups, j'en compte, quant à moi, 30.

J'ai observé aussi que le loup, qui auparavant restait en altitude, vers 1500-2000 mètres, se met à descendre dans les vallées et qu'il s'y installe, comme à Vence, où j'en ai recensé quatre.

M. le Président : Michel Ingigliardi avait annoncé la présence du loup à Vence avant qu'il n'y fasse une attaque.

Je vous remercie pour votre témoignage.

Audition conjointe de
M. Joël MANDARON, directeur à la direction départementale
de l'agriculture et de la forêt (DDAF), et
de M. Bertrand PEDROLETTI, ingénieur divisionnaire des travaux des eaux et forêts

(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 février 2003, tenue à Grenoble)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

MM. Joël Mandaron et Bertrand Pedroletti sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Joël Mandaron, puis M. Bertrand Pedroletti  prêtent serment à tour de rôle.

M. François BROTTES : Monsieur le directeur, vous pourriez commencer par exposer un état des lieux dans le département de l'Isère pour que nous ayons une idée du volume d'activité concerné.

M. Joël MANDARON : Je suis directeur départemental de l'agriculture et de la forêt de l'Isère depuis avril 1998. Je gère, pour le préfet, le dossier loup dans le département. Je suis accompagné de M. Bertrand Pedroletti, ingénieur divisionnaire des travaux des eaux et forêts, qui a la charge depuis 1997 du dossier loup dans le département.

Le département de l'Isère est divisé en 533 communes, s'étend sur 800 000 hectares et compte 1 100 000 habitants. C'est donc un grand département. Son altitude varie de 132 mètres à 4 486 mètres au pic Lory dans la barre des Ecrins. Notre département est extrêmement varié. Malgré l'importance de sa population, les paysages et les milieux naturels du département sont relativement protégés. On y compte un parc national et deux parcs régionaux qui couvrent plus de 160 000 hectares. Nous avons 26 arrêtés de biotope, 11 réserves naturelles, 380 zones d'intérêt écologique floristique et faunistique (ZNIEFF), 20 sites Natura 2000 et un réseau hydrographique particulièrement dense puisqu'il y a 4 600 kilomètres de cours d'eau dans le département.

L'Isère est aussi un département où la gestion cynégétique favorise une richesse importante des espèces sauvages. 24 000 chasseurs sont répartis dans 529 associations communales de chasse agréée (ACCA) et 28 000 pêcheurs sont regroupés dans 82 associations.

L'agriculture reste importante. On compte 8 800 exploitations et 6 000 dossiers « surface PAC ». L'agriculture iséroise est une agriculture de petites exploitations, extrêmement diversifiées. Que ce soit en plaine ou en montagne, il y a peu d'exploitations spécialisées. Les productions végétales représentent 56 % du chiffre d'affaires, les productions animales 39 % et les services 5 %. La vente directe est importante. Elle intéresse 2 350 exploitations. Les circuits courts sont extrêmement valorisés, compte tenu de la population. Nous recensons 150 exploitations pratiquant l'agriculture biologique et 1 700 qui ont des productions sous sceau de qualité. La valeur ajoutée agricole s'établit à environ 200 millions d'euros. L'ensemble des subventions aux agriculteurs représente environ 64 millions d'euros.

Les industries agroalimentaires sont importantes.

La forêt couvre 275 000 hectares. Elle a tendance à s'étendre, surtout sur les surfaces mi-pentes. 30 % des forêts sont soumises au régime forestier, dont les forêts RTM (restauration des terrains en montagne) de protection. Les risques naturels sont particulièrement importants en Isère : il n'y a pas une commune qui ne soit pas soumise à un risque naturel avéré.

Le département compte 300 unités pastorales, réparties sur 68 000 hectares d'alpages, accueillant 93 000 ovins et 11 000 ovins appartenant à 880 éleveurs, dont 260 ne sont pas originaires du département. La plupart des transhumants ovins viennent de la Drôme, du Vaucluse, du Gard, des Bouches-du-Rhône et des Alpes-de-Haute-Provence.

L'élevage isérois moyen compte 39 brebis. Seuls une quinzaine de troupeaux ont plus de 400 brebis. Le loup concerne essentiellement des éleveurs qui ne sont pas du département, ce qui ne facilite pas la gestion du dossier.

Le nombre d'exploitations ovines diminue. On compte 49 000 droits à primes, gérés par les quotas et 43 000 brebis. Les ovins sont essentiellement présents dans le sud du département, dans un petit bassin compris entre le Valbonnais et le Vercors.

Une unité pastorale s'étend sur une surface comprise entre 500 et 3 000 hectares. Les ovins utilisent les alpages les moins productifs, les alpages les plus productifs accueillant les bovins. Ce sont, en général, des unités difficiles d'accès, il faut souvent s'y rendre à pied, après parfois près d'une heure de marche sur une pente forte. Les conditions de vie des bergers sont extrêmement difficiles. J'ai été moi-même surpris lorsque j'ai visité un alpage pour la première fois, mais les choses s'améliorent. Des associations ont fait des travaux depuis plusieurs années.

Les contrats territoriaux d'exploitation - CTE - ont été bien accueillis et ont permis de donner un sérieux coup de pouce aux éleveurs. 54 contrats territoriaux individuels spécialisés ovins ont été signés, représentant une somme de 270 000 euros par an versés à ces éleveurs. 28 CTE collectifs ont été signés, sur 16 800 hectares. Ils représentent une somme moyenne de 890 000 euros par an versée aux éleveurs travaillant en alpages collectifs. Soit un total de1 160 000 euros versés aux éleveurs travaillant dans le département, qu'ils soient originaires de l'Isère ou d'autres départements.

M. Bertrand PEDROLETTI : Le loup est arrivé en Isère au cours de l'été 1998 sur le massif de Belledonne, à l'est du département, et sur celui du Vercors, à l'ouest sans que l'on puisse penser que les loups de Belledonne soient allés dans le Vercors et vice-versa.

J'ai parlé de l'arrivée du loup, mais il serait plus correct de parler des premiers dégâts qui ont été constatés. Ils ont été subis par un éleveur du massif de Belledonne, au mois de juin 1998. Il a d'abord pensé qu'il s'agissait d'une attaque de chiens. Nous avons donc d'abord envisagé cette hypothèse, d'autant plus que le département connaît des problèmes récurrents avec les chiens, mais, au cours de l'été, les attaques -  une dizaine - se poursuivent. Nous continuons donc nos investigations avec l'aide des agents de l'Office national de la forêt et de la faune sauvage - l'ONCFS. Ce sont des moments difficiles pour nous, car l'éleveur est très impressionné par les dégâts sur son troupeau et se montre virulent. Nous n'avions aucune réponse à lui apporter, car nous ne trouvons aucun indice.

Nous abandonnons la piste des chiens, pour envisager l'hypothèse du lynx. Pour la confirmer, nous procédons, vers la fin du mois de juillet, à des analyses de prélèvements de peau du cou des brebis attaquées : la peau est étalée pour noter, à l'aide d'un transparent, les impacts de la prédation et relever la distance entre les crocs et leur taille. Cette analyse nous fait abandonner l'hypothèse du lynx.

Nous demandons donc aux agents de l'ONCFS d'intensifier leurs recherches pour trouver des indices. Ils découvrent finalement un excrément. J'apprends qu'un laboratoire de Grenoble s'est spécialisé dans la recherche d'ADN sur les animaux sauvages. Malheureusement, nous sommes au mois d'août et le laboratoire est fermé. Nous attendons donc la mi-septembre pour découvrir qu'il s'agit de fèces de loup de souche italienne.

Les constats et les expertises que nous avions établis parallèlement à nos recherches nous permettent d'indemniser l'éleveur. A l'époque, l'indemnisation s'est faite sur le barème lynx, puisque le barème loup n'existait pas encore dans le département de l'Isère.

Les attaques sur Belledonne étaient très ciblées, puisqu'elles ne concernaient qu'un seul éleveur. Ce secteur est très montagneux. Bien que la chaîne montagneuse ne dépasse pas 3 000 mètres d'altitude, on peut la comparer à l'Himalaya, car elle est très sauvage et pentue. Les troupeaux qui y paissent sont très difficiles à surveiller.

Des attaques ont eu lieu simultanément sur le massif du Vercors, dans la réserve naturelle créée en 1985, qui est la plus grande de France avec 17 000 hectares. Les conditions y sont moins dures qu'en Belledonne, puisqu'il y a des gardes, 5 aujourd'hui.

La réserve naturelle a installé des pièges photographiques et une des photos montrait un huski pris en pleine nuit. On pense donc d'abord à des chiens, d'autant plus que le Vercors a une tradition de chiens de traîneaux et qu'il y a des élevages périphériques. De plus, les dégâts touchent des dizaines de brebis, tout comme dans le massif de Belledonne d'ailleurs. Or, on sait que le loup tue avant tout pour se nourrir alors que le chien se comporte un peu comme un renard dans un poulailler et tue tout ce qui bouge.

A la fin du mois de septembre, nous faisons analyser des poils prélevés sur une brebis. On apprend qu'il s'agit là aussi d'un loup de souche italienne.

A la mi-1997, on savait que le loup s'approchait du département de l'Isère, des observations ayant eu lieu au cours de l'été 97 dans le département voisin de la Savoie. Nous avons donc anticipé la venue du loup. D'abord, par la formation de personnes à la biologie du loup en nous appuyant sur le réseau lynx. Ensuite, nous savions, grâce au parc du Mercantour, que les chiens étaient un moyen de protection efficace. Le parc naturel régional met donc en place un dispositif expérimental avec un éleveur volontaire qui accepte de prendre des patous.

Quand ont lieu les attaques de l'été 1998, nous n'imaginons pas que le loup puisse avoir franchi la distance considérable qui sépare la Maurienne de l'Isère. D'ailleurs, en 1997, quand nous mettons en place le comité départemental de suivi, avec des personnes d'autres départements prêtes à partager leur expérience, nous estimons qu'il faudra compter trois ans, si sa marge de progression est celle qu'on nous indique, avant l'arrivée du loup. Il faut attendre la fin de l'estive de 1998 pour constater la présence du loup dans le massif de Belledonne, apparemment en provenance du Mont-Cenis, et dans le massif du Vercors.

On constate aussi des dégâts sur les Grandes Rousses atteignant une vingtaine de brebis de troupeaux transhumants. Grâce à des indices, nous découvrons que ces dégâts ont été provoqués par des loups, probablement venant de Savoie.

L'apparition du loup dans l'Isère a été une période de crise. Nous l'avons affrontée grâce à la collaboration de tous. Le loup a perturbé les habitudes des éleveurs transhumants venant de Provence, qui laissaient leurs troupeaux pour retourner dans leurs exploitations. Le loup les oblige à être présents en permanence dans les alpages et c'est d'autant plus difficile pour eux que le loup est un animal très discret et opportuniste, qui profite de la moindre faille dans le dispositif de surveillance pour faire de la prédation.

M. le Rapporteur : Combien y a-t-il de loups actuellement dans l'Isère ?

M. Joël MANDARON : Il est très difficile d'évaluer avec précision la population de loups.

On a identifié avec certitude deux groupes de loups sur Belledonne et un groupe sur le Vercors isérois. Il y en a certainement un autre sur le Vercors drômois. Sur Taillefer, on a vu le loup cette année, des indices ayant été relevés. La présence du loup est avérée sur les Grandes Rousses. Sur le plateau d'Emparis, on se demande toutefois s'il ne s'agit pas plutôt d'un lieu de passage. En revanche, le loup est certainement présent en permanence sur l'Alpes-d'Huez. Sur la Matheysine et le Valbonnais, le loup est apparu cette année. Sur la Chartreuse, on n'a relevé aucun indice de présence, même pas de traces dans la neige, mais il y a des attaques. Des efforts particuliers sont demandés aux membres de notre réseau pour les endroits où la présence du loup est supposée.

Les loups sont présents sur tous les massifs de l'Isère, sauf la Chartreuse mais il est très difficile d'évaluer leur nombre.

M. le Rapporteur : Avez-vous des films ou des photos montrant le loup ?

M. Bertrand PEDROLETTI : Non, mais le loup a été vu à plusieurs reprises, notamment sur Belledonne.

Au cours d'un comptage de chamois dans Belledonne en juin 1998, un chasseur nous a dit avoir vu une sorte de chien-loup, mais il ne nous a communiqué cette information que lorsque la présence du loup était déjà authentifiée.

M. le Rapporteur : Le loup est présent à quelle altitude ?

M. Joël MANDARON : Les habitants des villages de Belledonne, situés à 1 000 mètres d'altitude, ont déjà vu des loups. A Noël, des attaques ont eu lieu dans le Trièves, au pied du Vercors, et le loup a été vu par des automobilistes, à une altitude de 500 mètres, à quelques mètres des villages.

M. le Rapporteur : Combien d'ovins ont-ils été tués en 2002 ?

M. Joël MANDARON : 587 ovins ont été indemnisés en 2002. L'impact de la prédation du loup est estimé à 0,5 % de pertes supplémentaires.

La direction départementale de l'agriculture (DDA) est sur la brèche surtout pendant les mois d'alpages. Le dossier est suivi pendant l'été par un technicien, une secrétaire, un ingénieur et le directeur et il occupe une bonne partie de leurs journées. Le dossier doit être suivi pendant l'été, notamment parce qu'à Grenoble sont présents les grands médias nationaux et au mois d'août, ils ont moins de choses à se mettre sous la dent.

M. le Rapporteur : Comment s'organisent et se coordonnent les différentes structures de l'Etat intervenant dans ce dossier ?

M. Joël MANDARON : Tous les partenaires essayent de faire le maximum sur ce dossier qui éprouve beaucoup les éleveurs.

Au début, nous avons quelques difficultés pour mobiliser les financements. Le programme LIFE a ensuite joué un rôle important dans le financement des indemnisations et des moyens de protection, qui se sont mis en place dans le département, mais lentement. Les éleveurs ont en effet hésité à les adopter, car cela revenait, selon eux, à accepter la présence du loup. Aujourd'hui, sont utilisés les chiens patous, les parcs et les aides-bergers. Les éleveurs sont un peu réticents vis-à-vis des chiens, car il faut les entretenir et ils craignent le risque d'attaques de randonneurs.

Les délais d'indemnisation posent problème, de même que les délais d'obtention des résultats des analyses ADN faites par le laboratoire de Pierre Taberlet, car le laboratoire ne travaille sur le loup que trois ou quatre fois par an. Nous sommes donc obligés de stocker les indices dans le congélateur et c'était le technicien vétérinaire LIFE qui choisissait les indices soumis à analyse.

L'éleveur, surtout dans une zone de protection, veut savoir s'il a été attaqué par un loup le plus rapidement possible, même si l'indemnisation est versée en cas de doute, car le loup a un aspect psychologique important. Or, il faut attendre les résultats des analyses des indices, car les chiens et les loups font pratiquement le même type de dégâts sur les troupeaux.

M. le Rapporteur : L'analyse génétique est-elle obligatoire ?

M. Joël MANDARON : Non. Une fois que le loup est installé dans une zone, tous les dégâts sont indemnisés, sauf s'il ne s'agit manifestement pas d'une attaque de loup.

M. le Rapporteur : Quelles mesures préconiseriez-vous pour améliorer le système d'indemnisation et pour adapter la pratique du pastoralisme à la présence du loup ?

M. Joël MANDARON : Une expertise est un processus lourd et coûteux. Elle représente deux journées de travail. Je suis partisan de la mise en place d'une indemnité compensatrice de handicap supplémentaire, accompagnée d'une part de recherches et d'appui techniques au pastoralisme et d'autre part des aides du ministère de l'agriculture pour le financement des investissements nécessaires à l'amélioration de la pratique du pastoralisme. Il faut toutefois veiller, étant donné que les surfaces sont très peu productives, à ce qu'il y ait un rapport entre les investissements utiles et la productivité. Sur un alpage, il y a entre 0,2 et 0,5 brebis par hectare.

M. Jean LASSALLE : L'indemnité compensatrice que vous suggérez est sans doute une bonne idée mais cela peut donner l'impression que l'Etat donne cette indemnité aux éleveurs et que c'est à eux de se débrouiller après. Ne faudrait-il pas un engagement plus fort des pouvoirs publics pour montrer que la société n'a pas choisi le loup par rapport à l'homme ?

M. Joël MANDARON : Les coûts de mise en œuvre des indemnisations sont très importants par rapport à ce que touchent réellement les agriculteurs. Si l'on veut limiter ces coûts, il faut bien trouver des solutions.

M. François BROTTES : La commission s'intéresse à la traçabalité des indices analysés. Selon vous, est-il possible de les manipuler ? Quelle est la fiabilité de ces analyses ?

M. Bertrand PEDROLETTI : Les échantillons nous sont apportés par des agents assermentés de l'ONCFS ou par des agents du parc national des Ecrins, également assermentés. Les échantillons sont mis à la DDA dans un sac plastique sur lequel est agrafé une fiche comportant le nom de l'apporteur, son organisme de rattachement, le lieu et la date de prélèvement. Les échantillons sont gardés dans un congélateur fermé à clé. Je ne vois donc pas comment il pourrait y avoir manipulation. D'ailleurs, quel en serait l'intérêt ? L'expansion du loup dans le département étant beaucoup plus rapide que celle que nous avions imaginée, elle pose un véritable problème aux éleveurs. Nous consacrons donc toute notre énergie à donner des éléments fiables aux éleveurs. Nous pouvons, d'ailleurs, vous montrer dans quelles conditions se fait le stockage des échantillons.

M. François BROTTES : La question de l'application du protocole de régulation s'est posée dans le département. Que pensez-vous de ce protocole ?

M. Joël MANDARON : En terme de dégâts, les conditions d'application du protocole ont été remplies à plusieurs reprises sur Belledonne, dans le Vercors et sur Taillefer. En vertu du protocole, des expertises ont été menées dans les unités pastorales concernées. Elles ont montré que les éleveurs n'avaient pas mis en place tous les moyens nécessaires à leur protection. La procédure de destruction du loup n'a donc pas été enclenchée.

Les associations de défense de la nature et les éleveurs ont maintenu le dialogue. Si la destruction du loup avait été décidée dans le cadre du protocole, cette bonne entente aurait pu être rompue.

Je pense que le protocole, tel qu'il existe aujourd'hui, ne sera jamais appliqué.

M. François BROTTES : Un loup a été pendu sur la place d'un village dans le département. Quels commentaires vous inspirent ces faits ?

M. Bertrand PEDROLETTI : Ce fait a eu lieu à la fin de l'automne. On suppose qu'un chasseur pistant un chamois dans la neige, a vu un loup dans sa lunette et a tiré. Le loup a été pendu au local d'une ACCA, celle d'Allevard On peut imaginer, il faut être très prudent, qu'il s'agissait d'un règlement de compte entre chasseurs.

M. François BROTTES : Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Alain RONDEPIERRE, Préfet de l'Isère,

(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 février 2003, tenue à Grenoble)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

M. Alain Rondepierre est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Alain Rondepierre prête serment.

M. François BROTTES : M. le Préfet, vous avez la parole.

M. Alain RONDEPIERRE : Depuis l'arrivée du loup en 1998, deux comités loup se réunissent par an. Ce sont des lieux de concertation réelle. Un comité ad hoc a travaillé sur Belledonne et un autre sur le Vercors, avec le parc naturel régional, qui s'est beaucoup investi. C'est la DDA, la direction départementale de l'agriculture, en collaboration avec d'autres organismes comme l'ONC, l'Office national de la chasse et le technicien LIFE, qui pilote le dossier au niveau local.

La concertation entre toutes les parties, agriculteurs et écologistes, est permanente. Cette concertation n'empêche pas les uns et les autres d'être fermes dans leurs convictions, mais tous ont une approche pragmatique du sujet.

La gestion des problèmes liés au loup s'est donc faite, dans l'ensemble, dans un climat apaisé. Il y a eu, bien sûr, quelques épisodes, comme celui du loup de Chichilianne, et de M. Jouffrey, qui utilise des alpages sur Belledonne, qui a fait beaucoup de bruit au début.

Pour résumer, le problème du loup n'est pas un problème fondamental dans l'Isère, par rapport à l'ensemble des autres problèmes rencontrés.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que les mesures de prévention pourraient être renforcées ou complétées ? Quelle appréciation portez-vous sur le protocole de régulation du loup ? Quel est le coût annuel des mesures de prévention et des indemnisations des dégâts dus au loup en Isère ? Enfin, comment évaluez-vous le résultat du programme LIFE loup ?

M. Alain RONDEPIERRE : Je n'ai jamais eu de contact direct avec le travail fait sur le terrain dans le Vercors et sur le massif de Belledonne. Mon appréciation sera donc plus distanciée que celle de la DDA, par exemple.

Il y a un travail pédagogique important à mener sur les mesures de prévention. J'ai le sentiment, à travers les chiffres de la DDA, que le nombre de prédations n'a pas fondamentalement changé depuis que les mesures de prévention ont été mises en application, mais qu'un certain nombre d'éleveurs ont relativement accepté les dispositifs de prévention. Certains des éleveurs sont toutefois très virulents et ne sont pas forcément représentatifs.

M. le Rapporteur : Depuis quand êtes-vous en poste en Isère ?

M. Alain RONDEPIERRE : Depuis quatre ans.

Vous m'avez interrogé sur le coût de la prévention et de l'indemnisation. Je reprends les chiffres que M. Mandaron m'a donnés : 396 euros en 1998, 1 500 euros en 1999, 14 321 euros en 2000, 80 579 euros en 2001 et 95 558 euros en 2002.

M. François BROTTES : Avez-vous été saisi d'une demande d'application du protocole de régulation du loup par un de vos sous-préfets ? Avez-vous reçu des instructions d'un ministère sur une application étroite de la circulaire ?

M. Alain RONDEPIERRE : Des demandes d'application du protocole ont été faites plusieurs fois, de manière orale, mais j'ai toujours considéré que les conditions d'application n'étaient pas remplies, même si nous étions proches de la limite.

M. François BROTTES : Votre appréciation était-elle technique ou politique ? Le directeur départemental de l'agriculture nous a dit que l'application du protocole dans le département n'aurait fait que monter un camp contre l'autre.

M. Alain RONDEPIERRE : J'étais heureux de ne pas franchir la limite. L'organisation d'une battue, tant dans le contexte départemental que national, aurait en effet eu des effets plus désastreux que positifs. Par ailleurs, le tir d'un loup n'aurait réglé qu'une toute petite partie du problème, puisqu'il y a plusieurs loups dans les massifs.

M. François BROTTES : Ce protocole ne sert donc pas à grand chose.

M. Alain RONDEPIERRE : C'est votre appréciation. Je l'ai appliqué dans les conditions que je vous ai décrites.

M. le Rapporteur : Quelle est votre appréciation sur l'application du programme LIFE, et notamment les mesures de prévention qu'il préconise ?

M. Alain RONDEPIERRE : Il a été largement utilisé, mais il semble, vu que le taux de prédation reste constant aux alentours de 0,6 %, que le programme LIFE n'a pas eu d'impact concret. En revanche, je pense qu'il a permis une sécurisation psychologique des bergers, même si je ne les ai pas rencontrés personnellement. Le programme a aussi permis d'améliorer les conditions de vie des bergers, notamment par le recours aux aides-bergers.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous des chiens patous ?

M. Alain RONDEPIERRE : Le débat sur ce sujet n'est pas encore, pour moi, tranché. J'ai entendu des points de vue divergents sur ce chien. Je n'ai donc pas encore fait ma religion.

M. Jean LASSALLE : Ne pensez-vous pas que la non-application du protocole puisse porter atteinte à la crédibilité du système ? Que se passera-t-il lorsque l'appareil juridico-médiatique fera qu'un homme sera arrêté pour avoir tué un loup ?

M. Alain RONDEPIERRE : Tout d'abord, je constate que l'administration, dans l'Isère, a déployé une énergie considérable sur ce dossier. Par ailleurs, l'Isère est un département moderne, tourné vers l'avenir, et les agriculteurs y participent. Ils sont bien conscients de l'importance des enjeux environnementaux dans le développement économique. Ils ont donc le souci de travailler de concert avec les associations de défense de l'environnement, lesquelles sont très pragmatiques, et ne s'opposent pas de façon systématique aux contraintes du développement économique. On l'a constaté sur certains dossiers à caractère industriel.

Un loup a été tué à Allevard il y a deux ou trois ans. A ma connaissance, l'autorité judiciaire n'a pas trouvé trace de l'auteur des faits et l'événement s'est vite résorbé. Si, un jour, quelqu'un devait être arrêté pour avoir tué un loup, les difficultés seraient toutefois bien réelles.

M. le Rapporteur : Votre collègue des Alpes-de-Haute-Provence, mon département, nous a fait des propositions concrètes. Que préconiseriez-vous dans l'Isère ?

M. Alain RONDEPIERRE : Je recommande une majoration des primes ovines, pour prendre en compte le facteur loup. Cette mesure ne règlerait pas le problème psychologique, mais elle aurait le mérite de simplifier le dispositif et de faire des économies en personnels.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous de l'idée de donner aux bergers un droit d'autodéfense, encadré par un protocole ? C'est la proposition qui est faite par votre collègue des Alpes-de-Haute-Provence.

M. Alain RONDEPIERRE : J'ai compris que la population de loups en France était venue naturellement d'Italie et continue à s'étendre. Je ne pense donc pas que tuer des loups résoudra le problème de fond, car rien ne garantit que d'autres ne viendront pas s'installer au même endroit. Par ailleurs, notre société n'aime pas les armes. Serait-il donc souhaitable d'autoriser les bergers à s'armer ?

Si une régulation de la population de loups est décidée, elle doit l'être clairement et doit se faire à la source. Tout comme pour les cormorans, on ne régulera la population que lorsqu'on ira détruire les œufs. Il faut du courage

Il y a une contradiction entre deux volontés politiques. Ou bien on décide de préserver le loup, et dans ce cas, on accepte que la biodiversité soit modifiée, ou bien on promet le maintien de la biodiversité et alors on évite de créer de nouveaux déséquilibres de population.

M. le Rapporteur : L'Italie mène une politique différente de celle de la France. Quand nous cherchons à favoriser le pastoralisme, les Italiens font clairement fait le choix du loup pour des raisons touristiques. Les Italiens nous ont annoncé que les loups, qui prolifèrent chez eux, allaient arriver en nombre en France, sans parler des ours. Le problème du loup commence donc tout juste à se poser en France. Il va s'accentuer et il faudrait donc prendre des mesures rapidement.

M. Jean LASSALLE : M. Joël Mandaron nous a appris qu'il y avait beaucoup de transhumants, venant d'autres départements, en Isère. Le fait qu'il ne s'agisse pas d'éleveurs du cru, qui n'ont donc pas autant de liens sociaux et humains avec l'Isère, peut-il changer la donne ? Par ailleurs, on se donne beaucoup de mal pour gérer les ours et les loups. N'y voyez-vous pas un signe de moindre préoccupation pour les problèmes de nos campagnes et de nos montagnes ?

M. Alain RONDEPIERRE : Le fait que beaucoup des éleveurs utilisant des alpages en Isère viennent d'autres départements facilite effectivement la gestion du dossier par les organisations syndicales et par la chambre d'agriculture. Mais je veux souligner que nos éleveurs ont une attitude plus positive et plus responsable que dans d'autres endroits, la faible incidence sur la scène locale des incidents de Chichilianne et de Monestier-de-Clermont le prouve.

M. François BROTTES : On a assisté en Isère, mais aussi dans d'autres départements, à une prolifération de délibérations de conseils municipaux visant à l'organisation de battues. Quelles décisions avez-vous prises concernant ces délibérations ?

M. Alain RONDEPIERRE : J'ai fait ce que je devais faire. J'ai déféré les délibérations, une ou deux, enjoignant le maire à organiser des battues au tribunal administratif. Elles ont été logiquement annulées. En revanche, les délibérations manifestant un simple vœu n'étaient bien sûr pas attaquables.

M. François BROTTES : Certains conseils municipaux dans les Alpes-Maritimes ont pris des arrêtés interdisant les chiens patous sur le territoire de la commune.

M. le Rapporteur : Certains maires avaient en effet été mis en examen après des attaques sur des personnes par des patous, au motif que le maire est responsable de la sécurité dans sa commune. Les arrêtés d'interdiction des patous pris par les maires ont été effectivement déférés au tribunal administratif. Qu'en pensez-vous ?

M. Alain RONDEPIERRE : A condition que l'interdiction ne soit pas de portée générale, il me semble que ces arrêtés ne sont pas forcément illégaux.

M. François BROTTES : Je vous remercie, monsieur le préfet.

Audition de M. Jean-François NOBLET,
conseiller technique à l'environnement
au Conseil général de l'Isère

(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 février 2003, tenue à Grenoble)

Présidence de M. François Brottes, Vice-président

M. Jean-François Noblet est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Jean-François Noblet prête serment.

M. François BROTTES : M. Jean-François Noblet est conseiller technique à l'environnement au conseil général de l'Isère, mais il s'exprime ici à titre personnel.

M. Jean-François NOBLET : Je suis membre fondateur de la fédération Rhônes-Alpes de protection de la nature, la FRAPNA, fondée en 1972. Je suis également membre de la société d'étude et de protection des mammifères depuis sa création et de l'Union internationale de conservation de la nature. Je suis aussi zoologiste, spécialiste des mammifères et j'ai, à ce titre, 148 publications scientifiques et sept livres à mon actif. Enfin, depuis 1974, je suis organisateur de voyages de tourisme nature dans une quinzaine de pays, dont près de 30 voyages consacrés aux prédateurs et aux loups en Croatie, en Italie, cinq voyages, en Israël, en Espagne, six voyages, en Roumanie, en Bulgarie, en Alaska, trois voyages et au Québec, quatre voyages.

Je connais donc bien la valeur économique du loup et son impact sur l'activité humaine et la nature. Je connais bien la littérature scientifique sur le loup, les recherches actuelles sur cette espèce dans le monde et les spécialistes de la question.

J'ai vu sept fois des loups dans la nature, j'ai bivouaqué des dizaines de nuits dans des zones à ours et à loup. Je ne suis pas du tout en idolâtre du loup. Je trouve normal qu'on tire ou qu'on piège un loup, si cela est nécessaire. Mon frère étant éleveur en zone à loups, dans les Alpes-de-Haute-Provence, j'ai souvent aidé des bergers dans leur travail. J'ai la plus grande admiration pour leur travail.

Je me réjouis beaucoup de la création de la commission parlementaire, car enfin on va faire taire la rumeur des réintroductions de loups en France et on va aider le pastoralisme qui décline depuis 30 ans.

Je voudrais évoquer maintenant deux questions : la rumeur des réintroductions de loups en France et l'intérêt économique et écologique du loup.

La rumeur s'explique par plusieurs facteurs :

- par la nouveauté du phénomène pour les non-naturalistes. Il est commun de parler de réintroduction, dès qu'on observe un animal nouveau ou une densité anormale d'un animal ;

- par la prudence des autorités du ministère de l'environnement et du parc du Mercantour à révéler les premières observations du Mercantour, qui s'explique sans doute par la volonté de confirmer ces observations et par la volonté de ne pas diffuser dans l'opinion des informations qui pourraient concourir au dérangement de l'espèce ;

- par la volonté d'utiliser l'argument d'un lâcher artificiel pour s'exonérer de la convention de Berne ;

- par les observations de loups échappés d'élevage, à Fontan en 1987 et à Béziers en 1999 ;

- par les photos truquées de Zuber et Merlet dans les Landes et dans le Berry publiées il y a déjà longtemps dans la grande presse ;

- par le lâcher de loups et d'hybrides en 1968 dans les Landes et dans le Vercors par un imbécile, M. Delpierré de Bayac, et qui ont heureusement été tous tués rapidement ;

- par les déclarations d'un unique naturaliste italien M. Franco Zunino. J'ai rencontré Franco Zunino en 1979 dans les Abruzzes et depuis le 5 décembre 2001 j'ai entrepris une correspondance régulière et détaillée pour tenter de le convaincre de son erreur de jugement. Quels sont ses arguments ?

Le loup n'aurait pas été signalé dans la région de Savone entre le noyau des Apennins et le Mercantour. Comme je vous l'ai déjà dit, je suis allé dans les Abruzzes pour des voyages d'étude, cinq fois depuis 1979. En 1990, 1991 et 1992, les scientifiques du parc, MM. Locati, Tassi et Boscagli nous informaient déjà de la future présence du loup. La FRAPNA a d'ailleurs, par la suite, édité un autocollant « Bienvenue au loup ». Je vous ai amené un certain nombre de documents : un article de « Libération » qui prouve que des gardes du parc étaient déjà au courant de la présence du loup en 1992, depuis deux ans, dans le secteur italien, une photocopie de mon carnet de bord qui prouve qu'en 1992, on nous disait déjà que le loup était à une centaine de kilomètres de la frontière française, une carte du programme LIFE montrant que les loups sont présents dans la zone en question et une carte plus détaillée où ont été récapitulées toutes les observations de loups entre le secteur des Apennins et le secteur qui nous intéresse.

Aujourd'hui, les preuves de présence de loups dans cette zone sont largement documentées, par exemple par M. Randi.

M. Franco Zunino conteste les résultats d'ADN. Il est évident qu'il n'y connaît rien. Il a refusé mon invitation, dès le début de notre correspondance, à mes frais, à venir voir le laboratoire de Grenoble et à examiner tous les cadavres de loups qui sont au muséum de Grenoble. Ce n'est que le 4 avril 2002 qu'il me demande les résultats du laboratoire de Grenoble.

Il me parle alors de la supériorité des analyses faites aux Etats-Unis, faites en aveugle, c'est-à-dire sans provenance de localisation.

C'est une pratique courante en France, en Suisse et en Italie, même si elle n'est pas systématique. Les laboratoires sont en train d'uniformiser les procédures afin qu'il n'y ait plus d'équivoque sur la question.

Il faut souligner par ailleurs que Lisette Waits, la directrice du laboratoire américain qui fait les analyses ADN pour l'ensemble des Etats-Unis, a été formée par le laboratoire de Pierre Taberlet fin 1996, début 1997.

M. Franco Zunino parle de plusieurs morphotypes différents, il en recense cinq, vus dans les films et les photos de loups en France. Or, il n'y a pas beaucoup de films et de photos de loups en France. Il affirme qu'il y a eu plusieurs réintroductions et que l'on dispose de monceaux de documents, ce qui est faux. Je lui ai envoyé la photo d'un loup faite dans un jardin des Alpes-Maritimes. Aussitôt, il m'a répondu que ce n'était pas un loup italien, ce qui a été contredit par les analyses d'ADN.

Il parle d'explosion démographique anormale. Il compare une population stabilisée depuis longtemps dans un massif italien avec une population en voie de colonisation rapide sur des terrains favorables et sans aucune concurrence. Je trouve bizarre que des noyaux de colonisation sur Belledonne ou dans le Vercors ne progressent pas plus vite, mais cela s'explique sans doute par le braconnage et par les difficultés de déplacement.

Il accuse les parcs animaliers français de relâcher des loups. M. Gérard Ménatory a attaqué en justice M. Delpierré de Bayac, lors de l'opération de lâcher de loups et d'hybrides en 1968. Il n'y a aucun loup italien dans les parcs animaliers français. Le maire de Saint-Martin-Vésubie a d'ailleurs toutes les peines du monde à trouver des loups italiens pour son parc à loup.

M. Franco Zunino, d'ailleurs exclu du parc national des Abruzzes, prend systématiquement le contre-pied des positions italiennes jusqu'à se ridiculiser. Il confond le loup de Fontan et celui d'Aspres-les-Corps. Il confond le parc national des Cévennes et celui du Mercantour. On ne peut donc pas prendre au sérieux ses arguments.

Je connais bien l'ensemble des associations écologistes et je participe à pratiquement tous les colloques consacrés à la faune. Je n'ai jamais entendu parlé de réintroduction, à l'exception de l'idée « gag » de Martine Bigan, du ministère de l'environnement, au colloque de Saint-Jean-du-Gard, qui parlait de réintroduire les loups dans le parc de Chambord, mais c'était une simple idée, émise au cours d'une discussion, sans aucun fondement. Ménatory lui-même, ainsi que tous les écologistes compétents, y étaient formellement opposés. Autant nous avons agi pour le lynx dans les Alpes et l'ours dans les Pyrénées, autant nous savions les difficultés et les risques liés au loup. De plus, nous savions que son retour serait naturel. Il y a d'ailleurs eu, entre le XVIème et le XVIIIème siècles, plusieurs invasions de loups en France en provenance d'Italie et du Benelux. Ce n'est donc pas un phénomène nouveau. De plus, on assiste, actuellement, au même mouvement de colonisation par les loups en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Il serait curieux qu'il y ait simultanément, dans tous ces pays, des actes de réintroduction.

Les associations ont toujours milité contre les élevages clandestins et pour le marquage des loups. Je vous ai amené une coupure de presse prouvant que la FRAPNA a fait réquisitionner un loup dans un élevage de chiens de traîneaux dans le Vercors en 1992.

Je sais l'unanimité des associations hostiles à la réintroduction du loup en France.

Enfin, pour réussir une réintroduction du loup en France, il faudrait obtenir de tels moyens  - colliers émetteurs, animaux en nombre, suivi des animaux, lâchers multiples - que ce serait inconcevable financièrement et techniquement.

Par ces arguments, je veux vous persuader que le retour du loup est naturel et que la colonisation s'effectue normalement, avec de jeunes individus, généralement des mâles, qui sont sur le front de colonisation, mais loin du peuplement initial, avec des loups capables de parcourir 60 kilomètres par nuit. Aux Etats-Unis, un loup, suivi grâce à un collier émetteur, a fait 800 kilomètres en 15 jours. En Roumanie, une louve, suivie par radio émetteur et filmée par la BBC, traversait régulièrement la ville de Brasov, empruntant des tunnels de chemin de fer et venir se nourrir en pleine ville. En Espagne, une étude récente prouve que les loups traversent les autoroutes. J'ai également un document prouvant qu'en Scandinavie, des loups ont parcouru des centaines de kilomètres.

Je voudrais maintenant parler de l'impact positif du loup et de son intérêt économique.

Le loup est un prédateur efficace contre les dégâts des cervidés en forêt. On ne peut pas se plaindre qu'il n'y ait pas assez de chasseurs pour tuer les cervidés en forêt et en même temps refuser qu'un prédateur s'en occupe.

Le loup est un prédateur efficace contre les dégâts de sangliers sur les prairies et les alpages, sur les populations de tétras lyre, sur les cultures et mêmes sur les moutons.

Le loup est un prédateur efficace contre les dégâts de chiens et chats errants. Dans les pays où il y a beaucoup d'ours, de loups ou de lynx, on est frappé de voir qu'on ne rencontre pratiquement pas d'animaux errants. Le loup est également un prédateur efficace contre les dégâts du renard, qui s'attaque aux moutons.

L'arrivée du loup a permis la revalorisation du rôle du berger et du pastoralisme. L'opinion publique sait aujourd'hui que c'est un métier passionnant et difficile.

Depuis dix ans, je luttais avec la FRAPNA pour obtenir des arrêtés préfectoraux contre les chiens errants, en vain. Avec l'arrivée du loup, on a pu les obtenir.

Le loup est un vecteur économique fort pour des gammes de vêtements et des tee-shirts, pour l'édition, les cartes postales - dans le Queyras, la carte postale la plus vendue représente un loup - l'art animalier, pour le tourisme nature et les accompagnateurs moyenne montagne. Le loup peut représenter une alternative au manque de neige et peut aider à la reconversion des stations de moyenne montagne. Je tiens à votre disposition une coupure de presse relatant une expérience de tourisme nature en Roumanie. Je pourrais aussi citer l'exemple du Québec, où sont organisées des sorties pour entendre hurler les loups, qui rapportent beaucoup d'argent.

Le Fish and wild Life Service des Etats-Unis a relâché 11 loups en 1995 et 17 en 1996 à Yellowstone. Il a réalisé une étude sur l'impact économique des loups et a conclu que la présence du loup avait généré une augmentation de 20 % du nombre de visiteurs et 15 millions de dollars d'activités économiques autour du parc. Il estime le rapport des loups à 5,5 millions de dollars par an.

En conclusion, j'insisterai sur plusieurs points.

La réintroduction artificielle des loups en France est une rumeur sans fondement ni preuve.

La colonisation naturelle actuelle provient d'Italie. Elle se déroule selon les principes connus dans le monde entier.

Le loup a toute sa place dans l'écosystème naturel et son impact écologique et économique est largement supérieur aux dégâts qu'il cause aux troupeaux domestiques.

Je n'ai jamais entendu un défenseur du loup refuser de prendre en compte le coût économique, social et psychologique du loup envers le pastoralisme. Bien au contraire, en Isère j'ai emmené le directeur de la Fédération des alpages dans les Abruzzes en 1979 et les associations dialoguent depuis longtemps avec les éleveurs, soutiennent leurs projets, financent des aides-bergers et des écovolontaires sur le terrain.

Il serait suicidaire que le pastoralisme soit à l'origine de l'éradication des loups. Nous pourrions alors voir l'antagonisme contreproductif entre la majorité des citoyens et écologistes et les ruraux se creuser de façon irréversible. On verrait les citoyens réclamer l'arrêt des primes pour les éleveurs et l'abandon du pastoralisme dans les parcs nationaux et les réserves naturelles. On risquerait de voir se développer des actes de malveillance, des dénonciations des pratiques douteuses et la mise au ban d'une partie essentielle de la civilisation montagnarde.

Seul le dialogue entre connaisseurs des loups et spécialistes du pastoralisme permettra de trouver les solutions techniques aux problèmes actuels, sans idolâtrie du loup, et sans se priver d'aucune solution pouvant assurer le développement du pastoralisme et la présence du loup.

M. le Rapporteur : Votre exposé est très intéressant, je n'ai toutefois pas apprécié que vous parliez dans des termes aussi durs de M. Zunino, car il n'est pas là pour se défendre.

M. Jean-François NOBLET : M Zunino est un ami que je connais depuis longtemps. Je tiens à votre disposition l'intégralité de la correspondance que j'entretiens avec lui.

M. le Rapporteur : Je vous ai entendu très peu parler de la place de l'homme sur les territoires. Vous êtes un défenseur farouche du loup, c'est votre droit. Nous avons vu, hier dans les Alpes-Maritimes, le désespoir des éleveurs, si vous nous aviez accompagnés, je ne sais pas si vous auriez tenu le même langage.

Nous étions lundi dans les Abruzzes et nos amis italiens nous ont prévenu que nous devions nous attendre à une arrivée massive de loups.

Vous affirmez de façon formelle que le loup n'a pas été réintroduit. Ma conviction est qu'une partie des loups présents en France sont venus naturellement, mais que quelques-uns ont été réintroduits. Toutefois, jusqu'à présent, aucun des partisans des deux thèses en présence n'a pu nous donner de documents probants.

Nous avons perçu que les bergers ont changé de langage : ils ne revendiquent plus l'éradication du loup, mais cherchent au contraire des solutions pour se défendre, sans éradiquer le loup.

Je me pose la question de savoir ce que va devenir l'homme dans les territoires de montagne, alors que c'est lui-même qui entretient la montagne. J'ai appris que, dans les Alpes-Maritimes, pour deux éleveurs quittant la profession, un seul était remplacé, en grande partie à cause du loup et les problèmes qu'il pose.

M. Jean-François NOBLET : Je suis intimement convaincu que l'homme a sa place dans l'écosystème et, en particulier, en montagne. Les exemples que je vous ai donnés de l'intérêt économique du loup prouvent que le loup peut être une source d'activité extraordinairement intéressante, notamment pour les stations de moyenne montagne, soumises aux aléas climatiques. Autre exemple, dans la presse : une revue qui battait de l'aile a fait sa couverture sur le loup et a ainsi augmenté ses ventes de 20 %. Les tee-shirts qui se vendent le mieux dans le monde sont ceux à l'effigie du loup. Le loup est un vecteur économique fort. Toute marque déposée avec un loup aura plus d'intérêt. Personnellement, je porte des vêtements fabriqués par une firme qui a décidé de soutenir le loup.

M. le Rapporteur : L'afflux de touristes n'est pas compatible avec l'exercice du pastoralisme, notamment en raison des chiens patous. En Italie, le loup est devenu un produit extraordinaire, on l'a vu, mais le pastoralisme y a été abandonné au profit du tourisme. On voit les conséquences de ce choix sur les milieux : ils se ferment, les forêts progressent.

M. Jean-François NOBLET : Le loup ne vit pas en milieu ouvert.

Je constate que le pastoralisme a décliné bien avant l'arrivée du loup et les zones où il se maintient, et même augmente un peu, ce sont justement les zones à loups du sud-est. Il n'y a donc pas de relation entre le déclin de la filière ovine et la présence du loup.

La lutte contre les chiens errants n'a été efficace que lorsque le loup est arrivé. Il y a de nombreuses attaques de chiens, par exemple celle en Chartreuse qui a provoqué la perte de 43 moutons le 12 juin 2002. Pourtant, le monde agricole et les médias ne réagissent que pour les attaques de loups.

Je suis tout à fait favorable à une étude sérieuse du pastoralisme. On observe que sur les 10 millions d'ovins en France, plus de 700 000 passent chaque année à l'équarrissage et que, sur ces 700 000 bêtes, seules 2 500 passent à l'équarrissage à cause du loup. Le reste s'explique par un agnelage problématique, des maladies ou encore la foudre ou les dérochements.

Les associations écologistes, qui connaissent bien le loup, ont travaillé dans le cadre du groupe loup mis en place avec les éleveurs, qui connaissent bien le pastoralisme. Voilà la solution : le dialogue, plutôt que les guerres de tranchées. Celui-ci n'a jamais commencé techniquement.

Le chien patou est une solution mais il y en a d'autres. Je ne suis pas opposé à ce qu'on effarouche le loup ou même à ce qu'on en abatte un de temps en temps qui serait vraiment dangereux. Mais il faut accepter que le loup ne sera pas éradiqué. La présence des grands prédateurs en France, ours, lynx, loup et bientôt chacal, doit être acceptée. Elle est inéluctable : il y a des moins en moins d'hommes en montagne, de plus en plus de forêts et de gros gibier. Même si on le voulait, il serait impossible d'éradiquer ces grands prédateurs.

Les éleveurs peuvent compter sur les écologistes pour les aider. Nous les aiderons à passer le cap de cette révolution culturelle qui les oblige à s'adapter à la présence des prédateurs dont ils avaient perdu l'habitude.

Votre commission devrait favoriser le dialogue pour trouver des solutions.

M. François BROTTES : Pouvez-vous confirmer que le loup n'est pas une espèce en voie de disparition ? Comment évaluez-vous l'impact des chiens patous sur les usagers de la montagne ?

M. Jean-François NOBLET : Le loup n'est pas une espèce en voie de disparition dans le monde, mais certaines sous-espèces sont menacées. En France, le loup va augmenter ses effectifs, quoi qu'il arrive et malgré le braconnage.

J'ai fait une enquête sur la dangerosité des patous. J'ai interrogé pendant six mois pratiquement tous les responsables des syndicats ovins, les vétérinaires, des fonctionnaires des directions départementales de l'agriculture, les maires, les responsables d'hôpitaux. Je n'ai recensé aucun cas d'attaque sérieuse de patou sur une personne, même si, il est vrai, ces chiens sont impressionnants. En revanche, les cas de morsure par des chiens de conduite se comptent par dizaines et plusieurs personnes ont déjà été tuées par ces chiens. Tout est une question d'éducation du chien, de sélection de l'espèce et de savoir-faire. Il faut, bien sûr, leur donner suffisamment à manger. La culture du chien patou existait autrefois en France, mais elle a été perdue. Elle existe encore au Portugal, en Espagne, dans les pays de l'est ou aux Etats-Unis.

M. le Rapporteur : Il faut un chien pour 100 moutons, ce qui est énorme.

M. Jean-François NOBLET : Tout dépend du mode de pâturage.

Ceux qui pensent qu'il est possible de maintenir le pastoralisme avec si peu de personnes se trompent. Le loup représente une niche d'emplois pour le pastoralisme.

M. François BROTTES : Je vous remercie.

Audition conjointe de
MM. Pierre GIMEL, Roger PELLAT-FINET
43, Jean-Auguste RICHARD
et Charles GALVIN*, représentants du conseil général de l'Isère chargés
du dossier loup

(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 février 2003, tenue à Grenoble)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le  Président, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. François BROTTES : Avant que les membres de la commission ne vous posent quelques questions, nous aimerions connaître l'appréciation de chacun de vous sur la situation.

M. Charles GALVIN : Je suis conseiller général du canton de La Mure et agriculteur. Je suis ancien responsable agricole et encore proche du milieu du syndicalisme agricole.

Nous avons eu tous l'occasion d'accompagner des éleveurs dont les troupeaux ont été victimes d'attaques de loups. Certaines de ces attaques ont eu lieu pratiquement dans les bergeries, par exemple à Chichilianne. Dans ce dernier cas, le loup a été vu et l'administration a reconnu qu'il s'agissait d'une attaque de loup. On peut toujours considérer, en effet, que des attaques dans les alpages font partie des risques du métier. Mais une telle attaque nous a paru insupportable.

Nous avons demandé, à cette occasion, l'organisation d'une battue administrative et on nous a répondu qu'elle ne serait pas légale. Or, une telle battue nous paraissait indispensable face à l'émotion suscitée par l'attaque. Nous avons ensuite organisé une réunion sur le terrain avec les éleveurs, les élus et la population. Nous y avons pris l'engagement de soutenir le dossier présenté par les éleveurs et de le faire valoir auprès de la commission d'enquête et de toutes les institutions ayant autorité en la matière.

Il n'est pas tolérable, à notre époque, que les éleveurs et les populations aient à subir la prolifération et les attaques du loup, sans pouvoir s'en protéger. Un responsable d'une association de chasse me disait que les cinq loups de Taillefer qui, pour l'instant, se nourrissent de mouflons, de chamois et de chevreuils, recommenceront à attaquer les loups, dès le printemps. Ces loups sont à 100 mètres des villages. On sait bien qu'ils ne vont pas sauter sur leurs habitants, mais cela crée un climat intolérable.

J'ignore les possibilités ouvertes à la France de modifier les textes concernant le loup, mais il faut stopper la prolifération des loups et les contenir dans des endroits qui leur seraient réservés.

M. Pierre GIMEL : Je suis le conseiller général du canton de Clelles, proche des Hautes-Alpes et de la Drôme. Ce canton couvre 18 000 hectares et compte 1 700 habitants. Il abrite des alpages bien connus, comme celui de Combeau, du Janeuf ou de la Grande Cabanne. Le pastoralisme y est pratiqué par des éleveurs sédentaires et des transhumants. La commune de Chichilianne se trouve dans mon canton. La dernière attaque, le 7 décembre dernier, a eu lieu vers 8 heures du matin - en face de l'hôtel-restaurant du village - à 100 mètres de l'école. Cette attaque a provoqué un émoi local important. On a vu des parents décider d'emmener leurs enfants à l'école en voiture.

L'élevage ovin est une tradition dans le sud de l'Isère. Il se porte bien, malgré les difficultés économiques du secteur. Le conseil général a fait un effort important, au cours des douze dernières années, en faveur de l'élevage ovin en finançant par exemple un technicien ovin, qui était d'ailleurs mon premier adjoint, lorsque j'étais maire.

Vous verrez que les éleveurs du département sont des gens jeunes, qui ont investi et se sont endettés pour faire un élevage professionnel et donc pas de l'agriculture de subsistance. Les bergeries dans la région sont semi-ouvertes, elles n'ont que trois faces, la quatrième étant en libre-accès sur un parc de proximité, ce qui explique que l'attaque de Chichilianne ait eu lieu dans la bergerie. En été, les troupeaux en alpages ont des effectifs importants et peu de chiens pour les protéger. Au cours d'une attaque, qui a lieu dans le canton de Monestier de Clermont, les loups ont étrillé le chien de protection, qui a failli mourir.

Bien sûr, les pertes sont indemnisées, mais il ne faut pas sous-estimer les effets psychologiques des attaques sur l'éleveur, surtout quand les brebis attaquées sont pleines.

A l'époque où il y avait une densité importante de loups en France au XIXème siècle, le pastoralisme n'était pas pratiqué sous la même forme qu'aujourd'hui. Il s'agissait d'une agriculture de subsistance, très diversifiée : l'agriculteur avait quelques chèvres, quelques moutons et quelques vaches. Aujourd'hui, l'éleveur doit avoir de nombreux moutons qu'il ne peut pas encadrer en permanence.

Depuis deux ou trois mois, les médias parlent régulièrement du loup. J'ai vu un reportage, il y a un mois, diffusé par France 3 un samedi matin montrant un berger italien qui s'était fort bien accommodé de la présence du loup et qui élevait une cinquantaine de brebis protégées par 7 chiens patous. On ne peut pas imaginer 50 chiens patous gardant nos troupeaux de 1 000 brebis. C'est inconcevable techniquement et financièrement.

Le pastoralisme est une branche importante de notre agriculture traditionnelle, perpétuée par des jeunes et leurs familles installés chez nous. Le pastoralisme est aussi un outil d'entretien de l'environnement, efficace pour lutter contre les friches et l'embroussaillage des piémonts et des plateaux. Le conseil général et la région se sont investis dans le soutien à la filière ovine dans un but économique, mais aussi dans un but environnemental.

M. Roger PELLAT-FINET : Je suis conseiller général du canton de Monestier-de-Clermont. Je suis passé par plusieurs phases. Une phase, dans ma prime jeunesse, influencée par des romans, de peur du loup. J'ai ensuite été éclaireur de France, chef de la patrouille des loups. Aujourd'hui, je vois que la présence du loup induit des situations insupportables.

Ce que je crains aujourd'hui, c'est la psychose qui est en train de s'installer dans les villages. Quand on conteste la présence du loup ou qu'on essaye de trouver d'autres appellations, les éleveurs se mettent hors d'eux, ce qui est bien compréhensible.

Je suis élu d'un canton qui a subi des attaques de loup, notamment sur la commune de Saint-Guillaume, au lieu-dit « Grisaille ». J'ai été très choqué lorsque j'ai vu les résultats d'une attaque de loup sur un troupeau de brebis, dont certaines étaient pleines.

Le conseil général dépense des sommes considérables pour aider le pastoralisme. On peut s'interroger sur l'efficacité de ces dépenses, puisque la législation concernant le loup n'est plus adaptée.

M. Jean-Auguste RICHARD : Je suis conseiller général du canton de Mens. Nous avons aujourd'hui la certitude qu'une partie des loups présents dans le département sont des loups d'élevage qui ont été lâchés. Pour les éleveurs, il est impossible d'accepter ces loups dont on a eu tant de mal à se débarrasser. Je vois ce qui se passe dans les autres régions où le loup est présent et je suis sûr que les bergers vont s'armer. D'ailleurs, les chasseurs ne se sont pas gênés dans certaines régions. Des chasseurs m'ont dit qu'ils n'hésiteraient pas à tirer le loup qui se trouverait en face d'eux.

M. le Rapporteur : Vos exposés tranchent avec ce que nous avons entendu ce matin : on nous disait que tout ce passait bien dans le département et que le loup n'y posait pas de problème.Combien y a-t-il eu d'attaques de loup dans vos cantons et combien de moutons ont été tués ?

M. Charles GALVIN : Il y a eu, cet été sur le Taillefer, sept ou huit attaques, dont au moins cinq ou six attribuées au loup. Les attaques sur les mouflons et les sangliers sont quasiment quotidiennes.

M. Pierre GIMEL : Il y a eu huit attaques cet été sur les alpages de mon canton. Les alpages concernés sont à cheval sur l'Isère et la Drôme. En décembre, il y a eu deux attaques à Chichilianne, l'une à la bergerie Rolland l'autre à la bergerie Faure, chez deux éleveurs différents.

M. le Rapporteur : Nous voyons bien, au fur et à mesure que nous progressons dans nos travaux, que l'éradication du loup n'est guère envisageable, notamment en raison de la pression des puissants lobbies en faveur du loup et de l'opinion publique, à 80 % favorable au loup.

Il faut donc trouver d'autres solutions. Lesquelles suggérez-vous ?

M. Roger PELLAT-FINET : Je peux vous assurer que les partisans du loup qui voient les résultats des attaques de loup changent d'avis. L'opinion pourrait donc changer, si les médias montraient cette réalité. La communication aujourd'hui est trop orientée et ne nous permettra certainement pas de trouver des solutions adaptées. Il faut montrer la réalité des choses.

M. le Rapporteur : Monsieur Richard, vous avez dit avoir la certitude que les loups ont été réintroduits. Sur quoi repose votre certitude ?

M. Jean-Auguste RICHARD : Un de mes beaux-frères, chasseur éminent, a acquis la certitude, après examen de cadavres de loup, qu'il s'agissait de loups d'élevage. Il a trouvé, en effet, des plaques en inox à l'intérieur d'un de ces loups, qui avait donc été opéré.

M. François BROTTES : A quel endroit ce loup a-t-il été trouvé ?

M. Jean-Auguste RICHARD : Je n'ai pas posé la question.

M. Roger PELLAT-FINET : Un loup a été récemment piégé par un éleveur et en est mort. Comme par hasard, un « vert » est tombé sur cet animal, au milieu de l'immensité de nos montagnes. C'est donc que l'animal était suivi par une puce électronique.

M. le Rapporteur : Je ne sais pas si c'était vraiment au milieu de l'immensité de nos montagnes, car l'éleveur avait posé le collet à l'entrée d'un village.

M. Richard GALVIN : Il est inadmissible que les éleveurs ne puissent pas se défendre. Il faut reconnaître un droit de légitime de défense à l'éleveur qui voit un loup fondre sur son troupeau. Les 80% de Français favorables à la présence du loup ne peuvent pas ignorer les 20% de leurs concitoyens qui la subissent. Les éleveurs ont le droit de vivre comme tout le monde, indépendamment des problèmes de coûts ou des problèmes de mauvaise gestion des pâturages.

On ne pourra pas éradiquer le loup, mais on doit dans un premier temps pouvoir s'en défendre et dans un deuxième temps le cantonner dans des zones où il ne serait plus en concurrence avec l'agriculture.

M. Pierre GIMEL : Je suis randonneur et chasseur depuis toujours et j'ai vu arriver sur mon territoire le chamois, le chevreuil et le cerf. Je ne voyais au début de leur arrivée qu'un ou deux échantillons de ces espèces. Ce n'est pas ce qui s'est passé avec le loup. Jusqu'à l'hiver 2001-2002, personne n'avait vu de loups dans notre département. Tout à coup, les attaques se multiplient, des riverains, des agents de l'ONC, de l'ONF voient des loups partout. Il n'est pas possible qu'une espèce s'introduise de cette façon : on est passé de quelques attaques en 2001 à plus de cent en 2002 en Isère. Que va-t-il se passer en 2003 ?

M. Michel BOUVARD : Je voudrais poser quatre questions. Un zonage a-t-il été envisagé dans le département ? Le protocole de tir au loup a-t-il été appliqué dans le département ? Le conseil général a-t-il chiffré le coût du retour du loup pour le département ? Enfin, la Savoie et l'Isère ont des loups en commun. Dans les vallées de Jelons et dans celle des Huiles, le loup est devenu une véritable préoccupation. Dans la Maurienne, un alpage a été abandonné. Des alpages ont-ils été abandonnés en Isère ?

M. Charles GALVIN : Le coût du retour du loup pour le département peut-être chiffré. Nous transmettrons ces chiffres à la commission. A ma connaissance, il n'y a pas eu d'étude sur un éventuel zonage. Nous avons demandé lors des incidents du mois de décembre l'organisation d'une battue administrative pour abattre le loup de Chichilianne. Cette demande a été refusée. Aucun alpage n'a été abandonné, mais je sais que des éleveurs envisagent de le faire.

M. François BROTTES : Messieurs, je vous remercie.

Audition de Mme Catherine BRETTE, conseillère générale de l'Isère

(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 février 2003, tenue à Grenoble)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

Mme Catherine Brette est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, Mme Catherine Brette prête serment.

M. François BROTTES : Vous avez la parole.

Mme Catherine BRETTE : Les deux élus « verts » du conseil général, Serge Revel et moi-même, ont été interpellés dans le cadre de la session du budget primitif 2003 en décembre dernier, par les éleveurs et par certains conseillers généraux. Nous avons émis un vœu, après une réunion en intercommission, qui a été voté à l'unanimité des présents avec une abstention seulement. Ce vœu, dont je vous laisserai le texte, reflète assez bien le souhait de tous les élus du conseil général, y compris des élus écologistes, de préserver et de défendre le pastoralisme.

Je représente le conseil général à la réserve naturelle des hauts plateaux du Vercors. A ce titre, j'ai rencontré plusieurs fois les éleveurs. Avec le directeur de la réserve, nous organisons chaque année des rencontres au cours desquelles nous faisons le bilan de l'estive. Nous organisons aussi une visite annuelle de la réserve pendant l'été, au cours de laquelle nous rencontrons les éleveurs.

Contrairement à ce qui a été mis en exergue dans certains journaux, le travail fait par les techniciens du parc avec les éleveurs a permis de faire diminuer le nombre d'attaques dans la réserve. Les mesures que l'on a demandées aux bergers d'appliquer sont lourdes, puisqu'on leur a demandé de parquer leurs bêtes et d'utiliser des chiens patous, mais elles sont efficaces. Au cours de l'été dernier, les attaques se sont reportées sur la périphérie de la réserve, mais il n'est pas certain qu'il s'agisse d'attaques de loups. La réserve compte cinq gardes très compétents qui passent leurs journées, et parfois leurs nuits, à faire des observations et un seul a observé un loup. La présence du loup est une réalité, mais on ne peut dénombrer avec précision leur nombre.

Le maintien de la qualité de la réserve naturelle du haut plateau est lié au pastoralisme, car sans pastoralisme, la réserve se transformerait en forêt.

Il faut couper court à l'idée suivant laquelle la solution du problème est l'élimination du loup. Je suis enseignante de biologie, et en tant que scientifique, je sais que cet animal ne connaît pas de frontière, il est revenu naturellement. Des études sérieuses doivent être faites sur le sujet afin qu'on n'oppose plus un discours, dit écologiste, à celui des éleveurs.

M. Michel BOUVARD : Il y a des interrogations au sein de la population et chez les élus sur l'origine du retour du loup. Vous avez raison, il faut laisser les scientifiques trancher.

M. Jean LASSALLE : Comment sortir de l'opposition entre les écologistes et les éleveurs ?

Mme Catherine BRETTE : Le fait que les élus du conseil général, à l'unanimité, aient émis un vœu sur le sujet a été un pas important puisque parmi les élus, certains prônent le discours des éleveurs, alors que d'autres sont moins « anti-loups » et doutent très fortement que des solutions comme celle de la battue administrative puissent résoudre le problème.

Il faut continuer dans le sens d'un plus grand dialogue et favoriser la rencontre de personnes qui n'ont pas le même point de vue sur le sujet. Ainsi, les réunions organisées par la réserve ont toujours été très positives, même si les élus écologistes sont pris à partie par les éleveurs et accusés de faits dont ils ne sont pas responsables. Au cours de ces réunions, j'ai vu les éleveurs, très agressifs au début, se montrer disposés par la suite à discuter de solutions favorisant la coexistence avec le loup.

M. Michel BOUVARD : Considérez-vous qu'il doit y avoir une limite au retour du prédateur ?

Mme Catherine BRETTE : Des mesures ont été prises dans le parc du Vercors, mais si le loup devait descendre dans les vallées, qui sont des zones beaucoup plus difficiles à protéger, je pense que la cohabitation ne serait pas possible.

M. François BROTTES : Je vous remercie.

Table ronde avec les associations écologistes réunissant :
M. Henri BIRON, président de la Fédération Rhône-Alpes
de protection de la nature (FRAPNA),
Mme Lise DONNEZ (Groupe Loup réseau Dauphiné-Savoie),
M. Armand FAYARD (Muséum d'histoire naturelle de Grenoble),
Mme Hélène FOGLAR, ingénieur agronome à la FRAPNA,
Mme Marie-Paule de THIERSANT (Centre ornithologique Rhône-Alpes),
M. Raymond SELVA, berger

(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 février 2003, tenue à Grenoble)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

Mme Lise DONNEZ : Je suis directeur dans une des plus grandes multinationales informatiques. Je suis bénévole à part entière de l'association loup France. Je m'intéresse au loup depuis toujours, mais j'aime aussi les moutons. J'habite d'ailleurs en milieu rural et je donne souvent un coup de main à ma voisine qui élève des moutons. Je suis membre du groupe loup France depuis trois ans et je suis l'animatrice du réseau Dauphiné-Savoie depuis deux ans. Je suis aussi membre du conseil d'administration de notre association. Je participe donc à ses activités aussi au niveau national pour définir notre stratégie.

J'effectue beaucoup de voyages d'étude à l'étranger pour mieux comprendre comment se passe la cohabitation entre le loup et les éleveurs en Roumanie, dans les Abruzzes, en Espagne et, bien sûr, dans le Mercantour et dans le Queyras. Je m'entretiens régulièrement avec Jean-Marc Landry, biologiste suisse, mondialement reconnu pour ses compétences (loup, mesures de prévention et protection et co-habitation grands prédateurs-pastoralisme).

Notre association compte 1 500 membres au niveau national et 135 dans notre région. Nous sommes actifs depuis les débuts de l'association en 1993. Nous soutenons et exécutons au niveau régional les décisions prises au niveau national. Nous avons été très actifs dans le domaine de la communication : nous organisons des salons, des sorties sur le terrain, des interventions dans les écoles et des séminaires pour expliquer ce qu'est le loup. Nous sommes très sollicités pour présenter le loup et sa cohabitation avec le pastoralisme. Nous avons aussi organisé des stages pour expliquer le travail avec les chiens de protection, avec M. Landry.

L'association pense qu'aider les bergers, c'est aussi aider le loup. C'est pour cela que nous avons lancé le programme Pastoraloup en 1999. J'ai proposé notre collaboration dans le cadre du programme Pastoraloup au conseil général, en mai dernier. Notre proposition n'a semble-t-il pas intéressé le Conseil général d'Isère, comme si le problème du loup était toujours le problème de quelqu'un d'autre. Nous souhaitons mener le programme Pastoraloup en Isère, pour prévenir les conflits pouvant naître de la cohabitation avec le loup, mais nous avons besoin de l'appui de tous les acteurs concernés.

Mme Marie-Paule de THIERSANT : Je suis bénévole associative. Je suis présidente du CORA, le centre ornithologique Rhône-Alpes, et membre du comité départemental loup de la préfecture de l'Isère, où je représente les associations de protection de la nature. Je suis aussi membre de la mission loup de France Nature Environnement.

Nous sommes face à deux problématiques, tant au niveau national que régional.

Le loup est là. C'est un animal sauvage. Vouloir l'éradiquer ou le parquer est utopique. La migration naturelle, depuis l'Italie, où la population lupine est en bon état de conservation, continuera de toute façon. Il est tout à fait illusoire, compte tenu de la biologie du loup, d'imaginer que l'on peut, à nouveau, éliminer cet animal du territoire français.

Le pastoralisme en montagne connaît de graves problèmes économiques depuis longtemps, et bien avant le retour du loup en France. En fait, le loup, par ses attaques répétées sur les troupeaux, a mis cette profession sur le devant de la scène. Avec ou sans loup, cette profession est à un tournant historique. La mondialisation fait qu'actuellement la viande produite sur nos alpages n'est plus compétitive.

Alors pourquoi ne pas réfléchir ensemble à une autre forme d'exercice du métier alliant une production de qualité, avec mise en place de labels, revalorisation du métier de berger et préservation de la faune et des milieux.

Une première rencontre entre les associations de protection de la nature et les éleveurs et bergers de l'Association pour la cohabitation pastorale, réunissant des professionnels de Franche-Comté, des Alpes et des Pyrénées s'est tenue les 18 et 19 janvier dans les Pyrénées. Un premier pas a été franchi : cette réunion a permis aux associations de protection de la nature et aux éleveurs de parler ensemble et de mettre sur pied un certain nombre de projets.

Sur la cohabitation entre le pastoralisme en montagne et la présence du loup, la position des associations de protection de la nature de l'Isère a toujours été la même :

- le loup est un animal sauvage, qui fait à nouveau partie de notre patrimoine naturel, protégé au titre de la réglementation nationale et européenne ;

- l'élevage en montagne doit être maintenu et même encouragé pour valoriser une production de qualité ;

- la présence du loup, du fait de la prédation sur les troupeaux de moutons, pose un réel problème économique ;

- les mesures de protection des troupeaux doivent être mises en place de façon pérenne pour diminuer les dégâts, compte tenu de leur efficacité prouvée ;

- le système actuel d'indemnisation des dégâts n'est pas satisfaisant, il faudrait peut-être penser à une indemnisation forfaitaire ou à des assurances ;

- les moyens de l'administration en charge de ce dossier doivent être accrus. Nous avons constaté, notamment en comparant la situation de l'Isère avec celle de la Savoie, que les moyens de protection ont mis du temps à se mettre en place, sans doute du fait du manque de personnel.

Je voudrais finir mon intervention par une citation de Robert Hainard, naturaliste, philosophe et écrivain suisse : « Le loup est un élément essentiel de notre faune originelle. C'est aussi une figure de premier plan de notre monde imaginaire et pour cela même, nous risquons de ne jamais connaître sa vraie vie. Dès qu'il s'agit de cet animal fabuleux, l'imagination s'excite jusqu'à l'hallucination. »

M. Henri BIRON : Je suis président de la FRAPNA - Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature - pour l'Isère qui compte 1 200 adhérents individuels et fédèrent 80 associations représentant environ 25 000 personnes dans le département. La FRAPNA milite pour la défense de la nature et la promotion du développement durable. Le loup est loin d'être pour nous un fonds de commerce. C'est au contraire un problème qui nous coûte du temps et de l'argent, alors que nous avons d'autres problèmes plus importants à affronter, relatifs notamment aux paysages, aux transports, à la pollution ou aux corridors biologiques.

Notre objectif est double et contradictoire : protéger le loup et défendre les bergers pour arriver à une cohabitation harmonieuse. Nous nous sommes heurtés à une fin de non-recevoir de la part de nos interlocuteurs naturels que devraient être la Fédération des alpages et la chambre d'agriculture, à l'époque où elle était dirigée par M. Blanchet. Il a été difficile de rechercher des partenariats, des collaborations et des vraies solutions. La situation reste bloquée, alors qu'ailleurs, le problème semble évoluer.

Nous différencions le pastoralisme de proximité, comme celui pratiqué à Chichilianne, et celui de grande transhumance, qui apporte peu de vie et d'activité économique sur nos territoires. La labellisation permettrait de développer une activité ancrée sur le territoire, propre à affronter la concurrence.

Il serait faux de penser que le loup est le faire-valoir et la conséquence de la crise ovine, laquelle s'étend sur tout le territoire.

Je vous fais confiance pour aborder le dossier avec sérénité.

Mme Hélène FOGLAR : Je suis permanente à la FRAPNA Isère. Je suis ingénieur agronome, responsable du pôle veille écologique.

La FRAPNA avait mené en 1997 en collaboration avec la Fédération des alpages de l'Isère, avec la fédération des chasseurs et le journal « Terre Dauphinoise », une enquête sur la divagation des chiens en Isère. La fédération des chasseurs avait enquêté auprès de toutes ses ACCA - les associations communales de chasse agréées - nous avions diffusé les questionnaires à l'ensemble des maires de l'Isère, dont plus du tiers nous ont répondu.

L'enquête nous a permis de conclure que le phénomène était jugé important par l'ensemble des acteurs. Les chiens concernés étaient surtout des chiens de berger (bergers allemands) et des husky. Je vous remettrai ce rapport.

J'ai effectué des voyages dans d'autres pays où le loup est présent, notamment dans les pays de l'est et dans les Abruzzes. J'y ai constaté que le pastoralisme y très différent du nôtre, puisque les troupeaux y sont beaucoup plus petits et beaucoup mieux gardés. Les dégâts provoqués par le loup y sont donc négligeables.

Il faudrait favoriser une réflexion commune sur le pastoralisme pour éviter que le pastoralisme reste un sujet tabou.

A l'occasion de l'exposition organisée par le muséum d'histoire naturelle de Grenoble, à laquelle la FRAPNA a participé, j'ai étudié les archives dauphinoises et je me suis rendu compte qu'aux XVIIIème et XIXème siècles, beaucoup d'espèces de la faune sauvage avaient disparu. On peut donc comprendre que les attaques étaient plus nombreuses à cette époque et que le loup ait pu s'attaquer à des personnes (bien que les données connues proviennent de sources peu fiables : presse de l'époque notamment). Aujourd'hui, les espèces sauvages sont revenues et sont en grande abondance. Cela explique le retour du loup, qui trouve désormais de quoi se nourrir dans des forêts, en outre plus denses qu'autrefois.

M. Armand FAYARD : Je suis conservateur du muséum d'histoire naturelle de Grenoble et biologiste de formation. Je voudrais rappeler les quatre paramètres qui expliquent le retour naturel du loup dans notre pays.

La protection de ces espèces d'abord, qui existe depuis le début des années 70. La déprise agricole ensuite, qui est appelée à s'étendre en milieu montagnard avec l'élévation du niveau de vie et qui concerne l'Europe dans son ensemble et, probablement, le monde entier. La gestion cynégétique et piscicole, qui, depuis une vingtaine d'années, n'a cessé d'évoluer dans un sens de contrôle des populations animales de gibier et une amélioration de l'espace où vivent ces animaux. Les pratiques culturelles de la population enfin qui évoluent très rapidement et qui atteignent de plus en plus la dimension environnementale.

Ces paramètres, surtout les trois premiers, expliquent non seulement le retour naturel du loup, mais aussi d'autres espèces qui, il y a seulement 30 ans comptaient très peu de représentants ou avaient carrément disparu, comme l'aigle royal, le faucon pèlerin, la loutre, le sanglier, le cerf et le chevreuil, même si pour ces deux dernières espèces, il y a eu une intervention de l'homme au début, mais dont le développement s'est fait naturellement.

Le loup est protégé en Italie depuis les années 70. La déprise agricole a entraîné le reboisement de certaines régions, ce qui est favorable au loup. La gestion cynégétique a entraîné le développement de faunes susceptibles d'être prédatées par le loup. Ces trois facteurs expliquent le retour naturel du loup en France, confirmé d'ailleurs par les analyses génétiques qui vérifient une progression naturelle de l'animal depuis l'Italie, tous les loups présents dans les Alpes françaises étant de lignée italienne. On dénombre une cinquantaine de lignées de loups en Europe. Une réintroduction en France aboutissant à une population homogène aurait donc supposé des moyens faramineux.

Il est intéressant de noter qu'à l'heure actuelle, on observe des populations d'ours en train de progresser en Europe d'est en ouest à partir de populations locales dans les pays de l'est.

M. Raymond SELVA : Je suis berger, salarié saisonnier. Je n'ai jamais vu de loup, mais si un loup venait chez moi, c'est moi qui défendrais le bifteck et je ferais en sorte qu'il soit ailleurs.

J'ai travaillé dans les Alpes-de-Haute-Provence, dans le parc national des Ecrins, dans le massif de la Chartreuse.

Les éleveurs qui confient leurs moutons à des bergers salariés ne connaissent pas forcément bien la montagne. Leur intérêt est que les bêtes redescendent dans le meilleur état de santé possible. D'autres éleveurs en revanche, en général des transhumants, gardent eux-mêmes leurs moutons.

La plupart du temps, les troupeaux en montagne sont formés par plusieurs éleveurs regroupant leurs troupeaux. Les troupeaux ne sont donc pas homogènes. Il y a par exemple différentes races de brebis. Or, chaque race n'a pas le même comportement. Les troupeaux mélangent aussi des brebis gestantes, des brebis avec leurs agneaux, qu'on doit ménager et des brebis séparées de leurs agneaux qui sont élevés intensivement en vallée.

Le berger salarié doit s'intégrer au troupeau. Il faut compter au minimum trois semaines avant que les bêtes acceptent le berger. Le berger, la montagne et le troupeau sont alors en symbiose et peuvent affronter les différents paramètres.

La topographie d'abord. Sur une montagne, le berger va évoluer entre 1 600 et 2 800 mètres. Sur une autre, le dénivelé ne sera que de 200 mètres. Certaines comportent des vallons, des rochers ou des ravins.

La météorologie. Sur les 100 jours d'estive, elle peut beaucoup varier. Je me souviens d'un mois de juillet en Chartreuse où je n'ai eu que six jours sans pluie.

Les relations avec la vie animale. Il s'agit notamment des chiens errants, qui peuvent être celui de votre voisin ou même votre propre chienne, lorsqu'elle est en chaleur. Il y a aussi les prédateurs charognards : renards, blaireaux, sangliers, sans oublier d'autres prédateurs comme les rapaces, buses, éperviers, faucons, aigles, hiboux et même les grands corbeaux. Les insectes posent aussi des problèmes considérables, comme les mouches. Certaines fleurs sont toxiques, comme le bois-joli ou le vérâtre, qui peut tuer les agneaux. Et, pour finir, les maladies, causées par des parasites, des acariens, des virus, des bactéries transmis par la faune sauvage, comme les chamois.

Le contact avec les hommes. Un hélicoptère de la sécurité civile, de l'armée ou de la restauration des terrains de montagne qui survole un troupeau peut provoquer une catastrophe en créant une panique chez les bêtes. Le plus souvent, aucun des organismes responsables de l'hélicoptère ne prévient le berger du passage de l'hélicoptère. Les forestiers aussi, avec leur camion de grumes. Récemment, un de ces camions a manqué d'écraser 100 brebis de mon troupeau.

Les touristes, je préfère ne pas en parler.

Il y a aussi des voleurs dans les montagnes. On m'a ainsi volé une boîte à outil dans ma cabane. On m'a même volé un bloc à sel. Quant aux chasseurs, je prends maintenant systématiquement contact avec la société de chasse pour me renseigner sur les horaires d'ouverture et éviter les problèmes. Il ne faut pas oublier les quatre-quatre, les parapentes ou les alpinistes cherchant leur voie bruyamment sur la couchette de mes moutons.

Je dois aussi gérer la relation avec mes patrons. Certains me laissent carte blanche, mais j'ai des relations difficiles avec d'autres, qui cherchent querelle pour des motifs qui ne tiennent pas debout. Certains éleveurs ne savent pas être employeur. Il m'arrive de travailler pour plusieurs éleveurs en même temps, qui ne s'entendent pas toujours très bien. J'en subis les conséquences.

Le berger doit donc gérer tous les problèmes que je viens d'énumérer. Ce n'est pas quelques loups qui vont me déranger. Ils me prélèveront sans doute quelques bêtes. Et alors ? Cela fait partie du métier. La mortalité d'un troupeau dont on s'occupe bien varie entre 1,5 % et 2,5 % durant la saison d'estive (environ 100 jours). J'intégrerai la prédation du loup aux autres pertes naturelles.

Les éleveurs disent que le pastoralisme va disparaître. Pas du tout ! La relève est là. Je suis toujours en contact avec l'école de bergers de Salon-de-Provence où j'ai suivi une formation. A l'époque, nous étions huit et l'école avait du mal à recruter. Aujourd'hui, elle doit sélectionner dix jeunes parmi la cinquantaine de demandes reçues.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas parlé du stress du troupeau provoqué par le loup.

M. Raymond SELVA : Le stress des moutons n'est qu'une expression à la mode. Je ne sais pas si vous avez déjà vu un orage en montagne, c'est la guerre atomique. Les brebis ont l'habitude, elles attendent. Elles stressent peut-être...

Mme Lise DONNEZ : Plutôt que de stress suite aux attaques, il vaudrait mieux parler de la protection des troupeaux. Je suis allé souvent en Roumanie et j'ai constaté qu'il y a des tentatives d'attaques tous les soirs, mais les bergers sont tranquilles parce qu'ils ont mis en place les mesures de protection adéquates. En Italie, en Espagne, c'est à peu près pareil. Le berger, le parc, les chiens de protection, c'est la trilogie de la réussite.

M. le Rapporteur : Participez-vous les uns et les autres aux réunions de concertation organisées par la préfecture ?

Mme Marie-Paule de THIERSANT : Je participe régulièrement à ces réunions qui se tiennent depuis 1998 environ une fois par an et quand la nécessité s'en fait sentir. Tous les acteurs participent à ces réunions : l'administration, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage - l'ONCFS - les éleveurs, la chambre d'agriculture et les associations de défense de la nature.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que les mesures de protection actuelles devraient être renforcées, modifiées ?

Mme Marie-Paule de THIERSANT : Les trois mesures suivantes forment le socle de la protection : le gardiennage, qui est la plus évidente, la plus ancienne, et dont la tradition est forte dans les pays où le loup n'a jamais disparu, comme l'Espagne ou les pays de l'est ; le chien de protection ; le regroupement nocturne.

Le gardiennage humain est indispensable, les deux autres mesures s'y ajoutent. Il n'est pas indispensable d'appliquer ces trois mesures simultanément à un troupeau. On sait très bien, par exemple, que le regroupement nocturne n'est pas praticable dans certains alpages, comme celui de M. Jouffrey en Belledonne.

D'autres mesures ont été testées. Ainsi, en Suisse, M. Landry travaille également avec des ânes, plutôt qu'avec des chiens de protection. Cela a donné des résultats. Dans les Hautes-Alpes, on a utilisé des cellules déclenchant des spots lumineux. Une autre piste pourrait être des répulsifs empêchant le loup d'approcher.

M. Michel BOUVARD : S'agissant de produits chimiques, reste à savoir si cette mesure serait compatible avec Natura 2000.

M. Henri BIRON : Nous sommes contre les produits chimiques polluants, mais tous ne le sont pas.

J'ai été très intéressé par l'intervention de M. Selva. La commission de concertation de la préfecture se réunit annuellement pour faire le bilan. Ce n'est pas suffisant. Il faudrait la réunir lorsque se présente un problème, même si certains pensent qu'il n'est pas bon de discuter à chaud.

S'agissant des mesures, il faut de la diversité. La mesure fondamentale de protection est le gardiennage et les autres mesures doivent être appliquées en fonction des situations particulières de l'alpage et du troupeau.

Nous sommes prêts à offrir notre partenariat pour résoudre les problèmes posés aux bergers par les chiens errants, les hélicoptères, les parapentes, les gros camions des forestiers, les touristes qu'il faut éduquer...

M. François BROTTES : On constate que le loup s'approche de plus en plus des habitations, comme à Chichilianne par exemple. Quel est votre sentiment sur le danger que peut représenter le loup pour l'homme ?

Mme Hélène FOGLAR : A titre personnel, j'aurais plus peur de rencontrer dans la nature un chien. Il reste que le loup est un animal sauvage et on ne peut pas affirmer qu'il n'y aura jamais d'attaque. Je n'ai pas connaissance de cas récent d'attaque de loup sur des personnes.

M. Armand FAYARD : Tous les prédateurs sont potentiellement dangereux, mais ils ne le deviennent vraiment que s'ils sont mis dans des situations exceptionnelles où ils sont acculés à se défendre. Par ailleurs, la fréquence de rencontre avec le loup est aujourd'hui faible, car leur densité n'est pas suffisante et elle le restera sans doute. C'est aussi une question d'éducation dans une nouvelle société qui s'installe, plus sensible aux problèmes d'environnement.

M. Jean LASSALLE : Certains d'entre vous font-ils partie du réseau loup ?

Mme Marie-Paule de THIERSANT : J'en fais partie. C'est un réseau qui est piloté par l'ONCFS. Les six départements alpins concernés par la présence du loup y participent. Les DDAF relayent le réseau au niveau du département.

Peuvent faire partie du réseau les agents de l'ONCFS, ceux de l'ONF, ceux des parcs naturels régionaux et nationaux et les adhérents des associations de protection de la nature.

Le réseau sert à collecter les indices de présence du loup, comme des traces, un contact visuel, des excréments, des hurlements. Des fiches sont remplies et sont transmises au réseau, qui est actuellement basé à Gap, via la DDAF. L'indice est transmis par la DDAF au laboratoire de M. Taberlet à Grenoble, via un protocole.

M. Jean LASSALLE : Vous pouvez vous-même faire des prélèvements ?

Mme Marie-Paule de THIERSANT : Oui, en suivant le protocole.

M. François BROTTES : Etes-vous assermentée ?

Mme Marie-Paule de THIERSANT : Non. Le réseau comporte deux aspects : le relevé des indices, que tout le monde peut faire, et le constat des dommages, que seules les personnes assermentées peuvent faire.

M. François BROTTES : Si n'importe qui peut prélever et transmettre des indices, des risques de manipulation ne sont pas à exclure.

Mme Marie-Paule de THIERSANT : Quand je me promène sur le terrain, je ne ramasse pas n'importe quoi. Je prends des précautions, je suis équipée.

Mme Hélène FOGLAR : La grande majorité des indices prélevés sur le terrain aboutissant à des analyses proviennent des agents assermentés des parcs et de l'ONCFS.

M. Michel BOUVARD : Monsieur Selva, avez-vous utilisé des chiens patous ? Si oui, vous ont-ils posé des problèmes ?

M. Raymond SELVA : Je n'en ai jamais utilisé. En revanche, j'avais un voisin berger qui en utilisait pour protéger son troupeau et je ne l'ai su qu'en cours de saison.

M. Michel BOUVARD : Certaines espèces ont été réintroduites de manière coûteuse, notamment le mouflon qui est directement menacé par le loup. Quel est votre sentiment face à cette situation ? Par ailleurs, comment vos associations ont-elles accepté la construction de cabanes d'aides-bergers sans permis de construire ? Enfin, êtes-vous prêts à accepter des zones limitées d'exclusion du loup ?

M. Henri BIRON : Le mouflon n'a pas été réintroduit, mais introduit. Je n'ai rien contre cette introduction, le mouflon est une richesse cynégétique supplémentaire pour les chasseurs.

Quant aux cabanes de bergers, il faudrait prendre des décisions très rapides pour rester dans le cadre légal. Les cabanes permettent aux bergers de mieux travailler et favorisent donc ainsi une meilleure cohabitation avec le loup. J'y suis donc favorable.

Mme Marie-Paule de THIERSANT : Le mouflon est davantage prédaté par le loup, car il est sans doute un des ongulés les moins bien adaptés au milieu de la montagne.

M. Michel BOUVARD : La FRAPNA avait réclamé l'introduction du mouflon.

M. Henri BIRON : En tout cas pas en Isère.

Mme Marie-Paule de THIERSANT : Quant au zonage, il faut se reporter aux propositions de M. Luigi Boitani datant de juillet 1999. Il y donne la définition d'un zonage qu'il juge compatible avec la préservation des populations de loups. Il parle de zones de 10 000 kilomètres carrés et non de mouchoirs de poche sur un massif.

Les associations iséroises de protection de la nature ont accepté les deux derniers protocoles autorisant des interventions sur les populations de loups en 2001 et 2002. En effet, si le loup pose des problèmes à des troupeaux correctement protégés, les associations de protection de la nature sont ouvertes à la discussion et, éventuellement, à une intervention, mais le zonage me semble utopique, car il ne correspond pas à la biologie de l'animal.

Mme Lise DONNEZ : Nous comprenons les problèmes des bergers et nous sommes prêts à les aider. Nous avons proposé notre programme Pastoraloup et nous avons de plus en plus de bénévoles qui sont prêts à aider les bergers et les éleveurs pendant la période d'estive, Hélas, nous n'avons pas encore des chantiers en Isère. Nous ne pouvons pas démarcher seuls les éleveurs. Nous avons besoin de plus d'engagement et de collaboration.

M. François BROTTES : Monsieur Selva, accepteriez-vous l'aide de ces bénévoles ?

M. Raymond SELVA : Je suis tout à fait prêt à montrer ce qu'est le métier de berger à des personnes intéressées. Je n'ai pas eu besoin jusqu'à présent de bénévoles, mais je peux très bien avoir des difficultés et avoir besoin d'aide.

M. François BROTTES : Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

Table ronde avec les associations d'éleveurs réunissant
M. Fernand SILLON, président de la Fédération des alpages de l'Isère,
M. Yves RAFFIN, directeur de la Fédération des alpages de l'Isère
M. Patrick ROLLAND, membre du Syndicat des ovins, éleveur,
M. Michel VALLIER, éleveur,
M. Constant PLANCON, membre du Syndicat des ovins, éleveur,
M. François PROUST, éleveur,
président de l'Association de sauvegarde de la transhumance,
M. Jean-Pierre JOUFFREY, éleveur,
M. Toni del MONTE, président de l'Association des bergers de l'Isère,
M. Jacky TURC, éleveur

(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 février 2003, tenue à Grenoble)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. François BROTTES : Je vous propose de vous exprimer chacun à votre tour avant que nous vous posions des questions..

M. Fernand SILLON : Je suis président de la Fédération des alpages. Au moment de notre assemblée générale en 1998, le dialogue avec les associations écologistes était bon. Après les attaques de loup subies par M. Jouffrey, le président de la chambre d'agriculture nous a demandé de rencontrer les responsables de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) qui s'étaient engagés à débloquer les subventions, qui avaient été bloquées en raison de nos positions sur le loup, et à dessaisir la direction départementale de l'agriculture (DDA) du dossier loup. Nous nous étions, quant à nous, engagés à convaincre M. Jouffrey de reprendre le dialogue. Nous avons tenu nos engagements, mais pas les écologistes.

M. François BROTTES : Comment la FRAPNA peut-elle débloquer des subventions ?

M. François SILLON : La FRAPNA détenait, à l'époque, les clés du problème au niveau du gouvernement.

Mme le sous-préfet de l'époque m'a convoqué, par la suite, pour me dire, en des termes courtois, de baisser le ton.

M. François BROTTES : La parole est à M. Yves Raffin.

M. Yves RAFFIN : J'ai une formation d'ingénieur et j'ai un DEA d'écologie appliquée et je suis directeur de la Fédération des alpages.

Je précise que les subventions dont M. Sillon a parlé avaient été votées, puis bloquées pour des raisons administratives. C'était effectivement par un jeu d'influence que la FRAPNA pouvait les débloquer.

M. Michel BOUVARD : Quel était le représentant de la FRAPNA qui vous avait fait cette proposition ?

M. Yves RAFFIN : C'était le président de la FRAPNA, au cours d'un repas organisé par le président de la chambre d'agriculture. La FRAPNA s'était engagée à plaider la cause de la Fédération des alpages, tant auprès de la DDA qu'auprès de la préfecture, pour débloquer les subventions et pour demander que le fonctionnaire chargé du dossier soit dessaisi, celui-ci ayant fait l'unanimité de tous les éleveurs contre lui.

Je travaille auprès des éleveurs depuis de nombreuses années dans le cadre d'un service pastoral, comme il en existe en Savoie ou dans les Pyrénées, et je voudrais témoigner du malaise des éleveurs. J'ai vu des éleveurs bouleversés par les attaques de loup, comme M. Jouffrey. Par ailleurs, la méthode utilisée en son temps par l'administration pour essayer de régler le problème n'était pas du tout adéquate. On ne peut pas demander à des gens d'accepter une contrainte si on n'a que le martinet à leur proposer. Les relations se sont tendues après les attaques subies par M. Jouffrey en raison du comportement de l'administration dans notre département.

En 20 ans, nous avons sauvé 35 000 hectares d'alpages de la friche dans le département. Aujourd'hui, une partie de ces alpages est susceptible de se transformer en friche par abandon. Ainsi, l'alpage de l'Arpette, dans le massif de Belledonne, sera sans doute abandonné, car les éleveurs l'exploitant y ont perdu trop d'animaux.

M. Michel BOUVARD : Cet alpage s'étend sur combien d'hectares ?

M. Yves RAFFIN : Ce n'est pas un gros alpage, mais sur Belledonne, on totalise rapidement plusieurs centaines d'hectares, car les alpages ne sont pas de bonne qualité.

L'alpage de Septlau, très connu dans le département, sera aussi probablement abandonné. Un alpage du Vercors, entre Corrençon et Villard-de-Lans, situé sur une station de ski, risque de connaître le même sort et on sait l'importance du pâturage des troupeaux pour l'entretien des pistes de ski. Les éleveurs exploitant cet alpage en groupement pastoral ont signé un contrat territorial d'exploitation - un CTE -. Que va-t-il se passer pour ces éleveurs ? A l'évidence, ils ne pourront honorer le contrat signé avec l'Etat en raison de faits nouveaux survenus après la signature.

L'heure est grave pour les éleveurs de ce département. La dynamique créée par la politique de l'Etat à partir de la loi pastorale de 1972 avait eu des résultats très positifs, notamment les services d'alpages et d'animation. Tous ces acquis risquent d'être fortement malmenés dans les années à venir si le problème n'est pas réglé.

M. Michel VALLIER : Je suis éleveur à Saint-Guillaume. N'étant pas sur les hauts plateaux, je pensais être à l'abri du loup, mais au mois d'octobre dernier, j'ai subi deux attaques qui m'ont fait perdre 15 % de mon troupeau de 200 brebis, pourtant parqué derrière une clôture Ursus et deux rangs de barbelés. J'ai d'abord pensé à des chiens de chasse lors de la première attaque qui a touché cinq brebis. Je n'ai pas rentré mon troupeau et le lendemain j'ai retrouvé 25 brebis attaquées. La première attaque a eu lieu à 100 mètres du village, la seconde à 250 mètres.

Trois jours après, c'était au tour du troupeau d'un voisin qui le gardait pourtant avec des chiens patous dans un parc à clôture électrique. Deux de ses brebis ont été tuées, plusieurs ont été blessées.

J'ai reçu un courrier m'annonçant que j'allais toucher 30 000 francs d'indemnités, mais je ne sais pas quand cette somme sera versée. Le traumatisme de ma famille est grand et je crains l'arrivée du printemps quand je devrai lâcher les brebis.

On nous dit que ce sont les loups des hauts plateaux qui sont descendus, mais pourquoi alors n'ont-ils pas fait de dégâts en montant ? A moins qu'ils n'aient été lâchés. Je ne sais pas quelle est la solution.

M. Patrick ROLLAND : J'ai une exploitation située dans le parc du Vercors, au pied du massif. Je ne suis pas alpagiste. J'exploite une quarantaine d'hectares de prairies naturelles réparties autour du village avec un troupeau de 330 brebis. C'est mon activité unique. Je suis le dossier du loup sur le département pour le syndicat des ovins depuis cinq ans.

Mon troupeau, pourtant parqué derrière un enclos électrifié, a subi une attaque le 7 décembre dernier. Je tiens à préciser que mon troupeau est parqué nuit et jour, soit derrière des clôtures Ursus soit derrière des clôtures électrifiées. Mon troupeau a été attaqué à 300 mètres des premières maisons du village. Trois brebis ont été tuées, six ont été blessées et huit ont disparu. 17 bêtes ont été perdues, puisque trois des bêtes blessées sont mortes et deux autres sont parties à la réforme car leurs blessures étaient inguérissables. Je ne vais être indemnisé que pour la perte de dix bêtes, car sept bêtes n'ont pas pu être retrouvées.

Nous avons rencontré des éleveurs des Alpes italiennes en septembre 2001, à Nice, qui nous ont appris qu'ils avaient eu des loups après que ces prédateurs soient apparus dans le Mercantour. En 1992, on a dit aux éleveurs français que les loups venaient d'Italie et en 1995, on a dit aux éleveurs italiens que les loups venaient de France. C'est donc bien qu'il y a un problème.

L'administration a officiellement reconnu l'arrivée des loups en 1998 sur le massif du Vercors. Comme par hasard, ils sont arrivés dans la réserve naturelle des hauts plateaux, donc dans une zone très protégée, et sans faire de prédation sur leur chemin. Les parcs ont donc participé activement à la réintroduction des prédateurs, sans réfléchir aux conséquences.

Le parc, avec le soutien de l'administration, indemnise largement certains éleveurs du parc qui ont accepté d'installer des mesures de protection. On constate que ces éleveurs ne parlent pas des attaques dont leurs troupeaux ont été victimes cet été et disent à qui veut l'entendre que la cohabitation avec le loup n'est pas si difficile. L'administration cite ensuite ces exemples pour nous faire croire que les mesures de protection qu'elle prône sont efficaces. Je peux vous citer l'exemple d'un collègue qui utilisait un chien patou pour garder son troupeau et qui s'est pourtant fait attaquer. Mes brebis paissent dans des parcs longés par des chemins de promenade fréquentés en été par des touristes. Je ne veux pas courir de risque en utilisant des chiens. Dans le Trièves, une personne s'est fait attaquer par un chien patou dans un village. Les mesures de protection efficaces, ce sont le fusil, le piège et le poison. La solution, c'est de se débarrasser du loup, par tous les moyens.

Je suis aidé par le conseil général pour entretenir mes prairies entourées par des forêts qui progressent. Si demain j'arrête de le faire, ce seront 40 hectares de friche qui s'ajouteront au territoire de la commune. Nous voulons continuer à exercer le métier que nous aimons et à entretenir les alpages et les prairies, mais si le choix du loup est fait, je préfère dire aux politiques d'arrêter tout de suite de nous verser des subventions, parce qu'on va crever dans les années à venir. Certains écologistes m'ont reproché de refuser la mise en place des mesures de protection. Ils semblent avoir oublié que je parque mes brebis nuit et jour.

Quel avenir réserve-t-on aux rares jeunes qui veulent encore s'installer ? La filière ovine se porte bien, cela fait deux ans que les cours remontent. Nous manquons de moutons en France et on risque de manquer d'éleveurs. Nous sommes prêts à employer tous les moyens qui sont à notre portée pour nous battre.

M. François BROTTES : Pouvez-vous préciser vos propos sur les éleveurs dont on achèterait la sérénité ?

M. Patrick ROLLAND : Ces éleveurs sont des chasseurs de primes. Ils montent sur le Vercors avec des quantités de brebis beaucoup plus importantes que les années précédentes. On a appris que des brebis de réforme étaient « récupérées » avant la montée en estive. Certains éleveurs ayant de grosses unités pastorales sur le Vercors sont très amis avec l'administration.

On pourra mettre en place toutes les mesures de protection qu'on veut, les attaques continueront, de nuit comme de jour. Nous sommes des écologistes de terrain et il n'est pas admissible que des écologistes de salon veuillent nous apprendre à travailler. Certains fonctionnaires locaux ont montré plus que de l'hostilité. Ils donnent la priorité au loup par rapport à l'homme.

M. Constant PLANCON : Je suis un des premiers à avoir vu le loup, qui a été réintroduit dans le Mercantour en 1992. Nous l'avions déjà en 1991 sur les alpages de la Salette et d'Aspres-les-Corps. Il a été vu à Aspres-les-Corps le 25 novembre 1992. Il y avait tué 17 brebis, puis a été abattu par un chasseur. Ces loups ne sont pas venus tout seuls. On nous a dit que ce loup était un loup d'origine italienne.

Le loup s'est attaqué à des bovins, dans les Hautes-Alpes, et à des chevaux, dans le Mercantour.

Quelles sont les solutions ? Le gardiennage ? On peut connaître 15 jours de brouillard consécutifs dans les alpages. Comment espérer récupérer tout le troupeau le soir pour l'enfermer ?

M. François PROUST : Je suis éleveur et président de l'association européenne de sauvegarde de la transhumance. Je suis aussi père de deux enfants, qui souhaiteraient continuer mon exploitation. Je ne sais pas s'ils pourront le faire dans les conditions actuelles.

Notre association représente 500 éleveurs sur le massif. Nous essayons de soutenir les éleveurs et les bergers qui ont été touchés par les attaques, mais nos moyens sont dérisoires face à leur détresse.

Notre métier est en voie de disparition. Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône, les effectifs des éleveurs de moutons ont chuté de 69 % en 20 ans. Il faut stopper l'hémorragie. Trois adhérents de notre association ont été obligés d'arrêter leur exploitation à cause des problèmes posés par le loup.

Un d'entre eux a vu le loup franchir trois clôtures électrifiées pour attaquer son troupeau, pratiquement à l'intérieur de la bergerie.

Nous restons perplexes face aux mesures de protection. Nous avons demandé à la DIREN Rhône-Alpes, chargée de la gestion du programme LIFE, de nous expliquer comment travailler. Nous attendons toujours leur réponse.

Nous avons une responsabilité écologique vis-à-vis de l'Etat avec lequel nous signons des contrats. Nous avons une responsabilité financière vis-à-vis de l'administration par rapport à nos comptes d'exploitation et à la gestion sanitaire de nos troupeaux. On nous demande aujourd'hui de nourrir le loup. C'est trop ! Je crains que toutes les exploitations ovines du massif ne s'arrêtent.

Nous avons rencontré en Suisse des petits éleveurs qui regroupent leurs troupeaux en montagne pendant l'été sans être présents de façon permanente, ce qui leur permet d'avoir une double activité et de préparer les réserves pour l'hiver. Après l'arrivée du loup, ils ont redescendu 250 bêtes des 500 qu'ils avaient fait monter en estive. Cela veut dire que toute l'économie montagnarde basée sur le pastoralisme est condamnée à court terme.

Je suis éleveur herbassier. Je n'ai pas de propriété à mon nom. Chaque saison, je loue un herbage et l'été, les grandes sécheresses nous obligent à monter en montagne. Un berger qui travaillait pour moi en alpage m'a répondu, lorsque je lui ai dit que la présence du loup allait augmenter sa charge de travail, qu'il me faudrait augmenter son salaire. Quand je lui ai dit que je ne pourrai pas le payer plus, il m'a annoncé que dans ce cas, il partirait. Je suis un chef d'entreprise auquel la présence du loup pose un problème insoluble.

Nous avons fait un rapport sur les mesures de protection, que nous avons transmis à M. le député Christian Kert. Il vous permettra de vous rendre compte des problèmes que nous posent les mesures de protection, notamment les chiens patous. Un éleveur de la Drôme s'est ainsi retrouvé devant le tribunal à la suite d'une course pédestre organisée sur son alpage, au cours de laquelle l'organisateur de la course a été mordu par le chien patou. L'organisateur a fait appel de la décision de première instance et réclame en appel une pension pour invalidité durable, ce qui veut dire que l'éleveur devra payer, s'il n'est plus couvert par son assurance, une indemnité à vie. J'ai eu moi-même trois problèmes avec mes chiens de protection. Un de mes bergers a été mordu en ventre et n'a eu la vie sauve que grâce aux épais vêtements qu'il portait.

Je voudrais vous lire un texte, réalisé en fonction des témoignages d'éleveurs et de bergers soumis à des attaques de loups. Ils ont été amalgamés mais n'en restent pas moins authentiques. Il pourra faire rêver quelques défenseurs de l'environnement auxquels le retour du loup provoque des sensations fortes. Nous autres éleveurs, nous les vivons sur le terrain. L'événement décrit se passe en septembre sur un alpage du massif de Belledonne, de l'Oisans, du Queyras, du Vercors ou du Mercantour au choix du lecteur.

« Nuit de berger sur un alpage au XXIème siècle »

« Cela fait quelques jours que je me suis retrouvé tout seul sur mon estive, après le départ de ma famille pour la rentrée scolaire. Le temps est gris et pluvieux. J'ai été obligé de monter mon troupeau vers les cimes de la montagne, puisqu'en bas, je n'ai plus d'herbe. J'ai attendu cette époque du mois de septembre, pour être plus disponible, pour suivre mon troupeau de 2000 bêtes, nuit et jour, puisque le secteur a été soumis à des attaques de prédateurs. Il faut que je redouble de vigilance pour ne pas subir trop de dégâts. Depuis deux jours et deux nuits, je n'ai pas quitté mes bêtes à cause de cet assez mauvais temps propice à des attaques. Je me suis équipé de mon réchaud pour me faire un peu de café soluble. Par 2 800 mètres d'altitude il ne fait pas chaud et avec le temps qu'il fait j'ai du mal à me réchauffer. La nourriture que j'ai prise en partant de la cabane commence à se raréfier et je suis mouillé jusque dans mes chaussures. La nuit je me couche tout habillé dans un sac de ma fabrication en toile plastifiée hérité d'un camelot du marché. Je me suis fait un abri de fortune sous une roche creuse et je peux rester ainsi aux aguets avec mon fusil en bandoulière, prêt à intervenir à tout instant.

Ce soir, je redescends le troupeau vers la cabane, j'essaie de faire sécher mon linge, de me changer et surtout de manger quelque chose de chaud. Il faut à tout prix que j'arrive à tenir ici encore quinze jours avant de redescendre vers de meilleurs auspices, mais il faut attendre que l'herbe pousse en bas, au mas.

En arrivant à la cabane, j'ai élargi mon parc de contention fait de clôtures mobiles électriques. Depuis qu'il pleut, il est quasiment impraticable tellement il y a de boue et de fumier; mais pour une nuit, les bêtes s'y sentiront en sécurité. A la nuit tombée, j'installe des lampes tempêtes tout autour du parc. Elles rassurent encore les brebis et éloignent les animaux sauvages. En rentrant dans la cabane l'humidité m'envahit. L'absence de chauffage pendant quelques jours a laissé le froid s'installer et avec mes vêtements trempés, je me gèle. Je m'empresse d'allumer le feu avec des branches sèches que j'avais pris la précaution de rentrer avant mon départ. Je me change et commence à me réchauffer en avalant un potage bien chaud. Un sentiment de bien-être me réconforte autant que mon fidèle compagnon, mon beauceron, couché en boule à côté du poêle crépitant. Lui aussi en avait assez de passer son temps sous la pluie. Avant d'aller me coucher, je fais un tour autour du parc. Le brouillard enveloppe les montagnes et le froid se fait plus vif. La brume a remplacé la pluie et si cela continue on se réveillera avec de la neige. Mais en attendant, je vais pouvoir m'allonger sur mon lit. Tout est paisible. De temps en temps, un flouca ou une chèvre s'ébroue en faisant tinter sa sonnaille. Mes deux patous sont couchés eux aussi près du parc et veillent sur le troupeau. Je finis par m'endormir d'un sommeil réparateur mais en restant toujours aux aguets du moindre bruit suspect.

Tout à coup, au beau milieu de la nuit, mon beauceron se lève et se dirige vers la porte de la cabane en grognant. Cela me réveille en sursaut. Le poil hérissé, il revient vers le lit toujours en grognant. Il se passe quelque chose d'anormal. Mes deux patous partent en aboyant comme des fous. Là, pas de doute, il y a un problème, je saute du lit, j'enfile à la hâte mon pantalon, pas le temps de mettre mes chaussures, je me chausse de pantoufles en plastique et j'attrape mon fusil et la lampe torche. En sortant en tricot, malgré le froid et l'humidité, je suis en sueur de crainte parce que le troupeau s'est mis en mouvement dans le parc. J'envoie un coup de projecteur: les bêtes sont affolées, elles tournent dans tous les sens en courant. Les patous sont partis, je les entends au loin aboyer comme des chiens enragés. Je braque à nouveau mon projecteur et là, à dix mètres en dessus du parc et face à moi, des yeux jaunes en amande brillent et observent la scène. Bon Dieu c'est lui, il est là !. Le beauceron n'est pas sorti de la cabane, mais il ne me servirait à rien. Je cours vers le parc, mon fusil à la main et j'essaie de voir si je peux me rapprocher du loup, mais il a disparu de mon halo. Je balaie avec le faisceau lumineux tout autour de la cabane mais je ne le vois plus. Alors dans un réflexe d'énervement, je tire mes deux cartouches en l'air au-dessus de l'endroit où j'ai vu ses yeux.

Mes brebis sont complètement paniquées et essaient de se rapprocher en tournant vers le mur de la cabane. Si elles continuent, elles vont s'étouffer. Je saute dans te parc, et tout en leur parlant j'essaie de les calmer; rien n'y fait. A croire que l'animal n'est pas loin et qu'elles le sentent.

Contre la cabane, il y a une légère déclivité du terrain et les brebis commencent à s'empiler les unes sur les autres. Je rassemble toute mon énergie et agitant mon pull, je gesticule en hurlant pour les repousser de l'autre côté. Déjà plusieurs bêtes sont coincées et j'entends des bruits de suffocation. Je réussis à détourner le plus gros du troupeau mais un certain nombre ne se relève pas. Je reconnais parmi elles le Pierrot, l'agneau apprivoisé de mon fils qu'il a soigneusement élevé au biberon l'hiver dernier parce que sa mère n'avait pas de lait. Comment vais-je pouvoir lui dire que son agneau est mort là, entassé avec d'autres, dans la boue? Pendant que je constate ce massacre, de l'autre côté du parc une bête a dû se prendre dans les filets, et en se débattant elle ouvre une brèche où le troupeau enfin libéré se déverse en courant comme un torrent qui emporte une digue. Je me retrouve seul avec ces cadavres, un pied nu, car, dans l'action, j'ai perdu une pantoufle.

Le troupeau emprunte la descente dans un désordre indescriptible. Les sonnailles tintent à toute volée, comme les cloches un jour de Pâques. Où vont-elles s'arrêter? Puis je réalise qu'elles vont tout droit vers un couloir boisé et abrupt. Il faut à tout prix que je les arrête sinon, cette fois, tout va y passer. Je cours mettre mes chaussures et je prends mon chien. Il pourra peut-être m'aider et je pars à toute vitesse, coupant par une petite butte de terrain que les bêtes ont contournée. Je trébuche plusieurs fois et je tombe dans la boue, mais je reprends ma course de plus belle pour essayer d'enrayer leur fuite. J'arrive en haut du vallon alors que les premières brebis s'y engouffrent. Pas moyen d'arrêter cette horde en furie, elle emporte tout sur son passage. Mon chien se met à aboyer en me voyant gesticuler. Avec son aide précieuse, j'arrive à couper le troupeau. Je remonte avec lui la partie des bêtes que j'ai arrêtée vers le plateau, tout en les calmant ce qui n'est pas facile. Qu'advient-il du reste du troupeau qui s'est enfilé dans le vallon ? J'en ai des sueurs froides dans le dos, mais il faut que j'arrive d'abord à remonter ces bêtes-là. En arrivant à la cabane je retrouve l'un des patous qui est revenu, il a dû se battre, il est couvert de sang, je n'ai pas le temps de m'occuper de lui. Avec quelques filets, j'improvise un parc, alors que l'aube pointe. La pluie est toujours là et quelques flocons se mettent de la partie.

Après avoir installé mes bêtes dans le parc, je file me changer parce que je suis couvert de boue et trempé jusqu'aux os. J'en profite pour me faire un bol d'eau chaude dans lequel je verse un peu de café soluble, il ne faut pas que je traîne. Je dois m'occuper des autres brebis et je me précipite vers le vallon. Quel spectacle m'attend! Les ovins ont tout arraché, ils ont même raviné la terre, par contre je n'entends rien, ni sonnailles ni bêlements. J'ai peur de trouver ce que je cherche et tout en descendant vers le bois, je vois un énorme tas de brebis enchevêtrées les unes dans les autres, certaines sont éventrées. Combien y en a-t-il ? Je n'arrive pas à m'en faire une idée. Quel gâchis ! Je m'assois sur un rocher, complètement anéanti. Je reste là à contempler ce tas difforme. Mes jambes ne me portent plus. Pourtant cette fois, il faut que je descende chercher du renfort. Seul, je n'arrive plus à rien.

Tout de suite, lorsque j'arrive au village, une équipe se forme autour de M. le maire, et nous montons après avoir alerté les services administratifs. Quand on arrive sur place, on évalue les dégâts: 200 bêtes sont mortes. Mais qui va me croire? Il me faut une preuve de l'attaque, sinon je ne serai pas indemnisé. Avec plusieurs amis, on essaie de trouver un animal mordu ou blessé qui pourrait attester mes explications. Après avoir ratissé les bois pendant plusieurs heures, on finit par retrouver une brebis encore vivante, mais la gorge tranchée et les gigots à moitié dévorés. Quelle souffrance a-t-elle dû endurer ! On l'euthanasie, abrégeant son calvaire. On remonte à la rencontre des services administratifs. Les gardes de l'ONC font leur constat, les services de la préfecture demandent au maire de faire évacuer les carcasses, ce qui sera fait le lendemain. Mais qui va payer la note? Eh bien figurez-vous que c'est moi, l'éleveur, le pollueur, l'insupportable !

Epilogue

L'attaque a été reconnue « grand canidé » et les analyses sont en cours pour savoir si c'est bien l'oeuvre des loups. M. le directeur de la DDAF a la gentillesse de me demander si mes bêtes étaient bien gardées et si j'avais appliqué les mesures de protection autour de mon troupeau. Je préfère ne pas répondre car les mots iraient plus loin que le fond de ma pensée.

Après maintes tergiversations, toutes les bêtes mortes et expertisées seront indemnisées à hauteur de 800 francs l'une. Les frais d'héliportage seront pris en charge par la commune pour m'être agréable. Mais je ne reçois rien pour le manque à gagner, les agneaux que je ne vais pas vendre, les 200 brebis qui vont avorter à la suite de cette attaque, le traumatisme subi par toute la famille: tout cela ne compte pas. Comment rembourser les emprunts, payer l'éducation des enfants? Combien de temps vais-je mettre pour reconstituer un troupeau de cette qualité ? Des années de travail sont quasiment parties en fumée lors de cette nuit. Une partie de ma vie est gâchée, aucune indemnisation ne pourra compenser cette perte.

Alors complètement découragé, je suis descendu en Provence, trois jours après. Il m'a fallu entamer mes réserves d'hiver pour subvenir aux besoins du troupeau.

Ainsi la survie de mon exploitation est compromise et mon avenir n'est pas encourageant, à moins que les résultats de la commission d'enquête parlementaire ne soient favorables et que les acteurs responsables décident de nous aider à continuer notre tache en enlevant les loups des zones d'élevage. »

M. Jean-Pierre JOUFFREY : Je voudrais d'abord remercier les élus qui m'ont soutenu en m'écrivant ou en me rendant visite. Je remercie aussi la fédération des alpages, qui m'a beaucoup aidé. Cela fait cinq ans que je vis un véritable cauchemar.

Je garde des brebis depuis l'âge de 14 ans et je suis à mon compte depuis 1973. On n'avait jamais entendu parler de moi dans la région, mais depuis cinq ans, je suis devenu un fou dangereux pour l'administration. C'est difficile à supporter. J'ai trois enfants, dont un de 24 ans qui a abandonné. Ma fille veut être vétérinaire et le troisième veut faire une école d'agriculture, mais il m'a prévenu qu'il ne continuera pas l'exploitation dans ces conditions.

Je n'abandonnerai pas la montagne. Je me battrai jusqu'au bout pour la récupérer telle que mes parents et mes grands-parents me l'ont laissée.

Les conditions de travail d'un berger sont très dures. J'avais engagé un berger suisse très expérimenté pour une période de 90 jours, il a renoncé au bout de 40 jours. Les aides-bergers ne sont pas des professionnels et si on leur fait garder le troupeau pendant 12 heures, on se met hors la loi.

En Chartreuse cette année, j'avais un troupeau de 1 000 brebis gardées par trois bergers. J'ai perdu plus de 80 brebis.

En cinq ans, j'ai perdu un million de francs, dont on ne m'a remboursé que 20 %. Je tiens le coup aujourd'hui, parce que j'ai déjà remboursé mes emprunts, mais je stagne.

Je ne comprends pas que ce soit la DDA qui s'occupe du dossier. M. Pedroletti ne peut pas défendre l'agriculture, puisqu'il est « pro-loup ». Ces hauts fonctionnaires ont trop de pouvoir et font des rapports avec de faux chiffres. On me porte absent aux réunions, alors que je n'y suis pas convoqué. En 1998, j'ai eu 101 brebis tuées et 50 avortées sur 100 jours d'alpage. J'ai écourté l'estive d'un mois. En 1999, j'ai eu 64 brebis tuées et 150 avortées sur 60 jours d'alpage. J'ai écourté l'estive de deux mois. La DDA ne prend pas en compte les avortements et les disparues induits par les attaques de loups parmi les pertes. Elle ne prend pas non plus en compte la réduction du temps de l'estive. Elle a ainsi dit que j'avais eu moins de pertes en 1999 par rapport à 1998.

Les chiens de protection posent des problèmes. Les gérer avec la présence des touristes, c'est impossible. Je me fais insulter constamment.

Je garde mon troupeau 24 heures sur 24. Je suis aidé par mes trois enfants, ma femme, mon neveu et quelques volontaires de la fédération des alpages. Je me souviens de M. Sillon, président de la Fédération, qui est venu changer le parc de place quand mes brebis sont restées trois jours sans manger, à cause de la menace du loup.

J'ai fait part à la préfecture des conditions difficiles dans lesquelles je travaillais. L'administration ne m'a jamais envoyé de renforts.

Elle est tout juste bonne à constater les dégâts. Il y a un vétérinaire notamment qui, après douze ans d'expérience, n'est toujours pas capable de dire si c'est un loup ou un chien qui a attaqué.

Il y a des brebis mortes et blessés partout en montagne, mais aucune plainte, alors que quand cela arrivait avant le retour du loup on mobilisait la gendarmerie, la direction des services vétérinaires et la SPA.

Je me battrai jusqu'à ma dernière goutte de sang pour retrouver la montagne, telle que mes parents me l'ont laissée.

M. François PROUST : Un article du « New York Times » publié par Le Monde fait état de la situation dans le parc de Yellowstone. 12 loups y ont été lâchés en 1995 et 56 en 1996. Aujourd'hui, les autorités n'arrivent plus à maîtriser la population de 700 loups. Le loup qui était une espèce protégée y est devenu une espèce nuisible et il est tiré à vue.

M. Jacky TURC : Je suis éleveur dans le Trièves. Je mets mon troupeau de 700 brebis sur un alpage communal. Je n'ai pas encore eu d'attaque de loup, mais je me demande comment je vais pouvoir travailler sur des prairies entourées de falaises avec la menace du loup.

Quelle est la solution quand même les troupeaux parqués sont attaqués ? Il est hors de question de passer la nuit avec le troupeau. On nous demande de retourner au XIXème siècle !

Il a été fait beaucoup d'efforts pour restructurer l'élevage ovin, pour améliorer la qualité des produits. Le conseil général a investi quatre millions de francs en dix ans dans un plan de relance de l'élevage ovin. Quel gâchis si tout cela doit disparaître !

M. Toni DEL MONTE : Je suis berger salarié et président de l'association des bergers salariés de l'Isère. Je voudrais essayer de vous présenter rapidement le sentiment des bergers salariés sur le dossier du loup.

Autant le loup est une espèce animale envers laquelle nous n'avons pas de comptes à régler personnellement, autant sa cohabitation avec les troupeaux en alpages nous parait utopique. Avec les difficultés déjà rencontrées à gérer les dégâts des sangliers sur les prairies alpestres, les chiens errants, l'information aux utilisateurs de la montagne, la venue du grand prédateur ne semble pas réaliste.

Le programme LIFE nous a enseigné que l'emploi d'aide-berger et l'utilisation du chien patou n'a pas réglé pour autant le problème. Pire, ce chien est un réel danger envers les promeneurs qu'il agresse.

Après des décennies d'énergie dépensée à l'entretien de nos alpages, d'élever des animaux dans de bonnes conditions, d'obtenir des produits de qualité et un paysage fabuleux, il nous semble irrespectueux de mettre à mal les efforts de chacun. De plus la mise en place de CTE collectifs vient tout juste de permettre aux bergers d'améliorer leur qualité de vie et leurs conditions de travail.

Il n'y a à notre avis pas de surface suffisamment vaste en France pour permettre au grand prédateur de vivre en milieu naturel. L'envie d'authentique et de sauvage tellement médiatisée ne doit pas nous faire oublier qu'il existe un contexte social.

Nous pensons sincèrement qu'entre une population de bergers, vachers, chevriers qui vivent et entretiennent les paysages de montagne et la venue du loup, le choix est évident.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous remercier pour vos témoignages qui nous ont beaucoup émus et ont apporté la contradiction aux témoins que nous avons entendus aujourd'hui, ce qui est essentiel pour la commission.

Les problèmes que vous évoquez sont les mêmes que rencontrent vos collègues dans la Drôme, dans les Hautes-Alpes, dans les Alpes-de-Haute-Provence ou dans les Alpes-Maritimes. On y constate par ailleurs que le loup descend de plus en plus en bas et se rapproche des habitations.

Si j'ai bien compris, vous souhaitez que le loup soit éradiqué.

M. Jean-Piere JOUFFREY : Ou alors parqué.

M. François PROUST : Ce que nous voulons, c'est pouvoir exercer notre métier dans de bonnes conditions. Nous sommes désorientés. Nous avons essayé toutes les solutions. Il faut supprimer le loup des zones d'élevage.

Le loup est arrivé de manière artificielle. Tout le monde en est convaincu, sauf les environnementalistes.

M. Fernand SILLON : Comment se fait-il qu'on n'ait jamais retrouvé de traces du passage du loup entre les Abruzzes et le Mercantour ? Sans parler du loup italien qui a été retrouvé dans les Pyrénées.

M. François PROUST : Le parc zoologique de la Barbey a des contrats avec les associations de protection de la nature pour leur fournir des animaux qui seront relâchés dans la nature. Il y a trois ans, trois loups sont sortis de ce zoo, dans une zone proche de mon quartier de printemps. Ces loups ont été vus par des chasseurs qui sont intervenus auprès de l'ONC. Le préfet a donné l'ordre au zoo de récupérer les loups. A l'époque, il y avait six loups dans le zoo, aujourd'hui il n'y en a plus que trois. Où sont passés les autres ?

M. Jean-Pierre JOUFFREY : Le parc de Ménatoury compte 100 loups. Ménatoury parlait de lâcher les loups et, vu le nombre de loups présents dans le parc, il disait qu'il était impossible de les garder plus de cinq ans. Qu'a-t-il fait des petits ?

M. François PROUST : Nous nous battons depuis des années pour que les élevages fassent l'objet d'un suivi. Or, à ma connaissance, les loups qui naissent en élevage ne sont ni étiquetés ni tatoués ni informatisés. Nous, nous devons suivre des normes sanitaires qui nous obligent à mettre deux étiquettes par animal.

M. Michel VALLIER : On peut aussi citer l'élevage de Sainte-Lucie, en Lozère, sans parler des sites internet sur lesquels on trouve toutes les informations pour adopter un louveteau, comme le site www.loup.org par exemple.

M. François PROUST : Le loup dont a parlé M. Plancon avait été lâché par un particulier de Gap élevant des loups dans son jardin. Jean-Marc Landry, qui s'occupe de la réintroduction du loup en Suisse, nous a dit au cours d'une table ronde en 2001 en Suisse à Evolène que ce loup était un loup erratique en recherche de territoire. Nous l'avons démenti et il nous a alors demandé où nous avions eu l'information. Cette table ronde que nous avions organisée a fait l'objet d'un compte rendu.

En Suisse, la Vallais a décrété que le loup représentait un danger pour la population. Un protocole prévoit que le loup doit être abattu si plus de 18 bêtes ont été tuées. C'est une piste envisageable.

Pour garantir la survie de nos exploitations, il me semble opportun de revoir la convention de Berne et d'enlever le loup de la liste des espèces protégées.

M. Yves RAFFIN : Il y a beaucoup d'élevages de chiens de traîneaux en France. Pour durcir les animaux, les éleveurs font des croisements avec le loup. Il y a donc des loups mâles qui circulent dans ces élevages.

M. François BROTTES : Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?

M. Yves RAFFIN : Non, mais des éleveurs de chiens de traîneaux pourront vous le confirmer.

Je voudrais aussi vous parler du plateau d'Emparis, situé à une altitude de plus de 2 000 mètres aux confins des Hautes-Alpes, de l'Isère et de la Savoie, qui est une zone sur laquelle il n'y a pas de forêt et où l'hiver est très froid, avec de la neige. C'est donc une zone qui ne peut pas supporter d'animaux l'hiver. Les éleveurs ont pourtant subi des attaques de loups pendant la saison d'alpage. Il est donc évident que ces loups ont été amenés sur le plateau.

M. François PROUST : Les loups, lorsqu'ils arrivent dans une région, commencent par attaquer de façon désordonnée, à la manière de chiens errants, et font de gros dégâts. Nous l'avons tous constaté sur le terrain. Puis, lorsqu'ils deviennent sauvages, ils changent d'attitude : ils sont plus sélectifs et n'attaquent que la nuit. Nous pouvons donc distinguer un loup sauvage d'un loup qui vient d'être lâché.

Des éleveurs ont dû attendre plus de deux ans avant d'avoir une indemnisation, car tant que l'attaque n'est pas reconnue officiellement, les attaques antérieures ne sont pas indemnisées.

M. Constant PLANCON : Il est invraisemblable que les loups qui ont attaqué en plein jour à Chichilianne soient des loups sauvages.

M. François PROUST : Dans le Queyras, six loups ont été vus dans un village.

M. Michel BOUVARD : Y a-t-il un recensement des problèmes liés aux chiens patous ?

M. Patrick ROLLAND : Les problèmes liés aux patous sont cachés par l'administration.

M. Michel BOUVARD : Les éleveurs ont-ils dressé un inventaire de ces problèmes ?

M. François PROUST : Un inventaire global sera difficile à faire, mais dans le rapport que nous avons remis à M. Kert, quatre cas sont cités.

M. Michel BOUVARD : Monsieur Rolland, vous avez parlé de l'intervention financière du parc du Vercors. Qui paye ? Le parc ou la DDA ?

M. Patrick ROLLAND : Il s'agit des crédits du parc. Les chiens de protection et leur alimentation ont été payés à certains éleveurs du parc. D'autres mesures de protection ont été financées ainsi.

M. Michel BOUVARD : Quels sont les délais de versement des indemnités ?

M. Jean-Pierre JOUFFREY : Les dégâts survenus en 2001 ont été indemnisés au mois d'août 2002, pour ceux survenus au cours de l'été 2002, j'ai reçu des acomptes il y a quelques jours.

M. Yves RAFFIN : Cela fait quasiment un an de délai.

M. François BROTTES : Messieurs, merci

Audition de M. Jean-Michel VANDEL, responsable du réseau Lynx
à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 25 février 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président,

puis de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Jean-Michel Vandel est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Jean-Michel Vandel prête serment.

M. le Président : Je rappelle que M. Jean-Michel Vandel est responsable du réseau lynx au centre d'étude des prédateurs de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Après un bref exposé sur les connaissances concernant le statut de cet animal en France, nous procèderons à un échange.

M. Jean-Michel VANDEL : Les lynx présents actuellement en France appartiennent à l'espèce lynx et au genre lynx. On les appelle communément lynx d'Europe ou lynx boréal, mais ces deux dénominations ne correspondent pas à l'aire de répartition de cet animal, qui couvre toute l'Eurasie. Il existe une seconde espèce de lynx en Europe, le lynx Pardelle, présent essentiellement dans la péninsule ibérique. L'Union internationale pour la conservation de la nature estime que cette espèce est l'espèce de félin la plus menacée au monde.

Le lynx d'Eurasie est souvent décrit comme un gros chat. Il est de la taille d'un chevreuil et est donc nettement plus gros qu'un renard ou qu'un chat. Ce lynx est un carnivore strict et son régime alimentaire dans nos régions est essentiellement constitué d'ongulés de taille moyenne, comme le chevreuil ou le chamois. Il peut aussi s'attaquer au cheptel domestique, principalement les ovins.

Les lynx dans nos régions sont totalement inféodés aux grands massifs forestiers. Leur densité de population est très faible, de l'ordre d'un individu pour 10 000 hectares. Une population aura donc besoin pour survivre d'exploiter de très vastes superficies, de plusieurs milliers de kilomètres carrés.

Après avoir totalement disparu d'Europe occidentale, le lynx y est à nouveau présent, essentiellement grâce à des programmes de réintroduction. En France, on le rencontre dans le massif vosgien où est mené depuis 1983 l'unique programme de réintroduction de cette espèce dans notre pays. Il est également présent dans le Jura et dans les Alpes, où il est revenu naturellement de Suisse où il a été réintroduit dans les années 70.

Les populations françaises sont fragiles : elles sont peu développées numériquement et, surtout, sont éloignées des autres noyaux de population, comme la population autochtone des Carpates ou, dans une moindre mesure, les populations de Bohême ou de Slovénie.

Tous les lynx réintroduits dans le massif vosgien ont été munis de colliers émetteurs, ce qui nous a permis de les localiser précisément pour connaître leur devenir. Si 21 lynx ont été réintroduits de 1983 à 1993, seules quatre femelles et six mâles au maximum ont pu participer à la fondation d'une population. Le braconnage a été la principale cause de mortalité constatée.

Les premières reproductions n'ont eu lieu qu'à partir de 1987, soit quatre ans après les premiers lâchers de lynx. Le massif vosgien constitue un milieu naturel tout à fait satisfaisant non seulement pour la survie de l'espèce, mais également pour sa reproduction, même s'il présente des aspects artificiels liés à une gestion forestière intensive et à une pression humaine importante.

A l'heure actuelle, la surveillance de la présence du lynx est assurée par le réseau lynx, qui regroupe environ 30 correspondants par département. Ces personnes, présentes sur le terrain, appartiennent à différents organismes, comme l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'Office national des forêts, les parcs nationaux et les réserves naturelles, mais ce sont aussi des naturalistes et des chasseurs. Les membres du réseau ont donc des sensibilités très différentes par rapport à la présence de l'espèce. Ils sont chargés de collecter toutes les informations permettant de caractériser la présence de l'espèce, comme les empreintes, les reliefs alimentaires de proies, l'observation visuelle des excréments, des poils et des cadavres de lynx ainsi que les cas de prédation sur le cheptel domestique.

A ce sujet, il faut préciser qu'il existe depuis 1984 une procédure de compensation financière des dommages sur le cheptel domestique.

Le réseau existe dans 18 départements dans lesquels la présence du lynx est avérée ou fortement suspectée. Il a été mis en place à la fin des années 80 dans le massif jurassien, puis a été étendu dans d'autres départements.

A l'heure actuelle, l'espèce est bien établie sur le massif vosgien sur à peu près 2 500 kilomètres carrés, principalement sur le versant alsacien des Vosges du sud avec un début d'établissement dans les Vosges moyennes. L'absence d'informations pour le versant lorrain des Vosges du sud peut être lié à l'absence de l'espèce, mais elle peut être aussi la conséquence d'une pression d'observation insuffisante. Dans le massif des Vosges du nord, l'absence d'informations semble s'expliquer par la raréfaction de l'espèce.

Dans le massif jurassien, l'espèce est bien établie sur environ 6 000 kilomètres carrés, c'est-à-dire l'ensemble des massifs forestiers de la moitié sud de la chaîne jurassienne. Un établissement est en cours dans la région de Besançon.

Dans les Alpes, d'une façon générale, l'espèce a progressé au cours des 15 dernières années de façon importante vers le sud, sur près de 300 kilomètres. A notre avis, l'aire de présence du lynx dans les Alpes est largement sous-estimée, mais les données recueillies n'ont pas permis de montrer l'établissement pourtant nécessaire pour expliquer cette colonisation importante.

Certains massifs forestiers semblant favorable à la présence de l'espèce. Le statut du lynx reste encore incertain dans nombre de ces massifs. Il existe en revanche des connexions forestières qui permettent des échanges entre ces massifs aussi bien entre le massif vosgien et le massif jurassien qu'entre le massif jurassien et le massif alpin.

Le massif de la Chartreuse serait une sorte de cul-de-sac pour les lynx en provenance du massif jurassien. Il ne permettrait d'échange ni avec le massif des Vosges au nord ni avec le massif du Vercors au sud. La seule possibilité de connexion entre les Alpes du nord et les Alpes du sud se fera par une zone représentée assez fragilisée et fragmentée.

95 % des cas de prédation sur le cheptel domestique ont été constatés dans le seul massif jurassien. Depuis 1989, on constate jusqu'à 200 attaques par an représentant à peu près 400 animaux tués et blessés par an et concernant jusqu'à 71 exploitations.

Ces chiffres représentent dans l'aire de présence du lynx moins de 1 % du cheptel total et 15 % des exploitations présentes. L'impact du lynx à l'échelle régionale peut apparaître négligeable, mais ces chiffres masquent de fortes disparités et certaines exploitations peuvent être concernées par des attaques à répétition.

La majorité des dommages constatés entre 1984 et 1988 concerne le sud du département du Jura et l'ouest de la chaîne montagneuse du département de l'Ain. Nous avons défini les foyers d'attaques comme ceux recensant au moins dix attaques au cours de l'année dans un rayon de cinq kilomètres. Depuis 1989, ce sont de deux à six à foyers qui sont constatés chaque année, localisés dans neuf sites où 75 % des attaques se concentrent. L'évolution du nombre d'attaques, qui peut varier du simple au triple, n'est pas liée à la population de lynx, mais à l'apparition et à la disparition de foyers de dommage qui sont concernés par un nombre très réduit de lynx.

Depuis 1995, nous avons mené un programme d'étude pour connaître les facteurs explicatifs de ces foyers de dommage.

Ils sont dus principalement à un environnement favorisant l'accès du lynx au troupeau, par exemple les exploitations où les moutons sont principalement forestiers.

Ils sont dus aussi au comportement de certains lynx qui développent des attaques à répétition. Il est intéressant de remarquer que, même si certains lynx ont facilement accès au cheptel, ils ne vont pas tous développer ces attaques à répétition.

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Jean LASSALLE : Il serait intéressant de voir à quoi ressemblait le site que vous nous montrez il y a un siècle, époque à laquelle la présence humaine devait être beaucoup plus forte et la région moins boisée. Le site tel qu'il se présente aujourd'hui, avec cette abondante végétation, ne peut qu'être attaqué par des lynx.

M. Jean-Michel VANDEL : Dans le Jura, l'élevage ovin ne se pratique pas de la même manière que dans les Alpes. Les éleveurs ont de petits troupeaux et utilisent les espaces délaissés par l'élevage bovin qui jouxtent les massifs forestiers ou qui sont des enclaves dans les forêts. Il est vrai que la présence de la forêt a évolué au cours du temps et la tendance actuelle est à l'enfermement du massif forestier car les prairies sont délaissées par l'agriculture et colonisées par la végétation.

Hors foyer de dommages, c'est-à-dire plus de 70 % des exploitations attaquées, concernées donc par des attaques irrégulières et rares, la seule mesure de gestion que nous préconisons est la compensation financière des dommages.

Dans les foyers de dommages, nous préconisons la compensation financière des dommages et la mise en place progressive de mesures visant dans un premier temps à limiter l'apparition d'individus à problème par la gestion pastorale. Les mesures dont l'efficacité a été reconnue est l'absence d'animaux la nuit dans les parcs à risque et la mise en place de chiens de protection. La dernière mesure qui peut être proposée est l'élimination sélective d'individus à problème. Le ministère de l'écologie a mis en place une procédure autorisant, dans les départements de l'Ain et du Jura, l'élimination sélective d'un lynx par an s'il y a un foyer de dommage, c'est-à-dire au moins dix attaques par an dans un rayon de trois kilomètres.

Un plan de restauration du lynx est en cours d'élaboration. Il propose des mesures de conservation adaptées à la problématique du lynx, qui peut être différente d'un massif à l'autre. Dans le massif alpin, ce plan propose de développer la présence de l'espèce sur l'ensemble des compartiments de l'habitat favorable et de favoriser les connexions entre ces compartiments. Dans le massif jurassien, ce plan préconise le maintien de la présence de l'espèce et la réduction des dommages sur le cheptel domestique.

M. le Rapporteur : Il y a donc un plan de réintroduction du lynx dans les Alpes ?

M. Jean-Michel VANDEL : Non, il s'agit simplement de prendre des mesures favorables à la présence de l'espèce et non d'une réintroduction ou d'un renforcement de population.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire favoriser la reproduction ?

M. Jean-Michel VANDEL : C'est cela.

M. le Rapporteur : Qui est a décidé de ce plan et quand ?

M. Jean-Michel VANDEL : C'est le ministère de l'environnement. Ce plan est en phase de rédaction depuis sept à huit mois.

Dans le massif vosgien, le plan prévoit le maintien de la présence de l'espèce dans les Vosges du sud et dans les Vosges moyennes et la réintroduction de l'espèce dans les Vosges du nord ou dans le massif du Palatinat, qui est le prolongement forestier de ce massif en Allemagne. Le plan prévoit ensuite des mesures visant à améliorer l'acceptation par le monde de la chasse.

M. le Rapporteur : Quelles sont les raisons qui ont conduit à la réintroduction du lynx en France ? Comment la réintroduction s'est-elle déroulée ? Existe-t-il, comme pour le loup, un phénomène de retour naturel du prédateur ?

M. Jean-Michel VANDEL : La présence du lynx en France n'est pas du tout liée à une colonisation naturelle, mais à un seul programme de réintroduction, qui a concerné le massif vosgien. L'idée de réintroduire le lynx date des années 70. Un groupe lynx alsacien, composé principalement de membres d'associations de protection de la nature, avait bâti ce projet. En 1978, ce projet a reçu un avis favorable de l'ensemble de la communauté scientifique lors d'un symposium tenu à Strasbourg. Le ministère de l'environnement a donné son accord en 1982 à deux conditions : que les lynx réintroduits soient suivis scientifiquement afin de connaître leur devenir et que le programme de réintroduction fasse l'objet d'un consensus local. Les premiers lynx ont été importés en 1983 pour être lâchés au printemps de cette année. Au total, 21 lynx ont été réintroduits jusqu'en 1993.

L'organisme dont je dépends, l'Office national de la chasse, s'est vu confier le suivi scientifique de la réintroduction à partir de 1985. Notre rôle est essentiellement technique.

Les motifs justifiant la réintroduction du lynx sont, si on reprend la littérature de l'époque, de deux ordres. Des motifs d'ordre éthique d'abord. L'espèce avait disparu à cause de l'activité humaine et on se devait donc de réintroduire cet animal. Des motifs d'ordre plus technique ensuite. Le lynx est un superprédateur pouvant avoir un rôle dans l'écosystème.

M. Augustin BONREPAUX : Combien y a-t-il de lynx actuellement en France ?

M. Jean-Michel VANDEL : Un dénombrement précis est impossible, il faut se contenter d'estimations approximatives en extrapolant des densités de population à l'aire colonisée.

Les seules données de densité de population proviennent du Jura suisse qui indiquent qu'il y a un individu adulte et sédentaire pour 10 000 hectares. Dans le massif vosgien, il devrait donc y avoir entre 15 et 35 lynx adultes et sédentaires et 100 dans le massif jurassien. En revanche, il est impossible de faire une estimation pour les Alpes, car l'aire de répartition du lynx y est très mal connue.

M. Augustin BONREPAUX : Quel est l'objectif du plan de restauration en terme de population ?

M. Jean-Michel VANDEL : L'objectif des plans de restauration et de conservation est d'obtenir des populations viables à terme, pouvant supporter tous les problèmes qu'elles peuvent rencontrer. Le plan de restauration dont je vous ai parlé n'a pas d'objectif numérique.

M. Augustin BONREPAUX : Avez-vous une idée du coût des indemnisations ? Combien de personnes sont affectées au plan de restauration ? Combien coûte-t-il ? Vous avez parlé de l'acceptation des chasseurs. Pourquoi sont-ils contre ? Pourquoi n'avez-vous pas parlé de l'acceptation des éleveurs ?

Vous dites également que le lynx a un rôle dans l'écosystème. Un professeur d'écologie m'a expliqué que le grand prédateur étant en haut de la pyramide, il n'apportait pas grand chose à l'écosystème.

M. Jean-Michel VANDEL : J'ai parlé des motivations émises lors des premiers lâchers. Ma conception de biologiste est différente. La motivation d'une réintroduction ne peut être à mes yeux qu'éthique. On dit que le lynx est un indice de biodiversité. Ce n'est pas vrai : le lynx peut vivre dans des milieux très simplifiés. Il n'est pas le reflet d'une richesse en biodiversité.

A chaque fois qu'un dommage de lynx est constaté, on prend en compte la valeur vénale des animaux fondée sur un barème établi en 1989 par le ministère de l'environnement en concertation avec les éleveurs du département de l'Ain. Un forfait attaque est également appliqué. Il est censé couvrir les dérangements de l'éleveur et les pertes indirects, comme le stress du troupeau. A titre exemple, une brebis tuée par le lynx peut être indemnisée jusqu'à 1 500 francs de valeur vénale, plus 1 500 francs de primes indirectes si le troupeau est composé d'au moins 300 brebis, ce qui est souvent le cas.

Le suivi de la présence du lynx est assuré presque exclusivement par l'Office national de la chasse où un seul poste, le mien, est financé sur ce dossier. Les expertises sont faites sur le terrain principalement par les gardes nationaux de la chasse et de la faune sauvage, présents dans les différents départements. Ce sont des agents de l'Office national de la chasse. Ils interviennent environ 200 par fois sur la chaîne jurassienne, qui concentre l'essentiel des dommages. Je suis incapable de vous donner d'autres informations sur le coût de cette réintroduction.

M. Augustin BONREPAUX : Quelle est la forme de l'élevage pratiqué dans le Jura ?

M. Jean-Michel VANDEL : L'élevage est essentiellement destiné à la viande. Il s'agit de très petits troupeaux, les troupeaux les plus importants comptant 700 animaux. Ces troupeaux ne sont pas gardés. Ils paissent dans des parcs totalement clôturés, parfois très proches de la forêt.

Je tiens à votre disposition différentes publications scientifiques. Nous avons publié en 1998 une monographie scientifique sur le lynx faisant la synthèse sur tous les articles scientifiques écrits sur cette espèce.

M. Jean LASSALLE : Savez-vous si le WWF et ARTUS ont participé au programme de réintroduction ?

M. Jean-Michel VANDEL : En ce qui concerne le plan de restauration qui est en cours d'élaboration depuis huit mois, c'est le ministère de l'environnement qui est à l'origine de cette demande. A ma connaissance, le WWF n'a pas participé, pour l'instant, à ce travail. En revanche, le WWF a été un mécène du programme de réintroduction du lynx dans le massif vosgien. Je ne sais pas d'où venaient les fonds du WWF finançant ce programme.

M. Jean LASSALLE : Quels sont les avantages de la présence du lynx pour l'agriculture, pour l'environnement et pour la chasse ?

M. Jean-Michel VANDEL : La seule motivation pouvant justifier la réintroduction est d'ordre éthique. Le lynx n'est pas un indicateur de biodiversité et son impact sur les populations de proies est très mal connu. Dans les années 70, les partisans de la réintroduction disaient que le lynx pouvait avoir un effet sanitaire sur les populations de proies. A ma connaissance, aucun élément ne permet de le montrer à l'heure actuelle.

M. Joël GIRAUD : Disposez-vous d'une lettre de mission de Mme la ministre de l'environnement sur le plan de restauration ?

M. Jean-Michel VANDEL : Le ministère de l'environnement nous a officiellement demandé de participer à la première partie de la rédaction du plan de restauration, c'est-à-dire sa base scientifique. Je pourrais vous communiquer la demande du ministère ultérieurement.

M. Jean LASSALLE : Nous vous remercions.

Audition de M. Frédéric DECK, Vice-président de la Fédération Alsace nature

(Extrait du procès-verbal de la séance du 25 février 2003)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Frédéric Deck est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Frédéric Deck prête serment.

M. Jean LASSALLE : M. Frédéric Deck est Vice-Président de la Fédération Alsace nature et membre de la commission faune du Conseil national de protection de la nature au titre de la FNE. Je vous remercie d'être venu nous faire part de votre témoignage.

M. Frédéric DECK : Je suis le dossier du lynx tant au niveau national, au sein du Conseil national de protection de la nature, qu'au niveau régional en Alsace.

Le lynx est une espèce de grand carnivore. C'est un félidé, de la famille des chats. Il est quasiment exclusivement carnivore et se nourrit à l'état sauvage de grands ongulés, comme les chevreuils et les chamois, d'oiseaux et de mammifères, comme les renards, les blaireaux ou les chats errants.

Le lynx est présent dans l'est de la France. Ses premières apparitions datent du milieu des années 70, dans le massif du Jura et s'expliquent par une réintroduction faite par nos collègues suisses. Cette population, qui compte environ 80 individus aujourd'hui, s'est bien implantée sur l'ensemble du massif. Elle a commencé à essaimer ver le sud en direction du massif alpin et vers le nord en direction du Jura alsacien.

Dans le massif vosgien, le lynx a été réintroduit à partir de 1983 jusqu'en 1992. 17 animaux, si ma mémoire est bonne, ont été introduits sur une idée originale de l'association Alsace Nature, relayée par les pouvoirs publics avec le soutien du WWF et l'ensemble des directions des ministères.

Cette introduction s'est relativement bien passée.

D'abord, parce qu'il y avait une demande sociale de retour du lynx dans le massif vosgien. Ensuite, parce qu'il n'y a pas, à proprement parler, d'élevage ovin du côté alsacien du massif vosgien, l'élevage traditionnel dans cette région étant la vache laitière. Toutefois, on a pu constater, et on constate encore, la résistance d'un nombre limité de chasseurs à la présence d'un prédateur du chevreuil. Le droit local de la chasse est différent du droit national puisque les lots de chasse sont adjugés tous les neuf ans.

La population de lynx dans le massif vosgien est estimée à une vingtaine d'adultes.

En 2001, le Conseil national de protection de la nature, avec l'aide technique de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, a élaboré un protocole d'intervention ou de non-intervention en ce qui concerne les dégâts potentiels du lynx sur les cheptels domestiques des départements du Jura et de l'Ain. Ces protocoles d'indemnisation d'ovins tués par le lynx existent depuis des décennies, il avait néanmoins paru nécessaire de cadrer davantage la démarche et de mettre en place une série de phénomènes chronologiques afin de simplifier les interventions dans le cas de prédation.

En 2001, je n'ai pas les chiffres pour 2002, la prédation par le lynx sur les ovins était d'environ 100 moutons sur le territoire national, dont 97 % sur les départements de l'Ain et du Jura.

Le protocole, qui a été validé par les différentes instances du Conseil national de protection de la nature, prévoit la possibilité d'indemnisation en cas de prédation sur le cheptel domestique et la mise en œuvre, via les anciens CTE - contrats territoriaux d'exploitation - de moyens de prévention des dégâts du lynx. Il s'agit du regroupement nocturne des moutons, en cas de présence permanente des bêtes sur le territoire, et de mise en place de chiens patous. Des tests avaient été fait en 2000 prouvant l'efficacité de ce type de mesure sur un félin, ce qui n'avait jamais été préconisé en Europe, puisqu'il n'y a pas d'autres félins susceptibles d'être concernés par ces mesures en Europe.

Vu l'état de conservation favorable dans le massif du Jura des populations de lynx, des prélèvements temporaires ou définitifs d'animaux susceptibles de présenter de manière habituelle des caractères de prédation sur le cheptel domestique sont possibles.

Sur le massif alsacien, il n'y a eu aucun cas de prédation par le lynx sur le cheptel domestique prouvé durant ces trois dernières années.

M. le Rapporteur : Les chiffres que vous nous avez donnés ne sont pas les mêmes que ceux de M. Vandel. Selon vous, la prédation des moutons par le lynx concerne environ 100 animaux par an alors que selon M. Vandel, ce chiffre s'établirait aux alentours de 500 animaux indemnisés.

M. Frédéric DECK : Je fais confiance à M. Vandel. Ses chiffres doivent être plus précis que les miens puisqu'il est présent sur le massif du Jura. Les chiffres que j'ai donnés sont ceux fourni par l'Office national de la chasse pour l'année 2001, soit environ 110 moutons tués.

M. le Rapporteur : Quel est le rôle du lynx dans la biodiversité et dans la chaîne d'un écosystème ?

Quelles sont les perspectives de son extension en France ?

Combien de lynx sont éliminés chaque année dans notre pays en application du protocole ?

Pensez-vous que sa réintroduction en France ait été une bonne chose ?

M. Frédéric DECK : La biodiversité est le cumul de l'ensemble des espèces animales et végétales vivant dans un lieu donné. A ce titre, le lynx a sa place, comme n'importe quelle autre espèce animale ou végétale dans l'espace de l'Europe continentale. Le lynx fait partie de notre patrimoine et de notre culture. Il a donc le droit de vivre au milieu de l'ensemble des autres êtres vivants de cette planète.

Le lynx est un prédateur. Il consomme les proies les plus faibles, celles qui sont malades, par exemple, et joue donc un rôle d'épurateur et de limitateur pour certaines espèces, qui peuvent par ailleurs poser des problèmes. Je pense notamment à la surdensité de certains cervidés qui pose des problèmes pour la régénération forestière, notamment dans le massif vosgien. Je pense aussi à la prédation sur le renard, moins importante certes qu'on ne le pensait.

La population du massif jurassien, environ 80 individus, semble avoir atteint son niveau maximum de présence potentielle, hors causes de mortalité naturelle. Son expansion semble se faire vers le sud, notamment vers le massif alpin.

Je suis incapable de vous dire où et quand il s'arrêtera. En effet, le lynx est un animal extrêmement discret et il est très difficile d'apprécier, dans des massifs aussi importants que ceux des Alpes, sa progression, sauf à y consacrer des moyens humains et financiers considérables. Le lynx est présent sur les massifs forestiers des Alpes. Il sera sans doute appelé à s'y installer de façon durable. Le lynx ne s'installera probablement pas dans les Massif Central et dans les Pyrénées avant plusieurs décennies, voire plus. La population du massif vosgien, environ 20 individus, n'est pas à nos yeux définitivement viable. Le nord du massif vosgien est frontalier avec un massif forestier important en Allemagne, dans le Land du Rheinland Pfalz. On peut donc envisager des échanges.

M. le Rapporteur : Comment se passe la cohabitation entre le loup et le lynx ?

M. Frédéric DECK : Il s'agit d'animaux complètement différents donc la cohabitation est biologiquement possible, même si les animaux ne se rencontrent pas, physiquement parlant. Ces animaux sont complètement différents. Le loup est un canidé qui vit en meute et le lynx a un comportement de chat. Il est individualiste et les deux sexes ne se rencontrent qu'au moment de la reproduction. Leur régime alimentaire, leur mode de chasse et de vie sont différents.

M. le Rapporteur : Combien de petits ont les femelles lynx par an ?

M. Frédéric DECK : Entre deux et quatre en moyenne mais la mortalité des petits est extrêmement importante : la moitié n'atteint pas l'âge d'un an. Les femelles ont une portée par an, mais toutes ne se reproduisent pas chaque année.

M. le Rapporteur : Combien de lynx sont élimés chaque année en France ?

M. Frédéric DECK : 60 % des décès de lynx sont provoqués par des collisions routières ou ferroviaires, 20 % sont dus à des maladies et à d'autres causes naturelles et les 20 % restant sont dus à des destructions licites ou illicites.

Une à trois autorisations de destruction de lynx sont délivrées chaque année par le ministère de l'écologie. Les destructions illicites sont difficilement chiffrables, mais la découverte de jeunes non sevrés ou encore dépendants errant dans un état sanitaire médiocre autour de poubelles est un indice de la disparition de la mère. Quand cette disparition est accidentelle, on retrouve relativement facilement le cadavre. Si on ne retrouve pas de cadavre, on peut supposer qu'il y a eu destruction illicite. Il arrive que des gens soient pris sur le fait ou déclarent volontairement qu'ils ont éliminé un animal. C'est arrivé il y a deux ans dans le département du Doubs.

M. Augustin BONREPAUX : Les éleveurs sont-ils indemnisés pour la surcharge de travail provoquée par la présence du prédateur, vous avez cité l'exemple du parcage, même s'il n'y a pas eu de prédation ?

M. Frédéric DECK : Dans le massif jurassien, un certain nombre d'animaux restent dehors nuit et jour dans des parcs. Dans le cadre des anciens CTE il avait été proposé une aide financière pour le regroupement nocturne quand il était possible. Les dégâts de lynx sont indemnisés à hauteur d'un barème du syndicat ovin.

M. Jean LASSALLE : Le WWF et ARTUS ont-ils participé aux programmes de réintroduction ?

M. Frédéric DECK : Le WWF a participé à la campagne de réintroduction dans le massif vosgien. La réintroduction était une idée originale d'Alsace Nature avec le soutien, par la suite, du WWF, ainsi que d'autres organismes, comme l'Office national de la chasse pour assurer le suivi scientifique des animaux par télémétrie et pour mettre en place le réseau de correspondants, agents assermentés de l'ONC, des naturalistes, des chasseurs, des forestiers, chargés de collecter des données sur le lynx.

Dans ce cadre, le WWF a participé pendant une dizaine d'années au programme de réintroduction du lynx dans les Vosges qui s'est déroulé de 1983 à 1992, sans toutefois être présent ni au début ni à la fin du programme.

M. Jean LASSALLE : Le WWF y a participé sous quelle forme ?

M. Frédéric DECK : Le WWF a aidé financièrement le programme. L'apport technique est due à l'Office national de la chasse et l'apport de matière grise à Alsace Nature.

M. Jean LASSALLE : Savez-vous si, à travers le WWF, des mécènes sont intervenus ?

M. Frédéric DECK : Le WWF est une fondation qui sollicite des fonds auprès de mécènes mais, n'en étant pas membre, je ne peux leur demander qui paye quoi. Ceci dit, la fédération Alsace Nature avait lancé des campagnes de souscription auprès de ses membres et des Alsaciens pour apporter sa part de financement à l'opération. J'ai précisé dans mon propos introductif que la réintroduction a été possible grâce à un contexte social favorable, dû en partie aux campagnes de sensibilisation des ONG.

ARTUS n'est pas intervenu dans le programme de réintroduction du lynx dans les Vosges. Je n'en suis pas membre mais je sais que cette association participe à la mise en place de chiens de protection, contre l'ours en particulier. ARTUS est intervenu ponctuellement dans la mise en place de chiens de protection dans l'Ain et le Jura : ils ont mis un chien à disposition dans le cadre d'un test.

M. Jean LASSALLE : Une campagne de communication très importante sur la réintroduction du lynx a eu lieu il y a une dizaine d'années. Savez-vous comment elle a été financée ?

M. Frédéric DECK : Je me souviens d'articles de presse, qui ne sont pas financés spécifiquement, puisqu'ils sont écrits après une conférence de presse. Des campagnes de communication à destination du grand public ont été faites par des ONG de protection de la nature qu'elles ont elles-mêmes financé. Les dons collectés par les campagnes de souscription menées par Alsace Nature ont servi en partie à financer cette campagne de communication. Le WWF a peut-être participé en partie à cette campagne de communication.

M. Jean LASSALLE : Quel a été le rôle du ministère de l'environnement ?

M. Frédéric DECK : Il n'y a pas eu d'engagement spécifique du ministère, qui n'était que l'organe officiel ayant compétence pour délivrer les autorisations de lâcher. Le Conseil national de protection de la nature, quant à lui, n'émet qu'un avis. Le ministère a par ailleurs autorisé la recapture de certains individus, vers le milieu des années 80.

M. Jean LASSALLE : Avez-vous participé au processus de réintroduction dans les Alpes dont nous a parlé Jean-Michel Vandel ?

M. Frédéric DECK : J'ignore l'existence d'un tel processus.

M. Jean LASSALLE : Il s'agit d'un plan de « restauration », qui a fait l'objet d'une lettre de mission officielle du ministère de l'écologie.

M. Frédéric DECK : Un plan de restauration n'est pas un plan de réintroduction. Son objectif est de dresser un bilan et d'identifier les problèmes de conservation de l'espèce ainsi que les problèmes sociaux afin d'élaborer des solutions permettant notamment à la France de respecter ses engagements, puisque le lynx est une espèce protégée au niveau national et européen.

Il existe des plans de conservation pour d'autres espèces que le lynx, comme certains rapaces, la cigogne noire ou le grand hamster d'Alsace. Il s'agit d'espèces qui sont en régression rapide ou qui sont susceptibles de poser des problèmes.

M. Jean LASSALLE : Quel est le montant global de la dotation de l'Etat à France Nature Environnement ?

M. Frédéric DECK : Je peux vous communiquer cette information ultérieurement. France Nature Environnement ne s'occupe pas seulement de la nature et des grands carnivores, mais aussi du traitement des déchets, des risques industriels. Nos chiffres sont remis tous les ans à la préfecture de Paris et sont donc publics. Je ne pourrai vous communiquer que les chiffres de l'année 2001, puisque l'année 2002 n'a pas encore été close.

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie.

Audition de Mme Martine BIGAN, chef du bureau faune et flore sauvages
au ministère de l'écologie et du développement durable
sur la problématique du lynx

(Extrait du procès-verbal de la séance du 25 février 2003)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

Mme Martine Bigan est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, Mme Martine Bigan prête serment.

M. Jean LASSALLE : Je rappelle que Mme Martine Bigan est chef du bureau faune et flore sauvages du ministère de l'écologie et du développement durable et que nous l'avons déjà entendu le 11 décembre 2002 sur la problématique du loup.

Mme Martine BIGAN : La disparition du lynx en France date de la deuxième moitié du XIXème siècle. Les derniers lynx ont disparu du massif vosgien dans les années 1910. Le lynx a fait l'objet de beaucoup de destructions dans les autres pays d'Europe. Dès 1900, certains pays commencent à s'inquiéter de la disparition de l'espèce. En 1939, en Allemagne, et plus tard en 1974, les premières réintroductions ont lieu, puis en Suisse, dans les années 70, en Yougoslavie, en Italie, en Autriche en 1978 ou en Tchécoslovaquie en Bohême.

Cette vaste opération de réintroduction était animée à l'époque par un groupe informel réunissant des scientifiques et des autorités administratives, le groupe lynx international.

En France, le projet a fait l'objet d'études de faisabilité technique. L'opération s'est appuyée sur l'exemple des réintroductions faites dans les autres pays. En 1978 un colloque international scientifique a lieu à Strasbourg. Il donne un avis scientifique favorable à l'opération de réintroduction du lynx dans les Vosges. Le premier lâcher a lieu en 1983 en forêt domaniale de Ribeauvillé dans le Haut-Rhin. De 1983 à 1993, 21 animaux sont réintroduits. Un certain nombre d'entre eux disparaissent, soit à la suite de leur mort naturelle, soit à cause du braconnage, soit parce que, pour deux d'entre eux, ils ont été repris, les autorités s'étant aperçu que ces animaux étaient imprégnés et qu'ils ne pouvaient donc pas mener une vie sauvage dans la nature. C'est donc un petit nombre d'animaux qui a fondé la population vosgienne.

Parallèlement, le lynx est revenu naturellement en Franche-Comté, dans le massif jurassien français, par la Suisse où des projets de réintroduction avait été conduits dans le Jura suisse. Le lynx revient naturellement dans le massif jurassien au même moment qu'il est réintroduit dans les Vosges. Il a également colonisé certains départements alpins. Aujourd'hui, les six départements alpins, sauf les Alpes-Maritimes, sont colonisés par le lynx.

Le ministère de l'Environnement a eu notamment pour rôle de délivrer les autorisations nécessaires. Il était également le financeur d'études de faisabilité et de l'opération de réintroduction avec des partenaires privés, notamment le WWF France. Les partenaires techniques étaient l'IREPA, relayé rapidement, en 1985, par l'Office national de la chasse qui a conduit les études de suivi technique et les opérations de lâcher.

Sur le plan administratif, une commission interdépartementale de suivi a été mise en place sous l'égide du préfet du Haut-Rhin en 1985.

Bien avant la loi de protection de la nature de 1976, le lynx faisait l'objet d'une protection au titre de la chasse. Dès 1972, et même avant dans certains départements, le lynx était interdit à la chasse. A titre comparatif, le loup n'a été protégé juridiquement que bien plus tardivement, en 1993, mais l'ours a été protégé, au moins au titre de la chasse, très tôt, vers la fin des années 50.

Le loup n'a été protégé que tardivement, d'ailleurs à la suite des textes européens, notamment la directive Habitats, parce qu'il était plus difficile psychologiquement d'afficher la protection du loup que celle du lynx. De plus, on pensait, et certains le pensent encore aujourd'hui, que le lynx avait subsisté bien après les dates de disparition que je vous ai citées, notamment dans les Pyrénées-Orientales, mais cela n'a jamais été vérifié car la biologie du lynx est complexe et l'animal discret.

Le lynx figure dans l'annexe III de la convention de Berne et, à ce titre, n'est pas intégralement protégé - cette espèce doit simplement faire l'objet d'une réglementation de son exploitation -  car il est encore chassé dans certains pays de l'Europe de l'est signataires de la convention. Par contre, le lynx est intégralement protégé par la directive Habitats Faune Flore.

M. Jean LASSALLE : Si je comprends bien, les sites où se trouvent des lynx étant tous classés au titre de la directive Habitats, ces animaux ne pourront plus être régulés.

Mme Martine BIGAN : Au titre de la directive Habitats, la protection est effectivement beaucoup plus stricte puisque le lynx ne peut pas être chassé, mais la directive Habitats, tout comme la convention de Berne, prévoit un mécanisme dérogatoire permettant de réguler l'espèce en cas de dégâts, par exemple.

Les dispositions de la convention de Berne sur le lynx sont plus souples puisqu'elles autorisent la chasse au lynx, à condition qu'elle soit réglementée pour éviter la disparition de l'espèce. Lorsqu'il n'existe pas d'autres solutions satisfaisantes et à condition de ne pas nuire à la survie de la population, des dérogations au régime de protection peuvent être accordée, au titre de l'article 9 de la convention, dans l'intérêt de la faune et de la flore pour prévenir des dommages, dans l'intérêt de la santé publique, de la sécurité publique, à des fins de recherche, d'éducation, de repeuplement, de réintroduction ou d'élevage et enfin pour permettre l'exploitation d'espèces en petites quantités. Ces motifs de dérogation ne s'appliquent bien sûr pas tous au lynx.

S'agissant plus précisément du lynx, à condition qu'il n'y ait pas d'autres solutions satisfaisantes et que l'on ne nuise pas à la conservation de l'espèce, on peut autoriser le tir ou la capture d'un lynx. On retrouve le même dispositif dans la directive Habitats.

C'est en fonction de ces dérogations que, lorsque nous avons modifié l'arrêté fixant la liste des mammifères protégés pris au titre du code rural, aujourd'hui le code de l'environnement, nous avons prévu un mécanisme dérogatoire pour les trois espèces de grands carnivores permettant de prévenir les dommages et d'intervenir pour des motifs de sécurité publique ou pour la conservation de l'espèce. Il paraît difficile, en effet, de prétendre assurer la conservation de grands carnivores sans recourir à des mécanismes dérogatoires permettant d'intervenir en cas de problèmes, comme par exemple des dégâts au pastoralisme.

Nous avons, dans les premières années, délivré des autorisations de capture au coup par coup. Mais ce système, outre sa lenteur administrative, présentait l'inconvénient de ne pas nous permettre toujours d'intervenir à bon escient. C'est pourquoi, depuis 2001, avec l'équipe de l'ONCFS suivant les foyers d'attaque, nous avons établi un protocole d'intervention en cas de dégâts répétés.

Tous les lynx ne sont pas mangeur de moutons, certains animaux se spécialisent. Par ailleurs, certaines exploitations, notamment celles situées à proximité d'une zone forestière, sont plus sensibles que d'autres aux attaques de lynx, d'autant que les forêts attirent les chevreuils, proies des lynx. Cette double conjonction - habitudes alimentaires du prédateur et vulnérabilité de l'exploitation - permet d'identifier des foyers d'attaque. En fonction d'un certain nombre d'attaques, en général une dizaine sur un rayon de trois kilomètres, les préfets du Jura et de l'Ain, qui sont les deux départements dans lesquels se concentre la majorité des dégâts de lynx, peuvent déclencher une opération de tir, à condition d'avoir respecté le protocole. Si l'on intervient immédiatement après une attaque et que le lynx est tué, les dégâts cessent pour une période assez longue.

M. le Rapporteur : Quel bilan, en termes d'avantages pour l'environnement et d'inconvénients pour les activités agricoles, faites-vous de la réintroduction de lynx ?

Combien coûte la population de lynx dans les Vosges ? Quel est le montant des indemnisations et quels ont été les emplois créés ?

La procédure de constat des attaques est-elle similaire à celle appliquée pour les loups ? Utilise-t-on l'analyse d'ADN ?

Mme Martine BIGAN : Biologiquement, la situation du lynx dans les Vosges reste fragile. C'est une population qui se développe péniblement. La réintroduction du lynx dans les Vosges et le retour naturel dans le Jura et dans les Alpes sont un atout pour l'enrichissement de la biodiversité car elles permettent de rétablir des équilibres fortement perturbés.

S'agissant du coût, aucun bilan global n'a été fait. L'opération de réintroduction, elle-même, du lynx avant les premiers lâchers, notamment les études de faisabilité, n'a pas dû coûter très cher.

Il n'y a pas de dégâts sur le cheptel domestique dans les Vosges, car il n'y a pas d'élevage ovin. Il y en a dans le Jura et ils sont indemnisés depuis 1989. A titre d'exemple, les indemnisations se sont montées à 32 000 euros en 2002. L'administration n'ayant pas de comptabilité analytique, elle ne comptabilise pas le temps passé par ses agents à constater les dégâts ou à travailler sur le suivi du lynx.

C'est le réseau de l'Office national de la chasse qui coordonne les opérations de constats, lesquels sont effectuées par ses propres agents et d'autres.

M. Jean LASSALLE : A part les agents de l'Office national de la chasse, qui effectue les constats ?

Mme Martine BIGAN : Des vacataires, par exemple. Il n'y a pas d'agents des parcs nationaux, comme dans le cas du loup. Les fédérations de chasseurs peuvent participer au réseau de suivi, tout comme les associations de protection de la nature.

En ce qui concerne la procédure de constat, s'il est très difficile de savoir si un dégât a été causé par un chien errant ou par un loup, en revanche le mode d'attaque du lynx - à la gorge - est caractéristique et ne laisse que peu de place au doute. C'est pourquoi, certains pays ont mis au point, avec plus ou moins de bonheur, des colliers de protection, qui étaient d'ailleurs utilisés autrefois. Il me semble que ces colliers ont aussi été utilisés contre l'ours. J'ajoute que l'analyse génétique n'est pas utilisée pour identifier un dégât. Cela serait trop coûteux.

M. Augustin BONREPAUX : S'agissant de la réintroduction du lynx, je suis tout de même un peu surpris que le ministère de l'écologie ne soit pas capable de nous donner une évaluation du coût du suivi. Dans le cadre de la politique de contrôle des dépenses menée par le gouvernement, le ministère de l'écologie devrait être capable d'évaluer ce coût. Par ailleurs, outre les agents de l'ONC, les agents de l'ONF sont-ils eux aussi engagés dans le suivi du lynx ? Enfin les populations locales ont-elles été associées au programme de réintroduction du lynx ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous apporter des précisions sur le plan de « restauration du lynx » ? Je voudrais notamment savoir si les populations locales y sont associées.

Mme Martine BIGAN : Comme je l'ai dit, nous ne tenons pas de comptabilité analytique, je ne peux donc pas connaître le coût précis du suivi. Mais l'Office national de la chasse et de la faune sauvage est parfaitement dans son rôle lorsqu'il suit une espèce de la faune sauvage telle que le lynx.

M. Augustin BONREPAUX : Quelle est la participation de l'Etat au fonctionnement de l'Office national de la chasse ?

Mme Martine BIGAN : Pour certaines espèces, qui n'étaient pas les espèces traditionnellement suivies par l'office de la chasse de l'époque, c'est-à-dire les espèces autres que celles de gibier, le ministère de l'environnement contribue au financement de certains postes. Ainsi, les deux biologistes affectés au suivi du loup sont payés par des crédits du ministère de l'environnement. Mais le budget de l'Office national de la chasse provient des redevances cynégétiques.

Un plan de restauration n'est pas spécifique au lynx. Il correspond à une démarche qui existe au niveau international, notamment dans la convention de Berne. Il s'agit, pour des espèces menacées, d'élaborer des stratégies de conservation, voire de restauration. De tels plans ont été appliqués à des espèces particulièrement menacées, par exemple, de grands rapaces ou le grand hamster d'Alsace.

Dans la première partie de ces plans est examinée la situation de l'espèce en question d'un point de vue biologique pour identifier, par exemple, les facteurs ayant mené à la disparition de l'espèce et ceux intervenant dans la conservation de l'espèce. A partir des informations collectées dans la première partie du plan, nous déterminons des objectifs de conservation, comme par exemple la restauration de l'habitat, mais cela ne concerne toutefois pas le lynx, voire des opérations de réintroduction pour certaines espèces. Au bout de cinq ans, on évalue les effets des objectifs fixés.

Le loup ne fait pas l'objet d'un plan de restauration. Le lynx en revanche, qui fait partie des espèces menacées, fait l'objet d'un tel plan, en cours de rédaction. Je ne peux pas encore vous dire quels en seront les objectifs, puisque nous sommes encore en train d'analyser la situation du lynx en France et les raisons expliquant son état de conservation précaire dans certaines régions. La seconde partie, opérationnelle, n'est pas encore écrite, mais un plan de restauration n'a pas forcément pour objet de réintroduire une espèce.

M. Augustin BONREPAUX : Comment vérifiez-vous l'acceptabilité d'une réintroduction prévue par la convention de Berne  par rapport au milieu mais aussi par rapport aux activités locales et aux populations ?

Mme Martine BIGAN : La convention de Berne et la directive Habitats prévoient que des études de faisabilité doivent être faites préalablement à une réintroduction, ainsi qu'une information et une consultation des populations locales.

L'opération de réintroduction du lynx a été bien menée pour l'époque. Il y a eu beaucoup de réunions d'information au niveau local avant et après le lâcher.

M. Joël GIRAUD : Quand a été prise la décision de rédiger le plan de restauration du lynx?

Mme Martine BIGAN : Un plan de restauration n'est pas un document réglementaire. Nous avons demandé à l'Office national de la chasse de rédiger pour nous la première partie du plan. Cela remonte à environ six mois.

M. le Rapporteur : Mme la ministre est au courant ou bien il s'agit d'une décision prise par les technocrates du ministère ?

Mme Martine BIGAN : La ministre n'est pas tenue au courant au jour le jour des documents techniques élaborés.

M. le Rapporteur : Nous l'interrogerons sur ce dossier.

M. Jean LASSALLE : Le plan de restauration se fait-il en concertation avec les élus de terrain ? Sont-ils tenus au courant ? Engagent-ils une consultation de leur assemblée ?

M. Martine BIGAN : Non. Les groupes participant à la rédaction de ces plans sont en général soit des scientifiques, soit des techniciens, par exemple de l'Office national de la chasse. Pour la mise en œuvre du plan est confiée à un comité de pilotage. Les élus locaux sont associés à la mise en œuvre de certains plans. Ainsi, les régions et les départements jouent un rôle très actif dans la mise en œuvre du plan de restauration du vison d'Europe.

M. Jean LASSALLE : Ne pensez-vous pas que la concertation est un des aspects qui manque le plus à ces démarches ? Des problèmes de cohabitation sur le terrain pourraient être évités grâce à une concertation plus étroite des acteurs de terrain, notamment dans le domaine de l'environnement qui est très sensible.

Mme Martine BIGAN : Si, par exemple, un plan prévoyait de réintroduire le lynx dans les Alpes ou d'y conforter sa population - ce n'est qu'un exemple théorique - il faudrait, bien sûr, prévoir des mécanismes d'information et de consultation des élus concernés.

M. le Rapporteur : Pourquoi y a-t-il une telle opacité sur ce dossier, pourtant très important pour nos montagnes ? Nous n'avons appris que ce soir l'existence d'un plan de restauration du lynx dans les Alpes. J'imagine les réactions des éleveurs qui souffrent déjà beaucoup de la présence du loup.

On nous a dit que l'objectif du plan de restauration en question était de développer la présence de l'espèce sur l'ensemble des compartiments de l'habitat favorable et favoriser les connexions entre ces compartiments. Il s'agit donc de permettre au lynx de mieux s'adapter à nos territoires.

J'enverrai dès demain une question écrite à Mme Roselyne Bachelot.

M. André CHASSAIGNE : D'où viennent les animaux réintroduits ? Existe-t-il des associations spécialisées ou des élevages de transition entre la capture de l'animal à l'état sauvage et son lâchage ?

Le protocole d'intervention concernant le lynx a-t-il été déjà appliqué ? Si oui, combien de fois l'a-t-il été ?

J'ai appris dans une précédente audition que le protocole concernant le loup aurait pu être appliqué dans un cas précis, mais ne l'avait pas été. Savez-vous pourquoi ?

Mme Martine BIGAN : Pratiquement tous les lynx lâchés dans les Vosges provenaient de Tchécoslovaquie. Ils ont séjourné de manière transitoire dans le zoo de Bratislava après avoir été capturés dans la nature. Nous étions pour cela en relation avec l'équivalent du ministère de l'environnement tchécoslovaque.

M. André CHASSAIGNE : Ce type de démarche est-il possible pour le loup ?

Mme Martine BIGAN : Le loup n'a pas été réintroduit.

Je ne suis pas spécialiste de ces questions mais je crois que les loups réintroduits dans le parc de Yellowstone ont été capturés dans la nature - c'est le cas général pour tous les grands carnivores -  avant parfois de séjourner en quarantaine. Pour les autres espèces, toutes les solutions sont possibles, y compris l'élevage en captivité. Pour des espèces en voie de disparition, des programmes de reproduction en captivité sont indispensables. Il est toujours possible d'élever des grands prédateurs en captivité, mais il leur est très difficile de s'adapter à la vie sauvage.

Avant le protocole mis en place en 2002, des autorisations au coup par coup étaient délivrées. Il n'y a eu guère plus qu'une ou deux opérations de capture par an. Ces opérations étant difficiles à mettre en place, nous avons préféré un système de cadrage de l'intervention du préfet lui permettant de réagir immédiatement quand un foyer d'attaque est détecté.

Dans les Alpes-Maritimes, les conditions d'application du protocole concernant le loup ont été remplies en 2000 et le préfet a autorisé le prélèvement d'un loup. L'Office national de la chasse, envoyé sur l'alpage concerné, a attendu le loup en vain. La présence massive d'agents avait sans aucun doute effarouché le loup.

M. André CHASSAIGNE : Le protocole d'intervention n'est donc pas à vos yeux la bonne formule pour régler les problèmes posés par le loup ?

Mme Martine BIGAN : Ce protocole pose des problèmes de mise en œuvre car il est difficile d'attirer le loup sur l'alpage qu'il a attaqué afin de le tuer.

M. Jean LASSALLE : Savez-vous si le protocole d'intervention, concernant le loup, l'ours ou le lynx, a effectivement abouti au prélèvement d'un prédateur ?

Mme Martine BIGAN : Le seul cas où le protocole a été actionné jusqu'au bout est celui des Alpes-Maritimes en 2000 auquel M. Chassaigne faisait allusion.

M. Jean LASSALLE : Ce protocole n'aurait donc pour seul avantage que de rassurer les gens par sa seule existence ?

Mme Martine BIGAN : En 2000, lorsque ce protocole a été appliqué dans les Alpes-Maritimes, il a eu un effet psychologique non négligeable. Il a été apprécié comme un geste de l'administration pour autoriser le tir.

Le tir d'un lynx est efficace car on est sûr de réduire le nombre d'attaques sur un site pendant une longue période si on tue le lynx qui en est responsable. En revanche, le loup chassant en meute pendant une longue période, l'efficacité du tir d'un loup est moins évidente.

M. Roland CHASSAIN : L'Union européenne finance-t-elle, à travers la directive Habitats, la restauration du lynx et les associations de protection du lynx ?

Mme Martine BIGAN : Le programme LIFE est directement lié à l'application de la directive Habitats. La France l'a déjà sollicité à plusieurs reprises, pour le loup et l'ours, mais pas pour le lynx jusqu'à présent. Des financements communautaires sont effectivement accordés pour la conservation de ces espèces.

M. Roland CHASSAIN : Quel en est le montant ?

Mme Martine BIGAN : Le deuxième programme LIFE, en cours pour le loup, qui s'étale sur trois ans, coûte 18 millions de francs. L'essentiel du financement concerne la mise en œuvre des mesures de prévention, une faible part de ce financement est consacrée au suivi du loup.

M. Jean LASSALLE : Avez-vous le sentiment que tous les moyens ont été pris pour informer les élus et la population du contenu de la directive Habitats et de Natura 2000 ? Je pense notamment au fait que lorsque la directive Habitats s'appliquera dans des zones où la grande faune est présente, nous ne pourrons pratiquement plus intervenir.

Mme Martine BIGAN : Je ne m'occupe pas du suivi de la directive Habitats mais il me semble que les élus ont été associés à cette démarche.

M. Roland CHASSAIN : En tant que vice-président du parc de Camargue, je peux témoigner que l'administration du parc a eu connaissance des directives, mais pas les maires. Aujourd'hui, la population ne sait absolument rien des directives. Les chasseurs n'ont découvert la directive Oiseaux que bien après sa mise en œuvre, à cause des problèmes posés.

M. Jean LASSALLE : C'est vrai. Je ne suis pas sûr que les chasseurs connaissaient le contenu de la directive au moment où elle se décidait ou même au moment où elle a été mise en œuvre. S'ils en avaient été informés, beaucoup de conflits auraient pu être évités.

Mme Martine BIGAN : Il est vrai que lorsque la France a participé aux négociations de la directive Oiseaux, nous n'avions peut-être pas conscience des difficultés qui surviendraient.

M. Augustin BONREPAUX : Je ne sais pas s'il y a des parcs à ours ou à lynx, mais je connais au moins deux parcs à loups. D'où viennent les animaux qui s'y trouvent ? Comment sont-ils contrôlés lorsqu'ils sont introduits en France et lorsqu'ils sont dans les parcs ?

Je voudrais par ailleurs savoir si le ministère de l'écologie subventionne des associations de protection du lynx.

Je me demande également si, dans la mesure où ni le loup ni l'ours ni le lynx ne sont régulés, l'Europe pourra continuer à financer les dégâts causés par ces prédateurs dans un contexte de réduction des crédits de la PAC, d'autant que les pays qui vont entrer dans l'Union comptent de nombreux prédateurs sur leur territoire, comme la Slovénie ou la Tchéquie.

Mme Martine BIGAN : Sur l'origine des loups de captivité, je crois que vous aurez l'occasion d'entendre prochainement M. Michel Perret, qui travaille dans mon bureau. Il vous présentera nos travaux sur les loups détenus en captivité.

Le loup, comme l'ours d'ailleurs, est une espèce qui se reproduit très bien en captivité. Les animaux en captivité font l'objet d'échanges entre parcs zoologiques mais il y a quand même quelques importations. Le contrôle de ces bêtes est fait par l'administration. Ce sont les parcs zoologiques qui détiennent la plus grande part des loups en captivité et je crois que parmi eux c'est le parc du Gévaudan qui en détient le plus. Les parcs zoologiques et les établissement d'élevages sont soumis à une autorisation d'ouverture, délivrée si certaines conditions sont remplies : conditions de sûreté de la détention, respect de la réglementation sanitaire et de l'interdiction de capturer des animaux protégés dans la nature... Le responsable de l'établissement doit par ailleurs être titulaire d'un certificat de capacité.

Les échanges d'espèces protégées entre parcs zoologiques, notamment pour les reproductions, sont soumis à des autorisations de transport.

M. André CHASSAIGNE : Je me souviens que, lors d'une table ronde organisée par notre commission, un des intervenants a répondu à la question : « A quoi sert le loup » ? « A rien, comme Mozart ». Feriez-vous la même réponse pour le lynx ?

Mme Martine BIGAN : C'est une belle question ! Nous avons eu à une époque, au ministère de l'environnement, le souci de justifier l'utilité pour l'homme de la réintroduction de telle ou telle espèce. Je pense que bon nombre de nos concitoyens peuvent sans doute aisément se passer de la présence de certaines espèces sur leur territoire. La flore et la faune sauvages sont notre patrimoine naturel et on ne se pose jamais la question de savoir pourquoi nous devons préserver notre patrimoine culturel. Le parallèle entre Mozart et le loup, le lynx ou l'ours est assez juste.

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie.

Table ronde regroupant des associations membres
de France Nature Environnement (FNE) :
Mme Florence ENGLEBERT, chargée de mission Loup à FNE,
M. Christophe AUBEL, secrétaire national de FNE et pilote de la mission Loup,
M. Lionel BRARD
44, ancien président de FNE,
M. Michel PHISEL, président du Centre de recherche alpin sur les vertébrés (CRAVE), conseiller municipal de Vitrolles,
M. Claude REMY, Association Arnica Montana,
M. Jean-Marie OUARY, vice-président de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) Drôme,
membre de l'association Mille traces, guide naturaliste,
M. Jérôme BONNARDOT, membre de l'association Mille traces, guide naturaliste

(Procès-verbal de la séance du 26 février 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

puis de M. Jean Lassalle, Secrétaire

Les témoins  sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, les témoins   prêtent serment à tour de rôle.

M. le Président : Je propose que chacun d'entre vous présente de manière très succincte ses responsabilités au sein de France Nature Environnement et son rôle dans le dossier du loup. Nous vous poserons ensuite des questions.

M. Christophe AUBEL : Nous avions compris que chacun d'entre nous disposerait de dix minutes pour présenter ses activités et son point de vue sur le dossier. Nous avons donc préparé nos exposés en fonction de cette information. Je vous propose donc de procéder ainsi et, si vous le voulez bien, je prendrais la parole en premier, en tant que pilote de la mission loup.

M. le Président : La commission arrive au terme de près d'une centaine d'auditions. Elle a donc surtout besoin de vous poser des questions sur certaines zones d'ombre, plutôt que d'entendre un exposé de plus d'une heure sur des sujets dont nous avons déjà largement connaissance. Je préférais donc que chacun identifie précisément son rôle dans le dossier du loup, pour que nous puissions vous poser des questions. Vous aurez sans doute à vous exprimer dix minutes chacun, mais dans le cadre des questions.

M. Christophe AUBEL : Toutes les personnes présentes peuvent vous apporter un témoignage original et je pense qu'elles ne pourront pas vous l'apporter en deux minutes.

M. le Président : Vous verrez que j'aurai à vous interrompre sur des points sur lesquels nous sommes déjà éclairés. Je préside les travaux de cette commission et cette table ronde va se dérouler comme je l'ai décidé.

M. Christophe AUBEL : C'est avec espoir et détermination que nous nous sommes rendus à cette table ronde. Détermination à défendre ce à quoi nous croyons, à savoir que le retour du loup est une chance offerte à notre société et sa présence une chance pour l'avenir de nos montagnes.

Espoir de voir la représentation nationale, et j'espère ne pas me tromper, contribuer efficacement à mettre en place la cohabitation entre le pastoralisme et le loup, qui est possible, puisqu'elle existe dans de nombreux pays.

France Nature Environnement est la fédération nationale des associations de protection de la nature et de l'environnement qui fédère plus de 3 000  associations et regroupe des centaines de milliers de personnes, militants, sympathisants, citoyens qui veulent que la nature soit réellement prise en compte par l'ensemble de notre société.

Lorsque le loup est revenu dans le Mercantour en provenance d'Italie, des personnes sur place ont sollicité la fédération nationale afin de mettre en place une structure permettant d'accompagner ce retour qui était pressenti avec raison comme quelque chose d'important. La mission loup est née à cette époque, en 1996. Elle fonctionne avec un directoire de bénévoles et s'appuie sur le travail d'une chargée de mission. Nous coordonnons les actions de l'ensemble du monde associatif, associations locales, régionales ou nationales. Ces actions sont très variées : elles vont du suivi de terrain aux actions concrètes avec les professionnels, comme le placement de chiens, d'aides bergers, la lutte contre le braconnage, les campagnes anti-poison, de sensibilisation ou d'information. La multiplicité de ces actions est la concrétisation de notre représentativité et de notre rôle social au service de l'intérêt général. Le tour de table qui va suivre, que vous accepterez, je l'espère, le montrera.

Je voudrais fixer deux bornes qui doivent délimiter l'action et la réflexion sur le dossier du loup. La première borne, c'est le retour du loup en France. Le retour du loup depuis l'Italie est bien connu, je n'y reviens pas. Je me contente de renvoyer aux travaux de Luigi Boitani et Pierre Taberlet, ainsi qu'aux écrits de la convention de Berne.

Je voudrais insister sur les effectifs de loups en France. Il y en a 26 aujourd'hui, contre 30 en 2000, lorsque sa population était au plus haut. Je voudrais comparer ces chiffres avec deux autres données. La première, c'est le seuil en-deçà duquel, selon les biologistes, une population de loups n'est pas viable : 150 loups. La seconde, ce sont les cas connus, il nous en échappe forcément, de braconnage : une quinzaine.

La deuxième borne concerne le pastoralisme. Il est aujourd'hui, en France, à la croisée des chemins. Certains veulent le faire évoluer pour assurer sa survie. Ils se sont réunis lors des premières rencontres éco-pastorales que FNE a organisées, en janvier, avec l'association pour la cohabitation pastorale regroupant des éleveurs et des bergers. Je voudrais vous lire la déclaration issue de ces rencontres :

« La réunion de Lavelanet-de-Comminges est une date importante. Nous, éleveurs, bergers de Franche-Comté, du Jura, des Alpes et des Pyrénées, protecteurs de la nature, avons souhaité nous rencontrer pour parler du loup, de l'ours et du lynx. C'est une grande première. Depuis que le loup est revenu dans les Alpes depuis dix ans, le lynx dans le Jura et les Vosges et depuis que la population d'ours a été renforcée dans les Pyrénées, on entend partout, dans la bouche de responsables agricoles et d'élus, et donc dans la presse, que la cohabitation entre le pastoralisme et les grands prédateurs est impossible. C'est faux. Elle est difficile, parfois très difficile, mais d'abord parce que le pastoralisme, victime du productivisme, frappé par la concurrence internationale et la mondialisation, est plongé dans une crise si grave qu'elle met en danger sa survie. La réapparition des grands prédateurs est une épreuve supplémentaire, mais une épreuve de vérité. Nous ferons habiter la montagne en prenant en compte les enjeux de la société tout entière, dont la défense de la biodiversité, ou le pastoralisme en souffrira. Ce serait un drame, car le pastoralisme est une histoire vieille de plusieurs milliers d'années qui démontre que l'homme est capable de vivre dans la nature avec elle. Ceux qui refusent la présence des animaux sauvages sont contre cette filiation, pour nous, essentielle. Nous pensons différemment. Nous pensons que la tradition la plus ancienne et la modernité la plus actuelle peuvent et doivent se rencontrer. Le monde entier à Johannesburg il y a six mois a proclamé que la défense de la vie sur terre était désormais la première des priorités. Nous avons le sentiment d'être des pionniers. Notre réunion annonce des temps nouveaux, des temps modernes. La confrontation avec la faune sauvage nous offre la possibilité à nous, éleveurs et bergers, à nous, protecteurs de la nature, de redéfinir notre relation avec la vie sauvage. Ce sera dur, cela prendra du temps, cela demandera des efforts et des aides. Nous croyons que l'avenir appartient à ceux qui sauront partager l'espace en pensant à ceux qui viendront après eux ».

Cette déclaration était suivie de demandes et de souhaits, adressés notamment à la commission d'enquête.

« Nous avons besoin de maintenir l'élevage de montagne et de mettre en place de façon pérenne les mesures permettant de valoriser une production de qualité, de valoriser le métier de berger, de s'impliquer durablement dans les mesures d'accompagnement de la présence des grands prédateurs en alliant compensation et prévention, d'assurer la présence à long terme, du loup, de l'ours et du lynx dans nos massifs. Il y a urgence, c'est avant la saison d'estive 2003 qu'il faut agir ».

Je terminerai en rappelant les propos du Président de la République à Nantes, lors de l'ouverture des Assises de la charte de l'environnement : « La responsabilité écologique, c'est la responsabilité de chacun envers l'environnement, bien commun de l'humanité. Les ressources naturelles ou la biodiversité sont partagées entre tous les hommes. Personne ne peut s'arroger le droit d'en abuser. »

M. Jean-Marie OUARY : Je voudrais témoigner au nom de mon association de terrain, basée sur le massif du Vercors. Nous nous occupons d'éducation à l'environnement en organisant des sorties nature, des observations de terrain et en informant le grand public. Nous sommes installés dans un pays rural qui compte 1 700 habitants répartis dans cinq villages, contre 10 000 auparavant. Nous sommes passés de 4 000 journées vacances à 60 000. Je sais donc comment faire vivre le monde rural avec toute la richesse du milieu naturel, qui est assurée notamment par le retour du lynx, du loup et de l'ours. Les citadins demandent à découvrir les richesses du milieu naturel pendant leurs vacances.

Je suis aussi responsable dans nos associations de la Drôme du suivi de terrain du loup. Le protocole « 48 heures après la neige » permet d'avoir une connaissance plus pointue du loup sur le terrain. Je suis membre du conseil d'administration de France Nature Environnement et membre du directoire de la mission grands prédateurs. A ce titre, j'essaye de trouver des solutions pour empêcher la désertification du milieu rural. Une de ces solutions est de favoriser des passerelles entre la faune sauvage et l'économie montagnarde, en développant des produits de la montagne certifiés.

Mme Florence ENGLEBERT : Je suis chargée de mission loup à France Nature Environnement. A ce titre, je coordonne les actions fédérales en matière de protection du loup et de connaissance du pastoralisme.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais vous parler des mesures de prévention et du cas particulier des Alpes-Maritimes et du massif du Mercantour.

Le loup est revenu dans les Alpes après un siècle d'absence durant lequel les éleveurs ont délaissé les traditionnels moyens de protection des troupeaux. Par ailleurs, le contexte est globalement difficile pour l'élevage de montagne. Un certain nombre d'éleveurs, variable selon les départements, ne gardent pas ou ne font pas garder leur troupeau afin d'alléger leurs charges. Au début des années 90, beaucoup d'alpages était très peu aménagés, voire pas du tout, ce qui rendait les trois ou quatre mois d'estive difficiles. Les aides octroyées grâce au retour du loup permettent à cette situation d'évoluer. De nombreuses cabanes pastorales, jusqu'alors en ruines, ont été remises en état ou construites grâce à des fonds publics.

La présence du loup doit permettre une réflexion de fond sur le pastoralisme et les conditions de vie du berger.

Quelles sont les circonstances favorisant l'attaque du loup sur un troupeau ? Le suivi effectué dans les Alpes du sud, et principalement dans le Mercantour, fait ressortir comme causes principales tout d'abord l'absence de regroupement nocturne des troupeaux, qui est la cause de 90% des attaques, puis l'absence de gardiennage et de chiens de protection, l'effectif des troupeaux - ce sont ceux comptant plus de 1 500 bêtes qui enregistrent le plus d'attaques - et enfin la date de redescente de l'alpage. D'autres facteurs sont à prendre en compte, comme la densité en herbivores sauvages ; on constate en zone centrale du Mercantour qu'une densité élevée est un gage de moindre prédation sur le cheptel domestique ou la topographie des alpages. Il faut souligner que l'impact du loup est différent selon que l'on se trouve sur un front pionnier, c'est-à-dire un nouveau secteur de présence du loup, ou sur un territoire sur lequel le loup est installé depuis plus d'un an. Il semble que l'affolement des ovins, important lors des premières attaques, décroisse avec le temps. Selon de nombreux bergers, un loup expérimenté en passant régulièrement à proximité des troupeaux et en prélevant occasionnellement quelques brebis isolées se ferait accepter dans l'environnement du troupeau.

Qu'en est-il de l'efficacité des mesures préventives ?

Les pièces maîtresses d'un dispositif de prévention sont la présence d'un berger et de chiens de protection - il faut compter environ un chien pour 500 brebis - complétée par le regroupement nocturne des troupeaux, qui donne moins de prise au loup et facilite le travail des chiens. De nombreux exemples démontrent l'efficacité de la prévention quand elle est correctement appliquée. Dans le Mercantour, les éleveurs sérieux et volontaires, même situés au cœur des territoires occupés par le loup, voient la prédation réduite à zéro ou à une ou deux brebis par an. Le cas des Hautes-Alpes est aussi très significatif. Les brebis dont la perte a été attribuée au loup sont passées de 310 en 1999 à 97 en 2001 grâce à une protection accrue des troupeaux.

Nous demandons à ce que les aides aux éleveurs soient pérennisées après le programme LIFE loup. Le deuxième programme LIFE a été prolongé in extremis en 2003, sans que de nouvelles mesures d'accompagnement aux éleveurs aient été prévues. Or, il est absolument indispensable que les éleveurs et bergers soucieux d'accroître la protection de leurs troupeaux soient aidés à la fois sur d'éventuelles zones de présence du loup et sur les territoires où il est déjà installé.

Une assurance grand prédateur doit être mise en place par l'Etat en remplacement de l'actuel système d'indemnisation. En complément, FNE propose une aide forfaitaire destinée aux éleveurs travaillant en présence du loup, de nature à favoriser les éleveurs s'investissant sérieusement dans la prévention. A l'heure actuelle, les efforts et la bonne volonté ne payent pas. Les éleveurs faisant sérieusement leur travail sont perdants financièrement par rapport à ceux qui refusent les moyens de prévention et laissent leur troupeau sans surveillance. Certains perçoivent chaque année des indemnisations de 15 000 euros sans aucune incitation à s'équiper correctement et sont donc largement gagnants par rapport aux prix du marché et par rapport aux éleveurs qui écoulent leurs agneaux par la voie normale et s'investissent avec force travail pour protéger leurs bêtes. Il est primordial d'inverser cette tendance.

Nous demandons aussi, à la place des aides bergers, la création de brigades pastorales, comme cela se pratique dans les Pyrénées pour aider les éleveurs travaillant en présence de l'ours. Il s'agit d'une équipe de bergers professionnels intervenant ponctuellement sur les alpages afin de renforcer la protection des troupeaux. Le problème avec les aides bergers actuels est qu'il s'agit d'une main d'œuvre non qualifiée qui dissuade parfois les éleveurs d'embaucher un vrai berger.

Une autre mesure intéressante, pratiquée aussi dans les Pyrénées en zone à ours, consiste à aider les éleveurs à embaucher un deuxième berger et même un aide-berger en cas de besoin. Pour cela, une aide de 1 200 euros par mois est versée pendant la saison d'estive.

L'intérêt de la présence d'un berger va bien au-delà de la seule protection d'un troupeau contres les attaques de prédateurs. La présence d'un berger permet de concilier l'approche écologique, pastorale et un bien-être accru des animaux et donc la possibilité de prodiguer des soins rapides au besoin. Les animaux non gardés sont une source de surexploitation et de dégradation des prairies alpines, constatées même au cœur des parcs nationaux. La présence d'un berger et d'un plan de pâturage permet généralement d'y remédier. Des études menées dans les Alpes du sud montrent que les ovins non gardés, et de fait divagants, effectuent de plus grands déplacements au détriment de leur engraissement et de la production allaitante. En outre, la mortalité naturelle déclarée dans les troupeaux non gardés est de 50 % supérieure à ce qu'elle est dans les troupeaux soumis à un gardiennage permanent. La présence d'un berger est donc indispensable, même en l'absence d'un grand prédateur.

On nous reproche parfois le prix de la protection contre le loup et des mesures de prévention. La protection de la nature a un prix, comme toute autre chose, mais celui-ci est relativement modique. Les deux programmes ont totalisé 4,5 millions d'euros sur sept ans et pour l'ensemble des départements concernés. A titre de comparaison, sur la même période, le seul traitement de l'une des maladies de l'élevage, la brucellose ovine, a coûté à la collectivité 44 millions d'euros. En 2002, le déficit du commerce extérieur de la filière ovine s'élève à 501 millions d'euros. Les productions agricoles bénéficient chaque année de 11 milliards d'euros d'aides publiques.

Voyons maintenant quelles sont les autres causes de mortalité des ovins. Actuellement, on attribue la perte de 1 000 à 1 700 brebis au loup sur l'ensemble des départements alpins concernés. Ce sont des chiffres plafond, car le doute profite toujours aux éleveurs. Dans les Alpes, en estive, la direction des services vétérinaires et la FNSEA s'accordent sur le chiffre moyen de pertes de 3 % à 4 % du cheptel, ce qui représente environ 25 000 brebis, chiffre auquel il convient d'ajouter la perte de 10 % à 12 % des agneaux. L'équarrissage, sur trois départements des Alpes du sud, concerne 12 000 brebis.

M. le Président : Excusez-moi de vous interrompre, mais nous avons connaissance de ces données depuis longtemps. Ce qui nous intéresse, c'est de connaître votre rôle précis et votre action dans le dossier du loup.

Mme Florence ENGLEBERT : Je vous l'ai déjà dit. Je suis chargée de mission loup à France Nature Environnement et, à ce titre, je coordonne les actionS associatives fédérales.

M. le Président : Comment votre action s'inscrit-elle dans le cadre administratif de la direction du parc du Mercantour et des directions départementales de l'agriculture ?

Mme Florence ENGLEBERT : Notre action est par essence différente de celle de l'administration.

M. le Président : M. Aubel, quelles sont vos sources de revenus pour faire vivre la fédération ?

M. Christophe AUBEL : La mission Loup de France Nature Environnement vit aux trois quarts sur ses fonds propres, provenant des dons et des abonnements de ses membres et de ses adhérents.

M. le Président : Je vous rappelle que vous avez prêté serment. Pouvez-vous fournir à la commission le nombre précis de vos adhérents ? Vous avez parlé de centaines de milliers d'adhérents.

M. Christophe AUBEL : France Nature Environnement est une fédération, c'est-à-dire une structure fédérant des associations. Nos membres directs sont donc les associations : fédérations régionales, fédérations départementales, associations locales et associations nationales. Nous vous avons fait parvenir les documents de présentation de France Nature Environnement où vous trouverez la liste complète des associations y adhérant. Chacune de ces associations a des membres individuels, qui ne sont pas directement membres de FNE. Les centaines de milliers de personnes dont j'ai parlé sont les membres des associations membres de la fédération nationale.

Le dernier budget, celui de l'année écoulée, montre que les trois quarts des fonds de la mission Loup sont des fonds propres, le reste étant constitué de subventions.

M. le Président : Ces fonds propres proviennent de quelles ressources ?

M. Christophe AUBEL : Il s'agit des dons, des abonnements et de la vente de nos produits.

M. le Président : A combien s'élève votre budget annuel ?

M. Christophe AUBEL : Le budget annuel de la mission loup est de 300 000 francs.

M. le Président : Combien la mission loup compte-t-elle de salariés ?

M. Christophe AUBEL : Un seul, Mme Englebert, sur un poste à mi-temps

M. le Président : M. Brard, je vous demande seulement de répondre aux questions des parlementaires.

M. Lionel BRARD : Aucune question ne m'a été posée pour l'instant.

M. André CHASSAIGNE : Je tiens à faire une remarque. Je ne souhaite pas que les personnes auditionnées soient traitées différemment par vous-même, monsieur le président, en fonction de leur sensibilité. Nous avons auditionné plusieurs éleveurs, qui ont eu tout le temps pour s'exprimer et que vous ne traitiez pas de la même façon que les témoins d'aujourd'hui. Vos prises de position sont partiales et je ne les partage pas.

M. le Président : Je vous remercie de l'avoir indiqué.

Mme Englebert, quel est votre rôle précis au sein de la mission loup ?

M. Christophe AUBEL : Nous avons souhaité venir devant votre commission pour vous faire part de notre point de vue sur le dossier du loup et du pastoralisme. Nous pourrions donc continuer le tour de table et passer la parole à M. Michel Phisel pour qu'il partage avec vous son expérience d'éleveur et de président d'une association.

M. le Président : Nous allons y venir, mais j'aimerais auparavant que Mme Englebert réponde à ma question.

Mme Florence ENGLEBERT : Je m'occupe du suivi des populations de loup, du suivi de la mise en place des moyens de prévention, ainsi que de l'évaluation des alpages où se posent des problèmes. Nous éditons également une revue « La voie du loup » que la commission a reçue. Cette revue nous permet d'informer nos donateurs de l'actualité du loup et des actions menées.

M. Christophe AUBEL : Je voudrais compléter le propos de Mme Englebert. Nous siégeons, soit directement soit à travers les associations membres de la fédération dans les départements, dans les commissions officielles mises en place par les pouvoirs publics, comme le comité national loup, les comités départementaux de suivi du loup ou encore le conseil national de protection de la nature.

M. le Président : Combien d'adhérents compte FNE ?

M. Christophe AUBEL : Nous pouvons vous communiquer la liste des associations qui sont des membres directs de la fédération, mais nous ne pouvons pas vous communiquer les listes des adhérents de ces associations qui ne les transmettent pas forcément elles-mêmes à la fédération nationale.

M. le Président : Nous les demanderons directement.

M. Michel PHISEL : Je suis le président du centre de recherche alpin sur les vertébrés. Cette association a reçu l'agrément ministériel sur les départements des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence. Je suis aussi responsable du centre de soins faune sauvage des Hautes-Alpes. Je suis enfin conseiller municipal de ma commune, Vitrolles et petit exploitant agricole, travaillant en demie surface minimum d'installation.

Le CRAVE existe depuis 1979. Nos buts se déclinent en trois volets : recherche, pour une meilleure connaissance de la répartition et de la biologie de chaque espèce ; protection des espèces et des milieux pour que la faune sauvage trouve des conditions favorables à sa survie ; information destinée au grand public, aux administrations et aux scientifiques. Nous avons édité deux tomes sur la faune sauvage en collaboration avec le parc national des Ecrins. Le premier, paru en 1995, est consacré aux poissons, reptiles, amphibiens et mammifères. Le deuxième, paru en 1999, est consacré aux oiseaux. Le CRAVE a, par ailleurs, organisé un colloque international sur l'aigle royal en 1986.

De par sa nature associative, le CRAVE a dans ses rangs des naturalistes chevronnés. Ces bénévoles consacrent leur temps libre au suivi de meutes dans différents secteurs. La connaissance des mœurs du loup reste encore incomplète, surtout au niveau des déplacements. Entre février et juin 2002, 30 journées sur le terrain ont été consacrées par un bénévole à l'observation du loup dans une vallée de Ristolas, dans le Queyras. Cet observateur a pu voir des loups évoluer en toute liberté pendant sept heures d'affilée. Dans l'Ubaye, 120 heures ont été consacrées par un seul naturaliste au suivi du loup en 2002. D'autres membres réalisent en outre des suivis aléatoires.

Malgré nos connaissances naturalistes, nous ne sommes pas contactés par les services administratifs lors de nos prospections systématiques de territoire. Nous pouvons comprendre la difficulté de coordonner associations et administrations, mais nous suggérons qu'un protocole commun de méthodes de suivi permettant de comparer nos données lors de prospections séparées soit élaboré.

Au niveau de la faune et du loup, un conflit est parfois généré par les chasseurs par rapport à certains ongulés, notamment le mouflon. Le mouflon, qui a été introduit, est mal adapté à la neige et, lors d'hivers rigoureux, peut perdre jusqu'à 45 % de sa population, comme lors de l'hiver 1977-1978 dans le massif de Chaudun, au-dessus de Gap. Le CRAVE a plusieurs fois demandé le renforcement des populations de cerfs élaphe dans certaines vallées afin d'assurer la diversité de proies potentielles. Il serait judicieux aussi, lors de l'élaboration des plans de chasse départementaux grand gibier, de garder un quota pour les quartiers où le loup est présent. Il faut souligner que les plans de chasse ne sont jamais atteints, mais sont demandés à la hausse chaque année.

Le CRAVE, par l'intermédiaire de ses adhérents implantés dans de nombreux secteurs, a des contacts fréquents avec le monde agricole. Tous les agriculteurs et éleveurs ne sont pas membres de syndicats et certains d'entre eux ne sont pas hostiles à la venue des grands prédateurs.

Certains secteurs d'alpage sont en contact avec le loup, mais les mesures de protection mises ensemble sont une solution a beaucoup de problèmes.

Nous proposons que certains alpages, connus pour avoir subi des attaques de loups, soient mis gratuitement à la disposition d'éleveurs volontaires protégeant efficacement leur troupeau. Le manque à gagner pour les communes serait restitué par des programmes dont le loup serait l'objet.

M. le Président : Votre proposition, qui s'appuie sur la reconnaissance de zones à loups, est intéressante. Seriez-vous favorable à ce que certains secteurs soient mis hors d'atteinte du loup ?

M. Michel PHISEL : Nous connaissons à peu près les secteurs où les meutes de loups sévissent. Aujourd'hui, les communes louent leurs alpages à qui les veulent. Je suis conseiller municipal et je connais l'importance des ressources que peuvent représenter les alpages pour une petite commune. Nous proposons que les communes puissent mettre gratuitement à disposition certains de leurs alpages où le loup est présent. Leur manque à gagner serait compensé par un financement du type programme LIFE. L'argent économisé ainsi par l'éleveur lui permettrait de financer une partie des mesures de protection et minimiser ainsi les cas de prédation. Les loups ne sont pas sur la totalité des deux départements. Ils n'occupent que certains secteurs.

De nombreux alpages ont un taux de chargement supérieur à celui préconisé par le CERPAM. Il faudrait que ce taux soit respecté afin de ne pas favoriser la dégradation de l'alpage. Les troupeaux redeviendraient ainsi à taille humaine, permettant une meilleure garde pour anticiper les attaques potentielles de grands canidés.

A cette occasion, je me permets de mettre mon acquis et mes souvenirs de berger des années 1980 dans les alpages des Hautes-Alpes à votre service en matière de prédation. Il était courant chaque été d'avoir la visite de chiens qui n'avaient d'errants que de noms. En effet, les chiens repérés par le garde champêtre local, étaient des chiens de chasse et de ferme des hameaux voisins. Ces actions se sont déroulées en zone périphérique du parc national des Ecrins, répétées malheureusement en zone centrale du PNE dans d'autres alpages, d'autres années.

Les problèmes que rencontre l'éleveur ne sont pas tous du fait du loup, loin de là. Ces nouveaux problèmes peuvent être la multiplication des coûts occasionnés par les nouvelles normes. La dernière en date émanant de la Mutuelle Sociale Agricole est la mise aux normes des tracteurs. Il est vrai qu'au niveau sécuritaire, c'est un progrès. Mais imaginez le coût d'une mise aux normes d'un vieux tracteur sur une petite exploitation. Ce n'est pas par philosophie que l'on roule avec une machine agricole ancienne.

M. le Président : Vous vous écartez du sujet.

M. André CHASSAIGNE : Pas du tout, nous sommes tout à fait dans le sujet.

M. le Président : Monsieur Chassaigne, soyez respectueux des règles de fonctionnement de notre commission et demandez-moi la parole lorsque vous avez quelque chose à dire.

M. André CHASSAIGNE : Le respect doit venir de tous les membres de la commission.

M. Claude REMY : Je suis président de l'association Arnica Montana. Je me permettrais de faire remarquer que je ne suis pas le correspondant du Groupe loup. Notre association est adhérente à France Nature Environnement par l'intermédiaire de l'Union régionale vie et nature.

M. le Président : Comment fonctionne votre association ? Combien d'adhérents avez-vous ? Quel est votre budget annuel ?

M. Claude REMY : Notre association est une association scientifique loi de 1901, déclarée à la sous-préfecture de Briançon le 4 mars 1988. Son but est la connaissance et la protection de la nature dans l'ensemble du département des Hautes-Alpes. Notre association, qui comprend près de 120 membres, fonctionne grâce au bénévolat. Nous travaillons dans les domaines de la flore, de la faune, de la géologie et de la biosurveillance de la qualité de l'air. Nous effectuons des études de recherche scientifique avec certains laboratoires, en particulier l'INRA. Nous assurons aussi des formations dans le domaine de la protection des milieux naturels et des espèces dans le département des Hautes-Alpes. A ce titre, nous sommes agréés dans le cadre départemental par arrêté préfectoral au titre de l'article 40 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. Plusieurs membres de l'association font partie du réseau d'observateurs loup mis en place par la DDAF en 1996.

Dès le retour du loup, ou plutôt dès l'annonce du retour du loup, notre association, afin d'avoir des données objectives et faire une information la plus documentée possible...

M. le Président : Pourquoi faites-vous la différence entre le retour du loup et l'annonce de ce retour ?

M. Claude REMY : L'annonce officielle du retour du loup a été faite en 1992 à la suite d'observations de deux gardes moniteurs du parc du Mercantour, mais ce retour était prévisible. En 1986, lors du premier colloque international sur l'aigle royal à Arvieux, des scientifiques italiens nous faisaient part d'informations sérieuses sur la présence du loup dans le Piémont et que le massif du Vison serait un lieu privilégié pour son retour.

M. le Président : Avez-vous un compte rendu de ce colloque ?

M. Claude REMY : Vous devriez vous renseigner auprès du président du CRAVE de l'époque, Michel Samuel. Notre conseil d'administration, suite à ces informations, a nommé plusieurs membres de l'association pour travailler sur des documents techniques et scientifiques afin d'avoir une information la plus objective et la plus documentée possible.

Dès l'annonce du retour du loup, les associations ont organisé des conférences pour le grand public. Ces conférences ont eu beaucoup de succès. En 1994, notre association a organisé une conférence avec projection d'un film sur le loup qui a fait salle comble. Le public est demandeur d'informations sur la biologie du loup. Les conférences que nous organisons ont d'ailleurs toujours autant de succès. Nous sommes également sollicités par des enseignants qui nous demandent de leur fournir des informations et des outils pédagogiques.

Cet intérêt du grand public pour les grands prédateurs commence à se manifester aussi pour le lynx. Nous avons organisé le 12 février dernier une conférence sur le lynx à Briançon à laquelle plus de 40 personnes ont assisté, malgré une publicité très restreinte. Nous n'avons relevé aucun signe d'hostilité.

Nous organisons aussi des sorties de formation à la reconnaissance des traces. Nous effectuons des prospections sur les indices de présence. Ces prospections nous ont amené à constater que les ongulés sont encore bien présents dans les zones où évolue le loup. C'est le cas dans le Queyras, dans la vallée de la Claret, vallée dans laquelle plusieurs individus fréquentent un secteur situé de part et d'autre de la région italienne. Il faudrait des études plus structurées avec un protocole strict pour évaluer les populations d'ongulés, mais nos observations sont en accord avec les comptages officiels faits dans le parc du Mercantour qui ont montré une augmentation des populations de chamois de 9 % depuis 20 ans. En zone centrale du parc, il y a en moyenne 12 chamois par kilomètre carré. En Vésuvie, où le loup est présent, on compte 20 à 24 chamois par kilomètre carré.

M. le Président : Nous disposons déjà de ces données. Nous avons connaissance du travail fait par les sociétés de chasse pour équilibrer la population de chamois et l'introduction des cerfs et des chevreuils. Je préfère donc que vous nous parliez de l'action précise de votre association dans le domaine du loup.

M. Claude REMY : Je voulais simplement vous démontrer que nos observations sont en accord avec les comptages officiels. On constate que, si la population de mouflons a diminué lors de l'arrivée du loup, les troupeaux importants se sont éclatés par la suite en petites unités, beaucoup plus difficiles à attaquer pour le prédateur.

M. le Président : Il n'y a plus de mouflons dans le Mercantour.

M. Claude REMY : Le cas du mouflon est particulier, car cet animal n'est pas adapté à la neige et c'est donc une proie facile pour le loup.

Les attaques de la faune sauvage par les chiens errants sont également extrêmement importantes.

M. le Président : Vous dites que les attaques de chiens errants sont importantes. Pouvez-vous les évaluer ? C'est un point important pour la commission. Les services de l'Etat nous disent que les chiens errants ne peuvent pas survivre en altitude.

M. Claude REMY : Il est très difficile de déterminer le nombre d'attaques par des chiens, car il n'y a pas toujours un observateur pour évaluer les traces d'animaux tués par des chiens errants. J'ai un article de presse de 1988 qui relate que trois chiens ont attaqué et déchiqueté un bouquetin dans le massif des Serces. L'article de presse indique qu'un constat a été fait par le chef de secteur du parc national des Ecrins attestant de cette attaque par des chiens en altitude, puisqu'elle a eu lieu au-delà de 1 400 mètres d'altitude.

M. le Président : Les attaques de chiens ont toujours existé, mais sont épisodiques. On constate une montée en puissance de la prédation des brebis depuis l'arrivée du loup : 12 000 brebis ont été tuées ces six dernières années. Cette montée en puissance des prédations ne peut pas être attribuée aux chiens errants.

M. Christophe AUBEL : M. Jérôme Bonnardot pourra vous renseigner de façon plus précise sur les attaques de chiens. Je voudrais par ailleurs souligner qu'il faut distinguer les chiens errants et les chiens divagants.

M. Claude REMY : J'ai de nombreux exemples d'attaques de troupeaux par des chiens errants avant le retour du loup. Je pourrai vous soumettre deux témoignages écrits. Je me demande si aujourd'hui on n'attribue pas systématiquement les attaques par des chiens errants aux loups. Beaucoup d'éleveurs sont farouchement opposés au retour du loup, mais on ne cite pas souvent ceux qui n'y sont pas opposés. Certains y sont même favorables. Je vous communiquerai un témoignage à ce sujet.

Je voudrais insister sur un cas concret, qui va dans le sens des mesures proposées par M. Phisel. En 2002, un berger a demandé l'alpage des Acles en sachant que le loup y était présent. Son troupeau, d'environ 1 300 bêtes, était gardé par deux personnes, le berger et sa compagne, et par des chiens de protection. Or, le nombre de brebis victimes du loup est passé de 24 en 2001, année où toutes les mesures de protection n'étaient pas utilisées, à 12 en 2002, soit une diminution de 50 %. Le nombre de constats est passé de quatre à cinq, ce qui montre que le prédateur était toujours présent, mais que ses attaques étaient beaucoup moins efficaces. Au fur et à mesure que la saison se déroulait, le berger notait scrupuleusement les conditions d'attaque du loup afin d'en tenir compte pour mieux protéger son troupeau. Grâce aux moyens de protection et à l'expérience acquise, les attaques du loup et les victimes sont devenues de plus en plus rares. Pourtant, la présence de six loups est suspectée dans ce secteur qu'ils fréquentent régulièrement pendant l'estive. De nombreuses attaques ont été déjouées par des chiens et grâce à des pétards. Le berger a demandé à retourner sur cet alpage en 2003. Pour 2003, l'alpage aurait été attribué à un troupeau ne disposant pas de moyens efficaces de protection. Dans ce cas comment serait interprétée une augmentation du nombre d'attaques et de victimes du loup en 2003 ? Il y a donc bien un problème d'attribution des alpages.

Dans le Briançonnais, sur les communes de Névache, Val-des-prés, Servière et Montgenèvre, le nombre de brebis mortes imputables au loup est passé de 55 en 2001 à 28 en 2002, soit une diminution de 49,1 %. Le nombre de constats est passé de 18 à 14. Si on prend en compte...

M. le Président : D'où tirez-vous ces chiffres ?

M. Claude REMY : C'est la gendarmerie qui me les a communiqués. Ces chiffres sont issus des constatations sur le terrain.

M. le Président : Ce ne sont pas les chiffres qui nous ont été communiqués.

M. Claude REMY : Si on prend en compte les animaux morts et blessés, on passe de 69 en 2001 à 28 en 2002, soit une baisse de 59,4 %.

M. Jérôme BONNARDOT : Je suis guide naturaliste de l'association Mille traces. Je suis issu d'un milieu rural. J'ai décidé de travailler dans une association qui se rapproche beaucoup plus de la réalité et du terrain. Je suis donc monté dans le massif du Vercors, à 900 mètres d'altitude, en dessous de la zone à loup. Je côtoie fréquemment ceux que l'on appelle les « ruraux ».

Mon expérience concerne plus particulièrement le suivi du loup dans le Vercors ainsi que les chiens de protections et les chiens divagants.

Les chiens errants n'existent plus en France, il existe en Espagne, en Italie ou dans les pays de l'est. Il existe en France des chiens divagants qui, au cours de leur périple, qui peut durer une heure ou plusieurs jours, peuvent s'attaquer à un troupeau ou à un poulailler. Il est difficile de chiffrer les attaques. Elles se passent en effet souvent la nuit et il est alors difficile d'attraper le chien. De plus, les éleveurs préfèrent parfois ne pas déclarer les attaques pour éviter les conflits de voisinage.

Les données dont je dispose évaluent au niveau national que 200 000 à 500 000 brebis sont tuées par des chiens.

M. le Président : Ces chiffres concernent quelle période ?

M. Jérôme BONNARDOT : Ce sont les chiffres moyens annuels donnés depuis les années 90.

Ces données viennent de mon expérience de terrain, des discussions que j'ai avec les bergers, de l'administration, comme l'Office national de la chasse et de la faune sauvage ou les gendarmeries, des vétérinaires, des associations réparties un peu partout en France.

Dans l'arc alpin, on parle de 15 000 à 20 000 brebis tuées par les chiens divagants.

M. le Président : Peut-on trouver ces chiffres dans un document administratif officiel, émis par exemple par un service sanitaire vétérinaire ou par une chambre consulaire ?

M. Jérôme BONNARDOT : Il n'y a pas d'étude qui a été menée sur le sujet. Nous collectons les chiffres à droite à gauche.

Mme Florence ENGLEBERT : Je suis étonnée que la commission n'ait pas les données concernant les dégâts provoqués par les chiens dans les Hautes-Alpes, car ces informations vous ont été communiquées lors de votre déplacement dans les Hautes-Alpes en janvier. Une enquête a été menée par la DDA auprès des communes sur quatre années, au début des années 90, avant le retour du loup sur le secteur. Seul un quart des communes ont répondu, mais on peut extrapoler...

M. le Président : La commission a bien ces données officielles de la DDA, mais M. Bonnardot nous parle de données recueillies à droite à gauche.

Mme Florence ENGLEBERT : Nous sommes obligés de faire des extrapolations à partir d'études précises menées dans certains départements, car il n'y a aucune enquête nationale faite sur ce sujet. D'après l'enquête de la DDA, 675 brebis sont tuées chaque année en moyenne sur un quart du département. Si on multiplie ce chiffre par quatre, on est très loin de l'impact du loup qui est en dessous de la centaine de bêtes.

M. Christophe AUBEL : Je vous ai communiqué les coordonnées de M. Joncour. Ce vétérinaire a fait une étude sur les chiens divagants et les autres animaux domestiques sur la France.

M. Jérôme BONNARDOT : La DDAF de la Haute-Savoie a mené une enquête de 1982 à 1985 consacrée à l'impact des chiens sur le cheptel domestique. Sur ces trois années, 1 300 animaux ont été tués, par des chiens divagants dans 95 % des cas.

M. le Président : Combien d'adhérents l'association Mille traces compte-t-elle ?

M. Jérôme BONNARDOT : 160 adhérents.

M. le Président : Vous êtes bénévole ?

M. Jérôme BONNARDOT : Je suis salarié et M. Ouary est salarié à trois quarts temps. Le reste de l'équipe est constituée de bénévoles.

M. le Président : Comment l'association finance-t-elle deux salaires  avec 160 adhérents ?

M. Jean-Marie OUARY : L'association Mille traces ne reçoit aucune subvention et fonctionne donc avec ses fonds propres. Nous sommes passés en huit ans de 4 000 à 60 000 journées vacances. Voilà ce qui paye nos salaires et nos actions de protection et de suivi sur le terrain.

M. le Président : Monsieur Rémy, combien d'adhérents compte votre association ?

M. Claude REMY : L'association Arnica Montana compte 120 adhérents, tous bénévoles. Nos ressources proviennent des cotisations des adhérents, de la vente de nos publications consacrées à la découverte des milieux naturels du Briançonnais. Nous recevons en outre des subventions du conseil général et de communes pour certains projets, notamment celui sur la qualité de l'air, et pour notre fonctionnement. Les conférences et les activités que nous organisons sur de nombreux sujets sont gratuites.

M. le Président : Avez-vous des salariés permanents ?

M. Claude REMY : Non. L'emploi jeune signalé est embauché par la maison de la nature des Hautes-Alpes, travaillant pour quatre associations, nous a aidés sur les projets touchant à la qualité de l'air.

Je présente publiquement à l'assemblée générale les comptes de l'association. J'invite toutes les structures finançant notre association à cette assemblée générale.

M. Christophe AUBEL : Je voudrais rappeler l'importance de la loi de 1901 et du fait associatif qui est un des fondements de notre démocratie. Nous sommes tous ici des associations loi de 1901 et à ce titre nous contribuons au débat national et à la démocratie.

M. le Président : Vous n'avez pas besoin de le rappeler. Nous sommes tous ici convaincus de l'importance des associations pour notre démocratie.

M. Lionel BRARD : J'ai été convoqué par la commission. Vous avez donc dû considérer que j'ai quelque chose à vous dire. J'ai déféré à votre invitation. J'ai trouvé votre accueil très particulier. Vous êtes un homme de droit, je le suis moi aussi. J'ai eu le sentiment d'être convoqué devant un tribunal et non pas devant une commission parlementaire.

M. le Président : Nous sommes une commission d'enquête et une manière de tribunal

M. Lionel BRARD : Vous n'êtes pas un tribunal de la république. Vous ne pratiquez pas le principe du contradictoire.

M. le Président : Nous disposons de moyens d'investigation équivalents à ceux d'un juge d'instruction. M. Brard, ne polémiquez pas.

M. Lionel BRARD : Je ne polémique pas, je souhaite simplement savoir à quel titre vous avez souhaité m'entendre.

M. le Président : J'ai souhaité vous entendre en tant qu'ancien président de FNE. Vous vous êtes intéressé de près aux grands prédateurs et notamment au loup. Si vous avez quelque chose à nous dire sur ce sujet, je serais heureux de vous entendre.

M. Lionel BRARD : Je ne suis pas venu pour être entendu à titre personnel. Sur la convocation que j'ai reçue, je suis cité en tant qu'ancien président de la fédération nationale. La commission d'enquête étant consacrée aux conditions de la présence du loup en France, j'en ai déduit que vous souhaitiez connaître le point de vue d'un homme et non l'auditer. La lettre de convocation précisait que chacun des intervenants disposait de dix minutes. Nous avons en tant que bénévole planché pour jouer le jeu et faire l'économie du temps des parlementaires. Nous sommes donc tous venus avec un texte préparé que nous allions vous lire en dix minutes.

M. le Président : Vous êtes en train de perdre du temps, M.  Brard. Nous avons commencé à 17 heures 15 précises. Il est 18 heures 30. Chacun d'entre vous a donc parlé plus de dix minutes.

M. Lionel BRARD : Entre un temps de parole cassé et un temps de parole disponible, il y a une grande nuance.

M. le Président : M. Brard, je vous en prie, prenez la parole et exprimez-vous sur le sujet qui nous concerne aujourd'hui.

M. Lionel BRARD : Je veux essayer de comprendre ce que vous voulez, monsieur le président. Menez-vous un audit financier sur nos associations ? Ou voulez-vous connaître la position de notre mouvement sur la présence du loup en France ?

M. le Président : Je souhaite connaître à la fois le mode de fonctionnement de vos associations et votre point de vue sur le dossier du loup.

M. Lionel BRARD : Je ne peux pas vous parler des comptes de la fédération nationale, car je n'en suis que le président d'honneur. En revanche, je peux vous livrer mon opinion sur le loup.

M. le Président : M Aubel a déjà répondu à mes questions sur le fonctionnement de la fédération. Je voudrais donc savoir maintenant ce que vous avez eu à connaître du loup lorsque vous étiez président de la fédération nationale.

M. Lionel BRARD : Si je me suis investi dès mon arrivée à la présidence de France Nature Environnement sur le dossier du loup, c'est que j'avais le sentiment que ce dossier allait être le dossier majeur de notre fédération au plan culturel, dans la mesure où le loup est une espèce tout à fait à part qui revenait naturellement sans que personne ne lui ait rien demandé. Le loup arrivait d'Italie par un parc national et avait vocation à se répandre, avec tous les problèmes que l'on pouvait imaginer. J'ai passé du temps sur ce dossier, successivement avec M. Barnier, avec Mme Lepage, avec Mme Voynet et avec M. Cochet. Nous sommes des bénévoles travaillant dans une association loi de 1901 et nous pouvons passer 30 ou 40 heures par semaine pendant des années sans rien percevoir. Cela explique que, lorsque nous nous rendons devant une commission d'enquête de la République, nous nous attendons à être traités comme des hommes donnant leur temps à la République, à tort ou à raison, et à être interrogés sur les raisons de notre engagement. Je me suis engagé sur le loup parce que je pensais que ce dossier allait être stratégique, notamment au plan international.

La France occupe en effet sur la scène internationale une position clé dans le domaine environnemental et j'ai la conviction que si la France n'est pas en mesure de gérer raisonnablement le dossier loup à l'intérieur de l'hexagone, elle ne sera pas crédible sur la scène internationale dans les grands débats environnementaux. Si la France tombe dans le piège de l'éradication du loup au plan local ou régional, j'ai la conviction que le contrecoup sera beaucoup plus sévère que les détracteurs du loup ne l'imaginent.

Le loup est aussi un enjeu culturel. Après l'extinction de l'espèce en France au XIXème siècle, nous avons vu revenir le loup à travers une recolonisation spontanée. Pour nous, comme pour des millions de Français, c'est un émerveillement. Ce retour est aussi le signe d'une réussite de la Vème République en matière de protection de la nature, car si nous avons 26 malheureux loups sur un territoire de 550 000 kilomètres carrés, c'est aussi grâce à la loi de 1976, votée à l'unanimité du parlement. Cette loi a permis la création des parcs nationaux et le statut de l'espèce protégée.

Le message que je voudrais faire passer en tant que citoyen, en supposant que vous voulez l'entendre, est de dire que si on touche au loup, en proposant par exemple son éradication, un des acquis de la Vème République dans le secteur de la protection de la nature sera mis à mal.

Je voudrais que l'on ait présent à l'esprit la position de la France sur le dossier de la vache folle. Nous avons entendu les responsables dire qu'il n'y avait pas de vache folle en France, qu'il n'y avait que des journalistes fous. Ensuite, nous avons vu la vache folle arriver, parce que les farines animales n'avaient pas été interdites suffisamment à temps. On a vu la réaction du marché et la crise de la filière bovine.

Après la fable de la vache folle, que nous avons payée très cher, nous risquons de connaître la fable du loup, de l'OMC et des brebis. L'enjeu est économique. Les détracteurs du loup affirment que, pour sauver la filière ovine, il faut détruire le loup. Or, le loup n'est pas présent dans les trois régions les plus touchées par la baisse des effectifs : Auvergne, 4,5 % ; Limousin, 3,5 % ; Poitou-Charentes, 2,7 %. Les exploitations ovines disparaissent dans les régions où le loup n'est pas présent. On ne peut donc pas faire le lien entre le loup et la crise de la filière ovine.

La politique agricole commune vit ses dernières années en raison notamment des critères de Maastricht pour l'euro, de l'élargissement de l'Union et de l'OMC. Il n'y a qu'un seul chemin si on veut que l'agriculture et l'écologie travaillent de concert, c'est celui de la coopération. Si on veut que demain les boîtes vertes de l'OMC, qui seront les seuls justificatifs des aides agricoles, soient accordées aux filières françaises, il ne faut pas que celles-ci s'engagent dans un processus d'éradication car elles nous trouveront sur leur chemin au niveau international. Notre mouvement a pendant 20 ans fait son travail sur les périodes de chasse et nous avons gagné. Si dans le dossier du loup, on nous mettait dans une situation où nous n'aurions pas d'autre choix que de combattre, nous le ferions et nous obtiendrons le même succès qu'avec les périodes de chasse. Si les détracteurs du loup se positionnent délibérément sur le secteur économique, notre discours ne sera pas uniquement juridique, il sera aussi économique là où on sera prêt à nous entendre sur le problème du subventionnement des exploitations agricoles. Nous serions disposés à passer des alliances avec des partenaires du groupe de Cairns sur les filières ovines.

Ce n'est pas du tout une menace. Je souhaite simplement dire qu'il y a les moyens d'une coopération entre le secteur ovin et le secteur de l'écologie progressiste, mais pas à n'importe quel prix. Nous sommes les premiers à reconnaître que le loup est une contrainte, mais c'est une contrainte à double visage car le loup permet de créer des pratiques beaucoup plus respectueuses du berger, de l'environnement et de l'économie.

Attention donc à ne pas engager un conflit comme celui des périodes de chasse, car nous le gagnerons, mais à un coût qui n'aurait aucun sens pour notre société, qui est tout à fait en mesure de supporter le poids du loup.  650 000 kilomètres carrés, 65 millions de Français, 26 loups.

M. le Président : Vous avez défendu vos convictions avec talent, je vous en félicite.

Je ne suis pas sûr qu'il n'y ait que 26 loups en France. Le ministère de l'écologie nous en annonce 30 et les directions départementales de l'agriculture nous en annonce beaucoup plus.

M. Lionel BRARD : Quant au nombre de loups, ceux qui croient en Dieu savent qu'il le connaît. Les autres devront se contenter d'approximations.

M. le Président : Nous sommes d'accord.

Mme Englebert, vous avez été assez sévère avec les éleveurs en estimant qu'ils avaient une lourde responsabilité dans les pertes dans leurs troupeaux. Vous avez justement rappelé les moyens financiers qui sont mis à leur disposition, notamment dans le cadre du programme LIFE, pour prendre des mesures de protection. Selon vous, un éleveur doit travailler combien de temps par semaine ?

Mme Florence ENGLEBERT : Quand j'ai indiqué que le retour du loup se faisait dans des conditions très particulières dans le parc du Mercantour, où les troupeaux étaient de plus en plus importants et de moins en moins gardés, je faisais une constatation et je ne portais pas un jugement.

M. le Président : L'élevage ovin dans le Mercantour est extensif. Cette pratique découle d'une situation naturelle, notamment de l'absence de grand prédateur, et d'un choix de politique publique fait il y a plusieurs décennies.

Mme Florence ENGLEBERT : Mon propos était de dire qu'il y a des éleveurs qui s'investissement énormément dans la prévention et dans la protection de leurs troupeaux. Cela représente pour eux une surcharge de travail importante et il est injuste que ces personnes sérieuses, qui ont à cœur de faire convenablement leur métier, soient perdantes financièrement par rapport à d'autres, qui ne prennent pas soin de leurs bêtes, qui refusent la mise en place des moyens de protection et continuent néanmoins à être indemnisées.

M. le Rapporteur : M. Brard nous a fait un procès d'intention injuste. Il n'a jamais été question dans notre commission d'enquête d'éradiquer le loup en France. Si tel avait été le cas, il n'y aurait pas eu besoin d'une commission d'enquête. J'ai cru déceler par ailleurs dans vos propos une menace de chantage. Notre objectif est de mettre à plat tous les problèmes pour trouver des solutions convenant aux deux parties. Nous ne sommes pas là pour affronter les pro-loups que vous êtes.

Les associations pro-loups, j'ai d'ailleurs été stupéfié de voir le nombre d'associations qui vivent grâce au loup, répètent dans la presse que nous voulons éradiquer le loup. Je n'aurais jamais pris les fonctions de rapporteur de cette commission si c'était pour éradiquer le loup.

Pensez-vous qu'il y ait pu y avoir réintroduction, parallèlement à un retour naturel du loup ?

M. Lionel BRARD : Si je me suis permis de faire une référence au contradictoire, c'est parce que vous avez à votre disposition des expertises et des données, mais nous ne savons pas ce que vous avez. C'est la différence avec un tribunal ou un juge d'instruction. Je suis un professionnel du droit et du contradictoire et je peux vous dire à ce titre que c'est excessivement inconfortable.

Pour nous, il nous fait aucun doute que le retour du loup est le produit d'une recolonisation naturelle de l'arc alpin par des loups italiens. A aucun moment nos associations, pas plus que la direction de la protection de la nature ou l'Union européenne, ne sont intervenues pour ramener des loups à dos d'homme. Je l'ai entendu, comme j'ai entendu qu'on jetait des vipères par hélicoptère dans l'Ardèche.

M. le Rapporteur : On l'a fait chez moi, dans la vallée du Jabron.

M. Lionel BRARD : Ce sont les laboratoires pharmaceutiques qui l'ont fait pour se débarrasser des vipères dont ils avaient prélevé le venin.

J'ai eu la chance de vivre le retour du loup lorsque j'étais président de la fédération nationale. J'étais alors au ministère de l'environnement en moyenne quatre à cinq jours par semaine en tant que bénévole. Nous avons suivi le dossier en direct avec la DNP. Le retour auquel nous assistions, je parle sous la foi du serment, était un retour naturel.

J'ai toujours pris des positions condamnant une réintroduction artificielle imposée à des populations. J'ai pris cette position avec M. Lasalle, qui me l'a reprochée. Je lui ai dit que le problème de l'ours et celui du loup étaient différents, car dans le premier cas, la réintroduction de l'animal nécessite l'accord des populations locales, dans le second, la dynamique naturelle doit être respectée dans un siècle d'artificialisation. Quand on voit la nature se remettre en place de manière relativement cohérente, il faut être très précautionneux, car c'est exceptionnel.

J'ai toujours fait le rapprochement entre le dossier du loup et celui du changement climatique. Quand le changement climatique sera installé en Europe, il nous faudra avoir la capacité, au niveau de notre biodiversité, y compris végétale et agricole, à subir les effets du changement dans un temps excessivement court. Il faut être très respectueux de la dynamique naturelle qui se met en place, notamment pour des raisons scientifiques, car il est bon de savoir comment les écosystèmes, dont nous dépendons tous, se règlent.

M. le Rapporteur : Lors des auditions que la commission d'enquête a menées en Italie, on nous a prévenu que nous devions nous attendre à une arrivée massive de loups et d'ours dans les années qui viennent. On peut donc imaginer, en voyant les problèmes que pose la présence de 26 loups, ce qui peut se passer avec 50 loups, comme on nous l'a annoncé. Qu'en pensez-vous ?

M. Lionel BRARD : Je ne vous connais pas personnellement, mais vous êtes près de la terre. Demanderiez-vous à un paysan d'une soixante d'années ce qu'il pense de la situation dans 20 ans ? Il vous répondra qu'il faut d'abord se préoccuper avec ce qui va se passer dans les quatre ans qui viennent.

Nous n'avons pas changé de position depuis notre déclaration à Avignon en 1996 : tant que la population de loups en France n'est pas viable, il ne faut pas toucher à ce prédateur. On ne peut pas craindre un retour massif du loup. Une telle crainte semble prendre pour modèle celle inspirée par l'immigration humaine.

Quand j'ai quitté la fédération il y a quatre ans, la population de loups en France était estimée entre 23 et 28 individus. Depuis, ce nombre ne bouge pas. La population de loups n'est donc pas aussi dynamique qu'on veut bien le dire. Je constate qu'en dix ans, cette population est passée de un ou deux loups à 26 ou 30 aujourd'hui.

Selon les scientifiques, la population de loups aujourd'hui en France n'est pas consolidée. On ne peut donc pas intervenir sur cette population, notamment en mettant en place un zonage sous peine d'éradication. J'en avais débattu avec Mme Lepage et ses successeurs. La position des ministres était toujours la même : pas d'éradication, mais pas de loups là où ils dérangent.

Il ne faut donc pas toucher aux populations de loups, mais il faut par contre accompagner très fortement les bergers et les éleveurs qui font des efforts considérables. Le tort des pouvoirs publics est de faire l'amalgame entre la tragédie économique que vivent un certain nombre d'exploitants agricoles et la présence du loup. Cet amalgame, c'est la responsabilité de la classe politique.

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous que le loup s'approche de plus en plus des villages alors que, lorsqu'il est arrivé il y a une dizaine d'années, on ne le voyait pas ? M. Giraud a ainsi rapporté le témoignage d'une habitante de sa circonscription ayant vu plusieurs loups dans son village.

M. Lionel BRARD : J'habite la Drôme et je n'ai donc pas la possibilité de vérifier ce que vous dites, car il n'y a pas plus de deux malheureux loups dans la région où j'habite. On taxe toujours les écologistes d'être des urbains, mais il faut savoir que la plupart de nos militants sont des gens du monde rural. J'habite une ville de 30 000 habitants, mais Florence Englebert habite un village de 15 habitants. Je lui laisse la parole pour répondre à votre question.

M. le Président : Monsieur Brard, le terme « écologiste » peut être partagé par tous et je me sens moi-même un écologiste dans l'âme. Chacun le revendique à sa manière. Beaucoup d'entre vous se sont exprimés au nom des citadins, qui seraient émerveillés par le loup.

En l'état actuel des travaux de la commission, il apparaît qu'il y a probablement beaucoup plus de 30 loups identifiés en France.

M. Lionel BRARD: Quel dommage que nous ne puissions pas en débattre avant la publication du rapport.

M. le Président : Ces données proviennent de nos déplacements sur le terrain. Quand on nous annonce plus de 30 loups dans chaque département, même en prenant en compte une certaine exagération, on peut dénombrer largement plus de 30 loups présents dans l'arc alpin.

Vous regrettez qu'il n'y ait, selon vous, que 26 loups pour un territoire de 550 000 kilomètres carrés. Je comprends que l'habitant du XVème arrondissement de Paris ne se sente pas concerné par ces loups, mais pour l'éleveur qui en subit les conséquences, c'est autre chose. Je vous appelle donc à ne pas réagir simplement au nom des millions de citadins. Nous avons tous le devoir de ne pas diviser la France entre ruraux et urbains, mais au contraire de favoriser la compréhension et la dialogue.

M. Lionel BRARD : Je fais partie des gens ouverts au dialogue. Je me souviens d'une réunion de bergers dans le Diois à laquelle je n'ai pas hésité à me rendre personnellement et je n'ai eu aucun problème, en tout cas moins que lors de mon arrivée chez vous.

Nous devons trouver un deal entre l'écologie progressiste, dans laquelle tous les bons écologistes doivent se retrouver quelle que soit leur coloration politique, et le monde rural. Le loup est un dossier stratégique, car si le monde rural ne réussit pas à le négocier, il le paiera très cher, car 30 % à 35 % du compte d'exploitation des agriculteurs et jusqu'à 60 % dans la filière ovine dépendent de financements communautaires. L'Europe est dirigée par des urbains et si la filière ovine ne négocie pas avec nous, elle aura de grosses surprises dans quelques années, comme il y en a eu avec la vache folle. Le loup ne mérite certainement pas une nouvelle fracture entre le monde de l'écologie et le monde rural.

M. le Rapporteur : Lors de nos déplacements sur le terrain, nous nous sommes aperçus que les choses s'étaient beaucoup mieux passées dans certains parcs que dans d'autres. Les parcs régionaux nous ont notamment donné l'impression d'avoir beaucoup mieux maîtrisé l'arrivée du loup que le Mercantour par exemple qui a mis une chape de plomb sur l'information.

Mme Englebert, quelle est votre appréciation sur l'attitude des parcs face au loup ?

Mme Florence ENGLEBERT : Le parc national du Mercantour, en matière de communication, ne fait que suivre les directives du ministère de l'environnement. Nous sommes nous-mêmes parfois critiques sur la politique de communication du parc qui donne l'impression d'entretenir un certain mystère pouvant être mal interprété. J'ai entendu parler de courriers du ministère de l'environnement demandant au parc de garder le silence sur le sujet.

La différence de gestion entre le parc national du Mercantour et le parc régional du Queyras s'explique de deux manières, outre les différences liées aux personnes.

D'abord, dans le Mercantour, il y a majoritairement des troupeaux locaux qui ne sont pas gardés ou le sont épisodiquement, alors que dans le Queyras, il y a aussi des troupeaux transhumants majoritairement gardés par un berger salarié, même en l'absence du loup.

Ensuite, on constate ces dernières années, cela n'était pas le cas au début, que la DDA des Alpes-Maritimes ne semble pas vouloir prendre de mesures favorisant la cohabitation entre le loup et l'élevage. Ce n'est pas le cas dans les Hautes-Alpes. C'est la DDA qui tient les rênes dans ce domaine.

M. le Rapporteur : N'y a-t-il pas aussi une différence administrative ? Les parcs régionaux, qui bénéficient d'une plus grande souplesse administrative, sont donc plus proches du terrain que les parcs nationaux.

Mme Florence ENGLEBERT : Il me semble que les parcs nationaux sont tout aussi proches du terrain que les parcs régionaux.

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Joël GIRAUD : Pouvez-nous préciser la nature de la lettre du ministère de l'environnement enjoignant à l'administration du parc du Mercantour de garder le silence sur le dossier du loup ? A ma connaissance, aucun autre parc régional n'a reçu de consigne similaire.

Mme Florence ENGLEBERT : C'est à la direction du parc qu'il convient de demander cette lettre. Nous avons régulièrement des remontées à ce sujet grâce à des journalistes qui s'intéressent à la question auxquels le parc répond qu'il a reçu des directives lui demandant de ne pas s'exprimer sur le sujet. Des circulaires indiquent qu'il convient de s'adresser au chargé de communication de la DIREN-PACA.

M. Jean LASSALLE : Sur quels sujets exactement le parc a-t-il reçu la consigne de garder le silence ?

Mme Florence ENGLEBERT : La réponse faite par le parc national du Mercantour aux journalistes souhaitant avoir des renseignements sur le loup est que le parc n'a pas autorité pour s'exprimer en la matière et qu'il convient de s'adresser au chargé de communication de la DIREN-PACA, Florent Favier, embauché dans le cadre du programme LIFE loup.

M. le Rapporteur nous a interrogé sur la présence des loups près des villages. Cette présence n'est pas un phénomène exceptionnel. Elle est constatée en Italie ou en Espagne et cela ne pose pas de problème à la sécurité des personnes.

Une habitante d'Abies a dit à la presse avoir vu cinq ou six loups à la queueleu-leu. Deux membres du CRAVE, présidé par Michel Phisel, sont allés enquêter sur place. On leur a indiqué l'endroit précis duquel elle avait vu les loups. Ils ont constaté qu'il était impossible à cette personne de voir des loups traverser le passage qu'elle avait indiqué, à moins qu'elle n'ait porté sur elle des phares à grande portée puisqu'il faisait nuit.

Nous vérifions les témoignages d'observation du loup et nous nous apercevons qu'ils relèvent généralement plus du phantasme ou d'interprétations erronées que de la réalité.

Mme Henriette MARTINEZ : Je voudrais poser deux questions très précises à M. Rémy.

La revue « Terre Sauvage » estime à neuf le nombre de loups dans les Hautes-Alpes. Ce n'est pas le chiffre qui nous a été communiqué lors de notre déplacement. Je voudrais connaître l'estimation de M. Rémy.

Y a-t-il, selon vous, des lynx dans les Hautes-Alpes ? J'ai eu connaissance d'un lynx qui avait attaqué des chèvres angoras à Saint-Julien-en-Beauchêne en 1993.

M. Phisel, y a-t-il selon vous des loups dans les Baronnies, entre le Serrois et le Rosannais ? Très récemment, un éleveur a dit avoir vu un loup dans ce secteur.

M. Claude REMY : Dans le Queyras, il y aurait sept loups. Pour que des loups soient considérés comme résidant sur un secteur, il faut avoir relevé des indices de leur présence pendant deux hivers. De tels indices ont été relevés dans le secteur de La Clarée dans une zone à cheval sur la frontière italienne au cours de l'hiver 2001-2002, les indices relevés au cours de l'hiver dernier ne sont pas certains. Des indices ont également été relevés sur le secteur de la haute vallée de La Claret et sur le secteur des Acles. On ne sait pas s'il s'agit des mêmes loups ou de deux groupes. La présence de six loups est suspectée. Mes collaborateurs m'ont signalé qu'un berger avait entendu au moins cinq ou six loups. Il y aurait donc au maximum 13 loups dans les Hautes-Alpes.

Le lynx a été observé dans le département dans le secteur de La Vachette, dans celui des Traverses et dans celui des Vigneaux. Le lynx étant un animal qui se déplace beaucoup, on ne peut déduire du fait qu'il y a eu huit observations que huit lynx sont présents. Il ne semble pas qu'il y ait une installation stable du lynx dans le département.

M. Michel PHISEL : Le loup n'a pas été observé dans les Baronnies, mais il est possible qu'un animal y soit passé erratiquement. Depuis 1993, la présence du lynx est confirmée dans le Beauchêne.

M. Jean-Marie OUARY : Le loup qui a été vu dans les Baronnies pourrait fort bien faire partie de la meute présente dans le Vercors. Un loup se déplace très rapidement : la distance qu'un humain parcourt en deux heures, le loup mettra cinq minutes à la couvrir. Par ailleurs, dans tous les massifs dont vous avez parlé, les activités d'élevage de chiens de traîneaux se développent. Or, beaucoup de gens confondent les loups tchèques, qui ont exactement la silhouette d'un loup européen mais qui sont bien des chiens de traîneaux et les loups. Nos estimations des populations de loups se fondent sur des analyses d'ADN et sur notre suivi de loups pendant plusieurs années.

Depuis 1998, une louve est présente sur le massif du Vercors. On sait que deux mâles l'ont fréquentée. Or, il n'y a toujours pas eu de reproduction. C'est dire la complexité de la reproduction de cette espèce.

Mme Henriette MARTINEZ : Monsieur Brard, je suis heureuse de vous retrouver ici, même si le climat a pu être un peu tendu. J'aimerais vous poser deux questions. A combien d'individus estimez-vous qu'une population de loups peut être considérée comme viable sur l'arc alpin ?

Si vous deviez faire passer un message aux éleveurs pour les convaincre que les brebis et les loups doivent cohabiter, que leur diriez-vous ? Je fais une différence entre l'état d'esprit des bergers et celui des éleveurs.

M. Lionel BRARD : Chacun doit faire son travail: les associations, les filières professionnelles et les élus politiques. Tant qu'il y aura des discours démagogiques, nous n'en sortirons pas, car les éleveurs et les bergers souffrent et auront toujours tendance à écouter l'homme politique qui va dans le sens du poil.

Le problème en France, c'est qu'il n'y pas de véritable appropriation par la société des notions de diversité, d'écosystème et de nature. On a l'impression que la nature est un objet de luxe pour les citadins et non l'outil de travail des ruraux. L'outil de travail des ruraux demain sera un milieu naturel humanisé, fréquenté par des apporteurs d'activités qui ne seront pas originaires du monde rural, mais qui aura conservé ses grands équilibres biologiques. Le loup est arrivé au mauvais moment. Si sa recolonisation avait eu lieu en 2010, les choses se seraient passées autrement.

Je voudrais faire un aparté sur les parcs nationaux. Mme Marie-Odile Guth a fait un remarquable travail dans le parc national du Mercantour, mais, comme elle me le disait, le loup est un cadeau biologique, mais c'est un poison politique. En tant que porteur d'un service public, le parc a fait ce qu'il a cru bon. Le pouvoir politique était à l'époque très embarrassé, mais, et c'est à porter au crédit de M. Barnier, il avait le sentiment qu'il se passait quelque chose d'important et que personne n'avait prévu.

Vous m'avez demandé quel est le seuil de viabilité de la population de loups à l'échelle de l'arc alpin. J'ai du mal à raisonner à cette échelle, car le loup est une espèce colonisatrice et pionnière. Le loup ira partout où l'homme voudra bien tolérer qu'il aille. Le seuil de viabilité s'établit selon les scientifiques à entre 25 et 30 meutes installées. En dessous de ce seuil, les scientifiques que nous avons interrogés, qui, je le reconnais, étaient plutôt favorables au maintien du loup, estiment qu'une population de loups peut disparaître du jour au lendemain. Nous avons discuté des protocoles avec les différents ministres. Le problème qu'ils posent est justement que s'ils étaient mis en application, ils pourraient provoquer la disparition totale du loup en France.

M. Jean LASSALLE : Vous parlez d'un seuil d'une trentaine de meutes, mais à quelle échelle ?

M. Lionel BRARD : Nous avons tenu une réunion fédérale sur cette question à Avignon en 1996. En dessous de 25 à 30 meutes installées sur le territoire national en interconnexion, il y a péril et il ne faut donc pas toucher aux populations de loups. Dans un délai de 30 ans, si le loup n'est pas éradiqué, et je crains fort qu'il le soit, ce prédateur sera présent dans une bonne partie de l'hexagone, notamment dans des zones où il ne posera presque pas de problèmes et où il sera très valorisé. Si j'avais dû prendre une décision de réintroduction du loup, les loups auraient dû être parachutés par le créateur en Auvergne, dans le nord du Massif Central, parce qu'il avait des ressources de grands ongulés.

M. Joël GIRAUD : Le contexte économique est important, car un éleveur du massif alpin qui gagne 8 000 euros par an ne réagira pas de la même manière aux prédations qu'un éleveur des Abruzzes qui gagne 50 000 euros par an. Quelle est votre vision de l'économie de ce secteur et de son évolution sous la pression des prédateurs ? On peut notamment craindre des problèmes de recrutement des bergers.

J'imagine que certains d'entre vous ont été amenés à connaître la situation d'autres pays où la présence des prédateurs est continue depuis longtemps. Des solutions différentes sont apportées au problème de la cohabitation. Certains membres de la commission ont été assez impressionnés par l'utilisation des chiens des Abruzzes et par leurs avantages par rapport aux patous. J'aimerais connaître votre appréciation sur les mesures de protection prises dans certains pays. Ne sont-elles pas plus efficaces que les nôtres ? La commission ne se rendra pas en Espagne. Or, c'est un pays où les prédateurs sont très nombreux et où l'élevage ovin est florissant. Disposez-vous de documents sur la situation en Espagne ?

Mme Florence ENGLEBERT : Vous supposez qu'il pourrait y avoir une pénurie de main d'œuvre de bergers. J'ai parlé de ce sujet de nombreuses fois avec des bergers. Il semble qu'il y a suffisamment de personnes sortant de l'école du Merle ou de celle de Rambouillet ou désireuses d'y entrer pour dire qu'il n'y a pas de risque de pénurie. Si ce métier était reconnu à sa juste valeur et n'était plus sous-payé, la demande de formation serait encore plus importante.

Nous avons participé au paiement du salaire d'un aide berger pendant deux années sur le massif du Queyras. Nous avons engagé un berger professionnel pour ce poste. Cela s'est su et nous recevons des demandes de candidature innombrables. Nous ne pouvons y donner suite, mais cela montre que la demande est très forte pour exercer ce métier.

M. Joël GIRAUD : Il serait intéressant que vous nous communiquiez des chiffres. Les Italiens sont obligés de faire appel à des travailleurs albanais pour pourvoir aux postes de bergers.

Mme Florence ENGLEBERT : Nous n'avons pas de chiffres à vous communiquer, mais les bergers avec qui nous avons parlé sont unanimes sur ce point. Nous avons abordé ce sujet lors des rencontres éco-pastorales que nous avons organisées mi-janvier près de Toulouse. D'après mes informations, tous les postes d'aides bergers créés pour faire face au retour du loup ont tous été pourvus.

M. Christophe AUBEL : L'association pour la cohabitation pastorale, dont je vous ai fourni les coordonnées, pourra peut-être vous donner des données chiffrées sur ce sujet.

M. Jérôme BONNARDOT : Je voudrais répondre à la question de M. Giraud sur les chiens de protection. Le chien de protection est apparu en France vers 1980-1985 pour faire face aux attaques des chiens errants sur les troupeaux et a ensuite été utilisé contre le loup à partir de 1993. A l'heure actuelle, on compte 400 chiens de protection. La revue « Vos chiens magazine » a publié un article présentant des statistiques faites par le département d'Etat à l'agriculture des Etats-Unis en 1986 sur l'efficacité des races de chiens de protection. Le chien des Pyrénées et celui des Abruzzes y sont désignés comme étant les deux chiens les plus efficaces.

M. Joël GIRAUD : Il serait intéressant que la commission dispose d'un exemplaire de cet article. J'ai remarqué que les éleveurs des parcs italiens complétaient leurs revenus grâce à la vente de portées de chiens au Canada.

Madame Englebert, avez-vous des renseignements sur l'Espagne ?

Mme Florence ENGLEBERT : Nous pourrons vous en fournir ultérieurement.

M. André CHASSAIGNE : M. Brard, pouvez-vous confirmer que, si notre commission concluait à la possibilité de donner aux bergers le droit de tirer sur un loup attaquant leur troupeau, ce serait le début d'une forme d'éradication ?

Par ailleurs, vous avez dit au détour d'une phrase que le monde rural allait vivre à l'avenir d'apporteurs d'activités. Pensez-vous vraiment qu'il n'y pas de cohabitation possible entre les activités agricoles comme le pastoralisme et les activités de nature ? C'est une question très importante pour notre commission.

Je voudrais aussi que vous éclaircissiez vos propos sur le groupe de Cairns, qui me semblaient particulièrement mal venus car vous les avez prononcé sur un ton de chantage. Expliquez-nous la liaison entre une politique de maintien de la biodiversité dans un pays et les négociations internationales sur les boîtes vertes.

Je pense que vous avez tous compris que, derrière les propos du président de la commission, se cachait l'accusation faite aux associations écologistes de vivre du fonds de commerce de la défense du loup. Monsieur, que peuvent apporter vos associations en terme d'éducation populaire et d'épanouissement des jeunes ?

M. Lionel BRARD : Mes propos étaient peut-être un peu caricaturaux, car j'étais très agacé, comme peut l'être un bénévole consacrant une journée au Parlement, ce qui est un honneur, et qui a été accueilli comme il l'a été.

Si un seul loup est détruit, sans lien avec d'autres destructions, il faudrait être idiot pour soutenir que ce serait le début de l'éradication totale d'une population de 25 loups. En revanche, j'avais indiqué au Conseil d'Etat, à propos des arrêtés préfectoraux autorisant la destruction d'un loup par an sur des meutes à cheval sur deux départements, qu'il s'agissait dans ce cas d'éradication, car ces arrêtés autorisant la destruction d'un loup, puis d'un autre et encore un autre allaient stresser les meutes et les faire éclater.

Toute la difficulté est qu'on ne peut pas autoriser la destruction d'un loup sans autoriser la destruction d'autres posant les mêmes problèmes économiques, psychologiques ou familiaux, car nous vivons dans une société de communication.

Ce genre de question diablement difficile à résoudre nécessiterait que toutes les parties concernées se mettent autour d'une table pour discuter sans a priori.

M. le Rapporteur : Aujourd'hui, le braconnage atteint des proportions inquiétantes. Ne croyez-vous pas qu'un encadrement réglementaire de la destruction de loups pourrait résoudre le problème ?

M. Lionel BRARD : Le braconnage a toujours existé et il existera toujours. Ce n'est pas pour autant que la communauté nationale doit organiser et autoriser le principe de la destruction d'une espèce animale.

M. Christophe AUBEL : Il faudrait que les pouvoirs publics s'engagent à lutter contre le braconnage qui est un non-respect de la loi. Nous le réclamons sans effet depuis 1992.

M. Jean LASSALLE : Les éleveurs et les bergers ne se sentent pas protégés et c'est pour cela qu'ils ont la tentation de la légitime défense. Vous devriez comprendre leur point de vue pour favoriser le dialogue.

M. Lionel BRARD : Depuis l'origine, ce n'est pas nous qui refusons le dialogue. Je vais vous donner un exemple. Je me suis rendu avec Mme Englebert dans le Diois rencontrer des éleveurs et cela s'était plutôt bien passée. Un an après, le journal de la fédération ovine de la Drôme a mis, dans ma bouche, des propos que je n'avais jamais tenus parce qu'entre temps la démagogie et la politisation du conflit avaient pris le dessus.

M. Chassaigne m'a demandé de préciser mes propos sur le groupe de Cairns. Il ne s'agissait pas d'une provocation. Je crois à la multiactivité. J'ai la chance de participer à des réflexions sur ce sujet au sein du Conseil économique et social. Le loup a sa place dans ce dispositif car la multiactivité consiste pour le paysan à produire des aliments et à vendre des services dans le domaine de l'artisanat, du tourisme, de la micro-industrie ou de l'éducation des jeunes. Par ailleurs, la filière ovine n'a pu survivre que grâce à des subventions. Dans cinq ou dix ans, le modèle de la PAC ne pourra plus fonctionner, en raison de l'élargissement de l'Union européenne et de la rigueur budgétaire. Parallèlement, l'OMC prendra toujours plus d'importance. Une des seules justifications de l'aide aux revenus agricoles sera la boîte verte au sens de l'OMC. Or, l'OMC considère que ce qui est social n'est pas de la boîte verte, mais que les services écologiques et les services culturels sont de la boîte verte.

Le dossier du loup est fondamental pour nous, car son enjeu est le devenir même de la biodiversité. La France ne peut pas éradiquer le loup sur son territoire si elle veut tenir tête aux Etats-Unis sur l'effet de serre ou si elle veut pouvoir mettre en garde ses partenaires africains sur le commerce de l'ivoire.

Nous croyons à l'alliance entre l'écologie et le monde rural, mais il faudra faire des concessions réciproques. Le groupe de Cairns, qui regroupe les producteurs de viande ovine, cherchera sans doute à casser nos boites vertes. Nous pourrons nous y opposer si nos agriculteurs auront su montrer un comportement responsable vis-à-vis des écosystèmes, des alpages et de la biodiversité. Si le monde agricole se coupe des millions de gens que nous représentons, ils seront sanctionnés.

M. André CHASSAIGNE : On peut aussi considérer qu'il est possible de s'opposer aux orientations de l'OMC.

Les projets de réforme de M. Fischler, qui souhaite découpler les aides, reviennent à considérer que les aides à la production agricole ne seront plus liées aux territoires et que donc certains territoires pourraient être davantage consacrés aux loisirs et à « l'agriculture de plaisance ».

C'est le devenir de nos espaces ruraux qui est en jeu.

M. Lionel BRARD : Je suis culturellement très réservé à l'égard de l'OMC, mais je pense que c'est un monde vers lequel nous allons. La boîte verte existera donc demain, qu'on le veuille ou non. On ne pourra jamais financer les comptes d'exploitation avec des subventions publiques, tant qu'elles auront la qualité de subventions publiques. C'est de la rémunération de services : il faut donc monétariser les services.

M. Jean LASSALLE : J'espère que le monde de l'OMC ne s'imposera pas.

M. Jean-Marie OUARY : Je souhaite répondre à la question sur l'éducation populaire. L'association Mille traces fait de l'éducation à l'environnement et de suivi plus ou moins scientifique du loup. En huit ans, nous sommes passés de 4 000 à 60 000 journées vacances sans aucune subvention. Voilà mon fonds de commerce. J'étais plombier en banlieue parisienne et je vis désormais à la montagne où je fais vivre, par ma polyactivité, mon voisin qui a un élevage de brebis et qui produit du bois de chauffage. Il faut parler sainement du terrain.

La présence du loup a été annoncée par un article du Dauphiné-Libéré en septembre 1998 sur les hauts plateaux du Vercors. Au mois d'octobre, qui est pourtant un mois creux pour le tourisme, le parking du parc du Vercors était plein comme il peut l'être au mois d'août et tout cela sans l'intervention des associations, simplement grâce à l'article du Dauphiné-Libéré. C'est un atout touristique. Le loup n'est pas mon fonds de commerce. Il ne représente que 5 % de nos sorties nature, de nos conférences et de nos expositions.

Une classe de découverte dans un centre de vacances, c'est quatre emplois techniques, c'est du travail pour le boulanger, l'électricien, le transporteur et pour la petite remontée mécanique.

Certaines de ces classes de découverte sont issues de la banlieue et on connaît tous les problèmes de nos banlieues. Nous avons des résultats. Deux jeunes de banlieue que nous avons accueillis il y a dix ans et qui ont maintenant vingt ans sont revenus et ont fondé des foyers en milieu rural. A la station du col du Rousset, qui a reçu un milliard de francs de subvention, n'a été créé qu'un emploi et demi.

On le voit la biodiversité nous permet d'aider le monde rural à vivre. Bien sûr, ce sont des gens des villes qui s'installent, mais c'est parce qu'il n'y a plus de boulot dans le milieu rural.

Nos associations comptent des bergers ou des chasseurs, mais je constate qu'il y a très peu de détracteurs du loup dans les associations de protection de la nature.

Il y a une économie réelle autour de la biodiversité, comme on le voit aussi en Tanzanie ou au Kenya. Ici, les gens nous demandent toujours à voir des aigles, des lynx et des loups.

M. Jean LAUNAY : Les 25 à 30 meutes qui constituent selon vous une population viable doivent-elles rester sur l'arc alpin ou au contraire s'étendre ? Les systèmes d'élevage diffèrent sur le territoire alpin et a fortiori sur le territoire national. Il faudra donc prévoir des mesures de protection adaptées à ces différences.

M. Christophe AUBEL : Il faut que ces 25 à 30 meutes soient interconnectées entre elles. Leur implantation peut donc déborder l'arc alpin.

Il ne faut pas croire que les loups s'installeront forcément aux endroits où se pratique l'élevage ovin, mais on peut toujours trouver des solutions techniques à telle ou telle situation, les exemples en France comme à l'étranger nous le montrent.

M. Jean LAUNAY : Je m'astreins au cours des différentes auditions à poser la même question à nos interlocuteurs sur les conditions d'exercice du pastoralisme. Je me félicite encore une fois que les travaux de la commission d'enquête aient été ouverts à cette donnée.

Madame Englebert, vous avez rappelé l'abandon des moyens de garde traditionnels des troupeaux. Dans le même temps, M. Laurent Garde, du CERPAM, a essayé de nous démontrer que, en particulier dans le Mercantour, ce n'est pas l'attitude nonchalante des éleveurs ou la perte de savoirs traditionnels qui a favorisé la prédation.

Comment voyez-vous l'évolution des pratiques d'élevage dans un contexte, notamment avec les boîtes vertes de l'OMC, où il faudra étendre les zones et multiplier les justifications ?

M. Jean LASSALLE : M. Garde est assez critique à l'égard de certains responsables d'associations de protection de la nature. Comment peut-on le convaincre ?

Mme Florence ENGLEBERT : J'ai rencontré M. Garde une seule fois. Le dialogue a été assez difficile, car nous ne partageons pas les mêmes solutions. Je rappelle que le CERPAM est financé par les éleveurs. Il est donc légitime de s'interroger sur son impartialité.

Je voudrais rapidement aborder un sujet qui semble tabou. Il a été abordé dans le numéro du mois de février de la revue « Terre Sauvage » que nous vous avons distribué. Ce problème concerne tout particulièrement, mais pas seulement, le Mercantour. Il s'agit de la vente au noir des agneaux. On rencontre ce phénomène dans tous les départements côtiers, puisque c'est la filière musulmane qui permet d'écouler des animaux par ce biais. Il semble que dans le Mercantour, plus de 50 % des agneaux soient vendus au noir. Quel est le rapport avec le loup ? C'est très simple : pour vendre des agneaux au noir, l'éleveur ne déclare pas certaines de ses brebis mères. Or, quand une partie du troupeau n'est pas déclarée, l'éleveur ne peut pas se faire indemniser toutes les pertes dues au loup ou à d'autres prédateurs.

M. André CHASSAIGNE : Dans ce cas, les éleveurs ne seraient pas opposés à la présence du loup.

Mme Florence ENGLEBERT : Bien sûr que si, puisque la personne chargée de faire les constats après une attaque est obligée de dénombrer le troupeau et c'est à ce moment qu'on peut s'apercevoir que les effectifs réels ne correspondent pas aux effectifs déclarés. Certains éleveurs ont donc été amenés à ne plus déclarer leurs pertes, car la présence d'une personne chargée de dénombrer leurs bêtes les dérange.

Ce phénomène explique la dégradation dramatique de certains alpages du Mercantour qui se retrouvent nus comme la table à la fin de l'été. En effet, les plans de pâturage prennent en compte par exemple un troupeau de 1 200 brebis, alors que celui-ci en compte 2 000, voire plus.

M. Jean LAUNAY : En ne déclarant pas la totalité de leur troupeau, ces éleveurs se privent d'aides comme l'ICHN par exemple.

Mme Florence ENGLEBERT : Il ne faut pas oublier que la majorité des aides sont plafonnées à 350 têtes. Certains éleveurs contournent le problème et divisent leur troupeau de 1 000 têtes en déclarant 350 au nom de leur femme, 350 au nom de leur mère et 350 à leur nom.

Ce sujet est tabou, mais il est de notoriété publique, à tel point que l'OFIVAL, qui est un organisme officiel, en arrive à augmenter de 25 % toutes les ventes d'agneaux et de brebis dans ses statistiques pour éponger les ventes au noir. Vous pourrez le constater dans les statistiques annuelles de l'OFIVAL. Cette majoration de 25 % doit, bien sûr, être pondérée en fonction des départements.

Vous pourrez vous référer aux témoignages présentés dans « Terre Sauvage ». Nous en avons nous-mêmes recueillis. Si le mouvement d'opposition au loup dans les Alpes-Maritimes est plus fort que partout ailleurs, c'est parce que le loup dérange un système d'économie parallèle. En cas de prélèvement par le loup sur son troupeau, l'éleveur se retrouve devant l'alternative suivante : soit il prend le risque que sa fraude soit découverte s'il déclare les dégâts, soit il prend ces dégâts à sa charge.

M. Jean LASSALLE : Cette information est très importante pour notre commission. Pourriez-vous nous fournir des documents de preuve ?

Mme Florence ENGLEBERT : Malheureusement, il n'y en a pas, mais puisque votre commission dispose de pouvoirs d'investigation très étendus, elle aurait tout intérêt à enquêter sur ce phénomène.

M. Jean LAUNAY : Le rapport du CERPAM mentionne l'abandon des unités pastorales structurellement très difficiles à protéger. Y-a-t-il des solutions à ce problème ? Ou bien considérez-vous que ces abandons sont inévitables ?

Mme Florence ENGLEBERT : Je n'ai pas connaissance d'éleveurs ayant abandonné leur profession dans le Mercantour à cause du retour du loup.

M. Jean LAUNAY : Vous nous avez, au contraire, dit qu'il y avait surpâturage dans certaines zones.

Mme Florence ENGLEBERT : Le surpâturage est évident dans le Mercantour. Les parcs nationaux n'ont en effet pas la maîtrise foncière des terres dont ils ont la gestion. Ils ne peuvent donc rien imposer aux éleveurs. De nombreuses études pastorales se sont penchées sur le problème de la gestion des espaces d'altitude qui sont extrêmement fragiles et recommandent certaines pratiques, notamment en terme de durée de présence des troupeaux, qui sont rarement respectées, et en terme de charge pastorale. Chaque prairie d'altitude est habilitée à recevoir un chargement spécifique en fonction de sa richesse floristique, de sa superficie et de son altitude. Chaque alpage du parc national bénéficie d'un diagnostic pastoral extrêmement précis fait par un ingénieur écologue, Michel Lambertin, qui fait régulièrement le constat de dégradations qui sont dramatiques, car au-delà de 2 000 mètres, elles ne se réparent pas du jour au lendemain. Ainsi, le vallon du Lausannier, dans la vallée de l'Ubaye, qui se trouve au cœur du parc et qui était connu autrefois pour sa richesse floristique, est aujourd'hui un désert. Le parc a été obligé de mettre pratiquement sous cloche une station de reines des alpes, une espèce protégée de chardon endémique, pour qu'elles ne soient pas totalement mangées par les brebis. Tous les alpages sont en surcharge, parfois de 50 %. Il faut se rendre dans le Mercantour en septembre ou octobre et vous verrez des alpages qui sont pelés comme la table.

M. Jean LASSALLE : Existe-t-il des études scientifiques le démontrant ?

Mme Florence ENGLEBERT : Toutes les études de Michel Lambertin vont dans ce sens. Le parc se bat depuis des années pour protéger les alpages, mais, comme il n'a pas la maîtrise foncière des terrains, il n'y arrive pas. La plupart des troupeaux sont en surcharge et débordent très largement, surtout dans le sud du parc, les périodes d'occupation des alpages qui leur sont octroyées. Il y a des troupeaux qu'il a fallu héliporter parce qu'ils étaient coincés dans la neige.

M. Jean LASSALLE : M.  Brard, je suis d'accord avec vous, les problèmes économiques des territoires ruraux se posaient déjà avant l'arrivée du loup.

Les associations de protection de la nature se présentent souvent, notamment à travers leurs publications, avec une caution scientifique, comme le Muséum d'histoire naturel de Paris. Par ailleurs, l'association des journalistes et écrivains amoureux de la nature réunit, ou réunissait, je ne sais pas si elle existe toujours, des journalistes de Charlie Hebdo comme de Minute, en passant par toutes les chaînes de télévision et même le directeur de l'Agence France Presse à l'époque. Enfin, vos associations bénéficient du soutien d'un certain nombre de mécènes.

Ne pensez-vous pas que cela fait un peu beaucoup ? M.Brard, n'avez-vous jamais eu le sentiment que vous alliez au-delà de ce que pouvait faire un milieu associatif ?

M. Lionel BRARD : Pour m'occuper pendant une dizaine d'années du milieu associatif, j'ai mis dans la balance mon métier d'avocat et j'ai accepté que mes revenus personnels baissent de 75 %. Un engagement associatif loi de 1901, pour des milliers de Français ce n'est pas un fonds de commerce, c'est une passion, avec ses excès, mais aussi avec sa rigueur.

J'ai eu la chance de m'engager dans France Nature Environnement. Cette association est une fédération, qui regroupe notamment des fédérations départementales de chasseurs. Est-ce que je dois dire que ces membres-là sont membres de ma fédération ? Je n'en sais rien. Je compte mes associations.

Nous sommes toujours très près du service public, car nous fonctionnons essentiellement sur la base du bénévolat. Les conseils d'administration de FNE réunissent le vendredi et le samedi 25 personnes venant des quatre coins de France, qui ne sont pas remboursées de leurs frais de déplacement pour la plupart d'entre elles. Nous avons toujours eu l'idée que nous participions à une mission de service public.

Le ministère de l'environnement m'a requis pendant cinq ans à hauteur de trois jours pleins par semaine. J'ai été envoyé à l'étranger, sans aucune indemnisation. J'ai siégé dans le conseil d'administration d'une vingtaine d'établissements publics, toujours sans indemnisation.

Vous me demandez si je ne pense pas que nous ratissions trop large. Pendant des dizaines d'années, l'Etat français n'a pas investi dans la recherche sur la biodiversité. Ce sont nos associations, nos sociétés savantes qui ont financé le secteur de la recherche publique en France avec du bénévolat. Nous avons donc traditionnellement des liens avec le Muséum d'histoire naturelle, mais il est, tout comme nous, totalement indépendant.

Quant à l'association des journalistes et écrivains dont vous parlez, je leur ai demandé en 1996 de quitter FNE, car ils ne pouvaient pas être à la fois juge et partie.

M. Jean LASSALLE : Vous avez donc travaillé avec eux de 1989 à 1996.

M. Lionel BRARD : Je ne nie pas que la presse environnementale, quelque part, a pris ses racines chez nous. Des journalistes du Monde chargés de l'environnement sont passés par la maison.

Vous ne pouvez pas parler de fonds de commerce aux salariés de nos associations, qui parfois travaillent jusqu'à 60 heures par semaine et sont payés au SMIC. Certains continuent même à travailler bénévolement après avoir été licenciés pour des raisons économiques.

M. Jean LASSALLE : Vous avez donc donné une bonne partie de votre vie à la mission de service public gérée par le ministère de l'environnement pour le compte de l'Etat. Imaginez que d'autres milieux, autrement plus dangereux que ce que vous représentez, aient l'idée de faire la même chose.

M. Lionel BRARD : Ce n'est pas propre à notre milieu. L'agriculture le fait. Au Conseil national de protection de la nature, je siégeais avec des représentants des chambres d'agriculture qui passaient une ou deux journées par semaine à travailler sur des dossiers de nature et d'environnement. On retrouve un engagement comparable au nôtre dans les syndicats professionnels parce que la notion d'argent n'est pas présente.

M. Jean LASSALLE : Ne pourrait-on pas imaginer qu'un engagement comparable au vôtre puisse se faire par idéologie ? Or, certaines idéologies, si elles ne sont pas corrigées, peuvent être dangereuses.

M. Lionel BRARD : Vous-même, n'avez-vous pas un idéal de société pour lequel vous êtes prêt à vous battre ?

M. Jean LASSALLE : Si, mais je ne sais pas si j'irai jusqu'au point de m'associer à un groupe représentant tous les organes de presse français ou de me faire sponsoriser.

Pourriez-vous communiquer à la commission vos publications parues entre 1990 et 1992 et entre 1999 et 2000 ?

M. Christophe AUBEL : Vous avez reçu la collection complète de « La Voie du loup ».

Je voudrais dire un mot sur le fait associatif. S'il existe un Conseil national de la vie associative, c'est bien parce que le fait associatif est quelque chose d'important.

Les associations de protection de la nature ont de tout petits moyens comparés à ceux des associations sportives, sociales ou humanitaires. Nous ne sommes pas cette puissance que vous décrivez.

Vous pourrez, par ailleurs, constater qu'il y a un équilibre dans la presse généraliste entre les articles qui sont favorables au loup et ceux qui y sont défavorables. Vous pourriez aussi vous référer à l'exemple de la prétendue attaque sur un homme par un loup qui a fait, un été, la une de tous les médias qui n'ont, par la suite, pas du tout parlé des conclusions de l'enquête de gendarmerie aboutissant à un non-lieu.

M. Lionel BRARD : Si la presse donne un écho à nos idées, c'est que les journalistes constatent que nous avons un véritable engagement politique et que nos idées sont parfois un peu en avance sur celles du reste de la société civile. C'est ce qui explique le lien qui peut paraître privilégié que nous pouvons avoir avec la presse.

M. Jean LASSALLE : Nous avons entendu votre désir de tendre la main au monde rural mais il importerait que vous fassiez aussi quelques pas vers lui. Nous avons appris hier, lors de l'audition de Mme Bigan, que le ministère de l'environnement avait passé commande d'une étude pour l'élaboration d'un plan de restauration du lynx dans les Alpes. Nous lui avons demandé si les présidents de conseils généraux, élus locaux étaient consultés dans ce cadre. Apparemment, ils ne le sont pas.

Je sais bien que vous êtes indépendant du ministère de l'environnement, mais ne pourriez-vous pas essayer de favoriser la consultation les acteurs locaux pour ce genre de projets ?

M. Christophe AUBEL : Nous avons toujours réclamé la tenue de séances du comité national loup, qui est précisément un organe consultatif. Mais nous ne sommes pas décisionnaires.

M. Lionel BRARD : Notre rôle n'est pas de réformer le mode de fonctionnement de l'Etat français. Vous avez été élu pour cela.

M. Jean LASSALLE : Nous pouvons donc en conclure que les choses ne changeront pas tellement.

M. Lionel BRARD : Je ne vois pas ce qui vous permet, au travers de nos propos, de considérer que rien ne peut changer. Une transaction, en droit, c'est un échange réciproque de concessions. Pour le moment, je n'ai pas entendu l'ombre d'une concession de la part de nos interlocuteurs. Nous ne fermons pas de portes. J'ai simplement dit qu'il y avait un prix à tout et qu'il n'y aura pas de concession sur le principe de l'éradication totale, régionale ou locale du loup de la part de notre mouvement tant que la population de loups en France ne sera pas parfaitement viable.

M. Christophe AUBEL : Je voudrais rappeler que nous avions voté en faveur du protocole de tir au sein du CNPN dans un sens d'ouverture vers les éleveurs. Nous sommes ouverts au dialogue et nous l'avons toujours été.

M. Lionel BRARD : Au CNPN, j'avais clairement indiqué, en qualité de président de la fédération, que le jour où l'Etat français nous présenterait un cas de prédation par le loup manifestement excédentaire alors que tous les moyens de prévention avaient été mobilisés, nous l'examinerions. On ne m'a jamais présenté un tel cas, tout simplement parce que lorsqu'il y a prédation excédentaire, c'est parce que la prévention n'a pas été mise en place.

M. Jean LASSALLE : Madame, Messieurs, je vous remercie.

TABLE DES SIGLES

ACCA

Association communale de chasse agrée

ADN

Acide d Acide désoxyribonucléique

AFP

Association française du pastoralisme
Association foncière pastorale

AFSSA

Agence française de sécurité sanitaire des aliments

ANEM

Association nationale des élus de la montagne

APPAM

Association pour le pastoralisme dans les Alpes-Maritimes

ARTUS

Association de protection de l'ours

ATEM

Atelier technique des espaces naturels

BPE

Brevet professionnel agricole

CADEA

Commissariat à l'aménagement et au développement économique des Alpes

CDA

Contrat d'agriculture durable

CEMAGREF

Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts

CERPAM

Centre d'études et de recherches pastorales Alpes-Méditerranée

CIAT

Comité interministériel d'aménagement du territoire

CITES

Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune sauvages menacées d'extinction

CNERA

Centre national d'étude et de recherche appliquée de l'ONCFS

CNL

Comité national loup

CNJA/CDJA

Centre national / départemental des jeunes agriculteurs

CNM

Conseil national de la montagne

CNPN

Conseil national de la protection de la nature

CNRS

Centre nationale de recherche scientifique

CRAVE

Centre de recherche alpin sur les vertébrés

CTE

contrat territorial d'exploitation (créé par la LOG)

DATAR

Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale

DDAF/DRAF

Direction départementale/régionale de l'agriculture et de la forêt

DIREN

Direction régionale de l'équipement

DNP

Direction de la nature et des paysages

DOCOB

Document d'objectif

DOCUP

Document unique de programmation

ENITAC

École nationale des travaux agricoles (Clermont-Ferrand)

ETP

Équivalent temps plein

FEDER

Fonds européen pour le développement régional

FEOGA-Garantie

Fonds européen d'organisation et de garantie agricole

FIEP

Fonds d'intervention éco-pastoral

FNADT

Fonds national d'aménagement et de développement du territoire

FNE

France nature environnement (Fédération des associations de protection de la nature)

FNO

Fédération nationale ovine

FNSEA/FDSEA

Fédération nationale/départementale des syndicats d'exploitants agricoles

FRAPNA

Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature

FROSE

Fédération régionale des éleveurs du Sud-Est

FSE

Fonds social européen

ICHN

Indemnité compensatoire de handicaps naturels

INA

Institut national agronomique

INRA

Institut national de recherche agronomique

ISM

Indemnité spéciale de montagne

LIFE

L'instrument financier pour l'environnement

OFIVAL

Office national interprofessionnel des viandes de l'élevage

OGM

Organisme génétiquement modifié

ONCFS

Office national de la chasse et de la faune sauvage

ONF

Office national des forêts

ONG

Organisation non gouvernementale

OREAM

Organisation régionale de l'élevage Alpes-Méditerranée

PAC

Politique agricole commune

PCO

Prime compensatrice ovine

PACA

Région Provence-Alpes-Côte d'Azur

PLU

Plan local d'urbanisation

POS

Plan d'occupation du sol

RICA

Réseau d'information comptable agricole

SAU

Surface agricole utilisée

UGB

Unités gros bétail

URCF

Union régionale des communes forestières

ZSC

Zones spéciales de conservation

TOME SECOND

Volume 2

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la commission

- AUDITION CONJOINTE DE M. DENIS Granjean, DIRECTEUR DU PARC DU MERCANTOUR EN 1992-1993, ET DE M. PATRICK LE Meignen, DIRECTEUR-ADJOINT DU PARC DU MERCANTOUR EN 1992-1993 7

- AUDITION DE MME MARIE-ODILE GUTH, DIRECTRICE DU PARC DU MERCANTOUR DE 1994 À 1997, INSPECTRICE GÉNÉRALE DE L'ENVIRONNEMENT AU MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE 22

- AUDITION DE M. MICHEL PERRET, VÉTÉRINAIRE AU BUREAU DE LA FAUNE ET DE LA FLORE SAUVAGES DU MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE 31

- AUDITION DE MME GENEVIÈVE CARBONE, ETHNOZOOLOGUE 38

- AUDITION CONJOINTE DE M. RAOUL MATHIEU, PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE D'AGRICULTURE DES ALPES-MARITIMES, ACCOMPAGNÉ DE MME MAURICETTE MILLO, ANCIENNE DIRECTRICE DE LA CHAMBRE D'AGRICULTURE DES ALPES-MARITIMES 46

- AUDITION DE MME MICHÈLE JALLET, RESPONSABLE DE FORMATION À L'ECOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D'AGRONOMIE DU DOMAINE DU MERLE, SECTION FORMATION DES BERGERS 57

- AUDITION DE M. PIERRE MIGOT, DIRECTEUR-ADJOINT DES ÉTUDES ET DE LA RECHERCHE À L'OFFICE NATIONAL DE LA CHASSE ET DE LA FAUNE SAUVAGE (ONCFS), RESPONSABLE DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES ET DE RECHERCHE APPLIQUÉE SUR LES PRÉDATEURS ET LES ANIMAUX DÉPRÉDATEURS 66

- TABLE RONDE REGROUPANT DES SCIENTIFIQUES SPÉCIALISÉS DANS LA GESTION DU LOUP ET DES PRÉDATEURS,  M. FRANÇOIS MOUTOU, AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS (AFSSA), M. HENRI OLLAGNON, INSTITUT NATIONAL AGRONOMIQUE (INA P-G), M. GUY JONCOUR, VÉTÉRINAIRE, AUTEUR D'UNE ÉTUDE SUR LES DOMMAGES DES CHIENS EN FRANCE, MME NATHALIE ESPUNO, THÉSARDE SUR L'IMPACT DE LA PRÉDATION ET LES MESURES DE PRÉVENTION, MME VÉRONIQUE CAMPION-VINCENT, INGÉNIEUR DE RECHERCHE AU CNRS 79

- AUDITION DE M. YVES COCHET, MINISTRE DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE L'ENVIRONNEMENT, DE JUILLET 2001 À MAI 2002

- AUDITION DE MME ROSELYNE Bachelot-Narquin, MINISTRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

- AUDITION CONJOINTE DE MME  MARIE-LYSE BROUEILH, PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION DE DÉVELOPPEMENT DURABLE DE L'IDENTITÉ DES PYRÉNÉES (ADDIP), MME HÉLÈNE HUEZ, SECRÉTAIRE DE L'ADDIP ET MEMBRE DE LA FÉDÉRATION PASTORALE DE L'ARIÈGE, MME DOMINIQUE DESTRIBOIS, REPRÉSENTANTE DES ÉLEVEURS AU SEIN DE L'ADDIP, M. ALAIN NAUDY, PREMIER VICE-PRÉSIDENT SUPPLÉANT, REPRÉSENTANT DES ÉLUS, ET M. ROBERT SAGNES, DEUXIÈME VICE-PRÉSIDENT, REPRÉSENTANT DES CHASSEURS

- AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS DENIS, ANCIEN PRÉFET DES PYRÉNÉES-ATLANTIQUES, MAIRE DE PRADES

- AUDITION CONJOINTE DE M. GUY FREBY, DIRECTEUR DE L'AGENCE DÉPARTEMENTALE DE L'OFFICE DES FORÊTS DE L'ARIÈGE, ET DE M. PIERRE-YVES QUENETTE, OFFICE NATIONAL DE LA CHASSE ET DE LA FAUNE SAUVAGE

- AUDITION CONJOINTE DE M. OLIVIER RALU, MEMBRE DE L'ASSOCIATION DE DÉVELOPPEMENT DURABLE D'IDENTITÉ DES PYRÉNÉES (ADDIP), M. JOSÉ BARBOSA, PRÉSIDENT DU SYNDICAT OVIN DE L'ARIÈGE, MME CHRISTELLE FOYER, BERGÈRE, M. JEAN-FRANÇOIS RUMMENS, CHEF DE SERVICE, M. ROBERT Zonch, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE CASTILLON, MAIRE DE CASTILLON, M. GÉRARD PONS, PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE D'AGRICULTURE DE L'ARIÈGE, ET M. JOURTAUX, VICE-PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE D'AGRICULTURE DE LA HAUTE-GARONNE

- AUDITION CONJOINTE DE M. FRANCIS CHEVILLON, ÉLEVEUR BERGER, M. PAUL RUIZ, BERGER, M. JEAN-FRANÇOIS TOUSTOU, ÉLEVEUR D'OVINS ET DE BOVINS, MME CATHERINE BRUNET, CONJOINTE D'ÉLEVEUR BERGER, ET M. THIERRY DE NOBLENS DU COMITÉ ÉCOLOGIQUE ARIÉGEOIS

- AUDITION CONJOINTE DE M. PHILIPPE QUAINON, DIRECTEUR DE LA DIRECTION DÉPARTEMENTALE DE L'AGRICULTURE ET DE LA FORÊT (DDAF), ET DE MME ANNE Chêne (DDAF)

- AUDITION CONJOINTE DE M. FRANÇOIS ARCANGELI, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET TOURISTIQUE (ADET), M. ANDRÉ RIGONI, VICE-PRÉSIDENT DE L'ADET ET MAIRE DE MELLES, M. PHILIPPE CAZES, ADMINISTRATEUR DE L'ADET, ET PRÉSIDENT DES ACCOMPAGNATEURS EN MONTAGNE DE L'ARIÈGE M. ALAIN REYNES, DIRECTEUR DE L'ADET, M. CAMILLE COUTANCEAU, AUBERGISTE À BIERT, ET PRÉSIDENT DE L'OFFICE DU TOURISME DU CANTON DE MASSAT

- AUDITION DE M. FRANCIS ADER, ÉLEVEUR

- AUDITION CONJOINTE DE M. PHILIPPE SENEGAS, DIRECTEUR DE LA DIRECTION RÉGIONALE DE L'ENVIRONNEMENT (DIREN-MIDI-PYRÉNÉES), ET DE MELLE EVELYNE SANCHIS, CHARGÉE DU DOSSIER OURS

- AUDITION CONJOINTE DE M. MICHEL Maumus, CONSEILLER GÉNÉRAL DE LASSEUBE, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION ENVIRONNEMENT DU CONSEIL GÉNÉRAL DES PYRÉNÉES-ATLANTIQUES, VICE-PRÉSIDENT DE L'INSTITUTION PATRIMONIALE DU HAUT-BÉARN (IPHB), PRÉSIDENT DES COMMISSIONS OURS, SÉCURITÉ PASTORALE, ET DE M. DIDIER HervE, DIRECTEUR DE L'IPHB

- AUDITION DE M. RENÉ Rose, MAIRE DE BORCE, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE LA VALLÉE D'ASPE, RESPONSABLE FINANCIER DE L'INSTITUTION PATRIMONIALE DU HAUT-BÉARN (IPHB), PRÉSIDENT DE LA COMMISSION D'INDEMNISATION DES DÉGÂTS D'OURS

- AUDITION CONJOINTE DE MM. CLAUDE Bailly, DIRECTEUR DE LA DIRECTION DÉPARTEMENTALE DE L'AGRICULTURE ET DE LA FORÊT (DDAF), MICHEL GUILLOT, DDAF, ET PIERRE Dartout, PRÉFET DES PYRÉNÉES-ATLANTIQUES

- AUDITION CONJOINTE DE MM. HUGUES Ayphassorho, DIRECTEUR DE LA DIRECTION RÉGIONALE DE L'ENVIRONNEMENT (DIREN-AQUITAINE), LOÏC Matringe, (Diren-AQUITAINE), JEAN-JACQUES Camarra, COORDONNATEUR DU RÉSEAU OURS BRUN À L'OFFICE NATIONAL DE LA CHASSE ET DE LA FAUNE SAUVAGE(ONCFS)

- TABLE RONDE INFORMELLE ORGANISÉE À PAU

- AUDITION DE M. CHRISTIAN Vallet, DIRECTEUR DE L'AGENCE DE L'OFFICE NATIONAL DES FORÊTS (ONF) DES PYRÉNÉES-ATLANTIQUES

- AUDITION DE M. GÉRARD Caussimont, PRÉSIDENT DU FONDS D'INTERVENTION ÉCO-PASTORAL (FIEP), GROUPE OURS PYRÉNÉES

- AUDITION DE MME DOMINIQUE VOYNET, MINISTRE DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE L'ENVIRONNEMENT DE JUIN 1997 À JUILLET 2001

- AUDITION DE MME CORINNE Lepage, MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT DE MAI 1995 À JUIN 1997

- AUDITION DE M. BERNARD FOUCAULT, INGÉNIEUR EN CHEF DU GÉNIE RURAL DES EAUX ET FORÊTS, ANCIEN CHARGÉ DE LA POLICE DE L'ENVIRONNEMENT À LA DIRECTION DÉPARTEMENTALE DE L'AGRICULTURE ET DE LA FORÊT (DDAF) DES ALPES-MARITIMES

- AUDITION DE M. MICHEL BARNIER, MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT DE MARS 1993 À MAI 1995

- AUDITION DE MME SÉGOLÈNE ROYAL,  MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT D'AVRIL 1992 À MARS 1993

- AUDITION DE M. HERVÉ Gaymard, MINISTRE DE L'AGRICULTURE, DE LA PÊCHE, DE L'ALIMENTATION ET DES AFFAIRES RURALES.

- Table des sigles

Audition conjointe
de M. Denis GRANJEAN, directeur du parc du Mercantour en 1992-1993,
et de M. Patrick LE MEIGNEN, directeur-adjoint du parc du Mercantour
en 1992-1993

(Extrait du procès-verbal de la séance du 4 mars 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

MM. Denis Granjean et Patrick Le Meignen sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, MM. Denis Granjean et Patrick Le Meignen prêtent serment à tour de rôle.

M. le Président : Monsieur Granjean, monsieur Le Meignen, je suis heureux de vous retrouver ici, dans ce cadre un peu formel. Pouvez-vous rappeler brièvement à l'attention du Rapporteur, M. Daniel Spagnou et des membres de la Commission, quelles étaient précisément vos fonctions et vos responsabilités, en novembre 1992, quand a été constatée pour la première fois l'arrivée en France d'un couple de loups dans le vallon de Mollières ? Comment avez-vous géré ce problème, notamment dans vos relations avec votre administration centrale ? Comment les constatations ont-elles été opérées ? Nous passerons ensuite au jeu des questions-réponses avec les parlementaires ici présents.

M. Denis GRANJEAN : Monsieur le président, je suis très heureux de vous retrouver car je garde un excellent souvenir des nombreux moments passés ensemble dans le parc national du Mercantour. Un de nos premiers contacts était d'ailleurs placé sous le signe des animaux puisque, si j'ai bonne mémoire, il avait trait aux mouflons.

M. le Président : Votre mémoire est excellente. Nous considérions que nous avions trop de mouflons, à l'époque.

M. Denis GRANJEAN : C'est exact.

J'étais directeur du parc national du Mercantour à partir de 1989, après l'avoir été pendant cinq ans dans le parc national des Ecrins. Je l'ai été jusqu'à fin 1993, date à laquelle, après dix ans de service dans les parcs nationaux, je suis revenu à des fonctions correspondant à ma formation d'origine, l'urbanisme et l'architecture, puisque j'ai pris la direction de l'école d'architecture de Nancy.

En 1992, des gardes du parc national du Mercantour nous signalent avoir observé des animaux qui pourraient être des loups. A ce moment-là, il n'y a pas de certitude, dans la mesure où cet animal peut se croiser avec des chiens et où il peut exister toute une variation dans sa typologie. Par conséquent, en voyant des canidés, surtout à distance, on peut être intrigué par un comportement qui n'est pas celui de chiens errants, sans être certain d'avoir affaire à un autre animal. En sorte que l'observation faite par le personnel de terrain reste à vérifier. Compte tenu des difficultés existant alors dans le parc national, notamment une série de conflits locaux, il n'était pas opportun de crier « au loup » tant que l'on n'était pas assuré de sa présence.

Au plan interne, les protocoles sont multiples. Il y a d'abord une tentative de validation par l'équipe scientifique du parc national. Or celle-ci n'est nécessairement pas très compétente. Comme le loup n'existe pas en France, elle n'a pas d'expérience de cet animal. Des équipes dans les parcs nationaux peuvent avoir une expérience des ongulés et des autres espèces que l'on trouve habituellement. Mais à l'époque, pour des raisons évidentes, le loup ne constitue pas un objet d'étude dans les parcs nationaux français.

On se tourne alors vers le comité scientifique du parc national qui est alors présidé par Pierre Pfeiffer. Il est plutôt spécialiste de l'éléphant d'Afrique, mais rien ne lui interdit d'avoir des lumières un peu plus précises sur le loup. Avec Pierre Pfeiffer, le comité scientifique organise la collecte de l'information auprès du Muséum d'histoire naturelle et de l'Office national de la chasse qui, lui, a des équipes de scientifiques au niveau national en relation avec la communauté scientifique internationale, et est à même de trouver des informations.

Par ailleurs, nous informons l'administration centrale - à l'époque, le directeur de la nature et des paysages est Gilbert Simon, qui vient de succéder à François Letourneux - afin de définir le protocole à mettre en place.

C'est, je pense, au début de 1993 que, par l'analyse des poils, de dépouilles retrouvées dans des restes d'avalanche et de fèces que l'on constate qu'il s'agit bien de loups. Apparemment, tout laisse à penser que ce sont des loups. On commence alors à envisager, en liaison avec l'administration centrale, une communication mixte: à la fois au plan local, notamment avec le journal « Nice Matin » et, au plan national, avec la revue « Terre sauvage », dont je vous ai d'ailleurs apporté un exemplaire du tiré à part sur le sujet. Nous essayons donc de gérer la communication au plan local et au plan national. Nous le faisons d'ailleurs sans trop de difficulté à ce moment-là puisque l'apparition du loup ne semble pas encore poser de problèmes à l'ensemble du département. On en est plutôt à se demander si ce ne sont que des loups de passage ou s'il existe un risque de sédentarisation.

C'est d'ailleurs à partir de la mi-1993 que se mettent en place des protocoles de sécurité avec la préfecture. Le préfet des Alpes-Maritimes de l'époque, Jean-Louis Destandau, organise plusieurs réunions en préfecture en liaison avec la sécurité civile, la gendarmerie, l'Office national des forêts, la direction départementale de l'agriculture et de la forêt - DDAF -, sur les protocoles de sécurité liés à cet animal. S'il se confirmait qu'il se sédentarise, poserait-il des problèmes de sécurité pour les bergers et les randonneurs ?

Parallèlement, les analyses scientifiques se poursuivent au niveau national. Je le répète, cet animal, très peu observé, et assez peu connu dans son fonctionnement et son comportement en France. L'Office national de la chasse qui, avec la direction de la nature et des paysages, est saisie du problème, réalise des études, contacte des scientifiques, notamment italiens, pour savoir comment les choses se passent ailleurs. Une partie de l'équipe du parc national - pas moi personnellement car la vie du parc continue avec tous les problèmes quotidiens que vous imaginez - dont, en particulier, Patrick Le Meignen, se rend en Italie avec l'équipe scientifique pour rencontrer des responsables italiens afin de savoir comment sont gérées les populations de loup dans les pays voisins.

Je suis parti en 1993, au moment où la question devenait un problème de société dans les Alpes-Maritimes. Je n'ai connu que la partie correspondant aux premières observations et aux premières définitions des protocoles scientifiques et sécuritaires liés à l'animal. Protocoles sécuritaires parce que, outre l'indemnisation des dégâts causés aux animaux domestiques lorsqu'il est prouvé qu'ils sont dus au loup, on essaie de doter les bergers de chiens patous capables de protéger les troupeaux. On met en place un système d'aide aux bergers pour gérer le pastoralisme. Parti à la fin de 1993, je n'ai pas connu les vifs conflits que vous avez connus dans les Alpes-Maritimes, les années suivantes.

Plus tard, depuis mon retour à Nancy il y a une dizaine d'années, j'ai eu l'occasion de m'entretenir par téléphone, à plusieurs reprises, avec des responsables de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, notamment avec M. Mathieu, qui cherchaient à accréditer l'idée que le loup avait été réintroduit artificiellement. C'est franchement une absurdité. Je ne vois vraiment pas quel intérêt un parc national qui avait déjà une difficulté d'être dans le contexte local aurait eu à réintroduire une espèce de prédateur. Cela me paraît aussi bizarre que les rumeurs sur les vipères lâchées par hélicoptère dans des caisses qui continuent de circuler bien que leur absurdité soit patente.

Je ne vois pas quel intérêt j'aurais eu à me créer un problème alors que j'avais déjà pas mal déminé la situation du parc national grâce au préfet Costa et à mon travail de terrain. Vous vous en souvenez, j'étais très présent dans les manifestations et le week-end, dans l'arrière-pays. J'essayais de présenter une image de la protection de la nature qui ne soit pas bureaucratique. Je ne vois pas pourquoi j'aurais laissé faire ou fermé les yeux sur des pratiques de personnels. De plus, techniquement, ce n'est pas évident. Capturer, transporter, relâcher cet animal est très difficile. Je comprends que cette idée ait été soulevée dans la mesure où s'il apparaissait que cet animal avait été réintroduit artificiellement, il n'aurait pas le même statut de protection qu'il a aujourd'hui.

Je considère ce débat comme sans intérêt. Il est clair que cet animal est revenu naturellement par une extension de son champ territorial compte tenu de sa démographie, un peu comme les populations d'aigles reconquièrent progressivement des surfaces supplémentaires. D'ailleurs, dès 1990, des universitaires de Turin ou de Pavie nous signalaient que les populations de loups étaient en augmentation, qu'elles étaient en migration et qu'il était possible qu'elles atteignent la France. On est dans le cas d'une extension tout à fait normale compte tenu de la protection de l'espèce en Italie. J'ai donc eu à réexpliquer cela, très sympathiquement au demeurant, avec des gens de la chambre d'agriculture des Alpes-Martimes parce que nos discussions gravitaient autour de la même question, même après que j'aie quitté le parc.

M. Patrick LE MEIGNEN : Je suis resté directeur-adjoint du parc jusqu'en 1997, date à laquelle j'ai rejoint la direction de l'Office national des forêts d'Aix-en-Provence.

Pour compléter les propos de Denis Granjean, je préciserai que dès les observations de novembre 1992, nous avons mis en place un protocole scientifique avec nos moyens propres, en fonction des informations que nous avions recueillies auprès des scientifiques italiens, avec lesquels nous étions en contact depuis le début des années quatre-vingt dix - je pense notamment au Pr Meriggi et à Luigi Boitani - en liaison avec l'administration centrale et le CNERA, le Centre national d'étude et de recherche appliquée de l'Office national de la chasse qui comporte une division « prédateurs », dont est chargé Pierre Migot.

C'est au travers du comportement des animaux, l'éthologie, au cours de l'hiver 1992-1993, que l'on a pu confirmer que les animaux qui avaient été observés dans le vallon de Mollières étaient probablement des loups. Ce comportement ne pouvait pas correspondre au comportement des chiens errants, qui plus est dans ce vallon très isolé. Cette analyse a ensuite été confirmée par les analyses génétiques.

De plus, notre attention avait été attirée par la diminution, depuis plusieurs années, avant même 1992, de la fameuse population de mouflons de Mollières, qui était estimée à la fin des années quatre-vingt entre 300 et 350 individus. Cette population, particulièrement suivie par les équipes du parc, avait chuté assez rapidement en deux ans, pour des raisons inexpliquées, tant du point de vue sanitaire que du point de vue des conditions climatiques. Si le mouflon résiste assez mal à la neige, ces années-là étaient caractérisées par un déficit d'enneigement, en sorte que l'on ne s'expliquait pas la réduction de cette population de mouflons. Cela nous avait mis la puce à l'oreille. Comme c'était dans le même secteur, on pouvait opérer des recoupements.

J'ai emmené une partie de l'équipe du parc du Mercantour dans les Abruzzes, du 8 au 13 mars 1993, afin que les équipes de la direction de ce parc national nous apprennent le comportement de cet animal dans son milieu naturel au regard de la prédation, des territoires de chasse et de l'élevage. Il existe un élevage ovin important dans les Abruzzes mais dont la configuration et la typologie sont différentes de celles des Alpes-Maritimes. C'est de l'élevage de brebis laitières aux tailles de troupeaux différentes. En tout cas, cela nous a permis aussi de nouer quelques contacts avec des éleveurs.

Effectivement, la communication sur le retour du loup dans les Alpes françaises a eu lieu en avril 1993, après que nous ayons pu établir un certain nombre de données comportementales et éthologiques. Je confirme que les scientifiques italiens avaient appelé notre attention sur l'extension territoriale et la dynamique de population du loup. A la fin des années quatre-vingt, il était déjà présent en Ligurie. On pouvait donc s'attendre à ce que, un jour ou l'autre, il franchisse la frontière, ne connaissant pas les limites administratives.

M. le Président : Vous dites qu'il était déjà présent en Ligurie à la fin des années quatre-vingt. Par qui cette information est-elle validée ?

M. Patrick LE MEIGNEN : En 1995 ou 1996, on a demandé aux équipes du parc national, au-delà des informations que nous avions régulièrement par des participations à des colloques ou rencontres scientifiques sur le sujet, de se renseigner auprès des services vétérinaires et de services de l'administration italienne sur la présence du loup en Ligurie: attaques répertoriées, indices, traces, fèces, analyses effectuées du côté italien. C'est, a posteriori, en 1996, qu'on a pu savoir qu'il était déjà présent à la fin des années quatre-vingt à proximité de la frontière française

M. le Président : En 1996, vous avez obtenu des éléments précis qui sont répertoriés par votre administration ?

M. Patrick LE MEIGNEN : Un rapport a été produit auprès de la direction de la nature et des paysages. Je ne sais pas si vous en avez eu connaissance.

M. le Président : Nous avons eu connaissance de ce rapport mais il ne paraît pas s'appuyer, comme vous le dites, sur une communication des services sanitaires italiens.

M. Patrick LE MEIGNEN : Nous avons pourtant recueilli les informations auprès d'eux.

M. le Président : Avez-vous obtenu des éléments écrits et précis ?

M. Patrick LE MEIGNEN : Non, nous n'avons pas eu de rapport écrit de leur part. Des contacts ont été établis par les gardes du parc que nous avions diligentés pour aller recueillir ces informations.

M. le Président : Ce sont donc de simples contacts par gardes du parc interposés qui vous amènent à établir ce rapport ?

M. Patrick LE MEIGNEN : Oui. Etant entendu que les gardes du parc sont des agents de l'Etat commissionnés et assermentés, comme je le suis, d'ailleurs.

M. le Président : Hélas, quelquefois aussi militants dans des associations.

Puisque vous vous êtes appuyés, pour faire ce rapport, sur les simples dires de gardes du parc, il peut vous intéresser de savoir que les autorités italiennes nous confirment, pour leur part, qu'elles n'ont authentifié la présence du loup que jusqu'à l'est de Gênes. Elles nous ont même fourni des cartes selon lesquelles elles n'auraient jamais identifié la moindre trace de fèces ni la moindre prédation du loup entre Gênes et le parc du Mercantour avant 1995-1996, à part deux carcasses de loup retrouvées du côté d'Imperia. Ce que vous me dites là est important. Le rapport qui nous a été remis par le directeur de cabinet du ministre, M. Pipien, a donc été élaboré par vos services en s'appuyant simplement sur des propos.

M. Patrick LE MEIGNEN : Egalement sur des études de scientifiques qui avaient produit un certain nombre de communications sur la colonisation du loup dans l'arc italien...

M. le Président : Là-dessus, nous sommes d'accord.

M. Patrick LE MEIGNEN :...avec des références bibliographiques sur des publications scientifiques.

M. le Président : Sur les scientifiques, nous sommes d'accord, mais pas sur les services italiens.

M. Patrick LE MEIGNEN : C'est juste, pour ce qui concerne les rapports écrits.

M. le Président : Vous me le confirmez : c'est juste ?

M. Patrick LE MEIGNEN : Oui.

M. le Président : Je vous remercie. C'est une réponse importante pour nous.

Monsieur Granjean, vous me dites: nous avons géré une très bonne communication à partir d'avril 1993, par le biais de « Terre sauvage ». Mais il me semble qu'en réalité, vous avez été pris de vitesse par « Terre sauvage », lequel a communiqué avant que vous ne souhaitiez communiquer vous-même. C'est en tout cas ce qu'ont révélé un certain nombre de rencontres que nous avons pu avoir dans cette commission. Je dois reconnaître moi-même, et je le dis à l'attention de mes collègues, que vous avez été de loin un des directeurs du parc national du Mercantour qui a fait le plus gros effort de relations et de dialogue avec les élus et les acteurs locaux à un moment où, il est vrai, existaient des tensions avec les éleveurs, les chasseurs, les ruraux en général. La création du parc était encore fraîche et, de toute évidence, vous avez réussi, grâce aux efforts que vous avez déployés, à faire mieux admettre la mise en place du parc du Mercantour. Je vous en suis, à cet égard, très reconnaissant.

Mais je veux profiter de votre présence, quelques années plus tard, dans cette commission d'enquête pour vous demander ce qui vous a conduit, alors que vous aviez engagé cette démarche, à cacher aux acteurs ce que vous saviez depuis novembre 1992 et qui a été révélé en avril 1993 par « Terre sauvage » date à laquelle, bien entendu, vous avez dû rendre tansparente et publique l'information de l'arrivée du loup. Est-ce une instruction nationale ? Est-ce que l'autorité de l'Etat, hormis votre hiérarchie nationale - je pense au préfet des Alpes-Maritimes - le savait également et a partagé ce secret avec vous ?

M. Denis GRANJEAN : On est là dans quelque chose qui ne relève pas de la science exacte. On date les premières observations à novembre 1992. Je ne sais pas - je ne tiens pas de carnet relatant cela - à quelle date précise la conviction s'est imposée à nous que c'était effectivement du loup et non du chien mâtiné ou du chien ressemblant à du loup. Est-ce dès ces observations de novembre 1992 ? C'est d'abord un faisceau d'indices, des discussions avec Pierre Pfeiffer, notre président de comité scientifique, avec un autre scientifique, Roger Settimo, qui était très actif au comité scientifique du parc national, qui est un local. J'ai l'impression que c'est au début de 1993 que l'on a eu, après discussions, l'idée que c'était vraiment cela et qu'en effet, il fallait communiquer.

De toute façon, dans mon esprit, ce sont des choses qui doivent être dites. J'ai toujours pensé qu'une grande protection comme les parcs nationaux, qui impliquent des sujétions aux acteurs locaux, doit être toujours expliquée, justifiée, puisqu'il y a servitude de l'Etat. Il me paraissait donc évident que l'on devait parler de cette affaire. Ensuite, le protocole d'information ne m'appartient pas totalement. Je l'ai géré très étroitement avec l'administration centrale, qui y voyait probablement plus que nous un enjeu national. Elle a plaidé pour qu'une information soit faite par des médias nationaux, notamment « Terre sauvage ». Quant à moi, assez naturellement, compte tenu des bonnes relations que j'avais avec les journalistes de « Nice Matin », je voyais plutôt l'information au plan local. Je pense que l'on s'est coordonnés.

A-t-on été pris de court ? La chronologie peut être édifiée mieux que je ne le ferais avec mes souvenirs. J'ai là, en tout cas, un exemplaire de « Nice Matin » du 14 avril 1993, titré: « Des loups dans le Mercantour ». Le numéro de « Terre sauvage » a dû paraître à cette période.

M. Patrick LE MEIGNEN : Un peu avant.

M. Denis GRANJEAN : Ou un peu avant. J'en étais d'ailleurs navré car j'étais un peu vexé que la primeur ne fût pas locale. Psychologiquement, il fallait que cela le fût. Mais je n'étais pas seul sur cette affaire.

M. le Président : Nous avons le numéro de « Terre sauvage ».

M. Denis GRANJEAN : Il a dû paraître aussi en avril 1993.

M. le Président : Je relève quand même que ce tiré à part est financé par le parc du Mercantour et édité par « Terre sauvage ». Il comporte une grande promotion du parc du Mercantour.

M. Denis GRANJEAN : Ce n'est pas mal. C'était un vecteur de communication.

M. le Président : C'est un point de vue.

M. Denis GRANJEAN : Cela peut se concevoir dans la mesure où, si l'on veut développer une action de communication, il est bon qu'elle ne soit pas faite qu'avec les moyens d'un parc national, qui ne sont ni très sophistiqués ni très professionnels. Il est évident qu'une telle plaquette, seule une revue comme celle-là peut la faire. Même avec le recul, je pense que c'était bien de l'afficher ainsi. Je n'ai pas de regret à ce sujet.

M. le Président : Vous choisissez alors la stratégie: « bienvenue au loup, il revient en France ».

M. Denis GRANJEAN : Oui.

M. le Président : Est-ce que cela répond aux choix de politique publique décidés par la France ?

M. Denis GRANJEAN : Cela ressort indiscutablement d'un choix de politique publique du ministère de l'environnement. D'autant que cela est lié à la question de l'ours dans les Pyrénées. Le retour du loup est perçu par le ministère de l'environnement comme le symbole d'un écosystème en bon état, en tellement bon état qu'à moins d'une heure d'une grande agglomération comme celle de Nice, un animal sauvage se réinstalle dans des biotopes en très bon état. Evidemment, le symbole est celui d'une belle nature.

En ce sens, le ministère français de l'environnement est fondé à considérer que le retour du loup dans un parc national est le symbole de l'aboutissement de la richesse des ressources naturelles. Je pense que dans la logique du ministère de l'environnement, s'en féliciter est tout à fait convenu.

M. le Président : Aviez-vous des instructions à cet effet du ministère l'environnement ?

M. Denis GRANJEAN : Pour m'en réjouir ?

M. le Président : Non, pour soutenir cette politique publique.

M. Denis GRANJEAN : Les instructions du ministère de l'environnement c'étaient: puisque le loup s'est réintroduit naturellement et qu'il reconquiert un territoire, il est le symbole d'un environnement en bon fonctionnement. Il faut donc le maintenir, l'aider à survivre de manière à reconstituer la biodiversité qui est une des obsessions du ministère de l'environnement.

M. le Président : C'était une instruction du ministère de l'environnement, de M. Simon ?

M. Denis GRANJEAN : Ce n'est pas dit comme cela, monsieur le président. Maintenant que j'en suis sorti, je regarde le fonctionnement d'un parc national avec plus de distance.

M. le Président : Nous avons besoin de comprendre comment fonctionnent les choses. On est dans un pays très hiérarchisé...

M. Denis GRANJEAN : Je comprends.

M. le Président : ...il y a un ministre, un directeur général, qui était M. Simon. Nous avons reçu M. Simon. Il nous a dit en substance : j'ai eu un rapport, je l'ai à moitié regardé. Puis, à force de répondre à nos questions, il nous a dit : ce n'est qu'en 1993 que j'ai compris que c'était une information solide...

M. Denis GRANJEAN : C'est possible.

M. le Président : ...je n'ai fait que la subir. Le ministère ne s'en est pas mêlé parce qu'il laisse beaucoup d'autonomie aux parcs nationaux. Ce sont, à quelque chose près, les réponses que nous a apportées votre directeur national. J'aimerais que vous me disiez clairement si M. Simon a raison. M. Simon vous a-t-il dit: « Monsieur Granjean, nous vous demandons de mettre en œuvre dans le parc national du Mercantour une politique tendant à permettre à ces deux loups arrivés de prospérer, s'épanouir, etc., et nous allons vous en conférer les moyens », ou bien, au contraire, était-ce laissé à votre libre initiative et à votre autonomie locale ? Nous avons besoin de bien comprendre.

M. Denis GRANJEAN : Vous avez raison. D'autant que maintenant que je ne suis plus dans ce milieu et que je suis d'ailleurs moi-même devenu élu local, je vois les choses avec une certaine distance.

Je pense qu'il n'y a même pas besoin d'instructions. C'est-à-dire qu'il y a une chaîne conceptuelle totalement homogène entre l'administration centrale de l'environnement et une direction de parc national. Nous sommes dans un espace qui est quasiment sacralisé, en termes de protection de la nature. Par conséquent, le fait que le loup soit revenu dans l'espace sacralisé qu'est le parc national implique, ipso facto, qu'il est protégé. Il l'est à double titre: non seulement parce qu'il est dans un espace protégé par des servitudes juridiques mais aussi parce qu'il est le symbole d'une réussite de la protection de nature, puisqu'on revient à une certaine sauvagerie - wilderness, comme disent les Américains - des milieux naturels. Je n'ai donc même pas besoin d'instructions. Je suis moi-même depuis huit ans dans le système de protection dure de la nature par les parcs nationaux. On ne se pose même pas la question. Il est évident que dans la chaîne hiérarchique qui nous unit à l'administration centrale, notre devoir est de faire en sorte que cet animal soit protégé. Il n'y a pas eu de débat à ce sujet. Il n'y en a eu par la suite que sur les moyens à accorder au parc national pour des études supplémentaires, pour des indemnisations, pour aider les éleveurs, etc. Se pose ensuite le problème de la mise en œuvre de moyens exceptionnels pour le parc national.

Cela fait problème, en effet, que la question ne soit pas posée en termes plus politiques. Je suis assez d'accord là-dessus maintenant. Mais à l'époque, je ne me suis même pas posé la question.

M. le Président : Vous n'avez pas jugé utile d'informer le conseil d'administration du parc ?

M. Denis GRANJEAN : Si, on l'a informé à la première réunion qui a suivi cette affaire. Il y avait deux conseils par an. On pourrait retrouver quand cela s'est fait mais je ne l'ai pas en tête.

M. le Président : Avant l'information du 14 avril dans « Nice Matin », vous n'avez pas jugé utile d'informer le conseil d'administration du parc ?

M. Denis GRANJEAN : Non. Le conseil scientifique l'était. Dans le conseil scientifique, il y a plusieurs membres du conseil d'administration, puisqu'il y a porosité entre les deux instances.

M. le Président : Vous savez très bien que dans le comité scientifique, il n'y a notamment aucun élu ni représentant du conseil général ni des maires.

M. Denis GRANJEAN : Effectivement.

M. le Président : Donc, vous n'avez pas jugé utile de tenir informés les élus locaux de cet événement qui allait avoir des conséquences sur l'activité économique et culturelle.

M. Denis GRANJEAN : On ne le pressentait pas à ce point.

M. le Président : Vous ne m'avez pas répondu sur le point de savoir si le préfet Jean-Louis Destandau était informé en novembre 1992.

M. Denis GRANJEAN : Je ne peux pas vous le dire. Je pense que les premières réunions avec le préfet ont dû avoir lieu début 1993. Mais comme je rencontrais le préfet de temps en temps, il se peut que je lui aie dit.

M. le Président : Ce n'est tout de même pas un phénomène banal.

M. Denis GRANJEAN : C'est vrai.

M. le Président : C'est un phénomène qui avait nécessairement des conséquences sur la faune et sur l'élevage.

M. Denis GRANJEAN : C'est certain.

M. le Président : Je suis un peu surpris par le fait que le représentant de l'Etat en charge de la sécurité publique et de la sécurité sanitaire n'ait pas été informé.

M. Denis GRANJEAN : On n'est tout de même pas dans une course avec starting-blocks. Je le répète, cette conviction n'est pas acquise par une note.

M. le Président : Vous me dites: on a voulu se faire une idée, on a attendu avril 1993, on n'a pas prévenu les acteurs parce qu'on jugeait que ce n'était pas utile, on voulait en être sûr, il a fallu réfléchir aux moyens à mettre en œuvre. M Simon nous dit ici: en avril 1993, je ne m'étais pas fait une raison précise, j'ai laissé sa parfaite autonomie au parc. Pourtant, vous signez, en avril 1992, à ce même M. Simon, un courrier dans lequel vous lui faites part d'un entretien que vous avez eu avec M. Mériggi, de l'université de Parme, à la suite duquel vous estimez que le loup sera dans les semaines suivantes dans le parc du Mercantour. Vous avez besoin de vous voir attribuer des moyens financiers pour préparer l'arrivée du loup. On peut lire: « A) Avant la présence du loup, diagnostic pastoral (...), étude de mode de gestion, renforcement des populations d'ongulés sauvages. B) Quand le loup sera là ». En avril 1992, vous dites: « Quand le loup sera là ». « Fonds d'indemnisation des dégâts, information et prévention, information grand public » etc.

M. Denis GRANJEAN : J'ai donc assez bien anticipé.

M. le Président : Monsieur Granjean, vous me dites: au début, en novembre 1992, on est un peu surpris, on réfléchit, est-ce que c'est bien le loup, etc. Pourtant, en avril 1992, vous annoncez déjà par écrit à votre ministère que le loup sera là ! Comprenez que certains d'entre nous puissent être surpris.

M. Denis GRANJEAN : Effectivement. Je n'ai plus en tête la chronologie complète. De toute façon, je suppose que les observations plus décisives de la fin de 1992 suivaient d'autres observations qui nous mettaient sur la piste. Un faisceau d'indices nous rapprochait de cette probabilité. Il n'est peut-être pas mauvais que j'aie anticipé en posant la question à l'administration centrale. Après tout, c'était de ma part une bonne politique de précaution et de préparation. Il vaut mieux s'y être préparé pour rien que d'être pris de court par une situation difficile. Je ne pense pas qu'il me soit venu à l'esprit de communiquer sur ce sujet avant que nous ayons des certitudes. Or, autant que je m'en souvienne, nous ne les avons eues que vers la fin 1992-début 1993. Cela dit, que j'aie pris des dispositions avec Patrick Le Meignen et l'équipe scientifique pour me couvrir et avoir des garanties de l'administration centrale sur sa position me paraît assez normal.

Comprenez que cette certitude ne vient pas d'une note administrative que l'on reçoit un matin, datée. L'information du préfet de département, que je rencontrais en de nombreuses occasions ne se fait pas non plus nécessairement par un rapport écrit où je le saisis officiellement. Jean-Louis Destandau, je pense lui en avoir parlé quand je le voyais en lui disant: « Cela me pose problème, il est vraisemblable que le loup va revenir dans le Mercantour, il va falloir gérer cela... ». C'est un peu comme cela que je procède.

Je pense aussi, monsieur le président, et c'est une donnée psychologique plus personnelle, que s'il y avait eu un climat de confiance plus fort avec les éléments majeurs du conseil d'administration du parc, notamment du côté des élus, la question aurait été abordée. J'étais très fréquemment dans des situations d'affrontement que j'essayais d'apaiser, que j'ai contribué, je crois, à apaiser, dans une large mesure. Je ne me voyais pas discuter du loup avec le sénateur Balarello. On se serait alors vus tranquillement comme on se voyait de temps en temps, peut-être aurait-on discuté de cela.

M. le Président : Comprenez que, avec les bonnes relations que j'estimais avoir avec vous...

M. Denis GRANJEAN : ...Tout à fait.

M. le Président : ... et sachant que depuis, cette affaire a mis à feu et à sang les relations avec les populations rurales dans ma circonscription, généré la disparition de milliers de brebis, causé des ravages, fait disparaître des troupeaux, des élevages, des présences humaines, laissé en friche des pâturages, etc. avoir appris, dans ma circonscription, l'arrivée du loup en avril 1993, je ne pense pas qu'il y aurait beaucoup de députés autour de cette table qui auraient apprécié d'être traités de la sorte dans leur circonscription.

M. Patrick LE MEIGNEN : Monsieur le président, je vous rappellerai, après Denis Granjean, que depuis le début des années quatre-vingt dix, les Italiens avaient appelé notre attention - on n'a malheureusement pas retrouvé le courrier - sur cette dynamique et cette extension de territorialité. En outre, nous avions des contacts assez fréquents dans le domaine scientifique avec le parc d'Argentera et avec les scientifiques de Ligurie et de l'Italie centrale. Nous y avions donc été sensibilisés.

Par ailleurs, en 1991, lors d'une opération d'aide au pastoralisme, un projet d'adduction d'eau à la Vacherie de Rimplas, dans les Alpes-Maritimes, sous le mont Giraud, je me souviens que l'éleveur qui gardait cette estive m'avait dit avoir vu trois « chiens » attaquer son troupeau. Il avait même pris son fusil pour les en dissuader et avait blessé l'un des animaux que l'on avait bien entendu désespérément voulu retrouver. La description des trois « chiens » faite par ce berger avait aussi appelé notre attention car leur description morphologique et leur comportement ne correspondaient pas du tout à ceux de chiens errants.

Antérieurement même à novembre 1992, il y avait un certain nombre d'autres éléments. J'ai rappelé les indications fournies par le suivi de la population de mouflons dans le vallon de Mollières. Depuis plusieurs années, il y avait des phénomènes inexpliqués. Des informations nous étaient délivrées par le milieu scientifique italien spécialisé dans ce domaine, qui avait fait des communications depuis les années quatre-vingt. Nous étions déjà sensibilisés et préparés. Il n'est donc pas surprenant que nous ayons essayé de sensibiliser notre administration centrale, la direction de la protection de la nature, à l'arrivée future de ce prédateur mais que l'on ne situait, à l'époque, ni dans le temps, ni dans l'espace, ni en nombre.

M. le Président : Vous parlez d'arrivée future tout en disant que, depuis des années, vous assistiez à un phénomène que nous ne compreniez pas. Cela signifie que vous supposez qu'il était déjà là avant.

M. Patrick LE MEIGNEN : Probablement. Il pouvait y avoir des animaux pionniers colonisateurs opérant de grands déplacements.

M. le Président : Par ailleurs, pourquoi n'avoir pas prévenu, à l'époque, systématiquement tous les élus ?

M. Patrick LE MEIGNEN : Parce que nous avons pris le temps d'observer, au cours de l'hiver 1992-1993. C'est principalement en hiver que l'on peut relever des traces, retrouver des carcasses, des empreintes, les voies suivies et les territoires de chasse. Nous ne pouvions pas, dès le mois de décembre 1992, annoncer urbi et orbi que c'était du loup, avec confirmation à la clé. D'autant qu'à l'époque, nous ne disposions pas des moyens d'identification génétique. Nous les avons eus après. Aucun laboratoire français ne travaillait là-dessus, il n'y avait pas de référentiel. C'est uniquement par le comportement de l'animal et son mode de chasse que l'on a pu avoir quelques présomptions, mais ce n'étaient pas encore des certitudes, en mars et avril 1993. C'est après le déplacement dans les Abruzzes, où nous avons recueilli un certain nombre de données et d'informations qui nous ont un peu assis dans nos présomptions que nous avons décidé de faire cette communication, en accord avec la direction de la nature et des paysages.

C'est pourquoi je suis un peu étonné que Gilbert Simon ne vous ait pas dit que cela a été fait en accord avec lui. « Terre Sauvage » ne nous a pas pris de vitesse du tout puisque c'est moi-même qui ai emmené les journalistes dans le vallon de Mollières afin qu'ils puissent rédiger leur article après avoir découvert le milieu et l'écosystème dans lequel évoluaient les loups, ou plutôt où étaient supposés évoluer les loups.

M. le Président : Monsieur Le Meignen, la commission appréciera, mais d'apprendre que vous avez préféré donner la priorité à des journalistes...

M. Patrick LE MEIGNEN : Non.

M. le Président : ...plutôt qu'à des acteurs locaux ne manque pas de me surprendre, aujourd'hui.

Répondez-moi simplement l'un ou l'autre par: « oui » ou par « non ». Une « information » nous indiquerait que, le 11 octobre 1989, dans le vallon de Pierre-Blanche qui, je le rappelle, conduit depuis la route départementale jusqu'au vallon de Mollières, tout un campement est installé: tentes, caisses en bois du type de celles utilisées pour le transport et le lâcher de gibier, moyens de communication. « Ce témoin est prié de déguerpir, il n'a pas à rester sur les lieux ». Ordre formulé par la gendarmerie de Saint-Sauveur et par les gardes de l'ONC. Réunion en préfecture DDAF, ONC, fédération de chasse, le 5 avril, où l'on aurait décidé de la réintroduction des loups dans le Mercantour. Cela remonterait à février-mars 1989. Vous infirmez ou vous confirmez ?

M. Patrick LE MEIGNEN : J'infirme totalement et solennellement, pour ce qui me concerne.

M. Denis GRANJEAN : Je n'ai jamais entendu parler de cela non plus, monsieur le président.

M. le Rapporteur. Je suis député des Alpes de Haute-Provence, de l'autre côté du Mercantour. Je le dis depuis le début de nos auditions, j'ai beaucoup souffert, comme tous les élus de la vallée de l'Ubaye, de l'opacité de la politique de communication du parc national du Mercantour en général, et sur le loup en particulier. Je pense d'ailleurs que les difficultés qui existent actuellement entre les éleveurs ou les bergers et les élus, sont précisément dues à cette opacité, présente dès le début. Tout ce que je vous ai entendu dire, l'un et l'autre, m'inquiète quelque peu, car j'y ai relevé beaucoup de contradictions par rapport aux écrits que nous connaissons ou aux propos des personnalités que nous avons déjà auditionnées ici.

Comment expliquez-vous les relations conflictuelles qui semblent exister depuis la création du parc du Mercantour, contrairement aux autres parcs ? Dans le Queyras, les Ecrins ou le Vercors, il existe des relations beaucoup plus détendues, des relations de travail en commun entre les bergers, les éleveurs et le parc, de sorte que l'on trouve des éleveurs beaucoup moins intransigeants et inquiets pour leur avenir que dans le parc du Mercantour où la tension est extrême. L'arrivée du loup dans le parc du Mercantour a-t-elle été bien gérée ? Je considère, pour l'avoir vécue, qu'elle ne l'a pas été du tout. Quel est votre point de vue sur ces relations conflictuelles non seulement avec les bergers et les éleveurs mais aussi avec tous les organismes professionnels, sans parler des élus ? Je n'ai guère trouvé jusqu'à présent des maires du parc du Mercantour qui soient satisfaits, même si, monsieur Granjean, vous avez été le seul directeur avec lequel nous avons tout de même eu, dans la vallée de l'Ubaye, des relations privilégiées.

M. Denis GRANJEAN : Venant du parc national des Ecrins, je puis dire qu'il est certain que les conditions psychologiques d'existence du parc du Mercantour n'ont rien à voir avec celles des Ecrins. L'histoire y est sans doute pour beaucoup. Je rappelle que le parc des Ecrins a été mis en place et porté par Paul Dijoud, à l'époque où il était député-maire de Briançon. Le fait que ce parc soit né de la volonté d'un élu local, largement reconnu dans le département des Hautes-Alpes, a compté pour beaucoup dans son acceptation. En revanche, le parc du Mercantour a été imposé par Michel d'Ornano au département des Alpes-Maritimes.

Souvenez-vous aussi, monsieur Spagnou, qu'il avait été dit que trois stations pouvaient être créées dans la zone du parc, deux dans les Alpes-Maritimes, une dans les Alpes-de-Haute-Provence, et qu'à la suite d'un contentieux postérieur à la création du parc national, cette exception qui avait été consentie dans l'enquête publique et annoncée comme faisant partie de la négociation, a été supprimée. Les élus des Alpes-Maritimes, comme ceux des Alpes-de-Haute-Provence, ont dû réaliser que l'on n'avait pas été honnête dans la discussion et que le parc ne se faisait pas dans les conditions qui avaient été annoncées. Ce n'est pas une bonne façon de démarrer dans la vie d'un parc national.

A mon arrivée après le long intérim dû à l'attaque cérébrale dont a été victime mon prédécesseur, le parc n'était pas très organisé, c'est le moins que l'on puisse dire. Il y avait des petites satrapies locales au niveau des gardes-moniteurs avec beaucoup de conflits liés à des questions de chasse que je crois avoir beaucoup dédramatisés. Cela ne me paraissait pas être des enjeux majeurs. J'ai essayé de convaincre à la fois le préfet Costa et Jacques Médecin, que j'ai connu puisqu'il était encore président du conseil général à l'époque et que j'avais rencontré dans d'autres circonstances: colloques, etc. Il m'avait un peu écouté, de mettre fin à l'idée d'un livre noir sur le parc du Mercantour, alors prévu par le conseil général des Alpes-Maritimes.

A présent que j'en suis sorti, je trouve que c'est un monde très particulier. Les équipes évoluent dans un univers qui est un peu fermé, y compris au niveau de l'encadrement. Je ne parlerai pas des équipes locales qui mènent parfois un travail militant que j'ai contesté. J'ai d'ailleurs eu des problèmes avec les gardes du parc du Mercantour. J'étais obligé aussi, en les ramenant à la raison, d'afficher une position très stricte en tant que protecteur, car ma crédibilité était un peu liée à cela. Ils ne m'aimaient pas, parce que j'étais assez autoritaire et je leur disais que je n'avais pas besoin de militants mais d'agents de l'Etat qui fassent leur travail sobrement. Je leur avais d'ailleurs dit : « Vous n'avez pas à être pour ou contre la chasse, vous êtes hors chasse ». Un parc national étant hors chasse, ils n'avaient pas à prendre position. Mais pour faire passer ce discours, je devais être perçu comme quelqu'un qui tenait les rênes de la protection. Ce que j'ai fait avec conviction.

A présent que je suis dans le monde plus intellectuel qui est celui de l'urbanisme et de l'architecture, dans l'équipe d'André Rossinot, à Nancy, je vois les choses un peu différemment. En effet, monsieur le président, je comprends que vous ne soyez pas très content que je ne vous aie pas mis dans la confidence dès le départ. Je vous donne acte de cette déception. J'en suis navré car aujourd'hui, je la ressens moi-même. C'est un regret. Je pense que l'on aurait sans doute pu le gérer beaucoup mieux avec la classe politique des Alpes-Maritimes et des Alpes-de-Haute-Provence au sein de laquelle j'avais beaucoup d'amis. J'ai gardé de très bonnes relations avec de nombreux maires et conseillers généraux des Alpes-Maritimes, que je revois peu mais que j'ai plaisir à revoir. Je n'avais pas de conflit de personne. Mais c'est un peu l'idée d'un parc sacré et porté par des équipes qui, dans le Mercantour, en tout cas, étaient peu inervées dans le tissu local. Je pense que c'est une erreur.

M. Patrick LE MEIGNEN : Je compléterai les propos de M. Granjean au regard de la question de M. Spagnou. Quand Denis Granjean et moi sommes arrivés dans le parc, à la même époque en 1989, il n'y avait quasiment aucune intervention de celui-ci en direction du pastoralisme. Nous avons été les premiers à initier, dans le contrat de plan Etat-région, un volet spécifique pour aider les éleveurs à soutenir l'économie locale. Cela faisait partie des missions d'un parc national d'aider les actifs, les ruraux au sein de sa zone centrale et de sa zone périphérique, à maintenir leur activité et leur présence, ne fût-ce qu'au titre de l'entretien des milieux et des paysages. Dans la mesure où le parc se désintéressait relativement d'une partie des actifs qui l'habitaient ou qui y travaillaient, cela n'a pas facilité les choses.

M. François BROTTES : Je vous remercie de votre témoignage. Nous sommes là au cœur, non d'une polémique mais d'un malaise et d'une situation assez grave qui perdure. Si vous vous étiez parlés, à un moment donné, peut-être n'en serions-nous pas là. Je ne fais le procès de personne mais il faut voir comment, de nombreuses années plus tard, ce temps de latence, d'incompréhension, d'incertitude, pèse lourd dans le débat qui nous porte aujourd'hui, notamment sur des procès d'intention que l'on peut se faire mutuellement.

M. Denis GRANJEAN : C'est exact.

M. François BROTTES : Puisque l'analyse est partagée, je vous poserai une question qui n'est pas directement liée au sujet. Les parcs nationaux doivent-ils rester nationaux ?

M. Denis GRANJEAN : C'est une bonne question. Dans la décentralisation en cours, ces grandes protections doivent être davantage co-portées et cogérées avec les partenaires locaux. Pourtant, le conseil d'administration des parcs nationaux anticipait un peu en ce sens. La loi de 1960 sur les parcs nationaux introduit en France le concept de parc national qui a été inventé aux Etats-Unis en 1872 avec le parc de Yellowstone, mais elle crée un système original de gestion de cette protection par un établissement public administratif doté d'un conseil d'administration. Très franchement, dans le parc du Mercantour, ce conseil d'administration est composé pour moitié d'élus locaux.

M. François BROTTES : Il se réunit deux fois par an !

M. Denis GRANJEAN : Oui, mais il comporte une commission permanente et peut-être à l'origine d'une dynamique. La loi de 1960 anticipait un peu sur la décentralisation dans la mesure où cette grande protection est tout de même gérée par un conseil d'administration au sein duquel les élus sont très présents. Ce n'est pas le cas pour les secteurs sauvegardés, qui relèvent d'un règlement d'urbanisme placé sous le contrôle de l'architecte des bâtiments de France. Il n'y a pas vraiment de cogestion. Je pense que le cas des parcs nationaux est original.

Je considère que deux parcs posent problème en France, ceux des Pyrénées et du Mercantour, pour des raisons liées à l'histoire, et peut-être aussi à la manière dont la présidence s'est exercée, à la distance qu'elle a pu avoir avec les autorités du parc. Je suis prêt à prendre ma part, mais je veux aussi partager. Comme dans les couples, les torts sont souvent partagés. Je me souviens des efforts que j'ai consentis pour garder de bonnes relations dans des situations qui n'étaient pas très faciles pour moi.

La loi de 1960 indique une direction. Je pense qu'il faut aller plus loin puisque c'est du territoire et qu'il faut, à l'évidence, un partage de la gouvernance dans les parcs nationaux. D'autant que, à bien y réfléchir, ces questions d'environnement relèvent souvent du fantasme, du symbole et négligent largement des réalités locales, territoriales.

M. le Président : Ce que vous dites est très fort.

M. Denis GRANJEAN : J'en suis conscient.

M. le Président : J'apprécie, en tout cas, « le fantasme qui néglige les réalités locales ». C'est un propos que je retiens.

M. Denis GRANJEAN : Monsieur le président, je l'ai dit à dessein.

M. André CHASSAIGNE : Pour ma part, je n'ai pas relevé de contradiction. J'ai trouvé l'argumentation tout à fait logique, y compris l'anticipation. Compte tenu des renseignements dont vous disposiez, vous avez essayé de gérer la situation.

Convient-il, à un certain moment, de privilégier dans l'activité des parcs nationaux les animaux sauvages aux dépens du pastoralisme ? Vous avez répondu en partie en disant que vous n'en étiez pas resté au fantasme, à un univers fermé, que vous aviez introduit un volet pastoralisme. Mais pensez-vous qu'il existe, sur le territoire du parc national, une certaine contradiction entre les deux ?

Vous avez reconnu que cela aurait pu être mieux géré en termes de communication, que vous auriez pu mettre les élus dans la confidence. Mais franchement, est-ce que cela aurait changé quelque chose sur la présence ou non du loup et qu'est-ce que cela aurait pu apporter de plus ?

M. Denis GRANJEAN : La communication n'aurait rien changé à la sédentarisation et à la multiplication des loups. Ce n'est pas une communication qui aurait fait pression sur les loups, qui ne lisent pas « Nice Matin ».

Je ferai à votre première question une réponse qui n'engage que moi, dictée par mon expérience personnelle et ma propre évolution. Je pensais que la gestion d'un parc national sur la Côte d'Azur aurait dû être beaucoup plus culturelle qu'écologique. Le fait qu'il y ait, à deux pas d'une conurbation comme celle de Nice, des milieux naturels de cette qualité est un élément d'affichage et de culture sur la diversité de nos territoires. Très près de la ville, on peut avoir des natures formidables. Cela, c'est très culturel. Par ailleurs, la reconstitution des biotopes est aussi culturelle. Le loup avait disparu depuis la Première guerre. Il revient. Veut-on une nature du début du XXème siècle, une nature du XVIIIème siècle ? La position sur la nature est éminemment culturelle.

C'est la raison pour laquelle je pense que protéger ces espèces envers et contre tout me paraît relever d'une sorte d'acharnement écologiste qui n'est pas forcément justifié culturellement dans un pays humanisé comme le nôtre. Je comprends qu'aux Etats-Unis, les grands prédateurs ont leur place dans de grands espaces. Je connais bien les parcs nationaux américains. On y remet des livrets où l'on peut lire : « Attention, vous allez rencontrer le grizzli, le coyote, etc. ». Mais la perspective n'est pas la même. Yellowstone est à quatre heures de San Francisco, il est très difficile d'accès. Cela fait partie du jeu.

En France, en Europe occidentale, la question se pose différemment. Je pense que l'aspect culturel doit être mis sur la table. D'autant que, loup ou pas loup, la biodiversité reste la même. C'est cela, le problème. Je ne pense pas que le loup apporte à la biodiversité et je ne pense pas que, retranché, il enlèverait beaucoup puisque, de toute façon, l'espèce n'est pas en voie de disparition dans d'autres pays européens. La question que, vous, politiques, avez à gérer, est une question de symbole, le symbole d'une nature authentique contre la vie quotidienne. Aujourd'hui, avec la distance, je pense que le véritable enjeu est là. Mais je ne l'aurais pas dit quand j'étais dans le parc. Je n'aurais pas pu le dire.

M. le Président : Monsieur Granjean, nous sommes extrêmement heureux de vous avoir accuelli quelques années plus tard pour vous entendre dire cela. J'ai, en tout cas, beaucoup apprécié votre loyauté, votre liberté de langage...

M. Denis GRANJEAN : Je n'ai pas changé.

M. le Président : ...tout comme celles de M. Le Meignen. Je vous remercie sincèrement d'être venus apporter ces témoignages qui sont importants pour nous.

Audition de Mme Marie-Odile GUTH,
directrice du parc du Mercantour de 1994 à 1997,
inspectrice générale de l'environnement au ministère de l'écologie
et du développement durable

(Extrait du procès-verbal de la séance du 4 mars 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

Mme Marie-Odile Guth est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, Mme Marie-Odile Guth prête serment.

M. le Président : Madame Guth, Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Je rappelle que vous avez été directrice du parc national du Mercantour de 1994 à 1997, puis directrice de la nature, de l'environnement et des paysages. Vous êtes aujourd'hui inspectrice générale de l'environnement au ministère de l'écologie et du développement durable.

Je vous propose de nous rappeler brièvement les responsabilités qui étaient les vôtres en tant que directrice du parc, puis en tant que directeur de la nature, de l'environnement et des paysages, puisque vous avez eu à gérer ce sujet de la « France d'en bas » et de la « France d'en haut ». Dans quelles conditions et avec quelle approche avez-vous été amenée à le faire ? Je vous proposerai ensuite de procéder à un échange de questions et de réponses avec M. le Rapporteur et les membres de la commission.

Mme Marie-Odile GUTH : J'ai été nommée directrice du parc national du Mercantour le 1er février 1994. J'y suis restée jusqu'en septembre 1997, époque à laquelle j'ai été nommée directrice de la nature et des paysages au ministère de l'environnement, devenu ensuite ministère de l'écologie et du développement durable, jusqu'en août 2000. Cette nomination intervenait à la suite de la démission de Denis Grandjean, et mon adjoint était Patrick Le Meignen. J'ai été nommée à la tête d'un établissement public d'une grande richesse géologique, paysagère et biologique, qui avait en outre à gérer un dossier sensible, celui du loup, pour lequel vous m'auditionnez aujourd'hui.

J'ai immédiatement été sensibilisée à l'action de l'Etat dans le cadre de ce parc national, conduite au sein du ministère, par le ministre lui-même, à l'époque Michel Barnier, son cabinet, la direction de la nature et des paysages et la direction du parc, responsabilité que l'on m'avait attribuée. Le loup était, et reste, une espèce protégée dont la présence mettait en péril, par certains aspects, une économie locale importante, celle du pastoralisme, qui est fortement soutenue dans le décret portant création du parc national. Je rappelle que ce décret prévoit à la fois le soutien du pastoralisme et la présence de l'espèce. Nous étions donc face à deux priorités que l'établissement public devait assurer au nom de l'Etat.

A mon arrivée, le loup était déjà présent sur le territoire national puisque le constat en avait été fait le 2 novembre 1992 par des agents, lors d'un comptage de grands ongulés. Il a fallu organiser territorialement, à la demande du ministre, le suivi scientifique de cette espèce, afin de la connaître mieux et de définir dans quelles conditions son expansion naturelle pouvait se poursuivre dans le Mercantour et, par prévision, sur le territoire de l'arc alpin.

Il convenait aussi de déterminer les capacités de l'établissement public à gérer les premiers dommages sur les troupeaux domestiques et sur les ongulés sauvages, puisque l'étude montrait qu'une grande partie du régime alimentaire de l'espèce était les ongulés sauvages. Dans le parc national du Mercantour, il y a six grands ongulés sauvages, donc un réservoir alimentaire très important pour l'espèce lupine. Le deuxième axe était la gestion des dommages, c'est-à-dire l'établissement des constats de dégâts et les mesures d'indemnisation.

Le troisième grand axe consistait à conduire des actions de prévention auprès des troupeaux afin de soutenir les éleveurs face à un retour du loup inattendu pour eux, comme pour les scientifiques d'ailleurs mais, pour les éleveurs, dans leur activité quotidienne. Il fallait les aider dans le gardiennage, dans la prévention des attaques potentielles.

J'ai été également amenée à poursuivre la mise en place administrative de commissions locales avec le préfet et les responsables locaux de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt - la DDAF - afin d'assurer la cohésion de l'ensemble des services administratifs de l'Etat, en relation avec les organisations professionnelles agricoles et avec l'ensemble des partenaires qui, sur le terrain, étaient chargés de gérer cette espèce.

Nous avons été conduits à susciter le soutien de l'Europe par le biais de programmes LIFE qui sont venus prendre le relais de financements assurés par le parc national. Cela nous a permis, conformément à la vocation de l'établissement, de gérer au mieux, au nom de l'Etat, l'équilibre entre le maintien du pastoralisme, auquel l'établissement public tient toujours, et le maintien d'une espèce protégée au titre, d'une part, de la convention de Berne, ratifiée par la France, et de la directive Habitats, et, d'autre part, l'arrêté ministériel de 1993 qui a été annulé par le Conseil d'Etat, repris en 1996 et signé à la fois par le ministère de l'agriculture et le ministère de l'environnement. De ce point de vue, la France a une responsabilité forte en ce qui concerne le maintien de cette espèce sur son territoire. C'est à ce titre que j'ai été amenée à travailler au parc national du Mercantour.

Au niveau de la direction de la nature et des paysages, ce sujet relevait également, entre autres, de ma responsabilité puisque le poste de direction de la nature et des paysages est un poste large, qui gère à la fois l'ensemble des établissements publics, la biologie animale et végétale, les structures contractuelles telles que les parcs naturels régionaux et toutes les politiques liées aux sites et aux paysages. A l'époque, avant qu'une partie de ma direction ne vienne alimenter la direction des études économiques et d'évaluation environnementale, cinquième direction qui a été créée au ministère, je m'occupais également des études d'impact préalables à tous les grands travaux et aménagements. C'est donc une vaste direction. Mais le dossier du loup entrait directement dans mes compétences.

En liaison avec les services du Premier ministre, a été mis en place avec le ministère de l'agriculture un protocole de préservation du pastoralisme et de préservation de l'espèce loup. Celui-ci prévoyait, en application de l'arrêté ministériel de 1996, la possibilité d'effectuer des tirs d'individus, si l'espèce, dans le respect des textes, n'était pas mise en danger et si les conditions d'attaque des troupeaux devenaient insupportables et pouvaient mettre en péril certaines activités économiques. Ce protocole n'a pas été mis en application immédiatement. Je sais que d'autres discussions ont suivi et qu'il a été affiné, mais mes successeurs pourraient vous en parler plus en détail.

Telles sont, synthétiquement décrites, les responsabilités qui ont été les miennes de 1994 à 2000.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir fait preuve d'un tel esprit de synthèse. Pourriez-vous m'apporter des précisions sur le contenu de l'arrêté de 1993 annulé par le Conseil d'Etat et repris en 1996 ?

Mme Marie-Odile GUTH : L'arrêté du 22 juillet 1993 a été annulé par le Conseil d'Etat pour la simple raison que le texte ne prévoyait pas la consultation du ministère de l'agriculture, qui était cosignataire, quant aux mesures éventuelles à prendre pour la gestion de l'espèce. Il a été considéré comme nul parce que la signature ne correspondait pas au contenu.

M. le Président : Quel était le contenu de l'arrêté de 1993 ?

Mme Marie-Odile GUTH : C'était l'application de la convention de Berne, relatif notamment à la protection de l'espèce loup.

M. le Président : A la suite de l'annulation de l'arrêté du Conseil d'Etat, quel a été le statut de l'espèce ?

Mme Marie-Odile GUTH : De 1993 à 1996, l'arrêté était valide. Il a été annulé au début de 1996 et repris, avec l'ajout de la mention relative au ministère de l'agriculture qui manquait, en septembre ou octobre 1996. Il y a eu un vide pendant trois mois, le temps de corriger l'erreur. C'était vraiment un vice de forme.

M. le Président : Nous avons besoin de comprendre si vous avez géré le parc et le problème du loup de manière autonome, en fonction de ce que vous estimiez devoir faire, notamment concernant la protection de l'espèce, les conditions qui lui ont permis de se reproduire, de se développer, de conquérir de nouveaux territoires, et ainsi de se retrouver dans l'Ubaye et dans les Hautes-Alpes. Ou bien si des instructions très précises en matière de politique publique, décidées par votre hiérarchie nationale vous ont dicté votre conduite dans ce domaine.

Mme Marie-Odile GUTH : Vous me demandez si je l'ai gérée de façon autonome ou si je l'ai gérée en liaison avec la direction centrale et le cabinet. C'est clair. Je vous l'ai dit tout à l'heure, un dossier de cette sensibilité se gère en relation constante avec les directions centrales qui étaient relayées par le cabinet. L'ensemble de la gestion de l'espèce a été réalisée en liaison permanente.

M. le Président : En liaison permanente avec le cabinet ?

Mme Marie-Odile GUTH : Avec la direction centrale, qui était en liaison avec le cabinet.

M. le Président : Quand cette relation permanente avec la direction centrale sur ce dossier a-t-elle commencé à s'établir ? Dès votre arrivée ?

Mme Marie-Odile GUTH : Dès ma nomination, puisque l'espèce était présente sur le territoire.

M. le Président : Votre prédécesseur nous dit qu'il n'y avait pas de gestion permanente avec le cabinet.

Mme Marie-Odile GUTH : De toute façon, il importe que la gestion ait lieu en direct avec la direction centrale, laquelle est en relation avec le cabinet. Il n'y a pas de court-circuitage avec le cabinet. Un cabinet donne ses instructions à sa direction centrale, laquelle donne ses instructions aux directeurs des établissements publics. C'est en lien direct.

M. le Président : Votre directeur central était M. Simon.

Mme Marie-Odile GUTH : Oui, M. Gilbert Simon.

M. le Président : Auquel vous avez succédé ?

Mme Marie-Odile GUTH : Non, après M. Simon, il y a eu M. Sanson, pendant onze mois, auquel j'ai succédé.

M. le Président : M. Simon nous a dit, en tout cas pour la période 1992-1993, qu'il avait laissé sa totale autonomie au parc et qu'il n'avait jamais donné la moindre instruction sur ce dossier.

Mme Marie-Odile GUTH : Oui, mais je vous parle de 1994.

M. le Président : Pour notre rapport, nous avons besoin d'établir une chronologie. Ce n'est donc finalement qu'à partir de 1994 que la direction nationale décide de s'impliquer en matière de définition d'une politique publique sur ce sujet...

Mme Marie-Odile GUTH : D'une stratégie.

M. le Président : ...et de confier cette stratégie à la direction du parc national. Jusqu'alors, la direction du parc national avançait donc un peu à vue dans ce dossier.

Mme Marie-Odile GUTH : Je ne puis vous parler que de ce qui s'est passé depuis février 1994.

M. le Président : Ces instructions consistaient à favoriser l'épanouissement de l'espèce ?

Mme Marie-Odile GUTH : Ces instructions étaient celles que je vous ai citées tout à l'heure. La mise en place d'une politique publique se faisait en liaison avec l'Agriculture. Ce n'était d'ailleurs pas si simple parce que le représentant local de l'Agriculture, la DDAF, n'était pas très enthousiaste sur la gestion du dossier. Le directeur de l'Agriculture qui a précédé M. Lorrain était M. Charry. C'était tout de même un dossier partagé, en quelque sorte. Le parc s'est retrouvé un peu seul en première ligne, peut-être par manque de volonté de certains autres partenaires.

Mais la politique publique menée était très cohérente: assurer le suivi scientifique, voir comment l'espèce évoluait sur le territoire, assurer les constats de dommages, faire de la prévention auprès des troupeaux et permettre une cohérence administrative en créant des groupes de travail aux niveaux régional et national. C'est alors qu'ont été constitués le comité scientifique Loup et une instance plus administrative, le « comité loup » plus ouvert aux organisations professionnelles agricoles. Il y a donc bien eu quatre axes de travail régulier qui nous ont servi de points de repère permanents pour faire face à toutes les questions qui nous étaient posées et à la politique sur le terrain.

M. le Président : Bien entendu, vous avez assisté à la montée en puissance des dégâts occasionnés par le loup. Dans vos relations avec les éleveurs et le monde du pastoralisme, avez-vous appelé à ce que votre direction nationale vous confie des moyens suffisamment conséquents pour faire face à cette montée en puissance ?

Mme Marie-Odile GUTH : Non seulement j'ai joué le rôle d'intermédiaire, s'agissant des interrogations qui venaient du terrain, en particulier des éleveurs qui subissaient les dommages, mais j'ai fait part à ma hiérarchie de la nécessité pour maintenir le pastoralisme, de compenser les pertes liées à la présence de l'espèce. Il y avait toujours cet équilibre à trouver. C'est pourquoi nous avons établi avec le préfet, en liaison avec la direction départementale de l'agriculture et de la forêt, un barème de compensation qui répondait plus qu'ils ne le demandaient, aux souhaits des éleveurs. On a repris un barème qui était déjà expérimenté pour la présence du lynx dans l'est de la France. Nous avons ainsi pu répondre aux demandes légitimes d'indemnisation des éleveurs.

M. le Président : Vous aviez sous votre autorité un personnel conséquent, des agents assermentés, beaucoup d'entre eux militant dans des associations écologistes très engagées. Trouvez-vous normal que l'on puisse être à la fois agent assermenté d'un parc national, avec l'obligation de répondre strictement aux instructions qui vous sont données par votre hiérarchie en matière de politique publique, et militant engagé au service d'une cause ayant des interconnexions avec la vie d'un parc national tel que celui-là ?

Mme Marie-Odile GUTH : En tant que directrice du parc national du Mercantour, j'avais une équipe d'agents à la fois administratifs et techniques et d'agents techniques assermentés commissionnés. Je n'ai pas eu connaissance, pour ma part, d'appartenance de ces agents à des structures quelconques. Certains étaient engagés au titre d'une municipalité, en tant qu'adjoint ou conseiller municipal mais je n'ai pas eu connaissance de tels éléments. Quand je demandais à mes agents d'aller établir des constats, ils le faisaient; quand je leur demandais de participer à un suivi scientifique, ils l'exécutaient; quand je leur demandais d'accomplir l'ensemble des missions dévolues à des agents techniques et des techniciens des parcs nationaux, en tant qu'agents de l'Etat, tous les résultats remontaient. De ce point de vue, j'ai toujours eu conscience du travail qui était fait sur le terrain.

La difficulté, c'était la pression forte et lourde dont certains, qui habitaient tous dans des villages, étaient l'objet. C'est d'ailleurs l'intérêt d'avoir dans les parcs nationaux des agents vivant dans les vallées et travaillant avec les structures locales. Dans leur vie quotidienne, en allant acheter leur pain à la boulangerie, ils se faisaient apostropher, parfois insulter, parce qu'ils appartenaient à un parc national qui osait vouloir trouver un équilibre entre la présence d'un pastoralisme et celle d'une espèce protégée. Je trouve que ces agents de l'Etat qui ont à vivre au quotidien des situations pas toujours faciles, ont fait leur travail. En tout cas, ils ont fait tout le travail que je leur ai demandé de faire. J'ai même, pour consolider ce travail sur le terrain et concrétiser la demande de suivi scientifique qui m'était demandée au niveau central, embauché un vétérinaire qui a permis de mieux effectuer les constats, et une scientifique qui connaissait plus l'espèce loup que ne pouvait la connaître à l'époque les agents du parc national. Ceux-ci ont permis aux agents d'apporter leur technicité et leur compétence sur le terrain.

M. le Président : Vous avez rappelé le décret du parc et la nécessité de soutenir le pastoralisme et le développement économique au travers de l'élevage. Vous êtes consciente que la forme de pastoralisme en vigueur dans le parc depuis quelques décennies, notamment en matière d'élevage ovin, était un pastoralisme extensif, aucunement adapté à l'arrivée et à la présence du loup. Dès l'instant où vous avez commencé à gérer le problème et, a fortiori, lorsque vous avez pris vos responsabilités nationales, avez-vous estimé que les politiques publiques devaient conduire notre pays à modifier et à orienter différemment ce mode d'élevage ou à le conforter comme tel ?

Mme Marie-Odile GUTH : Le pastoralisme extensif de l'espèce ovine n'est pas dans le massif du Mercantour celui qu'on a toujours connu. Auparavant, et nous avons d'ailleurs eu l'occasion de randonner en montagne ensemble, dominait l'exploitation bovine, comme en témoigne la toponymie. Un nom tel que Vacherie-de-Cerise montre bien que c'était le type d'exploitation représentatif du Mercantour. L'exploitation ovine est beaucoup plus récente. Elle date d'une quarantaine d'années. Elle est venue s'ajouter et s'est adaptée au fil du temps. Elle correspond peut-être moins à une exploitation de montagne, où l'on est plus habitué à voir des petits troupeaux beaucoup plus faciles à circonscrire que ceux que l'on voit aujourd'hui, souvent en estives, venus des plaines de la Crau, du sud, et qui, pour des motifs économiques compréhensibles, sont regroupés avec très peu de bergers, parfois un seul, voire aucun. Cela pose des problèmes de gardiennage. Face au retour d'un prédateur naturel comme le loup qui a trouvé à sa disposition des troupeaux pas toujours gardés, il est vrai que la pression pouvait devenir insupportable. Il est certain aussi que de grands troupeaux sont plus faciles à attaquer que de petits troupeaux gardés.

M. le Président : Je vous remercie de ce constat que nous pouvons partager mais, en tant que responsable nationale, bien entendu placée sous l'autorité des ministres que vous avez eu à servir, estimez-vous qu'à un moment, l'Etat, que vous représentez, doit dire: les choses étaient ce qu'elles étaient pendant trente ou quarante ans, mais aujourd'hui nous devons veiller à changer les modes de vie, de comportement et d'action des hommes avec leur famille, leur train de vie, leur organisation ; nous devons remodeler l'homme, le refaçonner à l'image que nous voulons de lui et non pas le laisser continuer à exercer son activité et à s'épanouir comme lui ou ses pères et grands-pères ont décidé de le faire au cours des décennies précédentes ?

Mme Marie-Odile GUTH : La présence de cette espèce et la présence d'un pastoralisme relativement important pour certains éleveurs à l'échelle du Mercantour nécessitaient plus, de la part de l'Etat au niveau central, un soutien à l'activité existante qu'une remise en cause, d'un côté comme de l'autre, décidée de façon arbitraire. Il y avait une volonté politique publique, tant du côté du ministère de l'agriculture que du côté du ministère de l'environnement, d'apporter un soutien au pastoralisme. Il n'y a pas eu de volonté de modifier, dans un sens positif ou négatif, une profession qui a toute légitimité à exister sur ce territoire.

M. le Rapporteur. Pensez-vous, durant les quatre années où vous avez dirigé le parc, avoir réussi le maintien du pastoralisme et la protection du loup ? Par ailleurs, comment expliquez-vous les relations conflictuelles qui existaient quand vous étiez directrice et qui se sont amplifiées depuis, entre les éleveurs, les bergers et le parc du Mercantour ?

Mme Marie-Odile GUTH : Je ne sais pas si je suis parvenue à favoriser le maintien du pastoralisme sur ce territoire mais, en tout cas, je me suis employée, par l'ensemble des moyens que je vous ai décrits, à faire en sorte que la profession agricole responsables des ovins puisse assurer au mieux et dans les meilleures conditions possibles son activité.

Quand on a découvert la présence du loup sur le territoire, les bergers nous ont dit : on ne gardait par les troupeaux, maintenant on va être obligé de le faire, c'est une contrainte supplémentaire, aidez-nous à la supporter. C'est bien pourquoi j'ai dégagé des crédits sur mon budget afin de leur donner les moyens de les garder dans de meilleures conditions. Plutôt que de les laisser dormir dans des conditions peu agréables, on leur a héliporté, sur nos crédits, des cabanes le plus près possible des lieux qu'ils avaient choisis. On leur a procuré et financé le soutien d'aide-bergers. On leur a financé des clôtures pour les aider à rassembler les troupeaux. Surtout, on a mis en place avec eux un système de chiens de protection, des patous des Pyrénées, pour leur permettre de défendre leurs troupeaux contre les agressions potentielles des loups.

Je considère donc avoir mis un maximum de bonne volonté, de moyens, de détermination pour soutenir, comme le décret du parc le stipule, le pastoralisme localement.

Quant à la présence du loup, est-ce que j'estime avoir assumé mon rôle en la matière ? Oui aussi, dans la mesure où c'est une espèce protégée par tous les textes que je vous ai cités. La vocation d'un établissement public, et même la vocation de la France, en l'occurrence, par le respect de la signature des textes qu'elle a signés, était de faire en sorte au moins de mieux connaître cette espèce et d'étudier son évolution. De ce point de vue, le suivi scientifique que nous avons mis en place me semble avoir répondu à ces deux exigences.

M. le Président : Etait-ce des scientifiques indépendants ?

Mme Marie-Odile GUTH : Oui, totalement. Comme pour toute consultation avant embauche, nous avons lancé deux fiches de poste tous azimuts. Les personnes qui se sont présentées avaient achevé leurs études et avaient sûrement effectué des stages dans d'autres structures. L'une, Marie-Lazarine Poulle, avait suivi des stages, notamment au Canada, pour se spécialiser dans la biologie des canidés sauvages, l'autre, Thierry Dahier était vétérinaire. Pour nous, pour moi, en tout cas, c'étaient vraiment des personnes indépendantes qui n'appartenaient pas à la structure du parc et qui n'avaient jamais travaillé dans le cadre de la structure du parc.

M. le Président : Ils n'étaient pas bénis et financés par une association...

Mme Marie-Odile GUTH : Nullement !

M. le Président : ...ou par le programme LIFE.

Mme Marie-Odile GUTH : Nullement. Après, ils ont été repris en compte dans le cadre du programme LIFE, ce qui était normal. Ayant eu un contrat avec l'établissement public, ils devaient continuer à être pris en charge.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : J'ai senti dans vos propos des réticences sur les actions du directeur de l'agriculture et de la forêt.

Mme Marie-Odile GUTH : Un peu, oui.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Sur quoi étaient-elles fondées ? Comment avez-vous essayé de confirmer un travail avec l'antenne locale de l'Etat sur ces deux sujets que vous aviez en charge ?

Quelles étaient alors, dans le cadre de vos responsabilités, les relations que vous avez entreteniez avec les élus locaux ? C'est un sujet qui nous intéresse tous.

Enfin, vous nous avez dit qu'à l'époque, l'indemnisation que vous aviez pu obtenir pour les dégâts causés aux éleveurs était relativement bonne. Estimez-vous qu'aujourd'hui, au regard de ce qui s'est passé dans la filière ovine, ces indemnisations restent suffisantes ou bien considérez-vous qu'il y aurait des efforts à faire ?

Mme Marie-Odile GUTH : Il est vrai que M. Charry était un peu en conflit avec les éleveurs. Je trouvais qu'il n'avait pas envie de leur être désagréable. C'est une interprétation que j'avais à l'époque. Il n'était pas tout à fait prêt à me soutenir. Il m'a dit un jour: « Je te laisse te débrouiller toute seule, j'en suis bien conscient ». Dont acte. Il fallait bien réagir. Comme je ne suis pas femme à me laisser abattre, j'ai continué à gérer seule.

Est arrivé un nouveau directeur départemental de l'agriculture et de la forêt, Claude Lorrain. Lui était très prudent. Il considérait que, dans la mesure où l'on avait constaté la présence du loup dans la zone centrale du parc national, cela relevait de la compétence directe du parc. Mais dès que le loup a dépassé l'Ubaye et les limites de la zone centrale, ce qui était inéluctable, puisque l'espèce est dotée d'une dynamique naturelle et peut très bien parcourir cent kilomètres d'un seul coup pour s'implanter sur un territoire en laissant un grand secteur vide, j'ai signalé au directeur départemental de l'agriculture et de la forêt que je n'avais plus aucune compétence. Des compétences étant dévolues au directeur départemental de l'agriculture et de la forêt mis à disposition du ministre chargé de l'environnement pour tous les aspects liés à la gestion de la faune sauvage, la DDAF ne pouvait plus être absente de la stratégie de suivi scientifique, de constat et d'indemnisation. Nous avons eu une longue discussion mais c'est un homme calme et posé. Il a pris son temps et quand il a assuré qu'il travaillerait sur le dossier, il a apporté son concours de façon très positive et bénéfique. Sur toute la partie qui ne correspondait pas systématiquement à la zone centrale, la DDAF a pris sa charge de constats, de suivis des dommages et d'envois des indemnités aux éleveurs.

Je pense donc que c'était plus de leur côté une difficulté liée à la surcharge d'un dossier supplémentaire car à l'époque, et encore maintenant malheureusement, la DDAF perdait des postes qui n'étaient pas remplacés. C'était lourd pour eux à gérer. Mais comme Claude Lorrain n'est pas homme à tourner le dos à son métier, il a assuré son rôle et nous avons travaillé en binôme de façon très positive. Pour l'administration et pour l'Etat, le travail en commun qui a été fourni à la fois par le représentant de l'agriculture et de la forêt et par moi-même, en tant que directrice du parc, a été le plus positif possible dans l'octroi des mesures pour les éleveurs et le respect du suivi scientifique de l'espèce.

Quelles étaient mes relations avec les élus locaux ? Les relations du directeur du parc national avec les vingt-huit maires sont constantes. Le contact était permanent sur l'ensemble des missions qui sont dévolues au parc, qu'il s'agisse d'aménagement de territoire et de gestion, du milieu, des espèces ou des espaces. Il est vrai que la présence du loup n'a pas toujours facilité les rapports. J'ai eu droit à quelques remarques pas toujours aimables pour le parc national ou pour la politique de l'Etat. Il fallait les accepter. Ces élus étaient aussi chargés de défendre leurs administrés sur leurs communes. Ils ne faisaient que répercuter les difficultés que les éleveurs subissaient sur le terrain quand leurs troupeaux étaient prédatés. Mais j'ai toujours eu la chance d'être bien acceptée par les maires du parc national du Mercantour et j'ai toujours pu discuter avec eux. J'ai toujours été présente aux réunions qu'ils organisaient sur le sujet, j'ai toujours dit que j'étais à leur disposition pour la gestion de l'ensemble du dossier. Je ne pense pas avoir failli à ma tâche. J'étais présente tous les étés durant lesquels j'étais directrice du parc national. J'ai mis un point d'honneur à être présente à l'ensemble des manifestations organisées par les maires dans leurs communes. Ce n'était pas toujours très simple mais j'ai toujours montré la présence du parc auprès d'eux. Je leur ai toujours apporté mon soutien, en particulier au président, le maire de Péone, qui a toujours, lui aussi, su trouver l'équilibre entre son rôle de président d'un parc national et celui de maire et président du conseil général. J'ai fait le maximum pour que les relations soient toujours existantes, perdurent et soient caractérisées par le sérieux et la volonté de soutien aux collectivités territoriales à tous niveaux.

Les indemnisations étaient-elles bonnes ? Je me souviens de deux réactions d'éleveurs. En premier lieu, lors de la réunion à la préfecture de la commission de présentation de l'échelle d'indemnisation, car il fallait, face au préfet, manifester la bonne volonté de l'Etat de soutenir le pastoralisme. Quand nous avons proposé le haut de la fourchette, les éleveurs sont restés sans réaction. Ils étaient très étonnés de l'attitude de l'Etat consistant à leur dire: vous êtes indemnisés parce que vous subissez des dégâts et il n'y a aucune raison que l'Etat n'assure pas ses engagements face à l'équilibre qu'il défend toujours. Il y a donc eu acceptation du barème par l'ensemble de la profession agricole. Si j'ai bonne mémoire, Claude Lorrain était présent. En second lieu, quand les premiers crédits ont été dégagés, afin de marquer la bonne volonté du parc et de gagner du temps, je suis allée porter les premiers chèques pour leur montrer que le parc réagissait immédiatement. En voyant son chèque qui indemnisait la perte d'une ou deux brebis, Charles Vallet m'a dit : « Je n'en demandais pas tant ! ». Je m'en souviendrai toute ma vie. Je pense tout de même que nous avons, sur l'ensemble du barème d'indemnisation, répondu en grande partie à leur attente.

Cette indemnisation est-elle toujours suffisamment élevée ? Elle correspondait tout de même, pour certaines espèces, à presque trois fois le prix de la bête. On prenait en compte le fait que c'était une mère gestante ou l'inscription du bélier au Herd Book. Des paramètres très sérieux étaient donc pris en compte. La prise en compte du stress de l'animal venait compléter ce barème. Il était donc très bien étudié. Il n'a pas fait l'objet de contestations. A ma connaissance, il reste sérieux et conséquent, mais il faudrait interroger ceux qui, à la DDAF et au parc, continuent de travailler sur les indemnisations. Faut-il maintenir le système des indemnisations ou faut-il envisager la mise en place d'une forfaitisation ? Il faudrait interroger mes successeurs pour le savoir. En tout cas, les réactions des éleveurs montraient que l'on ne s'était pas moqué d'eux.

M. le Président : Madame Guth, nous vous remercions de votre témoignage.

Audition de M. Michel PERRET,
vétérinaire au bureau de la faune et de la flore sauvages du ministère de l'écologie
et du développement durable

(Extrait du procès-verbal de la séance du 4 mars 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Michel Perret est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Michel Perret prête serment.

M. le Président : Monsieur Perret, depuis quand exercez-vous vos fonctions dans le cadre du suivi des loups en captivité et des élevages de loups ?

M. Michel PERRET : Je suis à ce poste depuis novembre 1998. Je suis chargé de mission en matière de faune sauvage captive. Je m'occupe en fait de tous les animaux sauvages en captivité, des insectes aux éléphants, en passant notamment par le loup, ceci dans tous les secteurs d'activité : élevage, vente, animaleries, parcs zoologiques, cirques et autres établissements détenant des animaux d'espèces non domestiques.

M. le Président : Disposez-vous d'un inventaire des loups en captivité en France ?

M. Michel PERRET : Oui, par le biais du contrôle qu'exercent les préfectures sur la détention des loups. Nous avons effectué un recensement très récent de tous les loups détenus en captivité sous le contrôle de l'administration. A l'heure actuelle, on dénombre exactement 524 loups en captivité, dans soixante-deux sites de détention différents. Le parc à loups du Gévaudan, en détient à lui seul 127 sur ses deux sites. Le deuxième site par ordre décroissant d'importance est le parc de la Haute-Touche qui dépend du Muséum national d'histoire naturelle, qui en détient trente. Je pourrai vous fournir la répartition détaillée des loups par effectifs puisque j'ai tiré cette analyse de l'étude que l'on a demandée aux préfectures.

M. le Président : Même sans les vingt-huit loups identifiés dans le massif des Alpes - si nous n'y croyons pas trop, c'est en tout cas le chiffre officiel qui nous est communiqué - on ne peut donc pas dire avec ces 524 loups que l'on manque de loups en France. L'espèce n'est pas en voie de disparition.

M. Michel PERRET : Ce sont des loups captifs.

M. le Président : Sur le territoire national, il y a des loups.

M. Michel PERRET : Oui, 524, qui répondent aux besoins de présentation au public.

M. le Président : Ce répertoire dont vous disposez contient-il les indices génétiques de l'ensemble de ces loups ?

M. Michel PERRET : Non, nous ne disposons pas de ce genre d'information. Nous n'avons pas la carte génétique de chaque animal. Les seules analyses que nous pouvons avoir se comptent sur les doigts d'une main. Elles font état de loups chez M. Ménatori, par exemple. Un animal analysé chez M. Ménatori, par exemple, s'est révélé être un loup de Mongolie.

M. le Président : Ces loups en captivité comprennent ceux qui sont en élevage ?

M. Michel PERRET : Sur les soixante-deux sites, il y a quarante-six parcs zoologiques, cinq dresseurs animaliers, des gens qui présentent des loups au public dans le cadre de spectacles, et onze éleveurs détenteurs à titre particulier.

M. le Président : Quel est le statut de ces éleveurs ? Font-ils du commerce avec le loup ?

M. Michel PERRET : Le loup étant une espèce protégée, les loups sont protégés, qu'ils soient captifs ou vivant à l'état naturel. Une des dispositions spécifiques, dans le cadre européen, en matière d'espèces protégées, c'est que le même régime d'interdiction s'applique, issu de l'article L.411-1 du code de l'environnement. Donc, il est interdit de déplacer les loups captifs, sauf autorisation exceptionnelle.

M. le Président : Qui passe par votre contrôle ?

M. Michel PERRET : Non, Jusqu'au 1er janvier 1999, les autorisations administratives pour le transport des loups captifs entre les différents sites étaient délivrées par le ministère chargé de la protection de la nature. La déconcentration des décisions administratives étant applicable en matière de faune sauvage, depuis le 1er janvier 1999, ce sont les préfets qui délivrent les autorisations de transports de loups captifs. Ce que l'on veut, c'est un contrôle de l'administration sur les mouvements de loups.

Pour ce qui est des autres activités et pour répondre à votre question, en tout état de cause, les activités commerciales sur les loups sont interdites, qu'ils soient captifs ou d'origine sauvage.

M. le Président : Ceux qui disposent de loups ont bien été obligés de les monnayer.

M. André CHASSAIGNE : Tout à fait, sinon, à quoi servirait l'élevage ?

M. Michel PERRET : Non, le principe, ce sont des cessions d'espèces protégées à titre gratuit. Nous sommes attachés à ce principe, non seulement pour les loups, mais aussi pour toutes les espèces, afin qu'il n'y ait pas d'activité commerciale.

M. le Président : Quand il y a cession, en avez-vous connaissance ?

M. Michel PERRET : En cas de cession, il doit y avoir autorisation de transport. Le loup fait l'objet d'un arrêté particulier sur la détention, en date du 19 mai 2000. Celui-ci dispose que lorsqu'ils sont enregistrés dans le fichier national et s'ils sont marqués, les loups bénéficient d'une carte d'identification. La carte d'identification doit être remplie par le détenteur et par l'acquéreur d'un loup. L'ensemble vaut autorisation de transport. C'est d'ailleurs un principe que l'on souhaite étendre à toutes les espèces pour des raisons de simplification administrative, car délivrer des autorisations de transport au coup par coup, non seulement pour le loup mais pour toutes les espèces protégées, demande beaucoup de travail. Ce principe d'encadrement réglementaire en amont permet d'accorder une autorisation de transport non pas au coup par coup mais sur la base de la carte d'identification, de l'identification et de l'enregistrement dans le fichier national.

M. le Président : Parmi les loups des élevages ou parc zoologiques que vous avez répertoriés, y en a-t-il malgré tout, puisque vous m'avez dit que vous n'aviez pas beaucoup de relevés génétiques, qui soient génétiquement identifiés comme originaires des Abruzzes ?

M. Michel PERRET : Je ne puis vous répondre car je n'ai pas d'informations précises sur les sous-espèces de loups détenues. Même si cela est contesté d'un point de vue scientifique, on dénombre actuellement une vingtaine de sous-espèces. J'ai encore moins d'informations précises à vous communiquer sur l'origine des Abruzzes.

J'ai simplement des idées générales qui me viennent de discussions avec des spécialistes de parcs zoologiques et qui ont trait à l'historique de la composition des populations de loups captives. Depuis vingt-cinq à trente ans, on constate que le loup en captivité se reproduit relativement bien. Les lois de protection de la nature ayant eu leur effet, aujourd'hui, en matière d'espèces sensibles protégées, la capture dans la nature n'est pas du tout la piste principale. Ce sont les activités d'élevage qui permettent l'approvisionnement des cas de détention. Auparavant, les informations que j'ai pu recueillir font état d'animaux capturés dans la nature dans les pays où l'on a chassé le loup, principalement en Europe centrale ou plus à l'est. On tuait les loups et on en capturait aussi des vivants. Les marchands d'animaux faisaient leur œuvre et rapportaient les animaux en France.

M. le Rapporteur : Quelle est la motivation des onze éleveurs dont vous avez parlé ? Et puisque les loups se reproduisent bien en captivité, cela doit faire beaucoup de loups pour chaque éleveur.

M. Michel PERRET : Ils ne reproduisent pas nécessairement en captivité. Je faisais tout à l'heure état de la répartition par effectif. Il y a huit structures de détention d'un seul loup. Ceux-là ne peuvent pas se reproduire. Vingt-six structures détiennent deux à cinq loups. Des loups ont pu être acquis à titre d'animal de compagnie. Des irrégularités ont pu avoir lieu. Bien souvent, cela s'est fait sans autorisation administrative. L'arrêté du 19 mai 2000 encadre parfaitement les loups détenus à titre individuel. S'il n'y a pas le régime fort de réglementation fondé sur le certificat de capacité et autorisation d'ouverture, ces loups-là ne peuvent pas se reproduire. Réglementairement, il y a interdiction de reproduction.

Par exemple, j'ai téléphoné récemment pour obtenir des informations précises sur un cas de loups que je ne connaissais pas et qui ne correspondaient pas à une structure classique de détention. On m'a répondu que l'on en avait hérité. Le père avait un parc zoologique. Le parc ayant fermé, la fille avait récupéré les deux ou trois loups.

On trouve aussi des cas de détention de loups que l'on peut qualifier d'animaux de compagnie, mais ils sont très réduits.

M. le Rapporteur : Il doit y avoir des élevages clandestins, notamment chez des particuliers. Que faites-vous pour les découvrir. Et si vous en découvrez, quels sont les moyens d'action dont vous disposez ?

M. Michel PERRET : C'est désormais très clair, puisque la détention du loup est soumise à autorisation administrative, en application de l'article L.412-1 du code de l'environnement. Les infractions à cet arrêté sont des délits, avec possibilité de saisie de l'animal. On a donc les moyens réglementaires pour agir. La mise en œuvre des opérations est la tâche principale des agents de contrôle, qu'ils soient affectés dans les directions départementales des services vétérinaires ou dans les services de garderie de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage.

Pour ce faire, les agents de l'Etat peuvent être aidés par les municipalités. Le loup étant une espèce dangereuse, le maire, en application non plus du code de l'environnement mais du code rural, a une obligation de police en matière d'animaux dangereux. Il doit s'assurer que les animaux sont détenus dans des conditions réglementaires. A défaut, il a également pouvoir de saisie des animaux. Il me semble important d'appeler votre attention sur les pouvoirs du maire parce que localement, les relations entre les services de l'Etat, les services préfectoraux et les municipalités permettent un échange et une remontée d'informations. Je travaillais auparavant en direction des services vétérinaires où j'étais amené à gérer ce problème pour d'autres espèces.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que des loups aient pu s'échapper, ces dernières années ? Si oui, peuvent-ils survivre à l'état libre ?

M. Michel PERRET : Je n'ai pas d'informations détaillées sur les cas d'évasion de loups. Les loups erratiques qui ont été mis en évidence dans l'Isère ou dans les Vosges ont donné lieu à des analyses génétiques qui ont révélé une origine italienne. Deux autres loups ont été trouvés à Montpellier, mais leur origine n'a jamais été déterminée. D'après les informations que j'ai pu obtenir du laboratoire de Grenoble, on aurait plutôt affaire à des loups d'Europe centrale.

M. le Président : On a aussi trouvé un loup dans les Pyrénées.

M. Michel PERRET : On a trouvé un loup dans les Pyrénées-Orientales dont l'origine est italienne et non espagnole, mais on n'a pas établi clairement qu'il s'agissait d'un loup d'origine captive.

M. le Président : Vous dont c'est le métier, un loup italien dans les Pyrénées-Orientales, imaginez-vous un seul instant qu'il ait pu venir tout seul ?

M. Michel PERRET : Je ne vous répondrai pas non plus. Bien que je sois vétérinaire, je n'ai pas suffisamment de recul sur le loup pour vous dire s'il vient d'Italie ou pas. Je crois qu'il ne faut pas écarter le fait que les animaux s'adaptent. Le loup peut s'adapter au milieu extérieur. On connaît des cas documentés de loups échappés de captivité ou de parcs de vision où ils sont entretenus dans de grands enclos et ont un mode de vie semi-naturel. Ils peuvent survivre dans la nature. Cette hypothèse n'est pas à écarter.

M. le Président : Celle qu'il soit revenu ainsi ?

M. Michel PERRET : Je n'ai pas dit cela. Vous avez posé la question en termes généraux. S'agissant du loup dans les Alpes et de son origine captive, je pense que c'est autre chose, car il y a, dans ce volet-là, suffisamment d'éléments. N'étant pas chargé du volet loup nature, je ne puis dire que le loup est venu naturellement. Mais s'il avait fallu réintroduire des loups, il aurait fallu un grand programme. On ne peut pas lâcher un loup ou même un couple pour recoloniser tout un territoire.`

M. le Président : Un couple de loups venus naturellement recolonise plus facilement qu'un couple de loups lâchés ?

M. Michel PERRET : A mon sens, sur une zone, il faut même plusieurs couples.

M. le Président : Mais nous sommes face à une théorie selon laquelle un couple aurait recolonisé la zone avec une descendance de trente à cinquante individus. Pour vous, est-ce crédible ?

M. Michel PERRET : Le retour naturel ?

M. le Président : Le fait qu'un couple de loups recolonise à lui seul. Le rapport officiel des autorités françaises indique que c'est à partir d'un couple de loups que l'on a recolonisé le massif des Alpes.

M. André CHASSAIGNE : Génétiquement, les descendants ne pourraient pas être différents, comme les analyses de laboratoire le montrent.

M. le Président : Tout à fait !

M. André CHASSAIGNE : Si c'était le cas, toutes les analyses qui ont été faites prouveraient que les descendants viennent du couple unique. Or toutes les analyses qui ont pratiquées montrent que les loups présents sur le territoire ont des origines génétiques très différentes.

M. Michel PERRET : Ce sont quand même tous des loups italiens. Je ne veux pas trop m'avancer dans cette affaire du retour du loup et de sa propagation à partir d'un couple ou de deux couples car je ne suis pas en charge du dossier « loup » au principal.

M. le Président : Au départ - puisque nos informations démontrent l'arrivée par la suite d'autres familles de loups - un couple de loups identifié à un endroit précis dans le Mercantour aurait constitué la première meute ayant essaimé en deux ou trois meutes. Pour vous, est-ce plausible ?

M. Michel PERRET : Oui, tout à fait. Mais on n'est pas du tout dans le schéma d'un seul couple de loups. Un couple de loups arrive qui a des jeunes, lesquels rencontrent d'autres loups provenant d'Italie. C'est vraisemblable.

M. le Président : Sur cette théorie, on est d'accord. Mais ce que ce couple, dont on nous dit qu'il est venu naturellement, a réussi à faire, au moins sur sa base de départ avant de rencontrer d'autres loups, un couple de loups issus d'un élevage introduits artificiellement aurait pu le faire de la même manière ?

M. Michel PERRET : Comme je l'ai dit tout à l'heure, d'après les éléments dont je dispose, je ne peux pas dire que la réintroduction du loup à partir d'élevages captifs soit impossible. Cela dépend des protocoles d'élevage. Des spécialistes scientifiques d'animaux captifs vous le diront mieux que moi.

M. le Président : Ce n'est donc pas impossible ?

M. Michel PERRET : Il faut hiérarchiser la possibilité. En biologie, les choses sont rarement toutes blanches ou toutes noires. Un faisceau de présomption permet de dire que telle hypothèse a, par exemple, 99 % de chances d'être juste.

M. André CHASSAIGNE : Vous dites que l'on dénombre 524 loups en captivité, dont 127 dans le parc à loups du Gévaudan. Compte tenu des naissances, pensez-vous qu'il puisse exister des ventes illégales de loups ou bien pensez-vous maîtriser totalement la situation ?

M. Michel PERRET : La réglementation sur le loup a bien cette maîtrise pour objectif. Quant à bien assurer la maîtrise à 100 % et si tout le monde agit dans la légalité, ce n'est possible dans aucune activité.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : De jeunes loups en provenance d'Europe centrale peuvent-ils aussi faire l'objet de trafics, sachant qu'il est parfois très difficile de faire la différence entre un chiot canis canis et un louveteau de trois semaines ? L'engouement pour les nouveaux animaux de compagnie ne peut-il générer un commerce international ? Votre vigilance est-elle grande, y compris celle des services des douanes ? Comment les contrôles y sont-ils opérés ?

L'identification des loups en captivité est-elle assurée par les même moyens que ceux utilisés pour les chiens : puce électronique, tatouage, document aisément falsifiable ou bien les méthodes sont-elles plus sérieuses ? Qui gère le fichier d'identification des loups ?

M. Michel PERRET : Je n'ai pas fait la promotion du loup, animal de compagnie. Je constate qu'un loup détenu par un particulier peut facilement être considéré comme un animal de compagnie. Ces cas doivent s'éteindre progressivement puisque, dans ces « élevages », on n'a pas le droit de faire reproduire les loups. En fait, on ne veut pas de tels cas de détention. On gère une situation vouée à l'extinction.

Concernant le contrôle des loups et l'implication des services des douanes, j'ai fait référence au statut de protection des espèces protégées de la faune française et européenne. De plus, il faut savoir que le loup est une espèce couverte par le règlement communautaire d'application de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune sauvages menacées d'extinction). Il figure à l'annexe B du règlement d'application communautaire de la CITES. A ce titre, on doit prouver l'origine licite des loups en tout temps. L'implication des services des douanes est très claire en la matière. En application de l'article 215 du code des douanes, les détenteurs d'animaux CITES, donc de loups, doivent prouver leur origine licite. Le code des douanes prévoit des dispositions très dures. Les services douaniers, qui disposent de pouvoirs spéciaux, peuvent saisir l'animal sans le couvert de l'autorité judiciaire, à savoir le procureur de la République. Ils ont des pouvoirs très forts en la matière, non seulement sur le territoire national, mais aussi aux frontières. L'importation de loups en provenance des pays tiers à l'Union européenne est soumise aux formalités liées à la CITES. Un permis d'importation doit être délivré par l'organe de gestion d'un pays. C'est une autre base réglementaire que celle issue des espèces protégées.

La réglementation applicable aux loups captifs, tant en ce qui concerne les structures de détention qu'en ce qui concerne les dispositions issues du statut de protection, me semble très complète. Sans parler des réglementations périphériques, telles celles que j'ai citées, issues du code rural, sur les pouvoirs du maire, ou telles celles d'ordre sanitaire en matière d'importation qui sont mises en œuvre par le ministère de l'agriculture. Il existe un cadre juridique qui permet d'intervenir. Cela étant, on ne peut pas mettre un fonctionnaire derrière chaque loup.

Le fichier national se met actuellement en place. Les 524 loups sous contrôle administratif que j'ai évoqués ne figurent pas tous dans le fichier national. Quant au marquage, l'arrêté du 19 mai 2000 prévoit deux possibilités : le tatouage, qui est une méthode pas très élégante, et la puce électronique. L'arrêté du 19 mai 2000 prévoit l'agrément des matériels conformes aux normes internationales ISO, lequel est délivré à la fois par le ministère de l'écologie et le ministère de l'agriculture. Le premier agrément a été donné au printemps 2002 à un seul laboratoire, les autres n'ayant pas sollicité de demande car le marché d'identification du loup par puce électronique est relativement réduit. Cela s'est mis tardivement en place, à compter du printemps de l'an dernier, de sorte que les loups enregistrés dans le fichier national sont en effectif beaucoup moins nombreux. Sur les soixante-deux établissements répertoriés, vingt-et-un ont fait la demande. Soixante dix-sept loups sont enregistrés officiellement et trente-six sont en attente, principalement pour défaut de paiement de la participation de cinquante francs.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : D'où vient ce décalage ?

M. Michel PERRET : De l'agrément tardif du matériel, qui est intervenu au printemps 2002 et des difficultés pratiques du marquage. Les éléments dont je dispose font état de difficultés pour anesthésier les loups. Les spécialistes recommandent d'endormir tous les loups en même temps afin qu'ils se réveillent tous en même temps. Il y a quelque temps, il a fallu anesthésier un loup au zoo de Vincennes pour une raison médicale. Cela a suffit pour que la meute considère le loup endormi comme étant affaibli, donc comme devant être expulsé. Pendant plusieurs mois, il a été le souffre-douleur de la meute. Dans la nature, le loup se défend et part coloniser d'autres territoires, mais en captivité, il devient le souffre-douleur. Des directeurs des services vétérinaires nous ont écrit pour nous faire part des réticences des responsables à identifier les loups. Des membres de mon ancien service qui a procédé l'an dernier au marquage de loups m'ont appris que dans un établissement détenant cinq loups, après le marquage, il n'y en avait plus que trois. Un loup anesthésié à la patte a développé une gangrène. Un autre, qui a été correctement anesthésié, est devenu fou et a dû être euthanasié. Cela pose un certain nombre de problèmes.

Cela étant, constatant le décalage entre le nombre de loups enregistrés et les 524 loups sous contrôle administratif, nous avons rappelé aux préfets, en octobre dernier, l'exigence d'application des règles. Nous en recueillons les premiers fruits puisque, pour le seul mois de janvier, on a enregistré davantage de loups que durant toute l'année 2002. On peut donc espérer finir par obtenir un enregistrement exhaustif.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de Mme Geneviève CARBONE, ethnozoologue

(Extrait du procès-verbal de la séance du 4 mars 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

Mme Geneviève Carbone est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, Mme Geneviève Carbone prête serment.

M. le Président : Madame Carbone, vous êtes ethnozoologue. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette activité ?

Mme Geneviève CARBONE : C'est une profession de chercheur en sciences humaines dans un domaine pluridisciplinaire. On est à la fois formé en sciences humaines - pour ma part, à l'ethnologie - et dans une matière ayant trait aux sciences de la vie pour ma part, la zoologie, et plus précisément l'éthologie et le comportement animal.

J'ai été longtemps au service du Muséum national d'histoire naturelle de Paris, dont j'ai été l'élève puis rattachée à une équipe de recherche du CNRS, le laboratoire d'ethnobiologie-biogéographie. Ensuite, j'ai travaillé sous contrat avec plusieurs institutions, sur leur demande, dont le parc national du Mercantour. Sinon, je suis indépendante. C'est un choix de ma part.

M. le Président : En avril 1993, vous avez écrit dans « Terre sauvage » un article qui révélait, puisque l'administration du parc du Mercantour ne l'avait pas encore fait à l'époque, le retour ou l'apparition du loup, selon la façon dont on l'analyse. A partir de quelles informations avez-vous rédigé cet article ?

Mme Geneviève CARBONE : Je travaillais pour « Terre sauvage » depuis deux ans. J'ai été envoyée dans le Mercantour à titre professionnel et scientifique pour couvrir cette histoire parce que, depuis 1989, mon principal sujet d'étude et d'intérêt était le loup. J'ai été envoyée en accompagnement d'un rédacteur qualifié du magazine, puisque je n'étais que pigiste, M. Antoine Peillon. M. Antoine Peillon assurait la partie rédactionnelle et j'intervenais à titre de validation scientifique par rapport à ce que je pouvais voir sur le terrain.

Nous sommes allés sur le terrain, dans le parc national du Mercantour, accompagnés par des gardes-moniteurs. Nous avons d'abord rencontré les gardes-moniteurs ainsi que l'équipe de direction au siège, à Nice. Puis nous sommes allés sur le terrain, dans la vallon de Mollières en passant par le côté Tinée.

M. le Président : Cela signifie que vous avez été informée par cette administration de la présence du loup.

Mme Geneviève CARBONE : Tout à fait. A partir de novembre 1992, il y a eu une série d'informations sur le loup. La mort du loup d'Aspres-les-Corps puis les journaux ont repris différentes informations dans toute l'Europe sur un retour du loup dans différents pays européens. On voit ces articles apparaître dans « Libération », « Le Monde » et dans d'autres journaux.

M. le Président : Non, en France, la première information est publiée par « Terre sauvage », en avril 1993.

Mme Geneviève CARBONE : Oui, tout à fait, toutefois, si vous le permettez, à la fin de l'année 1992, différents journaux ont fait paraître une série d'articles sur le loup et son retour dans différents pays européens : Norvège, Suède, etc. Donc, quand la rédaction de « Terre sauvage » a eu une information - mais je n'en sais pas plus et je pense que je n'en saurai jamais plus parce que je n'étais pas rédactrice, à l'époque - selon laquelle, au cours d'un comptage sur les ongulés dans le parc national du Mercantour, en novembre 1992, comme il s'en fait quasiment tous les ans, il y aurait une observation parallèle sur des canidés dont on ne connaissait pas scientifiquement l'espèce, « Terre Sauvage » a immédiatement souhaité « couvrir l'information ». C'étaient des canidés présents dans une zone centrale dont on pouvait supposer que ce n'était pas forcément que des chiens. Cette information est parvenue à la rédaction et « Terre sauvage » a souhaité conduire une enquête, comme tout journaliste peut le faire dès lors qu'il déniche une information.

Cela a commencé par une prise de contact simultanée avec la direction du parc national du Mercantour et le directeur de la nature et des paysages (DNP) de l'époque, M. Simon. Je vous rapporte ce que j'en sais et la façon dont je l'ai vécu. En janvier, on m'a demandé si j'étais intéressée de couvrir une telle situation. Effectivement, c'était intéressant pour moi. Nous avons donc organisé notre déplacement, sûrement au cours du mois de février. Je pense que nous y sommes allés en mars et en avril, ce qui correspondait à peu près aux vacances de Pâques.

Durant tout ce temps, nous avons travaillé étroitement avec le ministère de l'environnement. Il y a eu plusieurs rendez-vous au ministère de l'environnement, à la DNP et avec la direction du parc national du Mercantour. Il y a eu des échanges téléphoniques pour préparer notre venue, savoir comment ils avaient réalisé leurs observations, comment ils en avaient conduit au cours de l'hiver. Un travail banal d'enquête journalistique qui s'est conclu par un déplacement sur le terrain, dans le Mercantour.

A la suite de cela, nous avons rédigé, M. Peillon et moi-même, un article que nous avons adressé au parc national du Mercantour et à la DNP. Nous avons attendu qu'ils nous autorisent à publier. Comme l'autorisation de publication tardait et que tout le monde avait peur que l'information soit divulguée par d'autres organes de presse - il était tout de même intéressant pour « Terre sauvage » d'obtenir la publication - la rédaction a décidé de publier. C'était en avril 1993. Cela a été publié après que la direction du parc national du Mercantour eut elle-même organisé une conférence de presse, le 14 avril, si je ne m'abuse.

M. le Président : Le parc national est tout de même un peu gêné dans ses explications sur ce sujet.

Mme Geneviève CARBONE : C'est ainsi que je l'ai vécu de ce côté là. J'ai eu ensuite la possibilité de participer à des réunions internes à la direction de la nature et des paysages, dans le cadre d'une commission réunissant des responsables du parc national du Mercantour, de l'Office national de la chasse et du muséum d'histoire naturelle, visant à réfléchir sur le dossier. Le parc national du Mercantour nous avait, à l'époque, offert toute collaboration. Mais au moment de la publication, chaque fois que la rédaction en chef de « Terre sauvage » proposait des dates de publication, ils étaient sur leur quant-à-soi: « Non, on va attendre, non, on va attendre ».

M. le Président : D'un côté, la direction nationale, en la personne de M. Simon, nous dit qu'il a eu un rapport du parc en 1992 mais, attendant des conclusions plus précises la direction nationale s'est tenue totalement à l'écart de toute instruction sur ce sujet, ne s'en est pas mêlée, a laissé sa totale autonomie au parc du Mercantour pour gérer cette affaire. De l'autre côté, le parc nous dit: on n'était pas sûrs, on a observé des canidés, on a attendu d'avoir plus de certitude avant de révéler l'information. Et c'est quand nous avons su que « Terre sauvage » allait publier un article que nous avons décidé de révéler l'information. A aucun moment, ils ne nous ont dit qu'ils avaient engagé, bien avant cela, une collaboration avec vous.

Mme Geneviève CARBONE : C'était une vraie collaboration.

M. le Président : Nous sommes heureux de l'apprendre.

Mme Geneviève CARBONE : Nous ne sommes pas descendus au hasard. Nous avons été reçus à la direction, nous avons rencontré les agents qui avaient fait l'observation.

M. le Président : Vous me confirmez bien que vous avez été reçue à la direction, à Paris.

Mme Geneviève CARBONE : Oui, au siège.

M. le Président : A la direction nationale, par M. Simon ?

Mme Geneviève CARBONE : Oui, tout à fait. C'est avec eux que la rédaction de « Terre sauvage » - je n'étais pas responsable mais j'ai bénéficié de leurs entrevues - a accepté que nous allions dans le Mercantour, que nous soyons reçus par la direction du parc national, par les agents et le service scientifique et qu'eux-mêmes nous accompagnent sur le terrain.

M. le Président : Donc, la direction nationale vous a reçue...

Mme Geneviève CARBONE : Plusieurs fois.

M. le Président : ...vous avez abordé le sujet plusieurs fois avec eux et ils ont organisé votre déplacement et votre visite.

Mme Geneviève CARBONE : Ils ne l'ont pas organisé, ils ont permis que nous l'organisions. La différence peut paraître subtile mais je pense qu'elle est importante.

M. le Président : Vous avez raison de le dire. En tout cas, l'accueil a été organisé sur place par le parc du Mercantour qui a mis à votre disposition sa logistique pour la visite et les constatations sur le terrain.

Mme Geneviève CARBONE : Tout à fait. Nous avons été accompagnés sur le terrain par des gardes-moniteurs.

M. le Président : Vous nous apprenez quelque chose qui, de toute évidence, depuis trois mois, nous est largement caché par le Parc.

Mme Geneviève CARBONE : Si vous aviez besoin de précisions de dates, je les chercherais. Je ne les ai pas toutes en tête car cela remonte à dix ans.

A la suite de cela, une série de réunions a été organisée à la DNP, représentée par M. Gilbert Simon, avec l'ONC, représenté par M. Philippe Stahl et un représentant du service des prédations-déprédations, M. Pierre Migot, le Parc et le Muséum d'histoire naturelle, représenté par M. Pierre Pfeiffer et moi-même. Ces trois groupes étaient là pour travailler sur le dossier, considérant, si je puis m'exprimer ainsi, que le parc national du Mercantour n'avait peut-être pas fait tout ce qu'il fallait faire pour l'identification et qu'il convenait peut-être de mettre en place de vraies fiches de recueil d'indices qui soient plus transposables. C'est-à-dire que n'importe quel agent puisse recueillir les indices, que chaque personne qui recueille des indices le fasse de la même façon que n'importe qui d'autre. Nous avons travaillé sur différents documents pendant plusieurs mois. Ensuite, on m'a demandé si j'étais intéressée par une mission dans le parc national du Mercantour avec un contrat de travail, hébergée par le parc, ce qui a été officialisé en juillet 1993 par un contrat de quatre mois, de juillet à octobre 1993. Je suis arrivée le 6 juillet. A l'issue de ce contrat, j'ai travaillé bénévolement. On m'a proposé un nouveau contrat que je n'ai pas souhaité signer. Je suis restée dans le Mercantour depuis, à Valdeblore.

M. le Rapporteur : Madame Carbone, je vais vous demander de réagir à une note que j'ai devant moi: « Au mois de septembre 1992, Mme Geneviève Carbone, chercheur au Muséum d'histoire naturelle de Paris, travaillait depuis un temps indéterminé sur le suivi de deux loups en enclos dans le secteur de la Roya, sur le territoire du parc national du Mercantour. Ces loups n'avaient fait l'objet d'aucune déclaration et ont été découverts fortuitement par deux agents de l'ONC ». Figure à l'appui le procès-verbal pour détention clandestine établis par les agents de l'ONC. Je poursuis: « A cette date, officiellement, la présence de loups en liberté n'était pas connue. Or, en 1993, c'est cette scientifique, qui est nommée comme biologiste du loup au parc national du Mercantour. Une telle action scientifique paraît un peu clandestine et pourrait accréditer la thèse de l'accompagnement de lâchers de loups qui toutefois, semble-t-il, n'auraient pu venir de cet enclos. En effet, il ne s'agissait pas de loups italiens. Au minimum, le travail préparatoire de Mme Carbone à sa future mission au parc national du Mercantour montre qu'elle avait connaissance de la présence de loups avant septembre 1992. »

Mme Geneviève CARBONE : C'est magnifique !

Je suis allée pour la première fois voir ces loups, qui sont au-dessus de Fontan, en janvier 1993. Le propriétaire de ces loups, M. Defalle, m'a téléphoné pour me demander si je voulais venir voir ses animaux afin de lui dire ce que je pensais de l'état de captivité dans lequel ils étaient. Quand je suis arrivée en janvier - c'est facile à retrouver, notamment grâce aux billets d'avion - j'ai appris que la louve avait été stérilisée - c'était visible car elle portait encore les traces de l'intervention (poils rasés sur les flancs et sutures) - et que le mâle ne se reproduisait pas car il était soumis à un chien qui était également présent dans l'enclos, à l'époque. C'était la première fois que j'allais dans le Mercantour. Le reportage pour « Terre sauvage » était ultérieur, puisqu'il datait de mars ou d'avril. Après avoir lié connaissance avec M. Defalle, je suis allée ensuite de temps à autre voir ses animaux pour mon plaisir personnel car c'étaient de très belles bêtes. Il n'y a donc eu aucun déplacement antérieur à cette date. Il n'y avait pas de suivi sur ces animaux-là. Il n'y en a pas eu depuis ni à la suite de cette visite qui a été une simple visite.

M. André CHASSAIGNE : Avez-vous un doute sur l'arrivée non naturelle des loups dans le Mercantour ?

Mme Geneviève CARBONE : Non plus maintenant. Pourtant, en bonne scientifique, je me suis posée la question. Lorsque l'on m'a demandé d'aller y travailler, en juillet 1993, je me suis effectivement demandée comment ils avaient pu arriver jusque-là, parce que, pour les scientifiques, le doute fait partie du métier. Faute de quoi, nous ne serions pas scientifiques, nous serions juste des organisateurs de croyances. La lecture de la littérature consacrée au sujet montre que c'est la façon essentielle pour les loups de coloniser de nouveaux espaces. La France n'est pas un cas isolé. On retrouve cette colonisation par sauts avec parfois des incompréhensions, des retours en arrière, des laps de temps très longs, dans tous les pays du monde, qu'il s'agisse du Canada, des Etats-Unis ou d'autres pays européens.

A ce jour, je n'ai pas de doute. D'autant plus que le monde du loup est petit. Vous auditionnez des personnes depuis un certain temps. Globalement, tout le monde se connaît, s'est connu ou rencontré à un moment ou à un autre. Il me paraît impossible de mettre en œuvre une telle opération dans le secret le plus total, d'autant que les loups présents en captivité en Italie sont très peu nombreux, inscrits dans un livre généalogique Stud Book, recensés ; les accouplements sont connus et prévus à l'avance. Je n'ai donc aucun doute, même si le doute a fait partie de mon questionnement en tant que scientifique.

M. le Rapporteur : Le loup est souvent présenté comme un animal intelligent, disposant de facultés d'adaptation exceptionnelles qui lui permettent de contourner toutes les mesures de protection. Il s'habitue très vite et les mesures de précaution mises en place sont très vite dépassées. Dans ces conditions, estimez-vous impossible de protéger efficacement les troupeaux ?

Mme Geneviève CARBONE : D'abord, je ne pense pas que le loup soit un animal particulièrement intelligent, parce que ce n'est jamais qu'un canidé. Le chien est une exception car on l'éduque, on le dresse, on lui apprend des choses. C'est effectivement un animal capable de beaucoup d'adaptations, mais pour avoir travaillé avec des éleveurs - j'ai beaucoup travaillé avec les éleveurs, effectuant notamment du gardiennage nocturne pour plusieurs d'entre eux pendant plusieurs années, de 1993 à 2000 - je ne pense pas qu'il s'adapte systématiquement et rapidement aux conditions qui lui sont proposées. Durant plusieurs étés d'affilée, j'ai gardé des troupeaux pour remplacer les éleveurs et leur permettre de dormir. Je n'ai jamais été surprise par le comportement d'un loup. Ils font toujours ce qu'ils savent faire et ils le font toujours de la même façon.

Je vous citerai l'exemple d'une installation de chiens dans le troupeau de M. Luc Vallet, que je connais bien, dans le vallon d'Auduébis, en 1994. L'installation a été difficile, comme elle l'est toujours. On a même cru, y compris moi-même, que le remède était pire que le mal car c'était la première fois qu'on le pratiquait. Puis, au fil de l'été, il est apparu que cela se passait de mieux en mieux et que les chiens devenaient de plus en plus efficaces. De fait, cette année-là, il n'y a quasiment plus eu d'attaque. La première année, le seul moyen de prévention que nous avions, c'était notre présence, c'est-à-dire la mienne et celle de personnes qui acceptaient bénévolement de venir. Après une année sans attaque, M. Luc Vallet est monté avec des chiens adultes, qui étaient alors effectivement performants. Mais pendant huit jours, il a vécu un vrai enfer. D'après lui, les chiens ne fonctionnaient plus. Il m'a donc demandé de venir. Pendant une semaine, je suis venue toutes les nuits. J'arrivais à dix-huit heures et je repartais au jour, à sept heures, pour voir ce que faisaient les chiens. On s'est aperçu que les chiens dormaient. Je réveillais les chiens. Quand j'entendais le troupeau bouger, je me levais. Mon mouvement, l'allumage d'une torche, réveillaient les chiens qui se mettaient alors à travailler. Au bout de huit jours, les chiens se sont remis à travailler normalement et il n'y a plus eu de problème durant tout l'été.

Donc, je ne pense pas que les loups soient tellement intelligents qu'ils puissent passer outre à tous les moyens de prévention. Je pense qu'il y a un problème d'adaptation de tous les côtés. On s'habitue à avoir des chiens qui fonctionnent très bien mais parfois l'homme est moins vigilant. Ce n'est pas que le loup est devenu plus intelligent. Mon expérience d'éthologiste me démontre que le loup n'est pas un animal superbement intelligent.

M. le Président : Pouvez-vous me confirmer que M. Vallet a été condamné par le tribunal correctionnel parce qu'un de ses chiens a attaqué un touriste ?

Mme Geneviève CARBONE : Je ne sais pas s'il a été condamné. Il faudrait que je regarde. Je vous fais confiance. Je ne sais pas à quelle affaire vous faites référence. Des altercations entre chiens et touristes randonneurs vététistes ont eu lieu à de multiples reprises dans le Mercantour, pas uniquement chez M. Vallet. A la suite de cela, plusieurs travaux de recherche ont été réalisés pour voir comment réagissaient les chiens et dans quelles circonstances.

Ce que je peux dire, à la lumière de ma seule expérience - elle est limitée au Mercantour et même à la Tinée et à la Vésubie - c'est que les chiens s'éduquent et sont parfois éduqués selon la façon dont l'éleveur travaille. Ce n'est pas du tout un jugement, car je considère qu'ils font tous un énorme et bon travail, mais chaque éleveur a sa propre idée de ce que doit être le chien idéal. Pour certains, c'est un chien plus agressif que pour d'autres. Pour d'autres, c'est un chien beaucoup plus proche de l'homme et accoutumé à agir en interaction avec lui. L'écueil réside davantage là que sur le caractère intrinsèque du chien.

M. le Président : Estimez-vous que le patou est le chien le mieux adapté à ce rôle ?

Mme Geneviève CARBONE : Je n'ai pas l'expérience de multiples races de chiens de protection. J'ai vu essentiellement travailler du patou. Je peux dire qu'il est extrêmement performant. Le problème peut résider dans l'accompagnement de l'éleveur. Ce sont de vrais « outils » de travail, si je peux m'exprimer ainsi s'agissant d'un animal, qu'il faut manier avec sagesse. On ne confie pas une tronçonneuse à quelqu'un qui a bu. Un chien requiert un accompagnement sur de multiples années. Il ne s'agit pas d'appuyer sur un bouton pour que cela fonctionne. A titre personnel, je considère que l'écueil de ce problème général est la nécessité d'un vrai accompagnement humain. Un accompagnement technique ne suffit pas. Beaucoup de difficultés se résolvent par un accompagnement humain. L'essentiel du travail que j'ai pu accomplir consistait en un accompagnement humain.

M. André CHASSAIGNE : Compte tenu de la connaissance que vous avez des bergers, puisque vous vivez dans le Mercantour et que vous avez travaillé avec certains d'entre eux et eu égard aux blocages et aux réactions passionnelles que provoque la présence du loup, pensez-vous qu'une évolution est envisageable ?

Mme Geneviève CARBONE : Je ne suis pas optimiste quand je travaille. Je suis optimiste par conviction personnelle mais quand je travaille avec un éleveur, de façon officielle ou qu'il me l'ait demandé par amitié, je ne suis pas optimiste, je suis très pragmatique et très réaliste. Je n'arrive jamais forte d'une conviction que je voudrais lui imposer ou en disant que le loup, c'est bien. Ce n'est pas le problème. Ils ont souvent un problème. Il faut y trouver une solution. Techniquement, en général, on la trouve. A ce jour, dans les alpages que je connais, je n'ai pas rencontré d'écueil majeur qui empêchent de mettre en pratique un certain nombre de solutions. Parfois elles sont difficiles, demandent beaucoup d'efforts mais techniquement, elles existent.

J'ai toujours travaillé avec des éleveurs qui étaient contre le loup. Cela ne m'a jamais empêchée ni de travailler avec eux ni d'obtenir des résultats dans la mesure de mes moyens. En général, le taux d'attaque des éleveurs avec lesquels j'ai travaillé baissait. Il ne faut jamais mélanger les deux problèmes même s'ils se recouvrent constamment. Il y a la conviction de chacun. On est pour ou on est contre. Je pense que les éleveurs sont pour longtemps contre le loup, je n'en connais pas qui soient fondamentalement pour. Quand un éleveur dit : « Je fais avec », je ne lui demande pas de changer d'opinion. On fait avec pour travailler, faire un bout de chemin. Techniquement, cela fonctionne dans un certain nombre de troupeaux.

Toutefois, c'est un investissement humain énorme. S'agissant du travail réalisé avec M. Luc Vallet, par exemple - je le cite parce que c'est la personne avec laquelle j'ai le plus travaillé pour des raisons purement conjoncturelles - quand je regarde le temps passé, ce n'est pas économique du tout. J'y allais très régulièrement, pas parce qu'il avait un problème de loup, mais pour apporter du pain, du bois, savoir comment cela allait, pour apprendre comment fonctionnait le troupeau. En fait, les quelques fois où cela a très bien fonctionné, c'est parce que eux, les éleveurs, m'ont appris comment eux fonctionnaient. Aucun ne fonctionne de la même façon sur son troupeau.

M. André CHASSAIGNE : Les sentez-vous définitivement bloqués ?

Mme Geneviève CARBONE : Non.

Au début, non seulement j'étais une femme, mais comme à l'époque j'habitais Paris, dans l'esprit des gens, j'étais un peu envoyée par Paris, ce qui n'est jamais très bien perçu. A mon arrivée, on m'a dit : « Surtout, ne vous occupez pas des éleveurs ! ». Comme je suis un peu têtue et qu'en outre, j'ai reçu une formation en sciences humaines, il m'est rapidement apparu que ceux qui subissaient le retour du loup, étaient les acteurs du monde de l'élevage.

C'était donc avec eux qu'il fallait travailler. Dans la journée, je recueillais des indices, puisque c'était mon travail, et chaque fois que je l'ai pu, je suis allée rencontrer des éleveurs pour comprendre ce qui se passait dans leur tête et dans leurs troupeaux. J'arrivais avec ma connaissance du loup mais je ne connaissais pas les troupeaux. Au bout d'un certain temps passé avec eux, ils m'ont appris leurs troupeaux. C'est en discutant avec eux, que l'on est parvenu à trouver des solutions. Ce n'était pas moi qui apportais des solutions. De la discussion que nous nourrissions ensemble, ils faisaient eux-mêmes émerger une solution.

J'ai pu rencontrer des éleveurs, voire travailler ponctuellement avec eux - quand je n'étais plus sous contrat, c'était sur mon temps, en fonction des possibilités personnelles dont je disposais - y compris avec ceux qui passent pour des « forts en gueule ». Mon seul regret est de ne pas avoir pu travailler autant avec ceux-là que j'avais pu le faire avec d'autres. Dans mon for intérieur, je suis convaincue que l'on aurait pu améliorer leur situation. Je l'ai toujours dit, y compris sur des antennes de radio. Je crois que l'on a vraiment manqué d'humanité à l'égard de cette profession. Je considère qu'on ne les a pas suffisamment accompagnés dans ce problème. Souvent, ce n'est pas seulement une question d'argent ou une question technique, il s'agit d'être avec eux et de ne pas monter les voir juste pour faire un constat.

M. André CHASSAIGNE : Compte tenu du nombre d'éleveurs, du problème qui se pose, combien de personnes ayant ce dynamisme seraient nécessaires ?

Mme Geneviève CARBONE : Je ne sais pas. On ne m'a jamais posé la question en ces termes. En tout cas, à l'époque où je travaillais pour le Parc, nous étions une toute petite équipe composée de deux agents et de moi-même. On arrivait à tenir pour le Valdeblore et la Vésubie. On n'est jamais allés plus loin parce que nous n'avions pas les véhicules de service ni le temps nécessaires et parce que l'on nous imposait de travailler dans un espace circonscrit.

M. le Président : Madame Carbone, je vous remercie de votre loyauté et de votre franchise. Vos propos nous ont beaucoup intéressés et ont certainement fait évoluer notre réflexion sur quelques points.

Audition conjointe de
M. Raoul MATHIEU,
président de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes,
accompagné de Mme Mauricette MILLO,
ancienne directrice de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes

(Extrait du procès-verbal de la séance du 4 mars 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Raoul Mathieu et Mme Mauricette Millo sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Raoul Mathieu et Mme Mauricette Millo prêtent serment à tour de rôle.

M. le Président : Nous accueillons M. Raoul Mathieu, président de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, accompagné de Mme Mauricette Millo, qui vient juste de quitter son poste de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes et a consacré, depuis l'origine, beaucoup d'énergie à ce dossier.

Vous avez mené des investigations très poussées afin d'essayer de comprendre les conditions dans lesquelles le loup est arrivé en France, en particulier dans les Alpes-Maritimes et dans le vallon de Mollières, en novembre 1992. Pouvez-vous résumer la méthodologie que vous avez utilisée et les conclusions auxquelles vous avez abouti ?

M. Raoul MATHIEU : 80 % du territoire de notre département, dont la superficie est importante, sont classés en zone de montagne. L'élevage pastoral exploite 140 000 hectares, soit le quart de la superficie du département, dont 100 000 hectares d'alpages d'altitude.

Les principales productions sont l'élevage bovin, en augmentation -1 200 têtes - , caprin - 4 500 têtes  - et ovin - 58 000 têtes, qui représentent environ 450 exploitations. Grâce au climat, la plupart des troupeaux restent à l'extérieur onze mois sur douze.

Sur la centaine d'unités pastorales que compte le département, soixante sont situées dans les zones centrale et périphérique du parc national du Mercantour et quarante-cinq sont utilisées par l'élevage ovin. Elles sont réparties dans les vallées du Haut-Var, de la Tinée, de la Vésubie et de la Roya.

Le pastoralisme joue un double rôle économique: direct, par les productions qu'il assure et les emplois qu'il procure; indirect, en permettant l'exercice d'activités touristiques et le maintien des services publics. 10 % des unités pastorales appartiennent au domaine skiable et 90 % sont concernées par le passage des sentiers balisés, de grande randonnée ou vallées.

Cette pratique allie tradition et modernité. C'est une technique qui est fondée sur l'utilisation paisible des espaces herbagers par les animaux. En effet, nous avons des alpages à forte pente, parfois à plus de 30 %, ce qui implique une conduite souple du troupeau. L'art du pastoralisme consiste à choisir les espèces animales, les périodes d'exploitation, l'intensité et la durée de la pâture les mieux adaptées aux conditions locales : climat, sol, système d'exploitation.

Aujourd'hui, nous sommes parvenus à un tournant car depuis onze ans, l'élevage des Alpes-Maritimes subit le poids des prédations qui vient aggraver les difficultés de cette profession. En vingt ans, le nombre des éleveurs d'ovins a diminué de 69 %. En deux ans, l'effectif des bovins a augmenté de 16 %, souvent en remplacement des ovins. Mais cet élevage, généralement sédentaire, ne fait pas appel au même pastoralisme. Conséquence de cette double évolution: près de vingt-cinq unités d'alpage ont été abandonnées, ce qui est grave pour les éleveurs, pour les communes et pour les risques naturels. Ces milieux ont une forte productivité agronomique et leur fermeture entraînerait la disparition de nombreuses espèces végétales et animales, ainsi que la perte d'une valeur paysagère essentielle pour le tourisme. Quand les alpages sont abandonnés, le milieu se ferme très rapidement.

Je voudrais citer l'exemple du site pilote d'agriculture durable de la vallée de la Tinée qui comprend quarante-trois exploitations, dont trente-quatre à titre principal, auxquelles s'ajoutent trente éleveurs transhumants, maintiennent une agriculture vivante à dominante élevage. Sur les 73 000 hectares de la vallée, les agriculteurs ne représentent que 3 % de la population active mais entretiennent 4 500 hectares de surface fourragère. Les trente transhumants, avec près de 30 000 moutons, exploitent 15 000 hectares d'alpages qui, sans eux, seraient voués à l'abandon.

Dans cette vallée, depuis 1994, les loups ont tué 1 456 brebis au cours de 384 attaques.

On en arrive donc à un choix de société. Liées à une ruralité vivante, ces vallées, hors stations de ski, n'ont pour seule solution que le maintien d'un tissu d'activités dont l'agriculture assure l'entretien d'un milieu ouvert.

Choisir la zone centrale du Mercantour dans le cadre de Natura 2000 pour une protection totale du loup, c'est faire le choix d'une fin annoncée du pastoralisme. Si rien n'est fait, c'est, à brève échéance, la mort du pastoralisme.

Mme Mauricette MILLO : Monsieur le président, messieurs les députés, je vous propose de faire une première intervention sur le prétendu retour naturel du loup et une seconde, plus brève, sur le loup dans la convention de Berne et la directive Habitats, visant à montrer les possibilités dont vous pourriez disposer au plan juridique.

Je rappellerai d'abord des dates et des faits de 1987 à 1996, vous laissant le soin de les apprécier et de les analyser comme vous l'entendez. Je vous décrirai ensuite le travail d'investigation réalisé par la chambre d'agriculture. Je vous donnerai enfin mon intime conviction, puisque vous me demandez aujourd'hui de vous dire la vérité et tout ce que je sais et ce que je pense.

19 septembre 1979: signature de la convention de Berne, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe. Il s'agit bien de la « conservation » de la vie sauvage et non de la protection des espèces, c'est-à-dire de la conservation des espèces en voie de disparition.

27 décembre 1987: un loup est tué à Fontan, dans le Mercantour après y avoir séjourné neuf mois et tué trois cents moutons. Après analyse, on a constaté qu'il s'agissait d'un loup issu de captivité. Cela a été reconnu par tous.

Tout ce que je vous dis aujourd'hui, nous l'ignorions au moment des faits. C'est le fruit de notre travail d'investigation et de recoupements.

6 et 8 décembre 1988: colloque de Saint-Jean-du-Gard, organisé par la Société nationale de protection de la nature, en accord avec le secrétariat d'Etat à l'environnement, dont le compte rendu intégral a été édité dans un numéro de la Revue de l'écologie publié en 1990 et que nous n'avons pu nous procurer qu'en 1996. Il est question du loup dans ce colloque dont le thème était la réintroduction et le renforcement des populations animales en France. Aucune intervention ne porte sur un prétendu retour naturel du loup. Or s'il avait colonisé, s'il était près de la frontière française en 1988, puisqu'il était dans le Mercantour en 1990, il aurait déjà dû être proche. Or personne n'y fait référence. En revanche, on parle beaucoup de la réintroduction du loup.

Antoine Reille, journaliste, qui a fait une intervention sur des espèces à réintroduire, indique: « La réintroduction du loup en France, dont rêvent certains, serait beaucoup plus inopportune », par rapport à d'autres espèces.

Martine Bigan, chargée de mission au secrétariat d'Etat à l'environnement, y dresse la synthèse des réponses reçues à un questionnaire de la Direction de la protection de la nature sur les opérations de réintroduction. Nous n'avons pas pu obtenir les réponses au questionnaire car elles ont été perdues. C'est dommage car le questionnaire était très précis: pays de réintroduction, nom de l'espèce, zone de réintroduction, date de réintroduction, méthode utilisée, nombre d'animaux relâchés, réussite ou échec de l'opération, etc. Martine Bigan précise : « Nous n'avons relevé que trois cas de réintroduction d'espèces disparues du territoire national: le lynx, le phoque, les tentatives de lâcher de loup qui se sont d'ailleurs soldées par des échecs ». Nous sommes en décembre 1988. Elle poursuit: « Sur les vingt-six espèces concernées par des projets de réintroduction, on s'aperçoit que vingt d'entre elles sont des espèces protégées (...), cinq sont des espèces gibier, le loup n'ayant pas de statut juridique en France. ». On est bien toujours au niveau de la réintroduction.

Véronique Herrenschmidt, de l'Office national de la chasse, fait figurer le loup en projet de réintroduction dans les tableaux d'analyse des données et ajoute même: « Dans l'hypothèse d'une réintroduction du loup, le lâcher d'une meute complète est conseillé ».

Enfin, François de Beaufort, alors spécialiste français du loup du Muséum d'histoire naturelle, fait un exposé sur la réintroduction du loup en France. Il analyse tous les problèmes liés à une réintroduction éventuelle: alimentation, expansion démographique, risques d'attaque et choix des souches à réintroduire en France. Il dit: « Même les plus fanatiques partisans de la présence du loup et de sa restauration en France (...) n'envisagent la réintroduction du loup que dans des réserves closes, et citent le parc de Chizé comme une possibilité. (...) Les pires adeptes de la « pureté génétique » ne pourraient émettre d'objection théorique à des souches d'origine espagnole ou italienne. (...) La constitution de groupes familiaux reproducteurs pouvant être difficile, il semble préférable de préconiser l'implantation d'un couple préexistant, voire d'une meute même incomplète ». Il rejoint donc Mme Herrenschmidt. Plus loin, répondant à la question : « Faut-il réintroduire le loup en France ? »  - je rappelle que l'on est en décembre 1988 - il préconise une réintroduction « en grands parcs clos et non sur des lâchers en nature libre ». Il conclut : « L'expérience acquise à partir d'une réintroduction bien contrôlée et suivie dans une forêt française close permettrait d'évaluer l'impact médiatique et psychologique de la tentative et les possibilités éventuelles de l'étendre à d'autres zones - même libres - et à d'autres pays d'Europe occidentale ».

A cette époque, il n'est pas sans intérêt de relever que le secrétaire d'Etat à l'environnement est M. Brice Lalonde, son chef de cabinet Mme Marie-Odile Guth. L'adjoint au directeur de la Direction des paysages et de la nature est M. Gilbert Simon et Mme Christiane Barret y est chargée de mission.

M. le Président. Ce n'est pas inutile !

Mme Mauricette MILLO. Non, surtout à la lumière de ce que je vais vous dire.

En décembre 88, il n'y a donc pas de loup en France. Personne ne parle de retour naturel mais on parle de réintroduction.

31 décembre 1989, après débat au Parlement, promulgation de la loi autorisant l'approbation de la convention de Berne. Aucun débat au Parlement sur le loup. Le secrétariat à l'environnement de l'époque, si l'on retient la thèse du retour naturel, ne dit pas que le loup approche, que ferons-nous si le loup arrive ? Le conserverons-nous ou pas ? Rien. Pas d'utilisation des articles 21 et 22 de la convention de Berne permettant d'émettre des réserves territoriales et sur la protection d'espèces. Certains Etats qui avaient des loups sur leur territoire quand ils ont ratifié la convention ne se sont pas privés d'émettre des réserves. Certains n'ont pas voulu protéger le loup sur leur territoire. La France n'a émis de réserves que pour la tortue verte !

22 août 1990 : décret portant publication de la ratification de la convention de Berne. Il n'y a toujours pas de loups officiellement présents sur le territoire français.

12 janvier 1993 : deux gardes nationaux de la chasse et de la faune sauvage dressent le constat de la présence, dans un enclos de 100  mètres carrés, d'une louve noire et d'un loup gris à Casterino, sur le territoire de la commune de Tende. Ils les ont découverts en septembre 1992 mais ils ont mis du temps à trouver le propriétaire, M. Defalle. Celui-ci les reçoit le 12 janvier, en présence de Mme Carbone, chercheuse au Muséum d'histoire naturelle et spécialiste du loup, qui deviendra chargée de mission sur le loup auprès du parc national du Mercantour. Alors que les gardes avaient décrit un loup gris et une louve noire, elle déclare: « La silhouette, le comportement et le hurlement ne permettent pas d'identification précise entre loup et chien. Seule une autopsie pratiquée sur un animal mort peut être déterminante ». Ce procès-verbal, que nous nous sommes procurés, est resté sans suite, alors qu'il y avait quand même détention illégale d'espèce protégée en France et élevage puisque, selon les gardes-chasse, la louve était pleine.

M. le Président : Vous dites que la louve était pleine. Or Mme Carbone nous a indiqué que la louve avait été stérilisée.

Mme Mauricette MILLO : Par la suite, nous avons rencontré le vétérinaire M. Vouret qui nous a déclaré qu'à l'époque, elle n'était pas stérilisée. D'ailleurs, dans le procès-verbal, le propriétaire s'engageait à le faire. Auditionné par les gardes-chasse le 25 novembre 1992, M. Defalle déclarait: « Depuis lors, ils sont vaccinés chaque année et la femelle reçoit tous les six mois une piqûre anti-fécondation. Je compte d'ailleurs la faire opérer car il est hors de question d'en faire la reproduction, surtout du commerce ». M. Vouret, avec qui nous avons eu une conversation téléphonique, nous l'a confirmé.

M. le Président : Puisqu'elle était pleine, a-t-elle eu ses petits ou bien l'a-t-on fait avorter avant de la stériliser ?

Mme Mauricette MILLO : Je l'ignore. Nous avons rencontré les gardes-chasse, en particulier M. Corali, qui nous a dit: « Lorsque nous avons vu la louve, elle était pleine ». Je ne peux pas vous dire ce qu'elle est devenue. En tout cas, en novembre 1992, elle n'était pas stérilisée.

Mme Mauricette MILLO : Nous avons appris, bien plus tard, qu'en avril 1993, des loups avaient été aperçus lors d'une opération de comptage. Cette découverte n'a pas été diffusée. Elle a été officiellement annoncée en mai 1993 par la revue « Terre sauvage », publiée en accord avec le parc national du Mercantour, dans un reportage réalisé par Antoine Peillon et Geneviève Carbone. L'éditorial contient cette phrase importante par rapport aux écologistes et au but recherché: « Le Mercantour, aujourd'hui, est en état de grâce ». On peut lire dans le reportage: « Avec les premières neiges, deux loups gris ont fait leur apparition dans le parc national du Mercantour. Nous avons choisi -  ce sont les enquêteurs, Antoine Peillon et Geneviève Carbone qui s'expriment - avec les responsables du parc et le ministère de l'environnement - je le souligne - de garder le secret aussi longtemps que cela serait nécessaire à la sécurité des loups. Aujourd'hui, nous décidons de révéler leur présence ». Les noms des lieux où ont été aperçus les loups sont déguisés, les noms des gardes du parc national du Mercantour, aussi. Il me paraît très grave que l'on se permette d'agir de la sorte puisque, de toute façon, on annonçait la découverte. « L'Express » a donné leurs noms quelques mois plus tard.

C'est à cette occasion que l'on apprend que deux loups ont été aperçus à la jumelle par des gardes du parc national à l'automne 1992. Dans la mesure où tout est camouflé ; était-ce-ce réellement à l'automne 1992 ou avant ? Il est tout de même surprenant que Mme Carbone qui a des canidés sous les yeux à Casterino ne puisse faire la différence entre un chien et un loup alors que les gardes du parc, à la jumelle, en novembre 1992, reconnaissent qu'il s'agit de loups. Qui plus est, on ne se pose pas la question de savoir si ce sont des loups issus de captivité, alors qu'on n'est pas loin de Fontan, où un loup issu de captivité avait été tué en 1987. On ne se pose pas la question de savoir si ce sont des hybrides.

15 et 16 juin 1993, lors d'un stage organisé à Saint-Etienne de Tinée à l'intention des gardes-chasse, Mme Carbone présente des diapositives des « loups » de Casterino. Dixit M. Corali, qui assiste au stage, qui a vu les loups de Casterino et qui a établi le procès-verbal. Il dit à Mme Carbone : « Ah! ce sont bien des loups ! ». Laquelle lui répond : « Ah! c'est vous le perturbateur ! ». Vous m'avez demandé de dire ce que je sais, je vous dis ce que je sais.

Juin 1993 : les administrateurs du parc du Mercantour et les membres du Conseil national de protection de la nature sont informés du retour du loup dans le vallon de Mollières, respectivement par M. Grandjean et par M. Simon, devenu alors directeur de la nature et des paysages.

22 juillet 1993, l'arrêté de protection du loup est signé par délégation des ministres, par M. Simon, directeur de la nature et des paysages et par le vétérinaire inspecteur en chef, pour le ministre de l'agriculture, sans consultation préalable du Conseil national de la protection de la nature. Je trouve que c'est aller rapidement, après avoir, en novembre 1992, découvert des canidés, sans études, sans analyses, en tout cas connues. Je sais que Mme Lepage a écrit un livre où elle dit que la ministre apprenait souvent par la presse les décisions qui avaient été prises en son nom.

28 janvier 1994 : Marie-Odile Guth est nommée directrice du parc national du Mercantour.

Tout au long de l'année 1994, nous demandons au préfet une enquête administrative sur les conditions de réapparition du loup et sur sa nature: sauvage, issu de captivité, hybride. Pas de réponse. Nous consacrons l'année 1994 à mener des études. Nous effectuons un déplacement dans les Abruzzes et nous conduisons une enquête d'investigation en Italie auprès des administrations, des scientifiques et des organisations agricoles de la région ligure, qui regroupe les provinces de La Spezia, Gênes, Savone et Impéria.

13 décembre 1995 : nous remettons une étude au conseil d'administration du parc du Mercantour. Nous y affirmons, après notre déplacement dans les Abruzzes, que la cohabitation est impossible dans les conditions des Alpes du sud. Nous indiquons quelles sont les différences de condition. Nous disons aussi qu'il s'agit d'un retour organisé.

19 décembre 1995 : le parc national du Mercantour, sous la signature de Marie-Lazarine Poulle, biologiste chargée du suivi du loup, écrit à l'Institut zooprophylactique d'Impéria : « Nous n'avons pas d'informations suffisantes sur la présence de ce prédateur entre Gênes et la frontière française. (...) Je me permets de vous écrire et de vous demander si vous avez des informations sur ce sujet ».

18 avril 1996 : M. Gilbert Simon, directeur de la nature et des paysages, transmet au préfet des Alpes-Maritimes un document sur les premières analyses relatives au retour naturel du loup. Il affirme fortement qu'il est revenu de façon naturelle en montrant une série de cartes. Il indique dans une lettre qu'il a fait établir ces documents par des scientifiques italiens. Or M. Simon n'a pas fait établir ces cartes par des scientifiques italiens, il les a extraites de documents existant dans des études italiennes. Toutes montrent que le loup est présent jusqu'à l'est de Gênes et qu'il n'a pas franchi la barrière constituée par la forte urbanisation de ce secteur et surtout les autoroutes.

M. le Président : Cela nous a été confirmé par les autorités italiennes, il y a quelques semaines.

Mme Mauricette MILLO : En 1997, nous publions notre dernière étude sur le prétendu retour naturel du loup. Après avoir étudié les documents remis par M. Simon, nous considérons que ce prétendu retour naturel ne repose sur aucune base scientifique. On nous dit que le loup peut voyager mais pour constituer une meute, un mâle qui s'en va doit trouver une femelle ou une femelle retrouver un mâle. A deux cents kilomètres de distance, ce n'est pas évident.

Cette thèse du retour naturel est démentie par les administrations, services officiels et scientifiques de la région ligure. Elle est contredite par l'absence de prédations constatées entre Gênes et la France. Les premières prédations constatées en Italie en 1996 étaient le fait de loups revenus de France. Elle est contredite enfin par le mode de développement des meutes dans le Mercantour. Pourquoi le loup ne s'arrête-t-il pas entre Gênes et la frontière française, pourquoi ne s'arrête-t-il pas à Tende et pourquoi arrive-t-il à Mollières où il explose et repart en étoile ?

M. le Président : Pour notre collègue M. Chassaigne, Mollières étant au centre du département des Alpes-Martimes, l'endroit où est découvert le loup est distant de soixante à soixante-dix kilomètres à vol d'oiseau de la frontière italienne. Il n'est pas présent dans les vallées de la Roya, de la Bevera, de la Vésubie qui séparent la frontière italienne de cet endroit. Mais à partir de cet endroit, il va commencer à fonder des meutes en direction de la frontière italienne.

Mme Mauricette MILLO : Les dommages vont progressivement partir en étoile.

M. André CHASSAIGNE : Dans la mesure où il est scientifiquement prouvé que les loups actuellement présents sur le territoire n'ont pas tous la même souche génétique, ne peut-on en déduire qu'il y a eu de multiples réintroductions ?

Mme Mauricette MILLO : Vous me l'apprenez, je l'ignorais.

M. le Président : Si les individus étudiés descendaient du même couple, on retrouverait la même carte génétique. Or les analyses génétiques effectuées montrent qu'il y a une addition de cartes génétiques différentes. Ils ne proviennent donc pas de la même lignée. Ils proviennent tous d'un loup d'Italie puisque l'on retrouve globalement les mêmes gênes, mais ils n'ont pas la même filiation.

Mme Mauricette MILLO : Cela veut dire qu'il n'y a pas un couple unique à l'origine, ce qui est normal. M. Spano, professeur de zoologie à l'université de Gênes, nous a dit que même avec suffisamment de nourriture, un couple ne peut pas se développer de façon aussi exponentielle.

M. André CHASSAIGNE : Vous en concluez que plusieurs couples ont été introduits ?

Si l'on retient l'hypothèse qu'il y ait eu à l'origine l'introduction d'un couple, ne pensez-vous pas que, depuis, un retour naturel aurait pu intervenir ? La démonstration scientifique nous a été faite de façon quasi unanime. Le problème qui aurait été posé de façon artificielle en 1992 serait désormais résolu dans la mesure où il y aurait un retour naturel depuis quelques années.

Mme Mauricette MILLO : C'est bien le jeu qui a été choisi par ceux qui ont réintroduit le loup. Il s'agissait de faire durer les choses afin qu'il y ait des naissances sur le territoire français, de sorte que l'on puisse dire à un moment donné que ce loup est français. Le silence gardé pour assurer la sécurité des loups a duré puisque lorsque nous avons demandé une enquête administrative en 1994, elle n'a pas été faite. Lorsque, en 1995, les maires du département des Alpes-Maritimes et les élus du conseil d'administration du parc du Mercantour ont délibéré pour demander l'installation des loups dans un parc clos, il n'y a pas eu de suite.

M. le Président : Le conseil d'administration du parc, dont j'étais, ainsi que M. Mathieu, a délibéré lors de l'apparition du loup et alors que l'on pouvait considérer qu'il n'était pas protégé comme il l'est aujourd'hui, pour demander qu'on l'enlève et qu'on le place dans un parc. Certes, on est aujourd'hui au pied du mur, mais y a-t-il eu préméditation ou non ? La situation qui nous met aujourd'hui au pied du mur a-t-elle été organisée de toutes pièces ?

Mme Mauricette MILLO : Vous me demandez mon intime conviction. Moi qui suis ce dossier depuis 1992, je pense que l'on a, à tout le moins, favorisé le maintien des loups.

M. André CHASSAIGNE : Cela voudrait dire que, dans votre esprit, il y aurait eu plusieurs introductions de couples ?

Mme Mauricette MILLO : J'y viens. Nous considérons que face à une affirmation de retour naturel non étayée, nous avons un faisceau d'indices concordants montrant qu'à l'époque, des dispositions ont été prises pour assurer la réintroduction du loup. Vous parlez de démonstrations scientifiques, mais tous les scientifiques que l'on cite vivent du loup ou s'appuient sur des documents qui arrêtent la progression du loup à Gênes. Il est facile ensuite de tirer un trait sur une carte pour dire qu'ils sont arrivés jusqu'à la frontière française.

Puisque l'on me demande de dire la vérité, mon intime conviction est que nous avons été placés devant une opération de réintroduction qui n'a pu être conduite que par ou, en tout cas, en accord  - je pèse mes mots  - avec les responsables administratifs du parc national du Mercantour et de la direction de la nature et des paysages. J'ignore si les élus ont été informés au préalable et ont donné leur aval. Mais pour que l'opération réussisse, il fallait « garder le secret aussi longtemps que la sécurité des loups l'exigeait », pour reprendre la revue « Terre sauvage ». Le secret exige la confidentialité et un nombre restreint d'initiés.

Dans les investigations que j'ai été amenée à faire, j'ai reçu des témoignages oraux de personnes que je vais vous livrer, sous la foi du serment que vous avez exigé de moi, mais sans pouvoir apporter d'écrit car c'est la loi du silence. Certaines témoigneront certainement si vous le leur demandez

M. Emile Bertrand, ancien président de la fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes, nous a indiqué, en 1996 ou 1997, qu'il avait été informé, par un dénommé Hervé Reynaud, du Valgaudemar, des confidences d'un dénommé M. Marcel Perier, également du Valgaudemar, je puis vous fournir leurs adresses et numéros de téléphone. M. Grandjean a été invité par M. Claude Muller à un repas au cours duquel il aurait indiqué avoir introduit deux loups en 1990, deux loups en 1991 et deux loups en 1992. Ces propos ont été rapportés par M. Marcel Perier, oncle de M. Muller, à M. Hervé Reynaud. Par ailleurs, M Perier aurait, plus tard, fait état de cette confidence lors d'une réunion de chasseurs. J'ai rencontré MM. Perier et Reynaud fin mars 2000. M. Reynaud m'a reconfirmé ces faits il y a quelques jours par téléphone. M. Perier dément aujourd'hui. Il m'a dit : « Je ne vous ai jamais rencontrée, je ne vous ai pas vue, je ne sais rien », etc.

Le président de la fédération des chasseurs des Hautes-Alpes, M Jacques Chevalier, que j'avais également rencontré fin mars 2000, m'a confirmé -  je l'ai eu la semaine dernière encore, il l'a confirmé à nouveau - qu'un garde des Hautes-Alpes avait, lors d'une réunion à Nice, entendu deux personnes se féliciter de ne pas avoir mis de collier aux loups ! Cette personne, m'a-t-il indiqué, ne témoignera pas par crainte de perdre son emploi. Il est employé au parc des Ecrins.

Emile Bertrand, ancien président de la fédération des chasseurs des Alpes-Martimes, que j'ai encore rencontré la semaine dernière, me l'a confirmé. Il m'a dit, en outre, que les présidents de sociétés de chasse avaient noté en 1990, 1991 et 1992, une présence très importante et inhabituelle des gardes du parc en Haute-Tinée et en Haute-Vésubie, de jour et de nuit. Il a, quant à lui, observé qu'au comptage de faune sauvage de 1989, avaient été dénombrés dans le secteur Vésubie-Mollière six cents mouflons. En 1992, au comptage suivant, il n'en restait plus que quatre cents, malgré trois hivers cléments avec très peu de neige et des naissances qui ont dû avoir lieu. Il faut dire qu'en 1992, le Parc a décidé de ne plus faire de comptage que tous les cinq ans au lieu de tous les trois ans. M. Bertrand pense que l'arrivée du loup a permis à la France de régler un différend important existant avec l'Italie sur l'incursion grandissante de mouflons sur le territoire italien. Le mouflon est un animal exogène aux Alpes. Ce n'est pas un indigène, il a été importé de Corse.

Je pense, pour ma part, que l'introduction du loup favorisait également la réintroduction du gypaète en augmentant le nombre de carcasses. Le gypaète est un rapace qui brise les os et se nourrit de moelle.

M. le Président : Et qui n'est pas capable de se nourrir de proies vivantes. Il est exact que dans le même temps, on a réintroduit, de manière officielle, le gypaète barbu. De précédentes tentatives avaient d'ailleurs échoué, parce que, de toute évidence, ces gypaètes ne parvenaient pas à trouver les réponses à leurs besoins. Depuis l'apparition du loup, le gypaète a été fidélisé dans ce secteur.

Mme Mauricette MILLO : Je crois aussi que cela donnait satisfaction à ceux qui prônent le développement de la nature sauvage, sans la présence de l'homme. « Le Mercantour est en état de grâce ».

Je conclurai sur une phrase de Mme Guth, qui après avoir été au ministère de l'environnement, a été directrice du parc du Mercantour et dont la politique était très protectrice et très « retour à la nature sauvage ». Les voitures ne devaient plus stationner au col de la Couliole. Nous avons rencontré des problèmes considérables en matière agricole, puisque les éleveurs dont les vacheries se trouvaient en zone centrale ne pouvaient plus vendre leurs produits parce que c'était une activité commerciale. Lors de l'audience devant le tribunal administratif de Nice qui opposait des maires au préfet au sujet de la légalité des délibérations communales de battues, elle a eu cette phrase : « Les loups ont le sens inné des espaces naturels protégés ».

Je suis allée un peu loin mais j'ai dit ce que j'avais vu et ce que l'on m'avait dit.

M. le Président : Puisque nous sommes dans le secret de la commission et que vous vous êtes interrogée sur le point de savoir si les élus étaient informés ou pas, je vous indiquerai que nous avons eu l'occasion de demander à M. Grandjean qui il avait informé à partir du moment où il a eu connaissance de la présence du loup, c'est-à-dire en novembre 1992, puisque nous disposons des rapports qu'il a adressés dès cette date à M. Simon. Selon ses dires, ni le préfet des Alpes-Maritimes, M. Destandeau, ni les élus, puisque je lui ai fait part moi-même de mon incompréhension en tant que député du lieu de ne pas avoir été informé, ne l'ont été. Il a témoigné en disant: oui, nous avions fait le choix de n'informer personne.

Vous savez donc que la direction du parc national, jusqu'à la révélation par « Terre sauvage », et il apparaît clairement qu'elle ait organisé dès l'origine la communication par l'intermédiaire de « Terre sauvage », n'a informé qui que ce soit ni des autorités de l'Etat local ni des élus locaux.

Mme Mauricette MILLO : Monsieur le président, je dirai encore quelques mots sur l'aspect juridique.

La convention de Berne et la directive Habitats assurent la conservation des espèces indigènes de faune sauvage dans leur aire de répartition naturelle. Ces dispositions peuvent-elles s'appliquer au loup de souche italienne présent à l'heure actuelle en France ?

François de Beaufort définit l'aire de répartition naturelle d'une espèce comme étant « celle où vit une espèce à population naturelle, reproductrice et historiquement comme géographiquement continue ». Il ajoute : « La France est présumée avoir pu posséder trois sous-espèces géogaphiques de loups  - il y a l'espèce générique canis lupus, loup gris commun et des sous-espèces de loups qui se sont habitués au milieu  - le flavius, dans les trois quarts ouest du pays, le minor dans le Jura et les régions voisines, le deitanus, sur la frange méditerranéenne. La première a disparu d'Europe, la deuxième, la minor, est présumée avoir des affinités avec le loup italien mais elle a disparu par ailleurs, la troisième, deitanus, celle qui nous concerne, est celle qui existe encore dans l'est et le sud de la péninsule ibérique ». M. de Beaufort préconisait de prendre un espagnol et le gouvernement espagnol était d'ailleurs prêt à en fournir. La sous-espèce de loup dont l'aire de répartition naturelle était le littoral méditerranéen français et espagnol a disparu. Le loup italien, italicus, ne saurait en conséquence - c'est mon avis - avoir une aire de répartition naturelle en France puisque les conditions d'implantation sur le plan historique et géographique de façon continue ne peuvent être remplies. Historiquement, puisque le loup a disparu de France à la veille de la Seconde Guerre mondiale et des Alpes-Maritimes au début du XXème siècle, géographiquement puisqu'il n'y a pas d'implantation stable et continue entre Gênes et la frontière française.

Aussi bien la convention de Berne que la directive Habitats protègent les espèces indigènes. Canis lupus italicus ne saurait être considéré comme une sous-espèce indigène en France, puisqu'elle a disparu. Si on accepte en France qu'un loup italien soit de nature indigène, on pourrait aussi bien admettre un loup sibérien ou un loup canadien, ou bien encore turc, grec ou espagnol. Il fera en sorte de s'adapter au milieu parce que c'est un animal intelligent.

Aussi bien la convention de Berne que la directive Habitats obligent les Etats à contrôler strictement l'introduction d'espèces non indigènes. Ce que n'a pas fait le gouvernement français en 1990 ou 1992.

Si l'on ne tenait pas compte, comme le fait la France à l'heure actuelle, des sous-espèces existantes et qu'on considère uniquement l'espèce générique canis lupus, la convention de Berne comme la directive Habitats ne demandent aux Etats de protéger cette espèce que dans le but d'en assurer la conservation. On n'est pas dans un statut de protection de toutes les espèces. Or canis lupus n'est pas en voie de disparition en Europe et dans le monde. Pourquoi le gouvernement français déciderait-il de maintenir sur son territoire une espèce qui n'est pas de souche indigène ? Il nous semble qu'il est libre de décider de la protection sur son territoire de cette espèce. Il est vrai qu'en gagnant du temps, on courait le risque de s'entendre dire: maintenant, il y est. Cela fait dix ans qu'il y est, alors pourquoi pas ? Je crois que non, compte tenu du problème de la conservation.

Nous suggérons que le gouvernement français décide, après un débat au Parlement, de ne plus assurer la conservation du canis lupus italicus sur le territoire français, du fait qu'il ne s'agit pas d'une espèce indigène à la France et qu'il n'est pas en voie de disparition en Italie.

De plus et surtout, le maintien de ce prédateur est incompatible avec le maintien d'un pastoralisme durable et la conduite d'une politique d'aménagement du territoire équilibrée, fondée sur l'entretien et le développement de l'espace rural, comme vous le repreniez à la réunion de Nice.

Dans ces conditions, il nous paraît tout à fait possible que le gouvernement rapporte l'arrêté de protection du loup et dénonce la convention de Berne en ce qui concerne le loup, puisque celle-ci permet des réserves par rapport aux espèces, et surtout exclut le loup des espèces protégées de la zone Natura 2000 du site dénommé « Le Mercantour », qui a sans doute déjà été transmis à Bruxelles.

Les sites Natura 2000 sont des sites de conservation des espèces et non de protection. Nous ne sommes pas oposés à ce que la zone centrale du parc du Mercantour soit classée Natura 2000 puisqu'il y a déjà des contraintes, mais le document d'objectif porte essentiellement sur la protection du loup. Vous avez donc peu de temps si le document a été transmis à Bruxelles dans le cadre des projets de sites d'intérêt communautaire. On dit souvent que le politique n'a plus de pouvoir. Je crois qu'il en a tout de même. Encore faut-il affronter les prétendus défenseurs de la nature. Les véritables défenseurs, ce sont les agriculteurs sur le terrain. Ce ne sont pas ceux qui sont dans des bureaux et qui critiquent beaucoup. Je vous rappellerai le dénigrement qu'ont eu à supporter les bergers quant à leurs méthodes de garde et à leur façon de travailler depuis l'apparition de ce prédateur.

M. le Président : Madame Millo, Monsieur Mathieu, je vous remercie de vos témoignages qui nous seront précieux.

Audition de Mme Michèle JALLET,
responsable de formation à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie
du domaine du Merle, section formation des bergers

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 mars  2003)

Présidence de M. Daniel Spagnou, Rapporteur

Mme Michèle Jallet est introduite.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Rapporteur, Mme Michèle Jallet prête serment.

M. Daniel SPAGNOU : Madame, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Je vous propose de nous expliquer en quelques mots quelle est votre fonction, après quoi nous vous poserons un certain nombre de questions pour nous éclairer sur les points qui nous paraissent essentiels pour l'information de notre commission.

Mme Michèle JALLET : J'entends, après m'être présentée et avant d'entrer plus dans le vif du sujet en abordant l'impact de la prédation sur la formation et le métier de berger, vous expliquer ce qu'est le domaine du Merle.

Je suis responsable de la formation de bergers depuis 1998 au Centre de formation public des professions agricoles (C.F.P.P.A.) du Merle, situé à Salon-de-Provence. J'y travaille depuis octobre 1991 : j'ai commencé en qualité de formateur vacataire et je suis devenue, en 2002, titulaire du poste de responsable et coordinatrice du centre.

Depuis 1998, j'assume plusieurs fonctions au sein de cet établissement : outre la coordination, j'assure l'enseignement la zootechnie et la pathologie ovine, des missions d'ingénierie et de formation pour avoir mis au point la formation de bergers et avoir participé à l'écriture du référentiel, diverses missions d'animation au niveau du recrutement, du suivi des stagiaires en entreprises, de l'insertion professionnelle, du suivi post formation, ainsi qu'au niveau du réseau des partenariats de professionnels qui gravitent autour du C.F.P.P.A. du Merle.

Le C.F.P.P.A. du Merle est un centre de formation qui se trouve sous la tutelle financière et administrative de l'E.N.S.A.M. - Ecole nationale supérieure agronomique - de Montpellier. Ce C.F.P.P.A. se situe donc sur le domaine du Merle qui a été légué à l'E.N.S.A.M. l'une des clauses du legs étant que le domaine conserverait sa vocation agricole, abriterait des travaux d'expérimentation et servirait de centre de formation à destination des éleveurs et des bergers d'où la création, dans les années 30, de l'Ecole de bergers du Merle.

Ce centre a pris le statut de C.F.P.P.A. en 1969. Il a connu des années relativement fastes jusqu'aux années 80, puis a connu des difficultés de recrutement entre 1991 et 1997 parce qu'il apparaissait, d'après certaines enquêtes, notamment du C.E R.P.A.M. - Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée - que cette formation n'était plus adaptée aux attentes des professionnels. La formation, telle qu'elle était dispensée auparavant, s'adressait plus à des gens qui visaient l'installation qu'aux bergers salariés qui formaient notre public.

C'est ainsi qu'est né le projet de refonte de la formation pour lequel nous avons réuni les professionnels pour définir le métier de berger en rédigeant une fiche descriptive d'activité qui nous a été remise et que j'ai été chargée, par le C.E.R.P.A.M. de mettre en application dans une formation de bergers « nouvelle formule ».

Cette formation englobait les nouvelles contraintes environnementales et prenait en compte tous les changements intervenus au niveau du métier, en ce qui concerne tant l'application du cahier des charges relatif à l'entretien de l'espace et au contrat d'alpage que le retour du prédateur.

Cette formation de bergers telle qu'elle existe depuis 1998-1999, est une formation qualifiante et diplômante de niveau 5. Il s'agit d'un B.P.A. (brevet professionnel agricole) par unités capitalisables - U.C - qui suit un référentiel d'ouvrier hautement qualifié en élevage spécialisé : on y retrouve les sept U.C. nationales qui composent le diplôme, plus trois unités capitalisables d'adaptation régionale à l'emploi - U.C.A.R. - qui font la spécificité de la formation.

Cette formation colle donc aux réalités de terrain. Elle dure une année complète, étant précisé qu'elle se cale sur le cycle de production de la brebis mérinos d'Arles, donc d'élevage extensif transhumant. Il s'agit d'une formation pratique qui propose des stages en exploitations durant les périodes de pointe de l'élevage ovin, notamment un stage en transhumance en fin de parcours. L'encadrement est alors confié à un éleveur ou à un berger confirmé.

Les sites des stages se situent sur tout l'arc alpin, du Mercantour jusqu'en Savoie, ce qui conduit certains stagiaires à se trouver dans des zones à risque de prédation.

Je vous remettrai un petit tableau que j'ai élaboré à partir de 1998, pour illustrer cette situation et qui permet de voir que, sur l'ensemble de la période, ce sont environ 40 % de nos stagiaires qui se trouvent directement concernés, d'où la nécessité de prendre en compte cette contrainte dans le contenu de formation lui-même.

Concernant l'impact de la prédation en termes qualitatifs, je voudrais d'abord préciser qu'il ne nous appartient pas d'être pour ou contre la présence des prédateurs, mais de former et d'informer nos stagiaires par rapport à ce problème. Pour assumer ce rôle de formation, le contenu de la formation a été modifié au niveau de trois modules principaux.

Premièrement, le module de préparation de stage en alpage pour lequel a été mise au point une formation sur site, à partir de sorties techniques sur le terrain, ce qui permet à nos stagiaires de rencontrer les acteurs et les partenaires liés au programme LIFE et les gardes du parc du Mercantour et du parc du Queyras. En outre, cette préparation leur permet de rencontrer des éleveurs et des bergers qui sont confrontés au problème de la prédation. Dans ce module de formation, se trouve également englobée la description des moyens et des méthodes de protection comme les parcs, les techniques de garde spécifiques à ce problème ou les chiens de protection. Ces préparations se font sur site et, en 1998, 1999, et 2000 elles ont fait l'objet de deux journées de visites sur l'alpage de St. Guignières, qui est l'alpage du Merle, dans le Mercantour. En 2001, nous nous avons passé deux jours également sur les alpages de Langon, en moyenne Tinée, entre Roure et Roubion, chez des éleveurs qui se ont trouvés confrontés à ce problème : MM. Masson et Bruno avec qui nous travaillons depuis longtemps.

En 2002, cette préparation en alpage s'est déroulée sur une semaine, à Champoléon, dans les Hautes-Alpes, ce qui a permis, en multipliant les rencontres, d'améliorer la formation de nos stagiaires.

Deuxièmement, le module U.C. 9 qui a trait au dressage et à l'utilisation des chiens de travail, dans lequel a été intégrée une séquence « chiens de protection » qui permet à notre formateur d'expliquer aux stagiaires les spécificités du dressage et de l'utilisation de tels chiens. Cet enseignement peut se faire sur des supports divers, notamment vidéo.

Troisièmement, le module de pathologie dont j'ai la responsabilité et dans lequel j'ai ajouté, depuis 1998, une séquence, sous forme de travaux pratiques, qui concerne la réduction des fractures et les sutures de plaies au cas où les stagiaires auraient à y recourir à la suite au passage d'un prédateur.

Pour ce qui est du rôle d'information du C.F.P.P.A., nous mettons à disposition, en bibliothèque, certains documents qui traitent du sujet, des vidéo-cassettes et des revues spécialisées telles que « Chien sans laisse » ou « Info-loup ». L'information peut également être liée à l'orientation vers un emploi d'aide-berger de certains stagiaires lorsque, avant leur entrée en formation, ils se présentent à la commission d'admission sans avoir la moindre idée sur la question.

Par ailleurs, nous avons aussi pour mission d'informer les stagiaires ou les demandeurs d'emploi qui s'adressent à nous, de la présence du loup dans les secteurs concernés par l'emploi qu'ils visent.

Pour ce qui est de l'aspect quantitatif, la formation du berger constitue une réponse aux attentes des professionnels par rapport à ces nouvelles contraintes environnementales et notamment à la prédation.

Depuis quelques années, le centre enregistre de nombreux besoins : des besoins en stagiaires - entre 15 et 25 demandes par an - et des besoins en bergers salariés. Il reçoit pour l'estive, c'est-à-dire pour des emplois saisonniers, entre dix et quinze demandes par an, en plus de la demande de stagiaires.

Notre centre connaît un taux d'insertion postformation très important puisque tous les stagiaires qui finissent la formation et qui souhaitent rester dans le métier trouvent un emploi : souvent un emploi saisonnier qu'ils doivent compléter par des travaux complémentaires, tels que la tonte ou des saisons en station de ski, étant précisé qu'en enchaînant les emplois, ils peuvent parvenir à travailler toute l'année.

Parallèlement aux besoins exprimés par les professionnels, de plus en plus de personnes souhaitent suivre la formation. Cela tient au fait, d'une part, que cette formation a été très médiatisée depuis l'automne - nous avons été très sollicités par la presse et les médias - d'autre part, qu'elle a changé et qu'elle correspond mieux aux attentes. Un phénomène entraînant l'autre, on assiste à un effet de boule de neige : comme il y a de l'emploi, on est attiré par la formation et comme on est attiré par la formation, il y a de l'emploi...

En revanche, nous constatons - et je vous l'ai illustré par un graphique qui est assez parlant - que le nombre d'admis, lui n'augmente pas. Pourquoi ? Parce que notre centre est sous convention dans le cadre des programmes régionaux de formation et que l'on ne nous accorde que dix places conventionnées ce qui nous permet, grâce à quelques financements extérieurs, de former entre dix et quinze personnes par an. Nous ne pouvons pas en admettre plus, alors même que les besoins l'exigeraient.

En conclusion, je dirai qu'il serait nécessaire de former plus de personnes, car il existe un potentiel d'emplois, notamment liés à la prédation. La prédation contraint, en effet, à doubler les équipes, à employer de la main-d'œuvre qualifiée et à employer des bergers là où il n'y en avait pas. En conséquence, il nous faudrait former davantage de stagiaires et je considère qu'un effectif de quinze à vingt personnes par an constituerait un bon compromis.

M. le Rapporteur : Votre exposé, madame, a été clair et précis. Y-a-t-il d'autres écoles de bergers que la vôtre ?

Mme Michèle JALLET : Pour la formation de bergers, il y a, en France, deux centres de formation diplômante : le domaine du Merle, et Etcharry dans les Pyrénées. En revanche, en formation qualifiante, et non diplômante, il y a plusieurs centres comprenant des modules de formation à l'estive, notamment à La Motte Servolex et à Pamiers dans l'Ariège.

M. le Rapporteur : Quelle est exactement la durée de la formation ?

Mme Michèle JALLET : Elle commence et finit en octobre.

M. le Rapporteur : Si j'ai bien compris, l'emploi d'aide-berger assure une formation pratique au métier de berger proprement dit ?

Mme Michèle JALLET : Il permet de toucher du doigt la réalité du terrain. En général, les aides-bergers sont des jeunes sans expérience et sans passé professionnel. Attirés par le métier qu'ils idéalisent un peu en rêvant de grands espaces et de grands troupeaux, ils s'engouffrent dans la formation et, pour leur mettre le pied à l'étrier, nous leur proposons, avant la formation, de travailler durant une saison en tant qu'aide-berger, tout en sachant qu'en fin de formation, soit un an plus tard, ils auront à effectuer un stage pratique.

M. le Rapporteur : On voit bien que le métier, très médiatisé, devient un peu « à la mode » et que le phénomène ne fera sans doute que s'accentuer avec le dépôt de notre rapport. En tant qu'élu du Mercantour, je constate que le berger devient un produit dont la promotion est même souvent assurée par les offices de tourisme : il n'est pas rare que les dépliants touristiques comportent la photo d'un berger, gardant son troupeau auprès de sa cabane -  c'est le cas de tous les prospectus sur la vallée de l'Ubaye - de telle sorte que tous les visiteurs citadins n'ont qu'une idée : savoir où aller en montagne pour faire la même photo ! C'est d'ailleurs un problème parce que cela amène un grand public qui perturbe le troupeau quand il ne provoque pas d'incidents avec les chiens patou.

Mme Michèle JALLET : C'est vrai !

M. le Rapporteur : Vous avez donc parfaitement raison de faire comprendre aux stagiaires qu'il s'agit d'un métier à part entière qui demande même d'être un peu vétérinaire !

Mme Michèle JALLET : C'est un métier très technique !

M. le Rapporteur : Vous disiez qu'en sortant de l'école, les stagiaires étaient assurés de trouver un emploi ?

Mme Michèle JALLET : Nous avons un carnet de suivi des offres et des demandes d'emploi qui fait apparaître que nous ne pouvons pas satisfaire toutes les demandes aussi bien en contrat à durée déterminée qu'en contrat à durée indéterminée.

M. le Rapporteur : Quelles sont les conditions de rémunération et de travail dans ce secteur qui est très particulier ?

Mme Michèle JALLET : Pendant la formation, les stagiaires sont en formation professionnelle et, selon leur statut social, ils ont droit à des allocations ASSEDIC, à des aides de la Région ou au RMI.

Après la formation, durant les premières années d'exercice, le salaire varie entre 6 500 francs et 8 500 francs, étant précisé que, la plupart du temps, le logement est compris. Au fil des ans, on s'aperçoit que les conditions de logement s'améliorent, notamment en montagne, car cela ne se vérifie pas forcément en plaine : en plaine de Crau les logements demeurent lamentables ! Il est vrai que les infrastructures s'améliorent, que l'on a construit des pistes d'accès, qu'on pratique l'héliportage et que certaines cabanes sont équipées de panneaux solaires, ce qui permet d'avoir un certain confort et de maintenir une vie familiale. Le berger peut, désormais, être accompagné en montagne de sa femme et de ses enfants. C'est un paramètre qui contribue à maintenir les emplois car, autrefois, quand un berger voulait se marier ou se mettre en ménage, il quittait le métier...

M. le Rapporteur : J'ai assisté au mariage d'un berger et d'une bergère qui travaillaient dans deux montagnes voisines !

Mme Michèle JALLET : A ce propos, je tiens à signaler que l'on enregistre une féminisation du métier. De plus en plus de femmes suivent la formation.

Jusqu'en 1997, la proportion était de l'ordre de 20 % à 30 %, depuis, elle est de 40 % et atteint parfois 50 %. C'est une donnée qui explique aussi partiellement l'amélioration du confort des cabanes : quand ils accueillent une femme, les éleveurs font des efforts pour équiper les cabanes de sanitaires et de chauffage.

M. le Rapporteur : Les aides-bergers, qui vivent au sein des familles, ne sont-ils pas, parfois, perçus comme des intrus ?

Mme Michèle JALLET : Pour recevoir un aide-berger, il faut prévoir deux cabanes distinctes.

M. le Rapporteur : Ou une toile de tente ?

Mme Michèle JALLET : C'est souvent le cas !

M. le Rapporteur : Les bergers ont-ils droit à des congés ?

Mme Michèle JALLET : Ils devraient, mais comme le troupeau doit être surveillé en permanence et manger tous les jours, il n'y a ni jour férié, ni congé, ni dimanche pour les bergers, si ce n'est des récupérations globales en fin de contrat.

M. le Rapporteur : Quel est le profil des postulants à la formation ?

Mme Michèle JALLET : Le profil type a tendance à changer.

J'avais réalisé une petite étude statistique, de 1991 à 1997, d'où il ressortait que la moyenne d'âge était de trente ans, que les candidats étaient en majorité des célibataires et si l'on peut dire des « écorchés vifs »  en recherche d'emploi, en rupture affective et familiale, souvent en situation d'échec, et d'un niveau scolaire relativement peu élevé : C.A.P, B.E.P . Il s'agissait en majorité de citadins qui, bien que notre recrutement se fasse au niveau national, venaient surtout de la région P.A.C.A. On ne comptait que 30 % de candidatures féminines et on peut résumer les choses en disant que les candidats étaient surtout des marginaux et qu'ils étaient issus d'une population un peu difficile.

M. le Rapporteur : Combien se maintiennent ?

Mme Michèle JALLET : A l'époque, la formation, tirée vers le haut, était assez technique et l'on enregistrait déjà pas mal d'abandons en cours de formation : environ 13 %.

Il convient de préciser que le centre proposait deux formations par an : l'une qui commençait en février et qui se terminait en octobre ; l'autre, qui commençait en juillet et qui finissait en mars. Les stagiaires qui finissaient par l'estive étaient un peu plus préparés, mais ceux qui commençaient par l'estive et qui, parfois, n'avaient jamais vu un mouton, ni une montagne de leur vie, quittaient facilement la formation d'autant que l'encadrement du stage était moins performant qu'il ne l'est actuellement !

Je me souviens du cas d'un garçon, steward à Air France, qui souhaitait suivre cette formation pour concrétiser un rêve d'enfant et suivre les traces de son grand-père berger, et qui était allé en montagne chaussé de tongs...Il est, bien sûr, parti au premier orage.

M. le Rapporteur : Les diplômés restent dans le métier ?

Mme Michèle JALLET : Pas seulement les diplômés car ce n'est pas le diplôme qui fait le berger ! Seuls restent les plus motivés.

M. le Rapporteur : Quelles sont les motivations de ceux qui aspirent à embrasser la profession ?

Mme Michèle JALLET : La montagne, les bêtes, le troupeau ou l'image qu'ils en ont. Parfois, ils déchantent un peu, mais ils aiment les grands espaces, la liberté, la qualité de vie. Ce qui nous apparaît, à nous, comme des contraintes, à savoir rusticité de la cabane, le fait de travailler très tôt le matin ou très tard le soir, de ne pas avoir de week-ends, est souvent, pour eux, synonyme de qualité de vie. Il y a un certain décalage dans l'appréciation !

M. le Rapporteur : Comment réagissent-ils à la première attaque du loup ? Même si la formation les y prépare, peut-elle être un facteur de découragement ? Certains sont-ils partis après avoir subi des attaques de loup, par exemple ?

Mme Michèle JALLET : Non ! Le fait que 40 % des bergers travaillent dans des zones à risque ne signifie pas qu'ils ont tous vu le loup, mais qu'ils sont susceptibles de le rencontrer. Cinq m'ont déclaré avoir été confrontés au problème. Quand il s'agit de stagiaires qui ne sont donc pas directement responsables du troupeau, ils sont surtout affectés par la perte d'animaux qu'ils mettent tout leur cœur à surveiller. Ils sont particulièrement touchés quand les bêtes sont blessées, quand ils se sentent impuissants face à leur souffrance quand, le matin, il leur faut parcourir la montagne à la recherche de brebis égarées, ou quand ils savent que certaines vont avorter à la suite du stress qu'elles ont vécu.

M. le Rapporteur : Mais ils reviennent l'année suivante ?

Mme Michèle JALLET : Oui, parce que cela fait partie des contraintes du métier. C'est une nouvelle contrainte qu'ils acceptent ou, plus exactement, qu'ils subissent et dont ils sont informés dès le départ.

M. le Rapporteur : Depuis 1997, comment le profil des stagiaires a-t-il évolué ?

Mme Michèle JALLET : Depuis la mise en place de la nouvelle formation, nous recevons des stagiaires plus jeunes, puisque la moyenne d'âge oscille maintenant entre vingt-sept et vingt-huit ans. Le nombre de femmes a augmenté de même que le niveau scolaire puisqu'il n'est pas rare de trouver des personnes de niveau 4, qui sont donc titulaires d'un baccalauréat, voire plus puisque nous comptons actuellement dans nos effectifs un ingénieur en électronique. C'est un public très hétéroclite !

En revanche, le recrutement reste de niveau national, même si la formation est suivie majoritairement par des stagiaires issus de la région PACA. Il faut ajouter à ce propos que ceux-ci sont aussi recrutés en priorité comme nous l'impose la Région.

M. le Rapporteur : Formez-vous des aides-bergers dans le cadre du programme LIFE loup ?

Mme Michèle JALLET : J'ai été conduite, à titre personnel, à participer à une formation qui s'inscrivait dans ce cadre. Ce n'est pas le cas des stagiaires, à l'exception de ceux qui, en pré-stage, sont orientés dans cette voie, mais cela n'en concerne guère que deux ou trois...

M. le Rapporteur : Ce programme ne participe donc pas à la formation que vous dispensez ?

Mme Michèle JALLET : Non, étant précisé que les stagiaires sont conduits à en rencontrer les responsables à l'occasion des sorties techniques que nous effectuons sur le terrain...Ils ont ainsi rencontré à plusieurs reprises le vétérinaire Thierry Daillet, Chrystèle Durand pour les chiens de protection ou Renaud de Beaufort, technicien du programme.

M. le Rapporteur : Selon vous, le métier de berger est-il toujours aussi attractif ou voué au déclin ?

Mme Michèle JALLET : Il est de plus en plus attractif et devient de plus en plus technique. C'est un métier d'avenir !

M. le Rapporteur : Quelle est la part de l'environnement dans la formation que vous dispensez ?

Mme Michèle JALLET : Elle est relativement importante. Il est vrai que nous formons des bergers salariés transhumants, mais la montagne n'est pas seule en jeu puisque nous cherchons à former des gens qui puissent travailler tout au long de l'année.

Après la formation, les bergers sont capables de travailler en bergerie pour faire un agnelage, par exemple, de garder dans des zones difficiles comme les Alpilles ou les milieux boisés, de travailler dans le Var en sylvo-pastoralisme. Nous avons, en effet, un partenariat sur plusieurs départements et nous sommes en mesure, grâce à ce réseau, d'offrir à nos stagiaires un éventail assez large de formules d'élevage extensif.

Comme la formation repose sur des unités capitalisables, les stagiaires peuvent avoir des parcours individualisés et être orientés en fonction de leurs souhaits et de leur personnalité. Ils peuvent suivre plusieurs stages et en février et mars et apprendront à garder en milieu difficile, étant bien précisé que cela ne concerne pas uniquement la montagne !

M. le Rapporteur : Sont-ils plus attirés par la montagne ou par la plaine ? En hiver, préfèrent-ils garder dans le Mercantour ou en Camargue ?

Mme Michèle JALLET : Ils sont plus attirés par la montagne qui, dans la formation, est un peu « la cerise sur le gâteau », mais, ensuite, il est nécessaire de trouver un emploi sur toute l'année or, la montagne n'offre que des emplois saisonniers.

M. le Rapporteur : Les bergers et les élèves bergers ont-ils envie d'acquérir leur propre troupeau, et de devenir éleveurs ?

Mme Michèle JALLET : De 1991 à 1997, d'après un recensement que j'avais effectué, 11 % de nos stagiaires s'installaient ce qui est beaucoup et peu si l'on veut bien considérer que c'était, à l'époque, le but de la formation. A présent, les stagiaires s'installent après deux ou trois ans de salariat, mais ils sont souvent freinés par les problèmes fonciers.

Ils ont la possibilité de s'installer chez nous selon le système herbacier qui leur permet de ne posséder que le troupeau et, en louant des places d'herbe, de se réserver un territoire pour l'année. N'ayant aucune assise foncière, le système leur revient moins cher. C'est ainsi que se font principalement les installations !

M. le Rapporteur : Pensez-vous qu'avec le temps, avec les nouvelles générations de bergers, le problème posé par les loups va s'estomper, se banaliser, ou, au contraire, prendre de l'ampleur ?

Mme Michèle JALLET : Ce que j'ai pu constater c'est que, lors de mes premières visites dans le Mercantour, en 1994 et 1995, on recensait entre vingt-cinq et trente loups et que ce nombre a peu évolué.

M. le Rapporteur : Vous pensez que le nombre est à peu près stable ?

Mme Michèle JALLET : A peu près, du moins d'après ce qu'on peut lire !

M. le Rapporteur : Puisque nous arrivons à l'issue de cet entretien très intéressant, quelles seraient vos propositions pour améliorer le travail des bergers face aux prédateurs ?

Mme Michèle JALLET : Puisque vous me demandez de faire des propositions, je dirai qu'il faudrait déjà former plus de bergers et accentuer la formation pour répondre au besoin de main-d'œuvre qualifiée et disposer de bergers capables de faire face à toutes les situations.

Il conviendrait aussi de débloquer des moyens pour protéger les troupeaux.

M. le Rapporteur : Actuellement, ces moyens sont insuffisants ?

Mme Michèle JALLET : Il faudrait améliorer les choses et faire en sorte que les bergers l'acceptent.

J'ai, personnellement, un passé d'éleveur et de bergère, mais je n'ai jamais gardé en montagne, ni été confrontée au problème des prédateurs, mais je suis néanmoins bien placée pour savoir que rien ne vaut une couchade naturelle. Les bêtes choisissent souvent de dormir en crête, dans des endroits qui peuvent nous sembler singuliers, mais qu'elles ont choisi et où elles se sentent bien ! Cela fait parfois mal au cœur, quand on les sent bien là où elles sont, de les rassembler pour les ramener dans un parc qui va être boueux ou relativement sale...Cela étant, si c'est pour protéger les troupeaux, pourquoi pas ?...

M. le Rapporteur : Les bergers sont-ils formés à l'utilisation des chiens patou ?

Mme Michèle JALLET : Je ne le fais pas personnellement, mais, au centre, un formateur a englobé cette séquence de formation dans le stage « chien » sous forme de témoignages, de vidéos, ou autres...

M. le Rapporteur : Pensez-vous que ces chiens rendent vraiment service ?

Mme Michèle JALLET : Oui ! J'en ai vu au travail puisque, assurant, l'été, l'encadrement de mes stagiaires, je prends mon sac à dos pour faire la tournée des alpages, comme d'autres font celle des plages !

A cette occasion, j'ai pu apprécier le travail des chiens, l'efficacité des mesures de protection et voir la réalité du terrain. Je suis habituée aux chiens patou, mais il est vrai que quelqu'un qui ne l'est pas, se tiendra à l'écart du troupeau : ils impressionnent ! Je suis persuadée que si un chien ou un prédateur rôde, les chiens le trousseront.

M. le Rapporteur : Je vous remercie infiniment de votre témoignage.

Audition de M. Pierre MIGOT,
directeur-adjoint des études et de la recherche à l'office national
de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS),
responsable du centre national d'études et de recherche appliquée
sur les prédateurs et les animaux déprédateurs

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 mars 2003)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Pierre Migot est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Pierre Migot prête serment.

M. Jean LASSALLE : Mes chers collègues, nous recevons maintenant M. Pierre Migot, directeur adjoint des études et de la recherche de l'office national de la chasse et de la faune sauvage - O.N.C.F.S - responsable du centre national d'études et de recherche appliquée sur les prédateurs et les animaux déprédateurs. Monsieur, je vous remercie d'être venu jusqu'à nous.

Le plus simple serait que vous nous présentiez un exposé d'une dizaine de minutes. Après quoi, nous nous permettrons de vous poser quelques questions complémentaires.

M. Pierre MIGOT : Monsieur le Président, c'est avec d'autant plus de plaisir que je me trouve avec vous ce soir que nous avons déjà eu l'occasion de nous côtoyer pour traiter des problèmes auxquels s'intéresse votre Commission.

Je vais vous présenter de façon synthétique et comparée les connaissances que j'ai acquises, dans le cadre de mes activités professionnelles, sur les grands prédateurs. Cet exposé, dépassera le seul cas du loup pour donner du sujet un aperçu plus large.

Tout d'abord, afin de bien situer le cadre de mon intervention qui s'inscrit dans le prolongement de mes activités professionnelles, je vais me présenter. Je travaille à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage depuis 1985. J'ai suivi une formation universitaire, ancien élève de l'Ecole normale supérieure. Je suis titulaire d'un doctorat et d'une agrégation de biologie.

Depuis 1997, comme cela vous a été indiqué, je suis directeur adjoint des études et de la recherche, mais depuis 1990, je suis responsable du centre national d'études et de recherche appliquée sur les prédateurs et les animaux déprédateurs.

Ce centre a été créé en 1990, pour regrouper les différentes actions de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, qui avait été mis en place au fur et à mesure des besoins exprimés, notamment par rapport aux grands prédateurs : au cours des années quatre-vingt, nous avons travaillé sur l'ours avec Jean-Jacques Camarra, entre 1980 et 1985, sur le lynx et, à partir de 1993, sur le loup.

Les unités de recherche appliquée de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage travaillent sur le suivi des populations ainsi que sur les données biologiques. Elles nous permettent de comprendre l'expansion ou la régression des populations, selon qu'il s'agit d'espèces gibier ou de grands prédateurs, ainsi que les problèmes posés par ces populations, et cela, en vue de mettre au point ou en place des méthodes de gestion, de conservation ou d'exploitation quand il s'agit de gibiers.

Outre cet aspect biologique, notre mission comporte tout un volet consacré à la gestion : le suivi des dommages, l'évaluation des méthodes de suivi des populations, l'expérimentation sur l'habitat, la mise au point ou l'évaluation de méthodes de prévention ou de protection.

Ces deux composantes de notre travail se retrouvent dans sa formulation puisque le terme prédateur renvoie à l'aspect biologique et le terme déprédateur à la déprédation, c'est-à-dire à l'impact de ces espèces sur les activités humaines. A côté de ce travail de base de nos équipes, nous apportons notre expertise scientifique et technique à différents niveaux, que ce soit à travers la Direction de la nature et des paysages, la Direction régionale de l'environnement, les Directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) qui sollicitent nos conseils techniques pour travailler sur ces espèces et mettre en place des moyens de protection ou de prévention des dommages, pour ce qui concerne les grands prédateurs. Dans la mesure où l'ONFCS est un établissement public sous la tutelle de l'Etat, il travaille bien évidemment, pour les administrations, mais également avec des organismes partenaires qui gèrent les projets ou y collaborent. Dans ce cadre, l'ONFCS est membre de l'IPHB - Institution patrimoniale du Haut-Béarn - avec laquelle il travaille sur le dossier ours.

Par ailleurs, nous apportons des conseils, sur le terrain, par l'intermédiaire de nos agents de terrain que sont les gardes nationaux de la chasse et de la faune sauvage. Nous assurons, entre autres choses, les constats de dommages relatifs à ces espèces. Mon service se compose d'une douzaine de personnes réparties en trois équipes : une équipe sur les petits prédateurs ; une équipe sur l'ours avec MM. Camarra et Quenette que vous prévoyez, je crois, d'auditionner au cours d'un déplacement dans les Pyrénées, et une équipe sur le loup avec MM. Duchamp, Vandel et Nathalie Espuno qui est une étudiante thésarde.

Cela fait maintenant une quinzaine d'années que je travaille sur le loup, l'ours et le lynx et il est vrai que c'est la prédation, qui est commune à ces trois espèces, qui a fait parler des « grands prédateurs » et qui est d'ailleurs sans doute aussi à l'origine de la création de cette Commission. Cette prédation s'exerce principalement sur les troupeaux de cheptels domestiques et, plus particulièrement, en France, sur les troupeaux d'ovins. Cette approche globale laisserait à penser, les problèmes étant les mêmes, que l'on va gérer les espèces de la même façon. Or, dès mon introduction, je voudrais passer en revue leurs caractéristiques propres qu'il convient de bien avoir en tête.

En effet, si l'on peut retrouver, sur le terrain des outils communs de gestion, ils ne seront pas forcément utilisés de façon identique compte tenu des différences existant au niveau des populations et des espèces.

Je vais donc tenter de vous livrer mon point de vue à la lumière de la biologie appliquée et de mon expérience de gestion de ces populations que j'ai acquise en travaillant sur ces dossiers de façon technique et indépendamment du contexte sociologique qui est très important, mais qui ne relève pas de ma compétence.

Le lynx est une espèce qui vit sur les grands massifs forestiers de l'est de la France : les Vosges, le Jura, et, de façon un peu plus dispersée, dans les Alpes.

Cette espèce ne pose pas de problème particulier en termes de conservation. Les conditions biologiques lui sont favorables puisqu'elle vit dans des espaces forestiers qui sont assez vastes dans notre pays, et qui, de plus, depuis la mise en place des plans de chasse « grands gibiers » recèlent les proies privilégiées de cet animal que sont les chevreuils et les chamois. C'est donc une espèce qui ne justifie pas de mener des actions fortes pour sa conservation.

La réintroduction du lynx dans le massif vosgien a donné lieu à des conflits avec le monde de la chasse, d'abord parce que les chasseurs pensaient qu'elle se traduirait par une baisse du tableau de chasse, ensuite, parce qu'elle avait lieu dans le contexte alsacien où se pratique la chasse à l'approche. Le lynx étant un animal solitaire, un animal territorial, était susceptible de se trouver, à certains moments, en effet, sur le même territoire que le chasseur, ce qui pouvait se traduire par une dispersion des proies et un manque à gagner pour le chasseur alsacien.

C'est une remarque qui s'applique à l'aspect qualitatif de la chose. Pour ce qui est de l'aspect quantitatif, en effet, on a pu s'apercevoir que, la dynamique des populations de chevreuils et de chamois, mise en relation avec les attributions de plans de chasse, ayant, notamment au cours des quinze dernières années, enregistré une progression sur les trois massifs, la demande sociale chasse pouvait être satisfaite. En d'autres termes, la dynamique de population de ces espèces permettait de nourrir cet animal sauvage tout en respectant la vie sociale en matière de chasse.

Je ne dis pas que l'on n'accompagne pas localement la présence de cette espèce mais, à ma connaissance, elle ne génère pas, par rapport aux chasseurs, de problèmes majeurs !

Le lynx est un animal territorial, mais il est aussi un félin ce en quoi il se distingue de l'ours et du loup, ce qui a son importance. Comme le chat, il s'agit d'un chasseur et ainsi que le montrent les films réalisés sur le sujet, quand il se trouve dans un environnement abritant des proies sauvages, comme les chamois ou les chevreuils, il préférera se mettre à l'affût et les chasser que se nourrir aux dépens d'un troupeau de moutons.

Dans nos écosystèmes, d'une façon générale, la proie principale du lynx sera le chevreuil et un peu le chamois en zones de montagne.

En dépit de certains cas de prédation, relativement importants, notamment dans le massif du Jura durant les années quatre-vingt, quand on dresse le bilan, on s'aperçoit que, sur les territoires où l'espèce est présente, 60 % à 75 % des attaques sont concentrées sur 3 % à 4 % de l'aire de répartition de l'espèce.

D'après nos études, cette situation s'explique par l'implantation des pâturages par rapport au milieu forestier fréquenté par l'animal, qui peut provoquer, petit à petit, une spécialisation : l'animal devant se déplacer dans des lieux où il y a du mouton, du fait de son comportement prédateur, va se focaliser sur cette espèce. Une étude plus approfondie montre qu'il n'y a pratiquement pas de cas de prédation dans les Vosges et dans le massif alpin et que les quatre principaux foyers se situent dans l'Ain et dans le département du Jura.

Suite à une démarche concertée avec des commissions spécialisées, au niveau des DDDAF, des procédures ont été mises en place et il s'avère, après une quinzaine d'années que les systèmes qui mettent en jeu une compensation des dommages, la prévention et, dans les situations les plus graves, l'élimination d'un individu, instaurent l'équilibre sur le plan technique, dans la mesure où, sur le plan humain, ils sont accompagnés localement par des techniciens ou par l'administration.

A ce stade de mon propos, vous me permettrez une remarque qui a trait à la biologie. A l'arrivée du loup, nous avons pensé appliquer le même processus en termes de gradation dans la gestion de l'espèce, mais il se trouve qu'à la différence du loup, le lynx est un animal solitaire, et que ses prédations se produisaient dans des conditions si spécifiques, qu'il était possible de préconiser l'élimination, sur les foyers concernés, d'un individu dans la mesure où il était spécialisé et localisé.

Du fait du caractère territorial de l'animal, nous savions qu'il n'y avait pas d'autres individus sur la zone concernée... Ainsi, cette caractéristiques biologique, pour nous qui devons soumettre des propositions, a montré son intérêt et a permis de régler la question.

La question du loup, se posait, elle, dans des termes totalement différents sur lesquels je reviendrai ultérieurement.

Pour conclure sur le lynx, je dirai qu'il faut maintenir un système de vigilance, mais que, sur le plan sociétal global, nous avons des outils techniques et une organisation pour gérer la situation.

S'agissant maintenant de l'ours, par rapport à l'enjeu de la sauvegarde de l'espèce, le contexte est différent. L'espèce est originale par rapport au lynx et au loup et la réflexion que j'ai pu mener sur les ours pyrénéens a, elle-même, beaucoup évolué au cours des dix dernières années, compte tenu du changement du contexte biologique qui s'est opéré avec le temps.

Aujourd'hui, entre la France et l'Espagne, on dénombre entre quatorze et quinze ours qui sont répartis en trois noyaux : le noyau qui se situe le plus à l'Ouest et qui comporte quatre à cinq individus qui sont, pour la plupart, autochtones ; le noyau central et le noyau oriental sont formés des individus issus du programme de réintroduction - deux animaux ayant été lâchés en 1996, et un, en 1997 - et des animaux issus de la reproduction des individus réintroduits.

Les animaux issus de la réintroduction d'individus « slovènes », contrairement aux éléments autochtones qui vivaient sur un domaine relativement circonscrit, se sont dispersés et ont colonisé des territoires, certains s'étant plus ou moins stabilisés sur l'ensemble de la chaîne, depuis les Pyrénées-Orientales jusqu'aux Pyrénées-Atlantiques. Il est d'ailleurs à noter qu'un individu s'est installé dans le noyau autochtone.

Sur le plan biologique, il me semble qu'il convient d'aborder maintenant la gestion de l'espèce dans sa globalité. Quels sont les problèmes à prendre en compte ?

Premièrement le caractère réduit de la population, quatorze individus c'est peu pour une population animale. On a formellement identifié actuellement trois femelles : une femelle autochtone et deux femelles issues du programme de réintroduction. Sur le plan démographique, compte tenu du fait que les femelles reproductrices sont rares, que l'ours appartient à une espèce longévive qui peut se reproduire tous les deux ans, qu'il fait peu de petits, la population peut, pendant plusieurs années, ne compter que des mâles comme cela s'est vu dans le Béarn où il n'y avait qu'une femelle, d'où un déséquilibre démographique. Si ces aléas démographiques atteignaient un certain seuil, ils pourraient aboutir à l'extinction de l'espèce. Il va de soi que tout est question de probabilités et que si les animaux survivent longtemps et donnent naissance à une femelle, la population pourra se maintenir !

Deuxièmement, l'aspect génétique. Pour ce qui concerne les animaux du programme de réintroduction, il y a eu un mâle qui est quasiment le père de tous les descendants de cette population, au point qu'un ourson est mort, peut-être pour des raisons de consanguinité. Pour ce qui est des ours du Béarn, on observe également une proximité génétique des individus. C'est la raison pour laquelle nous avons des difficultés à les identifier avec les marqueurs dont nous disposons actuellement.

Pour pallier cette fragilité de la population, on entend dire souvent qu'il faut réintroduire des animaux. Il est vrai que la réintroduction de femelles diminuerait les risques d'extinction, mais, pour une espèce longévive comme celle de l'ours qui a une durée de génération de vingt-cinq ans, ce sont des phénomènes que l'on peut accompagner dans le temps, en fonction du contexte humain. L'urgence n'est pas la même que pour des populations qui auraient une courte durée de génération et qui seraient menacées à court terme. Il faut donc voir bien présent à l'esprit que cette démarche s'inscrit dans la durée.

Toujours, à propos de l'ours, je voudrais maintenant évoquer le problème de l'habitat. J'ai beaucoup appris depuis l'époque des derniers ours du Béarn qui vivaient dans des milieux que nous connaissions bien, et qui étaient assez riches pour que ces ours s'y maintiennent.

L'expérience du retour, de la reproduction et de l'installation des ours issus de la réintroduction dans d'autres zones a montré qu'ils se sont bien adaptés. Les conditions biologiques leur étaient probablement favorables puisqu'ils se sont reproduits. Cette donnée permet de penser que le massif pyrénéen, dans sa globalité, présente des potentialités pour l'ours, même si j'ai pu constater que la couverture forestière d'autres régions que j'ai pu visiter, comme les Monts cantabriques que M. Lassalle doit connaître, ou les Abruzzes est, en masse, plus importante que celle des Pyrénées qui reste, somme toute, très morcelée.

Il convient, cependant, d'éviter la fragmentation des habitats et de veiller au maintien de la tranquillité et des ressources alimentaires dans les zones où les ours sont installés. L'habitat et la démographie de l'ours appellent de notre part une plus grande vigilance que ceux du lynx ou du loup !

Pour ce qui est de la résolution des conflits, il faut rappeler que, dans les années quatre-vingt-dix, lorsque nous n'avions plus que nos ours en Béarn, et des options politiques choisies - je pense notamment aux réserves Lalonde - la situation était bloquée en raison du conflit qu'il y avait avec le monde de la chasse.

Actuellement, en tant que biologiste, je peux observer, aussi bien dans le Béarn que dans les Pyrénées centrales, que la situation s'est nettement améliorée. Dans le Béarn avec l'IPHB et le GIC montagne, un cahier des charges clair a été établi entre les partenaires.

La chasse n'est pas interdite. Les chasseurs acceptent de différer les battues lorsque les ours sont sur une zone sur laquelle ils envisageaient de chasser et il n'y a pas, actuellement, de conflits majeurs !

En outre, dans les Pyrénées centrales, les trois fédérations de chasse sont, depuis le départ, des partenaires du programme. A ce titre, elles y ont participé et ont chacune mis à disposition un technicien cynégétique. Ils sont un relais permanent entre les chasseurs et notre équipe de biologistes.

De surcroît, l'ours étant un animal omnivore, il n'y a donc pas de compétition avec les chasseurs, comme cela peut être le cas avec le lynx et, il me semble que les conflits peuvent se gérer techniquement

En conclusion, je dirai que l'ours, bien que n'étant pas un carnivore strict comme le lynx ou le loup, a cependant également besoin de protéines animales, d'où des conflits avec le pastoralisme. Toutefois, dans le contexte actuel, que ce soit dans le Béarn avec l'organisation partenariale locale, ou dans les Pyrénées centrales avec la coordination de l'Etat, en relation avec les structures associatives du pastoralisme, les outils techniques existent. Le rôle des hommes est également essentiel - j'y reviendrai en conclusion générale - et, à côté des biologistes, le maintien de l'ours requiert la présence de bergers itinérants qui sont des relais très importants !

J'en arrive au loup. En termes biologiques, l'animal est réparti à travers une dizaine de zones de présence permanente. Qu'est-ce qui détermine une zone de présence permanente ? Forcément, la présence continue de proies sauvages. C'est une donnée importante à retenir car dans les zones dépourvues de telles proies, le loup pourra passer, éventuellement causer des dommages, ainsi sa colonisation se fera obligatoirement en taches (là où les proies sauvages sont abondantes).

Sur le plan strictement biologique, dans le massif alpin, les effectifs sont encore limités à quelques dizaines, et pour les raisons que j'indiquais pour l'ours, mais de façon moins marquée puisque la dynamique de population est, pour le loup, beaucoup plus importante, la survie de l'espèce n'est pas fortement menacée, même si, là aussi, il faut évidemment faire preuve de vigilance.

En termes de conflits, lorsque nous avons étudié le régime alimentaire du loup, nous avons constaté qu'au départ l'animal se nourrissait essentiellement de mouflons et de chamois, plus quelques autres espèces d'ongulés. Par la suite, des changements de comportement chez les proies se sont accompagnés d'une redistribution géographique des effectifs. Un déclin significatif des effectifs de mouflons a aussi été constaté.

Là encore, la demande sociale est telle - et j'en ai parlé longuement avec les présidents de fédérations dont M. Baudin, président de l'association des chasseurs de montagne - qu'il y a possibilité de pratiquer la chasse.

Pour ce qui a trait au pastoralisme, le loup est le prédateur le plus difficile et c'est bien l'objet de la création de cette Commission d'enquête. En effet, comme nous l'avons vu antérieurement, l'ours peut causer des dommages à certains moments de son cycle, mais il n'a pas besoin de proies en permanence et le lynx, plus solitaire, préfère se focaliser sur les proies sauvages. Le loup, lui, est opportuniste de telle sorte que, lorsqu'il vit en zones où se trouvent des moutons, il va s'en nourrir! C'est la principale difficulté de la gestion de sa présence.

Sur le plan technique, si des outils ont été mis en place, qu'il s'agisse des chiens de protection, de l'aide au gardiennage, du regroupement nocturne des troupeaux, ils ne règlent pas la grande difficulté qui est d'ordre sociologique et humain. Aussi, la mise en place de dispositifs de protection - je pense que vous l'aurez mesuré en auditionnant mes collègues qui travaillent sur le terrain -  si elle réduit le nombre des attaques ou le nombre des victimes par attaque, n'a pas un effet aussi significatif qu'avec les deux autres prédateurs.

En conclusion, je dirai que nous avons affaire à trois espèces différentes sur un plan biologique dont la gestion, bien que fondée sur des outils communs, doit être adaptée en conséquence. Le problème de la conservation de l'espèce concerne essentiellement l'ours.

Jusqu'à présent, des techniques existaient, mais il manquait, à différents niveaux des organisations, une culture pour permettre de gérer les conflits dus à la présence des grands prédateurs. Au cours des dernières années, avec les intermédiaires humains que sont les biologistes, les bergers itinérants, les techniciens pastoraux, nous disposons des maillons essentiels pour gérer ce dossier.

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie beaucoup.

M. le Rapporteur : Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention et je vous remercie de votre exposé, mais je ne suis pas aussi optimiste que vous en ce qui concerne les fédérations de chasse des Alpes dont j'ai rencontré les représentants, car je n'en ai pas trouver un pour déclarer qu'il ne rencontrait pas des problèmes graves avec les prédateurs.

Par ailleurs, avec le Président, nous nous étonnions, en aparté, de vous voir consacrer si peu de place à l'homme : vous en avez très peu parlé par rapport aux prédateurs !

Je vais maintenant vous poser une question un peu particulière. Un chercheur au C.E.R.P.A.M. - Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée - M. Laurent Garde que vous connaissez certainement, a indiqué à la Commission, lors de son audition, que l'Office national de la chasse et de la faune sauvage contestait l'étude qu'il a réalisée, entre 1998 et 2000, sur les attaques de chiens dans le massif des Monges. Nous aimerions savoir pourquoi.

M. Pierre MIGOT : De mémoire, ce rapport a été présenté devant une commission scientifique loup, mise en place par le ministère de l'environnement, et la commission dont j'étais membre a émis sur ce document un avis rédigé par un membre mandaté, en l'occurrence M. Spitz. Je pense que cette note d'une ou deux pages a été remise au ministère de l'environnement et que, tout comme le rapport de M. Garde, elle a fait l'objet d'une diffusion. Cela étant, à ma connaissance, elle ne traduisait pas le point de vue de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage.

M. le Rapporteur : Vous avez fait très peu état de la prédation due aux chiens errants. Est-ce que vous avez conduit des études sur le sujet et pensez-vous qu'il existe des solutions efficaces pour remédier à ce problème ?

M. Pierre MIGOT : Nous n'avons pas fait d'études sur le sujet et ce que nous savons, nous l'avons appris à travers les constats de dommages que nous dressons ou les recherches que nous conduisons sur les grands prédateurs.

Nos constats, dans les zones de présence du loup, quand l'attaque ne peut techniquement pas lui être imputée, de même que dans les zones de présence du lynx d'où le loup est absent, concluent en effet souvent à des dommages dus à de grands canidés. Dans ces cas, les responsables sont probablement des chiens errants. Cela étant, nous n'avons pas fait d'investigations plus précises sur le sujet.

M. le Rapporteur : A combien estimez-vous le nombre de loups en France et pensez-vous qu'il y a des perspectives d'expansion de l'espèce, notamment avec l'arrivée d'animaux d'Italie ?

M. Pierre MIGOT : Les informations dont nous disposons sur la base de nos investigations hivernales confirment qu'il y a dix zones de présence permanente du côté français, quelques-unes se prolongeant du côté italien. Elles font aussi apparaître que les loups identifiés comme étant présents sur lesdites zones en hiver sont de l'ordre d'une trentaine.

Je me plais à répéter que le nombre d'individus évalué pendant cette période hivernale constitue pour nous un indicateur puisque, durant l'été, suite à la reproduction, le cycle peut comporter plus d'individus avec un risque de mortalité pour les jeunes. En outre, si, le comptage avec les traces ne peut pas nous fournir un chiffre d'une précision absolue, il nous donne néanmoins une idée de la répartition et surtout de la progression de l'espèce sur le massif alpin.

En chiffres relatifs, on peut ainsi voir si l'espèce progresse, si elle se stabilise et s'installe définitivement sur un site. Malheureusement on ne peut pas dénombrer de façon exhaustive les individus présents à chaque instant sur le massif alpin : cela, nous ne savons pas le faire !

M. le Rapporteur : Pensez-vous que les plans de chasse mériteraient d'être réexaminés dans les régions où le loup est installé, de façon à lui laisser une part plus grande d'ongulés sauvages ?

M. Pierre MIGOT : En l'état actuel de nos connaissances, cela n'apparaît pas nécessaire. Nous n'avons jamais reçu une demande en ce sens et d'après les discussions que j'ai pu avoir, soit avec mes collègues qui travaillent sur le régime alimentaire du loup, soit avec les gardes nationaux qui travaillent sur le terrain, cela ne répond pas à un besoin. Il est vrai que les populations de mouflons ont bien diminué avec le retour du loup, mais, comme me l'a expliqué un garde national, Jean-Pierre Serres que vous connaissez certainement, les chasseurs retrouvent du plaisir à chasser le mouflon qui est redevenu beaucoup plus sauvage qu'il ne l'était quand les grands prédateurs avaient disparu.

M. le Rapporteur : Oui, mais, bientôt, on ne le chassera plus parce qu'il n'y en aura plus...

M. Pierre MIGOT : Je lui ai soumis le problème, mais il m'a répondu que le mouflon a aussi appris à utiliser des zones refuges auxquelles le loup n'a pas accès ! Il n'en reste pas moins que, sur le plan quantitatif, il y aura une baisse des effectifs et une redistribution des populations de mouflons...Dans une région complètement plate où le mouflon serait directement exposé aux prédateurs, il pourrait effectivement être appelé à disparaître : c'est une hypothèse que l'on ne peut pas exclure !

M. le Rapporteur : Je voudrais enfin vous demander si une régulation du loup vous paraît envisageable ? Seriez-vous favorable à la création d'un zonage ?

M. Pierre MIGOT : Nous avons été consultés sur cette problématique du zonage. Le loup me pose un problème - en tant que biologiste -  par rapport aux outils techniques. Techniquement ou biologiquement, je ne sais pas proposer des pistes pour le zonage.

Au cours des discussions sur ce sujet, des zones biologiques où le loup s'était installé avaient été déterminées. Sur ces zones, le loup aurait été protégé, partant du principe qu'il fallait une certaine surface pour que la population de loups soit viable.

On peut convenir de définir les communes concernées par la présence du loup pour que la situation soit administrativement plus gérable, mais ce n'est pas une mesure biologique ce qui renvoie au problème de savoir pourquoi on pose la limite en tel ou tel endroit, d'autant que les loups s'installent en un point donné, mais qu'ils peuvent en changer et créer d'autres meutes...

Relevant du domaine opérationnel, la question posée est de savoir quoi faire dans les zones définies comme étant des zones à loups et dans les zones où le loup ne serait pas opportun. Conviendrait-il, par rapport aux problèmes posés par le loup de gérer la situation de façon identique ?

Honnêtement, je ne sais pas, avec des critères objectifs, comment établir un zonage. Ce serait de toute façon un choix et il serait difficile à gérer la situation dans la mesure où les limites seraient arbitraires. Si l'on prenait des mesures différentes d'un côté à l'autre d'une vallée, rien ne prouve que le loup ne la franchirait pas et même si l'on décidait, dans une zone, de le détruire ou de l'éliminer, il ne serait pas si facile d'éviter les dommages! Pour me résumer, je ne sais pas comment exclure le loup d'un territoire où le loup ne serait pas souhaité.

Pour ce qui est de la régulation, le loup est un animal qui vit en meute et nous étions partis de l'idée que, lorsque les dommages atteindraient un niveau relativement élevé, on réduirait le nombre d'individus de la meute. Mais, techniquement, l'opération est beaucoup plus difficile à réaliser que pour le lynx dans la mesure où elle demande à être ciblée en été. Or autant, l'hiver, il est facile de piéger les animaux dans la mesure où la faim les pousse vers une ressource alimentaire, autant, l'été, la chose est difficile car l'animal se méfie et n'apparaît pas en dépit des affûts.

Non seulement l'opération est difficile à mener, mais elle n'offre même pas la certitude, une fois réussie, d'avoir éliminé l'individu principalement responsable de la prédation.

De surcroît, l'animal vivant en groupes, sa population n'atteint jamais des densités très élevées. Avec le cormoran, dont la croissance démographique des populations était importante, on a pu avec succès limiter le nombre d'individus ayant fréquenté les piscicultures...Mais cette limitation du nombre d'individus dans les meutes de loups ne changerait pas grand-chose sur une zone donnée et ne réduirait en rien le potentiel reproductif.

Il faut savoir, en, effet que, dans une meute, il n'y a qu'un couple reproducteur et que, lorsque qu'un individu est éliminé, soit il s'agit d'un animal dominé qui ne participait pas à la reproduction, auquel cas sa disparition n'aura aucune incidence sur la démographie de l'espèce, soit il s'agit d'un animal reproducteur, donc dominant, auquel cas, il sera immédiatement remplacé par un individu jusque là dominé.

J'ai naturellement travaillé sur ces possibilités de régulation, étant l'un de ceux qui a contribué à la mise en place du protocole loup permettant la capture du loup dans certaines situations En 1990, un lynx capturé devait être conduit au zoo, alors que, maintenant, grâce avec le protocole actuellement en vigueur, un lynx capturé est, par exemple, immédiatement euthanasié. Enfin, si c'est une mesure qui se révèle efficace pour le lynx, j'ignore dans quelle mesure elle le serait réellement pour le loup !

M. Joël GIRAUD : Vous avez parlé des difficultés de la cohabitation du pastoralisme et du loup, en, particulier, mais je souhaiterais avoir votre opinion sur les moindres difficultés rencontrées dans des pays voisins comme l'Italie et l'Espagne. Est-ce parce que les prédations y sont moins limitées, parce que cette cohabitation y est mieux acceptée psychologiquement ou sociologiquement ?

Que pensez-vous du fait de permettre à un berger en alpage d'être détenteur d'une arme de chasse et d'en faire usage selon un principe que je qualifierai « d'autodéfense » avec, à la clé, la possibilité pour l'Office national de la chasse et de la faune sauvage de contrôler le respect dudit principe à partir de la dépouille ?

M. Pierre MIGOT : Pour ce qui a trait à l'Espagne et aux Monts cantabriques que fréquente l'ours, je dirai que la zone forestière est très étendue, que les zones d'alpage sont beaucoup plus réduites, que les ovins sont plus bas du côté du Léon, et que les alpages sont essentiellement occupés par les bovins. Le contexte est donc un peu différent !

Pour ce qui concerne l'Italie et les Abruzzes, les zones d'alpage y sont très réduites et la forêt couvrant quasiment tout le massif, on n'y pratique que très peu l'élevage.

M. Joël GIRAUD : Pardonnez-moi, mais nous avons vu, sur le Gran Sasso qui est voisin des Abruzzes et situé dans la même province, des élevages qui se trouvaient en alpage.

M. Pierre MIGOT : Oui, il peut y en avoir, mais sans être spécialiste de la question, je vous ai dit ce que j'en ai retenu.

L'Autriche est, elle aussi, très boisée, et je n'ai pas de statistiques, mais je crois savoir que le pastoralisme y est moins important !

Vous m'avez, par ailleurs, demandé pourquoi notre préoccupation n'était pas plus sociologique. J'en profite pour dire que, personnellement, je n'ignore pas les hommes.

Je considère, moi qui suis biologiste - et je pense que M. Lassalle qui m'a rencontré en d'autres circonstances pourra en témoigner - que les hommes sont au cœur de ce dossier. Mes équipes de biologistes suivent évidemment les animaux, mais ce n'est pas, selon moi, l'essentiel de notre mission. Ce qui importe avant tout, c'est le dialogue, le respect, l'écoute des bergers sur le terrain.

Mes propos antérieurs s'inscrivaient dans le cadre de ma profession. J'exerce, en quelque sorte, un métier de « technicien » et, à ce titre, je me dois d'apporter des informations aux administrations, aux différents partenaires à la lumière de mes connaissances biologiques et de ma pratique expérimentale. Cela étant, je privilégie l'aspect humain !

A cet égard, les bergers itinérants que vous aurez peut-être l'occasion de rencontrer dans les Pyrénées centrales sont des gens remarquables. On les emploie quatre mois par an durant lesquels ils sont en relation avec nos équipes. Ils vont sur le terrain, ils apportent un certain nombre d'informations, de conseils et d'aides.

Ils m'ont confié que lorsqu'ils rencontraient, la première année, un problème important, les bergers concernés se trouvaient complètement perturbés. De plus, lorsqu'ils subissent pour la première fois le dommage, la presse locale s'empare de l'événement et ils sont déstabilisés par le contexte extérieur. La deuxième année, si l'ours revient sur l'exploitation, ils ont moins peur parce qu'ils ont acquis une expérience, au cours de la saison antérieure et mettent en place les mesures adéquates. La troisième année, ils disent même - et vous pourrez leur demander de le confirmer - que, mis à part certains cas particuliers, la gestion de la présence de l'ours sur le site se passe sans problème

Pour traiter cette question, il faut de l'argent et il faut des hommes : cet accompagnement humain (biologistes, techniciens pastoraux, bergers itinérants) s'est déjà avéré essentiel. Il ne m'appartient pas de prévoir l'architecture du dispositif. Cette dernière peut prendre des formes variées : la formule IPHB, l'action des administrations, les groupements pastoraux... Cette organisation dépasse mon champ de compétence et elle doit s'articuler en fonction des contextes locaux.

M. Joël GIRAUD : Vous ne n'avez pas répondu sur l'autodéfense...

M. Pierre MIGOT. J'avais envisagé cette éventualité après l'affaire du massif de l'Authion qui a été la plus grave et qui a posé, pour la première fois, la question de l'élimination du loup.

J'avais alors assisté à une réunion, à la préfecture de Nice, et les éleveurs présents ne souhaitaient pas avoir recours à cette formule, premièrement, parce qu'ils en connaissaient la difficulté, deuxièmement parce qu'ils refusaient de passer aux yeux de la société pour des tueurs de loups.

M. Joël GIRAUD : Ce n'était pas à cause du contrôle qui devait intervenir a posteriori ?

M. Pierre MIGOT : Non. Techniquement parlant, si cette solution devait être retenue, des consignes seraient données aux agents concernés pour que les choses se passent correctement !

M. Jean LASSALLE : Effectivement, monsieur Migot, nous nous connaissons depuis très longtemps ! Vous venez de dire que l'homme était au cœur de vos préoccupations, mais ne pensez-vous, vous qui êtes un des plus grands connaisseurs du sujet, que l'homme, dans cette affaire, s'est trouvé un peu pris en otage ? Alors qu'il lui était déjà très difficile de survivre, il s'est trouvé brutalement, et sans avoir été consulté, contraint, s'il ne voulait pas finir en prison, à supporter la présence des grands prédateurs : cela ressemble fort à une prise d'otage...

M. Pierre MIGOT : Le berger qui a connu l'avant-loup et l'après-loup, vit dans un contexte qui, sur le plan humain, est totalement différent ! Etant moi-même fils de paysan - j'ai gardé les vaches jusqu'à dix-huit ans - je sais ce qu'est la vie d'un paysan. C'est la raison pour laquelle quand on me dit qu'il y a des loups et des ours en France, je ne me considère pas idéaliste en pensant que, puisque ces espèces sont dans nos pays, la collectivité a des obligations vis-à-vis d'elles. Sur cette question, je ne porte pas de jugement personnel : je me place dans mon cadre professionnel.

Cela étant dit, il est vrai que la situation est très difficile pour le berger qui se trouve confronté à ce problème et c'est pourquoi je vous ai dit que l'accompagnement humain de proximité qui peut aller de l'aide-berger, jusqu'à une réflexion comme la vôtre où tous les acteurs ont la parole, est une bonne chose.

Je ne dis pas que cette démarche soit la seule façon d'appréhender le problème, mais je considère que c'est une approche primordiale par rapport à ce changement de vie du berger et de l'éleveur constitue une véritable révolution.

J'entends souvent parler de pastoralisme, de macro-économie, d'aides sous différentes formes. J'estime qu'indéniablement les choses se transforment et se transformeront dans les régions où ces prédateurs sont présents, mais ce qui m'intéresse d'abord, ce sont les gens qui doivent supporter ces changements et qu'il faut accompagner ! Ils ont droit au respect et à une vie digne.

Personnellement je suis allé dormir dans la cabane entourée de boue, du berger au troupeau attaqué par l'ours en 1991, juste à côté du parc que mes collègues avait installé pour tenter de capturer l'ours incriminé. Il était content que je sois là et il me demandait d'aller dire à Paris dans quelles conditions les bergers vivaient...

M. Jean LASSALLE : Nous sommes pratiquement parvenus à la fin de nos auditions, et nous sommes frappés de constater que si chacun déclare qu'il n'a rien contre l'homme, ce dernier, à l'évidence, n'a pas eu le choix.

Pour pousser plus loin mon propos, quand nous entendons les scientifiques, quand nous rencontrons les biologistes, les représentants du laboratoire Taberlet, les responsables du ministère de l'environnement, chacun reconnaît que la cohabitation de l'homme et des prédateurs pose problème, mais déclare qu'elle n'est pas de leur ressort. On a l'impression qu'elle n'est du ressort de personne ! Une seule catégorie de personnes revendique sans ambiguïté le retour des prédateurs et la nécessité d'imposer cette cohabitation : les naturalistes. Dans ces conditions, ne pensez-vous pas que ce sont eux qui mènent toute la danse ?

M. Pierre MIGOT : Quand en février 1993, l'Office a reçu un appel téléphonique qui faisait suite aux observations de loup réalisées à l'automne 1992, j'étais biologiste appliqué c'est-à-dire, qu'à partir d'une analyse biologique rigoureuse, j'avais la charge d'accompagner les acteurs du terrain et d'apporter des réponses aux questions. Malheureusement, je n'ai pas encore toutes les réponses, mais j'y réfléchis en permanence car le but de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage n'est pas de faire de la recherche pour la recherche. Suite à cet appel, il nous a fallu, illico presto, nous rendre à la préfecture de Nice pour mettre en place les formations, assurer les premiers accompagnements et préparer les fiches de constat...

Je ne peux pas être compétent dans tous les domaines, mais, dans le cadre de mon métier, j'ai, à mon niveau, un rôle social à jouer. Mon devoir n'est pas de faire de la biologie pour le plaisir de faire de la biologie, mais d'être présent sur le terrain. Or, je peux vous assurer que, tant au niveau de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage pour la gestion du dossier, qu'à celui du ministère pour l'accompagnement technique, je vais, comme vous avez pu le constater, par monts et par vaux.

A l'Office national de la chasse et de la faune sauvage c'est la conception que nous avons de nos métiers : c'est celle de mon collègue, M. Duchamp, c'est également celle de M. Camarra qui assure le suivi des ours, mais qui, en même temps, réalise des expertises et tente d'apporter, dans les réunions, des éléments techniques pour orienter les actions. Nous, les techniciens, nous mettons à la disposition de tous !

J'ignore qui peut totalement avoir la charge de cette problématique de la cohabitation avec les grands prédateurs. En effet, quand bien même, certains s'approprient la colonisation du massif alpin par le loup, nous avons eu à gérer collectivement sa présence : il n'y a pas de responsable, mais il faut que tous les acteurs, chacun dans son domaine de compétence, d'action, de responsabilité politique, associative, professionnelle, se mettent autour de la table. Il n'y a pas de solution unique et il ne faut pas se renvoyer la balle car cela ne résoudrait pas le problème !

A titre personnel, je suis un citoyen comme vous et, dans le cadre de mes responsabilités, je ne suis un militant ni de la présence du loup, ni de la présence de l'ours en France !

Je constate les faits : ces espèces sont présentes dans nos pays et nous avons des obligations qu'il faut savoir comment gérer collectivement. C'est ce à quoi je m'efforce de contribuer de mon mieux dans le cadre de mes responsabilités !

M. Jean LASSALLE : Nous vous remercions, monsieur Migot, d'être venu jusqu'à nous.

Table ronde regroupant des scientifiques
spécialisés dans la gestion du loup et des prédateurs, 
M. François MOUTOU, Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA),
M. Henri OLLAGNON, Institut national agronomique (INA P-G),
M. Guy JONCOUR, vétérinaire, auteur d'une étude sur les dommages
des chiens en France,
Mme Nathalie ESPUNO, thésarde sur l'impact de la prédation
et les mesures de prévention,
Mme Véronique CAMPION-VINCENT, ingénieur de recherche au CNRS

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 mars 2003)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. le Président rappelle aux témoins que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. Jean LASSALLE : Mesdames et Messieurs, je remplace, aujourd'hui, le Président de notre commission d'enquête, M. Christian Estrosi, qui se trouve retenu par d'autres obligations.

Nous sommes très heureux de vous accueillir et nous souhaitons la bienvenue à cette table ronde qui regroupe des scientifiques spécialisés dans la gestion du loup et des prédateurs dont nous attendons, notamment, qu'ils proposent des solutions pour faire face aux redoutables difficultés que pose à notre pays le retour des grands prédateurs.

Je vous propose de procéder comme nous en avons l'habitude : nous accorderons à chacun un temps de parole de cinq minutes pour connaître son sentiment sur la question qui nous intéresse aujourd'hui, puis nous nous livrerons au jeu des questions-réponses, qui sera conduit par notre Rapporteur, M. Daniel Spagnou.

Mme Véronique CAMPION-VINCENT : Je suis ingénieur de recherche au CNRS, (retraitée depuis novembre 2000) spécialiste des rumeurs et légendes contemporaines, co-auteur d'un ouvrage collectif sur « Le fait du loup : de la peur à la passion ». Je commencerai par dire que, malheureusement, je ne suis nullement spécialiste de la gestion du loup et des prédateurs, puisque les études que je suis amenée à conduire sont des études d'opinion visant à étudier des phénomènes qui peuvent, néanmoins, apporter certains éclairages sur les difficultés rencontrées dans la gestion du problème. Etant spécialiste des rumeurs et des légendes, la première étude que j'ai menée sur le sujet, à la fin des années quatre-vingts, portait sur la rumeur des lâchers de vipères, que je préfère appeler les « histoires de lâchers de vipères », qui ont beaucoup couru et dont vous vous souvenez sans doute !

Ces études ont montré que le degré de réalité n'était pas établi, que ces histoires comportaient des éléments fantastiques dont, en particulier, le recours à des hélicoptères qui n'était pas rationnel ce qui invalidait les interprétations de complot que présentait la mouvance écologiste qui prétendait que ces histoires étaient lancées par des chasseurs voulant lui nuire.

Je me suis tout particulièrement attachée à étudier ces éléments autres qui traduisaient une inquiétude face à l'attitude favorable au retour d'animaux, hier si peu prisés, qu'ils en étaient arrivés à disparaître, quand ils n'avaient pas été directement supprimés. C'est un peu la même approche que j'ai retenue dans des domaines fort différents, mais, cette fois, beaucoup plus réels afin de savoir ce qui s'était passé, par exemple, lors du retour du lynx dans l'Ain. Si je mets plus l'accent sur l'Ain que sur les Vosges, c'est parce qu'il ne s'agissait pas, là, d'une opération concertée et voulue, mais de la conséquence de lâchers opérés en Suisse.

Je ne me suis jamais rendue dans les Pyrénées et j'ignore tout des histoires d'ours, mais j'ai repris, il y a trois ans, des études concernant les réactions au retour du loup.

Je terminerai sur un autre aspect de mon activité : la première étude que j'ai conduite après mon travail sur les vipères, concernait les affirmations selon lesquelles les animaux qui attaquaient le bétail étaient des espèces exotiques - on a beaucoup parlé de pumas, de panthères - ce qui peut se produire, mais certainement pas dans les proportions que l'on évoque...

De telles histoires existent dans le monde entier. Elles sont apparues en Angleterre, pays dépourvu de gros animaux sauvages en liberté, le plus gros de ceux qui y vivent étant, si je ne m'abuse, le blaireau. Pourtant, c'est bien de là que sont parties ces légendes qui continuent à faire leur chemin depuis les années soixante...

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie pour votre concision et tout ce que vous nous avez appris en si peu de temps !

M. Guy JONCOUR : Pour ma part, je suis installé dans mon biotope de Basse-Bretagne, une campagne que les loups ne fréquentent pas et qui est peuplée de cultivateurs élevant « quelques vaches ». Depuis que j'ai fait le choix de devenir vétérinaire, je m'intéresse à l'interface entre la faune sauvage et la faune domestique et entre le milieu rural et le milieu urbain. Installé depuis trente ans, et appelé à faire assez régulièrement des expertises d'attaques de carnivores, domestiques puisque la Bretagne n'abrite pas de loups, il m'a semblé intéressant, avec l'apparition du loup en France, en 1992, d'essayer de lancer une enquête. Elle a été réalisée par le biais de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGVT). En son sein, je m'occupe de la section « faune sauvage » d'une commission environnement qui assure la formation continue des vétérinaires et qui est chargée des relations avec les organismes privés, publics ou parapublics, comme le ministère de l'agriculture, le ministère de l'environnement ou diverses autres structures, ainsi que de l'information et de la formation des éleveurs.

Tous les vétérinaires ne sont pas inscrits à la SNGTV bien que les effectifs de la profession soient assez réduits : sur les quelque 2 500 vétérinaires, mixtes ou ruraux, qui travaillent à la campagne, 1 500 font partie de la. SNGVT. Cela signifie que l'enquête ne permettait pas de toucher l'ensemble des vétérinaires de France. C'est la raison pour laquelle, sachant que tous les vétérinaires de campagne utilisent des médicaments et des spécialités vétérinaires, j'ai fait diffuser auprès des centrales d'achat, un questionnaire auquel ont répondu 6 % de la profession, étant précisé que sur les 90 questionnaires qui nous sont revenus, 87 étaient exploitables. Les réponses nous sont parvenues d'à peu près toutes les régions de France, mais peut-être un peu plus du Sud-Est, notamment de la région PACA et de la zone plus spécialement concernée par le travail de votre commission.

Des conclusions de ce questionnaire, que j'ai un peu résumées, il ressort qu'en France les chiens ne sont pas « feraux », qu'il n'y a pas, comme c'est le cas en Espagne ou en Italie, de chiens qui se reproduisent en liberté, et qu'il n'existe que des chiens fugueurs ou des chiens errants.

Le problème de chiens errants ou fugueurs est important sachant que, même sans spécialisation d'espèce, un teckel, un épagneul breton ou un chien loulou peut faire un carnage sur des moutons car ils extériorisent un comportement d'attaque à la fuite, qui est celui des prédateurs. C'est la raison pour laquelle la majorité des petits ruminants victimes de ces sinistres sont des moutons et non pas des chèvres qui, elles, tiennent beaucoup plus tête à leur agresseur !

Il y a une espèce qui pose un gros problème : celle des huskies ou malamuths, chiens tracteurs nordiques qui se rapprochent un peu du loup et qui, en raison de leur mordant sur la faune sauvage peuvent aussi bien dévaster un poulailler en deux minutes pour en extraire leurs proies que faire des ravages dans les troupeaux de moutons.

J'ai tenté d'établir des estimations des destructions de moutons. J'ai également fait une photocopie d'articles parus durant la période de l'enquête qui s'est déroulée sur les années 1997 et 1998 et dont les conclusions sont parues en 1999. Ces articles sont extraits du quotidien « Ouest-France » et relatent notamment un cas de ma clientèle où le responsable de la perte de 59 moutons bio, qui a entraîné une facture de 60 100 francs, a été pris à la troisième attaque. Il s'agissait d'un setter anglais, comme on pouvait d'ailleurs s'en douter puisque, dès la deuxième attaque, j'avais eu à soigner un chien qui avait, indiscutablement, été empoisonné par des inhibiteurs de cholinestérase, du genre Phosdrine.

Il existe, en effet, une police parallèle et illégale qui recourt à des gobes ou à des poisons pour limiter ce type de prédateurs, ce qui constitue un problème important !

J'ai conscience d'être un peu brouillon dans mon discours, mais je ne veux pas être trop long pour pouvoir répondre à vos questions.

Vous me permettrez néanmoins, d'aborder un dernier point qui me semble important : l'identification des animaux et le respect de la législation sur la divagation des chiens. L'identification systématique est obligatoire, mais très peu contrôlée. Elle l'est juste par les vétérinaires lorsqu'ils reçoivent un chien non identifié et abandonné. C'est pourtant grâce à cette identification que nous parviendrons à réduire le nombre des chiens qui se promènent dans nos campagnes, et par là même, les dégâts qu'ils causent.

M. François MOUTOU : Je suis chercheur à l'AFSSA, à Maisons-Alfort. J'ai, moi aussi, une formation de vétérinaire et je travaille sur des sujets comme la vache folle, la tremblante ou la fièvre aphteuse qui est devenue un sujet d'actualité, il y a deux ans.

Dans le cadre de ce travail, je participe également à l'étude des relations entre les pathologies des animaux domestiques et celles de la faune sauvage. Des échanges peuvent intervenir et avoir un impact sur l'économie quand les agents circulent de la faune sauvage à la faune domestique, mais également un impact sur la biodiversité quand l'échange se produit en sens inverse. Nous avons donc sans doute intérêt à nous préserver de tels mélanges et à garder les microbes « du bon côté », si je puis dire...

En ce qui concerne le travail sur le loup, qui est une incidence de ce travail sur la faune sauvage, l'AFSSA travaille en particulier avec des organismes comme l'office national de la chasse et de la faune sauvage ou différentes commissions du ministère de l'écologie et du développement durable. J'ai donc eu l'occasion, depuis une dizaine d'années, de suivre en partie l'arrivée du loup en France.

Avant tout, je vous ferai part de mon étonnement face à l'émoi suscité par le retour d'une trentaine de loups dans un pays comme le nôtre qui est assez riche et fait preuve d'un certain dynamisme en de nombreux domaines et dont les proches voisins, comme l'Italie ou l'Espagne, abritent des populations plus importantes de loups depuis très longtemps.

Dans ces conditions, il était possible d'anticiper le phénomène sachant que les loups italiens et espagnols pourraient, un jour, repasser les frontières qui n'ont, bien sûr, pas pour eux les mêmes valeurs que pour nous.

Par ailleurs, il est surprenant d'observer le décalage existant entre ce que l'on sait du loup en tant qu'espèce biologique - on dispose quand même de pas mal d'informations sur cette espèce - et les discours que l'on entend, qui n'ont aucun fondement scientifique. C'est normal, mais cela permet de penser que l'on pourrait mieux utiliser l'argumentation scientifique pour comprendre cette espèce et les conséquences de sa présence

Concernant les effectifs des loups, on compte une trentaine d'individus. Cet ordre de grandeur qui est avancé actuellement me paraît assez raisonnable. Je vous rappelle qu'au niveau des ongulés, les estimations des populations de cerfs varient classiquement du simple au double. Il en est un exemple chiffré assez récent : celui du parc du château de Chambord, d'une surface de 5 000 hectares clos, où la population de cerfs a donné lieu à une estimation qui oscille entre 500 à 600, plus ou moins 300. Par conséquent, on peut considérer qu'un espace clos comme le parc de Chambord, abrite entre 200 et 900 cervidés ce qui ne semble pas causer tellement de soucis aux gestionnaires, même s'il est permis de penser que 200 ou 900 bêtes n'ont pas le même impact sur la forêt...

S'agissant de la question de l'origine du loup en France, dont il a été beaucoup débattu, et qui est mentionnée dans l'intitulé de cette enquête parlementaire, je n'y apporterai pas de réponse, personne ne sachant exactement ce qui s'est passé.

La thèse du retour naturel me paraît extrêmement simple à admettre. On détient de multiples informations sur des loups qui, à travers le monde, ont parcouru de grandes distances et certains de nos collègues italiens confirment cette possibilité.

Très récemment, par exemple, en Scandinavie, un loup a parcouru tout seul 1 000 kilomètres entre la Finlande et le Sud de la péninsule. Un article que je pourrai vous remettre en fait état et personne ne semble remettre en cause ce périple.

Pour ce qui est des déplacements artificiels - c'est une autre hypothèse - j'ai eu surtout connaissance de déplacements de gibiers : plus de 90 % des déplacements d'espèces de faune non domestique, opérés dans le monde, y compris en France, obéissent à des raisons cynégétiques. En tant que vétérinaire, je suis d'ailleurs parfois un tout petit peu étonné de voir avec quelle rapidité sont délivrées les garanties sanitaires associées à ces déplacements, dans la mesure où elles peuvent avoir un certain nombre d'impacts économiques non négligeables.

Si j'étends mon observation aux animaux domestiques, ce qui me renvoie à mes travaux quotidiens dont ceux que je poursuis sur la fièvre aphteuse, il me faut rappeler que ce sont bien des mouvements de moutons qui ont entraîné l'arrivée du virus en France, en 2001. Pour avoir enquêté sur un certain nombre de mouvements de moutons, je suis bien placé pour savoir aussi que certains animaux ont changé cinq fois de propriétaire en deux semaines pour de simples raisons spéculatives.

Il est évident que certains jouent des jeux un peu dangereux et je tiens à préciser, à ce propos, que la fièvre aphteuse a conduit à abattre 56 000 ovins, qu'elle a coûté en pertes directes cent millions de francs au pays et que les pertes indirectes ne seront, quant à elles, probablement jamais chiffrées...

S'agissant des conséquences du retour du loup en France, on observe une certaine dichotomie. Il convient d'établir une distinction dans les conséquences qui peuvent être d'ordre soit économique, soit biologique, de même que dans les échelles de référence qui peuvent être d'ordre soit macroéconomique, soit microéconomique.

Au niveau biologique - dimension dont j'imagine que ma voisine pourra beaucoup mieux parler que moi - il est certain qu'un prédateur dans un écosystème représente un phénomène d'autant plus passionnant à suivre, que nous pouvons penser trouver un soutien dans un ministère dont l'intitulé, qui comporte pour la première fois le terme écologie, se réfère à une science !

Il est clair que le retour du loup peut redistribuer un certain nombre de données sur les espèces proies qu'il consomme, étant précisé que les lesdites proies ont également un impact sur l'environnement.

Si je prends l'exemple du mouton qui est l'ongulé le plus fréquent dans les zones de présence du loup - ils sont nettement plus fréquents que les ongulés sauvages - des données chiffrées prouvent qu'il peut avoir un impact négatif, à la fois sur la végétation, les orthoptères et même sur les tétraonidés puisque l'on sait que la présence du mouton, qui n'est évidemment pas un prédateur, nuit aux tétras-lyres, notamment à l'époque des nidifications et qu'elle contribue indirectement à leur prédation. Il est donc permis d'imaginer qu'il existe un équilibre entre tous les acteurs écologiques.

Pour ce qui est de l'économie, si nous raisonnons au niveau microéconomique, comme je pense que nous le ferons ultérieurement, un certain nombre de solutions peuvent être retenues.

Si nous raisonnons au niveau macroéconomique, j'aimerais juste citer des chiffres qui m'ont un peu surpris lorsque je les ai découverts mais que je tiens de source officielle puisqu'ils proviennent du ministère de l'agriculture. Ils concernent les animaux d'élevage qui, au niveau national, disparaissent à l'équarrissage, ce qui n'est quand même pas le but de l'élevage des animaux domestiques : en 1999, 652 533 ovins et caprins ont été envoyés à l'équarrissage, ce qui n'est pas négligeable et, en 2000, 715 449 autres ont subi le même sort.

Je n'ai pas d'explications et j'aimerais bien comprendre d'où viennent tous ces animaux qui ne sont sans doute pas tous élevés pour disparaître de cette façon. Je pense que ces effectifs englobent beaucoup de jeunes, mais que ce n'est pas la seule explication. Il serait d'autant plus important d'élucider cette question que l'on sait que certains animaux éliminés dans la montagne ne passent pas forcément par l'équarrissage.

En conclusion, je dirai qu'à côté de l'indéniable intérêt biologique que présente le retour du loup, un certain nombre de conséquences doivent être appréhendées au niveau tant économique que biologique.

Le phénomène touche en effet - et nous en avons parlé dans le parc du Mercantour - des zones protégées de nos montagnes pour lesquelles il serait intéressant de réfléchir aux priorités que l'on entend se fixer. Il faut savoir ce qui, dans ces régions, apparaît le plus important - le tourisme, l'agriculture, la biodiversité ou des secteurs autres, étant bien précisé qu'ils ne sont d'ailleurs pas forcément exclusifs - et trouver les solutions permettant de concilier les intérêts de tous, y compris des espèces sauvages indigènes de notre faune !

Mme Nathalie ESPUNO : Je voudrais, quant à moi, vous faire part des principaux résultats d'une étude qui a été menée, en 1998, dans le cadre de mon diplôme d'études approfondies. Elle concernait l'efficacité des méthodes de prévention ce qui m'a conduite à travailler sur le site du Mercantour pour savoir si, oui ou non, les méthodes de prévention permettaient de réduire le nombre d'attaques perpétrées sur les troupeaux domestiques et dans quelle mesure leur combinaison permettait d'augmenter leur efficacité.

Il se trouve que le loup, de retour dans le Mercantour, a trouvé plus de 80 000 moutons domestiques en été - effectif dix fois supérieur à celui des proies sauvages disponibles, ce qui est absolument énorme - dans des conditions d'élevage extensif où les troupeaux étaient relativement peu protégés. C'est là une caractéristique des zones européennes récemment recolonisées par les grands carnivores, qui favorise les conflits.

Face à l'ampleur des dégâts, plusieurs mesures ont été mises en place et j'ai voulu évaluer l'effet des chiens de protection, de la présence ou de l'absence d'un gardiennage permanent du troupeau pendant la journée, du regroupement ou du non-regroupement du troupeau durant la nuit. J'ai également voulu mesurer l'influence de la taille du troupeau sur sa vulnérabilité.

J'ai utilisé des données qui portaient sur les estives de 1994 à 1997 et qui concernaient 62 troupeaux du massif du Mercantour, uniquement dans les Alpes-Maritimes.

A la lumière des principaux résultats, on a pu observer que le nombre d'attaques par troupeau subies au cours d'une estive diminuait de 12 % pour chaque chien de protection ajouté. L'efficacité des chiens de protection est donc avérée, étant précisé qu'il ne s'agit pas d'une relation linéaire : ce sont les premiers chiens de protection qui apportent le plus de bénéfice !

On a également pu observer que les troupeaux regroupés la nuit subissaient 2,4 fois moins d'attaques que ceux à qui on laissait le liberté de dormir sur des lieux de couche naturelle. Par conséquent, l'efficacité du regroupement est tout à fait importante !

On a aussi vérifié que la vulnérabilité des troupeaux augmentait significativement avec leur taille, surtout lorsqu'ils n'étaient pas regroupés la nuit. Si on prend l'exemple d'un troupeau de 2 500 bêtes, on peut prévoir qu'il va subir 3,3 fois plus d'attaques qu'un troupeau de 1 000 bêtes s'il est en liberté la nuit et 1,2 fois plus d'attaques s'il est regroupé.

Je pense que cette étude a pu mettre en évidence l'efficacité des chiens de protection et du regroupement nocturne, ainsi que l'incidence des effectifs sur la vulnérabilité des troupeaux.

Ce sont là des résultats qui corroborent les conclusions de plusieurs autres études conduites en Espagne, en Italie et en Amérique du Nord.

Une nouvelle analyse vient d'être réalisée à partir de données établies sur une plus longue période : jusqu'en 2001. Elle comporte des informations plus détaillées. Les premiers résultats disponibles correspondent à ceux que nous avons obtenus, mais ils laissent entrevoir des effets complexes d'interaction entre les diverses mesures de prévention. Il semblerait, notamment, que l'efficacité des chiens serait assez moyenne sur l'ensemble des troupeaux, certains troupeaux étant dotés de chiens extrêmement efficaces et d'autres, de chiens assez peu efficaces. C'est un point qui reste à étudier de façon plus précise pour bien comprendre ce qui se passe...

La complexité et l'incertitude qui caractérisent ce type de situations et de systèmes multiproies, incite à procéder à des évaluations périodiques de l'efficacité des mesures de prévention, éventuellement dans le cadre d'une gestion adaptative, s'appuyant sur une réévaluation périodique des effets pour vérifier que les mesures de prévention conservent toute leur efficacité. Un travail doit également être engagé au niveau économique pour analyser le rapport coûts/bénéfices et évaluer l'impact économique de la prédation. Cela pourrait constituer l'étape ultérieure de nos travaux !

M. Henri OLLAGNON : Je crois que beaucoup de choses ont été dites. Je ne suis pas spécialiste du loup. J'ai, dans, le cadre de mon travail, fondé une chaire sur la gestion du vivant et les stratégies patrimoniales. Cette question du loup m'ayant été soumise plusieurs fois, sur l'initiative de différentes commissions, j'ai été conduit à y réfléchir, mais en chambre.

D'abord, avant d'exposer mon approche, je dois dire, sans donner tort ou raison à aucune des parties prenantes, qu'à mes yeux, la crise du loup est un symptôme : elle n'est qu'un problème apparent, le problème effectif étant que la société moderne se trouve aujourd'hui confrontée à la gestion de la qualité du vivant, alors qu'elle n'a pas appris à le faire.

Nous avions jusqu'alors une gestion du vivant rurale, et une vision plus distanciée au niveau de la ville, mais, aujourd'hui, sur tout le territoire, la culture de gestion du vivant est devenue très majoritairement une culture urbaine étant précisé que cette dernière ne signifie pas impossibilité d'agir.

Pour moi la crise du loup est donc le symptôme d'une crise plus profonde : celle de la gestion du vivant dans la société moderne.

Ensuite, il faut admettre, en écoutant les différentes parties prenantes, qu'il est très difficile d'arriver à la conclusion qu'elles profèrent des bêtises. En fait, les points de vue prennent des formes cognitives différentes et qu'il s'agisse de points de vue scientifiques ou de points de vue pratiques, mais on peut constater qu'ils ne se rencontrent pas dans une intelligence stratégique dans l'action : on assiste donc à une sorte de crise à une crise de l'intelligence.

Enfin, je crois que le débat qui s'instaure sur les causes du problème ne s'inscrit pas dans l'angle d'attaque qui est le mien : je préfère m'attacher aux façons d'en sortir !

Cette conception suppose d'adopter une attitude constructive, une démarche que je vais tenter de vous exposer en vous narrant l'expérience que j'ai vécue en travaillant sur un autre grand prédateur : l'ours des Pyrénées.

Travaillant au ministère de l'agriculture en qualité de conseiller stratégique pour l'évaluation des politiques publiques, j'ai été conduit à évaluer un certain nombre d'entre elles en vue de les adopter. Il s'agissait de politiques qui n'avaient plus de sens dans la société alors que l'enjeu était réel. Ainsi, la politique de sécurité en montagne, si elle n'est pas comprise par la société, n'est pas financée et se trouve appelée à disparaître, alors qu'elle était manifestement utile.

J'ai donc été conduit à repositionner ces politiques publiques en termes d'action publique pour la gestion du vivant par toute la société. Je travaille, depuis un certain nombre d'années, pour des gestionnaires traditionnels du vivant : agriculteurs, chasseurs, protecteurs de la nature ou autres et pour des acteurs nouveaux, collectivités territoriales, institutions, entreprises ...`

C'est dans ce contexte qu'un jour, le directeur départemental de l'agriculture des Pyrénées-Atlantiques, M. Gérondeau, m'a demandé d'intervenir parce qu'il sentait que quelque chose « clochait » au sein de sa direction. J'ai accepté de faire une intervention stratégique, non sans lui préciser qu'elle n'aurait de sens que s'il me soumettait quelques problèmes auxquels la DDA était confrontée, pour pouvoir évaluer de quelle manière elle y répondait.

C'est alors qu'il m'a fait part de plusieurs problèmes dont celui que posait l'ours des Pyrénées.

Je ne connaissais alors rien de l'ours, et guère plus du Béarn. J'ai rencontré treize personnes en trois jours et j'ai senti entre eux une violence « mimétique » très vive. L'ours dépassait le champ de connaissances de chacun - qu'il s'agisse de scientifiques, d'élus ou de professionnels - et, chaque fois que la question était abordée, on assistait à un processus de fragilisation réciproque.

Fort de cette constatation, j'ai confié au directeur de la DDA, que nous nous trouvions face à un problème redoutable. En effet, d'un côté, des millions de personnes pensaient que l'ours devait vivre, qu'il incarnait le vivant naturel en train de disparaître, tandis que, de l'autre, des acteurs du territoire considéraient qu'à travers les mesures de protection de l'ours, ils étaient déstabilisés dans leurs droits publics et privés.

Les deux termes de l'alternative étaient impossibles puisqu'elle se résumait à la destruction soit du vivant en bonne santé, soit d'une société de droit. Il nous fallait donc trouver la façon de gérer le vivant en bonne santé dans une société de droit en bonne santé !

Mon analyse a été la suivante : d'une part, si la société a des attentes par rapport à l'ours, elle n'exprime pas de vraies demandes fondées sur des priorités et une stratégie de gestion ; d'autre part, les élus et les territoires ont des contributions vis-à-vis de l'ours, mais ils ne les expriment pas en termes d'offre. Or, sans offre et sans demande, il serait impossible d'obtenir un « contrat patrimonial de qualité », susceptible de permettre à tous de se stabiliser sur un dessein commun et sur un mode de prise en charge partagé....

C'est alors que j'ai proposé de mener un audit patrimonial selon les règles de l'art tout en signalant à l'administration que, compte tenu de la décentralisation et de l'analyse de la situation de droit, il ne pouvait être demandé que par les acteurs locaux. Grâce à une complicité réelle entre l'Etat et les acteurs locaux, au bout d'un certain nombre de mois, cet audit a pu être lancé. La formule est extrêmement simple : elle consiste à demander à chacun quel est le problème, quel est son diagnostic de l'action, quelle est son appréciation sur l'évolution relative du problème et des réponses à y apporter, et quelles sont ses propositions stratégiques au niveau aussi bien local que global. En six semaines, j'ai auditionné 72 personnes, depuis le ministre jusqu'au berger, en naviguant entre Paris, Pau et la montagne, en posant à chacun la même question dans le cadre d'un contrat déontologique qui assurait la confidentialité et le caractère constructif de la démarche.

Cet audit a fait apparaître que cinq réalités étaient partagées par tous.

Toutes les personnes consultées étaient d'accord, avec des raisons différentes, mais convergentes, pour maintenir la présence des ours dans les Pyrénées...

M. Jean LASSALLE : Dans cette partie des Pyrénées...

M. Henri OLLAGNON : Dans cette partie des Pyrénées en 1992 !

Toutes acceptaient l'idée d'un ours libre et auto-reproductif dans les montagnes. Toutes acceptaient l'idée qu'il fallait, sur l'ensemble du massif pyrénéen, une population critique de 70 à 90 ours pour que la population soit autoreproductive. Toutes acceptaient l'idée que la question de l'ours se jouait de façon complexe à travers des actes de propriétés publiques et privées et qu'elle nécessitait une approche positive et constructive qui se joue dans, à travers et au-delà de ces appropriations, ce qui signifiait qu'il ne fallait pas déstabiliser les appropriations publiques et privées, mais permettre aux gens concernés de prendre en charge ensemble ce qui les traversait

Enfin, toutes acceptaient l'idée que si l'ours ne devenait pas le patrimoine des Béarnais, il ne serait pas le patrimoine de la France. En d'autres termes, dans une conception dynamique selon laquelle le patrimoine naturel n'existe pas en soi mais naît d'une relation singulière entre des éléments et un titulaire.

Pour qu'il y ait un patrimoine, il faut trois parties : un élément, un titulaire et une relation patrimoniale. Dans mon esprit, la notion de patrimoine est totalement évolutive et elle repose très profondément sur l'homme. La nature est la nature, elle doit devenir notre patrimoine pour être prise en charge par l'homme.

A la suite de cet audit, l'ensemble des acteurs concernés a testé dans le Béarn un dispositif de gestion patrimoniale de la qualité avec une charte et une instance de facilitation qui correspondent à des exigences de légitimité publique et d'efficacité opérationnelle. Je retiendrai surtout de cette expérience qu'un accord est intervenu, au cœur du conflit, sur un processus de facilitation fondé sur quatre constatations.

Premièrement, devant une réalité aussi complexe, on est confronté à un problème d'intelligence qui demande de réunir toutes les formes d'intelligence disponibles sans les opposer, grâce à une intelligence stratégique adaptée.

Deuxièmement, il ne peut pas y avoir de présence durable d'ours dans les Pyrénées, si la qualité de sa population et de son habitat n'est pas prise en charge par l'ensemble de la société, laquelle prise en charge traverse les propriétés publiques et privées ce qui fait surgir une exigence qui est essentielle : la qualité doit devenir un patrimoine commun local d'intérêt général.

Troisièmement, les réalités évolutives du vivant appellent une gestion adaptative qui puisse se traduire dans les gestions techniques, économiques et juridiques et fonctionner selon le type « gestion par objectif de qualité ».

Quatrièmement, il faut des démarches de facilitation d'instances nouvelles. Les institutions doivent se doter de capacités de facilitation, ce qui suppose l'émergence d'instances nouvelles de métiers nouveaux pour mettre en place des procédures stratégiques standards et « contractualisables ».

Selon moi, cet art de facilitation est à notre portée et la question des grands prédateurs renvoie à la capacité qu'aura la France de gérer la qualité de ses territoires !

M. le Rapporteur : Mes premières questions s'adresseront à M. Moutou dont j'ai apprécié l'exposé bien qu'un point m'ait un peu choqué : je ne vous ai, monsieur, pratiquement jamais entendu parler de l'homme. Selon vous quelle est la place de l'homme dans nos territoires de montagne face aux prédateurs ? Quel est le rôle du loup et des autres grands prédateurs dans un écosystème en général et dans celui des Alpes du Sud en particulier ?

Je terminerai par une question qu'aurait tout aussi bien pu vous poser mon collègue, M. Augustin Bonrepaux, ici présent, puisqu'il nous a indiqué que l'on avait identifié, après analyse génétique, dans le massif du Madres, situé dans la partie Est des Pyrénées orientales, un loup originaire des Abruzzes. Jugez-vous plausible qu'un loup ait pu franchir une telle distance en dépit de tous les obstacles se trouvant sur le chemin ?

M. François MOUTOU : En ce qui concerne le mot « homme », il va de soi que nous sommes des hommes et des femmes et que ce débat est posé d'abord par des hommes, pour des hommes. C'est un préalable que je n'ai pas rappelé, mais qui me paraît évident et je veux bien le préciser.

J'avais l'idée, que je crois avoir traduite dans ma conclusion, que tous les habitants des Alpes, des montagnes, des villages, des différentes vallées, devaient pouvoir exercer leurs activités traditionnelles avec le développement qu'on peut leur souhaiter, et vivre en harmonie avec leurs paysages, leurs habitudes, la faune domestique et sauvage qu'ils côtoient régulièrement et celle dont, apparemment, ils sont moins familiers.

L'ensemble de la discussion, de mon discours et de cette enquête se pose bien par rapport à l'activité humaine que l'on entend associer harmonieusement, du moins je l'espère, aux réalités biologiques.

M. le Rapporteur : Privilégiez-vous l'homme ou le prédateur ? A force de privilégier le prédateur, comme on l'a fait ces dernières années, on tue, dans les territoires de montagne comme le mien, à savoir le Mercantour, l'homme, c'est-à-dire les éleveurs, les bergers et tous ceux qui entretiennent le territoire !

M. François MOUTOU : Moi, je privilégie la vie, monsieur le député, et je n'accepte pas cette dualité que vous êtes en train d'établir. Je privilégie la vie et la vie, c'est à la fois l'homme et la vie sauvage et domestique.

Il n'y a pas d'antinomie et je ne comprends donc pas comment on peut poser pareille question ! Il y a des hommes, des paysages, des plantes, des animaux et nous devons trouver des solutions comme on le fait depuis des millénaires. Schématiser le propos, en opposant le prédateur à l'homme me paraît pour le moins étonnant et je souhaite que, au XXIème siècle, en particulier en France où l'on parle d'écologie et de développement durable, on puisse sortir de cette vision archaïque des choses !

Depuis un certain temps, des solutions ont été trouvées sur la façon de faire cohabiter avec les activités humaines, même les plus anciennes que je respecte parfaitement, avec les activités d'élevage associées à tout ce qui est pastoralisme, pratique tout à fait particulière et riche qui s'exerce notamment dans les Alpes et toute la faune sauvage, y compris une espèce comme le loup qui est une espèce indigène de la péninsule ouest-européenne, par opposition à l'énorme continent d'Eurasie.

Evidemment, il y aura toujours des conflits, mais les conflits surgissent aussi, malheureusement, entre les hommes et j'en vois même de beaucoup plus sérieux que ceux qui opposent les hommes aux prédateurs.

Pour ce qui est du rôle des prédateurs, je ne refuse pas de chercher des réponses, mais si nous commençons à chercher l'utilité de tout, je crains que nous n'arrivions vite à des impasses intellectuelles.

Si je me demande à quoi servent le loup, l'ours, ou le lynx, je peux tout aussi bien me demander à quoi servent le football et la télévision, à quoi sert Mozart, à quoi sert Notre-Dame... Je ne crois pas que ce soit une façon sérieuse de poser la question. Il y a des espèces !

A cet égard, si je comprends bien les propos de M. Ollagnon sur le parallèle patrimoine naturel et patrimoine culturel et architectural, la trilogie nécessaire citée objet-homme-relation patrimoniale me pose problème.

En effet, les espèces animales étant là indépendamment de nous, contrairement au patrimoine bâti, je me demande de quel droit nous pourrions décider, dans la mesure où elles nous gênent, de les éliminer. Qu'est-ce qui peut justifier que j'élimine volontairement de mon espace une espèce vivante que je n'ai pas créée ?

Cela me rappelle le débat qui est, hélas, aujourd'hui d'actualité, sur le virus de la variole. Officiellement, il n'existe que deux souches dans deux laboratoires différents : l'un en Russie, l'autre aux Etats-Unis. Depuis 1972, l'OMS a éradiqué la maladie de la planète et l'on se dit que l'on pourrait éliminer ces souches de virus, mais l'actualité nous en dissuade. Quoi qu'il en soit, l'un des éléments intéressants du débat qui dure depuis maintenant vingt ans, c'est l'aspect éthique que d'aucuns ont mis en avant. Une certaine réserve, dont témoignent des documents que je peux vous retrouver, se manifeste par rapport à ce sujet.

Vous ne serez pas surpris que je m'étonne un peu de cette question du rôle qui renvoie au pourquoi. En effet, sur le plan éthique, il est aisé de comprendre que notre devoir d'être vivant et de citoyen de la planète, de l'Europe, de la France, des vallées ne nous autorise pas à éliminer celui qui nous ennuie.

Si c'était possible, on voit bien, au-delà, à quelles catastrophes intrahumaines nous pourrions arriver !

Pour ce qui est du loup du Massif du Madres, l'analyse était tout à fait intéressante. Vous savez que les méthodes génétiques auxquelles on a recours, en particulier celles de Pierre Taberlet à Grenoble, sont assez délicates à utiliser. On ne peut ni exclure, ni affirmer l'origine italienne de ce loup ! Est-il plausible qu'il vienne d'Italie ? Personnellement, je crois que oui ! C'est sans doute peu probable, mais en termes de probabilités, il y avait fort peu de risques que la fièvre aphteuse débarque, en 2002, en Grande-Bretagne...

Des analyses effectuées, en 2000, au niveau européen il ressortait, en effet, d'une part, que la zone présentant le taux de risques le plus élevé était celle des Balkans, la Grande-Bretagne étant celle où il était le moins élevé, d'autre part, que le pays d'origine du virus risquait beaucoup plus d'être la Turquie que l'Asie comme il semble que ce soit le cas !

Par conséquent, un risque à la puissance moins 6, en termes de probabilités, correspond à celui que je cours chaque fois que je prends l'avion : j'espère qu'aucun n'accident n'arrivera, mais ce n'est pas impossible !

Il faut essayer de comprendre comment le loup aurait pu arriver là, mais nous disposons de quelques données, y compris émanant de pays européens, qui prouvent que le loup est un animal dont les capacités d'adaptation sont extrêmement étonnantes et qu'il est parfois capable de traverser dans la plus grande discrétion des obstacles qui a priori nous sembleraient susceptibles de l'arrêter dans sa course.

M. le Rapporteur : Il se pourrait aussi qu'on l'ait fait voyager dans un coffre ou qu'il se soit échappé d'un élevage !

M. François MOUTOU : Vous savez comme moi qu'un arrêté demande aux gens en possession d'un loup de se signaler et de le faire recenser, mais comme les gens ne se signalent pas, on ne sait qui détient des loups !

Durant les vingt dernières années, les loups trouvés en France, si l'on excepte la population alpine, étaient des animaux qui avaient fui la captivité. En résumé, on ne peut exclure aucune hypothèse.

M. Henri OLLAGNON : Avant d'aborder la notion de patrimoine commun, je voudrais dire, d'abord, que nul n'a le privilège de l'éthique, ensuite qu'il est très important dans une société comme la nôtre de pouvoir maintenir gratuitement des espèces dont l'histoire est liée à celle de l'homme.

L'expression d'une position éthique personnelle suppose débat. Ainsi, pour maintenir cette réalité du vivant, j'ai demandé aux montagnards s'ils étaient prêts à prendre en charge la qualité de la population et de l'habitat des ours comme une réalité gratuite, de façon non possessive, « transappropriative » et conviviale. C'est seulement parce qu'ils ont répondu par l'affirmative que je leur ai proposé mon soutien.

L'une des questions de fond, c'est qu'aujourd'hui les points de vue éthiques sont différenciés. Pour ce qui me concerne, j'estime que, dans une société démocratique, il est normal que la question de l'éthique donne lieu à des controverses et à des débats. Quand il s'agit d'une éthique en action qui conduit des acteurs à prendre des options lourdes de conséquences pour eux, surtout si la prise en charge de l'intérêt général pèse plus sur eux que sur d'autres, le débat prend un sens singulier.

Nous ne prendrons en charge les propriétés gratuites du vivant que si elles sont patrimonialisées par l'ensemble des acteurs qu'elles concernent. Même si, à titre personnel, je suis d'accord pour admettre que l'humanité n'a pas le droit de se débarrasser de certaines espèces au motif qu'elles la gênent, je pense qu'une véritable question d'essence politique se pose par rapport à la prise en charge des potentialités du vivant, de la biodiversité.

Pour autant, je l'envisage dans un esprit démocratique incluant des droits et des devoirs. Si tel n'est pas le cas, nous revivrions des scènes qui étaient courantes avant la Révolution quand le seigneur, au nom de la sécurité, s'autorisait à traverser les propriétés et à déstabiliser tout un édifice patrimonial, ce qui serait inconcevable aujourd'hui. C'est bien pourquoi il nous faut concilier la prise en charge dissymétrique de ces réalités gratuites et l'organisation démocratique de notre société.

Mme Nathalie ESPUNO : Par rapport à ce que disait M. Moutou sur le loup retrouvé dans les Pyrénées orientales, je voulais apporter une précision. Il se trouve que ce loup appartient à la catégorie qui est communément appelée « loup des Abruzzes ». Or, cette appellation est souvent source d'erreur car la génétique a montré qu'il s'agissait d'un loup de souche italienne, et non pas d'un loup venu des Abruzzes.

L'individu retrouvé dans les Pyrénées pouvait aussi bien venir du Mercantour ou de n'importe quel autre point de France, ce qui réduit considérablement la distance de migration.

Par ailleurs, nous savons qu'à l'occasion d'une étude sur cette question du déplacement du loup sur les infrastructures humaines, les Espagnols ont pu photographier un individu traversant un viaduc autoroutier ce qui laisse à penser que le loup est tout à fait apte à traverser sans problèmes la vallée du Rhône ou des autoroutes, par exemple. Certaines études font état de loups ayant effectué des déplacements de 800 kilomètres, donc il semble tout à fait plausible que ce loup des Pyrénées vienne naturellement de la souche italienne !

Mme Véronique CAMPION-VINCENT : J'ai entendu M. Bracque dire qu'il existait un parc abritant des loups, à moins de cent kilomètres de la réserve de Nohèdes où l'on a trouvé les traces de cet animal !

M. le Rapporteur : Tout à fait ! Je voudrais maintenant demander à Mme Espuno quelles sont les conditions nécessaires pour que les mesures de protection soient plus efficaces ? Existe-t-il des milieux géographiques et climatiques dans lesquels elles sont nécessairement inefficaces ?

Qu'en est-il de la dangerosité des chiens patous ? Quelle est leur interaction avec la faune sauvage, notamment dans le parc du Mercantour avec les marmottes ?

Mme Nathalie ESPUNO : Faire le point sur les conditions dans lesquelles les mesures de prévention sont, ou ne sont pas, efficaces, demanderait un complément d'études puisque je n'ai travaillé que sur le site du Mercantour. Ce que j'ai pu constater sur ce site, c'est que les mesures que j'ai évoquées avaient démontré une certaine efficacité. Pour autant, elle n'est pas obligatoirement extrapolable à d'autres périodes ou à d'autres secteurs et c'est la raison pour laquelle j'ai parlé d'une « gestion adaptative ». Il faudrait pouvoir reprendre toutes ces études qui suggèrent déjà que les méthodes de prévention ont un fort potentiel d'efficacité. Par ailleurs, il est à noter que les méthodes de prévention traditionnelles sont utilisées avec succès dans la plupart des pays européens où les grands prédateurs coexistent de tout temps avec le pastoralisme. Apparemment, elles parviennent à maintenir les seuils de prédation à des niveaux tout à fait tolérables.

M. le Rapporteur : Vous m'excuserez de vous interrompre, mais vous savez que les pays européens pratiquent le pastoralisme selon des méthodes différentes : ainsi, alors que les Italiens ont de petits troupeaux qui rentrent tous les soirs à la ferme ce qui les met déjà à l'abri des attaques nocturnes, les bergers du Mercantour ont des troupeaux qui peuvent atteindre 2 000 bêtes qui souvent partent sur les crêtes, le soir, sans même être gardées.

Mme Nathalie ESPUNO : C'est un peu le problème des zones où les grands prédateurs ont disparu puis sont revenus car les méthodes de protection y ont été abandonnées pour des raisons économiques alors que, parallèlement, les systèmes d'élevage ont évolué et sont devenus beaucoup moins compatibles ave la présence d'un grand prédateur. Si l'on prouve que les méthodes de prévention ont une certaine efficacité, leur mise en œuvre relèvera d'une décision d'ordre économique.

M. le Rapporteur : Allez-vous faire des propositions dans votre rapport ?

Mme Nathalie ESPUNO : En termes d'efficacité, oui !

M. le Rapporteur : Nous serions curieux de les connaître, car nous allons en faire nous-mêmes et, à ce titre, tout votre travail nous intéresse.

Mme Nathalie ESPUNO : Toutes les mesures que je préconise se sont avérées efficaces, mais dans les conditions où je les ai vues fonctionner !

M. le Rapporteur : C'est dans le Mercantour, avec le loup, que nous rencontrons les plus gros problèmes !

Mme Nathalie ESPUNO : En ce qui concerne les chiens patou, leur comportement n'est pas ma spécialité, mais une étude a été conduite dans le Mercantour par Chrystèle Durand qui, dans le cadre du programme LIFE, a analysé l'interaction entre les patous  et les randonneurs. Elle a conclu que les interactions agressives étaient extrêmement rares !

M. le Rapporteur : Plusieurs procès sont pourtant engagés actuellement...

Mme Nathalie ESPUNO : Je l'ignorais, mais l'étude montre qu'il n'y a pas d'interactions et que, quand il y en a, elles sont relativement neutres. Il est vrai que cette étude remonte déjà à quelques années.

M. le Rapporteur : Oui et aujourd'hui, les chiens patous sont beaucoup plus nombreux !

Mme Nathalie ESPUNO : Pour ce qui est de leur effet sur le faune sauvage, il mériterait des études plus approfondies. Le bruit court effectivement qu'il n'y a plus de marmottes sur les alpages où se trouvent des patou et il est tout à fait probable qu'ils puissent en consommer. Cela étant, le problème tient peut-être aussi à la façon dont les bergers nourrissent les chiens ... Sont-ils suffisamment nourris ?

M. le Rapporteur : C'est possible !

Mme Nathalie ESPUNO : On ne m'a jamais raconté de cas de prédation sur les chevreuils !

M. le Rapporteur : Ils se produisent sur les petits chevreuils.

Existe-t-il, M. Joncour, des sources fiables concernant les dégâts provoqués par les chiens divagants sur les troupeaux d'ovins ?

M. Guy JONCOUR : On sait qu'il y a actuellement moins de 10 millions de moutons en France et que la mortalité naturelle ou par abattage, hors pathologies, est importante : elle se situe entre 2 % et 4 % et touche donc de 200 000 à 400 000 bêtes !

Les attaques par des carnivores sauvages ou domestiques ensauvagés oscillent entre 200 000 et 500 000. Il me semble que François Moutou a, tout à l'heure, donné des chiffres concernant les carcasses qui arrivent à l'équarrissage mais ils ne concernent pas toutes les bêtes : il y un certain relâchement sur ce point, d'autant que l'arrêté interministériel du 8 août 1998, qui est passé en pleine crise de l'ESB, quand se posait le problème de la gestion des cadavres, permet également d'utiliser des placettes d'alimentation pour le nourrissage de certains grands rapaces nécrophages.

J'ignore le nombre des aides versées en 2001 suite à des destructions d'ovins par les loups, mais je crois qu'elles doivent tourner autour des 2000.

Je voudrais préciser, ayant omis de le dire d'emblée, que le problème du loup survient chez des producteurs à un moment où la production ovine viande est relativement sinistrée par rapport à celle du roquefort, qui se comporte encore relativement bien !

Or, bien que de très multiples paramètres peuvent intervenir, lorsque l'on voit cinq brebis qui ont l'épaule levée, mais qui sont encore vivantes parce qu'aucun vaisseau vital n'a été touché, on sait qu'elles vont être euthanasiées.

Actuellement, nous euthanasions beaucoup d'animaux et cela touche tout le monde : éleveurs, non-éleveurs, professionnels ou amateurs. Ainsi, beaucoup de moutons de pelouse sont attaqués par des carnivores sauvages ou domestiques et c'est, à chaque fois, un choc psychologique pour leur propriétaire et pour le vétérinaire : on ne s'habitue pas à ce type de carnage et, bien souvent, les éleveurs qui ont une autre production abandonnent l'élevage des moutons de pelouse

Bientôt nous allons pouvoir identifier ces petits troupeaux dans le cadre de la campagne de sérologie brucellose et d'identification qui va être menée à l'échelle nationale.

Je sais bien que l'homme peut être aussi un prédateur, mais cela n'empêche pas qu'il y ait un contexte psychologique difficile !

Il est un autre problème qui a son importance : en tant que professionnels para-agricoles, nous parvenons à discuter avec les éleveurs, mais c'est beaucoup plus compliqué pour un intervenant extérieur et c'est pourquoi j'ai évoqué précédemment la frontière entre le milieu rural et le milieu citadin. Il est évident, sans faire de démagogie en direction du monde agricole, que des éleveurs qui rencontrent des difficultés, supportent très mal que des gens qui ne sont pas dits « de la campagne » viennent leur donner des leçons !

Pour ce qui est de l'ours, dans le cadre des labels, des relations positives se sont instaurées, qui font du prédateur un atout. Personnellement, je me suis rendu à trois reprises dans le Mercantour pour discuter avec les éleveurs et, sans le loup, je n'y serais peut-être jamais allé. Sans prétendre connaître les vallées pyrénéennes aussi bien que M. Lassalle, je crois qu'il faut donc bien tenir compte des réalités locales !

M. le Rapporteur : Je poserai deux questions au professeur Ollagnon. Pensez-vous que l'introduction des ours dans les Pyrénées orientales soit un succès écologique, sociologique et économique ? Estimez-vous nécessaire de procéder à de nouvelles réintroductions ?

M. Henri OLLAGNON : Vous me plongez au cœur du problème !

Pour vous parler franchement, je pense que l'homme est appelé à devenir cocréateur du vivant sur la planète et que, même s'il est encore très loin d'accéder à cette dignité, il n'a pas d'autre choix que de se faciliter, progressivement, au niveau global et local, la prise en charge et en responsabilité des nouvelles tâches qui lui incombent ! Je ne peux concevoir cette prise en charge et cette responsabilité que dans une conception démocratique de l'organisation de la société

Par rapport au problème de l'ours, je suis intervenu avec un mandat officiel et je me suis occupé d'une population qui se trouvait là en même temps que les hommes. J'ai voulu savoir si, en dépit des conflits, des débats, des mésententes, des différences de culture et de mode d'intelligence, il y avait un niveau où les hommes pouvaient se retrouver pour regarder ensemble une réalité « interagissante » qui de fait les rapproche.

A partir des 72 personnes que j'ai auditionnées - certaines rencontres ont duré près de onze heures - l'audit patrimonial que j'ai réalisé dans le Haut-Béarn a montré que tout le monde tombait d'accord pour que cet ours vive dans les Pyrénées et qu'il soit installé durablement. Après avoir mis en place les facilitations adéquates et pris le soin d'écouter tout le monde et de tenir compte des contraintes de chacun pour établir une certaine convivialité dans leurs rapports dans une sorte de diplomatie dans la gestion du vivant, j'ai pu constater qu'il y avait accord pour que cette population d'ours évolue de façon positive. Malheureusement, ces méthodes n'ont pas été appliquées partout.

Je suis légitimiste et je considère normal que l'Etat se donne les moyens d'agir comme il l'entend, mais je constate que, dans les Pyrénées, la situation, si elle est positive sur le plan biologique pose question sur le plan patrimoniale.

M. le Rapporteur : Ce n'est donc pas un succès ?

M. Henri OLLAGNON : Sur le plan biologique si - et tant mieux pour ceux que cela intéresse ! - mais sur le plan patrimonial, non !

M. le Rapporteur : Faut-il réintroduire de nouveaux individus ?

M. Henri OLLAGNON : Je ne sais pas ! Je ne suis ni originaire du Béarn, ni spécialiste des ours. Cela étant, je pense qu'on peut espérer avoir, sur vingt ou trente ans, une population viable d'ours dans les Pyrénées. D'ailleurs, c'est déjà quasiment fait et ce n'est peut-être plus un problème !

En revanche, une question fondamentale se pose sur le plan patrimonial. J'estime, en effet, que le berger qui se trouve confronté au loup a autrement plus de responsabilités pour faire en sorte que cet animal soit pris en charge par la société que celui qui s'en trouve plus éloigné. Il faut que la présence du loup devienne une ambition des habitants des territoires qu'il fréquente. Si les acteurs locaux ne s'entendent pas sur ce patrimoine commun, ils n'arriveront à rien !

Pourquoi s'agit-il d'un patrimoine commun ? Parce qu'on ne peut pas collectiviser le problème, le mettre dans une ??? de responsabilité collective : tout ce qui touche au vivant, bouge et suppose des géométries de responsabilités variables. Il faut donc que les acteurs concernés tombent d'accord et prennent en charge localement des sujets qui ont un sens au niveau local et planétaire. S'il y a cette ambition, y compris dans les Pyrénées, la cause n'est pas perdue, d'autant, que sur le plan biologique j'estime, à titre personnel - et je vous le dis confidentiellement - qu'il n'y a peut-être rien à ajouter !

De mon point de vue, le problème ne tient pas à la seule gestion de l'ours ou du loup dans des territoires ruraux, mais au fait que la gestion du vivant est devenue une question majeure sur le plan politique

Si l'on se reporte au siècle dernier, on constate que les rapports entre l'idée et la vie ont été au cœur de la science politique - il y a eu le vitalisme, d'un côté, l'idéalisme de l'autre - et que les conflits qui en ont découlé ont failli tuer la démocratie. Or, sur notre planète qui est en train de se boucler sur elle-même, nous aurons de plus en plus de questions relatives au vivant à traiter, de plus en plus de réalités complexes à prendre en charge. Sans une anticipation stratégique, nous échouerons. Tout sera perdu si nous ne réalisons pas que le loup, comme l'ours, transgresse le cloisonnement entre les responsabilités publiques et privées sur lequel, nous avons, nous Français, fondé un système de droit universel.

La question des prédateurs, qui n'est qu'un symptôme de cette gestion du vivant, dont l'extrême complexité ne peut être totalement réduite par l'édifice universaliste que nous avons construit, peut déstabiliser nos sociétés.

Le fait de chercher une réponse à cette question à travers la notion de patrimoine commun, va bien au-delà du sujet qui nous intéresse puisqu'il revient à tenter d'adapter un concept politique à l'enjeu mondial. Ce concept de patrimoine commun différent du patrimoine collectif doit être revisité. Les Français doivent y parvenir s'ils veulent, demain, promouvoir leur culture au niveau international. Tous les professionnels d'Afrique, d'Amérique latine, de l'Europe de l'Est qu'il m'a été donné de rencontrer constatent qu'actuellement notre système latin pêche au niveau de la gestion du vivant.

Aujourd'hui, à travers la question des prédateurs, les habitants des territoires affichent une ambition territoriale que nous ne pouvons pas leur enlever et qui rejoint une ambition nationale par rapport à la place de la France dans le monde.

M. Joël GIRAUD : J'apprécie le discours qui vient d'être tenu sur la crise de la gestion du vivant et sur celle de l'intelligence stratégique, car il explique pas mal de choses !

Je voulais d'abord dire à M. Moutou que, si nous sommes quelques-uns, ici, à avoir souri, voire ri, à son évocation de Mozart, c'était uniquement parce que, lors de nos pérégrinations italiennes, à la question qui lui avait été posée de savoir à quoi servait un loup, le Président du Parc national des Abruzzes avait répondu : « A rien, comme Mozart ! ». Cela étant, pour être très pragmatique, puisque vous avez, monsieur, parlé d'une étude scandinave concernant le déplacement qu'un loup aurait effectué sur mille kilomètres, il serait intéressant pour nous de disposer de cette étude : s'agissait-il d'un loup pionnier .?

M. François MOUTOU : Une meute de loups est établie depuis une dizaine d'années au sud de la Scandinavie, à la frontière entre la Suède et la Norvège. Elle était suivie depuis un certain temps par les biologistes qui observaient que ses effectifs ne s'accroissaient pas, jusqu'à ce qu'ils notent, tout à coup, il y a deux ou trois ans, que la population avait gonflé et se reproduisait. On a pu vérifier qu'un animal nouveau était arrivé et, la population la plus proche se situant en Finlande, ils en ont déduit qu'il avait parcouru mille kilomètres, en fait comme les fondateurs de la meute une quinzaine d'années plus tôt ! Ils sont parvenus, grâce à des marqueurs génétiques, à identifier le trajet de l'animal.

M. Joël GIRAUD : C'est effectivement très intéressant pour mettre un terme à un certain nombre de présupposés ! S'agissant des rumeurs et des légendes, j'ignore si elles divergent en fonction des pays, mais je pense que l'acception sociologique de l'espèce n'est pas la même en Italie où une louve est supposée avoir fondé une ville, que dans les pays nordiques où le loup est censé avoir croqué Odin, le dieu des dieux, ce qui n'est quand même pas très gentil et peut avoir laissé quelques traces dans les esprits !

Pour en revenir au Mercantour, j'aimerais savoir, madame Espuno, à quoi tiennent les résistances aux mesures d'accompagnement que l'on peut rencontrer dans cette partie du massif ? Par ailleurs, des rumeurs circulent - qui parfois sont fondées puisque le parquet d'Imperia mène des enquêtes, bien qu'il soit parfois difficile d'exercer des contrôles à 3 000 mètres d'altitude - à propos d'abattages clandestins qui se dérouleraient de l'autre côté de la frontière. J'aimerais savoir si vous avez des informations à ce sujet.

Etant assez intéressé par l'exemple espagnol en matière de gestion des prédateurs, je souhaiterais , si vous avez des documents à ce sujet, de bien vouloir nous les communiquer.

Enfin, j'aimerais avoir l'opinion des vétérinaires sur les chiens de protection : sans partager l'optimisme complet et béat que suscitent les chiens patous, dans la mesure où ils ont attaqué un ami avec lequel je faisais une randonnée, je suis prêt à entendre leur opinion sur l'efficacité des différentes races de chiens de protection, étant précisé que nous avons été relativement séduits par les qualités des chiens utilisés dans le massif du Gran Sasso !

Mme Nathalie ESPUNO : En posant la question des limites des mesures de prévention, vous faites sans doute allusion à ce que j'ai pu dire antérieurement sur le niveau d'efficacité des chiens de protection et sa variabilité en fonction des troupeaux. Il faut savoir que l'efficacité d'un chien met en jeu d'assez nombreux paramètres et notamment le fait qu'il ait développé, ou pas, un lien affectif avec le troupeau, ce qui dépend de la façon dont il a été introduit !

Ce constat permet de suivre une première piste pour savoir si les méthodes d'introduction des chiens dans les troupeaux sont bien respectées, ou si elles sont parfois ratées ce qui peut donner des chiens fugueurs qui se retrouvent dans le village voisin ou qui préfèrent passer la nuit dans la cabane avec leur maître ! Je ne peux que vous recommander, à ce sujet, de prendre contact avec Chrystèle Durand qui a travaillé sur cette question !

Concernant les rumeurs relatives à des abattages clandestins d'ovins en Italie, je ne peux rien vous dire, ne disposant, malheureusement, d'aucune information.

Pour ce qui est des qualités respectives des races de chiens de protection, les différentes études que j'ai pu lire à ce propos ne font pas état de variations sensibles au niveau de leur efficacité, mais mes voisins vétérinaires sont beaucoup plus qualifiés que moi pour en parler.

Mme Véronique CAMPION-VINCENT : J'ignore si vous comptez auditionner Mme Sophie Bobbé, mais elle a conduit des travaux sur l'ours et le loup en Espagne et elle a notamment publié un livre intitulé « L'ours et le loup », édité par l'INRA, dont soixante pages sont consacrées à l'expérience espagnole.

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie de ces précisions.

M. Guy JONCOUR : Pour ce qui est des différentes races de chiens, je dois dire qu'en Basse-Bretagne, nous employons surtout le border colley, qui est dressé à la défense. Les chiens de troupeaux sont, quant à eux, élevés parmi les moutons de telle sorte qu'ils défendent leur groupe, leur clan ! Ce que je peux vous conseiller, si vous vous promenez dans les alpages, c'est de ne pas courir, car vous favorisez le réflexe d'attaque à la fuite qui est un comportement propre au prédateur face à la proie.

Alors que les facteurs qui arrivent dans les fermes sont fréquemment victimes de morsures, nous ne sommes, nous vétérinaires, jamais attaqués, parce que nous faisons face !

Je sais qu'à une époque certains éleveurs allaient jusqu'en Espagne chercher des mastines ou des chiens d'autres races qui sont parfaitement adaptés à la surveillance des troupeaux. On s'aperçoit, en Espagne, que l'on est dans une zone à loups parce que l'on y voit des chiens à colliers cloutés et à oreilles taillées pour éviter que les loups ne les attrapent par les oreilles...

M. François MOUTOU : Je souhaiterais juste apporter un complément d'information sur les chiens. On trouve effectivement de gros chiens de garde, qui peuvent être blancs ou noirs, mais qui se ressemblent, depuis les Monts cantabriques jusqu'en Mongolie. Il semblerait que c'est l'éducation du chien qui est essentielle par rapport à son comportement et à son agressivité ! Il est vrai qu'en France, on avait un peu perdu cette pratique qu'il convient de réapprendre, tout comme il faut réapprendre aux randonneurs à se comporter devant un chien de taille respectable et à ne pas adopter des attitudes inadaptées.

Je vous rappelle quand même que, bon an mal an, on enregistre en France entre 200 000 et 300 000 morsures par chien, qui requièrent une hospitalisation et le recours à la chirurgie, ce qui n'est pas négligeable !

Concernant l'Espagne, je me permets de vous signaler que le biologiste, Vincent Vignon, a beaucoup travaillé sur la situation du loup dans les Monts cantabriques. Il détient des informations notamment sur la gestion des prédateurs en Espagne qui s'articule autour de deux grands schémas en fonction du statut juridique par autonomie : si vous n'avez pas l'occasion de le contacter, je pourrai vous communiquer des documents.

Pour terminer, vous me permettrez de formuler un petit commentaire qui est lié au voyage que j'ai effectué en 2001, en Grande-Bretagne, pour la fièvre aphteuse.

Vous savez que la Grande-Bretagne a éliminé entre 6 millions et 9 millions de moutons. Or, dans le cadre de ma mission européenne, j'ai pu rencontrer des collègues qui m'ont confié, ce qui a été beaucoup moins dit que, ce faisant, on a également éliminé des élevages : certains éleveurs n'obtiendront jamais le droit de se remettre à l'élevage !

En réalité, la Grande-Bretagne a profité de l'épidémie de fièvre aphteuse - c'est en tout cas mon interprétation des faits que j'ai observés, et elle n'engage que moi - pour éliminer un grand nombre de moutons, rabaisser son cheptel ovin et modifier sa gestion de l'espace rural en privilégiant le tourisme par rapport à l'agriculture et donc à l'élevage. Il me semble que, de la sorte, la Grande-Bretagne anticipe une future réforme de la PAC et qu'elle adoptera alors des positions extrêmement différentes de celles que nous pourrions défendre.

Il serait donc essentiel d'anticiper le plus possible, l'évolution des choses. Je sais que la France se situe en retrait par rapport à cette réforme, mais je ne crois pas qu'elle pourra indéfiniment l'éviter. Il est donc essentiel pour les éleveurs, pour les gens du monde rural et notamment pour les habitants des zones de montagne, de bien comprendre ce qui s'est passé en Grande-Bretagne et de prévoir la tournure que pourront prendre les événements. S'ils ne le font pas, ils risquent d'être très douloureusement surpris...

La question des grands prédateurs nous fournit une bonne occasion de parler de la filière de l'agriculture et de l'élevage de montagne qui est en difficulté. Cela permettra au moins, et à défaut de trouver toutes les solutions, de poser les problèmes !

M. Henri OLLAGNON : Quand je me suis occupé du problème de l'ours, je me suis aussi intéressé aux rapports patrimoniaux entre territoires à ours, espagnols, italiens et autres.

Or, j'ai pu constater qu'au sein de Europe, l'histoire patrimoniale diffère selon les pays et qu'en la matière, les mêmes mots ne renvoient pas aux mêmes conceptions, aux mêmes comportements, aux mêmes champs de responsabilité, aux mêmes territoires. Le loup est à peu près le même, mais l'enjeu est différent !

Ce qui se joue en France met très profondément en cause notre pays parce que tout ce qui relève du privé reste dans le privé et tout ce qui est public est versé dans des « boîtes collectives publiques ». Aujourd'hui, cette séparation qui n'a jamais été aussi marquée ne marche plus parce que les entités « qualités de populations animales », « qualité de troupeaux », « qualité de massifs » exigent que des acteurs privés et publics, par des processus politiquement légitimes et pertinents, s'accordent, pour une durée donnée, sur un dessein commun et sur une intelligence stratégique partagée ! Une telle démarche correspond pour moi à la définition de la notion de bien commun. Elle n'est d'ordre ni éthique, ni moral, étant entendu que, si je souscris à la nécessité d'un questionnement éthique et moral, je me place à un niveau strictement stratégique.

Autrefois, ce bien commun participait à la gestion des territoires ruraux, de la société de proximité : les acteurs des pays de montagne étaient tout à la fois ensemble microacteurs et macroacteurs. Ils engageaient ensemble des actions dont ils pouvaient, ensemble, corriger les résultats.

Aujourd'hui, les niveaux d'interaction étant beaucoup plus distendus, cela n'est plus possible !

Une fois établi ce diagnostic, il est tout à fait à notre portée de trouver des solutions - on en a déjà que l'on teste un peu partout - et les territoires de montagne, dans des aventures singulières qui tiennent à leur identité propre, doivent pouvoir trouver les chemins pour s'engager dans une gestion patrimoniale de la qualité qui prendra en charge cette part gratuite, indispensable à leur survie, à leur développement mais aussi à la survie de l'humanité.

Nous disposons d'un délai assez court pour réagir et, pour en revenir à l'exemple de la politique agricole commune, il est clair qu'elle ne fait plus, l'objet d'un accord local et européen sur la gestion de la qualité du territoire. Elle donnera donc lieu à une renégociation. Si nous, Français nous avons alors la sagesse, et de maintenir notre système de droit individuel et collectif qui remonte aux Romains, et de réinventer le « bien commun Gaulois à la sauce moderne », en nous attachant au patrimoine commun local d'intérêt général de façon rationnelle sur des territoires locaux, je dis avec beaucoup de fermeté que nous parviendrons à un repositionnement très profond à la fois pour la France, pour l'Europe et pour le monde.

Mme Véronique CAMPION-VINCENT : Ayant étudié la question des félins et de bêtes apparues mystérieusement, j'ai pu constater que, souvent, il s'agissait de loups captifs. Rien qu'entre 1992 et 1999, la France a connu une dizaine d'affaires de ce type.

Vous savez que M. Bracque a recommandé de procéder à un marquage et que bon nombre de décrets ont été publiés à ce sujet. Or, ayant rencontré, en juin, pour les besoins de mon enquête, la personne en charge de ces questions au ministère de l'environnement, j'ai eu la surprise, alors que je lui demandais combien il y avait de loups captifs en France, de l'entendre me répondre qu'elle n'en savait rien ! C'est ainsi que j'ai appris, qu'il n'y avait pas, au niveau national, de collation des autorisations délivrées dans les divers départements. Je suis un peu étonnée de cette façon de gérer l'information et je voulais simplement vous en faire part...

L'information devrait être plus transparente - sans aller jusqu'à la publier dans la presse - pour qu'au moins les responsables sachent combien de personnes sont autorisées à détenir des loups en captivité !

M. le Rapporteur : C'est un sujet tabou dans la mesure où nous vivons dans un pays favorable à la présence du loup ...

Mme Véronique CAMPION-VINCENT : Je n'irai peut-être pas jusque là, mais j'estime - je ne devrais sans doute pas le dire - que le ministère applique les règlements avec beaucoup de mollesse !

M. Augustin BONREPAUX : Je souhaiterais poser quelques questions dont les premières s'adressent à Mme Espuno et à M. Joncour, dont j'ai écouté avec beaucoup d'attention les exposés et tout spécialement les parties relatives aux moyens de limiter les prédations.

Si cette limitation est possible, est-elle envisageable partout ? Peut-on regrouper les troupeaux et faire pâturer tout l'espace sans passer par une réorganisation de l'élevage et une augmentation des moyens ? Appartient-il au berger d'élevage extensif de supporter cette surcharge de travail et cette contrainte nouvelle ? En a-t-il les moyens ?

Puisque que vous êtes au fait de ces questions, je souhaiterais que vous puissiez nous dire si vous avez des propositions à faire pour limiter les dégâts causés par les chiens errants.

Par ailleurs, j'aimerais également poser une question à M. Moutou qui disait qu'il convenait de mesurer l'impact des prédateurs en matière de biodiversité, de pastoralisme et de tourisme. J'aimerais connaître son appréciation sur ce point.

J'ai entendu tout à l'heure évoquer les apports de l'ours en matière de label. Personnellement, je ne peux dire qu'une chose : je ne travaille pas avec ces labels, mais, si vous avez des idées à nous soumettre et si vous avez pu mesurer l'impact de la présence de ces espèces sur le tourisme, je serais curieux de les connaître !

M. Guy JONCOUR : J'ai parlé de préventions possibles, mais elles passent aussi par une responsabilisation des propriétaires de chiens.

Il est évident que sans identification, sans contrôles et sans prise en charge de l'animal, les sinistres ne seront pas évités. D'après l'enquête qui a été conduite au niveau national, de tels sinistres surviennent d'ailleurs aussi bien loin des maisons qu'à proximité.

Il faut également tenir compte d'un facteur qui a son importance, je veux parler de la récidive. Les chiens reviennent sur les lieux des sinistres, non pas parce qu'ils ont pris goût à la viande ovine, mais parce qu'ils voient là une forme de jeu qui se termine par un carnage avec des cuissots complètement déchiquetés et des animaux égorgés ! Tout cela est affaire de responsabilisation personnelle et dans un village chacun connaît les chiens errants et divagants !

M. Augustin BONREPAUX : Dans toutes ces affaires, l'éleveur se trouve quand même un peu assiégé et il me semble qu'il y a une certaine dualité entre le prédateur et l'éleveur. Peut-on laisser faire les choses au motif qu'il s'agit du vivant et que la loi du plus fort doit l'emporter ? C'est la question que je pose !

Vous avez partiellement répondu à mon objection, monsieur Ollagnon, en disant que tout dépendait de la capacité de la France à gérer ses territoires ruraux, mais pensez-vous que la France a fait preuve d'une grande capacité pour les gérer jusqu'à présent ? J'en doute, après avoir entendu l'appréciation que vous portez sur la façon dont les ours ont été réintroduits dans les Pyrénées ! D'ailleurs, indépendamment de sa capacité, en a-t-elle seulement les moyens ?

M. François MOUTOU : En réponse à vos questions sur l'impact des prédateurs sur la biodiversité, le pastoralisme et le tourisme, je suis tenté de vous dire que, si l'on parle de la présence du loup dans les Alpes - c'est l'objet de notre réunion -  je ne suis pas forcément convaincu qu'à terme, les Alpes soient le territoire le plus approprié pour maintenir la présence du loup en France !

Si l'on tombe d'accord pour conserver des loups en France, des zones comme la Franche-Comté, la Lorraine, la Champagne ou la Bourgogne qui sont des zones bien boisées avec très peu d'élevages ovins, avec des populations de cerfs, de chevreuils et de sangliers abondantes - les plans de chasse en témoignent et ces populations ne sont pas tirées à hauteur de ce qui est autorisé - me semblent, à terme, mieux convenir !

Concernant l'impact de ces prédateurs sur le tourisme, il est indéniable que beaucoup de personnes - et mon voisin a fait état de son expérience personnelle - ont choisi de visiter le Mercantour, parce qu'elles étaient intéressées par le loup et les débats que sa présence suscite.

Nos concitoyens visitent les régions de France pour des raisons, parfois, historiques, parfois culturelles, mais également parce qu'ils sont animés par l'intérêt qu'ils portent à la biodiversité. Or, nous savons que, pour avoir une chance d'approcher de grands prédateurs, il faut aller, pour le loup dans les Alpes, pour l'ours dans les Pyrénées, étant entendu qu'on peut leur préférer les églises normandes ou l'art gothique...

Dans ces conditions, pourquoi défendre l'architecture des diverses régions de France et pas leur biodiversité naturelle ? Il serait dommage d'imaginer que l'on puisse avoir, partout en France, les mêmes maisons et la même faune, alors qu'il y a des diversités géographiques qu'il est intéressant d'entretenir.

M. Augustin BONREPAUX : Je vous ai demandé si vous aviez mesuré l'impact de la présence du loup en termes de fréquentation touristique.

M. François MOUTOU : Il suffit d'interroger les visiteurs des Alpes et de leur demander si le loup fait partie des raisons de leur venue et de poser la même question, dans les Pyrénées, au sujet de l'ours ! A ma connaissance, le seul moyen pour apprécier l'impact d'une mesure économique, est de faire réaliser des sondages et d'en analyser les résultats. La méthode est relativement connue : cela s'appelle les enquêtes d'opinion !

S'agissant de la dualité éleveur-prédateur, je trouve que le raisonnement qui consiste à dire qu'à terme, il n'y aura plus que des prédateurs, est un raccourci un peu rapide.

Il n'est pas question d'opposer l'éleveur au prédateur et il n'est pas question, non plus, de sacraliser qui que ce soit.

Il est évident que, dans un pays comme la France qui compte un assez grand nombre d'habitants et d'activités humaines dans tous les domaines, nous serons contraints - et cela se fait déjà - de composer avec la faune, quelle qu'elle soit ! Il y a des espèces que l'on pense plus fragiles et auxquelles on accorde plus d'attention, d'autres qui sont classées nuisibles et que l'on peut, dans certaines circonstances, capturer en dehors de l'époque de la chasse. Pour autant, il est évident - et d'ailleurs la loi le prévoit déjà aujourd'hui - que quatre espèces protégées qui sont le loup, le lynx, l'ours et le hamster d'Alsace, peuvent, dans des conditions bien précises, subir des interventions quand les dégâts causés sont importants et que lesdites interventions ne mettent pas en péril leur population. De ce côté, il n'y pas de souci à se faire.

De toute évidence, on pense à l'élevage et aux éleveurs tout en observant le respect de la vie dans un cadre juridique. Si, au niveau national et européen, il y a une volonté politique de dire que nous acceptons sur le territoire de l'Europe et de la France, des ours, des lynx et des loups, c'est un choix national. Il faut alors, évidemment, décliner au niveau local les conséquences de la présence de ces animaux qui peuvent aussi bien se traduire par des actions sur les individus qui poseraient problème que par des aides aux personnes qui subissent le plus directement leur présence.

M. Augustin BONREPAUX : Jugez-vous satisfaisante la façon dont ces problèmes sont gérés aujourd'hui ?

M. François MOUTOU : Très sincèrement, ce qui m'étonne, c'est le discours que j'entends tenir dans mon pays, la France, sur une dizaine d'ours dans les Pyrénées, une trentaine de loups dans les Alpes et une centaine de lynx dans le grand Est de la France.

J'ai l'impression, ayant un petit peu rencontré les gens travaillant sur ces espèces dans d'autres pays, que, aussitôt qu'un loup pénètre en France, il devient autre chose. Je suis quelque peu étonné - et cela dépasse le cadre de la biologie car si les problèmes se limitaient à la biologie, nous ne serions probablement pas là en train de discuter - que notre référence, loin d'être Romulus et Romus auxquels nous avons fait allusion tout à l'heure, est plutôt le Petit Chaperon rouge...

Objectivement, je pense qu'entre ces deux images nous devrions parvenir à trouver une représentation un peu plus satisfaisante !

Je suis étonné de tout ce qui peut se dire sur ces espèces en France, sachant que d'autres pays, qui ne sont pas ridicules par rapport au nôtre, vivent avec elles, rencontrent des problèmes qu'ils gèrent en éliminant parfois l'individu responsable, et parviennent à maintenir leur élevage, leur tourisme, leurs productions agricoles. Je suis tout à fait surpris de la façon dont on parle de ces animaux en France, le paradoxe étant d'ailleurs que l'on consacre beaucoup d'énergie et sans doute pas mal d'argent à des questions qui sont quelque peu à la marge : on réalise maintenant des études d'ethnologie, d'anthropozoologie, d'ethnoanthroposocioethnozoologie sur les relations entre les prédateurs et tel ou tel type de population. Est-ce vraiment en allant aussi loin que nous pourrons efficacement aider les personnes qui cohabitent avec ces espèces ou que nous allons donner, au niveau national, une image un peu plus stable de ce que représentent, en France, des ours dans le massif pyrénéen, des loups dans le massif alpin et des lynx dans la Franche-Comté et au nord des Alpes ?

M. Augustin BONREPAUX : N'aurait-il pas été préférable de simplifier la vie des éleveurs pour les amener à accepter la situation, que de se décharger sur eux des responsabilités ? Finalement, on a le sentiment qu'ils se trouvent en position d'accusés ! En vérité puisque vous avez évoqué la nécessité de mener une politique sur le terrain, j'attendais que vous nous fassiez des propositions...

M. François MOUTOU : Il y a une proposition forte que nous attendons depuis quelque temps déjà et qui pourrait faire bouger les choses.

Actuellement, la majorité des coûts de prise en charge de ces espèces par l'Etat est couverte par le ministère chargé de l'environnement. Or, depuis le début de cette table ronde, nous discutons d'agriculture.

Ce qui m'étonne et m'ennuie c'est que le ministère de l'agriculture est extrêmement discret sur ces questions, au niveau à la fois de l'administration centrale et des organismes techniques qui sont quand même assez nombreux en France, mais dont nous sentons bien qu'ils n'ont pas très envie de s'impliquer, sachant que cela va avoir un coût financier !

A ce propos, vous me permettrez de vous citer une anecdote pour illustrer la relation existant entre les éleveurs et techniciens de la profession.

En 1996, dans le cadre de l'institut où je travaille qui s'appelait à l'époque, non pas l'AFSSA mais le CNEVA - Centre national d'études vétérinaires et alimentaires - nous avons rencontré les représentants de la filière ovine nationale, à Nice, dans notre laboratoire qui s'occupe de la pathologie ovine. Le vice-président de la Fédération nationale ovine d'alors, a commencé son discours en déclarant que les éleveurs étaient intéressés par le sanitaire, à condition qu'il ne change pas leurs habitudes.

D'emblée, cette affirmation met en lumière un paradoxe, dans la mesure où, s'il y a un problème sanitaire, c'est probablement parce qu'il y a un problème au niveau des habitudes et qu'il convient d'en changer. Nous, les techniciens, nous sommes là pour aider les éleveurs et améliorer le sanitaire en fournissant les bons outils techniques et en trouvant les appuis pour apporter des solutions.

De la même façon, il faudrait un organisme technique - et je ne doute pas qu'il y en a en France - qui ait une expérience des relations et de la biologie en matière de grands prédateurs, pour répondre aux questions qu'ils posent et aider les éleveurs.

Il est évident que les éleveurs doivent être aidés et que cela n'a pas de sens de les désigner comme coupables ! Il serait vraiment malheureux de le laisser croire !

En même temps, il me semble qu'il faut, puisque l'on parle des prédateurs, réellement profiter de l'intérêt porté à la filière ovine qui rencontre de réelles difficultés en France, pour traiter, non pas uniquement du loup, de l'ours ou du lynx, mais de l'ensemble des problèmes auxquels elle se trouve confrontée. Elle doit, en effet, faire face à bien d'autres problèmes majeurs,

Je travaille sur le tremblante et l'ESB et il y a eu, à trois reprises des annonces, fort heureusement toujours démenties, de mise en évidence d'un cas d'ESB sur un mouton. Si jamais cette menace venait un jour à se concrétiser - et nous ne savons pas exactement ce que nous réservent nos collègues de Grande-Bretagne - cela serait catastrophique pour la filière ovine !

C'est pourquoi je maintiens qu'il faut intégrer l'ensemble des paramètres, et trouver les organismes techniques susceptibles d'aider les éleveurs.

Pour ce qui me concerne, j'estime que je dois travailler pour le monde de l'élevage, mais il ne me semble pas que cette vision doive exclure tout intérêt pour les prédateurs.

Les deux préoccupations ne me semblent nullement antinomiques ! Cela étant, j'admets qu'il faut respecter un certain nombre de règles et, loin de sacraliser les prédateurs, je considère qu'il faut pouvoir intervenir si cela s'avère nécessaire !

Mme Nathalie ESPUNO : Vous avez évoqué la difficulté, dans certains cas, d'appliquer des méthodes de prévention dont l'efficacité est pourtant avérée, et vous avez raison de distinguer l'efficacité et l'applicabilité tant les deux notions sont différentes.

L'efficacité des mesures pose la question de savoir jusqu'à quel point on peut rendre les moutons inaccessibles pour le loup et donc diminuer la part qu'il représente dans son régime alimentaire, alors que l'applicabilité renvoie à la question de savoir si l'éleveur doit être le seul à supporter le coût des mesures.

Personnellement, j'estime qu'il appartient aux gestionnaires et, au-delà, aux politiques, de régler les problèmes liés à l'applicabilité des mesures de prévention !

M. le Rapporteur : Non seulement il faut prévoir une politique de mise en œuvre des dispositions que vous préconisez, mais il faut aussi qu'elle s'adresse aux personnes les plus concernées !

Mme Nathalie ESPUNO : Tout à fait !

Puisqu'il convient de chiffrer l'ampleur des subventions nécessaires et le coût des dégâts et de la prévention liés aux attaques de loups, il conviendrait également de remettre les choses à plat car, ces dernières années, du fait de l'extension des forêts, certains ongulés sauvages, entrés dans des phases de croissance exponentielles, provoquent des dégâts phénoménaux.

Je n'ai pas les chiffres sur moi, mais je pense que le coût de cette déprédation est largement supérieur à celui des dégâts dus au loup !

M. le Rapporteur : Je suis entièrement d'accord et il faudrait que nous en reparlions, car il faut intégrer dans les problèmes rencontrés par le pastoralisme, les dégâts imputables aux sangliers.

La forêt, quant à elle, est mise à mal par les prédateurs que sont les cerfs ou les chevreuils et il nous faudra également prendre position sur cette question !

Mme Nathalie ESPUNO : J'en reviens à l'exemple du Mercantour : on y distribue je ne sais combien de tonnes de grains chaque hiver aux sangliers et, ensuite, on compense les dégâts qu'ils causent aux troupeaux. C'est un paradoxe !

M. le Rapporteur : C'est vrai, mais il convient de préciser que ce sont les chasseurs qui ont pris l'initiative d'introduire du gibier et que ce sont eux qui payent les indemnisations !

Bien qu'étant chasseur, je ne suis d'ailleurs pas favorable à toutes ces introductions qui nuisent beaucoup au pastoralisme !

Mme Nathalie ESPUNO : Quoi qu'il en soit, on constate que les populations d'ongulés augmentent considérablement en France alors que, parallèlement, le nombre des chasseurs décroît !

En conséquence, puisque ce ne sont pas les chasseurs qui vont réguler la situation, le loup reste un candidat intéressant pour mettre un frein à la situation !

M. le Rapporteur : Je vous suis d'autant plus volontiers sur ce point que, je le répète, ces réintroductions de gibiers ne correspondent pas à mon éthique de la chasse !

M. Henri OLLAGNON : Vous m'avez demandé, monsieur le Rapporteur, si je jugeais satisfaisante la gestion de l'espace rural. Je vais vous apporter une réponse en plusieurs temps.

La question de l'ours et du loup touche des territoires qui vivent des drames patrimoniaux, dans la mesure où il s'agit de zones dont la gestion est déstructurée. On y est incapable de gérer ensemble une population de perdrix rouges, de loups, d'ours ou autres dès lors que leur prise en charge se ???? à travers des propriétés publiques et privées et c'est un phénomène qui touche l'ensemble de la France, les zones urbaines ne faisant pas exception.

Les acteurs de l'agriculture, pour s'adapter aux évolutions de la société et de l'économie, doivent emprunter des voies de plus en plus fragiles et dangereuses. La France traverse donc une crise profonde qui dépasse largement le symptôme du loup : je suis d'ailleurs certain que d'ici à trente ans, l'espèce sera disséminée sur tout le territoire, compte tenu de son aptitude à se déplacer et la question est de savoir quelle sera la compétence dont fera preuve notre société moderne pour gérer le territoire.

Nous ne pouvons pas aborder cette nécessaire adaptation dans le seul cadre d'une société rurale, très déstructurée, moins encore dans celui d'une société urbaine distante des réalités du territoire local, mais dans une nouvelle façon d'agir ensemble localement en prenant en compte les enjeux nationaux et mondiaux.

A l'inverse, si nous raisonnons, à partir d'un point de vue moderne, en facilitant la rencontre, et en trouvant des structures innovantes, toute la donne sera changée.

C'est ce qui me conduit à penser que tout le vivant qui bouge et évolue peut, dans ces territoires, compte tenu de la proximité des différences couches sociales qui les peuplent, être cause de reviviscence.

La question se pose de façon tout aussi aiguë dans les villes - nous avons récemment demandé à 6000 agriculteurs de la périphérie de Paris comment ils pouvaient s'adapter à cette ville de 11 millions d'habitants ce qui pose la question de la gestion du vivant dans les villes - de sorte que tous les territoires sont confrontés à la même mutation stratégique. J'ai cependant tendance à considérer que les zones fréquentées par les grands prédateurs la vivront plus facilement, si elle est bien accompagnée ce qui suppose beaucoup de professionnalisme.

M. Jean LASSALLE : Je voudrais d'abord, dire à M. Moutou que je connais de longue date, que, puisque Mozart ne mangeait pas les moutons dans les estives, il ne peut donc pas le comparer aux loups, d'où ma question qui appelle une réponse d'ordre philosophique : cette façon d'envisager les choses n'est-elle pas un peu simple ?

Je rappelle quand même que certaines personnes sur le terrain attendent de nous des réponses précises et qu'elles ne pourront pas se satisfaire de tels arguments !

M. François MOUTOU : C'est une question d'ordre philosophique, mais elle repose aussi sur des notions d'économie puisque nous sommes d'accord pour reconnaître que l'élevage est une activité économique et que, les animaux n'étant pas des objets mais des êtres vivants, la perte subie par le berger a, à la fois, une valeur marchande et une valeur sentimentale.

Dans ces conditions, il est évident que les compensations prévues par la loi sur le plan économique n'empêchent pas l'agriculteur de se demander pourquoi l'ours ou le loup est venu s'ajouter aux difficultés inhérentes à son métier : je pense aux importations étrangères ou aux épidémies... C'est précisément là qu'il convient de tenir un discours au niveau du pays pour expliquer qu'un certain nombre d'éléments naturels doivent être pris en compte. En qualité de vétérinaire, il m'est peut être plus facile qu'à d'autres de parler à un éleveur, mais dans un tel cas, je m'efforcerais d'expliquer que la fonction d'élever, de travailler la vie, est soumise à des aléas, que dans certaines circonstances on peut accepter de perdre un ou plusieurs animaux attaqués par un prédateur, que la solution passe par la recherche des modes de prévention les plus efficaces pour le troupeau et pas forcement par l'élimination de l'espèce du prédateur, sur le territoire, dans la vallée ou en France !

Il faut nettement faire la part des choses entre la protection des biens et la notion de présence sur le territoire de différentes espèces, dont celle du loup ou de l'ours en fonction des massifs.

M. Jean LASSALLE : Puisque nous parlons d'espèces en voie de disparition, toutes les courbes font apparaître que celle qui est la plus menacée est précisément celle des bergers et des métiers traditionnels du monde rural et en particulier de la montagne française.

Que notre société ne s'en préoccupe pas tout autant qu'elle se préoccupe des loups et des ours pose bien un problème ?

Est-ce que cela n'est pas de nature à donner aux éleveurs le sentiment qu'ils ne font plus tout à fait partie de ce règne du vivant dont nous a parlé M. Ollagnon, qu'ils sont tolérés en tant qu'individus, mais condamnés, soit naturellement, soit arbitrairement à l'occasion d'une révision de la PAC, à disparaître en tant qu'éleveurs ?

N'est-ce pas une façon de passer par pertes et profits toute la dimension culturelle et écologique de leur relation au territoire ?

J'en arrive à ma dernière question à laquelle vous pourrez tous répondre. Dans la mesure où nous vivons dans un pays où nous avons inscrit sur tous les frontons des édifices publics « liberté, égalité, fraternité », pensez-vous, que les éleveurs des Alpes ou des Pyrénées ont réellement eu le choix d'accepter le retour du loup ou de l'ours et, s'ils ne l'ont pas accepté de leur plein gré, peut-on en déduire qu'ils jouissent d'une liberté plus relative que ceux de nos concitoyens vivant à proximité des grandes métropoles ?

M. François MOUTOU : Je souscris à vos propos sur le déclin de l'élevage traditionnel : il est douloureux de le voir disparaître. Et d'ailleurs, la réforme de la PAC dont j'ai parlé précédemment, et qui est inéluctable, sera une grande tristesse !

Le paradoxe du système traditionnel c'est qu'il repose à la fois sur ces métiers dont vous parlez et sur la biodiversité qui intègre les grands prédateurs. En conséquence, que les perdants soient les métiers ou les animaux, la victoire, si tant est que l'on puisse parler de victoire - sera une victoire à la Pyrrhus ! De même que je serais triste de voir s'éteindre des élevages et des métiers traditionnels, de même, je serais déçu de voir disparaître du territoire français les derniers ours ou les quelques loups qui y sont présents !

On pourrait d'ailleurs également inclure dans nos préoccupations les pêcheurs traditionnels côtiers qui affrontent une situation extrêmement difficile, notamment en raison des pressions internationales.

Il est difficile d'évaluer la notion de liberté. Dans le cas des Béarnais, il est vrai qu'ils ont de tout temps connu l'ours et de ce côté-là, la question ne se pose pas !

Si l'on parle des Pyrénées centrales pour l'ours ou des Alpes pour le loup, la question n'est pas facile à trancher, mais renvoie à une échelle de temps ! Est-ce que l'on admet qu'un pays qui a perdu pendant une cinquantaine d'années ses loups, peut considérer que c'est une situation acquise et qu'aucun retour n'est envisageable ? La réponse doit être politique dans la mesure où il faut en débattre.

J'ignore si le terme de liberté est bien approprié, mais, le paradoxe de la discussion à propos du retour de l'ours dans les Pyrénées centrales c'est que le monde de l'élevage s'en est trouvé quelque peu écarté au motif, assez curieux, qu'il serait à la fois juge et partie ! Je pense qu'il devait, à l'évidence être associé au débat puisque le travail des éleveurs ne peut pas être comparé à l'activité chasse qui reste un loisir. Je vois là une erreur de stratégie !

Si l'on est capable de parvenir à une discussion d'ensemble, sans exclure les voix minoritaires, si l'on est capable de faire jouer la démocratie, ce qui me paraît essentiel dans notre pays, aujourd'hui, en fonction de la réponse des uns et des autres, nous devrions parvenir à une solution. Dans ce cas, je parlerai d'échanges plutôt que de « liberté » qui est un terme un peu brutal par rapport au retour de deux espèces qui s'est fait dans des conditions d'ailleurs différentes, puisque je considère que celui du loup est naturel alors que celui de l'ours est la conséquence de réintroductions !

M. Augustin BONREPAUX : Les questions financières ont un impact important. Or, vous jugez que la réforme de la PAC serait susceptible de faire disparaître l'élevage. Dans ces conditions, nous risquons, non seulement, de manquer de moyens pour soutenir cette activité, mais aussi de voir les prédateurs se charger de faire disparaître les éleveurs les plus résistants. L'Etat français sera-t-il en mesure de gérer ce risque et de ne pas sacrifier l'élevage aux prédateurs ?

M. François MOUTOU : Je ne peux pas dire ce que ferait l'Etat dans une telle situation, monsieur Bonrepaux. Il est vrai que l'on peut imaginer que la pratique du pastoralisme risque de se perdre au profit d'un élevage concentré en plaine et obéissant à des méthodes de production tout à fait différentes !`

On peut également imaginer qu'en montagne, on privilégiera, grâce à des aides, un type d'élevage réellement extensif où les troupeaux seront gérés de façon plus écologique qu'économique. C'est un système qui reste à inventer, en particulier pour les habitants de ces vallées !

Mme Véronique CAMPION-VINCENT : En conclusion, je ne parlerai pas tant de rumeurs et de légendes que de stratégie. Je pense que les groupes qui ont des opinions fortes, ce qui est un peu le cas des mouvements que l'on pourrait désigner comme étant « protecteurs de la nature », adoptent une stratégie sociale bien définie qui consiste à s'appuyer sur une opinion publique, à dominante urbaine, qu'il tentent d'influencer de telle sorte que ce soit elle qui fasse la loi !

Il ne faut donc pas être trop angélique en se référant à une demande, car cette demande a été poussée et construite ! Il est indéniable que, dans un tel processus, l'éleveur n'a pas une légitimité égale à celle du défenseur de la nature !

Mme Nathalie ESPUNO : J'ai, pour ma part, le sentiment que, depuis que les grands prédateurs causent des dommages aux troupeaux, on parle beaucoup plus du pastoralisme. Je me demande donc s'il ne convient pas de saisir cette occasion pour stimuler la réflexion sur tous les autres problèmes dont souffre le pastoralisme.

M. Henri OLLAGNON : Je souhaiterais rebondir sur la question de la liberté !

J'ai longtemps travaillé au ministère de l'agriculture et j'ai pu voir sur une vingtaine d'années se déliter le contrat de qualité qui liait les Français à leur agriculture. Aujourd'hui, quand les agriculteurs touchent des subventions, la chose est mal comprise. Sur les projets agricoles, il nous est donné de rencontrer des agriculteurs et le fait de les subventionner sur des procédures mal fondées les incite à partir ! Actuellement, le contrat passé entre l'agriculture et la nation n'est pas de nature à assurer la pérennité des exploitations agricoles !

Les agriculteurs abandonnent leur activité parce qu'ils refusent d'être financés par une société qui exprime des attentes mais aucune demande, et qui n'assume pas la responsabilité du vivant : tout le problème est là !

Qui est aujourd'hui responsable de la qualité du territoire ? Un peu tout le monde, mais sans qu'il y ait le moindre dessein commun. Tout prouve que nous souffrons d'un énorme déficit de capacités stratégiques ! Il faut donc mettre de l'intelligence dans le système et faire en sorte qu'elle intervienne de façon légitime et pertinente. La gestion conviviale de la qualité des territoires est un art qui se conjugue à plusieurs ; cet art a besoin de technique, notamment d'ingénierie stratégique, mais aussi et d'abord, de libre engagement de chacun.

Il faut que nous sortions de la vision de l'Etat-papa car ce papa n'a seul ni l'intelligence, ni l'argent suffisant pour prendre en charge toutes ces responsabilités. Il peut faire un certain nombre de choses, mais il ne peut pas tout faire ! Il doit faciliter l'action en commun et cela vaut aussi bien au niveau des régions, des départements, des communes qu'à celui de tous les acteurs qui ont concernés par les grands prédateurs.

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie toutes et tous de votre participation.

Audition de M. Yves COCHET,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement,
de juillet 2001 à mai 2002

(Extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 12 mars 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Yves Cochet est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation de M. le Président, M. Yves Cochet prête serment.

M. le Président : En votre qualité d'ancien ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, vous avez eu en charge le dossier sur lequel travaille aujourd'hui notre commission d'enquête qui touche aux conditions de l'élevage ovin face aux problèmes des grands prédateurs que sont le loup, l'ours, le lynx, etc.

Si notre commission d'enquête a concentré une grande partie de ses travaux sur les conditions de réapparition du loup dans les Alpes françaises en 1992, elle les a étendus à la manière dont se sont conduites les politiques publiques dans notre pays à l'égard d'un certain nombre d'espèces protégées de grands prédateurs, dont l'ours et le lynx.

Je vous propose, monsieur le ministre, de nous résumer en quelques mots votre expérience. Ensuite, nous procéderons à un échange de questions-réponses avec le rapporteur et avec les autres membres de la commission.

M. Yves COCHET : Monsieur le Président, je vais brièvement résumer en deux parties ce que j'ai fait pendant la période que vous avez indiquée et ce que je pense. Ce n'est peut-être pas tout à fait la même chose mais cela permet une liberté de parole.

Ce que j'ai fait s'est inscrit dans une continuité gouvernementale, au-delà de l'alternance. En effet, comme vous l'avez vous-même indiqué, le loup est une espèce protégée par différentes directives, conventions et même par un arrêté ministériel du 10 octobre 1996. Il a fait sa réapparition naturelle vers 1992 en France. Les gouvernements, en tout cas celui auquel j'ai appartenu, ont toujours été conscients des problèmes de cohabitation entre les activités pastorales et les loups dans l'arc alpin français. On peut les évaluer, dans les années actuelles, aux alentours d'une trentaine, à peu près cinq ou six meutes peut-être. Cette cohabitation a posé en effet quelques problèmes.

Les chiffres que j'ai eu à connaître montrent qu'en moyenne annuelle, par exemple sur les années 2000, il y a eu à peu près 1 500 moutons qui ont été soit blessés, soit tués, sans doute du fait du loup, sur un cheptel global de 9 000 000 ovins. Il faut savoir que 200 000 d'entre eux meurent annuellement par accident ou par maladie.

A la suite de rapports de missions parlementaires, notamment celle de M. Robert Honde, puis d'un rapport de M. Pierre Bracque au comité national du loup, vers mars 2000 - avant mon propre ministère - a été mis en place un plan pour la préservation du pastoralisme et du loup, en collaboration avec le ministère de l'agriculture. Cette concertation s'est déroulée jusqu'en juin. Le 29 juin 2000 a été mis en place un dispositif triennal - 2000-2002 - de soutien au pastoralisme et de gestion du loup au niveau national, avec des déclinaisons dans chaque département alpin.

Son objectif était la cohabitation, avec le développement du soutien à la mise en place de mesures de protection. Y a été adjoint un protocole prévoyant et organisant une possibilité de régulation en cas d'attaques répétées sur les troupeaux, protocole qui a été amélioré dans les années 2001 et 2002 avec concertation des préfets, du conseil national de la protection de la nature, des socioprofessionnels éleveurs et du comité national du loup. Nous souhaitions donc soutenir matériellement les éleveurs et favoriser la prévention par des mesures sur lesquelles nous reviendrons peut-être : les chiens de protection, les parcs de regroupement nocturne, la présence humaine permanente, les cabanes d'alpage, l'indemnisation... Je pense que cette prévention mise en place voilà à peu près trois ans ou quatre ans, est efficace.

Quelle est l'estimation des moyens mis en œuvre ?

Les moyens dont je peux vous donner quelques exemples ont été mobilisés à la fois par le programme Life, par le ministère dont j'avais la charge et par le ministère de l'agriculture pour un peu moins. Je ne parle pas du programme Life proprement « naturaliste » - l'étude biologique - mais du programme Life « politique ».

Pour la période 2000-2002, il s'est agi de 25 millions de francs : 9 millions de francs pour le programme Life dont 40% venaient de l'Union européenne, 60% venant des ministères français, notamment du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement ; 7 millions de francs du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement et 9 millions de francs du ministère de l'agriculture et de la pêche.

Ces 25 millions de francs se répartissaient en 11,2 millions de francs pour la prévention-protection ; 7,8 millions de francs pour l'indemnisation, selon les barèmes européens, et 6  millions de francs pour l'aménagement pastoral.

Voilà à peu près ce que j'ai continué à faire après mes prédécesseurs.

Il n'y a pas eu d'événement particulier, hormis, bien sûr, quelques dégâts ici ou là. A chaque fois, je constate, avec vous sans doute, qu'il y a un drame évidemment pour les éleveurs et qu'il faut se préoccuper de cette question à la fois de manière sociologique, sociale et même psychologique.

Quelle est la réalité biologique et les conséquences pratiques que je pourrais proposer ?

Je suis convaincu par les études scientifiques dont nous avons eu connaissance que le retour du loup en France est d'origine naturelle. D'abord, il y a eu une dépopulation humaine - vous le savez mieux que personne, monsieur le Président - et une déprise agricole dans les régions alpines pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le loup. Il en est résulté un retour « sauvage » d'une certaine faune, notamment les grands ongulés, et d'une certaine flore, la forêt, les landes, simplement parce que il y avait moins de monde dans nos départements alpins. Le développement des populations de ces grands ongulés a créé des conditions favorables au retour du loup, en tant que super-prédateur. Ce dernier participe ainsi à l'écologie stabilisante de ces populations. Je pense donc qu'il n'y a pas eu de réintroduction. Les études montrent bien qu'il s'agit d'un retour naturel de loups d'origine italienne.

Il y a eu une certaine impréparation ou du moins une surprise du côté des éleveurs. Certains ont demandé une éradication du loup. Je ne pense pas du tout que ce soit la solution ou du moins c'est une fausse solution, simplement parce que c'est impossible. Nous proposons plutôt une approche globale fondée sur des principes et des propositions concrètes.

Premier principe, il faut d'abord préserver l'agro-pastoralisme. Je pense que c'est indispensable pour ces régions montagnardes, à la fois pour des raisons économiques, sociales, écologiques. Nous observons dans ces régions des incendies et des avalanches et l'actualité toute récente de la semaine dernière nous le rappelle. Les bergers peuvent jouer un rôle dans ce domaine. Des raisons touristiques aussi plaident pour cette préservation.

Deuxième principe, je crois que le loup n'est pas responsable de tous les maux et de tous les problèmes. Le pastoralisme souffre de la dépopulation et de la déprise agricole dans ces régions. Il souffre aussi de la mondialisation, c'est-à-dire d'une concurrence entre les élevages ovins partout dans le monde.

Les éleveurs ont essayé d'augmenter la taille de leur troupeau ; ils ont parfois été contraints de diminuer le nombre des bergers ou des aides-bergers dans une perspective que j'appellerais, de manière un peu critique, productiviste !

Cela ne marche pas si vous êtes seul avec un troupeau de 1 500 ou 3 000 têtes, troupeau qui est même abandonné à lui-même de temps en temps. Ce troupeau est évidemment fragilisé.

En outre, il faut prendre en compte l'aspect émotionnel ou symbolique. Ce loup a parfois été traité comme bouc émissaire, comme masque pour cacher les des problèmes socio-économiques réels de la profession pastorale.

Troisième principe, je crois qu'il faut inverser la tendance, c'est-à-dire diminuer la taille des troupeaux, reproposer une main d'œuvre humaine qui soit plus nombreuse sur les alpages. Pour résumer par une sorte de slogan un peu provocateur, je dirais « non » au productivisme et « oui » à une politique contractuelle multi-objectifs du type contrat territorial d'exploitation -  CTE - quelle que soit par ailleurs l'opinion qu'on a de ces derniers. Cette politique contractuelle doit être fondée sur la qualité des produits et sur la gestion de l'espace - le pasteur a alors plusieurs cordes à son arc - et fondée sur la maîtrise du nombre des troupeaux, la reconnaissance de l'utilité sociale du pastoralisme et la présence d'aides bergers.

Quelles sont les propositions concrètes que je mettrais au débat ?

Première proposition, l'amélioration des réseaux de collecte d'informations au travers bien sûr de la profession elle-même, des DDA, de l'ONF, l'ONCFS, de France Nature Environnement et autres réseaux internationaux. Cette approche peut se faire à l'échelon européen, bien entendu.

Deuxième proposition, le remplacement des indemnisations par un système d'assurance "grands prédateurs" car il n'y a pas que le loup.

Troisième proposition, la généralisation des chiens de protection.

Quatrième proposition, la poursuite des soutiens directs par les aides à l'acquisition, par exemple d'enclos mobiles, les postes d'aides-bergers, les cabanes, les moyens de communication, les téléphones mobiles, les radios téléphones, et enfin les aides forfaitaires aux éleveurs qui pourraient investir dans les mesures de protection du dispositif dont j'ai parlé.

La mise en oeuvre de ces propositions coûterait fort peu cher à mon avis, si l'on considère l'ensemble du soutien français ou européen à l'agriculture globale. Il ne s'agirait que de quelques dizaines de millions d'euros sur trois ans, puisqu'il s'agit de programmes triennaux, et un tel soutien permettrait cette cohabitation que je souhaite voir pérenne.

M. le Président : Je vous remercie. Vous parlez de renforcer la présence humaine et vous avez même parlé de présence humaine permanente. Comment verriez-vous le financement de ces mesures ?

Vous avez été ministre, membre d'un gouvernement à une époque où, tout comme aujourd'hui, on ne peut pas considérer qu'un éleveur puisse à lui seul assumer 7 jours sur 7, 7 nuits sur 7, 24 heures sur 24, la surveillance de son troupeau, à une époque où l'on propose à chacun de ne pas dépasser 35 heures de temps de travail par semaine. Mais un troupeau de 300, 500, 600 têtes ne peut pas assumer le revenu des cinq ou six bergers qui seraient nécessaires pour assurer de manière permanente cette surveillance.

Considéreriez-vous qu'il appartient à la puissance publique de faire des éleveurs et des bergers des emplois publics ?

M. Yves COCHET : Non ! Je n'ai pas parlé d'emplois publics.

M. le Président : A partir du moment où l'on paye des emplois, ceux-ci deviennent des emplois publics !

M. Yves COCHET : Non ! Comme notre agriculture en général est soutenue, il faut soutenir la formation et la préparation des bergers : on ne s'improvise pas spontanément berger ou aide-berger et des techniciens agricoles sont nécessaires à la gestion des troupeaux. L'enseignement agricole et l'association nationale pour le développement agricole pourraient aider à cette formation.

Selon les chiffres que j'ai cités pour le programme triennal 2000-2002, cette formation coûtait quelques millions de francs à l'époque, elle coûterait maintenant quelques centaines de milliers d'euros. Je pense plus à un soutien à la formation qu'à des postes de fonctionnaires. Ce pourrait être aussi une incitation en direction des jeunes qui souhaiteraient vivre ainsi dans les alpages. Les alpages peuvent d'ailleurs également faire l'objet d'un soutien économique et les maires des communes des départements alpins ou des départements montagnards sont en général eux-mêmes intéressés à leur location. Ce soutien passerait par des aides du programme Life ou viendrait directement des ministères mais il ne s'agirait pas de fonctionnaires.

Par contre, il peut y avoir des gardes lorsque, pour des raisons graves et même si l'espèce est protégée, il y a une demande d'abattage d'un loup. Dans ce cas, seule une personne assermentée et agréée peut intervenir. Certes, parfois ce sont des gens un peu excédés qui sont intervenus. Mais il faut le faire dans des conditions encadrées.

M. le Président : Etes-vous favorable à cet équilibrage de la présence du prédateur par l'élimination ?

M. Yves COCHET : Je ne crois pas à la politique dite de « zonage », même si elle a pu vous être proposée par des interlocuteurs. Pour des raisons exceptionnelles et de gravité, il peut y avoir ponctuellement ce type de recours, comme cela se passe d'ailleurs dans d'autres pays. Mais encore une fois, ce n'est pas une politique de gestion normale. La gestion normale se décline plutôt selon les lignes ou les mesures que j'ai préconisées.

M. le Président : Vous dites être défavorable à la politique de zonage. Mais est-ce que vous concevriez que des territoires puissent être consacrés à l'élevage et sur lesquels on aurait le droit d'organiser un système de défense si le loup s'emparait ou tentait de s'emparer de ce territoire ?

M. Yves COCHET : Non ! C'est précisément ce à quoi je ne suis pas favorable.

Il existe, bien sûr, les territoires particuliers que sont les grands parcs nationaux. Mais, en dehors de cela, j'estime qu'il faut mettre en œuvre une politique de prévention, de précaution et de protection, par l'aide aux bergers et au pastoralisme, par exemple les enclos nocturnes et les enclos mobiles, plus qu'une sorte d'interdiction qui se traduirait par des mesures un peu fortes, comme les abattages. Je crois qu'il faut plutôt organiser l'équilibre. Comme les grands prédateurs, les loups sont des animaux libres ! Mais il faut s'en protéger par des mesures qui ont montré leur efficacité entre 2000 et 2002.

M. le Président : Vous nous avez fait part de votre conviction sur le retour du loup, question sur laquelle notre commission a beaucoup travaillé. Il lui est difficile aujourd'hui de confirmer une hypothèse ou une autre, même si elle estime globalement que le loup, revenu depuis 1995-1996 dans les Alpes, est probablement revenu naturellement. Toutefois, nous avons une véritable zone d'ombre pour 1992. Nous avons fait un travail d'investigation sérieux et quelle que soit la position de départ, il est difficile d'y voir clair.

Des questions juridiques se posent. Quelle est l'analyse de l'Européen convaincu que vous êtes, sur le retour des espèces et la protection qui leur est assurée par la directive Habitats, et par la convention de Berne, concernant ce qu'on appelle, dans ces textes, « les espaces de répartition naturels » ? Le loup, réapparu en 1992, au milieu d'un parc, était-il dans son espace de répartition naturel ou pas ? Dès lors, la directive Habitats ou la convention de Berne s'appliquait-elle ?

M. Yves COCHET : Je ferai une double réponse.

Ma conviction sur cette réapparition est fondée sur des observations de type scientifique : je prétends qu'elle est naturelle et non pas réintroductive, contrairement aux ours pyrénéens pour lesquels une politique volontariste est menée. Personne ne s'en cache d'ailleurs.

Au départ, dans les années 1990-1992, on manquait d'indices. Des cadavres été retrouvés en Italie depuis 1984 ; puis deux loups en Ligurie pendant l'hiver 1985-1986 ; quatre loups, qui ont été tués d'ailleurs, dans la vallée de Bordera et Curone en 1985 ; enfin un couple de loups, quatre loups, en janvier 1990 dans la province de Gênes. Il y avait donc une présence avérée du côté italien.

D'après mes informations, près de 450 indices de présence ont été relevés depuis la vallée de Stura à la vallée d'Aveto, du nord-est au sud-ouest de la province de Gênes, en passant par Pavie et Pianenza, toutes deux situées dans les Apennins.

Ces régions sont marquées par un faible peuplement, voire par un dépeuplement, et l'élevage y reste marginal. Dès lors, les dommages sont eux-mêmes marginaux mais l'avancée de la faune et de la flore "sauvages" n'est pas du tout une surprise. C'est en ce sens que je ne crois pas qu'on puisse parler maintenant, à moins de remonter à plus de deux siècles, de zones qui seraient naturelles ou pas pour les grands prédateurs.

M. le Président : Je me permets de vous interrompre sur ce point. Il ne s'agit pas de deux siècles mais de quatre-vingts ans, puisque le dernier loup a été éliminé dans les Alpes en 1924. De plus, ce n'était pas un loup d'Italie. En tout cas, ce loup n'avait pas les caractéristiques du loup italien mais plutôt celles du loup de l'Europe de l'Est. Il n'avait donc pas la même source génétique. Affirmer que le loup italien a fait son retour dans son espace de répartition naturel, alors qu'historiquement ce n'était pas le cas, nous semble une ineptie.

M. Yves COCHET : Je n'ai pas assez de données pour infirmer ou confirmer votre hypothèse. Nous savons en tout cas que du fait de cette dépopulation agricole générale en Europe, le loup, en faible nombre, en meutes de quatre ou six individus, occupe des territoires assez vastes, de l'ordre de 200 km². Il faut, en outre, tenir compte de la reproduction. Les jeunes partent quérir d'autres territoires. Les souches sont-elles italiennes ou viennent-elles du nord ou de l'est ? Je ne le sais pas. Les loups peuvent « voyager » assez longtemps pour trouver des territoires.

Je n'emploie pas le même vocabulaire que vous et je ne peux donc pas en dire plus sur votre hypothèse.

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre, il est vrai que on est plutôt dans l'hypothèse selon laquelle le loup serait revenu naturellement en France, mais sans en être sûrs. Néanmoins, certains faits nous troublent.

Il y a deux sortes de loups. D'une part, les loups très sauvages que l'on ne voit que rarement et dont on ne voit que les dégâts. D'autre part, des loups, de plus en plus nombreux, qui s'approchent des maisons et qui descendent maintenant jusqu'à 1 000 mètres d'altitude, même plus bas pour ce qui concerne les Alpes Maritimes. Nous en arrivons à nous demander si certains n'ont pas été réintroduits. A l'époque, de nombreux élevages étaient très peu contrôlés. Quel est votre avis sur ce point ?

Comment expliquez-vous, par ailleurs, le caractère extrêmement passionnel et conflictuel de ce dossier ? Le loup est désormais très médiatisé et de nombreuses associations de protection de la nature se mobilisent dès qu'il est question du loup !

Pensez-vous que le ministère de l'environnement a bien géré le retour des loups dans les Alpes, en termes de communication et de consultation des populations locales ? A ce jour, telle n'est pas notre impression.

En tant qu'ancien ministre, vous connaissez sans doute l'institution patrimoniale du Haut Béarn qui est un exemple de bonne gestion du patrimoine naturel d'une région. Pensez-vous que cet exemple pourrait s'appliquer à d'autres domaines ?

Pensez-vous que la réintroduction des ours dans les Pyrénées a été une bonne idée et qu'il est nécessaire d'aller encore plus loin ? Que pensez-vous enfin de la réintroduction du lynx en France ?

M. Yves COCHET : A ma connaissance, et en tout cas du temps où j'étais ministre, je puis vous assurer qu'il n'y a pas eu de réintroduction volontaire de la part des pouvoirs publics et de la part de telle ou telle association. Y en a-t-il eu avant ? A ma connaissance, non. Je connais un peu les associations qui s'en sont occupées et les études qu'elles m'avaient fournies à l'époque montraient que ce n'était pas le cas. D'ailleurs, la génétique des excréments et les différentes traces qui ont pu être relevées montrent que ces loups venaient de souches italiennes.

Je ne peux pas dire qu'il y ait eu de réintroduction. Je dis même le contraire : il n'y a pas eu de réintroduction.

M. le rapporteur : Les loups peuvent être réintroduits par l'Italie aussi.

M. Yves COCHET : Il faut regarder les trajets d'une certaine manière. Les éléments dont je vous parlais, aussi bien les cadavres éventuels que les traces d'excréments, se sont échelonnés à la fois sur les années et sur les trajets jusqu'au Mercantour ou dans les Hautes-Alpes.

Je le répète, en ce qui me concerne, et du temps où j'avais cette responsabilité, il n'y a pas eu de réintroduction.

Le problème du loup n'était pas un des problèmes les plus urgents et des plus graves de mon ministère. Toutefois, parmi les conseillers de mon cabinet, une personne s'occupait du loup pour une bonne part de son temps et connaissait bien cette problématique. J'ai eu plusieurs fois à discuter de ce problème et je me souviens avoir fait un voyage dans les Hautes-Alpes, dans le parc des Ecrins où nous avons parlé du loup avec les responsables du parc et les bergers. Nous en avons parlé un peu moins avec les maires, tout simplement parce qu'ils avaient boycotté ma venue. Mais c'est là une anecdote « politique » !

La gestion de ce dossier par mon ministère s'est située dans une continuité qui ne date pas seulement de Mme Voynet. En effet, Mme Lepage, M. Barnier ont eu aussi à s'en occuper et même peut-être Mme Royal en 1992.

Les loups, et les autres grands prédateurs auxquels vous avez étendu vos investigations, sont des prédateurs mais ils peuvent avoir une utilité dans la mesure où d'autres mammifères comme les grands ongulés ont fait également leur retour et se sont multipliés. Dieu sait si à propos de la loi chasse le cas des sangliers et des cerfs a été mis en avant ! Je crois qu'il peut y avoir un équilibre. L'être humain doit, bien entendu, intervenir en tant que gestionnaire responsable mais il est normal aussi que plusieurs espèces cohabitent selon un schéma "proie/prédateur", vieux comme le monde.

Pour l'ours, la réintroduction a été volontaire. Il existe en effet dans le Haut Béarn une structure spécifique. Il faut continuer à chercher des solutions avec tous les interlocuteurs. La meilleure gestion est en effet celle qui se fait près du terrain, avec toutes les parties prenantes.

C'est la même chose pour le lynx.

M. François BROTTES : Avez-vous eu à connaître de demandes de régulation de la part de préfets ? Et quel regard portez-vous sur la capacité opérationnelle du protocole de régulation ?

On constate que l'incompréhension demeure sur ce dossier parce que beaucoup d'argent est consacré à préserver une espèce, alors que le secteur d'activité agricole est en difficulté. En outre, une mobilisation 24 heures sur 24 des bergers est nécessaire, ce qui n'est pas toujours accepté. Beaucoup d'aides-bergers, à la vocation un peu spontanée, s'en vont très vite parce qu'ils trouvent le travail trop dur, plus dur qu'il n'y paraît sur les photos.

Je n'insiste pas sur la difficulté liée aux enclos mobiles dont j'ai observé, dans ma région, l'efficacité toute relative et les conséquences sur les troupeaux atteints par le piétin. Le loup est intelligent, il évite le dispositif. Il faut donc être réactif et inventer en permanence de nombreux modes de protection. Comment, dès lors, retrouver la voie du dialogue et de la sérénité sur ce dossier ?

On a reproché au parc national du Mercantour d'avoir fait un vœu de silence un peu prolongé à l'égard des élus locaux sur la date de la réapparition du loup. La conclusion qui a été tirée, y compris avec les professionnels présents, est qu'il faut améliorer l'implication locale dans la gestion des espaces naturels protégés. Dans le débat actuel sur la décentralisation, est-il bon ou pas que parc national devienne parc régional ?

Ma dernière question a trait aux personnes assermentées et agréées. On a pu observer que le "réseau loup" est composé à la fois de gens assermentés et dûment habilités à apporter des informations et à faire des constats mais aussi de personnes qui sont plutôt des passionnés du sujet que des assermentés. Cela ne veut pas dire qu'ils sont malhonnêtes mais quand un dispositif comporte des points apparemment « fragiles », c'est tout le dispositif qui est mis en cause. Quel regard portez-vous sur la composition du "réseau loup" et sur le fait qu'une part de son action puisse être remise en question parce qu'il n'est pas composé de gens qui ayant la même éthique ?

M. Yves COCHET : Je n'ai pas souvenir qu'un préfet m'ait appelé pour m'informer d'un accident grave et interrogé sur la nécessité d'organiser une battue.

M. le Président : Pouvez-vous nous préciser si c'est bien sous votre mandat qu'a eu lieu la seule battue administrative organisée par l'Etat ?

M. Yves COCHET : Un ministre traite de beaucoup de questions tous les jours ! Mais je n'en ai pas le souvenir à l'instant. A quelle date était-ce, monsieur le Président ?

M. le Président : C'était en décembre 2000, dans la Haute Vésuvie, à Venanson. De toute façon, il faut rappeler que ce fut sans résultat ! Quand l'Etat, sous l'autorité du préfet, a organisé la battue administrative, conformément aux textes en vigueur et aux directives, toutes les associations de défense de l'environnement et du loup se sont précipitées sur le site pour effrayer le loup, le faire fuir et empêcher l'autorité de l'Etat de s'exercer normalement.

M. Yves COCHET : Je n'ai pas de commentaire à faire sur ce point, hormis le fait que d'effrayer les loups peut être aussi un moyen de défense pour les pasteurs !

J'ai indiqué qu'il me semblait qu'en effet on ne peut pas s'improviser berger ou aide-berger et que la profession agricole elle-même devrait être aidée. Ceux qui ont cette « vocation » et qui le souhaitent devraient pouvoir recevoir une vraie formation et pouvoir en faire un métier. Je n'ai pas été berger mais j'imagine fort bien que ce métier n'est pas toujours facile, ne serait-ce que pour la solitude.

Bien sûr, il y a une question d'argent mais je ne crois pas que les sommes en jeu soient si importantes par rapport à l'immensité des sommes débloquées chaque année par l'Europe ou la France en matière d'aides générales à l'agriculture. Si l'on veut que cette cohabitation existe, l'effort nécessaire est marginal dans le budget européen ou dans celui de l'Etat.

Le statut des parcs nationaux naturels actuels périurbains doit être révisé. Pour les autres parcs nationaux, je ne suis pas sûr que la gestion locale soit opportune.

Je suis pour la concertation locale et je suis pour la décentralisation. Mais il faut que les pouvoirs publics européens ou français puissent avoir une vision qui se situe en dehors de certaines considérations d'aménagement ou d'intérêts économiques locaux. C'est à l'échelon national ou européen que l'on peut avoir une telle vision.

Vous m'interrogez sur le « réseau loup » et vous me dites qu'il y a des militants « pro-loup » parmi les associatifs. Eh bien oui et j'en connais quelques-uns. Ils militent d'ailleurs parce qu'ils aiment les animaux et la nature.

M. François BROTTES : Dans le « réseau loup » il y a des personnes qui ne sont pas assermentées et dont on peut penser qu'elles ne sont pas compétentes. J'ose penser que celles qui le sont se comportent vraiment comme des personnes assermentées.

M. Yves COCHET : Sur la deuxième partie de votre opinion, je m'accorde avec vous et je n'en dirai pas plus. Je pense que les gens assermentés savent ce qu'ils font. Alors, qu'il y ait parmi les non assermentés du « réseau loup » des gens qui soient des militants, sans doute ! Ce ne sont pas des écologistes intégristes mais des personnes qui sont, sans fanatisme, et pensent que, un peu comme en Italie où il y a dix fois plus de loups qu'en France, il pourrait y en avoir un peu plus dans notre pays.

M. Augustin BONREPAUX : Je souhaite poser quatre questions en m'appuyant des expériences vécues.

Vous reconnaissez que la présence de prédateurs impose des contraintes supplémentaires, en particulier aux éleveurs. Qui doit payer toutes ces contraintes ? Est-ce l'éleveur ? Les éleveurs ont l'impression d'être un peu pris en otages par l'Etat qui, certes, consacre des crédits importants à cette mesure mais qui ne les en fait pas bénéficier forcément.

Pensez-vous donc que cette réintroduction a été bien gérée ? Ne pensez-vous pas qu'en faisant différemment, peut-être les problèmes n'auraient pas été si importants ? Et qui doit payer tout cela ?

Est-il normal que l'Etat consacre des moyens à faire la promotion dans les écoles, en essayant de dresser une partie de la population contre une autre ? Tout cela revient à donner le sentiment à une minorité d'éleveurs qu'ils sont « assiégés » par les médias, lesquels se glorifient ensuite d'avoir reçu des subventions de l'Etat dont on ne dit pas comment elles sont distribuées et si elles sont contrôlées. J'ai appris que l'Europe allait supprimer les subventions à la PAC et que la montagne n'aurait presque plus de crédits. Par ailleurs, l'Etat réduit ses recettes en baissant les impôts. Si le nombre de prédateurs augmente, qui va payer s'il n'y a pas de moyens ? Qui va en supporter les conséquences ? C'est quand même l'éleveur et c'est ce qui m'inquiète beaucoup.

Troisième question. Il peut y avoir des accidents. J'ai signalé à plusieurs reprises le cas d'un ours qui vient rôder autour du village, à proximité des lieux habités. J'interroge le ministre de l'écologie et le ministre de l'intérieur sur le point de savoir qui est responsable ? Le maire ne veut pas de cette responsabilité. Faut-il attraire le préfet ou le ministre en justice ? Je n'ai pas de réponse. Qu'en pensez-vous ?

Quatrième question. On parle beaucoup de démocratie de proximité et de décentralisation. Pourquoi ne demanderait-on pas l'avis du comité de massif, instance créée par la loi de 1985 ? Il a de plus en plus de moyens et, de temps en temps, il a « l'outrecuidance » de se prononcer et de donner son avis. Ne pensez-vous pas que, dans ce souci de démocratie de proximité, il faudrait suivre ses avis ?

M. Yves COCHET : Votre première question est relative à la contrainte qui pèse sur les éleveurs. J'ai indiqué dans mon propos initial l'importance de cet exode rural et de l'avancée concomitante de la faune et de la flore sauvages et surtout d'une concurrence mondiale, en ce qui concerne les ovins, en tout cas. Il en est résulté une difficulté et une moins grande attractivité de ce type de profession, avec une tentative des éleveurs vers « le productivisme ». Cela a conduit à ce que les troupeaux soient moins gardés et qu'au contraire les troupeaux soient plus importants.

Je milite - et c'est ce que j'ai fait lorsque j'étais ministre - pour qu'il y ait cohabitation et pour qu'il y ait en France des territoires vivants, y compris montagnards, où il soit possible de vivre dans des conditions économiques, sociales et psychologiques satisfaisantes. Pour cela, le marché ne suffit pas ! Il faut une intervention de la puissance publique, qu'elle soit nationale ou européenne. Ce soutien - pas simplement financier mais aussi sous forme d'aides matérielles, d'aides à la formation par exemple - doit être mis en place pour lutter contre l'exode rural des zones en difficulté et contre la mauvaise image des bergers, mais néanmoins image mythique, comme le disait M. Brottes.

J'ai indiqué quelques principes qui pourraient être mis en œuvre et que nous avons essayé de mettre en œuvre depuis ce plan de l'année 2000. Je comprends bien sûr que les éleveurs soient mécontents parce qu'ils ont perdu l'habitude des prédateurs. Mais il doit y avoir une certaine biodiversité dans nos territoires européens pour préserver un ensemble de chaînes écologiques assez complexes. Dès lors, le fait de réintroduire ou de constater l'existence naturelle de prédateurs ne me semble pas une mauvaise chose. Je ne veux pas dire que je suis un militant fanatique de la multiplication des ours ou des loups. Je dis simplement qu'il faut organiser la cohabitation.

Les moyens de prévention n'empêchent pas les prédations mais, je l'ai dit, ils ont quand même réduit les incidents qui se produisaient avant l'an 2000. Tout en me gardant de faire ici de la politique, je constate comme vous que l'Etat a réduit ses recettes, mais, encore une fois, ces mesures représentent peu d'argent.

M. Augustin BONREPAUX : Il s'agit de l'utilisation de l'argent. Est-ce que l'argent n'aurait pas été mieux utilisé à aider réellement les éleveurs, ceux qui supportent les contraintes, qu'à faire suivre un ours par toute une équipe de quinze personnes qui, ensuite, forment des associations pour expliquer que tout cela est bien et qu'on peut vivre en montagne sans rien faire ?

Faut-il laisser perpétuer cette idée qu'on peut vivre grâce aux crédits européens ? Si l'on avait utilisé ces crédits à indemniser correctement les éleveurs, peut-être que les choses ne se seraient pas passées de la sorte.

M. Yves COCHET : Du point de vue financier, les indemnisations ne me semblent pas mauvaises. D'un point de vue psychologique, c'est autrement difficile.

S'agissant de la démocratie de proximité, je suis pour la décentralisation et je suis même pour la régionalisation. Mais l'Etat a des responsabilités et l'Europe aussi. Autant dans le domaine économique que dans le domaine écologique, il n'y a qu'à un niveau continental ou national que l'on peut efficacement agir. Je pense qu'il faut discuter, savoir qui fait quoi et donc clarifier les responsabilités. En matière écologique, je suis assez partisan, certes d'une gestion locale très concertée, mais aussi de règles nationales et européennes claires, avec des responsabilités nationales et européennes.

M. Augustin BONREPAUX : Je relève toujours l'absence de réponse en matière de responsabilité. Je pense que puisque l'Etat a fait cette introduction, c'est à lui de l'assumer. Mais je n'ai pas de réponse sur ce point.

M. Yves COCHET : S'il y a un accident, s'il y a un ours qui vient dans votre jardin ou celui de vos enfants, bien sûr l'Etat est le garant de la sécurité, y compris contre l'ours. Voilà la réponse de principe que je puis vous faire.

M. Augustin BONREPAUX : Je préférerais qu'elle soit écrite.

M. le Président : C'est comme si elle était écrite : elle est faite sous serment, monsieur Bonrepaux !

M. Augustin BONREPAUX : M. Cochet n'a plus la responsabilité du ministère !

M. le Président : C'est une appréciation que nous soumettrons au successeur de M. Cochet.

M. André CHASSAIGNE : Ma première question concerne l'arrivée naturelle du loup. Pour ma part, j'ai un avis un peu différent de celui du Président.

Scientifiquement, les choses vont toutes dans le même sens. Cependant un argument est utilisé par ceux qui disent que le loup a été réintroduit artificiellement : il n'y aurait aucun indice d'une présence du loup durant les années précédant 1992 sur les territoires italiens proches. Or, dans votre intervention, vous avez cité le chiffre de 450 indices de présence. Il serait intéressant de savoir de quelle période datent ces indices de présence et d'avoir des précisions sur ce point avec les sources correspondantes. C'est bien le seul argument qui reste à ceux qui veulent refuser ce qui est, à mon avis, l'évidence.

Un élément nous a beaucoup frappé durant les travaux de cette commission d'enquête. C'est une forme de « bunkerisation » des esprits qui risque d'avoir des conséquences assez graves pour notre pays dans la mesure où nous sentons que les positions se bloquent du côté des éleveurs, comme du côté des associations environnementalistes. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Je souhaiterais aussi connaître votre avis personnel sur le sentiment, assez largement partagé au sein de cette commission d'enquête, que les territoires devront désormais davantage se consacrer aux loisirs, voire à l'agriculture d'agrément plutôt qu'à la production.

M. Yves COCHET : Je vous communiquerai en effet les sources de ces renseignements d'origine scientifique. Il faudra d'ailleurs pour cela que je mette en pratique la possibilité offerte à tous les anciens ministres d'accéder aux documents qui les concernent, avant que les archives de l'Etat ne soient disponibles pour les historiens et les chercheurs. Je puis me rendre demain avenue de Ségur et demander à consulter tous les documents qui relèvent de la période de mon mandat, par exemple ceux des directions du ministère ou du cabinet.

En ce qui concerne le jalonnement des excréments, nous nous sommes rapprochés du laboratoire du professeur Taberlet qui a essayé d'étudier précisément les mouvements et les migrations des loups. Il a suivi pendant une dizaine d'années le cheminement de plusieurs animaux et les liens de parenté avec d'autres. Il a procédé à des analyses biologiques.

M. le Président : M. le professeur Taberlet a déjà été entendu et nous avons même visité son laboratoire. Il nous intéresserait d'avoir d'autres sources, notamment des sources officielles. En effet, toutes les sources officielles italiennes, sanitaires, régionales ou ministérielles, nous confirment qu'elles n'ont aucune trace de prédation entre l'ouest de Gênes et les Alpes françaises sur la période qui précède l'apparition du loup dans le Mercantour. Il faut mettre à part les deux carcasses de loups, carcasses de loups morts trouvées dans ce secteur en 1990 ou en 1991 et que vous avez évoquées vous-même tout à l'heure. Mais elles n'ont aucune trace concernant les excréments et autres manifestations de prédation. Si vous disposez d'autres sources, nous serions heureux que vous puissiez nous les communiquer.

M. Yves COCHET : J'en viens à la seconde question. Vous me dites qu'il y a certains « intégristes écolos » qui essaient de mythifier la nature. Je ne les connais pas. Il y en a très peu en France mais il y en a peut-être quelques-uns. En tout cas, il faut discuter et éviter la stigmatisation des uns par les autres et réciproquement.

Je crois qu'en Europe, comme dans le monde, le devenir des territoires ruraux est un problème économique, social et écologique tout à fait majeur. Il pose notamment le problème de l'utilisation des territoires ruraux. La cartographie récente montre que ce que l'on peut appeler « l'artificialisation » du territoire français se poursuit à des rythmes de croissance très forts : les infrastructures, les villes, les aménagements se développent au détriment des territoires ruraux.

Il est également possible qu'il y ait, un jour, un conflit d'intérêts entre l'agriculture alimentaire et, par exemple, une agriculture énergétique ou une agriculture de loisirs et de confort pour les urbains. J'en suis tout à fait conscient et j'y suis opposé. Il faut une gestion de l'ensemble du territoire. Nous en avons la responsabilité.

Il y a énormément de pertes en biodiversités dans nos territoires européens. Sans trop extrapoler, il faudrait aussi faire état des changements climatiques qui s'annoncent.

Ce sont autant d'éléments qui poseront de vrais problèmes d'utilisation de nos espaces ruraux avec des nouvelles espèces invasives dont on ne sait pas très comment se prémunir. Cela tient à la fois aux changements climatiques et à la mobilité humaine.

M. Jean LASSALLE : Monsieur le ministre, vous avez beaucoup évoqué la biodiversité et vous avez beaucoup parlé d'exode rural. Moi, je mets l'homme dans la biodiversité, vous aussi, je pense. Or, dans certaines zones de France, c'est l'espèce humaine qui est véritablement la plus menacée. Dans mon propre village, il y a encore une douzaine d'exploitants mais dans dix ans d'ici il n'y en aura qu'un ou deux. Je pense que personne n'a pris vraiment la mesure de l'ampleur du désastre qui se prépare avec la disparition des hommes dans les territoires ruraux. Est-ce que vous n'avez pas le sentiment qu'il n'y a jamais eu une véritable concertation sur ces problèmes ?

Prenons le cas des loups. Qu'ils soient revenus ou qu'ils ne soient pas revenus, en tout cas ils sont là ! Il n'y a pas eu beaucoup d'information des populations. Ceux qui auraient pu en faire ne l'ont pas fait en temps réel.

La réintroduction des ours dans les Pyrénées a été faite alors que Mme Lepage était ministre. Quatre communes seulement y étaient favorables, toutes les autres ont dû subir.

Ne pensez-vous pas que nous payons ainsi notre très faible démographie ? Si nous étions beaucoup plus nombreux, on ferait peut-être un peu plus attention à ne pas introduire des espèces qui posent ensuite des problèmes difficiles à gérer.

Vous disiez qu'il n'y a pas en France, à votre connaissance, d'écologistes trop intégristes. Je peux vous assurer que nous en avons vus et que j'en connais quelques-uns pour les avoir côtoyés durant de très nombreuses années.

M. Yves COCHET : Ils vous connaissent aussi !

M. Jean LASSALLE : Il y en a qui nous ont dit : « Il est normal que les loups et les ours reviennent. Il n'y en a pas assez et il faut qu'il y en ait beaucoup plus. Il faudra effectivement s'adapter. C'est comme ça et c'est tant mieux... » Un interlocuteur auquel nous demandions ce que représentait un loup nous a répondu : « Et que représente Mozart ? ». Mais Mozart ne mange pas beaucoup de brebis et n'a jamais fait de chagrin à quiconque.

J'ai vraiment le sentiment que parce que nous sommes très minoritaires dans une société très urbaine, on nous applique la formule célèbre : « Vous êtes politiquement en minorité et donc vous avez juridiquement tort. » De même, il semble que l'on nous dise : « Vous êtes très minoritaires et donc vous avez tort. »

J'ai aussi le sentiment que tous les ministres ont été pris en otages depuis une quinzaine d'années, à propos des prédateurs par un lobby extrêmement puissant. D'ailleurs, ce lobby ne s'est jamais caché de ce qu'il faisait et ne s'en cache toujours pas. Ses représentants sont très fiers de dire ce qu'ils font. Je peux aussi vous assurer que pendant des années, ils n'ont pas manqué de moyens. Ils savaient en trouver pour ce qu'ils voulaient.

Ce lobby est composé de scientifiques. Il y a le Muséum d'histoire naturelle, la Fondation Cousteau, le laboratoire Taberlet. Il y avait aussi les militants des associations de protection de la nature fédérées par France Nature Environnement, notamment, c'est-à-dire une puissance militante très forte. Il y avait aussi des mécènes. Rhône-Poulenc, pour parler du plus célèbre, Elf Aquitaine qui a mis des brassées d'argent ! Bien d'autres encore. On peut ajouter la commission nationale de la faune sauvage

Vous parliez de décentralisation. Pour ma part, j'ai été pendant dix ans président d'un parc national et je peux vous assurer que la gestion en est extrêmement difficile quand on n'est pas du sérail. Vous recevez « à haute tension » tous les ordres et toutes les directives qui viennent d'en haut et finalement vous n'avez que très peu de marge.

Si vous en avez la possibilité, nous aiderez-nous à remettre en cause la directive Habitats qui prive le ministre de tout pouvoir ?

Enfin, pourquoi nous avez-vous coupé les crédits au moment où l'institution patrimoniale du Haut Béarn était en train d'aller de l'avant ?

M. Yves COCHET : L'espèce humaine n'est pas menacée par les espèces animales ou sauvages. Elle l'est davantage par elle-même. Pour décrire cette menace, ma réponse est assez politiquement engagée. Depuis quarante ans, un modèle agricole productiviste européen a organisé à la fois l'autosuffisance et, au-delà, la surproduction agricole européenne, mais aussi l'exode rural par les hausses de productivité, entre autres.

Je partage l'analyse selon laquelle nos espaces ruraux sont peut-être trop souvent gérés par des personnes qui sont moins sensibles à ce que devrait être un espace rural partagé entre plusieurs activités. Je suis pour la pluriactivité des agriculteurs, y compris l'activité écologique et pas simplement alimentaire, ce qui suppose une présence bien entendu.

Suis-je pris en otage par un lobby ? Je n'ai pas eu l'impression de l'avoir été. Je connais bien les associations ou les autres groupes dont vous parlez. Le Muséum est dans un triste état et ses responsables ont plutôt le moral en berne parce qu'ils ont de moins en moins de crédits par rapport aux biologistes moléculaires. Essayez de faire de la zoologie maintenant : vous êtes ridiculisé ! Je ne parle même pas de l'écologie comparée ou de quelque autre sujet de ce genre : cela n'intéresse plus personne.

Et les autres ? Je les connais et, pour une part, ce sont mes amis. Je ne crois pas qu'ils constituaient un lobby qui ait influencé quiconque. Il y a d'autres lobbies et il faut savoir que tous les ministres sont à l'écoute de nombreux groupes qui viennent leur expliquer quels sont leurs intérêts. Nous les écoutons tous et nous essayons ensuite de prendre des décisions dans l'intérêt général de la France.

Enfin, suis-je pour l'abrogation de la directive Habitats ? Non !

M. André CHASSAIGNE : Etant proche des associations, vous connaissez celles qui s'intéressent à l'environnement, à la protection de la biodiversité et qui sont impliquées dans cette question. Supposons que la commission d'enquête dise par un artifice de langage qu'il ne faut pas « éradiquer » le loup mais qu'en cas d'attaque, il serait possible de tuer les loups qui, dans certaines conditions, attaquent les troupeaux de façon répétitive. Je précise que, pour moi, il n'y a aucun doute : régulation voudra dire éradication. Quelles seraient les conséquences en terme d'image pour la France ? Quelle serait la réaction des associations concernées, de l'opinion publique ?

M. Yves COCHET : Je connais en effet depuis très longtemps les associations. Il fut un temps, mais j'ai essayé d'y mettre bon ordre, où l'on avait tendance à dire « Le ministère de l'environnement, c'est le ministère des associations d'environnement... » Il y avait même une sorte de cogestion, un peu comme il y a eu une cogestion entre le ministère de l'agriculture et un certain syndicat agricole.

On a mis fin à cette situation du côté agricole comme du côté environnement. France Nature Environnement n'a pas cogéré le ministère avec moi, pas plus qu'avec Mme Voynet. Chacun ses responsabilités, chacun son rôle !

Je connais les associatifs et, pour une part d'entre eux, ce sont des amis avec qui j'ai de bonnes relations.

Je crois qu'il faut conserver de bonnes relations entre tous les acteurs dépendant d'un ministère. Nous avons essayé de le faire à travers ce qu'on a appelé les « conventions pluriannuelles ». Beaucoup d'associations font des demandes de subvention tous les ans et nous avons dit que désormais ce serait tous les trois ans. Ainsi, les conventions pluriannuelles d'objectifs avec les grandes associations ont bien marché. Je pense à France Nature Environnement, à la LPO, aux Amis de la Terre, à l'Union Nationale des CPIE, à la Fédération française de randonnée pédestre ou à d'autres encore.

Pour revenir directement à votre question, si jamais il y avait des conclusions restrictives en matière de biodiversité, si elles disaient qu'il y a trop de loups ou trop d'autres espèces en France, je crois qu'il y aurait de vives réactions de la part de ces associations.

Ce fut le cas pour de la chasse. Cet épisode n'est pas terminé car une nouvelle politique de la chasse se met, semble-t-il, en place en France avec Mme Bachelot. Mme Voynet et moi-même avons essayé de régler ce problème et de transposer la directive. C'est un phénomène dynamique car, tous les ans, il faut vérifier dans quel état sont les espaces et les espèces. Mme Bachelot pose à nouveau le problème. D'après mes informations, les associations ne sont pas très contentes.

M. le Rapporteur : Les chasseurs sont contents !

M. Yves COCHET : Non parce qu'on leur a fait des promesses qui n'ont pas été tenues : le Conseil d'Etat a tout cassé.

La commission d'enquête a parfaitement le droit d'adopter les conclusions qu'elle veut et je serai très intéressé par ses conclusions. Pour ma part, j'ai indiqué très clairement, dès mon propos initial, que l'éradication, même masquée, n'est certainement pas la bonne solution.

La bonne solution, c'est l'organisation, même aidée, de la cohabitation selon les orientations et les mesures que j'ai avancées.

M. André CHASSAIGNE : Pouvez-vous être un peu plus concret sur les réactions car vous n'êtes pas allé jusqu'au bout sur ce point ?

M. Yves COCHET : Mes amis associatifs du sud-est, dont certains ont été qualifiés ici d'extrémistes ou d'intégristes, réagiraient sans doute si l'on introduisait une restriction à la liberté du loup qui existe depuis onze ans en France. D'autant qu'il s'agit d'une liberté conditionnée par la responsabilité des pouvoirs publics dans le cadre que j'ai indiqué : le dispositif national et le protocole national. Ce sont à mon avis de bonnes politiques qu'il faudrait continuer et sans doute améliorer par la concertation.

Mais il ne peut pas y avoir une politique de restriction de la présence du loup. Elle serait mal perçue, me semble-t-il.

M. André CHASSAIGNE : Peut-on envisager des mesures de rétorsion au niveau européen ? Cela a été évoqué et c'est pour cela que je pose la question. Est-ce que dans ce cadre là, on pourrait envisager des réactions, dans la mesure où ces conclusions ou les décisions qui pourraient suivre seraient contraires à des directives européennes ?

M. Yves COCHET : On l'a vu dans le cas de la chasse puisqu'en s'appuyant à la fois sur la directive Oiseaux et sur la directive Habitats transposées par la loi Voynet de juillet 2000, les associations ont très vite engagé des recours devant le Conseil d'Etat concernant les dates de chasse. Si, de leur point de vue, des dispositions s'opposaient à la fois à la convention et à l'arrêté ministériel - lequel émanait d'ailleurs d'un gouvernement de la majorité actuelle, en octobre 1996 - elles feraient peut-être un recours.

M. André CHASSAIGNE : Sans doute !

M. Yves COCHET : La commission d'enquête est tout à fait libre de ses conclusions et une association ne peut pas faire un recours contre une commission d'enquête. Il s'agirait d'éventuelles décisions du gouvernement qui, suite aux conclusions de la commission d'enquête, suivrait ses recommandations.

M. Augustin BONREPAUX : Il faut que les loups se reproduisent et qu'ils soient un peu partout, avez-vous dit. Voyez-vous le territoire français avec des loups un peu partout ? Et que devient l'élevage dans ce cas ?

M. le Rapporteur : Et que devient l'homme ?

M. Augustin BONREPAUX : Il y a aujourd'hui une multiplication importante de loups ! D'après ce que j'entends, il y en a un certain nombre...

M. Yves COCHET : 25 à 30 en réalité. Et il n'y a pas beaucoup d'ours, il y en a même de moins en moins.

M. Augustin BONREPAUX : Un seul ours fait suffisamment de ravages pendant toute une année et il passe très rapidement d'un élevage à l'autre ! S'il se nourrissait de sangliers, de chevreuils, cela ne me dérangerait pas, mais il est plus facile de s'attaquer aux moutons et sans doute le mouton est-il meilleur ! En tout cas, je vois que le loup s'attaque aux élevages.

Vous dites qu'il faut qu'ils se multiplient. Vous dites qu'il ne faut pas réguler. Mais alors que devient le reste ? Où est l'équilibre ?

M. Yves COCHET : J'ai toujours dit qu'il y a une responsabilité humaine. Mais la régulation n'est ni l'éradication ni même la réduction du nombre actuel ni d'ours, ni de lynx, ni de loups.

M. Augustin BONREPAUX : Que veut donc dire la régulation ?

M. Yves COCHET : Pour le moment, il y a une cohabitation à organiser.

M. Augustin BONREPAUX : J'explique ma question. Pour moi, la régulation, c'est que sur un territoire donné, quand il y a une densité trop importante de prédateurs, il faut les éliminer ou les mettre ailleurs. Si à un moment donné il y a trop de prédateurs, il y aura des difficultés parce qu'ils n'auront pas d'autre nourriture.

Acceptez-vous donc que l'on dise à un moment donné qu'il y a trop de loups sur un territoire et qu'il faut les éliminer, sans les faire disparaître tous ? Acceptez-vous au moins cela ?

M. Yves COCHET : Non !

M. Augustin BONREPAUX : Dans ce cas, on élimine l'élevage.

M. Yves COCHET : Pas du tout ! J'ai dit le contraire. J'ai dit que je regrettais qu'il y ait de moins en moins d'habitants dans les territoires ruraux, notamment en montagne. Cette dépopulation rurale a des conséquences sur la faune comme sur la flore. Mais le loup, le lynx ou l'ours sont très minoritaires. Il y a beaucoup plus de problèmes avec la multiplication des grands ongulés que sont les cerfs, les chevreuils et les sangliers. Ces derniers se comptent par milliers, voire par dizaines de milliers et il y a là un problème de régulation.

M. Augustin BONREPAUX : Je suis prêt à vous rejoindre sur ce point. Mais qui limite le nombre de bracelets de chevreuils, de cerfs et de sangliers en période de chasse ? Ce ne sont pas les chasseurs !

M. André CHASSAIGNE : Ils y participent !

M. Augustin BONREPAUX : Mais ce ne sont pas eux qui les limitent.

Je reconnais que les chasseurs ont fait des erreurs en réintroduisant trop d'ongulés. Je souhaite que la commission émette des propositions sur ce point car les ongulés font beaucoup de dégâts à l'élevage en détériorant les pâturages. Ce constat me perturbe alors que j'aime bien la chasse.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions, monsieur le Ministre.

Audition de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN,
ministre de l'écologie et du développement durable

(Extrait du procès-verbal de la séance du 13 mars 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

Mme Roselyne Bachelot-Narquin est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, Mme Roselyne Bachelot-Narquin prête serment.

M. le Président : Vous savez que notre commission d'enquête essaie de mieux comprendre les conditions dans lesquelles le loup s'est installé en un temps où vous n'étiez pas à vos fonctions. Vous héritez d'un dossier qui est lourd et difficile et nous souhaiterions simplement que vous puissiez nous apporter quelque éclairage sachant que nous avons déjà eu le plaisir de recevoir votre directeur de cabinet ainsi que le directeur de la nature et de l'environnement qui nous ont apporté déjà quelques réponses.

Vous avez eu l'occasion de nous répondre sur le plan financier en nous adressant un tableau sur les participations financières du ministère de l'Environnement dans le cadre du programme LIFE.

Serait-il possible d'obtenir des compléments d'informations car nous avions demandé une estimation la plus large possible qui comprenne aussi bien l'utilisation des fonctionnaires, la mobilisation des énergies, des services, que ce soit les services centralisés, les services régionaux, les services départementaux, les services des parcs nationaux ? Nous souhaitons avoir un aperçu plus global des choses.

Je vais vous poser immédiatement une question. On me dit à l'heure qu'il est que les crédits nécessaires aux indemnisations pour l'année 2003 ne seraient pas encore parvenus aux directions départementales de l'agriculture, et nous approchons de la saison d'estive, et je sais qu'il y a une forte inquiétude à cet égard. Pourriez-vous apporter une réponse ?

Une deuxième question : nous essayons ici de bien comprendre les implications de la directive Habitats et de la convention de Berne que l'on essaie d'appliquer au loup, à partir d'un retour naturel ou d'une introduction artificielle, je voudrais que vous me disiez à cet égard ce que vous en pensez.

Une troisième question : votre directeur de cabinet nous avait fait savoir que vous seriez très attentive aux conclusions de nos travaux et que vous souhaitiez qu'un véritable équilibre entre la préservation du pastoralisme et la faune sauvage soit trouvé. Comment concevriez-vous des propositions qui permettraient à la fois de préserver des espaces pour le pastoralisme, de contenir le loup sur des territoires où ne serait pas exploité le pastoralisme et la possibilité dès lors de se protéger du loup sur les territoires réservés au pastoralisme en prenant des mesures de capture ou d'élimination ?

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Merci, Monsieur le Président. J'aurais une grâce à vous demander au préalable. M'autorisez-vous, dans un propos liminaire, à dresser de façon brève ma vision globale avant de répondre à des questions.

M. le Président : Bien sûr, Madame la Ministre. Je pense que l'ensemble de la commission sera heureux d'entendre ce propos liminaire.

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Merci. Je viens avec un grand plaisir devant votre commission. J'ai donné des consignes, aussi bien aux membres de mon cabinet qu'à mes services, d'être entièrement à votre disposition tant au point de vue temps qu'au point de vue de la disponibilité intellectuelle pour apporter l'aide la plus complète à vos travaux. Pour répondre, déjà, de façon elliptique à une de vos questions, je veux vous dire que je tiendrai le plus grand compte des conclusions de la commission d'enquête pour que les actions que je mets en œuvre soient infléchies autant que de besoin pour les intégrer. Je ne considère donc pas la commission d'enquête comme ghettoïsée par rapport à ce que je compte faire sur ce dossier de la politique de la nature au ministère de l'écologie et du développement durable.

J'ai, depuis mon arrivée à la tête de ce ministère, décidé de placer l'homme et la femme au centre de mon action. J'ai placé ma politique sous le triple sens de la sécurité, de la transparence et de la participation et j'ajouterais volontiers un quatrième principe, celui de la confiance, sans laquelle rien n'est vraiment possible. Voilà pour dresser le cadre.

Venons-en au loup. Trois points semblent éclairants pour sortir par le haut de ce débat.

D'abord, dans notre pays, les situations sont très contrastées. Pour un cas de cohabitation, sinon réussie, du moins maîtrisée et tolérée entre loup et pastoralisme, -il s'agit du parc naturel régional du Queyras- je constate qu'il y a d'autres cas où cela ne marche pas et peut même susciter un rejet total de la part des éleveurs. Il faut, à chaque fois, en comprendre les raisons et y apporter des solutions adaptées dans le cadre technique et juridique qui nous contraint. Il faut aussi chercher à savoir pourquoi cela marche dans le Queyras qui apparaît un peu comme un site laboratoire. Il semble, là, que le loup ait été d'emblée considéré comme un fait à prendre en compte dans la réalité du quotidien. Une forte mobilisation des élus et de tout le personnel du parc naturel régional, un choix clair d'aide au pastoralisme, la proximité, le contact régulier avec les éleveurs, la bonne organisation, la réactivité des brigades permanentes, enfin, la solidarité de l'ensemble des administrations ont permis à la fois de réduire la prédation du loup et d'accompagner un véritable essor du pastoralisme au sein du territoire, avec une évolution vers une pratique que l'on pourrait qualifier de semi-extensive. C'est un exemple d'approche pragmatique dont je crois il nous faut tirer les enseignements comme il faut d'ailleurs tirer les enseignements des endroits où cela ne marche pas. Je n'ai pas une vision sectaire.

Deuxièmement, le cas de l'Italie, où je sais que vous vous êtes rendus récemment. L'Italie compte une population importante, puisqu'on la chiffre à peu près à 500 loups, beaucoup plus importante en tout cas que chez nous, mais elle n'y provoque pas les mêmes réactions ; au contraire, en Italie, par sa prédation importante de sangliers, qui est sa principale source alimentaire dans ce milieu, le loup permet de réduire les dommages causés à l'agriculture, dommages qui sont beaucoup plus significatifs que ceux causés par le loup lui-même. Le cas italien montre que le loup joue un rôle positif du contrôle des populations d'ongulés sauvages. La comparaison, me direz-vous, et je réponds d'avance à votre observation, n'est pas possible avec la situation que nous rencontrons dans le Mercantour car le mode d'élevage n'y est pas le même, l'exposition des ovins au loup y est plus forte dans le Mercantour du fait d'une production tournée vers la viande et non vers le lait ; l'accès au mouton y est donc beaucoup plus facile que l'accès aux sangliers, bouquetins, cerfs, chevreuils, chamois, mouflons et autres.

Enfin, troisième exemple, que l'on cite souvent quand on parle du loup, c'est l'exemple de l'Espagne, qui compte 2 000 ou 2 500 loups et qui, elle, chasse le loup. L'espèce est protégée au sud du fleuve Duerro. Le loup, compte tenu de ses effectifs, peut être chassé, sur autorisation des régions autonomes et sous condition, au nord de ce fleuve ; son exploitation est une ressource de revenu pour les collectivités, voire pour les sociétés privées de chasse. Cependant, la chasse semble être surtout un outil de gestion utilisé par les régions pour répondre à la pression sociale. Elles peuvent autoriser la destruction de certains spécimens dans le cas particulier d'attaques importantes au cheptel domestique.

Donc, tous ces éclairages très différents - la situation française contrastée, la situation italienne avec un élevage tourné vers le lait et un autre type de chaîne alimentaire, l'exemple de l'Espagne où, curieusement, on a l'impression que la présence de nombreux loups pose moins de problèmes que lorsqu'il y en a peu - m'amènent à identifier trois pistes de travail pour avancer. D'une part, comment permettre aux bergers de réagir et d'être acteurs non seulement dans la prévention mais également dans la défense ? D'autre part, quelle place aux élus dans la gestion ? Troisième point, comment adapter le protocole de prélèvement tout en restant conforme à l'article 9 de la convention de Berne qui l'autorise sous certaines conditions ?

Partant de ces pistes, et je suis très intéressée évidemment pour connaître vos réactions et vos idées en la matière, je considère que l'accompagnement de ce dossier dans les Alpes françaises demande la définition d'un programme d'ensemble cohérent, adapté aux conditions techniques et économiques qui caractérisent la problématique du loup.

En premier lieu, il importe de maintenir un élevage pastoral, fort, vivant pour lui-même dans ses aspects humain, économique, culturel, mais aussi pour la pérennité des milieux et paysages qui lui sont liés.

Je suis convaincue qu'aucune solution ne sera trouvée si ne sont pas pleinement reconnus les problèmes et les contraintes créés auprès des éleveurs par le retour du loup. Je fais donc un choix tout à fait clair en faveur du soutien au pastoralisme et au maintien de l'homme en montagne dans le respect de l'espèce protégée. Pour cela, un travail en liaison étroite avec la profession et le ministère chargé de l'agriculture est engagé, ce qui suppose une vraie approche économique qu'il appartient au ministère de l'agriculture de mener, de renforcer. Je sais que Hervé Gaymard, dans le cadre de la loi affaires rurales, travaille sur l'idée d'un outil alpage spécifique au pastoralisme dérivé du contrat d'agriculture durable. Je trouve cela tout à fait intéressant et, bien entendu, mes services apportent leur contribution.

En second lieu, il convient d'améliorer la gestion du loup, et cela passe par plusieurs mesures. Il faut revisiter et dûment adapter le dispositif en place pour la maîtrise des attaques. Il est important d'être beaucoup plus réactif et, pour cela, les éléments suivants paraissent essentiels : un principe de réaction dès la première attaque, comprenant un renfort immédiat du gardiennage, un repérage pour un éventuel prélèvement, une indemnisation beaucoup plus rapide, voire même une indemnisation immédiate forfaitaire.

En cas de prélèvement décidé, il est important qu'il y ait une concertation avec l'ensemble des acteurs pour permettre d'autoriser le berger, s'il le souhaite, à participer au prélèvement.

L'ensemble suppose des équipes formées, coordonnées, pourquoi pas par les élus, la question mérite d'être posée ; je verrais très bien un élu coordonner cette équipe, des équipes réactives, mises en place à partir des moyens que nous avons, l'ONCFS, qui est sous ma responsabilité, l'ONF qui est sous ma coresponsabilité avec le ministère de l'agriculture, les parcs nationaux, les parcs naturels régionaux.

Premier point : revisiter le dispositif mis en place pour la maîtrise des attaques.

Deuxième point : je veux redire que les élus doivent trouver leur place dans le dispositif comme dans le Queyras. Le fait que les élus dans le Queyras aient été mis au cœur du dispositif est, sinon le seul, du moins un élément tout à fait important. Si l'on veut avoir une démarche de projet territorial du développement durable, les élus sont au cœur du dispositif; Ils doivent participer aux discussions locales, comité régional ou interrégional, pour que des informations transparentes soient fournies, échangées et pour que toutes les questions soient posées, sans tabou.

Troisième point : on ne pourra obtenir des résultats durables que par des avancées, des réussites sur le terrain. Les gens ne croient plus aux circulaires, aux décisions ministérielles technocratiques. Ils veulent dire : cela marche ou ne marche pas. Il faut, pour cela, renforcer la disponibilité, la présence, l'action au plus près des acteurs concernés, éleveurs, élus de terrain. Cela implique de donner les moyens d'une coordination renforcée, d'une capacité d'anticipation et de réaction pour aller dans le sens de cette mise en synergie. Je mets sur la table cette proposition pour que vous la testiez, la validiez, pourquoi pas d'une déconcentration du traitement du dossier dans le cadre d'une mission interrégionale, ma décision n'est pas prise, parce que j'attends de connaître votre position, notamment, sur une mission interrégionale, PACA-Rhône Alpes plus apte à décider que la direction du ministère.

En quatrième lieu, je tiens à la garantie scientifique de mon action. La science est à même de résoudre un certain nombre de conflits. En ce moment même, au ministère, se tient un colloque sur la charte de l'environnement, partie juridique et partie scientifique. J'ai souhaité que les deux puissent se rencontrer. C'est dans cet esprit qu'un observatoire national de la faune sauvage et de ses habitats a été créé. Dès 2003, il s'attachera à un suivi scientifique plus approfondi du loup sous l'œil vigilant du conseil scientifique que je vais installer et pour lequel j'attends les propositions du Professeur Lecomte. Je suis frappée des difficultés que nous avons à obtenir des résultats rapides, par exemple, des analyses génétiques sur les prélèvements d'indices ; nous confions ces études au laboratoire Taberlet de Grenoble. Je suis en train de revoir le cahier des charges qui nous lie à ce laboratoire de génétique parce que, là, franchement, c'est trop long. Nous n'avons pas d'outil d'aide à la décision dans ce domaine et ces analyses sont incontournables pour connaître la nature du prédateur mais aussi pour suivre son cheminement. Je tiens à obtenir rapidement une plus grande efficacité de notre action en la matière. Cela vaudra pour le loup mais, puisque Jean Lassalle est là, cela vaudra aussi pour l'ours.

En cinquième lieu, il est nécessaire d'examiner la mise en place de financement pour cette politique du loup, mais faut-il des financements spécifiques ou des financements liés au territoire où la présence du loup est acceptée ? En termes de prospective, plusieurs pistes méritent d'être approfondies : une prime grand prédateur ? la mise en place d'une assurance grand prédateur ? Je souhaite, en tout cas, travailler sur les territoires, sur les hommes, sur la base d'un projet global de développement économique durable, porté par les élus. De telles évolutions peuvent tout à fait être intégrées dans la réflexion sur d'éventuelles mesures législatives en faveur de la montagne ou d'une évolution de la législation dans le domaine du patrimoine naturel.

En conclusion de ce propos liminaire, j'attends les conclusions de la commission non pas dans un esprit de crainte, bien au contraire, mais d'aide au travail que je souhaite mener.

M. le Président : Je vous remercie de cette introduction très riche en propositions, en réflexions. Nous voyons que vous avez réellement travaillé au fond de ce dossier et ce que vous nous proposez constituera en tout cas pour la fin de nos travaux des pistes de réflexion importantes et nous vous ferons connaître très rapidement comment elles sont reçues par la commission. Sur les questions précises que je vous ai posées sur les coûts, je propose que vous m'y répondiez par écrit parce que je pense que vous n'êtes pas en mesure d'y apporter des réponses aujourd'hui. Sur l'application des directives européennes, Habitats et la convention de Berne, vous m'y avez répondu puisque vous proposez des dispositifs qui permettent de s'adapter en termes de gestion, voire de régulation à ces directives, cela veut dire que vous admettez le principe que les directives permettent cette régulation.

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Je vais aller plus loin sur ce point.

M. le Président : C'était l'essentiel de ce que je souhaitais vous demander puisque vous êtes allée bien au-delà de mes questions. Après que vous m'ayez peut-être apporté des précisions sur les dispositions européennes, je laisserai Monsieur le rapporteur vous poser quelques questions.

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Monsieur le Président, en effet, sur la question de comptabilité analytique, je n'ai répondu que par la production d'enveloppe de crédits budgétaires. Effectivement la politique du loup implique aussi des personnels, des moyens divers ; cela nous demande un petit travail de recherche, la réponse est incomplète, mais elle vous sera évidemment transmise.

Vous m'avez posé une question sur les crédits 2003 afférents à ces politiques qui sont ordinairement délégués pendant le courant du mois de février. Je pense que maintenant ces crédits sont entre les mains du fonctionnaire qui s'est plaint du retard, qui n'est pas un retard d'ailleurs, par rapport à la mécanique budgétaire normale.

Il y avait une autre question sur les problèmes juridiques internationaux. Il faut bien convenir que l'on se trouve dans un environnement juridique international et, bien sûr, européen extrêmement complexe : la convention de Berne qui date déjà de 23 ans (septembre 1979) ; le secrétariat permanent a donné un certain nombre d'indications dans un courrier du 12 décembre 2002 dont vous avez été destinataire - la directive Habitats, qui identifie le loup dans son annexe 2 et la loi 76-629 du 10 juillet 1976 qui définit la notion d'espèces protégées, aujourd'hui codifiée dans le code de l'environnement. L'espèce loup est classée par l'arrêté du 10 octobre 1996. Il est à noter que ce classement tardif avait été attaqué par la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, mais le Conseil d'Etat a rejeté la requête en estimant qu'au regard des directives européennes et de la convention de Berne, l'Etat français était obligé de classer le loup parmi les espèces protégées. Il est à noter aussi que cet arrêté prévoit explicitement la possibilité de dérogation et d'élimination d'individus en cas de dégâts pour l'agriculture. Donc, c'est expressément que, dans l'arrêt du Conseil d'Etat qui, certes, rejetait la requête de la Chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, ceci était porté ; cela un élément intéressant.

La loi Barnier de 1995, en particulier l'article qui a été codifié dans le code de l'environnement, indique que les espèces animales font partie du patrimoine commun de la nation et évoque leur protection, leur restauration et leur gestion qui sont d'intérêt général et concourent à l'objectif du développement durable.

Je note que ces textes nationaux ouvrent des pistes tout à fait intéressantes et sont des textes juridiquement plus souples que ce qui peut apparaître au premier abord, et que les textes européens et internationaux posent à tout le moins des problèmes de coordination ; je le mesure dans ce dossier, mais et surtout dans le dossier de la chasse, parce que la coordination entre la convention de Berne, la directive oiseaux et la directive habitats sont des choses extrêmement difficiles à manier et pour ne pas dire parfois incohérentes.

M. le Rapporteur : Madame la ministre, merci de ce que vous venez de nous dire. Il y a longtemps qu'en tant qu'élu de la montagne je n'avais pas entendu des affirmations venant de la bouche d'un ministre comme : « l'homme et la femme au centre de mon action, soutien de l'homme en montagne, travail avec les hommes sur les territoires et faire participer les élus, les maires au dispositif ». Je peux vous assurer que les élus de la montagne apprécient ce langage.

Je voudrais poser trois questions.

La première concerne les parcs. On s'est bien aperçu pendant cette enquête, comme vous l'avez dit, que les parcs régionaux ont bien maîtrisé l'arrivée du loup, beaucoup mieux que le parc du Mercantour qui pose problème. On a d'ailleurs eu l'impression que, depuis 1992, une chape de plomb s'était abattue sur le parc du Mercantour et qu'il ne fallait surtout pas dire qu'il y avait des loups. Quand les élus locaux en ont parlé, on leur a dit : mais non, il n'y en a pas, cela ne pose pas problème, et cela même encore jusqu'à ces dernières années. La commission a d'ailleurs constaté en recevant les présidents de parc qu'ils étaient assez incohérents et flous. Ne pensez-vous pas que ce serait le moment, dans le contexte de la décentralisation que ces parcs nationaux soient transformés en parcs régionaux ? Les parcs régionaux sont en effet essentiellement dirigés par des élus, puisqu'ils relèvent de la compétence du conseil régional, les élus locaux y ont leur mot à dire et pèsent fortement sur les décisions.

La deuxième question, je vous en ai souvent parlé, je vous ai même interrogée à ce sujet, concerne le projet de site Natura 2000. Où en est ce projet Natura 2000 dans le Mercantour ? Qu'apportera-t-il en matière de protection de la faune sauvage et, ce qui compte pour nous, à la défense du pastoralisme ?

Enfin, quand estimez-vous probable - on n'en a pas parlé ici, mais on nous le dit souvent - l'arrivée des loups dans les Pyrénées, car ils ne sont pas loin ; ils sont en Espagne et vont tôt ou tard arriver en France. A-t-on prévu cette arrivée pour que ne se reproduise pas ce qui s'est produit dans le Mercantour ?

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Je vais tenter d'apporter autant que possible des réponses précises à vos questions précises.

En effet, la législation des parcs nationaux a maintenant 40 ans.Il est vrai qu'il s'agit d'une législation qui, dans ses principes, reste tout à fait légitime, tout comme dans ses modalités d'application, mais cette législation n'a pas suivi les énormes bouleversements administratifs de notre pays. Elle n'a pas accompagné, en particulier, les lois de décentralisation et c'est la raison pour laquelle j'ai donné une mission à votre collègue, Jean-Pierre Giran, sur les parcs nationaux. Il rendra ses conclusions d'ici l'été prochain et je souhaite - il ne m'appartient pas de dire dès l'abord ce qui ressortira de la mission confiée à un de vos collègues - avoir des propositions en ce qui concerne une démocratisation de la gestion des parcs nationaux. Les élus y ont été trop peu associés, le monde économique aussi, et on a abouti quelquefois, pas partout, à une démarche un peu schizophrénique du parc national, le parc contre le monde entier, en quelque sorte. Il y a toutes sortes d'autres problèmes d'ailleurs à régler. Je pense en particulier à l'interface entre le parc national et la zone périphérique : transforme-t-on la zone périphérique en parc naturel régional ? Ce sont ces pistes-là que j'ai demandées à Jean-Pierre Giran d'explorer. Pour autant, je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites qu'il faudrait transformer tous les parcs nationaux en parcs naturels régionaux. Je pense qu'il y a place pour les deux structures, qu'il y a, de façon emblématique, des choses qui peuvent être « sanctuarisées » ; les deux structures ont leur raison d'être : parc naturel régional et parc national.

Pour ce qui concerne le loup et le parc national du Mercantour, celui-ci continue à apporter son aide au dispositif national, en fonction de la demande. Il fait les recherches d'indices de présence du loup, les constats de dommages, il participe de façons diverses à la gestion des alpages. Il ne pilote plus le programme depuis le début 1997, date à laquelle le pilotage du premier programme LIFE a été pris en charge par la DNP, (Direction de la Nature et des Paysages) avec l'appui des directions départementales de l'agriculture et de la forêt et des directions régionales de l'environnement pour tout ce qui concerne la gestion des crédits décentralisés - je veux parler de ce programme LIFE - du fonds de gestion des milieux naturels, et la gestion des constats de dommages.

Je suis persuadée que les parcs nationaux doivent s'investir beaucoup plus dans le développement local qu'ils ne le font actuellement, bien sûr selon un cahier des charges à préciser.

La deuxième question que vous m'avez posée, concerne le projet du site Natura 2000 dans le parc du Mercantour. Nous avons transmis en septembre 2002 à la Commission européenne une proposition de site d'intérêt communautaire concernant la zone centrale du parc du Mercantour, une première version du DOCOB (Document d'objectif) a été réalisée et validée pour la partie Alpes-Maritimes, à la suite des réunions du Comité de pilotage qui regroupaient 77 partenaires. L'extension du périmètre aux Alpes de Haute-Provence fait l'objet de réunions de travail, de concertations programmées. Dans le cadre du DOCOB, les connaissances sur les questions pastorales au sein du territoire concerné ont été bien étudiées d'après ce que je sais. Cette phase d'étude a permis d'établir des relations plus étroites entre les personnels du parc du Mercantour et les organismes professionnels agricoles. Vous me direz, d'ailleurs, si ce que l'on me rapporte est validé : le président de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes a demandé qu'une convention de partenariat soit signée avec le parc. Je vois, comme avantage à l'intégration du territoire dans le réseau Natura 2000, la pérennisation des mesures européennes en faveur du pastoralisme et celle des crédits européens correspondants. Le programme LIFE est un programme ponctuel qui va s'arrêter ; donc, si nous pouvons le basculer vers Natura 2000, nous obtiendrons la pérennisation des crédits.

Quand estimez-vous probable l'arrivée des loups dans les Pyrénées ? Il y a 2 000 à 2 500 loups en Espagne. Etant donné les habitudes éthologiques des loups, il est à peu près certain que les loups vont franchir les cols, et arriver en France. Entre 2000 et 2002 -je pourrai vous redire le chiffre- on est passé de 50 km de la frontière française à 5 km. Le loup arrivera par les vallées béarnaises mais il est difficile d'affirmer s'il arrivera dans un an ou dans quelques années. Tout dépendra d'ailleurs de la pression qui sera exercée sur la population par les Espagnols. Plus ceux-ci chasseront, plus ils feront des battues, plus ils ralentiront la progression. Il y aura un double effet : ils pourront jouer sur le stock et sur le flux. Donc, il est un peu difficile de faire des prévisions.

Pour se préparer à cette arrivée, il existe sur le versant français un réseau de suivi de l'ours qui pourra, le moment venu, être mobilisé sur le loup. Les importants moyens qui sont dédiés à la protection du troupeau pourront aussi être mobilisés ; ils le sont pour l'ours, ils pourront l'être pour le loup.

M. Jean LASSALLE : Madame la Ministre, simplement trois choses.

La première, il faut impérativement que nous arrivions à trouver une solution à propos des loups. Nous sommes très attendus sur le terrain. Si notre commission ne propose pas quelque chose, nous serons encore une fois discrédités, la classe politique en général, et c'est sur vous que cela retombera ; je le pense.

Ensuite, concernant les ours, je pense qu'il faut bien faire le distinguo entre les ours béarnais qui ont toujours été là et ceux qui ont été réintroduits dans des conditions que nous allons demander à Mme Lepage de nous expliquer et qui ont créé beaucoup de difficultés. Je voudrais savoir pourquoi il y a tant de résistance dans votre administration pour faciliter la démarche consensuelle - vous parliez des parcs régionaux et le président en parlait- et essayer de faciliter la cohabitation entre l'homme et le fauve. L'institution patrimoniale du Haut Béarn est certainement l'organisation non seulement en France, mais dans les pays démocratiques, qui est allée le plus loin dans ce domaine-là. Au lieu de nous y aider pendant des années, nous avons été véritablement combattus ; j'ai cru comprendre que vous vouliez nous aider, mais je crois savoir que vos services, aussi bien à Paris qu'à Bordeaux, voire même à Pau, ne le font pas tellement. Pensez-vous pouvoir surmonter cet obstacle ?

Pour ce qui concerne les parcs nationaux, je suis très heureux de l'initiative que vous avez prise, je me propose de voir moi aussi M. Giran puisqu'il l'a proposé à un certain nombre d'entre nous. J'en attends beaucoup, mais j'en espère peu parce que vous allez être prise dans un tel ensemble qu'il est très difficile de faire bouger quelque chose dans ce milieu ; c'est un Etat dans l'Etat. J'ai été président d'un parc national pendant dix ans et je n'en dis pas plus. Je suis d'accord sur le distinguo que vous faites entre les parcs nationaux et les parcs régionaux, à condition que les parcs nationaux - comme disaient Daniel Spagnou et Christian Estrosi - reprennent un visage humain. Les hommes du pays doivent pouvoir peser effectivement, car cela les responsabilise, cela les conscientise, cela change tout.

Enfin, je pense que vous êtes pleine de bonnes intentions. Je dois dire -excusez-moi, mais tous les ministres que j'ai rencontrés étaient, au début, dans les mêmes intentions que vous, et j'ai vu ensuite ce qui se passait - que vous avez certainement plus de détermination que les autres, je l'espère. Mais il y a une chose contre laquelle - je sais que vous allez me répondre non - vous devez nous aider à lutter ou plus exactement nous dire comment vous voulez que l'on vous aide : il faut abroger Natura 2000, comme il faut abroger la directive « oiseaux ». La directive « oiseaux » a complètement perturbé tous les milieux agricoles et les chasseurs. Tous les ministres qui se sont succédé se sont cassés les dents à ce sujet. On peut prendre toutes les décisions que l'on veut, mais tout est déjà prévu par la directive. Pour ce qui concerne la directive « Habitats », c'est encore pire que cela. Vous pourrez, en effet, dire que l'on va faire ceci ou cela, mais celui qui a lu la directive comme je l'ai lue sait que nous avons perdu une part très importante de notre souveraineté et, pour les montagnards et les campagnards de notre pays, cela veut dire quelque chose. Il faut remettre cette affaire en cause.

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Ce sont des questions qui dépassent largement le cadre de la commission d'enquête sur le loup. Je peux répondre à Jean Lassalle qu'effectivement, instruire un procès d'intention à mon encontre ne peut amener de ma part qu'une dénégation qu'il n'est pas obligé d'accepter. Je crois avoir fait preuve dans ma vie d'une certaine capacité d'indépendance qui est un témoignage de volonté. Vous demandez de prendre en compte un certain cheminement qui, pour le moins, montre un changement de culture dans ce ministère que d'aucuns se sont plu à saluer et que d'autres stigmatisent à longueur de presse. Je n'en dirai pas plus sur le sujet pour rester dans le cadre de cette commission.

Sur les parcs nationaux, je ne suis pas de votre avis sur le fait que rien ne peut bouger. Je crois à la force de la loi dans les sens souhaités ou non souhaités Si, demain, nous changeons la structure des conseils d'administration des parcs nationaux, si nous avons un autre cahier des charges sur les parcs, comme je souhaite le faire à travers une loi d'espaces naturels qui devrait être examinée par vous dans le courant de 2004, je suis persuadée que les choses vont changer. Cher Jean Lassalle, je crois, et vous en êtes un témoignage, à la force des hommes sur les choses et sur les structures.

Quant à l'abrogation des directives Habitats et oiseaux, je ne vais pas vous suivre sur ce sujet, car une décision aussi lourde ne relève pas de ma responsabilité ; elle ne relève même pas de la responsabilité du Premier ministre puisqu'il s'agit des engagements internationaux de la France ; seul, le Président de la République pourrait prendre la décision de revenir sur un engagement aussi lourd puisque, lorsqu'on parle de Natura 2000, on parle en fait de la directive « Habitats ».

Une chose me frappe néanmoins. Cela va faire dix mois que je participe tous les mois au conseil des ministres de l'environnement. Je constate les difficultés de mise en œuvre que pose la directive «  Habitats ». J'ai encore rencontré récemment, lors du Sommet franco-allemand prévu pour le 40ème anniversaire du traité de l'Elysée, à Postdam, mon collègue Jürgen Trittin; derrière les déclarations selon lesquelles tout va, en fait, tout ne va pas bien, sans pour cela, d'ailleurs, que cela remette en cause cette directive Habitats . En tout cas, j'acquièrs la conviction qu'il faut qu'un certain nombre de ces dispositions soient revisitées et coordonnées, plutôt que de parler d'annulation ou d'abrogation. Un certain nombre des acteurs, élus, socioprofessionnels, sont arrivés au point de cette réflexion. Donc, je suis à la fois plus pessimiste que vous l'êtes sur ce que pourrait apporter une sorte de dynamitage qui, de toute façon, prendra beaucoup de temps, et beaucoup plus optimiste sur une démarche, peut-être plus pragmatique et plus volontariste. Pour ma part, j'y suis prête.

M. le Président : Bravo.

M. André CHASSAIGNE : Quelques mots pour vous dire que, pour ma part, j'ai particulièrement apprécié votre présentation, faite avec un esprit de synthèse et des propositions que j'ai trouvées extrêmement intéressantes dans le cours de notre réflexion. On a l'impression, chère Madame la ministre, que vous avez participé à la totalité de nos travaux et que vous faites une espèce de synthèse des auditions que l'on a pu avoir.

Je voudrais insister sur deux ou trois points.

Je partage votre avis sur la nécessité d'être plus réactif. Vous avez notamment cité trois directions de réflexion. D'une part, la protection, d'autre part l'indemnisation immédiate et ensuite le repérage pour suppression éventuelle. Cela n'a pas été formulé tout à fait comme cela, mais c'est l'idée. Ces trois points sont extrêmement importants.

Je voudrais poser une question sur le repérage pour suppression éventuelle. A votre avis, quand commence l'éradication ?

M. le Président : Non, la régulation.

M. André CHASSAIGNE : Non, c'est volontairement que je pose la question. Je me fais volontairement provocateur.

A partir de quand peut-on parler de début d'éradication ? C'est un problème de fond. On nous a souvent dit qu'il y avait seulement 27, 30, 40 loups. Avec ce chiffre peut-on se permettre de commencer à éliminer quand il y a menace ?

Deuxième question. Vous avez notamment évoqué - là aussi, c'est extrêmement intéressant, mais cela peut avoir des effets pervers - la déconcentration avec une éventuelle mission interrégionale PACA/Rhône Alpes, à quel niveau se ferait cette déconcentration ? Ne craignez-vous pas que cette déconcentration, en plaçant les problèmes au plus près du territoire, n'entraîne un risque de crispation plutôt que de faciliter les choses ?

Deux autres questions rapides. Pour ce qui concerne la contractualisation, vous parlez de financement lié au territoire où le loup est accepté. Cela veut-il dire, dans votre esprit, qu'il pourrait y avoir certains territoires où le loup ne serait pas accepté, qu'il y aurait en quelque sorte des territoires avec contractualisation et des territoires sans contractualisation ?

Dernière question. Que pensez-vous de l'arrivée du loup ? Pensez-vous qu'il est arrivé naturellement ou accordez-vous un peu de crédit à la thèse d'une introduction artificielle ?

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Sur le repérage pour une éventuelle éradication, il y a plusieurs choses à dire. Tout d'abord, on ne peut pas traiter cette question, quelles que soient les craintes que vous émettiez sur la déconcentration ou la décentralisation, de Paris. C'est la raison pour laquelle je suis extrêmement suspicieuse, pour ne pas dire opposée, à une opération de zonage qui m'a été proposée. De Paris, on déciderait de zones où le loup est accepté et de zones où le loup est refusé ? Je trouve que ce serait vraiment répondre à un vrai problème en adoptant une démarche qui a fait la preuve de son inefficacité, sans parler des réactions de rejet qu'elle suscite. Pour autant, on voit bien qu'il y aura des zones où le loup peut être accepté et d'autres où il est inacceptable. Ce sont des choses qu'il faut gérer au plus près du terrain. Dans ces zones où l'on décidera, par une concertation approfondie entre les différents acteurs, que le loup ne peut pas être accepté se pose la question des prélèvements - je n'aime pas beaucoup le terme d'éradication. Je ne suis pas opposée au fait que les bergers soient armés. C'est à discuter avec la profession. J'émets simplement la réserve que le fait d'armer les bergers peut amener des ennuis. A cet instant du débat, je ne suis fermée à aucune démarche puisque, justement, le terrain peut permettre d'en apprécier le « pour » et le « contre » dans une approche objective et calibrée.

Déconcentration peut amener une crispation ? Cher André Chassaigne, la crispation on y est !

M. André CHASSAIGNE : C'est le moins que l'on puisse dire.

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Jusqu'à présent, on a tout géré de Paris. Alors, essayons autre chose dans ce domaine. On a fait la preuve que, dans un domaine, où il faut une gestion fine des espèces sur des territoires, la démarche technocratique ne marche pas. Cela est certain.

S'agissant de l'arrivée du loup, j'attends le résultat des travaux de votre commission puisque c'est aussi une des questions que vous vous êtes posée.

Il est très probable que le loup soit arrivé sur ses pattes. En tout cas, c'est tout à fait possible, je ne suis pas une scientifique experte, mais les possibilités physiques de migration du loup sont connues. On connaît les analyses génétiques qui montrent que la population de loups vivant actuellement en France résulte de l'arrivée d'une douzaine de loups, ce qui rend difficile l'hypothèse d'un loup qui arrive dans un coffre de voiture, bien que cela ne l'exclue pas. La vérité est peut-être plurielle. En tout cas, il est tout à fait possible et crédible que le loup soit arrivé naturellement.

M. le Président : Madame la Ministre, je tiens à vous remercier d'avoir été aussi transparente, déterminante et de vous être montrée aussi ouverte à nos futures conclusions. Nous ferons tout, dans ces conclusions, pour vous tracer des voies que vous pourriez ensuite mettre en œuvre dans l'exercice de vos responsabilités. Merci beaucoup.

Audition conjointe de Mme  Marie-Lyse BROUEILH,
présidente de l'Association de développement durable
de l'identité des Pyrénées (ADDIP),
Mme Hélène HUEZ, secrétaire de l'ADDIP
et membre de la Fédération pastorale de l'Ariège,
Mme Dominique DESTRIBOIS, représentante des éleveurs au sein de l'ADDIP,
M. Alain NAUDY, premier vice-président suppléant, représentant des élus,
et M. Robert SAGNES, deuxième vice-président, représentant des chasseurs

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2003, tenue à Foix)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

Les témoins sont introduits.

Mmee la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

Mme Henriette MARTINEZ : La parole est à Mme Marie-Lyse Broueilh, présidente de l'ADDIP.

Mme Marie-Lyse BROUEILH : Nous tenons à remercier les membres de la commission d'enquête d'avoir bien voulu nous entendre. C'était important pour nous puisque nous vivons ce problème de l'ours depuis plusieurs années au quotidien. Nous vous remercions d'avoir pris en compte ce problème auquel nous sommes confrontés.

L'ADDIP a été créée en 2000 pour coordonner nos efforts à travers la chaîne des Pyrénées, sur tout le massif. C'est donc une association aux composantes multiples, offrant une richesse et une diversité d'analyse et de réflexion sur cette question, puisque nous sommes aussi bien éleveurs, employés du tourisme, chasseurs, élus que simples habitants des Pyrénées. Ce problème nous a fédérés et nous a permis de confronter nos idées sur l'avenir de nos montagnes, de nos vallées, sur l'aménagement de cet espace montagnard et de conforter nos positions.

Pour ce qui est de l'ours, deux problématiques se posent.

Il y a celle de l'ours autochtone que l'on trouve dans les vallées béarnaises, qui existe encore même si c'est à effectif réduit. Cette problématique a été prise en compte par l'Institut Patrimonial du Haut Béarn, l'IPHB, qui a fourni un certain travail et aura sans doute aussi un bilan à vous présenter. Mais il est intéressant de noter que, dans cette partie des Pyrénées, cela s'est fait dans la concertation. Nos amis béarnais nous ont bien expliqué comment cela s'était passé : au sein de cette institution patrimoniale qu'est l'IPHB, il y a eu une consultation et une implication de tous les acteurs des vallées béarnaises.

En revanche, la problématique de l'ours slovène auquel nous sommes confrontés dans les Pyrénées centrales - Ariège, Haute-Garonne et Hautes-Pyrénées - mais aussi dans l'Aude et les Pyrénées-Orientales, c'est que nous avons été mis devant le fait accompli, sans aucune concertation. Ces ours ont été lâchés sur quatre communes qui, elles, avaient accepté et signé un contrat avec l'Etat pour les accueillir sur leurs territoires. Elles pensaient que cela leur permettait un développement économique. Donc, pour elles, cela s'inscrivait dans une certaine logique. Mais, finalement, ne connaissant pas les limites communales, ces ours sont partis plus loin et sont maintenant installés sur des territoires qui n'ont rien demandé et n'ont signé aucun contrat avec l'Etat.

Il est important de voir comment, dans cette problématique de l'ours slovène, notre existence a été niée. Nous sommes des acteurs de ces vallées depuis des générations, nous y travaillons, nous y vivons. Comme je l'ai dit, nous nous impliquons dans cet espace montagnard à différents titres. Nous avons donc des choses à raconter, à dire et à faire et nous avons, bien évidemment, une vision du développement de nos vallées. Cette première constatation - voir à quel point notre parole était bafouée, était mise à l'écart - nous a inspiré une grande révolte.

Mme Henriette MARTINEZ : En quelle année furent introduits ces ours ?

Mme Marie-Lyse BROUEILH : Les deux premiers ont été lâchés en 1996 et l'ours mâle qu'ils ont appelé Pyrrhos, en 1997. Je n'ai pas les dates exactes.

Nous avons donc constaté, tout d'abord, qu'il n'y avait eu aucune concertation. Puis, quand nous nous sommes penchés sur la question, il nous a été répondu que la Convention de Berne demandait à ce qu'il y ait des ours dans les Pyrénées. Mais quand, ensuite, on lit le texte de cette convention, on s'aperçoit que ce qui est important - et à juste titre - c'est de sauvegarder les espèces endémiques. Or, dans nos Pyrénées, du fait d'un système d'élevage traditionnel, d'un aménagement assez diffus et intégré, nous disposons d'une diversité et d'une très grande richesse d'espèces endémiques, tant de la faune que de la flore. Cela prouve bien que nous avons su conserver ces systèmes endémiques. La Convention de Berne ne dit pas qu'il faut absolument acheter des ours de Slovénie ou d'ailleurs pour les « balancer » sur les Pyrénées.

Nous ne comprenons vraiment pas cette attitude qui, de notre point de vue, s'écarte même de l'esprit de la Convention de Berne. Il faudrait savoir pourquoi l'ours endémique est en faible effectif et s'il y a des efforts à faire pour le sauvegarder, ce n'est pas en en introduisant un autre qui va, en fait, l'éliminer que l'on y parviendra. D'après nous, c'est vraiment une erreur.

Mme Henriette MARTINEZ : Ils se rencontrent ?

Mme Marie-Lyse BROUEILH : L'un est bien plus gros que l'autre. De toute façon, dans la nature, il y a conflit et c'est le plus gros qui l'emporte...

Mme Henriette MARTINEZ : Ils sont sur les mêmes territoires ?

Mme Marie-Lyse BROUEILH : Oui, cela arrive. Certains sont passés en Béarn et il est évident que l'ours pyrénéen, plus léger, sera vite éliminé dans un combat et finira par disparaître. Nous pensons donc que c'est une erreur écologique.

Si vous le permettez, M. Robert Sagnes commentera maintenant cet aspect « erreur écologique ». Puis, Mme Dominique Destribois développera l'aspect « élevage et pastoralisme dans nos vallées de montagne ». Ensuite, Mme Hélène Huez traitera de l'aspect « tourisme ». Enfin, M. Alain Naudy, en tant qu'élu, conclura notre présentation.

Mme Henriette MARTINEZ : Pourriez-vous auparavant développer le sigle de votre association ?

Mme Marie-Lyse BROUEILH : l'ADDIP est l'Association de Développement Durable de l'Identité des Pyrénées car nous tenons beaucoup à une écologie et à un développement durable de nos vallées pyrénéennes.

M. Robert SAGNES : Pour aller à l'essentiel, s'il était un ours à préserver, pour nous, ce serait celui des Pyrénées. Cette introduction d'ours slovène nous apparaît vraiment anormale, à nous, Hauts Pyrénéens dont le Parc national avait été créé pour sauvegarder nos espèces, notamment le bouquetin qui était sur le point de disparaître, comme il l'a fait côté versant espagnol - et l'Espagne s'est d'ailleurs vu condamnée pour sa mauvaise gestion de l'espèce. L'ours des Pyrénées a, à son tour, fait condamner la France pour mauvaise gestion de l'espèce.

Pour que les choses soient claires, l'opération médiatique que fut ce lâcher d'ours dans le Luchonnais s'est faite avec le soutien de certains organismes, y compris des organismes de chasseurs. Je suis certes un représentant des chasseurs, mais pas de tous. Néanmoins, je représente les chasseurs d'une zone d'élevage précise, d'une zone aussi vaste que le Parc national des Pyrénées, ce qui est tout de même assez représentatif.

Il s'agit du canton de Luz-Saint-Sauveur où l'élevage est resté vivace, puisqu'il existe dans les dix-sept communes du canton ; il permet donc de maintenir un espace d'une qualité exceptionnelle attirant un tourisme très important puisque c'est la zone la plus touristique du massif pyrénéen : elle couvre toute la vallée des gaves, avec des sites prestigieux comme Gavarny ou le Pic du Midi. C'est une zone qui est pâturée, une zone où nous avons les flores et faunes les plus connues et les plus remarquables de tout le massif pyrénéen puisque c'est là que nous avons reçu les plus grands botanistes et alpinistes qui en ont dressé l'inventaire.

De notre point de vue, il faut préserver ces espèces authentiques et nous n'avons absolument pas compris pourquoi il fallait essayer d'en introduire de nouvelles. Notre approche s'applique tout autant au cerf de Chambord qui vient d'être introduit dans le massif qu'à l'ours car c'est la même problématique. Ce sont des espèces très dominatrices qui s'installent, colonisent et qui, à terme, peuvent faire disparaître les espèces autochtones que l'on souhaite protéger à travers des programmes européens comme la directive Natura 2000. Il y a là une contradiction de fond sur laquelle nous nous interrogeons.

Nous avons mené une petite réflexion qui nous conduit à penser que les zones où est l'ours sont des zones où les éleveurs ont, pour la plupart, abandonné leurs anciennes pratiques parce qu'aujourd'hui, l'éleveur ne peut pas à la fois s'occuper de son troupeau dans les estives et faucher l'herbe dans la vallée pour faire son fourrage pour l'hiver. Aujourd'hui, les exploitations ne comptent pas une dizaine de personnes comme par le passé. Il n'y a souvent qu'un exploitant, qui ne peut pas être à la fois en haut, en montagne, et sur son exploitation à récolter le foin. C'est bien le problème fondamental et l'éleveur finit pratiquement par être obligé de quitter son métier.

Mais s'il quitte, c'est tout le biotope qui s'en trouvera changé, tout l'environnement montagnard modifié. C'est aller contre ce qui est demandé par la convention, c'est-à-dire conserver les habitats parce que c'est ainsi seulement que l'on peut conserver les espèces. En détruisant les habitats, on va détruire les espèces pyrénéennes. Or il nous semble tout aussi important de conserver nos grands tétras, qui sont une espèce endémique, ou la perdrix grise des Pyrénées qui n'existe plus vraiment à l'état pur dans beaucoup d'autres endroits alors qu'elle est chez nous assez abondante. Nous sommes l'un des derniers bastions de cette espèce. Les ours bruns sont bien plus répandus sur terre. Cette perdrix me semble une espèce bien plus intéressante à sauver que l'ours ; elle est plus menacée parce que son aire de répartition se cantonne à un tout petit espace. La sauvegarde des espèces ne doit pas forcément être celle des grosses espèces, emblématiques et médiatiques.

Pour appuyer cela, je vous ai apporté une petite documentation sur le vison d'Europe. Celui-ci, qui n'existe en France que dans quelques départements, est une espèce aujourd'hui très menacée. Le ministère de l'environnement a décidé de mettre en œuvre un plan de sauvegarde du vison d'Europe. Celui-ci est en grand danger aujourd'hui, notamment en raison de l'arrivée du vison d'Amérique qui a été relâché dans la nature par des éleveurs qui l'élevaient auparavant pour sa fourrure. Quand le marché de la fourrure s'est effondré, ces visons ont été relâchés dans la nature. Ils colonisent maintenant les zones humides qui étaient l'habitat du vison d'Europe lequel, confronté à cette espèce introduite plus dynamique, tend à disparaître. Le parallèle est aisé à faire avec les ours d'une espèce introduite plus dynamique qui fait disparaître l'espèce autochtone.

Que fait le ministère de l'environnement pour la sauvegarde du vison d'Europe ? Il dit qu'il faut éradiquer le vison d'Amérique. Mais ici, il dit qu'il faut lâcher des ours slovènes pour sauver l'ours pyrénéen ! C'est une contradiction totale au niveau scientifique.

Je vais même plus loin, et je parle génétique. Je ne suis pas un scientifique, mais l'étude génétique du vison d'Europe a fait apparaître qu'il existait une souche franco-ibérique, la souche occidentale, qui, du point de vue génétique, était différente de la souche d'Europe de l'Est. Les scientifiques estiment que ces deux souches sont suffisamment distinctes pour justifier la conservation du patrimoine génétique de la population occidentale. Ce qui est vrai scientifiquement pour le vison, pourquoi serait-ce faux pour l'ours ?

Je cite M. Caussimont, un scientifique qui appartient au Parc national. Dans son livre L'ours brun des Pyrénées, il dit cela : « Les professeurs Taberlet et Jean Bourret, généticiens à l'université de Grenoble, ont montré qu'il existait trois grandes lignées d'ours en Europe : 

1.- Russie-Carpates (branche orientale) ;

2.- Balkans-Alpes (branche occidentale balkanique) ;

3.- Pyrénées-Cantabriques-sud Scandinavie (branche occidentale ibérique) ».

Il dit que les distances génétiques séparant ces lignées justifient la distribution en trois sous-espèces.

On retrouve la même idée qu'avec le vison, pour lequel la distance génétique est suffisante pour justifier la conservation du patrimoine génétique de la population occidentale. Le problème est identique. Pourquoi les solutions ne le sont-elles pas ?

Mme Henriette MARTINEZ : Donc, vous indiquez un souci de préserver l'ours des Pyrénées plutôt que l'ours slovène. Puisque vous êtes représentant des chasseurs, j'aimerais que vous nous disiez également quelles sont les incidences de la présence de l'ours sur la chasse.

M. Robert SAGNES : C'est difficile à dire. Au début, dans le cadre de Natura 2000, des textes avaient précisé la notion de « perturbation ». Aujourd'hui, on en parle beaucoup moins. Il était dit que trois espèces étaient sensibles à la perturbation : le phoque de je ne sais où, le mouflon de Corse et surtout l'ours qui était sensible à tous les dérangements, notamment ceux créés par la chasse, que ce soit la chasse à l'arc, en battue ou autres. Donc, la chasse - cela a été inscrit dans la loi mettant en application la directive Natura 2000 - n'est pas un élément perturbateur en général mais, dans le cas particulier de l'ours, ç'en était un.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Je ne sais pas puisque l'on en parle plus. Aujourd'hui, on nous laisse chasser, parce qu'il faut que l'ours soit accepté. Pour atteindre un certain degré d'acceptation, on laisse chasser.

Mme Henriette MARTINEZ : Le rencontrez-vous quand vous chassez ?

M. Robert SAGNES : Les chasseurs ne l'aiment pas trop, parce qu'ils ont peur d'un incident.

Mme Henriette MARTINEZ : Mais on peut le rencontrer sans l'aimer.

M. Robert SAGNES : C'est un animal très discret. Peu le voient. Je crois qu'en deux ans, deux chasseurs l'ont vu.

Mme  Dominique DESTRIBOIS : Excusez-moi mais cela dépend des ours.

M. Robert SAGNES : Aucun Pyrénéen vivant aujourd'hui n'avait jamais vu ni traces d'ours ni ours. Aujourd'hui, on voit des traces mais des ours, c'est pas pareil ! Deux chasseurs...

Mme Henriette MARTINEZ : Que mange-t-il ?

M. Robert SAGNES : L'ours est végétarien à 80 %. C'est vrai, mais il mange aussi de la viande et, quand il est en liberté à proximité des brebis, de temps à autre, il en mange une.

Mme Henriette MARTINEZ : Ce n'est pas son plat préféré ?

M. Robert SAGNES : Si, il adore.

Mme Marie-Lyse BROUEILH : Et il en a besoin avant d'entrer en hibernation.

M. Robert SAGNES : La difficulté chez nous c'est que maintenant que les vautours ont proliféré - ce fut un choix délibéré - en quelques heures, il ne reste rien d'une brebis morte. Il est donc très difficile de connaître les causes de sa mort. Il faut vraiment arriver tout de suite, qu'il y ait des traces et qu'une expertise rapide puisse être menée par des personnels qui sont, chez nous, ceux du Parc national. Sinon, cela passe inaperçu. Il reste un peu de laine, quelques os.

Mme Henriette MARTINEZ : Je donne la parole à Mme Dominique Destribois car je voudrais que chacun puisse s'exprimer.

Mme Hélène HUEZ : Une petite précision toutefois, l'ours mange certes des plantes mais il est classé parmi les carnivores.

Mme Henriette MARTINEZ : Excusez mes questions qui peuvent vous paraître naïves mais, dans les Hautes-Alpes, nous avons des loups et pas encore d'ours.

M. Joël GIRAUD : Mais comme ils sont en Italie, nous les attendons.

Mme Hélène HUEZ : Comme nous attendons les loups.

Mme Henriette MARTINEZ : Je sens que madame a envie de parler.

M. Joël GIRAUD : Oui, j'ai l'impression qu'elle sert de garde-manger aux ours.

Mme Dominique DESTRIBOIS : Je suis éleveur de brebis en Haute Ariège et j'ai eu la chance de voir mon troupeau attaqué quand les deux premiers ours sont arrivés, et de faire, en effet, partie des premiers garde-manger des ours slovènes.

Rapidement, nous avons essayé de secouer la DIREN pour avoir des réunions d'information. C'était autant pour la sécurité du berger que pour celle des personnes qui se promenaient sur la montagne car nous sommes sur une estive touristique, comme toute la zone où se promènent les ours.

M. Sagnes disait que les ours étaient discrets. Je peux dire qu'en Haute-Ariège, ils ne le sont pas du tout puisque nous les voyons très régulièrement. Ils n'ont rien à voir avec l'ours pyrénéen qui est plus discret. Ceux qui sont en Haute Ariège sont vus régulièrement et continuent à être vus régulièrement.

Nous avons essayé d'alerter la DIREN et nous n'avons pu obtenir aucun rendez-vous ni de réunion d'explication. Il a fallu faire intervenir certaines personnes pour parvenir à mobiliser la DIREN qui, de toute façon, ne nous a rien apporté de plus, à part nous dire qu'elle avait de l'argent pour nous indemniser et nous fournir des chiens patous.

Ma montagne est réputée comme très escarpée et j'insiste sur le fait que les moyens mis en œuvre pour la prévention - clôture électrique, regroupement du troupeau le soir, patous...- ne sont pas adaptés à ses reliefs.

Comme je l'ai dit, c'est une montagne très touristique. Certains jours, près de 500 personnes passent avec leur chien. C'est une montagne où l'on ne garde pas le troupeau serré parce que ce ne sont que cheminées abruptes. Nous sommes donc obligés de le laisser en permanence dans des couloirs. C'est travaillé par zone, selon la poussée de l'herbe. Nous ne pouvons donc pas regrouper le troupeau, c'est impossible.

Si l'on met un chien patou dans chaque couloir, je veux bien, mais nous aurons des problèmes comme il a pu s'en produire en Suisse et dans les Alpes entre les touristes et les chiens patous.

Les clôtures électriques sont parfois inopérantes. Certaines estives, ici, ont joué le jeu et cela n'a pas empêché l'ours de sauter la barrière électrique pour aller s'attaquer au troupeau.

Pour moi, toutes ces méthodes sont « bidons » - je suis éleveur, j'emploie mes mots. Je ne suis pas plus forte que les autres. Les anciens avaient des méthodes de garder. Nous nous sommes aperçus que nous ne pouvions pas faire beaucoup mieux. Nous essayons de gérer la montagne par zones mais, à part cela, nous ne pouvons pas faire mieux. Nous avons un berger permanent, nous sommes donc une estive exemplaire...

Mme Henriette MARTINEZ : Combien de bêtes avez-vous ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : Mille deux cent.

C'est une estive exemplaire avec une cabane moderne pour le berger depuis une quinzaine d'années, un parc de contention, un parc de tri et tous les équipements préconisés. Le pastoralisme en Ariège n'a pas attendu l'arrivée de l'ours pour se moderniser.

Mme Henriette MARTINEZ : Combien avez-vous de chiens ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : De chiens de troupeaux ?

Mme Henriette MARTINEZ : De patous ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : Il n'y a pas de patous sur la montagne. Ce n'est pas possible. C'est ingérable. Contrairement à ce que l'on peut dire, ce n'est pas possible. Il en faudrait trop sur ce genre de montagne. Il est impossible à un berger de gérer un chien patou. Pour monter jusqu'à ma cabane, il faut deux heures et demi de marche et pour atteindre l'extrémité de la montagne, il en faut cinq. C'est totalement irréaliste de dire que l'on va mettre des patous sur toutes les montagnes. Je ne dis pas que ce ne soit pas faisable ailleurs. Ça l'est pour certaines montagnes au relief moins accidenté, mais ce n'est pas applicable partout.

L'ours, il ne va pas choisir. De toute façon, quand on aura protégé une montagne, il s'attaquera à la suivante. Quand je vois les moyens financiers qu'engage l'Etat pour l'entretien des montagnes et des terrains dont on bénéficie dans le cadre des CTE et que je vois que la présence de l'ours va nous obliger à abandonner tout cela, je n'appelle pas cela de la gestion mais jeter de l'argent par les fenêtres.

Mme Henriette MARTINEZ : Quand attaque l'ours ? La nuit, le jour ?...

Mme Dominique DESTRIBOIS : Peu importe.

Mme Henriette MARTINEZ : Comment prélève-t-il les bêtes ? Il en prend une et s'en va ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : Non, il l'ouvre et mange que les entrailles. Mais c'est une estive escarpée...

Mme Henriette MARTINEZ : Il en prend plusieurs dans la même attaque ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : Dans la mesure où ce sont des estives escarpées, dès qu'il passe, c'est l'affolement et trente brebis peuvent dévisser les roches. Qu'est-ce que cela veut dire « mettre des ours » : vider les Pyrénées des éleveurs ? Nous, nous ne pourrons pas travailler, c'est clair. Notre métier est vraiment incompatible avec l'ours. Je ne dis pas cela par simple esprit de contradiction. Je le dis parce que je suis sur le terrain et que je vois que l'on ne peut pas.

Mme Henriette MARTINEZ : Que préconisez-vous ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : Ce que je préconise, c'est le retrait des ours slovènes parce que leur présence est totalement incompatible avec la nôtre.

Mme Henriette MARTINEZ : Les ours des Pyrénées ne vous causent pas de préjudices ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : Ils sont localisés dans le Béarn.

Mme Henriette MARTINEZ : En fait, ils ne vous en causent pas parce qu'ils ne sont pas chez vous !

Mme Dominique DESTRIBOIS : Non, dans le Béarn, c'est une autre gestion des montagnes. Celles-ci sont plus douces et les troupeaux sont regroupés puisque ce sont des brebis laitières. Ici, nous sommes dans une zone de brebis à viande. Ce sont des modes de gestion d'estive complètement différents.

Ce qui me chagrine, c'est que près d'1,5 million d'euros sont donnés tous les ans pour la gestion et le suivi de ces ours. Avec un tant soit peu de réflexion, on pourrait mettre cet argent dans les zones intermédiaires et de vallée où nous travaillons tous et favoriser l'installation d'autres éleveurs. Il y a eu une déprise agricole il y a longtemps et une reprise a été impulsée il y a quelques années par la fédération pastorale qui a été suivie par le Conseil général. Il est dommage que tout cet argent soit gaspillé car, dans de telles conditions, c'est un gaspillage.

Mme Henriette MARTINEZ : Combien y a-t-il d'ours ? Ils sont recensés ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : Concernant leur chiffre, c'est le flou le plus artistique. Nous n'avons jamais su.

Mme Henriette MARTINEZ : A peu près ?

Mme Hélène HUEZ : Il vaudrait mieux poser la question à la DIREN.

Mme Henriette MARTINEZ : Il est bien pour nous d'avoir plusieurs sources d'information.

Mme Hélène HUEZ : Nous ne sommes pas en situation de pouvoir vous répondre.

Mme  Marie-Lyse BROUEILH : Nous en avons un qui a débarqué dans le canton de Luz-Saint-Sauveur on ne sait d'où. Personne n'a su nous dire ce que c'était comme ours et quelle était son origine. Il est inconnu... mais il est bien là !

Mme Henriette MARTINEZ : Il est seul ou en couple.

Mme  Marie-Lyse BROUEILH : C'est un solitaire.

Mme Hélène HUEZ : Quand je dis qu'il faut poser la question à la DIREN, cela veut dire que même la DIREN ne sait pas. Malgré tout l'argent qui est mis !

Mme Henriette MARTINEZ : Ils n'arrivent pas à les compter.

Mme Hélène HUEZ : Ils ne veulent pas les compter.

Mme Henriette MARTINEZ : Se reproduisent-ils facilement ?

M. Robert SAGNES : Ils se reproduisent beaucoup mieux que les ours des Pyrénées. Ils font plus de petits et ceux-ci survivent.

Mme Henriette MARTINEZ : Quelque chose m'échappe. Vous me dites que l'ours des Pyrénées qui est sur son terrain a plus de mal à se reproduire, qu'il survit finalement moins bien que l'ours introduit et que ce n'est pas lui qui occupe le terrain. Je comprends bien qu'il est plus petit morphologiquement mais, en général, une espèce indigène arrive mieux à s'implanter et se reproduire qu'une espèce introduite.

M. Robert SAGNES : Ce n'est pas obligé. Je vous ai donné le cas du vison introduit qui élimine le vison autochtone. Il existe d'autres cas.

Je vous parlais des perdrix. J'ai, pendant trente ans, lâché des perdrix sauvages. Je ne parle pas des perdrix d'élevage qui disparaissent immédiatement. Ces perdrix sauvages ont toutes été éliminées et nos perdrix ont toujours repris le dessus. Avec l'ours, c'est le contraire.

Mme Henriette MARTINEZ : Comment se fait-il que l'ours introduit se soit si bien acclimaté et se reproduise ?

Mme Hélène HUEZ : Il n'a pas peur de l'homme. Il vit dans les mêmes zones, au bord des villages. L'ours pyrénéen est très peu observé, parfois par les équipes de suivi mais par les habitants, c'est rarissime. L'ours slovène, on le voit sur les sentiers de randonnée. Il traverse la N 20 plusieurs fois dans la semaine.

Mme Henriette MARTINEZ : Il est familier ?

Mme Hélène HUEZ : C'est cela.

Mme Henriette MARTINEZ : Combien y a-t-il de petits dans une de ses portée ?

Mme  Marie-Lyse BROUEILH : Trois.

Mme Henriette MARTINEZ : Et dans celle de l'ours des Pyrénées ?

Mme  Marie-Lyse BROUEILH : Un, de temps en temps.

M. Robert SAGNES : A mon sens, c'est le régime alimentaire qui est fautif. J'ai essayé de comprendre pour quelle raison l'ours avait disparu du Parc national qui était fait pour le protéger. Je pense que c'est dû au fait que l'on ait fait proliférer les vautours, qui sont des concurrents alimentaires pour lui. A l'automne, au moment où il va hiberner, l'ours a besoin de protéines animales. Avant il mangeait des cadavres d'animaux, une vache morte, une brebis. Il mange moins parce que le vautour passe avant lui. L'ours slovène monte sur les chênes pour manger les glands. Il est mieux adapté. Il peut arriver dans l'hiver à élever deux ou trois jeunes. Aujourd'hui, l'ours des Pyrénées qui arrive pour hiberner est dans un tel état de faiblesse qu'il est incapable d'avoir des petits. Ce n'est pas qu'il soit stérile. On entend dire que la femelle est stérile, ce n'est pas vrai, mais c'est qu'elle n'est pas en état de reproduire.

L'autre, c'est un ours différent.

Mme Henriette MARTINEZ : Quand se réveillent ces ours ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : Ils vont se réveiller bientôt. J'ai parlé de mon estive sur laquelle, pour l'instant, nous n'avons que deux ours mais on nous dit que pour que le programme soit une opération viable, il faudrait en réintroduire cinquante à soixante.

Déjà à deux, ils arrivent dans la cour de la ferme à 600 mètres d'altitude pour « prédater » des brebis. A une cinquantaine, dans quelques années, nous n'aurons même plus de brebis dans les vallées parce que nous ne saurons plus où les mettre pour les protéger. Ces ours n'ont pas peur de l'homme, ils n'ont pas peur de descendre là où il y a de la nourriture. Régulièrement, ils viennent attaquer les ruches au printemps à 20 mètres des villages. Il faut arrêter cela.

Mme  Hélène HUEZ : A propos de l'organisation de l'estive, il faut préciser que le troupeau qui part en estive sur la montagne des Bésines est un troupeau de plusieurs éleveurs. L'un vient de la plaine et il y a besoin de ces troupeaux de plaine pour pouvoir constituer de gros troupeaux permettant d'embaucher un berger salarié. Les deux autres sont de la montagne.

Aujourd'hui, ceux de la montagne continuent à monter, bien obligés parce qu'on ne peut pas garder les bêtes près des villages puisqu'il n'y a pas la ressource fourragère mais celui de la plaine a déjà commencé à s'organiser autrement parce qu'il ne veut pas, ne peut pas supporter le risque de l'ours. Nous, nous ne le voulons pas non plus mais nous sommes bien obligés de le supporter.

Les élevages les plus fragiles sont ceux de la montagne parce qu'ils subissent l'ours l'été dans la montagne et au printemps quand il sort de sa tanière. Les élevages de plaine... ou de coteaux - j'appelle la plaine, tout ce qui est plus bas (sourires) - vont partir. Pourtant s'il y a plus de bêtes en estive maintenant qu'il y en avait il y a vingt ans, c'est entre autres parce que l'élevage s'est organisé et que nous avons réussi à faire venir des élevages d'en bas. Nous avons besoin d'eux et eux ont besoin de la montagne.

Mme Henriette MARTINEZ : Et c'est un mouvement qui est en train de s'inverser.

Mme Dominique DESTRIBOIS : Nous avons des rencontres régulières avec les bergers des massifs alpins et, même si leur problème est avec les loups, nous savons que nous avons les mêmes problématiques.

Mme Henriette MARTINEZ : C'est bien ce que je ressens en vous écoutant.

Mme Dominique DESTRIBOIS : Donc, au niveau syndical et de l'ADDIP, nous sommes solidaires des éleveurs des Alpes face aux loups, comme ils peuvent l'être pour nous face aux ours. Nous disons maintenant que c'est l'heure des choix au niveau politique français.

Mme Hélène HUEZ : Je voudrais vous parler du tourisme car si je suis éleveuse de vaches, je suis aussi prestataire de tourisme puisque j'organise des randonnées avec des ânes depuis quatorze ans. Les gens s'en vont seuls dans la montagne avec des ânes sur des itinéraires que nous avons préparés à l'avance. C'est une activité en plein développement : les touristes peuvent découvrir la nature de manière sécurisée puisque nous leurs indiquons les itinéraires.

L'activité de randonnée se développe car les Pyrénées sont d'un grand attrait car c'est une montagne sauvage qui attire de nombreuses personnes. Très concrètement, l'arrivée des ours est une mise en danger de cette activité. Si demain, nous avons une attaque sur un âne, ce qui n'est pas impossible puisque l'ours s'est déjà attaqué aux poulains et aux juments,...

Mme Henriette MARTINEZ : Aux juments ? Ils les tuent ?

Mme  Hélène HUEZ : Ils les font chuter, mais il suffit d'une attaque sur un âne et c'est toute notre activité qui s'arrête.

Je ne veux pas parler de mon cas particulier mais si, demain, se produit le moindre un incident avec un randonneur, un touriste, l'image des Pyrénées dont on disait qu'elle serait valorisée par l'ours ne le sera plus du tout, je puis vous l'assurer.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous les croyez capables de s'attaquer à l'homme.

Mme Dominique DESTRIBOIS : Tout à fait.

Mme  Marie-Lyse BROUEILH : Ils peuvent s'attaquer à l'homme. Cela fait partie des risques possibles. Je rapporte là les propos tenus par M. Senegas, directeur de la DIREN qui, lors d'une réunion à la préfecture, nous a appris que dans 20 % des cas, l'ours pouvait attaquer. S'il se sent menacé, s'il a des petits, dans un face-à-face...

Mme  Hélène HUEZ : Si la personne a un chien, par exemple, et que le chien revient vers le maître.

Mme Henriette MARTINEZ : Cela s'est-il déjà produit ?

Mme  Marie-Lyse BROUEILH : Cela ne s'est jamais produit ici. Mais il y a quelques années, en Haute-Garonne, un chasseur était à l'affût et s'est trouvé nez à nez avec une ourse et ses oursons et il l'a tuée à bout portant. Sans son fusil, il y passait. Une enquête a été faite qui a bien démontré qu'il l'avait tuée à moins de trois mètres.

Mme Henriette MARTINEZ : C'est la fameuse histoire qui avait été médiatisée ?

Mme  Marie-Lyse BROUEILH : Oui, c'était la fameuse ourse Melba.

Mme Henriette MARTINEZ : Qu'étaient devenus les oursons ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : Ce sont ceux que nous avons récupérés en Haute Ariège.

M. Robert SAGNES : Contre toute attente.

Mme Henriette MARTINEZ : Ils ont été élevés par l'homme ?

M. Robert SAGNES : Non, c'est bien une espèce plus dynamique que l'autochtone. Les oursons pyrénéens disparaissent tous. Ceux-là, même sans leur mère et contre tout avis des scientifiques, ont grandi !

Mme Henriette MARTINEZ : Je me demandais ce que devenaient des oursons élevés par l'homme quand ils sont remis dans la nature.

Mme Dominique DESTRIBOIS : Tout ça pour dire que les troupeaux de Haute-Ariège sont d'excellente qualité !

M. Robert SAGNES : D'après ce que l'on nous dit, l'un d'eux aurait traversé toute la chaîne et serait maintenant en Béarn. Il est en train d'évincer les mâles dominants pyrénéens pour prendre leur place.

Mme Henriette MARTINEZ : Ces ours sont-ils suivis ? Ils étaient marqués, me semble-t-il ?

M. Robert SAGNES : Certains le sont. Celui-là est reconnaissable. Je crois qu'il a une griffe cassée, d'après ce qu'ils disent.

Mme Henriette MARTINEZ : Mais ils ne sont pas marqués ?

Mme Hélène HUEZ : Quand les deux ours sont arrivés en Haute Ariège, on ne pouvait pas savoir d'où ils sortaient. Ce n'était que des suppositions. Nous avons demandé une capture, des analyses génétiques et il a fallu des mois pour apprendre que c'étaient les descendants d'ours slovènes.

Dire qu'ils sont suivis, j'aurais tendance à penser que ce n'est pas le cas. Le dernier rapport de la DIREN qui date de mars 2002 fait état de trois ours pyrénéens, qui sont quand même notre joyau, et de trois autres sur Luz-Saint-Sauveur dont on ne sait même pas s'ils sont pyrénéens ni de qui ils sont les petits. Laissons parler les spécialistes : ils nous disent qu'il y a trois ours mais qu'ils ne les connaissent pas. Avec tout l'argent qui a été mis là dedans, ils ne savent même pas !

M. Taberlet, qui est un scientifique de Grenoble, a mis au point une méthode il y a une dizaine d'années. Mettons en place un laboratoire d'analyses opérationnel - cela coûte à peu près 1 million de francs par an - et on saura à partir d'un poil quel est l'ours en cause. Nous n'avons pas l'impression que les services de l'environnement aient eu ce souci.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous estimez que le suivi scientifique n'est pas fait comme il convient ?

Mme  Hélène HUEZ : J'ai le sentiment qu'il existe en France des scientifiques tout à fait compétents, comme M. Taberlet, par exemple, qui a mis au point les méthodes utilisées actuellement en Espagne, au Canada, et ailleurs, mais je pense qu'au ministère de l'environnement, ce n'était pas le problème. D'ailleurs, M. Taberlet lui-même dit qu'il n'a jamais été associé à ce suivi. Le ministère de l'environnement a, en fait, fonctionné, je vais être un peu virulente, comme un lobby écologiste. Sinon, comment expliquer scientifiquement que l'on puisse introduire des ours slovènes dans un environnement où il reste encore des ours des Pyrénées ? Que l'on y mette un mâle ? On aurait dû introduire des femelles pleines. Ce n'est pas un renforcement de population qui a été fait !

M. Robert SAGNES : Pourriez-vous faire une analyse génétique de l'ours qui est venu chez nous pour que l'on sache quel est cet ours ?

Mme Henriette MARTINEZ : Nous ne pouvons pas faire de recherches. Nous nous contentons, si j'ose dire, d'essayer de retrouver toutes les recherches, de recouper toutes les informations. Nous n'avons pas de pouvoir d'investigation scientifique.

M. Robert SAGNES : Je vous ai apporté des poils de notre ours que j'ai attrapés en haut d'un arbre.

Mme Henriette MARTINEZ : La commission ne peut pas faire d'analyses. Par contre, nous rédigerons un rapport dans lequel nous allons faire part de vos remarques, de vos doléances et de vos demandes et, dans nos conclusions, nous pouvons effectivement préconiser que ces analyses soient réalisées. Et nous espérons bien que nos préconisations seront suivies d'effet. Autrement, nous aurions travaillé pendant des mois pour rien.

M. Robert SAGNES : On nous a d'abord dit qu'il était slovène. Puis, quand nous avons demandé qu'il soit repris, on nous a dit qu'il était pyrénéen. Nous nous demandons bien ce qu'il peut être.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous allons prendre vos poils d'ours et nous indiquerons dans le rapport qu'ils sont à disposition des scientifiques mais je pense que ces derniers préfèreront les prélever eux-mêmes.

(M. Sagnes remet trois enveloppes à Mme  la Présidente.)

Je voudrais maintenant que nous puissions entendre M. Alain Naudy.

M. Alain NAUDY : L'avis que je vais exprimer en tant qu'élu est partagé intégralement par les soixante-douze communes qui ont délibéré pour assigner l'Etat au tribunal pour non-respect de la Convention de Berne puisqu'en son article 11-2A, celle-ci indique « l'obligation de consulter les populations concernées en procédant à une étude d'impact en cas d'introduction de nouvelles espèces animales ». Aucune consultation n'ayant eu lieu, l'avis exprimé ici n'a rien à voir avec un sondage, c'est la légitimité qui s'exprime.

Sur ma commune d'Orlu, depuis 1999, après l'irruption des deux ours slovènes, l'éleveur local de brebis a abandonné. Nous avons essayé d'en installer un autre, qui a aussi abandonné au bout de trois mois. Nous avons eu quatre saisons très éprouvantes pour les différents bergers.

Sur la commune, cela s'est traduit, tant au niveau moral, physique que financier par des pertes considérables. Nous en parlions ensemble tout à l'heure et nous disions que, quand un ours passe, c'est une brebis tuée mais ce sont aussi des brebis qui avortent pour l'automne, des brebis qui sautent les barres et qui ne sont pas retrouvées parce qu'elles sont de suite mangées par les vautours.

Voici deux ans, un jeune berger a abandonné sur l'estive de l'Orgeix-Naguilles, à la limite de notre commune et un autre parle aussi d'abandonner. Celui qui était sur Orgeix ne va certainement pas remonter. La quasi-totalité des ruches autour du village ont été détruites par les ours. Le précédent préfet se moquait un peu et je lui ai dit qu'un jour, les habitants finiraient par défendre leurs ruches avec des fusils. Il est donc venu avec le capitaine de gendarmerie et a pu constater qu'à trente mètres de la maison la plus élevée, car notre village est en terrasse, il y avait des traces d'ours et que celui-ci venait, et vient encore, régulièrement.

L'an dernier, deux chèvres et deux chevreaux ont été déchiquetées au-dessus de la ferme de l'éleveur local. Nous en avons retrouvé deux, puis deux autres les jours suivants. Puis, un veau d'un éleveur installé depuis peu fut retrouvé égorgé à dix mètres de la route. Ensuite, une pouliche et un poulain furent tués, poursuivis et poussés dans des barres rocheuses.

Mais l'ours, c'est aussi la crainte permanente de la population du printemps à l'automne.

C'est également la crainte du touriste. Nous avons pourtant essayé de développer le tourisme et l'accueil au camping, mais quand les touristes apprennent que les ours sont là, ils s'en vont.

Les conditions sont similaires dans toutes les communes voisines. Qu'il s'agisse d'Ascou, d'Ax-les-Termes, Merens-les-Vals, Savignac, toutes sont traversées par ces deux ours puisque leur territoire s'étend de la limite des Pyrénées-Orientales au massif de l'Estom, au milieu de l'Ariège.

Parallèlement, nous conduisons un programme de réfection de cabanes ou d'édification de nouvelles cabanes pour les bergers et on a essayé de nous « acheter » - il n'y a pas d'autre mot -, puisque nous sommes parmi les cinq ou six communes à n'avoir que les fonds pastoraux pour cela, en nous donnant des crédits ours. Nous les avons refusés. Heureusement, le conseil général est venu à notre secours pour nous aider à poursuivre le programme de cabanes pastorales.

Il n'y a pas de grosses industries en Ariège. Les petites communes de montagne ont pour seul développement le maintien des activités pastorales traditionnelles telles qu'on vient de vous les décrire et le tourisme. Or le lâcher des ours met en péril ces deux principales activités.

Guidés par la crainte, certains touristes se détournent de nos montagnes. Le gardien du refuge des Estagnous à Saint-Girons, situé au milieu des Pyrénées, me disait qu'il récupérait des touristes qui ne venaient pas chez nous, alors que nous avons un refuge gardé au sein de la réserve nationale, parce qu'ils avaient peur des ours.

Le tourisme est donc en péril. L'agriculture également. Nous en parlions entre nous, ces ours, on les voit beaucoup, on les voit trop facilement. L'an dernier, c'est un pêcheur qui l'a vu passé à côté de lui ; il n'a pas bougé mais l'ours l'a regardé à plusieurs reprises. Ils ont été vus fréquemment sur la route goudronnée de la réserve nationale et sur la piste qui conduit également dans cette réserve que nous avons créée pour protéger les animaux. Je me suis battu pour protéger le grand tétras ; c'est un symbole au même titre que l'ours. Que l'on ne me fasse pas croire que parce que celui-ci est plus gros et a plus de poils, c'en est un plus important. Le berger est aussi un symbole !

Le problème de la sécurité devient un réel problème pour nous car les maires, vous le savez, sont chargés d'assurer la sécurité des personnes et des biens. J'ai écrit plusieurs fois à ce sujet à M. le préfet et n'ai jamais obtenu de réponse écrite. Moi, je dis que je ne sais pas comment assurer la sécurité des personnes et des biens avec ces ours au beau milieu des routes goudronnées. J'ai des témoignages écrits d'habitants que j'ai transmis à notre avocat comme celui d'un jeune qui retourne à sa voiture à cinquante mètre de chez lui et trouve l'ours énorme au milieu du goudron, il a dû faire demi-tour. Ce sont des choses qui n'arrivent pas dans le Béarn et je voudrais donc souligner encore les problèmes spécifiques liés au lâcher de ces ours.

L'autre souci est celui du coût. En tant qu'élus, nous sommes soucieux des deniers publics. Ce lâcher a coûté 2,5 millions d'euros ; actuellement, 1,5 million d'euros est utilisé pour assurer le suivi et les rares indemnités accordées. A cet égard aussi il faut se battre car l'opération est d'un coût exorbitant au regard des contraintes et des moyens mis en œuvre. On assiste à une débauche de moyens en faveur des pro-ours. Nous recevons de belles brochures glacées, des revues, des envois variés à un moment où en Haute Ariège, 128 emplois vont être supprimés à Péchiney, ce qui va occasionner entre 400 et 500 pertes d'emploi. Est-il raisonnable, dans ces conditions, de dépenser tous ces moyens pour remettre quelques ours quand on sait qu'il en faudrait raisonnablement vingt à trente de plus pour que la population soit viable ?

En tout cas, nous, élus, avons essayé de raisonner les populations. Nous avons freiné ce sentiment de révolte qui s'exprime sans doute avec plus de force en Haute-Ariège. Si de nouveaux lâchers devait avoir lieu, les gens s'y opposeraient par tous les moyens, en allant directement sur le lieu des lâchers. Ce n'est pas une menace mais une simple constatation. Les Pyrénées ne doivent pas être un sanctuaire, celui qu'elles seraient si y étaient lâchés les cinquante ours dont rêvent certains. En tant qu'élus, nous nous battons tous les jours pour avoir une montagne vivante et pour assurer son développement, qu'on nous laisse tranquilles, qu'on nous laisse travailler !

Mme Henriette MARTINEZ : Nous allons passer aux questions de mes collègues.

M. Augustin BONREPAUX : Madame Broueilh, pourriez-vous dire à mes collègues qui ne sont pas d'ici, ce que vous avez fait pour valoriser l'agneau de Bagères ? Et vous, madame Destribois, comment essayez-vous de valoriser la viande de Haute Ariège ?

Mme Henriette MARTINEZ : La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël GIRAUD : Je voudrais comprendre la situation économique de l'élevage ovin dans ce secteur, et notamment, connaître le revenu moyen d'une exploitation comme la vôtre pour savoir sur quel type d'exploitation ces problèmes de prédation se posent. Cela inclut la question de savoir si vous faites aussi de la transformation.

Nous sommes allés en Italie dans le Parc national du Gran Sazo. C'est un petit parc qui compte deux cents ours mariscani qui, visiblement, ne posent pas de problème particulier. Il s'agit d'ours de 400 kilos, plus petits que les ours slovènes.

Ma question est la suivante : votre attitude serait-elle la même s'il s'était agi d'un programme d'amélioration des habitats de sorte que l'ours pyrénéen puisse ne pas disparaître du massif plutôt que d'un programme d'introduction d'ours slovènes ?

Avez-vous des problèmes dans le secteur avec d'autres prédateurs, notamment les sangliers ? Je vous pose la question parce qu'en Italie, les éleveurs nous ont dit être tout à fait contents de la prolifération de ces prédateurs qui avait permis de régler le problème des sangliers qui provoquaient des pressions trop importantes sur le milieu.

Enfin, vous êtes comme nous des frontaliers. Comment sont gérés les problèmes côté espagnol ? Les accords de Schengen s'appliquant peu aux ours, je voulais savoir cela, car l'Espagne a peut-être plus l'habitude de gérer ce type de problèmes puisque dans le centre de ce pays, la prédation par des animaux sauvages n'a jamais vraiment disparu. Mais je ne connais pas la situation dans l'aire pyrénéenne.

Mme Marie-Lyse BROUEILH : Depuis 1996, nous avons engagé une démarche d'appellation d'origine contrôlée pour une viande de mouton Barèges-Garvarny. Celle-ci vient d'aboutir. Nous avons obtenu le décret AOC en décembre 2002 et sommes en attente de la parution au journal officiel.

Cette démarche est exemplaire dans la mesure où l'on s'aperçoit que l'élevage tel que nous le pratiquons nous permet de bien valoriser nos produits. Nous obtiendrons une plus-value à travers cet AOC des produits viande. Comme vous le voyez, nous n'avons pas attendu l'image de l'ours pour valoriser nos produits. Nous ne vendons pas l'ours, nous vendons un produit authentique, naturel, qui se fait à travers nos estives et notre pratique pastorale. Le problème c'est que, si on nous impose une promiscuité avec des ours slovènes en grand nombre, nous ne pourrons plus assurer notre AOC.

D'un côté, nous sommes soutenus par l'Etat et les collectivités locales pour mettre en place cet AOC et, de l'autre, tout sera fragilisé avant même que les choses soient bien installées.

M. Robert SAGNES : Pour ce qui est de l'Espagne, derrière la frontière, les villages sont déserts, ce sont des tas de ruines. Il n'y a plus un habitant, c'est un espace immense où la nature reprend ses droits. C'est un problème parce que nous sommes envahis de sangliers qui passent la frontière en provenance de ces zones où ils prolifèrent et, bientôt, cela va nous amener des loups et des ours. Il n'y a plus d'hommes, c'est cela le vrai problème. C'est ou l'homme ou le fauve...

M. Joël GIRAUD : Je me suis rendu parfois en Andorre, il y a des gens tout de même !

M. Robert SAGNES : Ce n'est pas la même zone. Dans le Sobrarbe (Haut Aragon), qui est juste derrière, la situation est ce que je décris. Ce sont des terres et des villages abandonnés. Cela se rachète un peu pour faire quelques résidences secondaires, mais c'est le désert, des tas de pierres.

Mme Dominique DESTRIBOIS : Des quelques contacts que nous avons avec des éleveurs espagnols, il ressort que cela se passe très mal. Ils n'ont pas d'argent, comme le Béarn, pour financer des pistes. A une époque, les éleveurs espagnols disaient qu'ils en avaient assez, même des ours béarnais.

En Italie, par contre, cela a l'air de se passer très bien. Je ne sais si vous avez rencontré des éleveurs mais, là-bas aussi, ce sont des zones en forte désertification. Ce sont des choix. En Slovénie, d'où viennent les ours, les éleveurs se promenaient avec leur fusil pour protéger leurs troupeaux et aujourd'hui, je crois qu'à l'endroit d'où venaient les ours, il n'y a plus d'éleveurs. C'est suffisamment clair.

Pour ce qui est de notre revenu, nous ne sommes pas organisés en AOC mais je peux vous dire que nous n'avons pas besoin de l'image de l'ours pour vendre une partie de notre production en vente directe. Nous n'avons pas besoin de plaquette publicitaire, le bouche à oreille fonctionne et plus d'un tiers de ma production part en vente directe.

Vous allez rencontrer des éleveurs qui sont à fond sur la plaquette « pays des ours ». Il faut savoir qu'en Ariège, ils sont cinq et qu'ils sont tous financés par l'ADET pour élever des chiens patous, tenir le secrétariat d'une association ou autre. Ils sont directement liés financièrement. Ce sont des gens qui ont des élevages de brebis comme moi, mais qui n'ont pas de troupeaux suffisamment importants pour pouvoir en vivre.

M. Joël GIRAUD : Ne pouvez-vous être plus précise sur le revenu ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : C'est difficile à dire exactement, mais nous gagnons de l'ordre de 8 à 9 000 francs par mois.

Mme Hélène HUEZ : Je ne voudrais pas dévoiler la vie privée de Dominique mais son couple vit uniquement de l'élevage de brebis, elle a quatre enfants, une maison construite il y a une dizaine d'années et un bâtiment qu'ils ont bâti il y a une quinzaine d'années et, apparemment, l'huissier ne passe pas souvent les voir. Donc, ils arrivent à vivre avec leurs brebis.

Mme Henriette MARTINEZ : En Italie, nous avons pu constater que le revenu moyen d'un éleveur est très largement supérieur à celui d'un éleveur des Hautes-Alpes, par exemple - ce qui explique aussi que les éleveurs italiens puissent avoir des attitudes différentes car leur revenu bien plus élevé leur permet de dire que si le loup leur tue une brebis de temps en temps, ce n'est pas grave. Leurs conditions de vie sont différentes.

Mme Dominique DESTRIBOIS : Pour remettre bien les choses à leur place, il y a des gens ici dont les revenus sont peut-être inférieurs au mien, mais c'est lié à des problèmes de gestion et à des choix différents. Mais même ceux qui ont des revenus plus faibles ne sont pas du tout d'accord et n'ont accepté aucune mesure.

M. Joël GIRAUD : Ma question n'allait pas dans ce sens ,mais comme le disait Mme la Présidente, en Italie, l'éleveur moyen des Abruzzes gagne 51 000 euros par an ; dans les Alpes française, ce serait plutôt 8 000 euros. C'est pour cela que je voulais savoir.

Mme Dominique DESTRIBOIS : Moi, je parlais en francs, pas en euros !

M. Joël GIRAUD : J'avais remarqué.

Mme Henriette MARTINEZ : Reste une question : si c'était les ours endémiques, quelle serait votre attitude ?

Mme Dominique DESTRIBOIS : S'il y avait eu en permanence des ours, il y aurait une tradition qui ne se serait pas perdue et nous serions arrivés sur des territoires où il y avait des ours ; notre réflexion aurait été différente. Mais en Haute-Ariège, cela fait des années qu'il n'y a plus d'ours, il nous a fallu nous battre pour reconquérir le territoire. Nous y sommes parvenus...

Mme Henriette MARTINEZ : Comme dans les Alpes.

Mme Dominique DESTRIBOIS : Oui, comme dans les Alpes. Nous avons exactement le même combat. Donc, les choix politiques sont importants.

Mme Marie-Lyse BROUEILH : Dans notre canton de Luz-Saint-Sauveur, cela fait un siècle et demi, presque deux, qu'il n'y a pas eu cohabitation avec les ours. Nous avons donc perdu les pratiques ancestrales. Elles existaient à l'époque mais il y avait alors beaucoup de monde sur les exploitations agricole et chacun avait un rôle bien déterminé pour s'occuper du troupeau. Le berger qui partait avec son petit troupeau de trente brebis, en moyenne, les surveillait. Il utilisait un burgué, comme on dit en patois. C'était une sorte de cercueil ambulant dans lequel il se glissait pour passer la nuit et ne pas être attaqué par l'ours et il mettait de petits feux autour du parc à mouton mais il n'avait qu'une trentaine de brebis à garder.

Allons-nous, à l'aube du XXIème siècle, devoir renouer avec ces pratiques ?

Mme Henriette MARTINEZ : Excusez-nous de vous bousculer, mais nous avons d'autres auditions après la vôtre. Je vous rappelle que vous pouvez nous transmettre tout documents que vous jugez utiles. Si vous pensez à des points importants que nous n'aurions pas abordés, vous pouvez nous envoyer une contribution écrite complémentaire.

Je vous remercie.

Audition de M. Jean-François DENIS,
ancien Préfet des Pyrénées-Atlantiques, maire de Prades

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2003, tenue à Foix)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

M. Jean-François Denis est introduit.

Mme la Présidente lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, M. Jean-François Denis prête serment.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous allons vous laisser la parole quelques instants puis nous vous poserons des questions.

M. Jean-François DENIS : C'est plutôt en ma qualité de préfet des Pyrénées-Atlantiques que j'ai été amené à prendre une part active dans l'application des directives européennes concernant la faune sauvage, et plus particulièrement l'ours. Lors de ma nomination, ce problème donnait lieu à des conflits internes, dans les vallées d'Aspe et d'Osso, en particulier, conflits que j'allais qualifier de dramatiques puisque...

Mme Henriette MARTINEZ : Vous parlez de quelle année ?

M. Jean-François DENIS : C'était en 1993, mais le problème était antérieur. Depuis longtemps déjà, l'ours posait aux éleveurs de cette région des problèmes qu'ils n'arrivaient pas à résoudre et les directives européennes étaient mal ressenties, comme s'appliquant brutalement à une situation dont la population locale avait le sentiment qu'elle n'avait pas été suffisamment prise en considération. Cela allait jusqu'à conduire à des inscriptions, expressions d'une violence affirmée, sur les murs de la sous-préfecture notamment. Des photos de l'époque vous permettront de retrouver tout cela.

Puis, une personne a été le catalyseur de la recherche d'une solution, M. Henri Ollagnon, professeur à l'Agro de Paris spécialisé dans la discipline de patrimonialité. Il avait rencontré les élus locaux et déjà s'était fort longuement entretenu avec eux pour leur offrir une voie qui était celle de la gestion patrimoniale.

Sur son initiative, nous nous sommes réunis afin d'étudier les possibilités susceptibles de découler de cette pratique. Grâce à l'implication de certaines personnes, les élus de la vallée d'Aspe, d'une manière générale et ceux de la vallée d'Ossau, intéressés au premier chef par la situation humaine et économique de cette région, grâce au président du conseil de l'époque, M. Bayrou, M. Barnier a bien voulu prendre en considération le travail de terrain qui avait été réalisé en liaison avec des scientifiques, dont M. Stevens, et en peu de temps, à une situation de tension a succédé une situation de large concertation qui a permis de rétablir des rapports normaux entre les différents groupes socioprofessionnels : bergers, forestiers, élus et administration de l'Etat dont j'avais la responsabilité. Sur cette base de liaison avec des scientifiques, s'est développé un dialogue qui a été porteur de solutions qui ont été présentées à M. Barnier après que son administration eut fixé un cadre et des orientations auxquelles nous nous sommes efforcés de répondre.

Tout ceci a débouché sur une charte, qui était un contrat de confiance, qui fut signée en janvier 1994. C'était une expérience nouvelle que celle de la patrimonialité qui confiait aux instances locales de droit commun, aux élus, aux socioprofessionnels et aux actifs, en collaboration avec les scientifiques, le soin de gérer un programme dont le but était de prendre en considération de manière assez large à la fois les directives européennes et des problématiques locales.

Les locaux se sont rendu compte, à la lumière des échanges qu'ils avaient avec les scientifiques, de tout ce savoir qui était le leur, qui était pour eux naturel mais noyé : les scientifiques valorisaient ainsi la position des locaux dans leur savoir et leurs actions et, parallèlement, les locaux apportaient aux scientifiques des éléments de précision qui leur ont été très utiles dans la définition de règles, de modalités de gestion et d'exploitation de la forêt, etc.

Les services de l'Etat se sont impliqués, notamment un directeur départemental de l'agriculture. Ce fut une période de collaboration fort intéressante. J'ai eu quelque temps après, grâce à M. Michel Barnier, l'occasion de dire un mot à la commission nationale de protection de la nature à laquelle j'assistais en tant que simple auditeur car le président m'avait demandé d'intervenir sur le sujet. Je m'étais permis, m'appuyant sur l'exemple de ce que nous vivions, de dire que les instances européennes ou nationales étaient en situation de définir les cadres mais pas de les faire appliquer et que l'Institution patrimoniale du Haut Béarn était, de ce point de vue, une expérience extrêmement intéressante, qui permettait aux élus locaux, responsables du droit commun, de rechercher en permanence le meilleur compromis entre l'application de directives européennes et la vie locale humaine, économique et sociale, chacun s'étant engagé avec beaucoup d'honnêteté dans ce travail.

Quelque temps après, vraisemblablement parce que cette expérience - dont le but était, le cas échéant, d'être étendue à d'autres secteurs, d'autres espaces et d'autres territoires dans la mesure où ses conclusions apparaîtraient intéressantes - ne plaisait pas à tout le monde, et on le ressentait très bien, il y a eu une introduction d'ours dans un milieu tant naturel, humain, social qu'économique qui n'y était pas préparé.

J'avais alors considéré que c'était une erreur considérable de procéder ainsi plutôt que d'aider et d'accompagner l'expérience en cours qui avait pignon sur rue, qui était officielle. Cette opération a incontestablement compliqué la situation et envenimé le jeu.

Voilà ce que je pourrais dire de façon rapide. Je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions. En conclusion, j'ajouterai néanmoins que j'avais eu, dans un poste précédent dans le Jura, à conduire avec les services de l'Etat une opération similaire mais de nature différente, concernant le grand tétras, qui doit être protégé et je souhaitais que les services de l'Etat ne soient plus des tutelles qui dictent leur loi mais des partenaires du terrain. Incontestablement, les services avaient, à travers l'ONF, la DDA et certains acteurs comme les services vétérinaires, des moyens et des sources d'informations dont les élus locaux et les collectivités ne disposaient pas. Nous nous étions mis autour d'une table et chacun avait apporté la part qui était la sienne. Cette expérience m'avait beaucoup éclairé au moment des choix en ce qui concerne la démarche dont je viens de parler.

Je considère que, d'un certain point de vue, elle est exemplaire dans son principe, non qu'elle soit parfaite, je n'irais pas jusque-là, je ne l'ai pas suivie dans le détail depuis mon départ. Elle se heurte des difficultés humaines qui sont celles-ci en Béarn. Elles sont autres dans les Pyrénées centrales ou sur le versant espagnol. Mais, incontestablement, la protection de la nature ne sera jamais assurée par une structure centrale, mais par des locaux, conscients du rôle qui leur échoit d'être, au nom du reste de la planète, gestionnaires d'une partie du patrimoine de cette planète.

C'est cet esprit qui présidait à nos travaux et à nos échanges et, en cette matière, tous les responsables locaux, de l'Etat, de la région, du département, des communes et les socioprofessionnels doivent être ensemble pour répondre à cette exigence.

Mme Henriette MARTINEZ : Selon vous, il s'agit de gérer une situation existante et de la gérer dans la concertation. Néanmoins, nous entendons des éleveurs nous dire que, si on laisse les ours et les loups proliférer, le pastoralisme et l'élevage seront en péril, déclineront et finiront par disparaître.

Que pensez-vous de cette position qui se fonde tout de même sur une réalité, puisque l'on nous dit que l'ours progresse, que l'on veut en réintroduire d'autres alors que déjà son niveau de prédation devient insupportable pour les éleveurs ? Faut-il gérer l'existant, diminuer le nombre ou laisser se développer cet ours, au risque de voir disparaître l'élevage dans les zones de montagne car cela aussi, c'est de la protection de la nature, les troupeaux contribuant à l'entretien des montagnes ?

M. Jean-François DENIS : Absolument, mais je ne pense pas que l'ours soit le seul fautif. Il faut regarder - et c'était la tendance de l'IPHB - le problème dans sa globalité. Je me rappelle être allé dans des alpages d'altitude et d'y avoir vu, je ne dirais pas des hectares, ce serait exagéré mais des superficies impressionnantes labourées par des sangliers. On ne peut pas considérer l'ours et ne pas considérer les sangliers, etc. Il faut prendre une région dans sa globalité.

La situation a peut-être évolué, mais je peux vous assurer qu'au départ, les éleveurs étaient d'accord sur une première étape d'évaluation, de bilan et de mise en place de mesures de protection pour permettre à l'économie locale de continuer à se développer. Pendant ce temps, les scientifiques faisaient un inventaire, dressaient un état des lieux et mettaient au point les techniques susceptibles d'accompagner une seconde étape, avec laquelle les éleveurs étaient également d'accord, qui était le renforcement de la population ursine, par l'introduction de nouvelle population, dès lors qu'il apparaissait, au terme de l'état des lieux, que celle-ci était dans l'incapacité de se reproduire en raison de la faiblesse de sa population ou d'autres facteurs.

Mme Henriette MARTINEZ : Mais nous avons là deux espèces d'ours ?, La population locale de l'ours des Pyrénées et la population réintroduite de l'ours slovène. Il semblerait que la cohabitation entre les deux se fasse au détriment de l'ours des Pyrénées puisque l'ours slovène prendrait le dessus.

Sommes-nous dans un juste équilibre de la nature dès lors que l'on réintroduit une espèce qui n'habitait pas ici à l'origine, faisant ainsi disparaître l'espèce indigène ?

M. Jean-François DENIS : La priorité était de favoriser la renaissance de la population locale. L'IPHB, c'était cela : tout d'abord, dresser un état des lieux et, ensuite, assurer le développement de la population ursine contrôlée par différentes techniques.

Mais j'insiste sur le terme de « meilleur compromis ». Vous l'avez dit vous-même, le pastoralisme est un facteur d'équilibre, y compris naturel, d'entretien des paysages, etc. Corrélativement, avaient été mises en place un certain nombre de mesures : des parcages étaient financés dans le cadre d'un programme, l'acquisition de chiens des Pyrénées était favorisée, reposant sur un système de financement car c'était un coût supplémentaire pour l'élevage dont il ne fallait pas compromettre l'équilibre économique.

De même, l'ours représentait un coût supplémentaire pour l'exploitation de la forêt puisqu'elle ne restait plus dans sa forme classique, mais passait notamment par l'introduction d'espèces de variétés qui servaient à l'alimentation de l'ours et par des exploitations qui se faisaient dans des périodes durant lesquelles on ne dérangeait pas la population ursine dans des moments délicats, de gestation par exemple.

Le point de départ est bien celui que vous avez évoqué, celui de la population locale, la « race », si je puis dire, de l'ours des Pyrénées. J'avais simplement entendu dire par M. Palomero qu'il existait en Espagne une variété d'ours qui était plus proche que celle de l'ours slovène et qu'éventuellement, elle pouvait venir en complément dès lors qu'un renforcement était assurée.

Mais localement, chacun était prioritairement axé sur cette démarche d'état des lieux afin de savoir si cette population avait une réelle capacité à se reproduire. Cela a finalement été le cas puisque j'ai appris que deux oursons étaient nés de cette population locale - ce qui montrait qu'elle avait cette capacité. Il s'agissait de favoriser cela et aussi d'assurer un développement contrôlé, et non du style de celui que l'on voulait promouvoir dans la vallée de Haute-Garonne dans laquelle ont été introduits les ours.

Je n'ai pas à plaider devant une commission qui cherche surtout des informations, mais je reste convaincu que ce système de gestion patrimoniale sans être parfait recèle en lui, incontestablement, une foule d'avantages parce qu'il ne déroge pas au droit commun. Ce sont les maires, les conseillers généraux, les parlementaires, ce sont les responsables socioprofessionnels locaux qui connaissent le terrain et la population qui sont appelés à exercer localement leurs responsabilités au regard de ce problème de gestion et d'application des directives européennes. Dire qu'ils ne sont pas attachés à leur patrimoine serait leur faire injure ; ce sont eux qui ont façonné le paysage localement.

J'ai observé qu'il avait des réticences fortes, y compris chez des personnes pour qui j'avais la plus grande estime, mais j'ai pu constater également que ces réticences avaient pour base le manque d'informations, c'est-à-dire qu'on leur avait « balancé » des directives qui les effrayaient par rapport à leur quotidien et à tout ce qu'ils avaient à faire pour conduire leur entreprise, pour qu'elle continue à être rentable, etc. Le cercle de l'IPHB, les réunions ont favorisé des échanges qui ont permis de remettre les choses en place et de restituer à chacun le rôle qui lui revenait. Et chacun devenait acteur pour la part qui était la sienne.

Mme Henriette MARTINEZ : La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël GIRAUD : Ma question s'adresse plus à l'élu des Pyrénées-Orientales. Nous avons, en effet, entendu quelques histoires sur la présence d'un loup dans les Pyrénées-orientales. Quel est votre sentiment d'élu sur ce qui s'est passé et sur la réalité de l'arrivée du loup par les voies naturelles ? Quel est aussi celui des socioprofessionnels du secteur ?

M. Jean-François DENIS : Il y a eu effectivement une réaction mais locale. Des bergers ont trouvé des moutons éventrés. Quand j'étais en poste dans le Tarn, j'avais connu des situations assez semblables mais il n'y avait eu aucune ambiguïté, il s'agissait de chiens errants ou sauvages.

Sur cette affaire, je ne suis pas un expert. J'ai cherché à me renseigner auprès d'amis plus proches de ces questions, qui m'ont dit que le loup était rarement solitaire et qu'il était quelque peu étonnant qu'il ait parcouru des distances pareilles mais que, néanmoins, il pouvait y avoir des circonstances. Ils n'écartaient pas cette possibilité à 100 %.

Ce sont des chiens ou ce sont des loups. J'écarte l'hypothèse que ce soient les chiens car nous reviendrions à un problème connu. Si c'est un loup, on voit à travers cet exemple à quel point les locaux doivent être associés à des opérations pilotées, préparées. L'introduction de faune sauvage ne peut se faire comme ça, on ne peut pas laisser les choses aller à vau l'eau. C'était le cas pour les deux ours qui ont été introduits sans crier gare et qui ont provoqué les réactions que vous savez en France et en Espagne. Pour revenir au loup, j'arrivais dans les Pyrénées-orientales à cette époque et j'ai noté des réactions assez vives des éleveurs et autour, celles de leurs amis, élus et habitants. Cela montre à quel point on peut passer d'une position d'adhésion à la valorisation de son propre patrimoine à une position de blocage le plus total par des opérations de ce genre, avec des amalgames qui peuvent être par la suite source de conséquences plus graves encore.

D'une manière générale, dans toutes les opérations que j'ai suivies - je suis président de l'opération Grand Site dans le massif du Canigou - je peux vous dire que l'information et un bon travail réunissant scientifiques, élus et socioprofessionnels locaux en leur donnant véritablement aux uns et aux autres la parole, et en établissant un contrat de confiance, permet de réaliser un travail fantastique et, véritablement, de protection de la nature. Dans le Canigou Grand Site, c'est ce que je vis depuis maintenant deux ans et demi, et nous faisons des progrès considérables.

Mais dès lors que l'on entre en force ou que l'on est débordé par les actions que l'on ne contrôle pas ou que l'on met en œuvre des actions non préparées, obligatoirement, il y a ces réactions de frilosité, de fermeture, d'opposition et de tension qui, ensuite, sont difficiles à dépasser.

Mme Henriette MARTINEZ : Quand cela a été fait de cette façon, c'est-à-dire mal géré au départ parce que non préparé, et que l'on se retrouve effectivement dans des situations de blocage total que vous soulignez, que faut-il faire ? Ici comme dans les Hautes-Alpes, on est dans des situations de blocage total avec les éleveurs, à qui je ne vois pas comment, maintenant, nous pourrions faire entendre un discours de raison.

M. Jean-François DENIS : Madame, je ne pense pas détenir la solution.

Je connais moins les Alpes, un peu plus le Jura, mais, par exemple, dans le Jura, pour le lynx, il y a eu accord des éleveurs, des moutonniers, en particulier. Ils ont été associés très tôt et l'on a pris en considération prioritairement leur situation. Les scientifiques leur ont expliqué comment la cohabitation était possible dès lors que les pratiques d'élevage évoluaient de telle manière, que des dispositifs étaient mis en place et qu'en cas d'accident, des mesures seraient prises qui leur garantissaient, sur le plan économique, les accidents. Ce système fonctionne.

Au départ, je le dis devant Jean Lassalle, c'était l'orientation qui avait été prise dans les Pyrénées aussi, car c'est l'homme qui est prioritaire.

Dans les Carpates, la situation est celle des Pyrénées il y a trente ou cinquante ans. Les vieux éleveurs des Pyrénées me le disaient, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas un seul berger pour tout un troupeau mais des familles entières qui, alors, pouvaient surveiller. Nous ne sommes plus du tout dans la même situation. La pratique du pastoralisme a évolué. On ne peut comparer que ce qui est comparable sur le plan humain, sur le plan de l'organisation sociale.

Si j'avais une préconisation à formuler pour répondre à votre question, je dirais que ce qui est prioritaire, c'est l'état des lieux et l'homme dans son milieu. Ensuite, moyennant certains dispositifs, par le biais de solutions techniques, pratiques, organisationnelles, financières le cas échéant, d'indemnisation aussi - elles sont nombreuses et multiples - il s'agit, en liaison avec les scientifiques, de lui montrer les voies de la cohabitation entre le maintien d'une faune sauvage ou son rétablissement contrôlé et le développement des activités économiques, agrosylves et pastorales.

Tout cela est possible mais ne se fait pas en un jour et je plaide, encore une fois, pour que la responsabilité en soit laissée au droit commun, c'est-à-dire aux locaux. Toute « ingérence » - pardonnez ce terme que je mets entre guillemets - qui viendrait de l'extérieur serait un peu une injure à l'égard de l'information qui se pratique dans une instance comme l'IPHB et conduirait ceux qui y participent à s'interroger sur le fait de savoir pourquoi quelqu'un, sans s'être investi dans l'échange, la consultation et la réflexion, peut tout à coup arriver porteur d'une idée. Qu'il entre plutôt, le cas échéant, dans le cercle à côté des scientifiques et des élus, porteur d'une idée qui sera alors mise sur la table et examinée, mais qui ne s'imposera pas de l'extérieur.

On peut préconiser, exprimer un souhait et, à partir d'une situation, la stratégie sera, par différents moyens, mise en place pour tendre vers l'objectif affiché par les directives européennes ou la politique environnementale, par exemple.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous vous remercions de vous êtes prêté à cette audition, malgré votre extinction de voix.

Audition conjointe de M. Guy FREBY45, directeur de l'Agence départementale
de l'Office des forêts de l'Ariège,
et de M. Pierre-Yves QUENETTE, Office national de la chasse et de la faune sauvage

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2003, tenue à Foix)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

MM. Freby et Pierre-Yves Quenette sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, MM. Freby et Pierre-Yves Quenette prêtent serment.

Mme Henriette MARTINEZ : Je propose que vous fassiez chacun un exposé concis de manière à ce que nous puissions ensuite vous poser des questions.

M. Pierre-Yves QUENETTE : Je travaille pour l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et suis en charge, depuis octobre 1995, du suivi des ours qui ont été réintroduits dans les Pyrénées centrales. Ma fonction essentielle est d'assurer le suivi technique et scientifique de cette opération de réintroduction. Une équipe a été créée à cette fin, qui regroupe à la fois des techniciens de fédérations de chasse, un agent ONF et deux personnes de l'ONCFS.

L'objectif essentiel de cette opération de réintroduction était de contribuer à la restauration de l'ours brun dans les Pyrénées, dans le cadre d'un programme européen. Les objectifs plus spécifiques sont essentiellement d'assurer le suivi des ours réintroduits en recueillant le maximum de données sur le comportement spatial de ces ours, leur comportement alimentaire, leur comportement de prédation, d'hibernation et leur évolution démographique - reproduction et mortalité des ours réintroduits.

A côté de ce rôle technique, il y avait toute une partie plus liée au travail d'information et de sensibilisation des populations locales sur les données que nous pourrions recueillir afin de favoriser l'acceptation des ours dans les Pyrénées centrales.

L'essentiel du temps est donc regroupé sur ces deux aspects, l'aspect purement technique et l'aspect de sensibilisation, de diffusion de l'information et d'aide à la mise en place de mesures de prévention.

Mme Henriette MARTINEZ : Avez-vous vous-même suivi ce programme depuis le début ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Non, en fait, je le suis depuis octobre 1995 puisque j'ai été recruté à partir de cette date.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous étiez donc là lorsqu'il a été initié ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Non, en fait, on peut dire que cela a débuté avant puisque le programme s'est mis en place dès 1993, la charte ayant été signée avec le ministre de l'environnement de l'époque et une association, l'ADET, qui l'avait initié. Toutes les études préalables de faisabilité et de choix du pays de source avaient donc été conduites avant mon arrivée.

M. Guy FREBY : Je suis directeur de l'Agence départementale de l'Office des forêts de l'Ariège où j'ai pris mes fonctions depuis deux ans. La particularité du territoire que nous gérons ici est d'être un territoire extrêmement étendu en superficie puisqu'il représente 115 000 hectares, soit 20 % de la superficie du département, essentiellement en espaces domaniaux puisque nous avons 35 000 hectares de forêts communales et 80 000 hectares de forêts domaniales.

Une particularité importante de ces espaces, qui est propre à l'Ariège, est qu'une partie non négligeable est occupée par des domaines pastoraux. 60 000 hectares sont des hectares forestiers à proprement parler, le reste est constitué d'estives utilisées par les éleveurs, avec une spécificité de l'Ariège que ces espaces sont usagés. Les éleveurs les occupent au titre du droit d'usage concédé aux communes. Ce sont les éleveurs des communes qui les utilisent pour pâturer.

Comment se présente le problème de l'ours en ce qui me concerne ?

Il est vrai que, quand on parle de l'ours et des problèmes qu'il occasionne, on pense tout de suite au pastoralisme et aux dégâts occasionés sur les troupeaux. Nos agents qui interviennent en terme de gestion sont souvent sensibilisés, consultés et alertés puisqu'ils appartiennent au réseau « Ours brun ». Rien que pour l'Ariège, six de nos personnels consacrent une partie de leur temps aux observations et relevés d'indices qu'ils remettent ensuite à l'Office national de la chasse de manière à ce qu'il y ait une coordination technique. Mais ils n'ont pas de responsabilité nette en termes de comptabilisation de l'importance des dégâts. Il s'agit simplement d'un réseau d'alerte de l'organisme centralisateur ; c'est l'équipe technique basée en Haute-Garonne qui coordonne les informations.

Le deuxième domaine d'intervention qui nous occupe est la gestion forestière proprement dite. A ce niveau et, d'une façon générale, puisque l'une de nos préoccupations est d'intégrer les problèmes de préservation de toute espèce rare et menacée, nous sommes amenés à inscrire dans nos documents de gestion des contraintes spécifiques, des réserves, des particularités pour prendre en compte la présence de cette espèce, notamment celle de l'ours. Un aspect de notre travail consiste donc à intégrer des prescriptions de gestion pour tenir compte de la présence de cette espèce.

En termes de gestion forestière et d'exploitation, comme nous sommes en zone de montagne - et que c'est une unité économique qui compte aussi - nous avons mis en place un système qui permet, à chaque fois qu'au travers de documents de gestion nous prévoyons la mise en œuvre de travaux de coupe, de recueillir au préalable l'avis d'une commission spécialisée locale, dont notamment l'Office national de la chasse. C'est cette commission locale qui nous indique les précautions qu'il y a lieu de prendre et d'imposer préalablement à la mise en vente de coupes de bois situées dans des zones réputées sensibles.

Le cahier des clauses générales intègre ces prescriptions et des clauses particulières également. Cela se traduit, de façon très pratique, par un certain nombre de pénalisations pour les acheteurs car nous sommes obligés de prendre en compte des délais pour préserver l'ours dès lors qu'il a été identifié dans un secteur selon l'importance du secteur proprement dit : si c'est un secteur vital, une tanière, et suivant l'importance du milieu dans la stratégie de la préservation de l'espèce, les prescriptions sont de plus en plus importantes.

Chaque année, nous sommes amenés ainsi à indiquer une clause dite « Ours » dans toutes nos ventes de bois qui conduit à informer les acheteurs de la présence possible d'un ours dans la zone où se trouve la coupe dont ils vont se rendre acquéreurs et cela les engage à se soumettre à des contraintes particulières liées à l'accès, à la desserte, aux périodes d'exploitation et à des précautions particulières.

Enfin, l'établissement intervient aussi dans le domaine de la chasse et du tourisme soit pour des prestations de service, soit parce que nous sommes amenés à louer les territoires de chasse domaniaux dont nous avons la responsabilité. Là encore, des contraintes s'imposent puisque nous avons le souci de ne pas orienter le public vers des zones réputées sensibles, voire de ne pas engager de politique de chasse qui serait trop agressive dans des territoires où l'on veut essayer de préserver cette espèce.

Tels sont les trois volets - le pastoralisme, la gestion forestière et les activités d'accueil du public et de chasse - dans lesquels nous sommes amenés à prendre des précautions particulières qui se traduisent dans les cahiers des charges et dans nos préoccupations au quotidien.

Mme Henriette MARTINEZ : Quelques questions très précises : A combien estimez-vous la population des ours sur le territoire dont vous avez la charge ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Sur l'ensemble des Pyrénées, on estime que la population oscille entre treize et quinze ours, répartis entre le côté français et espagnol.

Mme Henriette MARTINEZ : Distinguez-vous dans ce comptage les ours des Pyrénées des ours slovènes ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Il y a effectivement trois noyaux. Le noyau occidental, qui est essentiellement composé des ours autochtones...

Mme Henriette MARTINEZ : Qui ont toujours été là ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Oui, qui ont toujours été là et l'on estime à cinq ou six individus leur nombre, auquel s'ajoute, depuis 2001, un jeune mâle issu de la réintroduction qui s'est installé dans les limites de cette population autochtone...

Mme Henriette MARTINEZ : C'est la même race ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : C'est la même espèce, oui ; c'est un ours brun qui est issu d'une femelle qui a été réimplantée depuis la Slovénie. Comme cela se passe chez les ours, les jeunes mâles à partir de deux ans se dispersent, quittent le domaine maternelle, peuvent parcourir de grandes distances. C'est ce qui s'est produit avec ce noyau d'ours issus de la reproduction dont les individus se sont dispersés à la fois vers l'est et l'ouest. Vers l'ouest, ce jeune mâle est allé s'installer vers les limites de la population autochtone ; et deux autres jeunes mâles sont allés vers l'est s'installer entre la Haute-Ariège, les Pyrénées-Orientales et l'Aude.

Mme Henriette MARTINEZ : Quelle distance peut parcourir un ours qui se disperse ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : C'est assez variable. Cela peut être fonction du type de milieu...

Mme Henriette MARTINEZ : Il va très loin quand même ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Oui, il peut faire plusieurs dizaines de kilomètres. En l'occurrence, dans le deux cas, plein est et plein ouest, la distance parcourue est de l'ordre de 80 à 100 kilomètres.

Mme Henriette MARTINEZ : De quelle surface a-t-il besoin pour vivre ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Un ours a un domaine vital annuel de l'ordre de 100 à 300 km² pour les femelles adultes et de 500 à 1000 km² pour un mâle adulte.

Mme Henriette MARTINEZ : Un mâle adulte ne supporte aucun autre ours sur son territoire ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Non, il peut y avoir plusieurs mâles sur un territoire parce que l'ours n'est pas territorial comme peut l'être le loup. Donc, les domaines de plusieurs mâles peuvent se chevaucher. C'est ce qui se passe en Haute-Ariège où deux mâles ont des domaines qui se chevauchent.

Mme Henriette MARTINEZ : A propos de l'ours des Pyrénées et de l'ours slovène, on nous a dit que ces deux races avaient du mal à cohabiter et que l'ours réintroduit prenait le pas sur l'ours local et conduisait à l'élimination de celui des Pyrénées. Que pouvez-vous me dire de cette affirmation ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Elle est contestable. Déjà parler de races...

Mme Henriette MARTINEZ : Oui, cela existe-t-il biologiquement ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : ...on parle d'espèces et de sous-espèces. Mais c'est exactement la même espèce.

Mme Henriette MARTINEZ : On nous a dit qu'il y en a un qui est petit, l'autre beaucoup plus gros...

M. Pierre-Yves QUENETTE : Il est vrai que l'on peut avoir, selon les zones géographiques, des morphotypes différents, avec des gradiants au niveau des tailles qui peuvent varier entre l'Europe de l'Est, notamment en Roumanie, où l'on trouve des ours relativement gros, alors que dans la partie sud de la distribution de l'ours brun, l'ours pyrénéen ou l'ours cantabrique, sont en moyenne moins gros.

M. Joël GIRAUD : Quelle est la différence en poids ? Quatre-vingts kilos pour l'ours des Pyrénées?

M. Pierre-Yves QUENETTE : On peut avoir de très gros ours dans les Pyrénées aussi. On connaît des cas d'ours qui faisaient trois cents kilos dans les Pyrénées. Nous avons des cas documentés.

Mme Henriette MARTINEZ : On nous a dit que les comportements ne sont pas les mêmes ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Pour essayer de répondre à cette question, j'essaie de comparer entre le comportement que l'on considère comme normal, qui serait celui de l'ours autochtone, et le comportement de l'ours issu de la réintroduction. Le meilleur moyen est d'établir une comparaison sur tous les aspects du comportement, qu'il s'agisse du comportement alimentaire, de prédation, d'hibernation ou spatial.

Quand on compare les comportements d'hibernation, on constate qu'ils sont très semblables. Les dates d'entrée et de sortie de tanière sont identiques. Le choix des sites de tanière similaires.

Quand on compare leurs régimes alimentaires à partir de l'analyse des fèces, des crottes, on constate que l'on a, globalement, la même proportion des différents items alimentaires. Il n'y a pas de différence significative.

Pour ce qui est du comportement spatial, il est intéressant quand on superpose dans les Pyrénées centrales les dernières cartographies de l'aire de présence des ours autochtones qui existaient jusqu'à la fin des années 80 et les secteurs identifiés de passage de ces ours autochtones et qu'on les compare avec ceux des ours réintroduits, on voit qu'il y a chevauchement entre ces zones d'utilisation. Les zones de passage et les domaines vitaux utilisés par les ours de maintenant sont très similaires à ceux utilisés par les ours d'avant.

La taille des domaines vitaux sont aussi assez similaires, maintenant que les ours se sont stabilisés, car il est vrai qu'au départ, ces ours qui venaient d'être réintroduits avaient des déplacements qui pouvaient paraître anormalement élevés par rapport à un ours qui est en place. Mais c'était assez compréhensible parce qu'il y a eu une période d'adaptation, de prospection avec des déplacements de très grande amplitude suite à l'introduction. Quand on regarde, par exemple, le domaine vital de l'une des femelles qui est installée depuis 1996 sur mon secteur, on constate que sa taille est très similaire à ce que l'on peut observer dans les Pyrénées atlantiques.

M. Augustin BONREPAUX : Autrefois, les ours ne venaient pas rôder autour des villages d'Orlu ou de Larcat, comme cela se produit maintenant. A Larcat, il vient jusqu'aux ruches d'un éleveur qui est dans le village. Cela ne se produisait pas. On peut rechercher dans des traces anciennes, avant 1870, on disait que les loups venaient à proximité des villages mais pas les ours. Est-ce que ce comportement paraît normal ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Si l'on consulte les archives, on trouve des cas d'ours autochtones qui passent à proximité des villages.

M. Augustin BONREPAUX : Je ne parle pas d'ours passant à proximité mais d'ours qui y reviennent régulièrement.

M. Pierre-Yves QUENETTE : Je sais qu'à Orlu il y a un siècle, il y avait aussi des présences d'ours qui venaient sur des secteurs situés à proximité des villages. Cela a été recensé dans les Pyrénées-Atlantiques ; il existe un document qui recense un peu tous les cas où l'on a vu des exemples similaires.

M. Augustin BONREPAUX : Cela vous paraît normal ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Ce qui me paraît anormal, c'est de considérer que ces ours ont un comportement anormal. Cela se produit. Ce type de comportement se rencontre dans tous les pays du monde. Biologiquement, ce n'est pas anormal.

Après, que cela pose des problèmes en terme de sécurité, je le conçois.

Mme Henriette MARTINEZ : Comment suivez-vous la démographie de ces ours ? Sont-ils marqués ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Ceux issus de la réintroduction parce qu'il y a des situations différentes selon qu'il s'agit d'ours issus de la réintroduction ou des Pyrénées-Atlantiques. Pour les suivre dans les Pyrénées-Atlantiques, c'est une méthode indirecte avec prospection et recherche d'indices de présence. Nous essayons de trouver des traces et d'identifier les individus avec des systèmes de photographies automatiques.

Dans les Pyrénées centrales, initialement c'est un autre système de suivi. Les ours qui ont été relâchés étaient équipés d'un émetteur. Ils étaient donc clairement identifiés et suivis par télémétrie.

Un autre outil est utilisé également, l'outil génétique, qui permet, dans certains cas, de définir le nombre de génotypes présents dans une population.

M. Guy FREBY : Le suivi est également exercé par des équipes sur le terrain. Ce sont des personnels qui sont partagés, pilotés essentiellement par l'Office de la chasse, qui participent aussi partiellement pour la Haute-Garonne. Pour le reste, ce sont une partie de nos agents qui appartiennent à un réseau d'informateurs locaux, qui consacrent une partie de leur temps à ce travail.

M Augustin BONREPAUX : Comment est constituée cette équipe ? Quel est le nombre de personnes appartenant à l'Office national de la chasse qui sont sous ses ordres ? Comment est-elle organisée ? Combien y a-t-il d'agents auxiliaires ? L'ONF est-il indemnisé par l'ONCFS ou par la DIREN pour ce travail de suivi des ours ?

Par ailleurs, des indemnisations sont-elles prévues pour les ventes de bois ? Quelle indemnisation est faite par l'ONCFS à l'ONF de ce point de vue ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Elle se compose de 4,7 personnes, en fait : un biologiste, moi-même, et un technicien de l'ONCFS, qui travaillent à temps complet, ainsi que trois techniciens issus des fédérations de chasse de l'Ariège, Haute-Garonne et Hautes-Pyrénées, dont deux travaillent à 50 %, et un agent de l'ONF qui travaille à 75 % de son temps.

M. Augustin BONREPAUX : Qui paie les bergers itinérants ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Leur nombre varie entre cinq et six. Ils sont payés par l'ONCFS. Ils travaillent de façon saisonnière, de juin à octobre.

Mme Henriette MARTINEZ : Ils sont payés pendant la période où ils travaillent ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Oui.

M. Augustin BONREPAUX : Est-ce vous qui gérez cela ou la DIREN ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Au niveau de l'organisation sur le terrain ?

M. Augustin BONREPAUX : Au niveau des salaires ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Ce n'est pas moi. C'est l'ONCFS.

M. Guy FREBY : En ce qui concerne l'ONF, il faut distinguer le cas de l'Ariège et celui de la chaîne des Pyrénées. Pour l'ensemble de la chaîne des Pyrénées, depuis cette année - ce n'était pas le cas jusqu'à présent - la DIREN a accepté de prendre la charge de 75 % du salaire d'un agent de Haute-Garonne qui participe à l'équipe technique dont parlait M. Quenette.

Le reste de nos agents qui participent au réseau - pour l'Ariège, ce sont sept personnes, mais évidemment, il y en a tout le long de la chaîne - interviennent dans le cadre d'un réseau qui participe à des relevés d'indices ou de transfert de l'information vers un centre de coordination qui est installé en Haute-Garonne. Il n'y a pas de contrepartie financière. C'est dans le budget de l'établissement.

Pour ce qui est des indemnisations que pourraient escompter les propriétaires, qu'il s'agisse de communes ou éventuellement de particuliers, mais ce sont essentiellement des domaines publics qui sont concernés, pour le moment, il n'y en a aucune. Il est pourtant clair qu'il y a une moins value qui pose problème. Nous avons des cahiers de vente, il est vrai qu'avant de mettre en vente, en adjudication les coupes, pour les acheteurs qui s'aperçoivent que la coupe porte la clause « ours », c'est un frein à la commercialisation.

Mme Henriette MARTINEZ : Pour vous, la présence de l'ours a donc un aspect négatif sur l'économie locale, tout au moins dans ce secteur ?

M.Guy FREBY : J'ai ici un catalogue des ventes qui ont eu lieu au mois d'octobre. Cinq coupes étaient concernées dans ce catalogue. L'impact est à l'échelle des coupes concernées, mais c'est d'une certaine façon une pénalisation.

Mme Henriette MARTINEZ : Cinq coupes sur combien ?

M. Guy FREBY : Elles sont numérotées, je vais pouvoir vous le dire. Pour l'automne dernier donc, il y en avait cent quatre-vingts.

M. Joël GIRAUD : Vous avez étudié le comportement alimentaire des ours. A partir des analyses d'excréments, pourriez-vous nous dire quelles sont les nourritures favorites en matière de proies carnivores ? Y a-t-il notamment des marcassins et des sangliers parmi les victimes ? Nous avons vu, en Italie, qu'un certain équilibre s'était créé entre les prédateurs et la prolifération des sangliers.

Par ailleurs, quel est votre avis sur la meilleure acceptabilité qu'aurait pu connaître une politique d'extension par un travail sur la zone d'habitat des ours endémiques des Pyrénées plutôt que cette réintroduction ?

Enfin, les résultats des différents suivis que vous faites font-ils l'objet d'un minimum de diffusion ? Nous avons l'impression lors des auditions précédentes qu'il y avait une certaine opacité quant à la diffusion des informations relatives au suivi.

M. Pierre-Yves QUENETTE : En ce qui concerne le régime alimentaire, nous n'avons pas pu mettre en évidence d'impact sur les sangliers ou les marcassins. Je raisonne là par rapport à un petit échantillon de quarante-deux crottes qui ont été analysées de façon fine. Nous avons constaté que près de 66 % des items alimentaires étaient d'origine végétale et le reste d'origine animale, qui se distribue entre insectes et ongulés - ongulés sauvages et domestiques.

Nous avons observé quelques cas visuels, quatre cas, de tentatives de prédation sur la faune sauvage, qui ont toujours échoué, notamment sur des sangliers. L'ours n'est donc pas un prédateur efficace sur la faune sauvage.

M. Joël GIRAUD : Il ne peut donc pas participer d'un équilibre sur une prolifération d'espèce herbivore ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Il a beaucoup moins d'impact qu'une espèce comme le loup qui n'a pas la même méthode de chasse, qui chasse en meute.

On sait qu'il a charogné à plusieurs reprises. C'est un charognard et on l'a vu visiter régulièrement des carcasses de biche ou de cerf, de sanglier aussi, notamment sur Orlu. On sait qu'une carcasse de sanglier a été visitée à six reprises.

M. Augustin BONREPAUX : Elle a aussi été visitée par d'autres sangliers.

M. Pierre-Yves QUENETTE : Oui, les sangliers aussi charognent. C'est clair. Mais il y a un cas sur Orlu, on a même vu l'ours sur la carcasse...

M. Augustin BONREPAUX : Je le sais.

M. Pierre-Yves QUENETTE : L'ours a donc peu d'impact sur la faune sauvage. Le seul cas où il pourrait faire un peu de prédation, c'est sur les jeunes, nouveaux-nés, les faons, lorsqu'ils sont encore peu mobiles, dans les quelques jours qui suivent la naissance.

M. Joël GIRAUD : Pourquoi une réintroduction plutôt qu'une extension des politiques sur l'aire d'habitat qui aurait pu favoriser l'extension de l'espèce « native » ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Il est assez difficile de répondre à cette question. De prime abord, on aurait plutôt pensé à réintroduire d'abord dans les Pyrénées-Atlantiques dans la mesure où il y restait encore un noyau d'ours. Qu'est-ce qui fait que l'on n'a pas fait cela ? Je ne sais...

M Joël GIRAUD : Je ne parlais même pas de réintroduction, mais de développement de l'espèce à partir d'une politique sur l'habitat.

M. Pierre-Yves QUENETTE : Il y a déjà eu des premières tentatives dès 1984. Il y avait eu un premier plan de sauvegarde de l'ours, qui a été remodelé en 1988. Malgré cela, l'aire de dispersion de l'ours a continué à diminuer. Arrivée à un certain seuil, une population d'ours n'est plus à même de se maintenir, même si l'on met en place des mesures suffisantes. Si l'effectif est trop faible, s'il n'y a pas assez de femelles reproductrices, la population ne peut pas se maintenir.

Mme Henriette MARTINEZ : Se mélangent-ils ? S'accouplent-ils entre ours réintroduits et ours autochtones ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Pour l'instant, il n'y a pas eu de cas de reproduction.

Mme Henriette MARTINEZ : Les deux espèces restent donc bien séparées ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : C'est la même espèce. Il ne faut pas parler de deux espèces.

Mme Henriette MARTINEZ : On nous a tellement expliqué ce matin que ce n'était pas du tout les mêmes et qu'il y avait des différences fondamentales. Mais vous nous dites que c'est la même espèce ?

M. Pierre Yves QUENETTE : Oui, c'est la même espèce. Que l'on puisse discuter du fait qu'ils n'aient pas les mêmes comportements, j'en conviens mais, d'un point de vue taxonomique, au niveau biologique, c'est exactement la même espèce. Ils sont interféconds, ils peuvent se reproduire entre eux, avoir des jeunes qui peuvent se reproduire, qui ne sont pas stériles. C'est la définition d'une espèce d'un point de vue biologique.

Mais, pour l'instant, il n'y a pas encore eu de reproduction parce que le seul cas qui pourrait se produire c'est ce mâle d'origine slovène qui est dans la population autochtone et qui a cinq ans. Or c'est juste l'âge de maturité sexuelle. Jusqu'à maintenant, il n'était peut-être pas encore mature sexuellement.

Mme Henriette MARTINEZ : Biologiquement, c'est la même espèce.

M. Pierre-Yves QUENETTE : Oui.

M. Guy FREBY : La vraie question est celle de la pertinence de la réintroduction avec un effectif tel qu'il est aujourd'hui.

Mme Henriette MARTINEZ : Va-t-on continuer à réintroduire ? C'est le souci des éleveurs. Ils nous ont dit que les objectifs de population qui avaient été fixés n'avaient pas été atteints et ils redoutaient que la réintroduction se poursuive.

Qu'en est-il à cet égard ? Considère-t-on que les ours sont réintroduits et qu'on les laisse se développer ou, au contraire, la pratique de la réintroduction va-t-elle se poursuivre ?

M. Guy FREBY : En ce qui me concerne, je n'ai aucune information qui permette de répondre à cette question. Nous n'avons qu'une interrogation : quelle est la pertinence scientifique du maintien d'une population au niveau où elle est aujourd'hui par rapport à un objectif de pérennisation de l'espèce sur la chaîne ?

Mme Henriette MARTINEZ : A votre avis, cette réintroduction est-elle suffisante ?

M.Guy FREBY : Nous avons des avis qui ne sont sans doute pas suffisamment autorisés mais, scientifiquement parlant, notre sentiment est que nous n'avons pas une population suffisante pour garantir un niveau de développement, ne serait-ce que sur le plan génétique.

Mme Henriette MARTINEZ : On nous dit pourtant qu'ils se reproduisent assez vite, qu'ils ont eu des petits.

M. Pierre-Yves QUENETTE : Dans l'état actuel de la population sur l'ensemble de la chaîne, se pose la question de la pérennité de la population, et donc de savoir s'il serait opportun de réintroduire ou pas. Nous avons essayé de faire une analyse avec un laboratoire du CNRS de simulation de viabilité de cette population d'ours telle qu'elle se présente actuellement, avec ses noyaux et la composition que l'on connaît. Les résultats de cette simulation tendent à montrer qu'elle n'est pas viable si l'on ne réintroduit pas d'autres individus, notamment des femelles adultes puisque l'on ne compte que trois femelles reproductrices actuellement, dont une seule dans les Pyrénées-Atlantiques. Il n'est pas besoin de grandes simulations pour se rendre compte que cette population est vulnérable. Il suffit que cet individu meure pour que la population occidentale disparaisse. Dans les Pyrénées centrales, on a deux femelles reproductrices et un seul mâle reproducteur.

Compte tenu de ces éléments et quand on fait une simulation en tenant compte de la taille des portées et du temps entre génération qui est assez long chez l'ours brun - ce n'est pas une dynamique comme celle du loup ou d'autres espèces de mammifères, c'est une dynamique très lente - on se rend compte que la population n'est pas viable d'un point de vue probabiliste.

Mme Henriette MARTINEZ : La femelle fait une portée tous les combien ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Tous les deux ou trois ans.

Mme Henriette MARTINEZ : Combien dure la gestation ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Elle dure sept mois. En fait, c'est un peu spécial chez l'ours parce qu'il y a un arrêt du développement embryonnaire juste après la fécondation et il reprend pendant la période d'hibernation et les jeunes naissent dans la tanière. Une femelle adulte est mature vers quatre cinq ans. Elle se reproduit tous les trois ans et fait en moyenne deux petits par portée.

Mme Henriette MARTINEZ : C'est le printemps, vous allez guetter la sortie des tanières ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Pour l'instant, nous n'avons pas décelé de signe d'activité.

Mme Henriette MARTINEZ : Ces deux femelles sortiront obligatoirement avec des petits ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Non. Si c'est pendant la période où elle est avec des petits, elle ne peut pas se reproduire. Elle élève ses petits. Donc, elle ne se reproduit pas.

Une des femelles côté espagnol a eu des petits l'année dernière. Celle-là ne peut pas se reproduire pendant deux ans. Par contre, celle qui est dans sur le Haut Couserans sur le Vallier est susceptible d'en avoir.

Mme Henriette MARTINEZ : Donc, je suppose que vous observez avec attention la sortie de la tanière ?

M.Guy FREBY : Jusqu'à présent, nous avions la possibilité, au moins pour un animal, de surveiller grâce à un système de collier, qui ne fonctionne plus. C'était extrêmement commode. Aujourd'hui, le fait de ne pas savoir où ils sont...

Mme Henriette MARTINEZ : Vous ne connaissez pas l'emplacement des tanières ?

M. Guy FREBY : Non. Nous en connaissions une.

M. Augustin BONREPAUX : Tout à l'heure vous avez parlé de sécurité aux abords des villages. Quels sont les risques que se produise un accident ? Ce risque ne sera-t-il pas multiplié en raison de l'augmentation de la population et l'augmentation de la population touristique, qui n'est en rien liée à la présence de l'ours car nous savons ce que nous faisons en Ariège pour qu'il y ait davantage de touristes.

Pensez-vous que les crédits employés à cette réintroduction ne seraient pas mieux employés s'ils étaient davantage consacrés à améliorer la situation des éleveurs ? Si l'on avait fait un effort substantiel pour aider les éleveurs dans leur gestion des estives, y aurait-il autant de problèmes ? Si quand ils ont un troupeau de 1500 bêtes on leur payait trois ou quatre bergers, peut-être pourrait-on faire cette gestion par petits troupeaux.

Que pensez-vous de la façon dont a été faite cette réintroduction et dont les moyens sont utilisés actuellement ? A quoi servent les cinq ou six bergers itinérants ?

Mme Henriette MARTINEZ : Nous allons écouter la question de M. Lassalle également et vous répondrez aux deux.

M. Jean LASSALLE : N'avez-vous pas le sentiment d'un très grand gâchis ? Dans le Béarn, l'expérience avait été imposée par les faits car il fallait trouver une solution à la population qui existait. Ici, dans les Pyrénées centrales, à un moment où elle aurait pu commencer à se développer, ne pensez-vous pas que cette introduction intempestive n'a pas tout compliqué, tout brouillé ? Cela n'a-t-il pas entraîné plus de désagréments que d'agréments ?

N'avez-vous pas l'impression que c'est une opération qui est terriblement subie par les populations des Pyrénées centrales ? Jusqu'où peut-on aller pour imposer aux populations une opération comme celle-là ?

N'avez-vous pas l'impression que c'est le même groupe qui conduit tout cela ? C'est ce que l'on entend un peu partout, dans les Alpes et ici. On a l'impression d'un circuit fermé d'associations de protection de la nature, du ministère de l'environnement et de fonctionnaires de l'ONCFS et de l'ONF qui vivent en vase clos et qui conduisent, certainement pas facilement d'ailleurs, leur action sans tenir compte des réactions autour. Pensez-vous que ce soit satisfaisant ? Comment pensez-vous que l'on puisse sortir de cette situation ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Pour ce qui est de la sécurité, il est clair qu'avec un animal comme l'ours, potentiellement, il peut y avoir des risques pour la sécurité des gens. Je ne l'ai jamais nié. Il peut y avoir des risques de confrontation entre l'homme et l'ours dans certaines circonstances particulières, où il peut y avoir attaque de l'ours sur l'homme.

Faut-il systématiquement éliminer toute forme de risque pour aller vers le risque zéro, que l'on ne peut jamais atteindre ? On sait qu'en montagne, il existe une multitude de risques. L'ours peut être un de ces risques, mais il existe un certain nombre de conduites élémentaires lorsque l'on est en zone à ours qui permet de limiter au maximum ces risques potentiels. On connaît de nombreux cas où des populations d'ours et d'hommes arrivent à cohabiter. Il y a des parcs où l'on peut quantifier les risques dus aux chutes en montagne qui sont bien plus grands que les risques liés à la présence de l'ours.

Donc, je ne nie pas ce risque potentiel, mais il faut le relativiser par rapport à d'autres. On sait qu'il y a bien plus de morts en montagne à cause des avalanches, par exemple.

M. Guy FREBY : Je confirme tout à fait que le risque de l'ours existe. Il existe pour les touristes et pour nos personnels. Pour l'instant, nous n'y avons pas été confrontés, mais nous le savons et quand nous envoyons des gens en montagne, nous leur demandons d'être à deux et prudents dans certaines zones sensibles.

Mme Henriette MARTINEZ : Sur la question de M. Lassalle ?

M. Pierre-Yves QUENETTE : Sur la question du gâchis, j'aurais tendance à renverser la question en disant qu'il est dommage d'être arrivé à ce seuil d'extinction de la population d'ours et d'avoir été obligé, après, de mettre en place des plans de sauvegarde qui peuvent, il est vrai, paraître avoir été pris à la hâte. Pourtant, cette réintroduction dans les Pyrénées n'est pas venue du jour au lendemain.

J'étais encore jeune à l'époque mais il y a eu un processus assez long puisqu'en 1986, on parlait déjà de la nécessité de réintroduire les ours. Un colloque avait été réuni à Seix en Ariège où l'on discutait ouvertement de cette question. En 1987-1988, des élus des Pyrénées étaient allés rencontrer la ministre de l'époque, c'était alors Mme Bouchardeau, je crois, pour discuter de ces aspects et sont allés voir en Europe de l'Est. Puis, progressivement, la population des Pyrénées centrales s'est éteinte.

Le processus ne s'est donc pas fait du jour au lendemain. Je n'ai pas l'impression, pour ma part, que ce soit un gâchis que d'essayer de préserver une espèce, que ce soit l'ours ou une autre, avec la dimension culturelle, patrimoniale qu'elle a. Mettre des moyens pour préserver une espèce comme celle-là, je n'appellerais pas cela un gâchis.

M. Guy FREBY : Une remarque qui a été formulée concernant la confiscation de l'information, il n'y a pas de confiscation de l'information. Nous essayons d'être sur le terrain pour réunir les informations qui émanent des habitants, de façon aussi à les recouper pour vérifier leur crédibilité, car si certaines sont crédibles, d'autres le sont moins. Il y a donc une nécessité d'avoir un réseau qui recoupe ces informations, les transmet et les valide, car les informations ont des niveaux très différents de fiabilité.

M. Pierre-Yves QUENETTE : Cette diffusion de l'information est toujours un gros problème. J'ai la sensation que nous y passons énormément de temps et nous entendons toujours dire qu'il n'y en a pas assez. Cela me paraît insoluble. Quand je vois le temps que l'on passe pour assurer ce travail d'information par fax, par téléphone, par courrier électronique toutes les semaines. Tous les mois, nous envoyons des flashs d'information. Nous avons un répondeur téléphonique que nous essayons de mettre à jour chaque fois que nous avons de nouvelles informations. Nos numéros de téléphone de bureau et personnels sont diffusés. Tous les éleveurs les connaissent et nous connaissons les leurs. Nous les informons ainsi que les élus. Quand les ours étaient équipés de colliers émetteurs, c'était quotidiennement que nous donnions l'information sur la localisation de l'ours. C'est vrai que nous y passions du temps.

Entre nous, nous disions que nous passions plus de temps à informer qu'à localiser l'ours. Nous y passions autant de temps parce qu'une fois l'ours localisé dans un endroit, nous téléphonions à tous les éleveurs, les chasseurs, le maire de la commune concernée et les maires alentour. Il fallait prévenir aussi le lendemain, le maire et les éleveurs que l'ours était parti de leur secteur et qu'il n'y était plus. J'avais l'impression que nous nous noyions complètement dans la diffusion de l'information.

Mme Henriette MARTINEZ : Messieurs, je vous remercie d'avoir participé à cette audition.

Audition conjointe de M. Olivier RALU*,
membre de l'Association de développement durable d'identité des Pyrénées (ADDIP),
M. José BARBOSA*, président du syndicat ovin de l'Ariège,
Mme Christelle FOYER
46, bergère,
M. Jean-François RUMMENS*, chef de service,
M. Robert ZONCH, président de la communauté de communes de Castillon,
maire de Castillon,
M. Gérard PONS, premier vice-président de la Chambre d'agriculture de l'Ariège,
et M. JOURTAUX*, vice-président de la Chambre d'agriculture de la Haute-Garonne

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2003, tenue à Foix)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

Les témoins sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous allons être précis et concis de manière à ce que chacun puisse s'exprimer. Je vous propose donc que chacun dise quelques mots sur le sujet, puis, que les membres de cette commission vous posent leurs questions.

M. Olivier RALU : Je suis éleveur, président d'un groupement pastoral en montagne et, à ce titre, membre du conseil d'administration de la fédération pastorale. Cependant, je souhaiterais avant tout m'exprimer en tant qu'éleveur et homme de terrain.

Cette introduction d'ours a beaucoup perturbé la vie pastorale, déjà très fragile. Je n'aime pas faire des discours ni citer des chiffres, mais je souhaiterais vous faire toucher du doigt, ou du moins vous montrer, ce que nous, éleveurs et bergers, rencontrons en montagne le matin, pendant quatre mois de l'année.

(M. Olivier Ralu montre des photos de brebis éventrées.)

Ces images sont plus parlantes que bien des phrases. Ces brebis ont été attaquées par l'ours durant la nuit ; elles n'ont pas été mangées, mais simplement assassinées, tuées. Vous voyez là un veau ; là, un agneau encore vivant que l'on a réussi à sauver ; ici, une bête qui a été attaquée et que les vautours ont dépecée en quelques heures.

Pour nous, c'est intolérable. Mais c'est, malheureusement, notre quotidien depuis quelques années. La grande question qui se pose est : « Pourquoi ? »

Mme Henriette MARTINEZ : Vous dites que l'ours les éventre, les « assassine », mais qu'il ne les mange pas. Pourquoi les tue-t-il, s'il ne les mange pas ?

M. Olivier RALU : Vous voyez là une brebis qui avait deux agneaux. L'ours a simplement enlevé le pis, la mamelle. Là, il a simplement enlevé le sternum, laissant les épaules et les gigots, tout ce qui est charnu.

Voilà ce qu'est notre quotidien en montagne pendant quatre mois. C'est insupportable.

Mme Henriette MARTINEZ : A combien de bêtes estimez-vous le préjudice chaque année ? Arrivez-vous à le chiffrer ? Je parle des bêtes que vous retrouvez, pas du préjudice indirect.

M. Olivier RALU : Il faut le demander à Mme Christelle Foyer, qui est notre bergère salariée.

Mme Christelle FOYER : Je travaille sur l'estive que gère M. Ralu. Cette année, nous avons retrouvé trois béliers, dont un qui n'avait pas été consommé. L'ours lui avait simplement arraché les testicules. Un autre bélier n'a pas été retrouvé mais nous sommes certains qu'il a été la victime de l'ours et trois autres brebis ont été retrouvées et expertisées.

Je ne parle pas de tous les animaux que nous ne retrouvons pas.

M. Olivier RALU : Au total, une douzaine de brebis ont disparu de façon non expliquée.

Mme Christelle FOYER : Lorsque je suis revenue en automne, au moment de ramasser les bêtes, deux comptages avaient été effectués, un le 7 septembre, l'autre le 17. Le 7, un éleveur avait toutes ses bêtes, soit cinquante et une brebis. Durant ces dix jours, une attaque sur une brebis a été constatée et expertisée et le 17 septembre, lorsque nous avons recompté le troupeau, il manquait une bête à cet éleveur. Or il s'agit d'une zone sans risque, sans falaise, toute en pelouse, une zone où le troupeau est gardé serré, avec ramassage le soir ; les bêtes dorment toutes dans le même dortoir. Je suis donc persuadée que cet éleveur, qui a redescendu cinquante brebis au lieu des cinquante et une, a enregistré cette perte du fait de l'ours. C'est une certitude.

Lors de la redescente, je n'ai pas retrouvé non plus une autre bête.

Au total, beaucoup de bêtes manquent.

Mme Henriette MARTINEZ : Comme pour les attaques du loup, il y a les disparitions constatées.

Mme Christelle FOYER : Oui, mais les bêtes qui disparaissent ne sont pas prises en compte.

M. Olivier RALU : Cette situation est insupportable, même s'il n'y avait qu'une seule brebis tuée durant tout l'été, car c'est une opération pour laquelle nous n'avons pas été concertés. C'est inadmissible car nous subissons de plein fouet une opération qui a été lancé à grand renfort de médiatisation et de financements.

Il faut aussi tenir compte de la psychose que cette situation engendre chez les bêtes. Comme vous le disiez, il existe un certain nombre d'effets indirects, comme les avortements, les disparitions inexpliquées, etc. Tout cela n'est pas pris en compte. C'est la dignité de notre travail, l'amour que nous y mettons depuis des années qui est bafoué. Et cela est intolérable.

Mme Henriette MARTINEZ : Madame Foyer, vous souhaitiez ajouter quelque chose ?

Mme Christelle FOYER : La DIREN semble ne plus rien contrôler en la matière. Lorsque nous subissons des attaques, nous ne sommes pas avertis au préalable de la présence des ours. Les experts arrivent, font le constat, mais ne peuvent pas nous donner plus d'informations sur les trajectoires, les circuits des ours, leurs habitudes ou ce qu'ils vont devenir. La DIREN ne contrôle plus rien. Ils ne savent d'ailleurs même pas combien d'ours il y a.

Je voudrais également souligner le fait que les ours représentent un réel danger, parce que l'on s'aperçoit qu'ils attaquent non seulement les brebis, mais aussi des veaux, qui sont quand même des bêtes de 250 kilos en moyenne, ainsi que des juments et des poulains, qui, eux, pèsent entre 500 et 600 kilos.

Quand je constate un dégât d'ours, il faut que je cherche aux alentours, aussi bien en zone boisée qu'en zone découverte, d'autres victimes. Dès lors, je me trouve directement exposée au danger car je ne pèse pas lourd par rapport à un veau, par exemple.

Je viens de Lyon, où je suis allée récemment. J'en ai parlé avec des collègues de là-bas, qui ne voient aucun inconvénient à ce que les ours soient réintroduits. Quand je leur explique qu'il n'y a plus de « bip » sur les ours, que les ours attaquent du gros bétail, qu'ils peuvent parcourir soixante kilomètres en une nuit et que l'on ne trouve pas, dans les Pyrénées, soixante kilomètres qui soient vierges, que leurs attaques se rapprochent des maisons, parfois à moins de vingt mètres, que cela constitue un véritable danger, ils commencent à blêmir. C'est un réel danger.

Moi, je réfléchis sur le long terme et je me demande comment tout cela va évoluer : que voulons-nous vraiment ? En tant que bergère, j'ai vraiment le souci de garder un troupeau, dont je me sens totalement responsable, aussi bien vis-à-vis des éleveurs et des bêtes - il faut les soigner au mieux et les engraisser - que vis-à-vis de l'environnement. Pour moi, ce sont les troupeaux qui, en montagne, entretiennent l'environnement, ce ne sont pas les ours.

Les ours ne font que détruire des bêtes qui entretiennent l'environnement. C'est quelque chose que je ne comprends pas de la part de la DIREN, qui a introduit les ours. Je trouve cela totalement paradoxal. Les troupeaux jouent un rôle contre l'embroussaillement, les montagnes s'embroussaillent en permanence et chaque fois qu'un troupeau passe, je me dis que c'est toujours ça de gagné.

Au lieu d'entretenir le mythe de l'ours comme certains se plaisent à le faire, comme certains qui se disent éleveurs mais qui, dès lors que l'on regarde de plus près, ont tous un pied dans le plan ours et l'on pourrait discuter de la qualité de leur travail tant sur leur élevage que sur leur environnement quand on voit l'état de leurs exploitations. Il serait préférable de travailler sur le mythe du berger plutôt que d'entretenir le mythe de l'ours. Nous avons le sentiment d'agir réellement sur notre environnement, aussi bien les bergers que les éleveurs de montagne, qui sont aussi en voie de disparition.

En tout cas, cette réintroduction de l'ours m'a vraiment « pourri la vie ». Ses partisans ne gardent pas leurs bergers parce qu'ils imposent vraiment des contraintes de travail insupportables dont les bêtes pâtissent. Leurs bergers partent chaque année alors que l'intérêt de l'éleveur est de maintenir le berger pour avoir un meilleur travail final.

M. Gérard PONS : Je partage tout à fait ce que j'ai entendu jusqu'à présent en tant qu'éleveur d'ovins dans une zone concernée. Je souhaiterais vous apporter quelques précisions sur mes fonctions en tant que vice-président de la chambre d'agriculture, ayant suivi particulièrement ce dossier depuis 1996, de manière à vous donner un autre éclairage.

En 1996, nous avons effectivement été mis devant le fait accompli des lâchers d'ours, que j'ai particulièrement suivis puisqu'ils ont été rapidement présents dans le secteur où se trouve mon exploitation.

A partir de ce moment-là, notre responsabilité d'élus professionnels a été de nous demander comment nous pouvions nous positionner par rapport à ces problèmes de réintroduction de l'ours, sachant bien que nous étions tout de même persuadés que nous aurions des problèmes car mettre un prédateur au milieu de troupeaux ne pouvait que poser des problèmes. On nous avait bien expliqué que l'Etat allait mettre des moyens, surveiller et contrôler, nous aider, etc. Et surtout, on nous avait bien fait comprendre que si nous, les agriculteurs, occupions l'espace, nous n'étions pas les seuls sur ce territoire et qu'il faut aussi voir les retombées économiques de cette réintroduction.

Il fallait donc mesurer les retombées économiques que cela pouvait nous apporter. Or, au-delà de ces premières phrases, la parole de l'Etat n'a pas été respectée puisqu'il avait été prévu de dresser un premier bilan au bout de trois ans d'exercice et que ce bilan n'a jamais eu lieu.

Le cabinet du ministre ne nous a jamais consultés en tant que responsables professionnels en l'Ariège pour savoir ce que nous pensions de cette réintroduction, mis à part lors d'une audition que pilotait M. Bonrepaux, mais de la part du ministère, jamais. C'est tout à fait navrant. L'Etat nous avait dit que nous ferions le point au bout de trois ans, mais les problèmes sont allés crescendo avec quelques spécimens au départ, et des spécimens supplémentaires aujourd'hui en raison des naissances.

Ce qui nous inquiète aussi c'est d'entendre M. le préfet nous dire au cours d'une réunion professionnelle que d'autres individus allaient être lâchés pour arriver à faire croître la race et la sauvegarder. Là encore, personne n'est jamais venu nous demander quel était notre sentiment. C'est regrettable de la part de l'Etat.

Notre conclusion est qu'il faudrait examiner les problèmes des agriculteurs, des structures collectives et des éleveurs confrontés à l'ours. Toutes les personnes l'ont confirmé, les problèmes sont montés en puissance et les informations sur la protection ont disparu.

Je préside également un groupement pastoral. Nous avons eu une prédation sur trois animaux. L'ours était dans le secteur. En tant que président du groupement pastoral, je n'en ai jamais été averti par les services de la DIREN. Personne n'est venu nous dire de nous mettre en état de vigilance.

Je ne reviens pas sur tous les aspects auxquels cette situation nous confronte. Simplement pour reprendre l'exemple de ces trois bêtes prédatées, nous avons lancé la procédure normale pour l'expertise mais le lendemain, il n'en restait que deux. Avec tous les vautours que nous avons dans la zone, il ne faut pas une demi-heure pour qu'une brebis soit dépecée.

Aujourd'hui, je me demande quel développement économique cela nous a amené. J'ai l'impression que les gens sont plutôt méfiants quand ils savent qu'un ours est dans le secteur. Il y a des gens qui aiment bien la nature et les animaux, mais quand ils savent que l'ours est dans le coin, ils font quand même preuve de méfiance. La seule lisibilité manifeste que cette réintroduction a pu faire apparaître, ce sont des problèmes encore plus importants pour les éleveurs ovins.

M. José BARBOSA : Bien qu'éleveur de moutons, je ne suis pas touché directement par les problèmes de prédation, mais je les vis à travers mes amis.

Mon intervention se fera à trois titres. Premièrement, au titre de président du syndicat ovin de l'Ariège. J'ai la lourde responsabilité de représenter l'ensemble des éleveurs ovins de ce département au niveau de la fédération ovine nationale et je m'aperçois que, lorsque nous discutons de ces problèmes de prédation et d'introduction de prédateurs avec mes collègues d'autres départements, nous sommes unanimes. Que ce soit le lynx dans le Jura, le loup dans les Alpes ou l'ours chez nous, il y a une incompatibilité évidente avec notre métier d'éleveur, pour les raisons que vous connaissez.

Deuxièmement, au titre de président d'une coopérative ovine. Cette campagne de réintroduction met en péril l'ensemble de la filière. Depuis 1994, nous tentons d'obtenir des labels officiels de qualité sur l'ensemble du massif, tant pour les animaux lourds que légers, de mettre en place des mécanismes qui permettent aux éleveurs d'avoir un revenu un peu plus décent par rapport aux productions. Quand on parle d'économie, cela sous-entend des schémas de production, des mises sur le marché, des planifications de production. Or, quand vous avez ce genre de mésaventures sur un massif, à la sortie, vous n'avez pas les animaux prévus. Il y a donc un manque à gagner économique pour les éleveurs.

Troisièmement, au titre de responsable chargé des outils de sélection. Depuis vingt ans, nous avons mis en place sur le massif des Pyrénées une UPRA chargée de gérer cinq races, dont quatre sont en effectif réduit, à la limite de la disparition. Cela implique tout un protocole de suivi génétique, de soutien du ministère pour sauvegarder ces races qui font partie du patrimoine et de la diversité du massif pyrénéen. Or, du fait que ces cinq races paissent dans les secteurs de prédation, tout le schéma mis en place il y a vingt ans, soutenu et aidé par le ministère, est maintenant compromis.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous avez donc l'impression que, d'un côté, l'Etat aide à mettre en place des schémas de valorisation, de l'autre, favorise des mesures de destruction ?

M. José BARBOSA : Absolument. D'un côté, il y a le ministère de l'environnement, de l'autre, celui de l'agriculture.

Mme Henriette MARTINEZ : Il y a donc un manque de cohésion ?

M. José PONS : Une incohérence complète et absolue. Mais derrière tout cela, ce sont des gens qui travaillent, des animateurs, des techniciens, etc.

Mme Henriette MARTINEZ : Quelles sont les répercussions sur l'élevage ? Certains éleveurs abandonnent-ils la profession ? Des exploitations ferment-elles ?

M. José BARBOSA : Le premier témoignage que nous avons eu est celui d'éleveurs qui, quand ils ont eu le choix de changer de production, l'ont fait. Entre ovins et bovins, ils ont choisi les bovins.

D'autres arrêtent l'estive. Ils diminuent le cheptel et essaient de garder le troupeau sédentaire et de ne pas le faire estiver. Cela a un impact indirect sur la pastoralisme et, à terme, sur l'entretien du paysage.

Mme Henriette MARTINEZ : Il y a donc que des aspects négatifs ?

M. José BARBOSA : Le seul aspect positif, en fait, c'est l'image. Mais on ne vit pas d'image.

Mme Henriette MARTINEZ : Est-ce que l'image peut avoir un aspect attractif pour les touristes ?

M. José BARBOSA : Depuis six ans, j'ai un petit camping à la ferme qui accueille près de deux mille personnes par an. Aucune ne vient pour l'ours. Les gens qui viennent en montagne pour voir l'ours viennent seuls, avec un sac à dos. Ils viennent le soir, font un tour en montagne et repartent le lendemain. Ils ne laissent pas de plus-value sur les commerces ou les campings. Ce n'est pas du tout une clientèle qui génère de la richesse et qui participe au développement d'une région. Ce sont des amoureux de la nature, c'est leur droit, mais ils n'apportent rien !

M. Jean-François RUMMENS : Je disais en aparté que les Pyrénées ont d'autres atouts que la clientèle touristique, heureusement !

M. José BARBOSA : Juste un mot pour terminer, sur les enquêtes. Je trouve regrettable et pitoyable d'enquêter et de demander au simple citoyen ce qu'il pense des ours et s'il leur est favorable. Si demain, on demandait à cent Français s'ils sont d'accord pour arrêter de payer des impôts, tous répondraient oui. C'est la même chose. Tout le monde est favorable à la biodiversité, mais ce n'est pas un argument pour justifier de telles actions.

M. Jean-François RUMMENS : Je suis directeur d'une structure de développement. Je souhaitais intervenir sur un autre registre, qui est celui du dynamisme du pastoralisme dans les Pyrénées, et plus particulièrement en Ariège puisque des élus représentant d'autres parties des Pyrénées sont présents et prendront la parole par la suite. Les Pyrénées sont dotés de services pastoraux très dynamiques qui ont permis, depuis vingt ans, d'impulser un véritable renouveau au pastoralisme.

Je voudrais pour témoigner de ce dynamisme, vous présenter quelques chiffres, mais surtout vous laisser des documents que vous aurez le temps de consulter, et vous parler de l'effort d'ouverture qu'a fait ce pastoralisme, en particulier en matière d'aménagement et de gestion de l'espace depuis ces vingt dernières années.

En 1988, le département de l'Ariège, suivi en cela par les départements des Hautes-Pyrénées, de la Haute-Garonne a été le premier, relayé par l'administration d'Etat et la fédération pastorale, mais également par les élus du Conseil général, à monter un premier dossier dit de « l'article 19 » du fameux règlement communautaire qui permettait de mieux gérer les espaces à vocation extensive, les estives, et de rémunérer sous forme de contrats les agriculteurs et les éleveurs qui entraient dans ce dispositif. Le département de l'Ariège et les pastoralistes que vous avez autour de cette table l'ont pleinement utilisé, ont pleinement développé cet outil.

Il s'agissait d'agriculteurs qui sont entrés dans une logique d'aménagement et de gestion de l'espace dans le but de maintenir les paysages et - je vous le rappelle - la biodiversité.

L'on entend dire que la réintroduction de l'ours a permis le renouveau du pastoralisme, sa redynamisation. La première loi qui a permis de reconnaître l'intérêt général du pastoralisme, c'est la loi pastorale de 1972. Et à cette époque, le ministre de l'agriculteur s'appelait M. Chirac.

Ensuite, nous avons eu la loi Montagne de 1985 qui a mis en avant et conforté tout le dispositif et les outils qui avaient été mis en place dans le cadre de la loi pastorale de 1972. M. Bonrepaux a défendu ce dossier.

Ces deux lois nous ont permis de disposer de moyens et d'outils relayés par des services et une profession agricole au sens le plus large, qui s'est emparée de ces outils pour aller dans le sens d'un renouveau du pastoralisme.

Je suis donc là pour tempérer l'argument selon lequel la réintroduction de l'ours aurait permis, grâce aux crédits apportés, de redynamiser le pastoralisme. Heureusement que le pastoralisme n'a pas attendu cette réintroduction pour se lancer dans le développement et la gestion de l'espace montagnard ! Ce pastoralisme est un acteur à part entière du développement économique de ces montagnes et c'est lui qui, aujourd'hui, fournit la toile de fond et permet à d'autres activités - le tourisme et d'autres activités plus économiques - de se développer.

Pour illustrer mon propos, je vous donnerai des documents relatifs à un programme d'aménagement et de gestion de l'espace réalisé en 1992 et publié en 1994, financé par l'Etat, la Région, le Conseil général et l'Europe. Il comporte deux volets, parce que le pastoralisme ne touche pas uniquement la zone de montagne, mais aussi la zone des coteaux.

L'objectif de ce programme était de réaliser des diagnostics pastoraux sur la biodiversité et l'utilisation pastorale des quartiers d'estive, de disposer de connaissances plus précises et d'étudier des pratiques dont on nous avait dit à l'époque qu'elles étaient « ancestrales » et « désuètes », des qualificatifs qui font très mal aux gens qui en vivent tous les jours.

Vous retrouverez dans ces documents tout ce qui concerne ces actions qui concernent plusieurs départements dont l'Ariège. On a appris récemment que la réintroduction de l'ours avait permis la formation des pâtres. Vous verrez que la formation des pâtres, en Ariège, date des années 1982-1983 ont été les centres de formation d'abord financés par l'Etat puis par la région jusqu'en 1985-1990. Maintenant, ce sont les conseils régionaux qui financent ces actions. Cela nous permet aujourd'hui d'avoir une cinquantaine de pâtres permanents sur le département de l'Ariège, ce qui n'est pas rien, et d'en former une dizaine chaque année.

Ce programme prévoyait également le financement des chiens de troupeau.

Mme Henriette MARTINEZ : Combient y en a-t-il ?

M. Jean-François RUMMENS : Je laisse sur ce point la parole aux experts, Christelle ou Didier.

Mme Christelle FOYER : Je ne saurais vous le dire exactement car ils sont surtout placés chez des éleveurs en bas. En estive, il n'en monte pas beaucoup. Lorsque des groupements pastoraux réunissent plusieurs troupeaux, il faut que toutes les bêtes des différents éleveurs soient habituées aux patous. Si vingt éleveurs montent en estive, il faut que tous aient des patous sinon, les patous ne seraient pas habitués aux éleveurs, avec les risques d'écarts et d'accidents que cela comporte.

De plus, l'efficacité des patous n'est pas prouvée puisque cette année encore, il y a eu une attaque d'ours sur un troupeau gardé par un Patou.

Mme Henriette MARTINEZ : Un Patou pour combien de bêtes ?

Mme Christelle FOYER : Je ne sais plus, environ pour trois cents ou cinq cents bêtes.

Mme Henriette MARTINEZ : Les éleveurs italiens ont une dizaine de patous pour cinq cents bêtes. Et ils nous disent que ça marche. Ils ont un nombre de chiens impressionnants. C'est pour cela que nous vous posons la question.

Mme Christelle FOYER : Dans les Alpes, la garde est totalement différente. Les Alpins disent que les brebis ariégeoises sont des chèvres, parce qu'elles ne se gardent pas du tout de la même façon, elles n'ont pas le même comportement. Vous aurez dix races de brebis différentes, aucune ne se comportera la même façon et donc ne se gardera de la même façon. Les gardes dans les Alpes, en France, en Italie ou en Suisse, sont complètement différentes, avec des effectifs différents. Même dans les Pyrénées, la garde varie entre les Pyrénées orientales, le Béarn ou l'Ariège.

Enfin, si certaines montagnes se prêtent à l'emploi des patous, ce n'est pas le cas d'autres, parfois le troupeau ne peut pas être gardé serré parce que la montagne est difficile, dangereuse ou parce que l'herbe est rare à tel ou tel endroit. On ne peut garder cinq cents ou mille bêtes dans un mouchoir de poche.

M. Jean-François RUMMENS : Pour revenir sur ce que disait Christelle, le gardiennage est d'abord une question de relief. Ensuite viennent des préoccupations d'homme, mais c'est d'abord le relief qui fait que l'on peut ou non garder un troupeau serré. C'est la grosse différence entre les Alpes et les Pyrénées centrales, et entre les Pyrénées centrales et les Pyrénées atlantiques.

Pour conclure, je dirais simplement que, dans les Pyrénées, comme dans le massif alpin, le pastoralisme est en marche depuis une vingtaine d'années sur la base d'actions et du financement d'opérations proposées dans le cadre de l'ours, mais ces actions étaient déjà mises en place par les services de développement depuis une dizaine ou une quinzaine d'années auparavant. Je trouve dommage que les contrats territoriaux d'exploitation (CTE) qui concernaient la gestion de ces espaces sous la forme de contrats de gestion soit interrompue. Mais nous verrons ce qu'il en sera des CAD pour prolonger ce dispositif.

En tout cas, il y aura demain des mesures agri-environnementales, nous les souhaitons et sachez que les bergers seront là pour aller dans le sens de l'aménagement et de la gestion de l'espace.

M. Robert ZONCH : Mon témoignage reflète ce que nous disent nos collègues élus des cantons de montagne, les représentants du milieu associatif ou les populations, les conséquences des réintroductions d'ours sont inacceptables par rapport aux activités traditionnelles de la montagne.

Nous avons subi Melba, que j'appelai « la brave Melba » dans un article de presse à l'époque, ce qui était sincère. Lorsqu'elle avait été réintroduite au printemps 1996, nous l'avons eue deux mois après sur le territoire de notre canton. Mais je voudrais surtout insister sur le fait qu'en octobre et novembre, lorsque les bêtes sont redescendues de la montagne, elle était à deux cents mètres de nos villages, à Balaguères. Les troupeaux de brebis étaient dans les granges, les brebis ont « désagnelé », comme l'on dit c'est-à-dire qu'elles n'ont pas fait l'agneau. Des éleveurs ont subi des handicaps en montagne et n'ont pas été indemnisés et sont restés très amers par rapport à cette politique de réintroduction.

La proximité d'un prédateur, je le répète, si près de nos hameaux est un danger permanent, que nous avons signalé dans cette même salle à M. le préfet de l'Ariège. Nous pensions, de façon très responsable, qu'il pouvait y avoir un jour un ennui sur les hommes.

J'ai juré de dire la vérité, j'irai donc jusqu'au bout : pendant l'été 1996, lors de mes permanences dans cette petite mairie de Balaguères, il m'est arrivé de trouver une dizaine de couples qui venaient se renseigner pour savoir s'ils pouvaient aller se promener en toute sécurité, sur ces sentiers que nous aménageons dans le cadre d'une politique active d'aménagement de sentiers de randonnée, de gîte en gîte, de village en village. Ces gens étaient très inquiets.

Donc, sur deux activités essentielles et traditionnelles de la montagne, le tourisme et le pastoralisme, je peux vous dire très sincèrement que les uns, les éleveurs, ont considéré cela franchement comme un handicap et que les autres, les promeneurs manifestaient une forte inquiétude dans les offices de tourisme, dans le milieu associatif, etc.

Il est certain que depuis les bureaux de la technocratie européenne, il est facile de dire que l'on peut cohabiter avec les ours si l'on fait des efforts ! Personnellement, j'ai tout compris après m'être rendu dans les forêts slovènes, dans ces forêts majestueuses, immenses. N'y sont admis que des garde-chasse, des gardes forestiers, des professionnels. On y accompagne les touristes. C'est le royaume des ours ; ils sont quatre ou cinq cents à y vivre. Seuls quelques hommes y entrent pour gérer ces espaces de forêts et de chasse, puisque la chasse y est réglementée.

De retour en Ariège, la contradiction m'est apparue manifeste : les Pyrénées sont, jusque dans leurs moindres recoins, fréquentées par les hommes - par les éleveurs, avec des politiques d'entretien des estives, par les touristes avec les sentiers de randonnée et les refuges, par des forestiers, des chasseurs et d'autres encore. Notre montagne est occupée par les hommes. L'ours veut un royaume à lui. Si quelqu'un me démontrait que la cohabitation est possible, mon opinion changerait, mais je reste convaincu du contraire.

Il me semble que pour l'avenir, quatre pistes s'ouvrent à nous.

Première piste, on poursuit, bêtement, la politique menée jusqu'à présent, qui consiste à réintroduire de temps en temps une femelle et un mâle. Lorsque je vois des scientifiques cautionner une telle démarche, je suis affolé. Les oursons vont se reproduire entre eux et la consanguinité donnera une population de dégénérés. Cette politique me paraît totalement ridicule.

La deuxième piste, qui serait courageuse, consisterait à introduire trente femelles et vingt mâles. Nous aurions là une vraie politique de réintroduction. Mais derrière, il faut faire partir les hommes de la montagne et réserver les Pyrénées à ces cinquante plantigrades.

La troisième piste est celle de mettre dans un parc de vision grandeur nature, d'une centaine d'hectares, situé entre 1000 et 1200 mètres d'altitude - que je verrai très bien d'ailleurs en Ariège - qui permettrait aux scientifiques de donner libre cours à leur passion et présenterait l'avantage d'avoir des retombées économiques. L'exploitation économique d'un tel parc serait certainement un atout pour nos petites régions.

La quatrième piste est celle qui consiste à faire comme avant : ne réintroduire personne et laisser la montagne à ses activités traditionnelles.

Mme Henriette MARTINEZ : Personnellement, quelle piste privilégiez-vous ?

M. Robert ZONCH : Je dois avouer qu'en tant qu'élu d'une commune rurale disposant d'un site qui se prêterait à l'aménagement d'un tel parc, la troisième me tenterait assez.

Mme Henriette MARTINEZ : C'est une gestion intelligente du problème qui consiste à positiver la difficulté. Qu'en penseriez-vous, madame ?

Mme Christelle FOYER : Dans ce cas, on ne parle plus de réintroduction, mais d'un zoo et encore faudrait-il trouver cent hectares vierges. Dans les Pyrénées, je ne suis pas sûr qu'ils y soient.

M. José BARBOSA : Quel serait l'intérêt écologique d'un tel parc ?

Mme Henriette MARTINEZ : Ils seraient mieux que dans une petite cage.

M. Robert ZONCH : Il ne s'agit pas de faire un petit zoo.

M. Augustin BONREPAUX : A l'époque, j'ai proposé de faire un parc dans la réserve naturelle d'Orlu. On leur donnait cinq cents hectares.

Mme Christelle FOYER : Au niveau environnemental, c'est zéro. Cinq cents hectares pour deux ou trois ours. Il va falloir les nourrir parce qu'il n'y aura pas assez de gibier.

M. Augustin BONREPAUX : Actuellement, c'est vous qui les nourrissez !

Mme Christelle FOYER : Oui, mais cela va s'embroussailler. Après, ce sera cinq cents hectares de jungle impénétrable.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous n'allons pas solutionner le problème d'un éventuel parc à ours ici. Ce n'est pas le but de notre commission.

M. Augustin BONREPAUX : J'ai beaucoup de bienveillance pour les parcs parce que nous, dans un parc de quatre ou cinq hectares, nous recevons quand même 43 000 visiteurs par an et cela génère quelques emplois.

Pour en revenir aux choses sérieuses, je crois que M. Rummens a oublié de dire que la fédération pastorale est financée par le département. De même, vous ne nous avez pas indiqué combien le département compte d'associations pastorales et de groupements pastoraux.

M. Jean-François RUMMENS : Je ne souhaitais pas trop entrer dans le détail du rapport. Aujourd'hui, nous comptons soixante-cinq associations ; cinq ou six doivent encore être créées parce que l'organisation des estives continue. On compte aujourd'hui environ soixante-dix groupement pastoraux et en associations foncières pastorales, qui sont d'autres types d'associations, nous gérons 25 000 hectares, avec 3 000 propriétaires et, de mémoire, entre cinquante-cinq et soixante associations. Mais vous trouverez les chiffres détaillés dans le rapport.

La zone d'estive représente 125 000 hectares et une centaine d'unités d'estive avec, sur les 80 000 ovins présents en Ariège, 60 000 qui estivent. Entre 16 000 et 18 000 bovins estivent également chaque année.

M. Gérard PONS : Je souhaitais juste ajouter un point. Le département apporte effectivement un soutien particulier à la filière ovine, puisqu'il investit dans cette filière et dans l'aide à l'installation.

Il y a quelque part une contradiction : alors que nous assistons à des événements extérieurs qui peuvent dissuader les gens de s'orienter vers ces types de filières dont le niveau de revenu n'est pas très élevé, le conseil général, lui, met des moyens pour inciter des jeunes éleveurs à s'installer dans cette filière. Il y a là une certaine contradiction.

Mme Henriette MARTINEZ : Quelqu'un souhaite-t-il rajouter quelque chose ?...

M. Jean-François RUMMENS : Sur l'organisation des estives, nous sommes aujourd'hui confrontés à un problème. Indépendamment de cette politique, des éleveurs ariégeois quittent aujourd'hui ces estives. C'est le cas sur trois estives. Ainsi, sur la commune d'Orlu, après le départ d'un éleveur des coteaux, l'estive d'Enseilles perd un troupeau de sept cents brebis. Je rappelle que les gens qui sont dans les coteaux n'ont pas de besoins urgents ou immédiats, contrairement aux éleveurs des zones de montagne. Pour ces derniers, l'estive est quasiment obligatoire pour que leur système soit viable économiquement. En zone de coteaux, ils ont le choix. Aujourd'hui, certains font le choix de quitter une estive pour rester en zone de coteaux ou pour partir dans des zones où il n'y a pas de prédation.

C'est le cas de la seconde estive, située en vallée de Loriège, où l'on a également assisté au départ d'un troupeau de cinq cents bêtes pour une autre zone sans prédation.

Dans ces zones à forte présence de l'ours, les bergers et les responsables d'estive sur Siyères se posent beaucoup de questions quant à la survie de leur estive.

Mme Christelle FOYER : Je voulais simplement rappeler qu'il faut veiller à l'image que l'on transmet à nos enfants et petits-enfants, pour ne pas en arriver à de grosses erreurs du type de celle que nous connaissons aujourd'hui. Les images de loup ou d'ours en parc ne sont pas très valorisantes. Il faudrait être très vigilant et veiller à faire passer d'autres images, comme celle d'une montagne entretenue et d'éleveurs consciencieux de leur travail et, ainsi, à même de fournir des produits d'une excellente qualité.

Mme Henriette MARTINEZ : Et cette image est incompatible avec celle du gentil loup ou du gentil ours ?

Mme Christelle FOYER : A force de les voir dans des parcs ou dans des zoos, on voudrait bien les voir en liberté, parce que, ma foi, la liberté est ce qu'il y a de plus beau.

Mme Henriette MARTINEZ : Mais si vous ne souhaitez pas les garder en liberté ni les mettre dans des parcs, que faut-il en faire ?

Mme Christelle FOYER : Les laisser là où ils sont, ne pas aller les chercher. Il n'y a rien de naturel dans ce qui a été fait.

Mme Henriette MARTINEZ : Il y avait bien l'ours des Pyrénées.

Mme Christelle FOYER : Oui, mais nous n'avons jamais vécu avec. Nos anciens l'ont fait, et ont su ce qu'il fallait faire. Ils savaient où était la commune mesure. A notre époque, nous parlons avec des gens des villes qui n'ont pas de commune mesure.

Mme Henriette MARTINEZ : La gestion du problème faite par les anciens a quand même conduit à une quasi-extermination. Ils ont géré le problème d'une façon radicale.

Mme Christelle FOYER : Oui ; mais l'on s'aperçoit que la nature aussi a géré d'une façon radicale le travail qu'ils ont fait. Il n'y a plus de terrasses, les granges tombent en ruine, les terrasses s'embroussaillent, les bois gagnent, vous n'avez plus de soleil sur les villages. Peu à peu, la végétation arrive sur les villages et les isole. Les gens qui arrivent de l'extérieur, des villes, veulent de l'oxygène. Ils étouffent déjà en ville, nous commençons à étouffer aussi.

Si nous n'arrivons pas à contenir l'état d'embroussaillement avec les troupeaux, si ne parvenons pas à maintenir des éleveurs en montagne, où irons-nous ? Où iront les gens ?

M. Robert ZONCH : Vous disiez tout à l'heure, madame, « oui à l'ours des Pyrénées », sachez qu'il y a un demi-siècle, certains disaient : « Non à l'ours des Pyrénées » puisque, par délibération de certains conseils municipaux, on décidait dans certaines communes de faire des battues pour éliminer ce prédateur. Cela était fait par des élus avec toute la responsabilité qui leur incombait. On ne peut évidemment plus le faire aujourd'hui puisque l'ours est un animal protégé, mais il y a seulement quelques décennies, dans les années 1950, certaines communes de mon canton délibéraient pour organiser des battues aux nuisibles.

M. Joël GIRAUD : Une dernière question, madame la présidente, on sent un antagonisme entre les éleveurs du plan ours et les autres. Vous avez, madame, fustigé leurs méthodes de travail. Que leur reprochez-vous exactement ?

Mme Christelle FOYER : Je leur reproche de ne pas vivre de leur élevage et de vivre du plan ours. Quand on regarde l'état de leurs bêtes, il est plus que médiocre. Quand vous regardez l'état de leurs exploitations, alors qu'ils parlent d'environnement, elles ne sont pas entretenues, parce qu'ils sont atteints de « réunionite » et parce qu'ils ont d'autres chats à fouetter que de s'occuper de leurs broussailles ou même leurs brebis à nourrir. En hiver, ils n'ont pas de foin dans leurs granges.

On sait très bien comment les gens vivent ici. Le revenu ovin est vraiment faible. Quand on peut gagner plus ailleurs, on donne la priorité à cet ailleurs.

Beaucoup de ces éleveurs, dont certains m'ont appris le métier, ont quitté ce métier pour des raisons de salaire et de conditions de travail difficiles. On a l'impression maintenant qu'ils ont inventé la lune. Je dis : « Non ! ». Il y a des éleveurs de montagne ici qui valorisent leur production en faisant de la vente directe, qui font du bon travail. Je voudrais que l'on arrête d'opposer sans arrêt ceux qui sont pour l'ours et se disent pour l'environnement, et ceux qui sont contre l'ours et qui seraient contre l'environnement.

M. Jean LASSALLE : Madame, Messieurs, je vous remercie.

Audition conjointe de M. Francis CHEVILLON, éleveur berger,
M. Paul RUIZ, berger,
M. Jean-François TOUSTOU, éleveur d'ovins et de bovins,
Mme Catherine BRUNET, conjointe d'éleveur berger,
et M. Thierry de NOBLENS du Comité écologique ariégeois

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2003, tenue à Foix)

Présidence de Mme Henriette Martinez, Vice-Présidente

Les témoins sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, les témoins prêtent sermen à tour de rôle.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous allons vous donner la parole quelques instants pour que chacun puisse livrer son sentiment sur le sujet qui nous occupe. Puis, nous vous poserons des questions.

Mme Catherine BRUNET : J'ai demandé à M. Chevillon, qui fait partie de notre association, de venir car, berger de longue date, il a été à l'origine de l'Association des pâtres. Il me semblait intéressant qu'il soit présent aujourd'hui. J'ai également demandé à M. Toustou qui est berger éleveur depuis longtemps et vit aussi en zone à ours. M. Paul Ruiz est un jeune berger en phase d'installation, qui a été berger itinérant depuis trois ou quatre ans. M. de Noblens nous a demandé si nous pouvions lui laisser une petite place ; nous l'avons bien volontiers accepté car nous considérons que la problématique de l'ours ne concerne pas que le pastoralisme.

Je laisse maintenant la parole à M. Chevillon pour vous présenter ce que nous avons préparé.

M. Francis CHEVILLON : Il s'agit d'un petit dossier qui synthétise toutes les informations que nous jugions importantes.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous parlez donc au nom de l'Association française pour la cohabitation pastorale ?

M. Francis CHEVILLON : C'est cela. Nous constatons depuis plusieurs décennies que nos secteurs de haute montagne ne peuvent s'inscrire dans le système productiviste relayé à l'heure actuelle par la PAC et qu'ils doivent s'en démarquer en engageant d'autres démarches. C'est sur ces démarches que nous travaillons, notamment des productions de qualité, une agriculture respectueuse de l'environnement et le maintien du tissu social local, qu'il s'agisse des écoles, des commerces ou autres. Dans notre problématique, n'entre pas que de « l'agricolo-agricole » mais un développement rural global.

Nous constatons aussi qu'une grande partie de la production de la viande ovine des Pyrénées est commercialisée par des grossistes ou des revendeurs, ce qui fait que les éleveurs sont dépendants et perdent toute la plus-value correspondant à leur travail.

Ce système conduit, on peut l'observer maintenant puisque cela fait quarante ans qu'il a été mis en place, à une production de masse au détriment de la qualité. Cela permet de comprendre les difficultés actuelles des éleveurs et, par phénomène de symbiose, celui des estives, principalement en ce qui concerne l'embauche et le travail des bergers. Je pourrais y revenir plus précisément puisque j'ai une bergère en exercice depuis plus de vingt ans.

On peut noter aussi que, tout en dressant un état des lieux désastreux du pastoralisme, il existe tout de même des possibilités d'amélioration. Nous avons, par exemple, une enquête des SUAIA sur la chaîne des Pyrénées qui date de 1999 - donc, assez récente - qui souligne que pour 1.288 unités pastorales, il y a 259 bergers en poste. Ce sont des enquêtes des SUAIA, organisées par la chambre d'agriculture, que vous pouvez trouver sans aucune difficulté.

Cela signifie qu'à l'heure actuelle, 20 % des estives dans les Pyrénées sont gardées, avec des variations selon les départements, mais ce n'est pas la peine d'entrer dans les détails tout de suite.

Je veux souligner que, malgré ce marasme économique, entre 1972 et 1999, le cheptel ovin est passé de 440 000 à 573 000 bêtes tandis que le cheptel ovin est passé de 56 000 à 110 000 bêtes. Il y a donc eu une augmentation du bétail.

Cette étude nous intéresse aussi très fortement et nous interpelle en tant que berger en termes de formation, car elle fait apparaître le fort potentiel d'emplois que l'on aurait à créer - c'est tout volet social du développement dont on rêve pour les Pyrénées - à condition d'avoir une formation adaptée pour accéder à ce niveau de pâtre. Mais aujourd'hui encore sur le terrain, nous nous heurtons à la précarité du statut de pâtre, à l'absence de convention collective, à une rémunération qui est loin d'être attractive et à de mauvaises conditions de travail, notamment l'état des cabanes, l'absence de parcs de contention, etc.

L'absence de gestion des pâturages en montage a deux conséquences : en termes environnemental, on peut remarquer des surpâturages de zones attractives par le bétail, des écobuages sauvages dans les autres zones, et des fermetures de tout ce que l'on appelle « zones basses », c'est-à-dire le bas des montagnes, où la friche, la forêt, a tendance à regagner ce que les hommes avaient conquis depuis plusieurs générations.

Sur les exploitations, on note aussi une perte importante de revenu de chaque éleveur car, sur ces montagnes qui ne sont pas gardées, il y a une perte importante de bétail et une surcharge de travail parce que les éleveurs ont en même temps à gérer leur exploitation et à faire des tournées de surveillance sur les estives.

Dans ce contexte global de crise du pastoralisme, l'ours n'est, pour nous, que le bouc émissaire, révélateur d'une situation particulièrement désastreuse.

Malgré tout, il faut rester optimiste. Il existe des alternatives et la présence de l'ours pourrait, au contraire, être le support d'une dynamique de développement qui serait différente et durable.

Par exemple, on peut remarquer que le renforcement de l'ours depuis 1996 a permis d'engager des réflexions sur les pratiques pastorales, que par les mesures d'accompagnement du plan Ours, le métier de berger a d'ores et déjà été conforté, développé et valorisé - nous pourrons y revenir si vous le souhaitez - et une expérience d'un fromage du Béarn, le Pedescaous, qui a déjà fait ses preuves puisqu'elle a dix ans.

De même, a démarré en Ariège, depuis deux ans, une valorisation de la viande par un produit, appelé le « Broutard du Pays de l'Ours » qui procède de la même dynamique, c'est-à-dire une production de qualité, avec un cahier des charges très précis, respectueux de l'environnement et de la biodiversité, une valorisation par un circuit court, le contact avec le consommateur et une utilisation de l'image de l'ours.

De la même façon, dans le cadre du plan Ours, depuis 1996, il y a eu de nombreuses créations de postes de téléphone, d'héliportages et de muletages qui ont contribué à l'amélioration des conditions de vie des pâtres.

A partir de toutes ces expériences, on arrive à penser qu'un pastoralisme moderne et acceptant la biodiversité peut être jouable, et même souhaitable en 2003. Si l'on veut vraiment respecter cette biodiversité, elle doit être étayée par des mesures qui ont déjà été mises en œuvre dans certains secteurs des Pyrénées, notamment la création de postes supplémentaires sur les estives ou la réduction du nombre de bêtes par berger, la création de postes de berger itinérant qui peuvent venir en appui aux pâtres sur place en cas de problèmes particulier, la valorisation de produits locaux ou la mise en place de chiens de protection. Sur ce point, nous vous remettrons un dossier plus précis.

En conclusion, nous pensons que la question n'est pas d'affirmer que le pastoralisme est incompatible avec la grande faune mais bien plus de se donner les moyens de transmettre un pastoralisme riche, diversifié et durable.

Mme Henriette MARTINEZ : Merci, monsieur, de la concision et de la richesse de vos propos.

M. Thierry de NOBLENS : Je voudrais intervenir en tant que président d'une association de protection de la nature, le comité écologique ariégeois.

Ce comité écologique ariégeois a été fondé en 1979. Nous sommes agréés au titre de l'article 40 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, dans le cadre départemental, et ce depuis plus de onze ans. Nos buts sont notamment de protéger la nature pour sauvegarder les espèces et les espaces. Nous faisons partie de toutes les commissions administratives départementales concernant l'environnement. Pour ce qui est des grands prédateurs, nous faisons partie du comité départemental technique Ours depuis onze ans car une forêt en Ariège était classée en zone de présence permanente de l'ours, bien avant leur réintroduction en 1996. Il s'agit de la forêt de Saint-Lary, à l'ouest de l'Ariège.

Nous sommes membres également de la commission d'indemnisation des dégâts d'ours.

Je voudrais maintenant aborder le sujet du loup, qui est à nos frontières, et de l'ours.

Concernant l'objet de la commission, nous pensons inéluctable le retour naturel du loup dans les Pyrénées françaises à partir d'une population espagnole relativement nombreuse. Même si ce retour se produira plus vraisemblablement à l'ouest de la chaîne pyrénéenne, en Pays basque et Béarn, l'Ariège a un couvert forestier très important et une population d'ongulés sauvages - cerfs et chevreuils - non négligeable et intéressera rapidement le loup et l'on sait que les prédateurs peuvent faire des déplacements considérables, ce que l'on a vu d'ailleurs avec les ours qui sont venus du Couserans à la vallée de l'Ariège.

La réintroduction d'ours slovènes qui incite les éleveurs à mieux protéger leurs troupeaux avec des chiens patous, mais également la présence permanente d'un berger en montagne peuvent aussi atténuer considérablement l'impact d'un retour naturel du loup en Ariège - quand je dis naturel, c'est qu'il s'agit uniquement d'un passage de frontière - et, par la même occasion, atténuer l'impact des attaques de chiens errants, qui sont, d'ailleurs, les descendants directs et domestiques du loup.

La réintroduction d'ours est donc, de notre point de vue, une opportunité pour réorganiser le pastoralisme de manière positive.

Pour ce qui est de l'ours et de sa préservation, les associations de protection de la nature des Pyrénées ayant sensiblement la même approche que nous, nous vous présentons aujourd'hui un document de France Nature Environnement, manifeste pour la préservation de l'ours brun en France, qui représente parfaitement l'opinion du Comité écologique ariégeois sur ce superbe animal.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous vous remercions. Nous avons également auditionné France Nature Environnement.

Vous avez parlé d'emplois qui nécessitent une formation, mais aussi des financements. J'aimerais savoir dans quelle mesure on peut encore créer des emplois ? Dans quelle mesure les éleveurs peuvent-ils accepter, sans voir leur revenu baisser de façon significative, d'avoir plus de bergers ? En gros, est-ce compatible avec l'économie de votre élevage ?

M. Francis CHEVILLON : Il faut bien voir que jusqu'il y a cinquante ans, quand on demandait à un berger de garder les brebis, il était évident que le coût du berger devait revenir à l'éleveur. Mais aujourd'hui, le métier de berger a changé car on lui demande aussi de faire de l'environnemental. Cela a commencé avec l'article 19 ; puis, il y a eu les primes à l'herbe et il va maintenant y avoir la PHAE.

Aussi, je ne comprends pas très bien pourquoi le berger serait à la charge de l'éleveur. Il me semble que l'Etat devrait se positionner par rapport à ce travail supplémentaire qui est demandé.

Tout ce système de primes « agrienvironnementales », comme je les appelle, il ne sera pas possible de l'effectuer sans un surcroît de travail pour le berger ou un surcroît d'investissement de la part du groupement pastoral. Il me paraîtrait légitime que cela revienne à la charge de l'Etat. Cela ne veut pas dire qu'il faudrait que les montagnes soient gratuites pour les éleveurs, mais il va falloir trouver un équilibre, une péréquation pour que l'Etat prenne en charge une partie.

Mme Henriette MARTINEZ : Combien de bêtes, selon vous, peut garder un berger de façon efficace dans une montagne comme la vôtre ?

M. Francis CHEVILLON : Si je parle uniquement d'élevage de brebis à viande des Pyrénées centrales, je pense que c'est entre huit cents à mille bêtes.

Mme Henriette MARTINEZ : J'en viens à la question des chiens. Nous avons pu voir dans certaines régions notamment d'Italie, que les chiens sont plus nombreux sur les troupeaux. Ce sont des bergers des Abruzzes, des chiens de protection. Vous avez évoqué les patous. Sont-ils assez nombreux ? Faudrait-il qu'il y en ait davantage ? Si oui, combien de bêtes par chien ?

M. Francis CHEVILLON : Il est difficile de lancer des chiffres qui soient réalistes.

Mme Henriette MARTINEZ : Cela nous intéresse pour juger de l'efficacité de ces chiens parce que nous avons pu constater que, dans certaines régions comme les Alpes, par exemple, ils sont utilisés et sont assez nombreux et dans d'autres régions, pas du tout, ils sont refusés. En Italie, ils sont encore plus nombreux, même si ce ne sont tout à fait les mêmes chiens. Ce qui nous intéresse, c'est de connaître le degré de prédation en fonction du nombre de chiens.

M. Francis CHEVILLON : L'équipe de suivi, en ce qui concerne l'Ariège, a tous ces chiffres en sa possession. Mais nous n'avons pas eu le temps de les utiliser.

Pour vous donner juste un exemple, depuis quatre ans, nous avons un ours à domicile sur l'estive pratiquement tout l'été. Nous avons trois estives côte à côte. La première, Casabelle, possède un berger, pas de patou, et a perdu huit brebis. Je suis au milieu, j'ai deux patous en permanence avec un troupeau de 1000 ovins et 20 vaches ; j'ai eu un cas de brebis attaquée. L'estive à côté, qui n'a ni berger ni patou, a eu vingt-cinq brebis indemnisées.

Mme Henriette MARTINEZ : C'est tout de même significatif.

M. Francis CHEVILLON : On ne peut extrapoler ces chiffres, les multiplier par tant de bêtes en Ariège pour avoir le résultat, mais cet exemple est, en effet, assez significatif.

Mme Henriette MARTINEZ : Avec deux patous pour mille bêtes, vous considérez que vous êtes suffisamment protégé ?

M. Francis CHEVILLON : Absolument, à l'heure actuelle, en ce qui me concerne et pour la prédation de l'ours, qui est différente de celle du loup. Il y a fort à parier que le loup arrivera un jour dans les Pyrénées, il est probable qu'il faudra alors imaginer un peu plus patous par rapport au nombre de bêtes car, biologiquement, la prédation n'est pas la même. Mais, nous, éleveurs, c'est quelque chose que nous savons faire.

Mme Henriette MARTINEZ : A quelle échéance, voyez-vous arriver ces loups ?

M. Thierry de NOBLENS : L'échéance, à mon sens, est proche parce que, tout d'abord, la population de loups espagnols augmente raisonnablement et est déjà forte puisqu'on compte 2000 loups en Espagne, surtout sur la cordillère cantabrique mais les échanges avec les Pyrénées sont déjà fréquents.

Ensuite, le couvert forestier côté français et côté espagnol, est lui-même en augmentation relativement considérable. Il y a une déprise agricole certaine, de nombreux endroits redeviennent très sauvages, c'est-à-dire peu empruntés par l'être humain.

Donc, pour moi, l'échéance peut aller de trois à dix ans, mais elle est proche. D'ailleurs, il y a déjà eu un loup à Nohèdes qui est venu d'Espagne. Il y en aura d'autres. Ce sont des incursions, peut-être un mâle cherchant des femelles.

M. Joël GIRAUD : Qui est venu d'Espagne à quel endroit ?

M. Thierry de NOBLENS : A Nohèdes, dans les Pyrénées-orientales.

Mme Henriette MARTINEZ : On finit par les repérer. Il faudrait presque leur donner des noms pour les identifier.

M. Joël GIRAUD : Y a-t-il eu une analyse génétique ?

M. Thierry de NOBLENS : Il est venu d'Espagne, parce que, moi, les loups largués par hélicoptère, je n'y crois pas trop. C'est un peu comme les vipères.

M. Joël GIRAUD : Il ne s'agit pas d'hélicoptère mais les analyses génétiques ont démontré qu'il était de la même race que ceux qui sont dans le massif alpin. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit venu en hélicoptère.

M. Thierry de NOBLENS : Il est peut-être venu en stop ! Admettons qu'il y ait un litige sur ce loup-là, il y a quand même un nombre de loups tel en Espagne que l'on peut raisonnablement penser qu'ils passeront la frontière. L'échéance est proche.

M. Francis CHEVILLON : C'est la première fois que j'ai la chance de rencontrer des députés, je voudrais dire que je trouve gênant, presque choquant, que l'on ait pas en France un laboratoire qui soit capable de nous donner des résultats génétiques rapidement.

M. Joël GIRAUD : Tout à fait.

M. Francis CHEVILLON : Je m'adresse essentiellement à M. Bonrepaux, pourquoi n'aurions-nous pas ce type de laboratoire en Ariège, où nous avons besoin de développement ? Les analyses génétiques, ce n'est pas que pour les ours ou les loups mais pour tout, pour la tremblante du mouton, par exemple. C'est dommage que l'on ne puisse pas en installer un ici.

M. Augustin BONREPAUX : Il existe un laboratoire pour ce qui concerne les animaux, l'élevage, que l'on va moderniser. Mais il existe un laboratoire à Grenoble de M. Taberlet et je ne pense pas que l'on puisse en ouvrir un autre. En tout cas, quand je l'ai demandé, on m'a dit que celui de Grenoble était suffisant.

Mme Henriette MARTINEZ : Mme Bachelot a fait savoir qu'elle était consciente de la lenteur et de la difficulté et qu'elle allait essayer d'accélérer les procédures d'analyse.

M. Francis CHEVILLON : Vous ne trouvez pas que ce serait bien ?

M. Augustin BONREPAUX : Oui, bien sûr.

Mme Henriette MARTINEZ : Une question sur les bergers itinérants. Monsieur Ruiz, j'aimerais que vous m'expliquiez ce que vous faites.

M. Paul RUIZ : Pour le moment, je passe le diplôme pour l'installation en tant qu'éleveur ovin.

M. Augustin BONREPAUX : A quel endroit comptez-vous vous installer ?

M. Paul RUIZ : J'espère le Haut Couserans où j'ai estivé, car je n'ai été berger itinérant que l'année dernière, j'ai estivé en Haute Ariège.

Mme Henriette MARTINEZ : En quoi consiste le rôle d'un berger itinérant.

M. Paul RUIZ : En fait, c'est un soutien pour les bergers permanents. Il vient sur l'estive à la demande du berger permanent, quand celui-ci a du mauvais temps, qu'il a subi une prédation, pour l'aider à ramasser les brebis sur la montagne, à faire les soins. C'est un apport physique et moral, c'est surtout par rapport aux surcroîts de travail, parce qu'on leur demande de ramasser les brebis, il faut les réhabituer à être ensemble et il est plus facile d'être à plusieurs pour les tenir.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous intervenez donc à la demande des bergers ?

M. Paul RUIZ : Oui, à la demande des bergers. Parfois, nous intervenons aussi à la demande des éleveurs ?

Mme Henriette MARTINEZ : Comment communiquez-vous ?

M. Paul RUIZ : Par téléphone portable. Nous connaissons les endroits où les communications passent en altitude. On nous laisse des messages et nous essayons d'être le plus tôt possible sur les lieux.

Nous le faisons à la demande des bergers, nous n'imposons pas notre présence. S'ils ne nous veulent pas, nous n'y allons pas. Si nous y allons, c'est vraiment pour les aider...

Mme Henriette MARTINEZ : En cas de crise.

M. Paul RUIZ : En cas de crise, mais aussi quand, comme cette année où il y a eu beaucoup de brouillard et de mauvais temps, ils ont besoin de nous pour un soutien moral aussi.

M. Francis CHEVILLON : Ce système de bergers itinérants, nous sommes les seuls, en Pyrénées centrales, à l'avoir mis en place et nous sommes jalousés par toutes les régions de France.

Je voudrais à ce propos souligner la dérive que l'on constate actuellement dans les Alpes, qui nous inquiète beaucoup en termes de professionnalisme, c'est-à-dire que l'on fait entrer dans ce métier des gens qui ont le statut d'aide berger. Cela me paraît très dangereux parce que ce sont des gens qui vont, à terme, prendre une partie du travail de berger mais qui n'auront pas les qualifications du berger. C'est une dévalorisation du métier.

Le mot « formation » prend vraiment tout son sens. Il ne faut pas le perdre de vue. Ce n'est pas un métier que n'importe qui peut faire.

Mme Catherine BRUNET : A propos des patous, je voudrais dire que notre association gère le placement des patous. En 2002, nous avions placé quarante-cinq chiens patous sur les estives, sur toute la chaîne puisque nous parcourrons sur toute la chaîne. Nous prévoyons cette année d'en placer soixante. Cela augmente peu à peu car, en fait, la mise en place d'un chien patou ne se fait pas sans préparation.

Quant au berger, nous avons aujourd'hui deux statuts : celui de berger et celui de surveillant d'estive. Pour nous, la différence est importante car un patou avec des surveillants d'estive ne fera pas le même travail qu'avec un berger. Je suis conjointe d'éleveur, nous gérons une estive et je suis secrétaire d'un groupement pastoral (GP). Nous sommes plusieurs éleveurs et il est vrai que, jusqu'à présent, nous travaillions avec des lots de brebis éparpillées sur l'estive. Nous essayons maintenant de travailler de plus en plus avec un troupeau et un berger par troupeau car la gestion de plusieurs lots est impossible pour un berger face à toutes sorte de prédations.

M. Augustin BONREPAUX : Vous avez un troupeau de combien de bêtes ?

Mme Catherine BRUNET : Nous avons 1300 têtes sur l'estive, pour le GP. Nous avons une estive réputée difficile. De ce fait, nous essayons de travailler pour faire deux troupeaux sur cette estive parce qu'un berger ne peut pas en garder 1300. Il est devenu surveillant d'estive, il est obligé de laisser des lots à droite et à gauche. Actuellement, nous nous battons pour faire deux lots de brebis, avec deux bergers qui garderaient donc deux lots de 800 à 900 têtes.

M. Paul RUIZ : Pour assurer un meilleur suivi sanitaire, tout bêtement.

Mme Catherine BRUNET : A tous niveaux, en fait, nous sommes gagnants en tant qu'éleveur.

M. Paul RUIZ : Quand on a un petit lot, vu le relief des montagnes, on a la possibilité de nourrir les bêtes pour qu'elles arrivent le soir avec la panse pleine parce que le but, c'est quand même que les bêtes profitent. Ce n'est pas avec 1600 ou 1500 brebis dans des zones difficiles que l'on peut se permettre de les faire manger, parce que si l'on passe la journée à leur mettre des coups de chiens et à les empêcher de manger juste pour les tenir ensemble, ce n'est pas possible. Il faut moins de bêtes.

Sur certaines montagnes, sur certains reliefs, vous pouvez mener 1500 brebis ensemble mais, ailleurs, il faut les fractionner en petits lots et faire toujours ces cabanes intermédiaires pour éviter de faire marcher les bêtes. C'est alors que l'on peut avoir un engraissement optimal.

M. Augustin BONREPAUX : Vous dites qu'avec 1.300 bêtes, vous devez fractionner. Il faut donc plusieurs bergers.

Mme Catherine BRUNET : Oui.

M. Augustin BONREPAUX : M. Chevillon disait qu'il faudrait plus de bergers. Je suis d'accord avec vous. Vous avez dit que ce n'était pas à l'éleveur de payer, alors qui paie ? C'est la question que je pose. Pensez-vous qu'avec la révision de la PAC à la baisse, avec le fait que l'on essaie partout de réduire les dépenses, l'Etat va trouver les moyens de payer deux ou trois fois plus de bergers ?

Ensuite, vous nous dites que les loups vont arriver, que l'on va introduire davantage d'ours. Donc, il faudra davantage garder et davantage indemniser. Je redis la même chose, compte tenu des conditions actuelles, qui va payer ?

Enfin, j'ai une question à poser sur l'association pour la cohabitation pastorale, puisque vous la représentez. Est-ce vous, madame, qui en êtes l'animatrice ?

Mme Catherine BRUNET : Oui.

M. Augustin BONREPAUX : J'ai vu que, dans votre association, en 2001 vous aviez pour 42 000 francs de salaires. A qui sont-ils versés ?

Mme Catherine BRUNET : Au coordonnateur pour les chiens de protection, qui travaille à la mise en place des chiens. Mais si vous voulez, nous vous avons apporté un document qui explique le travail qu'il accomplit, c'est-à-dire assurer le placement, repérer les troupeaux où il y en a besoin, rencontrer les éleveurs pour la mise en place parce qu'un chien de protection ne se travaille pas comme un chien de troupeau. Ensuite, il assure le suivi, l'éducation...

M. Augustin BONREPAUX : Cela coûte combien ?

Mme Catherine BRUNET : Le salaire de cette personne ou l'achat du chien ...

M. Augustin BONREPAUX : Je parle de l'animateur.

Mme Catherine BRUNET : Il était à temps complet à l'époque. Depuis, le premier janvier 2003, nous avons un temps complet et un trois quarts parce qu'il y a un gros travail de prospection, de travail avec les éleveurs et de suivi.

M. Augustin BONREPAUX : J'ai noté que les indemnités de déplacement sont de 44 000 francs.

Mme Catherine BRUNET : Vous savez, il travaille sur six départements.

M. Augustin BONREPAUX : Le prospectus Patou qui coûte 40 000 francs, qu'est-ce que c'est ?

Mme Catherine BRUNET : Ce n'est pas un prospectus, mais un journal que nous distribuons sur toute la chaîne pyrénéenne avec le prospectus. Mais nous vous laisserons tout cela. Vous verrez le travail qu'accomplit le coordonnateur. Le journal vise à faire connaître l'association et les mesures d'accompagnement. C'est important. C'est tout le travail de communication, en fait.

M. Augustin BONREPAUX : Le journal d'informations des adhérents, c'est quelque chose à part ?

Mme Catherine BRUNET : C'est cela. Ce n'est pas la même chose.

M. Augustin BONREPAUX : Je vois indiquées des journées de formation. Qu'est-ce que c'était ?

Mme Catherine BRUNET : Le coordonnateur va travailler auprès d'associations de bergers, de centres de formation d'éleveurs pour informer de la mise en place des patous, de la façon dont on travaille avec un patout, etc.

M. Augustin BONREPAUX : Combien y a-t-il d'adhérents dans votre association ?

Mme Catherine BRUNET : Je vous ai donné un tableau. Nous arrivons à 52 adhérents qui se répartissent en 23 actifs en Ariège - ce que nous appelons actifs, ce sont les bergers, les éleveurs et les apiculteurs - et huit soutiens ; dans l'Aude, nous avons trois actifs et huit soutiens ; dans la Haute-Garonne, quatre actifs, un soutien ; dans les Pyrénées-Orientales, sept actifs et zéro soutien ; dans les Hautes-Pyrénées, deux actifs, aucun soutien ; dans les Pyrénées-atlantiques, personne. Autrement, nous avons des soutiens dans toute la France.

M. Augustin BONREPAUX : Les adhésions sont de combien ?

Mme Catherine BRUNET : Huit euros.

M. Augustin BONREPAUX : Vous nous avez donné le bilan ?

Mme Catherine BRUNET : Oui, vous avez le bilan de l'année dernière pour les chiens de protection. Vous verrez tout le travail qu'ils font et ce que peut sauver comme brebis un chien de protection, parce qu'ils en sauvent, mine de rien !

M. Augustin BONREPAUX : Vous-même êtes animatrice ?

Mme Catherine BRUNET : Je suis animatrice à mi-temps.

M. Francis CHEVILLON : Nous n'avons pas répondu à la question de savoir qui va intervenir. Il est difficile de nous poser cette question cette année parce que nous ne savons pas. Les CTE sont terminés et nous ne savons ce que seront les CAD. La prime à l'herbe est terminée, nous ne savons pas ce que seront les PHAE. Il y avait là des enveloppes financières non négligeables qui pouvaient servir à payer en partie un poste de berger. La balle est dans le camp du Gouvernement actuellement.

M. Augustin BONREPAUX : Je peux dire à M. Ruiz que s'il s'installe en Ariège comme éleveur débutant, il existe une aide du département pour les 150 premières bêtes.

M. Paul RUIZ : Pour travailler pour une coopérative. Il faut que je me renseigne.

M. Augustin BONREPAUX : Si vous devez vous installer, renseignez-vous.

Mme Catherine BRUNET : Je voulais ajouter que jusqu'ici l'éleveur ovin vendait son agneau tarasconais - parce que nous sommes en race tarasconaise dans la région - entre 400 et 600 francs quand il le vendait bien. Quand il montait en estive, la moyenne des pertes du troupeau était entre 7 à 10 % de pertes parce qu'il n'y avait pas de berger ...

M. Augustin BONREPAUX : Pas tant.

Mme Catherine BRUNET : Si, monsieur Bonrepaux, je puis vous assurer que je connais beaucoup d'éleveurs qui ont abandonné l'estive parce qu'il y avait trop de pertes. Vous pouvez interroger mon beau-frère, il est un de ceux qui ont abandonné l'estive à cause de ces pertes et M. Toustou pourra aussi vous en parler parce que cela fait longtemps qu'il transhume. Mais ce que je voulais dire, c'est qu'une fois que l'on aurait valorisé nos produits, le broutard, le Tarasconais, et que nous aurons diminué ces pertes, l'éleveur pourra peut-être un peu plus participer à la gestion de sa montagne.

Les subventions qui sont données actuellement sont sans condition. La prime à herbe, que vous employiez ou pas un berger, vous la touchez. Certains éleveurs n'en emploient pas et cela retourne je ne sais où. Si l'on donnait des aides sous condition d'emploi, peut-être y aurait-il une autre politique qui serait intéressant à mener.

M. Jean-François TOUSTOU : Je suis tout à fait d'accord avec les chiffres qu'a donnés Mme Brunet. On peut même dire que certaines années difficiles, pluvieuses, comme l'été passé, on arrive facilement à 12 % de pertes. Certaines années, comme en 2000 quand la neige est tombée après le 20 juin en haute altitude, on peut arriver à 20 % de pertes. Tout simplement parce qu'à cette époque, on procédait à un gardiennage par petits groupes de brebis et ce n'était pas géré.

Elles allaient par lots de 100 à 150 sur des secteurs de montagne, la neige est arrivée, personne n'a pu rien faire, elles sont restées coincées dans les couloirs d'avalanche ou autres.

Mais l'an dernier, nous avons eu un gardiennage serré, traditionnel, et nous avons pu éviter les problèmes, malgré les chutes que nous avons eues fin août, début septembre. Les brebis étaient gardées, les bergers ont pu déplacer le troupeau pendant qu'il neigeait ; ils avaient toutes les brebis sous la main, cela nous a permis d'éviter de grosses pertes sur estive. En 2000, nous avons eu beaucoup de brebis tuées sous la neige à cause du système de gardiennage que nous utilisions.

M. Paul RUIZ : Oui, sans oublier tout ce qui suit la neige : les grippes, les coups de sang, les panaris, les pieds qui éclatent. On ne peut pas être derrière les brebis partout tous les jours, quand les bêtes sont dispersées sur de grandes surfaces. Le berger peut dire ce qu'il veut, il ne peut pas être derrière les bêtes tous les jours, ce n'est pas possible. Il y a des bêtes qui s'isolent et qui disparaissent à un moment donné, alors que s'il y a une homogénéité du troupeau, on peut avoir l'œil dessus tous les jours et le suivi sanitaire est meilleur.

M. Jean-François TOUSTOU : Le berger peut assurer un minimum de mortalité. Si le troupeau n'est pas gardé, il n'y a aucune surveillance et on perd un maximum. La première année que j'ai mis les brebis avec M. Barbosa en estive, on comptait jusqu'à 19 % de pertes. Sur mille bêtes montées, il a manqué cent quatre-vingt-dix bêtes à la descente d'estive, on a retrouvé quarante-deux cadavres : cent cinquante bêtes disparues !

Mme Catherine BRUNET : Dans le dossier que je vous ai remis, vous trouverez les chiffres du bilan d'estive faite par la fédération pastorale. En Ariège, en 2000, vous pouvez voir le nombre de morts dues à la neige, qui auraient pu être évitées s'il y avait eu un berger - ce que l'on appelle un berger, pas un surveillant d'estive !

M. Augustin BONREPAUX : Les bêtes sont montées trop tôt et il a neigé. C'est tout.

M. Thierry de NOBLENS : Il a neigé au mois de juin, monsieur Bonrepaux. C'était vers le 10 juin.

M. Augustin BONREPAUX : Chez nous, elles montent vers le 15 ou le 20.

M. Francis CHEVILLON : Sur les estives qui avaient des bergers, il n'y a pas eu le même taux de pertes.

Mme Henriette MARTINEZ : Est-il facile pour les éleveurs de trouver des bergers ?

Mme Catherine BRUNET : Ce n'est pas évident de trouver de vrais bergers.

M. Jean-François TOUSTOU : C'est facile à condition d'avoir des formations pour former des jeunes comme Paul l'a été.

M. Francis CHEVILLON : A l'heure actuelle, dans le cadre de la formation que nous avons en Ariège, nous en formons huit par an. C'est le problème aussi de la formation de Lannemezan où ils forment huit bergers. C'est un peu juste par rapport à la demande. Mais je suis désolé, je ne peux pas faire autrement que d'en appeler à l'Etat. Ces formations ont un coût et ce ne sont pas les éleveurs qui peuvent l'assurer.

Mais former des bergers, cela signifie aussi résorber une partie du chômage ; c'est un métier digne de ce nom.

M. Francis CHEVILLON : A l'heure actuelle, c'est le conseil régional qui finance la formation. Nous voudrions passer de huit à dix postes d'ici un ou deux ans mais, pour l'instant, nous n'y arrivons pas, ça coince.

M. Jean-François TOUSTOU : Pour nous, c'est pourtant vraiment un minimum, il y a de la place pour plus de bergers sur les estives pyrénéennes.

Mme Henriette MARTINEZ : La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël GIRAUD : Pour ce métier de berger, avez-vous envisagé de faire appel à de la main d'œuvre immigrée qui viendrait aider ? En Italie, c'est essentiellement le cas maintenant. C'est le service d'immigration italien qui fournit des bergers très compétents venant souvent d'Albanie ou de pays où la vie agro-pastorale est encore très vivante.

M. Francis CHEVILLON : Je ne suis pas plus franco-français qu'un autre mais lors de la dernière commission d'admission, nous avons lancé un appel d'offre et nous avons eu quarante-cinq demandes pour huit places.

M. Joël GIRAUD : Ce n'est donc pas un problème de vivier, mais bien de formation.

M. Francis CHEVILLON : Absolument.

M. Joël GIRAUD : Sur vos exploitations, faites-vous de la transformation ? Et quels sont les niveaux de revenu des exploitations ?

Enfin, en matière de suivi de l'ensemble du processus, estimez-vous que la DIREN fait correctement son travail ou s'il y a des lacunes ?

M. Francis CHEVILLON : Pour ce qui est de la DIREN, nous avons organisé récemment une réunion avec tous les bergers et les éleveurs de tous les secteurs montagneux de France, tous nous envient la DIREN de Midi-Pyrénées.

Cela veut dire que la DIREN nous aide au niveau du plan ours, globalement. Ce sont des financements du ministère de l'environnement et ces financements-là nous ont énormément aidés à développer les estives en complément des financements de la fédération pastorale qui, à une époque, n'arrivait pas à fournir au niveau des achats de portables, des transports en héliportage, etc.

M. Joël GIRAUD : En matière de suivi, ils sont présents également ?

M. Francis CHEVILLON : En Midi-Pyrénées, oui.

Mme Catherine BRUNET : Oui, nous travaillons en véritable partenariat.

M. Francis CHEVILLON : Mais, d'après cette réunion que nous venons de faire, cela semble particulier à Midi-Pyrénées. Les gens des Alpes nous ont dit qu'ils n'avaient rien de la part de leur DIREN. De même, les gens des Vosges, par rapport à la prédation du lynx, n'ont rien non plus.

En Béarn, je ne sais pas...

M. Francis CHEVILLON : Pour répondre à votre autre question, nos exploitations sont très diverses. Pour ma part, je suis assez peu représentatif car j'ai une petite exploitation agricole avec une centaine de brebis viande et je pratique depuis très longtemps la pluri-activité. Mon père m'a toujours dit qu'il ne fallait pas mettre tous ses œufs dans le même panier, je l'ai cru.

Je fais aussi de l'accueil et j'ai monté un petit gîte d'étape où ma femme accueille des randonneurs pendant l'été, puisque, moi, je suis à la fois éleveurs et berger. C'est un vieux système, on appelle cela des prestataires de service, avec des droits d'usage qui datent du Moyen Age. Il y a d'autres problèmes, c'est assez compliqué parce que cela ne rentre pas dans le cadre de la juridiction actuelle. Je suis, par exemple, mon propre employeur. Pour la DDA et la direction du travail, il est assez compliqué de comprendre que ce soit la même personne qui signe la feuille de paye et qui, ensuite, signe qu'il a reçu son salaire, c'est un peu surprenant.

M. Joël GIRAUD : Le monde de la pluri-activité est un monde complexe. Je voulais juste savoir à peu près le revenu moyen d'une exploitation, à moins que vous soyez tous pluri-actifs.

M. Jean-François TOUSTOU : Je suis uniquement éleveur berger et j'ai un troupeau de 500 brebis tarasconaises. La commercialisation se fait pour partie en broutard du pays de l'ours, pour partie avec un artisan boucher, la dernière partie en vente directe, avec une clientèle d'habitués.

M. Joël GIRAUD : Sans être inspecteur des finances, cela représente un revenu annuel de combien, car les problèmes de la prédation sont perçus différemment selon le niveau des revenus ?

Mme Henriette MARTINEZ : Cela permet de comparer les revenus moyens en France et en Italie...

M. Joël GIRAUD : Oui, on saute de 8 000 à 50 000 euros par an entre les Alpes et les Abruzzes.

Mme Henriette MARTINEZ : On ne parle pas de la même chose quand on a un revenu de 8 000 euros.

M. Joël GIRAUD : Le prélèvement d'une bête n'est pas de même nature dans l'exploitation.

M. Jean-François TOUSTOU : On ne peut pas parler de revenu parce qu'actuellement, un éleveur berger ne peut pas avoir de revenu fixe ; il peut parler de chiffre d'affaires, pas de revenu.

Cette année, par exemple, vu l'été pluvieux que nous avons eu, nous n'avons pas pu faire une quantité de fourrage suffisante pour nourrir tout le troupeau. Il a fallu acheter des céréales, du fourrage, de la paille. En fait, c'est sur notre propre salaire que l'on subvient aux besoins des bêtes.

Mme Catherine BRUNET : Nous sommes passés de 300 têtes à 150 têtes pour une meilleure gestion parce que nous sommes en zone de haute montagne, à Siguer. Nous nous lançons dans le broutard à 100 % parce que nous considérons que c'est sans doute l'avenir parce que c'est la bête qui monte en montagne. Si un berger garde et que nous redescendons tous nos agneaux, nous aurons une bonne vente.

Le revenu... eh bien, j'ai été obligée d'aller travailler à l'extérieur pour pouvoir manger. Actuellement, nous sommes dans la situation d'être obligés d'aller travailler à l'extérieur pour pouvoir manger.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous êtes, monsieur, pluri-actif. Vous, madame, vous avez une activité à côté. Vous, monsieur, avez-vous une activité à côté ?

M. Jean-François TOUSTOU : Je n'en ai pas le temps.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous-même, allez vous installer. Pensez-vous avoir une activité à temps complet ?

M. Paul RUIZ : Oui, à temps complet.

Mme Henriette MARTINEZ : La parole est à M. André Chassaigne.

M. André CHASSAIGNE : J'ai été très intéressé par votre documentation parce que j'ai un projet sur ma commune, qui est en cours de réalisation, d'un atelier de découpe de viande bio, avec vente directe, en caissettes. Je trouve cela très intéressant car j'ai le sentiment que vous avez utilisé, exploité la présence de l'ours pour en faire non pas un motif de repli, mais un levier de développement.

Voici mes questions. D'une part, le fait que cela vous apporte des aides supplémentaires, en terme de protection contre la prédation, si j'ai bien compris, cela vous permet aussi d'éviter des pertes que vous auriez eues même sans l'ours. Pourriez-vous nous donner un peu plus de précisions sur cet aspect, c'est-à-dire profiter - ce n'est pas péjoratif de ma part - de cet effet d'aubaine pour régler d'autres problèmes ?

D'autre part, cet effet de levier, vous l'utilisez pour valoriser vos produits auprès d'une clientèle qui est, sans doute, ciblée. Cela donne l'impression que vous avez trouvé une niche de commercialisation. Pourriez-vous nous expliquer mieux cela ? Est-ce que, véritablement, en terme de filière courte, de vente directe, la présence de l'ours vous a apporté un plus ? Pensez-vous que vous avez des clients qui achètent - même s'il y a un aspect un peu militant chez ces clients - parce que, justement, vous êtes dans des conditions plus difficiles, particulières en termes de production, avec une éthique derrière, une volonté de biodiversité et de protection de la nature ?

M. Francis CHEVILLON : Ce dernier point est certain dans la mesure où, avant de se lancer dans cette aventure, parce que la commercialisation en vente directe tout le monde en parle mais, à long terme, peu la réussissent, nous avons fait travailler un bureau d'étude.

Il est ressorti très nettement de la part des consommateurs éventuels que c'était l'argument essentiel. L'argument essentiel, quoi qu'on en pense, n'est pas le prix, mais la qualité et cette image de marque d'éleveurs qui décident de rester à la montagne en travaillant sur la qualité.

Effet secondaire, l'image de l'ours joue sa part aussi. Mais si cela vous intéresse, ce travail du bureau d'étude n'est pas confidentiel et nous pouvons vous le procurer.

M. Augustin BONREPAUX : Quel est ce bureau d'étude ?

Mme Catherine BRUNET : Vous rencontrez l'ADET cet après-midi qui a été à l'initiative de ce projet avec nous. Ils pourront vous renseigner.

Mme Henriette MARTINEZ : Monsieur de Noblens, vous souhaitez ajouter un mot ?

M. Thierry de NOBLENS : En tant qu'association de protection de la nature, je me suis fait un plaisir de diffuser le petit dépliant sur le broutard du pays de l'ours au sein de mon association et plusieurs de mes adhérents m'ont téléphoné en me disant, tout fiers, qu'ils avaient passé commande. Ils le font, justement, au titre de la protection de la nature. Ils aiment l'ours, les Pyrénées et la bonne viande, et sont sûrs d'avoir de la qualité.

Mme Henriette MARTINEZ : Combien d'adhérents regroupe votre association ?

Mme Catherine BRUNET : Cinquante-deux, mais au niveau du groupement pour la vente du broutard du pays de l'ours qui est à l'intérieur, en fait, nous sommes passés de quatre producteurs - parce qu'il faut bien dire que l'image de l'ours en Ariège et dans les Pyrénées est quand même négative, surtout en tant qu'éleveur - à huit producteurs. Nous avons doublé la production et nous savons que nous allons vers une autre dimension pour l'année suivante. Nous avançons doucement mais sûrement.

Mme Henriette MARTINEZ : Votre association progresse-t-elle ? Arrivez-vous à convaincre des éleveurs qui étaient anti-ours ? Avez-vous l'impression que votre démarche est positive, constructive et fait tache d'huile ou, au contraire, que chacun campe sur ses positions ?

Mme Catherine BRUNET : Il ne faut pas rêver. Sincèrement, je crois que ceux qui se sont positionnés anti-ours, le resteront. Nous ne pouvons pas les convaincre.

Après, notre argument, c'est le pastoralisme avant tout. Pour nous, l'ours n'est qu'une petite partie du pastoralisme. C'est peut-être aussi pour cela que de plus en plus de gens, qui viennent dans l'association, osent s'exprimer pour dire que l'on peut être d'accord. Nous sommes passés de trois adhérents à vingt, puis, à cinquante. Nous augmentons un peu le nombre tous les ans. C'est grâce aussi à la communication que nous assurons car nous faisons un travail d'information un peu partout sur les Pyrénées avec notre journal.

Puis, il y a des gens qui ne se positionneront pas parce qu'ils pensent que c'est manquer de solidarité vis-à-vis des autres éleveurs. C'est leur droit. Cela dit, certains ne se prononcent pas, ni contre ni pour, et disent simplement que le pastoralisme est à revoir, point final.

M. Paul RUIZ : Par peur de se faire taper sur les doigts, parce qu'il y a une pression.

Mme Henriette MARTINEZ : Quelles sont vos relations avec les autres éleveurs ?

M. Paul RUIZ : J'ai des amis bergers qui sont anti-ours. Cela se passe très bien. Nous nous battons pour les mêmes idées, nous avons la même passion, nous avons envie de faire progresser notre métier.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous avez un but commun avec des moyens différents.

M. Paul RUIZ : Les moyens peuvent être les mêmes : améliorer les bêtes, faire du meilleur travail.

M. Jean-François TOUSTOU : Sur mon secteur d'élevage, j'ai des collègues qui ont carrément changé d'opinion.

M. André CHASSAIGNE : Dans la nouvelle génération, êtes-vous un cas isolé ou sentez-vous... Pour être clair, dans vingt ans, on en sera où ?

M. Paul RUIZ : Les jeunes comme moi sommes sensibles à l'environnement et nous voulons que cela perdure. Pour l'instant, je l'affirme. Peut-être, certains n'osent pas le faire encore, mais ils vont y venir.

Mme Henriette MARTINEZ : Dans vingt ans, les ours auront progressé. C'est le but de la réintroduction.

Mme Catherine BRUNET : Il faut que le pastoralisme ait progressé aussi.

Mme Henriette MARTINEZ : Est-ce que ce sera toujours compatible ?

M. Jean-François TOUSTOU : Si les moyens progressent au fur et à mesure, cela peut être compatible.

M. Francis CHEVILLON : Par contre, si l'ours progresse et que les moyens de protection ne progressent pas...

M. Augustin BONREPAUX : Sont-ils suffisants ces moyens apportés aux éleveurs ?

M. Francis CHEVILLON : Nous, éleveurs, nous allons vous dire qu'ils ne seront jamais suffisants, évidemment.

M. Augustin BONREPAUX : De façon raisonnable.

M. Francis CHEVILLON : Cela pourrait être mieux.

M. Jean-François TOUSTOU : Sur certaines estives, on pourra dire que c'est suffisant parce qu'il y aura le nombre suffisant de cabanes, la facilité du relief, etc. Mais sur d'autres, il va manquer des cabanes, le relief sera difficile et il sera impossible pour le berger de gérer un seul troupeau.

M. Augustin BONREPAUX : Des cabanes, il faut les construire. Les bergers, il faut les payer et les former, et les indemnisations devraient être plus réalistes... alors, peut-être. Tout est une affaire de moyens.

M. Francis CHEVILLON : Non, ce n'est pas un bon combat, ça ! Je ne sais pas ce que vous appelez des indemnisations « réalistes ». A partir du moment où l'on perd une brebis et que l'ours l'a mangée, on est payé trois fois son prix. On ne peut pas demander plus.

M. Augustin BONREPAUX : Vous savez très bien que pour toutes les brebis qui ne sont pas retrouvées, il n'y a aucune indemnité.

M. Francis CHEVILLON : Si on ne les retrouve pas, on n'est pas sûr que ce soit l'ours. Quelles sont les preuves ?

M. Jean-François TOUSTOU : La mouche qui pond des larves sur les plaies des brebis et qui est capable d'en tuer une en deux jours, elle fait plus de dégâts en plein été que l'ours.

M. Augustin BONREPAUX : Vous parlez de quelques éleveurs qui ne sont pas trop sérieux...

Mme Catherine BRUNET : Non, monsieur Bonrepaux, ils sont sérieux.

M. Francis CHEVILLON : Des mouches, il y en a partout, même sur les bons troupeaux !

Mme Catherine BRUNET : Les éleveurs sont tous sérieux. Ils ne peuvent pas assurer, c'est tout. Parce qu'on ne leur en donne pas les moyens. Actuellement, un berger ne peut pas assurer un troupeau de 1300 têtes sur certaines estives. C'est tout.

M. Augustin BONREPAUX : Voilà.

Mme Catherine BRUNET : Ce n'est pas la capacité de l'éleveur, c'est celle des moyens qu'on lui donne.

M. Augustin BONREPAUX : Voilà, si on triple le nombre de bergers, ça ira mieux !

M. Francis CHEVILLON : Si déjà le conseil général voulait nous aider au niveau de la formation, ce ne serait pas mal.

M. Augustin BONREPAUX : Le conseil général fait déjà pas mal. Il aide les groupements pastoraux, il aide l'installation et aussi la formation.

M. Francis CHEVILLON : Je sais qu'il aide. Je suis membre de la fédération pastorale.

M. Augustin BONREPAUX : S'il faut faire davantage pour les pâtres...

M. Jean-François TOUSTOU : Sur ce point précis, je voudrais appuyer un point ...

M. Augustin BONREPAUX : Encore faut-il, une fois qu'on les a formés, que les éleveurs aient les moyens de les payer !

Mme Catherine BRUNET : Je ne pense pas que ce soit à l'environnement de prendre tout en charge non plus.

M. Augustin BONREPAUX : Quand vous dites qu'il en faut davantage, je suis d'accord. Ce que je n'apprécie pas trop, c'est ceux qui les laissent en montagne sans les soigner. Mais enfin, tous ceux que je connais, ont quand même le souci d'avoir de bonnes bêtes et de la formation. On fait de la vente directe à Ax-les-Thermes, par correspondance et ça marche très bien.

M. Joël GIRAUD : Si vous alliez vous faire former en Italie, vous ne mettriez plus la photo de la brebis sur le broutard, car les Italiens, sur le peccorino, le fromage dont je parlais tout à l'heure, ils mettent carrément la photo des loups et ils le vendent trois fois plus cher !

Mme Catherine BRUNET : Nous n'allons pas en arriver là ! Nous vendons du broutard, nous ne vendons pas l'ours.

M. Joël GIRAUD : Je vous le dis à titre indicatif, parce qu'ils le vendent trois fois plus cher !

M. Jean-François TOUSTOU : Nous voulons le vendre au juste prix, pas trois fois plus cher.

M. Francis CHEVILLON : Si nous voulions devenir riches, nous ne serions pas éleveurs.

Mme Catherine BRUNET : Le broutard du pays de l'ours, c'est simplement pour dire qu'il vient de l'Ariège, d'une région des Pyrénées, et qu'il sera différent du broutard que l'on trouve partout, dans le centre de la France ou ailleurs. La différence, c'est qu'il cohabite avec l'ours. C'est une des différences et son originalité.

M. Jean-François TOUSTOU : De plus, nous avons la chance d'avoir une race de brebis dont la viande a un goût qui n'a rien à avoir avec celui des autres races. Il a le goût de la montagne, et la viande aussi. Le boucher qui m'achète à peu près 25 % de ma production n'avait jamais tué de tarasconais et ne voulait pas en tuer parce que les gens des villes, de Narbonne où il fait ses marchés, trouvaient que c'était un agneau banal ; un agneau avec des cornes et des pattes qui court dans la montagne, avec sa viande rouge, ne pouvait pas être le fin du fin. Il a essayé ces agneaux et maintenant, il ne peut plus vendre d'autres agneaux que des Tarasconnais.

Mme Henriette MARTINEZ : Voilà une belle démonstration de la qualité des produits.

Mme Catherine BRUNET : Un dernier mot pour ajouter qu'un sondage a été réalisé sur la réintroduction de l'ours et sur l'image de l'ours au niveau de l'Ariège et des montagnards. Ce qui nous a intéressés dans ce sondage, c'est la réponse des éleveurs : 100 % des éleveurs interrogés ont bien dit que l'emploi de berger était une mesure efficace pour cohabiter avec l'ours ; 95 % des familles agricoles ont approuvé l'efficacité de cette mesure. Donc, le berger plus le patou sont complémentaires et assurent une efficacité pratiquement totale. C'est l'ADET qui a réalisé ce sondage. Il était intéressant de voir, certes avec un certain recul, la réponse des éleveurs.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous vous remercions de cette précision.

M. Francis CHEVILLON : Un mot aussi pour répondre à M. Chassaigne qu'en termes de commercialisation, nous n'avons que deux ans de fonctionnement, donc, très peu d'expérience. Mais il y a dans le Béarn une commercialisation autour d'un fromage, le Pedescaous. Ils en vendent plusieurs dizaines de tonnes par an, cela fonctionne sur le même principe.

Mme Henriette MARTINEZ : Très bien. Madame, Messieurs, nous vous remercions.

 

Audition conjointe de M. Philippe QUAINON,
directeur de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF),
et de Mme Anne CHÊNE (DDAF)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2003, tenue à Foix)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M.  Philippe Quainon et Mme Anne Chêne sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Philippe Quainon et Mme Anne Chêne prêtent serment à tour de rôle.

M. Jean LASSALLE : Je vous cède la parole pour un exposé liminaire.

M. Philippe QUAINON : L'objet de votre mission est l'évaluation des conditions de l'implantation de l'ours, et la manière dont elle est vécue sur le terrain ainsi que la façon dont nos services, chargés d'appliquer différentes procédures liées à la présence de l'ours, sont amenés à exécuter leur mission.

Nous sommes chargés de bien mettre en exergue le fait qu'il y a deux angles d'attaque de la question : d'une part, toutes les mesures visant à remédier à titre préventif les dégâts occasionnés aux troupeaux par l'ours, à savoir les interventions aidées par les pouvoirs publics pour le gardiennage et certains autres aménagements ; d'autre part, l'appréciation des dommages et l'indemnisation des éleveurs, en sachant que cette politique a été établie en insistant sur le fait qu'une indemnisation n'est pas un but en soi, ni un moyen de solutionner le problème. Donc, par rapport à cette présence de l'ours, c'est bien le premier volet qui doit apporter les éléments de régulation et de cohabitation.

Au-delà de cet aspect administratif, on constate, quant aux réactions sur le terrain, que l'on est confronté à des situations contrastées selon la configuration des lieux. Les comportements de l'ours ne sont pas homogènes. Nous avons affaire à des individus qui ne se ressemblent pas tous forcément. Le croisement entre contexte local et tempérament de l'ours fait qu'il n'y a pas forcément une réponse unique pour gérer ce genre de situations.

Par rapport aux pratiques d'élevage, on ne peut pas se cacher le fait que l'ours est un élément nouveau et perturbateur qui amène la nécessité d'évolutions de pratiques, qui ne sont pas acceptées de façon spontanée, voire réalisables dans leur mise en œuvre. Au-delà des positions personnelles sur la présence de l'ours, il y a aussi en termes d'élevage, des considérations topographiques et, au bout du compte, des conditions économiques qui font qu'à dispositif égal, les interventions peuvent avoir une chance d'efficacité ou pas.

Pour ma part, j'insiste beaucoup sur la nécessité d'une modulation des dispositifs à mettre en œuvre pour gérer la situation.

Quant à l'indemnisation, il est vrai que réapparaît régulièrement la question de la prise en compte les effets des dégâts non constatés occasionnés par les ours, c'est-à-dire les animaux disparus et consommés dont on ne retrouve pas les carcasses, mais aussi les effets indirects de la présence de l'ours, c'est-à-dire excitation et agitation des animaux entraînant la perte physique d'animaux effrayés par l'ours par accident.

Il a été rappelé plusieurs fois que le dispositif d'indemnisation était strictement limité aux dégâts constatés ou avérés. Nous sommes là face à une contrainte. C'est la raison qui me pousse à vous rappeler que la procédure d'indemnisation n'est pas une solution en soi, c'est un pis-aller complétant le dispositif de prévention dans la mesure où l'on imagine mal la gestion de fonds publics sans critères. C'est notre métier de tous les jours, nous avons des critères d'éligibilité à faire respecter, des conditions à remplir. Il semble difficile d'indemniser en s'affranchissant de cette règle du constat par un expert de la mortalité due à l'ours.

Pour tous les grands prédateurs, s'ajoutent également des prédations d'autre nature, ne serait-ce que celle des chiens errants, qui font qu'il y a une diversité des causes de mortalité et ce n'est pas dans un bureau de la DDA ou de la préfecture que l'on peut faire la part des choses. L'indemnisation passe donc bien par un constat de l'expert sur le terrain en éliminant tous les cas non avérés. Mais, compte tenu de ce que je disais précédemment, à savoir les effets indirects sur les troupeaux, je pense pouvoir dire que le préjudice économique imputable à l'ours n'est pas compensé par le dispositif d'indemnisation, tout en précisant que, du point de vue administratif, je ne vois pas comment nous pourrions nous baser sur d'autres règles de gestion.

M. Jean LASSALLE : Madame Chêne, voulez-vous ajouter un mot à ce que vient de dire M. le directeur ?

Mme Anne CHÊNE : L'ours a été finalement un facteur de cristallisation d'une situation déjà difficile du pastoralisme dans les Pyrénées. Connaissant les difficultés de cette filière, c'est ajouter un facteur complémentaire au problème car, il ne faut pas le nier, cela représente un surcroît de travail, de difficultés et de dégâts. Cet élément cristallise les oppositions et les difficultés sur un domaine particulier. Il est vrai que l'on entend parler des dégâts d'ours, et moins des dégâts occasionnés par les chiens. Pourtant à ce jour, je pense pouvoir affirmer sans me tromper qu'il y a plus de dégâts dus aux chiens qu'aux ours.

Mais il est vrai que l'ours est un élément supplémentaire qu'il faut gérer et qui a été choisi volontairement, à l'inverse du chien errant, que l'on subit. Ce que je retiens également, sans savoir si l'on doit mettre plus de poids dans un sens ou dans l'autre, c'est que résoudre par des mesures préventives les problèmes liés à l'ours peut aussi permettre de résoudre le problème des chiens - qu'il s'agisse d'une gestion par des patous. Je dis cela sans compter les problèmes financiers que cela peut représenter. C'est seulement une réponse technique, mais il reste derrière tout le problème économique.

Ensuite, M. Philippe Quainon a abordé le sujet, il y a ours et ours. Certains sont plus prédateurs que d'autres. Un ours à problèmes est moins facile à gérer que d'autres qui sont, visiblement, moins prédateurs. Est-ce une phase dans sa vie ? Est-ce lié à un individu qui sera plus à tendance carnivore qu'un autre ? C'est difficile à dire. On ne peut que constater que certaines estives sont plus touchées que d'autres. On peut penser que certains ours sont plus prédateurs que d'autres. Pour l'instant, il n'y a pas de réponse particulière à cette problématique.

M. Jean LASSALLE : Nous allons passer aux questions. Depuis combien de temps êtes-vous directeur ?

M. Philippe QUAINON : Depuis le 1er juillet 2002.

M. Jean LASSALLE : Cela fait neuf mois. Et vous-même, madame, depuis combien de temps êtes-vous là ?

Mme Anne CHÊNE : Depuis septembre 2000.

M. Jean LASSALLE : C'était donc postérieur à l'introduction de l'ours ?

Mme Anne CHÊNE : Oui, mais mon poste précédent était à l'Office national des forêt en Haute-Garonne. J'ai donc bien suivi l'histoire de la réintroduction de l'ours depuis son début, même si ce n'était pas avec l'œil de l'administration.

M. Jean LASSALLE : Je donne la parole à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin BONREPAUX : Je n'ai pas grand-chose à ajouter aux interventions que j'entends. M. Quainon a expliqué que la charge supplémentaire de travail et que les pertes liées à la présence de l'ours ne sont pas compensées. C'est la question que je voulais poser.

Il y a davantage de travail. Pensez-vous que cela soit compensé ? Je pense que non, pour ma part. Car il n'y a pas que les prédations ; il y a aussi tout ce travail supplémentaire. Et je suis d'accord avec vous : quand on veut faire une évaluation, il faut des critères. Je trouve que si les choses étaient prises autrement, si l'on avait anticipé, nous n'en serions pas là.

Je suis d'accord avec ce que vous avez dit. Je n'ai pas d'autre question à vous poser que de savoir comment faire pour compenser réellement ce surcoût et ce handicap, puisque, finalement c'en est un.

J'ajouterai que je ne suis pas trop d'accord avec vous lorsque vous parlez des prédations de chiens car elles interviennent surtout dans les zones habitées. En montagne, depuis quelque temps, on n'en observe plus parce que l'on a interdit l'accès des chiens à la réserve...

Mme Anne CHÊNE : C'est une solution.

M. Joël GIRAUD : Il serait difficile d'interdire l'accès aux chiens partout.

M. Augustin BONREPAUX : Et nous avons la chance d'avoir des gardes qui font respecter cette interdiction.

M. Jean LASSALLE : Je donne la parole à M. Joël Giraud, député des Hautes-Alpes.

M. Joël GIRAUD : On voit bien les limites de l'expérience actuelle. Pour la suite du programme, que va-t-il se passer ? Va-t-on continuer à réintroduire les ours slovènes au fur et à mesure jusqu'à ce qu'un équilibre soit atteint dans le secteur ou va-t-on s'orienter vers une autre solution ? Car j'ai le sentiment que le fait que des bêtes aient été réintroduites a posé plus de problème que s'il s'était agi d'une « valorisation » de la présence des ours natifs des Pyrénées au travers d'un programme d'amélioration des habitats, par exemple, favorisant la progression de cette espèce sur la chaîne pyrénéenne.

Ma question est donc la suivante : quel sera l'avenir compte tenu de ce que l'on découvre actuellement et des réactions qui sont forcément très tranchées entre les « refusnik » et les adhérents du programme, car c'est assez manichéen, pour l'instant. Il y a le bien et le mal. Quid de la suite ? Qu'en pensez-vous personnellement ?

M. Philippe QUAINON : Entre les deux thèses, ceux qui encouragent l'augmentation des animaux et ceux sont en position de refus catégorique, même en dehors de mes fonctions, à titre personnel, je ne sais pas me prononcer.

Et ce n'est pas une dérobade. Les deux tendances sont, toutes deux, étayées par une démonstration crédible sur le plan intellectuel. Ensuite, il faut voir sur le terrain comment pondérer les paramètres qui sont, à mon avis, irrécusables des deux parties. Dans leur nature même, les arguments développés ne s'appuient pas sur de fausses vérités. Mais puisque beaucoup de choses sont inscrites dans les esprits, la question est de savoir, ici ou là, à tel ou tel instant, quelle est la constatation effective de tel ou tel élément.

Dans la situation de terrain actuelle telle que nous la percevons, dont nous sommes spectateurs - car à la différence des personnels de terrain, nous ne sommes pas directement impliqués, ce qui nous permet peut-être d'ambitionner une certaine objectivité - nous ne pouvons pas aller plus loin si nous n'avons pas répondu aux questions que nous avons soulevées tout à l'heure.

Je vois mal comment nous pourrions ambitionner que, dans les faits et dans les esprits, la situation évolue pour atteindre une cohabitation qui soit mieux gérée et commencer par accroître la présence de l'ours. A mon sens, c'est s'y prendre à l'envers.

Nous étions dans une phase d'expérimentation, il faut aller jusqu'au bout, à sa conclusion pour passer à une phase ultérieure.

A titre individuel, en tant que citoyen, je ne suis pas opposé à ce qu'il y ait une population d'ours supplémentaire mais, en tant que spectateur, dans les conditions actuelles, cela me semblerait contre-indiqué ou contre-productif par rapport à l'objectif.

Quant à savoir si un distinguo est à faire entre la valorisation d'une race autochtone et d'une race implantée, je crois savoir... mais sans doute Mme Anne Chêne est-elle plus à même de répondre ?

Mme Anne CHÊNE : Pour ce qui est de l'habitat lui-même, l'ours slovène s'adapte très bien au milieu pyrénéen ; si l'on considère le milieu biologiquement parlant, la démonstration a été faite.

Ensuite, il convient de considérer le facteur humain et la cohabitation, qui sont d'autres problèmes. Il restait trop peu d'individus dans les Pyrénées - on s'y est pris trop tard, en fait - pour que cette population puisse être recolonisée dans l'ensemble de l'espace et être viable. Il y avait trop de consanguinité, il fallait apporter du sang neuf. C'est la réponse biologique.

M. Philippe QUAINON : Mais cela ne va pas changer fondamentalement le fait que cela crée des tensions. Nous le voyons dans d'autres parties de la chaîne des Pyrénées où il restait une population d'ours locaux, cela a toujours déclenché les mêmes mécanismes de tension.

Mme Anne CHÊNE : Un peu moins tout de même dans la mesure où, dans les Pyrénées-Atlantiques, par exemple, le style d'élevage est tout autre. Il s'agit d'un élevage laitier, les bergers rassemblent les troupeaux tous les soirs pour la traite. C'est très différent.

M. Philippe QUAINON : C'est un particularisme ariégeois que j'entendais également lorsque je disais qu'il existe différentes situations locales qui requièrent des modes de gestion adéquats. Et même d'une partie à l'autre de l'Ariège. Même en faisant abstraction du problème de l'ours, notre métier est de suivre ce qui se passe en matière de pastoralisme et nous avons donc bien vu que les conditions de conduite des troupeaux peuvent différer d'une façon énorme d'un secteur à l'autre. Ce n'est pas simplement l'effet coup de projecteur induit par le problème de l'ours, c'est un réel constat.

M. Jean LASSALLE : Je donne la parole à M. Chassaigne.

M. André CHASSAIGNE : Vous disiez précédemment que vous aviez le sentiment que l'indemnisation était insuffisante, non pas par rapport aux dégâts, mais aux dommages « collatéraux », si je puis dire.

Avez-vous des idées qu'il serait possible de mettre en œuvre en termes de contractualisation sur les territoires pour prévoir, si je puis dire, un accompagnement en amont, qui permettrait que les dégâts et la prédation puissent être indemnisés, par exemple, sous forme d'assurance ? Avez-vous envisagé ce genre de solution ?

M. Philippe QUAINON : En termes d'assurance peut-être, en ce sens que le dégât de l'ours devient un accident dès lors que nous disposons d'un dispositif reconnu et efficace pour repousser l'ours. Pour qu'il soit efficace, Anne Chêne le dit, je l'avais suggéré, c'est la présence de l'homme assisté du Patou puisque c'est le couple qui est proposé. Cela a un coût. Si nous arrivions avec ce schéma - sans être normatif, sans dire :  « Vous avez tant d'animaux, il faut prendre tant de bergers » - en considérant les systèmes d'élevage et de conduite des troupeaux utilisés localement et en apportant ce qu'il faut en face, il me semble que nous devrions arriver à un système suffisamment efficace pour que le dégât de l'ours devienne un accident marginal. Mais je suis directeur de l'agriculture, je ne suis pas berger et je réagis en fonction de ce que je comprends de ce que l'on peut me dire.

Mais nous l'avons dit plusieurs fois depuis le début de notre entretien, cela représente un coût économique très important et très lourd. Dans la mesure où, pour la bonne gestion des crédits publics, on dit qu'il faut qu'il y ait une participation du bénéficiaire. Là encore, je raisonne par rapport à d'autres mécanismes que je connais par ailleurs, qui ne sont peut-être pas appropriés à ce cas précis, mais c'est ma référence. Aussi les bénéficiaires ou les acteurs sur le terrain doivent-il être impliqués également ; il reste toujours une part d'autofinancement qui doit être payée par l'activité. Or le dispositif de précaution en amont dont nous parlons n'est-il pas démesuré par rapport à l'autofinancement générable par l'activité d'élevage ?

Je suis en train de développer un raisonnement intellectuel pour en conclure que j'aboutis à une impasse, sauf à accepter - mais avec quels garde-fous - de transcender cette règle en disant que puisqu'il y a une volonté publique d'introduire l'ours, c'est le public qui le paie. Pour ma part, je suis très méfiant sur un système qui dédouane totalement les acteurs locaux.

Où se trouve la bonne mesure, je ne sais pas et je ne m'aventurerais pas à dire qu'elle est facile, qu'il suffit de lancer étude entre experts pendant trois mois pour la trouver. Je suis perplexe.

Mme Anne CHÊNE : D'autant plus difficile que certains facteurs, notamment la présence du berger sur le terrain, apportent aussi un gain par rapport au suivi du troupeau qu'on a déjà par ailleurs. Même en plaine, la présence du berger est bénéfique pour le suivi sanitaire du troupeau, pour réagir plus vite et soigner plus vite. Il y a un gain. Mais comment calculer ce gain qui est à retrancher de ce que coûte effectivement l'ours ? C'est extrêmement difficile.

M. André CHASSAIGNE : Vous avez fait tout à l'heure allusion au fait qu'il pouvait y avoir aussi des effets positifs.

Mme Anne CHÊNE : Dans les mesures préventives, effectivement.

M. André CHASSAIGNE : Le fait qu'il y ait des mesures préventives, qu'il y ait un accompagnement, plus de bergers, des troupeaux peut-être moins importants, cela représente-t-il un aspect également positif ?

Mme Anne CHÊNE : L'aspect très positif justement est qu'il y ait une prise de conscience de la problématique du pastoralisme en montagne, ne serait-ce que cela, car il existe une méconnaissance très forte de ce métier et de ses difficultés. En terme d'image de marque, il y a déjà un élément positif.

Ensuite, pour la gestion proprement dite, la présence du berger, je l'évoquais, permet un meilleur suivi du troupeau, une intervention au moment où il faut. La présence d'un berger permet, par exemple, d'intervenir lors d'un problème avec des chiens, par exemple... mais d'autres problèmes peuvent se poser.

M. André CHASSAIGNE : Et la valorisation de l'image ?

Mme Anne CHÊNE : J'ai vu sortir de cette salle avant nous l'association de la cohabitation pastorale, il est vrai aussi qu'un travail reste à faire, qui peut être intéressant, qui consiste à utiliser aussi bien pour le tourisme que pour la valorisation de la filière cette image... mais peut-être d'ailleurs indépendamment de l'ours...

M. Jean LASSALLE : Oui, le Broutard de l'ours.

M. Augustin BONREPAUX : De l'ours, oui !

M. André CHASSAIGNE : « Le Broutard du Pays de l'ours », plus exactement.

Mme Anne CHÊNE : Sans parler du pays de l'ours, si l'on parlait tout simplement de montagne, ce pourrait être positif. Le « broutard des Pyrénées » est une valeur ajoutée intéressante. Doit-on y accoler le label de l'ours ? C'est peut-être une opportunité de valorisation de la filière au travers de l'image de l'ours qui peut être utilisée. La filière elle-même peut en profiter.

M. Philippe QUAINON : Dans le fil de ce que dit Anne Chêne, ce n'est pas la peine d'être un spécialiste en agriculture ou en pastoralisme pour dire que si l'on paie quelqu'un pour garder les brebis et prévenir l'attaque de l'ours, l'ours n'attaquant pas toutes les cinq minutes, il faut bien occuper cet homme. Il va donc s'occuper du troupeau. Comme aujourd'hui, malgré des crédits publics importants versés, indépendamment de l'ours, dans la politique du pastoralisme, on sait qu'ils sont difficiles à décrocher et l'on n'a pas les bergers dans les conditions voulues pour atteindre l'optimum de la santé du troupeau, il peut y avoir un effet de synergie entre cette politique « ours » et le pastoralisme. J'en suis également convaincu.

Mme Anne CHÊNE : J'ai retrouvé le fil de l'idée que j'avais perdue. Le berger a également un effet positif par rapport à la conduite du troupeau dans l'espace. Il permet une gestion de l'espace réfléchie, évitant qu'il y ait des zones totalement délaissées qui s'embroussaillent - et qui engendre des problèmes de sécurité - mais traitant aussi ainsi le problème de vision du paysage.

M. Augustin BONREPAUX : Que davantage de troupeaux soient gardés, on ne peut qu'en être d'accord. Ce qui me désole est de voir la façon dont des bêtes sont laissées à l'abandon du côté d'Aston, par exemple. Mais, d'un autre côté, cet éleveur, il ne demande qu'une chose, que ses bêtes soient mangées pour être indemnisées.

Mais, j'en conviens, si demain, on arriverait à faire en sorte que les bêtes soient mieux gardées, cela valoriserait l'élevage ; c'est certain. Ce dont je ne suis pas sûr, c'est que l'Etat nous paiera les bergers.

M. Philippe QUAINON : En tout cas, il y a l'argent et le dispositif d'animation autour. Les choses existent ; il faut les soutenir et les développer. C'est une formation et une animation du réseau de bergers, de façon à ce que le métier soit bien défini dans ses différentes tâches.

Dire que la présence du berger due à l'ours a aussi des effets induits sur la conduite du troupeau, c'est partir à l'envers. A priori, le berger vient pour conduire le troupeau et c'est plutôt, à l'inverse, lui dire qu'il sert aussi à prévenir l'ours. 

Il y a des réflexions sur l'avenir du métier de berger qui, en termes d'activités dans les zones de montagnes, est un élément qu'il faut favoriser et accompagner au titre de l'emploi. Là encore, si l'ours peut contribuer à apporter, à concrétiser et à cristalliser des éléments suffisants pour obtenir des effets sur l'emploi liés à la notoriété et l'attraction touristiques du pays - grâce à l'ours, c'est un tout autre débat - cela représente une opportunité pour l'emploi qui serait intéressante à travailler. Mais il ne s'agit pas de dire que l'on cherche des candidats pour devenir bergers et se retrouver, dans des sessions de formation, avec quelques passionnés. Si l'on a cette assurance de crédits publics, il y a des initiatives de promotion importantes.

Pour revenir sur l'aspect économique - c'est pour cela que je mettais le tourisme, en tant qu'attractivité de l'ours, un peu à part - la présence de bergers dans les montagnes devraient contribuer à les rendre attractives, non pas du fait de l'ours, mais du fait que ces montagnes sont vivantes, habitées. C'est sans doute, là aussi, un challenge intéressant à relever.

Mme Anne CHÊNE :Par rapport aux Alpes, les Pyrénées sont plus basses et si le pastoralisme n'existait pas, moi, qui suis forestière, je puis vous assurer que la forêt irait bien plus haut. Nous aurions très peu d'espaces ouverts. Dans les Alpes, il y aurait toujours une partie alpine où l'on trouverait toujours des pelouses rases. Mais les Pyrénées n'auraient plus du tout le même aspect sans la présence des troupeaux et le maintien de cette activité.

M. André CHASSAIGNE : Connaissez-vous des bergers qui auraient cessé leur activité de berger parce qu'ils ont considéré que la prédation par les ours était une contrainte trop forte ? Y a-t-il eu des mouvements de ce genre ou des cas contraires, c'est-à-dire des personnes qui seraient revenues à la montagne parce qu'elles ont une certaine conception de leur travail de berger ?

Mme Anne CHÊNE : Des cas contraires, je n'en connais pas. En revanche, j'ai l'exemple d'une personne qui a quitté la montagne parce qu'il y avait un certain nombre de problèmes dont l'ours. Les prédations de l'ours n'étaient pas seules en cause puisqu'il y avait aussi un problème d'entente au sein du groupement pastoral qui l'embauchait. Mais l'ours était un facteur de difficulté supplémentaire. Il y avait des problèmes de salaire, d'entente et l'ours, en plus. Je ne sais pas quelle est la part de l'ours

C'est le seul cas que je connaisse. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en ait pas d'autres. Je l'imagine assez bien car il existe une certaine relation entre le berger et son troupeau. Ce ne sont pas des pions, il existe entre eux une relation assez forte et cela fait très mal au cœur d'avoir un animal blessé ou tué.

M. Philippe QUAINON : Pour en revenir à l'aspect indemnisation, celle-ci a des conséquences sur la journée du berger. Nous l'avons entendu lors de commissions d'indemnisation, étant donné que les conditions de recueil des preuves du constat de la mortalité de l'animal introduisent une contrainte évidente pour le berger. Cela paraît normal si un berger est payé pour l'ours. Cependant, malgré l'importance, démesurée à mon sens, que prend l'indemnisation de la brebis, cela doit rester secondaire en temps. Lorsque l'on n'a pas les restes de l'animal parce qu'il s'est perdu je ne sais où ou que l'on est arrivé trop tard, il ne faut pas demander au berger un travail d'enquêteur pour rassembler des vestiges pour avoir des éléments à montrer quand l'expert viendra parce que, pendant qu'il fait cela, il ne garde pas le troupeau.

Il y a là aussi un équilibre à trouver, qui m'amène à dire que la procédure d'indemnisation n'est pas la solution au problème et qu'en tout état de cause, elle doit rester très secondaire, voire marginale.

M. Jean LASSALLE : Pouvez-vous évaluer le temps supplémentaire de travail que la présence de l'ours impose à votre métier ? Vous seriez DDAF de l'Ariège sans ours auriez-vous moins de travail ?

M. Philippe QUAINON : Il est difficile de le quantifier. Ce sujet, comme d'autres qui ont un aspect passionnel, nous demande, en tant que directeurs d'un service de l'Etat, beaucoup de temps, d'énergie et d'écoute pour essayer, non pas de concilier les points de vue quand ils ne sont pas conciliables, mais de trouver une porte de sortie qui ne soit pas grossièrement au désavantage d'un point de vue par rapport à l'autre. Cela nous impose une certaine gymnastique, mais je ne saurais vous dire combien cela nous coûte en temps.

La procédure d'indemnisation elle-même, en tant que procédure, sans parler de tout l'aspect gestion psychosociale de la chose, mobilise pas mal de temps. Il en va de même des mesures d'accompagnement.

M. Jean LASSALLE : Ce que nous constatons pour notre part, c'est tant le retour du loup dans les Alpes que celui de l'ours ici, puisque dans cette partie des Pyrénées, il n'y en avait plus, s'est faite très précipitamment. Vous pouvez répondre là-dessus en raison du poste que vous occupiez antérieurement, en Haute Garonne. Quel souvenir gardez-vous de cette préparation ? Avez-vous vraiment eu le sentiment, en participant à cette opération, que cela allait engendrer toutes ces difficultés, parfois même à des dizaines, quand ce n'est pas des centaines de kilomètres du lieu sur lequel vous prépariez la réintroduction ?

De nombreux professionnels, éleveurs et élus se posent cette question : a-t-on bien pesé le pour et le contre d'une telle réintroduction ?

Mme Anne CHÊNE : Je pense effectivement que la mise en œuvre de l'introduction de l'ours a peut-être été un peu rapide dans sa partie préparatoire, notamment celle de concertation avec les différents départements. Mais ce n'est pas une critique parce que cette mise en œuvre s'est faite aussi parce qu'une opportunité s'est présentée. En effet, une association de communes a dit qu'elle était d'accord. Une opportunité politique a fait qu'un ministre a pu permettre d'enclencher cette réintroduction, grâce à cet accord entre certaines communes.

Ensuite, je vais donner une position personnelle, cela paraissait assez logique de penser qu'en lâchant un animal comme l'ours, celui-ci n'allait probablement pas rester sur sa commune ni même sur celles avoisinantes. Maintenant, il n'était pas prévu non plus qu'il irait aussi loin, aussi vite.

En Haute-Garonne, il y a eu des réunions. L'association que vous rencontrez ensuite, l'ADET, était forcément favorable. Elle avait signé la charte. Mais dans les départements voisins, il n'y a pas eu cette même concertation.

Lâcher un prédateur pose toutes sortes de problèmes que nous avons évoqués et, même si des élus ont pu être invités à la réflexion, je ne sais pas ce qu'il en est en Ariège. J'étais en Haute-Garonne et j'avais assez de problèmes sur mon département pour ne pas aller voir ce qui se passait dans les départements voisins. Je ne suis pas sûre qu'il y ait eu suffisamment de possibilités de s'exprimer des différents côtés ni forcément connaissance de tous les problèmes qui allaient se poser pour les éleveurs en fonction du type d'élevage pratiqué.

M. Augustin BONREPAUX : Je puis déjà vous répondre. J'étais déjà député, j'ai appris cela à la radio, dans mon bureau, à Paris.

Mme Anne CHÊNE : Dans mon interrogation, j'avais déjà un peu la réponse.

M. Augustin BONREPAUX : Je me suis demandé quoi faire. J'ai décidé d'attendre... Je n'ai pas attendu longtemps !

Mme Anne CHÊNE : C'est bien la raison pour laquelle du côté de Castillon, il y a eu très rapidement une levée de boucliers. Il y a eu une concertation, mais assez restreinte en Haute-Garonne et la précipitation - encore une fois, je ne porte aucune critique - s'est faite en raison de cette opportunité venue d'un accord qui n'était pas facile à obtenir.

Mme Henriette MARTINEZ : Cet accord était tout de même un prétexte, un prétexte facile. On pouvait tout de même imaginer que le prédateur n'allait pas rester là où on allait le lâcher. Si l'on avait étudié l'ours avant de le lâcher, on aurait su qu'il était capable de franchir les distances. Imaginer que ceux qui l'ont lâché n'avaient pas envisagé cela serait tout à fait effrayant.

Mme Anne CHÊNE : Il ne me m'appartient pas de juger les décisions qui ont été prises. On peut constater que c'est cette opportunité qui a enclenché la réintroduction et qu'un travail préparatoire plus avancé de concertation et de discussion montrant que des difficultés pourraient apparaître mais que des moyens financiers seraient mis en face et permettant de réfléchir à la filière dans son ensemble - car c'est un soutien à la filière, au monde pastoral qui est important - aurait pu être plus prudent et plus sage.

M. Joël GIRAUD : A ce titre, réfléchissez-vous au retour du loup ?

Mme Anne CHÊNE : Il va nous arriver très vite.

M. Joël GIRAUD : Avez-vous des consignes pour préparer son arrivée ?

Mme Anne CHÊNE : Non.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous prévoyez son arrivée d'ici combien de temps ?

Mme Anne CHÊNE : D'ici quelques années, ce « quelques » étant un petit pluriel.

Mme Henriette MARTINEZ : Moins de cinq ans ?

Mme Anne CHÊNE : Je ne saurais me prononcer.

M. Joël GIRAUD : A contrario, les Espagnols se préparent-ils à l'arrivée de l'ours ?

Mme Anne CHÊNE : Ils en ont déjà. Mais c'est peut-être un des arguments aussi pour dire que si l'on arrive à avancer pour ce qui est de cette préparation par rapport à l'ours, on aura peut-être une réponse pour le loup, qu'on aura pas introduit, lui.

Mme Henriette MARTINEZ  : De toute façon, la réponse est sensiblement la même, n'est-ce pas ?

Mme Anne CHÊNE : Tout à fait, c'est en cela que les actions préventives vis-à-vis de l'ours vont nous aider quand le loup arrivera. C'est une certitude

M. Jean LASSALLE : Je pense que nous arrivons à la fin de cet entretien. Je vous remercie.

Audition conjointe de M. François ARCANGELI*, président de l'Association pour le développement économique et touristique (ADET),
M. André RIGONI, vice-président de l'ADET et maire de Melles,
M. Philippe CAZES*, administrateur de l'ADET,
et président des accompagnateurs en montagne de l'Ariège
M. Alain REYNES*, directeur de l'ADET,
M. Camille COUTANCEAU*, aubergiste à Biert,
et président de l'Office du tourisme du canton de Massat

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2003, tenue à Foix)

Présidence de Mme Martinez, Vice-Présidente

Les témoins sont introduits.

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de Mme la Présidente, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

Mme Henriette MARTINEZ : Je vous laisse vous organiser dans la prise de parole.

M. François ARCANGELI : L'ADET est une association composée de communes, donc d'élus, de maires et de conseillers municipaux, d'associations, de particuliers, de professionnels, d'éleveurs, de professionnels du tourisme mais aussi des artisans et des producteurs du terroir. Depuis 2000, près de neuf cents personnes ont adhéré à notre association.

L'ADET mène des actions en faveur du développement durable du Pays de l'Ours, territoire qui correspond à la zone montagne de l'Ariège, de la Haute-Garonne et de l'Est des Hautes-Pyrénées. L'objectif de l'ADET est de favoriser un développement conciliant des enjeux économiques, environnementaux et socio-culturels du territoire, en ayant une approche globale, territoriale et, donc, non sectorielle.

C'est dans cet esprit que l'ADET travaille avec l'Etat et les partenaires locaux à un programme intégrant la réintroduction de l'ours et des mesures de conciliation, de modernisation et de valorisation des activités humaines, par exemple, des mesures favorisant la cohabitation avec le pastoralisme, la promotion touristique « Bienvenue au Pays de l'Ours », l'animation du réseau des professionnels du Pays de l'Ours, la valorisation de l'agneau : « Broutard du Pays de l'Ours », la coordination du festival pyrénéen « Automnales du pays de l'Ours ».

Pour l'ADET, ce programme est non seulement une opération de restauration d'un patrimoine naturel exceptionnel, mais aussi l'occasion d'associer cette qualité, symbolisée par la présence de l'ours, à la qualité des productions et des activités humaines.

Votre commission ayant pour objet notamment l'exercice du pastoralisme en zone de montagne, nous souhaitons en premier lieu vous présenter nos réflexions sur cette question.

Le pastoralisme est une activité à laquelle nous sommes très attachés car essentielle à la gestion et au développement du territoire pyrénéen. Or il traverse actuellement une crise profonde dont il convient de bien cerner les causes afin de déterminer des solutions adaptées. Au cours des trente dernières années, dans toutes les vallées européennes, l'évolution des exploitations pastorales a suivi cinq tendances principales : avancement des structures et du capital ; spécialisation ; intensification de la production ; diminution de la main-d'œuvre ; recherche d'un revenu complémentaire.

Ces tendances furent le fruit d'une politique d'encouragement aux éleveurs de montagne à calquer les modèles uniques de développement agricole sans souci d'adaptation aux contraintes de l'environnement montagnard. C'est ainsi qu'en Pyrénées centrales, les éleveurs de montagne produisent, majoritairement, des animaux légers, non finis, à faible valeur ajoutée, selon un modèle de production intensif. Comment qualifier autrement la production d'animaux l'hiver en bergerie à l'aliment industriel, sans que ceux-ci n'aient jamais vu, ni brouté un brin d'herbe ? Toutefois, la responsabilité n'en incombe pas aux agriculteurs eux-mêmes, le pastoralisme pyrénéen n'ayant fait que suivre la tendance lourde de l'agriculture française.

Cette orientation a engendré des conséquences lourdes pour l'agriculture et les territoires pyrénéens : baisse du nombre d'exploitations, pertes importantes d'emplois ruraux, dégradation des conditions de vie et de travail de l'agriculteur, mauvaise prise en charge des fonctions autres que productives, en particulier pour le paysage, l'environnement et l'agriculture, désintérêt pour la transhumance et les estives.

Cela contribue à affaiblir le processus de gestion commun et durable du territoire pyrénéen par les éleveurs. Il s'ensuit soit un abandon, soit une gestion à court terme des ressources pastorales, compromettant par là leur propre pérennité et celle d'un paysage ouvert et accueillant.

De plus, le pastoralisme, tel qu'il est majoritairement pratiqué, ne répond plus aux attentes actuelles de la société. La demande sociale des Français envers l'agriculture et les agriculteurs est précisée par un sondage réalisé par l'IPSOS pour le ministère de l'agriculture en 2000. Les Français considèrent à 95 % que l'agriculture doit fournir des produits alimentaires de qualité ; à 93 % que l'agriculture doit maintenir la production des produits traditionnels du terroir ; à 90 % que l'agriculture doit préserver l'environnement, dont les espèces animales ; et à 85 % que l'agriculture doit entretenir le paysage et aménager les campagnes.

Selon nous, les vrais problèmes du pastoralisme sont donc l'absence de valorisation, la banalisation des produits qui accentue la concurrence de productions venues de territoires plus productifs et compétitifs que les zones de montagne ; une viabilité faible des exploitations, augmentant ainsi leur dépendance aux aides publiques dont la pérennité est incertaine.

Même si la lecture des comptes rendus des travaux de votre commission fait apparaître que vous n'avez pas étendu votre sujet à l'ours, nous avons bien noté sur votre convocation que vous souhaitiez aborder la question des relations pastoralisme-ours.

Tout d'abord, l'ours n'est en rien responsable de la crise que traverse le pastoralisme. Tout au plus, en est-il un révélateur. La démonstration n'est plus à faire que la cohabitation pastoralisme-ours est possible. Elle existe dans de nombreux pays du monde. Dans les Pyrénées depuis toujours, et dans les Pyrénées centrales à nouveau depuis 1996. Les éleveurs qui ont mis en œuvre des mesures d'accompagnement, notamment l'embauche de bergers et l'utilisation de chiens de protection, n'ont pas de problèmes de cohabitation avec l'ours.

Non seulement la cohabitation pastoralisme-ours est possible, mais nous prétendons qu'elle est bénéfique aux éleveurs comme aux autres acteurs des Pyrénées centrales. En effet, des mesures d'accompagnement ont permis d'accélérer l'évolution des pratiques et de laisser ouvert un pastoralisme durable intégrant mieux l'ensemble des enjeux. Ces mesures ont non seulement montré leur efficacité à résoudre les problèmes de cohabitation avec l'ours, mais contribuent, en plus, à résoudre des problèmes antérieurs à la réintroduction.

Pour exemple, l'étude que nous menons actuellement avec l'ACP, dont vous avez rencontré les responsables, auprès d'un échantillon significatif d'éleveurs ayant mis en place un ou des chiens de protection, montre d'ores et déjà que les chiens de protection réduisent de plus de 90 % des prédations, toutes causes confondues.

Chez les seuls éleveurs interrogés, le nombre de bêtes sauvées est trois fois supérieur au nombre total de dégâts liés à l'ours. Cette étude montre que plus de 700 brebis ont été sauvées en 2002 grâce aux chiens de protection alors que les ours ne sont responsables que de quatre-vingt-six pertes, y compris celles attribuées au bénéfice du doute. Nous vous laissons imaginer le gain pour le pastoralisme qu'impliquerait la généralisation des chiens de protection.

Un pastoralisme de qualité crée des emplois, produit de la qualité, préserve la vie en montagne, humaine et animale, entretient les paysages, accueille les visiteurs et cohabite sans difficulté avec l'ours. Non seulement la cohabitation est possible, non seulement elle est bénéfique, mais, en plus, elle est souhaitée par une très large majorité des Français comme des montagnards pyrénéens.

En effet, le sondage que nous avons commandé à l'IFOP avec WWF en ce début d'année, montre que les populations locales plébiscitent la présence de l'ours : 86 % considèrent que l'ours fait partie du patrimoine pyrénéen ; 79 % qu'il est valorisant pour l'image des Pyrénées ; 67 % des Français considèrent qu'il est un attrait touristique pour la région pyrénéenne. De même, 90 % des Pyrénéens estiment que bergers et patous sont efficaces pour assurer la cohabitation pastoralisme - ours.

Forte de ces expérimentations positives et du soutien de la population nationale comme pyrénéenne, l'ADET souhaite participer à tout projet de développement durable des Pyrénées centrales.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous vous remercions de la précision et de la concision de vos propos.

La parole est à M. Philippe Cazes.

M. Philippe CAZES : Je m'exprime au nom de l'association des accompagnateurs en montagne de l'Ariège, qui est une émanation du syndicat national et de la confédération des accompagnateurs des Pyrénées.

L'Ariège compte environ quatre-vingt-dix accompagnateurs qui sont quasiment tous adhérents à l'association et ont leur carte professionnelle délivrée par la Jeunesse et Sports. La plupart vivent dans les vallées, sont pluri-actifs. Ils apportent souvent leur expérience et leur dynamisme au sein d'associations ou sur des projets touristiques.

Notre association est l'émanation d'un syndicat et cherche donc à assurer la défense et la promotion de la profession. Nous le faisons par le biais de diverses actions, comme la « Journée nationale de la raquette à neige », que nous avons organisée cette année à Beille et à Massat. Les accompagnateurs participent aussi activement à de nombreux projets touchant la montagne, qui est leur lieu de travail.

Les exemples sont nombreux : nous nous sommes inscrits aux commissions de travail sur Natura 2000 ; nous participons aux travaux des commissions avec la préfecture et au conseil général ; nous travaillons avec l'ONF sur le projet « Retrouvances ». Nous collaborons avec les fédérations pastorales. Ainsi, nous sommes en train de mettre en place une signalétique sur les estives ; nous ferons des panneaux et une plaquette d'information que les accompagnateurs relayeront sur le terrain en direction des vacanciers et des randonneurs.

Nous travaillons aussi au développement d'un produit touristique avec l'Observatoire de la montagne à Orlu.

Ensuite, nous sommes associés à d'autres partenaires, comme la Chambre de commerce, le Comité départemental du tourisme, la Direction départementale de la Jeunesse et des Sports. Nous travaillons aussi avec l'ADET - l'Association pour le développement économique et touristique des Pyrénées centrales.

Je décris tout cela pour vous montrer combien nous nous intéressons beaucoup au devenir des Pyrénées. Nous sommes une association citoyenne, pleinement concernée par le devenir des Pyrénées

Notre réflexion et notre choix de vie nous portent naturellement vers le développement durable et, plus particulièrement, vers l'écotourisme. Nous menons une réflexion sur le sujet et c'est à ce titre que nous nous sentons concernés par la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées centrales.

Dans leur grande majorité, les membres de notre association sont favorables à la réintroduction de l'ours et à la poursuite de ce programme. Nous le disons calmement, sans excès, parce que nous sommes bien intégrés dans les vallées. Nous ne sommes fâchés avec personne et nous travaillons avec tout le monde.

Les Pyrénées furent de tout temps les montagnes de l'ours. C'est une formidable image et un symbole fort d'une montagne préservée où les habitants vivent avec la nature.

Néanmoins, l'acceptation de l'ours impose, il est vrai, un important effort d'adaptation, qui n'est pas facile à faire du jour au lendemain. En acceptant de partager leur territoire avec l'ours, les Pyrénéens prouvent qu'ils sont des gens responsables avec une grande force de caractère et cela valorise leur vie et leur travail.

Nous, accompagnateurs de l'Ariège, nous inscrivons dans cette idée et demandons simplement à l'Etat et à tous ceux qui décident et accompagnent la réintroduction de l'ours de réfléchir et d'aider de façon durable les gens des vallées et les utilisateurs de la montagne. Ce que nous souhaitons par-dessus tout, c'est participer avec tous les partenaires à ce projet dans le respect de tous.

Mme Henriette MARTINEZ : Si personne ne souhaite ajouter quelque chose, nous allons engager la discussion.

Vous considérez que l'ours est un atout de valorisation économique des Pyrénées sur le plan touristique et sur le plan de la production agricole locale. L'ours a été réintroduit sur votre territoire, me semble-t-il, monsieur Rigoni. Pouvez-vous nous dire comment cela s'est passé ?

M. André RIGONI : C'est une affaire qui remonte assez loin dans le temps puisque c'est en 1983 que le président Mitterrand s'était penché sur le problème de la disparition de l'ours dans les Pyrénées et avait chargé la ministre de l'environnement de l'époque, Mme Huguette Bouchardeau, de lui présenter un rapport sur le sujet. Celui-ci concluait que, pour éviter la disparition de l'ours, il fallait envisager une réintroduction, faute de quoi il était condamné à plus ou moins long terme.

Les différents ministres de l'environnement - car ce qui avait commencé avec Mme Bouchardeau s'est poursuivi avec M. Brice Lalonde, Mme Ségolène Royal, M. Michel Barnier, Mme Corinne Lepage, jusqu'à Mme Voynet, qui était là au moment où l'on a réintroduit les derniers ours - ont recherché un territoire d'accueil pour voir si des communes étaient susceptibles d'accueillir l'ours. Cela m'a été demandé et nous nous sommes portés candidats à cette réimplantation de l'ours, dès 1988-1989. Le conseil municipal de Melles a pris une délibération disant qu'il était prêt à tenter cette expérience.

C'était tout de même une tentative expérimentale parce qu'aucun grand prédateur n'avait été réimplanté en France ni même en Europe. Il fallait dont procéder prudemment. Beaucoup d'études préalables ont été réalisées. Puis, nous sommes arrivés au mois de juin 1993, date à laquelle nous avons signé une charte avec le ministre de l'environnement de l'époque qui prévoyait la réimplantation de trois ours.

Il y a une très forte médiatisation avant et après. Il y a eu de nombreuses concertations avec le mouvement agricole, les éleveurs - tout au moins dans mon secteur. J'étais président d'une association intercommunale qui regroupait quatre communes. J'ai donc consulté toutes les associations : chasseurs, pêcheurs, éleveurs. Aucun n'a fait d'opposition, puisque même les éleveurs de mon secteur ont signé une charte acceptant la réimplantation de l'ours, à condition qu'il y ait des indemnisations conséquentes.

Il y a eu beaucoup d'informations sur le sujet. Les gens qui ont voulu savoir que l'ours allait être réimplanté l'ont su. Ceux qui ont voulu faire la sourde oreille peuvent toujours rétorquer qu'ils n'ont pas été informés. Toujours est-il que soit par voie de presse écrite, de la télévision, soit par des démarches que nous avons entreprises nous-mêmes, tout le monde a été bien informé. Et nous n'avons pas eu d'opposition majeure.

Les éleveurs, au premier chef concernés, ont tous signé dans mes communes, les groupements pastoraux, l'acceptation de la tentative de réimplantation de l'ours. Les chasseurs l'ont signée également. Il y a donc eu concertation et consensus pour que l'on puisse procéder à ce retour de l'ours.

Mme Henriette MARTINEZ : Cette concertation et ce consensus furent toutefois limités à un plan local. Vous pouviez imaginer que l'ours ne resterait pas forcément à l'endroit où on allait le lâcher.

M. André RIGONI : A l'époque, madame, nous avions surtout une culture livresque sur le comportement des ours. Nous avions pour exemple ce qui s'était passé aux Etats-Unis où les ours étaient restés dans le secteur ; la zone d'errance pour les femelles était d'une dizaine de kilomètres et pour les mâles un peu plus ; nous savions qu'ils restaient pendant une semaine ou quinze jours sur le site du lâcher. Il s'est avéré que tout cela était exact.

Puis, peu à peu, les ours ont eu une zone d'errance très importante. L'équipe de suivi pourrait mieux vous parler que moi de leur comportement spatial mais ils sont revenus sur le site où nous les avons lâchés. A quelques dizaines de kilomètres près, ils ne sont pas très loin. Il y a des ours dans le Val d'Aran sur ma commune, il y en a sur le Luchonais. Tout cela est très proche. Un est allé se promener dans les Pyrénées-Atlantiques.

Je ne sais si je peux faire état d'une réunion que nous avons eue avec M. Lassalle, au cours de laquelle un film a été projeté qui a donné lieu à un débat. Il a pu constater qu'il y avait un consensus et pas d'opposition majeure.

M. François ARCANGELI : Je précise que la concertation n'a pas été que locale. Les plus informés sont certainement les membres de la DIREN. Ils pourront vous fournir la liste de toutes les réunions qui ont eu lieu sur le sujet. Il y en a eu localement, mais aussi dans les départements voisins, y compris ici, en Ariège. On peut toujours penser qu'il n'y en a pas eu assez, sans doute, mais il y a eu concertations.

Mme Henriette MARTINEZ : Avec le recul, pensez-vous que vous avez eu raison d'accepter cette réintroduction ? Si c'était à refaire, le referiez-vous ?

M. André RIGONI : Oui, madame. Je m'en félicite parce que, comme le disait M. Arcangeli, l'ours n'est pas le malheur du berger. Si l'image de l'ours était bien utilisée, je pense que nous pourrions assurer un développement économique, et même un élevage très important. Si son image était mise en valeur, je persiste à croire que nous pourrions en tirer de grands profits sur notre secteur. Ils ne donnent pas de nos Pyrénées une image négative, bien au contraire.

Mme Henriette MARTINEZ : Comment expliquez-vous que les éleveurs, pour certains, ne se soient pas habitués à l'ours et continuent à en faire, non pas un atout mais un drame, la cause de tous leurs malheurs, la cause potentielle de la disparition de l'élevage et du pastoralisme ?

M. François ARCANGELI : Le monde pastoral, nous l'avons dit, connaît une crise structurelle. Pour bon nombre d'éleveurs, c'est une contrainte supplémentaire. En tout cas, c'est ainsi qu'ils la vivent.

Ce que nous disons, et ce que nous avons essayé d'expérimenter avec l'éleveur, c'est, en essayant de travailler sur cette contrainte nouvelle, de régler toute une série d'autres problèmes.

Je vais vous raconter comment, à Arbas, nous sommes venus à l'ADET.

En 1996, quand les deux ours ont été lâchés, nous n'y étions pas. Nous suivions l'opération avec curiosité et intérêt. Puis, Melba, l'ourse qui a été tuée par la suite est venue sur l'estive au-dessus d'Arbas. Naturellement, nous avons rencontré les gens de l'ADET de l'époque ainsi que l'équipe de suivi. Puis, au mois d'août, vraiment très peu de temps après le lâcher, le groupement pastoral s'est réuni à Arbas et leur position était la suivante : « Nous, l'ours, nous ne sommes ni pour ni contre, mais on nous dit qu'il y a des actions, des expérimentations, des chiens de protection... essayons, et nous verrons. » Ils nous ont dit d'entrer dans l'association pour expérimenter. Nous avons travaillé avec eux et cette estive est une estive comme il en existe encore beaucoup dans les Pyrénées : elle fonctionne un peu avec les moyens du bord, sans berger, sans chien de protection, connaissant chaque année d'importants dégâts dus notamment aux chiens errants - une cinquantaine. Aujourd'hui, ils connaissent un ou deux dégâts. Comme ils disent : « L'ours peut venir nous prendre une ou deux brebis, le différentiel est largement positif. »

Tous les éleveurs qui ont accepté de mettre en place ces actions nous disent que c'est positif.

Alors, restent les autres qui, pour des raisons qui sont les leurs, n'acceptent pas de mettre en place ces actions de protection parce qu'accepter de le faire, c'est déjà un peu accepter l'ours. C'est donc une contrainte de plus et quand l'ours, qui est opportuniste, débarque sur une estive où il n'y a pas de berger, pas de chien de protection, il fait de la prédation.

Mme Henriette MARTINEZ : Certains éleveurs nous disent que les chiens patous ne sont pas adaptés au type de pastoralisme ni à la géographie de vos montagnes. Qu'en pensez-vous ?

M. François ARCANGELI : Je ne suis pas éleveur. Je vous dis ce que nous disent ceux qui ont des chiens de protection ; le taux de réussite est exceptionnel. Cela fonctionne ici, dans le Béarn, partout dans le monde. Il y a des pays où il existe bien plus de prédateurs que notre pauvre petite dizaine d'ours installés dans les Pyrénées centrales !

Pourquoi des éleveurs disent-ils cela ? Je n'en sais rien. L'ont-ils seulement essayé ?

Mme Henriette MARTINEZ : Que pensez-vous de la progression démographique de l'ours ? Jusqu'où peut-on le laisser progresser ? Jusqu'où sera-t-il supportable pour les éleveurs et le pastoralisme ?

M. François ARCANGELI : Sur cette question, il n'y a pas de quantité théorique. Chacun aura son avis.

La position de l'ADET consiste à agir très progressivement. Au lâcher des trois premiers ours, j'ai eu le sentiment qu'il fallait temporiser. C'est pourquoi, depuis, nous n'avons pas sollicité la poursuite de l'opération, estimant qu'il fallait aussi laisser le temps aux éleveurs de mener leur action et d'en analyser les résultats. Il est vrai qu'en 1996, quand les éleveurs m'ont dit cela, je me demandais moi-même si cela allait marcher. Il fallait essayer et, finalement, les éleveurs nous disent en être satisfaits.

Par contre, il est sûr que sans nouvelle réintroduction, la population actuelle est vouée à disparaître. Aujourd'hui, deux femelles sont installées dans les Pyrénées centrales, sauf peut-être la dernière portée dont on ignore le sexe des oursons. On sait que sans nouvelle réintroduction, la population retombera doucement, après une petite hausse. La problématique dans le Haut-Béarn est la même puisqu'il n'y a qu'une seule femelle.

Mme Henriette MARTINEZ : Y a-t-il du braconnage aujourd'hui ?

M. François ARCANGELI : Non. Il n'y a pas de rumeur de ce type.

Mme Henriette MARTINEZ : Qu'en est-il, selon vous, du danger que peut représenter l'ours pour les randonneurs ?

M. François ARCANGELI : Là encore, il n'y a aucun cas d'accident.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous-même, pensez-vous qu'il peut être dangereux ?

M. François ARCANGELI : Cela, il faut le demander à un scientifique, je ne suis pas un expert en ours. Un groupe de randonneurs en montagne fait quand même pas mal de bruit. L'ours est un animal qui entend très bien. Il entend une conversation à 400 mètres. Souvent, il se déplace. Un groupe n'a aucune crainte à avoir des ours.

Mme Henriette MARTINEZ : On nous dit que l'ourse Melba a été tuée parce qu'elle s'est trouvée sur la route d'un chasseur avec ses oursons et que cela a été quasiment un acte de légitime défense.

M. François ARCANGELI : Je ne connais pas précisément le contexte.

M. André RIGONI : J'ai soixante-douze ans. Mon enfance a été bercée par les histoires de mon grand-père. Je suis originaire d'une vallée à proximité du site de lâcher et je n'ai jamais entendu raconter que l'ours ait jamais agressé des êtres humains. L'ours est un animal dangereux mais n'est pas un animal agressif. Il est comme toute bête sauvage en montagne ; une vipère, un aspic, si vous mettez la main dessus, un sanglier - il y a eu un mort il n'y a pas très longtemps dans mon secteur agressé par un sanglier - mais on n'a jamais eu d'histoire similaire avec les ours.

J'ai participé à la capture des ours en Slovénie et dans une zone où vivent 300 ours sur une centaine de milliers d'hectares. Il y a du pastoralisme. Je me suis renseigné pour savoir s'il y avait eu des agressions. En cinquante ans, il y a eu deux agressions d'ours à l'égard d'êtres humains : l'un était le cadavre d'une vieille dame trouvée morte, mais était-elle morte de maladie avant. L'autre était un vieux monsieur parti à la cueillette aux champignons qui s'est trouvé entre une femelle et ses oursons. Il a été agressé par l'ourse qui lui a déchiré une partie de la joue d'un coup de griffe et est partie.

Quant au chasseur qui a tué Melba, j'ai participé à la reconstitution : ce chasseur a vu arriver cette femelle avec ses deux oursons, à quarante mètres, en bordure d'un petit sentier. Il s'est mis à gesticuler, crier. La femelle est partie dans un sens, les oursons dans l'autre. Elle s'est retournée, n'a plus vu ses oursons, n'a vu que le chasseur. J'avais soixante-six ans à l'époque, le chasseur était au pied d'un arbre sur lequel j'étais en quatre secondes à quatre mètres de haut. Il a vu remonter la femelle dans un bois, elle venait dans sa direction. Il avait un fusil dans les mains. Il aurait pu tirer en l'air, il aurait pu grimper à l'arbre.

S'il n'avait pas eu de fusil entre les mains, il n'y aurait pas eu de dégâts, ni du côté du chasseur ni du côté de la femelle. C'est ma conviction profonde et c'est celle de tous les gens qui ont participé à la reconstitution.

Mme Henriette MARTINEZ : Un point avant de laisser la parole à mes collègues. Monsieur Arcangeli, vous avez dit tout à l'heure lors de votre exposé introductif que notre commission d'enquête n'avait pas vocation à enquêter sur l'ours. Or, elle a, dans son intitulé, clairement le but d'enquêter sur le loup, l'ours et le lynx. Cela a été établi dès la première réunion de notre commission.

Vous avez également dit que vous aviez lu le compte rendu de nos travaux. Cela m'a fort étonnée...

M. François ARCANGELI : Nous l'avons vu sur Internet ce qui est la séance publique lors de la constitution de la commission...

Mme Henriette MARTINEZ : La résolution créant la commission d'enquête ?

M. François ARCANGELI : Et la première réunion que vous aviez faite.

Mme Henriette MARTINEZ : Mais ensuite, nos travaux étant confidentiels, vos propos m'avaient étonnée. Mais naturellement vous en prendrez connaissance bientôt, lorsque le rapport sera publié.

La parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin BONREPAUX : Tout d'abord, dans votre convention que vous avez signée avec l'Etat en 1993 ou 1994, selon l'article 4, l'Etat s'engage à capturer les ours à la seule demande de l'une des communes. Pourquoi aviez-vous exigé la présence de cet article ?

Question subsidiaire : pourquoi pensez-vous que les autres communes n'auraient pas le même droit que vous ?

M. André RIGONI : Tout simplement, parce que c'était une expérience que nous voulions bien tenter, mais nous ne savions pas comment elle allait aboutir. Il est évident que si les ours, au moment où nous les avons lâchés, avaient été extrêmement agressifs, et, selon ce fameux article, « avaient causé des préjudices au pastoralisme et à la faune sauvage présente dans le secteur », si les ours avaient dévoré tous les isards du secteur, agressé tous les touristes, causé des dégâts insupportables au pastoralisme, il était bien évident qu'il fallait arrêter cette expérience immédiatement.

C'est la raison pour laquelle nous avions exigé du ministère de l'environnement d'avoir cette garantie.

Pourquoi ne pas l'étendre aux autres communes ? Parce que ma compétence se limitait aux quatre communes cosignataires.

M. Augustin BONREPAUX : Je comprends tout à fait mais votre souci de démocratie devrait prendre en compte l'hypothèse où d'autres communes pourraient subir ces dégâts - j'ai ici la liste des prédations que je transmettrai à la commission et vous verrez qu'elles se déroulent toutes sur deux cantons en Haute-Ariège.

Deuxième question, votre convention avec l'Etat existe-t-elle toujours ? Pourriez-vous nous dire quel est le budget de votre association ou le compte administratif de l'année dernière et le budget de cette année ?

M. François ARCANGELI : Nous pouvons vous les communiquer.

M. Augustin BONREPAUX : Monsieur Arcangeli, j'ai déjà eu l'occasion de vous auditionner il y a quelques années. Vous m'aviez alors expliqué que vous aviez un projet de parc à ours qui fédérait toute la population. Où en êtes-vous de ce projet ? Avez-vous abandonné ?

M. François ARCANGELI : Un syndicat de communes s'était créé à l'époque pour mener le projet, de l'ordre d'une centaine de communes du Comminges. Aujourd'hui, nous sommes dans l'attente de la création du Pays de Comminges. Ensuite, nous verrons si les élus ou les communes qui, à cette époque, avaient adhéré et qui ont peut-être changé depuis puisque les élections municipales ont eu lieu, sont toujours partantes pour ce projet.

M. Augustin BONREPAUX : Sur les quatre communes de départ, combien avez-vous d'éleveurs, d'associations pastorales ?

M. André RIGONI : Il existe un groupement pastoral par commune et il doit y avoir au moins cinq à six éleveurs par commune. Je n'ai pas le chiffre exact.

M. Augustin BONREPAUX : Vous avez un groupement intercommunal ?

M. François ARCANGELI : Sur Arbas ?

M. Augustin BONREPAUX : Non, sur l'ensemble des communes.

M. François ARCANGELI : Il y a plusieurs groupements. Sur Arbas, il y a effectivement un groupement pastoral intercommunal.

M. André RIGONI : Il y a deux comités de communes sur le territoire des communes membres, puisqu'il y a des communes situées sur le canton de Saint-Béa et une commune du canton de Saint-Béa. Et les communes sur le canton d'Aspe font partie de la communauté de communes des Trois vallées.

M. Augustin BONREPAUX : Cette année, sur votre territoire, combien avez-vous eu de prédations ?

M. André RIGONI : A ma connaissance - je ne suis pas au courant de toutes les prédations - sur ma commune, il y en a eu une ou deux, qui ont été indemnisées. Mais ce sont des troupeaux qui sont gardés avec des chiens patous.

M. Augustin BONREPAUX : Je voudrais poser une question à M. le représentant de l'Office de tourisme de Massat que nous n'avons pas encore entendu. Combien y a-t-il eu de prédations dans le canton de Massat ?

M. Camille COUTANCEAU : Je n'ai pas entendu parler de prédations.

M. Augustin BONREPAUX : Moi non plus.

J'ai également oublié de vous demander si les ours viennent près des villages de Melles ou d'Arbas ?

M. André RIGONI : C'est arrivé. Ils sont passés très près, de nuit, des habitations.

M. François ARCANGELI : C'est arrivé sur Arbas il y a quelques années, une prédation sur une ruche. Assez curieusement, la population était plus flattée qu'inquiète de ce passage. Peut-être une différence culturelle.

Je voudrais vous donner une petite précision : l'absence de prédation ne signifie pas forcément qu'il n'y ait pas d'ours. Cela veut aussi dire, parfois, mais pas forcément, qu'un travail a été fait avec les éleveurs, car ces actions fonctionnent.

M. Augustin BONREPAUX : J'en viens à ma question. Le travail des éleveurs, n'est pas indemnisé en l'absence de prédation. Comment pourrait-on l'indemniser ?

M. François ARCANGELI : Je laisserai Alain Reynes répondre plus précisément sur ce point mais je peux dire toutefois que nous préférons travailler à la prévention - donc, aux aides qu'apporte l'Etat aux groupements pastoraux...

M. Augustin BONREPAUX : Reconnaissez que cela impose un travail supplémentaire à l'éleveur.

M. François ARCANGELI : C'est vrai mais il y a des financements d'Etat. 

M. Augustin BONREPAUX : Lesquels ?

M. François ARCANGELI : Des aides au complément pour le gardiennage, pour les chiens de protection...

M. Augustin BONREPAUX : Cela compense les chiens de protection, le coût du gardiennage, mais le travail...

M. François ARCANGELI : Le coût du gardiennage, c'est le prix du travail pour le faire.

M. Augustin BONREPAUX : Et on finance des bergers partout ?

M. François ARCANGELI : Je n'ai pas connaissance de demande de mouvements pastoraux qui aient demandé des financements pour monter des opérations de ce type qui aient été refusés.

M. Augustin BONREPAUX : Le berger est financé en totalité ?

M. François ARCANGELI : Je ne crois pas.

M. Augustin BONREPAUX : Et quand l'éleveur garde son troupeau, quelle est l'indemnisation ?

M.Alain REYNES : C'est prévu dans les mesures. Il existe des aides pour l'éleveur qui garde directement...

M. Augustin BONREPAUX : De quel montant ?

M.Alain REYNES : Je n'ai pas le détail mais je pense que c'est assez facilement accessible.

M. Philippe CAZES : Je ne suis pas éleveur mais mon frère est éleveur de moutons. Il travaille sur Barlonguère. Vous connaissez le massif. C'est une montagne très rude. Les moutons passent très souvent en Espagne. Il a quatre cents bêtes et, cette année, avec un berger et des chiens patous, il a perdu quatre moutons.

La première récompense de ce labeur supplémentaire, qui est réél, est d'avoir très peu de pertes. Au lieu des trente moutons qu'il perdait par an, il n'en a perdu que quatre. C'est le premier salaire de ce labeur supplémentaire. Actuellement, les éleveurs sont aidés, et c'est normal, mais quand ils peuvent recevoir directement de leur travail un bonus... Là, ils ne sont pas subventionnés mais, grâce à leur travail, ils gagnent de l'argent et c'est très bien ainsi.

M. Augustin BONREPAUX : Le berger garde combien de bêtes ?

M. Philippe CAZES : Sur le Barlonguère, il y a deux bergers, trois patous et à peu près deux mille moutons.

M. François ARCANGELI : Quand nous travaillons avec les éleveurs, par exemple, sur l'opération de « Broutard du Pays de l'Ours », c'est aussi une manière de leur permettre de valoriser leur production. C'est aussi là-dessus qu'il faut travailler parce que si l'on veut s'inscrire dans une action durable, il ne suffit pas d'aller solliciter les financements pour compenser un surcroît de travail ; il faut essayer de faire revenir les éleveurs qui le souhaitent sur un autre type de production où ils soient mieux payés de leur travail. Hier, je regardais la publicité où l'on vend le mouton de manière tout à fait banale, je ne sais même pas d'où il vient, à 30 francs le kilogramme. C'est cela le drame du pastoralisme. Si nous arrivons à travailler avec eux en mettant, sur une charte de qualité, qui soit valorisée auprès de consommateurs qui le demandent, en plus, et qu'au lieu de le vendre 30 ou 38 francs, ils le vendent 75 francs, ils vont mieux vivre et pourront payer les bergers.

M. Augustin BONREPAUX : Vous savez comment se vend l'Agneau du Pays Cathare ? C'est aussi un label !

M. François ARCANGELI : Oui, mais il y en a trop peu. Combien d'éleveurs en Pyrénées centrales vendent l'agneau au sortir de leur bergerie à la fin du printemps ?

M. Augustin BONREPAUX : Il y en a quelques-uns.

M. François ARCANGELI : Oui, mais beaucoup trop peu.

C'est bien parce qu'ils vendent ces agneaux à la fin du printemps et qu'ils envoient les mères en estive qu'ils n'ont pas besoin d'investir sur les estives. La valorisation ne se fait pas là-haut mais en bas.

M. Augustin BONREPAUX : Si je comprends bien, vous estimez que les moyens actuels sont suffisants.

M. André RIGONI : Si on peut leur accorder des moyens supplémentaires, cela ne peut qu'être mieux.

M. Augustin BONREPAUX : Grosso modo, c'est ce qui ressort de vos propos.

M.Alain REYNES : Je ne crois pas. Ce que nous vous disons depuis tout à l'heure, c'est que les expérimentations sont faites et sont probantes. Tout cela demande d'être, d'une part, généralisé - nous parlions de bergers, de chiens de protection, il n'y en a pas partout ; d'autre part, des opérations comme celle de la valorisation du broutard. Ce sont des opérations pilotes que nous avons lancées mais, bien entendu, avec les moyens actuels, nous n'en faisons pas assez pour parvenir à l'objectif que s'était fixé initialement l'ADET, à savoir, en même temps que la restauration d'un patrimoine naturel le développement du territoire pour tous les acteurs, y compris les éleveurs.

Cela étant dit, les expérimentations et les démonstrations sont faites. Il nous semble donc que la question ne se pose plus de savoir si c'est possible mais de le généraliser. Nous serions les premiers à nous associer à des demandes d'augmentation des moyens, des budgets, des personnels et autres, pour poursuivre ces efforts et continuer, dans le sens du développement durable, à intégrer l'ensemble des enjeux du territoire, qu'ils soient environnementaux, économiques ou socioculturels.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous semble-t-il que l'ours slovène qui a été réintroduit - et j'ai noté, monsieur Rigoni, que vous vous étiez rendu en Slovénie pour participer à la capture des ours - est le même que celui qui habitait autrefois les Pyrénées, qu'il est adapté et pourrait, éventuellement, cohabiter avec les ours autochtones ?

M. François ARCANGELI : Ce sont des ours similaires. Nombre d'études ont été réalisées sur son comportement. Ce que nous savons, c'est qu'il a réinvesti les mêmes espaces qu'occupaient en Pyrénées Centrales les ours des Pyrénées avant qu'ils ne disparaissent. Les prédations sont les mêmes.

A la différence d'un pastoralisme structuré, comme on peut le rencontrer dans le Haut-Béarn ou d'autres pastoralismes qui le sont moins, il y a plus de dégâts. Mais cela ne vient pas de l'ours, cela vient du type de pastoralisme.

Mme Henriette MARTINEZ : Biologiquement, morphologiquement, c'est le même ?

M. André RIGONI : Génétiquement, il est très proche.

Mme Henriette MARTINEZ : Nous avons entendu dire qu'il était très différent morphologiquement, plus gros, qu'il vivait de façon différente, qu'il se reproduisait même en ayant des portées plus nombreuses et qu'il menaçait l'ours endémique là où il le rencontrait parce qu'il s'imposait par sa supériorité physique.

M.Alain REYNES : Sur ce point, il faut consulter la littérature et la culture orale aussi. M. Lassalle verra très bien à quoi je fais référence si je parle de l'ours Dominique qui fut tué en vallée d'Ossau aux environs de 1860 par un dénommé Lousteau. Cet ours pesait 350 kilogrammes. Il était bien pyrénéen.

Il y a même, mais je n'y accorde pas grand crédit, deux références dans la littérature qui parlent d'ours de huit quintaux. Même si les quintaux n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui, mais de moitié, cela faisait quand même des ours de quatre cents kilos.

Les ours slovènes... Pyros, par exemple, lorsqu'il a été pesé faisait 325 kilos. Il est avéré biologiquement, d'après toute la littérature nationale et internationale, que c'est tout à fait dans le standard des ours brun européens. Si Papillon, le plus gros des Pyrénées, est estimé à 200 kilos, on ne peut pas considérer que sur quatre ou cinq individus qui restent, ce soit nécessairement représentatif. Donc, de ce point de vue, les ours slovènes, qui ont été choisis dans une lignée d'ours - c'était précisément un des critères - proche des ours des Pyrénées ne présentent pas de différences morphologiques notoires ni de supériorité de quelque nature que ce soit, qui soit démontrée.

Ces propos nous les avons entendus comme vous mais nous constatons que cela ne repose sur aucun fondement ni information précise.

Mme Henriette MARTINEZ : Vous vous inscrivez en faux ?

M.Alain REYNES : Absolument.

M. Philippe CAZES : Cela tient de l'anecdote mais une personne qui avait fait des études génétiques sur les ours disait qu'il y avait autant de différences entre l'ours des Pyrénées et l'ours slovène qu'entre un Basque et un Haut-Béarnais.

M. Joël GIRAUD : Attention, il va y avoir des phénomènes de prédation humaine, là !

Mme Henriette MARTINEZ : La parole est à M. Joël Giraud.

(M. Jean Lassalle remplace Mme Martinez à la présidence)

M. Joël GIRAUD : La plupart de mes questions concernaient ces problématiques de compatibilité entre les ours. Elles ont été largement posées.

On voit à l'issue de ces auditions qu'il y a ici un débat assez manichéen. Des gens sont entrés dans une logique de rupture et de refus complet de l'ours dans les Pyrénées ; c'est souvent lié au fait que ces ours ont été réintroduits alors que s'il s'était agi d'améliorer les milieux de façon à ce que l'ours indigène puisse se développer, cela ne se serait pas produit de la même façon. Je voudrais connaître votre sentiment sur cette position.

Je souhaiterais également vous demander si vous aviez fait un peu de prosélytisme, comme nous avons pu le voir quand nous nous sommes rendus dans le Parc national du Gran Sasso qui est au bord des Abruzzes où nous avons pu constater la présence de deux cents ours marisquins et d'une soixantaine de loups dans un parc national qui est plus petit que le Parc national du Queyras, sans que l'on puisse constater la moindre réaction d'hostilité, y compris de la part des éleveurs, sachant que l'élevage est conçu de manière différente en Italie. Tout cela était plutôt conçu comme des plus-values puisque le revenu moyen d'un éleveur ovin dans les Abruzzes est de 51 000 euros par an contre 8 000 euros par an dans notre massif alpin. Mais il y a plus de transformations en Italie et l'on fait feu de tout bois puisque l'on vend même des portées de chiens de protection.

Avez-vous tenté de montrer ces exemples étrangers dans votre secteur ?

D'une manière générale, j'aimerais savoir ce qu'il convient de faire maintenant. Nous sommes dans une situation où la population des ours va non seulement stagner, mais diminuer définitivement si rien n'est fait. Quel est votre sentiment ? Faut-il continuer à réintroduire au compte-gouttes - cela a été fait de temps en temps - un mâle, une femelle ? Ou faut-il passer à la vitesse supérieure et quelles seraient alors les réactions des populations et des éleveurs dont une partie est tout de même hostile à cette présence ?

M. François ARCANGELI : Sur la poursuite des opérations, la situation est claire. Si de nouveaux ours ne sont pas relâchés, les ours disparaîtront. A partir de là,...A quel rythme ? Nous n'avons jamais été partisans de la manière forte et de lâcher d'un coup des dizaines d'ours. Cela n'aurait pas de sens.

Donc, effectivement, nous sollicitons la poursuite de l'opération par le lâcher progressif d'ours afin que la population puisse se reconstituer tout en permettant l'évolution douce des pratiques et des mentalités. En quelques années, les choses ont évolué, y compris chez les éleveurs, mais pas seulement, y compris dans d'autres milieux. Cela avance. Les mentalités ne peuvent pas, du jour au lendemain, passer d'une position à une autre.

On voit aussi des éleveurs à qui l'on disait il y a cinquante ans qu'il fallait détruire l'ours ; aujourd'hui, on leur dit qu'il faut le réintroduire. Il faut donner du temps pour que les choses se passent bien et, sur le terrain, les choses se passent de mieux en mieux.

M. Jean LASSALLE : La parole est à M. André Chassaigne.

M.  André CHASSAIGNE : Je ne reviendrai pas sur les arguments qui ont été développés sur la valorisation et la production en termes de filière courte, le Broutard du Pays de l'ours. Mais il pourrait être intéressant de connaître l'éclairage touristique. La présence de l'ours a-t-elle créé un attrait pour vos régions, en termes d'accueil mais aussi de découverte de l'environnement ?

Deuxièmement, en termes d'évolution de la matière grise, de la conscience des gens vers le développement local, cela a-t-il apporté un plus ? Le fait même que vous existiez en tant qu'association montre qu'une forme de citoyenneté s'est développée. Se serait-elle développée de la même façon sans cette réintroduction ?

M. François ARCANGELI : Nous vous avons apporté une revue de presse qui répondra en partie à votre première question sur l'impact touristique. Vous verrez qu'un certain nombre d'actions ont été engagées.

M. André RIGONI : Une médiatisation n'est jamais négative de ce point de vue.

M. François ARCANGELI : Nous avons également un document à vous laisser. Ce qui m'a beaucoup surpris sur ma commune, c'est la réaction des gens qui prennent conscience à un certain moment de la valeur patrimoniale de leur territoire. De gens qui, peut-être, ne se rendaient plus tout à fait compte de la qualité de leur territoire et qui, à un moment, retrouvent une certaine fierté. Il y a le phénomène « on parle de nous à la télé ».

M. Philippe CAZES : Sur l'impact touristique, au début, il y a eu une communication par l'ADET avec le WWF, mais elle était très générale. Donc, les vacanciers qui venaient en Ariège savaient parfois que des ours avaient été relâchés dans les Pyrénées mais pas forcément qu'ils avaient été relâchés chez nous. Puis, progressivement, cela s'est su et il est vrai que lors des randonnées, on passe facilement la randonnée à parler de l'ours parce que cela intéresse. Il y a un questionnement, un attrait. Le milieu est valorisé instantanément.

Cet hiver, il est tombé beaucoup de neige et nous avons fait de nombreuses randonnées à raquettes. Les questions fusaient : que font les ours en hiver ? Où dorment-ils ? C'est vrai qu'avec l'ours, les gens sont accrochés tout de suite.

M. André CHASSAIGNE : Et cela ne fait pas peur à d'autres ?

M. Philippe CAZES : Je n'ai jamais rencontré de randonneur disant qu'il ne partait plus en montagne à cause de l'ours. Mais il est vrai que pour l'instant, nous avons peu exploité cet aspect.

Nous nous sommes surtout positionnés pour la réintroduction et la continuité du projet mais, pécuniairement, nous en avons très peu de retombées.

Les gens sont intéressés. Nous allons essayer de passer à la vitesse supérieure. Nous sommes en train de travailler sur des journées de randonnée au pays de l'ours, avec un contenu pédagogique très pointu. Nous ferons une formation sur la grande faune des Pyrénées en général mais, bien sûr, nous parlerons également de l'ours. Nous bénéficierons de l'apport de scientifiques et de pédagogues de très haut niveau et nous ferons une journée « randonnée au pays de l'ours » qui sera très complète et intéressante.

Chez nous, sur le Castillonet, en collaboration avec l'ONF, nous allons créer -artificiellement, bien sûr - une tanière d'ours perdue dans la montagne et durant cette balade, nous visiterons la tanière. Il y aura les griffades, les branches cassées... nous reconstituerons la tanière d'un ours parce que, depuis que nous avons l'équipe de suivi, nous savons qu'une tanière d'ours, c'est vraiment intéressant.

Nous allons apprendre, nous former. Tous les accompagnateurs de l'Ariège vont suivre cette formation pour faire vivre cette journée, cette découverte du milieu pyrénéen et de la montagne de l'ours. Tous les collègues, quels qu'ils soient, sur le pays d'Aulme, d'Ax-les-Thermes, le Couserans, feront des sorties de ce type. Je pense que cela va très bien marcher. Il y a une telle demande au niveau des familles que cela devrait bien marcher.

Ensuite, il est vrai que durant la journée nous parlerons de l'ours. Nous ferons pareil sur d'autres animaux, sur les grands rapaces, par exemple, puisque nous avons la chance d'avoir des gypaètes barbus, etc. Nous ferons la même chose sur l'isard. Nous ne nous limiterons pas à l'ours mais ce sera malgré tout notre produit phare, d'accroche.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, nous aurons des retombées financières palpables. Les accompagnateurs sont souvent pluri-actifs, mais il n'est pas toujours facile de vivre de son métier en montagne et je pense que c'est un plus.

M. Camille COUTANCEAU : En tant qu'aubergiste du réseau de pays de l'ours, je fais partie de l'association en tant qu'adhérent à la charte de qualité ; cela a été quelque chose de bien dans la mesure où nous nous sommes mis en réseau, cela nous a permis de nous rencontrer, de monter des produits, tels que l'accompagnement en raquettes. On parle maintenant de faire une sortie « brame du cerf » avec la randonnée et l'hébergement.

C'est sympa de pouvoir se retrouver, chacun avec ses difficultés, et essayer de pouvoir s'aider. Car il n'est pas facile pour tout le monde de vivre en montagne. Pour vivre en montagne, il faut s'accrocher, être opportuniste. L'ours est un atout supplémentaire pour notre région.

Je ne veux pas jeter la pierre aux éleveurs. Ce sont mes amis, je suis issu de ce milieu. Je comprends leurs difficultés mais elles ne sont pas uniquement liées à l'ours.

Vivre en montagne, c'est se battre, s'accrocher. C'est un plus pour nous, un moyen de mettre en valeur les Pyrénées, se reposer sur le côté naturel, la beauté, la force et la qualité. L'ours éveille la curiosité. C'est un attrait nouveau. Il incitera peut-être les randonneurs à prendre des accompagnateurs en montagne ! Et à laisser moins de déchets sur les chemins.

Personnellement, je peux commencer à quantifier quelques retours par rapport à cette brochure réalisée par l'ADET. J'ai des séjours mais ce n'est pas énorme. On ne peut pas dire que je base uniquement ma réputation sur l'ours. C'est surtout sur le travail qui est fait derrière les fourneaux et au quotidien. Mais c'est un plus.

M.Alain REYNES : Le projet de l'ADET est bien un projet de développement local durable. En ce sens, nous avons beaucoup travaillé à la mise en réseau de professionnels sur les différentes activités, aubergiste, accompagnateur en montagne, centre équestre, apiculteur, producteur du terroir, artisan d'art. Nous avons travaillé dans chaque secteur d'activité sur une charte de qualité qui concerne autant leur activité en propre que sur le respect de l'environnement, en misant sur l'ours pour la valorisation de leur activité.

Des éléments sont importants : d'une part, la qualité des prestations et des productions ; d'autre part, c'est là que l'aspect développement est important, c'est de travailler ensemble, en réseau. C'est pour cela que nous insistons beaucoup sur l'existence d'un réseau des professionnels du pays de l'ours.

Quand, par exemple, Philippe Cazes travaillait récemment, en tant qu'accompagnateur, avec Camille Coutanceau sur l'organisation d'un séjour qui se déroulait chez Camille avec Philippe sur des journées à thématique nature, c'est une conséquence de la création de ce réseau de professionnels qui s'est constitué autour d'un thème mobilisateur et fédérateur qui est celui de la présence de l'ours et du patrimoine pyrénéen symbolisé à travers l'ours, mais au-delà, ce sont des gens qui se rencontrent et qui travaillent ensemble.

Un élément fort de la démarche a été la création pour la première fois l'année dernière du festival « Automnales du Pays de l'Ours » où l'ensemble des professionnels de ce réseau ont travaillé ensemble, organisant trois week-ends d'animation, un en Ariège, un en Haute-Garonne, un dans les Pyrénées sur la thématique du Pays de l'Ours, patrimoine naturel, culturel, valorisation de l'environnement naturel.

Avec de petits moyens, nous arrivons malgré tout à organiser un festival en nous appuyant sur un réseau de personnes mobilisées. Environ cinq mille personnes ont fréquenté ces trois week-ends, en cumulé. Pour une première édition, c'est le signe d'un réseau de personnes qui travaillent ensemble, qui ne le faisaient pas avant, et qui, sur des réalisations communes, rencontrent un certain succès.

D'ailleurs, les Automnales du Pays de l'Ours seront à nouveau mises en œuvre cet automne à la demande de professionnels et de certaines municipalités.

M. Jean LASSALLE : Je voudrais revenir sur certains aspects, même si nous connaissons la problématique, mais il nous faut rendre un travail dans quelques semaines.

Je veux essayer de voir comment on peut sortir d'une affaire comme celle-là. Nous nous sommes rendus dans les Alpes, nous nous sommes entretenus avec les éleveurs de l'Ariège. Une partie d'entre eux, dont des jeunes, qui n'étaient pas forcément originaires d'ici, disait que la présence de l'ours et de leur activité, telle qu'ils la pratiquaient, n'étaient pas compatibles. Comment pensez-vous que l'on puisse faire évoluer cette situation ? Le mal est vraiment profond. Nous nous en rendons compte encore plus encore avec le loup. S'il arrive ici.... C'est vraiment quelque chose qui nous interpelle. Nous passons des moments extrêmement difficiles dans cette commission.

Avez-vous une idée sur une façon dont cela peut évoluer ?

M. André RIGONI : Je pense qu'il ne faut pas lier les deux, l'ours et le loup. Ce sont deux animaux totalement différents. Je ne connais pas les problématiques du loup. Je ne me battrai pas pour le loup comme je me suis battu pour l'ours. La problématique de l'ours est totalement différente. Avec un peu de bonne volonté, on doit pouvoir arriver à faire cohabiter le pastoralisme et la présence de l'ours. Les éleveurs ne sont pas les seuls utilisateurs de la montagne. Il existe toute une catégorie sociale qui vit de la montagne, celle-ci est la propriété de tous. L'ours est le patrimoine également de tous les Français, au même titre que la Tour Eiffel, le château de Versailles. S'il y a une volonté des pouvoirs publics de préserver l'ours, c'est aux pouvoirs publics de trouver les moyens de faire cohabiter les deux.

Les éleveurs doivent peut-être changer un peu leurs habitudes. Le rôle des éleveurs est aussi de s'occuper de leur troupeau, pas de quémander toujours plus et d'obtenir plus, et de ne pas s'occuper de leurs bêtes. C'est facile d'ouvrir une bergerie, de larguer les bêtes en montagne et de ne pas s'en occuper. Dans les zones où les troupeaux sont gardés, la prédation est infime. Il y a moins de prédation dans certains secteurs aujourd'hui grâce aux chiens de protection et au gardiennage, malgré la présence de l'ours, qu'auparavant. Je crois avoir lu que 150 000 brebis étaient tuées par an en France par les chiens errants, bien avant qu'on ne parle de réimplantation de l'ours. Il faut vraiment de la bonne volonté de part et d'autre ! Il faut se mettre autour d'une table et que chacun estime qu'il n'est pas le seul. Les gens qui défendent l'ours n'ont pas toujours raison mais ceux qui veulent sa disparition, je ne pense pas qu'ils aient raison non plus.

M. Augustin BONREPAUX : M. Coutanceau, vous avez un commerce. Avez-vous essayé de travailler avec le service Loisirs-accueil ?

M. Camille COUTANCEAU : Oui, je travaille avec eux.

M. Augustin BONREPAUX : Et avec le CDT ?

M. Camille COUTANCEAU : Oui.

M. Augustin BONREPAUX : Quel est le budget de l'office du tourisme dont vous êtes président ?

M. Camille COUTANCEAU : 160 000 francs.

M. Augustin BONREPAUX : Pensez-vous que c'est suffisant pour faire une promotion du secteur ?

M. Camille COUTANCEAU : Pour le secteur de Massat, non, 160 000 francs, ce n'est rien. Mais le CDT...

M. Augustin BONREPAUX : La solution consiste peut-être à coopérer un peu avec les offices du tourisme voisins, comme cela se fait ailleurs ?

M. Camille COUTANCEAU : C'est ce que nous faisons. Je vous ai bien compris et écouté !

Mais, Monsieur Bonrepaux, c'était le professionnel du tourisme...

M. Augustin BONREPAUX : Vous êtes dans un pôle touristique. A vous, au lieu de vous tourner vers le ciel, de vous organiser. Nous sommes là pour vous aider.

M. Camille COUTANCEAU : Je suis adhérent de longue date au CDT.

M. Augustin BONREPAUX : Vous faites partie du pôle touristique du Haut-Couserans.

M. André CHASSAIGNE : Tiens, que faites-vous ce soir à manger ?

M. Camille COUTANCEAU : Justement du ragoût d'agneau.

M. André CHASSAIGNE : Du broutard du pays de l'ours ?

M. Camille COUTANCEAU : Non, ce n'est pas la saison, le broutard, on peut le faire en automne quand il descend des estives. Je peux en parler professionnellement car je suis intéressé à acheter des bêtes locales, mais le problème, c'est que je ne peux pas les avoir parce qu'elles partent, jeunes, à l'engraissement.

M. François ARCANGELI : Ce sont des produits non finis, mais malheureusement à faible valeur ajoutée pour les éleveurs. D'où cette initiative que nous avions lancée de travailler sur un broutard, qui est un produit fini. C'est la première année de commercialisation. La quantité est faible mais les éleveurs ont tout vendu.

M. Joël GIRAUD : Ce n'est pas une question, mais je voudrais juste vous signaler que vous ne mettez pas la photo de l'ours sur ces produits alors qu'en Italie, le peccorrino, ce fromage de brebis, qui se vendait dans le secteur du Gran Sasso, a vu son prix de vente multiplié par trois le jour où la photo du loup a remplacé le dessin de l'agneau.

M.Alain REYNES : Ils ne l'ont peut-être pas fait la première année.

M. Philippe CAZES : Pour revenir sur ce qui a été dit au début, moi aussi, j'habite dans les vallées, mon frère est agriculteur, éleveur de moutons. Je suis comme vous, désolé qu'il y ait tant d'antinomie entre les pour et les contre. C'est difficile. Mais je pense que tout le monde dans les vallées a un rôle à jouer dans la paix sociale qui doit s'instaurer.

Si je prends l'exemple de mon frère, qui est un éleveur de base, traditionnel, qui a fait son apprentissage chez le voisin - c'est quelqu'un qui élève ses moutons comme on les élevait autrefois. Ils sont plutôt contre l'ours par principe, c'est l'ennemi héréditaire mais ils ont accepté d'être aux normes par rapport aux possibilités de recevoir des subventions. Il a embauché des bergers, surtout quand on est sur le Biros ou le Barlonguère, il a des chiens. Et même en étant plutôt contre l'ours, il m'accepte très bien, moi, je ne suis pas fâché avec lui, nous mangeons ensemble ; je suis pour, il est plutôt contre. Ils ont accepté de jouer le jeu, ont vu qu'ils avaient moins de prédations et sont peu inquiétés. Pourtant, l'ours vit à demeure sur le secteur entre Luz et Saint-Tin.

Les éleveurs qui disent ne pas vouloir vivre avec l'ours doivent aussi faire un effort. Peut-être faut-il qu'on les aide, pas seulement en utilisant leur mal de vivre, parce que c'est souvent cela qui est en cause. Je suis un habitant des vallées et je sais qu'il n'est pas toujours facile de vivre : on a, entre autres, des problèmes financiers, on n'a pas le moral, on est contre tout, tout le monde nous en veut. Souvent, l'état d'esprit des gens des vallées est comme ça. Ce sont des gens qu'il faut aider et l'on arrivera, même s'ils ne l'acceptent pas totalement, à ce qu'ils soient moins virulents, haineux. Nous pourrons alors progresser.

De ce point de vue, les élus ont leur rôle à jouer parce qu'il faut aussi, de temps en temps, apaiser. Chez moi, le conseiller général n'est pas quelqu'un qui tend à cela. Il y a eu des réunions où, si vous n'étiez pas originaire depuis dix générations de la vallée, vous n'aviez pas le droit de parler. Les élus ont une responsabilité et tous ensemble, les gens de bonne volonté, qu'on soit pour ou contre, il faut l'accepter et travailler dans ce sens.

M. Augustin BONREPAUX : J'organise chaque année des réunions dans le canton de Castillon. Je ne vous y ai jamais vu. Je n'empêche personne de parler et j'écoute les problèmes que l'on m'expose.

M. Philippe CAZES : Je ne m'adresse pas directement à vous.

M. Augustin BONREPAUX : J'y vais chaque année. J'y étais encore la semaine dernière.

M. Philippe CAZES : C'était pour le budget.

M. Augustin BONREPAUX : Vous n'y étiez pas. Je ne peux pas être au courant de vos problèmes si vous ne venez pas. Je fais des réunions dans toute l'Ariège.

M. Philippe CAZES : Ce n'est pas ce que je voulais dire, M. Bonrepaux. Cette réunion dont vous parlez était consacrée au budget. Vous y étiez, j'y étais, il y avait du monde, c'est pour cela que vous ne m'avez pas vu.

Les réunions sur l'ours se passent comme je le disais.

M. Augustin BONREPAUX : J'y suis allé en 1996. Il est vrai que la mairie était pleine.

M. Philippe CAZES : C'était au foyer rural. Je parlais des réunions sur l'ours. Vous venez présenter le budget, je ne vois pas où est la polémique sur l'ours. Mais ce que je disais est important parce que, croyez-moi, c'est comme ça que cela se passe. Dans certaines communes, quand vous dites que vous êtes favorable à l'ours, professionnellement, vous prenez un risque.

M. Jean LASSALLE : Nous avons bien compris. La parole est à M. François Arcangeli.

M. François ARCANGELI : Plus largement que les élus, on peut parler de l'attitude des hommes. Il est vrai qu'il est étonnant de voir des vallées entières et des cantons dans lesquels il n'y a aucune opposition à l'ours et de voir, à côté, des territoires où tous sont opposés à l'ours. Parfois, il suffit d'un président de groupement pastoral qui accepte d'essayer pour tout changer. Cela tient à peu.

M. Augustin BONREPAUX : Non.

M. François ARCANGELI : Vous avez rencontré des éleveurs qui vous disent que ce n'est pas compatible économiquement. Ont-ils seulement essayé ? J'aimerais rencontrer un éleveur qui me dise qu'il a essayé de mettre en place ces actions de modernisation de protection et que cela n'a pas marché. Parce que cette forme de pastoralisme, on le sait, n'est pas viable à terme.

M. Augustin BONREPAUX : Les éleveurs que nous avons vus pensent qu'ils valorisent très bien leurs produits.

M. François ARCANGELI : Je ne le crois pas. Nous ne ferons pas le débat ici. Mais qu'ont-ils essayé ?

M. Augustin BONREPAUX : Ils pourraient vous donner des idées, peut-être !

M. François ARCANGELI : Ils sont certainement plus compétents que moi. Mais qu'ont-ils essayé pour pouvoir affirmer qu'il y a incompatibilité ? La réponse est : rien ! C'est une position purement dogmatique.

M. Jean LASSALLE : Il faut quand même réfléchir tous ensemble parce que je vous assure que j'ai une certaine autorité en la matière ; il y a des secteurs politiques plus faciles que d'autres. Je pense que mon secteur fait partie de ceux où l'ours est le mieux accepté, mais, mes chers collègues, vous verrez demain à quel point le débat est fort.

M. Augustin BONREPAUX : Je dis cela pour quatre communes. C'est comme pour les loups. Avant, nous n'en avions pas. Maintenant, parce que nous sommes une minorité électorale, il y a ceux qui vous disent que nous sommes obligés d'accepter s'il nous revient. Il va revenir d'ici peu et les choses vont évoluer.

M. André RIGONI : Notre rôle est aussi d'apaiser les tensions. Quatre-vingt-dix pour cent des Pyrénéens disent être attachés à l'ours, que s'il disparaît, c'est un patrimoine qui disparaît, qu'il faut le transmettre aux générations futures. La seule solution s'il n'y en a pas d'autres, c'est de les réintroduire.

M. Jean LASSALLE : Nous vous remercions.

Audition de M. Francis ADER, éleveur

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2003, tenue à Foix)

Présidence de M Jean Lassalle, Secrétaire

M. Francis Ader est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Francis Ader prête serment

M. Jean LASSALLE : Je vous donne tout de suite la parole pour un bref exposé liminaire pour nous donner votre vision du problème qui nous occupe.

M. Francis ADER : Je suis éleveur. J'ai cinquante ans. J'exploite une propriété dans le Luchonais à 1000 mètres d'altitude, avec un troupeau moyen de 400 brebis qui pratique l'estive. Je représente les éleveurs Luchonais.

Lors de la réintroduction du premier ours sur Melles, honnêtement, nous n'avons pas réagi tout simplement parce que ressurgissait en nous cette image du petit nounours. De plus, on nous avait présenté cela comme un bienfait pour notre territoire. Nous avons donc attendu la suite.

On nous avait annoncé que ces ours resteraient cantonnés. Nous ne connaissions pas les ours slovènes. Nous avions toujours eu affaire à des ours pyrénéens dont nous connaissions le mode de fonctionnement pour les avoir vu passer chez nous, mais ce n'était que des passages.

Quand ces animaux ont commencé à se déplacer, nous avons pu constater que leurs agissements étaient totalement différents de ceux que nous avions connus. En fait, personnellement, je l'ai très peu connu mais, dans le milieu de l'élevage, des collègues m'ont raconté des battues à l'ours. Les dernières battues organisées dans le Luchonais, c'est mon père qui les avait organisées. On s'est dit que si cela n'allait pas marcher et que nous allions au devant de gros problèmes.

Alors, nous avons commencé à nous mobiliser. Nous avons monté une association locale. Ensuite, il y a eu une association qui s'est étendue aux Pyrénées. J'y ai participé jusqu'au moment où j'ai eu le sentiment que l'on nous amusait, que les pouvoirs publics nous utilisaient pour faire contrepoids aux « Verts ». A partir de ce jour, je me suis totalement détaché parce que ce jeu ne m'amusait pas.

Le mécontentement est tel que dans le Luchonais, à quelques exceptions, nous ne déclarons plus les dégâts, parce qu'ils ne sont pas totalement indemnisés. Par exemple, sur le Cansol, une année, une vingtaine de bêtes ont été remboursées à un éleveur, à la fin de l'été, alors qu'il lui en manquait cent. Pourtant, cette estive ne présentait aucun problème particulier, elle était peu accidentée, mais située en bordure de bois. Cet éleveur-là, il ne faut plus lui raconter d'histoires et lui dire qu'on indemnise.

J'étais un peu sceptique au début. J'ai pensé un moment que des dispositions allaient être prises et j'ai été déçu parce qu'aucune ne l'a été. Au lieu de repousser les ours ou de les cantonner, la DIREN a préféré mettre en place des bergers, qui ont plus ennuyer les éleveurs qu'ils ne les ont aidés. Je comprends que cela n'était pas facile, mais ces gens-là, plutôt que de protéger et de rassembler les troupeaux, désorganisaient toute l'estive. Le résultat était bien pire. Les problèmes entre la DIREN et les éleveurs sont venus s'ajouter aux faits des ours.

Nous ne sommes pas touchés actuellement dans le Luchonais par la présence de l'ours. S'il y a des dégâts, nous ne sommes pas au courant. Sincèrement, je trouve cela dramatique parce que, si les réintroductions devaient se poursuivre, on casserait complètement le tissu social, économique agricole de tout un pays. Il y a une culture, des traditions, un savoir-faire, une efficacité. Je ne dis pas que les éleveurs vont s'enrichir, ils ne se sont jamais enrichis. Mais, actuellement, un éleveur peut vivre sur notre territoire. L'agriculture et l'élevage sont viables. Nous avons des soucis et des difficultés mais nous arrivons à les gérer. Nous ne pourrons pas gérer en plus la présence de fauves, de prédateurs, quels qu'ils soient.

Je fais partie des jeunes dans ce métier. Sur le Luchonais, une vingtaine de gars sont prêts à s'installer et très peu veulent se lancer dans le mouton parce que personne ne veut affronter ce type de problème en plus des contraintes économiques et de travail.

Un sondage a été effectué qui, comme souvent, est en la faveur de celui qui le demande. Les gens ont des difficultés à comprendre pourquoi nous sommes opposés à l'ours parce qu'ils ne connaissent plus notre travail. L'idée d'avoir des ours dans le secteur peut effectivement ne pas déranger. C'est facile d'y être favorable. Maintenant, je m'en remets aux décisions prises par les élus locaux : tous les maires de notre canton ont pris des délibérations ; la Chambre d'agriculture a dit clairement qu'il n'était pas acceptable de mettre ainsi des prédateurs. Si les personnes qui ont la responsabilité de l'économie, de l'entretien de l'espace et de l'avenir de notre région et de nos territoires prennent ces positions, c'est qu'ils y ont réfléchi. Ce n'est pas le cas d'un citoyen qui est sondé et donne un avis sur la question.

Nous n'avons pas les moyens de rêver et l'ours, c'est un rêve. Je ne sais pas ce qu'il en est du loup, je ne connais pas suffisamment le problème pour en parler. Pour moi, c'est aussi un prédateur. Je pense que nous n'avons pas les moyens à l'heure actuelle de rêver. Il y a une réalité économique et je pense qu'il est encore intéressant de poursuivre l'activité pastorale sur nos territoires mais nous ne devons pas être perturbés par ce genre de problème.

M. Joël GIRAUD : Je vous remercie de cet exposé émouvant. Sur le bassin du Luchonais, avez-vous bénéficié de mesures de protection ? Les avez-vous mise en œuvre, chien de protection ou autre ? Si tel est le cas, quelles sont les limites de l'exercice ?

M. Francis ADER : Je sais qu'un éleveur a un chien de protection.

M. Joël GIRAUD : Un seul sur combien d'éleveurs ? Excusez-moi, mais je connais mal la région.

M. Francis ADER : Le Luchonais compte 25 000 brebis, comprenant des transhumants et des locaux. Un éleveur a participé à l'opération. C'est vrai qu'il y a aussi des éleveurs qui ont des difficultés de trésorerie, alors, pour faire fonctionner leur groupement pastoral, ils prennent les indemnités liées à la protection des troupeaux. Ce qui les intéresse le plus c'est de prendre l'argent.

Il y a quand même un certain nombre de groupements pastoraux qui refusent catégoriquement ces aides. Nous n'en acceptons qu'une parce qu'elle n'est pas nouvelle : les héliportage pour le sel dans les cabanes, dont nous bénéficions depuis longtemps. En fait, ne pouvant pas créer de pistes sur les sites classés, pour monter les cabanes, on avait eu droit à ces héliportages. Aujourd'hui, on les a baptisées aides par rapport à l'ours, mais elles existaient déjà parce qu'il y avait une interdiction de faire des pistes.

M. GIRAUD : Les hélicoptères sont labellisés « ours » ?

M. Francis ADER : Actuellement, cela rentre dans les mesures « ours ».

M. André CHASSAIGNE : D'après votre exposé, j'ai le sentiment que ce que vous exprimez, c'est plus la crainte d'un risque d'évolution négative en cas de nouvelle réintroduction que la dénonciation de la situation actuelle qui, en fait, n'a pas provoqué d'énormes dégâts. Les dégâts aujourd'hui ou ceux qui ont pu être provoqués depuis la réintroduction, sont-ils supérieurs à ceux qui existaient avant dus aux chiens errants ou aux pertes naturelles en estive ? Les effets négatifs de l'ours sont-ils vraiment extrêmement importants ?

Par ailleurs, si j'ai bien compris mais je n'en suis pas sûr, il y a un blocage et les éleveurs font barrage et refusent, par principe, de prendre des mesures de protection. Pourriez-vous nous expliquer un peu mieux cette position ?

M. Francis ADER : Nous avons un territoire au relief très accidenté, avec des troupes de l'ordre de 2000 à 2500 brebis. Les couches du soir ne sont pas rituelles, elles ne sont pas habituelles. Les animaux sont relativement dispersés en raison aussi de la configuration du territoire. Quand vous avez des barres rocheuses et des vallées, il n'est pas question de rassembler les troupeaux tous les soirs parce qu'effectivement, cela peut faire beaucoup de dégâts. Dès lors, il n'est pas question d'avoir des enclos le soir pour protéger les animaux. C'est la principale raison. Nos brebis montent à 2 500 mètres d'altitude sur des versants très risqués.

Ensuite, par rapport aux chiens errants, le problème existe. La montagne est de plus en plus parcourue par les touristes dont un sur deux possède un chien. C'est un phénomène de société qui n'est pas à notre portée et que nous ne pouvons pas gérer. On met en place de l'affichage, une signalétique de manière à ce que les lieux soient respectés et les chiens attachés. Le problème des chiens errants a toujours été réglé. Les chiens errants ne sont pas des chiens sauvages, ce sont des chiens qui échappent à leur maître.

M. André CHASSAIGNE : Certaines mesures de protection prises pour l'ours, et pour lesquelles vous seriez aidés, ne vous permettraient-elles en même temps de résoudre d'autres problèmes, comme celui des chiens errants, de la dispersion des troupeaux ou du vol ?

M. Francis ADER : Dans notre pays, sur chaque place d'estive, on trouvait une petite cabane, un coral avec un berger pour 150 à 250 brebis.

M. André CHASSAIGNE : Il y a combien de temps ? Vingt à trente ans ?

M. Francis ADER : Plus. Il est vrai qu'il y a eu une déprise à un moment donné mais, depuis vingt ans environ, on assiste à une recrudescence d'animaux sur les estives. Des troupeaux entiers.

Si, aujourd'hui, on me disait qu'on me paye un berger pour garder mes 400 brebis. J'aurais peut-être la tentation  - je dis bien peut-être - en ne considérant que l'aspect économique et personnel, de dire oui. Mais je ne vois pas comment on pourrait faire accepter par la collectivité des charges financières aussi importantes : le coût d'une cabane actuellement en montagne est de l'ordre de 600 000 francs, au moins. Un berger, pour passer l'estive, c'est 80 000 francs. Si on doit multiplier tout cet arsenal sur une estive comme la nôtre par dix ou quinze pour arriver à utiliser tout le territoire, j'imagine déjà ce que l'on va nous dire, à nous, éleveurs qui sommes déjà taxés d'être des « suceurs de primes », des profiteurs...

Il vaudrait mieux que l'on nous dise d'aller voir ailleurs, de toucher le RMI et de laisser la place aux prédateurs et aux urbains amoureux de la montagne, qui viennent le week-end pour décompresser et de les faire rêver sur l'ours. Je préférerais cette démarche même si elle me paraîtrait inacceptable, mais je la trouverais plus honnête et plus juste que cet état de fait de vouloir disperser de l'argent. Pour contenter quoi et arriver à quoi ? A ce que l'on ait quelques ours ? Qu'on les élève pour la chasse là-bas ! Ce n'est pas une race en voie de disparition, à mon avis.

On ne va pas régler des problèmes économiques d'un territoire en y lâchant quatre ours. A mon avis, c'est en dehors du bon sens paysan. Je ne veux pas entrer dans un débat politique, je ne veux pas savoir quel électorat on a besoin de caresser dans le sens du poil. Mais, pour moi, montagnard et paysan, c'est vraiment se moquer du monde que de vouloir continuer dans cette voie car pour avoir une population ursine viable, il en faudrait trente fois plus !

L'avantage, c'est que ces ours n'ont même pas le pied montagnard ! Ils préfèrent fréquenter les collines à côté des villages que le massif pyrénéen.

M. Augustin BONREPAUX : Comment garde-t-on le troupeau ? Existe-t-il un groupement ?

M. Francis ADER : Nous sommes une douzaine d'éleveurs et nous employons deux bergers.

M. Augustin BONREPAUX : Il s'agit donc d'un groupement pastoral. Combien de bêtes au total ?

M. Francis ADER : 2 500. Comme nous avons une montagne très étendue, nous sommes obligés d'employer deux bergers pour faire deux unités de 1 200 brebis.

M. Augustin BONREPAUX : Deux unités de 1 200 brebis, cela fait beaucoup.

M. Francis ADER : C'est le maximum pour parvenir, sur ce type de territoire, à avoir un résultat avec environ 3 à 5 % de pertes.

M. Augustin BONREPAUX : Si vous vouliez rentrer le troupeau tous les soirs, comme me l'expliquait un jour le ministre précédent, il faudrait au moins quatre bergers. Et encore, ce ne serait pas facile.

M. André CHASSAIGNE : A quoi sont dus ces 3 à 5 % de pertes ?

M. Francis ADER : A 80 %, ce sont des chutes accidentelles.

M. Joël GIRAUD : Vous perdez une cinquantaine de bêtes par unité.

M. Francis ADER : C'est le minimum.

M. André CHASSAIGNE : Mais l'ours ne vous en détruit pas ?

M. Francis ADER : Honnêtement, il peut passer, en ponctionner quelques unes. S'il ne fait que passer, on ne s'en apercevra pas mais je suis persuadé que ces ours-là restent quand ils ont un garde-manger à portée ; il est plus facile de se servir sur place que d'aller ramasser des baies. Lorsqu'ils passent, ils occasionnent vraiment des dégâts importants.

M. Augustin BONREPAUX : C'est pour cela que les prédations sont concentrées sur certaines zones ?

M. Francis ADER : Tout à fait. J'ai toujours entendu dire par les anciens bergers que ce qui faisait le plus de dégâts, c'était une mère avec ses petits. Un ours solitaire, prend un mouton. Les oursons jouent avec les brebis et causent des dégâts importants. Un ours seul prend une brebis de temps en temps. Mais certains des spécimens que l'on rencontre actuellement ont des instincts de tueur et ils font des dégâts énormes. En plus, ils doivent être maladroits, cela doit les énerver et ils en massacrent et en blessent plus qu'ils n'en mangent.

M. Augustin BONREPAUX : Viennent-ils près des habitations ?

M. Francis ADER : Ils sont venus près des habitations, au-dessus de Luchon, à la grange. Je pense qu'il n'a pas trouvé la clé, sinon il serait là. On n'avait jamais vu d'ours passer là avant.

M. Jean LASSALLE : Etes-vous conscient du fait que c'est quand même un blocage de notre société aujourd'hui ? Nous avons reçu des personnes avant vous qui nous ont dit tout le contraire de ce que vous dites.

M. Francis ADER : Je m'en doute bien. La différence entre eux et nous, c'est que, pour eux, l'ours, c'est du business. Nous, nous sommes éleveurs, nous vivons de notre activité. Nous ne recevons pas de subventions pour une association, ni de l'Europe ni d'ailleurs. Entre parenthèses, les éleveurs que vous trouverez dans ce type d'association, je vais être un peu dur, sont vraiment la honte des éleveurs. Ils ne sont pas du tout représentatifs.

M. Joël GIRAUD : Pour quelle raison ?

M. Francis ADER : Parce qu'ils sont très mauvais en tant qu'éleveurs.

M. André CHASSAIGNE : Sur quels critères vous basez-vous ?

M. Francis ADER : Sur des critères spécifiquement agricoles, d'éleveur.

M. André CHASSAIGNE : Ils n'ont pas la même façon que vous de produire et de vendre ?

M. Francis ADER : Ils ont été incapables jusqu'à maintenant de rester dans des structures telles que des coopératives agricoles. Ils n'ont pas réussi à s'intégrer dans le tissu agricole classique et organisé...

M. André CHASSAIGNE : Mais c'est national, cela. Tous ceux qui font les choses de manière différente sont considérés comme mauvais. Chez nous, en Auvergne, il y en a qui font des filières courtes, qui font des produits de qualité, du bio et les éleveurs de la FNSEA qui veulent de la production à outrance, considèrent qu'ils sont mauvais. Pourtant, ils font de la bonne production.

M. Francis ADER : Je ne suis pas d'accord avec vous. Les éleveurs dont je parle, qui se retrouvent dans l'ADET, ne sont pas des bons éleveurs. On peut être marginal et faire de bons produits. Je ne sais pas comment dire, moi, mais la première des qualités d'un éleveur, à mon avis, c'est d'être fier de ses animaux, et de consacrer beaucoup de temps pour essayer de maintenir une race. A quoi cela sert-il d'appartenir à des structures ? Cela sert à faciliter le maintien d'une race, à participer à son amélioration génétique, à la diffuser. Je ne parle pas que de l'aspect financier.

M. André CHASSAIGNE : Pourtant, ils disent qu'ils ont développé une race...

M. Francis ADER : Ce qu'ils ont fait avec le broutard, nous l'avons fait il y a vingt ans avec le Luchonais. La seule différence, c'est que l'on ne modifie pas le goût et les habitudes alimentaires des gens selon son bon vouloir ; nous avons dû abandonner parce qu'actuellement encore, la viande de mouton n'est plus dans les pratiques alimentaires des consommateurs. Les viandes trop fortes, il n'y qu'une petite quantité de personnes qui en sont demandeurs.

C'est une niche, mais il ne faut pas faire croire à tout le monde que, par ce biais-là, avec 2 ou 3 % de consommateurs intéressés par ce produit, on va développer une production.

M. Augustin BONREPAUX : Recevez-vous des subventions de la DIREN ou d'autres structures comme les associations ?

M. Francis ADER : Non. La seule chose que nous avons obtenue, c'est l'adoption d'un contrat territorial d'exploitation qui fait qu'en 2003, nous ne recevrons aucune aide parce que les CTE ont été bloqués. Je dois embaucher deux bergers et je ne sais pas encore comment je vais les payer.

M. Augustin BONREPAUX : Il existe tout de même un programme pyrénéen pour l'aide au gardiennage. Dans le contrat de plan Etat-Région, il y a le volet massif et des aides au gardiennage qui n'étaient pas conditionnées par la présence de l'ours.

M. Jean LASSALLE : Aimez-vous votre travail ?

M. Francis ADER : J'ai cinquante ans, j'exercerai mon métier tant que je le pourrai. Mais tant que je pourrai essayer de le laisser dans cet état à mes enfants et aux générations à venir, je me battrai pour cela, parce que nous pouvons en vivre. Franchement, ce qui me gène vraiment, c'est que l'on a l'impression aujourd'hui que toutes les directives et toute notre organisation sont gérées depuis Paris, Bruxelles ou Toulouse ! Pour moi, les pavés de la place du Capitole, peuvent être rouges, blancs ou jaunes, cela m'est égal parce que je n'y marche pas souvent, je n'y vis pas ! Ce qui me dérange c'est qu'on vienne prendre des initiatives sur mon territoire sans me demander mon avis, et que l'on veuille faire de mon territoire une zone d'indiens. La seule différence, c'est que nous, on ne nous aura pas avec du whisky. Je trouverai ça un peu indigeste.

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie.

Audition conjointe de M. Philippe SENEGAS,
directeur de la direction régionale de l'environnement (DIREN-Midi-Pyrénées),
et de Melle Evelyne SANCHIS, chargée du dossier Ours

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars  2003, tenue à Foix)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Philippe Sénégas et Melle Evelyne Sanchis sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Philippe Sénégas et Melle Evelyne Sanchis prêtent serment à tour de rôle.

M. Jean LASSALLE : Je vous cède la parole pour un exposé liminaire. Puis, les membres de la commission vous poseront des questions.

M. Philippe SENEGAS : Cet exposé sera essentiellement centré sur les composantes du programme de restauration et conservation de l'ours mis en place depuis quelques années sur le massif. Nous commencerons par l'état de la population ursine. Vous avez déjà entendu plusieurs exposés sur le sujet et je ne voudrais pas répéter ce qui a été dit par les biologistes, mais je peux les rappeler...

M. Philippe SENEGAS : Nos chiffres sont ceux du réseau qui travaille sur ce sujet, notamment ceux de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. A quel stade de population sommes-nous ? Entre treize et quinze individus, parce qu'il y a quelques incertitudes. Le noyau central, c'est-à-dire celui installé dans la partie centrale des Pyrénées, là où s'est faite la réintroduction et la première dispersion, compte deux femelles adultes, un mâle adulte, un ou deux subadultes et deux oursons nés en 2002.

De ce noyau central sont allés, sur la partie orientale, deux mâles adultes et, sur la partie occidentale, un des ours issu de la même réintroduction est allé rejoindre le noyau autochtone installé dans le Béarn, qui semble aujourd'hui composé d'une femelle adulte, de trois mâles adultes et d'un ou deux autres qui sont indéterminés.

C'est le groupe autochtone qui a accueilli un ours issu de la réintroduction.

Le fait que l'on qualifie d'indéterminés certains d'entre eux tient à une part d'incertitude due non pas tant au processus de suivi des ours qu'à celui de l'absence d'analyses génétiques permettant d'établir le sexage des individus et leur filiation. Mme la ministre de l'écologie et du développement durable a récemment déclaré, lors de sa visite en Béarn, qu'il fallait absolument progresser sur ce point de l'analyse génétique, afin de mieux identifier le nombre et la filiation des individus. Nous sommes en train de mettre au point avec le ministère une démarche qui permettrait de rattraper l'ensemble des analyses qui n'ont pas été faites depuis deux ans, aussi bien sur la population autochtone que sur celle d'origine slovène, et d'essayer de construire les bases d'analyse de routine année après année.

Puisque c'est le DIREN qui parle devant vous, quelques mots de l'organisation administrative. Notre organisation repose sur les éléments suivants : le préfet de massif, qui s'appuie sur le DIREN, a une tâche de coordination générale du programme de restauration et de conservation de l'ours et, donc, en assure le pilotage. Il doit développer des actions de communication, quand elles sont à l'échelle de l'ensemble du massif, et la DIREN, auprès de lui, met en œuvre un certain nombre de mesures d'accompagnement.

Les préfets de département, quant à eux, ont en charge la concertation dans les départements, en particulier dans les commissions dommages d'ours mais aussi, là où elles sont installées, dans les commissions de gestion de l'espace montagnard. Nous avons ainsi une commission de ce type installée dans les Hautes-Pyrénées, qui est un lieu de dialogue sur les problèmes du pastoralisme d'une façon générale, mais aussi de la confrontation du pastoralisme et de l'ours. Une autre commission de ce type est en train de se créer en Haute-Garonne. Nous souhaitons qu'elles se multiplient dans chaque département.

Sous l'autorité des préfets de département, les DDAF mettent en œuvre d'autres mesures d'accompagnement sur lesquelles nous reviendrons et c'est au niveau des départements qu'il est procédé au dédommagement des dégâts causés par les ours.

M. André CHASSAIGNE : Cela ne concerne que la région Midi-Pyrénées ?

M. Philippe SENEGAS : Cela concerne la région Midi-Pyrénées à laquelle s'ajoutent les deux départements de Languedoc-Roussillon.

M. André CHASSAIGNE : Intervenez-vous sur la seule région Midi-Pyrénées ou sur l'ensemble ?

M. Philippe SENEGAS : A l'origine le programme touchait Midi-Pyrénées. Puis, comme la population réintroduite s'est étendue aux deux autres régions, le préfet de massif remplit un rôle de pilotage et de coordination générale et m'a confié l'animation d'un pôle inter-régional et interdépartemental des services et des établissements publics de l'Etat avec la particularité, bien évidemment, liée à la spécificité de l'IPHB, qui relève d'un rôle partiellement différent.

Le pilotage du suivi technique de cette organisation administrative est assuré par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, allié aux fédérations des chasseurs, à l'ONF et au parc national des Pyrénées dans son secteur.

Nous en venons à un exposé sur les mesures d'accompagnement. Je laisserai Evelyne Sanchis les présenter.

Melle Evelyne SANCHIS : Ces mesures d'accompagnement ont été mises en place dès la réintroduction. L'objectif était de diminuer le plus possible les attaques aux troupeaux. Dans les Pyrénées centrales, contrairement au Béarn où l'on avait beaucoup de gardiennage sur les brebis laitières, on avait une zone avec assez peu de gardiennage, même s'il existait par endroits, avec, globalement, une dispersion des troupeaux assez grande et, en conséquence, une vulnérabilité des troupeaux aux attaques d'ours.

Toutes les mesures mises en place ont été destinées à diminuer les attaques d'ours potentielles, pour aider les éleveurs à supporter la présence de l'ours.

Le préalable indispensable est le gardiennage. Diverses mesures ont été mises en place en ce sens : des aides directes à l'embauche de bergers, du soutien indirect au gardiennage par le biais d'aides aux améliorations pastorales - réfection ou construction de cabanes - soutien également pour l'achat de moyens de communication pour les estives, de façon à ce que les bergers puissent prévenir en cas d'attaque, mais qui leur permet aussi d'avoir des contacts réguliers avec les éleveurs ; puis, le portage, par hélicoptère ou par mule, du matériel de première nécessité du berger - sel, chauffage, etc. - de façon à aider l'éleveur à recruter un berger, à diminuer ses charges et à porter ces charges de première nécessité sans création de nouvelles pistes par rapport au milieu montagnard.

Voici quelques chiffres qui figurent aussi dans le dossier. Globalement, par rapport aux aides au gardiennage, depuis 2000, on note une nette progression des postes rémunérés. De 49 postes soutenus par le ministère de l'écologie à l'époque, nous sommes passés à 85 aujourd'hui. Cela concerne tous les départements dont nous parlions, sauf les Pyrénées-Atlantiques qui sont dans un dispositif autre.

Il est intéressant de rapprocher ces chiffres des chiffres globaux du gardiennage sur la chaîne des Pyrénées pour laquelle, en 1999, on inventoriait 150 bergers sur toute la chaîne, y compris dans la zone du Béarn où le gardiennage est important. Énormément de postes sont donc soutenus par cette démarche.

Les chiffres font aussi apparaître une nette progression du portage.

Avec ce préalable du gardiennage, on peut ensuite mettre en place de réelles mesures de protection qui se fondent d'abord sur un regroupement des bêtes. Il est vrai que si les bêtes sont dispersées, il y a des difficultés pour protéger le troupeau. Des aides financières sont fournies pour les inciter à ce regroupement. Des aides sont également apportées pour l'achat de clôtures et leur mise en place. Les clôtures ont surtout été utilisées pour les ruches. Il est vrai que par rapport au troupeau, c'est assez contraignant. Néanmoins, une dizaine d'estives rentrent leurs bêtes tous les soirs dans un enclos clôturé.

L'autre dispositif de protection efficace est le chien patou. Cette démarche est en cours également depuis la réintroduction. Aujourd'hui, nous en sommes à 144 chiens placés sur la totalité des Pyrénées hors zone IPHB, dont 45 sont utilisés chaque année. L'écart s'explique du fait que beaucoup de chiens sont encore trop jeunes pour monter en estive et aussi parce que certains éleveurs n'arrivent pas à faire monter leur chien en été parce que les autres éleveurs du groupement ne sont pas favorables à cette mesure.

La répartition du chien patou, globalement, est effective dans les zones où il y a le plus d'ours, en Ariège, par exemple.

Pour la mise en place de ces mesures, un appui technique a été mis en place : deux animateurs chiens patous fonctionnent sur la chaîne des Pyrénées. Ils aident les éleveurs à faire le choix d'acheter un chien efficace, les aident aussi à placer ce chien au niveau de leur troupeau et leur apportent la technique pour sa gestion.

Les gardiens itinérants sont un autre appui technique auprès des éleveurs pour les aider à accepter la présence de l'ours. Leur rôle est d'appuyer les éleveurs pour la mise en place de zones de protection telles que les clôtures. Ils peuvent également aider les bergers qui se trouvent confrontés à une présence d'ours. Ce sont également eux qui coordonnent les portages dont nous parlions.

A ces mesures de prévention s'ajoute l'indemnisation des dommages causés.

Cette indemnisation se passe de la façon suivante : une expertise est réalisée et analysée. Nous avons des experts au sein de l'ONCFS, des fédérations de chasseurs et du parc national des Pyrénées. Suite à cette expertise, si la cause de l'ours est démontrée, les bêtes sont indemnisées selon un barème qui est unique sur le massif des Pyrénées. En cas de doute ou de litige, le dossier est examiné par une commission présidée par les préfets ou leur représentant, et par un élu du parc dans la zone du parc national.

Pour vous donner quelques chiffres concernant l'évolution des dommages indemnisés, depuis 2000, nous constatons une forte baisse, tant pour les bêtes que pour les ruches. Il est vrai qu'en 2000, nous avions affaire à de jeunes adultes de deux ou trois ans et qu'à cet âge, ils font plus de dégâts que des ours âgés parce qu'ils sont dans leur phase d'apprentissage.

En 2001, on a eu deux dommages importants indemnisés au bénéfice du doute. Il s'agissait de deux dérochements dans la zone du parc ; un à Luz de 50 bêtes et un autre de 57 bêtes à Seix en Pyrénées-Atlantiques. Le total s'établit cette année à 170 bêtes sur le massif côté français. On peut rapprocher ce chiffre de celui du nombre de brebis ou d'ovins présents sur l'ensemble du département, à savoir 573 000 ovins.

Pour les ruches, on observe moins de dégâts mais on constate aussi une nette baisse corrélée à la mise en place de clôtures autour des ruchers, qui empêchent l'ours d'attaquer.

La répartition des dommages suit, logiquement, la présence des ours. Nous en avons pas mal en Haute Ariège notamment, dans la zone du parc national et dans les Pyrénées-Atlantiques.

M. Jean LASSALLE : Je vois dans votre dossier, 65 bêtes en Ariège ? Ce n'est pas grand chose.

M. Augustin BONREPAUX : Ce sont celles qui ont été indemnisées ?

Melle Evelyne SANCHIS : Oui, c'est-à-dire celles dont l'imputabilité à l'ours est sûre ainsi que celles qui ont été indemnisées au bénéfice du doute.

M. Philippe SENEGAS : Pour vous donner quelques éléments de bilan financier sur l'année 2002, sur le programme hors IPHB, les mesures d'accompagnement pastoral s'élèvent à 595 204 euros, les éléments de suivis de la population de l'ours à 381 392 euros et les actions partenariales et de communication à 185 000 euros.

Melle Evelyne SANCHIS : Dans la note qui vous a été remise figurent des chiffres globaux. Ce sont les mêmes ensembles, mais nous avons fait une moyenne sur trois ans.

M. Augustin BONREPAUX : Qu'entendez-vous par « mesures d'accompagnement pastoral » ?

M. Philippe SENEGAS : Ce sont toutes les mesures qui viennent de vous être présentées en termes de portage, de gardiennage, d'enclos, de patous...

M. Augustin BONREPAUX : Ces crédits sont-ils pris sur le contrat Etat-Région concernant l'accompagnement du pastoralisme ?

Melle Evelyne SANCHIS : Une toute petite partie, les améliorations pastorales sont intégrées dans la convention inter-régionale de massif.

En fait, la somme programmée est importante mais, comme vous le savez, nous n'en avons pas mis beaucoup en œuvre jusqu'à présent...

M. Augustin BONREPAUX : Jusqu'à présent, peut-être. Vous direz que cela ne me concerne pas, mais faut-il être dans la zone « ours » pour bénéficier de ces mesures ou concernent-elles l'ensemble de l'activité pastorale ?

M. Philippe SENEGAS : Non, vous connaissez la réponse mieux que moi ; il y a un ensemble de mesures pastorales sur le massif, en particulier sur les crédits des ministères de l'agriculture et sur les crédits européens. Ce dont nous parlons maintenant est simplement le surplus que le ministère de l'écologie et du développement durable ajoute pour pallier la fréquentation de l'ours.

M. Augustin BONREPAUX : Pour revenir sur ces chiffres, quand vous parlez d'actions partenariales et de communication, quefait-on de ces 185 000 euros ?

M. Philippe SENEGAS : Par exemple, nous avons cofinancé la réalisation d'un film sur l'ours par M. Tonelli. Sont comprises aussi des actions de l'ADET...

M. Augustin BONREPAUX : Ces brochures que nous avons reçues tout à l'heure, voici d'où elles viennent !

M. Philippe SENEGAS : Nous participons au financement de certaines actions de l'ADET, par exemple, le montage des « Automnales » l'an dernier, des actions d'animation autour de la création de labels ours sur des produits, qui sont donc des actions de développement rural. Nous contribuons à ce type d'actions.

M. Augustin BONREPAUX : Pensez-vous que cela peut se faire sur l'ensemble du massif pyrénéen ? Toutes les associations de ce massif pyrénéen peuvent-elles en bénéficier ?

M. Philippe SENEGAS : L'accès de notre programme dépend de la nature des actions et ce sont évidemment des actions de communication destinées à supporter le programme de restauration de la population ursine.

M. André CHASSAIGNE : S'agit-il uniquement de crédits du ministère ou de crédits européens également ?

M. Philippe SENEGAS : Non, ces crédits sont des crédits budgétaires du ministère.

M. Augustin BONREPAUX : Sur le suivi de la population ursine, pourrions-nous avoir le détail ? Il s'agit de 380 000 euros. Nous savons qu'il y a cinq ou six techniciens, cinq ou six bergers itinérants et un animateur chien patous.

M. Philippe SENEGAS : Les chiens patous et les bergers itinérants sont dans le premier paquet.

M. Augustin BONREPAUX : Est-ce vous qui financez l'animateur de chiens patous ?

Melle Evelyne SANCHIS : Nous finançons l'Association pour la cohabitation pastorale.

M. Augustin BONREPAUX : Contrôlez-vous également l'utilisation de ces crédits ?

M. Philippe SENEGAS : Oui, comme toute action.

M. Augustin BONREPAUX : N'êtes-vous pas surpris de voir une association dont le budget s'élève à 497 284 francs avec 1000 francs de cotisation d'adhérents ?

M. Philippe SENEGAS : Je n'en suis pas surpris. Je pense ne déroger à aucune règle. Il se trouve que cette association...

M. Augustin BONREPAUX : Soyons clair dans les explications, car il se trouve que j'ai posé deux ou trois questions écrites sur le sujet et que j'attends la réponse.

M. Philippe SENEGAS : Monsieur le député, vous avez la réponse de la ministre à cette question précise concernant l'Association pour la cohabitation pastorale. J'en ai moi-même une copie...

M. Augustin BONREPAUX : Ah, très bien, elle vient de sortir ?

M. Philippe SENEGAS : J'ai même sous les yeux deux réponses à vos questions.

La première concerne l'Association de cohabitation pastorale, j'en ai copie en date du 13 février. Je suppose qu'elle vous l'a envoyée au plus tard à cette date. La ministre détaille les dépenses engagées, pour quelle nature d'action et indique, bien évidemment, que tout ceci est contrôlé.

Melle Evelyne SANCHIS : L'action subventionnée par la DIREN est une action d'animation et d'appui aux éleveurs, tout comme vous pouvez attribuer des subventions du conseil général à la fédération pastorale. Vous subventionnez effectivement le paiement de salaires d'animateurs qui viennent en appui des éleveurs et vont les aider à mettre en place des mesures. C'est le même type de fonctionnement.

M. Augustin BONREPAUX : Sauf que l'on voit que les actions de la fédération pastorale sont réellement en faveur de l'élevage.

Melle Evelyne SANCHIS : Je n'ai pas à me prononcer là-dessus mais...

M. Augustin BONREPAUX : Je lis que l'animateur chien patou coûte 46 000 francs, et je vois, plus loin, des indemnités de déplacement pour 44 000 francs. C'est quelqu'un qui se déplace beaucoup !

Melle Evelyne SANCHIS : Il fait toute la chaîne des Pyrénées.

M. Augustin BONREPAUX : Je regarde plus loin et je lis que les frais de communication concernant le chien patou s'élèvent à 40 000 francs. Puis, le placement des chiens pour 246 500 francs. Un chien, c'est de l'ordre de 2500 francs, on doit en avoir placé beaucoup !

M. Philippe SENEGAS : Nous l'avons dit tout à l'heure, près d'une centaine.

Melle Evelyne SANCHIS : La prime au chien est de 5 000 francs...

M. Philippe SENEGAS : Monsieur le député, je viens de vous indiquer les chiens que j'ai subventionnés et le nombre de chiens patous. Je ne sais pas ce qui est écrit dans les documents dont vous disposez, mais mes chiffres, c'est-à-dire ceux que j'ai subventionnés et dont j'ai la trace, sont ceux que je vous ai indiqués. Ce n'est pas très différent - 110, 140...

M. Augustin BONREPAUX : Si ces crédits étaient davantage utilisés pour les éleveurs, ce serait peut-être le moyen de mieux faire accepter les choses. Il me semble bien que l'on nous avait annoncé deux fois plus de crédits autrefois, il y a bien longtemps.

M. Philippe SENEGAS : Monsieur le député, nous pensons que l'ours n'est que le révélateur de la situation de crise dans laquelle se trouve le pastoralisme, notamment quand il est dans des formes extensives. Si l'on prétend aider cette activité économique et sociale, tant dans sa réalité économique que par rapport à l'intérêt qu'elle représente en terme de gestion de l'espace, ce n'est sans doute pas à cette échelle de financement que nous réglerons le problème. Il faut que les choses soient claires.

Je ne sais pas ce que vous entendez en parlant d'une meilleure utilisation. Cet argent est mis au bénéfice de l'élevage sans aucun doute, mais le ministère de l'écologie et du développement durable ne prétend pas, au travers de cet argent, régler la crise du pastoralisme. C'est pour cela que j'indiquais que certains préfets, dont celui des Hautes-Pyrénées, avaient mis en place des commissions qui permettent de débattre de la question du pastoralisme et au sein desquelles on discute de la question de l'ours mais surtout de l'avenir du pastoralisme. Cela renvoie à la nécessité d'une politique globale tenant compte de l'ensemble des aspects économiques de cette activité. Ce ne sont pas ces sommes qui sont en jeu par rapport à cette question fondamentale.

Voici les derniers chiffres que je comptais vous donner concernant l'IPHB. Ils reprennent les mêmes données : mesures d'accompagnement pastoral pour 83 618 euros ; les mesures forestières, spécifiques à l'IPHB pour 72 000 euros ; suivi de la population des ours, 28 269 euros ; actions partenariales et de communication, 109 763 euros, soit un total légèrement inférieur à 300 000 euros.

M. Augustin BONREPAUX : Je trouve que, là, le suivi de la population d'ours ne coûte pas très cher.

Melle Evelyne SANCHIS : Effectivement car le poste de la personne de l'ONCFS n'est pas subventionné.

M. Augustin BONREPAUX : Ni les bergers itinérants ?

Melle Evelyne SANCHIS : Ils n'entrent pas dans le suivi de la population d'ours mais font partie des mesures d'accompagnement pastoral.

Il est vrai que, par rapport à l'équipe technique qui assure le suivi de l'ours, nous payons le coût complet des agents alors qu'effectivement, sur la zone Béarn, l'agent ONCFS est payé par l'ONCFS et il n'y a pas de subvention qui entre dans ce cadre.

Donc, ici, vous avez essentiellement des frais de déplacement par rapport au réseau ours brun. De plus, les personnes du réseau sont aussi des personnels déjà en poste, soit du parc national, soit de l'ONF, qui sont déjà payés par ailleurs. C'est ce qui explique aussi la différence.

M. Augustin BONREPAUX : Que sont ces mesures forestières ?

Melle Evelyne SANCHIS : Ce sont essentiellement des reports de coupe qui sont décidés - en fait, vous seriez mieux placé que moi pour y répondre - lors des séances du syndicat mixte.

M. Jean LASSALLE : Lorsque le réseau ours signale que certaines coupes pourraient être nuisibles à l'ours parce que sa présence est signalée à tel endroit à un moment donné, il est proposé à la commune de différer la coupe pendant un certain temps, de laisser son tour sur le plan des exploitations. Dans ce cas,  la commune est rétribuée.

M. Philippe SENEGAS : Au total, sur le plan financier, le ministère de l'écologie et du développement durable a alloué un peu moins de 1,5 million d'euros dans cette politique sur l'ensemble des massifs en 2002, que l'on peut répartir en trois lots : 50 % pour l'accompagnement pastoral et les dommages, 20 % pour les actions partenariales et de communication et 30 % pour le suivi technique de l'ours et l'amélioration des habitats.

Dans le dossier qui vous est remis figure un rapport synthétique sur ce que nous venons de dire : les décisions du préfet coordonnateur de massif sur les barèmes des dommages et sur les mesures d'accompagnement du programme de restauration et de conservation des ours.

Melle Evelyne SANCHIS : Il ne s'agit que des crédits du ministère de l'écologie. Ensuite, il y a d'autres interventions. Ne figurent pas les crédits de la région, les fonds européens. Nous n'avons pas parlé du programme LIFE non plus. Nous n'avons mis que ce qui avait été versé en 2002.

M. Jean LASSALLE : J'entendais dire justement que, sur les crédits de l'Etat, cette politique coûtait très cher. Je me rends compte que, finalement, même si, comme vous le disiez, il y a des gardes du parc national derrière...

Melle Evelyne SANCHIS : Il est vrai que ces chiffres s'entendent sur toute la zone. On me demande souvent quel est le coût des ours, mais ces mesures concernent toute la zone et, à la limite, qu'il y ait dix ou quinze ours, le gardiennage serait le même. C'est aussi un raisonnement à avoir parce que l'on peut se dire que l'ours coûte cher si l'on divise ces aides par le nombre d'ours, mais il s'agit d'aides apportées aux gestionnaires d'estives sur l'ensemble de la zone. Ce n'est pas tellement le coût de l'ours dont il est question.

M. Joël GIRAUD : La politique que vous présentez concernant l'amélioration des cabanes, les héliportages, les téléphones et autres sont des procédures de droit commun chez moi. Je ne comprends pas très bien qu'on les retrouve ici sur un plan spécifique.

Deuxièmement, nous avons écouté beaucoup de critiques sur le caractère « usine à gaz » des procédures d'indemnisation. La méthode italienne consiste à indemniser a priori et de vérifier a posteriori. J'ai entendu des remarques déçues de la part d'éleveurs qui, pour certains, ne veulent même plus présenter de dossiers devant les commissions d'indemnisation dans la mesure où ils ont le sentiment d'être en position d'accusé. J'aimerais connaître votre sentiment à ce sujet.

Troisièmement, l'association ADET nous a donné un certain nombre de chiffres parmi lesquels une sorte de sondage par rapport à l'impact des mesures de protection comme les chiens de protection, en indiquant qu'en 2002, ils estimaient à 739 le nombre de brebis sauvées du fait des mesures de protection, en dehors même de la problématique de l'ours. Validez-vous ces chiffres ?

Quatrième question que j'ai déjà posée à plusieurs reprises : la réintroduction était-elle vraiment nécessaire ? Ne pouvait-on avec la population endémique engager une action en matière d'extension de zones d'habitat comme cela se fait pour d'autres espèces, en favorisant la pénétration d'habitat par une espèce qui est en voie de disparition et sa protection ? A terme, les ours indigènes des Pyrénées ne vont-ils pas disparaître ?

Enfin, quelle est la suite du programme ? Dans la situation actuelle, si j'ai bien compris, à terme l'espèce va disparaître des Pyrénées. Quelle politique sera menée ? Va-t-on continuer à réintroduire des ours peu à peu ou va-t-on arriver avec un Transal de soixante individus, trente mâles et trente femelles ?

Question complémentaire, avez-vous déjà en perspective des mesures concernant l'arrivée probable du loup ?

Melle Evelyne SANCHIS : Quand vous dites qu'il s'agit d'une batterie de mesures qui existent par ailleurs, la spécificité du programme ours est d'avoir rajouté une couche supplémentaire. Je ne sais pas ce que vous avez dans les Alpes au niveau des anciens CTE car cela dépend des régions...

M. Joël GIRAUD : Nous avons une « resucée » par rapport à la politique générale sur des zones particulières liées soit aux parcs nationaux, soit à des politiques spécifiques à Natura 2000. Il y a eu beaucoup d'héliportage, de cabanes pastorales refaites sur des crédits d'Etat.

Melle Evelyne SANCHIS : Ici, il y a deux choses.

Pour ce qui est du gardiennage, pour parler de ce qui fonctionne mais n'est pas toujours mis en place par les éleveurs, nous avions une couche de base qui était le gardiennage « agricole », si je puis dire. Et de façon à inciter davantage les gestionnaires d'estives à mettre en place ce gardiennage car, dans les Pyrénées centrales, c'est vraiment le gros point noir, on a ajouté une première « sur-couche » ours pour inciter au gardiennage et une seconde pour inciter les éleveurs à demander à leur berger qu'il y ait une conduite par quartier et un regroupement nocturne des animaux.

A cela, s'est ajouté le financement de clôtures mobiles. Effectivement, existait déjà le financement de clôtures agricoles classiques mais elles ne sont financés qu'à des taux de 50 %.

Melle Evelyne SANCHIS : Sur les clôtures mobiles, nous finançons la totalité de la clôture. C'est vraiment une clôture destinée à la protection de l'ours. Ce n'est pas une clôture de contention.

Notre action par rapport aux cabanes s'inscrit plus dans une démarche pastorale classique.

M. Jean LASSALLE : Concernant les procédures d'indemnisation ?

Melle Evelyne SANCHIS : Les indemnisations a priori ne sont pas, il est vrai, le souhait qu'a manifesté le ministère de l'écologie. Il est certain que des critiques du système actuel sont formulées, par rapport notamment aux bêtes disparues. On ne peut nier le fait que certaines bêtes aient pu disparaître à cause de l'ours.

Néanmoins, les causes de disparition sont tellement variées que l'on ne peut tout mettre sur le dos de l'ours, et il est vrai qu'en finançant a priori, on peut tomber dans ce genre de dérapages. Ce n'était pas notre volonté ni celle du ministère de l'environnement, qui préférait, plutôt que d'indemniser forfaitairement, donner de l'argent pour mettre en place des mesures de prévention et faire diminuer les dommages. La politique qui a été choisie a été plutôt d'essayer de réduire les dommages par une politique de prévention.

M. Philippe SENEGAS : On se pose la question, mais je n'ai pas d'éléments de réponse, de savoir s'il ne faudrait pas passer à un système assurantiel qui pourrait comprendre, d'ailleurs, les dommages dus à d'autres causes - les chiens, la maladie, la météo, etc.

Sur l'évaluation faite par l'ADET, j'ai aussi eu connaissance de ce chiffre mais je ne sais pas comment il est validé, donc je ne valide pas.

La réintroduction était-elle nécessaire ?

C'est ce que les scientifiques nous ont dit au début des années 90. Il ne restait qu'une seule population autochtone résiduelle dans le Béarn, composée de quatre, cinq ou six individus dont une seule femelle. De l'avis de tous les scientifiques, cette population était en train de s'éteindre, la femelle était âgée et l'IPHB avait envisagé d'en réintroduire. Donc, sur le diagnostic, il n'y avait aucun doute pour les acteurs de l'époque sur le fait qu'il fallait procéder à une réintroduction d'animaux et qu'une simple amélioration de l'habitat n'aurait pu générer spontanément une prolificité nouvelle.

Dès lors que la nécessité de réintroduire pour atteindre une viabilité d'une population ursine était l'objectif annoncé, le moyen était évident. En tout cas, c'est ce que nous ont dit les scientifiques, qui continuent de nous le dire.

M. Joël GIRAUD : Cela signifie que les ours natifs des Pyrénées vont disparaître ?

M. Philippe SENEGAS : Bien sûr.

M. Joël GIRAUD : Totalement ?

Melle Evelyne SANCHIS : Il peut y avoir un mixage.

M. Philippe SENEGAS : Compte tenu de ce qui se passe et de ce que sera l'avenir de cette politique, compte tenu du fait que Néré a suivi la femelle béarnaise toute la saison passée, de toute façon, il est clair que, même avec la réintroduction qui a été opérée et sa descendance, même en comptant la population d'origine slovène, plus la population béarnaise, et dans l'hypothèse où les croisements deviennent plus importants, les scientifiques disent que nous ne sommes pas à un stade qui permet d'atteindre un niveau de viabilité.

M. Joël GIRAUD : Pourquoi avoir réintroduit des ours slovènes plutôt les ours marisquins de la région de Rome ?

M. Jean LASSALLE : Pour compléter la question de M. Giraud et apporter quelques éléments de compréhension, deux points.

Premièrement, l'IPHB n'avait pas envisagé de réintroduire ici, mais de réintroduire deux femelles dans le Haut-Béarn et cela s'inscrivait dans une démarche. Après des années de combat, et après que l'IPHB a eu reçu délégation pour prendre en charge ce problème, rien n'était décidé.

Cela me ramène à la question de M. Giraud qui demandait s'il y avait besoin d'une évolution dans les Pyrénées centrales, et c'est là que les choses prennent tout leur sens, parce que la plupart de nos concitoyens ne savent pas qu'il existe des ours autochtones et des ours introduits. Cela a été un élément de discordes très fortes. Les Pyrénéens entre eux se sont affrontés et l'on se demandait comment il se faisait que dans certains endroits, on soit favorable à l'ours et dans d'autres, contre.

Il faut donc replacer tout cela dans son contexte et redonner tout le sens à cette question. Ce que nous entendons dans les Alpes à propos des loups et que nous avons entendu ici aujourd'hui, c'est que les éleveurs se sentent pris en otage, parce qu'ils subissent l'ours ou le loup alors qu'ils ne les voulaient pas. Maintenant, ils sont bien obligés de faire avec alors qu'ils considèrent que c'est incompatible avec leur métier.

M. Philippe SENEGAS : Si je peux interpréter vos propos, je dirai que la concertation, non pas inexistante mais insuffisante, dans le démarrage du processus a été une cause de non-acceptation sociale par une partie importante des acteurs sur le massif des Pyrénées - en tout cas, de ceux que l'on entend - de même qu'au plan scientifique, indépendamment des aspects socio-politiques, on peut toujours poser aujourd'hui la question de savoir s'il n'aurait pas été mieux de réintroduire dans les Pyrénées centrales ou de renforcer la population béarnaise. Mais, comme on ne refera pas l'histoire ...

M. Jean LASSALLE : On ne refait pas l'histoire, mais si l'on avait écouté ceux qui disaient que cette réintroduction n'était pas souhaitable, y compris dans la communauté scientifique car, dans les années 80, il s'agissait de « sauver la population des ours des Pyrénées » qui restaient et de nombreux scientifiques étaient déjà opposés à l'idée d'une réintroduction ou d'un renforcement.

Ensuite, s'est développé très rapidement un projet autour de Melles pour lequel M. Rigoni, que nous avons reçu, s'est prononcé favorablement. Le projet s'en est trouvé accéléré et au moment où nous essayions tant bien que mal d'apaiser les passions, le projet de réintroduction a démarré. Il y a eu certainement un défaut d'explications dans les Pyrénées centrales, mais il y en a eu aussi dans les Pyrénées occidentales où cela a fait rejaillir le débat. Je sais bien que vous n'allez pas reprendre le débat a posteriori... mais ce sont des données qu'il faut essayer d'intégrer pour savoir d'où viennent les choses. Cela ne nous dira pas ce qu'il faut faire demain, mais pour bien savoir où l'on va demain, il faut savoir d'où on vient.

M. Philippe SENEGAS : Pour la suite, sans vouloir être provocateur, je dois dire que le bilan n'est pas si négatif que cela.

Du point de vue scientifique, la réintroduction d'ours slovènes a été une réussite : ils ont trouvé leur habitat, se sont développés, ont fait des petits.

Du point de vue de l'acceptation sociale, les choses ont été violentes, comme le signalait M. le député, notamment en raison d'une insuffisance de concertation et de dialogue initialement.

En même temps, nous ne sommes pas dans un paysage de refus total. Tout d'abord, parce que les dommages s'atténuent, comme on l'a vu. Même s'il reste quelques discussions sur des disparitions que la commission n'aurait pas prises en compte, rapportées à la population d'ovins, soit 570 000 à peu près, nous jouons sur des millièmes, alors que les éleveurs nous disent eux-mêmes que leurs pertes normales sont entre 2 et 4 %.

Finalement, on s'aperçoit que les dégâts ne sont pas très nombreux et qu'il y a aussi quand même des acteurs, des citoyens, des habitants qui sont favorables. J'ai vérifié les conditions du sondage qu'a fait faire WWF avec l'ADET par l'IFOP, les conditions de ce sondage sont celles de tout sondage. Quand ce sont des sondages politiques, on met aussi en cause les résultats qui ne conviennent pas, mais c'est une méthode de quota.

J'ai vérifié cela avant de le diffuser à l'ensemble des préfets et je leur ai communiqué les conditions du sondage pour qu'ils aient des éléments de précision.

Vous dites que l'acceptation sociale n'est pas brillante mais cela me semble plus partagé, plus complexe.

Donc, la question de savoir comment continuer est une vraie question, à laquelle je n'ai pas la réponse car celle-ci est évidemment politique.

Je crois cependant qu'il faut que les scientifiques nous disent ce qu'il faudrait faire si la décision politique était prise : réintroduire une femelle ou deux en Béarn, ou ailleurs ? Si l'objectif est d'atteindre à terme une population viable, la façon d'y arriver appartient aux scientifiques. Des études sont en cours à l'ONCFS et dans certains laboratoires, notamment de l'ENS.

Bien évidemment, l'autre dimension pour prendre une décision politique est celle de savoir comment construire de façon partagée, c'est-à-dire d'une façon qui permette d'espérer une acceptation majoritaire. Comment mettre en place un processus de concertation pour élaborer un projet, voire pour le mettre en débat public, techniquement, nous savons le faire. La décision politique est à prendre. Je ne peux en dire plus. Je dis simplement que si la décision politique était prise, je vois bien comment, tous acteurs réunis, nous pourrions mettre sur pied une méthode de débat qui soit reconnue par l'ensemble des acteurs et dont on verrait à l'issue du débat si la conclusion est positive ou pas. On sait le faire ; il existe des commissions nationales de débat public dont les processus de concertation sont connus et mis en œuvre.

Très concrètement, cette question se pose depuis longtemps. Le précédent gouvernement, donc, la précédente ministre de l'environnement, en 2001, avait dit au préfet coordonnateur de massif pour les deux années à venir 2001 et 2002, que sa position était de ne pas retirer d'ours mais de ne pas renforcer. Elle lui demandait de faire en sorte que le programme de mesures d'accompagnement se mette en place, que soit bien organisé le rôle des services de l'Etat et des établissements publics pour que cela fonctionne, que soit développée la concertation là où il pensait pouvoir le faire et qu'une décision serait prise à l'issue de ces deux années.

L'issue de ces deux années était fin 2002. Entre temps nous avons changé de gouvernement. La ministre est venue vous voir et il n'est pas interdit de penser qu'il y a eu d'autres contacts. Pour ma part, j'attends les décisions politiques. Donc, je continue à faire vivre le dispositif pour lequel on continue à me donner des moyens et je mettrai en œuvre les décisions politiques, quelles qu'elles soient.

M. Joël GIRAUD : Avez-vous pris des précautions particulières pour le loup ?

M. Philippe SENEGAS : Non, nous n'avons pas pris de mesures de précaution particulière.

Melle Evelyne SANCHIS : Nous sommes conscients qu'il y en a en Espagne et qu'ils montent vers le territoire français. Il est clair que toutes les mesures d'accompagnement que nous essayons de mettre en place servent aussi de prévention pour le loup. Si nous avons un gardiennage bien installé, des cabanes dans les estives, un pastoralisme qui fonctionne, les mesures de protection par rapport au loup seront plus faciles à mettre en œuvre.

M. Jean LASSALLE : Le problème du loup a l'air encore plus difficile à traiter que celui de l'ours.

M. Philippe SENEGAS : Je pense que si le loup arrivait, le problème de l'ours apparaîtrait comme négligeable.

M. Augustin BONREPAUX : C'est vrai que les prédations sont moins importantes mais elles sont concentrées. Vous avez des zones où il y en a et d'autres où il n'y en a pas. Sur le tout le territoire, s'il y a davantage d'ours, il y aura davantage de prédations. Ne pensez-vous pas qu'une nouvelle introduction va provoquer des remous, surtout si elle se fait dans les mêmes conditions ? Je vous remercie d'avoir reconnu qu'il n'y avait eu aucune concertation, en tout cas en Ariège.

Ce qui me heurte le plus, c'est le manque de démocratie. On prend l'avis de quatre communes et on l'impose aux autres. C'est inacceptable.

M. Philippe SENEGAS : Je pense que le débat a été plus large, monsieur le député. Je ne pense pas que M. Barnier ait pris cette décision sur une concertation aussi limitée. Il y a eu un débat un peu plus large que vous ne dites.

M. Augustin BONREPAUX : A propos du bilan, de la réunion de Toulouse. J'ai eu le sentiment de faire un déplacement pour rien. On ne m'y reprendra plus ! On vient s'exprimer et il n'en ressort rien ; on dit que le bilan est positif. La prochaine fois ne comptez pas sur moi.

M. Philippe SENEGAS : Ce n'est pas ce qui a été dit, c'est ce que vous avez entendu au moment où vous y étiez mais je m'inscris en faux. Bien d'autres que vous ont dit qu'ils n'étaient pas contents. Nous n'avons donc pas tiré un bilan positif.

M. Augustin BONREPAUX : Les actes du bilan qui sont parus...

M. Philippe SENEGAS : Non, monsieur le député, ce ne sont pas les actes du colloque, c'est le bilan du programme LIFE. C'est tout à fait différent. Nous avons tiré le bilan du programme LIFE au regard de ce qui l'avait motivé, c'est-à-dire les arguments scientifiques.

M. Augustin BONREPAUX : Si vous nous aviez dit que nous allions là-bas pour des arguments scientifiques, je n'aurais pas fait le déplacement.

Je reviens parce que cela me tracasse sur le fait que vous gérez l'équipe de suivi...

M. Philippe SENEGAS : Non, c'est l'ONCFS qui gère l'équipe de suivi.

M. Augustin BONREPAUX : L'ONCFS gère les bergers itinérants et l'ONCFS ne gère pas les chiens patous. Pourquoi décentralisez-vous cela en le confiant à une association ?

Mme Evelyne SANCHIS : Les chiens patous n'ont jamais été gérés par la DIREN. C'était l'association des pâtres qui gérait cela.

M. Augustin BONREPAUX : Excusez-moi, mais c'est ce que j'avais lu dans le premier bilan que vous m'aviez donné. On voyait bien les salaires, les déplacements, etc.

C'est cela qui est un peu surprenant. Vous avez d'un côté le berger itinérant qui est payé par la DIREN et le berger qui est en montagne qui assure un autre travail et n'a pas le même salaire. Je trouve qu'il y a là une disproportion. C'est pour cela que je disais que s'il y avait une revalorisation de ceux qui sont sur place, peut-être les choses seraient-elles plus faciles ?

J'ai une autre question. J'ai vu passer beaucoup de photos et je n'en ai pas reconnu de l'Ariège. Peut-on faire pâturer toute la montagne et faire des regroupements nocturnes chez nous ? Cela veut dire qu'il faut des troupeaux de 500 brebis et encore, pour les regrouper, c'est extrêmement difficile parce qu'elles partent dans les cheminées et on ne peut pas toutes les faire redescendre le soir.

Si tous les troupeaux étaient gardés, il y aurait moins de prédation, je le reconnais. Mais alors, il faut davantage de gardiens. Avez-vous évalué le coût représenté ?

Je ne cesse de le répéter, au moment où l'on nous dit que les crédits européens vont disparaître, au moment où l'on nous dit que l'Etat doit faire des économies, je m'interroge. Si quelqu'un me garantit que l'Etat nous paiera des bergers et remettra la montagne en état, pourquoi pas ? On me l'avait un peu promis mais je vois que pour les éleveurs, la situation ne change pas.

Vous avez parlé de l'acceptabilité, mais pensez-vous que dans les conditions actuelles, les conditions d'acceptabilité sont réunies pour poursuivre cette réintroduction ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait d'abord mieux organiser l'élevage et les estives ?

Melle Evelyne SANCHIS : Sur votre première question, vous parliez de l'équipe de suivi et de la DIREN par rapport aux différentes actions. Il est vrai que le fonctionnement n'est pas évident à comprendre parce qu'il y a de nombreux acteurs. Dans les documents que vous avez vus précédemment, l'équipe de suivi s'appelait l'équipe DIREN-LIFE. Elle avait été mise en place dans le cadre des financements LIFE. Différents partenaires intervenaient : ONF, ONCFS, les fédérations des chasseurs et, à l'époque, l'association des pâtres, qui embauchait l'animateur chiens patous. Ensuite, cela a été transféré à une autre association, l'association pour la cohabitation pastorale, mais l'animateur chiens patous n'a jamais été embauché directement par la DIREN.

En fait, tous les gens de l'équipe de suivi non plus. Il y a des gens des fédérations de chasseurs, de l'ONF qui sont, effectivement, rémunérés pour une partie de leur activité - puisqu'ils ne sont pas à 100 % sur le programme ours - par des crédits du ministère de l'environnement.

M. Philippe SENEGAS : Sur la question de savoir s'il y aurait un moyen de rémunérer autant de bergers que nécessaire, j'ai dit tout à l'heure que ce qui me semblait la vraie question de fond était l'avenir du pastoralisme. Ne faisons pas porter au ministère chargé de l'environnement cette question. Qu'on lui fasse payer, à juste titre, le surcoût dû à la réintroduction d'un animal qui peut poser des problèmes, c'est légitime, mais ce n'est pas à lui de payer ce qui serait la redynamisation d'une filière pastorale. Que l'on s'y mette tous ensemble, ce n'est pas la même chose. Mais c'est bien cela la question centrale.

M. Augustin BONREPAUX : Alors, qui paie ? Parce que, aujourd'hui, un berger pour 1.500 moutons, cela suffit. Si l'on fait ce que vous préconisez, il faut trois bergers. Qui paie la différence ?

Melle Evelyne SANCHIS : Un berger pour 500 moutons, je pense que vous allez un peu loin.

M. Augustin BONREPAUX : Je vous emmène quand vous voulez en montagne et vous verrez dans quelles conditions ils doivent garder les brebis.

M. Philippe SENEGAS : Nous préconisons le regroupement tout simplement parce qu'il y a des ours et que c'est la meilleure façon de protéger le troupeau. Nous étions à un chiffre de 80 bergers, ce qui sur le nombre total de bergers n'est pas rien. On estime qu'ils sont 150 en 1999. On n'en paie pas 80 à salaire complet, mais nous aidons en apportant un complément.

M. Jean LASSALLE : Que font les bergers saisonniers le reste du temps?

Melle Evelyne SANCHIS : Un des problèmes du pastoralisme est justement de savoir comment employer les personnes pendant les périodes d'inactivité.

M. Philippe SENEGAS : C'est un problème. Certains vont en station de sport d'hiver.

Melle Evelyne SANCHIS : Vous disiez qu'il y a des déséquilibres entre les salaires des bergers permanents travaillant pour les éleveurs et ceux des gardiens itinérants. Notre volonté est d'essayer de faire en sorte que les premiers soient le mieux rémunérés possible. Donc, dans les mesures d'accompagnement, l'une des clauses est l'augmentation du salaire du berger, de manière à rendre cette profession plus attractive, pour essayer d'aller au-delà du Smic et faire en sorte que ces personnes aient un salaire décent. Nous demandons donc que l'éleveur qui prend cette mesure d'accompagnement paie plus son berger.

M. Philippe SENEGAS : Sur la question de savoir si les conditions d'acceptabilité sont réunies pour une nouvelle réintroduction, je réponds que non, dans l'absolu. S'il était décidé de s'orienter vers une réintroduction, il faudrait créer les conditions de l'acceptabilité. C'est pour cela que je parlais tout à l'heure d'une concertation approfondie avec l'ensemble des acteurs, voire ensuite d'un débat public : définir les conditions de l'acceptabilité dans l'élaboration concertée d'une politique sous tous ses aspects - réintroduction et dispositif d'accompagnement - et vérifier l'acceptabilité par une procédure de débat public.

Donc, les conditions ne sont pas réunies aujourd'hui, mais je ne dirais pas qu'elles seraient impossibles à réunir. Je ne le sais pas, c'est la démocratie qui peut le montrer.

M. Augustin BONREPAUX : Je vous réponds, moi, que cela dépendra des moyens qu'on nous donnera.

M. André CHASSAIGNE : Dans les Alpes, j'ai constaté que pour 27 loups, on avait créé une commission d'enquête de 29 députés et, maintenant, je constate que pour soixante 77 brebis tuées, il y a 80 bergers supplémentaires.

Je termine par une question tout de même, pour une réponse en quatre mots. Puis, je vous en donnerai une qui m'a été faite : l'ours, pour vous, à quoi ça sert ?

M. Jean LASSALLE : Je voudrais vous remercier d'avoir répondu à nos questions sur un sujet difficile sur lequel nous essayons de cheminer.

En ce qui concerne l'administration que vous représentez, il semble qu'on ne lui prête pas l'objectivité qu'on prête habituellement à l'administration française. Un certain nombre de personnes que nous auditionnons disent que les administrations qui travaillent sur ces dossiers sont trop passionnées et, souvent, très sensibles aux énormes pressions, tantôt des campagnes médiatiques, tantôt des organismes d'associations de défense de la nature et de puissants lobbies...

M. Philippe SENEGAS : Ai-je un droit de réponse ?

M Jean LASSALLE : Bien sûr, sinon, je ne vous le dirais pas.

M. Philippe SENEGAS : Quel Etat demandez-vous ? N'est-il pas mieux d'avoir un Etat avec des gens motivés plutôt qu'avec l'image que l'on donne de bureaucrates au fond de bureaux poussiéreux ?

J'ai la chance d'appartenir à une administration relativement jeune dans le paysage administratif institutionnel français, où effectivement beaucoup d'agents sont motivés et viennent à l'environnement non pas parce qu'ils sont militants d'une association mais par conviction, parce qu'ils pensent se réaliser. C'est le cas d'une majorité des agents recrutés notamment dans les périodes récentes où nous avons accru nos effectifs. Nous avons beaucoup de jeunes ingénieurs qui sont entrés, issus des corps de l'agriculture ou de l'équipement. Ce sont des gens très motivés. Pour moi, c'est un atout extraordinaire d'avoir une telle administration.

Passionnés, dites-vous. Mais les passions sont de tous les côtés et ces agents se trouvent au cœur d'un système de passions et de pressions. Vous en évoquez certaines, pardonnez-moi de dire que celles qui agissent dans l'autre sens sont aussi très lourdes et nos agents - pas seulement sur l'ours mais sur bien des questions environnementales - sont en position très exposée.

Qu'ils réagissent avec un intérêt qui peut sembler parfois une motivation un peu débordante ou de la passion, je dirai que c'est peut-être affaire de jeunesse. En tout cas, c'est à mon sens plutôt un signe positif. Cela vaut mieux que de traiter les choses autrement, comme des actes administratifs.

En tout cas, je récuserai à tout moment le fait qu'une quelconque position ou décision administrative de la DIREN puisse être interprétée comme une position militante au sens d'une adhésion et non comme une position objective de mise en œuvre d'une politique pour laquelle elle existe. Je me battrai à tout moment parce que cela est une image un peu ancienne mais que certains acteurs s'évertuent à colporter et je pense que puisque c'est la nation qui s'exprime, la représentation nationale doit aussi aider le ministère de l'environnement à trouver son image objective, s'il apparaît qu'il est critiqué indûment.

M. Jean LASSALLE : Nous vous remercions.

Audition conjointe de
M. Michel MAUMUS, conseiller général de Lasseube, président de la commission environnement du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques,
vice-président de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB),
président des commissions Ours, Sécurité pastorale,
et de M. Didier HERVE, directeur de l'IPHB

(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2003, tenue à Pau)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

MM Michel Maumus et Didier Hervé sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, MM. Michel Maumus et Didier Hervé prêtent serment à tour de rôle.

M. Jean LASSALLE : Le Président, M. Estrosi, ayant été retenu, je suis amené, au titre de secrétaire de la commission, à le représenter aujourd'hui.

Le docteur Michel Maumus, docteur en médecine générale dans ce département, a exercé beaucoup de responsabilités : expert senior à la Banque Mondiale ou au Fonds Monétaire International, il a également apporté une contribution décisive à la crise très violente qui s'est abattue chez nous avec l'ours.

M. Didier Hervé, ancien directeur du centre ovin d'Ordiarp - centre qui a joué un rôle primordial dans le développement de la filière ovine, très importante dans ce département - a accepté, lorsque l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn est née, d'en devenir le directeur à la demande des principaux protagonistes : le Préfet, le président de la Chambre d'agriculture de l'époque et les élus.

Nous entendrons vos exposés avant de vous poser nos questions.

M. Michel MAUMUS : Messieurs les députés, mesdames et messieurs, je vais essayer d'apporter à la commission un éclairage peut-être différent de celui que vous avez eu ces jours-ci. Je ne centrerai pas mon propos uniquement sur la gestion des territoires de montagne et sur la gestion des conflits en matière d'environnement, sur l'ours et le développement pastoral, mais j'essaierai de vous dire mon vécu de douze ans en tant que délégué à l'environnement dans les Pyrénées-Atlantiques. Je vous dirai surtout comment un nouveau mode de penser la gestion des conflits dans l'environnement, et surtout la gestion du territoire, a vu le jour dans ce département et comment, à mon sens, il semble être porteur d'espoir pour l'avenir et surtout porteur de développement durable, même si ce terme a été maintes fois galvaudé sur la planète.

Point important : je ne voudrais pas que votre commission, comme certains milieux clos parisiens, enferme l'approche de l'ours ou du loup dans une vision anecdotique qui pourrait lui conférer un caractère extrêmement restreint et réducteur.

Ce qui a prévalu dans notre département, c'est la mise en place d'un nouveau mode de penser la gestion des territoires, issu d'un premier constat : chaque région, chaque département veut montrer que son territoire est le plus beau, le plus riche, le mieux mis en valeur en matière d'environnement. Je ne dérogerai pas et j'expliquerai pourquoi notre département est très particulier.

A l'aube du troisième millénaire, ce département possède encore du grand saumon de l'Atlantique, du vautour, du gypaète barbu, de l'ours brun des Pyrénées. Aucun département français, aucune région de l'Europe occidentale ne réunit encore une telle concentration de ressources qui sont, soit des espèces protégées soit des espèces exploitées. J'ai passé sous silence la pibale (civelle).

Ces richesses concentrées sur un petit territoire, fragiles et très exploitées comme le saumon ou la civelle, ou protégées comme l'ours - richesses en voie d'extinction ou extrêmement menacées - ont obligatoirement mis ce département dans l'oeil du cyclone des mouvements environnementalistes.

Depuis plus de quinze ans, ces mouvements nationaux ou internationaux - je n'en prendrai que deux : le mouvement très radical de l'Ecole américaine des « Deep Ecologists » et celui de l'Ecologie animalière - se sont particulièrement intéressés à la gestion de notre territoire. Leur pression extrêmement forte sur les médias nationaux et internationaux a souvent pesé lourd sur les décisions politiques et sur le comportement de l'administration vis-à-vis de ses pouvoirs et de ses devoirs sur notre territoire.

Avec, d'un côté un environnement riche, varié, fragile et de l'autre, des mouvements forts pour une protection accrue, il s'est malheureusement passé ce qui devait se passer : la réponse politique et celle de l'administration sur la préservation ou la mise en valeur de ces richesses ont été uniquement des réponses réglementaires en couches successives.

Par exemple, pour le saumon et la civelle, nous avons successivement connu la mise en place de T.A.C. (taux admissibles de capture) et de quotas. Ces quotas sont certes nécessaires quand une ressource est en voie de disparition car il est alors important de partager. Mais est-ce le but de partager une pénurie ? Ne fallait-il pas s'interroger sur les vraies causes de leur disparition, gérer les milieux en bon père de famille et mettre tous les acteurs autour de la table pour que chacun puisse décider en son âme et conscience ce qui était bon pour l'exploitation de la ressource ?

Que s'est-il passé pour l'ours ? Les mêmes erreurs ont été faites. Nous avons connu un plan ours draconien. Nous avons pensé que la mise en place d'un parc national serait suffisante pour permettre à la grande faune de se reproduire en autarcie, mais la grande faune a décidé d'aller vivre ailleurs et elle est sortie du parc national, sonnant l'échec de la mise en enclos ou de la mise en réserve.

Par la suite, nous avons reproduit en cascade les mêmes erreurs, comme les réserves Lalonde. Chez nous, elles ont provoqué une guerre armée avec des gardes à vues, des emprisonnements, des menaces physiques sur les personnes ; autrement dit un climat délétère qui, certes, n'a rien à voir avec les informations sur France Info ce matin. Ce n'est pas la même dimension. Dans une démocratie occidentale et mieux, dans nos vallées pyrénéennes, c'est quelque chose dont nous n'avions pas coutume.

Je suis sûr que ce carcan administratif et réglementaire partait d'un bon sentiment de la part de l'administration. Face à ces ressources fortes en matière patrimoniale, face à ces faiblesses et fragilités, l'approche environnementale était nécessaire, mais elle avait une grosse lacune : l'administration avait oublié que l'environnement, en Europe et en France, est d'abord humain.

Nos territoires et nos paysages ont été pétris par l'agriculture, qu'elle soit de montagne ou de vallée. Le savoir-faire des hommes pendant des millénaires a permis de sauvegarder ces espèces. Le miroir a deux faces : d'un côté, par une incurie majeure, nous n'avons pu préserver des stocks importants d'ours et de saumons ; de l'autre côté, n'avons-nous pas eu une gestion en bon père de famille puisque nous étions le seul territoire à les avoir encore ? Je penche plutôt pour la deuxième partie de ce propos.

L'approche environnementale, indispensable, incontournable et légitime, aurait dû être doublée d'une approche socio-économique. Notre région représente la moitié du pastoralisme de la chaîne pyrénéenne. Deux tiers à trois quarts des revenus des bergers proviennent des estives. Ces vallées se sont dépeuplées pendant des années. Il fallait se poser les vraies questions économiques et socio-économiques.

Dernier point, souvent oublié dans l'approche stratégique : les us et coutumes. Comment nos parents, nos aïeux ont-ils vécu dans la gestion de l'espace ? Quels étaient leurs rapports avec la nature ? Autrement dit, l'approche sociologique était le troisième support qui nous paraît indispensable pour gérer de façon durable l'espace, les espèces et pour, d'une certaine façon, mettre l'homme au centre de nos préoccupations.

J'ai eu le privilège de travailler en forêt primaire chez les Pygmées. J'ai vu que la mère nature n'est pas toujours source de bienfait. La nature brute est quelque chose de dangereux, d'agressif, pour laquelle nous ne sommes pas prêts. De grâce, considérons que la nature humanisée fait partie de notre patrimoine et que l'homme y a toute sa place !

Voilà pour moi les angles d'attaque retenus par l'administration et malheureusement, par certains courants politiques.

Alors, nous avons vu fleurir sur ce territoire des démarches absolument aberrantes. Comment pensez-vous que l'on puisse mettre une stratégie de protection Natura 2000 quand près de 30 % de notre territoire est zoné ? Comment les communes de montagne vont-elles vivre s'il n'y a plus d'exploitations forestières ? Comment nos bergers vont-ils exploiter la montagne si on leur dit que cent pour cent de leur territoire est sous réglementation stricte ?

Il y a un seuil du tolérable, il y a surtout un seuil du possible. Même si l'on vise des objectifs forts en matière d'environnement, il faut veiller à la possibilité de mise en place des mesures. C'est ce qui nous a conduits, entre l'idéal et le possible, à tenter deux grandes expériences de gestion démocratique dans ce département. L'une repose sur un E.P.T.B., un établissement public territorial de bassin, un institut sur l'eau, pour gérer les amphihalins, c'est-à-dire le saumon, la civelle et l'alose. L'autre repose sur l'Institution patrimoniale pour essayer de gérer en bon père de famille avec une approche différente : celle de la gestion patrimoniale, celle de la mise en patrimoine commun, celle de la stratégie gagnante pour l'ours, gagnante pour le berger, celle que nous avons essayé de mettre en place, avec des structures de gestion locale, participative, démocratique et décentralisée dont on parle beaucoup actuellement.

Comment est-ce né ? C'est né ici en préfecture voisine après les conflits du plan ours et des réserves Lalonde où les politiques, les acteurs socio-économiques du pays, l'Etat, l'administration déconcentrée, ses services, le conseil général, les élus locaux, les mouvements de défense de l'environnement ont pactisé dans une Charte de développement durable des vallées béarnaises et de protection de l'ours.

Nous avons vécu une expérience unique de démocratie locale qui s'est répétée au sein de l'Institution Adour pour les amphihalins et à travers laquelle nous avons essayé, par le dialogue et la compréhension mutuelle, par la mise en commun des données
- autrement dit par un climat de confiance retrouvée - de mettre en place les arcanes d'un développement durable. Il s'agissait de se revoir régulièrement pour atteindre un but commun au bout des cinq ans de la charte : que la population d'ours soit protégée, que nos bergers soient toujours présents dans la montagne et que les jeunes bergers soient là pour reprendre le flambeau. C'est ce que nous avons essayé de faire.

Cinq ans après, même si la démarche a été imparfaite  - elle était expérimentale et donc, perfectible - l'ours est toujours présent. Nous avons stoppé l'hémorragie. La population d'ours est relictuelle, mais elle est toujours là. Nos bergers sont encore présents et de jeunes bergers s'installent. Sans avoir toutes les données, nous avons donc permis d'apporter une certaine ouverture, un certain corps à notre démarche locale en associant étroitement l'Etat, dès le départ, et en lui faisant confiance. Cette confiance a été mise à mal par certains comportements qui ne me paraissent pas souhaitables dans une démarche participative. Je suis volontairement modéré dans mes propos.

Il faut comprendre qu'au démarrage, cette expérience était mal vue au niveau central. L'Etat est l'héritier d'un pouvoir jacobin, l'administration est très puissante, elle a une certaine constance. J'ai connu six ministres de l'environnement et pratiquement les mêmes conseillers, les mêmes cabinets. Je n'ai donc pas de mal à me repérer dans les méandres de l'administration. Elle n'a pas fait cette démarche patrimoniale, cette approche économique et sociologique. Elle a eu des hoquets, elle a eu du mal à nous suivre et elle n'a pas souhaité nous donner cette petite partie d'autonomie ou de responsabilité supplémentaire qui aurait permis de passer le cap. Je dirai même qu'à un certain moment, elle a vu un danger de perte de pouvoir et d'audience. Au fil de la démarche, nous avons senti les verrous se fermer, la confiance disparaître. Nous en sommes revenus à un système de gestion que je pensais complètement suranné, celui de l'administration préfectorale du XIXème siècle.

A un moment donné, nous n'avons plus eu d'information sur le suivi des ours. Plus d'information, plus de pouvoir ! Quel est le pouvoir local sans l'information ? Nous avons vu nos prérogatives progressivement retirées. Sur l'indemnisation des dégâts d'ours, plus d'autonomie ; sur le protocole de la capture d'ours sauvage ou à comportement aberrant, plus d'autonomie. Enfin, je ne parviens pas à comprendre le refus du pacte d'objectifs.

Nous avions mis en place localement une possibilité de réintroduire nous-mêmes des ours sauvages dans ce territoire. Nous étions allés en voyage d'étude en Croatie, Slovénie, Autriche, repérer des ours sauvages qui ne connaissaient pas l'homme. Nous avions des protocoles de capture et de réintroduction. Les bergers, vaille que vaille, avaient compris qu'il fallait en passer par là. Les statistiques montrent que le désir d'ours dans les Pyrénées existe localement et nationalement. Nous avons compris le message et nous avions accepté qu'un oeil extérieur vienne nous aider à mener cette démarche à bon port.

L'administration centrale à Paris, devant un sous-préfet qui m'accompagnait, devant les mouvements de défense de l'environnement et des scientifiques comme M. Camarra, a refusé. Elle a prétexté que nos efforts en matière de restauration des biotopes, des zones trophiques ou des zones de reproduction de l'ours n'avaient pas été suffisants. C'est une erreur monumentale. Ce fut pour nous un camouflet terrible et, surtout, ce fut le début de la perte de confiance.

Il faut ajouter à cela une réaction extrêmement incompréhensible pour nous : plus tard, des ours humanisés étaient réintroduits à Melles dans le territoire des Pyrénées-centrales.

Pour nous, c'était plus qu'une insulte, cela niait cinq ans de travail en commun, cinq ans de démocratie participative, cinq ans de négociations. J'en ai mené qui ont duré des nuits entières entre les bergers et les mouvements de protection de l'environnement. Nous avions mis en place les conditions de la paix locale. Mais on a préféré réintroduire des ours « humanisés » dans une population de bergers qui avaient perdu la mémoire de l'ours. Ils ont été confrontés à des situations qui remontaient au siècle dernier et qui n'étaient plus dans la mémoire collective.

Vous ne pouvez pas, par ces pratiques, garder un climat de confiance localement et aller aux fins qui sont les vôtres : celle du développement durable, de la protection de la faune et de l'exploitation en montagne des ovins. D'autant que chez nos amis bigourdans, on ne fait plus d'ovin à lait, on fait de l'ovin à viande en pâturage large, libre, avec des risques d'attaques multiples et variées. De plus, ces ours connaissent la présence humaine.

On a eu faux sur toute la ligne ! On s'est trompé dans la méthode et on a voulu sanctionner une expérience de démocratie locale. C'est comme cela que je l'ai vécu - douloureusement - car nous avions fait beaucoup d'efforts pour essayer de procéder différemment sur ce territoire.

Qu'aurait-on pu faire de mieux ? Qu'aurait-il fallu faire ? A la fin des cinq ans, l'audit fait par le cabinet d'études et montrant des avancées significatives aurait dû être pour nous l'occasion de rebondir, et non pas celle qu'espérait l'administration pour nous enterrer en disant que l'expérience était close.

Nous sommes à l'arrêt depuis parce que nous n'avons pas exploité l'audit comme il le fallait. Il aurait fallu en prélever ce qui était bon pour faire un deuxième programme de charte en mettant la barre encore un peu plus haut, en faisant confiance à cette expérience locale, en s'appuyant sur les résultats de l'Institution Adour. J'en reviens au saumon. Nous avons racheté des quotas de pêche à la pêche professionnelle. Aucun département français ne l'a fait. Nous avons mis en place des modèles mathématiques d'exploitation des ressources. Aucun département ne l'a fait. Aujourd'hui, nous gérons en bon père de famille : telle année, on autorise tel prélèvement ; telle autre année, tel prélèvement. Nous avons une gestion en direct et une gestion participative. Il aurait fallu faire de même pour l'ours et rebondir sur la charte.

Pour moi, en matière d'environnement, l'avenir serait de mettre en place une gestion délocalisée qui n'est pas autonome. Nous avons besoin des structures centralisées de l'Etat pour avoir la cohérence nationale, mais nous avons besoin d'avoir une gestion au plus près des problèmes, une gestion participative où l'organe de décision est proche de l'exécutant.

La pensée unique qui tendrait à faire croire que l'approche environnementale est réservée à des scientifiques et que les acteurs locaux n'ont qu'à exécuter est une procédure morte. Ces procédés sont la source de tous les conflits. Il n'y a pas des penseurs et des exécutants, il y a un groupe qui essaie au mieux de gérer l'espace de façon durable, les activités humaines et l'environnement. Si l'on ne comprend pas ces données basiques, je pense que demain, nous répéterons avec le saumon ce que l'on a fait pour l'ours, le lynx, le loup, le vautour fauve. On est capable de répéter à l'infini, sur des générations, les mêmes erreurs.

A partir d'expériences telles que l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn ou l'Institution Adour, je souhaite intimement que les expériences soient élargies à d'autres territoires, ceux où il y a le loup et le lynx. Cette méthodologie - qui n'est pas la panacée car elle a ses faiblesses - permettrait au moins aux acteurs locaux de trouver, non le consensus qui n'existe pas, mais le plus petit commun dénominateur pour gérer les territoires.

Si nous devenons adultes demain, pourquoi ne pas imaginer un territoire béarnais-bigourdan, un établissement public de bassin, non pas de bassin versant hydraulique, mais de bassin économique ou de bassin d'emploi de montagne ? A terme, on pourrait peut-être, puisque l'on parle de décentralisation, lui déléguer de vraies missions de délégation de service public. Là, on aurait peut-être une des clés de l'aménagement durable du territoire.

Nous avons appliqué à ce département cette méthode pour mettre en valeur nos espaces naturels qui sont complexes. Nous avons interrogé les maires sur ce qu'ils souhaitaient que nous fassions chez eux. Nous ne leur avons surtout pas dit « voilà ce que nous voulons faire chez vous ». La gestion durable passait par là.

Dans les Pyrénées-Atlantiques où Natura 2000 est très combattue, les derniers documents de l'Etat répertorient une série de territoires et de zonages. En dernière page, j'ai eu la surprise de voir que dans les Pyrénées-atlantiques, les sites pilotes ne sont pas des sites d'Etat, mais des sites départementaux qui procèdent de cette gestion démocratique et participative !

M. Didier HERVE - Après ce brillant exposé du Dr Maumus, je vais vous faire une présentation du territoire de manière à ce qu'on le voie physiquement dans sa réalité et ses composantes, à partir d'une projection de cartes.

La première carte situe la logique pyrénéenne. Sur les six départements du versant nord de la chaîne, on voit deux réalités assez différentes.

La première est celle des cinq départements des Hautes-Pyrénées, la Haute-Garonne, l'Ariège, l'Aude, les Pyrénées-Orientales où prévaut une logique agricole. Ce sont des zones pastorales à production dominante de viande. L'élevage y est plus extensif, moins gardienné avec des savoir-faire différents qui ont évolué différemment.

L'autre réalité est celle des Pyrénées-atlantiques où la tradition de production de lait et de fromage en montagne s'est très largement conservée. Cela a abouti à un maillage beaucoup plus serré du territoire.

L'idée est de faire le distinguo entre ces deux réalités, sachant que la population d'ours autochtones se situe à l'ouest et que la réintroduction de 1996 1997 s'est faite plus à l'est et au centre. Bien entendu, la population d'ours a pu bouger par la suite.

Sur l'ensemble du massif, 50 % du cheptel qui transhume appartiennent au seul département des Pyrénées-atlantiques. On constate ainsi un différentiel important.

Dans notre département, la zone couverte par l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn comprend vingt communes, soit 100 000 hectares, 1 000 km² sur lesquels résident 7 000 habitants.

La réalité pyrénéenne est faite de réalités valléennes. Notre secteur compte trois vallées : la vallée d'Ossau, la plus à l'est, passant par la commune de Laruns, débouchant sur l'Espagne par le col du Pourtalet ; la vallée d'Aspe, avec ses treize communes, débouche, par le col du Somport et la vallée du Baretous, qui passe par le col de la Pierre Saint-Martin, et débouche également sur l'Espagne.

Un tiers du territoire du parc national des Pyrénées s'étend sur ces trois vallées. Le parc fait 45 000 hectares, 15 000 étant sur le territoire du Haut-Béarn.

La carte situe les ordres de grandeur des activités pastorales. Sur ces 100 000 hectares, il y a 65 000 hectares de pâturages collectifs, propriété des collectivités, subdivisés en 150 estives qui accueillent chaque année 80 000 ovins et 22 000 bovins accompagnés par 160 à 180 bergers et vachers en fonction des années. Il faut noter que 25 % de ces transhumants ont moins de 35 ans, une proportion plus forte que dans le monde agricole français. Par ailleurs, 10 % de ces bergers sont des femmes, critère important à identifier.

La zone produit 200 tonnes de fromages fermiers, soit le quart de la production départementale de fromages fermiers au lait de brebis. Il faut savoir que nous sommes le premier département français dans ce domaine avec des marques de qualité, telle l'appellation d'origine contrôlée Ossau-Iraty.

Je souhaite donner quelques précisions sur la quantité de travail qu'assument ces bergers : pour faire 200 tonnes de fromage fermier, il faut traire 1 million de litres de lait à la main en deux mois. Au plan économique, cela représente un chiffre d'affaires de 2 millions d'euros, soit 20 % du produit brut d'exploitation des exploitations qui sont en bas.

Si l'on supprimait l'estive - hypothèse que je n'utilise que pour mieux faire comprendre mon propos - nous serions dans la situation de fermer toutes les exploitations qui transhument car elles ne seraient plus viables. C'est déterminant. Cela situe le pastoralisme, non pas comme un pastoralisme de cueillette, mais comme l'extension de l'exploitation agricole qui rentre dans l'équilibre général de l'économie agricole de cette zone.

Le patrimoine forestier représente 26 000 hectares sur les 100 000 hectares des vingt communes de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn, dont le tiers est exploitable. Sur ce tiers exploitable, un tiers est exploité, soit 10 % de l'ensemble.

Nous prélevons dans cette forêt un sixième de la production biologique annuelle. Il s'agit donc d'un prélèvement très faible. Cela se traduit par deux effets : la forêt est vieillissante, en difficulté notamment dans les endroits où sa fonction est surtout la protection des villages, des infrastructures. Tout cela est important à signaler pour les collectivités. 18 % des recettes des quatre taxes de ces communes sont représentées par les recettes de reste du bois. Là aussi, c'est extrêmement important pour l'équilibre économique de ces vallées.

Si l'on regarde l'intensité de l'activité économique dans le secteur où vivent les ours autochtones, on s'aperçoit que 112 des 120 cabanes pastorales utilisées se situent dans l'aire de présence régulière ou occasionnelle de l'ours. 950 des 1 305 parcelles forestières identifiées par l'Office national des forêts sont dans le périmètre de présence de l'ours. Entre 80 et 90 % de l'activité se fait donc en cohabitation permanente avec l'ours. Considérant cela, on comprend bien que le zonage ne peut qu'être inopérant. Cette situation est vécue depuis toujours.

Derrière cette apparente « histoire d'ours », il faut voir la volonté très affirmée de gens qui vivent la démocratie participative depuis des générations. Il faut reprendre l'histoire des fors du Béarn. Le fors d'Oloron, notamment, a été créé en 1108. Les fors du Béarn étaient les premières organisations sociétales démocratiques en France. Les « juras » désignés par leurs villages, se réunissaient dans ces fors pour décider de la gestion de leurs territoires. C'est quelque chose qui est vécu profondément depuis toujours.

La volonté de sauvegarder les ours n'était pas un problème pour ces gens. La problématique a toujours été d'être co-gestionnaires, impliqués dans la gestion du territoire. Au travers de cette volonté de l'Etat de sauvegarder une population d'ours, le partage a toujours été possible. Je pense qu'il le reste, à la condition de respecter cette volonté ancestrale, profondément ancrée dans l'esprit des gens qui vivent dans ce pays, d'être co-gestionnaires, acteurs à part entière de la gestion de leur territoire.

Je voulais insister sur cet aspect des choses, même si Michel Maumus a été très précis et très brillant. C'est une apparente « histoire d'ours » qui a été récupérée par certains mouvements qui ont apporté des perturbations profondes parce qu'ils regardaient ce territoire de loin et que l'ours ayant cette capacité à transcender l'esprit des gens, à mettre de l'irrationnel, à apitoyer certaines personnes, a servi de levier pour des actions autres que celle de bonne gestion d'un territoire ou de l'ours lui-même.

A un certain moment, l'Etat lui-même aurait dû féliciter les Béarnais pour avoir été les seuls Français à faire passer le cap du XXIème siècle à une petite population d'ours originelle. Au lieu d'écarter les Béarnais, on aurait pu leur demander d'expliquer leurs savoir-faire pour cohabiter avec l'ours et les intégrer à la réflexion sur la gestion d'une population d'ours menacée ainsi que les activités économiques traditionnelles.

En 1994, je venais de travailler pendant dix ans dans le centre départemental de l'élevage ovin que j'avais réussi à faire « évoluer dans le bon sens ». J'ai fait le choix, tout en sachant qu'il était très dur, d'accompagner ce territoire dans sa gestion locale. C'était un choix profondément réfléchi et non un coup de tête ou une recherche de carrière.

A ce stade, monsieur le Président, vous me permettrez de dévoiler une partie des discussions que nous avons eues avant que j'accepte de rejoindre l'institution patrimoniale. Je vous ai demandé si nous voulions être les acteurs de la gestion de l'ours pour mieux faire vivre les bergers ou si nous voulions aussi les ours. Vous m'avez répondu que nous voulions les deux : les hommes et les ours. Mais nous avons dit : « les hommes d'abord ». C'est sur ces paroles que je me suis engagé. Je ne veux pas ramener cette commission à mes considérations personnelles. Vous m'avez donné l'occasion de prêter serment et de dire quelque chose que je n'avais jamais dit. Je vous remercie.

Je vous précise rapidement ce qu'est l'organisation de l'Institution patrimoniale : il s'agit de trois outils pour se concerter, décider et agir.

Alors que l'Etat décidait seul de ce qui pouvait se faire ou pas dans ce territoire dans le domaine pastoral, forestier, etc., par la charte de développement durable des vallées béarnaise et de protection de l'ours, c'est maintenant un syndicat mixte qui le décide. Ce syndicat mixte est constitué par les vingt communes qui ont accepté de signer cette charte, le conseil général des Pyrénées-Atlantiques et le conseil régional d'Aquitaine. Mais le syndicat mixte ne peut décider qu'à condition d'avoir recueilli un avis formel d'une grande assemblée que nous appelons le conseil de gestion patrimoniale.

Il ne s'agit pas d'une assemblée consultative, mais d'une assemblée de concertation, de réflexion et de proposition. Elle est constituée de deux collèges : celui des 28 élus qui en ont désigné 11 pour les représenter et celui des personnalités qualifiées où l'on retrouve les administrations de l'Etat, autour du sous-préfet d'Oloron Sainte-Marie, les représentants du parc national, du conseil général, du conseil régional, des scientifiques et le centre ovin. Le plus important est le collège des valléens. Nous y donnons la parole à ceux qui ne l'avaient pas ou plus, c'est-à-dire des bergers, des chasseurs, des associations de protection de la nature, des exploitants forestiers, des représentants des chambres consulaires. C'est ainsi qu'a initialement été constituée la charte.

Depuis 1994 que ce système est en place, nous avons enregistré volontairement l'arrivée spontanée de nouveaux acteurs : d'abord quatre communes en 1996 - nous étions seize initialement - puis de l'office du tourisme de la Vallée d'Aspe qui a estimé devoir participer car cette gestion transversale relevait de son rôle d'explication du territoire aux touristes, l'association départementale des accompagnateurs en montage et plus récemment, les sociétés de pêche, les transhumants gros bétail et le lycée agricole d'Oloron-Soria.

C'est donc un ensemble de très large concertation. Cela peut ressembler à une « usine à gaz », mais 167 délibérations ont été prises depuis huit ans. Pas une n'a été attaquée au tribunal administratif, alors que cela était quasiment la règle lorsque cela touchait à l'environnement, à l'époque.

J'ai le plaisir d'animer une équipe de facilitation. Il s'agit bien de « facilitation », nous ne sommes pas des spécialistes de tel ou tel domaine. Notre rôle est de faire que les acteurs soient bien ensemble, dans la transparence et la confiance.

M. le Rapporteur : Merci pour cet exposé intéressant qui nous ouvre des pistes.

Je souhaiterais vous demander si, pour le loup, il vous paraît possible de faire ce que vous avez fait avec l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn ? Pensez-vous que cela pourrait fonctionner de la même façon ?

Combien d'ours sont-ils présents sur le massif ? Pouvez-vous faire la différence entre le nombre d'ours réintroduits et le nombre d'ours autochtones ?

Je voulais demander à M. Hervé pourquoi il n'a pas été possible de réintroduire une femelle il y a quelques années ? Vous avez affirmé avec force que s'il n'y avait pas eu certains mouvements de soit-disants défenseurs de l'environnement, cela se serait beaucoup mieux passé. Est-ce bien cela ?

M. Michel MAUMUS : Je suis très sceptique sur l'application des modèles. Tout est perfectible. Il y a seulement des méthodes, des fils directeurs et des modes de penser. Ce que nous avons essayé d'inventer ici, c'est un mode de penser. Il est reproductible et se base sur des choses simples : la nature doit cohabiter avec l'homme et ses activités. La durabilité du développement passe par là.

La gestion des grands espaces, des espèces et des activités humaines doit procéder de cette démarche associative et participative avec deux principes de base : le respect de l'autre - dans la négociation autour de la table, un opposant a la même logique, la même validité, la même bonne foi que la nôtre - et le partage.

En matière d'environnement, il faut vraisemblablement arriver à faire à terme le partage du temps et de l'espace sur un même territoire. Un espace pourra être utilisé un temps pour l'activité économique, le même espace dans un autre temps devra être dédié à la protection de l'environnement. Il faut accepter la notion de partage, de responsabilité collective. Nous sommes tous co-responsables. Au-delà de la cogestion, il faut en arriver à la co-expertise.

En matière d'environnement, les scientifiques savent faire des modèles scientifiques qui ont une grande pertinence ; sur le terrain, il y a des savoir-faire ancestraux fondés sur l'observation. Il faut que ces méthodes empiriques et scientifiques se mélangent pour une meilleure gestion.

Cela peut être un mode de penser très démocratique qui permet souvent d'amorcer et de désamorcer les inévitables conflits. Didier Hervé parlait de la sensibilité à l'ours du grand public. Si, habitant d'une HLM de la région parisienne, on me montrait des assassins de Béarnais qui n'ont pas voulu conserver cette population mythique d'ours (dont certains mouvements ont pris l'image comme oriflamme) je serais aussi un défenseur radical de l'environnement et de l'ours. Vivant dans un environnement agressif, je me demanderais comment ces gens vivant dans un environnement préservé n'ont pas pris fait et cause pour l'ours. C'est en associant le maximum de participants dans la décision et la gestion locale que l'on peut espérer résoudre les conflits d'usage.

Combien y a-t-il d'ours ? Personne ne peut le dire avec précision parce les analyses génétiques n'ont jamais été faites. Et qu'en tout cas, elles ne sont pas en diffusion transparente sur le territoire. Personne ne peut dire aujourd'hui quels sont le nombre et la proportion de mâles et de femelles et quels sont ceux issus d'une reproduction naturelle et ceux qui ont été réintroduits. Les ours de Melles sont arrivés à « flirter » avec notre territoire - je ne dis pas avec nos ours. Actuellement, il y a entre cinq et neuf plantigrades sur notre territoire.

Quelle est la raison de l'échec de la réintroduction d'une femelle ? Le renforcement faisait partie du pacte d'objectifs. Nous avons délibéré au syndicat mixte en disant qu'il y avait deux éléments importants : le renforcement avec des ours sauvages choisis et capturés en Croatie; en contrepartie, une politique de protection des estives, de sécurisation pastorale, de possibilité de capture de l'ours à comportement aberrant et d'appui économique puisque les contrats territoriaux d'exploitation de montagne n'existaient pas à cette époque-là. Si ces quatre points étaient accordés, nous accepterions de réintroduire l'ours.

Nous sommes allés avec ce projet à Paris. Je me souviens de la phrase terrible du Président du Conseil national de protection de la nature qui a commencé par nous dire : « L'environnement, nous savons faire. Aux Kerguelen, nous avons introduit un couple de chats. Ils sont plus de mille aujourd'hui ». Je lui ai dit que le Haut-Béarn et le Béarn n'étaient pas les îles Kerguelen, que malheureusement ou heureusement pour nous, des hommes y vivaient et que les bouter hors de ce territoire pour laisser la place aux ours me paraissait être une procédure non conforme au développement de ce pays.

Voilà comment le pacte a été refusé. C'était une erreur monumentale. Elle a donné lieu à la malheureuse expérience de Melles qui, pour moi, est aux antipodes de la gestion de l'environnement.

M. le Rapporteur : La présence d'un parc national simplifie-t-elle ou complique-t-elle votre action ?

M. Didier HERVE : Il y a complète complémentarité possible entre un parc national et l'Institution patrimoniale. Le premier est un outil pour protéger de façon réglementaire. Nous n'avons pas exclu que ce soit une nécessité par endroit. L'autre, l'institution patrimoniale, est l'expression d'une volonté locale. Les deux sont complémentaires, mais les deux ont besoin de s'améliorer. Le parc national mériterait d'être plus attentif aux volontés locales ; de même, l'Institution patrimoniale a certainement des progrès à faire dans un certain nombre de domaines puisque c'est une expérience.

Je rependrai en quelques points les trois questions précédentes. Sur la transposition, je partage les propos de Michel Maumus. J'y ajoute le fait que la méthode que nous utilisons comporte une clef d'entrée valable pour tous les territoires. Ce n'est pas une transposition, mais juste une utilisation de la même méthode : l'audit patrimonial.

Au plus fort du conflit, une personne de l'extérieur est venue sur le territoire pour auditer tous les acteurs en conflit. De cet audit, on a sorti les clefs d'entrée de la problématique. Cela consistait à savoir quel était le plus petit dénominateur commun de l'ensemble des gens qui s'affrontaient. A cette occasion, nous nous sommes rendu compte que, contrairement à tout ce que l'on voulait croire, les Béarnais n'étaient pas contre la population d'ours et qu'il y avait une véritable volonté de gestion. Cela a permis ensuite d'utiliser ce plus petit dénominateur commun pour que toute cette énergie négative qui s'exprimait sur ce territoire se transforme en énergie positive vers des actes de gestion forts. Voilà un des éléments qui me paraît utile. Je n'ai pas dit qu'il réussissait à tous les coups.

Je ne reviens pas sur le nombre d'ours; je partage ce que vient de dire Michel Maumus.

Sur l'échec de la réintroduction, je veux ajouter les éléments suivants. J'ai longtemps joué au rugby. Quand les joueurs sont prêts à entrer sur le terrain pour un match qui s'annonce difficile, ils ont une énergie terrible. Si au moment où ils vont entrer dans la première mêlée qui va déterminer l'attitude de toute l'équipe pendant le match, on leur casse le rythme en leur disant que l'on arrête pour jouer dans deux jours, l'énergie tombe. Ils ne redémarreront pas le prochain match de la même façon. Cet échec du renforcement a cassé une dynamique qu'il sera très difficile de relancer. Il a cassé la relation entre les acteurs.

Pourquoi ? En plus de ce que dit Michel Maumus, nous avons reçu une lettre du ministre de l'environnement qui, pour moi, est la plus grosse souffrance que j'ai eue à vivre dans cette institution patrimoniale depuis huit ans. Cette lettre disait que le projet de renforcement de la population d'ours était une très bonne chose. Toutefois, tout le programme d'accompagnement - qui conditionnait l'acte de renforcement - a été démonté action par action. Il était dit que les réserves volontaires des chasseurs devaient être transformées en réserves d'Etat. On casse la dynamique locale pour revenir au réglementaire.

Les exploitations forestières dont je vous ai expliqué ce qu'elles sont, devaient diminuer. Le monde pastoral n'avait pas besoin de pistes. Il fallait arrêter tous les projets de pistes. Ce n'étaient pas des projets de pistes que nous proposions, mais des projets de désenclavement. Cela signifie que là où l'on peut mettre une piste, on le fait, mais que l'on peut recourir aussi à d'autres techniques mieux adaptées si nécessaire.

Au cas où tous les acteurs de l'IPHB auraient eu la capacité de résister à ces exigences déjà très fortes, il était écrit que, pour ce renforcement, le ministère s'occuperait de la relation avec l'Espagne, tandis que les élus devaient s'adresser à la communauté européenne pour les financements. Pour quelqu'un qui, comme moi, suit administrativement les dossiers, c'est un non-sens. Un acteur tel que l'Institution patrimoniale, un petit syndicat mixte local, ne peut interpeller la Commission européenne de Bruxelles pour lui demander de l'argent. C'est bien le ministère de l'environnement qui doit accompagner cette demande. J'ai téléphoné à Bruxelles à la direction générale de l'environnement. Ils m'ont répondu que l'IPHB n'était pas leur interlocuteur. Cela signifiait que même les financements étaient supprimés. Puis  - petite chose qui fâche définitivement -  il était dit que, compte tenu de notre vif intérêt pour l'ours, on nous mettait dans Natura 2000, alors que l'on savait que l'ensemble des communes avaient délibéré contre.

Voilà ce qui s'est passé. L'échec est là, il est identifié. Cette lettre fait partie des documents que j'ai transmis à la commission pour être versée au dossier parce qu'elle est très importante. Elle crée le basculement général. Depuis ce moment, on a assisté à la radicalisation des positions des uns et des autres. Comment faire aboutir un projet dans ces conditions ?

M. le Rapporteur : Pourrons-nous avoir les statuts de votre syndicat ?

M. Didier HERVE : Bien sûr. La charte a été transmise. Elle contient les particularités des statuts.

M. le Rapporteur : Estimez-vous que le loup va arriver dans le massif pyrénéen par l'Espagne ? Avez-vous envisagé cette arrivée avec toutes les difficultés que cela créera ?

M. Didier HERVE : Il faudrait être inconscient pour ne pas penser que le loup viendra un jour. Il est trop près. La dynamique de population chez cette espèce est trop importante pour que cela ne nous arrive pas. Je dirai même que cela nous est peut-être déjà arrivé. La catastrophe va très vite commencer. Si c'est vraiment déjà arrivé, comme nous le laissent penser les bruits de terrain, que l'on ne peut pas objectivement traduire, cela veut dire que prochainement, nous allons connaître des problèmes très importants car on démarre la gestion de cette population de loups de la même façon que le reste, c'est-à-dire dans l'opacité la plus complète.

Si ces événements ont eu lieu ou lorsqu'ils auront lieu, il est très important de s'appuyer sur la gestion locale participative, sans laquelle il n'y a pas de salut. Dans ce territoire tout au moins, car je ne veux pas me transposer ailleurs.

Quant à dire que nous nous y sommes préparés... ! Les problématiques de l'ours et du loup sont très différentes. Un ours prélève un animal en bordure de troupeau pour le consommer. Un loup va attaquer en meute et fera des dégâts collatéraux beaucoup plus importants. Toutefois, avec l'existence de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn, nous préparons cette éventualité tous les jours. Si nous arrivons à bien fonctionner sur l'ours, ce sera autant de chemin fait pour tout autre prédateur. Je ne parle pas que du loup. Aujourd'hui, les bergers sont très inquiets sur le comportement des populations de vautours, par exemple, et demandent à ce que ce soit traité dans l'Institution patrimoniale. En effet, c'est là que l'on crée l'information, la transparence, la cogestion, la co-expertise.

Dire que l'on s'y est préparé de façon volontaire, non, très honnêtement, car c'est un sujet qui est encore trop tabou. Tous les gens savent que quelques dégâts « douteux » ont eu lieu l'année dernière sur la Pierre Saint-Martin et ailleurs dans notre territoire. Quand un expert vous dit que cela semble être le fait de canidés, vous comprenez. Par "canidés", on entretient la confusion entre le chien et le loup.

M. Michel MAUMUS : Effectivement, des traces de grands canidés ont été retrouvées dans la neige au Somport. Vraisemblablement, il y a eu des incursions en territoire béarnais.

Avons-nous anticipé ? Non. L'anticipation n'a pas eu lieu parce que, pour le moment, nous sommes dans des problématiques dont nous ne sommes pas sortis, c'est-à-dire la gestion de l'ours et son confinement. La machine a été grippée par le refus de réintroduction locale. Par contre, l'outil existe et la volonté des acteurs d'utiliser l'outil également. Il suffit qu'un peu de bon sens revienne au niveau de l'administration centrale pour que la dynamique reparte. Ce sera difficile parce qu'il y a toute une confiance à rebâtir. Il est compliqué de regagner la confiance des gens proches du terrain qui ont les pieds bien enracinés quand ils ont été échaudés. Il faudra beaucoup d'engagement à tous les niveaux pour restaurer cette confiance.

Didier Hervé parlait de l'audit patrimonial. C'est important, mais d'autres techniques ont porté leurs fruits. Elles ont le commun dénominateur : l'accessibilité et le partage de l'information. Si une zone d'ombre reste dans la tête d'un des acteurs, c'est terminé. Vous êtes en train de dénoyauter complètement la démarche et surtout, vous courez à l'échec.

La principale qualité de cette démarche est la transparence et l'accessibilité à l'information. Il faut enlever le doute potentiel que l'autre partenaire à la table de négociation possède une information qu'il ne donnera pas. Si vous ne donnez pas de la transparence ainsi qu'un minimum d'objectivité et de sérénité aux débats, vous avez déjà le ferment de tous les échecs futurs.

Pour l'ours, et pour le loup demain, je souhaite que l'Office national de la chasse, si il a des informations - et il les a - assure leur diffusion en temps réel. Dans l'instance de concertation, tous les acteurs doivent être informés au même moment pour pouvoir prendre des dispositions en fonction de l'intérêt de leur propre famille : les bergers, les chasseurs, les environnementalistes et les élus. Ces familles partagent l'information en essayant d'avoir une stratégie commune centrée sur un dénominateur commun. Il est clair que l'absence d'information divise.

M. André CHASSAIGNE : J'ai été très impressionné, surtout par l'approche que vous avez du fonctionnement démocratique, par cette espèce d'obsession - le mot n'est pas péjoratif - à dire que cela ne peut fonctionner que si véritablement l'on ne cache rien, l'on associe largement les parties prenantes. C'est une belle leçon. Notre commission recueille ce matin des éléments déterminants, non pas en termes de modèle, mais en termes de méthode, en termes d'approche.

Pour aller plus au fond, je poserai deux questions qui sont liées.

La première question passe du local au global. Au local, n'en restez-vous pas sous cette apparence de forte démocratie participative, à la mobilisation des seuls acteurs de la démocratie représentative ? Comment associez-vous vraiment les populations sur le terrain ? Comment êtes-vous au plus près des gens pour que cela ne reste pas quelque chose de limité aux initiés, mais que cela pénètre, dans votre logique, le vécu de la population ?

Ensuite, je passe au plus global. Dans votre approche, vous avez une fois ou deux évoqué l'Europe en parlant de Natura 2000. Je trouve votre attitude par rapport à Natura 2000 très bloquée, très fermée. Natura 2000 ne laisse-t-elle vraiment pas d'espace de fonctionnement démocratique ? N'y a-t-il pas une sorte de contradiction pour des gens qui sont très européens, très attachés aux problématiques européennes, d'avoir sur le terrain une forme de blocage par rapport aux directives européennes qui, effectivement, nous imposent et nous paralysent au niveau local ?

M. Michel MAUMUS : Quand vous dites être intéressé par cette approche de démocratie locale, ce nouveau parler avec les populations, je vous ferai une parabole, volontairement provocatrice : quels sont les critères qui pourraient nous permettre de dire que nous sommes dans le vrai ou dans le faux ?

Rien n'est comparable et je ne voudrais pas que vous preniez cela au pied de la lettre. Si l'on prend comme indicateur le peu d'attractivité que nous représentons, nous élus, (je me mets dans le lot) lors des consultations électorales, quand on voit le délitement progressif de l'intérêt des populations pour aller voter, ce qui nous paraît intéressant dans notre démarche, c'est que la famille IPHB grossit tous les jours et que des acteurs nouveaux viennent se raccrocher progressivement à la démarche. Cela prouve que nous avons titillé l'intérêt des populations, en quelque sorte. Si notre maison avait fondu comme neige au soleil, je vous dirais que nous étions peut-être dans la même erreur.

Nous sommes la face visible, vis-à-vis de la population et de nos électeurs, d'une certaine démarche. Si elle s'était effilochée dans le temps, peut-être que nous nous serions posé les vraies questions pour savoir comment réorienter le tir, afin que la maison continue à vivre. Le constat d'un côté nous a enrichis dans le constat de l'autre côté, même si ce n'est pas comparable. Simplement, l'attractivité est présente.

Je rebondis sur le local. Nous n'avons pas été parfaits localement, notamment en matière de communication, nous avons pris de nouveaux coups de bâton. Nous ne sommes pas des professionnels de la communication et dans cette recherche de démocratie locale participative, les outils de communications restent limités : des réunions publiques et un journal dans lequel on peut avoir des informations synthétiques. C'est peu.

Cela dit, je retiens votre conseil. Notre journal devra s'améliorer avec une partie questions/réponses et conseils à prendre. Il manque d'interactivité. J'en prends bonne note. C'est quelque chose que l'on peut améliorer. Il faut une vraie dynamique de communication pour que les acteurs non présents physiquement à l'IPHB, puissent quand même s'exprimer. On ne fait pas un référendum dans les vallées tous les quinze jours. C'est un lien, un cordon ombilical.

Notre approche peut paraître fermée à Natura 2000. N'est-elle pas aussi ouverte ? Nos plans de développement ne sont-ils pas de vrais documents d'objectifs avant l'heure ? Ce que nous avons fait pendant cinq ans, n'est-ce pas des documents uniques de programmation, comme l'Europe l'a demandé ? Mais avec une démarche fondamentalement différente, c'est sur le terrain que nous avons identifié ensemble les objectifs, les moyens et les stratégies d'évaluation.

Natura 2000 n'est pas une mise sous cloche, mais la démarche est descendante. On a pris des ensembles biogéographiques plus ou moins cohérents. On a fait un inventaire environnemental de la biodiversité, et uniquement environnemental. On n'a pas fait une approche socio-économique de la gestion des territoires et on n'a pas fait une approche sociologique des territoires. Les séminaires biogéographiques ont donné la priorité à la définition des territoires à zoner. Il aurait fallu d'abord dire ce que l'on avait identifié chez nous et nous demander si nous partagions la même image et si l'on pouvait dégager ensemble les moyens pour gérer. On a fait l'inverse.

Si je veux être provocateur, imaginez que je vienne chez vous et que je vous dise que vous avez une très belle propriété, avec un gazon qui renferme des orchidées. Vous ne le savez pas et moi, je le sais. Je vous annonce que nous allons parquer votre jardin et vous dire comment vous allez les entretenir. Vous allez me dire que je suis chez vous et que je n'ai qu'à prendre la porte pour en reparler plus tard !

Par contre, si je vous dis que vous avez une richesse à la fois locale, nationale et européenne, et si je vous demande comment nous pourrions, ensemble, préserver cette richesse et permettre son accessibilité au plus grand nombre - approche micro/macro - si j'apporte les outils de gestion financiers et techniques sans vous déposséder, si nous mettons ensemble votre richesse en valeur pour qu'elle vous profite, la démarche est alors différente. Ce n'est plus Natura 2000, c'est de la gestion locale. Le projet est ascendant et non pas descendant. Il sera compris car approprié. On ne gère pas l'environnement contre les populations, et encore moins sans leur adhésion.

La démarche, même si elle est légitime du point de vue environnemental, est prise à l'envers. Il fallait partir de la base et expliquer pourquoi nos richesses étaient intéressantes pour tout le monde.

M. Didier HERVE : La communication locale est notre souci au quotidien. Nous avons essayé de faire des réunions dans les vallées le plus souvent possible. Mais c'est aussi une question de moyens.

Quand les choses ont démarré avec Natura 2000, il y avait les « pro » et les « anti ». Comme partout. Nous avons tenté d'objectiver le débat en faisant réaliser une expertise juridique.

Selon ses conclusions, le syndicat mixte qui est l'organe de décision de l'institution patrimoniale serait supprimé par l'application de Natura 2000. J'ai eu de longs débats avec le ministère de l'environnement. Tout le monde veut l'instance de concertation qu'est le Conseil de gestion patrimoniale, mais à la place du syndicat mixte, lieu actuel de décision, on désigne le préfet, le préfet de région, le commissaire à l'aménagement des Pyrénées, en tout cas un haut fonctionnaire d'Etat. L'instance de concertation n'est plus une instance de concertation, mais devient une instance de consultation. C'est une mise sous tutelle.

M. Augustin BONREPAUX : Merci de la façon dont vous concevez la gestion de l'environnement. Je la partage tout à fait.

Il y a une population d'ours autochtones et une population d'ours introduite. Pensez-vous que les deux populations soient compatibles ? On nous a expliqué hier que l'introduction d'ours slovènes risquait de faire disparaître les ours autochtones. Je suis surpris d'apprendre que sur 100 000 hectares, il y a entre cinq et neuf ours. Sur mon territoire, nous avons un seul ours et je peux vous dire qu'en trois jours, il parcourt plus de 100 000 hectares. Il parcourt 30 à 40 km en trois jours et il revient. Il fait cela depuis cinq ans. Le comportement des ours est-il le même ici ? On nous dit, par ailleurs, qu'il n'y a qu'une seule femelle. Si elle disparaît, que faut-il faire ? Quel est votre point de vue ? On nous dit aussi que les loups arrivent. Peut-on accepter une concentration de prédateurs sans réagir ? Que proposeriez-vous ?

M. Didier HERVE : La compatibilité ours autochtones et ours réintroduits sera très difficile. On peut craindre pour notre propre population, compte tenu du comportement de ces animaux introduits qui sont à l'origine des ours « humanisés », c'est-à-dire imprégnés, qui n'ont pas un comportement totalement naturel. Cela explique certainement les errances.

Vous avez un animal qui bouge beaucoup parce que c'est un mâle et qu'il n'a pas de femelle. Je ne vais pas m'étendre sur ce chapitre de la compatibilité parce que je ne n'ai pas les notions scientifiques totalement suffisantes, mais je crois que c'est un souci que nous devons avoir. Il y a un risque objectif que des ours beaucoup plus costauds qui ont été réintroduits dans les Pyrénées-centrales viennent faire des dégâts sur notre propre population autochtone dont on sait qu'elle est plus faible.

Vous nous demandez ce qui se passe s'il n'y a qu'une femelle. Qui le prouve  ? Il y a certes une femelle identifiée, un génotype femelle a priori. Cela n'exclut en rien qu'il y en ait deux ou trois car il y a eu trois naissances entre 1995 et 2000. Sur ces trois naissances, deux analyses génétiques nous manquent pour savoir si ce sont des mâles ou des femelles.

Que ce soit l'ours ou le loup, l'augmentation des prédateurs est-elle acceptable ? Oui, à la condition d'une gestion adaptée à la dynamique de population de chaque espèce. Pour l'ours, une naissance se produit tous les deux ans, gémellaire le plus souvent, triplée rarement, mono souvent chez nous. Cela veut dire que l'on peut suivre avec précision les cas de débordements possibles. Une expertise externe de notre territoire, réalisée en 1996 par un spécialiste mondial de l'ours, Christophe Servheen, a conclu que notre territoire avait une capacité d'accueil d'une douzaine d'ours, ce qui parut acceptable aux acteurs locaux, car il s'agissait de revenir à la population d'ours des années 1980-1985.

La dynamique de population du loup est très différente. Dans ce cas, il ne s'agit pas de pratiquer la protection à tout va qui sera forcément un échec. Il faut accepter qu'il y ait de temps en temps des prélèvements sur ces populations, qu'il y ait une régulation organisée en accord et avec les populations locales. Faites réguler les populations de prédateurs par les chasseurs locaux dans un cadre organisé et réglementé, vous en verrez les résultats positifs, je vous l'assure !

M. Michel MAUMUS : Les deux populations peuvent-elles se mélanger ? Oui, elles se mélangeront. Sont-elles sur la même souche originelle ? Oui, mais les comportements sont différents. Les ours réintroduits connaissent l'homme, ils ont mangé de la viande de brebis, ils ont été appâtés pour être capturés. Ils connaissent malheureusement la présence humaine et donc, ils n'en ont pas peur.

Le deuxième danger, c'est que l'on a introduit des femelles suitées, c'est-à-dire avec déjà des petits dans leur ventre. Il s'agit d'une introduction de génétique avec des comportements déjà modifiés.

Troisièmement, cela a donné naissance à de grands ours. Les ours ont toujours le même territoire. Ils font des boucles sur leur territoire de chasse et de reproduction. Parfois, ils se croisent et se reproduisent. Le danger est qu'un jour, un jeune mâle rencontre nos vieux grands mâles. Plus on a de cheveux blancs, moins on est combatif et compétitif face à un jeune. Le risque de disparition des mâles de souche est réel, plus que pour les femelles. C'est une question de territoire. A ce niveau, on a effectivement un mélange des espèces, même si la branche est la même.

Le comportement de vos ours en Bigorre est tout à fait normal. Imaginez que vous soyez débarqué tout seul dans le Groenland. Vous essayez d'en sortir et de retrouver vos congénères. L'ours cherche, il va faire des kilomètres pour trouver la boucle, l'odeur, les poils, les traces pour s'assurer qu'il n'est pas seul et qu'il va pouvoir manger ou s'accoupler sur le même territoire. C'est logique.

Sur le loup, je n'aurai qu'un seul conseil à donner. La dynamique de population est très particulière. Cela va très vite. Cela bouge très vite. Un jour, la meute chasse ici, le lendemain, elle est très loin. Il faut anticiper et déjà mettre en place cette transparence de l'information. Aujourd'hui, on sait qu'il est là ; demain, on projette qu'il sera là. Comment allons-nous réagir ensemble ? Il faut préfigurer les instances de concertation fondé sur un partage de l'information et des décisions.

Si la décision est de dire que l'intérêt de ce territoire est que des hommes y vivent, il faut savoir quel pourcentage de perte nous allons accepter sur notre cheptel bovin ou ovin et déterminer la façon d'éviter le manque à gagner de l'éleveur. Comment protéger l'éleveur ? Comment l'indemniser ? Si la prédation est insupportable il faut faire ce que nous avions proposé à l'Etat et qu'il n'a pas accepté, un protocole de capture et de mise hors d'état de nuire. S'il y a des ours à comportement aberrant, il y a des parcs fermés.

M. André CHASSAIGNE : Il ne s'agit pas de tuer, mais de capturer ?

M. Michel MAUMUS : On n'est pas dans un processus d'élimination. On capture l'animal pour le mettre dans un parc animalier. Une élimination physique serait en totale contradiction avec la protection de l'environnement. On élimine la pression là où elle est trop forte et on la remet là où elle est acceptable.

M. Jean LASSALLE : L'introduction des ours en Pyrénées centrales a été l'un des éléments qui a complètement détraqué le système. Les éleveurs qui avaient confiance l'ont perdue en voyant des ours au comportement anormal. Il n'y a pas unanimité de vue sur ce qui vient d'être dit. Des élus, parfois de haut rang, dans le département, ne partagent pas ce point de vue. Je voulais le dire en présence de nos deux interlocuteurs.

M. Michel MAUMUS : La réintroduction de Melles s'est faite dans un territoire où l'on avait perdu la mémoire de l'ours. Chez nous, le berger et l'ours portent le même nom en béarnais. Le « moussu » traduit le berger sur estive et l'ours. En Bigorre où se pratique l'élevage extensif, on ne connaît plus l'ours depuis bien longtemps. Réintroduire un ours alors que les troupeaux ne sont pas gardés et parqués le soir, c'était aller au-devant de sérieux ennuis.

M. Jean LASSALLE : Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. René ROSE, maire de Borce,
président de la communauté de communes de la Vallée d'Aspe,
responsable financier de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB), président de la commission d'indemnisation des dégâts d'ours

(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2003, tenue à Pau)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire.

M. René Rose est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. René Rose prête serment.

M. Jean LASSALLE : M. René Rose s'est battu pour le parc national et a joué un rôle très important pour le pastoralisme dans les Pyrénées Atlantiques.

M. René ROSE : Je suis arrivé en Vallée d'Aspe en 1964. Elu en 1965, j'ai été immédiatement confronté à deux problèmes : la création d'un parc national dans les Pyrénées occidentales et le problème de l'ours dans une commune de 6 000 hectares qui comporte 15 cabanes pastorales dont 10 sont encore en activité.

J'ai analysé les problèmes opposant les bergers majoritaires dans la commune à l'époque et l'ours brun qui continuait à faire des dégâts sur les troupeaux vivant dans les 10 estives de la commune, et petit à petit, je me suis fait une opinion.

Auparavant, lorsque la chasse à l'ours et les battues administratives étaient autorisées, le berger avait un moyen de défense, celui de pouvoir supprimer l'ours qui avait un comportement anormal. Lorsque cela a été supprimé, sans autre mesure de remplacement, le berger s'est trouvé totalement désemparé car l'ours, lui, n'a pas changé son comportement.

C'était pour moi un réel problème car j'étais aussi un défenseur de l'ours en tant qu'animal emblème de nos montagnes et animal mystérieux dont je pensais qu'il fallait le conserver.

La création du parc national en 1967, à laquelle j'ai assisté, n'a pas réglé le problème. Le parc national s'était donné pour mission de régler le problème de l'ours. Or, celui-ci vivait très peu dans la zone centrale du parc. Le berger était donc toujours aussi désemparé et la situation a été dramatique pour l'ours : le berger, qui n'avait plus le moyen de se défendre quand son troupeau était attaqué et qui subissait de graves pertes avec des ours au comportement tout à fait anormal, n'avait qu'une solution : le supprimer discrètement.

C'est ainsi que l'on en est arrivé à la solution dramatique que l'on sait : tuer le plus grand nombre d'ours alors que la chasse et la battue administrative ne tuaient que l'ours au comportement anormal.

Heureusement, avec la création du parc national, et sur l'insistance du Dr Lebreton, des Hautes-Pyrénées, a été créée une commission d'indemnisation des dégâts d'ours. C'était une des premières mesures susceptibles de soulager le berger qui, lui, continuait à subir les dégâts. Aux indemnisations s'est ajoutée une prime de compensation.

A partir de ce moment, les esprits se sont un peu calmés.

Dans ces montagnes et dans ces vallées, nous étions entourés d'une majorité de bergers et de chasseurs qui avaient pratiqué la chasse à l'ours. Pour eux, l'ours était l'ennemi qui s'attaquait à l'outil de travail. J'ai vécu des drames dans ces hameaux lorsque l'ours, par exemple au hameau d'Aubise dans la vallée du Boralet, a précipité un troupeau du haut de la falaise. Ce n'était pas une ou deux brebis - ce qui est accepté aujourd'hui - mais plusieurs brebis. J'ai aussi vécu ces mois pluvieux, sombres, où l'ours attaquait la cabane à l'orée du bois, avec d'autant plus de facilité que les journées étaient sombres et les nuits très pluvieuses. Toutes ces nuits, le berger devait se relever, les chiens patous aboyaient, le troupeau effarouché allait peut-être se précipiter. Le berger devait taper sur des tôles pour effrayer l'animal sachant qu'il devait traire le matin à 5 heures pour faire son fromage et retraire le soir. Passer de telles nuits blanches était intenable.

Il faut l'avoir entendu et avoir vécu avec le berger ! C'était quelque chose de terrible pour lui. Il ne faut pas oublier que l'ours ne se contente pas de prendre une seule brebis. Si l'on tombe sur un ours à comportement anormal ou sur un jeune ours qui veut jouer, cela devient dramatique.

Il fallait donc continuer à travailler auprès des bergers et auprès des instances, notamment le parc national et la commission d'indemnisation des dégâts d'ours.

Durant toute une période, nous n'avons pas progressé parce que nous n'étions pas écoutés. Au contraire, nous étions des « tueurs d'ours », des assassins. Nous avons été traités « d'abrutis » dans la presse, notamment après une réunion à Perpignan avec les associations. Tout cela faisait du tort et ne faisait pas avancer le problème.

Ensuite, en 1986, est venue l'idée d'essayer de rassembler tout le monde, pour examiner l'ensemble des problèmes. Nous avons réussi à faire venir autour de la table des élus, des chasseurs, des bergers. Il a fallu beaucoup de temps pour parler de la protection de l'ours, pour trouver des mesures susceptibles de calmer le jeu.

Dans de nombreux esprits, c'était l'ours qu'il fallait éradiquer et supprimer.

Essayer de faire vivre tout le monde ensemble ne se fait pas en deux ou trois ans. Changer les mentalités nécessite beaucoup de pédagogie et de patience. Nous avons commencé à y travailler avec Jean Lassalle.

Sur ses 6 000 hectares, ma commune comptait 15 cabanes pastorales et une activité pastorale intense. L'ours était présent. Les rapports étaient difficiles.

En 1986 - ce que l'Etat et le parc national n'avaient pas réussi à faire - j'ai réussi à créer un comité communal de protection de l'ours. Il m'a fallu vingt ans pour y parvenir !

Une anecdote : lorsque j'ai créé le premier gîte communal de 18 lits, il fallait concevoir un petit dépliant. J'ai longtemps hésité à y mettre la photo de l'ours qui était extrêmement mal perçu à l'époque. La représentation de l'ours sur un dépliant constituait une agression à l'égard de la population locale. J'ai quand même réussi à faire insérer la photo de l'ours, après avoir vu la faible réaction de mes collègues élus de la commune et d'ailleurs. Cela prouvait que l'on avait avancé.

Ce n'était qu'une étape, mais aussi la possibilité d'aller plus loin. Grâce à ce comité communal, j'ai réussi à mettre autour de la table le premier adjoint, grand chasseur d'ours, d'autres chasseurs, les bergers, le président du comité scientifique du parc national et les représentants d'associations.

Nous nous sommes réunis trois fois et nous sommes arrivés - cela n'a pas été facile - à trouver des solutions, à prendre de petites mesures tous ensemble. Nous avons pris le temps, nous avons partagé des repas ensemble et nous sommes parvenus à nous parler.

Par exemple, nous avons réussi à décider, avant d'exploiter une forêt, de la passer au peigne fin pour vérifier la présence ou non d'une mère ours avec son petit et décaler éventuellement le début de l'exploitation.

A partir de ce moment, j'ai pensé que c'était gagné. Dès lors que l'on met toutes les parties prenantes autour de la table et que l'on prend le problème à bras le corps, on peut trouver des solutions, même si le ton monte parfois. Nous avons ainsi connu un directeur du comité scientifique du parc national très intéressant et à l'écoute de ces problèmes. S'agissant de problèmes d'hommes, il faut savoir s'écouter, discuter ; on y consacre beaucoup de temps, mais on arrive ensemble à trouver quelques solutions.

Nous avons alors essayé d'étendre cela à la vallée et de créer un comité valléen de protection de l'ours. Comité communal, comité valléen, et un comité inter-valléen de protection de l'ours ; nous n'avons pas été suivis. On s'est moqué de nous, de moi, au parc national. J'ai été victime de paroles désobligeantes, blessantes parfois, notamment de la part d'associations de protection de la nature. Si nous réglions le problème, ce n'était pas du tout leur intérêt, car ils n'avaient plus rien à se mettre sous la dent !

En tant qu'administrateur du parc national, dans lequel je me suis toujours investi, j'étais président de la commission d'indemnisation des dégâts d'ours et j'essayais toujours d'aller de l'avant et de trouver des solutions.

Ensuite, en collaboration avec les gens qui m'ont précédé, avec Jean Lassalle, quelle a été ma joie de travailler toutes les nuits dans les murs de cette préfecture avec un préfet exceptionnel, avec le ministre Bayrou, pour mettre en place une organisation qui reprenait en partie, et en mieux, ce que j'avais essayé de faire dans ma propre commune.

Jean Lassalle pourra vous confirmer que ma commune est très difficile du fait de son grand nombre de bergers, d'ours, de l'étendue de ses forêts, du nombre de ses problèmes sans parler des Aspois. Quand deux adjoints ont chassé l'ours, qu'un troisième est un valléen d'un hameau reculé, il faut du courage et surtout beaucoup de patience et de pédagogie pour trouver des solutions avec ces gens. Mais il faut leur faire confiance, les valoriser et avoir le temps de leur expliquer les choses, et ne pas les traiter « d'abrutis », ni de « tueurs » comme certains ont osé le faire, ce qui nous a fait le plus de mal.

J'ai essayé de résoudre les mêmes problèmes au niveau des bergers et du pastoralisme dans ces montagnes. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, malheureusement, mais à l'époque, il fallait se partager l'herbe et faire confiance aux hommes. Il est très important de faire confiance aux hommes de nos vallées, de ces hameaux, même si certains se montrent récalcitrants. Il leur est extrêmement difficile de changer de mentalité aussi vite alors que l'ours était déjà l'ennemi quand ils étaient encore au berceau ! Et on voudrait qu'ils le protégent ! Imaginez la démarche que ce chasseur ou ce berger doit faire.

Nous sommes donc arrivés à mettre en place cette Institution patrimoniale qui fonctionne depuis 1994. Sa première période de fonctionnement a été étonnante. Il suffisait de lire nos comptes rendus dans la presse pour savoir ce qui se faisait au niveau de l'Institution patrimoniale du Haut Béarn. De plus, outre l'indemnisation des dégâts, cette institution s'efforçait de faire vivre ensemble l'ours et le berger.

« Garderem lou moussu », comme le disait Marianne Bernard dans son film - le moussu étant à la fois le berger et l'ours. Cet ours, il faut le garder, mais le berger sait qu'on va l'aider, que dans les endroits où il y a de grosses attaques, on va mettre des moyens pour qu'il ne passe plus de nuits blanches, grâce à des phares qui s'allument automatiquement pour repousser l'ours. Je déplore que l'on n'ait pas encore mis en place les moyens de suivi de ces ours pour savoir à quelle distance du troupeau ils se trouvent. Nous avons fait des expériences sur ma commune avec des faux ours ! Je crois que cela devrait être mis en place. Si nous voulons les faire vivre ensemble, il faut que le berger soit protégé, il faut une sécurisation totale du troupeau et du berger. Il faut que le berger puisse dormir, se reposer, qu'il n'ait plus ce souci. Grâce aux infrarouges qui détectent une présence suspecte, les projecteurs se déclenchent automatiquement si l'ours s'approche et le berger peut alors intervenir même s'il doit alors se relever.

Il faut mettre tous ces moyens en place. Tout cela a été entrepris au niveau de l'Institution patrimoniale. Des chercheurs ont expérimenté des moyens. J'ai assisté à des essais pour améliorer cette sécurisation des cabanes pastorales et des troupeaux. Partout où des clôtures électrifiées ont été placées, l'ours ne peut plus attaquer de brebis.

On constate un déplacement de l'ours parce qu'il a besoin de manger de temps une brebis. Le berger l'accepte aujourd'hui s'il est bien indemnisé ; il sait que son troupeau est sécurisé, même s'il constate que deux à trois de ses brebis ne sont pas rentrées.

Voilà le progrès que l'on a fait : on peut arriver ainsi à les faire vivre ensemble.

Le premier directeur du parc national avec lequel j'avais déjà évoqué les problèmes d'ours m'avait tranquillisé en me disant que si un ours se montrait trop carnivore, faisait trop de dégâts, il serait supprimé. Je crois que c'est ce qu'il faut faire aujourd'hui. Monsieur le préfet Andrieu est venu me trouver un samedi après-midi dans ma mairie pour me dire son désarroi avec l'ours - surnommé Lagaffe - qui renversait les bidons, qui attaquait les troupeaux, que l'on voyait partout.

Un tel ours crée des situations terribles : c'est comme lorsqu'une personne a un comportement anormal, les autres en rajoutent parfois en exagérant. J'ai dit au préfet Andrieu que j'avais une solution immédiate pour nous conforter et nous aider : supprimer cet ours au comportement anormal qui faisait des dégâts, non seulement aux troupeaux, mais surtout dans les esprits et dans les vallées. Je suis pour l'ours qui prend deux ou trois brebis, si le berger est correctement indemnisé, mais pas pour l'ours qui a un comportement anormal.

J'aimerais parler du comportement de l'ours qui n'est ni un sanglier, ni un renard, ni un loup. Pendant vingt ans, j'ai élevé un ours des Pyrénées que les enfants avaient ramené à l'âge de trois mois . J'ai analysé le comportement des ours par curiosité personnelle. C'est un animal extrêmement intelligent. S'il a une route à traverser, il se met debout, observe. Sur la route, on tue des blaireaux, des renards etc. mais pas d'ours. Il observe, il écoute et s'il entend du bruit, il se camoufle. Dans les battues à l'ours, il est arrivé que des chasseurs renommés soient obligés de ratisser trois fois la même forêt. L'ours jouait à cache-cache. C'est un animal qui vit debout comme nous.

L'ours brun que les enfants avaient ramené, donnait de la nourriture aux chiens du village en poussant sa nourriture de la patte ; il épluchait une orange avec les pattes ; il était inquiet s'il voyait quelqu'un ouvrir un parapluie ; il se dressait quand il voyait des visiteurs avec des chiens qu'il ne connaissait pas, pour les observer. C'est très intéressant à voir.

Ce n'est pas un animal comme les autres, il est vraiment particulier. C'est pourquoi j'en parle avec passion, comme je parle du berger avec passion. Ces gens sont extraordinaires et m'ont appris beaucoup sur les valeurs humaines, sur les contacts que l'on doit avoir entre hommes et sur ce que l'on peut faire ensemble lorsqu'il y a du bon sens, de la volonté et de l'humanisme.

M. le Rapporteur : M. Rose a répondu dans sa présentation à la plupart des questions que je comptais lui poser. Les uns et les autres, nous nous sommes régalés à vous écouter ! Une question : combien d'ovins sont-ils tués par l'ours chaque année ?

M. René ROSE : Comme il y a beaucoup moins d'ours et du fait de la sécurisation, les ours ont beaucoup plus de difficultés à prendre des ovins. Cela a donc baissé. On peut arriver à trente, quarante ovins.

M. le Rapporteur : Pas plus ?

M. René ROSE : Pas plus ! En revanche, on vient de vivre deux années dramatiques pour les bergers dont l'un a perdu 72 ovins dans l'accident de la falaise.

M. le Rapporteur : Ce n'est rien par rapport au loup !

M. René ROSE : Pour nous, c'est dramatique ! Cette année, il y a eu une trentaine d'ovins aussi, hors parc, qui ont été précipités.

M. le Rapporteur : Dans le Mercantour, on voit le loup en plein jour. Il y a deux jours à peine, on en a aperçu deux près d'une habitation. Les loups s'approchent des maisons et n'ont plus peur de l'homme. Voit-on l'ours ici ?

M. René ROSE : Non. Certains n'ont jamais vu l'ours et ne le verront jamais. Cet animal se cache. J'en ai vu un en septembre 1975. J'étais en haut d'un col. Un traqueur l'a dérangé à 7 heures du matin,. L'ours est passé à côté de moi, a grogné sur mes traces. J'ai pu le suivre du regard, un moment, parce qu'il est descendu dans la forêt de Gers qui est assez éloignée. Régulièrement, il se retournait pour voir ce que je faisais. Ceux qui voient l'ours en montagne sont les lève-tôt qui vont à la pêche au lever du jour.

Autre anecdote : M. Cédet s'en va à la pêche au lever du jour ; il voit un ours dans la pente qui prend une pierre, la jette vers le haut. La pierre dévale la pente et l'ours l'écarte. C'était devenu un jeu. Voyez-vous d'autres animaux faire cela ? C'est pourquoi on explique la relation entre l'enfant et l'ours, entre l'homme et l'ours.

M. Augustin BONREPAUX : Chez nous, il n'y en a qu'un, mais toute la différence, c'est qu'on le voit régulièrement. Il arrive au bord du village, va manger le miel des ruches. Ce comportement me paraît quand même différent.  J'ai également quelques questions. Pourquoi n'avez-vous pas fait le désenclavement du massif puisque tout le monde est d'accord ? Cela vous porte-t-il préjudice de ne pas l'avoir fait ? Qui vous a empêché de le faire ?

M. René ROSE : Cela nous porte préjudice dans la mesure où 9 % seulement de la forêt est exploitable. Malheureusement,  on n'a pas fait assez tôt les routes forestières, dans des communes comme Lescun.

J'ai un projet de désenclavement d'un magnifique massif forestier qui dépérit. Je suis de ceux qui pensent qu'une forêt qui n'est pas exploitée dépérit. J'ai mené ce projet avec l'ONF, j'ai suivi toute la démarche mise en place par l'IPHB pour créer une piste pastorale ou une piste forestière. J'ai obtenu l'accord unanime de l'IPHB et du syndicat mixte.

Les associations de protection de la nature, qui n'ont pas joué le jeu, ont protesté auprès du ministère de l'environnement. Le ministre n'a donc pas signé l'autorisation de créer la nouvelle piste. Le ministère a même désigné le CEMAGREF pour faire une expertise. Une démarche exemplaire avait été conduite par l'IPHB et l'ONF et on veut maintenant m'imposer une expertise. Nous l'avons refusée et nous avons barré la route aux gens du CEMAGREF. Nous leur avons dit gentiment qu'ils n'iraient pas dans la forêt où nous nous étions déplacés déjà deux fois avec la commission de l'IPHB dans le cadre de l'étude. Toute la démarche avait été faite !

M. Augustin BONREPAUX : Que pensez-vous de la réintroduction de l'ours en Haute-Garonne ? Cela a-t-il perturbé les choses d'une quelconque manière ?

M. René ROSE : Je suis absolument contre ! C'est un scandale ! La réintroduction a été faite en dépit du bon sens. Ce sont des choses que l'on prépare ensemble. On voit comment, par rapport à cette réintroduction, on va pouvoir maîtriser ces bêtes qui nous viennent d'Europe centrale, qui ne sont pas des ours bruns des Pyrénées. Je ne connais pas ces bêtes-là ! J'en ai deux chez moi, en provenance d'Europe centrale qui sont dans l'enclos que nous avons à Gorce et que l'on installera dans un espace animalier.

Une réintroduction doit être maîtrisée ce qui n'est vraiment pas le cas, car les ours ne sont pas restés sur place. Il faut qu'ils créent leur territoire, leur domaine. Ils viennent parfois nous perturber. Ces ours ont considérablement perturbé notre travail, parce qu'il y a eu amalgame entre le comportement de ces ours réintroduits et celui des nôtres. C'est dramatique !

M. Augustin BONREPAUX : Que faut-il faire maintenant ? Que proposez-vous pour l'avenir ?

M. René ROSE : Si l'on réintroduit une ourse comme le projet existait chez nous, il faut pouvoir la suivre. Ce doit être fait avec les bergers, avec tout le monde pour bien organiser et bien maîtriser les choses.

M. le Président : Merci beaucoup, René Rose. Nous sommes obligés de nous séparer trop rapidement. C'était passionnant.

Audition conjointe de MM. Claude BAILLY*,
directeur de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF),
Michel GUILLOT, DDAF,
et Pierre DARTOUT*, Préfet des Pyrénées-Atlantiques

(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2003 à Pau)

Présidence de M. Daniel Spagnou, Rapporteur

Les témoins sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Rapporteur, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. le Rapporteur : Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Merci, monsieur le Préfet, de nous accueillir aussi amicalement dans votre belle Préfecture.

Nous vous demandons de nous faire un exposé de cinq minutes chacun pour nous dire comment vous appréhendez l'ours dans vos territoires.

M. Michel GUILLOT : Je me propose de vous faire un exposé rapide sur le pastoralisme dans l'ensemble du département et sur les interventions de la DDAF dans ce domaine pour l'ensemble de la zone de montagne du département. Ensuite, j'aborderai les particularités liées à l'ours qui n'est présent que sur la partie béarnaise du département.

La DDAF a la charge de la mise en oeuvre de la politique de soutien du ministère de l'agriculture aux activités pastorales en montagne. Cela se traduit par un soutien à l'exercice de la transhumance sur les estives de montagne qui appartiennent, que ce soit en Pays Basque ou en Béarn, aux collectivités locales : communes, indivisions de communes, commissions syndicales de montagne.

Cela s'est traduit par des tâches un peu administratives qui ont trait à l'organisation du pastoralisme, notamment la mise en oeuvre d'associations foncières pastorales et de groupements pastoraux. Ces procédures administratives issues du code rural sont les mêmes partout en France. Cela se traduit aussi, par des financements spéciaux à l'équipement des estives. Nous sommes également appelés à intervenir - sans être en première ligne - dans le domaine des relations entre pastoralisme et environnement, et bien sûr pour la relation entre le pastoralisme et l'ours.

L'écobuage pastoral est également un domaine très important pour nous ainsi que certaines procédures à caractère environnemental comme Natura 2000 et les incidences des activités agricoles sur les espèces protégées comme le gypaète ou le vautour et sur les paysages.

Cela se traduit par des aides classiques aux agriculteurs ou aux collectivités locales : la prime herbagère agri-environnementale, les contrats d'agriculture durable, les indemnités compensatoires de handicap naturel etc.

Je développerai ici l'intervention de la DDAF en matière de financement des équipements des estives de montagne. Comme je l'ai dit, ces estives sont la propriété des collectivités de montagne. Pour que le pastoralisme puisse, non seulement se maintenir, mais peut-être se développer - ce qui est la politique du ministère - il faut équiper ces zones d'estive.

Les équipements sont des moyens d'accès par pistes et sentiers, l'aménagement et la restauration des cabanes pastorales utilisées par les bergers, aussi bien comme lieu de vie que comme lieu de travail. Les fromages étant fabriqués en montagne, il faut rendre ces lieux conformes aux normes prévues par la Commission européenne. Cela implique aussi des travaux pour amener l'eau aux cabanes pastorales par captage des sources, des travaux de protection des périmètres, d'installation d'électricité, puisque ces lieux ne sont pas raccordés au réseau public, des équipements professionnels des aires de traite, des abris de traite, des parcs de contention, des clôtures, des barrières canadiennes ; tout ce qui est nécessaire à l'installation de ces estives et à l'exercice du pastoralisme.

Pour financer tout cela, nous faisons appel à quatre financeurs qui ont tous la même politique : l'Europe, l'Etat, la région Aquitaine et le département des Pyrénées-atlantiques.

L'Etat, la région et le département apportent à peu près la même enveloppe financière d'environ 4 millions de francs par an pour l'ensemble du département, en trois parts égales, l'Etat et la région étant engagés dans le contrat de plan Etat -Région Aquitaine. Ces financements sont abondés par l'Europe au même niveau, c'est-à-dire 4 millions de francs environ, à travers le FEOGA et l'Objectif 2 des fonds structurels inscrits dans le Document unique de programmation de la région Aquitaine.

Nous disposons donc de 8 millions de francs par an environ de fonds publics avec des taux de subvention qui varient entre 60 et 80 %, ce qui nous permet de faire, bon an mal an, 10 millions de francs d'investissements pastoraux sur le département. C'est assez important si l'on se compare aux autres départements de montagne.

La DDAF a un rôle privilégié dans la mesure où elle assure la coordination de l'ensemble de ces financements pour la région et pour le département. Ces derniers ont leurs propres règles et leurs propres services, mais nous assurons une coordination nécessaire pour que tout fonctionne le mieux possible, ce qui est assez complexe.

Voilà nos actions pour le pastoralisme sur l'ensemble de la montagne des Pyrénées-atlantiques, Pays Basque et Béarn.

Que peut-on dire de particulier sur la présence de l'ours dans les vallées béarnaises ?

La création en 1994 de l'Institution patrimoniale du Haut Béarn est liée très directement à la présence de l'ours, avec une Charte signée entre l'Etat et les vingt communes adhérentes à la charte.

Pour le pastoralisme, cela se traduit par le fait que les projets d'équipement sont instruits, non pas par les services de l'Etat, de la région ou du département, mais par l'Institution patrimoniale elle-même, selon une procédure d'études par des groupes de travail, d'avis par un conseil de gestion et de décisions par un syndicat mixte. Une fois que les projets sont instruits et les décisions prises, les financements se mettent en place.

Une particularité : les subventions sont majorées par rapport au reste du département ; les vingt communes de l'Institution patrimoniale reçoivent 80 % de subventions, alors que le reste du département en reçoit 60 ou 70 %. Il y a donc un bonus pour la zone à ours.

Les investissements dans la zone de l'IPHB ont été, en moyenne et depuis la création en 1994, de trois à quatre millions de francs par an sur les dix à douze millions de francs de l'ensemble du département, ce qui représente une bonne part de la dotation départementale.

La présence de l'ours a également amené la mise en place d'une opération locale agri-environnement en 1994. Cette opération, aujourd'hui achevée, « Gestion patrimoniale des espaces pastoraux et protection de l'ours dans les vallées du Haut-Béarn » se traduisait par des contrats signés entre le Préfet et des agriculteurs ou des collectivités. Il leur était proposé trois sortes de contrat :

Le premier contrat, « Entretien du milieu par des pratiques pastorales adaptées », consistait à encourager par des primes, la traite en estive non desservie par des pistes et l'encouragement au gardiennage des brebis. On dit souvent que le gardiennage des troupeaux a une incidence sur les attaques d'ours.

Le deuxième contrat, « Entretien des zones sensibles aux risques naturels », consistait en une reconquête de zones pastorales plus ou moins abandonnées et embroussaillées. Cela consistait à récupérer les parcelles mises dans le contrat par débroussaillage soit par le feu, soit de manière mécanique, suivi d'un pâturage, de l'installation de troupeaux pour entretenir la parcelle en bon état.

Le troisième contrat, « Cohabitation élevage - ours », proposait aux éleveurs une prime pour la permanence du berger sur l'estive, pour la permanence du berger plus le parcage nocturne des brebis, et enfin, la permanence du berger, plus le parcage et la présence d'un chien patou.

Cette opération locale a fonctionné de 1994 à 1997 avec des contrats de cinq ans qui sont terminés ou sur le point de se terminer.

A l'IPHB, je crois pouvoir dire que toutes les sensibilités sont unanimes pour demander la reconduction de cette opération locale. Malheureusement, il n'y a pas de possibilité réelle de la reconduire à l'identique.

M. Claude BAILLY : Pour ma part, je suis dans le département depuis deux mois seulement, ayant pris mes fonctions le 20 janvier. Auparavant, j'étais directeur départemental dans l'Allier.

Pour moi, ces aspects de politique de montagne et de pastoralisme sont très nouveaux, la présence de l'ours y apporte encore plus d'originalité.

A l'issue de ces deux premiers mois passés dans ce département, j'ai eu la chance de pouvoir assister à un conseil de gestion patrimoniale le 19 mars. Une quarantaine de personnes y représentent toutes les sensibilités, tous les intérêts et toutes les collectivités, région, département, communes. On y trouve également les représentants des associations et ceux des agriculteurs, des forestiers etc.

Cette instance est riche du fait de sa diversité. J'en veux pour preuve que d'autres associations ou d'autres instances demandent à participer aux travaux de ce conseil de gestion. Par exemple, l'association des pêcheurs locaux ou des représentants de l'enseignement, puisque Oloron est dotée d'un enseignement agricole, souhaiterait être associée aux réflexions de cette instance.

Pour moi, cet outil de concertation doit absolument être privilégié et doté des moyens de fonctionnement pour que le climat de confiance instauré puisse perdurer compte tenu de la spécificité liée à la présence de l'ours.

Mon collaborateur parlait de l'intervention de l'Agriculture et de mon administration dans ce domaine. La prime au maintien du système d'élevage extensif qui était en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, permettait aux entités collectives de bénéficier de compensations pour maintenir en état toutes ces zones prisées par les agriculteurs.

Les pâturages de basse altitude, sont des petites surfaces qui ne correspondent pas aux besoins des animaux. Ce ballon d'oxygène que les éleveurs vont chercher dans les estives est vital et primordial pour eux. C'est vraiment une zone sur laquelle ils peuvent mettre leurs animaux dès lors qu'ils sont sortis de l'exploitation des pâturages de basse altitude.

La prime au maintien des systèmes d'élevage extensif (PMSEE) était donc très appréciée. La crainte qu'elle ne soit pas reconduite est maintenant effacée puisque le ministre de l'agriculture l'a annoncé le 5 octobre au sommet de l'élevage à Clermont-Ferrand : la PMSEE est remplacée par la prime herbagère agri-environnementale. Le dispositif d'accès sera identique à celui qui prévalait pour la procédure ancienne. C'est un point important, d'autant que cette prime herbagère agri-environnementale sera revalorisée à hauteur de 70 %.

Voilà pour l'intervention importante accessible aux collectivités.

Concernant les agriculteurs à titre individuel, ils peuvent continuer à pratiquer et à mettre en œuvre des mesures agri-environnentales. Il est vrai que l'opération locale, qui a été particulièrement bien perçue, s'est arrêtée en 2002. Les contrats territoriaux d'exploitation se sont arrêtés le 6 août 2002. Ce dispositif sera repris par les contrats d'agriculture durable dès que les textes seront sortis.

Dernier dispositif important en matière de soutien aux éleveurs : l'indemnité compensatrice de handicap naturel, qui vise à réduire les différences entre les agriculteurs de basse altitude et ceux qui sont en haute altitude.

Les dégâts aux troupeaux faits par l'ours sont pris en compte par le parc national des Pyrénées, et par l'IPHB. Ces instances examinent les dossiers de dégâts et s'assurent qu'ils sont bien dus à l'ours. Ensuite, une indemnisation est prévue, le taux et le montant de l'indemnisation étant revus régulièrement. Toutefois, la DDAF n'est pas régulièrement impliquée dans ce dispositif d'indemnisation.

M. Pierre DARTOUT : Messieurs les députés, je voudrais excuser l'absence de mon collaborateur, sous-préfet d'Oloron Ste Marie, M. Patrick Bremener, qui connaît très bien le sujet et qui aurait pu vous dire des choses très pertinentes. Peut-être est-il possible qu'il vous adresse une contribution écrite si vous le souhaitez.

J'ai eu l'expérience des questions liées au loup ou à l'ours dans des postes territoriaux précédents, puisque j'ai été successivement préfet des Pyrénées-orientales et de la Drôme, deux départements également concernés par ce type de problème.

Je me bornerai à des réflexions générales sur tous ces sujets liés à l'environnement dans les zones rurales et au traitement de dossiers environnementaux et de dossiers agricoles.

On a d'abord le sentiment que les personnes qui habitent dans les campagnes, les zones rurales et tout spécialement dans les zones de montagne ont des difficultés à se faire comprendre.

Inversement, un certain nombre de politiques qui peuvent être mises en œuvre ont des difficultés à être comprises et admises en zones de montagne. On rencontre ce double problème de compréhension et d'acceptation.

Le risque est de voir des personnes vouloir imposer un certain nombre de choses dans les zones rurales qu'elles connaissent très mal alors que cela peut être très mal vécu par les personnes qui y habitent. Des propos excessifs peuvent également être tenus dans certaines campagnes ou zones de haute montagne à l'encontre des administrations qui voudraient imposer des choses alors qu'elles ne connaissent absolument pas le milieu. Il faut être très attentif à cela.

L'IPHB a certainement cette vertu de faire débattre des gens ayant des cultures, des positions, des statuts différents et des responsabilités dans des domaines également différents.

Il faut éviter d'opposer le souci du développement économique et celui de la protection de l'environnement sous tous ses aspects.

La préservation de certaines espèces est-elle compatible ou pas avec le développement économique ? La présence de l'ours est-elle compatible ou pas avec le développement et la préservation indispensable du pastoralisme ?

La présence de l'ours peut-elle être un atout économique pour la promotion de la chaîne pyrénéenne, notamment en termes touristiques ? J'ai entendu une chronique sur France Info portant sur ce sujet et je me suis demandé si elle serait bien comprise par tout le monde.

Il faut donc être vigilant sur cette notion importante : y a-t-il opposition ou nécessaire harmonisation, conciliation, entre l'économie sous toutes ses formes, notamment l'élevage et le tourisme, et le souci que nous devons tous avoir en tant qu'habitants de la planète ou à travers nos responsabilités, de la préservation de certaines espèces ?

A ces questions, on ne peut répondre qu'avec un certain nombre d'outils :

- l'information et la concertation. Il ne faut pas que les gens travaillent de façon étanche, compartimentée. La vertu de l'IPHB est de permettre cela. La mise en place de ce lieu de rencontre donne incontestablement un plus par rapport à d'autres départements où cela n'existe pas ;

- face aux dégâts éventuels dus aux ours ou aux loups, il faut des procédures d'indemnisation des agriculteurs et des éleveurs qui soient justes, rapides, objectives.

Troisièmement il faut avoir une bonne connaissance de l'ours. Combien y en a-t-il dans les Pyrénées ? S'agit-il d'une espèce en voie de disparition, notamment l'espèce endémique, celle de l'ours pyrénéen ?

Nous avons besoin d'outils objectifs d'information qui n'existent pas pour l'instant. On n'est pas sûr du nombre exact d'ours pyrénéens, on ne connaît pas exactement le nombre de femelles. Certains parlent d'une femelle, d'autre de deux femelles. Ce n'est pas neutre quant aux débats que l'on pourra avoir ensuite sur la préservation ou sur la question très difficile de la réinsertion d'ours d'espèces différentes, avec tout le débat qui peut en résulter et sur lequel je ne me sens pas assez compétent pour apporter les réponses définitives.

Donc trois conditions essentielles : des lieux de concertation et d'information réciproques pour que les gens ne vivent pas et ne travaillent pas de façon compartimentée ; des indemnisations efficaces ;  des informations fiables sur la population d'ours et ses chances de survie.

Nous sommes tous engagés dans un certain nombre d'accords internationaux, notamment le protocole de Rio, qui fixent des objectifs pour l'ensemble de la planète en ce qui concerne les espèces en voie de disparition.

M. le Rapporteur : Vous avez été préfet de la Drôme et vous avez bien connu les problèmes liés au loup dans le Vercors. Depuis ce matin, on nous dit beaucoup de bien de l'action de l'Institution patrimoniale du Haut Béarn.

Pensez-vous que, dans des secteurs comme ceux de la Drôme ou le Mercantour, on pourrait créer une institution similaire ? Pourrait-elle être transposée ? Pensez-vous qu'elle aurait les mêmes résultats ?

Cela pourrait être une piste à évoquer pour les conclusions de nos travaux.

M. Pierre DARTOUT : Sur les départements de l'Isère et de la Drôme, des outils existent : un parc naturel régional, présidé par un élu de l'Isère, ancien député, maire d'une des communes en bordure du parc. L'autre structure est le comité de gestion de la réserve naturelle que je présidais. Nous coprésidions ces deux structures dans des conditions qui fonctionnaient bien et nous les réunissions régulièrement.

Ce serait une piste intéressante à mettre en œuvre autour du massif du Vercors, même si le problème ne concerne pas le seul Vercors, mais aussi le sud du massif, notamment dans le Haut Diois, ou toute la région au sud-est de l'Isère, au nord-est des Hautes Alpes, qui n'est pas le Vercors et où le problème du loup se pose.

Je pense que ce serait une formule intéressante qui devrait être interdépartementale.

M. André CHASSAIGNE : Quel rôle joue l'IPHB dans le cadre de Natura 2000 ? Quelle place cet organisme a-t-il dans la mise en oeuvre de Natura 2000 pour en assurer le meilleur succès possible ?

On parle toujours de transparence. Or, il apparaît que l'arrivée du loup est probable dans ce département dans un délai très bref. Peut-être même y a-t-il déjà eu des incursions.

Dans ce cadre-là, avez-vous mis en place un suivi très étroit en partenariat, avec le versant espagnol, afin que les erreurs faites ailleurs, notamment dans le Mercantour, ne se reproduisent pas ici ? L'objectif est d'assurer une transparence, une information régulière de la population et de s'appuyer sur les structures existantes pour bien traiter les questions engendrées par l'arrivée du loup sur ce territoire ?

M. Pierre DARTOUT : Peut-être que d'autres seront mieux qualifiés que moi pour répondre à la deuxième question sur l'éventualité de l'arrivée du loup sur le territoire des Pyrénées-atlantiques. Pour l'instant, ce n'est pas un sujet d'actualité.

M. André CHASSAIGNE : C'est bien là le problème !

M. Pierre DARTOUT : Le sera-t-il un jour ? Peut-être ! Mais pour l'instant, ce n'est pas le cas. La DDAF ou la DIREN pourront en parler beaucoup mieux que moi, sachant qu'il y aurait, de l'autre côté des Pyrénées, - M. Bonrepaux connaît bien le sujet - la présence de loups dans certaines zones de montagnes espagnoles.

Sur Natura 2000 et IPHB, je ne suis préfet de ce département que depuis huit mois. Depuis que je suis ici, il n'y a pas eu de débat à ma connaissance ou en ma présence autour de Natura 2000 dans le cadre de l'IPHB. Cela ne veut pas dire que je n'en ai jamais parlé au président de l'IPHB, bien au contraire ; nous avons souvent parlé de Natura 2000.

Le moment venu, quand cela pourra se faire, je suis tout à fait ouvert à la discussion sur ce sujet qui est particulièrement sensible et dont on connaît toutes les difficultés.

M. André CHASSAIGNE : J'ai le sentiment que « le moment venu » est bien le problème.

N'y aurait-il pas une tendance à considérer que le moment venu arrive quand tout est bouclé ? Ne faudrait-il pas plus de concertation, de dialogue en amont ? Ce n'est pas spécifique aux Pyrénées. Nous sommes dans un pays où il faut malheureusement faire accepter les politiques gouvernementales et européennes alors qu'on aurait peut-être tout à gagner à les faire partager.

M. Pierre DARTOUT : Je répondrai très franchement à cette question en précisant qu'en tant que fonctionnaire, je suis là pour appliquer les lois et les règlements de la République dont font partie les directives européennes que le gouvernement est chargé de mettre en oeuvre.

J'ai vécu Natura 2000 dans trois départements : Pyrénées-Orientales, Drôme et Pyrénées-Atlantiques, avec des similitudes et des différences dans les trois départements.

Pour les Pyrénées-Atlantiques on a appliqué une procédure de consultation, qui a été fixée par l'ordonnance de novembre ou octobre 2001, qui transpose les directives en droit français et qui avait fixé la procédure de consultation sur Natura 2000 à la suite des décisions d'annulation du Conseil d'Etat.

Les dossiers de propositions de Natura 2000 ont été transmis selon les instructions reçues On a demandé d'en transmettre d'autres, cela a été fait. Je ne serai pas plus précis à ce sujet parce que la consultation telle qu'elle a été prévue a été mise en œuvre par chaque préfet dans les conditions prévues.

J'observe que cette directive est là depuis de très nombreuses années. C'est vrai qu'elle a toujours gêné quant à sa mise en œuvre qui est difficile. Ce n'est pas un secret d'état que de le dire. Il y a tout un problème autour de la concertation nécessaire pour cette mise en œuvre.

Je ne veux pas trop revenir là-dessus car nous sommes là pour appliquer un certain nombre de mesures. Mon observation est la suivante -le président de l'IPHB le sait bien- : mon rôle est maintenant de d'organiser le plus de réunions possibles sur le terrain pour expliquer Natura 2000, pour savoir vraiment pourquoi ce dispositif suscite autant de critiques et de peurs. Il y a des choses que l'on ne s'explique pas.

J'ai déjà mené un certain nombre de réunions dans ce département. Des procédures Natura 2000 ont été lancées, depuis plusieurs années, dans le nord-est du département autour des coteaux de l'Embeye et se déroulent bien. J'ai fait une réunion du comité de pilotage pour savoir comment les choses se passaient. Nous avons tenu d'autres réunions pour lancer un comité de pilotage, choisir un opérateur de l'autre côté du département, dans le massif de la Rhune au pays basque.

D'autre part, le sous-préfet de Bayonne a fait une réunion dans une zone de montagne, le massif des Aldudes. Là aussi, c'est une réunion d'information qui a été menée avec les élus, les agriculteurs, les chasseurs, les associations d'environnement, tous les partenaires.

J'ai fait la même chose mais la réunion a été plus difficile parce que plus nombreuse, autour d'un site de rivière, avec le directeur départemental qui venait d'arriver et l'ensemble des communes bordant le Saison, affluent du Gave d'Oloron, lui-même affluent du Gave de Pau.

Voilà la réponse que je peux vous faire. Je suis conscient qu'il y a des problèmes de concertation, d'information sur la mise en œuvre de la directive Natura 2000. J'ai pris le parti de faire une réunion territoire par territoire. L'explication de ma réponse de tout à l'heure sur « le moment venu" est que le calendrier est long et qu'il y aura beaucoup de réunions à programmer là-dessus, que je présiderai moi-même ou que les membres du corps préfectoral, le DDAF ou le DIREN pourront présider.

M. Jean LASSALLE : Avec l'accord du président, je n'interviendrai pas sur les autres sujets, mais celui-là est un sujet sensible et d'actualité. Pour que ce soit plus clair et plus simple, je dois dire que la tâche de M. le préfet dans cette affaire est très difficile dans ce département, comme l'a été la tâche de ses prédécesseurs pour une simple et bonne raison : je suis totalement opposé à la directive Natura 2000. Je n'ai qu'un seul but que je poursuivrai tant que je vivrai : la faire abroger.

Vous comprenez dans ces conditions que, pour un préfet en place dans le département, c'est difficile parce que je suis conseiller général, vice-président du conseil général, président de l'association des maires. La tâche de tous les préfets a toujours été délicate dans cette affaire. M. le préfet est tout à fait dans son rôle, mais j'estime que je suis dans le mien !

Je suis un Européen, mais j'estime que l'Europe s'abîme dans les esprits en continuant à se comporter comme elle le fait, notamment avec la mise en place de tels dispositifs qui sont à l'opposé de ce que nous pensons et de ce que je pense. Cela étant, mon point de vue n'est pas partagé, loin s'en faut, par l'ensemble des acteurs de ce département. Il faut être clair. Certains même, pensent que ma position est très nuisible, négative pour le département.

C'est ma position. Je me suis fait élire en disant clairement mon point de vue.

Par ailleurs, j'ai été président du parc national pendant dix ans, réélu à trois reprises, et je suis président de l'IPHB. Vous en avez entendu du bien ce matin, vous allez en entendre suffisamment de mal cet après-midi pour que ce soit équilibré.

M. André CHASSAIGNE : Je précise à M. le Préfet que je n'étais pas au courant de l'opposition de Jean Lassalle.

M. le Rapporteur : Je suis aussi président des maires de mon département et je suis farouchement contre Natura 2000 comme vous le savez puisque nous avons fait plusieurs interventions tous les deux à l'Assemblée nationale.

M. Augustin BONREPAUX : Je suis plutôt réservé sur Natura 2000. Je vais quand même poser quelques questions à M. le directeur départemental de l'agriculture. Vous avez dit que la charte n'était pas reconduite. Pourquoi ? Que se passe-t-il dans l'intervalle ? Les primes pour le gardiennage seront-elles reconduites ? Pourquoi la charte n'est-elle pas reconduite, puisqu'il y a une demande de reconduction ?

Il est important de connaître le revenu moyen des éleveurs dans ce département. On peut comprendre que certains puissent accepter un certain nombre de contraintes et d'autres moins, compte tenu de leurs revenus.

Enfin, j'ai entendu dans vos propos que la DDAF n'était pas impliquée dans l'indemnisation des dommages. Qui gère cela ? Comment cela se passe-t-il lorsqu'il y a des dommages ?

Dernière question : quelle est votre appréciation - même si vous êtes nouveau dans le département, vous en avez entendu parler - sur l'introduction d'ours slovènes faite en Haute-Garonne ?

M. Michel GUILLOT : Je peux apporter des éléments sur certains des points évoqués.

Vous avez parlé de reconduction de la charte. Je pense que vous vouliez parler de l'opération locale agri-environnementale.

M. Augustin BONREPAUX : La charte de l'IPHB qui a été passée avec l'Etat est-elle toujours en vigueur ? A-t-elle besoin d'être reconduite ?

M. Pierre DARTOUT : La charte est en discussion en ce moment.

M. Augustin BONREPAUX : Vous avez dit que les contrats étaient arrivés à leur terme et qu'ils n'étaient pas reconduits. Comment cela se passe-t-il maintenant pour les éleveurs ?

M. Michel GUILLOT : Pour la charte elle-même, Mme la ministre de l'environnement est venue récemment dans le département et a fait des déclarations sur ce point. Je n'en sais pas plus.

M. Jean LASSALLE : J'avais décidé de ne rien dire, mais c'est difficile.

La charte avait démarré en 1994 avec des contrats de cinq ans. Les contrats auraient dû être renouvelés dès 1999. Comme on l'avait souhaité, l'Etat, à ce moment-là, nous a demandé de réaliser un audit pour savoir si ce que nous avions fait était plutôt bien ou plutôt mal.

Malheureusement, à partir de ce moment-là, l'affaire a dégénéré. L'audit n'était pas mauvais, mais un débat surréaliste, auquel je ne m'attendais plus, a éclaté au moment du renouvellement de cette charte, juste après les évènements qui se sont déroulés dans la Haute-Garonne et dans l'Ariège avec les ours réintroduits.

A partir de ce moment, il y a eu dérapage de la situation avec une surenchère des mouvements de protection de la nature - qui font par ailleurs partie de l'IPHB et qui sont toujours loyaux même si nous sommes rarement d'accord - pour dire qu'il fallait mettre les ours dans la charte.

Bien entendu, les bergers qui, pourtant, avaient appuyé la demande de renforcement en 1996, les ont traités de fous avec ce qui se passait dans l'Ariège et la Haute-Garonne. C'était pour eux absolument impossible, car ils étaient totalement opposés à toute réintroduction d'ours.

Depuis 1999, nous sommes plongés dans cet abîme. J'ai travaillé avec des ministres de tous bords, cela a toujours été tendu, sauf avec un ministre socialiste et avec une ministre RPR ce qui montre que ce n'était pas une question de couleur politique ou sexiste. Le fait est que les ministres précédents - pour celle qui est en place, je ne peux pas juger, c'est plutôt bien pour l'instant - n'ont rien fait pour faciliter la tâche des préfets de ce département, ni la mienne d'ailleurs.

M. Augustin BONREPAUX : Pourquoi les contrats agri-environnementaux ne sont-ils pas renouvelés ?

M. Claude BAILLY : Tout repose maintenant sur la mise en place d'un nouveau dispositif, qui est le contrat d'agriculture durable.

M. Augustin BONREPAUX : Qui indemnise ? Pourquoi n'est-ce pas la DDAF ?

M. Michel GUILLOT : Je vais vous dresser le tableau du dispositif d'indemnisation des dommages d'ours. Depuis la création du Parc national en 1967...

M. Augustin BONREPAUX : J'ai bien compris que sur le plan national, c'était le parc. Mais en dehors du parc ?

M. Michel GUILLOT : L'essentiel des dégâts d'ours intervient quand même dans la zone du parc national à 90, 95 ou 98 %. Le dispositif y fonctionne sans problème.

Quand on est en dehors de la zone parc, c'est plus compliqué. Par exemple la commune d'Arrette a la particularité d'être adhérente à l'IPHB, mais de ne pas être dans la zone parc national. Or, dans la zone du parc, le décret précise que c'est le parc qui indemnise. Arrette n'est pas dans ce cas-là. La charte de développement durable des vallées béarnaises et de protection de l'ours dit que c'est l'IPHB qui indemnise les dégâts d'ours. Il semble que lorsque l'on est en dehors du parc, la charte donne compétence à l'IPHB.

Autre cas possible, on n'est ni dans la zone parc, ni dans la zone IPHB. Cela peut se présenter à l'ouest de la zone, vers le Pays Basque. On arrive à la commune de Sainte-Engrâce, la commune de Larrau. On n'est ni en zone charte ni en zone parc national. Cela s'est produit pour la première fois à l'est, en bordure des Hautes-Pyrénées, sur le massif qui n'est pas dans le parc national, appelé massif de l'Estibète, dans les communes d'Asson, d'Arthez d'Asson où s'est installé l'ours Néré en 2000 et où il a été responsable de nombreux dégâts.

Dans l'urgence, pour faire face à ces dégâts en dehors de la zone parc, l'autorité préfectorale a fait appel au parc national qui a bien voulu intervenir en dehors de sa zone. Pour le moment, le parc dit qu'il se cantonne dans sa zone, sans intervenir ailleurs. Sur Arrette, c'est l'IPHB qui intervient avec des moyens d'expertise des dégâts sur le terrain qui ont été confiés à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage car je pense que l'IPHB n'a pas d'experts. Le cas s'est produit l'an dernier sur Arrette. Je crois pouvoir dire que l'indemnisation s'est déroulée dans de bonnes conditions.

Quand il y aura des dégâts en dehors du parc et en dehors de la zone de la charte - ce qui ne s'est pas produit depuis l'année 2000 - j'avoue que le dispositif n'est pas très bien stabilisé dans ses diverses faces. L'ONCFS fait les expertises. Qui prend la décision d'indemniser ? C'est le sous-préfet d'Oloron. Qui indemnise ? J'ai entendu dire - sous toute réserve car je n'ai rien vu d'écrit - que les indemnités seront versées par l'ONCFS au niveau national, les dossiers remonteraient au niveau national pour être payés par l'ONCFS. Voilà ce que je sais.

M. Augustin BONREPAUX : C'est un exemple éclairant de la simplicité administrative !

M. Jean LASSALLE : C'est l'un des aspects sur lesquels il y a aujourd'hui problème et qu'il faut faire évoluer pour la préparation d'un nouveau contrat de charte.

Lorsque M. Michel Guillot qui a remarquablement décrit la situation parlait de la zone parc, il faut savoir qu'il y a la zone centrale du parc et la zone périphérique. Or, les habitants de la zone périphérique ont toujours fait un distinguo justifié, non seulement ici, mais dans tous les parcs de France.

Après la crise décrite ce matin, lors de l'avènement de l'IPHB, il a été dit qu'il ne pouvait pas être uniquement l'organisme qui réglemente les forêts, qui interdit les pistes etc., mais qu'il devait être - cela valait sur pratiquement tous les sujets - l'organisme qui engage sa responsabilité sur les dédommagements.

Cela a très bien fonctionné pendant trois ou quatre ans. Il est vrai qu'à l'époque, j'étais président et du parc national et de l'IPHB. Malheureusement, au cours de ces dernières années, cela a été moins clair. Nous étions convenus d'une chose qui allait très bien : l'IPHB était responsable des opérations, mais comme nous n'avions pas d'expert, c'étaient les gardes moniteurs du parc national ou ceux de l'ONCFS à l'extérieur qui sont assermentés, qui faisaient les expertises.

Depuis, tout cela est devenu moins clair et cela fait partie des points qu'il nous faut éclaircir pour repartir sur un contrat de confiance.

M. Augustin BONREPAUX : Quel est le revenu des éleveurs ?

M. Claude BAILLY : Nous sommes dans un département où les éleveurs sont très nombreux puisqu'ils sont plus de 12 700 au dernier recensement. C'est un département très actif de ce point de vue. Cela veut dire que les structures sont petites et les éleveurs d'ovins n'ont pas un très gros revenu. Ils font partie des revenus les plus bas au niveau métropolitain.

M. Augustin BONREPAUX : Vous n'avez pas un revenu moyen par éleveur dans le département ?

M. Pierre DARTOUT : La statistique existe. Le renseignement pourra vous être communiqué.

M. Augustin BONREPAUX : Je suis venu au congrès d'Arrette où j'ai vu des éleveurs qui m'ont expliqué quel était leur revenu. Quand on compare l'élevage d'ovins pour le lait et l'élevage d'ovins pour la viande, il y a une forte différence. J'aimerai pouvoir comparer ces deux types de revenus.

M. Pierre DARTOUT : Sachant que le revenu agricole moyen est parmi les plus bas de France.

M. Augustin BONREPAUX : Ce qui m'intéresse, c'est le revenu des éleveurs en montagne.

Quel est votre sentiment sur la réintroduction ? J'ai entendu Jean Lassalle qui n'est peut-être pas très objectif. Quel est le sentiment ici, sur la réintroduction en Haute-Garonne, de la part des éleveurs, de l'administration ?

M. Claude BAILLY : Je parlerai en mon nom et au titre de ma formation scientifique. Nous sommes en face d'une population très réduite. La première question est : quelle est la taille de cette population ? Quelle est la proportion entre les mâles et les femelles ? C'est de cela que dépendra la survie de l'espèce.

M. Augustin BONREPAUX : J'ai bien entendu. M. le préfet avait parfaitement répondu à la question.

M. Claude BAILLY : Ensuite, il faut se demander si l'on veut remettre de l'ours, avoir une population viable d'ours dans la chaîne des Pyrénées ou si l'on veut une population viable uniquement d'ours pyrénéens ? Dans le premier cas, on fera appel à des introductions. Dans le deuxième, la question reste entière.

M. Augustin BONREPAUX : La troisième question étant de savoir ensuite comment l'on fait.

M. Claude BAILLY : S'il y a encore, même en petit nombre, des ours dans la chaîne des Pyrénées, c'est le résultat d'une cohabitation entre des hommes et des animaux. Leur disparition progressive est-elle due à une activité humaine, ou la population d'ours était-elle arrivée à un niveau tel qu'elle ne pouvait pas se régénérer et qu'elle s'est disloquée ? Ils se sont répartis entre l'est et l'ouest de la chaîne et je n'ai pas la réponse.

M. Pierre DARTOUT : Je ne suis pas scientifique, mais j'ai écouté certains élus que vous rencontrerez peut-être. Certains, qui sont des hommes bien implantés, nés dans les vallées, qui y travaillent, disent qu'il y a une différence de comportement entre l'ours pyrénéen et l'ours slovène. L'ours pyrénéen est moins agressif, il ne vit pas de la même façon, on le voit beaucoup plus difficilement. L'ours slovène est peut-être plus agressif. C'est ce que j'ai entendu.

D'autres répondent que si l'ours pyrénéen est dans cette situation, c'est que, du fait de son nombre toujours plus limité, la race d'ours pyrénéen commence à avoir des problèmes d'ordre génétique, peut-être de dégénérescence. Ils ajoutent que ces ours commencent à perdre certains caractères qui font qu'ils vivent très isolés, qu'on ne les voit plus et qu'ils ne sont plus très agressifs. Ce que je dis n'a aucune valeur scientifique. C'est ce que j'ai entendu de la part des uns et des autres.

M. le Rapporteur : Merci, monsieur le Préfet, messieurs les directeurs, de toutes les informations que vous avez pu nous donner.

Audition conjointe de MM. Hugues AYPHASSORHO, directeur de la direction régionale de l'environnement (DIREN-Aquitaine),
Loïc MATRINGE, (DIREN-Aquitaine),
Jean-Jacques CAMARRA, coordonnateur du réseau ours brun,
à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage(ONCFS
)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars  2003, tenue à Pau)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment à tour de rôle.

M. Jean LASSALLE : Je voudrais vous rappeler que nous agissons dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire votée par l'Assemblée nationale.

Nous avons été chargés d'une mission d'enquête et de propositions sur la présence des loups, des ours, des lynx en France, et sur l'avenir du pastoralisme.

Nous entendrons vos exposés avant de vous poser nos questions.

M. Hugues AYPHASSORHO :  Le département des Pyrénées-atlantiques, dans le cadre de la question posée par cette commission d'enquête, est concerné essentiellement - pour ne pas dire uniquement - par le problème de l'ours, sachant que nous n'avons aucun élément d'information sur la présence proche ou lointaine du loup et des autres fauves que vous évoquiez.

Nous sommes également concernés, dans la logique de réflexion relative au développement durable, à l'autre question portant à l'avenir du pastoralisme, principalement au regard de la cohabitation avec la population d'ours.

Le rôle de la direction régionale de l'environnement de l'Aquitaine est de décliner localement la politique du ministère de l'écologie et du développement durable ; politique définie par le gouvernement dans le cadre de ses nombreuses obligations internationales.

Je citerai principalement les conventions de Washington et de Berne, et la directive Habitats.

Ces politiques conduisent à la mise en oeuvre d'un certain nombre d'actions, de procédures réglementaires, et également à une action partenariale, dans le cadre de l'Institution patrimonial du haut Béarn (IPHB) et du syndicat mixte du Haut-Béarn, en application de la charte du développement durable des vallées béarnaises et de protection de l'ours, signée en 1994 je crois, et qui cadre les différentes actions.

La DIREN Aquitaine a contribué à la mise en oeuvre du premier contrat de programme qui avait été défini à l'issue de la signature de cette charte et aux discussions qui ont eu lieu à partir de 1999 et 2000 sur la négociation d'un second contrat de programme.

La négociation de cette charte a connu des difficultés importantes en raison de désaccords entre un certain nombre d'acteurs au sein de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn, notamment entre la vision de l'Etat et de celle du syndicat mixte.

A la fin de l'année 2001 et surtout au début de l'année 2002, ces difficultés ont conduit à ne pas pouvoir signer, dans les délais requis, le deuxième contrat de programme prévu par la charte et par la convention d'application du contrat de plan Etat-Région Aquitaine relative aux vallées béarnaises.

Devant la situation de blocage générée en début d'année 2002, la ministre de l'écologie et du développement durable a relancé les concertations. Elle est revenue récemment - le 17 février dernier - rencontrer l'ensemble des élus du syndicat mixte du haut Béarn et un certain nombre d'acteurs, bergers et associations de protection de la nature, pour se faire une opinion, écouter les objectifs, les difficultés des différents acteurs, et jeter les bases d'un nouveau partenariat pour aboutir à des objectifs et des actions partagées tant au niveau local qu'au niveau national.

M. Jean-Jacques CAMARRA : Je suis, au titre de l'ONCFS, coordonnateur du réseau Ours brun créé en 1983, et chargé du suivi de l'espèce ours brun sur les Pyrénées françaises.

Ce réseau travaille depuis de nombreuses années en collaboration avec les réseaux Ours brun constitués sur le versant espagnol, en particulier en Navarre et en Aragon.

Le travail consiste en un suivi routinier de la population d'ours. C'est également un travail d'expertise que l'on mène dans les habitats ours concernant en particulier d'éventuels projets d'aménagement, qui seraient susceptibles de perturber ou non les ours.

Je suis également chargé de maintenir ou de réactualiser la connaissance de l'ours au travers de toutes les publications mondiales qui peuvent paraître sur cette espèce.

Nous sommes aussi amenés à faire des opérations de gestion immédiate, à savoir éventuellement les captures d'ours, des nourrissages d'ours ; des opérations « coup de poing » en quelque sorte et enfin, des propositions en matière de gestion des activités cynégétiques dans les zones à ours.

Mon champ d'activité porte essentiellement, et depuis très longtemps, sur les Pyrénées occidentales, même si j'ai des responsabilités sur l'ensemble des Pyrénées.

Je vous ai préparé une présentation audiovisuelle pour vous montrer le travail que nous faisons et les résultats que nous obtenons.

(Diffusion d'une vidéo)

Je travaille sur l'ours depuis 1977. J'ai réalisé de nombreuses missions dans les pays étrangers, en particulier en Amérique du Nord, sur la capture d'ours, sur la gestion des ours bruns, grizzlis. Le travail que je mène est en collaboration avec le réseau Ours brun, auquel participent différentes agences, comme l'Office national des forêts, le Parc national des Pyrénées, l'institution patrimoniale du haut Béarn, des fédérations départementales de chasseurs.

Dans les Pyrénées occidentales, on travaille depuis très longtemps dans un contexte particulier sur cette espèce emblématique. D'un point de vue culturel, l'ours est une espèce assez intéressante. D'un point de vue biologique, cette espèce est menacée d'extinction dans les Pyrénées-Atlantiques.

D'un point de vue technique, aucun spécimen n'a été marqué, capturé ou suivi par radiotélémétrie. Divers audits sont venus « sanctionner » le travail que nous avons réalisé. Il a même dit que la population d'ours brun des Pyrénées occidentales était la mieux connue au monde parmi les populations non marquées.

C'est un travail, assez particulier car avons mis au point de nombreuses méthodes de suivi, assez inédites sur le plan mondial.

D'un point de vue politique, je travaille sur l'ensemble des Pyrénées, mais deux dossiers distincts ont des répercussions sur les méthodes de travail que l'on peut adopter : l'un en Pyrénées centrales ; l'autre en Pyrénées occidentales.

En Pyrénées occidentales, en moyenne, chaque année, nous effectuons 530 journées de prospection de terrain et on récupère en moyenne 320 données de présence d'ours, essentiellement recueillies par le réseau ours brun, c'est-à-dire par des professionnels. Les usagers ou le grand public n'en collectent que 16 %.

Le réseau ours brun est constitué de 186 membres sur l'ensemble de la chaîne pyrénéenne, avec une coordination internationale France-Aragon-Navarre et il a des missions officielles.

Les techniques de suivi sont basées sur des témoignages, le suivi des dégâts causés par les ours sur les troupeaux, ainsi que les indices de présence. Cela prend beaucoup de temps.

Nous utilisons conjointement trois techniques : la taille des empreintes de pattes, les photographies automatiques des ours et le typage génétique. Ce dernier est accompagné de plusieurs points d'interrogation, car effectivement, il n'est pas évident de mener ce genre de technique sur les ours autochtones particulièrement consanguins. Il est très difficile - aux dires des chercheurs et des généticiens - de distinguer les individus les uns des autres.

Le réseau ours brun a une fonction d'informations très importante. Nous adressons nos publications soit à l'administration préfectorale, soit à l'institution patrimoniale du haut Béarn, et plus rarement, directement au grand public.

En période d'activité des ours, en moyenne nous communiquons tous les trois à quatre jours, une information nouvelle sur l'ours. Nous communiquons par messageries vocales, par flashs d'informations événementiels, par bulletins mensuels et rapports circonstanciés et annuels.

Sur la chaîne des Pyrénées, soit environ 6 000 km2, il est très difficile de resituer les ours. Certains témoignages qui nous parviennent sont précieux pour cela, mais bon nombre sont plus ou moins douteux, on en tient compte sans plus.

Les ours sont recensés dans les Pyrénées occidentales par les empreintes de pattes en particulier. Cette technique fonctionne bien en temps réel et on arrive à connaître assez facilement le nombre d'ours.

Nous avons l'ours Néré, de souche slovène - le plus gros ours - Papillon, ours mâle de souche pyrénéenne ; Camille, ours pyrénéen mâle ; Luz, ours identifié sur les Hautes-Pyrénées ; ensuite, un autre ours qui n'est pas très connu, sur la haute Vallée d'Aspe, limite de la frontière espagnole ; et Cannelle, la seule femelle reproductrice connue dans la partie des Pyrénées occidentales.

Nous pouvons dire qu'il y a six ours dans les Pyrénées occidentales, soit une femelle et cinq mâles.

En l'absence de typage génétique, la question peut nous être posée de savoir comment nous parvenons à identifier les mâles des femelles. On peut les identifier sur plusieurs années grâce à la taille des animaux, la vie familiale de chaque individu et leur comportement.

Sur les Pyrénées, trois noyaux d'ours sont donc identifiés ; un sur les Pyrénées-Orientales, un sur les Pyrénées centrales et un sur les Pyrénées occidentales.

On constate une dispersion depuis les Pyrénées centrales de la part des jeunes mâles nés dans les Pyrénées centrales, dont un (Néré) est venu dans les Pyrénées-atlantiques.

M. André CHASSAIGNE : N'y a-t-il pas d'ours en Ariège ?

M. Jean-Jacques CAMARRA : Si, mais je n'en parle pas trop. Je me focalise davantage sur les Pyrénées occidentales. Couky et Brouxty sont deux mâles dont un seul a été réellement identifié en 2002, car seule la présence simultanée d'ours dans des régions éloignées nous permet de savoir s'il y a deux ours puisqu'ils sont de même taille.

Vous voyez que la génétique a ses limites - même si elle est considérée comme l'arme absolue - puisqu'elle n'a pas pu différencier ces ours-là, le matériel génétique récolté dans cette zone étant trop faible.

Les services catalans espagnols de la faune nous ont fait part en septembre de la naissance de deux oursons de l'ourse Giva qui auraient maintenant un an. Il y aurait également deux oursons qui seraient nés en l'an 2000.

M. Augustin BONREPAUX : Oui, mais on a trouvé un ourson mort il y a quelques années. D'où venait-il ?

M. Jean-Jacques CAMARRA : Caramelle, jeune ourse fille de Melba, est présente sur l'Ariège et la partie ouest de l'Ariège, elle a eu sa première mise bas en donnant naissance à un ourson qui a été retrouvé mort. Il aurait fait une chute.

M. Augustin BONREPAUX : Pour l'information de mes collègues, hier, on nous a dits que les ours faisaient deux petits. Melba en a fait trois !

M. Jean-Jacques CAMARRA : Effectivement. En général, c'est deux à trois. Melba en a fait trois.

M. Augustin BONREPAUX : Dans les Pyrénées, ils en font combien ?

M. Jean-Jacques CAMARRA : L'ourse pyrénéenne en fait un ou deux. Si l'on fait le calcul, au cours des années 80, dans les Pyrénées occidentales, la taille moyenne des portées est de 1,44, ce qui est très faible comparativement à ce que l'on remarque ailleurs, en Europe, sur l'ours brun qui, en général, se situe entre deux et trois. Dans les Monts Cantabriques, la moyenne est de 2,2.

Depuis 1995, on n'a pas pu repérer, de portées de plus d'un ourson dans les Pyrénées occidentales. Je ne dis pas que cela n'a pas existé, mais on ne l'a pas repéré.

On constate une nette régression des effectifs depuis 1978 sur les Pyrénées et une augmentation assez conséquente après 1996, date de lâcher des ours slovènes dans les Pyrénées centrales.

On constate également une diminution, peut-être pas très rapide mais constante et régulière dans les Pyrénées occidentales alors qu'il y a une augmentation depuis 1996 dans les Pyrénées centrales.

Sur l'ensemble des Pyrénées, il y avait cinq à six ours en 1995 ; aujourd'hui, il y a treize à quinze ours sur l'ensemble des Pyrénées.

Pour la période récente dans les Pyrénées occidentales, la stagnation, voire la légère diminution, des effectifs remarquée par les comptages est corroborée par les indices d'abondance (nombre d'indices/distance parcourue).

J'ai procédé à une estimation très globale de la prédation sur le cheptel domestique sur quatre zones pyrénéennes : j'ai divisé la chaîne pyrénéenne en quatre zones : nord-occidentale, et sud-occidentale, nord-centro-orientale et sud-centro-orientale. (Hautes-Pyrénées et Pyrénées-Atlantiques)

Depuis 1996, il y a, en moyenne, dix sept à dix huit attaques d'ours - je ne parle pas de nombre de bêtes, mais des comportements d'ours - avec une légère augmentation à partir de 1997-1998.

Puis, en l'an 2000, nous avons eu une très forte augmentation, correspondant à l'arrivée de Néré, lequel était arrivé dans une zone où les troupeaux n'étaient pas gardés et a causé beaucoup de dégâts. Puis, il a intégré, début 2001, la zone des ours autochtones où les troupeaux sont gardés. Il y a apparemment causé beaucoup moins de dégâts.

La situation est donc très contrastée en matière de prédation. Par exemple, la prédation sur les ruches qui existe dans les Pyrénées centrales n'existe pratiquement pas dans les Pyrénées occidentales.

On estime le nombre d'attaques par ours à 4,5 attaques par an dans les Pyrénées occidentales, avec une légère augmentation de la fréquence d'attaques au cours des dernières années, avant même l'arrivée de l'ours Néré.

Il y a, semble-t-il, un transfert de la prédation des ours depuis les zones devenues sécurisées vers des zones où certains bergers pratiquent une sécurisation un peu plus lâche. Les ours, qui sont des animaux à vaste domaine vital, arrivent à prospecter très loin et à découvrir des endroits où ils peuvent attaquer plus facilement. Vous voyez l'importance du gardiennage.

L'ours Néré qui est parti d'un niveau de prédation très élevé, descend apparemment au niveau de prédation des ours autochtones, alors qu'il a intégré la zone où les troupeaux sont gardés.

Quant à Luz, ours autochtone qui est dans une zone où les troupeaux ne sont pas gardés, il a causé à ce jour peu de dégâts.

Les facteurs de prédation sont liés à la disponibilité en nourriture naturelle, à l'âge et à l'histoire des individus, et surtout à la disponibilité en proies domestiques. C'est pratiquement le facteur le plus important : le nombre d'attaques croît dans les estives peu gardées dans les Pyrénées occidentales, par rapport aux estives sécurisées.

M. le Rapporteur : Pourquoi le ministère de l'environnement a-t-il refusé le projet de réintroduction d'ours défendu par l'IPHB ? J'aimerais bien avoir votre version. Nous en avons déjà eu une ce matin.

Pourquoi ne dispose-t-on pas d'une expertise génétique des derniers oursons nés ?

Quels sont les problèmes rencontrés pour l'application de Natura 2000 ?

Pensez-vous que les deux populations autochtones et réintroduites soient compatibles ?

Que pensez-vous du reproche fait aux ours slovènes d'être « humanisés » ? Qu'entend-on par « humanisés » ?

M. Hugues AYPHASSORHO : Pour éclairer un peu les choses, je suis à la DIREN Aquitaine depuis dix mois. J'ai donc un recul assez faible sur ce dossier. Mon collaborateur Loïc Matringe pourra étayer mes propos.

D'après le dossier dont j'ai pris connaissance, le ministère en charge de l'environnement n'a pas refusé le projet de réintroduction. Au contraire, il l'a accepté. Simplement, il y avait un certain nombre d'attentes dans cette proposition - en particulier la capture pour l'équipement en radiométrie - qui n'ont pas été considérées comme acceptables.

Ce n'était donc pas un refus, mais une acceptation avec un certain nombre de réserves, réaffirmant également que les sites à ours avaient bien vocation à être proposés au titre du réseau Natura 2000.

D'après les éléments que j'ai vus dans le dossier, c'est principalement ce dernier élément de friction qui a provoqué la réaction, l'embrasement que l'on connaît au niveau local.

M. Augustin BONREPAUX : Est-ce la DIREN ou le réseau local qui a refusé ?

M. Hugues AYPHASSORHO : La DIREN n'était pas saisie. C'est la ministre qui a répondu.

M. Loïc MATRINGE : La ministre a répondu. Sa lettre existe, bien entendu, et elle peut être produite.

Le dossier de réintroduction proposé qui faisait l'objet de demande de la part de l'IPHB comportait un certain nombre de rubriques. Mais, concernant la demande de renforcement d'une ourse et après d'une autre, la ministre a répondu favorablement, en félicitant même l'IPHB.

Néanmoins, la ministre n'a pas accordé toutes les mesures d'accompagnement qui étaient demandées dans le cadre du dossier.

En ce qui concerne Natura 2000, la ministre avait considéré qu'il était de son devoir d'informer l'IPHB et son président que les zones de montagnes et les zones à ours en particulier, allaient être transmises au titre de Natura 2000. Mais c'était une information et ce n'était absolument pas lié à la décision de réintroduction.

M. Jean LASSALLE : Il faut que nous produisions, non pas la lettre mais les deux lettres de réponse ; une lettre de la directrice de la protection de la nature et des paysages qui a précédé de deux mois la lettre de réponse de la ministre de l'écologie et du développement durable.

La simple lecture de ces deux documents permettra, je pense, à la commission d'être complètement éclairée sur ce qu'il en a été.

M. Hugues AYPHASSORHO : Concernant les problèmes rencontrés sur Natura 2000, il y a deux aspects. Dans le cadre de l'article 12 de la directive, relatif aux espèces prioritaires - c'est le cas de l'ours brun - la France a des obligations de préservation des habitats et de l'espèce ours brun, indépendamment de toute autre procédure.

Ceci est donc à prendre en compte dans le cadre de la gestion de la population pyrénéenne et de la sous-population béarnaise.

Le principal problème concerne l'autre volet de la directive Habitats qui est la mise en place du réseau Natura 2000, c'est-à-dire des sites d'intérêts communautaires.

Le problème rencontré relève principalement, je crois, de la mauvaise compréhension et du refus d'adhésion au principe de cette directive qui consiste à mettre en place, dans un premier temps, une démarche d'inventaire préalable à caractère scientifique, par rapport à la présence d'habitats et à la présence d'espèces prioritaires.

Incontestablement, compte tenu des éléments qui ont été proposés, je crois qu'il n'est pas possible de nier qu'un certain nombre d'espaces correspondent aux critères définis par la directive sur la présence de l'espèce prioritaire qu'est l'ours brun.

L'autre aspect de la démarche est une procédure partenariale d'élaboration des règles de gestion dans le cadre de documents d'objectifs. C'est la méthode déclinée par l'État français dans la transcription de cette directive européenne. Un certain nombre d'acteurs comprennent mal que l'on ne puisse pas expliciter a priori quelles seront les règles de gestion et ont des interrogations sur la méthode qui consiste à discuter ces orientations de gestion ensemble et à les transcrire de manière concertée dans le cadre d'un document de gestion.

C'est d'abord cette approche venant de Bruxelles, avec un pré-inventaire scientifique à la base qui a été mal accepté, comme étant quelque chose d'externe et d'imposé et une mauvaise compréhension du fait que l'écriture des règles de gestion allaient être faites en partenariat.

M. Jean LASSALLE : Je dois compléter - comme je l'ai fait précédemment avec M. le préfet - pour que tout cela soit très clair. Il faut reconnaître qu'ici, une complication supplémentaire vient se greffer.

En ce qui me concerne, j'ai très bien lu la directive et je l'ai même fait étudier par un magistrat de la Cour européenne des Droits de l'Homme et par un avocat. En ce qui me concerne, je suis totalement opposé à la directive. Ainsi, cela complique beaucoup la tâche...

M. André CHASSAIGNE : Comme moi !

M. Jean LASSALLE.  Je crois trop en l'Europe pour la laisser se construire n'importe comment. L'Europe s'abîme dans les esprits, à se construire d'une manière aussi opaque que cela.

Que l'on ne vienne pas me raconter que sur un sujet qui va déposséder les hommes de leur territoire alors que leurs aînés ont été tués pour les défendre en d'autres occasions, on ne puisse pas revoir ces textes.

Le devoir des représentants de l'Etat est de faire tout ce qu'ils pourront pour faire respecter et appliquer les textes qui ont été ratifiés par la France sachant que le président de l'association des maires de ce département, le vice-président du Conseil général et maintenant député que je suis, leur est complètement opposé.

M. Hugues AYPHASSORHO : Bien évidemment, le fonctionnaire que je suis ne peut pas entrer dans les débats qui viennent d'être évoqués. Notre rôle est d'appliquer les règles, les lois définies par le gouvernement et les instances habilitées, en l'occurrence, la traduction en droit français de cette directive européenne.

Notre positionnement est, en l'occurrence, très simple. Nous appliquons des règles et il ne nous appartient surtout pas, en tant que fonctionnaires, de les redéfinir.

Ce qui est difficile, c'est la mise en œuvre qui, comme cela vient d'être rappelé, se heurte à un certain nombre de difficultés locales.

M. Augustin BONREPAUX : J'ai une question importante. La cohabitation ne se fera-t-elle pas au détriment de l'ours des Pyrénées que l'on prétendait sauver ? Etait-ce la meilleure façon de le sauver que d'introduire un mâle et deux femelles dont on ne savait pas qu'elles étaient pleines et dont on ne savait pas quels seraient les comportements ? Cela ne va-t-il pas se traduire par sa disparition ?

M. Jean-Jacques CAMARRA : Le constat avait déjà été dressé dès 1987 par des spécialistes américains sur la démographie de l'ours brun qu'ils avaient déjà étudié à plusieurs reprises dans de nombreux pays. Ces spécialistes disaient déjà à l'époque que la population d'ours brun des Pyrénées était condamnée, qu'elle n'était pas viable.

Cela fait bien longtemps, je pense, que l'ours des Pyrénées est condamné parce qu'il est en très petit nombre depuis très longtemps.

D'un point de vue génétique, on pourrait dire : « Essayons de garder au moins génétiquement l'ours brun des Pyrénées ». Mais ce qu'il en reste aujourd'hui, on l'a bien typé génétiquement, mais on ne sait pas si c'est vraiment représentatif de l'ours des Pyrénées parce que c'est une même famille : Papillon se reproduit avec Cannelle qui est peut-être sa fille... Le taux de consanguinité est très élevé.

On voit que la race même de l'ours pyrénéen est quasiment perdue. On retrouve des individus très proches dans les Monts Cantabriques en Espagne, un peu différents de l'ours des Pyrénées.

M. Hugues AYPHASSORHO : Il y a un point qu'il faut bien clarifier : en matière d'ours brun, on parle d'une seule et même espèce dont les souches sont réparties sur les Pyrénées, les Monts Cantabriques, en Slovénie etc. On parle bien d'une seule et même espèce avec des souches. Au sein d'une même espèce, il y a possibilité de croisements.

M. le Rapporteur : Les ours slovènes risquent donc de se reproduire avec les ours bruns des Pyrénées, mais cela ne s'est pas encore produit.

M. Hugues AYPHASSORHO : Ils le pourraient si l'état physiologique des ours bruns pyrénéens le permettait. M. Camarra a présenté dans son exposé le fait qu'il ne restait qu'une seule femelle dans les Pyrénées occidentales de la souche pyrénéenne.

Je crois savoir - je parle sous le contrôle de M. Camarra qui pourra compléter - que cette femelle commence à être un peu âgée et que sa fertilité commence à poser problème. Est-elle capable de porter un ourson issu d'une reproduction, par exemple avec Néré, ours d'origine génétique slovène, bien que né dans les Pyrénées, qui fréquente le même secteur ? Cela dépend de l'état physiologique de cette femelle.

M. Jean-Jacques CAMARRA : L'ours Néré, depuis qu'il est arrivé dans les Pyrénées-Atlantiques et qu'il vit dans la zone à ours, dans la zone charte en particulier, n'en a plus bougé. Il ne quitte plus Cannelle, la seule ourse, à longueur d'année.

Nous commençons à faire les premières prospections de l'année 2003. S'il y a des oursons, dans le courant du mois de mai ou fin mai, nous serons à même de dire s'il y a eu reproduction et obtenir des résultats du géno-typage individuel, surtout s'ils sont des pyrénéo-slovènes.

En l'occurrence, il serait intéressant de savoir si les souches ont été croisées ou non et de quel sexe seront les oursons qui naîtraient. Il y aura une réponse assez rapide.

Je ne pense pas que la présence ou la reproduction entre ours pyrénéen et ours slovène soit de nature à rendre les ours pyrénéens inféconds ou à poser un quelconque problème ce qui est très probablement le cas avec la consanguinité actuelle. Les ours pyrénéens ont besoin d'une plus grande diversité génétique et la présence d'un ours slovène tel que Néré peut apporter cela.

Malheureusement, cela fait longtemps que l'ours des Pyrénées est en très petit nombre et dans un état génétique très délabré.

M. Hugues AYPHASSORHO : Il est même possible que l'introduction d'une source génétique nouvelle, soit le seul moyen de rebrasser un peu les gênes au niveau de la population locale et de la sauver.

D'après les éléments présentés, sans cet apport nouveau, la souche locale était peut-être condamnée à être perdue.

M. Augustin BONREPAUX : Il n'y a que des mâles et vous nous expliquez que l'on va faire un mélange en introduisant encore des mâles.

Il y a une femelle et cinq mâles. Vous nous expliquez qu'en introduisant un, deux ou trois mâles, on va favoriser le brassage. Je ne comprends pas trop.

Je comprends encore moins que l'on ait refusé la réintroduction sous des prétextes que je n'ai pas à juger.

M. Hugues AYPHASSORHO : Je crois avoir répondu sur le fait que le ministère n'avait pas refusé.

M. Jean LASSALLE : Si le problème de sauver les ours des Pyrénées avait été aussi important qu'on nous l'a écrit et répété pendant vingt ans, et vu l'état dans lequel on a mis ce pays pour sauver ces ours, je ne comprends pas que la ministre, au vu d'un dossier entièrement préparé par les fonctionnaires de son ministère, n'ait pas accepté immédiatement et sans réserve.

Vous verrez les deux lettres, et vous me direz si les conditions posées étaient acceptables par une assemblée qui allait déjà loin dans le compromis.

M. Hugues AYPHASSORHO : Il y a aujourd'hui une femelle de souche béarnaise, qui est potentiellement fécondable par un ours d'origine slovène. Il y aurait, si cette reproduction était effective, un brassage génétique, facteur de rupture de la consanguinité dont tout le monde sait que c'est un facteur très négatif sur la dynamique d'une population.

Évidemment, si une ou des introductions devaient être faites en Béarn, l'existence de quatre ou cinq mâles, tel que cela a été dit, conduirait à devoir réintroduire plutôt une femelle, d'autre souche génétique, qui pourrait être fécondée par des ours de souche béarnaise pour permettre là encore ce brassage et cette perpétuation de la souche pyrénéenne.

M. Augustin BONREPAUX : N'aurait-il pas été plus efficace de donner suite à cette demande d'introduction d'une femelle ? Vous dites que cela n'a pas été refusé. Pourquoi l'introduction n'a-t-elle pas été faite ? Nous sommes là pour essayer de connaître la vérité. Je veux donc savoir.

M. Loïc MATRINGE : Je voudrais répondre aux propos de Jean Lassalle quand il a dit que le dossier de réintroduction a été préparé par des fonctionnaires.

Nous avions demandé que ce dossier soit présenté par l'IPHB, mais non signé, et qu'à la limite, le nom des personnes ne soit pas indiqué.

M. André CHASSAIGNE : Expliquez-nous pourquoi.

M. Loïc MATRINGE : Les services et établissements publics de l'Etat ont été mis à disposition de l'IPHB pour l'aider à monter le dossier de sa demande. Si les fonctionnaires avaient préparé seuls le dossier, ils ne l'auraient pas présenté comme il l'a été.

La demande de renforcement était donc une ourse la première année, et puis, si cela marchait bien, un ou deux ans après, d'une deuxième ourse.

La ministre a répondu oui, avec félicitations, même si toutes les conditions présentées dans la demande n'étaient pas acceptées.

M. André CHASSAIGNE : Pourquoi cela ne s'est-il pas fait ?

M. Loïc MATRINGE : Je ne sais pas comment il faut le dire, mais dès lors qu'au sein de l'IPHB, il a été reconnu que la ministre n'avait pas accepté la totalité du dossier tel qu'il était présenté, l'IPHB refusait tout le dossier. C'est ce que je dis en tant que fonctionnaire représentant le ministère de l'environnement ayant vécu le dossier.

M. Jean LASSALLE.  Je demande, compte tenu des propos de M. Matringe qui sont très importants - vous avez raison mes chers collègues d'approfondir l'affaire - que soient jointes au dossier, les archives - elles existent aussi bien à la Préfecture des Pyrénées-atlantiques qu'à l'IPHB - que l'on mette l'ensemble du dossier de façon à voir comment il a été constitué, quelle a été l'instruction et les réponses qui ont été données.

Pour le reste, on pourrait faire une partie de ping-pong qui pourrait durer trois jours. Cela étant dit, vous avez raison, il faut éclaircir ce sujet, sinon on ne pourra jamais rien construire.

Je propose même que l'on donne les noms des fonctionnaires qui se sont beaucoup impliqués, notamment l'ancien directeur adjoint du parc national des Pyrénées - dont j'étais le président à l'époque - qui a beaucoup travaillé. Il faut d'ailleurs les féliciter, les fonctionnaires de l'Etat et les administrations des établissements publics ont joué un rôle considérable dans l'affaire. Nous ne savions pas comment il fallait faire. Même quand il s'est agi d'organiser un voyage à l'étranger pour des bergers pour aller voir des ours ailleurs, heureusement que les services départementaux et régionaux nous ont beaucoup aidés.

J'aimerais tout de même que l'on m'explique ce qu'il y avait de positif dans cette lettre. Il y a deux lignes de félicitations mais pour le reste, tout était absolument inacceptables.

M. Augustin BONREPAUX : J'ai une question qui s'adresse à M. Camarra. Nous avons entendu la DIREN hier. Je ne vais donc pas vous mettre dans l'embarras et vous poser une question sur laquelle la DIREN nous a donné son opinion. Je voudrais demander à M. Camarra qui est ancien et connaît donc bien le sujet, s'il pense que l'introduction qui a été faite en Haute-Garonne correspond à l'esprit et aux recommandations de la convention de Berne qui précisent que toute réintroduction doit résulter d'une étude vérifiant l'acceptabilité de cette réintroduction.

J'aimerais connaître votre jugement sur cette réintroduction. A-t-elle favorisé l'essor, la compréhension et surtout l'acceptabilité ? Dans la situation où nous sommes actuellement, que faut-il faire ?

M. Jean-Jacques CAMARRA : Vous me demandez d'intervenir dans un domaine qui sort de mes compétences. Je parle de la biologie de l'ours, je peux vous dire si l'ours slovène est imprégné, humanisé ou non, mais juger la politique menée par le ministère de l'environnement m'est difficile.

M. Augustin BONREPAUX : Pourquoi cela vous est-il difficile ?

M. Jean-Jacques CAMARRA : D'un point de vue biologique.

M. Augustin BONREPAUX : Nous avons une étude d'acceptabilité qui est prévue dans la convention de Berne. Une règle nous est imposée. Cette réintroduction a-t-elle été faite dans les règles ?

M. Jean-Jacques CAMARRA : Je vous répondrai dans mon domaine de compétences, d'un point de vue biologique. Il y avait une population d'ours dans les Pyrénées qui n'était pas viable. Une opération de réintroduction a été réalisée - heureusement ou malheureusement - mais en tout cas pas dans les endroits où étaient les derniers ours.

Des ours ont donc été lâchés sur le territoire pyrénéen, se sont dispersés de façon un peu rapide. Ce n'était peut-être pas prévu ainsi. Il est arrivé un individu dans les Pyrénées occidentales.

D'un point de vue biologique strict, si l'on regarde la survie de la population d'ours dans les Pyrénées occidentales, cela me paraît une réussite, pour l'ours lui-même.

Après, si l'on parle de l'acceptabilité, cela sort quelque peu de mon domaine.

Au sein de l'institution patrimoniale du Haut Béarn, on me demande d'intervenir dans le domaine biologique et de suivi de populations et de traiter des dossiers techniques.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne dispose-t-on pas de l'expertise génétique des derniers oursons nés ?

M. Jean-Jacques CAMARRA : Les échantillons de matériels biologiques sont stockés en grand nombre depuis 1998. Nous sommes demandeurs de typage génétique depuis 1998. Les oursons qui sont nés dans les Pyrénées ont tous été typés génétiquement. Je ne comprends pas très bien la question.

L'ourson né en 2000 dans les Pyrénées occidentales a été typé. C'est un pyrénéen mâle. Effectivement, il n'a pas été individualisé. Par exemple, on n'a pas pu aller jusqu'à déterminer la filiation pour la simple et bonne raison - que l'on m'a donnée ; je ne suis pas généticien - que les ours pyrénéens très consanguins sont très difficiles à typer génétiquement.

Les autres ours, situés dans les Pyrénées centrales, en particulier sur les versants français, ont également été identifiés avec plus de succès du fait d'une grande diversité génétique.

Le dernier ourson, né dans les Pyrénées centrales françaises, était un ourson de la femelle Caramelle et du mâle Pyros. Il a également été typé génétiquement : c'était un ours de souche slovène mâle.

M. Hugues AYPHASSORHO : Il s'agit de l'ourson qui a été retrouvé mort.

M. Jean-Jacques CAMARRA : Oui. Après, vous parlez peut-être de l'ourson né en 1998 dans les Pyrénées-Atlantiques ?

Nous avons adressé les typages génétiques aux généticiens. Je ne peux rien vous dire de plus. Je ne peux formuler que des hypothèses. Je sais simplement qu'il est très difficile de typer génétiquement les ours des Pyrénées.

M. le Rapporteur : Après ce tour de table, je suis très déçu parce que vous n'avez pratiquement pas, ni les uns, ni les autres, répondu aux questions que l'on vous a posées. Vous êtes restés dans le flou. C'est la première fois que cela nous arrive depuis le début de nos travaux. Je souhaite que cela figure dans le rapport.

M. André CHASSAIGNE : J'ai le même sentiment. Il n'y a pas de réponses aussi claires, aussi nettes que l'on pourrait attendre et que l'on a eues partout où l'on est passé. J'ignore pour quelles raisons. On a l'impression que cela tourne toujours autour du pot. Vous n'êtes pas clairs et nets dans vos réponses...

M. le Rapporteur : Ce n'est jamais vous, ce sont les autres. C'est comme s'il y avait une chape de plomb, alors que ce matin on a eu une impression contraire. Mais c'était le monde associatif.

M. André CHASSAIGNE : De la même façon, quand vous dites que l'arrivée du loup n'est pas d'actualité, je suis assez surpris, voire scandalisé d'entendre cela, puisque vous savez bien que c'est d'actualité. L'Etat devrait au moins être en mesure de fournir des informations claires sur ces loups espagnols.

Compte tenu de l'expérience qui a été vécue, notamment dans les Alpes, il est tout de même incroyable qu'ici, l'on ne soit pas à même au moins de s'interroger, que l'on se contente d'esquiver en disant que ce n'est pas d'actualité ! On en reparlera dans cinq ou dix ans ; vous verrez que c'était bien d'actualité !

M. Hugues AYPHASSORHO : Sur ce point, je crois avoir dit que ce n'était pas d'actualité à court terme.

M. André CHASSAIGNE : Dans votre introduction, vous avez dit que le problème ne se posait pas.

M. Hugues AYPHASSORHO : Effectivement, il ne se pose pas à court terme. Je n'ai pas d'éléments m'indiquant qu'il y a présence de loups, fût-ce occasionnelle ou que la présence soit envisagée à court terme. Ce que j'essaie de répondre, c'est que je n'ai pas d'éléments précis en la matière.

M. le Rapporteur : La DIREN sert à embêter les maires.

M. Hugues AYPHASSORHO : Concernant le problème actuel de la réintroduction et la position du ministère de l'écologie, je crois que nous avons répondu de manière précise.

Cela dit, comme cela a été précisé par M. Lassalle lui-même, les réponses venaient de l'administration centrale.

Sur les problèmes rencontrés sur Nature 2000, je crois avoir répondu de manière précise et je crois que ces réponses ont été corroborées, notamment par M. Lassalle au niveau local.

Concernant la compatibilité des deux souches d'origine d'ours pyrénéens et slovènes, je crois que nous avons, là aussi, répondu de manière parfaitement précise. M. Camarra a également répondu à la question relative au caractère humanisé ou non des ours slovènes.

En ce qui concerne la question relative aux conditions d'application de la convention de Berne en matière de réintroduction faite en Pyrénées centrales, vous porterez à notre crédit que cette question s'adresse à un territoire qui n'est pas le nôtre, et qui n'est donc pas de notre champ de compétences.

M. Augustin BONREPAUX :  Je l'ai posée à M. Camarra.

M. Hugues AYPHASSORHO : Tout à fait, mais je réponds à la critique qui nous est portée. Vous avez certainement dû poser la question là où elle était pertinente au niveau administratif. Ne me reprochez donc pas de ne pas y répondre, ce n'est pas dans mon champ.

Pour les autres questions, concernant les expertises des oursons, M. Camarra vous a donné les éléments de réponses qui sont à notre disposition.

Il est vrai que le laboratoire spécialisé qui travaille pour le compte du ministère en charge de l'environnement sur ces analyses - laboratoire du professeur Taberlet à Grenoble - a indiqué qu'il avait eu des difficultés à faire le typage de filiation, dues à la forte consanguinité des ours du Béarn.

Je crois donc que la réponse vous a été faite sur la difficulté technique qui n'a pas pu être résolue au cours des dernières années.

M. Jean LASSALLE : Nous avons visité le laboratoire de M. Taberlet. Concernant les ours, il avait même ajouté qu'il avait reçu l'ordre du ministère de l'environnement de ne plus donner aucune suite aux analyses qui lui étaient transmises. Je souhaitais simplement compléter vos propos.

M. André CHASSAIGNE : Je pense que la réponse portait sur le nombre d'indices et de prélèvements. Pour qu'ils arrivent à un résultat fiable, il faut qu'ils aient un certain nombre de prélèvements pour leur permettre d'avoir un résultat fiable.

M. Jean-Jacques CAMARRA : Je voudrais préciser que dans les Pyrénées occidentales, nous avons des prélèvements trois à quatre fois plus nombreux que dans les Pyrénées centrales et que dans les Pyrénées centrales, un typage génétique a été réalisé qui a conduit à l'identification des ours ; ce qui n'existe pas dans les Pyrénées-atlantiques.

Je suis le premier à déplorer que nous n'ayons pas de typage génétique.

Ici, nous avons beaucoup plus d'indices et beaucoup plus d'échantillons. J'en adresse chaque année près de 70 à 80. Pour 5 ou 6 ours, cela signifie qu'ils peuvent faire la répétition je ne sais combien de fois. Les échantillons sont là, nous récoltons environ 400 à 500 données d'ours par an.

Je suis désolé de donner l'impression d'être très flou, mais d'un point de vue technique, je crois que c'est l'une des populations les mieux suivies au monde.

On peut très bien ne pas comprendre pourquoi il y a eu des résultats de génotypage en 1993 et 1994 et que maintenant on n'y arrive plus. Cela m'échappe un peu.

M. Hugues AYPHASSORHO : Au regard des propos du professeur Taberlet que vous rapportez - je parle sous contrôle de Loïc Matringe compte tenu de ma faible ancienneté - je crois pouvoir garantir que nous, DIREN Aquitaine, nous n'avons jamais donné de telles consignes au professeur Taberlet.

Il faudrait savoir exactement d'où viennent ces éventuelles consignes. Je dois dire qu'elles m'étonnent.

Je crois savoir qu'il y a eu une difficulté concernant la satisfaction d'une demande qui émanait du professeur Taberlet de créer un laboratoire spécifique et de mettre en place un financement lourd.

M. Jean LASSALLE :  Est-il normal que nous ne sachions pas, trois ou quatre ans après, qui sont ces ours dont nous avons annoncé la naissance et que nous avions même fait baptiser par les écoles ? Il y a tout de même là des éléments de trouble.

Personne n'a dit ici que c'était la faute de la DIREN ou de M. Camarra dont je dis d'ailleurs au passage qu'il fait un travail remarquable.

Messieurs, je vous remercie.

Table ronde informelle organisée à Pau

(21 mars 2003)

(Cette table ronde informelle n'a pas fait l'objet d'un compte rendu)

Représentants des élus locaux 

- M. Jean-Jacques CAZAURANG, conseiller régional, ancien vice-président de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB), maire d'Issor

- M. Marcel LASCURETTES, vice-président de l'IPHB, maire des Eaux Bonnes

- M. François MAÏTIA, vice-président de l'IPHB

- M. Laurent AUBUCHOU-AUROUIX, président de la Commission Agriculture du Conseil général

- M. Jean BAYLAUCQ, maire de Bielle

- M.Augustin MEDEVIELLE, président de la Commission Agro-Pastorale de l'IPHB, président de la « Falaise aux vautours », maire d'Aste-Béon

- M. Bernard BOURGUINAT, maire d'Aydius

- M. Patrick MOUSQUES, maire d'Escot

- M. Pierre MOULIA, maire de Lées-Athas, président du Syndicat d'Issaux

- M. François BAYE, Premier vice-président de l'IPHB, président de la commission forêt à l'IPHB, maire de Lescun

- M. Pierre ISSON, président du Syndicat du Labay, maire d'Osse-en-Aspe

- M. Jean-Pierre CHOURROUT-POURTALET, président de l'Union des producteurs fermiers, maire de Sarrance

Eleveurs et transhumants

- M. Jean-Louis LABORDE-BOY, co-président de l'Association des éleveurs et transhumants des Trois vallées, président fondateur de l'Association des éleveurs et transhumants des Trois Vallées

- Mme Monique LAHITETTE, co-présidente de l'Association des éleveurs et transhumants des Trois Vallées

- M. Joseph PAROIX, co-président de l'Association des éleveurs et transhumants des Trois Vallées

- M. Julien LASSALLE, co-président de l'Association des éleveurs et transhumants des Trois Vallées

- M. Pierre CASASSUS-LACOUZATTE, ancien président de l'Association des éleveurs et transhumants des Trois Vallées

- M. Stéphane CHETRIT, délégué montagne au centre départemental des jeunes agriculteurs, président du comité contre la réintroduction d'ours étrangers

- M. Jean-Pierre BONNASSERRE, président du syndicat du Bas-Ossau

- M. Gilles CHABANIER, berger transhumant, membre de la Confédération paysanne

- Mme Madé MAYLIN, éleveur, ancienne déléguée de l'Association des transhumants
de l'IPHB

Chambres consulaires

- M. Jean-Marc PRIM, président de la commission montagne de la chambre d'agriculture

Autres acteurs

- M. Éric LAVIE, chargé d'études, direction tourisme patrimoine et espaces naturels, service de l'action touristique et de l'environnement

- M. Michel CAPERAN, chef de Service environnement direction de l'aménagement de l'équipement et de l'environnement

- M. Pierre DABAN, personne ressource à l'IPHB, retraité DATAR Grand Sud Ouest

- Marc GOHIER, exploitant forestier

- M. Richard BEITIA, groupement d'intérêt cynégétique

- M. Rouchdy KBAIER, directeur du parc National des Pyrénées

Audition de M. Christian VALLET, directeur de l'Agence de l'Office national
des forêts (ONF) des Pyrénées-Atlantiques

(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2003, tenue à Pau)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Christian Vallet est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Christian Vallet prête serment.

M. Jean LASSALLE : Nous vous entendrons sur votre sentiment concernant la situation que vous connaissez dans le département et nous vous poserons ensuite quelques questions.

M. Christian VALLET : Monsieur le Président, il convient tout d'abord de préciser le cadre de la problématique de l'ours.

Pour l'ONF, l'ours est d'abord une question de gestion forestière, même s'il faut en arriver au pastoralisme puisque c'est le thème de l'entretien. Sur le département, 20 000 à 25 000 hectares de forêts de montagne productives appartiennent à des communes ou à des commissions syndicales.

Le forestier prend l'ours en compte et cela se traduit essentiellement par des contraintes de gestion.

Il représente également d'autres contraintes : des contraintes d'accès car on ne peut pas créer n'importe quelle route forestière à cause des ours, des contraintes sur les travaux à réaliser, des contraintes pour la mobilisation des bois à travers les pistes forestières et des contraintes sur les périodes d'exploitation car on ne peut autoriser les bûcherons ou les exploitants à aller en forêt à n'importe quelle période pour des questions de dérangement.

La conséquence pratique pour les propriétaires est une sous-mobilisation : on mobilise moins de bois que s'il n'y avait pas d'ours. Pour donner des chiffres, on mobilise sur la zone à ours du département 10 000 à 20 000 m3 par an sur les dernières années. Si l'on prend simplement les chiffres liés à la production des forêts, et à une récolte dans des conditions optimales de montagne, on pourrait multiplier ce chiffre par 2 et 3 et atteindre 30 000 à 50 000 m3.

Pour l'ONF, l'ours est une surcharge de gestion. Cette prise en compte que nous assumons demande des analyses beaucoup plus fines du contexte forestier, des concertations beaucoup plus longues. Cela se traduit pour nous, et par ricochet pour la filière ou pour les communes propriétaires, par un retard dans certaines élaborations de plans de gestion.

Pour l'ONF, c'est également une surcharge par le biais de la participation non rémunérée à tous les réseaux d'observation. L'ours vivant pour une bonne part en forêt, il est logique que nous contribuions à ces réseaux d'observation, notamment le réseau Ours brun. Cela se traduit par un manque à gagner que nous assumons car cela entre très clairement dans les missions de l'ONF.

Par ailleurs, la problématique pastorale est finalement assez liée à la problématique forestière pour des raisons physiques : les accès aux estives traversent les forêts la plupart du temps. Les blocages, les contraintes que j'ai relevés par rapport à la gestion forestière se retrouvent dans les contraintes de développement des estives et du pastoralisme.

A travers le réseau Ours brun, les agents de l'ONF font le constat que j'ai déjà entendu à l'IPHB, que les habitudes de l'ours, année par année, sont liées aussi au pastoralisme ou au type de garde des troupeaux. C'est quelque peu empirique, mais le constat s'est vérifié en 2002, l'ours est allé sur un secteur où il n'était pas habituellement pour attaquer un troupeau non gardé, non protégé.

Cela se traduit de la façon suivante pour la forêt : une zone qui n'avait pas d'enjeu ours spécifique pourrait être identifiée du fait d'un changement de pratique pastorale comme une zone à gros enjeu ours en forêt l'année suivante. Cela nous conduit à des difficultés pour zoner les enjeux et les précautions à prendre en matière forestière. C'est en cela que gestion forestière et pastoralisme se rejoignent.

Que faut-il faire ? D'un point de vue forestier, l'idéal serait d'arriver à une gestion moins statique, plus dynamique, plus réactive, plus liée à la population, au comportement. La présence ou l'absence d'un ourson doit nous dicter des règles de gestion et de fréquentation. J'imagine que l'on pourrait avoir exactement la même chose en matière de pastoralisme. Cela permettrait d'éviter bon nombre de contraintes a priori et d'entrer dans des contraintes peut-être plus fortes, mais plus ciblées. Si un ourson s'implante dans un massif, on pourrait imaginer d'arrêter toute exploitation pour l'année.

Cela repose sur une confiance sans faille entre les acteurs, l'absence de confiance conduisant les propriétaires à une surenchère dans leurs demandes de pistes de coupes et d'indemnisations éventuelles et les milieux environnementalistes à une surenchère de mesures de contrainte. Nous, gestionnaires, placés au milieu, chargés de prendre en compte à la fois la réalité du contexte environnemental et les demandes des propriétaires, sommes en grand écart permanent.

Tout d'abord, nous avons à rétablir la confiance. Pour cela, il manque une clarification des objectifs de la part de l'Etat en terme de gestion de populations. Doit-on raisonner à l'échelle du massif des Pyrénées, du Béarn, des Pyrénées centrales ? Ce n'est pas clarifié.

Il faut ensuite clore le débat sur la population autochtone et la population introduite. Tant que l'on en reste là, on n'arrivera pas à avoir la confiance.

Il faut, comme cela a été évoqué à l'IPHB, avoir des idées claires sur le niveau de population minimum viable en se calant sur le nombre de femelles. Ces principes doivent être publiquement admis, exprimés, clarifiés avec une ligne de conduite tracée par l'Etat qui est en charge de la politique de l'ours.

Il faut aussi une acceptation et une appropriation par les acteurs locaux de l'ours. On constate que de petites choses se font, à travers l'Institution mais cela reste ponctuel et sectoriel.

Si la confiance est rétablie, on pourra générer du développement forestier, on peut être réactifs, conduire des actions pastorales et accompagner le développement d'une filière qui ne demande qu'à vivre et à se développer dans la mesure où elle a un bon produit.

M. Jean LASSALLE : Nous avons le sentiment d'être dans un des secteurs où les contraintes sont les plus fortes. C'est vrai pour ce qui vous concerne, c'est-à-dire l'aspect forestier, mais c'est vrai aussi pour la réglementation des pistes, pour les normes architecturales des cabanes de bergers et de toutes les constructions. Comment expliquez-vous cela ?

Pour autant, ici comme dans les Alpes ou dans les Pyrénées centrales, ce qui compte par dessus tout c'est de trouver les moyens d'acceptabilité minimum de l'ours, du loup ou du lynx.

M. Christian VALLET : Je lierais cela au passé, à l'expérience des différents acteurs. Par exemple, il est certain que le fait que de nombreuses pistes forestières soient ouvertes avec des engagements de fermeture plus ou moins tenus dans la durée par les acteurs, c'est-à-dire les collectivités, les chasseurs, conduit les milieux environnementalistes notamment, certaines administrations peut-être, l'ONF aussi, à être très prudents sur les propositions et à prendre un luxe de précautions.

Cela nous étouffe parce qu'il arrive un moment où plus aucun projet ne sort. Cela se traduit par l'absence de mobilisation, par des aménagements bloqués.

Pour le pastoralisme, je sais qu'il il y a la question des mises aux normes. A vouloir trop bien faire, on ne fait plus rien ! En la matière, on va certainement trop loin. On est très structurés. Il y a un passé à travers le parc national, à travers l'Institution, à travers le foisonnement d'idées et de négociations qu'elle permet. Beaucoup de gens ont l'impression d'avoir été dupés au moins une fois et donc, ils mettent des contraintes préventives. C'est ce qui explique une certaine paralysie

L'Institution permet de mettre les gens autour de la table. Ils doivent accepter d'avancer ensemble, de se mobiliser sur des projets communs. Il faut leur donner quelques signes forts, lever les ambiguïtés sur la population d'ours et afficher clairement les réalités si l'on veut qu'elle soit viable. Nous devons prendre les mesures, être réactifs, nous en donner les moyens. Il ne faut pas présupposer à chaque fois que, par exemple, la route qui devrait être fermée après exploitation, pourrait ne pas l'être.

M. Jean LASSALLE : On a le sentiment que le seul lieu - on a entendu la question dans d'autres secteurs, mais pas avec la même constance - le seul endroit où tous les acteurs posent la question du seuil du nombre d'ours est précisément ici. En Ariège, on évoque ce point, mais la grande question est de savoir s'ils vont garder ceux qu'ils ont. Ici, nous avons le sentiment que c'est quelque chose de quasi obsessionnel, les uns n'en voulant pas, les autres en voulant à tout prix.

Le comité de massif des Pyrénées, qui est une institution de l'Etat créée par une loi, coprésidé par le préfet et un élu, a pris une motion s'opposant de manière très claire, très précise à toute réintroduction d'ours dans les Pyrénées. Comment fait-on ? On ne peut pas aller à l'encontre d'une telle décision prise au niveau des Pyrénées.

M. Christian VALLET : Ici, les gens ont un vécu avec une population existante d'ours qu'ils ont vu baisser. Pour le loup dans les Alpes ou l'ours dans les Pyrénées centrales, il n'y a pas cette habitude. La vraie question est de savoir si les animaux ont leur place ou pas.

La décision du comité de massif me contredit, mais il me semble qu'en Béarn, il y a un relatif consensus pour dire que l'ours brun est à sa place, qu'il y a toujours été. Il y a un relatif consensus pour dire qu'il faut vivre avec. On a toujours vécu avec l'ours, il faut continuer ainsi.

Là où il n'y a plus consensus, c'est sur les moyens. Les uns et les autres deviennent irrationnels. On passe dans le passionnel avec de faux débats. Les éléments politiques, les conditions de la réintroduction ont compliqué ce débat. Certains pensent que l'on va s'en sortir en poursuivant la même gestion, d'autres disent que la population telle qu'elle est va s'éteindre si on ne l'enrichit pas.

La question du seuil du nombre d'ours est un faux débat localement, mais on ne rétablira pas la confiance tant que l'Etat n'aura pas clarifié les objectifs en terme de population.

M. Jean LASSALLE : Un aspect a souvent été évoqué : la forêt payerait un très lourd tribut à ce problème de gestion de l'ours et serait très peu exploitée. Vous avez donné des chiffres au début de votre intervention. Pourriez-vous, sur votre zone d'action, rappeler les chiffres et les pourcentages de ce qui est vraiment exploité par rapport à ce qui pourrait l'être.

M. Christian VALLET : Ce sont des chiffres à manier avec précaution : sur 20 000 à 25 000 hectares de forêts de production dans l'actuelle zone à ours du département et sur les dernières années, la mobilisation est de 10 000 à 20 000 m3, soit moins de 1 m3 par hectare et par an.

On est en forêt de montagne et donc, tout n'est pas récupérable. Avec une récolte optimisée à une moyenne de 1,8 à 2,2 m3 par hectare et par an, on arriverait à une mobilisation située entre 35 000 m3 et 50 000 m3, c'est-à-dire 2 à 3 fois plus, ceci en se plaçant dans des conditions de récoltes optimales, avec beaucoup plus de pistes, plus de moyens appropriés.

Cela tient aussi au fait que l'activité forestière est dans le collimateur en termes de dérangements. Dans le principe de précaution maximale des environnementalistes, on considère que le dérangement nuit à la population d'ours. Le dérangement, on l'affiche à travers l'exploitation forestière, mais les personnes rationnelles reconnaissent qu'exploiter, faire des coupes tous les dix ou quinze ans n'est pas nuisible.

Il n'en va pas de même pour la pénétration induite par une piste, pénétration de touristes, pénétration de tous les ayants-droits. Le berger qui monte à son estive, qui connaît le pays, ne dérange pas beaucoup. L'ours est capable de s'en accommoder.

Ce dont on ne parle pas souvent, qui est l'une des principales causes de la baisse de population au cours des vingt à trente dernières années, c'est le risque de braconnage lié à la chasse. Il y a ce non-dit. On ne parle pas trop de la chasse car les chasseurs sont aussi des ayants-droits des communes. La pénétration, les pistes favorisent les actions de chasse. Il y a des risques de dérapage et de braconnage.

L'ours a payé historiquement un lourd tribut. C'est un constat. On ne parle pas non plus du fait que les chasseurs sont les seuls à ne pas être revenus à l'Institution. C'est bien dommage parce qu'en fait, on doit parler de la question de la chasse, et n'en parlant pas, on se polarise sur le dérangement provoqué par l'action forestière alors qu'on pourrait avoir une action de sensibilisation, des modes de gestion adaptés avec des mises en réserve tournantes.

Il y a certainement un travail à faire avec les chasseurs, travail qui n'est pas fait aujourd'hui. Les acteurs ne sont pas revenus autour de la table. En Béarn, c'est un élément avec lequel on doit jouer.

Pour terminer sur une note plus optimiste, l'ours est une chance pour le Béarn et pour les Pyrénées. Il faut continuer à vivre et à travailler avec lui. La passion qui entoure cette problématique montre que la population et les acteurs locaux sont attachés à l'ours.

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie.

Audition de M. Gérard CAUSSIMONT,
président du Fonds d'intervention éco-pastoral (FIEP), groupe ours Pyrénées 

(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2003 tenue à Pau)

Présidence de M. Jean Lassalle, Secrétaire

M. Gérard Caussimont est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Gérard Caussimont prête serment.

M. Jean LASSALLE : La problématique de notre commission est d'évaluerles conséquences de la présence du loup, du lynx et de l'ours en France. Nous essayons de recueillir le maximum d'éléments sur la situation en vue de proposer des remèdes.

M. Gérard CAUSSIMONT : Monsieur le Président, cela fait vingt-cinq ans que je suis ce dossier. Je m'implique dans des actions en faveur de la cohabitation entre l'homme et l'ours, notamment en direction des bergers, dans ce département, mais aussi sur le versant espagnol, en Navarre et en Aragon. Je suis également, en tant que naturaliste, les populations d'ours des Pyrénées occidentales.

Ma conclusion, au bout de vingt-cinq ans, est que l'on peut faire cohabiter l'homme et l'ours dans le contexte de notre département, c'est-à-dire un pastoralisme avec des bergers en montagne. Depuis vingt-cinq ans, nous sommes un certain nombre, associations de protection de la nature, administration de l'environnement, et plus récemment au sein de l'Institution patrimoniale, élus et autres partenaires, à avoir oeuvré pour que cette cohabitation soit possible.

Il avait fallu commencer à la fin des années 70 par faire en sorte que les indemnisations soient correctes, notamment avec la création d'indemnisations de dérangement pour le berger. Nous avions instauré ce système qui a ensuite été repris par l'Etat. Cette procédure est appréciée dans la mesure où les bergers ont aussi des animaux en garde qui ne leur appartiennent pas. Il était normal qu'en cas de gêne par une attaque d'ours, ils soient indemnisés pour le temps passé à chercher la dépouille afin d'être indemnisés.

Une autre série de mesures très importantes visent à compenser la gêne de la présence de l'ours : si un berger fait bien son travail de gardien, il peut être gêné par la présence de l'ours, soit parce qu'il est obligé de rassembler son troupeau, soit parce qu'il est obligé de rechercher les bêtes quand il y a eu attaque, même si celle-ci n'a pas fait de victime.

Notre stratégie a toujours été d'écouter les bergers pour leur apporter des aides qui permettent d'améliorer leurs conditions de vie. Je parle d'il y a une vingtaine d'années où les conditions de vie étaient très différentes ; le confort était plus rudimentaire et l'isolement et la solitude étaient plus grands.

Parmi les compensations à la présence de l'ours, on peut citer : les héliportages de matériel pastoral en début de saison, des liaisons radio-téléphoniques pour la sécurité des personnes et pour leur vie sociale. Si nous souhaitons la présence de l'ours en montagne, nous souhaitons aussi y avoir des hommes. Par conséquent, il faut concilier les deux.

Le muletage pastoral, proposé par les associations de protection de la nature, a ensuite été intégré au sein de cette institution.

Il y a aussi un élément fondamental : ce qui a pu favoriser le gardiennage. Au début des années 1990, nous avons pris connaissance de l'article 19 du Règlement de l'Union européenne, qui permettait de favoriser les mesures agri-environnementales.

Quand nous avons vu que nos bergers entraient dans ce cadre, nous avons demandé aux pouvoirs publics, par voie de pétition des bergers, de la mettre en place. Il nous a semblé important de favoriser la présence permanente du berger et des patous en montagne. Nous étions à une époque où les bergers âgés de 55 à 60 ans ne voyaient pas de relève.

Après une étude de la chambre d'agriculture, la mise en place de ces mesures agri-environnementales au sein de l'Institution patrimoniale, qui en était le comité de pilotage, a été très bénéfique parce que cela a permis de laisser des hommes dans la montagne à un moment où ils avaient tendance à partir.

En particulier, certains devaient choisir entre aller faire les foins ou garder les bêtes. Ces subventions ont permis d'avoir des commis bergers, de trouver un voisin ou d'acheter du fourrage.

L'impact a été très important puisque, entre 1995 et 2000, 55 bergers de la zone à ours ont émargé à ces contrats et que cela a permis de diminuer de près de moitié le taux de prédation des ours. La présence permanente d'un berger ou d'un patou, ajoutée à un certain nombre d'expérimentations ou de renforcement de clôtures mises en place petit à petit, ont favorisé le fait qu'un troupeau rassemblé à proximité de la cabane n'est plus attaqué par l'ours, notamment s'il est dans un enclos électrifié comme ceux qui ont été mis en place depuis 1997.

D'autre part, les améliorations pastorales ont contribué considérablement à fidéliser les jeunes bergers en montagne. L'un des points les plus positifs est le subventionnement à hauteur de 70 % puis de 80 % des rénovations de cabanes, ce qui a permis à des jeunes bergers d'avoir des conditions de vie plus conformes au style de vie qu'ils espéraient.

Un renouveau aussi radical - le Béarn était quelque peu en retard - c'est l'ours qui l'a quand même précipité par la réflexion et la création de la charte.

Il fallait ensuite dépasser le stade de l'indemnisation et de la compensation ainsi que celui de la protection et de la sécurisation des troupeaux pour en arriver à valoriser l'image de l'ours. C'est ce que l'on a fait avec une association de bergers et le Fonds mondial pour la nature (WWF), en créant avec l'image de l'ours « Pedescous » une marque de fromage qui réunit une vingtaine de producteurs. Cela permet d'ouvrir des marchés un peu plus urbains à une production fromagère locale dont les volumes de vente atteignaient leurs limites au niveau local.

Je pense que la démonstration est faite que, si l'on respecte le berger, si on l'aide dans son travail, si l'on rend les conditions de son séjour en estive plus faciles et si l'on ramène les impacts d'ours à un niveau supportable - nous en avons fait la démonstration en Béarn - la cohabitation est alors possible.

Les dégâts ont diminué pour atteindre des proportions supportables, y compris avec les oursons - je rappelle qu'entre 1995 et 2000, il y a eu des naissances à trois reprises - qui, avec la mère, provoquent davantage de dégâts aux troupeaux.

L'ensemble de ces mesures a permis d'éviter une réelle augmentation ; c'est dans cette période que le taux de prédation a été le plus bas au cours des quarante dernières années. Ces mesures ont toujours été mises en place en étant à l'écoute des principaux intéressés, les bergers.

Si l'on veut mettre en place des procédures qui permettent de faire cohabiter un prédateur et des professionnels de l'élevage de montagne, il faut le faire ensemble. On peut apporter des idées et essayer de les mettre en oeuvre pour qu'elles soient utiles.

Les troupeaux parqués et protégés par les clôtures anti-prédation n'ont plus été attaqués, le taux de prédation a été divisé par deux. Entre la moyenne de la période 1968 - 1993, où, certes, il y avait beaucoup plus d'ours, et celle de la période 1995-2001, où les mesures agri-environnementales ont été mises en place dans notre département, le taux de prédation a été divisé par deux.

Malheureusement, depuis 2001, ces mesures agri-environnementales ont été suspendues et plusieurs troupeaux se trouvent sans gardiennage. Le taux de prédation a augmenté à nouveau.

L'année dernière en 2002, sur 33 attaques dans la zone du parc national, 25 concernaient les troupeaux non gardés ou non rassemblés le soir.

Je suis très inquiet pour l'été 2003, car faute de mesures appropriées, il est possible que nous retrouvions un taux de prédation élevé.

L'absence de gardiennage est source de conflit. Je prendrai le cas d'un ours autochtone mâle - Camille - qui fréquentait habituellement l'ouest de la Vallée d'Aspe. Depuis l'automne 1997, il s'est retrouvé tout seul dans ce secteur du fait qu'une ours avait été braconnée, la femelle qui était dans le secteur avait disparu. L'animal est devenu erratique ; il est allé s'installer sur le versant espagnol, sur un secteur où il reste très peu d'éleveurs ovins, mais avec de grands troupeaux non surveillés.

En 2002, en Aragon et en Navarre, les administrations espagnoles ont indemnisé autant de brebis pour le versant sud, du seul fait de Camille que pour tous les autres ours réunis, Néré compris, dans le Béarn.

Cet animal a-t-il un comportement extraordinaire ? Pas du tout ! En Navarre, par exemple, il s'est cantonné dans un secteur où il y a trois troupeaux à sa disposition. Il n'a qu'à se servir.

En Aragon, secteur limitrophe, la politique est différente : l'administration de l'environnement a mis en place une patrouille « ours ». Dès que l'ours est repéré dans le coin, les gardes aident les bergers à rassembler le troupeau, les préviennent etc. Le résultat est qu'en Aragon, il y a eu 5 attaques, alors que, sur le côté Navarrais, il y en a eu 23.

Du côté français, en 2002, la commission d'indemnisation des dégâts d'ours du parc national des Pyrénées a indemnisé sur la zone centrale et la zone périphérique du parc 31 attaques dans le département des Pyrénées-Atlantiques et 3 dans le département des Hautes-Pyrénées, soit 41 ovins et 1 caprin comme dégâts certains. A ces dégâts, il faut ajouter 3 attaques indemnisées à Arrette, hors zone parc, que l'on attribue à l'ours Camille.

Ces exemples montrent que le problème réside dans le fait du gardiennage ou du non-gardiennage.

Autre exemple : Néré, ours d'origine slovène, né en 1997 dans les Pyrénées. Il est arrivé spontanément depuis les Pyrénées centrales jusqu'à la limite du département des Hautes-Pyrénées et des Pyrénées Atlantiques dans le secteur d'Asson. La première année où il était présent, les gens se sont retrouvés totalement démunis et désemparés face à la présence de cet ours qui, lui-même, ne savait pas trop comment s'y prendre pour tuer des brebis. Il y a eu pas mal de dégâts. Cet animal a quitté ce secteur où les troupeaux n'étaient pas gardés et depuis l'été 2001, il vit entre Aspe et Ossau. Comme par hasard, on ne lui attribue plus autant de dégâts. Comme le montrent les chiffres de cette année, il n'a pas commis plus de dégâts que les ours autochtones et il n'est pas plus visible qu'eux.

Cela prouve bien que si, demain, une femelle arrivait en renforcement avec l'accord de tous dans les Pyrénées-Atlantiques, elle aurait beaucoup plus de chance de s'intégrer facilement dans un secteur où il y a déjà des ours, dans un habitat tranquille, dans des zones où l'on essaie véritablement de gérer le milieu pour apporter aux animaux une tranquillité afin de lui permettre de se fixer.

La démonstration est faite avec Néré qu'un animal introduit, notamment une femelle qui est beaucoup plus sédentaire qu'un mâle, a plus de chance de s'intégrer dans notre noyau de population qu'ailleurs dans les Pyrénées. Actuellement, il n'y a guère que certains secteurs sur la rive droite de la Haute-Ariège qui puissent offrir des conditions de tranquillité comparables à celles que nous connaissons entre les vallées d'Aspe et d'Ossau d'une part ainsi qu'entre Aspe ouest et l'Aragon et la Navarre. Ces territoires constitués en réserve nationale de chasse, c'est-à-dire des territoires de chasse gérée, formeront certainement le futur parc naturel en Aragon et en Navarre.

Les ours pour vivre, dans les Pyrénées comme ailleurs, ont besoin d'un habitat de qualité et tranquille, d'avoir des zones de refuge pour se reproduire et se tenir à l'écart des activités humaines qui les gênent quelque peu.

Notre région a un autre atout grâce à notre culture de gardiennage qui est fondamentale. On constate que dans les endroits où il n'est plus pratiqué depuis vingt ou trente ans, il est très difficile à remettre en oeuvre parce que c'est ressenti comme un retour en arrière, en tout cas pour les plus âgés.

Enfin, je pense qu'une panoplie d'aides et de compensations pour la présence de l'ours, destinées aux bergers, comme nous en avons fait la preuve dans cette région des Pyrénées, est exactement ce qui peut permettre une cohabitation.

Je vais sur le terrain pour voir comment cela se passe, je vais très régulièrement dans les Monts Cantabriques, en Espagne, où il y a des populations de 60 à 80 individus. Je me suis rendu dans le parc national des Abruzzes ainsi qu'en Slovénie, en Croatie et en Autriche.

La conclusion que je tire de tout cela et de mes lectures, est que nous avons ici, pour le moment, la seule bonne voie qui ait été prise, en tout cas en Europe de l'ouest, pour essayer de faire cohabiter l'ours et l'homme.

Dans les Monts cantabriques, cela ne fonctionne que parce que cette voie a été choisie dans les endroits où la problématique est identique. Dans les Abbruzzes, c'est exactement la même chose.

Par conséquent, je crois qu'il n'y a pas cinquante mille façons de traiter cette cohabitation entre l'ours et le berger. Il faut essayer de limiter les conflits. Pour ce faire, le mieux est de favoriser l'élevage de montagne, de donner aux éleveurs de montagne la possibilité de travailler à deux personnes, qu'il y ait un propriétaire et un salarié ou deux associés.

De toute façon, ours ou pas ours, si les bergers en montagne n'arrivent pas à travailler de cette façon, ils seront de moins en moins nombreux du fait de la pression sociale sur les jeunes. On ne peut pas demander à des gens de mener la vie de contraintes d'un éleveur s'ils n'ont pas la possibilité de la partager par roulement pour avoir une vie sociale familiale normale. Je crois que les deux sont intimement liés.

Cela fait 25 ans que je milite pour cela. J'y ai consacré une partie de ma vie. Ce n'est pas ma profession, je fais tout cela sur mon temps libre. Cela représente beaucoup de temps, d'énergie, et même de cheveux blancs.

Je ne sais pas si nous réussirons, mais je reste persuadé que le chemin est celui-là, en ce moment, chez nous. Pour après et ailleurs, je ne me prononcerai pas.

Pour moi, la présence de l'ours a été un atout en quelque sorte pour améliorer les conditions de vie du berger et de gardiennage, mais c'est quelque chose à reconduire chaque jour. Rien n'est jamais gagné et tous les ans, il faut recommencer. Voyez les mesures agri-environnementales qui, pendant cinq ans, se sont révélées très bonnes. Soudainement, pour des raisons que je ne commenterai pas ici, il n'y a plus d'entente, et on retourne d'un seul coup, non pas à la préhistoire, mais à des situations conflictuelles.

M. Jean LASSALLE : Quelle est votre impression sur le retour du loup ?

M. Gérard CAUSSIMONT : Je serai très concret. Il y a quelques années, j'ai fait un point (document remis à la commission d'enquête) : à proximité de notre département, dans les vallées aragonaises, les loups étaient présents. Un loup a été aperçu en avril 1997, pour la dernière fois. Sa présence a été certifiée par les services de la faune d'Aragon dans la région de Berdun à une cinquantaine de kilomètres de la frontière française. Deux animaux ont été présents dans cette zone entre mars 1995 et avril 1997 et l'un a été tué.

Pour la Navarre, au printemps 1996, deux loups ont passé plusieurs semaines dans la partie ouest de la Navarre, à la limite des provinces de Guipuzcoa et d'Alava (où il était également présent). Ce sont les dernières données sur la présence de cette espèce en Navarre.

En Navarre et en Aragon, le loup n'avait pas de réel statut parce qu'il avait disparu depuis fort longtemps. La politique des autorités était d'éliminer l'animal qui faisait trop de dégâts. Au contraire, pour l'animal qui ne faisait pas de dégâts, on attendait de voir ce qui se passait.

Cela a constitué une espèce de « protection » ou de « butée » à l'expansion du loup venant à la fois des Monts cantabriques, mais aussi un peu plus au sud-ouest par rapport aux Pyrénées.

Cela dit, il suffirait que ces régions autonomes changent de politique pour que, peut-être, de jeunes animaux en divagation arrivent jusque chez nous. A ma connaissance - je me suis renseigné avant de venir ici - il n'y a pas officiellement de manifestation de loup en Navarre et en Aragon depuis cette date.

M. Jean LASSALLE : Je vous remercie.

Audition de Mme Dominique VOYNET,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement
de juin 1997 à juillet 2001

(Extrait du procès-verbal de la séance du 25 mars 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président,

Puis de M. Jean Lassalle, Secrétaire

Mme Dominique Voynet est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, Mme Dominique Voynet prête serment.

M. le Président : Je vous remercie, Mme la ministre, d'avoir répondu à l'invitation de notre commission dont vous connaissez le thème des travaux.

Mme Dominique VOYNET : Vous avez souhaité travailler à huis clos. Pour ce qui me concerne, ce que j'ai à dire n'a rien de secret et je ne dirai pas ici des choses différentes de ce que j'aurais dit si cette audition avait été publique.

M. le Président : Je vous remercie de le préciser. Nous avons fait le choix de ne rien divulguer à l'extérieur pendant les six mois de nos travaux. Comme cela vous a été précisé dans le courrier vous conviant, tous vos propos pourront être publiés. Bien évidemment, nous vous soumettrons votre intervention avant que vos propos ne soient éventuellement repris dans le rapport.

Avant que nous ne procédions à un jeu de questions-réponses, je vous invite à nous dire quelques mots liminaires sur ce sujet que vous avez eu à connaître et sur lequel vous avez eu autorité pendant la durée de votre mandat ?

Mme Dominique VOYNET : C'est la règle du jeu qui m'a été proposée dans la convocation-invitation et j'ai donc préparé une très courte synthèse du travail effectué pendant que j'assumais la responsabilité de ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement entre le 4 juin 1997 et le 10 juillet 2001. Sachant que cette intervention pouvait durer une dizaine de minutes, ainsi qu'il m'a été indiqué dans la convocation, je ne traiterai pas de l'ensemble du sujet.

Bien que cela n'ait pas été précisé, j'ai pensé que j'étais auditionnée par votre commission d'enquête en qualité d'ancienne ministre de l'environnement. A ce titre, il me revenait d'assurer la responsabilité de protéger une espèce qui l'est strictement d'une part au regard de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe signée à Berne le 19 septembre 1979 ; d'autre part au regard des espèces d'intérêt communautaire qui requièrent une protection stricte au sens de la directive 92-43 du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la flore et de la faune sauvage, ce que l'on appelle la directive « Habitats ».

C'était la responsabilité de la ministre de l'environnement mais il se trouve que j'étais aussi ministre de l'aménagement du territoire et donc préoccupée de la vitalité de la vie dans le monde rural et dans les zones de montagne. A ce titre, je me suis investie dans un travail interministériel pour tenir compte des problèmes posés par la présence d'un grand prédateur dans ces zones d'élevage ovin. J'ai donc été amenée à travailler avec mon collègue du ministère de l'agriculture, d'abord Louis Le Pensec, puis Jean Glavany.

L'un des sujets de polémiques, peut-être les plus vives, concerne le caractère naturel ou accompagné par l'homme du retour du loup. Je n'ai pas choisi d'en parler dès cette intervention liminaire et nous pourrons peut-être en discuter tout à l'heure. Je m'en tiendrai donc à ce stade à la description du travail qui a été fait. Je tiens à votre disposition un document que vous avez sans doute : le protocole qui avait été signé entre les différents partenaires concernant la réduction du nombre d'attaques de canidés sur les troupeaux domestiques ainsi qu'un certain nombre d'autres documents contractuels.

La prise en charge du retour du loup dans le Mercantour, pour l'essentiel, dans les Hautes-Alpes, la Savoie, l'Isère et Alpes-de-Haute-Provence préoccupe le ministère de l'environnement depuis 1993. Je ne crois pas que l'on retrouve les documents antérieurs, sinon peut-être des éléments descriptifs, mais pas de vrai dossier.

Le premier dossier présenté à Bruxelles l'a été dans le cadre d'un programme LIFE. Les branchés disent « LIFE » avec la prononciation anglaise mais, s'agissant d'un acronyme français - l'Instrument Financier pour l'Environnement- évitons de jargonner en anglais à ce sujet.

Le premier programme LIFE concerne la période 1997-1999 et se terminait en juin 2000. Il tente de mettre en place les conditions d'une coexistence, pas d'une cohabitation, entre le loup et les activités pastorales.

Je n'ai pas eu à me préoccuper de la conduite de ce programme sur le terrain, mais plutôt de son évaluation en fin de programme pour permettre de renégocier à Bruxelles un nouveau programme LIFE qui couvrait la période de 2000-2003, pour un total de 25 millions de francs dont 9 millions de francs seulement au titre de ce programme européen, le complément étant apporté par le ministère de l'environnement et le ministère de l'agriculture et de la pêche. Il a fallu convaincre chaque année ce dernier pour mobiliser de façon effective les sommes prévues. C'était un peu paradoxal mais les sommes destinées à faciliter la vie des bergers et le pastoralisme n'étaient pas dégagées facilement par le ministère de l'agriculture.

Je n'insiste pas sur l'intensité des polémiques dont je peux peut-être citer quelques moments historiques. Je pense par exemple à la réunion d'Autrans du Conseil national de la montagne où l'interpellation avait été assez vive de la part des élus, ou à quelques moments forts dont vous fûtes un des acteurs, monsieur le Président. Nous avions convenu avec mon collègue de l'agriculture et de la pêche d'une mission qui a été confiée à M. Bracque. Elle devait nous permettre de dégager des propositions concrètes pour réduire les tensions et améliorer la situation, ce qui fût fait.

Je sais que vous avez auditionné Yves Cochet qui a pu vous en dire davantage sur la mise en œuvre concrète de ces dispositions puisque j'avais à cette époque quitté le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

La responsabilité du ministre de l'environnement n'était pas d'éradiquer les loups mais, au contraire, de faire en sorte que cette espèce protégée le soit de façon effective. Mais nous avons d'emblée convenu que si nous devions assurer la pérennité de l'espèce, nous devions aussi soutenir le pastoralisme et faire en sorte que l'élevage ovin soit efficace et actif dans les Alpes.

Dans le cadre du protocole, nous avons prévu au cours de l'année 2000 la possibilité de procéder à un prélèvement de loups quand il n'existait pas d'autre solution satisfaisante et que l'opération ne nuisait pas à la survie de la population concernée.

La population reste difficile à évaluer. Selon les documents, selon les auteurs, selon le point de vue selon lequel on parle, on évalue les effectifs de loups à 25 adultes répartis en 4 à 5 meutes et quelques individus isolés. Ce sont là les chiffres les plus bas que j'ai trouvés. Certains donnent un chiffre supérieur, allant jusqu'à 30 ou 40 animaux adultes. Tel est, en tout cas, l'ordre de grandeur. Si nous avions voulu interpréter de façon très stricte le protocole, on aurait dû admettre que le niveau des effectifs ne permettait pas de garantir la survie de la population de loups. En même temps, quand la question s'est posée d'éliminer un animal qui posait problème, l'attitude du ministère a été plutôt ouverte. Ce n'est pas le refus de mettre en place le dispositif prévu qui a bloqué le processus mais l'impossibilité de capturer le loup en cause.

C'était, me semble-t-il, au début de l'année 2001. Nous nous sommes posé la question de capturer un animal qui manifestement était responsable à lui seul de bien des dégâts constatés dans le Mercantour.

M. le Président : C'était en octobre 2001.

Mme Dominique VOYNET : Peut-être, mais c'était bien en 2001.

M. le Président : C'était à l'automne 2001, à Venanson, dans la Vésuvie.

Mme Dominique VOYNET : L'objectif majeur du programme restait le soutien matériel aux éleveurs avec la mise en place de parcs de regroupements nocturnes, avec des mesures destinées à faciliter une présence humaine permanente, avec la dotation en chiens de protection, les fameux chiens « patous ».

Il semblerait qu'on ne réduise pas forcément très sensiblement le nombre des attaques mais au moins les dégâts et le nombre de victimes par attaque. Je sais que c'est un point contesté. Le nombre de victimes rend compte de façon très imparfaite du stress vécu par le troupeau. Il semblerait quand même que ce programme permette de réduire les dégâts sur le troupeau.

Il est clair que quand l'éleveur ou le berger refuse de mettre en œuvre le dispositif et les moyens de prévention, aucune intervention ne peut être déclenchée. Ce point a d'ailleurs fait l'objet de polémiques il y a peu de temps, puisque les plus récentes attaques ont concerné des troupeaux qui n'étaient pas protégés et pour lesquels l'éleveur et les bergers avaient affirmé leur intention de ne rien changer à leur pratique habituelle.

Il est clair que le retour du loup, quelle qu'en soit l'origine, s'inscrit dans un contexte quand même assez particulier. L'augmentation des espaces délaissés par l'activité agricole, la « recolonisation » naturelle par la lande, par la forêt et donc, par voie de conséquence, par la faune sauvage, expliquent certainement pour une bonne part le retour du loup. Je pense par exemple à l'augmentation des populations d'ongulés qui atteint un niveau que l'on n'avait pas vu depuis pratiquement deux siècles et qui a créé, parmi d'autres, des conditions favorables à un retour de grands prédateurs qui occupent le sommet de la pyramide des espèces.

On peut se raconter qu'il serait possible d'éliminer et d'éradiquer complètement cette population. C'est très difficile et, pour ma part, je n'y crois pas du tout. A titre personnel, je ne le souhaite pas du tout et je pense qu'en tant que ministre de l'environnement ce n'était pas ce qui m'était demandé. Il est assez déraisonnable de prétendre pouvoir éradiquer le problème dans la mesure où les conditions dans lesquelles ce retour du loup a été constaté sont plutôt en train de s'accentuer dans ces zones de montagne.

Je suis évidemment à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous pourriez poser.

M. le Président : Je vous remercie, Mme la ministre.

Je ne vous poserai pas de question concernant la période qui précède juin 1997 et je ne vous demanderai même pas, contrairement à ce que vous avez évoqué, votre appréciation sur les conditions du retour du loup puisque vous n'en aviez pas la responsabilité à ce moment-là. C'était en 1993 et c'est à d'autres que vous qu'il appartiendra d'y répondre.

Je me contente de vous poser deux questions qui touchent à la période durant laquelle vous avez exercé des responsabilités.

Premièrement, la commission de la production et des échanges avait décidé en 1999 la création d'une mission d'information sur les conditions du retour du loup et sur les problèmes posés par sa gestion. Elle avait conclu à l'unanimité de tous les groupes politiques à l'incompatibilité entre la présence du loup et le pastoralisme. Elle avait donc demandé au gouvernement de l'époque de prendre des dispositions à cet égard. Elle avait proposé des solutions dans le cadre de ce qui était autorisé par les règles européennes et notamment par la Convention de Berne dans son article 9. Dans les cas d'atteinte au bétail, à la sécurité publique, aux pêcheries, elle autorisait l'élimination de certaines espèces dont le loup faisait partie.

Première question, pourquoi votre gouvernement et vous-même n'avez-vous pas tenu compte de cet avis unanime du Parlement ?

En décembre 2000, le Conseil d'Etat a donné droit à un certain nombre de délibérations prises par des maires pour organiser des battues sur le territoire de leur commune, conformément au code des collectivités territoriales. Elles avaient été annulées par le tribunal administratif. Les maires avaient fait appel devant le Conseil d'Etat lequel, en décembre 2000, leur avait donné raison sur le problème du loup à condition, que ces interventions soient encadrées et limitées et ne visent pas à détruire tous les loups.

Alors que les maires se retrouvaient enfin, grâce à une décision du Conseil d'Etat, avec les moyens de prendre des décisions pour la gestion de l'espèce sur leur territoire, vous avez vous-même pris un arrêté en mai 2001, rendant inopérant ces pouvoirs des maires sur les loups, après que la liste des animaux nuisibles, dont le loup, ait été délégalisée par le Conseil constitutionnel.

Quelles sont les motivations qui vous ont conduit à ne pas suivre l'avis du Parlement et à ne pas permettre aux maires de pouvoir mettre en œuvre les décisions prises par le Conseil d'Etat ?

Mme Dominique VOYNET : Vous avez indiqué que vous ne me poseriez pas de questions sur les conditions du retour du loup. Mais il se trouve que j'ai été amenée à m'en préoccuper quand même. En effet, au moment où a été déposée par des parlementaires, dont vous fûtes, la demande de création d'une commission d'enquête sur la présence du loup en France, j'ai été interrogée par le rapporteur. Je crois que c'était M. Chevallier qui devait examiner l'opportunité de la mise en place de cette commission d'enquête sur les éléments dont on disposait concernant les conditions de ce retour.

Il ne s'agit pas d'une conviction personnelle. J'ai lu tout ce qui existait sur la question. Il est vrai qu'il n'y a pas à contester les faits quand ils sont corroborés par des expertises génétiques. Le niveau de précision de ces dernières est tel qu'on peut non seulement identifier l'espèce mais aussi chaque individu d'une meute et le suivre à partir de l'analyse des excréments qui sont trouvés de part et d'autre de la frontière, dans les Alpes françaises et en Italie.

D'ailleurs, la stratégie de l'Etat n'aurait peut-être pas été la même si on avait eu la conviction qu'il y avait eu une démarche volontaire et localisée. Cela aurait peut-être conduit à donner moins d'importance aux facteurs liés aux milieux et à la nature des activités qui étaient amenées à coexister avec ce retour du loup.

Les parlementaires ont conclu, à l'unanimité, à une incompatibilité entre le loup et le pastoralisme. C'est une analyse qui leur appartient. Elle n'est pas la mienne au regard de ce qui existe dans d'autres pays européens.

Je sais que les pratiques agricoles et les pratiques d'élevage ne sont pas les mêmes de part et d'autre de la frontière des Alpes. Mais je constate que d'autres pays européens, confrontés d'ailleurs à des populations beaucoup plus importantes de grands prédateurs, ont réussi à trouver un modus vivendi.

Cela dit, nous avons tout à fait accepté de rentrer dans la démarche qui était proposée par les parlementaires. En effet, nous avons cherché à mettre en place une sorte de zonage du territoire en estimant qu'il y a des zones dans lesquelles le pastoralisme doit être considéré comme prioritaire, des zones dans lesquelles la présence du loup peut être tolérée et des zones sur lesquelles il faut discuter encore parce qu'on s'attend à ce que le loup bouge. L'extension territoriale se fait apparemment par l'expulsion des jeunes de la meute. Ils doivent aller chercher plus loin sur un autre territoire les moyens de leur subsistance. Nous nous posions donc la question de ces zones frontières.

L'idée d'avoir un zonage de territoire n'était pas choquante. Mais il est vrai qu'à chaque instant nous avons été contraints par les termes même des engagements internationaux de la France, que ce soit la convention de Berne ou la directive Habitats. Etait tolérée une capture ou une destruction quand il n'existait pas une autre solution satisfaisante. On devait d'abord faire la preuve de la mise en place de solutions alternatives, notamment en termes de protection des troupeaux, et à condition que l'opération ne nuise pas au maintien d'une population dans son aire de répartition naturelle.

Certes, nous pourrions discuter interminablement de la question de savoir quelle est son aire de répartition naturelle. Mais il est vrai que l'on peut considérer que c'est le cas des zones de montagne dans lesquelles le loup est revenu spontanément.

Le protocole mis en place à la suite des travaux de mission d'information et à la suite de la mission de M. Bracque prévoit de façon explicite la possibilité d'intervenir sur les prédateurs avec une gradation dans les outils. C'est à la fois un dispositif d'étude et de suivi permettant de savoir exactement où ils sont et quelle est l'ampleur des dégâts. Ce sont ensuite des modalités d'intervention avec une première phase de dissuasion et d'effarouchement, puis la possibilité de capturer ou de tirer un animal. Mais il est vrai que la possibilité que chacun se fasse justice n'a jamais été prévue. Un agent assermenté et mandaté à cet effet devait prélever l'animal concerné.

J'avoue ne pas avoir d'éléments concrets, notamment le texte des délibérations des maires. Mais je crois que les engagements pris par la France au niveau international conduisent, de fait, le ministère de l'environnement à ne pas laisser chacun interpréter à sa guise et prendre les décisions qui concernent simplement le territoire de sa commune.

M. le Président : Il s'agissait d'une décision du Conseil d'Etat.

Mme Dominique VOYNET : Peut-être en décembre 2000 ! Mais les délibérations des maires ont été déférées par les préfets sur la base d'une approche nationale coordonnée entre le ministère de l'agriculture et de la pêche qui avait donné son accord et le ministère de l'environnement.

Je n'ai pas souvenir d'avoir pris la moindre décision hostile. Simplement, le problème ne s'est pas posé ! Je n'ai pas eu à traiter d'un cas particulier où on aurait demandé à ce que des animaux puissent être prélevés et où on aurait refusé cette possibilité au maire.

Le protocole précisait de façon très explicite que c'était devant l'échec des mesures de protection des troupeaux que des mesures de capture ou de destruction pourraient être envisagées et non pas de façon irrationnelle, en fonction de sentiments locaux ou de considérations de politique locale.

M. le  Rapporteur : Mme la ministre, je peux vous poser deux questions un peu plus générales.

D'une part, pensez-vous que votre ministère, durant les quatre ans où vous avez été ministre, a bien géré le problème des loups dans les Alpes, en termes notamment de communication et de consultation des populations locales ?

D'autre part, je souhaite vous parler également de l'ours parce que notre commission doit s'intéresser à tous les prédateurs. Nous arrivons d'ailleurs des Pyrénées-Atlantiques où nous sommes allés à la rencontre de l'ours... Nous y avons trouvé une expérience particulièrement intéressante avec l'institution patrimoniale du Haut-Béarn qui, nous avons pu le constater, a vraiment fait du très bon travail.

Je demande l'avis d'une spécialiste, ancienne ministre. Pensez-vous qu'il serait possible de créer dans chaque département, par exemple dans les Alpes et dans le Mercantour, une institution patrimoniale comme celle du Haut-Béarn ?

Enfin, lors de nos différents déplacements dans les départements, nous avons constaté que les parcs régionaux avaient beaucoup mieux réussi à gérer le problème du retour des prédateurs que, par exemple, le parc national du Mercantour où une chape de plomb s'est abattue depuis une douzaine d'années.

Comment expliquez-vous cela ? Faut-il aller, selon vous, vers une plus grande décentralisation de la gestion des parcs nationaux ?

Mme Dominique VOYNET : Les parcs nationaux ont été mis en place à une époque où on se préoccupait peu de la protection de la nature. Il était finalement presque inespéré qu'un accord ait pu être trouvé sur la nécessité de réserver des portions du territoire à la vie sauvage, quels que soient la faune, la flore, les paysages, le patrimoine géologique, tant il est vrai que les éléments à protéger sont très variés. Mais je ne suis pas certaine que ce soit une politique que l'on pourrait mettre en place aujourd'hui.

On parle beaucoup de protection de l'environnement et de développement durable. Dans la pratique, on éprouve énormément de difficulté à admettre que dans certaines portions du territoire c'est la protection de l'environnement qui prime.

Ces parcs nationaux sont en nombre très limité : il y en a six. Il y a trois projets nouveaux. L'un d'entre eux concerne de façon prioritaire les milieux marins, c'est le parc de la mer d'Iroise. Le second, en Corse, connaît beaucoup de difficultés à se concrétiser. Le troisième, en Guyane, est sur les rails depuis pratiquement dix ans sans qu'on arrive à déboucher.

Dans ces six parcs nationaux, cinq sur le territoire métropolitain, un dans les départements d'outre-mer, on doit garder le principe d'une protection prioritaire des espèces sauvages. Pour les parcs naturels régionaux, la situation est très différente. Il s'agit de territoires confrontés en général à des difficultés de développement - départ des jeunes, déprise agricole, activités traditionnelles en voie d'épuisement - et la décision a été prise de redynamiser ces territoires en associant l'ensemble de leurs forces vives. Mais la vocation prioritaire et première n'est pas la protection, même si on s'appuie sur la qualité des milieux et sur la présence d'espèces sauvages, parfois pour faciliter une dynamique de projet autour, par exemple, du développement touristique ou du développement rural, plus largement du développement économique.

Je pense qu'il faut garder les deux concepts qui sont assez différents. C'est vrai que cela fait partie aussi de nos engagements internationaux. Le concept de parc national n'est pas un concept français mais international. Donner la priorité à la vie sauvage dans la zone centrale des parcs nationaux fait partie aussi de nos priorités. Je ne pense pas qu'on puisse décentraliser davantage dans la mesure où les élus locaux sont déjà très présents dans les conseils d'administration des parcs et pèsent également sur leurs orientations.

Concernant la stratégie de communication du ministère de l'environnement sur la réintroduction des grands prédateurs ou leur retour spontané, je conviens tout à fait que le ministère ne s'est pas donné les moyens et n'avait pas les moyens d'une communication auprès des populations locales. Beaucoup d'efforts ont été faits en direction des élus, notamment dans le cadre du Comité national de consultation sur le loup.

Je ne suis pas certaine qu'on puisse reproduire l'expérience de l'institution patrimoniale du Haut-Béarn car le territoire n'est pas le même. Si l'on veut se préparer éventuellement à une présence du loup dans tout le massif alpin, la tâche est d'une ampleur qui excède sans doute une institution très ancrée territorialement et qui ne sert pas d'ailleurs seulement à protéger l'ours ou à faciliter son retour mais bien à développer finalement une portion du territoire dans laquelle il y a des ours. Pas assez d'ours à mon goût, M. Lassalle, et vous le savez bien.

Présidence de M. Jean Lassalle

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous nous avez expliqué que vous aviez eu beaucoup de difficultés à trouver de la part du ministère de l'agriculture une aide concernant les financements sur les protocoles qui étaient mis en place. Quelles en étaient les raisons ?

Malgré tout, la présence du loup sur les territoires et les départements cités précédemment n'était pas sans conséquence sur le pastoralisme. On peut donc imaginer que le ministre de l'agriculture était aux premières loges. Etait-ce un désintérêt parce que jamais, par tradition, le ministère de l'agriculture n'a jamais été trop sensible aux problèmes d'écologie et d'équilibre des espèces ? Est-ce parce qu'il n'y avait pas suffisamment d'argent ? Pourtant, chacun sait le volume de crédits que ce ministère peut avoir à brasser.

Comment expliquez-vous que vous n'ayez pas pu travailler un peu mieux ensemble ? Comment se fait-il que les financements qui pouvaient être alloués aux éleveurs après la perte d'un certain nombre d'animaux n'aient pas été plus élevés ? Pensez-vous qu'ils auraient dû l'être beaucoup plus ?

Mme Dominique VOYNET : J'explique l'attitude du ministère de l'agriculture paradoxalement par une sous-estimation du problème causé aux éleveurs par le retour du loup. D'une certaine façon, le ministère de l'agriculture raisonnait ainsi : Nous avons pratiquement 2 000 000 de têtes ovines en France. Les dégâts faits par le loup concernent 1 000, 1 500 ou 2 000 animaux par an, chiffre très faible par rapport à ceux dus aux chiens errants et aux accidents. Dès lors, nous avons eu du mal à l'intéresser à ce sujet qu'il ne considérait pas comme un vrai problème.

Le ministère de l'agriculture nous faisait remarquer aussi que le loup n'étant pas responsable des problèmes de la filière, il fallait travailler sur des solutions structurelles pour l'ensemble de la filière ovine.

Peut-on dans ces zones concernées par le retour du loup essayer de limiter la taille du troupeau et de mettre davantage de présence humaine ? Cette question ne l'intéressait pas énormément ! Or, la tendance est à l'augmentation du nombre de têtes dans les troupeaux, certains atteignant parfois 2 000 ou 3 000 têtes sans gardiennage pendant les heures où les attaques de loups peuvent être constatées.

Ensuite, vient peut-être le problème budgétaire. Encore faut-il le relativiser. 25 millions de francs sur trois ans : la somme n'est quand même pas énorme. Sur ce montant, il y avait pratiquement 9 millions de francs pour le programme LIFE avec rien ou presque du ministère de l'agriculture. Pour le reste du programme, la répartition était à peu près moitié-moitié pour le ministère de l'aménagement du territoire et pour le ministère de l'agriculture. Ainsi, les sommes concernées étaient plutôt modestes mais nous avions le sentiment que ce n'était pas un sujet pour le ministère de l'agriculture.

M. Augustin BONREPAUX : Mme la ministre, vous nous avez dit : « Ce qui prime, c'est la protection de l'environnement dans certaines zones ».

Quelle est cette conception ? Cela signifie-t-il que certaines zones doivent être livrées uniquement à la faune sauvage ? En effet, vous dites qu'il faut donner la priorité à la protection dans les parcs nationaux ! Pour ma part, j'ai l'impression que l'on donne cette priorité un peu partout.

Quelle est votre conception ? Faut-il de grands zonages - les Pyrénées, les Alpes - qui soient livrés à la zone sauvage et où les hommes sont tolérés ? Faut-il d'autres zones où la faune sauvage sera tolérée et où les hommes pourront exercer librement leurs activités ?

On nous dit pourtant qu'après tout, il faut protéger les troupeaux ! Question simple : pensez-vous qu'on puisse protéger les troupeaux partout ? Peut-on faire partout le parcage de nuit ?

De toute façon, nous dit-on, les prédations ne sont pas très nombreuses ! Il n'en demeure pas moins que, de toute façon, cela impose un travail supplémentaire aux éleveurs. Or, justement, quand il n'y a pas de prédation, ce travail n'est pas indemnisé. Est-il normal qu'on demande un travail supplémentaire à une profession sans l'indemniser ? Faut-il rappeler que les éleveurs sont obligés de temps en temps de se lever tôt pendant la nuit - pas toutes les nuits, bien sûr - ce qu'ils ne faisaient pas autrefois.

Trouvez-vous que cette indemnisation est suffisante ? Pourra-t-elle être pérennisée au moment où les crédits européens vont s'arrêter et où la révision de la politique agricole commune en cours pourrait tout changer. Le Gouvernement nous dit lui aussi qu'il veut faire des économies. Dans ces conditions, pensez-vous que l'on pourra pérenniser ces moyens vis-à-vis de l'élevage jusqu'à transformer finalement les éleveurs en des éleveurs qui fourniront le repas des prédateurs ?

« Il n'y a pas assez d'ours dans les Pyrénées et pas assez de loups dans les Alpes » nous dites-vous ! Pensez-vous que cette coexistence, cette cohabitation sera possible ? Dans un tel conflit, n'est-ce pas l'activité humaine qui va disparaître ?

Ces considérations nous ramènent à mon propos initial : une partie de notre territoire sera réservée à la faune sauvage, ce qui fait le plaisir de certains mais pas de ceux qui y vivent.

Mme Dominique VOYNET : Je fais l'effort de ne pas vous caricaturer et j'aimerais bien qu'il en soit de même pour ce qui me concerne.

Je suis loin d'avoir justifié l'idée qu'il faudrait vider des pans entiers du territoire pour y privilégier le bien-être et le confort de grands prédateurs sauvages. J'ai, au contraire, resitué la création des parcs nationaux dans une perspective historique. En effet, à une époque où paradoxalement on se souciait peu de protéger l'environnement, on a su convenir que certaines zones très limitées sur le territoire national seraient des réserves de vie sauvage et ce, toutes proportions gardées, à peu près comme ce que font les chasseurs avec les réserves de chasse. Chacun convient qu'il y a des zones où il est important de laisser vivre les animaux si on veut pouvoir les protéger effectivement.

Que représentent les parcs nationaux ? Beaucoup moins de 1 % du territoire national ! Nous ne sommes donc pas en train de proposer de vider les Alpes et les Pyrénées de leurs habitants.

Je n'ai pas une conception naturaliste étroite de cette question. Je crois indispensable de mettre en place des dispositifs, y compris financiers, qui permettent aux éleveurs qui travaillent en présence du loup ou en présence de l'ours de faire face aux mesures de protection de façon durable. Je ne fais pas de provocation stupide mais l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques vient de rendre un rapport assez sévère sur les responsabilités en matière de pollution de l'eau. On convient aujourd'hui qu'on a donné beaucoup d'argent, sans mettre aucune condition environnementale, à certaines catégories d'agriculteurs. Il me paraît tout à fait normal que l'on donne un peu d'argent aux éleveurs qui travaillent dans des conditions difficiles en présence de grands prédateurs, ne serait-ce que pour tenir compte du stress et de la fatigue, indépendamment de l'existence de dégâts réels sur leurs troupeaux !

Il est vrai que le programme LIFE est un pis-aller. C'est un programme provisoire qui ne doit durer que quelque temps. Embaucher des aides bergers, professionnaliser des gens, mettre en place vraiment des matériels efficaces, dresser et entretenir les chiens, tout cela implique du travail supplémentaire qu'il faut absolument rémunérer.

Finalement, peut-être que le service rendu par les éleveurs est-il aussi mal appréhendé par le ministère de l'agriculture ? Cela fait aussi partie des éléments que j'aurais dû indiquer à Mme Perrin-Gaillard. En effet, peut-être considère-t-on uniquement la valeur de la viande dans la balance commerciale de la France ? Mais que vaut l'entretien des espaces, la réduction du risque de glissements de terrains, d'éboulements, d'avalanches, par exemple ? On a besoin aussi de rémunérer cette présence. C'est une " aménité " collective, comme on disait autrefois.

M. Joël GIRAUD : Mme la ministre, je suis député des Hautes-Alpes et notamment des deux massifs que sont le Queyras et Les Ecrins.

Selon moi, la différence d'appréciation entre les parcs nationaux et les parcs régionaux n'est pas forcément pertinente. Dans un département comme le nôtre, parcs nationaux et parcs régionaux, avec des problématiques tout à fait différentes, ont joué quand même le jeu de la transparence, que ce soit le parc régional du Queyras ou le parc national des Ecrins. Toutefois, le problème est moins important dans le parc des Ecrins parce qu'un loup ne vit pas facilement entre 3 000 et 4 000 mètres d'altitude, accroché à une pente. Quand un mouflon est planté dans la neige, dans le Queyras, à 2 000 mètres, il est quand même plus facile de le manger.

Ma première question est un peu de la même veine que celle de Mme Perrin-Gaillard. Pourquoi n'avez-vous pas mis à profit cette arrivée des prédateurs dans le massif alpin pour influer sur l'organisation même de la politique de l'agriculture et de l'élevage en montagne ?

Au travers de nos différentes visites sur le terrain, nous avons pu constater que le revenu des éleveurs ovins dans les Alpes - environ 8 000 euros par an - engendre fatalement, compte tenu de sa faiblesse, des réactions de dépit et de désarroi, voire plus, face à la prédation d'une bête, qui peut avoir un effet catastrophique. A contrario, nous nous sommes rendus en Italie dans le massif des Abruzzes et plus particulièrement dans le parc national Gran Sasso et Monti della Laga. Nous y avons vu des éleveurs dont le niveau de revenus atteint environ 51 000 euros. Dès lors, la problématique devient un peu différente. Mais elle est différente aussi parce que l'organisation de l'agriculture de montagne a été revue et repensée d'une manière bien différente de ce qui existe à l'heure actuelle en France.

Pourquoi cette absence apparente de réflexion sur cette réorganisation ? Pourquoi ne pas avoir " profité " de cette présence des prédateurs pour le faire ?

Par ailleurs, je suis toujours surpris en France de la façon dont on ne regarde jamais les bonnes pratiques étrangères, que ce soit dans ce domaine ou dans un autre. De la même façon que notre petit voyage dans les Abruzzes a été tout à fait édifiant, je me demande pourquoi on n'a pas mis à profit l'étude de ce qui se passait de l'autre côté de la frontière ?

Par exemple sur les politiques d'indemnisation que citait Augustin Bonrepaux, avec le souci d'une indemnisation la plus large possible vis-à-vis de tous les types de prédation, que ce soit le Husky de l'urbain qui s'est pris pour un trappeur et qui a fini par lâcher son chien dans la nature ou que ce soit la prédation par un loup ou par un ours. Nous avons constaté que sur un parc comme le Gran Sasso, plus petit que celui du Queyras, il y a quand même 200 ours et 60 loups, ce qui est énorme.

Pourquoi ne pas avoir eu des politiques d'indemnisation plus près du terrain et plus rapides, comme le font les Italiens. Là-bas, les politiques d'indemnisation sont soit faites par les parcs nationaux s'il s'agit d'une zone de parc national, soit faites par les régions s'il s'agit d'une politique hors parc national. D'ailleurs, en Italie, il va y avoir décentralisation des régions vers les provinces pour que la procédure soit encore plus rapide et plus efficace.

Mme Dominique VOYNET : Vous n'étiez pas parlementaire, monsieur. Vous ne pouvez donc pas savoir que je me sens parfaitement à l'aise devant chacune de vos trois questions. En effet, je crois avoir été la première à l'origine d'un dialogue entre le ministère de l'agriculture et le ministère de l'environnement au sujet du loup et pour convaincre ce ministère de la nécessité de changer de pied en ce qui concernait l'élevage ovin en montagne. Je n'y suis que très imparfaitement parvenue. En tout cas, le fait de pouvoir signer ce protocole qui reconnaissait qu'il y avait un problème à examiner en amont avant les atteintes pour permettre de protéger les troupeaux, en est un premier témoignage.

Je me suis rendue dans les Abruzzes également, à l'invitation de mon homologue italien de l'époque.

Il faut être bien conscient que dans les régions où l'on rentre les bêtes, parce que le produit intéressant est le lait et le fromage et pas la viande, le contexte n'est plus tout à fait le même. Je peux vous convaincre en tout cas que j'ai examiné les bonnes pratiques étrangères avec le souci de les mettre à profit chez nous.

Concernant la politique d'indemnisation, je ne peux être que d'accord avec vous. Je suis moi-même originaire d'une région où il y a un prédateur - le lynx - qui est certes moins impressionnant que le loup ou l'ours. J'ai été moi-même confrontée à des protestations véhémentes d'éleveurs qui attendaient deux mois, trois mois, six mois l'indemnisation de leurs bêtes. Je ne pouvais qu'écrire pour soutenir leurs réclamations et je suis tout à fait d'accord avec vous.

Je suis convaincue qu'une prise en charge du problème en amont, en privilégiant la prévention et une revalorisation des territoires dans lesquels se trouvent ces prédateurs, serait aussi un témoignage de qualité des milieux. Dans les Abruzzes, on valorise la présence de ces prédateurs. En Slovénie, la présence d'ours ou de loups dans un territoire fait venir des cohortes de touristes. Il me semble que l'on doit pouvoir assurer cette coexistence mais pas la cohabitation. Il est vrai que la protection des troupeaux est fondamentale.

M. André CHASSAIGNE : Vous avez fait une observation que j'ai trouvée pour ma part pertinente, à savoir qu'il faut s'appuyer sur la faune sauvage pour développer et faciliter une « dynamique de projets ». Ce propos paraît pertinent, mais mérite d'être expliqué si on ne veut pas faire langue de bois. Qu'entendez-vous par ces dynamiques de projets liées à la faune sauvage ?

Ma deuxième question part d'une observation que nous avons faite au sein de cette commission d'enquête. En effet, nous avons découvert jour après jour ce que j'appellerai des «  murs » successifs.

Des murs entre les gens qui travaillent au parc du Mercantour, les agents de développement et les élus ! Un mur entre Natura 2000 dans notre secteur et les élus qui sont farouchement et presque unanimement opposés à Natura 2000 ! Des murs entre les bergers et ceux qui sont sensibles à la biodiversité, à la protection de l'environnement ! Des murs entre des élus et les agriculteurs ou des populations qui font des projets qui ensuite n'aboutissent pas.

Comment voyez-vous l'évolution des choses par rapport à de tels murs ? A mon sens, c'est là un blocage qui, pour l'essentiel, vient d'une forme d'intégrisme. D'après vous, comment pourrait-on faire pour qu'il y ait un peu plus de dialogue, un peu plus de démocratie participative, ce qui permettrait sans aucun doute d'éviter les crispations qui bloquent les questions au lieu de les solutionner ?

Mme Dominique VOYNET : L'intégrisme évidemment est toujours dans le camp de l'autre. Il est difficile à admettre, soi-même que l'on peut être parfois intégriste.

Encore faut-il convenir que les responsabilités des uns et des autres ne sont pas les mêmes. Il est demandé aux agents du parc de mettre en œuvre les mesures de protection d'une espèce pour laquelle la France a pris des engagements. La responsabilité des élus est de rendre compte des difficultés que ressentent les éleveurs sur le terrain et de faire remonter à la fois les arguments objectifs, rationnels et ceux qui le sont moins. Il est vrai qu'il y a aussi un « ressenti » de la présence du loup qu'il ne faut pas sous-estimer. Devant ces grands prédateurs, il me semble qu'on est tous parfois pénétrés de ce qui peut être quelque chose de l'ordre d'une crainte atavique, d'une crainte primitive car ce ne sont pas des animaux ordinaires.

Parlant de dynamique de projets, je cherche à dire qu'il convient de mettre en place toutes les mesures objectives de protection pour sécuriser l'activité économique et la présence des troupeaux. Au-delà, essayons de voir s'il n'y a pas effectivement un plus en termes d'image, en termes de qualité des milieux, un plus en termes touristiques et en termes économiques, qui pourraient permettre de convaincre les réticents, les indécis qu'il vaut la peine de tenter l'aventure.

Cela va de pair évidemment avec la mise en place de dispositifs de suivi et d'évaluation des politiques que l'on mène. Je l'ai dit très souvent, si on est capable en France de dire quels pourcentages des sommes prévues on consomme, on est incapable de dire si, oui ou non, les dispositions mises en place ont permis de satisfaire ne serait-ce qu'en partie les objectifs qu'on s'était fixés au départ. Il faut donc une évaluation qualitative, contradictoire. Tel était l'objet du comité national de suivi et de concertation du loup. Un tel lieu national d'interface avec le ministère de l'écologie et du développement durable aujourd'hui doit-il être prorogé ? Faut-il mettre en place un lieu plus décentralisé et de suivi, à l'échelle par exemple du massif alpin ? Pourquoi pas ?

A mon avis, Natura 2000 peut être un sacré atout ! J'ai toujours considéré quant à moi que ce n'était pas seulement une contrainte. On convient que l'espèce est bien là et à partir de là on se met d'accord sur les modalités de gestion pour ensuite mobiliser des fonds européens qu'on n'aurait pas si on ne se mettait pas d'accord.

J'observe évidemment Jean Lassalle qui n'opine pas du chef mais qui hésite à ironiser. Mais même lui qui n'est pas un fanatique de Natura 2000 sait qu'il y a des crédits au niveau européen pour mettre en place des politiques contractuelles de gestion des habitats.

M. Roland CHASSAIN : Mme la ministre, il y a de plus en plus de randonneurs dans ces paysages, dans les Alpes ou dans les Pyrénées. Comment protéger les randonneurs mais aussi les troupeaux ? Cela a un coût. Quels sont les crédits européens que nous aurons demain, sachant que les programmes LIFE vont s'arrêter dans un an ? Qui prendra la succession de l'Europe pour maintenir les loups en France ?

Mme Dominique VOYNET : Protéger les randonneurs ? Dans les Abruzzes, le problème ne s'est jamais posé en ces termes. Jusqu'à preuve du contraire, c'est à des enfants que l'on confiait la garde des troupeaux autrefois. Les attaques étaient exceptionnelles et elles arrivaient à des périodes de grande famine, notamment en période hivernale. Je doute donc très fortement, compte tenu de la présence de la faune sauvage et des troupeaux, que le loup soit facilement visible. Il est très difficile d'en voir ! Peut-être est-ce possible pour des chasseurs qui crapahutent vraiment des journées entières ? Par exemple, Augustin Bonrepaux, s'il était dans les Alpes, aurait peut-être une chance. Il n'en demeure pas moins que c'est exceptionnel. Il est même rare de trouver des excréments de loups. Je pense donc que la question n'est que théorique.

Qui prendra la succession des fonds européens ? Grâce à Natura 2000, j'espère que ce sera en partie l'Europe elle-même.

Pourquoi ne pas imaginer la mise en place d'un certain nombre de conditions sociales et environnementales pour le versement d'aides agricoles ? Cela fait partie des suggestions de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Parmi ces critères d'attribution d'aides publiques, l'entretien des zones de montagne qu'il faut préserver des risques de dégradation, d'éboulements, des avalanches et des glissements de terrain me paraît tout à fait justifié. D'un côté, des centaines d'euros sont accordées à l'hectare pour la culture intensive de plaine et de l'autre côté rien n'est prévu pour ceux qui sont confrontés à des grands prédateurs en montagne ! C'est là une question à revoir évidemment.

M. Jean LASSALLE. Vous disiez que les parcs nationaux représentaient finalement peu de chose, moins de 1 % du territoire. D'ailleurs, j'observe que vous n'en avez cité que six et que vous en avez oublié un. Le septième est celui de Port-Cros.

Nous connaissons bien tous les deux parcs nationaux et j'en ai moi-même présidé un. Je crois qu'ils pourraient être beaucoup plus efficaces aujourd'hui s'ils étaient adaptés aux temps nouveaux. Ils ne responsabilisent pas suffisamment les acteurs locaux qui se sentent plus prisonniers qu'acteurs de leur propre destin et du rôle qu'ils pourraient avoir vis-à-vis de la nature.

Avec Natura 2000, dont vous vantiez à l'instant les mérites, c'est beaucoup plus de 1 % du territoire qui va être pris en charge par la protection de la nature. Pour l'instant, c'est 10 ou 12 % mais ce sera bien 15 % ou même 18 %. Or, tous ces territoires sont situés dans les zones les plus fragiles.

Je me demande s'il n'y a pas quelque contradiction dans votre propos. Il faut essayer, dites-vous, de rémunérer les gens qui ont une action d'entretien de l'espace car, à défaut, il y aura de plus en plus d'avalanches et de catastrophes. Or, justement, la tendance est de plus en plus à l'implantation de ces sites, soit dans des parcs nationaux - et je vous concède qu'il ne s'en met plus en place - soit dans des zones Natura 2000, dont l'objectif unique est la protection. Ce sont les zones les plus tourmentées par l'exode rural, celles où l'on a le plus de difficultés à maintenir la vie et des hommes et des femmes.

Ne pensez-vous quand même pas que partout où on a laissé revenir ces animaux ou là on les a réintroduits - je pense aux ours pyrénéens des Pyrénées centrales - les populations concernées sont prises en otages et qu'au prétexte qu'elles sont peu nombreuses, on ne leur laisse pas le choix ? Ne pensez-vous pas qu'il y a sous cet angle une atteinte à la démocratie ? Ne pensez-vous que si ces habitants se comptaient, dans ces zones, par millions et non par quelques dizaines de milliers, les choses se passeraient autrement ? Ne pensez-vous pas que c'est là un abus de pouvoir de notre démocratie ? Je me demande si ce n'est pas là que se situe le vrai problème ?

Il ne s'agit pas pour moi de faire de la polémique. Je m'adresse à la personne qui a une forte expérience de ce dossier et qui a connu beaucoup de tourments dans son traitement. André Chassaigne parlait des murailles successives ! Or force est de reconnaître que ces murailles existent bien.

Mme Dominique VOYNET : Je crois que la présence du grand prédateur n'est pas la cause du départ des populations, de la fermeture des usines et de la mort des activités agricoles, mais plutôt la conséquence.

Il me semble que nous pouvons nous mettre d'accord sur le constat : il est regrettable que les activités industrielles et artisanales aient disparu dans la haute vallée de la Maurienne et dans la vallée de l'Ariège. Mais il est vrai aussi qu'un discours guerrier et radical contre le loup ou l'ours ne constitue en aucune manière le début d'une réponse à ce problème.

Dans le cadre d'une étude sur l'état de santé des zones de montagne pour le Conseil national de la montagne, on s'était rendu compte qu'il n'y avait pas « une » montagne mais qu'il y a « des » montagnes. Une partie des zones de montagne s'en sort très bien avec une grande dynamique économique, par exemple avec un fort potentiel d'attraction touristique, mais il y a aussi une partie des zones de montagne qui se porte mal.

Convenons donc qu'il est plus que temps de revoir la politique nationale de la montagne et de mettre en place des mesures de discrimination positive avec une politique digne de ce nom pour ces zones en difficulté. Mais je ne suis pas sûre que cela ait quoique ce soit à voir avec des politiques de protection. Je sais qu'il sera difficile de vous en convaincre. En tout cas, je ne pense pas qu'il s'agisse avec Natura 2000 de mettre des portions du territoire « sous cloche ». Il s'agit au contraire de rémunérer les bonnes pratiques qui ont permis de maintenir les espèces.

M. Jean LASSALLE : Non.

Mme Dominique VOYNET : Vous me dites non. C'est votre expérience ! Mon expérience d'élue locale est un peu différente. Il est vrai que dans les zones du Jura où on cherche à protéger un certain nombre d'orchidées, on s'est mis d'accord avec les paysans sur les modalités de fauchage et sur la non-pratique de l'écobuage et on les rémunère pour cela. Ce sont des mesures simples ! Il ne s'agit pas de donner la priorité à la protection mais plutôt de mettre en place une mesure contractuelle qui permet, sur un objectif limité, d'éviter la casse.

Si je prends l'exemple de la petite montagne à Arinthod, dans le Jura, de telles mesures ne sont pas incompatibles avec le fait de décider l'extension d'une zone artisanale. Nous faisons le constat que cette action n'est pas rédhibitoire avec le maintien de l'espèce protégée.

M. Jean LASSALLE : Nous ne nous convaincrons pas mutuellement.

Mme Dominique VOYNET : Nous avons pourtant plusieurs fois essayé.

M. Jean LASSALLE: Ce n'est pas ce que vous dites qui est en cause. C'est le fait que l'on se dessaisisse de notre possibilité d'action. Natura 2000 est un dispositif beaucoup plus large qui créera beaucoup de conflits, à mon avis inutiles. On pouvait faire tout ce que vous disiez mais de manière différente. N'essayons pas de nous convaincre, ce que nous avons essayé pendant cinq ou six ans, en vain.

Mme la ministre, je vous remercie.

Audition de Mme Corinne LEPAGE,
ministre de l'environnement de mai 1995 à juin 1997

(Extrait du procès-verbal de la séance du 26 mars 2003)

Présidence de M. François Brottes, Vice-Président,
puis de M. Christian Estrosi, Président

Mme Corinne Lepage est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, Mme Corinne Lepage prête serment.

M. François BROTTES : Madame, merci d'être à la disposition de la commission. Je vous remercie de vous être pliée à nos impératifs d'agenda et de calendrier.

Je rappelle que vous avez été ministre de l'environnement de mai 1995 à juin 1997 et que c'est à ce titre que vous êtes auditionnée ce matin.

Notre commission porte sur la présence du loup en France et sur l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne.

Mme Corinne LEPAGE : Le loup est un sujet que j'ai eu à traiter parmi d'autres. J'ai essayé de le traiter à la fois  - déformation de la juriste que je suis - en fonction des textes applicables, et notamment la Convention de Berne et ses applications, et en ayant le souci de la compréhension des gens qui rencontraient des problèmes, notamment les bergers.

Il fallait également veiller à la justesse des éléments d'information. Pour parler très franchement, j'avais le sentiment que les données étaient si différentes de part et d'autre que la vérité se situait probablement dans un juste milieu entre l'un et l'autre. Il fallait donc voir ce que l'on pouvait faire.

La position que j'avais prise à l'époque était assez pragmatique : s'il était hors de question de tuer les loups, en revanche, il n'était pas interdit par la Convention de Berne en cas de vraies difficultés, comme par exemple des troupeaux décimés, de prendre des mesures pragmatiques de capture ou d'encadrement des loups qui permettent de protéger les troupeaux. Ce n'est certes pas une approche très glorieuse, mais cela avait le mérite du pragmatisme.

J'en ai discuté sur place - je me déplaçais beaucoup en tant que ministre - notamment dans le Sud-Est, là où les choses se passent. Dans les Pyrénées que M. Lassalle connaît très bien, c'est plutôt la question des ours que celle des loups qui prévaut. Je me souviens parfaitement bien être allée à Nice à une rencontre organisée spécialement sur ce sujet entre les parties prenantes pour essayer de déterminer les mesures concrètes qui pouvaient être mises en place. Ce sont des mesures de ce type que nous avions essayé de trouver.

M. François BROTTES Pensez-vous que la France a eu raison de signer la Convention de Berne, sans forcément mesurer l'impact de cette signature ?

Mme Corinne LEPAGE : Très franchement, je vois mal comment la France aurait pu être le seul pays en Europe à ne pas l'avoir signée. Par conséquent, je considère que c'est un coup parti.

Il est vrai qu'il y a beaucoup de textes dont on voit progressivement les effets. Je n'ai pas fait la recherche, mais il serait intéressant que vous-mêmes ou les services juridiques qui accompagnent votre commission voient si le fait de retirer notre signature - ce qui n'irait pas sans conséquences politiques relativement importantes car c'est très symbolique - ne se heurterait pas à un certain nombre de dispositions d'ordre communautaire. Je n'ai pas fait la recherche. Honnêtement, je ne sais pas. A mon avis, même si l'on renonçait à Berne, je ne suis pas sûre que cela changerait un centimètre de droit français.

M. François BROTTES : Comme vous êtes juriste, il est vrai que votre avis éclaire encore plus. Cela signifie-t-il que les couches Natura 2000 qui ont été rajoutées au fil des années viennent peu ou prou se substituer, y compris à une Convention de Berne qui viendra à disparaître ?

Mme Corinne LEPAGE : La directive du 21 mai 1992 - si c'est à cela que vous pensez - reconnaît que le loup est une espèce protégée, et l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 décembre 1998  (chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes) applique, non pas la Convention de Berne, mais la directive de 1992. Donc, à mon sens, la boucle est bouclée.

M. le Rapporteur : Je vous remercie à mon tour d'avoir accepté de venir à nous, à une heure particulièrement indue. Je souhaite vous poser quatre questions :

Quel bilan faites-vous de votre action ministérielle sur ce dossier du loup ? Dans quelles conditions s'est-elle déroulée ? A quels problèmes particuliers vous êtes-vous heurtée ?

Comment expliquez-vous le caractère ultra conflictuel et passionnel de ce dossier ? Comment expliquez-vous, par exemple que dans le parc du Mercantour, il y ait eu une véritable chape de plomb sur le retour du loup dans les Alpes ?

Pensez-vous que des lâchers de loups aient pu avoir lieu ou pensez-vous que le loup est revenu naturellement ?

Enfin, pensez-vous que le ministère de l'environnement a bien géré le retour des loups, tant au niveau de la communication que de la consultation des populations locales ?

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

Mme Corinne LEPAGE : Quel est le bilan de mon action sur ce sujet-là ? Très franchement, je serai modeste. J'ai eu un problème concret à résoudre et j'ai essayé de le résoudre. Je suis allée sur place, j'ai essayé de décrisper les choses en écoutant les gens, à commencer par les bergers qui se plaignaient d'avoir des troupeaux décimés et en essayant, encore une fois, de trouver des solutions concrètes. On a effectivement essayé de faire des captures de loups.

Je n'ai pas regardé dans mes archives car j'en ai peu puisqu'elles appartiennent à l'Etat et donc, je parle vraiment de mémoire d'un sujet qui remonte à 1996. En 1997, je ne crois pas m'être beaucoup occupée des loups. Cela remonte déjà à sept ans.

Je sais que l'on avait mis en place, à ma demande, des mesures concrètes pour capturer les loups en errance, étant entendu qu'il y avait des débats pour savoir si c'était vraiment des loups ou si, dans un certain nombre de cas, ce n'étaient pas des chiens sauvages qui s'attaquaient aux troupeaux ; des débats sur le nombre de bêtes réellement attaquées et sur le point de savoir si les bergers étaient effectivement là ou non.

Il y avait également des débats sur la manière dont s'exerçait à l'époque le pastoralisme. Je ne sais pas comment cela se passe aujourd'hui, mais je me souviens tout à fait qu'à l'époque, c'était déjà très conflictuel. Mme Guth, directrice du parc du Mercantour, avait été violemment prise à partie. J'avais défendu la fonctionnaire de l'Etat ; il était tout à fait normal qu'étant attaqué, un de nos agents attaqué soit défendu. J'avais tout de même essayé de trouver des solutions concrètes au problème.

La gestion n'est sans doute pas géniale, mais la marge de manœuvre est extrêmement étroite. Les textes ne permettent pas de tuer le loup, mais permettent de protéger les troupeaux. Il s'agit de la petite réserve, reconnue par le Conseil d'Etat - vous devez avoir la jurisprudence - concernant le pouvoir de la police générale des maires, qui reconnaît la compétence des maires pour agir sur la base du Code général des collectivités territoriales - cela existe - à condition bien sûr que les circonstances locales justifient l'intervention du maire.

On en revient toujours à la prohibition des mesures générales et absolues. Tous les arrêts ont donc annulé les délibérations qui, de manière générale, visaient à abattre les loups qui allaient arriver. Mais cela ne se substitue pas au fait que le maire garde le pouvoir d'intervenir en cas de menace précise sur le territoire de sa commune. Il reste donc une petite porte ouverte.

L'Etat n'a pas directement de porte ouverte, si ce n'est de trouver tous les moyens possibles, hormis tuer le loup, pour faire coexister le loup avec le pastoralisme. Cela avait été une gestion très pragmatique et le « plus possible » sur le terrain. Une ou deux réunions s'étaient tenues sur place ; j'ai tout à fait présente à l'esprit celle de Nice.

Vous me posez la question du caractère passionnel du dossier. Comme dans beaucoup d'autres dossiers qui touchent à la nature - c'est vrai pour l'ours, pour le loup, pour beaucoup de domaines - les gens sur place ont eu le sentiment qu'on leur imposait une décision qui n'avait jamais été concertée, discutée, négociée. Ce n'est pas faux, et c'est la raison pour laquelle le dossier nature est difficile. S'il y avait tout faux d'un côté et tout vrai de l'autre, ce serait très facile, mais malheureusement, ce n'est pas souvent le cas.

Les populations locales ont eu le sentiment que des engagements avaient été pris, en quelque sorte « sur leurs dos ». Devant la transformation du monde dans lequel nous vivons, ce sont incontestablement ceux qui sont aujourd'hui les plus proches de la terre - je pense aux agriculteurs, aux éleveurs - qui ont la culture probablement la plus éloignée de notre société actuelle et qui ont le plus de mal à s'adapter. L'adaptation n'étant du reste pas toujours pour le meilleur.

Je ne suis pas en train de dire que nous vivons dans une société merveilleuse - ce que d'ailleurs je ne crois pas - mais je suis convaincue que c'est plus difficile encore pour les gens de la campagne que pour ceux de la ville.

Par conséquent, la remise en cause de modes traditionnels de vie par ce qui est ressenti comme des atteintes à la liberté et à ce que l'on a toujours fait, paraît insupportable. Cela résulte probablement du fait que les choses n'ont pas été suffisamment accompagnées et discutées localement et peut-être aussi parce que la contrepartie de tous ces engagements pris dans beaucoup de domaines depuis des années, n'a probablement pas été non plus discutée au plan sociétal.

Sur les questions de nature et d'environnement, comme dans d'autres domaines, nous payons également la contrepartie de notre organisation régalienne centralisée ; les décisions sont prises tout à fait en haut. L'Etat fait ce qu'il estime être un juste milieu entre les intérêts en présence. Il estime qu'ils sont représentés - ce qui n'est pas forcément le cas, me semble-t-il - et que le débat est épuisé dès lors que, par l'intermédiaire des divers ministères concernés, censés représenter les différentes catégories socioprofessionnelles en présence, chacun a dit son mot. Ce n'est pas ainsi que cela fonctionne et ce le sera de moins en moins.

Il y a des points de fixation sur Natura 2000, sur l'ours, sur le loup et sur tout ce qui paraît être une obligation non accompagnée d'une contrepartie positive pour ceux auxquels s'applique cette obligation.

Mes propos paraissent peut-être quelque peu dégagés de la réalité que vous connaissez, mais vous me demandez une réflexion de fond. C'est ainsi que je le vois.

J'ajoute que le domaine de l'environnement est peut-être le plus symbolique de la politique. Ces sujets se focalisent sur un thème : ce sera Creys-Malville, Le Val Louron, La Hague, le loup, le tunnel du Mont Blanc. Il y a des points forts. Les grands sujets, difficiles, complexes, sur lesquels tout le monde n'a pas tort ou raison, se traduisent par un point de fixation.

Cette espèce d'opposition entre les protecteurs de la nature stricto sensu et les gens qui vivent de la terre et de la nature se focalise ainsi sur des points comme la chasse, le loup etc. C'est ainsi que je vois les choses.

Cela traduit selon moi une très profonde crise de civilisation en arrière plan. En fait, c'est une crise profonde d'une partie de la société sur le monde dans lequel elle vit, qu'elle comprend mal et qu'elle n'apprécie pas.

Y a-t-il eu des lâchers de loups ? J'ai évidemment posé la question. Je ne suis pas capable d'aller vérifier. On m'a toujours dit qu'il n'y en avait jamais eu et qu'ils venaient d'Italie.

J'ai juré sur l'honneur de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. La vérité qui m'a été dite est celle-là. Est-ce la vérité ? Je n'en ai pas eu d'autre que celle-là. Je ne suis pas capable de vous dire que c'est la « Vérité ». Il aurait fallu que je sois sur la frontière italo-française avec des jumelles en 1992 pour voir si les loups passaient ou non la frontière. Il m'est impossible de vous apporter cette réponse.

Mes services m'avaient dit très clairement que c'était une progression qui venait du nord de l'Italie et qu'ils comprenaient mal pourquoi cela se passait si mal en France, alors que le problème était parfaitement géré en Italie avec un nombre de loups dont on m'avait dit qu'il était infiniment supérieur.

Ce que je vous dis là résulte des informations que mes services m'ont livrées et sur lesquelles je n'ai pu faire aucune contre-expertise. Je suis capable de faire ma propre contre-expertise sur certains sujets, mais pas sur celui-là car je n'ai pas les éléments de fait. Je peux dire qu'il n'y a pas eu de lâcher, mais je ne peux pas vous l'assurer.

Cela a-t-il été bien géré par le ministère de l'environnement ?

Dans ces affaires-là, comme dans bien d'autres, il est toujours très facile de jeter l'anathème sur le ministère de l'environnement dont Robert Poujade avait dit qu'il était celui de l'impossible. A mon sens, il l'est resté, bien que d'autres aient écrit ensuite que c'était le ministère du possible, ce dont je ne suis toujours pas vraiment convaincue.

La société, et au sein de la société, l'Etat et le gouvernement, donnent comme charge au ministère de l'environnement de gérer tous les objectifs qu'ils devraient avoir et qu'ils sont incapables de tenir. On dit ensuite que ce qui se passe au ministère de l'environnement est scandaleux, qu'il fait extrêmement mal son travail. Mais il ne peut pas le faire parce que s'il le fait, il entre directement en contradiction avec tous les autres.

C'est doublement ingérable parce que d'une part, comme il ne peut pas aller au bout de sa logique - s'il faisait bien son travail, il irait jusqu'au bout de sa logique - on lui reproche de ne pas faire convenablement son métier de défenseur de l'environnement, et d'autre part, on lui reproche d'être ce qu'il est, c'est-à-dire un gêneur pour tous les autres. C'est le cas quand il rappelle aux agriculteurs qu'il ne faut pas mettre de nitrate dans l'eau, aux routiers qu'il ne faut pas rouler dans les vallées alpines, aux industriels qu'il ne faut pas créer des risques et polluer, aux urbanistes qu'il ne faut pas construire en zone inondable etc.

La gestion du loup a été faite avec ce qu'avait le ministère de l'environnement et en respectant également nos obligations internationales et communautaires. La marge de manœuvre était extrêmement étroite. La loi ne nous permet pas aujourd'hui - que cela fasse plaisir ou non, le sujet n'est pas là - de tuer les loups. Peut-on revenir en arrière ? Juridiquement, non à mon avis, sauf, sur un plan strictement de droit, la porte étroite des maires.

La loi nous permet-elle de trouver des mesures concrètes, permettant de parquer les loups, de les capturer, de faire en sorte qu'il y ait une coexistence ?

Oui. C'est ce que j'avais essayé de faire, mais c'est très difficile. Cela demande également de l'argent. Il faut donc des moyens pour le faire. L'argent est toujours la question qui fâche, surtout pour le ministère de l'environnement.

M. le Président : Mme la ministre, veuillez m'excuser de mon retard. Je remercie monsieur Brottes d'avoir présidé le début de cette réunion. Je suis heureux de vous accueillir en ma qualité de président de cette commission. J'avais eu l'occasion de vous rencontrer à Nice avec les éleveurs.

Mme Corinne LEPAGE : Vous confirmez ainsi que j'y étais.

M. le Président : Absolument. J'avais participé à cette réunion un peu tendue avec les éleveurs en ma qualité d'administrateur du parc du Mercantour. Je confirme que vous y étiez et que c'est un dossier que vous avez essayé de suivre dans la mesure du possible.

Nos travaux arrivent à leur terme. Il est vrai qu'ils ont été, pour nous, très enrichissants. Je pense que, sans avoir élucidé toute la vérité dont vous parliez, nous y voyons en tout cas plus clair aujourd'hui sur le rôle des uns et des autres.

Votre rôle entre 1996 et 1997 s'est limité à la gestion d'un dossier dont vous héritiez. Les responsabilités les plus lourdes à nos yeux sont portées par ceux qui géraient le dossier en 1992, 1993, 1994, 1995. En réalité, ce n'est qu'en 1994-1995 que la directive Habitats est devenue applicable en droit français, laissant passer 1992 et 1993 en faisant « comme si », alors qu'elle ne l'était pas. Je pense pour ma part que les responsabilités remontent à cette période.

Je vous remercie en tout cas de nous avoir apporté, dans votre intervention, un peu de fraîcheur et de dimension humaine, d'avoir eu d'abord ce plaidoyer pour la ruralité, cette spécificité propre aux hommes de la terre, souvent incomprise, d'une grande majorité de nos concitoyens qui ne se sentent pas concernés par le travail de la terre. De leur salon doré, devant leur télévision, dans le seizième arrondissement de Paris, lorsqu'on leur montre les yeux d'un loup au regard langoureux, ils se demandent pourquoi on veut tant de mal à ces pauvres bêtes.

Il est vrai que le loup est une grande affaire d'incompréhension pour des gens qui ont eu le sentiment que, sans dialogue aucun, on leur a imposé une situation nouvelle et on a changé du tout au tout leur mode de vie.

Il est vrai que l'on a changé du tout au tout des modes de vie sans prévention aucune, sans concertation aucune, sans dialogue aucun, alors que  - semble-t-il - par rapport aux éléments que nous avons pu récupérer ici ou là, il y avait tout de même des informations selon lesquelles le loup pouvait arriver d'Italie à un moment ou à un autre.

Je me réjouis également de mesurer que la juriste que vous êtes a une bonne connaissance, notamment de l'arrêt du Conseil d'Etat, sur la responsabilité des maires.

J'y rajoute simplement un détail : un de vos successeurs, Mme Voynet, trois mois après cet arrêt du Conseil d'Etat, les articles classant le loup comme animal nuisible n'ayant pas été délégalisés, a supprimé le pouvoir qu'avaient les maires d'ordonner des battues au loup.

Mme Corinne LEPAGE : Pardonnez-moi, monsieur le député, mais je ne vois pas pourquoi ?

M. le Président : Je vous explique. Le Conseil d'Etat...

Mme Corinne LEPAGE : J'ai vu qu'une décision du Conseil constitutionnel délégalise. Mais en quoi cela empêche-t-il un maire d'agir ?

M. le Président : Cela empêche un maire d'agir parce que Mme Voynet a sorti le loup de la liste des espèces pour lesquelles la décision du Conseil d'Etat pouvait s'appliquer.

Mme Corinne LEPAGE : S'il y a une menace pour l'ordre public, que cela soit ou non sur la liste, il faut agir. Je ne sais pas car je n'ai pas fait la recherche et je raisonne à voix haute.

M. le Président : Non. Aujourd'hui, l'interprétation du ministère de l'environnement est la suivante : suite à cette décision du Conseil d'Etat, Mme Voynet ayant sorti le loup de la liste des espèces pour lesquelles cela pouvait s'appliquer, les maires ne peuvent plus bénéficier de cette disposition du Conseil d'Etat.

Il m'intéresserait qu'en votre qualité de juriste, vous puissiez - pas aujourd'hui - nous faire une communication écrite sur votre analyse de ces dispositions.

Mme Corinne LEPAGE : Je ne vois pas pourquoi. S'il y a une menace de l'ordre public....

M. le Président : Avez-vous eu connaissance de cet arrêté ?

Mme Corinne LEPAGE : Oui. Une délégalisation est intervenue par décision du Conseil Constitutionnel 2190, décret du 25 mai 2001, abrogeant ces dispositions.

M. le Président : C'est cela, suite à un arrêté du ministre de l'environnement.

Mme Corinne LEPAGE : Oui. Un arrêté de 2001. Je vais regarder, mais juridiquement, je ne vois pas pourquoi cela donnerait ce résultat.

M. le Président : Dès lors qu'il y a cette délégalisation, on nous explique que l'arrêt du Conseil d'Etat de décembre 2000 deviendrait inapplicable pour les maires.

Mme Corinne LEPAGE : Je n'ai pas la science infuse et je suis donc toujours dubitative, mais ma réaction de juriste est de dire que je suis fortement étonnée.

M. le Président : Au-delà de tous les états d'âme, de toutes les appréciations et des sentiments personnels, notre commission, qui aura des propositions à faire, serait très intéressée si, en votre qualité de juriste, vous pouviez nous faire une étude et nous la communiquer par écrit.

Mme Corinne LEPAGE : Si votre interprétation est la bonne, je ne vous dirai rien. En revanche, si je trouve un biais, je vous informerai.

M. le Président : Cela nous intéresse énormément. Donner ce pouvoir aux maires est une des solutions que nous pourrions proposer dans nos conclusions.

Mme Corinne LEPAGE : D'autant plus que c'est tout de même un mode d'appréhension du sujet qui peut concilier les parties dans la mesure où, de toute façon, la jurisprudence est très claire sur le fait que l'on n'a pas le droit d'avoir d'interdiction générale et absolue. Cela serait illégal. Un maire ne peut pas dire que, dans sa commune, on va tuer tous les loups.

M. le Président : Le Conseil d'Etat l'a d'ailleurs dit très clairement.

Mme Corinne LEPAGE : En revanche, dès lors qu'il y a des menaces très précises...

M. le Président : ... sur un périmètre déterminé...

Mme Corinne LEPAGE : ... dire que les loups ne peuvent pénétrer dans ce périmètre ne me paraît pas être une ineptie. Si je trouve une idée, je vous en ferai part. Je ne suis pas sûre de la trouver.

M. le Président : Notre entretien nous permet aujourd'hui de creuser une piste qui nous semblait en tout cas fermée...

Mme Corinne LEPAGE : Je suis prudente, je peux me tromper.

M. le Président : ... et où votre analyse nous offre peut-être une ouverture.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je vous remercie de me donner la parole. Bien que n'étant pas juriste, notre discussion me paraît très intéressante.

Sur la question qui vient d'être abordée, si l'on peut dire qu'un loup ne doit pas entrer dans tel périmètre, encore faut-il mettre en place des mesures qui permettent au loup de ne pas y rentrer.

Je ne crois pas qu'une ministre de l'environnement puisse me dire que le loup va effectivement voir la frontière franco-italienne, le périmètre du zonage, comme n'importe quelle autre espèce. La situation est bien plus compliquée.

Il faut aller beaucoup plus loin par rapport à la réponse que vous nous donnerez - c'est mon sentiment - parce qu'il serait facile d'avoir des attitudes bien disproportionnées par rapport à ce que l'on voulait faire. C'est un point sur lequel je voudrais que l'on réfléchisse.

Vous nous avez également dit que vous aviez en 1996, plus qu'en 1997, traité ce problème du loup.

Mme Corinne LEPAGE : Comme chacun le sait, je suis partie en mai, et entre février et mai, j'ai eu d'autres activités.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous avez donc tenté de faire ce que vous pouviez ; ce que je crois être tout à fait juste.

Avez-vous eu l'occasion de travailler sur des mesures concrètes de protection, par exemple des troupeaux et des bergers ? Si oui, lesquelles ?

Avez-vous eu l'occasion de travailler avec le ministère de l'agriculture ? Je pense que toute la problématique du pastoralisme est importante et concerne aussi le ministère de l'agriculture.

Si tel est le cas, quel a été l'accueil du ministre de l'agriculture ou de ce ministère par rapport à des propositions que vous auriez pu faire ? Est-il simplement resté en retrait en disant que c'est au ministre de l'environnement de gérer les choses de cette nature ?

Au niveau des pertes subies par les bergers, au moment où les troupeaux pouvaient être ou étaient attaqués, estimez-vous que les mesures financières prises étaient suffisamment importantes ? Il est vrai que l'on peut, en regardant les chiffres, estimer que le revenu d'un berger n'est tout de même pas terrible.

Enfin, avez-vous saisi le ministère de l'agriculture à ce sujet ?

A l'époque où vous étiez au ministère, combien y avait-il approximativement de loups ? Aujourd'hui, il est très difficile de l'apprécier. Avez-vous une idée de ce chiffre ?

Mme Corinne LEPAGE : Je ne sais plus. Je crois que j'avais posé la question et que personne n'avait été capable de me répondre.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Précédemment, vous nous parliez de l'Italie. Avez-vous eu l'occasion de vous rendre en Italie, de voir ce qu'il s'y passait, ce qui était fait ?

Mme Corinne LEPAGE : Tout d'abord, le fait de tuer l'animal est évidemment la mesure tout à fait extrême. En ce qui me concerne, ce n'est pas celle que j'avais préconisée. Si je me souviens bien, des autorisations de capture avaient été délivrées. Nous nous étions mis d'accord sur des périmètres, sur le fait d'essayer d'interdire matériellement l'accès des loups à certaines zones.

Ce sont sur ces deux types de mesures que l'on avait travaillé, c'est-à-dire des enclos et des autorisations de captures.

En ce qui concerne les captures, il y avait tout un débat sur le fait que nous avions le droit d'enfermer les loups dans des enclos ou pas. Je me souviens en avoir discuté et avoir donné un avis positif sur ce point.

Voilà les mesures concrètes : des enclos dans les deux sens, pour loups ou pour agneaux, et l'autorisation de capturer les loups quand ils s'avançaient. Nous ne sommes pas allés au-delà. Tout cela est assez concret.

Ai-je discuté avec le ministère de l'agriculture ? Honnêtement, je n'ai aucun souvenir d'avoir discuté de cette question avec Philippe Vasseur.

Y a-t-il eu des contacts entre le ministère de l'environnement et celui de l'agriculture ? Je ne sais pas. J'ai tendance à penser que le dossier était tellement empoisonné que tout le monde était très content que quelqu'un - qui plus est, une femme -soit là pour s'en occuper et il n'y a pas eu de disputes de territoire sur ce sujet.

En ce qui concerne les pertes, d'après ce que m'avaient dit mes services - encore une fois, je n'ai pas fait la contre-expertise - le montant des indemnités était très élevé par rapport au prix de vente d'un agneau quand il n'était pas mangé par un loup. Finalement, le nombre d'agneaux dont on disait qu'ils étaient attaqués par les loups était suspecté d'être légèrement supérieur à la réalité parce qu'il était beaucoup plus intéressant d'être indemnisé pour un agneau attaqué par un loup que de le vendre à la boucherie. Voilà les informations que l'on m'avait données.

Si vous me demandez le montant d'indemnisation de la tête d'agneau à l'époque, franchement, je ne m'en souviens pas.

Je peux vous donner une réponse précise sur la partie de question que je connais. Mes services pensaient qu'il y avait quelque exagération en raison de l'intérêt financier à prétendre que beaucoup d'agneaux étaient mangés par les loups. Je vous rapporte simplement ce qui m'a été dit. Il y a des informations qu'un ministre a du mal à aller vérifier sur le terrain, même si l'on essaye d'être précautionneux.

Je ne suis pas allée en Italie, mais je m'étais fait communiquer un dossier sur la manière dont travaillaient les Italiens. En réalité, j'avais eu le sentiment qu'à la différence de la France, ils avaient, dans les Abruzzes, une vraie habitude de la présence du loup, et ce depuis des générations.

La question ne s'est pas posée dans les mêmes termes, mais les indications qui m'étaient données étaient qu'il y avait une gestion locale du loup qui se passait bien malgré un nombre de loups très supérieur à celui de la France. Les loups n'étaient pas abattus car l'Italie respectait ses obligations internationales. Il y avait un système à la fois de partage des territoires, de travail des bergers, de regroupement et d'enfermement des troupeaux.

Ce dont je me souviens bien, c'est que la gestion était prise en charge par les populations locales sans qu'apparemment cela pose de problèmes majeurs. Les services du ministère de l'environnement en tiraient argument en disant qu'il n'y avait pas de raison que l'Italie trouve des solutions et pas la France.

M. le Président : C'est un point de politique publique. En tout cas, c'est ce qui ressort des travaux que nous avons conduits sur le terrain. Nous nous sommes rendus en Italie. Les Italiens nous disent très clairement qu'ils comprennent que nous n'ayons pas la même approche puisque nous n'avons pas les mêmes politiques publiques en matière d'élevage.

L'Italie n'est pas un pays d'élevage. Il suffit de voir les chiffres à Bruxelles de ce que représentent l'élevage en France et l'élevage en Italie. En Italie, l'élevage est proche de zéro. Elle mène donc une politique urbaine et fait de la ruralité un lieu de tourisme et d'écologie.

En France, la politique publique est de faire de sa ruralité un lieu d'équilibre entre l'environnement, l'élevage et l'agriculture. Le problème vient de là.

D'ailleurs, en Italie, les bergers eux-mêmes sont presque des fonctionnaires. Dans les Abruzzes, ils nous ont dit que l'Etat les payait pour élever le garde-manger des loups. On est là dans une autre politique publique. C'est ce qui fait la différence.

Aujourd'hui, le problème n'est plus dans les Abruzzes. Les Abruzzes étaient le point de départ il y a trente ans. Depuis, l'Italie a développé une politique pour que le loup se diffuse sur toute l'Italie, dans le Parc de la Maiella, en Ombrie, en Toscane, en Lombardie. C'est vrai non seulement pour le loup, mais également pour l'ours et le lynx. Vous avez pratiquement autant, voire plus, d'ours que de loups en Italie. On nous annonce donc l'arrivée prochaine de l'ours dans le Mercantour.

L'Italie a dit qu'elle ne se préoccupait pas de l'élevage car elle achète sa viande aux Français, aux Anglais, aux Allemands etc., mais qu'elle se faisait plaisir à encourager une politique d'expansion du loup, du lynx et de l'ours.

Effectivement, on n'est pas du tout dans les mêmes choix stratégiques de la part des gouvernements français ou italiens.

La vraie question qui se posera après le compte rendu de nos travaux au gouvernement français - celui-là comme ceux qui suivront - est la suivante : devons-nous avoir une politique à l'identique de l'Italie qui encourage ce développement de la faune sauvage dans l'espace rural ou, au contraire, devons-nous continuer à défendre la tradition française d'élevage et d'agriculture en zone rurale ?

Le bon modèle est-il le modèle italien ou le modèle français ?

Mme Corinne LEPAGE : J'entends bien, monsieur le président. Si vous m'autorisez à intervenir à ce stade, même si nous concluons que nous devons rester sur notre modèle, ce qui est  - je pense - votre sentiment ...

M. le Président : Non, je n'exprime pas mon sentiment. Je pose la question. D'ailleurs, notre commission aura plus à poser des questions à ceux qui ont à prendre des décisions qu'à prendre des décisions.

Mme Corinne LEPAGE : Si la réponse à votre question était de maintenir notre modèle, encore faut-il pouvoir le faire juridiquement. C'est une deuxième question.

Je suis plus que dubitative si la réponse est que, pour poursuivre sur notre modèle, nous sommes obligés d'abattre les ours, les loups, les lynx et le reste. Autant, de manière epsilonienne, on peut trouver une solution concrète en cas de problème sur une commune, autant ce n'est pas généralisable.

M. le Président : Je ne parle ni d'élimination ni d'éradication, je parle de gestion.

Nous pouvons gérer une faune sauvage avec laquelle nous sommes peut-être obligés de faire aujourd'hui, en faisant en sorte que ce soit la dominante de l'activité humaine qui demeure dans notre pays.

Mme Corinne LEPAGE : Il reste à savoir comment concrètement on peut le faire.

M. le Président : En utilisant tout ce qui est contenu dans la directive Habitats, dans la Convention de Berne et éventuellement, dans le Code général des collectivités territoriales.

Mme Corinne LEPAGE : Ce n'est pas facile.

M. le Président : Quand vous nous dites que l'Italie a su faire et que nous, nous ne savons pas faire, je vous réponds que l'Italie a choisi un modèle de gestion de la ruralité différent du modèle choisi par la France depuis des décennies. Il appartiendra à ceux qui ont en charge la gestion de notre pays de prendre leurs responsabilités.

M. Jean LASSALLE : J'ai beaucoup apprécié votre exposé, madame la ministre. Je peux le dire aujourd'hui car nos relations n'ont pas été un long fleuve tranquille ! J'ai apprécié également que vous placiez cela sur le plan du fait de civilisation parce que c'est à ce niveau qu'il faut situer le problème qui nous occupe, sinon quelqu'un aurait déjà trouvé des solutions depuis un certain temps.

Sur la discussion qui nous anime et qui, à mon avis, est un des éléments fondamentaux, c'est que l'Italie, et même l'Espagne, n'ont pas du tout eu la même histoire que nous vis-à-vis de leur campagne au cours du siècle dernier. Malheureusement, Franco s'est chargé de les « nettoyer » dans tous les sens du terme. Quant à l'Italie, elle a cessé de s'y intéresser depuis bien longtemps.

Parce que nous avons le troisième territoire d'Europe, nous avons tenu une ligne qui a été beaucoup plus en conformité avec notre histoire, et avec l'histoire de l'Europe d'ailleurs.

Je voudrais vous poser deux questions à la lumière de vos propos car nous avons été impressionnés par votre analyse.

Si vous deviez réintroduire des ours aujourd'hui - car nous nous occupons aussi des ours - dans les Pyrénées Centrales, le feriez-vous comme vous l'avez fait en 1994 et 1995, au vu de ce que vous savez aujourd'hui ?

Sur le reste, - encore une fois comme l'a dit le président, nous aurons peut-être plus de questions à poser que de réponses à apporter - si nous constatons qu'il s'agit d'un fait de société et que ce que nous sommes en train de perdre est peut-être plus important que ce que nous pouvons gagner, ne pensez-vous pas qu'il faudrait revoir le droit ?

On parle toujours du droit, mais le droit, on l'adapte à un choix de société. Or, aujourd'hui, j'ai la conviction que depuis trente ou quarante ans, on a élaboré une politique qui est en train d'éradiquer les hommes de nos campagnes, et pas les ours ou les loups. Finalement en éradiquant les hommes, nous allons également éradiquer les ours et les loups.

Pour moi, le problème vient de la suite que l'on va réserver à la politique agricole commune. Quel choix ferons-nous à ce niveau-là ?

J'ai toujours dit - j'ai toujours été très incompris - que j'étais très opposé à la directive Habitats et que je ne comprenais pas qu'un grand pays comme la France ne s'émeuve pas d'un fait si grave qui va nous couper de toute possibilité d'action. On m'a toujours dit que c'est l'Europe, qu'il faut faire l'Europe. J'appartiens à un parti européen. Depuis deux mois, un sujet autrement plus grave a fait que l'on ne s'est pas trop préoccupé de savoir si c'était grave que l'Angleterre et l'Espagne pensent différemment de la France et de l'Allemagne.

Je suis sûr qu'il y a là un fait de société majeur que l'on refuse de voir par commodité, par facilité. On se disculpe en disant que l'on ne peut plus rien car le droit a tout verrouillé.

A la lumière de votre expérience de ministre et de juriste, ne pensez-vous pas que nous sommes en train de commettre une grave erreur ? Et si tel est le cas, que faudrait-il faire ?

Le ministère de l'environnement ne pourrait-il pas devenir précisément ce ministère de l'impossible, en partant, non pas de la considération urbaine qui, me semble-t-il, l'anime, mais d'une considération beaucoup plus large et respectueuse de ce que fut notre longue histoire à travers les âges ?

Mme Corinne LEPAGE : Monsieur le député, si je répondais à toutes ces questions, vous n'iriez pas déjeuner ! Vous ouvrez là une voie qui mériterait des heures de discussion, tant vos questions sont fondamentales.

Est-ce que je réintroduirai l'ours dans les Pyrénées Centrales ? Je me souviens très bien avoir ouvert le camion où se trouvait Melba, qui ensuite a été tuée par je ne sais qui.

Non, je pense que je ne le referais pas, sauf à encourager ceux qui, localement, auraient envie de le faire. Je pense que cela doit être géré au niveau de la région et du département et non pas imposé par l'Etat.

Sur un plan plus général, je suis assez catastrophée de voir combien, dans notre pays, des questions qui devraient être secondes en matière d'environnement par rapport à d'autres, deviennent tellement passionnelles qu'elles emportent le pas sur tout.

Je renoncerai aujourd'hui à me battre pour défendre mordicus l'ours, alors qu'il me paraît beaucoup plus essentiel de se mobiliser totalement sur d'autres sujets, comme par exemple les polluants persistants dans les sols. Voilà, pour moi, un vrai sujet, même si c'est un tout autre thème que le vôtre. Je suis ravie qu'il y ait un plan sur le cancer. Je regrette beaucoup que, dans le volet Prévention, il n'y ait rien sur ces sujets car cela me paraît diablement majeur. Si j'étais en phase de faire quelque chose, j'aurais diablement plus envie de me battre là-dessus que sur le loup, l'ours ou la chasse.

C'est la manière dont je ressens les choses, car il doit y avoir des priorités. Je n'irais pas me battre si les gens ne veulent pas de loup ou d'ours, et je n'irais pas les réintégrer. Cela ne veut pas dire que je ne me battrais pas pour les protéger une fois qu'ils seront là. C'est une autre affaire. Mais aller en mettre volontairement, c'est-à-dire aller créer un abcès de fixation là où il n'y en avait pas, cela ne me paraît pas franchement indispensable.

Sur votre question plus générale de revoir le droit, celui-ci n'est jamais que la traduction d'un rapport de force à un moment donné et de l'évolution de la société. Le droit doit bien sûr être interpellé, mais au-delà du droit lui-même, c'est le rapport de force au sein d'une société et les tendances dominantes de cette société qui doivent être interpellées.

Autrement dit, la question qui se pose est celle de nos marges de choix, non pas parce que c'est l'Europe ou non. De toute façon, je suis très pro-européenne, catastrophée par ce qui se passe actuellement, mais convaincue qu'il y a pas mal de mauvaise foi de notre part lorsque nous disons que c'est la faute de l'Europe, alors que nous savons tous qu'une directive n'est votée que si les Etats-membres ont donné leur accord.

Or, la directive Habitats, comme celle de 1977, la France les a votées. En outre, la directive de 1977 avait été initiée par Michel d'Ornano ; il s'agissait donc - par-dessus le marché - d'une proposition française !

Jeter l'anathème sur Bruxelles en disant que c'est la Commission européenne qui fait les textes n'est pas sérieux. Ce sont les Etats, c'est nous, c'est notre responsabilité, ce n'est pas celle de la Commission. Il faut être honnête avec nous-mêmes. C'est une première observation.

Votre question est de savoir quelle serait notre possibilité, en l'état actuel des rapports de force, de l'organisation de notre société, non pas de revenir en arrière - parce que l'on ne revient pas sur ses pas - mais de réorienter le paquebot.

Là, ce n'est pas le droit, monsieur le député, qui peut vous donner la réponse à cette question ; le droit ne fera jamais que traduire les évolutions et les demandes de la société au regard des capacités qu'a une puissance moyenne comme la France aujourd'hui, de s'organiser chez elle par rapport à la manière dont les autres pays s'organisent ailleurs. C'est cela le sujet

Par conséquent, le droit n'est qu'un outil. Il ne fait que traduire autre chose, mais il n'est pas lui-même le promoteur de l'évolution. Bien sûr, il peut y avoir des volontés politiques qui font que l'on ira plus dans un sens que dans un autre. Mais si on va dans ce sens-là, c'est parce qu'il y a une demande sociale quelque part qui porte l'évolution, sinon elle ne se fait pas.

Ce n'est peut-être pas la réponse, monsieur le député, que vous attendiez à la question que vous avez posée, mais....

M. Jean LASSALLE : J'en ai entendu de bien pires ! Celle-là a le mérite d'aller dans le sens d'une réflexion.

Mme Corinne LEPAGE : Pour répondre à la dernière question, il est tout à fait probable que l'on ait fait des erreurs. Mais c'est le propre des sociétés humaines d'en faire. Là où cela devient gravissime, c'est quand cela devient irréversible et irréparable. Tant que l'on peut réparer, on perd du temps et de l'argent ; ce n'est pas très grave. Là où cela devient franchement grave, c'est quand les choses sont irréversibles et que l'on ne peut pas réparer les erreurs.

Le domaine dont vous parlez est probablement l'un de ceux où il y a une irréversibilité. C'est vrai. Ce n'est pas pour autant que l'on peut revenir en arrière. Je ne le crois pas.

Le ministère de l'environnement a-t-il une vision urbaine des choses ? J'aurais du mal à vous répondre. En ce qui me concerne, je suis plus une fille de la ville que de la campagne. J'ai déjà probablement une vision déformée par rapport à celle que des gens de la campagne peuvent avoir. Je ne crois pas que l'on puisse dire cela sous cette forme-là.

Je crois que le ministère de l'environnement a avant tout une vision sur le long terme. Je pense que c'est la question du temps qui est déterminante, plus qu'autre chose. C'est là où peut-être le heurt est le plus important : sur le temps, sur la durée et donc sur la conception que se fait la société de la durée. Je ne pense pas que cela soit plus urbain ou plus rural

M. Joel GIRAUD : Mme la ministre, je vous remercie d'avoir posé le débat au plan sociétal car c'est effectivement un problème de société. Tous ces problèmes de prédation sont également le révélateur d'un certain nombre de problèmes plus graves.

En l'espèce, nous avons vu quelques comparaisons avec des pratiques étrangères. Il est toujours de bon ton de dire qu'il y a une exception française, mais il est quelque peu ennuyeux de ne pas s'intéresser aux bonnes pratiques étrangères.

Je sais qu'à Rome la louve a créé une civilisation, ce qui est toujours un a priori plus favorable que dans les pays du Nord où elle a dévoré le dieu Odin, ce qui n'est pas très sympathique.

Cela étant, ne pensez-vous pas que l'arrivée de ces prédateurs aurait pu être l'occasion de mettre le doigt sur les dysfonctionnements d'un certain nombre de pratiques agricoles dans ce pays, et plus particulièrement d'essayer de refonder la filière ovine sur quelque chose qui apporterait plus de plus-value, comme cela est pratiqué dans certains pays, à savoir les problématiques de filières de transformation ?

N'est-ce pas la chose qui a manqué en matière de collaboration ou coopération - je ne sais pas quel est le terme qui convient - avec le ministère de l'agriculture ?

Mme Corinne LEPAGE : La France étant la fille de la Grèce et de l'Italie, on pourrait espérer avoir une vision plus neutre à l'égard du loup, pour aller jusqu'au bout de votre image.

Au-delà de la boutade, votre question appelle deux réponses : l'une de nature structurelle et l'autre de fond.

La réponse de nature structurelle est que, en France, le découpage de la gestion des problèmes est insupportable. On parle beaucoup de réformes de l'Etat. Il m'est arrivé d'en proposer. Je pense que l'on continue à avoir une gestion des problèmes -au risque de choquer les représentants de l'Etat que vous êtes- par clientèle et non pas par problème.

Cela rejoint ma réflexion première lorsque j'ai dit que l'Etat pense avoir réglé tous les problèmes, quand chaque ministère qui représente chaque clientèle a pu s'exprimer. Que ce soit sur les problèmes d'environnement et d'agriculture, de santé et d'environnement - dont je parlais il y a un instant - de sécurité au sens très large du terme, nous avons une vision par compartiment.

Pour en sortir, que fait-on ? On crée des agences, parce que, quand on est confronté à un problème, on est bien obligé de le gérer. Quand on se rend compte que c'est ingérable parce que les ministères sont en « opposition » - pour rester correcte -, on essaie de sortir du problème par le haut et on crée une agence. C'est bien, mais cela ne résout pas le problème puisque les ministères de tutelle gardent leurs fonctionnaires, leurs compétences ; cela multiplie les problèmes, en permettant certes d'en gérer quelques-uns, mais cela ne résout rien globalement.

Pour moi, la vraie réforme de l'Etat est celle qui permettra d'avoir une organisation administrative qui répond aux problèmes d'interface et non pas de clientélisme. Je ne suis pas majoritaire  - je le dis très clairement - et je suis même profondément minoritaire - c'est une habitude - dans ce que je suis en train de vous dire ; mes propos sont un peu rudes, carrés. C'est en tout cas ce que je pense profondément.

Le ministère de l'environnement travaille très mal avec l'agriculture, avec les transports, avec la santé parce que chacun défend sa vision du sujet, alors que l'on devrait avoir une vision transversale. C'est évident sur l'agriculture.

En matière d'agriculture, je pense que la chance que nous avons de sauver notre agriculture, est de la changer profondément. Là encore, je suis minoritaire dans mes propos.

Je crois qu'à terme, il n'est pas de notre intérêt, à aucun point de vue, de continuer sur la voie qui est la nôtre. Simplement, la période du changement sera très rude parce que, là aussi, elle conduira à des modifications profondes dans les pratiques agricoles, dans les relations entre les gens. Et par conséquent, on repousse toujours le moment où il va falloir le faire. A mon âge, j'ai quand même appris que plus on repousse un problème, plus il grossit et plus il est difficile à gérer.

Par conséquent, tout problème que l'on peut utiliser pour essayer de mettre un sujet sur la table, avec les différents interlocuteurs du sujet autour de la table, même si c'est un peu chaud au départ - comme le disait M. le député tout à l'heure- en essayant de comprendre les gens, de les écouter, de les faire se parler entre eux, représente une occasion formidable de gérer autrement les problèmes.

C'est peut-être une réponse qui vous paraît très « près des pâquerettes », mais c'est ainsi que je ressens les choses. Je pense que nous avons de profondes transformations à faire. Nous avons eu une agriculture qui a correspondu en gros, à la deuxième partie du XXème siècle. Nous avons maintenant à faire l'agriculture du XXIème siècle en profitant de cette chance formidable d'avoir un grand pays par rapport aux autres Etats d'Europe. Il est certes petit par rapport à la Russie et aux Etats-Unis, mais il est grand en Europe. Nous avons la chance d'avoir de l'espace, des régions climatiques extrêmement différentes qui permettent donc une grande diversité, d'avoir une culture agronomique absolument exceptionnelle.

On a gâché beaucoup de choses par les modes de développement que l'on a eus depuis vingt-cinq ou trente ans. Il est clair qu'il y aura des révisions déchirantes à faire. Il est très important de maintenir les revenus des gens qui vivent de la terre parce que nous avons besoin de nos campagnes et que la déprise agricole est une catastrophe à tout point de vue : économique, humaine, écologique etc. Par conséquent, la voie est très étroite pour arriver à permettre aux gens de se transformer en maintenant leur niveau de vie. Je crois que le but du jeu est vraiment celui-là, et il faut agir vite parce que nous n'avons pas beaucoup de temps pour le faire.

M. le Président : Merci, Mme la ministre. Ce débat était très enrichissant. Je vous remercie d'y avoir participé avec autant de conviction.

Audition de M. Bernard FOUCAULT,
ingénieur en chef du Génie rural des eaux et forêts,
ancien chargé de la police de l'environnement
à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF)
des Alpes-Maritimes

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1er avril 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Bernard Foucault est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Bernard Foucault prête serment.

M. le Président : Je vous propose pendant cinq à dix minutes de faire un petit propos liminaire sur la connaissance que vous avez de ce dossier et, ensuite, avec M. le rapporteur nous procéderons ensemble à une série de questions/réponses.

M. Bernard FOUCAULT : Au moment des faits, j'étais en poste à la DDAF des Alpes-Maritimes, nommé par arrêté ministériel. J'assumais sous l'autorité du préfet et du directeur de l'agriculture l'ensemble des missions de police de l'environnement telles qu'elles résultent du code forestier, du code rural à l'époque puisque le code de l'environnement n'existait pas.

Ce préliminaire est important puisque j'avais compétence sur l'ensemble de ces dossiers, qu'il s'agisse des feux de forêts, ce qui est aujourd'hui ma tâche au niveau de la zone sud, mais aussi sur tout ce qui est environnement dont la chasse et la faune sauvage sauf, et ce sont les règles de base du fonctionnement des parcs nationaux, en zone centrale du parc où l'Autorité n'est pas le préfet, mais le directeur du parc.

Je crois que ce préliminaire est important dans le jeu de rôles qui a accompagné l'arrivée du loup dans les Alpes-Maritimes.

Je vous ai écrit pour une raison essentielle. On reviendra bien sûr sur ce que je sais sur l'arrivée du loup dans les Alpes-Maritimes. Personnellement, en tant que fonctionnaire, je n'ai jamais accepté, même si je me suis tu pendant 12 ans pour respecter l'obligation de réserve, la thèse imposée à l'époque du retour naturel du loup, alors que cela n'a jamais été démontré.

Par la suite, le débat passionnel l'a emporté avec un certain nombre de dérives et d'effets pervers très préoccupants puisque, aujourd'hui, j'aurais tendance à dire avec beaucoup de recul que l'on ne sait plus tout à fait ce que l'on fait alors que bien des problèmes n'ont pas été réglés.

Pourquoi ai-je souhaité vous adresser cette lettre et vous remercier de lever le devoir de réserve auquel je suis tenu par votre convocation ? Simplement parce que ma première conviction est que votre commission d'enquête au plan national ne peut pas aboutir, dès lors que tout s'est passé en Italie. Seule une commission d'enquête parlementaire européenne pourrait dire ce qui s'est passé à l'époque en Italie.

C'est le premier clignotant que j'ai souhaité allumer : attention dans votre conclusion : nous sommes sur le terrain du droit communautaire, et il m'apparaît que cela doit déboucher sur une requête de l'Etat français auprès de Bruxelles.

La deuxième raison, c'est que selon toute vraisemblance, même s'il faut être très prudent, le loup a effectivement passé « naturellement » la frontière. Les investigations qui ont été conduites, notamment par la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, tendent à souligner qu'il est possible que des manipulations ou des accidents autour des années 1980 aient eu lieu dans la province de Gênes, c'est-à-dire au moment de la ratification de la convention de Berne. A partir de là, le loup s'y serait développé et aurait traversé la frontière, ce qui m'apparaît suffisant pour justifier l'application des réserves prévues par la convention de Berne. Nous avons de nombreux cas d'espèces qui ont été introduites dont on ne s'est plus occupé pendant des années. Par exemple, la tortue de Californie que l'on vendait dans les magasins d'animaux, puis les propriétaires n'en voulaient plus et les ont mises dans les rivières. On s'est rendu compte plusieurs décennies après qu'elles avaient complètement éliminé la cistude d'Europe et étaient devenues des monstres.

Je crois qu'il faut prendre beaucoup de recul vis-à-vis de ces événements et bien mesurer les impacts. L'un des inconvénients de la convention de Berne comme de la convention de Bonn d'ailleurs, c'est qu'elles dispensent les Etats de mesurer l'impact de leurs décisions. Là, il y a quand même quelque chose qui ne va pas et on voit aujourd'hui tous les effets pervers qui en résultent.

Le troisième point sur lequel je souhaitais attirer votre attention, c'est l'ensemble de ces effets pervers que j'ai eu à connaître le temps que je suis resté dans les Alpes-Maritimes pour accompagner la politique de l'époque qui était de permettre le développement du loup. Il faut être clair là dessus.

J'ai refusé de participer ou d'organiser des battues administratives « à la casserole ». On a fait de l'esbroufe à l'époque. On a embarqué les louvetiers et les gardes de l'Office de la chasse dans des agitations dites « battues » où, à l'évidence, rien ne pouvait se passer, mais il fallait calmer les esprits. De la même manière, après quelques exactions on a fait descendre de je ne sais où en France des gardes de l'Office national de la chasse qui étaient là pour bien montrer qu'il y avait des limites et qu'il ne fallait pas que les bergers fassent n'importe quoi.

Tout cela est quand même quelque part prendre pour des imbéciles les professionnels de la chasse et de la faune sauvage. Par respect pour eux, je ne l'ai jamais accepté et j'ai refusé, c'est clair, sous le couvert de mes fonctions, de me prêter à ces petits jeux.

Par ailleurs, il y avait un certain nombre de dossiers latents qui sont tombés à l'eau à cette époque-là. Par exemple, il y avait dans les Alpes-de-Haute-Provence un arrêté d'éradication des chiens errants. Je m'apprêtais à faire la même chose après un an de consultations. Il est évident qu'à partir du moment où le loup est venu, on ne pouvait plus le prendre. Là, je dis que le loup a bon dos, puisque les 300 à 400 brebis qui sont tuées chaque année par les chiens errants dans les Alpes-Maritimes, que dans les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence, continuent d'être tuées, non pas par le loup, mais par les chiens errants.

Parmi les autres effets pervers, c'est la tentation, sous la pression de l'opinion et des débats, de réintroduire massivement, sans véritable étude d'impact, un certain nombre de grands ongulés, tel est le cas du cerf élaphe qui nous pose beaucoup de soucis, à nous forestiers. Chaque fois qu'en haute montagne on a des concentrations de cerfs élaphes importantes, c'est la ruine de l'exploitation forestière.

Quand on sait ce que représentent les ventes de bois pour un certain nombre de communes de haute montagne, (c'est leur ressource principale en fonds propres), il faut savoir aussi ce que l'on fait, alors qu'il y a d'autres solutions.

Je souligne bien, et je pourrais multiplier un certain nombre de ces exemples, l'importance des effets pervers qui sont liés au non-règlement des problèmes posés par le loup dont le plus important est la pression catastrophique qu'il exerce sur l'élevage des ovins dans nos montagnes.

Sur ce point, j'ai regardé avec attention ce qui avait changé dans la loi Voynet. Contrairement à ce que je vous écrivais : l'effarouchement à l'encontre des bêtes fauves et des bêtes féroces subsiste, à ceci près que le propriétaire privé n'a pas le droit de tirer. Donc, si l'on prend l'évolution des textes depuis dix ans, le seul mot qui a disparu de cette législation c'est le mot « loup ». C'est vrai que c'était un peu gênant pour ceux qui souhaitaient le protéger.

M. le Président : ... Excusez-moi, qu'entendez-vous par législation Voynet ?

M. Bernard FOUCAULT : Je parle de la loi chasse qui a modifié un certain nombre de choses, en particulier sur les bêtes fauves et les bêtes féroces, alors qu'avant les préfets et les maires pouvaient régler un certain nombre de problèmes ponctuels.

De fait, on est dans le scénario où l'on affiche la possibilité de battues administratives avec les moyens autorisés, c'est-à-dire pas le tir, puisque ce sont des arrêtés qui précisent les modalités de gestion de chacune des espèces. On ne tire pas sur le loup. Quant aux privés, ils n'ont aucun moyen.

M. le Président : De quoi cela découle-t-il ? D'une circulaire ou de la loi ?

M. Bernard FOUCAULT : Ce sont des modifications de l'article du code rural qui sont très récentes.

M. le Président : Si vous pouviez nous préciser la référence de votre texte, car je n'ai jamais entendu parler de cela. C'est un point important.

M. Bernard FOUCAULT : C'est un point important. J'estime aujourd'hui que l'on n'a pas mis en place effectivement les moyens de gérer le loup. Il y avait ces outils-là. Je retrouverai les références et je pourrai vous l'envoyer.

M. le Président : Il y a le code général des collectivités territoriales qui autorise les communes à exercer leur pouvoir de police. D'ailleurs le Conseil d'Etat, en décembre 2000, en matière de loup, reconnaît aux communes le droit d'utiliser ces dispositions du code collectivités territoriales.

M. Bernard FOUCAULT : Sauf qu'elles ne peuvent pas faire tirer sur les loups.

M. le Président : Toutefois, en mai 2001, Mme Voynet prend un décret qui exclut le loup, l'ours et le lynx de la liste des animaux pouvant faire l'objet de ces actions d'élimination. C'est la seule chose dont on disposait jusqu'alors et je suis surpris que vous fassiez référence à la loi chasse parce que je n'y avais jamais rien trouvé alors que j'ai participé au débat sur la loi chasse...

M. Bernard FOUCAULT : Je fais référence à deux articles - que je vous enverrai avec d'autres documents - du code rural qui sont fort anciens et que l'on utilisait toujours quand il y avait à éliminer ponctuellement une bête. Il faut savoir que la présence d'une bête féroce peut justifier la légitime défense. Ce n'est peut-être pas la loi chasse, je me suis peut-être trompé.

Il faut savoir qu'un moineau peut être une bête féroce. Là, de fait, cela est passé inaperçu. En faisant sauter ces outils juridiques de derniers recours à la disposition des particuliers et des maires, il est clair que les moyens de pouvoir éliminer ou retirer un loup n'existent pas aujourd'hui, alors qu'ils existaient jusqu'à ce que ces textes soient rapportés. Je suis un professionnel de la chasse et je dis qu'il faut arrêter de se moquer du monde. Il faut regarder de très près les moyens réels mis à la disposition des élus locaux ou des particuliers qui vont voir arriver un loup dans leur bergerie. Actuellement, je dis qu'il n'y a pas de véritable outil permettant de réagir. C'est grave.

Ma conclusion est simple. Après tout, le loup ne me gêne pas, à condition que cette espèce soit gérée comme les autres, c'est-à-dire protégée lorsque c'est nécessaire et régulée quand c'est indispensable. Il n'y a pas de raison d'appliquer au loup, à l'ours, au lynx, aux prédateurs, d'autres dispositions que celles qui permettent de gérer normalement la faune sauvage, à ceci près qu'il existe des zones sous statut de protection très stricte, (ce sont les zones centrales des parcs nationaux), même si sur le dossier du loup cela ne règle rien. On sait bien que c'est là que se trouve l'essentiel des zones d'alpage.

Il faut revenir à des choses assez basiques, un peu occultées depuis une dizaine d'années, c'est le pouvoir respectif des représentants de l'Etat : c'est-à-dire le directeur des parcs en zone centrale et ailleurs, le préfet. Il faut éviter ce qui s'est passé depuis l'arrivée du loup, c'est-à-dire d'entretenir la confusion des rôles.

Dans les zones centrales des parcs où le loup pourrait être strictement protégé et où, incontestablement, la prolifération des ongulés sauvages pose aussi de sérieux problèmes, le directeur du parc, et non pas le préfet, doit être le seul responsable. Ailleurs, le préfet gère le loup parmi d'autres espèces dans les conditions de gestion normale des espèces sauvages. De grâce, arrêtons la confusion des rôles dont j'ai eu à souffrir. J'estime tout à fait anormal que les DDAF et les préfets qui avaient pieds et poings liés gèrent l'ensemble des primes et des indemnités alors qu'ils n'ont rien à faire a priori de ces affaires-là en zone centrale des parcs. On a bien compris que cela avait permis aux parcs, qui étaient demandeurs de cette situation, et à d'autres, (toutes les sphères écologistes), de faire la sourde oreille car ils n'étaient pas impliqués dans la gestion au quotidien des embêtements que provoquait le loup.

Je pense que la sortie d'un tel dossier ne peut pas se faire en prévoyant l'éradication du loup. Je crois que ce serait aller dans le mur. Il faut sortir par le haut. Mon souhait est que, dans les mesures que vous êtes susceptibles de proposer au gouvernement, on mette en place ce zonage avec de vrais moyens de le gérer, y compris la restauration du pouvoir du particulier de tirer sur le loup s'il vient croquer une brebis dans son troupeau. J'insiste bien sur l'exigence de sortir par le haut.

M. le Président : Nous en sommes bien conscients.

M. Bernard FOUCAULT : Je ne crois pas à l'introduction volontaire du loup, il faudrait vraiment un miracle, une révélation posthume. Il n'y a pas besoin de cela. On savait que le loup était aux portes.

M. le Président : Pour vous, le loup a-t-il été introduit ou est-il revenu naturellement ?

M. Bernard FOUCAULT : L'hypothèse la plus probable est un passage naturel de frontière.

M. le Président : Pour vous, c'est un passage de frontière.

M. Bernard FOUCAULT : Passage naturel de frontière. Je ne dis pas revenu naturellement.

M. le Président : C'est-à-dire que l'on a pu le jeter à Vintimille pour lui faire passer la frontière à Breil.

M. Bernard FOUCAULT : S'il a été introduit dans les années 1980 dans la province de Gênes, cela pourrait être le cas, mais nous n'en savons rien.

M. le Président : D'où l'idée de demander une enquête à Bruxelles.

J'évoquais ce matin la nécessité de mettre en évidence cette pression qui a été faite sur l'Italie par les réseaux environnementaux. Donc, il est vrai qu'il faut distinguer pour l'application de la convention de Berne selon qu'il s'agit d'un vrai retour naturel ou d'une introduction, qu'elle ait eu lieu en Italie ou en France. Ce qui reste pour nous une vraie question. Dans les documents qui nous ont été communiqués ce matin par l'ambassade, pour ce que j'en ai lu, on nous confirme une seule chose c'est qu'entre Gênes et Vintimille les seules traces qu'on ait trouvées avant 1994 ou 1995 du loup dans la province d'Imperia, sont deux carcasses de loups morts, et aucune trace de prédation.

Qui vous donnait des instructions lorsque vous nous dites : on nous demandait de nous agiter un peu et de faire semblant de le chasser, de le poursuivre, de l'effrayer, de l'effaroucher, etc. ?

M. Bernard FOUCAULT : A vrai dire, personnellement, quand j'ai dit non au bout d'un an, quelque temps après la mort d'un loup réceptionné par le laboratoire de Sophia-Antipolis, je n'ai plus eu accès à l'information. Cela se passait entre le ministère de l'environnement, le préfet, le directeur de l'agriculture et le directeur du parc. Cela se passait dans une sphère très étroite. A ce moment-là, je n'ai plus eu accès à l'information.

M. le Président : Quand on vous donnait instruction d'organiser des simulacres de battues ou d'effarouchement, c'est cette petite cellule qui prenait la décision ?

M. Bernard FOUCAULT : Comment se décide une battue administrative ? Il faut un problème. On en a fait pas mal sur la Côte d'Azur sur le sanglier. Très souvent, il y a une relation entre la fédération des chasseurs, les louvetiers, la garderie de l'Office de la chasse, et l'autorité technique et les acteurs locaux :on voit ce qu'il est possible de faire ou non.

J'ai utilisé la battue d'effarouchement pour calmer les esprits, notamment dans le vallon de Magnan à Nice où l'on tirait un peu à vue sur le sanglier. Cela se passe ainsi dans la pratique. Il y a une évaluation in situ et ensuite fatalement un papier. Pour le sanglier, la DDAF préparait un arrêté préfectoral. J'imagine que pour le loup, après les attaques qui ont eu lieu en Vésubie ou en Tinée, cela a été le même scénario. Quelqu'un dit qu'il y a opportunité, on prend un contact rapide avec les acteurs locaux pour évaluer si cela est nécessaire ou pas ; ensuite, on décide.

M. le Président : Vous nous parlez des effets pervers sur les chiens errants, c'est quelque chose qui m'avait un peu échappé dans notre enquête. Le fait que le loup soit installé a conduit à l'interdiction de tirer sur les chiens errants ? Est-ce cela ?

M. Bernard FOUCAULT : Il y avait un précédent à Digne. Il y a eu beaucoup de pertes il y a une dizaine d'années. Je ne dirai pas que l'arrêté préfectoral était très légal, mais il existait. Effet surprenant, du jour au lendemain, les dégâts dus aux chiens se sont arrêtés parce que les gens faisaient attention et gardaient mieux leurs chiens chez eux.

On a eu dans les Alpes-Maritimes au moment où j'y étais des attaques de chiens errants reconnues : des pertes directes - de la prédation - ; des pertes indirectes, c'est-à-dire des troupeaux effarouchés, (c'est bien connu en montagne qu'ils sautent les barres, avec la difficulté que cela suppose d'aller rechercher 200 ou 300 animaux en hélicoptère). On savait par les chasseurs que, tous les ans, à la période des grandes vacances, un certain nombre de citadins peu délicats qui voulaient se débarrasser de leurs chiens les envoyaient sur le Cheiron ou ailleurs. Il fallait que l'on réagisse car cela commençait à poser de sérieux problèmes.

Pendant un an, j'ai engagé des consultations, y compris auprès du parc national où cela posait également des problèmes. Tout le monde était d'accord. A partir du moment où le loup était arrivé il n'était plus question de prendre un arrêté à l'encontre de ces chiens. Il est clair que le dossier chiens errants subsiste aujourd'hui.

M. le Président : Vous dites qu'avant l'arrivée du loup il y avait un arrêté pour éliminer les chiens errants et que lorsque le loup est arrivé on a mis un terme aux arrêtés d'élimination des chiens errants ?

M. Bernard FOUCAULT : En clair, cela veut dire que les attaques de chiens sur les brebis sont toujours aussi importantes mais qu'elles sont indemnisées comme si c'étaient des attaques de loups. Je dis que le loup a bon dos et les finances publiques aussi.

M. le Rapporteur : Les analyses d'ADN sont obligatoires.

M. Bernard FOUCAULT : Il y a un gros dossier à ouvrir. J'étais effaré, lorsque le loup est arrivé, de l'absence de connaissance sur les loups et demi-loups des élevages privés. Aujourd'hui, êtes-vous en mesure de savoir, vous, députés, combien il y a de loups et demi-loups chez les particuliers en France ?

M. le Président : Oui. On y a travaillé.

M. Bernard FOUCAULT : A l'époque, on ne le savait pas.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de la réintroduction des ongulés dans le parc du Mercantour. Si j'ai bien compris, on aurait réintroduit tous ces ongulés pour nourrir le loup puisque cela correspond à l'arrivée du loup.

M. Bernard FOUCAULT : Historiquement, c'est le livre que je vous ai remis et que M. Estrosi doit connaître, la grande faune présente aujourd'hui dans les Alpes du Sud et dans les Alpes du Nord, à l'exception du chamois, et du bouquetin dans le Grand Paradis italien, a fait l'objet de réintroductions. Le mouflon, le cerf élaphe, le chevreuil, le bouquetin ont été réintroduits. Il faut bien voir que la grande faune avait totalement disparu, ce qui explique aussi que l'ours, le lynx et le loup avaient aussi disparu. On a géré la chasse depuis la guerre de 39-45 à partir de ces réintroductions dont la plus grande partie a été faite dans les années 1950. C'est vrai aussi bien dans les Alpes-Maritimes que dans les Alpes-de-Haute-Provence.

M. le Président : Toutes les espèces d'ongulés que nous avons aujourd'hui et autour desquels ont été constitués les parcs nationaux ont été introduites par les fédérations de chasse. Le parc national du Mercantour, créé en 1977, l'a été sur la base de la réserve de chasse du Mercantour. C'était une réserve de chasse où à partir des années 1950-1960 les deux fédérations départementales des Alpes-de-Haute-Provence et des Alpes-Maritimes et leurs sociétés de chasse ont introduit un certain nombre d'espèces et, quand l'Etat français a vu la richesse faunistique à laquelle tout cela aboutissait, il a décidé de créer un parc national. Donc, ce n'est pas le parc national qui a créé cet équilibre de la faune, ce sont les chasseurs sur lesquels le parc national est venu se greffer. Pouvez-vous me confirmer cela ?

M. Bernard FOUCAULT : Cela a été le cas aussi dans toutes les Alpes du Nord. Toutes les grandes réserves alpines ont été constituées autour de réserves de chasse et de faune sauvage.

Avec l'arrivée du loup, on a essayé de réfléchir sous la pression à la façon dont on pouvait rééquilibrer les impacts du loup sur la faune sauvage et sur les troupeaux domestiques. En Vésubie, on a constaté en trois ou quatre ans la quasi-disparition de la population de mouflons. Je ne sais même plus combien il en reste aujourd'hui. On voulait limiter à 300 la population de mouflons qui étaient génétiquement très affaiblie pour permettre le développement du chamois. Le loup est arrivé, il avait son garde-manger et très vite il l'a éradiqué, ce qui était une bonne chose. Ce mouflon a été braconné, dès le départ, les caractéristiques génétiques étaient complètement dégradées et cela était indigne de la chasse et de la faune sauvage. Il n'empêche que le loup avait son garde-manger.

Une réflexion a été engagée au moment de mon départ pour savoir comment on allait enrichir le biotope. Un des effets pervers, et je peste à ce sujet, est que les chasseurs avaient quelque part intérêt à ce qu'on relâche du grand gibier. Dans les Alpes-Maritimes, avant qu'une telle option soit prise, il y avait déjà un programme assez lourd de réintroduction de chevreuils dans toutes les hautes vallées, qui n'avait rien à voir avec le loup. Le Président Baudin avait engagé avant le retour du loup pour une finalité purement cynégétique de très gros programmes de relâchers de chevreuils qui commencent à être au plan de chasse dans les hautes vallées. La question centrale de ces réintroductions dans les Alpes-Maritimes - c'est moins vrai dans les Alpes de Haute Provence un peu plus pauvres et où l'on pourrait peut-être faire d'autres lâchers - est la question du cerf élaphe qui est une bête à problème.

Il ne faut pas oublier, à titre indicatif que l'essor du brûlage dirigé dans les Alpes du Sud est lié à un conflit historique entre la chasse et le pastoralisme que j'ai dû régler à Nice dès mon arrivée sur le Col de Vence ; on a trouvé une centaine de cerfs tués par balles : cerfs, fans et biches qui étaient en train de pourrir et personne n'était plus crédible ni l'Etat, ni les communes, ni les chasseurs, ni personne. Ceci montre bien la sévérité des conflits pour la consommation de la ressource hivernale.

On sait que le cerf en haute montagne dans les zones de forêts de production est quelque chose de grave, car on n'a même pas la possibilité, vu la pente, de mettre des clôtures de protection. C'est une économie montagnarde qui peut très rapidement être anéantie.

M. le Rapporteur : Est-ce que les associations de défense de l'environnement étaient très présentes en 1992 ? Sentiez-vous leur poids peser sur l'arrivée du loup ? Intervenaient-elles directement auprès des pouvoirs publics ? Y avait-il des lobbies ?

M. Bernard FOUCAULT : Je n'ai jamais eu de conflit avec les acteurs départementaux de ces associations. Je crois qu'il faut bien comprendre que cela ne se passe pas à ce niveau-là.

Je vais vous donner quelques points de repères. J'ai eu à gérer des contentieux administratifs assez lourds dans la vallée de la Roya. Après un feu, (réalisation d'une piste DFCI), j'ai eu tous les écologistes sur le dos et je me suis trouvé seul à défendre un acte public par-devant le tribunal administratif de Nice. Je me suis rendu compte que, derrière tout cela, il y avait, certes, l'influence du parc national, mais aussi des personnes qui dépassaient le cadre de leur mission. Les associations internationales en tout genre s'en mêlaient aussi et multipliaient les interventions écrites et les contentieux.

Ces sphères d'influence utilisent volontiers le contentieux administratif en déposant des recours qui sont construits par des juristes de très haut niveau, dont on ne voit jamais le visage. Derrière se greffent le ROC, l'ASPAS, etc., et tout se passe en procédure écrite. On aboutit ainsi à des décisions du juge administratif totalement déconnectées de la réalité. On se demande comment c'est possible de se retrouver si loin des faits. Il y a un écart qui s'est creusé de par ce type de fonctionnement entre le factuel que constate un maire, un préfet, un acteur de l'exécutif d'Etat ou des collectivités locales, et la décision du juge.

Ainsi a t'on été accusés d'interrompre le cycle de reproduction de l'aigle royal ou de diverses autres bêtes ou petites plantes. J'ai eu droit à tout cela , et cela marchait en droit administratif. Il a fallu que je produise des photos pour démontrer qu'il n'y avait pas d'impact négatif sur l'environnement. Il est clair que ce petit jeu est très énervant car il use. Vu le revolving des fonctionnaires, il est bien rare que sur la durée les associations ne gagnent pas.

Je suis très amer face à la manipulation des procédures telles qu'elles sont faites car cela éloigne du factuel. Je me suis battu et j'ai pu gagner au prix de trois ans de procédure. J'ai donc voulu souligner la manière dont se formaient les contentieux à l'initiative de ces sphères écologistes dont on ne voit jamais le visage.

M. le Président : Le contenu de cette procédure est-il communicable ou pas ?

M. Bernard FOUCAULT : Oui, mais je ne peux pas vous la communiquer puisque c'est un jugement rendu.

M. le Président : C'est donc à la Préfecture des Alpes-Maritimes ?

M. Bernard FOUCAULT : Oui. Il est important de voir comment cela se forme.

M. le Président : Et, au cours de ces trois ans de procédure, avez-vous pu mesurer quelles étaient les sources de financement qui permettaient de faire appel à tous ces juristes ?

M. Bernard FOUCAULT : Non. Un autre contentieux célèbre que vous avez eu à connaître est celui de la chasse aux oiseaux d'eau. Des rapports sont faits une fois pour toutes et envoyés par les associations de manière tournante à toutes les juridictions administratives. Ils vont attaquer une fois le département du Var ou du Finistère ; l'année suivante, ils vont changer de département. Il y a tout un aspect tactique derrière, mais c'est le même rapport qui est utilisé. Ensuite, ils vont faire monter derrière un certain nombre d'autres associations d'intérêt local. J'ai eu affaire à ces lobbies et on va les retrouver à Bruxelles, mais là je ne sais pas comment ils fonctionnent.

M. le Rapporteur : Avez-vous connu des gardes du parc ?

M. Bernard FOUCAULT : Oui, j'en connais encore.

M. le Rapporteur : Ces gardes sont-ils vraiment indépendants ou n'appartiennent-ils pas à des associations écologistes ?

M. Bernard FOUCAULT : Vous me posez une question embarrassante car je pense qu'un certain nombre d'entre eux ont des engagements personnels dans des associations. Cela étant, j'ai eu peu affaire avec les gardes du parc, j'ai eu davantage affaire avec la direction et le service technique et scientifique.

M. le Rapporteur : Qui était directeur ?

M. Bernard FOUCAULT : Au moment où cela est arrivé, c'était Denis Grandjean ; ensuite, Marie-Odile Guth est arrivée.

M le Rapporteur : Avez-vous eu connaissance de cette lettre du 14 avril 1992 que M. Grandjean avait écrite pour indiquer qu'il faisait état de l'arrivée prochaine du loup ?

M. Bernard FOUCAULT : On en parlait entre nous. Quand je suis arrivé là-bas, on avait des contacts transfrontaliers avec les camarades italiens qui s'occupaient de la chasse et de la faune sauvage. Entre nous, on se disait que le loup pouvait très bien arriver naturellement en passant la frontière. On sait très bien qu'il s'est passé un certain nombre de choses dans la province de Gênes dans les années 1980. Ils sont très pudiques à ce sujet.

Mais quand il est arrivé dans les Alpes-Maritimes, personne n'était prêt à gérer le loup. Lorsqu'on n'a pas la preuve irréfutable on vous prend pour un imbécile. Si j'avais dit : attention, le loup arrive dans un an ou deux ans, on m'aurait ri au nez. Le préfet ne pouvait pas dire cela, ni la DDAF, ni un directeur de parc. Il est clair qu'il y a un faisceau de présomptions suffisamment lourd pour dire que l'hypothèse la plus probable, c'est un passage naturel de frontière. Vous voyez bien le soin que j'affiche derrière ces mots : passage naturel de frontière. Cela ne préjuge jamais de la manière dont le loup est effectivement venu des Abruzzes dans le Mercantour. Il faut le démontrer, c'est de l'intérêt de tout le monde, ne serait-ce que pour arrêter la guerre de cent ans sur le loup. C'est dans l'intérêt de tout le monde de savoir ce qui s'est passé.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Michel BARNIER,
ministre de l'environnement de mars 1993 à mai 1995

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1er avril 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Michel Barnier est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le Président, M. Michel Barnier prête serment.

M. le Président : Monsieur le Ministre, je rappelle que vous avez été en charge de l'environnement de 1993 à 1995. C'est à ce titre que nous vous entendons comme nous le ferons avec vos successeurs. Souhaitez-vous commencer par un propos liminaire sur ce dossier difficile ?

M. Michel BARNIER : Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de retrouver cette salle que je connais bien et cette commission d'enquête qui évoque un sujet important. Je suis prêt à répondre à vos questions et à vous dire aussi au-delà de mes anciennes fonctions ce qui peut être trouvé dans les politiques européennes pour aider à trouver une solution intelligente à cette question.

Le loup n'était pas vraiment une menace réelle pendant les deux années où j'ai animé le ministère de l'environnement, de 1993 à 1995. Cette période a été davantage un moment de prise de conscience du phénomène. Je rappelle, et vous l'avez-vous même bien diagnostiqué dans vos travaux, me semble-t-il, que les premiers loups ont été détectés en 1992 dans le Mercantour, quelques mois avant que je ne prenne mes fonctions au printemps 1993.

A l'époque, s'est posée une question qui se pose aujourd'hui, et qui n'en est probablement pas une, qui était de savoir si la réintroduction du loup dans les Alpes françaises était de nature ou d'origine naturelle ou volontaire. On sait, me semble-t-il, désormais, avec certitude que les loups que l'on a rencontrés ou qui ont sévi dans les Alpes étaient originaires des Abruzzes. A l'époque, dans cette période de prise de conscience du phénomène, j'ai pris deux mesures que je veux rappeler. La première a été la mise en place d'une cellule d'observation, d'étude des comportements et d'évaluation des dangers ; la seconde mesure a été l'arrêté ministériel de classement comme espèce protégée en 1994, en application directe et obligatoire de la convention de Berne de 1979.

Objectivement et autant que je m'en souvienne, le loup est resté  - j'emploie ce mot avec précaution- comme une sorte d'épiphénomène pendant ces deux années-là. Voilà le souvenir que j'ai et celui de mes collaborateurs.

Il n'empêche que - ce qui m'a été rappelé- les Alpes maritimes qui étaient concernées en avaient détecté une meute de trois ou quatre bêtes qui avait conduit le président et la Chambre d'agriculture à une certaine vigilance dès cette époque qui a été notée et dont on se souvient.

J'ai eu, et cela vous intéressera peut-être davantage que le loup, à m'occuper personnellement de la question de l'ours. Si l'on fait du benchmarking, comme on dit en patois savoyard entre ces grandes espèces, cette expérience et les actions que j'ai conduites autour de la protection de l'ours et de l'acceptabilité de l'ours dans la zone des Pyrénées par rapport aux problèmes que vous avez à traiter dans cette commission peuvent vous intéresser.

M. le Président : Monsieur le Ministre, le problème pour nous est le suivant. Au cours de nos travaux, il a été vérifié que, dès 1992, et avant que dans les Alpes françaises ne soit reconnu comme officiellement réapparu le loup, la direction de la nature et de l'environnement, au ministère de l'environnement et la direction du parc du Mercantour ont engagé des démarches destinées à anticiper l'arrivée du loup comme s'ils savaient que trois, quatre, cinq, six mois plus tard, le loup serait là. Ce sont des pièces administratives authentiques que notre commission d'enquête a obtenues au cours de ces investigations qui ont permis de le déterminer, et les auteurs de ces documents, aussi bien au ministère de l'environnement qu'à la direction du parc du Mercantour que nous avons auditionnés, ont reconnu les faits, tout en maintenant la thèse selon laquelle le loup serait revenu naturellement d'Italie.

Un certain nombre de doutes subsistent. Les documents qui nous ont été fournis par l'Italie ne font pas la démonstration qu'à la frontière même des Alpes il y ait eu des loups à cette période-là. Par ailleurs, il y a des doutes émis sur l'introduction même en Italie, c'est-à-dire que l'on ne doute pas qu'il y ait eu des loups dans les Abruzzes, dans le parc du Grand Sasso, de la Mayol, etc. Mais du côté de Gênes, de la province d'Imperia, etc., nous ne sommes pas certains, que les loups soient venus naturellement de ces zones d'Italie. Ceci signifierait que, s'ils ont été introduits sur ce territoire-là, les loups qui seraient arrivés chez nous ne seraient pas des loups venus naturellement mais issus déjà d'une introduction artificielle dans cette partie italienne. Il se trouve qu'au moment où vous étiez ministre, l'administration du ministère de l'environnement a reconnu officiellement que, depuis 1992, on savait qu'il y avait des loups mais qu'on l'avait occulté.

Je dirai que votre prédécesseur a été en charge du ministère au moment où le loup est censé être apparu dans les Alpes et que vous êtes arrivé au moment où l'on a reconnu cette apparition, ce qui est tout à votre honneur d'ailleurs, puisque c'est en avril 1993, que le ministère de l'environnement dit qu'il y a des loups depuis 1992, alors qu'auparavant on nous disait qu'il n'y en avait pas.

C'est pourquoi nous avons des doutes importants sur les conditions du retour, lesquelles conditionnent aussi l'application de la convention de Berne elle-même, voire même de la directive Habitats, puisque je dois vous rappeler aussi, mais vous ne l'ignorez pas en tant que Commissaire européen, la directive Habitats a été ratifiée fin 1992 par le Parlement français et qu'elle est devenue applicable en 1994. Donc, en 1992 et 1993, le loup n'était pas encore protégé dans notre pays par l'application de la directive Habitats.

Peut-être qu'en tant que Commissaire européen, puisque nous avons la chance de vous avoir, même si ce n'est pas à ce titre que l'on vous a convié aujourd'hui, pourriez-vous nous dire, au moment où nous devons faire des propositions sur l'avenir du pastoralisme dans notre massif, et aussi en tant qu'ancien Président de Conseil général d'un département qui a été lourdement traumatisé ces dernières années par le loup, qui depuis les Alpes maritimes n'a cessé de prospérer vers les Alpes de Haute Provence, les Hautes-Alpes, l'Isère et les Deux Savoie...

M. Michel BARNIER : La Savoie. Les deux départements de la Savoie.

M. le Président : ... Vous avez raison, les deux départements de la Savoie. On pourrait même parler du duché de Savoie et du Comté de Nice !

Pouvez-vous nous dire comment vous concevriez que les directives européennes puissent être aujourd'hui interprétées au mieux des intérêts de chacun pour préserver le pastoralisme ovin extensif, qui est le plus concerné par la présence et l'arrivée du grand prédateur et en même temps préserver une espèce qui est loin d'être en voie de disparition. En effet, personne et en tout cas aucun des scientifiques que nous avons rencontré ne nous a indiqué que le loup, et le loup d'origine des Abruzzes, voyait son espèce et son avenir menacés.

M. Michel BARNIER : Au titre de la Commission européenne, peut-être serait-il utile, mais vous n'en avez plus le temps, que vous rencontriez ma collègue, qui est chargée des questions de l'environnement. Je vais aborder cette question avec beaucoup de précaution. Je me suis fait communiquer quelques éléments sur la nature des projets communautaires relatifs au loup. Il m'a été indiqué que plusieurs programmes de réintroduction dans les Alpes ont été accompagnés en 1996/2000 et en 1999/2004 sur le territoire européen. Peut-être pourrait-elle vous apporter plus d'informations à ce sujet. Les directives européennes ont été signées quand elles n'ont pas été suscitées ou voulues par la France. Donc, elles s'appliquent aujourd'hui après avoir été introduites dans le droit national. La Commission, au titre du programme LIFE, est plutôt dans une phase d'accompagnement des initiatives nationales ou régionales prises dans ce domaine. Pour la surveillance des troupeaux, pour la mise en place de formation de berger, de chien de garde, de construction d'enclos, d'indemnisation des dommages, ce sont des choses assez traditionnelles. Je n'ai pas d'autres indications plus utiles pour vous. Peut-être pourrais-je demander à la commissaire en charge de l'environnement, si vous le souhaitez, de vous faire une note avant la fin de vos travaux sur ce que fait concrètement la Commission européenne dans ce domaine.

M. le Président : Une question de confiance. Lorsque vous étiez ministre, vous nous l'avez dit vous-même, le phénomène du loup était un phénomène qui n'était pas très évident, et ne paraissait pas poser un problème réel. Cependant, de toute évidence pour nous, il y a eu un lobby pour que le loup puisse s'installer durablement, se pérenniser, se développer avec les conséquences que l'on connaît sur l'élevage et sur le pastoralisme.

L'administration du ministère de l'environnement, que ce soit à travers son parc national ou ses parcs nationaux, et la direction de la nature et des paysages, ont joué un rôle clé. Ils ont concentré énormément d'efforts. Ils se sont dits : on a deux loups qui viennent d'être aperçus. C'est un miracle, c'est formidable. Comment tout mettre en œuvre pour pouvoir assurer leur pérennisation ? C'est à partir de cette période-là que des politiques ont été mises en œuvre pour s'assurer de cette pérennisation dont il résulte maintenant que des meutes ont conquis tous les territoires du massif des Alpes.

La question de confiance à laquelle vous pouvez me répondre par oui ou par non est la suivante : est-ce qu'un seul instant entre 1993 et 1995 un haut fonctionnaire de votre administration qui pouvait avoir en charge ces affaires est venu vous demander des instructions très précises sur les politiques publiques à conduire pour ce développement ou non ?

M. Michel BARNIER : J'ai dit tout à l'heure que pendant les deux ans où j'ai été ministre, nous avions mis en place, d'une part, l'arrêté ministériel de classement, qui était obligatoire, d'autre part, la cellule d'observation -c'est un début de politique publique- sur les comportements de ces animaux et l'évaluation des dangers qu'ils représentent pour d'autres animaux et pour le pastoralisme, auquel je tiens beaucoup. Cette cellule d'observation a été mise en place un an après qu'on ait découvert les premiers loups dans le Mercantour et que le phénomène ait été reconnu, comme vous l'avez dit, en avril 1993, c'est-à-dire quelques semaines après que je sois arrivé. Elle s'est faite dans le cadre d'une politique de transparence à laquelle je tenais à cette époque et à laquelle je tiens toujours. La mise en place d'une cellule d'observation peut être considérée comme un début de politique publique.

M. le Rapporteur : Monsieur le Ministre, vous avez dit que vous vous étiez occupé de la réintroduction des ours dans les Pyrénées, pensez-vous, puisque nos deux collègues Jean Lassalle et Augustin Bonrepaux directement concernés sont présents, que cette réintroduction fut une bonne idée ? Pensez-vous qu'il serait nécessaire d'aller encore plus loin ?

M. Michel BARNIER : Avant de répondre à cette question, d'abord une remarque : le problème de la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées, où se trouvent les derniers ours qui ne sont d'ailleurs plus seulement des ours pyrénéens aujourd'hui - je parle sous le contrôle de Jean Lassalle - faisait l'objet de deux problèmes de nature différente selon l'endroit des Pyrénées où l'on se trouvait. Il y avait une situation extrêmement conflictuelle dans les Pyrénées-Atlantiques, une situation différente de celle du loup, liée à un programme souhaité par les élus locaux, dans les Pyrénées centrales, les Hautes-Pyrénées, en particulier autant que je m'en souvienne à Meyles où les élus locaux avaient eux-mêmes souhaité cette réintroduction. Nous avons abordé ces deux questions de manière différente parce qu'elles l'étaient.

Je me suis personnellement beaucoup plus impliqué dans la question des Pyrénées-Atlantiques parce que je l'ai trouvée symbolique d'une forme de démission de l'Etat qui, pour moi, était inacceptable. J'ai d'ailleurs constaté cette forme de démission pour d'autres grands sujets d'aménagement ou de ménagement du territoire. Je pense que l'Etat devait retrouver sa place, sa respectabilité et l'écoute comme arbitre dans une région où il n'y avait plus de confiance de la part des élus locaux, des bergers, des chasseurs, des agriculteurs et des écologistes ; plus personne ne croyait en la parole de l'Etat. J'ai donc essayé, après avoir pris le temps d'écouter, de rencontrer sereinement, discrètement les différents acteurs, de remettre l'Etat au milieu du jeu et de faire en sorte d'engager, avec les élus locaux, une démarche constructive et confiante. Il s'agissait, grâce à un climat positif, de mettre la question de l'ours en perspective par rapport à la protection et au développement du pastoralisme et par rapport à un autre grand dossier qui a fait l'objet de polémiques considérables, vous vous en souvenez : le tunnel du Somport.

Je reste fier du temps que j'ai passé et de mon engagement personnel dans le dossier du Haut-Béarn et dans la création de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn qui me paraît être une démarche exemplaire du point de vue de la gestion de plusieurs problèmes ayant abouti à une confrontation générale et à une absence totale de crédibilité de l'Etat.

Nous avons fait de nouveau confiance aux gens de ce pays. Dès lors, ils ont accepté d'écouter à nouveau l'Etat qui avait à l'époque des obligations au titre de la convention de Berne et peut-être aussi une politique à mener en faveur de ces grandes espèces en voie de disparition, comme l'ours. Nous avons, me semble-t-il, par la confiance mutuelle et par la confiance faite par l'Etat aux acteurs locaux, créé une situation nouvelle. Je reste persuadé qu'il s'agit d'une bonne démarche, si l'on veut bien créer ce climat de confiance.

Encore une fois, je parle, non pas sous le contrôle - ce ne serait pas correct de le dire - mais avec le souci que mes propos soient confirmés par l'un des membres de votre commission qui est Jean Lassalle.

M. Augustin BONREPAUX : Monsieur le Ministre, j'ai eu l'occasion de constater que vous saviez écouter et régler un certain nombre de problèmes. Je pense que Jean Lassalle parlera des Pyrénées-Atlantiques, pour l'Ariège, vous avez souligné un problème - et je crois que vous aviez pris les dispositions pour le régler -, malheureusement vous n'avez pas pu le faire puisque le gouvernement a changé. Vous aviez parlé de la construction d'un refuge.

M. Michel BARNIER : Les postes de ministre sont forcément éphémères !

M. Augustin BONREPAUX : Néanmoins, quand vous avez passé une convention avec quatre communes de Haute Garonne, il était peut-être un peu naïf de penser les ours resteraient là, parce qu'on les voulait, et qu'ils ne s'égareraient pas ailleurs. Les ours sont venus chez nous. Nous avons demandé à avoir les mêmes droits que les autres c'est-à-dire qu'on nous les reprenne et personne ne nous a écoutés. Ce qui m'irrite le plus, c'est cette sorte de déni de démocratie qui consiste, en s'appuyant sur quatre communes, à imposer leur volonté à l'ensemble du massif pyrénéen. Dans l'Ariège nous n'avons pas été consultés et nous connaissons, aujourd'hui, des problèmes.

Deuxième point. Vous n'êtes pas responsable de l'introduction, car elle a été faite par d'autres en 1996. Est-ce que, avant de faire cette introduction, il n'aurait pas fallu vérifier si l'élevage pyrénéen l'autorisait et commencer à adapter cet élevage, plutôt que de faire l'inverse ? On nous dit maintenant que c'est aux éleveurs de s'adapter avec des moyens qui sont de toute façon mal utilisés et dont on voit les limites. Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu consulter davantage et ne faire cette réintroduction qu'avec l'adhésion d'une forte majorité de la population?

Enfin, dernière question. Elle concerne directement les fonctions que vous occupez. Nous nous interrogeons, dans la montagne, sur le point de savoir pendant combien de temps l'Etat et l'Europe pourront consacrer autant de moyens à cette protection quand, dans le même temps, nous ne savons pas s'il nous restera quelques crédits européens pour notre développement, notamment celui de l'élevage.

M. Michel BARNIER : Monsieur Bonrepaux, trois questions, trois réponses. Je veux bien accepter la critique de naïveté. Il est peut-être parfois préférable d'être naïf que cynique. Il faut, quand on dirige ce ministère, essayer de pratiquer une écologie humaniste et concrète. J'insiste sur ces termes car pour moi l'homme est au centre du problème, mêmes s'il doit apprendre à vivre avec son milieu et à le respecter, à être peut-être davantage économe et attentif aux ressources naturelles et aux espaces naturels qui ne sont pas inépuisables. C'est ma différence avec une certaine forme d'écologisme verte ou intégriste.

Je veux bien accepter d'avoir fait des paris sur les hommes et sur les projets, d'avoir peut-être eu une certaine utopie. En l'occurrence, ma propre utopie, ou ma propre naïveté, relayait et amplifiait la naïveté d'élus locaux, car je n'ai pas inventé, Monsieur Bonrepaux, le fait que quatre communes, des élus démocratiquement élus, m'ont demandé d'introduire l'ours chez eux. Comme j'étais en charge de l'environnement et de la protection de ces grandes espèces et qu'il y avait des obligations internationales auxquelles la France avait souscrit, j'ai trouvé cela intéressant.

Peut-être ai-je signé trop tôt cette convention car, dans mon esprit, ce que nous avions commencé de réussir dans les Pyrénées-Atlantiques avec des démarches partenariales aurait dû accompagner immédiatement le programme de réintroduction. C'est toujours facile de dire a posteriori « ils auraient dû faire ceci »; après moi, j'aurais souhaité que dans les Pyrénées-Atlantiques, l'esprit de confiance que j'avais créé soit maintenu et consolidé. J'aurais souhaité que l'exemple de l'Institution patrimoniale du Haut Béarn soit, à partir de sa réussite propre, utilisée dans les Hautes-Pyrénées et peut-être dans le Mercantour sur d'autres espèces.

Parallèlement à l'acte de confiance réciproque que j'ai manifesté en acceptant la réintroduction de l'ours, à partir d'ours slovènes, dont le biotope était le plus proche des ours pyrénéens, il fallait, dans mon esprit, appliquer les mêmes méthodes partenariales et faire qu'il y ait appropriation par les acteurs locaux, notamment ceux qui sont traumatisés, c'est-à-dire les bergers et les élus locaux. On ne bâtit pas des programmes de réintroduction ou de protection sur le traumatisme et le sentiment d'être exclu du débat de la part des acteurs locaux, notamment des bergers.

Je peux comprendre qu'il serait paradoxal que l'on maintienne des crédits européens, voire nationaux, pour la préservation de ces espèces et que, dans le même temps, on supprime ou réduise les crédits affectés au pastoralisme au titre de la politique agricole commune ou de la politique régionale. Cela me permet, puisque je suis commissaire européen à la politique régionale, c'est-à-dire en charge du deuxième budget de l'Union européenne, de vous inviter, Mesdames et Messieurs les députés, à encourager votre gouvernement à prendre la parole, comme il a commencé de le faire avec beaucoup de force, pour que l'on maintienne la politique régionale après 2006. C'est le débat principal pour moi en ce moment. On est sûrs des règles et des crédits jusqu'à la fin 2006 ; on n'est plus sûr de rien après 2006. Ce n'est pas forcément une question liée à l'élargissement, mais cela dépend de la volonté politique des actuels Etats-membres de maintenir une politique d'accompagnement régional, de cohésion économique, sociale et territoriale - je tiens beaucoup à cette dimension territoriale de la cohésion - après 2006, alors même qu'un certain nombre de pays veulent faire des économies et que d'autres considèrent que l'Union est une grande zone de libre-échange dans laquelle on n'a pas besoin de soutien régional. Je vous encourage à être extrêmement attentifs et exigeants avec vos ministres, si je puis dire, pour que la France prenne la parole ou continue de prendre la parole avec force. J'en ai besoin sur ce dossier.

Dans mon esprit, Monsieur Bonrepaux, je pense qu'il faut probablement faire les trois en même temps.

M. Jean LASSALLE : Je voudrais tout d'abord dire que M. Michel Barnier a une excellente mémoire des faits, même si cela remonte quelque temps. Ce qu'il a dit me convient en tous points. Il a découvert en 1993, lorsqu'il est venu en Béarn, un véritable climat de guerre civile avec des dizaines de gardes à vue car c'était le tout premier problème qui se posait en France. Il n'y avait pas encore eu celui des loups ; on avait déjà parlé des lynx, mais moins. Les ours avaient créé un véritable problème et suscité une campagne très vive, pour ne pas dire violente, menée par des groupes de pressions très organisés et qui le restent encore, je pense, aujourd'hui. Le climat était très mauvais et je veux dire que Michel Barnier a fait preuve d'un très grand courage, car il a dû à ce moment-là affronter sa propre administration et un certain nombre de personnes qui n'étaient pas favorables à cette expérience. On parle aujourd'hui « d'expérimentation », mais c'était une expérience avant l'heure.

M. Michel BARNIER : Je rappelle que j'ai décidé la suppression des mesures prises par mes prédécesseurs de réserves autoritaires imposées depuis Paris. J'ai dû imposer cela à mon administration pour recréer un climat d'écoute et de confiance.

M. Jean LASSALLE : Il a fait le pari du contrat d'honneur et de confiance, mais avec des hommes qui étaient repus de combats et de batailles, qui voulaient essayer de construire quelque chose ensemble. Michel Barnier a réussi à faire asseoir autour de la même table des hommes qui ne se parlaient plus depuis longtemps, des représentants de l'administration, des élus locaux de toutes tendances, des bergers et des associations de la protection de la nature. Nous avons inventé ensemble cette fameuse institution patrimoniale qui n'est pas une simple instance de discussions et d'échanges, comme on l'entend ici ou là à propos d'autres structures, mais qui est une instance de prise de décision, très démocratique et ouverte sur la société civile, c'est-à-dire sur tous ceux qui pensaient ne jamais être entendus : les bergers pour commencer, et de l'autre côté les associations de protection de la nature. Je dois confirmer que malheureusement, après votre départ, Monsieur Barnier, très rapidement après, quelle que soit la couleur des ministres qui vous ont succédé, nous n'avons pas eu beaucoup de facilités, alors que nous avions progressé d'une manière spectaculaire. Quelques mois après le processus de paix - on pourrait l'appeler comme cela - que vous aviez engagé, nous avions nous-mêmes demandé l'arrivée de deux ours parmi nous, au sein de l'Institution patrimoniale du Haut Béarn.

Nous l'avions demandé, les bergers l'avaient demandé. On nous avait expliqué qu'il n'y avait plus que des mâles et une seule femelle. C'était un très gros problème pour la France et l'Europe ; il fallait sauver cette espèce. On a constitué un dossier très épais, préparé par les services de l'Etat avec nous. Il y avait une très grande osmose.

Cela s'est délité pour deux raisons. La première est que cette affaire a certainement un peu intrigué, agacé la haute administration nationale qui a dit : « qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Pourquoi font-ils cela comme cela ? » Il est certain que le Conseil national de la protection de la nature n'a pas du tout aimé l'affaire. Je ne veux pas citer vos successeurs mais cela a dérapé. Cela a dérapé pour une deuxième raison que Augustin Bonrepaux et vous-même évoquiez à l'instant. Il y a eu dans le même temps le renforcement, si l'on peut dire, dans les Pyrénées centrales. Là, il n'y avait pas le même état d'esprit. Vous aviez, certes, eu affaire à quatre communes volontaires autour de Meyles, mais là, les ours arrivaient à un endroit où l'on n'était pas prêt à les accueillir. Bien entendu, on a commencé là par des femelles. Or, les femelles, comme dans tout règne animal, circulent un peu partout si elles ne trouvent rien sur leur passage et surtout pas de mâle. C'est ce qu'elles ont fait ; elles sont parties aux quatre coins de la montagne. Le mâle est arrivé un an après.

Ce problème a recréé des tensions chez nous entre ceux qui voulaient des ours et ceux qui en avaient reçu.

Je voudrais aussi poser une question à Michel Barnier. Les 15 pays qui composent l'Union européenne, et l'Union européenne elle-même, sont-ils vraiment bien inspirés de continuer cette politique qui, nous le savons, va conduire nos territoires les plus déshérités à se déshériter encore davantage, car cette politique basée sur les directives Chasse et Habitats va se retourner contre nous ? Pour l'instant, les gens n'ont pas compris ce dont il s'agissait, mais quand ils le comprendront cela sera un problème autrement plus grave que celui des loups et des ours, car nous seront dessaisis de toute possibilité d'action au niveau local.

On m'a dit : tu es une composante de l'UDF, tu fais partie du parti le plus européen dans l'échiquier, de quoi te plains-tu ? Ensuite, on m'a dit : c'est l'Europe et la cohésion de l'Europe, on ne peut pas y toucher. J'observe que depuis deux mois, la cohésion de l'Europe sur un sujet autrement plus grave - je ne m'en réjouis pas - on est mal en point : on n'a pas hésité à considérer les Anglais, les Espagnols d'un côté, les Français et les Allemands de l'autre. Donc, je pense que, sur une affaire comme celle-là, nous devrions être vigilants parce que ce que nous sommes en train de mettre en œuvre est vraiment terrible non seulement pour l'avenir de nos territoires, mais pour notre civilisation tout entière. Michel Barnier sait bien ce que j'en pense, tout le monde le sait. Je veux parler de Natura 2000, et même de la chasse. La chasse a dressé le monde rural contre nous, toutes tendances politiques confondues, a fait le jeu des chasseurs d'un côté et des verts de l'autre ; et cela continue de plus belle, excusez-moi pour ceux qui ne pensent pas les mêmes choses, mais de temps en temps il faut dire ce que l'on a sur le cœur. Nous sommes en train de perdre le contact avec la réalité.

M. Michel BOUVARD : Je veux simplement témoigner à mon tour de l'approche pragmatique et humaniste que vous avez eue sur les dossiers environnementaux, même si cela n'a pas toujours abouti comme, par exemple, sur le débat de modifications des limites du parc national de la Vanoise sur la demande de certains échanges. Le programme LIFE se termine nous dit-on, et cela est confirmé, cette année, s'agissant des crédits affectés au traitement des problèmes posés par le loup dans le massif alpin.

Que se passera-t-il au-delà ? Est-ce que sur les fonds structurels prévus pour la politique régionale, des crédits peuvent être mobilisés pour prendre le relais ? Si oui, considérez-vous, Monsieur le Commissaire, que nous soyons bien dans la logique de développement de ces crédits en les affectant à des aides permettant aux bergers et à l'économie locale, notamment à l'élevage ovin, de supporter le retour du loup dans le massif alpin ?

M. François BROTTES : Je crois que l'on est autour de cette table un certain nombre à préférer les conseils aux directives, lorsqu'ils viennent de l'Europe. Profitant de votre présence, Monsieur le Commissaire, et de votre expérience, à la fois comme ministre de l'environnement mais, comme Commissaire européen en charge de questions qui concernent l'ensemble des pays y compris les nouveaux entrants, que pourriez-vous donner comme conseils à une commission d'enquête comme la nôtre pour que l'on sorte par le haut de ce climat complètement passionnel ?

M. Michel BARNIER : Jean Lassalle ne m'en voudra pas de reprendre très rapidement les réponses que je lui ai déjà faites.Vous interrogez sur ce point un Commissaire européen, gardien avec ses 19 collègues des traités et de la bonne application des directives européennes qui sont des lois, voulues, signées, ratifiées, transcrites par la France.

Mesdames et Messieurs, il n'y a pas une seule directive européenne depuis 50 ans, une seule loi européenne, qui n'ait pas été approuvée par le gouvernement de la France, sauf peut-être celle sur l'heure d'été !

Je vous dis cela, car vous êtes des femmes et des hommes politiques et que les ministres le sont aussi. Il faut que chacun assume ses responsabilités. Les gouvernements de droite ou de gauche, tous les gouvernements, ont approuvé ces textes quand ils ne les ont pas suscités, via l'administration bruxelloise. La commission ne fait que proposer, ce sont les ministres qui décident et les parlementaires européens qui co-décident.

Sur Natura 2000, sur la directive « oiseaux », la chasse, je n'ai pas pour le point de vue défendu par M. Lassalle, de bonne réponse, sauf pour dire qu'il reste une marge pour appliquer ces directives de manière intelligente dans le dialogue ; c'est ce que je m'efforce de faire passer au niveau bruxellois, mais il faut aussi qu'il y ait une attitude de même nature sur le terrain.

Monsieur Bouvard, le deuxième programme concernant le loup est en cours, 1999/2004 d'après ce que je lis dans les notes qui m'ont été faites. Je m'inquiéterai auprès de la commissaire chargée de l'environnement de ce qui se passera après et je vais lui demander de vous faire le point sur les politiques engagées. Je pense que la direction générale de l'environnement souhaitera poursuivre ses programmes. Je n'ai pas l'idée que les fonds structurels européens pour la période 2000/2006, ni dans la période suivante devraient être utilisés dans ce domaine. En revanche, j'ai l'idée qu'ils peuvent être utilisés aujourd'hui et qu'ils pourront être utilisés davantage demain, si on les garde. Il n'y a pas que l'objectif 2 ou 3 qui concerne la métropole française, il y a aussi l'objectif 1. Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs que les 2/3 du budget dont j'ai la responsabilité, qui est un budget de 215 milliards d'euros sur la période 2000/2006, sont affectés aux régions d'objectif 1, qui sont des régions en retard de développement ; il n'y en a que quatre en France, ce sont les quatre départements d'Outre-mer, il n'y en aura pas d'autres. Toutes les autres régions dont je parle sont des régions qui seront dans l'Europe centrale, orientale et baltique, quelques-unes en Italie en Espagne, en Grèce, peut-être un ou deux länder allemands de l'Est.

Avec ces crédits d'objectif 1, et les futurs crédits d'objectif 2 - si vous m'aidez à les préserver pour le financement de la future politique régionale, et mes propositions seront publiées en décembre - j'ai l'intention de faire de la protection de l'environnement et de la prévention des risques un des sujets obligatoires. Les crédits européens pourront être utilisés après 2006 par les régions dans le cadre de l'enveloppe qu'elles recevront sur cinq priorités dont l'une d'entre elles sera celle-là. Mais, je n'ai pas parlé du sujet pour lequel vous vous êtes réunis, j'ai parlé de protection de l'environnement et de prévention des risques.

Aujourd'hui, je vous rappelle aussi que les régions dont vous êtes élus disposent de crédits européens, que l'enjeu c'est de les consommer efficacement avec des règles très strictes, notamment la règle de dégagement d'office au bout de deux ans quand les crédits ne sont pas consommés ou utilisés deux ans après leur engagement. J'ai assoupi les règles d'utilisation de ces crédits pour qu'ils soient plus facilement consommés. Donc, vous êtes à mi-parcours et des projets de pastoralisme, de développement des territoires ruraux, de protection de l'environnement peuvent être soumis dans les DOCUP (Documents uniques de programmation) au comité de gestion au niveau régional dans cette deuxième partie, avant 2006.

Monsieur Brottes, je ne veux pas donner de leçon, c'est toujours un peu dangereux. Ce que je retiens de l'expérience extrêmement passionnante et difficile que nous avons conduite dans les Pyrénées- Atlantiques, c'est qu'il est possible de gérer ces questions à condition que l'Etat fasse confiance, fixe le cadre ; ce que nous avons fait dans les Pyrénées atlantiques n'était pas de l'autogestion, c'était, dans le cadre des textes nationaux, européens, et même internationaux avec la convention de Berne, d'apporter une réponse avec du temps, avec pragmatisme, et en faisant confiance pour la gestion. Cela a marché au point que les gens des Pyrénées-Atlantiques, eux-mêmes, plus vite que mon administration ne l'avait imaginé, demandent d'introduire deux ours supplémentaires, comme M. Lassalle l'a dit publiquement devant vous. Pourquoi cela ne marcherait-il pas ailleurs ? Peut-être que dans les lois de décentralisation, que le gouvernement a soumis à votre approbation, il y a une marge pour ce type de cogestion. Voilà la seule expérience que j'ai dans ce domaine, mais -si vous permettez d'étendre un peu ma réflexion à ce que j'ai appelé le « ménagement » du territoire tout à l'heure- j'ai fait une deuxième expérience, plus vaste que dans les Pyrénées, qui m'a beaucoup marqué et qui reste pour moi le principal résultat de mes deux années de gestion de ce ministère, c'est le projet de la Loire.

J'ai consacré beaucoup de temps à cette méthode pour remettre de la confiance, remettre l'Etat au milieu du jeu et aboutir à un programme global de ménagement du territoire sur de nombreux départements et plusieurs régions depuis la Haute Loire jusqu'à Nantes, et je suis assez heureux que ce programme Loire, que j'ai bâti, ait été maintenu et amplifié par tous mes successeurs.

Cette méthode exige beaucoup de temps de la part des ministres pour venir sur le terrain, pour écouter. Comment a-t-on fait, Monsieur Lassalle, au départ ? Ces gens ne se parlaient plus, ils s'envoyaient même des menaces de mort. Il fallait que l'Etat soit là et fasse que ces gens qui ne se parlaient plus et qui ne voulaient pas se parler soient obligés au moins de s'écouter. Le fait que je les invite à venir me parler les a obligés à s'écouter, puisqu'ils étaient dans la même pièce. Finalement, nous avons abouti, mais cela demande surveillance et vigilance, ce qui dépasse le temps d'un ministre qui est forcément bref.

M. le Président : Monsieur le Ministre, merci pour votre disponibilité.

M. Michel BARNIER : Je vous souhaite bon courage et je serai attentif à la conclusion de vos travaux.

Audition de Mme Ségolène ROYAL, 
ministre de l'environnement d'avril 1992 à mars 1993

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1er avril 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

Mme Ségolène Royal est introduite.

M. Christian Estrosi, Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation de M. le  Président, Mme Ségolène Royal prête serment.

M. le Président : Avant que nous ne procédions à un échange de questions et réponses avec les membres de la commission, peut-être souhaiteriez-vous sur le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui tenir un propos liminaire ?

Mme Ségolène ROYAL : Je préfère répondre à vos questions.

M. le Président : Vous avez été ministre de l'environnement du mois d'avril 1992 au mois de mars 1993, c'est-à-dire à la période où tous les fonctionnaires du ministère de l'environnement qu'ils dépendent de la direction de la nature et de l'environnement, qu'ils dépendent de la direction du parc national du Mercantour, nous ont apporté les éléments selon lesquels, premièrement, en novembre 1992 avait été identifié, pour la première fois, un couple de loup dans le vallon de Mollières, pas loin d'une vallée que vous connaissez bien puisqu'il s'agit de celle de la Tinée, que sa présence n'a été révélée, d'abord par le magazine « Terre sauvage », puis par le ministère de l'environnement lui-même qu'en avril 1993. Nous avons donc pu mesurer au cours de ces auditions qu'une certaine opacité a été organisée. Est-ce pour une phase d'observation, est-ce pour une préoccupation de gestion ou de préparation des consciences collectives, notamment des acteurs de la ruralité qui risquaient de réagir assez violemment à cette annonce ?

J'ajouterai à cela, que dès le mois d'avril 1992, c'est-à-dire six mois avant la constatation effectuée, des demandes de crédit étaient faites par la direction du parc du Mercantour à votre ministère pour anticiper sur la venue et l'arrivée du loup dans le parc du Mercantour, c'est-à-dire que la direction locale considérait que, par rapport à des informations communiquées par des scientifiques italiens lors d'un colloque à Gênes et à Turin, il était probable que dans les mois à venir un loup venant d'Italie s'installerait dans le parc du Mercantour.

Nous avons, au cours de toutes ces auditions, eu le sentiment que l'on avait entretenu beaucoup d'opacité puisque ni les élus, ni les éleveurs, ni les acteurs locaux n'ont été informés de cette démarche et qu'une antenne très limitée de fonctionnaires du ministère de l'environnement avaient cogéré et anticipé cette venue, puis géré cette installation et pris des dispositions pour la pérenniser, sans assurer une véritable transparence auprès des acteurs locaux.

Ma question et c'est la seule que je vous poserai avant de laisser le soin au rapporteur puis à mes collègues d'intervenir : en votre qualité de ministre de l'environnement avez-vous le souvenir qu'à un moment de cette période des responsables de ces différents services sont venus soumettre à votre décision, en matière de politique publique puisqu'il s'agit bien d'une politique publique décidée par notre pays depuis cette époque, la pérennisation de l'implantation du loup dans les Alpes ? Ce dossier a-t-il été soumis à vos décisions, à votre arbitrage ou au contraire est-ce à un étage inférieur que les choses se sont organisées, sans que vous ayez à donner votre aval sur l'ensemble de ces initiatives ?

Mme Ségolène ROYAL : Je vais essayer de rassembler ma mémoire, car cela remonte à une dizaine d'années. Je suis restée onze mois ministre et, à ma connaissance, je n'ai absolument pas souvenir d'avoir été saisie de cette question. Mais, je me souviens qu'en 1994, lors des premiers dégâts, de m'être interrogée, alors que je n'étais plus ministre sur ce dossier. Cela m'a intriguée : c'était bizarre, le loup n'arrive pas du jour au lendemain. Peut-être que ce délai a été mis à profit par les interlocuteurs que vous citiez tout à l'heure pour vérifier l'information car, dans ce que vous venez de dire il y a quelque chose d'étonnant, c'est qu'une demande de subvention ait pu anticiper une arrivée naturelle du loup. Il faudrait quand même vérifier si ce n'est pas une demande régulière de subventions pour des espèces protégées en général. Cela me paraît assez curieux que l'on puisse anticiper.

M. le Président : Nous l'avons vérifié et nous avons réussi à nous faire communiquer les documents administratifs officiels relatifs à la demande de protection anticipant la venue du loup. Le directeur du parc de l'époque qui s'appelait M. Grandjean le dit très clairement dans une lettre adressée à la direction des parcs naturels dont le directeur était M. Simon. Il demandait, par anticipation, des crédits pour gérer l'arrivée du loup.

Mme Ségolène ROYAL : C'était déjà une espèce protégée dans la convention de Berne, je crois.

M. le Président : Il y a vraiment eu une anticipation, elle vous étonne, elle nous a étonnés.

Mme Ségolène ROYAL : Cela prouve qu'il y a eu une observation, j'imagine, des mouvements du loup comme des autres espèces protégées qui ne s'arrêtent pas aux frontières par définition. Il y avait aussi un président du parc, M. Ginési, à l'époque. C'était quand même le premier à être informé, j'imagine, par son directeur si quelque chose arrivait.

M. le Président : Il ne l'a pas été.

Mme Ségolène ROYAL : Donc, il y a peut-être eu défaillance à ce niveau-là. Le préfet, normalement, s'il avait eu le sentiment d'un danger aurait dû me saisir. Je ne crois pas qu'il l'ait fait. On pourrait, cela dit, ressortir les archives du ministère. Mon impression est que, si des mouvements du loup avaient été anticipés, ils n'ont pas été considérés comme dangereux ou, tout au moins, il y a eu un délai pour vérifier d'abord la véracité, le nombre et s'il s'agissait vraiment de loups. Puisque, si le président du parc lui-même n'est pas prévenu par son directeur, c'est qu'il estime qu'il faut d'abord peut-être une vérification scientifique avant de faire remonter l'information. En tout cas, je n'ai été saisie ni par le directeur de la protection de la nature ni par le directeur du parc, ni par le président du parc, M. Ginésy, ni par le préfet. Aucune réunion n'a eu lieu au ministère sur ce sujet-là. Ensuite, il y a eu l'arrêté en 1994 de protection du loup. J'imagine que, si M. Barnier a pris un arrêté de protection du loup, c'est qu'il a dû y avoir des réunions interministérielles, ou en tout cas gérant la question avec les autorités locales. En ce qui me concerne, je n'ai pas du tout souvenir d'avoir été saisie ni d'avoir été sollicitée pour venir dans le parc, ni pour faire une réunion locale, ce qui aurait d'ailleurs été intéressant, parce que ce n'est quand même pas un sujet banal.

La direction de la protection de la nature, à l'époque, était surtout mobilisée par la loi de protection des paysages que j'ai fait voter. A ce titre-là, j'avais un contact fréquent avec son directeur. Si l'information lui avait semblé importante, il me l'aurait communiquée. Voilà ce que je peux dire, ce n'est pas grand chose.

M. le Président : C'est une information importante pour nous en tout cas sur l'opacité que nous avons eue à dénoncer à plusieurs reprises sur ce dossier.

M. le Rapporteur : Madame la Ministre, pensez-vous possible que des lâchers de loups aient eu lieu ? Quel bilan faites-vous de l'action de votre ministère sur ce dossier, vous en avez déjà un peu parlé ? Comment ces actions se sont-elles déroulées ? A quelles difficultés avez-vous été confrontée notamment, je suppose, avec les associations, nombreuses, de défense du loup ? Comment expliquez-vous le caractère très très passionnel, on dirait même conflictuel, de ce dossier ? Enfin, pensez-vous qu'en termes de communication et de consultation des populations locales, car on a eu l'impression qu'il y avait une véritable chape de plomb, votre ministère a bien géré le retour des loups notamment dans le Mercantour ?

Mme Ségolène ROYAL : Qu'il ait pu y avoir des lâchers de loups, je ne vois pas très bien à quoi vous faites allusion, puisqu'il semblerait que les loups viennent d'Italie.

M. le Président : Ils auraient pu être lâchés depuis l'Italie aussi.

Mme Ségolène ROYAL : Lâchés dans le parc du Mercantour sans l'aval du président du parc, là il faut interroger. Je ne sais pas si vous avez auditionné M. Ginesy. Il serait intéressant de savoir ; c'est lui qui gère son parc, qui est maître de l'utilisation du budget du parc. J'imagine que des lâchers de loups ont un coût, cela ne passe quand même pas inaperçu. Je réponds spontanément.

M. le Président : Permettez-moi de vous interrompre. Je pense que vous n'ignorez pas qu'un parc national n'est pas géré par son conseil d'administration.

Mme Ségolène ROYAL : C'est quand même lui qui est au plus près.

M. le Président : Il est géré par le directeur qui dépend directement de la direction de la nature et des paysages et le président n'est là que pour présider les conseils d'administration. En aucun cas, un président ne gère un parc.

Mme Ségolène ROYAL : S'il y a des lâchers de loups dans un parc, un président préside et il assume aussi une responsabilité. Je pense qu'il faudrait demander au président ce qu'il pense d'une hypothèse de lâchers de loups sur le parc qu'il préside, puisque l'ensemble des interlocuteurs d'un territoire sont rassemblés dans le conseil que préside le président. Il y a donc une certaine autonomie par rapport à un directeur qui doit être sous les ordres du directeur de la protection de la nature. Cela me semble une piste intéressante.

Qu'il y ait eu des lâchers de loups sans l'aval du ministère, cela me paraît invraisemblable ou alors c'est que les choses se passent de façon secrète sur un territoire mais cela ne peut pas se faire sans la volonté du directeur du parc et sans apparaître quelque part sur un engagement budgétaire. Je n'imagine pas une seconde qu'il puisse y avoir des opérations comme celle-ci, sans qu'elles soient décidées en toute transparence.

S'il y a eu des mouvements de loups en provenance d'Italie, il y a peut-être eu un délai de vérification, ce qui explique que, même le préfet, n'en ait pas été informé. A partir du moment où il y a danger public, il y aussi une autorité de police même dans ce département. Il y a eu une observation du phénomène avec des premiers dégâts, mais qui n'ont eu lieu qu'en 1994, alors que je n'étais plus ministre, je ne pense pas qu'il y ait eu des dégâts constatés en 1993. Est-ce qu'en 1994, le processus de signalement a fonctionné, cela serait intéressant de savoir si le préfet a fait remonter les informations. Comment l'arrêté de protection pris par M. Barnier en 1994 intervient alors que le loup provoque des dégâts, sans qu'il y ait, à ce moment-là, une mise à plat, des investigations et une expertise qui permettent de savoir s'il est intelligent de protéger le loup -sans réouvrir au moins le débat public et sans mettre les partenaires autour de la table y compris les associations- au moment où les premiers dégâts ont eu lieu et si l'on maîtrise la quantité de loups qui arrivent en provenance d'Italie.

Quant aux lâchers de loups, je n'imagine pas que l'on puisse procéder à des opérations comme celle-là sans qu'il y ait au moins des traces financières et administratives.

M. le Président : Donc, vous n'en avez pas eu connaissance en tout cas, et cela n'a pas été soumis à votre autorité.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous du caractère ultra passionnel et conflictuel de ce dossier ?

Mme Ségolène ROYAL : A ce moment-là, il n'y avait encore aucune passion, puisque l'information n'existait pratiquement pas, ne remontait pas. Je n'ai pas eu à connaître d'associations de défense du loup puisque à ce moment-là elles ignoraient, à ma connaissance, ce qui se passait et les populations locales n'avaient pas eu le temps de réagir, puisque les premiers dégâts n'avaient pas eu lieu.

M. le Président : Vous avez raison. Ce qui est important pour nous aujourd'hui, c'est de constater que le ministre l'ignorait autant que les élus, les éleveurs et les acteurs locaux.

Mme Ségolène ROYAL : Et le président du parc, manifestement.

M. le Président : Ce qui est important pour nous, c'est l'information majeure que vous nous apportez, pour l'instant en tout cas, alors que le directeur du parc et le directeur de la nature et des paysages étaient au courant.

M. François BROTTES : C'est plutôt une réflexion sur le fait que le politique est un peu hors du champ. C'est ce que l'on est amené à constater au fil des auditions avec cette difficulté que c'est un peu aux politiques d'essayer de réduire l'incompréhension qu'il peut y avoir entre les différents acteurs.

Sur cette question, comment faire pour que les scientifiques ne soient pas seuls à avoir accès à l'information et au savoir ? C'est une des questions qu'il faut se poser pour l'avenir. Que le loup soit revenu naturellement ou pas, d'autres espèces sont implantées, on l'a évoqué dans l'audition précédente. Il faut absolument que le dialogue puisse se nouer et il est vrai que le politique, qu'il soit ministre ou élu local, est bien en charge de l'intérêt général et de la mise en relation des acteurs pour sortir du passionnel.

Il est vrai que cette commission d'enquête devra, y compris sur ce terrain, faire des préconisations. On ne peut pas camper sur des positions, tel n'est pas notre objet. L'histoire avance. Comment faire en sorte qu'elle puisse avancer avec peut-être un peu plus de médiation ? Et, de ce point de vue-là, l'expérience de Ségolène Royal peut être utile aussi dans le débat.

Comment dépassionner un sujet qui, finalement, a démarré presque en catimini ? C'est ce que l'on essaie de savoir. Il est quand même un peu troublant que quelqu'un demande des subventions sur un sujet pour lequel il présuppose qu'il va se passer des choses, alors que, ni localement ni nationalement, les politiques responsables n'en sont informés. On ne peut pas se contenter de faire ce constat, il faut voir comment l'on en sort. On évoque une autre gestion des parcs nationaux, par exemple, aujourd'hui. Est-ce la bonne thèse ? Faut-il élargir le cercle des initiés ? Il ne s'agit plus de savoir comment cela s'est passé à l'époque, il faut réfléchir en terme de prospective. Nous essayons de trouver une alchimie que l'on voudrait intelligente et intelligible à l'issue de cette commission d'enquête. Donc, nous mettons à contribution nos interlocuteurs pour essayer de trouver la bonne voie.

Mme Ségolène ROYAL : Je ne sais s'il faut en tirer des liens directs sur la réforme de la gestion du parc ; je pense que cela relève plutôt du contrôle de l'information par des gens qui la détiennent et qui n'ont peut-être pas envie qu'elle se diffuse, car ce sont des passionnés. Je pense qu'il n'y a aucune malignité ni volonté de cacher, ce sont des gens qui pensent bien faire, qui sont des passionnés sans doute du loup et de la protection des espèces menacées, qui ont peut-être eu cette information, qui ont voulu peut-être aussi la vérifier, être sûrs de ce qu'ils avançaient et puis avoir un peu les mains libres par rapport à des choses qu'ils considèrent comme passionnantes et sans affoler ni les populations ni les politiques qui leur auraient dit : attendez, redescendons sur terre, de quoi s'agit-il, vous demandez la permission avant de continuer, etc. Sans doute me connaissant, j'aurais mis à plat les choses, j'aurais convoqué tout ce beau monde et j'aurais dit : que fait-on ? Attendez, on regarde peut-être à deux fois.

Je pense que, si les faits sont avérés, c'est cela. On a affaire à des gens hautement compétents dans leur domaine, qui sont des passionnés et qui se sont sans doute dits : on ne va pas demander la permission, on va faire dans notre coin, il n'y a aucun danger pour personne. Puis, on rendra compte quand on sera sûr de ce que l'on verra, on va maîtriser, observer. Je pense que c'était de l'expérimentation. C'est une supposition, car je connais un peu les interlocuteurs, je vois bien comment ils travaillent, ils sont dans leur parc.

M. le Président : J'entends votre supposition avec bonheur. Elle me réjouit.

Mme Ségolène ROYAL : Les passionnés de la science et des espèces protégées, s'il y a eu quelque chose que l'on m'a caché, c'est cela. Connaissant ma rigueur, ils se sont dit : elle va nous convoquer, elle va demander des explications au préfet. Pourquoi le préfet n'était-il pas au courant ? Je ne sais pas.

M. le Président : Le préfet n'était pas au courant.

M. Jean LASSALLE : Ce que vous venez de nous dire peut nous être utile pour ce que nous allons faire maintenant. Les loups sont en train d'arriver dans les Pyrénées françaises et nous sommes dans le même flou que nous avons pu l'être à l'époque où ils sont arrivés dans les Alpes. Il faut trouver des solutions. Il y a quand même plus de dix ans et on n'en a toujours pas trouvé.

Nous avons eu un petit débat à propos des parcs nationaux. Je suis certainement un des présidents de parc national le plus titré puisque j'ai été trois fois réélu. Si le président du parc national ne fait pas un peu d'effort - il faut qu'il en fasse beaucoup - c'est la reine d'Angleterre. On lui cire les pompes de temps en temps. Il ne sait que ce que le directeur veut bien lui dire et croyez-moi quand je m'y suis attelé - sous votre ministère j'étais déjà président- j'ai vraiment essayé de faire de mon mieux pour que les parcs soient mieux intégrés localement, mais je savais ce que l'on voulait bien me dire. Je présidais, certes, et croyez que je ne faisais pas les choses à moitié, mais j'avais beaucoup de mal. Je comprends très bien qu'il ait pu y avoir un président ici ou là qui n'ait pas été tenu au courant de tout et que vous n'ayez pas été tenue au courant, non plus. J'ai souvent comparé les présidents de parcs nationaux à des ministres ; je pense que, pendant les six premiers mois, on les étudie pour voir comment on peut les mettre en cage, après on essaie de les contourner ; en tout cas, c'est le sentiment que j'ai eu.

Je pense qu'il faudrait réformer les parcs nationaux car c'est un joyau en France, mais nous n'en retirons pas tout ce que l'on pourrait, car il n'y a pas suffisamment d'engagement local.

Vous pouvez nous éclairer car nous sommes dans une situation extrêmement conflictuelle. Quand on en parle à Paris, on a l'impression que c'est un peu pittoresque ou folklorique ou les deux à la fois. C'est bien simple quand on croise quelqu'un ici qui se rend à une réunion de la commission, on entend : ah, tu vas à la commission du loup ! C'est bien ! Mais moi, je vais travailler. Voyez à quel point on est déconnecté à Paris, alors que les gens que nous rencontrons sur le terrain ressentent cela très douloureusement. Les députés qui sont ici font preuve d'un très grand courage en prenant ce dossier à bras-le-corps, car il n'y a que des coups à prendre à tous les niveaux.

Nous avons mené dans les Pyrénées-Atlantiques une démarche forcée ; je ne peux pas dire qu'elle est venue du fond du cœur mais elle a eu le mérite de fonctionner. Je pense que cela pourrait être une solution, à condition que l'on déconcentre un peu, que l'on décentralise un peu et que l'on fasse la vraie expérimentation.

Madame la Ministre, vous étiez ministre en 1992. Il y a une directive que j'ai particulièrement « en travers du gosier ». Il se trouve que, pour l'instant, je suis pratiquement le seul mais cela ne durera pas ; c'est la directive Habitats, ratifiée par la France. Je me demande si vous et ceux qui vous ont précédée, et ceux qui ont suivi d'ailleurs, avez eu toute l'information sur ce qui figurait dans cette directive, sur ce qu'elle avait d'extrêmement contraignant, d'humiliant et de spoliant pour les gens de la montagne que nous sommes.

Je me suis souvent demandée si l'on aurait osé écrire de telles choses s'il y avait des centaines de milliers d'habitants dans nos zones de montagne. On m'a dit : mais comment peux-tu dire des choses pareilles, toi UDF, qui es pour l'Europe, etc. Il ne faut pas toucher à l'Europe. Je leur ai répondu que, depuis deux mois, malheureusement, je constate que l'on n'hésite pas à y toucher. Les espagnols et les anglais d'un côté ; les allemands et les français de l'autre. Je ne m'en réjouis pas mais, je dis, que pour des sujets hautement plus graves, on fait attention. Là, on est en train de tordre le cou à une civilisation tout entière, car on déresponsabilise les hommes de ce territoire. Ce sont maintenant des comités Théodule qui auront cette responsabilité.

Ne pensez-vous pas qu'il y aurait quelque chose à faire ? Avez-vous eu le sentiment d'avoir eu toute l'information sur cette directive ? Je pourrais dire d'ailleurs la même chose de la directive chasse qui a créé un climat épouvantable dans tout le monde rural et qui a eu les résultats que vous savez, y compris en termes électoraux. N'y aurait-il pas quelque chose à faire pour sortir de ce piège ?

Mme Ségolène ROYAL : Je n'ai pas très bien compris la question, excusez-moi, est-ce encore en rapport avec le loup ou bien est-ce plus globalement ?

M. Jean LASSALLE : On ne pourra rien faire sur le loup et sur les ours, si Natura 2000 se met en application, telle qu'elle semble devoir l'être sur les 12 ou 15 % du territoire français qui concernent toutes les parties où se trouvent le loup, l'ours et le lynx.

Mme Ségolène ROYAL : Je ne peux vous répondre que globalement sur cette question. Je pense que la biodiversité est un enjeu majeur, que la disparition des espèces est quelque chose de très dangereux pour la planète où nous vivons. Nous avons pris des engagements très forts, d'abord au sommet de Rio. C'est moi qui représentais la France, donc je me souviens parfaitement des engagements sur le maintien de la biodiversité ; le chef de l'Etat vient de les rappeler à Johannesburg ; entre Rio et Johannesburg des milliers d'espèces ont encore disparu. Donc, je crois que la beauté de l'espèce humaine dépend aussi de la biodiversité qui est dans la nature, à la fois les plantes et les animaux, et que nos destins sont communs ; cela peut paraître curieux de dire cela, mais en tout cas c'est une de mes convictions très profondes.

Le problème, en effet, est de savoir comment on gère cet équilibre et en même temps, je crois que les pays développés doivent donner l'exemple. Bien sûr, il y a des textes qui sont imparfaits, mais je pense que, globalement, par rapport aux menaces qui pèsent sur la planète, les engagements européens sont quand même encore faibles, les engagements mondiaux je n'en parle pas, les engagements des Etats-Unis encore plus faibles. Si nous, pays européens, qui essayons d'aller de l'avant en terme de protection de l'environnement, nous reculons sur ces sujets, je crois que la responsabilité que l'on a, y compris à l'égard des pays du sud, ne tolèrera pas que l'on puisse baisser la garde sur la question de la protection de la biodiversité.

Maintenant qu'il y ait des problèmes d'aménagement du territoire, qu'il y ait des problèmes de cohabitation de l'homme et de l'animal, c'est possible. Mais je choisis toujours les hommes par rapport aux animaux, c'est bien clair. Je ne me trompe pas de combat. En même temps, je crois que les questions ne se posent jamais dans des termes aussi brutaux parce que, si l'homme brutalise aussi la nature, et donc l'habitat qui permet la biodiversité, il se brutalise lui-même à terme. Donc, il faut parfois être assez courageux. C'est pourquoi je pense que, dans tout le débat actuel sur la décentralisation de l'environnement, il faut être extrêmement prudent car il est très difficile de résister aux groupes de pression et aux rapports de force locaux.

En effet, la protection de l'environnement cela signifie des choix pour le futur, ce ne sont pas les échéances électorales, hélas ! Si l'on arbitre la protection de l'environnement dans les mêmes échéances que les échéances électorales c'est toujours l'environnement qui perd, donc toujours l'avenir de l'homme qui sera perdu. C'est dur de protéger l'environnement. Quand j'ai fait voter la loi paysage sur la protection des haies ou sur le fait de faire des remembrements différents, on m'a dit que j'allais ruiner les campagnes. Aujourd'hui, tout le monde fait attention et les haies sont replantées partout à tour de bras parce que l'on a bien vu que la destruction des paysages finissait par se retourner contre les agriculteurs ; même chose dans la protection de l'eau. Vous avez vu les récentes publications sur les contenus en nitrates ou en pesticides de l'eau, c'est insupportable. Cela va se retourner contre les agriculteurs eux-mêmes, parce qu'un jour il y aura des normes de rejets qui vont leur coûter extrêmement cher.

Je crois que, quand on refuse de voir le long terme, on finit par le payer très chèrement. Ce sont des arbitrages d'intérêt qui ne se jouent pas aux mêmes échéances. C'est pourquoi il faut avoir du courage. Après, c'est une question d'équilibre ; si les loups déciment les troupeaux, ce n'est quand même pas non plus l'objectif. Il y a aussi le respect de l'activité humaine. Il faut trouver des solutions intelligentes pour gérer la biodiversité, sans la remettre en cause et, à la fois, sans mettre gravement en cause la survie de certains métiers, de certains habitats humains et de certains territoires. Il faut poser très sérieusement le problème en se disant que ce ne sont pas des choses simples. Je le vois avec la directive Natura 2000, car sur mon territoire des Deux-Sèvres du Marais poitevin, il y a des enjeux de protection lourds. En effet, Natura 2000 ne rapporte pas à court terme. C'est même très gênant. Seulement, lorsqu'on protège un peu les prairies naturelles et les cours d'eau, on est bien content d'avoir de l'eau qui coule dans les rivières. Finalement, c'est avec cela aussi que l'on fait du développement local, du développement touristique, de l'habitat, et que des familles qui viennent réhabiter en milieu rural, etc.

Je crois qu'il faut faire attention à un discours trop corporatiste contre la gêne que procure la protection de l'environnement. Par définition, la protection de l'environnement est une gêne pour les activités rentables, car on leur demande de réintégrer dans leur calcul économique la protection des biens naturels qui appartiennent à tous. Ce n'est pas facile comme logique. Je pense qu'il faut tenir bon pour les générations futures même si cela nous dérange.

M. Jean LASSALLE : Je ne sais pas si vous avez dit tout cela pour moi, mais je suis probablement l'un des seuls hommes politiques qui ait décidé de réintroduire deux ours sur son territoire. Cela n'a pas pu aboutir car l'Etat a refusé que ce soit fait par des locaux. Il n'y a pas beaucoup d'hommes politiques qui ont pris cette responsabilité. Je pense qu'il peut y avoir du courage partout, même dans des coins perdus de montagne.

Le sens de la responsabilité peut être partout aussi. J'avais le sentiment que cette espèce disparaissait et qu'il fallait faire quelque chose. J'ai combattu contre mes propres amis, ce n'est pas très facile à gérer. J'ai affronté pendant toute cette période quatre élections que j'ai toutes gagnées et pourtant il y avait le tunnel du Somport dont vous avez entendu parler.

Je pense que ce n'est pas une question de courage ; le courage n'est pas à sens unique en tout cas. Par contre, je vois la situation dans laquelle on se trouve quand un certain nombre disent qu'il faut être courageux. J'entendais ces discours en 1990 à propos des ours, il fallait être courageux et les protéger. Cela a amené dans ma région une guerre civile dont on a mis une demi-douzaine d'années à se remettre. Il faut être courageux, il faut accepter des loups. Je l'ai entendu ensuite dans les Alpes. On a été courageux et on accepté des loups. Mais le retour des ours et des loups, Madame, ce n'est rien par rapport à ce que sont les directives. La directive, je pense que vous l'avez lue, a un but unique, la protection de la nature. Tout est permis, sauf ce qui nuit à l'objectif unique. Je dis bravo, si on l'applique aux friches industrielles immondes, à des usines abandonnées et dangereuses, à des banlieues, à des cours d'eau qui sont archi pollués, mais si on l'applique à des hommes qui sont en train de mourir, car c'est cette espèce que l'on regrettera un peu d'ici quelques années car elle était garante d'une civilisation et d'une biodiversité tout à fait remarquables qu'elle a su animer pendant des siècles ...

Il ne faut pas du tout être courageux pour mettre ces directives en application. On les met en application par rapport à quelques centaines de personnes et on leur fait croire que c'est pour leur bien, alors qu'on les dépossède totalement de leur territoire. Il faudrait faire attention.

Mme Ségolène ROYAL : Pouvez-vous être plus précis, Monsieur le député, à quoi faites-vous allusion ?

M. Jean LASSALLE : A la directive Natura 2000.

Mme Ségolène ROYAL : C'est-à-dire ?

M. Jean LASSALLE : L'article de la directive qui dit que tout est autorisé sauf ce qui nuit à l'objectif unique qui est un objectif de protection.

Mme Ségolène ROYAL : Par exemple ?

M. Jean LASSALLE : Tout ce qui nuit, tout ce qui peut être gênant doit être empêché. Ce ne sont plus les acteurs locaux, ni les élus locaux qui décident, c'est une commission. S'il y a une mine qui gêne, une installation qui gêne, il faut y mettre un terme. Il faut le savoir. Maintenant, il est intéressant de voir l'application qui en est faite par les tribunaux et la Cour de justice européenne.

Mme Ségolène ROYAL : Donnez-moi un exemple.

M. Jean LASSALLE : Je peux vous donner un exemple tout simple. Dans mon département, 302 communes sur 575 - je suis président de l'association des maires - sont concernées par la directive. 298 communes sur 302 ont délibéré sur cette directive et conclu qu'elle ne les intéressait pas. Que croyez-vous qu'il se soit passé ? Le préfet a cependant proposé notre candidature à Paris et Paris à Bruxelles. Nous sommes la seule région du département où les ours rejoignent les saumons, nous avons toute la biodiversité, des paysages extraordinaires ; nous ne voulions pas être intégrés dans Natura 2000 car son objectif de protection est un objectif unique. Des magistrats que j'ai rencontrés à la Cour européenne des droits de l'Homme m'ont dit que ce texte était profondément discriminant à l'égard de l'homme : ce n'est pas un texte qui met l'homme au centre de vos préoccupations comme vous le disiez tout à l'heure, Dans cinq ou six ans, on verra que cette affaire était une catastrophe et que l'on aura laissé faire quand même. Je ne parle pas que pour vous, mais pour l'ensemble des ministres qui se sont succédé ;

M. le Président : Je vous donne aussi un exemple concret. Dans ma circonscription, il y a des villages qui sont enclavés dans la zone Natura 2000. Quiconque a hérité de son père ou de son grand-père une grange ancienne et souhaite la remettre en état ne peut le faire, dès lors qu'on identifie, à l'intérieur, un nid de chauves-souris ou des papillons intéressants, et répertoriés dans la directive Natura 2000. Petit à petit, on évacue l'homme et on conquiert le territoire rural sur le dos de l'homme qui est découragé et qui se dit que, puisque la montagne ne lui appartient plus, il ira vivre ailleurs.

M. Jean LASSALLE : Madame Ségolène Royal m'en voudra si je ne lui donne pas un autre exemple précis. Un de vos successeurs, quand j'ai fait la proposition d'introduire deux ours dans notre territoire m'a répondu en disant : « cher président, c'est un bon projet, mais vous proposez une gestion directe et participative, sur le terrain, or, c'est impossible car vous êtes sur un territoire Natura 2000. Les pistes que vous proposez ne peuvent être ouvertes par un arrêté du maire, il faut un arrêté préfectoral ou ministériel -j'ai la lettre, comme on me l'a réclamée dans les Pyrénées, elle sera versée au dossier - les réserves de chasse que vous proposez avec les associations locales devront être des zones reconnues au niveau national ; toutes les propositions et il n'y en avait pas beaucoup, que vous aviez prévues pour désenclaver les alpages et les pâturages seront interdites -car vous êtes sur une zone Natura 2000- ». Je vous enverrai la copie du courrier. C'est un exemple concret, mais je pourrais vous en donner d'autres.

M. André CHASSAIGNE : Je voulais vous interroger sur la biodiversité mais vous avez fait une réponse qui, pour ma part, m'a séduit, qui montre bien comment on peut avoir une approche de cette biodiversité. Je ne vais donc pas vous reposer la question, puisque j'ai trouvé la réponse particulièrement bien équilibrée, pertinente.

J'ai une expérience Natura 2000, valable pour la biodiversité, qui montre que si l'on veut limiter les problèmes, il faut qu'il y ait de la concertation, de la discussion, une approche démocratique. Il y a des zones Natura 2000 dans ma circonscription avec l'écrevisse à pattes blanches, avec un papillon qui s'appelle « l'apollon du Livradois ». On n'arrive peut être pas à résoudre tous les problèmes mais si l'on s'engage dans la discussion et la concertation, je crois que l'on arrive à régler beaucoup de questions.

Je voulais demander un éclaircissement sur les propos que vous avez tenus tout à l'heure, car je crois que cela risque de créer une confusion. Vous avez dit à juste raison, je crois : ces gens du parc du Mercantour sont des passionnés et ils vivaient leur expérimentation. Dans votre esprit quand vous parlez d'expérimentation vous ne faites pas allusion à une volonté délibérée, par exemple, d'une introduction artificielle du loup ? Que vouliez-vous dire par le mot « expérimentation » ? Il faut le préciser.

Mme Ségolène ROYAL : Je voulais parler de l'observation de la venue éventuelle de loups d'Italie qui ont peut-être été observés, sans que l'information ne soit remontée - pourtant, c'est quand même une information intéressante - ni au président du parc, ni au préfet, ni au ministre. Cela prouve qu'ils ont observé entre eux, j'imagine, soit pour vérifier l'information, soit pour se dire que si l'information est fondée il ne faut pas créer de panique et continuer d'observer tranquillement. Je pense que c'est quelque chose qui a pu se faire, si toutefois ces mouvements de loups ont existé, car je n'ai pas les moyens de savoir s'ils ont existé. C'est le président qui l'a exprimé tout à l'heure. J'essaie de trouver une explication à cette absence de remontée d'information. Je veux dire que, si l'information n'est pas remontée, ce n'est pas forcément une volonté de cacher ou de manipuler ou de faire du trafic de loups, mais c'est le souci, j'imagine, de tout scientifique qui observe quelque chose d'assez exceptionnel malgré tout à ses yeux et qui veut avoir le temps de l'observation scientifique sans y mêler des débats avec des non scientifiques.

M. André CHASSAIGNE : Je l'avais compris comme cela, mais je voulais vous le faire préciser.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Ce débat et la réponse de Mme Ségolène Royal à la question que vous avez posée sont très éclairants pour nous, mais je voudrais rappeler que l'objet de notre commission d'enquête, c'est la présence du loup et le pastoralisme. Vous avez dit tout à l'heure que vous croyez à l'objectif de diversité mais que vous préférez, comme nous tous, l'homme à l'animal.

Mais, dans le cas qui nous retient, où l'on sait que le loup est un grand prédateur qui fait obligatoirement des dégâts aux troupeaux ovins, ma question est très brutale : doit-on faire en sorte qu'il n'y ait plus de loups ? Sinon, pensez-vous que l'Etat doit prendre en terme de politique publique par rapport à ces troupeaux et aux bergers, des mesures dérogatoires qui font que les dégâts sont d'une part évalués mais aussi extrêmement bien remboursés ?

Mme Ségolène ROYAL : C'est une question difficile. Je dirai que le fait que le loup soit une espèce protégée ne doit pas être remis en cause au nom de la biodiversité. En revanche, les attaques de loups, l'angoisse des populations, la remise en cause du pastoralisme, constituent une souffrance qui ne peut pas être ignorée. Je me demande s'il n'y aurait pas une piste de négociation avec l'Italie pour créer une réserve protégée pour les loups, afin de préserver l'espèce ; chacun chez soi et, à ce moment-là, les territoires seront respectés en tant que tels. Il me semble que ce sont peut-être des pistes à creuser avec le gouvernement italien pour que l'on puisse à la fois préserver le loup et en même temps affirmer aussi que les activités humaines doivent pouvoir se dérouler en toute sécurité. Cela ne me semble pas du tout incompatible.

Lorsque j'ai créé un parc marin en Méditerranée pour protéger les dauphins, les pêcheurs rouspétaient en disant qu'il fallait continuer à utiliser les filets dérivants de 400 km de long partout. Je leur ai dit non, on fait un parc marin pour protéger les dauphins et on a interdit la pêche dans ce territoire. Il y a une répartition de la protection de l'environnement et de la protection de l'activité économique.

M. le Président : Vous n'êtes pas loin de proposer ce que quelques-uns d'entre nous souhaitent. Je vous félicite, Madame la Ministre.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous verriez ces grandes réserves comme on en trouve, y compris en Afrique, des endroits où l'on doit protéger des espèces avec un gardiennage ? Pensez-vous que, dans ces cas-là, il pourrait y avoir un développement touristique de cette zone ou voyez-vous cela comme un sanctuaire de loups ?

Mme Ségolène ROYAL : Je pense que le loup est un animal extraordinaire qui renvoie à toute une iconographie, à toute une histoire, à des rêves d'enfant ; c'est un animal extrêmement intelligent, merveilleux, d'une beauté exceptionnelle, qui, à ce titre-là, peut être protégé. Il peut être observé, visité, regardé. Nous avons des loups dans le zoo de Chizé dans mon département. Chaque fois que je m'arrête, c'est un bonheur de les regarder. Ils ne sont pas très nombreux, il y a une petite meute de loups, ce sont des animaux merveilleux ; en même temps, je pense que tout est à inventer ; il ne s'agit pas de refaire des réserves comme en Afrique. A animal exceptionnel, projet exceptionnel, rapports avec les humains exceptionnels. Je crois qu'il ne faut pas non plus transformer cela en zoo où l'on vient piétiner, s'agglutiner autour des cages à loups. Ce n'est pas le but. Il y a sans doute quelque chose d'assez merveilleux à inventer avec les associations, car on peut justement les remettre dans le circuit en respectant aussi leur passion et en affirmant le respect d'un partage intelligent du territoire.

M. le Président : En tout cas, je retiens l'exemple des dauphins qui me plaît beaucoup.

M. Roland CHASSAIN : Je suis, Madame la Ministre, très stupéfait de constater qu'à tous les échelons, les élus comme les ministres n'aient pas été informés de l'introduction ou de l'arrivée du loup dans les Alpes. Je trouve que, dans un pays démocratique comme le nôtre, c'est dommage.

Savez-vous aussi que l'introduction du loup a pénalisé le pastoralisme, que l'on importe aujourd'hui plus de 65 % d'ovins pour la consommation, ce qui est important ?

Aujourd'hui, on a une deuxième bombe qui arrive, M. Jean Lassalle l'a dit, c'est Natura 2000 ; dix ans après, elle est là sur la table ; c'est une bombe à retardement car je connais bien le sujet, en tant qu'élu de la Camargue. Personne ne veut de Natura 2000. Pourquoi pas des loups, vous avez tout à fait raison, je suis partisan de protéger les espèces, mais dans des espaces où il peut y avoir une liberté sans public, alors que dans les Alpes ou dans les Pyrénées, nous recevons des millions de touristes. Que fait-on avec tout l'argent qui est dépensé à travers le programme LIFE actuellement qui va s'arrêter en 2004 ? Qui va prendre la suite de ces programmes ? Est-ce que ce seront les contribuables français ? Le jour où ils sauront cela, seront-ils d'accord pour protéger les prédateurs ?

Le sujet le plus important et le plus complexe est celui qu'a exposé M. Jean Lassalle. Cela s'est passé en Alsace avec Natura 2000. Un agriculteur s'est trouvé dans une zone classée, quand il a voulu arracher une vigne pour en mettre une nouvelle, il n'a pas pu la replanter et aujourd'hui, il se retrouve sans exploitation. Voilà des cas précis, douloureux qui expliquent que les chasseurs ou ceux qui s'occupent de ces domaines ne veulent plus de Natura 2000.

Mme Ségolène ROYAL : Je pense, en effet, qu'il a dû y avoir un dysfonctionnement et que l'information n'est pas remontée et que ce n'est pas acceptable. A la limite, il aurait pu y avoir danger. De toute façon, c'est un enjeu national, mais je crois qu'il faut regarder l'avenir. Je pense que l'on a affaire, en France, à des scientifiques de très haut niveau ; les scientifiques de la connaissance de la vie animale en France, par rapport aux autres scientifiques du monde entier, sont de toute première qualité. On peut peut- être les excuser en raison de leur compétence, leur talent et leur passion. Maintenant, il faut regarder l'avenir ; à la limite, si ce dysfonctionnement peut aider à trouver une solution, telle que celle que nous évoquions ensemble à l'instant, je crois que votre commission d'enquête aura fait une œuvre tout à fait utile.

M. le Président : Madame la Ministre, merci pour votre disponibilité et pour votre contribution qui nous sera précieuse.

Audition de M. Hervé GAYMARD, ministre de l'agriculture, de la pêche,
de l'alimentation et des affaires rurales.

(Extrait du procès-verbal de la séance du 2 avril 2003)

Présidence de M. Christian Estrosi, Président

M. Hervé Gaymard, ministre, est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l'invitation du Président, M. Hervé Gaymard prête serment.

M. le Président : Monsieur le Ministre, nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation de notre commission d'enquête qui arrive au terme de ses investigations. Vous êtes la dernière personnalité à être auditionnée.

Dans la gestion du loup, nous souhaitions - bien que ce sujet relève plus de l'autorité, pour partie en tout cas, du ministre de l'environnement - entendre le ministre de l'agriculture en exercice qui, au sens de nombreux commissaires de notre commission, a son mot à dire, notamment sur les difficultés rencontrées par le pastoralisme depuis l'apparition de ce grand prédateur comme des autres prédateurs que nous traitons aussi au sein de la commission, tels que le lynx et l'ours.

Je vous remercie d'avoir bien voulu nous consacrer quelques instants. Avant de procéder à un échange de questions réponses, souhaitez-vous vous livrer à un propos liminaire ?

M. Hervé GAYMARD : Monsieur le Président, monsieur le Rapporteur, messieurs les commissaires, je voudrais vous remercier d'avoir pris l'initiative de créer cette commission, tant il est vrai qu'un certain nombre de questions se posent sur ce sujet. J'ai vécu ce problème comme élu local savoyard, avant d'être nommé au ministère de l'agriculture.

Le travail que vous êtes en train de faire est, de mon point de vue, très important pour orienter - comme l'a dit le Premier ministre - les décisions du gouvernement en la matière. Nous serons donc très attentifs à vos conclusions.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le Ministre, vous êtes homme de la montagne et homme d'expérience, président d'un conseil général qui a été confronté à cette grande difficulté. Vous arrivez aux responsabilités à un moment où ce phénomène, apparu en 1992, s'est propagé dans l'ensemble du massif.

Au bout de cinq mois de travaux, le sentiment de beaucoup d'entre nous est que pour une grande partie, le loup effectue un retour naturel depuis l'Italie, sans écarter pour autant le fait que des lobbies forts et des pressions fortes ont contribué à des introductions artificielles. Surtout, il nous paraît que les Etats italien et français mènent deux politiques publiques différentes, pour des raisons culturelles, traditionnelles et historiques.

Quand vous allez défendre la PAC à Bruxelles et les positions de la France, vous mesurez à quel point notre pays, en terme de gestion du territoire, a organisé une grande mixité dans le maintien d'une activité rurale forte par l'élevage et l'agriculture, tout en ayant une politique d'aménagement urbain. L'Italie représente peu de choses dans ce débat à Bruxelles, dans la mesure où les politiques publiques de gestion de son territoire rural reposent plutôt sur le tourisme. Ce sont des politiques à dominante urbaine parce que s'appuyant sur une écologie - forcenée dirais-je - depuis trente ans, à partir du parc des Abbruzzes, qui a organisé l'expansion du loup sur tout le territoire. On y organise depuis maintenant dix ans le retour naturel de l'ours de Slovénie et on nous annonce aujourd'hui que, dans quatre ou cinq ans, l'ours de Slovénie arrivera dans les Alpes. C'est ce qui ressort de la réunion que nous avons tenue, notamment dans le parc du Gran Sasso, à proximité de Rome.

La politique publique italienne amène aujourd'hui la France à en subir les conséquences dans le cadre de la convention de Berne ou de la directive Habitat.

La question que, personnellement, je souhaiterais vous poser avant de laisser le soin au rapporteur et aux membres de la commission de vous interroger est de savoir si, au plan européen, nous n'avons pas aussi un rôle à jouer. A partir du moment où nous n'avons pas les mêmes politiques publiques, la France n'a pas à subir les conséquences d'une politique publique qui n'a rien à voir avec la sienne en matière de gestion du territoire rural et de grands prédateurs notamment.

M. Hervé GAYMARD : Monsieur le Président, j'essaierai évidemment d'apporter des éléments de réponse à cette question qui n'est pas facile.

Première observation : comme vous le savez, de part et d'autre des Alpes, ces questions sont traitées par les ministres et l'administration en charge de l'environnement et de l'écologie et non par les ministres en charge de l'agriculture.

Deuxième observation : l'Italie, notamment dans ces domaines, connaît une décentralisation beaucoup plus poussée que l'est et que ne le sera la nôtre, y compris après la réforme de décentralisation. Aujourd'hui, en Italie, le ministère de l'agriculture à Rome n'a plus énormément de compétences, puisque l'essentiel est exercé dans les régions. En réalité, la seule compétence que garde le ministère de l'agriculture - non des moindres - porte sur les négociations communautaires à Bruxelles, tout le reste de la politique intérieure agricole relevant, pour l'essentiel, des régions.

Troisième observation : ces dispositions ne sont évidemment pas communautarisées, même si - vous l'avez très bien souligné, monsieur le Président - nous avons au niveau communautaire la directive Habitats et au niveau européen la convention de Berne.

Quatrième et dernière observation : cela ne nous empêche évidemment pas de parler et de travailler avec les Italiens.

Pour ne rien vous cacher, lors de mon premier déplacement à Rome, en juin dernier, et ma première rencontre avec mon homologue italien, j'ai évoqué cette question du loup après avoir traité de nos sujets communs au plan communautaire. J'ai bien senti chez mon interlocuteur -outre le fait qu'il n'était pas compétent puisque son ministère n'en a pas la charge - qu'il y avait une perception culturelle différente de cette question de la part de nos voisins transalpins. J'imagine que vos déplacements en Italie ont dû vous conforter dans ce sentiment.

Je pense que dans une Europe unie où les frontières n'ont jamais existé pour les animaux - et moins encore aujourd'hui - il convient d'avoir avec les Italiens une approche bilatérale plus soutenue que cela n'a été le cas ces dernières années. En effet, je n'ai pas le sentiment - ou peut-être me trompé-je - qu'il y ait eu, sur le plan bilatéral, des relations suivies entre les administrations et les ministres chargés de ces questions de part et d'autre des Alpes.

Il convient sans doute que la ministre de l'écologie et le ministre de l'agriculture français et leurs homologues italiens mettent cela à l'ordre du jour.

M. le Rapporteur : Les questions que je vais vous poser sont importantes pour finaliser notre rapport.

Tout d'abord, la commission d'enquête a mis en lumière le rôle environnemental essentiel du pastoralisme ovin en montagne. Cette activité apparaît comme un ultime recours à la déprise agricole dans les territoires de montagne. Or, le revenu des éleveurs ovins est inférieur de 30 % au revenu moyen agricole national.

N'est-il pas temps, dans le cadre d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement, de mettre un terme à cette situation en rééquilibrant les aides de la PAC en faveur de l'élevage ovin, même s'il est vrai que des efforts très importants sont déjà faits ?

Pourquoi la France n'a-t-elle jamais, contrairement à l'Italie, sollicité le fonds de développement rural de la PAC afin d'abonder le financement des dédommagements accordés aux éleveurs pour les pertes liées à la présence des grands prédateurs ?

Les contrats d'agriculture durable (CAD) vont succéder aux contrats territoriaux d'exploitation (CTE). Pouvez-vous nous indiquer les grandes lignes de leur fonctionnement en précisant les avantages que peuvent en attendre les éleveurs d'ovins ?

M. Hervé GAYMARD : Merci, monsieur le Rapporteur. Sur votre question concernant les aides, je précise que nous sommes bien conscients des difficultés particulières de l'élevage ovin en zone de montagne et donc, en zone pastorale.

Comme vous le savez, l'Indemnité compensatoire de handicaps naturels 
- l'ICHN - a été majorée de 10 % en faveur de l'élevage ovin lors de sa refonte, et en cas de pâturages, une majoration de 10 % supplémentaires a été prévue. En 2003, après la révision en cours du Plan de développement rural national (le PDRN), cette majoration « ovin » sera portée à 20 %, ce qui est très important.

S'agissant de votre remarque générale en faveur d'un rééquilibrage plus grand des fonds de la politique agricole commune, je voudrais faire deux observations :

Tous les crédits de la politique agricole commune obéissent, pour l'essentiel, à des logiques de filières et pas à des logiques de territoire. D'ailleurs, contrairement à une idée reçue, beaucoup de filières ne sont pas concernées par la PAC et sont peu ou pas du tout soutenues. Je pense aux fruits et légumes, à la production porcine, à la volaille. Je pourrais allonger la liste. C'est une erreur de perspective d'imaginer que la PAC concerne toutes les filières de manière équivalente, et ce pour des raisons historiques qui remontent aux années 60-70. Il s'ensuit que si l'on fait une approche « territoire », celle-ci se fait ex post et non pas ex ante.

Tout ce que l'on essaie de faire depuis quelques années, notamment par le développement du « deuxième pilier », le développement des mesures agro-environnementales, se fait précisément grâce à ces mesures pour que cette dimension soit davantage prise en compte.

Nous sommes dans le cadre de discussions pour la revue à mi parcours de la politique agricole commune. Ces discussions vont d'ailleurs se prolonger dans les années qui viennent, quel que soit le contexte, bien au-delà de 2003. Comme vous le savez, dans ce cadre, la France, avec d'autres pays européens, est porteuse du message que vous souhaitez.

Quant à votre deuxième question, s'agissant de l'appel au Fonds européen pour l'indemnisation des pertes, la France a fait appel jusqu'en 2002 aux crédits LIFE. A partir de 2003, elle a recours aux crédits de développement rural à travers une mesure agro-environnementale.

J'ai ici un tableau - que je vous remets - qui correspond à la répartition du financement pour 2003. Le total des financements mis en place s'élèvera à 2 573 650 euros :

- dont 902 600 euros pour le ministère de l'écologie et du développement durable ;

- 927 675 euros de la part du ministère de l'agriculture ;

- et 743 375 euros pour l'Union européenne.

Nous ferons encore appel, en cette année 2003, aux crédits de développement rural de l'Union européenne.

Quant à la troisième question sur le contrat d'agriculture durable, avant de répondre précisément à votre question, je ferai une remarque liminaire. Il y a encore deux ans, la France ne consommait pas - loin s'en faut- la totalité des crédits européens auxquels elle pouvait prétendre dans le cadre du deuxième pilier. A tel point d'ailleurs que nous avons été condamnés à verser une amende de 31 millions d'euros - de mémoire - il y a deux ans, pour non consommation des crédits communautaires au titre du deuxième pilier.

Dès que j'ai pris mon poste, j'ai voulu redresser cette situation. En 2003, du fait, premièrement, de la montée en puissance des crédits CET-CAD, deuxièmement, de l'augmentation de 70 % de la prime herbagère agri-environnementale, et troisièmement, de la revalorisation des ICHN, nous aurons mis en place tout ce qu'il fallait comme contreparties nationales pour pouvoir appeler les fonds communautaires. En 2003, nous consommerons donc la totalité de notre droit de tirage du point de vue des crédits communautaires au titre du développement rural. Il convient de le souligner parce que nous avions beaucoup de retard en la matière.

Sur la question du CAD stricto sensu, d'abord une première remarque purement budgétaire : l'année dernière, quand nous sommes arrivés, nous avions inscrit une somme de 76 millions d'euros pour les CET. Cette année, en 2003, en cumulant les chiffres ouverts en loi de finance initiale et en loi de finance rectificative de l'année dernière, nous aurons en gestion 295 millions d'euros pour les CAD. Si l'on inclut les financements communautaires, nous aurons une masse de crédits d'environ 500 millions d'euros.

Par rapport aux CTE, ces CAD offriront la caractéristique d'être plafonnés à 27 000 euros en moyenne et d'être également simplifiés et recentrés autour des mesures agro-environnementales utiles. Pour le reste, il y a bien évidemment, toujours dans ces CAD, un volet économique qui sera plafonné à 15 000 euros.

Les directions départementales de l'agriculture ont reçu tout récemment les instructions nécessaires à la mise en place de ce nouveau dispositif et nous avons souhaité une décentralisation, une déconcentration maximale au niveau du département. C'est-à-dire qu'au niveau national, nous avons mis en place quelques lignes directrices qui doivent répondre aux injonctions ou aux règles de la Commission de Bruxelles, mais pour le reste, nous souhaitons la plus grande adaptabilité locale et une concertation entre l'administration, les organisations professionnelles agricoles et les élus de façon à avoir les CAD les mieux adaptés à chaque département français.

Pour répondre à votre question, il est possible, dans ces nouveaux CAD, que les spécificités soient prises en compte. Je veux néanmoins préciser, pour éviter toute ambiguïté, que la mise en place des crédits spécifiquement dédiés au loup dont j'ai parlé pour le programme 2003 n'entrent bien évidemment pas dans les enveloppes CAD ; ils se rajoutent aux enveloppes CAD.

M. le Président : Merci pour ces précisions.

M. François BROTTES : Monsieur le ministre, une remarque et deux questions. Vous avez évoqué les crédits européens relevant du « deuxième pilier » et non consommés dans des proportions importantes il y a deux ans. Je crois me souvenir qu'il s'agissait de crédits destinés à la forêt pour l'après-tempête qui n'ont pas été mobilisés, comme ils auraient pu l'être, par les propriétaires et les professionnels, qui n'étaient pas en état de le faire. C'est une leçon qu'il faut tirer en cas de crise forte : les acteurs ne sont pas toujours à même de saisir les occasions qui leur sont données dans la foulée. Cela vaut expérience pour l'avenir.

L'étanchéité totale - semble-t-il - entre l'environnement et l'agriculture, qu'il s'agisse de l'Europe ou de l'Etat français, me paraît regrettable car, bientôt, on parlera de la filière loup, qui va mobiliser des crédits, comme il y a la filière ovine. Cette approche par filière pose quand même problème sachant les liens étroits qui existent entre les mesures qui seront prises à l'encontre d'un tel prédateur et celles qui seront prises pour la filière ovine. Or, on peine à comprendre - quel que soit le régime - comment des secteurs plus que voisins, imbriqués, ont autant de mal à s'entendre.

La deuxième question porte sur ce que vous avez appelé de vos voeux, à savoir que notre commission puisse faire des propositions constructives. Un dossier est actuellement à l'étude au niveau gouvernemental - l'élaboration de la Charte pour l'environnement - qui devrait être annexé à la Constitution. Il va sans dire que les termes de cette charte qui aura portée constitutionnelle, concernant notamment la biodiversité et les prédateurs, ne seront pas sans impact sur une série d'autres mesures.

Aujourd'hui, selon vous qui êtes associé à son élaboration, quelles perspectives cette charte va-t-elle ouvrir par rapport à la présence sur le territoire de prédateurs de plus en plus nombreux ?

Tant que nous n'avons pas cette clef, il nous sera difficile de faire des préconisations. Il serait regrettable que nous soyons en dehors du coup par rapport à un texte qui aura une portée constitutionnelle demain. Il serait utile que notre commission d'enquête soit éclairée sur cet enjeu.

M. Hervé GAYMARD : Sur votre remarque liminaire, monsieur le député, je persiste et signe. Je constate qu'il n'y avait pas, nonobstant les discours très vigoureux en faveur du développement rural, les contreparties nationales qui permettaient d'appeler les fonds communautaires adéquats. Je constate - ce n'est pas une opinion, mais un fait - qu'en moins d'un an, nous avons rempli le contrat et mis en place des contreparties nationales, malgré une situation budgétaire extrêmement difficile que vous connaissez bien, pour appeler les fonds européens en matière de deuxième pilier et de développement rural.

Sur votre première question, s'agissant des rapports agriculture / environnement, on sait qu'ils n'ont jamais été simples, mais qu'ils ont toujours été très étroits, ne serait-ce que du fait de l'origine administrative du ministère de l'environnement. Quand il a été constitué au début des années 70, les deux tiers de ses personnels sont arrivés par scissiparité du ministère de l'agriculture, le reste venant à l'époque de l'Equipement et de l'Industrie.

Il y a entre les deux ministères une assez grande communauté de travail. La preuve en est d'ailleurs que les DDA, selon les départements, consacrent entre 15 % et 25 % de leur activité à des questions relevant du ministère de l'environnement.

Notre souhait, avec Roselyne Bachelot, quand nous avons été nommés dans nos fonctions respectives, était précisément de travailler ensemble. Nous l'avons fait sur des sujets qui ne concernent pas votre commission d'enquête, mais des problèmes de maîtrise de pollutions d'origine agricole, par un déplacement commun le 18 juillet dernier en Bretagne. Nous poursuivons ce travail ensemble.

Je dirais que sur l'ensemble de ces sujets, nous faisons la preuve - nous la ferons encore davantage - que les deux ministères ont la capacité de travailler ensemble. Nous avons voulu dédramatiser les choses car il est vrai que sur un certain nombre de dossiers - sans trop m'étendre sur le sujet - nous avons constaté que, notamment dans la relation avec Bruxelles, il y avait une absence de coordination entre les deux administrations. Les représentants du ministère de l'agriculture et ceux de l'environnement ne disaient pas forcément la même chose à Bruxelles sur un certain nombre de sujets.

Au-delà des deux ministres qui s'entendent bien, nous souhaitons qu'au niveau de nos services, il y ait des échanges de fonctionnaires, qu'entre les deux ministères, il y ait de la porosité et du travail en commun pour que les deux administrations comprennent les problèmes et la culture de l'autre.

Je partage votre sentiment sur l'importance de la future charte pour l'environnement. Sur le plan anecdotique, pour la grande réunion interrégionale Franche Comté-Bourgogne-Rhône-Alpes qui s'est tenue à Lyon il y a quelques semaines, j'étais le représentant de l'Etat sur ce sujet, en l'absence de Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. Cela montre bien que notre ministère est complètement associé à cette préparation. Cela étant, je vous mentirais si je vous disais que je suis le pilote de cette charte puisque c'est ma collègue qui l'est. Je ne peux pas stipuler pour autrui et répondre précisément à votre question. Ma collègue sera en mesure de le faire une fois que les forums interrégionaux se seront déroulés.

Sans m'élever au-dessus de ma condition, je peux dire qu'il convient d'être  -comme vous le dites très bien vous-mêmes - extrêmement précautionneux sur le contenu de cette charte. Un certain nombre de sujets - je pense à la question des espèces dont nous parlons, à la question du principe de précaution, et il y en a bien d'autres - sont souvent invoqués de manière littéraire, de manière verbale. Si demain, ils connaissaient une consécration constitutionnelle ou sont annexés à la Constitution, compte tenu de la judiciarisation croissante de notre société, on pourrait se retrouver dans des configurations extrêmement complexes pour l'action publique, nourrissant encore davantage le ressentiment du citoyen maugréant contre l'impuissance publique.

Il faut donc être extrêmement vigilant sur le sujet. Je sais que les parlementaires le sont puisqu'ils sont concernés au premier chef par ce texte et la modification constitutionnelle qui devrait s'en suivre. Le sujet est sur la table et il faut être extrêmement précautionneux, je vous l'accorde.

M. André CHASSAIGNE : M. le ministre, une observation préliminaire a été faite par M. François Brottes. Mon approche sera légèrement différente sur cette affaire des logiques de filières, cette différenciation - voire cette opposition - entre logique de filières et logique de territoires. La tendance à aller vers une logique de territoires n'aurait-elle pas comme effet collatéral d'arriver au découplage des aides ? Je m'interroge, car en parlant de logique de territoires, ne va-t-on pas vers cette approche - approche de M. Fischler - et ne serait-ce pas prêter le flanc au découplage ?

Ma première question sera assez précise : pourrait-on concevoir que les CAD, dans le cadre des mesures agro-environnementales, puissent intégrer une prise en compte, pour les bergers, d'un élevage sur des territoires où il y a une présence d'animaux sauvages tels les loups et les ours ?

Alors qu'actuellement l'aide apportée par le programme LIFE se situe au niveau de la prévention et de la réparation des dégâts, ne pourrait-on envisager, dans une logique de territoires, pour certaines zones à risque - les zones sur lesquelles on est obligé, compte tenu des contraintes européennes, d'accepter une présence de faune sauvage - une forme de contractualisation avec les bergers qui seraient éleveurs en connaissance de cause ? Cela pourrait-il entrer dans le cadre du CAD ou dans d'autres mesures agro-environnementales ?

Deuxième question : comment appréciez-vous, au ministère de l'agriculture, les possibilités d'évolution de cette profession qui, depuis quelques décennies, a acquis des habitudes d'élevage qui, contrairement à ce que l'on dit, ne sont pas historiques ? Notamment dans les Alpes-Maritimes, une évolution s'est faite au cours des cinquante dernières années. Plusieurs intervenants nous ont dit qu'à l'origine, l'élevage d'ovins n'avait pas cette forme extensive. Pensez-vous qu'il y ait une possibilité d'évolution de cette approche agricole ?

Ma dernière question est plus générale : des contraintes européennes et des engagements mondiaux nous obligent à respecter et à encourager la biodiversité. Comment voyez-vous la liaison entre ces contraintes et le maintien d'une véritable agriculture dans notre pays, c'est-à-dire une agriculture de production qui ne devienne pas, petit à petit, une simple agriculture de loisir ou d'entretien du paysage ?

M. Hervé GAYMARD : Sur la remarque d'abord, je lis des articles et je vois des cartes sur la PAC dans telle ou telle région. Les interventions de la PAC dans une région ne sont pas liées à une approche régionale de la politique agricole commune, mais résultent des filières telles qu'elles sont présentes dans les régions. Souvent on s'insurge devant tel ou tel défaut de la PAC - on a raison de le faire - mais il ne faut pas s'étonner du constat qui résulte de la logique même de la politique qui a été organisée décennie après décennie sur une base « filière » et pas sur une base « territoire ».

Deuxième observation : compte tenu des différents soutiens publics
 - notamment communautaires - à l'agriculture, il me semble tout à fait légitime que l'on puisse développer des formes d'interventions bénéficiant à des productions peu ou pas aidées, et donc directement à des territoires qui "hébergent" ces productions ou ces filières. C'est dans ce sens que je voulais dire ces choses.

Dernière observation : je suis tout à fait opposé à ce que l'on ait une approche de la politique agricole découplée de toute référence à la production. Cela voudrait dire que l'on mettrait le doigt dans un engrenage extrêmement dangereux, et avec de trop nombreux effets pervers.

Je pense que la dimension territoriale peut parfaitement être prise en compte avec un renforcement du deuxième pilier. On n'en parlera pas aujourd'hui, ce n'est pas l'objet. Dans l'absolu, je ne vois pas bien la différence entre premier et deuxième piliers, mais c'est une autre histoire.

Sur le CAD, je vous confirme, monsieur le député, que les instructions ont été données aux DDA pour que les CAD soient adaptés aux problèmes tels qu'ils se posent localement. Je suis tout à fait favorable à ce que là où la question se pose, l'on puisse avoir un CAD spécifique pour prendre en compte les contraintes particulières liées à la présence de prédateurs.

Sur la deuxième question, n'étant pas éleveur ovin, j'ai du mal à stipuler pour autrui. Vous avez raison quand vous dites que les pratiques pastorales dans certaines parties du territoire français ont évolué au cours du demi-siècle précédent et que l'arrivée du prédateur peut amener à les modifier.

Cela étant -ce sera ma réponse à votre troisième question qui est majeure sur la dialectique biodiversité/agriculture -  je suis en faveur de la biodiversité, mais pour ce qui relève des prédateurs, à mon sens, la question ne se pose pas s'il faut choisir entre prédateurs et agriculteurs ! C'est clair. Je pense que l'on a parfois des débats sur le sexe des anges qui me laissent pantois.

M. le Président - Merci pour cette affirmation très courageuse.

M. Roland CHASSAIN : Monsieur le Ministre, je suis ravi de vous écouter, puisque l'on a parlé plus d'économie que de loup à propos de la filière ovine.

La présence du loup, du lynx ou de l'ours ne va-t-elle pas poser problème avec Natura 2000 ? Cela ne va-t-il pas freiner le pastoralisme ? Dans ma région, le nord du département des Bouches-du-Rhône, la Crau, il y a beaucoup de transhumance et, les bergers veulent de moins en moins monter dans les Alpes suite aux pertes qu'ils subissent. Aujourd'hui, je pense qu'il est temps de prendre des mesures rapides puisque le programme européen LIFE va s'arrêter en 2004.

Qui prendra la succession de ce programme ? Va-t-on arrêter ou non le programme des loups, ou d'autres espèces protégées, pour enfin aller vers l'économie rurale qui demande beaucoup plus que cela ?

M. Jean LASSALLE : Cela ne se fait sans doute pas, mais je veux souligner que la façon dont le ministre Gaymard aborde les problèmes de l'agriculture, de la ruralité et, partant, du pastoralisme me paraît tout à fait remarquable. J'y souscris complètement. Je le dis une fois tous les dix ans.

M. le Président - Depuis que nous travaillons, c'est la première fois que je vous l'entends dire !

M. Jean LASSALLE : Je voulais dire que je suis très sensible à ce que font le ministre et son équipe.

Lors de notre tour de France, nous avons vu tellement de détresse à propos de ces problèmes d'ours et de loups qu'il faudra quand même essayer de trouver une solution. Je ne sais pas comment nous allons le faire tous ensemble, mais cela ne peut pas rester en l'état !

Je crois que les directives européennes - que nous avons laissé mettre en place, tous ensemble, joyeusement, depuis je ne sais combien d'années - nous ont échappé. On n'a pas vu leur contenu ; maintenant, elles sont là !

Chaque fois que j'évoque le sujet, on me répond que je suis UDF, on me demande de quoi je me mêle car je suis pour la construction de l'Europe. On me dit également qu'il ne faut pas avoir peur. La France, fille aînée de l'Europe après avoir été celle de l'Eglise, ne peut pas se permettre de créer un problème à l'Europe ! Je constate que depuis deux mois, on n'hésite pas à créer un problème majeur à l'Europe pour un problème autrement plus grave ! Je pense qu'il y a là, monsieur le ministre, quelque chose qui va tous nous bloquer et qu'il aurait fallu au minimum faire un audit, un inventaire, faire analyser ces directives. Vous savez déjà les dégâts considérables qu'a causés la directive sur la chasse. Ce n'est rien par rapport à ce qui nous attend avec Natura 2000 !

Si l'on ne peut pas modifier cela, non seulement on ne pourra rien faire sur les ours et les loups, parce que nous sommes dépossédés de notre territoire -vous êtes montagnard, vous savez ce qu'est la dépossession d'un territoire !- mais surtout, nous condamnons définitivement la biodiversité, parce qu'il n'y aura plus d'homme ! Or, l'homme fait aussi partie de la biodiversité.

M. le Président : Monsieur le Ministre, pour que vous puissiez apporter des réponses sous forme de conclusion, et le programme LIFE ayant été abordé par M. Chassain, j'ajouterai mon inquiétude sur le terme des financements LIFE. Comment envisagez-vous, après 2004, le maintien du financement des aides aux éleveurs sur les conséquences des attaques par exemple et les moyens de protection ? Je complète ainsi cet aspect européen qui nous préoccupe aussi.

M. Hervé GAYMARD : Quelques éléments de réponse. Je commencerai par votre dernière question, monsieur le Président, et celle de M. Chassain sur la mise à disposition des crédits.

J'ai rappelé tout à l'heure l'accord auquel nous avions aboutis pour 2003 : environ 2,5 millions d'euros seront mis en place. Ce n'est pas rien. On préférerait d'ailleurs tous les mettre ailleurs que sur ces questions-là, mais puisque les problèmes se posent, il faut bien les résoudre. Pour 2003, les choses sont claires.

Pour 2004 on n'a pas encore préparé le budget, je ne peux donc pas m'exprimer ni prendre d'engagement aujourd'hui, mais il est évident qu'on ne laissera pas tomber les agriculteurs. Il n'est pas possible qu'il n'y ait pas, d'une manière ou d'une autre, un prolongement de ces programmes compte tenu des nuisances qui sont causées à nos agriculteurs et à nos éleveurs.

Sur ce sujet, comme sur d'autres par rapport aux relations avec l'Union européenne, j'aurais tendance à dire : « Qui commande paye ! » Aujourd'hui, c'est un peu le contraire : on voit bien que le financement de 2,5 millions est aux trois quarts, soit 1,8 à 1,9 million, mis en place par le gouvernement français, et les ministères de l'environnement et de l'agriculture. Cela fait partie des combats que nous avons avec Bruxelles et qu'il faut continuer.

Dans le prolongement de ce qu'a dit Roland Chassain sur le paradoxe de la protection de l'environnement où l'on a à la fois la logique Natura 2000, et de l'autre côté, la réintroduction des prédateurs, il me semble que ces deux logiques sont assez contradictoires, surtout si la réintroduction du prédateur élimine la vie et l'activité dans nos montagnes et nos alpages.

M. le Président : Je vous remercie de nous avoir fait partager vos convictions qui me rassurent beaucoup et qui nous donnent beaucoup d'espoirs pour l'avenir de notre pays et de sa ruralité. Votre contribution sera importante.

TABLE DES SIGLES

ACCA

Association communale de chasse agrée

ADDIP

Associ Association de développement durable de l'identité des Pyrénées

ADET

Associa Association pour le développement économique et touristique

ADN

Acide d Acide désoxyribonucléique

AFP

Association française du pastoralisme
Association foncière pastorale

AFSSA

Agence française de sécurité sanitaire des aliments

ANEM

Association nationale des élus de la montagne

APPAM

Association pour le pastoralisme dans les Alpes-Maritimes

ARTUS

Association de protection de l'ours

ATEM

Atelier technique des espaces naturels

BPE

Brevet professionnel agricole

CADEA

Commissariat à l'aménagement et au développement économique des Alpes

CDA

Contrat d'agriculture durable

CEMAGREF

Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts

CERPAM

Centre d'études et de recherches pastorales Alpes-Méditerranée

CIAT

Comité interministériel d'aménagement du territoire

CITES

Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune sauvages menacées d'extinction

CNERA

Centre national d'étude et de recherche appliquée de l'ONCFS

CNL

Comité national loup

CNJA/CDJA

Centre national / départemental des jeunes agriculteurs

CNM

Conseil national de la montagne

CNPN

Conseil national de la protection de la nature

CNRS

Centre nationale de recherche scientifique

CRAVE

Centre de recherche alpin sur les vertébrés

CTE

contrat territorial d'exploitation (créé par la LOG)

DATAR

Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale

DDAF/DRAF

Direction départementale/régionale de l'agriculture et de la forêt

DIREN

Direction régionale de l'équipement

DNP

Direction de la nature et des paysages

DOCOB

Document d'objectif

DOCUP

Document unique de programmation

ENITAC

École nationale des travaux agricoles (Clermont-Ferrand)

ETP

Équivalent temps plein

FEDER

Fonds européen pour le développement régional

FEOGA-Garantie

Fonds européen d'organisation et de garantie agricole

FIEP

Fonds d'intervention éco-pastoral

FNADT

Fonds national d'aménagement et de développement du territoire

FNE

France nature environnement (Fédération des associations de protection de la nature)

FNO

Fédération nationale ovine

FNSEA/FDSEA

Fédération nationale/départementale des syndicats d'exploitants agricoles

FRAPNA

Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature

FROSE

Fédération régionale des éleveurs du Sud-Est

FSE

Fonds social européen

ICHN

Indemnité compensatoire de handicaps naturels

INA

Institut national agronomique

INRA

Institut national de recherche agronomique

ISM

Indemnité spéciale de montagne

LIFE

L'instrument financier pour l'environnement

OFIVAL

Office national interprofessionnel des viandes de l'élevage

OGM

Organisme génétiquement modifié

ONCFS

Office national de la chasse et de la faune sauvage

ONF

Office national des forêts

ONG

Organisation non gouvernementale

OREAM

Organisation régionale de l'élevage Alpes-Méditerranée

PAC

Politique agricole commune

PCO

Prime compensatrice ovine

PACA

Région Provence-Alpes-Côte d'Azur

PLU

Plan local d'urbanisation

POS

Plan d'occupation du sol

RICA

Réseau d'information comptable agricole

SAU

Surface agricole utilisée

UGB

Unités gros bétail

URCF

Union régionale des communes forestières

ZSC

Zones spéciales de conservation

1 () Véronique Campion-Vincent « Les réactions au retour du loup en France » in « Le fait du Loup », 2002.

2 () Les données ci-dessous sont issues de l'ouvrage de M.François de Beaufort, Le loup en France. Éléments d'écologie historique.S.F.E.P.M. Paris, 1987.

3 ()"The fear of wolves : a review of wolf attacks on humans". Linell et al. , Norsk Institute for Naturforskning. 2002.

4 () Martine Bigan, Synthèse des réponses au questionnaire de la Direction de la Protection de la Nature et des Paysages (Secrétariat d'Etat chargé de l'environnement) in : la Terre et la Vie, suppl. 5, 1990.

5 () Libération, 29 déc. 1992, article de Florence Aubenas.

6 () Jacques Baillon, Nos derniers loups, les loups autrefois en Orléanais, Association des Naturalistes Orléanais, 503 p., Orléans, 1991.

7 () Gérard Ménatory, La vie des loups, éd. Stock, 1993.

8 () Les conditions du retour du loup en France: éléments techniques à partir du dépouillement de publications, CERPAM, février 2003.

9 () Journal Officiel du 24 mars 2003.

10 () « Premiers éléments d'enquête sur le retour du loup dans les Alpes françaises » Ministère de l'environnement, avril 1996.

11 () « Réintroductions et renforcements d'espèces animales: le point de vue de la D.P.N. » François Letourneux in Revue d'écologie, supplément 5, 1990, p8.

12 () Voir l'excellent ouvrage de Marianne Bernard, « Génération Démagogie » 1992.

13 () « Compensation for damage caused by bears and wolves in the European union » Experiences from LIFE-Nature projects. Mariella Fourli, 1999, European Commission.

14 () Rapport d'information n° 15 :« l'avenir de la montagne, un développement équilibré dans un environnement préservé » octobre 2002.

15 () Atelier technique des espaces naturels, situé à Montpellier.

16 () L'édition du Cahier technique « Vivre avec le loup des Asturies aux Carpates »

17 (1) Le pastoralisme en France à l'aube des années 2000, édition de la Cardère, mai 2000.

18 (1) « Idéologie, mythe et science. Le loup objet de toutes nos passions ». » Le fait du Loup » 2002.

19 () « Pastoralisme ovin durable et retour du loup », mémoire de mission réalisée à la DIREN de la région Rhône-Alpes et la DDAF de la Savoie.

20 () L'avenir de l'élevage : enjeu territorial, enjeu économique. n° 57, novembre 2002, et L'avenir de la montagne, un développement équilibré dans un environnement préservé N° 15, octobre 2002.

21 () CFPPA du Merle à Salon de Provence.

22 () « Impact économique du loup sur les élevages ovins estivant en Savoie » GIE Alpages et forêts, décembre 2001.

23 () « Incidences technico-économiques des attaques de prédateurs sur les troupeaux ovins en alpages », chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône, dossier de synthèse du 10 décembre 1999.

24 () « Incidences économiques de la prédation sur deux exploitations ovins viandes du département des Alpes Maritimes », APPAM, janvier 2003.

25 (1) « Témoignages d'éleveurs des Alpes Maritimes à propos de leur expérience avec les chiens de protection » APPAM, janvier 2003.

26 () Compte rendu de la réunion du comité scientifique du 11 juin 1998 à la séance du Conseil d'administration du parc national du Mercantour du 2 juillet 1998.

27 () « La vulnérabilité de l'élevage ovin face au loup » Laurent Garde (CERPAM), Salim Bacha (FROSE), Jean-François Bataille (Institut de l'élevage), Patrick Fabre (CA 13), février 2003.

28 () On trouvera cette lettre en annexe du présent rapport.

29 () Rapport sur une mission d'inspection et de médiation sur le loup, novembre 1996.

30 () « Gens, cornes et crocs ». Ecole nationale du génie rural, des eaux et des forêts, Janvier 2002.

31 () Recommandation n°17 (1989).

32 () Recommandation n°82 (2000).

33 () Sauvegarde de la nature n° 127.

34 () Portion de territoire toujours en herbe exploitée exclusivement par un pâturage extensif.

35 () Loup et pastoralisme ; la prédation et la protection des troupeaux dans le contexte de la présence du loup en région PACA- 1998.

36 () Breil sur Roya, Auvare, Belvedere, Thiery, Bollene-Vésubie, Lieuche, Malaussene et la Roquebillierre.

37 () CE, 30 décembre 1998, chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes et centre départemental des jeunes agriculteurs Rec. CE 516.

38 () Chiffres cités dans un rapport de Nicolas Chassin de septembre 2001 « Aspects juridiques de la conservation des grands prédateurs en France : les cas du loup et de l'ours »

39 (1) Président du Conseil national de la protection de la nature.

40 () Règlement du Conseil LIFE n°1973/92 CEE et n°1655/2000 CEE.

41 (*) Le témoin n'a pas retourné le compte rendu de son audition pour observations.

42 (*) Les témoins n'ont pas retourné le compte rendu de leur audition pour observations.

43 () Ces témoins n'ont pas retourné le compte rendu de leur audition pour observations.

44 () Le témoin n'a pas retourné le compte rendu de son audition pour observations.

45 () Le témoin n'a pas retourné le compte rendu de son audition pour observations.

46 () Ces témoins n'ont pas retourné le compte rendu de leur audition pour observations.

47 () Ces témoins n'ont pas retourné le compte rendu de leur audition pour observations.

48 () Ces témoins n'ont pas retourné le compte rendu de leur audition pour observations.


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