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N° 1004

SOMMAIRE DES AUDITIONS
Retour au tome I du rapport
Retour au début des auditions

- Audition de M. Elie COHEN, directeur de recherche au CNRS
(25 février 2003)

- Audition de M. René BARBIER de La SERRE (4 mars 2003)

- Audition conjointe de MM. Gabriel GALET, Yves JEGOUREL, Vincent de La BACHELERIE, Edouard SALUSTRO, Jean-Michel CHARPENTIER et Guy STIEVENART, commissaires aux comptes de France Télécom
(18 mars 2003)

- Audition de M. Jean-Louis VINCIGUERRA, ancien directeur financier de France Télécom (18 mars 2003)

- Audition conjointe de MM. Jean SIMONIN, Marcel ROULET et
François GRAPPOTTE, membres du conseil d'administration de France Télécom (25 mars 2003)

- Audition de M. Michel BON, ancien Président de France Télécom
(25 mars 2003)

2ème partie

- Audition conjointe de Mme Claire NOURRY, MM. Patrick GOUNELLE, Jean-Louis LEBRUN, Guy ISIMAT-MIRIN, Philippe VASSOR et Amadou RAIMI, commissaires aux comptes d'EDF (1er avril 2003)

- Audition de M. Jean-Michel CHARPIN, Président du comité d'audit d'EDF
(1er avril 2003)

- Audition conjointe de Mmes Michèle ROUSSEAU, commissaire du gouvernement à EDF, et Jeanne SEYVET, commissaire du gouvernement à France Télécom (8 avril 2003)

- Audition conjointe de Mme Catherine NEDELEC, MM. Alain MARTIN et Jean-Marc MAUCHAUFFEE, représentants des salariés au conseil d'administration d'EDF (8 avril 2003)

- Audition conjointe de MM. Jean-Pierre JOUYET, directeur du Trésor et Nicolas JACHIET, ancien chef du service des participations financières
(29 avril 2003)

- Audition de M. François AILLERET, ancien Président d'EDF International
(29 avril 2003)

3ème partie

- Audition de M. Edmond ALPHANDERY, ancien ministre de l'économie et des finances et ancien Président d'EDF (6 mai 2003)

- Audition de M. Jean-Paul BAILLY, Président de La Poste (13 mai 2003)

- Audition de M. Daniel LEBEGUE, ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (13 mai 2003)

- Audition conjointe de MM. François ROUSSELY, Président d'EDF et Jacques CHAUVIN, ancien directeur financier d'EDF (20 mai 2003)

- Audition des principaux syndicats et confédérations syndicales (21 mai 2003)
CFDT
CGT
FO
Sud PTT

4ème partie

- Audition de M. Martin VIAL, ancien Président de La Poste (27 mai 2003)

- Audition de M. Marc TESSIER, Président de France Télévisions (27 mai 2003)

- Audition de M. Dominique STRAUSS-KAHN, ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (28 mai 2003)

- Audition de M. Louis GALLOIS, Président de la SNCF (3 juin 2003)

- Audition de M. Thierry BRETON, Président Directeur Général de France Télécom (4 juin 2003)

- Audition de M. Mario MONTI, Commissaire européen chargé de la concurrence (10 juin 2003)

- Audition de M. Francis MER, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (11 juin 2003)

4ème partie

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la commission
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

- Audition de M. Martin VIAL, ancien Président de La Poste (27 mai 2003)

- Audition de M. Marc TESSIER, Président de France Télévisions (27 mai 2003)

- Audition de M. Dominique STRAUSS-KAHN, ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (28 mai 2003)

- Audition de M. Louis GALLOIS, Président de la SNCF (3 juin 2003)

- Audition de M. Thierry BRETON, Président Directeur Général de France Télécom (4 juin 2003)

- Audition de M. Mario MONTI, Commissaire européen chargé de la concurrence (10 juin 2003)

- Audition de M. Francis MER, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (11 juin 2003)

 

Audition de M. Martin VIAL
ancien Président de La Poste

(Extrait du procès-verbal de la séance du 27 mai 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

M. Martin Vial est introduit.

M. le Président : Mes chers collègues, M. le Rapporteur, nous poursuivons nos travaux en accueillant M. Martin Vial. Je vous souhaite la bienvenue, M. le Président.

La Poste connaît et connaîtra encore de profondes mutations du fait de l'ouverture à la concurrence décidée par l'Union Européenne. M. Vial nous a fait valoir que l'établissement se trouvait, par rapport à d'autres entreprises publiques, dans une situation spécifique, puisque la concurrence va s'ouvrir sur un secteur majeur pour La Poste, le courrier, une activité en déclin alors que, pour les Télécommunications ou l'énergie, le marché est en expansion. Il ne nous a pas caché le retard pris par La Poste par rapport à ses homologues européens dans la modernisation de son management et de sa gestion.

Peut-être pourrez-vous nous indiquer les raisons vous ayant conduit, lorsque vous étiez en fonction, à mener une politique prudente en matière d'acquisitions à l'étranger et de diversification des activités de La Poste. Nous avons entendu de nombreux autres présidents d'entreprises publiques qui ont réalisé un certain nombre d'acquisitions à l'étranger.

Au-delà des précisions que vous pourrez nous fournir sur votre manière de gérer l'établissement, il serait utile que vous nous livriez vos réflexions personnelles, que je sais riches, sur la gouvernance des entreprises publiques et, notamment, sur la nécessité d'un renouveau du contrôle de l'Etat.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Vial prête serment.

M. Martin VIAL : Merci, M. le Président, Mesdames, Messieurs les députés.

Merci de m'accueillir pour cette audition qui va me permettre de faire part de mon expérience en tant que dirigeant du groupe La Poste, mais également d'une autre entreprise publique, l'Aéropostale. J'ai également eu l'occasion d'exercer des responsabilités du côté de la tutelle, aux ministères des postes et télécommunications, de l'économie et des finances et des transports et de l'équipement.

Dans cette intervention introductive, je souhaiterais formuler deux remarques préliminaires avant d'entrer dans le vif du sujet.

Tout d'abord, à l'aune de ma propre expérience, je considère que le secteur public est, en général, en termes de gouvernance et de contrôle, plutôt mieux encadré qu'une grande partie du secteur privé. Si je me réfère au rapport Bouton de l'automne dernier ou au rapport Sarbanes-Oaxley aux Etats-Unis de l'été 2002, les propositions formulées visent à appliquer des dispositions déjà largement mises en œuvre dans le secteur public. Mes remarques ne visent donc pas à imiter, en tant que tel, le secteur privé en matière de gouvernance, mais plutôt à améliorer l'existant qui a beaucoup progressé depuis une décennie.

De plus, les entreprises publiques ne sont pas homogènes. Nous pouvons distinguer trois catégories :

- les entreprises cotées, parce que le seul fait de l'être donne au mécanisme de contrôle de l'Etat une très forte référence au marché boursier ;

- les entreprises opérant sur un marché concurrentiel, dotées ou non de missions d'intérêt général, dont le comportement est différent des autres entreprises publiques dans la mesure où les références sont à la fois le marché et les autres opérateurs ;

- les entreprises non cotées sous monopole, dans lesquelles les conditions de gestion et de tutelle s'exercent de manière plus fermée entre l'Etat et ces entreprises.

La Poste se situe plutôt dans la deuxième catégorie en tant qu'entreprise non cotée, mais exerçant très largement son activité dans le secteur concurrentiel.

M. le Président : Il existe de moins en moins d'entreprises de la troisième catégorie.

M. Martin VIAL : La SNCF dans une certaine mesure, la RATP et ADP, pour citer les trois principales.

Depuis une décennie, en particulier ces dernières années, La Poste illustre les changements opérés dans le secteur public marchand et la nécessité de réformer les rapports entre l'Etat et les entreprises publiques.

Vous avez auditionné mon successeur qui a dû évoquer l'évolution de La Poste, qui est devenue un groupe multi-métiers européen, et qui demeure aussi le premier service public de proximité en France. Il est confronté à un certain nombre de défis et à une véritable révolution copernicienne.

Quelques chiffres clés : un peu plus de 17 milliards d'euros de chiffre d'affaires consolidé. Depuis quelques années, La Poste représente 200 sociétés installées dans 15 pays en Europe, aux Etats-Unis et autour de la Méditerranée. Depuis une demi-décennie, 60 % du chiffre d'affaires du groupe sont en totale concurrence, dont 100 % pour les services financiers, le colis et l'express et, d'ores et déjà, une partie de l'activité courrier.

Il s'agit d'un groupe multi-métiers de taille importante, le deuxième groupe postal européen, le quatrième mondial par le chiffre d'affaires et le troisième groupe mondial par la rentabilité. Entre 1998 et 2002, La Poste a réalisé 5 milliards d'euros d'excédent brut d'exploitation, 1,7 milliard d'euros de résultat d'exploitation cumulé et 410 milliards d'euros de bénéfice net cumulé.

La Poste est le deuxième opérateur du courrier et le premier opérateur postal de services financiers en Europe. C'est le troisième réseau de banques de détail en France avec 28 millions de clients et le troisième opérateur de colis en Europe, avec plus de 10 % du marché européen. De ce point de vue, La Poste est sans doute plus proche, d'une certaine manière, du Groupe EDF ou France Télécom, que de la SNCF ou la RATP, en termes de développement international. Enfin, en termes d'effectifs, La Poste est la première entreprise et regroupe environ 330 000 personnes.

Elle se distingue beaucoup de France Télécom, car elle est le premier service public de proximité, avec 17 000 guichets répartis sur l'ensemble du territoire, dont plus de 10 000 bureaux de poste dans des communes de moins de 2 000 habitants, qui participent très largement à l'aménagement du territoire. Ses missions de service public, telles que définies par la loi, consistent à assurer la distribution du courrier six jours sur sept, partout sur le territoire, à un prix du timbre péréqué. Elle assure également des missions particulières, telles que le transport de la presse à des tarifs inférieurs au prix de revient, des missions d'intérêt général renouvelées ces dernières années, comme l'installation d'un millier de bornes Internet accessibles à tous. 35 millions d'euros ont été investis ces trois dernières années pour améliorer la présence postale dans les zones urbaines sensibles. La Poste est, par ailleurs, devenue l'un des trois premiers fournisseurs d'adresses électroniques avec plus d'1 700 000 adresses gratuites sur le site laposte.net. Ces missions d'intérêt général, qui représentent environ 1,2 milliard d'euros par an, résultent de son caractère de service public de proximité. En 2002, La Poste a ainsi réalisé 30 millions d'euros de bénéfice net après avoir intégré les 1,2 milliard d'euros de charges de service public non compensées par la collectivité.

Avec cette double particularité de groupe international multi-métiers, en grande partie concurrentiel, et de premier service public de proximité, La Poste n'a pas terminé sa mutation. Le groupe est confronté à une véritable révolution copernicienne. Ses repères ont été modifiés, à l'instar de cette image astronomique, à cause de l'internationalisation et de la consolidation de ses concurrents. Vous avez évoqué, en particulier, les opérateurs étrangers, tels que les allemands, les anglais ou les hollandais. Aujourd'hui, les grands clients de La Poste sont internationaux, et ses grands concurrents sont très internationaux. De plus, nous avons connu une déréglementation dans le secteur du courrier.

Le développement d'Internet est un vecteur de substitution à l'activité courrier physique et, en même temps, une opportunité pour La Poste en tant qu'opérateur du commerce et des échanges électroniques. Sur le plan économique, on observe un déplacement des marges et du centre de gravité du chiffres d'affaires de La Poste. Plus le temps passera, plus la part du courrier dans le chiffre d'affaires du groupe diminuera.

Mon propos n'a pas pour but d'évoquer les ambitions futures du groupe, mais je souhaiterais simplement dire que, si l'on veut que la stratégie de La Poste soit menée dans les meilleures conditions afin d'en faire l'un des deux premiers groupes postaux en Europe et garantir sur la durée ses missions d'intérêt général, à l'instar des autres entreprises publiques, des réformes d'importance doivent être réalisées concernant ses rapports avec l'Etat.

Je voudrais esquisser quelques propositions sur le contrôle des entreprises du secteur public marchand, concernant les grands actes de gestion, les principes de gouvernance et les structures de contrôle des entreprises publiques.

M. le Président : M. le Président, étant donné que nous avons des questions à vous poser sur ces sujets, peut-être pourrions-nous faire vivre le dialogue. Nous consacrons environ une heure pour vous poser des questions précises, dont certaines sur La Poste, mais également sur la gouvernance des entreprises, afin d'avoir votre éclairage et connaître votre expérience.

Entre 1997 et 2001, le résultat net moyen de La Poste est resté proche de zéro, alors que, dans le même temps, vos homologues étrangers, en particulier en Allemagne et aux Pays-Bas, dégageaient des bénéfices importants et croissants. Au cours de cette période, le résultat net annuel moyen de La Poste s'établit à 78 millions d'euros contre 442 millions d'euros pour TPG (La Poste néerlandaise) ou 832 millions d'euros pour Deutsche Post. Comment expliquez-vous cette différence ? Quels ont été, à vos yeux, les principaux obstacles à la modernisation de La Poste durant votre mandat ?

Je souhaiterais également vous interroger sur les problèmes d'aménagement et de réduction du temps de travail (ARTT). Quelle est votre impression ? M. Bailly nous a rappelé le poids des charges de personnel dans le compte de résultat de La Poste, soit 85 % de la valeur ajoutée. Malgré ce handicap, l'ARTT a induit une augmentation de la masse salariale de 14 000 emplois, au moment même où les principaux opérateurs européens réduisaient leurs effectifs dans une proportion de 20 à 25 %.

Pouvez-vous nous décrire la manière dont vous avez procédé à l'application des 35 heures ? Quel jugement portez-vous sur l'exclusion de La Poste du dispositif d'exonération de charges sociales sur les bas salaires ? Enfin, depuis 1996, La Poste privilégie le recrutement d'agents contractuels, qui représentent 85 % des embauches d'agents d'exécution et plus d'un tiers des effectifs totaux. Cette évolution s'est produite dans l'imprécision des textes législatifs et de manière déconcentrée, ce qui a entraîné des problèmes de gestion de sélection du personnel et de gestion des carrières. Jugez-vous nécessaire, à l'avenir, de clarifier le recrutement et le statut des contractuels ?

M. Martin VIAL : D'abord, merci de m'offrir l'occasion de fournir quelques explications sur l'évolution des performances économiques comparées de La Poste avec ces trois grands concurrents, que sont les Allemands, les Hollandais et les Anglais.

Je passerai rapidement sur les Anglais, car La Poste britannique vient d'annoncer qu'elle a diminué par deux son déficit qui est encore de 610 millions de livres cette année, c'est-à-dire 1 milliard d'euros en perte nette. La Poste anglaise a été confrontée à des difficultés structurelles, compte tenu de ses niveaux de déficit depuis deux ou trois ans. Je n'insiste donc pas, même si La Poste britannique faisait figure de référence en manière postale en Europe il y a cinq ou six ans.

Penchons-nous sur les deux autres opérateurs : le Groupe TPG et La Poste allemande. Il existe plusieurs explications à ces évolutions de performances.

Le résultat cumulé d'un peu plus de 400 millions d'euros de bénéfice net entre 1998 et 2002, que vous évoquiez tout à l'heure correspond à la différence entre le chiffre d'affaires et les charges. Or, le niveau tarifaire en Allemagne est supérieur aujourd'hui de 10 centimes d'euros à celui de la France. Si, en 2002, La Poste avait appliqué les tarifs pratiqués par La Poste allemande, son résultat net, en tenant compte de l'élasticité prix et fiscale, aurait été de 1 milliard d'euros, au lieu d'un bénéfice faible, proche de zéro. L'effet tarifaire est donc incontestable et tout le monde le reconnaît. En revanche, aux Pays-Bas, les tarifs de TPG sont inférieurs aux tarifs français.

En second lieu, la réforme de La Poste allemande, engagée il y a une dizaine d'années en deux étapes, lui a permis de disposer de fonds propres et d'un ratio de dettes sur fonds propres, bien plus favorable que celui de La Poste française, qui lui a permis de dégager une capacité d'investissement. On peut ainsi parler d'un handicap de compétitivité, dans la mesure où le niveau des cotisations liées aux charges de retraite est supérieur de huit points à celui de la France. Ce point a été réglé à l'occasion de la première réforme de La Poste allemande, il y a environ huit ans.

La comparaison avec La Poste hollandaise est un peu difficile, d'abord parce qu'elle opère sur un territoire équivalent à celui de l'Ile-de-France. En particulier sur le réseau et le transport du courrier, les charges liées à l'aménagement du territoire ne sont pas comparables. Le prix du transport du courrier sur Paris ou la Petite Couronne pourrait être comparable à une grande partie des Pays-Bas. Naturellement, ce coût en Ile-de-France n'est pas de 0,46 euro par lettre, mais il est très inférieur.

En Allemagne, ont été consentis des efforts de productivité sur le personnel avec un effet d'accordéon : La Poste allemande a absorbé celle des anciens Länders de l'Est où la productivité était très faible et ceci a entraîné une forte diminution des effectifs. Le groupe a également absorbé d'autres effectifs, en raison des acquisitions opérées ces trois ou quatre dernières années.

Ensuite, La Poste allemande possède un réseau de 12 000 établissements, dont seulement 5 000 sont en propriété propre, le reste étant franchisé. Elle a diminué drastiquement son réseau de bureaux de poste depuis 1995, dans le cadre d'une réforme globale du secteur. D'une part, les opérations de privatisation progressive de La Poste allemande se sont déroulées dans le cadre d'une loi prévoyant la libéralisation totale du secteur du courrier en 2002. Des capacités financières ont, d'autre part, été données à son bilan. Enfin, La Poste allemande a la capacité de réduire très fortement ce réseau.

M. le Président : Les allemands ont donc franchisé une partie de leur réseau...

M. Martin VIAL : Une très grande partie.

M. le Président : Avec une mission de service public ou non ? Depuis la privatisation, le service de distribution du courrier est-il assuré dans de bonnes conditions ?

M. Martin VIAL : Un petit mot de précision : le réseau des guichets en Allemagne, en Angleterre ou en France pourrait être beaucoup plus réduit, sans remettre en cause la mission de service public de distribution du courrier sur tous les points du territoire.

En revanche, la présence physique de bureaux est un autre élément de cette mission et, de ce point de vue, j'ai toujours dit que ce n'était pas une référence, parce que mes homologues ont réduit de 30 % leur réseau. Cela a donné lieu à des débats en Allemagne, comme en France ou en Angleterre, car chaque fois que l'on réduit la présence de bureaux de Poste, cette situation est vécue de façon traumatique par les populations et les élus locaux. En Allemagne, la densité de la population fait que l'aménagement du réseau est plus facile qu'en France ou en Angleterre

Concernant les charges de personnel et l'ARTT, la force globale de travail, c'est-à-dire les équivalents agents à temps plein, a augmenté de l'ordre de 4 % entre 1998 et 2002. Si l'on considère les effectifs permanents, la force permanente de travail, cette augmentation a été légèrement inférieure, mais il s'agit du même ordre de grandeur. Nous sommes à un niveau d'évolution de l'ordre de 12 000 emplois sur la période 1998/2002 (dont 10 000 emplois permanents), mais nous devons apprécier cette augmentation au regard d'autres entreprises publiques. Mon propos n'est pas de porter des appréciations sur ce qui s'y est passé, mais dans certaines d'entre elles et sur cette période, les effectifs ont augmenté, en pourcentage, davantage qu'à La Poste.

Ensuite, s'agissant de l'ARTT, la législation du travail a changé et, si nous avions appliqué à La Poste de façon mécanique l'ARTT, qui n'était pas de 11,5 % puisqu'une partie des effectifs travaillait de nuit, il aurait fallu augmenter les effectifs de 8 %. En réalité, cette augmentation n'a été que de 4 %, car nous avons réalisé des gains de productivité sur cette période représentant 50 % de l'effet mécanique de l'ARTT. Il faut bien être conscient que l'essentiel des emplois sont « postés ». Des agents travaillent dans les bureaux au sens administratif, mais lorsque l'on est à un guichet, la disponibilité pour le client est directement liée au temps horaire calculé pour le régime de travail. Pour les facteurs, nous avons fait mesurer les 70 000 tournées, une par une, afin de vérifier le temps de travail effectif de chaque facteur en moyenne et d'en avoir une vision avant et après la mise en place de la RTT.

M. le Président : A combien étaient-ils avant ?

M. Martin VIAL : Les facteurs travaillaient un peu en dessous de 39 heures en moyenne. C'est la population la plus nombreuse, soit environ 100 000  sur l'ensemble des effectifs de La Poste. Par conséquent, incontestablement, l'ARTT a entraîné le plus de créations d'emplois sur la distribution.

Concernant les charges de personnel, elles ont crû dans le rapport masse salariale sur valeur ajoutée. Depuis début 2002, ce rapport diminue à nouveau et il est inférieur, en moyenne, à celui des trois ou quatre premières années de la décennie 1990, c'est-à-dire lors de la création de l'établissement public. Naturellement, le rapport masse salariale sur valeur ajoutée doit évoluer favorablement, c'est-à-dire que la valeur ajoutée doit augmenter plus rapidement que la masse salariale, afin de fournir à La Poste des marges de manœuvre d'autofinancement, de capacité d'investissement et de modernisation.

Bien évidemment, les dirigeants de La Poste ont souhaité que les exonérations visant les bas salaires des agents sous contrat de droit privé puissent s'appliquer à La Poste. D'ailleurs, je l'avais indiqué publiquement lorsque j'étais président et je le réitère aujourd'hui. Je trouvais tout à fait légitime, pour cette population relevant du droit privé, que l'on applique de la même manière les règles imposables aux autres entreprises. Ceci n'a pas été souhaité par le législateur, puisque la disposition qui excluait La Poste de ce dispositif est issue de la loi Aubry 2.

La grande partie des recrutements se fait par des contrats de droit privé, dans le cadre d'une convention collective négociée au début des années 1990 avec les organisations syndicales. L'un des apports de l'ARTT consistait à recruter des agents en CDD pour les passer en CDI. Dans certains cas, cela s'est effectué sans difficultés et, dans d'autres, il a fallu compléter la formation de ces agents.

Aujourd'hui, tous les agents relevant d'un CDI bénéficient d'une convention et d'un accord contractuel sur l'avancement et la progression des carrières signé en 1998 et complété en 1999. Il s'agissait du premier accord précisant les conditions d'avancement et de progression de carrières à La Poste qui a permis de donner un corpus de règles de carrières et d'intégration de l'ensemble des agents de droit privé de La Poste.

M. le Président : Merci.

M. François BROTTES : Sur l'Allemagne, si la performance consiste à augmenter les tarifs et à diminuer les services, cette conception n'est pas forcément partagée. Chaque fois que l'on fait référence à l'Allemagne, on oublie de dire qu'elle a souhaité s'ouvrir à la concurrence beaucoup plus rapidement. Or, elle a saisi l'opportunité de la directive pour ralentir l'ouverture effective des marchés. Il faut peut-être en tirer quelques conclusions.

Concernant la gestion de l'ARTT, j'étais un observateur attentif à l'époque. Si l'on peut déplorer que La Poste, pour la partie de ses activités en concurrence, n'ait pas bénéficié des exonérations dont ont profité d'autres entreprises concurrentes, je me réjouis aujourd'hui que l'on y ait fait la démonstration - et M. Vial n'y est pas pour rien - que l'on pouvait gérer sereinement la mise en place de l'ARTT, établissement par établissement, dans une logique de non exonération, donc à retour à taux plein pour les caisses, et dans de meilleures conditions que dans des entreprises privées.

M. Vial, si vous en avez le souvenir, quel était l'état des comptes de La Poste avant 1997 ? M. le Président évoquait la période de 1997 à 2002 pour dire que cela se passait moins bien, mais la situation se dégradait-elle déjà avant ?

Concernant la gouvernance des entreprises publiques, M. Vial fait partie de ces présidents d'entreprises publiques qui n'ont pas été amenés à aller au bout du mandat qui leur avait été initialement confié, ce qui est le droit absolu de tout Gouvernement.

Je note que son prédécesseur, nommé par le gouvernement précédent, était allé jusqu'à la fin de son mandat. Etait-ce une erreur de gestion de la part du gouvernement précédent ? Cela a-t-il entravé le fonctionnement de l'entreprise de 1997 à 2002 ?

Pour avoir été responsable d'un cabinet ministériel, est-il bon, selon vous, que le changement se produise à chaque alternance ou faut-il procéder autrement ? Ne vaudrait-il pas mieux que coïncident les mandats des présidents avec les échéances électorales ? Ce serait plus clair !

Cela perturbe l'entreprise, le personnel, les clients et les fournisseurs, d'autant que les motifs parfois avancés ne sont pas toujours convaincants, mais il faut bien en trouver !

Enfin, une entreprise publique soumise à la concurrence, pour la quasi totalité de ses activités, peut-elle encore jouer un rôle dans la cohésion sociale ? Peut-on continuer à lui demander d'accomplir, sans rétribution, des missions de service public, qu'il s'agisse de l'aménagement du territoire, des aides à la presse ou du maintien de l'emploi ? Avoir une entreprise publique qui porte un certain nombre d'emplois à travers le territoire a du sens en matière de cohésion sociale. Est-ce compatible et à quel prix ?

M. Martin VIAL : Sur les comptes avant 1997, je voudrais juste indiquer un chiffre : entre 1991 et 1997, sur sept ans en incluant 1997, La Poste a dégagé une perte nette de 347 millions d'euros contre 417 millions d'euros de bénéfice net cumulé sur la période 1998/2002.

Nous n'avons pas modifié les tarifs du courrier de 1996 à aujourd'hui, mais je comprends qu'ils évolueront dans quelques semaines. Très peu d'entreprises de service n'ont pas touché à leurs tarifs sur cette période, en particulier dans le domaine du transport, où les processus de production utilisant la valeur ajoutée de main d'œuvre sont très importants dans cette période. Nous avons donc très largement rétrocédé à nos clients les gains de productivité sur cette période.

M. le Président : Un certain nombre de présidents d'entreprises publiques ne gèrent pas l'augmentation des tarifs. C'est le politique. On comprend qu'un Premier ministre n'ait pas envie de les augmenter. C'est vrai pour ce gouvernement comme pour les autres, mais cela est-il bon ? Nous sommes dans un système hypocrite où les patrons d'entreprises publiques finissent par être des fusibles faciles...

M. Martin VIAL : Je répondrai sur les tarifs. Cela fait partie des propositions que je n'ai pas évoquées sur la gouvernance. Parmi les actes de gestion, figurent la définition de la stratégie, la mise en œuvre des moyens et le contrôle des performances obtenues qui consiste à évaluer les résultats par rapport aux objectifs. De ce point de vue, si l'environnement évolue de manière très significative sur la période d'un contrat de plan ou d'un plan stratégique, il est normal de réviser la politique tarifaire. C'est ce qui s'est passé à GDF où, dans le contrat de plan, les tarifs sont indexés sur le prix du pétrole. Les prix de vente de l'entreprise prennent donc en compte l'évolution d'un élément fondamental dans le calcul du coût de production.

Concernant les entreprises de main d'œuvre, je trouverais normal, en particulier pour La Poste, que dans les dispositifs contractuels entre l'Etat, la tutelle de manière générale, et l'entreprise publique, les éléments fondamentaux portant sur la composition du coût de revient soient révisés régulièrement, afin d'éviter les phénomènes de traumatisme dus à une augmentation tarifaire trop rare. Par exemple, la RATP fait évoluer ses tarifs chaque année et je ne crois pas que ceci soit devenu traumatisant pour ses clients. C'est pourquoi je suis partisan d'une réévaluation quasi automatique, lorsque l'environnement des entreprises évolue concernant la composition des coûts de revient et les tarifs.

Je reviens à la question de M. Brottes sur la stabilité des dirigeants. J'ai une position assez simple : tout actionnaire doit être capable de nommer ou de se défaire des dirigeants nommés. Ceci vaut pour le secteur public comme pour le privé.

En revanche, à partir du moment où le législateur a fixé une durée déterminée pour un mandat de président d'entreprise publique, trois ans autrefois et cinq ans maintenant, s'il existe une volonté de l'actionnaire de changer de dirigeant, les formalités doivent être plus lourdes que celles de la nomination. Il s'agit également de faire intervenir le conseil d'administration, qui a accompagné le dirigeant pendant le mandat interrompu, et je trouverais normal que le conseil d'administration soit sollicité, par un vote à la majorité qualifiée, afin de donner de l'importance à une lourde décision, puisqu'elle met en cause le principe d'un contrat à durée déterminée qui, par définition, ne devrait pas être interrompu.

Concernant les missions contradictoires de La Poste, c'est toute la difficulté et toute la « gloire » de cette entreprise d'avoir à la fois des ambitions internationales et concurrentielles et de rester un grand service public de proximité. Cela correspond à une vraie demande et à un véritable consensus dans notre pays.

C'est pourquoi il faut clarifier les rapports entre la tutelle au sens large et les entreprises publiques, en particulier celles en charge de missions d'intérêt général. Je formule une proposition d'organisation un peu nouvelle dans les rapports entre la tutelle et les entreprises publiques :

Dans une vision patrimoniale du rôle de l'Etat, consistant à vérifier qu'une entreprise, a fortiori une entreprise cotée, est bien gérée, je m'interroge sur la nécessité de créer une société holding portant les participations de l'Etat dans le secteur public. Les inconvénients de cette formule, avancés dans les années 1980, étaient liés au fait que le secteur public était d'une taille considérable et que, à l'instar de ce qui se passait en Italie, sa gestion était difficile. Aujourd'hui, le secteur public est d'une taille plus modeste et son champ se rétrécira. Cet inconvénient majeur me paraît donc avoir perdu beaucoup de sa réalité. En revanche, les avantages sont nombreux : en créant cette holding, on donnerait de la souplesse sur le plan de la gestion des fonds propres des entreprises concernées. L'exemple de l'opération réalisée sur France Télécom, qui n'a pas nécessité de dotation budgétaire de l'Etat, à travers l'intervention de l'ERAP pour contribuer à l'augmentation de capital de France Télécom, illustre cette souplesse. De plus, la holding permettrait de professionnaliser les équipes de tutelle et de distinguer les intérêts patrimoniaux des autres intérêts de l'Etat.

La fonction de tutelle et de régulation doit, d'autre part, être assurée à la fois à travers les ministères de tutelle et les autorités de régulation créées dans les secteurs de l'énergie, des télécommunications et de la Poste.

Enfin, le rôle de garantie des missions d'intérêt général pourrait être assuré à travers les commissions parlementaires, à l'instar de ce qui a été créé dans le secteur de La Poste. La commission supérieure du service public des postes et télécommunications fonctionne de manière harmonieuse depuis une dizaine d'années et a montré son utilité dans l'intérêt du Parlement pour ce secteur.

A travers la clarification de ces structures, nous permettrons aux entreprises publiques de mieux distinguer leurs différentes fonctions. J'ajoute une proposition supplémentaire : il me paraît indispensable que, dans les comptes annuels de ces entreprises, des comptes pro forma soient établis, identifiant les charges de service public dans un sous-compte à part et un compte d'exploitation pro forma classique pour les activités qui ne sont pas soumises aux charges de service public. Si nous établissions le compte pro forma pour La Poste, le bénéfice avant impôts serait de l'ordre de 1,2 milliard d'euros et non pas de 34 millions d'euros.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Parmi les questions que vous venez d'évoquer figure la question des relations entre le dirigeant d'une entreprise publique et l'Etat actionnaire. Vous avez estimé que la tarification du timbre était l'une des décisions majeures appartenant aux pouvoirs publics, dans leur rôle de tutelle qui relevait, en même temps, de votre responsabilité de gestion. Par rapport aux remarques de M. Brottes, considérez-vous que le fait d'avoir été proche du gouvernement, qui vous avait nommé à cette fonction, a créé un avantage ou un handicap concernant cette décision tarifaire que vous n'avez pas pu obtenir de celui-ci ?

Concernant les relations entre La Poste et la presse, pouvez-vous nous éclairer sur les aspects de la comptabilité analytique de La Poste régulièrement invoqués pour justifier d'un changement des relations entre l'ensemble des éditeurs de presse et La Poste, dans son rôle de distributeur et de prestataire de services pour l'ensemble des groupes de presse ?

M. Martin VIAL : Dans le plan stratégique de l'entreprise, le fait d'avoir une certaine modération tarifaire constituait un acte de gestion volontaire, puisque vous mettez de la pression de gestion lorsque vous ne touchez pas à vos tarifs. Toute la difficulté réside dans le fait que cette pression ne doit pas être trop décalée par rapport aux chocs exogènes évoqués tout à l'heure. De plus, le caractère visible d'un changement tarifaire est plus important à La Poste qu'ailleurs, car le jour où vous modifiez un tarif téléphone, vous touchez simplement un indicateur dans un programme et ceci apparaît sur une facture. A La Poste, le changement tarifaire est beaucoup plus lourd.

Dans nos discussions avec l'Etat, la politique tarifaire était au menu du prochain contrat de plan qui devait être arrêté début 2002, sans qu'aucune décision formelle n'ait été prise. Chacun, du côté du gouvernement ou de La Poste, était convaincu que la discussion devait porter sur l'évolution du tarif dans le cadre du contrat de plan et, naturellement, cette discussion devait avoir lieu au regard des objectifs de productivité et des besoins concurrentiels de l'entreprise.

La décision de faire évoluer les tarifs sur les tarifs internationaux avait été prise au printemps 2002, mais elle n'a pas été appliquée. Concernant les activités sous monopole, puisque le contrôle des tarifs ne porte que sur celles-ci, il est normal que les pouvoirs publics prennent la décision ultime. Ce n'est pas le cas pour les autres tarifs concurrentiels qui relèvent de la décision des mandataires sociaux de l'entreprise.

S'agissant des relations entre La Poste et la presse, ce sujet est évidemment complexe, car les deux parties s'estiment chacune de bonne foi. La réalité est que le prix de vente du service est très inférieur au prix de revient et La Poste supporte grosso modo une perte de l'ordre de 500 millions d'euros par an sur cette activité, après compensation de l'Etat. La presse considère que l'évolution de la productivité de La Poste aurait dû permettre de réduire ce déficit. La comptabilité analytique de La Poste a évolué pour se mettre en conformité avec les règles de l'Union Européenne depuis deux ans et il me semble que la comptabilité analytique sur 2002 est aujourd'hui opérationnelle. En conséquence, la prise en compte des charges liées au courrier urgent est un peu plus importante qu'avant, en raison du dimensionnement du réseau de distribution - c'est-à-dire du transport par avion de nuit, des TGV postaux sur le sillon rhodanien, et du travail des personnels de nuit. La presse qui, par définition, est une matière rapidement périssable, voit le montant de ses charges un peu plus important en comptabilité analytique qu'autrefois. Ainsi, cette logique dite de « comptes incrémentaux » explique que cette activité soit la plus « chargée ».

Les discussions entre l'entreprise et la presse ont repris dans le cadre de la préparation du contrat de plan, afin d'essayer de réduire durablement ce déficit, car il me paraît logique que l'Etat ou la collectivité le compense et, en même temps, de faire en sorte que la profession ne supporte pas l'intégralité d'une augmentation tarifaire insupportable à ses yeux.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais en venir à la diversification des métiers de l'entreprise, dont nous avons tous conscience qu'elle est inévitable.

S'agissant des produits financiers, à l'époque où vous étiez président de La Poste, aviez-vous évoqué cette question et aviez-vous des projets dans domaine ? Quelles étaient vos relations avec le gouvernement de l'époque et comment voyez-vous la situation aujourd'hui, s'agissant notamment de la diversification des activités dans le domaine de l'assurance ?

M. Martin VIAL : Sur la diversification, j'ai évoqué un groupe « multi-métiers », car c'est la forme qu'a empruntée La Poste depuis plusieurs années. Cette évolution s'est produite dans la décennie écoulée et nous l'avons accélérée à la fin des années 1990, car nous avions conscience que l'activité courrier verrait son rythme de progression se réduire, puis s'arrêter, en raison de la substitution par la communication électronique et du développement de la concurrence.

Par conséquent, le renouvellement des moteurs de croissance devait provenir des services financiers, des activités colis et logistique et des services électroniques.

S'agissant des services financiers, depuis cinq ans, nous avons donné à La Poste une responsabilité nouvelle en matière de gestion de fonds, qu'il s'agisse du transfert de la gestion des CCP, de la prise de contrôle de Sogeposte chargée de gérer les Sicav, ou de la création d'Assurpost, société commune avec la CNP, de produits d'assurance pour les personnes, dans le cadre du contrat de plan de 1998 entre l'Etat et La Poste.

De ce point de vue, ma position a toujours été très claire : le relais de croissance des services financiers est absolument indispensable pour cette entreprise si l'on veut maintenir un réseau de bureaux de poste de taille significative. De plus, les services financiers de La Poste dégagent une marge croissante dans le total de la marge d'exploitation de La Poste. Je suis donc favorable à l'extension des services financiers de La Poste. Celle-ci a été importante dans les dernières années, car nous avons développé de nouveaux produits dans le domaine de l'assurance de personnes à titre expérimental, ainsi qu'une grande capacité de gestion de fonds. Au menu des discussions actuelles entre La Poste et l'Etat, l'extension de ces services est à l'ordre du jour et je souhaite qu'elle soit effective.

M. le Rapporteur : S'agissant de la stratégie d'expansion internationale, le qualificatif « prudente » a été employé tout à l'heure. Comment réagissez-vous par rapport à ce terme ? A l'époque où vous étiez président, une stratégie plus offensive avait-elle été envisagée ? Avec le recul, quelle analyse tirez-vous de cette situation ?

M. Martin VIAL : Une comparaison est souvent établie avec La Poste allemande, qui a procédé à un montant de croissance externe sept fois supérieur à celui de La Poste.

La croissance externe de La Poste a été intégralement autofinancée sur la période 1998/2002. Nous avons réduit notre endettement net et brut sur cette période, parce que nous souhaitions prendre position de manière significative en Europe. La Poste est ainsi devenue le troisième opérateur du domaine du colis et de l'express en Europe sans mettre en cause les grands équilibres de l'entreprise.

Je constate que La Poste allemande a mené une stratégie différente et une politique d'expansion considérable. Les marchés financiers, depuis la première cotation de La Poste allemande, ont toujours été extrêmement dubitatifs sur cette stratégie, puisque le cours de l'action de La Poste allemande, non seulement n'a jamais atteint son cours d'introduction, mais se situe aujourd'hui à environ 50 % en deçà.

Pendant cette période, certaines opportunités de rachat sont apparues dans le domaine de la logistique et du colis express, notamment en France. En tant qu'ancien dirigeant de l'entreprise, j'assume le fait d'avoir refusé de donner suite à ces opérations pour deux raisons : cela se serait traduit par une dilution de notre résultat, ces entreprises étant proposées à un prix de vente trop élevé au regard de la rentabilité espérée, et cela risquait de déstabiliser notre endettement.

Dans le cadre de la discussion du contrat de plan 2002-2006, les évolutions tarifaires envisagées devaient nous permettre également d'envisager d'autres opérations de croissance externe, en fonction des intérêts stratégiques du Groupe.

M. le Rapporteur : Quelle appréciation portez-vous sur la stratégie de l'époque ? L'évolution du prix du timbre est un sujet tellement sensible que, pour éviter cette évolution, il était légitime d'avoir renoncé à des moyens financiers qui auraient permis une expansion plus rapide du groupe, y compris au niveau international. M. Bailly nous a indiqué que le nombre de timbres payés par les ménages est de quatre ou cinq par mois. Ce n'est donc pas une charge suffisamment substantielle pour que ce sujet soit considéré comme tabou.

M. Martin VIAL : Vous avez raison, mais ce sujet est important pour les entreprises puisque, a contrario, 95 % du chiffre d'affaires du courrier est réalisé avec les entreprises. Lorsque l'on évoque la compétitivité au sens tarifaire du terme et le fait que l'essentiel des clients soient des entreprises, la manière dont on fait évoluer les tarifs me paraît importante.

Evidemment, je soutiens la stratégie menée pendant les cinq dernières années, aussi bien en tant que directeur général, puisque les décisions ont été prises en commun avec mon prédécesseur, qu'en qualité de président. Je pense que cette stratégie a été raisonnable, parce qu'elle nous a permis d'investir sur d'autres activités que le colis.

Lorsque nous avons créé Efipost, nous l'avons dotée d'un capital d'environ 1 milliard de francs, en utilisant les fonds propres de la maison-mère. Lorsque nous avons créé et pris le contrôle de Sogepost, cela s'est également traduit par la consommation de fonds propres, de même pour Assurpost. Par conséquent, la stratégie retenue a consisté à répartir, pendant deux ans, les affectations de fonds propres de manière prioritaire sur l'activité colis, à hauteur de 1 milliard d'euros et, en même temps, à consacrer le reste de l'excédent brut d'exploitation aux services financiers, au courrier - nous avons investi, bon an, mal an, 80 millions d'euros par an sur les centres de tri - et aux nouvelles technologies.

M. le Rapporteur : Nous n'avons pas abordé la question du fonctionnement interne de l'entreprise et, en particulier, du conseil d'administration. Quelle est votre appréciation sur sa forme actuelle ? On évoque souvent la lourdeur des conseils d'administration des entreprises publiques, les difficultés posées par le manque de confidentialité. Cela a-t-il été un problème durant votre mandat lorsqu'il s'agissait d'aborder des questions sensibles, telles que la diversification ou la stratégie internationale ?

Plus généralement, quelle est votre appréciation sur la proposition du rapport de M. René Barbier de La Serre visant à limiter le nombre de membres à une douzaine de personnes dans les entreprises publiques ?

M. le Président : Et sa proposition concernant l'agence, reprise par le ministre de l'économie et des finances ?

M. Martin VIAL : J'ai évoqué une proposition qui allait au-delà, puisque je propose la création d'une véritable société holding.

Concernant le fonctionnement des instances, pour des grandes entreprises ayant des personnels nombreux, je reste partisan de la présence des représentants des salariés au sein du conseil d'administration, d'autant plus que les évolutions auxquelles La Poste a fait face ces dernières années ont été permises par un travail permanent d'explication, de dialogue, de concertation avec les organisations syndicales et les représentants du personnel. Je ne doute pas que, pour faire encore évoluer cette entreprise, cela s'avère nécessaire. Cela signifie que l'on reste sur des conseils d'administration tripartites, avec des représentants de l'actionnaire, des salariés et des personnalités qualifiées.

Nous pourrions réduire le nombre de membres, mais pas trop si l'on veut donner une représentation suffisante à chacun. Un chiffre entre 16, 17 et 21 me paraît difficilement modifiable.

La question de confidentialité se pose, car certains administrateurs salariés considèrent que leur fonction consiste à rendre compte de leur mandat et la confidentialité n'est pas toujours assurée.

Il est très important de renforcer les clauses de confidentialité des conseils, sauf à les vider de leur contenu. A La Poste, je tenais environ dix conseils par an et le conseil fonctionnait avec beaucoup de délégation et de pouvoir de décisions sur le contrôle et la gestion de l'entreprise. La contrepartie est évidemment la confidentialité absolue.

Si l'on veut répondre à l'objection des organisations syndicales sur la question du compte-rendu de mandat, je propose de créer un comité stratégique, avec les organisations syndicales, dans lequel seraient évoquées avec eux les questions stratégiques de l'entreprise, pour que les discussions donnent lieu à des comptes-rendus ou à une publication interne.

Il faut effectivement renforcer cette confidentialité et faire évoluer la responsabilité des administrateurs. Certaines décisions sont redondantes entre les autorisations prises par le ministre de tutelle, celles du conseil et les pouvoirs propres des dirigeants d'entreprises.

En matière de prise de participation et d'investissements, il est nécessaire d'instituer deux seuils : l'un à partir duquel l'autorisation du ministre est requise et un autre où seule celle du conseil est nécessaire et ce qui se passe en dessous relève de la responsabilité propre et exclusive de chacun. Si l'on veut attribuer aux conseils d'administration et, en particulier aux personnalités qualifiées, une vraie responsabilité dans les décisions, il ne faut pas qu'ils aient le sentiment que tout est soumis à l'autorité de tutelle. La responsabilité des administrateurs va aussi dans le sens d'un champ de compétences autonomes des conseils d'administration, pour les grandes décisions.

M. le Président : Merci. Un mot sur la holding : ne pensez-vous pas que ce soit trop lourd pour une entreprise publique ? N'est-ce pas une sorte de machine un peu compliquée et opaque ?

M. Martin VIAL : Je crois, M. le Président, que c'était effectivement un inconvénient très lourd autrefois. Le champ du secteur public s'est tout de même beaucoup restreint et se réduira encore. Distinguer les fonctions patrimoniales de tutelle et de régulation de l'Etat et la préservation des missions d'intérêt général par le Parlement permet de clarifier les responsabilités de chacun.

M. le Rapporteur : Vous avez souligné la nécessité de renforcer « les clauses de confidentialité ». A quoi pensiez-vous ? S'agit-il d'une modification des règlements intérieurs des entreprises publiques ou du recours à des dispositions pénales ?

M. Martin VIAL : A ma connaissance, il existe des dispositions rappelées dans la loi de 1983 et ses textes d'application et dans les règlements intérieurs. Etant de portée générale et sans effets particuliers, lorsque le problème se pose, elles sont sans effets. Il faut donc remettre sur la table les dispositions législatives et réglementaires, en ayant conscience qu'il existe deux cas de figure : dans certains cas, la confidentialité est ouvertement mise en cause et, dans d'autres cas, on ne connaît pas la source des fuites, ce qui peut être très préjudiciable à l'entreprise.

M. le Président : Surtout pour les entreprises cotées...

Audition de M. Marc TESSIER,
Président de France Télévisions

(Extrait du procès-verbal de la séance du 27 mai 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

M. Marc Tessier est introduit.

M. le Président : L'entreprise que vous dirigez présente, pour nous, bien des spécificités. Les résultats de France Télévisions sont satisfaisants pour 2002 avec, notamment, une capacité d'autofinancement en très forte progression, ce qui la différencie de certaines entreprises auxquelles nous nous sommes intéressés jusqu'à présent.

Pour connaître un peu le secteur audiovisuel, je dirai que ces performances s'expliquent en partie par le mode de gestion pour le moins original qui a pu être mis en place, notamment au travers du contrat d'objectifs et de moyens signé avec l'Etat. Incontestablement, le groupe est fortement sensibilisé aux contraintes de bonne gestion financière. La mise en place d'un intéressement à la réalisation des objectifs du contrat, au travers d'indicateurs de performances, pourrait servir d'exemple à l'ensemble du secteur public.

S'agissant de la gouvernance proprement dite, la composition du conseil d'administration de France Télévisions, plus réduite et diversifiée que celle des entreprises publiques relevant de la loi de 1983, me semble également de nature à répondre à nos interrogations récurrentes depuis le début de nos travaux sur le fonctionnement et l'efficacité de cet organe qui est loin de jouer le rôle qu'il devrait, que ce soit France Télécom ou EDF, par exemple.

Le fonctionnement interne de France Télévisions et les rapports avec la tutelle sont les deux thèmes que nous souhaitons aborder avec vous.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Tessier prête serment.

M. Marc TESSIER : Je suis très honoré de présenter à la commission d'enquête la gestion du groupe France Télévisions, car nous sommes souvent traités de manière spécifique, comme vous l'avez laissé entendre, du fait des modalités de nos recettes annuelles. La redevance n'est pas un financement de l'investissement, mais une recette annuelle, notre chiffre d'affaires. Le risque pour un groupe comme France Télévisions est de considérer, qu'il doit, à cause de cette spécificité, s'abstraire des obligations qui incombent naturellement à toute entreprise publique, dans sa gestion et le financement de ses investissements.

Depuis que j'assume la présidence de ce groupe, je m'efforce, au contraire, de sensibiliser l'ensemble des sociétés qui en font partie aux exigences d'une gestion opérationnelle transparente et, si possible, profitable.

Le cadre dans lequel nous situons notre gestion est relativement récent, puisqu'il a été profondément modifié par la loi d'août 2000 laquelle a non seulement créé la holding France Télévisions qui fédère France 2, France 3, France 5, ainsi que l'ensemble de 35 sociétés dont 28 consolidées et 7 mises en équivalence dans les comptes, mais a également introduit deux nouveautés. D'abord le contrat d'objectifs et de moyens, et ensuite des pouvoirs spécifiques en matière budgétaire et de contrôle de gestion au conseil d'administration de la holding France Télévisions, par dérogation au droit commun des sociétés.

Le conseil d'administration de France Télévisions approuve les budgets de chacune des chaînes, ceux-ci étant soumis simplement pour avis aux conseils d'administration de ces dernières. Il approuve également les comptes sociaux de la holding et les comptes consolidés du groupe.

Pour remplir cette mission, il s'est doté d'un comité d'audit composé de membres du conseil et muni de moyens propres, qui travaille en toute indépendance et sur tous les sujets qu'il estime devoir traiter, qu'il s'agisse des comptes, ou de la gestion de la société. Au regard des disciplines de la gouvernance, il s'agit d'un point important de modernisation de la gestion du groupe.

Ceci s'est traduit concrètement par le fait qu'en quelques années, dans les domaines de la gestion proprement dite, pour remplir les obligations que la loi nous imposait et que le conseil d'administration souhaitait, l'ensemble des procédures comptables dans le groupe ont été harmonisées. Nous publions désormais des comptes semestriels consolidés et certifiés. C'est une novation pour les entreprises publiques de l'audiovisuel. Nous transmettons en outre à notre conseil d'administration un tableau de bord trimestriel qui, lui, cependant, n'est pas certifié.

Nous avons également créé une direction de l'audit interne à l'appui du comité d'audit pour l'ensemble du groupe, de manière à vérifier que les procédures et le suivi des indicateurs que je vais décrire sont assurés avec cohérence d'une société à l'autre.

Nous avons regroupé l'ensemble des affaires immobilières dans une direction unique, ce qui est très important pour un groupe comme le nôtre qui dispose d'un patrimoine immobilier conséquent, et donc d'une valeur d'actifs qu'il faut exploiter et optimiser.

Dans le domaine des achats de programmes, nous avons créé une direction commune des achats, de manière à jouer du poids du groupe France Télévisions, y compris vis-à-vis des fournisseurs étrangers.

Nous venons par ailleurs de créer une cellule pour les achats hors programmes, une cellule de professionnalisation et de coordination, dont les compétences s'étendent des achats de crayons jusqu'aux procédures d'achats globaux.

M. le Président : Cette centralisation des achats a-t-elle généré des économies substantielles ?

M. Marc TESSIER : Absolument. Par exemple, nous avons signé un contrat avec la société Warner qui nous a permis de regrouper les moyens de France 2 et France 3 et de garantir une diffusion des programmes que nos concurrents ne pouvaient pas assurer et de modérer l'augmentation du coût global de ce contrat.

D'autres opérations sont actuellement en cours, de la mise en place de services communs au niveau des rédactions à la création d'une structure unique et complète pour la direction des sports qui, jusqu'à présent, n'était commune qu'à la tête des services, et qui regroupera désormais l'ensemble de collaborateurs auparavant dispersés entre France 2 et France 3.

Nous nous demandons en permanence jusqu'où nous pouvons aller dans le regroupement des fonctions. De par la loi, il existe, pour le groupe France Télévisions, une limite que nous ne pouvons pas franchir ; celle qui touche à l'autonomie éditoriale des chaînes. La loi dit expressément que ces chaînes doivent bénéficier d'une autonomie éditoriale dont la responsabilité est assumée par le Président et par le directeur général de la chaîne, lui-même nommé par le conseil d'administration de la holding, sur ma proposition et non pas par moi.

Cette procédure originale implique que le directeur général assume, sous mon autorité et vis-à-vis du conseil spécifique de chacune des chaînes, la ligne éditoriale qu'il a approuvée. Ceci impose, par exemple, que nous gardions des unités de programmes distinctes entre France 2, France 3 et France 5 et qu'il ne soit ainsi pas possible de créer une unité de programmes documentaires unique.

Ces contraintes résultent de la volonté du législateur de garantir une réelle diversité éditoriale à l'attention des téléspectateurs. Cela était d'autant plus nécessaire que la nature du secteur audiovisuel, avec la limitation du nombre de fréquences hertziennes (TF 1, France 2, France 3, France 5, ARTE, Canal Plus et M 6), limite la diversité audiovisuelle. Si l'on avait créé une seule unité documentaire, une seule unité fiction, une seule unité cinéma, on aurait limité le nombre de débouchés possibles, appelés communément des guichets, réduisant par-là même considérablement l'offre de produits culturels de télévision.

Nous nous contentons donc de regrouper les fonctions logistiques et d'harmoniser les grilles de manière à éviter une terrible et vaine concurrence entre les chaînes. Nous menons en outre un débat, au niveau de la holding, sur les lignes éditoriales de chacune d'elles, de manière à les amener à une logique de complémentarité. Toutefois, nous n'avons pas pour projet de regrouper les unités de programme proprement dites, puisque nous nous en tenons aux dispositions de la loi.

Le contrat d'objectifs et de moyens a été l'occasion, pour l'Etat co-signataire et pour le groupe d'essayer de mettre en place des systèmes d'analyse de la situation financière et de la gestion courante de nos sociétés, si possible modernes, transparents et pouvant se substituer à des modes de tutelle au cas par cas, dont l'efficacité, il faut le dire, est sujette à caution.

Je souhaiterais mettre en exergue les indicateurs essentiels de ce contrat qui, bien qu'en cours de modifications, du fait du changement du périmètre de développement du groupe souhaité par le Gouvernement, conservent toute leur cohérence.

Nous avons pour obligation d'autofinancer tous les investissements courants de notre Groupe et ceux n'ayant pas trait à la création d'unités nouvelles (à l'époque, il s'agissait des chaînes numériques terrestres). Notre ratio d'autofinancement doit même être, si possible, supérieur à 100 %. Nous sommes sur la bonne voie, puisque nous avons atteint, en 2002, 95 %. Le budget 2003 est basé sur une hypothèse d'autofinancement supérieur au montant de nos investissements.

Le coût de la grille, par rapport aux dépenses opérationnelles du Groupe, augmente régulièrement au minimum d'un point chaque année. L'année de référence, il était de 69 %, donc il doit passer, d'ici 2005, à 74 %. Cet indicateur traduit le souci que les économies réalisées sur l'ensemble de nos dépenses n'affectent pas les programmes, mais jouent sur toutes les autres dépenses, de manière que la part des premiers dans l'ensemble soit croissante. Cet objectif a été dépassé en 2002 et le sera à nouveau en 2003. Nous avons augmenté d'un peu moins de deux points en 2002 au total par rapport à 2000, puisque nous sommes à 70,4 %.

Le deuxième objectif est que la masse salariale reste stable, à 28 % des dépenses. Nous avons légèrement dépassé cet objectif, puisque nous étions à 28,5 % en 2002 mais nous reviendrons à 28 % en 2003.

Un autre objectif important est que la masse salariale sur le coût de la grille, pour l'essentiel les frais de rémunération des journalistes, reste également constante, dans la perspective que le coût de la grille soit, autant que possible, externalisé par des contrats de prestations que nous passons avec des fournisseurs extérieurs. Nous avons réalisé, là encore, des performances satisfaisantes, ce ratio ayant sensiblement diminué pour s'établir à 24,6 %.

Les frais généraux, quant à eux, ne doivent pas augmenter par rapport aux recettes nettes. Ils ont légèrement baissé en 2002 pour atteindre 6,5 %.

Nous avons enfin un programme d'économies quantifié, qui se chiffre en millions d'euros par an. En 2002, nous devions réaliser 19 millions d'euros d'économies et nous avons réussi à atteindre 25 millions d'euros. En 2003, nous devons obtenir en cumulé 31 millions d'euros d'économies sur notre gestion et nous serons, je l'espère, au-dessus de ce chiffre.

Pourquoi tous ces indicateurs ? Ils traduisent une saine gestion telle que l'Etat peut la souhaiter, et permettent au conseil d'administration et au Parlement de s'assurer qu'elle est satisfaisante, puisque lesdits indicateurs font l'objet d'une présentation annuelle aux commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat, auxquelles est transmis le rapport d'exécution.

Du fait du financement du groupe France Télévisions par la redevance, il est important que toutes les assurances soient données, d'abord à la représentation nationale, bien entendu, à l'Etat, mais aussi aux téléspectateurs, sur l'emploi de la redevance. Ces indicateurs de gestion sont une manière de rendre compte de l'usage de l'argent public.

Il m'apparaît à cet égard important qu'à brève échéance, le groupe France Télévisions, lors d'une émission sur son antenne, présente aux téléspectateurs quel usage est fait de la redevance, puisque cela fait partie de l'interactivité qu'une chaîne de télévision autorise. Je suis d'ailleurs surpris que cela n'ait pas été fait jusqu'à présent.

M. le Président : Si vous pouviez expliquer et convaincre les Français qu'il est nécessaire de payer la redevance, ce serait très bien !

M. Marc TESSIER : Notre financement étant public, le Président de France Télévisions est toujours en situation de dire à l'Etat ce qu'il effectuerait avec un montant plus élevé de redevance. Mais la télévision publique n'est pas « un trou sans fond » qui, lorsqu'on lui donne de l'argent, en perd, se trouve en situation perpétuelle de déficit et, par conséquent, ne peut pas proposer les programmes que l'on est en droit d'attendre d'elle.

J'ai expliqué à mes collaborateurs qu'il était préférable d'être en situation positive que négative, même dans les négociations budgétaires, puisque c'était le meilleur moyen de prouver que nous ne gaspillons pas l'argent public. Ainsi, concernant nos résultats, trois éléments peuvent intéresser la commission :

- Nous avons un endettement à moyen et long terme qui, en dehors du leasing de notre immeuble ainsi que de celui de la régie publicitaire gagé sur la valeur de l'immeuble, est inférieur à 10 millions d'euros.

- Les fonds propres du groupe augmentent sur une tendance supérieure à 20 % par an. Nous étions partis d'une situation assez basse et, grâce à notre autofinancement, nous pouvons les augmenter d'une année sur l'autre et retrouver des ratios plus normaux de gestion financière.

- Pour la première fois en 2002, le coût de la grille de l'ensemble des trois chaînes du groupe France Télévisions a été exactement égal au montant de la redevance versée par l'Etat. Ce chiffre est symbolique et représente un hasard statistique, mais il est révélateur de considérables progrès.

Etre dans une situation financière saine est essentiel et le conseil d'administration de France Télévisions doit pouvoir jouer pleinement son rôle à cet égard, conformément à la loi. Parallèlement, le groupe reste soumis aux dispositions traditionnelles de contrôle des entreprises publiques du secteur non concurrentiel, alors même que nous sommes placés dans une optique concurrentielle. Ceci tient à la nature de sa ressource, mais se traduit par les formes de contrôle qui se superposent.

Je rappelle à titre d'exemple que tout investissement sous forme de prise de participation, quel qu'en soit le montant, doit être approuvé par le conseil d'administration de France Télévisions.

M. le Président : Par exemple, lorsqu'il est prévu une dépense à France Télévisions de 500 000 euros, cela passe en conseil d'administration ?

M. Marc TESSIER Non, mais toute prise de participation doit être examinée. De même, tous les contrats pluriannuels du groupe France Télévisions, quel que soit leur objet, doivent être présentés au conseil d'administration, avant d'être approuvés. En sus, tous les contrats supérieurs à 2 millions d'euros doivent être soumis préalablement pour information au contrôle d'Etat. Tous les salaires supérieurs à 70 000 euros doivent être visés par le contrôleur d'Etat. Les négociations salariales annuelles sont tenues dans un cadrage fixé par l'Etat, après avis de la commission interministérielle de coordination des salaires. En général, ce cadrage a lieu à la fin de l'année, alors que la loi nous fait obligation d'ouvrir des négociations avec les syndicats au cours des quatre premiers mois, puisque nous sommes une société de droit commun de ce point de vue. Nous ne pouvons donc jamais remplir les obligations légales de négociations salariales faute de disposer du cadrage en temps utile.

A partir du moment où le budget comporte des objectifs précis en termes d'effectifs et de masse salariale, je trouve dommage que nous ne puissions pas, sur ces bases, faire approuver par le conseil les normes servant de cadrage à la négociation qui s'ouvrira ultérieurement avec les collaborateurs.

M. le Président : J'observe tout d'abord que le fait que le Président de France Télévisions présente systématiquement tous les ans à une commission parlementaire la gestion du groupe pourrait utilement être généralisé aux grandes entreprises publiques.

Comment jugez-vous le fonctionnement du conseil d'administration de France Télévisions ? La présence de parlementaires est-elle un plus ? Sont-ils assidus ? Dans quel délai moyen préalable aux réunions communiquez-vous aux administrateurs les documents d'information ? La coordination des représentants de l'Etat, ceux du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, et ceux ministère de la culture et de la communication, vous paraît-elle être assurée ou vous semble-t-elle encore perfectible ?

Vous avez dit que vous étiez dotés de certains comités spécialisés : quels sont-ils ?

Certaines notes du directeur du Trésor au ministre de l'économie, dont j'ai eu connaissance, mettent en exergue quelques difficultés entre France Télévisions et ses tutelles. A titre d'exemple, M. Jouyet, dans une note du 10 avril 2002, jugeait « inouï que la direction de France Télévisions ait pu évoquer, dans un comité d'entreprise préalable au conseil d'administration, le plan d'économie, en ne fournissant ledit document à l'Etat que trois jours avant sa présentation au comité d'entreprise, empêchant toute discussion approfondie avec l'autorité de tutelle et lui laissant bien peu de marge d'appréciation »...

Comment qualifiez-vous vos rapports avec la tutelle ? S'agit-il de rapports de confiance ou de relations conflictuelles de négociation financière ?

M. Marc TESSIER Sur ces questions tout à fait fondamentales, je dirai tout d'abord que le conseil d'administration du groupe France Télévisions, au point de vue de la holding, a la chance de disposer de membres très assidus, qu'ils soient désignés par le Parlement, nommés par le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou représentants de l'Etat. De ce point de vue, il fonctionne de manière exemplaire.

M. le Président : Combien de réunions organisez-vous par an ?

M. Marc TESSIER : Un minimum de quatre conseils par an est programmé. Lorsque nous avons adopté le contrat d'objectifs et de moyens, nous avons tenu un conseil d'administration exceptionnel.

Le comité d'audit se réunit quatre fois par an et la réunion dure plus d'une demi-journée, sur la base d'études transmises au Président du comité d'audit à sa demande.

Le conseil d'administration exerce, à mes yeux, la plénitude de son attribution, d'autant que la diversité de la nature des nominations multiplie les points de vue qui s'y expriment. Il est un vrai lieu de débats, lesquels durent, en général, de 8 h 30 le matin à 12 h 30 au minimum. Les questions ne sont donc pas seulement évoquées mais bien traitées et arbitrées.

Sur le délai moyen de mise à disposition préalable des informations, nous envoyons toujours un premier dossier au minimum plus de quinze jours avant le conseil. Il existe un « mais » s'agissant de l'exhaustivité imparfaite du dossier envoyé, qui tient à un point que vous évoquiez à propos de l'observation du directeur du Trésor, à l'époque membre de notre conseil d'administration : les représentants de l'Etat se réunissent pour coordonner leurs vues sur les dossiers moins de quinze jours avant les réunions. Nous faisons le maximum pour transmettre tous les éléments des décisions au préalable, mais nous ne pouvons pas le faire si ces documents sont susceptibles de créer un incident majeur entre l'Etat tuteur et l'Etat actionnaire.

Ce mode de fonctionnement propre à la puissance publique perturbe considérablement le fonctionnement du conseil et provoque souvent l'irritation des autres administrateurs.

Puisque la note que vous évoquiez était relative à la négociation du plan d'économie, je dois préciser qu'en l'espèce, une grande difficulté tient à la nécessité de réunir des comités d'entreprise ou des comités centraux d'entreprise avant le conseil d'administration. La difficulté est encore accrue pour le groupe France Télévisions dans la mesure où les questions posées au niveau de la holding, concernent le fonctionnement des filiales. Il faut donc réunir, avant la consultation du conseil d'administration, le CCE de France 3, le plus difficile à mettre en place puisqu'il est constitué majoritairement de représentants de province ne pouvant être rassemblés à Paris qu'après le délai légal minimum de quinze jours, ou, en cas d'urgence, d'une semaine. Les règles du jeu propres à France 3 ne permettent pas de le réunir de manière exceptionnelle. Cela contraint singulièrement notre calendrier.

M. le Président : Que faudrait-il faire ?

M. Marc TESSIER Il n'est pas envisageable de transmettre les dossiers aux représentants du personnel avant que l'Etat les ait consultés. Il faut donc que l'Etat accepte de réunir ses représentants et de définir sa position au moins un mois avant les réunions du conseil. Le plan d'économie que vous mentionniez a fait l'objet d'une discussion avec les représentants de l'Etat pendant un an. Il n'était pas possible de l'adopter sans avoir préalablement saisi les comités d'entreprise des chaînes pour avis, au risque d'être en délit d'entrave.

Afin de ne pas reporter l'ensemble du mécanisme d'approbation du contrat d'objectifs et de moyens et de son plan d'économie, j'ai décidé de ma propre initiative de présenter sa version finale, modifiée à la suite d'observations des différentes administrations, au CCE de France 3, avant de la soumettre aux administrateurs représentants de l'Etat. Sans cela, il aurait fallu décaler la procédure d'au moins un mois, ce qui aurait rendu très difficile la réunion du conseil.

Il est en effet fondamental que les conseils d'administration se tiennent à des dates fixées à l'avance et que ces rendez-vous soient tenus, si l'on veut qu'ils jouent un rôle effectif et que les administrateurs puissent étudier les dossiers de manière approfondie.

M. le Président : Vous avez participé à un très haut niveau à la direction d'une chaîne de télévision privée et vous êtes aujourd'hui Président d'une télévision publique. Vous savez donc d'expérience combien ce milieu est concurrentiel, ce qui implique notamment, pour être compétitif, d'attirer les meilleurs en les rémunérant au prix du marché. Le statut d'entreprise publique est-il un frein en la matière ? L'expérience de France Télévisions est-elle généralisable à l'ensemble des entreprises publiques qui évoluent dans des secteurs concurrentiels ?

M. Marc TESSIER : S'agissant du haut encadrement de l'entreprise, il est difficile d'imaginer que les rémunérations soient fixées simplement et à sa seule discrétion par le Président, sans qu'une instance ne valide les choix proposés. Il me paraît souhaitable que cette instance soit constituée, au moins pour partie, de personnalités extérieures à la fonction publique, de façon à mieux prendre en compte les réalités du marché.

Dès lors que le conseil d'administration de France Télévisions réunit en son sein des personnalités d'origines diverses, il me paraît sage de constituer en son sein, avec une composition qu'il détermine, un comité de rémunération qui serait informé de tous les salaires supérieurs à une certaine somme, par exemple 100 000 euros, afin de contrôler la gestion salariale des cadres supérieurs du groupe.

Un régime de rémunération particulier s'applique à France Télévisions : celui des personnels dits de collaboration artistique. Fixer leur salaire selon des modalités comparables à celles des collaborateurs non artistiques incite, sauf à entretenir des rémunérations spéculatives, à retenir la méthode des animateurs producteurs ou à passer par un producteur extérieur.

C'est pourquoi, si nous souhaitons recourir à une production interne avec des animateurs salariés par le groupe, il serait opportun que le comité de rémunération soit directement informé des traitements, voire signifie au préalable son approbation, au regard des justifications présentées par le Président du groupe.

En revanche, je pense que la pratique du visa préalable doit être revue. En effet, il implique le consentement souverain d'une seule personne qui peut parfois méconnaître les pratiques du marché, seuls critères pertinents de recrutement des collaborateurs artistiques.

M. le Président : Pensez-vous nécessaire que le politique conserve le pouvoir de nomination des présidents d'entreprise publique ? Vous semblerait-il opportun de constituer une sorte de « vivier » de grands chefs d'entreprises, dont l'expérience proviendrait du privé comme du public, afin de diminuer la « consanguinité » ?

Que pensez-vous de la création de l'Agence des participations de l'Etat ?

M. Marc TESSIER Le premier sujet est délicat, et il me semble naturel que les nominations de certains Présidents interviennent en conseil des ministres. La question est de savoir s'il doit y avoir une procédure en amont, de façon à éclairer ces décisions. Il me semble que des propositions, émanant d'un vaste système de consultation, ne s'arrêtant d'ailleurs pas à l'APE permettraient de renforcer la légitimité des dirigeants ainsi nommés.

Mon homologue de la BBC est ainsi nommé à la suite de la publication d'une petite annonce dans le journal Le Times, dans laquelle on indique que le Bureau du Gouverneur de la BBC cherche un directeur général présentant telles caractéristiques pour tel salaire...

L'Etat pourrait même solliciter l'expertise d'un cabinet, pas forcément privé, afin de recenser des candidatures, d'effectuer un premier tri et de lui transmettre les plus intéressantes, sous le sceau du secret, après qu'aient été publiées, dans des conditions de transparence irréprochables, les caractéristiques de la fonction et les compétences requises.

A titre d'exemple, le CSA assume ce rôle pour France Télévisions, et d'autres organismes publics pourraient se voir confier des pouvoirs similaires, l'Etat assumant in fine la responsabilité du choix définitif, comme il est légitime.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais connaître votre position à l'égard d'autres propositions du rapport Barbier de La Serre, qui visent à rapprocher le statut et les pratiques des entreprises publiques de ce qui existe dans le secteur privé, tout en identifiant la partie de l'activité qui constitue, à proprement parler, le service public qui ferait l'objet d'une convention entre l'Etat et l'entreprise précisant le contenu précis de cette mission, et les modalités de sa compensation financière.

Il est certain que ces contrats de service public seraient plus complexes à mettre en place, s'agissant de la télévision publique puisque d'une part la redevance a précisément pour objet de financer les missions d'intérêt général, et, d'autre part, le service public est singulièrement difficile à définir en matière audiovisuelle.

Ces réserves mises à part, la proposition du rapport Barbier de La Serre vous paraît-elle applicable à votre secteur ?

M. Marc TESSIER : Cette proposition s'inscrit dans la logique du raisonnement des autorités européennes qui estiment que les financements publics doivent couvrir exclusivement des missions publiques spécifiques et que tout ce qui n'en relève pas doit être financé dans les conditions prévalant dans le privé.

Cependant, ce principe se heurte à une réalité concrète au niveau européen. Certaines entreprises publiques étant financées à 100 % par l'Etat, comme la BBC, ne pourraient dans cette logique diffuser que des programmes publics. Cela implique, à titre d'exemple, qu'elles devraient renoncer à retransmettre la Coupe du monde de football, tandis que des sociétés à caractère mixte auraient pu utiliser des financements privés pour se lancer dans telle ou telle aventure. Il est évident que ce raisonnement n'est pas tenable.

Dès lors, un compromis a été trouvé, même s'il n'est pas définitivement acté. Une note interne de la Commission, approuvée par le collège des commissaires, propose que les Etats soient libres de fixer des obligations à leurs chaînes, de les qualifier de service public s'ils le souhaitent, et d'en assurer le financement, dès lors que ce dernier crée une perturbation indue sur le marché.

Cette philosophie réaliste se traduit en France par deux dispositions :

- Tout d'abord, le partage a été fait entre les sociétés gérant des missions de service public et celles qui n'en relèvent pas. La holding France Télévisions distingue ainsi l'organisation et l'organigramme des chaînes ayant des missions de service public de toutes les autres activités, alors qu'auparavant étaient regroupées indistinctement des filiales. Désormais il est facile de vérifier que la redevance ne bénéficie qu'à France 2, France 3 et France 5.

- Ensuite, ont été définies dans le contrat d'objectifs et de moyens, les performances financières à atteindre, ainsi que la liste des objectifs de programmes, si possible quantifiés, que la télévision publique doit se fixer au cours des années à venir. Par exemple, nous devons déterminer et rendre publique, de manière contractuelle, l'évolution envisagée du volume d'heures d'informations. Nous devons de même indiquer notre ambition en matière de volumes horaires de fictions à financer chaque année. En matière de sports, nous nous sommes fixé pour objectif de diffuser un nombre minimum de disciplines sportives, pour éviter la concentration sur quelques disciplines médiatiques, qui règne aujourd'hui dans le privé.

En contrepartie de ces missions clairement établies, l'Etat s'engage à fournir les financements publics nécessaires. En résumé, nous ne demandons pas à l'Etat de compenser les charges, mais, puisqu'il nous finance à hauteur de 65 % de nos besoins, nous nous engageons sur des objectifs de service public.

Les entreprises du secteur concurrentiel dont les recettes proviennent du marché tiennent plutôt le raisonnement inverse, demandant que les quelques obligations qui pèsent sur leurs comptes soient strictement compensées par l'Etat.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : En matière de gouvernance, j'ai retenu que vous avez mis en place un comité d'audit qui, de toute évidence, fonctionne assez bien. Je n'ai cependant pas très bien compris la nature des relations qu'il entretient avec la direction.

Notre souci est d'établir une dissociation entre le management et les structures de contrôle dans l'entreprise. Il est certes naturel que la direction de l'audit interne dépende du management, surtout lorsque le groupe comprend des filiales. Cependant, il me semble important que le conseil d'administration ou le conseil de surveillance, dispose d'une réelle capacité d'audit propre, indépendante de la direction.

Quel est le niveau d'autonomie du comité d'audit de votre groupe ?

M. Marc TESSIER : Je peux vous répondre en évoquant un cas concret. Récemment, le comité d'audit a souhaité analyser et débattre des procédures d'achat de programmes. A ce titre, il dispose de tout pouvoir pour demander à un cabinet extérieur, sélectionné par le président du comité d'audit, de procéder aux contrôles nécessaires.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : C'est donc un « vrai » comité.

M. Marc TESSIER : Oui. L'autonomie s'étend à des sujets très sensibles, tels que les règles d'amortissement des programmes qui ont un impact considérable sur les comptes, le comité d'audit ayant commandé, il y a peu, un rapport spécifique aux commissaires aux comptes relatif à leur appréciation sur les procédures suivies. C'est un point très délicat, puisqu'il existait historiquement deux procédures différentes chez France 2 et France 3, et nous devions choisir une méthode d'harmonisation. Il est de ce point de vue étonnant que les principes comptables imposés par une tutelle unique à ses divers entreprises d'un même secteur puissent être parfois très divergents.

Le comité d'audit a donc souhaité réexaminer la pertinence de nos choix, et l'a fait en toute autonomie, son président rapportant directement au conseil d'administration.

M. le Président : Qui choisit désigne le président du comité d'audit ?

M. Marc TESSIER : Le conseil d'administration.

M. le Rapporteur : Le comité d'audit a-t-il véritablement les moyens de son autonomie, par exemple grâce au recours à des expertises extérieures ?

M. Marc TESSIER : Oui. Une résolution du conseil d'administration peut enjoindre au Président de donner suite aux demandes du comité d'audit.

M. le Rapporteur : Il n'a donc pas de budget propre, mais bénéficie d'un « droit de tirage » sur le budget du groupe.

M. Marc TESSIER : Il use de cette possibilité de manière proportionnée, mais je ne peux pas lui opposer le fait que mon budget est épuisé.

M. le Président : Ce point est fondamental pour renforcer la gouvernance des entreprises publiques.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Concernant les salaires, la télévision se caractérise par des métiers très spécialisés dans un secteur concurrentiel animés par de puissants opérateurs privés, un peu à l'instar du secteur bancaire. Nous cernons bien, dans ces conditions, l'ampleur du danger de l'inflation des rémunérations.

En l'absence à ce jour de comité de rémunération - et j'ai cru comprendre que vous étiez enclin à ce que France Télévisions s'en dote rapidement - et au-delà du problème de la rémunération des personnels dirigeants de la holding et des différentes filiales, force est de constater que le système d'externalisation des animateurs-producteurs nuit à la transparence et à la maîtrise des coûts. Si externaliser auprès de sociétés de producteurs, avec des animateurs salariés ou eux-mêmes actionnaires de leur propre entreprise, est le seul moyen dont vous semblez disposer, vous me semblez aller au devant de redoutables difficultés !

M. Marc TESSIER : Il faut rappeler que la majorité des personnes qui apparaissent sur les antennes de France 2 et de France 3, notamment des journalistes, est payée par la chaîne. Et s'il est vrai que des émissions de plateau, de variété ou des magazines sont confiées à des sociétés de production, certains animateurs sont cependant rémunérés directement par nous. Pour ces animateurs, il est certes toujours difficile de fixer le contrat, mais nous le fixons en toute transparence, puisque nous devons le notifier au contrôleur d'Etat qui donne son visa.

Dans les contrats passés avec des producteurs extérieurs, un devis précisant la rémunération du ou des animateurs de l'émission est transmis pour l'information du contrôleur d'Etat. Cela fait parfois l'objet de discussions assez « chaudes ». Ce n'est pas une boîte noire où l'on ne fixe qu'un niveau de rémunération, mais bien un des éléments inscrits dans une logique contractuelle.

Pour autant, je pense en effet que l'intervention d'un comité de rémunération serait une manière efficace de se conformer aux exigences contemporaines de transparence.

M. le Président : Le niveau souhaitable de la redevance par rapport aux recettes de la publicité fait partie des sujets polémiques traditionnels de la vie politique et culturelle. Il faut bien reconnaître que la tendance du législateur a diminué continûment le nombre de personnes qui paient la redevance, ajoutée au fait que beaucoup de nos compatriotes refusent de l'acquitter, compromet l'avenir de l'équilibre financier du service public audiovisuel.

Or, le remplacement de la redevance par une subvention du budget de l'Etat est problématique, à la fois du point de vue des finances publiques et de celui de la pérennité des ressources de la télévision publique. Comment croyez-vous possible de résoudre cette difficile équation ?

M. Marc TESSIER : Durant la période à laquelle vous faites référence, la place de la publicité dans le financement des trois chaînes a sensiblement diminué : elle représente 37 à 38 % des recettes de France 2, 25 % de celles de France 3, 10 ou 12 % de celles France 5, soit au total 30 % pour l'ensemble du groupe.

Parallèlement, le budget de l'Etat a été mis à contribution sous la forme d'une dotation compensant intégralement les exonérations de redevance, selon des modes de calcul qui, je l'espère, seront toujours scrupuleusement respectés.

Concernant le problème de l'assiette, je suis moi-même partisan d'une recette affectée pour la raison que vous avez décrite. Les arbitrages budgétaires de l'Etat mettent en concurrence des fonctions aussi diverses et essentielles que la justice, la santé, etc. Il serait dès lors difficile de plaider tous les ans pour obtenir des dotations croissantes à la télévision publique.

En revanche, la nature même de la redevance, c'est-à-dire la détermination de son assiette, et non pas de son recouvrement, doit, à mes yeux, être modifiée et modernisée, non pas seulement pour faciliter son recouvrement, mais pour clairement dire aux Français : « Vous payez quelque chose pour un service ». Il faut donc qu'un document spécial explique sa nature ; l'idée qui n'a heureusement pas été retenue de la faire figurer sur une feuille d'impôt, par exemple, sur l'avis d'imposition de la taxe d'habitation allait exactement contre cet objectif.

Lorsque nous avons élaboré le contrat avec l'Etat sur cinq ans, nous nous sommes posé une question simple. Compte tenu de l'environnement concurrentiel, et partant de l'hypothèse qu'un service public ne propose pas exactement les mêmes programmes que la télévision privée, quelle est l'évolution possible du coût de la grille des télévisions, si l'on se fixe un objectif de maintien des équilibres actuels entre le public et le privé, compte tenu des évolutions prévisibles du marché publicitaire ? Je ne crois pas, en effet, que l'on puisse partir de l'hypothèse que le marché de la publicité à la télévision en France, en dehors de forts à-coups annuels, connaîtra une croissance structurelle supérieure de plusieurs points à celle de l'économie générale. Statistiquement, l'écart est de moins d'un point. Dès lors, il me semble que les coûts de grille des autres chaînes privées auront sans doute une croissante plus forte et durable que celle de leurs ressources.

A partir de tous ces éléments, nous concluons que l'évolution idéale de la redevance ne devrait pas être plus élevée que l'évolution du pouvoir d'achat des Français, afin de garantir la compétitivité du service public.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous du contrôle d'Etat ? La pérennité vous semble-t-elle nécessaire ?

M. Marc TESSIER : Les instruments de co-pilotage, c'est-à-dire les indicateurs que j'évoquais, le renforcement des possibilités de recours autonome à l'audit extérieur et les autres projets de gouvernance que j'ai décrits devraient, dès lors qu'ils seront solidement établis, se substituer au visa et rendre à terme obsolète le contrôle d'Etat dans sa forme actuelle.

M. le Président : A quoi attribuez-vous le fait que la France soit le seul pays au monde à posséder sept ou huit chaînes publiques ?

M. Marc TESSIER : A l'origine, chaque ministère souhaitait avoir « sa » chaîne et il existait une tendance naturelle à dire : « A chaque source de financement, une chaîne spécifique ».

Je pense également que la création de la holding, sans rompre totalement avec cette logique, permet aujourd'hui de lutter efficacement contre cette forme de dispersion.

Comme je le dis souvent à mes équipes, si l'on peut procéder par un arbitrage au niveau du groupe, à des économies de redéploiement entre entreprises, il y a une réelle justification à les regrouper. C'est tout le sens de ma mission.

Audition de M. Dominique STRAUSS-KAHN,
ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

(Extrait du procès-verbal de la séance du 28 mai 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

M. Dominique Strauss-Kahn est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Strauss-Kahn prête serment.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Les travaux de cette commission d'enquête portent sur la gestion des entreprises publiques, le rôle de l'Etat et le contrôle qu'il peut exercer. Je crois que c'est utile et d'ailleurs cela aurait pu venir plus tôt. Je me reproche moi-même de ne pas avoir eu l'idée de demander au Parlement de constituer une commission de même nature car le secteur public a toujours connu des difficultés, j'en ai trouvé lorsque j'ai pris mes fonctions. La conception qui est la mienne aujourd'hui n'est pas très différente de celle que j'avais en 1997, mais elle a sans aucun doute bénéficié de l'expérience que j'ai acquise au ministère des finances.

L'Etat doit tout d'abord jouer un véritable rôle d'actionnaire. Vous avez employé un mot que j'utilise moi-même assez couramment, car c'est l'habitude, celui de « tutelle ». Je crois justement qu'il faut que nous sortions de cette logique pour que l'Etat, lorsqu'il est actionnaire d'une entreprise, qu'il soit majoritaire ou non, ait un comportement d'actionnaire avec les droits et les devoirs qui s'y attachent.

Ses devoirs consistent bien sûr à laisser aux dirigeants une autonomie en matière de gestion. Ses droits sont de nommer ces dirigeants et de les révoquer, mais également de définir les grandes orientations stratégiques, lesquelles ne répondent pas nécessairement aux mêmes objectifs que ceux d'un actionnaire privé, s'agissant par exemple de l'intérêt général, de l'emploi ou de toute autre considération. Il reste que ses motivations ne peuvent être principalement centrées sur la valeur patrimoniale de l'entreprise, ce qui n'est toutefois pas négligeable pour l'Etat. Même si elles sont différentes de celles d'un actionnaire privé, elles restent des préoccupations d'actionnaire et il est très important que ce soit sous cet angle-là que l'Etat intervienne.

Dès lors, se pose la question de la structure des organes délibérants et tout particulièrement des conseils d'administration. A vrai dire, je ne suis pas convaincu, l'expérience aidant, que ce qui a été mis en place par la loi de démocratisation du secteur public se révèle d'une efficacité absolue. Autant je pense qu'il est nécessaire, pas uniquement dans les entreprises publiques d'ailleurs, que les salariés soient associés le plus largement possible aux décisions qui, évidemment, les concernent, autant il ne me paraît pas évident que ce soit à travers du conseil d'administration qu'il faille le faire. L'idée que les actionnaires ne sont pas les seules parties prenantes de l'entreprise me paraît tout à fait importante et mérite d'être davantage prise en compte. Cela veut dire qu'au travers de comités divers, il faudrait que les salariés puissent être plus directement associés aux décisions, mais pas nécessairement en tant qu'administrateurs, sauf, bien sûr, s'ils représentent des actionnaires salariés. En tant que salariés, leur présence pose des problèmes de confidentialité et de responsabilité pénale, qui expliquent que les conseils d'administration ne fonctionnent pas véritablement comme ils le devraient.

Si l'Etat doit jouer son rôle d'actionnaire, je crois, d'autre part, qu'il est nécessaire qu'il en ait les moyens. Depuis la Libération, et en tout cas depuis les trente dernières années, force est de reconnaître que nous ne nous sommes sans doute pas donnés ces moyens. La création récente d'une Agence des participations me paraît donc bienvenue de ce point de vue. Dans une certaine mesure, cela me fait un peu sourire parce que Jean Deflassieux avait proposé dès 1981 la création d'une banque nationale d'investissement, qui avait été considérée à l'époque comme une pratique gauchisante, mais que ce gouvernement le fasse aujourd'hui me paraît très positif. Simplement, les idées mûrissent. Si ces deux projets ne sont pas exactement identiques, il s'agit bien de la même idée, à savoir regrouper dans un seul organe l'ensemble des participations de l'Etat, parce qu'il existe des conflits d'intérêt et qu'il est extrêmement important de faire en sorte qu'ils soient réglés en amont.

S'agissant par exemple d'EDF, au cours des années 50 et 60, l'objectif de l'Etat était de réaliser l'électrification du pays et il fallait, par conséquent, dégager des marges pour les investissements. Tout allait donc dans le même sens. Aujourd'hui, la situation est différente et on voit bien que l'intérêt de l'Etat en tant que responsable d'un service public peut être différent de celui qu'il peut avoir en tant qu'actionnaire. L'arbitrage entre ces différentes préoccupations doit se faire en amont par une instance unique. Aujourd'hui, cette mission incombe essentiellement au ministère des finances, mais également, dans certains cas, au ministère de la défense ou au ministère de l'équipement.

Le second type de conflits d'intérêt a trait à des opérations de type SNCF/RFF. Dès lors que les mêmes fonctionnaires, ou en tout cas les mêmes ministres, se retrouvent représentés au sein de leurs conseils d'administration, des conflits d'intérêt peuvent apparaître et il faut donc les éviter. De ce point de vue, j'ai le sentiment que le pas qui a été fait par la création de l'Agence est intéressant.

Mais cela ne suffit pas parce que le problème des effectifs et des compétences demeure. Les hauts fonctionnaires de notre pays sont tous d'une très grande compétence. Il reste que celle-ci doit pouvoir s'être un peu nourrie de la vie de l'entreprise. Or, ceux qui représentent l'Etat actionnaire n'ont jamais été actionnaires, ni membres d'un conseil d'administration.

Leur inexpérience du monde de l'entreprise - cela vaut sans doute aussi pour les ministres, mais les électeurs les choisissent - fait que ceux-ci représentent l'Etat dans des entreprises de taille considérable, qui engagent des sommes très importantes, alors même que leur formation ne les y prépare pas directement.

En outre, ceux-là même qui souhaitent s'investir fortement dans la connaissance de telle ou telle entreprise se retrouvent ensuite dans une situation difficile lorsqu'ils veulent quitter l'administration, puisque la commission de déontologie leur interdira d'aller dans le secteur dans lequel ils ont justement acquis une compétence, ce qui est aussi une sorte de paradoxe. Il me paraît donc très important de résoudre ce problème de gestion des hommes et des compétences si nous voulons que la représentation de l'Etat soit la plus efficace possible dans les organes délibérants.

De toute façon, quelles que soient les compétences requises, les effectifs dont dispose l'administration, en tout cas celle des finances, pour contrôler ces organes sont tout à fait dérisoires. Je pense, M. le Président, que vous comme moi ne sommes pas favorables à une augmentation du nombre des fonctionnaires. Néanmoins, dans certains cas, il me semble qu'à effectif constant, on pourrait concevoir que ces fonctions extrêmement importantes soient plus dotées qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Le rôle de l'Etat actionnaire est aujourd'hui beaucoup plus compliqué qu'il ne l'était, pas seulement parce que le monde économique dans lequel nous évoluons est plus complexe, mais aussi parce que ces entreprises opèrent désormais, à des degrés divers, dans un milieu concurrentiel. Cela suppose donc une réorganisation des instruments de l'Etat et, dans la mesure où cette commission d'enquête peut y contribuer, je crois qu'elle est utile.

M. le Président : Pouvez-vous nous décrire la nature des relations que vous entreteniez, en votre qualité de ministre, avec les présidents des entreprises publiques ?

Quel jugement portez-vous sur l'efficacité du contrôle exercé par l'Etat sur les entreprises publiques, s'agissant en particulier des investissements de croissance externe ? Avez-vous constaté une asymétrie d'information entre l'Etat et les entreprises contrôlées ? Certains estiment parfois qu'il y a presque trop de contrôle, ou, en définitive, qu'il n'y en a presque plus...

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Les relations que j'ai pu avoir avec les présidents d'entreprises publiques étaient bonnes, très bonnes même, mais je suppose que ce n'est pas simplement sur ces relations personnelles que vous voulez m'interroger.

Le mandat est clair au niveau stratégique et, de ce point de vue, je n'ai pas constaté d'ambiguïtés avec les présidents lorsque j'ai été amené à les rencontrer, soit parce qu'ils étaient nouvellement nommés, soit parce qu'ils venaient régulièrement me voir. L'orientation stratégique donnée à l'entreprise était claire. Il y a parfois eu des conflits ou, en tout cas, des discussions. Par exemple, à Eramet, le président n'avait pas la même vue que son actionnaire mais finalement une solution a été trouvée. De toute façon, que le consensus ait été plus ou moins rapide, l'orientation stratégique me semble avoir été chaque fois clairement définie.

En revanche, la mise en œuvre de cette orientation stratégique mériterait sans doute un certain nombre d'améliorations. Le problème n'est pas simplement celui des délais d'information, mais de la capacité que l'on a à être pleinement informé de ce qu'il y a vraiment dans les dossiers. L'asymétrie d'information à laquelle vous faisiez allusion est évidente et un peu inévitable. De toute façon, il y aura toujours davantage de personnes chargées de travailler sur les dossiers d'investissement au sein des entreprises que dans les structures de l'Etat actionnaire, quels que soient les renforcements d'effectifs que l'on peut faire. Il y a une asymétrie d'information simplement parce que le directeur financier de telle ou telle grande entreprise publique est un spécialiste des sujets qu'il a à traiter dix heures par jour, ce qui n'est pas nécessairement le cas de ceux qui représentent l'Etat et qui ont bien d'autres tâches à remplir.

On peut sans doute considérer, dans un certains cas, que le contrôle est trop tatillon et, dans le même temps, que l'Etat n'est pas suffisamment informé pour influer sur les points importants.

J'ai insisté dans mon propos liminaire sur la nécessité de clarifier ce qui relève ou non de l'actionnaire. Cela me paraît être le point crucial sur lequel il est nécessaire, quelle qu'en soit la forme, qu'un protocole soit établi.

M. le Président : Vous avez présidé le comité des investissements à caractère économique et social. Quel est, selon vous, l'intérêt présenté par cette procédure de contrôle des investissements ? Vous semble-t-il nécessaire de l'améliorer ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : On peut toujours l'améliorer, mais cela ne fonctionne pas si mal car c'est l'un des lieux où l'Etat est informé de façon assez détaillée sur les plans d'investissement, ce qui est moins le cas au niveau du ministre  pour les entreprises qui ne passent pas par cette procédure. Je trouve donc qu'au bout du compte, aussi lourde que soit cette procédure, les investissements qui sont ainsi autorisés ou non le sont généralement de façon informée. On peut évidemment améliorer la procédure, mais je la trouve plutôt pas mauvaise.

M. le Président : Selon M. Martin Vial que nous avons auditionné hier, il y a trois sortes d'entreprises publiques : les entreprises cotées, les entreprises opérant sur un marché concurrentiel et dotées de missions d'intérêt général et celles qui sont en situation de monopole, telles que la SNCF, la RATP ou ADP.

Concernant France Télécom, il me semble que, dans une certaine mesure, le seuil des 51 % l'a empêchée de jouer « dans la cour » des autres entreprises européennes. Vous avez fait partie des modernes qui ont souhaité ouvrir le capital des entreprises publiques. Est-il possible, selon vous, de coter toute entreprise publique ? Vous semble-t-il nécessaire de revoir ce seuil de 51 %, dès lors, bien sûr, que cela est politiquement et socialement possible ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : La règle des 51 % a été fixée par la loi de juillet 1996, par un autre gouvernement que celui auquel j'ai appartenu. Cette contrainte s'est donc imposée à nous et, d'ailleurs, le président de France Télécom ne nous a pas demandé de la modifier.

La formation politique à laquelle j'appartiens a une position très arrêtée sur cette question et juge qu'il n'est pas souhaitable, aujourd'hui en tout cas, d'envisager une ouverture du capital plus large des entreprises publiques. Pour ma part, j'ai émis une opinion différente, il y a de cela pas mal de temps et encore il y a un an et demi, et je ne peux pas me dédire. Je crois, en effet, que ce qui est important, c'est la distinction entre le service public et l'entreprise publique. La confusion générale entre ces deux notions conduit à une incompréhension dans notre pays.

Il est très important que soient maintenus des services publics puissants, avec tout ce que cela implique en termes d'universalité. Ces services peuvent être rendus par des entreprises publiques, ou, sous la forme de concessions, par des entreprises privées. En conséquence, le pourcentage du capital qui est détenu par l'Etat dans les entreprises qui assurent ces missions est un autre problème que celui du maintien du service public. Il peut être opportun, voire inévitable, d'avoir une entreprise qui soit à 100 % publique, je pense, par exemple, à la SNCF. Il peut également être dans l'intérêt de l'entreprise, des salariés, des usagers et pour des raisons de stratégie, notamment internationale, que le capital d'une entreprise ne soit plus entièrement détenu par l'Etat. Mais ceci est indépendant de la volonté, qui est un choix politique, de maintenir l'existence d'un service public.

Lorsque le gouvernement de M. Lionel Jospin a choisi d'ouvrir le capital de France Télécom, c'était exactement dans cette logique, comme il l'a indiqué dans son discours d'investiture à l'Assemblée nationale. France Télécom avait à l'époque une stratégie d'alliance avec Deutsche Telekom, laquelle nécessitait que l'Etat accepte de descendre sa participation en dessous de 100 % du capital de l'entreprise. Pour ma part, si j'ai un regret, c'est de ne pas avoir saisi cette occasion, à travers le rapport de M. Michel Delebarre de l'été 1997, pour réaffirmer dans le même temps, peut-être par voie parlementaire, les missions de service public que cette entreprise devait assumer.

Je pense que cela aurait été un équilibre plus satisfaisant et que la distinction entre ces deux préoccupations est absolument fondamentale afin de justifier ensuite les stratégies industrielles que l'on peut vouloir conduire.

M. le Rapporteur : J'ai bien compris que, pour vous, les salariés doivent être associés à la marche de l'entreprise, mais pas nécessairement à travers le conseil d'administration. Dans quel cadre, dans quelles conditions et selon quelles modalités envisagez-vous la participation des salariés et comment voyez-vous la configuration des conseils d'administration ? En particulier, que pensez-vous de la proposition du rapport de M. René Barbier de La Serre visant à réduire à douze le nombre de leurs membres ?

Ma seconde question concerne l'Agence des participations de l'Etat. Si je comprends bien, celle-ci aurait, selon vous, une double mission : exprimer et défendre les intérêts de l'Etat actionnaire et prendre en compte ses autres fonctions et, en particulier, celles de l'Etat stratège. Appartient-il bien, selon vous, à l'Agence d'assurer cette fonction d'arbitrage entre des intérêts qui peuvent être contraires, ce qui, me semble-t-il, relève en propre du gouvernement ?

M. le Président : Vous avez également jugé nécessaire de renforcer le rôle des comités spécialisés. Pouvez-vous nous préciser de quelle façon ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Ce qui a été mis en place par la loi DSP a constitué un progrès important car il était essentiel de donner corps à ce qui existe dans beaucoup d'autres pays depuis longtemps, c'est-à-dire la célèbre opposition entre shareholders et stakeholders. En d'autres termes les salariés sont une des parties prenantes de l'entreprise à côté des apporteurs de capitaux. Par conséquent, leur rôle et, à partir de là, leur information sont tout aussi nécessaires que ceux des membres des conseils. C'est ce que la loi DSP a voulu mettre en place.

A l'usage, il me semble que cela place les administrateurs salariés dans une position qui est souvent assez délicate et je me souviens de conversations que j'ai pu avoir avec certains d'entre eux, qui n'étaient pas toujours très demandeurs de cette situation.

On peut toutefois avoir les avantages de cette formule, à savoir l'information des salariés, sans ses inconvénients. Pour cela, il faut que des comités soient mis en place autour des conseils sur les rémunérations, les investissements et tout ce qui concerne la vie de l'entreprise, auxquels les salariés soient totalement associés et où toute l'information leur soit donnée.

Ensuite, il y a un organe particulier qui doit rassembler les actionnaires, c'est le conseil d'administration. Faut-il ramener le nombre de ses membres à douze ? Je vois bien les arguments du rapport Barbier de La Serre, mais cette question me paraît secondaire. Moins il y aura de membres, plus on garantira la confidentialité. D'un autre côté, il faudra que ce soit des administrateurs à plein temps, s'agissant en particulier des représentants de l'Etat.

Ce qui est important, davantage que le nombre des administrateurs, c'est qu'une liste de comités autour du conseil soit établie afin de faire circuler l'information et sortir les représentants des salariés de cette situation bizarre, où ils sont obligatoirement muets puisqu'ils ne peuvent pas diffuser l'information qu'ils reçoivent et se trouvent dans une situation légale qui peut être très difficile, alors même qu'ils ne sont pas actionnaires.

Concernant, d'autre part, l'Agence, je vois bien la question que vous posez. Bien sûr, cela choque notre culture issue de la révolution française qui voudrait qu'il n'y ait pas de choix politique qui soit fait en dehors du politique, mais cela fait bien longtemps que l'on fonctionne ainsi. Par exemple, lorsque le gouvernement ne sait pas très bien quelle position il doit prendre sur une question complexe, il interroge le Conseil d'Etat. Or, celui-ci n'est pas, que je sache, composé de politiques, même s'il y a de temps en temps des conseillers d'Etat qui viennent s'égarer dans la politique. Le Conseil n'est pas une instance politique, mais cela ne l'empêche pas de faire des arbitrages. De la même manière, l'Agence doit être capable d'assumer cette responsabilité. Il pourrait y avoir, en son sein, une sorte de commissaire du gouvernement qui l'informerait des positions des différents ministères ainsi qu'une instance délibérante dans laquelle on pourrait éventuellement introduire une certaine « dose de politique ». Les arbitrages se feraient donc dans un lieu unique, pérenne, à l'inverse des différents comités interministériels, qui sont des instances fluctuantes, déresponsabilisantes et qui ne conduisent pas toujours à l'arbitrage que l'on pourrait souhaiter.

Je ne vise pas, en disant cela, à écarter le politique, loin de là, mais je pense que ces décisions doivent se prendre dans des cadres organisés. L'Agence, de ce point de vue, constitue un premier pas, mais dans sa forme actuelle, elle n'inclut pas tous les ingrédients que je viens de décrire.

M. le Président : M. Marc Tessier, président de France Télévisions, nous disait que la reine d'Angleterre recrutait le président de la BBC en passant une annonce dans les journaux. Sans aller jusque là, ne serait-il pas temps pour notre pays d'envisager un mode de nomination des présidents des entreprises publiques un peu différent, en essayant d'élargir leur recrutement et en évitant les situations de consanguinité ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Il n'y a aucune raison de ne pas bénéficier de tous les conseils nécessaires pour choisir un président. D'ailleurs, quand j'ai pris mes fonctions, c'est la procédure qui a été suivie pour choisir le président de Bull.

La consanguinité est une des grandes maladies de notre système économico-politique. Ce serait à l'Agence, dans son rôle d'actionnaire, de veiller à éviter ces situations. Elle pourrait s'entourer des garanties nécessaires et faire appel - je ne sais pas s'il faut passer par les petites annonces - à toutes les compétences utiles, je n'y vois aucun inconvénient.

M. le Président : Par qui doit être nommé le directeur de l'Agence ? N'est-il pas trop compliqué de faire gérer toutes les participations de l'Etat par un même organisme ? Plusieurs membres de notre commission se sont demandé si l'on n'allait pas construire une sorte d'usine à gaz.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : L'usine à gaz existe : les nombreuses participations de l'Etat sont gérées tant bien que mal. On peut critiquer cette situation, même si globalement, à long terme, ce n'est pas si mal. De toute façon, la complexité est là et ce n'est pas parce que l'on regroupera ces participations que l'on aggravera la situation.

D'autre part, quand un ministre nomme un dirigeant, je ne suis pas absolument persuadé qu'ensuite ce dernier lui obéisse beaucoup. J'ai une proposition à faire en ce sens : il pourrait y avoir une procédure de type hearings du candidat présenté par le gouvernement devant l'Assemblée nationale afin de choisir la personne qui dirigera l'Agence. Evidemment, dans ces conditions, cette personne aurait ensuite à rendre compte à la représentation nationale.

Qu'est-ce qu'un ministre ? C'est le chef de l'administration. Là, il s'agit de quelque chose qui est un peu différent d'une administration. C'est le patrimoine des contribuables qui est en cause. Par conséquent, à un moment ou à un autre de la procédure, le fait que la représentation nationale ait à donner son sentiment sur la qualité des personnes amenées à diriger l'Agence non seulement ne me choque pas, mais me paraît recommandable.

M. le Président : M. Alphandéry a fait la même proposition que vous...

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Cette commission d'enquête s'est attachée, depuis le début de ses travaux, à essayer d'analyser les mécanismes et les procédures de décision des entreprises publiques, notamment en matière d'acquisition stratégiques. Nous avons eu l'occasion d'écouter les dirigeants de France Télécom, sur les opérations Mobilcom et NTL, et d'EDF, s'agissant des prises de participations en Argentine, au Brésil et en Italie.

Le 25 mars, M. Michel Bon a déclaré devant cette commission d'enquête qu'il considérait qu'une fois que le ministre était d'accord, le conseil n'avait aucune légitimité pour aller contre, car selon ses termes, « la messe était dite ».

Que pensez-vous de ces déclarations ?

M. le Président : Sachant qu'il a ajouté que les acquisitions de Mobilcom et de NTL n'étaient pas passées au conseil d'administration de l'entreprise...

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Vous avez également évoqué les moyens de contrôle de l'Etat actionnaire en indiquant que vous les estimiez dans certains cas insuffisants. Considérez-vous que les administrateurs représentant l'Etat, les commissaires du gouvernement, les contrôleurs d'Etat ainsi que le service des participations au Trésor ne constituent pas suffisamment d'organes de contrôle ? Et pourquoi, dans ce cas, n'ont-ils pas rempli le rôle qui devait être le leur ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Je ne vous parlerai pas de l'opération Mobilcom dont je n'ai pas eu à connaître, mais de NTL qui s'est, au moins dans la première partie, déroulée pendant que j'étais membre de ce gouvernement.

Je crois que Michel Bon a réalisé ces acquisitions, conformément à ce qui était dans ses pouvoirs et dans le cadre de la ligne stratégique que le gouvernement avait définie. Pour rappeler le contexte que vous connaissez, après sa rupture avec Deutsche Telekom au printemps 1999, France Télécom a été contrainte de redéfinir sa stratégie internationale. Face à l'ouverture à la concurrence et au fait que les opérateurs nationaux verraient petit à petit leurs parts de marché entamées, il fallait qu'elle puisse prendre pied sur des marchés voisins, en tout cas européens. Or, elle se trouvait en retard par rapport à beaucoup de ses grands concurrents. Que France Télécom se soit préoccupée assez rapidement de ce qu'elle pouvait encore faire pour ne pas être isolée, principalement au Royaume-Uni et en Allemagne, me paraît cohérent avec la stratégie qui avait été confiée à son président.

Le 16 juillet, France Télécom a annoncé un accord avec NTL de l'ordre d'un milliard de dollars puis, un peu plus tard, un accord final à 5,5 milliards de dollars, et ce n'est que le 26 juillet que, dans une lettre au directeur du Trésor, le Président de France Télécom a détaillé l'opération. De ce calendrier, on peut tirer la conclusion que le président a joué son rôle et j'ai cru comprendre qu'il en assumait très dignement et très correctement la responsabilité.

L'actionnaire, qui est l'Etat, aurait-il pu intervenir de façon plus précise ? Ce n'est pas tellement le nombre des missions de contrôle que vous évoquiez tout à l'heure qui est en cause, mais le fait de savoir si l'Etat est en situation de jouer son rôle d'actionnaire et dispose de toute l'information. La lettre du 26 juillet à laquelle je fais allusion commence par : « cette opération a dû être annoncée avant que je puisse vous en rendre compte ». Je pense, en effet, que le calendrier et les caractéristiques des marchés faisaient qu'il ne pouvait pas en être autrement. D'un autre côté, cela montre aussi la difficulté que peut avoir l'Etat actionnaire à prendre position sur une opération dont il n'a pas été rendu compte. Cette contradiction justifie les réformes que vous souhaitez proposer afin qu'en temps réel l'Etat puisse jouer son rôle d'actionnaire.

Il est clair cette opération a été conduite entièrement sous la direction de l'entreprise mais de façon tout à fait cohérente avec la stratégie qui lui avait été demandée et d'ailleurs saluée à l'époque unanimement par la presse. Il se trouve que, plus tard, elle a finalement mal tourné. Je pense, pour ma part, qu'il aurait fallu sortir de NTL en mai 2000, lorsque l'opération Orange a été signée, puisque l'objectif était de prendre pied sur le marché britannique et que NTL avait renoncé à candidater aux licences UMTS au Royaume-Uni. Il n'y avait donc plus de justification à cet investissement.

M. Xavier de ROUX : On tourne autour du même problème, celui des effets de l'ouverture à la concurrence de nos marchés sur le fonctionnement de nos entreprises publiques. Je crois que toutes les difficultés survenues ces dernières années viennent de là, et notamment des conditions d'accès aux marchés financiers afin de nourrir la croissance externe des entreprises publiques. Les entreprises publiques étaient contraintes de payer cash et, finalement, c'est l'un des problèmes majeurs qui s'est posé et qui continue à se poser, puisqu'on ne peut pas mobiliser tous les outils financiers d'une entreprise capitaliste classique.

N'est-on pas au croisement des chemins ? Dans la mesure où nous avions des entreprises publiques qui étaient là pour mener des missions de service public et qu'elles le faisaient bien, ne faut-il pas, dès lors, modifier entièrement la façon dont elles fonctionnent ? D'un côté, vous avez la mission de service public et, de l'autre, vous avez le profit.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : D'abord, la capacité de mobiliser toutes les finesses de l'ingénierie financière n'est pas étrangère aux entreprises publiques. La façon dont le gouvernement auquel j'appartenais a pu monter la fusion Aérospatiale/Matra puis EADS a fait l'objet d'une certaine sophistication, que le caractère public d'Aérospatiale n'a en rien entravé.

De ce point de vue, ce n'est donc pas le caractère public en soi qui pose problème, mais le fait, comme vous l'avez souligné, que certaines entreprises remplissent des missions de service public, ce qui n'était pas le cas d'Aérospatiale. C'est pourquoi je disais que ce qui me paraît primordial, c'est de bien distinguer les missions de service public, les contraintes qui sont imposées à l'entreprise à ce titre, ainsi que les sanctions attachées au non-respect de ces contraintes.

Là où je divergerais un peu, c'est que vous avez commencé en disant que tous les problèmes sont venus de l'ouverture à la concurrence. Je dirais au contraire qu'ils existaient avant mais étaient masqués par le fait qu'il n'y avait pas de concurrence. La gestion des entreprises publiques, lorsqu'elles étaient hors concurrence, pouvait en effet souffrir de quelques difficultés, mais on ne les voyait pas.

L'avantage de la concurrence, c'est de mettre le doigt sur les erreurs de gestion lorsqu'il y en a. A partir de là, il faut que l'on soit capable d'évoluer. Je ne considère pas que le fait d'avoir une part plus ou moins grande du capital qui soit publique gêne l'entreprise, à condition néanmoins que l'Etat soit capable de jouer son rôle d'actionnaire.

Je voudrais évoquer les exemples de la poste suédoise et de la poste allemande, qui me paraissent intéressants.

Celles-ci, tout comme La Poste française, étaient historiquement des opérateurs à 100 % publics. Puis, les suédois, qui ont pourtant une tradition peu libérale, se sont dit qu'il fallait peut-être ouvrir à la concurrence, faute de quoi la poste risquait de s'endormir un peu, privant de ce fait les usagers des innovations qu'elle pourrait apporter. Ils ont choisi une voie qui consistait à garder la poste à 100 % publique mais à ouvrir la concurrence sur le marché postal, moyennant quoi, pour affronter celle-ci, la poste suédoise a été amenée à fermer des agences perdues dans les forêts lointaines qui devaient avoir relativement peu de visites. La poste suédoise a donc finalement limité ou diminué le service rendu au public en fermant de nombreux points de contact.

La poste allemande à 100 % publique s'est trouvée dans la même situation, mais les allemands ont choisi une voie différente, c'est-à-dire l'ouverture de son capital afin de lui donner les moyens de se maintenir partout, conformément à la charte de service public que j'évoquais tout à l'heure. Aujourd'hui, vous avez des bureaux de poste dans toutes les collectivités territoriales allemandes. Certes, la poste n'est plus à 100 % publique, mais le service public est autrement mieux garanti qu'il ne l'est chez nos amis suédois.

De ces exemples, je tire simplement la conclusion que, encore une fois, ce qui est important c'est de se donner les moyens de garantir le service public et, par ailleurs, de faire fonctionner les entreprises au mieux, sachant qu'il n'y a pas nécessairement de contradiction entre ces objectifs si l'on sait bien distinguer les deux aspects du problème.

M. le Président : Le statut d'établissement public industriel et commercial vous paraît-il brider aujourd'hui le développement des entreprises publiques ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Oui, il y a certainement un peu de nettoyage à faire. D'abord, la terminologie fleure bon les années 50 et mérite sans doute quelques aménagements. Même si ce sont des établissements publics industriels et commerciaux, quand ils sont au contact de la concurrence, ce sont en fait des entreprises.

Autant je suis attaché à ce qu'un certain nombre d'entreprises conservent une part de capital public, parce que cela les protège contre les prédateurs extérieurs et permet à l'Etat de faire valoir un certain nombre d'objectifs comme ces missions de service public que j'évoquais, autant je pense qu'il est nécessaire que les structures évoluent de la façon la plus efficace possible.

M. Pierre DUCOUT : Tout d'abord, je voulais souligner ce que vous avez indiqué concernant la nécessité d'avoir des expériences dans le public et le privé pour les administrateurs représentant l'Etat, afin peut-être aussi de faciliter les passerelles. Pour le moment, nous n'en sommes pas là.

En vous auditionnant, nous avons à l'esprit l'évolution de l'organisation du ministère de l'économie et des finances au moment où le ministère de l'industrie était relativement indépendant. A cet égard, par rapport aux finalités stratégiques, patrimoniales et de service public dont vous avez parlé, de quelle façon envisagez-vous l'organisation et la complémentarité entre ces deux administrations afin de gérer au mieux les entreprises publiques?

Vous avez également évoqué l'évolution qui, je crois a été très positive, concernant l'ouverture du capital d'Aérospatiale et d'EADS. Il y a eu des décisions au niveau européen, que je ne peux que saluer puisque nous y avions participé.

M. le Président : Le maire de Toulouse également...

M. Pierre DUCOUT : En revanche, pensez-vous que nous avons les moyens de lutter efficacement contre la dictature du marché ou les contraintes venant des médias ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Pour avoir été ministre de l'industrie pendant deux ans et demi, j'ai acquis la conviction qu'il ne fallait pas que celui-ci soit indépendant du ministère des finances. Lorsque le Premier ministre, en 1997, a accepté la proposition de rattacher définitivement le ministère de l'industrie au ministère des finances, j'ai pensé que nous allions dans le bon sens. Je constate que cette réforme a été maintenue et je m'en réjouis. En effet, il est souhaitable, même si l'on peut concevoir différents niveaux d'organisation au sein du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, que tout ceci soit finalement dans la même main.

Le rôle du responsable gouvernemental en charge de l'industrie est très important, qu'il s'agisse des problèmes de régulation, qui sont plus nombreux aujourd'hui, ou encore des questions concernant les zones ou les secteurs en difficulté où des actions très précises doivent être menées. Il reste que la stratégie d'ensemble relève du premier responsable de la politique économique.

Y a-t-il, d'autre part, une incompatibilité entre missions de service public et profits ? Dès lors que l'on ouvre le capital d'une entreprise publique remplissant, pour partie au moins, une mission de service public, est-ce que le profit ne vient pas à ce point perturber le fonctionnement du service public qui le rend impossible ? Je pense que non. L'exemple le plus frappant est sans doute EDF. Je ne parle pas des débats récents sur ses investissements internationaux. Depuis la seconde guerre mondiale, EDF a été une entreprise dont personne ne dira qu'elle n'a pas formidablement rempli sa mission de service public et qui, dans le même temps, a dégagé des bénéfices considérables. Tout ministre des finances sait qu'il a trouvé, dans les résultats d'EDF, des ressources lui permettant d'équilibrer ses propres comptes. Il n'y a donc visiblement pas de contradiction.

Le problème est que ce qui est dégagé comme excédent par l'entreprise doit être défini à l'avance, dans une sorte de contrat, enfin que les actionnaires privés, l'Etat et EDF en soient informés. En clair, les résultats d'une entreprise publique, lorsqu'elle opère sur un marché concurrentiel, peuvent être tout à fait suffisants pour qu'un investisseur privé veuille participer à son capital sans que, pour autant, les dividendes qui lui sont versés ne mettent en péril les contraintes de service public, dont il doit avoir connaissance au préalable pour que tout ceci soit parfaitement transparent.

L'exemple d'EDF montre ainsi que l'on peut tout à fait remplir des missions de service public et dégager des bénéfices de façon suffisante pour pouvoir éventuellement, le cas échéant, attirer des actionnaires privés, et ce, d'autant plus qu'il existe, a contrario, de nombreuses entreprises privées dans lesquelles il n'y a pas ces contraintes, qui n'ont pas nécessairement rempli les espérances de leurs actionnaires. Le fait qu'il y ait un aléa dans le dividende que l'actionnaire peut recevoir ne me semble donc pas particulièrement lié à l'existence du service public.

M. Jean GAUBERT : Nous nous sommes beaucoup interrogés dans cette commission d'enquête sur la relation entre l'Etat et les entreprises publiques, et aussi parfois, sur le fonctionnement même de l'Etat.

Très souvent, j'ai eu le sentiment que le syndrome Crédit Lyonnais conduisait les services de Bercy en particulier à être excessivement prudents concernant les investissements à l'étranger des entreprises publiques. Tout compte fait, cette prudence habituelle et systématique n'a-t-elle pas nui à une bonne évaluation des risques de ces prises de participations, en conduisant parfois le ministre à ne pas entendre de la même façon ces appréciations ?

Régulièrement, l'Etat négocie des contrats de plan, d'entreprise ou de groupe avec des entreprises publiques. Puis, on constate du fait notamment des difficultés budgétaires de fin d'année, qu'il revient parfois sur les engagements pris, soit pour limiter les augmentations de tarifs, soit pour ponctionner davantage ces entreprises. Considérez-vous que, dans un contexte concurrentiel, tout cela est bien sain ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Sur le syndrome du fonctionnaire, vous devez avoir un peu raison et la malheureuse expérience du Crédit Lyonnais a sans doute conduit les fonctionnaires à vouloir se protéger. Nous saurons le 18 juin comment la partie judiciaire de cette affaire se terminera. Je retire de mon expérience au ministère de l'économie que jamais, à ma connaissance, un fonctionnaire ne s'est engagé dans une voie dont il aurait su que ce n'était pas celle que l'autorité politique souhaitait. Il n'avait pas obligatoirement d'instructions écrites précises, car, souvent, la situation ne remonte pas jusqu'au ministre. C'est donc le devoir des politiques d'accepter de dégager les fonctionnaires de toute responsabilité dans les situations graves. Je pense que, dans notre pays, sur d'autres sujets que je ne veux pas aborder maintenant qui concernent le cadre européen, notre position serait meilleure si nous avions pris ces responsabilités.

Du coup, que les fonctionnaires aient parfois le sentiment qu'il faut se couvrir, c'est malheureusement une machine infernale à laquelle on peut être confronté.

Là aussi, l'Agence, telle que je la conçois, pourrait permettre d'éviter ces difficultés car, du fait des règles de la gouvernance d'entreprise, il serait hors de question que son responsable cède à la moindre injonction du gouvernement, puisqu'il serait chargé de gérer ce qui appartient à la nation ce qui, pour lui, serait une contrainte et une légitimité prévalant sur toute autre.

Lorsqu'il y a déficit, il peut y avoir besoin de revenir sur le contrat. Cela se fait parfois, même si je ne l'ai pas vécu, dans le secret des cabinets. Il faut donc sortir de cette situation. Lorsque des protocoles auront été mis en place avec un chef d'entreprise qui aura été choisi selon les procédures que j'évoquais tout à l'heure, l'Agence sera chargée d'appliquer le contrat. On ne pourra pas revenir dessus. Le politique définit les orientations du contrat, mais l'Agence établit le contrat avec l'entreprise, qui échappe donc au gouvernement. Il est important que la confiance dans la parole de l'Etat soit réelle pour l'épargnant éventuel ou le contribuable qui n'est pas directement actionnaire de l'entreprise, mais, d'une manière ou d'une autre, propriétaire d'une partie de l'entreprise.

M. le Président : Qui nommerait, selon vous, le directeur de l'Agence ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Je suggère que le Parlement en décide, à partir des propositions du gouvernement.

M. Charles de COURSON : Pensez-vous que l'internationalisation des entreprises publiques soit compatible avec le maintien de leur caractère public et la possibilité de les contrôler par l'Etat ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : En quoi l'internationalisation changerait-elle quelque chose dans ce domaine ? Est-ce uniquement la complexité plus grande qu'elle induit que vous voulez souligner ?

M. Charles de COURSON : A partir du moment où une entreprise publique a des participations à l'étranger qui, progressivement, représentent 10, puis 20, 40, 50 ou 60 % du capital, peut-on maintenir son caractère public ? Est-il possible de les contrôler ? Vous avez évoqué le Crédit Lyonnais. On pourrait prendre beaucoup d'autres exemples, à partir du moment où il y a une internationalisation, quel peut être le rôle de l'actionnaire ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Je ne comprends pas. S'il s'agissait d'une entreprise privée qui s'internationalise, le problème serait identique pour tous ses actionnaires.

M. Charles de COURSON : Non, parce que le fait qu'elle soit la propriété de l'Etat empêche les contrôles à l'extérieur des frontières de la République. Par exemple, quand Renault était publique, est-ce que vous, ministre, vous pouviez aller voir ce qui se passe au sein de Renault Finances ? En d'autres termes, comment définir une stratégie à partir d'un Etat national pour une entreprise qui ne l'est plus ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Je comprends, mais je ne vois pas pourquoi l'Etat actionnaire se trouverait dans une situation plus difficile que n'importe quel autre actionnaire majoritaire dans une entreprise privée.

M. Charles de COURSON : Parce que l'Etat est lié à une Nation, pas les propriétaires d'une entreprise.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Certes, mais si un actionnaire majoritaire d'une entreprise est très préoccupé de savoir ce qui se passe dans un groupe à l'international, l'Etat actionnaire l'est tout autant, et pour quelle raisons ses moyens d'investigation et d'information seraient-ils inférieurs à celui-ci ?

M. Charles de COURSON : L'Etat, en tant que représentant des intérêts d'une Nation et propriétaire d'une entreprise qui n'a même plus la moitié de son chiffre d'affaires sur le territoire national, ne peut la contrôler. Comment envoyer des fonctionnaires en Suisse contrôler les filiales ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Vous me semblez avoir, M. de Courson, une vision extrêmement bureaucratique et stalinienne de ce qu'est l'entreprise. Le problème n'est pas d'envoyer des fonctionnaires contrôler l'entreprise, mais que l'Etat joue son rôle d'actionnaire.

Que l'Etat soit le représentant d'une Nation et que ses objectifs stratégiques ne soient pas nécessairement les mêmes que ceux d'un actionnaire privé, j'en suis d'accord, je le disais en commençant, mais il met en œuvre ses objectifs comme n'importe quel actionnaire.

M. Charles de COURSON : Quand la MGM est rachetée par une filiale aux Pays-Bas du Crédit Lyonnais et que l'Etat actionnaire ne le sait pas...

M. le Président : Le contrôle d'Etat ne peut pas sortir des frontières...

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Absolument ! Mais l'Etat actionnaire ne le sait ni plus ni moins que ne le saurait un actionnaire privé.

M. Charles de COURSON : Non.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Il n'y a aucune difficulté pour que l'Etat fasse appel à une banque d'affaires afin de savoir ce qui se passe dans une des filiales.

M. Charles de COURSON : Mais comment assurez-vous le contrôle d'une entreprise publique internationalisée ? En réalité, il vous échappe.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Si le dirigeant d'une entreprise veut avoir des renseignements sur ce que fait la sous-filiale de sa filiale, il peut envoyer quelqu'un de l'entreprise, de Lazard, de Rothschild ou d'ailleurs. Pourquoi l'Etat ne pourrait-il pas en faire autant ?

M. Charles de COURSON : L'avez-vous déjà fait quand vous avez été ministre ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Bien sûr que nous l'avons fait. Dans l'opération EADS, le sixième étage de Bercy a été occupé par 80 personnes des banques privées missionnées par l'Etat afin de négocier avec les allemands.

M. Charles de COURSON : Les travaux de notre commission d'enquête portent sur le contrôle de l'Etat. Je suis un ancien membre de la Cour des comptes, comme M. le Rapporteur, et j'estime qu'il s'agit là d'un vrai problème. On voit bien que les administrations et les ministres, quand bien même ils le voudraient, n'ont pas les moyens de contrôler les entreprises publiques à l'extérieur du périmètre national.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Si vous voulez dire qu'il faut autoriser les membres de la Cour des comptes ou des corps de contrôle à aller à l'étranger, j'en suis d'accord.

M. Charles de COURSON : Vous ne pouvez pas car il faudrait un accord international...

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Qu'à cela ne tienne, il y en a bien pour la police !

M. Charles de COURSON : D'accord, mais il faut le négocier !

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Si vous pensez que seuls les membres des corps de contrôle de l'Etat peuvent contrôler les participations de l'Etat et s'il faut passer par l'accord dont vous parlez, cela ne me paraît pas impossible.

Je ne veux pas penser que votre question soit corporatiste, mais je ne suis pas certain que seuls les membres des corps de contrôle de l'Etat soient aptes et donc doivent être habilités à contrôler les participations de l'Etat.

M. Charles de COURSON : Si vous mandatez une banque d'affaires en tant que ministre des finances, pour aller voir ce qui se passe à l'étranger, vous ne pouvez pas le faire sans passer par les dirigeants de l'entreprise publique française.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Comme si vous étiez un actionnaire privé...

M. Charles de COURSON : Si vous dépendez de la personne que vous voulez contrôler, c'est tout de même un peu gênant.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Comme, là encore, un actionnaire privé. Quelle est la différence ?

M. Charles de COURSON : Le fait que vous soyez une personne publique.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Certes, mais je ne comprends pas pourquoi les personnes qui sont à la tête de groupes extrêmement puissants auraient la possibilité de mandater un spécialiste à l'intérieur ou à l'extérieur de leur groupe, afin de savoir ce que fait sa filiale, par exemple, en Argentine, et en quoi l'Etat ne pourrait pas le faire...

M. Charles de COURSON : Parce que vous ne pouvez pas envoyer une mission de vos fonctionnaires contrôler la filiale en Argentine.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Vous enverrez alors une banque d'affaires.

M. le Président : Avez-vous d'autres questions ?

M. Charles de COURSON : Pensez-vous que le fait que les entreprises publiques ne déposent jamais leur bilan soit une bonne chose pour l'efficacité de leur gestion ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Les grandes entreprises privées ne déposent pas souvent leur bilan non plus, comme on l'a vu récemment. Néanmoins, vous avez raison de poser cette question. Le fonctionnement de l'économie de marché, c'est la vie et la mort des entreprises, et il peut tout à fait arriver qu'une entreprise ait à déposer son bilan. Dans la pratique, ce n'est pas exactement la même chose, mais il y a des entreprises publiques qui ont été amenées à être à ce point recapitalisées que cela équivaut en quelque sorte à un dépôt de bilan, même si la forme est un peu différente.

M. Charles de COURSON : Je n'en connais pas et la grande différence, c'est que l'on recapitalise aux frais du contribuable sans jamais faire plonger les créanciers.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Je pense par exemple à cette entreprise, dont M. Juppé disait qu'elle ne valait plus rien : Thomson. Au sens du droit de la faillite, le capital ayant été totalement absorbé par la dette, elle aurait dû déposer son bilan. De fait, il y a eu une recapitalisation de l'Etat. Il aurait pu y avoir deux temps, mais cela ne s'est pas fait. Faudrait-il que ce soit le cas ? Cela mérite discussion, car en réalité, c'était comme s'il y avait eu un dépôt de bilan et un appel à de nouveaux actionnaires. Quelle était la seconde partie de votre question ?

M. Charles de COURSON : L'absence de possibilité de déposer le bilan n'a-t-elle pas des conséquences sur l'efficacité de la gestion ? Quand vous êtes dos au mur, il est nécessaire de serrer les boulons, de restructurer l'entreprise. Ce n'est pas tout à fait la même chose que de se dire que, de toute façon, on ira voir le ministre des finances et on recapitalisera.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Je pense que c'est une vision qui valait sans doute il y a une vingtaine d'années mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Dans la plupart des entreprises du secteur industriel ou bancaire et qui opèrent sur un marché concurrentiel, le sentiment qu'il peut y avoir des plans de licenciement, que les dirigeants peuvent être renvoyés du jour au lendemain et que les banquiers peuvent perdre beaucoup d'argent n'est sans doute pas aussi accentué que s'il y avait une possibilité de déposer le bilan, vous avez raison sur le plan formel. Je ne vois cependant pas de situation récente où on aurait vu, soit des dirigeants d'une entreprise, soit des représentants de salariés s'en moquer et dire qu'il suffira d'aller voir le ministre et qu'il paiera...

On peut tout à fait concevoir que cette procédure existe. Je ne suis pas sûr que cela présente beaucoup d'avantages, mais on peut en effet réfléchir à la possibilité que les entreprises publiques, dans une situation donnée, soient mises en faillite.

M. Charles de COURSON : Que pensez-vous des règles actuelles de rémunération et d'intéressement des dirigeants d'entreprise publique ?

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Vous avez raison de faire une distinction entre rémunération et intéressement. Je pense que les règles de rémunération sont trop contraignantes et, de fait, elles sont violées. Je pense donc qu'il faudrait que nous ayons des règles de rémunération plus normales. Que le dirigeant d'une entreprise publique, à responsabilités équivalentes, se voit moins rémunéré que s'il était dans le secteur privé ne me paraît pas anormal. C'est en effet son choix, comme le font beaucoup d'autres, de travailler ou non dans le secteur privé. Cela ne me paraît donc pas anormal qu'il soit moins rémunéré, mais dans des proportions qui ne peuvent pas être celles que l'on connaît aujourd'hui. Lorsque le dirigeant d'une entreprise publique a la trentième, quarantième ou cinquantième rémunération de son entreprise, cela pose des problèmes de structures hiérarchiques que je trouve peu satisfaisants.

En revanche, je ne suis pas certain qu'il soit souhaitable que les règles d'intéressement aillent au-delà de celles qui s'appliquent à tous les salariés. En clair, si vous pensez notamment aux stocks options, je ne pense pas qu'il faille aller dans cette direction pour les entreprises publiques. Cela pourrait en effet donner lieu à des comportements de gestion qui ne seraient pas nécessairement conformes aux intérêts de l'Etat actionnaire.

En revanche, il serait envisageable que la rémunération du dirigeant comprenne une part variable et cela ne me paraît pas scandaleux parce que l'on peut très bien considérer que sa responsabilité passe aussi par sa rémunération. Pour résumer, celle-ci comprendrait une part fixe d'un niveau raisonnable, même s'il est sensiblement inférieur au secteur privé, une part variable en fonction des résultats, mais pas de part liée à la valorisation des titres.

M. Xavier de ROUX : Je partage très largement ce que vous avez dit, mais à banaliser à ce point l'entreprise publique, à la mettre en concurrence avec l'entreprise privée, à la faire tellement dépendre du marché et dès lors que, conformément aux règles de l'Union européenne, la gestion du service public peut être déléguée à n'importe quelle entreprise, on en arrive à se demander quel est le but et l'objet final des entreprises publiques.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : C'est précisément pour cette raison que, dans certains domaines, je ne préconise pas que l'Etat renonce à la propriété publique. Il y a des cas où cela est nécessaire à l'accomplissement des missions de service public.

En revanche, je ne vois pas d'obstacle à ce qu'il renonce à la propriété d'une entreprise lorsque celle-ci n'est pas nécessaire à l'exercice de la mission de service public. Dans ce cas, la seule réponse est de savoir si cela sert ou non une politique industrielle.

Pour reprendre l'exemple d'EADS, c'est parce que l'Etat était l'actionnaire d'Aérospatiale que l'ensemble du dispositif a pu se mettre en place, sinon jamais les actionnaires privés n'auraient réussi à avancer, comme malheureusement cela s'est vu dans beaucoup d'autres secteurs. L'Etat avait une vision stratégique à long terme et a été capable de la mettre en œuvre, d'abord au niveau national en réalisant la fusion Matra/Aérospatiale et, ensuite, avec nos partenaires de DASA. De ce point de vue, ce n'est plus au titre de la mission de service public que le caractère public du capital a été utile, mais au nom d'une stratégie industrielle, l'Etat ayant une vision plus longue que des investisseurs privés.

M. Xavier de ROUX : En d'autres termes, l'entreprise publique vous apparaît nécessaire dès lors qu'elle est l'outil d'une stratégie industrielle de l'Etat, comme EDF et l'énergie nucléaire, par exemple.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Absolument. D'ailleurs, cela a été peu souligné à l'époque, l'opération EADS, à travers la fusion Aérospatiale/MATRA, a conduit finalement, de fait, à une forme de nationalisation de MATRA. Ce gouvernement dont on dit qu'il a plus privatisé que ses prédécesseurs a aussi parfois nationalisé.

M. Charles de COURSON : Très peu de temps...

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Je remercie M. de Roux d'avoir évoqué la question de l'Etat stratège, car je pense en effet qu'il y a un intérêt pour l'Etat à détenir des participations significatives - qu'il s'agisse d'une minorité de blocage, ou d'une participation de plus de 50 % ou de 100 % - car cela permet aussi de mettre en oeuvre une stratégie.

Cela me permet de dire à M. de Courson qu'il ne faut pas apprécier cette situation du seul point de vue de la  Cour des comptes. Il est tout a fait possible, dans une entreprise publique, de s'entourer de conseils bancaires pour contrôler des opérations de croissance externe. Je peux témoigner, que lorsque je présidais la Caisse des dépôts, l'Etat actionnaire a contrôlé à chaque fois ce que nous avons fait en matière d'acquisitions internationales. Dans le domaine du transport collectif, par exemple, il a joué son rôle.

A force d'instruire je ne sais quel procès contre France Télécom ou EDF, j'estime que notre commission fait plutôt « plouf » en essayant de mettre en cause le rôle de l'Etat actionnaire et la façon de gérer ces entreprises. J'ai participé quasiment à toutes les réunions, et, avec un certain nombre de collègues, nous sommes un peu stupéfaits à la fois de la manière de poser les questions et du contenu précis et vérifié de ce qui est avancé par les dirigeants d'entreprise. A un moment, il faudra prendre acte de tout cela et avancer des propositions.

On voit bien, dans les entreprises privées, les préconisations qui ont été faites pour mieux contrôler la direction, faire vivre les conseils d'administration et promouvoir la montée en puissance des petits actionnaires dans les assemblées générales. Il s'agit d'une réelle évolution, même si ces recommandations n'ont pas été complètement suivies dans la loi qui vient d'être votée en première lecture à l'Assemblée. Tout cela est au cœur du débat.

Sur le problème de la gouvernance dans les entreprises publiques, il faudrait faire des propositions de cette nature si l'on veut sortir des procès.

M. Xavier de ROUX : Il y a quand même une enquête sur les fonds publics, cette commission ne tombe pas du ciel, la situation de France Télécom, par exemple...

M. le Président : Jusqu'à maintenant, les travaux de la commission d'enquête se sont parfaitement bien passés. M. Balligand, vous pouvez poursuivre.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Nous sommes un certain nombre à penser que la forme actuelle des conseils d'administration n'est pas nécessairement la plus pertinente par rapport à la question fondamentale du contrôle dans l'entreprise publique, non seulement des actionnaires mais également des dirigeants de l'entreprise.

En d'autres termes, ne faudrait-il pas avoir des conseils de surveillance d'un côté, qui auraient des fonctions de contrôle renforcées, et de l'autre, le management de l'entreprise qui serait confié à un directoire ? C'est là un vrai sujet d'interrogation et les avis sont assez divergents. J'aimerais donc avoir votre sentiment sur cette question.

Il pourrait, d'autre part, y avoir un chef de fil au niveau de l'Etat, qui pourrait être l'Agence bien évidemment. Lorsque l'on est entre la direction du Trésor et les directions techniques, je crois en effet qu'il faut, à un moment donné, que l'on sache qui prend la décision pour qu'il y ait une cohérence du point de vue de l'actionnaire Etat.

M. le Président : M. Balligand, ce n'est pas parce que l'on est poli avec les présidents des grandes entreprises publiques que cette commission d'enquête n'a pas enregistré de graves problèmes dont nous tirerons les conséquences. Des acquisitions de plusieurs milliards d'euros, dont certaines ne sont même pas passées en conseil d'administration, ont entraîné des déficits inouïs. Il y a évidemment des choses à faire. Vous estimez qu'acheter Mobilcom et NTL sans passer devant le conseil d'administration fait « plouf », pour moi, ce n'est pas le cas. Mais nous en reparlerons le moment venu.

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Très honnêtement, ce n'est pas bien de ne pas passer au conseil d'administration, mais cela l'aurait été, la situation n'aurait pas été très différente. Le problème est davantage en amont du conseil d'administration.

M. le Président : Tout à fait ! Mais, en même temps pour la gouvernance des entreprises publiques, c'est intéressant de le noter. C'est un peu comme le conseil des ministres...

M. Dominique STRAUSS-KAHN : Oui, c'est à peu près aussi utile. En revanche, j'attache plus d'importance au fait que soient mis en place les différents comités que j'évoquais, concernant les investissements, les rémunérations, la politique de ressources humaines et la protection sociale des salariés, les différents plans d'épargne retraite ou assimilés.

J'ai le sentiment qu'on aurait plus d'efficacité avec des conseils de surveillance. Mais, c'est très discutable parce que, dès lors que l'Agence choisit un responsable et lui donne une mission, qui va-t-elle choisir ? Le président du conseil de surveillance ? Cela n'a pas de sens. Le président du directoire ? Dans ce cas-là, à quoi sert le conseil de surveillance si l'Agence choisit directement le président du directoire ? Donc, en l'absence de l'Agence, on aurait pu concevoir, avec peut-être une certaine pertinence, la séparation des conseils en deux organes. Dès lors que l'Agence est créée et qu'elle dispose des missions telles que je les ai préconisées, on peut conserver la formule traditionnelle des conseils d'administration. En revanche, ce qui est absolument indispensable, c'est que l'on associe les différentes parties prenantes à l'ensemble des décisions qui les concernent et aujourd'hui, malgré certains efforts, il faut reconnaître que, dans les entreprises publiques, nous en sommes encore assez loin...

Audition de M. Louis GALLOIS
Président de la SNCF

(Extrait du procès-verbal de la séance du 3 juin 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président,
puis de M. Michel DIEFENBACHER, Rapporteur

M. Louis Gallois est introduit.

M. le Président : Le résultat net du groupe est en équilibre pour 2002, mais cet équilibre s'explique principalement par des cessions d'actifs et ne peut cacher les difficultés que connaît aujourd'hui la SNCF.

Je voudrais que nous évoquions avec vous, bien évidemment, la situation financière précise de l'entreprise, notamment ses engagements au titre de la dette ou du financement du régime spécial des retraites, mais aussi deux sujets qui, à coup sûr, détermineront en partie les évolutions de demain.

Premier thème : l'impact de la concurrence, qu'il s'agisse de la libéralisation du marché ferroviaire voulue par l'Union européenne ou de la progression des autres modes de transport. Incontestablement, la branche marchandises devra se moderniser - vous œuvrez en ce sens - pour faire face à la concurrence en cours ou à venir.

Deuxième thème : les charges de service public et les modalités de leur compensation. Je mentionnerai à ce titre l'activité des trains Corail, dont les lignes transversales sont quasiment toutes déficitaires.

Vous pourrez sans doute aussi dresser le bilan de la contractualisation des missions de service public suite à la régionalisation des services ferroviaires régionaux des voyageurs.

Nous aurons également des questions à vous poser sur la gouvernance de la SNCF, qu'il s'agisse de son fonctionnement interne ou des modalités du contrôle que l'Etat exerce sur l'entreprise.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Louis Gallois prête serment.

M. Louis GALLOIS : J'évoquerai la situation économique et financière de l'entreprise avant d'aborder les problèmes de gouvernance de la SNCF et, plus généralement, des entreprises publiques, la SNCF étant la troisième que je préside après avoir eu à assurer, au sein du ministère de l'industrie, la tutelle des entreprises nationales.

La SNCF, c'est d'abord un établissement public, ensuite un groupe. L'établissement public enregistre un chiffre d'affaires de 14,8 milliards d'euros, le groupe de 22,2 milliards d'euros. Les effectifs du premier s'élèvent à 180 000 personnes, à 240 000 pour le second.

Les résultats ont été d'abord très marqués par le désendettement de la SNCF en 1997, déchargée de 20,4 milliards d'euros au « bénéfice » de Réseau Ferré de France et de 3 milliards d'euros au « bénéfice » du service annexe d'amortissement de la dette, structure existante qui avait servi de structure de cantonnement lors d'un premier désendettement en 1992-1993.

A partir de 1997 et jusqu'en 2000, les comptes de l'entreprise se sont régulièrement améliorés, aussi bien en termes de résultats du groupe que de résultats de l'établissement public et tant en résultat net qu'en termes de résultat courant, notion qui recouvre à peu près le résultat d'exploitation.

A partir de 2001, le résultat courant de l'entreprise s'est à nouveau dégradé pour devenir déficitaire en 2001-2002. Il le sera très probablement en 2003. Les raisons de cette dégradation sont de deux ordres. Des éléments conjoncturels se conjuguent à des raisons de fond. La conjoncture est d'abord marquée par le retournement de la situation économique qui pèse sur tous les trafics de la SNCF, notamment sur les trafics fret. Je précise d'ailleurs qu'en 2001 et 2002, cette moindre progression des recettes s'est réalisée sans perte de marché, ce qui montre bien que c'est l'impact de la conjoncture qui a frappé la SNCF, ce qui n'est d'ailleurs pas du tout anormal. La SNCF ne passe pas au travers des gouttes de l'évolution de la conjoncture économique.

Le deuxième élément conjoncturel, c'est le poids des conflits. En mars-avril 2001, un conflit long du côté des agents de conduite s'est traduit par un coût global de l'ordre de 150 millions d'euros. Ce montant a pesé très directement sur les comptes de 2001, le résultat courant étant déficitaire de 176 millions d'euros. Une part essentielle du déficit de 2001 s'explique par ce conflit qui, d'ailleurs, a profondément marqué les clients fret dans des conditions qui ne sont pas totalement effacées.

L'année 2003 sera également une année où les grèves pèseront sur les comptes de l'entreprise. J'ai eu l'occasion d'indiquer qu'une grève nationale d'une journée coûtait 20 millions d'euros à la SNCF, nous en sommes aujourd'hui à la quatrième depuis le début de l'année. Ce soir, nous en serons au moins à 80 millions d'euros. Le compteur tourne de manière implacable. Nous sommes dans un domaine de services et les clients perdus un jour ne se retrouvent pas le lendemain. Nous ne pouvons pas non plus différer la livraison de notre produit qui se consomme au moment même où il est fabriqué.

Voilà les éléments conjoncturels qui expliquent le retournement de la courbe des résultats. Deux éléments externes et lourds ont également joué. « Externe » signifie que des décisions extérieures ont pesé sur les comptes de l'entreprise : d'une part, la mise en place des 35 heures, dont le coût net peut-être estimé dans une fourchette de 200 ou 250 millions d'euros, soit environ 7 000 agents ; d'autre part, l'augmentation des péages qui, si elle n'est pas contestable dans son principe, explique néanmoins une partie de la dégradation des résultats. En effet, hors TGV Méditerranée qui a apporté péages et recettes, les péages sont passés de 946 millions d'euros en 1998 à 1,364 milliard d'euros en 2002. Ces données sont en net dans les comptes de la SNCF, car je rappelle qu'une partie des péages est supportée à travers les conventions régionales ou la convention Ile-de-France par les autorités organisatrices. Ainsi, en cinq ans, l'augmentation a-t-elle été de 418 millions d'euros.

Je me permets de faire un calcul sans doute contestable ; mais ces deux éléments pèsent au total de l'ordre de 650 millions d'euros si l'on souhaite comparer 2002 à 1998 alors que le résultat courant s'est dégradé de 250 millions d'euros. On peut donc considérer que, hormis ces éléments externes, les comptes de l'entreprise se sont améliorés de 400 millions d'euros en dépit du fait que 1998 était marquée par une conjoncture favorable et 2002 par une conjoncture particulièrement difficile pour la SNCF.

La dette à la charge de la SNCF, de l'ordre de 7,5 milliards d'euros, est restée stable depuis 1997. Nous avons terminé l'année 2002 à 7,1 milliards. J'ai indiqué à l'entreprise que 7,5 milliards d'euros étaient un plafond qui ne devait pas être dépassé. Il est déjà très limite puisque les fonds propres de l'entreprise s'élèvent à environ 4,2 milliards d'euros. Cette dette n'est actuellement supportable que du fait de taux d'intérêt relativement bas.

Que faisons-nous pour améliorer les comptes de l'entreprise ? Evidemment, nous ne pouvons nous satisfaire de comptes de résultats courants déficitaires même si le résultat net de la SNCF a été positif en 2002 pour des raisons par vous évoquées, M. le Président : des plus-values sur comptes d'actifs qui ne peuvent se renouveler éternellement.

Nous menons d'abord une action sur les coûts. L'amélioration des comptes de l'entreprise, que je mentionnais de 1997 à 2000, celle de 400 millions que j'évoquais de 1998 à 2002, hors les éléments externes, est essentiellement due à l'accroissement des recettes et insuffisamment à la maîtrise des coûts. La SNCF a besoin de travailler en ce domaine.

Nous avons donc lancé dix chantiers d'efficacité qui portent sur des éléments divers :

- la productivité des personnels ;

- le coût des achats - à volume constant d'achat, nous devons acheter moins cher ;

- la disponibilité des matériels - nous avons amélioré celle des locomotives qui nous a permis, toutes choses égales par ailleurs, d'économiser l'achat de plus de cent locomotives, autrement dit lorsque nous sommes capables de mobiliser les vendredis et les samedis 101 rames de TGV sur le réseau atlantique sur 104 existantes, cela signifie que nous sommes capables d'économiser 2, 3 ou 4 rames par rapport à une situation où nous n'aurions pas modifié nos processus de maintenance.

- la productivité du matériel : nos locomotives font trop souvent les 35 heures, parfois moins. Le matériel doit tourner plus qu'il ne tourne.

- Le coût de distribution est extrêmement variable selon les réseaux. Un seul exemple : le coût de distribution d'un billet grande ligne au guichet est de l'ordre de 18 % du coût du billet ; le coût de distribution du même billet sur Internet avec livraison à domicile revient à 3 %. Il ne s'agit pas de supprimer la distribution de billets dans les gares, car notre clientèle la souhaite, mais il faut aussi savoir que lorsque nous déplaçons 1 ou 2 % de vente des guichets vers Internet, nous réalisons des économies.

- Le besoin de fonds de roulement, c'est-à-dire le besoin de trésorerie nécessaire pour assurer le fonctionnement de l'entreprise, doit être réduit. Nous avons beaucoup travaillé sur les stocks, sur les créances « clients ».

- Les coûts de structures nationales et régionales. L'entreprise a des directions nationales nombreuses, des directions régionales tout autant. Comment peuvent-elles être plus productives, plus efficaces ?

Autant de chantiers aujourd'hui calibrés impliquant des responsables de projets, des objectifs, des calendriers, des suivis, qui doivent nous permettre d'abaisser « le point mort » de la SNCF.

Nous avons parallèlement à traiter nos deux grands foyers de perte : le fret et les trains Corail. Sur le fret, nous avons perdu de l'ordre de 380 millions d'euros l'an dernier en résultats d'exploitation pour un chiffre d'affaires d'environ 2 milliards d'euros, ce qui est insupportable pour l'entreprise. Nous devons à la fois œuvrer sur la qualité de la production, jugée par beaucoup de nos clients comme insuffisante, et sur l'économie du fret ; ensuite, améliorer la productivité des moyens mis en œuvre, industrialiser les processus et travailler sur le plan marketing avec nos clients pour proposer des gammes de tarifs mieux adaptés aux différents services que nous rendons, afin d'optimiser les recettes.

Sur les trains Corail, les pertes s'établissent à environ 200 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 950 millions d'euros. La situation est fortement dégradée avec une grande divergence entre des liaisons radiales Paris-Clermont, Paris-Strasbourg, Paris-Le Havre, qui trouvent leur équilibre, voire dégagent des bénéfices, et des liaisons transversales, des trains de nuit, qui sont des foyers de perte extrêmement importants. Même si parfois des solutions peuvent être communes, nous devons approcher différemment ces trafics.

Sur les liaisons commerciales radiales, nous avons à donner au Corail tout son dynamisme. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons présenté les rénovations de rames qui font que les nouveaux trains Corail seront plus confortables que le TGV. Elles seront mises en service sur Paris-Clermont à partir du mois de septembre. Elles sont d'ailleurs exposées sur les Champs-Elysées dans le cadre de l'exposition « Le train capitale ». Nous avons relancé, modernisé et amélioré la qualité de service d'un certain nombre de trains de nuit à fort potentiel. Nous avons relancé des campagnes de publicité sur le Corail, ce que nous n'avions pas fait depuis vingt-cinq ans... En même temps, nous avons à traiter des liaisons structurellement déficitaires, ce qui suppose inévitablement un débat avec les collectivités publiques. Ces trains Corail déficitaires assument des missions d'aménagement du territoire dont la charge ne peut être supportée éternellement par la SNCF qui n'a plus la capacité de péréquation entre les différents trafics. Il ne faut pas se faire d'illusions : le TGV supporte des péages considérables, ce qui n'est pas anormal, de près de 30 % de son chiffre d'affaires. Il doit assurer son propre renouvellement de matériel et n'a plus les capacités de financer les autres trafics.

Quant aux activités de service public, elles ne peuvent supporter des péréquations au profit du train Corail ou du fret, parce que les collectivités publiques qui supportent la charge du déficit de ces activités de service public ne l'accepteraient pas.

Nous avons engagé, avec les régions et l'Etat, des débats sur les liaisons Corail structurellement déficitaires.

J'évoque d'un mot la problématique des autres trafics ou autres activités de la SNCF qui, eux, se portent bien. Le TGV a un très fort dynamisme. Même si les TGV internationaux souffrent beaucoup actuellement de la crise économique en Europe, ce sont des produits au très fort potentiel, qu'il appartient à la SNCF de valoriser. Je mettrai toutefois un bémol : les nouvelles lignes TGV mises en service sont moins rentables que les précédentes. C'est d'ailleurs pourquoi on les met en service plus tard. Nous avons, d'une certaine manière, mangé notre pain blanc. Les lignes TGV à venir seront plus difficiles à exploiter.

Sur le TER et l'Ile-de-France, les activités sont contractualisées dans des conditions qui me paraissent saines, même si nous aurons toujours un débat, puisqu'il s'agit de partager des financements. Nous savons en effet qui est responsable de quoi : la SNCF est responsable de l'exécution du service qui lui est demandé par la région, elle est responsable de la qualité de ce service. Dès lors qu'elle a présenté un devis, elle est au forfait. La région assume sa responsabilité d'autorité organisatrice, indique les dessertes qu'elle souhaite, fixe les standards de qualité et assure le financement tel que présenté par la SNCF : nous sommes au forfait sur les dépenses et nous partageons les gains et les risques sur les recettes. Dans la mesure où la collectivité territoriale intervient sur les tarifs, il est normal qu'elle soit, d'une certaine manière, responsable des recettes.

S'agissant de l'infrastructure, l'activité est très importante. Le fait que nous travaillions pour le compte de RFF, soit pour l'entretien et la maintenance du réseau ou sa gestion quotidienne, soit parce que nous sommes un prestataire de services pour les investissements, fait ressortir un chiffre d'affaires de l'ordre de 3,5 milliards d'euros, ce qui est considérable. Nous sommes en débat avec RFF sur les questions de financement et d'évaluation des coûts ; j'y reviendrai d'un mot, parce que l'équilibre des relations avec elle est décisif pour la SNCF.

La création de RFF s'est traduite par un désendettement massif de la SNCF qui l'a sauvée. L'établissement public SNCF a dégagé en 1996 2,5 milliards de pertes, c'est dire qu'elle était en situation de quasi-faillite. Le désendettement a ramené cette perte à 150 millions d'euros environ, qui ont été progressivement résorbés, puisque nous étions bénéficiaires en 2000. Cet élément est essentiel.

Deuxièmement, une clarification des rôles est intervenue entre Réseau Ferré de France, propriétaire et gestionnaire en titre de l'infrastructure, garant de son développement, et la SNCF qui exerce la responsabilité de gestionnaire délégué de l'infrastructure pour le compte de RFF dans le cadre d'une prestation de service. Elle a des activités de prestataire de service vis-à-vis de RFF, qui fait circuler les trains. Nous sommes aujourd'hui le premier et le seul client actuellement - cela ne durera pas - de RFF. Nous payons des péages à hauteur de 2 milliards d'euros. En même temps, nous sommes le principal fournisseur de RFF qui nous verse, au titre de la convention de gestion, 2,5 milliards d'euros et pour lequel nous effectuons des prestations d'ingénierie et de maîtrise d'ouvrage déléguée à hauteur de 750 millions d'euros. Ces relations sont difficiles, comme toujours quand il y a une situation de monopole chez le client et le fournisseur, chacun soupçonnant l'autre de ne pas lui appliquer les meilleures règles, mais il en va ainsi de la vie et c'est un obstacle que nous surmontons ! Le problème majeur reste la situation financière extrêmement précaire de RFF. Ce n'est pas un élément immédiat de coût pour la SNCF, mais d'instabilité et d'imprévisibilité pour l'ensemble du système ferroviaire. On ne pourra rester éternellement dans une situation où RFF, avec 25 milliards d'euros de dettes, est incapable d'équilibrer ses comptes et doit faire appel, soit à l'Etat, soit à la SNCF. C'est une bagarre ouverte entre l'Etat et la SNCF pour savoir qui doit couvrir le déficit de RFF.

L'élément d'instabilité et d'imprévisibilité dans le système ferroviaire est dû au fait que la situation financière de RFF n'a pas été encore traitée de manière pérenne.

Sur les modalités de pilotage de la SNCF, comment nous gérons-nous en interne ?

Le comité exécutif est centré sur le pilotage par activité. Les activités fret, TER, Ile-de-France, grandes lignes, voyages France-Europe... doivent prendre leur identité, de plus en plus fortement, disposer de plus en plus de leurs moyens. La SNCF n'est toutefois pas un holding. Il faut donc une structure de cohérence globale, technique et financière et sous son autorité. C'est ce que nous avons créé avec la réforme du COMEX, mise en place depuis le 1er mai, avec un directeur général exécutif, chargé de cette cohérence globale, technique et financière, et sous son autorité, un directeur des opérations industrielles chargé de la cohérence de l'utilisation des moyens techniques communs. Ses trains circulent, quels que soient les trafics, sur les mêmes voies, les agents de conduite et, pour partie, les locomotives sont communs à plusieurs activités. Les directeurs régionaux, toujours sous l'autorité du directeur général exécutif, assurent, eux, la cohérence géographique de la SNCF.

Sur le plan du contrôle interne, un contrôle de sécurité fonctionne. La SNCF est vraisemblablement, en ce domaine, l'une des entreprises les mieux gréées du monde sur la manière de gérer son système de sécurité. La chaîne de sécurité en place est extrêmement fiabilisée et le système d'audit de sécurité très étroit.

Par ailleurs, une structure de contrôle des marchés de la SNCF rapporte à la commission des marchés du conseil d'administration. Il existe un audit comptable que nous sommes en train de fusionner avec l'audit groupe. Celui-ci fonctionne de manière professionnalisée. Enfin, un contrôle général a été instauré après les malversations notées sur le TGV nord qui a pour but de s'assurer que les cheminots et la SNCF fonctionnent dans des conditions de déontologie, pour employer un terme large, qui respectent la loi et l'honnêteté.

Le conseil d'administration compte dix-huit membres, six élus, sept représentants de l'Etat, dont le président - particularité de la SNCF : le président est sur le contingent de l'Etat - et cinq personnalités qualifiées : deux élus, un représentant des voyageurs, un représentant du fret et une autre personnalité qualifiée qui est actuellement le Président des chemins de fer suisses. Tous les marchés supérieurs à 16 millions d'euros passent devant le conseil d'administration.

Des commissions sont issues du conseil d'administration : une commission des marchés, du financement et du plan, du groupe, des audits, de la régionalisation.

La présence des administrateurs salariés, dans une entreprise de main-d'œuvre ayant la culture et l'histoire de la SNCF, me paraît indispensable. Ces administrateurs salariés ont accompli jusqu'à présent leur travail, qui n'est pas facile, de façon remarquable : ils doivent éviter de reproduire ce qui se passe au comité central d'entreprise, éviter la seule expression par discours écrits sur les questions du conseil, parce qu'un conseil fonctionne de manière plus spontanée et implique davantage d'interactivité entre les administrateurs. En outre, étant élus, ils doivent rendre compte de leur mandat. Or, ils sont soumis à la confidentialité des travaux du conseil. Jusqu'à présent, cet équilibre a été respecté.

Les personnalités qualifiées sont parfois représentantes de l'extérieur, ce qui est un atout, mais, comme tout membre du conseil d'administration, elles doivent faire preuve d'affectio societatis, c'est-à-dire être partie prenante de la vie de l'entreprise. Je n'ai pas de remarque particulière à faire maintenant, mais j'ai pu constater dans le passé que ce n'était pas toujours simple.

Les représentants de l'Etat sont ceux qui ont les plus grandes difficultés. Soit ils sont représentants d'administrations ayant peu de liens avec la SNCF et ont peu de chose à dire ; soit ils sont représentants du ministère de tutelle, de l'équipement ou encore des finances. Ils sont alors partagés entre la défense des intérêts de leur ministère et des intérêts dont leur ministère a la charge et ceux de la SNCF, autrement dit, il est très difficile qu'ils fonctionnent sur la base de l'affectio societatis d'un conseil d'administration dont le rôle consiste à promouvoir l'objet social de l'entreprise.

En dehors des commissaires aux comptes, nous avons affaire en externe à la batterie traditionnelle de contrôle : mission de contrôle (contrôle d'Etat), cour des comptes, inspection générale des finances, conseil général des Ponts, commissions au Parlement...

Nous présentons trois particularités qui méritent débat.

Nos investissements sont examinés par le comité des investissements économiques et sociaux, ancien FDES, qui les étudie dans un niveau de détail que je trouve anormal et qui peut mener à une certaine déresponsabilisation de la direction de l'entreprise. Que l'enveloppe des investissements puisse faire l'objet d'une discussion avec l'actionnaire me paraît légitime, que nous ayons des contraintes sur l'endettement de l'entreprise, j'en suis d'accord, mais lorsque l'on discute hors la présence de l'entreprise en conseil de direction du CIES pour savoir s'il faut ou non acheter des locomotives fret, j'estime qu'il y a une confusion des genres.

Deuxièmement, nous sommes soumis à une commission interministérielle de contrôle des salaires. Le débat sur les salaires a toujours eu lieu avec la puissance publique. Nous nous demandons si cette commission n'a pas un effet redondant !

Enfin - mais à ce titre des progrès ont été accomplis - nos tarifs doivent faire l'objet d'un aval des autorités de tutelle, ce qui n'est pas anormal, puisque nous sommes considérés comme un monopole, mais il faut savoir qu'il n'est réel que sur les missions de service public. Dès lors que l'on est confronté à des sociétés low cost, on n'est plus en situation de monopole. Il faut voir comment les parts de marché évoluent au cours de l'année entre les compagnies low cost et la SNCF. Progressivement, à mesure que la concurrence progressera, nous serons en situation de compétition, voire dominés sur l'essentiel de nos marchés. Je pense qu'une autonomie sur le plan tarifaire devra intervenir. Elle n'est pas actuellement réalisée de manière formelle, mais actuellement le dialogue avec l'Etat sur les tarifs se déroule sans difficulté.

M. le Président : Nous avons reçu des présidents et des directeurs financiers, des commissaires aux comptes, des représentants du gouvernement. Certains présidents d'entreprise publique estiment - un ministre des finances récent l'estime également - que la représentation des salariés peut être à l'origine de difficultés au sein du conseil d'administration. Ils estiment normal qu'ils participent à différents comités, différentes commissions, mais faut-il vraiment qu'ils siègent au conseil d'administration, notamment ceux des entreprises cotées ?

Deuxièmement, certains disent que le problème de la confidentialité ne se pose que pour certains syndicats qui sont les plus récents, en l'occurrence Sud puisque ce nom a été évoqué publiquement devant notre commission. Dans certains conseils d'administration d'entreprises publiques, les dirigeants hésitent à évoquer certains points devant les salariés, parce qu'ils savent que s'ensuivra une conférence de presse avec pour résultat, par exemple, que l'achat de Mobilcom et de NTL à hauteur de 20 milliards d'euros s'est réalisé sans passer devant le conseil d'administration. Qu'en pensez-vous ?

Le conseil d'administration de la SNCF s'est doté d'un comité d'audit, mais non d'un comité de la stratégie, non plus d'un comité des rémunérations. Pouvez-vous nous en préciser les raisons ?

Troisièmement, vous l'avez dit, la représentation de l'Etat au sein des conseils d'administration n'est pas assurée de manière cohérente, quelle est la solution ?

M. Louis GALLOIS : J'ai été moins vif, M. le président, dans mon expression !

M. le Président : Ne serait-ce là qu'une impression ? Mais, je vous rassure, dans le cas contraire, vous ne seriez pas le premier à nous le dire !

L'Etat fait-il son travail ? C'est une affaire importante. Existe-t-il une liaison directe entre un ministre et le président d'une entreprise publique qui obère tout un système, ce qui est arrivé par le passé, ou sentez-vous que les représentants de l'Etat qui arrivent au conseil d'administration sont parfaitement formés et maîtrisent le sujet ?

Quatrièmement, avez-vous des propositions à formuler, afin d'améliorer le rôle ou la composition des conseils d'administration des entreprises publiques ?

M. Louis GALLOIS : J'en viens à la représentation des salariés. Je siège au conseil d'administration de Thalès, entreprise privée, où les salariés sont présents. Ils le sont également au comité de stratégie. Je ne pense pas que cela nuise aux travaux du conseil. Il faudrait, pour le savoir, interroger le président Denis Ranque. Je pense, pour ma part, que cela facilite le lien entre la stratégie d'entreprise et le corps social. Pour la SNCF, la situation est totalement différente : elle n'est pas cotée. En outre, elle montre tous les jours ses spécificités, aujourd'hui même d'ailleurs... Je pense que la représentation des salariés au conseil d'administration est indispensable. A défaut, le conseil d'administration serait mal informé, au moins de l'état d'esprit des organisations syndicales. Or, cet état d'esprit est extrêmement important pour la gestion de l'entreprise. J'estime que si nous supprimions cette représentation, nous risquerions d'accentuer la coupure entre la direction, le conseil d'administration et le corps social qui trouve dans ses six représentants une expression de lui-même.

M. le Président : Il est d'évidence que les salariés, dans une entreprise, jouent un rôle fondamental.

Mais dans les entreprises publiques en général, ne pensez-vous pas que le conseil d'administration est fait pour débattre de la stratégie, et que, en parallèle, peuvent exister d'autres structures internes où les salariés peuvent s'exprimer davantage et où d'ailleurs ils sont plus à l'aise ?

M. Hervé MARITON : Discute-t-on de ce que l'on évitera d'évoquer au conseil d'administration ?

M. Louis GALLOIS : Les questions que vous soulevez sont de vraies questions. Elles ne font pas l'objet d'une réponse unique. Le problème tient dans l'obligation pour l'Etat d'arrêter une attitude unique. Il ne peut avoir cinquante pratiques différentes. Je ne veux pas parler des entreprises que je ne connais pas. J'ai siégé dans des entreprises de souveraineté, la Snecma, l'Aérospatiale, et dans des entreprises très anciennement publiques, aux traditions ancrées. Je siège au conseil d'administration d'AEDS, où ne siègent pas les représentants du personnel. Ce sont deux étapes différentes de la vie de l'entreprise. On peut concevoir que des entreprises soient dotées de caractéristiques spécifiques, notamment historiques, qui nécessitent la présence des représentants du personnel ; d'autres pour lesquelles la question peut se poser.

Dès lors que les personnels respectent les règles du jeu, je considère leur présence comme un plus. Ils sont présents dans des comités de rémunérations où l'on discute de salaires équivalents à cinquante fois ceux du personnel le moins payé de l'entreprise et où ils acceptent que la discussion ait lieu. Le niveau de maturité des personnels ne peut s'élever que si nous les plaçons dans des situations qui permettront précisément qu'il s'élève. On cite souvent le système allemand comme l'exemple de référence, car dans les conseils de surveillance allemands, la représentation du monde du travail est à peu près égale à celle des représentants des actionnaires, ce qui ne nuit nullement à la cohésion sociale, au contraire. Si nous voulons amener les partenaires sociaux à entrer dans la discussion stratégique, il faut qu'ils soient à l'endroit où elle se noue, autrement dit le conseil d'administration, non uniquement dans des cénacles où « on les informe de ».

Telle est mon opinion personnelle, mais je puis comprendre d'autres points de vue, car le débat n'est pas facile.

Vous avez évoqué la présence de certaines organisations syndicales. Depuis le mois de mars, l'entreprise compte une représentante de l'organisation syndicale que vous avez citée dans mon conseil. Jusqu'à présent, elle fait part dans ses comptes-rendus de son expression au conseil d'administration ; mais pas celle des autres. Et lorsque je demande qu'un point ne soit pas évoqué, elle respecte la consigne.

Vous avez évoqué les comités : nous avons un comité d'audit, non un comité de la stratégie. Dans la mesure où nous comptons un comité régionalisation, un comité finances et plan, une commission des marchés extrêmement importante, je n'ai pas ressenti, jusqu'à présent, le besoin d'en créer un ; mais je n'exclus pas de simplifier le système des commissions nombreuses à la SNCF, et de le créer.

Quant au comité des rémunérations, ses jours de travail seraient peu nombreux à la SNCF, puisque la rémunération du Président est fixée par la direction du budget dans des conditions que, du reste, j'ignore. Quant aux autres rémunérations, elles s'étalonnent par rapport à celle du Président en plus ou en moins. Il est normal que certains gagnent plus que moi, sinon je n'arriverai pas à les recruter !

La représentation de l'Etat. A la SNCF où dans les autres entreprises publiques que j'ai présidées, je n'ai eu ni la tentation ni la possibilité de court-circuiter mon conseil d'administration en obtenant directement chez le ministre des décisions qui n'auraient pas été débattues. Actuellement, les procédures sont très claires. Toutes les positions de l'Etat sont exprimées par le commissaire du Gouvernement au conseil d'administration. Cela, toutefois, ne résout pas le problème soulevé plus avant : si le directeur du budget ou le chef de service du Trésor siège au conseil, il est normal qu'ils défendent « leurs intérêts ». Ils font des efforts personnels importants pour se mettre dans la situation d'un véritable administrateur, mais c'est là un administrateur d'une nature un peu spécifique qui ne participe guère totalement à l'affectio societatis dans la poursuite de l'objet social de l'entreprise dans les meilleures conditions.

J'en viens aux propositions relatives au conseil d'administration.

Certaines propositions du rapport Barbier de La Serre me semblent pouvoir être mises en œuvre : la création de l'Agence des participations de l'Etat apparaît comme un plus. Il faut qu'elle se démarque nettement d'un service de la direction du Trésor, qu'elle prenne son essor et qu'elle ait une déontologie de fer. Elle doit impliquer que les représentants de l'Agence des participations de l'Etat siègent en tant que représentants d'un actionnaire ayant intérêt au développement et aux résultats de l'entreprise dont il a la responsabilité.

M. le Président : Tel n'est pas le cas aujourd'hui ?

M. Louis GALLOIS : C'est inégalement et difficilement le cas aujourd'hui.

M. le Président : Le directeur de l'Agence sera nommé par le ministre ; dès lors, quelle différence avec le service des participations du Trésor ?

M. Louis GALLOIS : Il faut que cette Agence trouve des formes d'autonomie et applique une règle de fer contre vents et marées, en capacité de résistance vis-à-vis du cabinet et des services du ministère des finances.

M. le Président : C'est notre avis, mais si le directeur est nommé par un ministre, il lui est difficile d'être indépendant.

M. Louis GALLOIS : Ce n'est évidemment pas le directeur général de la Caisse des dépôts. Je ne suis pas pour la multiplication des corps indépendants ne rendant des comptes à personne. La République est tout de même unique.

M. le Président : Nous pensons globalement ainsi.

M. Louis GALLOIS : Je crois que cette Agence doit pouvoir recevoir des orientations sur la stratégie que l'Etat souhaite mener en qualité d'actionnaire. L'Agence est là pour les mettre en œuvre dans des conditions strictes, faute de quoi on rebasculera dans les pratiques anciennes.

Nous avons un ministère de tutelle, celui des transports, qui compte sur la  SNCF pour mettre en œuvre ses propres stratégies.

M. le Président : Marc Tessier, président de France Télévisions, à la question « Que pensez-vous des modes de nomination à la tête des entreprises publiques ? », a répondu qu'en Angleterre, la Reine faisait passer sur tous les journaux une petite annonce ainsi libellée : « Reine d'Angleterre cherche Président de la BBC. »

Dix mille personnes envoient un CV et un comité chasseur de têtes procède à la sélection. En France - en période de crise le plus souvent - un Gouvernement remercie un Président et en nomme un autre. Quand cela tombe bien, tant mieux, quand cela tombe mal, tant pis ! On peut trouver la procédure légère. N'y a-t-il pas, tout en laissant le politique choisir, une procédure que nous pourrions mettre en place ? Le Parlement pourrait jouer un rôle ; qu'en pensez-vous ?

M. Louis GALLOIS : Je suis assez d'accord sur un changement procédure, dès lors que le dernier mot resterait à l'actionnaire, c'est-à-dire à l'Etat.

Qu'un chasseur de têtes soit chargé de proposer quatre noms, pourquoi pas ? Mais il faut en proposer un nombre suffisant afin d'éviter les choix entre deux noms dont l'un n'a vraiment aucune chance.

M. le Président : Il faut que, dans cette liste, figurent des gens nouveaux qui n'aient pas obligatoirement le profil habituel que vous connaissez...

M. Louis GALLOIS : Qui est aussi le mien...

M. le Président : C'est une chance pour notre pays de compter de grands corps. Mais il faut faire émerger aussi des personnes issues du privé et dotées d'autres formations.

M. Louis GALLOIS : Je suis prêt à partager votre avis. Lorsque j'ai été nommé président d'une entreprise publique, nomination dont je me suis réjoui, celle-ci ne résultait pas d'un processus scientifique - c'est le moins que l'on puisse dire ! Je souhaite aussi que les candidats internes puissent avoir toute leur chance. Dans les entreprises publiques, chacun peut évoluer, mais un seul poste est inaccessible : celui du président.

M. le Rapporteur : Vous concevez l'Agence des participations de l'Etat comme une structure destinée à défendre les intérêts de l'Etat actionnaire, mais à côté de l'Etat actionnaire, il y a l'Etat régalien, l'Etat régulateur, qui peuvent avoir également des intérêts spécifiques à défendre, différents de celui de l'Etat actionnaire : des préoccupations sociales, des préoccupations d'aménagement du territoire par exemple. Si l'Agence n'assure pas elle-même la coordination de ces différentes fonctions, qui le fait ? Comment et par quelles voies l'exprimer au sein du conseil d'administration ?

M. le Président : Pour compléter la question, je rappelle qu'il existe manifestement trois types d'entreprises publiques : les entreprises cotées, les entreprises non cotées mais soumises à la concurrence et les entreprises de service public à monopole.

M. Hervé MARITON : Une observation et une question. L'actionnaire n'est pas exclusivement mû par l'affectio societatis. Voilà, M. le Président, la source de la difficulté que vous soulignez. L'actionnaire a ses enjeux propres qui ne sont pas nécessairement dictés par les seuls enjeux de l'entreprise dont il est actionnaire, sauf à confondre l'effet et la cause.

Ma question est celle-ci : où situez-vous la frontière entre les décisions que vous prenez et assumez dans le cadre de l'autonomie de gestion de l'entreprise et celles pour lesquelles il vous paraît nécessaire d'en référer à l'actionnaire ?

M. Pierre DUCOUT : Deux observations sur des problèmes à la fois techniques et stratégiques. Vous avez indiqué que les trains Corail représentaient des pertes de 200 millions d'euros, en particulier sur les lignes transversales.

Sur la question du service public, vous avez souligné la nécessité de se tourner vers les collectivités territoriales. A priori, cela a été fait pour les TER, d'une manière relativement satisfaisante pour l'équilibre des charges et leur prise en compte par les régions. Pourquoi ne pas laisser cette charge à la responsabilité de l'Etat ? Cette partie de l'aménagement du territoire ne fait-elle pas clairement partie d'une compensation de charges de service public ?

Vous avez évoqué les TGV à fort potentiel, étant entendu que les nouvelles lignes seraient plus difficiles à exploiter. Le péage envisagé sur Tours-Bordeaux, où le passage à 2 heures assurerait un potentiel plus important, modifie l'ordre de rentabilité.

Vous avez relevé que la SNCF perdait, sur le secteur du fret, 380 millions d'euros. Avez-vous des marges de productivité ? L'ouverture à la concurrence dessine-t-elle des risques de perte de marché ? Pouvez-vous donner une comparaison avec ce qui se passerait s'il y avait aujourd'hui une ouverture totale ?

Sur RFF, nous avons suivi les débats sur sa création. Vous indiquez que les relations ne sont pas obligatoirement faciles, ce qui est normal. Avec le recul de sept années, estimez-vous qu'il s'agit d'un élément globalement positif, étant entendu qu'il y a une meilleure visibilité pour les infrastructures ? Après ces sept années, sans doute conviendrait-il de rebattre les cartes.

Vous n'avez pas évoqué vos participations et filiales. Certains disent que votre stratégie en la matière est plus orientée vers la route que le fer. La stratégie d'Etat est relativement claire. Dans quelles conditions la suivez-vous ?

M. le Président : Par rapport au fret, depuis mars 2003, la SNCF est confrontée à l'ouverture de la concurrence sur le réseau transeuropéen. Or, cette activité traverse une crise très grave depuis plusieurs années et enregistre un déficit courant de 387 millions d'euros en 2002. D'où la question de M. Ducout : que pensez-vous faire pour faire face à la concurrence ? Quelles sont les voies du redressement du fret ?

M. Jean GAUBERT : Il serait en effet intéressant, M. Gallois, que vous développiez la politique que vous comptez mener en matière de fret, car de nombreux industriels ayant recours à la SNCF ont le sentiment d'être trop souvent la variable d'ajustement. Beaucoup d'entreprises, dans mon entourage, ont subi cet état de fait ; malgré leur bonne volonté, leur militantisme, dirais-je, ils finissent par se fatiguer. Comment envisagez-vous donc les choses à terme ?

De la même façon, sur la concurrence dans le secteur du transport de voyageurs, vous avez évoqué, dans votre introduction, la concurrence des compagnies à bas prix. Comment voyez-vous la situation ? Car évoquer la concurrence des compagnies à bas prix suppose que l'on se prépare à y résister. Sans doute existe-t-il plusieurs façons de résister, mais l'une des plus appréciées par les consommateurs consisterait, dans un premier temps, à s'aligner sur ces compagnies à bas prix. Que fait-on quand l'entreprise a déjà du mal à équilibrer ses comptes ?

Plus généralement, je souhaiterais que vous nous disiez un mot sur l'évolution future de votre entreprise. Comment la situez-vous par rapport aux autres concurrences, car il n'y a pas que le rail, mais aussi tous les autres moyens de transport qui se développeront ?

M. le Président : Comment envisagez-vous l'entreprise demain et ses effectifs ?

Mme Nathalie GAUTIER : Que pensez-vous des préconisations du rapport des sénateurs Haenel et Gerbaud ? Pensez-vous qu'elles pourraient être rapidement mises en œuvre ?

Le rapport de la DATAR sur la politique des transports montre clairement que les grandes lignes de trafic fret et voyageurs se situent selon une diagonale Est, plus que Nord-Sud. Ne craignez-vous pas, en matière de fret, qu'on ne soit durablement écarté des grands tracés de transports de marchandises si l'on ne parvient pas à faire les investissements majeurs nécessaires ?

M. Dominique CAILLAUD : Ma question rejoint celle de la gouvernance avec l'ouverture à la concurrence et les directives européennes. Etes-vous, avec votre actionnaire principal et vos représentants des salariés, tous freins serrés sur la mise en place de la concurrence ? Vous avez souligné la spécificité de votre établissement ; que pensez-vous de cette concurrence dans le contexte d'organisation du conseil d'administration actuel et des pouvoirs qui y sont représentés ? Considérez-vous les nouvelles directives comme porteuses et actives ou, au contraire, comme un frein ?

M. Louis GALLOIS : Sur le rôle de l'APE vis-à-vis de l'Etat tutelle, et non de l'Etat actionnaire, je crois qu'il ne faut pas multiplier les contrôles. La SNCF est une entreprise comme une autre. Il existe des régulateurs, il faut respecter la loi. Ces règles ne sont pas propres à la SNCF. Je ne pense pas que tous les ministères, au motif que nous sommes une entreprise publique, doivent intervenir dans la gestion de l'entreprise.

En revanche, le ministère de l'équipement et des transports, qui nomme le commissaire du gouvernement, est chargé de veiller aux préoccupations d'intérêt général. Il doit continuer à exercer son rôle au sein de la SNCF. Le commissaire du Gouvernement s'exprime peu, mais sur les questions lourdes. Il doit donner le point de vue de l'intérêt général face aux représentants de l'APE qui expriment la préoccupation de l'actionnaire. Si on demande à la SNCF d'orienter sa politique « voyageurs » ou ses missions de service public dans un sens ou l'autre, cette demande doit être portée par le commissaire du Gouvernement. Il a un rôle à jouer, à côté des représentants de l'Etat actionnaire nommés par l'Agence des participations de l'Etat. Je vous rejoins, M. le Président : cette expression ne peut être la même dans une société cotée, dans une société soumise à la concurrence ou dans une société de monopole, même si la SNCF se sent assez peu en situation de monopole.

Sur le fret, nous sommes totalement dominés par la route. Encore une fois, dans le secteur du transport de voyageurs, nous devons affronter des concurrents.

M. Mariton, peut-être ai-je trop lourdement évoqué cette notion d'affectio societatis. Evidemment, un actionnaire représente ses intérêts d'actionnaire, mais au conseil d'administration, il est chargé d'assurer le développement de l'entreprise. C'est vrai des actionnaires indépendants. Ils viennent apporter leur soutien, leur contrôle au management de l'entreprise pour le compte des actionnaires. Cela n'exclut pas des situations où les intérêts de l'entreprise peuvent être différents de ceux des actionnaires, mais elles restent toutefois relativement exceptionnelles. Il s'agit, par exemple, de démantèlement d'entreprises, de ventes d'actifs destinées à valoriser le cours. Autant de situations exceptionnelles où le conseil d'administration peut se trouver dans des situations délicates qui sont très attentivement réglées dans les entreprises privées. Quand des actionnaires sont animés par le souci de valorisation immédiate alors que le management porte la dimension du moyen et long terme de l'entreprise, la situation ne se règle pas toujours aisément.

Où se situe la frontière entre les décisions que j'assume et celles pour lesquelles je dois référer ? A la SNCF, le nombre de décisions pour lesquelles je dois référer est nettement supérieur à celles que j'assume. Toutefois il ne faut pas considérer que chaque fois que j'en réfère, je perds à tout coup mon autonomie. Tous les marchés de plus de 16 millions d'euros doivent être approuvés par le conseil d'administration. Ainsi passons-nous une partie du conseil à approuver les marchés de fioul, de nettoyage, etc., ce que je ne considère pas indispensable ; pour autant, ce n'est pas non plus gênant. Cela s'apparente plus à un contrôle de légalité - le marché a-t-il été passé dans de bonnes conditions ? - qu'à un contrôle d'opportunité. Le conseil d'administration n'a pas d'avis sur ces marchés, mais il peut nous interroger sur les couvertures de change. Ces questions sont légitimes, mais franchement ce n'est pas parce que je suis en situation de devoir obtenir une autorisation que je me sens déresponsabilisé pour autant.

Cela dit, il conviendrait de procéder à un toilettage sérieux pour déterminer ce qui relève du management de l'entreprise, du conseil d'administration et de l'autorisation formelle de l'Etat. Dans cette dernière catégorie, figurent actuellement les statuts du personnel entièrement gérés par une commission du statut, présidée par le ministre de l'équipement et des transports. Je ne puis toucher au statut du personnel de la SNCF, même si je peux avoir des idées. Ainsi, au cours d'une négociation, ai-je été amené à offrir la première classe à des conducteurs en fin de carrière qui n'y avaient pas droit. Ils voyageaient quand même en première, car aucun contrôleur ne les en chassait jamais. Ils ont aujourd'hui une carte rouge au lieu d'une carte bleue en fin de carrière. Cette décision, je l'ai négociée dans une sortie de grève difficile. Il a fallu un an et demi pour obtenir l'autorisation du ministre de l'équipement prise par arrêté !

Tout cela mériterait un brin de toilettage, car je pense que plus on nous place en position de responsabilité vis-à-vis des personnels, plus la situation est saine. Autrement, les personnels considèrent qu'il existe une structure d'appel chez le ministre. Cela ne m'empêche toutefois pas de travailler. Mais ce n'est pas un modèle.

M. Ducout, sur le financement des trains Corail, j'ai utilisé l'expression de « collectivité publique » qui englobe l'Etat. Je n'ai pas dit « collectivité territoriale ». J'utilise les termes de « collectivité publique » parce que j'estime que l'Etat a effectivement son rôle à jouer. Il existe un problème Corail qui empoisonne tout le monde. Chacun sait que nous perdons énormément d'argent, mais personne ne veut cautionner les décisions difficiles de l'entreprise d'allégement des dessertes. Telle est la situation. Je souhaite que nous en débattions avec toutes les collectivités publiques concernées, les régions traversées et pourquoi pas l'Etat.

Tours-Bordeaux n'est pas une ligne TGV sans potentiel, loin de là, mais certaines prolongations de lignes, au fur et à mesure que nous nous éloignons de Paris, perdent le leur. La réalisation du TGV Est est une décision à caractère politique, que je comprends parfaitement. Il n'en reste pas moins qu'il sera difficile à exploiter. Les calculs auxquels nous procédons actuellement révèlent une rentabilité très médiocre.

Je viens de nommer un nouveau directeur du fret. Je lui ai demandé un inventaire de l'ensemble des politiques menées par l'entreprise et de proposer les inflexions qu'il jugera utile. Je ne l'ai pas nommé pour appliquer strictement toutes les décisions prises avant lui. Je ne puis apporter à ce stade une réponse détaillée.

Les chantiers sur lesquels nous travaillons sont nombreux. Le premier est la qualité de la production, qui est la clé de tout. Il n'y aura pas de redressement sans cela. Pour l'assurer, il faut s'intéresser à différents aspects : premièrement, il convient d'industrialiser la production des grands parcours à la fois pour des raisons de productivité et de qualité. Il faut que nous ayons davantage de trains programmés. Dans le domaine du fret, nous sommes à la disposition des clients qui peuvent nous demander des trains ou des wagons du jour au lendemain, ce qui explique la part non programmable de notre trafic. Les réseaux qui progressent sont ceux qui renforcent la partie programmable par rapport à la partie non programmable et qui, ensuite, industrialisent les trains programmés.

Deuxièmement, il nous appartient de réfléchir à l'approvisionnement de ces grands axes à partir du réseau capillaire. Cet approvisionnement doit rechercher une meilleure qualité pour nos clients.

Sur le terrain de la productivité, nous devons trouver des organisations plus économiques pour le fret qui regroupent la traction et les agents de conduite à hauteur de 30 % du coût, la maintenance du matériel à hauteur de 25 % et la gestion des triages, les grandes infrastructures de massification du trafic. Voilà les coûts sur lesquels nous pouvons peser et que nous étudions un par un.

Troisièmement, nous devons revoir la politique marketing. Si nous voulons renforcer notre présence sur des trafics rentables, il faudra alléger notre présence sur les autres trafics ; la SNCF ne peut pas transporter à perte ad vitam aeternam des trafics qui relèvent peut-être d'autres modes de transports plus pertinents alors que des transports qui seraient intéressants pour le fret ne sont pas pris à cause de ces trafics non rentables. Ainsi, n'assurons-nous plus la qualité ou n'avons-nous plus la capacité. Nous devons réorienter notre portefeuille de trafics, non pour les diminuer, mais pour faire en sorte d'avoir un mixe de production plus productif financièrement. Pour cela, nous devons améliorer la qualité. Tout est lié. Voilà les voies sur lesquelles nous travaillons actuellement, mais, encore une fois, le nouveau directeur fret vient d'arriver ; il étudie la situation, au demeurant fortement altérée par les conflits. Comparé au trafic « voyageurs », le fret subit doublement les conflits. En effet, une journée de grève en représente deux pour le fret, car deux nuits sont impactées. Par ailleurs, les clients voyageurs ont moins de mémoire que les clients fret, qui réagissent quand nous en sommes à la quatrième journée de grève nationale depuis le début de l'année.

Vous avez évoqué les risques de perte de marchés avec la concurrence. Ils ne sont pas quantitativement massifs. Il est certain toutefois que les trafics qui seront captés par la concurrence seront les plus rentables et les plus simples à exploiter : il s'agira des trafics courte distance très réguliers et très massifiés, c'est-à-dire les produits pétroliers, les produits sidérurgiques, etc. Nous devons nous battre pour affronter cette concurrence.

Pour comparer avec l'étranger, l'ensemble du fret en Europe est déficitaire. Les suisses connaissent un déficit de 65 millions d'euros pour un trafic qui représente 20 % de celui de la SNCF. Si on multiplie par cinq le résultat des suisses, meilleurs exploitants d'Europe, on aboutit à des chiffres proches de ceux de la SNCF.

La création de Réseau Ferré de France est certainement positive, elle était, en tous cas, globalement inévitable. Que l'on puisse améliorer le dispositif, certainement, mais en clarifiant le rôle de chacun. Cependant, il est hors de question de revenir en arrière et d'attribuer à la SNCF le poids de sa dette.

Participations et filiales. Si nous voulons servir nos clients, il faut que nous soyons intermodaux. C'est pourquoi nous devons être en mesure de transporter par la route le fret les jours de grève, ce que nous faisons aujourd'hui, faute de quoi nous perdrions les clients définitivement. Le train ne remplacera pas la route pour assurer certaines liaisons et la route approvisionne le train en trafic. Nous sommes un groupe intermodal et devons le rester, mais la dominante de ce groupe, ce qui lui donne son âme, reste le chemin de fer.

M. Gaubert, beaucoup d'industriels considèrent que la variable d'ajustement est le fret. Actuellement, nous lui donnons pourtant la priorité. Nous avons allégé le programme Corail pour tirer davantage de trains de fret aujourd'hui. Le 13 mai, à la sortie de la grève, nous avons retardé la reprise des trains Corail pour assurer celle des trains de fret. Nous procéderons ainsi systématiquement. L'on ne revient pas d'un coup sur une politique où le fret était le parent pauvre. Toutefois, nous essayons de déplacer autant que nous le pouvons le curseur, alors que la logique d'entreprise devrait nous inciter à privilégier les trafics voyageurs sur lesquels nous gagnons de l'argent et donc à privilégier le TGV qui fait vivre l'entreprise.

Nous investissons en faveur du TGV. Parallèlement, nous achetons cinq locomotives par mois pour le fret, car nous menons une politique volontariste de soutien en faveur du fret, dans un cadre où nous mesurons nos responsabilités vis-à-vis de la collectivité nationale.

La riposte sur les compagnies à bas prix est simple : nous devons faire aussi bien, si ce n'est mieux qu'elles. Nous avons lancé les tarifs Prem's au mois de mars. Nous avons vendu plus de 600 000 billets Prem's, l'équivalent de 70 avions par jour. Il s'agit de tarifs à vingt-cinq euros sur toutes distances, dès lors que l'achat se fait sur Internet, ou trente euros au guichet. Nous n'avons pas diminué le prix moyen de nos ventes, nous avons réussi à le faire légèrement progresser, car ces tarifs attirent les clients sur d'autres tarifs. Actuellement, je dis aux compagnies à bas coûts de se méfier de la SNCF. Nous allons les faire souffrir, la concurrence sera rude. Sur certaines distances, elles devront courir derrière nous, car nos capacités sont très fortes. Bientôt, elles proposeront un tarif de 9 euros pour Toulouse. Vous vérifierez qu'il s'agit bien de publicité, car ce prix ne comprend pas les taxes, de l'ordre de 15 euros, soit plus que le billet vendu. Un problème d'information du consommateur se posera, car nos tarifs sont nets alors que d'autres exploitants annonceront des tarifs hors taxes. Notre communication ne se privera pas de le dénoncer. Mais nous serons également agressifs sur les prix, car nous disposons de capacités dans les TGV ou Corail de journée qui ne sont pas pleins. Bien sûr, nous ne le ferons pas le vendredi soir.

Deuxièmement, nous souhaitons que cette concurrence soit équitable. Nous ne recevons aucune subvention sur grandes lignes ; nous nous plaçons dans les conditions du marché. Je ne peux pas accepter de gaîté de cœur que certaines compagnies à bas prix ne payent pas leur atelier de maintenance, la taxe d'atterrissage ou la taxe professionnelle. Je rappelle que la SNCF paie 450 millions d'euros de taxe professionnelle dans 14 000 communes. J'ai remarqué d'ailleurs qu'une compagnie à bas prix se trouvait assignée devant les tribunaux.

Quelle évolution future par rapport aux autres concurrents ? La SNCF n'est, à l'heure actuelle, pas mal placée en Europe : elle est n° 1 sur les trains à grande vitesse, n° 1 sur les trafics internationaux de voyageurs. Sur le fret, en dépit de nos difficultés, nous enregistrons la part de marché la plus forte des grands pays. Nous avançons une compétence pointue, un groupe autour de nous. Je ne fais pas de complexe. Il faut seulement que les cheminots aient confiance en eux-mêmes, ce qui n'est pas acquis ; ils doivent comprendre qu'ils ont la capacité à résister à cet environnement nouveau qui est celui de l'ouverture et de la concurrence. Ils ont, non seulement capacité à y résister, mais aussi à gagner. Cela n'exclut pas l'effort, cela le commande. L'effort peut se révéler productif et la SNCF peut être gagnante sur le plan européen. C'est l'un des deux ou trois réseaux - je dis trois, autrement tout le monde croira que cela se passe entre la Deutsche Bahn et la SNCF - qui a vocation à restructurer l'activité ferroviaire en Europe. Tel est notre objectif.

Comment j'imagine la SNCF dans plusieurs années ? Il s'agit d'un groupe qui joue pleinement son rôle structurant dans l'industrie ferroviaire et du déplacement en Europe. Nous sommes le deuxième groupe de transport en Europe devant toutes les compagnies aériennes et juste derrière la Deutsche Bahn. Nulle raison que nous ne soyons pas un des pôles de structuration du transport européen sur le plan ferroviaire. Cela ne nous éloignera pas de nos missions de service public, car la SNCF ne peut se concevoir sans ses missions de service public qui lui donnent sa légitimité.

Mme Gautier, le rapport Haenel-Gerbaud nous a apporté trois éléments positifs :

Premièrement, le fait qu'il considère que nous devions jouer une politique de croissance et non de réduction de nos trafics.

Deuxièmement, il reconnaît que le réseau est saturé aux alentours de 60 milliards de kilomètres, limite que nous aurons probablement atteinte vers 2008-2009. A ce moment-là, les investissements de saturation devront être achevés. Il nous faut les lancer très vite.

Troisièmement, il fixe les responsabilités des différents échelons : européen, national, régional, dans la politique du fret ferroviaire.

Le rapport a posé deux questions qui soulèvent de vastes débats dans l'entreprise : la filialisation du fret et la sous-traitance des petites lignes. Je regrette qu'il ait un peu méconnu les efforts de la direction d'entreprise pour son activité fret.

Est-Ouest/Nord-Sud ? Le principal axe de fret européen est Nord-Sud : les portes du nord vers l'Italie. Il s'agit de savoir si le trafic bascule du côté allemand-suisse ou du côté français, suisse et italien. Nous devons être capables d'apporter des réponses qui orientent les trafics en France.

Vous avez raison de dire qu'avec l'ouverture à l'Est, nous assisterons à un développement des trafics Est-Ouest. Si elle est bien placée sur le trafic Nord-Sud, la France est, en revanche, un peu excentrée pour le trafic Est-Ouest. C'est pourquoi je pense que la politique d'infrastructures doit tenir compte du fait que la France ne se situe plus désormais au centre de l'Europe. Si nous voulons que notre pays reste un véritable pôle d'attraction pour les activités, il faudra qu'il dispose d'infrastructures particulièrement fortes. Sinon, c'est naturellement en Europe du centre qu'elles se situeront. Il suffit de regarder la carte des implantations industrielles de Volkswagen qui quitte l'Espagne ou y réduit ses effectifs pour s'implanter en Tchéquie, en Hongrie, en Pologne. C'est ainsi que le Piémont est en train de perdre du terrain par rapport à la Lombardie et à la Vénétie. La vraie justification du tunnel Lyon-Turin, au-delà de la préoccupation de la SNCF - je ne le verrai pas, je serai à la retraite, peut-être même en train de manger les pissenlits par la racine ! - la vraie justification de ce tunnel, qui dépasse largement le ferroviaire, est de savoir si nous oeuvrons en faveur d'un axe est-ouest de grande qualité entre la France et l'Italie du Nord dans le cadre d'un déplacement vers l'Est du centre de gravité de l'Europe.

M. Caillaud, nous ne sommes pas tous freins serrés vis-à-vis de la concurrence. Je le dis très franchement, nous appliquerons loyalement, de manière transparente, les réglementations qui nous obligeront à aider nos concurrents, parce que nous aurons à les aider. Nous le ferons, nous y préparons l'entreprise ; nous sommes en train d'identifier, produit par produit, tout ce que nous avons à fournir à nos concurrents. Par ailleurs, nous jouerons le jeu de la concurrence avec la volonté de gagner, en France et à l'étranger.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Je souhaiterais une précision sur la relation entre l'intervention de l'Etat actionnaire et l'intervention des organes de contrôle de l'Etat dans la gestion de l'entreprise.

Quel est le rôle du contrôleur d'Etat, du commissaire du Gouvernement ?

Considérez-vous que la cour des comptes joue son rôle d'organe de contrôle ?

M. Louis GALLOIS : Le contrôleur d'Etat est, à la SNCF, constitué en mission de contrôle économique et financier, présidée par un inspecteur des finances, M. Alain Briffod. La mission contrôle à la fois la SNCF, la RATP et le Syndicat des transports d'Ile-de-France. Nous entretenons avec eux une relation quotidienne. Installés au siège de la SNCF, ils ont accès à tous les documents qu'ils demandent, ils convoquent les dirigeants de l'entreprise à tous moments et là où ils le souhaitent. Ils se rendent dans les installations qu'ils désirent examiner. La relation de travail est actuellement de bonne qualité et j'en remercie le titulaire actuel du poste. Je ne dirai pas cela de tous les contrôleurs d'Etat que j'ai connus au cours de ma carrière de président d'entreprise publique. Le métier de contrôleur d'Etat peut apparaître franchement insupportable pour la direction de l'entreprise, dès lors qu'il se manifeste par une suspicion constante à son encontre. Il faut établir une relation de confiance, mais sur tous les projets importants, le conseil d'administration recueille l'avis de la mission de contrôle, qui ne s'inscrit pas toujours dans le sens du management de l'entreprise - loin s'en faut ! Mais elle fait son travail. La nature de la relation dépend largement des personnes. Si l'on a affaire à des personnes tatillonnes, elles peuvent rendre insupportable épidermiquement la vie des présidents d'entreprise, même s'ils ont l'échine assez épaisse. La multiplicité des corps de contrôle que j'évoquais nous aguerrit, mais cela peut toutefois s'avérer un peu désagréable, ce qui n'est pas, je le redis, le cas actuellement.

Le commissaire du Gouvernement s'exprime au conseil d'administration. Il exprime la voix de l'Etat dans sa fonction régalienne. Actuellement, c'est le directeur des transports terrestres qui occupe cette fonction de manière remarquable à l'instar de son prédécesseur. Je n'ai donc qu'à me louer des relations avec le commissaire du Gouvernement que je rencontre régulièrement avant le conseil et qui m'alerte de ses interventions, me prévient.

La relation est utile : j'ai besoin qu'il s'exprime ; au reste, les administrateurs sollicitent souvent son avis. Par ailleurs, il exerce une action très positive vis-à-vis de l'entreprise. La cour des comptes est actuellement au travail sur plusieurs dossiers. C'est pourquoi elle est pratiquement toujours présente au sein de la SNCF. Elle fait son travail d'une manière que je n'ai bien sûr pas à juger. Nous y prêtons la plus grande attention, car nous sommes une entreprise suffisamment médiatisée pour ne pas souhaiter bénéficier de la médiatisation du rapport annuel de la cour !

Nous avons de bonnes relations avec l'inspection des finances et le conseil général des ponts. Ils interviennent plus épisodiquement, plus ponctuellement.

Le problème réside dans la redondance des contrôles. Cela en fait beaucoup ! Cela ne m'empêche pas de vivre et, encore une fois, on prend l'habitude et on y fait attention.

M. le Rapporteur : Le marché fret international est ouvert depuis deux mois et demi ; c'est sans doute insuffisant pour que l'on puisse véritablement tirer des conclusions. Quelle est l'intensité du risque commercial que cela représente vraiment pour l'entreprise, à partir du moment où le réseau ferroviaire est actuellement très largement saturé ? Avez-vous des indications précises sur les parts de marché que peuvent vous prendre les concurrents français ou internationaux ?

La dette, avez-vous précisé dans votre propos liminaire, se situe entre 7 et 7,5 milliards d'euros, ce dernier montant vous paraissant être un maximum à ne pas dépasser. Compte tenu des programmes d'investissement de la SNCF qui sont importants et nécessaires pour affronter la concurrence, compte tenu des charges que représentent les retraites avec 4 milliards d'euros - il s'agit d'une charge qui ne diminuera pas dans les années qui viennent...

Vous paraît-il possible, dans ces conditions, d'avoir une véritable stratégie de désendettement et comment concilier les différentes obligations qui pèsent sur l'entreprise ?

Pourriez-vous tracer un bilan rapide de la régionalisation ? Les conventions passées avec les régions distinguent entre les activités de caractère commercial et les missions de service public. Une telle distinction vous paraît-elle claire et les compensations qui vous sont apportées représentent-elles le surcoût qui en résulte pour l'entreprise ?

Sur les grèves, nous savons que la SNCF représente 1 % du nombre des salariés en France, mais 20 à 25 % des journées de grève.

M. Louis GALLOIS : Cela dépend beaucoup des années ! L'an dernier, cela a représenté quasiment 1 % des grèves.

M. le Rapporteur : Vous vous êtes engagés à mettre en œuvre un protocole d'accord afin d'améliorer le dialogue social et la prévention des conflits au sein de l'entreprise. Pouvez-vous faire le point sur l'avancement de ce protocole ? Avez-vous l'espoir d'arriver à une signature rapide ? Quelles seraient les conséquences à en attendre pour les usagers, qu'il s'agisse des passagers ou de vos clients fret ?

M. Louis GALLOIS : Sur le fret international, quel est le risque de la concurrence ? Il est, sur le plan quantitatif, si l'on parle en termes de probabilités, assez limité. Vous l'avez évoqué : il y a saturation ; par ailleurs, une grande partie du trafic fret ne suscite pas l'intérêt des nouveaux entrants. La concurrence se focalisera donc sur les trafics courts, réguliers et massifiés, et s'opérera sur des infrastructures saturées. Des sillons seront retirés à la SNCF pour les donner à la concurrence, puisqu'il n'y a pas de « droit du grand-père », c'est-à-dire que nous n'avons pas de droits acquis. C'est ainsi que fonctionne la réforme au niveau européen, qui diffère de l'aérien où le droit du grand-père existe. Nous sommes dans la situation où nous allons abandonner un certain nombre de sillons pour les concurrents. L'augmentation de parts de marché du fret ferroviaire par rapport à la route n'est pas évidente. En Allemagne où la concurrence s'exerce depuis une dizaine d'années, elle n'a pas progressé. Cela s'est fait à l'intérieur de la part de marché de la Deutshbahn - largement à cause de ces problèmes de saturation. Je ne dis pas que la concurrence ne puisse pas stimuler du marché, je dis qu'elle ne peut le stimuler que si la capacité du réseau le permet, si l'on retire un train de la SNCF pour mettre un train de la concurrence, cela peut entraîner une amélioration de la qualité pour le client, des prix plus intéressants. S'il choisit un concurrent, c'est qu'il a de bonnes raisons. Peut-être veut-il aussi nous faire la leçon. Je vois comment cela s'est passé en Allemagne. Cela ne se traduit pas automatiquement par une augmentation du marché.

Sur la dette, vous soulevez l'enjeu principal de la SNCF. Nous voulons mener nos programmes d'investissement, nous voulons pouvoir continuer à supporter les différentes charges que vous évoquiez, mais nous n'avons pas de perspectives rapides de désendettement. La limite impérative que nous nous sommes fixée est de ne pas déraper sur l'endettement.

Ne pas déraper, c'est rétablir la capacité d'autofinancement de l'entreprise - c'est notre travail sur le compte d'exploitation - et, en attendant qu'elle soit au moins portée au niveau des investissements, nous sommes amenés à procéder à des ventes d'actifs, soit des actifs immobiliers, soit des participations. Par exemple, vous savez que nous sommes vendeurs de notre participation dans la CNR. J'évoque celle-là, parce qu'elle est peu conflictuelle au sein de la SNCF. D'autres sujets seraient plus sensibles. Cela dit, nous sommes amenés à procéder à un arbitrage entre des actifs non directement nécessaires à la stratégie de l'entreprise en faveur d'investissements qui représentent véritablement des enjeux stratégiques pour la SNCF. Il faut que nous procédions à ces transferts dans des conditions qui n'appauvrissent pas la SNCF, c'est-à-dire que la rentabilité de ces nouveaux investissements doit être au moins égale à la rentabilité de ce que nous vendons.

Le bilan de la régionalisation est franchement positif. Il s'est traduit par des investissements sans comparaison avec ceux de la période précédente. Je le dis depuis 1997 : les régions ont investi près de 4 milliards d'euros dans du matériel nouveau ; c'est vraisemblablement plus qu'au cours des trente années précédentes. Le renouvellement du parc est engagé de manière massive. Cela s'accompagne d'une multiplication des dessertes, qu'il conviendra peut-être de revoir peu à peu, car les dessertes mises en place se doivent d'être pertinentes pour un mode de transport de masse. Un train qui transporte quatre personnes n'est pas le moyen le plus pertinent. Mais la multiplication des dessertes, l'augmentation des trafics de 4 % sur le trafic TER depuis le début de l'année, tout cela s'avère très important. Nous constatons que des régions, en développant les trafics, ont réduit le déficit dont elles subissaient la charge. Les dynamiques sont globalement très positives même si tout n'est pas parfait. Nous devons les faire vivre dans le temps et, par conséquent, éviter tout dérapage pour les régions comme pour la SNCF, autrement dit les régions ne doivent pas se retrouver avec une croissance exponentielle de leurs dépenses. Parallèlement, la SNCF, qui est au forfait, ne doit pas se placer dans des conditions où elle ne le maîtrise pas, le dépasse pour subir un afflux de dépenses non prévues.

Se profile l'aspect lié à la maîtrise du processus dans le temps et de maintien du dynamisme.

Les missions de service public sont totalement séparées comptablement des missions commerciales assurées sur les grandes lignes. La séparation comptable a été auditée par un grand cabinet, depuis disparu dans les drames d'une entreprise américaine qui a défrayé la chronique ! Cet audit a permis de vérifier que nous imputions au compte du TER uniquement des dépenses qui lui étaient liées. Ainsi, le climat de confiance a-t-il permis que les régions assument le déficit sur lequel elles étaient tombées d'accord parce qu'il résultait de l'exercice de missions de service public.

Il faut constamment rappeler que ce n'est pas parce que la régionalisation a transféré l'autorité organisatrice aux régions qu'il faut les rendre responsables des retards des trains ou de la mauvaise qualité du service. Non, c'est la SNCF qui en est responsable. Les présidents de région reçoivent des milliers de lettres. Ils ont le sentiment qu'on leur impute les insuffisances ou les déficiences de la SNCF. Or, les conditions d'exploitation doivent être maîtrisées et les responsabilités bien clarifiées aux yeux de tous. Les personnels doivent également comprendre que ce n'est pas la région qui est responsable des décisions de gestion que nous prenons. Elles relèvent de la responsabilité de l'entreprise.

Sur les grèves, le protocole d'accord est soumis à la signature. Nous en avons reporté la date limite, parce que la période actuelle est peu propice à une discussion sur la prévention des conflits et le dialogue social, non pas que le problème des retraites concerne directement la SNCF aujourd'hui, mais il n'en demeure pas moins qu'il agite l'entreprise.

Pour l'heure, trois organisations syndicales ont signé ou ont déclaré qu'elles signeraient le protocole. Il s'agit de la CFTC, de la CFECGC et de l'UNSA. Trois autres organisations syndicales ont dit qu'elles ne signeraient pas : SUD, FO et la CGT. Deux organisations syndicales ont exprimé des points de vue nuancés : la CFDT et la FGAAC, syndicat autonome des agents de conduite. Je souhaite vivement que nous puissions dégager un accord signé par le plus grand nombre d'organisations syndicales ; aucune ne considère que nous remettons en cause le droit de grève à travers le protocole. Certaines ne le signent pas pour des raisons d'opportunité.

Que se passerait-il s'il était signé ?

Nous assisterions à la création d'une demande de concertation immédiate. Une organisation syndicale pourrait demander une concertation immédiate que nous devrions ouvrir dans un délai court. Les syndicats s'efforceraient de ne pas déposer de préavis pendant une période de dix jours entre le moment où la demande de concertation immédiate serait formulée et le dépôt du préavis pour laisser le temps à la concertation immédiate de se dérouler. Ce n'est pas une obligation, mais les organisations signataires se sentiraient, d'une certaine manière, engagées sur le délai.

Deuxièmement, nous assurerions la prévisibilité du trafic en élaborant un plan de transport la veille des conflits, que nous soumettrions aux organisations syndicales qui pourraient exprimer leur point de vue, mais ce plan de transport engagerait l'entreprise. Il déterminerait les trains qui circuleraient. C'est une procédure que nous avons déjà expérimentée. Lors des précédents conflits, nous avons publié la liste des trains grandes lignes que nous étions en mesure d'assurer, ce que nous commençons d'indiquer de plus en plus précisément dans les régions avec les TER. Pour le fret, nous avons dit que nous assurerions la circulation de 80 trains. Demain, nous voudrions porter ce nombre à 250 et indiquer aux clients les trains qui circuleront, de telle manière qu'ils puissent prendre leurs dispositions.

M. François BROTTES : Les modalités futures de gouvernance des entreprises publiques animent la réflexion des membres de la commission. Un exemple concret : actuellement, un texte fait l'objet d'une navette sur les risques industriels. Le Président, responsable de l'entreprise publique que vous êtes, a-t-il été associé à l'élaboration des articles sur le transport des matières dangereuses par le fret ? En effet, si les dispositifs qui encadrent à l'heure actuelle les sites industriels eux-mêmes sont nombreux, rares sont ceux qui encadrent les matières dangereuses circulantes. Très concrètement, dans cette période où l'on essaye de normaliser la situation, l'Etat, qui a plusieurs responsabilités en la matière, y compris celle de faire en sorte que la SNCF fonctionne bien, a-t-il sollicité votre avis sur cette question ?

M. Louis GALLOIS : Sur le texte lui-même, je suis à peu près certain que nous avons été consultés. La problématique n'en demeure pas moins, pour nous, essentielle. Nous mettons en garde contre la multiplication des procédures ou des règles sur le transport des matières dangereuses par le fer si de telles procédures et règles ne sont pas appliquées à la route. Sinon, leur multiplication se traduira par des transferts de trafic du fer vers la route, dans des conditions qui ne renforceront pas la sécurité globale du système, dans la mesure où le transport ferroviaire est beaucoup plus sûr pour les matières dangereuses. Mais à force de lui appliquer des restrictions - croisement dans les tunnels, inscription des triages en zone Seveso, les rendant totalement ingérables, etc., tout cela - que je peux parfaitement comprendre du point de vue des populations concernées - il faut savoir comment le traduire sur la route. Vous pouvez parfaitement considérer un triage comme une zone Seveso, dès lors que quatre wagons d'acide fluorhydrique y stationnent, mais personne ne se préoccupe du chauffeur qui gare son camion d'acide fluorhydrique en pleine ville, le temps du déjeuner. Interdira-t-on la circulation des camions dans les villes, leur stationnement sur les aires de stationnement d'autoroute ? Tout cela méritera d'être étudié. Je ne suis pas contre les réglementations ; elles sont nécessaires à l'évidence, mais il faut éviter qu'elles aient pour effet pervers de déplacer du trafic du chemin de fer vers la route. Il est facile de faire respecter une réglementation ferroviaire, parce qu'elle ne s'applique qu'à une seule entreprise - ou à un nombre limité d'entreprises - et que nous sommes très strictement encadrés et respectueux de notre déontologie. L'entreprise publique sert aussi à cela. En sens inverse, des réglementations pourraient être décidées pour le trafic routier, mais dont personne ne pourrait assurer le respect. Nous le voyons en d'autres domaines, notamment s'agissant de l'application du code de la route.

Audition de M. Thierry BRETON,
Président Directeur Général de France Télécom

(Extrait du procès-verbal de la séance du 4 juin 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

M. Thierry Breton est introduit.

M. le Président : Notre commission s'attache, depuis le début de ses travaux, aux problèmes rencontrés dans la gouvernance des entreprises publiques, qu'il s'agisse du contrôle que l'Etat exerce sur elles ou de leur fonctionnement interne. En votre qualité de nouveau président de France Télécom, nous serions heureux de partager votre expérience, afin de dégager des pistes pour améliorer cette gouvernance.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Breton prête serment.

M. Thierry BRETON : Comme vous le savez, je suis président de France Télécom depuis le 2 octobre 2002. Je me suis attaché, dès le début de mon mandat, à procéder à un état des lieux. Nous l'avons conduit de façon extrêmement sérieuse, au sein même de l'entreprise, non pas pour établir telle ou telle responsabilité, mais plutôt pour essayer de comprendre comment on en était arrivé là, et ce qu'il convenait de corriger. Ma responsabilité, c'est l'avenir de l'entreprise. Jean-Baptiste Toulouse a mené l'ensemble des travaux avec quelque 140 ou 150 consultants, afin d'essayer de dégager ce qui s'était passé, et de mettre en place les procédures nécessaires pour que cela ne se reproduise pas.

A l'issue de ce travail, plusieurs éléments apparaissent.

Tout d'abord, il est impossible de parler de France Télécom et du sinistre que l'entreprise a traversé l'année dernière sans faire référence au contexte général. Evidemment, tout le monde s'en souvient, les années 1999 et 2000 ont été celles de l'embrasement du secteur des télécommunications, de la bulle Internet, de l'inflation des valeurs technologiques, qui donnaient le sentiment de « monter au ciel » aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain.

Ceci dit, France Télécom est sans doute l'opérateur qui s'est le plus mal sorti de cette triste situation, et de très loin du reste. Il importe d'en cerner les causes.

Le premier élément, et la commission doit en avoir conscience, c'est la date du 22 avril 1999, date où tout bascule. Ce jour-là, en effet, l'alliance entre France Télécom et Deutsche Telekom, qui était le fondement du positionnement international du groupe français, est rompue de facto et de façon unilatérale par la décision du président de Deutsche Telekom de lancer une OPA sur Télécom Italia, sans prévenir son partenaire. Par suite, cette stratégie très agressive de Deutsche Telekom fera long feu, et l'OPA sera un échec. Mais cette rupture a laissé France Télécom orpheline de stratégie internationale, son point d'ancrage jusqu'alors étant justement le partenariat avec Deutsche Telekom qu'avait mis en place le prédécesseur de Michel Bon, Marcel Roulet.

Cette stratégie de prudence avait d'ailleurs assez bien fonctionné, protégeant les deux partenaires de l'embrasement des marchés financiers et des pressions des analystes qui poussaient avec force les opérateurs de télécommunications à aller de l'avant. Souvenez-vous qu'à l'époque France Télécom n'avait que 15 milliards d'euros de dettes.

Dès le 22 avril 1999, l'entreprise, cotée à Paris et à New York, est brutalement soumise aux réactions des marchés financiers. Le management veut alors donner le sentiment que, malgré tout, France Télécom dispose de stratégies de rechange, qu'elle est dynamique. Hélas, nous sommes déjà à la fin de 1999, et la plupart des acquisitions importantes ont déjà été réalisées. Pire, on est au sommet de la bulle spéculative de la nouvelle économie, qui va commencer à décliner à partir de 2000.

Tous ces éléments vont précipiter France Télécom dans une stratégie d'acquisitions assez importante. Avec le recul de l'histoire, cette expansion donne le vertige, puisqu'en l'espace d'une année, près d'une centaine de milliards d'euros vont être investis. On verra ensuite que ces acquisitions auront été réalisées en cash alors que nos concurrents ont pu financer leurs opérations de croissance externe en titres. La raison en est simple : France Télécom, de par la loi, n'avait pas la possibilité de réduire la participation de l'Etat en dessous de 50 % de son capital ; le management n'a donc jamais envisagé une remise en question sur ce sujet. Les acquisitions ont été faites en cash. L'acquisition d'Orange le sera aussi in fine à cause de l'option de rachat des actions France Télécom accordée à Vodafone, au prix de 100 euros par action.

Evidemment, lorsque l'on paye en titres, et que l'ensemble du marché se dégonfle, le choc est beaucoup moins douloureux.

Cela est d'autant plus vrai que les sommes investies étaient considérables. Le passage du franc à l'euro a-t-il joué ? Il est possible que l'augmentation de la dette entre 1999 et 2000 de 15 à 61 milliards d'euros, à laquelle il fallait ajouter 20 milliards d'euros d'engagements divers, n'ait pas été appréhendée à sa juste valeur en raison du changement de la monnaie de référence. Pire, les Etats s'en sont mêlés puisque c'est en 2000 que les enchères des licences UMTS ont démarré. France Télécom, qui se trouvait engagée dans cette frénésie d'acquisition, sauf à perdre son statut d'opérateur paneuropéen majeur, a dû participer aux enchères, sur la base, de surcroît, de projets fragiles qui s'avèreront calamiteux, NTL et Mobilcom. Le groupe français a ainsi contribué, parmi d'autres, à l'inflation des enchères anglo-saxonnes, qui s'avéreront être l'une des causes du sinistre global du secteur des télécommunications. Au Royaume-Uni, en effet, le coût des licences, définitivement arrêté après que France Télécom a renoncé à surenchérir avec NTL, s'est établi à plus de 6 milliards d'euros. En Allemagne, les licences ont dépassé 8 milliards d'euros !

Ce constat établi, il convient de s'interroger sur le processus de décision de l'entreprise durant cette période, dont j'ai confié l'examen à la mission « état des lieux » dans l'optique d'en corriger les éventuelles défaillances. Nous nous sommes aperçus que les règles de gouvernance de France Télécom ne correspondaient pas aux obligations qui incombent à une entreprise cotée non seulement à Paris, mais également à New York.

Il se trouve que, lorsque j'étais président de Thomson, l'entreprise était également cotée en France et aux Etats-Unis, près de 95 % de son chiffre d'affaires étant réalisés hors de France, dont 55 % aux Etats-Unis, où résidaient 40 % des salariés. Je me suis dès lors attaché à prendre conscience, avec précision, de ce que la cotation à New York impliquait, notamment du point de vue de ma responsabilité propre de chef d'entreprise. J'ai fait cela de manière spontanée, sans que mes actionnaires au premier rang desquels l'Etat ne m'y contraignent. Et cette réflexion m'a permis de réaliser qu'il était nécessaire de perfectionner encore les règles de gouvernance que j'avais auparavant mises en œuvre.

Ce travail n'a pas été fait chez France Télécom, que ce soit du point de vue des règles de gouvernance ou de celui des nécessités d'une transparence accrue.

Cette culture de relations harmonieuses avec les actionnaires a, me semble-t-il, fait défaut au groupe français. Et cette responsabilité relève très clairement du management. Après tout, le chef d'entreprise tire sa légitimité de la confiance des actionnaires et doit, à ce titre, leur rendre des comptes. C'est une des raisons d'être d'un conseil d'administration.

Lorsque Jean-Baptiste Toulouse m'a rendu les conclusions de son audit, il m'a informé qu'il avait été difficile de retrouver des traces concernant la manière dont les décisions ont été prises. En particulier, il n'a pas été capable de nous fournir les minutes du comité exécutif. Je crois qu'il n'y en avait pas, et il n'y avait pas de comité d'investissement.

Un président, je le dis souvent à mes collaborateurs, est une machine à dire non. Il ne doit dire oui que de façon un peu exceptionnelle, lorsqu'il est vraiment convaincu. Il faut également qu'il ait des arguments pour se protéger contre lui-même. Pour éviter précisément de me trouver seul vis-à-vis de décisions qui, in fine, engagent ma responsabilité et mes actionnaires, j'avais été le premier à créer, dans une entreprise à l'époque majoritairement contrôlée par l'Etat, Bull, un comité stratégique. C'était il y a dix ans. Il se réunissait, la veille de chaque conseil d'administration, avec deux représentants du ministère de l'industrie, deux représentants du Trésor et des représentants des actionnaires industriels. Le management passait des journées entières à discuter avec le comité. Bon nombre de projets y ont été refusés et les discussions étaient longues. Je faisais en sorte que les membres du comité exécutif soient présents au sein du comité stratégique, de façon à ce que, lorsqu'ils avaient un dossier à défendre, ils s'y attèlent vraiment.

Chez Thomson, ces méthodes se sont renforcées encore. Bien m'en a pris du reste car, pendant la même période, j'ai eu à traiter, comme l'ensemble de mes confrères qui dirigeaient des entreprises technologiques, des dossiers de la bulle Internet. Nous n'en avons retenu aucun. Et, croyez-moi, la pression de mes collaborateurs, en particulier américains, était forte et leurs arguments séduisants. Nous leur avons consacré de nombreuses séances du comité stratégique, au sein duquel siégeaient des représentants du ministère de l'industrie, des représentants du Trésor - qui se déplaçaient à New York où avaient lieu les réunions - ainsi que des représentants de Nec, de Microsoft, mes principaux actionnaires, et l'examen des dossiers prenait, là encore, des journées entières.

Tout cela montre qu'il est non seulement possible de se donner des moyens performants de gouvernance, mais que c'est indispensable. Et il est de la responsabilité du chef d'entreprise d'y veiller.

Ainsi, la rigueur du travail du comité stratégique de Thomson nous a épargné de nombreuses erreurs, car on est toujours plus intelligent à plusieurs que tout seul, surtout dans un univers de forte pression et de négociations permanentes au sein même du management et de sollicitations incessantes de banques conseil jamais à court d'idées... Je crois d'ailleurs qu'il faut être très prudent face aux propositions de ces dernières, le rôle du président étant, à tout le moins, de définir lui-même la stratégie de l'entreprise et de sélectionner les projets nécessaires à son succès...

Pour résumer, rien n'est plus efficace pour se protéger contre toutes ces idées « formidables », que d'avoir des comités ad hoc chargés d'en tester la pertinence. Bien sûr, ces instruments de gouvernance sont aussi une affaire de culture, qui ne s'improvise pas, et qui se renforce avec le temps, pourvu que l'on s'engage dans cette voie. Indéniablement, la précipitation avec laquelle France Télécom a mené ses acquisitions, et le manque de culture de gouvernance liée à la jeunesse de l'entreprise, brusquement passée du statut d'administration à celui d'entreprise commerciale, ont certainement contribué à la conduire à la situation que nous avons connue.

Comment avons-nous essayé de faire progresser cette culture de gouvernance ? Tout d'abord en demandant à l'Etat de renouveler le conseil d'administration, ce à quoi il a consenti volontiers. A vrai dire, j'avais le sentiment, à mon arrivée, qu'il avait été un peu tenu à l'écart des décisions, et j'ai considéré qu'il était temps de l'impliquer autant que possible. Ainsi, dans les huit derniers mois, le conseil s'est réuni à 14 reprises. C'est beaucoup, je le reconnais, et mon habitude est plutôt de le réunir une fois par mois, comme je l'ai fait en moyenne durant les six ans que j'ai passés chez Thomson.

Par ailleurs, nous avons créé des comités auprès du conseil d'administration : un comité de sélection et de rémunérations, un comité d'orientation, qui a vocation à permettre aux administrateurs salariés de présenter leurs observations et à traiter toutes les affaires sociales importantes, et un comité stratégique. Ces différents comités se sont réunis fréquemment, en moyenne une fois par mois, ce qui me semble conforme aux exigences d'entreprises de la taille de France Télécom.

Je dois dire que le comportement de l'actionnaire Etat a été exemplaire, grâce aux contributions de personnes extrêmement compétentes. Je le dis sans fard : nous avons la chance de disposer de hauts fonctionnaires remarquablement qualifiés, aussi bien au ministère de l'industrie qu'à la direction du Trésor, et réellement passionnés, en particulier par l'aspect international de la stratégie de France Télécom. Ils ont parfaitement joué leur rôle, à charge pour moi de créer les comités où ils peuvent s'exprimer.

De même, l'Etat a modifié la composition du conseil, en acceptant qu'il rassemble sept administrateurs nommés par l'assemblée générale, sept administrateurs représentant l'Etat et sept administrateurs élus par les salariés. A cet égard, je peux évoquer la présence des salariés au conseil, qui est, semble-t-il, l'une des préoccupations de votre commission. C'est un héritage qui pouvait tout à fait se comprendre dans les années 80, compte tenu des évolutions du secteur public entre 1981 et 1983. Cependant, aujourd'hui, au XXIème siècle, le rôle et la responsabilité d'un administrateur, extrêmement importants et lourds de conséquence dans notre culture d'entreprise contemporaine - qui s'inspire de plus en plus, qu'on le loue ou qu'on le regrette, des pratiques anglo-saxonnes - impliquent de revoir complètement nos principes de gouvernance. Je ne veux pas, pour autant, nier la qualité du travail et les compétences des administrateurs représentant les salariés, avec lesquels mes relations ont toujours été tout à fait satisfaisantes et dont je n'ai eu, à aucune occasion, motif à contester le respect des obligations de confidentialité. Chez France Télécom, d'ailleurs, il n'y a pratiquement jamais eu de « fuites ». Il est vrai que le respect de la confidentialité implique un réel effort, afin d'éviter que l'administrateur salarié soit placé en « porte-à-faux » entre l'information légitime des salariés, en quelque sorte ses mandants, et l'intérêt des actionnaires. Ce risque de conflit de mission est d'autant plus aigu que l'entreprise fait largement appel aux marchés internationaux des capitaux, et que, par conséquent, l'absence de confidentialité peut avoir de lourdes conséquences, notamment juridiques, pour l'ensemble des administrateurs.

M. le Président : Feriez-vous une différence à ce propos entre les entreprises publiques cotées et celles qui ne le sont pas ?

M. Thierry BRETON : Oui, car pour les entreprises non cotées, dans un environnement en quelque sorte plus fermé, les règles de gouvernance articulées autours de la direction, de l'Etat et des salariés fonctionnent à peu près bien. Mais, à partir du moment où l'on ouvre cet environnement, et que l'on accepte ce qu'implique cette ouverture, il faut en tirer toutes les conséquences, ce qui n'a malheureusement pas été fait pour France Télécom. Parmi ces conséquences, par exemple, afin d'éviter que les administrateurs salariés soient écartelés entre la confidentialité nécessaire des discussions et leur propension naturelle et légitime à informer leurs mandants, j'ai créé un comité d'orientation où, la veille de chaque conseil, nous débattons des questions qui les préoccupent, essentiellement, mais pas uniquement les aspects sociaux, humains auxquels, peut-être, les autres administrateurs sont parfois moins sensibles. Le président du comité présente ensuite ses conclusions au conseil d'administration. Le lendemain de chaque conseil, à la demande des organisations syndicales à laquelle j'ai fait droit, nous réunissons l'ensemble des secrétaires généraux de toutes les organisations syndicales qui ne sont pas administrateurs salariés, rappelant exactement tout ce qui s'y est dit. Cette procédure, certes complexe, montre cependant qu'il est possible, pourvu que l'on s'en donne la peine, d'associer efficacement les salariés à la marche de l'entreprise.

Du point de vue du management interne, nos efforts pour corriger les dysfonctionnements passés nous ont conduits à nous assurer que les réunions du comité exécutif fassent l'objet de comptes-rendus (les « minutes ») de façon à ce que les décisions prises soient clairement actées et documentées. Parallèlement, nous avons créé un comité d'investissement, qui se réunit toutes les semaines pour examiner chaque investissement, y compris industriel (les CAPEX). Aujourd'hui, pas un centime n'est dépensé par la maison mère comme par les filiales, sans avoir été contrôlé au préalable. Cela a certes été difficile à mettre en place car, là encore, il fallait convaincre les actionnaires minoritaires, présents dans chaque strate du groupe, qu'il y allait de leur intérêt. Il me semble cependant que cette rigueur est une réelle protection pour l'entreprise et pour ses actionnaires et qu'elle permet d'harmoniser les synergies d'un groupe qui a été profondément, structurellement et volontairement éclaté.

Pour ne pas déstabiliser la maison mère, France Télécom SA, dont on connaît bien les contraintes réglementaires, le management a mené une politique de « filialisation à outrance », à travers la création de quatre sociétés cotées autour de France Télécom : Orange, Wanadoo, TPSA en Pologne et Equant. Le groupe s'est ainsi constitué d'une façon tout à fait paradoxale et déséquilibrée, la maison mère FTSA portant toute la dette tandis que les filiales concentrent la croissance de l'activité et des marges opérationnelles. Deux chiffres sont éloquents : ces quatre filiales, en février 2002, représentaient 111 % de la croissance consolidée prévisible du groupe et 90 % de la progression de l'EBITDA.

On a ainsi donné aux salariés de la maison-mère le sentiment que tout allait s'éteindre au centre et que le « grand large » prospérait. Ce faisant, on transférait du savoir-faire, de la croissance et de la compétence technologique à des entités cotées, au bénéfice de leurs actionnaires minoritaires, mais in fine au détriment de la maison mère.

Cette stratégie contestable répondait à la nécessité de trouver des moyens de refinancement. Je veux rappeler à ce stade que, si France Télécom a connu de grandes difficultés au cours de l'année 2002, c'est principalement parce que les investissements qui ont été réalisés s'appuyaient sur un plan de financement qui s'est avéré très vite totalement obsolète. Quelques chiffres sont éclairants : l'écart entre l'endettement prévu dans le plan de financement proposé en mai 2000, au cours de la vague d'acquisitions et les résultats à la fin de chaque année, atteignait 26 milliards d'euros en février 2001, 36 milliards d'euros en septembre 2001, 43 milliards d'euros en mars 2002, et 47 milliards d'euros en novembre 2002. Face à de tels besoins de financement, du fait de l'impossibilité légale d'échanger des actions de France Télécom SA, la participation de l'Etat étant bloquée à au moins 51 % du capital, la seule solution alternative était de vendre sur le marché des actions Orange, Wanadoo, etc. pour se désendetter. Si la bourse ne s'était pas effondrée, cette méthode aurait pu être payante. Malheureusement, il en a été autrement, le drame que j'ai décrit s'est noué et l'écart entre les projections et les résultats s'est creusé jour après jour.

M. le Président : Pensez-vous que ce France Télécom ait souffert d'une excessive décentralisation ? De manière plus prospective, comment assurer la cohérence d'un groupe dont les principaux relais de croissance, mobile, internet, etc., sont gérés par des filiales ? Le risque n'existe-t-il pas de voir apparaître des forces centrifuges au niveau des filiales, qui, à terme, souhaiteront financer leur développement par échange d'actions, et, au bout du compte, diluer la participation que détient France Télécom SA dans leur capital ?

Quel jugement portez-vous, par ailleurs, sur le département d'audit interne de France Télécom ? En particulier, comment l'audit des filiales est-il assuré ?

M. Thierry BRETON : France Télécom dispose d'un très bon audit interne, composé de collaborateurs de grande qualité. Le problème tient à la définition de ses missions. Il n'existait pas de comité d'audit groupe au sein du management afin de définir les sujets d'audits. Nous avons pallié cette omission en créant ce comité, présidé par l'un de mes proches collaborateurs, qui se réunit plusieurs fois par an. Il détermine, en étroite liaison avec le comité d'audit du conseil d'administration les programmes d'audit.

M. le Président : Le comité d'audit du conseil d'administration peut-il provoquer des audits de sa propre initiative ?

M. Thierry BRETON : Oui. Il fait part de ses souhaits au comité d'audit groupe qui arrête les sujets. C'est une bonne chose, car lancer un audit n'est pas quelque chose de neutre, les contrôles nourrissant les suspicions. Il est donc protecteur de laisser au comité d'audit issu du conseil d'administration cette responsabilité.

Votre première question est beaucoup plus large, permettez-moi de la mettre en perspective.

Aujourd'hui, j'ai à gérer une situation qui réclame un temps et une énergie considérables. Je suis président de France Télécom, président et administrateur d'Orange, administrateur d'Equant. Il faut donc entretenir des relations complexes avec les actionnaires minoritaires, tout en mettant en place des règles très strictes et rigoureuses de défense des intérêts du groupe dans son ensemble, règles qui n'existaient pas jusqu'alors. A cet égard, j'ai fait rédiger début janvier un petit mémo expliquant très précisément quels étaient les droits et les devoirs d'un administrateur représentant France Télécom dans les conseils des filiales. Peut-être l'Etat a-t-il fait de même pour ses administrateurs à France Télécom...

M. le Président : C'est votre impression ?

M. Thierry BRETON : Je ne sais pas. En tout cas, c'était mon devoir en tant qu'actionnaire majoritaire de filiales cotées. Le document que j'évoquais rappelait quel était le comportement à adopter, y compris s'agissant des modalités de rémunération des administrateurs représentant la maison-mère. L'ensemble de nos filiales verse en effet des jetons de présence à leurs administrateurs et j'ai trouvé anormal que ceux qui exerçaient cette fonction tout en étant salariés à France Télécom en bénéficient. J'ai corrigé cela et à partir du 1er janvier 2003, l'ensemble des administrateurs dont moi-même qui représentent France Télécom dans les conseils des filiales ou dans celui de la maison mère les reversent à l'entreprise.

De manière plus générale, représenter France Télécom implique bien sûr de participer aux débats, mais aussi et surtout de définir en amont la position du groupe dans les conseils d'administration, face aux actionnaires minoritaires, qui, eux aussi, défendent leurs intérêts, qui peuvent parfois être en contradiction avec ceux de la maison mère. Dans ce cas, c'est à nous de concilier ces préoccupations en accroissant les synergies, augmentant la productivité, la création de valeur, les capacités de recherche et de développement... Ainsi, à titre d'exemple, ai-je créé un comité de recherche et développement couvrant toutes les entités du groupe, qui auparavant géraient chacune leur propre département dédié. Je m'attelle à convaincre mes actionnaires minoritaires que la cohérence du groupe est dans leur intérêt et qu'être adossé à France Télécom est une chance. Le groupe génère en effet une formidable capacité de recherche et développement ! De même, une autre opportunité liée à la centralisation est de pouvoir acheter en commun. C'est pour cette raison que j'ai créé une fonction au comité exécutif dont l'objet est de centraliser les achats pour que tout le monde bénéficie d'une synergie maximale et, donc, de réductions de prix et de conditions plus avantageuses.

Tous ces éléments contribuent à me conforter dans la certitude que l'avenir de France Télécom est d'être un opérateur global, offrant à ses clients des services intégrés de télécommunications, sur l'ensemble de la palette des métiers. A charge pour moi de mettre en place la gouvernance qui optimise ce modèle.

M. Alfred TRASSY-PAILLOGUES : Vous avez décrit dans le détail les dysfonctionnements, les dérives, les anomalies de la gouvernance de France Télécom. Estimez-vous, pour autant, qu'il y a eu faute ?

Votre prédécesseur, M. Michel Bon, et l'ancien directeur financier, M.  Jean-Louis Vinciguerra, sont-ils toujours rémunérés par France Télécom et, si ou, à quel titre ?

M. Thierry BRETON : Concernant la première question, vous l'avez compris, je suis tourné vers l'avenir, qui seule est de ma responsabilité.

M. Alfred TRASSY-PAILLOGUES : C'est un peu court. C'est bien d'être tourné vers l'avenir, mais il ne faut pas que cela absolve.

M. le Président : Il vous faut bien comprendre l'objet de cette commission d'enquête. M. Michel Bon a reconnu devant nous que les prises de participations dans NTL et Mobilcom n'avaient pas été approuvées par le conseil d'administration. Cette attitude nous semble choquante, et il nous paraît essentiel de savoir, et de dire clairement, s'il y a eu, comme nous le pensons, des irrégularités graves, même si je comprends que la recherche de responsabilités n'est sans doute pas de votre ressort.

M. Thierry BRETON : La mission « état des lieux » n'a pas révélé de fraudes ou de problèmes de cette nature. On ne se situe pas dans un contexte de malhonnêteté ou de malversations.

Y a-t-il eu pour autant des erreurs ou des fautes ? Je crois que mon prédécesseur a assumé deux erreurs stratégiques lourdes de conséquences, NTL et Mobilcom. Ces deux opérations se sont en effet avérées être des investissements particulièrement regrettables pour l'entreprise puisqu'ils se sont soldés, pour le premier, par une perte nette pour l'entreprise de 8,5 milliards d'euros et, pour le second, par une perte de près de 12 milliards d'euros, sans le moindre actif en contrepartie.

L'investissement dans NTL est assez curieux, dans la mesure où il ne constitue pas un choix stratégique totalement cohérent. Il a eu lieu en juillet 1999, moment où France Télécom cherchait à s'étendre à l'international aussi vite que possible, mais sans disposer d'une réelle culture, ou seulement à l'état embryonnaire, du management d'opérations de croissance externe.

France Télécom a ainsi acquis 18 % de NTL en juillet 1999 pour 1 milliard d'euros, qui deviendront 5,4 milliards d'euros en raison d'un certain manque de fermeté dans la négociation, le groupe se trouvant piégé dans une sorte d'engrenage. Par suite, l'endettement de NTL s'est révélé insoutenable, passant de 6 milliards d'euros en 1999, à 19 milliards d'euros en 2000, puis 23 milliards d'euros en 2001, menant inéluctablement à la faillite. On retrouve des erreurs similaires s'agissant de Mobilcom : le groupe français a acquis des participations minoritaires qu'il n'a su contrôler, laissant pratiquement autonome le management local. Il est frappant de remarquer que seules deux personnes, puis une seule, géraient l'investissement dans NTL, avec le résultat que l'on sait. Pour Mobilcom, France Télécom a même laissé à M. Gerhardt Schmidt la possibilité de souscrire lui-même aux enchères UMTS comme bon lui semblait, ce qui conduira le groupe à verser 8,4 milliards d'euros au Trésor allemand.

Cette attitude a sans nul doute contribué à faire grimper les enchères, tant en Grande-Bretagne qu'en Allemagne. Il est facile de constater, a posteriori, que c'était une erreur, puisque les deux investissements se sont soldés par près de 20 milliards d'euros de pertes, et comme mon prédécesseur l'a reconnu, leur abandon a été très douloureux.

M. Michel Bon est, pour sa part, rémunéré par France Télécom jusqu'au 30 juin de cette année. Il partira ensuite à la retraite, sans aucun versement. Je lui ai confié une mission puisque je voulais utiliser son expérience et sa connaissance du groupe. Lorsque l'on arrive dans la situation que j'ai connue au début de mon mandat et surtout lorsqu'il faut procéder rapidement à une augmentation de capital, il faut essayer de tout comprendre et de ne rien cacher au marché. C'est pourquoi j'ai jugé qu'il était important que mon prédécesseur soit toujours présent. Par exemple, il y a peu de temps, je lui ai demandé des explications précises sur l'évolution de la stratégie de nos concurrents européens. Il achève actuellement cette mission, ainsi que d'autres relatives à différents aspects relatifs à l'UMTS. Quant à M. Jean-Louis Vinciguerra, il a quitté l'entreprise fin mai.

M. le Président : Puisque l'on parle de M. Michel Bon, permettez-moi d'aborder la question de sa rémunération, ce dont je me suis abstenu auparavant. De manière générale, il me semble normal, afin d'attirer des chefs d'entreprise de grande qualité, de les payer en conséquence. Un écart important entre les pratiques du privé et celles du public peut poser un problème. Ce n'est donc pas du tout un sujet polémique.

En revanche, l'étude des documents de référence pour 2001 et pour 2002 de France Télécom, m'a laissé perplexe. Les rémunérations en 2001 de M. Michel Bon s'établissent dans le rapport pour 2001 à 279 116 euros mais, dans celui pour 2002, à 573 359 euros. Pour 2002, la rémunération totale s'établit à 653 322 euros... Pourquoi une telle discordance dans ces chiffres ?

M. Thierry BRETON : Je suis prêt à m'exprimer sur les rémunérations de manière parfaitement transparente.

La mission « état des lieux » a en effet constaté des erreurs techniques dans le rapport annuel 2001. En fait, la rémunération du président telle qu'indiquée était nette de charges alors que la loi exige de faire mention des montants bruts. De même, le bonus qui représentait la moitié du salaire, soit 280 000 euros, n'apparaissait pas. La Commission des opérations de bourse (COB) nous a demandé de rectifier ces chiffres, ce qui a été fait.

M. le Président : Le bonus, égal à la moitié de la rémunération, avait donc été oublié ? Vous le dites très poliment.

M. Thierry BRETON : Nous avons réparé ces omissions conformément aux remarques de la COB.

En outre, je pense que les 653 000 euros que vous évoquez pour 2002 intègrent les jetons de présence versés par les filiales. M. Bon, M. Vinciguerra, comme l'ensemble des membres du comité exécutif qui siégeaient dans les conseils d'administration des filiales, bénéficiaient d'une rémunération en leur qualité d'administrateur.

M. le Président : Ainsi, le lecteur attentif des les documents de référence de France Télécom découvre un salaire dont la modicité relative cache un bonus, plus des jetons de présence...

M. François GOULARD : Pardonnez-moi d'insister sur ce sujet, mais notre rôle est d'essayer d'y voir clair sur des questions qui pourraient être polémiques. Je comprendrais d'ailleurs très bien que vous ne disposiez pas de l'information avec vous, mais vous pouvez nous répondre par écrit. Quel est le montant du salaire dont bénéficie M. Michel Bon jusqu'au 30 juin 2003 - à ma connaissance, sa qualité de fonctionnaire de l'Etat lui aurait sans doute permis de « vivre sans pointer »...

M. Thierry BRETON : Je rappelle qu'il est très important, à mes yeux, qu'il soit présent chez France Télécom jusqu'au 30 juin. Il dispose de la rémunération qu'il avait auparavant.

M. François GOULARD : Je voulais par ailleurs vous interroger sur l'APE, créée au début de cette année. Vous vous êtes déclaré très satisfait de l'implication et de la compétence des administrateurs qui représentent l'Etat au sein de votre conseil. L'APE a-t-elle introduit à cet égard un changement ?

Croyez-vous qu'elle change substantiellement la représentation de l'Etat actionnaire ? Pourra-t-elle avoir des fonctions transversales vis-à-vis de l'ensemble des entreprises dans lesquelles l'Etat détient une participation, à la manière d'une sorte de holding publique ?

M. le Président : Je souhaiterais vous interroger sur les modalités de nomination des dirigeants d'entreprise publique. La différence entre nos pratiques et ce qui se fait à l'étranger est très marquée. Ne faudrait-il pas élargir un peu le « vivier » dans lequel on « puise » les dirigeants, de façon à éviter de retrouver des profils par trop similaires ? Une plus grande sollicitation des compétences issues du privé n'apporterait-elle pas un peu d'oxygène ? Il me semble naturel que le politique conserve le pouvoir de nomination, mais sans doute, faut-il avoir des procédures plus rigoureuses...

M. Thierry BRETON : Concernant l'Agence des participations de l'Etat, je pense que tout dépendra de ses représentants. Je considère qu'un président d'entreprise est un élu, moi-même l'ayant été par l'assemblée générale des actionnaires qui s'est tenue en février 2003. Vous qui êtes des élus, vous savez qu'une fois l'élection passée, tout dépend des relations qui s'établissent entre les hommes. L'ensemble des membres de mon conseil d'administration sont aussi des élus. Chacun s'est fait connaître dans sa « petite circonscription », étant expert en technologie, appartenant à la direction du Trésor, etc. Ma responsabilité est donc précisément de gérer l'ensemble des relations que j'entretiens avec ces « élus » de mes actionnaires. C'est ainsi que j'ai conçu mon rôle dans toutes les entreprises dont j'ai eu la responsabilité. Des relations se nouaient dans des conseils mais aussi par des contacts très fréquents.

De la même manière que, s'agissant du management interne, l'on a l'équipe que l'on mérite, il est donc de ma responsabilité de rendre le conseil d'administration efficace et performant. Si je vous dis cela, c'est qu'on l'a un peu trop oublié. Je suis parfaitement conscient du rôle que France Télécom a à jouer au sein de la collectivité nationale, mais aussi dans les pays étrangers où il opère. En effet, France Télécom gère des concessions de service public, de la fréquence rare, des ressources technologiques, parce que des Etats lui font confiance. En contrepartie, l'entreprise assume des devoirs vis-à-vis de ceux qui concèdent ces droits, missions qui dépassent souvent l'exécution du service public proprement dite. Je pense par exemple aux opérations d'interception de communication téléphonique demandées par le juge. Il m'appartient d'expliquer très clairement ces missions aux actionnaires autres que l'Etat en leur décrivant leur coût et ce que cela implique d'être aujourd'hui le plus grand opérateur de télécommunications en France. Ils le comprennent très bien.

En revanche, le terme de « tutelle » me paraît inapproprié. Je ne connais que mes actionnaires. Je ne vais jamais passer au-dessus de ceux qui sont dûment mandatés pour les représenter afin d'aller obtenir ailleurs telle ou telle autorisation. Je ne respecterais pas, en faisant cela, les règles du droit des sociétés qui veulent que le conseil d'administration soit souverain.

Pour que cette conception de la gouvernance soit efficace, il faut que les administrateurs des conseils soient bien formés, disposent du temps et de la continuité nécessaires à l'exercice de leurs fonctions.

M. le Président : A cet égard, les entreprises doivent-elles assumer la formation des administrateurs ?

M. Thierry BRETON : C'est une question difficile. C'est notre rôle en effet de leur donner tous les moyens nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Mais cela n'est pas suffisant. Permettez-moi d'évoquer un exemple. Je suis administrateur d'Axa. Je connaissais très peu l'assurance, mais j'ai quelques compétences en matière de management et de gestion d'entreprise. J'ai donc demandé à passer trois jours chez Axa afin de rencontrer qui bon me semblait. On m'y a autorisé. Tous les ans, entre le 25 et le 30 juillet, quand les affaires se calment un peu dans la société dont j'ai la responsabilité, je vais chez Axa et rencontre les dirigeants en tête-à-tête, afin de me former, de maintenir une connaissance satisfaisante de l'entreprise et de mieux appréhender les difficultés. C'est ainsi que je conçois mon métier d'administrateur, et ce travail d'enrichissement permanent est en outre utile à l'entreprise que je gère. Y a-t-il une école pour cela ? Je n'en sais rien. Faut-il une volonté ? Certainement. Faut-il s'en donner les moyens ? Sans aucun doute.

Qu'est-ce que j'attends de l'Agence des participations de l'Etat ? Peut-être plus de lisibilité dans les souhaits de l'Etat actionnaire. Si j'aide les administrateurs dont j'ai la responsabilité au moyen, notamment, du petit mémo dont je vous ai parlé, ce n'est pas mon rôle de dire comment ils doivent s'organiser pour mieux contrôler mon entreprise. Ces défis sont les leurs et tout ce qui donne de la lisibilité, de la durée dans leur représentation me semble aller dans le bon sens.

M. le Président : S'agissant de la nomination des dirigeants ?

M. Thierry BRETON : C'est un sujet encore plus vaste. Comment désigne-t-on un président d'entreprise ?

Le choix des hommes est ce qu'il y a de plus compliqué dans mon métier. La désignation des dirigeants est le choix suprême des actionnaires, et je dirai d'ailleurs que c'est l'un des rares pouvoirs dont ils disposent exclusivement que de choisir ou de révoquer le président. En dehors de cette prérogative ultime, les moyens d'action au jour le jour des actionnaires dépendent étroitement de la façon dont le président organise le partage des décisions.

Aujourd'hui, dans les entreprises dans lesquelles l'Etat n'est plus majoritaire, des comités de sélection ont été mis en place pour éclairer le conseil sur le choix des dirigeants. Cela me semble quelque chose de sain car, à plusieurs, on peut sans doute moins se tromper que seul, pourvu que, comme au sein des conseils, l'actionnaire majoritaire y ait une voix prépondérante et que les administrateurs y jouent pleinement leur rôle.

Faut-il faire appel à des chasseurs de têtes ? Personnellement, j'y répugne. Rien ne remplace le contact direct, et je dois dire que je consacre beaucoup de temps à cette partie de mon travail.

Il me semble ainsi que la puissance publique, lorsqu'elle est actionnaire majoritaire, doit se comporter de la même manière, en se faisant certes clairement entendre, mais aussi en écoutant les souhaits et les opinions des autres actionnaires, que le président a vocation à représenter.

M. François BROTTES : La différence que vous faites entre le concept de tutelle et celui d'actionnaire majoritaire me semble claire, quoiqu'un peu théorique.

Prenons un exemple concret. Imaginons qu'une autre entreprise publique que France Télécom décide, avec l'appui de son actionnaire principal, l'Etat, de développer des activités sur le marché des télécommunications. Comment réagiriez-vous ? Vous contenteriez-vous de prendre acte du fait que, dans votre périmètre d'activités, il y a un nouveau concurrent ? Ou sensibiliseriez-vous les représentants de votre actionnaire principal aux risques d'une telle compétition ? Il me semble que cet exemple concret relativise quelque peu la pertinence de l'opposition que vous faites entre la « tutelle » et « l'actionnaire majoritaire ».

M. Alain JOYANDET : Vous avez dit tout à l'heure que vous n'aviez pas retrouvé, dans les archives de l'entreprise, de documents permettant d'apprécier les conditions dans lesquelles les grandes décisions étaient prises. Pouvez-vous nous préciser si, effectivement, il est impossible de déterminer avec précision la manière et le moment où le PDG a pris ses décisions ? N'y a-t-il pas des traces d'accords verbaux ou écrits des autorités politiques ?

Je tire de vos propos concernant le recrutement des présidents la conclusion qu'on peut mettre les règles et les dispositifs les plus précautionneux en place, si l'on a la chance d'embaucher un président intelligent, on gagne, et si l'on choisit un dirigeant moins sûr dans ses jugements, on perd.

Compte tenu de l'importance du président, le maintien d'un ancien dirigeant, avec son salaire, alors même qu'il assume la responsabilité d'erreurs considérables, vous apparaît-il sain ? Cela ne témoigne-t-il pas d'une certaine solidarité entre présidents de grandes entreprises ? Est-il juste de garder son salaire lorsque l'on n'assume plus les fonctions qui le justifient ?

M. Thierry BRETON : M. le député, vous avez employé le mot « erreur ». Ce n'est pas moi qui l'ai utilisé, mais M. Michel Bon lui-même, pour évoquer NTL et Mobilcom. Je ne me sens pas qualifié pour pouvoir porter de manière définitive et péremptoire ce type de jugement.

M. le Président : Vous avez cependant employé l'expression « frénésie d'acquisitions »...

M. Thierry BRETON : Et je l'assume !

La rémunération de M. Bon jusqu'au 30 juin, en contrepartie de missions précises, a été arrêtée par le conseil d'administration dans son ensemble, peu après ma nomination.

Le recrutement n'est malheureusement pas une science exacte. Je ne partage pas les conclusions de M. Barbier de La Serre qui s'étonnait que les entreprises ne soient pas capables de générer en leur sein des présidents. Il n'y a pas de règle. Les entreprises qui sont amenées à évoluer très vite doivent s'enrichir de l'expérience de personnalités qui, ailleurs, ont eu à connaître des défis comparables.

Est-il dans la vocation du président de faire émerger les talents dans l'entreprise ? Bien entendu. Mais, in fine, il ne lui appartient pas de choisir son successeur. C'est la vocation du conseil d'administration. Il doit, à mes yeux, se contenter d'être une force de proposition parmi d'autres.

M. Alain JOYANDET : A propos des difficultés de recrutement du président, et des lourdes conséquences de sa plus ou moins grande compétence, recommanderiez-vous, au regard de ces défaillances propres que l'Etat se dégage progressivement des entreprises évoluant dans des secteurs concurrentiels ?

M. Thierry BRETON : C'est une question tout à fait différente. Pour avoir dirigé des entreprises dans des environnements très concurrentiels, je n'ai jamais fait la distinction selon l'identité de l'actionnaire majoritaire. Pour moi, cette question ne se pose pas et c'est la responsabilité des actionnaires de faire ce qu'ils veulent de leurs actions. Ma responsabilité se limite à gérer le mandat qu'ils m'ont confié, en leur proposant des stratégies, qu'ils approuvent ou refusent. En résumé, la vraie mission des chefs d'entreprise est d'être une force de proposition vis-à-vis de leurs actionnaires. Que ces derniers leur donnent ou non les moyens pour la réaliser, cela se discute ensuite, bien que, si une stratégie a été étudiée, analysée et validée, et qu'elle apparaît indispensable à la survie ou au développement de l'entreprise, il me semble qu'il faut l'assortir des moyens nécessaires.

M. Brottes me demandait, s'agissant de la tutelle, comment se comporter face à des conflits d'intérêt au sein même de l'Etat. C'est, une fois encore, aux administrateurs qui représentent l'Etat de se mettre d'accord. Il me semble naturel qu'ils se concertent afin d'optimiser le patrimoine de l'actionnaire qu'ils représentent. Les dirigeants d'entreprise publique n'ont pas à définir les intérêts de l'Etat actionnaire.

M. Alfred TRASSY-PAILLOGUES : Vous ne nous avez pas dit ce qu'avait fait M. Jean-Louis Vinciguerra chez France Télécom jusqu'à la fin du mois de mai 2003...

Si je devinais que la décision de maintenir M. Michel Bon dans l'entreprise résultait d'un souhait de l'Etat, elle me semble cependant éminemment contestable et complètement en contradiction avec notre volonté de clarifier les responsabilités dans le secteur public. Ce type de comportement entretient une suspicion dramatique sur la gestion des sociétés. J'aurais tendance à dire que votre prédécesseur est sorti par la petite porte avec parachute et filet de protection. D'aucuns ont quitté d'autres entreprises par la grande porte sans parachute ni filet de protection...

Je souhaiterais donc savoir quel est le représentant de l'Etat qui a proposé que M. Bon soit maintenu dans l'entreprise jusqu'à l'âge de sa retraite.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Vous avez évoqué la notion d'« investissements regrettables » et, par ailleurs, vous avez qualifié de « calamiteuses » les conséquences des prises de participation dans Mobilcom et NTL. Je souhaiterais que vous nous précisiez votre vision sur le rôle joué dans ce type d'acquisition par le ministre, ultime représentant de l'Etat actionnaire. Vous nous avez dit que le président doit être une machine à dire non. Considérez-vous que le ministre, dans son rôle de défense des intérêts patrimoniaux de l'Etat, a joué efficacement son rôle en ne s'opposant pas à ces investissements ?

M. le Rapporteur : Je voulais évoquer le programme de redressement que vous avez défini au mois de décembre dernier. Pouvez-vous nous en retracer un premier bilan s'agissant à la fois de l'augmentation de capital, de l'allongement des échéances de la dette et des mesures d'économie ? En particulier, le programme de résorption des sureffectifs et de reclassement des personnels dans les différentes administrations de l'Etat donne-t-il des premiers résultats encourageants ?

M. Thierry BRETON : Tout d'abord, je dois rappeler que M. Jean-Louis Vinciguerra a joué depuis octobre 2002 un rôle extrêmement utile. C'est à ma demande qu'il est resté chez France Télécom jusqu'au mois de mai 2003 car la complexité des dossiers à traiter rendait nécessaire que j'aie à mes côtés quelqu'un qui en connaisse les moindres détails. En particulier, l'ancien directeur financier a contribué efficacement au règlement du dossier Mobilcom dont lui seul connaissait l'ensemble des ficelles, des tenants et des aboutissants. Si l'on a pu en sortir, bien que cela ait été très douloureux pour l'entreprise, c'est notamment grâce à son travail à plein temps.

S'agissant du maintien de M. Michel Bon, je crois que cela a été fait - je ne vais pas être très précis - par le biais du comité de sélection et de rémunération. M. Jean-Pierre Jouyet, directeur du Trésor, s'en est fait le porte-parole, mais je dois le vérifier. Ma mémoire n'est pas précise sur ce point et on pourra vous le préciser.

M. Giscard d'Estaing, je crains de ne pas comprendre complètement votre question car le ministre, dans la gestion d'une entreprise publique ou d'une entreprise de façon générale qui, plus est, est cotée, a un rôle...

M. le Président : ... C'est très simple. Quand on apprend que les prises de participation dans NTL et Mobilcom n'ont pas été soumises au conseil d'administration, on ose espérer qu'au minimum, une personne qualifiée pour cela a signifié l'agrément de l'Etat. Et la plus qualifiée est sans doute le ministre...

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Devant la commission, M. Michel Bon a en effet indiqué que, s'agissant de ces grandes décisions stratégiques, il considérait la légitimité du conseil d'administration très faible face à l'autorité du ministre, et que dès lors que ce dernier s'était prononcé, la « messe était dite ».

M. Thierry BRETON : Si jamais il y a eu des correspondances ou des relations intuitu personae entre le ministre et M. Michel Bon, nous n'en conservons pas de trace.

M. le Président : On vous pose la question car, à ce sujet, les propos de MM. Vinciguerra, Bon, Jouyet ou du ministre des finances de l'époque, ont été passablement contradictoires...

M. Thierry BRETON : D'une façon plus générale, tant que l'on était dans une dynamique euphorique, dans une logique de succès, il est possible que les informations aient été données a posteriori. Mais à partir du moment où les choses sont devenues plus difficiles, on a vu l'Etat reprendre les choses en main et rejouer fermement son rôle d'actionnaire. C'est surtout lorsque la dégradation de France Télécom a été manifeste que le conseil s'est ressaisi pleinement des dossiers.

Pour répondre à M. le Rapporteur, le plan d'amélioration opérationnelle se déroule conformément à nos objectifs, comme je l'ai annoncé il y a quelques semaines lors de la publication de nos résultats du premier trimestre. Notre approche concernant le plan de mobilité est faite de pragmatisme. Nous avons voulu proposer à nos fonctionnaires qui le souhaitent la possibilité de les aider à se réorienter vers la sphère publique. Cette démarche est basée sur le volontariat, et pour faire face aux nombreuses demandes en interne, nous avons créé un bureau gérant les dossiers sur une base individuelle, l'Etat ayant, de son côté, nommé une personnalité afin d'aider nos collaborateurs à trouver des débouchés dans la fonction publique. Les reclassements sont plus nombreux en région, car on constate que nos collaborateurs, très bien formés, et dont les compétences professionnelles sont unanimement reconnues, sont bien enracinés dans la vie locale, et saisissent fréquemment les opportunités de poursuivre leur carrière dans telle ou telle administration territoriale. Cependant, les démarches étant par essence individuelles, il est difficile d'avancer des chiffres. Sous réserve de ces précautions, je rappelle que l'année dernière il y a eu à peu près 300 départs et que, cette année, 700 reclassements semblent un bon objectif.

M. le Président : M. le Président, je voudrais vous remercier pour vos réponses très concrètes. Au nom de l'ensemble des membres de la commission, je vous souhaite beaucoup de courage et de réussite pour redresser une entreprise qui a beaucoup souffert.

M. Thierry BRETON : Merci, M. le Président. Je suis heureux de vous dire qu'elle est sur la bonne voie.

Audition de M. Mario MONTI,
commissaire européen chargé de la concurrence

(Extrait du procès-verbal de la séance du 10 juin 2003)

Présidence de Michel DIEFENBACHER, Rapporteur,
puis de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

M. Mario Monti est introduit.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous souhaiter la bienvenue et vous remercier, au nom de tous les membres de la commission, d'avoir répondu à notre invitation.

Nous travaillons depuis le mois de janvier sur la question de la gestion passée et présente des entreprises publiques françaises. Exercice qui nous a conduit à entendre les différentes parties prenantes : présidents anciens et actuels des entreprises publiques, membres de conseils d'administration, commissaires aux comptes, mais aussi représentants de l'Etat et ministres.

L'élément qui a incontestablement bouleversé le paysage des entreprises publiques est l'ouverture à la concurrence voulue par l'Union Européenne. Ouverture qui a touché, qui touche ou touchera tous les secteurs publics nationaux : les télécommunications, l'énergie mais également les services postaux ou les réseaux ferroviaires.

Le débat sur les services d'intérêt général vient par ailleurs d'être relancé avec la publication du récent Livre Vert de la Commission sur ce sujet.

Vous avez été chargé, au sein de la commission européenne, du marché intérieur de 1995 à 1999. Vous êtes depuis cette époque en charge de la concurrence. Votre vaste expérience va donc nous permettre d'aborder plusieurs thèmes et plus spécifiquement, les divergences d'appréciation sur l'aide apportée récemment par l'Etat à France Télécom ou sur la garantie liée au statut d'établissement public industriel et commercial d'EDF.

M. Mario MONTI : Je remercie le président et les membres de cette commission de m'avoir invité à cette réunion dans le cadre de vos réflexions sur la gestion des entreprises publiques, afin d'améliorer le système de prise de décision.

J'ai accepté volontiers votre invitation, parce que l'exposé des motifs ayant conduit à la création de la commission d'enquête montre que votre objectif, qui est notamment d'améliorer la compétitivité des entreprises publiques en évitant la multiplication des soutiens financiers de l'Etat, est également celui de la Commission européenne.

Dans certains Etats membres, dont la France, les entreprises publiques conservent un poids économique important notamment dans des secteurs stratégiques comme l'énergie, les télécommunications ou les transports. Ces entreprises ont donc un rôle important à jouer si nous voulons atteindre les objectifs stratégiques définis par le Conseil européen de Lisbonne pour la période 2000-2010. Depuis trois ans, des progrès considérables ont déjà été accomplis sur la ligne de la stratégie de Lisbonne, mais il est clair qu'un long chemin reste à parcourir.

Lors du dernier Conseil européen de printemps, les Etats membres ont confirmé sans ambiguïté leur engagement en ce sens en demandant à la Commission européenne de travailler en particulier au renforcement du marché intérieur, en poursuivant les réformes des marchés et en donnant la priorité à l'innovation et à l'esprit d'entreprise. A plusieurs reprises, lors des Conseils européens, certains Etats membres ont également insisté sur une application stricte des règles de concurrence, notamment en matière d'aide d'Etat. Il est en effet largement établi que le libre jeu du marché constitue la clef de la croissance. Ceci n'exclut pas la possibilité pour l'Etat d'intervenir en cas de défaillances du marché. Je reviendrai sur ce point en ce qui concerne plus particulièrement les services d'intérêt général.

Je voudrais aborder trois points essentiels dans mon exposé.

Il me paraît tout d'abord important de rappeler que le Traité de Rome ne préjuge pas du régime de la propriété des entreprises. En revanche, les mêmes règles doivent être applicables aux entreprises privées et publiques.

S'agissant du principe de neutralité, il est parfois reproché à la Commission européenne de s'attaquer plus souvent aux entreprises publiques qu'aux entreprises privées et d'imposer la privatisation. Je voudrais souligner très clairement qu'il n'y a bien sûr aucun ostracisme de la part de la Commission à l'égard des entreprises publiques.

L'article 295 du Traité C.E. précise clairement que le Traité ne préjuge en rien du régime de la propriété des entreprises dans les Etats membres. Il n'appartient donc pas à la Commission de demander la privatisation des entreprises ou, inversement, leur nationalisation. La décision de privatiser une entreprise relève de la seule responsabilité des Etats membres. Je voudrais ajouter qu'au-delà de l'aspect strictement juridique, notre approche est également fondée sur le fait qu'en qualité d'autorité en charge de la concurrence, nous ne voyons aucune raison économique de privilégier ou de discriminer une catégorie d'entreprises.

Les Etats peuvent donc intervenir sur le marché en qualité d'actionnaire d'entreprises publiques. La limite que nous imposons est que ces entreprises publiques ne doivent pas bénéficier de privilèges du fait de leur actionnariat public. En d'autres termes, l'Etat doit se comporter comme tout actionnaire privé. Ceci est aussi stipulé dans le Traité de Rome dans son article 86, paragraphe 1, selon lequel les Etats-membres, en ce qui concerne les entreprises publiques n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles de concurrence.

Cette exigence de neutralité prend bien sûr une importance accrue du fait des progrès de la libéralisation. En effet, quand les entreprises publiques opéraient majoritairement sur des marchés non libéralisés, les avantages dont elles pouvaient bénéficier n'avaient qu'un impact limité sur la concurrence. La situation est désormais différente : sauf rares exceptions, les entreprises publiques interviennent sur des marchés libéralisés en concurrence avec des entreprises privées. Cette concurrence est saine sous réserve qu'elle se fasse à armes égales. Il n'est pas admissible que les entreprises privées affrontent la concurrence d'entreprises publiques qui ne supportent pas la totalité de leurs coûts ou qui reçoivent des avantages qu'un actionnaire privé ne procurerait pas.

Cette exigence fonctionne évidemment dans les deux sens : les éventuelles aides d'Etat octroyées aux entreprises privées doivent être contrôlées selon les mêmes critères.

En second lieu, le critère de l'investisseur privé a été développé par la Commission européenne et entériné par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) afin de déterminer à partir de quel moment une intervention de l'Etat actionnaire peut être qualifiée d'aide d'Etat. Lorsque nous sommes confrontés à une intervention étatique en faveur d'une entreprise publique ayant une activité économique concurrentielle, la question que nous nous posons est simple : un actionnaire privé aurait-il fait la même chose ? Comme vous pouvez l'imaginer, si la question est simple, la réponse peut s'avérer malgré tout difficile.

Pour simplifier, nous pouvons distinguer deux grandes catégories d'intervention de l'Etat, selon que l'entreprise est ou non en situation de crise financière.

Les interventions étatiques en l'absence de crise peuvent se présenter sous de multiples formes. Je citerai quelques exemples qui me paraissent les plus intéressants.

La présence de l'Etat au capital d'une entreprise implique que celui-ci est d'abord un actionnaire. Un actionnaire privé ne participe pas gratuitement au capital d'une entreprise. Le principe de l'investisseur privé exige donc que l'Etat actionnaire se fasse rémunérer pour sa participation au capital de l'entreprise. L'absence de rémunération signifie que l'Etat abandonne des ressources qui normalement lui reviennent, ce qui constitue une aide d'Etat à l'entreprise en cause.

L'Etat peut d'autre part octroyer sa garantie financière à une entreprise publique. Il est clair qu'une telle garantie est particulièrement appréciée des banques et procure à l'entreprise un avantage financier important. L'octroi d'une garantie ne soulève pas de problèmes de principe, mais nous demandons qu'elle soit rémunérée dans les mêmes conditions qu'une garantie accordée par le marché. Pour permettre le calcul d'une prime appropriée, la garantie doit être limitée en temps et en montant ou être éliminée. Telle est notamment l'approche que nous avons retenue en ce qui concerne les garanties octroyées par certains Länder allemands à des banques publiques.

Les entreprises sont également soumises à une fiscalité ou à des charges sociales plus ou moins lourdes selon les Etats membres, qui doivent bien sûr être les mêmes dans les secteurs public et privé. A titre d'exemple, la Commission a décidé, le 3 juillet 2001, que l'exonération de l'impôt néerlandais sur les sociétés accordée à la société publique qui exploite l'aéroport de Schipol Amsterdam, constituait une aide d'Etat et qu'il fallait y mettre fin. La Commission a estimé qu'il n'y avait aucune raison que cet impôt payé par les entreprises privées ne le soit pas également par les entreprises publiques. Le même raisonnement est applicable à toute discrimination fiscale en faveur des entreprises publiques, qu'il s'agisse de réductions d'accises, de taxe  professionnelle ou de taxes locales.

Quant aux avantages en nature, il peut s'agir de la mise à disposition gratuite de terrains, de matériel, voire dans certains cas de fonctionnaires qui continuent à être payés par l'Etat. De tels avantages sont bien sûr inacceptables, sauf s'ils sont justifiés, par exemple, par des missions de service public.

Les exemples que je viens de citer sont assez divers, mais tous jusqu'ici pertinents dans le cas d'une situation financière normale. Les formes d'intervention étatique en cas de crise financière peuvent aussi intéresser votre commission d'enquête.

Une entreprise, qu'elle soit publique ou privée, peut se trouver en situation de crise financière et il n'est pas anormal que l'actionnaire soit appelé à la rescousse. La question essentielle porte sur les conditions de cette intervention. A cet égard, il faut malheureusement constater  - et je précise dans tous les Etats membres - que certaines entreprises publiques connaissent des difficultés financières importantes depuis de nombreuses années et survivent uniquement grâce au soutien continu de l'Etat actionnaire.

De telles situations ne sont pas acceptables au regard de la concurrence, ni d'ailleurs des finances publiques. Le maintien de telles entreprises sur le marché est de nature à causer un préjudice grave aux autres entreprises qui, de ce fait, risquent à leur tour de connaître des difficultés.

Je n'ignore pas que de tels cas soulèvent souvent des difficultés politiques et sociales qu'il faut prendre en considération, mais cela ne doit pas être un prétexte à l'inaction. Comme l'exposé des motifs de cette commission d'enquête le souligne, ces situations posent aussi souvent la question de la responsabilité dans la situation de crise. Il n'appartient pas à la Commission de mettre en exergue tel ou tel responsable, mais d'identifier les raisons qui ont conduit aux difficultés afin d'apprécier si les mesures de soutien, voire de sauvetage, sont appropriées. D'une façon générale, je ne peux qu'encourager l'Etat actionnaire à assumer pleinement ses responsabilités et à exercer sur les entreprises publiques le même contrôle que les investisseurs privés.

Le manque de contrôle et le sentiment qu'éprouvent certains dirigeants d'entreprises publiques, conscient ou inconscient, que l'Etat providence sera toujours là pour corriger d'éventuelles erreurs peuvent en partie expliquer des situations particulièrement pénibles. Lorsque nous sommes confrontés à de tels cas, notre approche reste fondée sur le principe de l'investisseur privé que j'ai déjà mentionné. En d'autres termes, nous nous demandons quelle serait la réponse d'un actionnaire privé face à une telle situation : ce dernier apporterait-il son soutien à l'entreprise ou déciderait-il sa liquidation ? S'il est établi qu'un investisseur privé déciderait la liquidation, nous devons en tirer la conclusion qu'une intervention financière constitue en fait une aide d'Etat. Dans cette hypothèse, elle peut toutefois être acceptée par la Commission, mais sous réserve de conditions spécifiques et de l'établissement d'un plan de restructuration réaliste qui, normalement, comporte la cession de certaines activités.

Enfin, les notions d'entreprise publique et de service public ne doivent pas être confondues. Certains services publics sont fournis par des entreprises privées et, inversement, certaines entreprises publiques n'interviennent pas en matière de service public. Certaines grandes entreprises publiques sont chargées de missions de service public tout en intervenant sur des marchés concurrentiels.

Vous avez évoqué, M. le Rapporteur, le thème de service public, qui a déjà donné lieu à de nombreux travaux de la part de la Commission qui vient d'adopter récemment un Livre Vert sur cette question. Je crois pouvoir dire qu'il s'agit d'un document important qui aborde en particulier la question de la place des services publics en Europe et le rôle respectif des Etats membres et de la Communauté. L'objectif est de donner à toute personne intéressée la possibilité de faire part de ses commentaires et de ses propositions. Il s'agit donc d'un document qui ouvre le débat avant de définir les actions les plus appropriées au niveau européen. S'agissant des règles de la concurrence, la question essentielle porte sur les possibilités de financement du service public et la conformité avec les dispositions en matière d'aide d'Etat.

Je dois dire que les critiques qui sont parfois émises contre la Commission européenne me paraissent difficilement compréhensibles. Les règles actuelles permettent en effet aux Etats membres d'octroyer aux entreprises en charge du service public tout le soutien financier dont elles ont besoin pour le service en cause.

Cette compensation peut bien sûr inclure une marge normale. La limite que nous imposons est que le soutien ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire, c'est-à-dire que les surcompensations constituent des aides d'Etat. Nous demandons également que l'argent destiné au service public soit effectivement utilisé pour ce service et non détourné pour intervenir sur des marchés concurrentiels. Cette condition est particulièrement importante dans des secteurs comme l'énergie, la poste ou les transports, dans lesquels les mêmes entreprises intégrées exercent des activités de service public et concurrentielles.

Dans tous les cas, il est particulièrement important que les obligations pesant sur l'entreprise soient clairement précisées dans un contrat qui lie l'Etat à l'entreprise. Cette transparence est nécessaire pour déterminer la juste compensation et éviter d'éventuelles surcompensations.

Je voudrais insister sur le fait que lorsque la Commission européenne demande des explications à un Etat membre sur les avantages financiers octroyés à telle ou telle entreprise, il ne s'agit aucunement de mettre en cause le fonctionnement du service public mais de vérifier que ces avantages lui sont effectivement nécessaires. Dans le cas contraire, pourquoi faudrait-il accepter de tels avantages ? Outre le fait qu'ils grèvent le budget des Etats, ces avantages injustifiés sont utilisés pour faire une concurrence déloyale aux autres entreprises et ne sont donc pas acceptables.

En conclusion de ces remarques sur les entreprises publiques et les règles de concurrence, permettez-moi d'insister sur les deux points suivants :

L'Europe a besoin avant tout d'entreprises compétitives. Le fait que celles-ci soient privées ou publiques n'a pas d'importance, cela relève de la « sagesse » des Etats-membres et il n'appartient pas à la Commission européenne de l'apprécier. Les entreprises publiques et leurs actionnaires doivent toutefois faire un effort pour s'adapter à la situation nouvelle créée par la libéralisation et veiller à ce que les règles du jeu soient respectées. A ce titre, comme l'indiquait récemment dans la presse le Président, M. Douste-Blazy, un effort important doit être fait en matière de transparence.

En second lieu, il est dans l'intérêt des Etats, de la population, de la Commission européenne comme des entreprises publiques que les flux financiers entre celles-ci et l'Etat soient clairement identifiés. Cette transparence peut permettre de repérer les éventuels problèmes, mais également de lever la suspicion sur les financements que certaines entreprises peuvent recevoir.

Pour sa part, la Commission européenne a fait son travail puisque nous avons adopté, dès 1980, une directive sur la transparence des relations financières entre les Etats et les entreprises publiques.

En conclusion, il me semble que certaines appréciations sur la Commission sont souvent erronées par exemple le fait qu'elle ait une préférence pour les entreprises privées. De même, certains Etats ne décident pas la privatisation ou l'ouverture du capital d'une entreprise publique parce que la Commission européenne le leur impose. Il s'agit de la seule responsabilité des Etats. La Commission n'empêche pas non plus le financement des services d'intérêt économique général, mais elle a le devoir de veiller à ce qu'il n'y ait pas de surcompensation.

Je crois pouvoir dire que la Commission européenne, dans sa tâche qui n'est pas toujours facile, se pose comme alliée de la transparence des relations financières entre les Etats et les entreprises et comme alliée ultime des contribuables.

M. le Rapporteur: Je vous remercie pour la clarté de votre exposé et la manière dont vous avez distingué les rôles qui reviennent à la fois à l'Union européenne et aux Etats.

Quelle appréciation portez-vous sur les conséquences de l'ouverture à la concurrence, en termes de prix, de qualité des services et de compétitivité des entreprises, à la fois dans l'Union européenne et en France ?

Sur ce point, je souhaiterais savoir si la Commission dispose des instruments statistiques permettant de mesurer l'évolution de la compétitivité des entreprises qui assurent des missions de service public dans les différents pays européens, quel que soit leur statut. Nous rencontrons en effet des difficultés à comparer les situations dans ce domaine.

M. Mario MONTI : Quelles ont été les conséquences de l'ouverture à la concurrence et de la libéralisation ? Ce n'est pas toujours facile à mesurer dans le détail mais assez facile à esquisser dans les grandes lignes. Dans le domaine des télécommunications, il existe des données qui montrent clairement les avantages en termes de réduction du prix moyen des appels téléphoniques du fait de la libéralisation.

Je voudrais surtout souligner que les effets positifs de la libéralisation, en termes de réduction de prix, n'ont en aucune manière porté atteinte au respect des principes de service universel et aux obligations de service public. Il serait faux de présenter la libéralisation et la concurrence d'une part, et les exigences de service public et de service universel d'autre part, comme des notions antagonistes et conflictuelles. Bien au contraire, une approche équilibrée de la libéralisation et la clarification des missions de services d'intérêt économique général permettent de faire bénéficier des avantages de la concurrence les usagers des services, et en même temps de garantir certains droits, notamment en matière de service universel, qui ne pourraient pas l'être par le seul marché. Il est d'ailleurs intéressant de noter à cet égard que le « service universel » est un service public imposé par la Communauté afin de garantir à tous les citoyens européens des services essentiels dans le domaine des télécommunications ou de l'énergie. Contrairement à certaines idées reçues, la libéralisation n'implique pas moins de services publics, mais peut au contraire, contribuer à plus de droits pour les citoyens.

Il serait donc erroné de percevoir la politique de libéralisation comme l'expression naïve de la foi dans les marchés. On peut parfaitement être en faveur d'une politique de concurrence et de libéralisation tout en étant conscient que les marchés peuvent présenter des défaillances qui requièrent des interventions publiques.

M. le Président : La directive du 26 juillet 2000 prévoit la tenue d'une comptabilité séparée au sein des entreprises publiques entre d'une part les missions d'intérêt général et, d'autre part, les services qu'elles proposent en concurrence. Pouvez-vous nous en préciser les raisons ?

Vous semble-t-il souhaitable d'aller plus loin dans la séparation de ces activités à travers, par exemple, leur filialisation ?

M. Mario MONTI : De nombreuses entreprises publiques sont chargées de missions de service public et opèrent, en même temps, sur des marchés concurrentiels. Afin d'éviter des subventions croisées, il est nécessaire, à l'avantage de la concurrence et de la clarté des relations financières entre les Etats et leurs citoyens, d'avoir cette distinction comptable.

Sur le plan de la concurrence, plus la séparation est structurelle, plus on est certain qu'il n'y a pas de subventions croisées impropres. Dans une approche graduelle de la libéralisation en Europe, on s'est souvent contenté, au moins dans une première étape, de la séparation comptable des activités, qui constitue à mon sens un premier pas important.

M. le Président : Une procédure formelle d'examen a même été envisagée par la Commission en avril 2003 sur la garantie illimitée dont bénéficie EDF, du fait de son statut d'EPIC. Pouvez-vous nous en préciser les raisons ? Une procédure similaire pourrait-elle être engagée contre d'autres établissements publics, comme, par exemple, la SNCF ou La Poste ?

Vous avez par ailleurs estimé que « les aides examinées » par la Commission « ont contribué à financer l'expansion agressive d'EDF par l'acquisition de participations à l'étranger ».

Pourriez-vous nous préciser votre position sur la stratégie internationale adoptée par EDF concernant en particulier sa prise de participation de Montedison au printemps 2001 ?

M. Mario MONTI : La décision du 2 avril 2003 fait suite à la décision de la Commission du 16 octobre 2002, qui proposait l'adoption de « mesures utiles », conformément à l'article 88, paragraphe 1 du Traité, concernant la garantie illimitée, dont bénéficie EDF du fait de son statut d'EPIC, laquelle rend inapplicable la législation sur la faillite et l'insolvabilité. La Commission a donc proposé la suppression de cet élément constitutif d'une aide d'Etat.

Si les autorités françaises ont confirmé leur intention de transformer le statut d'EDF, il n'y a pas eu d'engagement de leur part, valant acceptation inconditionnelle de ces mesures utiles, ni de précisions quant au calendrier de la réforme. La Commission a donc engagé la procédure formelle d'examen en avril 2003, comme vous l'avez rappelé, en raison de la garantie illimitée d'EDF mais aussi de l'avantage financier lié à la constitution irrégulière de provisions.

Il ne s'agit certainement pas du premier cas d'application de ces règles en matière de garantie. La Commission était déjà intervenue dans le cas des banques allemandes, dont les garanties accordées par les Länder sont en cours de suppression. Il en a été de même pour les banques autrichiennes.

Dans le cas de la France, la Commission a également pu régler de façon consensuelle le problème des relations entre CDC et CDC-IXIS.

Je ne peux évidemment pas exclure que, dans le cas de la France comme dans celui de tout autre Etat-membre, la Commission puisse étendre cette analyse à d'autres établissements publics mais nous n'envisageons pas de telles interventions dans l'immédiat.

Vous me demandez, d'autre part, quelle est mon opinion concernant la stratégie d'acquisitions internationales d'EDF. Il n'appartient évidemment pas à la Commission de porter une appréciation sur les stratégies des entreprises, sauf lorsque celles-ci portent atteinte au respect des règles communautaires, notamment en matière de concurrence.

La procédure engagée à l'encontre d'EDF revêt une importance particulière en raison du fait qu'EDF est activement présente sur des marchés libéralisés. Il paraît difficile de prétendre que d'éventuelles aides d'Etat octroyées à EDF, dans la mesure où elles seraient indirectement utilisées pour des acquisitions internationales, puissent être justifiées par des obligations liées à des services d'intérêt économique général.

Concernant les prises de participation d'EDF, la Commission européenne les a examinées au cas par cas à la lumière des règles sur les concentrations, notamment dans le cadre d'Energie Baden-Wurtemberg (EnBW) ou de la participation dans Montedison. Vous savez que la Commission, lorsqu'elle a décidé d'ouvrir la procédure concernant de possibles aides d'Etat à EDF a en même temps engagé des procédures contre les mesures adoptées par les autorités espagnoles et italiennes en réaction aux acquisitions réalisées par EDF. Ces dernières procédures ont été engagées non pas à l'initiative du commissaire à la concurrence mais à celle du commissaire au marché intérieur, M. Frits Bolkestein.

M. Jean GAUBERT : Merci d'être avec nous, M. le Commissaire et merci pour les clarifications que vous nous avez apportées, notamment sur les notions d'entreprise publique et de service public, qui sont souvent très mal comprises dans notre pays, et sur la position de la Commission européenne concernant le statut des entreprises publiques. Je vous remercie également de nous avoir donné toutes les précisions sur la façon dont vous appréciez les aides d'Etat. C'est important pour nous, pour notre rapport et pour une meilleure compréhension entre la Commission et les parlementaires français.

Je souhaiterais par ailleurs vous interroger sur les deux sujets suivants :

Concernant la séparation comptable, déjà abordée par mes collègues, je voudrais attirer votre attention sur une difficulté que vous connaissez certainement, qui est la comparaison entre les entreprises publiques et les entreprises privées.

Dans le domaine de l'électricité, les entreprises publiques, en particulier dans notre pays, sont souvent des entreprises mono-métier, qui n'ont qu'une seule activité : l'électricité. La séparation comptable s'entend effectivement des activités des secteurs protégés et en concurrence. Ces entreprises vont se trouver en concurrence avec des entreprises qui, du fait de leur statut, ne sont pas soumises à la séparation comptable et qui vont pouvoir transférer des sommes gagnées sur d'autres secteurs, qui sont parfois sous monopole.

Je pense en particulier aux entreprises très puissantes dans le domaine de l'eau, qui peuvent sans difficulté réinvestir dans l'électricité les bénéfices qu'elles ont fait sur des concessions, qui, pendant une période de 12, 15 ans et parfois plus, sont de véritables monopoles, comme elles ont pu le faire auparavant dans le domaine des télécommunications.

Nous nous trouvons là dans une situation un peu compliquée et je souhaiterais que vous puissiez nous indiquer la position de la Commission européenne sur ce qui pourrait également apparaître comme une distorsion de concurrence.

S'agissant, d'autre part, de l'ouverture du marché de l'électricité, nous avons des chiffres et nous sommes régulièrement informés de la réalité de cette ouverture dans les Etats membres, mais chacun sait bien qu'au-delà des engagements pris par les uns et les autres, un certain nombre d'éléments nuisent à une bonne compréhension de la situation dans chaque pays.

Vous savez que nous sommes attentifs à ce qui se passe en Allemagne par exemple, où l'émiettement des opérateurs rend difficile la présence d'autres concurrents internationaux, en Grande-Bretagne, en Italie ou en Espagne, où l'existence d'obstacles physiques (mer ou montagne) rend ces pays plus imperméables à une concurrence européenne, bien qu'elle existe au niveau national.

Vous avez également répondu à M. le Rapporteur que globalement l'ouverture avait fait baisser les tarifs. Pour les télécommunications, c'est évident. C'est également le cas dans le domaine de l'électricité, au moins dans un premier temps, même si c'est moins spectaculaire que ce que l'on avait imaginé à une certaine période. Mais, au bout d'un certain temps, en particulier pour l'électricité, les tarifs ont tendance à remonter. C'est vrai pour les Etats-Unis, pour des raisons que vous connaissez, ou la Norvège, certes à l'extérieur de l'Union européenne mais si proche de nous, qui a tenté l'expérience de la libéralisation et où les prix se sont effondrés au départ en 1991-1992, pour remonter aujourd'hui à des niveaux assez comparables à la moyenne des prix européens.

Vous savez que l'un des débats que nous avons dans ce domaine concerne l'opposition entre le court terme et le long terme. A court terme, parce que des capacités de production avaient été constituées sur notre continent, les tarifs ont tendance à baisser. Mais à long terme, ces surcapacités de production risquent peu à peu de disparaître, et l'on risque d'avoir un effet inverse avec l'augmentation des prix et des difficultés d'approvisionnement.

L'un des soucis partagés par tous les rangs de cette Assemblée nationale est de ne pas nous trouver un jour, à cause d'une libéralisation mal maîtrisée, dans la situation où se sont trouvés les californiens il y a quelques mois et où ont risqué de se trouver les Norvégiens l'hiver dernier. Comme vous le savez, le ministre de l'énergie norvégien a en effet appelé à la prudence et aux économies de consommation les jours de trop grand froid. Si nous arrivions à cette situation au sein de l'Union européenne, il serait difficile de considérer que tout ceci constitue en définitive un progrès.

M. Mario MONTI : Merci de me poser ces questions très importantes, dont une grande partie pourrait être adressée à ma collègue, Mme Loyola de Palacio qui, en tant que responsable de l'énergie, voit la problématique bien au-delà des seuls aspects de la concurrence.

Je souligne en particulier l'importance que nous accordons à la nécessité d'aller au-delà d'une vision purement légale de l'ouverture du marché de l'électricité. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne produit périodiquement des rapports sur les différents paramètres susceptibles de mesurer l'ouverture effective des marchés de l'électricité.

Vous avez également mentionné les obstacles à la création d'un véritable marché unique, dus à des éléments physiques et à des problèmes d'interconnexion, mais parfois, les instruments de la politique de la concurrence peuvent aider à résoudre certains de ces problèmes. Par exemple, lorsque nous avons autorisé l'acquisition d'EDF en Espagne, nous l'avons fait en contrepartie de l'engagement à l'expansion de la capacité d'interconnexion France - Espagne. En dehors du contexte des concentrations, nous avons parfois, dans certains cas, en application de l'article 82 du Traité concernant l'abus de position dominante, demandé et obtenu des améliorations en matière d'interconnexion pour l'électricité et le gaz.

Il y a, d'autre part, un problème plus général lié à la sécurité des approvisionnements sur lequel la Commission, à l'initiative de Mme de Palacio, vient de prendre une série d'initiatives. C'est dans ce cadre qu'il est possible d'éviter les phénomènes de retour que vous avez évoqués dans le cas de la Californie ou de la Norvège.

Il serait injustement paralysant de freiner la libéralisation, en se fondant sur des problèmes qui ont été historiquement associés à certaines modalités de mise en œuvre de la libéralisation, même s'il est important de tirer des enseignements de toute expérience concrète.

Concernant l'existence d'une certaine asymétrie entre les entreprises mono-métier comme vous les avez appelées et d'autres entreprises, je me limiterai à rappeler que le problème se pose particulièrement si des entreprises se trouvent dans une position dominante. Au-delà des directives de transparence, je dois rappeler qu'il est toujours possible de présenter des plaintes à la Commission européenne si l'on a des raisons de penser qu'il y a des abus de position dominante. En outre, je voudrais souligner que la directive relative à la transparence des relations financières ne vise pas seulement les entreprises publiques. L'obligation de maintenir une comptabilité séparée s'applique également aux entreprises titulaires de droits spéciaux ou exclusifs octroyés par l'Etat conformément à l'article 86 paragraphe 1 du Traité CE, ainsi qu'aux entreprises en charge d'un service public et qui reçoivent des aides de l'Etat.

M. le Rapporteur : Nous avons bien compris la position de la Commission européenne concernant les projets d'expansion internationale d'EDF, en particulier en Italie. La Commission a-t-elle eu à se prononcer sur la riposte des autorités italiennes lorsqu'elles ont limité à 2 % ses droits de vote ? S'agit-il d'une règle compatible avec la concurrence internationale ?

M. Mario MONTI : Comme je l'ai brièvement évoqué, le commissaire responsable du marché intérieur a engagé une procédure vis-à-vis des autorités italiennes, qui comprend trois différents stades avant d'arriver à la Cour de justice. Je vous rappelle que c'est à cette même date, en octobre 2002, que la procédure a également été engagée contre EDF au titre des aides d'Etat.

En tant qu'autorité de la concurrence, nous avons autorisé l'opération Italenergia/Montedison, en considérant que tant que les droits de vote d'EDF seraient limités à 2 %, il n'y avait pas de prise de contrôle de la part d'EDF. Cette opération pourrait être réexaminée si la présence d'EDF au capital d'Italenergia, en termes de droit de vote, devait donner lieu à un contrôle individuel ou conjoint.

M. le Président : Pouvez-vous nous préciser les arguments de la Commission européenne justifiant les procédures qui ont été engagées à l'encontre de France Télécom et portant, d'une part, sur la garantie de l'Etat puis sa participation à la recapitalisation de l'opérateur via l'ERAP, et d'autre part, sur le régime dérogatoire de taxe professionnelle accordé à France Télécom en contrepartie de sa contribution à l'aménagement du territoire ?

M. Mario MONTI : Le régime de la taxe professionnelle applicable à France Télécom semble remplir les critères pour être qualifié d'aide d'Etat. Il semble que ce régime ait procuré un avantage concurrentiel à France Télécom dans la mesure où cette dernière a acquitté un montant de taxe professionnelle inférieur à celui qu'elle aurait normalement dû acquitter selon les règles de droit commun. Les autorités françaises ont affirmé qu'une simulation d'imposition sur la base du régime général faisait apparaître que France Télécom avait bénéficié d'une réduction d'impôt à partir de 1994, tout en qualifiant cet avantage de théorique. La Commission a toutefois considéré que le caractère théorique de cet avantage n'avait pas suffisamment été démontré et, par conséquent, elle a dû ouvrir la procédure formelle d'examen.

La Commission est en train d'examiner les observations des autorités françaises sur ce régime. Ces observations visent à démontrer qu'en réalité, pendant la période d'application de ce régime dérogatoire (1991 à 2003), France Télécom a été soumise à une charge fiscale plus lourde que celle qui lui aurait été imposée selon le droit commun. A ce stade, mes services sont en train d'examiner ces observations et il serait prématuré de faire des prévisions sur les conclusions de cette analyse assez fine.

Outre le régime de la taxe professionnelle dont on a parlé, la décision d'ouvrir une procédure résulte également des mesures financières de soutien mises en place par les autorités françaises en faveur de France Télécom. Ce dispositif est complexe et nécessite une enquête poussée. Compte tenu de sa complexité et comme cela a déjà été fait dans le passé dans d'autres affaires, la Commission a décidé d'obtenir l'avis d'un expert indépendant. Les démarches sont en cours et le 30 mai, un appel à candidature a été publié au Journal officiel.

Sans entrer dans le détail, les divers rebondissements concernant la situation financière de France Télécom depuis la notification me conduisent à préciser certains points au regard des règles sur les aides d'Etat. Les mesures financières prises par la France semblent accorder un avantage à France Télécom, qu'elle n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché. En second lieu, il n'est pas suffisamment démontré que le comportement de l'Etat soit conforme à celui d'un investisseur avisé. C'est pour clarifier ces aspects que nous avons maintenant recours à un expert indépendant.

M. le Président : Une dernière question qui n'est pas une critique mais un constat : les Etats européens ont prélevé 120 milliards d'euros sur l'industrie des télécommunications grâce aux procédures d'enchères. L'UMTS a ainsi joué un rôle décisif dans la montée de l'endettement, puis dans la crise de ce secteur.

Avec le recul, quel jugement portez-vous sur la décision de la Commission européenne d'accélérer le calendrier d'attribution des licences de troisième génération, alors même que la technologie, qui n'était pas prête, était en pleine bulle boursière ?

M. Mario MONTI : Avec le recul, il me semble que les Etats membres ne s'opposeraient plus, comme ils l'avaient fait à l'époque, à la proposition de la Commission visant à harmoniser les conditions d'attribution des fréquences.

La plus grande partie des problèmes a découlé des asymétries entre les différents Etats-membres. La Commission, à l'initiative du commissaire à la société de l'information, avait proposé aux Etats-membres une certaine harmonisation. Les Etats-membres n'ont pas cru opportun de suivre cette proposition.

Heureusement, les données les plus récentes concernant l'industrie des télécommunications font apparaître une situation en voie de redressement.

Audition de M. Francis MER,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

(Extrait du procès-verbal de la séance du 11 juin 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président,
puis de M. Jean-Pierre BALLIGAND, Vice-président

M. Francis Mer est introduit.

M. le Président : M. le ministre, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Nous clôturons en vous recevant notre cycle de vingt-sept auditions tenues depuis le mois de février. Nous avons entendu tous les acteurs parties prenantes à la gestion des entreprises publiques, qu'il s'agisse des présidents anciens ou actuels, des responsables de filiales, des membres de conseils d'administration, des commissaires aux comptes, d'anciens ministres des finances ou des représentants de la direction du Trésor.

Il nous apparaît aujourd'hui clairement que les entreprises publiques, comme l'appareil d'Etat, se sont révélées à bien des égards inadaptées à la nouvelle donne qu'a impliquée l'ouverture à la concurrence. D'où les difficultés financières majeures que connaissent aujourd'hui certaines d'entre elles.

Pour que les graves erreurs de gestion, pour que les dysfonctionnements majeurs que nous avons connus ne se reproduisent plus, il importe de fixer de nouvelles règles de gouvernance qui s'appliquent en interne aux entreprises mais aussi à l'Etat qui les contrôle.

Vous avez annoncé à la suite du rapport de M. Barbier de La Serre la création d'une Agence des participations, service à compétence nationale, à l'image de l'Agence France Trésor, sans pour autant tout à fait suivre ses recommandations sur la question de son rattachement.

Vous nous expliquerez sans doute les raisons de votre choix. Mais, plus généralement, nous aurons l'occasion de vous poser des questions sur la manière dont vous envisagez l'avenir des entreprises publiques et surtout des relations que l'Etat entretient avec elles.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Mer prête serment.

M. Francis MER : Je souhaiterais d'abord vous rappeler l'enjeu que représentent les entreprises publiques pour l'Etat, comme pour l'économie française.

Elles représentant 12 % du PNB national, avec 200 milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont 165 milliards réalisés par les huit plus grands groupes publics.

Elles portent malheureusement, face à 50 milliards d'euros de fonds propres, 150 milliards d'euros de dettes, dont 135 milliards d'euros cumulés par quatre entreprises.

Elles emploient 1 200 000 personnes, dont 1 100 000 sont concentrées sur neuf entreprises.

Les activités sont très variables, de l'imprimerie à la construction navale, en passant par les chemins de fer et la poste. Leurs performances, leurs capacités à effectuer les bons choix stratégiques et à fournir un service de qualité à leurs clients, au premier rang desquels l'ensemble des Français, sont autant d'objectifs appelant une amélioration de leur gouvernance.

Les problématiques de gouvernance, et donc de relations entre l'Etat et les entreprises, relèvent clairement des autorités politiques, et c'est au gouvernement d'exercer cette responsabilité, en menant à bien simultanément ses missions de prescripteur de services publics, de régulateur et d'actionnaire.

En ma qualité de ministre des finances, j'assume surtout la charge de la mission d'actionnaire, bien qu'en tant que ministre de l'industrie, je doive en outre définir avec les entreprises qui relèvent de ce ministère, leur stratégie, tout en veillant à leur bonne marche économique, à la maîtrise de leurs risques et à leur compétitivité pour assurer leur développement dans le futur.

Il faut rappeler que la situation est très différente d'une entreprise à une autre. Il n'y a rien de commun entre la SNCF, La Poste et Thomson...

Cependant, de manière générale, le fait pour certaines de ces entreprises d'avoir l'Etat pour actionnaire ne les empêche pas de connaître des réussites brillantes, tout au contraire. Air France en est un exemple éloquent. Renault, à l'occasion de l'opération avec Nissan, a pris un risque, mais un risque mesuré et pesé. Le pari a été réussi et il a transformé l'ensemble Renault-Nissan en un acteur de premier plan.

Prendre des risques fait partie de la vie des entreprises, et la présence de capitaux publics n'altère en rien cette nécessité.

Un autre exemple concernant Thalès nous montre que, dans un secteur de la défense très compétitif et dominé par quelques grands acteurs américains, il est possible, moyennant l'adoption d'une stratégie pertinente et audacieuse, de « faire son trou ». A contrario, nous le savons aussi à travers l'exemple France Télécom, la présence de l'Etat dans le capital ne met pas les entreprises à l'abri des difficultés. Je ne m'étends pas sur ce sujet qui a nourri beaucoup de vos auditions.

Il est cependant clair, au-delà de ces succès considérables, que beaucoup d'entreprises publiques doivent aujourd'hui, dans un environnement européen caractérisé par l'accroissement de la concurrence, améliorer significativement leurs performances.

La Poste, par exemple, doit faire face à l'ouverture de la concurrence sur son activité de courrier. C'est un défi majeur que devront relever les 270 000 postiers, à un horizon relativement court de six ou sept ans. Un échec serait dramatique non seulement pour l'entreprise mais aussi pour notre pays, et serait une triste occasion manquée, au regard de la brillante réussite de certains concurrents de l'opérateur français, la poste allemande ou la poste néerlandaise.

De même, nous savons tous que la SNCF fait face à une concurrence croissante en matière de fret ferroviaire qui l'oblige à trouver rapidement les moyens d'améliorer ses performances.

Cet environnement exigeant et évolutif touche de nombreuses entreprises. Et les adaptations sont incessantes. A cet égard, je vous rappelle que naissent régulièrement de nouvelles entreprises, du moins en termes de statuts, comme la DCN, qui connaît une profonde mutation au moment où l'activité de construction navale prend progressivement une dimension européenne.

Dans ce contexte, l'Etat se doit d'être un actionnaire intelligent, vigilant et performant.

Afin de le doter des moyens nécessaires à l'accomplissement de ces missions, nous avons retenu un certain nombre des propositions faites par M. René Barbier de La Serre, et nous attendons vos propres propositions pour compléter, notamment en matière de gouvernance des entreprises, ces réformes essentielles. Un grand pas me semble avoir été fait grâce à la création de l'Agence des participations, décision de l'Etat, qui facilite grandement les relations entre les entreprises et leur actionnaire. Pour lever toute ambiguïté, cette Agence, qui n'existe pour le moment que sur le papier et ne sera opérationnelle qu'à la fin de l'année, sera placée sous mon autorité. En recourant à des compétences et des expertises renouvelées et plus étendues par rapport à la situation antérieure durant laquelle l'expérience privée n'était pas suffisamment sollicitée, elle devrait permettre à l'Etat de rendre son activité patrimoniale plus efficace et plus lisible vis-à-vis des entreprises comme vis-à-vis du public. Je rappelle en effet qu'il est prévu que l'APE assurera annuellement l'information du Parlement et du public.

Ces progrès dans la gouvernance, qui seront sans nul doute enrichis par vos propositions, s'inscrivent dans la politique de réforme de l'Etat, condition essentielle pour que notre pays retrouve le chemin de la croissance.

M. le Président : Je souhaiterais tout d'abord aborder la problématique des relations des entreprises publiques avec l'Etat.

Les procédures de nomination des présidents vous paraissent-elles satisfaisantes ? Quel rôle pourrait jouer en ce domaine la nouvelle Agence des participations de l'Etat ? Jugez-vous souhaitable de mieux associer les organes sociaux à la sélection des dirigeants ?

Quelles sont la fréquence et la nature des relations que vous entretenez avec les dirigeants d'entreprises publiques ?

M. Barbier de La Serre a proposé de substituer aux contrats de groupe des contrats de service public qui définiraient précisément les missions de service public et les modalités de leurs compensations. Cette clarification vous semble-t-elle nécessaire ? Quel peut être, dans cette logique, l'avenir des contrats de groupe ?

A titre d'exemple, pouvez-vous nous préciser l'état des négociations du contrat de convergence et de performance entre l'Etat et La Poste, s'agissant notamment des préoccupations d'aménagement du territoire, particulièrement importantes dans notre pays ?

M. Francis MER : La nomination des présidents intervient, en l'état actuel de notre réglementation, selon des procédures diverses : soit par décret, soit par décret en conseil des ministres, soit par élection par le conseil d'administration, l'Etat choisissant au préalable son représentant appelé à être choisi par le conseil d'administration pour exercer les fonctions de président.

Il me paraît évident que la décision de nommer un président d'entreprise publique relève des prérogatives de l'actionnaire, c'est-à-dire de l'autorité gouvernementale, même s'il nous paraît souhaitable de simplifier et d'uniformiser autant que faire se peut les procédures actuelles, en confiant par exemple au ministre des finances la mission d'être le rapporteur du décret du Premier ministre disposant des nominations.

Il serait, par exemple, opportun que l'APE puisse être consultée sur la nomination, en émettant un avis éclairé par sa compétence, son expertise, et sa connaissance progressive des personnels d'encadrement des différentes entreprises publiques. En effet, il n'est en rien exclu que ce soit à l'intérieur des entreprises que l'on puisse trouver les meilleurs présidents, comme c'est le cas fréquemment dans le privé.

Les contrats de groupe et les contrats de service public relèvent de deux logiques tout à fait différentes.

M. Monti vous a sans doute rappelé, lors de son audition que, dans le droit communautaire, toute entreprise a la possibilité, qu'elle soit publique ou privée, d'exécuter des obligations de service public. Je me souviens d'ailleurs avoir débuté ma carrière administrative, en défendant à Bruxelles la notion d'obligation de service public.

Dès lors, à partir du moment où vous avez établi un contrat entre l'Etat ou une collectivité publique et une entreprise, notamment publique, qui précise de manière suffisamment détaillée la nature des obligations de service public imposées à l'entreprise et qui quantifie le surcoût lié à cette obligation, ce contrat fait la loi des parties entre l'Etat et l'entreprise. Le contrat de service public me paraît donc devoir constituer la base des relations que l'Etat doit établir avec les entreprises qui acceptent ou qui sont forcées d'exécuter ces obligations de service public.

Mais les termes de ce contrat ne doivent pas négliger le fait qu'une entreprise publique est d'abord une entreprise. Elle ne devient une entreprise publique, que notamment lorsqu'on lui impose un certain nombre de contraintes que n'assumerait pas une entreprise privée.

Le contrat de groupe consiste, pour sa part, à définir, aussi simplement que possible, la stratégie d'une entreprise, les moyens que l'entreprise et son actionnaire consentent à y consacrer, les résultats qui doivent en découler. C'est un engagement commun qui ne relève, dans mon esprit, en aucun cas de la logique juridique des contrats de service public. Il permet en effet à un management d'entreprise de savoir, sur une période plus ou moins longue, ce que son actionnaire attend de lui, après une négociation entre les représentants de l'Etat - l'Agence des participations de l'Etat en étant en l'occurrence le vecteur - et la direction de l'entreprise.

Je reçois les « patrons » des entreprises publiques tous les deux mois pour faire le point avec eux, sachant bien entendu que des réunions particulières ad hoc sont consacrées aux décisions importantes.

M. le Président : Comment éviter qu'à l'avenir des dirigeants d'entreprise publique ne traitent directement avec les ministres, court-circuitant parfois les organes sociaux des sociétés, voire les services des ministères, ce qui nuit manifestement à la qualité des choix industriels de l'Etat, comme on l'a constaté avec regret pour France Télécom ?

M. Francis MER : Le comportement du ministre est fondamental.

S'il sait se concentrer sur les sujets qui relèvent de sa responsabilité ou de son autorité, il doit pouvoir rétorquer au président des sociétés tentées de passer outre aux procédures habituelles à l'examen : « Ce sujet n'est pas de mon ressort mais appelle une décision de l'Agence. Traitez cette question avec les gens qui sont là pour cela. » ou : « Ce sujet est certes de mon ressort mais je souhaite qu'il soit instruit d'abord par les gens dont c'est le travail à temps plein. Puis, avec vous, je les écouterai et je déciderai... »

M. le Président : De nombreuses personnes auditionnées ont souligné la lourdeur et surtout l'enchevêtrement des contrôles, dont l'excès même peut parfois nuire à leur efficacité.

Ces contrôles seraient déresponsabilisants à la fois pour la direction de l'entreprise mais aussi et surtout pour l'Etat.

Quelle voie pourrait emprunter leur modernisation ? Comment renforcer l'autonomie de gestion des entreprises publiques sans compromettre les intérêts patrimoniaux de l'Etat ?

M. Francis MER : Je partage ces sentiments : il y a beaucoup de contrôles souvent inutiles qui, à force d'être empilés, démontrent à ceux qui sont contrôlés que ce luxe de précautions aboutit in fine à les laisser totalement autonomes.

On semble avoir oublié que le mot anglais « control » signifie « maîtriser ». Cette « maîtrise des choses » est très défaillante en France en matière de gestion, y compris dans les entreprises privées. Elle signifie établir une relation avec ceux qui « font ». Les décisions prises au quotidien par les managers doivent s'inscrire dans la stratégie et selon les méthodes définies entre la direction et l'actionnaire.

Les contrôles très empilés, avec notamment le comité des investissements à caractère économique et social, la commission interministérielle du contrôle des salaires, le contrôle d'Etat, me semblent avoir vocation à être fortement simplifiés pour parvenir à établir une relation beaucoup plus claire et transparente entre l'actionnaire Etat et l'entreprise.

M. le Président : Vous avez décidé de créer une Agence chargée de gérer les participations de l'Etat. En quoi une telle structure permettra-t-elle de mieux veiller aux intérêts de l'Etat actionnaire ? Pouvez-vous nous préciser les modalités concrètes de son organisation ? Quelles seront ses attributions ? Pourquoi l'avoir rattachée à la direction du Trésor alors que le rapport Barbier de La  Serre suggérait un rattachement direct au ministre ?

Aura-t-elle pour mission exclusive de veiller aux intérêts patrimoniaux de l'Etat et, dans ce cas, de quelle façon sera assurée la coordination des divers intérêts de l'Etat, s'agissant des services publics, de la politique industrielle, de l'aménagement du territoire ?

M. Francis MER : L'Agence est administrativement rattachée à la direction du Trésor, simplement pour lui permettre, en dehors des compétences qu'elle rassemblera, de bénéficier de son expertise et de son expérience, ainsi que des moyens supplémentaires qu'à travers cette décision, tout le ministère pourra mettre à sa disposition.

Fondamentalement, elle me « rapportera directement » et elle travaillera, au sein du ministère des finances, pour l'Etat actionnaire, l'aidant à gérer correctement les relations avec les entreprises publiques, en validant et en accompagnant la mise en œuvre de leur stratégie, dont la définition en commun avec le management n'est pas une mince affaire. Cela requiert du temps et de l'expérience, et suppose un concours de compétences et de personnalités par hypothèse réunies dans l'Agence ! Cela implique en outre des échanges nourris avec l'entreprise et une bonne connaissance du fonctionnement et des personnels en interne. Il faut donc qu'elle prépare le travail, instruise les dossiers dans son optique d'actionnaire et propose in fine au ministre les décisions ou orientations à prendre, qui relèvent de lui. L'Agence doit lui présenter les choix d'une manière telle que, sans être contraint de suivre ses avis, il puisse travailler au mieux et au plus vite.

Une fois la stratégie arrêtée, l'Agence observera de manière professionnelle sa mise en oeuvre, grâce à sa participation au conseil d'administration et aux suivis périodiques qu'elle mettra en place en fonction des problèmes et des entreprises, tout en informant les autorités politiques des éventuelles questions susceptibles d'apparaître.

Cette Agence a en outre, dans mon esprit, vocation à aider l'entreprise à améliorer sa gouvernance interne, et donc à contrôler la qualité de la gestion de l'entreprise.

Sa création s'inscrit enfin dans un souci de simplification. L'entreprise saura désormais à qui elle doit s'adresser : à l'Agence, et en son sein à quelques interlocuteurs identifiés auxquels seront attribuées des responsabilités précises.

Bien sûr, pour mener à bien ses missions, l'APE devra avoir la capacité de recruter du personnel compétent. Cela devra se faire en totale transparence, par le moyen notamment du rapport annuel de l'Agence que j'ai évoqué.

M. le Président : En septembre 2002, vous avez demandé aux présidents des grandes entreprises publiques de renforcer le dispositif de gouvernance à travers notamment l'élaboration de codes de bonne pratique, précisant les modalités de la consultation du conseil d'administration pour les grandes acquisitions. Ces recommandations ont-elles été mises en œuvre ?

Vous avez également demandé aux dirigeants de veiller à ce que l'Etat dispose, dans des délais convenables, de toutes les informations nécessaires à l'instruction des projets soumis à l'examen des conseils. Avez-vous constaté des progrès dans ce domaine ?

M. Francis MER : Les progrès sont réels, mais l'effort doit être poursuivi.

A titre d'exemple, EDF achève de se conformer progressivement à nos demandes, s'agissant des modalités de fonctionnement de son conseil d'administration.

De même, s'agissant des délais de transmission des informations utiles au conseil d'administration, les choses s'améliorent. Il faut hélas reconnaître que la propension à tout faire à la dernière minute est l'un des maux de notre administration, y compris peut-être par mimétisme des entreprises publiques.

Mais les entreprises ont compris que si une mesure proposée à ma décision en tant qu'actionnaire n'a pas eu le temps d'être suffisamment instruite, je ne prends pas la décision. Dans ces conditions, les responsables apprennent qu'il est désormais vain de tenter de profiter de l'urgence pour faire passer des décisions qui n'auraient pas été correctement étudiées par mes services au préalable.

M. le Président : Nous nous sommes longuement interrogés sur la forme de société anonyme, à conseil d'administration ou à conseil de surveillance la mieux adaptée aux entreprises publiques. Quel est votre avis ?

M. Francis MER : La question n'est pas facile. Je ne suis pas certain que ce vieux débat puisse être clos par une réponse unique. Cela dépend des situations concrètes, de la manière dont le management de l'entreprise évolue, de son expérience, de la personnalité des membres des conseils etc. Je n'ai pas de réelle religion en la matière.

M. le Président : Vous avez été administrateur de plusieurs entreprises publiques ou privées, notamment EDF. Quelles différences avez-vous constatées dans le fonctionnement des organes sociaux de ces entreprises ? Le nombre élevé des administrateurs dans les entreprises publiques vous paraît-il nuire à la qualité des travaux des conseils d'administration ?

M. Francis MER : Je crois que pour qu'un conseil fonctionne bien, il faut que l'on puisse voir l'extrémité de la table sans devoir recourir à des jumelles et que l'on puisse se parler de vive voix...

Ma réponse spontanée est donc de dire que la plupart de ces conseils sont trop importants pour créer la communauté de vue, au sens physique, qui est nécessaire pour créer un réel sentiment d'appropriation, d'appartenance et de responsabilité.

M. le Président : Quels éléments expliquent, selon vous, que la stratégie de développement international, pertinente dans ses fondements, ait substantiellement déséquilibré les bilans des opérateurs historiques français, en particulier France Télécom et, dans une moindre mesure, EDF ? Les entreprises publiques disposaient-elles, à vos yeux, des moyens humains et organisationnels indispensables au succès d'une telle stratégie ?

M. Francis MER : Il n'est pas facile de répondre à ces questions.

La stratégie d'une entreprise est variable d'un métier à un autre et d'une époque à une autre pour le même métier.

Il va de soi qu'elle est liée à la capacité financière de l'entreprise, avec les contraintes ou les opportunités que confère le statut d'entreprise publique, le cas échéant. Elle est aussi évidemment dépendante de la capacité managériale. Je pense que, quels que soient les raisonnements dans lesquels s'inscrivaient les décisions prises, cette dimension managériale n'a pas été prise en compte aussi largement qu'elle aurait dû l'être. Cette omission s'est révélée très préjudiciable aux entreprises publiques qui ont trop rapidement voulu saisir à n'importe quel prix ou à toute force le maximum d'opportunités pour compenser un échec stratégique antérieur, comme ce fut le cas de France Télécom après sa rupture avec Deutsche Telekom.

Il faut que la stratégie des entreprises réponde au changement d'échelle des marchés. Le marché européen est devenu le marché domestique de toutes les entreprises européennes et donc de toutes les entreprises publiques françaises.

M. Jean-Claude SANDRIER : M. le ministre, je souhaite vous poser deux questions concernant le rapport de M. René Barbier de La Serre.

La première porte sur la forme. Il va de soi que vous aviez entièrement le droit de demander un rapport. Etait-il cependant judicieux de le rendre public, au moment où la commission d'enquête parlementaire commençait ses travaux, au risque de donner l'impression de court-circuiter ses investigations, voire d'influencer ses conclusions ?

Etait-il en outre opportun de créer l'Agence des participations de l'Etat sans attendre que ses réflexions soient achevées ?

Sur le fond, ne pensez-vous pas que l'Agence qui apparemment est la mesure phare du rapport Barbier La Serre, va conduire à réduire abusivement le problème de la gestion des entreprises publiques à la seule question des intérêts patrimoniaux de l'Etat, au détriment notamment du développement des services publics ?

L'encouragement suggéré par le rapport au passage des entreprises publiques en société anonyme ne constitue-t-il pas l'un des prémices de privatisations futures ?

A vos yeux, le statut de l'entreprise est-il indifférent lorsqu'elle assume des missions de services publics ?

Enfin, pour évoquer l'un des sujets favoris de notre commission, quelle est pour vous, au-delà de la nécessité de pouvoir se voir autour de la table, la composition idéale d'un conseil d'administration ? Quelle place accordez-vous aux syndicats dans le gouvernement des entreprises publiques ?

M. Francis MER : S'agissant du rapport de M. René Barbier de La Serre, j'estime avoir la totale liberté de faire commander les études que je juge utiles au moment que j'estime opportun.

C'est volontairement que j'ai rendu public le rapport dès sa remise car, si je ne l'avais pas fait, j'aurais été accusé d'avoir voulu le garder pour moi. Il faut savoir que j'avais indiqué à son auteur que, compte tenu de la difficulté de garder quelque document que ce soit confidentiel dans notre pays, je mettrais son rapport sur la place publique dès qu'il me l'aurait remis. Cela s'est donc fait en totale transparence.

C'est dans ce contexte que j'ai considéré que parmi les propositions, la création de l'Agence devait être mise en œuvre aussi vite que possible. Je précise au passage qu'elle correspondait quand même à quelques réflexions que nous avions eu l'occasion de mener avec M. Barbier de La Serre avant l'élaboration de son rapport.

Compte tenu du temps nécessaire à la mise en œuvre des réformes dans notre pays, même s'agissant du ministère des finances qui s'attelle à aller plus vite que d'autres, j'ai considéré que l'intérêt de l'Etat commandait de rapidement choisir le directeur de l'Agence et de lui donner la possibilité de constituer son équipe, de mener les premier contacts avec toutes les entreprises concernées.

La création de l'Agence est une décision du Gouvernement, en aucun cas inspirée par une quelconque méfiance à l'égard des travaux de votre commission. En outre, ce n'est qu'une proposition parmi de nombreuses autres laissées ouvertes après la publication du rapport. Elles portent dans leur majorité sur les problématiques complexes de la gouvernance interne, dont celles relatives au conseil d'administration, au rôle des administrateurs salariés, etc.

Il est exact que le rapport proposait le rattachement de l'Agence directement au ministre et que je m'y suis opposé ! Connaissant quelque peu le ministère de l'économie et des finances, j'ai préféré l'« ancrer » administrativement au Trésor pour faciliter son fonctionnement, sachant qu'elle est sous mon autorité. Et c'est bien ainsi que cela se passe depuis quelques mois.

Quelle peut être la composition idéale du conseil d'administration ? Là encore, la réponse dépend de la taille et de la nature de l'activité des entreprises. Un groupe de services ou une entreprise industrielle, des sociétés réalisant un, dix ou cinquante milliards d'euros de chiffre d'affaires ont-elles nécessairement besoin d'avoir un conseil d'administration de même taille ou de même composition ? Il me paraît difficile de trancher.

Toutefois, j'ai indiqué ma préférence pour « une taille raisonnable » qui permette une réelle interaction entre les administrateurs présents.

S'agissant des délégations de missions d'intérêt général, je pense que des contrats de service public peuvent tout à fait être signés avec des entreprises privées. La qualité du contrat, en particulier la quantification précise des obligations et, en contrepartie, des charges imposées, afin notamment d'éviter toute forme de subventions, me semble beaucoup plus importante que le statut de l'entreprise exécutant le service public.

Comme vous l'a rappelé sans doute M. Monti lors de son audition, le droit communautaire n'établit aucune corrélation entre le service public et le régime de propriété de l'entreprise qui l'assume.

Cela me permet d'aborder un sujet essentiel. Dans notre monde, hors toute considération idéologique liée notamment aux privatisations, il est important qu'une équipe ait des comptes à rendre à d'autres qu'au seul Etat, dont il faut bien admettre que le caractère protéiforme brouille l'identité. Il me semble que les performances sont nettement accrues lorsque le management est amené à rendre des comptes à un « marché », c'est-à-dire à des actionnaires, quand bien même parmi ces derniers se trouve la puissance publique, qu'elle soit majoritaire ou minoritaire.

L'exemple d'Air France est éclairant. L'entreprise a renforcé sa compétitivité au fil d'une évolution qui s'est révélée très satisfaisante ; l'entreprise, d'abord détenue à 100 %, devenant contrôlée majoritairement par l'Etat. C'est dans cette logique que nous avons décidé de passer à une nouvelle phase où l'Etat gardera dans l'entreprise un intérêt patrimonial minoritaire.

Ma conviction est qu'il ne faut pas assimiler service public et entreprise publique, sans que cela implique de tout privatiser à 100 % du jour au lendemain. Mais il faut bien admettre que dans notre économie contemporaine, les hommes et les femmes qui gèrent des entreprises, c'est-à-dire qui s'astreignent à des efforts permanents pour être plus performants que les autres dans un environnement de concurrence très vive à l'échelle du monde entier, se sentent plus à l'aise et plus motivés lorsqu'ils exercent leurs talents dans des entreprises « largement privées » plutôt que dans des entreprises publiques.

Cela me conduit à aborder un dernier problème auquel sont confrontés les entreprises publiques : elles éprouvent de réelles difficultés à attirer les compétences. Ne pas créer les conditions pour qu'elles soient aussi attractives pour des jeunes talents de managers, de chercheurs, d'ingénieurs, de commerçants que les entreprises privées, nous expose à une double déconvenue. Tout d'abord l'entreprise faute de disposer des qualités managériales adéquates, se trouve incapable d'atteindre le niveau de performance nécessaire à sa compétitivité. Elle court alors le risque de voir d'autres entreprises « étrangères » - il n'y aura pas deux entreprises publiques sur le même métier en France - prendre sa place sur son marché, la condamnant à un irrémédiable déclin.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Vous avez rappelé que l'Agence a notamment pour objet de rendre cohérente la vision et l'attitude de l'Etat à l'égard des entreprises publiques. Cette nouvelle structure évitera-t-elle que des divergences d'appréciation, voire de véritables contradictions, puissent apparaître s'agissant de certaines entreprises, je pense en particulier à EDF, entre le directeur du Trésor, les commissaires du gouvernement et les présidents d'entreprise publique, comme nous l'avons constaté avec regret durant les auditions que nous avons menées ?

Ces contradictions portaient à vrai dire essentiellement sur la pertinence des investissements à l'étranger, voire sur la santé financière des entreprises. A cet égard, les auditions du président d'EDF, M. François Roussely, du commissaire du gouvernement auprès de l'électricien, Mme Michèle Rousseau, du directeur du Trésor, M. Jean-Pierre Jouyet et de l'ancien ministre et ancien dirigeant du groupe, M. Edmond Alphandéry ont été particulièrement significatives, les avis sur les performances et l'équilibre financier d'EDF étant étonnamment disparates.

Pour simplifier, nous avions d'un côté, M. Roussely qui nous disait en somme : « Bonnes gens, dormez tranquilles ! Je veille sur EDF. Tout va bien ! » tandis que d'autres nous avertissaient : « Attention ! La santé financière se dégrade et la dette réelle d'EDF est de l'ordre de 50 milliards d'euros. »

Entre ces deux extrêmes, où se situe votre appréciation personnelle ?

M. Francis MER : Ce n'est pas une création administrative, quelle que soit la qualité de son personnel, qui résoudra ce genre de problèmes, soyons honnêtes.

Les contradictions internes d'une entreprise, et notamment les opinions contradictoires sur l'intérêt de tel ou tel projet, font partie de la marche naturelle des affaires. Elles peuvent d'ailleurs s'étendre aux relations entre l'entreprise et son actionnaire. Il est de même inévitable qu'au sein d'un conseil d'administration, avec quelques actionnaires de poids, des avis contradictoires puissent être émis en réaction aux propositions de la direction.

Tout le problème est d'arriver dans ces conditions à prendre une décision, et c'est pourquoi existe une majorité au sein du conseil.

Ne cherchons donc pas par des solutions administratives à résoudre un problème consubstantiel à la nature des activités économiques.

Les risques sont à la base de la théorie et de la pratique des entreprises, et, pour simplifier, la propension plus ou moins forte des présidents ou des ministres à les prendre et à les assumer est le critère décisif.

Prenons l'exemple de Renault et de Nissan. L'opération est aujourd'hui un superbe succès, mais je puis vous assurer qu'avant que cette opération ne soit décidée, les débats étaient vifs face à l'ampleur des risques qu'elle recelait.

Ne confondons donc pas une organisation qui simplifie les choses et qui clarifie les relations avec l'Etat actionnaire avec la vie même d'une entreprise qui est pleine de contradictions.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Face à ces contradictions, quelle est votre appréciation sur la santé financière d'EDF ?

M. Francis MER : Cela dépend aussi de ce que vous entendez par les termes « santé financière ». Dans le cas d'EDF, lorsqu'une entreprise a la chance d'avoir la quasi certitude, année après année, de disposer d'un volume de clients et de prix de vente constants, c'est évidemment une certaine forme de santé, quand bien même l'exploitation est perfectible et le bilan financier fragile.

Dans ces conditions, vous pouvez en même temps constater que l'entreprise est en « bonne santé » et regretter qu'elle souffre d'un certain nombre de faiblesses. La conclusion possible est de dire qu'elle pourrait mieux faire, je vous l'accorde volontiers.

M. Jean GAUBERT : Vous nous avez rappelé que l'Europe était devenue le marché domestique des entreprises publiques, opinion que je partage.

Je souhaite vous interroger sur la manière de préserver dans ce nouveau contexte la qualité du service public et les nécessités d'aménagement du territoire, dimensions essentielles de l'activité d'un certain nombre de grandes entreprises publiques, notamment EDF et la SNCF.

Comment voyez-vous l'avenir des entreprises « mono métier », notamment EDF dont l'activité est limitée par le principe de spécialité lié à son statut d'EPIC ? Aujourd'hui, cette entreprise se trouve en concurrence avec des entreprises qui sont, pour leur part, autorisées à fournir à leurs clients, en particulier industriels, un mixte de produits énergétiques assortis de services nombreux et variés. Cette lutte à armes inégales n'affaiblit-elle pas nos opérateurs ? Un autre aspect de cette concurrence déséquilibrée tient à la possibilité laissée aux entreprises privées de faire des transferts financiers entre leurs activités qu'EDF, par exemple, ne peut plus faire, en raison du principe européen qui est légitime de séparation comptable des activités en monopole.

Enfin, s'agissant toujours d'EDF, comment pourra-t-on prévenir, dans les années qui viennent, les risques de divergence entre l'électricien et le gestionnaire du réseau, RTE, qui de par la loi et conformément aux directives communautaires, ne doit répondre qu'aux injonctions de l'autorité de régulation et non à celle du président de l'entreprise ?

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué la question de la compétitivité des entreprises françaises, problème essentiel dès lors que les mondes sont de plus en plus ouverts.

Quelle appréciation portez-vous sur la compétitivité actuelle de nos groupes publics par rapport à leurs futurs concurrents européens ?

M. Pierre DUCOUT : Vous avez fait régulièrement preuve d'un très grand pragmatisme, et vous avez insisté sur le fait que vous étiez aussi attentif aux intérêts industriels à moyen terme des entreprises qu'à leurs contributions budgétaires éventuelles au jour le jour. Pensez-vous que l'Agence des participations vous permettra de privilégier cette vision cohérente ?

Quel rôle doit jouer le ministre de l'industrie dans cette optique ?

Enfin, si l'Europe est devenue notre marché intérieur, les regroupements transnationaux sont donc devenus un enjeu décisif de notre politique industrielle, je pense aujourd'hui à l'aéronautique et au spatial. Pour prendre un exemple très concret, dans quelles conditions l'Agence aurait-elle pu intervenir, sur le choix compliqué et polémique du moteur de l'A 400 M autour de SNECMA et Rolls-Royce, en prenant dûment en compte des intérêts stratégiques de la première entreprise, actuellement détenue à 100 % de l'Etat et qui doit se structurer au niveau européen voire international ?

M. Francis MER : Il n'est pas question dans mon esprit que l'Agence définisse une politique industrielle de l'Etat.

Ainsi, la question importante du moteur SNECMA relève de la seule responsabilité politique du gouvernement et certainement pas d'une agence administrative. Il n'en demeure pas moins que cette dernière peut instruire le dossier pour faciliter la décision du ministre.

S'agissant de l'arbitrage entre court et long terme, l'Agence, comme je la conçois, doit, grâce à la connaissance intime qu'elle aura des entreprises publiques qu'elle acquerra au fil du temps, se doter de la capacité de les aider à optimiser leur gestion au jour le jour en exerçant les pressions nécessaires pour que les performances soient en permanence améliorées. Parallèlement, elle aura pour mission d'élaborer avec l'entreprise, et sur proposition de celle-ci, la stratégie à long terme optimisant de manière pérenne la valeur de la participation détenue par l'Etat actionnaire. Bien sûr, cette création de valeur n'est pas l'objectif unique de la stratégie, laquelle doit aussi donner un projet à une entreprise et tirer tout son personnel vers un but social, mais c'est une préoccupation légitime et nécessaire. C'est pourquoi je considère que le rôle de l'Agence est orienté vers la construction de stratégies, notamment dans l'espace européen. Ce n'est certes pas elle qui doit les définir, mais elle doit contribuer de manière décisive à les bâtir.

La compétitivité des entreprises publiques françaises n'appelle pas un jugement uniforme. Je ne vais pas pour autant vous affirmer que nous disposons actuellement dans tous les secteurs des entreprises les plus compétitives d'Europe. Cela n'est pas vrai et, d'ailleurs, c'est une très bonne nouvelle, leur potentiel d'amélioration étant très significatif.

Les éléments de comparaison européenne dont nous disposons nous montrent que les français, en tant que clients ou contribuables-actionnaires, pourront sans nul doute à l'avenir bénéficier des marges importantes d'amélioration des performances que devront réaliser nos entreprises publiques.

Mais il ne faut pas généraliser. Aujourd'hui, alors même que la situation du transport aérien est dramatique, Air France se porte bien.

La Poste souffre d'un handicap par rapport à ses concurrents néerlandais et allemands que l'on peut chiffrer à 20 %, quel que soit le référent.

Entre ces deux extrêmes se placent des entreprises qui ont été brillantes, qui le sont un peu moins aujourd'hui, mais qui toutes disposent des atouts pour le redevenir.

RTE ne me semble pas poser problème, et il est inexact de parler de double présidence à EDF. Il y a une seule équipe, qui fait partie d'EDF, sachant que RTE a en outre l'obligation d'être transparente. Elle la remplit sans difficulté vis-à-vis de Bruxelles pour permettre à tous les concurrents d'EDF d'utiliser le réseau électrique pour proposer leur énergie à leurs clients, aujourd'hui essentiellement industriels et peut-être demain plus nombreux et diversifiés. Cette mission ne me paraît absolument pas contradictoire avec le maintien de RTE dans EDF, et beaucoup de groupes détiennent des filiales à 100 % tout en respectant les contraintes extérieures assignées à ces filiales.

Je pense que dans le monde actuel, il faut donner la possibilité à nos entreprises d'élargir leur métier et leur offre pour répondre aux demandes diverses de leurs clients. Pour autant, il m'apparaît dangereux et inopportun de mêler dans la même entreprise des activités industrielles qui n'ont rien à voir les unes avec les autres, en terme de synergies ou de logique commerciale. Il suffira donc de leur en donner les moyens, et cela concerne évidemment EDF.

Enfin, les obligations d'aménagement du territoire doivent être incluses dans le contrat de service public. Je crois que tout peut se quantifier, et peut se définir de manière juridique, dans ce fameux contrat, quelle que soit l'entreprise qui le signe avec l'Etat en sa qualité de puissance publique et non d'actionnaire.

M. Sébastien HUYGHE : Comme vous l'avez rappelé, dans la notion d'entreprise publique il y a la notion d'entreprise. Quelle sera la composition de l'Agence et disposera-t-elle en son sein de personnels issus du privé, dont l'expérience permettrait d'enrichir cette prise en compte de la dimension proprement entreprenariale ?

M. Francis MER : Oui, l'Agence devrait accueillir pour moitié des gens du privé et pour moitié des fonctionnaires de qualité, dont la connaissance du monde administratif et de la manière dont fonctionne l'Etat sera extrêmement précieuse elle aussi. Nous solliciterons donc toutes les compétences venant du privé, que ce soit dans le domaine de l'appréciation financière, juridique, ou commerciale et leur expérience enrichira considérablement notre compréhension de ce que doit être une entreprise performante, du point de vue opérationnel comme du point de vue managérial.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Vous avez insisté sur la notion de contrats de service public. Certains organismes ou entreprises, tels que La Poste, relèvent bien de cette problématique, s'agissant à la fois des règles européennes qui s'appliquent aux aides d'Etat en compensation des missions de service public, et de l'ampleur des missions qu'assument les entreprises, telle que l'aménagement du territoire.

Or il est apparu à notre commission au cours de ses auditions qu'il manquait bien souvent un outil de quantification de ces missions, notamment quand elles sont compensées par le budget de l'Etat.

Prenons l'exemple des aides à la diffusion de la presse couvertes par le budget de La Poste. M. Martin Vial a reconnu qu'il n'existait pas, jusqu'à très récemment, de comptabilité analytique à proprement parler chez l'opérateur postal. Ne vous semble-t-il pas fondamental que ces outils soient non seulement disponibles, mais aussi mis en œuvre de façon suffisamment pertinente pour que, à la fois au regard des aides européennes et de nos propres compensations budgétaires, tous ces flux financiers puissent être analysés, quantifiés, voire compensés de façon précise ?

M. Francis MER : Cela va tellement de soi que j'ai oublié d'en faire état.

Lorsque je dis qu'une entreprise publique est d'abord une entreprise, cela signifie qu'elle doit être gérée et organisée comme n'importe quelle entreprise, ce qui implique pour La Poste de disposer au minimum d'une comptabilité analytique permettant de savoir précisément ce que lui coûtent ces fameuses aides à la presse, objet de véritables discussions « de marchands de tapis ». Mais les outils de gestion indispensables à la performance vont bien au-delà de ces instruments basiques.

M. François BROTTES : L'Etat fait trois métiers. Régulateur lorsque les marchés s'ouvrent à la concurrence, il doit veiller à ce que les nouveaux entrants puissent exercer leur métier dans des conditions profitables. Il fait son métier d'actionnaire lorsque les entreprises sont publiques et il en est parfois le gestionnaire. Il exerce enfin le métier d'aménageur du territoire, et plus généralement, de responsable du service public. Ces trois fonctions engendrent des intérêts souvent contradictoires. Dès lors, se pose la question de savoir si l'Agence doit assurer la conciliation de ces préoccupations, ce qui implique son rattachement à Matignon, le ministre des finances ayant pour mission principale de faire prévaloir les seules performances financières.

En dehors de ce schéma, comment peuvent, à vos yeux, s'organiser ces arbitrages indispensables ?

Il faut rappeler que ces conflits d'intérêts existent jusqu'entre les entreprises publiques elles-mêmes. Si demain, par exemple, EDF souhaitait s'implanter dans les télécommunications afin de développer un nouveau métier profitable, en tirant partie des réseaux dont elle dispose, alors elle pourrait mettre en péril une autre entreprise publique, et il n'est pas sûr que l'Etat serait gagnant in fine.

M. Francis MER : Les problèmes que vous soulevez sont de nature différente.

EDF pourrait en effet choisir de se diversifier en concurrençant France Télécom - l'inverse est d'ailleurs concevable... - ou GDF. Est-ce que demain un électricien a besoin pour réussir de fournir aussi du gaz ? Est-ce qu'un gazier demain, doit proposer à ses clients de l'électricité ? Ces questions industrielles sont intéressantes et importantes, mais elles me semblent totalement étrangères aux fonctions de régulateur ou d'aménageur du territoire de l'Etat.

Je ne vois aucune difficulté, je le répète, pour que, quelle que soit leur nature, les décisions prises en matière d'aménagement du territoire soient inscrites dans un contrat de service public. La seule difficulté est de quantifier le coût que représentent par rapport à la marche spontanée de l'entreprise les obligations que l'Etat lui impose, mais c'est loin d'être impossible. Nous avons récemment fait cet exercice pour La Poste. Il est aisé de comparer par exemple l'implantation postale réelle par rapport à un réseau idéal maximisant les performances, et d'évaluer par conséquent le surcoût lié d'une part à la satisfaction du service universel et, d'autre part, aux contraintes d'aménagement du territoire.

La Poste pourra ainsi exercer son métier dans des conditions compétitives et disposera d'une réelle contrepartie pour les missions qu'on lui assigne, et l'Etat satisfera son intérêt patrimonial tout en assurant l'application de sa politique en matière d'aménagement du territoire. J'ai la conviction que c'est comme cela que l'on peut concilier à la fois la nécessité d'avoir des entreprises publiques performantes et nos volontés légitimes en termes de service public.

M. François BROTTES : Le Président de La Poste serait ravi de vous entendre, et peut-être vous présenterait-il promptement la facture des charges imposées par l'Etat avant de signer le contrat de groupe aujourd'hui en négociation...

Le rapport Larcher avait chiffré le coût de la présence postale territoriale actuelle et la charge des aides à la presse, à quelques centaines de milliers d'euros près. La simplicité et à la limpidité de votre propos suggèrent-elles que l'Etat est prêt à payer sans rechigner ?

Il serait dès lors intéressant que vous nous disiez où en sont les négociations du contrat... Quelle forme emprunteront les compensations ? Comment l'Etat les financera-t-il ?

Deux options me paraissent praticables : celle de la compensation-subvention, autorisée par Bruxelles, ou celle de la péréquation des tarifs, pourvu que l'on garde une partie des activités de l'opérateur sous monopole en service réservé.

La limpidité de votre raisonnement résiste-t-elle à l'épreuve concrète des faits ?

M. Francis MER : Je crois que nous sortons de notre sujet. Le contrat entre l'Etat et La Poste est en cours de discussion. Nous parviendrons bientôt à un arbitrage, qu'il soit celui que vous imaginez ou un autre. En tout état de cause, ce qui compte dans l'exercice, ce n'est pas tellement la manière dont on finance un dispositif, mais bien de s'assurer de la clarté et de la transparence des comptes afin que l'engagement du management de l'entreprise prenne en compte les objectifs assignés et les coûts qu'ils impliquent, l'Etat se devant de créer les conditions nécessaires à l'accomplissement de ces missions sans compromettre l'équilibre financier de l'entreprise.


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