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N° 906

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur les causes économiques et financières de la disparitition d'AIR LIB

Président

M. Patrick OLLIER

Rapporteur

M. Charles de COURSON

Députés.

--

TOME I

RAPPORT

(2ème partie)

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Entreprises

La Commission d'enquête sur les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib est composée de : M. Patrick Ollier, président ; M. Xavier de Roux, Mme Odile Saugues, vice-présidents ; M. Jean-Claude Lefort, M. Christian Philip, secrétaires ; M. Alfred Almont, M. Claude Bartolone, M. Joël Beaugendre, M. Marcel Bonnot, M. Jean-Jacques Descamps, M. Jean Diébold, M. Christian Estrosi, M. Gilbert Gantier, M. Jean-Pierre Gorges, M. Alain Gouriou, Mme Arlette Grosskost, M. Jean-Louis Idiart, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Lionnel Luca, M. Louis-Joseph Manscour, M. Jean Marsaudon, M. Philippe Armand Martin (51), M. Jacques Remiller, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Jean-Marc Roubaud, M. Frédéric Soulier, Mme Christiane Taubira, Mme Catherine Vautrin.

S O M M A I R E

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1ère partie

I.- DÈS L'ORIGINE, UN PROJET À LA VIABILITÉ DOUTEUSE

A.- LE PROJET DE REPRISE D'AOM-AIR LIBERTÉ PAR M. CORBET S'EFFECTUE DANS DES CONDITIONS ÉTONNANTES
B.- UN PROJET DE REPRISE SURDIMENSIONNÉ ET SOUS-CAPITALISÉ
C.- LES ENGAGEMENTS FINANCIERS DE M. CORBET N'ONT PAS ÉTÉ TENUS

II.- PREMIER ACTE DE GESTION DE M. CORBET : VERSER DES PRIMES CONSIDÉRABLES ET DES HONORAIRES EXORBITANTS

A.- DES PRIMES CONSIDÉRABLES POUR L'ÉQUIPE DIRIGEANTE
B.- DES HONORAIRES EXORBITANTS POUR LES CONSEILS

III.- UNE GESTION OPAQUE, DÉFICITAIRE ET SOCIALEMENT CONFLICTUELLE

A.- UNE GESTION OPAQUE
B.- DES PROJETS DÉFICITAIRES
C.- UN CLIMAT SOCIAL PROFONDÉMENT DÉGRADÉ

2ème partie

IV.- L'APPEL AUX FONDS PUBLICS A PERMIS DE RETARDER D'UN AN LE DÉPÔT DE BILAN D'AIR LIB 5

A.- UN GIE FISCAL AVORTÉ FAUTE D'INVESTISSEURS 6

1.- Le montage envisagé avec l'accord de l'Etat 6

2.- L'absence persistante d'investisseurs 11

3.- Airbus a finalement choisi un autre acquéreur pour les deux avions 14

B.- UN PRÊT DU FDES DE 30,5 MILLIONS D'EUROS ACCORDÉ DANS DES CONDITIONS SURPRENANTES 16

1.- Un prêt sur instruction et sans instruction 16

2.- Une prolongation du prêt malgré les incertitudes sur le devenir d'Air Lib 30

C.- UNE ACCUMULATION DE PRÈS DE 100 MILLIONS D'EUROS DE CHARGES PUBLIQUES IMPAYÉES 38

1. Des difficultés précoces 38

2.-- L'ampleur rapidement prise par les impayés 41

D.- LE NOUVEL ESPOIR D'UN REPRENEUR RETARDE DE TROIS MOIS LE DÉPÔT DE BILAN 48

1.- Un plan de restructuration incompatible avec les règles communautaires 48

2.- IMCA : un bien étrange investisseur 53

3.- Les ultimes manœuvres dilatoires d'IMCA 61

4.- Les avions seraient devenus la propriété de M. de Vlieger 68

CONCLUSION 73

EXPLICATIONS DE VOTE 77

EXPLICATIONS DE VOTE DU COMMISSAIRE APPARTENANT AU GROUPE DES DÉPUTÉS COMMUNISTES ET RÉPUBLICAINS  84

LISTE DES ANNEXES


 

IV.- L'APPEL AUX FONDS PUBLICS A PERMIS DE RETARDER D'UN AN LE DÉPÔT DE BILAN D'AIR LIB

A l'issue d'une « aventure » somme toute brève, les dettes publiques d'Air Lib représentent un peu plus de 130 millions d'euros. Comment en est-on arrivé aussi rapidement à une telle addition pour le contribuable ?

De fait, la dégradation de la situation financière d'Air Lib et son incapacité à trouver des investisseurs ont conduit ses dirigeants à se tourner très tôt vers l'Etat en vue d'un soutien financier. Afin de compenser la défaillance de Swissair, une aide de 60 millions d'euros a été envisagée. La décision de principe tant sur le montant que sur les modalités a été prise lors d'une réunion entre les ministres concernés et le Premier ministre le 3 janvier 2002. Une réunion interministérielle du 7 janvier 2002, en présence de membres du cabinet du Premier ministre a ensuite concerné la mise en œuvre de cette aide, qui devait prendre deux formes. Comme l'indique le compte rendu de cette dernière réunion :

« Postérieurement à la réunion, le Premier ministre confirme le schéma d'aide suivant :

- confirmation d'un accord pour la mise en place d'un GIE fiscal pour l'acquisition de deux Airbus A340 ;

- intervention d'un prêt du FDES pour 30,5 millions d'euros versé à hauteur de 16,8 millions d'euros le mardi 8 janvier, le solde avant la fin du mois de janvier. »

Le GIE tardant à se concrétiser, de fait c'est le prêt du Fonds de développement économique et social (FDES) qui constituera l'aide déterminante, marquant le début du soutien financier accordé par l'Etat à la compagnie.

A la suite du changement de majorité et après un temps consacré à la prise de connaissance du dossier, le nouveau gouvernement a décidé de prolonger le prêt du FDES et des contacts ont été pris avec la compagnie en vu d'une éventuelle transformation de l'aide au sauvetage en aide à la restructuration. L'essentiel du soutien public a pris à partir de l'été la forme de moratoires sur les dettes publiques d'Air Lib, ces dernières n'ayant cessé de s'accumuler du printemps 2002 jusqu'à la liquidation de la compagnie. Pourtant, en dépit de ce soutien massif, M. Jean-Charles Corbet soutient que les pouvoirs publics et d'autres acteurs sont responsables de la faillite de sa compagnie qui était, selon lui, sur la voie de la convalescence... Le Rapporteur démontrera que la réalité est bien différente.

A.- UN GIE FISCAL AVORTÉ FAUTE D'INVESTISSEURS

1.- Le montage envisagé avec l'accord de l'Etat

_ L'idée de recourir à un dispositif de GIE fiscal afin de faire bénéficier Air Lib d'une importante et rapide rentrée de trésorerie est semble-t-il apparue très rapidement, à l'automne 2001.

Comme l'a indiqué M. Gilles Nicoli, délégué syndical CFDT : « Le 2 octobre, les Suisses font faillite et il nous manque 60 millions d'euros. L'idée du GIE fiscal est alors émise, qui d'ailleurs devait déjà avoir germé dans l'esprit des politiques, M. Ricono et les autres, au moment de la reprise. Ce GIE fiscal a été fait pour l'achat de deux A340 de Flightlease, filiale de Swissair, qui avait versé 54 millions d'euros en déposit à Airbus. »

Cette déclaration est confirmée par celle de M. Patrick Amar, ancien conseiller technique du ministre de l'équipement, des transports et du logement : « A partir de octobre-novembre, lorsque nous sommes au coeur de la crise, nous nous apercevons, et Air Lib nous le fait savoir, que l'imminence d'une situation critique est proche. Plusieurs aspects se présentent. Nous avons conscience que les fonds manquants de Swiss n'arriveraient pas avant de mettre en place une procédure de poursuite, ce qui suppose un certain délai. Une des pistes est le GIE fiscal pour lequel sont préparées, fin novembre-décembre 2001, les premières ébauches, avec les acteurs de ce GIE fiscal. Il nous semble, au regard de cette crise de trésorerie qui est ponctuelle, que des solutions de moyen terme permettraient de passer le cap difficile de l'hiver 2001. Nous savons que, dans le domaine aérien, la période la plus critique est celle qui va de novembre à avril. »

_  Pour simplifier, l'idée était de monter le GIE à partir des deux Airbus A 340 précités. Airbus ayant définitivement encaissé 54 millions de dollars au titre des acomptes et disposant des deux appareils à la vente, le constructeur pouvait céder les appareils à un prix prenant en considération les acomptes. Les avions étant ensuite cédés dans le cadre du GIE au prix du marché, la différence alimentait immédiatement la trésorerie d'Air Lib. Les appareils auraient ensuite été loués par les investisseurs, ceux-ci tirant parti de surcroît de l'avantage fiscal que peut constituer le GIE.

Le dispositif relatif au GIE fiscal figure à l'article 39 CA du code général des impôts. Cet article prévoit que, sur agrément préalable du ministre chargé du budget, les opérations de financement présentant un intérêt économique et social significatif ne sont pas soumises au cantonnement de l'amortissement, organisé par les dispositions de l'article 39 C, et relèvent d'un régime fiscal différencié.

Les conditions suivantes doivent être réunies :

- les biens sont des biens meubles amortissables selon le mode dégressif sur une durée au moins égale à huit ans ;

- l'utilisateur de ces biens est une société qui les exploite dans le cadre de son activité habituelle et est susceptible d'en acquérir la propriété à titre permanent ;

- l'acquisition du bien a reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget.

Par ce système, les entreprises peuvent mettre en place des schémas de financement d'investissements en crédit-bail. Ainsi, un GIE, constitué généralement par des banques, acquiert l'investissement à financer et le donne en crédit-bail à l'utilisateur. Le bien, en principe de nature industrielle, est amorti selon le mode dégressif par le GIE. Les loyers versés par l'utilisateur et le prix de levée de l'option d'achat en fin de contrat permettent au GIE de couvrir son propre financement, intérêts et capital compris.

En raison des amortissements dégressifs et des frais financiers qui, par définition, sont concentrés sur les premières années d'utilisation du bien, les résultats du GIE sont fortement déficitaires au cours de ces années et deviennent bénéficiaires au cours d'une seconde période lorsque le montant des loyers perçus excède le total des charges constatées (amortissements et frais financiers compris).

Dès lors que le GIE relève du régime des sociétés de personnes, les déficits qu'il constate au cours de ses premières années d'activité viennent en déduction des bénéfices imposables réalisés par ses membres à raison de leurs activités courantes.

Les économies d'impôt ainsi obtenues par les établissements financiers durant les premières années de l'opération sont compensées par les suppléments d'impôt qui apparaissent ensuite lorsque le GIE réalise des bénéfices. Toutefois, ce décalage dans le temps permet de dégager un gain de trésorerie.

L'article 39 CA prévoit le respect de conditions précises pour que soit accordé l'agrément. Ainsi, le prix d'acquisition doit correspondre au prix du marché et l'investissement doit présenter, du point de vue de l'intérêt général, particulièrement en matière d'emploi, un intérêt économique et social significatif. Les biens amortis doivent être conservés jusqu'à l'expiration du contrat de location ou de mise à disposition.

_ Le GIE pouvait permettre à Air Lib de bénéficier d'une importante et rapide entrée de trésorerie. L'intérêt de l'utilisation d'appareils plus modernes, certes réel, apparaissait comme une préoccupation de second rang.

Le montage du GIE fiscal a été confié par Holco à Arjil et Associés Banque. Dans une lettre adressée au secrétaire général du CIRI, datée du 27 février 2002, cet établissement récapitule les caractéristiques du schéma envisagé. L'opération visait l'acquisition de deux Airbus A340-200 commandés par Flightlease avant la faillite de Swissair, appareils disponibles et pour lesquels un dépôt de garantie avait été versé. Comme l'a rappelé M. Noël Forgeard, directeur exécutif d'Airbus, « le contrat qui liait le groupe Airbus à Swissair est tout à fait explicite en cas de défaillance de l'acheteur. Les acomptes sont acquis au fabricant. »

Le mécanisme proposé par Arjil était le suivant :

« 1. Compte tenu des circonstances particulières du dossier, l'avion serait cédé par Airbus à une entité ad hoc à un prix incluant une remise commerciale exceptionnelle. L'entité ad hoc recèderait l'avion au GIE à un prix correspondant à sa valeur de marché. La différence permettra de dégager des moyens financiers qui seront mis à la disposition d'Air Lib. Hors les aménagements clients, le prix actuellement proposé par Airbus est de 75 millions de dollars par avion. Le prix définitif sera arrêté dans les tout prochains jours entre le président d'Airbus et celui d'Air Lib. Airbus a déjà engagé, sous sa propre responsabilité, les opérations de déstockage des deux avions. Air Lib est confiante, compte tenu des discussions en cours et des engagements des autres parties, en l'obtention d'un prix final significativement inférieur à 75 millions de dollars.

Pour la rédaction de la présente opinion, il a été retenu un prix de 70 millions de dollars par appareil.

2. Il est prévu que le financement soit arrangé par Crédit Agricole Indosuez, qui en recherchera la syndication. Ce financement comprendra :

- une tranche senior de 47 millions de dollars environ, principal objet de la syndication,

- une tranche junior de 25 millions de dollars, pour laquelle la société PK Air Finance, filiale du groupe General Electric, a donné un accord de principe,

- et une tranche subordonnée de 14 millions de dollars consentie par Air Lib ou toute autre entité que celle-ci pourrait être amenée à se substituer.

Le financement sera complété par un prêt relais des avances de différé fiscal, d'environ 21 millions de dollars, également à arranger et à syndiquer par CAI1.

3. Ce schéma de financement est appuyé sur deux garanties extérieures au preneur :

- une garantie de valeur résiduelle de l'avion au moment de l'exercice éventuel de l'option de sortie du GIE (8 ans et 8 mois), donnée par Airbus aux prêteurs junior et senior, pour une tranche entre 27 millions de dollars minimum et 40 millions de dollars maximum, pour laquelle le constructeur a donné son accord de principe lors d'une réunion tenue au ministère des transports.

- une garantie de continuité d'exploitation des avions donnée par une compagnie aérienne de premier rang. Les termes principaux de cette garantie sont le montant du loyer accepté (exprimé en fonction des taux d'intérêt court terme à ce jour) et les conditions de reprise des avions par la compagnie garante. En l'état actuel des choses, la compagnie garante s'obligerait à prendre les deux appareils moyennant un loyer mensuel indexé de 500 000 dollars par appareil (...)

4. L'ensemble du dispositif suppose l'obtention de l'agrément fiscal approprié. La lettre du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 8 janvier 2002 donne un aval de principe à la fois (i) quant à l'éligibilité de l'opération au bénéfice du mécanisme de l'article 39 CA et , dans ce cadre, à la non remise en cause de l'agrément en cas de changement du locataire de l'avion et (ii) quant à l'exonération de la plus value de cession en cas d'exercice de l'option d'achat anticipée par le preneur ou par un tiers ou en cas de revente de l'avion. »

En effet, de manière générale, les biens acquis dans le cadre du GIE fiscal font l'objet d'une obligation de conservation. Cela étant, de façon dérogatoire, la décision d'agrément peut permettre la cession en franchise d'impôt du bien.

La banque Arjil et associés estimait en conclusion que « sur la base de l'ensemble des éléments (...), en supposant la capacité fiscale placée pour l'essentiel auprès d'entreprises du secteur public, la trésorerie nette dégagée pour Air Lib par cette opération serait de l'ordre de 42 millions d'euros (au taux de change de 1 euro = 0,87 USD). »

Un tableau fourni en annexe prévoyait trois hypothèses de prix unitaire de l'avion, respectivement 75 millions de dollars, 70 millions de dollars et 65 millions de dollars. En fonction de celles-ci, le gain en trésorerie pour Air Lib par avion allait de 14,3 millions de dollars à 18,3 millions de dollars, voire 22,2 millions de dollars dans l'hypothèse la plus favorable. La fourchette de gain pour Air Lib pour deux avions allait donc de 32,9 millions d'euros à 51 millions d'euros.

_ Dans ce dossier, l'Etat a fait sa part du travail. Deux courriers adressés par M. Laurent Fabius à M. Jean-Charles Corbet ont notifié un accord de principe pour l'acquisition d'appareils dans le cadre de l'article 39CA du CGI.

Le premier, en date du 8 janvier 2002, précise que :

« Par une demande déposée le 28 novembre 2001 et complétée en dernier lieu le 26 décembre 2001, vous avez sollicité l'agrément prévu au 3° du premier alinéa de l'article 39 CA du code général des impôts et l'application des dispositions du 7ème alinéa du même article pour l'acquisition de deux avions Airbus A340 par un groupement d'intérêt économique (GIE) non soumis à l'impôt sur les sociétés.

Les avions, d'un prix de revient unitaire de 100 millions de dollars, seraient acquis par un GIE créé pour l'occasion et regroupant, directement ou indirectement, des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés qui le donnerait en location à la société Air Lib.

Au regard des éléments économiques fournis à l'appui de la demande, l'investissement envisagé a vocation à bénéficier des avantages fiscaux prévus par les dispositions rappelées ci-dessus.

Une décision d'agrément, précisant notamment les conditions auxquelles est subordonné son octroi, ne pourra vous être adressée que lorsque les modalités financières du montage seront définies avec précision et que les éléments juridiques et financiers requis me seront parvenus. »

Le second courrier, daté du 3 mai 2002, confirme la décision de principe, les modalités techniques relatives à l'opération devant faire « l'objet d'une décision au vu du dossier d'ensemble de l'opération qui devra être présenté à la direction générale des impôts chargée de l'instruction de ce type de dossier. Celle-ci n'a cependant pas encore été saisie depuis la décision du 8 janvier. »

On notera que cette position a été maintenue par le nouveau gouvernement. Une lettre de M. Francis Mer adressée à Jean-Charles Corbet, datée du 31 juillet 2002, précise ainsi que « par lettre de mon prédécesseur des 8 janvier et 3 mai 2002, il vous a été confirmé que l'opération d'acquisition de deux Airbus A 340-300 par votre compagnie pouvait bénéficier de l'article 39 CA du code général des impôts.

Je vous confirme à nouveau cette décision de principe, en vous précisant que l'agrément définitif sera délivré dès qu'un syndicat d'investisseurs aura souscrit les droits dans le GIE. »

L'accord de principe du ministre étant acquis et les appareils à acquérir étant disponibles, seuls restaient à trouver les investisseurs nécessaires.

2.- L'absence persistante d'investisseurs

La mise en place du GIE fiscal s'est heurtée à deux problèmes liés au manque de crédibilité financière d'Air Lib : le caractère indispensable d'une garantie de reprise des avions par une autre compagnie en cas de défaillance d'Air Lib et le peu d'appétence à investir dans un secteur en grande difficulté.

_ La note précitée de la banque Arjil et associés évoque très explicitement la nécessité de bénéficier d'une garantie de continuité de l'exploitation des avions acquis dans le cadre du GIE. Air France a donc été sollicitée en raison de sa qualité de compagnie aérienne française de premier rang. Un courrier du 11 octobre 2002, adressé à Jean-Charles Corbet par M. Jean-François Court, associé gérant d'Arjil et associés banque, précise qu'« un premier axe a été d'obtenir d'Air France une garantie de prise en location opérationnelle des deux avions à première demande en cas de défaillance d'Air Lib, condition indispensable pour lever le financement auprès d'institutions financières. La Compagnie a fini par donner un accord de principe le 30 avril 2002. » Comme l'a relevé M. Claude Brandès, directeur financier d'Airbus,  « c'est une garantie qui permettait en particulier d'assurer aux apporteurs de capitaux que les bénéfices fiscaux qu'ils retiraient de la structure mise en place ne seraient pas remis en cause par l'administration fiscale. C'était un point d'ancrage fondamental. »

Pour autant, Air France n'a pas accepté de jouer un rôle d'ultime garantie à n'importe quel prix.

M. Claude Brandès a ainsi également pu préciser que « du côté d'Air France, il y a eu trois obstacles essentiels. Le premier, c'est que, dès le départ, Air France a indiqué clairement qu'à l'expiration initiale du financement, ils n'achèteraient pas les avions (...) cela signifiait que les prêteurs récupéraient l'avion et devaient le vendre sur le marché. Dans une période post-11 septembre, c'est une situation que les prêteurs n'aimaient pas trop.

Le deuxième obstacle était le montant du loyer. Air France ne souhaitait pas payer davantage que 500 000 dollars par mois, hors les réserves de maintenance pour faire en sorte que l'avion soit correctement entretenu. Au regard d'un tel chiffre, lorsqu'on essaie d'amortir la dette, on s'aperçoit que, et ce compte tenu de l'attitude des prêteurs, l'on ne parviendrait pas à boucler la partie dette de l'opération. D'où une autre difficulté : qui allait prendre en charge cette partie dette qui n'était pas apportée ou que les prêteurs ne souhaitaient pas apporter ?

Le troisième obstacle était les conditions de reprise de l'avion par Air France. Les questions suivantes se posaient : dans quelles conditions la compagnie Air France accepterait-elle de reprendre les avions ? Comment les avions devraient-ils être entretenus par Air Lib ? Air France aurait-elle un droit de regard sur les conditions de l'entretien ? Dans l'hypothèse où l'avion ne serait pas transféré à Air France dans des conditions satisfaisantes, qui paierait les frais et au bout de combien de temps Air France serait amenée à récupérer ces avions ? Si la période entre Air Lib et Air France est d'un mois, tout le monde peut le supporter, mais au-delà, Air France continuant à payer des loyers, elle n'y retrouverait pas son compte.»

_ Outre ces questions portant sur les garanties apportées aux investisseurs dans le cadre d'un GIE dérogatoire, le principal problème a été l'absence presque unanimement reconnue de ceux-ci.

M. Jean-Baptiste Massignon, secrétaire général du CRI a ainsi indiqué avoir « toujours été persuadé qu'il n'y aurait jamais d'investisseurs ».

M. Serge Monnin, secrétaire du comité d'entreprise et délégué syndical de la CFDT, a indiqué pour sa part que le GIE fiscal « ne s'est pas fait parce que des informations ont paru dans la presse : notamment l'intervention éventuelle de la Caisse des dépôts qui avait été évoquée au comité d'entreprise. Malheureusement, le lendemain, cette information a été publiée dans la presse ; la Caisse des dépôts - en tout cas d'après M. Corbet - se serait retirée à cause de cela et le montage est tombé à l'eau ».

La recherche d'investisseurs s'est révélée totalement infructueuse. M. Jean-Claude Jouffroy, directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, a ainsi pu déclarer : « le Président d'Air Lib a eu beaucoup de difficultés à trouver des investisseurs. Nous l'avons interrogé mille et une fois entre le mois de juin et le mois de juillet. Moi-même j'ai fait des réunions pour savoir exactement où on en était.

M. Corbet était conseillé par la banque Arjil. A une de ces réunions, au mois de juillet me semble-t-il, j'avais demandé à la banque de venir parce que je préférais m'adresser directement à la banque pour savoir exactement les choses.

La banque Arjil m'a confirmé à l'époque - courant juillet - que les investisseurs n'étaient pas tous trouvés mais qu'il y avait grosso modo 25 % du financement assuré par Crédit Agricole Indosuez. Je n'ai pas de papier sur ce point, mais c'est ce que l'on m'a dit. Cela ne représentait qu'une partie du financement. Mais je n'ai aucune preuve et je n'en sais pas plus.

En tout cas, il n'a pas pu se faire parce qu'il n'y a pas eu les investisseurs nécessaires. »

Le risque présenté par Air Lib dans un contexte de crise du transport aérien a découragé toute velléité d'investissement. Comme a pu l'indiquer M. Claude Brandès lors de son audition : « quel que soit le financement et quels que soient les avantages qui peuvent être consentis par un client, que ce soit sur le prix de l'avion ou sur le bénéfice fiscal, c'est le client qui est fondamental dans l'appréciation du risque. Or Air Lib, même pendant la première moitié de l'année 2002, n'a jamais suscité une confiance telle que soit les investisseurs, soit les prêteurs étaient prêts à monter dans l'opération. »

La lettre précitée du 11 octobre 2002 adressée à M. Jean-Charles Corbet par la banque Arjil confirme ces difficultés en rappelant qu'Air France n'avait pas souhaité jouer le rôle de garant de l'opération et que le nouveau gouvernement avait signifié qu'il n'était pas favorable à un investissement par des entreprises publiques. Ce dernier avait toutefois réaffirmé son accord de principe sur l'opération. Ainsi, la note précisait :

« Les délais intervenus dans les discussions précédentes, du fait notamment des rapports avec Air France, ont fait que le placement n'a pu commencer qu'après les élections. Les nouvelles autorités ont indiqué qu'elles ne souhaitaient pas que la capacité fiscale soit souscrite par la sphère publique (tout en confirmant l'accord de principe sur l'agrément fiscal). Les démarches envers des preneurs privés (entreprises et institutions financières) menées par CAI et nous-mêmes ont montré que le schéma en cause ne pourrait être placé dans le privé, compte tenu de ses spécificités et de la présence d'Air Lib comme crédit-preneur (juin 2002).

Compte tenu de cette situation, nous avons travaillé durant le mois de juillet, à la suggestion de CAI, sur un schéma dans lequel le crédit-preneur des avions serait un véhicule ad hoc détenu par le constructeur, qui donnerait les avions en location opérationnelle à Air Lib avec Air France comme locataire de substitution.

Un tel schéma présente des avantages significatifs : la présence d'Airbus comme « garant » du schéma fiscal le crédibilise et le rend plaçable : le véhicule ad hoc étant une société de location, cela renvoie à son niveau le problème du basculement Air Lib/Air France et supprime un ensemble de dérogations délicates au niveau de l'agrément. De ce fait, l'essentiel des risques liés au schéma avec Air Lib comme crédit-preneur disparaît. En revanche, si le texte permet de donner l'agrément à une telle société de location, la doctrine de la DGI est de ne pas le faire pour des avions. Le ministère des Finances a cependant indiqué que la mesure lui paraissait possible, pour autant que le véhicule ad hoc soit bien spécifique à cette opération et ne serve pas à d'autres.

Ce schéma a été présenté fin juillet 2002 à Airbus qui continuait à manifester son souhait d'avancer rapidement avec Air Lib, ayant souligné dès la fin juin que les appareils pourraient être remarketés faute d'une issue rapide. »

3.- Airbus a finalement choisi un autre acquéreur pour les deux avions

Pour finir, l'opération ne se réalisant pas, les deux avions qui en étaient l'objet premier ont fini par être cédés à Air Tahiti Nui. M. Noël Forgeard a indiqué sur ce point qu' « au mois de juin 2002, j'ai commencé, en tant que patron d'Airbus, à m'énerver parce que j'avais toujours ces avions en stock et que je voyais bien que les discussions ne menaient nulle part. Je crois que c'est à cette époque que nous avons signifié à Air Lib qu'il pouvait toujours acheter les avions, mais que nous ne les réservions plus. Air Lib pouvait les prendre sous réserve que personne d'autre ne les ait pris entre-temps. Puis l'affaire avec Air Tahiti s'est nouée et les avions ont été, à notre grande satisfaction, vendus à cette compagnie en août. »

Les avions ont été cédés à un prix tenant compte du fait que les acomptes versés par Swissair, soit 27 millions de dollars par appareil, étaient définitivement acquis par Airbus. Comme l'a souligné M. Noël Forgeard : « le contrat qui liait le groupe Airbus à Swissair est tout à fait explicite en cas de défaillance de l'acheteur. Les acomptes sont acquis au fabricant. Je peux vous expliquer le pourquoi de cette pratique très générale dans les contrats d'avion. Quand un acheteur fait défaut, le fabricant doit supporter l'avion en stock pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, et surtout le reconfigurer. On n'imagine pas à quel point un avion comporte des éléments spécifiques à un client. Les avions sont de plus en plus faits sur mesure. La cabine, voire certains des systèmes, sont totalement spécifiques. Puis il y a des frais de remarketing. C'est la raison pour laquelle les acomptes sont acquis au fabricant si l'acheteur fait défaut. »

Arjil a par la suite continué à travailler sur le montage d'un GIE fiscal dans le cadre de l'acquisition de cinq A320 d'occasion utilisés auparavant par Ansett, à travers un schéma ne nécessitant pas l'intervention d'Air France. Un courrier d'Arjil et associés à Jean-Charles Corbet daté également du 11 octobre soulignait toutefois les multiples difficultés de ce dossier et la nécessité d'un nouvel agrément :

« (...) l'agrément pour ce dispositif serait différent de celui qui a été acté dans son principe par trois lettres des ministres des finances, le dossier devant être de nouveau déposé à la DGI.  Le nouveau schéma introduit trois nouveaux éléments non négligeables :

- le véhicule interposé par le constructeur sera une pure société de location, ce qui, bien que non contraire aux textes, n'est pas la pratique de l'administration ;

- aucun agrément 39 CA n'a été délivré pour des avions d'occasion à ce jour, bien que, là encore, rien ne s'y oppose dans les textes ;

- le lien n'existe plus entre les avions en cause et les dépôts reçus de Flightlease par le constructeur : il faudra donc discuter avec la DGI du prix d'acquisition et justifier que celui-ci correspond bien au prix « économique » des avions (ce qui est une exigence légale).

Les contacts pris avec le cabinet du ministre et avec les services laissent penser que cet agrément devrait pouvoir être obtenu. Toutefois, nos interlocuteurs ont souligné que, si l'accord de principe politique existant aujourd'hui restait valide, sa confirmation, le moment venu, s'articulerait avec les décisions plus générales que les pouvoirs publics doivent prendre sur le plan de restructuration de la Compagnie. »

Le dossier n'a semble-t-il guère plus avancé par la suite. Un courrier d'Arjil du 21 octobre 2002 indique ainsi que : « si les services et le cabinet de Bercy ont été tenus régulièrement informés de l'évolution des choses, aucun dossier modifié n'a encore été officiellement remis à la DGI. En effet, pour la saisir officiellement, il est indispensable que le périmètre et les conditions de l'opération soient définitivement arrêtés. » On rappellera que la banque Arjil a reçu 300 000 euros d'honoraires pour son rôle dans l'élaboration des schémas de GIE fiscal.

B.- UN PRÊT DU FDES DE 30,5 MILLIONS D'EUROS ACCORDÉ DANS DES CONDITIONS SURPRENANTES

La constitution effective du GIE fiscal se révélant pour le moins délicate, c'est le prêt du FDES, décidé officiellement par le Premier ministre lors de la réunion des ministres du 3 janvier 2001 et confirmé à la suite de la réunion interministérielle du 7 janvier, qui a constitué l'aide immédiate dont Air Lib avait besoin pour « passer l'hiver ».

Soucieux de tout faire pour tenter de sauver l'emploi et de ne pas perturber les départs en vacance, particulièrement en ce qui concerne les liaisons avec les DOM, le nouveau gouvernement sera par la suite conduit à en accorder la prolongation, et ce malgré les nombreuses inquiétudes que cette dernière a pu faire naître.

1.- Un prêt sur instruction et sans instruction

_ Comme l'a indiqué M. Bruno Bézard, conseiller pour les affaires économiques et financières au cabinet de M. Lionel Jospin, la décision de principe d'accorder un prêt du FDES à Air Lib a été prise lors d'une réunion des ministres concernés (finances, transports et outre-mer) et du Premier ministre, le 3 janvier 2002 : « J'ai ensuite assisté, le 3 janvier, à 18 heures, à une réunion de ministres, sous la présidence du Premier ministre, qui a abouti à la décision de principe de ce soutien public à l'entreprise. (...)Typiquement, comme c'est assez fréquemment le cas dans de telles circonstances, deux ministères s'opposaient : le ministère sectoriel, en l'occurrence le ministère des transports, qui plaidait pour un soutien de l'Etat jugé indispensable pour des raisons sociales et politiques, et se montrant relativement optimiste sur la viabilité ultérieure de l'entreprise, et le ministère des finances qui faisait un diagnostic plus pessimiste et qui refusait le principe d'une telle aide. Dans ce cas particulier, un autre ministère, le ministère des DOM-TOM, était concerné et plaidait également pour une intervention de l'Etat. »

M. Jean-Claude Gayssot, ancien ministre de l'équipement, du logement et des transports, a pour sa part indiqué : « Un arbitrage est intervenu. Entre le ministre des finances, quel que soit le bord politique, et un ministère, par vocation, dépensier comme l'est le ministère de l'équipement, du logement et des transports, des oppositions souvent surgissent. Le ministère des finances en effet est, par vocation, plus pointilleux et soucieux des équilibres budgétaires. J'ai plaidé en faveur du prêt, mais limité à six mois et assorti de conditions, parce que la dette de 400 millions de francs n'était pas encore payée par Swissair-Wendel. Il existait également la possibilité sur le plan financier de créer un GIE fiscal. Bref le prêt était gagé sur la restructuration de l'entreprise ; j'en ai totalement approuvé les conditions. »

M. Laurent Fabius, ancien ministre de l'économie des finances et de l'industrie a déclaré : « Le ministère des transports insistait en particulier sur la nécessité de donner plus de temps à l'entreprise pour passer le cap conjoncturel. Il s'appuyait, à mon souvenir, sur des éléments liés au secteur des transports, c'est-à-dire la perception d'un climat social qui était délicat pour faire aboutir une négociation avec les pilotes, la reprise dans le transport aérien, les problèmes de concurrence sur les lignes intérieures liés à la politique d'attribution des créneaux horaires, car si Air Lib disparaissait, des créneaux horaires se libéraient. Du côté du ministère des DOM-TOM, il y avait la nécessité de mobiliser les élus sur ce dossier et l'insistance sur la desserte territoriale. Le Premier ministre, compte tenu des arguments que j'ai développés et de ceux qu'ont développés mes collègues, a choisi de donner un délai supplémentaire au processus. Toutefois, ce délai a été très encadré pour permettre à l'Etat d'obtenir d'Air Lib des engagements écrits sur ses intentions. A cet égard, le ministère de l'économie et des finances, comme c'est sa fonction, a joué un rôle particulier car, jusqu'alors, il n'y avait pas eu d'engagement écrit. Ceci a abouti à trois novations : d'une part, le prêt FDES était limité à six mois, soit jusqu'au 9 juillet 2002. Ceci offrait un délai suffisant à l'entreprise tout en créant une clause de rendez-vous ferme avec l'Etat, pour limiter, au-delà de cette date, les engagements pris par l'Etat vis-à-vis de la compagnie. »

_ L'audition de M. Jean-Baptiste Massignon, secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), a permis de saisir le caractère très particulier des travaux ayant abouti à la signature d'un contrat de prêt avec Air Lib.

« M. Jean-Baptiste Massignon : La manière dont nous avons été saisis du dossier Air Lib est habituelle à certains égards, à d'autres un peu moins. Elle est habituelle s'agissant de l'activité du secrétariat général du CIRI. Nous sommes fréquemment sollicités par le réseau des services extérieurs du ministère de l'économie et des finances, par les préfectures ou par différents cabinets ministériels, au premier rang desquels le cabinet du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur la situation de telle ou telle entreprise. Au cas particulier, le cabinet du ministre, sollicité par le ministre des transports, a appelé notre attention sur la situation de cette entreprise.(...) C'était aux alentours de Noël, juste après (...) Il nous indique que le dossier a été soumis au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et qu'il va être ou a été, les choses ne sont pas tout à fait claires, l'objet d'une réunion de ministres sous la présidence du Premier ministre. L'intention du gouvernement, c'est là où je voulais en venir tout à l'heure sur le caractère un peu inhabituel de cette saisine, était qu'une intervention financière soit mise en place.»

De fait, le CIRI a été amené à intervenir alors même qu'il disposait de peu de renseignements sur l'état réel d'Air Lib. En témoigne cet échange avec M. Philippe Leroy, secrétaire général adjoint du CIRI :

« M. le Rapporteur : Vous vous êtes donc simplement appuyés sur des articles de presse.

M. Philippe Leroy : Pas tout à fait ! Jusqu'au 5 janvier, nous n'avions eu connaissance du dossier Air Lib que par voie de presse. À partir du 5 janvier, date de notre rencontre avec M. Corbet, nous avons eu de sa part un exposé de la situation qui est relaté dans la note en date du 8 janvier.

M. le Président : A-t-il appuyé son exposé de documents probants ?

M. Philippe Leroy : Il n'y a pas eu de remise de document le samedi 5 janvier, selon mon souvenir.

M. Jean-Baptiste Massignon : L'argumentation du dirigeant de la société, assisté de ses conseils, pour solliciter le concours financier de l'État ne s'appuyait pas tant sur un cas d'investissement relatif à Air Lib que sur l'affirmation du défaut de paiement de Swissair. »

M. Jean-Baptiste Massignon a également précisé qu' « il a pu y avoir un hiatus entre la direction de l'entreprise et le mode de fonctionnement habituel du CIRI. Généralement, lorsqu'une entreprise désire nous rencontrer pour traiter de sa situation financière, nous ne prenons pas systématiquement la précaution de lui demander d'apporter des comptes, des prévisions de trésorerie, des éléments financiers, tellement cette démarche nous paraît évidente. Je parle sous le contrôle de Philippe Leroy, car je n'étais pas présent lors de l'entretien du 5 janvier, les dirigeants de l'entreprise sont venus sans document de cette nature. »

Malgré cela, lors des réunions interministérielles, les services du ministère de l'économie et des finances ont informé constamment leur ministre des dangers d'un tel prêt et se sont opposés à son octroi à de nombreuses reprises. Une fois le choix effectué, ils n'ont cessé de multiplier les mises en garde et avertissements.

Ainsi, une note du directeur du trésor au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 5 janvier 2002 (0010CD), attirait l'attention de ce dernier sur « les risques extrêmement élevés qu'entraînerait l'octroi d'un tel prêt à la société Air Lib », pour les raisons suivantes :

« - le risque très élevé d'échec de l'entreprise et donc de défaut de paiement sur cet emprunt qui n'a fait l'objet d'aucune instruction préalable de la part du secrétariat général du CIRI compte tenu du traitement direct de ce dossier par le département ministériel en charge des transports aériens. Les informations publiques dont nous disposons via la presse soulignent la très grande fragilité de la société dans un secteur qui, sur le plan mondial, a été le plus affecté par les événements du 11 septembre,

- la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat pour soutien abusif, au motif que le prêt comblerait des pertes sans perspective tangible de retour à l'équilibre. Une telle attitude est susceptible d'incrimination pénale si la déconfiture de la société advenait dans des délais proches de la mise en place du prêt,

- les responsabilités personnelles des ordonnateurs en termes de droit budgétaire et comptable,

- la non-conformité d'une telle aide vis-à-vis de la réglementation européenne, et les risques de demande de reversement qu'elle entraînera (...) »

Le directeur du Trésor avait, pour sa part, ajouté l'annotation manuscrite suivante :

« J'attire l'attention du ministre sur plusieurs points :

1- Les ressources du CST sont insuffisantes pour répondre aux demandes d'Air Lib en termes de prêt (30,5 millions d'euros).

2- Nous sommes face à une entreprise qui n'a ni actionnaire (sauf M. Corbet à titre personnel) ni banquier (même pour l'exploitation courante) ni ressources (si ce n'est une créance sur Swissair qui ne sera liquidée qu'après un contentieux long).

3- Les pertes d'exploitation s'élèvent à plus ou moins 100 millions d'euros depuis août 2001. Ces pertes sont égales aux pertes en trésorerie.

4- Il n'y a aucune perspective de remboursement de concours du seul créancier qui est l'Etat avant au mieux fin 2003. »

Lors de la réunion interministérielle précitée du 7 janvier 2002, M. Daudin, conseiller technique au cabinet du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a d'ailleurs fait part de ses réserves. Le compte rendu de la réunion indique qu'« il estime en revanche que la viabilité à terme de la compagnie est extrêmement problématique en raison de la situation générale du transport aérien et d'un ensemble de difficultés spécifiques à la compagnie. Il estime que le besoin d'apports financiers nécessaires à son rétablissement est très sensiblement supérieur au montant de la créance auprès de Swissair. Il considère que le montant correspondant à cette créance ne permettrait en tout état de cause qu'une poursuite provisoire de l'activité de cette compagnie. »

La question d'un éventuel soutien abusif de la part de l'Etat a été explicitement abordée à ce moment.

Interrogé sur ce point lors de son audition, M. Jean-Claude Gayssot a estimé : « Mon soutien n'a rien à voir avec un soutien abusif. Je considérais et je considère - ma position de ce point de vue n'a pas changé - qu'il existe une place pour une compagnie dans cette activité du transport aérien. Je sais qu'une dette de Swissair-de Wendel n'est pas honorée. Je sais également que l'on envisage le montage d'un GIE fiscal, élément qui permet de gager le prêt. A partir de là, ma position n'a rien à voir avec une étude technique et financière spécifique. Mon ministère n'en a pas les capacités. Si qui que ce soit m'avait dit qu'il s'agissait d'un prêt à fonds perdus, je ne l'aurais pas soutenu. Des réserves avaient été formulées qui toutefois n'allaient pas jusqu'à prétendre que l'argent serait gaspillé ou gâché. Tout au plus, les réserves suscitaient le doute. Le ministre de l'outre-mer, le ministre des transports et finalement le Premier ministre ont accepté les conditions. Vous poserez la question à mon successeur : quand nous quittons le gouvernement après les élections, le prêt qui était fondé sur six mois, a été reconduit. »

Pourtant, le compte rendu de la réunion interministérielle précitée indique que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie « rappelle que la Caisse des dépôts et consignations ainsi que l'Agence française de développement se sont montrées hostiles à tout octroi de prêt en faisant valoir qu'une telle intervention n'était pas compatible avec leur objet social et qu'elle serait susceptible de constituer un soutien abusif. Une autre solution qui présente toutefois le même risque de soutien abusif pourrait être de faire intervenir le FDES. Si le Premier ministre devait arbitrer en faveur d'une aide à cette compagnie, au-delà de ce qui a déjà fait l'objet d'un accord, il propose, tout en confirmant ses réserves de principe, de recourir à cette solution. »

Comme il a déjà été indiqué, le Premier ministre, à la suite de cette réunion, confirmera la décision d'accorder un prêt du FDES en deux tranches.

La décision est signifiée aux services par le ministre de l'économie et des finances par une annotation manuscrite portée par M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en haut de la note du 5 janvier précitée : « Sur instruction du Premier ministre, et malgré mes réserves expresses, prêt FDES de 16,5 millions d'euros. »

Une note du directeur du Trésor du 8 janvier 2002 (0013CD) portant sur la mise en place du prêt rappelait de nouveau les incertitudes qui pouvaient peser sur la viabilité d'Air Lib. Elle précisait notamment que « la société Air Lib n'a de banquier ni de haut de bilan ni d'exploitation, ses comptes sont tenus par la BRED et NATEXIS. L'entreprise ne peut accéder à des prestations habituelles pour une compagnie aérienne comme le nantissement de son BSP. Air Lib n'a donc à ce jour aucun partenaire bancaire ou financier. »

Par ailleurs, « depuis la reprise, Air Lib perd en moyenne 12 millions d'euros par mois qu'elle a financés grâce aux versements de Swissair. Ayant épuisé ses fonds, elle serait à cours de trésorerie le 9 janvier 2002 (...) Avec l'apport envisagé de 61 millions d'euros en capitaux permanents issus d'un prêt FDES et des GIE fiscaux, en prolongeant les courbes de trésorerie fournies par les dirigeants qui intègrent des coûts de restructurations, le risque d'une crise de trésorerie est théoriquement repoussé à début mai 2002 (...). Les dirigeants de la société Air Lib affirment cependant qu'avec un apport de 61 millions d'euros en capitaux permanents, ils sont en mesure de redresser la société avec un retour à l'équilibre prévu dans 18 mois et que la situation de la société Air Lib ne sera pas irrémédiablement compromise, ce qu'ils auraient besoin de prouver au président du tribunal de commerce en début de semaine et ce qui leur permettrait de lancer le plan social. »

De plus, les problèmes liés à la compatibilité du prêt avec la réglementation communautaire étaient soulignés :

« 1. Ces « aides au sauvetage » sous la forme de prêt apparaissent donc comme faisant courir explicitement un risque de soutien abusif. Ce prêt serait en effet notamment accordé sans perspectives réelles de viabilité de l'entreprise, sa démonstration restant par définition à apporter, et sans raisonnable certitude de remboursement. En cas de dépôt de bilan, il existe donc des risques de poursuite pénale pour complicité de banqueroute, que seraient appelés à mener M. Corbet, des clients d'Air Lib ou tout créancier de cette société en cas de dépôt de bilan.

2. Les « aides au sauvetage » doivent d'autre part respecter les règles posées par « les lignes directrices communautaires pour les aides d'Etat au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficulté ». Or, le point 7 de ce document précise qu'une entreprise issue de la reprise des actifs d'une entreprise - comme Air Lib - est considérée comme nouvelle et n'est pas éligible. Au titre de la réglementation européenne, Air Lib ne peut bénéficier d'une aide au sauvetage. »

La note précisait également les conditions du prêt, d'une durée de six mois (renouvelable une fois), avec un taux de 5,06 %, une clause de remboursement anticipé au fur et à mesure du paiement des créances dues par Swissair et, en garantie, le nantissement du fonds de commerce.

Ces conditions sont reprises dans le contrat de prêt conclu entre Air Lib et Natexis Banques Populaires (agissant pour le compte de l'Etat), approuvé par Laurent Fabius dans un courrier du 9 janvier 2002 adressé au directeur des activités institutionnelles de Natexis. Le nantissement du fonds de commerce au profit de l'Etat en premier rang et sans concurrence est prévu par l'article 11 du contrat. Comme l'a indiqué M. Philippe Leroy lors de son audition, compte tenu du calendrier très serré, « la recherche de garanties substantielles n'a donc pu être faite au-delà des prises de garanties classiques, à savoir le nantissement du fonds de commerce

_ L'attente de la disponibilité des fonds pour assurer le versement de la deuxième tranche du prêt du FDES a permis d'approfondir les recherches sur la situation réelle d'Air Lib.

La note du directeur du Trésor au ministre datée du 29 janvier 2002 (0157CD) demande ainsi le lancement par le secrétaire général du CIRI d'une mission d'audit de la situation financière d'Air Lib, « avec notamment l'objectif d'établir une situation et des perspectives de trésorerie fiables ».

Confiée au cabinet Mazars et Guérard, cette étude a été remise à l'Etat le 12 février 2002. Intitulée Validation des prévisions de trésorerie 2002, cette étude, réalisée en deux semaines, avait pour objectif, rappelé en introduction, de s'« assurer de la cohérence et la vraisemblance des informations communiquées par la société Air Lib. Il ne nous appartenait pas de nous prononcer sur la probabilité de réalisation de l'activité prévisionnelle, ni sur les conditions de sa réalisation (...) Nous n'avons pas procédé à un audit des comptes de la société. Nous n'avons en particulier réalisé aucune des diligences normales de l'audit que sont la confirmation d'informations auprès des tiers et la réalisation d'inventaires physiques (...) Notre intervention a été limitée à la seule société Air Lib. Nous n'avons procédé à aucune analyse détaillée de la situation des sociétés sœurs (...) Nous n'avons pas eu accès à la comptabilité de la société Holco. En conséquence nous ne sommes pas en mesure de confirmer la réciprocité des opérations entre les deux sociétés, ni les incidences de sa situation propre sur celle d'Air Lib. »

Les limites de cet exercice ont été soulignées par M. Jean-Baptiste Massignon lors de son audition : « Pour parler très directement, en mandatant le cabinet Mazars début février, nous voulions savoir si la trésorerie de l'entreprise affichait moins 10, moins 20, moins 80 ou moins 200 millions d'euros. L'auditeur nous confirme que leur situation est à peu près, sous réserve d'éventuels retraitements, celle qui nous a été indiquée (...) Nous ne nous situons pas sur le terrain de l'exactitude comptable et, en aucun cas, je ne veux vous donner cette impression. »

Comme l'a indiqué M. Luc Marty du cabinet Mazars et Guérard, « nous avons démarré nos travaux le 5 février 2002 dans les locaux de la société d'exploitation AOM-Air Liberté. Nous avons rendu nos premières conclusions d'étape auprès du CIRI le 12 février, puis notre rapport définitif le 19 février 2002(...) Notre intervention a été réalisée par une équipe de six collaborateurs, tous très expérimentés, et a représenté un volume global d'intervention de plus de trente-trois « jours/homme » »

Les constatations du cabinet Mazars sont synthétisées dans une note du directeur du Trésor sur la situation d'Air Lib, adressée au ministre le 15 février 2002 (0306CD). Le niveau de besoins estimé de financement cumulé en fin de mois atteignait 20 millions d'euros en février, 30,5 millions d'euros en mars, 43,3 millions d'euros en avril, 46 millions d'euros en mai et 84,9 millions d'euros en décembre. La note précise que :

« La situation de trésorerie est d'ores et déjà très tendue, sachant que :

- le pic de mi-février peut éventuellement être financé si Holco poursuit ses avances en compte courant à Air Lib (environ 5 millions d'euros sont encore disponibles (...)

- l'entreprise ne sera financée en mars qu'à la condition que le solde du prêt FDES soit versé par l'Etat et que le GIE fiscal soit mis en place pour un versement des fonds avant la mi-mars pour un montant d'au moins 30 millions d'euros ;

- aucun moyen de financement n'est ensuite disponible, alors que la compagnie envisage la mise en place de son plan de restructuration à cette date. »

En ce qui concerne Holco, la note indique que la holding « possède des ressources disponibles de 20 millions d'euros dont 15 millions d'euros dans une filiale aux Pays-Bas.

Les financements apportés par Swissair ont permis de contribuer à financer les pertes d'exploitation de l'entreprise en 2001 ainsi que de capitaliser les entreprises composant le groupe Air Lib.

Ainsi la holding de tête Holco dispose-t-elle encore d'environ 5 millions d'euros immédiatement disponibles.

Par ailleurs, une société, filiale à 100 % d'Holco, n'ayant apparemment pas de caractère opérationnel, a par ailleurs été créée aux Pays-Bas. Celle-ci a été capitalisée à hauteur de 15 millions d'euros et la propriété de 6 avions lui a été transférée.

M. Corbet dit vouloir conserver cette somme pour financer les frais de poursuites visant à recouvrer le paiement des créances sur le groupe Swissair détenues par Air Lib en cas de dépôt de bilan de cette dernière. »

Les pièces comptables d'Holco SAS consultées par le Rapporteur permettent de confirmer cette analyse dans ses grandes lignes.

Avant l'octroi du prêt du FDES, la trésorerie disponible dans le groupe Holco se décomposait schématiquement de la manière suivante :

- Holco Lux : 5 millions d'euros (un million d'euros en capital, quatre millions d'euros en compte courant) ;

- Mermoz : 12,196 millions d'euros ;

- Holco SAS (fin décembre 2001) : 7,239 millions d'euros.

Soit un total de trésorerie de 24,43 millions d'euros, représentant environ deux mois de pertes d'exploitation d'Air Lib.

Les conclusions de la note précitée étaient donc pessimistes :

« Les dirigeants d'Air Lib ne sont actuellement pas en mesure de donner une visibilité sur les perspectives de redressement de leur entreprise et de présenter le plan d'affaires correspondant. De plus, dans le cas où la seconde tranche du prêt serait versée, aucun des financements complémentaires, nécessaires pour poursuivre l'activité au-delà de début mars, n'est acquis. Enfin, le groupe dispose de disponibilités de plus de 15 millions d'euros que son dirigeant n'entend pas utiliser pour financer l'exploitation d'Air Lib.

A ce stade, je ne peux donc que recommander au ministre de ne pas procéder au versement de la deuxième tranche du prêt FDES, et d'informer le Premier ministre de l'état de la société. »

L'annotation manuscrite du directeur du Trésor était tout aussi explicite : « la situation de la société est dramatique, comme c'était hélas prévisible. »

Dans un courrier portant la mention manuscrite « très signalé » adressé le 15 février 2002 au Premier ministre, M. Laurent Fabius rappelait les sombres perspectives de la compagnie et concluait ainsi : « Dans de telles conditions, il semble que, sauf mesure draconiennes prises par Air Lib, le versement d'une deuxième tranche du prêt ne ferait que repousser artificiellement la cessation de paiement de l'entreprise. »

_ Malgré ces avertissements, la décision de verser la seconde tranche du prêt est prise. Une note du directeur du Trésor au ministre en date du 28 février 2002 (0387CD) indique ainsi que : « le cabinet du Premier ministre a fait connaître ce jour ses instructions au sujet de la libération d'une deuxième tranche de 14 millions d'euros au titre du prêt FDES au bénéfice de AOM-Air Liberté. »

Toutefois, des conditions supplémentaires ont été apportées. Comme l'a indiqué M. Jean-Baptiste Massignon : « Nous étions informés que les sommes détenues par Holco SAS ou ses filiales n'avaient pas été reversées à AOM-Air Liberté. Nos notes du mois de février l'indiquent clairement. Par parenthèse, sauf erreur de ma part, Holco Lux n'a été créée qu'au mois de mars ou, du moins, est apparue plus tard dans le paysage. Mais cela n'est sans doute pas l'essentiel.

En tout cas, c'est la raison pour laquelle les conditions juridiques de l'avenant ont été durcies sur deux points par rapport au contrat de janvier. D'une part, nous avons exigé, préalablement à la libération de la deuxième tranche du prêt, que la moitié de la trésorerie disponible d'Holco SAS soit versée à AOM-Air Liberté. L'entreprise nous avait déclaré que la trésorerie disponible s'élevait à 11 millions d'euros. Nous avons eu une discussion assez peu élaborée dans sa rationalité sur la moitié de cette somme, puis, finalement, cela a été 5 millions d'euros. D'autre part, l'engagement figure dans le contrat de prêt, Holco SAS devait mettre l'ensemble de sa trésorerie disponible au service de la continuité de l'exploitation d'AOM-Air Liberté. »

Interrogé sur ce point lors de sa seconde audition, M. Jean-Charles Corbet a déclaré : « l'Etat a débloqué un prêt FDES qui n'était ni plus ni moins qu'un crédit relais. Holco, l'actionnaire, a débloqué - car c'était un arbitrage - 5 millions d'euros, uniquement parce qu'Air Lib était considéré comme n'étant pas dans une situation irrémédiablement compromise. La réponse est la suivante : j'ai mobilisé 5 millions d'euros alors que l'Etat mobilisait 30 millions d'euros parce que pour l'Etat comme pour moi, Air Lib n'était pas dans une situation irrémédiablement compromise. Ces 5 millions d'euros représentaient 20 % du capital « mobilisable » d'Holco. C'était beaucoup. »

Interrogé à de nombreuses reprises, lors de cette seconde audition, sur la faible mobilisation des fonds détenus par les filiales en faveur d'Air Lib, M. Corbet n'a pas donné d'explications convaincantes.

« M. le Président : Au moment où le prêt vous a été accordé, d'après nos informations -vous me direz si c'est exact ou non-, la "maison mère" disposait d'environ 10 millions d'euros de trésorerie et 17 millions étaient dans les filiales Mermoz UA et Holco Lux.

Pendant cette période, le montant cumulé des salaires et des primes versées aux dirigeants et les honoraires versés au cabinet d'études immédiatement après que vous ayez repris la société, s'élèvent à plus de 20 millions d'euros. Si l'on ajoute les honoraires du Cabinet Plegler et Blach -  nous n'avons d'ailleurs pas toutes les informations sur ce que ce cabinet a pu faire pour votre société - en particulier si sa facture d'environ 9 millions d'euros a été payée, cela représente grosso modo 28 millions d'euros.

Beaucoup d'argent a été soit dépensé, soit bloqué dans des filiales et, en tout état de cause, n'a pas été utilisé dans le but de faire fonctionner l'entreprise Air Lib. Car il ne s'agit bien que de cela !

Si nous ne traitons que la trésorerie : 10 millions d'euros de trésorerie et 17 millions entre Mermoz et Holco, cela fait un total de 27 millions d'euros. Pourquoi ne tirez-vous que 5 millions d'euros sur, je crois, Holco SAS ? Vous avez dit vous-même : « 20 % de vos capacités ».

Pourquoi, au moment où le Trésor écrit qu'il y a peu de chance de rentrer dans les fonds de l'Etat et où M. Fabius s'oppose à ce prêt pour ces raisons, ne mettez-vous que 20 % de votre capacité pour sauver votre société ?

M. Jean-Charles CORBET : A ce moment-là, c'est une décision de gestion, nous ne mettons que 20 %. Sachant que la suite devra permettre de... Cela a été arbitré avec le CIRI. Je ne comprends pas le discours de M. Massignon. Le CIRI nous a donné son accord pour une première tranche de 17 millions à la condition qu'Holco participe pour 5 millions.

Cela a été arbitré. Nous l'avons fait ainsi.

M. le Président : J'ai toujours la même question et excusez-moi de la répéter.

Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi au bout de plusieurs mois de ces difficultés, vous n'avez toujours pas mobilisé plus de 20 % de vos capacités personnelles et que vous avez laissé en Hollande et au Luxembourg, y compris à Paris chez Holco SAS, des sommes conséquentes de près de 20 millions d'euros alors que vous faites appel d'une part à un moratoire d'Etat qui vous permet de ne pas payer ce que vous lui devez et d'autre part à un prêt de l'Etat qui va vous permettre d'avoir de la trésorerie.

La question est toujours la même. Vous n'avez toujours pas, au jour d'aujourd'hui, mobilisé ce que vous auriez pu mobiliser en Hollande ou au Luxembourg pour venir au secours de la société d'exploitation Air Lib en France.

M. Jean-Charles CORBET : La réponse est la même.

M. le Président : C'est une décision de gestion.

M. Jean-Charles CORBET : Non, c'est le problème, dans notre droit des sociétés, du soutien abusif.

M. le Président : Chacun appréciera votre réponse. Je tiens à vous rappeler, monsieur le président, que les crédits dus par Swissair étaient dus à Air Lib. Ces crédits ont été versés à Holco qui était en cours de formation au moment de la reprise et ils ont été pour une partie redistribués en Hollande et au Luxembourg. Ce sont bien des crédits qui étaient issus d'un lien juridique entre Swissair et la société d'exploitation Air Liberté. Ils sont toujours au Luxembourg ou ailleurs en Hollande, et ils n'ont pas servi au maintien de la société.

M. Jean-Charles CORBET : Monsieur le président, je ne peux pas vous laisser dire cela.

Y a-t-il affectation des fonds ? Juridiquement, la réponse est non. Les fonds ont été affectés au repreneur. Par jugement du tribunal du 1er août, il est précisé : "faculté au repreneur de substituer les filiales nécessaires à l'exploitation des actifs repris". A partir de là, il n'y a pas affectation. C'est à dire que l'ensemble des fonds n'était pas destiné à Air Lib. Ces fonds étaient destinés à la reprise et à l'organisation effective des actifs repris. Il n'y avait pas que Air Lib. Il y avait un certain nombre de filiales telles que ALT, HRS. Il n'y avait donc pas affectation.

M. le Président : Juridiquement, vous avez raison, mais je confirme mes propos. Les 2 700 employés d'Air Lib ont également le droit de comprendre comment les choses se sont passées. Juridiquement, vous avez raison. Le fait est que vous n'avez mobilisé que 20 % de vos capacités alors que vous vous êtes tourné vers l'Etat pour demander des fonds publics.

Notre commission d'enquête est uniquement constituée pour savoir si ceci était fondé. Nous écoutons avec attention vos réponses aux questions posées. »

L'avenant du 28 février au contrat de prêt prévoit ainsi :

- le respect par la société d'exploitation AOM-Air Liberté de ses engagements de nantissement du fonds de commerce au plus tard le 15 mars 2002 ;

- la transmission au secrétariat général du CIRI par le mandataire ad hoc et dans le cadre de sa mission du plan d'affaires de la société AOM-Air Liberté et de ses prévisions de trésorerie reflétant le plan de restructuration actuellement mis en place ;

- le nantissement par Holco au bénéfice de l'Etat des sommes reçues ou à recevoir des personnes morales composant « le groupe Swissair » à due concurrence du montant total du prêt FDES (deux tranches d'un montant total de 30,5 millions d'euros) ;

- la confirmation par lettre d'Arjil et associés Banque de la possibilité que le montage du GIE fiscal permette de dégager un minimum de 30,5 millions d'euros de trésorerie au profit d'Air Lib avant la fin du mois de mars ;

- l'engagement d'Holco de mobiliser, en tant que de besoin, ses disponibilités au bénéfice de AOM-Air Liberté dans les limites de celles-ci et dans le cadre de son devoir d'actionnaire ;

- préalablement à l'octroi de la deuxième tranche du prêt FDES, Holco procèdera au versement de 5 millions d'euros sous forme d'apport en compte courant bloqué au bénéfice de la société d'exploitation AOM-Air Liberté.

Les crédits nécessaires pour le compte de prêt n° 903-05 « Prêts du fonds de développement économique et social » ont été dégagés par un décret d'avance du 7 février 2002 (n° 2002-143), ouvrant 13,8 millions d'euros. Ce montant a été gagé par un décret d'annulation du même jour (n° 2002-144) à hauteur de :

- 7,6 millions d'euros de crédits de paiement au chapitre 65-48 « Construction et amélioration de l'habitat » du budget de l'urbanisme et du logement ;

- 4,7 millions d'euros de crédits de paiement au chapitre 53-47 « Développement des infrastructures, organisation des transports, sécurité, expérimentations et études générales » du budget des transports et de la sécurité routière ;

- 1,5 million d'euros de crédits de paiement au chapitre 66-03 « Développement territorial du tourisme » du budget du tourisme.

Le versement de la deuxième tranche du prêt a effectivement été enregistré dans les écritures comptables d'Holco SAS le 27 février.

2.- Une prolongation du prêt malgré les incertitudes sur le devenir d'Air Lib

A la suite des élections présidentielles et législatives du printemps 2002, le nouveau gouvernement a pris en main le dossier Air Lib. Selon M. Jean-Claude Jouffroy, directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, « le gouvernement a été animé par deux préoccupations et pas davantage.  Notre première préoccupation était de tout tenter pour assurer la survie d'Air Lib parce que, grosso modo, 3 000 emplois étaient en cause. Telle a été notre préoccupation constante depuis que nous sommes saisis du dossier.  Notre deuxième préoccupation était celle d'une bonne gestion des deniers publics.  Ces deux préoccupations parallèles étaient un peu divergentes et c'est ce qui a guidé précisément toutes les décisions que nous avons prises. Le gouvernement, dans toutes ses composantes, outre le secrétariat d'Etat aux transports bien sûr, a poursuivi uniquement et strictement ces deux objectifs. »

Dès le 5 juin, compte tenu des difficultés rencontrées par Air Lib et des échéances approchant pour le prêt du FDES, une première entrevue a été organisée entre M. Jean-Charles Corbet et Dominique Bussereau.

L'Etat n'était à ce moment pas totalement ignorant de la situation financière d'Air Lib. Le cabinet Mazars et Guérard avait en effet été chargé d'effectuer un suivi mensuel de trésorerie, qui avait donné lieu à la remise au ministère de l'économie et des finances d'un rapport au début de chaque mois de février à juillet. Ces rapports avaient pour but de s'assurer des conditions dans lesquelles l'exploitation se poursuivait et mettre en évidence l'éventuelle amélioration des conditions d'exploitation de la société.

Une réunion interministérielle portant sur la situation d'Air Lib, en présence du conseiller budgétaire et du conseiller pour l'équipement et les transports du cabinet du Premier ministre, s'est tenue le 11 juin 2002. A cette occasion, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a pu indiquer que le passif de la compagnie était évalué à hauteur de 40 millions d'euros au titre des charges sociales et fiscales, que le GIE n'avait pu être créé faute d'investisseurs et que le positionnement de la compagnie sur le créneau des low cost lui faisait perdre de l'argent compte tenu de sa structure de coûts. Le directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux transports a pour sa part attiré l'attention du cabinet du Premier ministre « sur le risque que peut présenter l'octroi d'un nouveau soutien qui, compte tenu de la situation financière de cette compagnie, pourrait être assimilée par la Commission à une aide d'Etat. »

Une note du directeur du Trésor au ministre du 18 juin 2002 (0938CD) fait également le point sur la situation d'Air Lib. Elle souligne que « la non mise en place des GIE fiscaux amènera l'entreprise à connaître une insuffisance de trésorerie en date de valeur de 12 millions d'euros à fin juin. L'entreprise a su faire face par le passé à des insuffisances de cet ordre de grandeur, notamment grâce aux décalages des dates d'opération et de valeur. Cependant, selon les auditeurs, cette souplesse ne permet pas d'aller au-delà du passif de fin juin et l'entreprise devra faire face à de nouveaux décaissements début juillet sans les encaissements correspondants. Ainsi selon les auditeurs, les risques de cessation de paiement pendant la première quinzaine de juillet sont bien réels. Un éventuel dépôt de bilan n'emporterait pas nécessairement liquidation de la société qui est actuellement en plan de cession et serait soumise à l'appréciation du tribunal de commerce. »

En ce qui concerne le prêt du FDES arrivant à échéance le 9 juillet 2002, il était précisé que « si l'Etat décidait d'exiger le remboursement du prêt, compte tenu de la trésorerie très tendue d'Air Lib, l'entreprise serait conduite à devoir déposer son bilan. ».

La mise en jeu des garanties « se heurterait à la faible valeur du fonds de commerce d'Air Lib et à l'absence de liquidité de la créance détenue sur le groupe Swissair. Les perspectives de recouvrement du prêt seraient ainsi très limitées.  Si l'Etat décidait de reconduire le prêt, aux termes des dispositions des lignes directrices communautaires pour les aides d'Etat au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficultés, un accord préalable de la Commission européenne serait nécessaire. Cet accord serait d'autant plus à rechercher que, la première tranche du prêt ayant été versée avant notification, la Commission n'a pas formellement donné son accord à l'octroi du prêt, son mutisme et l'absence d'ouverture d'une procédure pouvant jusqu'ici traduire une certaine bienveillance. »

La conclusion de la note doit être particulièrement soulignée :

« Les dirigeants d'Air Lib se sont engagés dans une fuite en avant accumulant passifs et montages financiers, dont les pouvoirs publics sont toujours directement ou indirectement les contributeurs. L'engagement des pouvoirs publics doit d'autant plus cesser que l'entreprise doit maintenant démontrer la réalité de ses perspectives de redressement et des financements sur lesquels elle compte. »

Afin de disposer d'informations plus détaillées sur les perspectives d'Air Lib et sur sa situation financière, l'Etat a alors décidé de demander deux rapports, l'un au cabinet KPMG, commandé par la direction générale de l'aviation civile, l'autre au cabinet Mazars et Guérard, commandé par le biais de la direction du Trésor.

S'agissant de ce dernier, il ne s'agit pas à proprement parler d'un audit. Comme l'a noté M. Luc Marty « nous n'avons pas réalisé un audit de la société Mermoz, ni de la société Holco Lux, ni même de la société Holco. Nous avons analysé les données qui nous étaient fournies par la société, volontairement, mais sans avoir ni le temps ni les moyens de faire ce qui serait un audit, c'est-à-dire qui inclut une confirmation d'informations auprès des tiers par circularisation. Nos travaux ont été réalisés sur la base des données qui nous ont été fournies.»

Ce rapport remis le 15 juillet 2002 intitulé Approche de la situation financière du groupe Holco fournissait un certain nombre d'éléments sur l'organigramme des sociétés, des analyses sur la situation financière et juridique d'Holco SAS, d'Holco Lux et de Mermoz, ainsi qu'une approche d'une « consolidation » des sociétés holdings et étrangères du groupe Holco.

Ses conclusions méritent d'être citées.

« - Les projections, en dépit du succès commercial d'Air Lib Express et du programme de réduction des coûts, montrent que la trésorerie d'exploitation reste négative et sans tendance favorable. Air Lib Express permet d'assurer un bon remplissage des avions à un tarif encore inférieur en juin 2002 de plus de 15 % par rapport à l'objectif.

- Cependant, si le cours euro/dollar se maintient à la parité (ou continue de s'améliorer), l'impact favorable se situera entre 15 et 20 millions d'euros d'ici à fin mars 2003.

- L'encaissement du produit du GIE fiscal et de la contribution DOM ramènerait la situation de trésorerie à l'équilibre à fin mars 2003 mais laisse peu de marge de manœuvre ; or Air Lib devra assumer au cours des années 2003 et 2004 le paiement des reports de dépenses, notamment fiscales et sociales, pour environ 19,6 millions d'euros (avec l'encaissement du GIE) ou 49 millions d'euros (sans l'encaissement du GIE).

Le financement de l'exploitation reste assuré, au cours de l'année 2002, par des ressources exceptionnelles hors exploitation. Air Lib doit encore démontrer que le financement à moyen terme pourra être assuré par le fait que :

- la stratégie commerciale et en particulier un relèvement du prix moyen coupon de l'activité Air Lib Express dégage un excédent brut d'exploitation positif,

-le retour de la confiance permette de rétablir un besoin en fonds de roulement négatif (octroi de crédit par les fournisseurs). »

Le rapport original du cabinet Mazars et Guérard contenait par ailleurs des éléments détaillés et nominatifs sur les bénéficiaires des honoraires versés par Holco ainsi que sur les salaires et primes versés aux dirigeants de la société. Cette page a ensuite été modifiée, les montants étant globalisés et les aspects nominatifs effacés. Lors de son audition, M. Jean-Baptiste Massignon a indiqué que le rapport avait été expurgé « à la demande du CIRI et, plus particulièrement, à la mienne. (...) Le président de l'entreprise m'a indiqué et il l'a fait savoir à d'autres, que le comité d'entreprise souhaitait entendre l'auteur de ce rapport. Cela posait une question de principe. J'ai pensé que pour ce dossier, qui, s'il n'était pas délicat, ne nous réunirait pas aujourd'hui, il était souhaitable d'éviter les remous et de troubler le bon fonctionnement de l'entreprise. Il ne fallait donc pas opposer une fin de non-recevoir à la demande des instances représentatives du personnel.(...) On peut penser ce que l'on veut de ces données. Lorsque nous les avons le 15 juillet 2002, qu'est-ce que cela change ? Le fait de savoir que Jean-Charles Corbet a reçu 1 million d'euros de rémunération pour six mois de travail en 2001 ne me permet pas d'aller les rechercher et de les remettre dans l'entreprise. En revanche, le 15 juillet 2002, je sais que si son comité d'entreprise, qui, pour des raisons qui peuvent se comprendre, est assez tendu, reçoit ces chiffres exposés, on peut se trouver dans une situation de tension accrue qui n'est probablement pas favorable au bon fonctionnement de l'entreprise. Je suis un fonctionnaire de niveau modeste. S'il y a une responsabilité personnelle que j'ai prise dans ce dossier, c'est celle de demander au cabinet Mazars que la présentation faite au comité d'entreprise soit agrégée.

M. le Président : Avez-vous agi de votre propre initiative ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : J'ai agi de ma propre initiative.

M. le Président : Sans en référer à personne ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je l'ai exposé oralement et cela n'a pas soulevé d'objections.

M. le Rapporteur : Lorsque vous obtenez ces informations le 15 juillet, avez-vous averti le directeur du Trésor, le cabinet et les ministres de vos découvertes ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Bien entendu ! »

Lors de son audition, M. Pierre Sardet, du cabinet Mazars et Guérard, a noté que « le ministère était parfaitement informé de ces données nominatives. »

Les conclusions de l'Audit des conditions d'exploitation des différents réseaux de la compagnie aérienne Air Lib réalisé par KPMG indiquaient pour leur part que « (...) les savoir-faire des professionnels de cette entreprise, le potentiel certain du nombre de créneaux sur Orly et les opportunités du marché, notamment Air Lib Express et l'Algérie, devraient constituer les fondements d'une exploitation rentable. Pour cela, de nombreux gains de rentabilité restent à réaliser par rapport à l'exploitation actuelle au travers d'une adaptation rapide des moyens, par un pilotage rigoureux de la gestion et de l'organisation (...). Le succès d'Air Lib passera par sa capacité à réduire les coûts commerciaux et techniques. Air Lib est en équilibre instable. Des premiers succès commerciaux à transformer en termes de rentabilité sur l'Express et une capacité d'actions commerciales peuvent faire rentrer la compagnie dans un cercle vertueux. En tout état de cause des besoins lourds en capitaux semblent inévitables. »

La conclusion du rapport est plus optimiste sur les perspectives d'Air Lib que ne le laisse penser la lecture du rapport lui-même, dont on retire l'impression que la compagnie était peut-être viable, mais à condition de tout changer ou presque.

Quelle a été l'appréciation de ces conclusions par les responsables en charge du dossier ?

M. Jean-Claude Jouffroy, directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, a déclaré qu'à sa « grande surprise, du moins dans une certaine mesure, la conclusion de l'audit KPMG était qu'Air Lib, à condition de faire un certain nombre de réformes de structures, avait un potentiel de développement ! » Il a également noté qu'alors qu'il était initialement « interrogatif sur la nature de l'activité de l'entreprise et sur son réseau », les conclusions de KPMG l'avait « un peu ébranlé ».

Les notes réalisées par les services de la direction du Trésor ou par la DGAC à propos des conséquences à tirer des audits sont également instructives.

Ainsi, une note sur la situation d'Air Lib du 22 juillet 2002, adressée par Mme Danièle Bénadon, directrice du transport aérien, à M. Pierre Graff, directeur de cabinet du ministre de l'équipement, du logement, du tourisme et de la mer, tirait les conclusions suivantes des études. Tout d'abord, « la situation financière de l'entreprise est extrêmement dégradée » et « les perspectives de redressement à court terme sont faibles ». La note indique également que « la perspective d'un dépôt de bilan semble inéluctable. Si le GIE fiscal ne se concrétise pas et si M. Corbet met à exécution la menace contenue dans sa lettre au ministre du 12 juillet dernier, ce dépôt de bilan devrait intervenir d'ici la fin de ce mois. Toutefois, si l'acceptation de nouveaux moratoires par les créanciers publics et la prorogation du prêt du FDES devaient faire changer d'avis le président de la compagnie, un dépôt de bilan pourrait n'intervenir qu'à l'automne, ce qui permettrait d'écouler le trafic de retour des vacances d'été des DOM dans de meilleures conditions. »

L'analyse effectuée par le directeur du Trésor pour le ministre des finances dans une note du 19 juillet 2002 (1155CD) était tout aussi pessimiste sur la situation d'Air Lib et particulièrement explicite sur la conduite à tenir pour l'Etat.

Outre l'absence de perspectives de redressement, la note relève que « dans un courrier daté du 12 juillet 2002 adressé au ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, et en copie, au secrétariat général du CIRI, le président de la société d'exploitation AOM-Air Liberté évoque le « caractère irrémédiablement compromis de la situation d'Air Lib »2 que seule pourrait lever « la mise en place effective du GIE fiscal. » La finalisation de cette opération dépendant de la volonté de souscripteurs qu'il s'agisse d'entreprises privées ou publiques, l'Etat ne peut que prendre acte de la déclaration du  caractère irrémédiablement compromis de la situation d'Air Lib. Cette situation interdit désormais toute mesure de soutien à l'entreprise sauf à s'exposer à des poursuites civiles (...). De plus, le caractère exigible mais non exigé du prêt et des créances publiques et parapubliques ne saurait perdurer sans engager la responsabilité des pouvoirs publics. »

En conclusion, la note recommandait au ministre un scénario de sortie définitive s'articulant autour des points suivants :

« - constat de l'incapacité de l'entreprise et de ses conseils à assurer le placement de la capacité fiscale du GIE,

- constat de la caducité des demandes de moratoires sociaux et fiscaux et de la reconduction du prêt FDES emportant mise en recouvrement des dettes correspondantes,

- étude des modalités et du coût d'un subventionnement éventuel du trafic DOM afin d'assurer le retour en métropole des DOMiens. Ce subventionnement devrait être mis à la charge du ministère de l'Outre-Mer. »

L'annotation manuscrite portée par M. Jean-Pierre Jouyet, directeur du Trésor, était la suivante : « M. Corbet nous indique que la situation de son entreprise est à ses yeux irrémédiablement compromise. Il s'agit d'un élément nouveau et déterminant. Nous ne pouvons qu'en tirer les conséquences. »

Lors de la réunion interministérielle du 24 juillet 2002, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer ont pu constater leur accord s'agissant du diagnostic sur l'état d'Air Lib.

Le procès-verbal de la réunion indique ainsi que « le directeur du cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer considère que quelles que soient les mesures qui pourraient être prises, la situation de l'entreprise est telle qu'un dépôt de bilan au plus tard à la fin 2002 est inéluctable. Le seul facteur d'incertitude est de savoir jusqu'à quand l'entreprise pourra « tenir » avant de déposer le bilan. Par ailleurs, les perspectives de redressement sont nulles et la compagnie est mal gérée.

Le cabinet du Premier ministre demande si ce constat est partagé.

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie indique qu'il souscrit à cette appréciation, aussi bien du point de vue économique que financier.

Le directeur du cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer présente les deux scenarii possibles. Soit le dépôt de bilan intervient à l'initiative du président d'Air Lib, qui menace de le faire dès le 31 juillet. Des contacts informels ont été pris avec la section financière du parquet de Créteil, qui a indiqué que, dans l'hypothèse d'un dépôt de bilan, il faut s'attendre à ce que le président du tribunal de commerce rejette l'hypothèse d'une prolongation d'activité et prononce la liquidation. Soit les choses restent en l'état, si les créanciers publics ne réclament pas le remboursement des dettes. Dans ce cas, Air Lib sera capable de tenir jusqu'en décembre au mieux, date à laquelle se présente une échéance trimestrielle importante que la société sera dans l'impossibilité d'honorer. »

Les problèmes relatifs à la desserte des DOM ont également été évoqués par le ministère de l'outre-mer, tandis que le ministère des transports a fait part de son inquiétude quant aux conséquences d'une cessation d'activité de la compagnie en pleine période de vacances estivales pour les passagers ayant acheté directement leur billet à Air Lib.

Pour finir, « le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie indique que la solution qui serait la plus solide du point de vue économique et juridique serait d'exiger le remboursement du prêt FDES, qui venait à échéance le 9 juillet. En s'en abstenant, l'Etat s'expose en effet au risque d'un soutien abusif. Toutefois, le remboursement du prêt conduirait au dépôt de bilan immédiat, dont le ministère ne conteste pas l'inopportunité (...) C'est pourquoi le ministère s'est rallié à une proposition intermédiaire qui permet de passer l'été, consistant :

- à reconduire le prêt FDES pour trois mois non renouvelables, en obligeant Air Lib à préparer pendant ce délai un plan de restructuration, qui devra être notifié à la Commission européenne et qui sera présenté comme une transformation de l'aide au sauvetage en aide à la restructuration ;

- à prolonger le « moratoire » des autres dettes publiques exigibles à fin juillet ;

- en contraignant en revanche l'entreprise à reprendre les autres paiements à compter du 1er août.

On permet ainsi à l'entreprise de tenir jusqu'en octobre. »

Le procès-verbal indique pour finir que « postérieurement à la réunion, le cabinet du Premier ministre décide de reconduire le prêt FDES pour quatre mois et de prolonger le moratoire des autres dettes publiques jusqu'au 1er août. Ce délai de quatre mois devra être utilisé par l'entreprise pour élaborer un plan de restructuration, notifié à la Commission européenne. »

En conséquence, un avenant n° 2 au contrat de prêt, prévoyant sa prorogation jusqu'au 9 novembre, sera signé le 22 août par M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et par le secrétaire général de Natexis Banques Populaires. Puis, le 25 septembre 2002, un avenant n° 2 ayant le même objet sera signé par Natexis Banques Populaires et par Jean-Charles Corbet, en tant que président du conseil d'administration de la société AOM-Air Liberté et en tant que président d'Holco, en raison du nantissement de créance.

Cette prorogation du prêt constituait un des volets de l'aide accordée par l'Etat à Air Lib durant l'été 2002. Comme il a déjà été indiqué, la deuxième partie du soutien prenait la forme d'un moratoire sur les dettes publiques, très demandé par les dirigeants d'Air Lib.

C.- UNE ACCUMULATION DE PRÈS DE 100 MILLIONS D'EUROS DE CHARGES PUBLIQUES IMPAYÉES

1. Des difficultés précoces

_ Au cours d'une première période, allant de la reprise de la compagnie par Jean-Charles Corbet aux lendemains du 11 septembre 2001, Air Lib a payé régulièrement ses charges publiques. Toutefois, deux événements la concernant ont révélé une bienveillance certaine des pouvoirs publics.

Le premier est la volonté d'Aéroports de Paris (ADP) d'exercer son droit de rétention sur les avions d'Air Lib en raison des 124 millions de francs de dettes accumulées précédemment par AOM-Air Liberté.

Comme l'a indiqué M. Pierre Chassigneux, président d'ADP, « le directeur général d'Aéroports de Paris, (...) M. Duret (...) écrit au directeur général de l'aviation civile pour lui faire part de son intention d'exercer le droit de rétention des aéronefs, compte tenu de la dette qui court déjà et qui est simultanée au démarrage d'Holco, du nouvel Air Lib. » A la suite de cette lettre du 17 septembre 2001, le ministre de l'équipement, des transports et du logement, M. Jean-Claude Gayssot, écrit au directeur d'ADP le 5 octobre en lui indiquant qu'« il n'est pas douteux que l'exercice immédiat du droit de rétention constituerait pour le repreneur Air Lib une charge d'exploitation supplémentaire et imprévue de nature à compromettre les perspectives de réalisation des objectifs du plan de redressement arrêté par le tribunal de commerce de Créteil. Aussi, dans l'attente d'une confirmation de votre analyse juridique, je vous demande de surseoir provisoirement à l'exercice du droit de rétention sur les aéronefs nécessaires à l'activité de la société Air Lib et de rechercher avec cette société, les propriétaires des avions concernés et l'administrateur judiciaire les moyens d'un recouvrement de vos créances compatibles avec la mise en œuvre du plan de redressement. »

Le jour même, le directeur général d'ADP levait « temporairement » la rétention au sol prévue initialement par sa décision DG n° 2001/3057 du 20 septembre 2001, pour les appareils inclus dans le périmètre de la reprise.

Par ailleurs, à partir de la fin du mois d'octobre, Air Lib a payé ce qu'elle devait à ADP hors taxes, en s'appuyant sur les dispositions du 4° du II de l'article 262 du code général des impôts, qui dispose que sont exonérées de la TVA « les opérations de livraison, de transformation, de réparation, d'entretien, d'affrètement et de location portant sur les aéronefs utilisés par des compagnies de navigation aérienne dont les services à destination ou en provenance de l'étranger ou des territoires et départements d'outre-mer, à l'exclusion de la France métropolitaine, représentent au moins 80 % des services qu'elles exploitent. »

Une lettre du 8 novembre 2002 de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, confirme en effet à Air Lib « qu'il apparaît possible de considérer que la règle des 80 % exposée à l'article 262-II-4° du CGI est effectivement satisfaite par la compagnie Air Lib à compter de la date de sa constitution (1er août 2001). Par suite, cette société pourra acquérir en exonération de TVA tout bien ou toute prestation de services portant sur des aéronefs. Les différentes sociétés du groupe Air Lib pourront également bénéficier des exonérations prévues par l'article 262-II-4°, 5°, 6° et 7° du CGI dans les mêmes conditions. »

En réponse à une question du Rapporteur sur le point de savoir si le critère des 80 % était effectivement vérifié, M. François Bachelet, président du directoire et directeur général d'Air Lib, a declaré : « tout dépend si l'on parle en passagers-kilomètres. En passagers-kilomètres, ce doit être vrai. En nombre de passagers, c'est certainement faux. » L'instruction fiscale du 6 août 1993 (3A-7-93, n° 97) indique que le pourcentage visé par l'article précité du CGI résulte du rapport entre, d'une part, la distance parcourue entre la France métropolitaine et l'étranger ainsi que les DOM et, d'autre part, l'ensemble des distances parcourues.

_ A la suite des attentats du 11 septembre 2001, un dispositif d'aide aux transports aériens a été autorisé par la Commission européenne. Il comprenait trois mesures principales :

- une garantie accordée par l'Etat à la Caisse centrale de réassurance en vue de permettre la couverture des compagnies aériennes pour la responsabilité civile envers les tiers au-delà du seuil de 50 millions de dollars ;

- une compensation des pertes d'exploitation subies par les compagnies aériennes au cours de la période du 11 au 14 septembre 2001, à la suite de la fermeture de certaines parties de l'espace aérien ;

- une compensation des dépenses supplémentaires de sûreté des compagnies aériennes.

Ce dispositif était destiné à l'ensemble des compagnies françaises. Il ne comportait aucune mesure générale ou particulière de moratoire sur les dettes publiques des compagnies.

Pourtant, dès novembre 2001, Air Lib a cessé unilatéralement d'acquitter la part patronale des charges sociales. Le montant cumulé de ses dettes vis-à-vis des URSSAF s'élevait ainsi à 3,768 millions d'euros hors pénalités (4,26 millions d'euros y compris les pénalités) au 31 décembre 2001.

Comme l'a indiqué M. François Bachelet, président du directoire et directeur général d'Air Lib, « pour de la trésorerie, on a négocié avec les ASSEDIC. (...) c'est un problème banal auquel ont recours nombre d'entreprises ou du moins essayent-elles. Il s'agit de négocier avec l'administration un report de paiement de charges. On est allé négocier à Nantes en leur disant : on est en difficulté de trésorerie aujourd'hui. (...) On a essayé de faire feu de tout bois et de trouver auprès de l'administration une oreille compatissante qui accepte de reporter de six mois le paiement d'un certain nombre de charges sociales. »

2.-- L'ampleur rapidement prise par les impayés

_ A partir du premier trimestre 2002, les difficultés financières d'Air Lib deviennent telles que les défauts de paiement s'étendent à l'ensemble des créanciers publics.

Les impayés concernant les charges patronales persistent et représentent en cumulé, au 31 mai 2002, 11,121 millions d'euros hors pénalités.

S'agissant de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), Air Lib a cessé d'acquitter la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne (RSTCA) ainsi que la taxe de l'aviation civile à partir de la fin mars 2002. A la fin du mois de mai 2002, le total des impayés vis-à-vis de la DGAC représentait 9,098 millions d'euros hors pénalités.

Enfin, ADP a également dû faire face à des défauts de paiement de la part d'Air Lib. Comme l'a indiqué M. Hubert du Mesnil, directeur général d'ADP : « Nous sommes au printemps 2002. C'est là que pour nous commencent les vraies difficultés. Elles se manifestent de la manière suivante. Nous rencontrons les dirigeants d'Air Lib qui nous demandent des reports de paiement. Ils nous confirment cette demande par lettre et, au même moment, ils arrêtent de nous payer. On est en avril 2002.  Nous leur répondons que nous sommes disposés à examiner leur demande de report de paiement, mais que nous ne le ferons que lorsqu'ils auront repris les paiements. Autrement dit, nous refusons d'entrer dans la discussion sur le report, dès lors qu'ils ont décidé de manière unilatérale de suspendre leurs paiements. Dans les deux mois suivants, avril, mai, jusqu'à mi-juin, nous avons eu des échanges de lettres sur ce point. Nous leur demandons de nouvelles propositions de reports de paiement, moins importants, que nous sommes prêts à examiner à condition qu'ils reprennent les paiements. A l'occasion de cet échange de lettres, ils nous informent qu'ils sont en train de discuter avec le CIRI de leur situation. »

Une lettre du 2 mai 2002 du directeur d'ADP à Jean-Charles Corbet précisait : « A la suite de la réunion que nous avons eue le 9 avril, vous avez adressé à l'agent comptable d'Aéroports de Paris une demande de délai pour une somme correspondant à 1 646 150,79 euros, en six échéances. Votre demande est à l'instruction mais d'après mes services comptables, votre Compagnie aurait interrompu, dès le 10 avril, le paiement des échéances de règlement :

- le 10 avril : 741 617,25 euros

- le 19 avril : 493 639,42 euros

- le 29 avril : 733 539,67 euros

Cette interruption crée une situation nouvelle qui me paraît particulièrement regrettable, anticipant sans préavis la décision demandée à ADP. La reprise de l'instruction de votre demande ne pourra s'effectuer que dès lors que ces échéances auront été réglées. »

De fait, Air Lib a lié son défaut de paiement de ses dettes à la non mise en place du GIE fiscal. Face à cette tentative de justification, le directeur général d'ADP a réagi dans un courrier du 24 mai 2002 en soulignant que « les problèmes d'organisation interne à votre groupe ne sont pas opposables à Aéroports de Paris et ne sauraient vous autoriser à suspendre unilatéralement le paiement des sommes dont votre société est débitrice envers notre établissement depuis le 10 avril dernier.(...) En attente de la mise en place des leasing dont vous faites état pour 2 Airbus A340-300, je puis admettre partiellement votre demande aux deux conditions suivantes :

- une reprise des paiements par votre compagnie dès la première échéance de juin 2002,

- une nouvelle proposition d'étalement de votre dette avec des délais beaucoup plus courts.

A défaut, Aéroports de Paris ne pourra vous accorder un échéancier et se trouverait contraint de mettre en œuvre toutes voies de droit pour recouvrer l'ensemble des sommes exigibles dont votre société est débitrice à notre égard. »

Les paiements n'ayant pas repris le 21 juin 2002, le directeur général d'ADP a envoyé à Air Lib une mise en demeure de payer la totalité de la dette exigible, s'élevant alors à 4,849 millions d'euros. A défaut, il se réservait la possibilité de poursuivre le recouvrement par toutes les voies de droit et d'exercer à nouveau le droit de rétention des appareils au titre des redevances aériennes impayées.

Pour Air Lib, la question des dettes publiques et sociales prenait un tour plus aigu.

_ La direction d'Air Lib a donc rapidement essayé d'obtenir un moratoire officiel sur les dettes publiques. Comme l'a indiqué M. Jean-Claude Jouffroy, directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, lors de la première entrevue entre Dominique Bussereau et Jean-Charles Corbet le 5 juin 2002, ce dernier « demandait, sans le demander tout en le demandant... Il n'était pas nécessairement évident de comprendre ce qu'il voulait ! En tout cas, un élément paraissait clair : le GIE fiscal et un moratoire, sans employer le mot, du moins une prolongation du moratoire sur les dettes publiques. »

Air Lib fait d'ailleurs état de ses demandes aux pouvoirs publics pour tenter d'apaiser son créancier le plus pressant, ADP. Une lettre du 18 juin à ADP, signée par le directeur financier d'Air Lib indique ainsi que « notre société a écrit à deux reprises (les 9 avril et 21 mai 2002) à monsieur l'agent comptable d'Aéroports de Paris afin de solliciter un décalage d'échéances auprès de votre établissement. Nous vous informons également, par la présente, que des discussions sont actuellement en cours entre notre direction générale et nos autorités de tutelle au sujet de cette requête. »

Une seconde lettre, datée du 16 juillet 2002 et signée par Pascal Personne, directeur général exécutif d'Air Lib, et par Thierry Dervieux, directeur général adjoint des affaires financières, précise également qu'« une requête concernant notamment le report de paiement des sommes dues à votre établissement a été adressée par notre société à l'attention de Monsieur le Secrétaire du Centre interministériel de restructuration industrielle (CIRI) en date du 13 mai 2002. »

Comme il a déjà été indiqué, c'est à la suite de la réunion interministérielle du 24 juillet 2002 que le cabinet du Premier ministre a décidé de reconduire pour quatre mois le prêt du FDES et « de prolonger le moratoire des autres dettes publiques jusqu'au 1er août ».

Une lettre du 22 août 2002 de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, adressée à M. Pierre Chassigneux, président d'ADP, officialise la décision et précise les conditions posées par l'Etat. Il est ainsi indiqué que « l'ensemble des créances dues par Air Lib à Aéroports de Paris font l'objet d'un moratoire, décidé dans les conditions suivantes :

- le moratoire concerne les créances exigibles au 31 juillet 2002. Le recouvrement du passif échu à cette date est ainsi suspendu ;

- le paiement par Air Lib de ses échéances courantes reprend à compter du 1er août 2002, ce qui constitue une condition résolutoire. »

Afin de centraliser et d'ordonner le traitement du dossier, le secrétaire général du CIRI a été mandaté pour coordonner l'établissement des moratoires relatifs aux différentes créances publiques selon le principe de l'égalité de traitement entre les différents créanciers.

Au 31 juillet 2002, les dettes publiques d'Air Lib représentaient au total 39,187 millions d'euros (41,457 millions d'euros y compris les pénalités), dont 12,634 millions d'euros pour la DGAC, 11,707 millions d'euros pour ADP et 12,745 millions d'euros pour les URSSAF.

Une note datée du 9 septembre 2002, adressée par M. Jean-François Grassineau, adjoint au directeur général de l'aviation civile, au directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, fait notamment le point sur la mise en œuvre des décisions du gouvernement concernant Air Lib. Elle précise que  « la société a effectivement repris le paiement de ses factures à compter du 1er août auprès de la DGAC (redevances de navigation aérienne, taxe d'aviation civile et taxe d'aéroport) et d'Aéroports de Paris, conformément à la demande du gouvernement. Concernant l'URSSAF et les ASSEDIC, la société n'a pas payé la part patronale de juillet, (dette échue au 15 août d'un montant de 2,8 millions d'euros). Le mandataire ad hoc (Me Lafont) négocierait actuellement avec les organismes concernés et le CIRI l'intégration de cette échéance dans le moratoire. Air Lib devrait reprendre les paiements de ces organismes le 15 septembre. Il y a lieu d'observer que la compagnie n'adopte pas la même attitude vis-à-vis de ces organismes que des autres créanciers publics, alors même que ses obligations sont comparables. »

_ Le respect des conditions posées par le moratoire, à savoir la reprise des paiements courants, sera de courte durée. Comme l'a indiqué M. Hubert du Mesnil, directeur général d'ADP, « Air Lib devait reprendre ses paiements immédiatement, c'est-à-dire à compter du 1er août. Nous avons constaté que ce moratoire a été correctement respecté pendant à peu près un mois (...). C'est à partir du mois de septembre que nous avons constaté que, à nouveau, Air Lib suspendait ses paiements et ne respectait plus le moratoire. (...) Comme toujours, on peut se dire qu'il peut y avoir une ou deux semaines de retard, donc, un certain temps est neutralisé. Nous nous retrouvons finalement à la fin du mois de septembre dans le constat que le moratoire n'est plus respecté. »

Le constat de la défaillance est mis en évidence dans une note du directeur du Trésor au ministre de l'économie et des finances (1605CD du 7 octobre 2002) : « mettant en avant la non-réalisation du GIE fiscal, l'entreprise a interrompu le paiement des redevances dues à la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) ainsi qu'à Aéroports de Paris (ADP) pour septembre. Elle entend ne pas assurer les échéances URSSAF échues en octobre. Ainsi l'entreprise utilise les ressources publiques autant que de besoin pour faire face à ses échéances de trésorerie successives. Par ailleurs, Air Lib conteste depuis août le paiement des cotisations patronales afférentes aux salaires de juillet et exigibles au 15 août, sur la base d'un argumentaire juridique réfuté par le ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Au total le passif fiscal et social serait ainsi accru d'au moins 7 millions d'euros d'ici le 15 octobre 2002, le portant ainsi à plus de 49 millions d'euros, et davantage au-delà. »

Une note de la direction du transport aérien du 15 octobre 2002 indique également que « dans l'incapacité de réaliser l'opération de GIE fiscal (qui devait lui apporter de l'ordre de 30 millions d'euros) [Air Lib] s'est retrouvée dès mi-septembre 2002 dans une situation de trésorerie critique et a décidé unilatéralement de ne plus payer ces charges publiques et parapubliques à compter du 20 septembre 2002, ce qui constitue une clause résolutoire du moratoire accordé à la compagnie par le gouvernement. (...) Les agents comptables des créanciers publics concernés (DGAC, ADP, URSSAF) réunis au CIRI le 10/10/02, sont aujourd'hui dans l'attente d'une décision du gouvernement, le moratoire étant automatiquement caduc du fait de l'arrêt des paiements depuis le 20 septembre 2002. Ils sont disposés à lancer immédiatement des poursuites afin de recouvrer les sommes dues, ce qui se traduirait par une assignation en cessation des paiements de la compagnie devant le tribunal de commerce compétent. »

Une fois encore, Air Lib a pris pour prétexte l'absence de réalisation du GIE fiscal, imputée à l'Etat, afin de tenter de justifier le non respect des conditions du moratoire. En témoigne une lettre de Me Léonzi, adressée à MM. Gilles de Robien et Dominique Bussereau le 11 novembre 2002, estimant, à la suite de la vente de deux Airbus A340-300 à Air Tahiti Nui, que « la perte des supports physiques du montage GIE a entraîné immédiatement une réaction d'Air Lib qui a indiqué à l'Etat que la condition de la reprise des paiements n'ayant pas été réalisée pour des raisons inconnues par elle et dans des conditions qui lui sont totalement étrangères, elle ne pouvait, de ce fait exécuter la décision conditionnée qui lui avait été imposée. »

Malgré ce comportement de la compagnie, les dettes publiques d'Air Lib ont fait l'objet d'un ultime moratoire, lié à l'apparition de l'investisseur potentiel IMCA. Ainsi, lors de la réunion interministérielle du 13 novembre 2002, le cabinet du Premier ministre a déclaré qu'« afin de laisser à la compagnie les moyens de continuer son exploitation dans l'attente de la décision du groupe IMCA, il convient de proroger jusqu'au 9 janvier 2003 l'exigibilité du prêt FDES et du moratoire des dettes fiscales et sociales dues par Air Lib. En outre, [le cabinet] demande que, durant cet ultime délai, l'exigibilité des paiements des cotisations sociales et des taxes dus au titre des mois de novembre et décembre soit provisoirement suspendue. »

Le moratoire sera prolongé par une note de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, datée du 15 novembre 2002 et destinée au directeur du Trésor et au directeur général de la comptabilité publique.

« En application des décisions du Premier Ministre relative à la compagnie aérienne Air Lib, je vous donne pour instruction :

1) de prolonger de deux mois supplémentaires, jusqu'au 9 janvier 2003, par un avenant à la convention de prêt, le concours de 30,5 millions d'euros du FDES mis en place le 9 janvier 2002 en faveur de la Société d'exploitation AOM-Air Liberté et d'en informer la Commission européenne en liaison avec le SGCI ;

2) de prolonger également jusqu'au 9 janvier 2003 le moratoire couvrant les charges sociales et fiscales et autres créances publiques échues au 31 juillet 2002 et de placer sous moratoire les charges sociales et fiscales et autres créances publiques courant du 1er août 2002 au 9 janvier 2003 ;

3) et en conséquence, de donner les instructions nécessaires aux comptables publics concernés. »

De fait, Air Lib n'effectuera donc plus aucun versement, ni au tire de ses dettes accumulées, ni au titre de ses échéances courantes. Le bilan financier de ces mesures est résumé dans le tableau ci-après, qui récapitule l'évolution des différentes dettes publiques d'Air Lib tout au long de sa courte existence. Au total, ce sont près de 100 millions d'euros qui n'ont pas été acquittés par la compagnie.

AIR LIB

CREANCES PUBLIQUES RECENSEES

(à la date de la liquidation)

(en euros)


(cumul)


DGAC


ADP


TRESOR PUBLIC


URSSAF

ASSEDIC/
GARP/
ORGANIC

TOTAL
hors
pénalités

TOTAL
avec
pénalités

-   -

31 décembre 2001

-

-

-

3 768 497

-

3 768 497

4 260 323

31 mai 2002

9 098 599

6 700 000

-

11 121 452

-

26 920 051

28 921 036

31 juillet 2002

12 634 455

11 706 987

-

12 745 261

2 100 000

39 186 703

41 456 990

31 janvier 2003

29 429 316

26 729 964

6 222 000

24 010 230

3 854 143

90 245 653

96 445 281

17 février 2003

29 429 316

28 104 488

6 222 000

25 668 230

4 254 143

93 678 177

99 877 804

Source : CIRI.

D.- LE NOUVEL ESPOIR D'UN REPRENEUR RETARDE DE TROIS MOIS LE DÉPÔT DE BILAN

1.- Un plan de restructuration incompatible avec les règles communautaires

_ A l'issue de la réunion interministérielle du 24 juillet 2002, il était explicitement prévu que la reconduction de quatre mois du prêt du FDES et le moratoire sur les dettes publiques devaient être utilisés par Air Lib pour élaborer un plan de restructuration, notifié à la Commission européenne.

En effet, dès le 9 juillet 2002, la Commission européenne s'était interrogée sur les aides consenties à Air Lib. Dans un courrier adressé au représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne M. François Lamoureux, directeur général de l'énergie et des transports, rappelait que « l'aide au sauvetage (...) a été mise en œuvre dès le 9 janvier 2002, par le versement d'une première tranche de 16,5 millions d'euros, et ce illégalement, c'est-à-dire avant son approbation par la Commission. En tout état de cause, l'article 23.d des Lignes directrices communautaire pour les aides d'Etat au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté (JO C 288 du 9 octobre 1999) prévoit que l'Etat membre notifie à la Commission, dans les six mois suivant l'autorisation d'une aide au sauvetage, le plan de restructuration ou de liquidation de l'entreprise considérée ou la preuve, au cas présent, que le crédit a été remboursé. Un tel engagement avait été pris par vos autorités dans leur notification le 23 janvier 2002. Dans le cas en objet, la mise en œuvre de l'aide, matérialisée par un premier versement de l'aide, ayant été opérée avant l'autorisation éventuelle de la Commission, ce délai a commencé à courir lors de ce versement. Il est donc échu le 9 juillet 2002.

A ce jour, la Commission n'a reçu de vos autorités aucune des matérialisations de l'issue de l'aide au sauvetage évoquées ci-dessus.

Au surplus, selon les informations en notre possession, la société Air Lib a d'ores et déjà débuté un processus de restructuration, lequel s'est traduit, entre autres, par la mise en place d'un nouveau produit dénommé « Air Lib Express », ainsi que par une forte adaptation de son offre commerciale

La Commission n'exclut pas, à ce stade de l'analyse, que tout ou partie de l'aide au sauvetage ait été utilisée aux fins de restructuration. Elle n'exclut pas non plus, selon ses informations, que d'autres mesures financières, par exemple le refinancement d'avions grâce à un outil bénéficiant d'un traitement fiscal préférentiel, aient été accordées par vos autorités dans l'intervalle et pour la même finalité.

De ce fait, la Commission a décidé de poursuivre l'examen de ce dossier au titre d'une aide non notifiée à la restructuration.

J'invite vos autorités à formaliser la notification de cette aide à la restructuration dans les plus brefs délais et au plus tard dans les 20 jours ouvrables suivant la réception de cette lettre (...). »

Les exigences communautaires en matière d'aides au sauvetage et à la restructuration sont précisées dans deux documents : les lignes directrices communautaires concernant les aides d'Etat dans le secteur de l'aviation, publiées au JOCE du 10 décembre 1994, et les nouvelles lignes directrices communautaires pour les aides d'Etat au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficulté, adoptées le 8 juillet 1999.

En ce qui concerne la limitation de la présence de la compagnie sur son marché, les principales exigences communautaires en matière d'évolution du périmètre d'une entreprise sous un régime d'aide à la restructuration sont les suivantes :

- l'aide ne doit servir qu'au rétablissement de la viabilité de l'entreprise et ne doit pas permettre à son bénéficiaire, durant la mise en œuvre du plan de restructuration, de développer sa capacité de production, sauf si cela est nécessaire pour rétablir la viabilité de l'entreprise sans pour autant fausser la concurrence ;

- des mesures doivent être prises pour atténuer autant que possible les conséquences défavorables de l'aide pour les concurrents, à défaut, l'aide devrait être considérée comme « contraire à l'intérêt commun », et donc incompatible avec le marché commun ;

- il doit être interdit à la compagnie aérienne recourant à un financement public de développer sa capacité au-delà de ce qu'exige l'évolution du marché. Au contraire, une réduction de capacité doit être envisagée.

Les exigences communautaires portent également sur la stratégie tarifaire. La Commission peut imposer les conditions et obligations qu'elle juge nécessaires pour que la concurrence ne soit pas faussée dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Elle peut notamment imposer au bénéficiaire de ne pas agir en tant que chef de file tarifaire sur certains marchés.

Par ailleurs, les éventuelles distorsions de concurrence doivent être compensées par les avantages issus du maintien en vie de l'entreprise (conséquences des licenciements à l'échelon local, régional ou national, ou si la disparition de l'entreprise conduit à une situation de monopole/oligopole étroit) et, le cas échéant, par des contreparties suffisantes en faveur des concurrents.

Enfin, le plan de restructuration doit permettre de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité à long terme de l'entreprise. Le montant et l'intensité de l'aide doivent être limités au strict minimum nécessaire pour permettre la restructuration. Les bénéficiaires de l'aide doivent contribuer de manière importante au plan de restructuration sur leurs propres ressources, y compris par la vente d'actifs, lorsque ceux-ci ne sont pas indispensables à la survie de l'entreprise, ou par un financement extérieur obtenu aux conditions du marché.

_ C'est au regard de ce cadre strict qu'ont été examinées par l'Etat les versions successives du plan de restructuration élaboré par Air Lib.

Ce plan a été présenté pour la première fois à la DGAC et au CIRI, le 11 octobre 2002. Il a ensuite été corrigé et présenté de nouveau aux mêmes services le 16 octobre, et modifié une fois encore le 18 octobre.

Les orientations stratégiques du plan de restructuration proposé par Air Lib étaient les suivantes :

- poursuite de la transformation des liaisons court courrier d'Air Lib en liaisons « Air Lib Express » (avec notamment la mise en place de nouvelles dessertes vers l'Italie) ;

- redéploiement d'une partie des lignes DOM vers des destinations de « niche » (Afrique et Maghreb).

Deux scénarii de réduction de capacité étaient également envisagés. Le premier prévoyait la suppression de 136 postes et d'un avion, tandis que le second indiquait une suppression de 201 postes et de trois avions. Un troisième scénario était également présenté, avec de fortes réductions de capacité (moins 354 postes et moins 5 avions), mais il n'était pas retenu par la compagnie, en raison de son coût et de l'insuffisance des recettes dégagées.

Une note de la direction des transports aériens, datée du 28 octobre 2002, relève qu'« en dépit des remaniements successifs du document déjà intervenus, un certain nombre de points restent difficilement, voire pas du tout, compatibles avec les exigences communautaires relatives aux aides au sauvetage et à la restructuration. (...) En particulier, l'examen de ce plan fait apparaître l'incapacité de la compagnie à mettre en œuvre les mesures de restructuration indispensables à sa survie en dehors d'un soutien financier public complémentaire massif, à l'exclusion de toute autre source de financement. »

Quel que soit le scénario envisagé, Air Lib prévoyait une forte augmentation de son chiffre d'affaires pendant les années 2003 à 2006, allant de 69,4 % à 37,2 % selon les scénarii. La note indique que « la Commission ne pourra que regarder d'un œil très critique les très nombreuses ouvertures de lignes envisagées (Italie, Afrique), et pourrait exiger des contreparties pour atténuer les conséquences des aides d'Etat octroyées à Air Lib sur les autres compagnies communautaires présentes sur ces liaisons. »

S'agissant de la stratégie tarifaire liée au développement d'Air Lib Express, elle « paraît absolument incompatible avec les lignes directrices communautaires, la compagnie ne baissant pas ses coûts dans la même mesure que ses tarifs. Il existe donc un grand risque que la Commission impose à Air Lib de renoncer à cette stratégie, pourtant au cœur de la restructuration et de la réorientation de son réseau moyen courrier en Europe. »

En ce qui concerne la crédibilité du retour à l'équilibre, « à l'appui de ces prévisions, Air Lib ne présente pas de comptes d'exploitation détaillés, qui préciseraient notamment les hypothèses de trafic et de recette unitaire sur chaque ligne. Il est donc impossible d'apprécier le réalisme des prévisions de résultat avancées par la compagnie. En tout état de cause, l'hypothèse d'un retour à l'équilibre dès le prochain exercice paraît très optimiste, compte tenu des résultats passés de la compagnie : 212 millions d'euros de pertes d'exploitation pour l'exercice 2001-2002, et entre 70 et 85 millions d'euros de pertes d'exploitation prévues pour l'exercice 2002-2003. »

Enfin et surtout, pour le financement de son plan de restructuration « Air Lib affiche un besoin de financement à court terme de 140 à 160 millions d'euros (scénario 1 ou 2), et prévoit que ce besoin sera entièrement couvert par l'Etat : d'une part, la compagnie sollicite la transformation du prêt du FDES de 30,5 millions d'euros et des moratoires et impayés sur les charges publiques (54,3 millions d'euros à fin octobre 2002) en prêts remboursables à moyen ou long terme, d'autre part, elle sollicite un financement public complémentaire à hauteur de 55 à 76 millions d'euros selon le scénario. (...) Ce point paraît absolument rédhibitoire, car il est clair que ce schéma de financement n'est pas acceptable en l'état par la Commission, quand bien même les pouvoirs publics français seraient prêts à soutenir la compagnie pour de tels montants. »

Une note de la direction du Trésor du 25 octobre aboutissait au même constat : « Aucune des ressources externes initialement envisagées par la compagnie - GIE fiscal et remboursement de la créance Swissair, notamment - n'étant inscrite dans le plan de financement, Air Lib a explicitement fait état, lors des réunions techniques, d'une demande de financement sur fonds publics. Ce besoin s'ajouterait à la reconduction du prêt du FDES (30,5 millions d'euros) ainsi qu'à la consolidation des dettes publiques impayées au 31 octobre (estimée par Air Lib à 54,3 millions d'euros). C'est donc un effort total de l'ordre de 152 millions d'euros qui est demandé aux pouvoirs publics sur toute la période pour le scénario 1, dont 140 millions d'euros pour la période du 1er novembre 2002 au 31 mars 2003 (30,5 + 54,3 + 55,1 millions d'euros de financement complémentaire sur cette période). Cette demande est en totale opposition avec les décisions du cabinet du Premier ministre de juillet dernier, mais aussi avec les annonces faites à la Commission européenne. »

Cette note concluait en relevant que le projet présenté ne saurait être transmis en l'état à la Commission européenne et qu'il mettait en évidence l'impasse financière à laquelle se trouvait confrontée Air Lib.

Dès lors, la réunion le 29 octobre 2002 entre Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, les représentants de Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, et Jean-Charles Corbet a débouché sur un constat d'échec. Dans un communiqué du même jour, Gilles de Robien et Dominique Bussereau ont souligné « les insuffisances du projet de restructuration qui, en l'état, ne saurait constituer un plan de retour à la viabilité, transmissible à la Commission européenne. (...). En conséquence, les ministres ont demandé au président d'Air Lib de leur transmettre très rapidement, en tout état de cause avant le 8 novembre 2002, les éléments indispensables à une appréciation complète des propositions de ce dernier. Ils ont notamment souhaité que soient précisées les hypothèses que la compagnie a retenues pour élaborer ce document, en particulier celles relatives à la rentabilité des nouvelles lignes, aux nouveaux produits envisagés et aux conditions de financement d'un redressement durable de la compagnie. »

Par ailleurs les ministres ont rappelé au président d'Air Lib l'importance toute particulière de la prochaine séance du Conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM) qui, le 8 novembre, devait donner son avis sur la situation de la compagnie et sur le renouvellement de sa licence d'exploitation.

En réponse, dans une lettre du 31 octobre 2002, Jean-Charles Corbet déclarait : « Le scénario qui semble être retenu par le Gouvernement français pour défendre notre dossier a des conséquences douloureuses pour l'entreprise que je préside et je n'ai pas la certitude que nous saurons gérer la crise sociale qui pourrait en résulter. » Une fois encore, la menace pesant sur l'emploi était attribuée à l'Etat.

Les échéances se rapprochaient dangereusement : la licence d'exploitation de l'entreprise expirait le 15 novembre, l'échéance du prêt du FDES était prévue pour le 9 novembre et, à cette même date, le délai de notification aux instances communautaires d'un plan de restructuration accompagnant la transformation des aides de sauvetage de l'Etat en aides à la restructuration expirait.

2.- IMCA : un bien étrange investisseur

_ L'annonce de l'intérêt porté à Air Lib par un investisseur néerlandais, IMCA, intervient au moment précis où une conjonction d'échéances mettait en péril la pérennité de l'activité d'Air Lib. Comme l'a indiqué M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer « (...) lorsque j'ai conseillé au Premier ministre et à Gilles de Robien de tirer le rideau, c'est avant l'arrivée de M. de Vlieger, car j'avais alors véritablement le sentiment que plus rien n'était possible, que rien de sérieux nous était présenté. C'est à ce moment-là que j'ai proposé d'entamer le processus, ce qui fut fait. Des réunions préparatoires ont eu lieu pour réfléchir à l'acheminement des passagers et aux différents problèmes techniques posés par une fin de l'activité d'Air Lib. »

Dans une lettre d'intention relative à l'éventuelle prise de participation au capital d'Air Lib par le groupe IMCA, datée du 7 novembre 2002, il est précisé que sous certaines conditions, dont la transformation du prêt du FDES en « un concours adapté et acceptable pour Air Lib dans le cadre des règles de l'Union européenne », « IMCA Group est prêt à apporter les millions d'euros nécessaires. Nous avons en outre conscience que la flotte actuelle d'Air Lib est absolument inadaptée. Dès lors, nous sommes prêt à faire en sorte qu'Air Lib soit financièrement en mesure de renouveler sa flotte d'avions (...). Nous agirons en actionnaire actif et fidèle à l'appui de notre savoir-faire dans le transport aérien et de l'assise capitalistique de notre groupe. »

Cette annonce n'est pas sans conséquences sur les conclusions du CSAM se tenant le 8 novembre. Ce dernier constate en effet « que, en l'état, la situation financière de la compagnie Air Lib, en dépit d'un prêt du FDES de 30,5 millions d'euros et d'un moratoire sur les dettes publiques, atteignant près de 60 millions d'euros, ne lui permet pas de se prononcer en faveur du maintien de la licence d'exploitation. Le Conseil attire toutefois l'attention du ministre sur le fait que l'entreprise fait état de contacts avec des investisseurs potentiels, dont l'arrivée pourrait, selon elle, lui permettre à terme de retrouver son équilibre financier. Sous la condition de la présentation d'un plan de redressement crédible avant la date d'expiration de sa licence actuelle, le Conseil estime que celle-ci pourrait être prolongée d'une durée d'un mois. »

Pour les pouvoirs publics, l'arrivée d'un investisseur change la donne. Dès le 12 novembre, Jean-Charles Corbet et Erik de Vlieger, président d'IMCA, sont reçus par MM. Gilles de Robien et Dominique Bussereau, en présence de représentants de Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et de Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer.

Le 13 novembre a lieu une réunion interministérielle sous la présidence de M. Gauthey, conseiller pour l'équipement et les transports du Premier ministre. A cette occasion, le directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer indique que : « M. Erik de Vlieger, président du groupe IMCA, s'il a évoqué un remboursement des dettes fiscales dues à l'Etat et un investissement d'environ 50 millions d'euros, n'a toutefois pas donné des précisions sur les conditions dans lesquelles s'effectuerait cette prise de participation. Il ajoute que le groupe IMCA semble, pour l'essentiel, intéressé par les créneaux horaires dont la compagnie Air Lib est détentrice à Orly. »

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie estime pour sa part que « l'arrivée d'un nouvel investisseur semble répondre au souhait de l'Etat et il convient d'expertiser le sérieux de l'engagement du groupe IMCA, non seulement dans les montants financiers qu'il envisage d'engager dans l'opération, mais aussi sur les conditions de remboursement des dettes dues par la compagnie. »

En conclusion, « le cabinet du Premier ministre considère que, dans l'immédiat, l'entrée d'un nouvel investisseur dans le capital d'Air Lib répond à l'exigence principale formulée par les pouvoirs publics pour envisager la poursuite de l'exploitation de la compagnie. Dès lors, il faudrait laisser un délai raisonnable au groupe IMCA pour présenter à l'Etat un plan de reprise crédible, que les services seront à même d'expertiser dans le cadre des travaux menés par le conciliateur qui pourrait être nommé par le président du tribunal de commerce de Créteil. Il estime que, malgré les difficultés chroniques de trésorerie que connaît Air Lib, le gouvernement ne peut se désengager d'une situation qui perdure depuis un an et propose de prolonger au 31 janvier 2003 la licence d'exploitation d'Air Lib afin que le président du groupe IMCA soit en mesure de faire des propositions de reprise. De même, afin de laisser à la compagnie les moyens de continuer son exploitation dans l'attente de la décision du groupe IMCA, il convient de proroger jusqu'au 9 janvier 2003 l'exigibilité du prêt FDES et du moratoire des dettes fiscales et sociales dues par Air Lib. En outre, il demande que, durant cet ultime délai, l'exigibilité des paiements des cotisations sociales et des taxes dus au titre des mois de novembre et décembre soit provisoirement suspendue. »

Dans un communiqué du 13 novembre 2002, le ministère des transports annonce donc le report des échéances, avec le prolongement de la licence d'exploitation jusqu'au 31 janvier 2003 et le report au 9 janvier 2003 du remboursement des dettes publiques d'Air Lib faisant l'objet d'un moratoire ainsi que du prêt du FDES.

HISTORIQUE DE LA LICENCE D'EXPLOITATION
ACCORDEE A AIR LIB

_ A la suite du dépôt de bilan d'AOM et d'Air Liberté en juin 2001, plusieurs dossiers de reprise ont été présentés et examinés par le CSAM lors des séances des 18 et 25 juillet 2001. Concernant en particulier le projet Holco, le CSAM a émis « un avis favorable à la délivrance d'une licence d'exploitation de transporteur aérien et de l'autorisation d'exploiter (...) à la société d'exploitation AOM-Air Liberté SA, filiale de la société Holco, dans le cas où celle-ci serait retenue comme cessionnaire des actifs des sociétés Air Liberté AOM, Air Liberté et TAT European Airlines sous réserve que (...) ses fonds propres et/ou quasi fonds propres soit portés le plus rapidement possible à un montant de 2,375 milliards de francs, dont au moins 1,5 milliard de francs libérés en numéraire préalablement au début de l'exploitation. » Afin de permettre la continuité de l'exploitation, dans l'attente de la signature des actes de cession, le tribunal a autorisé Holco à prendre en location-gérance ces compagnies.

A la suite de l'avis du CSAM et de la décision du tribunal de commerce, le ministre a décidé du principe de l'octroi d'une licence d'exploitation à la filiale d'Holco dès lors que les conditions juridiques seraient réunies (signature du contrat de location gérance notamment). Dans l'attente de la signature de ce contrat de location-gérance, la compagnie a poursuivi son exploitation dans le cadre des seules autorisations des compagnies Air Liberté AOM, Air Liberté et TAT EA.

Lors de sa séance du 31 octobre 2001, l'avis du CSAM a été sollicité sur la question du renouvellement de la licence d'exploitation temporaire de transporteur aérien des compagnies Air Liberté AOM (ex-AOM Minerve SA), Air Liberté et TAT EA jusqu'au 31 janvier 2002 (date limite fixée par le tribunal de commerce pour la signature des actes de cession). Le CSAM a émis un avis favorable, suivi par le ministre, à la prolongation de la licence temporaire d'exploitation jusqu'au 31 janvier 2002.

Le contrat de location gérance entre Air Lib et Air Liberté AOM, Air Liberté et TAT EA a été signé le 24 octobre 2001, ce qui a rendu possible l'octroi d'une licence d'exploitation à Air Lib. Cependant, le contexte était modifié par rapport à juillet 2001, date initiale d'examen du dossier de reprise, compte tenu de l'impact des événements du 11 septembre sur Air Lib. En dépit de cette situation très incertaine, le ministre des transports a décidé de délivrer à Air Lib, par arrêté du 11 décembre 2001, une licence d'exploitation temporaire de transporteur aérien, valable jusqu'au 15 mars 2002. Cette licence d'exploitation a ainsi été dès le départ, et de manière assez exceptionnelle, temporaire compte tenu de la situation financière dégradée de l'entreprise ; elle a été prolongée une première fois jusqu'au 15 avril 2002, dans l'attente de son réexamen par le CSAM.

_ La situation et les garanties financières d'Air Lib ont été examinées par le CSAM lors de sa séance du 27 mars 2002. Il a émis un avis favorable au renouvellement de cette licence d'exploitation temporaire jusqu'au 31 décembre 2002 afin de permettre à la compagnie de mettre effectivement en œuvre un plan de restructuration financière et de l'exploitation. Le ministre des transports n'a toutefois renouvelé cette licence que jusqu'au 31 octobre 2002, ainsi que l'y invitaient ses services, compte tenu de la situation financière de l'entreprise. La licence a ensuite été prorogée jusqu'au 15 novembre 2002 dans l'attente de son réexamen par le CSAM.

Lors de sa séance du 8 novembre 2002, compte tenu de l'annonce de contact avec des investisseurs potentiels, le CSAM a estimé que la licence pouvait être prolongée d'un mois. Le gouvernement a alors décidé de proroger la validité de la licence temporaire d'exploitation de transporteur aérien de la compagnie jusqu'au 31 janvier 2003.

Le 31 janvier 2003, compte tenu de l'avancement de la procédure de conciliation et afin de permettre la consultation du CSAM en vue du réexamen de la licence d'exploitation de la compagnie, le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer a décidé de proroger la validité de cette licence jusqu'au 5 février 2003, tout en précisant que cette licence pouvait être suspendue le 4 février à minuit si le protocole de conciliation n'était pas signé à cette date, comme s'y était engagé la société IMCA par courrier du 31 janvier 2003.

Les discussions entre Air Lib et Airbus se sont poursuivies pendant la nuit du 5 au 6 février. Face au refus d'IMCA de signer le protocole de conciliation, le ministre a tiré les conséquences de l'avis du CSAM du 5 février 2003 La licence d'exploitation de la compagnie n'a pas été renouvelée et Air Lib n'a donc plus été autorisée, à compter du 5 février à minuit, à réaliser une activité de transport aérien public, sous réserve du déroulement des deux vols encore en cours à cette heure.

Quelles étaient alors les informations dont disposait le gouvernement sur IMCA à cette date ? Comme l'a indiqué M. Michel Wachenheim, directeur général de l'aviation civile, « les informations dont nous disposions au sujet de M. de Vlieger et de son sérieux provenaient du ministère. Le cabinet a fait enquêter sur cette société par l'ambassade de France aux Pays-Bas. Les réponses étaient rassurantes. Pour notre part, nous n'avons pas mené d'enquête particulière. »

Il apparaissait ainsi que, tirant son origine et sa fortune d'une société de machines à coudre localisée à Haarlem, le groupe IMCA s'était progressivement diversifié dans des secteurs d'activités très différents : le textile, l'immobilier, le nautisme, les médias et récemment le transport aérien. La diversification dans ce domaine s'est faite dans le secteur de compagnies à bas coût opérant sur des aéroports régionaux. Ces compagnies sont Air Exel (en liaison avec l'opérateur KLM), FlyMetropolis et Tulip Air. Le groupe, dirigé par Erik de Vlieger, a gardé de ses origines une structure familiale. Dans la phase de démarrage des négociations, il s'est présenté comme un groupe réalisant un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros (dont 70 millions d'euros dans le transport aérien) pour une taille de 1 000 employés. Pour autant, les informations rendues publiques par IMCA étaient lacunaires, les éléments financiers étant difficiles à recouper, en particulier du fait de leur imprécision.

M. Jean-Claude Jouffroy, directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, a noté qu'à l'époque, IMCA « semble un peu crédible parce qu'il a une petite activité en matière de transport aérien ».

_ Jusqu'à la fin de l'année 2002 et même au début de l'année 2003, IMCA apparaît comme un investisseur assez peu motivé.

Dans une lettre du 4 décembre 2002 adressée à Me Hubert Lafont, Erik de Vlieger détaille ses intentions : « Le groupe IMCA est prêt, avec toute son équipe, à prendre la responsabilité totale du projet (...) et de faire d'Air Lib un succès grandissant dans et en dehors de l'Europe. La réalisation du redressement, la séparation opérationnelle entre long et moyen courrier accompagné de toute l'organisation, le marketing seront les terrains d'attentions principaux. Notre redressement concerne la recherche de chiffre d'affaires additionnel et non la diminution de l'effectif du personnel. Ceci ne veut pas dire que le nombre des employés actuel complet peut être maintenu, même si cela est pour nous un objectif. Pour réaliser un chiffre d'affaires plus important, nous voulons renouveler la flotte actuelle d'Air Lib Express, consistante en dix-sept MD82 vieillissants. En doublant en 2003 le réseau de destinations, nous parlons d'un nombre significatif d'appareils supplémentaires. Les conditions d'intégration de cette nouvelle flotte au sein d'Air Lib et ses conséquences devront faire l'objet d'études précises, complètes. Nous souhaitons notamment étudier les possibilités d'intégrer tout ou partie de ce renouvellement de flotte dans le cadre du GIE fiscal dont Air Lib et ses conseils nous ont parlé. Malgré les risques courus par le groupe IMCA, nous ne prévoyons pas de garanties nécessaires de l'état pour le leasing et le financement. Dès ce moment-là, Air Lib sera un acteur européen et pourra affronter et vaincre la concurrence féroce des anglo-saxons dans l'aviation européenne pour les régions décrites. »

Toutefois, en ce qui concerne les négociations avec l'Etat, tout semble continuer de la même manière qu'avant l'arrivée d'IMCA, Jean-Charles Corbet jouant le premier rôle dans les réunions, tandis qu'IMCA apparaissait en retrait. M. Jean-Claude Jouffroy a ainsi noté : « Avec Pierre Graff, nous avons revu Erik de Vlieger sans que nous ayons pour autant des contacts aussi fréquents qu'avec Corbet. » Et de souligner, plus loin : « J'ajoute qu'IMCA n'apparaît toujours pas dans les affaires. A l'occasion de toutes ces relations, c'était toujours Air Lib, c'est-à-dire Jean-Charles Corbet ou ses collaborateurs. Sur les documents, sur les différentes propositions sur le financement, IMCA n'apparaissait jamais ! J'insiste bien sur ce point, malgré toutes les lettres de bonnes intentions qu'IMCA nous envoyait. »

De plus, « lors d'une des réunions qui vont suivre ces dates-là, j'ai eu fortement l'impression que le représentant du groupe IMCA - M. de Vlieger ou peut-être son avocat, je ne me souviens plus très bien - n'était pas très au courant du plan de restructuration qui avait été monté par M. Corbet. »

De fait, il est curieux de constater qu'IMCA n'apparaît pas dans les nouvelles versions du plan de restructuration présenté par Air Lib. Comme l'indique M. Jean-Claude Jouffroy, « Nous étions donc le 13 novembre. Air Lib et IMCA repartent après les réunions que j'ai citées pour faire un plan de restructuration, plan appelé par Jean-Charles Corbet « Plan Mermoz », lequel nous est remis le 20 décembre très exactement de l'année dernière. Ce plan nous a paru à nouveau très bizarre. Contrairement à ce que l'on commençait à penser d'abord, c'était une réplique du premier plan de restructuration sur lequel nous n'étions pas d'accord. Quand vous verrez les documents, vous comprendrez tout de suite ce que je veux dire !  Deuxièmement, IMCA qui, soi-disant - et maintenant je peux dire « soi-disant » - était le nouvel investisseur n'était strictement pas cité. C'était quand même bizarre ! Troisièmement, c'était l'Etat qui était proposé pour financer le plan de restructuration avec deux conditions. »

Dans une lettre du 27 décembre 2002 adressée à Jean-Charles Corbet, MM. Gilles de Robien et Dominique Bussereau, relèvent en effet que « pour financer vos besoins de restructuration, votre proposition financière consiste exclusivement à demander à l'Etat une aide de 282 millions d'euros (...) se décomposant en :

- un abandon de créance de la part de l'Etat de 110,5 millions d'euros (les 30,5 millions du prêt FDES augmentés du moratoire sur les dettes publiques)

- un « subside non remboursable » que vous chiffrez à 172 millions d'euros, avec versement d'une première tranche de 52 millions d'euros.

Ainsi, au lieu de proposer une restructuration de votre entreprise par un financement faisant appel à un ou des investisseurs privés pour être en conformité avec les règles communautaires, vous faites supporter la quasi-totalité de la charge financière à l'Etat. En conséquence, en l'état, c'est-à-dire à défaut d'un engagement, ferme et irréversible, d'un investisseur en mesure de valider votre plan et de s'engager sur la totalité des nouveaux financements nécessaires ainsi que sur la prise en charge du passif dû aux collectivités publiques, le gouvernement français ne pourra transmettre ce document à la Commission européenne. »

L'absence de coordination entre Air Lib et IMCA apparaît encore présente dans le plan transmis par Air Lib le 8 janvier 2003. Comme le relève une note du directeur du Trésor au ministre en date du 13 janvier 2003 (0052CD), le nouveau plan ne comprend pas de plan de financement cohérent et repose sur la version la plus offensive des projets de développement présentés antérieurement. « Le besoin de financement y est estimé pour la période avril 2003-été 2003 à 198 millions d'euros. Les financements annoncés sont de 296 millions d'euros mais restent hypothétiques : un emprunt de 172 millions d'euros d'origine non spécifiée, un flux produit par des GIE fiscaux de 30 millions d'euros (le chiffre cité oralement était toutefois de 100 millions d'euros pour une assiette de 400 millions d'euros), la cession d'actifs (filiales d'Holco - fournisseurs d'Air Lib) pour 30 millions d'euros et la liquidité de la créance Swissair pour 61 millions d'euros. Le plan présenté le 9 janvier et les lettres du 10 janvier confirment la faible préparation du dossier par l'investisseur pressenti. La société IMCA déclare ne pas avoir une connaissance précise du passif de Air Lib vis-à-vis de l'Etat et manifeste clairement qu'elle constitue un intervenant distinct de la société Air Lib. Au demeurant ces documents sont contradictoires puisque le président d'Air Lib envisage un échéancier ferme de remboursement des dettes vis-à-vis de l'Etat tandis que IMCA ne prévoit un remboursement qu'à compter du retour à une exploitation positive de Air Lib. »

Face à ces difficultés persistantes, l'Etat fait valoir plus fermement ses exigences. Un fax adressé à Me Lafont le 9 janvier par MM. Jean-Claude Jouffroy et Pierre Graff, respectivement directeur de cabinet de MM. Dominique Bussereau et Gilles de Robien, demande des réponses sur les points suivants :

- confirmation par IMCA de l'apport de 150 millions d'euros, pour financer la modernisation de la flotte ;

- confirmation par IMCA de l'apport de 50 à 70 millions d'euros pour compléter le financement du plan de restructuration, tel qu'il est proposé ;

- confirmation par Air Lib de la reprise des paiements courants à l'Etat et aux collectivités publiques à la date du 11 janvier et garantie d'IMCA sur ce point ;

- confirmation par Air Lib du remboursement des dettes publiques, assorti d'un échéancier rapproché.

_ A la fin du mois de janvier 2003, la situation semble se débloquer. Par une lettre en date du 25 janvier, le vice-président d'IMCA accepte notamment la reprise des paiements courants à compter du 9 janvier, sous réserve d'un accord d'étalement du remboursement des dettes publiques antérieures au 9 janvier sur une période pouvant aller jusqu'à sept ans.

Un protocole de conciliation entre l'Etat, Air Lib et IMCA est élaboré le 30 janvier 2003. Il précise notamment qu'Holco accepterait de céder une participation à IMCA de 50 % du capital qu'elle détient sur Air Lib, IMCA apporterait, dans l'immédiat, 70 millions d'euros pour aider au plan de restructuration. De plus, la holding Holco apporterait à Air Lib la créance qu'elle détient sur Swissair, d'un montant nominal de 60 millions d'euros. Ces engagements permettraient de procéder à une reconstitution des fonds propres, à une reprise des paiements courants et à un apurement des dettes dues à l'Etat à compter de juillet 2003, selon un échéancier étalé sur 8 ans.

L'Etat, pour sa part, a accepté de lever le nantissement qu'il avait pris au titre du prêt du FDES sur la créance que détient Air Lib sur Swissair. Il a également promis l'octroi par le ministère des transports de droits de trafic vers neuf pays africains.

La date limite prévue pour l'homologation du protocole était le 10 février.

Comme l'a noté Me Lafont, ce protocole était plutôt favorable à IMCA : « En annexe du protocole de conciliation accepté par M. de Vlieger se trouvait un état de ce passif arrêté d'un commun accord et coïncidant entre les décomptes du ministère des finances concernant les droits et taxes et la comptabilité d'Air Lib. Cette somme s'élevait à 30,5 millions d'euros plus 1,442 million et 90 millions pour cette période. Auxquels s'ajoutaient 18,5 millions pour la période allant du 9 janvier au 14 mars. Ce sont les chiffres sur lesquels il y avait concordance. Aucune somme n'était due à des fournisseurs de quelque nature, en dehors peut-être d'un stylo à bille.(...) M. de Vlieger reprenait le passif sur huit ans : sept ans plus une année de franchise, plus les intérêts a posteriori, in fine. Cela ne faisait pas grand chose chaque année. Deuxièmement, M. de Vlieger refinançait la caisse en apportant les 24,5 millions d'euros nécessaires pour permettre un fonctionnement normal et se trouvait en face d'un trend d'exploitation tel que l'on en arrivait à fin juin 2003 à un équilibre au niveau de l'exploitation, mais pas des frais de structure. Normalement donc, en ne payant plus le passif et en ayant des années de moratoire, en ayant une exploitation et un remplissage qui permettaient à M. de Vlieger de fonctionner en couvrant les frais directs d'exploitation, il devait pouvoir rentabiliser l'entreprise. »

Pourtant, à partir de ce moment, l'investisseur putatif allait multiplier les exigences.

3.- Les ultimes manœuvres dilatoires d'IMCA

_ Début février, IMCA subordonne sa signature du protocole de conciliation à un accord sur deux « conditions mineures », portant, d'une part, sur un accord avec les syndicats d'Air Lib, tout particulièrement la CGT, et, d'autre part, sur un « marché raisonnable avec Airbus concernant l'achat de 10 à 20 appareils A320, incluant une injection financière pour Air Lib3 

Dans une lettre adressée le 3 février à Erik de Vlieger, Me Hubert Lafont s'émeut du tour que prend l'affaire : « je suis surpris de constater que des demandes nouvelles sont formulées pratiquement chaque jour, alors que le texte du protocole est entre vos mains depuis plusieurs jours (...) Dois-je en conclure que toutes vos interventions, que toutes les recherches que vous avez effectuées, les démarches que vous avez fait entreprendre ne sont qu'un leurre, et que votre volonté bruyamment affichée de reprendre Air Lib n'aura été qu'une vaste « comédie ». »

Les ultimes exigences d'IMCA sont précisées dans un courrier adressé par fax à Me Hubert Lafont le 5 février 2003, signé par le vice-président d'IMCA, Harm Prins. Il y est tout d'abord demandé que « l'Etat, de son côté, [confirme] son accord pour la mise en œuvre de GIE dérogatoires (sur les sept premiers avions) identiques dans leur principe et leurs effets aux deux GIE déjà obtenus par Air Lib pour l'achat de deux Airbus A380 (...). Ainsi, l'Etat prend acte et s'engage à tout faire pour permettre à l'entreprise, tel que prévu initialement, de bénéficier de 18 % du prix de vente des avions aux GIE, soit : 18 % de (7 x 55 = 385), soit un avantage final pour l'entreprise de 69,3 millions. »

Sur cette question, la réponse de M. Pierre Graff, directeur de cabinet de M. Gilles de Robien, figure dans un courrier du 5 février adressé à Me Lafont : « Lors de la négociation du protocole de conciliation, l'Etat a clairement fait savoir que les GIE dérogatoires qui avaient été accordés par le passé n'étaient pas remis en cause. Au-delà, les GIE ne peuvent pas être dérogatoires et sont régis par les conditions de droit commun. »

La deuxième et principale demande d'IMCA concernait Airbus, en exigeant un « engagement irrévocable d'Airbus de faire bénéficier IMCA ALN d'avantages commerciaux complémentaires correspondant au montant des deposit Flightlease. De façon plus précise, Airbus doit s'engager à faire bénéficier immédiatement (en trois tranches : 1/3 décembre 2003, 1/3 juillet 2004 et 1/3 décembre 2004) IMCA ALN des fonds correspondant aux deposit Flightlease/Airbus/AOM/Air Lib (54 USD). »

Les négociations ultimes sur ce point entre Airbus et IMCA auront lieu au ministère des transports. Comme l'a relaté M. Jean-Claude Jouffroy, « sans intervenir et sans que nous soyons présents - j'insiste bien sur ce point parce que sur le plan juridique nous faisions extrêmement attention - le mercredi nous avons fait venir à l'Hôtel de Roquelaure les représentants d'IMCA. D'ailleurs, ce n'est pas le président qui s'est déplacé lui-même, c'est son avocat. Je donne quelques détails car ils ont leur importance. Nous les avons fait venir dans une pièce de l'Hôtel de Roquelaure et nous les avons mis en relation téléphonique avec Airbus. L'entretien a dû commencer dans la soirée - ils étaient en retard - et ils ont discuté toute la nuit. Gilles de Robien et Dominique Bussereau étaient à côté. A quatre heures du matin, quel était le résultat ? Pas d'entente, pas de signature du protocole. »

Lors de son audition, M. Noël Forgeard, directeur exécutif d'Airbus, a souligné que quelles qu'aient pu être les conditions tarifaires consenties par Airbus à IMCA, « de toute façon, nous aurions buté sur un élément incontournable qui était la volonté claire de M. de Vlieger de ne pas sortir d'argent, mais d'en recevoir de notre part. Il était, de toute façon, hors de question pour lui de payer le moindre acompte, et toute réunion comportait invariablement la référence aux 50 millions de dollars. Les avions n'étaient qu'un prétexte, il n'avait aucun souci de comprendre ce qu'était un avion, quels seraient l'aménagement de la cabine, la densité, l'écartement des sièges... Cela prouve qu'il n'avait aucune intention probablement d'exploiter à court terme des avions. (...) Lors de nos discussions, il ne considérait pas ces 50 millions de dollars comme un acompte, il espérait bel et bien les récupérer en cash et sur-le-champ. »

Cette intention d'IMCA apparaît de façon limpide dans un courrier adressé le 11 février 2003 au Président de la République par Erik de Vlieger : « Alors que le protocole de conciliation devait être signé grâce aux efforts des organisations syndicales et de l'Etat, nous avons dû seuls faire face à l'intransigeance d'Airbus. Notre dernière contrainte est de ne pas supporter économiquement la charge équivalente à une enveloppe de 54 millions d'euros aujourd'hui disparue. Cette somme correspond aux acomptes versés à Airbus par les anciens actionnaires d'AOM pour l'achat de deux Airbus A340. A la demande de M. Gaston Flosse, ces deux avions ont été vendus en août 2002 à Air Tahiti Nui. Nous en avons pris acte, mais à aucun moment le principe qu'Air Lib puisse profiter de l'avance n'a été remis en cause. Cette enveloppe de 54 millions d'euros reste à ce jour le seul obstacle à la conclusion d'un accord global. »

Comment analyser un tel comportement ? Sur cette question, l'analyse de Me Hubert Lafont mérite d'être citée : « Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce que disait Spinoza en parlant des Hollandais ; je vais le citer en latin : « Ultimi barbarorum ». M. de Vlieger s'est comporté comme un barbare. À partir du moment où il a pressenti qu'il mettrait la main sur cette affaire, il a multiplié les exigences. Il a multiplié les indélicatesses à l'égard du politique : ses lettres ont été publiées dans les journaux, elles ne sont pas couvertes par le secret. Il écrivait en direct aux ministres ou au Président de la République ; ses lettres commençaient par « Mon cher monsieur » et exprimaient ses desiderata. (...) Lorsque les chiffres sont ensuite apparus et que M. de Vlieger a compris qu'il devait apporter en financement direct des sommes importantes, puisque les sommes arrêtées étaient respectivement 18,5 millions d'euros, 30 millions de financement et 70 millions de lettres de confort, il semble que, dans sa famille, son père, l'animateur du groupe, et ses frères et sœurs, aient eu une réticence à s'engager sur des sommes de cette importance. Ce qui expliquerait qu'il ait essayé de s'en sortir en multipliant des exigences nouvelles à chaque fois qu'il obtenait satisfaction sur une précédente, et qu'il ait en définitive fait échouer volontairement la reprise. »

_ Pour l'Etat, l'échec des négociations était désormais patent. Lors de sa réunion du 5 février 2003, le CSAM avait décidé : « Compte tenu de l'engagement de l'investisseur potentiel IMCA de signer un protocole de consignation avant le 4 février 2003, délai de rigueur, le conseil supérieur de l'aviation marchande s'est réuni le 5 février 2003, et a constaté l'absence d'une telle signature. Dans l'intérêt du transport aérien, le CSAM a émis un avis favorable à la transformation de la licence d'exploitation temporaire de la société d'exploitation AOM-Air Liberté (Air Lib) en licence permanente, à condition que le protocole de conciliation soit signé, et que soient produites en particulier les garanties financières afférentes, d'ici le mercredi 5 février 2003 à minuit. »

Par une lettre du même jour, adressée au PDG d'Air Lib, le directeur général de l'aviation civile indiquait que le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer avait décidé de suivre cet avis.

Compte tenu de l'absence de signature du protocole de conciliation, la compagnie ne pouvait plus être autorisée, à compter du 5 à minuit, à réaliser une activité de transport aérien public, sous réserve du déroulement des deux vols en provenance des DOM dont l'arrivée à Paris était prévue pour le 6 février.

Le 13 février, la société d'exploitation AOM-Air Liberté se déclarait en cessation de paiement et le 17 février le tribunal de commerce de Créteil ouvrait une procédure de liquidation judiciaire. Cette procédure a été étendue par la suite aux sociétés suivantes :

- la SAS Minerve Antilles Guyane a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre du 14 mars 2003 ;

- la SAS Air Lib Technics, ayant pour objet la maintenance des appareils, a été placée en redressement judiciaire le 27 février 2003 par le tribunal de commerce de Créteil. La liquidation judiciaire a été prononcée le 20 mars 2003 ;

- La SAS Hotavia Restauration Services SN a été placée en redressement judiciaire le 6 mars 2003, puis en liquidation judiciaire le 3 avril 2003.

Aucune des autres filiales dont le siège est situé en France (Service Assistance Piste, Service Assistance Avion, Alyzair et Logitair) n'est placée en redressement ou en liquidation judiciaire à la date du 2 mai 2003.

On peut noter qu'Holco n'est pas comprise dans le périmètre de la liquidation. Sur ce point, lors de son audition M. Christian Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil a jugé que l'extension à l'ensemble des filiales du groupe Holco de la liquidation judiciaire était « impossible » :

« Premièrement, parce que le tribunal ne peut statuer que sur ce qu'on lui demande. Je vous rappelle que, quel que soit le tribunal - sauf dans les cas où il peut se saisir d'office ou quand il est saisi par le ministère public - il ne peut pas statuer sur autre chose que ce qui lui est demandé. A défaut, ce serait statuer ultra petita. En l'espèce, apprenant que la conciliation était un échec, j'ai informé la société Air Lib qu'elle devait déposer son bilan et j'ai prévenu les dirigeants qu'ils engageraient leur responsabilité personnelle s'ils ne le faisaient pas. La société Air Lib a donc effectué sa déclaration de cessation de paiement. Les autres entreprises n'ont pas effectué de déclaration de cessation de paiement.(...)

M. le Rapporteur : Qui peut demander l'extension ?

M. Christian ROUSSELIN : C'est le même problème que celui des avions, évoqué tout à l'heure. La remise en question des actes litigieux qui auraient été passés de manière irrégulière pendant toute la période de fonctionnement, ce sont les organes de la procédure collective qui ont pour mission de rechercher les actifs existants et qui vont également rechercher s'il n'y a pas lieu à extension.

Cela étant, nous sommes dans un pays où la séparation des patrimoines est de droit. Aujourd'hui - il suffit de lire les journaux pour constater qu'un autre tribunal a rendu une décision de même nature - en matière d'extension, seuls deux critères peuvent être retenus. (...)

Le principe est celui de la séparation des patrimoines, c'est-à-dire que toute société bénéficiant de la personnalité morale a un patrimoine qui lui est propre et fonctionne seule. Deux critères sont à retenir en matière d'extension. Soit la fictivité des entreprises, c'est-à-dire que des entreprises ont été créées pour les besoins de la cause, n'ont aucune réalité économique et aucun patrimoine. C'est comme si on filialisait un département dans une entreprise. Soit l'interpénétration des patrimoines, c'est-à-dire que les mouvements de capitaux entre les entreprises sont tels qu'il n'est pas possible de déterminer quel est l'actif ou le passif réel des entreprises concernées.

Si des opérations et des mouvements de capitaux anormaux ont été effectués entre les différentes entreprises, la loi prévoit que toutes ces opérations sont annulables. Par conséquent, il appartient aux mandataires liquidateurs, en charge de l'intérêt de la collectivité des créanciers, d'en demander l'annulation au tribunal. »

Quelles ont été les démarches entreprises pour récupérer les charges publiques impayées ?

S'agissant de l'Etat, le prêt du FDES figure au passif d'Air Lib et la créance a été déclarée au liquidateur. Le suivi de la procédure a été confié à la trésorerie générale des créances spéciales du trésor.

En ce qui concerne les autres créances publiques, c'est aux organes sociaux de chaque créancier qu'il appartient de déclarer ses propres créances au liquidateur, dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement de liquidation.

Cet épilogue provisoire est donc peu satisfaisant car l'Etat n'est pas assuré de recouvrer ses créances alors que l'actionnaire principal d'Holco échappe, pour le moment, aux conséquences de la disparition d'une compagnie qu'il a acquise sans débourser un euro.

La commission n'a pu établir quel était le montant des capitaux détenus aujourd'hui par la SAS Holco. La question a été posée à M. Corbet

« M. le Président : Aujourd'hui, 27 mai, vous êtes toujours président de Holco SAS, toujours responsable de Holco Lux. Je ne sais pas si vous êtes toujours responsable de Mermoz UA, car vous étiez propriétaire à cent pour cent. En l'occurrence, des questions vous seront posées tout à l'heure.

Aujourd'hui, à combien estimez-vous les avoirs en trésorerie des sociétés dont vous êtes toujours responsable ? J'entends l'actif globalisé, le capital. Utilisez toutes les appellations que l'on peut donner à des avoirs en termes financiers ou capitaux ou éventuellement meubles et immeubles. A combien estimez-vous ces avoirs globalisés ?

M. Jean-Charles CORBET : Il est impossible de répondre à une telle question. Je vous ferai un compte rendu. C'est quelque chose que nous sommes en train de réaliser dans le cadre d'une enquête judiciaire. Je vous le transmettrai.

M. le Président : Vous ne savez pas aujourd'hui combien il y a dans les caisses de Holco Lux ?

M. Jean-Charles CORBET : Non, dans les caisses de Holco Lux, il doit rester aujourd'hui 600 000 euros...

M. le Président : Sur les cinq millions ? (Acquiescement de M. Corbet.) Comment avez-vous utilisé la différence entre 600 000 et cinq millions ?

M. Jean-Charles CORBET : On a continué à payer des conseils, à payer le combat contre les Suisses.

M. le Président : Avec Holco Lux ?

M. Jean-Charles CORBET : Avec Holco Lux et ....

M. le Président : Je vous parle de Holco Lux.

M. Jean-Charles CORBET : Oui, Holco a un compte courant chez Holco Lux.

M. le Président : On passe d'une question à une autre. Si vous avez payé le combat contre les Suisses avec Holco Lux, comment expliquez-vous la facture de 9 millions d'euros pour le combat contre les Suisses sur Mermoz UA ? Je crois que le Rapporteur vous interrogera là-dessus.

M. Jean-Charles CORBET : Je vais répondre tout de suite.

M. le Président : Le Rapporteur vous interrogera après, monsieur Corbet. Je vous demande simplement de combien disposez-vous aujourd'hui, monsieur Corbet, président des différentes sociétés Holco, en avoir, en capital, en trésorerie et autres. Vous me dites : "Je ne sais pas ».

M. Jean-Charles CORBET : Je dirai que c'est inférieur à un million d'euros.

M. le Président : Capital compris ? Tout compris ? (signe d'acquiescement de M. Corbet)

M. Jean-Charles CORBET : Disponible ! On parle bien de sommes disponibles. »

En réalité, il est possible que le capital d'Holco soit un jour très supérieur à la somme avancée par son président. En effet, Holco est potentiellement détentrice d'un capital immobilier et peut encore prétendre récupérer la dette de Swissair que les avocats d'Holco estiment à 62,94 millions d'euros4.

Evoquant la séparation des patrimoines, M. Jean-Charles Corbet a déclaré : « Aux six organisations syndicales qui disent en fait qu'il y a aujourd'hui une confusion de patrimoine entre Holco et Air Lib, je réponds que les conditions juridiques de la confusion de patrimoine ne sont pas réunies. L'autonomie des personnes morales a été respectée. Aujourd'hui, j'entends utiliser l'autonomie de ces personnes morales pour aller au bout d'une démarche qui me permettra à terme d'apporter aux salariés un certain nombre de réponses quant à leur reclassement.

Aujourd'hui, Holco est la seule qui a qualité et intérêt à agir pour poursuivre les Suisses « jusqu'au bout du monde » comme je l'avais indiqué au CIRI. Nous avons obtenu un jugement important le 21 mai dernier puisque la Cour d'appel de Paris nous a donné raison car, face au contredit suisse, ce sont les tribunaux français qui jugeront. Cela augmente les chances pour Holco de récupérer la dette que les Suisses ont tant au regard de Holco que d'Air Lib. »

Quel sera l'usage que fera le groupe de ces sommes dans l'hypothèse où Holco obtiendrait gain de cause au terme d'une longue procédure ? Peut-on croire que son président les consacrera au reclassement des salariés ?

4.- Les avions seraient devenus la propriété de M. de Vlieger

Il semble que M. de Vlieger soit aujourd'hui le propriétaire de Mermoz alors qu'il n'a effectué aucun investissement dans Air Lib. Rappelons que Mermoz Aviation Ireland, filiale à 100 % de Mermoz, est la structure à laquelle sont rattachés les avions, principal actif matériel d'Air Lib.

Les avions cédés à M. de Vlieger l'auraient été dans les conditions suivantes d'après Me Léonzi : dans le cadre des négociations entre l'Etat et IMCA, repreneur potentiel d'Air Lib, « l'Etat avait souhaité la reprise directe, immédiate, des paiements courants. L'Etat, dans le protocole d'accord, avait accepté qu'une caution garantie à première demande soit donnée par IMCA sur le montant des dettes étatiques, courues ou à courir, entre le 9 janvier, date où l'Etat décide de l'exigibilité, et le 14 mars (...) le montant du fonds de roulement à financer à risque par IMCA entre le 20 janvier et le 14 mars avait été arrêté à 24,5 millions d'euros. »

Les actions de Mermoz devaient permettre à IMCA d'avancer cette somme de 24 millions d'euros : « les actions de Mermoz étaient cédées à IMCA sous condition résolutoire de la réalisation de l'entrée effective d'IMCA dans l'opération. C'est maintenant un débat judiciaire. Pourquoi cette cession a-t-elle été convenue sous condition résolutoire et non sous condition suspensive ? La réponse est donnée par la chronologie. L'argent devait descendre le lendemain ; chacun subodorait qu'IMCA allait financer les 24,5 millions grâce aux actifs qu'elle pouvait récupérer par ce biais même si cela n'a pas été formulé. Ce qui s'est passé par la suite, et qui est du pénal, c'est que les conditions résolutoires [qui auraient dû résoudre l'ensemble des accords passés] ont été acquises quasi immédiatement par l'effet de la suspension de la licence, l'échec de la conciliation et la liquidation d'Air Lib, mais que nonobstant l'acquisition de ces clauses résolutoires, IMCA a effectué les formalités » et est devenu détenteur des parts de Mermoz et de ses actifs. M. Corbet a confirmé ces propos.

Les formalités en question n'apparaissent pas claires : la société BNP Paribas Trust aurait physiquement détenu les titres et, à la demande de M. de Vlieger, aurait procédé au changement de propriétaire, sans même en référer à M. Corbet, a déclaré ce dernier à la commission d'enquête. La BNP Paribas du Bénélux a déclaré, dans les limites imposées par le secret bancaire, que la banque se contente dans ces situations de tenir le livre suivant les instructions des cabinets d'avocats (de toutes les parties) en charge du dossier. Il est donc difficile d'imaginer que M. Corbet ait pu ne pas en être averti.

M. Corbet et ses conseillers juridiques auraient pu céder les parts de Mermoz sous une condition suspensive (les effets de l'acte signé sont alors suspendus jusqu'à la réalisation de la condition, ici, l'investissement d'IMCA dans Air Lib). Pourtant, seule une condition résolutoire (la non réalisation de cet investissement) était prévue pour permettre la résolution du contrat. Me Léonzi, avocat de M. Corbet, aurait appris par la presse que M. de Vlieger était devenu dirigeant de Mermoz le 23 janvier 2003 à la place de M. Corbet. Cela semble peu vraisemblable.

Les deux dirigeants avaient signé un protocole formalisant leur accord le 7 janvier 2003 ainsi que deux annexes datées des 7 et 18 janvier 2003. Leur objectif est le suivant : « les parties [MM. De Vlieger et Corbet] seront actionnaires à parts égales, directement ou par l'intermédiaire des sociétés qu'elles auront choisi de se substituer, de la société d'exploitation AOM-Air Liberté, de la société Mermoz UA et de toute société qui sera jugée nécessaire à leur projet commun. » Par la signature de ce protocole, M. Corbet a cédé 20 % de la participation d'Holco dans Air Lib à IMCA.

En contrepartie des cessions et engagements de cession, M. de Vlieger s'engage à apporter des financements pour le « projet commun », cet engagement étant subordonné à la condition suspensive de la réussite de la conciliation.

Le protocole prévoit que les cessions de parts prévues le sont « exclusivement en contrepartie de la parfaite exécution de l'engagement essentiel et déterminant de financement souscrit par M. de Vlieger » et, qu'en conséquence, les cessions seront résolues de plein droit en cas de défaillance de M. de Vlieger dans l'exécution de son obligation de financement. L'accord sera également résolu si les parties ne s'accordent pas sur un projet commun avant le 31 janvier 2003.

L'annexe n°2 au protocole, datée du 18 janvier 2003, n'a pas trait à la cession des avions mais à la cession des participations de M. Corbet : « les parties s'engagent à passer les accords de transfert de participations nécessaires à la mise en œuvre du présent accord et dès à présent, la société Holco cède 100%, sous les conditions ci-dessus stipulées, de sa participation dans la société Cooperatie Mermoz UA à la société Air Lib Nederland, société de droit hollandais » Plus problématique est le paragraphe suivant d'après lequel : « Il est entendu que M. Corbet s'engage à faire tout le nécessaire pour que, sous les conditions prévues au présent accord, la société Air Lib Nederland ait la libre disposition des avions appartenant à la société Mermoz Aviation Ireland. »

En effet, il convient de rappeler que le tribunal de commerce de Créteil avait explicitement prononcé l'inaliénabilité des fonds de commerce des sociétés Air Liberté AOM, Air Liberté Indutrie, Minerve Antilles Guyane, Hotavia Restauration Services et de l'ensemble des avions appartenant à ces sociétés pendant deux ans, sauf autorisation du tribunal. Cette mesure visait à protéger l'activité de la compagnie et à éviter un démembrement de ses actifs rendant impossible l'exploitation. Aucune autorisation de vendre les avions n'a été donnée par le tribunal de commerce de Créteil, comme l'a indiqué M. Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil:

« M. le Rapporteur : D'après les déclarations que nous avons recueillies, M. Corbet, en tant que président de la coopérative Mermoz, société de droit hollandais, aurait souscrit à une clause spécifiant, si j'ai bien compris, qu'il cédait des avions dans l'hypothèse où la reprise par M. de Vlieger s'effectuerait. Est-ce que ceci vous paraît conforme au jugement ?

M. Christian ROUSSELIN : Pas du tout. C'est tout à fait illicite et si les faits sont confirmés, cette vente est nulle car les avions ne pouvaient pas être cédés.

M. le Rapporteur : Et qui doit demander l'annulation de la vente ?

M. Christian ROUSSELIN : Les organes de la procédure collective, à commencer par ceux qui sont en train de travailler en ce moment. Toutes les opérations qui auront été faites pendant cette période vont être analysées en détail par les organes de la procédure collective et les mandataires qui ont été désignés, ainsi que par le juge-commissaire. »

Les avions ne pouvaient pas être cédés. Cependant, les parts de la société Mermoz pouvaient vraisemblablement l'être, à la condition que le nouveau propriétaire reprenne l'engagement de ne pas céder les avions jusqu'au 27 juillet 2003. Ce n'est pas ce que prévoit l'annexe n°2 au protocole signée par MM. Corbet et de Vlieger, d'après lequel M. Corbet fera en sorte que M. de Vlieger puisse disposer librement des avions.

Des poursuites ont été engagées par M. Corbet contre M. de Vlieger.

Cependant, une question centrale demeure : M. Corbet a-t-il été vraiment la victime de cette affaire ?

Quoi qu'il en soit, les autorités de tutelle n'ont été aucunement averties des transferts d'actifs, et ce depuis la reprise d'AOM-Air Liberté par Jean-Charles Corbet en juillet 2001. Elles ne sont donc pas au courant des événements les plus récents. La direction générale de l'aviation civile a indiqué qu'entre le 1er juillet 2001 et le 1er février 2003, seules deux mutations de propriété avaient été enregistrées au bureau des immatriculations concernant Air Lib. Il s'agit :

- d'un DC-10, anciennement propriété d'AOM finance, qui aurait été cédé à Mermoz. Cette opération a été enregistrée le 2 mai 2003 ;

- d'une mutation de propriété d'un DC-10 de Recherche Aviation Group au profit de la société d'exploitation AOM-Air Liberté. Cette opération a été enregistrée le 22 novembre 2002.

Mermoz ne serait donc propriétaire que d'un avion. On constate en tout état de cause que l'information de la DGAC n'est intervenue que très tardivement et que l'information transmise est, pour le moins, parcellaire.

La DGAC a eu connaissance de la flotte réelle de Mermoz par les audits Mazars et Guérard et KPMG en juillet 2002.

D'après la réglementation en vigueur, a indiqué la DGAC, « en cas de transfert de propriété, l'ancien propriétaire doit renvoyer le certificat d'immatriculation à la DGAC et le nouveau propriétaire doit, dans les trois mois, déposer une requête aux fins de transfert de propriété (article D. 121-20 du code de l'aviation civile). Il arrive cependant que le nouvel acquéreur n'exécute pas cette obligation. Aucune sanction n'est prévue dans ce cas. Le propriétaire inscrit au registre du commerce demeure alors responsable vis-à-vis des tiers en cas d'accident.»

CONCLUSION

Compte tenu des handicaps accumulés par AOM-Air Liberté, le succès d'un repreneur après le dépôt de bilan de la société supposait une équipe compétente dans le domaine très particulier de la gestion d'une compagnie aérienne, disposant de capitaux importants et capable d'imposer des réformes sociales et de structures considérables.

Or, force est de constater que l'équipe rassemblée par Jean-Charles Corbet ne disposait d'aucun de ces atouts. La capacité managériale apparaissait dès le départ plutôt limitée, la caution apportée par d'anciens cadres d'Air France, parfois retraités, ne faisant guère illusion. Les capitaux apportés par les anciens actionnaires ne suffisaient pas à couvrir l'ensemble des besoins pour assurer la survie et le développement de la compagnie aérienne. Enfin, l'équipe dirigeante d'Air Lib a eu la malchance de reprendre la société au moment même où l'ensemble du transport aérien devait faire face aux conséquences des attentats du 11 septembre 2001.

Quoi qu'il en soit, l'offre de reprise de Jean-Charles Corbet a été choisie par le tribunal de commerce de Créteil, même si ce dernier avait déjà relevé nombre de faiblesses dans le projet présenté. Il est permis de penser que le tribunal a fait preuve d'une certaine légèreté dans le choix de Jean-Charles Corbet et de regretter que le suivi de l'exécution du plan de reprise n'ait pas pu être effectué avec rigueur. A l'évidence, cette décision soulageait bien des acteurs du dossier, qu'il s'agisse du gouvernement, et plus particulièrement du ministère des transports, voyant s'éloigner pour un temps au moins la menace d'un dépôt de bilan douloureux, ou d'Air France, dont le rôle dans l'élaboration du projet de reprise apparaît plus qu'ambigu.

Quelles qu'aient pu être les inquiétudes manifestées sur la viabilité du projet de reprise, il faut souligner que les premiers actes de gestion d'Holco, dans les semaines suivant la décision du tribunal de commerce de Créteil, ont consisté dans l'octroi de rémunérations à l'équipe de reprise, sous la forme de rémunérations ou d'honoraires substantiels pour les nouveaux dirigeants et les divers prestataires de services. Les montants en cause et la rapidité de leur versement jettent un doute sur les motivations de tous ceux qui avaient été membres de l'équipe de reprise.

Face à la crise du transport aérien et à la défaillance de Swissair, les insuffisances de la gestion de l'entreprise n'ont été que plus évidentes. Dès l'automne 2001, l'avenir de la compagnie apparaissait irrémédiablement compromis. Toutefois, Jean-Charles Corbet a refusé de déposer le bilan, entraînant par là même le départ des éléments les plus expérimentés de la direction d'Air Lib.

Dès lors, c'est l'Etat qui a été en permanence appelé au secours de l'entreprise, sans que la gestion de l'entreprise témoigne d'une véritable volonté de s'attaquer aux problèmes de structures et alors que sa politique commerciale agressive aboutissait à une dégradation de ses comptes.

L'aide de l'Etat a tout d'abord pris deux formes. D'une part, Air Lib a cessé dès novembre 2001 de payer la part patronale des charges sociales, puis a étendu ses défauts de paiement à l'ensemble des créanciers publics à partir du premier trimestre 2002. D'autre part, en janvier 2002, un prêt du FDES de 30,5 millions d'euros a été accordé à la compagnie dans des conditions manquant de sérieux. Le gouvernement de l'époque a pris le risque de s'engager dans un soutien abusif en acceptant que l'Etat devienne le banquier d'une entreprise dont la situation apparaissait irrémédiablement compromise, engagement dont il était difficile de se libérer par la suite.

De fait, le rôle de banquier ainsi imparti à l'Etat n'allait pas être remis en cause immédiatement, le nouveau gouvernement décidant en juillet 2002 de prolonger le prêt du FDES et d'organiser un moratoire, officiel cette fois, sur les charges publiques.

Le délai de quatre mois ainsi consenti devait être mis à profit par Air Lib pour élaborer un plan de restructuration. Or, la compagnie n'a pas respecté ses engagements de reprise des paiements et a fourni des plans de restructuration irréalistes, incompatibles avec le droit communautaire et demandant à l'Etat d'apporter encore davantage de deniers publics.

Alors que le sort de la compagnie apparaissait scellé, l'arrivée d'un repreneur sinon potentiel du moins affiché, le groupe néerlandais IMCA, a conduit à différer encore une fois le dépôt de bilan. L'Etat est allé au bout de la logique de sauvegarde de l'emploi, mais l'absence de sérieux d'IMCA a mis un terme à un feuilleton se concluant par le licenciement de 3 400 salariés et des dettes publiques à hauteur de 130 millions d'euros, selon toute probabilité définitivement perdus.

Ainsi, alors qu'ils ont accumulé un passif financier de 130 millions d'euros, auquel devraient s'ajouter environ 100 millions d'euros au titre des indemnités de licenciement et des mesures de reclassement des salariés, M. Jean-Charles Corbet et l'équipe dont il s'est entouré se sont fortement enrichis dans des conditions auxquelles la justice pourrait s'intéresser.

Peut-on en rester à ce constat et se limiter à une simple condamnation morale ? Quelles pourraient être les suites judiciaires des travaux de la commission d'enquête ?

La commission d'enquête n'a pu obtenir de réponses à un certain nombre de questions, notamment parce que M. Jean-Charles Corbet lui a opposé le secret des affaires. Elle ne dispose pas de moyens similaires à ceux d'un juge d'instruction, ni, naturellement, du pouvoir de donner des instructions au Parquet.

Néanmoins, il importe que la commission d'enquête aille jusqu'à l'extrême limite de ses pouvoirs.

Aussi, le Président et le Rapporteur de la commission d'enquête se proposent-ils de faire usage de l'article 40 du code de procédure pénale qui dispose en son second alinéa: « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »

Parmi les faits dont la commission d'enquête a eu connaissance, le versement de certaines primes, notamment la prime d'arrivée de M. Jean-Charles Corbet, pourrait être constitutif d'abus de bien social et relever de cet article.

Par ailleurs, sur le plan civil, il appartient au procureur de la République d'examiner certains éléments du dossier. Plusieurs pistes peuvent être envisagées : M. Jean-Charles Corbet pourrait être appelé en comblement de passif, le tribunal de commerce pourrait décider d'étendre la liquidation judiciaire d'Air Lib à d'autres filiales d'Holco encore en activité au vu des travaux des organes de la procédure collective et, enfin, le tribunal pourrait ouvrir une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de tout dirigeant contre lequel peut être relevé notamment le fait suivant : « avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale » en application de l'article L. 624-5 du code de commerce relatif à la mise personnelle en redressement et liquidation judiciaires.

Afin de contribuer à cette analyse, le Président de la commission d'enquête transmettra le rapport de la commission au procureur de la République.

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La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 11 juin 2003 et l'a adopté.

Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATIONS DE VOTE DU COMMISSAIRE APPARTENANT
AU GROUPE UMP(*)

Le Groupe des Commissaires UMP se félicite du travail approfondi mené par son Président et son Rapporteur pour faire toute la lumière sur la gestion de cette entreprise par ses responsables, et en particulier par Monsieur Jean-Charles Corbet, sur leurs rémunérations et celles des conseillers dont ils se sont entourés, et enfin sur l'attitude des Pouvoirs Publics depuis la décision du Tribunal de Commerce de juillet 2001 jusqu'à sa liquidation en février 2003.

Ces investigations très complètes ont permis de constater :

1 - que la décision du Tribunal de Commerce le 27 juillet 2001 a clairement privilégié, dans son choix du repreneur, les perspectives de maintien de l'emploi à court terme, au détriment de la solidité des moyens financiers et de management nécessaires pour redresser sérieusement l'entreprise.

2 - que l'équipe dirigeante choisie par le Tribunal a fait preuve d'une très grande faiblesse de management, en particulier en ne mettant en œuvre que de façon très partielle le plan accepté par le Tribunal, en s'octroyant avant même cette mise en œuvre des rémunérations élevées, en affectant les fonds prévus en provenance de SWISSAIR de façon peu transparente et après avoir créé des structures elles-mêmes trop complexes pour faciliter quelque audit sérieux que ce soit. De plus, la prise en compte des évènements du 11 septembre et de leurs conséquences sur le marché aérien n'a pas entraîné un nouveau plan de redressement suffisamment drastique.

3 - que le Gouvernement de l'époque a fait preuve lui aussi d'une très grande légèreté dans cette affaire en acceptant une augmentation régulière des créances publiques sur l'entreprise sans exiger de contre partie, et en accordant début 2002 à l'entreprise, contre l'avis du Ministre des Finances et de ses services, le bénéfice de fonds d'Etat sans s'assurer de l'existence d'un véritable plan de redressement, et sans exiger une contribution suffisante des sociétés de la nébuleuse Holco qui disposait pourtant de moyens de trésorerie disponibles. Cette attitude semble s'expliquer par des préoccupations électorales à court terme visant à reporter à plus tard, c'est-à-dire après le mois de Juin 2002, des décisions certes difficiles à prendre, mais que les responsables savaient pourtant inéluctables, d'arrêt de tout ou partie de l'entreprise.

4 - que les auditions des membres de l'actuel Gouvernement et de leurs collaborateurs ont en revanche montré que la situation de l'entreprise telle qu'ils l'ont trouvée à leur arrivée aux affaires était bien quasiment désespérée. Après avoir examiné en dernier recours, comme c'était leur devoir, la proposition d'un investisseur nouveau, pourtant aussi inespéré qu'incertain, et à la suite de péripéties qui laissent planer une grande incertitude encore sur les motivations du dirigeant de l'entreprise et de l'acquéreur éventuel, ils ont malheureusement du prendre acte de l'insuffisance financière des propositions faites pour une reprise de l'entreprise, et de la liquidation devenue ainsi inéluctable.

La perte définitive de 130 millions d'euros de fonds publics dans cette affaire n'est donc malheureusement que la suite logique d'une mauvaise gestion et d'une confiance mal placée dans cette entreprise par le Gouvernement de l'époque. C'est la raison pour laquelle les Commissaires UMP de la Commission s'associent pleinement aux conclusions du rapporteur et approuvent ce rapport dans sa totalité.

EXPLICATIONS DE VOTE DU COMMISSAIRE APPARTENANT
AU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS (*)

A l'issue des travaux de la commission d'enquête sur « les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib », il apparaît que le refus d'élargir son périmètre et la volonté politique de « boucler » l'enquête le plus rapidement possible n'ont pas permis de disposer d'une vision complète du dossier, qui seule aurait pu éclairer la Représentation nationale.

Initialement prévue pour enquêter sur « les conditions de la gestion d'Air Lib et sur l'utilisation des fonds publics par cette compagnie aérienne », la commission d'enquête a vu son intitulé évoluer, pour se consacrer finalement aux « causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib ».

Une telle modification pouvait laisser entendre que serait pris en compte le passé de la compagnie, ainsi que l'avaient souhaité plusieurs parlementaires.

En effet, il convenait certainement de remonter avant le 27 juillet 2001, date de la décision du tribunal de commerce de Créteil d'autoriser la reprise d'AOM Air Liberté par M. Jean-Charles Corbet. En particulier, la commission d'enquête aurait été certainement bien inspirée de conduire ses investigations sur le rachat d'Air Liberté-AOM par Swissair, le rôle de Marine Wendel dans ce montage visiblement peu compatible avec le droit communautaire et les causes du désengagement brutal de cette holding financière de la compagnie Air liberté, qui est à l'origine de son dépôt de bilan.

De la même manière, en refusant d'auditionner certaines personnes, la commission s'est privée de la possibilité d'examiner de façon exhaustive les conditions de l'achat, par la compagnie aérienne Air Tahiti Nui, des deux Airbus A340 prévus initialement dans les engagements de l'Etat permettant la création d'un GIE. Elle n'a pas non plus eu les moyens de faire toute la lumière sur la volonté politique de déstabiliser la compagnie Air Lib, au profit d'un autre projet destiné à la desserte de l'Outre-Mer, ou encore sur les conditions de vente d'Airbus obtenues par la compagnie EasyJet, l'un des bénéficiaires importants de la redistribution des slots d'Air Lib à Orly...

Le refus de répondre aux demandes officielles et répétées d'auditions formulées par les commissaires socialistes n'est pas justifié, d'autant que la commission, créée en mars 2003, avait les moyens et le temps, selon l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale, de programmer ces auditions et de mener toutes les investigations nécessaires afin de fournir des éclairages pertinents et impartiaux. Les commissaires appartenant au groupe socialiste et apparentés regrettent donc que le programme des auditions n'ait pas été équilibré et que certaines auditions se soient même déroulées dans un climat d'agressivité et de suspicion peu compatible avec la sérénité que réclame le travail parlementaire.

Ce travail inachevé aura néanmoins permis de faire la lumière sur certaines interrogations. L'une des motivations de la constitution de cette commission d'enquête, qui apparaissait nettement dans des déclarations publiques, consistait à faire la lumière sur une éventuelle volonté politique de sauver Air Lib en période électorale, afin d'éviter sa liquidation au printemps 2002. Plusieurs auditions, et en particulier celles de MM. Gayssot et Fabius, ont montré que l'aide de l'Etat avait fait l'objet de conditions extrêmement précises adressées par le gouvernement de l'époque à la compagnie aérienne. Il est à noter que, le 31 juillet 2002, le nouveau gouvernement, qui était libéré de tout calendrier électoral, a prolongé le prêt d'Etat. En signifiant que « l'Etat est allé au bout de sa logique pour sauver l'emploi », le Rapporteur souligne d'ailleurs l'absence de toute collusion et met un terme à des polémiques déplacées face à l'enjeu social de ce dossier.

De la même façon, l'idée de privilégier la reprise de la compagnie par M. Jean-Charles Corbet, en juillet 2001, a été écartée fermement et solennellement par le président du Tribunal de commerce de Créteil.

La plupart des personnalités auditionnées ont rappelé que ce projet était à la fois viable mais risqué, mais qu'il était sans doute l'un des seuls à pouvoir obtenir « l'appui de l'ensemble des salariés », ainsi que le souligne le président du Tribunal de commerce.

La fragilité initiale de cette reprise a été confrontée à des événements qui ne pouvaient être prévus. Le premier est la défaillance de certains créanciers, et en tout premier lieu de Swissair. D'autre part, le lancement d'Air Lib a eu lieu le 20 septembre 2001, soit 9 jours après les attentats terroristes de New-York qui sont à l'origine d'une crise mondiale sans précédent dans le transport aérien.

Dans ce contexte, l'aide de l'Etat était légitime et vraisemblablement incontournable. Et il convient de la comparer avec les aides apportées à d'autres compagnies, comme Air Littoral.

D'autres causes, moins directes et certainement moins décisives, sont intervenues, comme la dégradation du climat social au sein de la compagnie, une campagne contre les Antilles françaises qui a pénalisé l'ensemble des acteurs économiques travaillant avec l'outre-mer, et enfin des déclarations politiques qui, accompagnées de certaines décisions, ont donné le sentiment de vouloir « en finir avec Air Lib ».

En conclusion, les commissaires appartenant au groupe socialiste et apparentés réclament que les auditions de tous les acteurs qui ont été associés à la création du second pôle aérien français, au développement de son activité et à ses difficultés, et en particulier celles de MM. Ernest-Antoine Seillières, Alexandre Couvelaire, Gaston Flosse, Bernard Balkou et de Mme Brigitte Girardin soient programmées dans les délais prévus par le Règlement de l'Assemblée nationale. Ne pouvant se prononcer face à une réflexion qu'ils estiment partielle et donc partiale, ils refusent de participer au vote du rapport.

EXPLICATIONS DE VOTE DU COMMISSAIRE APPARTENANT
AU GROUPE UDF (*)

Le groupe UDF partage l'analyse faite par le rapport de la Commission sur les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib, et sur l'utilisation des 130 millions d'euros de fonds publics dont a bénéficié la Compagnie.

Certaines interrogations subsistent cependant au sujet de cette affaire :

- la première concerne la manière dont la confiance du Tribunal de commerce de Créteil a pu être abusée à l'occasion de la décision qu'il a rendue en juillet 2001 et qui semble avoir été quelque peu légère compte tenu de l'absence de sérieux que présentait l'offre de M. Corbet, aussi bien en termes de moyens financiers qu'en capacité de gestion ;

- la seconde concerne le rôle de l'Etat. Le gouvernement de M. Jospin a en effet décidé de soutenir avec des fonds publics la Compagnie Air Lib sans avoir réalisé la moindre étude préalable de la situation du Groupe. En voulant apparemment sauver l'emploi jusqu'aux élections présidentielles, cette décision a ainsi contribué à la totale disparition de la Compagnie et à la perte de 3 200 emplois ;

- la troisième concerne la manière dont le système juridique et financier dit « Holco » semble avoir permis l'enrichissement de M. Corbet, et probablement d'un certain nombre d'autres personnes. Il conviendrait que la justice examine la régularité de ce système au regard des lois.

EXPLICATIONS DE VOTE DU COMMISSAIRE APPARTENANT
AU GROUPE DES DÉPUTÉS COMMUNISTES ET RÉPUBLICAINS (*)

Au nom du groupe communiste, je voterai contre le rapport établi sous la houlette de notre collègue Monsieur Charles de Courson sur les « causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib ».

Ce rapport, en effet, est partiel. Il est partial. Il est aveugle. Il n'offre finalement aucune piste positive d'avenir pour les salariés de cette entreprise et pour l'entreprise elle-même qui constituait le second pôle aéronautique français. J'ajoute que des « informations » orientées ont été distillées vers la presse par des membres de la commission (je n'ai pour ma part eu accès à aucun document ni la moindre relation avec la presse) tandis que, sans aucune sorte d'espèce de droit, le rapporteur s'est livré à des enquêtes pouvant toucher de manière personnelle l'honneur de tel ou tel. Ce n'est pas acceptable et rien que cela m'autoriserait à voter contre. Mais il y a plus.

Ce rapport est partiel. En focalisant principalement, et par le menu, sur la gestion de Monsieur Jean-Charles Corbet qui n'est pas, loin s'en faut, hors de critiques et d'interrogations très sérieuses au point que la commission a décidé de transmettre les pièces à qui de droit, le fait majeur dans lequel s'est retrouvé Air Lib se trouve du même coup relégué. On rappellera que suite à la décision du Tribunal de Créteil, prise par lui seul et « de manière totalement indépendante » sur la base des éléments dont il disposait alors qu'ils n'étaient pas évidents, sa décision était cependant étroitement liée au fait que Air Lib jouait principalement son avenir sur le paiement par Marine Wendel d'un versement de 1,3 milliard de francs (au lieu des 2 milliards initialement envisagés).

Ce versement ne sera pas intégralement réalisé. Marine Wendel - dirigée par Monsieur Antoine Ernest Seillière - est actionnaire majoritaire de Swissair. Sa responsabilité est entière au regard de la réglementation européenne qui, curieusement, sera modifiée en... juin 2002. Sa responsabilité est néanmoins directement engagée car la nouvelle réglementation européenne n'a pas de valeur rétroactive. Cependant, et malgré les demandes exprimées en Commission, Monsieur de Seillières ne sera jamais entendu par celle-ci ! Or la dette restante de Monsieur de Seillière non versée à Air Lib est de 295 millions de francs. Quant au GIE fiscal qui devait permettre à Air Lib d'acquérir deux Airbus, il ne produira aucun effet pour cette compagnie aérienne. Par contre Air Tahiti Nui peut acheter ces deux mêmes avions Airbus en bénéficiant - c'est un comble - du versement déposé par Swissair de 27 millions de dollars par avion, sensés aller à Air Lib ! Si cette « opération » n'est pas illégale, au terme du contrat, elle laisse plus que perplexe - et à plus d'un titre - car cette somme de 54 millions de dollars (350 millions de francs environ) s'ajoute de facto au passif de Air Lib.

Ce rapport est partial. Les conditions de décision de prêt FDES à Air Lib sont présentées par le rapporteur comme étant « suspectes » (le rapport évoque un « prêt accordé dans des conditions surprenantes » ou bien encore « d'un prêt sur instruction sans instruction »). Ces affirmations font titre. Elles sont destinées à attirer l'attention. Pourtant le texte ne peut, et pour cause, établir le moindre commencement de preuve confirmant cette présentation accusatoire.

En vérité, tout est clair ainsi qu'on peut le lire dans le rapport malgré les contorsions et équivoques volontaires du rapporteur. Ce que Marine Wendel ne paie pas met en cause directement Air Lib. L'état cherchant à sauver cette entreprise lui accorde alors un prêt d'ampleur similaire - un prêt remboursable dans les 6 mois et soumis à obligations.

Ce prêt est accordé selon les règles en vigueur sous tout gouvernement, après arbitrage du Premier ministre de l'époque. Rien, absolument rien, dans les auditions réalisées par la Commission d'enquête ne vient - et pour cause - infirmer ces faits transparents. Ils sont en effet incontestables.

Ce qui paraît à l'inverse très surprenant c'est le fait que le gouvernement Raffarin - en parfaite connaissance de cause du dossier, cette fois - est alerté par le Ministre de l'économie, Monsieur Mer, qui précise que si un nouveau prêt devait être accordé, cela procéderait du « soutien abusif ». Il en conclut néanmoins qu'il faut accorder ce prêt à Monsieur Jean-Charles Corbet.

Il en résulte que, au prêt « Jospin » accordé à Air Lib du fait de la défaillance de Marine Wendel - un prêt soumis à conditions explicites -, s'ajoutent les prêts accordés à Air Lib par les gouvernements mis en place après les dernières élections. Tout cela aboutit à des fonds publics non remboursés par Air Lib à hauteur de 100 millions d'euros. Selon le rapporteur, les conditions du premier prêt étaient « douteuses ». Que dire alors, selon ce raisonnement, de l'actuel gouvernement sinon qu'il a été plus que léger. Le rapporteur prend pourtant sa défense.

Ce rapport est aveugle. Il n'évoque en effet en aucune façon l'offre de rachat de Air Liberté-AOM par Air France au début du processus des difficultés avérées de Swissair. Cette solution aurait évité à cette entreprise de connaître les difficultés enregistrées et engendrées par la gestion de Monsieur Jean- Charles Corbet. Et Air Lib vivrait toujours !

Pourquoi donc ce silence ? Pourquoi depuis, plutôt que de liquider l'entreprise Air Lib, la solution du rachat par Air France n'a-t-elle pas été reprise et réactualisée tandis qu'on demande aux entreprises publiques de supporter la charge des licenciements ? Ainsi des entreprises privées étrangères à bas coût prendront les créneaux laissés vacants par Air Lib tandis que la création d'une grande entreprise française de transport aérien - dont les événements du 11 septembre ont souligné toute la pertinence - est abandonnée par le gouvernement et les salariés sont sur le « carreau ».

Ce rapport illustre à sa manière ce que le système capitaliste permet, autorise et secrète qui écoeure. Ce n'était certes pas son objet initial. Il souligne du même coup la lourde responsabilité prise par le gouvernement actuel de supprimer la loi permettant de contrôler l'utilisation des fonds publics.

Jean-Claude Lefort
Député communiste
Secrétaire de la Commission d'enquête
Le 11 juin 2003

 LISTE DES ANNEXES

· Annexes n° 1 à 3 : 
 
1. Extrait du rapport Mazars sur les salaires et honoraires versés par la SAS Holco
  2. Note de Me Léonzi sur les relations entre Holco et la CIBC
  3. Facture de la CIBC

· Annexe n° 4 : Contrat entre la CIBC et Jean-Charles Corbet daté du 11 juillet 2001

 Annexes n° 5 à 8 : 
 
5. Note d'honoraires du cabinet Léonzi
 
6. Lettre du président d'Aurel Leven au président de la commission d'enquête en date du 27 mai 2003
  
7. Récapitulatif des emplois de la contribution Swissair
 8. Note du directeur du Trésor au ministre de l'économie et de finances en date du 5 janvier 2002

· Annexes n° 9 à 11 : 
 
9. Lettre du ministre de l'économie et des finances au Premier ministre en date du 15 février 2002
  10. Lettre du ministre de l'économie et des finances à M. Jean-Charles Corbet en date du 3 mai 2002
  11. Lettre du ministre de l'économie et des finances à M. Jean-Charles Corbet

· Annexes n° 12 à 14: 
 
12. Lettre du ministre de l'économie et des finances à M. Jean-Charles Corbet en date du 31 juillet 2002
  13. Lettre du ministre de l'économie et des finances au directeur général d'Aéroports de Paris en date du 22 août 2002
  14. Note du ministre de l'économie et des finances au directeur du Trésor en date du 15 novembre 2002

AUDITIONS : voir tome II

1 Crédit Agricole Indosuez.

2 « Le « caractère  irrémédiablement compromis » d'une entreprise est un critère juridique précis qui permet notamment de qualifier tout soutien comme étant abusif et d'entraîner à cet égard la responsabilité pécuniaire de son auteur vis-à-vis des tiers. »

3 Lettre à Me Lafont datée du 4 février. Traduction de courtoisie.

4 Soit 38,112 millions d'euros au titre de la contribution proprement dite et 24,83 millions d'euros au titre des billets émis non utilisés.

(*) MM. Alfred Almont, Joël Beaugendre, Marcel Bonnot, Jean-Jacques Descamps, Jean Diébold, Christian Estrosi, Jean-Pierre Gorges, Mmes Arlette Grosskost, Gabrielle Louis-Carabin, MM. Lionnel Luca, Jean Marsaudon, Philippe Armand Martin (51), Patrick Ollier, Christian Philip, Jacques Remiller, Jean-Marc Roubaud, Xavier de Roux, Frédéric Soulier, Mme Catherine Vautrin.

(*) MM. Charles de Courson et Gilbert Gantier.

(*) M. Jean-Claude Lefort


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