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N° 3507

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 décembre 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1) relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs

Président

M. Georges FENECH,

Rapporteur

M. Philippe VUILQUE,

Députés.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

La commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs est composée de : M. Georges Fenech, Président ; Mme Martine David, M. Alain Gest, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Brard, Rudy Salles, secrétaires ; M. Philippe Vuilque, rapporteur ; Mmes Patricia Adam, Martine Aurillac, MM. Serge Blisko,. Philippe Cochet, MM. Christian Decocq, Marcel Dehoux, Guy Geoffroy, Michel Heinrich, Jean-Yves Hugon, Michel Hunault, Jacques Kossowski, Jérôme Lambert, Mme Geneviève Levy, MM. Pierre Morel-A-L'Huissier, Jacques Myard, Daniel Prévost, Éric Raoult, Jacques Remiller, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Serge Roques, Mme Michèle Tabarot, MM. Philippe Tourtelier, Christian Vanneste, Philippe Vitel.

INTRODUCTION 9

COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE DANS LA COMMUNAUTÉ DE TABITHA'S PLACE À SUS (PYRÉNÉES-ATLANTIQUES) 13

PREMIÈRE PARTIE : LES ENFANTS, UNE PROIE POUR LES SECTES 17

I. L'ENFANT VICTIME 19

A. L'ENFERMEMENT SOCIAL 19

1. Un phénomène dissimulé derrière la liberté d'opinion 19

2. Un nombre important d'enfants victimes, qui reste difficile à évaluer 21

3. La disparition du temps de l'enfance 25

4. L'enfant, vecteur et victime du prosélytisme du mouvement sectaire 26

5. La souffrance résultant de la fermeture au monde extérieur 27

6. Le manque d'esprit critique, résultat de l'enfermement social 31

7. Les caractéristiques de l'emprise mentale sur les enfants : le conditionnement et la culpabilisation 34

8. Les risques de violences physiques 36

9. Les atteintes à la vie familiale 42

10. Le paroxysme de l'enfermement social : la difficulté à sortir de la secte 47

a) L'appréciation complexe de la notion de danger 47

b) La nécessaire assistance du mineur par un avocat 49

c) Les difficultés matérielles 50

d) Les difficultés psychologiques 51

e) L'insuffisante prise en charge des victimes d'emprise sectaire 52

B. L'ENFERMEMENT À TRAVERS L'INSTRUCTION À DOMICILE 53

C. L'ENFANT PRIVÉ DE SOINS 59

1. Des conditions de vie déplorables 59

2. Des prescriptions alimentaires dangereuses pour la santé des enfants 60

3. Des soins préventifs refusés 61

4. Des traitements thérapeutiques récusés 64

a) Tabitha's Place 64

b) Les Témoins de Jéhovah 65

II. L'ENFANT MANIPULÉ 68

A. L'ENFANT, UNE VICTIME DES THÉRAPIES NON CONVENTIONNELLES 68

1. Naissances démiurgiques et fausses renaissances 69

a) L'enfant artefact 69

- Deux exemples : les Raëliens et la Fraternité Blanche Universelle 69

- Les actions menées par le ministère de la santé et des solidarités 70

b) L'enfance falsifiée 71

- Le « rebirth » 72

- « La mémoire retrouvée » 73

- Le marché du passé psychique 74

2. L'enfance dénaturée 76

a) L'enfant du Nouvel-Âge 76

b) L'exploitation psychosectaire des enfants souffrant de troubles psychiatriques 79

c) Des pratiques portant atteinte à la dignité des enfants handicapés 80

3. Les problèmes de l'adolescence mis à profit par les sectes 83

a) La toxicomanie 83

b) Les troubles du comportement 84

B. L'ENFANT, UN OBJET DE DÉMARCHAGE POUR DES CAUSES APPAREMMENT HUMANITAIRES 86

C. L'INSTRUMENTALISATION DU SOUTIEN SCOLAIRE 87

D. LA PRESSE ET LA PROTECTION DES MINEURS 91

E. LES PIEGES DES RÉSEAUX NUMÉRIQUES 92

SECONDE PARTIE : L'ACTION DES POUVOIRS PUBLICS,
UN ENGAGEMENT INÉGAL
95

I. UNE VIGILANCE QUI NE S'EST JAMAIS RELÂCHÉE 97

A. UNE MOBILISATION CONSTANTE DES PARLEMENTAIRES 97

1. Les commissions d'enquête, le groupe d'études et les questions écrites 97

2. Le droit applicable, la loi « About-Picard » et ses prolongements possibles 99

a) La loi « About-Picard » 99

- Le délit d'abus de l'état d'ignorance ou de faiblesse 101

- Les limitations apportées à la publicité des mouvements sectaires 102

b) Les freins à une bonne application de la loi 105

c) La possibilité de mieux sanctionner l'enfermement social des mineurs 108

B. UNE IMPLICATION FORTE DES POUVOIRS PUBLICS 110

1. L'action interministérielle 110

a) Une longue maturation 110

b) La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) 112

- Les actions menées par la MIVILUDES 113

De nouveaux pouvoirs d'action 115

2. Les actions ministérielles 118

a) Les chargés de mission ministériels 118

b) L'exemple de l'action du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative : un encadrement juridique des associations satisfaisant 119

c) Les correspondants régionaux des ministères 122

3. Les actions locales 124

a) Les cellules de vigilance 124

b) Les correspondants régionaux de la MIVILUDES 126

II. DES FAIBLESSES MANIFESTES 127

A. UNE SENSIBILISATION INSUFFISANTE DES ADMINISTRATIONS 127

1. Un défaut d'analyse et de mesure des dérives sectaires 127

a) Des défaillances dans le traitement des signalements 127

b) Des monographies peu nombreuses 128

c) Des manques de réactivité dans le champ de la santé 128

d) La faible implication du ministère des affaires étrangères 130

2. Un maillage partiel du territoire 131

3. Un manque de suivi et de coordination 133

a) Les associations 133

b) L'État 134

c) Les départements 135

4. Un déficit notable de formation et d'information 137

a) Des formations continues à renforcer 138

b) Des formations initiales à créer 140

c) Une information du public insuffisante 141

d) Une sensibilisation aux dérives sectaires négligée dans les programmes de l'éducation nationale 142

B. UN INSTRUMENT DE RÉGULATION DÉFAILLANT : LA RECONNAISSANCE DU STATUT D'ASSOCIATION CULTUELLE 143

1. Une pratique administrative imparfaite 143

2. Une absence injustifiée de prise en compte des intérêts supérieurs de l'enfant 147

3. Un instrument fondamental de régulation remis en cause par une ordonnance de simplification administrative 150

C. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE ÉDUCATIF TROP LÂCHE 152

1. L'inscription des enfants soumis à l'obligation scolaire 152

2. Le contrôle de l'instruction à domicile 154

a) L'instruction à domicile : l'ancrage constitutionnel et conventionnel de la liberté d'enseignement 159

b) Le risque d'un détournement de la loi : l'exemple de Tabitha's Place 160

LES CARENCES ET LES CONTRADICTIONS DE L'ÉDUCATION NATIONALE À TABITHA'S PLACE 162

1. Les infractions à la loi à Tabitha's Place 162

a) Le défaut de déclaration des enfants 162

b) L'ouverture d'une école de fait 162

2. L'inertie et les contradictions de l'éducation nationale 162

c) Redéfinir le régime de l'instruction dans les familles 164

3. Le contrôle de l'enseignement à distance 165

4. L'obligation de déclaration des établissements d'enseignement 168

5. L'agrément des organismes de soutien scolaire 168

D. UNE ABSENCE DE CONTRÔLE DES ACTIVITÉS DES PSYCHO-THÉRAPEUTES 169

1. Un nombre de psychothérapeutes en croissance continue 169

2. Des circuits de formation opaques 173

3. La réglementation du titre de psychothérapeute, un exercice inachevé 175

4. La sanction nécessaire des mauvaises pratiques 177

5. L'évaluation indispensable des techniques thérapeutiques 179

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 181

EXAMEN DU RAPPORT 195

CONTRIBUTIONS DE MEMBRES DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE 197

LISTE DES ABRÉVIATIONS 205

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA COMMISSION D'ENQUÊTE 207

ANNEXES 211

Mesdames, Messieurs,

La liberté de conscience et d'opinion constitue l'un des fondements les plus essentiels de notre démocratie. Elle puise ses racines dans l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses » ; elle est consacrée par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Elle est garantie enfin par l'article 2, alinéa 1 de la Constitution, qui déclare que « la République respecte toutes les croyances ». Cependant on sait que la liberté de chaque homme s'arrête là où commence celle d'autrui. Dans la mesure où il lui arrive d'aspirer à faire partager une même croyance, cette liberté de conscience a une dimension à la fois individuelle et collective, qui peut l'amener à être confrontée aux exigences de l'ordre public. Cette notion d'ordre public jamais définie et - toujours appréciée in concreto par le juge interne et la Cour européenne des droits de l'homme -, recouvre la sécurité publique, la protection de l'ordre, de la santé, de la morale publique et des droits et libertés d'autrui.

Or, parmi ces droits, ceux de l'enfant occupent une prééminence toute particulière. Leur vulnérabilité physique, leur perméabilité psychologique et intellectuelle à des discours simplistes, leur dépendance matérielle désignent en effet les enfants comme des proies faciles pour des mouvements que l'on a coutume de qualifier de sectaires. Derrière ces derniers se rangent des organisations répondant à des critères, que la première commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les sectes (1) avait faits siens et auxquels la présente commission d'enquête s'est ralliée. On les rappellera pour mémoire : la déstabilisation mentale ; le caractère exorbitant des exigences financières ; la rupture induite avec l'environnement d'origine ; les atteintes à l'intégrité physique ; l'embrigadement des enfants ; le discours plus ou moins anti-social ; les troubles à l'ordre public ; l'importance des démêlés judiciaires ; l'éventuel détournement des circuits économiques traditionnels et les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics. Non seulement il ne semble pas nécessaire de remettre en question aujourd'hui ces qualifications mais au moins six d'entre elles ont vocation à s'appliquer aux mineurs. Au surplus, en étendant le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse aux personnes en état de sujétion psychologique ou physique, la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 « tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales » constitue désormais un outil précieux pour incriminer les dérives sectaires.

Divers facteurs justifiaient pleinement la création d'une commission d'enquête parlementaire consacrée à l'analyse de l'influence des dérives sectaires sur les mineurs : les signalements relatifs aux enfants et impliquant des mouvements sectaires par les autorités publiques les plus diverses ; la sensibilisation de l'opinion publique à ce phénomène par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) dans ses derniers rapports d'activité ; la variété, le manque de cohérence et de coordination des réponses apportées par les pouvoirs publics à des pratiques parfois difficiles à appréhender. Si trois commissions d'enquête sur les sectes auront ainsi vu le jour à l'Assemblée nationale, en l'espace de douze ans (2), cette dernière initiative traduit une double volonté de la représentation nationale de ne pas relâcher son effort sur des comportements attentatoires aux libertés et de porter particulièrement son attention sur la protection d'un public par définition plus exposé aux pressions physiques et psychologiques.

La manipulation mentale des enfants, l'opposition de leurs parents à toute socialisation et à toute éducation extérieure, le risque de maltraitance et d'abus sexuel, la mainmise sur des personnes captives dès leur plus jeune âge, afin de les retenir au cours de leur vie dans une organisation fermée, constituent en effet autant de manifestations de l'emprise des sectes sur les mineurs, qui doit être dénoncée et combattue. Dans la mesure où la communauté internationale s'est dotée ces dernières années d'outils juridiques proclamant la défense des intérêts supérieurs des enfants, tels que la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989, cette démarche parlementaire s'appuie de manière privilégiée sur ce texte qui légitime son action.

Votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 28 juin 2006, la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs a permis la constitution de cette commission dès le 29 juin 2006. En en confiant la présidence à M. Georges Fenech, député UMP du Rhône, tandis que les fonctions de rapporteur revenaient à M. Philippe Vuilque, député socialiste des Ardennes, ses membres ont d'emblée affiché délibérément l'esprit consensuel dans lequel ils entendaient travailler. La commission a procédé à l'audition de 65 personnes sur une durée totale de 63 heures. Afin de respecter la volonté de certaines victimes de sectes de ne pas s'exposer à des représailles éventuelles, elle a accédé à leur demande d'être auditionnées sous le régime du huis clos, tandis que 40 personnes étaient entendues devant la presse. Le compte rendu de ces auditions a été enregistré sur un cédérom inséré à la fin du présent rapport. Parallèlement, soucieuse de respecter le principe du contradictoire et attachée à la transparence, la commission d'enquête a adressé un questionnaire à de nombreuses organisations entrant dans le champ de ses investigations, qui est joint au rapport avec les réponses apportées. Plusieurs d'entre elles cependant, comme l'« église » de scientologie, les raëliens, la Sahaja Yoga et Tabitha's Place n'ont pas répondu.

Pour compléter par ailleurs son information, elle a interrogé les principales administrations concernées par l'impact des dérives sectaires sur les mineurs, cette problématique ayant des implications à la fois éducatives, juridiques, sanitaires, sociales et internationales. Ces questionnaires des administrations avec leurs réponses sont également annexés au présent rapport. Un éclairage international sur le traitement de ces problèmes par les autorités étrangères a été fourni par des contributions de plusieurs de nos ambassades et de différents parlements de l'Union européenne. Toutes ces données constituent un ensemble d'informations juridiques et sociologiques particulièrement riche qui ont nourri la réflexion de la commission d'enquête.

Enfin, le rapporteur a fait usage des pouvoirs de contrôle sur place, que lui confère l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, pour vérifier les conditions dans lesquelles est assurée l'instruction à domicile auprès des enfants de la communauté de Tabitha's Place dans les Pyrénées-Atlantiques, en accompagnant à cet effet l'inspecteur d'académie compétent.

Les conclusions qui se dégagent de ces travaux ont permis à la commission d'enquête de dresser un double constat : d'une part, les enfants constituent une proie de plus en plus facile pour les sectes ; d'autre part, l'engagement des pouvoirs publics contre l'influence des dérives sectaires sur les enfants s'avère très inégal.

COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT DE LA COMMISSION
D'ENQUÊTE DANS LA COMMUNAUTÉ DE TABITHA'S PLACE À SUS
(PYRÉNÉES-ATLANTIQUES)

MM. Philippe Vuilque, rapporteur, Georges Fenech, président, Alain Gest, vice-président et Jean-Pierre Brard, secrétaire de la commission d'enquête, se sont rendus à Sus le 21 novembre 2006 à 9 heures, pour accompagner M. Jean-Michel Eple, Inspecteur d'Académie et M. Philippe Wolf, Inspecteur de l'Éducation nationale, dans leur mission d'inspection visant à vérifier les conditions de scolarisation à domicile et l'état de santé des mineurs résidant dans cette communauté.

Le docteur Colette Moulines et Madame Nicole Marty, infirmière, conseillères techniques auprès de l'Inspection d'Académie, ont apporté leur concours à cette inspection.

Après s'être déclarés surpris de cette visite inattendue, deux membres de la communauté ont proposé à la délégation d'entrer dans le salon-salle à manger situé au rez-de-chaussée de la maison d'habitation et de partager avec eux une tasse de thé ou de maté et des biscuits.

Le président a rappelé l'objet du déplacement de la commission d'enquête : vérifier les conditions de scolarisation des enfants de la communauté. Un membre de la communauté a indiqué que les enfants - dont le nombre est variable (de 15 à 20) en raison de leurs fréquents déplacements - étaient éduqués par les parents eux-mêmes ; ceux-ci n'avaient pas de formation particulière,
- lui-même avait un simple BEP de carrosserie - mais assuraient, à tour de rôle, les cours de français, d'arithmétique, d'histoire.

En réponse au rapporteur qui souhaitait connaître les raisons pour lesquelles les enfants n'étaient pas scolarisés, un membre a indiqué que l'école publique apprenait tout « sauf à craindre la parole de Dieu ». Par ailleurs, les membres de la communauté - et donc les enfants - ne sont couverts par aucune protection sociale, celle-ci étant refusée au motif qu'elle est considérée comme inégalitaire, alors qu'une véritable solidarité doit être consciente et volontaire. Les enfants, tout comme les adultes, ne sont pas vaccinés.

Les trois classes ont été ensuite visitées : elles présentent les mêmes caractéristiques matérielles : équipement scolaire classique mais rudimentaire (tables, tableau noir, casiers, quelques affiches représentant les arbres de France). Aucun équipement informatique n'a été remarqué.

Deux enfants étaient présents dans la première classe, quatre dans la deuxième et cinq dans la troisième.

L'Inspecteur de l'Éducation nationale a procédé à plusieurs contrôles portant sur la lecture d'un texte, sa compréhension, quelques exercices d'arithmétique, la récitation d'une poésie.

Le chant et la musique (harpe, flûte, violon) sont pratiqués par les enfants.

Répondant aux questions de la délégation, les enfants ont notamment indiqué qu'ils ne regardaient pas la télévision (« on n'a pas le temps »), qu'ils n'avaient jamais été au cinéma ou au théâtre, que les anniversaires étaient rarement célébrés et que Noël n'était pas fêté (« pas de sapin, pas de cadeaux »).

Ils ne disposent pas de manuels scolaires mais utilisent des supports pédagogiques confectionnés par les parents eux-mêmes.

Au Président Georges Fenech qui leur demandait leur sentiment sur leur école comparée à celle de l'extérieur, il lui a été répondu qu'« ici on apprend la sagesse, qu'ailleurs rien n'est vraiment bon, qu'on y apprend à faire "la folie" car les enfants sont livrés à eux-mêmes, leurs parents ne s'en occupant pas ».

La délégation a ensuite rencontré en tête à tête une jeune fille tout juste majeure et qui vit dans la communauté depuis sa naissance. Après s'être déclarée heureuse de vivre dans cette communauté, elle a dit ignorer les noms de Zidane, des Beatles ou des Rolling Stones, ne pas être en mesure de citer le nom d'un chanteur ou d'un acteur - elle n'est jamais allée au cinéma -, et avoir pour projet de rester dans la communauté pour y apprendre la couture et la pâtisserie. Une future relation affective n'est envisagée que dans le cadre de la communauté.

À la demande du président, face aux approximations sur le nombre d'enfants réellement scolarisés dans la communauté, en comparaison des effectifs déclarés à l'Inspection d'Académie, à la demande du président, l'Inspecteur de l'Éducation nationale a procédé à l'appel nominal des enfants. On a pu constater qu'alors que 14 enfants avaient fait l'objet d'une déclaration, 18 enfants étaient présentés : 4 enfants n'étaient donc pas déclarés.

L'Inspecteur d'Académie a rappelé les dispositions légales en la matière qui s'appliquent également aux enfants que les parents considèrent comme « seulement de passage » et a demandé que cette situation soit régularisée dans les meilleurs délais. Il appartient maintenant à l'Inspecteur de l'Éducation nationale de procéder à ce contrôle.

Au terme de cette visite, le sentiment général est qu'au-delà de la convivialité affichée et de l'accueil par la communauté, les plus vives inquiétudes sont confirmées quant aux conditions de scolarisation des enfants et, plus largement, quant à leur socialisation.

Alors que l'enseignement doit favoriser l'émergence de l'esprit critique du futur citoyen et sa connaissance de la société, ces enfants sont, de fait, confinés dans la communauté, coupés du monde et vivent en vase clos.

Certes, les enfants semblent exprimer une certaine joie de vivre et paraissent relativement épanouis, mais au-delà de cette première impression, il demeure que les adultes imposent à leurs enfants leur choix personnel de vie, en voulant, à tout prix, leur cacher la réalité - même dangereuse -  du monde.

PREMIÈRE PARTIE :

LES ENFANTS, UNE PROIE POUR
LES SECTES

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme consacre le droit au respect de la vie privée et familiale. La tentation pourrait dès lors être grande, pour les pouvoirs publics, de considérer que l'influence des mouvements à caractère sectaire sur la vie familiale - et notamment sur celle des enfants - relève de cette sphère protégée et partant, justifie ainsi une certaine forme d'inaction.

Néanmoins et selon une jurisprudence constante, si cet article a pour objet de protéger chacun contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il n'impose pas pour autant à ces derniers de s'abstenir de toute action. Comme l'a rappelé régulièrement la Cour européenne des droits de l'homme, cette limitation des immixtions des pouvoirs publics n'est pas incompatible avec leur devoir d'assumer des obligations positives. La garantie offerte par l'article 8 est en effet également destinée à assurer le développement de la personnalité de chaque individu et il appartient aux autorités de ménager à cette fin un juste équilibre entre intérêt général et intérêts particuliers.

L'intérêt général n'est manifestement pas de laisser perdurer des situations dans lesquelles des enfants, sous couvert des libertés dont peuvent se prévaloir les adultes, sont victimes d'un véritable enfermement social, de privations ou de manipulations préjudiciables à leur développement et à leur insertion dans la société : or, tel est bien le cas lorsque des mineurs deviennent la proie de mouvements à caractère sectaire.

I. L'ENFANT VICTIME

A. L'ENFERMEMENT SOCIAL

1. Un phénomène dissimulé derrière la liberté d'opinion

« En 2006, la difficulté essentielle s'agissant de la situation des enfants, c'est la question de l'enfermement. » C'est dans ces termes que M. Michel Huyette, conseiller délégué à la protection de l'enfance de la cour d'appel de Bastia (3), a mis en exergue le problème majeur des enfants soumis à une influence sectaire. Lors de son audition par la commission d'enquête, tout en expliquant que la législation pénale française actuelle semblait amplement suffisante pour répondre à la totalité des situations pouvant se produire dans les sectes, il a fait valoir que le droit pénal ne réprimait pas l'enfermement des mineurs. Ce dernier ne constitue pas, en effet, une infraction pénale. Or, non seulement l'enfermement social aboutit à récuser totalement le monde extérieur mais, à supposer que le mineur sorte un jour du mouvement sectaire, il souffrira d'une grande inadaptation à la vie, dans une société constamment stigmatisée pendant son séjour dans la secte. Pour ce magistrat familier de ces questions : « Le problème, pour les enfants qui vivent dans une secte, c'est que leurs parents leur disent tous les jours [...] que le monde extérieur est monstrueux et nocif. Cela signifie que, même quand ils seront adultes, ils n'en sortiront pas. » Aussi, pour le juriste, est-il nécessaire de s'appuyer sur « les droits des enfants, qui sont fixés dans de nombreux textes français et internationaux : droit à la liberté de pensée, droit à l'instruction, à la connaissance, droit de trouver un emploi... Les enfants qui sont enfermés dans des sectes sont complètement privés de l'ensemble de ces droits [...] Il faut toujours raisonner en termes d'enfermement. Lorsqu'ils sont enfermés, les enfants sont privés du droit de vivre comme les autres ».

Cette inadéquation entre les droits des enfants consacrés par les textes internationaux et leur situation au sein des mouvements à caractère sectaire a été évoquée à diverses reprises devant la commission d'enquête.

Ainsi, M. Jean-Michel Roulet (4), président de la MIVILUDES, a invoqué les articles 13 et 17 de la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989 (Convention de New York), rappelant notamment que : « Selon l'article 13, l'enfant a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières. Il est clair que toutes ces dispositions ne sont pas respectées. » De fait comme l'ont souligné plusieurs fois les membres de la commission d'enquête (5), la Convention de New York comprend, de façon plus générale, de nombreuses dispositions protectrices de l'enfant, favorables au développement de son esprit critique.

Il est fréquent que la liberté de religion - elle aussi consacrée par les textes internationaux - soit opposée aux personnes combattant l'enfermement social de l'enfant au sein des mouvements à caractère sectaire. Néanmoins, sous couvert de respect de la liberté d'opinion, de croyance ou de religion, on ne saurait justifier certaines pratiques préjudiciables au développement de l'enfant. Comme l'a fait observer M. Jean-Michel Roulet : « Il est très important, vis-à-vis de nos concitoyens, de ne pas laisser se développer ce discours autour du thème de l'atteinte aux libertés religieuses [...]. Ce qui nous préoccupe, beaucoup plus que les contenus philosophiques ou doctrinaux, ce sont des pratiques qui n'ont rien à voir avec des croyances [...] » Après avoir rappelé que la Convention internationale des droits de l'enfant garantit elle-même la liberté religieuse des mineurs, M. Michel Duvette, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice(6), a dénoncé en ces termes le recours à cet argument : « Dans notre pays, où cette liberté est l'une des mieux protégées et où l'on se rappelle les drames qui se sont produits dans le passé dès qu'il y a eu atteinte aux conceptions religieuses des individus, on est toujours extrêmement réticent lorsqu'on croit qu'il va falloir apporter une restriction à cette liberté fondamentale inaliénable. Les sectes excellent dans l'art d'amener ce débat dans le prétoire de manière à susciter une gêne de la part de l'institution judiciaire en rendant ainsi la protection des mineurs partiellement inefficace. »

Partageant l'opinion émise par de nombreux intervenants, les membres de la commission d'enquête estiment que la souffrance liée à l'enfermement social des enfants ne saurait être dissimulée derrière la liberté de croyance de leurs parents. Les pouvoirs publics se sont assigné comme objectif de lutter non contre des mouvements, mais contre leurs dérives, dont peuvent être victimes les mineurs. Comme l'a résumé Mme Sonya Jougla (7), psychologue, lors de son audition : « Jusqu'à aujourd'hui, les enfants victimes de secte restaient les grands oubliés de la société et des professionnels chargés de la protection de l'enfance en danger. Peut-être parce qu'il est encore plus difficile de préserver un enfant de la croyance de ses parents que de leurs coups ou de leur sexualité incestueuse. Peut-être aussi parce que la contrainte qu'imposent les parents en immergeant leur enfant dans une secte est parfaitement légale. »

2. Un nombre important d'enfants victimes, qui reste difficile à évaluer

En réponse à une interrogation du président, M. Georges Fenech, portant sur le nombre d'enfants concernés par les mouvements à caractère sectaire, M. Emmanuel Jancovici, chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires au ministère de la santé et des solidarités(8), a indiqué : « Le total est, au minimum, de 60 000 à 80 000 enfants élevés dans un contexte sectaire. Les statistiques ne permettent pas d'être plus précis. Par prudence, je préfère parler de plusieurs dizaines de milliers d'enfants. C'est un chiffre considérable. » Il a par ailleurs précisé : « S'agissant des enfants élevés dans le contexte "Témoins de Jéhovah", les sondages effectués à la demande de ce groupe, de 1997 et 1998, avancent que les trois quarts des adeptes ont des enfants. En supposant que dans ces familles, il y a au moins un enfant, nous sommes arrivés au chiffre de 45 000. Pour les autres groupes, on ne peut pas connaître scientifiquement le nombre d'enfants. Je pense qu'il y en a plusieurs dizaines de milliers, 35 000 ou 40 000. Sans compter les mouvements intégristes, qui comptent beaucoup de membres. Si on prend en compte tout cet ensemble, on est facilement au-delà de 100 000. Et en termes de protection des enfants, cela pose des questions d'ordre politique. »

S'agissant des mineurs présents au sein de l'église de Scientologie, aucune évaluation précise n'a été communiquée à la commission d'enquête. Évoquant les effectifs globaux du mouvement, M. Roger Gonnet, ex-adepte et ex-président de son organisation lyonnaise (9), a déclaré à la commission d'enquête : « Ils se disent 10 000 scientologues en France. Je dirais plutôt 2 000 ou 3 000. »

L'évolution même des mouvements à caractère sectaire rend difficile toute appréhension plus précise du nombre de mineurs concernés. De nombreux intervenants ont enregistré une tendance de ces organisations à se disperser dans de beaucoup plus petites unités qu'auparavant. Celles-ci auraient investi notamment - mais pas exclusivement - les domaines du bien-être, de la santé et du développement personnel. M. Michel Gilbert (10), président du Réseau parental Europe, a souligné leur facilité à se « rhizomiser » : « Certaines plantes ont la faculté, lorsque vous leur coupez la tête, de se « rhizomiser » de tous les côtés. C'est ce qui est arrivé avec le mouvement sectaire en France : les grandes organisations sectaires auxquelles on avait coupé la tête ont essaimé ces dernières années dans les thérapies alternatives. » S'appuyant sur une expérience d'une trentaine d'années, Mme Sonya Jougla (11)partage cette analyse : « Il y avait alors de grandes sectes, bien définies, bien claires. Aujourd'hui, il y a énormément de groupuscules sectaires, de vingt personnes au plus ».

M. Emmanuel Jancovici (12) a relevé que la difficulté de repérage des situations à risque était accrue par l'ignorance de l'existence même des enfants, certains pouvant ne pas avoir été déclarés à l'état civil. Informé de chaque naissance par l'avis de naissance adressé par l'état civil, le service départemental de la Protection maternelle et infantile, pour verser la prime de naissance, doit recevoir le certificat de passation du premier examen prénatal médical obligatoire prévu à l'article L. 533-1 du code de la sécurité sociale, en application de l'article L. 2122-1 du code de la santé publique. En vertu de l'article D. 532-2 du même code, si l'examen médical n'a pas été passé en l'absence de motifs légitimes, l'organisme débiteur de prestations familiales suspend le versement de la prestation d'accueil, qui est de 800 euros, sur demande du médecin responsable du service départemental de Protection maternelle et infantile. Dans la pratique toutefois on peut craindre que cette mesure dissuasive n'ait que peu d'impact car ce droit à la prime à la naissance est ignoré des organisations sectaires. On rappellera que le défaut de déclaration de naissance à l'état civil est, quant à lui, puni d'une contravention de cinquième classe (1 500 euros) en vertu de l'article R. 645-4 du code pénal. Dans un souci de renforcer ces règles, la commission d'enquête propose de sanctionner le défaut de déclaration de la naissance à l'état civil, d'une peine de 3 750 euros et de six mois d'emprisonnement. Par ailleurs, il lui apparaît nécessaire de confier aux inspections générales de l'éducation nationale, des affaires sociales et l'administration, le soin de recenser les enfants qui ne sont pas inscrits à l'état civil et plus généralement de faire des propositions pour renforcer les obligations de déclaration de naissance de l'enfant.

Interrogée par M. Jean-Pierre Brard, secrétaire de la commission d'enquête, sur les types de sectes avec lesquelles elle avait eu le plus maille à partir dans l'exercice de son activité professionnelle, Me Line N'Kaoua (13), avocate dont le cabinet est spécialisé dans les contentieux familiaux liés à un problème sectaire, a indiqué pour sa part : « Les groupes sur lesquels j'ai pu travailler sont principalement les Témoins de Jéhovah, qui arrivent très largement en tête. Suivent la Soka Gakkai, actuellement très active, puis tous les mouvements comme les mouvements Mahikari et la Scientologie. Presque tous les grands mouvements sectaires sont représentés. Notre travail est devenu beaucoup plus difficile car nous avons affaire actuellement à quelques mouvements qui ne comptent que peu d'adeptes mais qui ont réellement un fonctionnement de secte. On a du mal à connaître leur doctrine, qui n'est pas écrite, à avoir des témoignages, compte tenu du petit nombre d'adeptes. »

En réponse à un questionnaire adressé par la commission d'enquête, le ministère de la justice constate qu'il ne dispose « d'aucun indicateur fiable » en la matière, sauf à décompter les seuls mineurs simultanément concernés par des influences sectaires et par des procédures d'assistance éducative ou par des procédures pénales, ce qui ne permettrait pas, en tout état de cause, d'identifier le nombre total de mineurs victimes de mouvements sectaires.

Le ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, également destinataire d'un questionnaire adressé par la commission d'enquête, reconnaît que la Direction générale de l'action sociale (DGAS) ne dispose d'aucun système d'information spécifique sur l'enfance en danger. Certes l'Observatoire décentralisé de l'action sociale (ODAS) enregistre dans son rapport 2004 un accroissement constant du nombre des enfants à risque, alors même que la maltraitance des enfants apparaît sous-estimée en France (14). Mais la multiplicité des sources d'informations, la pluralité des acteurs concernés, la diversité des situations sont autant d'obstacles à une bonne connaissance de la question. Dans ce contexte, aucune donnée pertinente sur le nombre d'enfants élevés en milieu sectaire n'est aujourd'hui disponible.

Selon de nombreuses personnes entendues, des statistiques précises seraient en tout état de cause impossibles à établir. M. Michel Duvette (15) s'en est expliqué devant les membres de la commission d'enquête :

« L'insuffisance ou l'absence de signalement des situations dangereuses tient aux difficultés à repérer les enfants concernés. En effet, même si des éléments d'inquiétude apparaissent pour certains enfants, l'appartenance de leurs parents à une secte peut rester inconnue ou ne pas avoir suffisamment, voire clairement, d'influence sur leur situation. Dans les cas les plus extrêmes, ces enfants peuvent avoir disparu de tous circuits sociaux et de ce fait, aucun signalement les concernant ne peut être fait. »

Au surplus, un tel exercice statistique se heurte à des obstacles juridiques. Mme Sophie Sansy (16), directrice de service à la sous-direction des missions de protection judiciaire et d'éducation du ministère de la justice, en réponse à une question du président Georges Fenech sur la possibilité de mener une étude précise et concrète, rappelait que : « dans la législation française actuelle, l'appartenance à une secte ne constitue pas un délit. »

Cette crainte d'encourir le risque de commettre une discrimination peut justifier les réticences des ministères à mener des études statistiques selon une approche scientifique. Pourtant, comme l'a fait observer le président de la commission d'enquête, l'intérêt de telles études ne serait pas de raisonner en termes de délit, mais en termes de protection de la santé mentale et du développement de l'enfant. Faisant part de son incompréhension face à cette attitude persistante, Mme Martine David, vice-présidente de la commission d'enquête, a déploré au cours de cette même audition : « Nous avons l'impression de nous battre en vain, de ne pas être suivis, alors que nous savons qu'il y a beaucoup de cas de dérives sectaires en France [...] L'État ne se donne pas suffisamment les moyens pour vérifier au moins le bien-fondé de nos réflexions. »

La difficulté d'identifier des enfants souffrant d'enfermement social dans des mouvements à caractère sectaire est accrue par la volonté de dissimuler au monde extérieur les atteintes qui peuvent leur être portées. Dans des communautés en apparence « ouvertes », les enfants sont tout à la fois conditionnés par le groupe et scolarisés dans l'éducation nationale. Élevé parmi les Témoins de Jéhovah, et très récemment sorti du mouvement, M. Nicolas Jaquette (17) a ainsi résumé cette formation des enfants à la dissimulation : « Les Témoins de Jéhovah se targuent de ne pas être une secte, alléguant que leurs enfants ne sont pas coupés du monde : ils vont à l'école, font parfois des études supérieures, travaillent dans le monde extérieur. Mais l'embrigadement est bien là et les atteintes à l'identité, à la personnalité, à la vie affective, morale et physique sont réelles, même si elles sont d'emblée prévues pour que l'enfant les dissimule au monde extérieur. »

En étant « du reste incité à participer, à se comporter en élève modèle, et surtout à ne jamais constituer aucun sujet d'achoppement ou d'inquiétude pour le milieu scolaire », l'enfant vit une forme de schizophrénie.

En outre, le plus souvent, tout est fait pour que l'enfant reste un « esclave heureux » ainsi que l'a relevé Mme Charline Delporte (18), présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais : « Le couple est heureux dans la secte. Tant que l'enfant y reste, il est conditionné, lui aussi esclave heureux de l'être. Il en va tout autrement le jour où le jeune adolescent a envie de la quitter, vers l'âge de seize ou dix-sept ans ». M. Jean-Michel Roulet (19) a décrit dans ces termes le rôle imparti aux mineurs dans les sectes : « Certains enfants sont la cible directe des organisations sectaires, qui souhaitent pouvoir les formater, les robotiser, les exploiter. On leur fera faire du prosélytisme dès leur plus jeune âge, puis on en fera, selon l'expression de Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie, des « esclaves heureux » ».

3. La disparition du temps de l'enfance

« Il n'y a plus de temps de l'enfance » : cette expression employée par M. Emmanuel Jancovici (20) caractérise parfaitement la nature de l'enfermement social dont peuvent être victimes les enfants. Même dans les communautés ouvertes sur l'extérieur, les enfants « sont conçus pour devenir des adeptes, et rien d'autre ». Dans tous ces groupes, précise cet observateur du phénomène sectaire, les enfants réservent beaucoup de temps à la prière, à la formation religieuse et au prosélytisme. Estimant qu'un enfant Témoin de Jéhovah consacre, par semaine, dès l'âge de huit ou dix ans une vingtaine d'heures au groupe, ce qui est considérable si on ajoute ce temps à celui de sa scolarisation, il en conclut que : « la situation est totalement déséquilibrée », le temps de l'enfance n'étant plus respecté.

M. Nicolas Jaquette (21) a exposé devant la commission d'enquête la semaine-type d'un enfant Témoin de Jéhovah : « Le rythme est très dense, mais doit s'apprécier sur une semaine. Chaque jour un « programme spirituel » vous est attribué. Comme tout Témoin de Jéhovah, les enfants sont astreints aux trois réunions - pour ma part, c'était deux heures le mardi, une heure le jeudi et deux heures le dimanche  - et à la prédication, quand bien même ils ne sont ni baptisés ni proclamateurs. À ce programme extérieur à l'environnement familial relativement dense vient s'ajouter pour l'enfant un programme personnel : il doit préparer chacune des réunions de son propre chef en reprenant les publications fournies par la secte, vérifier l'exactitude des versets dans la Bible, soit en général une heure à une heure trente de travail de préparation la veille de chaque réunion. Sans oublier les activités à l'intérieur du cercle familial : « le texte du jour », c'est-à-dire un petit livret dont on lit, chaque jour, un petit texte suivi des explications qu'en donne la secte, la lecture de la Bible en famille, qui dure environ trois quarts d'heure, et la lecture personnelle que l'enfant doit faire chaque soir, durant trois quarts d'heure également. J'ai calculé qu'un enfant de primaire devait ainsi consacrer à la secte quasiment vingt-trois heures par semaine... »

Le Consistoire national des Témoins de Jéhovah, auquel la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah avait transmis le questionnaire adressé par la commission d'enquête, estime, pour sa part, dans un document daté du 16 octobre 2006, que les parents « associent leurs enfants à l'enseignement religieux dispensé dans les salles du Royaume à raison de quatre à cinq heures hebdomadaires ».

S'agissant des mineurs dont les parents appartiennent à la Scientologie, M. Roger Gonnet (22) a indiqué que certains enfants peuvent être appelés au service de commandement central de la Scientologie (la Sea Org) dès l'âge de six ans :

« Certains enfants peuvent être en poste dès l'âge de six ans. Ils font un très grand nombre d'heures, en transportant des papiers. À partir d'un certain âge, ils sont susceptibles d'être envoyés dans le goulag de la Scientologie, le RPF : Redemption Project Force. Il y en a à Hemet, à Los Angeles, à Clearwater en Floride ; il y en a un au Danemark, en Angleterre et vraisemblablement en Australie.

M. Jacques REMILLER : Qu'y fait-on ?

M. Roger GONNET : Cinq heures de bourrage de crâne quotidien, plus dix heures de travail. On court sans arrêt. On n'a pas le droit à la radio, à la télévision, aux journaux. Dans la plupart des cas, les gens ne peuvent plus voir leurs enfants, leur femme ou leur mari, etc. Ils ne peuvent pas sortir tant que ce n'est pas fini ; cela peut durer des années. »

M. Philippe Tourtelier, membre de la commission d'enquête, s'étant inquiété de la réaction des parents adeptes face à l'envoi de leurs enfants dans une organisation scientologue comme la Sea Org ou le « goulag » - le Rédemption Project Force -, M. Roger Gonnet a fait remarquer que ces parents ne sont pas nécessairement au courant du fait que leurs enfants ont été envoyés au « goulag ». On leur dit qu'ils ont été envoyés en mission. Il leur arrive d'accepter l'appartenance de leurs enfants à la Sea Org dans la mesure où cette étape fait partie des « règles sacro-saintes de la Scientologie ».

Les mineurs peuvent être ainsi happés par des organisations dans lesquelles le temps de l'enfance et de l'adolescence est nié, soit parce qu'il est consacré exclusivement à servir l'organisation elle-même, soit parce que l'enfant est occupé à mener des actions de prosélytisme en direction d'autres jeunes, en exploitant des thèmes susceptibles de les attirer.

4. L'enfant, vecteur et victime du prosélytisme du mouvement sectaire

M. Daniel Groscolas (23), président du Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM) a souligné que la technique des sectes les plus connues consiste à créer des filiales aux appellations séduisantes et à s'emparer ainsi de thèmes séducteurs et consensuels pour tenter de s'infiltrer dans la jeunesse.

L'institution scolaire est loin d'être un sanctuaire dont seraient exclues les manœuvres de prosélytisme ; celles-ci peuvent être en effet, le fait des jeunes adeptes eux-mêmes et être dirigées vers d'autres jeunes. M. Daniel Groscolas a mis l'accent sur ce problème crucial : « Les Témoins de Jéhovah, par exemple, donnent pour directive aux enfants de fréquenter les écoles pour y faire du prosélytisme. La Soka Gakkai donne la même directive. Cela pose problème, car si la législation oblige les personnels de l'école publique à respecter une neutralité absolue, elle n'interdit pas aux élèves d'affirmer leurs croyances. Certaines sectes ont bien compris tout le profit qu'elles pouvaient en tirer. »

M. Alain Berrou (24), ex-adepte des Témoins de Jéhovah, a apporté un témoignage personnel : « Si j'ai été endoctriné à l'école, ce n'est pas par accident, mais dans le cadre d'une campagne internationale adaptée à chaque pays. Ce que je prenais pour des discussions anodines avec des camarades de classe répondait en fait à un vaste programme de prosélytisme. Il aura dans mon cas fallu deux ans pour me persuader d'un certain nombre d'idées, suivant un processus parascientifique, mensonger et exhaustif. Petit à petit, je me suis mis à changer et à accepter des idées qui m'inspiraient jusqu'alors beaucoup de réticence. Poussé par la simple curiosité à l'égard d'un camarade de classe, je me suis trouvé engagé dans ce que je pensais être des discussions anodines - en fait, un processus pédagogique d'endoctrinement qui m'a conduit à me lier à une organisation et à une idéologie par un contrat. Je récuse le mot « baptême » qui vise à donner à l'idéologie et aux pratiques des Témoins de Jéhovah un masque confessionnel. Mais à la différence d'autres « mouvements », on est petit à petit conduit par le raisonnement et la persuasion à ce qu'ils appellent « baptême » et qui s'avère en fait être un contrat avec une organisation. [...]

« Cet endoctrinement a eu des conséquences sur ma famille comme sur mes études dans la mesure où je me suis mis à consacrer tout mon temps au service exclusif de la secte. J'ai été amené à m'investir de plus en plus au sein du mouvement jusqu'à m'engager dans une forme de service spécial pour les jeunes, dit « service de pionniers » où l'on passe son temps à faire du prosélytisme, objectif majeur de la secte, tant en France qu'ailleurs. »

Enfin, dans certains cas, point n'est besoin, pour faire du prosélytisme, de s'inscrire, consciemment ou non, dans le cadre d'une campagne organisée. Le prosélytisme peut être effectué de façon parfaitement spontanée et isolée et résulter simplement d'une manipulation mentale subie, comme en a témoigné à huis clos devant la commission d'enquête une jeune ex-adepte d'un mouvement chamanique, dans lequel elle fut entraînée alors qu'elle était encore mineure.

5. La souffrance résultant de la fermeture au monde extérieur

La perte d'autonomie des enfants et le rétrécissement de leurs centres d'intérêts ont, ainsi que l'a noté M. Michel Duvette (25), pour finalité principale de « réduire les liens qu'ils pourraient nouer avec le monde extérieur à la secte ».

La souffrance provoquée par l'impossibilité pour l'enfant de vivre ce moment de sa vie avec des jeunes de son âge extérieurs à la secte ne doit pas être minimisée. Les témoignages reçus par la commission d'enquête sont unanimes. La « violence du quotidien », certes moins douloureuse que la violence de certains actes graves à jamais traumatisants, n'est pas pour autant exempte de conséquences psychologiques, ainsi que l'a souligné M. Nicolas Jaquette(26). M. Philippe-Jean Parquet (27), addictologue et spécialiste de l'enfance, a évoqué en ces termes la portée de ces atteintes psychologiques : « Le contact avec les organisations sectaires cause d'effroyables dégâts affectifs. La confiance vis-à-vis de l'adulte est altérée, tout comme la confiance en soi. Cette séquelle est grave : le doute sur soi-même va s'accompagner du doute sur autrui. [...]

« L'enfant a besoin d'un environnement marqué par la continuité, la cohérence et la diversité. Le principal reproche que je fais aux organisations à caractère sectaire est qu'elles proposent à l'enfant un monde en réduction, un monde clos, alors qu'il a besoin de la diversité, de la présence de ses parents, de ses grands-parents, des autres membres de la famille, de thèses différentes dans la culture, bref, d'un monde ouvert à la diversité. C'est cela qui définit une éducation humaniste. À partir de là, l'enfant pourra, avec liberté, trouver la voie qui est la sienne. »

Dans certains cas, l'enfermement social est poussé au maximum. M. Jean-Philippe Vergnon (28), président de l'Association Aide aux victimes des Frères exclusifs (AVIFE), a ainsi expliqué que la communauté des Frères de Plymouth dont il est issu, constitue un cercle très fermé de 1 250 personnes en France et que l'on y appartient uniquement par filiation. Selon son témoignage, les membres n'ont droit ni à la télévision ni à la radio. Ils peuvent lire le journal, à l'exclusion des pages sportives, uniquement pendant sept minutes et debout.

L'interdiction de se mêler aux autres enfants et à leurs activités est prônée par cette communauté même si, à l'instar des enfants Témoins de Jéhovah, les enfants peuvent être scolarisés à l'école publique, au moins jusqu'à la troisième. L'ouverture sur la vie extérieure reste néanmoins très limitée, comme en témoigne cette réponse à une question du rapporteur :

« M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Comment l'organisation appréhendait-elle les phénomènes éducatifs ? Y avait-il un reconditionnement après l'école ? Le groupe suivait-il plus particulièrement les enfants pour éviter qu'ils n'aient trop de contacts avec l'extérieur ?

« M. Jean-Philippe VERGNON : En fait, on est toujours sous surveillance : même à l'école, des camarades peuvent rapporter ce que l'on a fait dans la journée. À midi comme le soir, dès que l'école se termine, quelqu'un vient nous chercher pour nous ramener à la maison. Les activités extrascolaires, l'appartenance à une association sportive ou culturelle sont interdites. On n'a pas le droit d'aller dans les bibliothèques municipales. »

Ce témoin ajoutait par ailleurs : « il y a beaucoup de châtiments moraux, au premier rang desquels les confessions publiques. Par exemple, si vous êtes surpris à l'école en train de faire n'importe quelle bêtise, ne serait-ce que manger un bonbon dans la cour avec un camarade, le soir il faut le confesser devant l'assemblée de la communauté, c'est-à-dire devant deux cents personnes. »

En réponse à une interrogation du président Georges Fenech sur les troubles psychologiques constatés au cours de sa vie professionnelle, Me Line N'Kaoua(29), déclarait : « Le plus souvent, nous rencontrons des enfants marginalisés, victimes d'une rupture avec la société. Ils ne participent pas à certaines fêtes. Certains enfants Témoins de Jéhovah jettent les boules de Noël quand la maîtresse demande de décorer le sapin. Certains refusent de participer à des activités extrascolaires, parce qu'il ne faut pas de compétition.

« Certains enfants sont en grande souffrance et l'expriment par des cauchemars, par un rejet de l'autre parent, rejetant par exemple toute la lignée paternelle lorsque le père n'est pas adepte de la secte. »

Nul n'est plus à même de rendre compte de la manipulation mentale conduisant un enfant à ne pas se mêler aux jeux, aux fêtes des autres enfants qu'un enfant qui lui-même a grandi parmi les Témoins de Jéhovah. M. Nicolas Jaquette a décrit devant la commission d'enquête de façon particulièrement claire ce processus de manipulation, en évoquant la souffrance qui en résulte : « Les relations avec les autres sont évidemment des éléments auxquels les enfants sont très sensibles, surtout lorsqu'il s'agit de concrétiser ces liens au moment de fêtes qui sont autant de moments de cohésion sociale. Pour donner une bonne image du mouvement, on permet aux enfants de côtoyer les autres, mais d'une manière encadrée et très limitée. Parmi les messages les plus répétés : "Vous avez des amis dans la congrégation, n'allez pas vous en faire ailleurs." [...] Dans le même temps, les gens de l'extérieur sont appelés « le monde », dont toute la littérature des Témoins de Jéhovah dit qu'il est méchant, sous la coupe du diable et appelé à disparaître. La diabolisation vaut pour les petits camarades d'école, dont on apprend à se méfier ; [...] Les fêtes sont un sujet particulièrement douloureux pour tous les enfants Témoins de Jéhovah, même si on leur apprend que ce n'est pas le cas : voir se succéder tous les réveillons de Noël, du jour de l'An, les anniversaires, sans qu'il ne se passe rien d'autre qu'un jour normal, entendre le lendemain tous les copains parler des cadeaux qu'ils ont reçus [...] On vous apprend à déblatérer toute une série de slogans pour vous justifier et surtout vous surprotéger vous-même de la douleur que ressent un enfant séparé des autres par de telles circonstances : être invité à un anniversaire et ne pas pouvoir y aller, ne pas pouvoir fêter le sien... Je ne sais même pas quel âge ont mes parents : on n'a jamais fêté leur anniversaire. Pour tout le monde, cette fête annuelle permet d'avoir une idée du temps qui passe pour les autres. Moi, je n'ai pas cette notion-là, y compris pour des amis proches. Cela peut paraître banal, mais lorsqu'on y réfléchit après coup, on s'aperçoit que ces situations totalement décalées, ajoutées les unes aux autres, en viennent à former un bagage terriblement lourd à porter... »

Les moqueries dont ont à souffrir ces enfants contraints à la différence ont été évoquées tant par M. Jean-Philippe Vergnon, ex-jeune « Frère exclusif » que par M. Nicolas Jaquette, en réponse à des questions posées par M. Serge Blisko, membre de la commission d'enquête, qui portaient sur les réactions de la société face au comportement « étrange » ou pour le moins réservé de ces enfants. M. Nicolas Jaquette a décrit dans ces termes le phénomène d'emprise mentale qui conduit l'enfant à l'acceptation de sa souffrance : « Le comportement "bizarre" que l'enfant est tenu d'adopter à l'égard de ses camarades - refus des anniversaires, obligation de placer des mots conformes à l'idéologie de la secte - est évidemment de nature à susciter la moquerie, ce qui le rend d'autant plus pénible. Lorsque l'on arrive à l'adolescence, on n'a déjà pas besoin d'être Témoin de Jéhovah pour y prêter le flanc : mais ne pas s'habiller à la mode, aller en prédication faire du porte-à-porte en costume-cravate, ne pas aller aux anniversaires et pas davantage en boum et en sortie, cela fait beaucoup... Et face aux autres qui se moquent de lui, l'enfant Témoin de Jéhovah est conforté dans son statut de victime tel que le présente la secte : le monde vous persécute parce que vous êtes les élus ; comme Jésus a été persécuté, tu le seras également ; si on te persécute à l'école, c'est donc que tu es dans le vrai. Et cela fonctionne très bien : l'enfant trouve normal de se faire persécuter, même si c'est extrêmement douloureux et même insupportable. »

À la question de la commission d'enquête : « Encouragez-vous les enfants à participer à des activités les mettant en relation avec d'autres enfants n'appartenant pas à votre organisation ou au contraire estimez-vous préférable de restreindre de tels contacts ? », la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France n'a pas apporté de réponse. Le courrier en date du 18 octobre 2006 adressé par son président en réponse à ce questionnaire est d'ordre général et s'abstient de répondre point par point aux questions posées. Il indique notamment : « les termes de votre questionnaire révèlent que notre confession religieuse n'est pas concernée par les investigations demandées ». Il mentionne que « les parents Témoins de Jéhovah confient leurs enfants aux établissements scolaires et mettent tout en œuvre pour assurer leur épanouissement et leur insertion sociale et professionnelle ».

Bien que ne s'estimant pas concernée par l'enquête de la commission mais ayant été mise en cause par le témoignage de M. Jean-Philippe Vergnon, l'Union nationale des Frères de Plymouth a fourni, à propos des contacts avec les autres enfants, la réponse suivante : « L'exercice du culte protestant darbyste est compatible avec l'exercice de la vie citoyenne et sociale des enfants des fidèles qui jouissent de l'attention de leurs parents, sans que des restrictions générales ne leur soient imposées dans leurs relations avec d'autres enfants dans la vie scolaire, sans particularismes ni exceptions aux normes admises en France du point de vue de l'observation des lois républicaines. Les fidèles tentent de préserver leurs enfants des dangers inhérents à la consommation de drogues ou d'activités dangereuses pour la santé. »

Par ailleurs, votre Rapporteur constate que l'enfermement social des enfants vivant dans ces communautés fait rarement l'objet de signalements, comme l'ont rapporté plusieurs des personnalités entendues. Ils sont en apparence parfaitement intégrés, notamment en classe. Les propos tenus par M. Jean-Yves Dupuis, inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale (30), en réponse aux interrogations de M. Jean-Pierre Brard sur la réaction des autorités concernées, illustrent la perception de ce phénomène par l'éducation nationale : « Il est certain que les inspecteurs d'académie ne procèdent pas à des signalements visant le cas d'enfants en situation de souffrance morale du fait qu'ils ne participent pas à un certain nombre d'activités, sportives ou autres. »

L'attention des pouvoirs publics n'est donc pas davantage attirée sur leur situation que sur celle des mineurs vivant dans de toutes petites communautés, souvent plus difficilement repérables.

Un couple d'ex-adeptes de la communauté de Tabitha's Place a fourni devant la commission d'enquête (31) des exemples inquiétants des pressions exercées pour empêcher toute ouverture des enfants au monde extérieur et pour entraver les contacts entre enfants, y compris au sein même de la communauté. Ainsi, ces parents ont été priés, à leur arrivée dans la communauté, de se séparer des jouets reçus à Noël par leurs enfants, parce qu'ils faisaient peur aux autres, certains n'ayant jamais vu, semble-t-il, une poupée. Les enfants, qu'il est malvenu de laisser librement jouer, sont en revanche associés aux travaux des adultes (nettoyage, entretien du jardin, etc.). Élevés au sein de la communauté, ils n'ont pas de liens avec le monde extérieur et leurs possibilités de contacts sont elles-mêmes strictement surveillées. Deux enfants accompagnés chacun d'un adulte peuvent être châtiés si, lorsqu'ils se croisent, ils s'adressent la parole sans y avoir été d'abord autorisés. De même, une fillette peut être corrigée pour avoir salué spontanément sa mère sans l'autorisation du « professeur » l'accompagnant.

6. Le manque d'esprit critique, résultat de l'enfermement social

« La mise en place d'un certain nombre de croyances érigées en vérité absolue, indiscutables et invérifiables, amène l'enfant à abandonner tout esprit critique, toute rationalité. Il est immergé continûment dans la certitude d'une vision unique du monde. S'écarter de cette vérité, c'est se retrouver seul, abandonné de tous, ne plus s'inscrire dans une appartenance. » (32)

Ainsi s'est exprimée devant la commission d'enquête Mme Sonya Jougla pour identifier parmi les causes de maltraitances psychologiques la « pensée unique ». Au nombre de celles-ci, elle a ajouté la difficulté à accéder à des raisonnements abstraits, cette « pensée unique » faisant obstacle à la libération personnelle de la capacité d'abstraction de l'enfant et favorisant le double langage. L'enfant est en effet pris entre deux discours contradictoires : la distorsion entre les deux types de conception du monde, celle d'un univers fantasmé et utopique
- celui véhiculé à l'intérieur de la secte - et celle de la réalité extérieure, provoque « un écartèlement et un stress permanent débouchant sur un état d'angoisse sidérant et paralysant ».

Le Professeur Philippe-Jean Parquet (33) a fait état des carences subies par l'enfant dans un certain nombre d'organisations sectaires. Celles-ci créent chez lui un dysfonctionnement dans son appréhension du monde affectif, « lequel sera représenté sur le mode binaire : ceci est bien ou ceci est mal », car « il n'est pas question pour une secte d'envisager les choses sous plusieurs angles, avec plusieurs scenarii possibles ».

M. Jean-Michel Roulet (34) a rappelé que les enfants Témoins de Jéhovah entendent chez eux un discours qui discrédite l'enseignement qu'ils reçoivent à l'école : « On demande ainsi à ces enfants d'apprendre et de réciter quelque chose en quoi on leur dit de ne pas croire et qu'on leur présente comme une création du diable. Ils sont donc en apparence en milieu ouvert, mais sont en fait en milieu fermé, en étant obligés de jouer la comédie. »

Ces derniers propos ont été illustrés par le témoignage de M. Nicolas Jaquette (35) concernant tant l'enseignement que les choix de lecture : « En entrant à l'école, l'enfant est déjà préparé à ce qui lui sera enseigné à l'aune de l'enseignement de la secte : ce qui correspond à ce qu'on lui a déjà enseigné est acceptable, ce qui ne correspond pas n'est qu'objet de mépris. [...] Le Témoin de Jéhovah s'entend clairement répondre : « s'il y a de la littérature extérieure intéressante, on vous le fera savoir. Mais ne vous y intéressez pas de votre propre chef : passez plus de temps à étudier pour vous persuader de votre foi et vous convertir davantage encore, approfondissez votre étude personnelle, mais n'allez pas voir à l'extérieur ».

« De fait, ce mépris soigneusement cultivé à l'égard des historiens, des scientifiques, du milieu enseignant, du milieu médical, rend le Témoin de Jéhovah enfant totalement imperméable à tout ce qu'on peut lui apprendre dans le milieu scolaire : dès lors que cela ne correspond pas au credo de la secte, ce n'est pas acceptable, c'est faux. Il aura donc un réflexe d'autodéfense et bloquera sans même s'en douter son esprit à toute absorption. »

L'atteinte au développement de la pensée autonome et de l'esprit critique chez l'enfant peut freiner gravement son développement personnel et social. M. Emmanuel Jancovici (36) a cité le cas de ce jeune adepte qui, ayant suivi une thérapie assez longue, s'était rendu compte, pour la première fois de sa vie, qu'il était en train de penser. Alors qu'il était sorti du groupe et qu'il commençait à se libérer, il consignait ses réflexions dans son ordinateur en les dissimulant. Pour lui, penser était devenu quelque chose d'interdit et de dangereux.

M. Emmanuel Jancovici a stigmatisé le processus de manipulation mentale qui aboutit à la suppression de toute capacité de réflexion chez l'enfant : « On répète à un petit enfant de six ans dix fois la même chose. La onzième fois, on le félicite en lui disant qu'il est très intelligent. C'est un procédé de manipulation mentale. L'enfant a l'impression d'avoir pensé par lui-même quelque chose qui lui a été répété dix fois. Dans ce système, sa pensée n'existe pas, il n'a pas la possibilité de penser. C'est très dangereux du point de vue de la santé mentale. »

S'agissant de l'entrave au développement de l'esprit critique, on pourrait dire, pour reprendre l'expression utilisée par M. Emmanuel Jancovici, qu'elle atteint tout simplement « la capacité qu'ont les enfants à être vivants ».

Les solutions destinées à favoriser le développement de l'esprit critique de l'enfant ne s'imposent cependant pas d'évidence. À des interrogations de M. Jacques Myard, membre de la commission d'enquête, sur les décisions susceptibles d'être prononcées par le juge des enfants, par exemple, exiger des parents instruisant eux-mêmes leurs enfants de les faire participer à des activités susceptibles de les sortir de leur enfermement - M. Michel Huyette (37) a estimé que de telles solutions seraient inappropriées : « Il ne s'agit pas - pardonnez-moi d'être un peu abrupt - de faire du rafistolage le dimanche après-midi alors que, du lundi matin jusqu'au vendredi soir, comme je l'ai entendu dans la bouche de parents qui appartenaient à Sahaja Yoga, il est répété constamment aux enfants que le monde extérieur est mauvais, nocif et que le seul endroit où l'on est bien, c'est à l'intérieur de la secte. Imaginons que je leur impose de sortir dix minutes le samedi, cela ne changera rien à leur endoctrinement. La seule façon pour qu'un enfant arrive à la citoyenneté dont parlait M. Georges Fenech, c'est d'être en permanence confronté à une pluralité d'opinions. [...]

« Il faut que la contradiction existe en permanence. C'est cela, être citoyen. Il est complètement illusoire et même à des années-lumière de la réalité d'imaginer qu'une sortie de quelques heures le week-end compensera un enfermement d'une semaine. Vous n'avez pas idée des doctrines véhiculées à Sahaja Yoga ou à Tabitha's Place ! »

7. Les caractéristiques de l'emprise mentale sur les enfants : le conditionnement et la culpabilisation

« Il faut bien comprendre que l'on n'a pas affaire à un système qui laisserait ses adeptes penser librement. Il leur fait intégrer un mécanisme de pensée qui les culpabilise sitôt qu'ils réfléchissent et qui leur impose, comme un devoir, de s'autopersuader. »

Ces propos de M. Alain Berrou (38), résument parfaitement le processus de conditionnement et de culpabilisation dont sont victimes les enfants. Il en a démonté le mécanisme devant la commission d'enquête : « tout l'appareil, le système de concepts que l'on vous fait intégrer et par lequel vous pensez, par lequel vous jugez, par lequel vous ressentez tantôt culpabilité, tantôt gratitude, peut s'écrouler d'un coup dès lors que vous désobéissez. Le problème est que j'ai été conditionné pour obéir, pour culpabiliser si je venais à réfléchir à des idées subversives, et surtout pour pratiquer plusieurs fois par jour cette gymnastique d'autopersuasion et d'autocensure. »

M. Nicolas Jaquette(39) a expliqué que de surcroît « il est préconisé de s'espionner entre enfants de la secte : si l'on se retrouve avec d'autres enfants Témoins de Jéhovah dans le même établissement, on adaptera son comportement en fonction des édits de la secte, mais également du regard de ses coreligionnaires pour ne pas être accusé dans le groupe d'avoir péché au regard des édits de la secte. L'enfant est ainsi en permanence sous l'œil d'un Big Brother... » Il a largement évoqué également le conditionnement et la culpabilisation très lourde de l'enfant dans son activité de prosélytisme. De celui-ci « découle en même temps une responsabilité induite dans l'évangélisation, transmise très tôt aux enfants : vous portez la responsabilité de la vie de vos camarades. Imaginez que vous sachiez qu'il va se produire un tremblement de terre : si vous ne prévenez personne, vous êtes homicide. Là, c'est la même chose : vous savez que le monde va disparaître ; si vous ne les prévenez pas qu'ils doivent devenir Témoins de Jéhovah pour survivre à ce monde condamné, vous portez la responsabilité de leur mort. Cette responsabilité, on la fait porter aux adeptes adultes, mais également aux enfants. »

Dans ces mouvements, le monde extérieur est systématiquement diabolisé et l'on apprend à l'enfant à s'en méfier. M. Henri de Cordes (40), président du Centre belge d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN), a évoqué le témoignage d'une journaliste qui, après s'être infiltrée, était parvenue à assister à une réunion de la Scientologie à Bruxelles, où elle avait entendu qualifier les gouvernements européens de « IVe Reich » et affirmer : « Nous sommes en guerre » !

Le conditionnement de l'enfant fait l'objet de vérifications parfois très poussées. M. Roger Gonnet (41) a expliqué que la Scientologie interrogeait tous ses adeptes au bout d'un certain temps, en leur faisant passer des « Security checks », des vérifications de sécurité ou des « confessionnaux en éthique » ; il s'agit de confesser toutes ses « exactions » passées et les enfants n'échappent pas à ces vérifications. Un questionnaire, intitulé « Security check children » - vérification de sécurité pour enfants - de 6 à 12 ans - que la commission d'enquête s'est procuré, a été élaboré à leur intention. Il comporte en en-tête la mention suivante : « Ce qui suit est une audition de vérification à utiliser sur des enfants. Assurez-vous que l'enfant puisse comprendre la question. Reconstituez-la de sorte qu'il ou elle puisse la comprendre. La première question est toujours la plus puissante. » (sic).

Le libellé de la première question est le suivant : « Qu'est-ce que quelqu'un t'a dit de ne pas dire ? » (sic). Succèdent à celle-ci des questions ainsi formulées : « As-tu jamais décidé que tu n'aimais pas un membre de ta famille ? As-tu souhaité quelque chose très fort, sans jamais rien dire à qui que ce soit ? As-tu refusé d'obéir à un ordre provenant de quelqu'un à qui tu aurais dû obéir ? As-tu un secret ? As-tu essayé de faire croire à d'autres que tes parents ou tes maîtres étaient cruels avec toi ? As-tu menti pour échapper à un blâme ? T'es-tu jamais enfui alors que tu aurais dû rester ? » etc.

Le conditionnement et la culpabilisation dont sont victimes les enfants dans de nombreux mouvements peuvent conduire à de graves troubles psychologiques, allant parfois, dans des cas extrêmes, jusqu'à des pulsions suicidaires. Mme Charline Delporte (42) a cité plusieurs cas lors de son audition. M. Nicolas Jaquette (43) a déclaré avoir vécu jusqu'à l'âge de ses vingt-deux ans avec une double personnalité : « le suicide a été maintes fois envisagé pour mettre fin à ma souffrance, tant il est insupportable de voir s'affronter à l'intérieur de soi deux conceptions de la vie profondément antagonistes ». Ainsi que l'a résumé M. Jean-Pierre Brard (44), « les enfants souffrent [...] d'un conflit de loyautés. On fabrique des enfants schizophrènes [...] dont la souffrance les conduit parfois au suicide. Il y a là un vrai danger que l'on a trop tendance à sous-estimer ».

Le risque qui existe lorsque l'adolescent est encore au sein d'un mouvement à caractère sectaire peut s'aggraver, lorsqu'il tente d'en sortir. Comme l'a expliqué une jeune femme victime d'un mouvement chamanique, entendue à huis clos par la commission d'enquête, tout le système de références sur lequel l'adepte fondait son existence s'écroule alors brutalement et il est extrêmement difficile pour lui de remettre en question des années de certitudes et de convictions : « Le risque majeur est simple : c'est le suicide. Les gens ont du mal à comprendre l'état de grande fragilité psychologique qui fait suite à la sortie d'un groupe à dérive sectaire ; or, cet état peut facilement amener au suicide. C'est simple à comprendre à partir du moment où l'on saisit la technique majeure du gourou, qui est l'ambivalence. Ambivalence dans son discours : un jour il dit blanc, l'autre jour il dit noir. Ambivalence dans sa relation à vous : un jour il vous prend dans ses bras, l'autre jour il vous ignore. Ambivalence dans ce qu'il prétend être : un jour il prétend être comme tout le monde, l'autre jour il affirme être un initié. À utiliser cette ambivalence, il crée chez l'autre une perte de repères, ce qui provoque un déséquilibre psychique et émotionnel. »

Sans aller jusqu'à cette extrémité de la tentation suicidaire, l'emprise mentale subie dans l'organisation à caractère sectaire peut provoquer de graves troubles de la personnalité et du comportement.

L'appréhension du positionnement des parents est elle-même source de tels troubles. Comme l'a rappelé M. Michel Duvette(45) : « On se trouve donc généralement devant des parents disqualifiés ne disposant pas des ressources intérieures nécessaires pour éprouver et élaborer les besoins de leurs enfants et s'accorder avec eux. Toutes les conditions sont donc réunies pour induire une pathologie du lien ou de l'attachement parents-enfants telle qu'elle a été décrite par de nombreux auteurs psychanalytiques ou éthologistes. On sait que ces pathologies du lien constituent des facteurs de risque importants pour les troubles psychologiques de l'enfant, notamment des troubles psychosomatiques, des troubles de l'apprentissage ou des comportements, des manifestations anxio-dépressives. On sait également que, directement ou à travers ces troubles précoces, ces pathologies favorisent l'émergence ultérieure de troubles de la personnalité - notamment des troubles de personnalité limite ou antisociale -, de pathologies dépressives, de troubles du comportement. »

Insistant sur les séquelles psychologiques des enfants victimes de sectes, Mme Sonya Jougla (46) a montré que le projet de la secte sur l'enfant est en conflit avec « le modèle sociétal », le projet utopique de la secte l'emportant sur l'intérêt de l'enfant. Mais « même lorsqu'il n'y a pas de maltraitance physique, il existe toujours une maltraitance psychique, tous les enfants des sectes sont des enfants en danger ».

8. Les risques de violences physiques

Les spécialistes de la protection de l'enfance, au-delà même du phénomène sectaire, soulignent que tous les systèmes clos sont susceptibles de favoriser la maltraitance et les abus sexuels. Rappelant que Mme Claire Brisset, l'ancienne Défenseure des enfants, lui avait fait remarquer que tout système clos est pathogène, M. Emmanuel Jancovici(47) a estimé devant la commission d'enquête « qu'à partir du moment où il existe un système clos, toute secte est dangereuse ».

Mme Sonya Jougla (48) a fait observer de son côté : « La sexualité dans les sectes, c'est comme l'argent. L'une et l'autre peuvent être présents, mais pas toujours. Certaines sectes prônent même la chasteté totale. Il en était ainsi de la Fraternité blanche universelle, sauf pour le gourou ; il n'y avait pas d'obligation de sexualité entre les uns et les autres.

« Dans d'autres sectes, la sexualité est imposée. Mais on ne peut pas vraiment parler de sexualité. Quand vous êtes violée dans une secte, ce n'est pas un viol : c'est une intervention spirituelle divine qui va vous permettre d'accéder à un niveau d'évolution supérieure et vous êtes très honorée d'avoir le droit de recevoir la semence du gourou. Avant qu'une personne en psychothérapie puisse dire qu'elle a été violée, il faut qu'elle ait fait un grand chemin ; une telle prise de conscience prend beaucoup de temps. [...]

« Il y a des sectes où je n'ai jamais entendu parler de problèmes sexuels ; dans d'autres, il y en a toujours : chez Raël, par exemple. »

Mme Dominique Saint-Hilaire (49), ex-raëlienne, l'a confirmé : « j'ai souvent entendu Raël dire qu'il valait mieux qu'un jeune ait sa première expérience sexuelle avec une personne expérimentée. On voit bien ce qu'il peut y avoir derrière cette idée ». Elle a expliqué qu'en 1998, Raël avait interdit la présence des mineurs dans les stages, interdiction qui d'ailleurs a été levée lorsque les stages ont été transférés de France vers la Suisse puis vers l'Italie et, plus récemment vers la Slovénie. Cependant, a-t-elle ajouté, malgré cette évolution en apparence importante « les raëliens qui ont vécu avec cet enseignement pendant des années trouvent normal d'avoir des relations sexuelles, si ce n'est avec des enfants, du moins avec des jeunes de quatorze ou quinze ans ».

Sur l'un des sites Internet raëliens « majorite-sexuelle.org », on lit ce message : « Les lois concernant la majorité sexuelle sont désuètes et ne prennent plus en compte les réalités quotidiennes de la vie sexuelle des adolescents... Nous demandons au Gouvernement le réexamen des lois concernant la majorité sexuelle afin de reconnaître aux adolescents de 14 ans le droit à une vie sexuelle libre et indépendante de toute autorité. » Mettant en pratique leur doctrine, les raëliens sur un autre site anglophone n'hésitent pas à présenter une jeune mineure dans une attitude pornographique sous le titre « le plaisir est la raison même de notre existence ».

Mme Homayra Sellier (50), présidente de l'association « Innocence en danger » a cité, parmi les mouvements particulièrement dangereux pour les enfants, les mouvements satanistes lucifériens, prônant ouvertement la sexualité entre enfants et adultes, qui sont actifs en France et entretiennent des liens avec des mouvements analogues dans d'autres pays. M. Henri de Cordes (51) a rappelé que les mouvements sataniques pratiquent la pédo-pornographie et se réfèrent à des manuels de magie sexuelle. Il a souligné que la participation de mineurs ou le seul fait pour eux d'assister, même passivement, à de tels « rituels » les exposent à des risques de troubles psychologiques graves.

La particularité des affaires d'abus sexuels en milieu sectaire est qu'elles risquent d'être étouffées par les communautés elles-mêmes. Si l'on comprend bien que ces dernières ne s'emploient pas à les dénoncer lorsqu'elles les prônent, elles essaient parfois, alors même qu'elles préconisent des règles très strictes en matière sexuelle, d'éviter la dénonciation d'abus commis sur des mineurs aux autorités judiciaires.

M. Henri de Cordes (52) a soulevé cette difficulté et a décrit les motivations de l'attitude des mouvements sectaires dans de telles situations :

« Le risque que des mineurs soient victimes de sévices sexuels est d'autant plus grand qu'ils vivent dans des communautés fermées, ce qui rend plus difficile la dénonciation des sévices, en raison de l'isolement géographique ou d'une réglementation et d'une juridiction internes qui, aux yeux des adeptes, peuvent apparaître comme supérieures aux juridictions extérieures de la société, parce que fondées sur des principes philosophiques ou religieux ou prétendus tels. [...] Face à la révélation publique de sévices sexuels sur des mineurs d'une ampleur telle qu'ils mettent en cause le mouvement dans son ensemble et pas seulement certains de ses membres à titre individuel, la réaction des responsables est variée, allant de l'enquête interne qui peut conduire à l'adoption de consignes visant à éviter que de tels abus ne se reproduisent à l'avenir, jusqu'à un rappel, parfois par la diffusion de communiqués de presse, des règles existantes, dont on observe toutefois qu'elles n'ont pas permis de protéger les mineurs. Dans un cas comme dans l'autre, il convient de vérifier si, dans la pratique, le mouvement parvient à faire respecter sa propre réglementation. La protection de la « pureté » du mouvement est, en effet, parfois considérée comme supérieure à la défense de l'intérêt des enfants et des adolescents ce qui justifierait que les faits répréhensibles portés à la connaissance des dirigeants ne soient pas dénoncés aux autorités judiciaires. »

Dans son témoignage, M. Alain Berrou (53) a illustré de façon précise le risque de non-dénonciation d'abus sexuels commis sur des mineurs :

« Je tiens à informer cette commission en ayant pleinement conscience des conséquences de mes propos : je sais le mouvement des Témoins de Jéhovah très procédurier... Il m'est arrivé, en tant que responsable, d'être saisi de directives non écrites, mais qu'il fallait recopier sous la dictée à la virgule près, et qui traitaient des cas d'abus sexuels sur enfants. Je souhaite vous donner lecture des directives que j'ai personnellement reçues, dans un cadre totalement formel, d'un membre représentant la filiale nationale des Témoins de Jéhovah. Le mouvement a tout un système de justice parallèle et les responsables locaux reçoivent un manuel de directives à appliquer à l'égard d'adeptes manifestant des velléités de liberté intellectuelle. Dans le cas des abus sur enfants, voilà ce qu'on nous a fait écrire :

«  L'article 62 du code pénal prévoit de poursuivre d'une action judiciaire quiconque est au courant d'une agression d'enfant et n'avertit pas les autorités. Si l'auteur des sévices est un membre baptisé de la Congrégation, voici les directives à appliquer :

«  Premièrement, avant tout, téléphonez au service juridique de la Société pour recevoir des conseils.

«  Deuxièmement, faites immédiatement une enquête pour établir si les faits sont vérifiés.

«  Troisièmement, formez un comité judiciaire.

«  Ensuite, éventuellement, dénonciation aux autorités.

«  Les Anciens sont, aux yeux de la loi, des ministres du culte et, à ce titre, sont tenus au secret confessionnel dérivé du secret professionnel (article 378 du code pénal). Ils sont libérés de cette obligation dans le seul cas d'inceste, sévices sexuels, avortements illégaux. Le Collège déterminera la meilleure solution pour la Congrégation et sa réputation. « 

« Si je n'ai, pour ma part, jamais été mis devant une telle situation, j'ai en revanche assisté à des « comités judiciaires » et entendu des victimes raconter que l'on avait étouffé leurs plaintes en les pressant de « pardonner » dès lors que l'agression n'était pas notoire. »

D'après un témoin entendu à huis clos, il existerait également au sein de la Soka Gakkai des réunions internes et des directives pour régler les problèmes, des responsables venant « aider » les adeptes à appliquer ces instructions, sa doctrine n'impliquant cependant pas, en elle-même, des comportements déviants.

Selon des indications transmises par le ministère de l'outre-mer, des accusations graves d'attouchements et de viols sur des mineurs, enfants d'adeptes, auraient été portées en 2004, en Martinique, à l'encontre d'un dirigeant d'une organisation à caractère sectaire. Une information judiciaire étant en cours, il est exclu de donner toute autre précision sur cette affaire. Il est toutefois intéressant d'indiquer que l'emprise locale du mouvement en question a conduit les victimes à révéler les faits non pas en Martinique où ils se seraient déroulés, mais auprès de l'association « Enfance et partage » à Paris.

Les risques de dérapage peuvent concerner d'autres violences physiques, comme les châtiments corporels, qui ne sont officiellement admis dans aucune organisation, si l'on en croit leurs réponses au questionnaire adressé par la commission d'enquête. M. Friedrich Griess (54), président de la Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme (FECRIS) a néanmoins cité les Frères norvégiens, présents dans une soixantaine de pays mais peu nombreux en France, sauf en Lorraine. Il a affirmé que dans cette organisation les enfants sont frappés avec des tringles à rideaux.

Par ailleurs, le témoignage d'un couple d'ex-adeptes de Tabitha's Place (55) a confirmé la pratique des châtiments corporels sur les enfants et l'existence de consignes précises en ce domaine. Les châtiments peuvent être administrés, non seulement par les parents, mais par n'importe quel adulte, au moyen d'une baguette en osier conçue à cet effet. La correction doit faire mal. En général, elle est donnée à la cave et les coups de baguette sont portés sur les fesses, l'enfant devant baisser son pantalon. L'adulte choisit le nombre de coups portés. On apprend à l'enfant à ne pas se rebeller et à demander lui-même sa correction s'il a une « mauvaise conscience ». Le terme « corriger » l'enfant n'est toutefois pas utilisé dans la communauté où on lui préfère l'expression « discipliner » l'enfant. L'objectif est, pour reprendre le titre d'un document remis par les témoins à la commission d'enquête, de « discipliner au premier commandement », c'est-à-dire d'obtenir de l'enfant l'obéissance dès le premier ordre de l'adulte. Une phrase tirée d'un autre document circulant au sein de la communauté, intitulé « L'éducation des enfants » résume ainsi la conception du châtiment corporel à Tabitha's Place : « Le châtiment est l'usage spécifique d'une verge pour infliger la douleur. Il est employé pour vaincre la rébellion et forcer la soumission envers l'autorité ». Une distinction sémantique est faite dans le même document entre « châtiment » et « punition », cette dernière étant définie comme « l'infliction d'une peine en récompense d'une offense [...] La punition est toujours administrée après qu'un enfant ait admis sa culpabilité et après que les parents aient pardonné la désobéissance ».

Dans un contexte très différent, début janvier 2005, à Cayenne en Guyane, un adolescent de quinze ans est décédé suite à des coups portés lors d'une cérémonie rituelle de désenvoûtement dans un local de l'« église du christianisme céleste ». Dans une déclaration à l'Agence France Presse, le chef du diocèse de France et des DOM-TOM de ce mouvement d'origine africaine a indiqué que la paroisse en cause était une paroisse « dissidente ».

Les décès sont heureusement rares. Des cas comme ceux des enfants morts en raison de l'appartenance de leurs parents à l'Ordre du Temple Solaire sont extrêmes, ainsi que l'a souligné M. Henri de Cordes (56). De tels assassinats évoquent également, a-t-il expliqué, des « sacrifices humains » que l'on a tendance à attribuer aux groupements de la mouvance satanique, dont la littérature contient des passages sans ambiguïté. Certains précisent, par exemple, dans quelles conditions peut être utilisé le sang d'un nouveau-né qui doit ensuite être décapité, d'autres ont trait au cannibalisme. Mme Homayra Sellier (57) a déploré, au nom d'« Innocence en danger » le fait que les mouvements satanistes lucifériens publient des récits choquants au vu et au su de tout le monde et banalisent des comportements criminels.

En sa qualité de spécialiste de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, M. Philippe-Jean Parquet (58) a souhaité attirer l'attention sur l'influence insidieuse de la mode dite gothique, indice d'une pénétration d'éléments relevant du satanisme dans le monde des adolescents : « Je voudrais, tout d'abord, insister sur le fait qu'on ne perçoit pas à quel point la culture des grandes organisations sectaires imprègne la vie quotidienne des jeunes. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la mode dite gothique est l'indice d'une pénétration d'éléments relevant du satanisme dans le monde des adolescents. Cette influence insidieuse est considérable. Les adolescents sont très sensibles à ce qui leur est proposé de l'extérieur. Ils sont très voraces d'images emblématiques. En regardant certains spots télévisés, notamment de chanteurs, on s'aperçoit que la mise en scène s'apparente au schéma classique de la représentation d'un gourou. »

L'enfermement social auquel est condamné l'adolescent pris au piège de mouvements satanistes - en général de petites entités fonctionnant en bandes très évolutives et ne regroupant que quelques membres - peut déboucher aussi sur des pratiques auto-destructrices, allant des scarifications au suicide.

En réponse à une question de Mme Martine Aurillac, membre de la commission d'enquête, sur l'éventuelle manipulation de certains des adolescents reçus dans son service par des mouvements à caractère sectaire, le Professeur Marcel Rufo (59) , pédopsychiatre et directeur de la « maison des adolescents » de l'hôpital Cochin à Paris, a constaté : « Ce que je vois le plus souvent dans ma pratique, ce sont les rites satanistes. Cela passe par le Net, bien sûr, mais aussi par des ouvrages, des livres, toute une littérature tournée vers la mort. »

La MIVILUDES a récemment publié à la Documentation française un fascicule intitulé Le satanisme, un risque de dérive sectaire apportant un nouvel éclairage sur ce risque encore méconnu du grand public et destiné à mettre en garde les jeunes.

Dans son ouvrage La mécanique des sectes (60), M. Jean-Marie Abgrall, psychiatre, a relevé que, dans ces groupes sataniques, « compte tenu du caractère morbide de leurs rituels et de leur utilisation systématique d'objets prohibés, la coupure avec le monde normal se révèle plus affirmée encore que dans les autres groupes. Une des raisons de l'attirance qu'ils exercent est leur recours au jeu de rôles à coloration sataniste. Le glissement entre le jeu et la pratique magique est aisé, qui incite les adolescents à tester dans la réalité les effets des cérémonies magiques dont ils ont acquis les rituels et auxquels ils se sont livrés à travers les jeux de rôles ».

9. Les atteintes à la vie familiale

L'enfermement social est souvent largement aggravé par l'enfermement familial. En effet, l'appartenance de leurs parents à un mouvement à caractère sectaire a de nombreuses répercussions sur la vie familiale des enfants concernés ; elles ont été souvent évoquées par les personnes auditionnées.

La conséquence la plus immédiate de cet enfermement familial est que le temps consacré par les parents aux activités de ces organisations ne profite plus aux enfants. Pour un certain nombre d'entre elles, ce qui prévaut pour le temps vaut aussi pour l'argent car le budget familial est amputé des prélèvements affectés au mouvement.

L'altération du lien parent-enfant a été également fortement dénoncée devant la commission d'enquête. Les parents sont souvent conduits à restreindre leur place et leur fonction voire même à les abandonner, au profit du ou des dirigeants de la secte. Certaines organisations sont ainsi fondées sur une forme d'infantilisation des parents ou sur une survalorisation des compétences et des capacités spirituelles et cognitives des enfants. Un tel schéma inverse les liens entre générations. M. Michel Duvette (61) a souligné que ces différents aspects peuvent perturber profondément la relation parents-enfants, soit dans le sens de l'abandon, soit dans le sens d'une trop grande fusion, relevant que « ces deux mouvements apparemment contraires ont en commun de ne laisser que peu de place à la prise en compte des besoins psychiques et physiques singuliers de l'enfant, les principes éducatifs de la secte annihilant les initiatives éducatives des parents ».

La commission d'enquête s'est interrogée sur les raisons qui peuvent pousser certaines organisations à s'intéresser particulièrement aux mineurs. Ainsi a été évoqué le cas de la Soka Gakkai, qui a réuni en juin 1999, en Île-de-France, près de 700 enfants et leurs parents sur le thème : « Les enfants ont la capacité de changer le monde ». Interrogé sur les raisons de cet intérêt pour les enfants qui, par définition, n'ont pas de patrimoine personnel, un témoin entendu à huis clos a expliqué que les enfants représentent la pérennité du mouvement : la volonté de pouvoir y est telle, dans tous les sens du terme, que les enfants sont manipulés dès leur plus jeune âge pour « tenir » les parents, auxquels il est expliqué qu'ils ne doivent surtout pas arrêter de pratiquer « car leurs enfants sont là pour changer le monde, ils sont les bouddhas du futur ». De son côté, Me Line N'Kaoua (62) déclarait lors de son audition : « La famille a une grande importance pour la secte, dans la mesure où c'est un lieu de transmission de la doctrine sectaire. J'en veux pour preuve le mouvement Soka Gakkai ».

En réponse au questionnaire de la commission d'enquête et plus précisément à sa question : « Qu'est-ce qui fait l'originalité de votre message au regard de l'éducation des enfants ? » la Soka Gakkai a cependant considéré que celui-ci ne présentait aucun trait spécifique sur ce terrain.

Mme Sonya Jougla (63), a expliqué « qu'il est extrêmement difficile d'entreprendre une psychothérapie avec un enfant immergé dans une secte et ayant au moins un parent adepte. La difficulté est aggravée lorsque le père ou la mère est lui-même le gourou de la secte. L'héritage spirituel qui pèse alors sur l'enfant et l'amour-dévotion qu'il porte à son parent gourou entravent la possibilité d'établir une alliance thérapeutique ou d'introduire un tiers médiatisant. L'enfant nie le vécu traumatique pour pouvoir continuer à vivre avec l'auteur de l'emprise qui est pour lui tout puissant, dont il dépend et qu'il aime ».

À l'opposé, l'altération du lien parent-enfant peut se traduire par la rupture ou l'éloignement. Le cas extrême est celui des enfants envoyés à l'étranger par leurs parents pour y être « éduqués » dans une secte, voire par son gourou. Mme Catherine Picard (64), présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (UNADFI) a rappelé sur ce point les déclarations de Sri Mataji, la « Mère » du groupe Sahaja Yoga :

« N'importe qui peut faire un enfant - même un chien peut faire un enfant [...]. Aussi créer un enfant n'est pas une chose extraordinaire... ce que vous avez à faire, c'est de constater que vous avez un enfant, vous en avez juste la charge, comme vous avez la charge de "tous" les enfants de Sahaja yogi, pas seulement les vôtres [...] Dire mes enfants ne vous aidera en rien, au contraire. Cela va vous enchaîner « totalement » [...] D'abord, vous avez renoncé à votre famille, renoncé à vos enfants, renoncé à tout, vous êtes parvenu à cette extrémité ; maintenant vous y retournez. [...] Nous, ce que nous comprenons, c'est que nos relations et nos identifications doivent être complètement abandonnées ». Et plus loin : « Pour les cinq premières années, tous les parents doivent êtres extrêmement stricts avec les enfants. [...] Si l'enfant essaie de prendre des libertés avec vous et s'il est effronté et n'écoute pas, veuillez donner cet enfant à quelque autre sahaja yogi ». « Donnez alors l'enfant à une autre, une autre femme s'occupe alors de l'enfant, l'enfant devient alors la propriété de tout le monde, non votre propriété ». [...] «Vous devez juste accomplir votre tâche comme si vous étiez dépositaire de l'enfant, et seulement dépositaire. Mais vous ne devez pas vous attacher à lui : c'est mon travail, vous devez me le laisser. [...] Ces enfants sont les miens, pas les vôtres. »

Le 7 mars 2005, le Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN) de Belgique a rendu un avis sur Sahaja Yoga, précisant que les parents sont encouragés à placer leurs enfants dès leur plus jeune âge dans un internat de l'organisation, à Rome à l'école maternelle (à partir de 4 ans), en Inde pour la formation scolaire et secondaire (à partir de 6 ans). Il est observé que la séparation, tant géographique qu'affective des jeunes enfants d'avec leurs parents pour de longues périodes ininterrompues (à Rome, deux trimestres par an, en Inde, jusqu'à neuf mois par an) place ces enfants dans une situation à risques pour leur développement personnel.

Destinataire du questionnaire de la commission d'enquête qui comportait une question relative à l'envoi des enfants à l'étranger en vue d'y être éduqués dans des établissements appartenant ou non à l'organisation, la Sahaja Yoga s'est abstenue d'ailleurs de toute réponse.

À la lettre envoyée par la commission d'enquête aux fins de savoir si des enfants de nationalité française se trouvaient actuellement en Inde pour y être éduqués dans des ashrams ou des organisations à caractère sectaire, l'Ambassadeur de France en Inde a répondu : « Après inventaire, aucune famille ou individu ne paraît correspondre à ce cas de figure, sachant que les familles qui entrent dans le champ de votre enquête et nouent des contacts avec une secte en Inde se font rarement connaître de nos services consulaires ».

Votre rapporteur souhaite fermement rappeler que si des mineurs envoyés isolément à l'étranger se font effectivement rarement connaître des services consulaires, ils ne doivent pas, pour autant, être exclus de leur protection. Mme Françoise Le Bihan(65), directrice adjointe du service des Français à l'étranger au ministère des affaires étrangères, a elle-même précisé : « Notre service est en charge de tout ce qui concerne la protection consulaire des Français à l'étranger, donc des enfants ». Toutefois elle a souligné : « Il faut bien partir d'un signalement : il ne nous est pas possible de faire le tour de tous les lieux de vie dans le monde ». Considérant que, dans l'hypothèse où son ministère serait saisi d'un tel signalement, ce dernier serait transmis aux consulats, elle a ajouté : « Si moi-même, en tant que consul, je recevais un signalement de ma direction, j'aurais le réflexe de prendre contact avec les organismes locaux compétents afin qu'ils mènent une enquête pour vérifier si l'enfant est scolarisé, s'il est bien traité, s'il est en bonne santé ». Votre rapporteur l'ayant interrogée sur la sensibilisation des consuls à ce problème par le ministère, Mme Françoise Le Bihan a fait valoir : « Cela relève de la formation générale. Avant de partir en poste, chacun sait qu'il doit apporter protection et assistance aux ressortissants français à l'étranger, cela va de soi. »

L'emprise sectaire aggrave par ailleurs les conflits familiaux dont les enfants sont toujours les premières victimes. Comme le résume Me Line N'Kaoua(66) : « S'ils ne sont pas protégés par la justice, les enfants sont broyés par la secte. En toute impunité, la secte explose les familles, sépare des couples et détruit des enfants ».

Selon Mme Sonya Jougla (67), « en cas de divorce, l'un des parents peut utiliser, à tort, l'alibi de la secte pour tenter de récupérer un enfant. Mais c'est très rare. En revanche, un parent membre d'une secte, s'il détient l'autorité parentale, immergera forcément son enfant dans la secte et l'élèvera selon ses principes. Le fait de donner l'autorité parentale à ce parent-là pose problème ».

Cependant, il est impossible - de nombreux juristes auditionnés par la commission d'enquête se sont accordés sur ce point - de tirer la moindre conséquence juridique immédiate de la seule appartenance d'une famille à un mouvement de type sectaire, quand bien même il serait identifié comme tel par tout le monde. Le juge se doit de rechercher si l'enfant subit ou subirait un danger physique ou psychique auprès du parent qui, adepte d'un mouvement de type sectaire, en revendique la garde et ce en examinant quelles seront ses conditions de vie quotidienne.

Les parents auditionnés par la commission d'enquête et en conflit avec leur conjoint ont tous souligné à quel point le problème sectaire rendait encore plus difficile la solution de ce conflit, aggravant donc la souffrance des enfants. Ainsi que l'a fait remarquer M. Michel Gilbert(68) les magistrats « qui ne côtoient pas ces souffrances au quotidien auront du mal à comprendre. Bien souvent, ils prendront celui qui vient leur parler d'abus sur enfants ou de mise en état de sujétion pour un original » [...] Lorsqu'une organisation sectaire vous a enlevé votre enfant, votre petit-enfant, votre femme, votre compagne, vous vous retrouvez très vite totalement démuni face à une organisation bien structurée qui [...] ne manque pas de bons avocats. Que peut faire un père de famille devant un juge des enfants, face à un avocat « blindé » qui fera tout pour promouvoir les bienfaits de l'organisation sectaire [...] ? »

Me Line N'Kaoua (69) a confirmé la difficulté des démarches du parent non-adepte en cas de contentieux familial de divorce. Il s'agit d'un contentieux avec des débats oraux, mais le temps de parole de l'avocat est limité, en raison du grand nombre de dossiers que les magistrats ont à traiter au cours de la même audience. L'avocat du parent qui souhaiterait soustraire son enfant à l'influence sectaire doit donc, dans un minimum de temps, exposer la doctrine de la secte, souvent méconnue par les juges, et démontrer les conséquences néfastes de l'appartenance de l'autre parent à cette secte sur la santé physique ou psychologique de l'enfant. En face, a-t-elle souligné, « les avocats des sectes sont très bien formés et payés, souvent par la secte. Ils connaissent le mode de fonctionnement de ces audiences et vont occuper le tiers du temps à soulever des incompétences, des irrégularités, des demandes de renvoi, ce qui fait que l'avocat de la partie adverse disposera de très peu de temps ». À ces difficultés peut s'ajouter le fait que l'enfant lui-même, s'il est sous l'emprise du parent adepte, ne manifestera pas clairement une volonté de voir sa résidence fixée chez le parent non-adepte.

L'enfermement sectaire est également source d'isolement de l'enfant à l'égard d'autres membres de sa famille, à commencer par les grands-parents. Certes l'article 371-4 du code civil dispose que : « L'enfant a le droit d'entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seuls des motifs graves peuvent faire obstacle à ce droit. » Toutefois lorsque l'un voire les deux parents sont adeptes d'un mouvement sectaire, ce droit d'entretenir des relations avec les grands-parents est bien souvent ignoré, le but de l'organisation étant d'isoler affectivement les adeptes, de rompre leurs liens familiaux et amicaux pour mieux les manipuler. Les petits-enfants subissent l'enfermement familial de leurs parents et les grands-parents hésitent à entreprendre des démarches judiciaires, susceptibles de leur aliéner définitivement leurs enfants. L'obstacle devient quasi-insurmontable dans des cas comme ceux cités par Mme Claude Delpech (70), présidente de l'Association AFSI (Alerte Faux Souvenirs Induits), c'est-à-dire dans des hypothèses où les grands-parents ont des enfants qui, sous l'influence d'une manipulation mentale, en viennent à porter de fausses mais très graves accusations contre eux. Invoquer devant un juge l'application de l'article 371-4 du code civil devient alors une entreprise vouée à l'échec : « C'est ainsi que s'érige une barrière qui devient infranchissable, le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants étant réticent à accorder un droit de visite à des grands-parents qui sont déjà accusés d'inceste par leurs propres enfants. Dans ces cas de rupture familiale, les petits-enfants deviennent un moyen de pression sur les grands-parents. Dès que ces derniers engagent une action judiciaire, leurs enfants expliquent par leurs accusations le fait qu'ils ne veulent plus que leurs propres enfants voient leurs grands-parents. »

Comme l'a expliqué Mme Claude Delpech, il serait donc nécessaire de trouver un moyen, non pas de contourner la justice, mais d'intervenir pour que les grands-parents puissent être entendus directement et rapidement par le juge. S'ils doivent attendre l'aboutissement d'une procédure judiciaire qui peut durer plusieurs années, le lien avec les petits-enfants se sera tellement distendu que ces derniers n'auront plus envie de voir leurs grands-parents.

Juridiquement, ainsi que l'a rappelé Mme Françoise Andro-Cohen(71), magistrate, chargée de formation à l'École nationale de la magistrature, les grands-parents ne peuvent pas saisir directement le juge des enfants. Ils doivent s'adresser au procureur de la République qui, lui-même, pourra saisir le juge des enfants. La plupart du temps, quand les grands-parents écrivent directement au tribunal pour enfants, leur courrier est transmis au procureur de la République qui peut formaliser alors la saisine par une requête directe auprès du juge des enfants.

Le procureur général près la cour d'appel de Lyon, M. Jean-Olivier Viout (72) a souligné que c'est en effet au juge des enfants que revient le soin d'assurer la protection du mineur, en s'appuyant sur l'article 375 du code civil, qui dispose que : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ». Ce même article ajoute que le juge, à titre exceptionnel, peut se saisir d'office.

En conséquence, a estimé M. Jean-Olivier Viout, il incombe au ministère public un rôle majeur en la matière et notamment celui de réparer une omission dans l'article 375, à savoir celle des grands-parents. De fait, si un tuteur peut saisir la justice, les grands-parents sont totalement oubliés dans cet article antérieur à la loi du 4 mars 2002, dont est issu l'article 371-4 consacrant le droit de l'enfant à entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Et M. Viout de conclure : « C'est ainsi qu'il n'est pas rare que le ministère public soit saisi par des grands-parents qui non seulement expriment leur inquiétude de ne plus avoir de contacts avec leurs petits-enfants, mais expliquent cette rupture de contact par le fait que les parents leur ont fait rejoindre une secte à laquelle eux-mêmes appartiennent. Je pense donc que l'article 375 mériterait une extension pour permettre la saisine du juge des enfants par les grands-parents. »

Il semble paradoxal, effectivement, de consacrer juridiquement le droit, pour les grands-parents, de maintenir des liens avec leurs petits-enfants, tout en ne leur donnant pas la possibilité de saisir eux-mêmes directement le juge, lorsque ces derniers leur semblent en danger, par exemple lorsqu'ils vivent un enfermement de type sectaire. La commission d'enquête propose donc que l'article 375 du code civil soit modifié, afin d'ouvrir aux grands-parents le droit de saisir eux-mêmes directement le juge des enfants.

10. Le paroxysme de l'enfermement social : la difficulté à sortir de la secte

Une caractéristique majeure des mouvements de type sectaire est la difficulté d'en sortir : tous les témoignages reçus par la commission d'enquête ont abondé en ce sens. Les diverses propositions qu'elle est amenée à formuler, à l'instar de l'ouverture aux grands-parents de la possibilité de saisir le juge des enfants, relèvent, pour la plupart, de la volonté de briser cet enfermement social.

a) L'appréciation complexe de la notion de danger

Il est difficile d'intervenir en vue de faire sortir un mineur d'un mouvement de type sectaire, car toute intervention judiciaire implique une notion de danger pour l'enfant. L'appréciation de la notion de danger est complexe cependant, dès lors qu'il n'est pas fait état de l'existence soit d'abus sexuels, soit de maltraitance, soit de négligences graves permettant de caractériser ce danger au sens habituel de l'article 375 du code civil. Or, comme l'a rappelé le procureur général Viout (73), face à un risque non matériellement concrétisé, la justice donne souvent l'image négative d'une certaine inaction, non parce qu'elle ne veut pas intervenir, mais parce qu'elle estime son intervention juridiquement impossible, faute de manifestations tangibles de maltraitance : « Nous n'en sommes pas encore à l'heure de l'intervention du juge exclusivement fondée sur le principe de précaution. »

Pour surmonter cet obstacle, peut-être pourrait-on s'inspirer de la démarche qui fut celle choisie par Mme Françoise Andro-Cohen, lorsqu'elle fut, en qualité de juge des enfants, saisie il y a quelques années de la situation d'une vingtaine de mineurs, vivant dans une communauté très fermée, à tendance apocalyptique. Elle s'employa alors à multiplier les investigations et à impliquer de très nombreux intervenants (éducateurs, psychologues, etc.). Cependant les rapports résultant de ces investigations ne permirent pas de démontrer que ces enfants vivaient dans des conditions d'éducation gravement compromises. C'est pourquoi elle fit alors le choix de définir le danger au regard de la situation de l'enfant et du « danger prévisible », ce qui est admis par la jurisprudence (74) ; si l'on ne peut pas retenir une notion de « danger hypothétique », la Cour de cassation permet de caractériser un danger potentiel, a-t-elle expliqué devant la commission d'enquête (75) : « C'est en effet dans le devenir de l'enfant que j'ai caractérisé le danger : nous les voyions progressivement devenir des adeptes, sans projection aucune sur le monde extérieur ni projet de départ. Au fur et à mesure des entretiens que nous avions avec eux et les éducateurs, ils nous répétaient qu'ils souhaitaient rester au sein de la communauté, qu'ils étaient tout à fait libres de la quitter à tout moment mais qu'ils ne le désiraient pas et ne se posaient aucunement la question de savoir pourquoi ils n'en avaient pas le désir. Il n'y avait aucune envie exprimée par ces enfants, ces adolescents, de quitter la communauté et de vivre dans une vie sociale. »

Par le biais de toutes les investigations menées, ont pu être répertoriés « un certain nombre d'éléments permettant de définir un danger dans l'absence de projection, étant précisé que, dans cette communauté, les enfants étaient séparés, dès l'âge de six ans, de leurs parents. Ces derniers avaient démissionné au profit de la communauté qui prenait les décisions, chaque enfant ayant un référent adulte qui n'était ni son père ni sa mère. Toute manifestation affective était proscrite au sein de la communauté. Les enfants ne sortaient pas, n'étaient inscrits dans aucune activité extérieure de loisir. »

Mme Françoise Andro-Cohen s'est déclarée persuadée de la nécessité d'intervenir dans ce type de communautés presque systématiquement, en ordonnant des mesures d'investigation pour les enfants qui s'y trouvent, afin d'éviter un risque majeur de désocialisation. Le président Georges Fenech lui ayant demandé si la seule appartenance de mineurs à une communauté fermée justifierait, selon elle, une intervention systématique du juge des enfants pour vérifier ce qui s'y passe, elle a fait valoir que : «  [...] C'est aux conseils généraux d'agir dans un premier temps dans le cadre de la mission qu'ils détiennent en matière de protection de l'enfance. Cela étant, si on se heurte à un refus d'intervention de ces communautés, je pense que les procureurs de la République doivent alors saisir le tribunal pour enfants. »

À cet égard, la commission d'enquête rappelle que le projet de loi sur la réforme de la protection de l'enfance (AN n° 3184, XIIe législature) adopté en première lecture par le Sénat le 21 juin 2006 comporte une disposition prévoyant que « le président du conseil général est chargé du recueil, du traitement et de l'évaluation, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être ». Elle souligne l'importance de l'adoption définitive de cette disposition qui ne peut que favoriser une interprétation plus souple de la notion de danger lorsque des mineurs sont concernés. L'introduction de la notion d'« informations préoccupantes » centralisées par les conseils généraux, permettra de procéder à l'évaluation d'une situation et de faire bénéficier les mineurs et leur famille d'une mesure d'aide et de protection, voire de signaler leur cas à l'autorité judiciaire.

b) La nécessaire assistance du mineur par un avocat

Il serait également nécessaire, dans les cas où l'autorité policière ou judiciaire sera amenée à entendre des mineurs, suite à la transmission de signalements inquiétants, de prévoir systématiquement l'assistance de ces enfants par un avocat désigné par le juge. Cette nécessité a été évoquée par Mme Françoise Andro-Cohen : « Dans l'expérience dont je vous ai fait part, il y a eu appel pour certains des dossiers. La cour d'appel avait confirmé les décisions et avait décidé, comme elle le fait habituellement, d'entendre à la fois les parents et les enfants ; un avocat avait été désigné pour l'enfant. C'est un point très important. Personnellement, je ne l'avais pas fait et je le regrette beaucoup. Il aurait été tout à fait opportun que l'enfant soit assisté d'un avocat désigné par le juge, de manière à bénéficier des conseils juridiques et d'une voix différente de celle de ses parents. Il faut également inciter les juges des enfants à en faire désigner un systématiquement. Ce peut être aussi un administrateur ad hoc représentant les intérêts de l'enfant. C'est fondamental. »

Aujourd'hui, l'article 706-50 du code de procédure pénale prévoit qu'en cas de constitution de partie civile, le juge fait désigner un avocat d'office pour le mineur s'il n'en a pas déjà été choisi un. Cependant, dans la phase de la procédure qui précède, le mineur n'est pas assisté d'un avocat. Or, l'enfant sous emprise sectaire est un enfant sous influence, victime de son enfermement social. Ses propos, lorsqu'il est entendu, risquent d'être convenus, voire dictés par la crainte. Les auditions au cours desquelles il est susceptible de dévoiler des faits dont il a eu à souffrir ont lieu précisément dans cette phase initiale. Elles se déroulent ainsi en dehors de tout contrôle contradictoire. Dans de telles situations, il paraît indispensable de ne pas laisser l'enfant seul et de prévoir son assistance par un avocat le plus en amont possible de la procédure.

C'est pourquoi la commission d'enquête souhaite que l'assistance d'un avocat soit prévue dès le début de l'enquête pour le mineur supposé victime d'une infraction dans un mouvement à caractère sectaire. Pour les mêmes raisons, elle entend que cette assistance soit procurée, dès le début d'un contentieux familial au mineur dont les parents ou l'un des parents sont réputés adhérer à une organisation sectaire.

S'il est quasiment impossible pour le mineur de sortir sans aide extérieure de cet enfermement social, les difficultés restent considérables une fois atteint l'âge adulte, à supposer que l'ancien adepte ait conservé suffisamment de volonté pour vouloir sortir du mouvement. Il faut également tenir compte du cas où le parent ex-adepte est en conflit avec son conjoint adepte pour l'exercice de l'autorité parentale sur les enfants. Les difficultés rencontrées sont d'ordre à la fois matériel et psychologique.

c) Les difficultés matérielles

L'ex-adepte peut ne pas avoir ou ne plus avoir de ressources financières suffisantes. Dans le cas d'un contentieux, ces problèmes sont aggravés par le fait qu'un ex-adepte ne peut souvent même plus prétendre à l'aide juridictionnelle, car, ainsi que l'a rappelé Me Line N'Kaoua(76), il n'a pas fait de déclaration de revenus depuis des années.

En effet, aux termes de l'article 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, les demandeurs doivent justifier de ressources inférieures à des montants fixés chaque année par décret (soit 859 euros par mois pour l'aide juridictionnelle totale et 1 288 euros par mois pour l'aide juridictionnelle partielle, ces montants pouvant être majorés pour charges de famille).

Des dispenses de justification de l'insuffisance de leurs ressources sont prévues par le quatrième alinéa de cet article pour les bénéficiaires du Fonds national de solidarité et ceux du revenu minimum d'insertion.

La commission d'enquête préconise que les personnes engageant une procédure au titre de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse (article 223-15-2 du code pénal) et se trouvant dans l'impossibilité de produire les justificatifs de ressources demandés pour bénéficier d'une aide juridictionnelle soient ajoutées à la liste des personnes dispensées de justifier de l'insuffisance de leurs ressources.

d) Les difficultés psychologiques

Les difficultés psychologiques des sortants de sectes restent cependant les plus considérables et les plus durables : elles ont été évoquées dans la plupart des témoignages recueillis par la commission d'enquête. La sortie d'un mouvement de type sectaire implique en effet, outre une perte de repères, la rupture de nombreux liens affectifs, familiaux et amicaux. Le jeune dont les parents sont restés adeptes fera ainsi, en général, l'objet d'un rejet de leur part. M. Nicolas Jaquette(77) a longuement fait état de la détresse affective qui en résulte, après avoir indiqué que seul un accompagnement par une association lui avait permis de franchir cette étape : « En effet, parmi les éléments qui dissuadent d'en sortir [...], il y a le fait que la secte interdit à ses adeptes tout contact avec ceux qui la quittent ou en sont exclus. Et dans la mesure où l'adepte n'a de contact qu'avec les gens de la secte, la quitter revient à se séparer de tout son environnement affectif et à se retrouver dans un monde où l'on n'a aucun lien. C'est en fait un chantage à l'affectif, et une grande force dont usent les Témoins de Jéhovah pour conserver leurs adeptes et même faire revenir certains démissionnaires qui se retrouvent rapidement en détresse affective dans un monde où ils ne connaissent personne. Du coup, ils reviendront « par défaut » dans la secte pour y retrouver ce lien affectif. Depuis que j'ai quitté la secte, je n'ai plus aucun contact avec mes parents. Ils sont allés en s'amenuisant jusqu'à ne se réduire qu'à de brefs appels au téléphone : « Tu as quand même conscience des conséquences de tes choix ? » Ils m'ont abandonné, je ne suis plus leur fils. »

Une mère de famille entendue à huis clos, qui avait réussi à se soustraire à temps avec ses enfants à l'emprise d'une secte appelant au suicide, a expliqué que « la dimension sectaire, qui renvoie essentiellement à l'irrationnel » avait placé ses enfants « dans une immense difficulté à analyser et comprendre ce qui s'était passé, puisqu'ils étaient privés de tout repère logique ». Soulignant la grande difficulté à trouver des professionnels susceptibles d'accompagner psychologiquement ses propres enfants, elle s'est également inquiétée du sort des autres mineurs concernés : « Qui s'est préoccupé ou se préoccupe encore du devenir et de l'équilibre psychologiques des autres enfants de la secte ? Les juges ? Les enseignants ? La police ? Les travailleurs sociaux ?

« Pour ces raisons, je me demande s'il existe une liste de professionnels - psychologues, psychiatres, assistantes sociales, juristes, avocats - spécialisés dans le domaine sectaire, facilement accessible à toutes les victimes de ces organisations sectaires.

« Le Gouvernement aurait-il les moyens d'assurer un suivi des personnes, en particulier des enfants, victimes de sectes ?

« Lorsque je dis victimes, je ne parle pas que des victimes directes, mais je parle également de toutes celles que l'on a l'habitude de passer sous silence, à savoir l'entourage et en particulier les enfants. Il semble évident que les enfants dans les sectes subissent des violences morales et psychologiques. Ces maltraitances psychiques n'étant pas visibles, elles ne sont pas prises en compte à la hauteur des dégâts qu'elles causent, et cela à la différence des violences physiques, nettement plus constatables. Pourtant il s'agit bien d'une violence terrible, à part, et inhérente à l'emprise sectaire. »

e) L'insuffisante prise en charge des victimes d'emprise sectaire

Toutes les séquelles psychologiques constatées amènent à poser plus particulièrement la question de la formation des professionnels de la santé : sont-ils suffisamment sensibilisés à la notion d'« abus de faiblesse » et à la « relation d'emprise » ?

Bien qu'aucune étude n'ait été réalisée sur ce thème, comme l'a rappelé M. Michel Duvette (78), les monographies rapportées par les cliniciens et les données existantes permettent de considérer que c'est la relation d'emprise qui constitue le principal facteur de risque des troubles psychiques susceptibles d'être provoqués chez les mineurs par les dérives sectaires.

Selon le professeur Philippe-Jean Parquet (79), une formation particulière est nécessaire pour comprendre ce qu'est l'emprise mentale. Or, c'est un chapitre très peu développé dans la formation médicale. Il n'existe pas plus de trente ou trente-cinq spécialistes en France du traitement de ce type de pathologies induites. Ce même témoin a déploré, par ailleurs, le manque d'études à grande échelle sur la nature et l'évolution des dommages infligés aux enfants par les organisations à caractère sectaire : « Il faut étendre notre analyse à ce que j'appellerai les « dommages d'intensité moyenne », car ils laissent néanmoins des traces. Il serait nécessaire de mettre en œuvre une recherche épidémiologique qui fait totalement défaut actuellement. »

La rapidité de la prise en charge est essentielle. Mme Charline Delporte (80), présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais l'a souligné : « L'accompagnement des sortants est très important. Mais il doit rester ponctuel : on ne doit pas rester victime à vie de sectes ». M. Emmanuel Jancovici (81) a insisté sur la formation et sur la sensibilisation des thérapeutes : « Il est nécessaire d'adopter une culture très spécifique s'agissant des victimes de sectes. La plupart des thérapeutes n'ayant aucune représentation des processus dans lesquels sont pris les adeptes, il faudra les former aux phénomènes sectaires. Par ailleurs, et je parle à titre personnel, il faut éviter une problématique de type victimologique. Les victimes ont été prises dans des positions très compliquées où parfois elles ont participé à des pratiques dont d'autres personnes ont été victimes. »

M. Emmanuel Jancovici a précisé que la question de la prise en charge des victimes de sectes avait été étudiée à titre expérimental, avec un financement pendant trois ou quatre ans d'un centre dans la région parisienne. Il a indiqué que la Direction générale de la santé était en train d'examiner comment pourraient être mis en place, sur l'ensemble du territoire, des systèmes de prise en charge de ces victimes.

La commission d'enquête estime qu'il est aujourd'hui impératif de dépasser le stade des études expérimentales. Rejoignant les préoccupations des très nombreux témoins ayant fait état des difficultés d'adaptation des sortants de sectes, elle préconise une amélioration de leur prise en charge et souhaite que dans ce cadre, une attention particulière soit apportée à l'accompagnement, sur le plan de la santé mentale, des jeunes récemment sortis de ces organisations.

Elle souligne, à cet égard, l'importance de la mise en œuvre de la recherche épidémiologique demandée par le professeur Philippe-Jean Parquet ainsi que l'utilité de l'établissement de listes de professionnels spécialement formés à la prise en charge de la « relation d'emprise », listes qui devraient être immédiatement mises à la disposition des personnes sortant de sectes, ou souhaitant faire prendre en charge leurs enfants ayant subi une emprise sectaire.

D'ores et déjà les travaux de la commission d'enquête ont rencontré un écho auprès du ministère de la santé et des solidarités. En effet, dans un courrier en date du 9 novembre 2006, M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, a notamment annoncé à celle-ci : « [...] la directive nationale d'orientation 2007 de mon ministère, qui indique aux services déconcentrés les thèmes prioritaires de contrôle pour l'année à venir, placera la lutte contre les dérives sectaires au nombre des actions à entreprendre de façon prioritaire.

« Le guide de la protection de l'enfance, qui sera diffusé début 2007 à l'usage des professionnels de ce secteur comprendra, en outre, un chapitre sur les sectes et les précautions à prendre en la matière ».

Le ministre chargé de la santé a insisté sur la nécessité de mieux prendre en compte l'accompagnement des sortants de sectes : « Enfin, j'ai demandé à mes services de commencer à travailler, très rapidement, en lien avec des psychiatres et les associations concernées, à l'accompagnement des sortants de sectes. »

B. L'ENFERMEMENT À TRAVERS L'INSTRUCTION À DOMICILE

Aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation doit garantir l'égal accès de l'enfant à l'instruction. L'article 28 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 reconnaît le droit de l'enfant à l'éducation, son article 29 précisant que l'éducation de l'enfant doit favoriser l'épanouissement personnel de ce dernier et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques dans toute la mesure de leurs potentialités.

Le droit français offre plusieurs possibilités aux parents pour éduquer leurs enfants : soit ces derniers reçoivent une éducation dans un établissement public ou dans un établissement sous contrat ou hors contrat, soit ils choisissent la formule de l'instruction dans la famille. Par rapport à d'autres réglementations comme la législation de certains Länder allemands, qui impose aux parents la « Schulpflicht », c'est-à-dire l'obligation d'être scolarisé dans le système scolaire, le droit français se caractérise par son libéralisme.

L'article L. 131-10 du code de l'éducation définit les règles applicables à l'instruction dans les familles. Les enfants relevant de ce régime sont, dès la première année et tous les deux ans, l'objet d'une enquête de la mairie compétente, uniquement aux fins d'établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables et s'il leur est donné une instruction compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. L'inspecteur d'académie doit au moins une fois par an, à partir du troisième mois suivant la déclaration d'instruction par la famille, faire vérifier que l'enseignement assuré est conforme au droit de l'enfant à l'instruction, tel que défini à l'article L. 131-1-1. Ce dernier article d'origine parlementaire, est issu de l'article 1er de la loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire, qui combinait en un seul dispositif l'article 2 de l'ordonnance n° 59-45 du 6 janvier 1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire et le cinquième alinéa de l'article premier de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989. L'article L. 131-1-1 fait référence aux deux dimensions de l'éducation, à savoir l'instruction et le développement de la personnalité de l'enfant : « Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie professionnelle et d'exercer sa citoyenneté. » Mais l'apport essentiel de l'article 1er de la loi du 18 décembre 1998, repris au second alinéa de l'article L. 131-1-1, a été d'affirmer que l'instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement, l'école étant le lieu d'intégration et de socialisation privilégié des élèves.

Les manquements relatifs à l'obligation scolaire sont punis à divers titres : d'une part, le fait par les parents d'un enfant ou toute personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas déclarer en mairie qu'il sera instruit dans sa famille ou dans un établissement privé hors contrat est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe (1 500 euros). D'autre part, le fait, par les parents d'un enfant ou toute personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas l'inscrire dans un établissement d'enseignement, sans excuse valable, en dépit d'une mise en demeure de l'inspecteur d'académie, est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende (article L. 131-11 du code de l'éducation, qui reproduit l'article 227-17-1 du code pénal). C'est sur la base de ces dernières dispositions, qu'ont été condamnés 17 parents, adeptes de Tabitha's Place à six mois d'emprisonnement avec sursis par la cour d'appel de Pau, le 19 mars 2002 (82).

Le rappel de ces règles permet donc de prendre la mesure de la volonté du législateur de garantir à l'enfant l'instruction à laquelle il a droit et de veiller à ce que cette dernière soit de préférence assurée dans les établissements d'enseignement.

L'enquête menée par les services de l'éducation nationale à la demande de la commission d'enquête, pour identifier le nombre d'élèves instruits dans les familles, a conduit à recenser 1 323 cas pour l'année scolaire 2004-2005 et 2 869 l'année suivante, 813 et 1 149 contrôles ayant été effectués respectivement pendant ces deux périodes. Ce contrôle prescrit par l'inspecteur d'académie a lieu au domicile des parents de l'enfant. Ses résultats sont notifiés aux personnes responsables avec l'indication du délai dans lequel elles devront fournir leurs explications ou améliorer la situation. Si au terme d'un nouveau délai fixé par l'inspecteur d'académie, les résultats du contrôle sont jugés insuffisants, les parents sont mis en demeure d'inscrire leurs enfants dans un établissement d'enseignement public ou privé et d'en informer le maire, à charge pour lui de transmettre cette information à l'inspecteur d'académie. Les diligences de celui-ci se font sous le contrôle du juge administratif (83) ou du juge judiciaire, si des peines pénales ont été prononcées (84). Selon les chiffres communiqués par la Cellule de prévention des phénomènes sectaires de l'éducation nationale (CPPS), ces contrôles ont abouti l'année dernière à 23 mises en demeure, ce qui comme le souligne l'inspecteur général Jean-Yves Dupuis (85), interrogé par la commission d'enquête, est un chiffre relativement faible, les enfants instruits dans les familles ne l'étant pas au demeurant nécessairement pour des raisons sectaires.

Il existe toutefois des moyens pour faire échec à ces contrôles. Certains d'entre eux s'expliquent par la situation géographique de la secte. Lorsque des contrôles sont effectués, la circulaire de l'éducation nationale n° 99-70 du 14 mai 1999 prévoit que « la famille peut être informée au préalable de la date du contrôle, du ou des lieux où il se déroulera et des conditions générales, notamment des personnes qui en sont chargées ». Mais dans sa réponse au questionnaire de la commission d'enquête, la cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires dans l'éducation a constaté à propos du groupe de Tabitha's Place, domicilié dans les Pyrénées-Atlantiques, que « lorsque des contrôles sont effectués, une partie des élèves passe en Espagne ». Le choix par cette communauté de la localisation d'un second site, à Heisbrunn près de Mulhouse et par conséquent à proximité des frontières suisse et allemande n'est donc pas fortuit, l'inspecteur d'académie s'étant vu refuser au demeurant l'entrée des lieux le 7 avril 2006, ce qui a entraîné un signalement auprès du parquet.

En accompagnant l'inspecteur d'académie dans la communauté de Tabitha's Place, à Sus dans les Pyrénées-Atlantiques, votre rapporteur a pu se rendre compte concrètement de l'application du dispositif légal sur l'instruction dans la famille. Chaque année scolaire depuis 1999, l'inspecteur de l'éducation nationale de la circonscription procède à un contrôle des acquisitions des enfants du premier degré, qui sont déclarés, les inspecteurs pédagogiques établissant un contrôle identique pour les enfants du second degré. Les familles sur place ont adressé une déclaration d'instruction à domicile pour 14 enfants : 2 nés en 1991, 2 en 1993, 1 en 1994, 2 en 1996, 3 en 1997, 2 en 1999 et 2 en 2000. En réalité, le déplacement de votre rapporteur a permis de constater que si 14 enfants avaient été déclarés, 18 en réalité étaient scolarisés dans la famille.

Sur son site Internet, la communauté de Tabitha's Place justifie ainsi le choix de l'instruction à domicile :

« Notre communauté est le seul environnement nous permettant de mettre ces commandements en pratique. C'est l'environnement parfait que Dieu a pourvu pour l'éducation de nos enfants, car l'amour, le respect et l'ordre y règnent. Nous ne pouvons donc envoyer nos enfants dans des salles de classes indisciplinées où prédomine la rébellion envers les enseignants et les parents, où coexistent philosophies anti-bibliques, usage de drogues et permissivité sexuelle. Parce que nous sommes des disciples de Yahsha, nous sommes tenus pour responsables d'obéir à toute la Parole de Dieu et d'accomplir Son plan sur la terre. C'est sur cette obéissance que s'appuie l'éducation de nos enfants, destinée à les faire « aimer Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme, et de toutes leurs forces, et à aimer leur prochain comme eux-mêmes » (Mat. 22:37-40). L'obéissance à ce commandement accomplissant tout ce que Dieu a exprimé dans Sa Loi et par Ses prophètes.

« Nous ne pouvons exposer nos enfants à aucune violence, perversion, haine et pression de groupe. La dégradation croissante du standard moral dans les institutions éducatives nous interdit de leur confier nos enfants : « Que l'inconduite, toute forme d'impureté ou la cupidité, ne soient pas même mentionnées parmi vous, comme il convient à des saints ; pas de grossièretés, pas de propos insensés, pas de bouffonneries, cela est malséant, mais plutôt des actions de grâces. Car sachez-le bien, aucun débauché, impur ou cupide, c'est-à-dire idolâtre, n'a d'héritage dans le royaume de Dieu. Que personne ne vous séduise par de vains discours ; car c'est pour cela que la colère de Dieu vient sur les fils de la rébellion. N'ayez donc aucune part avec eux » (Eph. 5:3-7).

« L'absence de nos enfants des bancs scolaires est ainsi justifiée. Une seule pomme gâtée suffit à faire pourrir tout un panier... à plus forte raison, comment peut-on croire qu'un enfant se gardera pur dans un tel milieu ? Nulle autre structure que notre communauté ne pourrait être qualifiée pour éduquer nos enfants, car il est évident qu'aucun établissement scolaire n'est apte à accomplir la volonté de Dieu sur la terre. »

L'inspecteur de l'éducation nationale avait présenté en ces termes à l'inspecteur d'académie dans un rapport du 2 décembre 2005 le contexte dans lequel l'instruction était dispensée aux enfants :

« La pauvreté de cet environnement culturel pourrait être mise en relation avec le caractère bridé de l'imaginaire des enfants, tant au niveau oral que des productions plastiques ou graphiques, que laissent envisager certains indices connexes prélevés lors du passage des épreuves.

« Les enfants rendent compte au travers des échanges informels qu'ils ont eus avec les examinateurs que davantage de valeur est donné au travail en lui-même qu'au contenu des apprentissages. »

Le contrôle opéré par votre rapporteur in situ faisait écho aux propos tenus devant la commission d'enquête par M. Michel Huyette (86). Celui-ci n'avait pas hésité à déclarer en effet aux membres de la commission : « Le droit à l'instruction à domicile est l'outil juridique qui autorise les parents à enfermer leurs enfants. Le juge ne peut pas lutter. Il se trouve devant une situation qui, personnellement me déconcerte, car permise, en définitive par la loi française... Dans le cas d'un enseignement à domicile, la législation française prévoit au moins un contrôle de l'éducation nationale. Mais il ne s'agit que d'un contrôle du contenu des connaissances requises par les élèves, lequel est fixé par décret, c'est-à-dire des connaissances en mathématiques, en histoire, en géographie. Or, là n'est pas le problème. Le problème pour les enfants qui vivent dans une secte, c'est que leurs parents leur disent tous les jours, comme je l'ai entendu de mes propres oreilles que, s'ils les gardent à la maison, c'est parce que le monde extérieur est monstrueux et nocif. Cela signifie que, même quand ils seront adultes, ils n'en sortiront pas. »

Participe de cette analyse le constat dressé par la cour d'appel de Pau le 19 mars 2002 à propos de Tabitha's Place : « Le défaut de scolarisation, sans excuse valable est lourd de conséquences pour des enfants qui ne bénéficient d'aucune ouverture sur le monde extérieur, n'ont aucune perspective sociale en dehors de la communauté choisie par leurs parents et risquent de ce fait de devenir des inadaptés sociaux. » (87)

Outre ses conséquences en termes de niveau scolaire et de sociabilité de l'enfant, le choix de l'instruction à domicile n'est pas neutre pour la santé du mineur.

Il importe de restituer les enjeux de l'importance de la santé des jeunes en milieu scolaire. Ceux-ci ont été rappelés par le ministre délégué à l'enseignement scolaire dans une communication au Conseil des ministres du 26 février 2003. Après avoir fait observer que « la santé des jeunes en milieu scolaire représente le premier maillon de la chaîne de la sauvegarde du capital santé de chacun d'entre nous », le ministre a tracé les grandes orientations de la politique de la santé pour ce public. Le repérage des troubles et leur suivi grâce à un dossier de santé du jeune appelé à se substituer au carnet de santé, un dépistage plus précoce, une meilleure prise en compte des troubles psychiques et un suivi plus performant de la santé des jeunes constituent les points les plus saillants du plan d'action annoncé à l'époque par le Gouvernement.

Aujourd'hui comme l'exige l'article R. 2132-1 du code de la santé publique, les enfants jusqu'à l'âge de six ans ou six ans et un mois sont soumis à des examens médicaux obligatoires. Puis à compter de cet âge leur suivi médical diverge selon leur mode d'instruction. En exigeant des parents une visite médicale de leur enfant à l'âge de six ans, quel que soit son mode de scolarisation, l'article L. 541-1 du code de l'éducation, par l'emploi du terme « scolarisation » exclut de fait les enfants relevant de l'instruction à domicile. Cette disposition est à l'origine l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2407 du 18 octobre 1945 relative à la protection des enfants d'âge scolaire, des élèves et du personnel des établissements d'enseignement et d'éducation de tous ordres. En réalité, plus les liens avec les modes de scolarité habituels sont distendus, moins le suivi médical des enfants est assuré.

En effet, la circulaire n° 2001-012 du 12 janvier 2001 de l'éducation nationale qui définit les principes et les orientations de la politique de la promotion de la santé en faveur des élèves ne s'applique qu'aux établissements publics et privés sous contrat. Quant aux établissements privés qui ne sont pas sous contrat, l'article L. 442-2 du code de l'éducation dispose que : « le contrôle de l'État sur les établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l'État par contrat se limite aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l'obligation scolaire, à l'instruction obligatoire, au respect de l'ordre public et des bonnes mœurs, à la prévention sanitaire et sociale ».

S'agissant des enfants instruits dans les familles, les dispositions de contrôle sanitaire sont donc inapplicables faute de moyens, puisque c'est au maire, dans le cadre de l'article L. 131-10 du code de l'éducation, d'établir s'il est donné à ces enfants une instruction compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. En réalité le contrôle sanitaire ne retrouve pleinement sa place que lorsque l'instruction à domicile a été jugée défaillante par l'éducation nationale et que les enfants concernés sont admis dans un établissement d'enseignement public ou privé à l'issue de la procédure contradictoire de l'article L. 131-10.

De fait, l'article R. 3111-17 du code de la santé publique subordonne l'admission dans tout établissement d'enfants, à caractère sanitaire ou scolaire, à la présentation soit du carnet de santé, soit des documents en tenant lieu attestant de la situation de l'enfant au regard des vaccinations obligatoires, celles-ci étant à défaut effectuées dans les trois mois de l'admission. La combinaison de cet article avec l'article L. 131-10 conduit à penser que les parents dont les enfants passeraient d'un système d'instruction à domicile à l'admission dans le système scolaire seraient tenus d'être à jour de leurs obligations sanitaires.

Pour pallier le manque de suivi sanitaire des enfants placés sous le régime de l'instruction à domicile ou sous celui des établissements d'enseignement hors contrat, la commission d'enquête recommande d'imposer le principe d'un contrôle médical obligatoire annuel par la médecine scolaire pour ces enfants, à partir de l'âge de six ans.

C. L'ENFANT PRIVÉ DE SOINS

Garantie par le Préambule de la Constitution de 1946, la protection de la santé de l'enfant est en outre définie par l'article 24 de la Convention internationale des droits de l'enfant comme « le droit de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation ».

Si aujourd'hui, « le renforcement des contrôles de la santé des enfants et de leur bon développement, l'extension des missions de la PMI (Protection maternelle et infantile), l'attention portée à la période prénatale et périnatale, la cohérence de tous les dispositifs peuvent contribuer à protéger efficacement tous les enfants », ce constat de Mme Chantal Lebatard (88), responsable du département « Sociologie, psychologie et droit de la famille » de l'Union nationale des associations familiales, ne s'applique pas aux nombreux mineurs, victimes des croyances auxquelles adhèrent leurs parents et au nom desquelles ces derniers peuvent être conduits à les priver d'hygiène, d'alimentation et parfois des traitements médicaux qui ont fait leurs preuves.

1. Des conditions de vie déplorables

Dans certains mouvements, le rejet de la civilisation par les adeptes conduit les adultes et leurs enfants à accepter des conditions de vie pour le moins dégradées. Prônant une vie plus proche de la nature, le mouvement Écoovie (89) exige de ses adeptes de renoncer à toute trace de socialisation préalable. Dans ses attendus, le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 10 juillet 1985 (90) avait ainsi relevé que les brochures diffusées par le groupe recommandaient aux adultes et aux enfants « de faire leurs déjections par terre, de ne pas se laver, de refuser les soins médicaux et de pharmacie, malgré les dermatoses et abcès purulents dont ils souffraient » et avait retenu le témoignage du propriétaire des locaux qui abritait les membres d'Écoovie : « Première particularité de ces gens : leur saleté ; une odeur très caractéristique émane de chaque individu dès qu'on l'approche à moins d'un mètre ».

Or, ni la dénonciation de ces pratiques ni les différentes condamnations ayant frappé le gourou dans divers pays, ne découragent les adeptes. C'est ainsi que, le 17 mai 2005, le tribunal correctionnel de Bayonne a condamné une mère de famille qui, sans autorisation du père et au mépris d'une décision de justice, avait emmené ses deux enfants mineurs au Canada afin de rejoindre ledit mouvement (91).

Dans d'autres groupements, la difficulté des conditions de vie réservées à de jeunes enfants résulte d'une volonté de sanctionner leurs comportements déviants. Ainsi, témoignant de ses années d'enfance passées à la Sea Org (92), une jeune femme notait qu'à sept ou huit ans, elle devait « offrir d'exécuter un travail manuel, comme nettoyer les toilettes, frotter les parquets ou faire la vaisselle » et que, punie ultérieurement « pour trahison (sic) » et mise à l'amende, elle avait été astreinte à encore plus d'heures(93).

De même, évoquant le cas d'un adolescent, Mme Charline Delporte (94), indiquait à la commission d'enquête que ce dernier, dans une lettre adressée à sa grand-mère depuis la communauté où il vivait, s'étonnait de devoir « manger avec les porcs ou courir torse nu par punition ». La dénonciation de cette situation au procureur de la République a permis de diligenter une enquête sur place. A la suite de cette dernière, les responsables du mouvement ont interdit à l'adolescent toute correspondance. Au bout de deux mois, il s'est suicidé.

2. Des prescriptions alimentaires dangereuses pour la santé des enfants

Lorsque des adultes adeptes de certains groupements s'astreignent à observer des régimes alimentaires spécifiques (végétarisme (95), végétalisme (96), instinctothérapie (97), jeûnes,...), ils en font généralement « bénéficier » leurs enfants. Ces derniers subissent dès lors, des dommages corporels qui peuvent être graves : décalcification, arrêt de croissance, hypotonie musculaire, anorexie... Dans certains cas extrêmes, ces régimes alimentaires peuvent entraîner la mort.

Le 3 juin 2005, la cour d'assises du Finistère condamnait à cinq ans de prison dont huit mois fermes un couple de kinésiologues accusés d'avoir causé la mort par malnutrition de leur fils dernier-né. Contrairement aux affirmations de la Fédération française des kinésiologistes spécialisés selon laquelle « il n'y a pas de préceptes en matière d'alimentation en kinésiologie. La préconisation d'un régime alimentaire tendant à exclure certains aliments n'entre pas dans nos préceptes »(98), c'est bien au nom de leurs convictions que ces parents avaient décidé de devenir végétariens et de nourrir leur enfant par le seul allaitement maternel. La kinésiologie se concentre, en effet, sur les allergies essentiellement dues au lait, aux protéines animales et aux additifs et colorants alimentaires. Promouvant l'allaitement maternel le plus longtemps possible, elle recommande « de supprimer le lait de l'alimentation traditionnelle de l'enfant après cette période d'allaitement maternel, partant du principe que le lait de vache a été conçu pour des veaux et non pas pour des enfants »(99). En l'espèce, le régime alimentaire déséquilibré de la mère retentissant sur ses capacités d'allaitement, l'enfant s'est mis à perdre progressivement du poids pour ne plus peser que six kilos à l'âge de seize mois. Totalement dénutri et fragilisé, il est mort sans avoir jamais fait l'objet d'un signalement de quiconque, sans avoir jamais été hospitalisé d'urgence par l'un des trois médecins qui l'ont successivement examiné.

Le 17 mars 2006, la présidente de l'association « Joie et loisirs » a été condamnée à cinq ans d'emprisonnement dont quatre avec sursis pour privation de soins ou d'aliments sur mineurs par la cour d'appel de Paris (20e chambre). Bien que ladite association ait eu pour objet le partage de loisirs en commun, elle constituait de fait une communauté, au sein de laquelle vivaient des enfants auxquels était imposé un régime alimentaire composé de fruits, de fromages, de produits laitiers et d'eau. Ce mode d'alimentation, dénoncé par plusieurs experts comme désastreux pour la croissance, le développement mental et la santé des enfants, avait effectivement conduit les mineurs de la communauté à souffrir de carences en vitamines ou en fer, voire de rachitisme. Là encore, aucun signalement de proches, d'institutionnels ni de médecins n'a permis de mettre en œuvre des mesures de protection des enfants.

À l'inverse, une politique de prévention a pu être mise en œuvre à l'initiative de la MIVILUDES, lors de la venue en France de Jashmuheen, la grande prêtresse du respirianisme (également dit breatharianism). Cette dernière prône les bienfaits d'un renoncement définitif, par étapes de jeûnes successifs, à la nourriture et à l'eau, afin de les remplacer par l'air et la lumière. Devant les risques avérés d'une méthode qui, à l'étranger, a déjà conduit trois adultes à la mort, la retraite spirituelle que devait animer Jashmuheen en Ardèche, en novembre 2005, a fait l'objet d'une extrême vigilance de la part des pouvoirs publics. Cette surveillance a permis de s'assurer que les participants seraient nourris au cours de la retraite et qu'aucun mineur n'y participerait(100).

3. Des soins préventifs refusés

Le code de la santé publique rend obligatoires les vaccinations des mineurs contre la diphtérie et le tétanos (article L. 3111-2), la poliomyélite (article L. 3111-3) et la tuberculose (article L. 3112-1). Le refus des parents de respecter leurs obligations est puni d'une amende de 1 500 euros pour les trois premières vaccinations précitées et de 3 750 euros d'amende et de six mois d'emprisonnement pour la vaccination contre la tuberculose (articles R. 3116-2 et L. 3116-4). Ces sanctions ne s'appliquent pas lorsque sont constatées les contre-indications à la vaccination prévues par les articles R. 3111-13 et R. 3112-3 et définies pour chaque vaccin dans le guide des vaccinations (septembre 2006) (101).

Environ soixante-dix mouvements (102) déconseillent toute vaccination dont ils critiquent l'efficacité et dont, relayant des théories non prouvées sur le plan médical, ils dénoncent les effets secondaires. S'adressant aux parents désireux de se soustraire à leurs obligations légales, ils les encouragent vivement à s'adresser aux médecins adeptes de ces mêmes mouvements « qui n'hésitent pas parfois à délivrer de faux certificats de contre-indication à la vaccination »(103). Ces médecins, coupables de faux, s'exposent aux sanctions prévues par l'article 441-1 du code pénal, soit trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende et à des poursuites disciplinaires de l'Ordre. La commission d'enquête regrette de ne disposer d'aucune étude permettant de connaître les raisons pour lesquelles ces médecins acceptent de courir un tel risque : convictions personnelles ? Peur de perdre des patients ? Sentiment d'une totale impunité ?

Le contrôle des vaccinations des enfants s'effectue notamment lors de leur admission en crèche, à l'école ou dans tout autre établissement collectif. Constatant que la Direction générale de la santé n'avait connaissance d'aucune action pénale engagée à ce titre contre des parents ou des médecins, M. Didier Houssin, directeur général de la santé, et son collaborateur, M. Bernard Sachs se sont interrogés devant la commission d'enquête sur les raisons de cette absence de poursuites : est-elle due à des présentations de certificats de complaisance ou de faux certificats de vaccination ? À l'indulgence des établissements concernés ? Au sentiment que le nombre minime de refus de vaccination n'est pas de nature à compromettre la protection générale de la collectivité ? (104)

De même la commission d'enquête s'inquiète de l'absence de réaction de certains magistrats face à des refus parentaux de vaccination. Comment comprendre qu'un juge des enfants ne prenne aucune décision après avoir entendu des parents, adeptes de la communauté Tabitha's Place, lui expliquer qu'en raison des risques que présentaient les vaccinations, ils refusaient d'y soumettre leurs enfants (105) ? Comment admettre que ce juge puisse sembler céder à la menace à peine voilée de ces parents lui proposant de se soumettre à sa décision de faire vacciner leurs enfants mais lui rappelant qu'en cas d'accident, il en supporterait seul la responsabilité ?

Pourquoi n'a-t-il pas prescrit une visite médicale aux fins d'établir d'éventuelles contre-indications à la vaccination ?

Quelles que soient les réponses, il doit être relevé que pour maintenir un bon niveau de protection générale, le ministère de la santé (106) a envoyé en 2003 aux DDASS et aux DRASS une lettre circulaire leur rappelant la législation applicable sur ce point et précisant que les certificats médicaux de contre-indications ne sauraient être généraux et absolus mais qu'ils doivent être motivés pour chacun des vaccins contre-indiqués. Par ailleurs, depuis 2006, le ministère adresse aux services déconcentrés qui lui en font la demande, un courrier précisant les procédures à suivre afin de s'assurer de la vaccination des enfants contre le BCG.

Il convient de rappeler que si, grâce à sa politique de vaccination obligatoire, la France semble aujourd'hui avoir préservé sa population des attaques de différentes maladies, tout risque n'est pas pour autant écarté. D'une part, n'ayant pas été éradiquées dans tous les pays, la diphtérie et la poliomyélite pourraient aisément réapparaître, puisque les échanges internationaux de plus en plus nombreux favorisent la dissémination des agents infectieux. D'autre part, le tétanos et la tuberculose ont encore, en France, des incidences dramatiques (107) : entre 2002 et 2004, sur 67 cas de tétanos déclarés, 16 personnes - dont un adolescent - sont décédées et 17 d'entre elles en ont gardé des séquelles (difficultés motrices, amyotrophies, complications ostéo-articulaires) ; en 2004, 5 512 cas de tuberculose ont été déclarés dont 452 cas chez des enfants de moins de 15 ans.

Par conséquent, le respect des obligations de vaccinations demeure un enjeu de santé publique.

C'est dans cette perspective que la commission d'enquête souhaite l'unification des régimes de sanctions des refus parentaux de vaccination de leurs enfants, en alignant toutes les pénalités sur celles prévues à l'article L. 3116-4 du code de la santé publique, ce dernier pouvant faire l'objet de la nouvelle rédaction suivante : « Le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l'autorité parentale ou dont on assure la tutelle aux obligations de vaccination prévues aux articles L. 3111-2, L. 3111-3 et L. 3112-1 ou d'en entraver l'exécution est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. »

4. Des traitements thérapeutiques récusés

Au nom des croyances auxquelles ils adhèrent, divers groupements persuadent leurs membres de la nécessité d'abandonner tout recours à des traitements thérapeutiques éprouvés tandis que d'autres n'édictent des interdictions que sur certains traitements.

a) Tabitha's Place

À l'instar de divers mouvements qui « prônent la relation directe entre l'adepte et son dieu » (108) et par rejet du monde extérieur, la communauté de Tabitha's Place invite ses membres à se soigner à l'aide des méthodes qu'elle-même préconise. En dépit de la mort, en 1997, d'un enfant de 19 mois qui, atteint d'une malformation cardiaque et victime d'un rachitisme provoqué par une sous alimentation, n'avait jamais vu un médecin parce que ses parents pensaient pouvoir le guérir par la prière et par leur amour, les membres de la communauté de Tabitha's Place continuent de préférer ne pas recourir à des médecins.

Répondant à une question du président, sur le traitement réservé par cette communauté aux femmes enceintes (109), une ancienne adepte a indiqué que ces dernières ne font l'objet d'aucun suivi médical au cours de leur grossesse et sont incitées à accoucher à l'intérieur de la communauté avec l'aide de femmes qui ont suivi une « formation » interne sur le sujet. Ajoutant que lorsqu'elle était enceinte de son dernier enfant, elle s'était inquiétée des conditions d'un accouchement dans sa chambre et avait souhaité le faire dans un établissement hospitalier, elle a précisé qu'elle en avait été dissuadée car il ne pouvait être question de « mettre un enfant au monde dans les ténèbres » du monde extérieur, lequel se définit comme « le mal incarné ».

De même que certaines femmes ont été « formées » au rôle de sages-femmes, d'autres ont appris comment remplacer les médicaments par les plantes : « Pas de médicaments, pas d'antibiotiques [...] On se soigne au moyen d'argile ou de tisanes. » (110)

Il peut même arriver que l'un des responsables s'improvise chirurgien. Ainsi, un ancien adepte a relaté comment un de ses compagnons d'atelier qui se plaignait d'une blessure à la main s'était évanoui après avoir été opéré à vif au moyen d'un cutter (111).

La commission d'enquête au vu des renseignements que lui avaient fournis la CPAM locale a constaté l'absence d'actes médicaux remboursés aux membres de cette communauté.

Dès lors consciente que les nombreux enfants vivant dans cette communauté peuvent ne jamais recevoir les soins adaptés à leur état, la commission d'enquête réitère sa recommandation d'imposer le principe d'une visite médicale annuelle pour les enfants scolarisés à domicile (112).

b) Les Témoins de Jéhovah

Par une déclaration solennelle de l'assemblée plénière du Consistoire national du 3 juillet 1997, les Témoins de Jéhovah affirment leur refus de toute transfusion sanguine hétérologue, afin de respecter trois versets de la Bible et un verset des Actes des Apôtres, relatifs à des interdits alimentaires (113).

Prônant des méthodes alternatives à la transfusion (transfusion de sang autologue, utilisation des produits du fractionnement du plasma, augmentation de la production de globules rouges), ils considèrent leur position comme étant constitutive, non pas d'un refus de soins mais d'un choix thérapeutique. Rappelant en outre, qu'au cours des deux décennies précédentes, des événements dramatiques ont jeté une suspicion légitime sur les transfusions sanguines, ils confortent de la sorte leur décision d'étendre à leurs enfants ce choix thérapeutique.

Saisies par votre rapporteur d'une demande d'analyse scientifique de ces méthodes alternatives, telles qu'elles sont présentées dans un DVD diffusé par les Témoins de Jéhovah auprès des médecins hospitaliers, l'Académie nationale de médecine et la Haute autorité de santé dénoncent l'une « des banalités, des approximations, et surtout des oublis tout à fait nuisibles à la sécurité transfusionnelle » et l'autre le fait « qu'il n'y a pas de présentation critique ni de l'ensemble des études disponibles ni des séries de cas auxquelles se réfèrent les experts interrogés dans le DVD, comme l'exigeraient les principes de la médecine fondée sur les preuves » (114).

Dans une lettre adressée à M. Jean-Pierre Brard, qui l'avait saisi de ce sujet, l'Ordre national des médecins qualifie ces méthodes de « pseudo-scientifiques car uniquement orientées vers leur finalité, sans validation ni développement de raisonnement critique ».

Par ailleurs, outre le fait que lesdites méthodes alternatives - dont la mise en œuvre suppose qu'elles ont été planifiées longtemps à l'avance - sont inutilisables en cas d'urgence et que « la sécurité sanitaire des produits sanguins a atteint un niveau de sécurité très élevé » (115), il ne peut plus être nié que « l'usage de la transfusion sanguine telle qu'elle se pratique aujourd'hui est la seule méthode qui ait fait la preuve de son efficacité et de son innocuité » et que « dans différentes circonstances de la pathologie [...] elle est un acte thérapeutique vital pour de nombreuses personnes » (116).

Dans cette dernière hypothèse, le refus de la transfusion sanguine devient non plus un choix thérapeutique mais un choix assumé face à la mort. Un tel consentement est indissociable de l'adhésion aux Témoins de Jéhovah et tout adepte qui y dérogerait, indiquerait par cet acte « qu'il ne souhaite plus être un des Témoins de Jéhovah » (117) et il s'exposerait à une exclusion du mouvement.

Le rejet d'une transfusion, lorsqu'il est revendiqué par une personne adulte, est aujourd'hui conforté par la loi puisqu'aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (...) Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables ».

On rappellera cependant que par ordonnance du 16 août 2002, statuant comme juge des référés, le Conseil d'État a précisé les limites de cette liberté dans les termes suivants : « Le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se trouve en état de l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d'une liberté fondamentale ; toutefois les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, telle qu'elle est protégée par les dispositions de l'article 16-3 du code civil et par celles de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, une atteinte grave et manifestement illégale lorsqu'après avoir tout mis en oeuvre pour convaincre un patient d'accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état. » (118)

S'il n'appartient pas à la commission d'enquête de porter un jugement sur les croyances des Témoins de Jéhovah, il lui revient de dénoncer les effets de ces dernières sur la santé et le psychisme des enfants.

Appelés à incarner l'image du martyre exemplaire, les jeunes Témoins de Jéhovah espèrent « devoir être opéré(s) pour pouvoir, le jour de l'opération, prouver qu'on est un bon Témoin de Jéhovah en refusant la transfusion sanguine »(119). C'est dans cette logique qu'un article du 24 mai 1994, publié dans la revue jéhoviste Réveillez-vous !, présentait les photographies de vingt-quatre enfants de différents pays, morts pour avoir volontairement refusé une transfusion sanguine et qu'il indiquait comment l'attitude de ces petits malades avait eu, sur le corps médical, un impact positif pour la secte. Leur refus inébranlable de la transfusion avait impressionné les personnels hospitaliers qui, du coup, se posaient des questions et pour certains se laissaient endoctriner par la suite (120).

Cette éducation des jeunes enfants et cette préparation au martyre sont en soi extrêmement inquiétantes. Quant à l'attitude des parents qui conduit à mettre en péril la santé de leur enfant, voire à mettre en jeu son pronostic vital, en refusant toute transfusion sanguine, elle est inacceptable ; elle constitue un trouble à l'ordre public, selon l'analyse exposée devant la commission d'enquête par M. Jean-Olivier Viout, qui a notamment précisé : « Quand la vie d'un enfant est en danger, l'État ne doit pas transiger. (...) Le danger est là, et on refuse la transfusion sanguine : c'est un trouble à l'ordre public. » (121)

Les manifestations de ce trouble sont aujourd'hui limitées par le sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du code la santé publique qui, « dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur », autorise le médecin à délivrer « les soins indispensables ».

Mais que se passe-t-il lorsque le médecin est lui-même un sympathisant ou un adepte des Témoins de Jéhovah ? Rappelons que le rapport 2001 de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) note (p. 94) qu'il « existe un annuaire des médecins Témoins de Jéhovah » et « qu'il peut arriver qu'un médecin se présente et demande, en tant que praticien et Témoin de Jéhovah, à « participer » à une intervention chirurgicale, alors même qu'il ne connaît nullement le malade Témoin de Jéhovah ». En outre, la création de comités de liaison hospitaliers par le mouvement jéhoviste permet à ses responsables « de lister les médecins « réceptifs » vers lesquels ils orienteront les patients envisageant une opération qui peut nécessiter une transfusion »(122).

Constatant le risque mortel qui peut peser sur les enfants Témoins de Jéhovah, la commission d'enquête entend les protéger mieux que la loi ne le fait actuellement, en proposant une modification de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, afin d'interdire à des parents d'abandonner leurs enfants à une mort certaine. Le sixième alinéa de cet article serait ainsi complété : « Dans le cas où ce refus a pour objet une transfusion sanguine, le médecin, après avoir informé la personne titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur des conséquences de leur choix, procède à la transfusion sanguine. »

Si une telle modification législative était adoptée, elle devrait être suivie de mesures d'assistance éducative destinées à protéger psychologiquement les jeunes transfusés lors de leur retour au sein de leur famille. Ces derniers pourraient en effet connaître les affres traversées par ce jeune homme rencontré par Mme Charline Delporte, et rapportées devant la commission d'enquête en ces termes : « (Il) a raconté que ses parents étaient Témoins de Jéhovah mais que lui ne l'était plus depuis l'âge de six ans. Il avait été transfusé pour une grave maladie après intervention du procureur (...) « J'aurais préféré mourir » a-t-il ajouté. « Mais pourquoi ? » (...) « Vous ne comprenez pas ? Moi, je n'irai pas dans ce monde nouveau que sera Armageddon. Je suis mort aux yeux de mes parents, et tous les jours ils me répètent en faisant leurs prières : toi, tu ne viendras pas avec nous. » »(123)

II. L'ENFANT MANIPULÉ

A. L'ENFANT, UNE VICTIME DES THÉRAPIES NON CONVENTIONNELLES

Les mouvements à caractère sectaire sont à l'affût des inquiétudes ou des souffrances que peut susciter, chez de nombreux parents, le développement mental et physique de leurs enfants. Ces mêmes inquiétudes constituent aussi le champ d'action d'un nombre croissant de thérapeutes. Comme l'a expliqué devant la commission d'enquête Mme Chantal Lebatard (124) : « Les jeunes parents sont devenus une cible commerciale qui n'a pas échappé aux médecines alternatives, aux organismes d'accompagnement psychologique, de développement personnel. » La « compétition parentale » qu'engendre, selon Mme Chantal Lebatard, la valorisation actuelle de la personne de l'enfant fragilise d'autant plus certains parents. Ceux-ci peuvent rapidement succomber aux promesses séduisantes de thérapeutes qui se font les propagandistes de thérapies irrationnelles dans leur contenu et relevant de la manipulation mentale dans leur mise en œuvre.

De fait, les déviances que connaissent certaines activités thérapeutiques non conventionnelles et l'efficacité dont font preuve ces pseudo-thérapies pour se servir à la fois des parents afin d'atteindre l'enfant et de l'enfant pour impliquer toujours plus les parents (125) constituent de nouvelles opportunités d'action pour les organisations sectaires et leur fournissent même l'occasion d'une véritable renaissance. En mettant à jour les convergences d'intérêt entre certaines activités thérapeutiques et certaines pratiques fondées sur l'abus de faiblesse et la manipulation mentale, la commission d'enquête a pu mesurer l'importance des transformations du paysage sectaire et en évaluer les nouveaux méfaits.

1. Naissances démiurgiques et fausses renaissances

Avant même qu'il ne naisse, l'enfant suscite l'intérêt des mouvements à caractère sectaire. « La mécanique des sectes » (126) semble y trouver l'un de ses ressorts premiers : donner corps à une volonté de domination sans partage qui porterait sur l'origine même de l'individu. Si la gestation et la naissance pouvaient devenir un processus sous contrôle, la secte se verrait dotée d'un quasi-pouvoir de création. Elle disposerait alors de moyens conformes à son essence totalitaire.

a) L'enfant artefact

- Deux exemples : les Raëliens et la Fraternité Blanche Universelle

Les tentatives les plus connues pour satisfaire à une telle prétention démiurgique ont été entreprises par le mouvement des Raëliens. En novembre 2002, Clonaid, l'entreprise de clonage humain créée par Raël, a annoncé avoir réalisé cinq grossesses obtenues par implantation d'un embryon humain ; le 27 décembre 2002 le même organisme a fait part de la « naissance du premier clone humain ». Dès 2001, Clonaid avait présenté au Japon deux machines à cloner censées présenter un taux de réussite de 50 %. La réalisation d'un utérus artificiel, dénommé Babytron, avait été également annoncée.

Si la supercherie a rapidement été démontée, le fantasme sectaire qui s'est exprimé à cette occasion demeure particulièrement inquiétant. La vigilance envers cette secte ne saurait se relâcher car la propagande raëlienne demeure active, à en juger par la tenue de stages raëliens au Japon en août 2006, en Afrique (127) en décembre 2006 et en Australie en janvier 2007. Sur les seuls deux derniers mois de l'année 2006, neuf rencontres publiques avec des Raëliens sont inscrites au programme d'activité de la secte. Le mouvement gère par ailleurs 19 sites Internet.

Il convient de rappeler que les dispositions législatives relatives à la protection de l'embryon humain ont été renforcées par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Les pratiques d'eugénisme et de clonage humain constituent désormais des crimes contre l'espèce humaine. Aux termes de l'article 214-4 du code pénal, la participation à un groupement formé ou à une entente établie soit en vue de la préparation d'une pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes, soit d'une intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée, est punie de la réclusion criminelle à perpétuité et de 7 500 000 euros d'amende. Tous les niveaux de participation à ces crimes font l'objet d'incriminations ; en particulier, constitue une infraction en matière d'éthique biomédicale, punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, la propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de l'eugénisme ou du clonage reproductif (article 511-1-2 du code pénal).

On peut cependant s'interroger sur l'effectivité de ces dispositions dans le cas de mouvements sectaires dont l'activité se développe en dehors du territoire français. En réponse à une question écrite de M. Georges Fenech, le garde des Sceaux a précisé que : « [...] dans l'hypothèse où le mouvement sectaire aurait son siège à l'étranger, son dirigeant, de droit ou de fait, personne physique, est punissable, dès lors qu'il est de nationalité française pour tout crime commis à l'étranger sans qu'il soit besoin au préalable d'une plainte ou d'une dénonciation officielle du pays où les faits ont été commis et sans qu'il soit nécessaire de vérifier la double incrimination des faits. » (128)

La Fraternité Blanche Universelle (FBU) tente, elle aussi, d'intégrer dans son champ d'action les premières phases de la vie de l'enfant. Mikhaël Aïvanhov, le fondateur de ce mouvement, commente ainsi cette ambition : « Pendant tout le temps de la gestation, la mère doit veiller à préserver son enfant en créant consciemment autour de lui une atmosphère harmonieuse, car la véritable éducation d'un enfant est celle qui agit sur son subconscient. Les mères ne se rendent pas compte de l'importance de leur mission d'éducatrices. Si l'on veut améliorer l'humanité, il faut commencer par le commencement : instruire les mères des lois de la galvanoplastie et leur donner les meilleures conditions pendant qu'elles portent leur enfant. Une éducation qui commence avant la naissance... Oui, parce que la véritable éducation de l'enfant est d'abord subconsciente. » (129) La galvanoplastie dont il est ici question est décrite par Mikhaël Aïvanhov comme une « électrolyse » par laquelle la mère, au moyen des éléments de son corps et de ceux émanant de son esprit, constitue le corps et l'esprit de son enfant. La qualité des actes physiques et mentaux de la mère pendant sa grossesse détermine la qualité de l'organisme et du psychisme de l'enfant. L'élément essentiel de cette doctrine consiste à affirmer que le processus de formation physique et intellectuelle du fœtus peut être consciemment maîtrisé et orienté vers une finalité idéale - et quelque peu inquiétante : « améliorer l'humanité ».

Ici aussi, le fantasme démiurgique propre aux sectes est à l'œuvre. Les avatars de la galvanoplastie spirituelle, - concept clef de cette théorie - sont d'ailleurs activement propagés par l'Organisation mondiale des associations pour l'éducation prénatale (OMAEP) qui s'est substituée à l'Association nationale d'éducation prénatale (ANEP) directement rattachée à la FBU.

- Les actions menées par le ministère de la santé et des solidarités

Au cours de son audition devant la commission d'enquête, M. Didier Houssin (130) a présenté le dispositif de vigilance mis en place par son ministère afin de protéger le domaine de la naissance d'éventuelles dérives sectaires, notamment en ce qui concerne la préparation à la naissance et les maisons de naissance : « Il s'agit d'abord, dans le cadre de la préparation à la naissance, de la mise en œuvre, à partir de 2007, d'un entretien supplémentaire, au quatrième mois, individuel ou en couple. Cet entretien est destiné à dépister les vulnérabilités psychologiques des futures mères. La réalisation, actuellement en cours, d'un référentiel de formation pour l'exercice de cet entretien a été confiée à la Société française de médecine périnatale. »

Cette mesure permettrait en particulier de répondre à une menace relevée par la MIVILUDES dans ses rapports 2003 et 2005. Elle constate que « la périnatalité est l'objet de programmes de formation dont certains acteurs sont manifestement nourris d'idéologie sectaire » et rapporte les cas « d'une sage-femme libérale diffusant des vidéos sur la mort fœtale lors de préparations à la naissance, ou de telle autre, qui par le rejet des pratiques conventionnelles, refuse de pratiquer les examens de suivi de la grossesse » (131).

M. Didier Houssin déclare en outre que : « dans le cadre du plan périnatalité 2005-2007, un groupe de travail composé de représentants des sociétés savantes et des professionnels hospitaliers a été constitué fin 2005 pour établir le cahier des charges du fonctionnement des maisons de naissance à titre expérimental. Cette expérimentation vise à offrir des garanties en termes de sécurité de la mère et de l'enfant, notamment par la création de ces structures à proximité immédiate du service d'obstétrique. Le cahier des charges devrait être finalisé fin 2006. » Les autorités sanitaires répondent ainsi aux inquiétudes qu'avait pu susciter le projet d'expérimentation de maisons de naissance prévue dans le plan « périnatalité 2005-2007 » lancé par le ministère de la santé et des solidarités. Il est à relever qu'en Belgique, les autorités ont, en avril 2005, lancé des actions d'information sur les risques d'infiltration sectaire parmi les personnels travaillant dans les maisons de naissance, en particulier en provenance d'une secte guérisseuse d'origine allemande, « le cercle des amis de Bruno Gröning ».

M. Didier Houssin a assuré que les mesures prises par le ministère de la santé et des solidarités « sont de nature à faciliter le dialogue entre les professionnels et les futurs parents, à instaurer la confiance et à diminuer le risque que la recherche de réponses aux inquiétudes que peut susciter la naissance et la parentalité, prenne la forme d'un recours auprès de personnes ou de mouvements dangereux en termes de dérive sectaire et/ou thérapeutique » (132).

b) L'enfance falsifiée

Les mouvements à caractère sectaire qui ne cultivent pas le mythe de l'enfant artefact ne se désintéressent pas pour autant de la question des origines. En procédant à des simulacres de naissance, ces mouvements tentent de substituer une naissance artificielle dans le groupe à la naissance réelle dans le monde. Le moyen privilégié mis en œuvre est de faire table rase du passé et de susciter chez l'adepte l'illusion d'une renaissance. Or, les techniques dites de « rebirth » et de « mémoire retrouvée » auxquelles ont recours certains psychothérapeutes se présentent comme des outils particulièrement efficaces pour réaliser de telles manipulations psychologiques. Elles constituent une falsification des origines dont les conséquences peuvent être dévastatrices. Le champ d'activité de certains psychothérapeutes recouvre ainsi celui des sectes organisées et conduit à des effets identiques : l'atteinte à l'intégrité psychologique de l'individu et la suppression de son autonomie au profit d'une autre personne, le psychothérapeute-gourou.

- Le « rebirth »

Les techniques de « rebirth » mises en œuvre en France peuvent susciter les plus grandes inquiétudes, des pratiques du même nom ayant été prohibées aux États-Unis. Suite au décès par étouffement le 18 avril 2000 d'une enfant de dix ans originaire de l'État de Caroline du Nord, le Congrès américain a en effet voté le 17 septembre 2002 une résolution invitant les États de l'Union à interdire cette « thérapie ». Le Sénat américain a condamné cette pratique par une résolution adoptée le 18 octobre 2005 (133), soulignant qu'aux États-Unis, de 1995 à 2005, au moins quatre enfants en étaient morts. Deux États, la Caroline de Nord et le Colorado, en ont prononcé l'interdiction (134).

Aux États-Unis, cette « thérapie » consistait à faire revivre par l'enfant un simulacre de naissance ; après avoir revécu les douleurs en particulier respiratoires qu'un nouveau-né peut ressentir, l'enfant soumis à ces exercices violents et répétés était censé pouvoir établir un nouveau rapport à son environnement, notamment s'intégrer dans une nouvelle famille en cas d'adoption.

Certes, les techniques de « rebirth » pratiquées en France semblent se différencier sensiblement de celle qui a été condamnée aux États-Unis. Le « rebirth » ne serait pratiqué qu'avec des majeurs sous la forme d'exercices d'hyperventilation. Un praticien et propagandiste de cette technique (135) la décrit de la façon suivante : « Ce type de respiration entraîne, chez presque tous les sujets, une crise spasmophilique [...]. On observe souvent une diminution de la tension artérielle et une accélération du pouls ; il peut survenir des bourdonnements ou des sifflements d'oreille, des impressions visuelles de brouillards, des sensations de picotements, fourmillements, crampes, etc. Peuvent apparaître alors divers phénomènes émotionnels de type souvent extrêmement archaïque, comme des colères de nourrisson, des cris, des larmes, des mouvements de succion des lèvres, un sommeil impérieux, certains états plus ou moins stuporeux, des phénomènes hallucinatoires ou hallucinosiques, etc. Plusieurs fois, j'ai pu reconnaître l'explosion "primale" telle que la décrit A. Janov, avec posture de flexion soudaine suivie d'un cri indescriptible déchirant. Certains sujets revivent, notamment au niveau des sensations de la peau et des muscles, de la respiration, des cris, ce qui apparaît comme une "nouvelle naissance", ou plutôt la "reviviscence de leur naissance". »

Ces exercices ne sont manifestement pas sans effet sur la santé de celui qui y est soumis. Or, il ressort des descriptifs des formations suivies par certains utilisateurs de ces techniques que celles-ci sont utilisées en majorité par des thérapeutes sans formation médicale dans le cadre de ce qui est dénommé « médecine douce » (136). En outre, l'interprétation des résultats de ces séances reste à la discrétion du thérapeute, qui s'investit du pouvoir de donner un sens à « la nouvelle existence » de son patient.

- « La mémoire retrouvée »

N comparer les utilisations déviantes qui peuvent être faites de certaines psychothérapies, il apparaît que chaque pratique peut être remplacée par une autre. À défaut d'une technique performante de production d'un enfant artefact, il peut être tenté de persuader l'adepte qu'il va connaître une nouvelle naissance ; à défaut de pouvoir le persuader en ce sens, il est toujours possible de falsifier, dans son esprit, ses origines. C'est ce à quoi s'attachent les techniques qui ont pour conséquences l'induction de faux souvenirs.

Mises au point aux États-Unis, celles-ci se sont présentées à leur début comme des thérapies dites « de mémoire retrouvée » : sur la base du présupposé que la souffrance psychologique aurait pour origine une agression sexuelle subie pendant l'enfance, notamment un inceste et dont le souvenir aurait été refoulé. Il s'est vite avéré que les procédés mobilisés à cette fin ont essentiellement eu pour effet de produire des faux souvenirs, effet suffisamment caractérisé pour avoir été dénommé « syndrome de fausse mémoire » (137). Fondée sur une compréhension des plus sommaires et des moins scrupuleuses de la notion de refoulement, cette pratique s'est largement répandue dans le milieu des psychothérapeutes français.

Le développement de ces techniques profite aussi d'une plus grande sensibilisation aux problèmes des agressions sexuelles sur les mineurs et d'une meilleure reconnaissance de tels crimes. On ne peut que constater que certains psychothérapeutes ont vu là l'opportunité d'ouvrir un nouveau marché.

Les conséquences désastreuses de telles thérapies ont été décrites devant la commission d'enquête par Mme Claude Delpech, présidente de l'association Alerte faux souvenirs induits. Mme Claude Delpech a en particulier souligné que trois niveaux générationnels pouvaient s'en retrouver les victimes :

« Les premières [victimes], ce sont nos enfants qui, manipulés par le « psy » ou le leader du groupe n'ont plus aucune notion de la réalité des faits.

« Les deuxièmes, ce sont nous, leurs parents, qui sommes accusés par nos enfants, sans aucune possibilité de nous expliquer et de leur prouver qu'ils sont trompés par leur thérapeute. Toute tentative d'aborder ce grave problème déclenche chez eux une agressivité, une colère jusqu'alors inconnues de nous.

« Enfin, les dernières victimes, et non les moindres, sont nos petits-enfants mineurs qui, sans défense et manipulés par leurs parents, sont séparés de leurs grands-parents et de la famille élargie, devenant ainsi, en grandissant, les proies idéales du thérapeute ou du leader du groupe. »

Selon Mme Claude Delpech, ce phénomène n'a rien de marginal : « Il prend de l'ampleur et devient préoccupant. Plus de vingt familles ont aujourd'hui rejoint les cinquante qui avaient créé l'association ; nous recevons tous les jours de volumineux dossiers de gens qui ne savent plus quoi faire. Nous recensons une centaine de familles, mais nous ne connaissons pas toutes celles qui sont concernées : combien n'ont pas Internet, ne nous connaissent pas, ou se taisent parce qu'elles ont honte ? »(138)

L'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 3 mai 2005 est un exemple récent des conséquences judiciaires que peut avoir la révélation tardive d'une agression sexuelle faite à l'issue de séances de psychothérapie (139). Certes, la cour d'appel n'a pas admis que « le récit fait sous hypnose [puisse], pas plus que le récit d'un rêve, permettre d'établir que le narrateur décrit une scène s'étant réellement passée, sa restitution par le thérapeute n'ayant pas eu pour conséquence d'en réveiller le souvenir. » Alors qu'il avait été considéré en première instance que la psychothérapie avait mis en évidence des faits incestueux, le juge d'appel distingue l'interprétation à laquelle procède le psychothérapeute d'une remémoration personnelle des faits supposés. On constate cependant que cette distinction aurait été beaucoup plus difficile à établir si le pouvoir de suggestion du thérapeute sur son patient avait été encore plus fort, différenciation à laquelle, en tout état de cause, il n'a pas été procédé en première instance.

- Le marché du passé psychique

Les associations de lutte contre les sectes dénoncent aussi la psychogénéalogie comme une cause du syndrome de fausse mémoire. L'activité démiurgique du thérapeute psychogénéalogiste consiste à « déprogrammer » le patient dont les souffrances trouveraient leur origine dans une histoire familiale pouvant remonter à plusieurs générations. Il est clair que pour justifier ses séances de déprogrammation, le thérapeute s'attache à convaincre son patient que son histoire familiale est lourde de secrets et de drames inavoués (140).

Une variante particulièrement ambitieuse de ces techniques de retour au passé est représentée par les « travaux » de Mme Claude Imbert, fondatrice de « l'institut européen de sophro-analyse - décodage des mémoires prénatales » et créatrice de « la thérapie intra utérine ». La présentation faite d'une de ses conférences résume fidèlement le sens des techniques de manipulation des origines et leurs ambitions : « Pour la première fois en thérapie, entrez au cœur des mystères de votre gestation, de votre conception à votre naissance, pour des rencontres et des dialogues inoubliables avec l'embryon et le fœtus que vous étiez. Vous les aiderez à inscrire une nouvelle compréhension de leur histoire grâce aux prises de conscience fondamentales que vous aurez réalisées. Ces révélations feront de vous un être nouveau, en contact avec la puissance de vos ressources. » (141)

Le Docteur Hamer a développé une tendance particulièrement mortifère de cette doctrine. Partant de l'idée qu'une maladie est un trouble physique à l'origine duquel se trouve toujours un choc psychique, il détourne ses patients de la médecine classique qu'il considère comme inutile. La seule thérapie efficace, selon lui, consiste à mettre fin au conflit psychologique originaire (« le Dirk-Hamer-Syndrom »). Dans ce but il convient, selon la lecture qu'en fait Claude Sabbah, médecin adepte de cette méthode, de faire la généalogie de cet événement traumatique et de procéder à son décodage biologique. Plusieurs personnes, en Allemagne - d'où est originaire Ryke Geerd Hamer - et en France, atteintes de cancer, sont décédées après avoir mis fin à leurs traitements médicaux et préféré suivre la voie d'une interprétation psychologique de leur maladie. Le Docteur Hamer a été condamné à trois ans d'emprisonnement pour escroquerie et complicité d'exercice illégal de la médecine le 1er juillet 2004 par la cour d'appel de Chambéry (142).

Parmi les victimes du docteur Hamer figurent des mineurs. En Espagne, en 1996, des parents de nationalité autrichienne, adeptes de ce thérapeute ont soustrait leur fille de 8 ans à la chimiothérapie dont elle avait besoin pour soigner une tumeur. Devant la commission d'enquête, Mme Charline Delporte présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais a apporté le témoignage suivant : « Je pourrais aussi vous parler de Nicolas, ce garçon que j'ai supplié avec le directeur de son lycée ; nous avions fait un signalement judiciaire. Il venait d'avoir dix-huit ans, il voulait devenir matelot. Et puis il a eu mal à une jambe. La biopsie révèle un cancer rarissime. Il faut l'amputer au plus vite. Mais sa maman, infirmière libérale, connaît des techniques de bien-être [...] La mère s'adresse à une méthode bien connue, la méthode Hamer, et emmène le garçon consulter un spécialiste de cette "médecine". "Si tu as mal à la jambe, c'est qu'on t'a fait une biopsie. Nous avons des traitements et surtout, nous avons une technique : ton père est mort il y a trois ans ; si tu fais le deuil de ton papa, tes cellules cancéreuses disparaîtront." Nicolas y a cru... Le directeur du lycée et moi-même avons de toute urgence alerté le procureur afin de protéger, malgré lui, ce gamin, mais il venait d'avoir dix-huit ans [...] Naturellement, Nicolas est mort sans soins, quelques mois plus tard » (143).

Selon M. Emmanuel Jancovici : « Aujourd'hui, sur le territoire français 700 « praticiens », qu'ils soient à l'origine médecins, charcutiers ou assistantes sociales, s'inspirent de la méthode Hamer et sont en contact avec le public » (144).

La commission d'enquête a également auditionné à huis clos un témoin dont l'enfant, âgé de cinq ans, a été victime d'un médecin pratiquant une autre variante de cette thérapie, la bio-psychogénéalogie. Après avoir procédé au décodage biologique de la naissance de l'enfant (145), le médecin a recouru à une hypothèse issue de spéculations sur la nature gémellaire de toute naissance (146) : « apprenant qu'un saignement s'était produit en début de grossesse [...] par pure spéculation le médecin en a déduit que la conception était gémellaire et qu'un des deux fœtus avait été expulsé provoquant la culpabilité de l'autre. Il en conclut que les problèmes de vue de l'enfant - astigmatisme et léger strabisme - sont dus à ce conflit psychologique, mais que les lunettes ne lui sont plus utiles, la cause psychologique ayant disparu. » Sur plainte du parent, ce médecin a été condamné par le conseil de l'Ordre à six mois d'interdiction d'exercice. Il est à relever que les considérants de cette décision qualifient de « pensée magique » le mode de raisonnement de ce médecin et soulignent que celui-ci « est susceptible d'être dangereux pour des personnes faibles d'esprit et, plus grave encore, pour des jeunes enfants vulnérables auxquels il donne des explications erronées de leur pathologie. »

2. L'enfance dénaturée

De même que la naissance peut faire l'objet de pratiques à caractères sectaires, de même l'enfance constitue une période particulièrement propice aux démarchages et aux manipulations de cette nature.

a) L'enfant du Nouvel-Âge

La théorie des enfants dits indigo n'aurait pas retenu l'attention de la commission d'enquête si son contenu en était resté au niveau de la spéculation ésotérique propre aux mouvements du « New-Age ». Ces courants sont fondés sur l'idée que le monde est entré dans l'ère du verseau, propice à l'émergence de nouvelles formes d'existence spirituelle - ce qu'attesterait en particulier l'existence d'enfants indigo dont « l'aura » colorée en violet indigo prouverait un degré d'intensité spirituelle exceptionnel.

Cependant, les organismes qui diffusent ces discours mettent en place des structures de communication et d'enseignement si performantes - grâce notamment à Internet - que leurs messages ne relèvent plus de la spéculation livresque mais suscitent des attitudes qui peuvent être directement préjudiciables à la santé des enfants.

La doctrine des enfants indigo est ainsi propagée par un organisme du nom de EMF Balancing, connu aussi sous le nom de mouvement Kryeon (147), dirigé par Lee Caroll. Situé aux États-Unis, son activité commerciale repose sur la vente de livres (25 millions d'ouvrages vendus) et sur l'organisation de stages de formation.

Le succès de l'entreprise s'appuie aussi sur le fait que, selon la doctrine même, les enfants indigo sont en nombre croissant, ce qui garantit l'élargissement de la clientèle.

Cette doctrine peut conduire à prôner le recours à des pédagogies non classiques et à des thérapies non conventionnelles. Les critères distinguant les enfants indigo des autres étant, par ailleurs, suffisamment flous pour que chaque parent puisse soupçonner dans sa progéniture des qualités surnaturelles, cette théorie a une capacité de marginalisation particulièrement dangereuse.

La théorie des enfants indigo s'est rapidement répandue dans certains milieux de psychothérapeutes soit directement par l'agrément EMF Balancing, soit par appropriation de la théorie complétée par des synthèses plus personnelles.

Ainsi, Mme Marie-Françoise Neveu, (« psychologue clinicienne, psycho-motricienne, psychopédagogue, psychothérapeute holistique ») propose une approche syncrétique de ce qui relève, selon le titre d'une de ses conférences donnée en 2002 « D'un autre regard sur l'enfant »(148). La problématique est résumée comme suit : « Comment tous, parents, enseignants, professionnels de la santé, ou toutes personnes concernées par l'accompagnement des enfants, nous pouvons accueillir ces "nouveaux enfants", qu'ils soient "enfants indigo", "enfants des lumières" ou "enfants des Étoiles". En 2006, dans son livre Les Enfants actuels, Mme Marie-Françoise Neveu approfondit sa réflexion et reconnaît l'insuffisance de cette terminologie : « La terminologie actuelle d'enfants indigo, enfants cristal, enfants arc-en-ciel... ne correspond que très partiellement à leur réalité. »(149) Elle consacre son nouvel ouvrage à démontrer que le concept adéquat est celui « d'enfants cerveau droit ».

Certains psychothérapeutes développent des variantes plus personnelles de la même théorie. Ainsi, M. Cyrille Odon et son épouse Sélène Odon (150) sont les auteurs de deux ouvrages consacrés aux enfants indigo : Indigo... ces êtres si différents et Indigo... Terre Nouvelle, aux éditions Iéro, le premier de ces livres ayant été le « best seller » de cette maison d'édition. Tenant à se démarquer des conceptions de Lee Carol, ces deux thérapeutes défendent l'idée « qu'il est maintenant acquis que s'il peut y avoir une couleur bleue « indigo » le plus souvent dominante dans l'aura de ces personnes, bien d'autres couleurs peuvent signer cet état pour la raison que les couleurs du corps électromagnétique sont fonction de l'élévation du niveau de conscience de l'intéressé [...]. » Bien que se développant à une échelle beaucoup plus modeste que EMF Balancing, l'activité de propagandiste de ces thérapeutes est notable. Par exemple en 2002, à Pau et à Lausanne ont été programmés une conférence sur « Les enfants indigo » suivie d'« un Atelier » « Parents-enfants indigo et praticiens de l'enfance ». En 2006, les séminaires proposés portent en particulier sur les « Semences d'Etoiles, Travailleurs de Lumière, Indigo & Walk-in (sic) ».

L'École d'anthroposophie prend également sa part dans l'exploitation du thème de l'anormalité supposée de certains mineurs. Les 20 et 21 mars 2003, deux conférences intitulées respectivement « Enfants à problèmes, enfants surdoués... Y a-t-il des enfants normaux ? » et « Qui sont les enfants « étoiles » et comment les aborder ? » ont été organisées à Paris par la Fédération des Écoles Steiner en France. Le conférencier était M. Georg Kühlewind, auteur du livre Les Enfants « étoiles », édité par les éditions Triade qui se consacrent à la diffusion des ouvrages du fondateur de l'anthroposophie, Rudolf Steiner. Les conférences données en 2003 ont été éditées par la même maison d'édition sous forme de cahier intitulé  Dyslexiques, hyperactifs, enfants « étoiles », document en vente sur le site Internet des éditions Triade.

On constate ainsi que la notion d'enfant indigo s'est rapidement élargie ; elle ne porte plus seulement sur des enfants manifestant des capacités particulières mais sur tout enfant dont le comportement s'adapte difficilement à son environnement. Or, en étendant son champ aux enfants qui rencontrent de graves difficultés psychologiques, notamment aux enfants hyperactifs et aux autistes, les tenants de cette théorie dénigrent l'approche médicale de ces handicaps graves et avérés. Certes, certains de ces thérapeutes ont la prudence de présenter leur technique comme « complémentaire » des traitements médicaux traditionnels. Par exemple, EMF Balancing porte, dans la rubrique « copyright » de son site Internet une clause de mise en garde(151). Ces avertissements ne sont cependant que déclaratifs dès l'instant où le fond de ces théories est en contradiction complète avec la démarche scientifique. Prises aux sérieux par des parents peu avertis, ces techniques peuvent conduire à des attitudes mettant en danger la santé d'enfants particulièrement fragiles.

La MIVILUDES reconnaît dans son rapport 2003 qu'« [...] il est difficile d'estimer le nombre d'enfants touchés par ce phénomène » (p. 81). La commission d'enquête regrette vivement qu'aucune étude n'ait été entreprise et que faute d'outils d'évaluation elle ait été contrainte d'apprécier les dangers de cette doctrine sur la seule base de son contenu, tel qu'on peut en prendre connaissance sur divers sites Internet. La commission déplore aussi que le ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement interrogé sur cette question n'ait apporté aucun élément d'information (152).

b) L'exploitation psychosectaire des enfants souffrant de troubles psychiatriques

Il est à noter que le problème des enfants dits hyperactifs a été intégré par la Scientologie à la campagne que celle-ci mène contre la psychiatrie. Sur ce sujet, les efforts de cette organisation ont été couronnés de succès avec l'adoption, par la commission permanente, agissant au nom de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, le 29 mai 2002, d'une résolution intitulée « Contrôler le diagnostic et le traitement des enfants hyperactifs en Europe ».

Cette recommandation (n° 1562) a fait l'objet d'une réponse du Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 26 mars 2003 qui précise que : « certains des points soulevés dans la recommandation ne concordent pas avec l'opinion de la grande majorité de la communauté scientifique et sont dangereusement proches de certaines théories bien connues que l'église de Scientologie prône depuis un certain temps mais qui ne résistent pas à un examen scientifique sérieux. Le Groupe Pompidou (153) fait observer que ces théories sont non seulement dépourvues de tout fondement scientifique mais aussi que, si elles étaient appliquées, elles mettraient gravement en danger la santé des enfants en question en les privant d'un traitement approprié.[...] [ Le comité des ministres] déplore que l'adoption et la publication de la recommandation 1562 pourrait permettre à l'église de Scientologie de s'y référer comme à un document faisant autorité, sur la base d'un prétendu consensus au sein du Conseil de l'Europe, induisant ainsi en erreur notamment les non spécialistes, comme les parents et les enseignants, mais aussi certains médecins et pharmaciens qui connaissent mal les problèmes du diagnostic et du traitement des enfants souffrant du TDA/THK »(154).

On relève que le 11 octobre 2006 une nouvelle proposition de recommandation à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a été déposée. Intitulée « Le droit des enfants à surmonter l'hyperactivité et les problèmes de concentration dans de bonnes conditions » (Doc.11070 rev), celle-ci reprend les affirmations contenues dans la recommandation adoptée le 29 mai 2002. La commission d'enquête appelle les délégations de parlementaires au Conseil de l'Europe à une particulière vigilance face à ce qui se présente comme une nouvelle tentative d'officialiser les thèses de la Scientologie.

Il est à relever que les actions les plus récentes de la Scientologie passent aussi par la commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH). Celle-ci a, par exemple, organisé à Paris, le 22 juin 2005, un colloque : « Les jeunes en danger : les enfants européens, un nouveau marché pour la psychiatrie ». Votre rapporteur avait attiré à cette occasion, sous forme de question écrite, l'attention de M. le ministre de la santé et des solidarités sur le danger de cette propagande(155).

c) Des pratiques portant atteinte à la dignité des enfants handicapés

La théorie de la communication facilitée a particulièrement retenu l'attention de la commission d'enquête. Propagée par Mme Anne-Marguerite Vexiau (orthophoniste de formation) cette théorie partage sur le fond le même présupposé inspiré du « New-Age » que celui qui nourrit les spéculations sur les enfants indigo : l'enfant serait un être autre que ce qu'il paraît être(156). Ce principe connaît un succès certain et naturel quand il trouve à s'appliquer aux tentatives que font les familles pour sortir du désarroi dans lequel les plonge le handicap mental d'un enfant. L'idée selon laquelle il existerait des réseaux de communication pré-existants entre les êtres, que ces réseaux pourraient être enclenchés- comme on entre dans un réseau Internet - sans qu'il y ait à produire d'effort d'apprentissage ni de construction du message, alimente les espoirs de parents dont la plus grande souffrance vient précisément des difficultés de communication avec leur enfant handicapé.

L'enfant indigo communique un message qui trouverait sa source dans l'ordre cosmique. Dans la communication facilitée, l'enfant vient se connecter à des canaux de communication dont il utilise toutes les ressources magiques de mise en forme expressive ; dans ce dernier cas, le réseau est formé des inconscients qui constituent une chaîne permettant la réalisation de ce que Mme Vexiau nomme une psychophanie. En pratique, la communication se fait par le détour d'un clavier d'ordinateur sur les touches duquel l'enfant appuie pour former des mots ; à cet effet, sa main est guidée par un adulte appelé le « facilitant ». Dans la communication facilitée comme pour les enfants indigo, le processus naturel de l'apprentissage, en particulier de la parole, est ignoré.

Les résultats de la technique de la communication facilitée tels que la commission d'enquête a pu en prendre connaissance au travers du visionnage d'une cassette vidéo sont particulièrement consternants. Les discours singulièrement sophistiqués attribués aux enfants sont, de manière évidente, les produits de l'imagination du « facilitant », à savoir Mme Anne-Marguerite Vexiau. L'ensemble de ces « séances » laisse l'impression d'une sorte de vampirisme intellectuel(157) exercé au détriment d'enfants dont est exploité l'état d'extrême vulnérabilité.

En ce sens, la communication facilitée ne peut être réduite à n'être qu'une version modernisée du spiritisme, et, somme toute, un procédé charlatanesque comme un autre. Cette supercherie ne fait pas que tirer profit du désarroi des parents de handicapés ; elle porte atteinte aux droits fondamentaux des enfants tels que formulés en particulier à l'article 29 de la Convention internationale relative aux Droits de l'Enfant du 20 novembre 1989 aux termes duquel « [...] les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité [...] ».

Il est également étonnant qu'aient pu être soumis à ce procédé des enfants soignés en milieu hospitalier ou dans des institutions spécialisées.

À cet égard, les membres de la commission d'enquête s'étonnent que les pouvoirs publics n'aient pas pris la mesure du danger de tels procédés et les aient laissés se développer. Ainsi le foyer Ker Spi dans les Côtes-d'Armor a recouru à cette pratique pendant 4 ans jusqu'en 2002. Ce n'est qu'en 2005 qu'une information judiciaire a été ouverte pour escroquerie et exercice illégal de la médecine.

De plus, il a été porté à la connaissance de la commission d'enquête que la communication facilitée n'avait pas été considérée comme une voie de recherche à écarter par le service universitaire de pédopsychiatrie de Brest, dirigé par le professeur A. Lazartigues. Son collaborateur, le docteur Lemonnier, a justifié cette attitude de la façon suivante : « Nous souffrons souvent d'un défaut lorsque nous discutons les données scientifiques d'une technique qui n'a pas été évaluée suivant des critères méthodologiques classiques, nous lui laissons la possibilité d'être fonctionnelle, dans une espèce de doute nécessaire à l'élaboration des connaissances mais autorisant bien souvent la mise en place de prise en charge « charlatanesque ». À la réflexion, je crois que l'absence de position du Professeur Lazartigues s'inscrit dans cette tradition intellectuelle. » (158)

L'argumentation avancée met sur le compte du « doute » qui doit caractériser la démarche scientifique, l'intérêt dont peut légitimement être l'objet cette technique ; ce raisonnement méconnaît le fait que le doute ne peut être à l'origine d'un progrès de la connaissance que s'il relève lui-même du champ de la connaissance, à savoir s'il est méthodiquement conduit par confrontation entre des assertions issues de démarches rationnelles. Il ne saurait être invoqué pour valider un intérêt pour des doctrines relevant de pensées magiques ; par ailleurs, « la possibilité d'être fonctionnelle » laissée à cette technique valide de fait des expériences qui ne sont pas de l'ordre de la recherche en laboratoire mais qui s'effectuent sur des mineurs particulièrement vulnérables et en assure, du même coup, la promotion auprès des parents et de leurs associations. La commission d'enquête dénonce vigoureusement cette démarche qui peut amener à faire valider par des structures universitaires des pratiques relevant de la manipulation psychologique et appelle à la plus extrême vigilance en ce domaine (159).

Par ailleurs, il est particulièrement étonnant que l'association Ta Main pour parler, qui se donne pour mission de propager cette théorie, puisse faire valoir, dans ses documents vidéo comme sur son site Internet, un financement de ses « recherches » par la Direction générale de la santé. À ce propos, M. Bernard Basset, sous-directeur à la Direction générale de la santé a apporté les précisions suivantes devant la commission d'enquête : « Je sais qu'à la fin des années 90, une subvention a été versée, visant à financer une étude, laquelle a abouti à un rapport sur la communication facilitée. Mon prédécesseur m'a dit que ce rapport était d'une qualité déplorable et ne pouvait pas être considéré comme un rapport d'évaluation scientifique, ne serait-ce que parce que le nombre de cas étudiés était très faible, de l'ordre d'une dizaine. Cela dit, je ne suis pas en mesure de vous dire dans quelles conditions ce rapport a été élaboré. Ce qui est certain, c'est qu'il ne pouvait pas être considéré comme valable sur le plan scientifique. C'est une manipulation de dire que le ministère soutient les conclusions de ce rapport. » (160)

Par lettre en date du 19 octobre 2006, M. Bernard Basset a confirmé l'absence de valeur scientifique du rapport d'évaluation dont font état les défenseurs de la communication facilitée. Cette mise au point est publiée en annexe du présent rapport.

Prenant acte de ces déclarations, la commission d'enquête n'en constate pas moins que des procédés qui relèvent manifestement d'une approche irrationnelle ont pu bénéficier d'une aide publique. Ce constat a amené M. Didier Houssin à faire le commentaire suivant à l'occasion de son audition devant la commission d'enquête : « J'avoue être un peu perplexe. En un sens, j'ai bien l'impression que notre action, malgré l'attention que nous prêtons à un certain nombre de sujets, n'est probablement pas à la mesure de ce qui serait nécessaire compte tenu de l'ampleur du champ. Depuis que j'ai commencé à préparer cette audition, je me demande très sérieusement s'il ne faudrait pas passer à une vitesse très supérieure. »(161)

3. Les problèmes de l'adolescence mis à profit par les sectes

Alors que l'adolescence est aujourd'hui pour de nombreux jeunes, une source « d'incertitude, de déstabilisation et de souffrance » et que « notre société est particulièrement désarmée pour y répondre »(162), divers mouvements sectaires sont passés maîtres dans l'approche des parents des intéressés en leur proposant bien souvent « de fausses réponses à de vrais désarrois »(163).

a) La toxicomanie

À ce titre, est extrêmement éclairant, l'exemple de la diversité des mouvements qui, en proposant différentes offres de traitement de la toxicomanie des jeunes, se saisissent de cette opportunité pour faire du prosélytisme, recruter de nouveaux adeptes et parfois même obtenir de conséquents subsides de la part des autorités publiques.

Tel fut le cas, au début des années 1970, lorsque M. Lucien Engelmajer a bénéficié de la reconnaissance non seulement des familles de jeunes drogués qu'il accueillait dans ses centres de désintoxication, mais aussi des pouvoirs publics et de divers médecins. Recevant des fonds publics, son association Le Patriarche(164) faisait, en 1998, l'objet d'un contrôle de la Cour des comptes laquelle dénonçait la méthode de traitement employée : « un «  sevrage bloc «  systématique et non médicalisé, réalisé par l'arrêt immédiat de toute consommation de drogue, accompagné de massage, de bains et par l'administration de plantes médicinales sous forme de tisanes ou infusions associées à de longues marches » et relevait d'importantes infractions à diverses réglementations (présence anormale et excessive de personnels sans qualification reconnue, chargés de dispenser des soins et de distribuer des médicaments, non-conformité des conditions de prise en charge des personnes accueillies...) (165). M. Lucien Engelmajer, réfugié au Belize pour échapper à une extradition, et seize autres personnes sont aujourd'hui poursuivis devant le tribunal correctionnel de Toulouse pour abus de faiblesse, abus de biens sociaux, abus de confiance, blanchiment et recel.

La méthode précitée d'un renoncement immédiat aux drogues est actuellement mise en pratique par la Scientologie dans ses centres Narconon. Dans ces lieux, est dispensé un programme combinant des exercices de communication et une procédure de purification. Selon M. Roger Gonnet, cette dernière présente des risques sérieux pour la santé des adolescents qui s'y plient puisqu'elle consiste « en quatre heures et demie de sauna plus une demi-heure de course par jour, avec un surdosage de vitamines, et ce pendant des semaines. Le sauna est à environ 80 degrés, à hauteur de tête. Il s'agit notamment d'une vitamine qui peut s'avérer dangereuse, la niacine, qui est en fait, de l'acide nicotinique, violent, vasodilatateur » (166). Les dangers que représente un tel traitement pour les jeunes Français sont assez limités puisque la Scientologie ne dispose plus de centre Narconon dans notre pays. Toutefois, il convient de demeurer vigilant car, selon un récent article de L'Express, « les scientologues prévoient d'ouvrir un centre Narconon en France d'ici à deux ans. Le dernier avait été fermé en 1984, après la mort d'une patiente » (167).

De même, l'attention des pouvoirs publics doit être appelée sur les risques que présentent les traitements de la toxicomanie par ingestion de drogues hallucinogènes telles l'ayahuasca et l'iboga. La première est une liane originaire d'Amazonie ; ses « effets sont puissants, comparables à ceux du LSD » (168). Ayant été inscrite dans la liste des substances classées comme stupéfiants par arrêté du 20 avril 2005, les effets nocifs de son utilisation ne devraient plus être à redouter. Néanmoins, il doit être noté qu'elle est toujours administrée par un médecin français, le docteur Jacques Mabit qui, installé au Pérou, organise dans son centre Takiwasi des stages de désintoxication ; ouverts à tous, ces derniers font l'objet de promotions sur Internet par l'intermédiaire d'une filiale lyonnaise, « La maison qui chante » (169).

L'iboga, quant à elle, provient d'un arbuste africain. Possédant des propriétés proches de celles de l'ayahuasca, elle est aujourd'hui en vente libre bien qu'étant « psychotique, mortelle » et des dispensaires où elle serait administrée pour désintoxiquer des toxicomanes pourraient être prochainement ouverts (170). Toutefois, à la suite du décès d'un jeune toxicomane de vingt-six ans lors d'un « stage à l'iboga », organisé en Ardèche, ce produit, déjà interdit aux États-Unis, en Belgique et en Suisse, serait en passe de l'être en France (171).

La commission d'enquête, déplorant le manque de réaction du ministère de la santé et des solidarités face à ce risque, lui demande instamment d'inscrire l'iboga sur la liste des substances classées comme stupéfiants par l'arrêté du 22 février 1990.

b) Les troubles du comportement

Si les adolescents toxicomanes représentent une proie de choix pour certains mouvements, d'autres s'intéressent aux jeunes qui présentent des troubles du comportement et proposent à leurs parents souvent désemparés des traitements pour le moins abusifs.

Tel est le cas des « lieux d'arrêt d'agir ». Recommandés et mis en place par des médecins, adhérents du mouvement Invitation à la vie (IVI), ils permettent d' « enfermer des adolescents en souffrance dans une pièce face à leur « rien » ou au mieux un poste de télévision diffusant un film. L'hypothèse est que le fait de les enfermer, si nécessaire sous contention, pendant 24 ou 48 heures, renouvelables au besoin, susciterait chez eux une activité imaginaire leur permettant de dépasser le passage à l'acte agressif. (...) Les "lieux d'arrêt d'agir" ne sont pas des lieux d'enfermement gérés par l'administration pénitentiaire, pas plus qu'ils ne fonctionnent dans un cadre thérapeutique règlementé ayant l'accord d'un comité technique. »(172)

La revue Bulles (173), publiée par l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu, s'inquiète, quant à elle, des méthodes utilisées par la Comunita Cenacolo pour venir en aide, gratuitement, aux jeunes en difficulté, victimes de la drogue, de l'alcool et de la dépression. Les témoignages mettent en lumière que, loin du projet proposé d'un « style de vie simple, familial par la redécouverte du travail, dans l'amitié et la prière », la vie dans ces centres correspond à tout autre chose : « mépris de la personne, mise des membres de la communauté sous le pouvoir d'une autorité sans limite, mépris des parents qui ne doivent pas poser de questions... »

La commission d'enquête s'étonne de l'existence de telles structures, dont il paraît aberrant qu'aucun service administratif ne semble avoir efficacement contrôlé la création ni le fonctionnement, et qui doivent, pour le moins, faire l'objet d'une enquête administrative.

Constatant les multiples dérives sectaires existant dans les domaines sanitaire et médico-social, votre rapporteur se réjouit du train de mesures dont M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, a fait part à la commission d'enquête, par lettre du 9 novembre dernier (174: amélioration de la veille en la matière par « la recherche des publications et manifestations de toute nature (presse écrite et audiovisuelle, internet, salons...) susceptibles d'encourager de telles dérives » et constitution « d'une cellule d'analyse des pratiques non conventionnelles intervenant dans le domaine médical et paramédical (...) en lien avec les sociétés savantes et les instances d'expertise placées auprès du ministère de la santé ».

B. L'ENFANT, UN OBJET DE DÉMARCHAGE POUR DES CAUSES APPAREMMENT HUMANITAIRES

Qualifiée de « perverse » par M. Jean-Michel Roulet (175), l'exploitation par différents mouvements de thèmes humanitaires permet d'attirer dans leurs rets des adolescents souvent épris d'idéal.

Les mouvements à dérives sectaires les plus connus ont, de ce fait, créé des filiales dont les thèmes ne peuvent qu'interpeller et séduire la jeunesse, sans faire naître des soupçons puisque le rattachement à la maison mère n'apparaît pas immédiatement. En outre, comme le constate la MIVILUDES : « militer pour la paix mondiale ou en faveur des droits de l'homme, lutter contre les méfaits de la drogue, œuvrer sur le terrain de l'action humanitaire : voilà des engagements suscitant le respect et conférant une notoriété certaine »(176).

Ces « faux nez » ont pour nom : « Fédération pour la paix » (mouvement Moon), « Non à la drogue, oui à la vie » (Scientologie), « Jeunes pour les droits de l'homme (Scientologie), etc. Leurs publicités sont particulièrement soignées et attractives : belles affiches(177), visages souriants d'enfants ou d'adolescents...

Par ailleurs, ces mêmes mouvements s'investissent de façon particulièrement efficace auprès des jeunes en difficultés personnelle ou sociale. Ainsi, selon M. Daniel Groscolas : « lors des manifestations contre le CPE, plusieurs sectes se sont investies dans la contestation. Tabitha's Place était présente dans le Sud-ouest et délivrait des tracts. Le « Mouvement humaniste », qui est une secte, était présent dans les manifestations »(178).

M. Jean-Michel Roulet a, quant à lui, rapporté à la commission d'enquête que, lors des émeutes de l'hiver 2005, la Scientologie s'est beaucoup déployée en banlieue, notamment en Seine-Saint-Denis. « On a vu de jeunes scientologues en chasuble jaune proposer des ouvrages de Scientologie. On a vu également s'investir sur le terrain de jeunes scientologues ou des enfants de scientologues adultes membres de l'organisation Youth for Human Rights. Les « Jeunes pour les droits de l'homme », c'est très sympathique. La Scientologie a aussi proposé des actions de soutien scolaire, ou encore des distributions de cadeaux de Noël aux plus défavorisés. Cette stratégie a un double but : recruter, et donner de la Scientologie une image sympathique » (179).

Faisant référence à la Nouvelle Acropole, M. Jean-Michel Roulet a également indiqué que « certaines organisations, je pense notamment à la Nouvelle Acropole, ont adopté une approche extrêmement hypocrite, consistant à proposer aux jeunes, à la sortie des écoles, des discussions de "philosophie" au café du coin. Elles leur proposent des cours de dessin, d'art, de musique ».

Un autre témoin, entendu à huis clos, a évoqué le cas de jeunes sans papiers distribuant gratuitement les prospectus d'un mouvement, en remerciement des cours d'alphabétisation que ce dernier leur offrait.

C. L'INSTRUMENTALISATION DU SOUTIEN SCOLAIRE

Plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête (180) ont attiré l'attention de celle-ci sur l'investissement des sectes dans le secteur du soutien scolaire. On connaît le développement de cette activité qui a vu certaines de ses entreprises cotées en bourse (Acadomia) (181). Le désintérêt de l'éducation nationale de ce secteur, l'existence de mécanismes d'incitation fiscale attractifs et la simplicité des procédures administratives nécessaires à la création de ce type d'organismes, expliquent sans nul doute le succès du soutien scolaire à domicile.

Partant du principe que cette activité se déroule à l'extérieur de son champ d'action et par conséquent lui échappe, l'éducation nationale ne revendique aucun contrôle sur cette forme d'instruction, qui de fait n'est pas régie par les dispositions du code de l'éducation nationale. Plus fondamentalement, l'expansion du soutien scolaire renvoie l'éducation nationale à ses faiblesses et à ses échecs, la discrétion de l'institution sur le phénomène pouvant également s'expliquer par la forte implication du corps enseignant dans ces organismes, qui offrent des rémunérations plus attractives que les heures supplémentaires du secteur public, rémunérées à hauteur de 27 euros pour un professeur certifié et de 38 euros pour un professeur agrégé. Pour le seul organisme Acadomia, 75 % de ses enseignants seraient des fonctionnaires de l'éducation nationale en activité (182) ou à la retraite, apparemment peu préoccupés par le principe posé par l'article 25 du statut général de la fonction publique, qui impose aux fonctionnaires de consacrer l'essentiel de leurs activités aux tâches qui leur sont confiées (183).

D'après les estimations de l'Agence nationale des services à la personne, le marché officiel du soutien scolaire à domicile représente un chiffre d'affaires consolidé de 250 millions d'euros.

Les mécanismes d'incitation fiscale des aides à domicile constituent la deuxième raison du succès de cette formule. Le soutien scolaire et le soutien à domicile font en effet partie des activités de services énumérées à l'article D. 129-35 du code du travail, qui ouvrent droit à la réduction fiscale prévue à l'article L. 129-3 du code du travail et à l'article 199 sexdecies du code général des impôts, soit une réduction d'impôt égale à 50 % du montant de la dépense effectivement supportée dans la limite d'un plafond de 12 000 euros.

Il faut savoir enfin que les structures qui dispensent le soutien scolaire ne sont soumises qu'à un régime facultatif d'agrément. Celui-ci est issu d'une part, du décret n° 92-1200 du 6 novembre 1992 relatif aux relations du ministère chargé de l'éducation nationale avec les associations qui prolongent l'action de l'enseignement public et, d'autre part, du dispositif réglementaire issu de la loi n° 2005-841 du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

Les associations qui organisent des activités éducatives complémentaires en dehors du temps scolaire peuvent demander un agrément. Celui-ci n'est pas obligatoire. Il se justifie surtout pour les associations qui souhaitent intervenir au sein des établissements. Il est attribué après vérification du caractère d'intérêt général non lucratif et de la qualité des services proposés par ces associations, de leur compatibilité avec les activités du service public de l'éducation nationale, de leur complémentarité avec les instructions et programmes d'enseignement ainsi que de leur respect des principes de laïcité et d'ouverture à tous sans discrimination. C'est au ministre chargé de l'éducation nationale de délivrer les agréments pour les activités de dimension nationale, tandis que cette tâche incombe au recteur d'académie pour les agréments d'association au niveau local, départemental ou académique.

Outre ce dispositif, une seconde réglementation qui a davantage retenu l'attention de la commission d'enquête est contenue dans les articles R. 129-1 à R. 129-6 du code du travail pris pour l'application de la loi précitée du 26 juillet 2005. Si l'agrément des associations et des entreprises de soutien scolaire institué par ces dispositions est un agrément simple et facultatif, dans la pratique cependant il est fortement incité d'y recourir, d'une part, parce que son bénéfice ouvre droit, à la réduction d'impôt sur le revenu de 50 % des sommes versées dans la limite du plafond de 12 000 euros et, d'autre part, parce que le taux de TVA applicable est le taux réduit à 5,5 %. L'agrément est délivré par le préfet et est valable sur l'ensemble du territoire national. Lorsque l'association ou l'entreprise comporte plusieurs établissements, l'ouverture d'un établissement fait l'objet d'une déclaration préalable auprès du préfet du département du lieu d'implantation du nouvel établissement.

L'église de Scientologie semble être le mouvement sectaire qui a le mieux compris tout le parti qu'il pouvait tirer de ces dispositions et a fait de l'investissement dans le soutien scolaire l'un des axes privilégiés de son action.

En France, les investigations de la commission d'enquête ont abouti à constater que le soutien scolaire organisé par la Scientologie connaissait en effet un développement réel dans la région parisienne. Ainsi M. Bernard Dimanche, adepte de la secte a créé en 1985 « Maths rattrapage », entreprise non affiliée au syndicat des entreprises à la personne. Il exerce une activité non commerciale d'enseignement et de formation dans trois établissements : 86, rue du Général Leclerc à Ermont dans le Val-d'Oise ; 24, rue Saint Lazare, à L'Isle Adam dans le Val-d'Oise et 2, rue Roger Herlin à Chantilly dans l'Oise. Cette activité a généré un bénéfice non commercial de 143 098 euros en 2001 ; de 112 678 euros pour un chiffre d'affaires de 500 867 euros en 2004 et de 91 022 euros pour un chiffre d'affaires de 476 498 euros en 2005. Six salariés sont déclarés dans la société. Le compte employeur URSSAF fait apparaître des paiements de l'ordre de 10 000 euros par trimestre.

En dehors des prestations classiques que l'on est en droit d'attendre de cours particuliers, l'intéressé n'hésite pas, en se proposant de « donner des conseils aux parents » et d'« aider l'enfant à découvrir puis atteindre ses buts », à franchir la ligne qui sépare l'enseignement du prosélytisme. M. Bernard Dimanche est également gérant de trois sociétés civiles immobilières ayant leur siège à son domicile. Il est enfin le représentant légal de la société de droit anglais Sunday Islands limited, 83 Cambridge Street à Londres dont l'activité déclarée est la formation d'adultes et la formation continue sous l'enseigne « Présence sur scène ». C'est le même qui avait imputé en 1999 sur ses comptes 63 523 francs de charges relatives à des « frais de séjour et de stage » à l'église de Scientologie à Clearwater en Floride. Dans la même mouvance, peuvent être cités les cours de soutien : Brigitte Coumaros, 112, rue Rambuteau à Paris ; Irène Chartry, 27, rue André Cayron à Asnières, travailleur indépendant ; Bernard Halbeisen, 15, rue du Ventron à Mulhouse. Dans une annonce parue dans « Les petites annonces mulhousiennes » du 6 juin 2001, ce dernier avait recours dans sa publicité à la formule « apprendre à apprendre », qui est un des éléments centraux du discours de la Scientologie, celle-ci faisant valoir dans sa propagande que « les élèves n'ont jamais appris à apprendre ».

L'investissement de la Scientologie dans le soutien scolaire n'est pas propre au demeurant à la France mais s'inscrit dans une stratégie européenne. D'après une étude de l'institut allemand de recherche économique, un quart des 9,5 millions d'écoliers allemands formés dans des écoles générales bénéficie d'un soutien scolaire pour un chiffre d'affaires estimé à 1 milliard d'euros. Alors que l'on recensait 15 instituts de ce type créés en Allemagne par la Scientologie il y a cinq ans, ils seraient aujourd'hui plus de 30, sachant que la recette mensuelle par élève est de l'ordre de 110 €. Non seulement ce marché est lucratif mais il constitue un moyen d'attirer les parents de l'élève dans la secte. La Scientologie applique au cours de ces séances de soutien scolaire ses méthodes de l'« applied scholastics » tendant à modifier les repères de l'individu en imposant les critères de la secte dans la définition des notions les plus usuelles.

M. Hans-Werner Carlhoff (184), chef du groupe de travail interministériel sur les sectes et les groupes psychologiques au ministère des cultes, de la jeunesse et des sports du Land de Bade-Wurtemberg a décrit lors de son audition la pénétration en Allemagne de la Scientologie dans le soutien scolaire : « Les organismes de soutien scolaire liés à la Scientologie évoluent en Allemagne depuis quelque temps. Ils revêtent des appellations différentes suivant les endroits : à Stuttgart, par exemple, il s'agit du « Professionnelles Lernzentrum », intitulé de nature à séduire les parents d'élèves en difficulté scolaire. Ces centres recourent tous à la méthode dite « Applied Scholastics », qui repose sur certaines techniques d'apprentissage de Ron Hubbard, et pour laquelle ils versent de l'argent à la Scientologie. Applied Scholastics International et ses filiales allemandes achètent en effet des licences à l'association for Better living and education dont le sigle anglais est ABLE et qui achète elle-même ses licences aux Religious Technology center-RTC- . Si je m'étends sur ce montage, c'est parce que les centres en question ont affirmé dans la presse n'avoir aucun lien avec la Scientologie : c'est faux et nous avons pu prouver que ce lien existait notamment par cet achat de licences qui bénéficie, in fine, à la Scientologie. »

La présidente de la Conférence des ministres de l'éducation, Mme Ute Erdsiek-Rave, les services de protection de la Constitution (« Verfassungss-chutz ») des Länder du Bade-Wurtemberg et de Bavière notamment, les ministères de la jeunesse et de la culture de certains Länder, la fédération professionnelle des enseignants (« Lehrerverband » ), la fédération professionnelle du soutien scolaire, qui développe une politique de labels de qualité, l'association de protection des consommateurs dans le domaine de l'éducation (« Aktion Bildungsinformation ») ont au cours de l'été 2006 attiré l'attention de l'opinion publique allemande sur les dangers de cette pénétration du soutien scolaire par la Scientologie. Le phénomène est d'autant plus inquiétant que la Scientologie a ouvert à des non adhérents des écoles au Danemark, où le réseau dispose de cinq écoles subventionnées par les pouvoirs publics. Elle possède également à Zürich une école privée, le Centre pour l'apprentissage individuel efficace (« Zentrum für individuelles und effektives Lernen »), qui organise l'été des activités de loisirs, les parents étant ensuite incités à y inscrire leurs enfants dans l'année scolaire.

Le droit allemand fournit à ce titre une illustration intéressante d'une indemnisation d'une appartenance forcée à une secte. Une jeune fille âgée de 13 ans avait été emmenée au camp de Saint-Hill près de Londres dans la Sea Org pour y passer sept mois. Elle a été envoyée ensuite à l'âge de 15 ans dans un internat de la secte, où elle a dû se nourrir de restes et en est sortie à l'âge de 19 ans, après avoir exercé des travaux qui l'ont affaiblie physiquement. Après cet internement, la jeune fille a réclamé à ses parents membres de la secte une indemnité de 73 000 euros devant la justice allemande (185). L'affaire s'est dénouée par une transaction amiable. Il peut être observé, à cette occasion, que la Scientologie préfère toujours éviter de se confronter aux instances judiciaires et cherche à transiger directement avec les parties la mettant en cause.

Ce précédent ouvre une piste juridique intéressante en droit français. L'article 203 du code civil impose aux parents de nourrir, d'entretenir et d'élever leurs enfants. Seuls les père et mère sont tenus par cette obligation d'entretien qui implique un devoir d'éducation (186). Or, en abdiquant de fait cette éducation à un tiers - un mouvement sectaire - les parents ne remplissent pas leurs obligations et, dès lors, on pourrait imaginer qu'ils se voient exposés à des actions civiles fondées sur la méconnaissance de leur obligation d'entretien qui constitue « une des pièces fondamentale du statut parental » (187).

D. LA PRESSE ET LA PROTECTION DES MINEURS

Si la protection des mineurs intéresse aujourd'hui plus les réseaux numériques que la presse, l'importance de cette dernière ne doit pas être négligée. Le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, M. Stéphane Fratacci, a rappelé aux membres de la commission d'enquête l'action menée sur ce terrain par le ministère : « nous avons une compétence d'attribution dans l'application de la loi de 1949 relative à la protection de la jeunesse et dans celle de la loi de 1998 (188). Cela nous conduit, après avis d'une commission, à proposer au ministre la prise de décisions de divers ordres : interdiction d'exposition, de publicité ou de vente de certaines revues à des mineurs. La loi de 1949 est centrée autour de la protection contre les insertions présentant sous un jour favorable diverses activités humaines qui sont, du point de vue du législateur, susceptibles de causer un trouble pour un jeune public. Dans ce cadre, le ministre de l'intérieur est amené, chaque année, à prendre des interdictions de publication. Je me dois d'insister sur le fait que le champ de focalisation de ces décisions, qui sont prises après avis de la commission de surveillance des publications du ministère de la justice, touche plutôt à la présentation explicite d'actes à caractère sexuel ou d'écrits et de visuels qui sont en rapport avec une violence extrême, ou qui constituent une incitation à la haine ou à la discrimination. Ce sont les thèmes retenus par le législateur pour la loi de 1949 ; il reste qu'une revue a fait, en janvier dernier, l'objet d'un rappel à l'ordre à raison de la présentation sous un jour favorable de la doctrine ou de l'activité d'un mouvement sectaire. Il s'agissait d'une insertion publicitaire dans cette revue. »(189)

L'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse prévoit l'interdiction de l'exposition ou de la vente de publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère licencieux ou pornographique ou de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination raciale, à l'incitation à l'usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants. La commission d'enquête plaide pour une extension de ce champ d'infractions aux délits ayant pour objet de créer une sujétion psychologique, au sens de l'article 223-15- 2 du code pénal. L'article 2 de la loi de 1949 pourrait également être modifié pour inclure dans son champ l'abus de faiblesse visé à l'article 223-15-2.

S'agissant de la presse écrite et audiovisuelle générale, la commission d'enquête n'ignore pas que cet article 223-15-2 peut s'avérer d'un maniement difficile, dans la mesure où ce texte impose de rapporter la preuve que l'auteur de l'infraction avait connaissance de l'état de faiblesse de la personne à laquelle il s'adressait. Par ailleurs depuis l'entrée en vigueur, le 31 décembre 2005, de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la responsabilité des personnes morales peut être engagée pour l'ensemble des crimes, délits et contraventions existants sauf en matière de presse écrite et audiovisuelle, afin d'éviter que l'application cumulée du régime de responsabilité en cascade de la presse et du régime de responsabilité pénale des personnes morales n'aboutisse à une répression excessive. Pour l'ensemble de ces raisons et compte tenu du fait qu'une modification du régime en vigueur reviendrait à instituer une exception à l'exception pour le délit d'abus de faiblesse, la commission d'enquête a opté pour le statu quo.

E. LES PIEGES DES RÉSEAUX NUMÉRIQUES

Plusieurs personnes auditionnées par la commission d'enquête se sont émues des risques que pouvait présenter Internet pour diffuser des discours favorables aux sectes. Comme l'a d'ailleurs relevé un des observateurs du phénomène interrogé par la commission d'enquête, il serait plus approprié de parler de « réseaux numériques ». En effet aujourd'hui de nouveaux moyens numériques à travers les « blogs », les téléphones portables, les Blackberry(190) permettent de faire œuvre de prosélytisme.

Le Professeur Marcel Rufo a particulièrement mis en valeur les risques que présente une utilisation dévoyée d'Internet : « Internet offre aux adolescents et surtout aux plus fragiles, la possibilité d'un contact purement virtuel, au moyen d'une image masquée. Il ne faut pas oublier qu'il y a, à côté des 90 % d'adolescents qui vont bien - et qui savent utiliser Internet bien mieux que nous -, 10 % d'adolescents plus vulnérables, qui trouvent dans le Net un moyen d'isolement et non de contact, grâce auquel ils transforment leur vulnérabilité en apparente invulnérabilité. Il ne faut pas confondre, en effet le contact et l'outil de communication. Les sites comme celui dont je vous ai parlé sont dangereux car ils ouvrent une voie. C'est comme le haschich : si l'adolescent n'est pas vulnérable, ce n'est pas très grave, mais s'il l'est, cela ouvre la voie à la pathologie. Or, tous les adolescents se croient invulnérables, et cette notion d'invulnérabilité à l'adolescence est souvent, justement, un signe d'entrée dans la vulnérabilité. Je suis très alarmé par ces sites qui démolissent toute l'action thérapeutique et préventive que nous devons avoir envers les adolescents en mal d'image de soi [...] Le site anorexia dont je vous parle est remarquablement fait, hélas, sur le plan psycho-pathologique. Il inculque des modes de dénégation, fournit des stratégies d'évitement et cautionne la pathologie. C'est proprement ahurissant, c'est comme si l'on disait aux gens qui se sont cassé la jambe : "Ne faites surtout pas de rééducation, vous aurez ainsi plus de séquelles orthopédiques et un taux d'invalidité supérieur.(191) »

La philosophe Marianne Groulez partage la même analyse dans la revue Études : « Tout le monde a son mot à dire - à écrire - sur l'anorexie : Internet, lieu de reviviscence de l'écrit, mais aussi lieu de sa dissolution potentielle, en témoigne avec évidence. S'y déverse une communauté aussi opaque au profane qu'universellement accessible, une société secrète on ne peut plus publique qui diffuse depuis quelques années, via sites et blogs, ses codes, ses slogans, ses obsessions, ses icônes et ses livres de chevet, ses délires lucides et ses accès de bon sens, ses règles de (mauvaise) conduite et ses interdits inversés. Or, il n'est pas exclu que ce renouvellement du support, et par là des formes rejaillisse sur la maladie elle-même : sur ses modes de transmission mais aussi sur sa définition » (192).

Le blog est un outil de communication encore plus développé. Soit le blogueur agit de façon anonyme, soit il a recours à des photos, soit il rassemble autour de centres d'intérêts communs des pairs « recrutant à distance des personnes qui partagent le même goût ou la même passion »(193). Les recherches menées par la commission d'enquête sur le terrain de l'anorexie ont montré que les sites Internet ou les blogs servent soit à promouvoir le culte de la maigreur, soit ont une vocation d'échanges avec une finalité parfois thérapeutique, qui n'est pas dépourvue d'ambiguïté, le véhicule numérique constituant souvent un exutoire. En Belgique des hébergeurs ont fermé ces sites mais ceux-ci n'ont pas tardé à renaître sous de nouvelles appellations.

Le recours à Internet peut d'ailleurs avoir de multiples implications et être en corrélation avec d'autres droits. Ainsi le Conseil d'État a-t-il jugé que le fait d'utiliser, dans le cadre de son travail, les moyens de communication du service au profit d'une association dont on est membre - en l'espèce l'association pour l'unification du christianisme mondial -, constituait un manquement au principe de laïcité et à l'obligation de neutralité qui s'impose à tout agent public (194).

La simplification, l'amplification du message que permet Internet et ces nouvelles techniques font de ces outils un moyen de communication particulièrement prisé des mouvements sectaires, la simple consultation de leur site souvent très fourni, permettant de vérifier l'investissement que représente pour eux cette vitrine.

Dans le domaine du droit de l'Internet proprement dit, la loi a toutefois de la peine à s'imposer. Les obstacles à la fermeture de sites diffusant des messages contraires à la loi et aux bonnes mœurs sont nombreux et connus : possibilité pour les sites interdits de réapparaître sous un nouveau nom ; refus de certains États d'installer des dispositifs de filtrage comme c'est le cas des États-Unis qui invoquent le premier amendement à la Constitution ; empressement relatif des États à ratifier la convention de Budapest sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, entrée en vigueur le 1er juillet 2004.

S'agissant du droit interne, deux améliorations pourraient toutefois être apportées aux règles en vigueur. L'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique oblige les prestataires techniques et notamment les fournisseurs d'accès à proposer des moyens de filtrage à leurs clients et à informer les autorités publiques compétentes de ces activités illicites. Ces filtrages s'appliquent aux données suivantes : apologie des crimes contre l'humanité ; incitation à la haine raciale et pornographie enfantine. La commission d'enquête estime qu'il serait judicieux d'ajouter à cette liste d'infractions, l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse visé à l'article 223-15-2 du code pénal.

Par ailleurs, l'article 17 du projet de loi de prévention de la délinquance adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 5 décembre 2006 (195) permet aux enquêteurs habilités par l'autorité judiciaire de participer sous un nom d'emprunt à des échanges électroniques, d'être en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d'être les auteurs de diverses infractions et d'extraire et de conserver des contenus illicites dans des conditions définies par voie réglementaire. Les infractions visées sont celles qui sont définies aux articles 227-18 à 227-24 du code pénal et s'appliquent aux mineurs. Elles concernent : la provocation à l'usage illicite, au transport, à la détention, à l'offre ou à la cession des stupéfiants ; la provocation à la consommation excessive et habituelle d'alcool ; la provocation au crime ou au délit ; la corruption du mineur ; l'enregistrement, la transmission ou la représentation d'images pédopornographiques en vue de leur diffusion. On pourrait concevoir de compléter cette liste de dispositions destinées à protéger les mineurs, en y insérant l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse visé à l'article 223-15-2 du code pénal.

SECONDE PARTIE :

L'ACTION DES POUVOIRS PUBLICS,
UN ENGAGEMENT INÉGAL

Au regard du constat qui a pu être dressé à partir de données portant sur l'ensemble des phénomènes sectaires ainsi que sur la base des informations recueillies à l'occasion du déplacement dans la communauté de Tabitha's Place, la commission d'enquête s'est attachée à analyser les outils normatifs et les structures administratives qui ont été institués ces dernières années pour contrer les dangers du phénomène sectaire, afin d'en évaluer l'efficacité face aux risques spécifiques encourus par les mineurs.

Les conclusions qui en ont été tirées montrent que les dispositifs juridiques et administratifs existants demandent à être complétés pour assurer aux mineurs victimes d'une organisation sectaire une réelle protection.

Les propositions formulées par la commission d'enquête ont été élaborées avec la conviction que si, comme l'a rappelé l'introduction au présent rapport, la liberté d'opinion est une liberté fondamentale, celle-ci ne peut être garantie à chacun que sous réserve du principe posé à l'article 10 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public ».

I. UNE VIGILANCE QUI NE S'EST JAMAIS RELÂCHÉE

La France est incontestablement un pays où les pouvoirs publics et de nombreux élus se sont montrés très attentifs aux dérives sectaires et à leurs effets. Son attachement à la liberté d'expression individuelle, une forte tradition de protection de l'enfance et une sensibilisation croissante de l'opinion publique au phénomène expliquent la permanence de cette préoccupation.

A. UNE MOBILISATION CONSTANTE DES PARLEMENTAIRES

1. Les commissions d'enquête, le groupe d'études et les questions écrites

La commission d'enquête actuelle est la troisième à se préoccuper du phénomène sectaire en France, ce qui témoigne de la détermination des parlementaires de ne jamais baisser la garde face aux dérives sectaires.

Pour mémoire, la première commission d'enquête avait été créée en 1995, à la suite de plusieurs suicides ou massacres collectifs dans les mouvements à caractère sectaire à l'étranger. Elle avait pour président M. Alain Gest, député UDF, et pour rapporteur M. Jacques Guyard, député socialiste. Son rapport intitulé « Les sectes en France » fut adopté à l'unanimité. Il convient de rappeler qu'il n'était pas le premier document à prouver l'intérêt des députés pour le sujet, puisqu'un rapport présenté en 1983 par M. Alain Vivien, député socialiste, à la demande du Premier ministre, intitulé « Les sectes en France : expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation ? », avait déjà eu le grand mérite de constituer la première étude approfondie et objective sur les dangers des sectes et avait permis d'alerter les pouvoirs publics et l'opinion sur une réalité jusque là fort mal connue. Cette première commission d'enquête - dont l'exemple fut suivi en particulier en Allemagne (196), en Belgique et en Suisse - préconisa notamment la création de l'Observatoire des sectes, que le gouvernement mit en place en 1996 et dont les attributions furent reprises ensuite par la Mission interministérielle de lutte contre les sectes.

La deuxième commission d'enquête, créée en 1999, avait pour président M. Jacques Guyard, député socialiste, et pour rapporteur M. Jean-Pierre Brard (apparenté PC). Son objectif était de compléter le travail effectué en 1995 tout en plaçant un « verre grossissant » sur une partie des activités sectaires représentant un élément vital du phénomène, à savoir l'argent. Ce rapport sur « Les sectes et l'argent » fut adopté à l'unanimité. Il permit de montrer que, au-delà d'un discours d'inspiration ésotérique ou religieuse sur lequel il ne revient pas à une commission d'enquête de porter un jugement, le phénomène sectaire s'appuie généralement sur une organisation s'employant à assurer à la fois l'opacité de ses circuits financiers et la rentabilité de ses activités.

La MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) ayant souligné dans son dernier rapport (2005) que la protection des mineurs face à l'emprise sectaire lui était apparue ces dernières années comme un sujet particulièrement préoccupant, l'Assemblée nationale a confié à une nouvelle commission d'enquête le soin d'étudier l'influence des mouvements à caractère sectaire et les conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs.

Plusieurs de ses membres ont déjà fait partie de l'une ou l'autre des précédentes commissions d'enquête, voire des deux. Étaient déjà présents dans celle de 1995, Mme Martine David, MM. Jean-Pierre Brard, Alain Gest, Jacques Myard et Rudy Salles ; dans celle de 1999, Mme Chantal Robin-Rodrigo et MM. Jean-Pierre Brard, Jacques Myard, Rudy Salles et Philippe Vuilque. Cette constance est l'une des meilleures preuves du souci de la représentation nationale d'assurer le suivi des dérives possibles du phénomène sectaire.

Indépendamment des travaux d'investigation menés dans le cadre de ces commissions d'enquête, nécessairement ciblés et limités dans leur durée, puisqu'ils ne peuvent excéder six mois, les parlementaires manifestent leur souci de vigilance permanente par l'intermédiaire de la structure plus pérenne d'un groupe d'études.

Le groupe d'études sur les sectes existe depuis de nombreuses années. Il a été présidé par M. Alain Gest jusqu'au début de l'année 1998, puis par Mme Catherine Picard jusqu'en octobre 2002, votre rapporteur M. Philippe Vuilque lui ayant succédé depuis cette date. Cette structure regroupe soixante députés, dont la liste peut être consultée sur le site Internet de l'Assemblée nationale.

Parmi ses travaux peuvent être citées les auditions d'un certain nombre de personnalités (des représentants d'associations, le conseiller pour les affaires religieuses près du ministre des Affaires étrangères, le responsable du bureau central des cultes au ministère de l'intérieur, des représentants de l'Ordre des médecins et de diverses directions ministérielles). Il a également contribué à plusieurs actions de sensibilisation sur le sujet : colloque sur les sectes tenu à l'Assemblée nationale en mars 2005, colloque « Sectes et enfance » tenu à Saint-Priest (Rhône) en mars 2006, auquel ont participé environ cent personnes.

De nombreuses questions écrites sont, en outre, régulièrement posées par les députés sur le problème sectaire. Pour la seule législature actuelle, soit depuis le 19 juin 2002, ils ont adressé aux différents ministres compétents une centaine de questions dont plus d'une quinzaine concernent directement les enfants. Le texte de ces questions et celui des réponses ministérielles peuvent être également consultés sur le site de l'Assemblée nationale. À celles-ci s'ajoutent les questions posées par des sénateurs sur le même sujet, accessibles avec leur réponse sur le site du Sénat.

2. Le droit applicable, la loi « About-Picard » et ses prolongements possibles

La mobilisation des parlementaires s'est traduite également par des initiatives législatives.

a) La loi « About-Picard »

Si de l'avis de toutes les personnes auditionnées, l'arsenal législatif actuel est suffisant pour permettre de réprimer l'ensemble des atteintes susceptibles d'être commises sur des mineurs dans le cadre de dérives sectaires, c'est précisément parce que les parlementaires ont veillé à combler les brèches existantes ici et là.

Leur action s'est illustrée notamment par l'adoption de loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, dite « loi About-Picard » du nom des deux parlementaires qui en furent les rapporteurs : le sénateur M. Nicolas About et la députée Mme Catherine Picard.

Cette initiative est venue compléter les diverses dispositions du code pénal permettant de réprimer les agissements des mouvements à caractère sectaire présentant un caractère dangereux pour les mineurs. Les incriminations possibles sont en effet nombreuses : violences (articles 222-7 et suivants) ; tortures ou actes de barbarie (articles 222-1 et suivants) ; atteintes aux libertés telles que l'enlèvement ou la séquestration (articles 224-1 et suivants) ; viols (articles 222-23 et suivants) et autres agressions sexuelles (articles 222-29 et suivants) ; atteintes sexuelles sans contrainte (articles 227-25 et suivants) ; délaissement (article 227-1 et suivants) ; mise en péril (articles 227-15 et suivants) ; abandon moral d'enfant mineur (article 227-17).

Il faut également évoquer l'infraction à la législation sur l'obligation scolaire (article 227-17-1 issu de la loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire) dite « Loi Royal ».

Les dispositions législatives de droit commun applicables aux dérives sectaires ont été rappelées dans une circulaire du 29 février 1996 prise par le garde des Sceaux et adressée aux magistrats du parquet (circulaire « relative à la lutte contre les atteintes aux personnes et aux biens commises dans le cadre des mouvements à caractère sectaire »). Ce texte invite les magistrats du parquet à une grande vigilance à l'égard des dérives sectaires, en précisant que « la lutte contre les dangers liés à ce phénomène doit reposer sur une application plus stricte du droit existant, elle-même liée à une perception plus aiguë de la réalité des risques occasionnés par l'existence et l'activité des organisations en cause », conformément aux conclusions de la commission d'enquête de 1995. Plutôt que de mettre certains groupements à l'index, une circulaire du Premier ministre en date du 27 mai 2005 « relative à la lutte contre les dérives sectaires » souligne la nécessité d'exercer une vigilance particulière sur toute organisation qui paraît exercer une emprise dangereuse pour la liberté individuelle de ses membres, afin de pouvoir très rapidement identifier et réprimer tout agissement susceptible de recevoir une qualification pénale ou, plus généralement, semblant contraire aux lois et aux règlements. Elle exhorte les fonctionnaires et agents publics à « s'attacher à rechercher et à identifier, dans leur périmètre d'attributions, toute activité, quelle que soit sa forme, susceptible de recevoir un caractère "sectaire", parce qu'elle place les personnes qui y participent dans une situation de sujétion ou d'emprise et tire parti de cette dépendance ».

Cette attention particulière à l'état de sujétion ou d'emprise est à mettre à l'actif de la loi « About-Picard ». En effet, la loi du 12 juin 2001 donne, indirectement, une définition très large des mouvements sectaires - le souci des parlementaires étant de s'adapter à leurs évolutions - en mettant en avant le critère de l'état de sujétion. Ainsi, il résulte de l'article premier - relatif à la possibilité de dissolution - que le mouvement sectaire susceptible d'être dissout peut être toute personne morale « qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités » quelle que soit sa forme juridique. Cette dissolution civile peut être prononcée, dès lors que la personne morale elle-même ou ses dirigeants de droit ou de fait ont déjà fait l'objet de condamnations pénales définitives pour l'une ou l'autre des nombreuses infractions énumérées par l'article premier, parmi lesquelles le délit d'abus de faiblesse tel que défini par l'article 223-15-2 du code pénal.

- Le délit d'abus de l'état d'ignorance ou de faiblesse

Si la loi « About-Picard » comporte par ailleurs de nombreuses autres dispositions tendant notamment à l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales et physiques, elle a essentiellement pour objet d'aménager le délit d'abus de faiblesse de façon à assurer la protection des personnes victimes d'une emprise sectaire. Auparavant cette infraction, telle qu'elle résultait de l'article 313-4 du code pénal, ne pouvait en effet concerner que des personnes objectivement vulnérables en raison de leur âge ou de leur état physique ou psychique et était considérée comme un délit contre les biens.

L'article 313-4 ayant été abrogé, le nouvel article 223-15-2 a été inséré par les parlementaires parmi les dispositions du code pénal consacrées aux atteintes à la personne humaine. Il punit de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende « l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».

Cette nouvelle infraction présentait, dans l'esprit du législateur, l'avantage de surmonter les difficultés liées au consentement donné par les adeptes d'un mouvement sectaire à tous les agissements qui leur sont demandés.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi « About-Picard », le ministère de la justice a recensé une vingtaine de procédures engagées sur le fondement de l'article 223-15-2 du code pénal. Il convient de citer particulièrement celle ayant abouti à la condamnation d'un individu, par la cour d'appel de Rennes, le 12 juillet 2005, à une peine de trois ans d'emprisonnement assorti du sursis et de 10 000 euros d'amende. Il s'agissait de l'un des fondateurs de la secte apocalyptique Néo Phare, se considérant comme « la résurrection du Christ ». Après son annonce d'une fin du monde imminente, un des adhérents de la secte s'était suicidé et deux autres avaient fait des tentatives de suicide.

La cour d'appel a estimé qu'en première instance, c'est avec raison que le tribunal avait retenu l'état de sujétion psychologique des victimes, en relevant divers éléments, tels que l'ascendant constaté du « gourou » sur leur personne, la dégradation de leur état psychique, l'acceptation de comportements de soumission, etc., puis qu'à juste titre il avait constaté que cet état résultait de pressions graves ou répétées ou de techniques propres à altérer leur jugement : scènes de transe, communication prétendue avec l'au-delà, séances d'initiation plus ou moins humiliantes, etc.

La cour a également partagé l'analyse du tribunal sur la volonté de conduire les personnes concernées à des actes gravement préjudiciables : rupture de leurs relations familiales, affectives et professionnelles. Elle a estimé que les juges avaient en outre motivé avec exactitude la circonstance aggravante tenant à la qualité de dirigeant du groupement et a souligné que l'intéressé avait agi en pleine conscience.

Il est intéressant, en l'espèce, de relever que cette personne n'était pas poursuivie pour avoir incité les adeptes du groupe à porter volontairement atteinte à leur intégrité physique ; c'est bien sur la seule base de l'abus de faiblesse que la condamnation a été prononcée.

La procédure avait été ouverte après la plainte déposée par les parents du jeune adulte qui s'était suicidé, l'UNADFI et l'ADFI locale s'étant également portées partie civile. En effet, les associations luttant contre les groupements à caractère sectaire peuvent, depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, se constituer partie civile en application de l'article 2-17 du code de procédure pénale ; l'article 22 de la loi « About-Picard » a ensuite adapté la rédaction dudit article 2-17, afin qu'elle corresponde à la nouvelle définition du délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse. Ainsi, aujourd'hui, toute association reconnue d'utilité publique régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de défendre et d'assister l'individu ou de défendre les droits et libertés individuels et collectifs peut, à l'occasion d'actes commis « par toute personne physique ou morale dans le cadre d'un mouvement ou organisation ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter une sujétion psychologique ou physique, exercer les droits reconnus à la partie civile » en ce qui concerne les infractions énumérées par ledit article 2-17, au nombre desquelles figure le délit d'abus de faiblesse.

Les limitations apportées à la publicité des mouvements sectaires

Outre l'abus de faiblesse des personnes en état de sujétion, les parlementaires ont souhaité créer dans la loi du 12 juin 2001 une autre infraction, visant à limiter la publicité des mouvements sectaires. C'est ainsi que l'article 19 incrimine le fait de diffuser des messages destinés à la jeunesse et faisant la promotion d'une personne morale (quelle qu'en soit la forme ou l'objet) ou invitant à la rejoindre, dès lors que deux conditions sont réunies : la poursuite par la personne morale d'activités « ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique » des personnes qui participent à ces activités, ainsi que le prononcé à plusieurs reprises - c'est-à-dire au moins deux fois - contre la personne morale ou ses dirigeants de droit ou de fait, de condamnations pénales définitives figurant sur la liste établie par ledit article 19.

Néanmoins, l'exigence de condamnations préalables, définitives et répétées de la personne morale ou de ses dirigeants est, selon les indications recueillies par la commission d'enquête, de nature à rendre inopérant le dispositif de l'article 19 ; elle permet au mouvement sectaire de diffuser et de recruter pendant de nombreuses années, avant de remplir les conditions d'une poursuite.

Il n'y a eu à ce jour aucune application de ce dispositif limitant la publicité des mouvements sectaires, selon les précisions du ministère de la justice.

Il appartenait donc à la commission d'enquête de chercher à améliorer l'efficacité de ces règles.

L'argument du risque d'inconstitutionnalité d'une suppression de la condition de condamnations préalables multiples pour pouvoir engager des poursuites contre un mouvement à caractère sectaire, faisant du prosélytisme ou de la publicité à destination de la jeunesse, a été avancé par M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, lors de son audition par la commission d'enquête (197).

Si l'on se réfère aux travaux préparatoires de la loi « About-Picard », on constate qu'il a été effectivement fait brièvement allusion à ce risque, lors de la discussion de l'article 1er sur la dissolution des mouvements à caractère sectaire. La rédaction retenue dans l'article 1er implique en effet que la dissolution ne peut intervenir que s'il y a eu « des condamnations pénales définitives ».

Lors de la discussion en deuxième lecture au Sénat, Mme Marylise Lebranchu, alors garde des Sceaux, a invoqué le principe non bis in idem pour repousser un amendement tendant à ce que la mention « à plusieurs reprises » soit supprimée : « Si, effectivement, cet amendement avait eu pour conséquence de permettre une dissolution prononcée par le juge civil après une seule condamnation pénale, je n'y aurais pas été favorable, car cela reviendrait à condamner deux fois pour les mêmes faits, ce qui n'est pas accepté. »(198)

La discussion n'a pas de nouveau été engagée sur cette question lors de l'examen de l'article 19 (qui était alors l'article 8), l'argument invoqué pour l'article 1er semblant tacitement admis pour l'article 19 également. Dans son rapport en deuxième lecture (n° 3083), Mme Catherine Picard constate simplement (cf. p. 13) : « Le Sénat a adopté, sur cet article, de simples amendements de coordination. Il n'a pas supprimé, en revanche, la mention "à plusieurs reprises", qui précède l'exigence de condamnations pénales préalables pour son application, comme il l'a pourtant fait à l'article 1er. En toute hypothèse, dans l'un et l'autre cas, la précision était superfétatoire et plusieurs condamnations pénales seront effectivement requises. » L'argument qui a prévalu pour l'article premier semble donc avoir été implicitement admis.

Toutefois, les deux cas sont différents : si l'on comprend bien que permettre une dissolution après une seule condamnation pénale revient à condamner deux fois pour les mêmes faits, on ne saurait considérer que l'interdiction de publicité en direction des mineurs est une peine prononcée au même titre que la dissolution du mouvement à caractère sectaire.

L'interdiction de publicité destinée aux mineurs doit s'entendre plutôt comme une mesure de protection et non comme une véritable peine, au même titre que par exemple l'interdiction de la publicité pour le tabac ou les restrictions apportées à la publicité pour l'alcoolisme. À propos d'une disposition législative relative à l'interdiction de la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, le Conseil constitutionnel a considéré que la prohibition de certaines formes de publicité ou de propagande était fondée sur les exigences de la protection de la santé publique qui ont valeur constitutionnelle (199). La portée d'une interdiction de la publicité en faveur des mouvements sectaires ne saurait, en tout état de cause, être comparée à celle d'une dissolution, qui met totalement fin aux activités de la personne morale.

De plus, il est tout à fait possible de transformer l'exigence de condamnations pénales définitives à plusieurs reprises - imposée par la rédaction actuelle de l'article 19 - en l'exigence d'une seule condamnation préalable définitive. Cette rédaction permettrait alors de trouver une solution de compromis, tenant compte de l'objection présentée par M. Jean-Marie Huet (200) : « Cette condition d'antériorité est certes limitative, mais sa suppression pourrait être condamnée par le Conseil constitutionnel, au regard de la liberté d'expression et de la liberté de religion. En effet, l'article 19 vise à sanctionner des messages destinés à la jeunesse faisant la promotion d'une personne morale, lorsqu'il est démontré que cette dernière a notamment pour objectif de créer ou d'exploiter un état psychologique. Cet élément constitutif de l'infraction doit être formellement établi par une décision de justice préalable. Il serait difficile de revenir sur cette condition d'antériorité. »

Aussi l'argument du risque d'inconstitutionnalité peut-il être écarté.

La commission suggère, en conséquence une solution ne supprimant pas cette condition d'antériorité. Elle propose d'ouvrir la possibilité d'engager des poursuites, en cas de diffusion de messages destinés à la jeunesse et faisant la promotion d'une personne morale recourant à la sujétion psychologique ou physique - telle que définie par l'article 19 de la loi du 12 juin 2001 - dès que le mouvement en question aura déjà fait l'objet d'au moins une condamnation pénale définitive, pour l'une des infractions mentionnées audit article 19.

La vigilance des parlementaires français et la loi du 12 juin 2001 sont souvent citées en exemple à l'étranger. M. Friedrich Griess (201), président de la FECRIS (Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme) qui connaît bien la loi « About-Picard » pour l'avoir traduite en allemand, s'est prononcé pour son application dans toute l'Union européenne après avoir fait valoir que les réticences des législateurs des autres pays européens s'expliquaient sans doute par les résistances de fidèles de religions minoritaires. M. Rudy Salles, membre du bureau de la commission d'enquête, a rappelé à cette occasion que les mêmes craintes s'étaient fait jour en France lors de l'examen de la loi « About-Picard ». Les parlementaires avaient alors rassuré ceux qui exprimaient ces appréhensions, en faisant observer que « la loi ne s'appliquait qu'aux dérives sectaires, non aux religions constituées », sachant par ailleurs qu'il n'existe pas de définition juridique des sectes. M. Henri de Cordes(202), président du CIAOSN, a souligné qu'en juillet 2006, le gouvernement belge avait déposé un projet de loi directement inspiré de la législation française, puisqu'il punit de trois mois à trois ans de prison ainsi que d'une amende toute personne qui aura abusé frauduleusement de la situation de faiblesse de quelqu'un, notamment d'un mineur, pour le conduire à un acte ou à une abstention portant gravement atteinte à son intégrité physique ou mentale ou à son patrimoine.

b) Les freins à une bonne application de la loi

La commission d'enquête déplore néanmoins le faible nombre de procédures ouvertes dans notre pays en application de la loi du 12 juin 2001 et plus particulièrement au titre de l'article 223-15-2 du code pénal, puisque seulement une vingtaine de procédures ont été ouvertes sur ce fondement (dont onze en cours). De fait, de nombreuses victimes hésitent à porter plainte, comme l'ont confirmé les témoignages reçus par la commission d'enquête. La « dépendance sectaire » pèse encore souvent après la sortie de secte. La difficulté à admettre que l'on s'est trompé, la peur des représailles, la honte de s'être fait manipuler, sont autant de facteurs qui peuvent dissuader de porter plainte. Ainsi que l'a souligné M. Emmanuel Jancovici (203) : « Lorsqu'un adulte quitte un groupe, il n'est pas pour autant libéré de ce groupe. Il continue à être marqué par les catégories qui l'ont fabriqué. Par exemple, il a l'impression, en se socialisant à nouveau, qu'il est en train de fréquenter le monde de Satan qu'on lui a décrit. »

Ce qui vaut pour les adultes, vaut a fortiori pour les enfants, comme l'ont confirmé les propos de Me Line N'Kaoua (204) : « Il est clair que les enfants victimes de violences au sein des sectes ont besoin d'un certain temps de récupération pour pouvoir déposer plainte. Nous comprenons, au discours des ex-adeptes majeurs, qu'ils ne sont pas encore sortis de la secte et s'il fallait leur demander de déposer plainte, ils refuseraient très souvent. »

Le temps nécessaire de la « récupération » après une sortie de secte a été évoqué par de nombreux intervenants. Ajouté aux autres causes de renoncement au dépôt de plainte, il contribue à expliquer le très faible ratio entre le nombre d'affaires portées à la connaissance de la justice et le nombre des victimes identifiées par les associations. M. Guy Rouquet(205), président de l'association « Psychologie vigilance », a ainsi mis en exergue l'écart significatif entre le nombre de dossiers communiqués aux associations (lesquelles sont probablement loin d'être systématiquement saisies) et le nombre de dossiers débouchant sur une plainte : « La notion de victime demande à être élargie, comme du reste les délais de prescription. Il faut y travailler, faciliter les démarches des plaignants, qui, paralysés par l'enjeu, soumis à mille pressions, inquiets par les frais occasionnés, renoncent à poursuivre. Permettez-moi une évaluation : une personne sur cent expose par écrit la tragédie dans laquelle elle est plongée : sur cent dossiers portés à la connaissance des associations ou organismes de lutte et de vigilance, un seul fera l'objet d'une plainte en bonne et due forme ; sur cent plaintes déposées, une seule sera véritablement suivie d'effet, avec un accès aléatoire au tribunal. »

Outre ces considérations d'ordre psychologique, un paramètre juridique ne peut pas être ignoré.

La commission d'enquête constate qu'en l'état actuel de notre droit, les délais de prescription des actions pénales sont tels qu'ils ne garantissent pas aux jeunes adultes sortis de mouvements à caractère sectaire la possibilité de se retourner contre ceux qui, dans le cadre de ces mouvements, pourraient se voir accuser d'abus d'ignorance ou de faiblesse, tel que défini par l'article 223-15-2 du code pénal.

En effet, en application de l'article 8, premier alinéa, du code de procédure pénale, « en matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ».

Compte tenu, d'une part, de la nécessité d'un temps de « reconstruction » psychologique après la sortie de secte, compte tenu, d'autre part, de la quasi-impossibilité pour un mineur sous emprise sectaire de dénoncer des faits dont il est victime, ce délai peut sembler très court.

Le problème du délai de prescription a été soulevé à diverses reprises, au cours des auditions, par les membres de la commission d'enquête, qui ont interrogé plusieurs de leurs interlocuteurs sur la possibilité de le rouvrir, pour les mineurs victimes, à compter de leur majorité.

À titre de comparaison, ont été invoqués l'article 7, alinéa 3 et l'article 8, alinéa 2 du code de procédure pénale, relatifs à la réouverture de nouveaux délais de prescription à compter de la majorité, pour les mineurs victimes de crimes sexuels et de délits sexuels.

Les personnes auditionnées, interrogées sur ce point, se sont en général accordées sur le principe de l'utilité de retarder le délai de prescription, dans le cas des victimes sortant de mouvements à caractère sectaire, même si différentes options d'aménagement d'un tel principe ont été parfois envisagées.

M. Jean-Olivier Viout (206), procureur général près la cour d'appel de Lyon, a ainsi déclaré : « En ce qui concerne la prescription, je vous rejoins totalement. Je suis de ceux qui pensent que dès lors que la victime est dans l'impossibilité de révéler les faits et ainsi de permettre à la collectivité d'exercer l'action publique, le point de départ du délai de prescription doit être retardé. Il est choquant qu'un mineur qui se trouve sous l'emprise d'une secte ne puisse pas déposer plainte lorsqu'il atteint dix-huit ans, au motif que le délai de prescription serait expiré. »

M. Jean-Michel Roulet(207) a, pour sa part, estimé : « Pour l'avenir, des modifications législatives sont-elles nécessaires ? Toute législation est perfectible. La nôtre est déjà complète et solide. Un problème se pose, celui de la prescription. Peut-être serait-il opportun, non pas d'allonger le délai de prescription, mais de le faire courir à partir du moment où les faits sont révélés. »

De fait, le problème du délai de prescription peut concerner les adultes, comme l'a particulièrement mis en évidence M. Alain Berrou (208), ancien adepte des Témoins de Jéhovah : « Les parlementaires pourraient également se pencher sur le délai de prescription de la loi " About-Picard " : il faut beaucoup de temps à la victime pour mûrir son point de vue, prendre la distance nécessaire, analyser, prendre conscience qu'elle a été victime et l'assumer. Mon avocat m'avait prévenu qu'après avoir passé dix ans dans la secte, je devais me préparer à supporter dix ans de procédure, d'expertises psychiatriques, de contre-expertises, sans être certain du résultat final : j'ai finalement renoncé à une action en justice... Non seulement il est très difficile de saisir la loi, mais il faut du temps pour comprendre, analyser et enfin oser. »

Tout en étant consciente de l'existence d'autres solutions comme l'ouverture d'un délai de prescription à compter de la révélation des faits par la victime adulte, la commission d'enquête, conformément à sa mission, propose une réforme concernant directement les mineurs ; celle-ci serait d'autant plus susceptible d'emporter facilement un accord général qu'elle se calquerait sur une disposition du code de procédure pénale déjà existante.

L'abus de faiblesse étant juridiquement un délit et non un crime, il serait logique en effet d'aligner sa prescription sur les dispositions de l'article 8, second alinéa du code de procédure pénale, lequel vise les délits à caractère sexuel, plutôt que sur les dispositions de l'article 7, troisième alinéa, lequel renvoie aux cas plus graves des crimes à caractère sexuel. Dans cette dernière hypothèse, c'est-à-dire en matière criminelle, la prescription est de vingt ans à compter de la majorité. Dans la première hypothèse, en matière délictuelle, la prescription est de dix ans à compter de la majorité, excepté dans certains cas de circonstances aggravantes où elle est également portée à vingt ans ainsi que dans l'hypothèse, ajoutée par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006, de violences n'ayant pas un caractère sexuel mais commises avec circonstances aggravantes (article 222-12 du code pénal).

La commission d'enquête préconise que le délai de prescription de l'action publique du délit mentionné à l'article 223-15-2 du code pénal, relatif à l'abus de l'état d'ignorance ou de faiblesse, soit porté à dix ans lorsqu'il est commis contre des mineurs dans le cadre de mouvements à caractère sectaire, et qu'il ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces victimes.

À cette fin, elle suggère de compléter l'article 8 du code de procédure pénale par un nouvel alinéa.

La rédaction actuelle de cet article est la suivante : « En matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ; elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article précédent.

« Le délai de prescription de l'action publique des délits mentionnés à l'article 706-47 et commis contre les mineurs est de dix ans ; celui des délits prévus par les articles 222-12, 222-30 et 227-26 du code pénal est de vingt ans ; ces délais ne commencent à courir qu'à partir de la majorité de la victime. »

Elle pourrait être complétée par un troisième alinéa ainsi rédigé :

« Le délai de prescription de l'action publique des délits mentionnés à l'article 223-15-2 du code pénal et commis contre des mineurs dans le cadre d'un mouvement ou organisation ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter une sujétion psychologique ou physique est de dix ans et ne commence à courir qu'à partir de la majorité de la victime. »

Cette rédaction s'inspire directement de la terminologie retenue par la loi « About-Picard » pour caractériser le mouvement à caractère sectaire et plus particulièrement de celle retenue par son article 22 - article 2-17 du code de procédure pénale - définissant les cas dans lesquels les associations peuvent se porter partie civile.

c) La possibilité de mieux sanctionner l'enfermement social des mineurs

Afin de disposer d'outils juridiques cernant au plus près le phénomène sectaire, la commission d'enquête propose en outre que l'enfermement dont sont victimes les mineurs dans les sectes, reçoive une qualification pénale.

L'enfermement des enfants peut s'analyser comme l'ensemble des obstacles mis à leur éducation et à la préparation de leur insertion dans la société.

Dans un premier temps, il convient de rappeler que l'éducation relève des obligations légales des parents dont la violation est sanctionnée par l'article 227-17 du code pénal. Celui-ci dispose que : « Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. »

Ces dispositions touchent l'ensemble des obligations parentales et paraissent constituer un outil de protection juridique susceptible d'être mis en œuvre dans le cas particulier d'une atteinte au lien familial consécutive à une emprise sectaire. La Cour de cassation a ainsi pu estimer (209) que le fait d'envoyer un enfant dans un établissement situé en Inde et dirigé par une secte, dans des conditions de vie précaire et pour une durée illimitée constituait, en l'espèce, une infraction à l'article 227-17 du code pénal.

La commission d'enquête considère que ces dispositions pénales - qui n'ont été évoquées par aucun des juristes auditionnés - pourraient trouver à s'appliquer dans le cas où l'abandon moral du mineur dont les parents adhèrent à une organisation sectaire ne se caractériserait pas principalement par un éloignement géographique de l'enfant, comme dans le cas de jurisprudence précité, mais résulterait des conséquences d'un abandon au profit d'une communauté à l'intérieur de laquelle les parents seraient eux-mêmes présents.

Toutefois, deux conditions jurisprudentielles limitent la portée de cet article. Les manquements aux obligations parentales doivent, en premier lieu, avoir eu des conséquences graves sur l'enfant (210). Or la gravité de séquelles psychologiques - premières conséquences d'une emprise sectaire - ne peut être établie que par le recours à des experts psychologues dont les conclusions n'emportent jamais la même conviction que celles, par exemple, d'une analyse médicale. Par ailleurs, le juge considère qu'un des éléments constitutifs du délit réprimé par l'article 227-17 du code pénal se définit par « la conscience chez son auteur de se soustraire à ses obligations légales au point de compromettre gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de ses enfants (211) ». Les difficultés pour établir que ce critère est rempli ne contribuent pas non plus à un large recours à ces dispositions pénales.

Ce délit étant limité au champ des obligations parentales et étant rarement caractérisé dans le cadre d'une emprise sectaire, il paraît nécessaire de mieux sanctionner l'enfermement social des mineurs en renforçant le droit à l'éducation de l'enfant tel que défini à l'article L. 131-1-1 du code de l'éducation.

En effet, dans toutes les situations dans lesquelles des mineurs sont victimes d'un véritable enfermement social, les dispositions de l'article 29 de la Convention internationale des droits de l'enfant sont méconnues. Celui-ci, rappelons-le, stipule que l'éducation doit viser à « favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». Sont de même ignorées, dans de telles hypothèses, les dispositions de l'article L. 131-1-1 du code de l'éducation précisant notamment que cette dernière doit permettre à l'enfant de « développer sa personnalité, [...], de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle et d'exercer sa citoyenneté ».

Néanmoins, aucune sanction n'est clairement prévue lorsque des enfants sont maintenus dans des situations d'enfermement social aboutissant à la violation des dispositions précitées.

C'est pourquoi, la commission d'enquête recommande de compléter la loi « About-Picard » en sanctionnant l'enfermement social des mineurs par les mêmes peines que l'abus de faiblesse.

À cette fin, le premier alinéa de l'article 223-15-2 du code pénal issu de l'article 20 de la loi « About-Picard », pourrait être complété par les termes suivants (212) :

« ou pour empêcher ce mineur d'accéder à une éducation ayant pour objet de lui permettre de développer sa personnalité, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle et d'exercer sa citoyenneté ».

Ce droit s'exercerait sans préjudice des stipulations de l'article 2 du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit aux parents le droit d'exiger de l'État le respect de leurs convictions philosophiques et religieuses.

B. UNE IMPLICATION FORTE DES POUVOIRS PUBLICS

Depuis plus de dix ans, les pouvoirs publics se mobilisent pour mener au mieux une politique de lutte contre les dérives sectaires. Prenant « à bras le corps cette question »(213), tous les niveaux de l'État se sont impliqués afin de mettre en place les instruments qui pouvaient leur permettre d'assurer, efficacement, la sécurité de nos concitoyens.

1. L'action interministérielle

a) Une longue maturation

Dès 1982, une commission interministérielle « Intérieur-Santé » dirigée par M. Jean Ravail, inspecteur général de l'Administration, constatait que l'ampleur réelle du phénomène sectaire demeurait mal cernée aux yeux de l'administration et qu'un effort particulier de recherche et d'information s'imposait. Reprise par M. Alain Vivien dans son rapport « Les sectes en France : expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation »(214), cette idée fait l'objet de la première de ses propositions : créer une structure interministérielle « pour suivre l'ensemble du problème des sectes, coordonner la réflexion et, le cas échéant, mobiliser les départements ministériels ».

C'est finalement, à la suite d'une proposition contenue dans le rapport déposé par M. Jacques Guyard (215) au nom de la commission d'enquête sur les sectes présidée par M. Alain Gest, qu'est créé, le 9 mai 1996, un Observatoire interministériel sur les sectes auquel succèdera le 7 octobre 1998, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS).

Composée d'une équipe permanente de six personnes, dotée de moyens propres, la MILS regroupait un conseil d'orientation de 19 membres
- parlementaires ou personnalités choisies pour l'intérêt qu'elles portaient à la lutte contre les sectes - et un groupe opérationnel composé de 15 membres, représentant les administrations impliquées dans cette lutte. Placée auprès du Premier ministre, elle était notamment chargée : « d'analyser le phénomène sectaire ; d'inviter les pouvoirs publics à prendre dans le respect des libertés publiques, les mesures appropriées pour prévenir et combattre les actions des sectes ; d'informer le public sur les dangers que représente le phénomène sectaire ; de participer aux réflexions et aux travaux concernant les questions de ses compétences menées dans les enceintes internationales »(216). Par ailleurs, son équipe permanente était chargée de la formation des agents de l'État, des collectivités locales et de la fonction publique hospitalière, qui pouvaient être confrontés au problème du sectarisme (217).

Outre les missions rappelées ci-dessus, la MILS a participé à l'élaboration d'ouvrages et articles et elle a publié divers documents faisant autorité : « Le guide de l'éducateur », « Le guide destiné aux maires », « Le guide destiné au personnel hospitalier » (218).

Le 28 novembre 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) a succédé à la MILS afin de « concentrer son action non sur l'ensemble des mouvements religieux mais sur les seules dérives sectaires » (219).

b) La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES)

Sans donner une définition de la dérive sectaire - alors que cette notion est contenue dans le titre même de la nouvelle institution -, le décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 instituant une MIVILUDES auprès du Premier ministre confie à cette dernière six missions :

- observer et analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire ;

- favoriser, dans le respect des libertés publiques, la coordination de l'action préventive et répressive des pouvoirs publics à l'encontre de ces agissements ;

- développer l'échange des informations entre les services publics ;

- contribuer à l'information et à la formation des agents publics dans ce domaine ;

- informer le public et faciliter la mise en œuvre d'actions d'aide aux victimes ;

- participer aux travaux relatifs aux questions relevant de sa compétence, menés par le ministère des affaires étrangères dans le champ international.

Aux termes de ce même décret, pour accomplir ses missions, la nouvelle institution est composée :

- d'un président nommé pour trois ans assisté d'un secrétaire général ;

- d'une structure permanente d'une douzaine de personnes ;

- d'un comité exécutif de pilotage opérationnel (CEPO) composé d'une vingtaine de membres représentent les départements ministériels concernés. Il se réunit au moins six fois par an sur convocation du président de la mission ;

- d'un conseil d'orientation réunissant une trentaine de personnalités nommées à raison de leur compétences ou de leur expérience (parlementaires, représentants des associations, médecins spécialistes de la victimologie, universitaires,...). Il tend à nourrir la réflexion des pouvoirs publics sur les dérives sectaires, à dégager les orientations et les perspectives d'action de la mission interministérielle et à en favoriser l'évaluation.

Pour assumer sa tâche, la MIVILUDES dispose d'un budget de 113 000 euros. Ce chiffre ne reflète pas toutefois l'ensemble des moyens budgétaires alloués à cette structure puisque 9 personnes dont le président et le secrétaire général sont mis à disposition par leur administration d'origine, 4 autres postes étant occupés soit par des personnes rémunérées par les services du Premier ministre, soit par des agents contractuels (220).

Soulignant que l'objet de la MIVILUDES est centré non pas sur les organisations sectaires ou sur leurs doctrines mais sur « les dommages causés par les pratiques sectaires, que celles-ci émanent de grandes organisations, de petites structures ou de personnalités isolées », M. Philippe-Jean Parquet, addictologue, spécialiste de l'enfance et membre du Conseil d'orientation, a fait part de sa satisfaction de l'adoption par la mission interministérielle d'une position claire et efficace(221) sur ce sujet.

- Les actions menées par la MIVILUDES

En trois ans d'existence, le travail accompli par la MIVILUDES est considérable, notamment dans les domaines de la formation et de l'information.

· La formation

Depuis 2003, des sessions de formation sont proposées et assurées à de nombreux publics :

- professeurs d'histoire-géographie qui participent par l'intermédiaire de leur association à des actions de prévention aux dérives sectaires, dans le cadre de leurs cours d'éducation civique, bien que ces actions ne soient pas explicitement prévues dans les programmes des lycées ;

- écoles des gardiens de la paix (par l'élaboration d'un référentiel de formation) ;

- personnels hospitaliers ;

- étudiants (de l'École nationale de la concurrence, de la consommation et de la répression ; de l'Université Paris XIII - DESS « intelligence économique » et « information sécurité » ; de l'Institut des hautes études de la défense nationale ; de l'École internationale des sciences de traitement de l'information ; du Centre national de la formation publique territoriale) ;

- cadres de la fonction publique (correspondants « sectes » des 22 directions de l'Hôtel de Ville de Paris, correspondants académiques du ministère de l'éducation nationale, directeurs des hôpitaux de santé mentale, cadres du ministère de la jeunesse et des sports en Île-de-France, officiers de police et de gendarmerie) ;

- personnels administratifs et médico-sociaux (Rectorat de l'académie de Rouen ; Conseil général de Charente-Maritime) ;

- particuliers (Fédération des conseils de parents d'élèves de Paris, juristes du groupe d'assurances Axa).

Par ailleurs, en juin 2004, une convention de partenariat a été signée avec le Centre national de la fonction publique territoriale (222), en vue d'échanger des informations sur des sujets d'intérêt commun et de les analyser afin de mettre en œuvre des actions de sensibilisation et de formation en direction des personnels territoriaux.

· L'information

Les actions menées en ce domaine revêtent différentes formes, telles :

- des publications spécifiques : la lettre de la MIVILUDES (bimestrielle puis trimestrielle) ; en 2003, la plaquette destinée à l'information du grand public ; en 2004, « Le guide de l'agent public face aux dérives sectaires » ; en 2006, le guide « Le satanisme, un risque de dérive sectaire » dont une version plus détaillée a été rédigée à l'attention des agents publics : « Le guide pratique de l'enquêteur sur les dérives sataniques » ;

- des organisations ou des participations à des colloques ou des séminaires : séminaire universitaire « Sectes et laïcité » organisé avec le soutien du ministère de la recherche (d'octobre 2003 à juin 2004, au rythme d'une séance tous les 15 jours) (223; colloque « L'avocat face aux dérives sectaires » sous l'égide du Conseil national des Barreaux (juin 2004) (224; journée d'études « Sectes et enfance » organisée conjointement avec le groupe d'études sur les sectes de l'Assemblée nationale (30 mars 2006) ;

- des rapports annuels dressant le bilan des activités sectaires et s'attachant à des problèmes spécifiques : « Les entraves aux services publics » et « L'aide aux victimes » (2003) ; « Le risque sectaire », « Le développement des microstructures », « La banalisation de l'ésotérisme » et « L'intrusion dans le monde de l'entreprise » (2004) ; « Les pratiques d'intelligence économique » et « L'humanitaire d'urgence » (2005) ; « Les pratiques de soins et de guérison » (2003 et 2005) ; « La protection des mineurs » (2003, 2004 et 2005) ;

- la gestion d'un site Internet présentant les actions de la MIVILUDES et comportant plusieurs rubriques d'information. Dans son rapport 2005, la MIVILUDES souligne que ce site a fait l'objet de 133 000 consultations ;

- une association aux réunions des cellules de vigilance programmées par les préfets (cf. infra) ;

- des missions à l'étranger : Canada, Danemark et Slovaquie (2003), Autriche, Belgique, Espagne, Italie et Suisse (2004), Royaume-Uni, Land de Bavière (2005) et Slovaquie (2006) ;

- des missions auprès des institutions internationales (Conseil de l'Europe, 2003 et 2006 et OSCE, 2003) et des participations à des conférences internationales (Séminaire européen sur les dérives sectaires, Bruxelles, avril 2003 ; Conférence de Bucarest « Les organisations religieuses et l'ordre public », juin 2004 ; Conférence de Novossibirsk « Sectes totalitaires et États démocratiques », novembre 2004 ; colloque « L'internationalisation des sectes, un danger pour les droits humains en Europe », organisé par la Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme (FECRIS), mars 2006).

Ce bilan des actions et des activités de la MIVILUDES fait clairement apparaître le rôle essentiel que joue cette dernière dans l'analyse des dérives sectaires et dans l'information de l'opinion publique. En offrant aux administrations la possibilité de confronter au sein du comité exécutif de pilotage opérationnel des approches pluridisciplinaires, elle permet de définir une politique d'action commune.

L'investissement des chefs du gouvernement dans la lutte contre les dérives sectaires pouvant se révéler variable et de ce fait ne pas être sans conséquence sur l'autorité, voire la pérennité de cette mission interministérielle, on peut penser que les actions de cette dernière sont le meilleur gage de sa légitimité. Ces actions pourraient toutefois être encore renforcées.

De nouveaux pouvoirs d'action

· Une défense plus efficace des enfants

L'intérêt que porte la mission interministérielle à la protection des mineurs face aux dérives sectaires est rappelé dans chacun de ses rapports annuels. Il est donc pour le moins paradoxal que ne soit pas représentée dans son Conseil d'orientation, l'institution la plus concernée par l'intérêt des enfants, celle avec laquelle, sur ce point, elle ne peut que partager des réflexions et des préoccupations communes : le Défenseur des enfants.

Il peut être rappelé qu'aux termes de la loi n° 2000-136 du 6 mars 2000, ce dernier est en effet chargé de « défendre et promouvoir les droits de l'enfant » (article 1er), « de faire toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi » à toute personne physique ou morale visée par la réclamation d'un mineur et de « proposer toutes mesures qu'il estime de nature à remédier à la situation » (article 2), « de porter à la connaissance de l'autorité judiciaire les affaires susceptibles de donner lieu à une mesure d'assistance éducative » (article 4), « de promouvoir les droits de l'enfant et d'organiser des actions d'information sur ce sujet » (article 5).

La commission d'enquête considère qu'il serait donc du plus haut intérêt que dès aujourd'hui, la MIVILUDES et la Défenseure des enfants établissent des liens d'étroite collaboration, échangent leurs informations, appellent réciproquement leur attention sur ceux des dossiers qui les intéressent conjointement et que ces deux institutions définissent ensemble des politiques et des modalités d'action protégeant les enfants des dérives sectaires.

Elle propose au Premier ministre de nommer la Défenseure des enfants, membre du Conseil d'orientation de la MIVILUDES dans les plus brefs délais.

· Une meilleure assise internationale

Le rapport 2005 de la MIVILUDES rappelle combien la politique française de lutte contre les dérives sectaires doit faire l'objet d'un constant travail d'explication par le ministère des Affaires étrangères en raison de la culture différente d'un certain nombre de pays dans lesquels la notion même de « secte » est inconnue(225).

Il paraîtrait de ce fait utile de permettre à la mission interministérielle de jouer un rôle plus important d'information auprès des organismes internationaux. La France pourrait ainsi plaider auprès du Conseil de l'Europe en faveur de la mise en œuvre de la recommandation n° 1412 du 22 juin 1999, rapportée par M. Nastase, qui préconisait la création « d'un observatoire européen sur les groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel dont la tâche serait de faciliter les échanges entre les centres nationaux ». La MIVILUDES aurait une vocation naturelle à participer à la direction d'un tel organisme.

· Une information plus diversifiée

Vecteur important d'une information officielle et maîtrisée, le site Internet de la MIVILUDES pourrait être complété par une rubrique plus attractive et plus spécifiquement dédiée aux jeunes, lesquels devraient pouvoir y trouver une description des étapes d'un embrigadement sectaire, des témoignages de sortants de sectes, des conseils et des adresses pour éventuellement venir en aide à des camarades engagés dans une voie dangereuse.

Par ailleurs, la rubrique « Lois et règlements » actuellement nourrie des seuls textes relatifs à la MIVILUDES et de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales pourrait être utilement complétée par l'ensemble des textes législatifs, réglementaires et jurisprudentiels qui s'appliquent à la lutte contre les dérives sectaires. Classée par grands domaines (textes généraux, éducation, famille, jeunesse et sports, justice, santé, MIVILUDES), cette documentation permettrait notamment aux professionnels de chacune des activités, en contact avec l'enfance de repérer rapidement les textes sur lesquels fonder une action tendant à protéger les mineurs d'éventuelles dérives sectaires.

· Un nouveau statut juridique ?

La commission d'enquête s'est interrogée sur la possibilité de donner à la MIVILUDES des pouvoirs plus importants, telle la faculté d'émettre des avis, à l'image du Centre belge d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN) (226). Or, pour émettre des avis, la mission interministérielle devrait devenir une autorité administrative indépendante mais selon son président, M. Jean-Michel Roulet (227), cette transformation ne « changerait (pas) grand-chose ». En réponse à la question qui lui avait été posée sur ce sujet (228), le ministère de la justice a apporté les précisions suivantes : « La possibilité pour la MIVILUDES d'émettre un avis sur les pratiques de telles ou telles sectes, à l'instar de son homologue belge, à supposer qu'elle ne soit pas analysée comme la mise en œuvre d'un dispositif de contrôle de la liberté de croyance, ne pourrait être prévue que dans la mesure où ces avis seraient rendus après une procédure contradictoire, permettant aux mouvements concernés d'apporter leurs éléments de réponse. Ces avis ne sauraient avoir une force obligatoire. Il convient par ailleurs de s'interroger sur la nature des avis qui pourraient ainsi être rendus et de noter que ceux-ci pourraient être de nature à provoquer de nombreux contentieux et des réactions négatives au plan international. »

Faudrait-il en effet faire franchir à la MIVILUDES une nouvelle étape en lui conférant ce statut d'autorité administrative indépendante ? Outre qu'elle ne revendique pas expressément ce statut, un tel changement de dimension ne manquerait pas de se heurter à de sérieux obstacles juridiques.

Dans une décision du 18 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a admis que les dispositions de l'article 21 de la Constitution ne faisaient pas « obstacle à ce que le législateur confie à une autorité autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en œuvre une loi », à la condition que ce soit dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et règlements (229).

L'habilitation donnée par la loi à une autorité administrative indépendante pour exercer une compétence réglementaire doit concerner « des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu ». Si les compétences du pouvoir réglementaire des autorités administratives indépendantes sont strictement encadrées par la jurisprudence constitutionnelle, on ne perçoit pas d'emblée les terrains sur lesquels le pouvoir réglementaire d'une autorité administrative indépendante chargée de la lutte contre les dérives sectaires pourrait s'exercer. Au surplus, le juge constitutionnel a par le passé censuré un dispositif législatif confiant au service central de prévention de la corruption un pouvoir d'investigation, au motif qu'il était susceptible d'entraîner des atteintes à la liberté individuelle sans garantie de l'autorité judiciaire(230).

Enfin, la discussion ouverte récemment sur l'opportunité ou non de réviser la loi du 9 décembre 1905 montre que les responsables politiques n'ont nullement l'intention d'abdiquer à des structures administratives toute réflexion et tout pouvoir sur des matières aussi sensibles.

2. Les actions ministérielles

Faisant depuis 1997, l'objet d'une analyse détaillée dans chacun des rapports annuels de l'Observatoire interministériel sur les sectes (231), de la MILS (232) et de la MIVILUDES(233), les actions menées contre les dérives sectaires sont désormais une préoccupation constante des ministères et ces derniers tentent régulièrement d'adapter leur politique aux différents changements qui modifient le paysage sectaire.

Tous les ministères concernés, à un titre ou à un autre, par la protection de l'enfance sont représentés au comité exécutif de pilotage opérationnel de la MIVILUDES et participent activement à la définition et à la réalisation des actions menées par cette dernière. Certains d'entre eux ont, en outre, mis en place des structures spécifiques de lutte contre les dérives sectaires, au sein de leur administration centrale et/ou de leurs services déconcentrés.

a) Les chargés de mission ministériels

Depuis 1996, le ministère de la justice dispose d'une « mission sectes » dirigée par un magistrat, chargé de mission auprès du directeur des affaires criminelles et des grâces. Travaillant en liaison étroite avec la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) et la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), cette mission doit notamment : susciter une indispensable synergie entre l'autorité judiciaire et les administrations susceptibles de connaître du phénomène sectaire ; élaborer un travail de synthèse sur les dossiers ; mettre en place une coordination et animer l'action publique en relation avec les parquets généraux ; animer des réunions avec les administrations et les tiers concernés, notamment avec les associations d'aide aux victimes de sectes ; assurer une sensibilisation des magistrats et autres partenaires par des actions de formation.

Par une circulaire n° 2002-120 du 29 mai 2002, le ministère chargé de l'éducation rappelle qu'une cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires dans l'éducation (CPPS) est placée auprès du directeur des affaires juridiques. Elle est dirigée par un inspecteur général de l'éducation nationale (IGEN), secondé par un inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) lesquels assurent ces fonctions, « en plus de leur travail normal »(234). Créée en 1996, la CPPS a notamment pour mission de : fournir des conseils, des documentations et des formations aux cadres et aux personnels de l'éducation nationale confrontés aux problèmes sectaires ; sensibiliser les personnels ; favoriser l'information des élèves, notamment dans le cadre de l'éducation civique, juridique et sociale ; analyser les évolutions du phénomène sectaire et formuler des propositions.

Au ministère de la santé et des solidarités, c'est un chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires qui, au sein de la direction générale de l'action sociale, exerce « une fonction de coordination de la réflexion, d'animation pour l'ensemble du ministère de la santé et de la protection sociale, ainsi que pour les directions concernées du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale » (235). Il est aidé dans sa mission par des correspondants qui, désignés par chaque direction de l'administration centrale du ministère, se réunissent chaque mois au sein d'un groupe de travail inter-directions.

La cellule de vigilance du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative rassemble un représentant de chaque direction et un représentant de l'inspection générale. Créée en 1999, elle maintient une veille, instruit les dossiers sensibles, suit la formation et la sensibilisation des agents, diffuse puis archive la documentation, se tient en liaison avec les directeurs et les correspondants régionaux et avec les associations nationales luttant contre les dérives sectaires.

Les politiques définies par ces chargés de mission appellent d'autant plus l'attention des services déconcentrés lorsqu'elles sont relayées, expliquées et mises en application par des correspondants régionaux.

b) L'exemple de l'action du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative : un encadrement juridique des associations satisfaisant

L'analyse de la réglementation relative aux agréments « jeunesse, éducation populaire et sports » montre que le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative dispose d'outils permettant d'exercer un contrôle rigoureux sur lesdites associations.

Les conditions de délivrance de l'agrément jeunesse et éducation populaire sont définies par le décret n° 2002-571 du 22 avril 2002. La décision d'agrément de l'association est subordonnée à la transmission de ses statuts, à l'indication de la composition de ses instances dirigeantes, à la présentation de son rapport moral et financier, de son compte de résultat et du rapport d'activité des deux derniers exercices ainsi que du budget prévisionnel en cours. La décision d'agrément est prise après avis d'une commission composée à parité de représentants de plusieurs ministères et de représentants d'associations agréées jeunesse et sports. Cette commission sollicite la MIVILUDES ou les services déconcentrés en cas de suspicion. Les agréments des associations sportives sont, quant à eux, délivrés sur la base de l'article L. 121-4 du code du sport, l'État devant s'assurer que les statuts « garantissent le fonctionnement démocratique de l'association, la transparence de sa gestion et l'égal accès des femmes et des hommes à ses instances dirigeantes ». Les activités de l'association sont également examinées.

En revanche, la réglementation ne reconnaît aucune compétence particulière au ministère pour enquêter sur les dirigeants, toute information émanant de la police ou de la gendarmerie devant toutefois être prise en considération. En réponse à une question du président de la commission d'enquête sur le contrôle exercé par l'administration sur les dirigeants des associations et leur personnel, M. Étienne Madranges, directeur de la jeunesse et de l'éducation populaire au ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative a apporté plusieurs précisions (236) :

« Je rappelle que le bulletin n° 3 ne comporte que les condamnations supérieures à deux ans d'emprisonnement. Autrement dit, un primo-délinquant qui se serait rendu coupable d'une agression sexuelle et aurait été condamné à huit mois de sursis peut être recruté par une association. Le bulletin n° 2, lui, comprend la plupart des condamnations, mais pas celles qui sont prescrites. Le bulletin n° 1, destiné aux seuls magistrats, comprend toutes les condamnations.

« Il était important, en matière de pédophilie, de veiller à ce que les associations ne recrutent pas des personnes ayant été condamnées, même à une peine inférieure à deux ans. Suite à un accord avec la Chancellerie, nous aurons accès au bulletin n° 2 comme au bulletin n° 3, ainsi qu'au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, qui va très au-delà, puisque même des personnes mises en examen et non encore condamnées y figurent. Cela peut engendrer quelques dommages collatéraux, notamment pour des personnes qui n'ont pas été condamnées et à qui l'on interdit d'exercer des fonctions les mettant en contact avec des mineurs, mais je crois qu'en matière de protection, nous n'avons pas le choix. Quand on sait que quelqu'un a eu un comportement de type sectaire, de type pédophile, de type violent, de type intégriste déviant, on ne peut pas prendre de risques. Au plan local, les préfets peuvent interdire par arrêté l'exercice de certaines fonctions.

[...]

« L'arsenal répressif a été renforcé, de même que l'information sur les antécédents judiciaires. On va dans le bon sens. On ne peut pas aller plus loin.

« Pour les présidents d'association, comme pour les trésoriers ou les secrétaires généraux, l'administration peut demander à connaître le bulletin n° 2. Cela dit, la société fait tout pour réinsérer les personnes condamnées. On voit parfois d'anciens détenus, condamnés pour des actes criminels, qui deviennent professeurs, sociologues, psychologues, chefs d'entreprise. Tout le monde dit bravo, on les invite à la télévision. On ne peut pas non plus leur interdire de fonder une association qui s'occuperait des jeunes, pour autant que l'infraction qui leur avait été reprochée n'ait rien à voir avec la santé des jeunes. Ce qui compte, c'est le rapport entre l'antécédent judiciaire de la personne et l'objet social de l'association. 

[...]

« (Le fichier des mesures administratives d'interdiction) est consultable. En principe, les organisateurs sont tenus de le consulter. Un professeur d'école qui souhaite emmener ses élèves en colonie de vacances pour quinze jours est tenu de consulter le fichier des interdits, que nous alimentons en permanence. »

Si la durée de validité des agréments jeunesse et éducation populaire est sans limitation de durée, ceux-ci prennent toutefois fin s'ils n'ont pas été renouvelés, dans des délais qui varient suivant leur date de délivrance. L'agrément sports est conféré sans limitation de durée mais peut être retiré notamment pour atteinte à l'ordre public ou à la moralité publique ou méconnaissance des règles d'hygiène et de sécurité. À ce jour aucun retrait d'agrément pour abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse n'a été prononcé sur la base de l'article 223-15-2 du code pénal.

S'agissant de la réglementation de la protection des mineurs lors de congés dans des modes collectifs d'accueil relevant du code de l'action sociale et des familles, elle est appelée à être renforcée puisque l'obligation de déclaration de l'accueil des mineurs, prévue à l'article R. 227-2 du code de l'action sociale et des familles a vocation à jouer désormais dès la première nuit. M. Étienne Madranges a rappelé par ailleurs, lors de son audition, les conditions dans lesquelles étaient effectués les contrôles par les agents du ministère de la jeunesse et des sports :

« M. le Président : À ce propos, combien de contrôles de centres de vacances et de loisirs sont-ils effectués chaque année par les services départementaux ?

« M. Étienne MADRANGES : Nous avons en moyenne deux inspecteurs de la jeunesse et des sports - l'un se concentrant plutôt sur le champ jeunesse, l'autre sur le champ sport -, en plus du directeur départemental, qui est lui-même, dans 95 % des cas, un inspecteur de la jeunesse et des sports. On peut dire que, en été, un ou deux inspecteurs parviennent à inspecter deux ou trois centres de vacances par jour, sachant que les trois quarts des séjours ont lieu durant l'été.

« D'autre part, certains départements accueillent plus de centres de vacances que d'autres : le Morbihan, les Côtes-d'Armor, la Savoie, la Haute-Savoie, la Corse, l'Ardèche. Des départements comme la Seine-et-Marne accueillent au contraire peu de centres de vacances.

« J'ajoute que les inspecteurs ne contrôlent pas uniquement les centres de vacances. Ils contrôlent également les stages BAFD. Ils devraient aussi contrôler - mais ils n'en ont pas toujours le temps - les stages BAFA.

« M. le Président : Des contrôles sont-ils exercés sur les personnels non titulaires d'un brevet d'animateur ?

« M. Étienne MADRANGES : Oui. Le contrôle porte sur le séjour et l'ensemble de l'encadrement. Dans les centres de vacances, le directeur doit être titulaire du BAFD ou être stagiaire BAFD. La moitié des animateurs doivent être titulaires complets du BAFA, 30 % devant être au moins stagiaires BAFA. Seuls 20 % des animateurs peuvent ne pas être titulaires du brevet, et les inspecteurs les contrôlent aussi. Ils peuvent évidemment demander au directeur de se séparer d'un animateur qui serait incompétent.

« N'oublions pas que les inspecteurs ont une arme efficace : la menace de la fermeture. D'autre part, à une certaine époque, les centres n'avaient pas à être déclarés dès lors qu'ils accueillaient moins de onze jeunes. Après que six adolescents, un jeune de vingt ans et une monitrice ont trouvé la mort dans l'incendie d'un centre équestre à Lescheraines, nous avons analysé ce drame pour voir comment il était possible d'améliorer la réglementation. Désormais, les contrôles pourront se faire à compter de la première nuit et non plus de la sixième nuit. Tous les séjours courts, fussent-ils d'une seule nuit, donneront lieu à une déclaration jeunesse et sports. S'il y a danger en raison de la présence de foin ou de l'absence d'extincteur, ce danger existe dès la première nuit. »

Ces actions à l'échelon central sont relayées au niveau local.

c) Les correspondants régionaux des ministères

Les référents « Parquet »

Par une circulaire du 1er décembre 1998, le ministre de la Justice décidait de l'institution, au sein de chaque parquet général, d'un référent chargé de coordonner au plan régional : l'identification des mouvements sectaires ; la détermination des procédures - pénale ou civile -, qui peuvent éventuellement être ordonnées à l'encontre de ces derniers dont notamment les procédures d'assistance éducative, lorsque des mineurs sont impliqués ; le choix, lorsqu'une procédure pénale doit être engagée, de la qualification pénale la plus appropriée.

Dressant le bilan des huit années de fonctionnement de ces référents, M. Jean-Olivier Viout a estimé que trop de temps et d'énergie intellectuelle ont été consacrés « à définir la notion de secte, pensant que cette définition était le préalable à toute politique d'action, [...] à lister des groupes pouvant être classés comme sectes à travers la définition de leur objet »(237).

À partir du moment où les magistrats ont admis que la lutte contre les dérives sectaires devait être menée au niveau du contrôle des pratiques, le rôle du parquet et par conséquent, celui du magistrat référent qui en est issu, sont devenus essentiels ; « c'est en effet, à travers la sanction des pratiques répréhensibles que l'on pourra s'attaquer à la secte considérée comme secte dangereuse, abstraction faite de ses idées, parce qu'elle apparaît comme une structure organisée, quel que soit son objet ou son mode de fonctionnement, dont les activités sont génératrices d'actes manifestement attentatoires aux libertés individuelles, appréciés en considération de l'âge, du niveau intellectuel et du profil psychologique de celui qui en est victime » (238).

Dès lors, le magistrat référent doit jouer un rôle pivot dans les échanges d'informations car c'est par leur recoupement et leur entrecroisement que peuvent être mises en évidence les dérives de tel ou tel groupement. La commission d'enquête jugeant indispensable qu'ils recueillent le plus grand nombre d'informations possibles souhaite que les référents parquet puissent :

- nouer des contacts étroits avec les services déconcentrés de l'État (renseignements généraux, DDASS, inspections d'académie...) et avec les associations reconnues qui luttent contre les dérives sectaires ;

- communiquer ces informations aux juges des enfants, aux juges aux affaires familiales intéressés ainsi qu'à la mission de lutte contre les sectes créée au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces ;

- collaborer avec la MIVILUDES pour croiser leurs informations avec celles que cette dernière pourrait détenir et en informer chacun des parquets de son ressort territorial.

La commission d'enquête invite le garde des Sceaux à actualiser la circulaire du 1er décembre 1998 en ce sens.

Les autres correspondants ministériels régionaux

· Au niveau de l'académie, un correspondant de la cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires dans l'éducation est désigné par le recteur. Chargé de seconder les inspecteurs d'académie-directeurs des services départementaux de l'éducation nationale sur cette prévention, ledit correspondant peut animer des séances de formation initiale et continue au sein des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et intervenir dans la formation initiale des personnels d'encadrement. Il remplit sa mission « en plus de (ses) tâches normales »(239).

· Au sein de chaque direction régionale du ministère de la santé et des solidarités, un correspondant du chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires a été nommé. Ces soixante-cinq personnes vont être appelées, en 2007, à travailler ensemble sur le programme d'actions qui a été défini devant la commission d'enquête par M. Érik Rance, conseiller au Cabinet du ministre de la santé et des solidarités (240).

· Un réseau de cent correspondants a été mis en place par le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, dans ses services déconcentrés. Se tenant en liaison constante avec la cellule de vigilance du ministère, ils participent aux réunions des cellules départementales de vigilance et sont en contact avec les associations locales de défense des familles et de l'individu.

Ces correspondants vont, par ailleurs, au niveau local se rencontrer, échanger leurs informations ou coordonner des actions communes en participant aux réunions des cellules départementales de vigilance dont ils sont membres.

3. Les actions locales

a) Les cellules de vigilance

Par une circulaire du 7 novembre 1997, le ministre de l'intérieur indiquait aux préfets qu'il leur revenait d'appeler l'attention de tous les services déconcentrés des administrations de l'État sur la vigilance dont ils devaient faire preuve à l'égard des dérives sectaires, de systématiser les échanges d'information entre ces services et de coordonner leurs actions. Par une circulaire du 20 décembre 1999, il leur demandait d'instituer, contre les phénomènes sectaires, des cellules de lutte dont la composition devait comprendre les membres des services déconcentrés de l'État et associer les autorités judiciaires et la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS).

L'installation de ces cellules de vigilance s'est faite progressivement : 11 avant 1999 (préexistant à la circulaire), 34 en 2000, 44 en 2001, 46 en 2002, 56 en 2003, 69 en 2004 et 88 en 2005.

La lecture des comptes-rendus des réunions des cellules de vigilance permet de constater le rôle actif des services de police et de gendarmerie (qui présentent « l'activité » sectaire dans le département), des directions chargées des questions sociales ou de la solidarité, des conseils généraux et des représentants du monde associatif : Union départementale des associations familiales, associations de défense des familles et de l'individu, Centre contre les manipulations mentales. Si une priorité est accordée à la prévention (désignation de personnes référentes au sein des administrations, actions de sensibilisation du public et des personnels concernés, contrôle de l'obligation scolaire, vigilance pour l'agrément des centres de loisirs et des organismes de formation, surveillance d'associations satellites de mouvements sectaires...), une action plus répressive se manifeste dans la recherche de toutes les infractions qui pourraient être imputées à certains mouvements (travail dissimulé, atteintes à l'environnement par des projets de construction, non-conformité de locaux aux règles d'accueil du public...).

Les travaux des cellules de vigilance sont une source d'information pour la MIVILUDES qui peut ainsi surveiller certains des mouvements les plus pérennes ou déceler de nouvelles dérives et avoir, par là même, une meilleure réactivité. En outre, leur fonctionnement a permis de renforcer sensiblement l'échange d'informations et la coordination des actions entre les différents partenaires.

Or, par décret n° 2006-665 du 7 juin 2006 relatif à la réduction et à la simplification de la composition de diverses commissions administratives, les cellules de vigilance ont perdu leur originalité et leur identité car elles ont été intégrées au sein d'entités plus vastes et quelque peu « fourre-tout » : les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes(241). Les effets négatifs de cette réforme ont été perçus par Mme Catherine Picard, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu : « Lorsqu'elles sont actives, elles sont très souvent des cellules d'enregistrement : un tour de table permet à chaque service de l'État d'exposer la situation. Soit on en reste au tour de table et il ne se passe rien : chacun retourne travailler dans son coin ; soit on y évoque également la toxicomanie ou la prévention de la délinquance, auquel cas le sujet des sectes peut être totalement noyé »(242). À ces critiques, M. Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d'appel de Lyon, a ajouté qu'une telle cellule « est trop formelle pour ne pas dire formaliste. Au cours du conseil départemental de sécurité, il y a un volet sectaire [...] et j'ai demandé au représentant des renseignements généraux de faire le point sur la situation dans ce domaine. Cette question est rapidement abordée mais elle l'est au niveau des structures [...] Cela reste assez formel. »(243)

À l'inverse, M. Stéphane Fratacci, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur voit dans cette réforme un renforcement du dispositif existant, puisque cela a été « l'occasion de placer à l'échelon réglementaire ce qui n'était prévu que par une circulaire » et que « certaines des questions sensibles peuvent être traitées par des groupes de travail restreints, ce qui peut favoriser le partage d'informations entre les différents acteurs publics au sein de ces instances qui, en étant plus resserrées, favorisent peut-être la réactivité » (244).

L'analyse des termes du décret conduit toutefois à nuancer peut-être cette dernière appréciation. À l'exception de son intitulé, qui vise parmi d'autres préventions, la lutte contre les dérives sectaires, cette dernière n'est pas expressément visée dans les compétences attribuées au nouveau conseil départemental. En outre si sa composition comprend des « représentants d'associations, établissements ou organismes et des personnes qualifiées oeuvrant dans (ces) domaines », le délégué régional de la MIVILUDES n'est pas mentionné en tant que tel.

Le caractère diffus du phénomène sectaire et les particularités propres de ses dérives requérant une approche spécifique, il est à craindre que les préfets ne lui accordent pas toute l'attention nécessaire, qu'ils privilégient essentiellement la lutte contre la délinquance et celle contre la drogue et qu'ils relèguent au second plan la lutte contre les dérives sectaires. Par ailleurs, l'engagement des services de l'État dans cette lutte devient plus difficile à mesurer et à contrôler.

Par conséquent, la commission d'enquête préconise une modification du décret du 7 juin 2006 précité. Cette dernière devrait aboutir à ce que :

- chaque conseil départemental crée un groupe de travail consacré aux dérives sectaires et comprenant parmi ses membres, le représentant de l'État dans le département ou un de ses délégués, un représentant du Conseil général, le délégué régional de la MIVILUDES, le référent parquet de la cour d'appel, les correspondants « sectes » des ministères intéressés, des représentants des associations visées à l'article 2-17 du code de procédure pénale ; ce groupe se réunirait au moins deux fois par an et rendrait compte de ses travaux au conseil départemental ;

- le conseil départemental se réunisse au moins une fois par an sur un ordre du jour dont l'objet exclusif serait la lutte contre les dérives sectaires.

b) Les correspondants régionaux de la MIVILUDES

Dans son rapport d'activité 2003, la MIVILUDES proposait la désignation, dans chaque préfecture de région, d'un correspondant chargé d'animer et de coordonner les actions en région telles : la diffusion des informations, la confection des plans de formation des agents publics, la gestion des situations qui déborderaient le cadre départemental et l'animation, en veillant notamment à la tenue des réunions des cellules de vigilance départementales et des groupes de travail thématiques.

Réunis à Paris, le 8 décembre 2004, les correspondants régionaux ont pu établir un premier bilan de leurs activités : définition d'un nouveau secteur à risques (le domaine des activités sportives), observation d'une meilleure coordination des services déconcentrés de l'État dans certaines régions (Île-de-France, Limousin, Lorraine, Pays de la Loire, Rhône-Alpes) et constatation d'une relance de l'activité des cellules départementales de vigilance.

La mobilisation constante des parlementaires et l'implication forte des pouvoirs publics dans la lutte contre les dérives sectaires ont porté indéniablement leurs fruits. Divers témoins entendus par la commission d'enquête ont affirmé que la législation française était « complète et solide » (245), qu'il n'était pas nécessaire d'imaginer un arsenal législatif spécifique au cas des enfants victimes mais qu'il convenait de rendre plus pertinent et plus efficace l'arsenal existant (246).

II. DES FAIBLESSES MANIFESTES

En dépit des avancées législatives incontestées de ces dernières années et de la mise en place d'une politique de lutte interministérielle, ministérielle et régionale, force est de constater que des failles perdurent.

Celles-ci sont perceptibles dans plusieurs domaines : la sensibilisation des administrations aux problèmes sectaires ; la procédure de reconnaissance du statut d'association cultuelle ; les mécanismes du contrôle éducatif et l'absence de contrôle des activités des psychothérapeutes.

A. UNE SENSIBILISATION INSUFFISANTE DES ADMINISTRATIONS

1. Un défaut d'analyse et de mesure des dérives sectaires

a) Des défaillances dans le traitement des signalements

Outre l'absence de statistiques fiables et précises sur le nombre des enfants victimes de dérives sectaires il est apparu, au cours des auditions, que la dimension « sectaire » d'une dérive reconnue en tant que telle, faisait rarement l'objet d'un traitement particulier. Les cas les plus flagrants sont ceux de l'Institut national d'aide aux victimes (INAVEM) et de l'Éducation nationale.

Soulignant devant la commission d'enquête qu'entre 2002 et 2006, le nombre des appels reçus par le service « 08 VICTIMES »(247) a augmenté de 167 % alors que dans le même temps, les appels relatifs à une problématique sectaire se sont amplifiés cinq fois plus (soit 910 %), Mme Armelle Tabary, directrice de l'INAVEM, s'est elle-même déclarée « surprise de cette évolution » qu'elle a découverte en préparant son audition. Un tel accroissement ne pouvait pas être constaté en tant que tel par ses services car si « le cahier des charges de « 08 VICTIMES » identifie un nombre très important de critères et d'items : catégorie socioprofessionnelle, âge, résidence, etc., pour autant l'item "phénomène sectaire" n'est pas présent ». Seule l'analyse de l'orientation des appels vers les structures d'aide aux victimes de dérives sectaires (Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu et Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales) a pu permettre de faire émerger le phénomène (248).

Il est donc à souhaiter qu'ayant aujourd'hui constaté que l'INAVEM constituait « un observatoire national » et qu'il disposait d'un certain nombre d'éléments d'information, ses dirigeants décident de créer un appareil statistique sur le sujet et qu'ils en communiquent périodiquement les résultats à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

De nombreux témoins ont dénoncé la pression psychologique qui pèse sur les enfants Témoins de Jéhovah, scolarisés dans les écoles publiques et auxquels on demande « d'apprendre et de réciter quelque chose en quoi on leur dit de ne pas croire (...) Leur situation est encore plus dramatique que ceux qui évoluent dans une école fermée » (249). Qualifiant cette obligation constante de dissimulation de « pression considérable », M. Emmanuel Jancovici (250) a déploré les conséquences qu'elle entraîne sur la santé mentale de ces enfants, tout comme M. Nicolas Jaquette (251).

Or, pour l'éducation nationale, les enfants Témoins de Jéhovah « sont des élèves "parfaits". Ils sont parfaitement disciplinés, ils travaillent, ce n'est pas avec eux que l'on va avoir des problèmes » (252). Dès lors, même si les professeurs sont sensibles au conflit de loyauté qui déchire ces enfants entre l'école et leur foyer, ils ne savent pas comment procéder et n'étant pas sûrs de la présence d'un danger réel, ils ne font aucun signalement au Parquet (253). Il convient donc d'espérer que dans le cas où l'article 5 du projet de loi sur la réforme de la protection de l'enfance (AN, n° 3184) serait adopté (254), ils se sentiront plus facilement incités à apporter leurs témoignages aux services sociaux du département.

b) Des monographies peu nombreuses

L'absence d'analyses sur le phénomène sectaire est également évidente sur le plan sociologique, ainsi que le mentionnait la MIVILUDES, dans son rapport 2003 (p. 6). Mis à part quelques ouvrages de spécialistes reconnus et de nombreuses biographies de sortants de sectes, aucune étude d'importance n'a été lancée par les pouvoirs publics sur le sujet, aucune synthèse des quelques éléments d'information détenus par chaque ministère n'a été publiée, le défaut de monographie étant particulièrement notoire pour la population la plus nombreuse, les enfants Témoins de Jéhovah.

c) Des manques de réactivité dans le champ de la santé

L'absence de réponses claires et précises aux dangereux comportements et aux fausses allégations de différents mouvements caractérise plus spécifiquement le champ de la santé.

Il paraît anormal de laisser se développer la pratique des thérapies non éprouvées telles celles qui ont été dénoncées supra, sans les faire aucunement expertiser ou en se contentant d' « indiquer que telle ou telle pratique ne figure pas dans le code de la santé publique, qu'elle est exercée hors de tout encadrement et que le cas échéant, elle est l'objet de mises en garde de la part de la MIVILUDES et/ou d'associations de lutte contre les dérives sectaires et les dérives thérapeutiques ». En apportant cette réponse au questionnaire qui lui a été adressé par la commission d'enquête (255), le ministère de la santé ne précise pas quels sont les destinataires de telles mises en garde ni si ces dernières font l'objet d'une publicité suffisante, ce qui ne semble pas être le cas.

Ce même ministère ne fait pas non plus la preuve d'une extrême réactivité à la campagne qui, menée début 2005 par les Témoins de Jéhovah contre la transfusion sanguine, consiste en une diffusion, auprès des médecins hospitaliers, d'un DVD dont la réalisation, reconnaît la MIVILUDES (256), n'a pas manqué de moyens : reportage relatif aux alternatives à la transfusion sanguine sur l'ensemble des champs médicaux, démonstration par des équipes les pratiquant et collaboration de praticiens s'associant à la production du DVD. Si « une note de mise en garde sur ce DVD, cosignée par la Direction générale de la santé et par la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, a été adressée en avril 2005 aux instances et aux réseaux chargés de l'exercice et de la surveillance de la transfusion sanguine », l'expertise des documents remis par les Témoins de Jéhovah (DVD et documents écrits) « est en cours de réalisation ».

C'est pourquoi, la commission d'enquête constatant le retard de près de deux ans mis pour clarifier une situation qui perturbe certains membres du personnel hospitalier, a saisi l'Académie nationale de médecine et la Haute autorité de santé d'une demande d'analyse dudit DVD. Dans sa réponse en date du 8 décembre 2006, le professeur Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel de l'Académie nationale de médecine (257), dénonce l'absence de caractère scientifique du DVD et notamment l'oubli par ce dernier de l'indication thérapeutique de l'érythropoïétine (258). Il ajoute qu'à l'heure actuelle les méthodes alternatives à la transfusion sanguine reconnues sont « des stratégies d'épargne des hématies ou des plaquettes » et qu'il n'existe pas pour le moment d'autres méthodes car « la production ex-vivo de cellules sanguines en est à l'état de recherche et la découverte de substituts reste décevante ». De même, par lettre du 11 décembre 2006, M. François Romaneix, directeur de la Haute autorité de santé (259) précise que « seules les conséquences en terme d'épargne transfusionnelle sont présentées sans décrire et discuter les limites, voire les risques, les indications et les contradictions de chacune d'elles » et il critique quelques points médicaux saillants présentés dans le DVD : seuil d'hémoglobinémie, seuil transfusionnel, utilisation précoce de l'érythropoïétine...

Quant au Conseil national de l'ordre des médecins, interrogé par votre rapporteur sur le nombre et le type de sanctions disciplinaires qu'il avait éventuellement déjà prononcées contre des professionnels ayant basculé dans des dérives sectaires en pratiquant une médecine dite parallèle, il a envoyé un dossier de documents bruts - décisions ordinales et jurisprudentielles - dont il est impossible de savoir s'il est ou non exhaustif et qui ne contient pas la moindre analyse statistique ou qualitative de ces informations.

Il convient à ce propos de noter que sur ce problème inquiétant des risques induits par des pratiques de soins non éprouvées(260), M. Didier Houssin (261) reconnaissait devant la commission d'enquête : « Notre attention vis-à-vis des médecines non conventionnelles, et donc des liens qu'elles peuvent avoir avec les dérives sectaires, n'est peut-être pas à ce jour suffisante ». Il s'engageait, par conséquent, « à développer avec les partenaires appropriés, des outils de veille et d'analyse susceptibles de favoriser d'une part, la détection des pratiques délictueuses et l'engagement de poursuites à leur encontre et d'autre part, à terme, d'informer le public sur les dangers pour la santé, de certaines pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique ».

Cet engagement a effectivement été repris par M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, dans la lettre qu'il a adressée à la commission d'enquête, le 9 novembre 2006 : « J'ai demandé à mes services de constituer une cellule d'analyse des pratiques non conventionnelles intervenant dans le domaine médical et paramédical. Ce travail s'effectuera en lien avec les sociétés savantes et les instances d'expertise placées auprès du ministère de la santé. »(262)

d) La faible implication du ministère des affaires étrangères

Dans la mesure où elle n'est partagée que par un petit nombre d'États, nos diplomates se doivent d'expliquer à l'étranger la politique française en matière de lutte contre les dérives sectaires. Si cet exercice est difficile c'est aussi en raison de l'absence de toute structure dédiée à ce problème au sein du ministère des affaires étrangères. En effet à la différence des ministères précédemment cités, aucun chargé de mission, aucune cellule de vigilance n'assurent une veille sur le phénomène sectaire. Aucune structure ne coordonne les politiques des différentes directions pouvant être confrontées au problème, ne définit des directives, des actions ou des formation à destination des personnels du ministère.

Les effets de cette carence sont particulièrement visibles dans le traitement des cas des enfants « envoyés dans des pays étrangers, parfois lointains, pour y être confiés à des gourous » (263) aux doctrines desquels leurs parents adhèrent. Il en est de même pour les familles rejoignant à l'étranger un groupement dont les dérives sectaires sont moins surveillées et réprimées qu'en France. Interrogée par le président de la commission d'enquête et par votre rapporteur, sur le suivi et l'assistance par les services consulaires des enfants français soumis à l'étranger à des dérives sectaires, Mme Françoise Le Bihan (264), directrice adjointe du service des Français à l'étranger et des étrangers en France, au ministère des affaires étrangères, a indiqué que ces derniers ne se saisissaient de tels cas que dans la mesure où ils faisaient l'objet de signalement (soit, deux affaires, à l'heure actuelle) car « Il faut bien partir d'un signalement : il ne nous est pas possible de faire le tour de tous les lieux de vie dans le monde ». Elle a ensuite précisé que la sensibilisation des consuls au phénomène sectaire « relevait de la formation générale. Avant de partir en poste, chacun sait qu'il doit apporter protection et assistance aux ressortissants français à l'étranger, cela va de soi ».

Considérant que le service des Français à l'étranger et des étrangers en France au ministère des affaires étrangères a pour mission d'assurer un suivi de tous les ressortissants français demeurant à l'étranger, et non pas de ceux là seuls qui prennent directement contact avec les services consulaires ou qui font l'objet d'un signalement, la commission d'enquête recommande :

- qu'une circulaire sensibilise les agents du ministère, en poste à l'étranger aux risques des dérives sectaires ;

- qu'un correspondant ministériel soit chargé de la mission de suivre ces problèmes au sein du ministère et de proposer des politiques d'action, de formation et d'information.

2. Un maillage partiel du territoire

Définies, supra, comme un dispositif essentiel permettant « de favoriser les échanges d'information entre les services déconcentrés de l'État, d'éviter les risques d'émiettement de l'État, d'informer et de renseigner les pouvoirs centraux (...) et de prévenir les risques »(265), les cellules départementales de vigilance ne sont toutefois pas un moyen d'action prioritaire pour un grand nombre de départements, puisque seuls un peu plus de 30 départements les ont réunies en 2004 (35 sur 69 cellules existantes) et 2005 (34 sur 88 cellules existantes).

Cette faible mobilisation provient du fait que certains préfets estiment que leur département n'étant que très faiblement touché par des phénomènes sectaires, ces réunions sont jugées inutiles, alors que d'autres considèrent qu'un tel problème ressortissant à la sécurité publique doit être traité dans le cadre de la conférence de sécurité départementale.

En 2005, l'étude de la carte des cellules réunies au cours de l'année, comporte des évolutions intéressantes mais inexpliquées par rapport à la carte de 2003 et à l'implantation des mouvements présentant des dérives sectaires ; on constate en effet un développement de ces derniers dans la partie sud de la France, dans les zones frontalières et dans le sillon rhodanien.

Or, si le Sud-Ouest, à l'exception des Pyrénées-Orientales, s'est mobilisé (gagnant l'Aude, le Gers, les Landes et le Lot-et-Garonne mais perdant l'Aveyron et le Tarn-et-Garonne), dans le Sud-Est, la situation s'est maintenue telle quelle avec deux variations : le département des Alpes-de-Haute-Provence a réuni sa cellule de vigilance en 2005 contrairement à 2003 et celui des Bouches-du-Rhône n'a pas réuni sa cellule de vigilance, à la différence de ce qui avait été fait en 2003(266).

S'agissant des zones frontalières du Nord et de l'Est de la France, seuls le Nord et la Meuse ont réuni leur cellule de vigilance en 2005, alors qu'en 2003, l'Aube, le Bas-Rhin, la Haute-Marne, la Meurthe-et-Moselle, la Moselle et les Vosges les avaient réunies périodiquement. Quant aux départements ruraux où se développent souvent des microgroupes à caractère sectaire, ils n'ont pas pour la plupart, réuni leur cellule de vigilance en 2005. Cette absence de réunion se constate également sur la façade atlantique (à l'exception de la Loire-Atlantique et de la Vendée), en Bretagne, dans le Nord et dans la Somme.

Le maillage du territoire par les cellules de vigilance se révèle donc extrêmement partiel, malgré les volontés expresses du ministère de l'intérieur et du Premier ministre et en dépit des efforts déployés par les correspondants régionaux de la MIVILUDES pour encourager leur création et leur action. De fait, lorsqu'elles possèdent une dynamique propre et qu'elles se réunissent de façon régulière, les cellules jouent un rôle fondamental dans la détection des nouveaux groupes pouvant présenter un risque de dérives sectaires, dans la surveillance des groupes déjà repérés et dans la motivation des administrations pour effectuer des contrôles, des recherches et des inspections.

Leur présence doit donc être maintenue et leurs activités doivent se développer sur l'ensemble du territoire, en dépit de leur remplacement par les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes (267).

3. Un manque de suivi et de coordination

Dans le domaine des politiques qui peuvent être définies pour protéger les mineurs des dérives sectaires de certains mouvements, trois interlocuteurs principaux doivent coordonner leur action et assurer le suivi de cette dernière : les associations, l'État et les départements. Cette coordination semble toutefois connaître quelques difficultés, dénoncées par plusieurs des témoins entendus par la commission d'enquête, au nombre desquels M. Philippe-Jean Parquet : « S'agissant de la coordination entre les différents acteurs, il est clair que nous avons affaire à un merveilleux désordre. Nous voyons bien ce qu'il en est du sanitaire, de la justice, de l'éducation. Cela s'explique, me semble-t-il, par le fait que nous ne nous appuyons pas sur une vision partagée par tous les acteurs. Il faudrait que nous admettions tous qu'une seule vision est efficace, celle qui consiste à dire que les dommages constituent la seule porte d'entrée d'une politique solide. »(268)

a) Les associations

Les associations de défense des individus contre les dérives sectaires sont nombreuses : à côté des associations « généralistes » telles que l'Union nationale des associations de défense de la famille et de l'individu (UNADFI), le Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM) (269), le « 08 VICTIMES », l'association de l'enfance en danger, l'association « Attention, enfants »... de multiples associations se créent, bien souvent à l'initiative de parents dont l'enfant est ou a été victime d'une dérive sectaire bien précise (les faux souvenirs induits, les enfants déplacés en Europe, les psychothérapies abusives et déviantes...) ou d'un mouvement spécifique (associations de victimes de la Scientologie, des victimes des Frères exclusifs...).

Si toutes ces associations accomplissent quotidiennement un travail efficace de soutien et de conseils aux victimes des dérives sectaires et à leurs parents, d'information voire d'incitation des pouvoirs publics, plusieurs témoins ont toutefois regretté devant la commission, le manque de coordination prévalant entre elles. M. Michel Gilbert, président du Réseau parental Europe, a, par exemple, souligné que des efforts étaient encore à faire « pour que toutes les associations de terrain concernées puissent réellement collaborer et que les interlocuteurs privilégiés en matière de prévention et d'information sur les dérives à caractère sectaire puissent travailler en cohésion. » Puis, établissant un parallèle avec le traitement par les organisations sectaires de toute information qui « sitôt qu'elle arrive part en un instant dans toutes les ramifications », il a regretté que du côté associatif « les informations remontent bien souvent difficilement là où elle seraient les plus utiles »(270).

Par ailleurs, lorsque des informations sont transmises d'une association à une autre, il n'y a pas de retour sur les suites éventuelles qui leur ont été données ainsi que l'a remarqué Mme Armelle Tabary, directrice de l'Institut national d'aide aux victimes (INAVEM) : « Le 08 VICTIMES est généraliste dans la mesure où il prend en compte toutes les victimes, le relais étant assuré, pour leur prise en charge par le réseau national des associations d'aide aux victimes. (...) Mais pour le moment, nous n'avons pas de retour concernant cet appel (...) Il n'y a pas de mutualisation de nos informations. Ce serait sans doute très précieux. » (271)

S'inspirant d'une suggestion de Mme Homayra Sellier, présidente de l'association « Innocence en danger »(272), la commission d'enquête propose qu'à l'image des réunions que le ministère de l'intérieur organise avec les associations de protection des victimes, la MIVILUDES prenne l'initiative de réunir au cours d'une journée de réflexion qui pourrait être annuelle, les associations participant à la lutte contre les dérives sectaires, les magistrats, les victimes et les parents de victimes.

b) L'État

Outre le contrôle éducatif trop lâche, dénoncé infra, plusieurs dysfonctionnements apparaissent dans le domaine des agréments de certains centres de vacances et de loisirs des jeunes. Par ailleurs les parquets semblent rencontrer des difficultés pour recueillir des signalements d'enfants en danger.

Pour tout établissement accueillant des jeunes afin de leur proposer des loisirs ou leur faire passer des vacances, des procédures précises et efficaces d'agrément et de contrôle sont diligentées par le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative (273). Mais lorsqu'elles proposent des activités éducatives, ces institutions doivent obtenir un second agrément délivré par le ministère de l'éducation nationale. Or, la coordination entre les représentants des deux ministères, est loin d'être totale. Décrivant le problème en ces termes : « On a parfois l'impression qu'il s'agit de deux États souverains qui ne communiquent pas entre eux » (274), M. Jean-Michel Roulet a appelé de ses vœux la publication d'une circulaire interministérielle, qui « précise bien la complémentarité des missions des uns et des autres, afin qu'il n'y ait pas de vide juridique. »

La commission d'enquête souscrivant à cette proposition, engage les ministres intéressés à rédiger, en commun, cette circulaire.

Chargé de défendre les intérêts de la société, d'assurer la protection des personnes vulnérables et de veiller au maintien de l'ordre public, le ministère public n'est pas seulement une instance répressive : il est aussi un acteur de la prévention de la délinquance. Dans le domaine de la protection des mineurs, et plus particulièrement des mineurs sur lesquels un groupe souhaiterait exercer une emprise sectaire, il se doit d'être un « organe de confluence des signalements, de tous les indices propres à alerter sur la situation de mise sous influence » ainsi que l'a rappelé M. Jean-Olivier Viout(275). Pour ce faire, tout parquet se doit « d'être un demandeur exigeant d'informations et, une fois en possession de ces informations, de faire preuve de réactivité et d'efficacité, par l'activation, tout d'abord, d'un pool d'enquêteurs, plus propre à évaluer la consistance du signalement, le poids de la suspicion dans de brefs délais permettant l'ouverture rapide d'une mesure d'assistance éducative pour soustraire le mineur à l'influence du groupe sectaire »(276).

Toutefois, destinataire de telles informations, le parquet doit apprendre à en évaluer l'importance et dans les cas les plus graves, à engager, sans délai des poursuites. Or, tel n'est pas toujours le cas et la commission d'enquête déplore à ce propos, l'inaction du ministère public de Mulhouse à la suite de la plainte de l'inspecteur de l'éducation nationale qui, chargé de contrôler l'école privée gérée par le mouvement Tabitha's Place, s'est vu « claquer la porte au nez »(277).

Partageant le souci d'une intensification de l'information du ministère public, la commission d'enquête recommande que soient désormais communiqués aux parquets, tous les signalements d'absentéisme scolaire, de troubles ou anomalies constatés par la médecine scolaire ainsi que les signalements de risques de maltraitance qui, parvenus au « 119 Allô, enfance maltraitée », pourraient être en lien avec une dérive sectaire.

c) Les départements

Notamment chargés des services de l'aide sociale à l'enfance et des services d'action sociale, les conseils généraux ont un rôle essentiel dans la prévention des dérives sectaires qui pourraient s'exercer sur des enfants que leurs services confieraient à des assistants familiaux ou à des parents adeptes de mouvements sectaires.

Aux termes des articles L. 421-2, L. 421-3 et D. 421-13 du code de l'action sociale et des familles, un assistant familial, « personne qui moyennant rémunération accueille habituellement et de façon permanente des mineurs et des jeunes majeurs de moins de vingt ans à son domicile », doit, pour exercer sa profession obtenir un agrément qui, délivré par le président du conseil général du département où il réside, est accordé pour une durée de cinq ans.

Les conditions d'obtention de l'agrément viennent d'être modifiées par le décret n° 2006-1153 du 14 septembre 2006. Au nombre de ces conditions, l'article R. 421-3 du code précité - reprenant les termes de la réglementation précédente - exige que le candidat présente notamment « les garanties nécessaires pour accueillir des mineurs dans des conditions propres à assurer leur développement physique, intellectuel et affectif ». Il convient, néanmoins de constater que cette obligation n'empêche pas certains services sociaux départementaux de confier des enfants à des familles d'accueil adeptes de mouvements connaissant des dérives sectaires, ce qui peut conduire à des situations dramatiques telles celles relatées devant la commission d'enquête par Mme Catherine Picard (une jeune fille au sein d'une famille d'accueil Témoin de Jéhovah, tente de se suicider après avoir été victime d'abus sexuels de la part du mari)(278) et par Mme Sonya Jougla (un enfant sortant d'une famille d'accueil Témoin de Jéhovah, met le feu chez l'avocat qui l'avait adopté en lui disant qu'il était le démon)(279).

Or, comme l'a rappelé Mme Catherine Picard « si la dimension sectaire doit être prise en compte quand il s'agit de confier un enfant à une famille », il convient de ne pas attenter à la liberté de conscience de cette dernière mais de démontrer que les doctrines préconisées à l'intérieur du groupe auquel elle appartient « sont préjudiciables à l'épanouissement de l'enfant ». Elle a par ailleurs constaté que les directeurs des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) « n'ont pas de positions homogènes sur l'ensemble du territoire ».

Il doit ici être noté que le nouvel article R. 421-6 du code de l'action sociale et des familles précise désormais, que des entretiens préalables avec le candidat au dit agrément doivent, notamment, permettre de s'assurer « de son aptitude à la communication et au dialogue ; de ses capacités d'observation et de prise en compte des besoins de l'enfant ; de sa connaissance du rôle et des responsabilités de l'assistant familial ». S'il convient de se féliciter de l'adoption de ces nouvelles dispositions qui s'imposent à tous les directeurs de DDASS, il ne paraît pas certain que ces derniers puissent adopter une position commune sur leur application.

Une difficulté identique apparaît à propos de l'agrément qu'exige l'article 353-1 du code civil pour l'adoption, plénière ou simple, d'un pupille de l'État ou d'un enfant remis à un organisme autorisé pour l'adoption. En application de l'article L. 225-2 du code de l'action sociale et des familles, un tel agrément est accordé pour cinq ans par le président du conseil général, après avis de la commission chargée d'évaluer la situation familiale du foyer demandeur, ses capacités éducatives, ses possibilités d'accueil ainsi que les conditions que présente ce foyer, sur les plans familial, éducatif et psychologique.

Tout refus d'agrément doit être motivé et ne saurait « se fonder sur les croyances, les pratiques religieuses ou cultuelles du foyer (...) On doit démontrer que dans ce foyer, l'enfant ne trouvera pas les conditions nécessaires à son épanouissement. Il ne s'agit pas de prouver que les candidats à l'adoption sont adeptes de telle ou telle organisation mais que, compte tenu des pratiques qui sont les leurs, l'enfant ne pourra pas, par exemple, bénéficier des soins requis (...) L'essentiel est d'établir des faits matériels motivant un refus. » (280)

Ainsi le Conseil d'État a jugé que si les intéressés ne présentaient pas de garanties suffisantes en ce qui concerne les conditions d'accueil qu'ils étaient susceptibles d'offrir à des enfants sur les plans familial, éducatif et psychologique, le président du Conseil général n'avait pas fait une inexacte application de la réglementation en leur refusant l'agrément, les intéressés ayant reconnu adhérer à la doctrine des Témoins de Jéhovah en matière de transfusion sanguine et être opposés à l'usage de cette méthode thérapeutique (281).

La commission d'enquête se réjouit de la diffusion début 2007 d'un guide de la protection de l'enfance, qui doit permettre une application uniforme de la réglementation. Destiné aux « professionnels de la protection de l'enfance, notamment les personnels des conseils généraux » (282), ce guide « comprendra un chapitre sur les sectes et les précautions à prendre en la matière » (283).

Souhaitant qu'une même politique soit suivie sur le territoire national et que les droits des enfants soient protégés de la même façon, dans tous les départements, elle invite le ministère de la santé et des solidarités à organiser des rencontres annuelles entre les directeurs des services d'aide sociale à l'enfance, afin d'harmoniser les procédures d'examen des demandes d'agrément des assistants familiaux et des familles adoptives.

4. Un déficit notable de formation et d'information

L'efficacité de la protection dont doit bénéficier un enfant mis en danger par un risque ou par une dérive sectaires dépend, non pas tant du danger lui-même que de l'écoute et de l'attitude adoptées par les différents professionnels qui croisent alors son chemin ; elle résultera donc en grande partie de la formation ou de la sensibilisation que ces derniers auront reçues sur le sujet (284).

Services départementaux de la protection de l'enfance, assistants maternels, personnels d'encadrement de la jeunesse et des sports, juges des enfants, juges aux affaires familiales, avocats, pédopsychiatres... la diversité et le nombre des personnes à former sont considérables et les moyens qui y sont affectés diffèrent sensiblement d'une profession à l'autre. Nombre de témoins entendus par la commission d'enquête, tels Mme Catherine Picard (à propos des magistrats et des personnels des services sociaux départementaux) ou Me Line N'Kaoua, (à propos des enseignants et des experts psychologues) (285), ont ainsi appelé de leurs vœux des mises en place ou des perfectionnements des formations des professionnels en charge d'enfants pouvant être victimes de dérives sectaires.

Afin d'obtenir les meilleurs résultats dans ce domaine, la logique voudrait que les actions de sensibilisation au fait sectaire soient, en priorité, mises en place lors des formations initiales des intéressés plutôt qu'au cours de leur carrière. Tel ne semble pas être cependant le cas aujourd'hui.

a) Des formations continues à renforcer

Depuis 1998, l'École nationale de la magistrature (ENM) organise chaque année pendant une semaine, une session de formation sur les sectes au cours de laquelle « les textes visant à réprimer les dérives sectaires sont commentés et la jurisprudence examinée »(286). Elle a réuni, ces dernières années, 150 personnes : magistrats français (45) ou étrangers (30 membres du réseau européen de formation judiciaire), gendarmes (10), fonctionnaires de la police nationale (10), personnels de la jeunesse et des sports (15), de l'éducation nationale (30), et de la protection judiciaire de la jeunesse (10).

Si Me Line N'Kaoua a fait valoir devant la commission d'enquête les résultats positifs d'une telle formation sur les magistrats(287), Mme Françoise Andro-Cohen, magistrate chargée de formation à l'ENM, la juge « trop globale pour être suffisante »(288). À ce reproche peut être ajouté celui du nombre réduit de personnes formées par rapport au nombre total de celles qui peuvent y prétendre.

Dès lors, il convient de penser autrement la formation continue des professionnels de l'enfance. À ce titre, la proposition avancée devant la commission d'enquête par M. Michel Duvette, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice, devrait être retenue par tous les ministères : constatant qu'il est impossible au niveau central de former les 8 200 agents de la PJJ (dont on peut rappeler qu'en huit ans, seuls 80 d'entre eux ont pu suivre la formation - précitée - dispensée à l'ENM), il s'est engagé à former et à installer « des "personnes relais" au niveau des directions régionales » lesquelles transmettront leurs connaissances par la mise en place de « journées d'information et de sensibilisation des agents à l'échelon régional ou départemental, qu'ils appartiennent au secteur public ou au secteur associatif de la PJJ »(289).

Des correspondants régionaux(290) ayant déjà été nommés par les principaux ministères concernés par la protection de l'enfance (Éducation nationale, Santé, Jeunesse et sports), la commission d'enquête préconise d'inviter ces derniers à former ces correspondants de telle manière qu'ils puissent à leur tour devenir des formateurs.

Dans le cas particulier du ministère de la justice, les référents sectes des parquets généraux sont tout désignés pour jouer ce rôle de formateurs auprès des magistrats de leur ressort territorial et pourraient, pour ce faire, solliciter les contributions de ceux de leurs collègues du même ressort territorial qui auraient suivi une des sessions de formation sur les sectes dispensée par l'ENM.

La formation continue au phénomène sectaire ne doit pas être mise en place au seul bénéfice des agents publics.

Les avocats ont pu découvrir la problématique des dérives sectaires lors d'un colloque « L'avocat face aux dérives sectaires » organisé à Paris, en décembre 2004, par le Conseil national des Barreaux avec le concours de la MIVILUDES. À cette occasion les participants ont pu saisir les différentes approches du phénomène sectaire : institutionnelle, psychologique, associative, législative et pratique. Ce genre d'initiative doit être vivement encouragé et devrait être régulièrement renouvelé sur l'ensemble du territoire. Les contentieux comportant une dimension sectaire sont en effet difficiles et demandent une véritable spécialisation, parce qu'il ne suffit pas de démontrer l'existence de cette dimension sectaire en tant que telle ; encore convient-il d'apporter la preuve du lien de causalité entre l'emprise sectaire et ses effets sur l'enfant mis en cause (preuve qu'il est souvent difficile de rapporter, en raison de la méconnaissance du phénomène sectaire par les différents experts ou enquêteurs intervenant au procès). Une autre difficulté provient du fait que, à l'inverse, les avocats des mouvements sectaires sont « très bien formés et payés (...) connaissent le mode de fonctionnement de ces audiences (de contentieux familial) et vont occuper le tiers du temps à soulever des incompétences, des irrégularités, des demandes de renvoi »(291).

Les médecins, psychologues et pédopsychiatres, appelés à jouer un rôle important auprès des enfants victimes de dérives sectaires, doivent pouvoir reconnaître ces dernières pour mieux définir les recommandations qu'ils préconisent ou pour déterminer plus justement les soutiens qu'ils peuvent apporter. Témoignant à huis clos devant la commission d'enquête, une mère de famille remarquait combien « étaient désemparés » les pédopsychiatres qu'elle consultait pour son enfant marqué par des dérives sectaires. L'existence d'une formation spécifique est donc là aussi essentielle. La commission d'enquête regrette donc la disparition de l'enseignement qui, dispensé à l'université de Lyon, permettait à « des juristes, des assistants sociaux, des infirmiers, des enseignants, des médecins, des psychologues, etc. »(292) de se former, pendant un an, à la victimologie liée à la nuisance sectaire. Elle déplore par ailleurs les obstacles opposés à la mise en place de cette formation en région parisienne. Elle engage vivement les autorités responsables des universités de médecine à mettre en place de tels modules de formation.

b) Des formations initiales à créer

Tous les élèves se destinant à des professions liées de près ou de loin à l'enfance devraient a minima faire l'objet d'une sensibilisation au phénomène sectaire. Mais dans certains cas précis, la commission d'enquête estime nécessaire d'instituer une véritable formation sur ce sujet : sont concernés les étudiants des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), les étudiants des unités universitaires de formation et de recherche (UFR) de psychologie et des sciences de l'éducation, les auditeurs de justice, les avocats et les étudiants en médecine se spécialisant en médecine générale ou en psychiatrie.

Après avoir noté que « le moment de la scolarité est le seul où il soit possible d'appeler et même d'obliger les jeunes à mettre en œuvre leur jugement »(293), M. Christian Decocq, membre de la commission d'enquête, s'interrogeait sur la nécessité d'une inscription « dans la formation dispensée aux futurs maîtres, au sein des IUFM d'une réflexion sur l'emprise mentale ». Cette formation apparaît indispensable pour favoriser le développement de l'esprit critique de leurs élèves. Elle doit permettre également aux enseignants de reconnaître l'existence d'une situation sectaire vécue par des jeunes qu'ils sont les seuls à côtoyer quotidiennement et qu'ils peuvent éventuellement signaler au parquet.

C'est également dans une perspective de prévention que la commission d'enquête souhaite voir insérer dans le cursus des études de médecine des modules spécifiques aux phénomènes sectaires. Une telle formation « très particulière est nécessaire pour comprendre ce qu'est l'emprise mentale. Or, c'est un chapitre peu développé dans la formation médicale. Nous ne sommes pas plus de trente ou trente-cinq, en France, à être spécialisés dans ce type de pathologies induites »(294). Elle devrait être obligatoire, en fin de cursus, pour les internes ayant choisi de pratiquer en tant que généralistes ou en tant que psychiatres et être ouverte aux étudiants en dernière année de licence en psychologie.

Enfin, il paraît tout à fait étonnant que l'École nationale de la magistrature n'ait jamais mis en place d'enseignement du fait sectaire pour les auditeurs de justice. Une timide ouverture s'est produite en 2005 : pour la première fois, certains élèves ont, dans le cadre d'une activité d'ouverture et de recherche, travaillé sur le thème « Protection des mineurs et phénomène sectaire ». Après avoir recueilli les données existantes, rencontré la Défenseure des enfants, des membres de la MIVILUDES, des correspondants ministériels et des magistrats, les auditeurs ont rédigé un « Guide des bonnes pratiques » destiné à tout magistrat concerné par des affaires touchant à la protection des mineurs et aux phénomènes sectaires. Une telle initiative, très prometteuse, ne doit pas rester sans suite et il est urgent d'assurer pour les prochaines promotions une véritable formation ouverte au plus grand nombre.

En conclusion de ses observations relatives à la formation professionnelle, la commission d'enquête entend encourager :

- la création d'un enseignement sur les dérives sectaires dans les unités de formation et de recherche de psychologie et des sciences de l'éducation et dans les IUFM ;

- le développement au sein des études de médecine, des enseignements dédiés à l'emprise mentale et à la victimologie ;

- l'institution d'une formation des auditeurs de justice au fait sectaire ;

- la formation prioritaire des juges des enfants et des juges aux affaires familiales lors de la session annuelle de formation continue sur les sectes assurée par l'École nationale de la magistrature ;

- l'organisation avec les magistrats précités, au sein de chaque cour d'appel, de rencontres semestrielles ou annuelles, présidées par le magistrat « référent sectes » ou par un membre de la MIVILUDES et au cours desquelles pourraient être confrontées les expériences de chacun ;

- la mise en place par le Conseil national des barreaux de formations initiales et continues sur le fait sectaire, notamment sur la spécificité des contentieux relatifs au droit familial et au droit de la protection de l'enfance ;

- la promotion des formations au fait sectaire en direction des personnels des services d'aide sociale à l'enfance.

c) Une information du public insuffisante

Outre les actions menées par la MIVILUDES(295), une information du public est assurée par les associations de défense des individus tant au niveau national qu'au niveau local : gestion de sites Internet comprenant des données extrêmement détaillées, publication d'une revue trimestrielle (« Bulles ») par l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (UNADFI), prévention dans les collèges et lycées avec l'agrément de l'éducation nationale et conférences dans les universités (296), tenue d'un stand au Salon de l'éducation (Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM) - novembre 2006), conférences de presse, manifestations contre des réunions de mouvements à dérives sectaires...

Pourtant, malgré toutes ces actions, malgré le retentissement des travaux des deux précédentes commissions d'enquête(297), la dangerosité du phénomène sectaire n'est bien souvent pas reconnue par un futur adepte ni par sa famille. Cette méconnaissance se révèle le plus souvent au travers des appels téléphoniques adressés à diverses associations par les intéressés, lesquels expriment souvent qu'ils « ne réalisai(en)t pas que le danger était présent dans (leur) entourage » (298). Dès lors, les efforts de prévention et d'information, notamment en direction de la jeunesse, doivent être encouragés et poursuivis, tant par les pouvoirs publics que par les associations.

La commission d'enquête appelle donc de ses vœux la concrétisation prochaine de la proposition de M. Michel Duvette qui vise au lancement « d'un travail interministériel ayant pour objectif d'informer le jeune public des risques liés aux dérives sectaires. Des outils pédagogiques pourraient être construits et utilisés dans cette perspective »(299).

d) Une sensibilisation aux dérives sectaires négligée dans les programmes de l'éducation nationale

La question de la sensibilisation des élèves et des enseignants aux dérives sectaires n'a pas manqué d'être abordée lors de l'audition des membres de la Cellule de prévention des phénomènes sectaires du Ministère de l'éducation nationale.

Si l'opportunité de ces inspections doit être saisie pour procéder à ces vérifications, elle est inséparable d'une action à mener en amont lors de la formation des élèves. Les cours d'éducation civique, juridique et sociale dispensés dans l'enseignement secondaire sont ceux qui apparaissent les plus appropriés pour assurer cette sensibilisation aux dérives sectaires. Les programmes des classes de seconde, première et terminale de ce que l'on avait coutume autrefois d'appeler l'instruction civique sont définis par arrêté(300). En classe de seconde l'accent est mis sur la dimension de la citoyenneté dans la vie en société. Au cours de la classe de première, l'attention des élèves doit être portée sur les institutions et la pratique de la citoyenneté. En classe terminale, les adolescents sont invités à analyser les exigences de droit, de justice, de liberté et d'égalité, au regard des évolutions de la société. La liberté, la responsabilité et l'éthique figurent sur la liste des thèmes à aborder. La sensibilisation aux dérives sectaires pourrait trouver toute sa place dans ces programmes d'éducation civique ainsi qu'au collège compte tenu des dangers auxquels peuvent être exposés les adolescents les plus jeunes.

Si des efforts de formation et d'information doivent être accrus, l'État ne doit pas non plus renoncer aux outils juridiques dont il dispose.

B. UN INSTRUMENT DE RÉGULATION DÉFAILLANT : LA RECONNAISSANCE DU STATUT D'ASSOCIATION CULTUELLE

La pratique administrative, la remise en cause du régime d'autorisation par voie d'ordonnance et l'absence de prise en compte des intérêts supérieurs de l'enfant sont autant d'éléments qui conduisent à douter de l'efficacité du régime juridique actuel de la reconnaissance des associations cultuelles.

1. Une pratique administrative imparfaite

Issu de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État, le régime des associations cultuelles garantit à ces dernières des avantages spécifiques. Elle leur impartit la mission de recevoir en propriété ou en jouissance les biens précédemment détenus par les établissements publics du culte. S'agissant de leur constitution, ces associations sont soumises aux dispositions de droit commun des associations de la loi du 1er juillet 1901, à savoir une simple déclaration auprès de l'autorité administrative. Elles bénéficient d'un régime particulier au titre des dons et legs et de la fiscalité. Ainsi, elles peuvent recevoir des dons et legs sauf opposition formée par l'autorité administrative à laquelle la libéralité est déclarée, cette opposition privant d'effet cette acceptation. Par ailleurs l'article 1382, 4° du code général des impôts issu de l'article 4 de la loi du 9 janvier 1909 et de la loi du 13 janvier 1941 institue une exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties au profit des édifices affectés à l'exercice d'un culte ou attribués à des associations cultuelles ainsi qu'au profit des édifices acquis ou édifiés par lesdites associations.

Comme le relève le rapport établi par la Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, publié le 20 septembre 2006 sous l'autorité du professeur Jean-Pierre Machelon : « Il ne suffit pas de se prévaloir de la qualité d'association cultuelle pour bénéficier des avantages attachés à ce statut. Une procédure de reconnaissance s'est en effet reconstituée de manière indirecte puisque l'administration, comme l'y invitait parfois - mais pas toujours - le législateur, estimait que seules pouvaient avoir accès au régime juridique et fiscal particulier prévu pour les associations cultuelles, les associations munies d'un arrêté préfectoral les autorisant à bénéficier d'un don ou d'un legs (circulaire du ministère de l'intérieur du 15 octobre 2003 sur la réparation des édifices cultuels appartenant à des administrations). À cette occasion, elle pouvait se prononcer sur le caractère cultuel ou non d'une association au sens de la loi de 1905. Cette petite reconnaissance constitue pour l'administration un levier important de la politique de lutte contre les dérives sectaires, dès lors notamment que la réserve d'ordre public permet de dénier la qualité d'association cultuelle à une association qui, pourtant , remplirait toutes les conditions posées par la loi de 1905. » (301)

M. Didier Leschi(302), chef du Bureau central des cultes (BCC) au ministère de l'intérieur, a également mis en lumière l'importance de cet instrument : « Le principal outil de lutte contre les dérives sectaires dont dispose le BCC est la "petite reconnaissance", qui donne à l'administration le pouvoir de contrôler les associations cultuelles demandant à bénéficier d'avantages essentiellement d'ordre fiscal. En effet, si la République ne reconnaît aucun culte, elle n'en méconnaît aucun dès lors que ce culte demande à bénéficier d'avantages, en particulier fiscaux, qui visent à favoriser le libre exercice du culte. La "petite reconnaissance" ouvre droit à des exonérations fiscales, à l'exonération des droits de mutation pour les dons et legs, et autorise la délivrance des reçus fiscaux qui ouvriront droit aux donateurs à des dégrèvements d'impôts. »

Dans un avis du 24 octobre 1997 rendu en assemblée du contentieux Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom (Rec. p. 372 ; RFDA, 1998, p. 61, concl. Jacques Arrighi de Casanova), le Conseil d'État a clarifié les critères permettant de qualifier une association de cultuelle. Puis par deux arrêts du 23 juin 2000, le Conseil d'État a réglé les litiges opposant le ministère de l'économie et des finances aux associations locales pour le culte des Témoins de Jéhovah de Clamecy et de Riom (CE, 23 juin 2000, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c. Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Clamecy et Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c. Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom, RDP, n° 6-2000 , concl. Bachelier ; AJDA 2000, p. 597, note Mattias Guyomar et Pierre Collin).

Le bénéfice du statut d'association cultuelle est subordonné à trois conditions. La Haute juridiction a considéré qu'il résultait des articles 18 et 19 de la loi de 1905 que les associations revendiquant ce statut « devaient avoir exclusivement pour objet l'exercice du culte, c'est-à-dire, au sens de ces dispositions, la célébration de cérémonies organisées en vue de l'accomplissement de certains rites ou de certaines pratiques » et qu'elles ne pouvaient, en outre, « mener que des activités en relation avec cet objet, telles que l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement et l'entretien des édifices servant au culte, ainsi que l'entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte ». La reconnaissance du caractère cultuel d'une association est donc subordonnée à la constatation de l'existence d'un culte et à la condition que son exercice soit l'objet exclusif de l'association. L'avis ajoutait une troisième condition, à savoir que les activités de l'association ne pouvaient en tout ou partie porter atteinte à l'ordre public.

La première condition, l'existence du culte, n'appelle pas de difficulté. Après avoir rappelé la définition qu'en donnait le Doyen Duguit : « Le culte est l'accomplissement de certains rites, de certaines pratiques qui, aux yeux des croyants, les mettent en communication avec une puissance surnaturelle », deux critères apparaissaient devoir être ajoutés par le commissaire du gouvernement : un élément subjectif tenant à la croyance en une foi ou une divinité et un critère objectif, à savoir l'existence d'une communauté se réunissant pour pratiquer cette croyance lors d'une cérémonie(303). Les adeptes de Krishna ont été considérés ainsi comme se livrant à un culte (CE, 14 mai 1982, Association internationale pour la conscience de Krishna, Rec. p. 179). Cela n'a pas été en revanche le cas d'une association qui regroupe ceux qui considèrent Dieu comme un mythe (CE, 17 juin 1988, Union des athées, Rec. p. 247 ; AJDA 1988, p. 582, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre).

La deuxième condition - l'exercice du culte comme objet exclusif de l'association - est reprise du libellé même du premier alinéa de l'article 19 de la loi du 9 décembre 1905. Ce critère a conduit le Conseil d'État à refuser le statut d'association cultuelle à une association se consacrant non seulement à l'exercice d'un culte mais aussi à des activités d'édition et de diffusion de publications doctrinales (CE, 21 janvier 1983, Association des serviteurs du nouveau monde, Rec.p.18 ; cf. également 14 octobre 1985, Association Hubbard des scientologues, req. n° 37583).

La troisième condition - l'atteinte ou non à l'ordre public - soulève plus de problèmes. Elle a été fréquemment évoquée lors des auditions de la commission d'enquête(304). Ainsi pour le Président de la commission d'enquête, le traitement social réservé aux mineurs au sein des Témoins de Jéhovah ne correspond pas aux normes internationales, notamment celles de la Convention de New York sur les droits de l'enfant qui exige que l'enfant soit élevé et éduqué dans l'objectif d'en faire un citoyen libre et critique(305).

M. Jean-Pierre Brard a, de son côté, demandé au directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, si l'on pouvait bien considérer le refus d'une transfusion sanguine à un enfant, quand le pronostic vital était engagé, comme un trouble à l'ordre public(306). Il faut savoir que le Conseil d'État a hésité sur cette question délicate.

Dans ses conclusions sous l'arrêt Association chrétienne Les Témoins de Jéhovah de France (1er février 1985, Rec. p. 22, RDP 1985, p. 485, concl. Francis Delon), le commissaire du gouvernement indiquait que l'association pouvait être qualifiée de cultuelle, dès lors qu'elle avait pour objet l'exercice d'un culte et que cet objet était exclusif. Il proposait de ne subordonner cette qualification qu'au respect de ces deux conditions. En revanche, s'agissant du troisième critère, celui de l'atteinte à l'ordre public, l'administration, à ses yeux, disposait d'un pouvoir d'appréciation et pouvait refuser d'autoriser une association cultuelle à recevoir un legs, au motif que ses activités ne seraient pas conformes à l'intérêt public sans que cette circonstance soit de nature par elle-même à remettre en cause le caractère cultuel de l'association. Le commissaire du gouvernement avait invité l'assemblée du contentieux à retenir l'atteinte à l'ordre public, qui résultait du fait que ce mouvement refuse les transfusions sanguines, ce refus pouvant affecter les enfants des adeptes dudit mouvement. Sans reprendre toutefois le raisonnement du commissaire du gouvernement, le Conseil d'État a jugé que « les activités menées par l'association ... sur la base de ses statuts ne lui confèrent pas dans leur ensemble, en raison de l'objet ou de la nature de certaines d'entre elles, le caractère d'une association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905. »

Par conséquent, à l'inverse de l'avis de 1997, le Conseil d'État, en 1985, a fondé sa décision sur la doctrine du mouvement. Mais des commentateurs de la décision précitée de 2000, faisant autorité, ont fait valoir que si une association axait sa propagande sur des éléments contraires à l'ordre public, elle pourrait légalement faire l'objet de mesures restrictives de la part de l'administration (Mattias Guyomar et Pierre Colin, AJDA, chron. p. 597).

Dans ses conclusions sous l'arrêt du 28 avril 2004, Association cultuelle du Vajra triomphant (req. n° 248467, AJDA 5 juillet 2004, p. 1367) le commissaire du gouvernement proposait de retenir, pour l'application de la loi du 9 décembre 1905, une acception large de la notion d'ordre public recouvrant non seulement la trilogie traditionnelle de la sécurité publique, de la tranquillité publique et de la salubrité publique consacrée aujourd'hui par l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, mais aussi la prévention des activités pénalement sanctionnées (CE, 3 mars 2003, ministre de l'Intérieur c. Rakhimov, req. n° 238 662, AJDA 2003, p. 1343, à propos d'un refus d'entrée sur le territoire). Le commissaire du gouvernement ajoutait que le respect de la condition de l'ordre public doit s'apprécier, non pas eu égard à l'objet de l'association mais eu égard à ses activités réelles ou aux activités qui, menées par ses membres, sont en rapport direct avec l'objet de l'association. En l'espèce, le refus du bénéfice de l'association cultuelle prononcé par le Conseil d'État s'est fondé sur les troubles à l'ordre public résultant des agissements de deux associations ayant fait l'objet de condamnations pour des infractions graves et délibérées à la législation de l'urbanisme et qui partageaient les mêmes références statutaires et possédaient des dirigeants communs avec l'association requérante.

Dans une espèce récente, la cour administrative d'appel de Paris a considéré que le statut de congrégation prévu par la loi du 1er juillet 1901 ne pouvait pas être refusé, au motif qu'une communauté ne se rattacherait pas à une institution religieuse communément connue de par sa durée historique et son développement universel, un tel motif étant contraire aux principes de laïcité et de non-discrimination religieuse énoncés par la Constitution. En revanche, un refus peut légalement être motivé par les troubles à l'ordre public causés par l'association comme ceux qui résultent du refus persistant, malgré des décisions de justice, de procéder à la destruction de constructions monumentales illégalement édifiées dans un site protégé (CAA Paris, 9 juin 2006, Ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales c. Association Congrégation du Vajra triomphant, 04PA 01642, AJDA, 6 novembre 2006, p. 2067, concl. B. Folscheid). Par conséquent, non seulement l'intégration de ce paramètre du droit de l'urbanisme mais le rappel des conclusions du commissaire du gouvernement devant le Conseil d'État montrent que le champ de la notion d'ordre public ne saurait être complètement figé.

Le débat sur la compatibilité des refus de transfusion sanguine avec l'ordre public ouvert en 1985 devant le Conseil d'État n'est pas non plus clos, comme l'attestent toutes les questions soulevées par les membres de la commission d'enquête sur ce terrain. La diversité des appréciations portées sur le sujet par les représentants de l'administration témoigne d'ailleurs de la légitimité de cette très vive préoccupation de la commission d'enquête. Car si pour le chef du Bureau central des cultes, le refus de transfusion sanguine ne constitue pas in abstracto une atteinte à l'ordre public (307), il en va autrement pour le ministre de la santé et des solidarités. En réponse à une lettre du Président de la commission d'enquête, qui l'interrogeait pour savoir si, pour son ministère, des mouvements à dérives sectaires étaient générateurs de troubles à l'ordre public, le ministre n'a pas partagé le point de vue du ministère de l'intérieur. Il a évoqué dans ce courrier du 24 novembre 2006 le refus de la transfusion sanguine par les Témoins de Jéhovah, leur infiltration au sein du monde médical, l'enfermement psychologique dont souffraient les enfants des adeptes de cette organisation ainsi que la mise en place d'une justice parallèle. Il a conclu en constatant : « Au regard de ces différents faits, je considère que l'action de certaines sectes, au nombre desquelles je compte les témoins de Jéhovah, est de nature à troubler l'ordre public. De tels faits me semblent être de nature à justifier le refus de reconnaissance de ce mouvement comme association cultuelle. »

Si ce rappel du droit applicable était nécessaire, cette évocation des très fortes interrogations des membres de la commission et les divergences entre les administrations, n'épuisent pas pour autant les problèmes posés par la procédure de la reconnaissance du statut d'association cultuelle, au regard de la prise en compte des intérêts supérieurs des enfants.

2. Une absence injustifiée de prise en compte des intérêts supérieurs de l'enfant

La problématique des intérêts supérieurs des enfants mérite en effet d'être rapprochée des questions soulevées par le régime des associations cultuelles. Il ressort très nettement des auditions qu'un outil juridique comme la Convention de New York sur les droits des enfants déjà citée est largement ignoré par les administrations parties prenantes à la lutte contre les dérives sectaires et cela essentiellement pour des raisons juridiques.

On rappellera, pour mémoire, que plusieurs stipulations de cette convention consacrent très largement les droits des enfants. Ses articles 12 et 13 garantissent leur liberté d'expression. L'article 14 enjoint aux États Parties de respecter le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion. L'article 29 affirme que l'éducation de l'enfant doit favoriser l'épanouissement de sa personnalité.

En intervenant à plusieurs reprises sur le thème de l'absence de prise en compte de ces principes, le Président de la commission d'enquête s'est fait l'écho des préoccupations de ses collègues, soulignant que le juge administratif était plus réticent à faire prévaloir ce texte que ne l'était le juge judiciaire(308). En réponse à ces observations, le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur a fait l'analyse suivante : « À titre personnel, et indépendamment du cas d'espèce, j'ai tendance à considérer que le raisonnement du Conseil d'État est celui qui concilie le mieux le droit interne et le droit international dans l'ensemble de l'application du droit interne. Dans l'application en droit interne d'une convention internationale - et c'est un raisonnement qui vaut, du reste, pour l'ensemble du droit européen, dérivé ou direct -, il faut que la stipulation qu'il s'agit d'appliquer soit précise et d'effet direct pour qu'elle puisse produire des effets de droit interne qui puissent être invoqués ou que le titulaire du pouvoir normatif interne ait méconnu une telle prescription qui s'imposait à lui. Ce raisonnement qui consiste à regarder, le cas échéant article par article, ou ensemble d'articles par ensemble d'articles, s'ils sont d'une précision suffisante, soit pour trouver une application directe, soit pour s'opposer à la prise ou la non prise d'un acte normatif, est un raisonnement qui est assez classique dans l'articulation entre le droit interne et le droit international. Il est très présent dans le droit européen. Et il est tout de même très utile, du point de vue de la sécurité juridique, de savoir que la précision d'une norme peut avoir ce type d'effets... La question posée est de savoir si les engagements entre États produisent des effets directs pour les personnes ou s'ils engagent les États à tenir compte, dans leur législation, des principes dont ils sont signataires. C'est comme cela que s'articule le raisonnement, entre l'effet direct d'une prescription internationale et l'effet indirect, c'est-à-dire une obligation pour les États signataires de s'employer à traduire dans leur législation ou leur réglementation les engagements qu'ils ont pris. »

De fait, le Conseil d'État considère qu'une stipulation internationale est dépourvue d'effet direct dans deux cas : lorsque l'objet même de la stipulation est de régler les rapports d'État à État et qu'elle ne vise pas à créer des droits au profit des particuliers, qui ne sont pas concernés par la règle internationale, quelle que soit son degré de précision ; lorsque la stipulation, qui bien qu'ayant pour objet de garantir des droits au profit des particuliers, n'est pas susceptible d'être immédiatement appliquée à des situations individuelles, parce qu'elle n'est pas suffisamment précise, complète et inconditionnelle pour servir à cette fin. De plus il ne faut pas perdre de vue que si une norme vague ne peut pas servir de base à l'établissement d'un droit individuel, elle peut toujours servir de référence à un contrôle de compatibilité d'une norme inférieure, avec la difficulté que plus la norme supérieure est générale (Par exemple, « Les États Parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social ») moins il y a de probabilité que le contrôle de compatibilité aboutisse à la censure de la norme inférieure. Ainsi le Conseil d'État n'a pas reconnu d'effet direct aux articles 26-1 et 27 de la Convention relative aux droits de l'enfant concernant respectivement le bénéfice de la sécurité sociale et le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social (CE, 23 avril 1997, G.I.S.T.I., Rec. p.142 ; RFDA 1997.585, concl. Abraham ; AJDA 1997.482, chron. Chauvaux et Girardot ; RGDIP 1998, 208, note Alland). En revanche, la Haute juridiction a admis l'effet direct de l'article 3-1 qui accorde une « considération primordiale » à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions le concernant (CE, 22 septembre 1997, Dlle Cinar, Rec.p.319 ; D.1998.297 note Desnoyer ; RFDA 1998.562, concl. Abraham ; JDr. Int.1998.721 note Barrière Brousse ; RGDIP 1998, 208, note Alland).

De son côté la première chambre civile de la Cour de cassation a, pour la première fois, et de façon explicite fait application le 18 mai 2005 des articles 3-1 sur l'intérêt supérieur de l'enfant et 12-2 sur son droit à être entendu dans tout procédure judiciaire ou administrative. Elle a rompu, par là même, avec sa jurisprudence qui écartait les dispositions de ce texte, au motif qu'il ne créait d'obligations qu'à la charge des États Parties et n'était pas directement applicable en droit interne (10 mars 1193, Bull. n°103 ; 2 juin 1993, Bull. n°195 ; 15 juillet 1993, Bull. n°259 ; 4 janvier 1995, Bull. n° 2). La première chambre a relevé d'office le moyen tiré de l'application des articles 3-1 et 12-2 de la Convention des droits de l'enfant, affirmant ainsi la valeur supranationale de ce texte et partageant la même analyse que le Conseil d'État sur le respect du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Mais ce revirement de la première chambre civile n'affecte que ce principe et la possibilité donnée à l'enfant d'exprimer librement son opinion dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant.

On relèvera également que la Cour européenne des droits de l'homme a le souci de faire prévaloir les droits de l'enfant lorsque ceux-ci doivent être mis en balance avec ceux des parents. Cela a été rappelé dans une affaire concernant l'interdiction faite à un parent appartenant au mouvement raëlien d'être en contact avec des membres de ce mouvement (CEDH, 3 novembre 2005, FL, 61162/00), cette décision confirmant une jurisprudence solidement établie : (Esholz c. Allemagne, n°25735 :94 , § 47, CEDH 2000-VI. TP et KM c. Royaume Uni, n° 28945 /95, §72, CEDH 2001-V et Youssef c. Pays-BAS n°33711/96, § 73, CEDH 2002-VIII).

Lors de son audition, M. Didier Leschi a convenu que si la preuve était apportée qu'un mouvement éduquait ses enfants en méconnaissant les intérêts supérieurs des enfants, ces faits pouvaient constituer une atteinte à l'ordre public(309). Sous réserve d'une appréciation au cas par cas, on peut légitimement penser que ce débat sera susceptible par ailleurs de se trouver enrichi par la modification même de la notion d'enfance maltraitée contenue à l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles, en discussion devant le Parlement dans le cadre du projet de loi réformant la protection de l'enfance. On rappellera en effet qu'en remplaçant la notion de « mineurs maltraités » par celle de « mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l'être ou dont l'éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l'être », le législateur entend viser les situations où le suivi préventif et les soins médicaux ne sont pas correctement assurés.

Cette incursion dans la jurisprudence sur la portée de la Convention de New York et de la Convention européenne des droits de l'homme montre que le critère des intérêts supérieurs de l'enfant constitue un critère juridique reconnu par les deux plus hautes juridictions françaises, qui peut être directement opérationnel et pourrait, par là même, servir à la reconnaissance des associations cultuelles, en étant un élément d'appréciation d'une atteinte ou non à l'ordre public. C'est le sens de la proposition de la commission d'enquête relative au contrôle administratif sur les associations cultuelles. Elle vise à insérer à l'article 910 du code civil (310) le critère des intérêts supérieurs de l'enfant dans la procédure de reconnaissance de l'association cultuelle.

Mais si ces dispositions participent de la volonté de mieux utiliser le mécanisme de la reconnaissance de l'association cultuelle, encore faut-il que celui-ci ne soit pas affaibli par ailleurs.

3. Un instrument fondamental de régulation remis en cause par une ordonnance de simplification administrative

Or, en allégeant considérablement la procédure de reconnaissance du statut cultuel, le dispositif prévu à l'article 910 du code civil, tel qu'il émane de l'ordonnance 2005-856 du 28 juillet 2005, rend encore beaucoup plus difficile l'invocation de la clause de l'ordre public qui, comme on l'a vu, constitue un élément de régulation très précieux pour les pouvoirs publics.

La nouvelle rédaction de l'article 910 du code civil est issue du projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit (311). Dans son rapport présenté au nom de la commission des lois, notre collègue Etienne Blanc justifiait la réforme du régime de l'octroi des libéralités aux associations par la nécessité d'une simplification administrative (Rapport N° 1635, XIIe législature). Il faut savoir que sous l'empire de la réglementation antérieure, seules certaines associations pouvaient recevoir des libéralités, c'est-à-dire des dons par actes authentiques et legs, notamment les associations reconnues d'utilité publique, les associations cultuelles et les congrégations reconnues par décret. Les dons par actes authentiques et legs consentis à ces associations, fondations ou congrégations étaient soumis à un régime dit de tutelle. L'article premier du décret n° 94-1119 du 20 décembre 1994 modifiant le décret n° 66-388 du 13 juin 1966 relatif à la tutelle administrative des associations, fondations et congrégations dispose en effet que l'acceptation des dons et legs aux établissements publics, aux associations cultuelles et aux associations de bienfaisance est autorisée par le préfet du département où est le siège de l'établissement ou de l'association. Ont été invoqués à l'appui d'une nécessaire simplification administrative : l'opposition des héritiers à l'autorisation de l'administration ; les délais d'attente imposés aux associations bénéficiaires et le fait qu'en pratique sur 8 000 demandes d'autorisations annuelles par les préfectures, les refus étaient extrêmement rares. Mais si ces raisons plaidant pour substituer un régime déclaratif à un régime d'autorisation sont aisément compréhensibles, on peut craindre à la lecture de l'ordonnance insérée à l'article 910 du code civil, que la volonté du législateur n'ait pas été pleinement prise en compte et que la spécificité des associations cultuelles ait été ignorée.

Un examen attentif des travaux parlementaires montre en effet que le régime déclaratif, envisagé lors de la discussion du projet de loi d'habilitation, n'était pas appelé à être total. Dans son rapport présenté au nom de la Commission des lois, le sénateur Bernard Saugey n'affirme-t-il pas que « le régime de déclaration serait assorti d'un pouvoir d'opposition dont disposerait l'administration pendant un délai de quatre mois » ? (Rapport n° 5, 2004-2005). De son côté le rapport de la commission mixte paritaire fait valoir que celle-ci a supprimé la mention selon laquelle l'habilitation concernant le régime juridique des associations ne pouvait conduire à modifier la loi du 9 décembre 1905 (Rapport n° 42, 2004-2005).

Par conséquent, à ce stade, le législateur, d'une part, souhaitait conserver un régime déclaratif fût-il a minima et, d'autre part, il n'entendait pas remettre en cause l'esprit de la loi de 1905. Or, lorsque l'on confronte cette interprétation avec le dispositif de l'article 910 du code civil dans sa version actuellement en vigueur, on relève que l'ordonnance n'institue aucun garde fou et délègue la définition de l'exercice de l'opposition administrative aux libéralités à un décret en Conseil d'État. De plus, en indiquant que « l'opposition est formée par l'autorité administrative à laquelle la libéralité est déclarée, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État », une grande marge de manœuvre est laissée à ce décret. Celui-ci - qui n'est pas encore pris -, peut prévoir un contrôle a posteriori aléatoire au gré de contentieux, comme un contrôle a priori très lâche, voire aucun contrôle. Non seulement il apparaît que la volonté du législateur n'a pas été pleinement respectée mais en voulant embrasser sans distinctions toutes les associations exorbitantes du droit commun, le nouveau dispositif de l'article 910 du code civil remet en cause indirectement l'équilibre régulateur des associations cultuelles. Aussi la commission d'enquête propose-t-elle de revenir à un régime d'autorisation pour ces dernières associations. Cette exception serait au demeurant sans incidence sur les mouvements sectaires, qui sont réservés par ailleurs par l'article 910. Le traitement différencié des associations cultuelles par rapport aux autres associations exorbitantes de droit commun pourrait se justifier au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le principe d'égalité, dans la mesure où les associations cultuelles sont dans une situation différente de celle des autres associations et où cette dérogation obéit à des raisons d'intérêt général reposant sur le critère de l'ordre public.

C. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE ÉDUCATIF TROP LÂCHE

Plusieurs éléments permettent de se convaincre de l'existence d'un dispositif de contrôle éducatif insuffisant.

Les règles relatives à l'inscription des enfants soumis à l'obligation scolaire, au contrôle de l'instruction à domicile, au contrôle de l'enseignement à distance, à la déclaration des établissements d'enseignement, à l'agrément des organismes de soutien scolaire, pèchent en effet par leur manque de rigueur.

1. L'inscription des enfants soumis à l'obligation scolaire

L'article L. 131-5 du code de l'éducation dispose que les personnes responsables de l'éducation d'un enfant soumis à l'obligation scolaire doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien déclarer chaque année au maire et à l'inspecteur d'académie qu'elles lui font donner l'instruction dans la famille. Cette obligation s'applique à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de six ans et doit être également effectuée dans les huit jours qui suivent tout changement de résidence ou de choix d'instruction.

Aujourd'hui, il appartient aux maires d'effectuer une enquête, dès la première année et tous les deux ans, sur les raisons pour lesquelles les familles ont fait le choix de l'instruction à domicile et de vérifier si celle-ci est compatible avec l'état de santé des enfants et les conditions de vie de la famille. Le résultat de l'enquête est communiqué à l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale, et lorsque celle-ci n'a pas été effectuée, elle est diligentée par le représentant de l'État dans le département.

Cette disposition, issue de la loi du 28 mars 1882, est codifiée à l'article L. 131-10 du code de l'éducation nationale. Sa lecture soulève toutefois plusieurs questions : les enfants sont-ils réellement déclarés ? À quelles sanctions s'exposent les parents ou les personnes exerçant l'autorité parentale qui ne déclareraient pas en mairie que les enfants seront instruits dans la famille ? En cas de carence du maire, quelle est l'efficacité de l'intervention du représentant de l'État dans le département ?

Le refus de certains parents de déclarer leurs enfants est une réalité sociale constatée par les élus. Lors du débat engagé sur les propositions de loi qui ont débouché sur la loi du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire, M. Jean-Pierre Brard s'en était ému devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : « Très souvent les enfants éduqués dans leur famille ne sont pas déclarés, ce qui ne permet pas de procéder à une évaluation satisfaisante. »(312) Ce sujet a été de nouveau abordé lors de l'audition de M. Thierry-Xavier Girardot(313), directeur des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Interrogé sur la difficulté dans les communes à identifier les enfants que leurs parents soustrairaient à l'école, M. Pierre Polivka a déclaré(314) : « Je crois pouvoir dire que dans la très grande majorité des cas, les services de l'État, d'une part, les services sociaux, d'autre part, font tout pour qu'on puisse repérer ces enfants. Bien entendu, il y a toujours un certain nombre de cas qui échappent à notre vigilance. Mais le maximum est fait par l'État comme par les collectivités pour avoir des chiffres fiables, qui reflètent la réalité. »

La loi du 18 décembre 1998 précitée a cependant renforcé le dispositif existant de manière non négligeable. Elle a exigé que l'enquête du maire ne soit plus « sommaire » ; elle doit intervenir dès la première année de la période d'instruction dans la famille et dans le cas où cette situation coïncide avec le début de la scolarité obligatoire dès six ans ; elle doit être renouvelée tous les deux ans jusqu'à l'âge de seize ans. Par ailleurs, on rappellera qu'aux termes de l'article L. 552-4 du code de la sécurité sociale, « le versement des prestations familiales afférentes à un enfant soumis à l'obligation scolaire est subordonné à la présentation [...] d'un certificat de l'autorité compétente de l'État attestant que l'enfant est instruit dans sa famille ». Le fait par les parents ou toute personne exerçant l'autorité parentale de ne pas déclarer en mairie que l'enfant sera instruit dans sa famille est puni en vertu de l'article R. 131-18 du code de l'éducation, d'une contravention de cinquième classe, soit 1 500 euros.

Il résulte des questions posées au ministre délégué aux collectivités territoriales par la commission d'enquête que l'application de la disposition de l'article L. 131-10 du code de l'éducation, selon laquelle il revient au préfet de se substituer au maire défaillant, ne soulève pas de difficulté particulière. Pour M. Daniel Groscolas, Président du Centre de documentation et d'action contre les manifestations mentales, les préfets ne disposent pas toutefois des personnels nécessaires pour effectuer ces enquêtes (315). L'attention des représentants de l'État dans le département sur leur nécessaire implication dans la mise en œuvre de l'article L. 131-10 pourrait donc être attirée par voie d'une circulaire conjointe du ministre chargé de l'intérieur et du ministre chargé de l'éducation.

L'article 9 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 5 décembre 2006 (316) devrait être de nature à répondre à ces imperfections. En effet, dans le cadre du contrôle de l'obligation scolaire incombant aux maires, ceux-ci pourront mettre en place un traitement des données personnelles, alimenté par les organismes chargés du versement des prestations familiales. S'il apparaît difficile d'aller beaucoup plus loin sur le terrain du dispositif de la déclaration des enfants, il est en revanche des domaines dans lesquels la lutte contre l'emprise sectaire peut être renforcée, notamment celui du contrôle de l'instruction à domicile.

2. Le contrôle de l'instruction à domicile

Le déplacement de votre rapporteur à Tabitha's Place a révélé les limites de ce dispositif. Aujourd'hui, le contrôle de l'instruction à domicile fait appel au maire et à l'inspecteur d'académie. Alors que le premier effectue une enquête de nature sociale, en vérifiant si l'instruction à domicile est compatible avec l'état de santé de l'enfant et les conditions de la vie de la famille, le contrôle de l'inspecteur d'académie est de nature pédagogique.

Les modalités du contrôle de l'instruction dans la famille par l'inspecteur d'académie sont définies par la circulaire n° 99-070 du 14 mai 1999 dont sont extraits les passages suivants que l'on a souhaité reproduire, compte tenu de l'importance du problème :

« I.5.2 Modalités du contrôle

« · Pour les enfants relevant du niveau primaire, l'inspecteur d'académie procède au contrôle ou désigne à cette fin des inspecteurs de l'éducation nationale, qui pourront se faire assister en tant que de besoin de personnels des services de santé ou des services sociaux de l'inspection d'académie, de psychologues scolaires.

« · S'agissant des mineurs relevant du niveau secondaire, l'inspecteur d'académie doit saisir le recteur d'académie, lequel désigne par priorité des membres des corps d'inspection, ainsi que les personnels qualifiés pour les assister (personnels médico-sociaux, conseillers d'orientation-psychologues). Pour apprécier la qualité et le niveau de l'instruction, les personnes chargées du contrôle pourront s'appuyer, dans la mesure où ils en disposent, sur les résultats de l'enquête du maire ou du préfet, leur permettant de connaître les raisons alléguées pour ce choix d'instruction et l'état de santé de l'enfant.

« · La famille peut être informée au préalable de la date du contrôle, du ou des lieux où il se déroulera et des conditions générales, notamment des personnes qui en seront chargées. La loi indique que le contrôle a lieu notamment au domicile des parents. Par cette disposition, le législateur a voulu que ce contrôle ne se déroule pas exclusivement à leur domicile. S'il est primordial de connaître le milieu où évolue l'enfant, il peut être opportun de ne pas circonscrire le lieu de contrôle au seul domicile des personnes responsables de l'enfant, et de permettre à l'enfant de se rendre en un autre lieu où l'évaluation mais aussi la parole peuvent être moins encadrées, plus libres, et la réalité moins aisément masquée.

« Le contrôle, qui pourra se dérouler, en totalité ou en partie, en présence ou en l'absence des parents et/ou des personnes chargées de l'instruction, devra nécessairement comporter un entretien avec l'enfant. La ou les personnes qui l'instruisent peuvent également être entendues.

« · En cas d'opposition de la famille au déroulement du contrôle, on pourra légitimement supposer qu'il y a une situation de danger quant aux conditions de vie et d'éducation de l'enfant. Une telle situation justifie que l'inspecteur d'académie en saisisse le procureur de la République.

I.5.3 Objet du contrôle

« Le législateur a souhaité que les exigences du droit de l'enfant à l'instruction soient précisées dans un décret définissant un socle commun des connaissances à acquérir dans le respect des droits de l'Homme et l'exercice de la citoyenneté. Le contrôle de l'instruction dans la famille par l'inspecteur d'académie doit donc se faire en référence à l'article 1er de la loi du 18 décembre 1998 (317) et au décret n° 99-224 du 23 mars 1999 (318), et non pas aux programmes en vigueur dans les classes des établissements publics ou privés sous contrat.

« Lors du contrôle, il devra être tenu compte de l'âge de l'enfant, de son état de santé et de la progression globale définie et mise en œuvre par les personnes responsables, en fonction de leurs choix éducatifs, l'objectif étant nécessairement d'amener l'enfant, à l'issue de la période d'instruction obligatoire, à un niveau comparable à celui des enfants scolarisés dans les établissements publics ou privés sous contrat. Cette progression s'apprécie au regard de l'évolution des acquisitions qu'elle organise dans la diversité des domaines abordés et, après le premier contrôle, en référence aux contrôles antérieurs. »

[...]

I.6.2 Cas de l'absence totale d'instruction

« Au cours de leur contrôle, les services de l'éducation nationale peuvent être confrontés à la situation d'un enfant qui n'a jamais reçu une quelconque instruction. En général il n'y aura pas eu de déclaration préalable d'instruction dans la famille auprès du maire (cf. I.3). Dans tous les cas d'absence totale d'instruction, il est impératif que l'inspecteur d'académie effectue en urgence, avant même toute mise en demeure, un signalement au Parquet au titre de l'enfance en danger et de l'infraction à l'article 227.17 du Code pénal, dont les termes ont été rappelés ci-dessus (319) (1.6.1).

« Par ailleurs, en vertu de l'article 375 du Code civil, le Procureur de la République peut, si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, saisir le Juge des enfants pour que soient ordonnées des mesures d'assistance éducative.

« Il convient donc de ne pas retarder l'intervention judiciaire et de permettre ainsi au Procureur de la République de mettre en œuvre les procédures les plus appropriées pour assurer la protection de l'enfant.

I.6.3 Constat de difficultés familiales autres qu'éducatives

« Enfin, il convient d'envisager les situations où l'instruction dans la famille n'est pas déficiente mais où les conditions de vie de l'enfant sont de nature à perturber sa santé, ou sa sécurité, en raison de difficultés familiales particulières, qu'il s'agisse de problèmes de santé, de précarité, de difficultés sociales ou économiques, ou encore d'un isolement géographique.

« Dans ces cas, l'inspecteur d'académie peut, aux fins d'aider la famille, effectuer un signalement au Président du Conseil général en vertu de l'article 40 du Code de la famille et de l'aide sociale.

« L'aide sociale à l'enfance (ASE) est en effet un service départemental qui a vocation à apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs et à leur famille, confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. Une aide à domicile peut notamment être apportée à la famille, de même que le versement d'aides financières diverses. »

Au surplus la circulaire impose de faire figurer au verso de l'accusé de réception de la déclaration d'instruction dans la famille par l'inspecteur d'académie les mentions des textes suivants :

· Loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998, tendant au renforcement du contrôle de l'obligation scolaire (article 1er, premier alinéa) :

« Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle et d'exercer sa citoyenneté (320). Cette instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement. »

· Décret n° 99-224 du 23 mars 1999, relatif au contenu des connaissances requis des enfants instruits dans la famille ou dans les établissements d'enseignement privé hors contrat (articles 1 à 5) :

« Art. 1er. -  Le contenu des connaissances requis des enfants relevant de l'obligation scolaire qui reçoivent une instruction dans leur famille ou dans les classes des établissements d'enseignement privés hors contrat concerne les instruments fondamentaux du savoir, les connaissances de base, les éléments de la culture générale, l'épanouissement de la personnalité et l'exercice de la citoyenneté (321).

Art. 2. -   L'enfant doit acquérir :

- la maîtrise de la langue française, incluant l'expression orale, la lecture autonome de textes variés, l'écriture et l'expression écrite dans des domaines et des genres diversifiés, ainsi que la connaissance des outils grammaticaux et lexicaux indispensables à son usage correct ;

- la maîtrise des principaux éléments de mathématiques, incluant la connaissance de la numération et des objets géométriques, la maîtrise des techniques opératoires et du calcul mental, ainsi que le développement des capacités à déduire, abstraire, raisonner, prouver ;

- la pratique d'au moins une langue vivante étrangère (322).

Art. 3. -   L'enfant doit acquérir :

- une culture générale constituée par des éléments d'une culture littéraire fondée sur la fréquentation de textes littéraires accessibles ;

- des repères chronologiques et spatiaux au travers de l'histoire et de la géographie de la France, de l'Europe et du monde jusques et y compris l'époque contemporaine ;

- des éléments d'une culture scientifique et technologique relative aux sciences de la vie et de la matière ;

- des éléments d'une culture artistique fondée notamment sur la sensibilisation aux oeuvres d'art ;

- une culture physique et sportive.

Pour accéder à cette connaissance du monde dans sa diversité et son évolution, l'enfant doit développer des capacités à :

- formuler des questions ;

- proposer des solutions raisonnées à partir d'observations, de mesures, de mise en relation de données et d'exploitation de documents ;

- concevoir, fabriquer et transformer, selon une progression raisonnée ;

- inventer, réaliser, produire des oeuvres ;

- maîtriser progressivement les techniques de l'information et de la communication ;

- se maîtriser, utiliser ses ressources et gérer ses efforts, contrôler les risques pris (323).

Art. 4. -   L'enfant doit acquérir les principes, notions et connaissances qu'exige l'exercice de la citoyenneté, dans le respect des droits de la personne humaine définis dans le Préambule de la Constitution de la République française, la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention internationale des droits de l'enfant, ce qui implique la formation du jugement par l'exercice de l'esprit critique et la pratique de l'argumentation (324).

Art. 5. -  La progression retenue, dans la mesure compatible avec l'âge de l'enfant et son état de santé et sous réserve des aménagements justifiés par les choix éducatifs effectués, doit avoir pour objet de l'amener, à l'issue de la période d'instruction obligatoire, à un niveau comparable dans chacun des domaines énumérés ci-dessus à celui des élèves scolarisés dans les établissements publics ou privés sous contrat.  (325)»

Ce droit à l'instruction à domicile appelle toutefois trois séries d'observations : il a un ancrage constitutionnel et conventionnel fort ; il peut être sujet à détournement comme on l'a vu à Tabitha's Place ; il mérite d'être plus encadré qu'il ne l'est aujourd'hui.

a) L'instruction à domicile : l'ancrage constitutionnel et conventionnel de la liberté d'enseignement

La liberté de l'enseignement a valeur de principe fondamental reconnu par les lois de la République (77-87 DC, 23 novembre 1977, Rec. p. 42). Si la jurisprudence constitutionnelle n'a pas déterminé les contours exacts de cette liberté, celle-ci renvoie au libre choix des parents. Par ailleurs l'article 2 du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme stipule que « l'État, dans l'exercice de ses fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

Au droit fondamental à l'instruction correspond un droit des parents au respect de leurs convictions religieuses et philosophiques. Il ressort de la jurisprudence de la cour de Strasbourg que l'éducation des enfants est la somme des procédés par lesquels dans toute la société, les adultes tentent d'inculquer aux plus jeunes leurs croyances, coutumes et autres valeurs, tandis que l'enseignement ou l'instruction vise notamment la transmission des connaissances et la formation intellectuelle (CEDH, Campbell et Cosans, 33, 25 février 1992). Mais dans ce même arrêt, la cour définit les convictions philosophiques comme celles « qui méritent respect dans une société démocratique et ne sont pas incompatibles avec la dignité de la personne et, de plus, ne vont pas à l'encontre du droit fondamental de l'enfant à l'instruction ». Dans un contentieux plus récent, il ressort que la Cour dispose d'une assez grande latitude de jugement pour s'assurer « que les limitations mises en œuvre ne réduisent pas le droit dont il s'agit au point de l'atteindre dans sa substance même et de le priver de son effectivité » ; à cette fin elle doit « se convaincre que celles-ci sont prévisibles pour le justiciable et tendent à un but légitime... de telles limitations ne doivent pas non plus se heurter à d'autres droits consacrés par la convention et les protocoles » (Leyla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005, req. 44774/98).

Il est toutefois des situations en Europe où l'instruction à domicile par les parents est proscrite. C'est le cas par exemple dans le Bade-Wurtemberg (article 14 de la Constitution du Land et article 72 de la loi sur l'école (Schulgesetz)) ; en Bavière (article 129 de la Constitution). Dans la ville-État de Hambourg (article 114, al.1 de la loi sur l'école), le refus d'envoyer les enfants à l'école est passible d'amendes et entraîne une exécution forcée de la part des autorités de l'obligation d'instruire dans un établissement scolaire (Verwaltungsgericht Hamburg, 15 und 21 März 2006, 15V 418 /06). L'éducation des enfants, dans des structures collectives, a eu le pas sur les choix des parents, comme l'a souligné la cour administrative d'appel de Bavière dans un jugement du 18 septembre 2002 (7 ZB 02.1701 Au 9 K 02.294).

Un tour d'horizon dans les autres États membres de l'Union européenne conduit à constater qu'en dehors de l'Allemagne, la scolarisation à domicile n'est pas pratiquée en Espagne et en Grèce.

À l'inverse, la scolarisation dans le cercle familial est autorisée en Suisse dans la plupart des cantons, sous réserve du respect du programme officiel et d'un contrôle régulier par un inspecteur scolaire. La scolarisation par la famille est également admise dans les trois communautés flamande, française et germanophone de Belgique, qui sont compétentes en matière d'enseignement. Il en va de même au Danemark, en Italie et en Suède. En Autriche, si l'éducation en dehors du système scolaire est permise («haüslicher Unterricht »), chaque élève placé dans cette situation doit passer un examen à la fin de l'année scolaire, pour vérifier qu'il est du niveau des élèves de l'école publique. Il existe donc une obligation d'instruction mais pas une obligation de scolarisation. En Pologne, un enfant qui suit sa scolarité en dehors du système scolaire est soumis à un examen à la fin de cette scolarité, dans l'établissement dont il dépend territorialement et qui l'a autorisé à suivre ce parcours.

À la lumière de ces derniers exemples, on pourrait concevoir dans le cas français que les conditions du recours à l'instruction à domicile soient définies plus précisément. Celle-ci pourrait se justifier dans l'hypothèse de la maladie, d'un handicap de l'enfant, d'un déplacement de la famille et de tout autre motif réel et sérieux des parents qui serait apprécié par l'inspecteur d'académie sous le contrôle du juge administratif. Une réécriture du dispositif de l'article L. 131-10 du code de l'éducation est proposée en ce sens.

b) Le risque d'un détournement de la loi : l'exemple de Tabitha's Place

Historiquement, l'instruction à domicile devait se dérouler dans la famille. La jurisprudence de la Cour de cassation de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle sur l'obligation de déclaration des écoles de fait est à cet égard sans équivoque. Cette jurisprudence, qui s'inscrivait à l'époque dans le contexte de la mise en place de l'instruction obligatoire, fixe en effet les limites de l'instruction dans la famille.

Ainsi une demoiselle Gauthier avait en 1884 à l'Isle-sur-le-Serein réuni chaque jour dans une pièce qu'elle qualifiait de garderie, de vingt à trente enfants, âgés de trois à onze ou douze ans, filles pour la plupart, mêlées à quelques garçons. Elle n'apprenait pas à lire aux plus petits mais elle faisait descendre successivement dans une autre pièce ceux qui étaient en âge de comprendre et les y faisait lire et calculer, les uns après les autres, sans que jamais ces leçons fussent données à plusieurs à la fois. La chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 25 février 1886 (Chambre criminelle, Cour de cassation, 1886, n° 87, p. 136) a donné raison à la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Paris : « Attendu que l'arrêt a pu voir, à bon droit, dans les faits ainsi constatés la tenue d'une véritable école ; que par le concours de la réunion habituelle des enfants dans une salle commune, et de l'enseignement séparé qui leur était donné, la prévenue procurait aux enfants et s'assurait pour elle-même tous les avantages et les effets de l'enseignement primaire, public et libre. »

Cette jurisprudence a été confirmée ultérieurement. À propos de leçons particulières données par deux personnes dans quelques familles, qui avaient réuni trois enfants appartenant à deux familles, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que, « si l'enseignement que le père fait donner en particulier à ses enfants échappe à la réglementation, il n'en est pas de même lorsqu'il y a réunion de diverses familles », « que quelque limité que soit le nombre d'enfants qui sont admis, un pareil enseignement ne saurait être confondu avec l'enseignement domestique ; il rentre, au contraire, dans la catégorie des écoles libres pour l'ouverture desquelles il est indispensable que l'instituteur fasse les déclarations prévues par les articles 37 et 38 de la loi du 30 octobre 1886 » (Chambre criminelle, Cour de cassation, 1903, n° 388, p. 653).

En 1904, la chambre criminelle de la Cour de cassation développe ce raisonnement, en recourant à un faisceau d'indices : « La réunion de plusieurs professeurs dans la même maison, la simultanéité des leçons données dans des salles séparées, mais concurremment par les diverses institutrices d'après un tableau arrêté à l'avance ; la présence simultanée de plusieurs enfants, sous la surveillance du personnel enseignant ; l'organisation des leçons d'après une unité de vue et de direction, et conformément au tableau arrêté à l'avance, ne permettent pas de reconnaître aux leçons données dans ces circonstances de fait le caractère de l'enseignement que le père fait donner en particulier à ses enfants ; par un enseignement ainsi organisé, les prévenues procuraient aux enfants et s'assuraient pour elles-mêmes tous les avantages et effets de l'enseignement primaire public et libre. » (Chambre criminelle, Cour de cassation, n° 338, p. 563).

De son côté, la circulaire précitée de l'éducation nationale du 14 mai 1999 rappelle que « selon la jurisprudence de la Cour de cassation, toute instruction dispensée collectivement, de manière habituelle, à des enfants d'au moins deux familles différentes doit faire l'objet d'une déclaration d'ouverture d'un établissement d'enseignement privé, suivant les modalités prévues par les lois du 30 octobre 1886 et du 15 mars 1850 ». Si elle extrapole cette interprétation à partir d'un cas d'espèce, il n'en demeure pas moins que la sélection d'arrêts précédents montre qu'au-delà d'un seuil, que l'on peut fixer raisonnablement à deux familles on passe d'une instruction en famille à une école de fait.

Or, c'est exactement la situation qu'a rencontrée votre rapporteur à Tabitha's Place. Si une instruction dans une famille peut se concevoir pour des raisons de santé ou peut obéir à des justifications objectives, en revanche une instruction du type de celle assurée à Tabitha's Place revêt une dimension toute autre, qui s'apparente à une école de fait et dès lors constitue un détournement de la loi.

LES CARENCES ET LES CONTRADICTIONS DE L'ÉDUCATION NATIONALE
À TABITHA'S PLACE

1. Les infractions à la loi à Tabitha's Place

a) Le défaut de déclaration des enfants

Comme l'a constaté votre rapporteur, les parents appartenant à la communauté de Tabitha's Place n'ont pas procédé aux déclarations d'enfants auxquels ils sont tenus en vertu de l'article L. 131-5 du code de l'éducation.

Or, ce défaut de déclaration est passible d'une amende de 1 500 euros.

b) L'ouverture d'une école de fait

L'article L. 441-4 du code de l'éducation - applicable aux établissements d'enseignement du premier degré privés - dispose : « Le fait d'ouvrir ou diriger une école sans remplir les conditions prescrites par les articles L. 914-4 et L. 921-1 et par la présente section est puni de 3 750 euros d'amende. - L'école sera fermée. - Est puni de la peine prévue au premier alinéa le fait, pour toute personne, dans le cas d'opposition formée à l'ouverture de son école, de l'avoir ouverte sans qu'il ait été statué sur cette opposition, ou malgré la décision du conseil académique de l'éducation nationale qui aurait accueilli l'opposition, ou avant la décision d'appel ».

Des dispositions identiques sont applicables pour les établissements du second degré privé (Article L. 441-9 du code de l'éducation) (326).

2. L'inertie et les contradictions de l'éducation nationale

Ce n'est qu'à l'occasion du déplacement de votre rapporteur sur place que l'administration de l'éducation nationale a relevé un écart entre les effectifs réels des enfants instruits à domicile et les effectifs déclarés.

L'inspecteur de l'éducation nationale compétent, dans une note de synthèse sur le contrôle de l'obligation scolaire en date du 2 décembre 2005 admet : « Le dispositif actuel de déclaration d'instruction dans les familles ne correspond certes pas à la réalité puisqu'une école de fait qui fonctionne au sein de la communauté (sic). » Or, comme on l'a vu, le défaut de déclaration d'une école est passible de 7 500 euros d'amende pour le primaire et le secondaire (deux fois 3 750 euros). L'administration de l'éducation nationale n'est cependant nullement intervenue pour imposer ces amendes.

L'éducation nationale a fait le choix du maintien de l'école de fait en violation de la loi. En créant ce précédent, elle rend beaucoup plus difficile toute opposition à des écoles de fait sur d'autres points du territoire national. Dans cette même note, elle récuse l'ouverture d'une école hors contrat :

« Dans l'hypothèse d'une ouverture d'école hors contrat, le contrôle ne porterait que sur le cursus retenu, les moyens et les conditions de sa mise en œuvre. Il nous priverait des deux leviers évoqués précédemment à savoir l'évaluation des performances individuelles des enfants qui conditionne l'actuelle régularité des suivis individuels, d'une part, et les différents échanges menés avec les familles qui ont le mérite d'étayer le regard de ces dernières concernant les parcours d'apprentissage de leurs enfants d'autre part. » (sic)

Par une décision en date du 8 décembre 2004, le conseil académique de l'éducation nationale (CAEN) de l'académie de Bordeaux a donné raison à l'inspecteur d'académie de s'opposer à l'ouverture d'une école primaire à Sus. Cette décision a été fondée « sur le non-respect des bonnes mœurs en application de l'article L. 441-2 du code de l'éducation ». L'inspecteur d'académie ayant pu constater que « les pratiques sociales pratiquées au sein de l'école ne permettaient pas la liberté de conscience des enfants concernés, non plus que l'exercice de leur citoyenneté, accompagné du refus des missions et objectifs de l'enseignement et de l'éducation généralement admis dans notre pays, ne constituent, ni un défaut d'impartialité, ni une erreur matérielle d'appréciation, ni une erreur de droit, ni un détournement de pouvoir et reposent sur des faits matériellement constatés » (sic).

L'opposition à l'ouverture d'une école privée du premier degré ne pouvant être formée selon les termes mêmes de l'article L. 441-2 que « dans l'intérêt des bonnes mœurs ou de l'hygiène », on peut craindre que le CAEN de Bordeaux ait commis une erreur de droit dans son appréciation. La communauté n'a pas contesté en temps utile cette décision devant le Conseil supérieur de l'éducation nationale. Il n'en demeure pas moins que les intérêts conjugués de Tabitha's Place et l'inaction de l'éducation nationale consacrent le statu quo.

L'ouverture d'une école hors contrat à Tabitha's Place aurait, quant à elle, trois mérites :

- elle permettrait non pas de procéder à un contrôle de connaissance de chaque élève mais de vérifier le sérieux de l'enseignement dispensé, comme le souligne la circulaire du 14 mai 1999 ;

- elle permettrait de pratiquer chaque année un contrôle ; si l'article L. 442-2 du code de l'éducation dispose que l'inspecteur d'académie « peut prescrire chaque année un contrôle », il serait souhaitable qu'il soit systématique en l'espèce ;

- elle permettrait de s'assurer du respect des bonnes mœurs et de la prévention sanitaire et sociale, comme y invite le premier alinéa de ce même article. Rappelons que l'article R. 3111-17 du code de la santé publique subordonne l'admission d'enfants dans tout établissement d'enfants à caractère sanitaire ou scolaire, à la présentation soit du carnet de santé, soit des documents en tenant lieu attestant de la situation de l'enfant au regard des vaccinations obligatoires, celles-ci étant à défaut effectuées dans les trois mois de l'admission. L'application de cet article aurait pour effet de soumettre les enfants au droit commun et par voie de conséquence, de mieux les protéger sur un plan sanitaire. Au surplus, le contrôle pédagogique n'exclut pas les autres contrôles portant sur les capacités pour diriger ou enseigner et sur les sanctions de l'inconduite ou de l'immoralité.

c) Redéfinir le régime de l'instruction dans les familles

Dans toute réflexion sur la réforme de l'instruction à domicile, les contraintes constitutionnelles et conventionnelles attachées à la liberté de l'enseignement, la prise en compte d'une demande sociale réelle en faveur de ce mode d'instruction, les effets d'une mobilité croissante des parents ne doivent pas être ignorés. Sachant que 3 000 élèves ont recours à cette formule, il ne saurait être envisagé de la supprimer, au motif qu'elle est instrumentalisée par quelques mouvements sectaires.

Pour autant l'exemple de détournement de la loi auquel s'est livrée la communauté de Tabitha's Place montre que le dispositif de l'article L. 131-10 du code de l'éducation doit être aménagé dans quatre directions :

- les motivations des parents doivent être clairement énoncées : maladie, handicap, déplacements ou tout autre raison réelle et sérieuse à apprécier par l'inspecteur d'académie ;

- l'instruction en famille ne saurait dépasser le cadre de deux familles, conformément à l'esprit de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, il y a un siècle ;

- le contrôle annuel sur les modalités de l'instruction à domicile doit s'effectuer en la seule présence des enfants et des fonctionnaires habilités. Il intervient sans préjudice du contrôle médical annuel évoqué plus haut (Cf. première partie, I, B.)

- l'enseignement à domicile devrait être articulé avec l'enseignement à distance.

Lors de la visite de Tabitha's Place, les membres de la commission d'enquête présents ont constaté que les enseignants ne disposaient d'autres outils pédagogiques que des manuels qu'ils avaient confectionnés eux-mêmes. Sans remettre en cause le choix des parents ayant opté pour l'instruction à domicile dans les conditions fixées par la loi, il serait judicieux qu'ils soient cependant aidés dans leur tâche par les outils pédagogiques de l'enseignement à distance.

Il apparaît d'autant moins difficile de s'appuyer sur cet enseignement que l'article 11 de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école a complété l'article L. 131-2 du code de l'éducation par un alinéa ainsi rédigé, qui pourrait servir fort opportunément de passerelle entre ces deux modes d'instruction : « Un service public de l'enseignement à distance est organisé notamment pour assurer l'instruction des enfants qui ne peuvent être scolarisés dans une école ou dans un établissement scolaire. »

D'ores et déjà, les inspecteurs d'académie sont conduits à émettre des avis sur les demandes d'inscription réglementée « en classe complète » (c'est-à-dire pour toutes les matières) des élèves qui souhaitent s'inscrire au CNED et bénéficier du tarif subventionné. Sont visés comme motifs dans la demande d'inscription : les soins médicaux en famille ; les parents itinérants ; les soins médicaux en établissements spécialisés ; l'éloignement géographique ; les activités sportives ou artistiques ; les autres motifs. Il appartient dans tous les cas à l'inspecteur d'académie de vérifier la légitimité du motif invoqué.

Les parents, dans le dispositif proposé par la commission d'enquête, auraient naturellement le choix entre l'enseignement public à distance et l'enseignement privé à distance. Sans s'attarder sur ce mode d'enseignement qui est évoqué dans le point suivant, on rappellera que la création des établissements privés d'enseignement à distance est soumise à déclaration et que ces organismes font l'objet d'un contrôle pédagogique ainsi que d'un contrôle de leur publicité (Article L. 444-2, L. 444-3 et L. 471-1 et suivants du code de l'éducation). Cette réforme s'articulerait logiquement avec l'obligation d'enquête sociale imposée à l'avenir aux parents ayant recours à l'enseignement à distance (cf. infra 3).

L'exercice d'un contrôle une fois par an par l'inspection d'académie, la diffusion d'outils pédagogiques homologués dans le cadre de l'enseignement à distance, le retour de l'instruction à domicile dans ses dimensions d'origine, à savoir deux familles, pourraient être de nature à éviter les dévoiements de cette procédure. Il ne faut pas se dissimuler toutefois que les mouvements sectaires peuvent toujours mettre à profit toute faille d'une législation attachée au respect de la liberté de l'enseignement pour s'y engouffrer.

3. Le contrôle de l'enseignement à distance

Aux termes de l'article L. 444-1 du code de l'éducation, « constitue un enseignement à distance l'enseignement ne comportant pas, dans les lieux où il est reçu, la présence physique du maître chargé de le dispenser ou ne comportant une telle présence que de manière occasionnelle ou pour certains exercices ». En vertu de l'article L. 444-2, la création des organismes privés d'enseignement à distance est soumise à déclaration. Un établissement public, le Centre national d'enseignement à distance (CNED), dispense également un enseignement de ce type. Son organisation et son fonctionnement sont régis par le décret n° 2002-602 du 25 avril 2002. D'après les chiffres fournis par l'éducation nationale à la commission d'enquête, 112 209 enfants dont 103 806 en métropole suivent un enseignement de cet établissement, pour le primaire et le secondaire. Ce chiffre doit toutefois être relativisé car il comprend un grand nombre de formations complémentaires à la scolarité en établissement, limitées à une seule matière. La production des cours et des devoirs, conformes aux programmes officiels, est assurée par des professeurs titulaires de l'éducation nationale. La correction des devoirs et les aides à distance sont fournies par des enseignants de l'éducation nationale, le nombre d'enseignants employés étant estimé à 4 400. Il faut ajouter également aux 112 209 élèves du CNED, 600 enfants relevant, selon les estimations de l'éducation nationale, de l'enseignement privé à distance.

Cependant, comme l'a reconnu l'inspecteur de l'administration de l'éducation nationale, membre de la cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires dans l'éducation : « s'agissant de l'enseignement à distance, nous ne contrôlons quasiment rien. [...] Si nous ne contrôlons pas l'enseignement à distance, c'est essentiellement en raison d'un manque de moyens. S'agissant du CNED, nous n'avons pas de contrôles à faire ; c'est un établissement public qui délivre un enseignement parfaitement conforme aux programmes de l'éducation nationale. Par contre, l'enseignement à distance privé a une idéologie extrêmement affirmée. Il ne respecte pas forcément nos programmes, et dit même très ouvertement que certaines parties de nos programmes ne sont pas enseignées, en particulier dans les programmes de biologie. » (327) Ce reproche a été adressé par exemple par les services de l'éducation nationale aux cours par correspondance « Le Chêne » ouverts aux enfants des Frères de Plymouth, où les activités informatiques seraient volontairement occultées et où l'enseignement des sciences recevrait une approche niant par exemple les thèmes scientifiques essentiels, comme ceux de l'évolutionnisme.

Choisir la formule de l'enseignement à distance pour l'instruction à domicile, comme le fait cette dernière mouvance, permet aux enfants de ne pas relever de l'article L. 131-10 du code de l'éducation sur l'instruction à domicile et d'échapper ainsi aux contrôles de l'inspection d'académie territorialement compétente. Comme l'a fait valoir M. Thierry-Xavier Girardot, « certains considéraient que les textes laissaient un vide juridique dans le cas des enfants non inscrits dans un établissement d'enseignement et recevant l'instruction à domicile par le biais d'un établissement d'enseignement à distance »(328). Cette brèche devrait disparaître toutefois à terme si l'article 9 du projet de loi précité sur la prévention de la délinquance est définitivement adopté (329). En effet, celui-ci prévoit que l'obligation d'enquête sociale s'imposera non seulement à l'instruction exclusivement à domicile mais également à l'instruction par le biais d'un enseignement à distance. Par conséquent le risque d'utilisation de ce cadre éducatif à des fins sectaires devrait être moindre.

Le renforcement du contrôle de l'État pourrait également recevoir un prolongement sur d'autres terrains sur lesquels M. Thierry-Xavier Girardot a attiré l'attention de la commission d'enquête : « Un éventuel contrôle de l'État devrait répondre à deux types d'objectifs : un objectif de "moralité" au sens large, bien au-delà de la seule prévention des domaines sectaires - en vérifiant notamment l'absence de condamnations pour des motifs incompatibles avec l'enseignement -, et un objectif de qualité de l'enseignement donné en exigeant des conditions de diplômes ou de qualifications professionnelles équivalentes. Cela ressemble fort à une procédure d'agrément. Faut-il aller jusque là et réglementer ce type d'activité ? Cela mérite sans doute une étude d'impact un peu plus large, et de se demander si le coût de la mesure est justifié au vu des garanties qu'elle apportera. Quoi qu'il en soit, il me paraîtrait de bon sens que les activités de soutien soient soumises à un contrôle de moralité et de qualité professionnelle de l'intervenant. » (330)

Dans cet esprit, il est apparu nécessaire à la commission d'enquête de recommander de compléter le régime de simple déclaration des organismes privés d'enseignement à distance, en proposant que le ou les dirigeants de l'entreprise ne puissent exploiter ni diriger l'une quelconque de ces entreprises dans plusieurs hypothèses : s'ils ont encouru une incapacité mentionnée à l'article L. 911-5 du code de l'éducation (331) ; s'ils ont été condamnés à une peine d'au moins deux mois d'emprisonnement sans sursis pour le délit prévu à l'article 223-15-2 du code pénal, c'est-à-dire l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse et s'il n'ont pas obtenu le diplôme du baccalauréat, le diplôme de licence ou un des certificats d'aptitude aux enseignements primaire ou secondaire. Ces dernières conditions seraient pour l'essentiel alignées sur celles prévues à l'article L. 441-5 du code de l'éducation pour l'ouverture des établissements d'enseignement privé du second degré.

4. L'obligation de déclaration des établissements d'enseignement

Les travaux de la commission d'enquête ont permis de constater que des dispositions du code de l'éducation étaient totalement méconnues par des établissements d'enseignement. Il en est ainsi des règles relatives à la publicité et au démarchage contenues aux articles L. 471-1 et suivants. Ces articles sont relatifs à la création et au fonctionnement des organismes privés dispensant un enseignement à distance ainsi qu'à la publicité et au démarchage faits par les établissements d'enseignement. L'article L. 471-3 impose à ces derniers un dépôt préalable de publicité auprès du recteur : « La publicité ne doit rien comporter de nature à induire les candidats en erreur sur la culture et les connaissances de base indispensables, la nature des études, leur durée moyenne et les emplois auxquels elles préparent ».

Or, par exemple, à l'exception d'un seul (Maina Danion Tutoring - adepte de la Scientologie, sis 49 rue du Général de Gaulle, à Lamballe (Côtes d'Armor)), les établissements de soutien scolaire identifiés par la commission et entrant dans le champ d'application de ce dispositif n'avaient pas procédé à une telle déclaration. Justifiée par le souci de protéger le consommateur, cette disposition doit précisément servir à mettre en garde celui-ci contre toute instrumentalisation par un mouvement sectaire, d'autant que sa méconnaissance est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (art. L .471-5 issu de l'article 16 de la loi n° 71-536 du 7 juillet 1971). S'agissant des cours de soutien proposés par M. Bernard Halbeisen, professeur des écoles, membre de la Scientologie, cité plus haut, on note par exemple que ni l'inspection d'académie ni les services de l'administration centrale du ministère n'ont saisi, en temps utile, le parquet, comme les y invitait l'article L. 471-5. L'attention de tous les établissements d'enseignement, quels qu'ils soient, doit donc être attirée par voie de circulaire, sur cette règle. Son champ d'application très large montre au demeurant que la position de l'administration de l'éducation nationale tendant à ignorer le soutien scolaire et au-delà le périscolaire est contestable, puisque cette obligation de publicité auprès du Rectorat s'impose à tous les organismes ou établissements d'enseignement.

5. L'agrément des organismes de soutien scolaire

Comme évoqué précédemment, l'agrément des organismes de soutien scolaire est soumis au statut des agréments des organismes de services d'aide à la personne à domicile. Il s'agit, en vertu des dispositions combinées de l'article L. 129-1 et de l'article R. 129-1 du code du travail, d'un agrément facultatif et simple par opposition à l'agrément « qualité », qui s'applique à des publics particuliers comme les personnes âgées, handicapées ou dépendantes. Même si dans les faits cet agrément est rendu nécessaire pour le bénéfice de l'avantage fiscal qui y est lié, la loi ne l'impose pas formellement. Il apparaît donc opportun d'exiger cette obligation d'agrément à l'article L. 129-1 du code du travail, en prévoyant un agrément simultané du ministère chargé de l'éducation nationale et du ministère chargé du travail pour le service à la personne consacré au soutien scolaire, lorsque ce dernier est assuré par un organisme à but lucratif. Au surplus les conditions personnelles exigées aujourd'hui des dirigeants de l'entreprise pour l'attribution de l'agrément sont définies à l'article R. 129-3 du code du travail et semblent se situer en deçà de ce que l'on est en droit d'attendre d'un encadrement d' une telle activité ; ces dirigeants ne doivent pas avoir fait l'objet d'une condamnation pour l'une des infractions mentionnées à l'article 1er de la loi n° 47-1635 du 30 août 1947 relative à l'assainissement des professions commerciales et industrielles et la personne représentant l'entreprise dont l'activité est en lien avec des mineurs ne doit pas avoir été inscrite au fichier national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles.

Renforcer ces conditions préalables rejoindrait la suggestion faite à la commission d'enquête par M. Thierry-Xavier Girardot(332), évoquée plus haut, consistant à soumettre la direction de l'entreprise de soutien scolaire à des conditions de moralité et à des exigences professionnelles accrues. Dans un souci de simplicité et dans la mesure où les objectifs sont les mêmes, il a semblé justifié de subordonner l'ouverture des organismes de soutien scolaire à des conditions identiques à celles prévues pour les organismes d'enseignement à distance.

D. UNE ABSENCE DE CONTRÔLE DES ACTIVITÉS DES PSYCHO-THÉRAPEUTES

Au cours de son audition devant la commission d'enquête, M. Bernard Basset, sous-directeur à la direction générale de la santé a reconnu que « le champ de la santé mentale est tout à fait propice à l'intervention des mouvements à caractère sectaire. Car les personnes ayant soit des troubles mentaux avérés, soit des difficultés passagères liées à un événement grave de leur vie, sont dans une situation de vulnérabilité. Elles sont souvent en recherche de soutien, de réconfort, et n'ont pas, la plupart du temps, la même vigilance à l'égard de ceux qui s'adressent à eux et prétendent les aider »(333).

La manipulation mentale constituant le premier moyen d'action auxquels ont recours les mouvements à caractère sectaire, les activités des spécialistes du mental que sont les psychothérapeutes ont retenu l'attention de la commission d'enquête. L'usage déviant de certaines techniques de psychothérapie, dont les enfants sont les premières victimes, apparaît constituer un nouveau trait du paysage sectaire.

1. Un nombre de psychothérapeutes en croissance continue

Dans ce que Mme Claude Delpech, au cours de son audition, a appelé « la nébuleuse de "l'ego" »(334), le nombre de thérapies ne cesse de croître, et en conséquence, le nombre de psychothérapeutes. Celui-ci s'élève, selon les estimations de l'INSEE à 28 500 (psychothérapeutes, psychologues et psychanalystes) en 2005, ce qui représente une augmentation de 35,71 % depuis 1999. Si l'on considère les seuls thérapeutes (psychothérapeutes, psychologues et psychanalystes) inscrits au fichier des redevables professionnels, ce nombre est de 8 776 en 2006 en augmentation de 72,31 % depuis 2000.

Le rapport du Sénat sur le projet de loi relatif à la politique de santé publique procédait en 2004 aux évaluations suivantes : « Environ 13 000 psychiatres et 15 000 psychothérapeutes exercent aujourd'hui la psychothérapie en France. Sur ces 15 000 psychothérapeutes, une forte majorité ne disposerait pas des diplômes exigés par le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire qu'ils exercent librement leur art, parfois avec une extrême compétence, parfois au moyen de pratiques confinant au charlatanisme. L'enseignement est délivré par près de cinq cents écoles différentes et qui associent en général, travail sur soi, travail en supervision et confrontation des expériences entre pairs [...] Au total, entre trois et cinq millions de personnes recourraient chaque année à ces pratiques, le plus souvent de leur propre initiative et sans bénéficier d'une prise en charge par la sécurité sociale. »(335)

M. Lionel Gaugain, président du centre d'information et de prévention sur les psychothérapies abusives et déviantes (CIPPAD) a fait état du nombre de psychothérapeutes exerçant dans le département du Maine-et-Loire : « 20 en 1995, puis 50 en 2000 et 90 en 2005. » À cette augmentation, M. Gaugain a apporté l'explication suivante : « Comment peut-on expliquer que le nombre de psychothérapeutes soit multiplié par deux tous les cinq ans ? Leur activité n'est pas très lucrative si l'on s'arrête aux consultations. Elle commence à devenir intéressante à partir du moment où ils participent à des stages, de développement personnel ou de formation professionnelle. J'ai le cas d'une psychothérapeute qui gagnait 4 200 euros dans l'année en consultation, et 17 500 euros au titre d'un contrat de formation pour des personnels d'une maison de retraite.(336) »

On relève, de fait, que l'offre de techniques psychothérapeutiques présente une diversification qui va en s'accroissant, à mesure que celles-ci se confondent avec tous les procédés censés apporter du bien-être. Si une approche méthodique de la psychothérapie ne distingue que trois grandes catégories de soins(337) (cognitivo-comportementale, psychanalytique, familiale et de couple), certaines fédérations de psychothérapeutes proposent un choix beaucoup plus vaste. Ainsi la fédération française de psychothérapie et de psychanalyse a établi la liste des techniques suivantes(338) :

Analyse bioénergétique

Analyse des rêves

Analyse psycho-organique

Analyse transactionnelle

Art-thérapie

Danse-thérapie

Intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires

Gestalt-thérapie

Haptonomie

Hypnose classique

Hypnose éricksonienne

Intégration posturale thérapeutique

Massage psychothérapeutique

Musicothérapie

Programmation Neuro-Linguistique thérapeutique

Psychodrame

Psychogénéalogie

Psychologie de la motivation

Psychosynthèse

Psychothérapie analytique

Psychothérapie brève

Psychothérapie centrée sur la personne

Psychothérapie intégrative

Psychothérapie psychocorporelle

Psychothérapie transpersonnelle

Relaxation

Rêve éveillé

Sexothérapie

Somatothérapie Psychosomatothérapie Psychosomatanalyse

Sophia-analyse

Sophrothérapie

Technique de respiration

Thérapie cognitivo-comportementale

Thérapie familiale analytique

Thérapie familiale et systémique

Thérapie primale

Végétothérapie

Toute personne éprouvant la nécessité de suivre une thérapie se trouve cependant confrontée à une offre encore plus large, qu'on peut mesurer à partir d'un échantillon de mots clés d'un site Internet consacré au bien-être (339) et reprise en l'état ci-après :

Alimentation et nutrithérapie

Analyse Bioénergétique

Analyse et réinformation cellulaire

Analyse Transactionnelle

Antenne de Lecher

Approche de l'Alignement

Aragonite

Aromathérapie

Art-thérapie

Astrologie

Astrologie Evolutive®

Atelier d'écriture

Ayurveda

Bilans et thérapies énergétiques

Bio-communication Instrumentale

Biodanza ® (Biodanse)

Bioénergétique Vibratoire

Biogym

Biologie Totale & Déprogrammation biologique

Biosyntonie

Body-Mind Centering ®

Bodymind Movement

Buqi

Catharsis glaudienne

CBMC

Chaînes Musculaires

Chamanisme

Chi

Coaching

Cohérence cardiaque

Communauté thérapeutique

Communication non violente

Constellation systémique familiale

Daseinsanalyse

Décodage Biologique

Décoration naturelle

Do In

Drainage Lymphatique

Dyna Drainage

Eau (travail dans l')

Ecoute ton Corps

EFT Emotional Freedom Technique

Elixirs Floraux

EMDR

EMF Balancing Technique

Energétique

Enfant intérieur

Ennéagramme

Espere (Méthode)

Euphonie gestuelle

Eutonie

Fasciathérapie

Feldenkrais

Feng Shui

Fleurs de Bach

Géobiologie

Gestalt

Graphothérapie

Groupes Balint

Haptonomie

Harmonisation du corps et de l'esprit

Health Kinesiology

HTSMA

Hydrothérapie

Hypnose

Hypnovision

Idogo

Intégration Posturale

Iridologie

Jeûne

Kinésiologie

Lait d'ânesse

Massage Harmonisant

Massage Holistique ®

Massage Initiatique ®

Massage Sensitif Belge

Massage Sensitif Camilli

Massages bébés

Médecine Chinoise

Médecine de l'âme

Médiation

Méditation zen

Méthode Camilli

Méthode Danis Bois

Méthode de Libération des

Cuirasse © (MLC)

Méthode Mézières

Méthode Silva

Méthode Tomatis

Microkinésithérapie

MORA

Morpho-sémiologie

Morphopsychologie

Naturopathie

NITS

Noni

Numérologie

Orientation

Orthokinésiologie

Ostéopathie

Oxygen

Pédagogie clinique

Pédagogie Perceptive du Mouvement MDB

PhotoReading®

Phyllis Krystal

Phythothérapie

Planning Familial Naturel

PNL

Préparation affective à la naissance

Processus Hoffman

Psychanalyse

Psychanalyse Jungienne

Psychogénéalogie

Psychologie Analytique ou psychanalyse Jungienne

Psychologie Biodynamique

Psychologie orientée vers le processus

Psychopathologie

Psychosynthèse

Psychothérapie à médiation corporelle

Psychothérapie analytique à médiations

Psychothérapie Corporelle Intégrée

Psychothérapie fonctionnelle

Psychothérapie par le Souffle

Qi Gong

Rebirth

Réduction d'Incidents Traumatiques

Réflexologie

Reiki

Relaxation coréenne

Relaxothérapie

Relooking

Rétrogénèse

Sancorres

Shiatsu

Sinobiologie

Somatanalyse

Somnothérapie

Sophia-Analyse

Sophrologie

Sophrologie Caycédienne

Sophrologie Dynamique

Tai Chi Chuan

Tantra

Tao de la santé

TCM

Technique Alexander

Thérapie brève (modèle Palo Alto)

Thérapie centrée sur la personne

Thérapie cognitivo-comportementale

Thérapie Narrative

Thérapie Somatique des traumatismes

Thérapies aquatiques

Thérapies psycho-corporelles

Tradition Andine

Transpersonnel

Validation Therapy

On s'interroge sur l'absence d'évaluation de ces techniques par les pouvoirs publics. Seules des questions écrites posées par des parlementaires ont amené le ministère de la santé à reconnaître, par exemple, la kinésiologie (340) et la sophrologie (341) comme des activités n'ayant fait l'objet d'aucune étude validée scientifiquement.

2. Des circuits de formation opaques

La nébuleuse de la psychothérapie n'est pas constituée d'une dissémination d'initiatives individuelles ; on relève au contraire un certain degré d'organisation qui, le cas échéant, accroît considérablement la nocivité de certaines pratiques. Le rapport de la Mils en 2001 avait souligné le fait que ces activités passent par des circuits de formation qui sont la source d'une part importante des profits dégagés : « La psychothérapie est souvent une activité plurielle. Les circuits de formation en représentent une part non négligeable : un psychothérapeute exerçant en cabinet libéral est souvent également formateur, voire coach. Il peut éventuellement assurer la supervision - qui lui est rémunérée - d'autres psychothérapeutes. » (342). L'exemple des formations à l'analyse transactionnelle, pris par la MILS en 2001, avait permis de mettre en évidence un système de vente pyramidale basé sur un jeu complexe de degrés d'agréments(343).

On relève une gestion commerciale tout aussi rationalisée dans le mouvement Kryeon - EMF Balancing qui propose différents types de formation : un « Programme de Croissance Personnelle » (1 076,40 euros), un stage de « Praticien Accrédité » (962,20 euros), une formation de Praticien des Phases V-VIII « Maîtres au cœur de la Pratique » (1 594 euros), chaque nouvelle formation étant conditionnée par le suivi des stages de degré inférieur ; est également proposé, au prix de 938,60 euros, un stage de « revalorisation pour les praticiens certifiés ancien programme voulant obtenir une accréditation ». On dénombre actuellement 38 formateurs détenteurs d'une licence EMF Balancing en France.

Un autre propagandiste de la théorie des enfants indigo propose, pour 300 euros par personne (550 euros pour un couple) des ateliers et des séminaires portant sur les thèmes suivants : semences d'étoiles, source intérieure (3 niveaux d'enseignement), reiki unitaire, les degrés de l'éveil, le ciel en soi. On relève que le coût d'un stage de reiki se monte à 700 euros ; il est vrai qu'il est assorti d'un diplôme de Maître-praticien enseignant, délivré après signature d'un code d'éthique et de déontologie.

L'association Ta main pour parler, chargée de propager les techniques de la communication facilitée distingue « Le facilitant autorisé à pratiquer », qui est « en cours de formation de psychophanie et de communication facilitée et a atteint le niveau CF3 lui permettant de recevoir des personnes » et « le praticien certifié » qui « a terminé sa formation ». On compte pas moins de 26 stages de formation à la technique de la communication facilitée organisés entre septembre 2006 et octobre 2007(344).Une liste non exhaustive de « praticiens certifiés » permet de dénombrer 30 « facilitants et praticiens », la majorité étant formée de psychothérapeutes (on y dénombre aussi 3 médecins)(345). Une charte éthique dite « charte du facilitant » a même été rédigée(346).

Ainsi, par des systèmes d'agrément ou de labels, de multiples stages de formation et de chartes de déontologie pro domo sua se constituent de véritables réseaux de praticiens.

L'appartenance à un réseau n'est pas contradictoire avec la participation à plusieurs autres. On constate ainsi que plus le niveau général de formation du psychothérapeute s'éloigne des critères universitaires, plus il revendique de spécialités. Par exemple, la présidente de l'association Arsinoé(347), qui s'est spécialisée dans la défense de l'enfant en danger, présente les compétences suivantes : « psychothérapeute, conseillère en relations humaines, formée à la psychologie transpersonnelle d'orientation jungienne, pratique le rebirth, le rêve éveillé dirigé, la sophrologie, l'Art-thérapie (sons, couleurs, mandala), en individuel et en groupe. » (348) Cette multiplication des labels constitue manifestement un procédé commercial.

En outre, ces réseaux sont d'autant plus denses que, comme en a fait part un témoin auditionné à huis clos par la commission d'enquête, les psychothérapeutes peuvent entre eux s'adresser les patients.

3. La réglementation du titre de psychothérapeute, un exercice inachevé

Ce n'est qu'en 2004, avec le vote de l'article 52 de la loi n° 2004-806 relative à la politique de santé publique, que l'exercice de la profession de psychothérapeute a fait l'objet d'une réglementation. Selon les termes de M. Bernard Accoyer, il convenait de légiférer « parce qu'il y a un vide juridique qui fait que n'importe qui peut visser sur la façade d'un immeuble sa plaque en s'arrogeant le titre de psychothérapeute »(349). Si les nouvelles dispositions législatives proposées par M. Bernard Accoyer et votées par l'Assemblée nationale en première lecture portaient sur le contenu de la pratique des psychothérapies (notamment au travers de l'établissement d'une nomenclature des pratiques reconnues), les mesures finalement adoptées par le législateur se sont concentrées sur la création d'un titre de psychothérapeute et sur les conditions de sa délivrance. Un niveau minimum de formation est ainsi garanti. En outre, ces nouvelles dispositions prévoient que les listes établies au niveau départemental seront mises à disposition du public, ce qui permettra aux personnes ayant besoin de suivre une psychothérapie de vérifier la réalité de la formation du psychothérapeute auquel elles s'adressent.

Il est cependant à regretter que la rédaction de ces dispositions législatives ne fasse pas mention des peines encourues en cas d'usurpation du titre de psychothérapeute. Il serait utile à la sécurité juridique de ce dispositif ainsi qu'à sa bonne intelligibilité qu'il soit fait référence, comme il l'a été fait pour le titre de psychologue (350), aux peines fixées par l'article 433-17 du code pénal relatif, notamment, à l'usurpation d'un titre attaché à une profession légalement réglementée (351).

Au cours de l'année 2006, trois versions successives du décret d'application de cette nouvelle disposition législative ont été rédigées par le ministère de la santé et des solidarités. Le projet de décret finalement retenu par le ministère doit encore être examiné par le Conseil d'État.

Au regard des constats dressés par la commission d'enquête, il est satisfaisant de relever que ce projet de décret lie l'usage du titre de psychothérapeute au suivi d'une formation conséquente en psychopathologie clinique. Le cahier des charges de cette formation prévoit en effet la validation d'une formation théorique de 500 heures faite dans un cadre universitaire et d'un stage pratique d'une durée minimale de 500 heures effectué dans un établissement de santé ou dans un établissement médico-social accueillant des patients atteints de pathologies psychiques.

Il convient cependant de rappeler les termes exacts du rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la politique de santé publique (352) :

« Article 18 quater, usage du titre de psychothérapeute.

« M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a rappelé la grande importance de cet article, compte tenu des abus et des excès constatés dans le domaine de la psychothérapie, notamment certaines dérives sectaires. Il a exposé les différences entre les textes adoptés par l'Assemblée nationale et le Sénat, puis il a présenté un amendement, élaboré en concertation avec M. Francis Giraud, rapporteur pour le Sénat, tendant à préciser que toutes les personnes inscrites au registre national des psychothérapeutes devront avoir reçu une formation théorique et pratique en psychopathologie clinique.

« M. Gilbert Chabroux, sénateur, a souhaité savoir si les docteurs en médecine et les psychologues pourraient être inscrits automatiquement sur le registre.

« M. Francis Giraud, rapporteur pour le Sénat, a précisé que, dans cette nouvelle rédaction, tous les utilisateurs du titre de psychothérapeute, quels que soient leurs titres et qualités, devraient avoir reçu les formations demandées, qui seront précisées par décret.

« Mme Catherine Génisson, députée, a estimé qu'il est légitime que les docteurs en médecine ne dérogent pas aux règles fixées en matière de formation.

« La commission a adopté cet amendement et l'article 18 quater ainsi rédigé. »

L'intention du législateur est claire : il n'y a pas d'exception à l'obligation de suivre une formation en psychopathologie clinique. En conséquence, les titulaires d'un diplôme de docteur en médecine, les personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations ne peuvent, au vu de leur seule spécialité, faire usage du titre de psychothérapeute.

Le bien-fondé de cette disposition législative a reçu une confirmation à l'occasion des travaux de la commission d'enquête. Il est en effet manifeste que les groupes de psychothérapeutes déviants tentent de se faire reconnaître une légitimité scientifique en mettant en avant le fait que tel ou tel d'entre eux est un professionnel de la santé. Par ailleurs, il est clair que la compétence que peut avoir un docteur en médecine ne lui donne pas de facto une compétence pour conduire une psychothérapie.

Or, force est de constater que le projet de décret soumis au Conseil d'État est, sur cet aspect, en contradiction avec le choix du législateur. Il y est en effet prévu que les professionnels précédemment cités (médecins, psychologues et psychanalystes) se voient reconnaître le titre de psychothérapeute sans suivre de formation particulière.

En plus des arguments déjà développés, on fera observer que ces dispositions auraient pour conséquence qu'un thérapeute n'appartenant plus à l'ordre des médecins pourrait néanmoins prétendre au titre de psychothérapeute, seule l'attestation de l'obtention du diplôme de docteur en médecine étant requise par le décret. Que le titulaire de ce diplôme ait quitté volontairement l'instance ordinale, ou qu'il ait été provisoirement interdit d'exercice voire radié de l'ordre, le titre de psychothérapeute lui sera néanmoins attribué de droit.

Par ailleurs le pouvoir d'appréciation du juge dans certaines affaires mettant en cause des psychothérapies déviantes s'en verrait amoindri ; l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, précédemment cité, avait en effet retenu dans ses motivations que le thérapeute dont le témoignage était mis en cause était diplômé de médecine générale « sans titre ni qualification en psychiatrie ou en psychologie.(353) » Le juge ne pourra plus se prévaloir de ce qui lui semblait relever pourtant d'une évidence, à savoir qu'une psychothérapie constitue un acte thérapeutique exigeant une formation spécialisée.

Il convient par conséquent que le décret d'application de la disposition législative réglementant le titre de psychothérapeute soit conforme aux exigences posées par le législateur.

4. La sanction nécessaire des mauvaises pratiques

Les grands courants de psychothérapie, ainsi que certains groupuscules, manifestent en général le souci d'éviter une mise en œuvre déviante de leurs techniques. Des chartes de déontologie, des codes de bonnes pratiques et des recommandations de bonnes conduites sont ainsi rédigés et se présentent comme liant moralement le praticien agréé.

Ces efforts pour procéder à une régulation des pratiques demeurent cependant de peu d'effet. D'une part, le contenu de ces règles est laissé à l'inspiration de leurs auteurs. D'autre part, aucune autorité disciplinaire ne vient sanctionner l'éventuelle inobservation de ces recommandations.

Il ne paraît pas acceptable que, dans le domaine de la santé, la reconnaissance d'un titre ne s'accompagne pas de dispositions contrôlant son bon usage.

La nécessité d'une meilleure régulation des pratiques est exprimée, de façon plus large, par toutes les professions paramédicales non organisées en ordres. Ainsi, la motivation de la création d'un ordre national des infirmiers s'est appuyée sur le constat suivant : « [...] alors que des règles déontologiques de la profession ont été définies en 1993, aucune instance ordinale n'a parallèlement été mise en place afin de veiller à leur application. [...] Il existe donc incontestablement un vide juridique qui maintient la profession dans une forme d'insécurité. »(354)

On ne peut que constater que le cadre réglementaire dans lequel s'exercent les pratiques de psychothérapies est marqué d'une insécurité encore plus forte : les psychothérapeutes ne sont pas organisés en profession et il n'y a pas de code de déontologie.

C'est pourquoi la commission d'enquête appelle de ses vœux la rédaction, en un premier temps, d'un code de bonnes pratiques commun à l'ensemble des psychothérapeutes. Ce code pourrait s'inspirer des codes de déontologie des professions de santé réglementées en se fondant sur les « principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement » mentionnés à l'article L. 4121-2 du code de la santé publique. Les intérêts supérieurs de l'enfant devraient y être particulièrement pris en compte (355).

Lier l'usage du titre de psychothérapeute au respect de règles déontologiques pourrait passer par la mise en place d'une organisation des professionnels de la psychothérapie, sur le modèle du conseil professionnel de certaines professions paramédicales institué par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (356). Certes, en l'absence de textes d'application, ce conseil n'a pas encore été créé et la constitution actuellement en discussion (357) d'ordres professionnels pour les professions concernées lui a fait perdre de sa pertinence. Une structure analogue pourrait cependant constituer une base d'organisation pour des professionnels qui, par la diversité et la nature de leurs pratiques, n'ont pas vocation à former une profession de santé au sens propre (358). Des instances disciplinaires seraient ainsi créées comprenant des représentants des professionnels, du ministère de la santé et d'un membre du Conseil d'État, comme dans la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins (article L. 4122-3 du code de la santé publique).

5. L'évaluation indispensable des techniques thérapeutiques

Le conseil professionnel, dont la commission d'enquête appelle la création, aurait aussi pour fonction, sur le modèle du conseil déjà prévu pour certaines professions paramédicales, de procéder à l'évaluation des pratiques professionnelles (359). Il ne semble, en effet, pas concevable que l'attribution d'un titre de psychothérapeute n'engage pas l'autorité publique sur l'efficacité des techniques mises en œuvre par les bénéficiaires de ce titre.

Au cours de son audition devant la commission d'enquête (360), M. Francis Brunelle, conseiller au cabinet du ministre de la santé et des solidarités a assuré qu'après une première évaluation effectuée en 2004 par l'INSERM, « le ministre de la santé a souhaité que le débat s'élargisse.[...]. Le ministre s'exprimera pour demander qu'il soit procédé, s'agissant de ces thérapies, à des évaluations plus vastes, plus fréquentes et plus scientifiques. »

M. Francis Brunelle a cependant souligné les difficultés à engager ce type de démarche : « C'est un domaine dans lequel les acteurs ont un positionnement par essence anti-cartésien. Ils dénient à la pensée cartésienne le droit d'évaluer des concepts qui s'apparentent à des concepts philosophiques, et qui sont parfois proches de dérives sectaires. Ils dénient même parfois à l'État, en tant que tel, le droit de s'immiscer dans ce domaine. Il y a là un enfermement extrêmement problématique. »

Face aux drames que certains usages déviants de techniques psychothérapiques ont entraînés, il revient cependant aux pouvoirs publics d'engager des actions vigoureuses pour rendre plus transparent l'ensemble de ces pratiques.

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS

ÉDUCATION

I. - Redéfinir le régime de l'instruction à domicile.

1. Définir précisément les conditions du choix de l'instruction à domicile : la maladie, le handicap de l'enfant, le déplacement de la famille ou toute autre raison réelle et sérieuse.

2. Exiger le recours aux instruments pédagogiques offerts par le Centre national d'enseignement à distance ou par les organismes privés d'enseignement à distance déclarés.

3. Limiter explicitement l'instruction à domicile à deux familles, l'école hors contrat s'imposant au-delà de ce seuil.

La commission d'enquête a le souci de garantir le respect de la liberté d'enseignement, qui a valeur constitutionnelle et est consacré par l'article 2 du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Toutefois, afin de faire obstacle à des dévoiements de l'instruction à domicile du type de ceux qu'elle a rencontrés à Tabitha's Place, elle recommande de redéfinir les conditions de l'accès à cette forme d'instruction, de réaffirmer que son champ d'application est limité et de la coupler avec l'enseignement à distance.

4. Rendre effective l'obligation du ministère chargé de l'éducation nationale de contrôler annuellement les modalités de l'instruction à domicile. Ce contrôle s'effectue en la seule présence des enfants et des fonctionnaires habilités, y compris les personnels de santé scolaire.

II. - Redéfinir le régime de l'enseignement à distance.

5. Imposer pour le recours à l'enseignement à distance l'enquête sociale du maire exigée pour l'instruction à domicile.

6. Soumettre les dirigeants des organismes d'enseignement à distance aux exigences suivantes :

- ne pas avoir encouru une des incapacités mentionnées à l'article L. 911-5 du code de l'éducation ;

- ne pas avoir été condamné à une peine d'au moins deux mois d'emprisonnement sans sursis pour les délits prévus à l'article 223-15-2 du code pénal ;

- avoir soit le diplôme du baccalauréat, soit le diplôme de licence ou un des certificats d'aptitude aux enseignements primaire ou secondaire.

III. - Veiller aux obligations de publicité des organismes ou établissements d'enseignement.

7. Faire respecter l'obligation de déclaration des établissements d'enseignement imposée par les articles L. 471-1 et suivants du code de l'éducation.

Il s'agit de rappeler les règles de publicité et de démarchage qui s'imposent aux organismes ou établissements d'enseignement.

IV. - Renforcer le régime des agréments des organismes de soutien scolaire.

8. Exiger un agrément simultané du ministère chargé de l'éducation nationale et du ministère chargé du travail pour les organismes à but lucratif effectuant des prestations de soutien scolaire.

9. Aligner les exigences requises pour les dirigeants des organismes de soutien scolaire sur celles de leurs homologues de l'enseignement à distance (cf. proposition n° 6).

V. - Améliorer l'information du public et la coordination des actions de l'éducation nationale avec celles de la jeunesse et des sports.

10. Prévoir une sensibilisation aux dérives sectaires dans les programmes d'éducation civique au collège et au lycée.

11. Coordonner les politiques du ministère chargé de l'éducation nationale et du ministère chargé de la jeunesse, des sports et de la vie associative en matière d'agrément des établissements qui, accueillant des jeunes afin de leur offrir des loisirs ou leur faire passer des vacances, proposent des activités éducatives.

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

12. Prévoir un enseignement sur les dérives sectaires dans les unités universitaires de formation et de recherche (UFR) de psychologie, des sciences de l'éducation ainsi que dans les IUFM.

13. Introduire, au sein des facultés de médecine, des enseignements dédiés à l'emprise mentale et à la victimologie.

Ces modules seraient plus particulièrement proposés, en fin de cursus, aux étudiants choisissant de devenir médecins généralistes ou psychiatres et pourraient être ouverts aux étudiants en dernière année de licence en psychologie. Ces modules devraient être ouverts à tous les professionnels concernés par le fait sectaire.

14. Instituer une formation des auditeurs de justice et des avocats stagiaires au fait sectaire, portant notamment sur la spécificité des contentieux relatifs au droit de la famille et au droit de la protection de l'enfance.

SANTÉ PUBLIQUE

15. Rendre obligatoire un contrôle médical annuel effectué par la médecine scolaire pour les enfants de plus de 6 ans, qui sont soit instruits dans leur famille, soit scolarisés dans des établissements hors contrat.

Si les visites médicales s'imposent pour tous les enfants jusqu'à l'âge de 6 ans, les enfants à compter de cet âge, qui sont soit instruits dans leur famille, soit scolarisés dans des établissements hors contrat échappent aujourd'hui à tout suivi médical obligatoire.

16. Unifier les régimes de sanction des refus parentaux de vaccination de leurs enfants.

Les refus parentaux de vaccination des enfants doivent, contrairement à la situation actuelle, être tous frappés des mêmes pénalités. L'article L. 3116-4 du code de la santé publique, devrait être ainsi rédigé : « Le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l'autorité parentale ou dont on assure la tutelle aux obligations de vaccination prévues aux articles L. 3111-2, L. 3111-3 et L. 3112-1 ou d'en entraver l'exécution est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende. »

17. Rappeler par voie de circulaire du garde des Sceaux les sanctions pénales applicables pour défaut de vaccination.

18. Passer outre le refus des parents d'une transfusion sanguine de leurs enfants.

Constatant les risques graves qui peuvent peser sur la vie des enfants Témoins de Jéhovah, la commission d'enquête entend les protéger mieux que la loi ne le fait actuellement, en proposant une modification du sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique.

Le texte précité est ainsi rédigé : « Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. »

Il est proposé de le compléter par la phrase suivante : « Dans le cas où ce refus a pour objet une transfusion sanguine, le médecin après avoir informé la personne titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur des conséquences de leur choix, procède à la transfusion sanguine. »

Cette modification législative devra être suivie de mesures d'assistance éducative destinées à suivre psychologiquement les jeunes transfusés lors de leur retour au sein de leur famille.

19. Demander une évaluation des thérapies non éprouvées et assurer la plus large publicité des conclusions de ces études.

20. Provoquer une inspection immédiate de certains lieux de « traitement » d'adolescents en difficulté ainsi qu'une enquête administrative sur les conditions dans lesquelles ils ont été ouverts.

Divers mouvements sectaires proposent de traiter par des enfermements rigoureux les adolescents en difficulté. Certains de ces lieux d'enfermement semblent avoir échappé à tout contrôle lors de leur création et n'avoir jamais été inspectés.

21. Améliorer la prise en charge des sortants de sectes et les accompagner sur le plan de la santé mentale.

La commission d'enquête estime qu'il est urgent de généraliser l'offre de prise en charge. Elle demande qu'une étude médicale approfondie concernant les séquelles psychologiques des sortants de sectes soit réalisée et qu'elle porte notamment sur les dommages subis par les victimes mineures. Des listes de thérapeutes spécialement formés à l'analyse de la « relation d'emprise » devraient être mises à la disposition des familles concernées.

22. Demander au ministère chargé de la santé de réaliser une monographie décrivant les conséquences sociales et sanitaires de l'appartenance de jeunes à des organisations sectaires.

23. Préciser les conditions d'attribution du titre de psychothérapeute.

La commission d'enquête estime insuffisantes les dispositions du projet de décret sur l'usage du titre de psychothérapeute. Elle considère que les titulaires d'un doctorat en médecine, les psychologues et les psychanalystes doivent attester d'une formation théorique et pratique en psychopathologie clinique, conformément aux dispositions de l'article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

24. Définir les bonnes pratiques des psychothérapeutes.

La commission considère que la délivrance du titre de psychothérapeute devrait être liée à l'adhésion à un code de bonnes pratiques, qui permettrait de procéder à un encadrement déontologique des pratiques de psychothérapie. Ces règles devraient insister notamment sur la prise en compte des intérêts supérieurs de l'enfant.

La mise en œuvre de cette recommandation devrait se faire dans le cadre d'une organisation des activités de psychothérapie au sein d'un conseil professionnel, sur le modèle du conseil professionnel de certaines professions paramédicales. Des instances disciplinaires veilleraient au respect du code des bonnes pratiques et des procédures d'évaluation des techniques thérapeutiques pourraient être diligentées.

25. Préciser les sanctions applicables en cas d'usurpation de titres.

Mieux définir les sanctions en cas d'usurpation de titres, en les articulant avec celles prévues à l'article 433-17 du code pénal.

26. Inscrire l'iboga sur la liste de l'arrêté du 22 février 1990 modifié fixant la liste des substances classées comme stupéfiants.

L'ingestion d'iboga, substance hallucinogène provenant d'un arbuste africain, est librement utilisée par certains mouvements comme traitement de la toxicomanie, puisque cette substance est aujourd'hui en vente libre en France. Psychotique et mortel, ce produit doit être inscrit dans la liste des substances classées comme stupéfiants par l'arrêté du 22 février 1990 modifié.

INTÉRIEUR

27. Modifier l'article 910 du code civil, en rétablissant un pouvoir d'opposition de l'administration aux dispositions entre vifs ou par testament au profit des associations cultuelles.

Il s'agit de rétablir un outil essentiel de régulation des associations cultuelles supprimé par l'ordonnance de simplification administrative n° 2005-856 du 28 juillet 2005.

28. Autoriser la formation de cette opposition, lorsque l'association n'a pas pour objet l'exercice d'un culte, lorsque l'exercice de ce culte n'est pas l'objet exclusif de l'association, lorsque les activités de celle-ci portent atteinte, en tout ou partie, à l'ordre public et méconnaissent les intérêts supérieurs de l'enfant.

Il s'agit par cette modification de l'article 910 du code civil, articulée avec la proposition précédente, de reprendre les critères traditionnels de la jurisprudence administrative pour la reconnaissance du statut d'association cultuelle, en y ajoutant celui des intérêts supérieurs de l'enfant. Le Conseil d'État et la Cour de cassation ont accordé une « considération primordiale » à ce dernier critère dans une jurisprudence concordante, qui reste cependant largement ignorée par la pratique administrative.

JUSTICE

29. Garantir l'assistance d'un avocat pour le mineur.

- Prévoir, dès le début d'un contentieux familial, l'assistance d'un avocat pour le mineur dont les parents ou l'un des parents sont réputés adhérer à une organisation présentant des risques de dérives sectaires.

Reconnaître ce même droit dès le début de l'enquête pour le mineur victime d'une infraction commise dans un mouvement à caractère sectaire.

I. - Droit civil

30. Permettre aux grands-parents d'un enfant de saisir directement le juge des enfants, lorsque la santé, la sécurité ou la moralité de cet enfant sont en danger.

Dans ces hypothèses, l'article 375 du code civil permet à chacun des parents, au tuteur, au mineur ou au ministère public de demander au juge des enfants d'ordonner des mesures éducatives pour le bien de l'enfant.

Les grands-parents, lorsqu'ils constatent une situation de danger dans l'éducation donnée à leurs petits-enfants, peuvent en saisir le procureur de la République qui pourra décider de saisir le juge des enfants. Or, le plus souvent, les dérives sectaires s'exerçant sur les enfants doivent être rapidement contrées. Il paraît donc nécessaire de modifier l'article précité, afin de favoriser l'action des grands-parents, inquiets des conditions de vie de leurs petits-enfants.

31. Harmoniser la politique des pouvoirs publics relative aux agréments des assistants familiaux et des adoptants.

Souhaitant qu'une même politique soit appliquée sur le territoire national et que les droits des enfants soient protégés de la même façon, dans tous les départements, la commission d'enquête invite le ministère chargé de la santé :

- à organiser des rencontres annuelles entre les directeurs des services d'aide sociale à l'enfance afin d'harmoniser les procédures d'agrément des assistants familiaux ainsi que celles des adoptants ;

- à prendre une circulaire rappelant ces conditions d'agrément.

II. - Droit pénal et procédure pénale

32. Sanctionner l'enfermement social des mineurs.

En complétant le dispositif de la loi « About-Picard » (article 223-15-2 du code pénal) relatif au délit d'abus de faiblesse, il s'agit de sanctionner l'enfermement social du mineur. L'isolement de l'enfant dans une organisation sectaire va à l'encontre des stipulations de la convention internationale des droits de l'enfant et des dispositions du code de l'éducation qui assignent à l'éducation le soin de développer la personnalité de l'enfant, de favoriser son insertion dans la société et de permettre l'exercice de sa citoyenneté.

33. Renforcer la sanction appliquée au défaut de déclaration des enfants à l'état civil, en en faisant un délit.

Aujourd'hui, la méconnaissance de l'obligation de déclaration à la naissance des enfants à l'état civil est punie d'une simple contravention de 5e classe. Il est proposé de punir cette infraction d'une peine de 6 mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.

34. Ouvrir un nouveau délai de prescription pour les mineurs victimes de l'infraction d'abus de faiblesse dans les mouvements à caractère sectaire, à compter de la date de leur majorité.

Ce délai pourrait être de dix ans dans le cas du délit d'abus de faiblesse, comme c'est déjà le principe pour les délits à caractère sexuel, en application de l'article 8, 2ème alinéa du code de procédure pénale.

35. Redéfinir les conditions de l'engagement des poursuites pour prosélytisme à l'encontre des mouvements à caractère sectaire.

L'article  19 de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001, dite « loi About-Picard » dispose : « Est puni de 7 500 euros d'amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit, des messages destinés à la jeunesse et faisant la promotion d'une personne morale, quelle qu'en soit la forme juridique ou l'objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, lorsque ont été prononcées à plusieurs reprises contre la personne morale elle-même ou ses dirigeants de droit ou de fait, des condamnations pénales définitives pour l'une ou l'autre des infractions mentionnées ci-après [suit une énumération d'infractions_. »

Subordonner la possibilité d'engager des poursuites contre un mouvement à caractère sectaire faisant du prosélytisme à destination de la jeunesse, à la condition de plusieurs condamnations préalables limite aujourd'hui la portée du dispositif.

Il serait plus efficace d'ouvrir cette possibilité dès que le mouvement en question a déjà fait l'objet d'une seule condamnation pénale définitive, pour l'une ou l'autre des infractions énumérées.

36. Transmettre systématiquement les signalements au parquet.

Ainsi que l'a indiqué le procureur général Viout lors de son audition par la commission d'enquête, le parquet se doit « d'être un demandeur exigeant d'informations, et, une fois en possession de ces informations, de faire preuve de réactivité et d'efficacité, par l'activation, tout d'abord, d'un pool d'enquêteurs, plus propre à évaluer la consistance du signalement, le poids de la suspicion dans de brefs délais permettant l'ouverture rapide d'une mesure d'assistance éducative pour soustraire le mineur à l'influence du groupe sectaire ».

Seraient visés :

- les signalements d'absentéisme scolaire. L'article L. 131-8 du code de l'éducation serait modifié en ce sens ;

- les signalements de troubles ou anomalies constatés par la médecine scolaire (prévoir une circulaire conjointe du ministre chargé de l'éducation et du ministre chargé de la santé) ;

- les signalements de risque de maltraitance parvenus au « 119 Allô, enfance maltraitée » et qui pourraient avoir un lien avec une dérive sectaire.

37. Accroître le rôle des « référents sectes » des parquets généraux.

Après huit années de fonctionnement, il apparaît que ces magistrats jouent un rôle essentiel dans les échanges d'informations qui mettent en évidence les dérives sectaires de tel ou tel groupement. Cette mission indispensable devrait toutefois être amplifiée. Le garde des Sceaux devrait actualiser la circulaire du 1er décembre 1998, afin :

- de faire remonter aux responsables de la mission de lutte contre les sectes créées au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces toutes les informations recueillies au niveau des parquets généraux ;

- de croiser leurs informations avec celles que leur fournira la MIVILUDES ;

- d'assurer entre les parquets du ressort de la cour d'appel un échange d'informations et veiller à ce que ces derniers les répercutent auprès des magistrats du siège intéressés ;

- de procéder à des échanges d'information avec les services déconcentrés de l'État : DRASS, inspections d'académie, renseignements généraux... ;

- d'assurer une liaison avec les associations  ayant pour objet de lutter contre les dérives sectaires et qui sont visées à l'article 2-17 du code de procédure pénale.

III. - Libertés publiques

38. Intégrer la lutte contre les dérives sectaires dans la législation sur les publications destinées à la jeunesse.

Il s'agit de compléter :

- l'article 2 de la loi du 16 juillet 1949, qui dresse la liste des mentions proscrites dans les publications destinées à la jeunesse ;

- l'article 14, qui interdit l'exploitation ou la vente de publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse, en faisant référence au délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse d'une personne, au sens de l'article 223-15-2 du code pénal.

39. Prendre en compte la lutte contre les dérives sectaires dans la législation relative à l'économie numérique.

Une première modification étendrait le champ d'application de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Cet article fait obligation aux prestataires techniques de l'économie numérique d'informer les autorités publiques d'un certain nombre d'activités illicites : apologie des crimes contre l'humanité, incitation à la haine raciale, pornographie enfantine. Si les autorités publiques compétentes ne sont pas promptement informées par les prestataires de services de l'existence de ces activités illicites, ces personnes s'exposent à une peine d'emprisonnement d'un an et à une amende de 75 000 euros. Il est proposé d'y adjoindre les messages ayant pour objet d'abuser frauduleusement de l'état d'ignorance ou de faiblesse d'une personne, au sens de l'article 223-15-2 du code pénal.

Une seconde modification permettrait aux enquêteurs habilités par l'autorité judiciaire de participer sous un nom d'emprunt, à des échanges électroniques, d'être en contact avec les personnes susceptibles d'être les auteurs de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse sur une personne, au sens de l'article 223-15-2 du code pénal.

IV. - Organisation judiciaire

40. Accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources aux personnes engageant une procédure au titre de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse.

Aux termes de l'article 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, les demandeurs doivent justifier de ressources inférieures à des montants fixés chaque année par décret (soit 859 euros par mois pour l'aide juridictionnelle totale et 1 288 euros par mois pour l'aide juridictionnelle partielle, ces montants pouvant être majorés pour charges de familles). Les personnes sortant d'un mouvement à caractère sectaire ne peuvent en général produire les justificatifs de ressources demandés. La mesure proposée a pour objet de les en dispenser.

FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE

41. Promouvoir des formations au fait sectaire en direction des magistrats et des avocats.

- Permettre en priorité aux juges des enfants et aux juges aux affaires familiales d'assister à la session annuelle de formation continue sur les sectes, assurée par l'École nationale de la magistrature ;

- Organiser avec les magistrats, au sein de chaque cour d'appel, des rencontres semestrielles ou annuelles, présidées par le magistrat « référent sectes » ou par un membre de la MIVILUDES et au cours desquelles pourront être confrontées les expériences ;

- Inviter le Conseil national des barreaux à instituer des formations sur le fait sectaire, notamment sur la spécificité des contentieux relatifs au droit de la famille et au droit de l'enfant.

42. Inciter les conseils généraux à mettre en place des formations au fait sectaire en direction des personnels de leurs services sociaux, en charge des procédures d'agrément des assistants familiaux ou des adoptants.

43. Former les référents régionaux « sectes » du ministère chargé de la santé et du ministère chargé de la jeunesse et des sports, afin qu'ils aient la qualification requise pour sensibiliser les agents des services déconcentrés aux dangers des dérives sectaires.

AFFAIRES ÉTRANGÈRES

44. Créer un poste de correspondant chargé, au sein du ministère, de suivre les problèmes liés aux dérives sectaires et de proposer des politiques d'action, de formation et d'information.

Au sein du ministère des affaires étrangères, aucun chargé de mission, aucune cellule de vigilance n'assure une veille sur le phénomène sectaire et ne coordonne les politiques des différentes directions pouvant être confrontées au problème. Les directives, les actions ou les formations à destination des personnels du ministère ne sont pas plus définies par une structure dédiée. Cette carence rend plus difficile l'action des diplomates, lorsqu'ils doivent expliquer à l'étranger la politique française en matière de lutte contre les dérives sectaires.

45. Sensibiliser les agents du ministère en poste à l'étranger aux risques des dérives sectaires.

Le suivi et l'assistance des enfants envoyés à l'étranger, avec ou sans leurs parents, au sein de groupements dont les dérives sectaires sont moins surveillées et réprimées qu'en France, ne sont assurés par les services consulaires que dans le cas où un signalement a été porté à leur connaissance. Ils doivent être assurés de manière systématique et préventive.

ACTION INTERMINISTÉRIELLE

I. - Mieux appréhender le nombre d'enfants non déclarés

46. Inviter les inspections générales de l'éducation nationale, des affaires sociales et de l'administration à réaliser une étude ayant pour objet, d'une part, de recenser les enfants qui ne sont pas inscrits à l'état civil et, d'autre part, de faire des propositions pour renforcer plus généralement les obligations de déclaration de naissance des enfants.

II. - Conforter l'action de la MIVILUDES

47. Faire participer le Défenseur des enfants à la lutte contre les dérives sectaires au sein de la MIVILUDES.

Afin d'améliorer la coordination des actions menées par le Défenseur des enfants et par la MIVILUDES, il est recommandé de faire participer le Défenseur des enfants au conseil d'orientation de la MIVILUDES.

48. Favoriser la coordination des actions des associations participant à la lutte contre les dérives sectaires.

Constatant le manque de coordination entre les différentes associations de défense des individus contre les dérives sectaires ainsi que la dispersion des informations qui leur parviennent, la commission d'enquête souhaite que la MIVILUDES organise annuellement une journée de réflexion qui réunirait les associations participant à la lutte contre les dérives sectaires visées à l'article 2-17 du code de procédure pénale, les magistrats, les victimes et les parents de victimes.

49. Renforcer les activités de la MIVILUDES au niveau international.

La politique française de lutte contre les dérives sectaires suscitant une certaine incompréhension de la part de plusieurs États, il convient de permettre à la mission interministérielle de jouer un rôle plus important de formation et d'information auprès des organismes internationaux. La France devrait ainsi plaider auprès du Conseil de l'Europe en faveur de la mise en œuvre de la recommandation n° 1412 du 22 juin 1999, rapportée par M. Nastase, qui préconisait la création « d'un observatoire européen sur les groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel dont la tâche serait de faciliter les échanges entre les centres nationaux ». La MIVILUDES aurait une vocation naturelle à participer à la direction d'un tel organisme.

50. Réaffirmer la spécificité de la lutte contre les dérives sectaires à l'échelon départemental.

L'article 10 du décret n° 2006-665 du 7 juin 2006 relatif à la réduction du nombre et à la simplification de la composition de diverses commissions administratives a institué, auprès du représentant de l'État dans le département, et à Paris, auprès du préfet de police, le « conseil départemental de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes ».

Ce texte faisant disparaître de facto les cellules départementales de vigilance dont les travaux constituaient une source d'information précieuse sur les mouvements sectaires existants ou sur la détection immédiate de nouvelles dérives sectaires, la commission d'enquête s'inquiète de la pertinence du nouveau dispositif, au regard de la spécificité des actions de lutte contre les dérives sectaires. Elle craint que les ordres du jour de ces conseils départementaux ne relèguent qu'au second plan de leurs préoccupations la question sectaire et que l'engagement des services de l'État dans la lutte contre les dérives sectaires devienne plus difficile à mesurer et à contrôler.

Pour ces raisons, la commission propose que chaque conseil départemental :

- crée un groupe de travail qui, consacré spécifiquement aux dérives sectaires, devra comprendre parmi ses membres, le préfet ou un de ses délégués, un représentant du conseil général, le délégué régional de la MIVILUDES, le référent parquet de la cour d'appel, les correspondants régionaux des ministères intéressés par les problèmes des dérives sectaires et des représentants des associations visées à l'article 2-17 du code de procédure pénale ; ce groupe se réunira au moins deux fois par an et rendra compte de ses travaux au conseil départemental ;

- se réunisse au moins une fois par an, sur un ordre du jour dont l'objet exclusif serait la lutte contre les dérives sectaires.

EXAMEN DU RAPPORT

La commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du mardi 12 décembre 2006 et l'a adopté à l'unanimité des présents.

Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.

CONTRIBUTIONS DE MEMBRES

DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Contribution de M. Jean-Pierre Brard, député de Seine-Saint-Denis

Montreuil, le 8 décembre 2006

JPB/GLC/sc

Monsieur Georges FENECH

Président de la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs

Assemblée nationale

126 rue de l'Université

75355 Paris 07 SP

Monsieur le Président,

Étant en déplacement à la Réunion, dans le cadre de la mission qui m'a été confiée par la commission des finances de notre Assemblée, je tenais à vous adresser cette lettre dont je vous autorise, bien évidemment, à donner lecture à l'occasion de l'examen et du vote, par les membres de notre commission d'enquête, du rapport sur l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs.

Je tenais tout d'abord à saluer le travail considérable, minutieux et précis mené par vous-même et par notre Rapporteur avec l'aide efficace des administrateurs de notre Assemblée. Nous le savons tous, la question de la lutte contre les dérives sectaires soulève parfois les passions, réveille chez certains de nos concitoyens des douleurs profondes et vives liées à leurs propres expériences mais provoque également de vives réactions de la part de ceux qui ont à craindre du regard des Pouvoirs publics sur leurs activités. Dans ce contexte, notre Président et notre Rapporteur ont su préserver le calme, la sérénité et la détermination nécessaires à l'accomplissement de nos travaux, je tiens à les en féliciter.

Je me réjouis également de constater qu'en toutes circonstances, sur un sujet aussi important que celui de la lutte contre les dérives sectaires, les parlementaires ont toujours su créer les conditions pour que les grands principes qui fondent l'État républicain ne soient pas des sujets de discorde ou d'affrontement partisan. Je suis convaincu que ce consensus prévaudra aujourd'hui encore avec le vote de notre commission sur ce rapport.

Alors que notre commission s'apprête à se prononcer sur ce rapport, je souhaite porter à votre connaissance, mon adhésion totale aux conclusions et préconisations qu'il contient et dont je salue le pragmatisme.

Nous avons pu constater, tout au long des travaux de notre commission, tant en auditions publiques qu'à huis clos, tant à l'occasion de l'examen de pièces et documents en notre possession, tant encore qu'en situation, sur le terrain, au sein de la communauté de Tabitha's Place, le bien fondé de la démarche que nous avons engagée. Oui, aujourd'hui, en France, des mineurs sont encore en danger du fait d'agissements répréhensibles émanant d'adultes se retranchant derrière des mouvements qui cherchent à se donner une certaine honorabilité. Oui, certains mouvements interdisent, aujourd'hui encore à leurs enfants d'accéder aux soins nécessaires pour assurer leur bien être physique. Oui, certains mouvements affirment et assument, en toute impunité, qu'ils privent leurs enfants de toute liberté, de tout contact avec le monde qui les entoure au nom de leurs croyances.

Face à cette réalité, les pouvoirs publics agissent et tentent de contenir ces déviances, notamment grâce à l'excellent travail mené par l'équipe de la MIVILUDES présidée par M. ROULET et rattachée au Premier ministre lui-même. Nous avons malheureusement pu constater que cela ne suffit pas à garantir l'intégrité physique et psychique de nos enfants. C'est la raison pour laquelle, je crois en la nécessité de renforcer notre législation et je crois en l'efficacité des mesures proposées dans ce rapport.

Nous voici au terme de six mois de travaux intenses et passionnants, il nous reste à adopter ce rapport, je l'espère à l'unanimité, pour faire la démonstration, une fois encore, qu'en matière de libertés individuelles et collectives nous ne transigeons pas. Faisons la démonstration que nous savons prendre en main ces questions avec courage, rationalité et sérénité.

Je vous prie de croire, monsieur le Président, en l'expression de mes sentiments distingués.

Jean-Pierre BRARD

Contribution de M. Christian Vanneste, député du Nord

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

Voilà déjà quelques mois que nous travaillons ensemble afin de mieux comprendre le développement des groupements appelés sectes et leurs influences sur les mineurs. Je tiens, tout d'abord, à souligner la qualité de la démarche. L'ensemble des pièces et témoignages reçus lors des auditions a permis une profonde réflexion sur ces problématiques centrales dans une société démocratique respectueuse de tous.

C'est ainsi que de nombreuses questions ont pu être soulevées et obtenir des réponses précises, et je me dois donc de mettre en exergue les aspects positifs contenus dans le rapport : notamment, lorsque ce dernier, dans sa proposition numéro 34, souhaite renforcer les sanctions appliquées au défaut de déclaration des enfants à l'état civil en le qualifiant de délit, ou encore, lorsqu'il s'agit d'unifier les régimes de sanction des refus parentaux de vaccination des enfants.

Il faut toutefois émettre quelques réserves qui, je l'espère, permettront d'approfondir la réflexion, et notamment sur un problème de fond que j'avais déjà souligné lors de nos réunions : la secte n'est pas définie sur le plan juridique. Les mots ou expressions « sectes », « dérive sectaire », « fait sectaire », sont utilisés sans différentiation et recouvrent des situations et des personnes les plus diverses. Finalement, une confusion est entretenue.

L'absence de définition conduit à la fois à une conception trop large qui embrasserait des mouvements religieux minoritaires dénués de la moindre nocivité et exclurait paradoxalement des dérives thérapeutiques qui se situent davantage dans le domaine des médecines alternatives.

Les notions de « dérive sectaire » ou de « fait sectaire » sont très ambiguës. Que désignent donc ces termes ? Le rapport n'apporte pas d'éléments assez précis. Ainsi, dans la proposition numéro 10 qui prévoit une sensibilisation aux dérives sectaires dans les programmes d'éducation civique, au lycée ; ou encore, dans la proposition numéro 29, qui garantit l'assistance, dans un contentieux familial, d'un avocat pour le mineur dont les parents sont réputés adhérer à une organisation présentant un risque de dérive sectaire (une telle suspicion au cube n'est pas sans rappeler l'affaire Calas)  ; ainsi, également, dans la proposition numéro 14 qui prévoit d'instituer une formation des avocats et juristes au « fait sectaire », n'arrive t-on pas alors à l'affirmation que le simple fait d'être une secte serait une dérive ? Il nous faut donc nous interroger sur ces termes qui, tant qu'ils ne sont pas définis, peuvent paraître malvenus. Il en va de même pour l'expression « manipulation psychique » qui peut s'avérer dangereuse tant elle peut couvrir un large champ...

C'est ainsi que je m'inquiète, dans la partie « Éducation », de la première proposition relative à l'instruction à domicile : il me semble que « limiter l'instruction à domicile à deux familles » et exiger « un recours à l'enseignement à distance » constituent une intrusion dans l'autonomie de la famille et dans la vie privée. Au même titre que lorsque le rapport exige une certaine « moralité » dans les organismes à distance, il m'apparaît utile de définir la notion au préalable pour une meilleure sécurité juridique.

J'aimerais donc rappeler ma proposition de s'inspirer de la législation belge qui, faisant preuve d'un certain bon sens, lorsqu'elle parle des sectes, distingue les mouvements nuisibles des autres. Cette distinction, lorsque nous avions écouté nos amis belges, m'avait beaucoup intéressé parce qu'elle nous faisait passer justement du subjectif à l'objectif. Lorsque l'on impose, par exemple, la vaccination, on peut faire valoir un critère d'objectivité. Lorsqu'en revanche, des membres d'une secte ont un comportement criminel, mais non dicté par la secte, cela ne permet pas d'interdire quoi que ce soit à l'encontre de ladite secte sauf à tomber dans le cadre de la discrimination. On devrait donc limiter nos conclusions aux groupements objectivement nuisibles. Cela me paraîtrait plus judicieux et moins problématique. Cela rappelle par ailleurs le débat fort justement souligné au début du rapport entre la liberté de conscience constitutionnellement établie et les droits de l'enfant, ce qui permettrait d'éviter une suspicion généralisée. Il faut d'ailleurs souligner ici la contradiction entre les propositions du rapport numéros 27 et 28, modifiant l'article 910 du code civil en rétablissant un pouvoir d'opposition de l'administration aux dispositions entre vifs ou par testament au profit d'associations cultuelles, et la liberté de conscience affirmée à l'article 9 de la CEDH. De surcroît, les limites apportées apparaissent en contradiction avec celles des personnes publiques visant à favoriser la réalisation d'édifices cultuels.

En outre, il convient de mieux circonscrire les dangers effectifs quant à la santé morale, mentale, psychologique et matérielle de l'enfant. Les propositions numéros 21 et 22, qui prévoient la mise en place de thérapeutes spécialisés afin de prendre en charge les sortants de secte et la constitution d'une monographie sociale sanitaire des conséquences de l'appartenance des jeunes à des organisations sectaires, me paraissent créer certains dangers. Il s'agirait en fin de compte d'une atteinte à la neutralité de l'État face au fait religieux. De ce point de vue, la contradiction du rapport qui cite les mouvements à exigence morale forte et ceux à transgression, relèvent de l'ambiguïté et de la subjectivité. La potentialité du danger laisse apparaître le risque d'une attitude de suspicion difficilement compatible avec une société démocratique et libérale.

D'autres propositions me paraissent en contradiction avec la politique que la majorité à laquelle j'appartiens mène depuis bientôt cinq ans qui vise à réduire les dépenses publiques : je fais ici référence aux propositions 13, 41, 42, 43, 44 et 50, qui prévoient des formations spécifiques, le rétablissement des structures départementales pourtant supprimées il y a peu et enfin la création de postes supplémentaires pour surveiller et sensibiliser alors que les cas recensés par la commission, après l'audition des grands ministères, sont très peu nombreux.

Les propositions en matière pénale, à l'exception de la proposition 34 du rapport, sont propices aux dérives. Le droit pénal est un droit d'application stricte. Les infractions doivent être définies sur le plan matériel et légal. On ne peut présupposer qu'une catégorie de citoyens soit présumée délinquante en raison de croyances individuelles.

Pour toutes ces raisons, malgré les excellentes contributions de ce rapport, je ne pourrai malheureusement pas le voter.

LISTE DES ABRÉVIATIONS

ADFI

Association de défense des familles et des individus victimes de sectes

AFSI 

Association Alerte Faux Souvenirs Induits

AJDA

Actualité juridique Droit administratif

ANEP 

Association nationale pour l'éducation prénatale

APA 

American Psychological Association

ARH 

Agence Régionale de l'Hospitalisation

AVIFE 

Aide aux victimes des frères exclusifs

BAFA

Brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur de centre de vacances et de loisirs

BAFD

Brevet d'aptitude aux fonctions de directeur de centra de vacances et de loisirs

BEATP

Brevet d'état d'animateur technicien de l'éducation populaire et de la jeunesse

BEDH 

Bureau européen des droits de l'homme

BEES

Brevet d'état d'éducateur sportif

CCMM 

Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales

CIAOSN 

Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles

CICNS 

Centre d'information et de conseil sur les nouvelles spiritualités

CIDE 

Convention internationale des droits de l'enfant

CIPPAD 

Centre d'information et de prévention sur les psychothérapies abusives et déviantes

CSF 

Confédération syndicale des familles

DGS 

Direction générale de la santé

DHOS 

Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins

ECJS 

Éducation civique, juridique et sociale

FECRIS 

Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme

FMSF 

False Memory Syndrome Foundation

GEMPPI 

Groupe d'étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu

INAVEM 

Institut national d'aide aux victimes et de médiation

IVI 

Invitation à la vie

JAF 

Juge aux affaires familiales

MILDT 

Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie

MILS

Mission interministérielle de lutte contre les sectes (devenue MIVILUDES)

MIVILUDES 

Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires

OSA 

Office des affaires spéciales

PMI 

Protection maternelle et infantile

RFDA

Revue française de droit administratif

RPF 

Redemption Project Force

TMPP 

Ta Main Pour Parler

UNADFI 

Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l'Individu Victimes de Sectes

UNAF 

Union nationale des associations familiales

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR
LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique

des séances tenues par la commission.

Les réunions qui ont eu lieu à huis clos sont indiquées par un astérisque

- Audition de M. Jean-Michel ROULET, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) (Procès-verbal de la séance du 12 juillet 2006)

- Audition de M. Emmanuel JANCOVICI, chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires à la sous-direction des âges de la vie (direction générale de l'action sociale) du ministère de la santé et des solidarités (Procès-verbal de la séance du 12 juillet 2006)

- Audition de Mme Chantal LEBATARD, responsable du département « Sociologie, psychologie et droit de la famille » de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) (Procès-verbal de la séance du 5 septembre 2006)

- Audition de Mme Claude DELPECH, présidente de l'Association AFSI (Alerte Faux Souvenirs Induits) (Procès-verbal de la séance du 5 septembre 2006)

- Audition de M. Daniel GROSCOLAS, président du Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM) (Procès-verbal de la séance du 5 septembre 2006)

- Audition de M. Friedrich GRIESS, président de la FECRIS, Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme (Procès-verbal de la séance du 12 septembre 2006)

- Audition de M. Henri de CORDES, président du Centre d'Information et d'Avis sur les Organisations Sectaires Nuisibles (CIAOSN) de Belgique (Procès-verbal de la séance du 12 septembre 2006)

- Audition de M. Guy ROUQUET, président de l'association « Psychothérapie Vigilance » (Procès-verbal de la séance du 12 septembre 2006)

- Audition de Mme Homayra SELLIER, présidente de l'association « Innocence en danger » (Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006)

- Audition de Mme Armelle TABARY, directrice de l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM) (Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006)

- Audition de Mme Charline DELPORTE, présidente de l'ADFI Nord Pas-de-Calais (Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006)

- Audition de M. Michel GILBERT, président du Réseau parental Europe (Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006)

- Audition de Mme Sonya JOUGLA, psychologue (Procès-verbal de la séance du mardi 19 septembre 2006)

- Audition de M. Houssine JOBEIR, maître de conférences en psychologie à l'Université de Bretagne occidentale (Brest) (Procès-verbal de la séance du 19 septembre 2006)

- Audition de M. Philippe-Jean PARQUET, addictologue et spécialiste de l'enfance (Procès-verbal de la séance du 19 septembre 2006)

- Audition de Mme Dominique SAINT-HILAIRE, ex-adepte du mouvement raëlien (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

- Audition de M. Jean-Philippe VERGNON, président de l'association Aide aux Victimes des Frères Exclusifs (AVIFE) (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

- Audition de MM. Nicolas JAQUETTE et Alain BERROU, ex-adeptes des Témoins de Jéhovah (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

- Audition de Mme Catherine PICARD, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (UNADFI) (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

- Audition de M. Lionel GAUGAIN, président du centre d'information et de prévention sur les psychothérapies abusives et déviantes (CIPPAD) (Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

- Audition de M. Roger GONNET, ex-responsable de la Scientologie (Procès-verbal de la séance du 27 septembre 2006)

- Audition de M. Michel GILBERT, parent d'un mineur victime (Procès-verbal de la séance du 27 septembre 2006)

- Audition de Me Line N'KAOUA, avocate (Procès-verbal de la séance du 3 octobre 2006)

- Audition de M. Michel DUVETTE, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice et de Mme Sophie SANSY, directrice de service au bureau des champs de compétence et des orientations à la sous-direction des missions de protection judiciaire et d'éducation (Procès-verbal de la séance du 3 octobre 2006)

- Audition de M. Jean-Olivier VIOUT, procureur général près la cour d'appel de Lyon (Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006)

- Audition du docteur Dominique DEHAUDT, conseiller titulaire du conseil départemental de l'Ordre des médecins de la Vendée (Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006)

- * Audition du général Guy PARAYRE, directeur général de la gendarmerie nationale, et du colonel Jean-François IMPINI, chef du service technique de recherche judiciaire et de documentation de la gendarmerie nationale (Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006)

- * Audition de M. Joël BOUCHITÉ, directeur central des renseignements généraux du ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire (Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006)

- * Audition de M. Thierry-Xavier GIRARDOT, directeur des affaires juridiques au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (Procès-verbal de la séance du 10 octobre 2006)

- Audition conjointe de MM. Jean-Yves DUPUIS, inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et de Pierre POLIVKA, inspecteur général de l'éducation nationale (Procès-verbal de la séance du 10 octobre 2006)

- * Audition conjointe de M. Bernard BASSET, sous-directeur à la direction générale de la santé, et de MM. Érik RANCE et Francis BRUNELLE, conseillers au cabinet du ministre de la santé et des solidarités (Procès-verbal de la séance du 10 octobre 2006)

- Audition de M. Hans-Werner CARLHOFF, chef du groupe de travail interministériel sur les sectes et les groupes psychologiques, fonctionnaire au ministère des cultes, de la jeunesse et des sports du Land de Bade-Würtemberg, et de Mme Helga LERCHENMÜLLER, chef du département juridique de l'Association de protection des consommateurs dans le domaine de l'éducation (« Aktion Bildungsinformation »), Stuttgart (Procès-verbal de la séance du 11 octobre 2006)

- * Audition de M. Michel GAUDIN, directeur général de la police nationale (Procès-verbal de la séance du 11 octobre 2006)

- * Audition conjointe de Mme Carola ARRIGHI de CASANOVA sous-directrice de la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) au ministère de la justice et de M. Michel RISPE, chef de bureau de l'entraide civile et commerciale internationale au ministère de la justice (Procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006)

- Audition de Mme Françoise ANDRO-COHEN, chargée de formation à l'École nationale de la Magistrature (Procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006)

- Audition de M. Michel HUYETTE, conseiller délégué à la protection de l'enfance de la cour d'appel de Bastia (Procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006)

- Audition, de Mme Françoise LE BIHAN, directrice adjointe du service des Français à l'étranger et des étrangers en France (DFAE), au ministère des Affaires étrangères (Procès-verbal de la séance du 17 octobre 2006)

- Audition de M. Jean-Marie HUET, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice (Procès-verbal de la séance du 17 octobre 2006)

- Audition de M. Didier LESCHI, chef du bureau central des cultes au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire (Procès-verbal de la séance du 17 octobre 2006)

- Audition de M. Étienne MADRANGES, directeur de la jeunesse et de l'éducation populaire au ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative (Procès-verbal de la séance du 18 octobre 2006)

- * Audition conjointe de M. Stéphane FRATACCI, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et de M. Marc-André GANIBENQ, sous-directeur (Procès-verbal de la séance du 18 octobre 2006)

- Audition du professeur Marcel RUFO, directeur de la « maison des adolescents » de l'hôpital Cochin de Paris (Procès-verbal de la séance du 19 octobre 2006)

- * Audition de M. Didier HOUSSIN, directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités, du Dr Carole CRETIN, chef du bureau maladie chronique enfants et vieillissement et de M. Bertrand SACHS, sociologue (Procès-verbal de la séance du 24 octobre 2006)

- Audition de M. Jean-Pierre MACHELON, président de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics (Procès-verbal de la séance du 24 octobre 2006)

- Audition d'ex-adeptes de la communauté Tabitha's Place (Procès-verbal de la séance du 5 décembre 2006)

annexes

N° 3507

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 décembre 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)

relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs

Président

M. Georges FENECH,

Rapporteur

M. Philippe VUILQUE,

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

La commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et morale des mineurs est composée de : M. Georges Fenech, Président ; Mme Martine David, M. Alain Gest, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Brard, Rudy Salles, secrétaires ; M. Philippe Vuilque, rapporteur ; Mmes Patricia Adam, Martine Aurillac, MM. Serge Blisko, Philippe Cochet, Christian Decocq, Marcel Dehoux, Guy Geoffroy, Michel Heinrich, Jean-Yves Hugon, Michel Hunault, Jacques Kossowski, Jérôme Lambert, Mme Geneviève Levy, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Jacques Myard, Daniel Prévost, Éric Raoult, Jacques Remiller, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Serge Roques, Mme Michèle Tabarot, MM. Philippe Tourtelier, Christian Vanneste, Philippe Vitel.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA COMMISSION D'ENQUÊTE

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique
des séances tenues par la Commission.

Les réunions qui ont eu lieu à huis clos sont indiquées par un astérisque

- AUDITION DE M. JEAN-MICHEL ROULET, PRÉSIDENT DE LA MISSION INTERMINISTÉRIELLE DE VIGILANCE ET DE LUTTE CONTRE LES DÉRIVES SECTAIRES (MIVILUDES) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 JUILLET 2006) 7

- AUDITION DE M. EMMANUEL JANCOVICI, CHARGÉ DE MISSION POUR LA COORDINATION, LA PRÉVENTION ET LE TRAITEMENT DES DÉRIVES SECTAIRES À LA SOUS-DIRECTION DES ÂGES DE LA VIE (DIRECTION GÉNÉRALE DE L'ACTION SOCIALE) DU MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SOLIDARITÉS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 JUILLET 2006) 21

- AUDITION DE MME CHANTAL LEBATARD, RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT « SOCIOLOGIE, PSYCHOLOGIE ET DROIT DE LA FAMILLE » DE L'UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS FAMILIALES (UNAF) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE 2006) 33

- AUDITION DE MME CLAUDE DELPECH, PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION AFSI (ALERTE FAUX SOUVENIRS INDUITS) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE 2006) 45

- AUDITION DE M. DANIEL GROSCOLAS, PRÉSIDENT DU CENTRE DE DOCUMENTATION, D'ÉDUCATION ET D'ACTION CONTRE LES MANIPULATIONS MENTALES (CCMM) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE 2006) 61

- AUDITION DE M. FRIEDRICH GRIESS, PRÉSIDENT DE LA FECRIS, FÉDÉRATION EUROPÉENNE DES CENTRES DE RECHERCHE ET D'INFORMATION SUR LE SECTARISME (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 SEPTEMBRE 2006) 71

- AUDITION DE M. HENRI DE CORDES, PRÉSIDENT DU CENTRE D'INFORMATION ET D'AVIS SUR LES ORGANISATIONS SECTAIRES NUISIBLES (CIAOSN) DE BELGIQUE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 SEPTEMBRE 2006) 81

- AUDITION DE M. GUY ROUQUET, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION « PSYCHOTHÉRAPIE VIGILANCE » (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 SEPTEMBRE 2006) 97

- AUDITION DE MME HOMAYRA SELLIER, PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION « INNOCENCE EN DANGER » (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 2006) 111

- AUDITION DE MME ARMELLE TABARY, DIRECTRICE DE L'INSTITUT NATIONAL D'AIDE AUX VICTIMES ET DE MÉDIATION (INAVEM) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 2006) 121

- AUDITION DE MME CHARLINE DELPORTE, PRÉSIDENTE DE L'ADFI NORD - PAS-DE-CALAIS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 2006) 131

- AUDITION DE M. MICHEL GILBERT PRÉSIDENT DU RÉSEAU PARENTAL EUROPE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 2006) 147

- AUDITION DE MME SONYA JOUGLA, PSYCHOLOGUE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU MARDI 19 SEPTEMBRE 2006) 155

- AUDITION DE M. HOUSSINE JOBEIR, MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN PSYCHOLOGIE À L'UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE (BREST) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 2006) 169

- AUDITION DE M. PHILIPPE-JEAN PARQUET, ADDICTOLOGUE ET SPÉCIALISTE DE L'ENFANCE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 2006) 179

- AUDITION DE MME DOMINIQUE SAINT-HILAIRE, EX-ADEPTE DU MOUVEMENT RAËLIEN (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 189

- AUDITION DE M. JEAN-PHILIPPE VERGNON, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION AIDE AUX VICTIMES DES FRÈRES EXCLUSIFS (AVIFE) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 199

- AUDITION DE MM. NICOLAS JAQUETTE ET ALAIN BERROU, EX-ADEPTES DES TÉMOINS DE JÉHOVAH (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 209

- AUDITION DE MME CATHERINE PICARD, PRÉSIDENTE DE L'UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE DÉFENSE DES FAMILLES ET DE L'INDIVIDU (UNADFI) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 229

- AUDITION DE M. LIONEL GAUGAIN, PRÉSIDENT DU CENTRE D'INFORMATION ET DE PRÉVENTION SUR LES PSYCHOTHÉRAPIES ABUSIVES ET DÉVIANTES (CIPPAD) (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE 2006) 241

- AUDITION DE M. ROGER GONNET, EX-RESPONSABLE DE LA SCIENTOLOGIE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 27 SEPTEMBRE 2006) 247

- AUDITION DE M. MICHEL GILBERT, PARENT D'UN MINEUR VICTIME (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 27 SEPTEMBRE 2006) 259

- AUDITION DE ME LINE N'KAOUA, AVOCATE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2006) 265

- AUDITION DE M. MICHEL DUVETTE, DIRECTEUR DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE ET DE MME SOPHIE SANSY, DIRECTRICE DE SERVICE AU BUREAU DES CHAMPS DE COMPÉTENCE ET DES ORIENTATIONS À LA SOUS-DIRECTION DES MISSIONS DE PROTECTION JUDICIAIRE ET D'ÉDUCATION (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2006) 277

- AUDITION DE M. JEAN-OLIVIER VIOUT, PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE LYON (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 4 OCTOBRE 2006) 303

- AUDITION DU DOCTEUR DOMINIQUE DEHAUDT, CONSEILLER TITULAIRE DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS DE LA VENDÉE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 4 OCTOBRE 2006) 317

- * AUDITION DU GÉNÉRAL GUY PARAYRE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA GENDARMERIE NATIONALE, ET DU COLONEL JEAN-FRANÇOIS IMPINI, CHEF DU SERVICE TECHNIQUE DE RECHERCHE JUDICIAIRE ET DE DOCUMENTATION DE LA GENDARMERIE NATIONALE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 4 OCTOBRE 2006) 323

- * AUDITION DE M. JOËL BOUCHITÉ, DIRECTEUR CENTRAL DES RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 4 OCTOBRE 2006) 333

- * AUDITION DE M. THIERRY-XAVIER GIRARDOT, DIRECTEUR DES AFFAIRES JURIDIQUES AU MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 10 OCTOBRE 2006) 339

- AUDITION CONJOINTE DE MM. JEAN-YVES DUPUIS, INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ADMINISTRATION DE L'ÉDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE ET DE PIERRE POLIVKA, INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ÉDUCATION NATIONALE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 10 OCTOBRE 2006) 353

- * AUDITION CONJOINTE DE M. BERNARD BASSET, SOUS-DIRECTEUR À LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ, ET DE MM. ÉRIK RANCE ET FRANCIS BRUNELLE, CONSEILLERS AU CABINET DU MINISTRE DE LA SANTÉ ET DES SOLIDARITÉS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 10 OCTOBRE 2006) 365

- AUDITION DE M. HANS-WERNER CARLHOFF, CHEF DU GROUPE DE TRAVAIL INTERMINISTÉRIEL SUR LES SECTES ET LES GROUPES PSYCHOLOGIQUES, FONCTIONNAIRE AU MINISTÈRE DE LA CULTURE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS DU LAND DE BADE-WÜRTEMBERG, ET DE MME HELGA LERCHENMÜLLER, CHEF DU DÉPARTEMENT JURIDIQUE DE L'ASSOCIATION DE PROTECTION DES CONSOMMATEURS DANS LE DOMAINE DE L'ÉDUCATION (« AKTION BILDUNGSINFORMATION »), STUTTGART (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 11 OCTOBRE 2006) 377

- * AUDITION DE M. MICHEL GAUDIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA POLICE NATIONALE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 11 OCTOBRE 2006) 391

- * AUDITION CONJOINTE DE MME CAROLA ARRIGHI DE CASANOVA SOUS-DIRECTRICE DE LA DIRECTION DES AFFAIRES CIVILES ET DU SCEAU (DACS) AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE ET DE M. MICHEL RISPE, CHEF DE BUREAU DE L'ENTRAIDE CIVILE ET COMMERCIALE INTERNATIONALE AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 OCTOBRE 2006) 395

- AUDITION DE MME FRANÇOISE ANDRO-COHEN CHARGÉE DE FORMATION À L'ÉCOLE NATIONALE DE LA MAGISTRATURE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 OCTOBRE 2006) 409

- AUDITION DE M. MICHEL HUYETTE, CONSEILLER DÉLÉGUÉ À LA PROTECTION DE L'ENFANCE DE LA COUR D'APPEL DE BASTIA (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 12 OCTOBRE 2006) 419

- AUDITION DE MME FRANÇOISE LE BIHAN, DIRECTRICE ADJOINTE DU SERVICE DES FRANÇAIS À L'ÉTRANGER ET DES ÉTRANGERS EN FRANCE (DFAE), AU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 17 OCTOBRE 2006) 439

- AUDITION DE M. JEAN-MARIE HUET, DIRECTEUR DES AFFAIRES CRIMINELLES ET DES GRÂCES AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 17 OCTOBRE 2006) 445

- AUDITION DE M. DIDIER LESCHI, CHEF DU BUREAU CENTRAL DES CULTES AU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 17 OCTOBRE 2006) 451

- AUDITION DE M. ÉTIENNE MADRANGES, DIRECTEUR DE LA JEUNESSE ET DE L'ÉDUCATION POPULAIRE AU MINISTÈRE DE LA JEUNESSE, DES SPORTS ET DE LA VIE ASSOCIATIVE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2006) 463

- * AUDITION CONJOINTE DE M. STÉPHANE FRATACCI, DIRECTEUR DES LIBERTÉS PUBLIQUES ET DES AFFAIRES JURIDIQUES AU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE M. MARC-ANDRÉ GANIBENQ, SOUS-DIRECTEUR (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 18 OCTOBRE 2006) 475

- AUDITION DU PROFESSEUR MARCEL RUFO, DIRECTEUR DE LA « MAISON DES ADOLESCENTS » DE L'HÔPITAL COCHIN DE PARIS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 19 OCTOBRE 2006) 489

- * AUDITION DE M. DIDIER HOUSSIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SANTÉ AU MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SOLIDARITÉS, DU DR CAROLE CRETIN, CHEF DU BUREAU MALADIE CHRONIQUE ENFANTS ET VIEILLISSEMENT ET DE M. BERTRAND SACHS, SOCIOLOGUE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 24 OCTOBRE 2006) 499

- AUDITION DE M. JEAN-PIERRE MACHELON, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE RÉFLEXION JURIDIQUE SUR LES RELATIONS DES CULTES AVEC LES POUVOIRS PUBLICS (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 24 OCTOBRE 2006) 519

- AUDITION D'ANCIENS ADEPTES DE LA COMMUNAUTÉ DE TABITHA'S PLACE (PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 2006) 539

-

Audition de M. Jean-Michel ROULET,
président de la Mission interministérielle de vigilance
et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES)


(Procès-verbal de la séance du 12 juillet 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Jean-Michel Roulet, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

Monsieur le président, vos fonctions vous désignaient tout naturellement pour ouvrir ce cycle d'auditions. Vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Michel Roulet prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Monsieur le président, la commission va procéder maintenant à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole.

M. Jean-Michel ROULET : La création de votre commission d'enquête constitue, pour la mission que je préside, un signe extrêmement fort et un encouragement. C'est également un signe extrêmement fort pour les familles, pour les victimes, pour les associations, qui attendaient depuis longtemps de voir le Parlement se saisir à nouveau de ce sujet douloureux. Sans remonter trop loin dans l'histoire, les deux précédentes commissions d'enquête parlementaires ont eu un grand retentissement. Celle de 1995 a eu un effet extraordinaire dans notre pays. Elle a été suivie de la création du premier observatoire interministériel des sectes. C'était la première fois que le Gouvernement se saisissait officiellement de ce problème. La deuxième commission d'enquête remonte à 1999. Elle était à peu près contemporaine de la création, en octobre 1998, de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes. Depuis la création en novembre 2002 de la MIVILUDES, on serait tenté de dire : « Plus rien ». Ce serait complètement faux. Ce serait ignorer le travail qu'a effectué votre rapporteur dans le cadre du groupe d'études de l'Assemblée nationale qu'il préside. Ce serait également oublier la présence, au sein du conseil d'orientation de la MIVILUDES, de huit parlementaires, quatre députés et quatre sénateurs, dont le travail assidu contribue à faire en sorte que nous ne sortions jamais du strict respect des libertés publiques. Les pouvoirs publics n'ont jamais cessé d'être vigilants.

Parmi ses nombreuses missions, la MIVILUDES a trois fonctions sur lesquelles je voudrais aujourd'hui mettre l'accent.

La première est une fonction de suivi de l'évolution du phénomène sectaire. Celui-ci évolue en effet extrêmement vite. D'une année sur l'autre, les données sur lesquelles nous devons nous pencher ne sont plus les mêmes. En particulier, les sectes ont manifesté depuis 1999 un intérêt à l'égard des mineurs qu'elles n'osaient pas montrer auparavant ou qu'elles ne manifestaient pas de manière aussi aiguë.

La deuxième fonction de la mission est une fonction d'information. Elle doit donner des informations aux familles, aux victimes, aux élus, aux administrations de l'État, au grand public à travers les médias, et bien entendu à la représentation nationale, à qui elle rend compte chaque année de ses travaux.

La troisième fonction importante est la coordination de l'action des services de l'État, pour faire en sorte que les victimes puissent, lorsqu'elles le demandent, obtenir réparation du préjudice qu'elles ont subi, et que ceux qui se sont rendus coupables d'agissements inacceptables aient à en rendre compte devant la justice. Je crois, en ce domaine, à l'exemplarité de la peine. Car nous avons en face de nous des délinquants qui savent parfaitement ce qu'ils font. La victime, le dommage sont au centre des préoccupations de la mission. Sans dommage, il n'y a pas de victime, et sans victime, nous nous voyons confrontés au principe, qui est parfois évoqué, de la liberté totale de pensée et de conscience, principe contre lequel il n'y a absolument rien à dire. Par contre, on ne peut pas, au nom de telle ou telle liberté, porter atteinte à la dignité, à la santé morale ou physique des personnes, et en particulier des mineurs.

Dans le cadre des trois fonctions que je viens de détailler, la MIVILUDES a été conduite, en 2005, à mettre l'accent sur des dérives qui, sans être nouvelles, nous paraissaient particulièrement inquiétantes, puisqu'elles touchaient à une population très vulnérable, celle des mineurs. Les gourous qui animent les organisations sectaires ne sont pas des gens très courageux. Quand ils le peuvent, ils se tournent vers des personnes en situation de faiblesse, momentanée ou durable, des personnes qui traversent des difficultés familiales, professionnelles, ou de santé. Nous avons ciblé deux populations particulièrement sensibles, celle des personnes en fin de vie et celle des mineurs. Les atteintes aux personnes âgées en fin de vie sont odieuses. Mais comme on ne peut pas traiter tous les problèmes, nous avons choisi de privilégier les atteintes aux mineurs. Parce que ceux-ci ont toute leur vie devant eux. Lorsque les mouvements s'attaquent à eux, c'est toute une vie qui est gâchée, et c'est celle de toute une famille qui est exposée. Voilà pourquoi nous avons choisi de faire des atteintes aux mineurs le thème central de notre rapport 2005, lequel correspond tout à fait, monsieur le Président, à l'objet de votre commission d'enquête.

Nous avons aussi choisi ce thème parce qu'il correspond à ce que nous entendons sur le terrain. Les parents et les grands-parents sont inquiets lorsqu'ils voient des distributions de tracts à la sortie d'une école. Nous devons leur montrer que le pouvoir exécutif comme le pouvoir législatif se préoccupent de cette situation.

Cette préoccupation est partagée hors de nos frontières, puisque la Convention internationale des droits de l'homme, qui a maintenant dix-sept ans d'âge, pose des principes qui sont systématiquement bafoués par les organisations sectaires. Quand on lit certains articles de cette Convention, on lit en creux ce que font les organisations contre les méfaits desquelles nous essayons de lutter.

Votre commission d'enquête est d'autant plus d'actualité que se tiendra en octobre prochain, à Erevan, une réunion des ministres de la Justice européens où il sera question des violences faites aux enfants. Si, à cette occasion, le représentant de la France peut évoquer quelques-uns des premiers résultats de vos travaux, même si ceux-ci ne seront pas achevés, cela renforcera grandement un certain nombre des messages que notre pays souhaite faire passer à ses partenaires européens, dans le sens d'une plus grande attention portée au phénomène sectaire.

Quels sont les rapports entre les mineurs et les sectes ? On pourrait penser que, par prudence, celles-ci s'abstiendraient de s'attaquer à une population relativement bien protégée par notre droit, ainsi que par le droit international et européen. Il n'en est rien.

Nous avons d'abord le cas des mineurs qui naissent dans une secte, ou qui y arrivent très jeunes en même temps que leurs parents. Pour ces enfants, la vie commence dans un véritable enfermement. Ils ne connaîtront rien d'autre que le milieu sectaire dans lequel leurs parents les auront, de bonne ou de mauvaise foi, introduits.

Il y a ensuite le cas des enfants qui deviennent des cibles des organisations sectaires. À cet égard, on peut distinguer deux approches. Certains enfants sont la cible directe des organisations sectaires, qui souhaitent pouvoir les formater, les robotiser, les exploiter. On leur fera faire du prosélytisme dès leur plus jeune âge, puis on en fera, selon l'expression de Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie, des « esclaves heureux ». L'autre approche consiste à passer par les enfants pour accéder aux parents. De même que l'enfant est un bon vecteur de consommation, comme l'ont compris les publicitaires, de même, il est un bon vecteur pour les sectes.

On peut dire que les enfants sont exposés en tout lieu du territoire, qu'ils résident dans des grandes villes ou à la campagne. Les mineurs le sont même en milieu carcéral, où l'on a vu des organisations sectaires s'adresser directement à eux pour leur proposer des programmes de formation, en matière scolaire, humanitaire ou spirituelle, dans le but d'en faire des adeptes au terme de leur incarcération.

Les sectes s'intéressent aujourd'hui à de nombreux domaines, que je ne ferai qu'évoquer très rapidement.

Elles s'intéressent à l'enfant avant même sa naissance. On a entendu parler très récemment, à l'occasion d'une naissance « people », d'un « accouchement à la scientologue ». De même, la Kabbale préconise un mode de naissance particulier. Quant à l'ANEP, l'Association nationale pour l'éducation prénatale, elle soutient que le cosmos est parcouru par des âmes à la recherche d'un corps. Si ce corps leur convient, elles y restent. S'il ne leur convient pas, elles se retirent, et l'enfant meurt.

Dans le secteur de la protection de l'enfance, une attention toute particulière doit être portée à la formation des personnels, qui sont une cible des organisations sectaires, car ils peuvent établir un lien entre elles et les jeunes enfants.

La question de l'adoption doit être également examinée de manière très vigilante par les services sociaux et les services judiciaires.

En matière de garde d'enfants, on constate que les collectivités territoriales, qui se voient confier de plus en plus de responsabilités dans ce domaine, peuvent, en toute bonne foi, s'adresser à des gardes maternelles qui ne présentent pas toutes les garanties requises.

Au sein de l'école publique comme de l'école privée sous contrat, les risques sont extrêmement faibles, même s'ils ne sont pas totalement inexistants. Par contre, environ 6 000 enfants sont en dehors du circuit normal. En dépit des contrôles multiples effectués par le ministère de l'éducation nationale, des dérives sont possibles, notamment en ce qui concerne les enfants recevant un enseignement à distance ou un enseignement à domicile. Les contrôles sont difficiles lorsque les centres d'enseignement ne sont pas situés sur notre territoire.

Les organisations sectaires peuvent s'investir dans le soutien scolaire. L'église de scientologie le fait en Allemagne, elle peut aussi bien le faire en France.

Certaines organisations, je pense notamment à la Nouvelle Acropole, ont adopté une approche extrêmement hypocrite, consistant à proposer aux jeunes, à la sortie des écoles, des discussions de « philosophie » au café du coin. Elles leur proposent des cours de dessin, d'art, de musique.

Les activités extrascolaires intéressent également les sectes, qui peuvent exercer leur influence sur des jeunes partis à l'étranger, à l'occasion d'un séjour linguistique.

Dans le domaine des activités de loisir, la réglementation est contournée par les organisations sectaires. Sachant que les contrôles portent sur les stages dont la durée est d'au moins sept jours, elles organisent des stages de cinq ou six jours.

Les activités sportives peuvent aussi être l'occasion d'excès déplorables et aboutir à la déstructuration des enfants, notamment quand les parents, désireux d'en faire des sportifs de haut niveau, les confient à des gourous.

On peut également mentionner les randonnées, couplées avec un jeûne important et des séances de méditation nocturne.

Les activités de détente peuvent bien sûr être un terrain d'action pour les organisations sectaires, à commencer par Internet, ou encore certaines formes de musique.

Très perverse est l'utilisation par les sectes de thèmes humanitaires. Quand on dit aux jeunes : « Non à la drogue, oui à la vie », ils répondent présents. Le seul problème est que ce slogan est celui de l'église de scientologie. Les sectes attirent également les jeunes en se plaçant sur le terrain de la défense des droits de l'homme, ou encore sur celui du combat pour la paix, dont la secte Moon avait fait, à une certaine époque, son cheval de bataille.

Un autre domaine particulièrement préoccupant est celui de la santé. Je pense bien sûr aux cas de malnutrition, mais aussi à l'instinctothérapie, qui promet la guérison des maladies par l'alimentation crue. Des personnes ont été victimes de nombreuses carences alimentaires après avoir suivi les recommandations de l'association « Joie et loisirs ». D'autres groupes préconisent le refus de la vaccination et de la transfusion sanguine. De plus en plus de groupes s'adonnent à la « guérison par la prière », qui a déjà occasionné deux décès.

Certaines organisations prétendent lutter contre l'hyperactivité des mineurs et condamnent la prescription de psychotropes. Ici, paradoxalement, elles qui minimisent sans cesse le nombre d'enfants en danger, évoquent des chiffres qui laissent rêveurs. Deux documents parus à quelques mois d'intervalle citent, pour l'Amérique du Nord, les chiffres de 6 millions et de 17 millions de mineurs en danger.

Après être apparu aux États-Unis, le phénomène des enfants dits « indigo » se développe en France depuis quelques années. Ces enfants sont des « demi-dieux » présents sur Terre.

Le handicap est hélas l'objet de l'attention de mouvements sectaires, qu'il s'agisse du Mouvement du Graal ou de ceux qui prônent la « communication facilitée », méthode censée permettre à des personnes handicapées ou autistes de s'exprimer sur un clavier avec l'aide d'un « facilitant » qui leur tient la main.

Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, les organisations sectaires sont présentes dans de nombreux domaines. Récemment, nous avons lu dans une revue de la Soka Gakkai qu'une institutrice se vantait de mettre en pratique l'enseignement qu'elle avait reçu du « Maître » dans sa communication avec ses enfants. Cela laisse pantois.

Il faut également être attentif à l'activité de certains « psychothérapeutes » dont la formation laisse beaucoup à désirer, et qui proposent des formations extrêmement dangereuses, notamment en direction des professions en contact avec les enfants. Nous constatons une prolifération de « méthodes » - on en comptait 80 il y a vingt ans, 200 aujourd'hui - qui permettent aux doctrinaires de recruter.

M. le Président : Monsieur Roulet, vous avez dressé un tableau sombre de l'activité des mouvements sectaires, et ce alors même que tous les ministères concernés siègent au conseil d'orientation de la Mission interministérielle que vous présidez. Que faire de plus ? Qu'attendez-vous de la représentation nationale ? Quelles mesures faudrait-il mettre en œuvre pour faire régresser ces atteintes intolérables à des populations très vulnérables ?

M. Jean-Michel ROULET : La première chose que l'on peut faire, c'est de faire savoir que nous nous sommes, les uns et les autres, saisis de ce problème. Lorsque les mouvements sectaires s'imaginent que le terrain est libre, ils laissent libre cours à leurs plus bas instincts. Par contre, quand ils savent que les pouvoirs publics et l'opinion publique sont mobilisés, un progrès est fait. Nous devons donner de l'écho à notre action, et donner aux parents les moyens de savoir si leurs enfants sont susceptibles ou non de tomber sous l'emprise de ces mouvements. Ils doivent être capables de décrypter le changement de langage ou de comportement de leurs enfants. Il faut également que les parents qui abandonnent leur autorité parentale entre les mains d'un gourou sachent qu'ils auront des comptes à rendre à la justice.

Avant de faire mieux, il faut faire savoir ce que nous faisons, appliquer les textes qui existent, et que chacun prenne conscience du danger. C'est la raison pour laquelle votre commission d'enquête va rendre un grand service à la lutte contre les organisations sectaires.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Dans le rapport 2005 de la MIVILUDES, vous signalez une quarantaine d'enquêtes judiciaires relatives à des mouvements connaissant ou pouvant connaître des dérives sectaires. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le pourcentage des mineurs concernés ? D'autre part, considérez-vous que notre législation est suffisante ou qu'elle gagnerait à être complétée ?

M. Jean-Michel ROULET : Dans les affaires que vous évoquez, la proportion des mineurs est d'environ un tiers. Les violences faites aux enfants au sein des mouvements sectaires ne sont pas toujours connues. Elles le sont même très rarement. Elles ne sont connues que lorsque les parents n'adhèrent pas à ces mouvements. En outre, lorsque les enfants seront devenus majeurs, ils n'auront pas nécessairement envie de dénoncer les faits.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Par conséquent, la quarantaine d'enquêtes que mentionne le rapport 2005 correspond probablement à une très faible part des actes délictueux ou criminels effectivement commis.

M. Jean-Michel ROULET : En effet. La justice ne peut pas se saisir de sa propre initiative si elle n'est pas informée. De plus, la justice ne considère pas toujours les faits qui lui sont rapportés comme relevant d'une dérive sectaire.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Y a-t-il de la part des magistrats une certaine réticence à aborder ces phénomènes ? Ou cela témoigne-t-il d'un manque d'information ?

M. Jean-Michel ROULET : Ni l'un ni l'autre. Il y a d'abord de la part des familles une certaine réticence à dénoncer ces faits. Pour ce qui est des magistrats, il me semble que la loi « About-Picard » n'a pas été exploitée comme elle aurait pu l'être. Lorsqu'un délit de droit commun est établi, les magistrats instructeurs ou les juridictions de jugement considéreront qu'il y a suffisamment d'éléments pour que le délit puisse être caractérisé et pour que l'auteur des faits soit poursuivi et puni. À partir de là, ils se disent qu'il n'est peut-être pas nécessaire d'établir qu'il y a eu emprise mentale : cela peut compliquer les choses, cela peut ouvrir des voies de recours, cela peut être gênant pour la victime elle-même, qui ne souhaite pas forcément voir évoquer le fait qu'elle a été sous emprise mentale.

Pourtant, les débats législatifs montrent que l'intention du législateur était de permettre d'exercer des poursuites sui generis, quand bien même aucun autre acte délictueux ou criminel n'aurait été commis : l'abus de faiblesse sur une personne soumise à une emprise mentale devait autoriser les poursuites.

Cela dit, l'ENM organise chaque année des périodes de formation, au cours desquelles les textes visant à réprimer les dérives sectaires sont commentés et la jurisprudence examinée. Je suis persuadé que les choses évolueront.

Pour l'avenir, des modifications législatives sont-elles nécessaires ? Toute législation est perfectible. La nôtre est déjà complète et solide. Un problème se pose, celui de la prescription. Peut-être serait-il opportun, non pas d'allonger le délai de prescription, mais de le faire courir à partir du moment où les faits sont révélés.

M. Jean-Yves HUGON : Vous avez brièvement évoqué l'utilisation d'Internet par les mouvements sectaires. Avez-vous d'ores et déjà répertorié des sites qui pourraient être dangereux ?

J'ai pu constater que l'église de scientologie est très présente en Allemagne, où elle a pignon sur rue. Pourriez-vous nous donner des informations sur la présence en France d'une autre secte, le mouvement raëlien ?

M. Jean-Michel ROULET : S'agissant d'Internet, on peut dire qu'il concerne tous les mineurs, alors que d'autres tranches d'âge l'ignorent à peu près complètement. Si vous vous connectez sur Internet, vous pourrez suivre en direct des messes rouges ou des messes noires, sans savoir si elles sont réelles ou virtuelles. Sur toute une série de sites, on vous explique comment devenir un adepte du satanisme ou des Lucifériens. On vous donnera des pistes pour obtenir des rendez-vous. On vous donnera par exemple l'adresse d'un lieu où vous pourrez rencontrer une personne qui vous fera connaître des membres d'un mouvement gothique ou « Metal ». Internet peut donc être extrêmement dangereux. Il y a certainement quelques garde-fous à introduire, sans porter atteinte à quelque liberté que ce soit.

Par ailleurs, Internet est une vitrine pour les organisations sectaires, qui se présentent sous leur meilleur visage, ce qui les rend d'autant plus dangereuses.

Il ne faut pas exagérer la présence de l'église de Scientologie, qui est loin d'avoir les effectifs qu'elle prétend, que ce soit d'ailleurs en France ou en Allemagne. En France, elle compte au maximum 2 000 personnes, ce qui n'est pas considérable. En Allemagne, les scientologues sont plus nombreux. Les Länder ont des approches différentes à l'égard de la scientologie. Mais ils ont réagi très violemment lorsqu'ils ont constaté qu'elle entreprenait d'occuper le terrain du soutien scolaire. La Bavière est en pointe dans la lutte contre cette organisation.

La Scientologie s'est beaucoup montrée en France ces derniers temps, et sous un visage sympathique. C'est ainsi qu'à l'automne dernier, lorsque ont éclaté des troubles dans les banlieues, elle s'est efforcée d'occuper le terrain, notamment en Seine-Saint-Denis. On a vu de jeunes scientologues en chasuble jaune proposer des ouvrages de scientologie. On a vu également s'investir sur le terrain de jeunes scientologues ou des enfants de scientologues adultes membres de l'organisation Youth for Human Rights. Les « Jeunes pour les droits de l'homme », c'est très sympathique. La Scientologie a aussi proposé des actions de soutien scolaire, ou encore des distributions de cadeaux de Noël aux plus défavorisés. Cette stratégie a un double but : recruter, et donner de la scientologie une image sympathique.

S'agissant des Raëliens, ils n'ont pas rencontré au Canada le succès ni la liberté de manœuvre qu'ils espéraient. Il est probable que Raël soit en ce moment en Afrique, pour promouvoir le programme qu'il a baptisé Clitoraid, qui vise à greffer un clitoris aux jeunes femmes excisées. Le coût d'une opération est de 25 000 euros. Raël demande aux gens de faire des dons. On sait que les Raëliens sont athées et placent la sexualité au centre de tout. À cet égard, les enfants exposés à cette secte courent le risque d'un viol permanent.

Le mouvement des Raëliens est également présent en France, où il distribue des tracts en vue de réunir l'argent nécessaire aux opérations de greffe du clitoris.

M. Guy GEOFFROY : Vous avez évoqué le problème des centres de loisir ou de vacances, où les enfants peuvent être approchés par les sectes. Avez-vous procédé à une observation des nombreux organismes de formation, dont certains sont publics, qui préparent les jeunes au BAFA ? Vous a-t-on signalé des dysfonctionnements ou des risques de dérive ? Discutez-vous de ce sujet avec les responsables publics, et notamment l'Association des maires de France, puisqu'un grand nombre de jeunes titulaires du BAFA sont soumis à l'autorité des élus locaux ?

M. Jean-Michel ROULET : Ce problème fait effectivement partie de nos préoccupations. Le ministère de la jeunesse et des sports est tenu d'effectuer des contrôles, mais ne peut en faire que pour des stages dont la durée excède sept jours. C'est pour cette raison que les organisations sectaires qui organisent des stages en limitent la durée à moins de sept jours. C'est sans doute l'un des points sur lesquels on pourrait envisager une évolution de la réglementation. Je ne pense pas qu'une réforme législative soit nécessaire. Sans instaurer une obligation de contrôle pour les stages de moins de sept jours - ce qui impliquerait une augmentation considérable des effectifs du ministère de la jeunesse et des sports -, il serait possible d'instaurer la possibilité de contrôler ces stages. Car la peur du gendarme, dans ce domaine, est le début de la sagesse. Un certain nombre d'organismes seraient plus prudents qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Le risque est réel. Nous avons des signalements de la part de parents et d'associations. Il est arrivé que des parents, après un stage effectué par leur enfant, aient été étonnés de son changement de comportement. Par exemple, il ne veut plus manger de viande, ou il adopte un discours extrêmement rigoureux sur un certain nombre de points. Récemment, après que de jeunes mineurs ont perdu la vie en mer, des condamnations ont été prononcées. D'une part, le personnel d'encadrement n'avait certainement pas la formation requise, et d'autre part, cette volonté de former le caractère des jeunes relevait sans doute d'une approche qui pouvait s'assimiler à une dérive sectaire.

La formation des personnels d'encadrement pose un vrai problème. Actuellement, on sous-traite cette formation, que les instituts d'État ne peuvent assurer à eux seuls. Les organismes auxquels cette formation est déléguée sont choisis avec soin. Mais il est certain que, dès lors que le dispositif est très largement décentralisé et relève de la compétence de multiples collectivités territoriales, le risque s'accroît, car toutes les collectivités territoriales n'ont pas les moyens de contrôle nécessaires. C'est pourquoi je les invite à se rapprocher des services de l'État compétents, ou à nous contacter. Nous serons en mesure de les mettre en garde contre tel ou tel organisme recourant à des méthodes dangereuses.

Nous avons des contacts avec l'Association des maires de France et les conseils généraux. J'entends les développer à l'avenir.

M. Jacques MYARD : Monsieur le préfet, vous avez fait allusion aux enfants embrigadés dans des « écoles » privées hors contrat. La MIVILUDES a-t-elle notamment enquêté sur des écoles intégristes religieuses, par exemple au niveau de la maternelle ?

M. Jean-Michel ROULET : En dehors de l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat, nous avons un paysage très divers : l'enseignement privé hors contrat, l'enseignement à distance, l'enseignement à domicile par les parents. Le ministère de l'éducation nationale, informé localement, sait en principe où sont les enfants qui ne sont pas à l'école. Un problème particulier se pose, en ce qui concerne l'enseignement à distance, lorsque le centre de télé-enseignement se situe en dehors du territoire français, ce qui est le cas le plus fréquent aujourd'hui, car cela coûte beaucoup moins cher.

Cela dit, contrairement à ce que l'on pourrait croire, il se peut que les enfants soient en danger alors même qu'ils vont à l'école publique. C'est, par exemple, le cas des enfants des Témoins de Jéhovah, qui reçoivent le même enseignement que tous les futurs citoyens de leur âge. On pourrait en conclure que tout va bien. Non, tout ne va pas bien. Parce que ces enfants entendent chez eux un discours tendant à discréditer l'enseignement qu'ils reçoivent à l'école : « On va te raconter des histoires complètement fausses ; les professeurs vont te parler de la théorie de Darwin, qui est une invention du Diable ; seule la théorie créationniste est vraie ; ne le dis pas à tes camarades, laisse-les dans l'ignorance. Mais pour avoir de bons résultats scolaires, apprends tout de même ce que t'enseignent tes professeurs et restitue-le dans tes devoirs. » On demande ainsi à ces enfants d'apprendre et de réciter quelque chose en quoi on leur dit de ne pas croire et qu'on leur présente comme une création du diable. Ils sont donc en apparence en milieu ouvert, mais sont en fait en milieu fermé, en étant obligés de jouer la comédie. Leur situation est encore plus dramatique que ceux qui évoluent dans une école fermée.

S'agissant de ces derniers, nous disposons de rapports alarmants. Le dernier rapport de la MIVILUDES a mentionné le cas des « Frères de Plymouth de la voie étroite ».

Les contrôles effectués par l'éducation nationale doivent permettre de faire en sorte que le contenu des programmes soit bien respecté. Mais en dehors de l'enseignement qu'ils reçoivent, ces enfants reçoivent un « complément d'enseignement » qui ne permet en aucun cas leur épanouissement, ne forme en rien leur sens critique et les maintient dans un état de dépendance totale.

Dans son article 17, la Convention internationale des droits de l'enfant fait obligation aux États signataires de veiller « à ce que l'enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses ». À cette fin, ils doivent encourager les médias « à diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l'enfant ». Selon l'article 13, l'enfant « a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières ». Il est clair que toutes ces dispositions ne sont pas respectées.

M. Jacques MYARD : Un autre phénomène se développe actuellement sur le territoire national, dans une autre religion du Livre. On assiste à une sorte d'embrigadement total d'enfants dès l'âge de deux ou trois ans. Vous avez cité des exemples de dérives sectaires appartenant au monde issu du judéo-christianisme. Il y en a d'autres du côté de l'islam. La MIVILUDES a-t-elle eu l'occasion d'aborder ce problème ?

M. Jean-Michel ROULET : Pour vous répondre très franchement, monsieur le député, pas encore. Mais il est évident que c'est un sujet qui nous tient à cœur. La MIVILUDES, pour obtenir des informations, est dépendante des services de l'État, et notamment de ceux du ministère de l'intérieur. Or, actuellement, les problèmes de l'islamisme sont liés, et je le dis sans pratiquer aucun amalgame, à un risque terroriste. Des prêches peuvent inciter des jeunes gens à partir pour des camps d'entraînement. C'est la raison pour laquelle ces questions sont suivies par le ministère de l'intérieur.

Cela dit, il y a certainement, dans cette communauté comme dans les autres, des risques de dérive sectaire. Ces risques ne tiennent jamais aux croyances, rarement à la doctrine. Ils tiennent toujours aux hommes. Certaines dérives sont connues. On peut considérer que persuader des mineurs qu'il est bon de se mettre une ceinture d'explosifs autour de la taille pour aller se faire sauter au milieu d'autres personnes constitue déjà une sérieuse dérive.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : S'agissant des contrôles des écoles privées hors contrat, je me suis laissé dire qu'une circulaire très ancienne oblige l'administration à les prévenir 24 ou 48 heures à l'avance. Il me semble qu'un contrôle ne peut être pleinement efficace que s'il est inopiné.

M. Jean-Michel ROULET : J'ai entendu parler de cette circulaire. Je ne sais pas si elle est encore en application. Je dois vous dire que je n'ai pas de réponse à cette question, monsieur le rapporteur.

M. Serge BLISKO : Vous avez rapidement évoqué la nécessité d'être particulièrement attentif aux procédures d'adoption. S'agit-il de renforcer l'enquête préalable à la délivrance d'un agrément aux familles adoptantes ? Les travailleurs sociaux doivent-ils vérifier que les candidats à l'adoption ne sont susceptibles d'aucune dérive sectaire ? Je sais que des Témoins de Jéhovah ont contesté un refus d'agrément auprès du tribunal administratif. Pourriez-vous faire le point sur la jurisprudence en ce domaine ?

D'autre part, s'agissant des centres de vacances, je rappelle qu'ils doivent recevoir un double agrément, l'un de la part du ministère de la jeunesse et des sports, qui garantit l'hygiène, la sécurité, la formation des personnels, et l'autre de la part du ministère de l'éducation nationale lorsqu'ils proposent des activités éducatives. Faut-il, selon vous, renforcer les contrôles en vue de ces agréments ?

J'ajoute que les collectivités locales font souvent appel à la sous-traitance. Les communes n'ont pas les moyens d'organiser des centres de vacances, et traitent donc avec de grandes fédérations. Nous, élus locaux, sommes très sollicités. Nous recevons de nombreux catalogues. Nous vérifions rapidement que le centre en question a reçu les deux agréments, mais nous n'allons pas toujours beaucoup plus loin dans la vérification. Il serait opportun d'organiser un meilleur contrôle et une meilleure évaluation de ces associations très diverses.

M. Jean-Michel ROULET : En ce qui concerne l'adoption, la difficulté est de confier un enfant à une vraie famille. Un refus d'agrément ne peut pas se fonder sur les croyances, les pratiques religieuses ou cultuelles du foyer en question. On doit démontrer que dans ce foyer, l'enfant ne rencontrera pas les conditions nécessaires à son épanouissement. Il ne s'agit pas de prouver que les candidats à l'adoption sont adeptes de telle ou telle organisation, mais que, compte tenu des pratiques qui sont les leurs, l'enfant ne pourra pas, par exemple, bénéficier des soins requis. Dans une famille où l'on refuse la transfusion sanguine, il risque d'y avoir non-assistance à personne en danger au cas où l'enfant aurait besoin de subir une intervention chirurgicale. De même, on peut mettre en avant, pour refuser un agrément, le fait que l'enfant ne pourra pas jouer avec ses camarades, qu'il n'aura pas le droit de regarder la télévision, de faire du sport, etc.

La jurisprudence découle de cela. Un refus d'agrément fondé sur l'appartenance religieuse des candidats serait attaqué et annulé par les juridictions françaises. S'il ne l'était pas, il le serait de toute façon par la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut donc être extrêmement prudent, et invoquer des arguments qui, juridiquement, tiennent la route. On a des exemples de refus qui n'ont posé aucune difficulté. La Cour européenne des droits de l'homme dit clairement que la question de savoir si les familles appartiennent à une religion ou à une secte n'a pas à être posée. L'essentiel est d'établir des faits matériels motivant un refus.

En ce qui concerne les centres de vacances ou de loisirs, il y a deux cas de figure. Il peut arriver qu'un centre soit l'émanation d'une organisation sectaire. Il peut arriver que le centre soit tout à fait étranger au monde des sectes mais fasse appel à des personnels d'encadrement qui sont membres d'une organisation sectaire. Dans ce cas, il appartient au directeur du centre, éventuellement à l'élu local chargé de ce domaine, d'effectuer les contrôles nécessaires. La MIVILUDES a largement diffusé un Guide de l'agent public face aux dérives sectaires qui décrit les moyens de détecter les attitudes et les dérives sectaires, ainsi que les méthodes pour y mettre fin en les portant à la connaissance des pouvoirs publics.

Il y a, comme vous l'avez rappelé, deux agréments, l'un délivré par le ministère de la jeunesse et des sports, l'autre par celui de l'éducation nationale. On a parfois l'impression qu'il s'agit de deux États souverains qui ne communiquent pas entre eux. Peut-être serait-il opportun qu'une circulaire interministérielle précise bien la complémentarité des missions des uns et des autres, afin qu'il n'y ait pas de vide juridique.

M. Christian DECOCQ : Vous avez évoqué les conséquences matérielles des dérives sectaires : accidents, suicides, d'autres encore. Il serait bon de les recenser, tout en sachant que le plus grave est l'enfermement en lui-même, qui peut gâcher une vie entière.

Pouvez-vous décrire les moyens de défense des sociétés anglo-saxonnes confrontées aux mêmes phénomènes ? Nous qui sommes prompts à donner des leçons de démocratie au monde entier, nous n'avons pas non plus à en recevoir de la part des Anglo-saxons, qui ont parfois moins de pudeur que nous. Ils se fondent, en définitive, sur le principe : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Avez-vous approfondi cette question ?

M. Jean-Michel ROULET : Nous l'approfondissons par la force des choses. Le conseil d'orientation de la MIVILUDES comprend en son sein des parlementaires, des représentants des associations de parents d'élèves, des représentations d'associations de défense de la famille et de l'individu, des avocats, des professeurs d'université, des chercheurs, bref, les forces vives de la nation. Nous sommes mus par un ressort puissant, la nécessité de porter secours aux victimes. C'est le fondement de la légitimité de notre action. Cela est important à un moment où des voix se font entendre pour critiquer la politique de la France dans ce domaine. Elle est mal connue et mal comprise par certains, qui peuvent être de bonne ou de mauvaise foi.

À côté du conseil d'orientation, il y a le comité technique de pilotage opérationnel, qui regroupe l'ensemble des départements ministériels, dont le ministère des affaires étrangères. Celui-ci nous dit souvent que telle position nous vaut telle remarque de la part de telle personnalité étrangère chargée de vérifier si la liberté religieuse est respectée en France. Mais la transparence ne nous gêne absolument pas. Il s'agit de savoir si les critiques qui nous sont adressées sont fondées ou non. Les arguments avancés sont-ils ceux du rapporteur de telle ou telle commission ou bien reprend-il à son compte, dans le souci de se faciliter le travail, les arguments d'ONG qui sont le faux-nez d'organisations sectaires ? C'est très souvent ce qui se passe. Il y a à Bruxelles, rue de la Loi, un organisme qui s'appelle le Bureau européen des droits de l'homme. Cette appellation est extrêmement respectable. Le seul problème, c'est que cet organisme est une émanation de l'église de scientologie. Beaucoup de parlementaires européens, quand ils rencontrent un membre du BEDH, croient de bonne foi qu'ils ont affaire à un membre de la commission des droits de l'homme de l'ONU. La Ligue des droits de l'homme a récemment mis les choses au point, et dénoncé l'utilisation du thème des droits de l'homme à de tout autres fins que celle de leur défense.

Notre politique, c'est vrai, n'est pas toujours bien comprise. Tous les pays européens ne se sont pas dotés d'un outil analogue à la MIVILUDES, et notamment pas les pays anglo-saxons.

En 2000, le Président de la République a dit au Président américain que la liberté religieuse ne serait plus abordée dans les discussions bilatérales présidentielles. Auparavant, en 1998, notre ministre des affaires étrangères, M. Hubert Védrine, avait fait savoir à son homologue américaine, Mme Madeleine Albright, que l'échange engagé depuis plusieurs mois entre les administrations américaine et française sur ce sujet ne trouvait pas d'utilité à être poursuivi.

Il est très important, vis-à-vis de nos concitoyens, de ne pas laisser se développer ce discours autour du thème de « l'atteinte aux libertés religieuses ». La France, par sa loi de 1905, reconnaît toutes les religions et toutes les croyances, parce qu'elle n'en interdit aucune. La liberté de penser, la liberté de conscience, la liberté de culte ne se discutent pas. C'est un acquis inaliénable. D'aucuns voudraient faire croire qu'en luttant contre les sectes, nous luttons contre les « nouveaux mouvements religieux ». Nous voudrions savoir ce qu'il y a de religieux dans l'instinctothérapie ! Ce qui nous préoccupe, beaucoup plus que les contenus philosophiques ou doctrinaux, ce sont des pratiques qui n'ont rien à voir avec des croyances et tout à voir avec les bénéfices économiques qu'en tirent certaines organisations, et contre lesquelles il convient de lutter.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Avez-vous déjà eu l'occasion, après que des crimes ou des délits ont été portés à votre connaissance, de saisir le procureur de la République ?

M. Jean-Michel ROULET : Comme tous les citoyens, nous en avons non seulement la possibilité mais le devoir. Dans un souci d'efficacité, la MIVILUDES passe toujours par un membre de la magistrature qui siège en son sein et qui représente le directeur des affaires criminelles et des grâces. Nous sommes sûrs, par ce moyen, de saisir le bon parquet, le bon procureur, le bon magistrat. La Chancellerie, dans ces cas, fait son travail immédiatement.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : La MIVILUDES étant une mission interministérielle, elle est tributaire des services de l'État. Elle n'est pas un organisme autonome. D'autres pays européens, notamment la Belgique, ont choisi un positionnement institutionnel différent. Ne pensez-vous pas que notre positionnement institutionnel affaiblit l'efficacité de la lutte contre les organisations sectaires ? Imaginons que demain, un gouvernement considère que cette lutte n'est plus d'actualité et supprime la mission. Imaginons qu'un gouvernement manifeste une moindre détermination. Que se passerait-il ?

M. Jean-Michel ROULET : Le modèle français est en effet un modèle unique. Seule la Belgique a une structure permanente : le CIAOSN, le Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles, émet des avis, à la différence de la MIVILUDES. Pour émettre des avis, la MIVILUDES devrait devenir une autorité administrative indépendante, à l'instar du CSA ou de la Commission du secret de la défense nationale. Ayant exercé durant six ans les fonctions de secrétaire général d'une autorité administrative indépendante avant d'être nommé président de la MIVILUDES, j'ai la chance de connaître ces deux types de structures de l'intérieur. Très sincèrement, je ne pense pas que la transformation de la mission interministérielle en autorité administrative indépendante changerait grand-chose. La culture des grands serviteurs de l'État est marquée par un profond respect pour l'autorité légitime, qu'il s'agisse du Gouvernement ou des deux Assemblées. Je ne vois pas comment nous aborderions autrement le problème de la lutte contre les dérives sectaires. Toute autorité administrative indépendante compte en son sein des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat, tout comme le conseil d'orientation de la MIVILUDES. J'ai la chance d'avoir la confiance du Premier ministre, et d'avoir par conséquent une marge de manœuvre qui n'est pas très différente de celle du président d'une autorité administrative indépendante. Je dois certes rendre compte de l'action de la mission, mais c'est aussi le cas des autorités administratives indépendantes, qui doivent rendre un rapport annuel au Président de la République, aux présidents des deux assemblées et au Premier ministre.

Quels que soient les habillages administratifs, ce qui importe, c'est la volonté politique d'agir contre les dérives sectaires.

Vous avez évoqué le cas où un gouvernement déciderait de supprimer la MIVILUDES. Dans ce cas, monsieur le rapporteur, vous avez, en tant que détenteurs du pouvoir législatif, la faculté de créer par la loi un organisme de lutte contre les dérives sectaires. Et je pense que vous le créeriez, car le fait que vous ayez voulu cette commission d'enquête montre votre volonté de saisir à bras-le-corps ce problème. Je ne suis pas inquiet pour l'avenir.

M. Jérôme LAMBERT : Vous nous avez indiqué que la Cour européenne des droits de l'homme avait pu être saisie de questions relatives à des dérives sectaires. La législation européenne peut-elle servir à la défense des sectes ? Dans le projet de traité constitutionnel européen soumis l'an dernier à référendum, un paragraphe concernait les relations de l'Union européenne avec les églises, celles-ci étant définies de manière très large comme toute organisation religieuse reconnue par les États membres. Cela aurait signifié qu'une organisation que nous considérons comme sectaire pouvait avoir des relations avec les institutions européennes dès lors qu'elle aurait été reconnue par un autre État.

On peut donc s'inquiéter de l'emprise que peuvent avoir les organisations sectaires sur la législation européenne. Quelles conséquences cela peut-il entraîner quant aux décisions de la justice européenne ? Avez-vous déjà pu constater des décisions qui iraient dans le mauvais sens ?

M. Jean-Michel ROULET : Les organisations sectaires présentes à Strasbourg ou à Bruxelles ne sont pas très nombreuses. On retrouve toujours les mêmes. Il s'agit pour l'essentiel de l'église de scientologie et des Témoins de Jéhovah. Ce qui me réconforte, c'est que l'ensemble des personnalités européennes que j'ai pu rencontrer, notamment le directeur des affaires juridiques belge, ne sont absolument pas dupes de l'activité des lobbyistes présents auprès des institutions européennes.

Le danger n'est donc pas l'emprise des organisations sectaires sur les institutions européennes elles-mêmes. Il est davantage du côté des parlementaires des nouveaux pays membres, où les organisations sectaires commencent à s'implanter. Lorsque à Bruxelles, leurs lobbyistes demandent à ces parlementaires de déposer une motion ou un amendement, ces derniers le font parfois de très bonne foi. C'est donc aux groupes politiques qu'il appartient de travailler ensemble de façon plus étroite pour mettre en évidence le risque sectaire et ses conséquences.

La réglementation européenne ne pose absolument aucun problème à la législation française. La disposition que vous évoquiez, monsieur le député, n'a heureusement pas été adoptée. Mais il faut se souvenir qu'il n'y a pas si longtemps, la Grèce exigeait que la mention de la religion figure sur la carte d'identité. Il y a de telles disparités, d'un pays à l'autre, dans l'approche du phénomène religieux que l'on n'est pas près d'adopter des directives uniformes dans ce domaine. Je suis convaincu que notre modèle de laïcité a encore de belles années devant lui.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le président, de votre contribution aux travaux de notre commission. Je vous remercie aussi d'avoir rappelé qu'il ne s'agit pas pour vous, pas plus que pour nous, d'émettre le moindre jugement de valeur sur telle ou telle croyance, mais seulement d'appliquer la loi républicaine dans le but de protéger les mineurs.

Audition de M. Emmanuel JANCOVICI,
chargé de mission pour la coordination, la prévention
et le traitement des dérives sectaires
à la sous-direction des âges de la vie (direction générale
de l'action sociale) du ministère de la santé et des solidarités


(Procès-verbal de la séance du 12 juillet 2006) 

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons M. Emmanuel Jancovici, chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires à la sous-direction des âges de la vie de la direction générale de l'action sociale du ministère de la santé et des solidarités. Vous remerciant, monsieur, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ». 

(M. Emmanuel Jancovici prête serment.) 

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

M. Emmanuel JANCOVICI : Le ministère de la santé et des solidarités est notamment chargé de veiller à la protection des enfants. À ce titre, nous nous sommes attachés à suivre de près la situation particulière des enfants vivant dans des sectes. Nous le faisons à partir du constat de la connaissance insuffisante que nous avons de leur situation.

Nous estimons que plusieurs dizaines de milliers d'enfants ont des parents membres d'organisations sectaires. On peut estimer, par exemple, qu'au moins 45 000 enfants ont des parents Témoins de Jéhovah. 

M. le Président : Pouvez-vous nous donner un chiffre pour l'ensemble des enfants concernés par les sectes ? 

M. Emmanuel JANCOVICI : Je dirais qu'entre 30 000 et 40 000 enfants ont des parents qui appartiennent à d'autres groupes. Le total est, au minimum, de 60 000 à 80 000 enfants élevés dans un contexte sectaire. Les statistiques ne permettent pas d'être plus précis. Par prudence, je préfère parler de plusieurs dizaines de milliers d'enfants. C'est un chiffre considérable.

Devant l'ampleur du phénomène, le ministère a décidé de conduire une enquête sur la situation des enfants et la manière dont ils sont élevés, afin de pouvoir donner aux professionnels de la protection de l'enfance des éléments de repérage. Nous avons enquêté pendant près de deux ans auprès d'un groupe d'une vingtaine de jeunes ex-adeptes des Témoins de Jéhovah. Nous l'avons fait avec l'appui de spécialistes incontestés de la protection de l'enfance. Nous avons également tenté d'obtenir des éléments de connaissance sur des adultes ayant vécu dans d'autres groupes, de façon à comparer les données que nous avons pu recueillir.

Ce travail ne prétend pas décrire scientifiquement un groupe comme celui des Témoins de Jéhovah, ni donner des éléments sur le devenir prévisible des enfants qui s'y intègrent. Il doit permettre de saisir le contexte dans lequel ces enfants se trouvent.

Les travaux universitaires sur ce groupe nous mettent en face d'une multinationale dont les capacités de lobbying, nous l'avons par ailleurs constaté, sont considérables, tout comme ses capacités d'expertise et ses capacités juridiques.

Nous avons été surpris d'apprendre, dès notre première réunion avec ces jeunes ex-adeptes, que ceux-ci faisaient encore chaque nuit des cauchemars. Trois d'entre eux avaient besoin d'une veilleuse pour affronter la nuit. Une partie d'entre eux ont recours de manière régulière à des psychotropes. Deux ou trois ont fait des tentatives de suicide. Enfin, sur la totalité, soit une vingtaine, quatre ont déclaré avoir subi dans leur enfance des agressions sexuelles.

La santé des enfants est un élément essentiel. Pour l'apprécier, il faut connaître le cadre de vie général, des enfants comme des adultes. Ce cadre général est porté par une doctrine, qui a des effets angoissants et terrorisants : selon elle, nous vivons dans un univers où Satan est omniprésent ; un jour, Jéhovah arrivera et détruira tout ce qui est mauvais sur terre. Seuls y échapperont les Témoins de Jéhovah. Ce cadre général entraîne chez les enfants une très grande docilité.

J'ai demandé aux jeunes ex-adeptes comment ils faisaient pour vivre dans la perspective d'une transfusion sanguine, s'ils étaient opérés. Ils m'ont répondu que lorsqu'on est un Témoin de Jéhovah, on espère devoir être opéré pour pouvoir, le jour de l'opération, prouver qu'on est un bon Témoin de Jéhovah en refusant la transfusion sanguine. C'est une logique de type kamikaze !

Les enfants sont pris dans un système de codification où très peu de choses sont permises. Est institué un système de surveillance totale, où les parents surveillent les enfants et les enfants surveillent les parents au cas où ils ne respecteraient pas la réglementation interne. Cela met en cause la capacité de ces enfants à vivre et à avoir des désirs. Ne sachant plus ce qui est permis ou interdit, ils s'interdisent d'eux-mêmes un certain nombre de choses sans que le groupe lui-même n'édicte des interdits.

Toute l'énergie des adeptes est détournée pour le groupe et par le groupe. Ils sont pris dans un système totalitaire dans la mesure où ils n'ont aucune ouverture sur l'extérieur.

Pour autant, il ne faut pas tomber dans la victimologie. Dans un tel système, certaines personnes font preuve de davantage de souplesse et d'ouverture. Par ailleurs, tout n'est pas négatif pour un adepte : par le biais du prosélytisme, on développe une certaine forme d'intelligence ; sauf que celle-ci ne permet pas aux jeunes gens de penser.

Les Témoins de Jéhovah comptent 45 000 enfants. Ces derniers sont conçus pour devenir des adeptes, et rien d'autre. Ils sont pris dans le même mécanisme que leurs parents, sans aucune liberté et sous un contrôle permanent. Les parents sont les relais du groupe auprès de leurs enfants ; ils n'ont plus leur fonction parentale. En voici un exemple tragique : une mère s'aperçoit que son fils adolescent reste en retrait du groupe ; elle l'interroge et il lui dit qu'il n'y croit plus. Elle lui répond que : « Dans ce cas-là, tu ne fais plus partie des nôtres ». Elle lui dit qu'il ne fait plus partie non plus de la famille, qu'il a quinze jours pour partir. Elle organise le soir même un repas destiné à marquer qu'il ne fait plus partie de la communauté.

Tout cela ne permet pas de développer l'autonomie de l'enfant ni sa capacité à réfléchir en dehors de la communauté. On répète à un petit enfant de six ans dix fois la même chose. La onzième fois, on le félicite en lui disant qu'il est très intelligent. C'est un procédé de manipulation mentale. L'enfant a l'impression d'avoir pensé par lui-même quelque chose qui lui a été répété dix fois. Dans ce système, sa pensée n'existe pas, il n'a pas la possibilité de penser. C'est très dangereux du point de vue de la santé mentale.

Autre élément qui a également des répercussions sur la santé physique des enfants : dans tous ces groupes, les enfants réservent beaucoup de temps à la prière, à la formation religieuse et au prosélytisme. Un enfant Témoin de Jéhovah consacre dès huit ou dix ans une vingtaine d'heures au groupe, ce qui est considérable si on ajoute ce temps à celui de sa scolarisation. La situation est totalement déséquilibrée, il n'y a plus de temps de l'enfance.

Mon prédécesseur vous a sans doute parlé de cette fausse scolarisation. Là encore, le système est complètement pervers. Parfois, on ne sait même pas que les enfants existent. À Tabitha's Place, des enfants n'avaient pas été déclarés à l'état-civil ; comment voulez-vous que le dispositif de protection de l'enfance fonctionne ? À l'inverse, avec les Témoins de Jéhovah, tout paraît normal. Sans un travail extrêmement fin, rien n'est décelable.

S'agissant de cette double scolarisation et du point de vue de la santé mentale, les enfants vivent dans une obligation constante de dissimulation. C'est pour eux une pression considérable.

Dès lors qu'un enfant est scolarisé, les parents sont obligés d'indiquer aux enseignants leur appartenance. Le but est d'éviter toute socialisation en dehors de l'école, de conforter la culture dans laquelle ils se trouvent placés, et ils se sentent rejetés et persécutés. Or chez les Témoins de Jéhovah, selon la doctrine, quand on est rejeté et persécuté, on est dans la vérité.

M. Serge BLISKO : Vous venez de dire que les parents étaient obligés d'indiquer aux enseignants leur appartenance. Est-ce une démarche d'auto-promotion ou d'auto-déclaration ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Si j'ai bien compris ce que m'ont dit ces jeunes gens, c'est le groupe qui leur demande d'énoncer leur appartenance dès l'école.

J'en viens aux questions de maltraitance.

Il existe des situations isolées de maltraitance, comme dans tout groupe social. Mais il en existe d'autres, qui sont induites non par la doctrine, mais par la volonté de l'adepte de montrer qu'il est un bon adepte. Cela se retrouve dans tous les groupes, par exemple au moment de la prière, dans la « salle du royaume », les petits doivent se tenir debout, silencieux et immobiles durant deux à trois heures. C'est déjà de la maltraitance. Mais surtout, si les enfants s'agitent, certaines mères ne le supportent pas, emmènent les enfants vers le fond et leur donnent des fessées, perdant parfois toute contenance.

Certains groupes prônent l'inceste, mais ils sont minoritaires. Dans le groupe de jeunes ex-adeptes, quatre d'entre eux avaient victimes d'abus sexuels. Je leur ai demandé si, à leur connaissance, ces situations étaient assez fréquentes dans ce groupe. Ils m'ont répondu par l'affirmative. Une émission de télévision que je pourrai vous communiquer, a été réalisée en Suède et a fait l'objet d'une procédure de la part des Témoins de Jéhovah, qui voulaient qu'on l'interdise. Elle montre que ces situations sont très fréquentes, qu'elles sont déniées par ce type de groupes et qu'aucune aide n'est apportée aux victimes ; celles qui souffrent trop sont même rejetées. Cela dit, il existe cette justice parallèle que sont les comités judiciaires.

Avec les sectes, quelles qu'elles soient, nous sommes face à des systèmes clos. Les spécialistes de la protection de l'enfance, au-delà même de la question des sectes, savent depuis longtemps que tous les systèmes clos sont le support de fonctionnements pathologiques susceptibles d'entraîner de la maltraitance et des abus sexuels. L'année dernière, Mme Claire Brisset, l'ancienne défenseure des enfants, m'avait fait remarquer que tout système clos est pathogène. Nous pensons donc qu'à partir du moment où il existe un système clos, toute secte est dangereuse.

L'ancien président du tribunal pour enfants de Paris, M. Alain Bruel, recevait régulièrement en audience de cabinet les enfants Témoins de Jéhovah qui devaient être opérés et dont les familles étaient violemment opposées à la transfusion. À chaque fois qu'il a été amené à prendre des décisions permettant une transfusion, il a eu le sentiment que les familles étaient soulagées.

S'agissant de la prise en charge, nous sommes face à des situations à risque. Nous devons apprécier ces situations au cas par cas. C'est la question des assistantes maternelles qu'évoquait l'un d'entre vous. Si on évalue ces situations sans prendre en compte l'appartenance, on rejoint le droit commun et on reste dans les strictes compétences du système de protection. L'application de l'article 375 du code civil ne doit connaître aucune exception.

M. le Président : Je pense que vous n'avez pas été suffisamment précis. Est-ce que vous êtes en train de nous dire qu'avant d'accorder un agrément à une assistante maternelle, vous devez rechercher son éventuelle appartenance à un groupe sectaire ? Est-ce possible, selon la loi républicaine ? Êtes-vous vigilants en la matière ?

M. Emmanuel JANCOVICI : En 1997, le président du conseil général de l'Hérault s'était adressé à nous. Il était inquiet car lui étaient adressées des demandes d'agrément de personnes appartenant aux Témoins de Jéhovah. Sa question était : « est-ce que je peux, ou non, refuser un agrément ? »

Selon les juridictions administratives et le Conseil d'État, on ne peut, en France, prendre une décision, quelle qu'elle soit, au seul vu de l'appartenance à un mouvement. Il faut partir de l'appartenance et se demander si, compte tenu de cette appartenance, la personne qui demande à bénéficier de ce statut, a un mode de fonctionnement conforme aux pratiques du domaine dans lequel elle veut exercer - soit comme assistante maternelle, soit pour adopter un enfant. C'est au vu de sa pratique, de sa capacité...

M. le Président : Parlez plus concrètement, je ne suis pas sûr qu'on vous comprenne. Voulez-vous dire que vous posez clairement à une candidate à un agrément d'assistante maternelle si elle est pour ou contre les transfusions sanguines ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Il n'est pas interdit de poser la question. On prendra aussi en compte, par exemple en cas de parents qui souhaitent adopter, leur éventuelle capacité d'offrir des conditions de vie propres à permettre l'épanouissement d'un enfant. C'est la question qu'on pose à tout candidat à l'adoption. Si on s'aperçoit que, par exemple, un candidat est réticent aux transfusions sanguines, un conseil général peut considérer qu'il ne peut pas lui confier un enfant parce que la vie de ce dernier risque d'être mise en danger en cas d'opération. S'il ne le faisait pas, sa responsabilité pourrait être engagée. Il doit donc s'assurer des capacités du demandeur. Mais, dans l'énoncé même de la décision, il n'est pas question de trouver : « Nous refusons l'agrément parce que M. X ou Mme Y est Témoin de Jéhovah ». Je vais même plus loin : si, la semaine précédente, un conseil général avait examiné et refusé la demande d'un autre Témoin de Jéhovah, il ne pourrait pas prendre appui sur une telle décision. Il faut procéder au cas par cas et se prononcer sur des situations particulières.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Il me semble que le Conseil d'État a rendu des arrêts qui ont clairement identifié les conditions dans lesquelles les conseils généraux pouvaient refuser l'agrément.

M. Emmanuel JANCOVICI : Nous avons adressé en 1998 et 1999 à l'ensemble des présidents des conseils généraux un document sur cette question.

M. le Rapporteur : Il n'en reste pas moins que ce sont des affaires très difficiles à traiter. Je vous remercie pour votre intervention. Pourriez-vous nous apporter un chiffre précis concernant le nombre des enfants de l'ensemble des organisations sectaires ? On a parlé tout à l'heure de 55 000 ou 60 000 enfants ? Quelle est votre appréciation en tant que représentant du ministère de la santé ? Par ailleurs, vous avez parlé d'aide aux victimes. Que savez-vous de la situation actuelle ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Lorsqu'un adulte quitte un groupe, il n'est pas pour autant libéré de ce groupe. Il continue à être marqué par les catégories qui l'ont fabriqué. Par exemple, il a l'impression, en se socialisant à nouveau, qu'il est en train de fréquenter le monde de Satan qu'on lui a décrit.

M. le Rapporteur : Il existe un certain nombre d'associations d'aide aux victimes. Mais notre système ne laisse-t-il pas un peu les victimes face à elles-mêmes ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Nous avons travaillé sur la question de la prise en charge en expérimental, en finançant pendant trois ou quatre ans un centre dans la région parisienne. La direction générale de la santé est en train d'étudier comment on pourrait mettre en place, sur l'ensemble du territoire, des systèmes de prise en charge des victimes.

M. le Rapporteur : Des systèmes de prise en charge spécifiques aux organisations sectaires ?

M. Emmanuel JANCOVICI : C'est en discussion au sein de la direction générale de la santé. Est-ce qu'il faut prendre en charge ces victimes par le dispositif de santé mentale de droit commun, ou demander à ce dernier de créer des antennes spécifiques ?

M. le Rapporteur : Qu'en pensez-vous en tant que praticien ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Il est nécessaire d'adopter une culture très spécifique s'agissant des victimes de sectes. La plupart des thérapeutes n'ayant aucune représentation des processus dans lesquels sont pris les adeptes, il faudra les former aux phénomènes sectaires. Par ailleurs, et je parle à titre personnel, il faut éviter une problématique de type victimologique. Les victimes ont été prises dans des positions très compliquées où parfois elles ont participé à des pratiques dont d'autres personnes ont été victimes.

M. le Rapporteur : Vous n'êtes donc pas favorable à un système spécifique de prise en charge, mais vous l'êtes à une formation particulière des thérapeutes sur le phénomène sectaire ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Tout à fait. Il faudrait recueillir les situations, en termes de santé mentale, dans lesquelles se trouvent les ex adeptes, ainsi que le travail thérapeutique qui se fait, afin de développer une « clinique du fait sectaire. »

M. le Président : Et le nombre ?

M. Emmanuel JANCOVICI : S'agissant des enfants élevés dans le contexte « Témoins de Jéhovah », les sondages effectués à la demande de ce groupe, de 1997 et 1998, avancent que les trois quarts des adeptes ont des enfants. En supposant que dans ces familles, il y a au moins un enfant, nous sommes arrivés au chiffre de 45 000. Pour les autres groupes, on ne peut pas connaître scientifiquement le nombre d'enfants. Je pense qu'il y en a plusieurs dizaines de milliers, 35 000 ou 40 000. Sans compter les mouvements intégristes, qui comptent beaucoup de membres. Si on prend en compte tout cet ensemble, on est facilement au-delà de 100 000. Et en termes de protection des enfants, cela pose des questions d'ordre politique.

M. le Président : Quels problèmes de santé constatez-vous ?

M. Emmanuel JANCOVICI : La capacité qu'ont les enfants à être vivants. Les victimes que nous avons rencontrées, et que je remercie, sont atteintes dans leur capacité et dans leur énergie vitale.

Un exemple : un jeune adepte, qui avait suivi une thérapie assez longue, s'est rendu compte, pour la première fois de sa vie, qu'il était en train de penser. Alors qu'il était sorti du groupe et qu'il commençait à avoir des pensées, il mettait celles-ci dans son ordinateur sous des caches. Au fond, pour lui, penser était quelque chose d'interdit et de dangereux.

Autre exemple : une jeune femme de trente-cinq ou quarante ans avait des difficultés à avoir un enfant. Elle rencontre, dans une soirée privée en Belgique, une femme qui se présente comme thérapeute. À la fin de la soirée, la femme lui dit de venir chez elle et qu'elle la prendra comme patiente. Au bout de quelque temps, elle va lui permettre d'accéder à une adoption. Elle lui suggère d'aller en Espagne rejoindre un groupe et au bout de trois semaines, la psychothérapeute, qui est une gourelle, va lui démontrer qu'elle est une mauvaise mère. Cette jeune femme s'écroule et décide d'abandonner sa fille au groupe. Sa fille adoptive est restée dans le groupe. Elle a fait un testament en sa faveur et elle se dit que s'il lui arrive quelque chose, c'est le groupe qui héritera. Il y a donc eu une manipulation ignominieuse à l'égard de cette jeune femme.

Avec Raël et les histoires de clonage, on retrouve cette problématique. On a une multitude de propositions en matière de santé pour des situations dans lesquelles des personnes peuvent se trouver en difficulté. Au ministère de la santé, nous sommes actuellement très inquiets par le développement des sectes dans le champ de la santé.

M. le Rapporteur : La future mère passe un entretien avec un médecin ou une sage-femme au moment du quatrième mois de grossesse pour dépister d'éventuelles difficultés psychologiques. Avez-vous, au ministère, des évaluations de cette pratique, s'agissant notamment des femmes qui auraient été victimes de prosélytisme ?

M. Emmanuel JANCOVICI. Je ne connais pas tous les dossiers de la Direction générale de la santé (DGS) ni de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS). Il serait très utile que, sur certaines questions très précises du champ de la santé, vous puissiez rencontrer la personne qui suit les dérives sectaires dans ce ministère. Je crois également qu'on est actuellement en train de créer un guide méthodologique à l'usage des professionnels.

Par ailleurs, nous assistons au développement de micropratiques s'agissant de maladies pour lesquelles les perspectives de survie sont infimes. Un personnage a été condamné par les tribunaux : le docteur Hamer. Ses élèves ont maintenant créé leurs propres écoles, qui sont à l'origine de la création d'autres écoles. Aujourd'hui, sur le territoire français 700 « praticiens », qu'ils soient à l'origine médecins, charcutiers ou assistantes sociales, s'inspirent de la méthode Hamer et sont en contact avec le public.

M. le Président : Qu'est-ce que c'est que la méthode Hamer ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Hamer dit que le cancer naît d'un choc lié à un très grand isolement et touche une partie spécifique du cerveau, que la chimiothérapie entrave le processus naturel de guérison, que si la masse cancéreuse augmente, c'est bon signe, et que la médecine classique est susceptible de provoquer des chocs psychologiques secondaires causant des métastases. Ce discours renforce l'isolement du patient et empêche qu'il puisse être traité de manière classique, avec des probabilités variables d'être sauvé. Enfin, la méthode comporte des interdictions, notamment de fréquenter tel ou tel membre de la famille, etc.

M. Jean-Pierre Roulet vous a parlé de l'Internet. On y découvre des propositions et des méthodes qu'on ne connaissait pas la semaine précédente. D'où une floraison de méthodes et de sous-méthodes comme la méthode dite NAET censée traiter les allergies alimentaires.

C'est ainsi qu'une partie de la population française, confrontée à des situations dramatiques se soigne en consultant l'Internet. Un système parallèle de santé est en train de se mettre en place.

M. Jacques MYARD : Vous avez fait allusion à deux sectes : la Citadelle et Tabitha's Place. S'agissant de cette dernière, vous avez dit qu'un certain nombre d'enfants n'étaient pas déclarés. Pourriez-vous être plus précis ?

Vous avez également parlé de système clos et de lavage de cerveau. C'est un phénomène bien connu de tous les systèmes totalitaires Vous êtes-vous rapproché des militaires, notamment lorsqu'il s'agira, ensuite, de restructurer les victimes ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Non, mais nous avons travaillé pendant un temps avec une thérapeute qui avait une expérience avec des personnes qui avaient été torturées. Néanmoins, je vous remercie de nous donner cette piste de travail.

Tabitha's Place était une communauté comptant une soixantaine d'enfants. Chaque fois que les services sociaux se sont apprêtés à intervenir pour faire appliquer la loi, les gens de la communauté ont envoyé les enfants dans d'autres pays. À l'origine installée en Allemagne, elle s'est installée il y a une dizaine d'années dans les Pyrénées, pour partie en France et pour partie en Espagne.

Pour connaître le nombre des enfants, la gendarmerie a dû fouiller bâtiment par bâtiment, sous-sol par sous-sol. La gendarmerie et les services sociaux ont découvert qu'ils avaient été littéralement cachés.

À la Citadelle, de mémoire, il n'y avait qu'une dizaine d'enfants.

M. Guy GEOFFROY : Vous avez évoqué le témoignage de certains jeunes. Est-ce qu'on peut dresser un tableau des raisons et des conditions qui ont permis à ces adeptes de quitter la secte ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Aussi curieux que cela paraisse, certains adeptes conservent un idéal de secte. Au point qu'il leur arrive de faire le tour des sectes. Ils ont beaucoup de souffrance en eux pour aller chercher un autre groupe. Ensuite, ceux qui quittent une secte ne se précipitent pas vers les associations.

Pourquoi le font-ils ? Parce qu'à un moment, les choses s'éclaircissent pour eux. Je peux vous donner un exemple : dans une famille de Témoins de Jéhovah depuis plusieurs générations, le père d'un adepte a dû être opéré. Il a accepté la transfusion et a été exclu par les « Anciens ». Il est décédé à la suite de l'opération. L'adepte, âgé d'une vingtaine d'années, s'est retrouvé seul à l'enterrement. Là, trop c'est trop !

On n'a pas abordé la question des conditions dans lesquelles les gens partent. Cela permettrait de construire une politique volontariste pour amener les adeptes à quitter les sectes. Après tout, on le fait bien pour la toxicomanie, pourquoi ne pas le faire pour la question sectaire, tout en sachant que c'est très difficile ?

M. Serge BLISKO : J'ai été troublé par votre propos sur les abus sexuels, relativement nombreux, chez les Témoins de Jéhovah, alors que leur doctrine, qui est très puritaine, n'admet les relations sexuelles que dans le cadre du mariage. Je me demande si nous ne serions pas en face d'un autre type de phénomène, qu'il faudrait corréler à d'autres études, de type sociologique : comment recrute-t-on les Témoins de Jéhovah ? N'est-ce pas plutôt dans les milieux socialement et culturellement défavorisés, et dans certaines régions particulières ?

Je remarque, par ailleurs, qu'il existe d'autres groupes clos, où la sexualité est très réfrénée.

Il faudrait discuter entre nous sur les pistes à explorer, car j'ai peur qu'on s'égare si l'on pense que c'est chez les Témoins de Jéhovah qu'on trouve de la pédophilie, des abus sexuels, etc.

Je rejoins M. Emmanuel Jancovici sur l'idée qu'on pourrait former des thérapeutes, des psychologues, des assistantes sociales pour accueillir des gens qui sortent des sectes.

Je remarque qu'on ne sort pas en général d'un seul coup d'une secte. On s'en éloigne progressivement, après avoir remarqué, par exemple, que ceux qui ne vivent pas comme nous sont tout à fait normaux et que Satan n'est pas partout.

Nous devons réfléchir sur les moyens de trouver des structures qui permettent la discussion et l'ouverture.

M. Emmanuel JANCOVICI : L'une des meilleures prises en charge de ce genre de situations est due à un juge pour enfants de Rochefort. Elle a été possible parce que ce juge ne mettait pas en péril la communauté spirituelle. Il était là pour rappeler la loi commune, la Convention des droits des enfants ; au-delà, les gens étaient libres de penser ce qu'ils voulaient.

S'agissant de la pédophilie, en 1989, j'ai eu la responsabilité ministérielle de la construction du téléphone vert « enfance maltraitée ». Nous avons du mal à repérer et à admettre les maltraitances et les abus sexuels. Il a fallu trente ans de travail pour que la société les admette.

Les Témoins de Jéhovah jouent sur un aspect très volontariste. Ce sont des gens « propres sur eux ». Participe de cet effet la proximité avec le catholicisme. Le groupe nous apparaît comme très proche de nous et nous avons du mal à penser qu'il peut s'y dérouler des pratiques de pédophilie et des agressions sexuelles.

Enfin, si j'ai pu avancer certains éléments, c'est à la suite d'un très long travail d'enquête. Je pense qu'on pourrait retrouver ces situations dans d'autres groupes ; j'ai d'ailleurs élargi mes propos à d'autres groupes. Mais encore une fois, mes propos ne visaient pas les Témoins de Jéhovah en tant que tels, mais des situations dans lesquelles peuvent se trouver des enfants dans des systèmes de ce type. Je n'ai pas pour visée de déclencher une enquête judiciaire à l'encontre des Témoins de Jéhovah, mais de comprendre dans quel élément contextuel se trouvent certains enfants et certains adultes.

Je pense qu'il doit exister une tension très forte dans ce groupe, entre la fermeture du groupe et la répression sexuelle. Des adultes m'ont dit qu'il y avait un tel contrôle de l'intimité que, la plupart du temps, les couples n'ont plus de vie sexuelle. Et cela peut entraîner des dérives.

M. Jacques MYARD : Il est bien connu que tout est réglementé, y compris le domaine sexuel.

M. Emmanuel JANCOVICI : Vous pourrez voir ce document, que je vous ferai porter.

M. le Président : Monsieur Jancovici, vous représentez le ministère de la santé. Je vous propose de sortir des communautés sectaires pour aborder la question des médecins traditionnels, qui peuvent eux-mêmes suivre des préceptes en dehors de la médecine conventionnelle. On a entendu citer ici ou là le chiffre de 2 000 médecins qui appartiendraient à des obédiences à caractère sectaire.

Des familles et leurs enfants ne sont pas censés connaître cette appartenance. Est-ce que le ministère de la santé mène une action en ce sens ? Est-ce que les Conseils de l'Ordre font de l'autodiscipline ? Quels sont les rapports entre le ministère de la santé, le Conseil de l'ordre des médecins et les médecins qui peuvent appartenir à des sectes ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Je crains que le chiffre que vous avez cité ne soit nettement supérieur. Il y a une dizaine d'années, le Conseil de l'Ordre était arrivé au chiffre de 3 500 médecins. Je pense qu'on est aujourd'hui plutôt aux alentours de 3 500 ou 4 000. Et pour les professions paramédicales, le chiffre doit être équivalent. On compte ainsi près de 10 000 professionnels de santé qui appartiennent à ces groupes.

Le problème, dans les affaires de sectes, c'est qu'on a très peu de plaintes. Les gens sont dans la plainte, mais ne vont pas jusqu'à déposer plainte.

Ces praticiens peuvent éventuellement indiquer qu'ils ont été formés et qu'ils pratiquent par exemple, la méthode Hamer. Des informations commencent à émerger sur l'Internet et nous montrent que tel docteur pratique telle méthode.

Certains de ces médecins interviennent dans des lieux de formation, via le champ de la formation professionnelle. De nombreuses écoles privées proposent des formations dans le domaine de la santé à des personnes qui n'ont aucune formation particulière. Des demandeurs d'emploi se précipitent pour suivre ces formations, dont certaines sont financées sur fonds publics. L'État a toute possibilité d'arrêter ces financements qui profitent à ces groupes et mettent des personnes en danger. La direction compétente, la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle, est en alerte et suit ces questions.

Au sein de notre système de santé publique, notamment en milieu hospitalier, des personnels de tous niveaux, médecins compris, demandent des formations payées par les hôpitaux, précisément dans les domaines qui posent problème. La direction des hôpitaux est en train de réfléchir à la manière de contrôler la formation pour que les personnels hospitaliers ne puissent pas s'y aventurer.

M. le Président : L'adoption de la loi du 6 août 2004 relative aux pratiques de psychothérapie devait mettre un frein à certaines thérapies. Avez-vous constaté l'application de cette loi, ou l'existence d'un décret ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Comme je savais que j'allais me trouver devant vous, j'ai interrogé la direction compétente. Le dossier est chez le ministre et je ne peux pas vous en dire plus.

M. le Président : Le décret n'est pas sorti ?

M. Emmanuel JANCOVICI : Non.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de Mme Chantal LEBATARD,
responsable du département
« Sociologie, psychologie et droit de la famille »
de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)


(Procès-verbal de la séance du 5 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : En vous remerciant, madame, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privation ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Chantal Lebatard prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Madame, la commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole.

Mme Chantal LEBATARD : Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci d'avoir souhaité m'entendre au nom de l'UNAF, qui a légitimité à exprimer sur ce sujet les préoccupations des familles. Elle a apporté depuis longtemps son attention aux risques générés par les mouvements à caractère sectaire et à leurs conséquences sur la vie familiale. C'est avec son appui que s'est constituée l'UNADFI361, dont elle a fait un membre associé depuis 1982. L'UNAF a par ailleurs siégé dans toutes les formations travaillant contre les dérives sectaires - Observatoire, mission interministérielle contre les sectes, MIVILUDES.

L'UNAF se préoccupe de façon généraliste de la vie familiale, et de façon plus ciblée, des conséquences des dérives sectaires sur les enfants dans le cadre de la protection de l'enfance, qui est une priorité nationale et européenne. Depuis plusieurs années, à l'occasion des rapports qu'elle remet à la MIVILUDES, elle souligne la pertinence du sujet.

Depuis les précédentes missions d'enquête, le paysage sectaire s'est profondément modifié. Les sectes ont évolué dans leurs modes et dans leur champ d'intervention. Reportez-vous aux rapports de la MIVILUDES. Toutes les difficultés rencontrées y sont détaillées ; je n'y reviens donc point. Pour autant, il convient de souligner l'émergence des nouvelles formes de religiosité extrême qui se développent dans le cadre de la périphérie des grandes religions existantes.

En la matière, la France a adopté une attitude spécifique qui peut poser des problèmes. En effet, elle continue à dénoncer un certain nombre de mouvements reconnus ailleurs comme constituant des religions parfaitement légales.

La relativisation des modèles et des repères que l'on peut observer dans nos sociétés va de pair avec une disqualification conséquente des institutions, notamment ecclésiales. Nos enfants vivent dans un paysage où sont absents les repères fondamentaux qui permettent à des communautés de se constituer autour de savoirs et de cultures partagés. D'où une crise de la transmission, y compris au sein des familles.

Ce paysage est également marqué par la crise sociale, le chômage, les difficultés économiques, les difficultés d'insertion des jeunes, l'inquiétude des parents et la désespérance. C'est un terreau favorable à ceux qui apportent des réponses réconfortantes.

Ce qui fonde une citoyenneté, le vivre ensemble, tout ce qui tourne autour de l'intégration, l'accueil de la différence, est remis en cause et vient renforcer ces difficultés, difficultés partagées au niveau européen, celui d'une Europe vieillissante où les repères seraient ceux d'une classe d'âge et n'arriveraient pas à passer aux autres générations.

Un autre élément nous semble très important, qui a trait à la place de l'enfant. Nous observons une dissociation croissante entre ce qui relève de la conjugalité et ce qui relève de la parentalité, qui aboutit à un investissement massif dans l'enfant. Celui-ci est devenu aujourd'hui l'enfant du désir d'enfant, un enfant que l'on a choisi d'avoir dans une négociation conjugale, qui devient une valeur en soi, à la fois objet et sujet des préoccupations des parents et de la société. La société est hypersensible à toutes les questions qui touchent à l'enfance. En même temps, on observe une augmentation de la maltraitance, du nombre des enfants en danger, des malaises et des tentatives de suicide des jeunes et des adolescents, comme de la délinquance des mineurs. Comme si notre société qui attache tant de prix à l'enfance produisait en même temps et de façon paradoxale de la souffrance et de l'angoisse. C'est ainsi que certaines lois visent à améliorer les dispositifs de protection de l'enfance et d'autres à prévenir la délinquance des mineurs, et ce sur fond de disqualification parentale : on avance, en effet, que tout est de la faute des parents, qu'il faut soit soutenir soit rappeler à l'ordre.

Le contenu de ce qu'on nomme autorité parentale a été légèrement modifié par la loi du 4 mars 2002 ; celle-ci est définie comme un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant, que les pères et mères exercent en commun pour protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, assurer son éducation et « permettre son développement dans le respect de sa personne ». L'intervention publique et le contrôle social en matière de relations éducatives et de fonctionnement de la parentalité trouvent cette légitimité dans l'idée que les parents ont pour mission d'assurer le développement de l'enfant.

Comment l'enfant rencontre-t-il aujourd'hui les mouvements à caractère sectaire ? Chaque histoire est spécifique car chaque enfant est unique. Néanmoins, nous avons distingué trois situations qui méritent chacune une réflexion particulière.

« L'enfant moyen de séduction des parents » s'inscrit dans un double désir parental, la grossesse, devenue un événement choisi, est investie de toutes les angoisses et peurs ancestrales tout en étant délivrée de l'angoisse de la mort puisqu'on ne meurt plus en couches. Les naissances sont voulues. Elles sont plus rares, plus tardives. Ce sont des événements exceptionnels pour les parents qui les vivent sans pouvoir se référer à un modèle familial. Ils n'ont pas d'expérience, mais sont soumis à une exigence de performance, qu'on retrouvera tout au long du processus éducatif : il faut être de bons parents dès le départ. L'éducation est devenue un sujet commercial, un événement culturel qui doit être validé au niveau médical et psychologique.

Les jeunes parents sont devenus une cible commerciale qui n'a pas échappé aux médecines alternatives, aux organismes d'accompagnement psychologique, de développement personnel. Un certain nombre de mouvements bien connus ont ainsi investi ce champ, y compris dans l'accompagnement prénatal ou les méthodes alternatives de maternage.

Les linéaires des libraires et des supermarchés témoignent de cette inquiétude de parents qui cherchent à être performants, surtout lorsque les vicissitudes de la conjugalité ont désarticulé le couple parental. Chacun des deux parents peut tenter de faire de la surenchère, essayant d'être le meilleur parent possible dans l'intérêt de l'enfant. Peuvent s'y ajouter les conjoints des parents. Dans un tel environnement, les solutions proposées - accompagnements, groupes de parole, discours, méthodes, etc. - sont nombreuses. Les demandes de coaching parental n'ont pas échappé aux grands mouvements.

Les parents se préoccupent de la réussite scolaire de leurs enfants, bien qu'elle ne garantisse pas la réussite sociale. Dans cet environnement marqué par l'angoisse, se développe un marché de l'accompagnement parental qui n'a échappé à personne. Voilà pourquoi, en cette période de rentrée scolaire, nous avons appelé l'attention des parents sur les organismes auxquels ils confient leurs enfants, sur les cours, les activités et les méthodes alternatives et de développement personnel qui peuvent leur être proposés.

La deuxième situation est plus évidente, c'est celle de « l'enfant élevé dans une communauté à caractère sectaire ». Il est élevé dans un milieu coupé du monde, et dans lequel les rôles parentaux ne peuvent pas s'exprimer, la cellule parentale n'y ayant pas sa place. L'enfant peine à se construire en référence à des modèles parentaux qui lui sont enlevés, soit parce qu'ils sont disqualifiés au profit de la communauté, soit parce qu'un autre assume l'ensemble des rôles parentaux. L'autorité qui conduit à l'éducation des enfants ne procède pas de la responsabilité parentale mais d'un autre auquel les parents sont soumis ; on observe une sorte de régression des parents qui fausse les possibilités de transmission.

Les enfants peuvent servir de cobayes de méthodes innovantes ou alternatives. On espère qu'ils seront la vitrine de réussite du nouvel être que l'on se propose de construire, à moins qu'ils ne soient écartés ou négligés comme gêne au développement spirituel des adultes. Ils peuvent être élevés pour la communauté dont ils sont censés assurer la pérennité.

Les risques encourus sont extrêmes et dénoncés périodiquement. Chaque année, des rapports nous remettent en face de ces réalités qu'on n'arrive pas à cerner suffisamment : atteintes à l'intégrité corporelle des enfants, violences sexuelles, prostitution, socialisation limitée, carences éducatives, négligences, mauvais régimes.

Même sans aller jusque là, le mode de vie qui est imposé aux enfants est rarement adapté : longues séances de prières, rythmes de vie harassants, services communautaires importants qui viennent entraver leur développement. Sans compter l'absence de jeux et l'endoctrinement.

Les risques liés à ces conditions de vie sont souvent évoqués en cas de conflit familial, au détour d'une crise familiale, d'un divorce. Il devient alors très difficile de percevoir et d'analyser sans maladresse ce qui relève d'une discordance culturelle et spirituelle entre les deux parents. L'enfant risque d'être instrumentalisé, ce qu'on retrouve dans d'autres situations conflictuelles. Ce qu'il vit dans la communauté où l'un des parents risque de l'entraîner est allégué comme élément de maltraitance par l'autre parent.

La scolarisation des enfants est un enjeu très fort de leur construction. Dans ces communautés fermées où sont élevés certains enfants, l'arsenal des mesures qui ont été prises, notamment depuis 1998, semble avoir porté ses fruits. Des outils permettent à la fois de contrôler la façon dont l'enfant se développe et le contenu de l'enseignement qu'il reçoit, ainsi que la réalité de cet enseignement. Cependant certains passent à travers, soit parce qu'ils reçoivent un enseignement à distance d'un pays étranger, soit parce qu'ils sont déplacés vers des pays de l'Union européenne qui n'ont pas les mêmes critères ni les mêmes exigences. C'est autour de cela qu'il faudra travailler. La réforme qui se met en place à partir de l'idée d'un socle commun des connaissances devrait permettre d'évaluer le contenu et la réalité des acquisitions, à condition toutefois que l'on soit assez exigeant et que l'on n'oublie pas d'y intégrer les valeurs de la citoyenneté et du vivre ensemble en France.

Troisième situation, qui existe depuis très longtemps : celle où « l'enfant lui-même est l'objet de la séduction ». Certains adolescents rencontrent des groupes qui semblent apporter des solutions qu'ils ne trouvent pas ailleurs. L'adolescence est source d'énergie et de richesse, mais aussi d'incertitude, de déstabilisation et de souffrance. Or notre société est particulièrement désarmée pour y répondre ; la désespérance des jeunes et le taux de suicide augmentent. Les dangers sont réels : violences, conduites autodestructrices et séduction par certains groupes. Cette séduction aboutit à la rupture des liens familiaux et à une déconstruction.

Deux ans de travaux, lors de la conférence de la famille sur l'adolescence, et le rapport d'orientation de l'UNAF consacré à ce thème n'ont pas apporté de réponses mais ont essayé de comprendre comment il est possible de soutenir les parents des adolescents et prévenir certains risques : acquisition de repères solides dans l'enfance, sécurité des affections sont tout aussi utiles que la formation à l'esprit critique. Mais il ne faut pas oublier non plus la perception d'un environnement dans lequel ils pourront prendre place. Tous ces éléments devraient permettre aux adolescents de faire leur chemin vers l'âge adulte et d'éviter la séduction fallacieuse des fraternités aliénantes ou des communautés enfermantes.

Les textes légaux sont-ils suffisants ? Nous avons établi, il y a plusieurs années, une déclaration des droits de la famille dans laquelle nous rappelions, en accord avec la convention internationale relative aux droits de l'enfant, la protection de l'enfant en tant que personne et sujet de droit. C'est pourquoi l'UNAF a été de tous les combats concernant la protection de l'enfance ; nous avons notamment participé à tous les travaux et commissions mis en place pour préparer les textes présentés par M. Philippe Bas, ministre délégué à la Sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, au nom du Gouvernement sur la réforme de la protection de l'enfance.

Le renforcement des contrôles de la santé des enfants et de leur bon développement, l'extension des missions de la protection maternelle et infantile, l'attention portée à la période prénatale et périnatale, la cohérence de tous les dispositifs peuvent contribuer à protéger efficacement tous les enfants, en particulier ceux que l'on n'arrivait pas toujours à joindre.

Ce texte devrait permettre que les temps d'intervention sociale soient des vrais temps de dialogue et de construction. Souvent les familles n'ont pas d'interlocuteurs pour exprimer leur désarroi et leur inquiétude. Là encore, elles peuvent être la proie de ceux qui leur apporteraient des réponses.

Le droit à l'éducation et la refonte des programmes scolaires, l'insistance mise sur l'acquisition, par tous les enfants, de ce socle commun de connaissances me paraît être un élément pertinent. Reste à s'assurer que tous les enfants y parviennent, quelle que soit la façon dont les parents ont choisi d'exercer leur droit à l'éducation. Il importe de mettre périodiquement des jalons pour s'en assurer. L'État a la responsabilité de faire en sorte qu'aucun enfant n'y échappe.

Faut-il imaginer un arsenal législatif spécifique au cas des enfants victimes ? Je ne suis pas sûre que nous en ayons besoin. Peut-être convient-il seulement de rendre plus pertinents et plus efficaces ceux qui existent.

En vous interrogeant sur les conséquences des mouvements sectaires sur les enfants, vous avez déjà vous-même intégré la difficulté qui est liée au développement. Ce dernier répond à un processus spécifique à chaque enfant, qu'il est impossible de « normer ». Chaque enfant se construit avec son histoire, avec les bons et les mauvais moments, avec certaines capacités de résilience qui leur appartiennent. Nous savons ce qui est néfaste ou peu favorable à un développement harmonieux, mais nous ne savons pas toujours évaluer toutes les conséquences de ce qui peut se passer et comment se fait ensuite le travail de reconstruction qui permet de surmonter les séquelles ou les blessures profondes ; certaines ne reviendront d'ailleurs au jour que bien plus tard dans la vie adulte. Mais ces problèmes de l'approche de la souffrance de l'enfant confronté à des mauvais traitements ne sont pas spécifiques aux mauvais traitements des sectes.

Certes, il faut sanctionner les auteurs des mauvais traitements, des manquements et des négligences, même sous couvert d'éducation, de transmission et de formation religieuse. Les outils ne manquent pas. Ils sont renforcés lorsque les parents sont en cause. Je ne suis pas sûre qu'il faille une législation particulière.

Il convient de faire preuve de prudence. La responsabilité première de l'éducation est un des éléments de l'autorité parentale. Ce sont donc les parents qui doivent d'abord transmettre à leur enfant ce qu'ils pensent fondamental et essentiel pour sa construction. C'est dans la relation parents-enfant, de confiance et de respect mutuel, que s'inscrit cette transmission qui porte sur les valeurs et les comportements de société. Les parents ne transmettent pas des idées, ils transmettent des façons d'être. Or personne ne peut le faire à leur place.

C'est à travers les gestes de la vie quotidienne, les réalités familiales vécues ensemble qui ne passent pas toujours par des mots, que s'exprime l'éducation parentale. Il peut paraître évident aux parents que le bien de leur enfant est d'accéder à ce qui constitue pour eux une des clés de l'existence et de leur assurer une éducation religieuse. D'où cette tension entre l'obligation ardente, pour des parents, de transmettre leurs valeurs et d'éduquer leurs enfants dans la foi à laquelle ils adhèrent, et l'effort de construction d'une personne libre, critique, autonome et donc capable de rejeter ces mêmes éléments de foi. Tout cela est difficile à cerner dans un texte.

Le droit de l'enfant à la liberté religieuse est inscrit dans la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) ; on voit bien que toute intervention d'un tiers pour évaluer où commence la liberté et où s'arrête cette liberté est délicate. L'éducation ne passe-t-elle pas parfois par des formes de contrainte ? Quelle est la limite entre l'éducation transmission et l'endoctrinement ? Les moyens pédagogiques et les parcours catéchétiques proposés ont certes pour objectif de former des croyants, mais ils doivent laisser suffisamment d'espace à l'appropriation personnelle.

Enfin, notre pays aborde trop souvent la question religieuse à partir des grandes religions classiques acculturées à des modes de pensée, dans un contexte de laïcité. Or il existe aujourd'hui des expressions de sentiment religieux qui nous posent problème : des communautés qui pratiquent des formes de religiosité traditionnelles ailleurs et culturellement différentes, qui nous déroutent ; des rassemblements importants d'adultes avec enfants, autour d'un chef de communauté plus ou moins charismatique. Cela va à l'encontre de notre approche individualiste du sentiment religieux, de notre conception du privé et de l'intime et de notre conception républicaine qui se méfie du communautarisme. L'appréhension des conséquences de ces pratiques sur les enfants est délicate ; les travailleurs sociaux ne disposent pas toujours des outils qui leur permettraient de comprendre ce qui se passe à l'intérieur de ces communautés et de discerner s'il y a ou non dérapage. Il y aurait peut-être là un travail à faire, d'autant que les malentendus naissent très vite, le premier danger étant le repli des communautés sur elles-mêmes.

Les enfants qui vivent dans ces communautés sont pris entre deux systèmes éducatifs. La voie de leur intégration n'est pas pour autant facilitée. Je tenais à le souligner parce que l'UNAF a aussi pour mission d'exprimer les difficultés de ces familles, souvent d'origine étrangère.

Protéger l'enfant, c'est d'abord lui garantir son droit à l'enfance, son droit à l'éducation par ses parents, et donc son droit à la transmission des valeurs parentales ; il faut ensuite lui garantir que cette transmission puisse faire l'objet d'une appropriation personnelle et qu'il puisse, à un moment, choisir librement d'adhérer et de choisir. C'est à l'école et à tous les soutiens de la responsabilité parentale de rappeler aux parents qu'ils ne sont pas possesseurs de leurs enfants, mais qu'ils les préparent pour la vie. La société a intérêt à investir dans la protection de l'enfance. Elle doit donc veiller à ce que les clés de la vie en société soient bien acquises par tous les enfants. L'État doit s'assurer de cette acquisition. Ce sont des devenirs d'homme qu'il s'agit de protéger et de construire. C'est ce qui fonde notre réflexion ce soir.

M. le Président : Merci, madame, pour votre exposé très complet et très clair.

Première question très pratique et concrète : en cette période de rentrée, vous avez informé les familles que certains organismes pourraient faire du prosélytisme. Comment procédez-vous ? Comment l'UNAF informe-t-elle les familles ?

Seconde question : pourriez-vous être un peu plus précise sur les quelques mouvements qui poseraient ce genre de difficultés ?

Mme Chantal LEBATARD : À la première question, il est facile de répondre. L'UNAF est une union nationale d'associations familiales, composée à la fois d'unions départementales et de grandes associations familiales. En tant que telle, elle n'est pas directement en prise avec les familles. Mais son rôle est d'appeler l'attention de ses composantes sur les enjeux et les risques. Moi-même, je suis responsable du département « sociologie, psychologie et droit de la famille » ; je rappelle périodiquement à celles-ci que les risques existent et qu'il importe d'être vigilants, particulièrement à certains moments comme la rentrée. Cela dit, chacun des mouvements agit là où il est implanté, notamment lorsqu'il est en prise avec des organisations de soutien scolaire. Je pense à la Confédération syndicale des familles (CSF), qui est très implantée dans les quartiers populaires des grandes villes. Par ailleurs, existent des associations départementales, ou des bureaux qui constituent des listes. Les familles peuvent ainsi interroger leur association locale ou départementale en cas de doute. Nous voulons, au niveau national, que les familles fassent attention et agissent avec discernement en ne confiant pas leurs enfants à n'importe qui.

Je n'ai pas pensé que vous aviez besoin des exemples qui ont nourri notre réflexion. Je pourrai solliciter les différents témoignages. Mais dans la mesure où nous n'agissons pas directement en opposition contre ces mouvements et que nous mettons plutôt en garde les familles contre leurs agissements, vous n'obtiendrez pas de réponses très précises.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Comment qualifieriez-vous la situation actuelle s'agissant de la protection de l'enfance et de l'influence des organisations sectaires ? Par ailleurs, vous avez parlé de prévention. Est-elle suffisante aujourd'hui ? Comment rendre le système plus efficace ?

Mme Chantal LEBATARD : La prévention, notamment vis-à-vis des parents, me paraît insuffisante. L'angoisse des parents est plus forte que toutes les réponses qu'on a pu leur apporter. En 2002, Mme Ségolène Royal avait envisagé d'instaurer une préparation à la parentalité, au moment de la naissance, idée que nous avions soutenue en son temps. Dans le cadre du projet de loi sur la protection de l'enfance préparé par M. Philippe Bas, on voit réapparaître le sentiment qu'il y a des temps où l'on peut accompagner les parents et répondre à leur angoisse. S'il n'y a pas de lieux où ils peuvent exprimer cette angoisse et trouver des réponses, d'autres se chargent de le faire.

Le paysage des grandes sectes traditionnelles est à peu près connu. Plus difficile à cerner est tout ce qui vient s'alimenter à l'angoisse parentale, le souci de bien faire, cette compétition parentale. La séduction des médecines alternatives, des thérapies, du coaching, du développement personnel touche tout le monde, mais les parents inquiets sont particulièrement vulnérables. La prévention passe donc par un soutien à la parentalité.

M. Jacques MYARD : Madame, je vous ai trouvée un peu théorique et très abstraite. Pourriez-vous nous donner des cas précis, évidemment sans citer de noms ?

Mme Chantal LEBATARD : Cet aspect théorique est inhérent à ma fonction. Je me place au niveau national d'une organisation qui se décline au niveau départemental. Je n'ai donc pas une approche de terrain, même si j'ai quelques exemples de crises conjugales qui sont remontées jusqu'à moi, sur fond de communautés étrangères et de différences culturelles. En notre sein, existe l'ADFI. La logique veut que nous lui confiions ce type d'affaires liées aux mouvements sectaires. N'attendez pas de moi que je vous donne des détails, d'autres le feront très bien. En rédigeant mon exposé, j'ai essayé de vous apporter un éclairage sur la réflexion qu'on peut mener au niveau national.

M. Christian VANNESTE : Je voudrais vous interroger sur le suicide des adolescents. Y a-t-il un rapport entre la séduction du suicide et la séduction de celui qui vous empêche d'y penser parce qu'il vous protège ? Durant les dernières décennies, le taux de suicide était important, au point d'être devenu la deuxième cause de mortalité chez les jeunes. Il semble qu'on soit à un étiage. Mais avez-vous des informations très précises sur les conséquences de la domination d'un jeune esprit par une secte sur le taux de suicide ?

Le but de l'éducation est la conquête de l'autonomie morale et intellectuelle. Elle doit se faire dans le cadre d'un dialogue avec la famille et l'école. Mais comment vérifier que quelqu'un a acquis une autonomie intellectuelle et morale ? Quels sont les dangers objectifs de l'emprise sectaire sur la santé morale et physique ?

Certaines pratiques rituelles sont fondamentalement dangereuses alors que d'autres procurent une sécurité que n'apportent pas nos propres pratiques.

Il faut être beaucoup plus précis. On ne peut pas légiférer dans le vague.

Mme Chantal LEBATARD : S'agissant de l'adolescence, vous pointez notre déficit de connaissances sur cette période. Ce fut d'ailleurs une des découvertes de la conférence de la famille sur l'adolescence. On sait, en tout cas, qu'à cet âge il existe une fascination de la mort et du risque, qui peut être combattue par des éléments forts et que l'appel à la sécurisation de personnes apportant des réponses apparemment fermes et solides suffit parfois à contrebalancer cette difficulté. D'où l'emprise des mouvements intégristes et terroristes sur certains jeunes, qui retrouvent une raison d'exister.

La prévention est difficile à imaginer. Si les enfants et les adolescents étaient mieux intégrés dans un monde scolaire qui leur offre une chance de réussite, ce serait déjà un élément de sécurité. Cela dit, certains vivent la crise de l'adolescence de façon plus aigue que d'autres, surtout en cas de mésentente conjugale. On ne peut pas imaginer qu'un arsenal législatif épargnera aux enfants une telle souffrance.

M. Philippe TOURTELIER : J'ai apprécié que vous souligniez les zones de flou et de clair-obscur, notamment entre l'éducation et l'endoctrinement. Qu'est-ce qui distingue l'aide à la parentalité, que vous avez défendue, d'un coaching parental bien mené ? Je pense qu'il faut s'en tenir à des faits les plus objectifs possibles. En attendant que l'environnement soit moins angoissant, il faut tenter une prévention efficace. J'ai également apprécié ce que vous avez dit sur le renforcement du travail social, qui me paraît essentiel.

Vous avez dit que vous alertiez les familles concernant les services qui lui sont proposés. Vous avez ajouté que l'ADFI avait établi des listes. Mais pourriez-vous nous donner les éléments qui pourraient nous permettre de repérer certains risques ?

Mme Chantal LEBATARD : Je ne suis pas sûre de pouvoir vous répondre de façon satisfaisante. Les offres de soutien scolaire sont des réponses locales à des besoins locaux. Ce sont en général les autres associations sur le terrain, confrontées ou comparées à ces offres qui réagissent en mettant en garde les familles.

Cela dit, il est évident que si on vous propose des séances complémentaires au-delà du soutien scolaire, vous pouvez commencer à vous interroger. Une réunion globale d'information sur les méthodes de travail employées, soit. Mais au-delà, soyez vigilants. Il faut savoir où l'« on met les pieds ».

M. Jean-Pierre BRARD : S'agissant du suicide, nous ne sommes pas dans le champ d'une science exacte, ce qui explique la prudence dont les parlementaires ont toujours fait preuve. On sait bien que lorsque l'on sort de la secte, on se trouve en état d'apesanteur car celle-ci a rompu les rapports avec le milieu familial et le milieu social. Dans votre région, mon cher collègue Vanneste, une militante de la défense des droits de l'individu et de la famille a publié un livre très intéressant qui concerne les Témoins de Jéhovah et traite du suicide.

Dans notre pays, nous avons un devoir d'assistance à personne en danger. Quel est votre sentiment concernant les transfusions sanguines ? On sait qu'il n'existe pas de substitut général à la transfusion sanguine qui, dans un certain nombre de cas, est le seul moyen d'empêcher quelqu'un de mourir. Quelle est la position de l'UNAF ? Que faut-il faire quand seule la transfusion sanguine peut sauver ? Faut-il donner la priorité à la croyance, surtout quand il s'agit d'enfants ? Quel peut être le rôle des parents ? Quelle est la limite aux droits des parents ?

Mme Chantal LEBATARD : La législation répond déjà sur ce point. Les médecins ont parfaitement le droit d'intervenir. Dans le cadre de la protection de l'enfance, il y a suspension de l'autorité parentale le temps de l'intervention. C'est parfaitement organisé.

S'agissant des adultes, je suis d'autant moins bien placée pour vous répondre que j'appartiens au comité consultatif national d'éthique qui, dans un récent avis, a abordé ce problème du refus de soin. Mais l'UNAF n'a pas à intervenir sur ces questions dès lors qu'elles ne concernent pas les relations familiales.

M. Jean-Pierre BRARD : Quel est votre sentiment personnel ?

Mme Chantal LEBATARD : Je ne sais pas. Je peux vous donner une réponse théorique. Mais, confrontée à la réalité dans un choix personnel, je ne sais pas comment je réagirais. Il faut être très prudent dans ces cas-là et ne pas énoncer de règle trop stricte qui pourrait être aliénante.

M. le Président : Je rappelle que le Conseil d'État, dans une ordonnance de référé de 2002, a fait prévaloir la décision médicale sur le refus de transfusion sanguine par les parents.

M. Marcel DEHOUX : Vous avez évoqué la formation de l'enfant aux faits religieux par les parents. Que pensez-vous de la formation aux faits religieux à l'école ?

Mme Chantal LEBATARD : C'est à la fois la mère de famille et l'enseignante qui vous répond. L'enseignement du fait religieux à l'école est indispensable, non pas pour former les jeunes au fait religieux, mais pour leur apprendre à respecter les autres et une des règles du vivre ensemble. Il ne s'agit pas d'une formation. Ce n'est pas le lieu de l'école ; il ne faut pas mélanger les paramètres. Cet enseignement est nécessaire pour éviter les haines, les incompréhensions, les malentendus et les communautarismes. Il a sa place dans l'école républicaine.

M. le Président : Il était important d'avoir cette réponse et je tiens à rappeler que nous ne sommes pas sur le terrain religieux.

M. Philippe VITEL : Vous avez parlé des difficultés à distinguer entre éducation et transmission, et endoctrinement. J'ai lu avec attention le rapport de la MIVILUDES pour 2005, qui s'interroge sur la validité des procédures d'homologation par l'éducation nationale de structures éducatives alternatives qui naissent tous les jours. Ces procédures vous paraissent-elles adaptées ? L'éducation nationale joue-t-elle son rôle ?

Mme Chantal LEBATARD : J'aurais envie de vous répondre non. Mais c'est parce que l'éducation nationale a manqué à sa mission d'être aussi un laboratoire et un lieu d'élaboration de pédagogies nouvelles. Cela laisse place à des innovations pédagogiques en dehors d'elle-même.

Autour de nous, en Europe, les méthodes pédagogiques et les « personnalités » des écoles rencontrent beaucoup plus de souplesse sans susciter la méfiance. Cela correspond assez bien à la diversité des enfants et des demandes des familles. Au bout du compte, les résultats sont tout aussi honorables : les jeunes connaissent moins de problèmes d'intégration, ils sont mieux préparés à aborder la vie professionnelle et à reprendre des études dans le cadre d'une formation continue.

Les difficultés que nous rencontrons sont, en partie, le fruit d'une certaine frilosité. Je suis agrégée de l'éducation nationale ; je peux affirmer que la formation pédagogique que j'ai reçue était limitée et décalée par rapport aux réalités de l'enseignement que j'allais devoir affronter. Il n'est pas étonnant qu'aujourd'hui certains proposent d'autres méthodes.

Pour autant, le contrôle est nécessaire, c'est même la responsabilité de l'État de s'assurer de la qualité des formations.

M. Philippe TOURTELIER : Feriez-vous la même analyse s'agissant de la médecine classique et des médecines alternatives ?

Mme Chantal LEBATARD : Peut-être, mais n'étant pas médecin, je ne m'y risquerai pas. Il me semble que l'Académie de médecine se pose aujourd'hui beaucoup de questions sur la place des médecines alternatives.

Mme Patricia ADAM : Nous avons entendu parler de travailleurs sociaux faisant eux-mêmes partie de sectes. Des règles déontologiques s'appliquent à ces professionnels. Pensez-vous qu'actuellement le droit du travail soit suffisant ? Personnellement, je considère que, dans ce cas-là, ces personnes ne peuvent pas faire ce métier.

Mme Chantal LEBATARD : Un travailleur social remplit une mission que lui a confié une institution. Aujourd'hui, le drame des travailleurs sociaux est qu'ils agissent seuls, qu'ils ne sont pas soutenus et qu'ils ne se sentent pas agir en cohérence avec d'autres intervenants du même champ. Dans les textes qui sont en préparation, on a eu l'idée de réintroduire de la collégialité dans l'intervention sociale sur une même personne. Du coup, le risque paraît beaucoup moins grand.

Par ailleurs, l'exigence de formation continue des travailleurs sociaux fera plus que la recherche de l'appartenance de quelqu'un à telle ou telle école de pensée. Si le travail rendu est constructif et efficace pour le bien-être de la famille, il n'y a pas de raison d'écarter quelqu'un au motif d'une appartenance quelconque. D'autant que celle-ci relève des choix privés et que si l'on commence à intervenir dans ce domaine, on risque d'aboutir à une dangereuse discrimination.

Enfin, nous travaillons beaucoup sur les dispositifs d'évaluation et les critères qualité. Tous ces éléments doivent être à même de garantir une intervention sociale de qualité.

M. Daniel PRÉVOST : Madame, vous avez remarqué que la réussite scolaire ne facilitait pas toujours l'insertion sociale. L'académie de Rennes remporte depuis des années les meilleurs résultats scolaires à tous les niveaux. Mais on y note également un record des conduites addictives - alcool, tabac, cannabis - et du taux de suicide des jeunes. Je voudrais vous interroger sur la situation des services de santé scolaire. Les problèmes de santé sont cruciaux dans notre société.

Mme Chantal LEBATARD : J'enfoncerai une porte ouverte en évoquant la grande misère de la médecine scolaire et le grand déficit d'accompagnement en santé mentale des enfants et des adolescents. Le premier élément de protection de l'enfance serait de remettre autour des enfants, au service de leur santé et de leur bien-être, tous les outils dont on a besoin aujourd'hui dans un monde qui les rend peut-être plus vulnérables qu'à d'autres époques.

M. le Président : Merci de votre contribution très intéressante aux travaux de la commission.

Audition de Mme Claude DELPECH,
présidente de l'Association AFSI
(Alerte Faux Souvenirs Induits)



(Procès-verbal de la séance du 5 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Nous poursuivons nos auditions en accueillant Mme Claude Delpech, Présidente de l'association Alerte Faux Souvenirs Induits (AFSI).

Vous remerciant, Madame la Présidente, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Claude Delpech prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Mme Claude DELPECH : Je vous remercie d'avoir invité notre association à venir vous parler des dérives désastreuses qu'entraînent les thérapies déviantes et psychosectaires sur la santé physique et mentale des enfants mineurs.

J'insiste tout d'abord sur le fait qu'il ne s'agit pas pour notre association de nier ou de minimiser la réalité des abus sexuels, de l'inceste ou de la maltraitance des jeunes enfants. Il ne s'agit pas non plus de dire que toutes les psychothérapies sont négatives. Mais il nous semble essentiel de dénoncer les thérapies déviantes générant de faux souvenirs et les conséquences qu'elles entraînent sur les mineurs, d'autant qu'elles nuisent fortement au combat légitime des vraies victimes.

L'AFSI est une association de la loi 1901, créée en juillet 2005 par des parents injustement accusés par leurs enfants majeurs de maltraitance et d'abus sexuels, prétendument survenus pendant leur petite enfance, abus dont ils n'avaient aucun souvenir auparavant et qu'ils « découvrent » vingt ou trente ans plus tard, à la suite de séances dites de « thérapie » fondées sur la recherche des souvenirs de la petite enfance. Ces thérapies particulièrement perverses entraînent la rupture totale et définitive d'avec les familles.

La pratique des faux souvenirs peut s'exercer sous deux formes différentes : sur un plan collectif, à partir d'un groupe ou d'une secte ; sur un plan individuel, à partir d'un opérateur qui exerce des thérapies déviantes. Dans ces deux cas, il s'agit de dérives psychosectaires utilisant le même mécanisme de manipulation mentale.

Un syndrome est un ensemble de symptômes qui apparaissent simultanément. Le syndrome des faux souvenirs décrit la mémoire d'une expérience traumatique qui est objectivement fausse mais à laquelle la personne croit fermement.

Le syndrome de la fausse mémoire peut être identifié lorsqu'il n'est précédé par aucun souvenir de même nature pendant les vingt ou trente années antérieures et qu'il apparaît brusquement au cours, ou à la suite, de « thérapies » basées sur la recherche des souvenirs d'enfance et altérant en profondeur le jugement et la personnalité des jeunes patients adultes.

Comme l'écrit le docteur Michel Topaloff, psychiatre, dans la préface du livre Le Syndrome des faux souvenirs : au début de son œuvre, en 1895, Freud affirmait avoir découvert chez toutes ses patientes hystériques des souvenirs de traumatismes de nature sexuelle survenus dans leur enfance. C'est le principe de l'étiologie traumatique des névroses. Puis rapidement, en 1897, il reconnaît que les souvenirs allégués par certaines de ses patientes ne correspondaient à aucun événement réel de leur passé. Il renonce à son hypothèse : ces souvenirs sont des fantasmes.

Mais aux États-Unis, dans les années 1980, l'argumentation première de Freud - celle-là même qu'il a récusée par la suite - a été reprise et largement appliquée par de nombreux professionnels de la santé. C'est à cette époque que s'est particulièrement développé le problème de ces thérapies déviantes qui ont provoqué de nombreux procès et drames familiaux, jusqu'à ce que la fondation FMSF (False Memory Syndrome Foundation), créée en mars 1992 à Philadelphie, entame une lutte résolue contre ces mauvaises pratiques thérapeutiques. Aujourd'hui, ces pratiques sont dénoncées ; des scientifiques de renom vont jusqu'à les interdire. L'APA, American Psychological Association, a prononcé une mise en garde contre les thérapies abusives de la « mémoire retrouvée » ; les tribunaux américains deviennent prudents sur les abus sexuels dénoncés par des enfants majeurs ayant retrouvé la mémoire, d'autant que certains patients se sont rétractés de leurs accusations à l'encontre de leurs parents et se sont retournés contre leur thérapeute pour leur avoir « implanté » des faux souvenirs. À notre connaissance, elles ont toujours gagné leur procès et ont obtenu des compensations financières très élevées dans la mesure où des personnes ont passé, à tort, des années en prison.

En Europe, ce phénomène se développe considérablement depuis une décennie. La Grande-Bretagne et les Pays-Bas ont déjà légiféré pour réglementer ces thérapies déviantes, mais pas la France, alors que de nombreuses familles en sont victimes dans toutes les régions.

Des experts vous expliqueront mieux que moi le processus de la manipulation mentale utilisé pour induire les faux souvenirs. Ces « thérapeutes » utilisent, à des fins perverses de persuasion et de conditionnement : la technique cognitive, qui altère l'esprit critique du patient ; la technique comportementale, qui, en lui faisant perdre son libre arbitre, modifie sa manière de vivre ; la technique affective qui procède en trois temps puisque le thérapeute séduit, détruit les attaches du passé et crée un vide, grâce auquel il induit le faux souvenir.

Vous m'avez invitée pour vous parler des petits-enfants mineurs qui subissent, à travers leurs parents, l'influence de mouvements à caractère sectaire et de leurs conséquences sur leur santé physique et mentale.

Nous rencontrons trois sortes de victimes.

Les premières, ce sont nos enfants qui, manipulés par le « psy » ou le leader du groupe n'ont plus aucune notion de la réalité des faits.

Les deuxièmes, ce sont nous, leurs parents, qui sommes accusés par nos enfants, sans aucune possibilité de nous expliquer et de leur prouver qu'ils sont trompés par leur thérapeute. Toute tentative d'aborder ce grave problème déclenche chez eux, une agressivité, une colère jusqu'alors inconnues de nous.

Enfin, les dernières victimes, et non les moindres, sont nos petits-enfants mineurs qui, sans défense et manipulés par leurs parents, sont séparés de leurs grands-parents et de la famille élargie, devenant ainsi, en grandissant, les proies idéales du thérapeute ou du leader du groupe.

S'agissant de nos enfants, le profil-type est celui d'adultes - des jeunes femmes en majorité - âgées de 20 à 40 ans, d'un niveau intellectuel supérieur à la moyenne, souvent issues de familles vivant en harmonie, et qui débutent une « thérapie » ou pseudo-thérapie, à la suite d'insatisfactions personnelles. Elles sont alors en état de faiblesse et certainement « prêtes » à entendre le discours du thérapeute.

Certes, il y a des professionnels formés et reconnus mais il y a aussi, dans la nébuleuse de l'« ego », des thérapeutes autoproclamés qui se comportent en gourous et abusent du malaise existentiel et de la souffrance psychique de leurs patientes.

Lorsqu'elles consultent un ou plusieurs thérapeutes, ces jeunes femmes ignorent que ceux-ci pratiquent des techniques de recouvrance de la mémoire. Le thérapeute leur explique que si elles sont mal aujourd'hui, c'est qu'il leur est arrivé un traumatisme grave dans leur petite enfance. Si elles ne s'en souviennent pas, il « suggère » qu'elles ont « refoulé » l'événement.

C'est ainsi que, manipulées par leur «thérapeute», nos enfants, les victimes, en viennent à accuser leurs parents, un familier, un ami, d'inceste et de maltraitance. Mais, bien qu'ayant prétendument retrouvé l'« origine » de leur mal-être, elles ne sont pas pour autant guéries. Certaines sombrent dans des dépressions qui peuvent durer des années, puisqu'elles ne sont pas soignées ; alors, elles deviennent la « proie » ou l'« objet » de leur thérapeute.

Elles renient la famille, les amis et pour certaines, quittent tout, pour se « remettre » entre leurs mains. On constate la dépendance aliénante de nos enfants vis-à-vis de leur thérapeute, leur destruction psychique et intellectuelle, et aussi l'emprise et le pouvoir de celui-ci sur leurs moyens financiers - car, il ne faut pas se leurrer, ces pratiques existent parce qu'il y a de l'argent à prendre. Certains quittent même leur milieu professionnel et suivent une formation pour devenir à leur tour « thérapeutes de l'âme » et transmettre la bonne parole du maître. Toutes ces formations sont très onéreuses et ne débouchent sur aucun diplôme reconnu par l'État.

Ces thérapies peuvent durer des années, sans espoir de guérison, à moins de changer de thérapeute et de consulter, enfin, un vrai professionnel. C'est le mieux que nous puissions souhaiter à nos enfants pris dans cet engrenage.

Les grands-parents, bien souvent de paisibles retraités, se retrouvent accusés de maltraitance et d'inceste sans comprendre ce qui leur arrive, au moment où, disposant de plus de temps pour cela, ils espéraient pouvoir profiter pleinement de leurs enfants et petits-enfants.

Les familles explosent alors : des parents se sont suicidés, d'autres ont divorcé ; les frères et sœurs adhérent parfois aux délires et quittent le cercle familial ; la famille élargie réagit, en bien, en mal. La rumeur et la suspicion s'installent.

Certains parents se sont retrouvés en garde à vue, certains ont été mis en examen pendant de longs mois. En effet, il n'est pas toujours facile pour la justice de se rendre compte que la jeune femme accusatrice avait été manipulée et conditionnée par le thérapeute.

Enfin, ces accusations peuvent influer lourdement sur la santé des grands-parents.

Le but de l'AFSI est de venir en aide aux familles déchirées et dans le désarroi.

En ce qui concerne nos petits-enfants mineurs, la rupture est totale dès que les accusations sont lancées : les enfants accusateurs renient totalement leurs parents et privent leurs propres enfants de la tendresse et de la présence de leurs grands-parents mais aussi de la famille élargie.

Le 30 mars dernier à Saint-Priest, lors de la journée Sectes et Enfants, organisée par Mme la députée Martine David et plusieurs d'entre vous, Mme Anne Fournier, de la MIVILUDES, nous a bien expliqué que les enfants mineurs - nos petits-enfants - avaient une souffrance affective et psychologique, qu'ils étaient victimes de la « déparentalisation » de leurs parents et que, même s'ils avaient une vie publique, les enfants vivaient un « enfermement... ».

Certains grands-parents, qui ont exceptionnellement la chance de voir leurs petits-enfants par « épisodes », l'ont remarqué et se rendent compte que ceux-ci ne sont plus comme avant les accusations et la rupture : ils ne se livrent plus, n'ont plus le sourire et ne répondent plus que par oui ou par non, sans jamais s'étendre sur leur vie, leurs activités scolaires, extra-scolaires, et encore moins sur ce qui se passe avec leurs parents. Tout courrier, tout colis, qui leur est adressé est systématiquement refusé et retourné par les parents. Les petits-enfants ne peuvent en aucun cas correspondre avec leur grands-parents, même par téléphone. Les grands-parents ignorent tout de leur progression scolaire.

Certains petits-enfants ont été arrachés à la tendresse de leurs grands-parents tout bébés, d'autres ne les ont jamais connus.

Ces petits-enfants mineurs peuvent également être victimes des doctrines et pratiques de ces thérapies déviantes par une alimentation carencée, des soins médicaux inadaptés à leurs problèmes de santé, un développement intellectuel restreint, une vie sociale anormale, des initiations aux thérapies pratiquées par leurs parents.

Pour lutter contre ce fléau, nous nous devions agir afin d'aider nos enfants, nos petits-enfants, à s'en sortir et nous déculpabiliser de n'avoir rien vu venir. C'est la raison pour laquelle l'AFSI dénonce auprès des autorités compétentes les pratiques des thérapies déviantes et psychosectaires terriblement dangereuses pour notre société.

Depuis sa création, l'association rencontre de nombreux parents et victimes qui nous permettent d'entrevoir l'ampleur et la gravité du problème. Elle organise régulièrement des rencontres entre les familles et les nouveaux adhérents afin de leur remonter le moral et les entourer afin de ne pas les laisser sombrer dans la solitude.

Nous avons rencontré des professionnels de la santé, des psychiatres, des psychologues, avec qui nous collaborons et qui reçoivent les familles en souffrance.

Nous avons été invités par le comité d'éthique de l'hôpital de la Timone de Marseille, pour parler des thérapies déviantes générant les douloureux problèmes des faux souvenirs induits et y lire un témoignage poignant de grands-parents privés de leurs petits-enfants.

Les professionnels présents dans la salle - médecins, psychologues, infirmières, sages-femmes - nous ont encouragés à poursuivre au motif que les thérapies déviantes basées sur la recherche des souvenirs de la petite enfance sont très perverses et qu'il faut en parler.

Nous avons demandé au ministre de la santé de réglementer au plus vite la profession de psychothérapeute et ne plus permettre à des charlatans de s'autoproclamer « psy » avec pour seuls buts de satisfaire leur ego, d'exercer leur volonté de puissance et de vider le porte-monnaie de nos enfants.

L'AFSI s'est fait connaître auprès des membres du groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale, de la commission d'enquête parlementaire sur la douloureuse affaire dite d'Outreau et auprès de la Mairie de Paris.

Nous avons contacté des professionnels du milieu judiciaire et juridique, en particulier des magistrats de différentes régions pour les informer de la création de notre association, et pour leur dire combien les thérapies psychosectaires étaient dangereuses et faisaient éclater les familles. Certains parents, domiciliés dans ces régions, ont d'énormes problèmes pour voir ou avoir des nouvelles de leurs petits-enfants, même par voie judiciaire. Alors que certains ont engagé une action depuis plus de quatre ans, ils ne peuvent toujours pas voir leurs petits-enfants et ils ignorent même où ils se trouvent.

Nous avons aussi rencontré des avocats qui, s'ils ne connaissaient pas le problème des faux souvenirs, étaient déjà familiers des fausses allégations d'inceste ou d'aliénation parentale, dans les procédures de divorces difficiles.

L'AFSI s'est fait connaître de la MIVILUDES et de son président. Dans son rapport 2005, la MIVILUDES présente explicitement le « syndrome des faux souvenirs » comme une « forme de psychanalyse déviante » et cite notre association parmi les « nouvelles associations ou coordinations de victimes ».

L'AFSI collabore avec les associations de victimes : l'UNADFI, Union nationale des associations de défense des familles et des individus victimes de sectes, les ADFI de Paris et du reste de la France, le CCMM, Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales, le GEMPPI, Groupe d'étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu et Psychothérapie Vigilance.

Le 26 avril dernier, nous avons pu témoigner dans les médias sur les « thérapies » déviantes générant de faux souvenirs, grâce à la MIVILUDES lors de la présentation de son rapport 2005.

Quels sont aujourd'hui nos souhaits en ce qui concerne la législation ? On peut tout d'abord se demander si, alors que tous les sociologues s'accordent sur l'importance, croissante et bénéfique, de la présence et de l'implication des grands-parents dans la vie et l'éducation de leurs petits-enfants, le dispositif législatif actuel est suffisant pour protéger nos petits-enfants, nos enfants et nous-mêmes.

L'article 371-4 du Code civil dispose que « les parents ne peuvent faire obstacle aux relations personnelles des petits-enfants envers leurs grands-parents ». Nous pouvons donc avoir recours aux juges pour enfants et invoquer cet article pour faire reconnaître à la fois le droit de nos petits-enfants à conserver des relations personnelles avec leurs grands parents et le droit des grands parents à voir et recevoir leurs enfants.

Mais dans la pratique, nos enfants se soumettront-ils réellement à ce texte ? Ne pourront-ils pas la contourner facilement en manipulant à leur tour leurs enfants qui déclareront au juge : « Je ne veux plus voir mes grands parents ni aller chez eux » ?

Ne pourrait-on inclure un alinéa qui renforcerait le droit des grands-parents à voir, à recevoir leurs petits-enfants et à entretenir avec eux une correspondance suivie, afin que ces derniers ne perdent pas l'histoire et les repères familiaux et qu'ils puissent grandir le plus sereinement possible ?

Comment éviter, par ailleurs, les difficultés, la lenteur de la procédure et le risque de provoquer l'éloignement définitif de nos enfants et petits-enfants ?

L'article 223-15-2 du code pénal, dit loi « About-Picard », permet aux personnes mineures ou majeures, victimes de « pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer leur jugement pour les conduire à un acte ou une abstention qui leur sont gravement préjudiciables », de porter plainte contre « le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ».

Cette loi concerne bien le responsable, en l'occurrence le thérapeute et ses victimes mineures ou majeures, mais elle ne pourra être appliquée. En effet, le mineur n'est pas une victime directe des agissements du thérapeute. Par ailleurs, un mineur ne peut ester en justice et l'on ne voit pas un enfant porter plainte contre ses parents manipulés et devenus à leur tour manipulateurs.

Quant aux parents majeurs, étant donné qu'ils sont totalement sous l'emprise de leur thérapeute, ils n'ont aucune conscience des dommages qu'ils subissent et donc ne pourront ni ne voudront porter plainte.

Pour leur part, les grands-parents ne sont que des « victimes indirectes » ; ils ne peuvent pas porter plainte pour leurs enfants et petits-enfants.

Serait-il possible, comme vous l'aviez suggéré le 30 mars, d'étendre la loi « About-Picard » aux grands-parents ?

Avant de conclure, je souhaite vous donner lecture d'un certain nombre de témoignages que nous avons recueillis.

Le premier est celui d'un père :

« En juillet 2002, ma fille a trente-sept ans quand elle me demande de la rencontrer pour m'apprendre que mon père l'avait violée en 1970, lorsqu'elle avait cinq ans, ce qui est impossible.

« Son mari, depuis environ cinq ans, et elle, depuis environ quatre ans, rencontraient deux « psychothérapeutes » dans le Midi. Ils pratiquaient - en professionnels, avec un code APE et un numéro de SIRET - la sophrologie et d'autres méthodes telles que Rebirth. Ils avaient reçu une formation dans cette dernière discipline dont on peut devenir maître et initiateur après un parcours de trois ou quatre années.

« Son mari, podologue, sophrologue, maître en Rebirth, diffuse sa « science » en clientèle dans une ville du centre de la France. Elle-même est responsable dans cette même ville d'un comité départemental pour l'éducation pour la santé...

« Ma fille vit maintenant avec un autre adepte, mais pense surtout à jouir de sa vie personnelle, se désintéressant de sa fille aînée qui fait ses études de médecine. Les deux plus jeunes enfants sont alternativement chez leur mère et chez leur père, sans beaucoup de repères.

« J'ai dû attendre les dix-huit ans de ma petite-fille aînée, en mai 2005, pour la revoir, ce sera plus tard pour les deux plus jeunes, ma fille invoquant l'héritage génétique.

« J'ai vu ma fille deux fois depuis 2002 et je l'ai au téléphone de temps à autre pour maintenir le contact. »

Le deuxième témoignage est celui d'une mère :

« Fin 1999, mon fils de trente-trois ans commence à parler de traumatismes qu'il aurait subis dans sa petite enfance pour aboutir quelques temps après à des accusations d'inceste qui impliquent toute la famille paternelle.

« Début 2000, il se rapproche de sa sœur, la harcèle de « souvenirs » qu'elle aurait occultés et l'entraîne avec lui chez la cristallothérapeute qu'il fréquente depuis plusieurs années.

« En octobre 2001, à raison de deux séances de deux heures par mois, ma fille porte les mêmes accusations que son frère. À son tour, elle coupe les ponts avec tous ceux qui ne la croient pas - amis, connaissances, belle-famille, famille.

« En septembre 2002, ma fille accuse son mari et quitte le domicile conjugal avec leurs trois fillettes mineures de dix, huit et six ans.

« La justice est saisie : les enfants sont placées pendant deux ans dans un foyer de la DDASS. À l'issue du procès, la justice a reconnu que la jeune femme avait été « manipulée » par une thérapeute et en octobre 2004, après deux années de procédure judiciaire, les enfants ont été confiées à leur père, mais la plus âgée a refusé de retourner chez lui.

« À ce jour, je n'ai plus de contact avec ma fille ni avec mon fils qui a quitté la France pendant la procédure judiciaire. »

Autre témoignage :

« C'est en 1998 que notre fille âgée de vingt-quatre ans, divorcée et mère d'une petite fille de quatre ans, porte des accusations d'abus sexuel à mon encontre.

« À cette époque, elle se trouve dans les mains d'un pseudo thérapeute, enseignant le Reiki, qui l'initie à cette pratique. Elle se coupe de tout lien familial et, peu à peu, accuse également sa mère de maltraitance.

« En 2000, elle renoue avec la famille et par écrit reconnaît que ses accusations d'inceste sont fausses. Nous revoyons notre petite-fille qui passe ses vacances chez nous, ainsi que notre fille. Nous n'ignorons pas qu'elle continue à pratiquer le Reiki. Elle nous fait part de son souhait de devenir psychothérapeute.

« Par la suite, nos relations se distendent à nouveau. Ses écrits ne sont que reproches puis elle rompt à nouveau toute relation familiale. Elle se remarie en 2004, et à cette occasion nous apprenons qu'elle a fait changer son prénom par voie judiciaire.

« Aujourd'hui elle vit dans un petit village reculé de toute grande agglomération, où elle pratique son « art ». Deux autres enfants sont nés depuis, que leurs grands-parents ne connaissent pas. »

Encore un autre témoignage signé d'« une maman dans la douleur » :

« Alors qu'auparavant nous avions des relations chaleureuses et normales, fin janvier 2003, ma fille âgée de quarante-deux ans a brutalement refusé de me revoir et de me confier mes petits-enfants par un courrier dans lequel elle accusait son père d'inceste, quand elle avait quatre ans, et moi-même de complaisance.

« Ce courrier est arrivé quelques jours après qu'elle fut allée consulter une magnétiseuse.

« Depuis quelques années, ma fille avait commencé à se tourner vers les médecines douces ou parallèles - réflexologie et psychogénéalogie. Je n'y connaissais rien, mais cela me semblait inoffensif, et il me semblait même qu'elle se sentait mieux après ces séances : j'étais bien naïve...

« Désemparée, mise en contact avec l'ADFI, j'ai compris que ma fille était victime de manipulations mentales en l'occurrence « les faux souvenirs induits ».

« Depuis cette époque, je n'ai plus revu ma fille ni mes petits-enfants. Une troisième petite-fille est née, que je ne connais pas. »

Encore ce témoignage, d'un père :

« Ma fille, célibataire, a fait de longues études dont deux ans en Allemagne. Elle est titulaire d'un DESS. Elle travaille comme consultante en entreprise. Elle habite la région parisienne. Elle est suivie, depuis 1999, par un psychiatre ayant pignon sur rue.

« A partir de cette date, ma fille est venue de moins en moins souvent chez nous et a espacé ses conversations téléphoniques.

« Au printemps 2002, par téléphone, elle m'annonce que je l'ai violée quand elle était petite.

« Au mois d'octobre 2002, je suis convoqué au commissariat. L'inspecteur m'indique que je suis mis en garde à vue. Il me lit la plainte de ma fille : « viol sur sa personne à l'âge de deux ans, pendant six mois ». Ma fille a déposé cette plainte huit jours avant ses vingt-huit ans, qui étaient alors l'âge limite de la prescription » - aujourd'hui, cette prescription n'existe plus, et c'est bien normal pour les gens qui sont véritablement coupables.

« Après une visite chez un expert psychiatre auprès des tribunaux, que j'ai moi-même demandée au cours de ma garde à vue, je suis libéré au bout de neuf heures. La plainte a été classée sans suite en février 2003. Pourtant, je ne puis rien faire moi-même, bien que l'on sache que ma fille est manipulée.

« Depuis, ma fille a rompu toute relation avec sa maman et avec moi-même. Elle ne répond plus à nos courriers mais continue, à ce jour, à voir son psychiatre, dont elle est enchantée. »

C'est, cette fois, une mère qui témoigne :

« En juillet 1998, notre fille nous dit qu'elle a participé à un stage de théâtre. Elle a trouvé l'annonce dans un journal de psychologie. À l'issue de ce stage, elle nous annonce qu'elle a subi des attouchements et même des viols pendant son enfance, de la part de son père, sa mère étant complice.

« Après avoir communiqué périodiquement avec sa sœur et recontacté un oncle et une tante en 2004, c'est maintenant le silence complet. Nous lui écrivons de temps en temps, elle nous retourne le courrier mais pas les cartes postales. ».

Pour conclure, nous remercions les membres de votre commission d'avoir accepté cette lourde mission et nous souhaitons qu'elle puisse obtenir : l'arrêt des pratiques des thérapeutes autoproclamés en réglementant rapidement la profession de psychothérapeute ; l'amélioration des articles 371-4 du code civil et 223-15-2 du code pénal pour une démarche administrative et judiciaire simplifiée et efficace ; la formation des magistrats, des experts judiciaires, en particulier la formation spécifique des juges pour enfants, des assistants sociaux et des experts judiciaires ; la possibilité pour les grands-parents d'avoir un droit de regard sur la santé et la scolarité de leurs petits-enfants.

Je vous remercie de votre attention et vous demande votre indulgence si, parfois, j'ai été un peu embrouillée, mais c'est avec mon cœur de mère et de grand-mère que je me suis présentée à vous aujourd'hui.

M. le Président : Nous avons écouté avec beaucoup d'intérêt votre exposé très clair et nous vous en remercions.

Avant de poursuivre cette audition, j'informe mes collègues qu'il a été déposé cet après-midi à la réception de l'Assemblée nationale un document intitulé « Les anomalies d'une commission d'enquête parlementaire », qui met en cause notre légitimité et les conditions dans lesquelles cette commission a été créée, et qui a été établi par une certaine « coordination des associations et particuliers pour la liberté de conscience CCAP ».

Je crois pouvoir dire en notre nom à tous que ce type d'intervention n'aura aucune influence sur cette commission d'enquête, qui est parfaitement légitime et qui ne se laissera en aucun cas ébranler par de telles tentatives. Si l'on n'a rien à cacher, que l'on laisse donc notre commission poursuivre ses travaux jusqu'à leur terme.

Je reviens au sujet qui vous préoccupe.

S'agissant de la loi « About-Picard », je vous rappelle qu'elle est d'ordre public, ce qui signifie que le procureur de la République, sur n'importe quelle saisine, et sans que celle-ci vienne obligatoirement d'un membre de la famille, peut saisir un juge pour en demander l'application. Cela vaut donc a fortiori si ce sont des grands-parents qui dénoncent des faits qui peuvent tomber sous le coup de cette loi.

Il me semble, par ailleurs, que vous avez fait lecture de l'ancien article 371-4 du code civil. En effet, la loi a été modifiée le 4 mars 2002 ; cet article est aujourd'hui rédigé ainsi : « L'enfant a le droit d'entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seuls des motifs graves peuvent faire obstacle à ce droit.

« Si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non. ».

Pouvez-vous, par conséquent, préciser les améliorations que vous souhaiteriez voir encore apporter à ce texte ?

Mme Claude DELPECH : Alors que des familles veulent avoir un droit de visite, leurs enfants mettent en avant les accusations qu'ils portent contre eux. C'est ainsi que s'érige une barrière qui devient vite infranchissable, le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants étant réticent à accorder un droit de visite à des grands-parents qui sont déjà accusés d'inceste par leurs propres enfants. Dans ces cas de rupture familiale, les petits-enfants deviennent un moyen de pression sur les grands-parents. Dès que ces derniers engagent une action judiciaire, leurs enfants expliquent par leurs accusations le fait qu'ils ne veulent plus que leurs propres enfants voient leurs grands-parents. Ils demandent souvent aussi l'ouverture d'une enquête familiale.

Il faudrait donc que l'on trouve un moyen, non pas de contourner la justice, mais de faire en sorte que les grands-parents soient entendus directement et rapidement par le juge, car si l'on attend l'aboutissement de deux ou trois ans de procédure judiciaire, les petits-enfants ne voudront plus les voir.

M. le Président : Vous attendez donc moins une modification du texte qu'une écoute plus attentive et plus rapide des grands-parents.

Mme Claude DELPECH : Peut-être faudrait-il mieux informer les magistrats. Car il ne faut pas oublier qu'il y a très souvent derrière ces faits des dérives psychosectaires, voire directement des mouvements sectaires et que, sans même le savoir, nos enfants sont conseillés de façon à ce que les choses n'aillent pas plus loin.

M. le Président : En ce qui concerne les psychothérapeutes, vous n'ignorez pas que l'Assemblée a adopté ce que l'on a appelé « l'amendement Accoyer », qui réglemente cette profession. Mais nous sommes toujours dans l'attente des décrets d'application.

M. le Rapporteur : Je vous remercie, à mon tour, de votre témoignage précis, concis et étayé.

Si j'ai souhaité que vous soyez présente aujourd'hui, c'est parce que, en tant que président du groupe d'études sur les sectes, je suis en contact avec vous depuis que, il y a plusieurs années, nous avons commencé à nous intéresser à ce sujet quand vous nous avez alertés sur certains cas ahurissants.

Pouvez-vous nous dire qu'elle est aujourd'hui l'ampleur de ce phénomène ? Vous paraît-il de plus en plus préoccupant ?

Mme Claude DELPECH : Il prend de l'ampleur et devient préoccupant. Plus de vingt familles ont aujourd'hui rejoint les cinquante qui avaient créé l'association ; nous recevons tous les jours de volumineux dossier de gens qui ne savent plus quoi faire. Nous recensons une centaine de familles, mais nous ne connaissons pas toutes celles qui sont concernées : combien n'ont pas Internet, ne nous connaissent pas, ou se taisent parce qu'elles ont honte ?

Moi-même, je suis restée quatre ans sans savoir ce qui m'arrivait ; pendant quatre ans, j'ai rasé les murs et j'ai courbé l'échine, jusqu'à ce que je rencontre Jacques Trouslard, qui m'expliquait comment les sectes s'y prenaient pour écarter leurs adeptes de leur famille et qui m'a mise en contact avec un groupe de parents se trouvant dans la même situation que moi.

Nous, nous avons créé cette association, mais il faut aujourd'hui agir contre ces pratiques ; je pense que cela est de votre ressort.

M. le Président : J'espère que votre message sera largement entendu.

M. Jacques MYARD : À travers votre expérience et celle de votre association, avez-vous établi un profil des victimes et des thérapeutes qui les manipulent ?

Mme Claude DELPECH : Je ne connais pas de profil type des thérapeutes, mais je connais, à travers les familles qui viennent vers nous, les différentes thérapies qu'ils utilisent. En faisant des recoupements avec les ADFI et le CCMM, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait des têtes pensantes qui enseignaient ces méthodes, y compris parfois à nos propres enfants. Vous savez comme moi qu'il suffit de suivre une thérapie pendant quelques semaines pour apposer une plaque sur sa porte.

Pour leur part, les victimes sont souvent des jeunes femmes de trente à trente-cinq ans, célibataires pour les trois quarts d'entre elles. Elles ont au départ une bonne situation, et à l'arrivée plus rien du tout... Elles jouissent d'une bonne éducation, de diplômes, et exercent de bons métiers. À un moment donné, parce qu'elles rencontrent des problèmes amoureux ou professionnels, elles se sentent mal dans leur tête et elles voient une personne qui les fait basculer du mauvais côté pour de longues années.

J'ajoute que, si votre enfant entre dans une secte, vos proches vous plaignent, mais s'il vous accuse d'avoir abusé de lui, leurs réactions sont très différentes et vous vous sentez vous-même coupable.

Mme Martine AURILLAC : J'aimerais moi aussi connaître l'ampleur de ce phénomène. Vous nous avez dit qu'il s'étendait actuellement. Est-il relativement récent ou plus ancien ?

Vous avez fait état, par ailleurs, d'une centaine de dossiers, mais existe-t-il d'autres associations qui traitent ce problème ?

Mme Claude DELPECH : En France, nous sommes la première association qui traite des thérapies déviantes générant des faux souvenirs. Apparu aux États-Unis à la fin des années 1970 et au début des années 1980, le phénomène est arrivé en France entre 1995 et 1998.

D'autres pays, en particulier le Canada et les Pays-Bas, ont commencé à légiférer à ce propos. Pour notre part, nous avons le sentiment d'être écoutés avec bien plus d'attention et de bienveillance depuis la tragédie d'Outreau : avant, on avait du mal à nous croire et si certains parents se sont suicidés, c'est bien parce qu'on ne les avait pas écoutés.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas traité du côté mercantile. Pouvez-vous nous dire combien coûte une telle thérapie ?

Mme Claude DELPECH : Je crois qu'il en coûte de 40 à 60 euros - en liquide - pour une consultation en cristallothérapie toutes les semaines ou tous les quinze jours. Cela peut peser lourd dans certains budgets !

M. le Président : Existe-t-il à votre connaissance des modules spécifiquement dédiés à ces questions dans certaines formations en psychothérapie ?

Mme Claude DELPECH : Oui, dans plusieurs cas nous avons été confrontés à des organismes de formation à la « thérapie du futur », à la « thérapie de l'au-delà » ou à la sexologie avec, comme je vous l'ai indiqué, un code APE et un numéro de SIRET. Comment l'État et des entreprises peuvent-ils consacrer des fonds à de telles formations ?

Mme Martine DAVID : Je pense que notre commission aura à revenir sur la position sociale des victimes, qui semble avoir évolué depuis les travaux de la précédente commission d'enquête.

J'aimerais, par ailleurs, que vous nous indiquiez ce qui vous donne à penser que certains mouvements sectaires connus sont derrière ces pratiques. Pourriez-vous nous dire lesquels ?

Mme Claude DELPECH : Il s'agit souvent de micro groupes, mouvants, difficiles à repérer ; je puis donc pas vous donner de noms. Nous parvenons toutefois, grâce aux familles qui viennent vers les ADFI, à faire des recoupements : on s'aperçoit que l'on trouve toujours les mêmes personnes à la tête de ces réseaux. On sait que ces « thérapeutes » ont reçu des enseignements par l'intermédiaire de certains mouvements et qu'ils procèdent toujours aux mêmes manipulations.

M. Philippe VITEL : En tant que médecin, je me pose beaucoup de questions. J'aimerais en particulier savoir si, dans les différentes thérapies que vous avez évoquées, la technique de manipulation mentale permettant d'induire de faux souvenirs est toujours la même, ou si l'on peut utiliser des techniques différentes pour parvenir au même résultat.

De même, existe-t-il une technique unique d'apprentissage de ces manipulations, et qui en est aujourd'hui porteur ?

Je crois, par ailleurs, qu'il ne faut pas hésiter à mettre en cause directement certaines personnes ou certains groupuscules, car nous sommes là pour faire émerger des vérités afin de protéger nos enfants et les générations à venir. On peut bien parler de manipulations à visées sectaires puisqu'elles sont destinées à éloigner la personne de son entourage familial. Avez-vous le sentiment que c'est l'aspect mercantile qui prévaut ici, ou que la « sectarisation » est plus importante ?

Mme Claude DELPECH : Pour toutes les thérapies, la technique est la même, c'est celle de la mémoire retrouvée pour faire surgir ce qui a pu arriver dans la petite enfance. Même quand il n'y a pas de mémoire à retrouver, on suggère l'inceste et la maltraitance pour pouvoir accuser les parents.

Mais cette technique identique, on la retrouve dans de très nombreuses thérapies, dont nos adhérents nous disent qu'elles ont été suivies par leurs enfants : analyse transactionnelle, art-thérapie, coachings divers, cristallothérapie, communication facilitée et psychophanie ; développement personnel ; gestalt-thérapie, hypnothérapie et auto-hypnose, médecine chinoise, médecines douces, musicothérapie, psychogénéalogie, rebirth, reiki, rééquilibrage énergétique, réflexologie, sophrologie et certaines dérives de la sophrologie, sophrothérapie, thérapie bioénergétique, thérapie psycho-organique, thérapies familiales et toute la gamme du New Age...

Je ne veux pas dire que toutes ces thérapies sont mauvaises : elles sont parfois pratiquées par des gens compétents qui font bien leur travail. Mais dans les cas qui nous sont soumis, elles ont été pratiquées par des gens incompétents à des fins mercantiles ou pour asseoir leur domination sur leurs sujets afin de soigner leur ego. Ils procèdent donc, comme les mouvements sectaires, à la manipulation mentale pour éloigner la personne de la communauté de sa famille et de ses amis.

M. Serge BLISKO : Je confirme qu'il est assez facile d'induire de vrais et de faux souvenirs. Ce sujet renvoie à notre difficulté, en tant que parlementaires, à parvenir à un texte qui soit acceptable par toutes les professions et qui permette de séparer le bon grain de l'ivraie. Car, en dehors sans doute de la cristallothérapie car nul ne peut se prétendre un « cristallothérapeute » sérieux, toutes les techniques que vous avez citées, quand elles sont employées correctement, peuvent donner des résultats satisfaisants. Cela suppose toutefois qu'elles aient été validées par des écoles, des annuaires et des associations et que s'exerce ce que l'on appelle le contrôle des pairs. En fait, depuis une vingtaine d'années et la disparition des grands maîtres qui savaient distinguer les bons médecins et les bons psychiatres des profiteurs, des arnaqueurs et des manipulateurs mentaux, on assiste à un éclatement du paysage psychanalytique en micro-groupes de psychanalystes mais aussi de manipulateurs et d'escrocs.

Je souhaiterais donc que dans nos conclusions, nous insistions auprès du Gouvernement pour que les décrets d'application de « l'amendement Accoyer » permettent d'éviter la prolifération des charlatans, d'autant qu'il existe même des médecins diplômés qui font aussi du charlatanisme. Cela me paraît d'autant plus important qu'avec l'individualisme et le malaise ressenti par un certain nombre de jeunes, ces manipulations, au mieux financières et au pire sectaires, risquent de se développer encore. Il me semble donc, Monsieur le Président, que nous aurions intérêt à nous rapprocher de ceux qui ont travaillé sur le statut, le contrôle et l'éthique de la psychothérapie.

S'agissant des rapports entre les générations, je constate qu'il existe aujourd'hui toute une littérature sur les souvenirs enfouis et que, quand on déballe à l'envi de prétendus secrets de famille de certaines personnalités, on ne fait que donner du crédit aux tenants de la mémoire retrouvée.

M. Jacques MYARD : Je ne veux pas mourir idiot : qu'est-ce que la cristallothérapie ?

Mme Claude DELPECH : Un thérapeute dispose, dans l'ombre, des cristaux et des pierres autour de la pièce et, en y apposant les mains et en écoutant de la musique adaptée, les chakras sont censés s'ouvrir pour faire remonter tout ce que la personne a de mauvais en elle et la rendre « bien ». Bien sûr, cela ne la rend pas bien du tout !

Les professeurs de psychologie et de psychiatrie que j'ai rencontrés m'ont expliqué qu'il s'agissait de fantasmes, mais ils n'ont pas su me dire s'il s'agissait de ceux de ma fille ou de ceux de son psychothérapeute...

Bien sûr, on se dit qu'il faut être très crédule pour croire en la cristallothérapie, mais ceux qui pratiquent de la sorte sont quand même très forts en manipulation mentale. Quand des parents sont pris dans l'étau des accusations proférées par leurs propres enfants et qu'ils en appellent à la police, ils s'aperçoivent qu'ils ne peuvent rien faire. Un père qui a été mis en examen vingt et un mois jusqu'au procès n'a pas pu ensuite se retourner contre le thérapeute : seule la victime peut accuser son thérapeute de l'avoir induite en erreur. C'est ce qui se passe aux États-Unis, mais on en est encore loin en France.

M. le Rapporteur : Si cela était possible, il serait particulièrement intéressant pour notre commission d'enquête d'auditionner une victime qui reconnaît aujourd'hui avoir été manipulée. Cela nous permettrait de mieux appréhender la manière dont les choses se passent.

Mme Claude DELPECH : Si nous disposions d'une victime, je vous l'aurais amenée. Nous attendons tous, nous parents accusés, qu'un jour une jeune femme ait un déclic, qu'elle réalise qu'elle a été manipulée.

M. le Rapporteur : Il n'existe pas à ce jour de victimes s'étant rendu compte de la manipulation ?

Mme Claude DELPECH : Une seule a écrit à son père que les accusations qu'elle avait portées contre lui étaient fausses, mais elle est ensuite revenue sur cette déclaration.

M. le Président : Je vous remercie beaucoup d'avoir participé à nos travaux.

Audition de M. Daniel GROSCOLAS,
président du Centre de documentation,
d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM)


(Procès-verbal de la séance du 5 septembre 2006)

Présidence de M.  Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons à présent M. Daniel Groscolas, président du CCMM, le Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales. Il a, d'autre part, exercé les fonctions d'inspecteur général de l'éducation nationale. Il est également membre du conseil d'orientation de la MIVILUDES. C'est dire si son audition est particulièrement attendue.

Monsieur Groscolas, en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle, tout d'abord, qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Daniel Groscolas prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Monsieur Groscolas, la commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole.

M. Daniel GROSCOLAS : Depuis 1996, date à laquelle fut publié le rapport parlementaire « les sectes en France », le phénomène sectaire a évolué. Les sectes ont changé de stratégie. C'est la raison pour laquelle la création de votre commission d'enquête arrive à point nommé. On peut dire, globalement, que les grandes sectes, celles qui sont actives à l'échelle mondiale, ont changé de stratégie, alors que, dans le même temps, on assiste à une multiplication de micro-structures.

Il y a dix ans, le ministre de l'éducation nationale avait considéré que les auteurs du rapport parlementaire avaient épinglé son ministère. Ils avaient, en effet, souligné qu'ils n'avaient pas trouvé d'interlocuteurs à l'éducation nationale, et que celle-ci ne semblait pas avoir défini une politique en matière de lutte contre les dérives sectaires. Si certains sont parfois sceptiques quant à l'utilité des rapports parlementaires, je peux témoigner que celui-ci a été efficace : j'étais alors inspecteur général de l'éducation nationale, et j'ai reçu pour mission de conduire une étude sur le sujet. Suite à la remise de mon rapport, j'ai été chargé de mettre sur pied une cellule spécialisée, que j'ai dirigée jusqu'à mon départ en retraite.

Le CCMM m'a ensuite proposé la présidence, que j'ai acceptée. L'écrivain Roger Ikor a fondé cette association il y a vingt-cinq ans, après le suicide de l'un de ses fils, victime d'une secte. Depuis sa création, le CCMM affirme son attachement à un certain nombre de valeurs : la laïcité, la liberté de conscience et la liberté religieuse, les droits de l'homme et les droits de l'enfant. Parce que nous sommes laïcs, nous abordons le problème sectaire avec un autre regard que celui d'autres organisations. C'est ainsi que nous nous refusons à entrer dans un débat théologique, car ce serait prendre un risque considérable, celui de remettre en cause la liberté religieuse, une liberté fondamentale.

Il y a vingt-cinq ans, les pouvoirs publics ne prenaient pas du tout en compte le phénomène sectaire. Jusqu'à la publication du premier rapport parlementaire, ce sont principalement deux associations qui attiraient leur attention sur le problème. Aujourd'hui, les sectes ont pris conscience que les choses ont évolué, qu'une complémentarité s'est organisée entre les associations et les pouvoirs publics. Elles ont donc changé de stratégie, ce qui a pour effet que certains s'interrogent parfois sur la nécessité de conduire encore une politique de lutte contre les sectes. De fait, les grandes sectes sont beaucoup plus discrètes et agissent de manière beaucoup plus insidieuse que par le passé.

Le 29 août dernier, j'ai reçu une lettre de l'Église de Scientologie, qui me reproche d'avoir fait état, dans une interview datée du 28 juillet et publiée sur un site Internet, d'informations inexactes. J'avais déclaré que des scientologues abordaient les adolescents à la sortie de leur lycée et leur proposaient des tests de personnalité en vue d'effectuer des stages pour découvrir l'être exceptionnel qui se cache au fond d'eux. « Ces allégations sont fausses et sans fondement », m'écrit l'Église de Scientologie, en précisant que « pour quelque activité que ce soit au sein d'une Église, l'accord exprès des deux parents est exigé ». Et les auteurs de la lettre d'ajouter : « Prétendre que les mineurs pourraient être concernés par la Scientologie est un faux. Vous tenant pour officiellement informé de cet état de fait, nous nous réservons le droit d'entreprendre toute action en justice. » Ce type de courrier ne m'étonne pas. En l'occurrence, il ne me semble pas sans rapport avec la création de votre commission d'enquête.

Dans les années 1996 et 1997, la législation sur l'obligation scolaire, issue des lois Ferry-Goblet de 1882 et 1886, n'avait pas encore évolué. S'appuyant sur un décret de l'an II qui proclame le principe de liberté d'enseignement, le texte de 1886 affirmait qu'en ce qui concerne les écoles privées hors contrats les corps d'inspection ne devaient s'assurer que de l'hygiène, de la morale et de la sécurité.

Jusqu'en 1998, plusieurs structures relevant de la Scientologie étaient identifiées, en particulier une école se disant « école de l'éveil », qui faisait référence à la pédagogie Montessori. Je n'avais pas le droit de l'inspecter. En vertu du principe de liberté d'enseignement, ils avaient le droit de faire ce qu'ils voulaient. Nous les avons mis en difficulté grâce à un subterfuge. Ils avaient inscrit sur une publicité vantant les mérites de leur école la mention « École agréée par le ministère de l'éducation nationale ». Or, il n'existe pas d'agrément d'écoles privées. J'ai fait donc porter plainte par le ministère de l'éducation nationale. L'école a été condamnée pour publicité mensongère, avec publication dans Le Monde et Le Figaro d'un texte précisant qu'il s'agissait d'une école de la Scientologie. L'Église de Scientologie a préféré dissoudre aussitôt son école. J'étais certain qu'elle allait renaître sous une autre forme. La Scientologie a acheté un institut privé de Vincennes, l'institut Aubert. Un médecin de Vincennes m'a alerté. En accord avec le ministre, nous avons communiqué l'information à des journalistes. Différents journaux ont annoncé qu'une école de la Scientologie fonctionnait à Vincennes. L'école, une fois de plus, a fermé.

Et pourtant, la Scientologie ose écrire qu'elle ne s'intéresse pas aux enfants et que mes propos sont mensongers. De nombreux exemples prouvent qu'elle distribue des tests de personnalité à la sortie des lycées. Pourquoi des lycées ? Parce que l'adolescence est une période d'incertitude, où le jeune se cherche. Lorsqu'un adulte leur propose un test gratuit, en leur promettant que dans quinze jours ils auront des réponses qui leur permettront de trouver leur voie, un certain nombre de jeunes en phase d'interrogation répondent positivement.

La loi du 18 décembre 1998 a marqué une étape fondamentale. Ce texte était d'initiative parlementaire et non gouvernementale, contrairement à ce que je lis parfois. Le ministre de l'éducation nationale m'avait simplement demandé d'aider les parlementaires à rédiger le texte. Après l'adoption de la loi à l'unanimité par les deux Assemblées, j'en ai rédigé le décret d'application. Après la promulgation de la loi, des écoles, que nous suspections d'être d'origine sectaire, se sont auto-dissoutes avant même son entrée en vigueur. Leurs animateurs savaient qu'ils étaient en infraction. L'initiative parlementaire a donc été très efficace. Quand j'ai quitté mes fonctions, n'était plus connu en France qu'un seul site où des enfants étaient scolarisés dans un contexte sectaire. Il s'agit d'une école de la secte Tabitha's Place, située à Sus, dans les Pyrénées-Atlantiques. Après le décès d'un enfant dont les parents appartenaient à cette secte, le ministre François Bayrou m'a demandé d'intervenir.

Grâce à la loi de 1998, je suis allé sur tous les sites à caractère sectaire connus en France, notamment une école de la secte Horus. Quand on va dans ces établissements, on constate une réalité différente de l'image que l'on peut s'en faire. Les enfants des membres de Tabitha's Place ne sont pas que des enfants malheureux. Ils sont en bonne santé. Il s'agit d'une secte agraire. Mais ces enfants sont totalement déconnectés de toute vie sociale. Des jeunes qui ont vécu toute leur enfance dans des structures de ce genre sont tout à fait inadaptés à la vie en société. Ils ne connaissent pas la moindre règle.

Quoi qu'il en soit, il ne reste aujourd'hui qu'un seul site connu en France, celui de Tabitha's Place. La justice a été saisie parce que la secte refusait la scolarisation des enfants. Lorsque les éducateurs sont venus chercher les enfants pour les placer, ils étaient passés en Espagne, dans une filiale de la secte. Après mon départ en retraite, le cabinet du ministre a envisagé, il y a un ou deux ans, de déclarer une école au sein de la secte. Nous sommes plusieurs à nous être insurgés contre cette mauvaise idée. Cette école n'aurait pas eu d'ouverture sur la vie. Le ministère œuvre aujourd'hui pour obliger la secte à envoyer les enfants à l'école du village.

Avant le vote de la loi du 18 décembre 1998, on estimait qu'environ 6 000 enfants étaient concernés par le phénomène sectaire sur le plan scolaire. Aujourd'hui, on ne connaît que Tabitha's Place, qui concerne au maximum une quarantaine d'enfants, auxquels il faut ajouter un certain nombre de cas individuels difficiles à discerner.

M. le Président : En quoi la loi de 1998 a-t-elle permis de faire avancer les choses ?

M. Daniel GROSCOLAS : La loi Goblet de 1886 limitait les pouvoirs d'inspection à l'hygiène, à la morale et à la sécurité. L'hygiène entrait normalement dans le champ de compétence de l'inspection parce qu'à cette époque, les DDASS n'existaient pas. Pour ce qui est de la morale, il était possible de s'appuyer sur une morale commune. De nos jours, il serait difficile de porter le titre d'inspecteur de morale. Enfin, il existe aujourd'hui des commissions locales de sécurité. Ce n'est pas le rôle des inspecteurs de l'éducation nationale que de contrôler la sécurité des locaux. C'est pour cela que les corps d'inspection se sont totalement désintéressés des écoles privées hors contrats. C'est la raison pour laquelle ces écoles étaient florissantes, dans lesquelles il se faisait absolument n'importe quoi. La rédaction de la loi de 1998 se heurtait à une difficulté qui tenait à la nécessité de respecter les principes en vigueur depuis Condorcet. Celui-ci considérait qu'une démocratie devait respecter la liberté d'enseignement. Le contrôle de l'éducation par l'État comportait un risque de dirigisme. Cette conception a inspiré un décret de l'an II, qui est toujours en vigueur et a force de loi. La loi de 1998 ne devait donc pas contrevenir à ce principe de liberté. Encore aujourd'hui, les corps d'inspection ne comprennent pas toutes les subtilités de la loi. Un inspecteur a l'habitude de raisonner en termes de programmes : les enfants de tel âge doivent savoir telle et telle chose. Or, la loi de 1998 ne s'est pas inscrite dans cette logique, qui n'aurait pas permis de restreindre la liberté des sectes dans le domaine scolaire. Elles auraient pu introduire un recours devant le Conseil d'État, qui aurait pu leur donner raison. La loi et surtout ses décrets d'application fixent des objectifs non pas en termes d'acquisition de connaissances, mais en termes d'acquisition de l'esprit critique. C'est ainsi que l'article 4 du décret n° 99-224 du 23 mars 1999 relatif au contenu des connaissances requis des enfants instruits dans la famille ou dans les établissements d'enseignement privés hors contrat, devenu l'article D. 131-15 du code de l'éducation, prévoit que « l'enfant doit acquérir les principes, notions et connaissances qu'exige l'exercice de la citoyenneté, dans le respect des droits de la personne humaine définis dans le Préambule de la Constitution de la République française, la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention internationale des droits de l'enfant, ce qui implique la formation du jugement par l'exercice de l'esprit critique et la pratique de l'argumentation. »

Cette disposition constitue un outil efficace de lutte contre l'activité des sectes, car il est bien évident qu'aucune école tenue par une secte ne tend à aiguiser l'exercice critique ni à développer la pratique de l'argumentation.

Au total, il me semble que le dispositif d'ensemble est satisfaisant. Cependant, la législation de 1882 confirmée en 1998 prévoit qu'il appartient au maire de faire procéder à une enquête sur les motifs de la scolarisation dans la famille. Or, la plupart des communes rurales n'ont pas les moyens de procéder à cette enquête. Les textes prévoient qu'au cas où l'enquête n'a pas été effectuée, c'est le représentant de l'État, donc le préfet, qui y procède. Mais les préfets ne disposent pas des personnels nécessaires.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Combien d'enfants sont instruits dans la famille ?

M. Daniel GROSCOLAS : Je n'ai pas de chiffre exact. Chaque inspecteur d'académie a ses statistiques, mais la synthèse nationale ne m'est pas connue. Il y a encore deux ou trois ans, on pouvait estimer que l'instruction dans la famille concernait entre 7 000 et 8 000 enfants, dont les trois quarts étaient scolarisés par le CNED. Il faut donc relativiser.

Par contre, j'appelle en vain l'attention du ministère sur une faille importante. L'enseignement à distance est majoritairement assuré par le CNED, mais la liberté d'entreprise autorise tout un chacun à créer un centre diffusant des cours par correspondance. Or, la loi de 1998 ne concernait pas l'enseignement à distance. Il était sous-entendu que l'on se pencherait ultérieurement sur cet aspect, qui n'apparaissait pas fondamental. Cela n'a pas été fait. Le ministère de l'éducation nationale utilise pour l'enseignement à distance le dispositif applicable en ce qui concerne les enfants instruits dans la famille. Mais l'éducation nationale a des difficultés à assurer le contrôle régulier de tous ces enfants. D'autre part, on laisse une totale liberté de créer des centres de cours par correspondance. Le CCMM travaille actuellement sur le cas de deux organismes diffusant des cours par correspondance, et que nous soupçonnons d'être de caractère sectaire. Une loi de 1971 portant sur le droit de la consommation prévoit des inspections des centres d'enseignement à distance, mais elle n'est plus appliquée. Les inspecteurs chargés de ces contrôles avaient été nommément désignés. Après leur départ en retraite, ils n'ont pas été remplacés.

J'ajoute que l'enseignement à distance permet l'instruction des enfants malades, ainsi que celle des enfants dont les familles parcourent le monde. La plupart des parents s'adressent au CNED, mais d'autres préfèrent des organismes privés, au sein desquels le meilleur côtoie le pire.

M. le Président : Comment, par le biais d'un enseignement à distance, un organisme à caractère sectaire peut-il procéder à de la manipulation ?

M. Daniel GROSCOLAS : Il y a quelques années, les Raéliens avaient créé un site Internet d'enseignement à distance. Mais les sectes n'utilisent guère cet outil.

Je voudrais attirer votre attention sur un autre problème. Au lendemain de la publication du premier rapport parlementaire s'était créé l'Omnium des libertés, qui avait pour tâche de contester les conclusions de ce rapport. Cette organisation regroupait les défenseurs des sectes. En mars 2000 a été créée à l'initiative de la Scientologie une prétendue commission d'enquête sur les violations des droits de l'homme en France. Ses animateurs ont décidé de créer une fédération, la « Coordination des associations et particuliers pour la liberté de conscience » (CAP). Le 7 juin 2004, si mes informations sont bonnes, une petite dissidence de cette fédération a créé le Centre d'information et de conseil sur les nouvelles spiritualités, le CICNS. Ces défenseurs des sectes ont adopté une stratégie qui consiste à inverser les rôles, c'est-à-dire de faire de ceux qui luttent pour la liberté de conscience des personnes bafouant la liberté de conscience. La CAP a demandé la démission du président de la MIVILUDES. Le CICNS a mis en cause votre commission d'enquête dès sa création.

Mais les cibles prioritaires de ces deux grandes organisations sont deux associations. La CAP a demandé la dissolution de l'UNADFI. Dès mon arrivée à la présidence du CCMM, elle a diffusé sur Internet un texte demandant ce que cet inspecteur de l'éducation nationale venait faire à la tête d'une telle association. Je fais actuellement l'objet d'une plainte auprès du tribunal de grande instance de Marseille, où je vais me présenter à la fin du mois.

J'ai également été convoqué par une brigade spécialisée dans la grande délinquance économique, et traité pendant vingt-quatre heures comme un dangereux malfaiteur. Quand mon innocence a été mise en évidence, j'ai appris avec stupéfaction que c'était la CAP qui avait écrit pour accuser le président du CCMM d'être à la tête d'une dangereuse organisation de malfaiteurs.

Il y a cinq ou six ans, un universitaire de Brest m'avait alerté sur le fait qu'une secte avait réussi à s'implanter au sein de l'université. Un universitaire a dû partir, un médecin a été radié par le Conseil de l'ordre. C'était une grosse affaire. Cet été, le professeur qui m'avait informé est poursuivi pour diffamation. Il avait eu le courage de réagir, et ce contre presque toute l'université, qui, frileuse, ne voulait pas mettre en évidence une dérive sectaire. C'est lui qui, aujourd'hui, se retrouve en position d'accusé. Les sectes ont inversé les rôles. Elles sont à présent en position d'accusatrices.

En France, nous avons réussi à faire quasiment disparaître les activités des sectes dans le domaine du soutien scolaire, qui pose un problème juridique certain. Les compétences de l'éducation nationale s'arrêtent à l'enseignement. Lorsque j'étais au ministère, j'avais appelé ma collègue du ministère de la jeunesse et des sports pour attirer son attention sur ce point. Elle m'avait répondu que la compétence de son ministère s'étendait aux loisirs organisés, aux sports, aux centres de vacances à partir du moment où la durée des stages qui y sont effectués dépasse sept jours, mais pas au soutien scolaire. J'ai pu mettre fin à plusieurs cours organisés par l'Église de Scientologie en informant les parents. Lorsque le ministère n'a pas de pouvoir, la meilleure arme est l'information. Lorsque les parents sont prévenus de la nature réelle du « soutien scolaire » qui leur est proposé, ils retirent leurs enfants. Mais il n'est tout de même pas normal que cette information procède d'une initiative privée.

Au total, le problème de l'influence des sectes en matière scolaire peut être considéré comme globalement maîtrisé. Ce n'est pas le cas dans tous les pays d'Europe. La Scientologie tente d'organiser des écoles et des activités de soutien scolaire en Allemagne. En Belgique, d'autres sectes tentent d'organiser des classes. Elles ne le font pas en France, grâce à la loi de 1998. Nous sommes donc en Europe un pays protégé, mais si la vigilance se relâchait demain, je suis convaincu que les écoles sectaires fleuriraient à nouveau.

Cela étant, ce n'est pas parce que les enfants sont scolarisés dans le cadre du système éducatif que tous les problèmes sont résolus. Les Témoins de Jéhovah, par exemple, donnent pour directive aux enfants de fréquenter les écoles pour y faire du prosélytisme. La Sōka Gakkai donne la même directive. Cela pose problème, car si la législation oblige les personnels de l'école publique à respecter une neutralité absolue, elle n'interdit pas aux élèves d'affirmer leurs croyances. Certaines sectes ont bien compris tout le profit qu'elles pouvaient en tirer.

C'est la raison pour laquelle le CCMM, en accord avec l'éducation nationale, s'efforce de développer des séquences d'information en direction des élèves. Je suis intimement convaincu que l'éducation à la citoyenneté, qui développe l'esprit critique, est une bonne manière de prévenir les risques sectaires.

M. Jacques MYARD : S'agissant de l'application de la loi de 1882, il me semble que si les maires n'ont pas les moyens d'effectuer une enquête sur l'instruction dans la famille, ils peuvent mandater l'éducation nationale pour le faire. C'est parfaitement possible.

D'autre part, on constate qu'un certain nombre de madrassas se développent en France, qui ne forment guère l'esprit critique. Avez-vous des informations à ce propos ?

M. Daniel GROSCOLAS : Je n'en ai pas. Je suis parti à la retraite il y a trois ans.

Je me souviens - mais il ne s'agit pas d'enseignement - qu'il y a deux ans, un responsable régional du CCMM m'avait parlé de quelque chose qui pouvait ressembler à une secte musulmane. Les renseignements qui me parvenaient étaient tellement graves que je lui ai dit de prévenir la police et les renseignements généraux. Les jeunes ont été arrêtés au moment où ils allaient prendre l'avion pour l'Afghanistan.

Sur le premier point, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. Tout d'abord, la loi prévoit que si le maire ne procède pas à l'enquête, c'est au préfet qu'il appartient de la diligenter. Dans certains départements, le préfet a négocié avec le président du conseil général et un accord est intervenu. Dans d'autres, le président du conseil général n'a pas accepté cette charge supplémentaire.

Je voudrais attirer votre attention sur un autre problème. Il y a quelques jours, à Paris, une institution de Paris a accueilli dans l'un de ses foyers la « Fédération de la paix ». Elle ignorait qu'il s'agit en réalité de la secte Moon. La technique des sectes les plus connues consiste à créer des filiales aux appellations séduisantes. La Scientologie a créé une association « Non à la drogue, oui à la vie ». D'autres sectes prétendent lutter contre la drogue. C'est en s'emparant ainsi de thèmes incontestables qu'elles tentent de s'infiltrer dans la jeunesse.

Avant cet été, des lycéens cherchaient sur Internet des informations relatives au clonage. Ils ont obtenu, sur le site officiel d'une université, des données qui émanaient de Raël.

Lors des manifestations contre le CPE, plusieurs sectes se sont investies dans la contestation. Tabitha's Place était présente dans le sud-ouest et délivrait des tracts. Le « Mouvement humaniste », qui est une secte, était présent dans les manifestations.

L'an dernier, le rapport de la MIVILUDES attirait l'attention sur une organisation appelée « Les Enfants d'Ilythie ». Dès qu'une organisation sectaire est citée dans un rapport de la MIVILUDES, elle change d'appellation. À l'heure actuelle, elle s'appelle « Institut AMA », qui propose de préparer les femmes à la maternité. Ses animateurs sont connus comme étant des membres de la secte ECK, Energo Chromo Kinese. En Ariège, la secte Krishna prépare et organise, sous un autre nom, des séjours en Inde pour jeunes enfants.

Par ailleurs, pour échapper aux poursuites, les grandes sectes veillent, après s'être adressé à un mineur, à ce qu'il ne franchisse le pas qu'après avoir atteint sa majorité.

M. Guy GEOFFROY : Vous avez montré l'évolution de la stratégie des sectes, qui procèdent aujourd'hui par infiltration, recherchent des failles, bref agissent de manière plus souterraine que par le passé. D'autre part, vous avez souligné les difficultés de l'État, notamment dans les rapports entre les ministères de l'éducation nationale et de la jeunesse et des sports, pour piloter la politique de lutte contre les sectes.

Ma question se situe au carrefour de ces deux observations. Dans le cadre de ce que l'on pourrait appeler le prolongement scolaire, beaucoup d'initiatives se développent dans les collectivités locales - contrats éducatifs locaux, contrats temps libre -, qui ont comme caractéristique de développer un partenariat qui se diversifie de plus en plus. On y recherche de grands partenaires publics, mais aussi des partenaires locaux associatifs. A-t-on pressenti que le monde sectaire trouvait un intérêt à s'immiscer dans le domaine du prolongement scolaire pour tenter, de manière très pernicieuse, d'introduire leurs principes et leurs préceptes ? S'est-on penché sur cette éventualité, et a-t-on détecté des signaux inquiétants ?

M. Daniel GROSCOLAS : Les deux ministères, éducation nationale et jeunesse et sports, se sont posé et se posent encore le problème. Un dispositif a été créé, auquel j'ai d'ailleurs participé et qui est en cours de rénovation, pour instaurer un agrément des associations qui s'occupent des jeunes. Quand les élus locaux s'adressent à une association locale, ils savent en général ce qu'elle recouvre. Par contre, quand une association vient de l'extérieur, la situation est moins évidente. L'agrément par un ministère constitue une garantie. Le ministère de l'éducation nationale a considéré que cet agrément était accordé un peu trop facilement. Il réfléchit actuellement aux moyens de rendre les contrôles plus effectifs.

Il me semble cependant que les grandes organisations sectaires préfèrent organiser leurs propres cours, leurs propres activités, leurs propres camps de vacances, plutôt que de s'infiltrer dans ceux organisés par telle ou telle commune.

M. le Rapporteur : Je voudrais tout d'abord vous faire part d'une information qui confirme ce que vous avez dit tout à l'heure. L'Office bavarois de protection de la Constitution s'est ému, dans son rapport de 2006, de la pénétration des organismes de soutien scolaire par l'Église de Scientologie.

Je vous remercie d'avoir reconnu l'utilité du travail parlementaire, et notamment de la loi de 1998, qui était en effet d'initiative parlementaire et que nous avons votée à l'unanimité.

S'agissant du soutien scolaire, ne croyez-vous pas qu'une procédure d'agrément obligatoire serait utile ?

D'autre part, dans les programmes d'éducation civique, il n'y a pas à ma connaissance de présentation obligatoire du phénomène sectaire. Pensez-vous que ce serait efficace ?

M. Daniel GROSCOLAS : Quel ministère délivrerait l'agrément ? Pour l'instant, le soutien scolaire ne relève d'aucun ministère.

M. le Président : Un décret de 2005 prévoit une procédure d'agrément en ce qui concerne le soutien aux handicapés. C'est le ministère des affaires sociales qui le délivre.

M. Daniel GROSCOLAS : Permettez au retraité que je suis de dire qu'il ne faut pas trop charger la barque. Je ne suis pas sûr qu'il soit bon de donner aux corps d'inspection de nouvelles compétences sans leur donner des moyens supplémentaires.

M. le Rapporteur : Seriez-vous favorable, sous certaines conditions, à l'extension de la procédure d'agrément visant le soutien aux handicapés ?

M. Daniel GROSCOLAS : Cela me paraîtrait une mesure saine.

S'agissant de votre deuxième question, je pense que l'étude du phénomène sectaire trouverait sa place dans l'éducation civique, juridique et sociale. Je ne pense pas qu'il faille aborder le problème à l'école primaire. Cela aboutirait plus à traumatiser les jeunes enfants qu'à autre chose. Par contre, dans le cadre de l'ECJS, l'étude des sectes permet d'aborder tous les grands thèmes. Plusieurs circulaires y font allusion. Il y a des séquences thématiques en classe de seconde. En ce moment, je suis en train de travailler sur un module afin de fournir aux professeurs un outil sur ce thème.

M. le Président : Monsieur Groscolas, je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre commission d'enquête.

Audition de M. Friedrich GRIESS, président de la FECRIS,
Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme



(Procès-verbal de la séance du 12 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui M. Friedrich Griess, président de la FECRIS, Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme.

En vous remerciant, Monsieur le Président, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête et d'être venu de Vienne à cet effet, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué, et les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Friedrich Griess prête serment.)

Je m'adresse maintenant aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'agression ou d'atteinte sexuelle. Je les invite donc à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va maintenant procéder, monsieur Griess, à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement et d'une traduction simultanée. Je vous donne la parole, si vous le souhaitez, pour un exposé liminaire.

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Je vous remercie de m'avoir invité, car je sais que l'on est généralement conscient, dans votre pays, du caractère nuisible de certaines organisations totalitaires, et j'espère que vos investigations auront un effet au-delà même des frontières de la France. Je tiens pour particulièrement positif que l'on ose, en France, appeler les choses par leur nom, et parler de « sectes » sans employer d'euphémismes tels que celui de « nouveaux mouvements religieux ». Je sais aussi les efforts que vous faites pour protéger la jeunesse de ces funestes influences, en résistant aux pressions diplomatiques exercées par certains cercles aux États-Unis, qui voudraient empêcher, en imposant leur loi à tous les pays du monde, ce qu'ils qualifient de « discriminations à l'encontre des minorités religieuses ».

Étant donné que vous recevrez très probablement les organisations françaises membres de la FECRIS, je concentrerai mon exposé sur la situation dans les autres pays d'Europe. Depuis plusieurs années, la FECRIS consacre une grande partie de son activité à l'influence des sectes sur les jeunes et sur les enfants. Le 9 juin 2001, se sont réunis à Paris, à son initiative, vingt-trois juristes de neuf pays d'Europe ; en mai 2002, se sont réunis à Barcelone des spécialistes de la protection des mineurs ; en mars 2004, s'est tenue à Marseille une conférence consacrée à l'influence des sectes, notamment sur les enfants, dans le domaine de la santé ; en mai 2005, a eu lieu à Vienne une conférence sur l'action des sectes dans le domaine de la formation. Sur tous ces sujets, une documentation abondante est disponible en français sur le site de la FECRIS.

Le 25 mars dernier, enfin, nous avons organisé à Bruxelles une conférence sur le thème « L'internationalisation des sectes : un danger pour les droits de l'homme en Europe ? » Sous couvert de liberté de croyance et de religion, en effet, on porte atteinte, en particulier, aux droits des enfants. Pour la réinsertion de Natasha Kampusch, on a dépensé de l'argent public en quantité suffisante, mais pour la réinsertion sociale des anciens adeptes des sectes qui étaient dans une captivité mentale tout à fait comparable, on ne dépense rien.

Un problème important, en Allemagne, est celui des parents qui ne veulent pas envoyer leurs enfants à l'école, au motif que celle-ci serait « nuisible ». Les documents de la conférence de Bruxelles ne sont pas encore tous disponibles, mais je vous ai apporté le rapport de M. Jean-Pierre Malmendier, rapporteur du groupe de travail chargé d'assurer le suivi des recommandations de la commission d'enquête du Parlement belge, ainsi que la contribution écrite envoyée par l'avocat ukrainien Maxim Iourtchenko, sur la façon dont les sectes tentent d'« acheter » les enfants en leur offrant des cadeaux.

Je ne m'étendrai pas longtemps sur la situation de la Belgique, puisque vous allez recevoir, juste après moi, M. Henri de Cordes, qui vous en parlera de façon très détaillée. Je vous ai apporté, outre l'exposé de M. Jean-Pierre Malmendier, un excellent document en français, émanant d'une organisation belge membre de la FECRIS, l'Association des médecins contre l'utilisation de méthodes alternatives interdites, présidée par le docteur Charles Berliner.

Au Danemark, nous n'avons pas d'organisations membres, mais le Dialog Center International nous a fourni un bref rapport sur les écoles de l'ACE - Accelerated Christian Education - et de la Scientologie. Nous avons aussi des contacts avec des parents divorcés d'enfants vivant dans des environnements sectaires sous la houlette de chamans, de guérisseurs ou de théosophes radicaux. Le mouvement Tvind, depuis longtemps interdit en France, mais connu dans d'autres pays sous l'appellation Humana People to People, sévit également dans ce pays ; des poursuites judiciaires ont été engagées contre son fondateur et plusieurs de ses proches collaborateurs pour fraude fiscale, à défaut de pouvoir s'en prendre à leurs agissements auprès des jeunes, qu'ils approchent en se faisant passer pour une association d'aide au tiers-monde.

En Allemagne, la situation est variable d'un Land à l'autre. Ceux de Bavière, de Bade-Wurtemberg et de Hambourg sont les plus actifs dans la protection des jeunes contre les sectes, qui tentent de les approcher par le biais du soutien scolaire - c'est notamment le cas de la Scientologie. Il existe également un phénomène de refus parental de la scolarisation, pourtant obligatoire : certaines familles vont même jusqu'à déménager en Autriche, où le home schooling est légal, ce qui n'est pas le cas en Allemagne. Les écoles dites Waldorf, inspirées par la doctrine anthroposophique, font également problème. Dans le domaine de la santé, la « Nouvelle Médecine germanique » du docteur Ryke Geerd Hamer a pu organiser à Tübingen, en mai dernier, une manifestation à laquelle participaient quelque 400 personnes. Le compte rendu fait par Mme Inge Mamay d'une expérience de réhabilitation d'adolescents, anciens adeptes de sectes, est disponible sur notre site Internet, ainsi que la contribution de M. Jürgen Zillikens sur « l'appartenance à une secte et ses répercussions sur la garde des enfants ».

S'agissant de l'Italie, où existent deux organisations membres de la FECRIS, un spécialiste a présenté un exposé sur l'alarmant phénomène des disparitions d'enfants.

Un sociologue canadien, M. Stephen Kent, nous a adressé, par ailleurs, une contribution sur « Éducation et rééducation dans des organisations idéologiques ».

Aux Pays-Bas, les « Frères Norvégiens », également appelés « Smiths Freunde », sont particulièrement actifs ; l'on a répertorié des cas d'enfants battus « au nom de Dieu » avec des bâtons ou des tringles à rideaux, ou à qui on met du savon noir dans la bouche pour les empêcher de parler. Les parents eux-mêmes sont endoctrinés ; un jeune homme qui a déposé plainte contre eux à sa majorité pour l'avoir battu a été débouté, car il y avait prescription.

Nous avons également une excellente documentation sur la Norvège. Il y a quelques années, en effet, de jeunes adultes qui avaient pu s'échapper - sans argent ni vêtements, et sans avoir reçu aucune éducation - de la secte des « Enfants de Dieu », ont demandé protection aux autorités. Personne n'était disposé à les prendre au sérieux, jusqu'à ce que l'association Redd Barna - « Sauvez les enfants » - les prenne en charge et fasse état d'une centaine de victimes. En avril 2005, un document a été publié par cette organisation sous le titre Regardless of Faith - afin de souligner qu'il ne s'agissait pas de porter atteinte à la liberté de croyance, mais de protéger les droits des enfants. Les enfants y étaient en effet régulièrement battus ; un ancien adepte accusé d'avoir abusé sexuellement d'une jeune fille a reconnu les faits et avoué que ceux-ci étaient monnaie courante au sein de la secte. Des cas de travail forcé ont également été répertoriés. La secte a même voulu fonder des écoles dans le pays, mais l'État le lui a refusé, au motif que le but explicite de ces écoles était de « former de bons membres de la communauté » et non pas, conformément à la loi, de bons membres de la société.

En Autriche, le gouvernement a pris le phénomène particulièrement au sérieux dans les années 1990. Une campagne a été lancée avec son appui, et notamment celui du ministre de l'environnement, de la jeunesse et de la famille, M. Martin Bartenstein. Une brochure a été élaborée par la Bundesstelle für Sektenfragen, intitulée Sekten : wissen schützt - « Sectes : savoir, c'est se protéger », et tirée à 400 000 exemplaires depuis 1999. Malheureusement, ces efforts n'ont guère été couronnés de succès ; mon impression est que le gouvernement actuel redoute certaines pressions américaines.

En Russie, comme dans toute l'Europe de l'Est, le problème est aigu, car après l'effondrement de l'Union soviétique, les sectes ont poussé comme des champignons, mais il semble qu'on observe actuellement une certaine stabilisation de la situation.

En Suède, un fait divers survenu le 10 janvier 2004 dans la petite localité de Knutby, près d'Uppsala, a défrayé la chronique : une jeune femme de vingt-six ans a tué par balle l'épouse du pasteur et blessé grièvement un voisin. On a appris ensuite qu'elle avait agi sur instruction du pasteur lui-même, qui appartenait au mouvement religieux « Parole de Vie » et avait une liaison avec la femme du voisin... L'enquête a montré, en outre, que certains enseignants de l'école du village appartenaient à ce même mouvement, au sein duquel les enfants étaient régulièrement battus, et avaient été mutés par les autorités scolaires, selon un médecin ayant interrogé 43 anciens adeptes, dont la plupart avaient nécessité des soins psychiatriques une fois sortis.

Un psychiatre serbe, le docteur Bratislav Petroviċ, a souligné combien il était difficile de mettre au jour les agissements des sectes dans son pays. Certaines promettaient de repousser les bombes de l'OTAN grâce à la méditation...

En Espagne, c'est en Catalogne que les actions contre l'influence sectaire sont les plus développées.

En Ukraine, beaucoup de programmes ont pu être mis sur pied contre les manipulations visant des écoliers et des enseignants.

Au Royaume-Uni, le gouvernement a tendance à considérer que les sectes ne représentent pas un problème tant qu'elles n'enfreignent pas la loi pénale. Leur nuisance, pourtant, ne s'arrête pas là.

En conclusion, la FECRIS est reconnue comme ONG par le Conseil de l'Europe, mais celui-ci n'a qu'un rôle consultatif. Il faudrait que nous soyons représentés auprès de l'Union européenne et des Nations unies, mais nous savons que les sectes ont leurs entrées à l'ONU et y exercent une influence non négligeable. Nous devons néanmoins déployer tous nous efforts pour protéger l'avenir de nos enfants, car la liberté religieuse ne saurait être un argument absolu : un criminel condamné à la prison à vie n'a-t-il pas soutenu, récemment, qu'il ne devait pas être incarcéré, car il serait empêché d'assister tous les jours à la messe, et serait donc damné ?

Je vous remercie de m'avoir écouté. Je remercie aussi tous ceux qui ont eu le courage d'informer notre organisation, ceux qui, comme le gouvernement français, continuent à soutenir notre action, ou qui, comme les autorités de Catalogne ou la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur ou - prochainement - le Land de Hambourg, accueillent nos conférences.

M. le Président : Je vous remercie pour le vaste panorama que vous venez d'esquisser, et voudrais vous poser deux questions.

Vous avez fait état de pressions diplomatiques venant des États-Unis, mais à aucun moment vous n'avez fait état de ce qui peut se passer auprès du Conseil de l'Europe. Comment expliquez-vous qu'il y a quatre ans, à La Valette, ait été adoptée par la commission permanente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe une résolution demandant à la France de réviser la loi « About-Picard » de 2001 sur les manipulations mentales ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Il existe, au sein ou auprès du Conseil de l'Europe, différentes forces. Nous ne sommes que l'une des quelque 400 ONG agréées par le Conseil de l'Europe. Il y a certes, à nos côtés, l'association norvégienne Redd Barna, mais il y en a aussi d'autres qui nous sont moins favorables, et nous devons élever la voix si nous voulons nous faire entendre. Je me suis engagé auprès du gouvernement autrichien pour qu'une loi similaire à la loi « About-Picard » soit adoptée, et j'espère que ce sera bientôt le cas, de même qu'en Belgique. Tous m'ont répondu que l'Union européenne n'était pas compétente sur ces questions, mais je me battrai pour qu'elle s'en saisisse.

M. le Président : Y a-t-il eu, au niveau de l'Union européenne, des documents comparables au rapport de Mme Maria Berger ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Je me suis adressé à plusieurs commissaires européens : le commissaire slovaque chargé de l'éducation, M. Ján Figel', ainsi que la commissaire autrichienne, Mme Ferrero-Waldner, et la vice-présidente de la Commission, Mme Wallström. Tous m'ont répondu que l'Union européenne n'était pas compétente sur ces questions, mais je me battrai pour qu'elle s'en saisisse.

M. le Président : Est-il vrai qu'au Danemark, les écoles de la Scientologie reçoivent des subventions de l'État?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : La loi sur les écoles privées y est très libérale, et la secte Tvind en a profité pour créer une quarantaine d'établissements où, dans les faits, aucun enseignement n'était dispensé : les enfants passaient leur temps à quêter dans les rues. Lorsqu'on s'en est aperçu, on leur a demandé de rembourser les subventions, et un de leurs responsables a été condamné à une peine avec sursis et mis en prison - mais pas les autres. Chacun se rend bien compte que ce n'est pas normal, mais les lois du Danemark ne permettent pas de condamner les autres personnes. Il faut réfléchir à la façon dont on pourrait les modifier, et aussi fixer des critères plus stricts pour l'octroi de fonds publics.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Comment qualifieriez-vous la situation en Europe aujourd'hui, concernant les enfants ? Diriez-vous qu'elle est globalement stationnaire ? Qu'elle s'aggrave ? Que certains pays sont plus touchés que d'autres ? Y a-t-il des solutions communes que l'on puisse mettre en œuvre pour endiguer le phénomène ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Nous sommes en présence d'une bombe à retardement. L'infiltration n'est pas spectaculaire, mais pernicieuse et continue. C'est notamment le cas en Autriche, où il n'y a pas de débat public sur ces questions, car les médias craignent d'être traînés devant les tribunaux, de sorte que l'opinion publique peut avoir le sentiment que les sectes ne représentent plus un danger.

Il nous faut rester vigilants, essayer de surveiller ce qui se passe de façon souterraine, sans quoi nous serons confrontés à une situation très dangereuse si la génération future est contaminée par le virus sectaire. Il est préoccupant, par exemple, d'entendre dire que la démocratie est dépassée, que nous avons besoin d'un homme fort, d'un Führer ; certes, les gens qui tiennent ce discours ne sont qu'un petit nombre, mais qui va croissant.

M. Jacques MYARD : Vous avez dressé un panorama assez complet de la situation dans les différents pays d'Europe, et vous avez dit qu'en Autriche, contrairement à l'Allemagne, l'école n'était pas obligatoire. Pensez-vous qu'un moyen efficace de contrer les sectes pourrait être d'obliger les enfants à fréquenter une école - publique ou privée mais contrôlée ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Le problème est que les familles en cause n'ont pas cédé. Des pères ont été incarcérés pendant plusieurs semaines, mais cela n'a servi à rien. La solution que vous proposez n'est pas la panacée, mais il faut y réfléchir.

M. Jean-Yves HUGON : Vous avez mentionné les écoles Waldorf. Celles-ci, à ma connaissance, ont souvent, auprès des parents, une excellente réputation, et passent même pour des écoles plutôt élitistes. Or, j'ai cru comprendre qu'elles faisaient l'objet d'un début de suspicion.

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Toutes ne sont pas à loger à la même enseigne, et on n'y est pas contraint de devenir anthroposophe, mais certains témoignages d'anciens enseignants de ces écoles indiquent qu'on y inculque certaines idées bizarres, une conception du monde passablement différente de la nôtre. Mais il y a des gens qui sont pour ces écoles, y compris au sein des églises officielles : en Allemagne, un pasteur du Brandebourg qui voulait organiser une réunion sur les écoles Waldorf en a été empêché par sa hiérarchie. S'est tenue, suite à cela, une réunion à l'université Humboldt de Berlin, où tous les participants se sont montrés assez critiques vis-à-vis des écoles Waldorf, lesquelles font largement débat en Allemagne.

M. Guy GEOFFROY : Vous avez très bien décrit la diversité des situations au sein de l'Union européenne. Mais êtes-vous en mesure de nous dire s'il existe, de la part des grandes organisations sectaires internationales comme la Scientologie, une véritable stratégie ayant pour ambition de conquérir l'Europe pays par pays ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : L'ancienne méthode qui consistait à dresser la liste des organismes dangereux n'est pas à recommander, car elle revient à accréditer l'idée que les autres ne le seraient pas. Il n'est pas facile, au demeurant, de tracer la frontière entre ce qui est secte et ce qui ne l'est pas. Il y a des organisations qui étaient très intransigeantes autrefois, et qui désormais sont plus ouvertes au contact avec le monde extérieur. Notre propos n'est pas tant de combattre des organisations que des comportements, en intervenant notamment dans les écoles. Ma fille a rejoint les Frères Norvégiens il y a vingt-trois ans, et les écoliers sont très choqués quand je leur en parle, quand je leur cite les paroles des chansons que l'on chante dans cette organisation, et qui s'en prennent ouvertement à l'idée de raison, et même à celle de paix. On croit souvent que seuls les islamistes sont fanatiques, mais c'est aussi le cas de certains qui se réclament du christianisme ou du paganisme.

M. le Président : Je crois que M. Geoffroy s'inquiétait surtout de savoir s'il existe une stratégie planifiée, qui viendrait d'outre-Atlantique et aurait des visées hégémoniques sur le vieux continent.

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Il y a un certain nombre de sectes qui veulent s'implanter partout dans le monde, comme les Frères Norvégiens, présents dans une soixantaine de pays - très peu en France, sauf en Lorraine, mais davantage aux Pays-Bas, où ils comptent quelque 2 500 adeptes. C'est dans cette organisation, dont je vous parlais tout à l'heure, que l'on frappe les enfants avec des tringles à rideaux. Il y a aussi le Russe Grabovoï, qui prétendait être le fils de Dieu et faire ressusciter les morts ; son organisation a tenté d'avoir une antenne à Berlin, où certains le payaient pour faire revivre leurs enfants morts... Une secte qui en a les moyens financiers cherchera à s'installer partout dans le monde et à exercer son hégémonie. Ce n'est pas vrai de toutes, mais de beaucoup d'entre elles.

M. Jean-Pierre BRARD : Mais y a-t-il une stratégie venue d'en haut, depuis les États-Unis, pour s'implanter en Europe et la conquérir ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : S'il existe une telle stratégie, ce n'est évidemment pas au niveau gouvernemental. Mais il ne faut pas oublier que les premiers Européens qui ont émigré en Amérique l'ont fait pour échapper aux persécutions religieuses, et que leurs descendants n'ont pas vécu sous le totalitarisme politique - nazi ou stalinien. C'est là qu'il faut chercher les raisons du grand malentendu entre Européens et Américains sur la question des sectes. Le gouvernement des États-Unis est porté à craindre que l'on puisse, au nom de la lutte contre les sectes, opprimer certaines croyances religieuses, et certains groupes fondamentalistes jouent sur cette corde auprès de lui.

M. Jean-Pierre BRARD : Les Témoins de Jéhovah font de gros efforts pour faire oublier la lettre qu'ils ont envoyée au Reichsführer en 1933, et dans laquelle ils rendaient les Juifs et les catholiques responsables des malheurs de l'Allemagne. Sans doute connaissez-vous ce document...

Vous avez également parlé de l'anthroposophie et de ces écoles Waldorf, qu'en France nous appelons Steiner. Avez-vous lu des documents sur l'attitude de ce mouvement entre 1933 et 1945, sur sa relation avec le nazisme ? C'est assez troublant, même si je sais, bien entendu, que toutes les écoles Steiner ne sont pas identiques. Êtes-vous au courant, par ailleurs, des soins dispensés dans le cadre de la médecine anthroposophique, et même des « médicaments » fabriqués spécialement pour elle ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Je ne suis, hélas, pas très informé là-dessus. Je sais que certains enseignants des écoles Steiner parlent de « races dégénérées », ce qui est inacceptable, même si cette notion était d'usage relativement courant à l'époque où fut fondée l'anthroposophie. Mais je ne connais pas bien l'histoire de ce mouvement dans les années 1930. Il faudra que je me renseigne davantage.

M. Jean-Pierre BRARD : C'est à la fois intéressant et utile.

Mme Martine AURILLAC : Vous avez fait un état des lieux très intéressant. Y a-t-il selon vous, un lien entre l'acuité des problèmes et l'existence ou l'absence de réglementation ? Il semble en effet, à vous entendre, que les pays du Nord et de l'Est soient les plus touchés. Est-ce dû à l'absence de réglementation ? Et est-ce en se dotant de règles plus strictes que l'on viendra à bout de ce genre d'agissements ? Ou au moyen d'autres mesures, éventuellement plus simples ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Le problème se pose en des termes très différents selon les pays. En Autriche, la loi reconnaît les communautés religieuses depuis 1874. Les circonstances étaient naturellement très différentes de celles d'aujourd'hui, mais l'islam est ainsi reconnu en tant que tel depuis 1912, ce qui fait que les choses, dans l'ensemble, se passent très bien avec nos quelque 300 000 musulmans, même s'ils sont concentrés dans certains quartiers de Vienne, où il y a plus d'enfants d'origine turque qu'autrichienne. Il y a certes quelques islamistes, mais les problèmes sont moindres qu'en Allemagne. La question du foulard ne se pose pas, chacun s'habille comme il veut, et personne ne se sent contraint de le porter pour s'opposer à l'État.

Mais d'autres groupes demandent à être reconnus à leur tour par l'État, et mon opinion est que la laïcité à la française serait une meilleure solution. Depuis 1998, en effet, la loi octroie certains privilèges aux communautés religieuses : rémunération de leurs enseignants, émissions à la télévision publique. Une fois enregistrée depuis dix ans, une communauté peut demander à bénéficier de ces dispositions. À partir de 2008, que va-t-il se passer, par exemple, pour les Témoins de Jéhovah ? Étant donné qu'il n'appartient pas à l'État de porter de jugement de valeur sur telle ou telle communauté, un système de laïcité à la française serait préférable.

M. le Président : En France, nous avons la loi « About-Picard », que vous connaissez sans doute.

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Je l'ai même traduite en allemand.

M. le Président : Pensez-vous qu'adopter ce type de loi serait une bonne chose ? Comment expliquez-vous qu'elle n'existe pas dans les autres pays de l'Union européenne ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : J'aimerais beaucoup que ce soit le cas, car elle ne vise pas les religions, mais les abus commis sur des personnes vulnérables.

M. le Président : Pourquoi les législateurs européens ne l'ont-ils pas adoptée ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Je crois que les fidèles des religions minoritaires craignent qu'elle puisse être utilisée contre eux. Mais toute loi n'est-elle pas susceptible d'être utilisée de façon abusive contre quelqu'un ?

M. le Président : Et pour vous, cette loi serait-elle utile ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Je serais heureux qu'elle soit en vigueur dans tous les pays.

M. Rudy SALLES : Je voudrais, plutôt que poser une question, faire une observation. Lors de l'examen de la loi « About-Picard », les mêmes craintes dont vous avez fait état se sont exprimées en France. Nous avons rassuré ceux qui les exprimaient en disant que la loi ne s'appliquait qu'aux dérives sectaires, non aux religions constituées. Il n'existe d'ailleurs pas de définition juridique des sectes, et c'est bien pourquoi il est question de « dérives sectaires ».

On a posé la question : y a-t-il une stratégie, de la part des grandes sectes installées aux États-Unis, pour quadriller la France et l'Europe, et quelle est la position des autorités américaines ? On sait qu'aux États-Unis, ces grandes sectes ont pignon sur rue, que certaines ont le soutien de grandes stars d'Hollywood, et contribuent même au financement des campagnes électorales. Mais, lors de la dernière campagne électorale en France, j'ai été approché par des diplomates américains, qui m'ont sondé dans un premier temps sur la situation internationale, avant de passer, dans un deuxième temps, à un sujet qui n'avait rien à voir : notre action, qu'ils disaient avoir du mal à comprendre, contre ce qu'ils appelaient les « religions nouvelles ». J'ai été extrêmement surpris, et même choqué, de cette intervention, qui tend à montrer que le lobbyisme des sectes auprès du gouvernement américain est très efficace... C'est pourquoi, lorsque vous nous dites que la presse autrichienne se retient par peur des pressions, cela nous interpelle, car nous avons, en France, une totale liberté de parole sur ces questions. C'est d'ailleurs cette liberté de parole qui permet au Parlement de se faire l'aiguillon permanent des pouvoirs publics - la présente commission d'enquête est la troisième en dix ans.

M. le Rapporteur : Nous avons également, en France, la MIVILUDES. Existe-t-il des institutions comparables, à caractère gouvernemental ou interministériel, dans d'autres pays européens ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Il existe en Autriche la Bundesstelle für Sektenfragen, qui est plus ou moins l'équivalent de la MIVILUDES. En Belgique, il y a le CIAOSN. Mais la Bundesstelle ne fait que donner des conseils aux parents, aux citoyens, les orienter, par exemple, vers des psychothérapies. Elle ne s'adresse pas directement au public. Ainsi que l'a exprimé son responsable, le docteur German Müller, ancien secrétaire de notre organisation, elle ne doit « pas se pencher par la fenêtre », notamment afin de ne pas susciter de critiques aux États-Unis. Lorsque la FECRIS est devenue une ONG reconnue par le Conseil de l'Europe, elle a publié un communiqué faisant état de sa coopération avec la MIVILUDES, le CIAOSN et la Bundesstelle ; les deux premiers organismes nous ont félicités, le troisième a au contraire protesté de sa neutralité...

M. le Rapporteur : Pensez-vous que la création d'un observatoire européen spécifique serait souhaitable ? Et possible ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Un député roumain l'avait proposé il y a quelques années au Conseil de l'Europe, mais il lui a été répondu qu'il revenait à chaque pays d'avoir le sien. L'existence de la FECRIS va dans ce sens, même si elle n'est pas très puissante, et n'a ni secrétariat ni collaborateurs rémunérés.

Mme Martine DAVID : Mais, sur le plan institutionnel, considérez-vous qu'il vaudrait la peine que nous nous battions plus énergiquement pour faire avancer cette idée d'un observatoire européen, qui pourrait ainsi collaborer avec la FECRIS et la faire bénéficier d'une logistique à l'échelle du continent ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Tout à fait.

Mme Martine DAVID : Pensez-vous que le Parlement européen, dans sa majorité, soit prêt à progresser sur ces questions, en résistant aux pressions éventuelles ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : Je souhaite qu'il y ait une avancée à l'échelle de l'Union sur les questions liées à l'éducation. Le commissaire compétent, M. Ján Figel', a le pouvoir de les inclure dans sa mission.

M. le Rapporteur : Le Parlement européen a fait un travail remarquable, mais la Commission européenne l'a édulcoré à tel point que l'on peut se demander si elle n'a pas été travaillée au corps par les organisations sectaires. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Friedrich GRIESS (interprétation) : J'ai eu de longues discussions avec Mme Maria Berger, dont il ressort qu'une partie des députés trouvait qu'elle allait trop loin, et une autre partie pas assez ...

M. le Président : Il me reste, monsieur Griess, à vous remercier de votre contribution aux travaux de notre commission.

Audition de M. Henri de CORDES,
président du Centre d'Information et d'Avis
sur les Organisations Sectaires Nuisibles (CIAOSN) de Belgique



(Procès-verbal de la séance du 12 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Nous poursuivons nos auditions en accueillant M. Henri de CORDES, président du Centre d'Information et d'Avis sur les Organisations Sectaires Nuisibles (CIAOSN), qui est en Belgique l'équivalent de notre MIVILUDES.

Vous remerciant, Monsieur le Président, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. de Cordes prête serment.)

J'adresse aux représentants de la presse les mêmes recommandations que lors de la précédente audition.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. Henri de CORDES : Le Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles a été créé par la loi du 2 juin 1998 à la suite d'une recommandation de la commission d'enquête parlementaire de 1996-1997 « visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu'elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d'âge ». Dans une perspective de continuité de ses travaux, la commission d'enquête souhaitait qu'un observatoire fédéral des sectes soit créé afin de donner au public accès à un centre de documentation spécialisé dans le domaine sectaire, de l'accueillir et de l'informer et afin de formuler des propositions au gouvernement et au parlement pour améliorer les moyens de lutte contre les dangers que présentent certaines pratiques sectaires. Un statut public garantissait l'indépendance de cet observatoire.

La loi du 2 juin 1998 portant création du Centre reprend le concept élaboré par la commission d'enquête qui définit comme organisation sectaire nuisible « un groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine ».

La loi créant le CIAOSN a fait l'objet d'une requête en annulation devant la Cour d'arbitrage par l'association Société anthroposophique belge, au motif que la loi instituerait un organisme officiel chargé de déterminer, à titre préventif, si certaines associations sont des organisations sectaires nuisibles, alors que des activités illégales ne pourraient être réprimées qu'a posteriori par le pouvoir judiciaire.

La Cour d'arbitrage, qui exerce le contrôle de la conformité des lois à certains articles de la Constitution, dont ceux qui énoncent le principe d'égalité de tous les citoyens devant la loi, a rejeté ce recours en mars 2000, notamment au motif que « les compétences attribuées au Centre ne portent en aucune manière atteinte à la liberté des cultes, à celle de leur exercice public, ainsi qu'à la liberté de manifester ses opinions en toute matière ». La Cour relevait également que « les pouvoirs conférés au Centre ne lui permettent d'interdire à titre préventif la manifestation d'une opinion exprimée par une minorité philosophique ou religieuse. Le Centre ne peut qu'informer le public, dans un but de prévention, sur les activités d'une association afin qu'il puisse apprécier en connaissance de cause les opinions susceptibles d'être dangereuses mais librement manifestées par une telle association ». Cette importante décision mettait ainsi un terme au débat sur la compatibilité de la loi avec la Constitution belge et avec les conventions internationales en matière de Droits de l'Homme.

En 1999, les premiers membres du Centre ont été désignés, à la majorité des deux tiers, par la Chambre des représentants. Depuis juin 2005, les membres actuels exercent un mandat de six ans.

Les missions principales du Centre sont d'abord l'étude du phénomène des organisations sectaires nuisibles en Belgique ainsi que de leurs liens internationaux, ensuite l'organisation d'un centre de documentation accessible au public, enfin l'accueil et l'information du public, notamment sur les droits et obligations de toute personne qui en fait la demande et sur les moyens de faire valoir ses droits. Sa spécificité est de conserver de nombreux documents émanant des mouvements eux-mêmes, dont la production peut ainsi être analysée.

Le Centre s'est vu confier par la loi la mission de « formuler soit d'initiative, soit à la demande de toute autorité publique des avis et des recommandations sur le phénomène des organisations sectaires nuisibles et en particulier sur la politique en matière de lutte contre ces organisations ». La loi précise que « les avis du Centre sont motivés et publics sauf décision contraire du Centre dûment motivée ».

La première demande d'avis fut reçue en octobre 1999. Elle émanait du ministre des Affaires étrangères qui souhaitait connaître l'avis du Centre sur une demande de reconnaissance de la Fédération des Centres de Recherches et d'Information sur le Sectarisme (FECRIS) comme ONG, afin de lui permettre d'être « consultée par le Parlement européen, le Conseil de l'Europe, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ainsi que par les Nations Unies et les organismes et commissions qui en dépendent ». L'avis favorable rendu en juin 2000 a été cité dans la procédure introduite par la FECRIS en vue d'obtenir le statut consultatif auprès du Conseil de l'Europe.

En 2002 et 2003, le Centre formula, en réponse à des demandes du ministère public, des avis, dont la non-publicité était motivée par l'implication d'enfants mineurs dans ces dossiers.

Le Centre est également habilité à formuler des recommandations, de sa propre initiative ou en réponse aux demandes d'autorités publiques. Sa première recommandation reprenait en réalité celle de la commission d'enquête parlementaire en faveur d'une modification du Code pénal en vue de sanctionner l'abus de situation de faiblesse d'un individu. Les membres du Centre s'appuyaient sur l'approbation de cette recommandation par la Chambre des Représentants en 1997 et sur l'absence de réaction plus de trois ans après pour sensibiliser le gouvernement à cette mesure « de nature à protéger les intérêts des personnes qui ont été les victimes, notamment, d'organisations sectaires nuisibles ».

Par sa recommandation du 25 octobre 2004, faisant le constat que « parmi les demandes d'information qui lui sont adressées, un nombre significatif se rapporte à des pratiques douteuses de personnes se présentant comme psychothérapeutes », le Centre a appelé le gouvernement à « considérer comme une priorité en matière de santé publique l'adoption d'une loi protégeant le titre de psychothérapeute », d'autant que suite à l'adoption par la France d'une législation en la matière, « l'absence de législation belge analogue est de nature à inciter des ressortissants français privés de l'usage du titre de psychothérapeute à proposer leurs activités au départ de la Belgique ».

Le Centre dispose d'un secrétariat composé d'un directeur, de quatre personnes affectées au service d'études, d'une bibliothécaire et de deux personnes chargées des tâches administratives.

J'en viens aux mineurs face à la menace sectaire.

Des cas comme ceux des enfants morts en raison de l'appartenance de leurs parents à l'Ordre du Temple Solaire sont extrêmes et rares. En 1994, l'enfant de moins de trois mois de membres de l'OTS a été assassiné au Canada, poignardé à vingt reprises avant d'avoir le thorax transpercé par un pieu en bois. L'année suivante, lors du massacre du Vercors, trois enfants âgés d'un et trois ans ont été abattus avec leurs parents membres de l'OTS d'une balle dans la tête.

Ces assassinats évoquent des « sacrifices humains », que l'on a tendance à attribuer aux groupements de la mouvance satanique, dont la littérature contient des passages plus qu'explicites sur des sacrifices humains, précisant, par exemple, dans quelles conditions utiliser le sang d'un nouveau-né qui doit ensuite être décapité. On trouve aussi dans cette littérature des chapitres sur le cannibalisme.

Même si les cas avérés de « sacrifices » d'un enfant lors de rites sataniques sont très rares, le seul fait que ces ouvrages gardent leur actualité dans des groupements qui se revendiquent du satanisme ou de l'occultisme, justifie que la vigilance soit maintenue dans ce domaine.

À mi-chemin entre ces extrêmes, se situent les affaires pénales de « droit commun » dans lesquelles sont impliqués des membres de mouvements de type sectaire. La question doit alors être posée de savoir en quoi l'appartenance du condamné à un tel mouvement est en lien ou non avec le crime ou le délit qui a été commis.

L'attitude des mouvements sectaires vis-à-vis des enfants est très variable. Si certains tiennent un discours spécifique visant les mineurs, d'autres les considèrent comme des « gêneurs » qui accaparent le temps et l'énergie que leurs parents devraient plutôt consacrer à l'étude de la doctrine ou à la pratique de rituels. En règle générale, en raison du caractère totalisant, voire totalitaire, des organisations sectaires, il est rare que les enfants et les adolescents ne soient pas, de près ou de loin, concernés par leurs pratiques.

S'agissant des risques qu'elles font courir à la santé physique et mentale des mineurs, il convient de distinguer, d'une part, les différents dangers auxquels ils sont confrontés au cours de leur vie, indépendamment de l'appartenance ou non de leurs parents à un mouvement sectaire, d'autre part, la probabilité plus ou moins grande que ce danger se concrétise selon le mouvement dans lequel l'enfant ou l'adolescent évolue.

Le risque que des mineurs soient victimes de sévices sexuels est d'autant plus grand qu'ils vivent dans des communautés fermées, ce qui rend plus difficile la dénonciation des sévices, en raison de l'isolement géographique ou d'une réglementation et d'une juridiction internes qui, aux yeux des adeptes, peut apparaître comme supérieure aux juridictions extérieures de la société, parce que fondées sur des principes philosophiques ou religieux ou prétendus tels. En avouant son forfait aux responsables du mouvement, l'abuseur sexuel peut avoir le sentiment qu'il a accompli son devoir et avoir ainsi la conscience en paix. Parfois, des règles internes rappellent qu'au-delà de l'information des responsables du groupe, les autorités judiciaires doivent ou peuvent être informées.

Face à la révélation publique de sévices sexuels sur des mineurs d'une ampleur telle qu'ils mettent en cause le mouvement dans son ensemble et pas seulement certains de ses membres à titre individuel, la réaction des responsables est variée, allant de l'enquête interne qui peut conduire à l'adoption de consignes visant à éviter que de tels abus ne se reproduisent à l'avenir, jusqu'à un rappel, parfois par la diffusion de communiqués de presse, des règles existantes, dont on observe toutefois qu'elles n'ont pas permis de protéger les mineurs. Dans un cas comme dans l'autre, il convient de vérifier si, dans la pratique, le mouvement parvient à faire respecter sa propre réglementation. La protection de la « pureté » du mouvement est, en effet, parfois considérée comme supérieure à la défense de l'intérêt des enfants et des adolescents ce qui justifierait que les faits répréhensibles portés à la connaissance des dirigeants ne soient pas dénoncés aux autorités judiciaires. De même, un recours extensif voire abusif au secret de la confession contribue à ce que des cas de maltraitance de mineurs ne soient pas poursuivis puisque l'information ne parvient pas aux services de police.

Le risque d'abus sexuels sur des mineurs est évidemment accru dans les mouvements dont le discours est spécifiquement et ouvertement orienté vers la sexualité des enfants, voire la pédophilie, même lorsque le message original du fondateur du mouvement est édulcoré par le conseil d'épouser la jeune fille de quinze ans et de divorcer dès qu'elle atteint dix-huit ans...

Il convient également de rappeler que des mouvements sataniques pratiquent la pédo-pornographie et se référent à des manuels de magie sexuelle. La participation de mineurs ou le seul fait d'assister, même passivement, à de tels « rituels » les exposent à des risques de troubles psychologiques graves.

La question du refus de soins, en particulier de transfusion sanguine, chez les mineurs a été résolue par la possibilité donnée au ministère public de prendre une mesure de protection contraignante consistant à suspendre l'autorité parentale le temps de la transfusion. Dans les cas d'urgence, le médecin est tenu, sous sa seule responsabilité, d'apporter au mineur tous les soins qu'il estime nécessaires à son état. Mais, depuis la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, le mineur se voit reconnaître la possibilité d'exercer lui-même ces droits, notamment celui de refuser un traitement, pour autant qu'il soit estimé apte à apprécier raisonnablement ses intérêts. Si le mineur ne dispose pas de cette aptitude, ses droits sont alors exercés par un représentant. Toujours selon la loi, le médecin garde la possibilité de ne pas suivre la décision du représentant du patient dans la mesure où elle menace la vie ou porte gravement atteinte à l'intégrité physique du mineur.

Une attention particulière doit être portée aux mouvements qui intègrent dans leur doctrine des préceptes en matière de santé, soit en se référant à des médecines traditionnelles soit en pratiquant le « syncrétisme » médical comme ils le font sur le plan philosophique ou religieux ou prétendu tel. Les traitements recommandés par les dirigeants de ces mouvements sont présentés à l'extérieur comme des adjuvants ou des traitements complémentaires à ceux de la médecine conventionnelle. Comme pour les règlements internes en matière d'abus sexuels, il convient de confronter la théorie à la pratique en vérifiant si la pression interne au groupe ne conduit pas les adeptes à se détourner des traitements prescrits par la médecine conventionnelle ou à les rejeter.

Le secteur de l'accompagnement des femmes enceintes et celui de la petite enfance constituent des cibles des mouvements actifs dans le domaine du bien-être, qui proposent des traitements s'inspirant, dans la plupart des cas, de « révélations » d'ordre spirituel et qui n'apportent pas la preuve scientifique de leur efficacité. La plupart de ces traitements ne méritent pas d'être signalés tant qu'ils s'adressent à des personnes suffisamment éclairées sur les risques qui y sont liés. Quand il s'agit d'enfants à naître, de nouveau-nés, de nourrissons ou de jeunes enfants, des mesures de protection devraient toutefois pouvoir être mises en œuvre dans l'intérêt de l'enfant.

Les mineurs qui naissent, vivent ou suivent leur scolarité à l'intérieur d'une communauté fermée appartenant à une organisation sectaire peuvent être victimes de troubles psychologiques en fonction des événements qu'ils sont amenés à subir. Les enfants dont les parents, membres de ces organisations, vivent en dehors de communautés fermées, sont moins exposés, sauf lorsque l'un des parents soustrait un ou plusieurs enfants à l'autorité de son conjoint ou ex-conjoint en vue de les initier à une doctrine que l'autre parent refuse de voir enseignée à ses enfants.

Dans le domaine de l'enseignement, les enfants qui suivent une scolarité dans les écoles privées des mouvements, risquent, à tout le moins, de vivre une rupture avec le monde extérieur, auquel ils se retrouvent alors inadaptés. Les messages radicaux ou intégristes de certains enseignants lors de cours de religion ont pu conduire à troubler les esprits de jeunes enfants victimes notamment d'un sentiment de culpabilité créé artificiellement. Ce genre de situation résulte le plus souvent de la non-déclaration par l'enseignant de son appartenance à un groupe religieux radical ou intégriste. Cette non-déclaration caractérise également certaines écoles privées. De même, certains membres de mouvements sectaires profitent des cours particuliers pour tenter d'orienter des enfants vers une autre école, sans préciser son affiliation au mouvement auquel ils adhèrent.

Les enfants hyperactifs, caractériels ou présentant des troubles du comportement constituent, au travers de leurs parents souvent désemparés, des cibles de choix pour des mouvements prétendant apporter des solutions par des traitements qui, comme ceux destinés aux nouveau-nés, n'apportent la preuve ni de leur innocuité ni de leur efficacité par des méthodes scientifiques.

Un cas particulier qui suscite de vives inquiétudes est celui des enfants sorciers. Ce phénomène bien connu de quelques pays d'Afrique centrale tend à suivre les communautés qui s'installent en Europe. Même s'il s'agit de cas marginaux et peu fréquents, ils ne doivent pas échapper à notre vigilance, d'autant que les exorcismes qui tournent mal peuvent entraîner la mort.

Le CIAOSN a adopté hier un document intitulé « Dérives sectaires en matière de santé », qui fera l'objet d'un dépliant destiné au grand public et qui reprend l'ensemble des problèmes soulevés en matière de santé, sans spécifiquement viser les enfants. Mais il est évident que les enfants sont encore plus vénérables que les adultes et l'on retrouve dans ce document ce que j'ai évoqué à propos des nourrissons et de la grossesse ; on y fait aussi référence à la théorie des enfants indigo, qui vise particulièrement les enfants hyperactifs ; on rappelle également les démarches dans les milieux scolaires.

Dans son rapport de 1997, la Commission d'enquête de la Chambre des représentants sur les pratiques illégales des sectes et le danger qu'elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement pour les mineurs, recommandait de modifier le code pénal afin de pouvoir réprimer l'abus de situation de faiblesse. Comme toutes les autres recommandations, celle-ci fut adoptée à une très large majorité des membres de l'assemblée plénière.

En mars 2006, le groupe de travail chargé du suivi des recommandations n'a pu que constater que celle-ci était restée lettre morte en dépit du dépôt de plusieurs propositions de loi. En juillet dernier, le gouvernement a déposé à la Chambre un projet qui punit de trois mois à trois ans de prison et d'une amende de 250 à 20 000 euros toute personne qui aura abusé frauduleusement de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse notamment d'un mineur pour le conduire à un acte ou une abstention portant gravement atteinte à son intégrité physique ou mentale ou à son patrimoine. Ces peines peuvent être assorties de l'interdiction d'exercer un emploi dans la fonction publique ou d'exercer la tutelle sur des enfants autres que les siens.

Dès l'annonce de l'adoption de l'avant-projet de loi par le Conseil des ministres et avant même que le Conseil d'État ne rende son avis, cette modification du code pénal a été critiquée par ceux qui y voyaient une attaque contre des « minorités de conviction » perçues a priori comme dangereuses. La critique portait en particulier sur le fait que le texte ferait usage de « notions mal définies qui laissent de très larges marges d'interprétation », ce qui aurait pour conséquence que l'on ne pourrait pas « savoir, au moment où l'on adopte un comportement, si ce dernier est ou non répréhensible ». Ce genre d'argument est de nature à susciter au minimum le doute voire la crainte auprès de ceux qui n'ont pas un minimum de connaissances juridiques. Mais le droit pénal est d'interprétation stricte et aussi bien la doctrine que la jurisprudence maîtrisent les notions de fraude ou d'abus, par exemple en matière d'abus de confiance ou d'abus de biens sociaux.

Après le dépôt du projet, une autre critique est apparue sous la forme d'un prétendu rapport d'experts qui insistaient auprès du Parlement pour qu'il n'adopte pas le projet de loi. Cette fois, l'argumentation reposait sur l'invocation, quasi incantatoire, des principes fondamentaux de protection des droits de l'homme. Les auteurs de cette « expertise » se référaient à un projet de loi sur la manipulation mentale, notion qui n'apparaît qu'une seule fois dans l'exposé des motifs. Pour les opposants au projet, le recours à cette notion présente l'avantage en termes de communication de renvoyer aux critiques qui ont accueilli les propositions de loi du sénateur Nicolas About et de la députée Catherine Picard et qui ont conduit à ce que l'expression « manipulation mentale » n'apparaisse pas dans la loi du 12 juin 2001.

Le point commun entre ces critiques est qu'elles émanent d'avocats confirmés qui ne peuvent ignorer que le droit pénal est d'interprétation stricte et qu'une condamnation ne peut être prononcée que pour autant que les faits constatés présentent tous les éléments matériels qui permettent la qualification de l'infraction. Ils ne peuvent non plus ignorer que les droits et libertés protégés par les conventions internationales qu'ils invoquent ne sont pas absolus et qu'ils peuvent faire l'objet de restrictions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la protection, notamment de la santé, comme le prévoit l'article 9-2 de la Convention européenne des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales. La démarche de ces avocats est similaire en ce qu'elle s'apparente à ce que la langue anglaise appelle l'advocacy, à savoir le fait de publiquement soutenir ou suggérer une idée, un développement ou une manière de faire. Advocacy et avocat ont la même racine étymologique, qui signifie plaider la cause de quelqu'un. Mais ici ces « plaidoiries » se situent en dehors des prétoires et en l'absence de toute procédure ; elles doivent donc être requalifiées d'expression d'une revendication de certains groupes d'intérêts par la voix de leurs porte-parole.

L'on peut renverser les arguments avancés par ces lobbyistes : au nom des droits de l'homme en général ou de la liberté de pensée, de conscience et de religion en particulier, quiconque devrait pouvoir, en toute impunité, conduire un mineur, en abusant frauduleusement de son état d'ignorance ou de sa situation de faiblesse, à un acte ou une abstention qui porte gravement atteinte à son intégrité physique ou mentale. La démonstration est ainsi faite que la protection des mineurs face aux dérives sectaires doit passer par des dispositions pénales comme le prévoit le projet du gouvernement belge.

M. le Président : Merci de nous avoir montré que les problématiques belges sont comparables aux nôtres, même si nous avons une étape d'avance en matière législative.

J'ai un certain nombre de questions à vous poser.

Le 7 mars 2005 le CIAOSN a rendu un avis sur l'organisation Sahaja Yoga qui comportait un paragraphe concernant les enfants et la pratique consistant à les séparer de leurs parents pour les envoyer, pendant de longues périodes, dans des écoles appartenant à l'organisation et situées à l'étranger - à Rome pour l'école maternelle, en Inde pour les formations primaire et secondaire.

Ce paragraphe se termine par la phrase suivante : « Les jugements contradictoires rendus par les tribunaux de France, d'Allemagne, d'Autriche, de Suisse et de Belgique quant aux risques inhérents à ces formations incitent à tout le moins à une grande prudence ».

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce point, qui n'apparaît pas très clair ?

M. Henri de CORDES : C'est volontairement que je n'ai pas abordé ce sujet. Cet arrêt a été rendu en appel après une décision en référé qui nous était favorable. Aujourd'hui, la procédure se poursuit au fond et elle devrait aboutir avant la fin de l'année 2007. En fait, la cour d'appel nous reproche de ne pas avoir été suffisamment explicites, alors que nous avions pour notre part voulu éviter de stigmatiser sans preuve. Or il était très difficile, dans le temps dont nous disposions pour émettre cet avis, de recueillir les éléments matériels relatifs aux conditions d'hébergement et de scolarisation des enfants au pied de l'Himalaya.

Dans l'attente de la décision au fond, la Cour d'appel nous a imposé de mentionner sur notre site que l'avis que nous avions rendu et publié, comme la loi nous l'impose - la demande de l'association Sahaya Yoga étant précisément que nous retirions cet avis du site, ce qui est donc légalement impossible - soit accompagné de la mention que cet avis n'implique pas que l'association Sahaya Yoga Belgique est une organisation sectaire nuisible ou une partie d'une telle organisation.

Je vous livre ces informations sans y ajouter de commentaire en l'état actuel de la procédure. Bien évidemment, si des éléments complémentaires étaient disponibles avant la fin de vos travaux, je ne manquerais pas de vous les communiquer.

M. le Président : Avez-vous en Belgique une liste des organisations sectaires nuisibles ?

M. Henri de CORDES : La loi créant le Centre nous interdit de publier une information sous forme de liste ou de relevé systématique. C'est la conséquence de la polémique qui a suivi la publication du rapport de la commission d'enquête en avril 1997. Ce dernier contenait un tableau synoptique en sept colonnes des différents mouvements qui avaient été cités par des témoins et des services. Une fuite juste avant la publication a entraîné la reprise dans la presse uniquement de la première colonne, ce qui donnait une liste, sans mettre l'accent sur l'avertissement figurant en tête du tableau selon lequel le fait de s'y trouver n'impliquait pas qu'une organisation était ou non dangereuse. Il n'empêche que la campagne médiatique a été lancée, ce qui a amené le Parlement, pour calmer les esprits, à n'approuver que les conclusions et recommandations figurant dans les pages du rapport précédant le tableau.

M. le Président : Faute de liste, comment faites-vous pour caractériser une organisation sectaire nuisible ?

M. Henri de CORDES : Le travail se fonde sur les critères qui ont précédemment été utilisés par vos commissions d'enquête et par la nôtre, et qui reposent sur des comportements, des pratiques comme celles que j'ai évoquées en matière de santé ou d'éducation, d'isolement, de pression du groupe.

En fait, dans la pratique, nous répondons essentiellement aux demandes de la population : chaque fois qu'on nous interroge sur un groupement, nous étudions si, par rapport à ces critères, nous disposons d'éléments faisant penser à un risque particulier pour les personnes qui sont dans le groupe ou qui envisagent d'y adhérer.

M. Philippe VUILQUE, Rapporteur : Vous avez tenté, au début de votre intervention, une définition de ce qu'est une organisation sectaire. Cette définition est-elle considérée comme une référence par l'ensemble des partenaires ?

Par ailleurs, vous connaissez notre organisation en France, avec la MIVILUDES, dont les compétences sont un peu différentes des vôtres. Quelle appréciation portez-vous sur ces deux façons d'aborder les choses, interministérielle chez nous, par un organisme indépendant chez vous ?

M. Henri de CORDES : S'agissant de la définition d'une organisation sectaire nuisible, je rappelle que c'est une notion qui a été créée par la commission d'enquête dans son rapport de 1997, en particulier afin de ne pas entrer dans le jeu de la distinction entre ce qui fait une secte et ce qui fait une religion. Cette définition présente l'originalité de se situer dans une démarche dynamique : on a énoncé dans le rapport que l'on considérait comme secte ce que les dictionnaires définissent comme un petit groupe pratiquant une même foi, souvent en marge des grands courants religieux.

À partir de cette définition, qui relève plutôt de la sociologie, la commission d'enquête a créé la notion, plutôt criminologique, d'organisation sectaire nuisible. Le troisième stade présenté par la commission d'enquête, c'était l'organisation criminelle.

Le CIAOSN se situe entre les sectes qui ne posent pas de problème et les organisations criminelles, qui en posent tellement que cela ne ressort plus de notre compétence.

Cette définition est d'ailleurs entrée dans la loi pour définir le champ de compétence de notre Centre. La jurisprudence dira s'il s'agit ou non d'une définition juridique. Selon moi, elle reste plutôt de type sociologique ou criminologique, dans la mesure où elle n'existe en droit qu'à propos de la compétence du Centre et de la sûreté de l'État dans le cadre de la loi organique des services de renseignement de 1998.

En ce qui concerne la comparaison avec la MIVILUDES, j'ai omis de vous indiquer que la loi du 2 juin 1998 avait également créé, en plus du Centre, une cellule administrative de coordination de la lutte contre les organisations sectaires nuisibles. L'intérêt de mentionner cet organe administratif dans la loi était d'obliger les deux organismes à travailler ensemble. Mais il ne s'agit pas d'une structure permanente ; elle ne dispose ni du personnel ni des moyens nécessaires pour obtenir ce que la MIVILUDES peut obtenir au niveau interministériel.

Il est impossible de dire quel est le modèle qui convient le mieux : tout dépend de la situation de chaque pays, de sa culture, de ses pratiques, du poids des religions traditionnelles dans la société. En Belgique, le choix a été fait d'un organisme public auprès du ministre de la justice. Il peut s'agir d'un modèle pour d'autres pays, mais ce qui est essentiel c'est bien évidemment la volonté politique de traiter ce sujet.

M. Christian VANNESTE : Il me semble que, dans le nom de l'organisme que vous représentez, le mot important n'est pas « sectes », mais « nuisibles » car il permet de tracer une frontière entre les organisations, en fonction des dangers potentiels de certaines activités sectaires.

Vous avez évoqué la répression qui suit vos avis, mais vous êtes aussi centre d'information. Vous avez également fait la distinction entre sociologie, criminologie et droit. Pour ma part, je m'interroge sur la part de vos recherches dans le domaine de la sociologie. Faut-il en conclure que vous êtes davantage tournés vers la prévention que vers la répression ?

Si on se préoccupe d'étiologie, on se demande forcément d'où vient une secte et ce qui l'anime. Vous avez parfaitement dressé la liste des dangers, mais ne pourrait-on pas établir aussi une typologie des sectes en fonction des motivations, qu'elles relèvent de l'argent, du pouvoir, d'une origine pathologique ou du moins d'une certaine perversion du gourou.

Peut-on, par ailleurs, identifier des victimes potentielles en fonction des catégories socioprofessionnelles, des milieux sociaux, des types d'éducation ? Car si nous nous intéressons aux enfants, nous ne pouvons oublier qu'ils appartiennent à des familles et il serait donc intéressant de nous interroger sur le contexte social et psychologique de ces dernières.

M. Henri de CORDES : Je n'ai guère l'habitude de répondre à de telles questions...

« D'où vient une secte ? » De nombreux chercheurs en sociologie et en histoire des religions vous répondront bien mieux que moi.

Si l'on cherche à dresser une typologie en fonction de l'objectif poursuivi, il me semble que vous avez fort bien dressé la liste des critères qui pourraient fonder une recherche en la matière ; il ne reste qu'à trouver le chercheur et le financement... Sans doute pourrions-nous aborder cette question dans le cadre de notre mission, mais ce qui nous importe surtout, c'est d'apporter des réponses immédiates aux problèmes auxquels sont confrontées la population comment les différentes administrations, par exemple de déterminer le risque qu'encourt une municipalité en louant une salle à un mouvement qu'elle ne connaît pas très bien.

Il serait intéressant de s'attacher plus particulièrement à la psychologie même des gourous. On trouve là des éléments liés au pouvoir, à la perversion, à l'argent. L'on voit bien que les perversions comme la pédophilie, la pédo-pornographie, le cannibalisme sont justifiées par un pseudo discours philosophique et religieux, tout simplement pour éviter de passer pour n'importe quel pervers de droit commun.

Il est très difficile d'identifier les victimes potentielles, de dire qui est plus susceptible de tomber dans le piège. Même si ce n'est pas demain la veille, je dis souvent que je ne suis même pas assuré de ne pas tomber un jour moi-même dedans...

M. Jean-Pierre BRARD : Où qu'on soit en Belgique, les frontières ne sont jamais loin. N'est-ce pas pour vous une difficulté dans la mesure où les sectes peuvent par exemple soustraire ainsi des enfants à l'attention des pouvoirs publics ?

Pourriez-vous, par ailleurs, revenir sur le sujet des enfants sorciers car si, dans ma ville, ce sont le plus souvent des poulets que l'on sacrifie, j'ai aussi connaissance de choses étranges dans ce domaine ?

Nous ne disposons pas de beaucoup de renseignements sur le satanisme, car il s'agit de groupes plus petits qui ont moins attiré notre attention jusqu'ici. Mais vous avez parlé de sacrifices d'enfants, pouvez-vous nous en dire plus ?

Enfin, vous pouvez, en Belgique, faire usage de ce que les Allemands appellent « Berufsverbot », en révoquant un fonctionnaire qui appartient à une secte. En France, cela nous est interdit par l'obligation de protéger la liberté d'opinion. Nous avons ainsi en mémoire le cas d'un scientologue travaillant chez EDF, que l'entreprise n'a pu qu'éloigner de son lieu habituel de nuisance. En fait, la scientologie avait infiltré EDF, en tissant sa toile à partir de Fessenheim, et en poursuivant par le service du personnel, puis par le service informatique, puis par le service formation. Comment justifiez-vous en droit cette possibilité d'interdit professionnel qui vous est offerte ?

M. Henri de CORDES : En Belgique, le risque qu'un enfant soit soustrait à l'autorité d'un de ses parents est en effet plus grand du fait de la proximité des frontières. On est ainsi très rapidement aux Pays-Bas, qui n'offrent pas face à la menace sectaire la même protection que la France ou que la Belgique. Cela justifie que l'information circule le plus rapidement possible entre les différents services, en particulier police et tribunaux de la jeunesse, afin d'empêcher que des enfants ne partent parfois très loin. J'ai ainsi eu connaissance, au moment des travaux de la commission d'enquête, d'un cas où l'initiative d'un gendarme a permis d'alerter le tribunal de la jeunesse afin qu'une interdiction de sortie du territoire soit prononcée avant que l'enfant ne parte pour l'Australie.

D'origine récente, le dossier des enfants sorciers est assez épouvantable. Dans le contexte animiste de l'Afrique centrale, beaucoup d'enfants, orphelins à la suite de conflits ou des effets du sida, se retrouvent à la rue. Ceux qui aimeraient s'en débarrasser les considèrent comme possédés par un esprit, donc nuisibles. Ils sont eux-mêmes pris à ce jeu : on crée de véritables petites armées d'enfants sorciers qui se font peur mutuellement et qui suscitent la crainte chez la population. Cela entraîne des drames : les membres des bandes en viennent parfois à s'entretuer, dans d'autres cas on a recours aux méthodes locales d'exorcisme. Nous avons eu, en Belgique, le cas d'un exorcisme qui s'est mal terminé puisque l'enfant est mort. En Afrique surtout, des nouveaux mouvements religieux de type évangéliste essaient de sortir ces enfants de leur situation, mais en leur appliquant leur propre traitement : ils quittent ainsi la rue pour tomber dans autre chose...

S'agissant du satanisme, je le répète, les cas concrets sont rares. Beaucoup de rumeurs circulent sur un sujet propice aux fantasmes. On assimile au satanisme la tendance gothique qui s'apparente davantage à un phénomène de mode et qui intéresse une certaine jeunesse. Le risque vient de toutes petites structures, très fermées, qui évitent soigneusement d'ébruiter la nouvelle lorsque la mort frappe un de leurs membres, d'autant que dans leurs théories le fait de prendre la vie de quelqu'un ou même sa propre vie renforce la personne... À propos des sacrifices d'enfants, il existe même un texte expliquant comment faire en sorte qu'un homme et une femme se rencontrent et conçoivent un enfant que l'on gardera caché afin d'en faire, le moment venu, l'usage rituel indiqué dans les livres. Bien sûr, on a l'impression qu'il ne s'agit que de littérature, mais quand des gens passent à l'acte, on se trouve bien en présence d'infanticides ou de meurtres.

M. Jean-Pierre BRARD : Pouvez-vous nous indiquer une bibliographie à ce propos ?

M. Henri de CORDES : De mémoire, je peux citer des auteurs comme Richard Cavendish ou Aleister Crowley, mais je vous donnerai plus de références.

M. le Président : A-t-on constaté des passages à l'acte en Belgique ?

M. Henri de CORDES : À ma connaissance, non ; mais j'ai appris qu'en Allemagne un cas avait conduit à une peine de prison pour une mère ayant reconnu avoir tué son enfant, mais sans que le lien de cette personne avec le mouvement satanique puisse être établi de manière claire par les enquêteurs, qui avaient toutefois trouvé suspect qu'une jeune mère de dix-sept ans, après avoir tué son enfant, prenne soin de découper tous les organes - intestins, cœur, foie, etc. - de manière quasi professionnelle. Ils en avaient conclu qu'il devait y avoir d'autres intervenants ; les liens de la mère avec le mouvement sataniste leur avaient fait penser que cela s'était produit dans ce cadre.

Une autre enquête serait actuellement en cours dans le Tessin. Cette affaire concerne des profanations de tombes.

S'agissant enfin du Berufsverbot, il n'existe pas non plus en Belgique d'interdiction professionnelle ni de possibilité de révocation. Il n'y a guère que, dans le domaine des activités sensibles d'entreprise, une éventuelle habilitation de sécurité pouvant aboutir à ce que certaines personnes, à certains moments, puissent être écartées de certaines fonctions.

M. Jacques MYARD : Quelle est, selon vous, la typologie des sectes les plus actives en direction des enfants et les plus dangereuses pour eux ?

M. Henri de CORDES : Si ce sont des noms que vous souhaitez, vous aurez compris que, dans la situation où je me trouve avec la jurisprudence Sahaya Yoga et la procédure en cours, il serait très risqué pour moi de vous en donner.

M. le Président : Mais vous êtes en France, devant une commission d'enquête parlementaire...

M. Henri de CORDES : J'ai également indiqué que la loi créant le Centre interdit de diffuser des informations sous forme de listes et de relevés systématiques.

J'avais toutefois anticipé votre question ; c'est pourquoi j'ai transmis au secrétariat de votre commission un ensemble de documents, provenant de mouvements eux-mêmes, dont vous pourrez voir les noms et adresses et apprécier vous-même les propos. Cela m'évite de prêter le flanc à d'éventuelles procédures. Car il faut être conscient que, pour ces mouvements, même lorsqu'ils savent que la cause est perdue, une procédure est toujours intéressante en ce qu'elle leur permet de se mettre en position de victime. Je ne voudrais pas avoir à gérer plus d'un procès à la fois...

M. Jacques MYARD : Je crois que c'est une chose à laquelle il faudrait que nous songions, comme cela avait été fait à l'occasion de la deuxième commission d'enquête.

M. le Président : Cela a déjà été fait.

Mme Martine DAVID : Avez-vous le sentiment, compte tenu des statistiques et des informations dont vous disposez, que les cas dans lesquels des mineurs sont victimes de mouvements sectaires sont de plus en plus nombreux ?

Vous m'avez, par ailleurs, donné le sentiment d'accepter la situation actuelle en Europe, la Belgique et la France se situant à l'avant-garde de la lutte contre les mouvements sectaires, mais les autres pays devant être laissé libres d'agir à leur rythme. Pour ma part, je considère que l'on a déjà laissé passer trop de temps et que, si nos pays ont un peu avancé, quitte à être considérés comme liberticides par les Américains, il faut aujourd'hui que les autres mettent les « bouchées doubles ». Comment pensez-vous qu'il serait possible d'accélérer les choses au niveau européen ?

On sait, par ailleurs, qu'il n'y a que en cas de faits divers importants que les médias parlent beaucoup de ce phénomène, que ce n'est qu'à cette occasion que l'attention de l'opinion publique est attirée et que cela freine notre volonté d'alerter en permanence nos concitoyens sur les risques encourus. Comment changer cet état de fait ?

M. Henri de CORDES : Je ne dispose pas de chiffres précis permettant d'affirmer que le nombre des cas où les enfants sont concernés est en augmentation. Nous observons une tendance à la dispersion de ces mouvements dans de beaucoup plus petites unités, actives dans les domaines du bien-être, de la santé, du développement personnel, toutes ces méthodes dites « douces » qui attirent la population. Pour ma part, je les considère comme aussi « douces » que les drogues dites « douces » : quand on en consomme, on devient dépendant. Le vrai risque de ces pseudo-thérapies, c'est précisément qu'elles sont souvent pratiquées par des gens très intelligents qui installent une dépendance là où un véritable professionnel chercherait précisément à mettre un terme à ce lien de proximité avec son patient. Il s'agit d'un domaine assez flou dans lequel nous ne pouvons intervenir que partiellement, c'est pourquoi j'ai rappelé que seule une référence « philosophique, religieuse ou prétendue telle » nous permettait d'aborder ce qui a trait au « psy ». À l'inverse, nous ne pouvons nous intéresser à la pratique de tous les thérapeutes qui n'ont aucune référence de ce type.

Je crois vous avoir un peu déçu en ce qui concerne l'Europe. Mais il me semble en effet que chacun doit avancer à son rythme. Lors d'une conférence organisée par une association américaine, j'ai récemment fait le tour d'horizon de la situation en Europe en montrant l'influence qu'avaient dans chaque pays la culture et la tradition de séparation entre les églises et l'État. Ainsi, si la France affirme le principe de laïcité, en Belgique celui-ci n'est pas inscrit dans la constitution mais dans la pratique l'État est bien laïque. Il me paraît donc important que chaque pays trouve la formule qui lui convienne le mieux. Prenez l'exemple de la Suisse : dans cet État fédéral où l'on parle quatre langues, en dépit d'un rapport très intéressant publié en 1996, on n'a pas pu déboucher sur autre chose qu'une fondation privée, à l'initiative de quatre cantons. De même en Allemagne, officiellement une compétence est attribuée au service de renseignement, qui est censé observer le phénomène, mais dans la pratique cela ne se fait que dans quelques Länder. Pour leur part, les nouveaux États membres de l'Union européenne ont connu plus de quarante ans de communisme ; ils découvrent du jour au lendemain la liberté sous toutes ses formes, y compris religieuses, et la population y est très réceptive à tous ceux qui prospectent ces nouveaux marchés. Si l'on va encore plus loin, en prenant en compte les États membres du Conseil de l'Europe, on voit bien que les spécificités culturelles sont telles qu'il est d'autant plus difficile de mettre en place l'observatoire européen des sectes dont l'Assemblée parlementaire a pourtant recommandé la création en 1999, que le comité des ministres a affirmé immédiatement après ne pas disposer des moyens nécessaires.

Vous l'avez dit, la presse s'intéresse souvent à ce phénomène sous l'angle spectaculaire d'un Jim Jones qui organise une tuerie collective, d'une tuerie comme celle de Waco, de l'attentat du métro de Tokyo, du massacre des adeptes de l'Ordre du temple solaire. Mais c'est aussi souvent à ces occasions, parce que l'opinion publique est sensibilisée, qu'interviennent des réponses politiques. À l'heure actuelle, nous ne connaissons heureusement plus ces grands massacres, mais nous subissons au quotidien de petits drames individuels qui ne font plus les grands titres.

Mme Martine DAVID : Mais ils existent !

M. Henri de CORDES : En effet, c'est pourquoi nous essayons de rappeler de temps à autre les enjeux à la presse qui, en Belgique au moins, en est bien consciente.

Un hebdomadaire belge a publié en mai dernier un article de fond autour du témoignage d'une journaliste qui après s'être infiltrée est parvenue à assister à une réunion de la Scientologie à Bruxelles, en plein quartier européen, où elle a entendu qualifier les gouvernements européens de « IVe Reich » et affirmer « Nous sommes en guerre ! ». Je vous communiquerai cet article ainsi que la réponse que la Scientologie nous a fait parvenir.

M. le Rapporteur : Votre organisme joue-t-il un rôle de prévention ? Intervenez-vous dans les administrations et dans les écoles ?

Pouvez-vous, par ailleurs, nous indiquer si ce sujet est perçu de la même façon en Flandre et en Wallonie ?

M. Henri de CORDES : Le contexte institutionnel belge est un peu particulier: puisque tout ce qui a trait à la prévention relève des communautés. Nous, nous nous situons au niveau fédéral, celui du ministère de la justice, et nous avons donc une compétence d'information. Il s'agit, en outre, d'une information plutôt de type réactif, c'est-à-dire que nous répondons à des demandes, c'est d'ailleurs un des reproches qui nous a été fait par le groupe de travail parlementaire, qui aurait souhaité que nous soyons davantage « proactifs », à condition que nous en ayons les moyens. Cette information proactive existe toutefois déjà sous la forme de dépliants sur des thèmes spécifiques.

Le groupe de travail relève également que la prévention devrait pouvoir, notamment par le relais de la cellule administrative, toucher plus facilement les pouvoirs locaux. En fait, il conviendrait que l'on parvienne à diffuser un message similaire au « Sachez consommer et apprécier avec modération » des campagnes contre l'alcool ou contre le tabac, afin de dire aux gens « Vous connaissez les risques, faites votre choix ! ». Je rappelle toutefois que nous ne pouvons tenir ce discours en direction des enfants qui ne disposent pas de ce choix. Même si la Convention internationale sur le droit des enfants leur ouvre le droit à une éducation religieuse, là aussi, il y a des limites.

J'ai dit que les sensibilités étaient différentes au sein de l'Allemagne comme de la Suisse, nous pouvons faire le même constat entre le nord et le sud de la Belgique. Du fait peut-être d'une trop grande prudence de la presse flamande, ces questions sont moins abordées dans cette communauté. Faut-il y voir l'influence des Pays-Bas où les sectes sont un non-problème ? Mais les choses avancent et les journalistes osent maintenant aborder certains dossiers délicats.

M. Jacques MYARD : Entretenez-vous sur ce sujet des relations avec les États-Unis ? Quel regard portez-vous sur la différence d'approche de ce pays, où il existe des mouvements extrêmement puissants pour la défense des droits de l'homme ou la dignité de l'enfant ? Comment expliquez-vous le laxisme américain à l'égard de la Scientologie ?

M. Henri de CORDES : On met souvent l'accent sur l'attitude des États-Unis que vous venez d'évoquer et sur certaines pressions diplomatiques. Mais c'est aller un peu vite : nous avons des relations avec une très importante association de défense des victimes des organisations sectaires - l'ancienne American Family Foundation, devenue International Cultic Studies Association -, qui m'a invité à prendre la parole aux États-Unis et qui organise tous les deux ans une conférence en Europe - la dernière s'est tenue à Madrid et la prochaine se déroulera à Bruxelles. Il y a donc aussi aux États-Unis des personnes engagées dans ce combat. Il est vrai qu'elles n'ont pas la vie facile, mais elles acquièrent une crédibilité par leur approche pratique et leur ouverture.

Mais globalement, je crois que les Américains considèrent que tant que cela rapporte des dollars au pays, il n'y a pas beaucoup de questions à se poser. N'oublions pas, en outre, qu'ils ont une vision globale de la politique extérieure, qu'il s'agisse de stratégie, de diplomatie, de défense, de commerce ou de droits de l'homme. C'est ce qui explique l'implication de certains diplomates en la matière.

Dans le cadre de la préparation du rapport américain sur les libertés religieuses dans le monde, depuis que le Centre existe, nous avons avec les représentants de l'ambassade des États-Unis en Belgique des contacts qui nous permettent de présenter différemment la situation dans notre pays, le rapport se rapprochant ainsi de plus en plus de la situation réelle.

M. Jean-Pierre BRARD : Figurez-vous comme nous sur la liste américaine des pays liberticides ?

M. Henri de CORDES : Non.

J'ai pu échanger très librement avec un responsable de ce rapport au département d'État. J'ai ainsi pu lui faire observer que la constitution de l'Afghanistan de Hamid Karzai faisait référence à la charia, au nom de laquelle un Afghan converti au catholicisme a récemment risqué la prison, ce qui m'a attiré une réponse diplomatique sur la nécessité d'avancer pas à pas...

M. le Rapporteur : J'insiste auprès de ceux de mes collègues qui en auraient la possibilité pour qu'ils se rendent à Bruxelles afin d'effectuer la très intéressante visite du Centre.

M. Henri de CORDES : Considérez que l'invitation a ainsi été lancée...

M. le Président : Je vous remercie infiniment d'avoir participé à cette audition.

Audition de M. Guy ROUQUET,
Président de l'association « Psychothérapie Vigilance »



(Procès-verbal de la séance du 12 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Nous allons entendre maintenant M. Guy ROUQUET, Président de l'association « Psychothérapie Vigilance ».

Je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, qui s'intéresse à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé tant physique que mentale des mineurs. Mais je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Guy Rouquet prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. Guy ROUQUET : J'ai bien noté que vos travaux portaient sur l'influence des mouvements à caractère sectaire et sur les conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs. Diverses circonstances m'ont conduit à m'intéresser à cette problématique, et c'est bien volontiers que je vais vous faire part de mes observations et réflexions.

Psychothérapie Vigilance existe officiellement depuis juillet 2001. L'association est au service des demandeurs de soins psychiques et, de façon privilégiée, des victimes de thérapies déviantes, abusives ou psychosectaires. La fréquentation de son site Internet, ouvert en février 2003, est en augmentation continue : le mois dernier, au cœur de l'été, 11 861 visiteurs ont été recensés. Mais l'association n'en tire pas gloire, car sa véritable ambition est de disparaître faute de victimes. Outre la dynamisation de son site, elle répond à de nombreux appels de détresse ou demandes de renseignements et fait remonter sans délai les informations sensibles dont elle dispose auprès de ses partenaires institutionnels ou associatifs français mais aussi étrangers, belges et suisses surtout.

L'association s'est édifiée à partir d'une épreuve familiale douloureuse pour les deux jeunes filles, deux sœurs, qui en ont été les victimes, mais aussi pour leurs parents qui ont tout mis en œuvre pour les délivrer de l'emprise morbide et mortifère qu'elles subissaient, dans une sorte d'état second généré par des thérapeutes œuvrant dans le cadre d'un vide juridique, pour faire des affaires mais aussi, pour reprendre le mot de l'un d'eux, pour « sauver le monde ».

Le désir de comprendre l'horreur dans laquelle ces deux êtres se trouvaient soudainement plongés nous a conduits, ma femme et moi, à faire des découvertes qui dépassaient leur situation. Ce qui paraissait une erreur de parcours, un dérapage localisé, était en fait le produit d'un système, d'une culture de groupe, d'une véritable organisation fonctionnant en réseau de type sectaire. Ce réseau étendait ses ramifications sur l'ensemble du territoire tout en ayant des points d'appui et des relais ou des donneurs d'ordre dans plusieurs pays étrangers.

Ainsi, l'analyse de la plongée dans l'abîme de Magali puis d'Alexandra livre des informations exceptionnelles sur le mode opératoire d'une organisation psycho-spirituelle hallucinogène qui s'intéresse à tout le monde, y compris aux jeunes enfants et aux adolescents. Ces informations ont été collectées sur une longue durée puisque tout a commencé en 1997, avec une dégradation brutale à partir de l'automne 1999.

Les pseudo thérapeutes qui sévissent dans le champ sanitaire et social ont plusieurs manières de s'attaquer aux jeunes : en s'adressant à eux directement ou en s'en prenant à leur famille - leurs parents comme leurs grands-parents, mais aussi leurs ancêtres ou aïeux accusés de tous les maux.

Les psychosectaires et charlatans de la santé ont pour cible essentielle la famille. Dans l'immense majorité, ils procèdent idéologiquement de ce qu'il est convenu d'appeler le New Age, qui annonce un changement complet de paradigme en 2012, l'ère astrologique du Verseau étant censée succéder alors à celle du Poisson au terme d'une « révolution silencieuse » qui aura mis fin à l'héritage judéo-chrétien, à celui des Lumières et à celui du communisme. L'ambition ultime des maîtres à penser et dépenser du Nouvel Âge est de prendre la terre entière dans ses filets pour en abolir les particularités et les particularismes. Ce projet global ou holistique est de nature totalitaire. Secrétant ses fils jour après jour, il est omniprésent sur Internet - la Toile... Ce n'est pas pour rien que l'araignée en est une figure emblématique...

L'histoire de Magali s'inscrit très largement dans la perspective de cet hypothétique monde nouveau dont l'avènement serait imminent. Elle a contribué à la création de Psychothérapie Vigilance. Mais celle-ci tient surtout au fait que, lorsque les parents ont tenté de comprendre ce qui leur arrivait, ils ont cherché aide et assistance auprès d'organismes existants - judiciaires, professionnels, associatifs - qui ont tous donné des éléments de réponse mais sans être en mesure de les éclairer pleinement ou d'arrêter la machine infernale qui menaçait de détruire leur famille. Pour pallier ces insuffisances, pour faire part de leur expérience, j'ai choisi de m'engager publiquement après avoir découvert avec effarement que, sur l'ensemble du territoire, de nombreuses familles se trouvaient dans une peine comparable et souffraient en silence, en se culpabilisant trop souvent, sans comprendre toujours qu'elles étaient les victimes d'un système odieux activé par des opérateurs tantôt illuminés, tantôt faussement naïfs, tantôt bricoleurs autoproclamés du psychisme, tantôt disciples appliqués de pseudo-écoles ou instituts autoréférents dispensant un enseignement truqué ou tronqué. « J'en sais dix fois plus que n'importe quel psychiatre en France », proclame par exemple un ancien technicien en informatique qui s'est « lancé dans la psychothérapie » en se déclarant du jour au lendemain spécialiste du trouble borderline ou trouble de la personnalité limite.

Au terme d'un parcours pseudo-thérapique qui a déréglé son horloge biologique, dégradé gravement son état de santé, altéré profondément son psychisme et arraché la plupart de ses racines psychoaffectives et relationnelles, Magali s'apprêtait à faire en catimini un voyage lointain. Les parents en ont appris la raison et la destination grâce au message laissé sur le répondeur d'une ADFI par son nouveau médecin traitant : « C'est le Docteur X à l'appareil. (....) J'ai un problème important avec une jeune fille qui veut partir, pratiquement seule et sous l'influence probable de quelqu'un, au Pérou pour un stage dit psycho-spirituel où j'ai appris que pendant quatre à cinq jours, ces gens jeûnent et consomment des plantes hallucinogènes avec, à la clé, un emprunt important pour partir. Alors je voudrais savoir si vous avez des renseignements à fournir sur ces stages au Pérou ».

La peur du gendarme et la vigilance des parents finiront par empêcher ce voyage. Mais le rouge est mis. Plusieurs années de recherches en résulteront, qui ont permis de faire des découvertes inouïes, toutes portées à la connaissance de la MIVILUDES, de la MILDT, du Ministère de la Santé et de l'UNADFI notamment.

L'endroit où devait se rendre Magali est un centre de désintoxication pour toxicomanes et alcooliques situé à Tarapoto, dans la haute Amazonie péruvienne. Son nom est Takiwasi, qui signifie en quechua « la maison qui chante ». Les fondateurs en sont deux Français : Jacques Mabit, médecin généraliste, et Dionisio Santos, guérisseur.

Selon M. Jacques Mabit lui-même, Takiwasi est né « d'une information irrationnelle », qui lui a été donnée « à travers une session d'ayahuasca », au cours d'une vision où des personnages qui formaient une sorte de jury lui ont dit : « Nous sommes les esprits gardiens de la forêt ». Ces esprits lui ont demandé ce qu'il voulait et pourquoi il se présentait devant eux. Après qu'il leur a répondu qu'il souhaitait apprendre leur médecine, les esprits « se sont consultés et celui qui était au centre lui a dit : Eh bien d'accord ! Tu es autorisé à pénétrer sur ce territoire. Mais voilà par quoi ça va passer, voilà ce que tu vas devoir faire. Et là, je me suis vu moi-même traiter les toxicomanes. »

Ayahuasca : le mot désigne tout à la fois une liane et une décoction dont elle est la principale composante. Les propriétés hallucinatoires en sont connues depuis longtemps par les toxicologues et pharmacologues. Les effets en sont puissants, comparables à ceux du LSD. Depuis le 3 mai 2005, le produit est classé comme stupéfiant en France. Dès le lendemain de la publication de l'arrêté au Journal Officiel, M. Christian Cotten, psychothérapeute, signait un article dont le titre livre cette équation : « L'Ayahuasca enfin interdite ! La chasse aux sectes continue ! ». M. Christian Cotten ne fait pas mystère de sa farouche opposition à la loi « About-Picard » ; vous en connaissez les raisons depuis la lettre qu'il a adressée à chacun de vous le 5 mars 2004. Selon ses propres termes, « la secte est un cadre d'amour, un cadre de ressourcement, le cocon dont chaque être humain a besoin ; elle est garantie de la liberté ; les sectes inventent un nouveau monde ». M. Christian Cotten connaît fort bien M. Jacques Mabit. Il était à ses côtés, en avril 2004, lors du Congrès organisé à Lyon par Takiwasi. Il associe l'ayahuasca à des pratiques sectaires, étant bien entendu que, pour lui, la secte est le seul refuge auquel puissent avoir recours les Français dans le « chaos » général.

À Takiwasi, et dans des centres comparables dits de désintoxication ou de « réappropriation de ses ressources », on n'hésite pas à faire prendre de la drogue à quelqu'un qui n'en a jamais pris ou à faire ingérer un produit nouveau à un toxicomane invétéré pour lui faire découvrir son « maître intérieur ». On y fait croire que la boisson hallucinogène ne donne pas des hallucinations mais bel et bien des « visions » donnant accès au monde des esprits et des puissances surnaturelles. On y récuse le terme d'hallucinogène au profit de celui de « lucidogène », mieux de « divinogène », mieux encore d'« enthéogène », car « générant le sentiment du divin, la vision de dieu en soi et, tant qu'à faire, la découverte que l'on est soi-même dieu ». Ainsi, l'ayahuasca possède un esprit qui parle, qui enseigne, qui met en contact avec l'univers. C'est une plante visionnaire, qui voit et donne à voir ; son esprit est inséparable de celui du serpent cosmique, celui-là même dont l'anthropologue Jeremy Narby parle longuement dans son livre éponyme publié en 1995. Livre des plus éclairants sur les croyances chamaniques amérindiennes et le rôle de l'anaconda en question dans la transmission du savoir aux hommes, créatures que le reptile méprise souverainement.

Plante dite sacrée, qualifiée de « médecine féminine », l'ayahuasca donne une boisson sacrée, et même sacramentelle comme dans l'église de Santo Daime, qualifiée de « secte hallucinogène » par Diana Alicia Castilla, journaliste argentine qui en a été victime avec sa fille au Brésil. M. Jacques Mabit entretient avec cette secte des relations suivies ; c'est d'ailleurs lui qui a initié au Pérou M. Claude Bauchet, le fondateur de l'église francilienne de Santo Daime où la prise ritualisée d'ayahuasca tient lieu d'eucharistie.

Takiwasi suscite aujourd'hui l'inquiétude de la MIVILUDES. Depuis sa création, Psychothérapie Vigilance n'a eu de cesse de l'informer, ainsi que la MILDT, de ses découvertes et interrogations au sujet de Takiwasi. La preuve par l'image a été apportée par un film d'Armand Bernardi intitulé L'ayahuasca, le serpent et moi que, sans le signal d'alerte émis par l'association auprès des présidents du CSA et de France 5, cette dernière aurait diffusé au printemps 2004. Je vous conseille vivement de visionner ce film de propagande, dont le scénario et la mise en images ont été minutieusement travaillés pour séduire le téléspectateur, dédouaner le centre, alors en butte à des démêlés judiciaires et, bien évidemment, galvaniser ses agents recruteurs français, belges et suisses plus particulièrement.

Dépourvu de toute distance critique, le film met en scène deux jeunes Français, l'un qui arrive à Takiwasi, l'autre qui s'apprête à en repartir. Souffrant d'une « névrose relationnelle », Flavien suit une psychothérapie. Rien n'est dit sur la façon dont il a entendu parler de Takiwasi. Rien n'est dit non plus sur la manière dont le traitement dit de réhabilitation qui y est dispensé s'inscrit dans le prolongement de sa psychothérapie. Il n'est pas toxicomane, mais va entreprendre « une courageuse quête de soi-même » en recourant à l'ayahuasca, « plante qui va exiger son engagement total, breuvage pouvant s'avérer dangereux s'il n'est pas manié par un guérisseur qui maîtrise les états modifiés de conscience ». Quant à Rafel, il s'apprête à regagner la France après avoir passé un an à Takiwasi, où il est entré pour toxicomanie. Rien n'est dit non plus sur les circonstances qui l'y ont conduit. En revanche, au fil d'un discours exalté et plein de contradictions, il parle de « sentiments remués et de prises de conscience » obtenues durant les sessions d'ayahuasca, ce que les explications d'un psy n'auraient jamais opéré en lui.

Bien sûr, quelle que soit la nature ou la réalité de l'appel ayant suscité la vocation de celui qui décide de s'y consacrer, travailler avec les toxicomanes est une entreprise louable. Mais Magali n'était pas toxicomane, Flavien non plus. Or ce jeune homme, qui se dit épuisé après avoir jeûné et pris de violentes plantes purgatives, hurle de douleur sous l'effet de l'ayahuasca, scène d'autant plus atroce que collective. En proie à la torture physique, à une « énorme angoisse » et à des hallucinations épouvantables, le groupe offre le spectacle poignant et pitoyable d'une assemblée expérimentant une longue crise de delirium tremens que chacun des participants traverse isolément.

Comment Flavien, qui n'est ni drogué ni alcoolique, peut-il être soumis au même traitement que Rafel, au long passé de toxicomane ? Rafel qui, avant son retour supposé pour la France, est déclaré guéri par la commentatrice des images : « Rafel vient de pratiquer son dernier rituel : celui de la terre. Sa désintoxication est terminée ». Consommateur de drogues dures depuis des années, Rafel est censé subir une initiation authentique car, d'après le docteur Mabit, « selon les guérisseurs, un toxicomane tente de renouer avec les rites ancestraux perdus dans notre société. Pour combler ce vide, il utilise la drogue. Mais cette tentative - sauvage et sans guide - conduit à la destruction. Ainsi la démarche toxicomane serait une initiation inversée que le guérisseur remplace par une initiation authentique, grâce au rituel de la plante ayahuasca. » Je vous laisse évaluer la portée de pareils propos. Pour ma part, je relève simplement que Flavien a été conduit à se droguer pour guérir d'une « névrose relationnelle » et que Magali était conditionnée à suivre le même chemin pour trouver le bonheur en répondant enfin, au terme de trois années de soi-disant thérapie, « Je suis » à la question : « Qui suis-je ? ». Voilà qui rappelle le passage de la Bible où Dieu se révèle à Moïse : « Je suis Celui qui suis »... Le New Age fait son nid dans le bénitier des églises, c'est son droit, mais il éprouve un malin plaisir à brouiller les repères : le Christ y devient cosmo-planétaire, la Vierge un substitut de la Dame blanche, celle des forêts primordiales comme des routes bien de chez nous.

Enthéogène donc, comme le peyotl, le LSD, les champignons magiques mais aussi l'iboga, au sujet de laquelle Psychothérapie Vigilance a attiré l'attention des pouvoirs publics après avoir constaté que le docteur Mabit s'y intéressait depuis longtemps. L'iboga qui, avant l'ayahuasca, a fait l'objet d'un film du même réalisateur intitulé Les Hommes du Bois sacré. Mais l'iboga est classée comme stupéfiant en Suisse, en Belgique, aux États-Unis et, d'après nos informations, en passe de l'être en France. Sa promotion en France est une copie conforme de celle de l'ayahuasca. L'iboga enfin, qui a défrayé la chronique cet été après le décès subit d'un jeune Alsacien lors d'un stage se déroulant en Ardèche.

Psychothérapie, médecine traditionnelle, purges, ingestion de puissantes drogues hallucinatoires, anthéogènes, plantes de savoir et de pouvoir, visions sacrées, esprits gardiens de la forêt, serpent cosmique, initiation authentique, jeunesse, France, Pérou : mélange de mots à la fois étonnant et détonant qui vous parle sans doute comme il nous a parlé.

J'en viens aux enfants et aux adolescents auxquels, je l'ai dit, l'organisation psychosectaire hallucinogène mise à jour s'intéressait, comme à tout le monde. L'adolescence est un état relatif, aux frontières élastiques, qui suit la puberté et précède l'âge adulte. Pour sa part, le mot « mineur » a une définition juridique : moins de dix-huit ans en France.

Dans le dossier que je vous remettrai figure un bulletin d'inscription à un « Séjour pour adolescents et jeunes adultes (de 14 à 18 ans) », alors que, par définition, le jeune adulte ne saurait avoir moins de dix-huit ans. Programmé du 8 au 18 juillet 2001 par La Maison qui chante. Son but, mis en évidence dans un encadré, était : « Pour un passage vers la vie d'adulte, faire l'expérience de la médecine traditionnelle amazonienne au Centre Takiwasi ». Au programme: trois sessions d'ayahuasca. Le bulletin précisait que l'accompagnement se ferait à partir de Paris par deux thérapeutes. Le prix du séminaire était de 5 500 francs, voyage non compris.

Curieux projet : des mineurs sont incités à prendre de l'ayahuasca sans que soient précisés la nature du produit, ses puissants effets hallucinatoires et ses risques pour la santé mentale, physique et psychologique. Le simple fait d'avoir entre quatorze et dix-huit ans est considéré comme un état pathologique, puisque des médecins dits traditionnels vont le traiter pour aider le sujet à effectuer son passage vers la vie adulte, âge censé être celui de l'équilibre et de la sérénité.

L'une des accompagnatrices était Mic, la psychothérapeute de Magali. Psychothérapie Vigilance a pu établir la liste des jeunes participants parmi lesquels se trouvait Rafel. D'après nos informations, il n'avait que dix-sept ans à l'époque, d'autres participants, encore plus jeunes, l'entouraient pour effectuer, en l'espace de dix jours, leur « passage vers la vie adulte ». Or, dans le film, Rafel révèle qu'il vient de passer un an à Takiwasi. Ce qui montre qu'après avoir été convaincu de s'y rendre une première fois, loin de ses parents, de sa famille et de sa patrie, on y est conditionné pour y faire de nouveaux séjours, de très longue durée, en fonction de ses revenus ou de ses économies.

En juillet 2002, alors qu'un nouveau séjour était programmé dans des conditions identiques, les autorités judiciaires sont intervenues pour l'empêcher. Se sentant surveillé, le centre a changé de stratégie. Mais les enfants et les adolescents intéressent toujours le docteur Mabit et consorts, semblant constituer pour eux un champ d'expérience particulièrement fécond. Le 9 septembre 2006, dans la rubrique « Dates et tarifs » du site Internet de Takiwasi, figurait cette mention: « Européens jeunes adultes (jusqu'à 25 ans) : 1 100 dollars américains », qu'il convient désormais de verser sur le compte de Takiwasi au Pérou, en ajoutant 22 euros de frais bancaires. L'âge minimum requis n'est pas précisé...

Notre association est en pointe sur ce sujet ; c'est volontiers que je répondrai à vos questions éventuelles. Pour l'heure, je voudrais m'attacher à vous décrire le mécanisme mis en œuvre par les psychosectaires que nous avons été amenés à étudier, qui ne se limitent pas à recruter pour Takiwasi ou pour un centre amazonien comparable. Pour modifier les états de conscience, les manipuler, les asservir, il y a par exemple la respiration holotropique de Stanislav Grof qui a longtemps expérimenté le LSD dans l'Europe de l'Est avant de partir aux Etats-Unis où ses travaux ont beaucoup intéressé la CIA. L'homme considère que sa technique permet d'obtenir des résultats supérieurs à ceux procurés par le seul enthéogène d'origine synthétique. Lui et le docteur Mabit se connaissent.

Cela étant, la manipulation psychologique peut être pratiquée sans recourir aux drogues hallucinogènes. Du reste, les effets de la « potion magique » sont violents, toxiques et dommageables mais transitoires ; la pensée magique, elle, plonge le client du psychosectaire dans la glue des thérapies empoisonnées : le client y devient un disciple puis un adepte et un agent zélateur qui, comme le disait le journal interne d'une organisation opposée à la réglementation du titre de psychothérapeute, veut « promouvoir la psychothérapie sur les cinq continents ». D'ailleurs Mic, la thérapeute illuminée et hallucinée de Magali, enseigne à ses ouailles : « II faut ratisser tout le monde » et « Tout le monde a besoin d'une psychothérapie ».

M. le Président : Je pense que chacun a bien compris que Takiwasi posait problème, je vous propose donc de nous expliquer maintenant de manière plus générale ce que fait votre association.

M. Guy ROUQUET : J'ai fini sur Takiwasi, mais je souhaitais vous dire un mot des mécanismes.

Le mécanisme, la pompe aspirante si vous préférez, existe depuis au moins vingt ou trente ans, avec des variantes plus ou moins élaborées. Les victimes en sont innombrables, plusieurs dizaines de milliers, qui ne savent d'ailleurs pas toutes qu'elles le sont, attribuant à leur propre nature ou à leur mauvaise volonté l'échec de la thérapie, le mal-être dont elles continuent de souffrir, l'aggravation de leur état. L'un des signes de reconnaissance de celui que j'appelle le « dérapeute » est de culpabiliser le patient, de l'humilier au besoin, d'aller même jusqu'à s'en débarrasser en jouant avec ses pulsions suicidaires, voire en le poussant carrément au suicide.

Mais combien sont-ils à se comporter ainsi, ni vus ni connus, en marge de la loi ou en infraction vis-à-vis d'elle, sans avoir de compte à rendre jamais à personne et encore moins à leur conscience qui, une fois pour toutes, a décidé que la fin justifiait les moyens ? Fin qui n'est pas la guérison du patient mais son exploitation cynique. Mme Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, a déclaré publiquement à M. Jean-François Mattei, alors ministre de la santé : « J'ai lu toutes sortes de rapports, mais franchement, personne à ce jour n'a étudié sérieusement l'histoire des psychothérapies en France. Il est évident que sur les 30 000 psychothérapeutes, peut-être un tiers sont infiltrés pas des sectes. » Un tiers, soit 10 000. Si l'on estime, dans une hypothèse très basse, qu'un psychothérapeute a une trentaine de clients, cela fait, bon an, mal an, trois cent mille personnes, toutes en contact direct avec un psychosectaire. Savent-elles qu'elles sont manipulées et instrumentalisées ? Savent-elles que leur liberté est aliénée ou sous contrôle ? Si elles l'ignorent, sont-elles en mesure de porter plainte ? Doit-on les considérer néanmoins comme des victimes ? Pour l'instant, la loi dit non. Aussi convient-il de la modifier sans délai.

Parmi ces victimes, combien de mineurs ? Incontestablement plusieurs milliers, qui le deviennent parce que les parents, en fait généralement la mère, conduit son fils ou sa fille chez un thérapeute dont elle a entendu dire monts et merveilles par une voisine ou dont elle a découvert le nom dans les Pages Jaunes, grâce à un encart dans un magazine grand public ou en surfant sur Internet, avec ses milliers de pages constellées de poudre de perlimpinpin. Plus que l'adulte, le mineur est vulnérable dans cette partie de poker menteur où les vrais-faux thérapeutes reçoivent en blouse blanche ou bien à la bonne franquette, en invoquant les esprits ou en affichant des certificats européens ou galactiques, en critiquant la science, l'Académie de médecine, le savoir universitaire, ou en réduisant les psychologues et les lieux de soins à un « monde de psychobrutes ».

Et les parents de découvrir, grâce à une batterie de tests illusoires, que leur fils ou leur fille est un enfant indigo, que leur rejeton n'est pas paresseux ou hyperactif mais précoce, pour ne pas dire surdoué et que, en conséquence, il convient de le déscolariser sans attendre pour suivre un enseignement adapté à son intelligence supérieure, à son génie méconnu. Où ? « Mais chez moi, voyons. Je suis un spécialiste, j'ai une solution adaptée, j'ai tout ce qu'il vous faut. Vous avez confiance en moi, n'est-ce pas ? Grâce à moi, vous savez qui est votre enfant ». Impressionné, félicité, parfois caressé, comment le mineur se révolterait-il ? Il est doublement soumis : à la volonté de ses parents d'abord, qui, en principe savent très bien ce qu'ils font et qui agissent pour son bien ; à l'autorité du thérapeute ensuite, qui a réponse à tout et fait copain-copain. Les enfants dépendent de leurs parents. Ce n'est pas de leur propre initiative, après avoir rêvé devant une mappemonde, que les mineurs de juillet 2001 et 2002 ont trouvé le nom de Tarapoto et résolu de s'y rendre en cassant leur tirelire...

Psychothérapie Vigilance a connaissance aussi de nombreuses histoires où la famille a été l'objet d'une véritable entreprise de démolition opérée par des pseudo-thérapeutes, généralement New Agers et sectogènes. Suite à un accident de la vie, parfois un simple incident d'ailleurs, un membre de la famille consulte un « psy », celui qu'il croit être un professionnel qualifié, sans savoir ce que le vocable désigne. C'est alors l'enfer qui entre dans la maison, dont les enfants subissent les effets parce que le père ou la mère a été incité à « lâcher prise », ce qui en l'espèce signifie abandonner son foyer ou démissionner de son travail, voire les deux, pour enfin vivre sa vie... Outre cette forme de déresponsabilisation parentale, il y a parfois l'infantilisation d'un parent, qui se constate par sa régression morale, intellectuelle et sociale après que le pseudo-thérapeute lui a demandé de retrouver l'enfant en lui. Dans les deux cas, la cellule familiale devient pathologique et pathogène ; déstructurée, désorientée, parfois dépouillée, elle devient la proie de la secte qui, souvent, en sous-main, a fait en sorte qu'il en soit ainsi.

M. le Président : Je vous invite vraiment à conclure car à défaut nous n'aurions pas le temps de vous poser des questions, ce qui serait dommage pour votre association. Vous traitez de problèmes humains très importants que vous connaissez fort bien.

M. Guy ROUQUET : Pour conclure, je formerai trois vœux.

En premier lieu, les décrets d'application destinés à réglementer l'usage du titre de psychothérapeute n'ont pas encore été publiés. Plus de deux ans se sont écoulés depuis que le Parlement a voté la loi. Pourquoi cette carence ? Le ministre de la santé a voulu s'emparer personnellement du dossier. Le 7 avril 2006, il a présenté une proposition qui a fait la joie des personnes et structures que la loi combattait pour assainir un tant soit peu certains secteurs du champ sanitaire et social, mais, ce faisant, il a aussi soulevé d'indignation les associations de victimes de sectes comme tous ceux qui se sont mis au service des victimes de thérapies déviantes, abusives et psychosectaires. Le 9 avril, par lettre, Psychothérapie Vigilance a exprimé son « désarroi » et son « effarement » et retiré le soutien qu'il avait apporté au premier avant-projet de décret, qui était, lui, respectueux de la lettre et de l'esprit de la loi. Mon association vous invite donc à interroger directement le ministre de la santé à ce sujet.

En deuxième lieu, la notion de victime soulève un problème juridique. Alors que les parents sont responsables de leurs enfants majeurs quand ces derniers sont en infraction, ils n'ont en revanche pas voix au chapitre si ces mêmes enfants sont pris dans l'engrenage sectaire ou psychosectaire, car l'abus d'ignorance ou l'état de faiblesse n'est pas encore pris en compte par les magistrats, qui ont du mal à l'établir et sont enclins à abandonner la partie sous les coups de boutoir de la défense. Il est vrai, comme l'a fort bien écrit le père Jacques Trouslard, que les prétoires sont des tribunes pour les sectes et que ces dernières sont solidaires dans la tempête. « Qui en choque un, se les jette tous sur les bras ; et ceux que l'on sait même agir de bonne foi là-dessus sont toujours les dupes des autres » fait dire Molière à Dom Juan à la scène 2 de l'acte V, ajoutant même : « Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. »...

La notion de victime demande à être élargie, comme du reste les délais de prescription. Il faut y travailler, faciliter les démarches des plaignants, qui, paralysés par l'enjeu, soumis à mille pressions, inquiets par les frais occasionnés, renoncent à poursuivre. Permettez-moi une évaluation : une personne sur cent expose par écrit la tragédie dans laquelle elle est plongée ; sur cent dossiers portés à la connaissance des associations ou organismes de lutte et de vigilance, un seul fera l'objet d'une plainte en bonne et due forme ; sur cent plaintes déposées, une seule sera véritablement suivie d'effet, avec un accès aléatoire au tribunal. Modifier la notion de victime, l'élargir à la parenté - parents mais aussi grands-parents -, bien sûr en prenant des précautions, permettrait à la société de se rendre compte de l'ampleur du phénomène et de combattre l'idée que véhiculent vos adversaires, à savoir que les victimes n'existent que dans notre imagination. Dans l'immédiat, c'est d'aide et d'assistance à personne en danger ou en grande détresse qu'il s'agit ; à court terme, de l'avenir de notre démocratie et des valeurs qui nous rassemblent et qui ont présidé à la création de votre commission. C'est pourquoi, outre la modification de la notion de victime, Psychothérapie Vigilance interpelle l'État à travers vous pour qu'il réfléchisse à la constitution progressive, dans chaque région puis dans chaque département, d'une structure officielle à même de soutenir les victimes - au sens large - dans leurs démarches et d'éclairer les magistrats et officiers de police judiciaire sur le mode opératoire des professionnels de la désinformation, de l'infiltration et de la manipulation mentale que nous combattons. Des cellules de vigilance existent déjà mais pas partout. Leur rôle est remarquable. Mais il faut aussi créer des cellules permanentes de défense, d'assistance et d'information, spécialisées en victimologie, intégrant des médecins, des psychologues, des avocats, des représentants d'associations engagées sur le terrain, voire de particuliers aux compétences reconnues. Dans cette même dynamique, il faut faire en sorte que le Conseil national de l'Ordre des médecins ne désavoue pas autant qu'il le fait actuellement les instances régionales qui se sont prononcées dans leur commission disciplinaire ; la relaxe pure et simple y est trop souvent décidée en appel. Un code de déontologie existe. Il n'est pas admissible que des professionnels de la santé le méconnaissent, n'en tiennent pas compte ou n'en fassent pas respecter les articles. Pour compléter le dispositif, il paraît non moins capital que le code de déontologie des psychologues, dont le titre est protégé et la formation réglementée, soit agréé au même titre que celui des médecins. L'état des lieux nécessite des mesures d'urgence : la situation n'est pas grave, elle est pire.

Enfin, je m'étonne d'entendre certains d'entre vous dire parfois qu'il n'y a pas de définition juridique de la secte. Le Dictionnaire de la culture juridique en cerne très bien les contours. Au demeurant, si le terme même de secte n'est pas défini, l'adjectif qui en découle ne saurait l'être non plus. Aussi, de grâce, faites en sorte que ce terme soit enfin défini pour ne pas laisser le champ libre à vos détracteurs, qui agitent comme des colifichets les termes de nouvelles spiritualités ou de nouveaux mouvements religieux dont vous savez les atteintes à la liberté de conscience qu'ils commettent, la nature des rapports qu'ils entretiennent avec l'argent et le pouvoir de coercition et de corruption qu'il leur donne.

M. le Président : Merci beaucoup.

Votre association est-elle en mesure de donner une estimation plus précise du nombre de ces psychothérapeutes que vous dénoncez et des personnes qui viennent les voir ?

M. Guy ROUQUET : Les associations, syndicats et fédérations dits de psychothérapeutes donnent des indications à géométrie variable en fonction des événements, des pressions qu'ils vont vouloir exercer sur le public comme sur vous-mêmes d'ailleurs ; le ministère de la santé lui-même est incapable d'être plus précis. C'est à partir de l'évaluation d'Élisabeth Roudinesco que je suis parvenu à celle de 10 000 psychosectaires diffusant chaque année au moins auprès de trente clients, quand ce n'est pas une centaine, leurs théories empoisonnées. On commence par les Fleurs de Bach et on finit parfois par se retrouver au Pérou, au Gabon, au Nouveau Mexique ou au Québec.

Ils séduisent les personnes, appâtent les poissons ici, font en sorte qu'ils quittent leur environnement, les eaux territoriales, et les ferrent ailleurs. Ils les renvoient ensuite dans leur pays d'origine pour en faire des poissons pilotes. Les requins suivent, parfois les poissons pilotes se transforment aussi en requins.

Takiwasi est un cas d'école : il ne s'agit pas seulement du docteur Mabit, mais de 300 ou 400 personnes en Europe, y compris un grand nombre de formateurs de formateurs. Ainsi, Mic forme à son image des formateurs qui vont former à cette image des gens comme elle. Sous prétexte de sauver le monde, le New Age a des cibles particulières et l'analyse de ce mouvement donne une bonne grille de lecture du phénomène. Il faut aussi savoir que de nombreux mouvements, parfois extrêmement connus, tirent les ficelles. Le système Gurdgieff utilise les hallucinogènes. La psychiatrie spirituelle, aujourd'hui dissoute, était une association newager. Il y a une véritable entreprise de démolition de la famille, cellule de base de la société.

M. le Président : Quelle est la position de votre association quant à l'amendement Accoyer ?

M. Guy ROUQUET : Nous étions tout à fait d'accord avec la première version, jugeant toutefois que l'idée d'accréditer tous ceux qui avaient au moins cinq ans de pratique était catastrophique dans la mesure où les gens que j'ai cités sont sur le terrain depuis au moins vingt ans. J'avais signé un article dans le Figaro à ce propos.

Les techniques se multiplient : on a parlé de 200, mais on en recensait déjà 400 il y a dix ans à San Francisco... Chaque thérapeute invente la sienne, mais nous nous apercevons qu'ils sont tous en relation et qu'il existe une véritable culture de groupe autour d'un projet holistique qui vise à prendre tout le monde dans ses filets.

Bien évidemment, les enfants sont concernés : parfois les enseignants eux-mêmes conseillent d'aller voir un « psy » sans savoir exactement ce que cela veut dire car, si les psychiatres sont des médecins spécialisés, s'il existe parmi les psychologues des cliniciens qui ont fait cinq ans d'études, ce sont les psychanalystes qui posent problème dans la mesure où l'on peut s'autoproclamer tel. C'est cette difficulté que l'on retrouve avec l'amendement Accoyer. Dans la perspective de l'application de la loi, des associations de psychothérapeutes ajoutent « et de psychanalystes » à leur raison sociale, au risque d'être victimes d'un entrisme. C'est pourquoi nous attendons avec impatience des décrets d'application rigoureux et pourquoi nous nous insurgeons contre la volonté du ministre de la santé d'accréditer tous les psychothérapeutes en exercice.

Ce serait en effet une catastrophe. Mic, la psychothérapeute dont je vous ai parlé, a formé des dizaines et des dizaines de personnes à son image, qui toutes veulent sauver le monde, qui n'ont aucune formation en psychopathologie et qui diffusent une idéologie fumeuse.

M. le Président : Soyez assurés que nous sommes, comme vous, vigilants quant aux décrets d'application.

M. le Rapporteur : Merci pour votre exposé, qui était aussi un témoignage militant ainsi qu'une charge très forte contre la psychothérapie.

M. Guy ROUQUET : Mon propos n'était absolument pas dirigé contre la psychothérapie, qui est un soin, mais contre les psychothérapeutes non réglementés.

M. le Rapporteur : Je crois, en effet, qu'il est important de rappeler que la psychothérapie est utile. Comme toutes les professions, celle-ci compte un certain nombre de « faisans », mais il faut faire la part des choses et éviter de généraliser.

Si j'ai bien compris, vous considérez qu'environ 10 000 psychothérapeutes poseraient problème, qui auraient un projet sournois et une stratégie globale. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?

Par ailleurs, je comprends bien qu'il est difficile de dire combien de mineurs sont directement concernés par ce phénomène, mais il s'agit du sujet de nos travaux et le nombre même des connexions sur votre site Internet est impressionnant. Là aussi, avez-vous quelques précisions à nous apporter ?

M. Guy ROUQUET : Je l'ai dit, Mme Élisabeth Roudinesco estime à 30 000 le nombre des psychothérapeutes, mais on assiste actuellement à une prolifération extraordinaire, sans doute afin de mettre les pouvoirs publics devant un fait accompli au moment de l'application de la loi. Des gens sentent qu'ils vont perdre leurs sources de revenus, et puis leurs écoles dans lesquelles ils dispensent cette culture groupale. On pense qu'ils sont autour de 15 000. Nous savons combien chaque « psychothérapeute » (ou « dérapeute ») fixe à peu près de personnes.

M. le Rapporteur : L'intérêt financier de ces personnes est évident. Savez-vous combien coûte en moyenne une séance ?

M. Guy ROUQUET : Autour de 40 ou 50 euros, généralement versés en espèces ou par le biais d'un chèque sans ordre. La durée du cycle est souvent de neuf mois, avec un nombre variable de consultations individuelles ou de séminaires. Bien sûr, à l'issue de cette période, on vous dit souvent que les choses n'ont pas bien fonctionné et qu'il faut suivre un nouveau cycle. Ce sont des séminaires, mais il peut y avoir des thérapies de groupe, des consultations individuelles. C'est presque à la carte.

Dans le cadre de l'emprise sectaire, si une personne vient consulter, par exemple parce qu'elle est timide, même s'il ne s'agit pas d'une maladie, le « thérapeute » entreprend de la soigner quand même ; il arrive souvent à la déstabiliser en profondeur, lui révélant un « malheur » dont elle va chercher à s'affranchir par le suicide. Pour Alexandra, ceci a pu être empêché.

M. le Rapporteur : Avez-vous plus d'informations sur les suicides d'adolescents provoqués par des thérapies déviantes ?

M. Guy ROUQUET : Les obtenir supposerait que nous disposions de pouvoirs de justice et de police. Nous avons toutefois de nombreux témoignages, comme celui d'un adolescent qui, de retour d'un stage en forêt, a dit à ses parents avoir « accouché d'un être nouveau », puis qui a perdu complètement pied et qui s'est suicidé moins d'un an après...

Je parlais à l'instant d'un cycle de neuf mois : ce n'est pas par hasard ; c'est le temps de la gestation. Au terme de ces neuf mois, un être nouveau apparaît. Au cours de ces « thérapies », on met en œuvre des techniques destinées à « déconditionner des programmes inscrits en vous depuis la petite enfance ». On instille ainsi le doute dans l'esprit de l'enfant ou de l'adolescent, on l'interroge sur son univers, on le fait travailler sur son père, sa mère, sa sœur. On lui montre que son père, ce héros, a bien quelques défauts ; à partir de là, on en fait insensiblement un monstre et la rupture s'opère. De même, on fait en sorte de tuer la mère biologique : ainsi, Mic est devenu la « vraie » mère de Magali... Telle autre jeune victime d'une thérapie psycho-spirituelle a reproché à sa mère, qui l'avait eue après une fausse couche, de l'avoir enfantée dans un tombeau... Un jeune père nous a appelé parce que son épouse avait « découvert » à l'occasion d'une pseudo thérapie, qu'ils avaient été frère et sœur dans une vie antérieure et que leur enfant était donc le fruit d'un inceste. Vous imaginez l'horreur dans la famille.

Mme Claude Delpech vous a déjà parlé des faux souvenirs induits, mais les pseudo-thérapeutes font remonter encore plus loin que la prime enfance ; les faux souvenirs, c'est aussi se souvenir de ce qu'on ressentait lorsqu'on était dans le ventre de la mère, par exemple, au stade du fœtus. Des jumelles naissent. On demande à la deuxième : « Souviens-toi des fesses de ta sœur quand tu sortais du ventre de ta mère ! ». Des techniques puissantes permettent même de remonter dans des vies antérieures, montrant ainsi que votre mal-être est dû à un karma, une malédiction, une sorte de fatalité, que votre arrière arrière-grand-mère dont vous n'avez jamais entendu parler avait été violée par son grand-père, que vous avez déjà assassiné quelqu'un, qu'une malédiction frappe toute votre famille depuis des générations. Le thérapeute-gourou « newager », lui, a assisté plusieurs fois à la passion du Christ dans les vies antérieures ou c'est un avatar de Toutankhamon. Bien évidemment, cela lui confère un certain charisme.

C'est pour toutes ces raisons que nous voulons que l'on dise exactement de quoi il s'agit quand on parle de « psy ». Le psychothérapeute doit être un médecin ou un psychologue, mais pas quelqu'un qui vient de nulle part tel en faisant sien le mot de Lacan - qui, lui, était intelligent, c'est toute la différence ! - « Vous avez mal au genou ? c'est que vous avez un je coincé dans le nous »... Tout cela se fait très insidieusement, comme le poison qu'une seule fourmi rapporte et qui contamine toute la fourmilière, mais en l'occurrence, la fourmilière est notre société.

M. Jacques MYARD : Nous avons déjà été confrontés à ces techniques qui jouent sur la naïveté et la fragilité.

M. Guy ROUQUET : À partir de l'idée que tout être humain peut-être déprogrammé et reprogrammé, elles sont fondées sur la recherche des « blessures » de la personne. La première blessure étant la naissance, la preuve en est que l'on a crié. À partir de là, on cherche à lui faire retrouver ce cri initial. C'est la technique du rebirth, dont on a préconisé l'interdiction à tous les États-Unis d'Amérique suite à quatre décès. Les personnes étouffent sous un oreiller, sous des couvertures ; on leur fait croire qu'elles étaient dans le ventre de leur mère. À la fin, « au bout de neuf mois », le jeune prend une goulée d'un air et se jette dans les bras de la thérapeute en criant « maman ! »... La perversion dans le cas de Mic, c'est que pendant tout le processus d'« enfantement » supposé, deux assistantes chantaient des psaumes.

M. Serge BLISKO : Vous nous avez décrit avec passion un certain nombre de phénomènes, insistant beaucoup sur la volonté - vous avez employé le terme « holistique » -mais moins sur une chose qui paraît pourtant évidente : l'esprit de lucre.

On peut d'ailleurs s'interroger sur l'origine sociale des jeunes mineurs dont on abuse de la faiblesse pour capter l'argent de la famille.

M. Guy ROUQUET : Le chiffre d'affaires généré par ces pratiques est considérable.

Le « patient », adulte comme enfant, est à la fois un cobaye et une vache à lait. Bien évidemment ce qui génère de toute cette démarche, dans une large mesure, en dehors de ce que j'ai signalé, et qui est extrêmement important et dangereux pour la démocratie, c'est cette dimension mercantile. Qui paye ? Ce n'est pas l'enfant. En même temps, tout dépendra des âges. Parfois, les parents sont déjà pris dans le système, parfois ils financent des stages ou les voyages du jeune, parfois on demande aux adolescents de gagner eux-mêmes de l'argent, souvent à l'insu de leurs parents, pour payer leur « thérapie », en lavant des voitures ou en faisant la plonge.

Nous avons affaire à des gens très habiles qui sont toujours, au regard de la loi, sur le fil du rasoir. C'est pour cela que le travail de prévention, d'information doit être d'abord dirigé vers les parents. Tel est le rôle de notre site Internet : informer à n'en plus finir les parents.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir participé à cette importante audition, qui a grandement éclairé notre commission d'enquête.

Nous veillerons à ce que des informations nous soient apportées sur les décrets d'application et vous serez bien sûr informés de la suite de nos travaux.

Audition de Mme Homayra SELLIER,
Présidente de l'association « Innocence en danger »



(Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. Georges FENECH, Président : Je vous remercie, madame la Présidente, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête et souhaite vous informer au préalable de vos droits et obligations.

Je vous rappelle, tout d'abord, qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privation ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Homayra Sellier prête serment)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Madame la Présidente, vous avez la parole.

Mme Homayra SELLIER : Je suis la fondatrice d'« Innocence en danger », une association qui a été créée en 2000 à Paris, à la suite d'une année de travail avec l'UNESCO. Devenue indépendante de tout organisme en mars 2000, elle a aujourd'hui des bureaux en France, à Toulouse et à Paris ; elle est également active dans d'autres pays : la Suisse, l'Allemagne, bientôt l'Angleterre, les États-Unis, l'Ukraine, etc.

Notre mission est la protection des droits des enfants contre les abus et l'exploitation sexuels aussi bien sur Internet qu'hors ligne. Nous sommes indépendants entre les divers bureaux que nous avons dans le monde.

Je ne suis pas sûre de connaître exactement la raison de mon audition, si ce n'est l'existence d'un dossier que nous avons eu à traiter. Mais comme votre commission travaille sur les sectes, je voudrais vous faire part d'une expérience personnelle dont j'ai été le témoin direct avant même la naissance d'« Innocence en danger ». Ce devait être en 1996.

Une amie m'avait invitée alors à participer à une soirée sur la médecine parallèle. J'ai appris par la suite que cette soirée était animée par Luc Jouret, le numéro 2 de l'Ordre du temple solaire. On y parla bien de la médecine parallèle, mais j'ai compris qu'il était question d'autre chose. J'ai été choquée de constater qu'à cette soirée qui s'est tenue entre 21 heures et une heure du matin à Cheiry - où quelques mois après, tout le monde est mort - il y avait des enfants habillés avec des capes ornées de signes que je ne connaissais pas.

En tant que citoyenne, j'ai été invitée à une soirée qui parlait de médecine parallèle, mais dont le but était tout autre. Aujourd'hui, dans le cadre de mon travail, au sein d'« Innocence en danger », ce sont les sectes ou les mouvements sectaires qui prônent la sexualité avec les mineurs qui m'intéressent.

Lorsque ces enfants sont emmenés dans les sectes, souvent par leurs parents, ils sont soustraits à l'autorité parentale et se retrouvent sous l'autorité du gourou. D'où une perte totale de repères et une banalisation de ce qui serait normalement interdit, notamment les relations sexuelles entre mineurs et adultes.

Nous avons été sollicités, il y a environ deux ans, par une grand-mère qui habite à Toulouse. Elle craignait pour ses deux petits-enfants qui vivent avec sa fille et son gendre, satanistes lucifériens. Lorsqu'il y a eu une perquisition chez les parents, on a trouvé des carnets et des récits très clairs qu'ils avaient écrits et qui évoquaient très ouvertement de l'inceste, des relations sexuelles enfants-adultes et bien d'autres choses. Aujourd'hui, le juge pour enfants n'a toujours pas entendu les enfants qui sont toujours sous la garde de leurs parents.

M. le Président : Vous faites la distinction entre les organisations à caractère sectaire qui se livrent à des abus sexuels et les autres ?

Mme Homayra SELLIER : Je parle de celles qui « prônent » les relations sexuelles entre adultes et enfants.

M. le Président : Avez-vous des éléments plus concrets ?

Mme Homayra SELLIER : Des mouvements comme les Raëliens, le Mandarom, la Fraternité blanche universelle prônent ces relations, en s'appuyant sur un raisonnement qui leur est propre. En revanche, IVI, Invitation à la vie intense, ne les prône pas. Maintenant, est-ce que ces relations ont lieu à l'intérieur de la communauté, je ne le sais. Il en est de même de l'OTS, qui prônait une liberté totale des relations entre adultes et évoquait la question devant les enfants, ce qui m'a choquée.

M. le Président : Concernant les Raëliens, avez-vous des cas concrets à nous citer, ou faites-vous référence à la littérature de Claude Vorilhon, notamment son ouvrage sur la géniocratie, qui fait état d'éducation sexuelle, non seulement théorique, mais également pratiques avec des enfants ?

Mme Homayra SELLIER : Je n'ai pas été témoin direct.

M. le Président : Votre association n'a pas été saisie de ce genre d'agissements ?

Mme Homayra SELLIER : Ce que je sais du mouvement raëlien, je l'ai glané dans certains écrits. J'ai également vu un documentaire extraordinaire tourné par une journaliste française qui s'est rendu sur les lieux, aux États-Unis.

Je tiens à préciser que nous traitons, par exemple en France, plusieurs centaines de dossiers et qu'il n'est pas toujours facile de déterminer si un dossier a ou non un caractère sectaire.

M. le Président : Qui vous saisit ? Comment connaissez-vous la situation de ces enfants en danger ?

Mme Homayra SELLIER : Je ne parlerai que de la France. Nous sommes souvent informés par des journalistes, qui donnent nos coordonnées à des parents, tante, grand-mère, etc. Parfois, il se trouve qu'un des parents est dans un mouvement sectaire, et pas l'autre. Nous avons ainsi à traiter un dossier de ce type à Bayonne.

M. le Président : Quand vous considérez que des éléments sont suffisants pour intervenir, de quels moyens d'action disposez-vous ?

Mme Homayra SELLIER : Je lis le dossier, qui est ensuite relu par un comité juridique constitué en général d'avocats qui ont l'habitude traiter ce type de dossiers. La personne qui a besoin d'être défendue est alors mise en contact avec des avocats qui nous sont conseillés par nos avocats - ces derniers voulant conserver leur indépendance d'activité.

M. le Président : N'avez-vous pas de relation avec différentes cellules de vigilance comme il en existe dans chaque département auprès de chaque préfecture ? Ou avec d'autres institutions, au niveau des pouvoirs publics, comme la MIVILUDES ?

Mme Homayra SELLIER : Non. Je le regrette car une telle information est précieuse pour nous. Mais peut-être avais-je mal cherché ? Par ailleurs, je me suis rendu compte que les victimes s'ouvrent plus facilement à des personnes qui n'ont pas la casquette de gendarme, de policier, etc.

Nous sommes parfois détenteurs d'informations graves dont nous ne savons pas que faire. Je ne veux pas les garder pour notre comité, mais les mécanismes qui permettraient à des associations comme nous de se faire le relais avec les organismes publics ne sont pas clairs et nous ne nous y sentons ni utiles ni bienvenus.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Vous nous avez dit que votre association avait été créée en 1999. Depuis, pensez-vous que la situation s'est stabilisée, ou qu'elle a empiré ?

Quelles propositions feriez-vous en matière de prévention ? Pensez-vous qu'aujourd'hui l'information dispensée est suffisante ?

Enfin, vous semblez souhaiter un lieu de coordination de l'ensemble des associations travaillant sur le terrain. Pourriez-vous développer ce point ?

Mme Homayra SELLIER : Il m'est difficile de vous apporter une réponse chiffrée, dans la mesure où je ne pense pas qu'on ait mené en France de recherches sur le nombre de cas dénoncés. En tant que représentante d'une association, j'ai bien sûr mon idée, mais ce ne peut pas être pris comme une vérité en soi.

Il me semble toutefois que le nombre de cas augmente. Est-ce que cela signifie qu'il y a plus de gens qui parlent ? Je me demande aussi si ces enfants qui, à l'âge de huit, dix ou douze ans, se trouvent dans des mouvements sectaires où leur éducation sexuelle, morale et éthique ne peut se fonder que sur ce qu'ils voient, ne risquent pas, en grandissant, de se retrouver dénués de toute barrière et de reproduire les mêmes comportements.

Aujourd'hui, la situation me paraît plus préoccupante. Un phénomène est venu s'ajouter au reste avec Internet. « Innocence en danger » est d'ailleurs née à la suite du démantèlement de ce qui était considéré comme le plus grand réseau de cybercriminels au monde, à la suite de l'opération « Cathédrale » à laquelle la France a participé.

Aujourd'hui, Internet est un réseau de recrutement pour les mouvements sectaires. Je vous invite à regarder sur France 2, le 20 septembre à 13 heures 50, le témoignage d'un jeune garçon de dix-huit ans. Ses parents travaillent tous les deux et ont pensé qu'à la maison, devant son ordinateur, leur fils était en sécurité. Or, il est ainsi rentré en contact avec des groupes satanistes, dont le site comporte un triple « S » - sang, salive et sperme - et qui aiment voir le sang couler. Bref, Internet n'a rien arrangé, car certains mouvements ont trouvé un raccourci par ce biais.

Je considère que les mécanismes d'information ne sont pas clairs. Il serait pourtant de l'intérêt de tous que l'on puisse travailler ensemble. Pourquoi ne pas ouvrir le champ des collaborations, surtout sur des thèmes où le travail de terrain est primordial ?

Depuis cinq ans, M. Nicolas Sarkozy invite des associations de protection des victimes à des journées de réflexions auxquelles participent magistrats, juges, associations, victimes, parents de victimes, etc. Ce qui en ressort est très intéressant. Une même initiative sur le sujet qui vous préoccupe serait la bienvenue. Elle nous permettrait de nous connaître et d'échanger des informations.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que la législation existante est suffisante, ou qu'il faut la modifier, notamment la loi « About-Picard » votée en 2001 ? Quelles propositions précises et concrètes votre association serait-elle à même de faire à la commission ?

Mme Homayra SELLIER : Il conviendrait de renforcer les systèmes et les mécanismes de prévention. On ne peut pas ne responsabiliser que les parents, car les enfants ne passent pas toute leur vie avec eux. Quant à l'éducation nationale elle pourrait faire autre chose que de publier des brochures qui d'ailleurs, ne sont pas lues. L'information devrait s'adresser aux parents et à ceux qui doivent traiter les dossiers. Ma proposition serait que les magistrats qui traitent les dossiers à caractère sectaire reçoivent un minimum de formation.

M. le Rapporteur : Cette formation, très précise et concrète, existe aujourd'hui à l'École nationale de la magistrature, où le président de la MIVILUDES, notamment, fait des interventions.

Mme Homayra SELLIER : Je ne vois pas comment on pourrait éviter l'augmentation du nombre de cas. Les gens vont vers les mouvements sectaires parce qu'ils se sentent isolés, parce qu'ils manquent d'affection ou cherchent une famille, un entourage. C'est peut-être là qu'il faudrait chercher des solutions.

M. Jean-Yves HUGON : Si j'ai bien compris, le champ d'action de votre association dépasse la lutte contre le mouvement sectaire et s'étend à tout ce qui concerne l'enfance en danger. Je voudrais savoir si elle a reçu un label du gouvernement français : la reconnaissance d'utilité publique, par exemple.

Mme Homayra SELLIER : Pour être reconnue d'utilité publique, en France, une association doit avoir cinq ans d'existence. Nous sommes justement en train de travailler pour obtenir ce label.

M. Jean-Yves HUGON : Avez-vous un site Internet ?

Mme Homayra SELLIER : Oui.

M. Jean-Yves HUGON. Vous est-il arrivé de vous porter partie civile pour défendre un enfant mis en danger par des mouvements sectaires ? Avez-vous pu obtenir satisfaction ?

Mme Homayra SELLIER : Nous pouvons nous constituer partie civile depuis un an seulement, en raison des délais existant en France. Nous n'avons pas obtenu satisfaction pour l'instant, le dossier étant en cours d'instruction pénale et civile.

M. le Rapporteur : Sur quelle base ? Celle de la loi « About-Picard », de l'article 2-17 du code de procédure pénale ?

Mme Homayra SELLIER : Oui.

M. Jean-Yves HUGON : Avez-vous pu, dans votre lutte contre les mouvements sectaires, en identifier certains qui soient particulièrement dangereux et qui sévissent sur le territoire national ?

Mme Homayra SELLIER : Parmi les mouvements particulièrement nocifs pour les enfants, je citerai les mouvements satanistes lucifériens, qui prônent ouvertement la sexualité entre enfants et adultes. Ils sont actifs en France et ont des liens avec des mouvements analogues dans d'autres pays. Un autre mouvement, qui est très actif en France, me semble particulièrement dangereux : « Invitation à la vie », IVI.

M. Jean-Pierre BRARD : Je suis sensible à votre prudence et à votre volonté de discernement. Vous avez parlé d'un documentaire sur le mouvement raëlien où l'on commettrait des abus sexuels.

Mme Homayra SELLIER : Il n'y a pas d'abus sexuels dans ce document qui a été tourné pour la télévision française, mais on comprend ce qu'il en est. Je ne me souviens pas sur quelle chaîne c'était, mais la journaliste, Catherine Berthillier, a obtenu un prix pour ce document. Elle était allée tourner dans un centre avec un micro caché.

M. Jean-Pierre BRARD : Quelles sont vos relations avec l'UNESCO ?

Mme Homayra SELLIER : Nous sommes indépendants depuis mars 2000. Mais l'association « Innocence en danger » est née en janvier 1999 à l'UNESCO. J'ai été nommée par Federico Mayor, à la suite de l'opération « Cathédrale », lorsqu'il a voulu impliquer la société civile dans la lutte contre la cybercriminalité. J'ai travaillé avec l'UNESCO pendant un peu moins d'un an, puis j'ai quitté l'organisation pour des raisons de pratique et d'efficacité.

M. Jean-Pierre BRARD : Ainsi, l'UNESCO a été la pouponnière d' « Innocence en danger » ?

Mme Homayra SELLIER : En tout cas, c'est le directeur général de l'époque, Federico Mayor, qui lui a donné l'impulsion nécessaire.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez eu connaissance d'actes criminels commis par des groupes de forme sectaire. Vous est-il arrivé de saisir directement le procureur ?

Mme Homayra SELLIER : Hormis le cas que j'évoquais tout à l'heure, non.

M. Jean-Pierre BRARD : Mais vous avez connu d'autres cas ?

Mme Homayra SELLIER : Oui. Mais il est nécessaire que quelqu'un « incarne » le dossier. Dans les deux dossiers où il semble qu'il y ait eu activité sectaire, les deux jeunes femmes concernées ne sont plus mineures. Jusqu'à présent, elles n'ont pas mené d'action en justice.

M. Jean-Pierre BRARD : Y a-t-il d'autres cas où des enfants sont victimes d'actes criminels, que vous connaissez et qui n'ont pas été signalés à la justice ?

Mme Homayra SELLIER : Non. Il s'agit de dossiers en cours de procédure, mais qui n'intéressent pas les mouvements sectaires.

M. Jean-Pierre BRARD : Connaissez-vous des cas où l'on refuse de soigner les enfants au nom de croyances sectaires, ou bien où on leur donne de la poudre de perlimpinpin pour soigner des pathologies avérées ?

Mme Homayra SELLIER : Non.

M. Jean-Pierre BRARD : S'agissant des manuels « sataniques », vous avez parlé de livres indiquant comment il fallait pratiquer. Qu'est-ce qui doit l'emporter selon vous, la liberté d'expression et la liberté de publier, ou l'interdiction ?

Mme Homayra SELLIER : Dans ce domaine qui touche aux enfants, je serais contre la publication de ces récits. Mais je ne suis pas neutre, car mon travail consiste, au quotidien, à défendre les enfants.

M. Jean-Pierre BRARD : Avez-vous été directement concernée par certains actes, soit personnellement, soit à travers des membres de votre famille ? Si je vous pose la question, c'est parce que c'est souvent le cas parmi les personnes que nous auditionnons ; nous essayons alors de discerner ce qui relève de l'émotion personnelle et qui pourrait altérer l'objectivité.

Mme Homayra SELLIER : Non.

Mme Martine DAVID : Combien votre mouvement rassemble-t-il de membres en France et à l'étranger ? Quelle est la fréquence des cas dont vous êtes saisis ? Quel est le pourcentage, parmi ces cas, de ceux qui semblent relever de déviances sectaires ? Votre interrogation sur les raisons de votre présence devant cette commission tient-elle au fait que les cas dont vous êtes saisie ne relèvent pas principalement de déviances sectaires ?

Mme Homayra SELLIER : Dans d'autres pays que la France, la question des membres adhérents ne se pose pas de la même manière, et nous sommes complètement indépendants d'un bureau à l'autre. En France, nous comptons un peu plus d'une centaine d'adhérents à notre bureau de Paris et à celui de Toulouse - qui vient de se créer et qui va sans doute s'agrandir au cours de l'année. Aux États-Unis, nos bureaux sont à New York et cinq personnes y travaillent. En Allemagne, nos bureaux sont à Berlin et à Cologne, une quinzaine de personnes y travaillent.

Mme Martine DAVID : S'agit-il de bénévoles ou de salariés ?

M. le Rapporteur : Et qui les paie ?

Mme Homayra SELLIER : Cela dépend. En Allemagne, ce sont des salariés. Aux États-Unis, nous en avons une. Ils sont sponsorisés par des donations privées qui ont permis de les engager au quotidien. Aux États-Unis, c'est un homme d'affaires qui travaille dans les médias. En Suisse, nous sommes actuellement cinq, tous bénévoles. En Angleterre, le bureau se composera bientôt de quatre ou cinq mères de familles, toutes bénévoles.

Les dossiers durent très longtemps, souvent plusieurs années. Nous sommes saisis de deux ou trois nouveaux dossiers par mois. Sur ce nombre, un sur dix relève de mouvements sectaires. Mais je ne peux me fonder que sur ce qui figure dans le dossier.

Je vous ai effectivement dit que je m'étais demandé pourquoi vous m'aviez invitée. C'est parce que je ne pensais pas que de tels dossiers pouvaient vous interpeller. En effet, au cours des instructions judiciaires, l'aspect sectaire n'a jamais joué aucun rôle. En même temps, j'ai conçu un grand espoir en voyant que l'on pouvait s'intéresser à cette question de l'abus sexuel des enfants.

Mme Martine DAVID : Est-ce que vous traitez vous-même le peu de dossiers relevant de déviances sectaires, ou vous adressez-vous aux associations de défense des victimes, aux ADFI, au CCMM, voire à la MIVILUDES ? Avez-vous la volonté de correspondre avec des mouvements plus particulièrement aptes à traiter ce genre de dossiers ?

Mme Homayra SELLIER : Je ne souhaite pas travailler seule sur ces dossiers. Nous n'avons pas l'infrastructure nécessaire. Jusqu'à présent, et c'est peut-être un tort, nous nous sommes toujours adressés aux policiers, aux gendarmes, aux enquêteurs. Je ne connaissais pas les mécanismes d'une collaboration avec d'autres associations susceptibles de nous aider.

Dans les deux dossiers que j'ai évoqués et où les deux jeunes femmes concernées ne sont plus mineures, nous avons considéré que ce que nous avions appris était trop important pour le garder pour nous-mêmes, nous avons transmis certains documents aux policiers et aux gendarmes qui pouvaient en être chargés. Ensuite, cela n'est plus de notre ressort.

Mme Martine DAVID : Peut-être souhaitez-vous désormais adopter une autre démarche, plus exhaustive ?

Mme Homayra SELLIER : Oui, et c'est pourquoi j'aimerais noter les références des associations que vous citez.

M. Jacques MYARD : Votre démarche consiste essentiellement à défendre les enfants contre les malversations sexuelles ; là-dessus vient se greffer la question des sectes. Avez-vous senti, chez les autorités américaines, un intérêt pour votre association ? Lorsque les sectes pouvaient être concernées, avez-vous eu des problèmes avec ces autorités ? En effet, ces dernières nous accusent de faire de l'anti-religion.

Par ailleurs, avez-vous une liste des associations ou des mouvements dangereux pour l'enfance ?

Mme Homayra SELLIER : L'action d' « Innocence en danger » aux États-Unis, pour le moment, ne nous a pas amenés à nous confronter aux autorités pour des dossiers liés aux mouvements sectaires. Le nombre des dossiers que nous y traitons est beaucoup plus restreint qu'en France, ne serait-ce que parce que nous y sommes implantés seulement depuis un peu plus d'un an. Je ne sais donc pas quelle serait l'attitude des autorités si notre action était plus importante. Pour le moment, elles sont très accueillantes, mais nous n'avons pas dérangé ceux qui appartiennent à des mouvements sectaires. Nous côtoyons pourtant certains responsables qui, eux-mêmes, sont dans des mouvements pouvant y ressembler.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous parlez de Tom Cruise ?

Mme Homayra SELLIER : Il y a une autre secte que la Scientologie : celle des évangélistes, qui est extrêmement puissante.

Sur le papier, pour moi, une des idéologies les plus dangereuses serait celle du mouvement raëlien. Mais ce qu'il prône est tellement ridicule que je les considère comme un peu moins dangereux que des mouvements, plus insidieux, qui s'immiscent dans le quotidien des familles et des enfants et où l'on glisse chaque jour un peu plus.

M. le Rapporteur : À quelles organisations pensez-vous ?

Mme Homayra SELLIER : Je ne parlerai que de ce que j'ai vu. Je pense à « Invitation à la vie ». Je pense aussi aux mouvements satanistes lucifériens qui publient des récits choquants au vu et au su de tout le monde et qui banalisent ce qui, normalement, est considéré comme criminel.

M. Philippe TOURTELIER : En France, vous avez une centaine d'adhérents. Mais combien de salariés ?

Mme Homayra SELLIER : Pour l'instant, un seul.

M. Philippe TOURTELIER : Comment est-il rémunéré ?

Mme Homayra SELLIER : Grâce à des dons. Moi-même, je donne bien que je sois bénévole. Je sais que cela peut paraître bizarre en France. Mais je peux en parler : lorsque j'ai été nommée par l'UNESCO, j'étais bénévole, mais l'organisation avait mis à ma disposition des secrétaires, des bureaux et des moyens logistiques importants, ce qui nous a donné un énorme coup de pouce. Quand j'ai quitté l'UNESCO, je ne pouvais pas renoncer : j'avais rencontré des victimes et des enfants et je ne pouvais pas faire autrement que de continuer ce travail passionnant. Cela dit, je ne vous cache pas que j'espérais trouver plus d'aide en France.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez des moyens personnels qui vous permettent d'agir ainsi ?

Mme Homayra SELLIER : Je ne suis pas très riche, mais je peux me permettre de faire cela, au prix de choix de vie différents de ceux que je faisais avant.

M. Jean-Pierre BRARD : Merci de votre réponse franche. Je vous prie de m'excuser pour mon indiscrétion.

M.  Philippe COCHET : Dans les cas auxquels vous avez été confrontés, quelle était la part de la manipulation physique et son impact ?

Par ailleurs, avez-vous constaté un certain prosélytisme de la part de publics proches des enfants ? Je pense à des enseignants, à des conseillers d'éducation, à des médecins.

Mme Homayra SELLIER : Je ne suis pas témoin direct. Mais les enfants parlent en effet de boissons qui les amènent à faire des rêves, des cauchemars. Et la phrase : « J'ai bu quelque chose » est dans tous les dossiers. Il semble que certaines substances soient administrées aux enfants pour lever les inhibitions et pour troubler leur mémoire : un enfant qui dit ne pas se souvenir, ou ne pas savoir s'il a rêvé n'est pas cru lorsqu'il doit témoigner.

À votre seconde question, je réponds oui. Pour autant, je n'en ai pas été témoin direct. Mais j'ai l'exemple de l'OTS qui, en parlant de l'homéopathie, parlait des astres. Le ciel et les étoiles intéressent, notamment, les enfants. Les choses se font petit à petit, au fil des conférences. Et c'est ainsi que la « glissade » a lieu.

M. le Rapporteur : Considérez-vous aujourd'hui que la prise en charge des victimes est suffisante dans notre pays, s'agissant notamment des enfants traumatisés sortant des sectes ?

Mme Homayra SELLIER : Pas du tout. Un des projets d'« Innocence en danger » est justement de sensibiliser les décideurs au fait que ces enfants devenus adultes seront les parents des enfants qui feront la France. Il serait très grave qu'il n'y ait pas de prise en charge pour les guérir. Cette prise en charge ne peut pas n'être que psychiatrique ; je peux en témoigner.

M. le Rapporteur : Merci, madame, pour votre intéressante contribution. Nous sommes preneurs de toute documentation.

Mme Homayra SELLIER : Je vais profiter de cette occasion pour reparler de ce dossier qui risque de mal finir.

Audition de Mme Armelle TABARY,
directrice de l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM)



(Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006)

Présidence de M. Philippe VUILQUE, rapporteur,
puis de M. Georges FENECH, Président

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Merci, madame, d'avoir répondu à l'invitation de la commission d'enquête. Je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission d'enquête pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privation ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Armelle Tabary prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Madame la Directrice, avant de vous donner la parole, je présente les excuses du Président de notre commission, qui a dû se rendre à une réunion importante, mais qui nous rejoindra dans quelques instants.

Mme Armelle TABARY : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord d'excuser à nouveau le président de l'INAVEM, Hubert Bonin, retenu par une session d'assises et permettez-moi de vous exprimer mes remerciements pour avoir sollicité l'expertise de l'INAVEM sur le thème de l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé psychologique et mentale des mineurs.

Je vais tenter de vous présenter une synthèse de cette question pour l'INAVEM, qui sera parfois peut-être encore empreinte d'anciens réflexes de protection de l'enfance puisqu'avant de me voir confier récemment la direction de l'INAVEM, j'ai exercé mes fonctions au sein du ministère de la justice durant vingt-deux ans, aux services judiciaires, à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse, où j'étais référente de cette question dans les groupes de travail installés en préfecture de région.

Depuis 2002, les statistiques nationales de l'INAVEM exploitées pour cette contribution mettent en lumière un accroissement considérable de saisines sur cette question et leur analyse illustre l'existence de critères de danger de droit commun. La nature des demandes exprimées et traitées permet d'orienter vers des structures spécialisées. Enfin, il semble qu'un renforcement de l'information, tant de nos concitoyens que des professionnels, puisse contribuer à une meilleure prévention et prise en charge de ce phénomène.

J'ai tout d'abord noté un accroissement considérable de saisines sur les problématiques de mouvements à caractère sectaire. Je dois signaler d'ailleurs que j'ai moi-même été surprise de cette évolution en préparant cette contribution.

L'INAVEM, fédération nationale de cent cinquante associations d'aide aux victimes sur le territoire, remplit une mission de service public, généraliste, auprès de toutes les victimes, qui sont accueillies, suivies et accompagnées par des équipes pluridisciplinaires, professionnelles, constituées notamment de juristes, psychologues cliniciens, travailleurs sociaux. Dans le cadre des catastrophes et accidents collectifs, par exemple, de nombreuses communications ont été effectuées sur l'emprise sectaire dans ce type de contexte par Mme Sonya Jougla, psychologue clinicienne.

Le numéro national 08 VICTIMES, composé d'écoutants formés à cette spécificité, a reçu 36 601 appels en 2005 et constitue donc un observatoire national des problématiques rencontrées par les victimes. Les statistiques d'évolution que je vais vous présenter sont donc issues de la plateforme téléphonique nationale, créée à l'INAVEM sous l'impulsion du ministère de la justice.

Nous avons pris en compte les appels relatifs à des mouvements à caractère sectaire sur une période de référence de septembre 2002 à septembre 2006 : 454 appels de victimes ou de proches concernant les sectes. 23 % de ces appels ont donné lieu à la rédaction d'une fiche d'appel pénale avec une identification claire d'une infraction pénale - escroquerie, abus de confiance, menace à titre principal et cas d'atteintes à la personne caractérisées par des violences.

Parmi ces appels, 365 appels ont bénéficié d'une orientation vers deux structures spécialisées extérieures ayant signé la charte d'engagement avec le 08 VICTIMES : l'Union nationale des associations de défense de la famille et de l'individu, l'UNADFI, et le Centre de documentation et d'action contre les manipulations mentales, le CCMM, fondé par Roger Ikor.

Pour la période 2002-2003, les chiffres sont assez peu intéressants, car la plate-forme téléphonique venait à peine d'être créée. En revanche, nous avons constaté 50 % d'augmentation en septembre 2004 par rapport à septembre 2003, 75 % d'augmentation en septembre 2005 par rapport à septembre 2004 et 284 % en septembre 2006 par rapport à septembre 2005, soit en quatre ans une augmentation de 910 % du nombre d'appels relatifs au phénomène sectaire ayant donné lieu à une orientation vers les deux structures spécialisées, alors que l'on note, sur la même période une augmentation de 167 % seulement du nombre d'appels global vers le numéro national d'aide aux victimes. Proportionnellement, l'augmentation des appels concernant une problématique sectaire est ainsi cinq fois plus élevée que la progression des autres types d'appels.

Les critères de danger qui permettent d'effectuer un repérage sont les critères de danger de droit commun. Afin d'évaluer les dangers ou risques de danger concernant les mineurs, l'article 375 du code civil va permettre d'identifier si la santé, la moralité ou les conditions d'éducation sont gravement compromises. Des fiches d'appels analysées, les situations rencontrées les plus courantes concernent des escroqueries financières, abus de confiance, menaces, violences, craintes d'enlèvement, notamment à l'étranger. Il convient de distinguer deux types de problématiques différentes, selon que le mineur est embrigadé et contraint par un parent ou les deux, ou qu'il s'affilie lui-même à un groupe ayant des pratiques sectaires.

Dans le premier cas, l'appel est effectué par l'autre conjoint, les grands-parents, frères, sœurs, un membre de la famille, des amis, des professionnels - assistantes maternelles, institutrices, éducateurs, assistantes sociales -, qui ne savent comment agir. Les sollicitations d'aide sont consécutives à des hospitalisations en psychiatrie, des suspicions d'actes pédophiles, des menaces, manipulations mentales, viol, non-présentation d'enfant, manque de soins, maltraitances physiques, appels téléphoniques malveillants, violences intra-familiales, séquestration. Des appels concernent également des jeunes filles victimes d'inceste par leur père, encore manipulées par lui au moment de l'appel, des enfants qui fuguent pour échapper au droit de visite d'un parent ayant des pratiques sectaires.

Dans le second cas, les parents de l'enfant contactent le 08 VICTIMES, car ils sont démunis de moyens d'action. De nombreux appels sont relatifs à des sites Internet inquiétants, à l'adhésion réelle ou supposée de l'adolescent à un groupe gothique, sataniste, promouvant les actes d'automutilation, de sorcellerie, de sacrifices d'animaux. Des appels signalent également des tentatives de suicide au cours desquelles durant l'hospitalisation du jeune le mouvement sectaire demande à celui-ci d'arrêter les soins. Dans ce contexte, l'appel au 08 VICTIMES ou l'accueil par une association d'aide aux victimes permet d'évaluer la situation et d'orienter la victime.

Nous avons travaillé sur le contenu des fiches d'appel. La majorité des saisines concernent des demandes d'informations précises dont l'objectif est de savoir si les doutes ou craintes sont fondés. Tel groupe est-il une secte, telle personne est-elle connue pour son appartenance, tel comportement est-il celui d'une personne embrigadée ? D'autres demandes font suite à des colloques, à des formations à des pratiques spirituelles, corporelles ou de développement personnel, à des prises en charge individuelles, notamment pour les enfants présentant des troubles de comportement, hyperactifs, et dans le cadre desquelles les discours tenus ou les actions proposées par l'intervenant troublent les parents.

La deuxième demande la plus importante est de savoir comment se comporter ou quel discours tenir face à la personne concernée. La peur d'une rupture définitive avec l'adepte est présente. Dans d'autres cas, la rupture est consommée ; l'appelant en attribue la responsabilité à l'influence de la secte ou cherche des conseils pour renouer le contact. L'idée est parfois formulée de faire prendre conscience à l'adepte qu'il fait fausse route, l'appelant cherche alors des outils pour agir.

Le troisième niveau de demandes concerne les recours juridiques possibles, pour un parent ou pour un tiers, les modalités de signalement d'enfants en danger.

Ainsi, à la lumière de ces éléments, une meilleure information semble être un moyen utile de prévention. Des éléments recensés il ressort que les demandes d'information sont exprimées, d'une part pour mieux prévenir et identifier, d'autre part pour mieux agir.

Les besoins d'information varient selon qu'il s'agit de la population générale, qui indique sa méconnaissance de ce phénomène croissant et qui exprime souvent qu'elle ne réalisait pas que le danger était présent, dans son entourage, ou s'il s'agit d'une information, d'une sensibilisation voire d'une formation pour les professionnels dont l'objectif est d'identifier un phénomène en cas de suspicion et d'assurer la meilleure orientation possible. Le problème essentiel qui m'a été signalé par les associations d'aide aux victimes sur le territoire consultées sur cette question, est qu'elles sont confrontées à des difficultés d'identification des groupes à dérive sectaire.

En effet, il arrive qu'elles repèrent des pratiques de manipulation mentale induisant une mise sous emprise des mineurs ou jeunes majeurs par des signes comme la perturbation des rythmes biologiques, la déstabilisation psychique, la rupture des liens avec la famille, mais que ces pratiques soient le fait de « groupes » sans dénomination, fluctuants, de « thérapeutes » non inscrits sur les listes officielles. Les responsables de ces groupes se font appeler par leur prénom et sans identité précise ; l'action de prévention, d'information de l'association, la possibilité de dépôts de plainte s'en trouvent fortement compromise.

M. le Rapporteur : Merci, madame, pour cet exposé précis, concis et très intéressant. Les chiffres que vous avancez sont assez inquiétants. Pouvez-vous nous dire si, par rapport au système actuel français de lutte contre les organisations sectaires, l'information, la prévention et la législation sont suffisantes ? Selon vous, que faudrait-il améliorer ?

Mme Armelle TABARY : Je suis convaincue de la nécessité de la prévention qui permet d'éviter des situations de solitude parentale, d'abandon. S'agissant plus particulièrement des mineurs, on constate que le désir d'affiliation à un groupe sectaire peut être le corollaire d'un problème de la relation parentale. Cette prévention doit notamment passer par des actions soutenant la parentalité.

M. le Rapporteur : Auriez-vous une proposition concrète à formuler pour améliorer cette prévention ?

Mme Armelle TABARY : Les critères de danger utilisés sont des critères de droit commun, ceux de l'article 375 du code civil. Cela n'empêche pas l'intervention de personnes « ressources », de personnes référentes sur une question un peu pointue nécessitant un examen un peu spécialisé. À l'époque où j'étais à la PJJ, nous disposions dans chaque région, dans chaque service extérieur de l'État, d'un réseau de personnes référentes ayant bénéficié d'une formation. Je me souviens très bien qu'en cas de suspicion de mineur en danger, de demande de placement provisoire, ce réseau était rapidement opérationnel et utile pour les professionnels, notamment les collègues du conseil général qui pouvaient nous interroger. C'était d'autant plus important que nous nous trouvions dans le Nord et que certains mineurs pouvaient, dans les deux heures, quitter le territoire national.

Ce réseau de personnes ressources, placé sous l'autorité du préfet de région, était d'une grande aide pour les professionnels de droit commun : conseil général, éducation nationale, etc.

M. Jean-Pierre BRARD : Madame la directrice, vous avez évoqué la croissance du nombre des appels ; les chiffres sont impressionnants. Cette croissance est-elle due, selon vous, à la croissance des phénomènes sectaires, ou à l'amélioration de l'information sur de tels phénomènes et à une meilleure sensibilisation de l'opinion qui sait maintenant à qui s'adresser ?

Mme Armelle TABARY : Il est en effet toujours difficile d'interpréter les statistiques. Je me demande si les deux explications ne sont pas valables. Mais parallèlement à une meilleure information, on constate bien une croissance du nombre des appels sur ces questions.

M. Jean-Pierre BRARD : Notre commission travaille sur les mineurs et leur santé. Avez-vous des exemples précis de refus de soins ou d'utilisation de produits empêchant la mise en place de traitements adéquats ? Je vise les médecines parallèles.

Mme Armelle TABARY : J'ai plusieurs fiches d'appels de parents dont l'enfant mineur ou jeune majeur - de moins de dix-neuf ans - avait été hospitalisé. Je pense notamment à une jeune fille qui en était à sa troisième tentative de suicide et qui, d'après les parents, avait reçu la visite de personnes appartenant à un mouvement sectaire et qui lui enjoignaient de sortir de l'hôpital et de cesser tout traitement. Mais les fiches d'appels ne sont pas plus précises, par exemple concernant des indications médicamenteuses.

M. Jean-Pierre BRARD : D'après les parents, de qui s'agissait-il ?

Mme Armelle TABARY : Nous avons des fiches d'appel très synthétiques, qui donnent les idées forces des appels, lesquels durent entre 10 et 45 minutes. Nous n'avons pas de noms. Je peux seulement vous dire que, dans tel cas, la personne a été orientée vers l'ADFI Paris et dans tel autre vers le 119.

M. le Rapporteur : Que représente le 08 VICTIMES par rapport au 119 ? Le projet de loi sur l'enfance renforce le dispositif du 119. Comment s'articulent-ils ?

Mme Armelle TABARY : Le 08 VICTIMES est la plate-forme téléphonique de toutes les victimes ou de ceux qui s'estiment victimes. C'est à l'écoutant d'estimer la réalité de leur état de victime pour les orienter ou même faire une saisine - dont la saisine directe d'une association d'aide aux victimes.

Nous avons des chartes d'engagement avec plusieurs partenaires institutionnels, dont fait partie le 119. J'ai un exemple à l'esprit : les parents d'une jeune fille appellent le 08 VICTIMES en évoquant des situations qui relèvent d'une évaluation au titre de l'enfance maltraitée du 119. Le 08 VICTIMES orientera systématiquement vers le 119.

Le 08 VICTIMES est généraliste dans la mesure où il prend en compte toutes les victimes, le relais étant assuré, pour leur prise en charge, par le réseau national des associations d'aide aux victimes.

M. Christian DECOCQ : Pourriez-vous aller plus loin dans l'évaluation du phénomène sectaire ? Existe-t-il des procédures de recoupement qui permettent d'apprécier, à partir d'un appel au secours, la réalité des pratiques sectaires ? Quel est le pourcentage des pratiques avérées de phénomènes sectaires ? Combien y a-t-il de saisines judiciaires ?

Mme Armelle TABARY : L'écoutant de 08 VICTIMES peut, par exemple, orienter vers l'ADFI Paris. Mais pour le moment, nous n'avons pas de retour concernant cet appel. Mon évaluation s'arrête à partir du moment où l'appel est orienté vers un autre service. Il n'y a pas de mutualisation de nos informations. Ce serait sans doute très précieux.

Nous orientons en évaluant. Mais ce n'est qu'un appel téléphonique ; il convient d'être vigilant.

M. Christian DECOCQ : Je suppose qu'il en est de même des saisines judiciaires.

Mme Armelle TABARY : En effet, nous n'avons pas de retour. Cela dit, il est apparu, sur quatre ans, que nous avons 23 % d'appels de proches de victimes ayant donné lieu à la rédaction d'une fiche d'appel pénal : soit la personne qui appelle signale qu'il y a déjà une affaire pénale en cours et demande un conseil ; soit une saisine est faite parce que, visiblement, les critères d'une infraction sont réunis.

Mme Martine DAVID : Notre commission devra peut-être préconiser des mesures législatives complémentaires à l'arsenal existant. Nous avons besoin de savoir ce que vous êtes à même d'analyser et de proposer.

Mme Armelle TABARY : En travaillant à cette contribution, nous nous sommes aperçu que le 08 VICTIMES constituait un observatoire national et que nous avions à disposition un certain matériel, que vous nous avez invités à exploiter. De même, il y a trois semaines, sur la question des violences faites aux personnes âgées, j'ai constaté que nous avions beaucoup d'éléments.

On pourrait envisager de procéder à un tel travail. Nous le faisons déjà, sur la base de protocoles, mais concernant toutes les problématiques. Les victimes que nous entendons sont prises en charge dans un cadre généraliste ; il est vrai que nous ne faisons pas encore d'analyses thématiques et très ciblées de ce qui relève de la téléphonie sociale et des éléments que les 150 associations du réseau peuvent faire remonter.

Nous nous sommes d'ailleurs rendu compte que ce ne sont pas les mêmes personnes qui appellent 08 VICTIMES ou qui vont voir l'association locale d'aide aux victimes. Il est important de le savoir.

M. Jacques MYARD : L'Institut national d'aide aux victimes est-il un démembrement de l'État, ou une association ?

Mme Armelle TABARY : C'est une association, la Fédération nationale des associations d'aide aux victimes, qui a un bureau et un conseil d'administration.

M. Jacques MYARD : Vous-même êtes-vous agent de l'État ?

Mme Armelle TABARY : Je suis en disponibilité du ministère de la justice.

M. Jacques MYARD : Êtes-vous parvenue à identifier des sectes ? Nous sommes un peu restés sur notre faim.

Mme Armelle TABARY : Sur l'ensemble des fiches, le nom de la secte n'est pas toujours cité. L'écoutant est formé pour évaluer une situation de danger ou celle d'une victime. C'est l'orientation vers l'ADFI qui nous a aidés à vous présenter ces chiffres. Nous ne ciblons pas cette thématique dans un appel généraliste automatiquement ; c'est le service d'orientation qui nous a permis de vous donner ces statistiques.

M. le Rapporteur : L'intervenante précédente, la présidente de l'association « Innocence en danger », considérait qu'il n'y avait pas suffisamment de coordination entre les associations travaillant sur le terrain. Avez-vous le même point de vue ? Déplorez-vous un manque de stratégie commune ?

En France, nous avons adopté le système de la MIVILUDES. Certains pays procèdent différemment. Vous qui êtes sur le terrain, comment appréciez-vous la situation ? Selon vous, le système français est-il suffisamment performant ? Et s'il faut l'améliorer, sur quel point ?

Mme Armelle TABARY : On sait bien qu'une prise en charge globale de la personne est plus efficace qu'une prise en charge parcellaire. Mais il est difficile de mutualiser les actions et les compétences, tout en préservant des spécialités. S'agissant des mineurs, les critères de danger sont des critères de droit commun ; il n'en reste pas moins que leur prise en charge sera singulière, selon qu'il s'agit d'un jeune qui use de substances psychoactives ou d'une jeune fille qui se livre à la prostitution ou d'un jeune homme sous l'emprise d'un mouvement sectaire. Cette prise en charge requerra une spécificité ou une spécialisation, qui me semble nécessaire. En revanche, l'évaluation, l'orientation et la mutualisation des compétences nous permettraient de nous « mailler » naturellement entre nous.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous travaillez avec la MIVILUDES ?

Mme Armelle TABARY : Oui. Les personnes de mon service qui sont référentes sur ces questions s'adressent à elle essentiellement pour des demandes d'informations.

M. Christian VANNESTE : Je ressens une impression curieuse : nous avons plusieurs observateurs, mais il n'y a pas entre eux de synergie qui permettrait d'avoir une vision cohérente et claire du phénomène. Hier nous avons souligné qu'il n'était pas évident d'établir des liens entre l'information, la répression et la prévention. Il en est de même aujourd'hui : pas de retour sur information, communication assez faible avec les autres instances qui s'occupent des mêmes choses.

Je m'étonne, par ailleurs, que vous soyez étonnée par la montée des chiffres. Ou bien il y a une augmentation brutale d'un phénomène sociologique, et il faut s'en inquiéter. Ou bien l'expérimentateur a lui-même brouillé l'objet de son observation. Peut-être travaillez-vous mieux et êtes-vous plus efficaces ? N'y aurait-il pas eu une campagne d'information, ou un effet de mode, pour expliquer cette multiplication par cinq, qui est assez effarante ?

Mme Armelle TABARY : Le 08 VICTIMES et la fédération d'associations ont de nombreux partenaires institutionnels « habilités ». Nous orientons les appels vers les services institutionnels, les services de l'État qui sont spécialisés dans une question : le centre Roger-Ikor, le 119, etc.

Comme je l'ai fait remarquer tout à l'heure, la première année n'était qu'une année de démarrage et les résultats n'étaient sans doute pas significatifs. Quant à l'augmentation de 167 % du nombre total des appels en quatre ans, on peut espérer qu'elle est due, non pas à une augmentation fulgurante du nombre des victimes, mais à une meilleure information de celles-ci, qui connaissent mieux les interlocuteurs possibles. Cette hausse est donc à relativiser.

M. Jacques MYARD : Cela n'est-il pas dû au fait que vous ne releviez pas toujours dans vos fiches qu'il peut y avoir, derrière, un problème de sectes ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait être un peu plus précis, de manière à avoir des statistiques un peu plus fiables ? Vous-même semblez étonnée de ce qui se passe.

Mme Armelle TABARY : Nous avons bien sûr été étonnés par une augmentation assez significative. Par ailleurs, le cahier des charges de 08 VICTIMES identifie un nombre très important de critères et d'items : catégorie socioprofessionnelle, âge, résidence, etc. Pour autant, l'item « phénomène sectaire » n'est pas présent en soi dans notre fichier ; nous avons pu extraire ces fiches à partir de l'orientation qui a été donnée à l'appel.

M. le Rapporteur : Nous vous le suggérons fortement. Pouvez-nous préciser si vous avez noté une augmentation de signalements concernant des groupes satanistes lucifériens ?

Mme Armelle TABARY : Nous avons de nombreuses fiches sur des mouvements satanistes, leur caractère éventuellement « luciférien » n'est pas précisé. Il s'agit surtout d'appels de parents ou de grands parents. Mais sans doute faut-il être vigilant, car les parents, et surtout les grands-parents, font des amalgames, associant un comportement et une appartenance. Cela dit, ces fiches concernent d'assez nombreux adolescents entre quinze et dix-huit ans et évoquent des actes d'automutilation.

Mme Martine DAVID : Après, que faites-vous ?

Mme Armelle TABARY : Nous orientons les appels vers le 119. Plus généralement, le 08 VICTIMES oriente vers le service avec lequel nous avons une charte d'engagement, dont nous connaissons les qualités professionnelles et l'éthique, notamment les services extérieurs de l'État.

M. le Président : Madame, je vous remercie.

Audition de Mme Charline DELPORTE,
Présidente de l'ADFI Nord - Pas-de-Calais



(Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Madame la présidente, tout en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Celui-ci vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Charline Delporte prête serment.)

Je rappelle enfin aux représentants de la presse les dispositions de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881.

Madame la présidente, la commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Mme Charline DELPORTE : Depuis dix ans, je suis la présidente régionale de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Notre association est un centre d'accueil, de prévention et d'information où nous accueillons les familles victimes de sectes ainsi que les sortants.

Je ne suis pas une conférencière professionnelle ; je ne vous parlerai que de ce que nous vivons sur le terrain. Mais auparavant, je voudrais grandement vous remercier, au nom de notre association, de tous nos adhérents et des victimes de sectes, pour avoir constitué cette commission. Contrairement à ce que l'on peut lire chez « les gens d'en face », elle est importante pour nous, pour nos enfants, pour ces adolescents devenus esclaves, comme nombre d'adultes, de ces mouvements sectaires totalitaires.

J'essaierai également, mais ce sera moins facile, de rester prudente dans mes paroles, n'en déplaise « aux gens d'en face »... Je ne compte plus les assignations ni les jugements. Je pourrais bientôt tapisser une de mes chambres avec les sommations interpellatives ou les rendus de jugement !

Merci encore, mesdames, messieurs, les parlementaires de vous atteler à ce dur fléau que sont les sectes et les leaders sectaires.

L'ADFI Nord-Pas-de-Calais-Picardie a été créée voilà trente ans par Lidwinne Ovigneur dont la nièce avait été entraînée dans un mouvement « hyper-chouette » et sympathique : la secte Moon... Mais à cette époque, on ne connaissait pas ou guère les sectes. À quarante-trois ans, je n'avais aucune envie de me lancer dans le bénévolat. Je travaillais : je vendais des fromages. Certaines sectes m'appellent même « la crémière »... C'est vrai que je vendais de la bonne crème fraîche, pas de la pourrie !

Mais il y a seize ans, notre fille aînée a adhéré à un mouvement sectaire totalitaire. Désemparés, mon mari et moi avons trouvé une adresse : l'ADFI de Lille. Nous y avons été écoutés, entendus, nous n'avons pas été jugés. Car c'est très difficile de raconter un récit familial, une souffrance sans comprendre ce qui arrive à l'être cher. Au bout de deux heures de conversation, la présidente de l'association nous a appris que notre fille était adepte d'un mouvement sectaire. Qu'est-ce que c'était que ce truc ? Pour moi, le choix a été fait : quelque temps plus tard, j'adhérais à l'ADFI. Seize ans plus tard, je ne regrette rien. Mais c'est devenu une autre vie, naturellement...

La secte, la manipulation mentale, qu'est-ce que c'est ? Vous avez beaucoup appris et vous le savez certainement. Mais sur le terrain, pour l'ADFI, qu'est-ce qu'une secte ? C'est un groupe où l'on retrouve toujours les mêmes ingrédients et une finalité : la pratique de la pensée unique, avec un leader, une doctrine et un groupe.

Le leader est un homme, une femme ou un groupe d'individus qui a inventé un cocktail. Je précise bien que je ne suis pas venue ici faire un cours sur le religieux ; laissons cela de côté. Mais les sectes se dissimulent derrière ce masque : la liberté de conscience, qui n'est en rien menacée en France, grâce précisément à la laïcité. Les sectes l'ont très bien compris.

Les sectes sont évidemment une escroquerie intellectuelle et financière. Nombreuses, elles se cachent toutes derrière une façade d'honorabilité : ce peut être la santé - spirituelle bien sûr -, mais aussi le bien-être, le sport et même le loisir. « Dites-moi ce qui ne va pas chez vous... ». Qui ne se sent pas concerné par cette question, surtout s'il est adolescent ?

Une confidence à ce propos. Votre commission d'enquête s'intéresse aux mineurs, et c'est formidable. Mais les sectes sont très fines, très en avance sur nous et disposent d'énormes moyens. Or, nous découvrons dans notre centre d'accueil que, depuis un an, elles s'efforcent de plus en plus d'attirer une autre population : les personnes âgées. Se rendant compte que les enfants seront peut-être davantage protégés - nous l'espérons -, elles ont déjà changé de fonds de commerce.

L'action des sectes passe toujours par trois phases, toujours ces mêmes histoires qu'il nous est donné d'entendre.

Vient d'abord la phase de séduction. On sera séduit parce qu'on aura enfin trouvé une réponse à un moment difficile. Les propositions des sectes, ce n'est pas pour tout le monde : cela intervient toujours à un moment où la personne sera un peu plus vulnérable. On entre en secte, dit-on. Ce n'est pas exact : c'est la secte qui entre en vous, par le biais des manipulations mentales montées par son leader. Ses caractéristiques : toujours un charisme particulier, un pouvoir, intelligent, pervers, très souvent détraqué sexuel, paranoïaque. Et si la cible traverse à ce moment précis une passe difficile, chômage ou autre, elle risque de se piéger de bonne foi. Car elle est de bonne foi : le projet est intéressant. Mais les intentions du leader ? Il faut faire attention. Car on peut quelquefois se laisser embarquer. On vient souvent nous dire dans nos centres d'accueil qu'un tel ou un tel est un gourou. À nous de bien savoir discerner ; nous n'avons pas droit à l'erreur.

Une fois la personne séduite lors d'une conférence, parce qu'elle aura trouvé une écoute, un interlocuteur qui se déclare prêt à l'aider, elle est seulement en train d'entrer dans la secte. Le doute existe toujours, la prévention peut encore jouer. S'il ne s'est passé que trois mois avant que la famille nous prévienne, nous pouvons la rencontrer sur le terrain, lui expliquer, l'informer grâce à notre documentation, la prévenir. Notre rôle n'est pas de lui interdire d'y aller, mais de l'appeler à rester prudente, à poser des questions - dans les sectes, on ne pose pas de questions, c'est « marche ou crève » -, de l'aider à voir la secte. Car on le la voit pas, elle est bien cachée, et encore plus maintenant. Celui qui a trouvé des réponses ne verra pas l'arrière-boutique de la secte ni toute la cruauté de ce qu'elle lui fera vivre par la suite.

Vient ensuite la phase de conditionnement, particulièrement douloureuse. Pas tellement pour celui qui entre dans la secte : il continue son bonhomme de chemin, il a trouvé de chouettes amis, il a enfin des réponses, il rencontre des gens charmants, il est très assidu aux réunions, bref, tout va bien pour lui. Son entourage en revanche commence à se poser des questions : il devient plus distant, son langage n'est plus le même, ses habitudes vestimentaires changent, la nourriture aussi. Il multiplie les remarques à propos de la télé, qu'on ne peut plus regarder, des magazines d'actualité... Si l'on ne pense pas à un mouvement sectaire, on se dit qu'il traverse une passe difficile. Et la doctrine s'installe.

La doctrine est un élément très important. La personne a un projet bien précis, mais la secte en a un autre : celui de vous rendre dépendant pour faire de vous « des esclaves heureux », selon l'expression de Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie, « des esclaves fidèles et avisés » comme le disent les témoins de Jéhovah, la deuxième secte en France. Elle ne le fera pas en quarante-huit heures ; une fois en vous, elle prendra son temps. Cela peut durer deux ou trois ans, toujours dans le même but : atteindre la phase finale.

Cette troisième phase, nous l'appelons phase de programmation. Sitôt achevée la phase de conditionnement, il n'y a plus de dialogue avec l'être cher. On est face à un monologue, à un langage, à des interdictions, à un « produit fini » auquel on ne comprend rien. Tout va alors très rapidement : la personne vulnérable ne se retrouve plus qu'avec les gens qu'elle apprécie, c'est-à-dire des membres de la secte, elle coupe les ponts avec ses racines familiales, son environnement, son héritage intellectuel ; on la met dans une cage, une prison sans barreaux, où elle paraîtra comme vous et moi. Mais la coquille est vide... Si vous lui demandez ce qui se passe, elle vous répondra ; vous discuterez pendant une demi-heure de tout et de rien. Mais, si par malheur, vous commencez à parler de son organisation sectaire, tout le conditionnement ressortira immédiatement, car elle est devenue un des leurs. Elle aura été totalement reconstruite pour la secte dont elle devient une main-d'œuvre docile et bon marché. Le savoir intellectuel de ces gens est acquis à la secte : on ne lui donne pas d'argent, en tout cas pas toujours. Les témoins de Jéhovah sont des gagne-petit ; et pourtant, ils ont des milliards d'euros. Mais il y a les petits gestes ; une fois happé le savoir intellectuel du jeune ou du moins jeune, on le met sur le trottoir pour distribuer la littérature. Il bosse et c'est gratuit... Il en va de même dans toutes les sectes. Le groupe met sur un piédestal le leader, qui s'identifie à la doctrine - puisque c'est lui qui l'a inventée. Automatiquement, tout cela fait masse et l'on se retrouve devant une personne totalement perméable.

Mais que deviennent les enfants dans les couples où cela arrive ? L'enfant subit évidemment de plein fouet tout ce qui vient de papa et maman, et ce dès sa naissance, parfois même avant... Si toutefois la secte décide que cet enfant ne doit pas exister, on le sacrifiera. Je n'ai rien contre les lois autorisant l'avortement, mais attention : « Tu as été dans le péché, tu as forniqué hors mariage, cet enfant est satanique ! » Cela peut aller très loin.

Manipulés et formatés dès leur naissance, les enfants grandiront. C'est évidemment autant de viande fraîche pour la secte - les mots sont durs, mais c'est ce que nous voyons arriver dans nos centres.

Le couple est heureux dans la secte. Tant que l'enfant y reste, il est conditionné, lui aussi esclave heureux de l'être. Il en va tout autrement le jour où le jeune adolescent a envie de la quitter, vers l'âge de seize ou dix-sept ans. C'est pour nous le cas le plus difficile. D'abord parce que c'est hyper-courageux. D'après ce que j'ai pu constater sur le terrain, c'est qu'il est amoureux. Tomber amoureux de quelqu'un du « monde des méchants », cela amène le jeune homme ou la jeune fille à avoir des pensées contraires, en tout cas différentes de celles de la secte. C'est là qu'arrivent toutes les souffrances que l'on vient nous rapporter ou pour lesquelles on nous appelle à l'aide.

Des récits de ces jeunes gens que nous rencontrons à l'ADFI, j'en ai plein la tête. Je pense à Romain : il n'a pas réussi, nous n'avons pas réussi. Il s'est pendu. Il avait quinze ans. Je pense à Rémi : lui non plus n'a pas réussi. Pourtant, vous y avez été pour quelque chose. Vous aviez fait votre travail. Mais il est mort : il n'a pas accepté ses soins. Je pense à Axel, à Camille, à tous ces prénoms, ces parents, ces grands-parents qui sont venus me voir. À chaque fois, nous avons essayé de faire en sorte qu'ils puissent accepter tout simplement de recevoir des soins.

Je peux vous rapporter l'exemple concret, assez récent, d'un jeune homme très courageux. En tant que membre de l'UNADFI, j'ai un agrément de l'éducation nationale pour aller faire de la prévention dans les lycées et les collèges à partir de la troisième - c'est avec des collégiens de troisième du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie que nous avons élaboré cette plaquette. Je parlais du refus de soins dans une secte bien connue et de cette carte362 que 110 000 témoins de Jéhovah ont sur eux, en expliquant que, comme ce n'était pas autorisé, mais pas davantage interdit, les sectes faisaient leur loi à elles. Ce jeune homme s'est alors levé devant ses camarades et, courageusement, nous a raconté que ses parents étaient témoins de Jéhovah, mais que lui ne l'était plus depuis l'âge de six ans. Il avait été transfusé pour une grave maladie après intervention du procureur, qui avait fait son travail. « J'aurais préféré mourir », a-t-il ajouté. « Mais pourquoi ? », ai-je demandé. « Vous ne comprenez pas ? Moi, je n'irai pas dans ce monde nouveau que sera Armageddon. Je suis mort aux yeux de mes parents, et tous les jours ils me répètent en faisant leurs prières : toi, tu ne viendras pas avec nous ! » Ce garçon avait besoin d'être aidé, mais je n'ai guère eu l'occasion de le faire : dès l'instant où ses parents ont appris qu'il nous en avait parlé, la réaction a été rapide. Je n'ai plus jamais pu le rencontrer. Mais son témoignage était édifiant pour ses camarades. Le pouvoir judiciaire avait fait son travail en imposant la transfusion, mais la manipulation mentale était plus forte que les soins par eux-mêmes.

Je pourrais aussi vous parler de Nicolas, ce garçon que j'ai supplié avec le directeur de son lycée ; nous avions fait un signalement judiciaire. Il venait d'avoir dix-huit ans, il voulait devenir matelot. Et puis il a eu mal à une jambe. La biopsie révèle un cancer rarissime. Il faut l'amputer au plus vite. Mais sa maman, infirmière libérale, connaît des techniques de bien-être : on fait ce qu'on veut, on est libre, on se soigne comme on l'entend, pourquoi pas ? La mère s'adresse à une méthode bien connue, la méthode Hamer, et emmène le garçon consulter un spécialiste de cette « médecine ». « Si tu as mal à la jambe, c'est qu'on t'a fait une biopsie. Nous avons des traitements et surtout, nous avons une technique : ton père est mort il y a trois ans ; si tu fais le deuil de ton papa, tes cellules cancéreuses disparaîtront. » Nicolas y a cru... Le directeur du lycée et moi-même avons de toute urgence alerté le procureur afin de protéger, malgré lui, ce gamin, mais il venait d'avoir dix-huit ans. Les sectes utilisent beaucoup la loi Kouchner du 4 mars 2002 : on a le droit de mourir libre et éclairé... C'est oublier que les gens dans les sectes sont sous influence et endoctrinés. Naturellement, Nicolas est mort sans soins, quelques mois plus tard.

Et que dire de la situation de Romain ? Il avait une grand-mère, sa meilleure amie, papa, maman qui avait d'autres enfants, et voilà qu'arrive un nouveau papa. Et Romain est placé dans une communauté « dure ». Il écrit à sa grand-mère, qui me montre ses lettres, et lui téléphone - elle lui avait acheté une carte : « Mamie, je ne suis pas bien ici. Je ne comprends pas pourquoi on m'oblige à manger avec les porcs ou à courir torse nu par punition. Je ne mange pas bien, on me donne des coups de fourchette, je dois nettoyer les slips de mes camarades... » Nous alertons le procureur qui demande à la substitut des mineurs d'aller voir ce qui se passe dans cette communauté. Je préviens la grand-mère qu'il serait peut-être préférable que Romain n'y soit pas à ce moment ; je connaissais déjà cette communauté. Mais l'enquête s'est faite avec Romain sur place, et deux mois plus tard, plus de nouvelles. Un jour arrive une lettre : « Mamie, ne parle plus de moi à l'ADFI. Maintenant, tout va bien. » Ce n'était plus le même courrier. Le lendemain soir, j'apprends à la télévision la mort par pendaison d'un jeune garçon dans une communauté. C'était Romain.

Cela dit, il faut continuer. Et, c'est vrai, c'est compliqué. C'est douloureux de ne pas parvenir à faire bouger nos professionnels ; mais pour entrer dans ce domaine sectaire, encore faut-il savoir de quoi on parle. Et surtout, je ne veux plus entendre parler du religieux, cela n'a rien à voir. Nous avons affaire à des organisations prenant en otage des personnes de bonne foi qui, à un moment donné de leur vie, sont un peu plus vulnérables. Les difficultés ne manquent pas et, si une secte ne passe pas par là, il est possible de trouver un référent à qui se confier. Mais si on n'en trouve pas, on peut tomber sur la secte. Je ne dis pas qu'il y en ait à chaque coin de rue, mais actuellement, elles se multiplient parce que depuis dix ans, vous êtes là, vigilants. Alors elles sont sans cesse obligées de se saucissonner, de se cacher davantage derrière un masque au point que vous ne devinerez jamais qu'il s'agit d'un mouvement sectaire, et le citoyen lambda encore moins.

Regardez ces belles affiches : « Oui à la vie, non à la drogue », « Les jeunes s'interrogent : réponses pratiques ». À quinze ans, on s'en pose, des questions ! Qui songerait qu'elles proviennent de sectes totalitaires, la première de la Scientologie, la seconde des Témoins de Jéhovah ? Et que dire de Sahaja Yoga ? Les croyances ne me dérangent pas, on peut en faire bon usage. Mais demandez à un jeune de quatorze ans qui est Shri Mataji363, il répond : « C'est une mère, bien plus haut que ma maman. » À deux ans, on les envoie dans des écoles en Italie ou en Inde, sans papa ni maman, et les parents d'expliquer que l'air y est plus frais, qu'ils y sont mieux... Pendant ce temps, on les formate. Les enfants sont une proie intéressante pour leur fonds de commerce.

Il faut aussi comprendre que la personne qui est dans la secte est heureuse. Elle a trouvé des réponses et ne voit pas le danger. Mais l'entourage, la famille ? Là aussi, la secte atteint son objectif : les grands-parents préféreront se taire plutôt que d'alerter le procureur au risque de perdre à jamais le lien avec l'être cher. La secte le sait, et ne manque à pas d'en jouer : pas de plainte, donc pas de victime ! Il faut dépasser cela, mesdames et messieurs les députés.

Je ne fais que vous rapporter ce qui est monnaie courante à l'ADFI. Quelques chiffres : on compte à peu près 100 000 enfants dans les sectes dont 45 000 dans la plus importante, les témoins de Jéhovah. Ceux qui se font avoir y entraîneront leurs enfants. Aussitôt, il n'y a plus que des interdictions - quelle que soit la secte en question : ce monde est pourri, tu en verras bientôt un nouveau. En attendant, tu bosses... Notre rapport d'activité de l'an passé indique que le centre d'accueil de la seule ADFI Nord-Pas-de-Calais-Picardie a été sollicité pour plus de 700 mouvements ; nous avons accompagné plus de 450 personnes, familles et sortants de sectes. 45 % des demandes concernaient les témoins de Jéhovah. Il est vrai que je les ai davantage étudiés que les autres pour essayer de comprendre cette dépendance au rituel, donc à la doctrine, et le récit, toujours douloureux, de ce que les victimes, enfants compris, ont vécu. Car le jeune ne vient pas immédiatement à l'ADFI ; il culpabilise et attendra souvent plusieurs mois.

J'ai pu observer trois sortes de cas. Il y a les jeunes qui sortent parce qu'ils ont osé réfléchir par eux-mêmes. Cette liberté leur fait très peur : et s'ils avaient raison, n'ai-je pas perdu quelque chose d'essentiel ? C'est un peu comme un sorti de prison qui a passé trente ans derrière les barreaux ; finalement, il y retourne parce qu'il ne connaît personne à l'extérieur. Ceux-là rechutent.

D'autres grandissent avec le conditionnement de la secte et un jour se marient. Mais les comportements inculqués demeurent : c'est la secte qui régit la vie familiale comme la vie intime. Que survienne une période difficile et il replongera. Combien de fois avons-nous entendu : « Mon conjoint était autrefois témoin de Jéhovah, mais tout allait bien depuis notre mariage ; et tout à coup, il est reparti. » Parce qu'il n'a que cela. Il n'a pas eu le choix. Pour d'autres, le choix est trop compliqué : ceux-là se suicident.

Il y a enfin ces jeunes gens courageux que nous voyons régulièrement, jusqu'à ce qu'ils retrouvent leur dignité et un peu de liberté - cela prend beaucoup de temps -, dans les réunions que l'ADFI a organisées il y a quelques années à la demande des familles et des sortants. Je remercie à ce propos M. Emmanuel Jancovici d'être venu écouter de jeunes gens issus d'un mouvement spécifique, mais très important, expliquer la cruauté qu'ils avaient vécue durant toute leur jeunesse, sans voyeurisme et expliquer, avec un grand esprit de solidarité, aux parents qui avaient un enfant dans la même secte ce qu'il ne fallait pas faire.

L'accompagnement des sortants est très important. Mais il doit rester ponctuel : on ne doit pas rester victime à vie de sectes. C'est en tout cas la politique de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Je ne rencontre pas toujours les sortants à l'ADFI, car les sectes leur ont tellement répété que c'était satanique qu'ils me voient avec des cornes et une queue de diable ; il arrive qu'on se retrouve au bistrot du coin... On discute, ils parlent, ils témoignent : c'est pour eux une sorte de thérapie, simple et modeste. Je ne fais rien à leur place : c'est à eux de décider d'un cheminement. Nous leur donnons des pistes, ils se débrouillent. Et petit à petit, nous ne les voyons plus. Il m'arrive parfois de les appeler et de leur envoyer une petite lettre d'information, non pour les récupérer comme font les sectes, mais tout simplement pour savoir ce qu'ils deviennent, et lorsqu'ils me répondent : « Tu sais, je me suis marié, j'ai une petite fille, il faut que je m'occupe de ma famille... », c'est moi la plus heureuse. Cela signifie que la secte a enfin fichu le camp de leur tête. Il ne faut pas en faire des victimes, eux-mêmes le disent souvent, car l'enfant élevé dans une secte n'a rien choisi. Il faut les accompagner, et le jour où ils ne viennent plus, c'est que nous avons réussi.

Je suis prête à répondre à vos questions avant de vous présenter mes trois propositions...

M. le Président : Nous en avons beaucoup. Il y a eu récemment dans votre région un très grand rassemblement des témoins de Jéhovah. Nous vous avons vue et entendue réagir devant les médias. Souhaitez-vous donner ici votre point de vue sur ce qui s'est passé ? Y a-t-il eu ensuite des conséquences ?

Mme Charline DELPORTE : J'ai été informée de ce rassemblement au stade Bollaert de Lens par un anonyme qui lui-même sortait des témoins de Jéhovah. Il ne faut pas me dire cela à moi... Je sais ce qu'apportent ces rassemblements et les lots de souffrance qui en découlent. J'ai tout simplement réagi en présidente d'association : j'ai immédiatement interpellé le maire de Lens. Il ne pouvait rien faire et on le comprend : le stade était devenu une propriété privée louée par contrat pour cinquante ans au Racing Club de Lens et il n'y avait plus aucun droit. Je devais me tourner vers M. Gervais Martel et M. Jean-Marie Bomba364. Celui-là, je lui en ai fait voir... Très gentiment, il m'a expliqué que, témoins de Jéhovah ou pas, tout cela était affaire d'argent. Je lui ai fait remarquer qu'un stade, c'était pour faire la fête, et qu'il s'agissait en l'occurrence d'une secte, documentation à l'appui, ce a quoi il a répondu qu'il était d'accord, mais que, bref, le vin était tiré. Et si demain Ben Laden lui louait son stade pour y décapiter les femmes infidèles, répondrait-il la même chose ? Il n'était pas content, au point de faire partir son chef de sécurité... Que faire ? Il ne faut pas manquer d'imagination, à l'ADFI. J'ai demandé à M. Jean-Marie Bomba la permission de faire une conférence de presse, un peu avant les témoins de Jéhovah, dans un salon de Bollaert, et ce gratuitement. L'ADFI n'a pas un sou : nous ne sommes pas une secte... Il m'a proposé la date du 3 juillet. Je rêvais de faire venir Bill Bowen, cet Américain qui a créé voilà cinq ans l'association « Le Silence des agneaux » où il a recensé 23 720 cas d'agression sexuelle chez les mineurs témoins de Jéhovah - on commence à en parler chez nous, grâce à votre engagement public. Il a fait un tour d'Europe il y a quelques années, mais sans venir en France. Il serait bon que vous l'auditionniez.

Ma conférence n'avait attiré que deux journalistes et demi... C'était la coupe du monde. M. Jean-Marie Bomba avait été bien gentil. Mais ensuite, je ne sais pas ce qui s'est passé : une mayonnaise est montée et j'ai eu toutes les chaînes de télévision. Dans un communiqué de presse, M. Nicolas Sarkozy avait osé dire que c'était cultuel et les journalistes s'en sont mêlés. M. Jean-Pierre Brard a fait publier un communiqué, puis le maire de Lens une déclaration dans laquelle il interdisait le rassemblement des témoins de Jéhovah. Nous étions bien contents... Je n'ai aucune amertume à l'égard de M. Jean-Marie Bomba et de M. Gervais Martel : nous avions les 8 000 supporters avec nous... C'est David contre Goliath.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Je vous remercie, Madame, pour votre émouvant témoignage, mais également pour l'action que vous menez sur le terrain.

Comment qualifieriez-vous la situation actuelle par rapport à ce que vous connaissiez de ce phénomène sectaire il y a quelques années ?

Considérez-vous que la prévention est suffisante ? À quel niveau - lycées, collèges, etc. - faudrait-il à votre avis la mener ?

L'accompagnement « après » vous paraît-il suffisamment organisé et assuré, même si vos associations réalisent un important travail sur le terrain ?

Vous avez évoqué des problèmes concernant la saisine des procureurs. Avez-vous des propositions concrètes pour accélérer leur intervention ?

Nous avons en France un système mixte associations-MIVILUDES ; la Belgique, dont vous êtes frontalière, en a un autre. Jugez-vous le dispositif français suffisamment performant ou faut-il l'améliorer ? Si oui, que proposeriez-vous ?

Notre arsenal juridique, récemment complété, vous paraît-il suffisant ? Faut-il éventuellement l'adapter ?

Nous attendons enfin de connaître vos trois propositions...

Mme Charline DELPORTE : Vos questions rejoignent les propositions de notre association.

Notre arsenal juridique est largement suffisant. Notre souci est de voir la loi appliquée jusqu'au bout ; c'est cela, le plus compliqué. N'attendez pas non plus que la famille vienne d'emblée déposer plainte auprès du procureur : bien souvent, c'est l'ADFI qui fait un signalement. La loi « About-Picard » de 2001 est très bien, mais encore toute jeune. J'ai connu un garçon - il est maintenant marié et père de famille - qui avait tout le nécessaire pour déposer plainte contre la secte qui l'avait totalement spolié pendant onze ans : plus de travail, plus de CV... Allez expliquer un trou de onze ans à un employeur ! Il m'avait demandé à aller voir un avocat. Mais cela reste très compliqué, parce qu'on n'a pas encore suffisamment sensibilisé nos magistrats, bien qu'ils le soient de plus en plus, ni nos travailleurs sociaux. Notre avocat ne lui a guère laissé d'espoir : il faut trouver le meilleur juge d'instruction qui connaît bien le domaine sectaire, car la secte est un monstre froid, il faut trouver de l'argent, se porter caution, subir les expertises que l'on exigera en face, d'ordre psychiatrique - une secte parlera toujours de « cas isolé » - et s'attendre à au moins dix ans de procédure.

M. le Rapporteur : Précisément : n'y a-t-il pas en la matière un problème de délai de prescription ?

Mme Charline DELPORTE : Bien sûr. Lorsqu'on sort d'un mouvement sectaire, on ne court pas immédiatement chez le procureur... Une mère qui pendant six ans a battu son enfant à coup de ceinture parce que la secte lui a dit que Satan était en lui ne va pas aussitôt venir vous le déclarer et déposer plainte contre la secte ! D'abord parce que cela ne veut rien dire du tout, ensuite parce qu'ils ne le feront que cinq, six, sept ans plus tard, après être passés des associations comme les nôtres, qui sauront les accueillir et les comprendre.

Ajoutons, sans vouloir blesser le policier, le brigadier, l'assistante sociale, la PMI ni l'éducateur, que ces professionnels n'ont pas toujours en tête toute cette connaissance sectaire ni cette problématique de la dépendance : en écoutant de tels récits, ils se diront que la dame a fumé la moquette et lui conseilleront d'aller voir le psy... Je l'ai vécu avec Raël : lorsqu'une grand-mère est venue raconter aux gendarmes que la petite était abusée par son papa, il a fallu que l'ADFI leur montre que c'était écrit dans Apocalypse, l'organe de presse de Raël. Tout cela prend du temps, car ils ne sont pas suffisamment informés. Cela dit, il faut reconnaître que depuis dix ans, la France prend à bras-le-corps cette question des sectes et des leaders dangereux. Je vois bien le changement, surtout lorsque je fais de la prévention.

M. le Rapporteur : Considérez-vous que celle-ci est suffisamment organisée ? Chaque association fait un peu dans son coin ce qu'elle pense utile. Cette question ne devrait-elle pas faire partie d'un chapitre d'instruction civique, par exemple ?

Mme Charline DELPORTE : Tout à fait. Je fais partie, M. Christian Decocq le sait, du comité local de sécurité ainsi que du comité de pilotage. Au campus universitaire de Villeneuve-d'Ascq, nous préparons pour le 5 octobre une conférence en amphi pour Lille I, Lille II et Lille III, avec une affiche commune de la mairie de Villeneuve-d'Ascq et de l'ADFI. Nous sommes en relation avec le procureur. Dans les trois départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme, l'ADFI a installé des relais. Nous sommes allés au conseil général de la Somme expliquer et faire de la prévention auprès des travailleurs sociaux. Il est important de sensibiliser ces personnels. Grâce à la MIVILUDES, nous avons maintenant des cellules de vigilance présidées par les préfets. Très actives entre 1998 et 2001, elles devraient reprendre avec de nouvelles équipes. Une réunion a eu lieu l'année passée, à laquelle l'ADFI était invitée ainsi que tous les fonctionnaires - éducation nationale, gendarmerie, etc. Depuis seize ans, nous sensibilisons tous ces professionnels relais ; malheureusement, à peine le sont-ils qu'ils s'en vont, mais peut-être profitent-ils ailleurs de ce qu'ils ont appris. La prévention a une énorme importance, de même que l'information sur ce phénomène très spécifique que sont les sectes.

M. le Rapporteur : Vous avez avancé les chiffres, surprenants, de 100 000 enfants dans les organisations sectaires en France, dont 45 000 chez les seuls témoins de Jéhovah. Les confirmez-vous ?

Mme Charline DELPORTE : Je ne les ai évidemment pas comptés un par un... Il faut bien comprendre que des parents sympathisants ou « amis de la vérité365 » sont en train d'engouffrer leur enfant dans la secte et de lui interdire tout ce qui fait la joie de vivre d'un petit, tout ce qui deviendra sa vie à lui. C'est un ordre de grandeur.

M. Christian VANNESTE : Vous avez fait allusion à un certain contexte social en parlant des membres d'une association - les témoins de Jéhovah, pour ne pas les nommer, dont vous disiez qu'ils ne gagnaient pas beaucoup d'argent.

M. Serge BLISKO : Soyez précis !

M. Christian VANNESTE : Je ne voulais pas faire de cas particulier. Votre expérience - remarquable - de ces faits vous a-t-elle permis de définir des milieux sociaux plus fragiles, plus sensibles que d'autres, et de percevoir des profils psychologiques plus vulnérables ? Jusqu'à présent, j'ai toujours entendu que tout le monde pouvait entrer dans une secte, ce qui me laisse un peu perplexe.

Vous aviez manifestement des cas très précis en tête - vous en avez cité quelques-uns. En avez-vous dressé une liste exhaustive ? Je rendrai ma question plus gênante encore en vous demandant si vous pouvez nous tracer une frontière : avez-vous eu à connaître de faits liés aux activités de l'Église des saints des derniers jours, par exemple ?

M. Jean-Pierre BRARD : Autrement dit les Mormons !

M. Christian VANNESTE : Exactement.

Mme Charline DELPORTE : Je connais les Mormons. L'ADFI a reçu des familles qui y avaient adhéré et se livraient à des agissements sectaires. Pas plus tard que dimanche, dans un forum à Villeneuve-d'Ascq, une famille m'a annoncé qu'elle s'était retrouvée chez les Mormons : ils avaient appâté le gamin avec des cours d'anglais gratuits et, peu à peu, on leur a proposé d'aller voir le culte et ils s'étaient laissés séduire.

M. Jean-Pierre BRARD : Pouvez-vous nous parler des pratiques sexuelles des Mormons ?

Mme Charline DELPORTE : L'aspect sexuel est dans les sectes quelque chose de très important. Ce peut être l'interdiction totale. Chez les Mormons, on aime beaucoup les enfants, on ne prône pas trop la contraception. La doctrine posée dans le livre de Joseph Smith est à peu près du même tonneau que celle de Russel, qui a créé peu après les Témoins de Jéhovah. Des témoignages que j'ai recueillis sur la sexualité chez les Mormons, il ressort qu'il faut une grande famille, autour de la notion de Père céleste366. Ils sont très prudes.

M. Jean-Pierre BRARD : La pruderie va-t-elle jusqu'à la monogamie ?

Mme Charline DELPORTE : La polygamie existe en Amérique, mais pas chez nous. Je n'en ai en tout cas jamais entendu parler à l'ADFI.

M. Christian VANNESTE : Et sur les milieux sociologiques et les profils psychologiques plus vulnérables ?

Mme Charline DELPORTE : Peut-être l'ai-je dit un peu trop rapidement en commençant : personne n'est à l'abri. Cela dit, il faut également prendre l'intentionnalité en compte. On peut ne jamais croiser de mouvement sectaire, même si on traverse une passe difficile. Mais les sectes peuvent se trouver là à ce moment précis, ou une de leurs affiches. Leur prosélytisme est très développé et elles ont toutes un organe de presse. Encore faut-il bien le décortiquer pour comprendre qu'il s'agit d'une secte. Dites-moi ce qui ne va pas chez vous en ce moment, indiquez-moi le projet ou simplement la recherche intellectuelle ou spirituelle qui vous tient à cœur, et je vous en trouverai dans le catalogue des sectes une qui vous ira très bien parce qu'elle répondra à toutes vos questions, du moins à une bonne part... C'est ainsi que la secte entre en vous, sympathiquement, facilement.

M. Christian DECOCQ : L'exposé de Mme Charline Delporte a été très complet ; nous sommes quelques députés du Nord à bien la connaître et à pouvoir témoigner de l'efficacité de son action. Mais j'aurais aimé qu'elle nous parle également du harcèlement dont elle est victime de la part des « gens d'en face ». La commission aurait ainsi une idée de la dureté du combat : j'ai moi-même été mis en garde contre le « comportement sectaire » de Mme Charline Delporte ! C'est sans doute un classique du genre...

Madame la présidente, considérez-vous les évangélistes comme un mouvement sectaire ?

Mme Charline DELPORTE : Les évangélistes nous posent question pour certaines de leurs églises : elles sont toutes très indépendantes. Ayant eu à connaître par les familles de plusieurs cas très douloureux présentant tous les ingrédients d'un mouvement déviant, nous avions reçu un pasteur membre d'une fédération de quelque 2 800 églises inscrites dans un annuaire national, mais sur un total de 4 000 dont beaucoup n'étaient pas répertoriées. Une église évangélique étant indépendante, tout dépend du pasteur : ce peut être vous, si le Saint-Esprit vous tombe dessus... On en rencontre de tout à fait respectables, qui ont fait des études de théologie, et d'autres beaucoup moins. S'ils sont déviants, la déviance se propagera aux fidèles. On m'a raconté des choses parfois épouvantables : nous vivons ensemble depuis neuf ans avec deux petits enfants, mon église m'interdit tout rapport sexuel avec mon conjoint au motif que je vis dans le péché ; ma femme ne veut plus de moi, elle se promène du matin au soir avec une bible, etc. Cela tourne au fondamentalisme.

Je remercie M. Christian Decocq de rappeler le harcèlement dont l'ADFI est l'objet. Mon action de résistance aux sectes depuis seize ans m'a valu énormément d'assignations. Mais me faire peur, ce n'est pas facile... Peut-être est-ce parce que je parle avec mes tripes et que mes propos font mouche. Finalement, lorsque je suis assignée, je suis ravie : cela veut dire que la secte n'est pas contente et donc que j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Reste que la responsabilité d'une association loi de 1901 comme la nôtre, même avec une équipe autour de vous, ce n'est pas une partie de plaisir. La pression est d'abord juridique. J'ai été treize fois assignée, dix fois jugée, et la dixième fois, c'est vrai, condamnée. C'était un vieux procès : j'avais dit que les sectes étaient des associations de malfaiteurs et une d'elle s'est reconnue... J'avais gagné en instance et en appel, mais pas en cassation. L'affaire est revenue devant la cour d'appel de Paris - on ne veut plus me juger à Lille où j'aurais, dit-on, des amis magistrats - qui m'a condamnée à un euro de dommages et intérêt. C'est peu, mais il a fallu y rajouter 7 000 euros de dépens à rembourser à la secte. Et surtout, elle n'a pas manqué d'utiliser cette condamnation : des parents adeptes ont immédiatement écrit au ministre de l'éducation nationale de l'époque pour le prévenir que j'étais une mauvaise femme, puisque condamnée, et que je ne devais plus pénétrer dans les établissements pour y faire de la prévention. Ce ministre n'a pas dû bien lire cette lettre et je l'en remercie, puisque j'y vais toujours, et encore plus qu'avant... Je fais en tout cas confiance à nos femmes et nos hommes politiques. Notre action à l'ADFI est faite de petits bouts de ficelle mais, depuis dix ans, les choses bougent.

On a reproché aux rapports parlementaires d'être obsolètes. Mais les sectes sont toujours présentes. Elles utilisent Internet, elles ont changé de nom, elles se sont saucissonnées, mais elles ont gardé les mêmes doctrines de leurs fondateurs pour se faire de l'argent. Derrière une myriade de petites associations, les témoins de Jéhovah et la scientologie sont toujours là. Votre rapport appelle certes à être complété, mais il n'a rien d'obsolète.

M. le Président : Je vous remercie de souligner l'intérêt du travail parlementaire...

M. Jean-Pierre BRARD : Je confirme ce que vient de dire Mme Charline Delporte sur le harcèlement judiciaire dont j'ai moi-même été victime pour avoir dit sur une chaîne de radio - n'oublions pas, chers collègues, que nous ne sommes pas protégés en dehors de ce palais - que la Scientologie et les Témoins de Jéhovah fonctionnaient sur les modes de la criminalité internationale, ce que nous pouvons tous confirmer. J'ai été poursuivi en diffamation par les Témoins de Jéhovah qui ont été déboutés en première instance, mais j'ai été finalement condamné par la cour d'appel de Versailles plus lourdement encore que ne le demandaient les plaignants ! On peut former, sans grand risque de se tromper, l'hypothèse que les sectes vont en justice en sachant qu'elles perdront, mais en espérant se retrouver devant telle cour d'appel où, en reprenant la succession des jugements rendus, on retrouvera le nom d'un même magistrat...

Connaissez-vous l'association nationale « Droits des patients » ? Est-elle active dans votre département ?

Mme Charline DELPORTE : Oui. L'association « Droits des patients » est une émanation directe des témoins de Jéhovah. Lorsqu'elle a été interpellée dans le rapport parlementaire, elle s'est saucissonnée en cinq ou six associations où l'on retrouve Garay367, Najand368 et tous ces médecins témoins de Jéhovah qui se livrent à un prosélytisme fou afin que l'État français les reconnaisse.

M. Jean-Pierre BRARD : Connaissez-vous le nom du secrétaire général national de cette association ?

Mme Charline DELPORTE : Je le connais bien : il s'appelle Patrick Pelloux.

M. Serge BLISKO. Toutes ces associations ont des revues qu'elles diffusent largement, mais il y a aussi Internet et nombre d'adolescents y passent toute leur journée. Tant qu'ils en restent à e-Bay, la FNAC et MSN, ce n'est pas grave ; mais n'avons-nous pas un train de retard si nous en restons à scruter du côté des écrits papier en analysant des journaux que les ados lisent de moins en moins ? Je crains particulièrement les sectes, groupes et autres microsociétés sataniques qui prolifèrent sur Internet. Le message passe d'autant plus facilement qu'il échappe au contrôle parental : après tout, lorsqu'un adolescent lit La Tour de Garde ou autre, on sait ce que c'est, mais ce n'est qu'une toute petite partie émergée d'un énorme iceberg.

Avez-vous, par ailleurs, remarqué une offensive contre les hospitalisations psychiatriques, jugées trop nombreuses ? Cette interrogation, relayée par un de nos collègues, peut être légitime : la France serait, dit-on, en pointe dans ce domaine. À ceci près qu'on y retrouve un des multiples avatars de la Scientologie...

Mme Charline DELPORTE : Le Conseil national des droits de l'homme et du citoyen.

M. Serge BLISKO : Exactement, et il nous abreuve de sollicitations diverses. Quelle ne fut pas ma surprise d'apprendre que cet organisme allait être auditionné dans cette enceinte par une mission d'information parlementaire ! J'ai immédiatement prévenu le président de l'Assemblée nationale et son directeur de cabinet, qui m'ont assuré de leur vigilance. L'audition était prévue ce jour même, le 13 septembre. Pour des raisons de circonstances qui d'ordinaire ne surviennent jamais, elle a été avancée au 6... Ce qui fait que l'audition avait déjà eu lieu lorsque le président et son cabinet se sont émus de la situation ! Je me suis fait communiquer le dossier par le syndicat de psychiatres, objet d'une véritable persécution.

Mme Charline DELPORTE : Le satanisme, qui séduit effectivement nombre d'adolescents, ne se retrouve pas chez nous sous forme de grandes sectes comme on le voit aux États-Unis. Internet est un très bon outil et ces jeunes aiment à y pianoter pour y retrouver leurs camarades. Ils adoptent une certaine façon de s'habiller, apprécient la musique hard, s'intéressent à la magie, autant d'ingrédients qu'ils retrouveront sur Internet. Tant que cela en reste là, ce n'est pas bien grave - pour peu que les parents supportent la musique forte... Il est essentiel, à ce propos, qu'il n'y ait pas de manque de communication avec les parents qui doivent garder un œil sur ce que leur enfant glane sur Internet. Cela fait partie du dialogue parents-enfants.

Certains de ces jeunes gens viennent dans mon centre d'accueil avec leurs parents. L'un d'eux y avait même été amené manu militari par son père sans même savoir ce qu'il faisait là ! J'ai gentiment expliqué au papa que je ne prenais pas ainsi un jeune s'il n'avait pas envie de parler. Nous avons pu finalement discuter, longtemps, hors la présence du père. Son truc, c'était la musique rock, mais également la magie. Il avait effectivement rencontré des amis sur Internet et ils en restaient à une magie qui n'avait rien à voir avec les rituels de la magie noire. Mais il arrive qu'un ado fragilisé, par un conflit familial, par exemple, n'en reste pas à une marotte qu'il abandonnera pour une autre l'année suivante, et bascule dans le satanisme et ses rituels.

L'initiation dans les groupes sataniques commence par des nuits passées dans des cimetières, le meurtre de petits animaux - un peu comme cet artiste américain qui jette par terre des poussins pour les tuer avant de commencer ses concerts ; et petit à petit, on descend les marches jusqu'à perdre son esprit critique et son libre arbitre. On se lacérera les bras pour souffrir, jusqu'au rituel ultime : le suicide, en se jetant du haut d'une falaise, par exemple. Mais tout cela, un parent peut le voir, même si l'enfant se cache ; dès qu'il commence à ne plus discuter, il faut être très vigilant. Tant qu'il s'habille de noir, ce n'est pas bien grave : il peut avoir tout simplement besoin de s'affirmer. Il faut surveiller, sans pour autant tomber dans la paranoïa, et d'abord en parler, en discuter pour éviter qu'il ne bascule. Je me souviens avoir été voir à l'hôpital une petite jeune de quinze ans qui avait envie de mourir : des soucis familiaux l'avaient fait basculer dans quelque chose de beaucoup plus fort, la mort apparaissant comme le dernier rituel de ce qui est devenu un véritable culte, celui du monde de Satan. On trouve tout ce qu'il faut sur Internet pour s'adonner à une magie noire épouvantable et sanguinaire. J'ai été interpellée à ce sujet dans des collèges, mais cela reste le fait de micro-groupes.

M. Jean-Pierre BRARD : Comment s'appelle l'artiste qui tue des poussins avant ses concerts ?

Mme Charline DELPORTE : Marilyn Manson.

M. le Rapporteur : On a évoqué les cellules de vigilance installées auprès de chaque préfet dans les départements. Un projet de réforme viserait à en faire des cellules de sécurité et de lutte contre le terrorisme, le phénomène sectaire ne devenant plus qu'une préoccupation accessoire : la dimension spécifique des dérives sectaires risque de passer à la trappe. Il nous faudra être vigilants le moment venu.

Pouvons-nous pour terminer connaître vos trois propositions, madame la présidente ?

Mme Charline DELPORTE : L'ADFI avait présenté l'année dernière plusieurs propositions à l'occasion d'une série de conférences auxquelles vous aviez d'ailleurs assisté. J'en ai conservé trois, les plus importantes à mes yeux.

Premièrement, il faut appliquer et faire appliquer les lois pour aider les familles face aux sectes. Notre arsenal juridique est suffisant. Dès 1993, on pouvait invoquer l'abus de faiblesse ; nous pouvons davantage travailler avec la loi « About-Picard ». L'important reste qu'une personne qui se saisit d'un dossier ne le lâche pas immédiatement après. La secte est très fine, très maligne et a de bons avocats. Autrement dit, il faut une continuité.

Dans le même ordre d'idée, lorsque la secte bouge, il faut qu'on bouge. Comme je l'ai fait lors de l'affaire du stade Bollaert, il faut nommément désigner les responsables et non s'adresser à l'organisation en tant que telle, qui reste une nébuleuse. Ce sont les signataires du contrat de location que j'ai prévenus : « Messieurs X ou Y, c'est vous qui avez loué le stade pour trois jours ; si des victimes se présentent à notre centre d'accueil, vous entendrez parler de nous. » C'est beaucoup plus efficace que s'en prendre à la secte en général.

Deuxièmement, il faut intégrer la dépendance sectaire dans les dépendances addictives reconnues comme porteuses de dangerosité. Je me désole toujours de ne rien voir sur les sectes à côté des affiches sur la drogue, les toxicomanies, l'alcool et le tabagisme dans les commissariats. Lorsqu'on est accroché à sa dose de rituels, il faut bel et bien parler de dépendance sectaire et sociale.

Troisièmement, il faut créer dans chaque région une équipe réellement qualifiée et rapidement opérationnelle d'assistantes sociales, d'éducateurs et de juges pour enfants. Il y a deux jours, un père de famille est venu me voir : « Mes deux enfants viennent de m'apprendre que ma femme les emmène dans une secte, que dois-je faire ? » Le temps d'alerter le juge pour enfants, de mener une enquête sociale, de mettre en route toute la procédure, il faut un an. Pendant ce temps, la secte travaillera tous les jours l'enfant mineur comme la mère. Et lorsque le père parviendra à empêcher qu'il aille aux réunions et à le récupérer, c'est l'enfant lui-même qui refusera de retourner avec son père satanique. Et l'on verra des plaintes déposées pour abus sexuel, etc. - nous n'en avons que trop d'exemples. D'où la nécessité de disposer de personnels qualifiés, sensibilisés, comme on le faut pour les toxicomanies ou l'alcoolisme, afin qu'ils puissent venir en aide aux enfants, aux parents, mais également à l'entourage qui n'est pas dans la secte. Les membres de la famille qui vit cela pendant des années sont fatigués, usés de tourner en rond entre le procureur, le juge pour enfant et l'assistante sociale, en se demandant quand cela s'arrêtera, quand on finira par les comprendre. Eux aussi ont besoin d'être soutenus pour ne pas couper le lien avec leur parent ou leur enfant prisonnier de la secte - et ce dès maintenant, pas dans dix ans.

M. le Président : Madame Charline Delporte, nous vous remercions de votre précieux témoignage. Nous vous souhaitons bon courage : nous sommes, vous le savez, avec vous et nous continuerons à vous soutenir.

Mme Charline DELPORTE : Je vous remercie de votre soutien.

Audition de M. Michel GILBERT
Président du Réseau parental Europe



(Procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006)


Présidence de M. Philippe VUILQUE, rapporteur

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Monsieur Michel Gilbert, tout en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission d'enquête pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Michel Gilbert prête serment.)

Je rappelle enfin aux représentants de la presse les dispositions de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Monsieur le président, la commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. Michel GILBERT : Mesdames, Messieurs les députés, parents et grands-parents, je suis honoré que le Réseau Parental Europe puisse venir ici vous exposer les dangers auxquels sont confrontés 80 000 enfants en France et près d'un million dans l'Union européenne.

Nous nous présentons en tant que porte-parole d'un million d'enfants soumis contre leur gré, de jeunes adultes touchés, de mères, de pères, de grands-parents affectés, que le Réseau parental Europe soutient dans huit États de l'Union.

Nous nous présentons également à vous avec la force et l'expérience d'un collectif européen, réuni dans l'Agora des parents, de quatorze associations distinctes et autonomes de défense des droits de l'enfant, de soutien à la parentalité, des groupes de prévention et d'information sur les dérives à caractère sectaire.

Nous tenons à vous approcher des réalités de terrain que les enfants vivent au sein d'organisations, communautés, groupuscules totalitaires et cabinets autodécrétés de thérapies. Ainsi vous avez vu les clichés d'enfants esclaves, martyrs, futurs adeptes dociles de fausses communautés religieuses, ou sacrifiés sur les autels de thérapeutes charlatans.

Le Réseau parental connaît tous ces enfants aux regards effarés par la démission de leurs parents, paniqués, rendus dociles et en état de sujétion. Ces enfants ont besoin de vous, Mesdames et Messieurs les députés, de toute urgence, afin d'éviter des drames que nous avons déjà connus par le passé.

C'est pourquoi nous nous interrogeons sur le manque de considération des juridictions. Les failles des institutions et des pouvoirs publics facilitent les infiltrations des organisateurs généraux sectaires, lesquels font fi du respect des droits de l'enfant au sens de la convention dont la France a été signataire en 1989.

Le délégué du Défenseur des droits de l'enfant, impuissant, a été saisi lorsqu'il a vu les yeux hagards d'une fillette embarquée par l'un de ses parents dans un séminaire de pseudo-thérapeutes tantriques qui n'hésitent pas à faire des propositions à des mineurs de moins de quinze ans.

Nous déplorons le manque de pertinence des juges aux affaires familiales et leur réticence à saisir les parquets sitôt qu'un enfant se trouve en risque sectaire. Les difficultés, les maltraitances institutionnelles dans le champ judiciaire deviennent endémiques. Les organisations sectaires et dérives thérapeutiques sont bien souvent passées maîtresses dans l'art d'instrumentaliser les lois. Les juges, selon un article paru le 14 janvier 2005 dans France Soir, se refusent le plus souvent à prendre la mesure des dangers sectaires qui pèsent sur les mineurs. On se souvient à ce propos de la réunion organisée début 2005 à l'École Nationale de la Magistrature par une association de thérapie alternative...

Qui plus est, les parents qui veulent défendre et protéger leurs enfants des dangers à caractère sectaire, se retrouvent poursuivis devant les juridictions pour des motifs fallacieux : diffamation, accusations mensongères, manœuvres dilatoires, attouchements, violence de genre... Les motifs ne manquent pas, qui aboutissent à la condamnation de celles et ceux qui sont pourtant les seuls à pouvoir préserver l'intégrité morale et physique des mineurs, leurs parents et leur famille.

Dans 90 % des cas, des parents viennent vers notre réseau pour s'informer dans le cadre de problématiques liées au divorce ou à la séparation, cela est confirmé par les associations de prévention sur les groupes sectaires - voir le rapport annuel de l'ADFI 2 Savoie-Isère 369 ou le dossier du GEMPPI 370. Les experts judiciaires sacralisent le parent sectarisé, au mépris des responsabilités parentales ; cela enkyste l'affaire, la sur-procéduralise, la délègue au pénal ou déboute de tout recours en droit.

Le soutien des associations qui savent écouter et aider les parents non-sectarisés est indispensable.

Nous demandons de tout cœur à votre commission de décider la mise en place sans plus attendre, de ce qui suit.

Tout d'abord, la création d'un service public de médiation et de soutien à la parentalité, comme le proposent depuis quelques années plusieurs associations de défense des droits de l'enfant et de soutien à la parentalité, organisant dans tout le pays le recours préventif hors système judiciaire à la médiation familiale avant toute saisine des juridictions.

En deuxième lieu, le réel recensement, la vérification et la labellisation des structures existantes, afin de prévenir tout risque d'infiltration.

Troisièmement, le renforcement des textes poursuivant et sanctionnant les infractions des organisations et thérapeutes sectaires.

Puis la bienveillance et la protection judiciaires pour les personnes dénonçant des crimes à caractère sectaire, comme c'est déjà le cas dans certains pays de l'Union européenne.

Ensuite, l'encadrement de la police chargée d'infiltrer les organismes déviants afin de cerner la problématique sectaire.

Enfin, la mise en place d'effectifs adéquats dans tous les services de l'État concernés. On ne peut espérer de travail efficace avec un seul fonctionnaire par département. Nous saluons le travail de la MIVILUDES et de son président, Jean-Michel Roulet, mais elle est totalement débordée par la situation.

Je remercie enfin toutes celles et ceux qui nous soutiennent activement, parmi lesquels des personnalités de premier plan dont je regrette qu'elles ne soient pas auditionnées par votre commission, mais également tous les anonymes qui nous aident au quotidien, et vous-mêmes qui nous accordez un peu de votre temps.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Vous dites être implantés dans plusieurs pays d'Europe...

M. Michel GILBERT : Nous sommes situés dans huit pays de l'Union européenne, plus Andorre.

M. le Rapporteur : Comment qualifieriez-vous la situation actuelle au vu de votre expérience de terrain ? A-t-elle empiré ou s'est-elle améliorée ?

Plusieurs de nos interlocuteurs ont regretté un manque de coordination entre les intervenants et notamment entre les associations. Partagez-vous ce sentiment ?

Vous n'avez pas parlé de la prévention. Est-ce à dire qu'elle vous paraît satisfaisante ? Faut-il la renforcer ? Si oui, à quel niveau ?

Vous dites avoir détecté des failles dans le système des pouvoirs publics français. Considérez-vous que notre manière collective d'aborder ce phénomène, avec le réseau associatif et la MIVILUDES, est satisfaisante ? Faut-il la compléter ? Si oui, comment ?

Jugez-vous notre arsenal législatif suffisant ? Vous avez évoqué plusieurs questions plutôt à la marge de notre dispositif. Quelle appréciation portez-vous sur la loi « About-Picard » ? Votre association l'utilise-t-elle ou a-t-elle l'intention de l'utiliser ?

M. Michel GILBERT : Je tiens à saluer le travail de M. Nicolas About et de tous les députés qui ont permis le vote, à l'unanimité, de la loi « About-Picard ». Cela dit, comment prouve-t-on l'abus de confiance et l'abus de faiblesse ?

S'agissant de la coordination entre secteur associatif et pouvoirs publics, il y a encore des efforts à faire pour que toutes les associations de terrain concernées puissent réellement collaborer et que les interlocuteurs privilégiés en matière de prévention et d'information sur les dérives à caractère sectaire puissent travailler en cohésion. Peut-être péchons-nous également au niveau de la circulation de l'information entre les associations et les institutions. Dans les organisations sectaires, l'information, sitôt qu'elle arrive, part en un instant dans toutes les ramifications ; de notre côté en revanche, les informations remontent bien souvent difficilement là où elles seraient les plus utiles.

M. le Rapporteur : Autrement dit, l'ensemble des intervenants manqueraient de réactivité sur le terrain.

M. Michel GILBERT : Tout à fait. Les parents que nous recevons sont bien souvent allés déjà rechercher des informations à droite et à gauche, qu'on ne leur donne presque nulle part, si ce n'est à la MIVILUDES. Alors que ces gens désespérés cherchent d'abord un soutien, bon nombre d'acteurs chargés de la prévention les dirigent directement vers les avocats. Il est souvent plus facile de résoudre le problème en amont, en dehors du système judiciaire - même si, naturellement, nous invitons les parents à porter plainte lorsque c'est indispensable.

Il y a quelque temps, nous nous sommes retrouvés avec un groupe de parents face à un séminaire du New Age ; nous sortons une jeune femme d'une séance de tantrisme où elle était seule... au milieu de beaucoup d'hommes. Elle nous avoue que ce n'est pas la première fois et commence à réaliser qu'elle a été violée avec son consentement. Que voulez-vous faire ? Porter plainte ? Auprès de qui et contre qui ? Nous rencontrons des exemples de ce genre tous les jours. Il n'est vraiment pas évident de renvoyer les gens vers une machine judiciaire qui ne les entendra pas comme le feront des êtres humains.

M. le Rapporteur : Vous dites avoir des problèmes avec les procureurs...

M. Michel GILBERT : À propos de l'auto-saisine des parquets, en effet. Lorsqu'un mineur est en danger, n'est-il pas du devoir du parquet de mettre automatiquement en route la machine judiciaire ?

M. le Rapporteur : Est-ce à dire que les magistrats seraient trop frileux face à un phénomène sectaire qu'ils auraient du mal à appréhender ?

M. Michel GILBERT : Oui. Ils ne cernent pas le problème. Vous qui connaissez depuis de nombreuses années la réalité du phénomène sectaire, vous comprenez immédiatement ; mais des gens qui ne côtoient pas ces souffrances au quotidien auront du mal à comprendre. Bien souvent, ils prendront celui qui vient leur parler d'abus sur enfants ou de mise en état de sujétion pour un original... Cela dit, je tiens à souligner que la France est, de loin, le pays d'Europe à la pointe en matière de prévention, de lutte et d'information sur les dérives à caractère sectaire, et que le travail de la MIVILUDES appelle à cet égard tous les honneurs.

M. le Rapporteur : Ne faudrait-il pas aller plus loin et organiser la prévention à d'autres niveaux, et mettre en œuvre une stratégie adaptée dans les lycées et les collèges ? Par exemple, la prévention face aux organisations sectaires ne devrait-elle pas faire l'objet d'un chapitre en instruction civique ?

M. Michel GILBERT : J'ai plusieurs fois accompagné Jacky Cordonnier 371 lors de conférences dans les écoles ; les questions posées par les enfants comme par les parents montrent à quel point ils sont à des années-lumière de la réalité sectaire. Il faudrait effectivement développer des conférences de sensibilisation à l'école, au lycée, mais également à l'université qui est un terreau très fertile pour la pénétration sectaire. L'enseignement du libre arbitre, de la liberté d'expression et du libre choix est également un élément très important pour les enfants d'aujourd'hui, compte tenu de la société qui les attend. Cela dit, l'éducation nationale réalise depuis quelques années déjà du très bon travail avec la cellule de prévention du phénomène sectaire, mais des progrès restent à faire en matière de prévention vers les jeunes.

M. le Rapporteur : Notre arsenal juridique a évolué. Le jugez-vous suffisant ? Appelle-t-il à être revu à la marge, ou plus fondamentalement ?

M. Michel GILBERT : N'étant pas un expert du droit, j'éviterai les effets de manche. Lorsqu'une organisation sectaire vous a enlevé votre enfant, votre petit-enfant, votre femme, votre compagne, vous vous retrouvez très vite totalement démuni face à une organisation bien structurée qui tient parfois les magistrats - on l'a vu à l'occasion de plusieurs affaires connues - et ne manque pas de bons avocats. Que peut faire un père de famille devant un juge aux enfants, face à un avocat « blindé » qui fera tout pour promouvoir les bienfaits de l'organisation sectaire, comme cela s'est passé encore récemment à Lyon ? Peut-être faudrait-il réfléchir à d'autres moyens d'extirper les mineurs d'une influence sectaire, d'une manière moins procédurale. La procédure effraie les organisations sectaires qui répondent immédiatement à l'agression en envoyant leurs troupes de juristes d'élite ; les parents se retrouvent alors attaqués et condamnés pour diffamation, attouchements, violence de genre, tentative de vol - on trouve de tout, elles savent y faire ! Condamnations que la secte ne manquera pas d'agiter par la suite...

Ajoutons que les experts judiciaires ne comprennent rien à la problématique sectaire... Ils ont tôt fait de disqualifier le parent qui serait le seul à même de protéger l'enfant.

M. Jean-Pierre BRARD : J'ai cru comprendre que certains États protègent des personnes qui agissent contre les sectes et peuvent faire l'objet de pressions ou de menaces. Quels sont-ils ?

M. Michel GILBERT : Je peux vous citer l'Espagne. Ainsi, après la diffusion d'un reportage, un membre d'une organisation ufologique à tendance pédophile a décidé de la quitter, et la Guardia civil l'a placé sous protection judiciaire. Mais sachez que nous rencontrons d'énormes difficultés outre-Pyrénées, dues à une organisation très puissante.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous nous mettez l'eau à la bouche... Dites-nous laquelle ! Tom Cruise n'en ferait-il pas partie ?

M. Michel GILBERT : Non, mais c'est bien grâce à elle que la sienne n'a pas été condamnée à Madrid...

M. Jean-Pierre BRARD : Vous êtes à ce point sibyllin que je ne sais plus que penser !

M. Michel GILBERT : On trouve des organisations faussement religieuses dans toutes les religions : des organisations faussement hindouistes, des organisations faussement bouddhistes, des organisations faussement chrétiennes et aussi des organisations faussement catholiques.

M. Philippe VITEL : Vous avez fait état d'un million d'enfants victimes. Sont-ils dans vos huit États d'implantation ou sur tout le territoire de l'Union européenne ?

M. Michel GILBERT : Ce n'est qu'une estimation ; il n'existe aucun chiffre sur ce phénomène. Ni le Parlement ni la Commission européenne n'ont réellement travaillé sur le sujet ; seul le Conseil de l'Europe s'y est intéressé et il réunit davantage d'États que l'Union. Nous avons avancé le chiffre d'un million d'enfants dans toute l'Union européenne. Celui de 60 000 à 80 000 avait été cité par M. Philippe Vuilque dans le cadre de la commission d'enquête de 1999. Compte tenu des efforts que déploie la France, c'est un niveau bas par rapport au reste de l'Europe. Le mouvement sectaire se développe particulièrement à l'Est, et d'une manière très agressive, mais également au Portugal, grâce aux organisations d'origine brésilienne - le Brésil nous envoie bon nombre de rhizomes sectaires -, et en Espagne, du fait de la présence d'organisations spécifiquement méditerranéennes que l'on ne rencontre pas en France.

M. Jean-Pierre BRARD : Qu'appelez-vous un rhizome ?

M. Michel Gilbert : Certaines plantes ont la faculté, lorsque vous leur coupez la tête, à se « rhizomiser » de tous les côtés. C'est ce qui arrivé avec le mouvement sectaire en France : les grandes organisations sectaires auxquelles on avait coupé la tête ont essaimé ces dernières années dans les thérapies alternatives.

M. le Rapporteur : Monsieur Gilbert, il ne nous reste plus qu'à vous remercier de votre intervention.

Audition de Mme Sonya JOUGLA, psychologue


(Procès-verbal de la séance du mardi 19 septembre 2006)

Présidence de M. Philippe VUILQUE, Rapporteur

M. le Président : En vous remerciant, madame, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Sonya Jougla prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

Mme Sonya JOUGLA : Jusqu'à aujourd'hui, les enfants victimes de secte restaient les grands oubliés de la société et des professionnels chargés de la protection de l'enfance en danger. Peut-être parce qu'il est encore plus difficile de préserver un enfant de la croyance de ses parents que de leurs coups ou de leur sexualité incestueuse. Peut-être aussi parce que la contrainte qu'imposent les parents en immergeant leur enfant dans une secte est parfaitement légale.

Dans ma pratique professionnelle de psychologue clinicienne et psychothérapeute, je n'ai jamais reçu, en trente ans d'exercice, de demande de psychothérapie d'enfant victime de secte de la part de parents adeptes. Ces parents-là, eux-mêmes victimes de manipulation mentale et d'emprise sectaire, ne peuvent avoir conscience de la souffrance de leur enfant. J'ai reçu, en revanche, de nombreux enfants amenés par des parents divorcés ou mariés à un adepte de secte, ou des parents sortis de secte qui assistent, impuissants, à la lente dégradation de leur enfant et qui viennent chercher des solutions auprès des professionnels de santé et de justice.

Il est extrêmement difficile d'entreprendre une psychothérapie avec un enfant immergé dans une secte et ayant au moins un parent adepte. La difficulté est aggravée lorsque le père ou la mère est lui-même le gourou de la secte. L'héritage spirituel qui pèse alors sur l'enfant et l'amour-dévotion qu'il porte à son parent gourou entravent la possibilité d'établir une alliance thérapeutique ou d'introduire un tiers médiatisant. L'enfant nie le vécu traumatique pour pouvoir continuer à vivre avec l'auteur de l'emprise qui est pour lui tout puissant, dont il dépend et qu'il aime. La psychothérapie est nettement plus envisageable pour l'enfant lorsque les deux parents sont sortis de secte. Cela ne veut pas dire qu'elle soit facile.

Je reçois, par contre, fréquemment d'anciens adeptes adultes ayant séjourné, enfants, dans une secte et qui gardent vingt ou trente ans après, de nombreuses séquelles psychologiques invalidantes.

M. le Président : Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Mme Sonya JOUGLA : Les personnes dont je parle étaient venues me consulter longtemps après leur sortie de secte. Certaines d'entre elles étaient venues pour dépression, troubles psychiatriques ou autres. Au cours de la psychothérapie, je me rendais compte qu'elles étaient passées par un groupe sectaire. Mais elles-mêmes n'étaient pas venues pour cela.

Parmi les séquelles, j'ai noté une capacité à suivre les groupes, une difficulté à avoir un discernement propre et un libre arbitre.

La question du besoin des enfants victimes de sectes apparaît la plupart du temps à l'occasion de conflits familiaux. Le projet groupal enfermant de la secte vient en opposition au projet sociétal, qui est de socialiser l'enfant dans un réel objectif et une construction de sa citoyenneté.

S'il est pratiquement impossible de protéger un enfant de la maltraitance de l'emprise sectaire en s'appuyant sur la prise de conscience du parent endoctriné, il est essentiel de protéger l'enfant en s'appuyant sur le parent non adepte et non endoctriné et en soutenant ce dernier dans ses démarches. Ces démarches sont très difficiles. L'enfant ne peut pas sortir de l'influence sectaire par ses propres moyens ; le parent adepte n'a pas conscience de nuire à la construction psychologique de son enfant ; le parent non adepte est impuissant seul face aux pouvoirs de la secte et il n'est pas compris dans l'importance de la maltraitance qu'il dénonce. Or, chaque enfant qui est dans une secte est un enfant en danger, que cette secte soit coercitive ou non. Les maltraitances psychiques sont toujours existantes. De la même manière, le parent non adepte n'est pas suffisamment appuyé ni soutenu par les intervenants institutionnels.

Les deux premières raisons n'étant pas susceptibles d'être modifiées, la protection de l'enfant victime de secte ne peut être mise en œuvre que par la prise de conscience de la réalité de la maltraitance et par l'appui impératif que la société se doit d'apporter à celui des parents non adepte - ou à tout autre membre de la famille - qui tente d'extraire l'enfant de l'influence de la secte.

Il faut voir les choses telles qu'elles sont : accorder l'autorité parentale à un parent adepte d'une secte revient toujours à accorder l'autorité à la secte elle-même. Il y a toujours un déséquilibre de forces entre le parent adepte qui bénéficie de la puissance quasi mafieuse de la secte et le parent non adepte isolé. Il est vraiment important que la législation établisse un rapport d'équilibre.

La gravité des séquelles de l'emprise sectaire sur l'enfant ne sera pas la même pour toutes les sectes et pour tous les enfants ; elle dépendra de cinq paramètres au moins : la dangerosité de la secte, la nature de l'acte maltraitant, le niveau de développement psychique et affectif de l'enfant, l'âge de l'enfant, l'implication sectaire de l'entourage.

Toutes les sectes ne présentent pas la même dangerosité pour les enfants : elles sont plus ou moins coercitives ; certaines n'entreprennent l'endoctrinement de l'enfant qu'à l'âge de l'adolescence et lui laissent librement vivre son enfance ; d'autres le conditionnent dès sa vie fœtale - par la « galvanoplastie spirituelle », par exemple, pour créer « la sixième race des élus de l'ère du Verseau » - ; d'autres encore sélectionnent par la génétique les fœtus avec IVG obligatoire pour les enfants non reconnus par les « géniocrates » et expérimentent le clonage humain ; elles sont plus ou moins closes. Certains enfants vivent en permanence dans la secte, d'autres vivent hors de la secte et suivent une scolarité normale. S'ils vont à l'école, la maltraitance n'est pas la même parce qu'il y a un « dehors ».

La gravité des séquelles dépendra de la nature de l'acte dont il faut considérer : la sévérité, la fréquence, la répétition, la durée, l'intentionnalité de l'agresseur, et de quel agresseur il s'agit : gourou, adeptes ou parents.

Elle dépendra de l'âge de l'enfant et de l'âge auquel il est entré dans la secte. Celui qui est né dans une secte est beaucoup plus en danger. Cela dépend de l'âge auquel il en est sorti et de la durée de son séjour. Mais cela dépend surtout du niveau de développement psychique et affectif de l'enfant.

L'importance du traumatisme dépendra donc du niveau de construction du développement affectif, cognitif et social de l'enfant ; de sa vulnérabilité, si l'enfant a eu ou non le temps et l'occasion de développer sa résilience ; de l'interprétation que l'enfant fait de l'acte, plus que de l'acte lui même. Si l'impact émotionnel dépasse les capacités d'intégration psychologique et affective de l'enfant, il y a maltraitance de l'enfant.

Elle dépendra, enfin, de l'implication sectaire de l'entourage : a-t-il un seul parent dans la secte ? Les deux parents sont-ils adeptes ? La totalité de la famille appartient-elle à la secte ? Dans ce dernier cas, pour l'enfant, la secte reflète encore plus la normalité.

Les maltraitances physiques sont celles qui sont les plus aisément repérables par les professionnels de santé et de justice du fait des traces visibles et mesurables qu'elles entraînent. Elles occultent trop souvent les maltraitances psychologiques proprement sectaires plus difficiles à déceler et qui me causeront des difficultés lorsque je verrai l'enfant en psychothérapie. Quelles sont les causes de ces maltraitances psychologiques ?

Premièrement, le besoin du gourou. La présence d'enfants dans une secte est nécessaire au gourou. Elle lui garantit sa pérennité et elle forge dès leur naissance les nouveaux adeptes de demain. Les enfants vont être « formatés » selon les fantasmes délirants du gourou. Ils représentent un « cheptel de robots » conformes, soumis, uniformisés, désindividualisés, dans lequel il pourra impunément puiser pour assouvir ses fantasmes. Ces enfants, parfaits petits adeptes calibrés tels des poulets de batterie, exécuteront sans broncher les consignes du maître. Je suis à même de reconnaître de quelle secte vient tel ou tel enfant.

Deuxièmement, un monde virtuel. Le gourou a construit de toutes pièces un royaume virtuel dont il est le souverain incontesté puisqu'invérifiable. Il parvient ainsi à faire croire à l'enfant qu'il n'existe d'autre réalité que celle de ce monde virtuel. Les enfants des sectes ressemblent aux jeunes Japonais « otaku », qui vivent par procuration devant leur ordinateur. À leur propos, M. Claude Allard a parlé d'un syndrome d'imprégnation.

Troisièmement, ce monde virtuel ne peut fonctionner qu'en vase clos. L'intrusion de la réalité, la comparaison, les repères extérieurs, l'ouverture sur le monde apporteraient le doute, le discernement et le choix. Les murs de l'enceinte de ce monde servent à la fois de protection contre les attaques extérieures, contre l'intrusion du regard, du contrôle de la justice, de la santé, des droits de l'homme et de l'enfant. Ils servent aussi à retenir l'adepte et à le maintenir dans l'illusion fantasmagorique créée par le gourou. En apparence, les adeptes semblent libres d'entrer et de sortir selon leur bon vouloir. En réalité, ils sont retenus dans la cage virtuelle de l'emprise sectaire et présentent les mêmes symptômes que les personnes victimes prises en otage et prisonnières.

Quatrièmement, l'absence de triangulation. Le gourou crée une relation fusionnelle et duelle avec l'enfant. La place du tiers qui limiterait le pouvoir et la sacralisation du gourou est détruite systématiquement par celui-ci. Du fait du manque de triangulation, l'enfant se trouve à la merci totale du gourou. Il ne lui reste comme seules issues possibles à cette toute puissance que la négation de l'agression ou l'identification à l'agresseur.

Cinquièmement, la privation du processus d'individuation et d'individualisation. Elle entraîne chez l'enfant un comportement de soumission, une dépendance chronique au pouvoir et au règlement, une aspiration à la grégarité et une absence d'autonomie et de sécurité.

Les troubles de l'identité et l'état de dépersonnalisation peuvent amener l'enfant à perdre le sentiment de sa propre réalité et à ressentir son corps comme irréel. Certains enfants m'ont dit que, parce qu'ils étaient tellement purs, ils n'avaient plus d'organes à l'intérieur - syndrome de Cottard. Mais il ne s'agit pas d'une pathologie endogène ; c'est ce qu'on leur a appris.

Sixièmement, la confusion des rôles. La secte se présente comme un substitut de famille, unique repère. La démission des parents et l'adultomorphisme entraînent une confusion des générations et des sexes et une déstructuration des repères constitutifs de la lignée. Les pères et mères ne sont plus les représentants de l'autorité. Seul le gourou détient ce rôle. Il a autorité sur les enfants mais aussi sur les parents qui sont eux-mêmes infantilisés et réduits à l'état de frère et de sœur. Les enfants sont perdus, ils ne savent pas d'où ils viennent, qui ils sont et où ils vont.

Septièmement, la pensée unique. La mise en place d'un certain nombre de croyances érigées en vérité absolue, indiscutables et invérifiables, amène l'enfant à abandonner tout esprit critique, toute rationalité. Il est immergé continûment dans la certitude d'une vision unique du monde. S'écarter de cette vérité, c'est se retrouver seul, abandonné de tous, ne plus s'inscrire dans une appartenance.

Huitièmement, une difficulté à accéder à la pensée abstraite. L'enfant ne peut développer sa personnalité et ses capacités cognitives que s'il peut accéder à une faculté d'abstraction. La pensée unique, la pensée magique et les grilles interprétatives de la doctrine du gourou excluant toute autre pensée, font obstacle à la libération personnelle de la capacité d'abstraction de l'enfant.

Neuvièmement, le double langage. L'enfant est pris entre deux langages contradictoires. La distorsion entre les deux types de conception du monde, celle d'un univers fantasmé et utopique - celui véhiculé à l'intérieur de la secte - et celle de la réalité sociétale extérieure, crée un écartèlement et un stress permanent débouchant sur un état d'angoisse sidérant et paralysant.

Dixièmement, une difficulté d'adaptation sociale, professionnelle et familiale. La désocialisation et le trouble de l'adaptation sociale que présente l'enfant sont dus à un double rejet : il est conditionné à rejeter la société diabolisée et modèle de perdition ; son inadaptation, sa différence et la supériorité qu'il affiche provoquent un isolement douloureux et un rejet par les autres enfants dont il est souvent la risée et la tête de Turc. Souvent les instituteurs s'en rendent compte et le signalent ; nous pouvons essayer d'aider l'enfant. Les parents sont alors convoqués ; parfois ils viennent, mais en général ils ne reviennent pas et changent l'enfant d'école.

Onzièmement, les séquelles psychologiques des enfants victimes de sectes : l'influence de la secte sur les enfants les fait fréquemment évoluer vers une structuration névrotique obsessionnelle, phobique ou hystéro phobique, un effondrement narcissique, des aspects psychotiques, des états dissociatifs induits par les expériences délirantes et hallucinatoires vécues dans la secte.

L'enfant est pris dans un conflit de paradigmes. Le projet de la secte sur l'enfant est en conflit avec le modèle sociétal. Dans la secte, le projet utopique prime sur l'intérêt de l'enfant. Face à ce conflit, la question est de savoir si la société contemporaine est capable de construire et de penser son propre avenir. La société moderne se doit d'avoir des valeurs, une éthique, qui sont celles de la démocratie. Dans la perspective de ce projet, la laïcité - ou le respect des libertés fondamentales de l'individu - ne peut être synonyme de neutralité, sinon la laïcité - ou les droits fondamentaux - deviendrait un principe de décomposition de la société. Il est question de libertés individuelles, chaque fois qu'un enfant risque d'être mis en état de sujétion lorsqu'il appartient à une secte. Même lorsqu'il n'y a pas de maltraitance physique, il existe toujours une maltraitance psychique, tous les enfants dans les sectes sont des enfants en danger.

La société a un devoir d'ingérence et de protection à l'égard de ce faible parmi les faibles qu'est l'enfant victime de secte placé sous la double emprise du parent adepte et de la secte. La société se trouve paralysée dans son devoir d'ingérence pour trois raisons : la secte est considérée à tort comme une religion, ce qui paralyse la réponse sociale et interdit jusqu'à l'idée même d'ingérence ; l'hypocrisie qui consiste à penser que la liberté de croyance et d'éducation ne sont l'apanage que de la sphère parentale ; la méconnaissance ou la non reconnaissance et même la négation de l'existence d'une maltraitance psychologique sectaire spécifique subie par les enfants.

Face à cette paralysie, il est urgent d'apporter des solutions concrètes qui prennent en compte la spécificité de l'emprise sectaire : il serait intéressant, dans le prolongement de la loi de 1998, de renforcer les contrôles scolaires et de mettre en place des contrôles par surprise. Les mêmes contrôles doivent avoir lieu au niveau de la santé des enfants. Ces « contrôles » doivent être faits systématiquement et préventivement, sans qu'il soit nécessaire qu'une plainte ait été déposée.

De la même façon, il serait intéressant d'allonger le délai de prescription pénale pour les infractions concernant les victimes de sectes, et mieux, prévoir leur imprescriptibilité ; de protéger l'enfant en s'appuyant sur le parent non adepte et non endoctriné, en aidant ce dernier tant dans ses démarches juridiques que sur le plan psychologique ; d'aider l'enfant à garder un lien approprié avec le parent qui est dans la secte, bien que ce soit extrêmement difficile. Il me semblerait en tout cas important de poser le principe de l'interdiction du séjour de l'enfant dans la secte - et de mettre en place un contrôle de cette interdiction. Je viens d'avoir l'exemple d'une petite fille de trois ans qui a été immergée pendant un mois dans une secte importante, très coercitive et très nocive pour les enfants ; son état était dramatique quand elle est revenue avec sa mère - complètement déstructurée, psychotique, dans un état de sidération, etc.

Il serait important de contrôler les familles d'accueil pour éviter une récupération sectaire ; enfin, de suivre tous les enfants d'adeptes lorsqu'une secte fait l'objet d'un drame collectif. Même lorsque la secte n'existe plus, ces enfants sont laissés dans la nature et personne ne les aide. Or, cela relève de notre responsabilité.

Il conviendrait de former un réseau de professionnels. L'information dans ce domaine est bien sûr importante mais elle ne doit, en aucun cas, être confondue avec la formation à la spécificité sectaire et aux processus d'emprise. La société se doit de mettre en place un réseau de professionnels - santé et justice - formés à la spécificité de cette dangerosité sectaire, pour qu'ils puissent repérer dans leur pratique et prendre en charge les enfants victimes de ce danger. Cette formation doit être interdisciplinaire. Pour être efficace, elle doit se dérouler sur plusieurs semaines, elle doit comporter le témoignage de victimes de sectes pour que soit palpable le processus d'emprise et être enseignée par des intervenants spécialistes des différents axes d'approche du phénomène sectaire. La spécificité du phénomène sectaire étant extrêmement complexe, les professionnels de la santé, de la justice et les travailleurs sociaux, appelés à intervenir auprès des victimes de sectes, se sentent mal informés et démunis face à cette aliénation si particulière et difficile à cerner ; ils ont peur des représailles et peur de l'irrationnel.

La non-reconnaissance de la victime de secte et l'incompréhension de sa souffrance par les professionnels aggravent le traumatisme sectaire initial et murent les victimes dans une solitude paralysante. La mise en place d'un réseau de professionnels formés à ce type de victimologie correspond à une attente du corps social, des institutions et des associations d'aide aux victimes confrontées au phénomène sectaire, comme l'a souligné la MIVILUDES.

Les objectifs de la formation seraient d'apporter un complément de formation sur le phénomène sectaire aux praticiens juristes, médecins, psychologues, travailleurs sociaux, et de mettre en place un réseau de professionnels formés à cette victimologie spécifique pour prendre en charge ces enfants-là.

M. le Président : Merci, madame.

Comment qualifieriez-vous la situation actuelle ? On nous a beaucoup parlé des psychothérapeutes ; je voudrais connaître votre avis en tant que praticienne. Pensez-vous que notre législation et notre dispositif de lutte contre les organisations sectaires soient suffisamment complets ? On nous a dit également que les associations ne travaillaient pas suffisamment ensemble, qu'il n'y avait pas de coordination entre les intervenants. Enfin, vous avez parlé du divorce et de l'autorité parentale. Vous avez précisé que lorsque l'enfant était confié à un des parents membre de la secte, il était en fait confié au gourou. Avez-vous des propositions concrètes à faire à ce propos ? Les magistrats ont du mal à aborder les problèmes sectaires.

Mme Sonya JOUGLA : En cas de divorce, l'un des parents peut utiliser, à tort, l'alibi de la secte pour tenter de récupérer un enfant. Mais c'est très rare. En revanche, un parent membre d'une secte, s'il détient l'autorité parentale, immergera forcément son enfant dans la secte et l'élèvera selon ses principes. Le fait de donner l'autorité parentale à ce parent-là pose problème.

M. le Président : On nous rapporte fréquemment que le magistrat n'a pas pris en compte l'appartenance sectaire de l'un des parents, sans doute par méconnaissance, mais aussi par confort : il ne sait pas « où il met les pieds ».

Mme Sonya JOUGLA : Les gens ne sont pas formés. Un magistrat, même s'il est très compétent et très honnête, ne peut pas comprendre l'emprise sectaire si on ne la lui a pas expliquée ; mais peut-être pourra-t-il au moins s'adresser à des spécialistes des sectes, comme il en existe dans tous les départements.

De la même façon, un bon psychologue ou un bon psychiatre qui ne connaît pas l'emprise sectaire ne peut pas faire la psychothérapie de quelqu'un qui sort de secte. C'est très complexe et spécifique, cela ne s'invente pas. D'où la nécessité de former des personnes capables de repérer les problèmes liés aux sectes et d'orienter les intéressés vers des spécialistes. Voilà trente ans que j'essaie de trouver des solutions, je n'en ai pas trouvé d'autre.

M. le Président : Selon vous, à partir du moment où l'appartenance est prouvée, le magistrat doit systématiquement considérer que la garde parentale va à l'autre parent qui n'appartient pas à la secte ?

Mme Sonya JOUGLA : En tout cas, il doit s'adresser à un expert en la matière. Sinon, comment peut-il comprendre ? Si vous auditionnez des personnes qui ont été victimes des sectes, vous allez les voir débarquer de Mars. Vous vous demanderez comment elles ont pu se laisser embrigader.

Le problème de l'emprise est très compliqué. De très bons psychiatres font des confusions entre certaines pathologies et les pathologies liées aux sectes. En outre, certains gourous sont très intelligents psychologues et sont tout à fait capables de manipuler les experts, les magistrats, les avocats, les psys, etc.

M. le Président : En cas de divorce, il y a des enquêtes sociales. Or on s'aperçoit que ceux qui les font ne sont pas non plus formés à l'approche sectaire. Cela peut poser problème.

Mme Sonya JOUGLA : Je suis d'accord.

M. le Président : Comment qualifieriez-vous la situation actuelle ?

Mme Sonya JOUGLA. J'ai un recul d'une trentaine d'années. Il y avait alors de grandes sectes, bien définies, bien claires. Aujourd'hui, il y a énormément de groupuscules sectaires, de vingt personnes au plus. Récemment s'est tenu le procès d'une secte de vingt personnes, avec un mort et deux tentatives de suicide ; je veux parler de Néo-Phare.

J'ai eu en psychothérapie les enfants du frère du gourou de cette secte. Ces enfants étaient dans la nature. On a fait appel à moi et je m'en suis occupée. Mais si on ne fait pas appel à moi, personne ne s'en occupe, ce qui est très grave.

On trouve partout de ces groupuscules qui prônent l'épanouissement personnel, la rencontre de soi, le bien-être, etc. Or, le désordre causé peut être le même que dans les grandes sectes comme les Témoins de Jéhovah, dont j'ai vu beaucoup d'enfants.

M. le Président : Vous parlez du devoir d'ingérence de la société. Mais il n'existe pas, juridiquement, de définition de la religion, pas plus que de la secte. Pensez-vous que nous devrions préciser les choses, justement pour permettre l'accomplissement éventuel de ce devoir d'ingérence ?

Mme Sonya JOUGLA : La loi « About-Picard » permet de définir la secte. Cette définition existe depuis 2001. C'est, en tout cas, sur elle que je m'appuie, tout comme les juristes qui travaillent sur les sectes.

Pourquoi continue-t-on à dire qu'il n'y a pas de définition de la secte, que les gens qui rentrent dans les sectes sont des gens vulnérables, qu'il y a toujours des problèmes d'argent dans les sectes ? Néo-Phare, qui ne demandait pas un sou, était très dangereuse.

Venons-en aux psychothérapeutes. Pour l'instant, il n'existe toujours pas de diplôme et n'importe qui peut s'installer. J'ai continuellement dans ma clientèle des personnes qui viennent me voir parce qu'elles ont été abîmées par des pseudo psychothérapeutes. Certaines médecines alternatives sont très bonnes, mais il faut faire attention : n'importe qui soigne avec n'importe quoi ! Il faudrait tout de même instituer des contrôles.

J'enseigne à la faculté cette médecine légale. Je m'aperçois combien la plupart des gens, bien qu'ils soient médecins, juristes, etc., cultivés et diplômés, sont prêts à croire, par exemple, que tel soin va guérir le cancer...

M. Jean-Pierre BRARD : Comment peut-on, au niveau public, envisager la formation de professionnels de la santé et de la justice ? Qui, selon vous, doit assurer la formation des formateurs ?

Il arrive que des magistrats soient eux-mêmes membres de sectes ; on se souvient de la cour d'appel de Lyon où l'un des trois magistrats était membre de l'Office culturel de Cluny. Cela fut révélé au cours d'un module de formation de l'École nationale de la Magistrature. Mais la formation est l'exception.

Comment identifiez-vous nous les enfants sortant des Témoins de Jéhovah ?

Vous avez parlé des instituteurs qui repèrent tel ou tel signe. Mais ces instituteurs ont un devoir de signalement. Si les parents changent les enfants d'école, on peut les suivre à la trace ; s'ils les gardent chez eux, il leur faut une autorisation. Pouvez-vous satisfaire notre curiosité sur ces sujets ?

Mme Sonya JOUGLA : Je vais prendre l'exemple de cet enfant Témoin de Jéhovah, qui ne joue pas à la récréation, qui fait du prosélytisme auprès de ses copains, qui ne va pas aux anniversaires, ni aux classes vertes, qui est habillé différemment, qui pense différemment. La maîtresse nous le signale et nous demande de voir l'enfant. Les parents sont très obéissants, ils prennent rendez-vous et viennent me voir. Ils ne me parlent de rien ; l'enfant me parle de la « salle du royaume », etc. Les parents me promettent que l'enfant ira en classe verte avec les autres enfants, et ils s'en vont.

Comment les différencie-t-on des autres enfants ? Ils sont souvent très bien élevés, très dociles, impeccables, gentils, respectueux, ne dérangent rien dans mon cabinet. Si je leur propose d'aller jouer, ils n'osent pas.

Je le vois à de nombreux détails. Par exemple, à leur façon de dessiner. Les enfants de la Fraternité blanche universelle, par exemple, n'ont pas le droit d'utiliser le marron et le noir...

M. le Président : Si vous aviez des documents concernant cette typologie, nous serions très intéressés.

Mme Sonya JOUGLA : J'ai beaucoup de « bouteille », je travaille depuis trente ans et je sens quand un enfant ou un parent appartient à une secte : détail vestimentaire, attitude. Les enfants de chez Raël n'ont pas du tout la même attitude qu'un enfant des Témoins de Jéhovah : ils sont habillés de façon amusante, fantaisiste, un peu sexy. Les petites filles ont de grands cheveux et sont dans la séduction. Ce n'est pas le cas des petites filles Témoins de Jéhovah. Mais il y a toujours cette obéissance et cette réserve.

M. Jean-Pierre BRARD : Pensez-vous que le fait qu'on puisse déjà les identifier est la preuve qu'on les a déjà coupés de la société ?

Mme Sonya JOUGLA : Une enfant qui me dit qu'elle n'a pas envie de jouer avec des Barbie, ce n'est pas très grave. Un enfant qui dessine des stéréotypes est déjà coupé de sa créativité. Avec un enfant qui ne peut avoir ni jugement ni libre arbitre ni capacité de choisir, on est déjà un peu plus loin. Avec un enfant qui a des délires hallucinatoires et interprétatifs, qui me dit voir des anges dans les tourterelles de mon balcon, ou qui me dit, alors que j'éternue : « Vous changez de plan », on est encore plus loin. Il y a des graduations.

Les enfants qui ne sont pas depuis longtemps dans une secte trouvent la situation plutôt amusante. Mais ils en ont vite assez. Ils sont confinés. Les petites filles, surtout, n'ont pas le droit de faire ceci, cela. La contrainte devient de plus en plus forte.

M. Jean-Pierre BRARD : Les enseignants ne sont-ils pas obligés de faire un signalement ?

Mme Sonya JOUGLA : Je ne crois pas. Tout le monde a peur de cette espèce de nébuleuse qui s'appelle la secte. J'ai vu des magistrats, des avocats, des psychologues dire qu'ils ne voulaient pas s'en mêler, parce que les sectes étaient sources de problèmes. Ils ont peur des représailles, mais aussi de l'inconnu. D'où la nécessité de cette formation.

Nous avions organisé à Lyon une formation universitaire qui concernait des juristes, des assistants sociaux, des infirmiers, des enseignants, des médecins, des psychologues, etc. Elle se passait très bien. On a voulu déplacer cette formation sur Paris, mais nous rencontrons quelques problèmes.

M. Jean-Pierre BRARD : Pourquoi ?

Mme Sonya JOUGLA : Cela m'ennuie de le dire, car le dire, c'est donner raison aux sectes. Nous sommes barrés par les sectes au niveau universitaire. Vous parliez d'un magistrat de l'Ordre de Cluny, mais certains doyens de faculté sont Témoins de Jéhovah, d'autres sont scientologues. Or il est très important qu'il y ait un diplôme universitaire.

M. Serge BLISKO : Je suis élu parisien. Si une formation ne peut pas s'organiser à Paris, s'il y a des blocages, je demande que les élus en soient informés. Je pensais que c'était plutôt un problème de salles.

M. le Président : Mme Jougla nous donnera les éléments plus tard. Je souhaiterais maintenant une réponse à une question très concrète : avez-vous déjà subi des pressions ?

Mme Sonya JOUGLA : Non, et je vais vous dire pourquoi : je ne m'occupe pas des sectes, mais d'aide aux victimes. Simplement, quand je demande quelque chose, c'est compliqué, les dossiers se perdent, il y a des retards et quand tout est déjà monté, ce n'est plus possible. Mais ce ne sont pas des menaces.

M. Jean-Yves HUGON : Madame, vous avez parlé de certaines sectes sans les nommer. Je reste un peu sur ma faim. Vous avez notamment évoqué une petite fille de trois ans qui était restée un mois dans une grande secte.

Mme Sonya JOUGLA : Il s'agissait des Témoins de Jéhovah.

M. Jean-Yves HUGON : Vous avez dit que le moyen de repérer les enfants des sectes était qu'à l'école, ils étaient isolés et devenaient des têtes de Turc. Quels sont les moyens qui peuvent être mis à la disposition des enseignants ? On pourrait, en effet, penser à une formation, dispensée dans les IUFM dans le cadre d'une réforme à venir. Mais quels sont les autres critères dont ils disposent ?

Mme Sonya JOUGLA : Certains enfants ne parlent pas, ne font rien, répondent à peine. Il n'y a pas de manifestation d'expressions sur leur visage. Certains parlent beaucoup et jouent au représentant de commerce, évoquant la « salle du royaume », etc. D'autres se prennent pour le sauveur du monde et assistent la veuve et l'orphelin.

Les enfants des sectes sont souvent les têtes de Turc et la risée des autres. Ils sont habillés autrement, ils sont à part Ils sont aussi persuadés d'avoir raison. Ils n'ont pas la possibilité de douter, de réfléchir, d'avoir un apport extérieur.

Les enseignants nous sont très utiles. Il y en avait dans cette formation de Lyon. On fait bien des formations avec le rectorat, mais ce ne sont pas de vraies formations. Ce sont des informations.

M. Serge BLISKO : Vous avez parlé d'une petite fille en état psychotique, sujette à des états hallucinatoires. Est-ce une allusion au fait que des substances pourraient être administrées à des enfants ?

Nous avons entendu un exposé très intéressant d'une victime sur les souvenirs induits. Pouvez-vous nous en parler en tant que professionnelle ?

Ne pensez-vous pas qu'il faudrait regarder de plus près certaines enquêtes sociales ? Certaines me semblent très partiales. Elles sont très peu encadrées. Elles peuvent, soit passer à côté de choses énormes, soit être manipulées par des « forces » extérieures.

Mme Sonya JOUGLA. Les enquêteurs sociaux peuvent être mal informés, manipulés par la personne adepte, ou faire eux-mêmes partie d'une secte. C'est assez fréquent, à l'instar de ce qui se passe dans les familles d'accueil. Je peux vous donner l'exemple d'un enfant sortant d'une famille d'accueil Témoin de Jéhovah et qui a été adopté par un avocat ; il a mis le feu chez l'avocat en lui disant qu'il était le démon. C'est grave et cela prouve qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans cette famille d'accueil.

M. Jean-Pierre BRARD : Quand était-ce ?

Mme Sonya JOUGLA : Je peux vous retrouver la date.

M. Blisko a parlé des faux souvenirs. Il existe des écoles de pseudo-psys, comme M. Lempert, ou comme le psy d'une école en Belgique dont j'ai oublié le nom. Les personnes soignées par ces psys qui induisent de faux souvenirs racontent toutes la même chose. Il existe aussi de nombreuses écoles d'hypnose.

J'ai reçu de nombreuses personnes dont la famille était installée en Amérique du Sud et dont les enfants prenaient des hallucinogènes. Mais j'ai surtout reçu des enfants qui avaient connu des expériences hallucinatoires, notamment des expériences de channeling - du mot channel, canal en anglais. Le canal reçoit directement les informations des êtres supérieurs, qui vont vous dire ce qu'il faut faire. Les adultes en font très souvent - il y en avait chez Néo-Phare. Mais quelquefois, ce sont les enfants qui, par exemple, disent : « j'ai envie d'écrire. » Et l'on en déduit que ce sont les maîtres invisibles qui lui ont dit qu'il fallait qu'il ait envie du crayon. On part du désir de l'enfant, qu'on finit par amener à des états hallucinatoires et dissociatifs. Ce sont des expériences de médiumnité, comme chez les adultes.

M. Philippe VITEL : Avez-vous été confrontée à des patients victimes de séquelles psychologiques et de sévices sexuels subis dans les sectes ? Si oui, cela relève-t-il d'une identification répétitive de ces sectes ?

Qu'en est-il des structures sectaires en marge de groupes travaillant sur la philosophie bouddhiste ?

Mme Sonya JOUGLA : La sexualité dans les sectes, c'est comme l'argent. L'une et l'autre peuvent être présents, mais pas toujours. Certaines sectes prônent même la chasteté totale. Il en était ainsi de la Fraternité blanche universelle, sauf pour le gourou ; il n'y avait pas d'obligation de sexualité entre les uns et les autres.

Dans d'autres sectes, la sexualité est imposée. Mais on ne peut pas vraiment parler de sexualité. Quand vous êtes violée dans une secte, ce n'est pas un viol : c'est une intervention spirituelle divine qui va vous permettre d'accéder à un niveau d'évolution supérieure et vous êtes très honorée d'avoir le droit de recevoir la semence du gourou. Avant qu'une personne en psychothérapie puisse dire qu'elle a été violée, il faut qu'elle ait fait un grand chemin ; une telle prise de conscience prend beaucoup de temps.

Sathya Saï Baba, par exemple, était homosexuel et pédophile. Il s'occupait uniquement des jeunes garçons et disposait d'un « cheptel ». Ils sont nombreux à agir ainsi, sous couvert de spiritualité.

Il y a des sectes où je n'ai jamais entendu parler de problèmes sexuels ; dans d'autres, il y en a toujours : chez Raël, par exemple.

S'il n'y a pas toujours de la sexualité ou des questions d'argent dans les sectes, il y a toujours un besoin de pouvoir du gourou, qui est quelqu'un de très pathologique.

Mme Martine DAVID : À vous entendre, les dérives sectaires à l'encontre des mineurs sont très nombreuses. Est-ce que, dans votre clientèle, vous ne voyez que cela ? Avez-vous des échanges, des dialogues avec des collègues qui seraient à même de confronter avec vous leur expérience en ce domaine ? Est-ce que nos travaux pourraient en bénéficier d'une façon ou d'une autre ?

Mme Sonya JOUGLA : Je n'ai pas beaucoup de collègues qui travaillent en France sur les phénomènes sectaires. Quand je dois envoyer un patient chez quelqu'un d'autre, j'ai énormément de mal à le faire. J'ai moi-même soixante et un ans. Les personnes avec lesquelles je travaillais vont bientôt prendre leur retraite. Il n'y a pas de relève. C'est dramatique. Mais nous allons changer cela, car si les sectes l'entendent, elles se diront qu'elles ont de beaux jours devant elles. Nous allons nous dépêcher de former des gens.

Je reçois des personnes comme on en reçoit dans tous les cabinets de psys. Parmi elles, certaines me sont spécifiquement envoyées parce que je m'occupe de victimes de sectes. J'en ai environ 10 % dans ma clientèle : familles et anciens adeptes - j'ai eu aussi trois gourous, qui ne sont pas restés longtemps.

Je n'ai pas fait de statistiques, mais je suis convaincue que si j'en faisais, j'aurais au moins 45 % de ma clientèle ayant subi des conséquences en rapport avec les sectes : soit parce qu'ils y sont allés enfants, soit parce que leur conjoint ou leur enfant est dans une secte.

Si vous demandez à mes collègues psys, qui ne sont pas attentifs aux problèmes des déviances sectaires, ils ne vous donneront pas les mêmes pourcentages.

Mme Martine DAVID : Combien de temps dure la formation universitaire de Lyon ?

Mme Sonya JOUGLA : Elle n'existe plus. Elle était assurée à Lyon II, en médecine légale chez Mme Daligand. Elle durait un an, sur 140 heures, avec des auditions de victimes et des professionnels de tous horizons : psys, avocats, enseignants. Elle a très bien marché, mais c'est forcément quelque chose de dérangeant. Nous avons voulu qu'une telle formation soit assurée à Paris, parce que c'était plus pratique pour tout le monde. Elle aurait dû débuter le mois prochain, mais le processus a été arrêté par les gens des sectes.

M. le Président : Nous arrivons au terme de cette très intéressante audition. Je vous en remercie, madame, au nom de tous mes collègues.

Audition de M. Houssine JOBEIR,
maître de conférences en psychologie
à l'Université de Bretagne occidentale (Brest)



(Procès-verbal de la séance du 19 septembre 2006)

Présidence de M. Philippe VUILQUE, rapporteur

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons M. Houssine Jobeir, maître de conférences en psychologie à l'Université de Bretagne.

Monsieur Jobeir, en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Houssine Jobeir prête serment.)

Je m'adresse maintenant aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Je les invite donc à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Monsieur Jobeir, la commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole.

M. Houssine JOBEIR : Je suis docteur en psychopathologie, psychologue clinicien. Je dirige une consultation au centre d'examen de santé de la sécurité sociale depuis une dizaine d'années. J'exerce la pratique clinique depuis vingt ans.

En outre, depuis une quinzaine d'années, je suis maître de conférences à l'université.

En tant qu'enseignant-chercheur, j'ai affaire à des étudiants, dont certains sont fragiles, et dont certains sont mineurs. Dans ma pratique d'enseignement et de recherche, j'ai constaté l'introduction de certaines théories et de certaines pratiques qui ont été décrites dans différents rapports comme relevant de pratiques charlatanesques mettant en danger la santé physique et psychique d'enfants vulnérables.

La transmission des savoirs dans la discipline qui est la mienne m'impose de proposer un savoir reposant sur des outils méthodologiques confirmés, validés, et de susciter l'esprit critique. Certains de nos aînés, professeurs ou médecins, s'occupant d'enfants, introduisent des techniques qui ne répondent pas à ces exigences. Je citerai l'exemple de la « médecine mariale » proposée par l'association IVI, Invitation à la vie intense.

Je suis conscient que la médecine et la psychiatrie ne sont pas parvenues, jusqu'à présent, à traiter tous les problèmes dont souffre l'humanité. C'est la raison pour laquelle les recherches scientifiques doivent continuer, mais elles doivent être poursuivies dans un sens académique, avec un souci éthique, un regard critique. Ce n'est pas le cas lorsqu'un chef de service de médecine infantile propose, en dehors de toute prise en compte des remarques critiques formulées par ses collègues, des procédés censés guérir toutes les maladies, sans exception. On invite alors les malades à ne plus avoir recours aux traitements allopathiques. Ceux-ci sont remplacés essentiellement par deux méthodes, l'harmonisation et les vibrations. On parle de chakras, on parle de prière, de Satan, de clefs.

Mon propos n'est nullement de m'engager dans un débat philosophique ou religieux. Je respecte toutes les croyances dès l'instant qu'elles relèvent du débat d'idées. Il se trouve que je travaille dans un service public. En tant que serviteur de l'État, à qui sont confiés des étudiants et des patients, mon rôle est de m'opposer à des dérives mettant en péril des personnes vulnérables soumises à un chef de service par définition puissant.

La « communication facilitée », ou « psychophanie » est une autre technique employée. Des tragédies humaines touchent des familles dont les enfants sont parfois traumatisés, handicapés, voire souffrent de maladies mortelles. Certains ne parlent pas, sont autistes, cérébro-lésés, sourds-muets. Des praticiens prétendent les soigner grâce à un clavier, au moyen duquel pourrait s'opérer une communication d'inconscient à inconscient, en faisant parler y compris les morts, par exemple les fœtus qui ont fait l'objet d'un avortement. Je vous laisse imaginer ce que peut ressentir un parent désespéré à l'énoncé de telles « vertus thérapeutiques ».

En tant que soignant, j'obéis à une éthique, à un code de déontologie. Je ne peux pas m'écarter de cette obligation qui m'est faite de par mes statuts de poser un regard critique chaque fois qu'une méthode dite nouvelle est proposée. J'accepte le débat d'idées ; je suis ouvert au débat scientifique. Mais il n'est pas question que j'accepte qu'un professeur de médecine m'impose un « savoir » qui s'inspire de la religion, de la métaphysique ou de l'ésotérisme. Ni le pédagogue que je suis, ni le soignant que je suis, ni le père de famille que je suis ne peut accepter ces pratiques que je refuserais pour mes propres enfants.

Bien évidemment, j'ai eu à subir un certain nombre d'ennuis. Il n'est pas facile de lutter contre plus puissant que soi. Je me suis opposé à ces pratiques à un moment où je n'étais même pas encore titulaire. C'est dire que mon avenir professionnel me paraissait secondaire par rapport à un problème de santé publique aussi grave.

J'ai bien évidemment alerté les instances universitaires, hospitalières, judiciaires. J'ai constaté un silence inquiétant.

Les partisans de la « communication facilitée » refusent que cette méthode soit soumise aux outils de validation scientifique, au prétexte que la science actuelle ne serait pas encore capable de mettre au point les outils de validation adéquats. Il s'agit pourtant d'enseignants-chercheurs, donc d'universitaires. Les deniers publics sont donc dépensés pour promouvoir ces procédés au sein de facultés de médecine et de centres de recherche.

La DDASS enquête, saisit le préfet, lequel décide d'arrêter cette technique dans un centre alors qu'elle continue à être pratiquée à vingt kilomètres de là. Un procureur estime qu'il s'agit de pur charlatanisme. La « communication facilitée » tente d'obtenir une caution scientifique par le biais de l'université.

Un autre projet, venu du Canada, est proposé par les mêmes praticiens : les « lieux d'arrêt d'agir ». Certains jeunes connaissent parfois des troubles du comportement. La pédopsychiatrie est en principe suffisamment outillée. Ce projet vise tout simplement à enfermer des adolescents en souffrance dans une pièce face à leur « rien », ou au mieux un poste de télévision diffusant un film. L'hypothèse est que le fait de les enfermer, si nécessaire sous contention, pendant 24 ou 48 heures, renouvelables au besoin, susciterait chez eux une activité imaginaire leur permettant de dépasser le passage à l'acte agressif.

En tant que clinicien, je n'ai jamais pensé qu'enfermer quelqu'un qui souffre puisse l'aider de quelque manière que ce soit. Il est vrai qu'en psychiatrie, en cas de danger, on peut recourir à des contentions. Mais il n'est pas normal d'enfermer des adolescents en dehors de tout cadre juridique : les « lieux d'arrêt d'agir » ne sont pas des lieux d'enfermement gérés par l'administration pénitentiaire, pas plus qu'ils ne fonctionnent dans un cadre thérapeutique réglementé ayant l'accord d'un comité technique. Il s'agit d'expérimentations médico-psychiatriques sur des mineurs, qui me paraissent abusives.

L'iboga est une plante hallucinogène, psychotoxique, mortelle. Elle est vendue à notre jeunesse, y compris dans un cadre universitaire, notamment à des adolescents fragiles, suicidaires. En février 2006, lorsqu'on m'a informé que cette plante était proposée à des étudiants, j'ai informé diverses instances. Je n'ai toujours pas de réponse.

M. le Président : Quels sont les effets de cette plante ?

M. Houssine JOBEIR : Cette plante est utilisée par les chamanes, notamment en Amérique latine, pour des initiations chamaniques permettant d'accéder aux dieux, au divin. Elle est supposée désintoxiquer les toxicomanes. L'ouverture de dispensaires en France est projetée.

M. le Président : Y a-t-il à votre connaissance des organisations sectaires qui prônent l'utilisation de l'iboga ?

M. Houssine JOBEIR : Le fait que des sectes soient concernées ou pas n'est pas mon problème. Je ne me situe pas sur ce registre. Au demeurant, la loi française n'interdit pas de créer une secte. Cela relève de la liberté de croyance de chacun. Ce qui m'inquiète, ce sont des pratiques, non des croyances. Dès l'instant que des pratiques dangereuses, voire mortelles, sont proposées, le scientifique, le pédagogue, le citoyen que je suis a le devoir de s'opposer à leur diffusion, surtout si des populations fragiles sont concernées.

Quand j'ai dénoncé les pratiques de l'association IVI,...

M. Philippe VITEL : A qui les avez-vous dénoncées ?

M. Houssine JOBEIR : A des instances universitaires, judiciaires, politiques.

M. Philippe VITEL : A quel niveau ?

M. Houssine JOBEIR : Au procureur de la République, au président de l'université, au doyen. Le seul homme politique qui ait pu m'apporter une aide est le député du Finistère Christian Ménard. Je tiens à le saluer publiquement. C'est quelqu'un de tout à fait exceptionnel.

M. le Président : Dans le rapport 2005 de la MIVILUDES, on peut lire, page 51, ceci : « Très récemment en Ardèche, un séminaire de découverte de l'iboga, plante hallucinogène, et dont les effets peuvent être très dangereux pour la santé en cas d'absence de contrôle médical lors des séances de prise (risques de convulsions, paralysie ou mort), a été monté à l'initiative d'une association culturelle dont la vocation affichée est de promouvoir les propriétés de l'iboga dans le traitement des toxicomanes. » Des organisations, sectaires ou pas, ont donc intérêt à « prouver » les vertus de cette substance hallucinogène.

M. Serge BLISKO : Une des personnes que nous avons auditionnées nous a parlé de stages d'initiation à la pratique de l'iboga au Pérou.

M. Houssine JOBEIR : Absolument. Ces stages durent neuf mois, et sont très chers. Ceux organisés en France durent un week-end, et coûtent entre 500 et 800 euros par personne. Les participants doivent signer une décharge aux termes de laquelle, s'il arrivait quoi que ce soit, les organisateurs seraient déchargés de toute responsabilité légale.

M. le Président : Ce qui, soit dit en passant, n'a aucune valeur juridique. Un organisateur est toujours responsable de ce qu'il organise.

M. Houssine JOBEIR : Je précise que toutes les situations que j'ai constatées ont été soumises à des regards différents du mien. J'ai demandé leur avis à des collègues médecins, psychologues, enseignants ; je ne me suis jamais autorisé à dénoncer quoi que ce soit aux autorités publiques avant d'avoir pris la mesure des tentatives de manipulation mentale, des manifestations de charlatanisme, ou des pratiques relevant de l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie.

L'iboga est interdite aux États-Unis, en Belgique et en Suisse. La vie d'un jeune Français a-t-elle moins d'importance que celle d'un Américain, d'un Belge ou d'un Suisse ?

Encore une fois, mon propos n'est pas de dénoncer des croyances, mais des pratiques, qui me paraissent graves. Je dispose de toute une série de documents prouvant mes dires. Je vous ai notamment apporté des cassettes vidéo. L'une d'elles décrit les pratiques médicales de l'association IVI. Une autre décrit les pèlerinages organisés par cette association, regroupant des milliers d'enfants. Vous pourrez ainsi juger par vous-mêmes de ce qu'est la « médecine mariale ». Une autre décrit la « communication facilitée » : ce document émane directement de l'association TMPP, Ta Main Pour Parler. Elle le diffuse en direction de ceux qui sont censés recevoir une formation à la pratique de la communication facilitée (médecins, orthophonistes, psychologues,...). Cette cassette a été diffusée dans une faculté de médecine en France.

M. Jean-Pierre BRARD : Laquelle ?

M. Houssine JOBEIR : Celle de Brest. Vous verrez, si vous visionnez cette cassette, que l'on utilise la « communication facilitée » pour des enfants sourds. On prétend faciliter une communication d'inconscient à inconscient.

M. le Président : Quelle est la position de l'Ordre des médecins ? Je suppose qu'il est au courant.

M. Houssine JOBEIR : Le ministère de la santé a été informé depuis au moins 2002.

M. Jean-Pierre BRARD : Y a-t-il des médecins qui participent à ces pratiques tendant à établir une communication « d'inconscient à inconscient » ?

M. Houssine JOBEIR : Évidemment. Non seulement ils y participent, mais ils diffusent des cassettes. Cela figure dans un rapport réalisé par la DRASS.

Après douze ans passés à dénoncer ces pratiques, j'espère que les politiques que vous êtes se saisiront de ce dossier. Car le simple citoyen a des moyens très limités, ce qui est aggravé par l'inertie des institutions, pour ne pas dire leur complaisance.

Lorsque je l'ai alerté il y a quelques années, le ministère de l'éducation nationale est le seul ministère à avoir dépêché deux inspecteurs. Je remercie publiquement MM. Groscolas et Blanc, qui sont aujourd'hui à la retraite, et qui ont fait ce qu'il fallait pour que le médecin appartenant à l'association IVI puisse être écarté de l'université. Il a été poursuivi par l'Ordre des médecins, a été condamné et est désormais interdit d'exercice. Mais j'apprends que ce même médecin, qui publie sa conception de la thérapeutique de la « médecine mariale », se voit confier d'autres enfants dans un centre médico-social, avec le statut de bénévole, bien que la Direction des affaires médicales de l'hôpital ait mis un terme à son contrat quelques mois auparavant.

M. le Président : Où se trouve ce centre ?

M. Houssine JOBEIR : Il s'agit d'un hôpital public à Brest.

M. le Président : Quel hôpital ?

M. Houssine JOBEIR : L'hôpital Morvan. Le centre médico-social est dirigé par un médecin-chef s'occupant d'enfants, lequel a confié des enfants à ce médecin de l'association IVI. Ce médecin a animé des séances de psychodrame en 2000, à une époque où il n'exerçait plus légalement, et alors que tous les spécialistes savent que l'on n'anime jamais seul de telles séances.

M. le Président : A votre connaissance, les problèmes que vous soulevez se posent-ils dans d'autres régions que la Bretagne ? Avez-vous des cas précis de ce type ?

M. Houssine JOBEIR : Oui. Toutes les techniques, à l'exception du projet de « lieux d'arrêt d'agir », qui a été dénoncé avant moi par au moins cinq médecins, auprès de l'Agence Régionale de l'Hospitalisation (ARH). Le préfet a également été alerté. Cela n'a pas empêché la « communication facilitée » d'être diffusée à la Faculté de médecine, au centre de Ressources et d'études sur l'autisme et pratiquée auprès d'enfants autistes par les mêmes médecins.

L'iboga est une substance dangereuse qui contribue à modifier l'état de conscience d'un sujet. Une fois qu'il est drogué, on peut faire de lui ce qu'on veut. Nous avons affaire à un exercice illégal de la pharmacie et de la médecine. Quand on dit que l'harmonisation et les vibrations vont soigner toutes les maladies, y compris les cancers, et qu'il faut laisser tomber les traitements allopathiques, il s'agit là aussi d'un cas d'exercice illégal de la pharmacie et de la médecine.

M. Jean-Pierre BRARD : Avez-vous des cas concrets à ce sujet ? Chacun se rappelle l'affaire Hamer.

M. Houssine JOBEIR : On retrouve, en effet, dans ces différents mouvements un concept commun, « l'âme ». Celle-ci pourrait être préservée quel que soit le handicap, quelle que soit la maladie, quel que soit l'âge. « L'âme » doit être purifiée, pacifiée, et cela suffit pour traiter toute maladie. Il s'agit, en fait, d'une négation de la maladie, du handicap et de la mort.

M. Jean-Pierre BRARD : Avez-vous des exemples de personnes que l'on a amenées à la mort de cette façon ?

M. Houssine JOBEIR : Oui. Deux médecins de cette association ont été radiés définitivement, à Paris, poursuivis par la justice et condamnés après avoir mis en œuvre ce type de pratique sur des adultes.

À Brest, une dame dont le fils était dépressif et suicidaire a fait appel à l'un des médecins patentés de la ville, qui pratique dans son cabinet avec des médiums et des bougies. Cet enfant s'est suicidé. La mère, traumatisée par ce drame, va voir ce même médecin, pour des séances d'acupuncture. On lui dit : « Si vous êtes dans cet état, madame, c'est parce que l'âme de votre fils rôde encore dans votre maison. Il faut qu'on vous envoie quelqu'un pour la purifier. » J'aurais aimé que cette mère de famille vienne devant vous, que vous puissiez l'entendre. Même quand on est adulte, dès lors qu'on est dans une situation de souffrance, on est forcément dans une phase de régression psychique. C'est l'infantile qui parle en nous, et non l'adulte, qui, à partir de sa souffrance, tente désespérément de trouver une solution quand la médecine ne lui en propose pas.

Les médecins d'IVI ont dit à une femme atteinte d'un cancer de la main qu'ils allaient la guérir, que sa main allait repousser. Son cancer a atteint un kilo, elle est décédée trois mois plus tard d'un cancer généralisé.

Je n'ai pas évoqué l'aspect commercial de toutes ses techniques, qui rapportent gros.

M. le Président : Comment qualifieriez-vous la situation actuelle ? Est-elle stable ou s'est-elle dégradée ?

Considérez-vous que ce qui est fait en matière de prévention est suffisant ?

On nous a souvent dit qu'une meilleure coordination était nécessaire entre les différents intervenants. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, l'arsenal législatif vous paraît-il suffisant ?

M. Houssine JOBEIR : Les phénomènes dont nous parlons prennent chaque jour un peu plus d'ampleur. J'ai fait mon premier signalement en 1995 ou 1996. Nous sommes en 2006. Je vous ai parlé de six dossiers différents. Les activités se diversifient de manière pernicieuse.

La concertation entre les différents services de l'État est insuffisante. C'est une évidence. Si je ne pouvais pas m'appuyer sur des associations comme le CCMM ou les ADFI locales, je ne pense pas que je pourrais tenir le coup, car je dépense une très grande énergie, au détriment de ma vie et de ma carrière.

Lorsque j'ai tenté, localement, de m'approcher des acteurs institutionnels, de façon confidentielle, j'ai saisi simultanément le procureur de la République, le directeur de la santé publique, celui de la DDASS. Le procureur m'a répondu que les agissements que je dénonçais étaient du « pur charlatanisme ».

M. Jean-Pierre BRARD : Il vous a répondu par écrit ?

M. Houssine JOBEIR : Absolument.

Le directeur de la DDASS m'a répondu au bout d'un an, me disant qu'il avait transmis le dossier à la MIVILUDES, et que l'enquête engagée n'avait rien mis en évidence en termes de pratiques relevant du charlatanisme. J'attends encore la réponse du directeur de la santé publique du Conseil général, depuis mai 2004.

Le courrier que j'ai adressé était confidentiel. Il y a eu une fuite. Je suis aujourd'hui l'objet d'une plainte pour dénonciation calomnieuse, pour avoir joué mon rôle de citoyen. Un juge d'instruction a confié à deux experts psychiatres la mission de m'examiner en vue de repérer chez moi d'éventuels troubles psychiatriques. J'ai trouvé ce procédé singulier, pour ne pas dire plus, et surtout humiliant. Mais je me suis incliné. J'ai subi cette expertise le 11 septembre dernier à Paris.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez parlé de prescription débouchant sur l'enfermement de jeunes en dehors de toute structure autorisée. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quel âge ont les jeunes concernés ? Dans quels lieux sont-ils enfermés ? Qui ordonne les enfermements ?

M. Houssine JOBEIR : Ces jeunes sont des mineurs. Ils soufrent de troubles du comportement les conduisant à l'agressivité et la violence. Par définition, ils ne peuvent pas être hospitalisés en dehors d'un service de pédopsychiatrie. Les enfermements ont lieu dans un service public hospitalier, en Bretagne.

Les personnes qui proposent la communication facilitée à la faculté de médecine sont les mêmes qui proposent le projet « lieux d'arrêt d'agir ». Ce sont aussi les mêmes qui confient des enfants au médecin de l'association IVI.

La directrice d'un établissement scolaire a entendu des élèves de son collège se plaindre des pratiques de ce médecin. Elle a décidé d'envoyer ces enfants à 50 km de là. Pour quelle raison ? Je n'en sais rien.

Je me demande ce que nous, simples citoyens, pourrions faire de plus, avec des moyens très limités. Que peut faire un étudiant face à un professeur qui lui impose telle ou telle conception ?

M. Jean-Pierre BRARD : L'hôpital où les jeunes sont enfermés est-il un hôpital général ?

M. Houssine JOBEIR : Il s'agit d'un hôpital psychiatrique. Mais le projet a avorté avant sa mise en application, grâce à la vigilance de certains médecins.

M. Philippe VITEL : Vous évoquez l'utilisation, dans des établissements de soins et de formation, de techniques expérimentales non reconnues, non validées par l'autorité scientifique.

M. Houssine JOBEIR : Oui.

M. Philippe VITEL : Ces traitements se sont donc substitués à des traitements aujourd'hui validés ?

M. Houssine JOBEIR : S'agissant de l'association IVI, oui.

M. Philippe VITEL : Vous considérez donc que les patients sont victimes d'une perte de chances ?

M. Houssine JOBEIR : Absolument. La « communication facilitée » n'empêche pas que des traitements allopathiques soient utilisés, mais la médecine, si elle veut progresser, doit procéder à des expérimentations très encadrées.

M. Philippe VITEL : Aujourd'hui, les parents des enfants concernés sont-ils au courant de ces pratiques ? Certains d'entre eux se sont-ils retournés contre l'établissement ?

M. Houssine JOBEIR : J'imagine mal qu'une mère de famille en souffrance à qui un médecin traitant propose des voies de sortie magico-religieuses, ésotériques, puisse poser un regard critique sur ces pratiques.

M. Philippe VITEL : Il n'y a donc pas eu de plainte de familles ?

M. Houssine JOBEIR : Une commission rogatoire nationale a été décidée au tribunal de Saint-Brieuc. Du côté de la Bretagne, les conclusions ont été remises il y a très peu de temps.

Les gens ne portent pas plainte facilement. Ils ont peur. Pour ma part, j'ai reçu des menaces de mort.

M. Philippe VITEL : Les expérimentations continuent-elles à ce jour ?

M. Houssine JOBEIR : Absolument.

J'ajoute que des centaines de médecins, toutes disciplines confondues, dénoncent ces pratiques depuis au moins 2002.

M. Marcel DEHOUX : Un certain nombre de médecins, nous dites-vous, ont été condamnés et interdits d'exercice. Le problème que vous soulevez en Bretagne se pose-t-il dans d'autres régions ?

M. Houssine JOBEIR : Les associations d'aide aux victimes seraient mieux placées que moi pour répondre à cette question. J'interviens là où je travaille, en Bretagne. Je ne cherche pas ce qui se passe ailleurs.

Mme Martine DAVID : Avez-vous eu des contacts avec des collègues qui, travaillant dans d'autres régions, ont pu vous faire part de témoignages analogues ?

M. Houssine JOBEIR : J'ai des témoignages écrits de médecins ayant constaté les ravages que ces techniques causent sur des malades et leurs familles.

Mme Martine DAVID : Ailleurs qu'en Bretagne ?

M. Houssine JOBEIR : Oui.

Mme Martine DAVID : Pourrez-vous nous fournir ces témoignages écrits ?

M. Houssine JOBEIR : Bien évidemment.

M. Serge BLISKO : Les pratiques que vous dénoncez s'inscrivent-elles, selon vous, dans le cadre de la controverse scientifique sur le traitement de l'autisme ?

M. Houssine JOBEIR : Pas uniquement. L'autisme est bien sûr convoqué. Il est vrai que la médecine et la psychiatrie n'ont pas actuellement tous les outils scientifiques nécessaires pour le traiter. C'est pourquoi il est tout à fait normal et légitime que la recherche scientifique continue, à condition qu'elle soit entourée de garde-fous.

M. Serge BLISKO : En l'espèce, vous pensez que cela n'a pas été le cas ?

M. Houssine JOBEIR : Non. On met en œuvre des techniques pendant six ans dans des services hospitaliers ; on diffuse, malgré l'absence de validation scientifique, les cassettes que je vous ai apportées dans un centre de recherche sur l'autisme. On fait de la publicité pour ces techniques en utilisant des financements publics. Je ne dis pas que tous les travaux réalisés dans ce cadre sont suspects. Mais quand on met en œuvre une méthode nouvelle, il faut faire attention à ce que l'on fait.

M. le Président : Monsieur Jobeir, je vous remercie de votre contribution aux travaux de la commission.

Audition de M. Philippe-Jean PARQUET,
addictologue et spécialiste de l'enfance



(Procès-verbal de la séance du 19 septembre 2006)

Présidence de M. Philippe VUILQUE, Rapporteur

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons M. Philippe-Jean Parquet, addictologue et spécialiste de l'enfance.

Monsieur Parquet, en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué, et les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Philippe-Jean Parquet prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Je les invite donc à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Monsieur Parquet, la commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole.

M. Philippe-Jean PARQUET : Je suis spécialisé dans la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Il m'a été donné, dans ma pratique, de voir un certain nombre d'enfants présentant des troubles que je ne parvenais pas à identifier parmi les pathologies mentales ou affectives reconnues. D'autre part, j'ai vu très souvent des enfants souffrant de carences éducatives importantes et présentant des troubles psychologiques majeurs, qui étaient traités de manière aberrante, en dehors de tous les critères de validation des soins que nous apportons habituellement aux enfants. Enfin, j'ai reçu des parents qui venaient me voir en raison des troubles de leurs enfants en constatant chez ces parents des conduites, des comportements, des idées qui semblaient trahir l'influence d'une organisation sectaire.

L'addictologie vise à aider les personnes qui éprouvent des difficultés dans leur rapport avec l'alcool, le tabac, des substances actives illicites, le jeu pathologique, les activités sexuelles déviantes et répétitives, ou encore les jeux vidéo. On peut distinguer trois types de comportements : l'usage individuellement et socialement réglé ; l'usage nocif ; la dépendance, enfin, laquelle caractérise des personnes ayant un comportement électif, répétitif et restrictif. J'ai analysé le concept de dépendance dans un rapport que l'on appelle le rapport Parquet.

Au sein du Haut Comité de santé publique, j'étais chargé d'observer les politiques de l'enfance. J'ai été frappé par le fait qu'un certain nombre de traitements non validés par la science étaient utilisés par de nombreux médecins et certains psychothérapeutes.

J'ai été amené à collaborer avec l'ADFI du Nord-Pas-de-Calais, en vue d'aider à remédier aux troubles dont étaient atteints les enfants qui venaient de quitter une organisation à caractère sectaire.

Je suis, enfin, membre du comité d'orientation de la MIVILUDES.

En raison de votre connaissance très approfondie du sujet dont nous parlons, je me bornerai à évoquer quelques points précis.

Je voudrais, tout d'abord, insister sur le fait qu'on ne perçoit pas à quel point la culture des grandes organisations sectaires imprègne la vie quotidienne des jeunes. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la mode dite gothique est l'indice d'une pénétration d'éléments relevant du satanisme dans le monde des adolescents. Cette influence insidieuse est considérable. Les adolescents sont très sensibles à ce qui leur est proposé de l'extérieur. Ils sont très voraces d'images emblématiques. En regardant certains spots télévisés, notamment de chanteurs, on s'aperçoit que la mise en scène s'apparente au schéma classique de la représentation d'un gourou.

En second lieu, un enfant est allant et devenant adulte. Le développement de sa personnalité se fait à partir de potentialités génétiques, qui sont modulées par l'action de l'environnement. Cet environnement, humain, matériel, culturel, citoyen, a une fonction structurante pour le développement de l'enfant. C'est à partir de la disposition de l'enfant à recevoir et à accepter que sa personnalité va se construire. Mais cette construction ne se fait pas progressivement. Elle se fait par stades successifs. Un événement, une rencontre aura des impacts différents en fonction de l'âge de l'enfant. La rencontre avec une organisation sectaire aura une influence différente selon que l'enfant, à ce moment, est en train d'acquérir la capacité à raisonner, à faire des hypothèses - ce qui se fait autour de six ou sept ans - ou selon qu'il aura atteint la puberté.

Prenons le cas d'un enfant qui a été élevé dans une vie familiale, sociale, culturelle, citoyenne d'une grande banalité. Supposons que, vers l'âge de sept ou de quinze ans, ses parents changent leur manière de vivre et deviennent adeptes d'une structure à caractère sectaire. Le premier effet sera la rupture avec le mode de fonctionnement antérieur. Cette rupture est, en elle-même, traumatisante. L'enfant se portera moins bien du point de vue affectif ou scolaire, et ce sera uniquement l'effet de la rupture. Le deuxième effet sera le discrédit jeté sur l'autorité parentale. Les parents sont disqualifiés aux yeux de l'enfant par le fait que d'autres personnes les « gèrent ». L'autorité parentale n'appartient plus aux parents. Cela est spécifiquement très traumatisant.

Il en va autrement lorsque les enfants sont nés alors que les parents se trouvaient déjà dans l'organisation sectaire. Dans ce cas, il n'y a pas d'effet de rupture, ni de déstructuration. La personnalité de l'enfant se construit d'emblée en fonction des attentes du milieu sectaire. Si, pour une raison ou pour une autre, l'enfant sort de cet univers, il devra entrer dans un monde qui lui est totalement inconnu, et par rapport auquel son système de décodage et de compréhension ne lui permettra pas de se repérer. Sa capacité à se réinscrire aisément dans notre société sera altérée.

Un certain nombre de personnes qui ont été élevées dans cet univers n'auront plus la possibilité de retrouver les moyens de participer à la communauté. Il ne faut cependant pas être trop pessimiste. Certaines actions thérapeutiques, d'accompagnement, peuvent les aider. Sartre disait que l'important n'était « pas de savoir ce que les structures ont fait de l'homme, mais que nous sommes ce que nous avons fait de ce que l'on a fait de nous ». L'enfant qui a grandi dans un environnement sectaire a toujours la capacité de se restaurer, de se modifier. Mais il n'y parviendra pas seul, il devra y être aidé.

Dans un certain nombre d'organisations sectaires, les individus subissent des carences physiques, psychologiques, affectives et morales. Mais il est inutile que je m'étende sur ce point, qui est suffisamment connu. Je préciserai seulement que ces carences créent chez l'enfant un dysfonctionnement dans la manière qu'il aura d'appréhender l'ensemble du monde affectif, lequel sera représenté sur le mode binaire : ceci est bien ou ceci est mal. Il n'est pas question pour une secte d'envisager les choses sous plusieurs angles, avec plusieurs « scénarii » possibles.

De la même manière, nous savons que sont aujourd'hui mis sur le marché des jeux vidéo, qui représentent le monde de manière binaire, qui évacuent la notion de diversité, qui éliminent le « peut-être ».

Je souhaiterais que votre commission puisse être attentive à ce qui se passe chez le petit enfant, chez l'enfant et chez l'adolescent.

Les dommages, même si un grand nombre sont dans certaines conditions susceptibles d'être réparés, vont persister à l'âge adulte et affecter l'équilibre affectif, l'inscription dans la sexualité, l'exercice de la citoyenneté. Les dommages à distance sont aussi invalidants, voire plus encore, que les dommages causés pendant la « période sectaire ».

En tant que thérapeute, je suis inquiet face aux modalités thérapeutiques que l'on propose aux enfants qui ont des difficultés. L'un des cas les plus criants est celui des enfants autistes. La communauté scientifique considère que si l'autisme a des déterminants relationnels, les déterminants génétiques et neurobiologiques sont majeurs. Or, certaines familles désemparées s'adressent à des personnes qui proposent une conceptualisation de l'autisme qui implique des circuits dits thérapeutiques très préjudiciables, et ce alors que nous sommes en mesure de mettre en œuvre des modalités thérapeutiques susceptibles de faire en sorte que les enfants aillent mieux et se développent.

Un autre cas est celui de l'hyperactivité avec trouble déficitaire de l'attention, qui affecte les enfants. Face à cela, et devant le désarroi des familles, certaines organisations proposent une conceptualisation binaire, qui ne repose sur aucune base scientifique, et qui vise à ce que les parents s'en remettent totalement à des propositions thérapeutiques dommageables.

Dans la prise en charge des conduites addictives, une grande organisation à caractère sectaire propose des schémas thérapeutiques et des structures résidentielles qui ne sont pas compatibles, à mes yeux, avec les connaissances scientifiques ni avec le respect que nous devons aux patients. Ce problème est grave par sa nature et par son ampleur.

Le contact avec les organisations sectaires cause d'effroyables dégâts affectifs. La confiance vis-à-vis de l'adulte est altérée, tout comme la confiance en soi. Cette séquelle est grave : le doute sur soi-même va s'accompagner du doute sur autrui. La question que nous devons nous poser n'est pas de savoir comment définir une organisation sectaire, mais quelles sont les méthodes qu'elle emploie pour mettre en œuvre l'emprise mentale et produire des dommages immédiats et à long terme.

L'enfant a besoin d'un environnement marqué par la continuité, la cohérence et la diversité. Le principal reproche que je fais aux organisations à caractère sectaire est qu'elles proposent à l'enfant un monde en réduction, un monde clos, alors qu'il a besoin de la diversité, de la présence de ses parents, de ses grands-parents, des autres membres de la famille, de thèses différentes dans la culture, bref, d'un monde ouvert à la diversité. C'est cela qui définit une éducation humaniste. À partir de là, l'enfant pourra, avec liberté, trouver la voie qui est la sienne.

M. le Président : Comment qualifieriez-vous la situation actuelle ? Considérez-vous qu'elle a empiré, ou qu'elle est restée stable ces dernières années ?

Vous êtes membre du conseil d'orientation de la MIVILUDES. Pensez-vous que notre système de lutte contre les organisations sectaires est suffisant ? Plusieurs personnes ont évoqué un manque de coordination entre l'ensemble des intervenants, notamment des associations.

Vous avez parlé d'« effroyables dégâts affectifs ». Pensez-vous que la prise en charge et l'accompagnement des victimes sont suffisants ? Si non, quelles propositions feriez-vous pour améliorer le dispositif ?

M. Philippe-Jean PARQUET : Vous venez de parler, monsieur le président, de « lutte contre les organisations sectaires ». Je ne m'inscris pas dans cette démarche. Si j'ai accepté de siéger au conseil d'orientation de la Mission interministérielle, c'est d'ailleurs justement parce qu'elle correspond plus à mon éthique que la précédente. En effet, elle tente de lutter contre les dommages causés par les pratiques sectaires, que celles-ci émanent de grandes organisations, de petites structures ou de personnalités isolées. Dès lors qu'on lutte contre les dommages causés, on a une position claire et efficace. Car lorsqu'un dommage a été identifié, il est parfaitement légitime que nous intervenions. C'est la règle générale qui me semble devoir être suivie. Cela étant les dommages causés par les organisations à caractère sectaire ont une spécificité, car elles emploient des méthodes très particulières.

La question essentielle ici me semble être la suivante. Soit la protection des enfants entre dans le cadre des grands principes généraux de la protection de l'enfance, et dans ce cas on doit mettre en œuvre les stratégies législatives et réglementaires générales, quitte à le faire en tenant compte des particularités du phénomène sectaire ; soit on peut démontrer que l'action des organisations à caractère sectaire est tellement spécifique qu'il faut adopter une législation et une réglementation elles-mêmes spécifiques. La politique de notre pays a évolué dans le sens du réalisme : on organise la lutte contre les dommages. La lutte contre les organisations sectaires est une autre question.

S'agissant de la manière dont la situation a évolué, je ferai deux remarques. D'une part, il est probable que nous identifions plus de problèmes parce que nous avons plus de moyens pour les repérer. D'autre part, ces problèmes sont sans doute plus apparents du fait que nous sommes aujourd'hui attentifs aux enfants qui appartiennent non seulement aux grandes organisations sectaires, mais aussi aux petites. Nous sommes également plus attentifs aux modalités de prise en charge des enfants en difficulté par des structures à caractère sectaire.

On peut également penser que les dommages infligés aux enfants par les organisations à caractère sectaire sont différents de ce qu'ils étaient autrefois. Nous avions affaire, dans le passé, à des pathologies massives et clairement repérées : il s'agissait des grandes maltraitances physiques ou sexuelles. On a plus affaire aujourd'hui à des micro-difficultés, persistantes, qui gênent le développement ultérieur. On ne peut donc pas se contenter, dans l'analyse de la situation, de relever le cas des 50 000 ou 90 000 enfants qui constituent le noyau dur correspondant à la vision du phénomène sectaire que nous avions il y a quelques années. Il faut étendre notre analyse à ce que j'appellerai les « dommages d'intensité moyenne », car ils laissent néanmoins des traces. Il serait nécessaire de mettre en œuvre une recherche épidémiologique qui fait totalement défaut actuellement.

S'agissant de la prise en charge, la situation est presque catastrophique. Nous avons deux grandes difficultés. En général, on n'attribue pas à la rencontre avec une organisation sectaire les dommages que l'on constate chez un enfant ou un adolescent. Nous sommes un peu dans la situation qui prévalait autrefois dans le traitement de la cirrhose du foie. Tout le monde savait qu'elle était due à la consommation excessive d'alcool, mais on traitait la cirrhose et non pas l'alcoolisme. De même, les troubles que l'on constate ne sont pas pris en charge en fonction de leurs déterminants.

D'autre part, ceux d'entre nous qui sont partisans d'un soin attentif et respectueux, conforme aux connaissances scientifiques, sont souvent discrédités publiquement par les tenants d'un soin qui me semble irrespectueux et non validé. Beaucoup d'entre nous avons eu, par exemple, à traiter des personnes qui ont des souvenirs induits. Les « thérapeutes » qui sont à l'origine de ces troubles ont souvent pignon sur rue. Ils ont une capacité d'audience, un contact avec les médias que le praticien banal n'a pas. Les thérapeutes soucieux d'un soin respectueux, scientifiquement validé, rigoureux, critique, professionnel, sont souvent l'objet de la vindicte, de l'agressivité, voire de plaintes de la part des organisations à caractère sectaire.

Enfin, une formation très particulière est nécessaire pour comprendre ce qu'est l'emprise mentale. Or, c'est un chapitre peu développé dans la formation médicale. Nous ne sommes pas plus de trente ou trente-cinq en France à être spécialisés dans le traitement de ce type de pathologies induites. Dans ma région, j'ai inscrit cette formation dans le cadre du DEA de psychiatrie, mais mes collègues pensaient qu'elle était hors du champ de la psychiatrie.

M. le Président : Il n'y a pas en psychiatrie de module spécifique sur l'emprise mentale ?

M. Philippe-Jean PARQUET : Non. Si j'avais proposé comme sujet d'examen : « L'emprise mentale - Définition - Caractéristiques - Modalités de prise en charge », j'aurais provoqué une émeute.

M. le Président : Pour nous qui ne sommes pas des praticiens, cela semble ahurissant.

M. Philippe-Jean PARQUET : On trouve parfois cette formation dans les études de psychologie, qui aiment « ratisser large ». Mais il faut veiller à ce que cette formation soit validée, solide, et non pénétrée.

M. le Président : Vous voulez dire que, y compris en matière de formation, il est possible que certains « thérapeutes » pratiquent l'entrisme, tentent d'introduire des thérapies non validées ?

M. Philippe-Jean PARQUET : C'est une évidence. Les jeunes internes ne sont pas « démarchés », mais ces « thérapies » non scientifiques font partie de toutes les informations qu'ils reçoivent. C'est le travail des enseignants universitaires que de les inviter à vérifier, à chaque fois qu'on leur propose une thérapie particulière, qu'elle correspond à tous les critères d'éthique et qu'elle soit scientifiquement validée. Par exemple, il est tout à fait possible qu'il se voient proposer de mettre en œuvre un questionnaire qui amalgame les questions comprises dans un questionnaire classique sur l'état dépressif - par exemple le questionnaire de Beck, ou l'échelle d'Hamilton - avec d'autres questions qui relèvent d'une tout autre orientation. Il faut que l'étudiant soit capable de faire preuve de vigilance, et j'entends par là une vigilance technique, mais aussi une vigilance éthique.

J'ajoute que, aussi choquant que cela puisse paraître, il se pose aussi un problème de marché. Les étudiants souhaitent être formés pour pouvoir traiter les pathologies les plus fréquentes, c'est-à-dire pour pouvoir répondre aux demandes du « marché » de la souffrance psychique. Les pathologies concernant un tout petit nombre de patients ne leur semblent pas constituer un chapitre qui mérite d'être complètement approfondi.

S'agissant de la coordination entre les différents acteurs, il est clair que nous avons affaire à un merveilleux désordre. Nous voyons bien ce qu'il en est du sanitaire, de la justice, de l'éducation. Cela s'explique, me semble-t-il, par le fait que nous ne nous appuyons pas sur une vision partagée par tous les acteurs. Il faudrait que nous admettions tous qu'une seule vision est efficace, celle qui consiste à dire que les dommages constituent la seule porte d'entrée d'une politique solide. La seule politique cohérente est celle qui se fonde sur cet unique objectif : lutter contre les dommages.

Cela étant, et en disant ceci, j'ai bien conscience d'être en contradiction avec ce que je viens de dire, l'éducation, elle, ne doit pas avoir pour but de prévenir des dommages, mais de donner des compétences, des qualités, de la valeur, de la liberté, de l'estime de soi.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez dit que l'essentiel devait être de lutter contre les dommages. C'est là un point important, qui correspond tout à fait à la démarche des parlementaires. Nous ne faisons pas la chasse aux sectes - ce qui ne veut pas dire que nous puissions nous passer d'une bonne compréhension de la manière dont elles fonctionnent - mais nous luttons contre les dommages qui sont infligés aux personnes.

Vous avez parlé des démarches thérapeutiques et résidentielles proposées par une grande organisation sectaire. Je me demandais si vous pensiez à la Scientologie, au Patriarche, ou aux deux à la fois.

M. Philippe-Jean PARQUET : Aux deux à la fois.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez dit que certains parents adeptes d'une secte vous amenaient leurs enfants. C'est assez surprenant. On aurait spontanément tendance à penser que ces parents sont tellement dépendants qu'ils ne songent guère à traiter les perturbations dont leurs enfants sont victimes. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point ?

D'autre part, vous avez attiré notre attention sur les petites structures sectaires qui semblent se multiplier. Je vous ai souvent entendu expliquer ce phénomène par le fait que l'irrationnel pénètre toujours plus notre société. Pourriez-vous développer ce point ?

M. Philippe-Jean PARQUET : Un bricolage des croyances est en effet proposé à nos contemporains, en particulier aux adolescents. Il répond à leur aspiration à comprendre, à donner du sens, à organiser leur présence au monde. Si d'autres adultes, si d'autres organisations, si la République elle-même restent muets, si nous sommes tous muets, il ne leur reste plus qu'à s'approvisionner dans ce fonds de commerce. Ces croyances bricolées sont disponibles, comme dans un supermarché, en « tête de gondole ». Les adolescents ne vont pas nécessairement devenir adeptes d'une organisation, en adoptant une vision du monde toute faite. Ils vont plutôt picorer des croyances diverses, empruntées à des systèmes de valeurs extrêmement hétérogènes, que l'on n'attribuera pas à l'action des organisations sectaires. Leur culture sera largement imprégnée par ces croyances et ces valeurs d'origine sectaire. On le voit bien dans les comportements vestimentaires des adolescents, dans leurs préférences musicales, dans les jeux vidéo qu'ils choisissent.

Pour ce qui est des parents adeptes qui m'amènent leurs enfants, ils entreprennent souvent cette démarche au moment où ils commencent à douter. Pour pouvoir sortir d'une organisation sectaire, il faut à mon sens se poser la question : « Est-ce que les réponses que l'on me fournit sont complètement satisfaisantes ? » L'autre question à se poser est : « N'y aurait-il pas un autre moyen de concevoir le monde ? » Ce sont ces deux questions qu'il faut amener les adeptes à se poser. Il n'est pas certain qu'ils y répondent dans un sens qui les conduise à quitter rapidement l'organisation sectaire, mais c'est en quelque sorte une graine de sénevé qu'il faut semer.

Les parents qui amènent leurs enfants présentant des troubles le font à un moment où ces interrogations commencent à naître en eux, et se servent de leurs enfants comme d'un cheval de Troie.

À l'inverse, la maltraitance à enfant est souvent pour les parents une manière de manifester leur allégeance suprême

M. Jean-Yves HUGON : Vous avez insisté sur le fait que, selon vous, la MIVILUDES devait avoir pour principal objet de lutter contre les dommages infligés aux personnes. Mais ne devrait-elle pas agir en amont, avant que des dommages puissent être infligés ?

M. Philippe-Jean PARQUET : Pour moi qui ai une formation de soignant, la notion de dommage est aussi importante que celle de santé. Faire en sorte que des dommages ne surviennent pas est d'une extrême importance. Insister sur la lutte contre les dommages est essentielle pour façonner la culture des citoyens et des institutions de notre pays. À partir du moment où vous faites la démonstration qu'un dommage est imputable à une manière de fonctionner, vous pouvez adresser un message que tous pourront comprendre.

Il est vrai que la prévention est une autre dimension, qui a son importance. Elle passe par l'éducation et l'information. Elle a pour objectif de lutter contre les organisations à caractère sectaire. C'est un combat d'une autre nature. Moi, je n'ai compétence que pour lutter contre les dommages.

M. Serge BLISKO : Beaucoup de prétendus thérapeutes ou psychothérapeutes ont une stratégie extrêmement difficile à contrer. Nous avons peut-être raté une occasion au moment de la discussion de l'amendement dit Accoyer. Comment pensez-vous que nous puissions sortir de l'impasse où nous sommes ? Plusieurs milliers de thérapeutes, peut-être entre 10 000 et 15 000, peuvent être en effet considérés comme suspects de faire n'importe quoi.

D'autre part, il existe des pathologies face auxquelles nous assistons depuis quelques années à un remaniement complet des conceptions. C'est en particulier le cas de l'autisme infantile. Des conceptions extrêmement différentes s'opposent au sein de la communauté scientifique. Le drame que vivent les parents est aggravé par le fait qu'ils se voient proposer des comportements thérapeutiques totalement opposés, les tenants des différentes thèses se livrant à de véritables excommunications, et certains exemples étrangers étant portés au pinacle sans qu'il soit possible de toujours vérifier ce qu'il en est. Dans ce contexte, on comprend le désarroi des parents qui se tournent vers des thérapeutiques qu'il est de fait impossible de critiquer sans se faire aussitôt traiter de « retardataires » ou sans se faire accuser de vouloir causer une « perte de chances » pour les enfants. La situation est extrêmement préoccupante. On nous somme de valider toute méthode nouvelle, et notre prudence nous rend suspects de vouloir défendre des intérêts acquis, universitaires ou autres. De sorte que sont laissés dans la nature des gens qui, de plus ou moins bonne foi, mettent en œuvre des thérapeutiques diverses et non éprouvées. Comment vous semble-t-il possible, dans un tel contexte, d'instaurer des garde-fous efficaces ?

M. Philippe-Jean PARQUET : En ce qui concerne le choix des thérapies à mettre en œuvre, quels critères peut-on retenir ? On utilise classiquement le critère de la peau d'âne, c'est-à-dire du diplôme que possèdent ou que ne possèdent pas les partisans de telle ou telle thèse. Il y a des peaux d'âne qui confèrent la respectabilité, la sécurité dans l'exercice...

M. Serge BLISKO : Et le remboursement.

M. Philippe-Jean PARQUET : ...et le remboursement. Les détenteurs de la peau d'âne A et ceux de la peau d'âne B vont ainsi se livrer à un intense lobbying pour se faire reconnaître comme les seules voix autorisées. Il y a les peaux d'âne qui tiennent au diplôme universitaire, il y a celles qui tiennent à la longueur de la pratique. Ce qui s'est passé dans la profession de psychothérapeute, c'est une lutte autour de la nature des peaux d'âne qu'il convenait de privilégier pour être inscrit sur une liste d'habilitation.

Cela ne doit pas nous conduire à négliger une autre question, celle des modalités de l'exercice. Il faut ici distinguer deux cas de figure très différents. D'une part, il peut arriver que, au bout d'un certain temps, un thérapeute n'utilise que l'une des différentes thérapeutiques qu'il a à sa disposition. Dans ce cas, les patients qui iront le voir seront « mangés à la seule sauce » de la thérapeutique qu'il aura tendance à privilégier. Par exemple, un psychanalyste installera systématiquement ses patients sur un divan, alors que cette pratique ne convient qu'à certains patients et pas à d'autres. Cette tendance à n'utiliser qu'une seule voie thérapeutique est à l'origine d'une perte de chances pour le patient.

L'autre cas de figure, ce sont les déviants, qui s'engagent sur la voie de la pensée magique. Ils considèrent a priori que les pratiques déviantes sont meilleures, à cause de la déception qu'ils ressentent face aux thérapies classiques.

Pour l'avenir, il nous faut penser aux critères de validation à retenir. Les problèmes de formation concernent plus particulièrement les psychologues.

Il y a enfin le cas des thérapeutes autoproclamés.

S'agissant de l'autisme, il est vrai que les conceptions acceptées par la communauté scientifique ont évolué. On a d'abord placé l'origine de l'autisme dans l'inconscient de la mère ou de la grand-mère. Sous l'influence de Bettelheim, on a pris en charge les enfants en les séparant des parents. On s'est ensuite tourné vers les théories de l'information, puis vers la piste neurogénétique : l'autisme serait dû à un dysfonctionnement cellulaire au moment de la maturation du système nerveux central. On s'est orienté, enfin, vers l'hypothèse d'un déterminant génétique pur. Le problème est que l'autisme est probablement polydéterminé.

Le désarroi des parents est important. Leur souffrance entraîne une plus grande vulnérabilité. Quand ils constatent que la communauté scientifique est déchirée, ils ont tendance à se tourner vers la personne qui va leur inspirer le plus confiance. Et cette personne est parfois celle qui leur dira : « Ce que je pense est la vérité ; toutes les autres réponses sont fausses. »

M. Christian DECOCQ : Le monde que vous nous avez décrit est assez noir. Des croyances irrationnelles pullulent, dans une ambiance de facilité intellectuelle. La réponse de fond que nous pouvons apporter ne réside-t-elle pas dans la formation du jugement, et donc, en pratique, dans la formation des maîtres ? Car le moment de la scolarité est le seul où il soit possible d'appeler et même d'obliger les jeunes à mettre en œuvre leur jugement. Ne devrions-nous pas recommander d'inscrire dans la formation dispensée aux futurs maîtres au sein des IUFM une réflexion sur l'emprise mentale ?

M. Philippe-Jean PARQUET : La transmission des valeurs, la formation du sens critique, le développement de la capacité à s'informer doivent s'accompagner de la capacité à demander de l'aide. En consultant sur Internet les sites de nature sectaire, ceux des grandes organisations, des micro-organisations ou des personnalités isolées, on s'aperçoit qu'ils ont pour objectif un formatage de l'esprit qui crée l'illusion d'avoir réponse à tout.

L'université ne doit pas seulement transmettre des connaissances, mais aussi de favoriser une démarche critique. Je constate avec regret que les bibliographies que contiennent les thèses de troisième cycle ne font que mentionner des ouvrages, sans les commenter. Il nous faut mettre en avant la nécessité d'interroger les diverses propositions présentes dans la culture. Il est nécessaire d'interroger les fondements des conceptions pour pouvoir juger par soi-même.

M. le Président : Monsieur Parquet, je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre commission.

Audition de Mme Dominique SAINT-HILAIRE,
ex-adepte du mouvement raëlien



(Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Nous allons entendre maintenant Mme Dominique Saint-Hilaire.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Dominique Saint-Hilaire prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : J'interviens devant vous dans un contexte un peu particulier dans la mesure où, après un premier témoignage à l'occasion d'une interview, le gourou de la secte raélienne a porté plainte contre moi et où, après avoir gagné en première instance et en appel, je suis encore aujourd'hui sous le coup d'un procès en cassation, ce qui m'oblige à une certaine prudence.

M. le Président : Vous pouvez parler ici en toute liberté et en toute objectivité car vous le faites sous la foi du serment. Nous souhaitons donc que vous nous fassiez part de ce que vous avez vécu, car c'est cela qui intéresse la commission d'enquête. Peut-être pourriez-vous commencer par vous présenter.

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : Je suis née aux Sables d'Olonne en 1950 et suis actuellement professeur d'anglais en collège dans la région bordelaise. Je suis mère de trois enfants qui ont également été dans le mouvement raélien, mais pour lesquels il ne s'est heureusement rien passé, sans doute parce que j'étais assez vigilante.

J'ai, pour ma part, appartenu à ce mouvement de 1987 à 2000. Je l'ai rejoint alors que j'habitais en Guadeloupe et que je connaissais des difficultés dans mon mariage. Comme beaucoup de personnes un peu affaiblies, j'ai rencontré ce mouvement et j'y ai trouvé un certain réconfort.

À mon arrivée en métropole, en 1996, je n'ai pas retrouvé l'ambiance sympathique que j'avais connue outre-mer, il m'a semblé qu'une chape s'abattait sur moi et, en 2000, j'ai décidé de quitter le mouvement. J'ai ensuite témoigné dans un certain nombre d'émissions, ce qui m'a valu pas mal de problèmes. J'ai néanmoins accepté volontiers de témoigner devant votre commission de l'influence des enseignements raéliens sur les enfants, car j'ai pu observer un certain nombre de faits, même si mes propres enfants ont toujours été protégés.

En Guadeloupe, les membres du groupe se voyaient un après-midi par mois, mais je participais chaque année à un stage de quinze jours en métropole. Les enfants y étaient admis, mais à part, une garderie fonctionnant pour les moins de seize ans. Au-delà de cet âge, ils pouvaient assister aux enseignements.

Je souhaite, en premier lieu, insister sur l'évolution de la posture officielle du mouvement raélien s'agissant des mineurs, en la confrontant aux réalités internes au mouvement. Je souhaite, en particulier, mettre l'accent sur des témoignages relatifs à des relations précoces entre adultes et mineurs.

Aux débuts du mouvement, immédiatement après 1968, la sexualité était libérée, complètement débridée, sans contrainte ni tabou. La sensualité était même présentée comme une voie privilégiée vers l'éveil de la conscience. La littérature interne des années 1980 abonde d'ailleurs de photos assez crues, le magazine Apocalypse ressemblant plutôt à un journal érotique.

J'ai souvent entendu Raël parler d'abaissement de l'âge de la majorité sexuelle, en rappelant qu'en Afrique on l'atteignait dès la puberté.

Les messages incitent sans ambiguïté les adeptes à apprendre à leurs enfants les moyens de tirer du plaisir de leur corps en leur montrant concrètement comment faire : « Tu éveilleras l'esprit de ton enfant, mais tu éveilleras aussi son corps, car l'éveil du corps va de pair avec l'éveil de l'esprit. Tous ceux qui cherchent à endormir les corps sont également des endormeurs d'esprits. » « Ne rien dire à ses enfants au sujet du sexe c'est mal. Leur expliquer à quoi ça sert c'est mieux, mais ce n'est pas encore suffisant : il faut leur expliquer comment ils peuvent s'en servir pour en retirer du plaisir. »

Il faut souligner que tous les parents ne respectaient pas cette injonction, et moi-même, je ne m'y suis jamais pliée : je n'ai jamais ni expliqué ni montré moi-même à mes enfants comment ressentir du plaisir.

D'autres messages vont dans ce sens : « Combien de fois certains d'entre nous auraient-ils souhaité être embrassés par leur père autrement que du bout des lèvres ou sur le front, caressés, pétris, manipulés, pressés contre sa poitrine au lieu d'être tenus à distance comme des pestiférés ?» « À partir de quatorze ans les adolescents devraient avoir le droit d'avoir une vie sexuelle, politique et religieuse indépendante de leurs parents. II faut donc supprimer les lois faisant automatiquement un détournement de mineur d'un rapport sexuel entre un individu de plus de dix-huit ans et un individu de moins de dix-huit ans ». « Cette éducation sensuelle théorique pourrait d'ailleurs être complétée par une mise en pratique ou en compagnie des initiateurs dans les centres d'épanouissement, avec toutes les garanties qu'amène la présence de spécialistes sur le plan de la progressivité tant physique que psychique. » Cela ressemble à du « bla-bla », mais j'ai souvent entendu Raël dire qu'il valait mieux qu'un jeune ait sa première expérience sexuelle avec une personne expérimentée. On voit bien ce qu'il peut y avoir derrière cette idée...

Dans Apocalypse, on peut lire qu'« un enfant qui apprend tôt à jouir de son corps, de celui des autres, de ses sens, développe d'autant plus tôt son intelligence ». On retrouve donc bien là la relation entre sexualité et éveil de l'esprit et de la conscience. « La sexualité de l'enfant, c'est le fondement, la base de l'édifice humain puisqu'elle débouche sur l'amour et l'harmonie. » On peut être d'accord avec cette idée, mais tout dépend des conditions dans lesquelles se déroulent les premières expériences sexuelles. Certaines jeunes filles qui ont été abusées par des guides et peut-être par Raël lui-même en ont énormément souffert, certaines s'en sont confiées à moi.

« D'après Pierre Henry, malgré la résistance que nous avons à le reconnaître, l'enfant est, pour l'adulte, un objet sexuel privilégié ! Non, ce n'est pas par "frustration" - de la femme - que l'homme aime passionnément, intensément, amoureusement l'enfant. » Cette citation est tirée d'un article écrit en 1984 par un raélien dont on a appris ensuite qu'il était pédophile et qui a été condamné au Canada. À la lumière de cette affaire, douze ans plus tard, Raël, qui contrôlait pourtant l'ensemble des publications dans Apocalypse, a commencé à renier de tels écrits. On voit bien qu'il n'hésite pas à dire tout et son contraire : quand les temps s'y prêtent, il parle de sexualité précoce, dès que les choses se corsent, il change de discours ! Il prétend ainsi qu'il a toujours condamné la pédophilie, alors qu'il n'a commencé à le faire qu'à partir du moment où toutes les affaires ont éclaté.

Pour en revenir à l'époque où les écrits du mouvement raélien pouvaient inciter les adeptes à avoir des relations incestueuses avec leurs enfants, un père qui revient d'un stage en Afrique avec ses deux filles arrive à la conclusion que « le statut de père ne doit pas durer toute la vie. On doit savoir grandir et ces deux superbes demoiselles m'ont surpris. Elles s'affirment. Elles deviennent déjà des femmes. Elles furent ma grande satisfaction car j'étais un père jusque-là distrait et... discret ». Dans un autre texte, une jeune femme raconte comment son grand-père l'a initiée à la masturbation à quatre ans.

M. Deslaurier, le raélien canadien qui fut ensuite condamné pour pédophilie et radié du mouvement peu avant le procès écrivait sans équivoque dans Apocalypse : « L'amour n'est pas violent, l'amour enfant-adulte c'est une réalité. C'est une sexualité différente, marginale certes, mais néanmoins enrichissante et épanouissante, tant pour l'enfant que pour l'adulte, surtout si cette « sexualité marginale » peut être assumée dans un climat harmonieux, sans culpabilité aucune, avec respect et amour. Mais non, l'attirance physique et sexuelle de l'enfant n'est pas plus une maladie chez l'adulte qu'elle ne l'est chez l'enfant lui-même. »

En 1998, on assiste dans le mouvement à une première évolution importante, quand Raël interdit la présence des mineurs lors des stages. Mais il est trop tard, un certain nombre de choses se sont déjà passées ; les raéliens qui ont vécu avec cet enseignement pendant des années trouvent normal d'avoir des relations sexuelles, si ce n'est avec des enfants, du moins avec des jeunes de quatorze ou quinze ans. J'ai moi-même pu observer des relations de ce type, les adultes étant rarement des raéliens de base mais plutôt des guides ou des « évêques ». En effet, la sexualité étant un pas vers l'éveil, être initié par un guide, lui-même choisi par Raël pour sa grande sagesse, ne pouvait qu'amener vers une plus grande conscience.

L'interdiction de la présence des mineurs aux stages ne dure toutefois pas longtemps : dès que ces derniers sont transférés depuis la France vers la Suisse puis l'Italie et, plus récemment, la Slovénie, les enfants sont à nouveau admis. Cela a d'ailleurs été pour moi un soulagement car je n'avais aucune solution pour faire garder les miens.

Au moment où éclatent les affaires, Raël change donc d'avis et il écrit dans Apocalypse : « Bien au contraire de ce qui est écrit par M. Deslaurier, la sexualité avec les enfants est à PROSCRIRE » - les majuscules sont celles du texte d'origine - « non seulement quand elle intervient par violence mais également quand elle paraît harmonieuse. En effet, s'il est important de ne pas entraver la sexualité des enfants, il reste tout aussi important de ne pas intervenir activement au sein de cette dernière. » Raël est ici en totale contradiction avec ce qui est enseigné dans les messages, mais l'essentiel est alors pour lui de se couvrir. « Le respect des droits de l'enfant le commande, puisqu'aussi bien si la chose sexuelle n'est pas réservée à l'adulte et concerne également les enfants, elle doit cependant les préserver de toute intervention physique de l'adulte. Je m'inscris donc en faux contre l'usage du message des Elohim au soutien de la thèse de M. Pierre Deslaurier, que notre Religion ne saurait soutenir mais doit expressément condamner. »

Des affaires de mœurs ont éclaboussé le mouvement :

À Brive, un éducateur a été condamné à quinze ans de réclusion criminelle pour viol et agressions sexuelles sur mineure de quinze ans.

À Saint-Étienne, quatre raéliens dont trois guides ont été condamnés pour corruption de mineures en réunion, c'est-à-dire l'organisation de partouzes dans des chambres d'hôtel.

Un ancien gardien d'Eden a été incarcéré à Draguignan pour des abus sur mineurs, puis il est parti en Inde, où il lui était sans doute plus facile d'assouvir ses pulsions.

Plus récemment, à Colmar, un raélien a été condamné à six ans de prison ferme pour corruption de mineure de quinze ans par ascendant, c'est-à-dire sur ses propres filles

À Grasse, un homme que je connaissais très bien a été condamné pour des dérives sexuelles incestueuses par perte de repères. Dans sa déposition, il dit avoir été influencé par les enseignements de Raël que je vous ai lus précédemment. Mais il est allé un peu trop loin et il a été condamné.

Un « évêque » de Raël a commis une agression sexuelle aggravée sur une fillette de quatre ans, dont la mère était l'assistante de Raël, Brigitte Boisselier, dirigeante de Clonaid. À la suite du procès devant la cour de Versailles, un mandat d'arrêt international et un mandat d'amener ont été délivrés. Fuyant la justice jusqu'en Afrique, il a travaillé pour une ONG et il s'est volatilisé au moment où la police allait l'arrêter en Côte d'Ivoire. Je me souviens très bien qu'à l'époque il était hébergé par Brigitte Boisselier. Il a été par la suite radié du mouvement raélien et tout contact avec lui nous a été interdit, au motif qu'il aurait détourné des fonds destinés au fonctionnement de la cellule juridique, c'est-à-dire à la rémunération des avocats, qui ont un rôle très important compte tenu du nombre d'affaires dans lesquelles ce mouvement, très procédurier, est impliqué. Il est toutefois étonnant que le motif de l'exclusion ait été indiqué dans cette affaire alors que tel n'était jamais le cas. Il avait été exclu pour sept ans parce que, dans le raélisme, on considère qu'en application des lois de la biologie, il faut sept ans pour que le corps renouvelle l'ensemble de ses cellules. Au bout de sept ans, on est donc un homme nouveau. C'était d'ailleurs un code au sein du mouvement : quand quelqu'un vous faisait des avances auxquelles vous n'aviez pas envie de donner suite, vous lui disiez « reviens dans sept ans »...

M. le Président : Vous avez dit que certaines mineures s'étaient confiées à vous. Pouvez-vous nous faire part de leurs témoignages ?

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : En 1997-1998, Raël a prétendu avoir reçu un message des Elohim lui demandant de créer l'ordre des anges. Toutes les femmes qui souhaitaient avoir plus de spiritualité et de religiosité pouvaient rejoindre cet ordre, composé des « plumes blanches » et des « plumes roses ». Tout le monde pouvait demander à devenir plume blanche, en revanche les plumes roses étaient les femmes qui avaient décidé de se dévouer entièrement aux Élohim et à leur unique représentant sur terre, Raël. Mais ce sont surtout des femmes d'âge mûr qui ont demandé à devenir plumes roses, ce qui n'a guère été de son goût, puisqu'il s'agissait en fait de son harem. Il a donc créé lui-même l'ordre des « cordons dorés », composé de jeunes femmes qu'il choisissait et qui pouvaient le servir et l'approcher. J'ai appris récemment qu'il leur faisait signer un contrat aux termes duquel elles ne pouvaient refuser ses avances sexuelles, sauf à être rétrogradées. Voilà qui ressemble fort à de l'esclavage sexuel ! Certes, cela ne concerne que les femmes majeures, mais Raël aime bien les femmes jeunes. Je me souviens qu'à l'occasion d'un voyage en Guadeloupe, en 1987, il avait trouvé ma fille de six ans bien jolie et m'avait dit : « Tu me la présenteras quand elle aura seize ans »... On voit quel est le genre du personnage !

On connaît le cas de la fille d'un « évêque » qui, lorsqu'elle a atteint la majorité sexuelle, est devenue une des favorites. Même si elle n'avait pas l'air très heureuse, je pensais qu'elle était bien dans sa peau. Je l'ai toutefois contactée lorsque j'ai quitté le mouvement et elle m'a écrit ceci, en 2005 : « Ma question porte surtout sur la possibilité de faire quelque chose en étant sortie du mouvement. J'ai été élevée là-dedans et ça m'a causé pas mal de dégâts. Après presque quatre ans, je commence enfin à me sentir bien dans ma peau, dans ma tête et j'ai presque retrouvé une sexualité normale... Qu'est-ce que je peux faire pour éviter à d'autres personnes et surtout à des jeunes filles de raéliens de tomber là-dedans ? » Un peu plus tard, elle m'a à nouveau écrit : « Oui, je vais très bien et je crois bien que je viens enfin de sortir de ce tunnel ! Après des années de souffrances, je revis enfin. » Tel est donc le témoignage d'une jeune fille qui a été en quelque sorte livrée à Raël par son père.

J'ai aussi reçu celui d'une maman dont la fille a l'âge de la mienne, qui vivait en Floride et chez laquelle Raël se rendait fréquemment pour passer l'hiver sous un climat plus agréable que celui du Canada. Elle a appris par la suite que son beau-père, raélien japonais qui vivait avec elle, abusait de sa fille. Elle en a parlé à un guide, qui n'a pas réagi ; elle en a aussi parlé à Raël, qui n'a pas donné suite parce qu'il aimait bien jouer de la guitare avec cette personne... Elle m'a dit que Raël avait lui-même fait des avances à sa fille depuis qu'elle avait seize ans.

Dans le numéro 21 de Plume d'Anges, une newsletter uniquement destinée aux anges, du « 23 juillet 54 » - c'est-à-dire 1999 ou 2000 - une plume rose, qui s'est rendue au Canada avec sa petite fille raconte : « X, venue pour voir notre prophète avec ses grands et jolis yeux, lui dit « Raël... je voudrais être un ange. » Notre Prophète Bien-Aimé y songea pendant une semaine et décida d'accepter un groupe religieux de très jeunes filles.

« Ces anges sont acceptés en tant que plumes roses seulement. Personne ne peut avoir de relations sexuelles avec elles. C'est pour les protéger, de même que notre mouvement, contre la société et les médias.

« Pour les reconnaître, elles porteront leurs plumes roses avec une petite plume noire. Ce sera un groupe très religieux, vous pouvez l'imaginer, ce sera si beau de prier et de jouer ensemble.

« Si vous connaissez n'importe quelle fille d'un jeune âge, s'il vous plaît, informez-la de ces nouvelles et, si elle décide de devenir ange plume rose, s'il vous plaît, contactez-nous pour recevoir un formulaire. Si vous avez aussi des idées pour nos petites sœurs, s'il vous plaît, laissez un message à votre responsable.

« Merci beaucoup, petite sœur Annoah, de donner une graine pour les fleurs roses. Ces fleurs seront très importantes pour les futures générations. »

Il convient toutefois de préciser qu'il y a sans doute moins d'une demi-douzaine de chérubins dans le monde car le mouvement est très minoritaire : il compte au plus 2 000 membres dans le monde et moins d'une centaine en France.

M. le Rapporteur : Merci pour votre témoignage. J'allais vous demander précisément ce que représentait aujourd'hui le mouvement raélien, qui paraît en très grande perte de vitesse depuis quelques années. Confirmez-vous qu'il y a désormais moins de cent membres en France ? Pensez-vous que les adeptes ont migré vers d'autres pays européens ?

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : Le mouvement revendique 65 000 adeptes, mais c'est impossible puisqu'il existe depuis trente-deux ans et qu'il ne pratique pas plus de mille baptêmes par an. Selon des chiffres officiels, les membres effectifs du mouvement, c'est-à-dire appartenant à la structure, ne sont pas plus de 2 000 dans le monde. En France, il doit y avoir une centaine de membres actifs. Le mouvement est en perte de vitesse surtout depuis la fameuse affaire du clonage. Certains y croient encore, d'autres considèrent qu'il peut être justifié de diffuser des messages par le biais d'un mensonge, mais il y a eu un bon nombre de démissions et les témoignages sont de plus en plus nombreux. Cette dégringolade intervient partout dans le monde, sauf en Afrique, mais ce continent est moins rentable, du moins financièrement, si ce n'est sexuellement...

M. Jacques MYARD : Dans les théories de Pierre Henry, l'enfant est-il un objet ou un instrument sexuel ?

Si je comprends bien, l'« évêque » condamné à Versailles a été banni pour sept ans pour détournement de fonds et non pour une relation sexuelle avec un mineur que tous les écrits de la secte semblaient justifier.

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : Dans l'affaire de Saint-Étienne, les mineures étaient consentantes, mais il faut se souvenir que c'était des filles de raéliens qui avaient été élevées dans l'idée d'un éveil par la sexualité. Les guides impliqués ont fait de la prison, mais ils n'ont pas été exclus du mouvement et, à leur sortie, ils y ont été accueillis à bras ouverts et même acclamés lors du stage auquel je participais, tout simplement parce que la justice des hommes ne vaut rien devant celle des Élohim.

M. Jean-Pierre BRARD : Une remarque tout d'abord : quand on est invité par la commission d'enquête, on n'« accepte » pas de venir, on est obligé de le faire.

Vous nous avez dit que vous aviez protégé vos propres enfants au sein du mouvement, mais aussi que vous vous étiez réjouie d'apprendre qu'il leur était à nouveau possible d'être présents lors du stage en Suisse. Comment vous y êtes-vous prise pour les protéger ?

Par ailleurs, vous avez dit que les relations sexuelles concernaient des jeunes filles de quatorze ou quinze ans, mais pas des enfants. Pourtant vous nous avez aussi parlé d'un enfant initié à la masturbation à quatre ans.

Vous avez aussi évoqué la fille de Mme Boisselier, qui avait été mise à la disposition d'un membre de la secte pour être abusée. Si cela a été établi devant un tribunal, y a-t-il eu des poursuites à l'encontre de la mère ?

Enfin, existe-t-il une cotisation au mouvement et, si oui, quel est son montant ? Car, vous l'avez rappelé, l'aspect financier est essentiel pour la secte. Pouvez-vous aussi nous dire quels sont ses avocats ?

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : Il me semble que vous faites une confusion à propos de la fille de Mme Boisselier, qui n'a pas été « mise à la disposition » d'un « évêque » : ce dernier a en fait abusé d'elle alors que, sans travail ni logement - et aussi, sans doute, parce qu'il entretenait une relation avec la mère -, il était hébergé dans la famille. D'après ce que j'ai lu, les faits se déroulaient le mercredi, entre le départ de Mme Boisselier et l'arrivée de la baby-sitter. C'est le père qui s'est rendu compte, des années après, en raison des troubles de la jeune fille, de ce qui s'était passé. Mais Mme Boisselier n'a pas offert sa fille en pâture.

La jeune fille dont j'ai parlé par ailleurs est la fille, très jolie, d'un autre « évêque », de nationalité suisse, qui venait au stage et était toujours aux alentours de Raël. Le père était au courant, elle n'avait pas dix-huit ans, mais elle avait atteint l'âge de la majorité sexuelle.

S'agissant de l'initiation à la masturbation à quatre ans, j'ai trouvé l'information dans un article où une femme raconte, sans d'ailleurs s'en plaindre, ce qu'a fait son grand-père.

Mes enfants ont toujours participé aux stages, même à Éden. La première fois que je les y ai emmenés, c'était en 1990 : mon fils avait neuf ans et ma fille huit ans. Le petit dernier, qui est sourd, était resté en Guadeloupe. Il y avait une garderie avec un éducateur qui n'était pas raélien, les enfants étaient à part, ils se livraient à des jeux et à diverses activités, tout se passait très bien et il n'y avait strictement rien d'anormal.

S'agissant de l'aspect financier, il est conseillé de verser la dîme, soit 7 % de son revenu après imposition pour le mouvement raélien international et la diffusion de messages, et 3 % pour le mouvement national. Mais il n'y avait aucun contrôle et, personnellement, je n'ai jamais versé 10 %. Comme les versements étaient assez faibles, il a été instauré une cotisation minimum de 1 000 francs pour le mouvement raélien international et de 500 francs pour le mouvement national. Mais certains donnaient beaucoup plus - jusqu'à 80 000 francs -, en particulier les Japonais. À la fin de chaque stage, on établissait le top ten des donateurs. J'imagine que les gros contributeurs obtenaient plus facilement une promotion, mais les meilleurs vendeurs de livres se voyaient aussi propulsés guides.

Enfin, dans mon affaire, l'avocat du mouvement était Me Florand, qui a aussi été avocat d'une personne ayant commis des exactions contre les droits de l'homme.

M. Jean-Pierre BRARD : Il a aussi été, me semble-t-il, avocat des Témoins de Jéhovah.

Payiez-vous vos cotisations par chèque ? À quelle banque ?

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : En Guadeloupe, je remettais un chèque chaque mois, mais là-bas, même l'argent destiné au mouvement international restait sur place pour la diffusion. Quand je suis arrivée en métropole, tout était payé en Suisse. Je ne connais pas le nom de la banque ; je ne puis ni le retrouver ni demander à ma propre banque de le faire puisque tout se passait par mandat international et que je n'ai pas conservé les bordereaux. Je le regrette d'ailleurs car j'aurais bien aimé demander en justice le remboursement de ces cotisations, comme l'a fait un ancien député canadien, histoire d'embêter le mouvement...

M. Jean-Pierre BRARD : On doit normalement conserver ces documents pendant trente ans.

Mme Martine DAVID : Je ne suis pas du tout convaincue que le fait de placer les enfants dans la garderie ait été une garantie qu'il ne s'y passait rien. Je ne vois pas ce qui vous permet de dire que la personne qui les encadrait n'était pas raélienne. Car il n'y a pas que les comportements sexuels, il y a aussi des paroles, des gestes, des attitudes.

Question plus personnelle : pourquoi avez-vous décidé de quitter le mouvement ?

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : S'agissant des enfants, il ne faut pas oublier qu'il ne s'agissait que de deux semaines chaque année, que j'étais présente sur place, qu'ils étaient séparés de moi uniquement deux heures le matin et deux heures l'après-midi. En apparence, l'éducateur n'était pas porté vers les enfants. Je suis maman ; il me semble que j'aurais pu ressentir les choses et observer chez eux un changement de comportement. Ce n'était pas de tout petits enfants et ils m'en auraient parlé. Ma fille, qui se confie beaucoup à moi, m'a bien parlé de ses premières relations sexuelles, qu'elle a eues alors qu'elle était majeure. C'est une jolie fille, qui plaisait, mais qui n'était pas éduquée dans ce sens, contrairement à d'autres filles, très aguicheuses.

J'ai quitté le mouvement au moment où l'on m'a demandé de vendre beaucoup de livres, de faire du prosélytisme à tout va par le porte-à-porte, comme les Témoins de Jéhovah. J'ai fait de la résistance, la structure s'est montrée de plus en plus pressante ; on m'a demandé de rendre des comptes, de dire combien de personnes j'avais contactées. Bref, on était bien loin de l'atmosphère du groupe avec lequel je passais du bon temps en Guadeloupe. Et puis je commençais à avoir des doutes, à m'interroger sur les incohérences scientifiques d'une religion qui affirme précisément relever de la science. Quand j'ai posé des questions délicates, non pas sur les mœurs mais sur la religion elle-même ou sur les Élohim, on ne m'a apporté aucune réponse. Je suis donc partie. J'observe d'ailleurs que la porte est ouverte, qu'on n'essaie pas de retenir ceux qui ont des doutes sur la théorie raélienne, probablement parce qu'on craint qu'ils ne gangrènent le reste du groupe. Si un adepte s'ouvre de ses doutes à un autre, ce dernier est tenu de le rapporter au conseil des sages ou au conseil de discipline.

M. le Président : Vous avez mentionné la société Clonaid. Pouvez-vous nous en dire plus à son propos ?

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : Elle a été fondée par Raël, qui affirme n'avoir rien à voir avec elle depuis qu'une procédure a été engagée en Floride pour mettre sous tutelle le bébé Ève au moment de l'annonce de sa naissance. Par la suite, nombre de naissances ont été annoncées sans suite. Alors que Raël prétend qu'il a ainsi économisé 700 millions de dollars de publicité pour le mouvement et que son message a ainsi été diffusé largement, le soufflé est vite retombé ; désormais, quand on évoque le mouvement raélien, on pense surtout un canular autour des clones.

Raël affirme que Clonaid est une entreprise totalement indépendante du mouvement, qu'il se trouve simplement que Mme Boisselier est raélienne et qu'il est son conseiller spirituel. Mais elle a fait des pieds et des mains pour qu'il vienne parler du clonage devant le Congrès américain. Raël a perçu des sommes astronomiques pour donner des conférences à ce propos.

À l'origine, la société n'était qu'une boîte aux lettres aux Bahamas pour faire de la publicité, récolter de l'argent et éventuellement mener des recherches. Il semble que ceux qui versaient l'argent pour être clonés savaient qu'il n'existait pas de laboratoire mais qu'ils se comportaient un peu comme des mécènes qui auraient financé la recherche en ce domaine.

À l'origine, Raël disait que Brigitte Boisselier lui succéderait, mais quand les choses ont mal tourné, cela n'a plus été à l'ordre du jour.

M. le Rapporteur : On peut regretter que l'ensemble des médias français et internationaux se soient fait abuser.

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : Ils ont sauté sur l'information sans vérifier leur source.

M. Jean-Pierre BRARD : Les médias, mais aussi les autorités politiques !

M. Jacques MYARD : Vous n'avez pas répondu à ma question sur l'enfant objet ou instrument sexuel.

Mme Dominique SAINT-HILAIRE : M. Deslaurier dit clairement que, selon Pierre Henry, « l'enfant est pour l'adulte un objet sexuel privilégié ». Mais après les affaires de mœurs, Raël s'est dédit, a rejeté la pédophilie et a appelé à respecter la loi en ce qui concerne la majorité sexuelle. Mais il a aussi affirmé que tout était écrit dans les messages, qu'il n'y avait rien à y ajouter, rien à en retrancher.

M. le Président : Merci beaucoup pour ce témoignage, très intéressant pour notre commission d'enquête.

Audition de M. Jean-Philippe VERGNON,
Président de l'association Aide aux Victimes des Frères Exclusifs (AVIFE)



(Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Nous accueillons maintenant M. Jean-Philippe Vergnon, président de l'association Aide aux victimes des Frères exclusifs (AVIFE).

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Philippe Vergnon prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. Jean-Philippe VERGNON : La communauté des Frères exclusifs est essentiellement basée en Haute-Loire, ainsi qu'aux environs de Lyon, elle compte également d'autres implantations. Elle constitue un cercle très fermé de 1 250 personnes en France, auquel on n'adhère pas, mais où on entre uniquement par filiation. On se marie et on a des enfants à l'intérieur de la communauté, qui vit de façon pratiquement autonome, seuls les emplois étant exercés dans le monde extérieur. L'ensemble est régi par un grand nombre de directives prises par un grand chef, Bruce David Halse, qui vit à Sydney, en Australie. Dans le monde, les membres sont environ 45 000.

La doctrine de cette organisation est de vivre uniquement selon les préceptes de la Bible. Mais c'est ce que l'on dit à l'intérieur du mouvement, car une fois qu'on en est sorti, on se rend compte que tel n'est pas le cas dans bien des domaines. Les membres n'ont droit ni à la télévision ni à la radio ; ils peuvent lire le journal, à l'exclusion des pages sportives, uniquement pendant sept minutes et debout. La presse people et frivole est interdite.

Mais ce qui est particulièrement inquiétant c'est la situation des femmes et des enfants au sein de cette communauté. J'y suis né, puisque mes parents y appartiennent, et j'y ai grandi. J'en suis sorti à vingt-deux ans et je vais en avoir quarante. J'en suis sorti parce que j'ai eu le privilège de travailler à l'extérieur et de découvrir ce qu'était la vie au dehors, alors que normalement tout est fait pour que les jeunes commencent à travailler au sein de la communauté.

Je suis né à Saint-Agrève, petit village de la haute Ardèche, puis je me suis rapproché de la famille de ma femme, qui vit à Saint-Étienne.

J'ai été scolarisé dans une école publique jusqu'à la troisième. J'ai commencé ensuite pendant deux ou trois mois à faire de l'électronique, jusqu'à ce que le grand chef décide que c'était interdit car c'était une ouverture vers l'automatique et l'informatique, donc vers le diable, parce que cela « prenait la tête ». Je me suis donc dirigé vers l'électrotechnique par le biais d'un CAP et d'un apprentissage dans une entreprise de la secte.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Comment l'organisation appréhendait-elle les phénomènes éducatifs ? Y avait-il un reconditionnement après l'école ? Le groupe suivait-il plus particulièrement les enfants pour éviter qu'ils n'aient trop de contacts avec l'extérieur ?

M. Jean-Philippe VERGNON : En fait, on est toujours sous surveillance : même à l'école, des camarades peuvent rapporter ce que l'on a fait dans la journée. À midi comme le soir, dès que l'école se termine, quelqu'un vient nous chercher pour nous ramener à la maison. Les activités extrascolaires, l'appartenance à une association sportive ou culturelle sont interdites. On n'a pas le droit d'aller dans les bibliothèques municipales.

M. le Rapporteur : D'après ce que vous savez, combien y a-t-il aujourd'hui d'enfants sur les 1 250 personnes dont vous avez parlé ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Ce sont de grandes familles, de quatre à six enfants, il doit donc y avoir entre 600 et 800 enfants et 150 familles. Celles-ci vivent dans des maisons individuelles car, selon les règles, il faut pouvoir faire physiquement le tour de sa maison. On ne doit pas partager même un mur de clôture avec ses voisins. Les maisons sont assez souvent proches les unes des autres, afin que la surveillance puisse s'exercer.

Mme Martine DAVID : Vous avez parlé de Lyon. Pouvez-vous en dire plus sur l'implantation de ce mouvement dans la région, car nous n'en avons jamais entendu parler ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Il est implanté à Caluire-et-Cuire, à Rillieux-la-Pape, à Fontaines-sur-Saône.

M. le Rapporteur : Vous avez dit que les adeptes vivaient dans des familles nombreuses. Y a-t-il un précepte exigeant que l'on fasse le plus d'enfants possible afin d'alimenter la secte en fidèles ?

M. Jean-Philippe VERGNON : En effet, dans les années 1970, une directive a posé le principe qu'une femme devait avoir au moins six enfants. Quand ce n'est pas le cas, on interroge le couple pour savoir pourquoi. La contraception est bien sûre interdite : l'homme dispose de sa femme et Dieu donne la fécondité.

Mme Martine DAVID : Vos parents sont-ils toujours dans la secte ? Avez-vous des contacts avec eux ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Depuis que j'ai quitté la communauté, je n'ai plus de contacts avec eux. J'en ai eu un peu il y a deux ans car, au moment où il a pris le pouvoir, Bruce David Halse a incité les adeptes à retourner vers ceux qui étaient partis, dans le seul but de les faire revenir. Ils sont venus me voir à deux reprises ; je leur ai dit catégoriquement que je voulais bien renouer des relations avec eux - car, bien sûr, ma famille me manque - mais en aucun cas retourner dans ce milieu. Deux de mes frères sont également partis après moi, mon autre frère ainsi que mes deux sœurs sont restés, et je n'ai plus aucune relation avec eux ; je ne connais pas mes neveux et nièces.

Je me suis marié au sein de la secte, alors que je n'avais pas encore dix-neuf ans. On ne peut pas à proprement parler de mariage arrangé, car on a le droit de choisir sa femme, mais elles sont peu nombreuses et, pour ma part, j'avais le choix entre trois filles dans toute la France. Quant aux femmes, si quelqu'un leur fait une demande, en général elles se précipitent. Aujourd'hui, les photographies des jeunes gens d'une même localité circulent et on choisit donc son époux sur photo.

Entre dix-neuf et vingt-deux ans, nous sommes restés mariés au sein de la secte, et nous avons eu une petite fille. Quand je suis parti, je n'ai pas pu la voir pendant trois ans. Chaque fois que j'essayais de la voir, des personnes de la communauté étaient présentes et l'empêchaient de sortir. Si je faisais appel à la police ou à la gendarmerie, ma fille disait qu'elle ne voulait pas me voir, que j'étais « un diable ». Il a fallu que je me rende dans un centre social le samedi après-midi pour pouvoir la rencontrer. Et même là, les gens de la secte circulaient autour du lieu. Quand ma fille les a aperçus, j'ai demandé aux assistantes sociales d'intervenir et elles ont dû appeler la police pour les faire partir.

Ma femme est restée dans la secte. Ma fille a maintenant vingt ans ; à quatorze ans, elle a demandé à venir vivre chez moi. Pour que cela se fasse légalement, elle en a parlé à son assistante sociale à l'école. L'affaire est allée au tribunal, et comme c'était elle qui faisait la demande, elle a été écoutée.

M. le Rapporteur : Quelle a été l'attitude des magistrats face à cette situation ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Ils sont un peu désemparés. J'ai été confronté souvent aux tribunaux, je ne le souhaite à personne car il est vraiment très pénible de devoir revenir tous les six mois devant eux simplement pour faire valoir son droit de voir sa fille.

M. le Président : Les Frères exclusifs sont-ils bien les « Frères de Plymouth de la Voie étroite » ? Pouvez -vous nous préciser un peu de quoi il s'agit ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Au départ, c'est une branche évangélique, mais il y a eu trois scissions, dues chaque fois au refus de suivre les commandements du grand chef. Nous en sommes donc aux Frères de Plymouth n° 4.

M. Serge BLISKO : Peut-on considérer qu'il y a eu, à chaque scission, aggravation de la coupure avec le monde extérieur ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Tout à fait ! On peut côtoyer au quotidien les frères n° 1, alors que les frères n° 4 n'ont le droit ni de manger ni de boire avec vous ; vous ne pouvez les rencontrer que dans un cadre professionnel.

M. Jérôme LAMBERT : Si c'est un mouvement qui existe depuis longtemps, par qui a-t-il été créé ? Par ailleurs, vous dites qu'il existe un gourou en Australie, mais il y a bien un responsable en France. Je suppose que c'est une organisation pyramidale.

M. Jean-Philippe VERGNON : En effet, l'organisation est pyramidale : elle commence par le père de famille, qui est le premier chef, puis il y a un chef dans chaque localité, un chef pour la France - actuellement il s'agit de Philippe Teissoniard, qui est à Nîmes -, un chef pour l'Europe. Le mouvement existe, je pense, depuis les années 1850.

M. le Président : Le mouvement a été fondé par l'anglais John Nelson Darby, né en 1800 et décédé en 1882.

Mme Martine DAVID : Nous vous auditionnons en qualité de président d'une association d'aides aux victimes. Pouvez-vous nous indiquer de combien de personnes vous avez déjà été amené à vous occuper ? Parmi elles, y a-t-il des mineurs ? Disposez-vous de témoignages de ces derniers ? De quelle nature sont-ils ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Nous nous sommes occupés d'une centaine de personnes parmi lesquelles il y a peu de mineurs, tout simplement parce qu'ils sont chez leurs parents, que le système est bien fermé et que notre association est diabolisée en son sein. Nous avons quelques contacts avec des mineurs. Il y a actuellement une affaire à Yssingeaux, avec trois enfants, dont deux très jeunes, qui se trouvent pour l'instant en dehors de la communauté, mais qu'un de leurs parents veut y faire entrer grâce à son droit de visite. Nous ne nous opposons pas à ce droit de visite, mais nous cherchons à empêcher l'accès des enfants au culte.

Nous n'avons pas encore rendu publics les témoignages que nous avons recueillis, tout simplement parce que nous ignorons quelles sont nos possibilités légales de faire. Ces témoignages sont donc pour l'heure dans les mains de la gendarmerie d'Yssingeaux.

M. le Rapporteur : Les affaires auxquelles vous êtes confronté sont-elles essentiellement liées à des problèmes de couples et de garde d'enfants ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Le plus gros problème tient au fait qu'une personne qui décide de quitter la communauté est obligée de divorcer. L'autre problème est celui des adolescents qui voudraient partir mais qui n'ont pas encore dix-huit ans. Ceux qui ont essayé ont rapidement été repris par la gendarmerie en tant que fugueurs et ramenés à leurs parents.

M. le Rapporteur : Considérez-vous que nous sommes suffisamment armés pour répondre à ce genre de situations ? S'il est exact qu'il y a entre 600 et 800 enfants concernés, ce n'est pas rien ! Or, notre commission d'enquête a aussi pour but de voir avec les gens de terrain comment améliorer les choses et de faire des propositions concrètes.

M. Jean-Philippe VERGNON : L'attitude de la gendarmerie commence à changer, maintenant que la MIVILUDES a cité ce mouvement dans son rapport 2005. Mais jusque-là, à chaque fois que l'adolescent s'en allait, il était ramené à ses parents. Si l'AVIFE était avertie assez tôt, elle tenterait des démarches pour que les choses ne se passent pas de la sorte.

M. Marcel DEHOUX : Si j'ai bien compris, les enfants ont une scolarité normale jusqu'à la troisième. Certaines matières leur sont-elles interdites ? Certains enseignants ou principaux en ont-ils fait part à leur hiérarchie ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Je suis allé à l'école publique jusqu'en troisième, mais désormais les enfants sont scolarisés soit dans des écoles de la secte soit par correspondance, et des cours de soutien leur sont dispensés de la sixième à la troisième, voire jusqu'au bac. Pour ma part, je devais sortir de la classe pendant les cours de sciences naturelles et d'éducation sexuelle.

M. Serge BLISKO : Et les enseignants de l'école laïque, républicaine et obligatoire laissaient faire ? Ils comprenaient la situation ? Ils savaient ce qui se passait ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Oui, ils laissaient faire. Je crois que beaucoup étaient persuadés que les Frères de Plymouth bénéficiaient de soutiens en haut lieu, dans des ministères, ce qui n'est absolument pas le cas. Depuis deux ou trois ans et, surtout, la création de notre association et le rapport de la MIVILUDES, les choses changent.

Mme Martine DAVID : Mais jusque-là il n'y avait pas de signalement de la part de l'éducation nationale ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Non. Parce que le culte avait la priorité sur l'école, nous n'allions jamais en cours le samedi matin, sans aucune dispense, et l'inspecteur d'académie n'était même pas au courant.

M. le Rapporteur : Comment la scolarité est-elle exactement organisée ? La secte fait-elle appel à un organisme particulier pour le soutien scolaire ? Celui-ci propose-t-il de bénéficier de la déduction fiscale ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Il y a un organisme dans chaque regroupement, par exemple le centre de soutien scolaire des Cardamines au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire. Il s'agit d'associations « loi de 1901 » ; je pense qu'elles profitent du régime fiscal actuel. Mais les enfants extérieurs à la communauté ne pourraient pas intégrer une telle école.

Mme Martine DAVID : Vous avez été enfant et adolescent dans ce milieu. À votre connaissance, existe-t-il des préceptes particuliers pour les parents en ce qui concerne l'éducation des enfants ? Par exemple, des châtiments corporels sont-ils recommandés ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Non, mais il y a beaucoup de châtiments moraux, au premier rang desquels les confessions publiques. Par exemple, si vous êtes surpris à l'école en train de faire n'importe quelle bêtise, ne serait-ce que manger un bonbon dans la cour avec un camarade, le soir il faut le confesser devant l'assemblée de la communauté, c'est-à-dire devant deux cents personnes.

M. Jacques MYARD : Qu'y a-t-il d'autre dans la trame éducative de la secte ? La sexualité est-elle concernée ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Non, il n'y a pas de problème sur ce sujet. Je l'ai dit, il n'y a pas de sévices corporels, mais si vous recommencez la bêtise, la punition peut aller jusqu'à ce qu'ils appellent « l'enfermement », c'est-à-dire que vous devez rester dans votre chambre, sans avoir le droit de parler à vos frères et sœurs, même dans la journée, ni de prendre vos repas avec eux.

Mme Martine DAVID : Certains jeux et certains jouets sont-ils interdits ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Tous les jeux qui se pratiquent entre garçons et filles sont interdits en dehors de la surveillance d'un adulte. Des jeux simples comme le jeu des sept familles sont admis. Les anniversaires ne sont pas fêtés.

M. le Rapporteur : Dans quel état psychologique êtes-vous sorti de cette organisation ? Je suppose qu'il faut du temps, que cela laisse des traces.

M. Jean-Philippe VERGNON : Il faut beaucoup, beaucoup de temps pour s'en remettre. Le plus gros problème c'est qu'on se retrouve tout seul, qu'on perd sa famille et ses amis, puisqu'il est impossible de s'en faire à l'extérieur et que ceux avec lesquels vous aviez refusé jusque-là de nouer des relations ne comprennent pas votre changement d'attitude. Quand je suis parti, je demandais à travailler le week-end pour ne pas rester seul.

Mme Martine DAVID : Je suppose que vous êtes aujourd'hui leur bête noire.

M. Jean-Philippe VERGNON : Je suis vu comme le diable en personne. Ils considèrent que je les attaque alors que je me contente de dénoncer leurs dérives et d'essayer d'aider ceux qui veulent s'en sortir. Le but de l'AVIFE n'est pas d'obtenir la dissolution du mouvement : chacun a le droit de penser ce qu'il veut, mais uniquement dans la mesure où il est libre de penser, or ce n'est pas le cas des enfants.

M. Serge BLISKO : Au temps de la conscription, je suppose que ceux qui partaient faire leur service militaire subissaient un véritable choc.

M. Jean-Philippe VERGNON : Pour ma part, je n'ai pas fait mon service militaire car j'étais soutien de famille. Mais mon père l'a fait pendant la guerre d'Algérie, de même que mon frère par la suite. Comme tous les autres, ils étaient sous statut d'objecteur de conscience.

M. Serge BLISKO : Cette organisation est-elle reconnue comme association cultuelle par le ministère de l'intérieur ? Adhère-t-elle à un mouvement fédératif, comme la Fédération protestante de France ou le Conseil œcuménique des églises ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Ils ne sont pas membres de la Fédération protestante. Ils ont été sous le régime de la loi de 1901 jusqu'il y a deux ans et sont aujourd'hui sous celui de la loi de 1905.

M. le Rapporteur : Ils sont donc reconnus comme association cultuelle ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Oui. En avril 2004, nous avons essayé d'assister à un de leurs cultes, puisque, normalement, une association cultuelle est ouverte au public, mais on nous a interdit de rentrer.

M. le Rapporteur : Je rappelle que ce statut offre des avantages fiscaux. Le problème, auquel nous devrons réfléchir au sein de la commission d'enquête, est que de tels mouvements utilisent le fait d'avoir été reconnus par les autorités de l'État comme « association culturelle » pour se dire culte et religion, alors que cela n'a rien à voir.

M. Jacques MYARD : Toute la difficulté est de définir une religion !

M. Serge BLISKO : Il n'est point besoin d'entrer dans un débat théologique : de même que l'intelligence, c'est ce que le QI mesure, une religion, c'est ce qui est reconnu par les autorités de la République comme relevant de la loi de 1905 car, au-delà des avantages fiscaux, qui ne sont pas minces, cela confère une certaine respectabilité et un certain sérieux.

M. Jacques MYARD : Mais c'est le requérant qui effectue la démarche, l'administration décidant ensuite selon des critères purement factuels.

M. le Rapporteur : Nous n'allons pas engager le débat ce matin, mais je voulais souligner une des difficultés que nous avons par exemple avec les Témoins de Jéhovah. Je pense que notre commission devra remettre ce sujet à l'ordre du jour dans son rapport. À partir de critères uniquement factuels, en effet, l'État accorde aujourd'hui trop facilement ce statut.

Mme Martine DAVID : Avez-vous, en particulier dans le Rhône, des liens d'information ou de coordination avec d'autres associations d'aides aux victimes ? Quelle est l'importance de la vôtre ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Dans le Rhône comme dans la région de Saint-Étienne, nous sommes en contact avec l'ADFI et avec Madame Catherine Picard. Nous travaillons en commun, mais je ne puis en dire plus car notre demande d'adhésion à l'ADFI est en cours d'instruction.

Nous comptons une quinzaine d'adhérents, presque tous victimes - l'ancien président ne l'était pas - et une centaine de sympathisants ou de victimes. Ces dernières ne veulent pas que leur nom apparaisse, même quand elles témoignent, car elles ont peur des représailles à l'encontre d'elles-mêmes ou de leurs familles. Une jeune fille qui avait quitté le mouvement a vu les quatre roues de sa voiture débloquées et a perdu trois fois son emploi en contrat à durée déterminée en raison d'appels passés à la direction de son entreprise.

Les pressions sont telles qu'à ma connaissance il n'y a pas de plainte d'anciens adeptes contre l'organisation.

M. Jacques MYARD : Nous vivons quand même dans un monde extrêmement ouvert, vous-même avez réussi à sortir de la secte, qu'est-ce qui selon vous rassemble cette communauté dont le gourou est très éloigné ? Quelle est la chape qui pèse sur ses membres ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Effectivement, quand on n'est plus à l'intérieur on est dans un monde ouvert. Mais quand on est en son sein, on a une éducation extrêmement fermée et une vision complètement fausse du monde extérieur. Or, si on apprend à un enfant que deux et deux font trois, il le croira toute sa vie...

M. Marcel DEHOUX : Aujourd'hui, 26 septembre 2006, des enfants dans des écoles primaires et même maternelles n'ont pas le droit de recevoir un bonbon de leurs camarades et peuvent être obligés de se confesser devant deux cents personnes ? Aujourd'hui, 26 septembre 2006, des enfants qui veulent regarder le match entre Lille et le Milan AC ne le peuvent pas ?

M. Jean-Philippe VERGNON : En effet.

M. Marcel DEHOUX : Il serait intéressant de savoir ce que les autorités académiques pensent de cela.

Par ailleurs, il n'est pas possible de réunir cent ou deux cents personnes tous les soirs sans que le maire de la commune le sache.

M. Jean-Philippe VERGNON : Les maires et tous les habitants sont bien sûr au courant. À Saint-Agrève, village de 3 000 habitants, dès que je passais dans la rue, on criait « Tiens, voilà un pur ! »... Mais les réunions se tiennent dans des salles qui appartiennent au mouvement.

M. le Président : Les adeptes exercent-ils leur droit de vote ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Il faut avoir sa carte d'électeur, mais il est interdit de voter. Il y a à ce propos une directive très précise.

Je vous ai apporté notre livre blanc, dans lequel nous avons relevé 224 directives. Mais il ne s'agit pas à proprement parler de documents, les directives découlant de la parole de l'« Homme de Dieu », qui est enregistrée et imprimée, et que les adeptes, qui reçoivent un petit livre chaque semaine, doivent lire en permanence.

Mme Martine DAVID : De quels moyens financiers dispose le mouvement ? Le montant des dons de chacun est-il contrôlé ? Certains sont-ils rappelés à l'ordre ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Il y a une collecte chaque semaine, une partie va à l'entretien des salles, le reste aux chefs, selon une structure pyramidale.

Dans une famille, les dons vont de 300 à 3 000 euros par mois. Ils sont bien sûr contrôlés puisque tout le monde surveille tout le monde et que la délation, c'est la promotion.

M. Serge BLISKO : Que se passe-t-il dans ces réunions quotidiennes ? Y fait-on la lecture de la Bible ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Le plus souvent, mais il y aussi des assemblées consacrées à la prédication et à la prière.

M. Serge BLISKO : La société accepte-t-elle ces groupes très fermés ? Quand on vous appelait « le pur », aviez-vous le sentiment qu'on se moquait de vous ?

M. Jean-Philippe VERGNON : On se moquait de moi, ne serait-ce que parce que je faisais pas mal de bêtises alors que j'étais censé être un « pur »...

Mme Martine DAVID : Vous avez donc dû subir pas mal de confessions publiques...

M. Jacques MYARD : Sur le plan théologique, le mouvement fonctionne-t-il comme une communauté chrétienne, avec la communion ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Oui, le dimanche matin. Avec le pain et le vin, il y a la collecte, ce qui vous montre à quel niveau on la situe.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué la situation dramatique des enfants, mais aussi des femmes. L'éducation des filles se fait-elle de la même façon que celle des garçons ou selon des préceptes différents, avec une discrimination ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Très peu de filles continuent après la troisième, sauf pour passer un BEP de comptabilité afin de pouvoir aider leur mari, ou un BEP de cuisine. D'après des témoignages d'enseignants - car le mouvement utilise dans ses écoles des enseignants extérieurs à la communauté -, les filles sont totalement dévalorisées.

Mme Martine DAVID : Les filles sont donc prédestinées au mariage et à la procréation.

M. Jean-Philippe VERGNON : Dans une directive, un grand chef précédent Jim Taylor, a écrit : « Women are nothing. » En effet, la femme n'est là que pour procréer et pour élever la famille.

M. le Président : Comment appelle-t-on le ministre du culte ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Au sein du mouvement, celui que j'appelle le grand chef est uniquement désigné sous le titre de « l'Homme de Dieu ». Il est marié et il a six enfants. Les sous-chefs sont appelés « sacrificateurs ».

M. le Rapporteur : Comment se déroule le rite religieux ? Est-il inspiré de la messe catholique ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Je manque de points de comparaison, n'étant jamais allé à la messe...

Les adeptes se tiennent en cercle, les hommes devant et les femmes derrière. Les cérémonies durent environ une heure. Elles commencent par un cantique, suivi d'une prière, puis d'une lecture biblique, puis d'une conversation entre hommes, les femmes n'ayant pas le droit à la parole. Si une femme a une question à poser, elle doit s'adresser à son mari qui, s'il est incapable de répondre, la pose en assemblée.

M. Serge BLISKO : Ce mouvement vous paraît-il en extension ou est-il resté à peu près stable depuis que vous y étiez, enfant ?

M. Jean-Philippe VERGNON : Au moment de la dernière scission, en 1970, il y avait 350 membres en France. Il y en a aujourd'hui 1 250, mais cet accroissement s'explique uniquement par les naissances, le mouvement ne faisant aucun prosélytisme.

Mme Martine DAVID : Est-il vraiment très localisé, ou également présent dans d'autres régions de France ?

M. Jean-Philippe VERGNON : En dehors du plateau de Chambon-sur-Lignon, il y a Saint-Étienne, Lyon et ses environs. En région parisienne, le mouvement était implanté à Meudon, mais « l'Homme de Dieu » a jugé que c'était trop loin de l'aéroport, et il est maintenant à Chelles.

M. le Président : Merci, Monsieur Vergnon. Nous vous souhaitons bon courage.

Audition de MM. Nicolas JAQUETTE et Alain BERROU,
ex-adeptes des Témoins de Jéhovah



(Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête.

Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Celui-ci vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(À l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.)

Je rappelle enfin aux représentants de la presse les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881, qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Je les invite donc à ne pas citer les noms des enfants qui auraient été victimes de ces actes.

M. Nicolas JAQUETTE : J'ai vingt-quatre ans et cette particularité d'avoir passé les vingt-deux premières années de ma vie parmi les Témoins de Jéhovah. Mes parents étant des adeptes, j'ai été élevé dans ce mouvement dont je suis sorti il y a deux ans, avec l'aide de mes amis et de l'ADFI de Lille. Je suis en train de rédiger un témoignage et je poursuis mon travail de reconstruction personnelle en venant devant votre commission.

J'ai ainsi connu, sans avoir de regard extérieur, la vie et l'embrigadement d'un enfant qui n'a rien demandé, qui n'a aucun esprit critique sur ce qui lui est transmis et imposé, et qui est amené, conditionné à agir au service des intérêts du mouvement, par un langage, un enseignement, un système de codes relayés par ses parents.

Les Témoins de Jéhovah se targuent de ne pas être une secte, alléguant que leurs enfants ne sont pas coupés du monde : ils vont à l'école, font parfois des études supérieures, travaillent dans le monde extérieur. Mais l'embrigadement est bien là et les atteintes à l'identité, à la personnalité, à la vie affective, morale et physique sont réelles, même si elles sont d'emblée prévues pour que l'enfant les dissimule au monde extérieur. Au bout de vingt-deux ans, on ne peut ressortir de ce mouvement sans séquelles d'ordre psychologique et moral avec lesquelles il faudra composer avec les années qui suivent : on ne peut en deux ans se débarrasser de tout ce qui vous a été enseigné, induit, programmé depuis le plus jeune âge - je ne sais combien de temps il me faudra encore.

Le terme « séquelle » peut paraître relativement vague en parlant d'un mouvement sectaire. C'est la perte de l'estime de soi dans la mesure où le mouvement persuade l'individu qu'il n'est rien, sinon un pécheur dont le seul salut réside en Dieu, représenté par le groupe, et en l'espoir d'une vie future dans un paradis où il atteindra la perfection. Le monde m'était présenté sous un angle suffisamment mauvais pour que je ne m'y sente pas bien, et encore moins apte à y vivre normalement. Il m'a fallu tout un travail de reconstruction pour réapprendre à vivre dans ce monde extérieur, alors que l'on s'était mentalement, psychologiquement attaché à nous apprendre à y vivre sans en faire partie - c'est un des credos de la secte.

La vie est régie par toutes sortes d'édits sur la nature des divertissements, des relations avec les membres de l'autre sexe ou du même sexe, des relations affectives, personnelles, amicales, des rapports à la science, à l'éducation... Tous les aspects de la vie d'un individu sont gérés de manière à ce qu'il réussisse à se défaire de chacune de ces petites parcelles qui précisément composent un individu ; et comme en vingt-deux ans je n'ai rien appris d'autre que cette façon de vivre, elle était pour moi parfaitement naturelle. Il me faut maintenant réapprendre ce qu'est vraiment un individu libre, capable d'assumer ses choix et de décider de sa vie en prenant des décisions qui lui soient propres et non dictées par des écrits et des ordonnances.

M. le Président : Comment était rythmée votre vie quotidienne depuis votre enfance ? Comment se passait la journée entre votre famille, la salle du royaume, l'école ?

M. Nicolas JAQUETTE : Le rythme est très dense, mais doit s'apprécier sur une semaine. Chaque jour un « programme spirituel » vous est attribué. Comme tout témoin de Jéhovah, les enfants sont astreints aux trois réunions - pour ma part, c'était deux heures le mardi, une heure le jeudi et deux heures le dimanche - et à la prédication, quand bien même ils ne sont ni baptisés ni proclamateurs. À ce programme extérieur à l'environnement familial relativement dense vient s'ajouter pour l'enfant un programme personnel : il doit préparer chacune des réunions de son propre chef en reprenant les publications fournies par la secte, vérifier l'exactitude des versets dans la Bible, soit en général une heure à une heure trente de travail de préparation la veille de chaque réunion. Sans oublier les activités à l'intérieur du cercle familial : « le texte du jour », c'est-à-dire un petit livret dont on lit, chaque jour, un petit texte suivi des explications qu'en donne la secte, la lecture de la Bible en famille, qui dure environ trois quarts d'heure, et la lecture personnelle que l'enfant doit faire chaque soir, durant trois quarts d'heure également. J'ai calculé qu'un enfant de primaire devait ainsi consacrer à la secte quasiment vingt-trois heures par semaine...

M. le Président : Le reste du temps, aviez-vous la possibilité de jouer avec vos petits camarades extérieurs à la communauté ? Participiez-vous aux fêtes laïques, anniversaires, etc. ?

M. Nicolas JAQUETTE : Les relations avec les autres sont évidemment des éléments auxquels les enfants sont très sensibles, surtout lorsqu'il s'agit de concrétiser ces liens au moment de fêtes qui sont autant de moments de cohésion sociale. Pour donner une bonne image du mouvement, on permet aux enfants de côtoyer les autres, mais d'une manière encadrée et très limitée. Parmi les messages les plus répétés : « Vous avez des amis dans la congrégation, n'allez pas vous en faire ailleurs », « Une mauvaise compagnie peut ruiner les habitudes utiles »... Autrement dit, aller voir d'autres amis risque de saper votre foi, de faire pénétrer en vous des idées qui ne correspondent pas à votre culte et de vous inciter à quitter votre religion. Les gens de l'extérieur sont en permanence diabolisés. Par un abus de langage, on dit qu'une personne « est dans la vérité » pour dire qu'elle est Témoin de Jéhovah. Et à force de l'entendre depuis que l'on est tout enfant, on finit par ne plus dissocier « Témoin de Jéhovah » de « vérité ». Dans le même temps, les gens de l'extérieur sont appelés « le monde », dont toute la littérature des Témoins de Jéhovah dit qu'il est méchant, sous la coupe du diable et appelé à disparaître. La diabolisation vaut pour les petits camarades d'école, dont on apprend à se méfier ; mais on apprend également comment on pourra les évangéliser tout en respectant le cadre de la loi sur la laïcité à l'école. On est donc préparé à les considérer comme des ennemis, et en même temps comme des adeptes potentiels...

Ainsi, l'enfant à l'école côtoie ses camarades avec tout à la fois un objectif, qui est de les rendre potentiellement adeptes, et une méfiance : ne pas trop se lier d'amitié, mais suffisamment pour montrer que les Témoins de Jéhovah ne sont pas une secte, puisqu'ils sont capables de nouer des relations amicales.

Les fêtes sont un sujet particulièrement douloureux pour tous les enfants Témoins de Jéhovah, même si on leur apprend que ce n'est pas le cas : voir se succéder tous les réveillons de Noël, du jour de l'An, les anniversaires, sans qu'il ne se passe rien d'autre qu'un jour normal, entendre le lendemain tous les copains parler des cadeaux qu'ils ont reçus et se sentir obligé, en réaction à cette douleur, d'expliquer que le père Noël n'existe pas, que l'on connaît la vérité sur ces choses-là, que c'est un mensonge... On vous apprend à déblatérer toute une série de slogans pour vous justifier et surtout vous surprotéger vous-même de la douleur que ressent un enfant séparé des autres par de telles circonstances : être invité à un anniversaire et ne pas pouvoir y aller, ne pas pouvoir fêter le sien... Je ne sais même pas quel âge ont mes parents : on n'a jamais fêté leur anniversaire. Pour tout le monde, cette fête annuelle permet d'avoir une idée du temps qui passe pour les autres. Moi, je n'ai pas cette notion-là, y compris pour des amis proches. Cela peut paraître banal, mais lorsqu'on y réfléchit après coup, on s'aperçoit que ces situations totalement décalées, ajoutées les unes aux autres, en viennent à former un bagage terriblement lourd à porter... Et si l'on en sort, on se rend compte de l'emprise que l'on a subi et à quel point on est inadapté au monde dans lequel on débarque... Il faut réapprendre à vivre dans la vraie vie.

M. le Président : Tout le monde sait qu'un des éléments fondateurs de la doctrine des Témoins de Jéhovah est l'Apocalypse, autrement dit l'annonce de la fin du monde. Avez-vous été éduqué dans cette perspective ? Que représentait-elle pour vous lorsque vous étiez enfant ?

M. Nicolas JAQUETTE : C'est très bizarre... L'espérance, telle qu'elle ressort des prédications des Témoins de Jéhovah, c'est celle du Paradis. Mais durant leurs réunions, bien qu'ils ne s'en fassent pas trop l'écho dans leur évangélisation pour éviter le côté « secte apocalyptique » un peu effrayant et très négatif, le Paradis est systématiquement lié à la venue de l'Apocalypse. En fait, leur espérance de vie éternelle future est liée à la destruction de tous leurs contemporains... Un enfant fait très clairement le lien entre les deux, et l'espérance pour un Témoin de Jéhovah se mue finalement en désir pervers de voir ses contemporains mourir, puisque cela signifiera l'avènement du Paradis attendu. D'où découle en même temps une responsabilité induite dans l'évangélisation, transmise très tôt aux enfants : vous portez la responsabilité de la vie de vos camarades. Imaginez que vous sachiez qu'il va se produire un tremblement de terre : si vous ne prévenez personne, vous êtes homicide. Là, c'est la même chose : vous savez que le monde va disparaître ; si vous ne les prévenez pas qu'ils doivent devenir Témoins de Jéhovah pour survivre à ce monde condamné, vous portez la responsabilité de leur mort. Cette responsabilité, on la fait porter aux adeptes adultes, mais également aux enfants. Dès qu'il sera en âge de comprendre ce qui se dit dans le mouvement, c'est-à-dire vers cinq ou six ans, l'enfant vivra avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête et on le persuadera d'essayer de sauver les camarades pour lesquels il commence à éprouver de l'amitié : « tu n'as pas envie qu'ils meurent, et tu n'as pas non plus envie de mourir parce que tu ne les auras pas prévenus... » Et toutes ces ambiguïtés se mélangent dans cette promesse de l'Apocalypse.

M. le Président : Ce discours, vous l'entendiez dans votre famille et dans la communauté, mais pas à l'école communale... Comment viviez-vous cette contradiction entre les deux enseignements ? Parveniez-vous à la résoudre ?

M. Nicolas JAQUETTE : La solution était déjà préparée par la secte, qui a l'avantage de pouvoir toucher les petits adeptes bien avant le milieu scolaire. À cinq ans, je savais lire couramment : ma mère m'avait fait apprendre tout petit sur les publications de la société Watch Tower372... Mon système d'apprentissage de la lecture n'était pas le traditionnel « Luc et Béatrice » du CP, mais les ouvrages de la secte. J'avais donc commencé à intégrer ses idées sur l'éducation, la philosophie, l'histoire, la science. En entrant à l'école, l'enfant est déjà préparé à ce qui lui sera enseigné à l'aune de l'enseignement de la secte : ce qui correspond à ce qu'on lui a déjà enseigné est acceptable, ce qui ne correspond pas n'est qu'objet de mépris. On se considère très clairement comme supérieur au reste de l'humanité, parce que l'on connaît la vérité. Même l'enfant est certain d'être supérieur à ses petits camarades : il ne croit pas au Père Noël, il ne fête pas les anniversaires parce qu'il sait que c'est une fête païenne, il ne croit pas à la théorie de l'évolution enseignée à l'école car on lui a appris que dans l'histoire biblique l'homme n'a que six mille ans et que l'évolution n'est qu'une farce...

Toutes ces pensées induites par la secte sont suffisamment étayées en interne - sans preuves concrètes, bien évidemment - pour que l'enfant soit lui aussi persuadé en arrivant à l'école qu'il va entendre des discours incompatibles avec ceux qu'on lui a enseignés, et qu'il doit s'en prévenir. Il est d'emblée averti qu'il entendra parler de philosophie, d'évolution, de raisonnements contraires à sa foi, qu'il devra faire très attention et réagir dès que possible devant ses autres camarades afin d'essayer de leur transmettre sa foi. Cela m'est arrivé à plusieurs reprises, lorsqu'il s'est agi d'évolution, de religion, etc. : j'ai saisi l'occasion pour exposer mes convictions devant mes professeurs et mes camarades, en espérant que certains y manifesteraient de l'intérêt et que je pourrai faire œuvre de prosélytisme une fois sorti de l'école.

M. le Président : Vous avez passé vingt-deux années parmi les Témoins de Jéhovah et vous êtes capables de faire cette analyse seulement deux ans après en être sorti... On ne peut qu'être frappé par votre extraordinaire capacité de jugement, de réflexion et de critique. Comment avez-vous pu arriver aussi rapidement à ce point de maturité et porter une critique aussi élaborée ?

M. Nicolas JAQUETTE : Premièrement, dès ma sortie, on m'a encouragé à écrire un témoignage. L'écriture est un procédé très efficace pour faire le lien entre des choses que je croyais anodines et naturelles. C'est en le mettant sur le papier que j'ai commencé à comprendre le système des Témoins de Jéhovah et comment il fonctionnait, la façon dont les différents éléments interagissaient pour créer un mécanisme réellement efficace d'incarcération mentale.

Deuxièmement, j'ai toujours vécu en dissimulant une double personnalité, étant donné que je suis homosexuel et que l'homosexualité est réprimée dans la secte. Ayant eu depuis l'âge de huit ans conscience que j'aimais les garçons et entendu répéter au pupitre que ce que j'étais est profondément détesté par Dieu et voué à la destruction, il m'a fallu, pour me protéger, vivre sur deux tableaux durant toute mon enfance, mon adolescence puis ma vie d'adulte. Ce décalage, cette appréhension permanente de ce que j'étais, de ce qui m'était refusé, avec la perception que ce qui m'était imposé ne me correspondait pas, ont fait que, depuis toujours, j'avais finalement conscience de ce qui se passait et je l'étudiais en quelque sorte sans m'en apercevoir. Lorsque j'en suis sorti, tout s'est écroulé et j'ai pu voir avec plus de netteté ce que j'avais pressenti pendant des années. En tout cas, j'ai vécu en schizophrène jusqu'à mes vingt-deux ans avec une double personnalité, à vivre ma sexualité d'une part et ma religion de l'autre - très mal, évidemment : le suicide a été maintes fois envisagé pour mettre fin à ma souffrance, tant il est insupportable de voir s'affronter à l'intérieur de soi deux conceptions de la vie profondément antagonistes. J'étais évidemment suicidaire, mais le mouvement sectaire ne permettant pas non plus le suicide qui m'aurait interdit l'accès à la vie éternelle, j'en ai été dissuadé - heureusement, d'ailleurs... C'est peut-être la seule fois que j'aurai à les en remercier !

Mme Martine DAVID : La sortie de la secte a-t-elle été pour vous un déclic ou l'aviez-vous d'une certaine façon programmée de longue date ? Cherchiez-vous un moyen d'en sortir ?

Avez-vous conservé des liens avec vos parents ? Avez-vous des frères et sœurs ? Que reste-t-il de la cellule familiale ? On dit toujours qu'il faut essayer de maintenir les liens ; avez-vous pu les maintenir ?

Enfin, avez-vous été l'objet de pressions sous des formes diverses depuis votre sortie de la secte ?

M. Nicolas JAQUETTE : Un élément me préparait à la sortie : mon homosexualité, qui en la circonstance a clairement constitué une chance pour moi en me préparant, en me donnant en tout cas un élément extérieur auquel me raccrocher. Mais deux mois auparavant, j'étais encore en train d'évangéliser un ami proche, et les personnes qui m'ont aidé ont dû également faire un travail avec lui pour lui faire sortir de la tête ce qu'en quelques mois j'avais réussi à lui instiller grâce à la littérature de la secte, très efficace : bien qu'il n'en ait lu que quelques bribes, il avait déjà une épée de Damoclès au-dessus de la tête... J'étais vraiment encore dedans. J'ai eu la chance de croiser des gens qui s'étaient déjà frottés par le passé au milieu sectaire et qui, par manque de préparation, avaient échoué à en faire sortir ceux qu'ils voulaient aider ; lorsqu'ils m'ont rencontré, ils se sont dit qu'ils n'allaient pas me laisser repartir et ont directement contacté l'ADFI pour mettre au point un plan de bataille.

Mme Martine DAVID : Vous avez été accompagné par l'ADFI ?

M. Nicolas JAQUETTE : En fait, je ne le savais pas. J'ai été un peu « manipulé » par l'ADFI et par mes amis dans la mesure où je n'ai eu aucune connaissance de ce qu'ils avaient prévu : ils ont mis en marche une contre-offensive à l'embrigadement de la secte pour m'amener à ouvrir les yeux, à me découvrir en tant que personne avec mon avis propre, ma liberté de mouvement, etc. La manœuvre a été très efficace car si le système de la secte est très efficace et fonctionne très bien en cercle clos, les failles apparaissent très rapidement dès qu'on y introduit des éléments extérieurs. C'est l'accompagnement qui m'a permis d'en sortir, d'autant que j'avais l'avantage de m'être fait des amis à l'extérieur de la secte.

En effet, parmi les éléments qui dissuadent d'en sortir - ce qui répondra à votre deuxième question -, il y a le fait que la secte interdit à ses adeptes tout contact avec ceux qui la quittent ou en sont exclus. Et dans la mesure où l'adepte n'a de contact qu'avec les gens de la secte, la quitter revient à se séparer de tout son environnement affectif et à se retrouver dans un monde où l'on n'a aucun lien. C'est en fait un chantage à l'affectif, et une grande force dont usent les Témoins de Jéhovah pour conserver leurs adeptes et même faire revenir certains démissionnaires qui se retrouvent rapidement en détresse affective dans un monde où ils ne connaissent personne. Du coup, ils reviendront « par défaut » dans la secte pour y retrouver ce lien affectif. Depuis que j'ai quitté la secte, je n'ai plus aucun contact avec mes parents. Ils sont allés en s'amenuisant jusqu'à ne se réduire qu'à de brefs appels au téléphone : « Tu as quand même conscience des conséquences de tes choix ? » Ils m'ont abandonné, je ne suis plus leur fils. J'ai un grand frère et deux petites sœurs, eux aussi dans la secte ; qui plus est, mes deux sœurs vivent dans la ville de mes parents, autrement dit totalement sous leur coupe : c'est une ville de province, un milieu clos où les possibilités de liaisons amicales sont très restreintes. La situation est beaucoup plus difficile qu'à Paris, où il y a beaucoup de congrégations et de flux d'adeptes de l'une à l'autre au gré des déménagements.

J'ai également eu la chance - et cela répondra à votre troisième question sur le harcèlement - qu'un des dirigeants de ma congrégation décède brutalement d'une crise d'asthme au moment où j'en sortais. J'ai ainsi pu partir en toute discrétion dans un moment de désorganisation totale, sans que personne ne s'en aperçoive. J'ai finalement reçu plusieurs coups de téléphone d'« amis » que je ne fréquentais pas intimement, mais qui se faisaient un devoir de s'inquiéter de ma santé spirituelle après ce qu'ils supposaient être mon départ... Par chance, certains de ceux qui m'ont aidé à sortir y ont assisté et ont pu apprécier le côté hallucinant des moyens utilisés. Le système utilisé en permanence consiste à détruire les arguments de l'autre par des principes de non-probabilité : j'estime que ce n'est pas possible, donc je réfute. On travaille sur la forme plutôt que sur le fond sur lequel on ne s'aventurera jamais au risque de se faire remettre en question. Je me suis retrouvé à plusieurs reprises face à cette situation ; heureusement, j'avais été préparé très en amont par mes amis et l'ADFI au risque d'un harcèlement moral par ma famille et par la secte. La chance a voulu que je bénéficie de plusieurs mois de répit, ce qui m'a permis de me renforcer et de ne pas être pris au dépourvu comme le sont la plupart des sortants, immédiatement soumis à une succession de coups de téléphone, lettres, injonctions à la spiritualité, etc., et qui souvent fonctionne. Cela a été pour moi un gros avantage. Du coup, j'ai pu préparer avec mes amis un système de réponse très simple : je vous remercie de l'intérêt que vous prêtez à mes recherches, je prendrai tout cela en compte... Cette espèce de fin de non-recevoir m'a permis de rester relativement tranquille et d'échapper au harcèlement.

M. Serge BLISKO : Quel niveau scolaire avez-vous pu atteindre durant vos vingt-deux premières années ?

M. Nicolas JAQUETTE : Bac plus deux. J'ai depuis repris mes études.

M. Serge BLISKO : Le principal point de rencontre entre les jeunes Témoins de Jéhovah et le monde extérieur reste l'école. Pourquoi n'ont-ils pas de système scolaire séparé alors que nombre de sectes mettent immédiatement une barrière en place en scolarisant elles-mêmes les enfants, quitte à recourir aux centres d'enseignement à distance ? N'y a-t-il pas pour les Témoins de Jéhovah un immense danger à mettre des jeunes comme vous au contact avec l'extérieur ?

Durant votre scolarité, votre comportement « étrange » ou tout au moins réservé par rapport aux normes - anniversaires, cours de sciences naturelles, sport, qui sait ? - et à la mixité scolaire n'a-t-il pas alerté vos instituteurs, professeurs, proviseurs ? Comment avez-vous vécu cette période ? Cette extraordinaire absence de sensibilité de la part du corps enseignant à l'égard d'enfants que vous-même décrivez en état de souffrance psychologique, sinon en danger, reste pour nous difficilement compréhensible...

M. Nicolas JAQUETTE : Avant même d'entrer à l'école, les enfants sont préparés à susciter une réaction de méfiance de la part de leurs camarades. Il faut comprendre que, pour la secte, l'école, c'est-à-dire les professeurs comme les élèves, constitue un foyer potentiel d'adeptes. Aussi prépare-t-elle l'enfant à pouvoir y prêcher, mais d'une manière suffisamment subtile : tout petit, dès que je suis entré en classe, je connaissais les détails de la loi sur la laïcité en milieu scolaire, ce que l'on pouvait et ce que l'on ne pouvait pas faire.

M. Serge BLISKO : On vous l'avait expliqué ?

M. Nicolas JAQUETTE : Oui, et d'une manière très claire dans les publications à étudier : comment évangéliser un camarade sans que ce soit considéré comme du prosélytisme en milieu scolaire... C'est très subtil : dès le départ, l'enfant a appris à jauger ce qu'il peut ou ne pas faire dans le milieu scolaire pour y instiller son idéologie.

Ajoutons que la secte invite l'enfant à se faire connaître, sitôt qu'il intègre un établissement, comme Témoin de Jéhovah aux élèves et aux professeurs. Ces derniers s'en inquiètent systématiquement ; mais les parents bénéficient dans la secte d'une formation sous forme de démonstrations, de publications, d'écrits, pour engager des rendez-vous avec les enseignants, leur expliquer leur croyance, autrement dit pouvoir les évangéliser à leur tour, les rassurer dans une certaine mesure sur leur enfant. Celui-ci est du reste incité à participer, à se comporter en élève modèle, et surtout à ne jamais constituer aucun sujet d'achoppement ou d'inquiétude pour le milieu scolaire.

M. Serge BLISKO : Aucun cours ne vous était interdit ?

M. Nicolas JAQUETTE : Non. On vous lâche, mais en vous prévenant que ce que vous apprendrez dans tel cours est mauvais et faux. Lorsque j'entendais parler de l'homme de Cro-Magnon à l'école, je rigolais intérieurement : comme ils sont stupides, ils ne savent pas que l'homme n'a que six mille ans d'histoire... J'étais incapable de laisser entrer quelque chose de neuf appris à l'école.

M. Serge BLISKO : Autrement dit, contrairement à d'autres sectes qui craignent tout risque de comparaison à l'école, on vous y préparait en vous laissant aller à tous les cours, y compris au sport...

M. Nicolas JAQUETTE : Nous suivions toutes les matières, mais nous étions prévenus sur certains points. Les voyages scolaires de plus d'une journée étaient interdits, car ils posaient le problème de la décharge aux professeurs et donc de la transfusion sanguine, de même que les compétitions sportives...

M. Serge BLISKO : À cause du risque d'accident ?

M. Nicolas JAQUETTE : Pas forcément. Plutôt à cause de l'esprit de compétition. De même les sports de combat. D'une manière générale, si l'éducation sportive dans le cadre de l'école est autorisée, le sport en extrascolaire est interdit, du fait qu'il amène forcément à la compétition.

Le comportement « bizarre » que l'enfant est tenu d'adopter à l'égard de ses camarades - refus des anniversaires, obligation de placer des mots conformes à l'idéologie de la secte - est évidemment de nature à susciter la moquerie, ce qui le rend d'autant plus pénible. Lorsque l'on arrive à l'adolescence, on n'a déjà pas besoin d'être Témoin de Jéhovah pour y prêter le flanc : mais ne pas s'habiller à la mode, aller en prédication faire du porte-à-porte en costume-cravate, ne pas aller aux anniversaires et pas davantage en boum et en sortie, cela fait beaucoup... Et face aux autres qui se moquent de lui, l'enfant Témoin de Jéhovah est conforté dans son statut de victime tel que le présente la secte : le monde vous persécute parce que vous êtes les élus ; comme Jésus a été persécuté, tu le seras également ; si on te persécute à l'école, c'est donc que tu es dans le vrai. Et cela fonctionne très bien : l'enfant trouve normal de se faire persécuter, même si c'est extrêmement douloureux et même insupportable. Pour un adolescent, les relations avec une personne de l'autre sexe, avoir un petit ami ou une petite amie devient indispensable pour se faire accepter dans l'environnement scolaire ; c'est évidemment interdit par la secte, pour laquelle le mariage doit être le préalable à toute relation sexuelle. Un simple flirt est considéré comme un risque de glissement inacceptable. De surcroît, il est préconisé de s'espionner entre enfants de la secte : si l'on se retrouve avec d'autres enfants Témoins de Jéhovah dans le même établissement, on adaptera son comportement en fonction des édits de la secte, mais également du regard de ses coreligionnaires pour ne pas être accusé dans le groupe d'avoir péché au regard des édits de la secte. L'enfant est ainsi en permanence sous l'œil d'un Big Brother...

M. Philippe COCHET : Je vous remercie de ce témoignage extrêmement précis. À la lumière de ces deux ans de recul - c'est à la fois beaucoup et peu -, voyez-vous des bouées de secours auxquelles vous auriez pu vous raccrocher durant ces vingt-deux ans ? L'école mise à part, existait-il d'autres lieux ou activités où vous auriez pu avoir l'opportunité de lancer un appel au secours et trouver des gens potentiellement réceptifs ?

Rencontrez-vous des anciens membres de l'organisation ? Pensez-vous qu'il puisse s'y trouver des « rabatteurs » au service de la secte ?

M. Nicolas JAQUETTE : Des bouées de secours, je n'en vois guère, si ce n'est peut-être dans le milieu médical. Lorsque j'avais treize ans, je ne supportais plus d'aller à l'école compte tenu de ce que j'y vivais, mais mon médecin de famille hésitait à me prescrire des antidépresseurs. Il aurait dû réagir, mais il était le médecin de mes parents depuis pas mal d'années, il était averti sur la question du sang et « sympathisant », puisque d'accord pour respecter leur volonté : en quelque sorte, il fermait les yeux et se portait caution de ce qui se passait pour moi. Il aurait dû à mon sens tirer la sonnette d'alarme puisqu'il a eu l'occasion de voir que je n'allais pas bien.

J'ai eu l'occasion de rencontrer d'anciens membres de la secte à l'ADFI. Certains ont vécu des expériences bien plus douloureuses que la mienne, autrement plus violente, jusqu'à en garder un traumatisme qui ne guérira jamais alors que, pour ma part, je crois être sur la bonne voie. Je vis actuellement très bien et je m'en sors mieux que d'autres, touchés de manière beaucoup plus intime. Du coup, mon témoignage ne portera pas sur la violence de certains faits particuliers, mais plutôt sur celle du quotidien, qui n'est pas pour autant sans conséquences psychologiques.

Je ne crois pas qu'il existe de rabatteurs, du moins pas à grande échelle, chargé de faire réintégrer des sortants. Les organismes comme l'ADFI sont fuis comme le diable par les adeptes... Peut-être la direction des Témoins de Jéhovah donne-t-elle à certaines personnes mission d'infiltrer ces milieux ; je crois l'avoir entendu pour d'autres milieux sectaires, mais jamais pour les Témoins de Jéhovah. Je n'en ai en tout cas pas eu le sentiment.

M. Jacques MYARD : Les enfants Témoins de Jéhovah, avez-vous dit, se doivent de faire acte de prosélytisme et d'évangélisation. Êtes-vous également passé par cette phase ?

M. Nicolas JAQUETTE : Tout à fait. Dès le berceau, un enfant Témoin de Jéhovah accompagne ses parents dans leur activité de prédication. On ne lui laisse pas le choix. Jusqu'à mes vingt-deux ans, j'y ai consacré deux heures tous les samedis matin de ma vie.

M. Jacques MYARD : Mais sur les autres enfants à l'école ? Quelle était la réponse des « incroyants » ?

M. Nicolas JAQUETTE : Le Témoin de Jéhovah est prévenu qu'il se heurtera à l'incompréhension et à des refus quasi permanents, que ce soit à l'école ou dans l'activité classique de prédication. Mais à l'école, le comportement d'exclusion personnelle du jeune Témoin de Jéhovah attire les autres exclus, c'est-à-dire les enfants faibles qui ne sont pas dans le système de cohésion des autres groupes d'enfants, donc en recherche d'un milieu d'accueil ou de gens susceptibles de les comprendre. Enfant, je me suis trouvé dans cette posture et j'ai pu nouer des relations amicales avec d'autres enfants eux-mêmes en marge, laissés de côté, et qui répondaient de façon assez positive aux propos que je leur tenais. J'ai distribué à plusieurs d'entre eux de la littérature des Témoins de Jéhovah, et notamment un livre intitulé Les Jeunes s'interrogent : Réponses pratiques, censé être un guide pour bien vivre, mais qui les amène insidieusement à intégrer des préceptes des Témoins de Jéhovah dans leur propre mode de vie.

M. le Président : Vous avez répondu de manière très accusatrice à la question de Philippe Cochet : votre médecin, disiez-vous, se serait « porté caution » en connaissance de cause. Vous voilà devenu un jeune adulte, qui réalise un certain nombre de choses. Est-ce à dire que, pour vous, ces référents extérieurs, professeurs et médecins, « ferment les yeux », « se portent caution », se comportent en « sympathisants », pour reprendre vos expressions ? Vous imaginez que ce médecin, en entendant ce propos, peut soudain se sentir une responsabilité vis-à-vis de vous... Qu'aurait-il dû se passer ? Qu'aurait-il dû faire ?

M. Nicolas JAQUETTE : Paradoxalement, s'il en est responsable, je ne peux lui en vouloir : comme pour les professeurs, les parents sont invités à sélectionner leurs médecins en fonction des critères de la secte, à les rencontrer pour discuter avec eux des positions médicales qu'elle défend et les rassurer sur ce qui s'y passe. C'est donc à une véritable entreprise de désinformation du milieu médical comme des milieux scolaires et juridiques que se livre la secte, par le truchement des parents. Le but est précisément que ces milieux, qui seraient en droit de se poser des questions, d'être alertés par un comportement à leurs yeux anormal, ne soient pas tentés d'en avertir d'autres et de prendre les mesures qui s'imposent. Disons qu'ils ont quelque part des circonstances atténuantes... En même temps, je maintiens que toutes ces institutions souffrent d'un manque d'information sur le mouvement sectaire, particulièrement sur celui-là, actuellement le plus important en France. Dans la mesure où ces points touchent de plus en plus aux enfants, ils devraient être intégrés dans la formation tant du corps médical que des milieux juridique et professoral. Faute de quoi, la seule information qu'ils reçoivent sur le mouvement sectaire vient des parents, sans autre élément de comparaison pour se forger une opinion.

M. le Président : Vous êtes face à des parlementaires qui votent des lois et peuvent inciter les pouvoirs publics à prendre des mesures. Faut-il aller jusqu'à parler de non-assistance à personne en danger ? C'est la question que nous avons envie de vous poser : il est tellement rare d'entendre un discours aussi élaboré que le vôtre - c'est en tout cas la première fois qu'il m'est donné de l'entendre. Essayez d'aller plus loin dans votre réflexion : considérez-vous qu'il y ait une sorte de démission, de défaillance...

M. Serge BLISKO : Ou d'aveuglement...

M. le Président :... de la société vis-à-vis de ces enfants dont vous venez de nous décrire l'existence ?

M. Nicolas JAQUETTE : La constitution d'une commission comme la vôtre est déjà la preuve d'un pas en avant. C'est du reste ce qui m'a encouragé à venir : j'y vois un élément plutôt positif, qui témoigne d'une prise de conscience évidente. Par ailleurs, les Témoins de Jéhovah ont une grande force : ils ont su se faire discrets, s'intégrer dans la société. Il est assez étonnant de voir comment ils ont su s'insérer dans le paysage, jusqu'à apparaître dans une série télévisée comme X-Files : aux deux agents du FBI qui arrivent, leur interlocuteur répond que si c'est les Témoins de Jéhovah, ce n'est pas la peine...

M. Jacques MYARD : C'est une série américaine...

M. Nicolas JAQUETTE : Mais c'était dans la version française, et les doubleurs avaient toute liberté de transposer. Cette banalisation prouve à l'évidence que les Témoins de Jéhovah ont réussi à se faire accepter en France. Les gentils abrutis qui viennent vous déranger le dimanche matin suscitent de l'avis général davantage le rire que la peur...

M. le Président : Autrement dit, la société est endormie.

M. Nicolas JAQUETTE : Parfaitement. On en vient à penser que les problèmes liés aux Témoins de Jéhovah ne concernent que le sang.

M. Jacques MYARD : Vous nous avez raconté comment vous riiez en entendant parler de l'homme de Cro-Magnon. Mais comment des hommes peuvent-ils continuer à réagir ainsi lorsque l'on voit la masse d'informations scientifiques tomber tout autour ? Jusqu'à quel point le préformatage peut-il subjuguer jusqu'à faire admettre des croyances aussi archaïques ? Tout homme est tout de même un être de raison...

M. Nicolas JAQUETTE : Le procédé est terriblement malhonnête, mais très simple : l'utilisation de mentions scientifiques sorties de leur contexte pour accréditer leurs propres opinions. C'est une technique qu'ils utilisent depuis toujours. Ainsi en est-il de la greffe d'organes, autorisée, puis interdite et finalement de nouveau autorisée aux alentours de 1979 : les Témoins de Jéhovah soutenaient que c'était du cannibalisme, citant des scientifiques à l'appui. Mais en reprenant les écrits de ces derniers, on s'aperçoit que l'on en a extrait des citations de savants du Moyen Âge, évidemment sorties de leur contexte, dans le but de faire croire que ces opinions avaient été émises par les scientifiques eux-mêmes ! Servies à des adeptes qui, compte tenu de la densité du programme spirituel imposé, consacrent tout leur temps à étudier la littérature de la secte, et qui, reconnaissons-le sans être péjoratif, sont pris dans le « bas du panier » en matière d'instruction, la caution de ce scientifique apparaîtra comme une preuve incontestable. De même les phrases du genre « il est de vérité commune que... », « tout le monde sait bien que... » qui, sans cesse répétées, induisent le sentiment que si je ne pense pas comme cela, je suis un imbécile, puisque tout le monde a l'air de le savoir. Dans d'autres publications, les scientifiques sont décrédibilisés : on fera remarquer que si certains disent ceci, d'autres cela, c'est bien qu'ils ne sont pas d'accord sur ce point, donc qu'ils ne sont pas crédibles... On en vient ainsi à mépriser toute l'information scientifique - et encore faut-il que l'on y ait accès. Et si le journal de treize heures est peut-être regardé par les Témoins de Jéhovah, les médias ne se font pas l'écho de la majorité des découvertes scientifiques. Pour y avoir accès, il faut s'y intéresser, prendre sur soi d'aller consulter des organes de diffusion spécialisés. Or le Témoin de Jéhovah s'entend clairement répondre : « S'il y a de la littérature extérieure intéressante, on vous le fera savoir. Mais ne vous y intéressez pas de votre propre chef : passez plus de temps à étudier pour vous persuader de votre foi et vous convertir davantage encore, approfondissez votre étude personnelle, mais n'allez pas voir à l'extérieur. »

De fait, ce mépris soigneusement cultivé à l'égard des historiens, des scientifiques, du milieu enseignant, du milieu médical, rend le Témoin de Jéhovah enfant totalement imperméable à tout ce qu'on peut lui apprendre dans le milieu scolaire : dès lors que cela ne correspond pas au credo de la secte, ce n'est pas acceptable, c'est faux. Il aura donc un réflexe d'autodéfense et bloquera sans même s'en douter son esprit à toute absorption. Je m'en rends compte maintenant que j'en suis sorti, puisque j'ai essayé d'avertir les amis que j'avais dans la secte ainsi que ma famille sur des points qui crèvent les yeux. La réaction est immédiate dès que l'on commence à aborder les problèmes fondamentaux : « Non, je ne veux pas en parler. Je n'ai pas de problème avec ma foi, je suis persuadé de ce que je crois et je n'ai pas envie que tu viennes la saper. » Ce réflexe est imprimé chez les enfants avant même qu'ils n'entrent à l'école. Ils sont préparés d'emblée à rejeter tout propos de ce genre.

M. Philippe VITEL : Votre démarche n'est pas isolée. Quelle proportion peut représenter ceux qui, comme vous, ont choisi de quitter les Témoins de Jéhovah ?

M. Nicolas JAQUETTE : Je laisserai à Alain Berrou le soin de vous répondre.

M. le Président : La transition est toute faite...

M. Alain BERROU : J'ai trente-six ans et j'ai passé une dizaine d'années chez les Témoins de Jéhovah. J'ai été endoctriné à l'école alors que j'avais dix-sept ans. Je suis sorti de la secte en 1998 et j'ai repris mes études, dans le but également d'analyser dans un cadre universitaire ce qui m'était arrivé. J'ai également travaillé comme salarié pour le compte de l'ADFI.

Si j'ai été endoctriné à l'école, ce n'est pas par accident, mais dans le cadre d'une campagne internationale adaptée à chaque pays. Ce que je prenais pour des discussions anodines avec des camarades de classe répondait en fait à un vaste programme de prosélytisme. Il aura dans mon cas, fallu deux ans pour me persuader d'un certain nombre d'idées, suivant un processus parascientifique, mensonger et exhaustif. Petit à petit, je me suis mis à changer et à accepter des idées qui m'inspiraient jusqu'alors beaucoup de réticence. Poussé par la simple curiosité à l'égard d'un camarade de classe, je me suis trouvé engagé dans ce que je pensais être des discussions anodines - en fait, un processus pédagogique d'endoctrinement qui m'a conduit à me lier à une organisation et à une idéologie par un contrat. Je récuse le mot « baptême » qui vise à donner à l'idéologie et aux pratiques des Témoins de Jéhovah un masque confessionnel. Mais à la différence d'autres « mouvements », on est petit à petit conduit par le raisonnement et la persuasion à ce qu'ils appellent « baptême » et qui s'avère en fait être un contrat avec une organisation.

Mon témoignage portera principalement sur cette mise en sujétion et la façon dont ils s'y prennent ; c'est pour moi l'occasion de remercier les parlementaires d'avoir voté la loi dite « About-Picard » du 12 juin 2001, même si je n'ai pu m'en servir pour intenter une action en justice, toujours difficile. Au moins le délit est-il maintenant reconnu.

Cet endoctrinement a eu des conséquences sur ma famille comme sur mes études dans la mesure où je me suis mis à consacrer tout mon temps au service exclusif de la secte. J'ai été amené à m'investir de plus en plus au sein du mouvement jusqu'à m'engager dans une forme de service spécial pour les jeunes, dit « service de pionniers » où l'on passe son temps à faire du prosélytisme, objectif majeur de la secte, tant en France qu'ailleurs. Plus on sera actif et occupé à pratiquer une discipline mentale et intellectuelle d'autopersuasion et d'autocensure, moins on aura de chances de fréquenter des gens aux idées subversives... Les conséquences en ont été le délitement des liens familiaux, le renoncement à mes études et même à un métier puisque j'en suis arrivé, comme beaucoup d'autres, à ne plus avoir qu'un petit boulot de nuit - en l'occurrence dans un journal - et à consacrer mes journées à « travailler » pour l'organisation. Devenu responsable local, j'ai suivi une « formation » pour faire le lien entre la filiale nationale et les responsables locaux. Pressenti pour une mission en Cisjordanie, j'ai obéi et j'y suis resté six mois, parfois au risque de ma vie. Sans doute cette période a-t-elle constitué le point paroxystique, mais peut-être également le fait que j'ai subi quatre opérations chirurgicales en refusant à chaque fois toute transfusion, ce qui n'a jamais été ma position avant ni après.

La force et la faiblesse d'une telle idéologie, c'est qu'elle est artificielle. Les gens sont surpris en entendant le discours des ex-adeptes : tout l'appareil, le système de concepts que l'on vous fait intégrer et par lequel vous pensez, par lequel vous jugez, par lequel vous ressentez tantôt culpabilité, tantôt gratitude, peut s'écrouler d'un coup dès lors que vous désobéissez. Le problème est que j'ai été conditionné pour obéir, pour culpabiliser si je venais à réfléchir à des idées subversives, et surtout pour pratiquer plusieurs fois par jour cette gymnastique d'autopersuasion et d'autocensure, alors qu'au début, on vous aura attrapé avec une masse exhaustive d'arguments parascientifiques. En dehors des Témoins de Jéhovah eux-mêmes, des groupes évangéliques américains financent à coup de millions de dollars des entreprises de désinformation, et le débat en Europe sur le « dessein intelligent373 » n'est pas étranger à ces campagnes.

Après mon séjour en Cisjordanie, je suis rentré en France où je me suis retrouvé dans un groupe étranger. C'est finalement mon état de santé - à force de travailler, la nuit dans mon journal et le jour pour la secte, j'étais au bout du rouleau - qui m'a fait prendre conscience du caractère enfermant de cette idéologie. J'ai craqué, physiquement et psychologiquement ; mon corps m'a imposé de prendre du repos et par le fait une certaine distance vis-à-vis de cette gymnastique perpétuelle. Le conditionnement devenant moins prégnant, mon esprit critique s'est réveillé et petit à petit, en tirant sur le fil, j'ai pris conscience que j'avais intégré une idéologie dont la particularité est de s'entretenir d'elle-même en légitimant l'autocensure et l'autopersuasion permanente : plus je crois, plus j'obéis ; plus j'obéis, plus je crois. Je me suis ainsi laissé aller en pilotage automatique pendant une dizaine d'années ; et quand bien même j'ai pu reprendre une distance critique, le préjudice demeure. On ne subit pas dix ans d'un tel conditionnement sans en garder un rapport particulier à la culpabilité, aux devoirs, à ses obligations. Je regrette surtout d'avoir gâché dix années de ma vie, même si j'ai eu la chance d'avoir pu, à un moment donné, ouvrir les yeux et opérer une prise de conscience assez vertigineuse.

Il faut bien comprendre que l'on n'a pas affaire à un système qui laisserait ses adeptes penser librement. Il leur fait intégrer un mécanisme de pensée qui les culpabilise sitôt qu'ils réfléchissent et qui leur impose, comme un devoir, de s'autopersuader. On en voit les préjudices qui en découlent : refus des transfusions sanguines, captation des biens, etc. Mais le « crime ordinaire », c'est d'avoir fait perdre tout esprit critique et de mettre l'individu au service d'une cause qu'il n'a pas choisie - je n'ai pas demandé à servir de cible en Cisjordanie ou à renoncer à mes études pour faire du prosélytisme, pour en subir par la suite le contrecoup dans ma vie professionnelle...

M. le Président : Contrairement à M. Jaquette, vous n'êtes pas né parmi les Témoins de Jéhovah. Votre famille n'a-t-elle pas cherché à vous alerter, à vous dissuader, à vous soutenir ?

M. Alain BERROU : Non, car elle ne s'est aperçue de rien. C'est traditionnellement ainsi que cela se passe : l'endoctrinement se fait de façon souterraine. On explique aux jeunes gens qu'il vaut mieux ne pas en parler aux parents, qui pourraient voir cela d'un mauvais œil, que leurs progrès spirituels ne concernent qu'eux et Dieu, et qu'ils auront tout lieu de faire librement leur choix au bout d'un an ou deux, une fois qu'auront été examinées ensemble un certain nombre de choses... Lorsque les parents s'en aperçoivent, il est trop tard. On a déjà intégré toute une série de raisonnements et de mécanismes d'autodéfense, on a développé une sorte de système immunitaire qui réagit tout seul, un peu comme une huître qui se ferme sitôt qu'approche la pointe du couteau, de même qu'une pratique de « dissonance cognitive », de clivage : les arguments scientifiques et idées entendues à l'école ne sauraient vaincre l'immense entreprise de désinformation, très exhaustive, engagée en amont et mise au point par des structures très organisées qui utilisent des scientifiques et savent parfaitement isoler les déclarations. La formation - ou déformation - en amont est telle que le jeune homme devient totalement imperméable à l'enseignement scolaire.

M. le Président : La transfusion sanguine est pour les Témoins de Jéhovah un problème majeur. Vous dites avoir subi quatre interventions chirurgicales alors que vous étiez adepte. Comment avez-vous réglé ce problème ? Aviez-vous besoin de transfusion ? Que savez-vous de ce DVD fabriqué par l'association des Témoins de Jéhovah sur les stratégies alternatives à la transfusion ? Que savez-vous des produits de substitution ?

M. Alain BERROU : Il existe au sein des Témoins de Jéhovah - et ce dans tous les pays du monde - une cellule appelée centre de liaison hospitalier, composé d'adeptes à la formation intellectuelle un peu plus poussée, munis de manuels pédagogiques réalisés par des spécialistes et chargés de mener des opérations de séduction-infiltration dans les hôpitaux et auprès des médecins. On met en avant une certaine jurisprudence - favorable évidemment -, des arguments tantôt pseudo-scientifiques, tantôt très poussés, pour convaincre les médecins de respecter ce qu'on leur présente comme le choix du patient mais qui, j'y insiste, résulte d'une opération d'endoctrinement : sitôt qu'il en a pris conscience, aucun ancien adepte ne refuse la transfusion.

Parallèlement à ces opérations de séduction-désinformation, les centres de liaison hospitaliers s'emploient à lister les médecins « réceptifs » vers lesquels ils orienteront les Témoins de Jéhovah envisageant une opération qui peut nécessiter une transfusion, par un procédé bien connu des adeptes : ceux-ci doivent informer les « anciens » locaux du problème, qui se chargeront de les diriger vers des médecins ou des cliniques déterminés.

Les conditions dans lesquelles les adeptes signent les décharges à propos du sang sont elles aussi intéressantes : au-delà de l'idéologie officielle qui impose de refuser le sang, on leur fait signer une décharge actualisée lors d'une réunion spéciale organisée chaque première semaine de janvier. On divise l'ensemble du groupe en petits sous-groupes affilié à un responsable local auquel chaque adepte se doit de montrer sa « carte » dûment actualisée. On s'assure ainsi à ce moment précis que tout le monde a bien signé sa décharge.

M. Jacques REMILLER : Mais vous, avez-vous subi des transfusions ? Votre état le nécessitait-il ? Auquel cas, quels étaient les produits de substitution ?

M. Alain BERROU : Mon état ne nécessitait pas de transfusion. Mais cela aurait pu...

M. le Président : Que se serait-il passé alors ?

M. Jacques MYARD : Il ne serait pas là...

M. Alain BERROU : Je pourrais rendre grâce à un médecin d'avoir su discerner que ce n'était pas ma position personnelle...

M. le Président : Autrement dit, il y a un risque.

M. Alain BERROU : Tout à fait.

M. le Président : Avez-vous entendu parler de cas de Témoins de Jéhovah morts pour avoir refusé des transfusions ?

M. Alain BERROU : J'ai connu une personne transfusée contre son gré, et qui aujourd'hui aimerait remercier ceux qui ont compris que sa position résultait d'un endoctrinement.

M. Nicolas JAQUETTE : Dans un des trois groupes de ma congrégation à Paris, une petite fille atteinte de leucémie a été traitée pendant trois ans avec des procédés alternatifs à la transfusion : cela a marché un temps, jusqu'à ce qu'elle décède...

À noter que les enfants sont tout aussi persuadés par la secte qu'ils doivent refuser le sang. Encore récemment, l'enfant devait porter en permanence sur lui une carte signée par les deux parents. Une loi vient d'interdire ce procédé : les parents doivent désormais, sous la dictée de la secte, indiquer « personnellement » sur une feuille libre leur choix médical concernant leur enfant. La secte n'y apposant plus son sceau, elle est dégagée de toute responsabilité que seuls les parents auront à assumer. Un article publié dans la revue phare Réveillez-vous ! du 22 mai 1994 avait fait beaucoup de bruit : sous le titre « Des jeunes qui donnent la priorité à Dieu », on y voyait vingt-quatre photos d'enfants morts pour avoir personnellement refusé d'être transfusés - menaçant d'arracher les aiguilles, etc. -, suivies du récit des circonstances de leur décès.

M. le Président : Cela s'était passé en France ?

M. Nicolas JAQUETTE : Non, il ne s'agissait pas d'enfants français. Mais ce Réveillez-vous ! a été distribué dans le monde entier, y compris en France, et systématiquement cité, particulièrement à ces réunions spéciales en début d'année, durant lesquelles on montrait clairement aux enfants l'exemple à suivre. Le langage était double : non seulement on obligeait les enfants à respecter l'édit, mais leur montrait également comment l'attitude de ces petits malades avait eu sur le corps médical un impact positif pour la secte. Leur refus inébranlable de la transfusion avait impressionné les personnels hospitaliers qui, du coup, se posaient des questions et, pour certains, se laissaient endoctriner par la suite. J'aurais eu exactement la même réaction si j'avais été hospitalisé à l'époque.

Aujourd'hui encore, je vis une situation très étrange. Après avoir déconstruit tout cela, je suis persuadé que le sang n'est pas mauvais, mais la perspective d'une opération nécessitant une transfusion m'inspire encore un malaise, une sorte de dégoût très bizarre. Alain le comparait avec justesse à la réaction que pourrait avoir un musulman à l'idée de manger du porc... Au moment de ma sortie, une des premières choses que j'aie faite a été de manger du boudin noir - manger du sang est également interdit. J'en ai été malade... On vous imprime des mécanismes qui vous deviennent totalement inhérents.

M. le Président : Vous savez qu'en vertu de décisions rendues par les juridictions françaises, notamment de l'ordre administratif, des avantages fiscaux sont accordés aux associations locales de Témoins de Jéhovah. Quelle est votre opinion là-dessus ?

M. Alain BERROU : Cet argent provient de « dons » d'adeptes mis en état de sujétion, à la suite d'une opération profondément malhonnête.

M. le Président : Cette décision accorde à certaines associations le statut cultuel. Avez-vous une opinion là-dessus ?

M. Nicolas JAQUETTE : Contrairement à Alain, j'étais encore adepte au moment où ces décisions ont été prises, et évidemment saluées avec enthousiasme au sein de la secte. Sitôt la possibilité d'une réduction d'impôts connue, et largement diffusée dans les congrégations, on nous a dit qu'il était donc possible de donner deux fois plus...

Autre magnifique trouvaille sur le plan commercial, au point que je serais tenté de les féliciter : les Témoins de Jéhovah ont en permanence la volonté de se dissocier de l'Église catholique dont ils partagent dans les grandes lignes la foi chrétienne, mais qu'ils estiment être dans le faux alors qu'eux sont dans le vrai. Un de leurs credos consiste à répéter que, contrairement aux catholiques, eux ne font pas de quête : les dons se font par une boîte posée au fond de la salle et dans laquelle les adeptes sont invités à déposer librement leur argent. Or, depuis quelques années, ils ont fait une trouvaille merveilleuse : les « résolutions ». Des lettres sont envoyées par les sièges aux congrégations, exposant un besoin d'argent dans un but particulier, et demandant si la congrégation est prête à s'engager à verser chaque mois une certaine somme à la société. Le vote se fait à main levée : évidemment, tout le monde lève la main... De fait, il n'y a plus de quête, mais un don volontaire du groupe. Les sommes correspondantes sont prélevées sur les offrandes en premier ; à la congrégation d'assurer les frais courants avec le reste. S'il manque de l'argent, on sollicitera à nouveau les adeptes en leur demandant de faire preuve de davantage de générosité pour subvenir aux besoins de la congrégation... Comme c'est le cas dans beaucoup de sectes, la règle, jamais écrite, invite à donner 10 % de son revenu. Mes parents avaient quatre enfants et relativement peu de moyens ; je ne sais pas comment ma mère se débrouillait mais, au début de chaque mois, dès que le salaire arrivait, une enveloppe était prévue pour la secte. On persuade l'adepte que, la fin des temps approchant, il est inutile pour lui de faire des projets d'avenir ; mieux vaut donner l'argent à la secte qui saura l'investir au mieux.

M. Jacques MYARD : Où en est-elle, cette fin du monde maintes fois annoncée ? Il semble que l'on ait raté quelques coches...

M. le Président : N'y aurait-il pas eu déjà sept annonces ?

M. Nicolas JAQUETTE : Plus que cela !

M. Jacques MYARD : Où en est la thèse officielle ?

M. Nicolas JAQUETTE : Chaque annonce est étrangement suivie d'une amnésie collective... Il y a eu une annonce de fin du monde en 1975, dont je n'ai jamais eu vent jusqu'à ce que j'arrive à Paris en 2001. Certains Témoins de Jéhovah un peu plus libres de leur langue que d'autres m'ont confirmé que l'on pressentait la fin du monde pour 1975, puisque l'on arrivait au terme des six mille ans d'histoire terrestre, tel que fixé dans le calendrier biblique. Bizarrement, la date a disparu...

Au demeurant, les Témoins de Jéhovah se moquent éperdument de la façon dont tout cela est perçu à l'extérieur ; l'important, c'est l'intérieur. Ils tiennent un double langage. La tête de la secte, appelée collège central, est pour ainsi dire infaillible : ses membres sont l'instrument de Dieu pour informer le peuple. Mais lorsqu'ils se trompent, et cela arrive souvent, notamment sur ces histoires de date, on se hâte de rappeler que ce ne sont que des humains, donc imparfaits, et qu'un « éclaircissement spirituel » les a opportunément amenés à une nouvelle interprétation d'un verset biblique !

Il y a eu notamment le problème des « membres oints », c'est-à-dire de la génération dont un verset dit qu'« elle ne passera pas que toutes ces choses n'arrivent »374. Jusqu'à la fin des années 1990, toutes les publications soutenaient que la génération visée était celle de 1914 et que l'on pouvait donc s'attendre à une fin du monde avant que ses derniers membres ne disparaissent... On appréciera la perversité de la démarche. Mais dans la mesure où les derniers survivants ont pratiquement tous disparu ces dernières années, force a été de reconnaître que les membres du collège central s'étaient un peu trompés... et à la faveur d'un nouvel « éclaircissement spirituel », ils ont expliqué que le mot « génération » devait s'entendre dans un sens plus large. Ils trouvent à chaque fois une pirouette, en jouant sur les mots, pour expliquer qu'ils ne se sont pas vraiment trompés, que la fin du monde est certaine, mais pour un peu plus tard, en tout cas pour bientôt. Depuis l'an 2000, ils n'osent plus avancer de dates : ils ont tout de même fini par apprendre...

M. le Président : Comment se fait-il que vous soyez venus tous les deux en costume sombre ? Est-ce une déformation ou un hasard ?

M. Nicolas JAQUETTE : La majorité de l'Assemblée ne porte généralement pas de costumes clairs... Croyez bien que c'est totalement fortuit.

M. Alain BERROU : Je tiens à informer cette commission en ayant pleinement conscience des conséquences de mes propos : je sais le mouvement des Témoins de Jéhovah très procédurier... Il m'est arrivé, en tant que responsable, d'être saisi de directives non écrites, mais qu'il fallait recopier sous la dictée à la virgule près, et qui traitaient des cas d'abus sexuels sur enfants. Je souhaite vous donner lecture des directives que j'ai personnellement reçues, dans un cadre totalement formel, d'un membre représentant la filiale nationale des Témoins de Jéhovah. Le mouvement a tout un système de justice parallèle et les responsables locaux reçoivent un manuel de directives à appliquer à l'égard d'adeptes manifestant des velléités de liberté intellectuelle. Dans le cas des abus sur enfants, voilà ce qu'on nous a fait écrire :

« L'article 62 du code pénal prévoit de poursuivre d'une action judiciaire quiconque est au courant d'une agression d'enfant et n'avertit pas les autorités. Si l'auteur des sévices est un membre baptisé de la Congrégation, voici les directives à appliquer :

« Premièrement, avant tout, téléphonez au service juridique de la Société pour recevoir des conseils.

« Deuxièmement, faites immédiatement une enquête pour établir si les faits sont vérifiés.

« Troisièmement, formez un comité judiciaire.

« Ensuite, éventuellement, dénonciation aux autorités.

« Les Anciens sont, aux yeux de la loi, des ministres du culte et, à ce titre, sont tenus au secret confessionnel dérivé du secret professionnel (article 378 du code pénal). Ils sont libérés de cette obligation dans le seul cas d'inceste, sévices sexuels, avortements illégaux. Le Collège déterminera la meilleure solution pour la Congrégation et sa réputation. »

Si je n'ai pour ma part jamais été mis devant une telle situation, j'ai en revanche assisté à des « comités judiciaires » et entendu des victimes raconter que l'on avait étouffé leurs plaintes en les pressant de « pardonner » dès lors que l'agression n'était pas notoire.

M. le Président : Autrement dit, il y aurait une sorte de justice parallèle interne qui se substituerait à la justice de la République ?

M. Alain BERROU : Exactement.

M. le Président : En guise de conclusion, qu'attendez-vous d'une commission comme la nôtre pour améliorer le sort des enfants dans cette communauté ?

M. Alain BERROU : Parmi les « bouées de sauvetage » qui pourraient réagir à d'éventuels signaux, il devrait y avoir l'école. Malheureusement, le professeur, le médecin scolaire, l'assistante sociale ne sont pas toujours conscients d'avoir affaire à un mouvement sectaire, du fait de l'opération de séduction menée par des parents méthodiquement briefés. Peut-être pourrait-on les sensibiliser aux objections que ces enfants peuvent faire à l'occasion d'un cours de philosophie ou d'histoire ; au-delà des Témoins de Jéhovah, le danger est d'abord celui du fondamentalisme.

Les parlementaires pourraient également se pencher sur le délai de prescription de la loi « About-Picard » : il faut beaucoup de temps à la victime pour mûrir son point de vue, prendre la distance nécessaire, analyser, prendre conscience qu'elle a été victime et l'assumer. Mon avocat m'avait prévenu qu'après avoir passé dix ans dans la secte, je devais me préparer à supporter dix ans de procédure, d'expertises psychiatriques, de contre-expertises, sans être certain du résultat final : j'ai finalement renoncé à une action en justice... Non seulement il est très difficile de saisir la loi, mais il faut du temps pour comprendre, analyser et enfin oser.

M. Nicolas JAQUETTE : Je rejoins Alain Berrou sur la question de l'éducation. Il faut agir au niveau des professeurs, mais également du milieu médical, pour trouver une contre-réponse aux entreprises de séduction déployées par les Témoins de Jéhovah dans le milieu hospitalier, qui par moments deviennent de véritables menaces. Par ailleurs, certaines décisions fiscales prises par le Gouvernement sont difficilement compréhensibles et parfois très mal vécues par les ex-adeptes : il n'est pas normal que certaines amendes mettent tant de temps à être payées... Comment un lobby parvient-il à « tenir » les pouvoirs publics à ce point ?

Mais surtout, nous aimerions pouvoir crier ce que nous avons subi ; nous sommes très heureux d'avoir pu le faire aujourd'hui, mais les occasions de ce genre restent relativement rares. Il faudrait les multiplier, tout en sachant que beaucoup de ceux qui ont réussi à sortir ont envie de rester tranquilles et rechignent à s'impliquer dans la lutte contre les sectes ; on a tendance de ce fait à minimiser le nombre de victimes. Parvenir à contacter l'ADFI n'est pas donné à tout le monde : bon nombre de gens partent dans la nature sans rien dire à personne, sans jamais trouver de solution, et en conservent de lourdes séquelles. Je me suis aperçu, pour en avoir rencontré quelques-uns, qu'ils restaient souvent imprégnés de certains enseignements de la secte, faute d'avoir pu entamer un travail de reconstruction. Le soutien aux cellules et associations de soutien des victimes de sectes est à cet égard très important. On peut avoir l'impression qu'elles souffrent d'un manque de visibilité ou de considération, et qu'on les a tenues à l'écart du débat. Votre initiative montre que ce n'est pas le cas et j'espère qu'elle se renouvellera. Elle a le mérite de permettre aux décideurs de ce pays de prendre conscients de la situation sans s'en remettre aux récapitulatifs de spécialistes, avocats, juristes et psychologues, qui n'auront jamais de ce problème qu'une vue partielle. Soyez-en remerciés.

M. le Président : Notre commission vous remercie également.

Audition de Mme Catherine PICARD,
présidente de l'Union nationale des associations
de défense des familles et de l'individu (UNADFI)



(Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons à présent Mme Catherine Picard, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu.

Madame Picard, en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Catherine Picard prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Madame Picard, la commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole.

Mme Catherine PICARD : Je voudrais tout d'abord vous remettre un certain nombre de documents que l'UNADFI a rédigés dans le but de dresser un état des lieux synthétique de la maltraitance des enfants dans les sectes : atteintes aux liens familiaux ; atteintes à l'intégrité corporelle et au développement physique ; atteintes au développement intellectuel, psychologique, moral et social.

Je tiens à remercier, au nom des membres de l'UNADFI, des associations qui constituent cette union, ainsi que de ses bénévoles, l'Assemblée nationale et ses représentants de l'initiative de créer cette commission d'enquête. J'associe à ces remerciements le personnel de l'UNADFI qui a permis la constitution des documents que je vous remets, monsieur le président.

L'UNADFI est une union de 26 associations qui accueillent et accompagnent les victimes de sectes. L'UNADFI fait vivre un centre de documentation, informe et effectue des interventions de prévention sur le domaine sectaire et ses dérives.

C'est bien de victimes dont nous parlerons au cours de cette audition, de victimes souvent méconnues pour lesquelles la prise en charge est encore très fragile voire inexistante. Nous considérons comme victimes les personnes directement concernées par les manipulations dont elles ont fait l'objet, mais aussi leurs proches. Les conséquences de l'appartenance sectaire sont destructrices du lien familial, social et citoyen.

Ce sont bien des victimes que vous avez déjà auditionnées. Leur expérience, leurs doutes, leurs échecs, les incompréhensions dont elles ont été l'objet et les difficultés d'insertion dans la vie sociale, professionnelle dont elles vous ont fait part, mettent en lumière la complexité du sujet.

Sans compter qu'il faut souligner le courage qu'il y a à témoigner publiquement d'un parcours de vie alors que peuvent peser sur certains, menaces, harcèlement et intimidations. La collusion des mouvements sectaires, leur organisation au sein de pseudo-associations de défense de « droits à » représente un danger potentiel pour les victimes, les associations et les professionnels qui se sont exprimés.

C'est encore de victimes qu'ont parlé les différents responsables de services de l'État. Je passerai sur les difficultés rencontrées entre 2002 et 2004, empêchant tout essai de coordination de ces services, mettant en péril les actions d'information, de prévention et de formation des fonctionnaires et des professionnels de terrain déjà engagées. Des acteurs dont il est indispensable d'avoir l'appui et l'expertise pour concevoir et améliorer la protection des victimes. Aujourd'hui, l'actuelle MIVILUDES permet à nouveau de travailler sereinement, dans l'intérêt de tous, et sur l'ensemble du territoire.

Lorsque ces victimes sont des mineurs, on ne peut que se féliciter à nouveau de la part prise par le législateur pour s'inscrire dans la continuité de l'action républicaine. Rappelons aux détracteurs de cette commission que dès 1793, date de la Constitution de l'An I de la République, une nouvelle Déclaration élargit la notion de droit à l'instruction à l'assistance. La création d'un premier code civil affirma les devoirs des parents envers les enfants : « surveillance et protection ».

Un principe qui sera confirmé deux siècles plus tard, en 1989, à l'article 18 de la Convention internationale des droits de l'enfant, souvent citée, peu appliquée : « La responsabilité d'élever un enfant et d'assurer son développement incombe en premier chef aux parents. »

Je ne résiste pas, enfin, à l'envie de citer cet outil de protection des mineurs qu'est l'ordonnance de 1945, souvent citée, souvent décriée. Son exposé des motifs est toujours d'actualité : « La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. » L'endoctrinement, les sévices corporels, la privation d'instruction, l'éducation sous la contrainte et la peur, la diabolisation des membres de sa famille et de la société ne peuvent en rien permettre à un enfant de devenir un être sain, et encore moins un citoyen.

Nous sommes au cœur du sujet. Les enfants mineurs restent au centre de la problématique sectaire et ceux qui portent atteinte à leur dignité échappent encore trop souvent aux sanctions prévues par la loi.

C'est donc bien de protection que ces enfants ont besoin. Ils sont à la fois sous la coupe de leurs parents, qui déterminent pour eux un choix d'appartenance à telle ou telle doctrine, et sous l'influence d'un gourou ou d'un maître à penser régissant le groupe dont ils font partie.

Il ne faut pas négliger aujourd'hui, au regard de l'évolution sectaire, la constitution de mouvances, de réseaux, menés par des « expérimentateurs » de techniques de soins ou d'éducation, dont la fantaisie rivalise avec la dangerosité de leurs conséquences. D'aucuns les nommeraient « charlatans du corps et de l'esprit ».

L'augmentation importante, dans les dix dernières années, de ces mouvances, de ces réseaux - près de 600 répertoriés en France, mais aussi en Belgique, dont il faut saluer l'excellence du travail sur le sujet sectaire - amène son lot de prosélytes. Ils sévissent au plus près des secteurs de vulnérabilité, près des lieux de vie, d'activité ou de soins, des jeunes mineurs.

Les mêmes prosélytes approchent les parents en proposant de fausses réponses à de vrais désarrois. Si l'on attrape les parents, on gagne les enfants. La boucle est bouclée.

L'enfant ou l'adolescent est au centre de ces démarches internes ou extérieures. L'enfant en devenir n'est pas épargné car le secteur de la périnatalité est approché par ces pseudo-thérapeutes.

Avant de passer aux cas concrets qui ont été recensés sur les deux dernières années par les ADFI, parmi lesquels nous avons trié les plus significatifs, je me permettrai une dernière remarque générale.

Les décisions des différentes instances européennes sont souvent citées par nos détracteurs. Je voudrais rappeler à la commission la recommandation 1412 de 1999, sur les activités illégales des sectes. L'assemblée du Conseil de l'Europe, en son article 9, indique qu'elle « attache une grande importance à la protection des plus vulnérables, et notamment des enfants d'adeptes de groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel, en cas de mauvais traitement, de viols, d'absence de soins, d'endoctrinement, de lavage de cerveau et de non-scolarisation qui rend impossible tout contrôle de la part des services sociaux ». Tous les mots et tous les maux y sont.

Par l'étude des cas que nous proposons à la commission, nous pouvons mesurer la complexité des situations rencontrées et mieux comprendre la perplexité des professionnels confrontés à ces cas ; ennui, frayeurs et déroute sont souvent les réactions des magistrats, des juges aux affaires familiales et des assistants éducatifs ou sociaux.

Ce désarroi est orchestré par la confusion entretenue mêlant la dimension des croyances et de la religion dans les propos communément divulgués par quelques sociologues des religions et les sectes elles-mêmes.

Nous avons distingué trois sortes d'atteintes envers les mineurs : atteintes aux liens familiaux ; atteintes à l'intégrité corporelle et au développement physique ; atteintes au développement intellectuel, psychologique, moral et social. Ces atteintes sont elles-mêmes subdivisées en sous catégories.

Nous pouvons retrouver ce que dit le droit pour la plupart d'entre elles. II nous a été difficile de faire correspondre un cas à chaque catégorie, en raison de la complexité du phénomène sectaire lorsqu'il agit sur les enfants.

En conclusion, malgré un cadre législatif protecteur des mineurs tant au plan national qu'international, force est de constater que le droit des mineurs ne suffît pas à protéger les enfants de l'influence néfaste tant morale que physique des mouvements sectaires, ni de leur prédateurs. Nous ne pouvons que demander à la commission de donner des préconisations claires et surtout, à ceux qui en auront le suivi, de les faire appliquer.

M. le Président : Je vous remercie.

Mme Martine DAVID : Au vu des témoignages dont vous faites état dans les documents que vous venez de remettre à notre commission, avez-vous le sentiment que le phénomène sectaire aille en s'aggravant ?

M. Serge BLISKO : Pour compléter cette question, pourriez-vous nous indiquer quels sont les blocages, les verrous auxquels vous vous êtes heurtés en raison, soit de notre législation, soit du fonctionnement de nos services médicaux ou judiciaires ?

Mme Catherine PICARD : Je ne pense pas qu'il faille montrer du doigt le fonctionnement des services sociaux, ni celui des magistrats. La difficulté tient au fait que chacun apprécie les faits de manière différente. Par exemple, il est extrêmement difficile pour un magistrat d'avoir une vision très précise du groupe sectaire dont les agissements conduisent, par exemple, un parent à demander que la garde d'un enfant lui soit confiée au motif que l'autre parent subit des pressions. Un travail de formation est nécessaire, et surtout, le magistrat doit adopter une démarche différente : il doit être conscient que le cas de divorce dont il a à juger n'est pas un dossier comme les autres lorsque le phénomène sectaire est en jeu.

S'agissant des services sociaux, un travail de prévention et de formation est indispensable, afin qu'ils soient alertés. Je pense tout particulièrement aux services des conseils généraux, qui sont chargés de la protection de l'enfance et des dossiers d'adoption. La dangerosité potentielle des membres de groupes sectaires doit entrer en ligne de compte, tout en veillant à ce que soient respectés les principes fondamentaux de notre Constitution et de notre législation.

Nous avons dans notre arsenal législatif toutes les armes permettant de répondre aux atteintes à l'intégrité physique. Les choses deviennent plus complexes lorsque l'intégrité psychique est atteinte. Il faut parfois deux, voire trois expertises pour mettre en lumière la réalité des influences sectaires, sans compter qu'un certain nombre d'experts ne sont pas forcément sur la ligne que nous sommes plusieurs ici à défendre.

Il y a peu de verrous dont on pourrait dire qu'ils ont été sciemment posés pour qu'une affaire n'aboutisse pas. Par contre, la dimension proprement sectaire d'une affaire n'est pas toujours prise en compte. Quand il y a viol sur mineur, le tribunal juge en fonction de ce fait : il y a eu viol sur mineur. Il n'intégrera pas nécessairement la dimension sectaire. Récemment, le tribunal de Pontoise a eu à juger d'une affaire de viol, dans le cadre d'un procès où l'UNADFI n'a d'ailleurs pas pu se constituer partie civile. Au moment des faits, la victime et son agresseur étaient respectivement âgés de onze et vingt et un ans et étaient tous deux Témoins de Jéhovah. La dimension sectaire a été constamment présente durant les débats, mais le crime lui-même n'a pas été rapporté à cette dimension. Dans l'audition précédente, la « justice interne » des Témoins de Jéhovah a été évoquée. Or, cette dissimulation du crime, car c'est bien de cela qu'il s'agit, n'a pas été mise en évidence au procès.

L'UNADFI et les ADFI reçoivent environ 20 000 appels téléphoniques par an. Il s'agit en grande partie de demandes d'informations, d'adresses de professionnels. Il y a aussi des témoignages de victimes. Les mouvements sur lesquels nous sommes le plus interrogés sont la Scientologie, les Témoins de Jéhovah, les églises évangéliques, et tous ceux qui concernent les médecines « alternatives » ou « nouvelles », dont nous savons quels peuvent être les effets. Toute cette mouvance compte entre 500 et 600 groupes. Ils sont diffus, ils fonctionnent en réseau et sont très présents sur l'ensemble du territoire. Il faut reconnaître qu'ils répondent à certaines des interrogations de nos concitoyens : sur l'alimentation, sur la médecine, sur l'éducation. De manière plus générale, partout où la puissance publique est absente pour répondre à une situation donnée, notamment en ce qui concerne la drogue, les mouvements sectaires ouvrent leur petite boutique.

La dangerosité est moins perçue s'agissant des groupes de la mouvance New Age, qui sont plus dans l'air du temps. Comme le faisait remarquer un médecin, si la médecine propose de soigner, la secte propose de guérir.

M. le Président : Vous avez fait état d'un procès où l'UNADFI n'a pu se constituer partie civile. Pourtant, l'article 2-17 du code de procédure pénale dispose que « toute association reconnue d'utilité publique régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et se proposant par ses statuts de défendre et d'assister l'individu ou de défendre les droits et libertés individuels et collectifs peut, à l'occasion d'actes commis par toute personne physique ou morale dans le cadre d'un mouvement ou organisation ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter une sujétion psychologique ou physique, exercer les droits reconnus à la partie civile ».

Mme Catherine PICARD : Au moment où l'instruction de ce procès a débuté, l'UNADFI avait été attaquée par la Scientologie. Il a fallu convoquer une Assemblée générale extraordinaire pour modifier les statuts. Le temps de les faire valider par le Conseil d'État et le ministère de l'intérieur, nous n'avons pas été en mesure de nous constituer partie civile à ce procès.

M. le Président : Cette difficulté juridique est-elle aujourd'hui réglée ?

Mme Catherine PICARD : Elle est totalement réglée depuis décembre 2005. Tout est rentré dans l'ordre. Je précise toutefois que dans l'affaire Néo-Phare, alors que nous étions dans la même situation, notre constitution de partie civile avait été acceptée. Ce procès a d'ailleurs été le premier cas d'application de la loi dite « About-Picard ».

M. le Président : Depuis la promulgation de cette loi, combien de procédures sont-elles en cours ?

Mme Catherine PICARD : Il doit y en avoir cinq ou six.

M. le Président : Comment expliquez-vous ce faible nombre ?

Mme Catherine PICARD : La victime qui a été adepte d'une secte n'est pas une victime ordinaire. Elle a énormément de mal à sauter le pas pour demander de l'aide. Cela lui demande un temps de maturation, durant lequel elle est constamment harcelée, menacée, brimée. Elle est aussi honteuse de s'être laissée piéger. Au moment de la déclaration des faits, la dimension sectaire n'est pas toujours prise en considération.

M. le Président : Peut-être peut-on aussi considérer que votre loi a eu un effet dissuasif.

Mme Catherine PICARD : Peut-être. Cela a fait l'objet de longues discussions. À une certaine époque, nous disions que l'arsenal juridique était suffisant. Or, force est de constater que ni l'article 35 de la loi de 1905, ni l'article 7 de la loi de 1901 n'étaient appliqués. C'est pourquoi nous avions souhaité modifier le code pénal, pour y inscrire la notion de mouvement sectaire et pour pouvoir réprimer les personnes morales qui transgresseraient certains articles du code pénal. Nous visions bien des délits, et en aucun cas des contenus doctrinaux.

M. le Président : Il n'y a pas eu de dissolution depuis votre loi, pas plus qu'avant son adoption.

Mme Catherine PICARD : En effet. Il y a eu deux actions en justice qui sont allées jusqu'à leur terme. Mais il est évident que si la dimension sectaire des affaires pénales n'est jamais prise en compte, la loi « About-Picard » ne sera que très partiellement appliquée.

Cela étant, puisque vous évoquiez un possible effet dissuasif, avant l'examen de cette loi en première lecture, la direction des affaires criminelles et des grâces estimait à environ 130 le nombre d'affaires judiciaires impliquant des groupements sectaires. Entre les deux lectures, ce nombre est monté à 350. Cela signifie que la publicité qui avait été faite autour de ce texte avait conduit des victimes à penser qu'il était possible de se rapprocher de la justice pour obtenir réparation.

M. le Président : Votre association a un contact direct avec les victimes et les familles. Êtes-vous informée d'un projet consistant à transformer les cellules de vigilance sur l'activité sectaire, qui existent dans chaque département, en cellules de lutte contre l'insécurité en général ?

Mme Catherine PICARD : C'est la circulaire Raffarin. Tout d'abord, ces cellules ne sont pas actives sur l'ensemble du territoire. Certains préfets ne répondent pas aux obligations qui leur ont été faites. Lorsqu'elles sont actives, elles sont très souvent des cellules d'enregistrement : un tour de table permet à chaque service de l'État d'exposer la situation. Soit on en reste au tour de table, et il ne se passe rien : chacun retourne travailler dans son coin ; soit on y évoque également la toxicomanie ou la prévention de la délinquance, auquel cas le sujet des sectes peut être totalement noyé.

Je sais qu'il est difficile de désigner des noms. Néanmoins, il devrait pouvoir être possible de dresser dans chaque département un véritable état des lieux. Ces cellules doivent avoir une visibilité beaucoup plus grande, prendre le sujet à cœur et ne pas le diluer dans un ensemble de problèmes, dont je ne nie pas au demeurant qu'ils ont leur importance.

Il faut, à mon sens, revenir au système antérieur, afin que chacun, dans chaque département, soit informé de ce qui se passe. Et surtout, il faut que les cellules de vigilance soient actives dans tous les départements.

M. le Président : La question de la réinsertion des anciens adeptes relève incontestablement de votre compétence. Les auditions de ce matin ont montré à quel point ils pouvaient être en situation de rupture totale. Certains adeptes n'ont plus de couverture sociale, plus d'inscription nulle part. Les ADFI ont-elles des moyens d'aide à la réinsertion ? Les pouvoirs publics font-ils ce qu'ils doivent faire ? N'y a-t-il pas là des lacunes à combler ?

Mme Catherine PICARD : Nous avons entamé ce travail de réflexion avec le ministère des affaires sociales. Quand la DDASS d'un département est informée de l'existence d'un problème sectaire, elle est éveillée au sujet. Elle a un œil beaucoup plus attentif, mais pas forcément les moyens d'apporter une réponse aux problèmes que rencontrent les anciens adeptes. Un ancien adepte qui réclame des droits d'inscription à la sécurité sociale, qui réclame un logement, sera considéré par les services sociaux au même titre que les autres personnes qui, pour des raisons autres, réclament la même aide.

Cela étant, nous constatons une évolution dans certains départements, où la dimension spécifiquement sectaire est mieux prise en compte que par le passé. Nous travaillons à étendre cette prise de conscience. Les problèmes de l'ancien adepte appellent une prise en charge différente. Son temps de maturation a été beaucoup plus long que d'autres victimes, et psychologiquement, il est particulièrement en difficulté pour se réadapter à un monde social avec lequel il a parfois rompu pendant dix ou vingt ans.

Prenons le cas des anciens adeptes de Moon - secte qui n'a pas disparu du territoire français - elle vient d'organiser une grande conférence à Massy-Palaiseau le 9 septembre dernier. Ceux qui sont entrés dans la secte en 1974 se retrouvent aujourd'hui grands-parents d'enfants qui sont membres de la secte aux côtés de leurs parents. Quand on a été en immersion totale dans la secte Moon, on n'a pas de couverture sociale, on n'a jamais cotisé pour sa retraite, on travaille souvent de manière totalement gratuite. Ceux qui ont finalement quitté le mouvement se retrouvent dans une situation inextricable. Cela explique d'ailleurs qu'un grand nombre de personnes ne puissent plus sortir du mouvement sectaire. Après un certain nombre d'années passées au sein des grandes structures, il leur est très difficile d'en sortir pour retrouver tous leurs droits de citoyens.

M. Jacques REMILLER : Nous venons d'entendre d'anciens Témoins de Jéhovah, qui ont évoqué des sévices sexuels infligés à des enfants, des refus de transfusion sanguine, des conditionnements à l'obéissance. Quelle analyse faites-vous de leur témoignage ?

Mme Catherine PICARD : Je connais bien Alain Berrou qui, avec beaucoup de courage, a beaucoup fait pour mieux faire connaître les Témoins de Jéhovah.

Dans les documents que je vous ai remis, nous n'avons pas retenu de témoignages de Témoins de Jéhovah concernant la santé. Par contre, nous avons retenu des témoignages d'atteintes diverses dont souffrent les mineurs. Voici le cas n° 25 : en 1976, suite à une ordonnance du tribunal, une enfant de cinq ans est confiée par le service d'aide à l'enfance à une famille d'accueil Témoin de Jéhovah. Durant toute son enfance, elle doit suivre les préceptes jéhovistes. Victime d'abus sexuels de la part du mari, elle tente, à dix-sept ans, de se suicider. Elle est transportée à l'hôpital, où la famille d'accueil s'oppose à la transfusion sanguine. L'hôpital fait appel au procureur de la République pour que soit ordonnée la transfusion. La jeune fille restera au sein de cette famille d'accueil jusqu'à sa majorité. La DDASS n'a jamais pris en compte l'influence des croyances des jéhovistes sur l'acte éducatif. Cette jeune fille va intenter des actions en justice contre l'administration française.

M. le Président : Cet exemple ne peut pas laisser indifférents ceux qui suivent nos travaux. L'administration a confié un enfant à un couple de Témoins de Jéhovah. Cela ne peut que laisser perplexe. Est-ce que cela pourrait se produire aujourd'hui ? L'appartenance de telle famille d'accueil à telle ou telle organisation peut-elle entrer en ligne de compte, sans entrer en contradiction avec la lutte contre les discriminations ? Peut-il arriver, aujourd'hui, qu'un conseil général, une DDASS, confie un enfant à des Témoins de Jéhovah ? Est-ce normal ?

Mme Catherine PICARD : Je ne pense pas que l'on puisse présenter les choses de cette façon-là. Ce serait attentatoire à la liberté de conscience, ce qui n'est pas le propos de votre commission. Le problème n'est pas qu'une famille d'accueil appartienne aux Témoins de Jéhovah, ou à la Fraternité Blanche Universelle. Le problème est de savoir comment démontrer, de manière légale, que les doctrines préconisées à l'intérieur de tel ou tel groupe sont préjudiciables à l'épanouissement d'un enfant.

M. le Président : Comment faites-vous pour le démontrer ?

Mme Catherine PICARD : Nous pouvons nous appuyer sur les décisions du Conseil de l'Europe. D'autre part, nous pouvons nous appuyer sur la Convention internationale des droits de l'enfant.

M. le Président : Nous connaissons ces textes. Mais quand un directeur des affaires sanitaires et sociales a sur son bureau le texte de la Convention internationale des droits de l'enfant, cela lui permet-il de justifier son refus de confier tel enfant à telle famille ? Ne sommes-nous pas dans un régime d'une très grande hypocrisie légale ?

Mme Martine DAVID : Il n'est pas nécessaire d'aller chercher des textes internationaux. L'agrément repose sur une enquête, laquelle doit établir des garanties de probité intellectuelle, d'hygiène, etc.

M. Jacques MYARD : Confier un enfant, sciemment, à une famille jéhoviste pose un problème. Ce n'est pas un problème de liberté de conscience. Le corpus doctrinal auquel adhère cette famille est, par beaucoup d'aspects, contraire à ce que nous souhaitons, d'une manière consensuelle, pour l'éveil de l'enfant. On ne peut confier un enfant à une famille qui va mettre en œuvre des préceptes que nous condamnons.

M. le Président : Cela ne répond pas au problème. Si, pour ce motif, vous refusez de confier l'enfant à cette famille, vous allez tout droit vers un procès pour discrimination.

M. Jacques MYARD : Ce procès, je le gagne, puisque je peux mettre en avant des éléments objectifs me permettant d'affirmer que l'enfant risque d'être mis en danger.

M. le Président : Y a-t-il sur ce sujet une directive du ministère des affaires sociales ?

Mme Catherine PICARD : Non, ce n'est pas possible.

La difficulté est réelle. Il nous faut trouver les moyens de la surmonter tout en respectant les garanties constitutionnelles. La dimension sectaire doit être prise en compte quand il s'agit de confier un enfant à une famille qui, en raison de la doctrine à laquelle elle adhère, l'empêchera de participer à des fêtes, de se tourner vers une association de loisirs, de faire du sport, etc. Je n'irai pas plus loin, car je suis actuellement l'objet de deux plaintes en diffamation de la part des Témoins de Jéhovah. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur l'instrumentalisation de la justice par les groupements sectaires.

N'étant pas fonctionnaire du ministère des affaires sociales, je ne suis pas en mesure de vous dire si les directeurs des DDASS sont invités à réfléchir sur ce sujet. Il est clair en tout cas qu'ils n'ont pas de positions homogènes sur l'ensemble du territoire. Tel directeur affirme qu'il ne confierait pas un enfant à une famille membre d'un groupe sectaire. D'autres directeurs sont attaqués devant le tribunal administratif pour avoir refusé des dossiers pour cette raison.

Nous devons continuer à respecter les principes fondamentaux en matière de liberté de conscience. Cela ne nous empêche pas de trouver, par le travail et la concertation, les moyens d'éviter que des enfants soient confiés à des membres de groupes sectaires.

J'ajoute que le problème se pose également s'agissant de l'adoption. Les personnels de l'action sociale qui mènent les enquêtes doivent être formés et informés.

M. le Président : Y a-t-il des exemples récents d'enfants ayant été confiés à une famille membre des Témoins de Jéhovah ?

Mme Catherine PICARD : Il y en a, oui.

Mme Martine AURILLAC : Il y a une grande disparité en la matière d'un conseil général à l'autre.

Je voudrais revenir à la question de l'agrément. Celui-ci est soumis à un certain nombre de critères. Pourriez-vous nous les rappeler ?

Mme Catherine PICARD : Je ne les ai pas tous présents à l'esprit. Cela dit, cette question est très importante. La définition des procédures d'agrément doit tenir compte du problème posé par le phénomène sectaire.

M. le Président : Une circulaire existe sur ce sujet.

Mme Catherine PICARD : Encore faut-il savoir si elle appliquée.

Il faut préciser que le problème se pose également pour l'agrément « jeunesse et sports » et pour l'agrément « éducation nationale ». C'est d'ailleurs surtout le problème du retrait de l'agrément et de ses motivations qui est épineux.

Pour notre part, nous faisons de la prévention en disant aux parents qu'il n'est pas raisonnable de confier son enfant, dans le domaine du soutien scolaire ou des activités périscolaires, à une association qu'ils ne connaissent que par un prospectus trouvé sur leur pare-brise, où est mentionné un numéro de téléphone portable qu'ils sont invités à appeler après 20 heures. Ils doivent s'assurer que l'association en question a au moins reçu l'agrément du ministère de la jeunesse et des sports, ou celui de l'éducation nationale.

Il faut également être attentif aux tentatives de pénétration des mouvements sectaires à l'intérieur des services publics français : hôpitaux, centres de soins palliatifs, associations de loisirs, sans oublier l'école, par le biais de bénévoles, qui n'ont pas tous reçu d'agrément.

M. Christian VANNESTE : L'exemple que vous avez cité tout à l'heure pose un problème. Les faits qui se sont déroulés dans cette famille sont tout à fait répréhensibles, mais ne sont ni objectivement ni intrinsèquement liés à l'appartenance à une secte. Ces faits n'étaient pas l'application des doctrines et des règles propres à cette secte.

Nos amis belges, que nous avons entendus, restreignent leur réflexion aux sectes « nuisibles ». C'est là une démarche qui vise à sortir d'un point de vue subjectif. Lorsqu'une secte interdit, par exemple, la transfusion sanguine, on peut faire valoir un critère objectif. Par contre, lorsque des membres d'une secte se livrent à des comportements criminels, mais qui ne sont pas dictés par la secte, cela ne nous permet pas d'interdire quoi que ce soit à l'encontre de cette secte sans par là même tomber dans la discrimination.

Croyez-vous possible et même nécessaire de fixer les critères objectifs qui permettraient de délimiter, parmi les « petites communautés de croyance », un cercle correspondant aux sectes nuisibles ? Si vous ne répondez pas positivement à cette question, ne serait-on pas amené à faire l'hypothèse que toute appartenance à une petite communauté de croyance assez rigide serait en soi dangereuse pour l'éducation des enfants ?

Mme Catherine PICARD : Notre propos n'est pas de savoir si telle personne appartient ou non à telle communauté, petite ou grande, ni de savoir à quelles croyances elle adhère. Le problème n'est pas l'appartenance à une communauté. Le problème est de savoir si une communauté est décidée à respecter ou non le droit.

Par exemple, on peut lire sous la plume de Raël ceci : « L'éducation sexuelle est très importante [...] mais elle n'apprend que le fonctionnement technique des organes et leur utilité, tandis que l'éducation sensuelle doit apprendre comment l'on peut avoir du plaisir par ses organes, en ne recherchant que le plaisir [...]. Ne rien dire à ses enfants au sujet du sexe, c'est mal, leur expliquer à quoi ça sert, c'est mieux, mais ce n'est pas encore suffisant : il faut leur expliquer comment ils peuvent s'en servir pour en retirer du plaisir. » Et plus loin : « Tu apprendras à tes enfants à aimer leur corps comme on doit aimer chaque partie de la création des Elohim, car en aimant leur création c'est également eux que l'on aime. Chacun de nos organes a été créé par nos pères les Elohim pour que nous nous en servions sans avoir la moindre honte mais en étant heureux de faire fonctionner ce qui a été fait pour fonctionner. »

Combien de procès de viols ou d'inceste ont impliqué des Raéliens ? Le problème n'est pas de savoir ce qu'ils pensent. Le problème est que de tels discours autorisent de fait des pratiques condamnables.

Pour prendre un autre exemple, voici ce qu'affirme Sri Mataji, la « Mère » du groupe Sahaja Yoga : « N'importe qui peut faire un enfant - même un chien peut faire un enfant [...]. Aussi créer un enfant n'est pas une chose extraordinaire... ce que vous avez à faire, c'est de constater que vous avez un enfant, vous en avez juste la charge, comme vous avez la charge de « tous » les enfants de Sahaja yogi, pas seulement les vôtres [...] Dire mes enfants ne vous aidera en rien, au contraire. Cela va vous enchaîner « totalement » [...] D'abord, vous avez renoncé à votre famille, renoncé à vos enfants, renoncé à tout, vous êtes parvenu à cette extrémité ; maintenant vous y retournez. [...] Nous, ce que nous comprenons, c'est que nos relations et nos identifications doivent être complètement abandonnées. » Et plus loin : « Pour les cinq premières années, tous les parents doivent êtres extrêmement stricts avec les enfants. [...] Si l'enfant essaie de prendre des libertés avec vous et s'il est effronté et n'écoute pas, veuillez donner cet enfant à quelque autre sahaja yogi. » « Donnez alors l'enfant à une autre, une autre femme s'occupe alors de l'enfant, l'enfant devient alors la propriété de tout le monde, non votre propriété. ».Comme si la conception d'un enfant pouvait être liée à la notion de propriété ! Et elle poursuit : «Vous devez juste accomplir vôtre tâche comme si vous étiez dépositaire de l'enfant, et seulement dépositaire. Mais vous ne devez pas vous attacher à lui : c'est mon travail, vous devez me le laisser. [...] Ces enfants sont les miens, pas les vôtres. »

De tels discours conduisent à des phénomènes de maltraitance, mais aussi au fait que des enfants sont envoyés dans des pays étrangers, parfois lointains, pour être confiés à des gourous.

M. Christian VANNESTE : Votre réponse est parfaitement claire : il est possible, notamment en consultant leurs textes de référence, d'identifier les groupes qui sont objectivement nuisibles.

Mme Catherine PICARD : Pendant très longtemps, on s'en est tenu à une ligne consistant à dire que les doctrines des groupes ne nous regardent pas à partir du moment où elles ne sont directement attentatoires à l'ordre public et aux lois de la République. Mais force est de constater que, pour étayer les dossiers, il a bien fallu aller à la source des mouvements sectaires.

M. le Président : Nous vous remercions, madame Picard, de votre contribution aux travaux de la commission, ainsi que des documents que vous nous avez remis, et qui nous aideront à approfondir notre réflexion.

Audition de M. Lionel GAUGAIN, président du centre d'information
et de prévention sur les psychothérapies abusives et déviantes (CIPPAD)



(Procès-verbal de la séance du 26 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons à présent M. Lionel Gaugain, président du CIPPAD, le centre d'information et de prévention sur les psychothérapies abusives et déviantes.

Monsieur Gaugain, en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Lionel Gaugain prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Monsieur Gaugain, la commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole.

M. Lionel GAUGAIN : Mon expérience a commencé par deux accidents de la vie, à deux mois d'intervalle. Le premier fut la perte d'un bébé. Mon ex-femme, atteinte d'une toxémie gravidique au cinquième mois de grossesse, n'avait pas voulu se soigner. Deux mois après, à la veille de Noël, nous avons un grave accident de la route. Un automobiliste nous percute de face. Il perd la vie. Quant à nous, nous nous en sortons miraculeusement, avec de multiples fractures. Nous avons souffert de douleurs permanentes pendant près de deux ans.

Nous nous sommes adressés à une ostéopathe. C'est la première fois que nous sortions du champ médical classique. Cette ostéopathe nous a conseillé de consulter une sophrologue. Nous nous sommes dit : « Pourquoi pas ? » Cette sophrologue avait le titre de psychothérapeute, qui nous a rassurés à l'époque. Nous ne savions pas que n'importe qui pouvait se dire psychothérapeute. Sa plaque indiquait qu'elle pratiquait également le rebirth.

Au terme de notre premier entretien, cette sophrologue nous dit que si nous avons des problèmes de sommeil, il faudrait vérifier s'il n'y a pas « quelque chose dans votre maison ». Elle dit connaître un géobiologiste, lui téléphone devant nous et prend un rendez-vous. Avant que nous sortions de son cabinet, elle nous dit : « Tout ce qui vous est arrivé n'est pas le fait du hasard. Cela a été provoqué. » Après coup, on peut en rire. Mais quand on a vécu deux traumatismes successifs à deux mois d'intervalle, on peut en effet se poser des questions.

Le géobiologiste arrive chez nous muni d'un appareil que je ne connaissais pas, qui était une copie grossière d'un électromètre. Cet appareil était censé lui permettre d'analyser des troubles psychologiques.

M. le Président : L'appareil que vous nous montrez là est très semblable à l'électromètre utilisé par l'Église de Scientologie. On le trouve dans le commerce à 400 euros. Les organisations sectaires le vendent 5 000 euros.

M. Lionel GAUGAIN : Cet appareil était censé mesurer notre stress. Le géobiologiste avait un autre appareil, que voici. Il s'agit d'une antenne qui peut être dirigée à partir de légers mouvements du poignet. Elle est censée repérer des « ondes ».

Notre niveau de stress était tel qu'il rendait « nécessaire » un nouveau rendez-vous auprès de la sophrologue.

Nous y sommes allés chacun à notre tour. Les séances étaient très perturbantes. J'étais, pour ma part, invité à inspirer et expirer intensivement pendant une heure. À la fin de la première séance, mon bras gauche et ma jambe gauche étaient engourdis. Après trois autres séances, j'ai arrêté. Mon ex-femme, par contre, a poursuivi les séances, qu'elle a interrompues au moment de sa grossesse, avant de les reprendre peu avant l'accouchement. Elles se sont ensuite prolongées pendant un an et demi.

Avant l'accouchement, la psychothérapeute avait un programme d'éducation prénatale. Il s'agissait de « souder » l'enfant à sa mère. J'ai trouvé cela étrange.

Notre couple a ensuite connu des difficultés, les conflits étant en quelque sorte arbitrés par la psychothérapeute.

Mon ex-femme a suivi des séances de rebirth. Elle était censée redécouvrir la vie qui était la sienne lorsqu'elle était dans le ventre de sa mère. Au terme d'une séance de respiration intensive, le cerveau est en état de suroxygénation. Se produisent alors des effets de transe, qui peuvent aller de l'engourdissement des membres jusqu'à des hallucinations, visuelles et auditives. Ces effets sont décrits par Jean-Marie Abgrall dans La Mécanique des sectes, ainsi que dans les travaux de Léon Chertok.

Le psychothérapeute déviant s'adressera plus particulièrement aux personnes susceptibles d'entrer dans des états de transe extrêmes, et de subir ainsi des hallucinations, qu'il va ensuite se charger d'« interpréter ». Si la personne est recroquevillée et en pleurs, on lui dira qu'elle vient de naître.

Un soir, ma femme rentre à la maison et, après une longue période de silence, me dit : « Tu sais, Lionel, j'ai vu Jésus chez la psychothérapeute. » Celle-ci lui avait demandé de lui amener une image. Mon ex-femme lui avait amené une carte postale reproduisant Le Christ jaune de Gauguin. Pendant cette séance, elle a regardé cette image, après quoi elle a vu Jésus.

On en est arrivé au divorce. Mon fils avait un an. Mes avocats étaient pessimistes. D'après eux, l'enfant serait confié à sa mère, ce qui me semblait d'autant plus inconcevable que mon ex-femme partait à 300 kilomètres.

Je ne voulais pas qu'il soit intégré dans ses programmes d'éducation, j'avais des craintes pour sa santé.

Puisque je manquais de témoignages, j'ai pris le risque d'engager un détective privé, qui s'est fait passer auprès de la psychothérapeute pour un patient déprimé. Lors de la première consultation, celle-ci lui a expliqué que ce qui lui était arrivé était provoqué. Il a été immédiatement envoyé à l'étage, où exerçait le même géobiologiste que celui que nous avions vu. À l'étage se trouvait un atelier où se tenaient des séances vaudous, des séances de désenvoûtement. Le géobiologiste lui a recommandé la DHEA, qui était à l'époque interdite. Il connaissait des pharmaciens capables de lui en fournir sous le manteau.

Tout cela m'angoissait.

Dans le cadre du divorce, il y a eu une enquête sociale et une expertise psychiatrique. L'enquête sociale m'était très favorable, même si elle affirmait dans ses conclusions qu'il serait regrettable qu'un enfant d'un an soit séparé de sa mère. Avec l'expertise psychiatrique, je suis tombé des nues. Je me suis demandé dans quel pays j'étais. L'expert psychiatre m'a reçu sur un ton très agressif. Il m'a littéralement massacré pendant une heure, allant jusqu'à ricaner de mes fractures. Aucune question n'a porté sur les séances avec la psychothérapeute. Dans son rapport, il écrit, en parlant de mon ex-femme : « Selon ses dires, la psychothérapie lui a permis de mieux se repérer dans la connaissance de soi-même, et la sophrologie lui a permis l'apprentissage d'une technique de relaxation, même si elle évoque avec réserve tous les discours idéologiques dont s'entourait cette prise en charge. »

Pour ma part, j'ai été qualifié de psychorigide, de très interprétatif. J'avais des traits paranoïaques.

J'ai demandé une contre-expertise, qui m'a été refusée. J'ai fait appel. Lors de l'appel, mon ex-femme produit la définition de la paranoïa établie par un docteur bien connu de la MIVILUDES. L'argument de la paranoïa est l'argument préféré de ceux qui soutiennent les sectes. Je signale à la cour d'appel que ce médecin était déviant. Elle n'en a pas tenu compte.

Un an après, mon fils montre les premiers symptômes de l'asthme. Deux ans après, âgé de quatre ans, il avait 62 % de capacité respiratoire. J'avais des droits de visite un week-end sur deux. J'ai pu l'emmener chez un allergologue. J'indique à sa mère les traitements prescrits. Elle ne les applique pas. Elle ne soigne que ses crises aiguës, avec des traitements de cortisone.

M. le Président : Pardonnez-moi, monsieur Gaugain, mais nous n'allons pas refaire ici l'histoire de votre divorce. Je vous demande de rester dans le sujet, à savoir les dangers des thérapies abusives et déviantes et le rôle de votre association.

M. Lionel GAUGAIN : Je voudrais simplement évoquer la santé actuelle de mon fils. On lui fait subir des tortures psychologiques. Il vient passer des vacances à 80 mètres de chez moi sans qu'il lui soit possible de venir me voir. Il fait 300 km pour cela. Il m'appelle au téléphone parce qu'il est malheureux. On me dit qu'il fait des dessins de son père et de son demi-frère. Il a demandé des photos de nous, qu'il regarde le soir en pleurant.

Il manifeste ses angoisses par des crises de boulimie. Il en est maintenant au degré 2 de l'obésité. Sa courbe de poids est très inquiétante. Il a pris cinq kilos en sept mois.

Je n'avais pas d'autre moyen que de créer une association pour informer.

M. le Président : Avez-vous déposé une plainte contre les thérapeutes en question ?

M. Lionel GAUGAIN : Il y a eu un signalement par le biais du CCMM local, qui n'a pas abouti. L'enquête a été mal menée. On ne fait pas venir des psychothérapeutes au commissariat de police pour leur demander s'ils font partie d'une secte.

J'ai effectué un certain nombre de recherches à partir de témoignages reçus au CIPPAD sur les thérapies déviantes, mais aussi sur les formations des travailleurs sociaux, experts psychiatres, psychologues, et magistrats.

S'agissant des psychothérapeutes, les mécanismes qui les conduisent à des dérives sont en partie d'ordre économique. Nous avons également recensé des nouveaux groupes appartenant à la mouvance du New Age, qui proposent de nouvelles techniques thérapeutiques.

S'agissant de la formation des experts, j'ai été étonné de découvrir qu'un expert d'Outreau a travaillé sur un fascicule intitulé Comment recueillir la parole des enfants. Cet expert a travaillé avec le fondateur de l'une des 172 sectes recensées par un rapport parlementaire. On a vu, à Outreau, ce qu'a été le recueil de la parole des enfants.

J'ai vu aussi qu'un expert psychiatre faisait les louanges de la Scientologie.

J'ai été surpris de voir un autre expert psychiatre se produire aux côtés d'une association déviante qui dit lutter contre l'inceste, une association qui a à sa tête une psychothérapeute autoproclamée, adepte du rebirth. Lors des colloques de cette association, on trouve un catalogue ésotérique où figurent des livres de la Fraternité Blanche Universelle. Cette association qui, dans ses statuts, prétend n'avoir aucun lien avec des organismes sectaires, propose des alternatives judiciaires, sociales, psychologiques et médicales pour tout ce qui concerne de près ou de loin l'inceste. Cette association forme des personnes relais dans toute la France, qui doivent aller chercher des financements auprès des conseils généraux et régionaux. Elles doivent approcher les médecins, psychologues ou psychiatres.

Comment recueillent-ils la parole des enfants ? Je vous ai amené un petit dessin : une maison devant laquelle deux personnes, un adulte et un enfant sourient. Il y a une antenne en haut, un poste de télévision en bas, un soleil sur le côté. Voici le commentaire de l'association : « Apparition de frontières et de limites dans la vie de l'enfant entre les grandes personnes et les petites personnes. » Un autre dessin montre des poissons, ce qui est commenté ainsi : « L'intrusion sexuelle est exprimée par la double tête phallique des poissons. » Autrement dit, on surinterprète les dessins d'enfants pour leur faire dire qu'il y a probablement eu abus sexuel.

Certains intervenants, dans des associations de ce genre, sont des personnes honnêtes qui se font piéger. D'autres soulèvent des doutes. Je pense à ce chirurgien québécois qui, lui aussi, pratique le rebirth. Il prétend que 50 % des personnes qui ont un problème colorectal ont probablement été victimes d'abus sexuels dans leur enfance. Il est à la fois chirurgien et psychothérapeute, pratique la psychogénéalogie, et évoque dans ses livres un « syndrome d'anniversaire » : il y a des coïncidences de dates qui ne sont pas le fait du hasard. On trouve également un peu de numérologie, un peu de karma, un peu de tout...

Un autre intervenant est professeur de psychologie. On trouve sur son site Internet un texte sur les enfants indigo. Il ne critique pas ce phénomène. Il parle au contraire d'enfants « d'une nouvelle génération ».

Une autre intervenante s'adresse à un auditoire en lui disant qu'elle est persuadée que beaucoup, dans l'assistance, ont été sexuellement abusés.

Cette association a tendance à vouloir augmenter les chiffres de l'inceste, ce qui permet d'obtenir des subventions.

Comment une psychothérapeute autoproclamée peut-elle, en deux ans, se retrouver dans un groupe de travail constitué à la Chancellerie sur les problèmes relatifs à l'inceste ?

M. le Président : Comment s'appelle cette association ?

M. Lionel GAUGAIN : Je préfère être prudent. Je vous remettrai un dossier.

Avant de conclure, je voudrais donner quelques chiffres. Notre association a tenté de recenser les psychothérapeutes autoproclamés dans le département de Maine-et-Loire. Ce n'est pas chose facile, dans la mesure où, si certains sont dans les pages jaunes et ont un numéro de SIRET, il en est d'autres dont on ne connaît ni l'adresse ni le nom. Sur 220, il y en a 107 dont on a les plaquettes mais dont on ne trouve pas l'activité. Parmi ceux qui exercent officiellement, nous en avions recensé 20 en 1995, puis 50 en 2000 et 90 en 2005. Comment peut-on expliquer que le nombre de psychothérapeutes soit multiplié par deux tous les cinq ans ? Leur activité n'est pas très lucrative si l'on s'arrête aux consultations. Elle commence à devenir intéressante à partir du moment où ils participent à des stages, de développement personnel ou de formation professionnelle. J'ai le cas d'une psychothérapeute qui gagnait 4 200 euros dans l'année en consultation, et 17 500 euros au titre d'un contrat de formation pour des personnels d'une maison de retraite.

M. le Président : Comment avez-vous ces informations ?

M. Lionel GAUGAIN : Une psychothérapeute me reproche de lui avoir fait perdre son contrat de formation. Elle m'a communiqué ces chiffres. Une procédure est en cours. Ces 17 500 euros sont devenus 26 300 euros l'année suivante, contre 2 300 euros de consultations.

Je me suis rendu compte que les psychothérapeutes ne travaillent pas forcément à temps plein. Ils ont d'autres revenus. Ils peuvent être architectes, maraîchers, enseignants. Un enseignant, par exemple, organise des stages de respiration holotropique le week-end. La respiration holotropique a des contre-indications. Il ne faut pas être cardiaque, il ne faut pas avoir de glaucome, il ne faut pas avoir d'hypertension, il ne faut pas avoir de troubles psychiatriques, il ne faut pas être enceinte. Cet enseignant fait signer une décharge aux participants. Le stage se fait sans contrôle médical.

Un ancien avocat reconverti dans la psychothérapie propose des stages intitulés « Comment rompre avec son environnement ».

M. le Président : Votre association est-elle présente sur tout le territoire national ?

M. Lionel GAUGAIN : Elle est essentiellement présente dans deux départements, Finistère et Maine-et-Loire. Nous travaillons en réseau avec d'autres associations, de sorte que nous pouvons collecter des informations et des témoignages sur l'ensemble du territoire national.

M. le Président : Avez-vous des documents à nous remettre ?

M. Lionel GAUGAIN : Oui. Ils sont surtout consacrés aux mécanismes déviants, et mettent également en évidence des infiltrations. Tant que des travailleurs sociaux, des psychologues, des psychiatres sont formés par des psychothérapeutes autoproclamés, sans qualification, qui orientent systématiquement les enfants vers les mères et massacrent les pères, il est évident que nous ne gagneront pas le combat.

Je voudrais enfin, très rapidement, vous soumettre des propositions. S'agissant des expertises psychiatriques, comment se fait-il qu'une personne puisse, sans témoin, être « massacrée » par un expert psychiatre ? Il n'y a pas de contradictoire.

M. le Président : L'une des propositions de la commission d'enquête Outreau était de prévoir qu'une contre-expertise psychiatrique soit de droit lorsqu'elle est demandée.

M. Lionel GAUGAIN : Il faudrait le faire non seulement au pénal, mais aussi au civil.

Il y a aussi le problème des enquêtes sociales. Ceux qui témoignent le font sous anonymat, de sorte que l'adepte d'une secte peut demander à ses amis de témoigner en sa faveur, ou de fustiger telle ou telle personne.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur Gaugain, pour votre témoignage, qui éclaire ce à quoi chacun de nous peut être exposé à un moment de sa vie.

Audition de M. Roger GONNET,
ex-responsable de la Scientologie



(Procès-verbal de la séance du 27 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Merci, monsieur Gonnet, d'avoir répondu à notre convocation.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

M. Roger Gonnet prête serment.

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Monsieur Gonnet, votre audition revêt pour nous un caractère particulier. Vous étiez un des responsables de l'Église de Scientologie, son président pour toute la région lyonnaise. Vous avez donc une connaissance particulière et un certain recul. Pouvez-vous commencer par nous indiquer votre parcours personnel ?

M. Roger GONNET : J'ai passé une huitaine d'années en Scientologie. J'ai fondé son organisation lyonnaise qui tenait pratiquement la moitié Sud de la France à l'époque, de Forbach jusqu'à Pau. J'en suis parti en me rendant compte que la Scientologie cachait certaines choses, qu'elle ne fournissait pas les résultats promis, que certaines de ses doctrines étaient tellement aberrantes qu'elles étaient inapplicables et dangereuses.

M. le Président : Aujourd'hui, que faites-vous ?

M. Roger GONNET : J'ai arrêté mon métier d'artisan à cause de problèmes de dos. J'ai écrit un livre sur la Scientologie. Depuis 1996, j'ai découvert Internet et je me suis mis en réseau avec de nombreux critiques de la Scientologie, qui ont mis en commun une base de données démontrant les crimes et délits commis par L. Ron Hubbard, notamment en France, ou par d'autres membres de la secte. Aucun scientologue un peu avancé ne peut ignorer qu'il y a des choses qui ne sont pas correctes dans le mouvement.

M. le Président : On peut vous considérer comme l'un des meilleurs experts en France sur la Scientologie.

M. Roger GONNET : Probablement. J'ai sûrement une des bases de données les plus complètes qui existent sur la question, avec de nombreux documents originaux.

M. le Président : Je vous laisse la parole pour un exposé introductif.

M. Roger GONNET : Il est extrêmement important qu'il y ait des commissions comme celles-ci. À chaque fois que la Scientologie ou toute autre secte est mise sur le devant de la scène, cela a un effet sur elle. On s'aperçoit ainsi d'affirmations frauduleuses, de quasi-mises en esclavage de certains individus. J'en suis moi-même arrivé à travailler 400 heures par mois en ne prenant pratiquement jamais de congé.

Des commissions comme la vôtre, des missions gouvernementales comme la MIVILUDES existent dans d'autres pays. Parmi les documents que je vous ai apportés, vous trouverez des éléments sur la commission de l'État de Victoria, en 1965. Elles servent de garde-fou face à des mouvements criminogènes - Ron Hubbard recommande de soudoyer la police, de mettre de l'argent sur des comptes secrets, etc. Elles permettent, sinon d'arrêter l'essentiel des délits commis par le mouvement, du moins d'y mettre un frein.

Dès qu'on s'intéresse au sujet, la Scientologie intervient pour dire que c'est tout à fait inutile. C'est une preuve de l'utilité de ces commissions. Elle s'en prend à la vie privée des individus. Elle tente d'enquêter sur eux, éventuellement pour les poursuivre en justice, afin de les empêcher de donner leur avis sur un sujet, fût-il religieux ou non.

Dernièrement, la chaîne de l'Assemblée nationale (LCP) a signalé une tentative de banalisation de sa présence par la Scientologie. Elle va vers les très jeunes, en leur offrant des fleurs dans la rue, ou son code moral. En même temps, elle a des gardes armés, des gens entraînés à tuer, et des cadavres jonchent son existence.

M. le Président : Dites-nous de façon très synthétique ce qu'est la Scientologie.

M. Roger GONNET : C'est un mouvement qui cherche avant tout à acquérir le pouvoir, c'est-à-dire l'argent. Le document que je vous distribue- document confidentiel, qui a déjà été présenté à la justice américaine - illustre assez bien ce qu'est la Scientologie. Sous prétexte de philosophie ou de religion, elle cherche à dominer la planète, notamment en prenant le pouvoir politique.

M. le Président : De quelle manière ?

M. Roger GONNET : En infiltrant la société de partout. Elle avait réussi à pénétrer l'Élysée il y a quelques années. De temps en temps, elle prend rendez-vous avec des députés et des sénateurs, souvent sous un faux nez tel que Narconon ou Criminon. Je vous ai apporté d'ailleurs une étude sur cette question.

M. le Président : Y a-t-il des écoles ?

M. Roger GONNET : Oui. Mais je ne sais pas s'il y en a qui sont actives en France. Les scientologues arrivent difficilement à créer des écoles parce qu'ils n'ont pas de bons professeurs et qu'elles coûtent cher. Ils ont une autre tactique pour aborder les jeunes et les parents : le rattrapage scolaire. Ils sont capables de bien dire qu'il faut avoir recours au dictionnaire... Cela leur permet de vendre le reste de leur système.

M. le Président : L'École de l'éveil, par exemple ?

M. Roger GONNET : Par exemple.

M. le Président : Cette école est-elle agréée ?

M. Roger GONNET : Pas que je sache. Mais je n'ai aucune nouvelle récente de cette école.

M. le Président : Et la Junior's School, dans le huitième arrondissement de Lyon ?

M. Roger GONNET : Je l'ai entendu dire, mais je n'ai pas de moyens d'enquête. On m'a parlé d'une certaine Mme Picasso, scientologue, qui dirigerait ou influencerait ce lieu.

M. le Président : Des crèches ?

M. Roger GONNET : Je ne sais pas. Si je me suis beaucoup intéressé à la Scientologie au cours de ces dernières années, c'est parce que certaines personnes prennent contact avec moi et que je les aide à en sortir en leur expliquant ce qu'elles ne savent pas à son propos - par exemple la présidente du Cap LC, un de ses faux nez.

M. le Président : Selon le document de la MIVILUDES, les enfants scientologues seraient soumis comme leurs parents à des auditions...

M. Roger GONNET : Oui.

M. le Président : ...notamment à un questionnaire intitulé Security check children. Les questions sont du style : « Qu'est-ce que quelqu'un t'a dit de ne pas dire ? As-tu refusé d'obéir à un ordre provenant de quelqu'un à qui tu aurais dû obéir ? As-tu un secret ? As-tu fait quelque chose dont tu as très honte ? Y a-t-il quelque chose que tu devrais raconter à tes parents et que tu n'as jamais raconté ? » On fait ainsi pression sur les enfants pour contrôler leurs parents.

M. Roger GONNET : La Scientologie questionne tous ses adeptes au bout d'un certain temps. Elle leur fait faire des Security checks, des vérifications de sécurité ou des « confessionnaux » en éthique : il s'agit de confesser toutes ses « exactions » passées. Parfois, on en invente. Il m'est arrivé de répondre n'importe quoi ; j'étais tellement perturbé et culpabilisé que j'ai fini par croire que j'avais tué quelqu'un dans cette vie-ci. On en arrive à imaginer n'importe quoi.

Ce qui est valable pour les adultes l'est pour les enfants. J'ai visité une femme qui a deux filles qui ont aujourd'hui dix-huit et vingt-cinq ans. Toutes les deux ont en partie saboté leur existence à cause de la Scientologie. L'une a abandonné le cours Florent pour devenir membre du personnel et est « tombée » enceinte ; l'autre, qui est entrée à huit ans, fait des cauchemars depuis l'âge de quatorze ans en pensant qu'elle est attaquée par des esprits. C'est caractéristique de la Scientologie de croire que des esprits vous entourent, qui vous veulent du mal - thétans noirs, etc.

M. le Président : La MIVILUDES rapporte un témoignage selon lequel un enfant aurait passé dix ans, de six à seize ans, dans la Sea Org. Qu'est-ce que c'est ?

M. Roger GONNET : C'est l'organisation maritime, une organisation informelle, non déclarée, qui constitue le service de commandement central de la Scientologie. Elle est constituée de personnes très dévouées et qui obéissent à tout ordre, y compris monter la garde, s'entraîner à tuer. Elles peuvent être très jeunes. Nous avons un document dans lequel il est dit qu'à partir de six ans, il est possible de tenir un poste avec des statistiques et une production pour le compte de la Sea Org.

M. le Président : Où se trouve-t-elle ?

M. Roger GONNET : Partout, dans la mesure où c'est un mouvement informel. Le gouvernement mondial se trouve à Hemet, en Californie mais les gens sont envoyés en mission. Certains restent sur le bateau, le Free Winds. Ces gens sont destinés à commander les autres.

Certains enfants peuvent être en poste dès l'âge de six ans. Ils font un très grand nombre d'heures, en transportant des papiers. À partir d'un certain âge, ils sont susceptibles d'être envoyés dans le goulag de la Scientologie, le RPF : Redemption Project Force. Il y en a à Hemet, à Los Angeles, à Clear Water en Floride ; il y en a un au Danemark, en Angleterre et vraisemblablement en Australie.

M. Jacques REMILLER : Qu'y fait-on ?

M. Roger GONNET : Cinq heures de bourrage de crâne quotidien, plus dix heures de travail. On court sans arrêt. On n'a pas le droit à la radio, à la télévision, aux journaux. Dans la plupart des cas, les gens ne peuvent plus voir leurs enfants, leur femme ou leur mari, etc. Ils ne peuvent pas sortir tant que ce n'est pas fini ; cela peut durer des années.

M. le Président : L'enfant dont je parlais avait été prise dans la Cadet Org ; après l'école elle était surveillée par un groupe d'enfants, elle ne voyait ses parents qu'une fois par semaine, elle ne voyait jamais ni médecin ni dentiste. Les conditions de vie n'étaient pas saines. « À sept ou huit ans, je devais offrir d'exécuter un travail manuel, comme nettoyer les toilettes, frotter les parquets ou faire la vaisselle. Je me souviens que ma mère était furieuse qu'ils fassent nettoyer les toilettes par les enfants. »

Connaissez-vous ce genre de choses ?

M. Roger GONNET : Cela correspond tout à fait aux propos de ceux qui sont passés au goulag ou dans la Sea Org. Mais même dans des organisations « normales » il peut y avoir des enfants. J'ai connu en 1975 une gamine de douze ans, membre du staff de Paris, où elle travaillait pratiquement à temps complet en plus de son travail d'écolière. Quand j'étais patron de la Scientologie à Lyon, mes propres enfants avaient « décidé » de venir travailler les samedis, dimanches et mercredis et pendant les vacances pour ne quasiment rien gagner. Mes deux fils ont abandonné leurs études alors qu'ils étaient doués ; ils se sont retrouvés à quinze ou dix-sept ans à travailler 300 heures par mois dans le staff, avec un jour de congé par semaine.

M. le Président : Pendant la révolte des banlieues, en novembre 2005, il semblerait que l'Église de Scientologie ait mené une action vis-à-vis des mineurs en état de rébellion. En avez-vous eu connaissance ?

M. Roger GONNET : Tout à fait. L'idée est de distribuer un maximum de documents dans lesquels on vante les produits de L. Ron Hubbard, en particulier son code moral, Le Chemin du bonheur. Ce code est vendu aux adeptes, qui vont ensuite les redistribuer. L'Église fait au passage un gros bénéfice.

M. Jacques MYARD : J'ai eu l'occasion de feuilleter le livre de L. Ron Hubbard : c'est du Café du commerce de bas étage ! Je n'arrive pas à comprendre quel est le corpus de cette prétendue « religion ». Pourriez-vous, en quelques mots, en synthétiser le message ?

M. Roger GONNET : Il est tout à fait impossible de résumer ce message multiple, ces quelque 30 ou 40 millions de mots écrits par L. Ron Hubbard.

M. le Président : La question de M. Myard est simple : quelle est l'explication originelle qu'offre la Scientologie ? Qu'est-ce que la guerre galactique ? Vous pouvez le dire en deux mots ?

M. Roger GONNET : Cela fait partie des secrets de la Scientologie et peu de gens les connaissent.

D'abord, vous êtes capables d'accéder à vos images des vies antérieures pour pouvoir en enlever les forces négatives. Les dévoiler à un tiers permettrait de les effacer. Mais en fait on n'efface jamais rien. En revanche, on imagine des faux souvenirs très dangereux...

M. le Président : Mais quelle est l'explication originelle du monde par la Scientologie ?

M. Roger GONNET : Il faudrait remonter au début, et c'est très compliqué. L'idée générale est que des thétans, des êtres spirituels auraient créé le monde, la matière, l'énergie, l'espace et le temps.

Ensuite, vous avez le niveau secret OT 3, ce dont vous vouliez sans doute parler. Mais comme personne n'en entend parler en Scientologie, il n'est que d'un intérêt secondaire pour les simples adeptes ; seuls les gens qui sont montés à mon niveau ou un peu en dessous ont accès à ces absurdités : des gens auraient été envoyés sur terre il y a 75 millions d'années et ils auraient été influencés au point qu'on leur aurait mis en tête tout l'avenir du monde. Pour la Scientologie, nous sommes influencés par des images de vies antérieures. Ensuite on tombe dans la folie galactique et la science-fiction. Bien entendu, cela a une très mauvaise influence sur les enfants.

M. Alain GEST : Je ne suis pas certain que vous ayez répondu à la question. Ce n'est pas ce que vous avez dit qui détermine l'entrée d'un adepte dans la Scientologie. Lorsqu'on lit certains documents de mouvements à caractère sectaire, on a d'ailleurs souvent beaucoup de mal à le comprendre et à croire à ce qui a été raconté. Qu'est-ce qui peut donc justifier l'entrée de quelqu'un en Scientologie ?

M. Roger GONNET : 90 % des personnes sont amenées par des adeptes, et elles passent assez rapidement un test, le test OCA - Oxford Capacity Analysis. Celui-ci est fabriqué de façon à faire apparaître dans tous les cas des défauts chez les personnes testées. Ces défauts sont amplifiés par l'évaluateur. On peut même faire croire à l'intéressé qu'il risque sa vie. C'est très dangereux, davantage encore pour les enfants, qui sont plus influençables que les adultes.

M. Serge BLISKO : Avec les campagnes des commissions parlementaires, les rapports de la mission interministérielle, les émissions de télévision, les articles des journaux, les reportages accablants, les condamnations, les livres et les conférences de ceux qui s'en sont sortis, pourquoi est-ce que cela marche encore ? Y a-t-il aujourd'hui une extension ou une crise de la Scientologie ?

M. Roger GONNET : Il y a toujours eu des hauts et des bas. On ne dispose pas des vrais chiffres. Ils se disent 10 000 scientologues en France. Je dirais plutôt 2 000 ou 3 000.

Comment se fait-il qu'ils existent encore ? Ils possèdent une méthode qu'on peut résumer ainsi : continuer à mentir dans tous les cas, mentir davantage pour cacher les mensonges antérieurs, mentir devant les commissions, mentir devant la justice. Les gens qui ont été entendus en tant que témoins en 2001 ont menti, et je sais en quoi ils mentaient. On exige d'eux qu'ils mentent et qu'ils racontent ce qui peut faire du bien à la Scientologie et surtout ce qui ne va pas lui faire de tort. Dans le procès de Toulon, l'expert Jean-Marie Abgrall avait eu du courrier volé. Un des voleurs de courrier, Rémi Petit, s'est suicidé peu avant de passer en appel.

M. le Président : On n'a pas vraiment de réponse.

Mme Martine DAVID. J'en vois quelques éléments.

Serge Blisko parle des commissions d'enquête, des rapports et de la MIVILUDES. Nous sommes très au fait du sujet. Mais je ne suis pas sûre que nos collègues de l'Assemblée soient très au courant, eux, de ce dont nous discutons depuis quinze ans. Mettons-nous à la place du concitoyen lambda ; je pense que son niveau d'information est très faible.

Ce niveau est très faible en France, où nous avons pourtant travaillé. Dans les autres pays européens, à part la Belgique, ce niveau est encore plus faible. C'est le cas en Allemagne, qui est un grand terrain d'action pour les mouvements sectaires. Par ailleurs, les États-Unis ne nous aident pas ; chez eux, certains grands mouvements sectaires comme la Scientologie ont pignon sur rue.

Nous avons donc encore beaucoup de travail devant nous pour informer et faire avancer la législation quand c'est nécessaire.

Nous savons aussi que notre société génère toute une série de nouvelles fragilités. Tout le démontre, y compris les témoignages des victimes. À un moment donné de sa vie, quelqu'un de fragile peut être à l'écoute d'éventuels amis, partenaires, parents...

Enfin, nous avons pris beaucoup de retard s'agissant de la formation de certaines professions : enseignants, magistrats, médecins, notaires. Depuis longtemps, ces derniers auraient pu nous aider et aider les victimes.

Je suis à peu près persuadée de la justesse de cette analyse.

M. Roger GONNET : Pour entrer dans une secte, il vous faut rencontrer la mauvaise personne au mauvais moment, qui vous tient le mauvais discours. Pour en sortir, il vous faut rencontrer la bonne personne au bon moment, qui vous tient le bon discours.

Les gens des sectes ont une réactivité extraordinaire ; ils savent utiliser tous les trous dans toutes les lois du monde. Ils ont mis certains arguments au point pour éviter qu'on discute de leurs méthodes. L'argument principal est de se faire passer pour une religion.

Le gouvernement de l'État de Victoria, dès 1965, se demandait comment des gens semblant intelligents pouvaient adhérer à un système aussi effarant. La Scientologie, en disant qu'il s'agit de croyances religieuses, empêche les États de discuter de ses théories. Or il ne faut pas avoir peur d'en discuter.

Mme Martine AURILLAC : Pensez-vous qu'il y ait une stabilisation ou au contraire une amplification du mouvement ?

D'autre part, vous avez évoqué les heures de travail, les enfants qui travaillaient sans arrêt. En quoi consistait ce travail ?

M. Roger GONNET : Dans les pays développés, en particulier ceux où on lit assez facilement le français ou l'anglais, des documents dévoilent les secrets de la Scientologie et ses crimes. À certains moments, elle se casse la figure.

Depuis mai 2005, Tom Cruise est devenu notre meilleur allié, tellement il a dit de sottises devant les télévisions ou dans les journaux américains. Des émissions comme South Park ont fait le plus grand tort à la Scientologie. C'est pourquoi il est très bien de continuer à en parler.

En quoi consiste le travail ? Principalement à suivre les fonctions d'un poste, qu'il s'agisse d'un poste de gardiens qui se déplacent à vélo, munis d'une caméra, autour des organisations de Scientologie, pour voir ce que font les gens ; d'auditeurs, qui aident les gens à découvrir les incidents du passé ; de personnes qui donnent des cours. D'autres, très nombreux, s'occupent des services secrets de la Scientologie et des faux nez comme Criminon, Narconon, etc.

M. le Président : Pouvez-vous préciser ?

M. Roger GONNET : La Scientologie possède plusieurs mouvements, prétendument de coordination sociale, qui sont destinés à apporter de l'eau au moulin et à présenter L. Ron Hubbard comme un homme remarquable.

Il y a le CCDH, le Comité des citoyens pour les droits de l'homme, qui attaque la psychiatrie et la médecine. Il y a Narconon, qui sert à récolter des fonds ; il demande aux États-Unis 15 000 dollars par personne pour un processus de désintoxication toxicomanique assez mal fait et dangereux, qui ne prend que deux ou trois mois et dont le taux de réussite n'est que de 10 %.

Un des mouvements les plus dangereux pour la jeunesse s'appelle Applied Scholastics. Il est très efficace dans les pays étrangers. Il pénètre les milieux éducatifs, notamment en Afrique, et les aide à lutter contre l'illettrisme. Puis il vend « le reste » sans se présenter bien sûr comme issu de l'Église de Scientologie.

M. Alain GEST : Vous qui avez été responsable du développement de la Scientologie dans un secteur géographique donné, considérez-vous que ce qui a été pratiqué peut avoir eu des effets sinon positifs, du moins susceptibles de convaincre certains de rester dans le mouvement, adultes ou enfants ? On se demande en effet pourquoi, malgré tout ce qui a été fait, notamment en France, certaines personnes se font piéger et entrent dans un tel système, qui peut être coûteux pour eux.

Quels sont les risques qu'encourent les jeunes ? Vous avez parlé de déstabilisation, du fait qu'ils abandonnent leurs études ? Y en a-t-il d'autres ? Y a-t-il des déviances à caractère sexuel liées à la Scientologie ?

On peut comprendre que le goulag existe aux États-Unis quand on connaît l'intérêt que ce pays porte à la Scientologie. Mais au Danemark ? Je suppose que le code du travail danois n'est pas compatible avec les durées de travail que vous évoquez. Il ne s'y passe rien ?

M. Roger GONNET : Il ne se passe rien en France non plus. Les scientologues font signer des contrats selon lesquels les salariés sont obligés de faire tout ce qu'on leur demande ; en échange, ils ont droit à une allocation. Cette allocation varie suivant les semaines.

Dans l'organisation que vous avez eu à juger, monsieur Fenech, je pense qu'elle avait beaucoup d'argent dans ses comptes, mais que les employés ne touchaient à peu près rien.

M. Alain GEST : On a justement connu des problématiques de cette nature à propos de l'imprimerie des Témoins de Jéhovah. Savez-vous si des plaintes ont été déposées par d'anciens adeptes qui subissaient ce rythme de travail ?

M. Roger GONNET : Je ne sais pas combien de membres de Saint-Étienne ont porté plainte contre l'organisation, en 1983 ou 1984. Je ne sais pas non plus ce qu'il en est advenu. L'École du rythme a également été attaquée et a préféré, au dernier moment, payer les employés qui avaient reçu un salaire ridicule.

Comme dans tous les mouvements, dans tous les groupes, y compris la Mafia du crime, il y a des aspects charitables. Al Capone avait une soupe populaire, ce qui ne fait pas de lui un bienfaiteur de l'humanité. De la même façon, les barons de la drogue, en Amérique du Sud, entretiennent une armée de gens bien payés qui, autrement, n'auraient rien pour vivre.

En Scientologie, certaines techniques sont utiles, en particulier celle qui rend les gens un peu moins timides. Elle est utilisée au tout début et ne coûte presque rien. De la même façon, une partie du cours de « communication » a des effets positifs et ne coûte pas cher. Les gens espèrent profiter de prestations équivalentes par la suite. Or quelqu'un me rappelait récemment qu'en l'espace de cinquante jours, il avait versé à la Scientologie 170 000 francs !

Quels sont les risques pour les jeunes ? Des risques pour la santé tout d'abord. Le fait de trop travailler n'est pas bon. Passer par la procédure de purification non plus : cela consiste en quatre heures et demie de sauna plus une demi-heure de course par jour, avec un surdosage de vitamines, et ce pendant des semaines. Le sauna est à environ 80 degrés, à hauteur de tête. Il s'agit notamment d'une vitamine qui peut s'avérer dangereuse, la niacine, qui est en fait de l'acide nicotinique, violent vasodilatateur. Cela peut toucher les enfants, mais pas en dessous d'une douzaine d'années.

M. Alain GEST : Mais on ne vit pas en communauté, en Scientologie. Quelle est donc l'influence directe qu'elle peut avoir sur les enfants ?

M. Roger GONNET : Les parents les y mettent. Ils vont payer la procédure de purification pour leurs enfants. D'où un danger pour leur santé.

Outre ce danger physique, l'excès de travail, on peut noter le manque de sommeil chez les adolescents déjà embauchés sur le staff à temps complet. Ils peuvent être soumis à des conditions de travail dangereuses : il y a deux ans, une jeune femme de vingt ans est morte dans un des transformateurs, électrocutée.

M. Philippe TOURTELIER : Vous nous avez parlé d'une fille qui était tombée enceinte. Est-on dans la permissivité, dans l'incitation ?

Quelle est l'attitude des parents lorsque leurs enfants vont dans la Sea Org ou dans le goulag ?

Enfin, vous avez parlé de gardes armés, de cadavres. Avez-vous reçu des menaces ? Devons-nous nous attendre, pour notre part, à en recevoir ?

Mme Martine DAVID : Oui.

M. Philippe TOURTELIER : Comment s'en protéger ? Vous pouvez publier un livre et parler. Jusqu'où va la menace ?

M. Roger GONNET : Personnellement, on m'a fait neuf procès. Je n'ai eu à payer qu'un euro de dommages-intérêts. En outre, à la suite d'une imprudence de ma part, j'ai eu à payer 300 euros de dommages-intérêts à un avocat américain de la Scientologie.

À l'heure actuelle, je ne pense pas qu'ils s'en prennent physiquement aux gens en France. Ils font plutôt profil bas. Ils essaient de faire du bruit, de faire passer leur aspect charitable.

M. le Président : Et la propagande noire ?

M. Roger GONNET : Ils font passer l'idée que M. Georges Fenech est quelqu'un d'extrême droite, par exemple. Ils laissent supposer que M. Roger Gonnet a puisé dans les caisses de l'association.

Permissivité, incitation dans le domaine sexuel ? Ce serait plutôt le contraire. On fait entrave à toute relation. Certains mineurs de la Sea Org se sont retrouvés au goulag parce qu'ils se tenaient la main ou s'étaient embrassés !

Les parents ne sont pas forcément au courant du fait que leurs enfants ont été envoyés au goulag ; on leur dit qu'ils ont été envoyés en mission. Ou alors ils sont membres de la Sea Org et sont au courant, et ils acceptent, car cela fait partie des règles sacro saintes de la Scientologie.

M. Jacques MYARD : Comment en êtes-vous sorti ? Quelles menaces avez-vous reçues ?

M. Roger GONNET : Peu à peu, je me suis rendu compte que cela ne « collait » pas du tout. J'étais tellement furieux que cela m'a valu de subir les systèmes de justice internes à la Scientologie. C'est une pseudo-justice : vous n'avez pas droit aux avocats, cela se passe uniquement la nuit ; on ne vous fournit pas les pièces du dossier mais on tient éventuellement compte de pièces anonymes.

J'ai été déclaré persona non grata, tout en restant convaincu que la Scientologie avait de bons côtés. Mais cela m'a amené à réfléchir. Ma femme m'avait remplacé en tant que directrice de l'organisation de Lyon. Ils sont venus lui chercher noise car on n'a pas non plus le droit d'être lié à quelqu'un qui aurait été déclaré « suppressif ». Ils voulaient me mettre la pression pour que je devienne un petit singe obéissant comme le deviennent la plupart des scientologues.

J'ai pris en compte ce qui s'était passé durant les huit années passées et ce que je considérais comme une injustice. Et une fois pour toutes, avec ma famille, j'ai pris la poudre d'escampette.

M. le Président : Indépendamment des procès qu'ils vous ont intentés en raison de vos publications, ils ne sont pas venus vous menacer ?

M. Roger GONNET : Non, ils ont essayé de nous faire revenir. Ils ont envoyé des gens des États-Unis parce qu'ils savaient que nous avions de la valeur en tant que scientologues. En même temps, l'individu qui dirigeait l'organisation de Saint-Étienne laissait entendre publiquement que j'étais un sale type, que j'avais commis des exactions, que j'étais homosexuel. Cela m'était égal, mais ma femme s'est fâchée et l'a menacé de le traîner en justice.

M. Serge BLISKO : Après la psychiatrie, la formation, on dit que la Scientologie a la volonté de passer par le canal du soutien scolaire. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

M. Roger GONNET : Ils ont en effet quelques organisations et quelques personnes, trois ou quatre, qui s'occupent de soutien scolaire. Un certain Bernard Dimanche dirige une de ces associations.

M. le Président : Dans quelle région ?

M. Roger GONNET : Dans la région parisienne.

M. le Président : Dans le Val d'Oise ?

M. Roger GONNET : Je crois que oui, mais je n'ai plus le village en tête.

M. le Président : Voulez-vous ajouter quelque chose ?

M. Roger GONNET : J'ai déjà ajouté beaucoup de choses dans les documents que je vous ai fait distribuer. Ils ont, en effet, été mis au point par des commissions dans divers pays. On y retrouve chaque fois les mêmes défauts de la Scientologie. Ses techniques de base n'ont pas changé, et elle non plus.

Je précise que la Scientologie coûte au minimum, par personne, 350 000 à 400 000 euros pour arriver au niveau le plus élevé qu'on puisse atteindre à l'heure actuelle, c'est-à-dire OT 8. Pour ma part, j'étais OT 7, le niveau OT 8 n'a été créé qu'après mon départ.

M. le Président : A OT 8, quelles sont vos performances ?

M. Roger GONNET : Nulles.

M. Serge BLISKO : Mais vous êtes ruiné.

Mme Martine DAVID : Vous n'avez plus rien.

M. Roger GONNET : Depuis cinquante-six ans que la Scientologie existe, à peine 2 000 personnes sont arrivées à ce niveau.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Quel est l'actuel patron de la Scientologie ?

M. Roger GONNET : David Miscavige. C'est un homme de 44 ans, qui a pris le pouvoir à vingt ou vingt-et-un ans, alors que Hubbard se cachait par couardise parce qu'il risquait d'être condamné par le fisc américain à rembourser des sommes qu'il avait honteusement escroquées à la Scientologie elle-même.

M. le Président : Et en France ?

M. Roger GONNET : C'est le patron d'OSA France, l'Office des affaires spéciales. Mais je ne connais pas son nom. Ce sont des gens très bien cachés. Un des précédents s'appelait Bernard Forestier.

M. le Président : Quel est le chiffre d'affaires de la Scientologie ?

M. Roger GONNET : Approximativement, un demi-milliard de dollars par an. Mais il a plutôt baissé. Est-ce dû à Tom Cruise ? Pas seulement. Cela tient au fait que derrière, il y a des gens qui critiquent et des commissions comme celle-ci, qui exposent les faits.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Michel GILBERT,
parent d'un mineur victime


(Procès-verbal de la séance du 27 septembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Monsieur, nous vous remercions d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête...

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

M. Michel GILBERT prête serment.

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Vous avez la parole.

M. Michel GILBERT : J'interviens à travers le filtre de mon affaire personnelle sur la situation de tous ces enfants, 60 000 à 80 000 suivant M. le rapporteur Vuilque. Mais ce n'est qu'une affaire parmi bien d'autres.

Une organisation sectaire internationale happe des enfants. Nous avons constaté que 25 % des situations de divorce ou de séparation avaient trait, en France, à des dérives sectaires, des psychothérapies à caractère déviant, des gourous de quartier ou des formations professionnelles étranges.

M. le Président : Quelle est votre profession ?

M. Michel GILBERT : Je suis chargé de communication. Je travaille en collaboration avec la presse sur des reportages, qui concernent parfois des organisations sectaires internationales.

Celle qui me concerne est Shri Ram Chandra Mission (SRCM). C'est une organisation sectaire faussement hindouiste. Le gourou, basé à Madras, est un homme d'affaires dont les capitaux sont liés à de grandes entreprises internationales d'informatique. On peut découvrir des trames de cette organisation au sein même de la Commission européenne, puisque le directeur général chargé des rapports sur la pédocybercriminalité en Europe en est un des responsables, et que le représentant de l'ONU à la Commission européenne en est un autre.

La genèse de cette organisation remonte aux années 1980. Un haut magistrat suisse, juge de cour fédérale, a été le président de cette association de la loi de 1901 déclarée en Suisse pendant une vingtaine d'années. Il a été obligé de démissionner à la suite d'articles de journaux l'impliquant directement.

Ce n'est qu'une des 172 organisations internationales que nous voyons communément. Elle a une trame religieuse, qui renvoie à l'hindouisme. Son public est constitué de femmes à 90 %. L'ouverture de l'ashram de Montpellier a rassemblé plus de 2 000 femmes et plus d'une centaine d'enfants. À chaque fois que les parents que nous sommes, tentons de dénoncer des infractions commises sur des enfants, les services de police refusent d'enregistrer les plaintes. Or, les enfants sont une proie de choix. Ils sont formatés dans l'envie du gourou et de l'organisation sectaire.

Je ne me présente pas comme une victime, mais comme un responsable associatif qui épaule d'autres parents. Nous sommes tous des parents affectés, mais nous refusons le qualificatif de victimes, qui renvoie à des thérapies sur plusieurs années.

J'ai pu constater personnellement que sept autres parents, en Europe, rencontrent des difficultés similaires avec cette organisation sectaire internationale basée à Madras. Le plus souvent, c'est la mère de famille qui se trouve happée ; les couples sont saccagés par l'immixtion du gourou et de la communauté. Les enfants se voient assez rapidement enseigner la pratique méditative qui est l'enseignement principal de cette organisation - parfois dès l'âge de quatre ans. C'est ce qu'on pouvait constater lors de l'inauguration de l'ashram de Madras, fin janvier 2005.

Les associations de terrain ne veulent pas soutenir les parents dans les situations de séparation et de divorce. Ils sont désemparés et personne ne sait leur indiquer comment réagir à la soumission de leurs enfants. Bien souvent, les avocats ont une tendance naturelle à déployer toutes sortes de procédures pour obtenir certains droits ; mais en général il faut attendre cinq, six ou sept ans pour que le parent non sectarisé parvienne à faire entendre sa voix. Ces procédures coûtent très cher. Les magistrats ne comprennent pas.

Le plus souvent, il s'agit d'une mère sectarisée et d'un père non sectarisé. Lors des audiences, le juge aux affaires familiales prendra fait et cause pour la mère, quelle que soit son idéologie. L'intérêt de l'enfant n'est pas vraiment pris en compte. On laisse ainsi certains parents responsables sans recours contre des mafias organisées qui utilisent le mysticisme et les dérives des religions pour accaparer les esprits.

Des thérapies comportementales qui n'ont rien de la thérapie cognitive, des thérapies analytiques qui sont exercées par des gourous qui n'ont aucune formation légale, des sciences occultes, des sites web qui entraînent les enfants sur des forums et des chats, de la cartomancie à la simonie en passant par les magnétiseurs, les faux guérisseurs de cancers, des centaines d'enfants emmenés sous bonne garde, le plus souvent par leur mère, généralement divorcée, psalmodiant jusqu'à l'autohypnose des chants indiens sur une scène de théâtre à Montpellier : voilà ce que nous trouvons dans le contexte de la SRCM. Entre les embrassades et les effusions, et sous un bombardement d'amour, les mères laissent leurs enfants livrés à eux-mêmes.

J'ai pu constater la mise en danger de quelque 80 000 enfants en France. Je vais régulièrement dans des organisations pour constater les délits qui sont commis. Les yeux hagards, vidés des enfants sont surprenants.

L'appareil judiciaire ne poursuit pas les responsables et les structures dont des parents responsables se plaignent. Quand il est porté atteinte à l'autorité parentale et qu'un parent vient à s'en plaindre, rien n'est fait par la justice. Défendre l'intérêt de l'enfant, le protéger sur le plan psychique, physique et moral n'est plus possible.

Je pense qu'une commission telle que la vôtre devrait examiner la question des maltraitances physiques, qui peuvent être identifiées, mais aussi les maltraitances psychiques et morales, qui sont plus difficiles à discerner et qui resurgiront au moment de l'adolescence ou à l'âge adulte.

Les enfants sont profondément carencés à tous points de vue et peut-être irrécupérables pour une vie normale sans soins psychologiques voire psychiatriques. Nous demandons que mon intervention de l'autre jour puisse servir à des propositions de réformes qui ne sont plus à démontrer et qui sont urgentes.

Mon intervention d'aujourd'hui a pour but de vous confirmer que la SRCM, que vous avez courageusement classée dans les rapports parlementaires de 1995 et de 1999 parmi les organisations sectaires dangereuses, est particulièrement dangereuse pour les enfants. Mme Hayat El Mountacir le signalait dans ses ouvrages, à l'UNADFI et au CCMM.

Il conviendrait d'étudier comment aider les enfants sortants le plus simplement possible, sans thérapie ad vitam aeternam, mais en leur consacrant beaucoup d'amour, pour qu'ils puissent retrouver leur équilibre.

De nombreux enfants crient leur détresse au sein des groupes : les miens et ceux d'autres parents. Voilà pourquoi je voulais vous faire part de toutes ces situations d'enfants soumis contre leur gré, voire contre le gré de leurs deux parents.

M. Jacques MYARD : Que « vend »-on à la SRCM ?

M. Michel GILBERT : Des sessions de méditation, des prières matin, midi et soir dans l'amour du maître.

M. Jacques MYARD : Quel maître ?

M. Michel GILBERT : Shri Parthasarati Rajugopalachari.

M. Jacques MYARD : Où est basée son « épicerie » ?

M. Michel GILBERT : À Madras, au niveau international. À Lausanne, au niveau européen. Il est d'ailleurs surprenant de noter que la Société de théosophie y a également ses sièges.

En France, le siège se trouvait en 1999 dans un château du Jura, à Augerans. Un député du Jura avait tout fait pour que cette organisation cesse de nuire localement. La mairie avait en effet basculé grâce à l'installation de plusieurs adeptes dans la commune. Le même phénomène s'est produit dans un village des Pyrénées-Orientales avec des Témoins de Jéhovah.

Cette organisation qui est, de par son nombre, la troisième ou quatrième en France, a eu du mal à retrouver un siège. En septembre 2005, ils ont réouvert un siège à Paris, juste derrière Jussieu.

Mme Martine DAVID : Vous avez parlé de 80 000 enfants en France, qui seraient menacés. D'où tenez-vous ce chiffre ?

M. le Président : De chez nous. Mais il s'agit d'une estimation toutes sectes confondues C'est le nombre qui avait été cité par M. Emmanuel Jancovici. Plus exactement, il s'agissait d'une fourchette allant de 60 à 80 000.

M. Michel GILBERT : J'ai préféré prendre le chiffre le plus élevé. En effet, aujourd'hui, on se retrouve face non seulement à des organisations sectaires, mais encore à des gourous autoproclamés de quartier avec une vingtaine de personnes autour d'eux, à des pseudo-thérapeutes, ou à des formations professionnelles déviantes du genre reïki ou kinésiologie, dans des sociétés clairement identifiées et subventionnées par des conseils généraux, avec le label ISO 9002 ; on y forme même des cadres de santé de l'institution publique.

M. Serge BLISKO : Vous parlez de subventions ou de labels accordés par des conseils généraux à certains instituts de formation déviants ou suspects. Pourriez-vous nous communiquer des informations ? Nous devons nous informer d'éventuelles infiltrations du ministère de la santé, des organisations professionnelles ou des conseils généraux.

M. Michel GILBERT : Monsieur le président, vous connaissiez une ancienne déléguée du ministère de l'enfance, de la santé et de la formation professionnelle. Elle avait mis en avant ces problématiques. Grâce aux services de l'État, elle avait réussi à empêcher une société, qui faisait de la « psychiatrie spirituelle » de prospérer dans le Var. Le fondateur de cette société était d'ailleurs un des responsables de la Shri Ram Chandra. Cette personne pourrait sans doute vous donner de plus amples détails, car elle connaissait très finement ce sujet.

M. le Président : Vous me laisserez les coordonnées de cette personne, s'il vous plaît.

M. Jacques MYARD : Excusez-moi de revenir sur la question : qu'enseigne le maître de la SRCM ?

M. Michel GILBERT : L'abandon, le laisser-faire, l'accession à un état de saamadi, c'est-à-dire de mort. Il enseigne que la méditation sur le bout du nez permet d'acquérir un état de bien-être. Il y a des séances de sitting, cleaning, soit de capturing, c'est-à-dire de capture mentale. Les responsables se livrent à une psychothérapie sur la personne qui vient à ces sessions de méditation et de nettoyage.

M. le Président : Vous avez dit que nous devions faire des réformes. Avez-vous des suggestions à nous faire ?

M. Michel GILBERT : Je pense qu'à l'occasion de mon audition au nom du Réseau parental le 13 septembre dernier, j'ai soulevé certains points qui méritent d'être examinés. En tant que collectif de parents, nous constatons que lorsque nous intervenons de façon non conflictuelle, en marge de l'appareil judiciaire, nous parvenons à résoudre assez rapidement les problèmes, dans l'intérêt de l'enfant. Il s'agit le plus souvent de séparations. L'ADFI, dans son rapport annuel, et le GEMPPI notent qu'actuellement 90 % de demandes sur le terrain émanent de parents en situation de divorce avec un autre parent sectaire.

M. le Président : Vous seriez plutôt favorable à un règlement non contentieux de ce genre de difficultés ?

M. Michel GILBERT : Malgré tout le respect que j'ai pour les juges de la République, je constate le manque de compréhension dont ils font preuve s'agissant de ces problématiques ; je pense qu'il vaudrait mieux régler ces séparations à l'amiable, en dehors du monde judiciaire. En outre, les organisations sectaires ont de très bons avocats. Dans le cas de la SRCM, nous avons même appris que des juges en faisaient partie - comme le premier magistrat du canton de Vaud.

Il serait beaucoup plus efficace de déconflictualiser et de traiter les problèmes en amont. Nous avons à votre disposition des exemples de cas résolus et dont les parents sont satisfaits. Parfois même le parent sectarisé sort de l'organisation sectaire, se rendant compte qu'il a été manipulé.

M. le Président. Où en êtes-vous, vous-même, avec vos enfants ?

M. Michel GILBERT : Je suis en effet touché personnellement par le phénomène sectaire. Au sein des associations avec lesquelles je travaille, le Réseau parental Europe, il n'y a que des personnes concernées. C'est un gage de confiance. Les organismes sectaires s'infiltrent partout, mais pas chez nous.

Je me trouve moi-même, après sept années de procédures diverses, dans une situation d'impasse : mes enfants sont toujours entre les mains d'une organisation sectaire internationale. Ils ont été déplacés de leur lieu de vie en territoire français, à l'étranger, comme cela arrive fréquemment. Dans mon cas, c'est en Espagne.

Pour nous, ce pays est devenu un sanctuaire à sectes. On y trouve non seulement des groupuscules terroristes, des groupes mafieux un peu partout, mais aussi des organisations sectaires. Les autorités espagnoles ont créé au sein du ministère de la justice un Observatoire des religions. Je crois savoir que M. Roger Gonnet n'est pas très content que l'Église de Scientologie soit en voie de reconnaissance par Madrid.

Certaines personnes autoproclamées ont accaparé tous les pouvoirs et ne veulent surtout pas que la problématique sectaire soit prise en compte.

M. le Président : Y a-t-il d'autres questions ?

M. Michel GILBERT : Monsieur le président, j'ai réfléchi au point suivant : les maires, comme M. Georges Frèche à Montpellier, sont parfaitement vigilants vis-à-vis du phénomène sectaire. Il conviendrait de les soutenir. Vous pourriez peut-être ainsi obtenir des appuis sur le terrain.

M. le Président : Ce n'est pas la position de l'Association des maires de France qui, nous dit-on, ne se sent pas concernée par la question. Mais c'est probablement une piste à approfondir.

M. Michel GILBERT : Je reprendrais également la proposition de l'ancien député M. Éric Doligé, aujourd'hui sénateur, qui souhaiterait s'en prendre aux biens patrimoniaux et aux finances des organisations. On pourrait peut-être ainsi les mettre à terre.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de Me Line N'KAOUA, avocate


(Procès-verbal de la séance du 3 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Madame, je vous remercie d'avoir répondu à notre convocation.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Me Line N'Kaoua prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Vous avez la parole.

Me Line N'KAOUA : Votre commission a souhaité m'entendre sur ma pratique professionnelle et je vous en remercie. Mon cabinet est spécialisé dans un contentieux familial un peu particulier : nous traitons des dossiers d'enfants dont un des parents, parfois les deux, sont adeptes d'une secte.

C'est un contentieux silencieux et méconnu. Silencieux d'abord parce que traité par un juge aux affaires familiales ou par un juge pour enfants, donc à huis clos. Méconnu ensuite du grand public et surtout des professionnels.

C'est un contentieux difficile parce qu'il ne peut être traité que par des professionnels qui ont été formés à la problématique sectaire et parce qu'il est difficile à identifier. Je prends l'exemple d'une épouse qui se rend au cabinet de son avocat pour déposer une requête en divorce ; elle explique qu'elle souhaite que le droit de visite et d'hébergement du père soit très réduit parce que les enfants ne souhaitent pas se rendre chez leur père, parce qu'ils n'aiment pas la cuisine que leur père leur fait. De fil en aiguille, on apprend que celui-ci leur propose des aliments crus. Parce que nous connaissons la doctrine des grands mouvements sectaires, nous avons pu identifier l'appartenance de ce père au mouvement de l'instinctothérapie dont le gourou est Guy-Claude Burger.

C'est un contentieux très lourd, compte tenu du nombre de victimes, bien plus important que dans le contentieux pénal. S'ils ne sont pas protégés par la justice, les enfants sont broyés par la secte. En toute impunité, la secte explose les familles, sépare des couples et détruit des enfants. La famille a une grande importance pour la secte, dans la mesure où c'est un lieu de transmission de la doctrine sectaire. J'en veux pour preuve le mouvement Soka Gakkaï.

On peut classer les enfants victimes en deux catégories : ceux dont les deux parents sont adeptes de la secte ; ceux dont l'un des deux parents seulement est adepte.

Nous ne connaissons pas ceux de la première catégorie, dont le cas n'est jamais porté dans un prétoire et n'est jamais connu par aucun juge, sauf lorsqu'un tiers intervient en le signalant : un enseignant, trop rarement encore un grand-parent - parce que les grands-parents ne souhaitent pas rompre les quelques espoirs qui leur restent d'entretenir une relation avec leur enfant. La situation des enfants de cette catégorie est terrible. Ils sont élevés dans la secte, par la secte, par des parents sous emprise de la doctrine sectaire et sont en rupture totale avec le reste de la famille.

Nous connaissons le cas des enfants de la seconde catégorie à l'occasion de la séparation des parents. Chacun va demander la fixation de la résidence à son domicile, à moins que le parent non adepte ne demande qu'on interdise au parent adepte d'emmener l'enfant sur les lieux de pratique ou de faire participer l'enfant aux croyances et pratiques sectaires.

L'enfant est l'enjeu du conflit à travers la secte et le juge se trouve forcément en difficulté : d'un côté, la demande présentée par le parent non adepte, qui reproche à l'autre parent de déléguer l'autorité parentale, d'abandonner ses droits et ses devoirs au profit du gourou ; de l'autre côté, le parent adepte va plaider le principe de liberté de pensée, de croyance, de culte et le principe de pouvoir éduquer ses enfants comme on le souhaite, de leur donner la religion que l'on souhaite. Le conflit se situe au niveau de l'autorité parentale et le juge saura faire prévaloir l'intérêt de l'enfant.

Il faut savoir que le parent non adepte peut être un ex-adepte, et c'est alors plus difficile. S'il n'a jamais été dans la secte, il est plus ancré dans la réalité et il est plus entouré ; il pourra aider l'avocat à monter un dossier et solliciter diverses attestations.

Le parent ex-adepte, lui, est une victime de la secte. Il a été affaibli et a subi un traumatisme dû à la manipulation mentale, et ce traumatisme perdure. Il encourt les reproches du parent qu'il vient de quitter, mais aussi ceux des autres adeptes de la secte, qui l'accusent d'avoir trahi le gourou. Il se sent également coupable d'avoir laissé cet autre parent dans la secte, de n'avoir pu l'en sortir et d'y avoir laissé ses enfants. Il est dans une situation de rupture totale avec sa famille qu'il a mise de côté lorsqu'il est entré dans la secte, et avec ses amis. Lorsqu'on lui demandera son aide pour monter le dossier, il n'aura aucune porte où frapper. En outre, il a des difficultés financières ; il n'a pas fait de déclaration de revenu depuis des années et n'a donc pas droit à l'aide juridictionnelle.

Telles sont les difficultés auxquelles nous sommes confrontés lorsque le parent ex-adepte nous demande d'assurer la défense de son enfant. Pourtant, c'est le discours de ce parent-là qu'il faut privilégier et soutenir, pour sauver l'enfant de l'emprise de la secte.

Ce sont le juge des enfants - protecteur naturel du mineur - et le juge aux affaires familiales qui veillent plus spécialement à la sauvegarde de l'intérêt de l'enfant quand un litige oppose les parents, lesquels seront saisis.

Deux difficultés se posent. La première est quasiment résolue aujourd'hui grâce à une jurisprudence presque unanime : la liberté de croyance, de pensée, le respect de la vie privée des parents ne sont pas un obstacle à l'intervention du juge. C'est ainsi que le discours qui tend à privilégier le principe de liberté pour écarter la compétence du juge est mis en échec dans la quasi-totalité des cas.

La seconde difficulté est de taille : il faut pouvoir démontrer in concreto l'incidence des croyances et des pratiques sectaires du parent sur la santé psychologique de l'enfant. S'il s'agissait de démontrer des maltraitances physiques, cela poserait peu de difficultés. Mais pour démontrer des maltraitances psychologiques, nous sommes complètement démunis, même lorsque l'enfant est en âge de s'exprimer.

Nous sommes face à des enfants formatés, polis et introvertis, face à des élèves qui ne donnent pas de soucis, et globalement en bonne santé. La maltraitance psychologique ne peut être démontrée que par l'intervention de professionnels formés à la problématique sectaire.

La formation des professionnels est un point de la plus grande importance. Les magistrats en ont pris conscience qui, depuis 1998, organisent à Paris, à l'ENM, des sessions de formation sur le problème des sectes. À Bordeaux, toujours à l'ENM, a été organisée en juillet 2006 une simulation de procès très intéressante, qui a montré aux élèves une approche authentique de la problématique sectaire.

Si les magistrats ont pris une grande avance, tous les autres professionnels de l'enfance restent loin derrière : avocats, policiers, enquêteurs, travailleurs sociaux et surtout, experts psychologiques et psychiatriques. Il faut impérativement donner une formation pluridisciplinaire à tous ces professionnels de l'enfance. Ce sont souvent des experts reconnus pour leurs compétences. Cependant, lorsqu'il s'agit d'évaluer la dangerosité sectaire, comme ils n'ont pas suivi de formation, ils ne peuvent pas travailler d'une manière convenable.

Je voudrais signaler un dérapage concernant deux enfants de cinq et huit ans, dont le père était gourou d'une église satanique. La petite fille présentait une fragilité psychologique importante, le garçon faisait des dessins très perturbés avec des diables, des cadavres, des épées. Selon toute vraisemblance, le père faisait participer ou du moins assister les enfants à ses pratiques. Nous avons demandé au juge une suppression de son droit de visite et d'hébergement. Or la décision du juge a été la suivante : « Compte tenu de la fragilité psychologique de la petite fille, il convient d'inviter le père à ne plus raconter à celle-ci d'histoires fantastiques ou extraordinaires susceptibles d'entraîner chez cette enfant, qui a du mal à dissocier le réel et l'imaginaire, des angoisses préjudiciables à son équilibre. » Concernant le petit garçon, le juge a écrit qu'il ne présentait aucun trouble du comportement, qu'il était très attaché à ses deux parents et qu'il pouvait bénéficier d'un droit de visite et d'hébergement auprès de son père.

Je voudrais signaler également le cas d'une fille d'une douzaine d'années dont les parents sont tous les deux adeptes du Mandarom. Le père sort de la secte et demande que la résidence de sa fille soit fixée à son domicile. Il explique mieux que personne la doctrine de la secte et l'impact nocif de cette doctrine et de la pratique sectaire sur son enfant. La mère fait examiner l'enfant par une psychologue. Cette dernière conclut à une certaine difficulté de l'enfant à appréhender le réel et plus encore à le mémoriser, un manque de cohérence dans sa pensée ainsi qu'à l'expression des thèmes d'emprisonnement, d'engloutissement, démonstration, selon le père, de l'impact de la doctrine du Mandarom chez l'enfant. Le juge cautionne les conclusions de l'expert psychologue en disant que ce ne sont pas les conséquences de la doctrine et de la pratique sectaires sur l'enfant, mais simplement et vraisemblablement une relation maternelle fusionnelle.

Ces deux exemples sont caractéristiques des difficultés que nous rencontrons lorsque nous avons affaire à des professionnels qui ne sont pas spécialisés. Il est important d'établir un lien de causalité entre le fait dommageable, l'emprise sectaire sur l'enfant et le préjudice, les troubles psychologiques constatés sur l'enfant.

En conclusion, je voudrais insister sur le nombre très important des jeunes victimes et la nécessité de leur prise en charge dans le cadre du contentieux familial sectaire. Cette prise en charge doit passer par l'intervention de professionnels avertis.

M. le Président : Merci pour cet exposé. Vous avez fait état à plusieurs reprises de troubles psychologiques. Pouvez-vous être plus précise et nous dire quelle est la nature des troubles psychologiques dont vous parlez ? Je sais que c'est difficile, car vous êtes avocate et non pas expert psychologue.

Me Line N'KAOUA : Le plus souvent, nous rencontrons des enfants marginalisés, victimes d'une rupture avec la société. Ils ne participent pas à certaines fêtes. Certains enfants Témoins de Jéhovah jettent les boules de Noël quand la maîtresse demande de décorer le sapin. Certains refusent de participer à des activités extrascolaires, parce qu'il ne faut pas de compétition.

Certains enfants sont en grande souffrance et l'expriment par des cauchemars, par un rejet de l'autre parent, rejetant par exemple toute la lignée paternelle lorsque le père n'est pas adepte de la secte.

M. le Président : Prenons une famille sous emprise d'une secte, d'apparence normale, ne nécessitant pas d'intervention extérieure. Sans signalement de l'enseignant ou du médecin, la société ne sait pas comment vit cet enfant. Se pose le problème de la légitimité de l'intervention d'un juge, d'un procureur, d'un enquêteur social à partir du moment où aucun danger n'est signalé.

Est-ce que la législation vous paraît suffisante eu égard au principe de respect des croyances ? Peut-on imaginer une intervention d'office si l'on sait qu'un enfant appartient à une famille sous emprise sectaire ? Est-ce que l'avocate que vous êtes souhaite qu'on institue un système prévoyant une intervention plus contraignante, avec toutes les difficultés que cela peut poser ?

Me Line N'KAOUA : S'il s'agit d'enfants dont les deux parents sont adeptes de sectes, on ne les connaît pas et la justice n'a aucun moyen d'intervenir.

M. le Président : Pourrait-on imaginer qu'à partir du moment où la société - le maire, l'enseignant - sait que telle famille appartient à tel groupement, le substitut ou le juge des enfants aille voir d'office si tout va bien ?

Me Line N'KAOUA : Tout à fait, la loi le permet. À condition qu'on sache où se trouvent cette famille et cet enfant. À ce moment-là, le juge pour enfants dispose de moyens très sérieux comme les AEMO, les actions éducatives en milieu ouvert, et les IOE, les mesures d'investigation et d'orientation éducative, beaucoup plus complètes, pluridisciplinaires où un médecin, un psychiatre, un psychologue, une assistante sociale, un éducateur vont rendre visite à la famille pour voir dans quelles conditions l'enfant est élevé.

M. Serge BLISKO : C'est le juge des enfants qui décide de faire une AEMO. Qui décide de ces fameuses IOE qui me paraissent très sérieuses et dont j'avais très peu entendu parler ? Le juge des enfants ?

Me Line N'KAOUA : Tout à fait, avec le substitut chargé des mineurs.

M. le Président : Mais en pratique, cela ne se fait pas.

Me Line N'KAOUA : Objectivement, pas souvent.

M. Jean-Pierre BRARD : Pourquoi, à votre avis ?

Me Line N'KAOUA : Parce que les enseignants ne sont pas formés à cela. Si on est sensibilisé à la problématique sectaire, on sait, par le comportement d'un enfant, comprendre ce qui peut se passer au sein de sa famille.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Ne pensez-vous pas qu'il y a une certaine réticence de la part des magistrats ? Comme si le fait d'aborder les phénomènes sectaires était pour eux source d'ennui. Est-ce que vous le ressentez dans les pratiques professionnelles ? Vous dites qu'il existe des moyens juridiques mais que, dans la pratique, ils sont relativement peu utilisés.

Me Line N'KAOUA : Je parle plus spécialement du contentieux familial. La jurisprudence est quasi unanime. Aux termes de celle-ci, le juge des affaires familiales s'estime compétent pour traiter un problème relatif à l'autorité parentale. Objectivement, non, il n'y a pas de réticence de la part des magistrats, qui ont une longueur d'avance sur les autres corps de métiers puisqu'ils bénéficient d'une formation depuis plusieurs années.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez évoqué les Témoins de Jéhovah, des groupes sataniques. Pouvez-vous nous dire avec quels autres types de sectes vous avez eu maille à partir dans votre activité professionnelle ?

Dans certains cas, des enfants sont déscolarisés puisque la loi n'oblige pas à être instruit au sein de l'école et que les parents peuvent instruire leurs propres enfants. Dans ces cas-là, l'éducation nationale a compétence pour vérifier ce qu'il en est. Mais il y a une ambiguïté : il n'y a pas que l'éducation nationale qui soit compétente, il y a également les services sociaux départementaux. Je pense à un cas dans lequel le rapport de l'éducation nationale avait été très inquiétant ; les services sociaux, de leur côté, avaient dit qu'il faudrait continuer à surveiller. Vous êtes juriste. Comment évaluez-vous ce conflit de compétences ? Qui devrait avoir le dernier mot en termes de droit et en termes d'éthique ?

Ne pensez-vous pas que, dans certains cas, la primauté devrait être donnée à la liberté de conscience des parents avant l'intégrité psychique et physique des enfants ?

Me Line N'KAOUA : Les groupes sur lesquels j'ai pu travailler sont principalement les Témoins de Jéhovah, qui arrivent très largement en tête. Suivent La Soka Gakkai, actuellement très active, puis tous les mouvements comme les mouvements Mahikari et la Scientologie. Presque tous les grands mouvements sectaires sont représentés.

Notre travail est devenu beaucoup plus difficile car nous avons affaire actuellement à quelques mouvements qui ne comptent que peu d'adeptes mais qui ont réellement un fonctionnement de secte. On a du mal à connaître leur doctrine, qui n'est pas écrite, à avoir des témoignages, compte tenu du petit nombre d'adeptes.

Je pense à un groupe de danseurs qui avait été signalé depuis quelques années comme ayant un fonctionnement très curieux, jusqu'à ce que nous ayons la certitude qu'il s'agissait d'un fonctionnement sectaire. Les danseurs et danseuses vivaient regroupés autour du chef, qui décidait de la santé de ses adeptes - pilules contraceptives -, de la coupe de cheveux des danseuses, de l'alimentation, des films à visionner, qui devait avoir une relation avec qui, etc.

M. Jean-Pierre BRARD : Y avait-il des mineurs ?

Me Line N'KAOUA : Tant qu'il n'y avait pas de mineurs, nous n'avions pas de moyens d'intervenir. D'autant que la jeune femme qui était venue nous voir s'était ensuite rétractée, ce qui est typique des victimes de sectes. Jusqu'au jour où nous avons appris qu'il y avait une jeune fille qui n'avait pas encore dix-huit ans. Par ce biais-là, un signalement au Parquet a été fait et l'enquête est ouverte.

Par ailleurs, je dois dire que je n'ai pas eu, personnellement, de cas d'enfants déscolarisés.

M. Jean-Pierre BRARD : Qu'est-ce qui doit avoir la primauté, les services sociaux départementaux ou l'éducation nationale, en vertu de la loi que vous avons votée dans les années quatre-vingt-dix ?

MLine N'KAOUA : La loi Royal est une avancée importante. Elle autorise le contrôle des programmes scolaires dans tous les établissements quels qu'ils soient. Les mouvements sectaires qui décidaient du programme d'enseignement à donner aux jeunes adeptes ne peuvent plus le faire.

Ce qui prime, bien évidemment, c'est l'intérêt de l'enfant. Il est important que l'éducation nationale se positionne, mais il est tout aussi important que les services sociaux interviennent de manière régulière, par surprise, afin de constater de visu ce qui se passe à l'intérieur du mouvement.

M. Philippe TOURTELIER : Vous avez dit que la liberté de pensée et d'éducation n'était plus un obstacle à l'intervention du juge. Vous avez dit, également, que le juge était en difficulté parce que le parent non adepte reprochait au parent adepte de déléguer son autorité parentale et le parent adepte opposait au parent non adepte le principe de liberté de pensée et d'éducation. Le juge ne serait-il pas resté au milieu du gué ?

Me Line N'KAOUA : Depuis trois ou quatre ans, nous avons des décisions très tranchées sur ce problème. Le juge se positionne franchement en faveur de l'intérêt de l'enfant. Cela ne pose pas de difficultés, bien que le fondement de la plaidoirie des avocats d'adeptes de sectes repose toujours sur le principe de la liberté de croyance, de culte, etc.

M. le Rapporteur : Ne pensez-vous pas que la prescription pénale de l'article 7 du code de procédure pénale doit être adaptée aux enfants victimes d'abus sectaires ?

MLine N'KAOUA : Monsieur le rapporteur, je suis une civiliste et je ne suis donc pas la mieux placée pour répondre à votre question. Cependant, il est clair que les enfants victimes de violences au sein des sectes ont besoin d'un certain temps de récupération pour pouvoir déposer plainte. Nous comprenons, au discours des ex-adeptes majeurs, qu'ils ne sont pas encore sortis de la secte et s'il fallait leur demander de déposer plainte, ils refuseraient très souvent.

M. le Rapporteur : J'ai besoin d'une réponse précise. Pensez-vous que, dans le cas d'espèce, ce serait utile ? Certes, il faut que la personne adolescente, devenant adulte, se reconstruise. Le problème réside dans le fait que la prescription pénale, une fois écoulée, empêche le dépôt de plainte.

Me Line N'KAOUA : Sans aucune hésitation, monsieur le rapporteur : oui, bien évidemment. Nous inscrivons des dates sur nos tablettes pour relancer, si nécessaire, les victimes pour les alerter sur les conséquences d'un non-dépôt de plainte.

M. Christian VANNESTE : Vous avez appelé notre attention sur la distinction entre les faits objectifs que sont les violences physiques et les faits beaucoup plus subjectifs que sont les maltraitances psychologiques. Je voudrais vous interroger sur l'efficacité des relations entre les professionnels de la psychologie et les magistrats. S'agissant d'une affaire qui a défrayé la chronique, nous savons que les psychologues spécialistes de l'enfant ont joué un rôle pas toujours très positif. La relation entre eux et les magistrats était loin d'être parfaite, les seconds ayant beaucoup de mal à interpréter ce que disaient ou écrivaient les premiers.

Dans quelle mesure les magistrats reçoivent-ils une formation qui les rend capables d'interpréter les avis des psychologues ou de distinguer entre les différentes écoles, et d'appréhender le fait sectaire ?

Me Line N'KAOUA : C'est une question qu'il faudrait poser à un magistrat. J'ai déjà évoqué la formation des magistrats sur le phénomène sectaire. Ils bénéficient, en effet, depuis quelques années d'une semaine par an de formation avec des gens du terrain qui viennent leur parler de leur propre expérience.

Les expertises psychologiques et les enquêtes sociales sont, par ailleurs, des outils de travail quotidiens du juge aux affaires familiales. Mais les psychologues doivent être formés pour discerner l'existence de l'emprise sectaire. Ils devraient également, au cours de leur formation, avoir accès à la doctrine de la secte pour mieux en comprendre les incidences sur l'enfant qu'ils ont à examiner.

M. Serge BLISKO : On a fait tout à l'heure une analogie avec les agressions sexuelles. Dans ce domaine, la formation s'est beaucoup développée, qu'il s'agisse des psychologues, des travailleurs sociaux, des juges aux affaires familiales ou des avocats. On devrait faire la même chose s'agissant des mouvements sectaires.

Je m'interroge sur une dérive que vous constatez peut-être en cas de divorce difficile : l'un des parents affirme, pour « réussir son divorce », que l'enfant est en danger chez son ex-conjoint en raison de la menace ou de l'existence d'abus sexuels. Ne risque-t-il pas de se passer la même chose, l'un des parents mettant en avant des pratiques étranges de la part de son ex-conjoint ?

Me Line N'KAOUA : La majorité des couples qui s'adressent à moi actuellement ne sont pas des couples mariés. Il ne s'agit pas de « réussir son divorce », car seule importe la prise en compte de l'intérêt de l'enfant.

Il est clair que si l'avocat se présente devant le juge en disant : le conjoint de mon client étant adepte de telle secte, je demande le divorce à ses torts exclusifs et la fixation de la résidence des enfants au domicile de mon client, la requête sera catégoriquement rejetée. Et c'est tout à fait normal. Il est impératif de donner au juge in concreto les éléments qui vont faire que le divorce sera prononcé aux torts exclusifs de l'adepte parce que sa pratique zélée a entraîné la rupture du lien matrimonial. Mais encore faut-il démontrer les conséquences de son appartenance soit sur le lien matrimonial soit sur la santé psychologique des enfants. À partir de là, le juge pourra vous entendre et accueillir votre demande.

M. le Président : Vous avez fait référence à quelques groupements sectaires. Est-ce qu'à chaque fois, devant le juge, il faut expliquer la doctrine du mouvement en question ? Cela ne va-t-il pas de soi ?

Me Line N'KAOUA : Cela ne va pas de soi. Ce sont des audiences très difficiles. Les magistrats ayant un grand nombre de dossiers pour la même audience, le temps de parole est très limité. Or le contentieux familial est un contentieux avec des débats oraux. L'avocat doit disposer d'un minimum de temps pour exposer la doctrine de la secte, l'appartenance du parent à cette secte, démontrer les conséquences de cette appartenance sur la santé de l'enfant, et ce en un quart d'heure ou une demi-heure. En face, les avocats des sectes sont très bien formés et payés, souvent par la secte. Ils connaissent le mode de fonctionnement de ces audiences et vont occuper le tiers du temps à soulever des incompétences, des irrégularités, des demandes de renvoi, ce qui fait que l'avocat de la partie adverse disposera de très peu de temps.

Nous préparons des dossiers très complets avec une documentation sur la doctrine de la secte. Nous bénéficions de l'aide de la MIVILUDES, de l'UNADFI. Ainsi, le magistrat peut se faire lui-même une idée de cette doctrine. Nous y joignons tous les éléments de preuve sur l'appartenance du parent adepte et ses conséquences sur l'enfant.

M. le Président : Il vous arrive de perdre des procès ?

Me Line N'KAOUA : Bien évidemment.

M. le Président : Vous est-il arrivé qu'un juge aux affaires familiales confie la garde de l'enfant au parent Témoin de Jéhovah et non à celui qui n'appartient pas ou plus à la secte ?

Me Line N'KAOUA : Je n'ai pas à l'instant en mémoire de fixation de résidence chez le parent adepte. En revanche, je sais qu'il m'est arrivé d'échouer dans mes demandes qui étaient d'interdire au parent adepte d'emmener les enfants sur les lieux de pratique et de les impliquer dans la croyance et la pratique sectaire. On m'a notamment répondu, concernant deux enfants Témoins de Jéhovah, que la mère étant Témoin de Jéhovah depuis vingt ans, on ne comprenait pourquoi le père se réveille brusquement et vienne demander que cette interdiction soit imposée à la mère.

M. Jean-Pierre BRARD : Le magistrat sait ce qu'il se passe dans la Salle du royaume, ou alors il fait semblant de ne pas savoir. Sinon, comment peut-on expliquer qu'un magistrat décide d'abandonner un enfant à la manipulation ?

Par ailleurs, avez-vous eu maille à partir avec des mineurs concernés par l'anthroposophie, par les écoles Steiner ?

Enfin, pensez-vous qu'il faille parfaire la loi ? Comment ?

Me Line N'KAOUA : Comment un magistrat peut-il abandonner les enfants aux mains d'une secte ? Par méconnaissance. Ils sont souvent juges aux affaires familiales de longue date. Ils connaissent bien leur matière, mais pas la problématique sectaire. À moins que le dossier ne comporte pas d'éléments sur lesquels le juge pourrait s'appuyer.

M. Jean-Pierre BRARD : Y a-t-il des magistrats Témoins de Jéhovah ?

Me Line N'KAOUA : Cela ne m'a pas été rapporté.

M. le Président : Il y a une certaine contradiction dans vos propos. Vous nous avez dit tout à l'heure que les magistrats étaient informés, mieux même que les autres professions. Et maintenant vous dites qu'ils ne savent pas toujours de quoi il s'agit.

Me Line N'KAOUA : Cela arrive. J'ai eu à intervenir devant des magistrats qui avaient bénéficié de cette formation et qui, immédiatement, lorsque j'ai exposé la doctrine de la secte et le problème de l'emprise, m'ont interrompue en me disant qu'ils connaissaient et m'ont demandé d'en venir aux faits concrets du dossier.

S'agissant de l'anthroposophie, il n'y a rien sur le terrain judiciaire - c'est-à-dire pas d'actions.

M. le Président : Est-ce que les avocats bénéficient d'une telle formation ? En avez-vous suivi une vous-même ? Comment se fait-il que vous vous soyez intéressée au phénomène sectaire ?

Me Line N'KAOUA : Les avocats s'y mettent et il est question de mettre cette formation à l'ordre du jour.

M. le Président : Ce n'est donc pas encore fait. Actuellement, dans les barreaux, il n'y a pas de formation sur cette problématique ?

Me Line N'KAOUA : Non.

J'ai eu un premier dossier concernant la kinésiologie. Cette pratique m'avait particulièrement intéressée. De fil en aiguille, je me suis intéressée au phénomène sectaire. J'ai appris quelques années plus tard qu'une formation était dispensée à la faculté de médecine de Lyon, notamment par Mme Jougla. Je m'y suis inscrite et, grâce à l'aide de ces professionnels, j'ai pu mettre en ordre ce que je pratiquais au quotidien.

M. le Président : Je ne pense pas qu'aucun membre de la commission irait jusqu'à dire qu'à partir du moment où des parents font partie des Témoins de Jéhovah, il faut leur retirer leurs enfants. Mais entre un retrait et le fait de laisser les enfants à l'éducation des parents, il existe peut-être un moyen terme. Qu'en pensez-vous ? La question est délicate parce que nous touchons là à la liberté d'éducation et à la liberté parentale.

Me Line N'KAOUA : Des mesures peuvent être mises en œuvre par le juge pour enfants. S'agissant du juge aux affaires familiales, on ne demande pas systématiquement la fixation de la résidence de l'enfant chez le parent non adepte, tout simplement parce que l'enfant ne le veut pas. S'il est sous emprise du parent adepte, il ne veut rien savoir. Pour cela, il faut que l'enfant soit en âge de s'exprimer.

S'agissant de jeunes enfants, il peut y avoir des transferts de résidence. Je peux vous donner l'exemple suivant : le divorce a été prononcé aux torts partagés. La résidence du petit garçon de cinq ans a été fixée chez la maman Témoin de Jéhovah. Nous obtenons une interdiction faite à la mère d'emmener l'enfant à la Salle du Royaume, sur les lieux de pratique et d'impliquer son enfant dans ses croyances et ses pratiques. Quelques mois après cette décision, la mère transfère son domicile à 80 ou 100 km de celui du père alors qu'ils résidaient dans la même localité. J'ai saisi à nouveau le juge aux affaires familiales en lui indiquant que, dans ces conditions, l'interdiction donnée à la mère ne pouvait pas être vérifiée par le père compte tenu de la distance, et que le droit de visite et d'hébergement du père serait limité pour cette même raison. Le juge a satisfait à la demande du père en ordonnant un transfert de résidence de l'enfant chez le père, étant précisé que l'enfant, qui présentait des troubles au moment où l'interdiction avait été faite à la mère, persistait dans ce comportement lors de la deuxième procédure : cauchemars, crises de larmes, rejet de la famille paternelle. On a donc pu bénéficier d'un transfert de résidence chez le parent non adepte. Mais l'enfant avait cinq ans.

M. le Rapporteur : Madame, comment qualifieriez-vous la situation actuelle ? Diriez-vous qu'elle s'aggrave ? Qu'elle s'améliore ? Qu'elle est stable ?

Sous réserve de ce que vous nous avez dit tout à l'heure concernant les délais de prescription pénale, considérez-vous que notre dispositif soit suffisamment complet ? Sinon, sur quels points devrait-il être complété ?

Est-ce que vous considérez que notre système de prévention, de prise en charge et de suivi est suffisant, perfectible ou inexistant ?

Quelles propositions très concrètes auriez-vous à nous faire sur le sujet ?

Enfin, nous avons compris que même si une formation a lieu à l'ENM, la mise à jour de cette formation n'existe pas. Or le paysage sectaire évolue.

Me Line N'KAOUA : Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. La formation a lieu sous forme de séances annuelles, avec des intervenants qui s'expriment régulièrement. Pour ce qui me concerne, je parlerai de la jurisprudence 2005-2006 lors de la session d'octobre, dans huit jours. La mise à jour est donc évidente.

L'évolution de la situation des enfants n'est pas celle que nous souhaiterions. Il reste de nombreux enfants dont on n'a pas détecté l'appartenance des parents, pour lesquels nous n'avons pas pu démontrer la séquelle de la croyance et des pratiques sectaires. Certains enfants paraissent en parfaite bonne santé physique et psychologique, alors que l'on est intimement convaincu que, tôt ou tard, ils subiront le préjudice, le traumatisme de la secte.

Le dispositif législatif actuel me paraît satisfaisant. Tout est dans le code civil, il suffit de savoir l'utiliser correctement. Je n'ai pas de proposition concrète à faire.

M. le Rapporteur : Le code est-il correctement utilisé à votre avis ?

Me Line N'KAOUA : Votre question est-elle de savoir si les magistrats sont compétents ou pas ? S'il est mal utilisé, c'est que le magistrat ne l'est pas.

M. le Rapporteur : On peut être compétent et ne pas utiliser toutes les subtilités du droit.

Me Line N'KAOUA : Quand un avocat présente bien son dossier, il permet au magistrat de rendre une décision correcte

M. Jean-Pierre BRARD : Quand il ne le fait pas, c'est très embêtant.

Me Line N'KAOUA : En effet, parce que l'avocat qui ne sait pas ce dont il parle et qui va mettre dans son dossier deux décisions de jurisprudence et se contenter de dire que le conjoint de son client est adepte de telle secte, ne risque pas d'obtenir gain de cause.

M. le Président : Vous avez dit tout à l'heure que les grands-parents avaient peur de rompre le lien avec leurs petits-enfants. Pouvez-vous développer ce point ?

Me Line N'KAOUA : Je n'ai eu que deux procédures concernant les grands-parents, dans le cadre des Témoins de Jéhovah.

Dans le premier cas, la belle-fille est Témoin de Jéhovah. Le petit garçon âgé de cinq ans est en grande souffrance. Nous avons saisi le juge aux affaires familiales et nous attendons actuellement sa décision. La mère de l'enfant a souhaité que l'enfant rompe tout lien avec ses grands-parents paternels.

Dans le second cas, une petite fille de six ou sept ans a déclaré avoir été abusée par son grand-père maternel adepte des Témoins de Jéhovah. L'enquête n'a pas évolué aussi vite que nous l'aurions souhaité. L'enfant n'a été entendue que longtemps après les faits. Le grand-parent prétendu abuseur n'a été entendu qu'un an après les faits dénoncés par la fillette. Entre-temps les grands-parents maternels ont initié une procédure parce qu'ils n'avaient plus la possibilité de voir leur petite-fille et ils ont fait radier cette procédure dans l'attente de l'issue de la procédure pénale pour ne pas gêner le juge pénal dans sa prise de décision. On peut constater que les grands-parents sont gênés dans l'action qu'ils initient à l'encontre de leur propre enfant.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Michel DUVETTE,
Directeur de la protection judiciaire de la jeunesse
au ministère de la justice
et de Mme Sophie SANSY, directrice de service au bureau des champs de compétence et des orientations à la sous-direction des missions de protection judiciaire et d'éducation



(Procès-verbal de la séance du 3 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Je remercie M. Michel Duvette, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice, ainsi que Mme Sophie Sansy, au bureau des affaires judiciaires et de la législation de la même Direction, d'avoir répondu à notre convocation.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Michel Duvette et Mme Sophie Sansy prêtent serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement. Je vous donne la parole, monsieur Duvette.

M. Michel DUVETTE : En premier lieu, je tiens à préciser que mon intervention et celle que mon collègue Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces, sera également amené à faire devant votre commission, sont complémentaires, de sorte que ce ne sera qu'à l'issue de son audition que vous seront données les réponses au questionnaire que vous avez transmis au ministère de la justice et qui mobilise les compétences de différentes directions, dont la direction des affaires criminelles et des grâces et la direction des affaires civiles et du Sceau. Le ministère vous communiquera également, comme vous l'avez souhaité, la liste des dossiers suivis par celui-ci, sous une forme anonymisée pour éviter de mettre en cause les personnes morales ou physiques concernées par ces procédures, qu'elles soient terminées ou en cours.

Mon propos s'organisera en quatre parties. Je rappellerai d'abord, en quelques mots, l'arsenal juridique sur lequel s'appuie la protection des mineurs, en matière pénale comme en matière civile - puisque c'est dans ce cadre-là que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse intervient -, et j'indiquerai les difficultés que cet arsenal peut poser au regard de vos préoccupations. J'exposerai ensuite l'impact des pratiques sectaires sur la santé des jeunes, tel que nous pouvons l'analyser à travers notre expérience. Puis je décrirai les modalités de travail au sein de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse sur ces questions. En conclusion, je tracerai quelques pistes de progrès à introduire au sein de notre propre direction.

La lutte contre le phénomène sectaire ne peut être menée que dans le respect des principes fondamentaux de la République que sont les principes de liberté individuelle, de liberté religieuse, de liberté d'association. Cependant, ces libertés de réunion, d'association, d'exercice d'un culte, d'opinion religieuse ne peuvent s'exercer que dans les limites du respect de l'ordre public, de la liberté et des droits d'autrui et de la laïcité. Ce n'est pas à la commission que je vais apprendre ces principes.

Le mot « secte » ne figure dans aucune loi. Comment, en effet, définir juridiquement une secte sans risquer de porter atteinte aux libertés de conscience et notamment de religion?

Il est habituel de se référer plutôt au « faisceau d'indices convergents » élaborés par la commission d'enquête présidée par M. Alain Gest pour qualifier un mouvement de sectaire. C'est ce que je ferai quand je parlerai de secte dans mon propos. Ces indices convergents sont la déstabilisation mentale, le caractère exorbitant des exigences financières, la rupture induite avec le mouvement d'origine, les atteintes à l'intégrité physique, l'embrigadement des enfants, le discours plus ou moins antisocial, les troubles à l'ordre public, l'éventuel détournement des circuits économiques, les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics.

Cette articulation complexe entre les libertés publiques et l'ordre social a conduit les pouvoirs publics à ne pas faire le choix d'une législation spécifique adaptée aux sectes, législation d'exception qui pourrait, le cas échéant, conduire à des dérapages.

C'est dans ce contexte général que doit s'apprécier la protection des mineurs en matière de sectes. Il convient toutefois de préciser que, malgré l'importante certaine du phénomène, aucune statistique véritable n'est tenue aujourd'hui sur les enfants victimes des sectes.

Je vais maintenant rappeler l'arsenal juridique dont nous disposons.

En matière pénale, il repose essentiellement sur le contrôle des pratiques.

Les dispositions du code pénal permettent de couvrir l'ensemble des agissements des mouvements sectaires qui présentent un caractère dangereux pour les mineurs. L'énumération des incriminations témoigne en faveur de leur diversité : atteintes à l'intégrité physique, homicides, coups et blessures, torture, actes de barbarie et de violence ; atteintes aux libertés tels que l'enlèvement ou la séquestration ; viol et autres agressions sexuelles ; atteintes à la dignité telle que la prostitution ; atteintes à la famille ; atteintes à l'exercice légal de la médecine ; infractions à la législation sur l'obligation scolaire ; mise en danger de la personne.

Ces dispositions de droit pénal sont rappelées dans la circulaire du 29 février 1996 prise par le garde des Sceaux et adressée aux magistrats du parquet. Cette circulaire invite ces derniers à une grande vigilance à l'égard des sectes en précisant que la lutte contre leurs agissements doit reposer sur une application plus stricte du droit existant, elle-même liée à une perception plus aiguë de la réalité des risques occasionnés par l'existence et l'activité des organisations en cause.

La loi du 12 juin 2001, qui mérite une attention particulière, tend à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. En effet, même si ce texte prend soin de ne pas employer le mot « secte », de ne pas le définir en tant que tel, afin de ne pas porter atteinte à la liberté religieuse, il se veut dissuasif à l'égard de mouvements potentiellement dangereux.

Ce nouvel arsenal répressif vise ainsi à la fois la personne morale, « quels qu'en soient la forme juridique ou l'objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités », et ses dirigeants de droit et de fait.

Cette personne morale peut désormais être dissoute lorsque elle-même ou ses dirigeants de droit ou de fait ont été condamnés, au moins deux fois, pour un certain nombre d'infractions de droit commun énumérées par la loi. La dissolution peut être étendue à plusieurs personnes morales unies par une communauté d'intérêts.

Cette loi étend, par ailleurs, la responsabilité des personnes morales à une série d'infractions qui ont leur siège dans le code de la santé ou dans le code de la consommation. Néanmoins, le plus grand nombre se trouve dans le code pénal lui-même.

En outre, la loi prévoit des peines particulières pour les personnes physiques qui participeraient au maintien ou à la constitution d'une personne morale dissoute.

Elle réprime la publicité dirigée vers la jeunesse susceptible de faire la promotion d'une personne morale entrant dans la définition sus-énoncée ou invitant à la rejoindre dès lors qu'elle-même ou ses dirigeants de fait ou de droit ont été condamnés pour les mêmes infractions de droit commun que celles énumérées pour permettre la dissolution civile.

Elle contient également des dispositions destinées à punir l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, d'un mineur notamment. Les peines sont aggravées lorsque l'infraction est commise par le dirigeant de droit ou de fait.

Enfin, l'article 2-17 du code de procédure pénale reçoit une nouvelle rédaction afin de définir les conditions auxquelles les associations reconnues d'utilité publique depuis cinq ans peuvent se porter partie civile.

Au-delà des agissements pénalement répréhensibles dont les mineurs sont victimes, l'aide aux mineurs victimes ne repose pas uniquement sur le domaine pénal.

En matière civile, l'arsenal juridique repose essentiellement sur le contrôle des droits fondamentaux des mineurs.

Dans cette matière, les méthodes d'intervention ne sont pas différentes de celles utilisées pour la protection de l'enfance de manière générique, c'est-à-dire hors dérives sectaires, par le contrôle de l'autorité judiciaire ou administrative.

Il y a, d'une part, le contrôle exercé par l'autorité judiciaire - dans le cadre, premièrement, de la procédure d'assistance éducative, deuxièmement, du prononcé de la délégation ou de la déchéance de l'autorité parentale et, troisièmement, de la saisine du juge aux affaires familiales - et, d'autre part, le contrôle administratif, notamment de l'obligation scolaire.

Je commencerai par la procédure d'assistance éducative.

Une fois saisi, le juge des enfants va moduler son intervention en fonction du danger encouru.

En effet, si les éléments de danger, tels qu'ils sont caractérisés, ne nécessitent pas un placement, le juge peut charger un service éducatif de milieu ouvert d'apporter aide et conseil à la famille et de suivre le développement de l'enfant.

Le juge des enfants peut également subordonner le maintien du mineur dans son milieu familial à des obligations particulières, telles que celle de fréquenter régulièrement un établissement scolaire ou d'éducation, en application de l'article 375-2 du code civil qui énonce une liste, non limitative, d'obligations possibles.

S'il y a carence dans le domaine de la santé, le juge peut ainsi imposer que les soins indispensables soient effectués. Il peut, de la même façon, ordonner une scolarisation dans un établissement scolaire habilité, s'il y a défaillance de l'apprentissage à l'intérieur de la secte.

Ces mesures ne peuvent être efficaces et suffisantes que si les parents en acceptent le contenu. Ils doivent être clairement avertis que le non-respect de l'obligation entraînera inéluctablement le retrait de l'enfant de son milieu familial.

Si les obligations ne sont pas respectées ou si la situation de l'enfant est préoccupante et que sa protection n'est pas assurée tant qu'il reste au sein de la secte, le juge peut éloigner l'enfant de ses parents et le confier à un tiers : un membre de la famille ou à un service éducatif spécialisé. Dans ce cas, le juge des enfants doit préciser s'il accorde aux parents un droit de visite et d'hébergement, conformément à l'article 375-7, alinéa 2, du code civil.

Les tribunaux peuvent également prononcer la délégation ou la déchéance de l'autorité parentale lorsque les parents n'en usent pas selon la loi. Mais c'est une procédure peu utilisée.

La protection se fait également au nom de l'intérêt de l'enfant par la saisine du juge aux affaires familiales lorsque l'appartenance à une secte des deux parents entraîne une rupture avec le reste de la famille, pour accorder des droits de visite aux grands-parents notamment.

S'agissant du contrôle administratif, la loi du 18 décembre 1998 tend à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire, notamment pour ce qui concerne l'instruction dans la famille et dans les établissements hors contrat. Dorénavant, les autorités académiques sont en mesure de contrôler si l'instruction dispensée par les familles ou dans les établissements privés hors contrat respecte les exigences d'un socle commun de connaissances pour tous les enfants, dans le respect des droits de l'homme et de la citoyenneté.

Il est important de souligner que l'on considère comme école un lieu où est dispensé de l'instruction, à partir du moment où sont regroupés plus de trois enfants issus de deux familles différentes. Cela est particulièrement important pour pouvoir soumettre ce lieu au contrôle susvisé mais aussi pour condamner les parents du chef de non-soumission à la réglementation sur les vaccinations obligatoires - car une vaccination n'est obligatoire que si l'enfant fréquente un lieu collectif.

J'énumérerai maintenant les difficultés de mise en œuvre de l'arsenal juridique. Elles sont de trois types : les premières sont d'ordre juridique ou pénal, les deuxièmes apparaissent en matière civile et les troisièmes tiennent à la résistance sectaire.

Différentes raisons expliquent que les actes commis par les sectes semblent peu sanctionnés au regard au nombre des griefs qui leur sont faits, notamment en ce qui concerne les mineurs.

Les difficultés d'ordre juridique ou pénal concernent la détermination et la qualification d'un fait pénal ainsi que l'administration de la preuve.

Pour qu'une infraction soit poursuivie, encore faut-il que les éléments constitutifs soient réunis. L'absence de l'un d'eux ou la discussion qui entoure leur réunion rendent la qualification pénale douteuse. Ainsi, le délit de privation de soins à mineurs tel qu'il était rédigé dans l'ancien code pénal n'était pas toujours poursuivi sous ce chef-là car l'élément intentionnel faisait défaut ou n'était pas suffisamment prégnant au regard du principe d'interprétation stricte de la loi pénale.

De nombreuses décisions ont relaxé les prévenus de ce fait. D'autres ont retenu avec difficulté l'homicide par imprudence pour parvenir à sanctionner l'attitude des parents.

Les problèmes rencontrés par les tribunaux et la Cour de cassation pour sanctionner certains agissements montrent les difficultés qui existent parfois pour adapter les incriminations pénales aux sectes.

Aussi, en raison de situations souvent extrêmement complexes, il n'est pas rare que se présentent dans une même affaire des difficultés en matière d'administration de la preuve. En outre, la plupart des enquêtes face à ces agissements nécessitent de longues investigations.

Tout cela fragilise l'approche pénale des mouvements sectaires.

Les difficultés en matière civile peuvent résulter d'une insuffisance ou d'une absence de signalements et se manifester autour de la notion d'intérêt de l'enfant ou de l'obligation de soins.

L'insuffisance ou l'absence de signalement des situations dangereuses tient aux difficultés à repérer les enfants concernés. En effet, même si des éléments d'inquiétude apparaissent pour certains enfants, l'appartenance de leurs parents à une secte peut rester inconnue ou ne pas avoir suffisamment, voire clairement, d'influence sur leur situation.

Dans les cas les plus extrêmes, ces enfants peuvent avoir disparu de tous circuits sociaux et, de ce fait, aucun signalement les concernant ne peut être fait.

En dehors des faits de maltraitance grave, il est très souvent difficile de caractériser la notion de danger définie à l'article 375 du code civil qui, seule, permet l'intervention du juge des enfants.

Les services d'investigation susceptibles d'intervenir à la demande du procureur de la République ou du juge des enfants, dont les services de la protection judiciaire de la jeunesse, se heurtent aux mêmes limites.

C'est ainsi que l'opacité des mouvements à caractère sectaire, la difficulté de mesurer au travers de tels mouvements le traitement réellement réservé aux mineurs, derrière un discours de façade, rendent particulièrement malaisée l'appréhension des conséquences et des dangers des modes de vie et de pensée ainsi véhiculés.

En outre, si le juge des enfants a précisément compétence pour intervenir dès lors que l'autorité parentale est défaillante ou n'est pas exercée dans l'intérêt de l'enfant, les mesures qu'il peut ordonner n'entraînent pas la déchéance de l'autorité parentale, les parents en conservant tous les attributs non incompatibles avec l'exercice de cette mesure. Or, la religion de l'enfant entre dans ces attributs. À cela s'ajoute le fait que la convention internationale des droits de l'enfant consacre la liberté religieuse des mineurs.

Dans notre pays, où cette liberté est l'une des mieux protégées et où l'on se rappelle les drames qui se sont produits dans le passé dès qu'il y a eu atteinte aux conceptions religieuses des individus, on est toujours extrêmement réticent lorsqu'on croit qu'il va falloir apporter une restriction à cette liberté fondamentale inaliénable. Les sectes excellent dans l'art d'amener ce débat dans le prétoire de manière à susciter une gêne de la part de l'institution judiciaire en rendant ainsi la protection des mineurs partiellement inefficace.

Il convient ici de remarquer que le projet de loi relatif à la protection de l'enfance est susceptible d'améliorer le dispositif de signalement des mineurs victimes de dérives sectaires. Ce projet introduit en effet la notion d « informations préoccupantes » qui seront centralisées par les conseils généraux. Ces « informations préoccupantes » pourront permettre de procéder à l'évaluation d'une situation et de faire bénéficier le mineur et sa famille d'une mesure d'aide et de protection, voire de signaler leur cas à l'autorité judiciaire.

Des difficultés apparaissent également autour de la notion d'intérêt de l'enfant.

L'appartenance d'un des parents à une secte est souvent source de conflits entre les époux et générateur d'une séparation ou d'un divorce. L'enfant sera alors l'enjeu du conflit à travers la secte.

Au nom de l'intérêt de l'enfant, le magistrat doit-il attribuer l'autorité parentale exclusive au parent non adepte ? Dans le même ordre d'idée, doit-il fixer la résidence de l'enfant chez ce dernier ? L'examen des décisions civiles en la matière illustre les difficultés rencontrées par les magistrats, confrontés aux principes de la liberté de conscience et de religion.

Par ailleurs, si le juge aux affaires familiales est, comme l'énonce l'article 247 du code civil, « spécialement chargé de veiller à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs », encore faut-il, pour qu'il intervienne, que les parents soient en conflit, ou bien, plus rarement, que la famille ne soit pas isolée et qu'un tiers vienne demander au juge un droit de visite et d'hébergement.

Des difficultés naissent aussi autour de l'obligation de soins.

Des parents adeptes de mouvements à visée guérisseuse se soustraient à leurs obligations légales en ce qui concerne les vaccinations. Cela est contourné par la présence de médecins adeptes de ces mêmes mouvements qui n'hésitent pas parfois à délivrer de faux certificats de contre-indication à la vaccination.

Enfin, certains obstacles tiennent à la résistance sectaire.

Il ne faut pas sous-estimer le fait que les sectes sont devenues, avec le temps, des virtuoses du droit et de la procédure. De ce fait, on ne peut négliger la force de la réponse communautaire apportée dans chaque situation après avoir été analysée, pensée et insufflée par la communauté entière.

Cette résistance est d'autant plus importante que l'adhésion des parents et des enfants aux principes de fonctionnement de la communauté est forte. Cela entraîne dans les faits beaucoup de difficultés pour le travailleur social pour accéder à l'enfant, voire le rencontrer. Pire encore, cela peut entraîner la mise en cause personnelle du travailleur social, voire du juge, auxquels la communauté prête des intentions malignes.

J'exposerai maintenant l'impact des pratiques sectaires sur la santé mentale et physique des jeunes.

Bien qu'aucune étude standardisée n'ait été réalisée sur le thème qui vous intéresse aujourd'hui, les monographies rapportées par les cliniciens et les données réunies permettent de considérer que c'est la relation d'emprise qui constitue le principal facteur de risque des troubles physiques et psychiques susceptibles d'être provoqués chez les mineurs par les dérives sectaires.

Des effets comparables ont été observés dans les relations d'emprise établies soit au sein de groupes religieux intégristes qui ne répondent pas formellement à la définition de la dérive sectaire même s'ils en partagent certains mécanismes ; soit au sein de groupes de pairs plus ou moins contraignants, comme le mouvement gothique, par exemple, qui occupe une place croissante dans les préoccupations des éducateurs et constitue une incitation à certains troubles de conduite tels que les scarifications ou les tentatives de suicide, en contribuant à masquer la dimension individuelle des difficultés des adolescents qui adhèrent aux valeurs véhiculées par ce mouvement ; soit dans le cadre de relations thérapeutiques utilisant de manière abusive des techniques psychothérapeutiques reconnues y compris en dehors de tout contexte sectaire ; soit, enfin, dans certaines familles marquées par l'emprise d'un parent au fonctionnement répondant à la définition du « pervers narcissique ».

L'emprise sectaire s'exerce sur le mineur indirectement, au travers de ses parents, ou directement.

Je parlerai, d'abord, du cas de l'emprise au travers des parents.

Les parents adeptes d'une secte sont généralement conduits à manifester leur allégeance à la secte en adoptant les principes éducatifs qu'elle impose, notamment dans tout ce qui relève de la transmission des valeurs et des croyances familiales. Dans certains cas, ces principes peuvent les conduire à des mesures éducatives qui relèvent de la maltraitance ou de l'abus.

Le plus souvent, en effet, ils doivent consacrer une part importante de leurs revenus et de leur temps à la secte, aux dépens de leurs enfants. Dans certains cas, cela peut conduire à de graves carences éducatives physiques ou psychiques.

Ils peuvent également être amenés à réduire l'accès à l'autonomie de leurs enfants et la diversité de leurs intérêts afin de réduire les liens qu'ils pourraient nouer avec le monde extérieur à la secte. C'est le cas, notamment, en cas de déscolarisation.

Ils sont enfin souvent conduits à réduire leur place et leur fonction, au profit du ou des leaders de la secte. Certaines sectes sont ainsi fondées sur une infantilisation des parents ou sur une valorisation extraordinaire des compétences et capacités spirituelles et cognitives des enfants dans un schéma qui inverse les liens transgénérationnels et met l'enfant en position de référent de la secte au sein de la famille.

Ces différents aspects perturbent profondément la relation parents-enfants, soit dans le sens de l'abandon, soit dans le sens d'une trop grande fusion. Ces deux mouvements apparemment contraires ont en commun de ne laisser que peu de place à la prise en compte des besoins psychiques et physiques singuliers de l'enfant, les principes éducatifs de la secte annihilant les initiatives éducatives des parents.

À cela s'ajoutent les troubles de personnalité qui sont souvent à l'origine de l'adhésion des parents à la secte.

On se trouve donc généralement devant des parents disqualifiés ne disposant pas des ressources intérieures nécessaires pour éprouver et élaborer les besoins de leurs enfants et s'accorder avec eux. Toutes les conditions sont donc réunies pour induire une pathologie du lien ou de l'attachement parents-enfants telle qu'elle a été décrite par de nombreux auteurs psychanalytiques ou éthologistes. On sait que ces pathologies du lien constituent des facteurs de risque importants pour les troubles psychologiques de l'enfant, notamment des troubles psychosomatiques, des troubles de l'apprentissage ou des comportements, des manifestations anxio-dépressives. On sait également que, directement ou à travers ces troubles précoces, ces pathologies favorisent l'émergence ultérieure de troubles de la personnalité - notamment des troubles de personnalité limite ou antisociale -, de pathologies dépressives, de troubles du comportement - notamment dans leur versant addictif -, de pathologies dépressives, de pathologies du lien et de déficits cognitifs.

À ces risques s'ajoutent ceux, physiques et psychiques, qui sont liés aux carences, maltraitances et abus, dont le risque de survenue est accru dans les situations de pathologie du lien de parentalité.

L'emprise sectaire peut être effectuée directement sur l'enfant.

L'enfant victime d'une dérive sectaire va être soumis à un endoctrinement et à un « interdit de penser » en dehors des cadres imposés par la secte, qui vient limiter la curiosité de l'enfant ainsi que ses expériences vitales et institue les conditions d'un rapport addictif à un environnement limité. Très souvent également, une rupture avec le milieu familial d'origine est initiée par la secte, avec l'objectif de permettre à celle-ci de réaliser les deux objectifs précédents.

L'adhésion à la secte va donc contribuer à interdire l'utilisation par le jeune de la dynamique propre au processus adolescent pour élaborer et dépasser les difficultés de lien et de séparation d'avec la famille, inévitables à cette période de son développement. L'adhésion sectaire est donc un puissant facteur d'arrêt du développement autour de la chronicisation d'une problématique de dépendance.

Il faut souligner que l'existence de monographies faisant état de cas où l'appartenance sectaire n'affecte pas, en apparence, le bon développement d'un mineur et son intégration réussie dans la secte ou en dehors d'elle est généralement largement utilisée par la secte pour étendre son influence en utilisant les réseaux auxquels ces réussites individuelles leur permettent d'avoir accès. Il en est de même des cas où l'adhésion sectaire d'un adolescent en difficulté lui permet de réduire des troubles du comportement ou des conduites toxicomaniaques... au prix de la dépendance substitutive à la secte.

L'impact des pratiques sectaires sur la santé mentale et physique des jeunes résulte également des médecines « de substitution »

Elles concernent directement les mineurs dans les domaines de l'alimentation, de l'hygiène de vie et de l'accès aux soins physiques et psychiques.

Les prescriptions sectaires dans le domaine de l'alimentation ont pu conduire à de sévères carences alimentaires qui, dans certains cas, ont fait l'objet de signalement d'enfants en danger physique. Elles ont également des effets psychiques en contribuant à faire obstacle aux liens sociaux de l'enfant en dehors de la secte.

Les obstacles que les sectes mettent généralement à l'accès aux soins peuvent concerner toute les spécialités médicales mais paraissent plus spécifiquement concerner la psychiatrie qui est particulièrement attaquée par plusieurs mouvements sectaires.

Ces obstacles peuvent occasionner des retards de soin ou des arrêts de prise en charge qui peuvent être responsables de complications irréversibles des troubles physiques ou psychiques non traités ou constituer au moins des pertes de chance non négligeables. Dans ce cas également, le dépassement de ces obstacles peut exiger le recours à des signalements pour mineurs en danger.

Plus rarement, les traitements prescrits par la secte peuvent se révéler dangereux par eux-mêmes.

L'aide ou les actions humanitaires proposées par certains mouvements sectaires sont particulièrement efficaces auprès d'adolescents en difficulté personnelle ou sociale comme le montrent plusieurs témoignages rapportés sur le site « psychothérapie vigilance.com ».

J'exposerai maintenant les modalités de travail de la PJJ en matière de dérives sectaires.

La PJJ procède d'abord à un suivi des mineurs - auteurs ou victimes - concernés par une dérive sectaire.

Lorsqu'un signalement de mineur est effectué et un dossier ouvert dans ce cadre, la protection judiciaire de la jeunesse est informée par le juge des enfants, par le service qui suit le mineur, par la mission sectes de la direction des affaires criminelles et des grâces ou par la MIVILUDES de l'existence présumée d'une dérive sectaire.

Tandis que les services déconcentrés mettent en œuvre les mesures, civiles ou pénales, et les décisions judiciaires ordonnées par le ou les magistrats, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse effectue dans ce cadre un suivi des dossiers signalés.

Ce suivi concerne tant la procédure judiciaire que le déroulement du suivi éducatif mis en place par le magistrat. Il permet, premièrement, de mieux connaître, pour mieux l'appréhender, la doctrine du mouvement suspecté de dérives sectaires, et ses effets sur le mineur et sa famille - une centaine de dossiers, pour la plupart déjà anciens, sont suivis dans ce cadre -, et, deuxièmement, d'aiguiller les services de la PJJ vers des interlocuteurs « ressources » lorsque le besoin s'en fait sentir : associations capables de mieux les informer sur la doctrine du mouvement concerné, travailleurs sociaux ou professionnels formés sur cette question...

Il convient ici de remarquer que la centralisation de l'ensemble des affaires concernant des mineurs est effectuée par la mission sectes de la direction des affaires criminelles et des grâces, qui s'intéresse également aux dérives sectaires impliquant des personnes majeures, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse intervenant essentiellement dans les dossiers suivis par les juges des enfants.

La PJJ travaille également à la formation des professionnels.

Celle-ci s'effectue chaque année par l'intermédiaire de la formation proposée par l'École nationale de la magistrature. Cette formation, destinée aux magistrats, mais également aux différents professionnels administratifs susceptibles d'intervenir dans le domaine des dérives sectaires, est relayée par le centre national de formation et d'études de Vaucresson, c'est-à-dire l'école de la PJJ. Une dizaine de places sont ainsi annuellement proposées aux agents de la protection judiciaire de la jeunesse.

Quatrième et dernier point de mon propos : les limites du travail en matière de dérives sectaires et trois propositions d'amélioration des dispositifs existants.

À titre liminaire, je précise qu'il ne nous apparaît pas indispensable de proposer une nouvelle réforme législative - en dehors d'un ajustement, d'une adaptation ou d'une amélioration du dispositif existant - qui risquerait d'être rapidement inopérante ou tout au moins inadaptée face à des mouvements dont l'action et les modes d'intervention sont fondamentalement évolutifs. Il convient, en outre, de se garder d'une définition figée du phénomène ou de la dérive sectaires qui, pour être valable et efficace à un moment donné, serait rapidement en retard sur l'évolution du phénomène et nécessairement non exhaustive.

L'arsenal législatif existant nous apparaît, en effet, assez souple et diversifié pour pouvoir s'adapter à la variété des situations rencontrées.

La volonté d'appréhender efficacement le phénomène sectaire et la protection des mineurs qui s'y trouvent exposés suppose toutefois d'adapter et d'utiliser pleinement les outils fournis par la législation en vigueur.

Nous avons souligné le fait que les signalements de mineurs se font de plus en plus rares, et que l'intervention judiciaire s'effectue de plus en plus souvent en aval de l'infraction, lorsque le mineur est passé à l'acte ou a été victime d'une dérive sectaire.

Les propositions suivantes pourraient permettre d'améliorer les dispositifs existants.

La première est la mise en œuvre de « personnes relais » au niveau des directions régionales de la protection judiciaire de la jeunesse. Elle pourrait permettre une meilleure connaissance des dérives sectaires et de leur répartition sur le territoire, et serait l'occasion de mettre en place des journées d'information et de sensibilisation des agents à l'échelon régional ou départemental, qu'ils appartiennent au secteur public ou au secteur associatif de la PJJ.

La deuxième proposition est de lancer une information à destination des mineurs. La protection judiciaire de la jeunesse est prête à participer à un travail interministériel ayant pour objectif d'informer le jeune public des risques liés aux dérives sectaires. Des outils pédagogiques pourraient être construits et utilisés dans cette perspective.

La troisième proposition est la création au sein de la PJJ d'un « lieu ressources » centralisé pour informer les professionnels faisant partie d'une autre institution sur la doctrine des différents mouvements, mais également sur les pratiques professionnelles relatives à la prise en charge des mineurs et de leur famille dans ce cadre.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur Duvette.

Les trois propositions que vous avez formulées, à savoir la mise en œuvre de personnes-relais, le lancement d'une information à destination des mineurs et la création d'un lieu ressources, ne relèvent effectivement pas de la loi, mais supposent une initiative du ministère, une organisation de votre direction.

M. Michel DUVETTE : Tout à fait !

M. le Président : Est-ce que ce sont des propositions que vous nous faites ou que vous vous faites, en réalité ?

M. Michel DUVETTE : Ce sont des propositions que je me fais et dont je vous fais part !

M. le Président : Au nom de la commission, nous ne pouvons que vous en féliciter !

M. Jean-Pierre BRARD : Cela vaut engagement à contrôler !

M. Michel DUVETTE : Cela va de soi !

M. le Président : Parmi les informations très précieuses que vous nous avez données, j'en relève trois qui suscitent notre interrogation.

Vous avez dit qu'il n'y a pas de statistiques sur les enfants victimes des sectes. Pourquoi ? Vous nous avez indiqué qu'il y avait une centaine de dossiers signalés - qui sont des dossiers particuliers ; toutes les affaires de dérive sectaire ne remontent pas, bien sûr, à votre direction.

M. Michel DUVETTE : Bien sûr !

M. le Président : L'absence de statistiques est-elle due à des problèmes matériels ou à des difficultés d'information ?

Il est une deuxième carence que vous relevez vous-même avec beaucoup de franchise : l'insuffisance des signalements d'appartenance à une secte. Pourquoi ? Cela vient, bien sûr, de l'opacité des sectes, mais vous avez indiqué qu'il y avait une gêne des tribunaux, donc une protection inefficace.

Troisièmement, vous avez dit qu'aucune étude n'a été réalisée sur les conséquences de l'emprise sectaire sur la santé de l'enfant. Là encore, pourquoi ?

M. Michel DUVETTE : La direction de la protection judiciaire de la jeunesse travaille avec la justice des mineurs. Les informations qui nous remontent le sont par ce canal. Une des difficultés pour avoir une statistique exhaustive vient de ce que nous ne maîtrisons pas les dispositifs de protection administrative. Par ailleurs, je vous ai indiqué que la direction des affaires criminelles et des grâces gère les affaires concernant les personnes majeures. Cela étant, nous travaillons avec celle-ci de façon très étroite.

Je répondrai maintenant sur l'insuffisance de signalements. Le dispositif législatif actuel repose sur des incriminations, en matière pénale notamment, et sur des infractions de droit commun. Les dossiers qui nous remontent sont ceux pour lesquels un lien a été établi avec des dérives sectaires. Il n'est pas toujours facile de lier les deux choses et de pouvoir déterminer que tel signalement, telle affaire et ses conséquences sont liés à des dérives sectaires, notamment au niveau des magistrats ou du service de la PJJ. Cela rejoint un peu ce que je disais dans mon propos liminaire sur la sensibilité à la fois des magistrats et des services à ces questions, sans sous-estimer la difficulté à établir des liens.

Quant aux conséquences sur la santé mentale de l'emprise sectaire, je n'ai pas connaissance, c'est un fait, d'études approfondies sur ce sujet.

M. le Président : C'est une question que nous avons également posée à MLine N'Kaoua. Elle n'a pas pu y répondre puisqu'elle n'est pas psychologue ni médecin. Elle aussi nous a parlé de l'emprise mentale des sectes, qui est très difficile à démontrer devant une juridiction. Cela étant, nous avons l'impression qu'il y a là un vide total. N'y a-t-il pas des lieux de réflexion et d'analyse scientifique au sein de la direction de la PJJ ou de la direction des affaires criminelles et des grâces sur ce sujet ?

Mme Sophie SANSY : Il existe une réflexion puisqu'une partie de l'exposé de M. Michel Duvette a consisté à vous présenter quelles pouvaient être les conséquences sur un mineur d'une emprise de type sectaire.

Vos trois questions sont intéressantes parce qu'on ne peut leur apporter, en fait, que la même réponse, à savoir qu'étant donné qu'il y a peu de signalements et que nous ne disposons que des statistiques des dossiers qui sont remontés jusqu'à la direction de la PJJ, celles-ci ne sont pas révélatrices de l'ensemble des situations des mineurs en France qui sont victimes de dérives sectaires. On va travailler sur une base de données qui n'est en fait que la partie émergée d'un iceberg beaucoup plus important.

Nous nous heurtons à ces mêmes difficultés : peu de signalements, des statistiques nécessairement faussées, en tout cas très inférieures à la réalité du phénomène sectaire en France concernant les mineurs, un problème pour recenser précisément des indicateurs fiables permettant de réaliser une étude scientifique des conséquences.

M. le Président : Le nombre des Témoins de Jéhovah est estimé à 140 000, dont 40 000 enfants. Cela fait un vivier très important. Sans attendre des signalements - et Dieu sait s'il doit y en avoir - votre direction ne pourrait-elle pas faire une étude précise et concrète des conséquences sur la capacité de jugement critique de l'enfant ?

Mme Sophie SANSY : Nous nous heurtons là à une difficulté d'ordre juridique : dans la législation actuelle française, l'appartenance à une secte ne constitue pas un délit.

M. le Président : Qui vous parle de délit ? Nous parlons de protection de l'enfant quant à sa santé mentale. Il s'agit de savoir quelles sont les conséquences pour l'enfant, l'adolescent, le futur citoyen. Pourra-t-il se développer normalement ?

Nous parlons de protection judiciaire en matière civile, dans le cas de divorces, d'attribution de la garde et de l'autorité parentale, qui relève de votre direction.

Mme Sophie SANSY : Pour autant, cela consiste à viser un mouvement particulier.

M. le Président : Non : j'ai pris l'exemple des Témoins de Jéhovah, mais j'aurais pu en prendre d'autres. Il serait intéressant, pour les responsables que nous sommes, de savoir si les doctrines de l'instincto-thérapie ou des Témoins de Jéhovah, par exemple, vont avoir des conséquences sur l'évolution psychique de la personnalité de l'enfant. Or, de telles études n'existent pas.

Vous nous répondez que nous risquons de tomber dans l'atteinte discriminatoire. Nous retrouvons à nouveau la gêne observée aussi bien par les magistrats que par les directions du ministère.

M. Michel DUVETTE : Juste une précision : la direction de la PJJ n'intervient pas dans le domaine des juges des affaires familiales, c'est-à-dire dans le domaine de l'autorité parentale.

M. le Président : Vous n'intervenez donc qu'en vertu de l'article 375 du code civil relatif à l'enfance en danger ?

M. Michel DUVETTE : C'est cela.

M. le Président : Il n'y a pas d'approche scientifique de la question de l'emprise mentale sectaire ?

M. Michel DUVETTE et Mme Sophie SANSY : Non !

M. le Président : Vous n'envisagez pas de réaliser ce type de travail ? Il n'y a pas de réflexion à ce sujet ?

M. Michel DUVETTE : Pour pouvoir conduire ce type de réflexion, il faudrait que nous parvenions à définir une méthodologie. Il faudrait qu'on nous aide.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Monsieur le directeur, j'ai eu l'impression que vous faisiez une confusion dans votre propos entre religion et secte.

M. Michel DUVETTE : Non !

M. le Rapporteur : À votre connaissance, la circulaire adressée en 1996 aux magistrats du parquet va-t-elle ou non être actualisée ?

Vous considérez la législation actuelle satisfaisante. Ne pensez-vous pas que les dispositions de l'article 7 du code de procédure pénale, fixant un délai de prescription de vingt ans en cas d'abus sexuels subis dans l'enfance et l'adolescence, ne seraient pas un outil supplémentaire pour lutter contre les organisations sectaires ?

Mme Sophie SANSY : Je crois savoir qu'un travail est mené au sein de la MIVILUDES pour actualiser le plus rapidement possible les textes des circulaires qui sont un peu défraîchis.

M. le Rapporteur : Si je comprends bien, votre administration attend que la MIVILUDES vous transmette un certain nombre de propositions pour pondre une circulaire !

Mme Sophie SANSY : Absolument pas ! Mais la question des dérives sectaires n'impacte pas que la PJJ. Si chacun travaille dans son coin, il sera impossible d'avancer. Nous trouvons, c'est vrai, que le travail interministériel est le mieux adapté pour la prise en compte de ces phénomènes. Il faut être bien conscient que les situations qui remontent jusqu'à nous touchent également l'éducation nationale, la gendarmerie et la police.

M. le Rapporteur : Ne vous sentez pas mise en accusation. Ce sont simplement des précisions que je demande.

Mme Sophie SANSY : Une étude sur le sujet ne peut se faire qu'au niveau interministériel. Elle permet aussi d'alimenter la réflexion des uns et des autres.

M. Michel DUVETTE : Quant à votre question sur le délai de prescription - que nous avons abordée dans le cadre de la préparation de nos interventions avec la DACG - , elle est ouverte. Elle est un peu complexe et mérite une réflexion d'ensemble.

M. le Président : Je vous trouve d'une prudence de Sioux !

M. Michel DUVETTE : Je ne m'estime pas le mieux qualifié pour vous répondre sur ce point.

M. le Président : Je comprends que vous ayez un certain devoir de réserve, mais la question se pose quand même !

M. Michel DUVETTE : Oui.

M. le Président : Vous avez dû y réfléchir un peu. Ma question est précise : pensez-vous qu'une adaptation des délais de prescription serait ou non utile ? Je vous demande une réponse précise.

Mme Sophie SANSY : Pour vous donner une réponse précise, nous pensons que cela n'aura pas d'effets concrets, tout simplement parce que la charge de la preuve risque d'être très compliquée à rapporter avec le temps.

M. le Rapporteur : Vous êtes les premiers à nous dire cela !

Mme Sophie SANSY : C'est en tout cas le point de réflexion auquel nous sommes parvenus. Il peut peut-être encore évoluer, mais le dispositif de droit commun permet d'apporter déjà un certain nombre de réponses et nous considérons qu'il faut l'appliquer au maximum. Un allongement du délai de prescription créera des attentes importantes chez les victimes alors que je ne vois pas bien comment on pourra rapporter les preuves au bout de quinze ans. Nous voyons déjà à quoi ressemble à l'heure actuelle le contentieux concernant les dérives sectaires : il y a beaucoup de non-lieux et de classements sans suite. Si le délai de prescription augmente, je ne suis pas sûre que l'on arrive à plus de condamnations.

M. Jean-Pierre BRARD : Il est vrai que c'est très compliqué, mais l'exigence de justice doit l'emporter sur tout le reste et, de ce point de vue, on peut effectivement se poser la question.

J'ai parfois l'impression - et cela ne concerne pas spécialement votre ministère - qu'il y a une certaine indifférence aux problèmes sectaires dans l'appareil d'État et que le risque n'est pas toujours mesuré.

Personnellement, je m'interroge sur la question des enfants déscolarisés. Pour certains, qui le sont avec une autorisation en bonne et due forme, des contrôles de l'Éducation nationale très inquiétants quant à l'évaluation des résultats ne sont pas suivis d'effet. Je ne comprends pas pourquoi rien ne suit !

Deuxièmement - et cela vaut probablement plus pour les villes que pour les villages -, aucun contrôle n'est prévu pour les enfants pour lesquels les parents ne demandent pas à bénéficier de la déscolarisation et qui reçoivent un enseignement au sein de leur famille. Je sais bien que, tant qu'une chose n'est pas démontrée, on ne peut pas formuler d'accusation. Mais ces enfants sont exposés puisqu'ils n'existent nulle part. Qui s'en occupe? Est-ce que votre ministère a une responsabilité particulière ?

Enfin, vous avez parlé de médecines de substitution. Cela m'intéresserait de savoir s'il existe des monographies sur les pratiques de certaines sectes et sur certaines médecines de substitution.

M. Michel DUVETTE : Concernant le premier point, c'est-à-dire l'identification, lors d'un contrôle, de situations difficiles, cela rentre tout à fait dans le champ des dispositifs de protection de l'enfance et c'est ce qu'on essaie de développer notamment à travers le projet de loi que vous allez être prochainement amenés à examiner à la suite du Sénat.

M. Jean-Pierre BRARD : Avez-vous déjà eu des situations comme celles-là ?

M. Michel DUVETTE : Des situations d'enfants qui n'existent nulle part sont par définition difficiles à identifier. Il y a eu, à une certaine époque, des rumeurs sur des enfants qui n'étaient enregistrés nulle part mais, à ma connaissance, on n'en a jamais trouvés.

M. Jean-Pierre BRARD : Y a-t-il eu des investigations menées à ce sujet ? Dans une ville comme la mienne, qui compte 100 000 habitants, il est très facile de soustraire des enfants à l'obligation scolaire : il suffit de ne pas les inscrire à l'école. Comment vérifier s'il existe des enfants dans ce cas ?

Deuxièmement, pour ceux dont les parents ont demandé l'autorisation de déscolarisation, que se passe-t-il quand il y a un rapport calamiteux de l'Éducation nationale ?

M. Michel DUVETTE : Il me semble qu'il revient aux services de l'Éducation nationale de signaler ces cas soit au conseil général, soit...

M. Jean-Pierre BRARD : C'est ce qui a été fait dans le cas particulier que j'ai en tête. Et il ne se passe toujours rien !

M. Michel DUVETTE : Je considère que, dans des situations où il y a une présomption d'enfants en danger, l'administration devrait le signaler à l'autorité judiciaire, si elle l'estime nécessaire et, dans le nouveau dispositif qui va être mis en place, auprès du conseil général. Cela permet ensuite d'avoir des moyens d'investigation.

Le service de la PJJ intervient, quant à lui, à la demande du magistrat, soit dans le cadre d'enquêtes sociales, qui répondent à votre préoccupation, soit dans le cadre de ce que l'on appelle les mesures IOE - c'est-à-dire d'investigation et d'orientation éducative - qui permettent une étude lourde pouvant durer plusieurs mois au sein d'une équipe pluridisciplinaire. Mais cela intervient après saisine du juge des enfants : c'est lui qui mandate les travailleurs sociaux de la PJJ ou du secteur associatif pour réaliser ce type d'enquête. Nous intervenons assez rapidement dans ce cadre.

Mais encore faut-il qu'il y ait un signalement auprès d'un magistrat ou, maintenant, des services sociaux du conseil général qui, eux-mêmes, peuvent diligenter des enquêtes sociales.

L'objectif de la réforme de la protection de l'enfance est justement d'améliorer la situation, c'est-à-dire permettre de détecter les situations sans qu'il y ait obligatoirement un signalement de danger grave pour l'enfant à la suite de maltraitances déjà advenues. Le dispositif que nous essayons de mettre en œuvre avec le Parlement doit permettre d'être attentif aux bruits et aux informations préoccupantes qui devraient déjà mobiliser une prise de contact ou un travail préliminaire pour voir si la situation de l'enfant justifie une intervention.

M. Jean-Pierre BRARD : Je vais aller jusqu'au bout de ma question, monsieur le directeur. L'éducation nationale n'est pas subordonnée aux services départementaux. Un inspecteur de l'éducation nationale qui, après avoir fait un signalement, s'aperçoit qu'aucune suite n'y est donnée, a-t-il qualité à saisir, de sa propre initiative, la justice ?

M. Michel DUVETTE : Oui, tout à fait ! Tout fonctionnaire qui a connaissance d'une infraction ou d'une situation mettant en danger un enfant doit le signaler auprès de l'autorité judiciaire. Cela fait partie de son devoir. D'ailleurs, il y a eu des instructions qui ont été données par le passé aux services de l'Éducation nationale de signaler systématiquement au parquet les situations qui leur paraissaient dangereuses pour les enfants. Les interventions sont parfois un peu disproportionnées. C'est pourquoi il faut toujours travailler au juste niveau d'intervention. Le signalement systématique auprès de l'autorité judiciaire peut conduire à stigmatiser des familles qui ne sont pas concernées par des situations de maltraitance ou de mise en danger.

M. le Président : Vous exprimez votre volonté ainsi que celle du Gouvernement d'intervenir plus en amont...

M. Michel DUVETTE : Complètement !

M. le Président : ...avec la nouvelle notion d'«informations préoccupantes »...

M. Michel DUVETTE : Tout à fait !

M. le Président : ...sans attendre le signalement d'une situation de danger. Cela implique une intervention plus précoce. 

M. Michel DUVETTE : Dans le cadre de la réforme de la protection de l'enfance, le dispositif est d'ailleurs complété par une mesure qui fait beaucoup débat, à savoir le partage des informations entre des professionnels soumis au secret. Cette mesure est indissociable de la volonté de pouvoir détecter les situations à risque et de croiser des informations sur des familles et des enfants éventuellement en danger.

M. le Président : Nous retrouvons là une problématique soulevée par la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau : la stigmatisation du cloisonnement des informations des services sociaux.

Mme Martine DAVID : Je dois avouer que nous sommes parfois tentés de céder au découragement. Votre intervention n'est pas plus en cause que celles d'autres représentants d'autres ministères, mais je suis un peu déçue. Nous avons l'impression de nous battre en vain, de ne pas être suivis, alors que nous savons qu'il y a beaucoup de cas de dérives sectaires en France. J'ose dire les choses comme je les ressens parce que cela finit par avoir un côté agaçant. L'État ne se donne pas suffisamment de moyens pour vérifier au moins le bien fondé de nos réflexions.

J'aimerais savoir en quoi consiste précisément le travail interministériel dont vous avez parlé et comment il est mené. Pouvez-vous nous donner des exemples précis d'actions que vous avez déjà mises en œuvre ou que vous envisagez de mettre en œuvre, ou même que vous souhaitez corriger ? Il va bien falloir que l'on ait une approche un peu plus précise de ce travail.

Deuxièmement, votre direction est-elle appelée à réaliser des actions de prévention et d'information en direction de la jeunesse, par exemple dans les établissements scolaires ou dans tout autre lieu où se réunissent des jeunes ? Ce travail est essentiellement mené par des responsables de la MIVILUDES, et occasionnellement par quelques-uns d'entre nous qui sommes de temps en temps sollicités, par l'intermédiaire d'un dialogue avec des collégiens et des lycéens, pour informer de certaines dérives sectaires. Au-delà de la bonne volonté et du travail normalement effectué par la MIVILUDES, que fait votre direction ?

M. Michel DUVETTE : Je laisserai Mme Sansy répondre sur le premier point.

Concernant le deuxième point, je dois dire que nous ne sommes pas sollicités pour participer à des actions d'information et de prévention à destination des mineurs.

Mme Martine DAVID. Avez-vous fait quelque chose pour l'être ?

M. Michel DUVETTE : Cela fait partie des propositions que j'ai faites tout à l'heure : nous sommes disponibles pour cette action. Nous le faisons sur d'autres sujets, mais pas sur les dérives sectaires.

M. le Président : Votre troisième proposition est effectivement la création d'un lieu ressources pour informer. L'information est à destination des mineurs...

M. Michel DUVETTE : Tout à fait ! Les éducateurs de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse mènent des actions d'information auprès des jeunes sur les questions liées à la justice en général ou à la toxicomanie, ou encore sur des questions de citoyenneté, mais pas sur les sectes.

M. le Président : C'est la troisième commission d'enquête relative aux mouvements à caractère sectaire depuis 1995. Cela fait donc plus de dix ans que nous soulevons les problèmes liés à ces mouvements. Or vous nous annoncez aujourd'hui que vous envisagez une information à ce sujet en direction des jeunes. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Mme Sophie SANSY : C'est la première commission qui s'intéresse directement aux mineurs. Ce n'est sans doute pas un hasard.

M. le Président : Vous parlez en présence de M. Alain Gest, président de la première commission d'enquête sur les sectes en 1995 : la question des mineurs y était abordée.

Mm Sophie SANSY : Je n'ai pas dit que le sujet était totalement neuf, mais les thèmes retenus pour les précédents rapporteurs n'étaient pas explicitement les mineurs et les sectes.

M Jean-Pierre BRARD : Il faudrait aussi - et je ne plaisante pas - s'occuper des personnes âgées, qui sont victimes de captations d'héritage. C'est un vrai problème. S'il faut x commissions d'enquête pour évoquer tous les aspects du problème...

Mm Martine DAVID : Nous attendons une attitude plus offensive de la part de l'ensemble des administrations d'État : elles devront nous aider à prendre en compte ces phénomènes sectaires.

Mme Sophie SANSY : Je peux vous assurer que nous y accordons véritablement de l'attention. Même si vous n'avez pas l'air tout à fait convaincue,...

Mme Martine DAVID : Non !

Mme Sophie SANSY : ...les personnes qui sont en face de vous s'intéressent de près au phénomène et y consacrent une grande partie de leur temps.

Je tiens à rappeler que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, de par ses missions, intervient généralement sous mandat judiciaire.

Il y a trois ans, nous avons réalisé, auprès des juges des enfants, une enquête de manière à pouvoir, nous aussi, cerner un peu statistiquement ce que pouvait représenter la problématique sectaire dans le travail des magistrats et des éducateurs et nous nous sommes aperçu qu'elle était très marginale par rapport à l'ensemble des autres problèmes que notre direction est amenée à gérer pour ces mêmes mineurs, à savoir les problèmes de violence, de déscolarisation, d'insertion professionnelle, de difficultés familiales. Tous ces aspects-là sont également à prendre en compte.

La problématique sectaire nous intéresse. Notre réflexion s'élabore à ce sujet, mais à son rythme et en fonction des personnes qui nous sollicitent et des disponibilités que nous pouvons mettre au service des autres. Nous intervenons en prévention auprès de certains établissements. Nous disposons pour ce faire d'outils qui se sont construits progressivement. Il a fallu former des gens pour les mettre en place auprès du public. Cela n'a pas pu émerger rapidement.

Mme Martine DAVID : Vous allez dans les établissements scolaires ?

Mme Sophie SANSY : Oui, sur un certain nombre de thématiques comme, par exemple, les questions de justice...

Mme Martine DAVID : Les questions de justice, ce n'est pas ce qui nous intéresse. Pour résumer mon sentiment à l'heure actuelle - et, encore une fois, ce n'est pas vous qui êtes personnellement en cause : de la réflexion, oui, mais il faudrait peut-être songer à passer à l'action !

Mme Sophie SANSY : Pour vous donner quelques éléments concrets sur notre travail, je précise que celui-ci s'effectue essentiellement à partir de réunions. Lorsque nous avons des questions sur le fonctionnement de certaines associations - il nous arrive d'être saisis par courrier par des particuliers - ou lorsque nous avons des questions de professionnels, de personnels de terrain, nous mettons en commun l'information dont nous disposons dans le cadre de réunions spécialisées sur les mineurs afin que la police vérifie si elle a des renseignements sur ces associations, afin également de savoir si des dirigeants sont en cause ou encore d'avoir un historique de ce qui s'est passé au sein d'une même association, dans le but d'apporter des éléments de réponse aux personnes.

C'est essentiellement un travail de réunion, de mise en commun des informations dont chacun dispose. Cela permet parfois de faire émerger une dérive sectaire, et parfois non !

M. le Président : Vous avez indiqué, en réponse à Mme David, que votre direction avait ordonné une enquête auprès des juges des enfants sur le phénomène sectaire.

Mme Sophie SANSY : Ce document vous sera communiqué.

M. le Président : Vous nous avez donné un premier élément de réponse puisque vous avez souligné que le phénomène sectaire n'était pas vraiment pris en compte.

Mme Martine DAVID : Il est marginal !

Mme Sophie SANSY : La partie traitée par les juges des enfants correspond à 0,14 % de leur activité. Nous sentons, nous aussi, que c'est une toute petite partie du phénomène des dérives sectaires.

M. le Président : On nous a cité le chiffre de 80 000 enfants touchés par ce phénomène.

Mme Sophie SANSY : Mais, en 2003-2004, lorsque nous avons mené notre enquête, nous avons recensé 192 dossiers - et pas un de plus - ouverts pour une problématique sectaire, directe ou indirecte. Nous aussi, nous nous heurtons à des difficultés statistiques.

M. Michel DUVETTE : Vous avez cité le chiffre de 80 000 enfants touchés par le phénomène...

M. le Président : C'est le chiffre que nous a cité le ministère : entre 60 et 80 000 enfants seraient concernés par le phénomène sectaire, de manière directe ou indirecte.

Mme Sophie SANSY : C'est fort possible.

M. Michel DUVETTE : A titre de comparaison, au titre de l'enfance en danger, les juges des enfants sont saisis de l'ordre de 120 000 dossiers nouveaux chaque année.

M. le Président : On voit bien que ce n'est pas marginal !

M. Michel DUVETTE : En même temps, cela nous pousse à nous interroger sur les résultats de l'enquête qui vous sera communiquée, car cela pose deux types de questions : soit les magistrats n'identifient pas la problématique sectaire comme faisant partie de leurs dossiers, soit les enfants passent à travers. A ce moment-là, le dispositif de signalement et de prise en charge au titre de l'enfance en danger par les magistrats passe à coté de la situation d'un certain nombre d'enfants !

M. Jacques MYARD : Il peut y avoir un recoupement. Il est possible qu'ils aient appréhendé les dossiers à travers l'enfance en danger alors que cela relève aussi de dérives sectaires.

M. Michel DUVETTE : Tout à fait !

M. Philippe TOURTELIER : Vous avez dit qu'il y avait une centaine de dossiers déjà anciens. Je m'interroge sur les mots « déjà anciens ». Cela signifie-t-il qu'il n'y en a pas de nouveaux, que ces dossiers traînent en longueur ?

Mme Sophie SANSY : Cela signifie que l'on constate une forte diminution des cas de signalement. Cela nous pousse également à nous interroger. Nous nous posons aussi la question de savoir comment et par quels outils nous pourrions effectuer un meilleur repérage des mineurs et le plus tôt possible. Ce n'est pas parce que nous n'avons malheureusement pas d'outils concrets et immédiatement opérationnels pour y répondre que nous ne nous posons pas la question et que nous n'y réfléchissons pas.

M. Michel DUVETTE : À titre personnel, j'ai été frappé par la difficulté des dossiers à aboutir.

M. Jean-Yves HUGON : Ma première question concernait l'absence de statistiques. Je voulais savoir si, malgré tout, vous aviez décelé quelques tendances. Je considère que vous y avez déjà répondu.

Ma seconde question porte sur vos propositions et, notamment, sur la mise en place de personnes relais au niveau des directions régionales de la PJJ. Pourriez-vous être un peu plus précis sur le profil de ces personnes relais, leur rôle et leur niveau d'intervention. Je souhaiterais également des précisions sur votre troisième proposition, à savoir la création d'un lieu ressources centralisé ?

M. Michel DUVETTE : La direction de la protection judiciaire de la jeunesse compte 8 200 agents répartis sur l'ensemble du territoire en unités de dimensions réduites. Les personnels éducatifs font donc un travail très individualisé. Ils ont besoin d'appui, de soutien et de lieux où ils puissent obtenir des conseils et des informations.

La direction de la protection judiciaire de la jeunesse est organisée en directions régionales - au nombre de quinze - et en directions départementales.

Pour répondre à la préoccupation exprimée d'être en mesure de détecter les situations susceptibles de mettre en cause des dérives sectaires, il est nécessaire que ces acteurs de terrain soient mieux sensibilisés et mieux formés à cette problématique. Or, on ne peut pas former 8 000 agents en permanence sur ces questions. C'est pourquoi je propose, comme nous le faisons dans d'autres domaines, de former des correspondants au sein des directions régionales.

Chaque direction régionale comporte un petit pôle de personnes chargées des questions professionnelles d'action éducative. Il me paraît intéressant de focaliser notre action de formation, d'information et de mobilisation de réseaux sur des personnes identifiées au sein de ces directions régionales, à charge pour elles de relayer les connaissances vers les autres acteurs de terrain dans les différents départements.

Reste à voir sous quelle forme on peut organiser ce travail. Nous le faisons déjà dans d'autres domaines, comme la santé physique des jeunes, et cela fonctionne bien : nous prenons en charge des jeunes qui ont une santé très dégradée. Le travail de ces correspondants formés pour former les autres éducateurs sera d'autant plus efficace qu'ils pourront accéder à des lieux ressources et qu'ils pourront fonctionner en réseau pour obtenir eux-mêmes des informations pour les transmettre à ceux qui en ont besoin.

M. le Président : Combien d'éducateurs travaillent à la PJJ ?

M. Michel DUVETTE : Fin septembre, 8 200 agents étaient déployés sur le terrain, dont un peu plus de la moitié sont des personnels éducatifs : éducateurs et chefs de services éducatifs.

M. le Président : Cela fait à peu près 4 000 éducateurs plus spécialisés pour les mineurs en danger.

M. Michel DUVETTE : Non, ils interviennent pour tous les mineurs, au pénal ou au civil.

M. le Président : Or, vous nous avez dit qu'il y avait chaque année dix places seulement pour la formation sur les dérives sectaires. On voit le décalage !

M. Michel DUVETTE : C'est pour cela qu'il faut changer de système. Nous ne pourrons pas former au niveau central l'ensemble des éducateurs de la PJJ. Il faut trouver un système de relais, de correspondants, qui permette de démultiplier l'information.

Cette information est de très grande qualité. Il faut que l'on puisse y accueillir des directeurs départementaux, des directeurs régionaux, des cadres et toute les personnes sensibilisées à ces questions.

Pour que vous soyez complètement informés, je dois préciser que tout ce que je viens de dire vaut pour le secteur public de la direction de la PJJ. Il existe également un secteur associatif beaucoup plus nombreux puisqu'il regroupe de l'ordre de 30 000 salariés qui interviennent soit directement sur décision de magistrats, soit indirectement par le relais des conseils généraux. Il faut également prendre en compte le travail des ASE et des services sociaux des conseils généraux qui représente une part beaucoup plus importante que celui du secteur public de la PJJ dans le dispositif enfance en danger.

M. le Rapporteur : Beaucoup d'intervenants ont exprimé le souhait d'une meilleure coordination entre l'ensemble des personnes ou services concernés par le problème qui nous occupe. Les représentants des services de l'État, les responsables d'associations, les avocats et les magistrats que nous avons entendus nous ont tous dit travailler un peu chacun dans son coin. Pensez-vous qu'il serait souhaitable de mettre en place une meilleure coordination et un échange d'informations plus précis ?

M. Michel DUVETTE : Je vous ferai une réponse à deux niveaux : au niveau institutionnel et à celui de la direction de la PJJ.

Du point de vue institutionnel, le projet de loi sur la protection de l'enfance prévoit un dispositif d'observatoire départemental, animé par le président du conseil général, qui permettra de réunir les représentants des différentes institutions intervenant dans le domaine de la protection de l'enfance. On y trouvera notamment des représentants de l'autorité judiciaire mais aussi du mouvement associatif. C'est un lieu qu'il faudra valoriser pour améliorer la coordination institutionnelle et définir des priorités et des modalités d'action commune. Si, dans un département, la lutte contre les dérives sectaires était reconnue comme prioritaire et nécessiter une action accentuée, ce sera le lieu pour en discuter.

Pour ce qui concerne la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, est actuellement développé, sous l'autorité du garde des sceaux, un travail de complémentarité avec, d'une part, les services du conseil général et le secteur associatif et, d'autre part, les magistrats selon des modalités qu'ils définissent, de façon à améliorer la communication entre les différents services. J'ai demandé à quarante-cinq départements de travailler sur cette question de la complémentarité, qui trouve d'ailleurs toute sa place dans les schémas départementaux de protection de l'enfance : principe de coordination, travail collectif. En outre, j'ai demandé à treize départements particulièrement en pointe d'approfondir leur pratique professionnelle dans le cadre de commissions d'examen de situations particulièrement difficiles ou posant des problèmes, aussi bien au pénal qu'au civil, au sein du dispositif enfance en danger. Parfois les dossiers peuvent également concerner de jeunes majeurs.

Je crois beaucoup au rassemblement des professionnels dans le cadre de ces commissions pour l'examen de dossiers identifiés comme posant des problèmes de coordination, de complémentarité et de cohérence à la fois dans l'espace et le temps.

M. Jean-Pierre BRARD : Pour travailler sur le sujet depuis un certain temps, beaucoup de parlementaires, vous l'avez senti, sont très mobilisés. Cela étant, quand nous regardons d'où nous venons, nous devons quand même reconnaître que nous avons cheminé, aux côtés des grands services de l'État auxquels vous appartenez.

Je me demande si, parmi les crimes et délits qui vous remontent, il en est de très visibles et lisibles immédiatement. J'ai été très frappé par le fait que, pour le ministère de l'économie et des finances, les sectes ne sont pas un thème, mais la fraude, oui. Or, si vous comparez la fraude sectaire à la fraude à la TVA intracommunautaire, vous constatez une réelle disproportion entre les volumes concernés, et il n'apparaît pas dès lors rentable de s'intéresser à la première. Comparaison n'est pas raison, mais ne se produit-il pas un phénomène identique pour les personnes qui travaillent sur le terrain ? Ne faut-il pas provoquer, si je puis dire, l'appel pour être en mesure d'agréger les données ?

Vous avez parlé de 200 dossiers environ.

M. Michel DUVETTE : Un peu moins. Dans l'enquête, il est fait état de 192 dossiers.

M. Jean-Pierre BRARD : L'un des dix critères retenus par la commission présidée par Alain Gest était les démêlés avec la justice. Pouvez-vous nous dire quelles sont les sectes qui spontanément vous reviennent le plus à l'esprit de ce point de vue ?

Enfin, je souhaite revenir sur les Gothiques. Les scarifications que vous avez évoquées semblent ne pas être une pratique exceptionnelle. Comment ces affaires vous remontent-elles ? Est-ce qu'on cherche ce qu'il y a derrière ces manifestations ? C'est en effet très inquiétant que des jeunes, en quelque sorte, s'automutilent. Notre mission est de protéger les libertés individuelles et collectives. Mais, là, on ne peut plus parler de liberté individuelle.

M. Michel DUVETTE : La mission de la PJJ est, je tiens à le rappeler, la protection de l'enfant, qu'il soit délinquant ou en danger.

La prise en compte des phénomènes sectaires doit être appréhendée dans l'approche globale que peut avoir l'éducateur et les services de la PJJ vis-à-vis de la situation d'un jeune. Le fondement de notre intervention, c'est une individualisation de la situation de chaque jeune, de son environnement, de sa personnalité, de son comportement, de ses difficultés. S'il existe une emprise sectaire, elle pourra apparaître mais la difficulté est de parvenir à l'identifier et à la traiter convenablement au niveau des professionnels.

Mme Sansy va compléter ma réponse.

Mme Sophie SANSY : Le ministère de l'intérieur et, notamment, la police et la gendarmerie ont effectué un travail intéressant, qui a été mis en commun au niveau de la MIVILUDES, sur le thème du gothisme et du satanisme. Ils ont essayé de repérer les symboles utilisés et la perception qu'en ont les jeunes et ont élaboré des guides à l'usage des professionnels leur permettant de mieux reconnaître et identifier ces signes pouvant laisser supposer une dérive liée au gothisme. Pour l'instant, les remontées que nous avons de la part des éducateurs sont un peu diffuses.

Il faut noter qu'il s'agit également d'un phénomène de société. On retrouve un peu partout des éléments qui appartiennent à l'univers gothique. Cela va des impressions que l'on trouve sur les T-shirts à des comportements de groupes de jeunes, jusqu'aux conduites qui mettent le mineur en danger : scarifications, tentatives de suicide... Nous avons encore des difficultés à trouver un lien direct entre le mouvement et le passage à l'acte des mineurs.

Le travail effectué par le ministère de l'intérieur est intéressant. Nous réfléchissons également à la possibilité de mettre davantage en commun nos connaissances, non seulement pour les professionnels, mais surtout pour les mineurs. Les éducateurs questionnent déjà les jeunes qu'ils prennent en charge à ce sujet : la plupart ne connaissent pas ou ne comprennent pas les symboles qu'ils arborent pourtant très ostensiblement.

M. le Président : Les personnels de l'Éducation nationale qui ont en charge la santé des enfants font-ils remonter des cas ou règne-t-il une sorte d'indifférence devant le phénomène ?

Mme Sophie SANSY : Ils le font peu. Il y a une très forte banalisation de ces éléments, qui sont totalement fondus dans la société actuelle, et il existe une très forte tolérance à l'égard des comportements des uns et des autres.

M. Jacques MYARD : Tout le monde s'en fout !

Mme Sophie SANSY : Non, mais avant qu'un comportement puisse interroger ou interloquer, il existe toute une série d'éléments qui sont banalisés au nom de la liberté de penser, de dire et de s'exprimer. C'est très difficile à gérer, et cela pèse aussi dans la réflexion sur l'éducation des jeunes : les valeurs véhiculées, les repères, tout ce qui se transmet d'une génération à l'autre.

M. Jean-Pierre BRARD : Quelles sont les sectes qui vous viennent spontanément à l'esprit lorsqu'on évoque les démêlés avec la justice ?

Mme Sophie SANSY : Contrairement à ce que vous pouvez imaginer, il n'y a pas une ou deux sectes qui émergent des dossiers. On aurait pu s'attendre, effectivement, à des mouvements importants de mise en cause professionnelle par rapport au nombre d'adeptes déclarés. Ce n'est pas le cas. On note cependant une concentration sur une association qui fait actuellement l'objet d'une étude approfondie de plusieurs ministères du côté de Pau car elle envisagerait l'ouverture d'une école : Tabithas's Place.

M. le Président : Qui se trouve à Sus dans les Pyrénées ! Nous nous souvenons de la mort du petit Raphaël !

Mme Sophie SANSY : C'est un dossier déjà ancien mais qui connaît des rebondissements puisque l'activité de l'association continue, se développe et s'oriente vers la création d'une école.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous me tendez la perche : vous avez, vous même, dit que, grâce à la loi « About-Picard », après deux condamnations, on avait la possibilité de dissoudre un groupement dit sectaire. Cette procédure a-t-elle été déjà utilisée ? Sinon, quelles en sont, selon vous, les raisons ?

M. le Président : Cette question relève plutôt de la direction des affaires criminelles et des grâces.

M. Michel DUVETTE : Il n'y a pas eu de procédure de dissolution.

M. Jean-Pierre BRARD : Selon vous, pourquoi ?

M. Michel DUVETTE : Nous avons une idée pour les personnes morales : si une personne morale a été condamnée une fois, elle se dissout toute seule et se recrée sous une autre forme. Cela devient plus difficile...

M. le Président : Il faut ensuite chercher si c'est le même organisme, comme pour les associations de droit et de fait.

M. Jacques MYARD : Les 192 dossiers qui vous sont remontés étaient-ils tous liés à un mouvement sectaire ?

Mme Sophie SANSY : Les magistrats pour enfant les avaient déclarés ouverts relevant d'une problématique sectaire directement ou indirectement, le questionnaire faisant la distinction entre un lien direct, indirect ou simplement suspecté.

M. le Président : Je vous poserai une dernière question. Il m'a été rapporté qu'une cellule départementale de vigilance contre les dérives sectaires a signalé début 2006 que deux membres d'une communauté située dans le département en question travaillaient pour le compte de votre direction. Avez-vous eu connaissance de ce risque d'infiltration ? Dans l'affirmative, quelles suites ont été données à ce signalement ?

M. Michel DUVETTE : Nul n'est à l'abri de ce type de chose, mais je n'ai aucune connaissance de ce fait. Vous me l'apprenez. Je suis preneur de toutes les informations que vous avez à ce sujet.

M. le Président : Je vous les communiquerai hors publicité. Je pense également qu'il serait utile que vous regardiez ce qui se passe dans ce secteur.

M. Michel DUVETTE : Aucune information ne m'est remontée spontanément.

M. Jean-Pierre BRARD : Nul n'est indemne. Vous ne serez pas venus pour rien !

M. le Président : Ce sera le mot de la fin. Madame, Monsieur, je vous remercie.

Audition de M. Jean-Olivier VIOUT,
procureur général près la cour d'appel de Lyon



(Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d'appel de Lyon.

Monsieur Viout, en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Olivier Viout prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Monsieur Viout, la commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole.

M. Jean-Olivier VIOUT : Il y a un peu plus de dix ans, le 29 février 1996, l'institution judiciaire était solennellement sensibilisée à l'urgence de la lutte contre le phénomène sectaire, à travers une circulaire du ministre de la justice, Jacques Toubon. Non qu'elle ignorât précédemment le danger présenté par les dérives sectaires - l'actualité étant là pour le lui rappeler s'il en était besoin, avec, le 23 décembre précédent, l'immolation dans une forêt du Vercors de seize adeptes du Temple solaire -, mais elle demeurait dans l'expectative de ce que j'appellerai les situations avérées. Face à un risque non matériellement concrétisé, notre justice donne bien souvent, il est vrai, l'image négative d'une certaine inaction, non pas parce qu'elle ne veut pas intervenir, mais parce qu'elle estime son intervention juridiquement impossible faute de manifestations physiques. Nous n'en sommes pas encore à l'heure de l'intervention du juge exclusivement fondée sur le principe de précaution. On attend l'occurrence d'un risque, le début de sa concrétisation, prudence qui peut entraîner des frilosités, qui peut hélas entraîner des abstentions de faire.

Cela est particulièrement vrai en matière pénale, où la quasi-totalité des infractions pénales n'existent qu'à partir du moment d'un minimum de commencement d'exécution. C'est pourquoi, en matière de lutte contre les dérives sectaires, la justice a souvent dû faire face au reproche d'attentisme. Cette critique n'est pas totalement infondée, mais elle est manifestement excessive. Nous le savons d'autant mieux que, depuis une circulaire du 1er décembre 1998 de Mme la ministre de la justice Élizabeth Guigou, a été institué au sein de chacun de nos trente-cinq parquets généraux un magistrat référent sectes, avocat général ou substitut général, chargé précisément de veiller, sur l'ensemble du ressort de la cour d'appel, à la réponse judiciaire donnée aux plaintes et signalements en la matière.

Que dire, donc, à la lumière de huit années de fonctionnement d'un tel observatoire au sein de nos parquets généraux ? Je dirai tout d'abord que l'on a passé beaucoup de temps, sans doute beaucoup trop de temps, et consacré beaucoup d'énergie intellectuelle à tenter de définir la notion de secte, pensant que cette définition était le préalable à toute politique d'action. Slalomant entre nos principes constitutionnels et ceux déclinés par la Déclaration des droits de l'homme - la liberté de conscience, la liberté de réunion, la liberté de culte, la liberté d'association - on est entré dans de savants débats sémantiques pour tenter de définir la notion de secte, au point que l'on a même vu des juridictions de l'ordre judiciaire s'estimer légitimes à qualifier de religion l'activité de tel groupement auquel étaient imputées des infractions pénales commises au préjudice de ses adeptes. On a perdu, donc, beaucoup de temps à lister des groupes pouvant être classés comme sectes à travers la définition de leur objet, alors que celui-ci peut être religieux, philosophique, « thérapeutique » - selon une vision de la thérapie qui leur est toute personnelle -, hédoniste, plus prosaïquement, hélas, cupide, par la recherche d'enrichissement du groupe, sans omettre, éventuellement, l'assouvissement non dit de perversions sexuelles.

D'où, à mon sens, la difficulté, voire le danger de vouloir définir les sectes à travers le contrôle des idées. Comme l'écrivait excellemment le juge Michel Huyette dans un article intitulé « Les sectes et la protection judiciaire des mineurs », paru au Dalloz en 1996, « il n'y a pas d'emblée de bonnes et de mauvaises divinités, de bonnes ou de mauvaises croyances, d'acceptables ou d'inacceptables façons de vivre. » Je pense donc que le critère ne peut découler de la seule étrangeté des idées, de leur caractère déroutant pour ceux qui ne s'y réfèrent pas, ou d'un mode de vie auquel la majorité des citoyens n'adhèrent pas. C'est, au contraire, au niveau du contrôle des pratiques que la justice doit porter son action. C'est, en effet, à travers la sanction des pratiques répréhensibles que l'on pourra s'attaquer à la secte, considérée comme secte dangereuse, abstraction faite de ses idées, parce qu'elle apparaît comme une structure organisée, quel que soit son objet ou son mode de fonctionnement, dont les activités sont génératrices d'actes manifestement attentatoires aux libertés individuelles, appréciés en considération de l'âge, du niveau intellectuel et du profil psychologique de celui qui en est victime. Cette approche est peut-être trop simpliste, mais elle a le mérite de servir de base à l'action. L'action : dans cette matière, elle est fort différente suivant l'âge de la victime. Si celle-ci est majeure, c'est essentiellement elle-même qui va le plus souvent générer l'action, par sa plainte, par le dévoilement des faits auquel elle va recourir à un moment donné, lorsqu'elle pourra s'extraire de la secte. Il est rare que l'on puisse extraire d'une secte un majeur qui ne le voudrait pas, par l'action de ses proches par exemple.

En ce qui concerne les mineurs, le problème est tout à fait différent. Car c'est bien évidemment indépendamment du mineur que va s'inscrire l'intervention du judiciaire, tant il est rare, et même rarissime, que la victime mineure puisse s'extraire elle-même du carcan où elle est enfermée. Le premier objectif, et l'objectif le plus urgent, sera de mettre le mineur à l'abri, de le protéger contre les dérives sectaires dès l'instant où il apparaît en danger. Différents acteurs judiciaires peuvent intervenir à ce niveau. Dans un certain nombre de cas, ce sera le juge aux affaires familiales. Dans le cadre d'une procédure de divorce, des décisions sont souvent rendues pour trancher le litige qui oppose deux parents qui se disputent la garde de l'enfant, l'un deux argumentant essentiellement en mettant en avant l'appartenance de l'autre parent à une secte. Le juge, qui doit prendre en considération l'intérêt exclusif de l'enfant, va devoir rechercher si l'enfant subit ou subirait un danger physique ou psychique auprès du parent qui revendique la garde tout en étant adepte d'une secte, et ce en recherchant quel sera son mode de vie concret - mode d'enseignement scolaire, ouverture et relations avec le monde extérieur à la secte - qui serait dorénavant le sien s'il était confié à la garde du parent adepte d'un mouvement sectaire.

On sait, en effet, que c'est à partir de l'isolement social de l'enfant, de la « déparentalisation » de ses parents au profit d'autres membres de la secte qu'est mis en évidence l'asservissement du mineur, son conditionnement psychique et physique destiné à faire de lui un futur adepte.

Mais le champ d'intervention du juge du divorce est limité, puisqu'il suppose un conflit entre les deux parents sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale. Il est vrai que ce juge ne peut statuer que sur la garde et le droit de visite. C'est pourquoi le juge le plus naturellement chargé d'assurer la protection du mineur est le juge des enfants, à travers le célébrissime article 375 de notre code civil qui prescrit que : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des pères et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ». Ce même article prévoit qu'en cette matière, « le juge peut se saisir d'office », mais le législateur s'est empressé d'ajouter : « à titre exceptionnel ». Et l'on sait combien il est difficile pour un juge, qui devra être arbitre, de donner l'image d'une implication personnelle au niveau de l'appréciation du degré de dangerosité en se saisissant lui-même. C'est pour cette raison qu'il revient au ministère public de jouer en cette matière le rôle majeur.

Le ministère public va d'abord jouer ce rôle pour réparer un oubli de cet article 375, l'oubli des grands-parents. Si les tuteurs peuvent saisir la justice, les grands-parents sont totalement oubliés dans cet article qui a été écrit bien avant la loi du 4 mars 2002, laquelle a introduit dans le code civil un article 371-4 qui dispose : « L'enfant a le droit d'entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seuls des motifs graves peuvent faire obstacle à ce droit. » C'est ainsi qu'il n'est pas rare que le ministère public soit saisi par des grands-parents qui non seulement expriment leur inquiétude de ne plus avoir de contact avec leurs petits-enfants, mais expliquent cette rupture de contact par le fait que les parents les ont fait rejoindre une secte à laquelle eux-mêmes appartiennent. Je pense donc que l'article 375 mériterait une extension pour permettre la saisine du juge des enfants par les grands-parents.

Le ministère public joue, par ailleurs, un rôle majeur en ce qu'il est l'organe de confluence des signalements, de tous les indices propres à alerter sur la situation de mise sous influence dans laquelle se trouverait un mineur par le fait d'un groupe qui apparaîtrait exercer sur lui une emprise.

Nous sommes là dans une matière où nous devons nous défier, je le disais en commençant, de l'attitude consistant à attendre une situation avérée pour agir. Si nous attendons des manifestations extérieures pour vérifier des suspicions, nous agirons beaucoup trop tard. Il faut donc que le ministère public soit collecteur de tous les signalements, quels qu'ils soient. Car c'est le ministère public qui sera le plus légitime à provoquer l'ouverture d'une procédure d'assistance éducative. Il dispose même, de par la loi, du pouvoir de prescrire lui-même des mesures dictées par l'urgence. Nous avons tous vécu, en tant que procureur, des coups de téléphone en pleine nuit d'un médecin accoucheur indiquant qu'un nouveau-né doit faire l'objet d'une exsanguino-transfusion et que les parents s'y opposent en excipant de leurs croyances ou de leur appartenance à un groupe qui prohibe la transfusion sanguine. Dans de tels cas, le ministère public ouvre d'urgence une procédure d'assistance éducative, procède à la remise de la garde temporaire du mineur à l'établissement de soins pour qu'il puisse bénéficier de tous les soins procurés par la science. Le ministère public peut, à tout moment, requérir de tout service de police, de gendarmerie, de travailleurs sociaux, toute mesure d'enquête, de vérification propre à s'assurer du bien-fondé des signalements qu'il reçoit et mettre en évidence des agissements d'une communauté à caractère sectaire.

C'est donc au niveau de l'intensification de son information et de sa réactivité que doit être recherchée l'optimisation de la réponse judiciaire impulsée par le ministère public.

L'information doit être tout d'abord optimisée au sein de l'institution judiciaire. Tout juge civil, non pas seulement le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants, tout juge civil qui, à l'occasion d'un litige civil, éprouve le sentiment diffus de l'action souterraine d'un groupe susceptible d'influer sur le consentement, la liberté d'agir des parties, se doit d'en aviser le ministère public afin que celui-ci puisse vérifier la réalité de cette influence. Les litiges civils qui peuvent être l'occasion d'une telle suspicion sont nombreux : litige sur les droits de visite, litige sur les problèmes d'héritage, litige sur des problèmes de contestation de legs ou de testament, litige révélé à l'occasion même du déroulement d'une mesure d'assistance éducative. Oui, l'information en direction du parquet doit encore mieux circuler à l'intérieur de l'institution judiciaire, et j'inclus dans l'institution judiciaire la protection judiciaire de la jeunesse, qui doit signaler tout cas d'un mineur dont elle s'occupe individuellement et qui laisse apparaître une suspicion d'influence d'un groupe de nature sectaire.

L'information du parquet doit également être intensifiée en provenance des partenaires extérieurs. Je voudrais d'abord évoquer l'alerte que constituent des anomalies relatives au mode d'enseignement scolaire dispensé aux mineurs. Doit être une réalité la stricte et systématique vérification de l'existence et du mode d'enseignement scolaire dont fait l'objet le mineur. Car c'est par ce biais que se révèle souvent la mise en dépendance par une secte. Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance qui vient d'être présenté au Sénat en première lecture prévoit en son article 9 que les maires pourront « mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, où sont enregistrées les données à caractère personnel relatives aux enfants en âge scolaire domiciliés dans la commune, qui lui sont transmises par les organismes chargés du versement des prestations familiales ainsi que par l'inspecteur d'académie ». Ce même article fait obligation à l'inspecteur d'académie de communiquer au maire la liste des élèves domiciliés dans la commune pour lesquels un avertissement a été notifié pour défaut d'assiduité scolaire. Nous savons que c'est à travers le défaut d'assiduité scolaire, la soustraction aux établissements d'enseignement agréés que se découvre souvent l'existence d'enfants pris en charge par les sectes. Personnellement, je regrette que ce texte n'ait pas inclus le parquet, aux côtés du maire, comme destinataire de pareilles informations. Comme il nous serait utile de recevoir régulièrement des inspecteurs d'académie la liste des élèves qui se signalent par leur absentéisme scolaire ! Toute une action de vérification du mode de vie doit être entreprise, notamment en direction des enfants qui reçoivent un enseignement à distance. Nous savons combien les enseignements par correspondance sont le recours de parents qui, appartenant à une secte, justifient le respect de l'obligation scolaire en indiquant qu'ils assument l'enseignement de leurs enfants par le biais d'un enseignement à distance. Dans ces cas-là, il appartiendrait au parquet d'envoyer le travailleur social suffisamment averti pour regarder de très près les conditions dans lesquelles vit ce mineur, et notamment s'il est coupé ou non de l'environnement social auquel a droit tout mineur.

De même, le parquet doit être destinataire des signalements de troubles ou anomalies constatés par la médecine scolaire. Ils me paraissent constituer autant de clignotants qui justifient des vérifications.

Le parquet se doit donc d'être un demandeur exigeant d'informations, et, une fois en possession de ces informations, de faire preuve de réactivité et d'efficacité, par l'activation, tout d'abord, d'un pool d'enquêteurs, plus propre à évaluer la consistance du signalement, le poids de la suspicion dans de brefs délais permettant l'ouverture rapide d'une mesure d'assistance éducative pour soustraire le mineur à l'influence du groupe sectaire.

Il faut aussi que le parquet puisse avoir autour de lui des officiers de police judiciaire qu'il aura su sensibiliser à cette problématique et qui vont, eux, s'intéresser à l'aspect pénal des choses. Il y a une très grande liste d'infractions qui peuvent permettre d'appréhender tels ou tels agissements du groupe sectaire : la privation de soins, l'abus de confiance, l'escroquerie, la non-assistance à personne en danger, les agressions sexuelles, les incitations de mineur à la débauche, l'exercice illégal de la médecine, et, surtout, le délit nouvellement défini par la loi du 12 juin 2001, celui de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la faiblesse d'un mineur ou d'une personne particulièrement vulnérable. C'est toute la réécriture de l'article 223-15 du code pénal. Dans l'affaire de l'Église de Scientologie de Lyon, l'existence de cet article aurait facilité beaucoup de choses. L'ensemble de cet arsenal législatif me semble largement suffisant pour quiconque veut embrasser les dérives du phénomène sectaire, d'autant que, depuis le 31 décembre 2005, en application de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la responsabilité pénale des personnes morales a été généralisée. Nous n'avons plus à savoir de quelle infraction il s'agit : toute personne morale qui commet une infraction peut être retenue dans les rets du juge. C'est un progrès considérable.

C'est donc par la mise en évidence d'infractions pénales, reconnue par le juge pénal, c'est-à-dire donnant lieu à une déclaration de culpabilité et au prononcé d'une peine par le juge pénal, que le parquet va pouvoir user de l'arme civile que représente la dissolution judiciaire prévue et organisée par la loi du 12 juin 2001. Cette loi permet au tribunal de grande instance de prononcer la dissolution de toute personne morale, « quelle qu'en soit la forme juridique ou l'objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ». Le succès d'une telle instance exige la matérialisation de cette sujétion. Or, quel meilleur soutien de cette action que l'existence d'une condamnation pénale venant confirmer, d'une manière définitive puisque judiciairement proclamée, les dires du ministère public ? Car il est bien risqué de s'engager dans une action en dissolution sans avoir un élément de fait définitivement admis par la justice.

D'où le rôle moteur du ministère public, au sein de l'institution judiciaire, à travers ce référent sectes du parquet général, qui doit jouer un rôle accru. Ce référent sectes doit tout d'abord faire remonter aux responsables de la mission de lutte contre les sectes créée au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces toutes les informations régionalement recueillies à son niveau. C'est par le regroupement des informations et leur entrecroisement que l'on pourra mettre en évidence les dérives de telle ou telle secte.

Ce référent secte devra également croiser ses informations avec celles que pourrait lui fournir la MIVILUDES. Je regrette qu'il n'y ait pas davantage de rapports étroits, directs, entre cette Mission interministérielle et les juridictions ; l'échelon de la cour d'appel est le plus propice à l'établissement de relations étroites.

Autre rôle que pourrait jouer davantage le référent sectes du parquet général : assurer un véritable échange d'informations entre les parquets du ressort de la cour. Il ne faut pas se contenter de les collationner, remontant de chaque parquet pour les adresser à la Chancellerie, mais assurer entre les parquets un échange d'informations plus organisé que ce n'est le cas aujourd'hui.

Le référent sectes doit également susciter de la part des Renseignements généraux, des inspections académiques, des DDASS la remontée d'informations, de signalements, le plus en amont possible. Des informations remontent de plus en plus, mais beaucoup trop lentement.

Je pense que le référent sectes doit aussi assurer une liaison constructive avec les associations reconnues, telles que l'UNADFI et le CCMM. Dans chaque cour d'appel, des rencontres au moins annuelles doivent être organisées entre les magistrats du ministère public et ces associations pour vérifier que les signalements qui sont remontés au parquet correspondent aux informations que possèdent les associations. Si celles-ci ont adressé des signalements aux parquets, il est normal qu'ils leur rendent compte de la suite qui y a été donnée. Nous favoriserons les signalements si leurs auteurs ont la certitude que leur démarche est suivie d'effets.

M. le Président : Merci, Monsieur le procureur général. Vous nous avez probablement indiqué plus de réformes possibles que l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées jusqu'ici, et elles paraissent d'emblée fort intéressantes. Le projet de loi relatif à la prévention de délinquance est en cours d'examen au Sénat, et l'on peut en effet se demander pourquoi le procureur ne serait pas destinataire d'un certain nombre de signalements. De même, la vérification de l'effectivité et de la nature de l'enseignement à distance que reçoivent les enfants non scolarisés est une piste à explorer.

Je voudrais revenir un instant sur la question de la dissolution. Il est possible, depuis la loi du 12 juin 2001, de dissoudre une organisation à caractère sectaire. Or, à ce jour, il n'y a eu aucune application de cette disposition. Mais par ailleurs, il existe une autre possibilité de dissoudre une association. Le procureur de la République peut parfaitement, constatant qu'une association trouble l'ordre public ou est contraire aux bonnes mœurs, saisir le président du tribunal de grande instance et demander sa dissolution. Il s'agit là d'une loi au moins séculaire. Or, jamais cette loi n'a été appliquée à l'encontre d'une organisation sectaire.

Vous avez parlé de « frilosité », « abstention de faire », de « nécessité d'un commencement d'exécution », en espérant que tout cela change. Ne pensez-vous pas qu'il y a encore un manque de prise de conscience, dans l'ensemble de la magistrature, du caractère dangereux des agissements sectaires pour les mineurs ? N'y a-t-il pas aussi un frein qui s'explique parce que le magistrat représente, en tant que garant des libertés, dans la mesure où ce sont précisément les libertés qui lui sont opposées par les organisations à caractère sectaire ? Bref, n'y a-t-il pas un frein psychologique au sein de la magistrature, malgré quelques avancées ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Je pense que ce frein psychologique n'est pas spécifique à la magistrature. Lorsque l'on parle de « mise en danger », je n'entends pas des craintes du côté de la magistrature mais du côté de nos concitoyens, de certains élus. La meilleure preuve en est que le législateur a bien pris soin d'instituer un délit, non de « mise en danger », mais de « mise en danger délibérée ». C'est bien l'indice d'une certaine crainte face aux débordements judiciaires que rendrait possible la simple notion de mise en danger.

Pourquoi ne recourt-on pas plus facilement à la dissolution, celle prévue par la loi de 2001 ou celle plus ancienne, qui existe en effet ? C'est que, en l'absence d'un danger avéré, manifesté par un commencement d'exécution, nous n'avons que très peu d'espoirs de voir la dissolution prononcée. En face de nous, le discours que nous opposent les représentants des sectes consiste à dire qu'ils sont victimes d'un procès en sorcellerie, d'un procès d'intention. « Vous faites un procès de la pensée ! Apportez-nous la preuve que nous sommes dangereux ! » Et cette preuve doit viser non la potentialité mais la réalité d'une dangerosité. Voilà pourquoi il est préférable, pour demander la dissolution, de s'appuyer sur des faits pénalement sanctionnés.

D'autre part, jusqu'au 31 décembre dernier, il n'était pas évident de fonder une action civile en dissolution sur la condamnation d'une personne physique, fût-elle dirigeant, de droit ou de fait, de l'association visée. Aujourd'hui, une personne morale peut être condamnée au pénal, de sorte que la conséquence civile, qui à mon sens sera facilement admise par le juge civil, sera la dissolution.

C'est pourquoi il faudra systématiquement poursuivre la personne morale dès lors que le dirigeant sera poursuivi comme personne physique.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Je voudrais à mon tour vous remercier, monsieur le procureur général, pour la précision de vos propos.

Selon vous, notre arsenal juridique est largement suffisant. Nous nous posons souvent la question du délai de prescription. Pensez-vous qu'il serait souhaitable de faire courir le délai de prescription de crime ou délit commis contre des mineurs en milieu sectaire à partir de la majorité de ces derniers ? Dans l'affirmative, ne serait-il pas raisonnable d'aligner ce délai de prescription sur les dispositions du troisième alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale concernant les agressions à caractère sexuel ? En effet, quand un mineur sort d'une secte, il doit se reconstruire. Cela prend du temps, alors que les délais de prescription, eux, sont relativement courts.

De façon plus générale, quelle est votre appréciation sur l'organisation de notre système de lutte contre les sectes ? J'ai cru comprendre que, selon vous, la coordination entre les différents acteurs n'est pas ce qu'elle devrait être. Pensez-vous qu'une Mission interministérielle est un organisme pertinent ? Nos amis belges, par exemple, ont adopté un autre système.

Enfin, vous nous avez très bien décrit les difficultés que rencontrent les JAF en ce qui concerne la garde des enfants. Dans certains cas, à en juger au travers des témoignages qui nous parviennent, les décisions du juge sont mal vécues par les familles.

M. Jean-Olivier VIOUT : En ce qui concerne la prescription, je vous rejoins totalement. Je suis de ceux qui pensent que dès lors que la victime est dans l'impossibilité de révéler les faits et ainsi de permettre à la collectivité d'exercer l'action publique, le point de départ du délai de prescription doit être retardé. Il est choquant qu'un mineur qui se trouve sous l'emprise d'une secte ne puisse pas déposer plainte lorsqu'il atteint dix-huit ans, au motif que le délai de prescription serait expiré.

Je pense qu'il serait opportun d'adopter une disposition générale qui indiquerait que lorsqu'un mineur est victime d'une infraction pénale et s'est trouvé, du fait de sa dépendance résultant de sa minorité, dans l'impossibilité de la révéler, le délai de prescription commence à courir à compter de son accession à la majorité, et ce quelle que soit l'infraction. Cela simplifierait les choses. Car on risque, au fil des années, de se retrouver avec des listes d'infractions différentes ayant des régimes de prescription différents.

Concernant la Mission interministérielle, je pense qu'elle est utile parce que de nombreux ministères sont concernés par le phénomène sectaire : la santé publique, l'éducation nationale, la justice. La Mission interministérielle doit être le lieu où sont débattues les différentes approches. Mais elle doit aller davantage vers les acteurs de terrain. Personnellement, je n'ai jamais vu à Lyon un représentant de la MIVILUDES venir au sein de la cour d'appel pour voir les problèmes qui se posent, demander quelles difficultés nous rencontrons.

S'agissant de la garde des enfants, les choses ne sont pas simples. Certains pensent que dès l'instant que l'un des deux parents appartient à une secte, on devrait automatiquement confier la garde de l'enfant à l'autre parent. Récemment, à Lyon, une affaire de garde d'enfant a été très médiatisée. La mère, qui avait la garde de l'enfant, était Témoin de Jéhovah. Le père contestait la décision au motif que les Témoins de Jéhovah prohibent la transfusion sanguine et que, pendant toute son enfance, la mère avait emmené l'enfant avec elle au culte. Au cours de l'enquête ordonnée par le juge aux affaires familiales, la mère a proposé au père de laisser l'enfant à sa garde les jours de culte. D'autre part, elle s'est engagée par écrit de se plier aux exigences du père en matière de transfusion sanguine. Prenant en compte ces deux éléments, le juge a estimé qu'il n'y avait pas objectivement de raison d'enlever la garde à la mère. Les deux problèmes soulevés par le père étant résolus, quel autre motif avait le juge pour estimer que l'enfant était potentiellement en danger avec sa mère ? On ne peut pas se référer au contenu idéologique pour dire que tel culte met en danger l'enfant et que tel autre ne le met pas en danger. C'est là un travers qu'il faut éviter. J'ai évoqué une décision d'une juridiction qui avait estimé devoir dire si les croyances véhiculées par tel groupe étaient constitutives d'une religion. Je pense que ce n'est pas au juge de dire que telle croyance est bonne ou mauvaise. Ce qui doit motiver la décision du juge est l'examen précis des conditions de vie de l'enfant.

M. le Rapporteur : Sur cet exemple précis, il me semble que l'appréciation du juge est quelque peu restreinte. Quand on est face à un phénomène sectaire, on doit prendre en compte la globalité de « l'idéologie » de l'organisation. Qu'un adepte prenne tel ou tel engagement ne change rien au fait que l'ensemble du « corpus idéologique » reste. Que l'enfant n'assiste pas aux cultes est une chose, autre chose est l'ambiance dans laquelle il baigne, qui est telle que l'on peut considérer qu'il court un risque d'emprise. Je sais que ce n'est pas facile pour le juge, que sa décision est toujours sujette à des appréciations diverses, mais le problème est réel, d'autant plus que se pose aussi la question du suivi. On peut toujours signer des engagements en triple exemplaire et ne pas les respecter.

M. Jean-Olivier VIOUT : Il suffit que l'autre parent fasse constater au juge que les engagements n'ont pas été pris. Dans ce cas, le transfert de garde est immédiat. Mais il est extrêmement dangereux de fonder une décision de justice sur la nature des opinions véhiculées par la famille.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez évoqué la possibilité de rendre les parquets destinataires de certaines informations qui seraient transmises aux maires, selon une disposition d'un projet de loi en cours de discussion. Un autre problème est celui des enfants dont on ne connaît pas vraiment l'existence. Dans nos villes, nous n'avons aucun moyen de contrôle sur la réalité de la scolarisation. Une mesure simple pourrait faire avancer les choses : que les allocations familiales soient attribuées après vérification, sur production d'un certificat de scolarité. Ce serait une vraie protection.

Quand le pronostic vital est engagé et qu'un enfant ne peut être sauvé que par une transfusion sanguine, considérez-vous que le refus de la transfusion sanguine est un trouble à l'ordre public ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Oui, parce qu'il y va de la sauvegarde de l'individu. Quand la vie d'un enfant est en danger, l'État ne doit pas transiger.

M. Jean-Pierre BRARD : Lorsqu'un fonctionnaire du ministère de l'intérieur écrit au préfet du Puy-de-Dôme que le refus de la transfusion sanguine n'est pas un trouble à l'ordre public, il fait donc une mauvaise interprétation de cette notion ?

M. Jean-Olivier VIOUT : La notion d'ordre public est très contingente. Personnellement, je pense que c'est un trouble à l'ordre public. L'ordre public interne exige la protection par tous les moyens de la vie et de l'intégrité physique de nos concitoyens.

M. Jean-Pierre BRARD : Dès lors, on est très troublé par la jurisprudence du Conseil d'État concernant la secte que vous avez évoquée tout à l'heure. Car on a le sentiment que le Conseil d'État ne considère pas que la mise en cause de la vie d'autrui, dans le cas particulier délibéré, soit un trouble à l'ordre public.

M. Jean-Olivier VIOUT : ...

M. Jean-Pierre BRARD : J'entends votre silence.

J'ai une question subsidiaire. Quand il y a trouble à l'ordre public, la dissolution est possible. Par conséquent, dès lors que le refus de la transfusion sanguine est un trouble à l'ordre public, toute organisation qui défend ce refus peut être dissoute ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Théoriquement, si l'on va jusqu'au bout du raisonnement, il faudrait répondre oui. Mais encore une fois, je suis de ceux qui pensent que l'on doit se fonder sur des faits qui ont été l'objet d'une décision de justice. Le fait que la nouvelle disposition législative relative à la dissolution des mouvements sectaires vise spécifiquement l'existence de condamnations pénales préalables évite justement d'entrer dans des discours de ce type.

La question que vous m'avez posée concernait le refus avéré d'une transfusion sanguine. Le danger est là, et on refuse la transfusion sanguine : c'est un trouble à l'ordre public. Qu'un groupe sectaire préconise ce refus, c'est autre chose. Car ce n'est qu'une préconisation, que les membres du groupe sont libres d'appliquer ou non. C'est le fait de l'appliquer qui constitue, à mon avis, un trouble à l'ordre public.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez évoqué l'affaire de Lyon. J'ai eu l'occasion de faire une conférence dans le cadre d'une formation organisée par le ministère de la justice. J'ai raconté, lors de cette conférence, que je savais de source certaine que l'un des trois magistrats qui avaient cru bon de reconnaître à la Scientologie le statut de religion était membre d'une secte. Lorsque le débat s'est ouvert, l'un des participants a levé la main, et s'est adressé à moi en ces termes : « Monsieur le député, j'ai entendu ce que vous avez dit. Et vous avez raison, l'un des trois magistrats était membre d'une secte. J'étais l'un des trois, et je peux vous dire que cela n'a pas influencé notre jugement ». Cette déclaration a été faite devant une assemblée d'environ 70 personnes.

M. Jean-Olivier VIOUT : Vous parlez de la décision prise en première instance ou en appel ?

M. Jean-Pierre BRARD : En appel.

M. Jean-Olivier VIOUT : Je soutenais l'accusation. Je suis un peu interpellé.

M. Jean-Pierre BRARD : Dans une affaire plus récente, une secte engage des poursuites en diffamation. Elle est déboutée en première instance. En appel, la décision est invalidée, et la sanction prononcée va bien au-delà de ce que la secte réclamait. Est-ce que de telles décisions, qui semblent bizarres aux yeux d'un simple citoyen, attirent l'attention du ministère public ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Ce n'est pas exceptionnel. Lorsqu'une affaire pénale vient en appel, il y a toujours l'appel incident du ministère public, « pour offrir la cour en entier pouvoir d'appréciation ». D'où le danger de faire appel : on espère avoir une peine moins sévère, le ministère public fait appel incident, et l'on est surpris de voir sa peine non seulement confirmée mais aggravée.

Dans l'affaire que vous évoquez, j'ignore quelle a été la position du ministère public. Si la situation de la personne poursuivie s'est aggravée, c'est nécessairement qu'il y a eu appel incident du ministère public.

M. Jean-Pierre BRARD : Pour revenir à l'affaire de Lyon, j'imagine que vous avez été étonné de la position de la cour d'appel.

M. le Président : Permettez-moi d'intervenir, cher collègue. J'attire votre attention sur le fait que ces questions mettent M. le procureur général dans une position difficile. Je suis partisan de dispenser M. le procureur général de répondre à ce genre de question.

M. Jean-Olivier VIOUT : Je n'userai pas de la langue de bois. Vous m'apprenez, Monsieur le député, que l'un des magistrats de la cour d'appel serait membre d'une secte. Je l'ignore totalement. Je parle sous la foi du serment, et je vous donne ma parole d'honneur que je n'ai jamais entendu parler de l'appartenance quelconque de l'un des trois magistrats qui ont jugé cette affaire à une secte.

La décision de la cour d'appel de Lyon a fait l'objet d'un pourvoi en cassation, que j'ai formé à l'époque en plein accord avec mon procureur général. Vous avez lu l'arrêt de la Cour de cassation.

M. le Président : Vous expliquiez tout à l'heure que le procureur de la République pouvait prendre des décisions en urgence. Il faut préciser que cela ne concerne que les mineurs, et non les majeurs.

M. Jean-Olivier VIOUT : Absolument.

M. le Président : Si, en pleine nuit, un médecin doit procéder à une transfusion sanguine dans la minute, et que le procureur de la République n'est pas joignable, ou qu'il est joignable mais que le temps nécessaire pour le joindre risque de mettre en péril le patient, que se passe-t-il ?

M. Jean-Olivier Viout : D'abord, j'espère que le parquet est joignable 24 heures sur 24. Nous nous y employons. Les téléphones portables sont là. Cela étant, si le médecin a le sentiment d'un péril imminent et réel, je pense qu'il peut et doit intervenir. Lorsque quelqu'un est en danger vital, celui qui a les moyens de parer à la situation doit prendre toutes les dispositions. Le délit de non-assistance à personne en danger est clairement défini.

M. Philippe TOURTELIER : Il existe dans chaque département une cellule de vigilance sur les sectes.

M. Jean-Olivier VIOUT : Depuis le mois de juin dernier, elle est fondue dans le conseil départemental de sécurité.

M. Philippe TOURTELIER : Comment fonctionne cette cellule ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Je pense qu'elle ne répond qu'imparfaitement aux besoins, dans la mesure où il faut pouvoir échanger les informations sans attendre les réunions d'une telle cellule. Je pense qu'elle est trop formelle, pour ne pas dire formaliste. Au cours du conseil départemental de sécurité, il y a un volet sectaire. Pas plus tard qu'hier, je participais à la réunion de ce conseil dans le département de l'Ain, et j'ai demandé, en fin de séance, au représentant des renseignements généraux de faire le point sur la situation dans ce domaine. Cette question est rapidement abordée, mais elle l'est au niveau des structures. On nous dit que tel groupe ne s'est pas manifesté au cours des trois mois écoulés, ou qu'il n'y a pas eu de plainte. Cela reste assez formel.

Ce que je vise, c'est le signalement particulier d'un mineur qui peut poser problème. Les renseignements généraux s'intéressent aux structures, pas aux cas particuliers. Or c'est à partir des cas particuliers que l'on peut aller beaucoup plus en avant qu'on ne le fait.

M. Serge BLISKO : Nous avons eu récemment, à Paris, le cas tout à fait étonnant d'un enfant sans état civil. Une secte avait conseillé à la mère de ne pas déclarer son enfant à la naissance. Souhaitant quitter la secte après plusieurs années de travail sur elle-même, elle a souhaité l'inscrire à l'école. C'est ainsi que nous avons découvert qu'elle ne l'avait pas déclaré. Nous avons immédiatement pris contact avec le parquet, où l'affaire a été prise en main dans l'heure qui suivait. Avez-vous eu vent de ce type d'affaire ?

D'autre part, à l'heure où l'on parle beaucoup de la réforme des tutelles et curatelles, il faut souligner que nombre de personnes âgées sont en situation de faiblesse, en particulier en raison du manque de moyens des juges des tutelles.

M. Jean-Olivier VIOUT : L'objet de votre commission concerne les mineurs. C'est pour cette raison que je n'ai pas évoqué ce problème. Mais il arrive aux parquets de saisir le juge des tutelles pour protéger une personne d'un certain âge qui risque de se faire dépouiller de sommes considérables. La tutelle est un outil important en ce qui concerne les majeurs.

S'agissant des naissances cachées, il est tout à fait exact que les membres de certains groupes sectaires ne font jamais de déclaration. Le problème est que l'infraction est, à ma connaissance, une contravention et que lorsqu'on le découvre, la prescription de l'action publique est acquise, puisque le délai est d'un an en matière de contravention. Par contre, le parquet intervient pour provoquer un jugement déclaratif de naissance, afin de pouvoir constituer un acte de naissance.

M. Serge BLISKO : Avez-vous déjà rencontré des cas de ce genre ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Personnellement, non. Mais dans toutes les rencontres organisées sur le sujet des sectes, ce problème est évoqué.

M. Jacques REMILLER : Je voudrais revenir au problème des transfusions sanguines. En cas d'accident, si la transfusion sanguine est nécessaire immédiatement et que le médecin n'a pas le temps de joindre le parquet, peut-il intervenir contre la volonté des parents s'ils sont présents et refusent la transfusion sanguine ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Le médecin doit immédiatement prendre contact avec le parquet, pour solliciter un transfert de garde. Ce n'est que s'il se trouve dans l'impossibilité de joindre le parquet qu'il doit intervenir.

M. Jacques REMILLER : Et le médecin ne sera pas condamné ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Non. Je ne vois pas quelle juridiction pourrait condamner un médecin qui justifierait d'un danger imminent et qui aurait eu recours à tout moyen à sa disposition pour juguler ce danger.

M. le Président : Ce médecin, d'après la loi, encourrait même une sanction s'il ne prenait pas lui-même l'initiative de procéder à la transfusion sanguine en cas d'impossibilité de joindre le parquet.

M. Jacques MYARD : Cela est-il parfaitement clair dans l'esprit des médecins ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Je pense qu'un médecin qui prête serment au début de sa carrière doit être pleinement conscient que, dès lors qu'il a la possibilité technique de sauver quelqu'un qui lui est confié, il doit y recourir. L'hypothèse que nous envisageons ici est celle d'un danger immédiat, et d'un danger vital. Un médecin digne de ce nom ne va pas se poser de question : il a l'obligation absolue de porter assistance à personne en danger. Le délit de non-assistance à personne en danger est très clairement défini.

M. le Président : Cela ne s'applique pas pour les majeurs.

M. Jean-Olivier VIOUT : En effet, le consentement du majeur est nécessaire, dès lors qu'il a la possibilité de consentir - le problème est différent s'il est dans le coma. Un majeur a toujours la possibilité de refuser un traitement.

M. Serge BLISKO : Il y a néanmoins des exceptions anciennes pour un certain nombre de maladies très contagieuses. Dans ces cas-là, on peut contraindre le malade à être soigné.

M. Jean-Olivier VIOUT : Le cantonnement s'applique en effet lorsque le malade présente en lui-même un risque de propagation de la maladie à un tiers.

M. Marcel DEHOUX : Lors d'une audition qui s'est tenue la semaine dernière, nous avons été très impressionnés par la description de l'action des Frères de Plymouth en direction des enfants. Avez-vous entendu parler de cette secte ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Oui. Nous avons demandé une enquête précise. Nous tentons d'évaluer très précisément le nombre d'enfants qui sont concernés et la situation dans laquelle ils se trouvent. À l'heure actuelle, nous ne sommes pas saisis de plainte, mais nous sommes extrêmement attentifs aux agissements de cette secte.

Le problème est qu'en l'absence de plainte, en l'absence de tout signalement, il est très difficile d'aller plus avant. C'est pourquoi j'évoquais tout à l'heure la nécessité d'informer le parquet du non-respect de l'obligation de scolarité. Nous devons avoir un support pour agir.

M. le Rapporteur : Vous évoquiez tout à l'heure le rôle des grands-parents. Lorsque les parents sont membres d'une organisation sectaire, les grands-parents ne peuvent pas saisir le juge. Ils doivent saisir le ministère public.

M. Jean-Olivier VIOUT : Oui. Encore faut-il qu'ils veuillent garder une relation avec leurs petits-enfants. Nous n'avons pas à nous immiscer dans les rapports à l'intérieur de la famille. Mais il est bien certain que s'ils introduisent une action aux fins d'attribution d'un droit de visite, en exposant qu'ils n'ont plus la possibilité d'entrer en contact avec leurs petits-enfants, cette action sera pour nous un élément qui va nous permettre d'enquêter. Les parents vont devoir venir s'expliquer sur leurs motivations précises.

S'il n'y a pas de demande des grands-parents, s'il n'y a aucun signalement de nulle part, nous ne pouvons rien faire.

M. Jacques REMILLER : Je voudrais, pour finir, vous poser une question que j'hésite à vous poser, et en précisant que je comprendrais très bien que vous n'y répondiez pas.

Le département de l'Isère a été très affecté par l'affaire du Temple solaire. Pensez-vous que ces crimes auraient pu être évités, que l'on aurait pu déceler le trouble à l'ordre public avant que le drame ne survienne ?

M. Jean-Olivier VIOUT : Je ne vois pas comment on aurait pu l'éviter. Les gens qui sont venus s'immoler dans cette forêt du Vercors venaient de Haute-Savoie ou de Suisse. Le Temple solaire ne s'était jamais manifesté dans la région de Grenoble. Est-ce que, rétrospectivement, les autorités judiciaires locales, soit de Suisse, soit du nord de la Haute-Savoie, pouvaient suspecter que l'on se réunissait du côté de Lausanne ? Il est très difficile de le dire. Est-ce que le cas des mineurs avait fait l'objet de signalements ? Le dossier ne le dit pas.

M. le Président : La décision en appel n'est toujours pas rendue.

M. Jean-Olivier VIOUT : En effet. Cette affaire a fait l'objet de trois renvois successifs au motif qu'un expert, M. Abgrall pour ne pas le nommer, fait l'objet de poursuites judiciaires dans le cadre d'une tout autre affaire.

M. le Président : Il faut préciser que les auteurs principaux sont morts dans l'assassinat collectif.

Monsieur le procureur général, je vous remercie beaucoup de votre contribution aux travaux de notre commission.

Audition du docteur Dominique DEHAUDT,
conseiller titulaire du conseil départemental
de l'Ordre des médecins de la Vendée



(Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui le docteur Dominique Dehaudt, conseiller titulaire du conseil départemental de l'Ordre des médecins de la Vendée.

Monsieur Dehaudt, en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Dominique Dehaudt prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Monsieur Dehaudt, la commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement. Vous avez la parole.

M. Dominique DEHAUDT : C'est à la fin des années 1980 que le président du conseil de l'Ordre des médecins de Vendée m'a demandé de me pencher sur l'exercice illégal de la médecine. Ce phénomène n'est pas trop grave quand il ne s'agit que du rebouteux gagnant quelques sous au fond de son champ. Par contre, il est grave quand il met en jeu les groupements sectaires.

J'ai découvert le phénomène sectaire par le biais de l'exercice illégal de la médecine, qui est à l'origine de revenus substantiels.

Je n'aime pas le terme de médecine douce. Il n'y a que deux médecines : la médecine par les preuves et la médecine sans preuves, que j'appelle la médecine non éprouvée. Celle-ci, donc, génère des flux financiers importants, qui peuvent servir à bien des choses.

J'ai organisé au sein de l'Ordre des médecins de Vendée une petite structure, car l'Ordre n'a pas beaucoup de moyens. Cette structure, la commission « Exercice illégal de la médecine et pratiques sectaires », a permis d'entendre des victimes, d'analyser des problèmes et de trouver des informations.

Lorsque j'entends une victime, je lui demande si elle est d'accord pour qu'assiste à l'entretien un policier ou un gendarme, quand certaines pratiques me semblent illégales. Je n'envisage pas les choses d'un point de vue uniquement médical. Je travaille aussi avec des responsables de l'ADFI, ou encore avec des prêtres. L'intérêt est que les gens se confient. Il est ainsi possible de les guider pour les remettre dans le circuit de la médecine légale.

Vous avez évoqué lors de l'audition précédente la question des refus de transfusion sanguine. Le médecin qui y est confronté doit, s'agissant des mineurs, prévenir le procureur. Si celui-ci n'est pas joignable, ce qui est rarissime, le médecin, après avoir tenté de le joindre, doit agir.

Pour les majeurs, la seule solution que je vois est la curatelle ou la tutelle. Les personnes qui sont l'objet d'une manipulation mentale ne sont plus tout à fait elles-mêmes. En ce sens, elles pourraient fort bien être mises sous tutelle. Pourquoi ne pas la demander ?

M. le Président : C'est une très vieille piste, qui avait déjà été indiquée, en son temps, par M. Alain Vivien. Elle n'a jamais abouti à un texte législatif, trop difficile à mettre en œuvre compte tenu des libertés individuelles.

M. Dominique DEHAUDT : Cela pose d'énormes problèmes.

M. le Président : Nous savons que l'Ordre des médecins de Vendée a pris à bras-le-corps le problème de l'exercice illégal de la médecine. Pourriez-vous nous dire s'il y a dans votre ressort des médecins en exercice qui appartiennent à des groupements à caractère sectaire et qui pratiqueraient des médecines « non éprouvées », pour reprendre votre terme ?

De manière générale, savez-vous s'il y a en France des médecins qui appartiennent à une organisation sectaire et qui en font une application dans leur pratique professionnelle ?

M. Dominique DEHAUDT : En Vendée, il n'y a pas, à ma connaissance, de médecins qui appartiennent à une secte.

Il faut distinguer deux cas. Il y a d'abord celui des médecins qui ont entrepris un traitement classique n'ayant pas donné de résultat, et qui vont tenter un autre traitement, non éprouvé. Il suffit, en général, de les convoquer et de leur rappeler le droit.

L'autre cas est celui des médecins qui recourent à des médecines non éprouvées en en faisant un marché. Ceux-là demandent très rapidement leur radiation du conseil de l'Ordre, auquel cas l'Ordre des médecins ne peut rien faire.

Il y avait en Vendée un médecin qui appartenait à « Vivre sans tête », association un peu farfelue. Il adressait ses patients à des psychothérapeutes qui n'en étaient pas, avec lesquels il avait des relations tout à fait particulières. Je l'ai convoqué. Il a fini par quitter le département. Mais son dossier l'a suivi, et le suivra toute sa carrière. Si mes confrères des autres départements veulent l'éplucher, ils peuvent le faire. Le dossier ordinal d'un médecin le suit toute sa carrière, du moins en France. C'est pourquoi un médecin de Nice qui était champion de la chromo-kinèse est allé s'installer à Monaco. Des médecins demandent leur radiation en France et s'installent en Suisse. Ceux-là sont de vrais dangers. Ils ne sont pas très nombreux, mais peuvent être très dangereux.

M. Serge BLISKO : Tous les conseils départementaux ont-ils une commission analogue à celle que vous avez mise sur pied en Vendée ?

M. Dominique DEHAUDT : Non.

M. Serge BLISKO : Un ancien président de l'Ordre des médecins estimait à 3 000 le nombre de médecins titulaires d'un diplôme dont les pratiques étaient très déviantes ou qui étaient membres de groupements sectaires.

M. le Président : Des médecins appartenant au mouvement du Graal ont été condamnés.

M. Dominique DEHAUDT : Dans l'affaire d'Horus, notre consœur qui avait signé les livrets médicaux de l'enfant, certifiant qu'il avait été vacciné alors qu'il ne l'avait pas été, a été radiée. L'Ordre de Lyon a agi très rapidement, trois ans avant que la « gourelle » d'Horus soit jugée.

Notre confrère Saint-Omer de Lille a été condamné. Il a fait appel.

M. le Président : Pourriez-vous rappeler de quoi il s'agissait ?

M. Dominique DEHAUDT : Une patiente atteinte du cancer du sein a été soignée par des méthodes charlatanesques, avec des régimes draconiens, qui constituaient en eux-mêmes une mise en danger de la vie d'autrui. Elle est revenue dans le circuit de la médecine normale. Le médecin a signalé le fait. Le conseil de l'Ordre des médecins de Lille a poursuivi.

M. le Président : Il faut préciser que la jeune femme atteinte d'un cancer du sein est décédée, alors qu'elle aurait pu être sauvée.

M. Dominique DEHAUDT : En effet. Ce n'est pas le seul cas. Mais la difficulté est d'avoir des preuves.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Apportez-vous une attention toute particulière au problème des mineurs ? Le Conseil de l'Ordre a-t-il une réflexion interne sur ce sujet ?

M. Dominique DEHAUDT : Avec des collègues de l'Ouest de la France, nous nous étions réunis pour essayer de mettre sur pied une commission dans chaque département. Dans 60 % des départements concernés, la commission a été active pendant quatre ou cinq ans. Mais une réflexion s'est engagée.

M. le Rapporteur : C'est donc une démarche plutôt empirique ? Rien n'est organisé au niveau de l'Ordre ?

M. Dominique DEHAUDT : Non. Cela dépend des individus.

M. Serge BLISKO : Vous n'avez pas un correspondant au niveau de l'Ordre national ?

M. Dominique DEHAUDT : Nous avions un correspondant, le docteur Grunwald, qui a rédigé le rapport de l'Ordre national sur les sectes, reprenant essentiellement les conclusions du docteur Abgrall et de moi-même. Ce rapport n'a pas été suivi d'effets. Sensibiliser les instances supérieures n'est pas facile. Je précise, en outre, que s'occuper du problème des sectes n'est pas gratifiant. Cela ne rapporte pas.

M. le Rapporteur : Vous vous sentez un peu seul ?

M. le Président : Il n'y a pas de réflexion nationale du Conseil de l'Ordre sur cette question ?

M. Dominique DEHAUDT : Non.

La logique des sectes est la même que celle du terrorisme ou de la mafia. Le réseau financier est le même. Ce sont des groupes asociaux, à côté de la société. Celle-ci aurait peut-être intérêt à réfléchir.

M. le Rapporteur : Comment qualifieriez-vous l'évolution de la situation ces dernières années ? On a l'impression que les sectes pénètrent de plus en plus le milieu médical ou paramédical. La situation est-elle très préoccupante notamment vis-à-vis des mineurs ?

M. Dominique DEHAUDT : Je suis très inquiet, d'autant plus que dans certaines zones rurales, on manque de médecins, ce qui permet à n'importe qui de s'installer. En Vendée, nous avons la chance de tenir notre secteur. Mais dans un département comme celui des Deux-Sèvres, je connais des zones isolées où des personnages douteux se sont installés. De même dans le Maine-et-Loire.

M. le Rapporteur : Si vous aviez des recommandations à nous faire, quelles seraient-elles ? Pensez-vous, par exemple, que la coordination entre l'Ordre et la MIVILUDES ou les associations de lutte contre les organisations sectaires soit suffisante ?

M. Dominique DEHAUDT : Trop de choses dépendent des individus. Je défends l'Ordre, parce qu'il est une bonne structure pour entendre les individus. Mais au niveau national, il faudrait qu'ils « se remuent » un peu plus.

M. Serge BLISKO : Avez-vous été contacté par la cellule départementale de vigilance, qui s'appelle maintenant le conseil départemental de sécurité ?

M. Dominique DEHAUDT : Il y a quinze ans, j'avais des contacts réguliers avec les renseignements généraux et la gendarmerie. Quand a été créée la cellule de vigilance, je n'y ai pas été convié. Mais l'an dernier, une représentante de la MIVILUDES, d'ailleurs d'origine vendéenne, est venue en Vendée. Elle me connaissait de nom et a informé les membres de cette cellule qu'ils m'avaient oublié. Là encore, trop de choses dépendent ainsi de contacts individuels. Il y a des progrès organisationnels à faire.

Dans l'affaire Néo-Phare, le suicide collectif était prévu pour le 11 juin 2002. Un médecin qui exerçait en Vendée appartenait à cette secte. J'en ai été informé par l'ADFI. J'ai tout d'abord vérifié qu'il ne faisait pas de prosélytisme dans son service hospitalier. Il n'y avait pas de problème de ce côté-là. D'après les services, en mai, il n'y avait plus de Néo-Phare. De ma propre autorité, j'ai tenu à recevoir le médecin. Je l'ai fait à la fin du mois de mai. Mon objectif était de savoir combien d'enfants étaient présents dans la secte. Ils étaient entre deux et quatre. Le médecin inspecteur départemental a demandé aux services judiciaires de reprendre le dossier, et de vérifier que les enfants soient bien à l'école les 10 et 11 juin. Cela a été fait. J'avais indiqué que quatre personnes étaient fragiles. L'une d'entre elles s'est suicidée.

M. le Président : Lorsqu'un médecin est condamné disciplinairement pour compérage, charlatanisme ou dérives sectaires, comment ses patients en sont-ils informés ?

M. Dominique DEHAUDT : Rien, à ma connaissance, n'est prévu pour informer les patients. Par contre, l'Ordre prévient la justice, ainsi que la préfecture.

M. le Président : Il nous a été dit que certains médecins appartenant à des organisations établissaient des certificats de complaisance permettant à des enfants d'échapper aux vaccinations obligatoires. Pouvez-vous nous confirmer ce phénomène et son étendue ?

M. Dominique DEHAUDT : Dans l'affaire Horus, on a pu prouver cette pratique : le médecin qui s'en est rendu coupable a été radié. Mais vous savez qu'il y a toujours une chance sur 10 000 pour qu'une vaccination reste sans effet sur l'organisme. Un bon avocat aurait pu mettre en avant ce fait pour contester la preuve de la non-vaccination. En toute rigueur, il est extrêmement difficile de prouver de manière certaine qu'un enfant n'a pas été vacciné. La solution est de demander au médecin scolaire ou à celui de la DDASS de faire un prélèvement. Mais peut-on imposer brutalement un prélèvement ?

M. le Président : Docteur, nous vous remercions de votre contribution aux travaux de notre commission.

* Audition du général Guy PARAYRE,
Directeur général de la gendarmerie nationale,
et du colonel Jean-François IMPINI, chef du service technique de recherche judiciaire
et de documentation de la gendarmerie nationale



(Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Dans le cadre de la formule du huis clos qui a été retenue pour votre audition, celle-ci ne sera rendue publique qu'à l'issue des travaux de la Commission. Cependant, la Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué et les observations que vous pourriez présenter seront soumises à la commission.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires punit des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, toute personne qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport de la commission a fait état de cette information.

Je vous rappelle qu'en vertu du même article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Enfin, l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Cependant pour la commodité de l'audition, vous pourrez citer nommément les enfants qui auront été victimes de ces actes, la commission les rendant anonymes dans son rapport.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(Le général Guy Parayre et le colonel Jean-François Impini prêtent serment.)

La commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. Guy PARAYRE : Je suis heureux de pouvoir être entendu par votre commission. Bien que difficile à cerner, le phénomène sectaire est une préoccupation importante pour la gendarmerie, qui se trouve directement concernée par les différentes atteintes qu'il peut générer. L'action des enquêteurs se porte tout particulièrement sur les personnes vulnérables, au premier rang desquelles figurent évidemment les mineurs.

Je souhaite donc, dans ce propos liminaire, vous exposer ma vision d'ensemble du phénomène et je répondrai ensuite bien volontiers aux questions plus précises que vous souhaiterez me poser.

Je développerai en particulier trois points : le dispositif de la gendarmerie face au phénomène sectaire, la vision qu'elle peut avoir de l'influence sectaire sur les mineurs, et enfin son action spécifique pour contrer cette influence.

Dès les premières études, il est apparu que le phénomène sectaire se caractérisait par une grande dilution, tout à la fois géographique et thématique. Géographique, car aucune région n'est totalement dépourvue d'implantations sectaires ; thématique, car les idéologies qui sous-tendent chaque mouvement sectaire sont d'une grande variété.

Face à un adversaire aussi protéiforme, la gendarmerie a adapté son dispositif pour avoir la connaissance la plus fine possible des phénomènes sectaires au niveau local, tout en se dotant des moyens d'en avoir une vision globale au niveau central.

Ainsi, sur le terrain, la recherche du renseignement sur les sectes est effectuée par l'ensemble des unités territoriales de la gendarmerie départementale - communautés de brigades, brigades autonomes, PSIG375, BDRIJ376) --, mais également par les unités, brigades et sections, de recherches.

La cellule « renseignement » des groupements de gendarmerie est chargée, quant à elle, du recueil, de l'analyse et de l'exploitation des données collectées au niveau départemental. Elle en assure également la transmission vers la direction générale, où le renseignement est regroupé par le service technique de recherches judiciaires et de documentation de la gendarmerie.

Ce service central a, en effet, été chargé d'assurer, au niveau national pour la gendarmerie, le suivi des dérives sectaires, dans ses volets administratif et judiciaire. Un officier supérieur, désigné le 1er juillet 2006 dernier en qualité de référent national gendarmerie « sectes », s'y emploie, assisté par une équipe de trois militaires spécialistes du phénomène.

Destinataire de toute l'information en provenance du terrain, cette équipe est l'interlocuteur des correspondants des différents services de l'État intéressés par la question sectaire, au premier rang desquels, bien entendu, la MIVILUDES. Les personnels concernés sont, en outre, en mesure d'actualiser régulièrement leurs connaissances. Ils participeront d'ailleurs dans quelques jours au séminaire organisé à Paris par l'École nationale de la magistrature sur le thème des dérives sectaires.

De façon plus large encore, la gendarmerie se tient naturellement prête à bénéficier des actions de formation que la MIVILUDES envisage de mettre prochainement en place, à l'échelon régional, au profit de référents locaux.

Au total, près de quatre cent cinquante militaires, dont cent officiers, formés, ou même spécialisés, à la gestion du renseignement administratif et d'ordre public, sont ainsi appelés à traiter les informations de cet ordre en matière sectaire.

Lorsque la nature judiciaire de ces informations est présumée ou établie, le relais est pris par les personnels spécialisés des BDRIJ, sections PJ des régions et du STRJD. En tant que de besoin, l'action judiciaire de ces personnels très au fait de la problématique sectaire est relayée, dès qu'une enquête est ouverte, par les 23 700 officiers de police judiciaire que compte la gendarmerie. Concernant plus spécifiquement les mineurs, ces OPJ peuvent, en outre, s'appuyer sur les personnels spécialisés des quarante et une brigades de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie.

Venons-en à la vision que peut avoir la gendarmerie de l'influence sectaire à l'égard des mineurs.

L'influence sectaire s'exerçant sur l'intimité des individus, elle contamine forcément leur environnement familial et il est inévitable que des enfants soient concernés par le phénomène. Les associations qui s'intéressent aux sectes avancent parfois que 20 000 mineurs pourraient être sous l'influence de mouvements sectaires. L'absence de norme pour délimiter avec précision la situation à partir de laquelle il est raisonnable de parler d'implication de ces mineurs dans les mouvements oblige toutefois à prendre ce chiffre avec précaution.

En tout état de cause, même si elles ne constituent que la partie émergée du phénomène, les affaires traitées par la gendarmerie se situent à un niveau très inférieur à ces estimations : depuis 2004, trente-sept procédures seulement ont été diligentées par les unités de gendarmerie. Je précise toutefois qu'une affaire peut regrouper plusieurs signalements. Il faut également noter que, durant cette même période, la gendarmerie n'a jamais eu à conduire une enquête qui aurait fait suite à un signalement émanant des services de l'éducation nationale ou de la protection de l'enfance, alors même que ces administrations sont évidemment en situation privilégiée pour détecter les mineurs en danger.

Pour autant, plusieurs affaires ont mis en évidence la réalité du risque moral et physique encouru par certains mineurs pris au piège de mouvements sectaires, le plus souvent avec l'assentiment d'au moins l'un de leurs parents. Soumis à un risque d'embrigadement d'autant plus grand que leur âge les rend particulièrement vulnérables, ces mineurs font généralement l'objet de violences sexuelles. Embrigadement et abus sexuels sont ainsi les deux axes principaux sur lesquels la gendarmerie peut faire porter son effort répressif ou son action judiciaire.

Quelle action spécifique peut conduire la gendarmerie pour contrer l'influence sectaire ?

Du fait de son implantation et de son mode de fonctionnement, la gendarmerie peut jouer un rôle particulier dans la détection des affaires mettant en cause des mineurs. Son intervention précoce lui permet de mettre très rapidement en action ses moyens judiciaires sitôt les faits signalés.

Elle participe à la détection des dérives dont pourraient être victimes des mineurs dans le cadre général de son action de renseignement, encore qu'aucun texte ne lui confère de pouvoirs spécifiques de contrôle dans ce domaine. Toutefois, en leur qualité d'interlocuteurs réguliers des autres services de l'État, les responsables locaux de la gendarmerie sont en parfaite situation pour échanger avec eux les renseignements relatifs aux mouvements sectaires, ou même simplement au sentiment que ces mouvements suscitent. Comme tout acteur de terrain, la gendarmerie participe ainsi au processus qui permet de réunir et recouper les éléments nécessaires au déclenchement d'un contrôle - qui sera alors conduit par le service le plus approprié - ou à l'ouverture d'une enquête. À cette action s'ajoute l'exploitation des signalements émanant d'autres sources, les professionnels de la santé étant sans doute parmi les détecteurs les mieux placés.

À l'évidence, le dispositif de partage de l'information entre tous les acteurs ayant à connaître de l'activité sectaire reste largement améliorable. La gendarmerie est naturellement prête à mettre en œuvre toute mesure nouvelle qui permettrait de favoriser les échanges entre les multiples acteurs publics ou privés. Sans doute serait-il utile d'établir de façon formelle, au bénéfice de tous ces intervenants, un régime juridique de pleine liberté dans l'échange d'informations sur des mouvements sectaires reconnus comme tels.

La gendarmerie ne peut évidemment mener la partie judiciaire de son action que si les renseignements préalablement recueillis permettent d'entreprendre les investigations. En dehors des enquêtes faisant suite aux signalements que je viens d'évoquer, ces investigations judiciaires interviennent généralement dans le cadre de plaintes déposées pour non-représentation d'enfant ou de la part d'anciens adeptes révélant des agressions sexuelles. Il arrive également qu'une unité puisse débuter une enquête à partir d'éléments recueillis de sa propre initiative. Jamais aucune action occulte n'est menée par les enquêteurs qui agissent dans le strict respect des règles procédurales, en liaison avec les magistrats.

Sur un plan plus technique, dans toutes les enquêtes portant sur une activité sectaire, a fortiori lorsque des mineurs sont en cause, un effort systématique est engagé pour mettre en évidence les éléments significatifs d'une dérive sectaire. Les enquêteurs veillent tout particulièrement à livrer aux juridictions de jugement des dossiers leur permettant de forger leur intime conviction, en totale connaissance du contexte dans lequel ont été commises les infractions. L'inscription de la communauté sur l'inventaire des mouvements dangereux, des documents révélateurs de l'idéologie pratiquée ou de la doctrine enseignée, les techniques prosélytes employées et les éléments de langage habituels des adeptes sont, par exemple, des informations de contexte très utiles, de même que la description des déviances constatées ou l'organisation et la hiérarchie interne du mouvement.

Dès lors qu'apparaissent des présomptions d'atteintes sexuelles sur des mineurs, le traitement de ces derniers fait naturellement l'objet d'une attention toute particulière. Indépendamment des examens médico-légaux, les enquêteurs veillent à s'entourer de toutes les garanties pour obtenir que la parole des enfants soit libre, notamment par le concours de professionnels du monde médical. À ce titre, les efforts déployés depuis plusieurs années par la gendarmerie pour améliorer les conditions d'accueil des victimes sont tout à fait de nature à favoriser, voire à susciter des plaintes de la part de ces personnes en situation de fragilité que sont souvent les adeptes de mouvements sectaires.

En tout état de cause, le dispositif mis en œuvre par la gendarmerie montre une efficacité sans nul doute perfectible mais déjà fort encourageante, puisque sur les trente-sept affaires dont elle a été saisie, trente-six ont donné lieu à des investigations judiciaires approfondies.

[.../...]

M. Jean-François IMPINI : Depuis une cinquantaine d'années, la gendarmerie a eu besoin de regrouper au niveau national toute l'information judiciaire que la loi l'autorise à stocker : c'est la mission du STRJD. Or, on s'est aperçu que le volume d'affaires liées aux dérives sectaires regroupées au STRJD était finalement peu volumineux au regard de l'ampleur du problème. Le traitement d'ordre public du renseignement purement administratif était, quant à lui, assuré dans un autre service. Pour améliorer l'appréhension du phénomène, il a été décidé de regrouper au sein d'une même structure le traitement du renseignement de nature administrative et celui du renseignement de nature judiciaire. Ainsi, depuis le début de l'année, le STRJD est devenu le service unique de traitement de l'information relative aux dérives sectaires - ce qui n'est pas sans poser des difficultés de mise en œuvre dans la mesure où la loi nous oblige à conserver de manière étanche les deux types d'informations, judiciaires et administratives. À l'évidence, le traitement des deux aspects de la question par des personnels spécialisés regroupés dans les mêmes murs constitue un facteur de plus grande efficacité. Malheureusement, l'exploitation de ces données souffre encore de l'obligation de ne conserver que les informations ayant donné lieu à enquête judiciaire, autrement dit un volume relativement limité.

M. le Président : C'est bien ce qui me surprend. Votre compétence territoriale vous amène en règle générale à agir en milieu non urbain ; or, on sait que les sectes ont souvent tendance à s'installer dans les villages, même si les sièges sont souvent en centre ville. Est-ce à dire que les juges ou les procureurs saisissent davantage les SRPJ que vos brigades ? Trente-sept procédures seulement depuis 2004, c'est insignifiant au regard du phénomène général. Les dérives sectaires à caractère non sexuel sont-elles enregistrées comme telles, ou comme des affaires de droit commun ?

M. Jean-François IMPINI : Dès lors qu'une secte est en cause, l'affaire sera enregistrée comme un problème sectaire, même s'il peut arriver qu'elle ne soit pas traitée comme telle par la suite. Il est à noter que le chiffre de trente-sept s'entend uniquement pour les procédures mettant en cause des mineurs et non pour les affaires à caractère sectaire en général, nettement plus nombreuses.

M. le Président : Vous avez ainsi mis en place un système de recueil centralisé d'informations d'ordre judiciaire, mais également de renseignements d'ordre administratif, afin d'agir plus facilement en amont à titre de prévention ou de surveillance.

M. Guy PARAYRE : Tout à fait. Les informations remontent au centre opérationnel de la direction générale, et nous suivions le phénomène sectaire grâce aux cellules « renseignement » qui collectent les données sur tout le territoire national. Le regroupement de tous ces éléments au STRJD nous permet, en cas de dénonciation judiciaire, de disposer au même endroit de toute la documentation relative au phénomène sectaire et de pouvoir immédiatement opérer les possibles rapprochements. Quant à savoir s'il y aurait plus de sectes dans notre zone de compétence qu'en ville, j'aurais tendance à être plus nuancé, même si je ne connais pas le nombre d'affaires traitées par la police nationale. Il est de fait que certaines sectes cherchent à s'installer plutôt en milieu rural ; encore faudrait-il savoir si le phénomène est nouveau ou pas. Rappelons également qu'un certain nombre de dérives sectaires - coaching, New Age, etc. - sont directement liées au milieu urbain. Il faudrait pouvoir comparer avec les données de la police nationale pour se faire une idée précise.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Échangez-vous régulièrement des informations avec vos collègues de la police nationale ? J'ai cru comprendre qu'il y aurait quelque difficulté à recouper les informations rapportées par les différents intervenants...

M. Guy PARAYRE : Ce n'est pas ce que nous avons voulu dire : la coordination avec la police nationale a nettement progressé ces quatre dernières années, même s'il reste certainement des marges de progrès de ce côté-là. Là où il y a le plus à faire, c'est dans le partage d'informations avec certains autres acteurs.

M. le Rapporteur : Les acteurs de terrain ?

M. Guy PARAYRE : Bien sûr, il est toujours intéressant d'échanger pour avoir une meilleure appréhension du phénomène au niveau local ; mais le plus important dans la dénonciation judiciaire, c'est précisément le fait qu'elle existe. Ce qu'il faut d'abord améliorer, c'est le dialogue, le partage d'une information qui doit rester discrète, sinon secrète dans certains domaines : je pense au secteur médical, à l'éducation nationale et autres acteurs de terrain qui peuvent avoir connaissance de ce genre de dérives.

M. le Président : Mais vous-même nous avez dit que vous n'avez eu aucun signalement de l'éducation nationale...

M. Guy PARAYRE : Peut-être ne s'est-il rien passé...

M. le Président : À en juger par nos auditions, cela ne semble pas être le cas.

M. le Rapporteur : Les dispositifs mis en place au niveau départemental de prévention et de lutte contre la délinquance doivent être l'occasion d'échanger des renseignements...

M. Guy PARAYRE : Il y a certainement là des pistes de progrès. La mise en place des GIR (377) et plus généralement la lutte contre la délinquance a exigé de faire tomber plusieurs tabous avant de devenir productive. Il faudra en faire de même en matière de dérives sectaires afin que les échanges deviennent plus réels.

M. le Rapporteur : La lutte contre les dérives sectaires est-elle toujours prise au sérieux ? N'avez-vous pas senti chez certains de vos interlocuteurs, sinon une complaisance, tout au moins une propension à considérer ce phénomène comme marginal ?

M. Guy PARAYRE : Objectivement non. Tout le monde est sérieux dans son approche ; le problème est que chacun a la sienne... On pourrait progresser en adoptant une démarche plus transversale.

M. Christian VANNESTE : La gendarmerie s'intéresse d'abord aux territoires ruraux, la police aux secteurs urbains. Or nous avons affaire à des réseaux impliquant des personnes vivant principalement en milieu urbain, souvent dans des secteurs sensibles, mais dont la tête se trouve très souvent en zone rurale. Les délits, les déviances et les plaintes ne se retrouveront jamais du côté de la tête de réseau : l'existence d'un lieu de culte ou de rassemblement ne pose pas en soi de problèmes, si ce n'est des problèmes architecturaux, comme ce fut le cas du Mandarom à Castellane, finalement plus ridicules que dramatiques. En revanche, les plaintes pour abus sexuel, détournements de fonds ou abus de faiblesse se retrouveront le plus souvent en ville, où c'est la police qui initiera la procédure. Mais si l'enquête amène à la tête de réseau, la gendarmerie prend-elle le relais ? Y a-t-il des procédures conjointes ? C'était du reste le but de la mise en place des GIR, chargés de déceler l'existence de réseaux à partir d'indices notamment financiers. On peut imaginer que l'enrichissement suspect de certaines personnes donne lieu à enquête, a fortiori lorsqu'elles sont affiliées à des associations de type sectaire. Avez-vous des exemples de ce genre ? J'ai été également très surpris d'un si petit nombre d'affaires que vous semblez circonscrire à votre propre domaine, sans parler du manque de relations entre les divers services, et particulièrement avec l'éducation nationale.

M. Jean-François IMPINI : Sur le plan technique, il n'y a pratiquement pas de collaboration entre services de la police et de la gendarmerie lorsqu'une enquête est ouverte. Chaque institution va au bout de son enquête, sauf si elle vient à manquer de moyens dont l'autre institution disposerait, mais le cas est rare. En l'occurrence, nous avons les outils techniques et procéduraux pour démarrer en ville et continuer à la campagne et inversement. Il n'y a pas besoin de se mettre ensemble sur une affaire.

M. Guy PARAYRE : En revanche, on peut disposer des informations de l'autre.

M. Jean-François IMPINI : L'échange d'informations entre police et gendarmerie est d'autant plus facile que ces affaires sont enregistrées selon des traitements automatisés - STIC378 pour la police, JUDEX379 pour la gendarmerie -, chaque institution ayant un droit total de lecture des fichiers de l'autre ; le système s'améliorera encore l'année prochaine puisqu'il n'y aura plus qu'un seul système commun aux deux. Dès qu'une affaire se déclenche, nous prenons naturellement connaissance de toutes les informations qui s'y rapportent, et, si la police a déjà eu à en connaître, de tous les éléments qu'elle aura recueillis. Mais si l'affaire vient à prendre une dimension très importante, écrasante, sur le plan financier notamment, le relais peut être pris par une structure nationale, en l'occurrence les services centraux de police judiciaire, qui fonctionnent en interministériel avec des policiers, des gendarmes et des membres d'autres administrations, et qui procéderont à leurs propres investigations. De ce point de vue, la collaboration marche bien. Au demeurant, ce n'est pas tant le volet répressif qui pose problème : sur trente-sept saisines, trente-six ont donné lieu à des enquêtes vraiment approfondies et, même si elles n'ont finalement abouti à la mise en cause de personne, nous avions la « matière » pour travailler. Le problème, c'est le manque de signalements qui permettraient d'ouvrir une enquête. Nous n'avons notamment aucun pouvoir de contrôle administratif face à de petites communautés dès lors qu'elles ne se rendent coupables d'aucune infraction évidente ou de trouble à l'ordre public. Nous sommes donc très demandeurs de signalements de la part d'autorités telles que l'éducation nationale et la protection judiciaire de la jeunesse, qui pourraient avoir un pouvoir de contrôle sur ces communautés.

M. le Rapporteur : Confirmez-vous le décalage sur le terrain entre une situation qui peut sembler préoccupante et vos moyens d'intervention ?

M. Jean-François IMPINI : Je ne confirme pas le décalage, mais le fait que l'on ne peut vérifier la réalité de ce décalage.

M. le Président : En reprenant ces trente-six procédures, pouvez-vous nous décrire le profil type d'une affaire ?

M. Jean-François IMPINI : J'ai fait minutieusement l'inventaire des trente-sept affaires, sans pouvoir dégager de véritable profil type. L'atteinte sexuelle est l'infraction qui revenait le plus, mais elle ne concernait que sept affaires sur trente-sept. Pour le reste, il s'agissait d'abus de faiblesse, d'incitations au suicide, de manque de soins médicaux et, pour trois affaires, de mort d'enfant suite à absence de soins - dont deux ont donné lieu à classement sans suite, l'enquête n'ayant pas permis d'établir la réalité de l'infraction. Une, en tout cas, ne donnera rien : il s'agit d'un nouveau-né mort à sa naissance. Même si la mère n'a visiblement pas fait tout ce qu'il fallait durant sa grossesse, il sera difficile de qualifier pénalement les faits.

M. le Président : Nous prenons acte de votre souhait d'être mieux informés par l'éducation nationale et par la PJJ. Par ailleurs, qu'entendez-vous par un « régime juridique de pleine liberté » ? Faites-vous référence au secret professionnel ?

M. Guy PARAYRE : Au secret professionnel, comme au secret de l'instruction pour les gendarmes, ou au secret douanier ou fiscal, autant de tabous que nous avons fait tomber avec les GIR. Pour autant, n'allez pas croire que je mette en accusation qui que ce soit : tout comme vous, je ne fais que constater le décalage flagrant entre le nombre impressionnant de méfaits et exactions rapportés par les associations, et les trente-six ou trente-sept infractions sur lesquelles nous avons travaillé ces deux dernières années... Seraient-elles deux ou trois fois plus nombreuses, le décalage demeurerait. Manifestement, nous regardons ce phénomène à travers un prisme déformant. Il serait intéressant de parvenir à se rapprocher.

M. le Président : Ce constat est partagé par d'autres administrations, à commencer par la PJJ. J'ai noté que vous aviez 41 brigades de prévention des mineurs, et non une par département...

M. Guy PARAYRE : Nous en avons créé uniquement dans les départements les plus concernés. Tout le monde l'est, me direz-vous... Disons que nous nous sommes concentrés sur les endroits les plus « nécessiteux ».

M. le Président : Vous avez tout de même 450 hommes formés à la matière sectaire, si l'on peut dire. Comment les formez-vous ?

M. Guy PARAYRE : Dans le cadre de la formation au renseignement. Ils sont formés à traiter le renseignement, dont le renseignement sectaire. Ce sont nos correspondants départementaux qui, au niveau de chaque département, reprennent les besoins et orientations descendant de la direction générale et des régions, font remonter le renseignement des brigades territoriales, après l'avoir recueilli et traité dans le cadre de la cellule « renseignement » qu'ils animent. C'est là que se retrouvent les 450 spécialistes en question.

M. le Rapporteur : Autrement dit, il s'agit d'une formation purement interne. Avez-vous des contacts réguliers avec les renseignements généraux sur ce sujet ?

M. Guy PARAYRE : Si je voulais plaisanter, je dirais que nous sommes pillés par les renseignements généraux... C'est même un problème dans la mesure où il est particulièrement nécessaire de « sourcer » les renseignements en les recoupant pour éviter de s'intoxiquer. Deux fois le même renseignement, ce n'est pas la même chose que la stéréo... S'il est bon que gendarmes et policiers discutent, notamment à l'occasion des réunions de synthèse organisées par le préfet, et qu'ils échangent leurs informations, il faut avant tout qu'ils s'enrichissent et non qu'ils se retrouvent systématiquement sur la même longueur d'onde. Il se peut évidemment qu'ils aient obtenu le même renseignement ; encore faut-il savoir que c'est effectivement le même...

M. le Rapporteur : Assurez-vous un suivi particulier des témoins de Jéhovah, particulièrement bien implantés sur notre territoire ?

M. Jean-François IMPINI : Nous en revenons toujours au même problème : dès lors qu'un phénomène fait l'objet d'un traitement judiciaire, nous avons le droit de stocker des données nominatives, pour une certaine durée et dans un certain cadre. Or sur ce plan, nous n'avons pratiquement rien. Les renseignements administratifs en revanche, quel que soit le mouvement, peuvent être stockés, mais après avoir été expurgés de toutes les données nominatives, ce qui leur retire l'essentiel de leur intérêt. Nous n'avons donc aucune vision d'ensemble de quelque mouvement que ce soit par le fait qu'elle nécessiterait une mémoire, en l'espèce informatique, que nous ne sommes juridiquement pas autorisés à constituer.

M. Guy PARAYRE : Je sors précisément de la réunion d'un groupe de travail sur ce sujet où j'ai clairement posé le problème : si l'on veut assurer une bonne défense de la société, il faut que nos services puissent disposer d'informations. Jusqu'où le législateur est-il prêt à aller pour nous le permettre ?

M. le Président : Disposez-vous d'une circulaire qui définit vos compétences en cette matière sectaire ? Il existe des circulaires du ministère de la justice, de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, etc. Y en a-t-il une pour ce qui vous concerne ?

M. Guy PARAYRE : Nous avons des textes qui traitent de cette problématique, mais pas à proprement parler de circulaire sur le traitement des dérives sectaires par la gendarmerie. Peut-être devrait-on s'en étonner...

M. le Président : Même pas une circulaire d'application ? Il est vrai que celle adressée aux procureurs généraux peut vous servir de circulaire d'application.

M. Jean-François IMPINI : Le seul texte spécifique concerne le domaine des renseignements administratifs.

M. le Rapporteur : Quelles recommandations ou propositions concrètes feriez-vous à notre commission ?

M. Guy PARAYRE : Je vous renvoie à mes observations sur le secret professionnel.

M. Jean-François IMPINI : Peut-être pourrait-on instaurer une obligation de signalement, dans l'éducation nationale notamment, ou faire en sorte de faciliter les signalements de la part des gens en contact avec des mineurs, y compris lorsque leurs soupçons restent très légers.

M. le Président : En cas de problème relatif à la scolarisation, par exemple, un inspecteur de l'éducation nationale a les moyens, après mise en demeure infructueuse, d'en informer le parquet ; auquel cas l'affaire vous reviendra ensuite, pour enquête. Arrive-t-il qu'on vous en informe directement ?

M. Guy PARAYRE : Informellement, au niveau local, cela peut se faire. Mais hormis dans le cas de faits avérés, criants, particulièrement graves, il faut des éléments matériels pour justifier une enquête. Or c'est précisément le manque d'éléments matériels qui fait que les gens hésitent à signaler. S'ils pouvaient le faire sur un simple soupçon, il deviendrait possible de déclencher la machine judiciaire - ce qui ouvrirait évidemment une autre problématique. Mais nous n'avons le plus souvent pas grand-chose d'autre que des soupçons... Notre problème le plus sérieux, c'est l'impossibilité de mémoriser l'information. Sur le plan technique, c'est très pénalisant.

M. le Président : Mon général, mon colonel, il ne nous reste plus qu'à vous remercier.

Audition de M. Joël BOUCHITÉ,
Directeur central des renseignements généraux
du ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire



(Procès-verbal de la séance du 4 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Dans le cadre de la formule du huis clos qui a été retenue pour votre audition, celle-ci ne sera rendue publique qu'à l'issue des travaux de la Commission. Cependant, la Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué et les observations que vous pourriez présenter seront soumises à la commission.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonction-nement des assemblées parlementaires punit des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, toute personne qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport de la commission a fait état de cette information.

Je vous rappelle qu'en vertu du même article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Enfin, l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Cependant pour la commodité de l'audition, vous pourrez citer nommément les enfants qui auront été victimes de ces actes, la commission les rendant anonymes dans son rapport.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Joël Bouchité prête serment.)

La commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. Joël BOUCHITÉ : Rappelons que nos missions sont la lutte contre le terrorisme, la lutte contre les dérives urbaines et l'économie du crime, ainsi que l'anticipation des crises, ce qui nous amène à participer à la protection des personnes en situation de faiblesse et, depuis déjà plusieurs années, à la lutte contre les mouvements sectaires. Nous avons une implantation territoriale, départementale et régionale, grâce à nos correspondants régionaux et des contacts, au niveau préfectoral, avec l'ensemble des administrations afin de détecter au plus vite les possibles dérives, y compris dans le domaine des sectes.

Notre activité s'est « moulée » au fil du temps en fonction de la façon dont la notion de secte était définie et appréhendée au titre de divers contentieux, notamment administratifs. La notion de secte telle qu'elle était admise il y a une quinzaine d'années a progressivement fait place à celle de dérives ou comportements sectaires pour se centrer exclusivement sur le comportement d'individus entrant dans le cadre de qualifications pénales les plus précises possibles - ce qui n'est pas sans nous compliquer la tâche dans la mesure où, tout comme nos collègues enquêteurs judiciaires de la sécurité publique et de la gendarmerie, nous nous retrouvons confrontés au problème de la preuve. Or les influences néfastes sur les mineurs vivant dans des mouvements sectaires sont tout à la fois inadmissibles et très difficiles à détecter.

À peu près trois cents mouvements sont considérés comme des sectes, qui se subdivisent en quelque huit cents groupes. Une évolution générale a été constatée durant la dernière période : des grandes structures internationales, on est passé à des groupuscules éclatés sur le territoire national, composés, pour l'essentiel, de mouvements « guérisseurs » à tendance New Age.

Dans un tel contexte, les enfants subissent les convictions de leurs parents. C'est à travers ce prisme que l'on parvient à détecter quelques signalements. Or, qu'il s'agisse des sectes ou de la maltraitance hors de tout contexte sectaire, les preuves, les signalements, les témoignages, bref, les éléments concrets et circonstanciés manquent cruellement. Dans un cas comme dans l'autre, les parents emportent avec eux leur enfant ; nous nous heurtons au silence des familles, sans même parler des systèmes de filtrage mis en place par certaines organisations comme les Témoins de Jéhovah qui règlent leurs affaires en interne par le biais d'un comité judiciaire - autant de difficultés auxquelles se heurtera le fonctionnaire de police comme celui du renseignement.

On estime à 150 000 le nombre d'adhérents, militants, adeptes, représentants ou disciples des mouvements sectaires, dont les trois quarts appartiennent aux Témoins de Jéhovah. Les 30 000 à 40 000 restants se répartissent dans les autres mouvements, groupes et groupuscules. Ce nombre est en baisse par rapport aux années 1995 où l'on en dénombrait 200 000, mais peut-être est-ce dû à l'air du temps, c'est-à-dire au travail d'investigation très pointu entamé dans ces années-là sur toutes ces dérives et comportements. Exception faite des évangélistes et des Témoins de Jéhovah, les trois quarts des adhérents sont issus de couches sociales plutôt favorisées, sinon très favorisées, ce qui rend d'autant plus difficile la détection d'infractions à l'encontre des enfants. Environ soixante-dix mouvements déconseillent la vaccination. C'est donc à travers les consignes, ou plus exactement les refus observés dans le milieu médical que l'on parviendra à déceler quelques cas de maltraitance.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : À combien estimez-vous le nombre d'enfants concernés ?

M. Joël BOUCHITÉ : Nos chiffres sont extrêmement faibles, d'abord parce ce que nous manquons de signalements, ensuite parce que c'est techniquement très difficile à évaluer. On compte trois suicides par an, une vingtaine d'automutilations, un cas de maltraitance sur cinq ans - par malnutrition - et quelques mauvais traitements involontaires. À noter que ces faits se retrouvent, pour l'essentiel, dans la mouvance sataniste qui représente deux à trois cents jeunes, mineurs ou majeurs.

M. le Rapporteur : Mais sur ces 150 000 adeptes d'organisations sectaires, combien y a-t-il d'enfants mineurs ? On nous a avancé des chiffres très variables. Avez-vous une approche plus précise ?

M. Joël BOUCHITÉ : Les chiffres que je viens de citer résultent de constatations judiciaires, qui mettent le plus souvent en cause les groupes satanistes, qu'il s'agisse des victimes ou des auteurs de profanation de lieux de culte ou de sépulture, par exemple. Dans le mouvement New Age, on ne parvient pas à déterminer le nombre d'enfants concernés. Mais les mouvements qui peuvent inquiéter par le fait qu'ils suscitent les comportements les plus radicaux se retrouvent soit chez les évangélistes, soit chez les Témoins de Jéhovah. Les évangélistes « traditionnels » sont estimés à 400 000 et les plus « durs » à trois ou quatre mille, dont 30 % d'enfants : il s'agit assez souvent de familles nombreuses. Les Témoins de Jéhovah ont également beaucoup d'enfants. Autrement dit, statistiquement et en masse, c'est là que l'on trouvera le plus grand nombre d'enfants susceptibles de subir des maltraitances en cas de dérives sectaires radicales.

M. le Président : Sur un total de 150 000, vous comptez 120 000 témoins de Jéhovah et 30 000 à 40 000 adeptes d'autres sectes. Y comptez-vous les évangélistes ?

M. Joël BOUCHITÉ : Seulement les plus radicaux, estimés à trois ou quatre mille. C'est là que se trouvent des enfants que l'on peut a priori considérer en danger. Mais nous n'avons aucun dossier avec preuve ou signalement marquant.

M. le Rapporteur : On nous a cité des chiffres de l'ordre de 40 000 à 60 000 enfants concernés, sinon 80 000. Je ne parle évidemment pas des procédures. Vous paraissent-ils plausibles ?

M. le Président : Nous sommes largement en deçà des chiffres de 1995 : on parlait de 200 000, 300 000, voire 500 000 adeptes ! Leur nombre semble avoir chuté de moitié... Faut-il y voir un sujet de satisfaction ?

M. Joël BOUCHITÉ : Il est de fait que l'action des pouvoirs publics face aux dérives sectaires a porté ses fruits ; mais cela s'explique aussi par l'évolution de la jurisprudence et une certaine tolérance à l'égard de certains mouvements, parmi lesquels les Témoins de Jéhovah, où le problème n'est pas tant celui de groupuscules répondant à la notion de secte, de moins en moins nombreux, que celui des dérives de comportement. Ce à quoi vient s'ajouter la crainte, la difficulté ou le refus pour certains de se ranger parmi les sectes les plus traditionnelles ou les organisations les plus structurées. Un mouvement continue toutefois à se développer très largement : tout ce qui tourne autour des médecines alternatives, du mouvement New Age et des formes d'éducation alternatives où les jeunes peuvent du reste être impliqués. En tout état de cause, 60 000 enfants sur tout le territoire national, cela me paraît beaucoup. Lors de nos relations sur le terrain, dans les préfectures, avec l'éducation nationale, les DDASS, les centres aérés et tous les organismes qui traitent de la jeunesse, nous n'avons jamais affaire à 60 000 signalements, ni même à 30 000, mais tout au plus à quelques dizaines...

M. le Président : Parmi les quelque 120 000 Témoins de Jéhovah, vous estimez qu'il y aurait 30 000 à 40 000 enfants...

M. Joël BOUCHITÉ : Qui subissent les convictions de leurs parents. Mais ils ne sont pas pour autant forcément en danger.

M. le Président : Mais comment la direction des renseignements généraux conçoit-elle cette notion de danger ? Se limite-t-elle au domaine sanitaire ?

M. Joël BOUCHITÉ : Le premier danger est celui de l'atteinte physique immédiate, blessures, violences et maltraitance volontaires. Viennent ensuite les violences involontaires : refus des prises de sang, refus de la vaccination, refus de soins...

M. Jean-Pierre BRARD : Ce n'est pas involontaire !

M. Joël BOUCHITÉ : Je parle des refus qui ne seraient pas coupables ou fautifs. Il y a des cas de privations fautives et volontaires, mais également des cas où l'abstention des parents est considérée comme « éducative », mais n'en est pas moins mauvaise pour l'enfant.

M. Jean-Pierre BRARD : Le refus de la transfusion sanguine lorsqu'il y a risque vital est-il, à vos yeux, un trouble à l'ordre public ?

M. Joël BOUCHITÉ : S'il y a danger pour l'enfant, ma réponse sera oui. De même pour le refus de la vaccination. Le fait d'administrer une « potion magique » à un enfant malade en substitution d'une médecine traditionnelle constitue à l'évidence un danger pour l'enfant - ce que j'appelle une violence involontaire. Vient enfin une troisième catégorie : la déstabilisation mentale de l'enfant amené à suivre ses parents et à vivre dans un contexte peu porteur en termes de développement personnel, au sens où on l'entend traditionnellement. Les enfants le plus en danger se retrouvent au sein des groupements alternatifs. En fait, plus le mouvement vit en autarcie, plus l'enfant est en danger.

M. le Président : Nous nous sommes récemment déplacés à Deyvillers, dans les Vosges, où les habitants refusent la construction d'une salle du royaume. Manifestement, les Témoins de Jéhovah avaient utilisé des sociétés écrans pour acheter le terrain. Comment agissez-vous concrètement dans ce genre de situation ? Les élus se trouvaient assez démunis dans cette affaire. Comment appréhendez-vous la situation lorsqu'une organisation de ce genre s'avance masquée derrière des sociétés écrans ?

M. Joël BOUCHITÉ : Les policiers que nous sommes sont, par nature, soupçonneux vis-à-vis de tout ce qui déroge à la loi, et particulièrement lorsqu'un petit groupe vit en autarcie et qu'il est fait état de financements et de comportements suspects. L'édification d'un temple, à plus forte raison s'il a une forme particulière, finit toujours par se savoir et par nous être rapportée. Nous chercherons à savoir si le temple en question est construit et a été financé dans les règles, qui est derrière, ce qu'il représente, et nous ferons un signalement qui ne sera qu'un simple renseignement. Nous procédons ainsi dans tous les domaines. Si chemin faisant nous découvrons quelque chose qui relève d'une infraction pénale ou fiscale, nous le signalerons également. Le regard croisé des administrations lors des réunions en préfecture est, à cet égard, plus utile que le travail en solitaire : cela permet de détecter très rapidement que le propriétaire du bâtiment contrevient totalement aux lois sur l'environnement, aux règles de l'urbanisme, aux dispositions fiscales, etc., et de « plonger » dessus - terme policier qui signifie : travailler l'affaire au plus vite avant qu'il ne soit trop tard. Pour nous, l'attitude d'un bâtisseur qui tous les matins fait des génuflexions sur le chantier d'un temple a immédiatement un caractère suspect. Même si ce genre de dérive n'établit pas, pour autant, qu'il s'agit d'une secte ; nous montons un dossier.

Nos angles d'attaque en matière de qualification personnelle à l'encontre d'individus sont, pour l'essentiel, l'abus de faiblesse, le détournement de la médecine et les refus de soins. Le second moyen de freiner considérablement le développement des sectes, mais qui ne concerne plus les mineurs, c'est tout ce qui touche aux aspects fiscaux et financiers. Contrairement à ce qui se passait il y a une dizaine d'années, les grands mouvements à caractère sectaire ont développé des intérêts d'entreprise et s'ingénient à obtenir des entrées chez les institutionnels comme dans les médias, la banque ou l'industrie, autrement dit dans tout ce qui constitue l'intelligence économique. Leur immixtion dans les institutions et lieux de pouvoir ou d'influence est un premier danger ; le second danger tient à leur développement au sein des banques et de la finance. Nous n'avons pas affaire à des illuminés, adorateurs du soleil et autres, mais à des groupes qui s'infiltrent dans les institutions ou entreprises publiques pour y établir des positions de pouvoir ou d'influence. Mais pour ce qui concerne les enfants, il s'agit essentiellement de refus de soin, de maltraitance et de tout ce qui relève du défaut d'éducation.

Pour en revenir à la face cachée de ces grosses structures, on peut citer la scientologie - ce qui ne veut pas dire qu'il s'agisse d'une secte...

M. le Rapporteur : Selon vous, ce n'est pas une secte ?

M. Joël BOUCHITÉ : C'est à vous de le déterminer... C'est un groupe d'influence puissant dont les théories sur le comportement méritent que l'on y prête attention, et surtout sa stratégie d'implantation dans les cours de rattrapage scolaire, la lutte contre la drogue ou dans la « remise en ordre républicaine » des quartiers après les émeutes de 2005, qui a eu un certain écho. Même si le fait que ses adeptes aillent porter la bonne parole dans les banlieues en tenue jaune peut symboliser une volonté d'intégration, un tel prosélytisme - appelons-le force de conviction - est à nos yeux suspect : cela revient à se poser en contre-pouvoir ou en médiateur vis-à-vis des institutions.

M. le Rapporteur : Avez-vous des éléments plus précis sur le soutien scolaire ? On nous en a déjà parlé plusieurs fois. La Scientologie s'intéresse-t-elle particulièrement à ce secteur ?

M. Joël BOUCHITÉ : Oui. Plusieurs structures, à Paris ou ailleurs, sont notoirement liées à la scientologie et s'occupent de rattrapage scolaire ou d'éducation contre la drogue ou les dérives comportementales.

[...]

Audition de M. Thierry-Xavier GIRARDOT,
directeur des affaires juridiques au ministère de l'éducation nationale,
de l'enseignement supérieur et de la recherche



(Procès-verbal de la séance du 10 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Dans le cadre de la formule du huis clos qui a été retenue pour votre audition, celle-ci ne sera rendue publique qu'à l'issue des travaux de la Commission. Cependant, la Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué et les observations que vous pourriez présenter seront soumises à la commission.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires punit des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, toute personne qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport de la commission a fait état de cette information.

Je vous rappelle qu'en vertu du même article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Enfin, l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Cependant pour la commodité de l'audition, vous pourrez citer nommément les enfants qui auront été victimes de ces actes, la commission les rendant anonymes dans son rapport.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Thierry-Xavier Girardot prête serment.)

La commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Le ministère de l'éducation nationale a mis en place une cellule de prévention des phénomènes sectaires, principalement composée d'un inspecteur général de l'éducation nationale et d'un inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et placée auprès du directeur des affaires juridiques en raison de la nature des questions qu'elle soulève, mais également de la nécessité de lui garantir une certaine autonomie. Cela ne modifie pas, par ailleurs, la répartition des compétences entre les grandes directions du ministère dont plusieurs peuvent être concernées par le phénomène sectaire, notamment la direction générale de l'enseignement scolaire, chargée entre autres du contrôle de l'obligation scolaire et amenée par le fait à repérer des problèmes à caractère sectaire, et la direction des affaires financières qui, en vertu d'une ancienne et obscure tradition, s'occupe de tout ce qui relève de l'enseignement privé et particulièrement des procédures de déclaration et d'ouverture d'établissements hors contrats. La cellule de MM. Dupuis et Polivka anime, par ailleurs, un réseau de correspondants installés dans chaque rectorat et fins connaisseurs de nos procédures et nos modes d'actions comme des phénomènes sectaires, et qui mettent leur vigilance au service de l'ensemble du ministère.

M. le Président : A-t-on un bilan du décret de 1999 et de la loi de 1998 sur les contrôles en établissements hors contrats ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : La cellule de prévention des phénomènes sectaires a préparé un bilan quantitatif sur la période la plus récente : nombre de contrôles opérés, nombre de mises en demeure de scolariser, etc. Je ne sais si nous avons des données sur l'ensemble de la période depuis la promulgation de la loi, mais sur l'année écoulée, nous avons recensé un peu moins de 3 000 enfants instruits dans la famille, opéré 1 119 contrôles dont vingt-trois se sont soldés par une mise en demeure de scolariser l'enfant dans un établissement d'enseignement, généralement pas pour des motifs liés à des dérives sectaires, mais tout simplement parce que l'éducation dispensée par la famille ne répondait pas aux exigences du décret de 1999, désormais codifié dans la partie réglementaire du code de l'éducation.

M. le Président : Sur ces vingt-trois enfants, combien exactement étaient concernés par le phénomène sectaire ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Je ne suis pas sûr qu'il y en ait un seul... MM. Dupuis et Polivka pourront vous le préciser.

M. Jean-Pierre BRARD : Comment ces 3 000 enfants instruits dans les familles sont-ils identifiés ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Par le biais des déclarations obligatoires auprès des maires et auprès des inspecteurs d'académie.

M. Jean-Pierre BRARD : Combien y en a-t-il en réalité, qui ne sont pas identifiés ? Que fait l'éducation nationale pour les identifier ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Je n'ai pas de données sur le nombre d'enfants non identifiés...

M. le Président : Pas même un ordre de grandeur ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Pour que l'éducation nationale agisse, il faut un signalement, d'une manière ou d'une autre...

M. Jean-Pierre BRARD : Mais l'éducation nationale est bien chargée de veiller à l'application de la loi, que je sache !

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Elle n'a pas de personnel...

M. Jean-Pierre BRARD : Ça, ce n'est pas notre problème !

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : ...pour aller recenser ces enfants restés dans les familles. Il n'y a pas de recoupement de fichiers. C'est sans doute davantage la responsabilité du maire...

M. Jean-Pierre BRARD : Ah oui ? Et en vertu de quel texte ?

M. le Président : De l'article L. 13110 du code de l'éducation : « Les enfants soumis à l'obligation scolaire qui reçoivent l'instruction dans leur famille sont dès la première année, et tous les deux ans, l'objet d'une enquête de la mairie compétente, uniquement aux fins d'établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables, et s'il leur est donné une instruction dans la mesure compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. Le résultat de cette enquête est communiqué à l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale.

« Lorsque l'enquête n'a pas été effectuée, elle est diligentée par le représentant de l'État dans le département ».

Que se passe-t-il si l'enquête n'a pas été effectuée par le préfet ? Il n'y a pas de sanction, en fait...

M. Jean-Pierre BRARD : Pour ce qui concerne la qualité de l'éducation, ce n'est pas le maire qui est chargé de vérifier l'application du décret !

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Mais c'est assurément le mieux placé pour apprécier si tous les enfants non inscrits dans un établissement d'enseignement ont bien fait l'objet d'une déclaration d'instruction dans la famille, d'autant que c'est lui qui établit les listes scolaires recensant l'ensemble des enfants d'âge scolaire domiciliés dans la commune.

M. Jean-Pierre BRARD : Nous sommes plusieurs ici à être maires. Comment vous débrouillez-vous concrètement pour faire ce que vous dites ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Moi, je ne suis pas maire...

M. Jean-Pierre BRARD : Mais qui a l'obligation de dispenser l'éducation, sinon l'État ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Certes, mais pour le recensement des familles et la connaissance des enfants vivant dans la commune, le maire et ses services sont mieux placés que l'administration de l'éducation nationale...

M. Jean-Pierre BRARD : Voilà qui n'est guère rassurant ! Dans la ville de Paris, par exemple, comment faites-vous pour trouver les enfants délibérément soustraits au milieu de deux millions d'habitants ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : On ne peut y arriver qu'en procédant à des recoupements...

M. Jean-Pierre BRARD : Je veux bien qu'on recoupe, mais entre quoi et quoi ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Ce peut être par l'intermédiaire de services sociaux : comme ils sont au courant de la situation d'un enfant, on peut vérifier à cette occasion s'il figure sur la liste scolaire. Effectivement, il n'y a pas beaucoup de moyens à disposition...

M. le Président : Le chiffre officiel est de 3 000 enfants. La direction des affaires juridiques n'a aucune idée du « chiffre noir » ? Pas même une projection, un ordre de grandeur du nombre réel d'enfants non scolarisés dans les établissements ? Vingt mille, trente mille ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Je n'en ai aucune idée. J'imagine, en tout cas j'espère qu'il est faible, mais je suis incapable de répondre à votre question. Pour autant, cela ne signifie pas que personne au ministère de l'éducation nationale n'ait de données là-dessus. Telle qu'elle est faite, la loi confie cette mission en premier lieu aux maires ; nous nous bornons à vérifier que les enfants déclarés comme recevant une instruction dans la famille reçoivent effectivement une instruction conforme au décret.

M. le Président : Une fois par an, à partir du troisième mois suivant la déclaration d'instruction par la famille...

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : À l'enquête du maire vient s'ajouter le contrôle des services de l'éducation nationale sur la qualité de l'enseignement dispensé.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous connaissez le nombre des enfants scolarisés par l'éducation nationale...

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Oui.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous connaissez le nombre d'enfants scolarisés par les écoles sous contrat...

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Oui.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous connaissez le nombre d'enfants scolarisés par les écoles hors contrat...

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Oui.

M. Jean-Pierre BRARD : Et vous connaissez le nombre d'enfants nés durant l'année considérée. Donc, par addition, puis soustraction, vous pouvez trouver assez simplement !

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Je n'en suis pas sûr, du fait notamment des problèmes des multi-inscriptions. Nous avons de très bons systèmes d'information pour le recensement des élèves du second degré ; pour ceux du premier degré, c'est plus compliqué par le fait que ce sont les maires qui inscrivent. Nous sommes en train de mettre en place un système qui nous permettra d'avoir un suivi très fiable des élèves dans les écoles. Seul un petit nombre d'enfants nous échappent...

M. Jean-Pierre BRARD : Comment le savez-vous ? Qui contrôle chaque jour l'effectif des enfants présents dans les écoles ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Les maîtres et les directeurs d'école.

M. Jean-Pierre BRARD : Donc vous avez les chiffres...

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Oui...

M. Jean-Pierre BRARD : Une multi-inscription d'une commune à l'autre est toujours possible ; mais personne, pas même les enfants, n'ayant le don d'ubiquité, l'éducation nationale est la seule capable de s'assurer de la présence physique et d'agréger. Il est donc possible d'avoir les chiffres. Pour une commission d'enquête, c'est important...

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Il y a visiblement un décalage entre le code et la pratique...

L'enseignement à distance et le soutien à domicile ont deux régimes juridiques différents : les établissements d'enseignement à distance doivent faire l'objet d'une déclaration dans des conditions prévues par un décret, tandis que le soutien scolaire, en plein développement, fait seulement l'objet d'un régime facultatif d'agrément. Plusieurs interlocuteurs nous ont alertés sur le danger d'un prosélytisme sectaire sévissant dans le cadre du soutien scolaire. Avez-vous des informations sur ce sujet ?

À ma connaissance, on ne trouve aucune information précise sur les dérives sectaires dans le programme d'instruction civique. Qu'en pensez-vous ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Le directeur des affaires juridiques n'est pas forcément le meilleur connaisseur de la pratique ni le plus compétent pour se prononcer sur le contenu des programmes... Le soutien scolaire pose un problème d'appréhension dans les différents textes.

M. le Rapporteur : Si l'enseignement à distance est relativement encadré par le décret de 1972, dans le soutien scolaire en revanche, on peut faire tout et n'importe quoi : il ne relève que du code du travail... Or beaucoup d'interlocuteurs nous ont indiqué que les organisations sectaires avaient bien compris l'utilisation qu'elles pouvaient en faire sur le terrain. N'y a-t-il pas là une difficulté inhérente à son régime juridique ? Que faudrait-il faire pour éviter tout risque de dérive ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : L'enseignement à distance obéit à une série de règles, au demeurant pas toujours faciles à appliquer lorsque l'établissement est situé à l'étranger ; se pose de surcroît le problème des enfants résidant sur le territoire français, non scolarisés dans un établissement d'enseignement et inscrits à des cours par correspondance. L'interprétation de la loi, sur ce point, est matière à débat : pour le ministère, ces enfants doivent être traités comme s'ils étaient instruits dans la famille, l'établissement d'enseignement à distance jouant en quelque sorte le rôle d'un précepteur. Une précision sera bientôt apportée sur ce point dans le code de l'éducation par le biais d'un article introduit dans le projet de loi de prévention de la délinquance ; libre à chacun de la considérer comme une modification du droit existant ou comme la confirmation d'une interprétation correcte.

Pour ce qui concerne le soutien scolaire, il convient de distinguer deux cas. Premièrement, il peut s'agir d'enfants de parents différents réunis dans un lieu donné pour bénéficier de cours collectifs ; auquel cas nous appliquions jusqu'ici la définition de l'école soumise à obligation de déclaration au rectorat au sens de la circulaire de 1999 portant application de la loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998, tendant au renforcement du contrôle de l'obligation scolaire. On peut discuter sur la question de savoir où passe la frontière entre ce qui relève de l'établissement d'enseignement soumis à déclaration et ce qui relève des dispositions du code de l'action sociale et des familles, plus adaptées aux activités de soutien ponctuelles, limitées à quelques heures et destinées à des enfants inscrits par ailleurs dans un établissement scolaire. Le deuxième cas, celui de professeurs particuliers dispensant des cours à domicile, n'entre en revanche dans aucune des procédures prévues par le code de l'éducation ni par le code de l'action sociale et des familles.

M. le Président : Cela relève du service de la personne à domicile et non plus de l'éducation nationale.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : En effet.

M. le Président : Et avec déduction fiscale à la clé...

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Exactement.

M. le Président : Doit-on se satisfaire de cette situation, connaissant la propension du phénomène sectaire à s'engouffrer dans ce genre de faille ? Y a-t-il des réflexions sur cette question ? Avec le soutien scolaire et l'enseignement à distance, nous touchons du doigt l'un des sujets les plus importants de cette commission d'enquête, sinon l'épine dorsale... Or il ne semble pas que le ministère de l'éducation s'en préoccupe beaucoup. Avez-vous connaissance de réflexions dans ce sens ? À ce propos, j'ignorais que le projet de loi de prévention de la délinquance contenait des dispositions relatives au soutien scolaire...

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : À l'enseignement à distance. Le projet de loi précise que les enfants qui reçoivent un enseignement par le biais d'un établissement d'enseignement à distance n'échappent pas au contrôle de l'instruction dans la famille.

M. Jean-Pierre BRARD : L'État n'est-il pas en train de se désengager dans la mesure où cela ne relève plus que de la famille ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Non, au contraire, et cela répond du coup à l'inquiétude que peuvent susciter les phénomènes sectaires. Certains considéraient que les textes laissaient un vide juridique dans le cas des enfants non inscrits dans un établissement d'enseignement et recevant l'instruction à domicile par le biais d'un établissement d'enseignement à distance. Je ne partage pas cette interprétation, estimant qu'un enfant qui reste chez lui au lieu d'aller à l'école est bel et bien instruit dans la famille, serait-ce avec l'aide d'un centre d'enseignement à distance. Le texte du projet de loi sur la prévention de la délinquance tel qu'adopté en première lecture clarifie définitivement ce point renvoyant explicitement au cas de l'instruction dans la famille, soumis au contrôle de l'État.

M. le Président : Entendons-nous bien : il n'y a pas de contrôle de l'éducation nationale sur l'enseignement à distance...

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Les textes prévoient un contrôle de l'État sur les établissements d'enseignement à distance, auquel vient s'ajouter celui du destinataire...

M. le Président : Du bénéficiaire de cet enseignement à distance.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : ...lorsqu'il n'est pas inscrit dans un établissement scolaire, s'entend.

M. Jean-Pierre BRARD : Prenons le cas du CNED, institution d'État. Ce n'est plus lui dorénavant qui portera la responsabilité de la réalité de l'enseignement dispensé, mais la famille.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Pas exactement. Le CNED reste responsable de la qualité de l'enseignement fourni sous le contrôle de l'État ; mais nous ne savons pas dans quelles conditions les enfants inscrits au CNED font leurs devoirs à la maison. Dans la plupart des cas, les relations que celui-ci entretient avec les enfants inscrits à ses services permettent de s'assurer que tout va bien, mais le fait de considérer l'enfant restant chez lui et ne recevant que l'enseignement du CNED comme un cas d'instruction dans la famille nous permet de vérifier sur place la réalité de l'enseignement dispensé en cas de soupçons.

M. Jean-Pierre BRARD : Est-ce ainsi que cela se passe en réalité ?

M. le Président : Y a-t-il un contrôle précis du contenu de l'enseignement ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Parmi les enfants inscrits au CNED, je n'ai pas eu connaissance de cas où l'on ait ressenti ce besoin....

M. Jean-Pierre BRARD : Je peux vous montrer des devoirs d'enfants de familles tziganes de Montreuil, dont la médiocrité m'a effrayé sans jamais donner lieu pour autant à une réaction du CNED... Qui contrôle le CNED et la réalité du travail effectué ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Le CNED est contrôlé par le ministère de l'éducation nationale, et c'est à lui qu'il appartient de s'assurer de la réalité du travail ; mais aucun élément ne me laisse à penser qu'il ne le fait pas correctement.

M. Jean-Pierre BRARD : Et encore, le CNED dépend de l'État... Pour les autres établissements privés de télé-enseignement, cela n'est pas du tout rassurant ! Leur contrôle pédagogique est-il au moins prévu ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Tout à fait, par les articles L. 444-1 et suivants du code de l'éducation. L'article L. 444-3 notamment dispose que les organismes privés d'enseignement à distance sont soumis au contrôle pédagogique.

M. le Président : Le contrôle tant pédagogique que financier de l'établissement d'enseignement à distance, CNED ou autre, relève du ministère de l'éducation nationale. Faut-il croire que, jusqu'à présent la « réception » de cet enseignement par le bénéficiaire mineur restant dans la famille n'était jusqu'à présent pas contrôlée ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Cette interprétation de la loi s'était répandue. Certains responsables locaux estimaient qu'il y avait là un vide juridique, une idée voulant que les enfants recevant l'enseignement d'un établissement d'enseignement à distance fussent considérés comme inscrits dans l'établissement en question et non comme scolarisés dans la famille - interprétation que, pour ma part, je réfute. Ce débat sera bientôt définitivement tranché par la loi.

M. le Président : Cela présente effectivement de meilleures garanties en permettant d'aller voir dans les familles ce qu'y devient l'enseignement à distance... En fait, il suffisait de s'inscrire dans un organisme d'enseignement à distance pour échapper à tout contrôle !

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Ce n'est pas le cas, mais ce sera plus clair une fois la disposition votée en première lecture dans le cadre du projet de loi sur la prévention de la délinquance définitivement adoptée.

M. le Président : Pourquoi cette mesure a-t-elle été intégrée dans la prévention de la délinquance ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Parce que ce texte contient plusieurs mesures renforçant le contrôle de l'obligation scolaire de même que le rôle des maires en matière de prévention et d'information.

M. le Président : Si l'on avait à renforcer le contrôle sur le soutien à domicile, quelle formule vous paraîtrait la plus adaptée : la substitution d'une autorisation à un régime déclaratif au titre du code de l'éducation, la substitution d'un agrément de qualité à un agrément simple facultatif au titre du code du travail ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Il est difficile pour un fonctionnaire de répondre sans savoir ce qu'en pense son ministre...

M. Jean-Pierre BRARD : Répondez sous votre responsabilité : vous êtes plus pérenne que le ministre !

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Un éventuel contrôle de l'État devrait répondre à deux types d'objectifs : un objectif de « moralité » au sens large, bien au-delà de la seule prévention des dérives sectaires - en vérifiant notamment l'absence de condamnations pour des motifs incompatibles avec l'enseignement -, et un objectif de qualité de l'enseignement donné en exigeant des conditions de diplômes ou de qualifications professionnelles équivalentes. Cela ressemble fort à une procédure d'agrément. Faut-il aller jusque-là et réglementer ce type d'activité ? Cela mérite sans doute une étude d'impact un peu plus large, et de se demander si le coût de la mesure est justifié au vu des garanties qu'elle apportera. Quoi qu'il en soit, il me paraîtrait de bon sens que les activités de soutien soient soumises à un contrôle de moralité et de qualité professionnelle de l'intervenant.

M. le Président : N'y a-t-il pas une certaine incohérence dans le code du travail qui prévoit un agrément obligatoire pour toute activité de garde d'enfant de moins de trois ans ou d'assistance à personne handicapée ou dépendante de plus de soixante ans, mais totalement facultatif pour les autres services à la personne, dont le soutien scolaire ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Effectivement, il n'y a pas de procédure d'agrément.

M. le Président : Sinon un agrément simple facultatif.

M. Jean-Pierre BRARD : Cela ferait un bon amendement gouvernemental, pour une fois !

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : L'agrément obligatoire dans le cas d'enfants en bas âge ou de personnes âgées tient sans doute à des considérations de santé publique. Autrement dit, c'est une autre logique, non une incohérence absolue... Cela relève d'un choix politique, mais il ne serait pas aberrant de prévoir un contrôle de moralité et de qualification professionnelle, comme on le fait déjà pour l'enseignement en établissements privés hors contrat, par exemple.

M. le Président : Selon quelles modalités la médecine scolaire intervient-elle dans les établissements hors contrat et lorsque l'enseignement est effectué à domicile ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : La médecine scolaire n'intervient que dans les établissements de l'éducation nationale et les établissements privés sous contrat.

M. le Président : Autrement dit, il n'y a pas de médecine scolaire dans le cas d'établissement privé hors contrat ou de scolarisation à domicile. Le décret de 1999 n'y a rien changé ? Le contrôle du niveau pédagogique ne va-t-il pas de pair avec celui du niveau sanitaire ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Ce sont deux choses séparées. Le contrôle sanitaire porte sur l'établissement en tant que tel, non sur l'état médical des enfants.

M. le Président : Voilà qui est intéressant... Comment cela se traduit-il en matière de vaccination, de transfusion, etc. ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : La vaccination est régie par une disposition générale du code de l'action sociale et des familles, laquelle prévoit que tout accueil collectif est soumis à vérification du respect de l'obligation de vaccination.

M. le Rapporteur. Les textes prévoient, certes... Mais lorsque les parents ne font pas vacciner leur enfant et s'il n'y a pas de contrôle, que faites-vous ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Des sanctions sont prévues pour le cas où l'établissement ne procède pas aux contrôles auxquels il est tenu.

M. le Rapporteur : Comment font-ils sans médecine scolaire ? Prenons le cas de parents Témoins de Jéhovah. Comment l'établissement sait-il si l'enfant est vacciné ou non ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Le code de l'action sociale et des familles et celui de la santé publique comportent des dispositions prévoyant que tout établissement accueillant des mineurs doit demander communication du carnet de santé qui permet de vérifier si l'enfant est en règle au regard des obligations de vaccination.

M. le Rapporteur : Mais vous-mêmes vérifiez-vous que ces informations sont bien demandées par l'établissement ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Peut-être faudrait-il demander à MM. Polivka et Dupuis.

M. le Président : Le soutien scolaire donne-t-il lieu à une information du ministère à destination des établissements et des familles sur certains organismes pouvant ne pas présenter toutes les qualités requises - l'école de l'éveil, par exemple ? Les familles ont-elles la possibilité d'être informées par les établissements sur circulaire du ministère ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : À ma connaissance, non.

M. le Président : L'article L. 471-3 dispose que toute publicité doit faire l'objet d'un dépôt préalable auprès du recteur. La publicité ne doit rien comporter de nature à induire les candidats en erreur sur la culture et les connaissances de base indispensables, la nature des études, leur durée moyenne et les emplois auxquels elles préparent. L'article L. 471-5 prévoit même des sanctions pénales : un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. Cette règle est-elle systématiquement respectée ? Quelle est la nature du contrôle exercé par les recteurs et quelles sont les sanctions prises par ces derniers en cas de méconnaissance de ces dispositions ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Ils peuvent tout simplement saisir le procureur... Il semblerait, d'après mes informations, que ces dispositions restent largement inappliquées.

M. le Président : C'est précisément ce que nous voulions savoir... Comment l'expliquez-vous ? Les recteurs font-ils correctement leur travail ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : On pourrait penser qu'ils ne le font pas correctement s'ils pouvaient avoir d'une manière ou d'une autre connaissance de ce genre de publicité.

M. le Président : Nous en connaissons tous ! Il suffit de voir les affiches qui fleurissent un peu partout, sur les devantures des magasins, aux abords des écoles et ailleurs...

M. Jean-Pierre BRARD : Un esprit cartésien pourrait imaginer que le directeur des affaires juridiques vérifie que le ministère applique la loi, mais peut-être suis-je excessif... Est-ce au moins prévu dans vos fonctions ?

Vous avez cité le chiffre de 3 000 enfants scolarisés dans les familles, pour seulement 1 119 contrôles. Le contrôle ne devrait-il pas être annuel ? Si oui, pourquoi 1 881 enfants ne sont-ils pas contrôlés ? C'est là une défaillance totale dont l'État doit être tenu responsable, y compris devant la juridiction ou le médiateur de la République.

Enfin, pourrions-nous avoir pour l'année 1998 le nombre de naissances dans le pays, le nombre d'enfants scolarisés par l'éducation nationale, dans les établissements privés sous et hors contrat, et dans les familles ? Je n'ai pas pris l'année 1998 au hasard, mais pour être sûr que tous les enfants ont été comptabilisés. Par soustraction, on en déduira le nombre d'enfants qui échappent à tout enregistrement.

M. le Président : À l'exception peut-être des départs à l'étranger...

M. Jean-Pierre BRARD : Même ceux-là doivent pouvoir se retrouver.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Je ne suis pas en mesure de vous apporter immédiatement des données suffisamment fiables sur les effectifs d'enfants scolarisés dans les établissements publics, les établissements privés sous contrat et les établissements privés hors contrat, et de ceux déclarés comme instruits dans la famille, pour que la soustraction soit pertinente...

M. Jean-Pierre BRARD : Imaginez que nous écrivions dans notre rapport que le ministère n'a pas de chiffres fiables... Je vous laisse mesurer l'impact médiatique !

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Sur les effectifs scolarisés ?

M. Jean-Pierre BRARD : Sur le total des naissances rapporté à celui des enfants recevant une instruction, quelle qu'en soit la forme.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Même si l'on recensait les effectifs scolarisés dans les 56 000 écoles, la marge d'erreur sur le total resterait assez grande.

M. Jean-Pierre BRARD : C'est tout à fait contraire à l'esprit de la LOLF... Je suis un des quatre « lolfeurs » et nous ne plaisantons pas du tout avec ce genre de choses : vous devez être capable de dire combien il y a d'enfants, et combien d'enseignants en face.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Nous ne plaisantons pas non plus, puisque nous investissons énormément dans la mise en place d'un système d'information qui nous permettra d'avoir des données plus fiables sur les effectifs scolarisés dans le premier degré.

M. le Président : Il a été rapporté à la commission d'enquête que certains établissements universitaires refusaient des diplômes d'établissement de sensibilisation aux dérives sectaires et qu'en revanche certains diplômes d'établissement intégraient un enseignement en faveur de thérapies non validées scientifiquement véhiculées par des mouvements sectaires. Quelles sont les conditions requises pour créer un diplôme d'établissement ? Dans quelles conditions la validité scientifique des diplômes d'établissement est vérifiée par le conseil scientifique des établissements universitaires ? Existe-t-il un dispositif qui permette de s'assurer que la validité scientifique d'un diplôme d'établissement n'a pas été récusée dans un établissement universitaire ? Quelle est la valeur des diplômes d'établissement ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : La question surprend un peu... Je n'ai pas connaissance de diplômes d'établissement faisant place à des mouvements sectaires.

M. le Président : Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit : je parlais de diplômes portant sur des thérapies non validées scientifiquement et reprises par des mouvements sectaires.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Les diplômes d'établissement sont créés par les universités elles-mêmes, par délibération du conseil d'administration. Le ministère n'y intervient pas...

M. le Président : Cela relève de l'autonomie des universités.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : En effet. Cela dit, nous sommes précisément en train de renforcer les dispositifs d'évaluation de la recherche comme de l'enseignement supérieur par la mise en place de l'agence d'évaluation prévue dans la loi de programme. Le projet de décret de création est actuellement devant le Conseil d'État. En l'état actuel des choses, l'évaluation des diplômes est laissée aux soins d'une structure interne au ministère. Cette mission sera reprise par la future agence. Pour le reste, nous avons très peu de moyens d'action : sans doute pouvons-nous inciter les universités à créer des diplômes dans certains domaines, mais elles sont libres de leurs choix. Certaines, par exemple à Lyon, ont développé des diplômes sur la victimologie sectaire. Si, à l'inverse, il existait des formations au contenu apparemment plus douteux ou inquiétant au regard de la qualité scientifique, voire d'une possible emprise des sectes, le ministère serait intéressé à connaître ces informations afin d'y regarder de plus près et de mobiliser les dispositifs d'évaluation scientifique existants.

M. Jean-Pierre BRARD : Je repose ma question : au nom de quoi l'État, en l'occurrence le ministère, peut-il justifier de ne pas accorder sa protection, telle qu'elle est prévue par les textes, à 1 881 enfants non contrôlés sur 3 000 ? C'est gravissime ! Si un pépin survient demain, qui sera responsable ?

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Je vous ai donné les chiffres tels qu'ils m'ont été transmis par MM. Polivka et Dupuis... Ils seront plus à même de vous répondre. En particulier, je ne sais pas comment les enfants inscrits au CNED sont intégrés dans ce décompte. Sans doute l'explication vient-elle de là.

M. Jean-Pierre BRARD : Il n'empêche qu'ils n'auraient pas été contrôlés...

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Nous avons suffisamment d'échanges avec les enfants inscrits au CNED pour que la procédure de contrôle soit moins systématique.

M. Jean-Pierre BRARD : J'invite instamment les personnes qui pensent cela au ministère de l'éducation nationale à aller voir sur le terrain ! Cela leur remettra les pieds par terre...

M. Serge BLISKO : Pour avoir suivi des enfants malades qui passaient par le CNED, de façon tout à fait normale, j'ai pu constater que celui-ci ne s'est jamais manifesté avec une particulière ardeur lorsque les devoirs ne lui arrivaient pas ! Je veux bien admettre qu'avec ces paquets de devoirs qui vont et viennent, l'affaire est tout sauf simple ; peut-être la situation s'est-elle améliorée avec Internet. En tout cas, on ne saurait y voir une garantie absolue. On peut être assuré de la qualité de l'enseignement, des enseignants et des corrections, mais certainement pas l'assiduité de l'élève.

M. Thierry-Xavier GIRARDOT : Je partage votre analyse. Ajoutons que le recours aux services du CNED, dans des conditions de quasi-gratuité, doit répondre à des motifs légitimes et reste soumis à l'avis favorable de l'inspecteur d'académie. Nous avons connu plusieurs contentieux à ce propos ; les tribunaux vérifient que la solution du CNED est proposée seulement à des enfants ayant une raison légitime pour ne pas être inscrits dans un établissement d'enseignement. La loi prévoit bien que la priorité reste l'inscription dans une structure d'enseignement collectif.

M. le Président : Nous aurions encore beaucoup de questions à vous poser sur l'éducation, le soutien scolaire, l'enseignement à distance, tant il est vrai que nous touchons à un domaine d'ores et déjà largement exploité par certains mouvements à caractère sectaire et insuffisamment contrôlé et réglementé par le ministère de l'éducation nationale. Nul doute que la commission d'enquête y consacrera une part importante de ses travaux et de ses propositions. Quoi qu'il en soit, nous vous remercions de votre contribution.

Audition conjointe de MM. Jean-Yves DUPUIS,
inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche
et de Pierre POLIVKA, inspecteur général de l'éducation nationale



(Procès-verbal de la séance du 10 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui MM. Jean-Yves Dupuis, inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la Recherche et de Pierre Polivka, inspecteur général de l'éducation nationale.

Messieurs, en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code, qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(MM. Jean-Yves Dupuis et Pierre Polivka prêtent serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Monsieur Dupuis, Monsieur Polivka, la commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. Jean-Yves DUPUIS : Le ministère a mis en place une cellule de prévention des phénomènes sectaires, la CPPS. Elle est extrêmement légère, puisqu'elle est composée de deux inspecteurs généraux, ici présents, qui travaillent au sein de cette cellule en plus de leur travail normal, et d'une secrétaire. En outre, cette cellule dispose dans chaque académie d'un correspondant, qui est généralement membre d'un corps d'inspection territoriale, parfois un proviseur chargé du secteur de la vie scolaire. Ces personnes remplissent, elles aussi, leur rôle de correspondant académique en plus de leurs tâches normales.

Nous espérons de cette manière mailler suffisamment le territoire, afin que les recteurs et inspecteurs d'académie soient informés d'éventuels phénomènes sectaires. Nous nous efforçons également de centraliser les informations et de remplir un rôle de conseil, car le contrôle de ces dérives sectaires se déroule dans un cadre législatif et réglementaire extrêmement précis. Si nous ne voulons pas courir le risque de voir les décisions prises remises en cause, nous devons veiller à ce qu'il soit respecté. Pour ce faire, nous organisons chaque année des sessions de formation en direction de nos correspondants académiques.

En prévision de notre audition par votre commission d'enquête, nous avons procédé très rapidement à une enquête auprès de tous les inspecteurs d'académie. Durant l'année scolaire écoulée, les inspecteurs d'académie ou les recteurs ont procédé à 19 000 signalements aux procureurs de la République, concernant des enfants qu'on estimait être en danger, pour diverses raisons. Lorsque nous avons demandé aux inspecteurs d'académie quels étaient, parmi ces enfants en danger, ceux qui l'étaient à cause de mouvements sectaires, ils nous ont répondu qu'il y en avait huit. C'est un chiffre qui paraît évidemment dérisoire. Mais il n'est pas toujours très simple de savoir si un enfant est en danger parce que ses parents appartiennent à un mouvement sectaire. Malgré tout, ce chiffre nous a un peu surpris. Il semblerait montrer que, aux yeux de nos inspecteurs d'académie et de nos recteurs, les sectes ne constituent pas le problème le plus important auquel ils ont à faire face.

Nous avons également demandé combien d'enfants étaient instruits dans la famille. L'an dernier, ils étaient 2 869. Nos inspecteurs des corps territoriaux ont procédé à 1 149 contrôles. On peut estimer que ce dernier chiffre est relativement faible, puisqu'il correspond à moins de 50 % des enfants instruits dans la famille. Mais il faut savoir que le contrôle n'est pas obligatoire chaque année. D'autre part, l'effectif de nos corps d'inspection est relativement limité, puisque nous comptons dans toute la France 1 174 inspecteurs pédagogiques régionaux, qui interviennent dans le second degré, et 1 954 inspecteurs de l'éducation nationale, qui interviennent dans le premier degré. Le contrôle de l'éducation à domicile n'est pas pour eux une tâche particulièrement prioritaire. Ils ont bien d'autres tâches à accomplir, qu'elles soient de nature administrative, auprès des recteurs et des inspecteurs d'académie, ou qu'elles soient de contrôle des établissements d'enseignement publics ou privés sous contrat.

Ces contrôles ont abouti à 23 mises en demeure de scolarisation, ce qui est, là aussi, un chiffre relativement faible. Il faut préciser que les enfants instruits dans la famille ne le sont pas systématiquement parce que leurs parents appartiennent à des mouvements sectaires. Ils le sont, la plupart du temps, pour des raisons purement idéologiques, qui tiennent à la réticence des familles devant l'enseignement dispensé par le réseau des écoles publiques.

En ce qui concerne l'enseignement à distance, il y avait l'an dernier 3 983 enfants inscrits au CNED, et 480 enfants inscrits dans des centres d'enseignement par correspondance privés. S'agissant de ces derniers, nous les connaissons, nous connaissons également leurs publicités. Il ne fait absolument aucun doute que ces centres mettent en cause l'idéologie de l'école publique. Les parents s'adressent à eux parce qu'ils considèrent, je cite, que l'école publique est une « école poubelle », et que, par conséquent, il convient que les enfants la fréquentent le moins possible.

Nous avons recensé 86 écoles privées hors contrat, 11 d'entre elles ayant été mises en demeure de dispenser un enseignement conforme aux normes en vigueur dans l'enseignement public ou privé sous contrat.

Les écoles appartenant à des sectes sont fort peu nombreuses en France. Celle de Tabitha's Place est connue. Nous la contrôlons depuis de nombreuses années. Elle a fini par accepter de subir le contrôle de nos inspecteurs. Tabitha's Place vient d'ouvrir une deuxième école de fait dans la région de Mulhouse : nous n'avons pas pu exercer le contrôle que nous sommes, en principe, susceptible d'exercer. L'inspecteur qui s'est présenté l'an dernier à cette école privée s'en est vu refuser l'entrée. Signalement a été fait au procureur. Enfin, les Frères de Plymouth viennent de transformer en école un centre d'aide aux devoirs qui existait depuis plusieurs années.

M. le Président : Sur les 19 000 enfants en danger qui ont fait l'objet d'un signalement, vous nous dites que seuls 8 étaient concernés par un phénomène sectaire. Ce chiffre nous paraît dérisoire. On peut imaginer, sans risque de se tromper, que le chiffre réel est largement supérieur à la dizaine. Avez-vous une explication ?

M. Pierre POLIVKA : La CPPS a été créée en 1996. Le collègue qui l'animait a conduit une action très dynamique, qui s'est traduite par la mobilisation des corps d'inspection, avec des campagnes régulières sur des objets très précis. Par exemple, en décembre 1999, une opération a été montée dans le plus grand secret, aboutissant à l'inspection, le même jour, de toutes les écoles Steiner. De même, on peut rappeler les opérations énergiques conduites contre Tabitha's Place, qui ont reçu un certain écho dans le monde sectaire. Une pression a donc été exercée, qui a conduit les principales sectes à se protéger en approchant les jeunes par d'autres biais que par celui de l'école. La modestie des chiffres traduit donc peut-être l'insuffisance de nos renseignements, mais démontre surtout la qualité de l'engagement de l'éducation nationale dans la prévention des dérives sectaires.

M. Jean-Yves DUPUIS : Pour compléter ce que vient de dire mon collègue, j'ajouterai que l'activité de la CPPS ne cesse de décroître depuis des années. L'an dernier, nous n'avons été saisis que de trois cas d'enfants considérés comme en danger. L'importance du maillage du territoire, le fait que nous attirions beaucoup l'attention de nos correspondants sur ce phénomène, l'organisation régulière de stages de formation sur ce sujet, tout cela a abouti à un contrôle beaucoup plus étroit. Je pense qu'en conséquence, les sectes se sont désengagées du secteur de l'enseignement initial, peut-être au profit d'autres secteurs, d'ailleurs plus lucratifs, comme l'aide aux devoirs ou l'accompagnement à la scolarité.

M. le Président : Un autre chiffre nous a frappés : seuls 1 149 des 2 869 enfants instruits dans les familles ont fait l'objet d'un contrôle. Cela signifie que la moitié des enfants qui échappent au système scolaire ne sont pas contrôlés.

M. Jean-Yves DUPUIS : Pas chaque année.

M. le Président : De plus, comment pouvez-vous déterminer ce chiffre de 2 869 ? Le nombre d'enfants instruits dans les familles n'est-il pas en réalité beaucoup plus élevé ?

M. Pierre POLIVKA : Comme vous le savez, les lois successives, dont celle de 1998 est la dernière en date, obligent au contrôle de ces enfants. Désormais, les maires doivent signaler à l'autorité la situation de ces enfants instruits dans les familles. L'éducation nationale est donc en mesure de savoir à combien s'élève le nombre d'enfants dans cette situation.

Il est vrai que nos appareils statistiques sont parfois pris en défaut, ne serait-ce que par le fait que nos directeurs d'école sont en grève depuis maintenant dix ans, et ne font pas systématiquement remonter les chiffres de leurs effectifs d'enfants scolarisés. Mais je pense que les maires font leur travail et signalent quasi systématiquement les cas d'enfants instruits dans leurs familles.

Pour ce qui est du contrôle, il est vrai que ces enfants ne sont pas suivis régulièrement. Mais entre l'âge de trois ans et l'âge de seize ans, ils font l'objet d'un contrôle à un moment ou à un autre de leur période d'âge scolaire.

Mon collègue a insisté sur le poids des charges qui pèsent sur les corps d'inspection. Il est vrai qu'il a été difficile, au début, de mobiliser les inspecteurs de l'éducation nationale et les inspecteurs d'académie et inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR). C'est un fait qu'à leurs yeux, la question de l'instruction à domicile n'était pas une priorité. Aujourd'hui, l'action qui a été conduite les a sensibilisés au problème.

M. le Président : En ce qui concerne l'enseignement à distance, 3 983 enfants inscrits au CNED, et 480 enfants inscrits dans des centres d'enseignement par correspondance privés. L'ensemble de ces enfants ne sont pas contrôlés.

M. Jean-Yves DUPUIS : Un certain nombre de ces enfants sont également comptabilisés dans le nombre d'enfants instruits dans les familles, dont 1 149 ont été contrôlés l'an dernier. Il est fréquent que les enfants instruits dans les familles aient également recours à l'enseignement privé à distance.

Par ailleurs, les enfants malades ou hospitalisés peuvent recevoir un enseignement à distance par le CNED. Ils sont évidemment compris dans le chiffre de 3 983. Les inspecteurs d'académie nous donnent donc un chiffre global, difficile à interpréter.

Cela étant, soyons honnêtes : s'agissant de l'enseignement à distance, nous ne contrôlons quasiment rien.

M. le Président : Il y a là un motif de réflexion.

M. Jean-Yves DUPUIS : Tout à fait. Si nous ne contrôlons pas l'enseignement à distance, c'est essentiellement en raison d'un manque de moyens. S'agissant du CNED, nous n'avons pas de contrôles à faire. C'est un établissement public qui délivre un enseignement parfaitement conforme aux programmes de l'éducation nationale. Par contre, l'enseignement à distance privé a une idéologie extrêmement affirmée. Il ne respecte pas forcément nos programmes, et dit même très ouvertement que certaines parties de nos programmes ne sont pas enseignées, en particulier dans les programmes de biologie.

M. le Président : Autre sujet sur lequel nous nous interrogeons : le soutien à domicile. Il se trouve qu'il n'est pas réglementé par le code de l'éducation mais par le code du travail. Là encore, il n'y a pas de contrôle de l'éducation nationale. Or, de fait, le « soutien » est parfois plus qu'un simple soutien. Il s'agit parfois d'un véritable programme d'éducation.

M. Pierre POLIVKA : Le problème est que le soutien scolaire fait partie du domaine périscolaire. Les corps d'inspection n'ont pas autorité en la matière. En droit, nous n'avons pas la capacité d'agir dans un domaine qui est aujourd'hui essentiellement commercial, et qui attire un certain nombre de sectes.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Avez-vous connaissance d'investissements des groupes à caractère sectaire dans ce domaine ?

M. Jean-Yves DUPUIS : Non. Mais lorsque nous visitons les établissements, un certain nombre de chefs d'établissement nous signalent que le comportement de certains élèves évolue, et pas dans le bon sens, parce qu'ils sont pris en charge, pour l'aide aux devoirs, par des associations qui ne partagent pas tout à fait l'idéologie républicaine.

Mais nous ne sommes absolument pas habilités à contrôler ces associations, dans la mesure où aucun subside public ne leur est versé. Il est très probable qu'un certain nombre de mouvements extrémistes ou sectaires investissent dans ce secteur, ne serait-ce que parce qu'il y a beaucoup à gagner.

M. le Rapporteur : Concernant les programmes d'instruction civique, il n'y a pas, à ma connaissance, d'enseignement sur l'approche du phénomène sectaire. Pensez-vous qu'il serait souhaitable d'intégrer la prévention face aux phénomènes sectaires dans les programmes de l'éducation nationale, et de l'instruction civique en particulier ?

M. Pierre POLIVKA : Une grande réflexion a lieu actuellement sur l'enseignement du fait religieux à l'école, qui entre aujourd'hui dans les principes de notre école.

Par ailleurs, la loi d'orientation et de programme de 2005 confie désormais à nos inspecteurs la tâche d'évaluer la maîtrise du fameux socle commun de connaissances et de compétences. À travers l'analyse de ces acquisitions, ils seront en mesure de vérifier si les élèves ont bénéficié d'un enseignement conforme à la loi, et repérer ceux qui auront été abusés par les sectes. Le livret de compétences sera mis en place l'année prochaine. Nous disposerons donc dans les prochains mois d'un outil qui nous permettra de vérifier la qualité de l'enseignement dispensé, et éventuellement de stigmatiser certaines pratiques.

M. le Rapporteur : Dans l'enseignement du fait religieux, le phénomène sectaire n'est pas systématiquement abordé ?

M. Jean-Yves DUPUIS : Pour le moment, non.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué trois écoles tenues par les sectes. Connaissez-vous le nombre d'enfants concernés ?

M. Jean-Yves DUPUIS : Tabitha's Place s'est installé à côté d'Oloron, à Navarrenx, à une demi-heure de la frontière espagnole, et vient, comme par hasard, de s'installer dans la banlieue de Mulhouse, à une demi-heure des frontières suisse et allemande. Lorsque nous déclenchons des inspections dans ces écoles, le nombre d'élèves diminue énormément par rapport aux données que nous fournit la gendarmerie. Lors du dernier contrôle effectué à Sus, il y a deux ans, seuls 11 élèves étaient présents, alors que la gendarmerie nous indiquait que cette école accueillait une cinquantaine d'élèves. Pour le moment, à Mulhouse, seuls trois élèves seraient inscrits dans l'école de Tabitha's Place. Nous n'avons pas pu le vérifier, notre IEN s'étant vu claquer la porte au nez.

Quant à l'école que viennent d'ouvrir les Frères de Plymouth, elle accueillerait 150 élèves.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous nous avez dit que le contrôle annuel des enfants instruits dans les familles n'était pas obligatoire. Pourtant, la circulaire n° 99-070 du 14 mai 1999 rend le contrôle annuel obligatoire. J'entends bien que vous n'avez pas suffisamment de moyens, mais nous devons protection à ces enfants.

S'agissant du chiffre que vous nous avez cité, il correspond aux enfants comptabilisés par les maires, et qui sont volontairement déclarés. Mais en réalité, les maires n'ont aucun moyen de savoir réellement combien d'enfants de leurs communes sont instruits dans la famille.

Pouvez-vous, par exemple pour l'année 1998, nous indiquer le nombre d'enfants nés, le nombre d'enfants scolarisés par l'éducation nationale, le nombre d'enfants scolarisés dans des écoles privées sous contrat, dans des écoles privées hors contrat, et le nombre d'enfants instruits dans la famille ? Nous souhaiterions pouvoir disposer de données plus objectives.

Vous nous dites que quand l'inspecteur de l'éducation nationale se rend à l'école tenue par Tabitha's Place, on lui claque la porte au nez. Qu'arrive-t-il quand on traite de cette façon un fonctionnaire de l'État qui ne fait que son travail ?

Certaines écoles remettent en cause l'enseignement de l'État, et contestent en particulier, en biologie, l'évolutionnisme. Or, la circulaire de 1996 donne le pouvoir à l'éducation nationale de vérifier l'esprit critique des enfants. Qu'en est-il ? Avez-vous eu l'occasion de vous pencher sur le cas de l'école raélienne, où était enseignée la « théorie » de la géniocratie. Il fallait, paraît-il, un QI de 140 pour y être admis.

Enfin, je n'ai pas l'impression que les inspecteurs d'académie signalent les enfants qui sont en grande souffrance parce qu'on les prive de relations sociales, qu'on leur interdit de participer aux activités collectives périscolaires, sportives par exemple, qu'on leur interdit de participer à la fête de Noël - laïcisée, évidemment. Si on ne procède pas à des signalements s'agissant de ces enfants-là, une bonne partie des enfants menacés ne sont pas recensés. Qu'en est-il en réalité ?

M. Pierre POLIVKA : En ce qui concerne les effectifs, en dépit des difficultés liées à la grève des directeurs, les inspections académiques connaissent parfaitement la situation démographique dans chaque département. Dès qu'elles préparent la rentrée suivante, elles s'appuient sur des chiffres d'une très grande fiabilité.

Quant aux signalements, les maires font leur travail et signalent tous les cas d'enfants instruits dans la famille. Ils reçoivent d'ailleurs des directives très claires.

M. Jean-Pierre BRARD : Si vous êtes maire d'une ville comme la mienne, ou de toute autre commune, comment faites-vous pour identifier les enfants que les parents soustraient délibérément à l'école ?

M. Pierre POLIVKA : Il se trouve que je suis maire d'une commune de moins de 5 000 habitants. Je puis vous assurer qu'on me connaît partout. Je crois pouvoir dire que dans leur très grande majorité des cas, les services de l'État, d'une part, les services sociaux, d'autre part, font tout pour qu'on puisse repérer ces enfants. Bien entendu, il y a toujours un certain nombre de cas qui échappent à notre vigilance. Mais le maximum est fait par l'État comme par les collectivités pour avoir des chiffres fiables, qui reflètent la réalité.

M. Jean-Yves DUPUIS : En ce qui concerne l'IEN qui, en avril 2006, s'est vu refuser l'entrée de l'école de Tabitha's Place à Mulhouse, l'inspecteur d'académie a saisi le procureur de la République.

M. Jean-Pierre BRARD : Compte tenu des précédents de cette secte, on peut considérer que les enfants de cette école sont en danger. Depuis avril dernier, le procureur de la République n'a pas réagi ?

M. Jean-Yves DUPUIS : A ma connaissance, non.

Pour ce qui est de l'école raélienne, elle n'a, à notre connaissance, jamais été ouverte. Raël a tendance à annoncer des choses qui ne se réalisent pas forcément.

Il est certain que les inspecteurs d'académie ne procèdent pas à des signalements visant le cas d'enfants en situation de souffrance morale du fait qu'ils ne participent pas à un certain nombre d'activités, sportives ou autres.

M. le Président : Cela signifie que les enfants dont les parents sont Témoins de Jéhovah ne font pas l'objet de signalements ?

M. Jean-Yves DUPUIS : J'ai l'habitude de dire que dans l'éducation nationale, ces enfants sont des élèves « parfaits ». Ils sont parfaitement disciplinés, ils travaillent, ce n'est pas avec eux que l'on va avoir des problèmes.

Il est vrai que le problème soulevé par M. Jean-Pierre Brard est sérieux, mais nous ne faisons pas de signalements.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Jean-Yves DUPUIS : Parce qu'il nous semble qu'ils ne sont pas vraiment en danger.

M. Jean-Pierre BRARD : L'éducation nationale a bien pour objet de développer l'esprit critique. Les Témoins de Jéhovah ne fabriquent-ils pas des enfants infirmes, intellectuellement parlant ?

M. Pierre POLIVKA : Tout d'abord, nous sommes là pour défendre l'école laïque. Nous n'avons pas à connaître l'appartenance religieuse des enfants fréquentant nos écoles.

S'agissant des enfants Témoins de Jéhovah, je confirme ce que dit mon collègue : jamais nous n'avons de signalement nous alertant sur leur comportement. Il est vrai que nous les connaissons souvent mieux que les autres, parce que, souvent, ils affirment leur engagement. Leurs parents sont d'ailleurs souvent connus de tous. Mais force est de constater que ce sont souvent des enfants particulièrement bien adaptés à notre organisation scolaire. Leur scolarité ne pose pas de problème. Nous n'avons pas, nous, éducation nationale, à porter de jugement sur les choix religieux ou non religieux des élèves et de leurs parents. Nous sommes là pour combattre tout prosélytisme.

M. le Président : Loin de M. Jean-Pierre Brard l'idée de porter atteinte à la laïcité. Il se trouve que nous avons entendu, ici même, le parcours de Témoins de Jéhovah aujourd'hui majeurs. Ils nous ont raconté leurs souffrances, y compris en milieu scolaire. On comprend bien les difficultés que cela pose pour vous, mais les choses ne sont pas aussi simples que cela.

Mme Martine DAVID : Votre cellule, de par son intitulé même, est vouée à la prévention des phénomènes sectaires. Vous nous dites que l'éducation nationale ne considère pas que les enfants dont les parents sont Témoins de Jéhovah courent de grands risques dans leur éducation, dans leur épanouissement. Qu'est-ce qui permet à l'éducation nationale de formuler un tel jugement car les témoignages dont nous disposons montrent le contraire ?

Sans doute, ces enfants ne sont pas battus, ils ne sont pas physiquement agressés, ils ne sont pas violentés. Mais jusqu'à quel point peuvent-ils supporter une éducation qui les différencie des autres. Certes, cela n'a pas d'impact sur leurs résultats scolaires. Mais cela ne résume pas tout.

Dans la formation dispensée en direction des enseignants ou de vos correspondants dans les académies, cette question est-elle abordée un peu plus que dans le passé ? Un enfant subit une vraie souffrance quand on fait peser sur lui une différenciation permanente par rapport à ses petits camarades. L'éducation nationale ne peut pas continuer à fermer les yeux sur ces risques. Avez-vous des propositions à faire émerger sur ce thème ? Car si l'on en reste au schéma que vous décrivez, cela m'inquiète beaucoup.

J'ajoute que, s'agissant du signalement des maires, je rejoins tout à fait M. Jean-Pierre Brard. J'ai dans ma commune le cas de deux enfants qui ne sont pas scolarisés. Alors que j'avais, dans un premier temps, prévu de laisser l'enquête sociale à la préfecture, j'ai décidé que mes services la conduiraient. Mais il y a sans doute, dans ma commune comme dans bien d'autres, des enfants qui ne sont pas scolarisés et dont le cas ne m'a pas été signalé. Je n'ai aucun moyen de le savoir. Il ne faut pas s'imaginer que tout ce qui est prévu dans les lois entre nécessairement dans la réalité. Il y a sans doute plusieurs milliers d'enfants qui ne sont pas suivis, et qui sont potentiellement exposés à des dérives sectaires.

M. Pierre POLIVKA : S'agissant du souci de veiller à l'épanouissement de l'enfant, la CPPS joue un rôle de prévention, mais aussi de formation en direction de nos collaborateurs, qui doivent attirer l'attention des enseignants sur les dangers sectaires et sur la nécessité de repérer les comportements que vous venez de dénoncer.

Il y a bien entendu des élèves qui échappent aux mailles du filet. Mais nous pensons que le chiffre est assez faible.

M. Jean-Yves DUPUIS : En ce qui concerne les enfants Témoins de Jéhovah, vous nous posez une question tout à fait redoutable. Même si nous sommes sensibles au fait que ces enfants peuvent être dans une situation difficile, dans la mesure où ils éprouvent un conflit de loyautés entre le maître et la famille, nous voyons mal comment faire. On ne va quand même pas faire des signalements au procureur de la République pour tous les enfants Témoins de Jéhovah. Il faut mesurer ce que cela représenterait. De plus, nous ne faisons un signalement que quand nous sommes vraiment sûrs qu'il y a un danger réel. C'est une question très difficile.

M. le Président : S'agissant du contrôle du contenu des connaissances requis des enfants instruits dans la famille ou dans les établissements d'enseignement privés hors contrat, le code de l'éducation dispose, dans son article D. 131-15, que « l'enfant doit acquérir les principes, notions et connaissances qu'exige l'exercice de la citoyenneté, dans le respect des droits de la personne humaine définis dans le Préambule de la Constitution de la République française, la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention internationale des droits de l'enfant, ce qui implique la formation du jugement par l'exercice de l'esprit critique et la pratique de l'argumentation. » On peut en conclure que, d'une manière extrêmement paradoxale, il y a plus de contrôle dans les établissements hors contrat qu'au sein même de l'école républicaine. Y a-t-il la même disposition pour les établissements scolaires traditionnels ?

M. Pierre POLIVKA : La loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23 avril 2005 a posé comme principe l'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences. Parmi les compétences se trouve l'exigence que vous venez d'énoncer. L'école s'est donc mise en situation d'évaluer les compétences civiques des élèves, et même leurs compétences comportementales.

M. Jean-Yves DUPUIS : Dans la plupart des disciplines, on espère voir développer l'esprit critique, la capacité d'argumentation, et armer nos élèves pour qu'ils deviennent des citoyens. En ce qui concerne les enfants Témoins de Jéhovah, même s'ils peuvent être partagés entre l'enseignement qu'ils reçoivent à l'école et les idées véhiculées dans leur famille, il faut souligner qu'ils ne sont pas absentéistes. Ils suivent tous les cours, y compris les cours de philosophie, d'éducation civique, de biologie.

Nous espérons que l'enseignement dispensé dans les écoles publiques et privées sous contrat forme l'esprit critique. Maintenant, que les enfants des Témoins de Jéhovah éprouvent des difficultés à concilier les valeurs véhiculées par cet enseignement et celles véhiculées par leur famille, c'est probable.

M. Jean-Pierre BRARD : Notre propos n'est nullement de juger les croyances. Si vous croyez aux tables tournantes, dès lors que vous n'essayez pas d'imposer vos croyances à autrui, c'est votre problème.

Cela dit, dans Réveillez-vous du mois de septembre dernier, les Témoins de Jéhovah écrivent ceci : « Les Témoins de Jéhovah sont politiquement neutres. Ils prennent au sérieux la déclaration de Jésus selon laquelle ils ne font pas partie du monde. » C'est très clair : pas de participation à la vie sociale, interdiction de participer aux élections. On ne peut pas ignorer cela.

Toujours dans ce même numéro, on peut lire ceci : « La théorie de l'évolution et les enseignements du Christ sont incompatibles. Toute tentative de les concilier ne peut produire qu'une foi faible ». Savez-vous ce qui arrive aux gens qui ont « une foi faible », dans les Salles du Royaume, le dimanche ? Ils sont soumis à une pression terrible.

Il faut avoir tout cela présent à l'esprit. Les enfants souffrent, comme vous l'avez dit, monsieur Dupuis, d'un conflit de loyautés. On fabrique des enfants schizophrènes - nous en avons eu des témoignages -, dont la souffrance les conduit parfois au suicide. Il y a là un vrai danger, que l'on a trop tendance à sous-estimer. Les Témoins de Jéhovah font tout pour se présenter de façon neutre, mais leurs textes sont clairs : ils n'appartiennent pas à la société qui est, selon eux, l'émanation de Satan.

Encore une fois, notre commission d'enquête ne s'intéresse pas aux majeurs. Peut-on écarter ces faits d'un revers de main, en disant qu'on n'a pas à s'occuper des croyances des enfants ?

M. le Président : C'est une vraie question que celle que vient de poser M. Jean-Pierre Brard.

M. Serge BLISKO : Je comprends bien, messieurs les inspecteurs généraux, que cette affaire n'est pas simple. Nous avons l'impression que les 40 000 mineurs nés dans des familles Témoins de Jéhovah et scolarisés dans l'école publique sont dans un état de souffrance psychologique. Il nous semble que la situation de ces enfants doit être observée de près. Cela dit, nous n'avons pas interdit les Témoins de Jéhovah en France. Nous ne demandons donc pas à l'éducation nationale de faire ce que nous n'avons pas réussi à faire. Il reste qu'il y a là un vrai problème, qui concerne des milliers d'enfants.

Même si ces enfants suivent tous les cours, ils les suivent avec une sorte de délectation, née de la conviction qu'on leur a inculquée que ce qui leur est enseigné est faux.

J'ai une proposition pratique à vous soumettre. On a parlé du soutien scolaire, de l'aide aux devoirs. Ces activités sont reconnues par la loi, et donnent lieu à une exonération fiscale. Ne pourrait-on pas mettre en place une procédure d'agrément, à l'instar de celle qui existe pour les colonies de vacances ? Cela permettrait d'ailleurs aux parents de s'y retrouver.

M. le Président : J'ajoute que le décret de 1992 prévoit un agrément pour les associations à but non lucratif, mais pas pour les associations à but lucratif. Il y a là un paradoxe.

M. Serge BLISKO : L'agrément serait d'autant plus opportun que le secteur du soutien scolaire est en plein développement.

D'autre part, les personnels de l'éducation nationale sont-ils soumis à votre vigilance ? Êtes-vous parfois saisis sur le cas de personnels membres d'une secte ?

M. Jean-Yves DUPUIS : Nous enquêterions sur les personnels membres d'une secte à partir du moment où ils feraient du prosélytisme. Pour le reste, ils ont le droit de croire à ce qu'ils veulent.

Les cas sont extrêmement rares. Il y a eu deux radiations, en 2003 et 2004, de personnels enseignants appartenant à une secte. L'un d'entre eux appartenait aux Raéliens, et avait incité ses élèves à la débauche.

M. Pierre POLIVKA : Nous avons le sentiment que les sectes se sont désengagées des activités d'enseignement pour se tourner vers le soutien scolaire et la formation continue. Nous avons des signes de plus en plus fréquents de tentatives de pénétration des sectes, notamment dans la formation continue des enseignants. Les autorités académiques y sont attentives. Nous avons eu quelques signalements.

M. Philippe TOURTELIER : S'agissant des élèves Témoins de Jéhovah, je ne vois pas comment, dans la relation entre enseignants et enseignés, on peut résoudre le problème par rapport à des élèves qui font ce qu'on leur demande. Par contre, ce que l'on peut demander à l'éducation nationale, c'est de faire un effort pour développer encore plus l'esprit critique et pour pousser dans ses retranchements l'élève qu'on a en face de soi. Encore faut-il être sensibilisé au problème sectaire. Comment les enseignants sont-ils sensibilisés au problème ?

D'autre part, pour les 480 enfants inscrits dans des centres, en quoi consistent vos contrôles. S'agit-il seulement de contrôler les programmes et les résultats ? Ou allez-vous plus loin, dans l'analyse du contenu de ce qui est enseigné ? Car il est très facile pour un mouvement à caractère sectaire de préparer les esprits à des comportements sectaires en orientant les perceptions ou les points de vue, tout en respectant apparemment les programmes.

M. Jean-Yves DUPUIS : Nous connaissons un certain nombre de centres d'enseignement à distance privés. L'un des plus importants est le centre Le Chêne, le centre des Frères de Plymouth. Le moins que l'on puisse dire, et cela est vrai des centres d'enseignement à distance appartenant à la mouvance des chrétiens intégristes, est qu'ils ne véhiculent pas une idéologie très républicaine. Les parents qui inscrivent leurs enfants dans ces centres ne peuvent avoir aucune illusion sur le contenu des enseignements proposés. Il suffit de consulter leurs sites Internet pour savoir à quoi s'en tenir.

M. le Président : Comment réagissez-vous ? Ces centres ne sont pas contrôlés.

M. Jean-Yves DUPUIS : Non, je le reconnais. Il y a là une énorme carence. Certains centres d'enseignement à distance refusent l'évolution et diffusent des théories créationnistes. Cela n'est pas conforme à l'idéal de transmission des connaissances.

M. le Président : Les Frères de Plymouth ont créé au Chambon-sur-Lignon un « centre de soutien scolaire et péri-scolaire Les Cardamines ». Cette appellation pourrait laisser penser qu'il s'agit d'un établissement de soutien scolaire. Il échappe à tout contrôle de l'inspection académique. Est-ce vraiment un centre de soutien scolaire, ou, de fait, un établissement hors contrat ?

M. Jean-Yves DUPUIS : Jusqu'à l'an dernier, c'était un centre de soutien scolaire, qui recevait les élèves en dehors de leurs périodes de scolarité. Il s'est transformé, à la rentrée 2006, en école privée hors contrat. Nous avons accepté cette transformation, qui va nous permettre d'exercer un véritable contrôle.

M. Serge BLISKO : C'est paradoxal !

M. Jean-Yves DUPUIS : C'est paradoxal, en effet. D'ailleurs, nous avons le même problème en ce qui concerne Tabitha's Place, qui demande depuis plusieurs années l'ouverture d'une école privée hors contrat. Nous avons constamment refusé. Nous nous demandons très sérieusement si cette école privée hors contrat, dont nous connaîtrions forcément les effectifs réels, ne nous permettrait pas finalement un contrôle plus étroit de l'enseignement dispensé.

M. Philippe TOURTELIER : À condition que vous réagissiez si l'enseignement dispensé n'est pas conforme.

M. Jean-Yves DUPUIS : Cela va de soi. Théoriquement, après deux inspections ayant montré que l'enseignement n'est pas conforme, il est possible de fermer l'école et de mettre en demeure de scolariser les enfants dans l'enseignement public ou privé sous contrat. C'est ce que prévoient les textes.

M. Serge BLISKO : Je voudrais que vous précisiez un point particulier. Un texte ancien prévoyait que pour être directeur d'un établissement hors contrat, il suffit d'être titulaire du baccalauréat. Est-ce toujours le cas ?

M. Jean-Yves DUPUIS : Malheureusement, oui. Ce texte date d'une époque où le baccalauréat représentait quelque chose.

M. Serge BLISKO : Notre commission pourrait proposer de relever le niveau d'exigence pour ouvrir une école privée hors contrat. Ce texte est totalement obsolète.

M. Jean-Yves DUPUIS : Cela dit, nous avons réussi à faire fermer, il y a deux ans, un établissement d'enseignement privé hors contrat, à Paris. Il s'agissait de ce que l'on appelle « une boîte à bac ». Elle était dirigée par un monsieur titulaire d'un baccalauréat, son épouse ayant une licence. C'étaient les deux seuls enseignants de cet établissement qui scolarisait les enfants dans des conditions de sécurité pour le moins discutables.

M. le Président : Monsieur Dupuis, monsieur Polivka, nous vous remercions de votre contribution aux travaux de notre commission. Nous vous remercions également pour votre franchise. Vous avez parfaitement souligné les défaillances de notre dispositif et mis en lumière les points sur lesquels il mérite d'être amélioré.

Audition conjointe de M. Bernard BASSET,
sous-directeur à la direction générale de la santé,
et de MM. Érik RANCE et Francis BRUNELLE,
conseillers au cabinet du ministre de la santé et des solidarités



(Procès-verbal de la séance du 10 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons à présent M. Bernard Basset, sous-directeur à la direction générale de la santé, et MM. Érik Rance et Francis Brunelle, conseillers au cabinet du ministre de la santé et des solidarités.

Messieurs, en vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Dans le cadre de la formule du huis clos qui a été retenue pour votre audition, celle-ci ne sera rendue publique qu'à l'issue des travaux de la commission. Cependant, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué et les observations que vous pourriez présenter seront soumises à la commission.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires punit des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, toute personne qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport de la commission a fait état de cette information.

Je vous rappelle qu'en vertu du même article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Enfin, l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Cependant pour la commodité de l'audition, vous pourrez citer nommément les enfants qui auront été victimes de ces actes, la commission les rendant anonymes dans son rapport.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(MM. Bernard Basset, Érik Rance et Francis Brunelle prêtent serment.)

Messieurs, nous allons procéder à votre audition, qui va faire l'objet d'un enregistrement. Mais au préalable, nous avons souhaité visionner, en votre présence, un film d'une dizaine de minutes qui décrit le procédé dit de « communication facilitée ». Il est probable que nous aurons des questions à vous poser à ce sujet.

(Projection d'un film)

M. le Président : Messieurs, nous venons d'avoir un aperçu assez saisissant de ce qu'est la « communication facilitée ». Vous êtes des responsables du ministère de la santé. Il semblerait, et cela n'est pas sans nous inquiéter, que cette méthode soit prise en charge par la sécurité sociale et qu'elle fasse l'objet d'un enseignement à la faculté de médecine de Brest. Nous voudrions savoir si vous en êtes informés. Est-il exact que dans certaines de nos facultés de médecine, on enseigne cette méthode ?

M. Bernard BASSET : Un certain nombre de méthodes sont promues par des intervenants dans le secteur médico-social, qui s'appuient sur des postulats non vérifiés scientifiquement. L'une des plus connues est la méthode Doman, qui fait l'objet de nombreuses publications par ses promoteurs et qui n'est pas évaluée non plus. La méthode de communication facilitée est pratiquée par certains intervenants dans le secteur médico-social. Je pense que c'est à ce titre que vous pouvez dire que, dans la mesure où les établissements de ce secteur sont financés par l'assurance maladie, la méthode elle-même l'est aussi indirectement.

Il est clair que cette méthode n'est ni recommandée ni approuvée par le ministère de la santé, contrairement à ce qui est dit dans le film. Nous avons eu l'occasion de dire à la DDASS des Côtes d'Armor qu'il était hors de question de laisser croire que cette méthode avait le soutien du ministère de la santé.

On a l'impression que certains promoteurs de ces méthodes n'appartiennent pas à proprement parler au monde sectaire, mais profitent de la détresse des parents. Quand il y a peu d'issues thérapeutiques, les gens ont tendance à s'accrocher à des méthodes non classiques. Certains sont de bonne foi en la promouvant, et n'appartiennent pas forcément à des mouvements sectaires.

M. le Président : Le ministère n'a pas dénoncé au parquet cette forme de publicité mensongère ?

M. Bernard BASSET : Au parquet, non. Au printemps dernier, nous avons dit à la DDASS des Côtes-d'Armor qu'il était hors de question de laisser croire que cette méthode avait le soutien du ministère de la santé. Nous n'avons pas eu d'informations précises autres que celles concernant les Côtes-d'Armor.

M. le Président : Nous avons ici tout un programme de stages de formation continue organisés, pour l'année 2006-2007, à Paris, à Lyon, à Toulon, à Nantes, dans d'autres villes encore, par l'association TMPP, Ta Main Pour Parler : 75 heures théoriques, 125 heures pratiques, ateliers d'entraînement, stages pratiques, etc.

M. Bernard BASSET : Il ne s'agit pas d'une formation universitaire.

M. le Président : Non. Cette formation TMPP « s'adresse en premier aux parents, aux éducateurs d'enfants privés de parole », etc.

M. le Rapporteur : Ce prospectus indique bien que la formation peut être prise en charge dans le cadre de la formation continue.

Le film que nous venons de voir laissait entendre que cette méthode bénéficiait d'une subvention, ou d'une aide, du ministère de la santé. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Bernard BASSET : Je sais qu'à la fin des années 90, une subvention a été versée, visant à financer une étude, laquelle a abouti à un rapport sur la communication facilitée. Mon prédécesseur m'a dit que ce rapport était d'une qualité déplorable et ne pouvait pas être considéré comme un rapport d'évaluation scientifique, ne serait-ce que parce que le nombre de cas étudiés était très faible, de l'ordre d'une dizaine. Cela dit, je ne suis pas en mesure de vous dire dans quelles conditions ce rapport a été élaboré. Ce qui est certain, c'est qu'il ne pouvait pas être considéré comme valable sur le plan scientifique. C'est une manipulation de dire que le ministère soutient les conclusions de ce rapport.

M. Jean-Pierre BRARD : Qui a fait ce rapport ?

M. Bernard BASSET : Je ne suis pas capable de vous donner cette précision. Je vais faire une recherche, et vous ferai parvenir des renseignements plus précis.

M. le Président : Je pense que vous comprenez notre interrogation. Ce film pose tout de même beaucoup de questions.

M. Bernard BASSET : Bien sûr. Le meilleur moyen de combattre ce type de « validation » est de procéder à des évaluations scientifiques rigoureuses, confiées à de véritables experts.

M. le Président : Est-il nécessaire de procéder à une expertise approfondie pour mettre en lumière le peu de sérieux de méthodes telles que celle que nous venons de voir décrite ?

M. Bernard BASSET : Les parents de ces enfants sont en situation de détresse. Le discours médical les renvoie souvent à une absence de solution. Quand on voit les choses de l'extérieur, on se dit évidemment qu'ils font erreur, que leur détresse les pousse à chercher un peu n'importe quoi.

M. Francis BRUNELLE : Je voudrais signaler aux membres de la commission que le ministère de la santé a mis en place un Plan autisme qui a, entre autres objets, le développement de la recherche et de la mise en commun des savoirs autour de cette pathologie, mais aussi de rendre indispensable l'évaluation scientifique des différentes méthodes thérapeutiques, sous l'égide de l'INSERM. Ce sujet a été abordé de manière globale.

Historiquement, l'autisme a d'abord été expliqué par une anomalie relationnelle prénatale. Cette thèse, qui a été avancée par Bruno Bettelheim, entraîne encore aujourd'hui, malgré les découvertes scientifiques récentes, une culpabilité de la famille, qu'il est très difficile de porter. En outre, certaines personnalités très connues de la jet set et du show business interviennent dans des émissions de grand public, le dimanche après-midi, pour promouvoir ce genre de méthodes, qui visent à déculpabiliser les parents.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez dit que les promoteurs de ces méthodes étaient de bonne foi. Travaillent-ils bénévolement ?

M. Bernard BASSET : Ce que j'ai dit, c'est que ces méthodes ne sont pas à relier mécaniquement aux mouvements sectaires. Par exemple, la méthode Doman est pratiquée par un certain nombre de gens qui la pratiquent de bonne foi, sans être liés à un mouvement sectaire. Ils croient à cette méthode de conditionnement, et n'appartiennent pas forcément à un groupement sectaire.

M. Jean-Pierre BRARD : Mais ne constituent-ils pas eux-mêmes un groupuscule ayant les mêmes caractéristiques que les groupements sectaires : manipulation mentale de personnes en situation de faiblesse, flux financiers, injonction d'obéir aux prescriptions pseudo-thérapeutiques qui sont formulées ?

M. Bernard BASSET : C'est difficile à dire. La méthode Doman, par exemple, mobilise le voisinage dans le but de rééduquer l'enfant. J'ai du mal à dire qu'il y a manipulation consciente. Ils jouent sur la solidarité.

M. Jean-Pierre BRARD : Le Parti humaniste fait cela très bien.

M. Philippe TOURTELIER : Dans ma commune, il y a une forte mobilisation des voisins. Un mouvement de sympathie s'est créé. Il y a beaucoup d'argent en jeu. De nombreux spectacles sont destinés à assurer le financement. La méthode coûte cher.

M. le Président : Outre la question de la prise en charge de la communication facilitée par le ministère de la santé et celle de son enseignement dans certaines facultés de médecine, nous vous demanderons également de nous préciser si le ministère subventionne les associations qui promeuvent la communication facilitée.

M. Bernard BASSET : En ce qui concerne la DGS, je peux vous répondre clairement non. Nous ne les subventionnons pas. Je vais vérifier ce qu'il en est sur l'ensemble du ministère, mais cela m'étonnerait que des subventions existent.

M. le Président : Je propose que nous en restions là pour ce qui est des questions suscitées par le film que nous venons de voir. Je suppose, Monsieur Basset, que vous avez préparé un propos liminaire en vue de cette audition ?

M. Bernard BASSET : Oui, Monsieur le président.

La commission a souhaité m'entendre en raison de mes responsabilités dans le champ de la santé mentale, et en particulier sur la mise en œuvre de l'article 52 de la loi du 9 août 2004 qui concerne l'usage du titre de psychothérapeute.

Je dirais, en introduction, que le champ de la santé mentale est tout à fait propice à l'intervention des mouvements à caractère sectaire. Car les personnes ayant soit des troubles mentaux avérés, soit des difficultés passagères liées à un événement grave de leur vie, sont dans une situation de vulnérabilité. Elles sont souvent en recherche de soutien, de réconfort, et n'ont pas, la plupart du temps, la même vigilance à l'égard de ceux qui s'adressent à eux et prétendent les aider.

Certains mouvements sont parfaitement connus de nous, car leur action est publique. C'est le cas de l'Église de Scientologie, qui a fait publiquement du champ de la santé mentale une de ses priorités. Elle se pose en défenseur des malades mentaux. Elle dénonce, par ses publications - souvent luxueuses, d'ailleurs - les traitements psychiatriques dans les hôpitaux, qu'elle présente sous un jour inhumain. Elle s'abrite souvent derrière le paravent d'une association qu'elle contrôle et qui entretient la confusion par son intitulé : la commission consultative des droits de l'homme (CCDH). Il existe, en effet, une Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) qui est placée auprès du Premier ministre. Cette CCDH « scientologique » interpelle les parlementaires et harcèle littéralement l'administration, en utilisant toutes les possibilités d'accès aux documents administratifs. Elle demande périodiquement communication systématique de tous les documents sur l'activité des commissions départementales de l'hospitalisation psychiatrique, les CDHP. Nous avertissons alors les DDASS de la nature réelle du demandeur. Nous incitons nos services à la plus grande circonspection dans le respect, évidemment, des règles de droit.

S'il est relativement facile de détecter l'intervention d'un mouvement comme celui de l'Église de Scientologie, il est beaucoup plus difficile de repérer l'action de mouvements de plus faible audience. Ce repérage est d'autant plus difficile que les plaintes sont rares, pour ne pas dire inexistantes, auprès de nos services.

Nous avons parfois des informations imprécises, que nous ne sommes pas à même de vérifier, même si leur répétition doit nous rendre attentifs. C'est le cas, en particulier, dans les situations de catastrophes, où les mouvements sectaires sont réputés se mobiliser pour « apporter de l'aide aux victimes ». Mais dans la situation de désorganisation qui suit souvent les catastrophes, il est difficile de constater une telle intervention et donc de la prévenir.

La psychothérapie est l'un des modes d'action possible des mouvements sectaires, là aussi sous couvert d'aider des personnes en souffrance. Jusqu'à la loi du 9 août 2004 relative à la santé publique, l'usage du titre de psychothérapeute était totalement libre. Or un thérapeute est par définition un soignant auquel s'adressent des personnes en état de souffrance psychique. Cette appellation de psychothérapeute recouvrait des pratiques extrêmement diverses. Et ce d'autant plus que les professionnels de la psychiatrie ou de la psychologie sont pour une part d'entre eux opposés, il faut en être conscient, à des démarches d'évaluation scientifique. La direction générale de la santé, préoccupée par ce problème, a demandé à l'INSERM de conduire une évaluation des psychothérapies. Cette évaluation a fait grand bruit. L'INSERM a fait, avec des experts de différentes écoles, une expertise collective qui s'est traduite par un rapport en 2004, qui a provoqué de nombreux commentaires, favorables ou défavorables selon les résultats obtenus pas les différentes approches. Il n'en reste pas moins que la seule façon de résister aux pratiques sectaires est une démarche scientifique, rigoureuse et publique.

L'élaboration du décret en application de l'article 52 a donné lieu à une concertation très importante. Tous les représentants des psychothérapeutes autoproclamés, des psychanalystes, des psychologues et des psychiatres ont été conviés à cette concertation. Un certain nombre de psychothérapeutes ont des pratiques dont il est difficile d'affirmer qu'elles sont de nature sectaire, mais que l'on pourrait plutôt qualifier de « folkloriques ». Une partie d'entre eux s'est formée dans des structures de formation totalement privées, n'ayant fait l'objet d'aucun contrôle sur les formations qu'elles dispensent. Cependant, chacun craignait, en l'absence de références scientifiques admises par tous, que sa propre pratique ne soit remise en cause. Le travail d'explication et de concertation a donc nécessairement été très long.

Nous sommes en phase finale. La concertation sur un projet de décret qui a l'aval à la fois du ministre de la santé et du ministre de l'éducation nationale s'est achevée hier, le 9 octobre. Il reste deux étapes : la consultation du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, qui devrait avoir lieu la semaine prochaine, et l'examen par le Conseil d'État. Ce décret réservera l'usage du titre, pour ceux qui n'en bénéficient pas de droit, à des professionnels pouvant attester d'une formation universitaire préalable importante.

M. le Président : On en revient donc à l'établissement par le préfet d'une liste de psychothérapeutes. Ce dispositif s'inspire de celui en vigueur pour les psychologues. Quel bilan peut-on tirer de ce dernier ?

M. Bernard BASSET : Compte tenu de la complexité du sujet, nous avons innové.

M. le Président : Mais il y aura bien des listes départementales ?

M. Bernard BASSET : Oui.

M. le Rapporteur : Le film que nous avons vu est préoccupant. Nous avons reçu beaucoup de témoignages sur ces dérives des psychothérapeutes, qui concernent notamment les enfants. Nous sommes donc très désireux de savoir si le projet de décret est de nature à résoudre une partie des difficultés que nous constatons sur ce sujet. Vous avez certes souligné que ces dérives ne sont pas nécessairement le fait d'organisations sectaires. Il reste qu'il s'agit là de pratiques qui se situent à la limite du phénomène sectaire. Pouvez-vous nous en dire plus, donc, sur ce projet de décret ?

M. Bernard BASSET : La loi actuelle prévoit des inscrits de droit : les médecins, les psychologues et les psychanalystes régulièrement inscrits dans un annuaire. Il reste ce que nous appelons les psychothérapeutes autoproclamés, ou les « ni-ni-ni », ceux qui ne sont ni psychiatre, ni psychologue, ni psychanalyste. Ceux-là se verront imposer une formation qui, en l'état actuel du projet, est de 500 heures de théorie et 500 heures de pratique, sous la responsabilité de l'université. Évidemment, cela provoque des réactions extrêmement négatives des « ni-ni-ni ». En effet, ces psychothérapeutes autoproclamés avaient leurs propres écoles, qui recevaient des sommes de ceux qui s'y inscrivaient. Ces écoles ne pourront plus délivrer le titre de psychothérapeute, à moins d'être liées à l'université par une convention.

M. le Rapporteur : Cette possibilité de conclure des conventions n'ouvre-t-elle pas la voie à des dérives ? Si les universités sont démunies pour mettre en place des formations, ne risque-t-on pas de les voir passer des conventions avec ces écoles, celles-ci pouvant éventuellement continuer de pratiquer les mêmes dérives ?

D'autre part, supposons que le décret soit clair. Après la formation se pose la question du contrôle et de l'évaluation. Les personnes qui ont exercé pendant un certain nombre d'années peuvent fort bien suivre une formation et continuer leurs pratiques, disons, farfelues. Le projet de décret prévoit-il un contrôle et une évaluation ?

M. Francis BRUNELLE : S'agissant de la formation, l'aspect financier des dérives est double. D'une part, le budget des familles est lourdement grevé par des psychothérapies souvent très intensives - parfois 12 heures par jour, 7 jours  7. D'autre part, le deuxième flux financier identifié concerne les écoles, qui sont payantes, et parfois très onéreuses, étant donné les revenus importants que l'on peut tirer des activités de psychothérapeute à l'issue de ces écoles.

Nous essayons de mettre en place des systèmes de protection pour permettre une formation de qualité. Les établissements qui passeront une convention avec l'université se plient à la totalité des règles universitaires. C'est, par exemple, le cas de l'université catholique de Lille, qui est évaluée à travers les mécanismes en vigueur pour l'université. La formation est réévaluée dans le cadre du plan quadriennal des universités.

En ce qui concerne l'évaluation des pratiques, il y a les professions médicales, qui, par essence, tombent sous le coup de la loi de santé publique qui rend obligatoire l'évaluation des pratiques professionnelles. Cette obligation n'est pas encore étendue aux professions paramédicales, mais devrait prochainement l'être.

Un titre de psychothérapeute est un label portant sur la qualité de la formation, mais ne crée par pour autant une profession de santé à part entière. Trois critères définissent une profession de santé : premièrement, l'établissement d'un numerus clausus ou d'un quota ; deuxièmement, l'agrément du cursus de formation, délivré conjointement par les ministères de l'enseignement supérieur et de la santé ; troisièmement, la délivrance d'un diplôme d'État, qui est un droit d'exercer. Le projet de décret n'aboutira qu'à la reconnaissance d'un titre, et non pas d'une profession de santé. Par conséquent, les actes de psychothérapie ne seront pas inscrits dans la classification commune des actes médicaux.

Mme Martine DAVID : Avez-vous une idée du nombre de ceux dont vous pensez que ce sont des charlatans, pour appeler les choses par leur nom ?

M. Bernard BASSET : Il y a des associations de psychothérapeutes. Quand on consulte leurs sites Internet, on est frappé par la description de pratiques que l'on peut, pour être gentil, qualifier de folkloriques. Mais elles peuvent être plus inquiétantes que cela.

Ces associations avancent des chiffres d'adhérents qui se comptent par milliers, voire par dizaines de milliers. Ces chiffres sont invérifiables.

M. le Président : Je rappelle que le délit d'usurpation de titres est défini par l'article 433-17 du code pénal, qui dispose que « l'usage, sans droit, d'un titre attaché à une profession réglementée par l'autorité publique ou d'un diplôme officiel ou d'une qualité dont les conditions d'attribution sont fixées par l'autorité publique est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. » Qu'en est-il de l'usurpation du titre de psychologue ?

M. Bernard BASSET : C'est une profession extrêmement bien organisée. La formation universitaire est reconnue à un niveau bac + 5. Les psychologues sont très attentifs à ce que leur titre ne soit pas usurpé, et corresponde à une formation universitaire. Mais cette profession ne dispose pas encore de l'outil déontologique rendant possibles des sanctions ordinales. La création d'un conseil de l'Ordre est envisagée, afin que les professionnels puissent, en amont d'une sanction pénale, avoir un droit de regard sur la pratique des psychologues. J'ajoute que, comme vous le savez, ils ont un panel professionnel extrêmement vaste. Ils sont présents dans les structures de communication, dans les entreprises. Ils ne sont pas tous thérapeutes.

M. le Président : Il nous a été rapporté que des médecins quittent volontairement l'Ordre des médecins pour exercer l'activité de psychothérapeute en échappant à des sanctions ordinales.

M. Bernard BASSET : Je ne vois pas comment on pourrait le leur interdire. Qu'il y ait des déviants parmi ces médecins, c'est possible. Qu'ils se disent psychothérapeutes, ils en ont le droit en l'absence de réglementation de l'usage du titre. Il reste qu'ils ont une formation qui devrait leur permettre d'établir des diagnostics valables, ce qui n'est pas le cas de tous les psychothérapeutes autoproclamés.

M. Francis BRUNELLE : Ce cas de figure devrait être couvert par le décret réglementant l'usage du titre de psychothérapeute. Le médecin qui se déconventionne et se désinscrit de l'Ordre n'a plus le droit d'exercice. Il tombera donc sous le coup du décret qui devrait paraître assez rapidement, et sera soumis aux mêmes conditions que n'importe quel « ni-ni-ni ».

M. Jean-Pierre BRARD : Pour un esprit cartésien, cela semble bizarre d'abandonner sa profession et son titre pour faire un travail moins bien défini. Comment expliquez-vous cela ?

M. Francis BRUNELLE : Il est beaucoup plus rémunérateur d'être déconventionné. L'attrait de l'argent amène un certain nombre de médecins à devenir psychothérapeute ou nutritionniste.

M. Jean-Pierre BRARD : Peut-on ensuite redevenir médecin ?

M. Francis BRUNELLE : L'Ordre des médecins vous répondrait sans doute plus précisément que moi. Mais il me semble que la sortie de l'Ordre des médecins est définitive. Le retour ordinal est extrêmement difficile.

M. Philippe TOURTELIER : Vous avez évoqué une formation de 500 heures de théorie et 500 heures de pratique. Qui va en déterminer le contenu ? Qui déterminera, parmi les psychothérapies existantes, celles qui sont bonnes et celles qui ne le sont pas ?

M. Francis BRUNELLE : Le cahier des charges pédagogiques est établi par le ministère de la santé. Il inclut une obligation de sécurité du soin. L'université se saisit de ce cahier des charges et délivre le titre universitaire qui correspond à son cursus et aux règles du code de l'éducation.

M. Bernard BASSET : Je n'ai peut-être pas suffisamment insisté sur le fait qu'il y a des résistances, de la part de professionnels honnêtes, psychiatres ou psychanalystes, à toute évaluation, comme à des méthodes qui visent à encadrer les pratiques, en particulier les psychothérapies. L'administration n'est pas la seule. Il faut que les professionnels rigoureux acceptent un cadre à leurs propres pratiques, qui empêche les dérives sectaires. Si l'on n'arrive pas à définir les pratiques « normales », il est difficile d'exclure les pratiques déviantes. Quand on a demandé à l'INSERM de procéder à une évaluation scientifique, on a constaté que le fait même de poser la question à l'INSERM était sacrilège.

M. le Rapporteur : On nous a beaucoup parlé des faux souvenirs induits. Le ministère s'est-il intéressé à ce phénomène ? A-t-il mené une enquête sur ces charlatans psychothérapeutes se livrant à de telles pratiques ?

M. Francis BRUNELLE : Il se trouve que j'appartiens à l'unité de recherche de l'INSERM travaillant sur l'imagerie cérébrale, et sur l'autisme en particulier. La question des souvenirs induits renvoie à l'évaluation des techniques thérapeutiques. L'INSERM s'est vu confier cette méta-analyse de la littérature scientifique sur les psychothérapies, et a pu montrer qu'un certain nombre d'entre elles avait une évaluation positive. C'est en particulier le cas des fameuses TCC, les thérapies comportementales et cognitives. D'autres thérapies, par contre, sont inefficaces.

Les faux souvenirs induits relèvent de cette théorie que je mentionnais tout à l'heure, mettant en avant une culpabilité primordiale.

Au vu des réactions suscitées par le rapport de l'INSERM, le ministre de la santé a souhaité que le débat s'élargisse. Une nouvelle réunion, tenue sous l'égide du ministère, aura lieu au mois de novembre. Le ministre s'exprimera pour demander qu'il soit procédé, s'agissant de ces thérapies, à des évaluations plus vastes, plus fréquentes et plus scientifiques. C'est un domaine dans lequel les acteurs ont un positionnement par essence anti-cartésien. Ils dénient à la pensée cartésienne le droit d'évaluer des concepts qui s'apparentent à des concepts philosophiques, et qui sont parfois proches de dérives sectaires. Ils dénient même parfois à l'État, en tant que tel, le droit de s'immiscer dans ce domaine. Il y a là un enfermement extrêmement problématique.

M. le Rapporteur : Je ne parlais pas des gens compétents. Les témoignages que nous avons reçus portent sur des psychothérapeutes utilisant des méthodes non maîtrisées, qui se sont soldées par des conséquences dramatiques pour les individus concernés et leurs familles. Le ministère s'est-il intéressé à ceux qui, pour faire de l'argent, se sont livrés à de telles pratiques, qui s'apparentent en fait à du racket organisé ? A-t-il éventuellement ordonné des enquêtes sur ce phénomène ?

M. Francis BRUNELLE : C'est l'objet du décret. Le contenu de la formation des futurs psychothérapeutes sera fondé sur des connaissances scientifiquement validées. Seules les personnes ayant reçu cet enseignement se verront délivrer le titre. Cela étant, il n'est pas impossible d'imaginer qu'un certain nombre de déviants suivent cette formation universitaire et, par la suite, exercent dans un autre champ que celui dans lequel ils auront été formés.

M. le Président : Pourriez-vous nous faire parvenir l'avant-projet de décret ?

M. Bernard BASSET : Bien sûr.

M. le Président : Nous allons maintenant entendre M. Erik Rance.

M. Érik RANCE : Le ministre de la santé a souhaité que je vous indique les axes de l'action du ministère en matière de lutte contre les dérives sectaires, notamment en ce qui concerne les enfants.

Le ministère a pris la pleine mesure du phénomène. On peut estimer entre 60 000 et 80 000 le nombre d'enfants potentiellement concernés, à environ 6 000 le nombre d'enfants faisant l'objet d'une scolarisation hors normes, et à 500 le nombre d'enfants vivant dans les communautés sectaires.

Les risques que courent les enfants sont divers. Ils peuvent aller des maltraitances sexuelles à des carences alimentaires, en passant par des syndromes d'enfermement propres aux sectes.

Face à cette situation, le ministre souhaite prendre plusieurs mesures. Le projet de loi relatif à la protection de l'enfance comporte des dispositions d'ordre général visant à réprimer les atteintes à l'intégrité de l'enfant, à sa santé et à son épanouissement. Néanmoins, nous n'avons pas souhaité inclure dans ce projet des dispositions spécifiques de lutte contre les dérives sectaires. Le ministre annoncera lui-même dans les prochains jours les mesures qu'il va prendre. Il a souhaité que je vous fasse état des réflexions qui sont les nôtres.

Le premier axe est de mieux organiser le ministère pour identifier les phénomènes sectaires. Il y a déjà un correspondant qui, au sein de l'administration centrale, coordonne les actions contre les sectes. Il y a également des référents locaux dans les services déconcentrés : 65 personnes sont identifiées à ce titre. Il n'en reste pas moins qu'il faut structurer ce travail.

Le deuxième axe est l'évaluation des pratiques. Ce travail peut être mené avec l'INSERM, avec les sociétés savantes, avec la Haute autorité de santé. Vous souligniez tout à l'heure, Monsieur le président, qu'il n'était pas nécessaire de se livrer à des analyses très fouillées pour se rendre compte que certaines pratiques sont inappropriées. D'autres pratiques, par contre, posent plus de questions, et nécessitent un travail d'expertise.

Le troisième axe est la vérification de l'adéquation des formations qui sont financées par le ministère de la santé, que ce soit par des crédits d'État ou par des crédits de l'assurance maladie.

De façon plus générale, et dans le même ordre d'idées, nous souhaitons mieux évaluer les actions financées notamment par l'assurance maladie et qui se prêtent particulièrement à d'éventuelles pratiques sectaires, comme dans le domaine de la lutte contre le cancer ou la maladie d'Alzheimer.

Le quatrième axe est un travail avec les psychiatres et les associations concernées sur le devenir des sortants de secte et la meilleure façon de les prendre en charge de façon adaptée. Nous ne pensons pas qu'il soit forcément nécessaire de créer des structures dédiées à la prise en charge des sortants de secte. Néanmoins, même s'ils sont accueillis dans des structures de droit commun, il faut s'interroger sur la manière la plus appropriée de les prendre en charge.

Le cinquième axe est la rédaction d'un guide technique à destination des professionnels de la protection de l'enfance, notamment les personnels des conseils généraux. Ce guide concernera un sujet plus large que celui qui fait l'objet de votre commission d'enquête, mais inclura une partie consacrée à la vigilance nécessaire à l'égard des dérives sectaires.

Le dernier axe d'action consiste à donner une orientation prioritaire au contrôle des services déconcentrés sur les phénomènes sectaires en milieu médico-social ou en milieu sanitaire. Nous avons pour cela un instrument, la directive nationale d'orientation, qui trace chaque année les grandes orientations prioritaires que nous souhaitons impulser dans l'action des services déconcentrés. La DNO pour 2007 comprendra un volet consacré aux phénomènes sectaires.

Nous avons travaillé à ces orientations avec la MIVILUDES, qui les approuve, et qui est prête à nous aider en la matière.

Tout cela implique un travail de longue haleine, dont on ne peut pas s'attendre à ce qu'il donne des résultats dans les semaines qui viennent. À court terme, les contraintes sont bien connues. Elles sont d'ordre budgétaire ; elles s'expriment également en termes de compétences. Le ministre est néanmoins déterminé à avancer en la matière, notamment en mobilisant les synergies les plus adéquates avec les ministères les plus directement concernés, notamment ceux de la justice et de l'intérieur.

Voilà, en quelques mots, ce que le ministre souhaitait que je vous indique ce soir.

M. le Rapporteur : Vous nous avez cité des chiffres. Or, nous avons auditionné les représentants des différents ministères : le fait est que les chiffres ne concordent pas du tout. Le chiffre de 60 000 à 80 000 enfants susceptibles d'être concernés par les phénomènes sectaires se retrouve à peu près dans toutes les évaluations. Par contre, les chiffres diffèrent, par exemple, sur la scolarisation hors normes. C'est un problème.

Mme Martine DAVID : Ce programme d'actions donne le sentiment que l'on est aujourd'hui très loin du compte, même si le ministère de la santé le met en œuvre dans les départements, en liaison avec les conseils généraux et fournit déjà des instruments d'analyse. Cela étant, ce n'est pas une critique, car c'est la première fois qu'un ministère nous présente un programme d'actions d'une telle ampleur. Il serait bon qu'un certain nombre d'autres ministères soient beaucoup plus offensifs.

M. Érik RANCE : L'inconvénient de définir un programme d'actions est que l'on donne toujours l'impression que rien n'était fait avant sa mise en œuvre. Il faut rappeler que des actions sont menées, mais elles le sont de façon diffuse et non organisée. Des correspondants ont déjà été désignés, les 65 personnes dans les services déconcentrés travaillent. Notre but est de les faire travailler ensemble, et d'encadrer leur travail par des actions directives. Il y a des actions qui ne peuvent pas se faire si les acteurs de l'administration sont livrés à eux-mêmes, sans l'impulsion du ministre et de ses collaborateurs. Je pense par exemple à l'évaluation des pratiques.

M. le Rapporteur : S'agissant de la prévention, y a-t-il une coordination entre le ministère de la santé et celui de l'éducation nationale ?

M. Érik RANCE : Pour être tout à fait sincère, je ne pense pas que ce soit le cas à l'heure actuelle. Mais je prends note de cette suggestion. Il y a là en effet matière à réflexion.

M. le Rapporteur : Messieurs, je vous remercie pour votre contribution aux travaux de notre commission.

Audition de M. Hans-Werner CARLHOFF,
chef du groupe de travail interministériel sur les sectes et les groupes psychologiques,
fonctionnaire au ministère de la culture,
de la jeunesse et des sports du Land de Bade-Würtemberg,
et de Mme Helga LERCHENMÜLLER, chef du département juridique de l'Association de protection des consommateurs dans le domaine de l'éducation (« Aktion Bildungsinformation »), Stuttgart



(Procès-verbal de la séance du 11 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Nous accueillons aujourd'hui M. Hans-Werner Carlhoff et Mme Helga Lerchenmüller.

En vous remerciant d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Hans-Werner Carlhoff et Mme Helga Lerchenmüller prêtent serment)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Monsieur, vous avez la parole.

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Je vous remercie de nous avoir invités. C'est un grand honneur pour nous que de nous trouver devant votre commission d'enquête. Je dirige depuis 1993 le groupe de travail interministériel sur les sectes et les groupes psychologiques au ministère de la culture, de la jeunesse et des sports du Land de Bade-Würtemberg, après avoir été responsable, dans ce même Land, du bureau de protection de la jeunesse. J'ai une formation en économie, sciences politiques et sciences de l'éducation, et suis diplômé de sciences politiques de l'université de Munich.

Le Land de Bade-Würtemberg compte près de 11 millions d'habitants. Selon les recherches du groupe de travail interministériel, il existe dans le Land quelque 120 à 150 groupements actifs de nature sectaire, tels que définis dans le document 13-4132 du Bundestag, c'est-à-dire des groupes à forte structure hiérarchique, constitués « autour d'un leader charismatique ou d'un gourou », recherchant « le contrôle absolu du processus décisionnel de l'individu », jusqu'à exiger des adeptes, « complètement coupés du monde extérieur », une « soumission totale ». Ces groupes se caractérisent, en outre, par « une offre de solutions peu sérieuses aux difficultés existentielles », souvent couplée à « d'importantes demandes d'argent ».

L'idéologie de ces groupes, l'enseignement qu'ils prodiguent, le fanatisme avec lequel ils propagent leurs théories et leurs dogmes, sont contraires aux principes démocratiques. Ainsi que le souligne le document du Bundestag, ils peuvent avoir sur les adultes, les adolescents, les enfants, les effets suivants : une modification radicale de la personnalité, dépendance psychologique, difficultés à communiquer avec l'extérieur, à poursuivre des études ou une vie professionnelle, dissolution des liens familiaux, conjugaux et amicaux.

Parmi les groupes auxquels nous accordons une attention particulière, figure au premier chef, depuis janvier 1997, la Scientologie, en premier lieu, qui est d'ailleurs surveillée, au niveau fédéral, par l'Office de protection de la Constitution. J'ai remis au secrétariat de votre commission des rapports établis sur cette secte, qui attestent de son caractère totalitaire et antidémocratique.

Sur la base des observations que nous conduisons depuis 1995 sur les sectes et les groupes psychologiques, nous estimons que 30 000 à 50 000 personnes sont très impliquées dans ces mouvements, et que le nombre des scientologues est de 1 200, dont les deux tiers sont militants actifs.

Le groupe de travail interministériel comprend des représentants du ministère de l'intérieur du Land de Bade-Würtemberg, qui coopère avec l'Office de protection de la Constitution et la police judiciaire du Land de Bade-Würtemberg, notamment sur les mouvements et tendances satanistes, du ministère de la justice ainsi que du ministère de l'économie - en raison des activités commerciales de ces groupes - et du ministère des affaires sociales, étant donné que certains d'entre eux proposent des prestations de guérisseurs, voire utilisent des substances chimiques aux effets potentiellement dangereux, notamment chez les enfants de scientologues, amenés à les consommer à des fins de « purification » psychique et physique. Le ministère de la culture, de la jeunesse et des sports, que je représente au sein du groupe de travail, s'occupe notamment de la prévention de l'influence des sectes sur les enfants et les jeunes. J'ai remis, depuis 1993, sept rapports au conseil des ministres du Land, qui les a tous étudiés puis transmis au Landtag afin qu'ils soient débattus publiquement.

Comme vous pouvez l'imaginer, notre travail est extrêmement délicat sur le plan juridique. L'Église de Scientologie a réagi en poursuivant le Land en justice à plusieurs reprises, de même que la « Méditation transcendantale » ou le groupe de la « Vie Universelle ». Ces conflits juridiques revêtent même une dimension internationale, du fait que, chaque année, un rapport est présenté au Congrès des États-Unis sur les droits de l'homme et la liberté de religion dans le monde. Le dernier, en date du 15 septembre 2006, a critiqué la situation en Allemagne en raison de l'attitude des pouvoirs publics envers ces mouvements. J'ai consacré, dans le septième rapport du groupe de travail interministériel, des développements importants à ces aspects internationaux, en démontrant que les rapports au Congrès des États-Unis faisaient état de faits inexacts.

La dimension internationale du phénomène sectaire se manifeste également, du point de vue de son influence sur la jeunesse, par le fait, attesté, qu'une secte comme Sahaya Yoga enlève les enfants très jeunes à leurs parents, sans avoir d'ailleurs forcément besoin de recourir à la contrainte, pour les emmener, par exemple en République Tchèque, en Italie ou même en Inde. Les enfants jouent, dans beaucoup de mouvements, un rôle important, sur lequel je reviendrai tout à l'heure.

L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est celui de la fréquentation d'écoles situées à l'étranger. La Scientologie n'est pas seule concernée : il existe d'autres groupes, tel « Agnus Dei », qui possède un établissement au bord du lac de Constance. En effet, étant donné que, dans le Bade-Würtemberg, la scolarisation est obligatoire, certains parents envoient leurs enfants dans des pays comme la Belgique ou la Suisse, où l'instruction dans le cadre familial est autorisée.

Nous avons également eu de sérieuses difficultés avec la secte des « Douze Tribus », liée à « l'Église de la Communauté du Royaume du Nord-Est », qui existe depuis une douzaine d'années. Beaucoup de femmes ayant reçu une formation universitaire sans pour autant avoir terminé leurs études vivent dans ces communautés, où elles assurent elles-mêmes l'éducation des enfants. Le ministère de la culture et de l'éducation du Land de Bade-Würtemberg ayant exigé que les enfants fréquentent une école classique afin de leur assurer les possibilités d'un développement normal, l'affaire a fini devant les tribunaux : certains dirigeants et adeptes ont été arrêtés. Le problème est donc provisoirement réglé, mais il est difficile de surveiller ces petits groupements comptant moins d'une trentaine de personnes et d'empêcher que les enfants quittent le territoire - pour la région des Pyrénées en l'occurrence.

La Scientologie organise à Zurich une école privée officiellement reconnue, « Le Centre pour l'apprentissage individuel efficace », dont le sigle est ZIEL en allemand - Zentrum für individuelles und effektives Lernen - et où sont scolarisés plusieurs enfants du Land de Bade-Würtemberg. Cet établissement organise, pendant les vacances d'été, des activités de loisirs, suite à quoi les parents sont incités à y inscrire leurs enfants à l'année. Il existe également une école organisée par des personnes scientologues au Danemark, fréquentée par des enfants du Bade-Würtemberg malgré la distance, et délivrant des certificats selon lesquels les élèves « ont atteint un niveau de formation intermédiaire », mais que les autorités du Land ne reconnaissent en aucune façon. Enfin, Mme Helga Lerchenmüller pourra vous parler mieux que moi des « camps » nommés « Sea Org » qui existent au Danemark et dans le sud de l'Angleterre, et où des enfants d'adeptes reçoivent un « entraînement » censé les préparer à assurer la relève au sein de la secte.

Le homeschooling constitue, dans le Land, un mouvement en expansion. Il s'agit, pour l'essentiel, de parents qui appartiennent à des groupes fondamentalistes chrétiens, et qui refusent que leurs enfants fréquentent une école classique, où ils recevraient des cours d'éducation sexuelle et des enseignements incompatibles avec leur conception religieuse du monde. C'est une évolution que nous entendons surveiller de très près, étant donné que la Scientologie propose désormais des prestations dans le domaine du homeschooling, diffusant notamment une brochure qui fait explicitement référence aux méthodes de ZIEL et aux « technologies » de Ron Hubbard.

Les organismes de soutien scolaire liés à la Scientologie évoluent en Allemagne depuis quelque temps. Ils revêtent des appellations différentes suivant les endroits : à Stuttgart, par exemple, il s'agit du Professionnelles Lernzentrum, intitulé de nature à séduire les parents d'élèves en difficulté scolaire. Ces centres recourent tous à la « méthode » dite Applied Scholastics, qui repose sur certaines techniques d'apprentissage de Ron Hubbard, et pour laquelle ils versent de l'argent à la Scientologie. Applied Scholastics International et ses filiales allemandes achètent en effet des licences à l'Association for Better Living and Education, dont le sigle anglais est ABLE, et qui achète elle-même ses licences aux Religious Technology Center - RTC. Si je m'étends sur ce montage, c'est parce que les centres en question ont affirmé dans la presse n'avoir aucun lien avec la Scientologie : c'est faux, et nous avons pu prouver que ce lien existait, notamment par cet achat de licences qui bénéficie, in fine, à la Scientologie.

Les centres de « dianétique », dont l'apparition a suscité un certain émoi dans la population, à Stuttgart et à Ulm notamment, proposent par voie d'affiches une Lernhilfe, c'est-à-dire une aide à l'apprentissage, aux parents d'enfants en difficulté scolaire. Mme Helga Lerchenmüller développera sans doute aussi ce point, mais je peux dire que nous avons reçu cet été du Landtag, pour la deuxième fois, une demande d'information, et nous avons pu confirmer que la Scientologie était bien derrière cette offre de cours de soutien et de rattrapage. Je peux vous communiquer les rapports que nous lui avons adressés : derrière les différentes associations, en effet, se trouvaient des membres de la Scientologie : ainsi, le président, le vice-président et le trésorier de l'association Wir helfen : lernen wie man lernt sont tous trois scientologues. Les représentants d'Applied Scholastics se sont plaints au gouvernement du Land, faisant valoir que nos communiqués à la presse, nos campagnes d'information dans les écoles et les lycées, étaient contraires aux droits de l'homme et à la liberté de conscience. La responsable d'un de ces cours privés de soutien scolaire a écrit au ministre une lettre de quatre pages pour vanter les mérites de son action auprès des enfants, mais sa lettre comportait plus de trente fautes d'orthographe et de grammaire !

Mon expérience antérieure à la tête du bureau de la protection de la jeunesse m'a enseigné que les jeunes sont des proies faciles pour les sectes et groupes psychologiques lorsqu'ils se sentent seuls, ou sont mal à l'aise avec leur entourage immédiat. Ils ont, en effet, le sentiment d'y être accueillis dans une grande famille ; cet intérêt qu'il leur semble qu'on leur porte peut être ressenti comme une réponse positive à leurs problèmes personnels, à leurs conflits ou à leur difficulté de communiquer avec les gens de leur âge ou des autres générations.

Il n'existe pas une personnalité-type unique pouvant être considérée comme la proie potentielle des mouvements sectaires. Il peut s'agir de jeunes ou d'adolescents nés dans une famille où les deux parents adhèrent à un mouvement sectaire : nous avons reçu de nombreuses requêtes de grands-parents se plaignant de l'impossibilité de communiquer avec leurs petits-enfants, que leurs parents privaient de tout contact avec des personnes susceptibles d'avoir une attitude critique ou de les ouvrir à d'autres expériences. Il y a aussi des cas d'enfants dont un seul des deux parents appartient à une secte ou à un groupe psychologique ; cela finit souvent devant les tribunaux, qui ont du mal à décider à qui confier les enfants après le divorce. Il y a enfin des jeunes qui sont attirés dans des mouvements sectaires par des adultes qui, en quelque sorte, les « adoptent ».

J'ai connu le cas d'une jeune fille de quinze ans dont les parents sont scientologues et qui a quitté le lycée pour une « académie » où l'avaient inscrite ses parents. Renseignements pris par l'administration scolaire, cette « académie » n'avait nullement vocation à éduquer des jeunes de quinze ans : il s'agissait d'un institut de formation dépendant de la Scientologie.

Les jeunes sont souvent utilisés pour attirer des camarades de leur âge, qu'ils invitent chez eux à regarder des films produits par la Scientologie, afin de les gagner à la cause. Nous avons fait tout notre possible, comme vous pouvez l'imaginer, pour qu'une telle propagande, en tout cas, ne puisse se faire en milieu scolaire...

Mais il n'y a pas que la Scientologie. Je pourrais vous parler d'autres groupes, de certaines publications comportant des articles tendancieux, qui présentent sous un jour favorable certaines expériences, de certains sites Internet, par lesquels beaucoup de jeunes sont notamment attirés vers des sectes satanistes.

Il faut aussi signaler que les enfants des adeptes sont de plus en plus souvent utilisés comme outil de propagande. C'est ainsi qu'à Stuttgart, ils sont toujours présents dans les manifestations des sectes, au cours desquelles ils distribuent des prospectus ou des brochures.

Je pourrais évoquer bien d'autres aspects encore, mais il est temps, je crois, que je réponde à vos questions. Je voudrais néanmoins, auparavant, vous parler d'un projet, qu'a mis en œuvre le Land pendant trois ans avec le soutien financier du ministère fédéral de la famille. Il s'agissait de venir en aide à des personnes désireuses d'échapper à l'emprise d'une secte ou d'un groupe psychologique qu'elles venaient de quitter. Nous avons dû arrêter au terme de la première période de trois ans, car il était extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de faire cohabiter dans un même bâtiment des anciens adeptes de plusieurs groupes différents.

Enfin, je tiens à votre disposition un poème, par lequel une mère - que je connais - tente de décrire ce qu'a pu ressentir sa fille, sortie à l'âge de dix-huit ans où elle avait vécu avec ses deux frères, sortis avant elle, lorsqu'elle a découvert que le chef spirituel trompait en fait sa compagne, et que cette découverte lui a ouvert les yeux.

M. le Président : Je vous remercie pour cet exposé très complet et très argumenté, qui répond par avance à beaucoup des questions que nous souhaitions vous poser. Nous entendrons tout à l'heure l'exposé de Mme Helga Lerchenmüller, mais je voudrais vous poser, auparavant, une question sur le soutien scolaire, à laquelle vous avez d'ailleurs en partie répondu par avance. Est-il soumis, dans votre Land et dans le reste de l'Allemagne, à un agrément a priori ? En d'autres termes, le ministère de l'éducation nationale a-t-il un droit de regard sur les programmes de ces organismes ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Mme Lerchenmüller serait mieux à même de vous répondre que moi, car l'institution pour laquelle elle travaille suit ces choses de très près. Je peux simplement vous dire qu'il serait difficile de soumettre à agrément les organismes de soutien scolaire, car l'obligation de déposer une demande d'enregistrement à la chambre de commerce n'existe même pas !

Mme Helga LERCHENMÜLLER (interprétation) : Juridiquement parlant, le soutien scolaire est considéré comme n'importe quelle autre activité commerciale, ce qui nous complique énormément la tâche. Les écoles privées, en revanche, doivent faire l'objet d'un agrément, agrément qui ne leur donne pas pour autant le droit d'organiser d'examens ni de délivrer des diplômes, sauf si elles sont, en outre, reconnues par l'État - ce qui confère à ce dernier, en contrepartie, un droit de regard sur le contenu des enseignements. Dans le domaine du soutien et du rattrapage scolaires, en revanche, il n'existe aucune possibilité d'un tel contrôle. Une réflexion sur une forme de certification possible est actuellement engagée. Le Land de Hesse a mis en place des conditions, mais l'expérience n'est pas très concluante à ce jour, car elles portent davantage sur les aspects formels que sur le contenu.

M. le Président : Nous savons qu'il existe en Allemagne une organisation professionnelle fédérale du soutien scolaire, qui rassemblerait quelque deux mille organismes. Décerne-t-elle un label de qualité ? Quelle est sa position sur les risques d'infiltration par des sectes ?

Mme Helga LERCHENMÜLLER (interprétation) : Il s'agit en premier lieu d'une représentation d'intérêts, regroupant surtout les organismes sérieux, bien sûr, et qui essaient de protéger leur marché contre les offres hautement douteuses comme celle de la Scientologie. Il y a de grandes chaînes d'organismes de soutien, avec des clauses précises, qui excluent tout rapport de licence avec la Scientologie, mais il y a toujours une contradiction entre les intérêts commerciaux et les intérêts pédagogiques. C'est toujours très difficile de qualifier la qualité du contenu. Je suis souvent un peu sceptique sur ces organismes qui utilisent de plus en plus le terme « écoles de soutien », alors que ce ne sont pas, en droit, des écoles, qui seraient soumises au droit de regard de l'État.

M. le Président : Nous confirmez-vous qu'il n'existe pas dans votre Land d'enseignement dans le cadre familial, et que les enfants sont obligatoirement scolarisés dans des établissements, que ceux-ci soient publics ou privés ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Oui, il existe dans le Bade-Würtemberg une obligation scolaire, mais de plus en plus de parents demandent à pouvoir instruire leurs enfants à domicile, faisant valoir que ceux-ci ne pourraient pas s'adapter à un enseignement classique, notamment en raison de leurs convictions religieuses. Nous sommes très stricts ; toutes les demandes ont été rejetées à ce jour. Cela dit, cela ne concerne pas un nombre considérable d'enfants : une cinquantaine par an, peut-être.

M. le Président : Quel distinguo juridique faites-vous entre « groupes psychologiques » et « organisations sectaires » ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Il ne s'agit pas d'une définition juridique, mais plutôt de la description d'une situation. Les « groupes psychologiques » (psychogruppen) sont généralement des groupes qui n'ont pas une conception religieuse ou spirituelle du monde. Ce sont plutôt des groupes orientés vers certaines thérapies, ou vers certaines méthodes d'apprentissage, sans être organisés comme des sectes à proprement parler. Le mot « secte », d'ailleurs, ne répond pas davantage à une définition rigoureuse. C'est pourquoi, d'ailleurs, nous faisons précéder ces termes de l'adjectif sogenannte, une secte : en parlant de « ce que l'on appelle » sectes ou groupes psychologiques, nous nous couvrons sur le plan juridique.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Vous nous avez dit tout à l'heure qu'il y avait, dans le Bade-Würtemberg, 30 000 à 50 000 personnes impliquées dans des mouvements sectaires. Avez-vous une estimation pour l'ensemble de l'Allemagne et une idée, même approximative, du nombre d'enfants concernés ?

Vous nous avez dit aussi que vous faisiez de la prévention. Nous avons d'ailleurs un petit dépliant, édité par la municipalité de Stuttgart sur ce sujet. Comment cette prévention s'organise-t-elle ? Quels sont vos moyens ?

Enfin, avez-vous des échanges avec d'autres pays européens, la France notamment, en particulier sur la question des enfants victimes de sectes ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Les chiffres que je vous ai donnés figurent dans les cinquième et sixième rapports du groupe de travail interministériel. Il s'agit d'estimations, extrapolées à partir des données sur les groupes que nous connaissons, et affinées ensuite au cours de discussions avec nos experts. Je souligne que notre champ de compétences ne comprend pas les communautés religieuses, mais seulement les sectes classiques, avec des gourous, ou comme la Scientologie. Nous ne nous intéressons pas, par exemple, à l'anthroposophie, aux Témoins de Jéhovah ou aux Mormons.

M. le Rapporteur : Pourquoi pas aux Témoins de Jéhovah ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Parce qu'il s'agit d'une communauté de foi, et que notre Constitution garantit la liberté de croyance. Par ailleurs, cette communauté a été persécutée sous le nazisme. C'est quelque chose dont nous devons tenir compte. Cela dit, bien que nous ne nous occupions pas des Témoins de Jéhovah, pour lesquels c'est le bureau des affaires religieuses qui est compétent, nous sommes souvent saisis par des couples mixtes - c'est-à-dire où seul l'un des deux parents est adepte - qui nous font part de situations critiques. Certains comportements peuvent, de fait, poser problème, mais pas forcément au point que l'État formule une mise en garde officielle. Notre rôle est d'examiner si tel est le cas, pas de nous prononcer sur les pratiques ou les rituels. C'est assez délicat, car il s'agit souvent de très petits groupes, et l'on peut se demander si une mise en garde solennelle ne risquerait pas de leur faire de la publicité.

M. le Rapporteur: Avez-vous des données sur le nombre d'enfants concernés ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Je n'ai pas de chiffres très précis, car il n'y a pas eu d'enquête officielle. Si le nombre total de personnes impliquées est de 30 000 à 50 000, on peut supposer que 100 000 à 120 000 enfants sont concernés de près ou de loin. Ce dernier chiffre me paraît un peu élevé.

Quant à notre budget de prévention, il n'est pas énorme, mais il est supérieur à celui des autres Länder. Nous soutenons deux acteurs institutionnels, à hauteur respectivement de 104 000 et de 20 000 euros. Si l'on ajoute à cela les sommes consacrées à notre activité d'information et d'expertise scientifique, c'est-à-dire le groupe de travail interministériel, on obtient un total légèrement inférieur à 150 000 euros.

Les échanges avec la France sont satisfaisants. Lors d'une récente réunion à Hambourg, j'ai ainsi rencontré un conseiller de la MIVILUDES, M. Henri-Pierre Debord, et j'ai également participé à Paris, voici plusieurs années, à une réunion de coordination où étaient représentés les ministères chargés de la famille, de la police, etc.

M. Jean-Pierre BRARD : Je vous remercie pour la précision toute germanique de votre exposé. Vous nous avez dit que les Témoins de Jéhovah avaient été persécutés par les nazis. C'est exact, mais savez-vous pourquoi ils ont été internés en camp de concentration, et dans quelles conditions certains ont pu en sortir ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Je ne suis pas un expert de ces questions. Tout ce que je sais, c'est que beaucoup ne sont jamais ressortis, car ils y sont morts. Il y a eu une exposition à Stuttgart, où les Témoins de Jéhovah ont fait état de ces destins tragiques, avec l'appui du Land.

M. Jean-Pierre BRARD : Pour l'information de nos collègues de la commission, je rappelle qu'il y a eu, en effet, 2 000 victimes, pour la plupart de jeunes hommes qui sont allés en camp parce que, ne reconnaissant comme Dieu que Jéhovah, ils refusaient de prêter serment de fidélité au Führer. Ils y ont souvent été kapos, et pouvaient sortir s'ils revenaient sur leur refus de prêter serment. Par ailleurs, avez-vous connaissance, de la lettre adressée par les Témoins de Jéhovah au chancelier du Reich en juin 1933, dans laquelle ils désignaient les juifs et les catholiques comme responsables des malheurs de l'Allemagne, et faisaient des offres de services ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Cette exposition comportait beaucoup de documents, et j'ai connaissance de ce document-là aussi.

M. Jean-Pierre BRARD : On peut comprendre pourquoi les Allemands ont avec les Témoins de Jéhovah un problème que nous n'avons pas.

Vous avez parlé de la Suisse et du Danemark. Avez-vous des relations de coopération avec ces deux pays ? Nous savons combien c'est difficile avec la Suisse.

Êtes-vous soutenu dans votre action par les élus du Landtag ?

Enfin, y a-t-il dans votre Land un Berufsverbot, c'est-à-dire une interdiction professionnelle, et si oui, s'applique-t-elle, par exemple, aux scientologues ? Je pose la question sans porter de jugement sur le Berufsverbot en général...

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : J'ai participé il y a deux semaines à une commission du Landtag, où nous avons notamment évoqué les instituts de formation de la Scientologie. Au cours d'une séance plénière du Landtag, il y a deux ans, les élus ont souligné par leur attitude que tous les partis démocratiques, sans distinction, considéraient le problème des sectes et des groupes psychologiques comme extrêmement sérieux et ne devant pas faire l'objet de querelles partisanes. Au niveau fédéral, en revanche, nous avons vu qu'il y avait des opinions quelque peu divergentes, notamment dans le cadre de la commission d'enquête de 1996-1998. Mais dans le Bade-Würtemberg, un large consensus continue de prévaloir.

S'agissant des interdictions professionnelles, la Scientologie tente, depuis quelques années, par un travail de propagande dans certains Länder, notamment Hambourg, de faire croire que de telles interdictions sont en vigueur - sans doute parce qu'y a été adoptée, comme d'ailleurs en Bavière, une disposition selon laquelle les services du Land ne doivent pas avoir recours, pour la formation continue de leurs agents, à des prestataires pouvant être soupçonnés de propager une doctrine idéologique quelconque. Mais cela ne concerne pas l'ensemble de l'activité économique : seulement le secteur de la formation des personnels du Land. Il ne s'agit pas d'un Berufsverbot.

Nous avons eu, comme vous le savez sans doute, un problème diplomatique avec la Suisse : il y a huit ans, un représentant de l'Office de protection de la Constitution s'est rendu à Bâle pour faire des investigations sans avoir reçu les autorisations nécessaires. Je crois, avec le recul, qu'il est tombé dans un piège. Toujours est-il que cela a créé une tension entre les deux pays, et que ce fonctionnaire a dû changer de fonctions.

Il existe, au niveau fédéral, une commission auprès du Chancelier, où sont notamment représentés les grands ministères fédéraux, dont le ministère des affaires étrangères - et en particulier son bureau pour l'Amérique du Nord -, ainsi que les sept Länder les plus exposés, dont le Bade-Würtemberg, la Bavière et Hambourg, qui sont ceux où la Scientologie a le plus grand nombre de filiales. Nous y échangeons nos informations et nos réflexions, et essayons de régler certains problèmes impliquant des pays étrangers, comme le trafic de substances médicamenteuses en provenance du sud de l'Angleterre, ou encore les centres d'endoctrinement de jeunes gens au Danemark. Mais nous ne sommes pas mandatés pour agir, encore moins pour ramener de force les enfants du Danemark...

M. Jean-Yves HUGON : J'avais une question sur les Témoins de Jéhovah, mais vous y avez répondu, et je comprends maintenant mieux pourquoi vous n'en aviez pas parlé dans votre exposé.

Me trouvant il y a deux ans à Munich, j'ai été très étonné de voir, un samedi matin, en pleine rue du quartier piétonnier, un stand de la Scientologie, avec des représentants de la secte qui interpellaient les passants et leur distribuaient ouvertement des prospectus. Est-ce bien légal ?

D'autre part, puisque notre tâche est de faire un rapport et de proposer des mesures, je vous demande si vous pensez disposer des moyens légaux nécessaires pour lutter efficacement contre les sectes, ou si vous souhaiteriez que le Parlement allemand vote des dispositions supplémentaires pour vous venir en aide.

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Je rappelle que, dans le Bade-Würtemberg, le groupe de travail interministériel ne s'occupe pas directement des Témoins de Jéhovah, même s'il s'intéresse incidemment à leur activité. Dans d'autres Länder, la situation est différente. C'est ainsi qu'à Berlin, les Témoins de Jéhovah ont obtenu un statut de droit public à l'égal des autres Églises reconnues, et qu'ils s'efforcent de l'obtenir aussi des autres Länder. Je ne serais pas étonné que les choses évoluent dans les années qui viennent.

Autoriser ou interdire la propagande de rue à la Scientologie relève des autorités municipales. À Stuttgart, il n'est pas permis de distribuer de prospectus dans la rue, mais les scientologues ont pu, ces dernières années, dresser de grandes tentes dans des lieux publics, sur des centaines de mètres carrés, en tant qu'entreprise commerciale. Un procès est d'ailleurs en cours, la mairie de Stuttgart ayant exigé un loyer très élevé, et la Scientologie prétendant qu'il n'y a pas de raison, étant donné qu'elle n'a pas de but lucratif. La situation à Munich doit être analogue. La difficulté à laquelle on se heurte est celle de la publicité de fait, qui prend par exemple la forme de distribution de tests de personnalité débouchant sur une invitation à assister à un cours gratuit - et, bien sûr, on n'en reste pas là, c'est seulement une façon d'attirer les gens vers d'autres cours ou séminaires, payants. Nous avons donc interdit cette propagande de rue, mais que faire contre les prospectus glissés dans les boîtes aux lettres ou contre les envois par Internet ? Dès lors que la Scientologie n'est pas interdite en tant qu'organisation, il est difficile de l'empêcher d'avoir une action publique de ce type.

En tant que représentant du Land, je suis relativement satisfait de l'arsenal juridique existant, mais une mesure intéressante avait été proposée, et d'ailleurs bien accueillie par le Bundesrat, avant d'être retirée suite au changement de gouvernement, puis représentée au Bundesrat mais non au Bundestag. Il s'agit de réglementer le marché des prestations proposées aux personnes sous couvert de les aider à mieux vivre leur vie. Actuellement, en effet, une personne qui est victime d'un guérisseur ou d'autres rituels doit apporter la preuve que ces pratiques lui ont fait du tort. Le projet de loi visait à renverser la charge de la preuve, à obliger le prestataire devrait prouver l'innocuité de ses méthodes. Malheureusement, nous n'avons pas pu l'imposer, car la tendance politique générale est plutôt à la déréglementation.

M. Jean-Pierre BRARD : Quel est le régime fiscal des dons que reçoit, par exemple, une secte comme la Scientologie ? Est-elle taxée comme un organisme d'utilité général, ou comme une activité commerciale ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Toutes les filiales de la Scientologie dans le Bade-Würtemberg sont considérées comme des entreprises commerciales. Le procès qui oppose la secte au Land a établi qu'elle exerce une activité commerciale, pour laquelle elle paie d'ailleurs des impôts. Mais à Hambourg, un autre procès a abouti à la conclusion inverse. La question est donc très complexe sur le plan juridique, et la Scientologie, à ce que je vois, se bat pour garder la disposition de la totalité de ses recettes, afin de pouvoir les transférer au niveau central. On peut se demander, notamment, si ses centres de soutien scolaire n'ont pas pour but de transférer des fonds à l'étranger par le biais des achats de licences. Il existe au sein de l'administration un service qui suit de près cette question, mais les données sont confidentielles.

M. Jean-Pierre BRARD : Secret fiscal ?

M. Hans-Werner CARLHOFF (interprétation) : Oui.

M. le Président : Nous allons maintenant entendre Mme Helga Lerchenmüller.

Mme Helga LERCHENMÜLLER (interprétation) : Avant de présenter mon exposé, je voudrais préciser que les Scientologues déclarent souvent comme des dons des sommes qui sont en fait la rémunération de cours ou d'ouvrages, et qui devraient être soumises à l'impôt dans la mesure où leur versement a une contrepartie. Selon mes informations, certains organismes de la Scientologie se sont vus, hélas reconnaître, comme étant d'utilité publique, notamment dans la lutte contre la drogue.

Je voudrais à mon tour vous remercier pour votre invitation. L'ABI, l'Aktion Bildungsinformation, est une association de protection de consommateurs, affiliée à la Fédération des associations de consommateurs, mais dont le champ d'action se limite au marché de la formation et de l'éducation. Nous existons depuis près de quarante ans ; notre but n'est pas seulement d'observer les sectes, mais aussi de conseiller les consommateurs de formation, ces deux branches de notre activité étant séparées au sein de l'organisation.

Au départ, nous ne nous intéressions pas aux sectes ni aux groupes psychologiques, car les consommateurs ne nous saisissaient pas de ce problème. Actuellement, nous ne nous occupons ni de la construction idéologique, ni du contenu religieux des sectes : nous nous tenons à une stricte neutralité, car on confond trop souvent idéologies et méthodes. Les critères que nous examinons sont les pratiques commerciales, les modes de publicité, la façon dont est traité le client ou l'utilisateur. Ce sont ces mêmes critères que nous appliquons aux sectes et aux groupes psychologiques.

C'est tout à fait par hasard que nous sommes tombés, en 1974, sur la Scientologie, en voyant des stands dans la rue, des gens qui essayaient de vendre aux passants un livre sur la « dianétique ». Le droit allemand de la concurrence interdit en effet de racoler des gens dans la rue pour tenter de leur vendre quelque chose. Nous nous sommes aperçus que, derrière tout cela, il y avait la Scientologie. Nous les avons informés du caractère illégal de leurs agissements, puis, comme cela n'a eu aucun effet, nous avons obtenu des pouvoirs publics qu'ils les poursuivent. Il est difficile, cela dit, de combattre la publicité sauvage dans la rue, car la loi interdit seulement certaines formes de publicité, si bien que la Scientologie s'adapte en permanence, inventant de nouvelles formes, qu'il faut essayer de faire interdire en arguant du droit de la concurrence.

Il s'est notamment produit un événement étrange : des personnes dont l'accoutrement évoquait celui de prêtres manifestaient dans la rue, accusant l'ABI de s'en prendre à la liberté religieuse. Mais le résultat ne fut pas celui escompté : au lieu de se solidariser avec les scientologues, les gens sont, au contraire, venus se plaindre à nous d'avoir été abusés par de fausses promesses, d'avoir payé de fortes sommes pour des cours et pour des livres, au point de s'endetter lourdement, d'avoir été amenés à rompre tous leurs liens familiaux, affectifs, amicaux, et d'avoir subi une transformation de leur personnalité. Nous avons dû faire face à ce besoin de conseil, et c'est ainsi que nous nous sommes ensuite intéressés à d'autres groupes ou sectes.

Juriste de formation, j'ai commencé à travailler à l'ABI en 1981, dans le domaine juridique d'abord, avant de changer de secteur, l'année suivante, pour remplacer, à son départ, la personne qui s'occupait des sectes et des groupes psychologiques. La situation était alors relativement préoccupante en Allemagne, car l'opinion publique n'était pas très consciente, et il a fallu faire tout un travail d'information. C'est seulement au milieu des années 1980 que les choses ont commencé à changer. À cette époque, la Scientologie démarchait les entreprises pour leur proposer des prestations de conseil, de formations. En fait, elle essayait de les infiltrer ; certaines se sont laissé faire, ne s'en apercevant qu'une fois qu'il était trop tard, que plusieurs de leurs hauts responsables étaient devenus scientologues.

Aujourd'hui, notre champ d'action s'est déplacé, car la Scientologie s'est repliée sur les particuliers, les aides aux familles dont a parlé M. Hans-Werner Carlhoff. Parfois, un des deux parents est dans une secte et pas l'autre, et il s'ensuit un différend quant à la conception de l'éducation des enfants, débouchant sur un conflit brutal. Le parent scientologue, par exemple, voudra envoyer son enfant, âgé de quatorze ou seize ans à Copenhague, et bien souvent l'enfant sera d'accord, parce qu'il n'est pas heureux dans le système éducatif allemand, et qu'il voit là une évasion bienvenue. L'autre parent, non scientologue, verra les dangers, les conséquences possibles, mais en cas de séparation des parents, il n'est pas possible de faire grand-chose, car le parent chez qui l'enfant habite n'est pas obligé de consulter l'autre sur toutes les décisions, mais seulement sur les décisions importantes, telles qu'un changement d'école. Nous sommes souvent saisis par les grands-parents, ou les oncles et tantes, qui craignent de perdre toute possibilité de voir leur petit-fils ou leur neveu s'ils s'opposent ouvertement à la Scientologie, et sont donc résignés à s'abstenir de toute critique - et le fait est qu'il est difficile de leur conseiller une autre attitude. L'appartenance à une secte crée une coupure radicale avec le monde extérieur, les adeptes n'ont plus de relations qu'à l'intérieur de la secte, l'enfant n'est plus confronté qu'à l'enseignement de la secte, et les grands-parents restent souvent ses seules relations au dehors.

Nous sommes parfois saisis aussi de cas d'enfants que des camarades de classe essaient d'entraîner sur la voie de la Scientologie. Mais il n'est pas possible de pratiquer une politique d'exclusion totale, car les sectes ne manqueraient pas de réagir, de crier à l'ostracisme. Ce qu'il faut, c'est montrer aux gens, aux jeunes qui sont dans les sectes que la société leur est ouverte, qu'ils peuvent y revenir à tout moment.

Les effets de l'éducation scientologue - ou de celle prodiguée dans d'autres groupes, comme les Témoins de Jéhovah - continuent de se manifester chez certains jeunes qui ont choisi de quitter le groupe, et qui ont des difficultés à communiquer avec un monde extérieur jusque-là jugé hostile, ainsi qu'à raconter leur expérience telle qu'ils la ressentent. Il faut un contact très suivi et très prolongé pour les sortir de cet état. J'ai notamment en tête un ancien Témoin de Jéhovah - mais il y a aussi d'autres cas - qui se sentait coupable parce que d'autres membres de sa famille étaient restés dans la secte. Il faut expliquer aux gens qui éprouvent ce type de sentiment qu'ils n'ont pas à se sentir coupables, que c'est l'idéologie de la secte qui empêche le contact ou le rend difficile.

Puisque nous avons parlé des Témoins de Jéhovah, je voudrais évoquer un autre cas, qui m'a beaucoup marquée : celui d'un jeune homme de dix-huit ans, extrêmement gentil, aimable et intelligent, qui a quitté sa famille, et les Témoins de Jéhovah, à quelques mois du baccalauréat. Le conflit avait commencé deux ans plus tôt, lorsqu'il avait appris qu'il y avait, parmi les Témoins de Jéhovah, 140 000 « élus », alors qu'on lui avait affirmé que tous étaient égaux. Il s'était demandé pourquoi certains étaient « plus égaux » que les autres, et avait eu une première querelle avec ses parents. Puis il est tombé amoureux d'une jeune fille, avec qui il a eu des rapports sexuels, ce que ses parents n'ont pas supporté. Le conflit s'est envenimé à tel point qu'il n'a eu d'autre choix que de quitter ses parents, lesquels lui ont aussitôt coupé les vivres, au risque de mettre en danger son succès à l'examen et son avenir professionnel. Il a malgré tout eu son baccalauréat, mais ses relations avec ses parents en sont toujours au même point. Il a heureusement été recueilli par la famille de sa petite amie, qui le soutient, y compris financièrement.

Parmi les différents groupements sectaires, la Scientologie représente clairement l'une de nos priorités, car c'est là que le besoin d'aide et de conseil est le plus criant. Nous nous sommes penchés intensivement sur leurs méthodes, sur leurs pratiques. Nous avons réuni une grande quantité de documents, de livres, de cours, que nous avons lus studieusement - ce qui est une tâche vraiment ingrate ! On tombe sans cesse sur des incohérences, des contradictions logiques, tant cette doctrine est un conglomérat hétéroclite de lapalissades, de vérités scientifiques partielles et d'idées saugrenues, et c'est ce mélange de sérieux et d'invention qui trouble les jeunes, car ils ont du mal à y discerner le vrai du faux. La Scientologie fonctionne, au vu de ce que nous avons pu lire de sa littérature, selon un principe fondamental, celui de la désinformation délibérée. Il s'agit, d'un côté, d'effrayer les gens, et, de l'autre côté, de leur apporter l'espoir de se sortir d'une situation désespérée grâce aux « techniques » de Ron Hubbard, lequel ne s'est d'ailleurs pas caché, dans ses écrits, de jouer sur ce double registre. Les cours comportent des exercices très intenses, des jeux de rôles visant à « sauver les gens de la destruction », après qu'on leur a fait croire qu'ils allaient très mal et qu'ils avaient besoin de remettre de l'ordre dans leur personnalité.

Les techniques d'apprentissage en vigueur chez les scientologues constituent un programme de manipulation mentale très étudié, qui s'appuie sur la dénaturation de la langue, ainsi que sur la modification des comportements et des convictions morales. L'enchaînement des arguments est très habile, car elle tend à donner aux gens le sentiment qu'ils ne comprennent plus leur propre langue, à force de redéfinir sans cesse le sens des mots, y compris les plus simples, ou ceux que nous comprenons - et les enfants à plus forte raison - de façon intuitive, sans pouvoir les expliquer. C'est ainsi que fonctionnent ces cours de soutien scolaire, que les scientologues essaient de développer depuis quelques années, sous des appellations qui changent sans cesse. Il existe actuellement trente et un centres en Allemagne ; il n'y en avait que dix l'an dernier.

La Scientologie a créé une « Commission contre les atteintes aux droits de l'homme » - en allemand : Kommission für Verstöße gegen die Menschenrechte, ou KVPM - qui s'en prend notamment à la psychiatrie et aux psychiatres, accusés de porter atteinte à l'intégrité des enfants à travers les psychotropes. D'un côté, on cherche à faire peur aux parents dont les enfants ont un problème particulier, tel que la dyslexie ou l'hyperactivité, et de l'autre on leur conseille de ne surtout pas aller voir un médecin ou un psychiatre, on les oriente vers des méthodes d'apprentissage sous licence comme Applied Scholastics, pour lesquelles des vedettes comme John Travolta, par exemple, font de la publicité. Comme les scientologues n'ont pas réussi à ouvrir d'écoles en Allemagne, ils tentent la voie du soutien scolaire pour se faire confier des enfants par leurs parents.

Un autre groupement sectaire, Vie Universelle - Universelles Leben -, surtout présent en Allemagne, et dont la grande prêtresse est Gabriela Wittek, a créé, dans la région de Würzburg un réseau de magasins, de jardins d'enfants, d'ateliers et de commerces de toute sorte, si bien que les adeptes trouvent tout ce qu'il faut dans le cadre de la secte, et que les enfants sont totalement isolés du monde extérieur. Cela nous préoccupe beaucoup.

Parmi les groupes ésotériques, en pleine croissance, un concept connaît actuellement un grand développement : celui de l'« enfant indigo », à qui sont prêtées des capacités spirituelles à ce point exceptionnelles que l'on compte sur lui pour construire une société nouvelle, et qu'il ne faut donc surtout ni élever ni soigner de façon conventionnelle.

Je conclurai mon propos sur un dernier cas, celui, raconté par la victime elle-même dans un livre et dans les conférences qu'elle fait dans toute l'Allemagne ainsi que dans des émissions de télévision, d'une jeune Suissesse qui a été abusée dès l'âge de treize ans, ainsi que son frère, par le gourou de la secte dans laquelle vivaient ses parents et par sa femme médium. C'est ainsi qu'a été révélé le caractère sectaire de cette organisation, qui se présentait comme humanitaire, et mettait notamment en avant un projet de coopération avec le Belize, en Amérique centrale - projet pris d'ailleurs très au sérieux à l'époque, y compris par les pouvoirs publics. Il nous faut donc rester vigilants, et regarder de près ce qui peut se cacher derrière des entreprises d'apparence sérieuse.

Je vous remercie pour votre attention et reste à votre disposition pour toutes informations complémentaires.

M. le Président : Nous voici arrivés au terme de cette double audition. Nous vous remercions de vos exposés très intéressants, qui montrent que les problématiques sont, pour l'essentiel, les mêmes qu'en France, mais concernent davantage, semble-t-il, les enfants, et qui nous éclaireront utilement pour la rédaction de notre rapport.

Audition de M. Michel GAUDIN,
Directeur général de la police nationale



(Procès-verbal de la séance du 11 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, président

M. le Président : Nous allons entendre maintenant M. Michel Gaudin, directeur général de la police nationale.

M. le Président : Dans le cadre de la formule du huis clos qui a été retenue pour votre audition, celle-ci ne sera rendue publique qu'à l'issue des travaux de la Commission. Cependant, la Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué et les observations que vous pourriez présenter seront soumises à la commission.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires punit des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, toute personne qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport de la commission a fait état de cette information.

Je vous rappelle qu'en vertu du même article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Enfin, l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Cependant pour la commodité de l'audition, vous pourrez citer nommément les enfants qui auront été victimes de ces actes, la commission les rendant anonymes dans son rapport.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Michel Gaudin prête serment.)

La commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. Michel GAUDIN : Je n'en sais sans doute pas plus que les directeurs de service de la police nationale que vous avez déjà auditionnés mais j'ai le sentiment que le phénomène, quoique préoccupant dans certains cas individuels, s'agissant d'enfants, n'est pas une forme de délinquance d'une ampleur de nature à devoir générer trop d'inquiétude. Il convient plutôt d'aborder la question des sectes de manière globale.

Le système sectaire, en France, a certainement évolué au cours des dernières années et tend à s'atomiser. Il est moins structuré que naguère, ce qui n'est d'ailleurs pas forcément rassurant car les faits et des atteintes aux enfants deviennent plus difficiles à détecter.

D'après les études sur Krishna, l'Église de Scientologie ou les raéliens, les enfants concernés sont, la plupart du temps, ceux dont les parents sont eux-mêmes adeptes de sectes. Je ne crois pas qu'il existe de recrutement direct d'enfant, sinon de façon extrêmement limitée.

La voie de la scolarisation à domicile fait l'objet de toute notre attention. L'emprise sectaire se traduit parfois par des violences physiques volontaires mais la sécurité publique ne dispose pas de statistiques de ces situations, au motif que notre législation ne comporte pas, à ma connaissance, de disposition s'appliquant spécifiquement aux sectes. Les poursuites sont donc décidées en vertu de la législation de droit commun.

Ont été signalés trois ou quatre suicides liés à des conduites sectaires ainsi qu'une dizaine de cas d'automutilations, notamment de scarifications chez des adolescents rattachés aux idéologies sataniques. Des profanations - en particulier des actes de prédations dans des cimetières ou des églises - ont été répertoriées. Les renseignements généraux relèvent chaque année une vingtaine de cas de violences physiques volontaires, notamment de la part de raéliens s'étant ralliés à la pédophilie.

Les violences physiques involontaires sont difficiles à repérer. Nous notons surtout des actions de recherche de guérison par des prières, des potions miracles, des psychothérapies ou le recours au magnétisme. Les identifications interviennent très rapidement, grâce à la réactivité du corps médical, celle des pouvoirs publics devant encore être améliorée.

Les atteintes psychologiques chez les mineurs, en particulier les déstabilisations mentales, sont plus courantes.

Je répète que le phénomène ne me semble pas d'une ampleur très importante mais la sensibilité des cas individuels provoque une prise de conscience et de grandes inquiétudes, notamment dans le mouvement associatif. Je l'ai vécu lorsque j'étais préfet du Gard - département du Sud de la France, dans lequel les services de l'État sont très mobilisés sur la question -, à travers mes relations avec l'Association de défense des familles et de l'individu, l'ADFI.

Il convient évidemment de réprimer les actes de délinquance, notamment les violences volontaires, mais aussi, dans ce domaine comme dans d'autres, de se montrer très attentif vis-à-vis de la Toile, qui sert de vecteur pour délivrer des messages et se livrer au prosélytisme, ouvertement ou subrepticement, et ainsi piéger des enfants ou de jeunes adolescents, très habiles dans la manipulation de ces nouveaux moyens de communication.

J'ai bien conscience du degré de généralité assez élevé de ces quelques éléments d'information mais telle est la situation.

M. le Président : Depuis la circulaire Chevènement, un texte général concernant le problème sectaire a-t-il été élaboré à l'intention des services de police ?

M. Michel GAUDIN : Depuis juillet 2002, époque où j'ai pris mes responsabilités, nous n'avons pas diffusé de texte spécifique. M. Dominique de Villepin, lorsqu'il était ministre de l'intérieur, a requalifié les tâches des renseignements généraux dans une circulaire afin de clarifier la situation mais je ne crois pas que ce texte comporte quoi que ce soit sur les sectes. Dans une de nos sous-directions, un bureau s'occupe des sectes et chaque préfet de département dispose d'une cellule de veille, plus ou moins active en fonction de la présence de sectes. Les renseignements généraux n'ont pas reçu de consignes particulières au cours des derniers mois mais ils sont très spécialisés et restent tout à fait vigilants - ils ont notamment travaillé sur les « enfants indigo ». Hormis les renseignements généraux, lorsque des actes de délinquance sont commis, l'affaire relève de la compétence de la sécurité publique et surtout de la police judiciaire, qui, depuis le début de l'année, a été amenée à connaître quatre affaires sectaires ; l'une d'elles concernait les éducateurs spécialisés d'un conseil général, qui travaillaient par conséquent avec des jeunes.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Dans les Ardennes, n'est-ce pas ?

M. Michel GAUDIN : Le ministère de l'intérieur étant très respectueux de la séparation des pouvoirs, je n'en dirai pas plus.

M. le Président : Nous respectons aussi ce principe.

Une circulaire de 2003 a créé les cellules de vigilance qui n'existent pas dans tous les départements mais ont parfois accompli un travail considérable. Or nous entendons que ces structures vont se transformer en cellules de prévention ou de sécurité plus générales. Nous craignons donc que la problématique sectaire soit noyée. Qu'en pensez-vous ?

M. Michel GAUDIN : Si les grands mouvements sectaires ont un peu reculé, c'est précisément grâce à l'association entre tous ceux qui luttent contre les sectes. Cette logique doit être maintenue, même si elle se matérialise dans un organisme à vocation plus large. Les fonctionnaires doivent en effet être spécialisés, attentifs et connaisseurs de cette matière, qui requiert beaucoup de technicité. J'ai été amené à me pencher sur ce dossier, notamment sur la problématique de l'utilisation d'Internet.

M. le Président : La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la MIVILUDES, s'était réjouie de la création de ces cellules spécifiques dans les préfectures. Leur éventuelle transformation l'inquiète. Vous n'en savez pas plus ?

M. Michel GAUDIN : Non.

M. le Président : Mais vous êtes partisan du maintien de cette spécificité ?

M. Michel GAUDIN : Absolument, à cause de mon expérience et de ma connaissance de la problématique. La police judiciaire vient d'être réorganisée, j'ai souhaité procéder à un remembrement car chaque nouvelle thématique donnait jusqu'alors lieu à la création d'un office. Si le sujet des sectes peut très bien être intégré dans un dispositif plus large, dans chaque département, il n'en demeure pas moins que quelqu'un doit le suivre et le connaître parfaitement. Dans le Gard, j'ai été sensibilisé au sujet, j'ai travaillé avec les associations et j'ai créé une cellule parce qu'aucun fonctionnaire des renseignements généraux n'était spécialisé sur le dossier.

M. le Président : Je vous rappelle que vous devrez nous communiquer vos éléments d'information les plus récents avant la fin de nos travaux, début décembre.

Mme Martine AURILLAC : À quel nombre estimez-vous les saisines auxquelles a procédé le parquet chaque année depuis votre entrée en fonctions ?

Comment est organisée la formation des agents chargés de ce type de problèmes ? L'est-elle vraiment ?

M. le Président : Le directeur des affaires criminelles et des grâces, que nous auditionnerons ultérieurement, pourra répondre très précisément à votre première question.

M. Michel GAUDIN : La notion de secte ne peut être utilisée pour qualifier un crime ou un délit. Les mises en cause sont effectuées par le biais du droit commun : le droit de l'urbanisme pour les constructions, le droit fiscal pour les détournements de fonds, sans oublier les violences, notamment sexuelles, et la non-assistance à personne en danger. Il n'existe donc pas de chiffrage, mais je ne pense pas que les saisines judiciaires soient fréquentes. Notre pays est moins soumis à l'influence de grandes sectes : il en existe 295, avec 800 organismes dans leur nébuleuse, et 240 d'entre elles semblent procéder à leur recrutement par le truchement des parents.

M. le Président : Le nombre des adeptes est estimé à 150 000.

M. Michel GAUDIN : Et 30 000 seulement sans les Témoins de Jéhovah.

Les renseignements généraux ont récemment proposé de préparer une sorte de guide de l'enquêteur, à l'instar du guide de l'agent public face aux dérives sectaires que la MIVILUDES avait élaboré en 2004. Il faut peut-être réactiver un peu les renseignements généraux.

M. le Président : Nous souhaiterions être informés de l'avenir des cellules de vigilance.

Audition conjointe de Mme Carola ARRIGHI de CASANOVA
Sous-directrice de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS)
au Ministère de la justice
et de M. Michel RISPE, Chef de bureau de l'entraide civile et commerciale
internationale au Ministère de la justice



(Procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Je vous remercie, Madame Arrighi de Casanova et Monsieur Rispe, d'avoir répondu à notre convocation.

Dans le cadre de la formule du huis clos qui a été retenue pour votre audition, celle-ci ne sera rendue publique qu'à l'issue des travaux de la Commission. Cependant, la Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué et les observations que vous pourriez présenter seront soumises à la Commission.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires punit des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, toute personne qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport de la commission a fait état de cette information.

Je vous rappelle qu'en vertu du même article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Enfin, l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Cependant pour la commodité de l'audition, vous pourrez citer nommément les enfants qui auront été victimes de ces actes, la commission les rendant anonymes dans son rapport.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(Madame Arrighi de Casanova et Monsieur Rispe prêtent serment.)

La commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. le Président : Vous avez la parole, Madame Arrighi de Casanova.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Comme la Direction des affaires civiles et du Sceau au ministère de la justice s'occupe de l'entraide civile internationale, vous avez souhaité nous entendre pour savoir si, dans les cas de déplacements d'enfants entre couples binationaux dont nous avons à connaître, nous étions confrontés à des questions sectaires.

Je précise d'abord que deux services traitent des déplacements illicites d'enfants : le bureau de l'entraide civile et commerciale internationale qui s'occupe à peu près de toutes les conventions internationales, comme celles sur l'obtention de preuves et la transmission des actes judiciaires, et la mission d'aide à la médiation internationale pour les familles - la MAMIF - qui a été créée en 2001 au sein de ma sous-direction pour tenter d'apaiser certains conflits familiaux, soit dans les cas où l'on ne parvient pas à faire marcher les conventions internationales, soit dans les cas où on a l'impression qu'un accord entre les parents est possible.

Je dois d'emblée indiquer que nous ne sommes quasiment jamais confrontés à des situations liées aux sectes.

Je vais expliquer quels sont les rôles du bureau de l'entraide et du ministère.

En fait, nous appliquons des accords bilatéraux ou multilatéraux. Le plus connu est la Convention de La Haye de 1980 qui permet de régler avec un grand nombre de pays la question de déplacements d'enfants. Nous disposons également maintenant d'un instrument communautaire, que l'on appelle le règlement Bruxelles II bis, qui permet de régler ces questions au sein de la Communauté, sauf avec le Danemark qui n'est pas partie à ce règlement.

Les avis de déplacement d'enfants que reçoit le ministère de la justice émanent soit des parents, soit d'une autorité centrale étrangère, le bureau de l'entraide étant désigné autorité centrale dans la plupart des conventions internationales que nous traitons : soit une personne en France se plaint de ce qu'un enfant ait été déplacé vers un pays étranger, soit, à l'inverse, une autorité centrale étrangère nous indique qu'un enfant a été déplacé vers la France et nous demande son retour. Dans ces cas-là, le bureau n'a aucune appréciation des choses. Il saisit le procureur de la République, lequel saisit la juridiction compétente du lieu où se trouve l'enfant en France pour qu'elle statue sur le retour ou le non-retour de l'enfant dans son pays d'origine.

Le principe qui prévaut dans les conventions et le règlement Bruxelles II bis est que le déplacement est en soi une mauvaise chose et que l'enfant doit retourner dans l'État dans lequel il se trouvait avant son déplacement et qui est son lieu de vie habituel, sauf dans les cas où cela le mettrait en danger. Mais cela est laissé à l'appréciation de la juridiction.

Le tribunal est saisi et les parents font valoir tous les moyens dont ils disposent. Puis le tribunal statue. S'il ordonne le retour, on vérifie avec le parquet si un retour volontaire n'est pas demandé par les parents, ce qui n'est pas toujours le cas. En réalité, une fois que la juridiction a statué, le parent qui a déplacé l'enfant le renvoie souvent dans son pays d'origine et tente, après, soit d'avoir un droit de visite, soit de saisir le juge aux affaires familiales local pour obtenir le divorce et le droit de garde.

Quand le retour n'est pas volontaire, il est également de notre rôle d'examiner avec les parquets comment on peut essayer d'obtenir le retour des enfants pour appliquer la décision judiciaire qu'il a ordonnée. C'est souvent à ce stade que nous avons quelques soucis.

Dès lors qu'une juridiction a statué définitivement sur le retour d'un enfant, après vérification que celui-ci n'était pas en danger s'il rentrait dans son pays d'origine, nous n'estimons pas avoir un pouvoir d'appréciation sur la décision judiciaire.

M. Michel RISPE : Je précise que Mme Arrighi de Casanova est sous-directrice du droit commercial. Quant à moi, j'ai été nommé récemment à la tête du bureau de l'entraide. J'étais déjà depuis trois ans dans ce bureau mais je m'occupais d'autres secteurs que celui des déplacements d'enfants.

Je donnerai quelques précisions statistiques. De 2000 à 2005, le bureau de l'entraide a enregistré 1 455 dossiers de demandes de retour. À ces dossiers, nous devons ajouter 415 autres dossiers dans lesquels un parent, non gardien, se plaignait d'être privé de relations avec un de ses enfants. Cela fait un total sur six ans de 1 870 dossiers concernant au moins un mineur, parfois plusieurs.

Sur la totalité de ces dossiers, il y a eu, de mémoire de rédacteur, trois cas pour lesquels ont été signalées de possibles appartenances sectaires de la part d'un des parents ou d'un proche. Ces trois cas sont aujourd'hui clôturés, de sorte qu'il n'y a à ce jour aucun dossier ouvert, parmi les quelque cinq cents dossiers en stock, dans lequel il y ait des allégations d'appartenance sectaire.

Je sais que, sur certains médias, on entend dire le contraire mais il n'y a plus actuellement de dossiers pour lesquels le retour n'ait pas eu lieu qui soient suivis par le bureau de l'entraide.

Avec trois cas sur 1 800 dossiers et, actuellement, aucun, le problème sectaire représente donc pour nous un épiphénomène.

Ces trois cas signalés sont bien peu de chose par rapport au nombre de cas d'atteintes sexuelles alléguées. Le garde-fou institué par l'instrument principal, qui est la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, que nous appliquons depuis son entrée en vigueur en France au 1er décembre 1983, est l'article 13 b), qui prend en compte les cas de danger, de « risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique ou, de toute autre matière, ne le place dans une situation intolérable ».380 L'objectif de la Convention est, en effet, de sanctionner une voie de fait - le déplacement illicite d'un enfant - qui est acte d'un parent contre un état de droit. La Convention a pour objet de rétablir cet état de droit en faisant en sorte que l'enfant fasse l'objet le plus vite possible d'un retour devant le juge qui a compétence pour statuer sur son sort et qui est le juge de sa résidence habituelle. La saisine du juge s'opère en urgence. Comme la loi n° 2002-305 relative à l'autorité parentale ne prévoit qu'une seule juridiction par Cour d'appel pour connaître de la demande en retour, il s'agit d'un magistrat spécialisé, et souvent du juge aux affaires familiales, qui est le gardien traditionnel de l'intérêt de l'enfant et qui fait application non seulement de la Convention de la Haye de 1980 mais également des principes internationaux qui découlent de la Convention de New-York relative à la protection des enfants. On peut dès lors penser que le risque grave sera apprécié par le juge s'il lui est indiqué que l'enfant risque de tomber sous l'emprise d'une secte, par exemple, et que le garde-fou conventionnel suffira.

Je précise encore que le mécanisme institué par la Convention de la Haye de 1980 qui s'applique avec soixante pays, la France n'ayant reconnu, parmi les soixante-seize pays adhérents, que soixante pays, est un peu limité au sein de l'espace judiciaire européen compte tenu de l'incidence du règlement communautaire de 2003 appelé Bruxelles II bis. Entré en application le 1er mars 2005, celui-ci limite la portée de l'article 13 en ce que, alors même que l'on a des craintes sur le retour et que l'on constate qu'il peut y avoir un danger, il permet que le retour ait lieu si l'État depuis lequel l'enfant a été déplacé atteste qu'il y a des mesures qui ont été prises pour que, au retour, l'enfant soit pris en charge convenablement de manière à faire disparaître le danger. Ce règlement vient également adapter le mécanisme de la Convention de la Haye de 1980 puisqu'on se trouve dans un espace où la confiance mutuelle est plus forte : ce même règlement donne, en effet, compétence au juge du pays depuis lequel l'enfant a été enlevé pour, quand bien même il y aurait eu un refus de retour, prendre à son tour une décision finale sur le sort de l'enfant qui s'appliquera ensuite dans l'État dans lequel on aura refusé le retour, sans procédure d'exequatur puisqu'il suffit d'un certificat tel que prévu par le règlement pour que cette décision finalement prise par le juge de l'État d'origine s'applique.

La Convention de La Haye de 1980 représente 1 281 des 1 870 dossiers examinés entre 2000 et 2005. Pour l'ensemble de ces dossiers, la France a été requérante pour 784 dossiers et requise pour 497.

M. le Président : Je vous remercie pour cet exposé clair et chiffré. Il suscite quelques interrogations de notre part.

Vous faites état de 1 870 dossiers de demande de retour d'enfants sur une période de six ans, sur lesquels, de mémoire de rédacteur, avez-vous précisé - puisque ce n'est pas une caractéristique retenue par votre direction et sous-direction - il n'y a eu que trois cas liés à une appartenance sectaire. Or, la MIVILUDES nous a remis un récapitulatif des cas de mineurs envoyés à l'étranger entre 2002 et aujourd'hui en relation avec un mouvement sectaire, et leur nombre est bien supérieur à trois. Manifestement, ils ne rentrent pas dans vos statistiques !

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Nous sommes très rarement saisis de ce type de dossiers. D'abord, quand les deux parents sont adeptes de la secte, nous ne sommes pas compétents. Nous ne le sommes que lorsqu'un des parents déplace l'enfant. Ensuite, dans les cas que vous avez évoqués, les parents déposent immédiatement des plaintes pénales. C'est à cet échelon que se traitent ces affaires ; on ne nous saisit pas d'une gentille demande de retour d'enfant sur le fondement d'une convention civile.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous venez de faire une remarque frappée au coin du bon sens : quand les deux parents sont adeptes d'une secte, vous n'êtes pas compétents.

Je vais citer un cas qui me permettra ensuite de raisonner par analogie.

Un proviseur d'un grand lycée parisien apprend que le père et la mère d'une jeune fille mineure préparent l'« exfiltration » de celle-ci vers leur pays d'origine, le Pakistan en l'occurrence, pour la marier. Le proviseur convoque la maman et la jeune fille et reçoit cette dernière dans son bureau, après avoir préparé l'affaire avec le procureur de la République. Une fois la preuve faite que la jeune fille allait être mariée contre son gré, celle-ci a été soustraite d'autorité à ses parents.

Je ne suis pas juriste, à la différence du président de notre commission. Mais, imaginons qu'une association vous signale le départ prévu d'un enfant. Comment cela se passe-t-il dans un cas semblable ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Dans ce cas, on ne fera pas jouer les conventions dont s'occupe la Direction des affaires civiles et du Sceau mais on saisira en urgence le juge des enfants pour qu'il convoque les parents et prenne éventuellement une mesure de placement provisoire. Cette mesure peut être très rapide dès lors qu'on a la preuve que l'enfant est en grand danger.

M. Philippe TOURTELIER : Pouvez-vous nous préciser qui vous saisit d'une affaire et qui aiguille ces personnes vers vous ? Personnellement, avant ce matin, j'ignorais complètement l'existence du bureau de l'entraide civile et commerciale internationale.

Deuxièmement, vous avez cité l'article 13 de la Convention de La Haye qui prend en compte le risque d'un danger physique et psychologique pour l'enfant, qui est l'objet même de notre commission d'enquête. Une fois qu'une saisine du juge est décidée, quelle est la sensibilisation de celui-ci à la problématique sectaire ? Ne s'occupe-t-il pas que des symptômes en ignorant les causes ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Quand l'enfant a été déplacé vers la France, nous sommes saisis, soit par le parent qui est resté dans son pays d'origine, soit, la plupart du temps, par l'autorité centrale désignée par les conventions internationales, c'est-à-dire l'équivalent à l'étranger du bureau de l'entraide.

Comment nous connaît-on ? Il y a des associations qui parlent de notre travail. Nous avons également créé un site internet qui explique bien le rôle du bureau de l'entraide et de la MAMIF. J'ai constaté, l'autre jour, que quand vous faites une recherche en tapant « enlèvement d'enfant » sur Google, vous trouvez notre site en premier ou en deuxième position.

Le mot « enlèvement » n'est pas approprié juridiquement. C'est celui de « déplacement illicite » qui convient. Mais, pour un parent, il s'agit bien d'un enlèvement et c'est pourquoi nous l'avons mis sur internet.

Les personnes sont dirigées vers nous soit par des associations, soit par un avocat, soit par le procureur de la République. Mais nous sommes essentiellement saisis, dans ces cas-là, par l'autorité centrale.

Pour ce qui est de l'appréciation du danger sectaire, je ne voudrais pas parler pour tous les magistrats. En l'état actuel du droit, on ne peut pas simplement dire qu'il y a danger parce qu'il y a secte. La motivation d'un jugement sur un tel raisonnement serait annulée. Il faut caractériser le danger au regard des activités de la secte et de la situation de l'enfant au sein de celle-ci.

Les magistrats sont-ils tous sensibilisés au risque sectaire ? Je pense que le fait que les juridictions ont été spécialisées est déjà une bonne chose pour les déplacements internationaux : nous avons plus de contacts avec eux et il y a des actions de formation. L'appréciation du danger est subjective mais, en général, des enquêtes sociales sont conduites, des renseignements sont pris. Ce n'est pas tellement à notre niveau qu'on nous dit qu'il y a un problème sectaire. Dès lors que la juridiction est saisie, le parent qui a déplacé l'enfant vient en donner les raisons. La plupart du temps, c'est parce qu'il y a des atteintes sexuelles. Nous avons extrêmement peu de cas où l'on nous dit que c'est à cause d'une appartenance à une secte.

M. le Président : Nous entendrons plus tard un ancien juge des enfants, mais auriez-vous une réflexion à faire sur le fameux article 375 du code civil disposant que : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du Ministère public. Le juge peut se saisir d'office à titre exceptionnel. » ? Les mots « à titre exceptionnel » ne peuvent-ils poser un problème?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Dès lors que le juge a connaissance d'un danger grave, qu'il s'agisse d'atteintes sexuelles ou d'appartenance à une secte, je pense que le caractère exceptionnel de son action sera toujours admis. Je ne vois pas une cour d'appel annuler une décision du juge, dès lors qu'elle est très motivée, au motif qu'elle ne serait pas exceptionnelle et qu'il l'aurait fait deux fois dans l'année. Si l'on enlevait le mot « exceptionnel », cela pourrait être vécu comme une atteinte importante aux libertés individuelles et au rôle des parents. Je ne suis pas sûre que ce qualificatif interdise l'action, mais sa disparition entraînerait sans doute des discussions difficiles.

M. Michel RISPE : Je n'ai pas d'opinion à exprimer. La question relève également de la protection judiciaire de la jeunesse.

M. le Président : Nous nous sentons un peu démunis face à cette question. Nous comprenons aussi vos difficultés. Toujours est-il que le problème est bien réel. Le nombre d'enfants que l'un des parents, adepte d'une secte, souhaite soustraire à la garde de l'autre et emmener dans un autre pays n'est pas très élevé mais il n'est pas non plus marginal. Notre système juridique est-il suffisant ? Qu'est-ce qui pourrait être amélioré ? Quelles autres mesures pourrait-on imaginer d'adopter pour mieux parer à ce risque ? En dehors des cas plus graves d'infractions pénales, lorsqu'il y a simplement rupture et envoi d'un enfant à l'étranger ou crainte de l'un des parents, qui s'adresse au JAF - le juge aux affaires familiales - c'est vous qui allez entreprendre les démarches internationales pour le retour de l'enfant.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : C'est vrai, mais, en réalité, ce n'est pas un problème de droit interne. Il arrive souvent que l'enfant sera déplacé vers un pays avec lequel nous ne sommes liés par aucune convention. On essaie, bien évidemment, quand même d'agir. Quand nous sommes informés, nous saisissons le ministère des affaires étrangères et nous mobilisons les consulats. Ces derniers nous apportent beaucoup de soutien.

M. le Président : Ce point est important à relever. Vous n'avez pas parlé de cette action que vous menez par le biais des autorités consulaires dans le pays concerné. La direction des affaires civiles et du Sceau saisit donc les ambassades...

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Quand nous sommes saisis d'un déplacement d'enfant et que nous constatons que nous n'avons pas d'instrument que nous pouvons faire jouer, qu'il n'y a pas de Convention de la Haye ni de convention bilatérale, nous prenons contact avec le ministère des affaires étrangères, lequel actionne ses consulats pour essayer de régler la question sur place, de vérifier où se trouve l'enfant et de faire pression, si possible, pour qu'il soit renvoyé.

M. le Président : Vous passez par le canal de la diplomatie, des rapports d'État à État.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Tout à fait !

M. Philippe TOURTELIER : Avec le Danemark, c'est comme cela que ça se passe ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Non. Avec le Danemark, il y a la Convention de La Haye.

M. Philippe TOURTELIER : Vous nous avez dit tout à l'heure qu'il n'avait pas signé...

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : ...le règlement de Bruxelles II bis.

M. Jean-Pierre BRARD : Quand il existe des conventions, nous pouvons déjà imaginer les difficultés qu'il y a à les faire appliquer. Mais, quand il n'y en a pas, c'est encore plus difficile. Est-ce que vous aboutissez ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Je ne pourrais pas vous donner des statistiques. Je n'en ai pas. Oui, il y a des cas où ça aboutit. Il y a des cas où l'action des consulats permet de faire rentrer l'enfant. Mais c'est souvent long et compliqué.

M. Michel RISPE : Je puis m'efforcer de clarifier un peu les choses de ce point de vue.

Il y a deux éléments à considérer.

Premièrement, il peut y avoir une demande de retour qui passe par le truchement de l'autorité centrale et qui est ensuite confiée à une autorité judiciaire dans le pays où l'enfant a été déplacé. C'est ce que le bureau de l'entraide fait au quotidien : il saisit une autre autorité centrale, laquelle va saisir, dans le cadre d'une convention, une autorité judiciaire pour obtenir le retour de l'enfant. C'est le schéma classique de l'entraide dans le cadre de la Convention de La Haye de 1980 ou d'autres conventions bilatérales qui sont quasi jumelles, notamment avec certains pays du Maghreb.

Deuxièmement, quand il n'y a pas d'instrument conventionnel, la question relève dès lors de la compétence du ministère des affaires étrangères car la direction des affaires civiles et du Sceau, le ministère de la justice et le bureau de l'entraide ne peuvent intervenir que lorsqu'ils sont désignés comme autorité centrale par une convention.

Nous n'en recevons pas moins des demandes et des plaintes. Nous indiquons alors aux personnes qui s'adressent au ministère de la justice que la seule possibilité d'agir, c'est d'essayer, par l'intermédiaire du ministère des affaires étrangères, de poursuivre une action dans le pays où l'enfant a été emmené : ce peut être une action judiciaire, que le ministère des affaires étrangères intente soit tout seul, soit avec l'appui de nos autorités consulaires.

Pour ce qui nous concerne, nous n'avons pas une véritable maîtrise de ces dossiers. Nous connaissons la compétence du ministère des affaires étrangères français et, ensuite, des autorités locales. Le déplacement peut avoir fait également l'objet d'une plainte pénale et, à défaut de convention civile, il peut y avoir une convention pénale. Un juge d'instruction peut aussi être saisi en France et lancer un mandat d'arrêt international.

Donc, bien qu'il n'y ait pas de convention, une action peut être menée, plus ou moins pilotée par le ministère des affaires étrangères, qui va assister le parent victime d'un déplacement d'enfant. Le juge saisi dans le pays du déplacement va apprécier s'il l'est en fonction du droit local. Il peut y avoir un retour judiciaire.

Il y a souvent aussi des retours spontanés parce qu'il existe des éléments de pression, économiques ou familiaux, qui opèrent de façon encore plus efficace qu'une action judiciaire. Dans les pays avec lesquels nous n'avons aucune convention, il peut ainsi y avoir des retours qui ne sont pas de notre fait. Parfois aussi, le déplacement n'est que temporaire.

Il faut savoir que, dès lors qu'il n'y a pas de convention, les dossiers ne sont pas suivis par notre ministère. Donc nous n'avons pas d'autres éléments d'information que ce que les gens ou le ministère des affaires étrangères veulent bien nous donner. Il arrive que nous soyons informés d'un retour un an après.

M. Jean-Pierre BRARD : Qui est informé du retour ? En cas de retour « volontaire », le ministère des affaires étrangères l'est-il plus que le vôtre?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Personne ne l'est !

M. Michel RISPE : On apprend un jour que l'enfant est rentré !

M. Jean-Pierre BRARD : Des enfants disparaissent du territoire national et le ministère de l'intérieur ne se préoccupe pas de savoir s'ils ont été récupérés : ce n'est pas rassurant !

M. le Président : Nous poserons la question au représentant du ministère des affaires étrangères que nous devons entendre la semaine prochaine.

M. Philippe TOURTELIER : Je reviens au cas du Danemark. Des représentants du Bade-Würtemberg nous ont dit que des loisirs étaient organisés en Suisse et au Danemark et que les enfants pouvaient y rester.

Le Danemark a signé la Convention de La Haye, mais pas le règlement européen. Qu'est-ce que cela change dans nos relations avec ce pays sur les types de questions dont nous parlons ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Dans le cas du déplacement d'un enfant du Danemark en France, cela nous permet, contrairement aux autres pays européens, de ne pas reconnaître obligatoirement la décision du juge danois. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, dans le cadre du règlement Bruxelles II bis, dans le cas, par exemple, d'un enfant déplacé d'Allemagne vers la France, c'est le juge allemand qui, en dernier lieu, décidera si cet enfant doit revenir en Allemagne ou pas, et non le juge français. Avec le Danemark, la Convention de La Haye s'applique de façon tout à fait traditionnelle.

M. le Président : Je reviens à nouveau sur l'article 375 du code civil. Ne pourrait-on pas imaginer d'élargir les modes de saisine du juge des enfants aux grands-parents ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Sincèrement, je préférerais que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse se prononce sur cette question. J'ai bien une opinion personnelle mais je risque d'être accusée de prendre un parti que je n'ai pas à prendre au nom de la direction des affaires civiles et du sceau.

M. le Président : Dites-nous votre opinion personnelle!

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Pour avoir été substitut des mineurs pendant un bon moment, je puis témoigner que les grands-parents ont toujours eu une écoute auprès du substitut des mineurs qui saisissait le juge des enfants.

M. le Président : Autant les rajouter dans le texte, alors !

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Si on avait de vrais éléments, oui. Il faut prendre aussi en considération le fait que les relations entre les grands-parents et les gendres et les belles-filles sont parfois difficiles. C'est un point à ne pas négliger. Mais, encore une fois, je vous parle en tant qu'ancien substitut des mineurs, pas en tant que sous-directrice de la Direction des affaires civiles et du sceau !

M. le Président : Si les deux parents sont adeptes d'une secte, les grands-parents ont certainement un rôle à jouer puisqu'ils restent des éléments extérieurs qui peuvent signaler !

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Absolument !

M. le Président : Y a-t-il des procédures initiées au civil par des grands-parents ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Non. De temps en temps, des grands-parents demandent un droit de visite pour un enfant à l'étranger. Nous ne sommes pas vraiment compétents. Mais cela reste assez rare.

M. Michel RISPE : Il faut bien avoir à l'esprit que le mécanisme de la Convention de La Haye de 1980 vise à sanctionner la violation d'un droit de garde. Pour demander une action sur le fondement de cette Convention, il faut être titulaire du droit de garde ou de l'autorité parentale - au sens international, c'est le droit de garde qui est retenu. Le grand-parent qui ne s'est pas vu confier l'exercice de l'autorité parentale ne peut pas agir.

Par ailleurs, et c'est ce qui explique le décalage entre les cas qui ont été portés à votre connaissance et ceux que nous avons enregistrés comme des déplacements d'enfants, la Convention a d'autres limites que celles qui vous ont été indiquées quant à la mécanique du retour. Son champ d'application est circonscrit aux déplacements vieux de moins d'un an d'enfants de moins de seize ans. Elle ne s'applique pas pour les enfants de plus de seize ans et pour un déplacement de plus d'un an.

M. le Président : En vous entendant, nous avons l'impression que nos procédures internationales sont plutôt protectrices. Vous ne sentez pas le besoin d'améliorations ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Nous ne disons pas que tout va bien. Tout ne va pas toujours très bien, car ce n'est pas facile.

M. le Président : Qu'est-ce qui pourrait être amélioré ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Les difficultés apparaissent plutôt dans la pratique. Ce serait mieux, évidemment, si nous avions conclu des conventions avec tous les pays. Cela étant, si nous ne reconnaissons pas systématiquement les pays qui adhèrent à la Convention de La Haye, c'est parce que nous nous renseignons d'abord sur le pays et vérifions si, quand nous voudrons l'appliquer pour nous, c'est-à-dire, renvoyer un enfant dans le pays en question, cet enfant ne sera pas en danger. Si nous avions des conventions, assorties de garanties, avec tous les pays, notre tâche serait évidemment plus facile.

Nous ne disons pas que tout va bien, mais nous nous heurtons plutôt à des problèmes pratiques. Comment, par exemple, faire exécuter de force une décision de justice ordonnant un retour ? Le cas s'est présenté pour plusieurs de nos dossiers difficiles. C'est un vrai souci pour nous.

M. le Président : En tant que parlementaire et ancien magistrat, je suis souvent saisi de situations de ce type. Il arrive qu'un père, par exemple, dont la femme est partie avec les enfants en Espagne ou en Italie chez les Témoins de Jéhovah, vienne se plaindre auprès de moi de ce que le juge auquel il s'est adressé ne veuille rien entendre. C'est une récrimination que nous entendons souvent. Les justiciables reprochent souvent aux juges de ne pas prendre la dimension du problème sectaire et de ne pas suffisamment ordonner des recherches sur le lieu de vie des enfants.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Je ne sais pas quoi dire. Je ne peux pas juger de la façon dont les magistrats réagissent.

M. le Président : Vous parliez de juges spécialisés, tout à l'heure.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : C'est uniquement pour les conventions internationales que nous avons des juges spécialisés.

Les juges aux affaires familiales sont déjà des juges spécialisés. On les spécialise plus pour les conventions internationales. Ensuite, c'est une question de formation.

Encore une fois, en l'état actuel de la juridiction, la simple appartenance à une secte - encore faut-il savoir si c'en est une ou non ; la question s'est posée dans le dernier dossier que nous avons eu à traiter - ne suffit pas à motiver la décision du juge. Il faut caractériser le danger que représente cette secte pour l'enfant en question.

M. le Président : Et si le juge ne sait pas ?...

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Normalement, des enquêtes sociales sont menées J'imagine qu'elles doivent être plus difficiles à réaliser dans certains pays, comme l'Inde, par exemple.

Peut-être faut-il sensibiliser plus les magistrats par la formation continue à l'École normale de la magistrature. Il existe déjà des formations. On peut imaginer que tous les juges aux affaires familiales doivent en suivre une lorsqu'ils prennent leurs fonctions.

M. Jean-Pierre BRARD : Je vais prendre un exemple au hasard : un enfant est emmené en Allemagne par un membre de sa famille Témoins de Jéhovah. Comment allez-vous faire pour diligenter une enquête sociale dans un pays où les Témoins de Jéhovah, parce qu'ils ont été victimes de la répression nazie, ont pignon sur rue ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : C'est pourquoi je disais que le simple fait d'appartenir à une secte ne suffit pas puisque, de toute façon, on ne sait pas définir une secte. En France les Témoins de Jéhovah sont considérés comme une secte, en Allemagne non.

Il faut mener une enquête sociale, non pas dans le but d'établir que l'enfant est dans une secte, mais pour déterminer ses conditions d'existence, la façon dont il est élevé et le milieu dans lequel il évolue et caractériser un éventuel danger.

M. Jean-Pierre BRARD : Permettez-moi une question de pure curiosité. Les États avec lesquels la France n'a pas envie de signer des conventions sont-ils ceux, par exemple, où il y a la peine de mort ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Ce n'est pas le critère principal pour les enfants, a priori.

M. Jean-Pierre BRARD : Je ne parle plus seulement des enfants. Ma question est plus générale, car vous avez excité ma curiosité.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Je ne veux pas non plus me prononcer pour le ministère des affaires étrangères.

Pour que nous soyons liés avec les pays qui ont ratifié la Convention de La Haye, il faut que nous ratifiions leur ratification. Pour cela, le ministère des affaires étrangères procède à une évaluation de la situation du pays. Si on a l'impression que la justice n'y est pas indépendante, s'il n'y a pas de juges des enfants assurant la protection de ces derniers et s'il n'y a pas un système juridique permettant à l'enfant de vivre dans un milieu un peu sécurisé, nous aurons un peu plus de réticences à accepter la ratification par cet État.

M. le Président : Je voudrais soumettre un cas qui s'est déjà posé. Deux parents qui appartiennent à l'organisation Sahaja Yoga envoient leur enfant dans un ashram en Inde pour une période qui peut être longue. Personne ne se plaint puisque les deux parents sont eux-mêmes adeptes. Mais un signalement est fait par un grand-parent qui s'inquiète de ne plus savoir où est son petit-fils ou sa petite-fille. Que devient ce signalement ? Va-t-on vérifier en Inde les conditions d'éducation et la santé de cet enfant, qui est un ressortissant français relevant de l'autorité parentale française ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Je pense que c'est assez difficile...

M. le Président : Cela rejoint sans doute la réponse que vous avez faite tout à l'heure : vous alertez les autorités consulaires.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : C'est différent car, la personne faisant le signalement ne détenant pas l'autorité parentale, ce n'est pas nous qui sommes saisis mais le procureur de la République et le juge des enfants. Or, eux, n'ont pas les moyens d'actionner les consulats. Ils peuvent éventuellement demander une enquête avec obtention de preuves puisqu'on dispose d'instruments internationaux dont s'occupe le même bureau qui permettent de faire faire des enquêtes dans d'autres pays. Mais il faut reconnaître que c'est plus difficile, puisqu'aucun des deux titulaires de l'autorité parentale ne réclame rien.

M. Jean-Pierre BRARD : Si le départ date de plus d'un an, vous ne pouvez plus instrumenter ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Dans ce cas-là, que nous soyons saisis ou non par les détenteurs de l'autorité parentale, nous ne sommes pas compétents.

La Convention de La Haye part du principe qu'un enfant doit rester dans son milieu naturel et ne pas être déplacé de façon violente. Dès lors, s'il a été déplacé, il faut que le parent qui s'en plaint le fasse dans l'année parce que, après un an, l'enfant se sera installé dans un nouvel État et ce sera alors une nouvelle violence de le renvoyer. Nous avons le souci d'agir très vite pour que le mal soit réparé le plus vite possible et qu'il n'y ait pas un autre mal qui s'installe.

M. Jean-Pierre BRARD : C'est le droit à l'oubli pour celui qui a commis la faute !

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Non, ce n'est pas le droit à l'oubli. De toute façon il y aura forcément un juge qui sera saisi, un divorce prononcé. En fait, c'est un problème de compétence du juge : au lieu que ce soit un juge allemand dans le pays dans lequel l'enfant était au départ qui soit saisi, ce sera un juge français, qui peut très bien décider que la garde sera donnée au parent allemand. C'est pour cela qu'on ne parle pas d'enlèvement d'enfant. La plupart du temps, les deux parents ont l'autorité parentale et le déplacement a lieu avant le divorce.

M. Jean-Pierre BRARD : En fin de compte, si on est assez habile pour que rien ne se passe avant un an, on est ensuite tranquille. C'est comme pour les assassins...

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Non. Ce qui est demandé dans la Convention, c'est de saisir la juridiction avant un an. Une fois que l'autorité centrale est saisie, l'affaire poursuit son chemin.

Ce qui est difficile, c'est quand on ne sait pas du tout où est parti le parent avec l'enfant. Mais, en général, il s'agit de couples binationaux dont l'un des conjoints est reparti dans son pays d'origine. Les cas où ils disparaissent complètement dans la nature sont assez rares.

M. le Président : Pour ma part, je retiendrai que, sur six ans, trois cas seulement de déplacements d'enfant liés à des phénomènes sectaires vous ont été signalés.

Nous allons mener une réflexion sur les raisons pour lesquelles l'information ne vous remonte pas.

Madame, Monsieur, nous vous remercions.

Audition de Mme Françoise ANDRO-COHEN
Chargée de formation à l'École nationale de la Magistrature



(Procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Je vous remercie, Madame Andro-Cohen, d'avoir répondu à notre convocation.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

Mme Françoise Andro-Cohen prête serment.

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. le Président : Vous avez la parole, Madame.

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Je souhaite, au cours de cette audition, vous faire part d'une expérience que j'ai eue lorsque j'étais juge des enfants au tribunal pour enfants de Rochefort en Charente-Maritime en 1995. J'avais été saisie par le procureur de la République de la situation de dix-huit mineurs vivant au sein d'une communauté fermée - c'est le terme que j'emploierai concernant cette intervention judiciaire - qualifiée de secte par un rapport des renseignements généraux. Le dossier qui nous avait été transmis en mai 1995 faisait état de risques encourus par les mineurs au sein de cette secte apocalyptique et millénariste, notamment des risques de suicide collectif. Deux ans auparavant, cette secte avait vécu un temps d'apocalypse, qui n'avait heureusement pas abouti à des atteintes aux personnes.

L'appréciation de la notion de danger pour les enfants était complexe car le rapport des renseignements généraux ne faisait à aucun moment mention de l'existence, soit d'abus sexuels, soit de maltraitances graves, soit de négligences qui auraient pu me permettre de caractériser un danger au sens habituel pour un juge des enfants dans le cadre de ses compétences.

Je suis intervenue en novembre 1995. Peu après, eut lieu le suicide collectif du Temple Solaire, ce qui a entraîné une médiatisation très importante de toutes les interventions judiciaires concernant les phénomènes sectaires. Il a donc fallu que je garde la bonne distance vis-à-vis de cette ambiance de manière à pouvoir, en toute sérénité, statuer à la fois sur la qualification du danger et sur les mesures que je devrai prendre à l'égard de ces mineurs.

J'ai eu une approche particulière de doute sur la façon dont j'allais qualifier le danger, c'est-à-dire que je me suis demandé quelles lois j'allais opposer aux croyances et pouvoir évoquer dans mes décisions ? Si j'arrivais à caractériser un danger, quelles lois allais-je évoquer dans ma décision pour rappeler aux membres de la communauté, donc aux parents, les règles et les lois fondamentales concernant les enfants ?

J'ai fait le choix de faire intervenir un tiers, qui était psychosociologue universitaire et psychanalyste, pour être - c'est ainsi que je l'ai appelé - « garant de la bonne distance ». Il travaillait en supervision, en analyse des pratiques, comme cela s'appelle dans le monde du travail social, de manière à me permettre, en ma qualité de juge des enfants, d'approcher de phénomènes fort complexes de la manière la plus distanciée possible et de m'en tenir à un raisonnement juridique qui me permettrait de prendre une décision adaptée et sereine.

Cette expérience s'est révélée tout à fait favorable dans la façon dont j'ai appréhendé ce phénomène.

Je n'avais pas d'autres idées sur les sectes que celles de tout citoyen. Je n'avais jamais travaillé sur ce sujet en particulier ; je ne le souhaitais pas au moment où je suis intervenue. Mais, grâce à ce tiers qui avait pu analyser le rapport des renseignements généraux, j'avais quelques perceptions du fonctionnement intérieur de cette communauté. Nous nous étions rendu compte, avant même que j'intervienne, que le gourou présentait une pathologie paranoïaque et, donc, que tous les adeptes de cette communauté vivraient comme une persécution toute intervention extérieure dès que je les convoquerai ou que je diligenterai des mesures d'investigation. Cela a vraiment été une aide pour l'ensemble des intervenants.

Dans un premier temps, j'ai ordonné des mesures d'investigation. Je dois préciser qu'après le suicide collectif du Temple Solaire, j'ai toujours gardé ce risque à l'esprit, ce qui a été très pesant dans ce dossier.

J'ai choisi de multiplier le nombre non seulement des investigations mais également des intervenants pour réaliser ces investigations au sein d'une même famille. J'ai ordonné, pour tous les enfants, des expertises médicales par des médecins légistes, des expertises psychologiques et des bilans scolaires par l'inspection académique car les enfants n'étaient pas scolarisés à l'extérieur, mais vivaient au sein de la communauté avec l'autorisation de l'inspection académique d'être instruits au sein de celle-ci. J'ai également ordonné une enquête sociale afin de reconstituer l'histoire familiale des parents pour essayer de comprendre pourquoi ils avaient rejoint ce type de communauté.

J'ai multiplié le nombre des psychologues intervenant à l'intérieur d'une même famille lorsqu'il y avait plusieurs enfants, de manière à croiser les regards portés sur eux en ayant plusieurs bilans et ne pas faire porter à chaque intervenant le poids d'une analyse ou d'une conclusion seul face à la communauté.

Lorsque j'ai reçu tous les rapports d'investigation, j'ai réuni l'ensemble des personnes qui étaient intervenues, y compris l'inspecteur d'académie et les inspecteurs qui avaient fait les bilans scolaires. Tous étaient déconcertés par les résultats des bilans. Selon l'inspection nationale, les enfants étaient très polis, plutôt éveillés, gentils, très différents des élèves qu'ils ont quelquefois dans leurs établissements. Les psychologues faisaient état, sauf pour deux des enfants qui avaient des troubles qui, selon les experts, se seraient manifestés hors de la communauté, de bilans psychologiques qui n'étaient pas catastrophiques. Les enquêtes sociales révélaient chez les parents des parcours très complexes, faits de ruptures et de souffrances, avec un apaisement très important lorsqu'ils avaient intégré cette communauté qui, par des réponses magiques, leur permettait de ne plus subir l'angoisse de la vie et de la souffrance. Donc, globalement, les rapports n'étaient pas mauvais.

J'étais très ennuyée. Qualifier un danger, c'était montrer que ces enfants vivaient dans des conditions d'éducation gravement compromises. Or, ce n'était pas le cas.

Cependant, en confrontant les analyses tranche d'âge par tranche d'âge, je voyais apparaître une notion du danger, non pas tant individuellement sur un enfant, mais dans le devenir des enfants. Le juge des enfants est compétent sur la base de l'article 375 du code civil, qui donne une notion jurisprudentielle du danger qui est souple. Il m'appartenait donc de la définir et de la caractériser dans ce dossier.

J'ai fait le choix de définir le danger au regard de la situation de l'enfant et du danger prévisible, ce qui est possible jurisprudentiellement, parce que, si on ne peut pas retenir une notion de danger hypothétique, la Cour de cassation permet de caractériser un danger prévisible.

C'est en effet dans le devenir de l'enfant que j'ai caractérisé le danger : nous les voyions progressivement devenir des adeptes, sans projection aucune sur le monde extérieur ni projet de départ. Au fur et à mesure des entretiens que nous avions avec eux et les éducateurs, ils nous répétaient qu'ils souhaitaient rester au sein de la communauté, qu'ils étaient tout à fait libres de la quitter à tout moment mais qu'ils ne le désiraient pas et ne se posaient aucunement la question de savoir pourquoi il n'en avait pas le désir. Il n'y avait aucune envie exprimée par ces enfants, ces adolescents, de quitter la communauté et de vivre dans une vie sociale.

J'ai entendu tous les enfants individuellement, sauf deux, dont les parents ont refusé. À part ces deux refus, il n'y a pas eu d'opposition aux mesures ordonnées. Tout ce que j'entendais de la part des membres de la communauté et des enfants était que le monde extérieur était extrêmement menaçant, dangereux, violent. Les parents revendiquaient leur liberté philosophique et religieuse et disaient qu'ils avaient fait ce choix pour eux-mêmes et pour leurs enfants parce qu'ils préféraient ce monde-là au monde actuel, entraînant tous les intervenants dans des débats autour de l'inutilité de la vaccination, des avantages de l'alimentation biologique, du respect de la liberté religieuse et de pensée. Chaque intervenant s'est retrouvé face à un paradoxe : alors qu'il se trouvait dans le cadre d'une intervention judiciaire garante des libertés individuelles, il se retrouvait confronté à des revendications de liberté de religion et d'éducation, et se sentait pris au piège.

Par le biais de toutes ces investigations, j'ai pu répertorier un certain nombre d'éléments permettant de définir un danger dans l'absence de projection, étant précisé que, dans cette communauté, les enfants étaient séparés, dès l'âge de six ans de leurs parents. Ces derniers avaient démissionné au profit de la communauté qui prenait les décisions, chaque enfant ayant un référent adulte qui n'était ni son père ni sa mère. Toute manifestation affective était proscrite au sein de la communauté. Les enfants ne sortaient pas, n'étaient inscrits dans aucune activité extérieure de loisir.

Lorsque nous sommes intervenus, ils ont mis en place un certain nombre de réponses adaptées à mon intervention, c'est-à-dire qu'ils ont, petit à petit, envoyé les enfants à la bibliothèque et au centre de loisir faire du poney. Mais nous avons évidemment vérifié : toutes ces initiatives étaient postérieures à mon intervention. D'ailleurs, le seul livre qui ait été retiré à la bibliothèque l'a été par la fille du gourou pendant mon intervention, et c'était le code civil !

J'ai pris le temps de faire toutes les investigations nécessaires. Elles ont duré huit mois. Je voulais rassurer les membres de la communauté sur mes intentions, leur démontrer que je n'avais aucune volonté militante de destruction des sectes, que ce n'était pas le sujet qui me préoccupait, mais que j'étais garante de l'exercice de droit pour les enfants qui étaient des sujets de droit. Il m'a donc fallu définir le cadre législatif et les articles que je pourrais évoquer. Très naturellement et bien que ce soit interdit à l'époque par la jurisprudence, j'ai fait référence à la Convention internationale des droits de l'enfant et, notamment, à ses articles relatifs aux obligations des parents sur les droits fondamentaux et universels des enfants. Je constatais en effet, dans cette communauté, au niveau de la santé, un refus de faire les vaccinations obligatoires et de donner les soins nécessaires. On pratiquait des impositions de mains. Mais, comme il n'y avait pas d'enfants en grande difficulté de santé, je ne pouvais pas caractériser ce fait individuellement.

J'ai donc évoqué les articles principaux de la Convention internationale des droits de l'enfant. La France ayant ratifié la Convention de New York en 1990 et les juges devant s'assurer du respect des droits fondamentaux, je considérais que le cadre législatif était ces droits fondamentaux.

Pendant ce temps d'investigation de huit mois, plusieurs familles sont parties de la communauté. Les parents qui avaient encore quelques notions de leurs droits et obligations à l'égard de leurs enfants, sur lesquels on travaillait en permanence, ont pu quitter cette communauté avec l'aide des éducateurs. J'ai moi-même sollicité toutes les institutions - préfecture, DDASS, renseignements généraux, maire de la commune - pour qu'on puisse leur trouver des lieux d'accueil. Nous avions fait le choix qu'ils ne soient pas éloignés géographiquement de la communauté pour que cela ne ressemble pas à une fuite. La préfecture a déployé un certain nombre d'aides en urgence - prestations familiales, recherche d'emplois, financement de gîtes ruraux à proximité de la communauté - leur permettant de partir sans difficultés et sans culpabilité.

J'ai placé deux jeunes mineurs de dix-sept ans et demi car ils étaient déjà devenus des adeptes. Les deux placements que j'ai faits chez des membres de la famille ont échoué : dès leur majorité, ils sont immédiatement revenus au sein de la communauté.

Cinq familles de cinq enfants ont quitté la communauté, soit pendant la période d'investigation, soit après. Aucun de ceux qui sont partis ne l'avait réintégré à la date où j'ai quitté le tribunal pour enfants de Rochefort. Je n'ai pas vérifié depuis mais je ne pense pas qu'elles y soient revenues.

Ce qui a été très compliqué, c'était, pour chaque intervenant, de sortir du débat éthique dans lequel la communauté l'entraînait sur la question de la liberté et de l'intervention judiciaire. Chacun était englué dans des discussions très complexes. Si l'intervenant - de l'intervenant social au magistrat - n'est pas préparé à ce type d'approche et ne garde pas la distance nécessaire pour lui permettre de s'éloigner de ses fantasmes mêmes sur les communautés fermées des sectes, il ne peut pas y arriver. L'équipe éducative que j'ai mandatée pour intervenir n'a pas réussi le travail que je lui avais demandé parce qu'elle est restée réfractaire au travail de supervision par un tiers et d'analyse de leurs pratiques que j'avais préconisés. Les mesures d'assistance éducative en milieu ouvert ont donc été complexes à exercer.

Toutes les personnes qui sont intervenues et qui ont refusé de travailler dans le cadre de cette supervision permettant de garder la distance nécessaire ont été en grande difficulté psychique interne. L'approche de cet objet singulier qu'est une secte provoque chez l'intervenant une insécurité dans la façon dont il va se comporter parce qu'on est aussi dans le phantasme. Pour moi, seul le raisonnement juridique est garant d'une approche distanciée.

Je suis intimement persuadée qu'il faut intervenir dans ce type de communauté quasiment systématiquement et ordonner des mesures d'investigation pour les enfants qui s'y trouvent. Il y a pour eux un risque majeur de désocialisation, c'est-à-dire qu'ils grandissent sans qu'il y ait, au bout du compte, une liberté de choisir, une liberté de découvrir un autre monde. L'intervention des services éducatifs est, à cet égard, très différente des mesures que nous avons l'habitude d'ordonner. Elle doit se situer dans le témoignage d'un monde qui n'est pas menaçant, d'un ordre social qui existe et d'un ordre juridique qui doit s'appliquer à eux comme aux autres.

C'est une expérience qui m'a beaucoup mobilisée et intéressée. L'approche utilisée à cette occasion doit, de mon point de vue, être appliquée au monde judiciaire dans d'autres domaines et je crois fondamentalement qu'il faut de toute façon des spécialisations pour tous les intervenants.

M. le Président : Je vous remercie pour ce témoignage d'une expérience professionnelle unique.

Vous avez parlé de la spécialisation, qui nous paraît aussi nécessaire. Vous êtes chargée de formation à l'École nationale de la magistrature, et vous allez sans doute nous en dire quelques mots. Mais, puisque vous avez choisi de parler de votre expérience, ce dont je vous remercie, je vais vous poser quelques choses à ce sujet.

Vous avez dit quelque chose qui ne me semble pas être partagé par une grande majorité de magistrats ou de procureurs. Je ne pense pas d'ailleurs que cela fasse l'objet d'une attention aussi importante que celle que vous suggérez. Vous avez dit que vous croyiez à la nécessité d'une intervention systématique du juge des enfants dans ces communautés. Pour vous, à partir du moment où il y a une communauté et qu'il y a des mineurs dans cette communauté, il est légitime que le protecteur des enfants qu'est le juge des enfants aille voir ce qui se passe sans attendre le moindre signalement de danger. Le seul fait d'appartenir à une communauté fermée justifierait, selon vous, une intervention systématique de l'autorité judiciaire ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : L'expérience que j'ai menée concernait une communauté qui ne faisait l'objet d'aucune vigilance sociale. En matière de protection de l'enfance, l'intervention judiciaire est normalement consécutive à des mesures proposées sur un plan administratif et dans le cadre de la mission de protection de l'enfance des conseils généraux. En l'espèce, lorsque nous avons interrogé le service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Charente-Maritime, nous avons appris que les enfants de cette communauté ne faisaient l'objet d'aucun suivi, ni par les services de la protection maternelle et infantile, ni par les services de prévention du conseil général. C'est ce qui a incité le procureur de la République à me saisir, pour que je puisse mener des mesures d'investigation.

Cela étant, à supposer que le service de l'aide sociale à l'enfance et le président du conseil général aient eu la volonté de provoquer une évaluation des mineurs, je ne suis pas sûre qu'ils auraient reçu un avis favorable des membres de la communauté, et, s'ils l'avaient reçu, la question est complexe : si, dans les communautés dans lesquelles on n'a pas de suspicion d'abus sexuel ou de négligences graves mais où l'on déplore juste une désocialisation des enfants, on fait une analyse famille par famille et enfant par enfant, on n'est pas nécessairement en mesure de caractériser un danger puisque je n'ai pu en caractériser un que dans une approche globale des enfants.

Je suis donc amenée à relativiser un peu mon propos. Parce que nous sommes dans un monde social et contractuel avant d'être dans un monde judiciaire et autoritaire, il faut respecter l'ordre d'intervention. C'est aux conseils généraux d'agir dans un premier temps dans le cadre de la mission qu'ils détiennent en matière de protection de l'enfance. Cela étant, si on se heurte à un refus d'intervention à l'intérieur de ces communautés, je pense que les procureurs de la République doivent alors saisir le tribunal pour enfants. Dans l'expérience que j'ai décrite, c'était différent puisqu'il n'y avait eu aucune intervention administrative préalable.

M. le Président : La justice n'interviendrait que subsidiairement à une éventuelle défaillance des services sociaux...

Mme Françoise ANDRO-COHEN : C'est le même principe d'intervention que pour le juge des enfants en général. Ce dernier est garant des libertés individuelles mais il va porter atteinte à celles-ci. Toute intervention de type éducatif et de contractualisation avec les parents est évidemment bien préférable à une judiciarisation, à laquelle je suis en général personnellement opposée, au sein des familles. En revanche, dès qu'il y a refus d'intervention de la part des familles ou acceptation feinte, le procureur est fondé à saisir le juge des enfants et celui-ci à intervenir.

M. Philippe TOURTELIER : Vous avez dit que cinq familles étaient parties de la communauté. Pouvez-vous nous dire combien sont restées et, parmi elles, combien d'enfants ? Y a-t-il un suivi ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : J'ai quitté le tribunal de Rochefort il y a onze ans, mais j'y suis revenue pour rechercher les dossiers. Mon successeur a clos ces mesures un an et demi après. Je n'ai pas eu d'autres informations sur le sort des enfants qui étaient restés, étant précisé que les enfants qui sont partis avec leurs parents étaient les plus jeunes. Ceux qui sont restés sont les adolescents qui étaient déjà devenus des adeptes au sein de la communauté. Lorsque l'intervention judiciaire s'est terminée, on était sur un « noyau dur ».

M. le Président : De quel mouvement s'agissait-il ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : C'était un mouvement dissident du Graal, qui s'appelle « Le Grand Logis », dirigé par un gourou qui était un ancien chercheur au CNRS. J'avais fait le choix de l'entendre en premier. Il avait une fille mineure au sein de la communauté. C'était quelqu'un qui présentait, de mon point de vue - nous n'avons pas pu faire l'expertise car il a refusé - un versant très défensif de type paranoïde, ce qui est classique dans ce genre de communauté.

M. le Président : Nous allons en venir à l'École nationale de la magistrature. Quelle y est exactement votre fonction ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : A l'École nationale de la magistrature, où je suis depuis deux ans, je suis chargée de formation pour la fonction de juge des enfants, c'est-à-dire que je forme les auditeurs de justice dans la phase initiale de formation à cette fonction et, également, en spécialisation pour ceux qui, après leur concours de sortie, ont choisi d'être juge des enfants. Je suis également chargée au sein de l'école de deux autres activités dites transversales qui sont la formation à la dimension relationnelle du juge - la formation à l'entretien, à la prise de parole en public - et sur tout ce qui est de l'ordre des cultures étrangères.

M. le Président : Il y existe une formation au phénomène sectaire d'une semaine. L'avez-vous suivie vous-même ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Je l'ai suivie comme magistrat dans le cadre de la formation continue et ai été sollicitée une année pour y intervenir.

J'ai également travaillé, il y a un an, avec les auditeurs de justice sur la notion de distance pour un magistrat - et pas seulement pour le juge des enfants - dans l'appréciation d'un dossier, notion de distance qui peut être validée pour toutes les fonctions spécialisées. Je les ai fait travailler sur la protection des mineurs et le phénomène sectaire : on a fait intervenir des gens, on a fait un faux procès. Je leur ai demandé de répertorier les pratiques professionnelles des magistrats en France, quelle que soit la fonction occupée : juge d'instruction, JAF, parquet, juge des enfants. Ils les ont réunies dans ce qu'ils ont appelé un guide des bonnes pratiques. Le mot « bonnes » est sans doute de trop. En tout cas, c'est un guide des pratiques en cours dans les juridictions. En France, les magistrats travaillent de façon indépendante, mais aussi quelquefois isolée. Ils initient des pratiques professionnelles qui ne sont pas nécessairement transmises aux collègues et c'est regrettable. L'École essaie de les rassembler.

M. le Président : Vous semble-t-il que l'ENM sensibilise suffisamment les auditeurs de justice lors de la formation continue sur le phénomène sectaire ? Vous avez dit vous-même qu'il faut une spécialisation de tous les intervenants, aussi bien des services sociaux que des magistrats.

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Absolument !

M. le Président : Est-ce que vous jugez la formation proposée suffisante ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Cette formation d'une semaine est trop globale pour être suffisante. En réalité, ce qu'il faudrait, c'est une formation continue à l'initiative de chaque magistrat - elle ne lui serait pas imposée. Le magistrat qui se trouve confronté au traitement de phénomènes sectaires, quelle que soit la place qu'il occupe ou sa fonction, n'est pas obligé de se former. Il faudrait créer, au sein de l'École nationale de la magistrature, sinon un soutien - ce n'est peut-être pas le bon mot - à tout le moins, un lieu de réflexion pour les magistrats qui sont en train de travailler sur des phénomènes sectaires. Cela nécessite une approche différenciée et très distanciée.

M. le Président : Je vais vous soumettre un cas qui mérite d'être souligné. En janvier 2005, une conférence-débat intitulée « Une journée pour la résilience » se tenait dans les locaux de l'École nationale de la magistrature. Au nombre des intervenants, on relève la présence d'un M. Rousseau, vice-président d'une association dénommée Arsinoë. Or cette dernière a été fondée par une psychothérapeute qui pratique le rebirth, technique de soins très contestée en France et interdite aux États-Unis, ainsi que diverses techniques dont l'efficacité thérapeutique peut être discutée : art thérapie, rêve éveillé, sophrologie. Cette association est, par ailleurs, dénoncée comme mouvement à caractère sectaire par le CIPADE, qui est le centre d'information et de prévention sur les psychothérapies abusives et déviantes, dont le président a été auditionné par notre commission. Êtes-vous au courant de ces faits ? De quels moyens disposez-vous pour vérifier les qualités des intervenants qui forment les auditeurs de justice et les magistrats aux divers domaines d'intervention de la psychothérapie ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Je pense que vous faites référence à une conférence dans laquelle M. Cyrulnik est intervenu sur la résilience. Cette conférence était externe à l'École. Les locaux de l'École nationale de la magistrature avaient été prêtés par son directeur, M. Azibert à l'époque, et il n'y avait pas d'auditeurs de justice dans la salle - je puis en témoigner puisque j'avais été chargée d'accueillir M. Cyrulnik -, à moins qu'il y en ait un qui se soit glissé sur un siège libre. Beaucoup de colloques sont organisés au sein de l'École de manière symbolique sans que des auditeurs y assistent puisque ça ne fait pas partie de leur formation. D'ailleurs la conférence a eu lieu en janvier et on n'a pas d'auditeurs de justice à cette époque. Ils arrivent au mois de mai.

M. le Président : Je vous remercie de ces précisions.

L'article 375 du code civil prévoit qu'un certain nombre de personnes peuvent saisir le juge des enfants : le ministère public, les parents, les tuteurs. Mais les grands-parents ne sont pas mentionnés dans cet article et le juge des enfants ne peut se saisir d'office qu'à titre exceptionnel. Avez-vous réfléchi sur ces deux points ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Les grands-parents ne peuvent pas, en effet, saisir directement le juge des enfants. Ils doivent s'adresser au procureur de la République qui, lui-même, procéduralement, pourra saisir le juge des enfants. La plupart du temps, quand les grands-parents écrivent directement au tribunal pour enfants, mes collègues comme moi-même retransmettons le courrier au procureur de la République qui, alors, va formaliser la saisine par une requête directe auprès du juge des enfants.

M. le Président : Ce n'est pas systématique ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Ce n'est pas systématique. Cela va dépendre du juge des enfants. On peut se demander si, compte tenu du lien de parenté et du fait également que les grands-parents sont des obligés alimentaires, on ne pourrait pas leur donner la possibilité de saisir le juge des enfants.

La saisine d'office, c'est permettre à un juge du siège de prendre des décisions attentatoires à la liberté individuelle en se saisissant lui-même. Je suis donc évidemment, en ma qualité de juge du siège, très attentive à cette question, d'autant qu'elle a été utilisée pendant des années : les juges des enfants s'autosaisissaient, et les parquets intervenaient finalement assez peu. En réalité, le parquet constitue un filtre nécessaire avant qu'un juge du siège, qui peut placer un enfant, puisse décider de s'autosaisir dans certaines situations. Je trouve cela personnellement très dangereux pour les libertés individuelles.

En revanche, qu'il puisse s'autosaisir en situation d'urgence, c'est important ; c'est la possibilité laissée par l'article 375 : si le parquet ne peut pas saisir dans l'immédiat le juge des enfants, ce juge, dans l'intérêt de l'enfant et pour assurer sa protection en urgence, peut s'autosaisir.

M. le Président : L'inverse est également vrai : le procureur peut prendre des mesures urgentes en lieu et place du juge des enfants, provisoirement, en attendant que le juge se saisisse de l'affaire.

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Absolument !

Il a le pouvoir de placer un enfant pour une durée de huit jours, étant précisé que, lorsqu'il prend cette décision, elle n'est ni contradictoire ni susceptible d'appel. Lorsque le procureur prend ces décisions, l'enfant est placé sans débat contradictoire puisque ce n'est pas un juge du siège. Nous essayons donc de les limiter au maximum. En tout cas, dans l'enseignement qui est donné à l'École en ce moment, nous insistons sur le fait que les juges des enfants sont garants des libertés et que, à ce titre-là, il faut que le débat contradictoire soit respecté au maximum à l'égard des parents et des enfants.

Dans l'expérience dont je vous ai fait part, il y a eu appel pour certains des dossiers. La cour d'appel avait confirmé les décisions et avait décidé, comme elle le fait habituellement, d'entendre à la fois les parents et les enfants ; un avocat avait été désigné pour l'enfant. C'est un point très important. Personnellement je ne l'avais pas fait et je le regrette beaucoup. Il aurait été tout à fait opportun que l'enfant soit assisté d'un avocat désigné par le juge, de manière à bénéficier des conseils juridiques et d'une voix différente de celle de ses parents. Il faut également inciter les juges des enfants à en faire désigner un systématiquement. Ce peut être aussi un administrateur ad hoc représentant les intérêts de l'enfant. C'est fondamental.

J'avais imposé aux parents de scolariser leurs enfants à l'extérieur, en utilisant la possibilité d'obligation particulière : quand le juge des enfants utilise l'article 375-2, il dit aux parents : « Je vous laisse vos enfants, je les maintiens auprès de vous, sous réserve du respect de telle obligation. » C'est un peu comme un contrôle judiciaire. Les parents ne respectent pas cette obligation particulière, le juge des enfants va placer les enfants. C'est la solution que j'avais choisie pour ordonner des suivis psychologiques avec l'un des enfants. La scolarisation à l'extérieur se faisait en lien avec l'inspection académique. En cour d'appel, cet enfant a confirmé par la voix de son avocat qu'il continuait à être scolarisé à l'extérieur.

M. le Président : Vous nous ouvrez beaucoup de voies de réflexion que nous allons approfondir : question de l'élargissement de l'article 375, nomination d'un avocat ad hoc, formation trop globale qui mériterait d'être affinée. Vous pourriez, puisque vous êtes à l'ENM, en faire la suggestion au directeur.

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Bien sûr ! La formation s'affine d'année en année !

M. le Président : L'école s'adapte à la société qui évolue. Le phénomène sectaire, avant les années 1995, n'était pas véritablement appréhendé par la magistrature. C'est après le suicide collectif du Temple Solaire qu'il y a eu une prise de conscience, et après la première commission d'enquête en 1995. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Mme Françoise ANDRO-COHEN : Non. Je vous ai livré l'essentiel de mes réflexions sur l'expérience que j'ai vécue. Le mode d'intervention que j'ai utilisé me paraît, comme je vous l'ai dit, applicable dans d'autres domaines.

M. le Président : La méthodologie que vous avez utilisée pourrait effectivement inspirer d'autres domaines d'intervention. Je vous remercie, Madame.

Audition de M. Michel HUYETTE, Conseiller délégué
à la protection de l'enfance de la cour d'appel de Bastia



(Procès-verbal de la séance du 12 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Je vous remercie, Monsieur Huyette, d'avoir répondu à notre convocation.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

M. Michel Huyette prête serment.

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Vous avez la parole, monsieur Huyette.

M. Michel HUYETTE : Je vous remercie pour votre invitation. C'est à la fois un plaisir et un honneur d'être entendu par vous.

Tant de choses ont été écrites et dites sur les sectes que je me suis interrogé, lorsqu'on m'a proposé de venir, sur ce que je pourrais bien vous dire que vous ne sachiez déjà. Le sujet m'a tracassé et j'y ai beaucoup réfléchi. Un point m'est alors venu à l'esprit et je me suis rendu compte que c'était un aspect du problème qui me préoccupait depuis maintenant vingt ans que je « baigne » dans la protection de l'enfance, à savoir la question de l'enfermement.

Au préalable, j'attire votre attention sur le fait que, pour le juge - et je vais forcément tenir un discours de juge ou, plus exactement, vous faire part d'une réflexion de magistrat -, la notion de secte n'est pas immédiatement intéressante ni utile. Ce n'est pas une notion juridique et son contenu est relativement indéfini, même si plusieurs rapports ont fixé une série de critères permettant de dire si tel ou tel groupement peut être qualifié de secte. Il ne faut pas oublier non plus que le juge n'intervient que dans des situations individuelles. Donc, la question n'est pas pour nous de savoir si tel individu, tel parent, telle famille appartient à une secte. Cela ne nous mène à rien. Notre préoccupation, c'est de savoir comment se comporte tel parent, individuellement, en couple et avec ses enfants. Il est exclu que nous tirions la moindre conséquence juridique immédiate de la seule appartenance d'une famille à une secte, fût-elle identifiée comme telle par tout le monde. C'est pour cela que la Cour de cassation et, peut-être encore plus, la Cour européenne des droits de l'homme rappellent assez régulièrement aux juges qu'il est exclu de motiver une quelconque décision en mentionnant simplement l'appartenance de parents à une secte. La Cour de cassation l'a rappelé à plusieurs reprises en matière civile à propos du divorce. Elle casse systématiquement les arrêts de cour d'appel dans lesquels, par exemple, il est mentionné en quelques phrases que l'on ne donne par de droit de visite et d'hébergement à l'un des parents au seul motif qu'il appartient à une secte. Le juge doit définir des comportements particuliers. L'appartenance à une secte n'est pas en soi un élément qui permet de tirer des conséquences.

Nous, magistrats, ne traitons que des situations individuelles. D'ailleurs, à supposer même que nous soyons d'accord pour considérer que telle famille appartient à une secte identifiée comme telle, nous sommes obligés de penser que, d'un individu à l'autre à l'intérieur d'une même secte, le comportement peut être sensiblement différent. Deux parents appartenant à la même secte n'auront pas forcément la même attitude en tant qu'adultes ni vis-à-vis de leurs enfants. Encore une fois, il nous faut aborder des cas particuliers.

Ce dont on vous a sans doute déjà parlé, et ce dont nous, magistrats, devons nous méfier par-dessus tout, notamment en France qui, heureusement, est une démocratie où les droits fondamentaux sont inscrits dans le marbre, c'est que, lorsque l'on réfléchit uniquement autour de la notion de secte, le raisonnement télescope immédiatement les notions de liberté de pensée, de liberté religieuse, etc., et l'on se retrouve sur un terrain extrêmement mouvant.

Étant entendu que ma préoccupation de juge, ce sont les situations individuelles, ce qui m'intéresse dans le cadre de l'audition d'aujourd'hui, c'est la façon dont des enfants grandissent au milieu d'un groupe que l'on peut éventuellement appeler secte. J'utiliserai quand même le mot ce matin par facilité de langage.

Seconde remarque préalable : j'ai constaté que, lorsque l'on aborde la problématique des sectes, la plupart du temps les professionnels - magistrats, parlementaires et autres - s'intéressent à l'aspect pénal. Dans certaines sectes, il y a eu des problèmes de violences, de défauts de soins, de refus de vaccinations, d'abus sexuels, voire de proxénétisme, tous actes relevant du droit pénal. On en discute depuis des années, ce qui est tout à fait légitime. Puisque je m'adresse aujourd'hui à des parlementaires, je puis indiquer que la législation pénale française actuelle me semble amplement suffisante pour répondre à la totalité des situations qui peuvent se produire dans les sectes. Au droit pénal des adultes et au droit pénal particulier pour la protection des mineurs - figurant dans la section 5 du chapitre VII intitulée « De la mise en péril des mineurs » -, vous avez ajouté en juin 2001 une loi, qui est, elle aussi, uniquement pénale, dans l'optique d'une intervention contre les sectes. A chaque fois que l'on raisonne sur la dangerosité des sectes, on a tendance à le faire en termes de droit pénal. Cela me semble utile, et même indispensable, mais c'est aussi trompeur parce que je ne suis pas sûr - et cela va être le cœur de mon propos ce matin - que l'essentiel soit là. En 2006, la difficulté essentielle s'agissant de la situation des enfants, c'est la question de l'enfermement.

Pourquoi vais-je centrer mon propos sur cette notion ?

D'abord parce que, dans le compte rendu - que j'ai trouvé sur Internet - de la séance publique du 28 juin 2006 au cours de laquelle vous avez débattu de l'opportunité de créer la présente commission d'enquête, on trouve le mot « enfermement » deux fois, dans deux interventions. L'une de vos inquiétudes concernait donc cette notion, ce qui rejoint ma préoccupation. Or le droit pénal ne répond pas à la question de l'enfermement des mineurs.

Soyons clairs. De quoi parlons-nous ? L'enfermement des mineurs, c'est le fait, pour un certain nombre d'enfants, de se trouver, de par la situation de leurs parents, à l'intérieur d'un périmètre géographique, plus ou moins vaste, dont ils ne sortent pas. J'ouvre à ce sujet une petite parenthèse. Le mot « secte » ne recouvre pas toutes les problématiques : il y a parfois - j'en ai croisés - des petits groupes qui se créent, et même des familles qui vivent un peu à la façon d'une secte du point de vue du fonctionnement psychologique ou mental. Je les englobe dans la définition de l'enfermement : c'est l'ensemble des situations dans lesquelles des mineurs restent dans leur famille et n'en sortent jamais, y compris - et c'est sur ce point que je vais particulièrement insister - pour aller à l'école. Pour moi, c'est le problème clé aujourd'hui. Quand je parle d'enfermement, c'est à cette notion-là que je fais référence ; je pense que c'est celle que vous aviez à l'esprit lors de l'examen de la proposition de résolution tendant à la création de votre commission, si j'en juge par son compte rendu. Pour faire simple, c'est le fait que des mineurs n'aient pas de contact avec l'extérieur.

Vous ne trouverez pas grand-chose dans le code pénal qui vous permette de répondre à cette situation-là. Ce n'est pas une infraction pénale. Or un grand nombre d'enfants -plusieurs centaines, si ce n'est plusieurs milliers - se trouvent dans cette situation.

Les questions qui se posent autour de cette notion d'enfermement sont les suivantes. Puisque cela semble préoccuper jusqu'aux parlementaires, quelle est la mesure de cette préoccupation ? Comment déterminer si cet enfermement est dangereux ou non pour les mineurs? Plus important, est-il acceptable ou inacceptable? Cette dernière question sera le point de départ de ma réflexion. Soit l'enfermement est acceptable, et il n'y a plus rien à dire. Soit il est inacceptable, et, alors, comment faire pour revenir à une situation acceptable ? Vous verrez que la conclusion est un peu étonnante car, à la manière d'un boomerang, la balle reviendra dans votre camp.

Qu'est-ce que j'ai constaté ? Toutes mes années consacrées à la protection des mineurs m'ont fait croiser un certain nombre de familles appartenant à des sectes identifiées ou à des groupes fonctionnant comme des sectes à l'intérieur desquels les mineurs ne sortaient pas.

Une première remarque : on lit, dans un certain nombre de rapports, que l'une des particularités des sectes est le cloisonnement intellectuel des individus, l'endoctrinement, l'absence totale d'ouverture d'esprit. On peut se demander si c'est vrai. Il faut toujours vérifier. Le juge est quelqu'un qui doute de tout par principe. Je peux témoigner que c'est une réalité. Il est assez stupéfiant d'avoir en face de soi, comme j'en ai eu dans mon bureau, des adultes complètement imbriqués dans leur doctrine et sans aucune capacité critique par rapport à leurs propres conceptions. Quoi que vous leur disiez, quelle que soit la façon dont vous abordez la question sur telle ou telle attitude éducative, ils restent complètement hermétiques. Vous pensez parfois avancer un argument avec lequel ils auront du mal à ne pas être d'accord, mais tout glisse.

Ce qui est vrai aussi - et je l'ai constaté -, c'est l'enfermement intellectuel des enfants. J'ai été témoin de choses véritablement surréalistes. Je prendrai un exemple qui m'a marqué alors que j'étais juge des enfants débutant et qui symbolise bien le phénomène. J'ai eu affaire un jour à un couple qui s'était séparé. La mère était encore à l'intérieur d'un groupe qualifié de secte alors que le père en était sorti. La mère, qui ne voulait pas que l'enfant sorte et ait un droit de visite et d'hébergement chez le père, avait développé un certain nombre d'arguments pour s'y opposer. En tant que juge des enfants, j'ai reçu l'enfant pour voir s'il était perturbé. J'ai demandé au petit garçon qui avait neuf ans, donc un âge où l'on peut s'exprimer : « Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? » Il m'a répondu : « Moi, je ne veux pas aller chez mon père! » Je lui ai demandé pourquoi. Et cet enfant - c'était il y a plus de quinze ans mais je m'en souviens comme si c'était hier - m'a rétorqué, en me regardant droit dans les yeux, sans hésitation ni clignement de sourcils : « Si je vais chez mon père qui est agriculteur, je sais qu'il va me proposer d'aller sur son tracteur dans les champs, et son objectif, c'est de me tuer avec son tracteur. » Nous avions des informations sur le père : il n'a jamais eu l'intention de tuer son fils avec son tracteur. Cet exemple est intéressant car il montre à quel point les enfants sont perméables à ce que peuvent leur dire les adultes quand ils ne sortent pas du périmètre du groupe et à quel point des adultes peuvent mettre dans l'esprit de leurs enfants des idées farfelues. Le phénomène d'enfermement des enfants est vraiment préoccupant.

M. le Président : Excusez-moi de vous interrompre. Quelle décision avez-vous prise concernant cet enfant ?

M. Michel HUYETTE : Dans cette affaire, il y avait une procédure engagée par le juge aux affaires familiales pour un dossier d'hébergement. En tant que juge des enfants, j'ai estimé qu'il fallait impérativement que cet enfant sorte du périmètre du groupe. J'ai donc rapidement pris une décision de placement que j'ai motivée non pas tant par les attitudes éducatives de la mère qui, par ailleurs, le nourrissait et le vêtait, mais par le fait que cet enfant, parce qu'il était soumis à une pression psychologique et intellectuelle de la part de sa mère, était en danger au sens du droit français. La mère étant imperméable à tout ce que pouvait lui dire une personne extérieure, elle n'était pas en mesure de changer son comportement ; il n'y avait pas d'autre solution, pour protéger cet enfant, que de l'en éloigner.

Je pensais pouvoir argumenter et montrer à cette femme qu'elle donnait des idées fausses à son fils mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, tout ce que je lui disais glissait complètement. Ça n'a pas d'impact. Dans ce cas-là, la seule solution, c'est de sortir le mineur du groupe.

M. le Président : Pourquoi l'avoir placé chez un tiers ou dans un établissement au lieu de le confier au père ?

M. Michel HUYETTE : Le juge des enfants ne confie un mineur à un père que lorsque celui-ci demande que la résidence soit fixée chez lui. Or il y a un certain nombre de pères, dans les affaires de divorce, qui viennent nous dire que l'enfant n'est pas bien chez la mère mais qui, pour des raisons qui leur sont propres - remariage, absence de souhait d'élever en permanence l'enfant, souci d'emploi, ou nouveau conjoint qui ne le veut pas - ne le revendiquent pas. Il n'est pas toujours possible, lorsque l'on fait quitter le domicile d'un des parents à un enfant, de le confier à l'autre.

Poussons plus loin notre analyse. Qu'est-ce que l'enfermement ? C'est le fait que des enfants n'ont aucun contact avec la vie sociale extérieure. Cela paraît surréaliste en 2006 en France ! Cela signifie que, une fois devenus adultes, ces enfants, parce qu'ils ne connaîtront rien de la vie en dehors du groupe, n'auront aucune possibilité de choisir d'être menuisier, informaticien, violoniste dans un orchestre symphonique, député, magistrat, ou que sais-je encore ?

Il y a eu, il y a quelques années, une émission à la télévision sur les sectes qui était très révélatrice. Elle réunissait des membres de différentes sectes, des avocats qui les défendaient et une jeune femme qui avait réussi à en sortir une fois devenue adulte. Malheureusement le débat après le reportage n'a porté que sur des coups de règle qui étaient donnés dans une secte. J'étais assez abasourdi de voir qu'à la télévision on puisse parler pendant une demi-heure pour savoir si les coups de règle sont ou non autorisés. A un moment donné, le journaliste a donné la parole à la jeune femme et celle-ci a dit - ça m'avait profondément marqué - : « Oh, moi je n'avais pas de souci à l'intérieur de la secte mais, quand j'ai pu en sortir, j'étais dans l'impossibilité de m'insérer. D'abord, j'avais raté le bac, et puis je ne savais pas comment me débrouiller à l'extérieur. » L'émission a passé deux secondes sur son témoignage et est revenue sur les coups de règle. Pourtant l'important était ce que cette jeune femme, en quelques phrases, avait dit de l'enfermement : cette méconnaissance complète de la vie extérieure et, à supposer que l'adepte en sorte, une immense difficulté pour s'insérer dans le monde dans lequel nous vivons.

Ce phénomène d'enfermement a été dénoncé à différentes reprises. Il semblerait qu'il vous préoccupe puisque, dans les travaux préparatoires à la constitution de votre commission, le mot est, comme je l'ai déjà dit, mentionné deux fois. Il revient en permanence dans différents rapports de la MIVILUDES, ex MILS, aux côtés des termes «embrigadement » et « endoctrinement ».

La question que je me pose et que je suis venu vous poser, puisque le législateur, c'est vous, est la suivante : cet enfermement que tout le monde semble a priori dénoncer, est-il aujourd'hui acceptable ou inacceptable ? Raisonnons par étapes.

De deux choses l'une. Ou il est acceptable, et le raisonnement s'arrête là. Mais, alors, pourquoi le dénoncer ? Il y a là une certaine contradiction. Soit on tolère et on ne dénonce pas, soit on dénonce et on ne tolère pas. Ou il est inacceptable, et alors, que faire pour que ces enfants ne soient plus enfermés dans ces sectes ? Je ne parle même pas de l'endoctrinement dont ces enfants font l'objet du fait des théories véhiculées par les parents. La transmission d'un certain nombre de doctrines peut, en effet, être, elle aussi, perturbatrice. Mais je m'en tiens à l'enfermement.

Je vais vous parler de mon expérience personnelle en tant que juge. J'ai reçu plusieurs fois dans mon bureau des gens qui enfermaient leurs enfants chez eux. A chaque fois, je faisais valoir qu'un tel mode de vie était inacceptable à notre époque, que les enfants avaient le droit d'avoir une vie sociale, que le fait de ne rien connaître du monde extérieur les empêcherait de s'y insérer plus tard, qu'il n'était pas bon qu'ils vivent en monde clos. Que me répondaient ces parents ? Que j'étais bien gentil de leur dire tout cela, mais qu'ils avaient le droit de garder leurs enfants chez eux. Et de me sortir leur joker, qui est toujours le même dans ce genre de situation : le droit à l'instruction à domicile prévu dans le code de l'éducation381. La loi, élaborée par le législateur, c'est-à-dire par vous, prévoit en effet que l'instruction peut être donnée, soit dans une école publique, soit dans une école privée, soit à domicile. Qu'est-ce que je peux répondre à cela en tant que juge? Je ne vais pas leur dire que la loi est sotte ou que je suis contre son application.

De sorte qu'à la question : « Pourquoi y a-t-il, en 2006, autant de mineurs enfermés dans des sectes? », on peut donner comme première réponse : « Parce que vous le permettez » ! Le droit à l'instruction à domicile est l'outil juridique qui autorise les parents à enfermer leurs enfants. Le juge ne peut pas lutter. Il se trouve devant une situation, qui, personnellement, me déconcerte, car permise, en définitive, par la loi française.

Je suis complètement coincé en tant que juge. Je ne peux tout de même pas écrire dans un jugement : « Attendu que le législateur a estimé que les parents avaient le droit d'instruire leurs enfants à domicile ; attendu que, ce faisant, il a commis une erreur ; par ces motifs place... » !

Qui plus est, ce droit d'instruire à domicile est totalement discrétionnaire dans la loi française. En tant que citoyen, j'ai tendance à penser qu'on peut admettre son intérêt dans certains cas d'exception, mais le législateur aurait pu, sinon donner une liste limitative des cas dans lesquels ce droit peut s'appliquer - parce qu'il se trouve toujours des petits malins pour trouver un énième cas qui n'entre pas dans le cadre de la loi - mais en fixer les conditions générales.

Dans le cas d'un enseignement à domicile, la législation française prévoit au moins un contrôle de l'éducation nationale382. Mais il ne s'agit que d'un contrôle du contenu des connaissances requis par les élèves, lequel est fixé par décret, c'est-à-dire des connaissances en mathématiques, en histoire, en géographie. Or, là n'est pas le problème.

Le problème, pour les enfants qui vivent dans une secte, c'est que leurs parents leur disent tous les jours, comme je l'ai entendu de mes propres oreilles, que, s'ils les gardent à la maison, c'est parce que le monde extérieur est monstrueux et nocif. Cela signifie que, même quand ils seront adultes, ils n'en sortiront pas. Il est écrit dans les rapports, que certaines sectes prévoient même, une fois le cursus scolaire terminé, que les enfants devenus adultes continuent à travailler dans le périmètre de la secte. Il n'y a plus aucune échappatoire. On voit bien que le problème n'est pas leur niveau en mathématiques, en histoire ou en géographie. Il y a des enfants dans nos collègues et nos cours privés qui sont moyennement bons en maths. Le problème, c'est de savoir si ces enfants qui n'ont aucune connaissance de l'extérieur ont le droit ou non de sortir ?

L'un des axes de notre réflexion doit donc porter sur la raison d'être en 2006 du droit discrétionnaire à l'instruction à domicile figurant dans la législation française.

Le second axe de réflexion pour le juge, pour le juriste, ce sont les droits des enfants, qui sont fixés dans de nombreux textes français et internationaux : droit à la liberté de pensée, droit à l'instruction, à la connaissance, droit de trouver un emploi... Les enfants qui sont enfermés dans des sectes sont complètement privés de l'ensemble de ces droits. Il faut toujours penser à éviter le piège qui consiste à prendre position sur les valeurs doctrinales et pédagogiques défendues par les parents. Il faut toujours raisonner en termes d'enfermement. Lorsqu'ils sont enfermés, les enfants sont privés du droit de vivre comme les autres. En faisant une analyse plus juridique et en s'interrogeant sur le droit à l'instruction à domicile, on peut même affirmer que l'enfermement des mineurs à l'intérieur du périmètre d'une secte bafoue complètement tous leurs droits.

Là encore, raisonnons.

Si l'on reconnaît des droits à l'enfant, il faut s'interroger sur le fait que ceux-ci sont contrecarrés par d'autres droits, ici ceux des parents, et, partant, sur la hiérarchie entre ces droits. Le droit de l'enfant à une vie sociale, à une vie en société est-il plus important ou moins important que le droit que le législateur a accordé il y a quelques années aux parents d'instruire à domicile ? C'est à vous, législateur, d'établir la hiérarchie des normes. Moi, je ne fais que constater ce qu'il en est dans la réalité, pour avoir eu dans mon bureau des parents dont les enfants étaient complètement enfermés qui me disaient : « Nous avons le droit ! » Tant que la législation sera ainsi faite, nous serons, nous, juges, complètement privés de moyens d'intervention, à moins de plaquer des positions de valeur. Mais le rôle du juge en France n'est certainement pas de faire prévaloir ses positions personnelles dans ce genre de situation.

Donc, question numéro un : d'où vient ce droit à l'instruction à domicile ? Question numéro deux : est-ce que ce droit contrecarre les droits des enfants ? Cela serait, vous l'avouerez, paradoxal dans un pays comme la France où - c'est une chance, et c'est en partie grâce au législateur que vous êtes - la législation relative aux droits des enfants est la plus étoffée. A ce propos, ne faites pas, s'il vous plaît, d'autres lois sur le sujet. Nous avons tout ce qu'il nous faut !

Je reviens au paradoxe que j'ai soulevé : on ne peut pas, d'un côté, critiquer l'enfermement et, de l'autre, laisser perdurer un système juridique qui encourage cet enfermement. Il y a là une contradiction majeure.

On en arrive même à des situations tout à fait cocasses. J'ai cherché, pour nourrir ma réflexion sur le sujet, de la documentation sur l'enfermement dont je vais vous citer quelques exemples.

Je citerai d'abord une dépêche AFP de mars 2006 sur une secte anglaise qui s'appelle The Explosive Britain, qui est un peu la cousine de Tabitha's Place implantée dans le sud de la France. Première ligne : « L'enseignement dispensé par la secte The Explosive Britain a fait l'objet de louanges dans les derniers rapports annuels de l'organisme public de contrôle des établissements scolaires ». Deuxième ligne : « L'enseignement dans ces écoles, prodigué la plupart du temps par des enseignants expérimentés, est de qualité. » Conclusion de l'éducation nationale anglaise : en maths, en histoire, en géographie, les enfants sont bons. Phrases suivantes : « Les quarante-trois écoles gérées par The Explosive Britain interdisent pourtant à leurs 1 400 élèves toute utilisation des ordinateurs, de l'internet, de même que tout recours aux journaux, à la radio, à la télévision, au téléphone. Les membres de cette secte n'ont pas le droit d'avoir des amis hors du mouvement et, en général, ils travaillent plus tard dans les entreprises gérées par la secte. Selon les préceptes de ces écoles, les élèves ne doivent pas aller à l'université car celle-ci est trop cosmopolite. » Autrement dit, l'avenir des jeunes est de rester enfermés toute leur vie dans la secte ! Dans la même dépêche, on vante la qualité de l'enseignement puis on signale un enfermement catastrophique...

Je citerai également, parce qu'on y trouve la même contradiction, les pages 83 et 84 du rapport de la MIVILUDES de 2003 consacrées à Tabitha's Place, secte installée dans le sud de la France. Il y est indiqué que « Cette communauté très mouvante, composée de 150 personnes - dont 50 enfants et nourrissons -, vit de la production artisanale de chaussures, de vêtements et de mobilier vendus sur les marchés et les foires » et que ce mouvement fondamentaliste « a fréquemment attiré l'attention des autorités judiciaires et administratives ». Les deux pages relatent les soucis de l'éducation nationale pour contrôler le niveau scolaire des enfants : ses représentants se sont rendus sur place, n'ont pas réussi à voir tous les enfants tout de suite, ont dû faire pression pour y retourner, et ont fini, après de longs échanges, par trouver un certain accord avec les membres de la secte pour que des conditions d'éducation acceptables puissent être assurées aux enfants par le biais du contrôle des connaissances. Toutes ces négociations pour réussir à faire accepter par ces parents que l'éducation nationale vienne contrôler les connaissances en mathématiques, en histoire, en géographie !

Entre deux tentatives de contrôle, on trouve, au milieu de la page 83, une phrase dans laquelle il est indiqué que « les entretiens menés par les psychologues scolaires mettaient en évidence que le repli sur le groupe communautaire était préjudiciable au développement de la personnalité des enfants par manque d'ouverture culturelle et de stimulations sociales. » On permet que des enfants soient enfermés, d'un œil, on contrôle le niveau de connaissance en mathématiques, en histoire, en géographique, et on se masque l'autre pour surtout ne pas voir la question de l'enfermement. C'est ce que je déduis de ma lecture du rapport de la MIVILUDES.

J'ai lu tous les rapports de la mission interministérielle depuis sa création sous le nom de MILS jusqu'à aujourd'hui. On y trouve toujours la même chose.

Page 82 du même rapport, on peut lire : « L'isolement psychologique des jeunes auxquels les adultes imposent un mode de vie sectaire est insuffisamment perçu et pris en charge. Si la notion d'enfermement paraît évidente dans les communautés closes, elle n'est pas à négliger dans d'autres groupes plus ouverts sur le monde. Les éducateurs et les psychologues scolaires connaissent les troubles du comportement que peuvent présenter ces enfants qui ne sont pas toujours intégrés à toutes les activités du groupe. » A côté de cela, quel poids peut avoir le contrôle des connaissances en mathématiques, en histoire, en géographie ? C'est enfants sont complètement enfermés !

Comment conclure cette analyse ? En disant que c'est vous, législateurs, qui, de toute façon, avez le dernier mot.

Soit vous concluez que, pour préoccupant qu'il soit, l'enfermement des enfants dans les sectes n'est pas inacceptable, et on s'arrête là. On peut très bien imaginer qu'un argumentaire intellectuel puisse conduire à cette conclusion. Je suis curieux de le lire, mais pourquoi pas ? Mais, à ce moment-là - pardonnez-moi d'être un peu abrupt, mais je sais qu'à l'Assemblée nationale, il y a toujours une grande liberté de pensée - ne dites plus à la tribune que l'enfermement vous dérange !

Soit vous concluez que cet enfermement est inacceptable, et alors, qu'est-ce qu'on fait ?

Il y a deux options.

La première est de céder à la tentation habituelle de renvoyer la décision aux juges. Ma collègue, Madame Françoise Andro-Cohen, a dû vous parler de l'assistance éducative. Est-ce qu'on saisit le juge des enfants ? Comme je vous l'ai dit, c'est un puits sans fond. A supposer qu'il n'y ait pas de maltraitances et que l'enfant soit bon en maths, qu'est-ce que le juge peut faire ?

La seconde option, et c'est celle qui semblerait logique si vous estimez que l'enfermement est inacceptable - elle permettrait d'ailleurs de faire sortir tous les enfants des sectes du jour au lendemain, et les psychologues ne s'interrogeraient plus ! -, c'est de changer une phrase dans un certain article du code de l'éducation : au lieu de faire de l'instruction à domicile un droit discrétionnaire, vous la soumettriez à l'autorisation de l'éducation nationale en fixant des critères limitatifs. Ils sont ce qu'ils sont, mais ils auraient le mérite d'exister. Je pense qu'il est des cas - problèmes de santé, configurations familiales particulières - pour lesquels l'instruction à domicile est utile. Mais, en dehors de ces cas, qu'est-ce qui justifie aujourd'hui le droit d'instruire à la maison ?

Replongez-vous dans les derniers rapports de la MIVILUDES. La préoccupation majeure aujourd'hui, c'est la construction d'écoles par les sectes. Petit à petit, ces enfants vont être enfermés dans des établissements d'éducation hors contrat. Ce n'est pas le problème du hors-contrat. En tant que citoyen et en tant que juge, peu m'importe que l'établissement soit public, privé, sous contrat ou hors contrat. Le problème, c'est que l'enfant reste enfermé au sein d'un même périmètre. J'ai croisé le chemin de la secte Sahaja Yoga. Ce fut une expérience humaine et juridique extraordinaire. Ces parents qui envoyaient leurs enfants en Inde à Dharamsala dans une école sur les contreforts de l'Himalaya étaient tout à fait étonnants. Mais que les enfants soient enfermés dans une école de l'Himalaya ou de Tabitha's Place dans les Pyrénées, c'est le même enfermement. Le problème, c'est que ces enfants ne connaissent rien du monde extérieur et ne peuvent pas s'y adapter. Ils sont soumis en permanence à une seule et unique doctrine.

Lors de l'examen, au mois de juin, de la proposition de résolution tendant à la création de votre commission, l'un d'entre vous a employé cette expression, que je trouve très belle, de « citoyen libre ». Elle a du sens pour moi. Être un citoyen libre, c'est avoir le choix. J'ai moi-même des enfants et quand, bien qu'ils soient encore jeunes, je leur parle de religion ou de politique, je termine toujours en précisant que ce que je viens de leur dire, c'est ce que je pense mais qu'il est important qu'ils se fassent leur propre opinion, en confrontant différents avis. Dans les sectes, les enfants sont soumis à la doctrine de leurs parents. Qu'est-ce qui leur est interdit ? D'entendre d'autres enfants leur dire : « Tiens, mes parents pensent différemment ! » C'est le début d'un véritable drame personnel pour ces enfants-là. Bien qu'il soit dénoncé partout, je ne suis pas encore complètement certain que tout le monde soit convaincu que l'enfermement soit un drame pour les enfants.

Et je repasse par la case départ : si l'enfermement est un drame, enlevez aux sectes le droit d'enfermer des enfants !

Voilà ce sur quoi je voulais attirer votre attention. En vingt ans de pratique dans la protection des mineurs, le pénal ne m'a jamais paru poser de difficultés. Ponctuellement, on dénonce des cas. J'étais à Grenoble au moment du jugement concernant la communauté Horus et j'ai vu cette femme qui ne voulait entendre parler ni de vaccins ni de soins. Elle m'a paru encore plus « déjantée » que dangereuse. Et pourtant, le médecin a dit que le petit garçon hurlait de douleur à l'hôpital. C'était insupportable. De tels cas sont vite repérables, de même que l'opposition des Témoins de Jéhovah aux transfusions.

Le problème, je le répète, c'est l'enfermement des mineurs. Or, l'on ne peut pas lutter contre celui-ci par le biais de mesures de protection sociale, car c'est un problème de loi. Et, la loi, c'est vous, les législateurs. Nous, les juges, nous sommes désarmés.

J'accepterais difficilement que l'on renvoie la balle au juge des enfants en lui disant : « débrouillez-vous pour faire quelque chose pour ces enfants ! » Ce ne serait pas opportun et ce serait difficile à mettre en place. Ce serait également une manière de se défausser et cela ne changerait rien à la réalité juridique. Je le répète - pardonnez-moi de l'avoir martelé tout au long de mon propos mais cela me semble tellement important ! -, c'est la loi française qui permet à tous ces parents d'enfermer provisoirement ou définitivement leurs enfants.

M. le Président : Pourriez-vous nous préciser l'incidence d'un certain nombre de textes sur la lutte contre cet enfermement que vous dénoncez ? En particulier, pouvez-vous nous parler de la convention de New York et de son applicabilité dans notre droit interne ? Il y a eu une décision de la Cour de cassation en 2005 à ce sujet. Pouvez-vous nous en parler ?

Par ailleurs, le code de l'éducation définit le contenu des connaissances requis des enfants relevant de l'obligation scolaire qui reçoivent une instruction dans leur famille ou dans les classes des établissements d'enseignement privés hors contrat. En particulier, il est écrit, à l'article D. 131-15 que « l'enfant doit acquérir les principes, notions et connaissances qu'exige l'exercice de la citoyenneté, dans le respect des droits de la personne humaine définis dans le Préambule de la Constitution de la République française, la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention internationale des droits de l'enfant, ce qui implique la formation du jugement par l'exercice de l'esprit critique et la pratique de l'argumentation. »

M. Michel HUYETTE : Vous voyez bien qu'il y a une contradiction entre le fait d'offrir la possibilité d'instruire à domicile et le respect des exigences que vous venez de rappeler. C'est ce qui explique les difficultés rencontrées par l'éducation nationale pour contrôler l'instruction dans la secte Tabitha's Place, laquelle, d'après ce que j'en ai lu dans le rapport de la MIVILUDES de 2005, m'apparaît dangereuse.

On permet l'enfermement, puis on demande de contrôler. Or, il est beaucoup plus difficile de faire sortir un enfant du périmètre d'une secte que de veiller à ce qu'il n'y rentre pas.

Puisque, dans la même loi, il y a le droit d'instruire dans un périmètre clos, cela signifie forcément que l'exercice des droits civiques dont il est question ensuite ne sera pas assuré - du fait même du droit accordé avant. Sinon, c'est qu'il y a un vice fondamental dans la loi. Cela voudrait dire que le droit à l'instruction à domicile n'est pas incompatible, a priori, avec le droit à la citoyenneté. Or, à l'évidence, il l'est. Cela caractérise parfaitement l'ambiguïté que je dénonce.

M. le Président : Vous nous dites que l'article D.131-15 est vidé de sa substance par le fait que l'enfant est enfermé dans un système...

M. Jacques MYARD : Je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt, monsieur Huyette, mais je suis en désaccord avec l'analyse juridique que vous menez. Claude Bernard avait coutume de dire : « Tout est poison, rien n'est poison. Tout est affaire de mesure. »

En l'occurrence, il n'y a pas de hiérarchie dans le code de l'éducation entre l'article que vous avez cité et celui qu'a rappelé M. le Président. C'est la combinaison des deux qui doit donner le résultat, et il vous appartient à vous, juge, de dire : « Écoutez, c'est bien gentil, mais ce gosse, il doit sortir ! »

J'ajoute, et vous le savez aussi bien que moi, que les dispositions du code civil relatives au mariage dont le maire doit donner lecture se sont enrichies d'un article qui, même s'il est mal « fagoté » sur le plan de la langue, n'en rappelle pas moins aux futurs parents que l'autorité parentale a pour finalité l'intérêt de l'enfant. Or, « l'intérêt de l'enfant » s'apprécie en fonction de l'époque à laquelle on vit et, aujourd'hui, il y a effectivement Internet et la télévision. Il vous appartient, à vous, juge, parce que le législateur vous en a donné les moyens, de dire : « Peut-être que votre enfant a le droit d'être instruit chez vous, mais il doit sortir et avoir des contacts avec autrui ». C'est ça la réalité et je suis un peu frappé de votre pusillanimité.

M. Michel HUYETTE : Ce que vous dites n'est pas possible. La scolarité, c'est cinq jours par semaine, de huit heures du matin jusqu'à six heures du soir. L'essentiel du temps des enfants est consacré à l'école à l'intérieur de la secte. Je vais répondre d'une façon un peu caricaturale, excusez-moi, mais votre intervention m'y pousse. En tant que juge, est-ce que je peux dire aux parents : « Vous avez certes le droit d'instruire votre enfant à domicile, mais je vous impose, le samedi et le dimanche, de prendre votre voiture et de vous rendre dans un parc... »

M. Jacques MYARD : Ce n'est pas seulement cela !

M. Michel HUYETTE : « ...pour lui faire faire du vélo et prendre l'air » ? Comment pouvez-vous imaginer un seul instant qu'un juge puisse écrive dans un jugement : « Ordonne à M. et Mme X d'aller le dimanche faire un tour au parc » ?

M. Jacques MYARD : Ce n'est pas cela que vous allez dire. Vous allez faire valoir que cet enfant doit avoir d'autres lieux d'inspiration.

M. Michel HUYETTE : Lesquels ?

M. Jacques MYARD : L'enfant a le droit d'avoir des contacts avec des associations autres que celles qu'on lui impose. Qu'est-ce qui vous empêche de le dire ? Si jamais il y a contestation, le juge du fond confirmera.

M. Michel HUYETTE : Envisage-t-on sérieusement que, moi, juge, je dise comment les parents doivent éduquer leurs enfants ! Vous parlez de contacts avec des associations. Avec quelle association vais-je les obliger à prendre contact ? Faudra-t-il que je la choisisse moi-même ?

Si je leur dis que le cinéma favorise l'ouverture d'esprit et que je leur impose d'y aller, il se peut que vous contestiez mon choix. Qu'est-ce que je vais leur imposer ? D'aller à la bibliothèque ? Je ne vais pas tout de même pas écrire dans un jugement qu'il faut qu'ils aillent à la bibliothèque ! Ni quels livres ils doivent lire !

M. Jacques MYARD : Non, mais vous allez imposer d'autres sources d'activité pour les sortir de leur enfermement.

Si l'on suit votre logique, est-ce que vous voyez ce que cela signifie pour le législateur ? Il va être obligé de lisser les obligations de ce qu'est une éducation. Or, cela dépend du lieu, du moment et d'un certain nombre de catégories. On n'en sort pas !

Quelles sont les plus belles lois de la République ? Ce sont celles qui posent des principes, et qui ont été digérées de manière intelligente par la société et par le juge en particulier.

Vous nous rendez responsables d'une impossibilité d'agir résultant d'un article de loi et nous demandez de faire comme au niveau européen où on nous enferme dans des règlements et des directives multidétaillées. Il me semble que vous disposez des outils nécessaires vous permettant de dire : « Ce gosse est enfermé. Vous allez le sortir et prendre contact avec tel type d'associations. » Je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas le faire !

M. Michel HUYETTE : Vous ne trouverez aucun juge en France pour dire qu'un enfant X doit faire telle activité dans telle association !

M. Jacques MYARD : Alors, c'est insoluble !

M. Michel HUYETTE : Ce n'est pas du tout insoluble.

Ce que vous dites est très intéressant car vous nous mettez au cœur de la contradiction que je dénonçais. En tant que juge et en tant que citoyen qui a des enfants, c'est pour moi une question de hiérarchie des normes. C'est vrai que c'est certainement une déformation de juriste.

M. Jacques MYARD : Il n'y a pas de hiérarchie, là !

M. Michel HUYETTE : Au sein de cette commission, vous réfléchissez sur les droits de l'enfant. Vous n'y êtes pas obligés. La loi française et les conventions internationales l'ont fait. Si vous le faites, il y a bien une raison.

Vous dénoncez l'enfermement des mineurs à l'intérieur des sectes. On sent que cela vous préoccupe et on croit comprendre que vous n'êtes pas loin de penser que c'est dangereux.

Il ne s'agit pas - pardonnez-moi d'être un peu abrupt - de faire du rafistolage le dimanche après-midi alors que, du lundi matin jusqu'au vendredi soir, comme je l'ai entendu dans la bouche de parents qui appartenaient à Sahaja Yoga, il est répété constamment aux enfants que le monde extérieur est mauvais, nocif et que le seul endroit où l'on est bien, c'est à l'intérieur de la secte. Imaginons que je leur impose de sortir dix minutes le samedi, cela ne changera rien à leur endoctrinement. La seule façon pour qu'un enfant arrive à la citoyenneté dont parlait M. Georges Fenech, c'est d'être en permanence confrontés à une pluralité d'opinions. Lorsque, au repas de midi, le parent que je suis répond à mon enfant qui me demande ce que c'est que la droite et la gauche et veut savoir ce que, personnellement, je pense, je le lui dis mais je termine toujours mon explication par : « Demande aussi aux parents de tes copains et compare. »

Il faut que la contradiction existe en permanence. C'est cela, être citoyen. Il est complètement illusoire et même à des années lumière de la réalité d'imaginer qu'une sortie de quelques heures le week-end compensera un enfermement d'une semaine. Vous n'avez pas idée des doctrines véhiculées à Sahaja Yoga ou à Tabitha's Place ! Si moi ou le juge du coin leur disons que nous allons rendre une décision leur imposant d'aller le dimanche après-midi, de quatorze heures à dix-huit heures, à la bibliothèque, d'abord, nous allons nous ridiculiser et, ensuite, cela ne servira à rien.

M. Jacques MYARD : Vous pouvez quand même ordonner d'autres choses que la lecture à la bibliothèque ! N'exagérez pas. Vous pouvez exiger des fréquentations de tant d'heures par semaine dans des associations.

M. Michel HUYETTE : Prenez le catalogue des associations dans une ville, vous en trouverez plus de cent !

M. le Président : Votre dialogue, vif mais très intéressant, nous renvoie à une problématique qu'on retrouve ailleurs : les rapports entre le législateur et le magistrat qui applique la loi élaborée par le premier. Ils se renvoient souvent la balle.

Vous dites, monsieur Huyette, que l'enfermement résulte de la liberté laissée aux familles d'enseigner à domicile et qu'il suffirait de changer la loi pour lutter efficacement contre ce phénomène. La loi que nous avons votée en 1998 et le décret qui a été pris en 1999 permettent pourtant à l'inspecteur d'académie d'aller faire des contrôles, notamment, comme je l'ai indiqué, sur « l'éveil à la citoyenneté ». Si l'inspecteur d'académie constate que cette exigence n'est pas respectée, il peut enjoindre la scolarisation dans un établissement, avec des sanctions à la clé si les parents refusent. Qu'est-ce qui interdit juridiquement à un procureur de saisir un juge des enfants de faire application de ces dispositions pour considérer qu'il y a danger et ordonner l'instruction dans un établissement ?

M. Michel HUYETTE : Nous sommes là au cœur du débat. Dans l'absolu, l'article 375 du code civil,qui définit largement le danger,permet tout à fait au juge des enfants de dire qu'un enfant enfermé est en danger et, partant, d'intervenir. Je l'ai fait à plusieurs reprises. L'enfermement de mineurs dans des sectes est nocif, d'une part, parce qu'ils ne sortent pas et, d'autre part, parce que les parents sont complètement imperméables à tout dialogue, au point même de refuser des demi-mesures. Il m'est arrivé je ne sais combien de fois d'en proposer mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, il est étonnant de voir à quel point ces parents sont fermés à tout argumentaire.

Cela étant, il y a deux méthodologies. Supposons que l'on sache qu'à tel endroit, il y a un certain nombre d'enfants qui vivent mal. Pourquoi lancer des procédures au cas par cas qui vont nécessiter, pour chacune d'entre elles, le déclenchement de toute la procédure - juge des enfants, Cour d'appel, Cour de cassation, avocats, débats - si nous sommes tous d'accord au départ, vous et nous, pour considérer que c'est inacceptable ? Pourquoi laisser ces situations s'installer en connaissance de cause ?

M. le Président : Une ordonnance de placement provisoire se prend en une heure !

M. Michel HUYETTE : Oui, mais le juge des enfants doit la confirmer par un jugement.

M. le Président : En attendant, la mesure provisoire conservatoire est prise !

M. Michel HUYETTE : Mais ce n'est pas ça qui m'intéresse aujourd'hui. Je veux attirer votre attention sur le fait qu'on laisse se créer une situation que, collectivement, on qualifie de dangereuse et qu'on essaie ensuite d'y remédier. Si l'on accepte l'idée, comme je le disais tout à l'heure, que l'enfermement d'enfants soumis à une doctrine très particulière est dangereux, ne serait-il pas plus simple de faire en sorte que ces communautés fermées ne puissent pas se créer ?

Vous n'allez pas laisser construire une maison avec du mauvais ciment et demander ensuite aux maçons, pendant des années, de la replâtrer! Moi j'ai envie de dire : faisons du ciment de qualité tout de suite !

Bien sûr, on peut replâtrer. Actuellement, vous nous demandez d'aller réparer les dégâts, de jouer en quelque sorte les plombiers. Dans notre cas, cela suppose procédures judiciaires, attente, discussions, placements judiciaires...

M. Jacques MYARD : La lettre de cachet va plus vite, je suis d'accord !

M. Michel HUYETTE : Il faut voir ce que c'est! Quand les parents sont hermétiques, on envoie la gendarmerie. J'ai assisté à une telle intervention récemment : la gendarmerie arrive avec les pompiers, casse la fenêtre, la mère fait un malaise, on embarque les enfants...

On marche sur la tête. Nous sommes tous d'accord pour dire que cette situation est inacceptable et on nous demande d'engager des procédures judiciaires, de batailler, d'envoyer la police, la gendarmerie, de faire des interventions complètement traumatisantes. Il suffirait de ne pas laisser ces situations se créer. Je ne comprends pas votre logique.

Pour répondre précisément à votre question : oui, en tant que juge des enfants, je peux intervenir mais, d'une part, je trouve cela incompréhensible et, d'autre part, c'est désastreux. C'est ajouter un désastre à un premier désastre.

M. le Président : Vous êtes en train de nous dire que le législateur se défausse un peu sur le juge, qu'il répare les dégâts à sa place.

Comment verriez-vous le texte que vous nous suggérez de voter ? Quelles sont les conditions générales de l'enseignement à domicile ?

M. Michel HUYETTE : J'avoue que je n'ai jamais envisagé d'instruire mes enfants chez moi. Je n'ai donc pas réfléchi personnellement à la question.

En 2006, quelles situations concrètes peuvent justifier d'instruire à domicile ? Deux exemples me viennent à l'esprit. Nous avons un couple d'amis franco-américains qui travaillent l'été en Corse et sont en vacances l'hiver. Ils vont alors aux Etats-Unis pour rencontrer la famille de la maman et instruisent alors leurs enfants à domicile. Ces derniers sont les plus éveillés de leur classe car ils ont une bonne connaissance des deux milieux. Permettre l'instruction à domicile dans de tels cas est utile. Il y a également le cas d'enfants handicapés ne pouvant pas être pris en charge à l'école.

Mais quel est l'intérêt d'autoriser des membres de Tabitha's Place à instruire leurs enfants au sein de la secte? Personnellement, je n'en vois aucun. Si cela présentait des avantages contrebalancés seulement par quelques inconvénients, je comprendrais. Mais, quand vous écrivez dans les rapports de la MIVILUDES et que vous dites à la tribune que l'enfermement est insupportable, j'ai l'impression que personne ne voit d'intérêt à ce que ces enfants soient instruits à l'intérieur de la secte. La solution me paraît dès lors simple : ne faites plus de l'instruction à domicile un droit discrétionnaire des parents. Inversez le raisonnement : la règle serait de scolariser les enfants à l'extérieur dans une optique de citoyenneté afin qu'ils deviennent, pour reprendre l'expression, que je trouve vraiment très belle, des « citoyens libres ».

M. Jacques MYARD : C'est un pléonasme !

M. Michel HUYETTE : L'éducation nationale pourrait, par dérogation, dans certains cas exceptionnels - fixés soit par le législateur, soit par le Gouvernement -, la question restant - je la pose à nouveau car je n'ai entendu ni lu de réponse nulle part : socialement, notre société a-t-elle un intérêt à laisser des sectes enfermer des enfants dans leurs murs pour les instruire ?

M. Jacques MYARD : Il peut effectivement y avoir, entre les principes et la pratique, un hiatus. La solution ne serait-elle pas de dire que tout enseignement à domicile doit faire l'objet d'une déclaration préalable ?

M. Michel HUYETTE : C'est déjà le cas dans la législation française actuelle : il faut faire une déclaration au maire la première année, et ensuite une tous les deux ans, avec contrôle de l'éducation nationale.

M. Jacques MYARD : C'est là qu'on devrait quand même pouvoir intervenir, car il y a des cas où l'instruction à domicile s'impose. De toute façon, vous n'éviterez pas les interventions de la police et de la gendarmerie, parce que nous sommes dans un pays du contradictoire.

M. Michel HUYETTE : Si. La secte Tabitha's Place envisage la construction d'une école car elle sait que le droit français de 2006 lui donne le droit d'y maintenir ses enfants. Ce serait tout différent si la secte était obligée de demander, avant de construire une école, si, a priori l'éducation nationale l'autorisera par la suite à conserver les enfants au sein de celle-ci. L'enfermement, en effet, ne concerne pas uniquement l'instruction chez les parents.

M. le Président : Pour appuyer la remarque de M. Jacques Myard, je rappelle les termes de l'article L. 131-10 du code de l'éducation : « Les enfants soumis à l'obligation scolaire qui reçoivent l'instruction dans leur famille sont, dès la première année et tous les deux ans, l'objet d'une enquête de la mairie compétente, uniquement aux fins d'établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables, et s'il leur est donné une instruction dans la mesure compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. Le résultat de cette enquête est communiqué à l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale. Lorsque l'enquête n'a pas été effectuée, elle est diligentée par le représentant de l'État dans le département. » Ces textes existent. Vous pouvez, vous aussi, dans une ordonnance, les rappeler.

M. Michel HUYETTE : Monsieur le président, nous sommes entre gens intelligents; nous pouvons tout nous dire aujourd'hui. On peut construire intellectuellement tout ce que l'on veut, mais comment voulez-vous que, dans le concret, moi juge, je détermine ce qu'est la citoyenneté. Dans telle ville de province, un juge dira que ça va jusqu'à telles obligations. Son collègue de Strasbourg, lui, estimera que l'éveil à la citoyenneté est assuré par quelques heures de sortie. Comment voulez-vous que nous raisonnions? Nous ne savons pas, en tant que juges, ce que c'est que la citoyenneté. Personnellement, la notion de « citoyen libre » me plaît bien mais, en tant que juge, je ne sais pas ce que c'est.

Je l'ai déjà dit : en tant que juge, je suis particulièrement respectueux de la loi. Or, sauf à mal la lire, je considère que le législateur qui a autorisé l'instruction à domicile savait ce qu'il faisait. Je ne dis pas qu'il a mal fait ou bien fait. Je dis simplement qu'il savait que l'instruction à domicile signifiait au moins cinq jours par semaine à la maison. A quoi peut bien servir, dans ces conditions, d'imposer une sortie par semaine ?

M. le Président : Je vais pousser le raisonnement un peu plus loin, pour vous rejoindre sur votre terrain. Vous dites que ce qu'il faut, c'est lutter contre l'enfermement, et nous sommes tous d'accord sur ce point. Mais l'enfermement n'est pas seulement géographique, il peut être aussi doctrinal. Admettons que nous inversions les principes concernant l'enseignement dans les familles, vous ne réglerez pas le problème des enfants de Témoins de Jéhovah, par exemple, qui sont instruits dans les écoles de la République mais qui ont un grave problème d'endoctrinement. Comment allez-vous faire, vous, magistrat, protecteur de la jeunesse, pour lutter contre cet enfermement doctrinal ?

M. Michel HUYETTE : Je vais vous répondre de deux façons.

La première sera sous forme de boutade mais, comme vous allez le voir, de boutade dramatique. Il y a quelques années, des parents confient leurs enfants à un organisme pour un stage de voile en Bretagne. Survient une tempête. Le responsable de l'organisme, pour des raisons morales, maintient la sortie. Les enfants meurent. Entendus par des journalistes, les parents disent : « On ne pouvait rien y faire ; c'est le destin ! » Tout le monde trouve insupportable que des enfants soient menés par un tel enseignement rigide. Qui étaient le responsable et les animateurs de l'organisme ? Des catholiques intégristes !

M. Jacques MYARD : Il y a des cons partout !

M. Michel HUYETTE : C'est plus sérieux que cela ! En tant que juge, je ne suis pas chargé de faire la morale. J'ai écrit plusieurs articles sur les sectes et la protection des mineurs et, dans l'un, j'aborde cette question-là. Oui, nous intervenons quand, au niveau doctrinal, il y a des excès manifestes. Chez Raël, il est écrit parfois, en des termes à peine mesurés, que, sous couvert d'épanouissement sexuel, on peut se tripoter entre adultes et enfants. Cela me suffit en tant que juge pour sanctionner. Mais, après, pour ce qui est des croyances, nous ne pouvons pas nous en sortir. Certains vont croire blanc, d'autres vont croire noir, certains en un dieu, d'autres en des divinités. Certains vont faire « Aum ! Aum ! » dans une pièce. D'autres vont aller le dimanche dans une église et balancer de la fumée sur les autres. Quelles sont les bonnes et les mauvaises croyances ?

Sauf excès manifeste ou danger pour l'intégrité physique des mineurs, nous ne pouvons rien faire. Il existe un piège dans lequel nous pouvons tous tomber - et les sectes sont très au fait de cela et nous le tendent fréquemment -, c'est de commencer à débattre des croyances. C'est pourquoi, à propos des Témoins de Jéhovah - la Cour européenne des droits de l'homme le répète à chaque occasion et je l'ai dit dans mon paragraphe introductif -, il n'est pas question qu'un juge français motive une sanction par le seul fait d'appartenir à une secte.

M. Jacques MYARD : C'est la troisième commission d'enquête qui se réunit sur les sectes. Nous n'avons jamais été capables de définir ce qu'est vraiment une secte. Nous n'en parlons jamais. Nous ne pouvons que réaffirmer des droits et prévoir des sanctions s'il y a une atteinte à ces droits. C'est tout !

M. le Président : Vous n'avez pas complètement répondu à ma question, monsieur Huyette. Face aux milliers d'enfants de Témoins de Jéhovah qui sont éduqués dans l'apocalypse et n'ont aucun contact en dehors de l'école avec des petits camarades extérieurs au mouvement - ce qui pose également un problème d'enfermement - que pouvez-vous faire ?

M. Michel HUYETTE : A ce niveau-là, rien! Nous ne vivons pas dans un monde idéal. Si nous regardons ce qui se passe en dehors des sectes, ce n'est pas mieux. Soyons aussi raisonnables : les viols, les agressions sexuelles ne sont pas l'apanage des sectes. Cela peut se passer chez tout le monde, chez notre voisin, chez notre cousin. Ne nous trompons pas d'objectif !

En tant que citoyen, j'aurais éventuellement mon idée sur les doctrines véhiculées par les sectes, mais qui ne présente aucun intérêt. En tant que juge, ce n'est pas mon rôle - et je ne sais pas si c'est le vôtre - de dire en 2006 s'il est bon ou nuisible de croire en l'Apocalypse. Certains ont bien dit que, il y a 2 000 ans, quelqu'un aurait marché sur l'eau...

Pour être plus sérieux, ce n'est pas aujourd'hui la préoccupation essentielle. Je disais tout à l'heure qu'il y avait une hiérarchie des normes. Il faut aussi en revenir à une hiérarchie des préoccupations. L'enfermement doctrinal n'est pas du tout la priorité aujourd'hui. Ce n'est pas ça qui me préoccupe de ce que j'ai vu sur le terrain.

L'enfant de huit ans qui est complètement enfermé ne va pas forcément me parler de l'apocalypse mais, lorsqu'on va lui parler de métier plus tard, il ne comprendra pas parce qu'il ne pourra pas aller à l'université. Les enfants qui restent enfermés dans les sectes n'ont aucune chance de poursuivre un cursus professionnel.

M. le Président : En tout cas, nous retiendrons de votre intervention, qui est fondée sur une vingtaine d'années d'expérience comme juge des enfants et, aujourd'hui, comme conseiller délégué à la protection de l'enfance de la cour d'appel de Bastia, que vous invitez notre commission d'enquête et, à travers elle, la représentation nationale, à réfléchir sur l'élaboration d'un certain nombre de critères en ce qui concerne l'instruction dans les familles afin de limiter davantage les risques d'enfermement physique et psychologique des enfants.

M. Michel HUYETTE : Absolument ! La législation actuelle est, en effet, l'instrument juridique utilisé par les sectes pour garder leurs enfants dans leurs murs. Elles nous l'opposent constamment et, pour les questions de droit, elles sont très fortes car elles s'entourent des services d'une batterie d'avocats.

Si je peux prendre encore une minute de votre temps, j'en donnerai un nouvel exemple. Un juge des enfants ayant commis l'erreur de dire, dans un jugement, à propos d'enfants de Témoins de Jéhovah confiés à la DDASS, qu'un enfant confié à une famille d'accueil n'aurait pas le droit d'aller aux réunions des Témoins de Jéhovah, j'ai reçu dans mon bureau un maman qui n'avait pas le sou, mais qui était accompagnée de deux avocats parisiens...

C'est une citadelle à escalader, et l'on ne peut pas l'escalader de tous les côtés. C'est pourquoi j'ai dit qu'il ne fallait pas se faire d'illusions sur la doctrine. Si nous voulons être efficaces, nous devons nous concentrer sur les préoccupations majeures et ne pas vouloir tout prendre en charge. Sinon on se perd dans les méandres du droit à la conscience, du droit à l'éducation ou du droit à la religion, et c'est un chemin qui n'a pas d'issue.

Sur l'enfermement, la citoyenneté, les droits des mineurs tels que définis dans les textes, l'ouverture d'esprit, le droit la formation professionnelle, en revanche, on peut discuter, car nous avons un argumentaire très solide en France aujourd'hui.

M. le Président : Pouvez-vous nous confirmer l'applicabilité de la convention de New York depuis un arrêt de la cour de cassation ?

M. Michel HUYETTE : Oui. Il n'y a plus de problème en droit français aujourd'hui.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur Huyette.

Audition de Mme Françoise LE BIHAN,
directrice adjointe du service des Français à l'étranger et des étrangers en France (DFAE),
au Ministère des Affaires étrangères



(Procès-verbal de la séance du 17 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Nous accueillons Mme Françoise Le Bihan, directrice adjointe du service des Français à l'étranger et des étrangers en France, au Ministère des Affaires étrangères.

M. le Président : Je vous remercie, Mme Françoise Le Bihan, d'avoir répondu à notre convocation.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Françoise Le Bihan prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Mme Françoise LE BIHAN : Notre service est en charge de tout ce qui concerne la protection consulaire des Français à l'étranger, donc des enfants. Aussi est-ce dans l'ensemble du périmètre de nos actions que j'ai recherché celles qui pouvaient intéresser votre mission. Pour cela, j'ai distingué les déplacements illicites d'enfants, les mariages forcés qui peuvent concerner les mineurs, l'aide que nous sommes amenés à apporter aux enfants français en détresse résidant à l'étranger. Dans ce vaste ensemble, je n'ai trouvé trace que de deux cas présentant un lien avec le comportement sectaire : le premier, qui se situe au Canada et qui a défrayé la chronique est celui de Mme Getliffe et de ses enfants, le second, pour lequel je ne souhaite pas donner de nom, concerne le père d'un d'enfants que sa mère a emmené en Suisse, où il est victime d'une secte qui pratique l'instinctothérapie.

Bien évidemment, ce n'est pas à nous qu'il appartient de décider si les mouvements concernés sont des sectes : notre action découle simplement de la plainte d'un parent qui a ainsi placé l'affaire dans les mains de la justice.

M. le Président : Vous n'avez pas été saisie de signalements d'enfants déplacés dans des ashrams en Inde ?

Mme Françoise LE BIHAN : Non. Pour l'ensemble des deux services qui composent notre direction, dont l'un s'intéresse à la mise en jeu des conventions de coopération judiciaire et l'autre à la stricte protection consulaire, il n'y a pas eu d'autre cas que les deux que je viens de citer.

M. le Président : Vous ne tenez pas de statistiques sur le nombre de familles françaises résidant à l'étranger et appartenant à des mouvements à caractère sectaire ?

Mme Françoise LE BIHAN : Non, et je ne sais pas si nous en aurions le droit.

M. le Président : Y a-t-il, au sein des consulats, une sensibilisation au phénomène sectaire, voire une spécialisation ?

Mme Françoise LE BIHAN : Il n'y a pas de spécialisation, mais une sensibilisation générale à la protection des mineurs. Les agents savent qu'il leur appartient de vérifier si l'enfant est bien traité, s'il est scolarisé. S'ils ont connaissance de faits précis et non de simples rumeurs, ils sont appelés à les signaler à l'administration centrale.

M. le Président : Votre direction n'a pas été saisie d'affaires mettant en cause des parents divorcés avec des enfants déplacés à l'étranger.

Mme Françoise LE BIHAN : À ce titre, les deux seuls dossiers concernant des dérives sectaires sont ceux dont je vous ai parlé.

Mais j'ai demandé à mon administration de faire des recherches sur l'ensemble des dossiers, et nous nous sommes particulièrement intéressés aux mariages : si nous avons connaissance d'un certain nombre de cas de mariages forcés de mineurs, aucun lien avec les sectes n'a été établi. Nous avons enregistré quelques succès grâce aux interventions des consulats qui sont parvenus à faire rapatrier les mineurs dont nous avions eu connaissance du départ à l'étranger en vue de leur mariage. Mais il semble qu'il faille ici davantage parler de pressions familiales et religieuses et de dérives culturelles plutôt que sectaires.

De même, si nous intervenons souvent dans le cadre de l'aide sociale aux Français à l'étranger pour soutenir des enfants en difficulté, en aidant à leur scolarisation dans les établissements du réseau de l'AEFE ou en leur fournissant des soins de santé, aucun cas de détresse ne nous a été signalé comme étant lié à une dérive sectaire.

M. le Président : Vous avez fait allusion à une affaire mettant en cause l'instinctothérapie. Un homme du sud-est de la France accuse son ex-compagne de nationalité suisse d'avoir enlevé son enfant pour pouvoir continuer à le soumettre à cette pratique, qui a été classée comme sectaire par la précédente commission d'enquête et qui préconise un régime alimentaire potentiellement dangereux. Selon nos dernières informations, l'affaire devait passer en audience le 24 mai dernier devant le tribunal de Baden en Suisse.

Je rappelle que le gourou de cette secte, Guy-Claude Burger, a été condamné le 24 juillet 2003 à quinze ans de réclusion criminelle pour viol, viol aggravé et corruption de mineurs.

Mme Françoise LE BIHAN : J'ai des informations plus récentes : le 28 août dernier, en appel, la juridiction suisse a ordonné le retour de l'enfant en France. Mais, à ma connaissance, cette décision, dont j'ignore les attendus, n'a pas encore été suivie d'effet.

M. le Président : Dans de telles affaires, seul le ministère des affaires étrangères, par l'intermédiaire des consulats, est en mesure d'assurer la protection des mineurs qui ont quitté le territoire national et qui ne bénéficient donc plus de la même protection statutaire qu'en France.

Compte tenu du nombre d'éléments qui ont déjà été portés à notre connaissance en ce qui concerne les enfants de parents divorcés, nous sommes quelque peu surpris que vous disposiez d'aussi peu d'informations. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Mme Françoise LE BIHAN : Peut-être l'aspect sectaire n'a-t-il pas été mis en avant dans les autres affaires parce que nous avons un bien plus grand nombre de dossiers relatifs à des enlèvements d'enfants.

M. le Président : Il n'existe pas non plus de statistiques sur les enlèvements d'enfants, avec d'éventuelles implications sectaires ?

Mme Françoise LE BIHAN : Non. Mais même s'ils ne disposent pas de statistiques, nos services connaissent très bien les dossiers. Quand je leur ai demandé de faire ressortir ceux qui pourraient intéresser votre commission, ils m'ont indiqué qu'il n'y en avait que deux pour lesquels les dérives sectaires étaient avérées.

Par ailleurs, l'appréciation de ce qu'est un mouvement sectaire peut varier. Ainsi, au Canada, où règne la plus grande liberté, parler de secte est considéré comme discriminatoire ; il n'y a donc aucune liste de ces mouvements.

M. Philippe TOURTELIER : Mais comment vos services définissent-ils une secte ?

Mme Françoise LE BIHAN : Ce n'est pas à nous de le faire. Pour ma part, je considère que l'on peut qualifier de tels les mouvements qui exercent une emprise sur l'esprit, qui embrigadent, qui privent de liberté, mais, si j'étais amenée à caractériser un mouvement, je ferai appel à la MIVILUDES.

M. Philippe TOURTELIER : L'enlèvement d'enfant est bien une privation de liberté. La difficulté est de savoir si elle est liée à une emprise sectaire.

Mme Françoise LE BIHAN : Tous les autres dossiers nous montrent que l'on n'a pas besoin d'une telle emprise pour enlever un enfant...

M. le Président : Avez-vous déjà été amenée à demander à des États signataires, pour des enfants de ressortissants français, l'application de la convention de New York de 1989 sur les droits des enfants, dont l'article 12 stipule que : « Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. » ?

Mme Françoise LE BIHAN : Pas depuis que j'exerce mes fonctions.

M. le Président : Cette convention présente l'intérêt d'être applicable en droit interne y compris dans les pays qui n'ont pas la même appréhension que nous des phénomènes sectaires. Car si le Canada vous semble plus libéral, je n'ai pas l'impression que nous soyons particulièrement liberticides.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Recevez-vous de façon courante et régulière des informations de la MIVILUDES sur les cas de mineurs déplacés à l'étranger ou risquant de l'être ? Si tel n'est pas le cas, comment serait-il possible d'améliorer les choses ?

Par ailleurs, dans le cadre des procédures d'adoption d'enfants à l'étranger, comment est pris en compte le risque d'adoption par des parents appartenant à un mouvement à caractère sectaire ? La Mission de l'adoption internationale, qui relève de trois ministères et qui reçoit le dossier des candidats, est-elle, le cas échéant, informée de leur appartenance à un mouvement sectaire ? Existe-t-il une procédure d'alerte au regard du danger potentiel pour l'enfant ?

Mme Françoise LE BIHAN : Il n'y a pas de procédure d'alerte à proprement parler. Mais les adoptants doivent recevoir un agrément en France, c'est à ce niveau que la DDASS exerce sa vigilance. Je pense que des enquêtes sont menées et que l'agrément est refusé en cas d'appartenance à une secte.

Une fois que les parents sont à l'étranger, c'est que la procédure a été lancée et qu'ils ont été considérés comme acceptables.

J'ai pris contact avec la MIVILUDES à l'occasion de l'affaire Getliffe, afin de connaître sa position sur l'Église internationale du Christ. Nous avons prévu de nous rencontrer mais cela n'a pas encore été possible. Entretenir des relations me paraît une bonne chose.

M. le Rapporteur : Entretenez-vous également des relations avec vos collègues étrangers sur ce sujet ?

Mme Françoise LE BIHAN : Pas précisément à ce propos. Nous avons une coopération consulaire très large qui permet d'évoquer tous les sujets.

M. le Président : Je crois que nous arrivons déjà au terme de cette audition qui nous offre assez peu de matière. C'est un constat et non pas un reproche.

Mme Françoise LE BIHAN : Cela tient sans doute au fait que tous les cas d'enlèvements d'enfants ne sont pas mis en relation avec une emprise sectaire mais avec un conflit d'ordre privé entre les deux parents.

M. le Président : Mais, en dehors des divorces, on peut imaginer qu'un couple rejoigne avec ses enfants une communauté sectaire à l'étranger. Là, s'il n'y a ni signalement, ni plainte, à moins que les grands-parents ne s'impliquent, votre ministère ne peut pas prendre l'initiative d'assurer un suivi et une assistance ?

Mme Françoise LE BIHAN : Il faut bien partir d'un signalement : il ne nous est pas possible de faire le tour de tous les lieux de vie dans le monde...

M. le Rapporteur : Nous avons eu connaissance de nombreux cas où les grands-parents se mobilisaient. S'ils saisissent votre ministère en plus de la MIVILUDES, je suppose que vous prenez contact avec le consulat sur place, mais ce que se passe-t-il ensuite ?

Mme Françoise LE BIHAN : Le consulat prend lui-même contacts avec les parents, voire avec l'enfant s'il est suffisamment âgé. Mais s'il se heurte au refus de communiquer des parents, il ne peut rien faire d'autre. Il peut aussi vérifier si l'enfant est scolarisé, mais si ce n'est pas au sein du réseau français, ce n'est pas très facile.

M. le Rapporteur : Les consulats ont quand même des contacts avec les autorités locales, les signalements peuvent être transmis. Il est vrai que tous les pays n'ont pas la même approche du phénomène sectaire, mais on peut peut-être leur demander de suivre les enfants qui ont été repérés.

Mme Françoise LE BIHAN : Si moi-même, en tant que consul, je recevais un signalement de ma direction, j'aurais le réflexe de prendre contact avec les organismes locaux compétents afin qu'ils mènent une enquête pour vérifier si l'enfant est scolarisé, s'il est bien traité, s'il est en bonne santé. Mais je ne pourrais pas forcer les parents à rester en contact avec leurs propres parents, car ce sont deux libertés qui s'affrontent.

M. le Rapporteur : Les consuls sont-ils sensibilisés à ce problème par le ministère ?

Mme Françoise LE BIHAN : Cela relève de la formation générale. Avant de partir en poste, chacun sait qu'il doit apporter protection et assistance aux ressortissants français à l'étranger, cela va de soi.

M. le Président : Madame, je vous remercie.

Audition de M. Jean-Marie HUET,
directeur des affaires criminelles
et des grâces au ministère de la justice


(Procès-verbal de la séance du 17 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Je vous remercie, Monsieur Huet, d'avoir répondu à notre convocation.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Marie Huet prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. le Président : Monsieur Huet, vous avez la parole.

M. Jean-Marie HUET : Au sein de la direction du service des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, une mission se consacre spécifiquement à la prévention et à la lutte contre les dérives sectaires, suite aux recommandations d'une précédente enquête parlementaire sur les sectes. Le rapport concluait à la nécessité de créer un dispositif d'étude dans chaque ministère. La première tâche de cette mission, dans le contexte particulier de la mort collective en décembre 1995 de plusieurs adeptes d'une organisation sectaire, fut de diffuser une circulaire, en 1996, afin de sensibiliser les magistrats au phénomène sectaire, et les inciter à la poursuite des éventuelles infractions pénales.

Un premier bilan de l'activité des parquets, dressé en 1998, témoigna de leur engagement dans cette lutte, mais aussi des obstacles liés à l'insuffisance des signalements de faits concernant les mineurs, à la difficulté pour d'anciens adeptes de déposer plainte et au caractère protéiforme et clandestin des mouvements sectaires.

Afin de donner une nouvelle impulsion à l'action de l'autorité judiciaire, un échange d'information fut instauré entre les parquets et les associations de lutte contre les sectes, et un correspondant fut désigné au sein de chaque parquet général pour définir une politique concertée des pouvoirs publics.

Enfin, pour faire suite à une circulaire du Premier ministre relative à la lutte contre les dérives sectaires du 27 mai 2005, une nouvelle dépêche fut adressée aux procureurs généraux afin de leur rappeler la nécessité de veiller à ce que la politique pénale conduite en matière de lutte contre les dérives sectaires repose, non plus sur une liste de mouvements identifiés, mais sur un faisceau d'indices - déstabilisation mentale, caractère exorbitant des exigences financières, rupture induite avec l'environnement d'origine, atteintes à l'intégrité physique, troubles à l'ordre public, etc.

Quels sont les outils techniques dont dispose l'institution judiciaire ? Nombre d'agissements liés à des dérives sectaires peuvent recevoir une qualification pénale, les plus fréquemment utilisées relevant des atteintes aux biens - escroquerie, abus de confiance, extorsion de fonds -, et des atteintes aux personnes - homicide ou blessure involontaire, non-assistance à personne en danger, agression sexuelle, incitation de mineur à la débauche, violence, etc.

Cet arsenal répressif a été complété par les textes du code de la santé publique - exercice illégal de la médecine -, du code de la consommation - publicité mensongère, fraude, falsifications - des codes de la construction, du travail, des impôts, des douanes.

La mission du ministère de la Justice consacrée aux sectes a sélectionné, s'agissant des atteintes aux mineurs, une soixantaine de procédures judiciaires, quinze enquêtes préliminaires et quarante-cinq informations judiciaires, afin de répondre aux questions posées par la commission d'enquête parlementaire.

Sur ces affaires, douze sont toujours en cours ; quarante-neuf sont terminées. Dix d'entre elles ont été classées sans suite, neuf ont été clôturées par des ordonnances de non-lieu, quatre ont abouti à des décisions de relaxe, et vingt-cinq ont été suivies d'une condamnation pénale - agressions sexuelles et viols, non-assistance à personne en danger, violence volontaire sur mineur de quinze ans, non-dénonciation de crime, non-présentation d'enfant, privation de soins ayant entraîné la mort, incitation à la débauche, faux et usages de faux, exercice illégal de la médecine. Des faits de nature criminelle ont donné lieu à neuf procès en cour d'assise ayant abouti à cinq peines de réclusion criminelle allant de quinze à vingt ans. Les tribunaux correctionnels ont prononcé onze peines de prison ferme. Des peines complémentaires ont été ordonnées - interdiction de séjour dans une zone délimitée, interdiction de droits civiques, interdiction d'exercer la profession de médecin, interdiction définitive d'exercer une activité en lien avec les mineurs.

L'infraction d'abus frauduleux de l'état de faiblesse a été citée dans une vingtaine de procédures, depuis son entrée en vigueur, dont dix toujours en cours. L'état de sujétion est particulièrement difficile à caractériser. Il doit être constaté par une expertise, le plus souvent dans le cadre d'une information judiciaire.

Permettez-moi de citer l'exemple de la condamnation, devenue définitive, du responsable de la communauté Néo-Phare, Arnaud Mussy, à trois ans d'emprisonnement assortis de sursis et 10 000 euros d'amende. Cette décision m'apparaît exemplaire dans la caractérisation de ses éléments constitutifs. L'arrêt de la cour d'appel exposait que le prévenu était responsable de la communauté Néo-Phare, au sein de laquelle se sont produits en juillet 2002 un suicide et trois tentatives. La cour a relevé la réalité de l'état de sujétion psychologique des victimes, se traduisant par l'ascendance exercée par le prévenu sur ses victimes, la dégradation de leur état psychique, consécutif au climat oppressant, la commission de pressions graves ou répétées, la mise en œuvre de techniques propres à altérer le jugement en lien avec l'état de sujétion constaté, matérialisé par l'accélération du rythme des réunions, scènes de transe, prétendues communications avec l'au-delà etc. et la commission d'actes préjudiciables pour les victimes illustrés par la rupture avec les relations professionnelles, familiales et affectives.

Autre outil procédural : la référence à l'exercice illégal de la médecine. Vingt et unes procédures visant cette infraction étaient recensées. Un certain nombre ont été classées sans suite, sept sont en cours, neuf ont abouti à des condamnations pénales - amende ou emprisonnement.

Quels sont les moyens mis en œuvre ? Au sein de cette direction, j'ai évoqué la mission spécifiquement dédiée à la lutte contre les phénomènes sectaires, sous mon autorité directe. Le magistrat en charge de cette mission vient de quitter ses fonctions, mais je l'ai immédiatement remplacé.

Cette mission a pour objectif de susciter l'indispensable synergie entre l'autorité judiciaire et les différentes administrations susceptibles de connaître des phénomènes sectaires, d'élaborer ce travail de synthèse sur les dossiers suivis, de coordonner l'action publique, d'animer les réunions avec les associations, les tiers concernés, les associations de défense, de sensibiliser les magistrats et les autres partenaires, de participer à l'élaboration des textes normatifs.

Entre 2004 et 2006, le nombre des enquêtes menées par les parquets en la matière a considérablement augmenté.

La mission entretient des liens étroits avec la MIVILUDES. Les correspondants secte auprès de parquets généraux assurent le relais, et les formations assurées chaque année à l'ENM, ouvertes également aux membres de la PJJ, de l'éducation nationale, aux policiers, gendarmes, permettent de dresser un état des lieux et d'approfondir la réflexion.

M. le Président : Je vous remercie. Vous avez fait état de l'ensemble des textes de droit commun que les tribunaux utilisent ; il semble que depuis 2001, seules une vingtaine de procédures aient visé l'infraction d'abus de faiblesse. En quoi cette infraction est-elle difficile à caractériser ? Ne serait-il pas opportun de désigner des experts auprès des cours d'appel spécialisés dans cette tâche ? Ces experts ne pourraient-ils recevoir une formation particulière ?

M. Jean-Marie HUET : La difficulté à caractériser cette infraction a en effet pu décourager des parquets ou des juges d'instruction de la retenir, sans pour autant les priver d'utiliser des qualifications plus générales. Il y a eu, lors du procès de Rennes que j'évoquais, débat d'experts pour définir l'état de sujétion.

Faut-il, pour autant, spécialiser des psychiatres au sein de chaque cour d'appel ? Cela me paraît difficile dans la mesure où il manque déjà d'experts psychiatres pour assurer les expertises pénales. En revanche, ne faudrait-il pas, au cours de la formation par exemple, sensibiliser certains experts à cette question, et les inscrire sur une liste à la disposition des tribunaux ?

M. le Président : Les magistrats sont en effet sensibilisés à cette question par une session organisée chaque année. Les experts inscrits à la cour d'appel devraient de même être davantage intéressés à cette question, peut-être à l'occasion de cette session organisée par l'ENM.

M. Jean-Marie HUET : Tout à fait.

M. le Président : Selon le procureur général près la cour d'appel de Lyon M. Jean-Olivier Viout, qui a une grande expérience en cette matière, la coordination entre les parquets, la police, la gendarmerie, l'éducation nationale pourrait être améliorée. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Marie HUET : Nous pouvons certainement concevoir une nouvelle mobilisation des juridictions, et tenter de décrypter les nouvelles modalités d'emprise. Nous allons d'ailleurs prochainement réunir les référents secte afin de faire le point sur l'application de la loi 2001, et réfléchir aux difficultés qu'elle soulève. Cela étant, ce n'est pas parce qu'il y a eu des classements et des relaxes que le bilan est négatif. Au contraire, il est sain que des procédures s'achèvent par un classement quand l'infraction n'est pas suffisamment caractérisée, ou par une relaxe. Loin d'être un échec, c'est le cours normal d'une procédure pénale.

M. le Président : Cela étant, la loi du 12 juin 2001 réprime la diffusion de messages faisant la promotion de mouvements sectaires en direction de la jeunesse dès lors que les dirigeants de ces mouvements ont été condamnés à plusieurs reprises, ce qui restreint les poursuites.

M. Jean-Marie HUET : Cette condition d'antériorité est certes limitative, mais sa suppression pourrait être condamnée par le Conseil constitutionnel, au regard de la liberté d'expression et de la liberté de religion. En effet, l'article 19 vise à sanctionner des messages destinés à la jeunesse faisant la promotion d'une personne morale, lorsqu'il est démontré que cette dernière a notamment pour objectif de créer ou d'exploiter un état psychologique. Cet élément constitutif de l'infraction doit être formellement établi par une décision de justice préalable. Il serait difficile de revenir sur cette condition d'antériorité.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Les outils législatifs sont-ils suffisants ? Conviendrait-il ainsi de modifier, en faveur des enfants victimes de dérives sectaires, les règles actuelles de la prescription pénale, en les alignant par exemple sur les dispositions de l'article 7, dernier alinéa, du code de procédure pénale, lequel ouvre un délai de vingt ans à compter de la majorité des personnes victimes d'abus sexuels dans leur enfance ou leur adolescence ? Ou pensez-vous qu'il faille plutôt faire courir le délai de prescription de l'abus de faiblesse à compter de la sortie de la secte ? Le jeune majeur qui sort de la secte a souvent du mal à se restructurer, et malheureusement les délais de prescription font obstacle à l'action publique.

Par ailleurs, lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont compromises du fait des dérives sectaires du mouvement auquel appartiennent les deux parents, l'article 375 du code civil ne permet pas aux grands-parents de saisir directement le juge des enfants. La saisine de ce juge devrait-elle être étendue aux grands-parents ?

M. Jean-Marie HUET : S'agissant de la prescription, le législateur a évolué sur ce point en matière d'abus sexuels, ce qui est une bonne chose. Cela étant, reste le problème de l'administration de la preuve, de plus en plus délicat à mesure que le temps passe. La juridiction de jugement aura encore plus de mal à caractériser ces infractions.

Par ailleurs, prenons garde aux conséquences de l'allongement de la prescription sur toutes les infractions qui peuvent être commises au détriment des victimes d'une secte - infraction aux biens, etc.

Pour ce qui est des grands-parents, pourquoi en effet, ne pas leur donner la possibilité de saisir le juge des enfants ? C'est une piste à explorer, dont il faudra étudier les conséquences.

M. Michel HUNAULT : Quels liens entretenez-vous avec les autres directions des ministères de la justice des pays voisins ? Je m'appuie sur les travaux de l'assemblée du Conseil de l'Europe, et particulièrement de sa commission juridique. Nous avons été mis en minorité par les autres délégations de l'assemblée parlementaire, sous le prétexte de la liberté de conscience.

Avez-vous des relations avec vos homologues européens, sur les outils et sur l'harmonisation de l'incrimination, et au-delà, de la lutte contre les mouvements sectaires ?

M. Jean-Marie HUET : D'une manière générale, cette direction a vocation à entretenir avec l'ensemble des partenaires européens d'étroits contacts en la matière, d'autant plus qu'une compétence nouvelle lui a été reconnue au titre de la négociation pénale internationale.

Pour autant, les difficultés que vous évoquiez, liées au fait que chaque pays a sa propre définition d'un mouvement sectaire, sont réelles, mais nous devons continuer nos efforts, si nous voulons parvenir à établir des règles communes, comme nous l'avons fait dans le domaine de la lutte contre le racisme et les discriminations.

Je suis plus optimiste pour la part « action publique et politique pénale » que pour la part « normative », pour les raisons que vous avez évoquées.

M. le Président : Le procureur général de Lyon nous faisait remarquer que l'article 9 de la loi sur la prévention de la délinquance, adopté en première lecture par le Sénat, prévoyait une saisine du maire par l'inspection d'académie en cas de défaut de scolarisation. Il observait qu'il était dommage que le parquet ne soit pas informé de la même manière, car il pourrait déclencher une procédure d'assistance éducative. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Marie HUET : La question de l'absentéisme scolaire est un indicateur très pertinent d'une situation qui peut justifier l'ouverture d'une procédure d'assistance éducative. Faut-il pour autant légiférer ? Les parquets pourraient-ils gérer tous les signalements qui en découleraient ?

En revanche, il faut absolument inscrire le Procureur de la République en acteur de la prévention de la délinquance. Il faut rappeler que sa mission ne se limite pas à la répression, mais qu'il joue un rôle important en matière de prévention.

M. le président : Vous êtes donc plutôt favorable à un signalement au parquet...

Que pensez-vous de notre législation ? Pouvons-nous aller plus loin dans la définition des sectes?

M. Jean-Marie HUET : Nous devons régulièrement réfléchir à l'opportunité d'actualiser le dispositif. C'est vrai que nous avons des difficultés à caractériser un certain nombre d'infractions, mais nous y parvenons. Le fait d'avoir une définition très formelle d'un mouvement de cette nature pourrait-il favoriser encore davantage l'aboutissement de procédures pénales ? J'en suis d'autant moins convaincu que nous avons déjà beaucoup avancé. Il existe certainement des marges de progression, mais la multiplicité des outils législatifs aiderait-elle à mieux caractériser et sanctionner ? Je n'en suis pas certain, sans oublier le fait qu'il faudrait lever les obstacles liés au principe de la liberté de conscience.

En l'état, l'arsenal législatif m'apparaît décrire suffisamment les différentes situations.

M. Alain GEST : L'évolution de la législation peut parfois être considérée comme attentatoire à la liberté de religion et de conscience. J'en suis très gêné, parce qu'au contraire, la religion m'apparaît assez éloignée du phénomène sectaire.

Ne pensez-vous pas que vous êtes en difficulté pour bien distinguer les sectes des religions ?

M. Jean-Marie HUET : Je ne suis pas certain que ce soit la principale difficulté à laquelle sont confrontés les acteurs chargés de lutter contre les sectes. Lorsqu'il s'agit de caractériser l'infraction, il faut définir un état d'emprise, et là est l'obstacle essentiel.

M. le Président : Pourtant l'argument d'atteinte à la liberté de conscience revient régulièrement dans les audiences, mais ce n'est apparemment pas un obstacle pour les magistrats qui savent aller au-delà.

Nous vous remercions.

Audition de M. Didier LESCHI,
chef du bureau central des cultes
au ministère de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire



(Procès-verbal de la séance du 17 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Didier LESCHI prête serment).

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Monsieur Leschi, vous avez la parole.

M. Didier LESCHI : Je vous remercie d'avoir sollicité mon audition qui permettra, je l'espère, de lever des interrogations sur la pratique administrative du bureau central des cultes (BCC) en matière de dérives sectaires.

Comme vous le savez, la règle en matière cultuelle dans notre régime juridique est celle de la liberté du culte, fondée sur la loi de 1905 dont l'article premier dispose que « la République assure la liberté de conscience, [...] sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public ».

L'activité cultuelle est, par ailleurs, publique. Si la loi de 1905 a privatisé le fonctionnement des cultes en mettant fin au système des « cultes reconnus », elle a aussi précisé que les fidèles ont le droit de pratiquer leur culte de manière publique - et non dans la seule sphère privée - comme le précisent notamment les titres III et V de la loi de 1905. C'est ainsi que, pour bénéficier des avantages fiscaux, les lieux de culte doivent être ouverts au public.

Cette liberté de croyance s'articule avec le droit des parents de choisir ce qu'ils souhaitent transmettre à leurs enfants, dès lors qu'il n'y a pas atteinte à leur intégrité physique ou morale - article 371-1 du code civil et article 2 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Le non-respect de ces obligations pourrait constituer une atteinte aux personnes susceptibles de sanctions et un trouble à l'ordre public, si cette violation était systématisée dans un cadre associatif.

Les atteintes à la protection de l'enfance exercées pour des raisons cultuelles peuvent être multiples - soustraire des enfants de six à seize ans à l'instruction obligatoire, ne pas répondre à l'obligation de soin ou de vaccination, ne pas pourvoir aux besoins matériels, etc.

Le bureau central des cultes a pour mission de rappeler aux administrations, aux collectivités locales, aux différents pouvoirs publics, par le biais de circulaires, de réponses à des questions parlementaires ou de courrier émanant d'autorités publiques que notre régime juridique est d'abord celui de la liberté de conscience et du libre exercice du culte. Il doit également rappeler que cette liberté de conscience implique le droit pour les parents d'éduquer leurs enfants en fonction des valeurs qui sont les leurs.

Dans le cadre des demandes de courants qui se veulent cultuels et qui concernent des enfants, il s'agit, pour le bureau central, de déterminer s'ils respectent les obligations inscrites par la loi en matière d'éducation ou de santé, ou si l'activité associative cultuelle est bien conforme au droit, et de signaler toute dérive pour que soient réprimés les troubles à l'ordre public que les fidèles de toutes confessions pourraient occasionner. Faut-il rappeler que l'action du BCC ne porte pas sur les organismes qui exercent des activités dont certaines peuvent être délictueuses, sans rapport avec une quelconque activité cultuelle et qui ne cherchent pas à bénéficier des avantages consentis aux associations cultuelles ? Je veux parler de toutes les activités pseudo-médicales, para-normales, psychologisantes etc. Elles ne relèvent pas de la compétence du BCC. Certains groupements peuvent cependant pratiquer des formes dangereuses d'exorcisme ou de guérison par la prière. Aucun, à ma connaissance, n'a jamais demandé à bénéficier des avantages des associations cultuelles. Dans ce domaine, il faut s'en tenir aux faits, et en particulier aux atteintes à la personne et non à la manifestation de la conscience ou de la foi. Je rappelle, par exemple, que l'Église catholique reconnaît la pratique de l'exorcisme.

Le principal outil de lutte contre les dérives sectaires dont dispose le BCC est la « petite reconnaissance », qui donne à l'administration le pouvoir de contrôler les associations cultuelles demandant à bénéficier d'avantages essentiellement d'ordre fiscal. En effet, si la République ne reconnaît aucun culte, elle n'en méconnaît aucun dès lors que ce culte demande à bénéficier d'avantages, en particulier fiscaux, qui visent à favoriser le libre exercice du culte. La « petite reconnaissance » ouvre droit à des exonérations fiscales, à l'exonération des droits de mutation pour les dons et legs, et autorise la délivrance des reçus fiscaux qui ouvriront droit aux donateurs à des dégrèvements d'impôts.

C'est à propos de cette procédure de « petite reconnaissance » que le ministère de l'intérieur et le BCC ont été critiqués - notamment cet été à la suite du rassemblement des Témoins de Jéhovah à Lens.

En effet, si la procédure de « petite reconnaissance » est avant tout déconcentrée et relève du préfet, celui-ci, en cas de doute, consulte le BCC pour savoir s'il existe ou non un trouble à l'ordre public connu au niveau national qui pourrait justifier un refus. De surcroît, nous pouvons demander à tout moment au préfet d'abroger son arrêté si l'association ne remplit plus les critères nécessaires, en particulier d'ordre public.

Le ministère de l'intérieur est parfois accusé de sous-estimer le trouble à l'ordre public que génèreraient « par nature » certains mouvements, focalisant ainsi l'attention de la MIVILUDES. Je vise ainsi des mouvements qui, pour certains, existent depuis des décennies, voire des siècles, et sont issus de grands courants spirituels ou s'y rattachent, comme les Frères de Plymouth, une des branches du protestantisme, les Témoins de Jéhovah, et depuis quelques mois, les Loubavitch, qui sont l'expression d'une vieille tradition du hassidisme juif.

Le BCC aborde les problématiques d'ordre public avec la plus grande rigueur et privilégie les faits plutôt que la rumeur ou la parole douloureuse d'anciens fidèles en rupture, dès lors que sont mises en cause des personnes et leur dignité.

Tous les courants cultuels sont susceptibles de connaître des dérives sectaires. Seul l'examen des faits légitime la notion de vigilance, sans quoi le risque est grand de s'écarter de l'impartialité laïque au profit d'un clivage entre religions reconnues et religions stigmatisées.

Le juge administratif ne cesse de le rappeler en sanctionnant des collectivités qui licencient des Témoins de Jéhovah, pour la seule raison qu'ils appartiennent à ce mouvement. De même, il rappelle qu'on ne peut refuser la location d'une salle à ce mouvement uniquement parce qu'il ne serait pas « agréé ».

La pratique administrative des fonctionnaires est soumise au contrôle du juge ; elle doit obéir, dans le domaine des cultes, à une double exigence : la protection de l'ordre public, et le respect de l'article 1er de la Constitution en vertu duquel « la République respecte toutes les croyances ».

C'est autour de l'appréciation du trouble à l'ordre public que constitue le refus de la transfusion sanguine que se focalise désormais l'accusation de dérive sectaire à l'encontre des Témoins de Jéhovah.

En effet, le refus de voter ne saurait représenter un trouble à l'ordre public dans un pays où le vote n'est pas obligatoire. Au demeurant, nul ne demande la dissolution de la « Fédération anarchiste » au motif que ses adhérents font du prosélytisme en faveur du refus de vote et bénéficient pour cela d'une fréquence radio accordée par le CSA.

De même, la question du refus du service national ne se pose plus depuis sa suppression.

Enfin, le prosélytisme, le fait de militer pour faire connaître et défendre ses opinions dans la rue ou en faisant du porte à porte, n'est pas en soi condamnable, tant qu'il n'y a pas de harcèlement. Par analogie, on n'imagine pas retirer à un vendeur bénévole de L'Humanité dimanche la garde de son enfant, pas plus qu'à un syndicaliste qui défile le 1er mai avec sa fille.

C'est donc bien le refus de la transfusion sanguine qui pourrait constituer un trouble à l'ordre public, s'il s'avérait que l'affirmation de cette croyance impérieuse entravait le fonctionnement du service public hospitalier.

Il n'appartient pas à l'administration de porter un jugement sur les croyances ou sur la conscience des personnes. L'Église catholique peut critiquer l'IVG prévue par la loi, mais elle ne troublerait l'ordre public que si, par ses manifestations, elle empêchait les femmes d'accéder au service hospitalier.

Le Conseil d'État, dans une décision du 16 août 2002, a estimé que le refus de recevoir une transfusion sanguine relève de l'exercice d'une liberté fondamentale, et que la loi « Kouchner » de mars 2002 a renforcé le droit du patient majeur de discuter de son traitement.

L'un des critères permettant à une association cultuelle de bénéficier des avantages fiscaux reconnus à cette catégorie d'association repose sur l'absence de trouble à l'ordre public. J'ai donc demandé, lors d'un comité de pilotage de la MIVILUDES, que soit lancée une enquête auprès des agences régionales d'hospitalisation et des hôpitaux afin de recenser éventuellement les faits constitutifs de troubles à l'ordre public liés au refus de transfusion sanguine. Le représentant du ministère de la santé au sein des instances de la MIVILUDES nous a indiqué, à l'époque, que ce recensement était impossible car, de peurs des procédures, les responsables hospitaliers hésiteraient à dénoncer les troubles à l'ordre public.

Cette explication me semble légère, surtout si la vie de milliers d'enfants est en jeu. Le chiffre de 45 000 enfants de Témoins de Jéhovah a parfois été avancé. Les fonctionnaires hospitaliers sont protégés par leur statut et ont l'obligation de signaler les faits délictueux au procureur de la République.

En vue de cette audition, j'ai demandé aux préfectures de recenser, sur les trois dernières années, les incidents liés à la transfusion. Il est remonté un petit nombre d'incidents, souvent réglés par la discussion. Aucun incident mettant en cause des enfants ou un pronostic vital n'a été relevé.

Pour ce qui est plus spécifiquement des enfants et de la transfusion sanguine, je rappelle qu'en cas d'urgence, l'alinéa 5 de l'article L. 1111-4 de la loi de mars 2002 prévoit que « le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves sur la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables ».

La loi est claire : le droit de l'enfant à s'exprimer est respecté mais c'est sa santé qui est privilégiée, même en cas d'opposition des parents. La loi de 2002 a donc amélioré la situation puisqu'elle permet au médecin d'agir sans avoir à demander à l'autorité judiciaire d'ordonner des mesures d'assistance éducative.

En situation d'urgence, le médecin est juridiquement habilité à se substituer à l'autorité parentale.

Si l'on se pose la question des hôpitaux, c'est bien que les Témoins de Jéhovah se rendent en milieu hospitalier et n'hésitent pas à utiliser les structures publiques, de même qu'ils scolarisent leurs enfants dans les écoles publiques. Nous sommes loin d'une volonté de se couper du monde.

Tous ces éléments attestent de l'absence de trouble à l'ordre public et justifient notre pratique administrative, qui n'a du reste pas toujours été libérale. Elle a évolué sous l'effet de la jurisprudence.

C'est en janvier 1993 que le Conseil d'État a jugé que les « salles du Royaume » des Témoins de Jéhovah étaient des lieux de culte et qu'à ce titre elles devaient être exonérées de la taxe foncière. Et le libre exercice du culte suppose naturellement la liberté d'ouvrir des lieux de culte. C'est précisément l'objet de la circulaire du BCC du 14 février 2005, demandant aux préfets de rappeler ce droit fondamental aux maires, compte tenu de la multiplication des pratiques abusives du droit de préemption et du refus de permis de construire.

Ce n'est cependant qu'à partir de deux autres décisions du conseil d'État en 2000 que nous nous sommes mis en conformité avec la jurisprudence en accordant systématiquement le bénéfice des dispositions prévues pour les associations cultuelles aux associations des Témoins de Jéhovah et en abandonnant l'argument selon lequel la doctrine même des Témoins de Jéhovah était constitutive d'un trouble à l'ordre public.

Le BCC est naturellement attentif à la maltraitance des enfants et des adolescents ou au développement de pratiques contraires à la liberté de conscience. C'est en fonction de ces critères et au regard de la dangerosité pour l'ordre public que le BCC est attentif aux dérives sectaires qui se réclament de l'islam. Ces dérives peuvent, chez les jeunes, présenter un caractère mortifère, dangereux pour eux-mêmes, mais aussi pour autrui car elles peuvent déboucher sur des actes très violents et suicidaires.

Ces dérives posent également des problèmes d'intégration et d'atteinte à l'ordre public, comme en atteste l'incident survenu à Lyon où une lycéenne qui ne s'astreignait pas au jeûne du Ramadan a été violemment prise à partie.

Malheureusement, ce segment des dérives sectaires suscite peu l'attention, alors que l'action dans ce domaine complèterait les actions de prévention du terrorisme.

L'éducation non-conformiste est-elle une dérive sectaire ? Cette problématique englobe des domaines délicats où s'articulent le droit des enfants, le droit des familles à éduquer selon les valeurs qu'elles souhaitent transmettre, le regard que peuvent porter la société et les pouvoirs publics sur certaines familles en fonction de l'évolution des normes éducatives et sociales.

Le tout est rendu encore plus difficile à apprécier du fait que les familles appartenant à ces courants sont aussi traversées par des tensions internes, des conflits, des séparations.

C'est justement à partir de procédures de divorce que s'est constituée l'association d'aide aux victimes des frères exclusifs - AVIFE -, association qui a popularisé de manière négative les « Frères de Plymouth », communauté de tradition protestante, existant en France depuis près d'un siècle. L'AVIFE avait ainsi révélé des comportements atypiques, en particulier à propos des enfants. Dans les faits, les membres de cette communauté ne doivent pas regarder la télévision ou n'utiliser Internet qu'à des fins professionnelles. Ils lisent par ailleurs la Bible en anglais.

Sur la base de tels développements, et en raison d'une procédure devant le TGI de Lyon pour enlèvement d'enfant, nous avions demandé au préfet du Rhône de refuser aux Frères de Plymouth le bénéfice des articles 200 et 238 du code des impôts. Le ministère de l'Intérieur ne s'était donc pas montré libéral, alors même que le tribunal administratif de Lyon, en 1999 avait exonéré le bâtiment cultuel des Frères de Plymouth de la taxe foncière.

Cependant, cet opprobre ne correspond pas aux sentiments des populations qui côtoient les membres de cette communauté. Jacques Barrot, alors député de Haute-Loire, avait ainsi demandé à une spécialiste des mouvements religieux d'étudier ce mouvement, et les Frères de Plymouth, dans un souci de transparence, avaient eux-mêmes demandé une étude complémentaire. Les Témoins de Jéhovah se sont également montrés favorables à une étude sur les jeunes de leur mouvement dès lors qu'elle serait confiée à des universitaires reconnus. Une telle volonté de transparence doit être soulignée, car elle se démarque des sentiments sectaires les plus affirmés.

Fort de ces études scientifiques, l'ancienne équipe de la MIVILUDES avait modéré son jugement sur les Frères de Plymouth.

Cependant, le rapport 2005 de la MIVILUDES fait réapparaître les Frères de Plymouth comme susceptibles de dérive sectaire dans l'éducation des enfants. Ce n'est pas à exclure, mais encore faut-il étayer le dossier de manière rigoureuse. Plus précisément, le nouveau dossier à charge est alimenté par des éléments qui posent question - les déclarations de l'ancien président de l'AVIFE, alors qu'il a été condamné pour propos diffamatoires à l'encontre de ce mouvement, l'affirmation que les Frères de Plymouth refusent toute scolarisation publique, ce qui est faux. Surtout, il n'est pas indiqué que leur centre d'enseignement par correspondance a obtenu l'agrément de l'Éducation nationale. Les contrôles effectués montrent que les enfants connaissent un développement intellectuel et physique conforme à leur âge. J'ajoute qu'ils sont systématiquement bilingues et, pour certains, trilingues.

S'agissant des Loubavitch, l'État peut-il les qualifier de mouvement à dérive sectaire ? Certes, le mode d'éducation des enfants semble les couper du monde, mais il n'est pas démontré que cette longue tradition ait eu des effets négatifs sur le plan de l'éducation, ni causé de trouble à l'ordre public. Les Loubavitch sont à l'image d'un phénomène que l'on observe depuis quelques années : une large remise en cause des normes et principes communément admis en vue de se mettre à l'écart ou de rester entre soi, phénomène déjà observé par Alexis de Tocqueville, alors que l'origine américaine des sectes est souvent mise en avant.

Des religiosités nouvelles et des pratiques sociales non conventionnelles voient le jour. Il est alors essentiel de ne pas confondre non-conformisme et dangerosité. Certes, chez les Loubavitch existe une forte et solennelle reconnaissance du leader aujourd'hui disparu. Ce n'est pas en soi condamnable. Certes, les enfants portent un chapeau à partir de treize ans et doivent étudier la Thora. Ce ne sont pas des comportements de nature à troubler l'ordre public. Par ailleurs, les établissements d'enseignement des Loubavitch sont tous sous contrat avec l'État.

Je crains fort que la stigmatisation de mouvements comme les Loubavitch ou les Frères de Plymouth ne facilite le passage à l'acte de personnes qui auront beau jeu de se couvrir d'une bonne conscience anti-sectes pour justifier leurs actes malveillants ou antisémites. À ce titre, les agressions contre les Témoins de Jéhovah augmentent. Cette stigmatisation pourrait constituer à terme des troubles à l'ordre public ou, pour le moins, des manifestations d'intolérance à l'égard de l'une des libertés les plus fondamentales de tout homme et citoyen : la liberté de conscience.

M. le Président : Aujourd'hui, 17 octobre 2006, c'est la première fois, en ce qui me concerne, que j'entends un discours public de reconnaissance officielle de la religion des Témoins de Jéhovah. Nous pouvons dire à présent que les Témoins de Jéhovah sont la cinquième religion de France...

Vous avez passé en revue tout ce qui pouvait constituer un trouble à l'ordre public, et qui ne le constitue plus au regard du ministère de l'intérieur, d'où la possibilité d'accorder le statut d'association cultuelle - le refus de vote, le service national, le porte à porte et la transfusion sanguine.

Pouvez-vous nous confirmer à nouveau que le ministère de l'intérieur considère aujourd'hui que les Témoins de Jéhovah sont aujourd'hui à même de bénéficier du statut d'association cultuelle ? Vous devrez alors nous expliquer pourquoi l'administration fiscale leur réclame 50 millions d'euros pour redressement fiscal, étant donné que les dons manuels dont ils ont bénéficié sont tout de même tombés sous la coupe fiscale.

M. Didier LESCHI : Il faut être très précis. Ce n'est pas le ministère de l'intérieur qui reconnaît les Témoins de Jéhovah, mais la jurisprudence du Conseil d'État, avec laquelle nous avons mis sept ans à nous mettre en conformité. Nous sommes, comme tous fonctionnaires, soumis au contrôle du juge administratif, qui a été très clair : les Témoins de Jéhovah ont le droit de bénéficier des avantages des associations cultuelles.

S'agissant des mineurs, je vous ai rappelé les textes votés par la Représentation nationale. Le médecin, dans le cadre de la loi Kouchner, demande l'avis du mineur, mais il peut passer outre, sans passer par l'étape de l'autorisation de justice. Cette loi protège les enfants mineurs Témoins de Jéhovah.

Quant au redressement fiscal des Témoins de Jéhovah, l'administration fiscale l'a opéré en vertu des dispositions du code des impôts, mais lesdites associations sont aujourd'hui en conformité avec le droit fiscal. Il y a eu un contentieux dans le passé, mais il n'y a pas de contentieux aujourd'hui.

Cela étant, le fait que la loi de 1905 dispose qu'on puisse avoir une activité cultuelle sans association a compliqué la situation. Aujourd'hui, 90 % des associations qui gèrent les lieux de culte musulmans ne sont pas des associations loi de 1905, mais loi de 1901, et elles reçoivent des dons manuels.

M. le Président : Je ne me suis donc pas trompé dans l'interprétation de votre exposé.

M. Didier LESCHI : Je ne vois pas aujourd'hui de trouble à l'ordre public. J'ai demandé en vain à la MIVILUDES de rassembler les preuves d'un trouble à l'ordre public ! Je ne vais pas évoquer un trouble à l'ordre public alors que je n'ai pas reçu de dossier étayé !

M. le Président : Nous ne sommes pas en train de faire le procès de votre bureau... Nous voulons simplement comprendre. Votre exposé était d'une extrême importance, c'est la première fois que l'administration nous explique qu'il n'y ailleurs aucune raison de traiter autrement les Témoins de Jéhovah de l'église catholique, juive ou protestante.

M. Didier LESCHI : Tout à fait. Comme les Témoins de Jéhovah, l'Église catholique, le protestantisme, d'autres courants sont susceptibles, au travers de certaines de leurs associations, de constituer des troubles à l'ordre public.

M. le Président : Que faites-vous de la maltraitance psychologique des enfants ? Nous avons ici entendu des jeunes majeurs qui nous ont raconté leur parcours d'enfermement. Vous savez comme nous quel traitement social est réservé aux mineurs au sein des Témoins de Jéhovah. Il ne correspond pas aux normes internationales, notamment celles de la convention de New York sur les droits de l'enfant, qui exige que l'enfant soit élevé et éduqué dans l'objectif d'en faire un citoyen libre et critique. Sous cet angle, pourrait-on considérer que les Témoins de Jéhovah représentent un trouble à l'ordre public ?

M. Didier LESCHI : Ces questions sont très difficiles et, je le répète, je suis preneur de tout dossier étayé, mais jamais le Défenseur des enfants n'a saisi l'administration du ministère de l'intérieur. L'appréciation des valeurs à transmettre à l'enfant peut largement varier en fonction des personnes. Il fut un temps où l'on expliquait que les adhérents du parti communiste perdaient leur personnalité.

M. le Président : Évitons de tomber dans la comparaison banalisée.

M. Didier LESCHI : Pour l'instant, aucune procédure judiciaire, aucun fait, aucune condamnation ne nous a été présentée, sinon nous en aurions tenu compte.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : Votre audition est édifiante et inquiétante. Vous semblez faire fi de la convention internationale des droits de l'enfant que la France a ratifiée. Pis, la jurisprudence du Conseil d'État ne se réfère jamais à cette convention. Si demain la Scientologie créait une association et que cette association demandait à être reconnue, que ferait le ministère de l'intérieur ?

M. Didier LESCHI : Il appliquerait les fameuses conclusions du commissaire du Gouvernement, M. Jacques Arrighi de Casanova, selon lequel un culte se définit par la réunion de personnes en vue de vénérer une divinité, la manifestation de ce culte devant être suffisamment ancienne, ce qui n'est pas le cas de l'Église de Scientologie.

M. le Rapporteur : Le bureau des cultes conseille donc aux préfets de reconnaître les associations locales des Témoins de Jéhovah...

M. Didier LESCHI : Le préfet applique le cadre normatif, ses actes étant contrôlés par le juge administratif qu'est le Conseil d'État.

M. le Rapporteur : Imaginons que le ministère de l'intérieur conseille au préfet de ne pas reconnaître cette association. Les Témoins de Jéhovah vont alors se tourner vers le tribunal administratif.

M. Didier LESCHI : C'est ce qui s'est passé pendant sept ans !

M. le Rapporteur : Ils iront ensuite devant le Conseil d'État : pourquoi le ministère public n'invoquerait-il pas la convention internationale des droits de l'enfant ?

M. Didier LESCHI : Le bureau central des cultes n'est pas chargé de la protection de l'enfance. En revanche, les conseils généraux, les associations spécialisées, les autorités administratives mises en place pour protéger les enfants pourraient constituer un dossier suffisamment étayé et le transmettre au ministère de l'intérieur.

M. le Rapporteur : Vos conclusions m'ont étonné, et même scandalisé. Vous avez parlé du trouble à l'ordre public, et suggéré que des associations luttant contre les phénomènes sectaires pourraient, elles-mêmes, troubler l'ordre public en stigmatisant certaines associations.

M. Didier LESCHI : Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. le Rapporteur : Par là même, vous confirmez nos inquiétudes. Nous vous avons déjà entendu il y a quelques mois dans le cadre du groupe d'étude sur les sectes, et déjà vos propos nous avaient interpellés.

Mme Martine DAVID : Nous sommes atterrés, en effet, mais nous étions déjà inquiets à la suite de votre audition en 2004 par le groupe d'études. Nous avions d'ailleurs demandé un rendez-vous au ministre de l'intérieur, M. Nicolas Sarkozy, qui nous l'avait accordé, et nous avions tenté de lui faire partager nos inquiétudes. Nous avions du reste eu le sentiment qu'il comprenait et prenait conscience des risques d'une éventuelle reconnaissance des Témoins de Jéhovah.

Je comprends mal que vous, qui travaillez avec la MIVILUDES, puissiez donner l'impression d'être totalement imperméable aux témoignages qu'elle a reçus de la part d'anciens d'adeptes, et qui révèlent une véritable maltraitance psychologique.

Vous invoquez systématiquement la liberté des parents d'éduquer. Je suis d'accord, mais jusqu'où cette liberté peut-elle s'exercer ? Vous ne pouvez pas ignorer tous ces témoignages, à moins que le BCC ne connaisse de graves dysfonctionnements. Il est impossible de laisser dire que ces anciens adeptes auraient tout inventé.

Vous affirmez, par ailleurs, qu'il est impossible de ne pas se soumettre aux jugements administratifs. Par quoi ces jugements sont-ils alimentés ? Peut-être les informations recueillies au niveau des départements, des cellules de vigilance, ne sont-elles pas suffisantes pour assurer l'équilibre des parties lors du procès. Le droit des enfants doit être respecté.

J'aimerais, Monsieur Leschi, que vous doutiez avec nous du respect du droit des enfants qui vivent dans des sectes comme les Témoins de Jéhovah ou l'Église de scientologie, et que vous acceptiez de regarder la réalité en face. Il existe plusieurs milliers d'enfants en France, pour qui le droit à la vie en société, le droit à l'accès à l'éducation dans toute sa plénitude, ne sont pas respectés.

M. Didier LESCHI : J'applique un cadre juridique, mais je ne suis pas en charge des décisions de justice. Que votre commission établisse donc un dossier à charge, avec des éléments précis, des preuves ! Jusqu'à présent, je n'ai jamais reçu un seul dossier étayé !

S'agissant des commissions locales, c'est vrai que les rapports remontent, mais ils ne sont pas précis. Si d'anciens adeptes estiment avoir été spoliés dans leurs droits, soit quand ils étaient mineurs, soit après leur majorité, et qu'ils engagent des procédures, des condamnations suivront.

Pour les Frères de Plymouth, nous avions suspendu toute la procédure de demande d'avantages cultuels, simplement parce qu'une instance était en cours devant le TGI de Lyon pour une affaire d'enlèvement d'enfants. Nous n'avions pas même attendu le résultat.

M. le Rapporteur : Sinon vous l'auriez accordé bien volontiers.

M. Didier LESCHI : S'il n'y a pas de trouble à l'ordre public...

M. le Rapporteur : C'est bien ce qui pose problème.

Mme Martine DAVID : Trouvez-vous normal de faire faire à des enfants, à des adolescents, du porte à porte ? Nous n'inventons pas tout cela, et il n'est pas simple de témoigner pour un ancien adepte, ce qui peut expliquer que certaines informations remontent difficilement. Acceptez-vous cette réalité ?

M. Didier LESCHI : Il est difficile pour le ministère de l'intérieur, en tant que ministère, de se substituer aux personnes pour établir des dossiers incriminant d'autres personnes. Ce n'est pas sa fonction. Des institutions sont faites pour cela. Que le Défenseur des enfants m'envoie un dossier étayé !

M. Alain GEST : Je suis très surpris, au-delà de vos propos, par la passion que vous manifestez depuis votre arrivée. Vous allez jusqu'à couper la parole au rapporteur... Ce sujet peut tout de même se traiter dans la sérénité.

Par ailleurs, vous venez de nous faire une déclaration très importante ; je vous laisse mesurer le formidable appel d'air que ce genre d'annonce suscitera chez d'autres mouvements quand la presse se sera fait l'écho de vos propos.

Enfin, vous venez d'évoquer un mouvement pour lequel vous dites avoir suspendu une procédure dans l'attente d'une décision de justice. C'est ce que j'appelle le doute, essentiel dans de telles affaires.

Si tant de groupes, de commissions d'enquête, de missions, se réunissent depuis vingt-cinq ans, et rencontrent des difficultés pour caractériser ce phénomène, ce n'est pas un hasard.

Je m'interroge sincèrement sur la méthode suivant laquelle vous accordez le statut cultuel d'association. Si vous reconnaissez ce statut aux Témoins de Jéhovah, je ne vois pas comment vous pourrez le refuser à d'autres. Les conséquences d'une telle décision sont suffisamment graves pour que vous fassiez preuve de prudence.

M. Didier LESCHI : J'ai peut-être été un peu vif, mais c'est mon tempérament. Cela étant, l'action de mon bureau a parfois été critiquée, et assez violemment, par vos collègues. Par ailleurs, nous avons agi avec prudence, car ce n'est qu'au bout de dix ans que le juge administratif a fini par obliger le ministère de l'intérieur à faire évoluer sa position à l'égard des Témoins de Jéhovah.

M. le Président : C'est faux. Le Conseil d'État a confirmé quelques décisions de quelques tribunaux administratifs qui accordaient des exonérations fiscales, mais jamais il n'a affirmé que les Témoins de Jéhovah ne troublaient pas l'ordre public et devaient être considérés comme un culte à part entière.

M. Didier LESCHI : Un des critères pour accorder le bénéfice de la loi de 1905 est justement l'absence de trouble à l'ordre public. Le Conseil d'État n'en a jamais relevé.

M. Alain GEST : Le problème est que vous ne parliez pas depuis trente secondes que déjà vous évoquiez le terme de croyance.

M. Didier LESCHI : J'ai parlé de liberté de conscience.

M. Alain GEST : Il est facile de s'abriter derrière la liberté de croyance pour rejeter d'éventuelles accusations. Si vous partez dès le départ avec cette logique, le résultat est connu d'avance. Vous entrez dans le jeu de ceux pour qui il n'y a pas de problème de secte en France, et pour qui le Temple solaire serait une aimable plaisanterie. Si telle est votre vision, peut-être faudrait-il remettre en cause le fonctionnement même du BCC.

M. Didier LESCHI : J'ai parlé de liberté de conscience et de libre exercice du culte.

M. Alain GEST : Et qu'est-ce que le culte ?

M. Didier LESCHI : La meilleure approche est celle des dérives sectaires. Toutes les activités cultuelles sont susceptibles de dérive sectaire. L'appréciation par liste est réductrice et évite de s'interroger sur la notion même de dérive sectaire, qui ne saurait être cantonnée à tel ou tel mouvement.

M. le Président : Nous prenons acte de vos explications et de votre souci de vous conformer à la jurisprudence administrative. Cela étant, les évolutions sont possibles. Ainsi, la Cour de cassation, le 18 mai 2005, a pu viser dans sa décision la convention de New York relative aux droits de l'enfant. Allez-vous en tenir compte ?

M. Didier LESCHI : Je ne suis pas le juge.

M. le Président : Non, vous êtes le représentant du Gouvernement, du ministère de l'intérieur, chargé de coordonner une action publique en matière de culte. Vous ne pouvez ignorer cette décision.

M. Didier LESCHI : Si l'on m'apporte des décisions de justice démontrant que les Témoins de Jéhovah sont un mouvement qui éduque ses enfants de manière contraire aux conventions ratifiées par la France sur les droits des enfants, j'aurai la preuve que ce mouvement porte atteinte à l'ordre public. Ce n'est pas le cas pour le moment.

M. le Rapporteur : Le rapport Machelon suggère d'étendre le régime du bail emphytéotique administratif réservé aujourd'hui aux seules associations de la loi de 1905 à toute association à vocation cultuelle. Cette proposition ne pourrait-elle pas profiter à des mouvements sectaires ?

Par ailleurs, le statut d'association cultuelle permet de s'exonérer de certaines taxes, mais les associations qui ont ce statut peuvent ensuite facilement jouer sur l'amalgame entre religion et association cultuelle.

Peut-être auriez-vous la possibilité de faire évoluer la jurisprudence du Conseil d'État en recommandant aux préfets de refuser le statut d'association cultuelle, sur la base de la convention internationale des droits de l'enfant. Nous verrons bien alors la réaction du Conseil d'État. Qu'attendez-vous pour le faire ?

M. Didier LESCHI : De tous les mouvements cités, les Témoins de Jéhovah sont les seuls à bénéficier des articles 200 et 238 du code des impôts. Par ailleurs, le rapport Machelon propose d'étendre un dispositif qui existe déjà en faveur des associations 1905 à des associations 1901.

Je réserverai mon appréciation au ministre de l'Intérieur.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Étienne MADRANGES,
directeur de la jeunesse et de l'éducation populaire au ministère de la jeunesse,
des sports et de la vie associative



(Procès-verbal de la séance du 18 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons à présent M. Étienne Madranges, directeur de la jeunesse et de l'éducation populaire au ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

Vous remerciant, Monsieur, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Étienne Madranges prête serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

Monsieur Madranges, vous avez la parole.

M. Étienne MADRANGES : Comme vous le savez, le champ « jeunesse » du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative ne couvre pas l'ensemble des politiques qui, en France, sont menées en direction de la jeunesse. Celles-ci sont réparties entre le ministère de l'éducation nationale, celui de la cohésion sociale, d'autres encore, ainsi que les régions et les départements. La compétence du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative est précisée par voie réglementaire.

Le ministère est compétent, en premier lieu, dans le domaine de la protection des mineurs. On entend par là la réglementation applicable aux loisirs des mineurs en dehors du temps scolaire et en dehors du temps familial. Il n'exerce aucune compétence pendant le temps scolaire, y compris les classes de découverte. Cette réglementation est en voie d'être réformée, dans le sens d'une meilleure protection.

Dans le cadre de cette compétence, des contrôles sont exercés sur le terrain par nos services déconcentrés : les inspecteurs de la jeunesse et des sports veillent, dans les accueils de loisir, que l'on appelle communément les centres aérés, ainsi que dans les colonies de vacances, au bon fonctionnement, au bon déroulement des activités des enfants et des adolescents, ainsi qu'à leur bon épanouissement. Cela concerne, pour les colonies de vacances, environ 1,1 million de jeunes, et, dans les organisations de scoutisme, environ 150 000 jeunes. Les opérations menées dans le cadre de la politique de prévention en direction de publics spécialisés relèvent d'une autre réglementation. De même, nous ne connaissons pas des Teknival, qui répondent à une réglementation du ministère de l'intérieur. Le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative ne couvre pas non plus tous les transferts et tous les séjours de jeunes. Quand 10 000 mineurs accompagnent 50 000 majeurs aux JMJ de Cologne, c'est une opération internationale d'envergure qui n'est pas assimilable à ce que notre réglementation appelle un CVL, un centre de vacances et de loisirs. Nous nous en préoccupons néanmoins. Nous rencontrons régulièrement les organisations de manifestations de ce type.

La compétence du ministère dans le champ « jeunesse », c'est ensuite l'information jeunesse : 1 600 points en France. À leur tête : le CIDJ, quai Branly, à Paris, où travaillent plus d'une centaine agents. Le CIDJ est une association, mais financée en grande partie par le ministère. Il y a plus d'une trentaine de CRIJ, centres régionaux d'information jeunesse. Les BIJ, bureaux d'information jeunesse, ne sont pas financés par le ministère mais par les collectivités locales, du moins pour la plupart d'entre eux. Enfin, les PIJ, les points d'information jeunesse, maillent tout le territoire. Ce réseau se situe dans un réseau international, Erika. Il assure une information gratuite, anonyme, répondant à un certain nombre de critères. Il touche environ 4 à 5 millions de jeunes par an. Il y a encore quelques années, 900 000 jeunes fréquentaient le CIDJ à Paris. Aujourd'hui, l'accès à Internet a pour résultat que la fréquentation physique de nos centres est moindre.

Il existe deux autres grands réseaux : les missions locales, qui relèvent de la cohésion sociale, et l'ONISEP.

Autre champ de compétence du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative : la parole des jeunes. Elle s'exprime à travers une instance imaginée en 1997, mise en place en 1998, relancée par l'actuel ministre : le Conseil national de la jeunesse. Il est présidé par le ministre, regroupe environ 160 jeunes. La moitié est désignée par les partis politiques, les syndicats, les grandes associations d'éducation populaire, le monde rural, le monde urbain, les DOM-TOM. Les jeunes ont un mandat de deux ans, et doivent avoir moins de 26 ans au moment de leur désignation. Ils peuvent être mineurs. L'autre moitié du CNJ est composée de représentants des départements. Chaque département a mis en place, comme vous le savez, un conseil départemental de la jeunesse. Dans le cadre de la réorganisation administrative, une commission pivot a été mise en place : il y a dans chaque département une commission compétente pour la jeunesse, les sports, la vie associative, une commission dont la partie jeunesse est en quelque sorte le conseil départemental de la jeunesse.

Notre champ de compétence s'étend à l'international, avec deux offices importants. L'OFAJ, l'Office franco-allemand pour la jeunesse, constitue un axe fort de la relation franco-allemande. Son budget est de 22 millions d'euros. Il organise entre 6 000 et 7 000 programmes par an, au profit de 100 000 jeunes. Son co-président français est le ministre de la jeunesse et des sports.

L'OFQJ, l'Office franco-québécois pour la jeunesse, a un budget moindre. La participation de notre ministère est de 2 millions d'euros. Il a également des ressources propres.

Nous participons à plusieurs opérations importantes. C'est ainsi que nous sommes présents au Festival de Cannes - le prix de la jeunesse -, au Printemps de Bourges, au Festival de la BD d'Angoulême.

Pour des raisons historiques, il y a dans notre champ de compétences une particularité, qui est l'éducation populaire. Ce sont des jeunes, des moins jeunes, des vieux. C'est tout ce que fait le secteur associatif. L'éducation populaire n'a pas de définition précise. C'est tout un ensemble de techniques, de pratiques, qui vont des majorettes aux tambours, des harmonies municipales aux associations dont l'objet est d'entretenir les berges d'un ruisseau ou d'une rivière, avec maintenant de nouvelles thématiques : le développement durable, l'éducation à la nutrition. Bref, l'éducation populaire, c'est tout ce que font ces bénévoles dans le domaine de la culture amateur, qui ne relève pas toujours du ministère de la culture : théâtre amateur, le livre vivant, le folklore, de vieilles techniques d'éducation populaire, parfois imaginées, d'ailleurs, par des fonctionnaires du ministère ou par leurs prédécesseurs. Les associations peuvent recevoir de notre ministère un « agrément jeunesse et éducation populaire », ainsi qu'un soutien financier. Environ 400 associations, au niveau national, sont agréées par le ministère. Au plan local, environ 30 000 associations sont agréées par les préfets, donc par les directeurs départementaux de la jeunesse et des sports.

Le champ « sport » concerne, sur le plan associatif, plus de monde, puisque la plupart des jeunes font du sport. Certains en font dans le cadre de l'Union nationale du sport scolaire, qui relève évidemment de l'éducation nationale. Beaucoup en font dans le cadre des clubs, lesquels sont regroupés par des organismes régionaux, eux-mêmes réunis en fédérations. Quelques dizaines de fédérations ont une délégation de signature, et ont donc des capacités propres à édicter des règles, à mettre en place des formations, par délégation de l'État. Parmi celles-ci, plus d'une trentaine sont des fédérations olympiques.

Entre le champ « jeunesse » - je parle de celui qui est du ressort du ministère - et le champ « sport », c'est peut-être plutôt du côté du sport que se poseront des problèmes liés à d'éventuelles dérives sectaires.

De même qu'il existe un agrément « jeunesse et éducation populaire », il existe un agrément « sport », que les associations sportives peuvent demander tant au ministère qu'aux services déconcentrés.

Comment le ministère se situe-t-il en termes de prévention des dérives sectaires ? Je précise d'emblée que ce ministère n'est pas répressif, mais éducatif. Il ne lui appartient pas de se prononcer sur la valeur de tel ou tel engagement qui est celui d'une famille, de telle ou telle religion, de telle ou telle pratique. En revanche, étant chargé de la protection des mineurs, et donc de leur épanouissement, il doit tout mettre en œuvre pour s'assurer, à travers les centres aérés, les centres de vacances ou la pratique sportive, que ces mineurs ne sont pas mis en danger sur le plan psychique, intellectuel ou physique par les comportements d'associations, de groupes, de gourous. C'est même là une priorité que nous assigne le ministre.

Nous sommes parfois victimes de lacunes, ou plutôt de paradoxes. Par exemple, en matière de communication des documents administratifs. Je suis régulièrement saisi par des associations qui ont été mentionnées dans des rapports parlementaires consacrés au phénomène sectaire. Récemment, l'une d'elles me demande, comme par hasard, communication des budgets de l'UNADFI et du CCMM, des procès-verbaux de leurs conseils d'administration, des réunions organisées avec leurs responsables au ministère. Si je manifeste une certaine réticence à communiquer les documents que me demande cette association, elle saisira la CADA, laquelle, n'y trouvant rien à redire, me mettra en demeure de les communiquer, avec à la clé, éventuellement, une astreinte. Il y a peut-être là un sujet de réflexion pour les parlementaires. Comment revoir le système de communication des documents administratifs ? Aujourd'hui, je suis tenu, de par la loi, de communiquer à ce que vous qualifiez de sectes des documents dont certains ne sont certes pas confidentiels, mais dont certains vont l'être. Il est vrai que la législation me permet de barrer des noms propres, d'occulter ceci ou cela, par exemple les jugements de valeur de tel ou tel membre d'une commission. Mais c'est un travail parfois considérable ; les documents que je transmets sont parfois volumineux. Je ne peux les facturer qu'à raison de 0,18 euro la feuille.

Cela étant, quels sont les domaines où le ministère peut agir ? Nous agissons tout d'abord par le biais des agréments délivrés aux associations. Ces agréments répondent à des critères très contraignants : existence d'une vie démocratique au sein de l'association ; géographie précise, puisqu'il faut qu'une association de jeunesse ait au moins six délégations régionales ; communication des procès-verbaux du conseil d'administration ; des budgets et des rapports d'activité qui nous sont communiqués, et que nous épluchons. Certains indices éveilleront l'attention de nos services : un objet social bizarrement lissé, des rapports d'activité un peu curieux. Aucun agrément n'est délivré sans une enquête préalable donnant lieu à un rapport rédigé par un membre de la commission d'agrément, qui est souvent un fonctionnaire d'autorité, un directeur départemental par exemple. Cette commission ne donne qu'un avis. C'est le ministre qui prend l'arrêté d'agrément ou qui rejette la demande, avec les voies de recours classiques.

Je ne suis pas actuellement saisi d'une demande de retrait d'agrément visant une association dont un inspecteur ou un élu m'aurait signalé qu'elle aurait un comportement relevant d'une dérive sectaire. Cela n'a pas toujours été le cas. Curieusement, il a pu arriver dans le passé que telle démarche du ministère tendant à retirer un agrément à une association - que je ne saurais citer, puisque chaque fois qu'on la cite, elle poursuit en diffamation celui qui la cite - se heurte, d'abord, à une farouche opposition de ladite association, et ensuite, à des interventions de niveau politique fort, quel que soit le gouvernement. C'est dire si certains organismes qualifiés par des rapports parlementaires de sectes, ou décrits comme des obédiences appelant une vigilance particulière, ont des soutiens au plus haut niveau. J'entends « au plus haut niveau » au sens général de cette expression. Il y a une douzaine d'années, deux personnages très importants au plan politique étaient intervenus pour éviter qu'une association agréée jeunesse et sports ne perde son agrément. Il est bien évident que de telles interventions ne m'arrêteraient pas si j'étais saisi d'une demande de retrait d'agrément. Mais ce n'est pas le cas actuellement.

Le ministère a mis en place, au niveau national, une cellule, qui est coordonnée par un inspecteur général. Il réunit régulièrement des représentants des directions de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Il entend des experts, convoque des directeurs départementaux, et s'assure que la politique de prévention du ministère est bien mise en œuvre.

Au plan local, nous avons mis en place dans chaque département un correspondant. Ces correspondants font remonter les informations. Mais cela ne suffit pas. Nous réunissons régulièrement les directeurs régionaux de la jeunesse et des sports.

Mais être informé de ce qui se passe sur le terrain ne suffit pas. Il faut aussi former. Nous avons deux axes de formation. Le premier est le plan national de formation, qui comprend des formations initiales et des formations continues. Dans la formation initiale, toutes les personnes recrutées - inspecteurs de la jeunesse et des sports, professeurs de sport, conseillers d'éducation populaire et de jeunesse - reçoivent une formation sur les dérives sectaires. Pour ce qui est de la formation continue, nous envoyons à nos services le Guide de l'agent public face aux dérives sectaires, des livres publiés en collaboration avec nos services, les circulaires concernant le sujet, le rapport de la MIVILUDES. Quand nous organisons une réunion sur le terrain - et nous en organisons beaucoup -, une partie de la réunion est toujours consacrée aux dérives sectaires.

Le second axe de formation est la formation externe. Le ministère délivre des diplômes. Il peut s'agir de simples qualifications de volontaires, comme le BAFA et le BAFD. Il peut s'agir de brevets d'État, qui, eux, ouvrent l'accès à un métier. Quand on a un BEATEP, on peut accéder au cadre B de la fonction publique territoriale. Quand on a un brevet d'État d'éducateur sportif, un BEES, on peut enseigner un sport contre rémunération. En ce qui concerne ces diplômes très professionnels, la vigilance et la formation sur les phénomènes sectaires sont de rigueur. La formation au BAFA et au BAFD prend, elle aussi, en compte les dérives sectaires. Nous sommes en train de revoir les textes réglementaires, qui prévoiront une prise en compte accrue de cette thématique.

La remontée d'informations passe par les correspondants, mais aussi par nos inspecteurs, qui inspectent les établissements sportifs, les centres de vacances et les accueils de loisirs. Statistiquement, dans le champ jeunesse, nous avons très peu de remontées d'informations. Nous détectons les problèmes éventuels en obligeant les organisateurs à nous adresser un projet éducatif. Des indices peuvent nous alerter, par exemple quand le projet éducatif est trop lissé, un peu court, bizarre, employant des termes généraux. Dans ce cas, nous demandons à voir le document pédagogique, c'est-à-dire la mise en œuvre du projet éducatif. Là encore, notre attention peut être éveillée par certains signes : des changements de départements, des allées et venues dans telle province connue pour accueillir des lieux de « méditation », des approches corporelles bizarres, telle ou telle forme de massages. Cela dit, nous ne pouvons pas interdire préventivement quand nous ne soupçonnons rien de précis. Mais nous allons inspecter. Statistiquement, depuis les trois dernières années, nous n'avons pas eu de cas où nous ayons pu démontrer une mise en danger délibérée des mineurs. Par contre, dans un cas particulier où nous soupçonnions une dérive sectaire, si nous n'avons rien vu qui relève de la manipulation mentale ou de la mise en danger physique, nous avons constaté des conditions de nutrition, de logement, d'hygiène épouvantables : intervention lourde, injonction de se mettre en règle sous quelques heures.

Ce sont souvent les élus locaux qui nous donnent des signalements, par exemple des maires de communes rurales qui nous sollicitent quand certains signes les inquiètent. Dans ce cas, nous diligentons immédiatement une enquête. Depuis que je suis à la tête de la direction, c'est-à-dire depuis trois ans, nous avons un cas par an.

Dans le domaine sportif, nous avons plus d'informations. Mais la frontière entre ce qui est licite et ce qui ne l'est pas est parfois difficile à tracer. Si tel entraîneur demande à une jeune sportive de perdre cinq kilos avant la fin de la semaine, au moyen de telle ou telle pratique nutritionnelle, ce n'est peut-être pas une dérive sectaire, mais cela peut être une mise en danger de la santé d'une mineure. On constate qu'un certain nombre de clubs d'arts martiaux se mettent en place en dehors de toute fédération, et se livrent à toute une série de pratiques : réflexions, massages, techniques chinoises. Tant qu'ils n'organisent pas un séjour déclaré jeunesse et sports, nous n'avons pas de moyens d'intervention. Nous agirons plutôt par la voie interministérielle. Nous nous demanderons si les RG se sont intéressés au sujet, si la DDASS est au courant.

Mais c'est ici le lieu de rappeler que le droit commun de la protection des mineurs ne confie pas celle-ci à l'État mais au président du conseil général. C'est lui qui, aux termes du code de l'action sociale et des familles, est chargé de la protection des mineurs. À titre exceptionnel, dans le cadre d'une compétence dite d'exception ou d'attribution, le préfet devient compétent pendant le temps des loisirs. Les jeunes qui sont dans les foyers, ou confiés à la PJJ ou l'ASE échappent à nos contrôles. Il y a de nombreux lieux de vie où nous n'intervenons donc pas, voire où nous ne savons pas ce qui se passe.

J'ai même connu, du temps où j'étais magistrat, une association célèbre implantée du côté des Pyrénées, où l'on plaçait de jeunes drogués chez un vieux monsieur à barbe blanche qui inspirait le plus grand respect, et auprès duquel l'éducation surveillée mettait des éducateurs à disposition, jusqu'au jour où l'est aperçu qu'il y avait des problèmes liés à l'argent, la sexualité. Mais à l'époque, le ministère de la justice, en application de ses règles très strictes, ne pouvait pas découvrir ce qui se passait au sein de cette association dont on ne disait que du bien.

La situation est encore plus difficile quand un centre de vacances part à l'étranger. Dans ce cas, nous avertissons le poste diplomatique. Une intervention peut se faire par le biais de l'Alliance française, du consulat, ou du service culturel. Ils ont le droit d'aller voir ce qui se passe, et de nous alerter. Ils n'en ont pas toujours le temps ni les moyens. Il y a donc un certain nombre de choses qui nous échappent.

Dans le domaine du sport, le recours à des gourous ou le coaching peuvent poser problème. Tel sportif de haut niveau peut être très proche de son entraîneur, avec lequel il peut vivre une véritable osmose. Comment réagissons-nous ? Par la mise à disposition de l'un de nos 1 600 cadres techniques, qui sont prêtés aux fédérations.

M. le Président : Merci beaucoup, Monsieur le directeur, pour cet exposé extrêmement clair. Nous pouvons constater que le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative est particulièrement en pointe dans la vigilance face aux dérives sectaires. Ce mouvement a été impulsé par Marie-George Buffet, et poursuivi sous Jean-François Lamour. On ne peut que se féliciter de cette priorité qui a été fixée par votre ministre.

Vous avez déjà répondu à un grand nombre de vos interrogations. En dehors de la prise en compte du statut des associations, leurs activités et leurs dirigeants font-ils l'objet d'une enquête ? Vous assurez-vous par exemple que le bulletin n° 3 du casier judiciaire des personnes recrutées a bien été demandé par l'association ?

M. Étienne MADRANGES : Je rappelle que le bulletin n° 3 ne comporte que les condamnations supérieures à deux ans d'emprisonnement. Autrement dit, un primo-délinquant qui se serait rendu coupable d'une agression sexuelle et aurait été condamné à huit mois de sursis peut être recruté par une association. Le bulletin n° 2, lui, comprend la plupart des condamnations, mais pas celles qui sont prescrites. Le bulletin n° 1, destiné aux seuls magistrats, comprend toutes les condamnations.

Il était important, en matière de pédophilie, de veiller à ce que les associations ne recrutent pas des personnes ayant été condamnées, même à une peine inférieure à deux ans. Suite à un accord avec la Chancellerie, nous aurons accès au bulletin n° 2 comme au bulletin n° 3, ainsi qu'au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, qui va très au-delà, puisque même des personnes mises en examen et non encore condamnées y figurent. Cela peut engendrer quelques dommages collatéraux, notamment pour des personnes qui n'ont pas été condamnées et à qui l'on interdit d'exercer des fonctions les mettant en contact avec des mineurs, mais je crois qu'en matière de protection, nous n'avons pas le choix. Quand on sait que quelqu'un a eu un comportement de type sectaire, de type pédophile, de type violent, de type intégriste déviant, on ne peut pas prendre de risques. Au plan local, les préfets peuvent interdire par arrêté l'exercice de certaines fonctions.

Le code de l'action sociale a été modifié pour y introduire une autre interdiction, à titre préventif, visant une personne physique ou morale qui envisagerait d'organiser des activités en direction de mineurs.

L'arsenal répressif a été renforcé, de même que l'information sur les antécédents judiciaires. On va dans le bon sens. On ne peut pas aller plus loin.

Pour les présidents d'association, comme pour les trésoriers ou les secrétaires généraux, l'administration peut demander à connaître le bulletin n° 2. Cela dit, la société fait tout pour réinsérer les personnes condamnées. On voit parfois d'anciens détenus, condamnés pour des actes criminels, qui deviennent professeurs, sociologues, psychologues, chefs d'entreprise. Tout le monde dit bravo, on les invite à la télévision. On ne peut pas non plus leur interdire de fonder une association qui s'occuperait des jeunes, pour autant que l'infraction qui leur avait été reprochée n'ait rien à voir avec la santé des jeunes. Ce qui compte, c'est le rapport entre l'antécédent judiciaire de la personne et l'objet social de l'association.

Mais un agrément ne dépend pas uniquement du regard porté sur les dirigeants. Il dépend de l'activité de l'association, de son objet social, de son implantation géographique, etc.

M. le Président : Avez-vous des exemples de retrait d'agrément ?

M. Étienne MADRANGES : Je n'ai pas d'exemple récent. J'ai des contentieux visant des animateurs de centres de vacances qui, à la suite d'un comportement particulier avec une adolescente, ou d'injures répétées ou de violences, ont fait l'objet d'une interdiction par le préfet. Quelques-uns adressent des recours à la juridiction administrative. Dans ces cas, nous donnons l'avis du ministère. Il est très rare que la juridiction administrative donne tort à l'administration. C'est dire que ces décisions d'interdiction sont prises à bon escient.

M. le Président : Votre ministère tient-il un fichier des mesures administratives d'interdiction ?

M. Étienne MADRANGES : Absolument. Il est consultable. En principe, les organisateurs sont tenus de le consulter. Un professeur d'école qui souhaite emmener ses élèves en colonie de vacances pour quinze jours est tenu de consulter le fichier des interdits, que nous alimentons en permanence.

M. le Président : Ce fichier fait-il mention des dérives sectaires ?

M. Étienne MADRANGES : Non. En aurions-nous le droit ?

M. le Président : Vous pourriez indiquer que l'interdiction est motivée par une manipulation mentale, par exemple.

M. Étienne MADRANGES : Si j'introduis une telle mention dans le fichier, je vais directement en correctionnelle. Les organisations que nous évoquons aujourd'hui, et que nous ne citerons pas, ne se privent pas d'engager des actions devant les juridictions. Il m'appartient de protéger les fonctionnaires qui sont sous mon autorité, tout en assurant la protection des jeunes.

M. le Président : Le Président de l'Assemblée nationale nous a d'ailleurs rappelé que les personnes que nous auditionnons ne sont pas protégées par l'immunité dont nous bénéficions.

M. Étienne MADRANGES : Pour avoir été magistrat antiterroriste pendant plusieurs années, c'est un risque que j'assumerai bien volontiers.

M. le Président : L'article L. 227-4 du code de l'action sociale et des familles fait obligation à la personne physique ou morale organisant un accueil de mineurs d'établir un « projet éducatif ». L'article R. 227-23 du même code prévoit que « ce document prend en compte, dans l'organisation de la vie collective et lors de la pratique des diverses activités, et notamment des activités physiques et sportives, les besoins psychologiques et physiologiques des mineurs. » Estimez-vous que cette rédaction est d'une précision suffisante pour éviter toute dérive sectaire ?

M. Étienne MADRANGES : Dire que « les besoins psychologiques et physiologiques des mineurs » doivent être pris en compte peut se révéler à double tranchant. Après tout, si une organisation sectaire organise un accueil de mineurs, elle peut mettre en avant le fait que les « besoins psychologiques » des mineurs font précisément l'objet d'un soin tout particulier de sa part. Cela dit, nous avons sur cet aspect des choses un œil administratif. Nous avons des critères de formation et d'évaluation. Dans une société démocratique, la conception de l'épanouissement des jeunes qui prévaut est celle qui fait l'objet d'un consensus entre toutes les familles de pensée et toutes les générations. Les jeunes doivent jouir de leur liberté d'aller et venir, de leur liberté de conscience, pouvoir se livrer à des activités ludiques épanouissantes, ne pas faire l'objet de contraintes, ne pas subir de violences physiques.

Le projet éducatif, dans la mesure où nos services savent l'analyser, nous permet d'avoir un œil vigilant.

M. le Président : Le texte vous paraît donc suffisant ?

M. Étienne MADRANGES : Oui.

J'ajoute que ce texte a été introduit dans le code de l'action sociale et des familles par un décret dont le but était la simplification administrative. Cette démarche avait été vigoureusement appuyée par le Parlement. À partir du moment où l'on demande à l'administration de simplifier ses rapports avec l'usager, nous n'allions pas nous lancer dans une complexification de la réglementation. Il ne faut pas oublier que si les grandes associations organisant des activités pour les jeunes - les mouvements de scoutisme, la Fédération nationale Léo-Lagrange - ont un savoir-faire en la matière, les associations locales, elles, ont besoin d'un encadrement juridique qui ne leur impose pas des contraintes exagérées.

M. le Président : En d'autres termes, vous faites preuve de pragmatisme.

M. Étienne MADRANGES : Tout à fait. Nous sommes raisonnables. De même, pour ce qui est des inspections, nos inspecteurs ne sont pas des policiers, ni des éducateurs spécialisés, ni des assistantes sociales.

M. le Président : À ce propos, combien de contrôles de centres de vacances et de loisirs sont-ils effectués chaque année par les services départementaux ?

M. Étienne MADRANGES : Nous avons en moyenne deux inspecteurs de la jeunesse et des sports - l'un se concentrant plutôt sur le champ jeunesse, l'autre sur le champ sport -, en plus du directeur départemental, qui est lui-même, dans 95 % des cas, un inspecteur de la jeunesse et des sports. On peut dire que, en été, un ou deux inspecteurs parviennent à inspecter deux ou trois centres de vacances par jour, sachant que les trois quarts des séjours ont lieu durant l'été.

D'autre part, certains départements accueillent plus de centres de vacances que d'autres : le Morbihan, les Côtes-d'Armor, la Savoie, la Haute-Savoie, la Corse, l'Ardèche. Des départements comme la Seine-et-Marne accueillent au contraire peu de centres de vacances.

J'ajoute que les inspecteurs ne contrôlent pas uniquement les centres de vacances. Ils contrôlent également les stages BAFD. Ils devraient aussi contrôler - mais ils n'en ont pas toujours le temps - les stages BAFA.

M. le Président : Des contrôles sont-ils exercés sur les personnels non titulaires d'un brevet d'animateur ?

M. Étienne MADRANGES : Oui. Le contrôle porte sur le séjour et l'ensemble de l'encadrement. Dans les centres de vacances, le directeur doit être titulaire du BAFD ou être stagiaire BAFD. La moitié des animateurs doivent être titulaires complets du BAFA, 30 % devant être au moins stagiaires BAFA. Seuls 20 % des animateurs peuvent ne pas être titulaires du brevet, et les inspecteurs les contrôlent aussi. Ils peuvent évidemment demander au directeur de se séparer d'un animateur qui serait incompétent.

N'oublions pas que les inspecteurs ont une arme efficace : la menace de la fermeture. D'autre part, à une certaine époque, les centres n'avaient pas à être déclarés dès lors qu'ils accueillaient moins de onze jeunes. Après que six adolescents, un jeune de vingt ans et une monitrice ont trouvé la mort dans l'incendie d'un centre équestre à Lescheraines, nous avons analysé ce drame pour voir comment il était possible d'améliorer la réglementation. Désormais, les contrôles pourront se faire à compter de la première nuit et non plus de la sixième nuit. Tous les séjours courts, fussent-ils d'une seule nuit, donneront lieu à une déclaration jeunesse et sports. S'il y a danger en raison de la présence de foin ou de l'absence d'extincteur, ce danger existe dès la première nuit.

M. le Président : Avez-vous connaissance de dérives sectaires dans le milieu du coaching de mineurs qui suivent des préparations sportives de haut niveau ? Y a-t-il un contrôle à ce niveau ?

M. Étienne MADRANGES : Oui, par la présence de nos DTN et de nos cadres techniques au sein des fédérations. Cela dit, il peut y avoir dans le monde sportif des vedettes qui acquièrent une telle notoriété internationale qu'elles en viennent à s'affranchir d'un certain nombre de règles. Il peut être difficile de parler à ces vedettes comme on parle à des sportifs de haut niveau de l'INSEP. Mais la tendance est à une meilleure prévention dans tous les domaines.

Le problème est que les dérives sectaires sont moins facilement identifiables que, par exemple, la pratique du dopage.

Un autre problème est que les organisations à caractère sectaire s'engagent dans une stratégie de pénétration de la fonction publique. Nous ne sommes pas absents de ce débat. On peut penser qu'un ou deux fonctionnaires peuvent appartenir à un mouvement à caractère sectaire. Comment réagir ? En ne les mettant pas en contact avec les mineurs.

M. Jean-Pierre BRARD : Les fonctionnaires qui dépendent de vous ont-ils pour consigne d'appliquer l'article 40 du code de procédure pénale ?

M. Étienne MADRANGES : Bien sûr ! Un fonctionnaire n'a pas à consulter ses collègues, sa hiérarchie ou sa conscience avant de dénoncer à l'autorité judiciaire les crimes ou les délits dont il a connaissance. L'article 40 s'applique évidemment aux directeurs d'administration centrale, à tous les fonctionnaires d'autorité, à tous les fonctionnaires des services déconcentrés. Ce qui peut arriver, c'est qu'un inspecteur découvre une anomalie sans être certain, car il n'est pas forcément juriste, qu'elle constitue un délit. Dans ce cas, il n'est pas illogique qu'il en parle à son chef de service ou qu'il appelle l'administration centrale avant d'alerter le procureur de la République. Mais s'il est témoin, dans l'exercice de ses fonctions, d'un acte dont il sait pertinemment qu'il constitue un crime ou un délit, nul ne lui saurait lui faire grief de saisir directement l'autorité judiciaire.

M. le Président : Monsieur le directeur, merci pour l'action que vous menez au sein de votre ministère, et pour la clarté de votre exposé et de vos réponses.

Audition conjointe de M. Stéphane FRATACCI,
directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur
et de l'aménagement du territoire
et de M. Marc-André GANIBENQ, sous-directeur



(Procès-verbal de la séance du 18 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons à présent M. Stéphane Fratacci, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire et M. Marc-André Ganibenq, sous-directeur des libertés publiques et de la police administrative à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du même ministère.

Vous remerciant, Messieurs, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Dans le cadre de la formule du huis clos qui a été retenue pour votre audition, celle-ci ne sera rendue publique qu'à l'issue des travaux de la commission. Cependant, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué et les observations que vous pourriez présenter seront soumises à la commission.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires punit des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, toute personne qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport de la commission a fait état de cette information.

Je vous rappelle qu'en vertu du même article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Enfin, l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Cependant pour la commodité de l'audition, vous pourrez citer nommément les enfants qui auront été victimes de ces actes, la commission les rendant anonymes dans son rapport.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(MM. Stéphane Fratacci et Marc-André Ganibenq prêtent serment.)

Messieurs, la commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

Monsieur Fratacci, vous avez la parole.

M. Stéphane FRATACCI : Je voudrais tout d'abord insister sur deux aspects. D'une part, il peut être utile de décrire quelle est l'attribution de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques au sein ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, s'agissant de la question des dérives sectaires et de leur influence sur la santé physique en mentale des mineurs. D'autre part, je souhaiterais préciser, sur plusieurs des champs d'intervention de la direction, ce que peuvent être les points d'accroche avec les préoccupations de votre commission d'enquête.

Auparavant, je ne saurais omettre de rappeler que l'action des pouvoirs publics s'exerce dans un cadre normatif et jurisprudentiel qui s'est singulièrement précisé ces dernières années. Plusieurs rapports parlementaires ont du reste contribué à cette évolution, et à infléchir le droit positif. Je soulignerai, par ailleurs, le caractère très structurant de la jurisprudence administrative en cette matière.

Le rapport de la MIVILUDES met en évidence des situations difficiles, voire dramatiques, qui peuvent appeler, pour les différents acteurs publics, une toute particulière capacité de vigilance et de réaction, notamment à l'échelon local.

S'agissant de l'attribution de la direction des libertés publiques, je rappelle qu'elle n'a la responsabilité ni du domaine du droit du culte, ni de celui des associations. En effet, le bureau des cultes et le bureau des associations relèvent d'une autre direction. Cela signifie que l'application de la loi de 1905, les questions jurisprudentielles ou administratives qui peuvent en découler, ne sont pas dans l'exercice direct des attributions de ma direction, qu'il s'agisse de la reconnaissance des associations cultuelles et des droits qui y sont afférents ou de la reconnaissance d'utilité publique.

Historiquement, la direction des libertés publiques a eu une vocation de synthèse sur des questions liées aux dérives sectaires ou interrogations qui pouvaient se faire jour sur ce thème, à travers une compétence plus générale, celle de l'ordre public et des polices administratives.

Deux évolutions ont tempéré cette compétence. La première est que le droit s'est progressivement consolidé, ou que les questions se sont spécialisées, d'où l'investissement plus particulier d'autres directions du ministère dans ce domaine. Je parlais à l'instant du bureau des cultes, mais la direction générale de la police nationale s'est, elle aussi, saisie de ces questions, notamment à travers la direction centrale des renseignements généraux.

La seconde évolution tient au choix des pouvoirs publics de structurer au plan interministériel leur action dans ce domaine, avec la constitution en 1999 de l'Observatoire interministériel sur les sectes, puis de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, puis, en 2002, de la MIVILUDES. Je ne vais pas vous infliger la lecture de son décret d'attribution, mais il illustre le choix de principe - et de substance - de confier au plan interministériel cette responsabilité d'animation et de pilotage, et de favoriser un lien direct entre l'échelon interministériel de la Mission et l'échelon interministériel qui est celui de préfet.

Cela étant, il n'en reste pas moins que la direction des libertés publiques conserve traditionnellement une vocation de synthèse juridique, ce qui nous conduit à être saisi de différentes questions, à préparer des réponses à des questions écrites, ou encore à entretenir, à travers notre participation au comité exécutif de pilotage de la MIVILUDES ou nos contacts directs avec les préfectures, une forme d'action et de connaissance dans ce domaine.

Je souhaiterai maintenant présenter les points d'accroche avec les préoccupations de votre commission d'enquête.

Le premier s'est appuyé notamment sur la circulaire de décembre 1999 du ministre de l'intérieur relative à la constitution des cellules départementales de vigilance. Faire présider celles-ci par le préfet et y associer tous les services de l'État concernés par le sujet avait pour but, dans l'esprit des auteurs de cette circulaire, de favoriser une meilleure sensibilisation au plan local, une meilleure réactivité, et la remontée d'informations utiles. En 2005, 88 départements avaient constitué une cellule, et 33 réunions ont eu lieu. Les départements qui n'ont pas constitué de cellules sont des départements dans lesquels, pour des raisons particulières, malgré l'attention portée par les pouvoirs publics et les préfets, la question de la prise en compte de dérives sectaires n'était pas apparue spécialement visible ou existante. Ce dispositif a été réorganisé par le grand décret transversal de juin 2006, dont l'objet ne vise pas exclusivement ce sujet mais qui, en réorganisant l'ensemble des commissions administratives, a souhaité simplifier leur architecture pour les rendre plus efficaces, la participation des différents services de l'État ou des représentants des juridictions étant favorisée par le nombre plus limité de structures de cette nature. Cela a été l'occasion de placer à l'échelon réglementaire ce qui n'était prévu que par une circulaire et de placer ce sujet dans le cadre de la commission pivot qu'est le conseil départemental de prévention, d'aide aux victimes, de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes. J'ajoute que certaines des questions sensibles peuvent être traitées par des groupes de travail restreints, ce qui peut favoriser le partage d'informations entre les différents acteurs publics au sein de ces instances qui, en étant plus resserrées, favorisent peut-être la réactivité.

La MIVILUDES joue désormais le rôle d'animation directe du réseau des différents acteurs, même si nous l'appuyons. Nous apportons notre concours, si besoin est, en rappelant aux préfectures la nécessité de réunions d'une commission et de la nécessité qu'y participent des représentants de la MIVILUDES.

Le deuxième volet concerne plus particulièrement l'action de l'administration centrale du ministère. Nous sommes conduits à exercer une forme d'expertise juridique, qui prend deux formes. La première est la participation à la préparation des circulaires. Celle de 1999 a été élaborée au sein de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. La seconde est une fonction d'appui juridique, en cas de contentieux. Si des décisions préfectorales ou centrales se trouvent contestées au contentieux, notre intervention peut être nécessaire. Dans le domaine qui concerne votre commission, le contentieux ou les demandes administratives préalables concernent souvent l'accès aux documents administratifs. C'est un sujet où la rencontre entre certaines institutions auxquelles votre commission peut s'intéresser et les pouvoirs publics est assez fréquente.

Toujours dans ce volet, j'insisterai sur un autre point, celui de la protection des mineurs. Notre regard n'est pas porté sur l'objet spécifique de votre commission d'enquête, mais nous avons une compétence d'attribution dans l'application de la loi de 1949 relative à la protection de la jeunesse et dans celle de la loi de 1998. Cela nous conduit, après avis d'une commission, à proposer au ministre la prise de décisions de divers ordres : interdiction d'exposition, de publicité ou de vente de certaines revues à des mineurs. La loi de 1949 est centrée autour de la protection contre les insertions présentant sous un jour favorable diverses activités humaines qui sont, du point de vue du législateur, susceptibles de causer un trouble pour un jeune public. Dans ce cadre, le ministre de l'intérieur est amené, chaque année, à prendre des interdictions de publication. Je me dois d'insister sur le fait que le champ de focalisation de ces décisions, qui sont prises après avis de la commission de surveillance des publications du ministère de la justice, touche plutôt à la présentation explicite d'actes à caractère sexuel ou d'écrits et de visuels qui sont en rapport avec une violence extrême, ou qui constituent une incitation à la haine ou à la discrimination. Ce sont les thèmes retenus par le législateur pour la loi de 1949. Il reste qu'une revue a fait, en janvier dernier, l'objet d'un rappel à l'ordre à raison de la présentation sous un jour favorable de la doctrine ou de l'activité d'un mouvement à caractère sectaire. Il s'agissait d'une insertion publicitaire dans cette revue.

Un autre registre, toujours dans le cadre de l'application de la loi de 1949, est celui de l'Internet. Ce sujet prend une actualité législative, dans la mesure où le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, qui a été adopté par le Sénat et dont l'Assemblée est aujourd'hui saisie, comporte une décision destinée à permettre à des policiers particulièrement habilités de rechercher sur le réseau Internet des infractions concernant les mineurs. Cette disposition témoigne de la volonté d'aménager les règles de la procédure pénale pour autoriser la constatation d'infractions qui sont de nature à exposer les mineurs, étant entendu que, de façon générale, il ne peut s'agir de provocations à la commission d'infraction, ce qui rendrait nulles de droit les poursuites qui seraient engagées dans ce cadre-là.

Dans un autre registre, le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance comporte, dans le domaine de l'assiduité scolaire, des dispositions qui visent à la meilleure information du maire sur les enfants scolarisés sur le territoire de sa commune, y compris de ceux qui suivent un enseignement par correspondance. Ces dispositions sont de nature à permettre une meilleure connaissance du respect des obligations scolaires.

J'ajoute que la loi du 21 juin 2004 relative à la confiance dans l'économie numérique comporte des dispositifs de responsabilisation des hébergeurs et des éditeurs à raison du caractère illicite des contenus qui figurent sur les sites Internet. Cela se traduit par un encouragement pour eux à signaler l'existence de ces contenus illicites. S'ils ne sont pas en situation d'y mettre directement fin par eux-mêmes, ils sont en tout cas en situation de responsabilité, qu'elle soit civile ou pénale, dès lors qu'ils ont la connaissance effective d'activités illicites.

Voilà les champs d'intervention dont, soit dans l'activité normative, soit dans l'activité de suivi, la direction des libertés publiques peut avoir à connaître.

Pour conclure, je dirai que nous conservons, comme par le passé, un regard particulier sur les questions d'ordre public, mais de façon plus générale que ce qui peut se rencontrer dans l'application de l'une ou l'autre des législations sur les associations ou sur les cultes, puisque nous n'en sommes pas directement chargés.

M. le Président : L'ordre public est une interrogation centrale de notre commission. Depuis l'avis de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État du 24 octobre 1997 « Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom », une association doit, pour être qualifiée d'association cultuelle, remplir trois conditions. Elle doit, premièrement, avoir pour objet l'exercice d'un culte. Deuxièmement, il faut que l'exercice du culte soit l'objet exclusif de l'association. Troisièmement, les activités de l'association ne peuvent, en tout ou partie, porter atteinte à l'ordre public.

Comment appréciez-vous, à la direction des libertés publiques, ce critère de l'atteinte à l'ordre public ? Avez-vous à en connaître dans le cadre de vos activités ? Y a-t-il des saisines des préfets pour vous consulter ?

M. Stéphane FRATACCI : S'agissant de l'application de la loi de 1905 ou des critères posés par l'avis de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État de 1997, non, pas directement, et ce pour les motifs que j'indiquais tout à l'heure. C'est une attribution du bureau des cultes. Les préfectures ne nous saisissent donc pas directement de cette question.

Sous l'angle jurisprudentiel, de la lecture de l'avis de 1997, et des décisions du Conseil d'État de 2000 rendues en matière fiscale, on peut rapprocher les conclusions des deux commissaires du Gouvernement. Il me semble lire dans ces conclusions un regard porté par le Conseil d'État qui est très factuel et d'espèce sur les questions qui lui sont soumises. C'est-à-dire que c'est aux faits que s'attache le Conseil d'État pour qualifier le trouble à l'ordre public dans l'application de la jurisprudence. C'est de la qualification de ces faits et de leur gravité qu'il tire la conséquence que le trouble à l'ordre public se trouve ou non constitué. Il semble que le Conseil d'État se soit bien attaché, pour l'application de ce troisième critère, et pour les questions qui lui étaient soumises, celles qu'il a eu à juger, à une appréciation factuelle - faisceau d'indices, éléments connus de lui au moment où il statue - et non à une appréciation de principe, une appréciation erga omnes.

M. Jean-Pierre BRARD : La loi de 1905 n'est pas notre objet. Nous ne nous intéressons pas aux religions mais à ce qui viole la loi, en termes de protection des mineurs qui auraient maille à partir avec les mouvements sectaires.

Avant de vous poser trois brèves questions, monsieur le directeur, je vous rappelle que vous êtes entendu sous le régime du secret. Vous n'ignorez pas que vous avez interdiction absolue de faire état de nos discussions en dehors de la commission d'enquête, y compris à la hiérarchie du ministère de l'intérieur. Je le précise parce qu'il arrive parfois que les personnes auditionnées l'ignorent. Mais compte tenu de vos responsabilités, il est évident que vous ne sauriez l'ignorer.

La question du trouble à l'ordre public nous préoccupe beaucoup. J'ai bien évidemment compris que vous avez répondu d'une façon générale, en évoquant ces deux décisions du Conseil d'État. Je voudrais en évoquer une autre, celle de la Cour de cassation concernant la dette fiscale des Témoins de Jéhovah. Je ne pense pas qu'il y ait une quelconque juridiction au-dessus de la Cour de cassation, pas même le Conseil d'État. Avec la responsabilité qui est la vôtre, quel est votre sentiment ? Lorsque le pronostic vital est engagé, le fait de s'opposer à une transfusion sanguine est-il un trouble à l'ordre public ?

M. Stéphane FRATACCI : Je crois avoir dit tout à l'heure que pour ce qui était du régime de la loi de 1905, je ne me sentais pas une compétence particulière.

J'aurais tendance à ne pas opposer la jurisprudence de la Cour de cassation à celle du Conseil d'État, puisque ces deux juridictions ont à connaître de matières qui peuvent être différentes. Il arrive qu'elles convergent. Il arrive qu'elles ne convergent pas. Mais elles se trouvent être l'une et l'autre, dans les ordres juridictionnels dont elles ont à connaître, des juridictions souveraines.

Je relève simplement, et je m'en tiendrai à cela, que, d'une certaine manière, les décisions du Conseil d'État de 2000, si on lit les conclusions du Commissaire du Gouvernement qui les éclairent, ont été confrontées à cette question, et y ont répondu en considérant que le critère de l'ordre public ne pouvait fonder le refus du bénéfice des dispositions invoquées par les demandeurs.

M. Jean-Pierre BRARD : Promettre délibérément un enfant à la mort en lui refusant le secours d'une transfusion sanguine quand le pronostic vital est engagé est-il, selon vous, monsieur Fratacci, en votre qualité de directeur des affaires juridiques, en votre âme et conscience, un trouble à l'ordre public, oui ou non ?

M. Stéphane FRATACCI : Je crois utile, quand même, de revenir sur une distinction qui est faite par la jurisprudence. Pardon de répondre aussi un peu en droit.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous répondrez en conscience après, si vous le souhaitez. Vous avez juré de dire toute la vérité, y compris ce que vous pensez vous-même, et pas seulement de vous réfugier derrière la jurisprudence.

M. Stéphane FRATACCI : Je ne me réfugie pas derrière la jurisprudence. Je m'efforce simplement de situer votre questionnement dans le cadre qui est celui qui a été posé à la jurisprudence, et de montrer en quoi cette jurisprudence est éclairante ou non pour répondre à la question que vous avez posée.

Je crois comprendre de cette jurisprudence qu'elle distingue les comportements individuels de ce qui se rattache à l'agissement collectif de l'association concernée. Je crois me souvenir qu'une décision de la cour administrative d'appel de Douai a pu considérer légal un refus d'adoption, à raison du comportement individuel des candidats à l'adoption. C'est une question sans doute différente, au regard de ces critères juridiques, que celle de savoir en quoi peut se trouver constitué le même raisonnement pour ce qui est une association ou un mouvement qui soumet une demande de reconnaissance pour le bénéfice de la loi de 1905.

À la question que vous posez, il y a des réponses qui sont tirées de la situation individuelle. C'est la situation du médecin qui peut se trouver, dans l'intérêt même du patient, amené à pratiquer une transfusion sanguine. Il y a des réponses conciliables, de façon pragmatique, avec cette situation-là. Par ailleurs, le médecin peut passer outre au consentement du patient, dans des cas d'urgence, précisément quand le pronostic vital est engagé. Selon la situation qui se rencontre, il y a des réponses conformes au droit et à la conscience des acteurs, qui permettent de comprendre les deux pans de cette jurisprudence.

M. Jean-Pierre BRARD : Comme vous le savez, il y a des médecins Témoins de Jéhovah. Est-ce qu'un médecin qui n'a pas recours à toute la science de son art viole l'ordre public en ne faisant pas bénéficier un enfant de la transfusion sanguine, le condamnant ainsi à mort ? Est-ce, oui ou non, un trouble à l'ordre public ? Après, vous me répondrez en conscience.

M. Stéphane FRATACCI : Mon propos n'est pas de ne pas répondre en conscience. J'essaie de répondre de la façon la plus complète possible à votre interrogation, tout en mesurant que la réponse ne peut pas se faire indépendamment de ce que le droit - je veux dire par là les principes qu'il convient de concilier - prescrit, autorise ou interdit.

S'agissant de la question que vous posez, je reconnais mon incapacité à aller jusqu'au bout de la réponse. Cette question serait plus directement à poser au responsable de l'Ordre des médecins ou au ministère de la santé. Elle interroge la pratique professionnelle, les engagements pris par un praticien par rapport à cette pratique professionnelle. La question est de savoir si l'absence de réalisation de l'acte thérapeutique est ou pas justiciable d'une sanction. Il me semble, mais je le dis d'une façon spontanée, et en conscience, et sans être renseigné du droit médical - je me permets de le souligner pour les membres de la commission, parce que je ne me sens pas de qualité pour parler du droit médical -, il me semble que les règles applicables à l'activité médicale font au médecin l'obligation de secours, et du meilleur traitement approprié pour le patient avec lequel il se trouve en situation d'apporter ce geste. Sans doute peut-on considérer que, si ce praticien est le seul à pouvoir intervenir et si l'acte thérapeutique approprié est l'acte indiqué, ne pas pratiquer cet acte exposerait le patient à un risque qui est de nature à fonder l'affirmation selon laquelle le médecin a méconnu son obligation thérapeutique. Je ne sais pas si cela se rattache directement à l'engagement que prend un médecin d'exercer son art pour le meilleur de son patient, et même si cela relève des sanctions disciplinaires, le droit disciplinaire étant une illustration de ce que sont, d'une certaine manière, des garanties par rapport à un trouble à l'ordre public. Mais cela a aussi à voir avec la science telle que le praticien doit l'exercer au mieux des intérêts du malade.

Donc, il me semble que si le médecin est le seul à pouvoir faire ce geste, et si ce geste est indispensable, il y a engagement de sa responsabilité. S'il y a engagement de sa responsabilité, c'est parce que soit à titre individuel il est en contradiction par rapport à ses engagements éthiques médicaux, soit qu'il méconnaît une règle expresse, que je ne connais pas.

M. Jean-Pierre BRARD : Conduire quelqu'un délibérément à la mort, est-ce, oui ou non, un trouble à l'ordre public ?

M. Stéphane FRATACCI : S'il s'agit de répondre à la question telle que vous la présentez désormais : est-ce que...

M. Jean-Pierre BRARD : Conduire à la mort un enfant et ne pas lui faire bénéficier de toutes les ressources de la science, au nom de croyances, quelles qu'elles soient d'ailleurs, est-ce un trouble à l'ordre public ?

M. Stéphane FRATACCI : Il y a dans votre questionnement une succession en cercles concentriques...

M. Jean-Pierre BRARD : Et vous êtes au milieu, vous refusant à donner une réponse.

M. Stéphane FRATACCI : Non, je ne refuse pas de répondre. Si, dans une situation d'assistance à une personne, je refuse, moi, personnellement, de porter cette assistance, je contreviens d'abord certainement à une règle pénale qui me fait obligation de porter assistance. Et si cette règle pénale existe, c'est bien parce qu'il y a une préoccupation générale d'ordre public.

Une fois que l'on a énoncé ce raisonnement, je me permets simplement, avec l'humilité de celui qui ne connaît pas le droit en question, de vous suggérer de reconsidérer la question dans le contexte plus particulier du droit médical, où la question de la responsabilité individuelle se pose certainement au regard de ce que sont les obligations du praticien, de ce qu'est le contexte de son intervention, et de ce qu'est la nature du geste thérapeutique qui lui est demandé. Je dois reconnaître que je dépasse très largement ma compétence. Ce n'est pas une branche du droit que je pratique.

Je vous réponds spontanément, puisque vous m'invitiez à la spontanéité, tout en soulignant qu'il est sans doute beaucoup plus approprié d'interroger des spécialistes du droit médical ou des responsables de l'Ordre des médecins pour connaître quel est le corps de doctrine, qui existe sans doute, du reste, du conseil de l'Ordre médecins ou du Comité national d'éthique, à supposer qu'il ait été saisi directement de la question que vous posez.

M. le Président : À ce stade, on peut utilement rappeler que l'ordonnance du 16 août 2002 du Conseil d'État, statuant en tant que juge des référés, indique dans l'un de ses considérants que « le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se trouve en état de l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d'une liberté fondamentale ; que toutefois les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, telle qu'elle est protégée par les dispositions de l'article 16-3 du code civil et par celles de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, une atteinte grave et manifestement illégale lorsqu'après avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient d'accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ; que le recours, dans de telles conditions, à un acte de cette nature n'est pas non plus manifestement incompatible avec les exigences qui découlent de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment de son article 9 ».

Qui mieux que M. Renaud Denoix de Saint-Marc pouvait commenter cette position de la haute juridiction ? Entendu le 3 février 2004 par la mission d'information de notre assemblée sur l'accompagnement de la fin de vie, il la résume de cette manière : « Le maintien en vie reste l'objectif le plus fondamental de l'acte médical ou chirurgical dans notre jurisprudence. Le respect de la vie est au premier plan puisque même le respect de la volonté du malade, au moins dans certains cas très précis, doit céder devant le maintien de la vie. C'est ainsi que j'interprète notre jurisprudence. » On ne peut pas être plus clair. Il y a une hiérarchie des valeurs.

M. Stéphane FRATACCI : Le cas de figure correspondant à la décision du Conseil d'État commentée par M. Renaud Denoix de Saint-Marc est celui d'un médecin qui passe outre la volonté du patient dès lors que le geste thérapeutique est de nature à le sauver. La question posée par M. Jean-Pierre Brard tout à l'heure correspondait à un autre cas de figure, en quelque sorte symétrique. Je me reconnaissais insuffisamment informé pour y répondre au regard du droit médical propre.

M. Jean-Pierre BRARD : Mais le droit médical ne l'emporte pas sur les droits de l'homme fondamentaux.

M. Stéphane FRATACCI : Je crois que je me suis mal expliqué. Ce que résume complètement la décision du Conseil d'État de 2002, c'est la possibilité pour le médecin de passer outre la volonté du patient dans une situation où celui-ci aurait exprimé le refus d'un acte thérapeutique de nature à lui être bénéfique.

M. Jean-Pierre BRARD : Tout à fait. Mais je n'évoquais pas seulement le cas du médecin. J'évoquais le particulier qui n'a pas de qualification médicale et qui refuse la transfusion sanguine pour un enfant. Ma question était claire : est-ce, oui ou non, un trouble à l'ordre public ?

Ma remarque de tout à l'heure sur le secret de cette audition n'était pas non plus complètement gratuite. Nous avons besoin d'entendre des personnes qui s'expriment en conscience, librement. Vous avez prêté serment tout à l'heure. C'est très important pour nous.

M. Stéphane FRATACCI : Mon expression est la plus libre possible. Vous m'autoriserez simplement, et précisément parce qu'elle est faite en conscience, de vous indiquer les limites de mon savoir dans une partie de la jurisprudence que je ne pratique pas, et de souligner que la question que vous posez ne peut pas, à mon sens, au regard de ce que je connais de la jurisprudence, se traduire de façon générale et absolue.

M. le Président a rappelé les termes de l'un des considérants de l'ordonnance du Conseil d'État de 2002, ainsi que le commentaire de son vice-président. Ces termes et ce commentaire montrent bien comment le Conseil d'État s'est efforcé, dans cette espèce, de bien cerner ce qui était concrètement en jeu, le moment où cela était en jeu, et en quoi se situe cette espèce de moment libératoire dans le rapport entre ce que vous qualifiez être l'intérêt vital, ou le droit à la vie d'une certaine manière, et la volonté expresse exprimée par une personne de ne pas voir accomplis, pour ce qui la concerne, certains gestes thérapeutiques.

M. Jean-Pierre BRARD : Quel est le nom de la revue qui a été rappelée à l'ordre pour avoir, si j'ai bien compris, présenté un groupe sectaire sous un jour favorable ? Et quel était le nom de ce groupe sectaire ?

M. Stéphane FRATACCI : Cette revue a été rappelée à l'ordre soit par la commission de surveillance des publications, soit par le ministère de la justice. Pardon de ne pas pouvoir être plus précis. Je crois qu'il s'agissait d'une revue pour la jeunesse. Je crois que c'était la publicité qui était en jeu, et pas le mouvement.

M. le Président : Du point de vue des libertés publiques, peut-on considérer qu'une atteinte à la dignité de la personne constitue un trouble à l'ordre public ?

M. Stéphane FRATACCI : Dans votre question, je suis certain, Monsieur le Président, qu'il y a au moins un arrêt du Conseil d'État auquel vous songez. C'est l'arrêt d'assemblée Commune de Morsang-sur-Orge, qui, pour la première fois, a intégré cette notion de dignité de la personne humaine dans les composantes de l'ordre public. Le maire de la commune avait interdit une activité...

M. Jean-Pierre BRARD : Le lancer de nains.

M. Stéphane FRATACCI : ...alors même que ceux qui en étaient l'objet étaient consentants et volontaires, puisque je crois me souvenir qu'il s'agissait d'une activité lucrative. C'est au nom de ce que représentait cette activité que le Conseil d'État a intégré la notion de dignité de la personne humaine dans sa jurisprudence. Cela étant, je ne crois pas que cette jurisprudence - en tout cas je m'étais posé la question l'an dernier, dans une autre espèce - ait vraiment donné lieu à d'autres cas de figure. Je crois qu'elle a été appliquée une fois, solennellement, par la plus haute formation de jugement du Conseil d'État. Je ne crois pas qu'elle ait connu d'autres traductions.

S'agissant de la notion d'ordre public, il y a peut-être, dans une espèce que vous connaissez certainement, celle de 2004, concernant l'association Vajra triomphant, l'énonciation, dans les critères de l'ordre public, de la prévention d'activités illicites. L'idée est que le code pénal participe de la définition de l'ordre public. En énonçant des règles qu'il convient de ne pas enfreindre et en en prévoyant la sanction, il garantit l'ordre public. Par conséquent, une action qui méconnaît une règle pénalement sanctionnée peut être caractérisée comme un trouble à l'ordre public. C'était le sens de la décision de 2004, qui s'appuyait, si je me souviens bien, sur des considérations liées à la méconnaissance par l'une ou l'autre des associations en question de règles d'urbanisme. Le Conseil d'État intègre cette méconnaissance pour considérer que l'ordre public se trouve compromis.

Mais pour répondre encore une fois à votre question, je ne crois pas que l'arrêt d'assemblée Commune de Morsang-sur-Orge...

M. le Président : Il a une valeur jurisprudentielle.

M. Stéphane FRATACCI : Il a une valeur jurisprudentielle. C'est un arrêt solennel. Mais il n'a pas trouvé d'autres applications en l'espèce. Peut-être est-ce parce que les critères classiques de l'ordre public se prêtent assez bien à un large spectre d'interprétations dans les espèces qui ont été soumises au juge administratif.

M. le Président : On peut s'étonner d'une différence d'interprétation de la valeur normative de la convention de New York sur les droits de l'enfant du 26 janvier 1990 par le juge judiciaire et par le juge administratif. La première chambre civile de la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 18 mai 2003, l'applicabilité en droit interne de cette convention, tandis que le juge administratif, de son côté, a une lecture beaucoup plus restrictive de cette convention. Dans l'arrêt GISTI du 23 avril 1997, il a jugé que les stipulations insuffisamment précises de cette convention nécessiteraient des mesures de droit interne pour pouvoir entrer en application.

Cette question n'est pas sans intérêt, car la convention de New York comprend certaines dispositions protectrices de l'enfant, notamment concernant son éducation, qui ne doit pas nuire au développement de son esprit critique. Or, l'atteinte au développement de l'esprit critique de l'enfant peut être reprochée à certains mouvements, notamment les Témoins de Jéhovah, dont je note que vous n'avez jamais cité le nom. Je ne sais pas si c'est par pudeur, ou pour respecter votre obligation de réserve.

M. Stéphane FRATACCI : Je crois n'avoir cité aucune organisation, monsieur le président.

M. le Président : Mais celle-ci est au cœur de notre débat, et j'ai noté que vous avez toujours soigneusement évité de l'appeler par son nom. Nous avons moins de réticences à dire les choses comme elles sont. N'y voyez pas une critique, c'est un constat.

D'après les éléments que nous avons recueillis, l'enfant élevé dans cette communauté ne développe guère son esprit critique sur le monde. Et l'on peut légitimement avoir des craintes quant à l'exercice futur de sa citoyenneté. La convention de New York constitue donc un outil pour protéger cet enfant, à condition que la France, qui en est signataire, accepte de l'appliquer dans ses décisions. Or, le juge administratif ne l'applique pas. Quel est le regard du directeur des libertés publiques sur cette question ?

M. Stéphane FRATACCI : C'est une question que l'on peut retrouver pour l'application d'autres conventions internationales.

À titre personnel, et indépendamment du cas d'espèce, j'ai tendance à considérer que le raisonnement du Conseil d'État est celui qui concilie le mieux le droit interne et le droit international dans l'ensemble de l'application du droit interne. Dans l'application en droit interne d'une convention internationale - et c'est un raisonnement qui vaut, du reste, pour l'ensemble du droit européen, dérivé ou direct -, il faut que la stipulation qu'il s'agit d'appliquer soit précise et d'effet direct pour qu'elle puisse produire des effets de droit interne qui puissent être invoqués, ou que le titulaire du pouvoir normatif interne ait méconnu une telle prescription qui s'imposait à lui. Ce raisonnement qui consiste à regarder, le cas échéant article par article, ou ensemble d'articles par ensemble d'articles, s'ils sont d'une précision suffisante, soit pour trouver une application directe, soit pour s'opposer à la prise ou la non-prise d'un acte normatif, est un raisonnement qui est assez classique dans l'articulation entre le droit interne et le droit international. Il est très présent dans le droit européen. Et il est tout de même très utile, du point de vue de la sécurité juridique, de savoir que la précision d'une norme peut avoir ce type d'effets.

Cela n'interdit pas, évidemment, d'invoquer l'incompatibilité, dès lors que le juge admet de le faire, entre une norme nationale et...

M. le Président : Pardon de vous interrompre, mais même en admettant qu'un texte doive être précis pour pouvoir être appliqué, je me demande comment on peut être plus précis que, par exemple, l'article 29 de la convention, lequel dispose que « les États parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit viser à favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». Plus loin dans le même article, les États parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit viser à « préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre ». Comment peut-on être plus précis ?

M. Stéphane FRATACCI : Ce texte est l'affirmation d'un principe, d'un engagement international. Peut-on y voir l'énonciation d'une règle au sens d'une règle d'application directe pour le comportement ou pour l'action des différents sujets de droit ?

M. le Président : Article 24 : « Les États parties reconnaissent le droit de l'enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. »

M. Stéphane FRATACCI : C'est un engagement des États. La question posée est de savoir si les engagements entre États produisent des effets directs pour les personnes ou s'ils engagent les États à tenir compte, dans leur législation, des principes dont ils sont signataires. C'est comme cela que s'articule le raisonnement, entre l'effet direct d'une prescription internationale et l'effet dit indirect, c'est-à-dire une obligation pour les États signataires de s'employer à traduire dans leur législation ou leur réglementation les engagements qu'ils ont pris.

M. le Président : Il y a des normes internationales qui n'ont pas besoin de transposition en droit interne.

M. Stéphane FRATACCI : C'est vrai.

M. le Président : La Convention européenne des droits de l'homme, par exemple.

M. Stéphane FRATACCI : Je ne dis pas le contraire. C'est le cas notamment des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les parties prescrivent peut-être des principes dont la traduction immédiate, dans les contentieux ou dans les décisions individuelles des juridictions, est plus transversale. La convention de New York contient des principes essentiels, mais dont le caractère directement opérant est peut-être moins clair, du moins aux yeux du juge administratif.

M. le Président : La Cour de cassation éprouve moins d'hésitations.

M. Stéphane FRATACCI : S'agissant de cette convention-là, il y a apparemment une différence entre les deux juridictions. Mais l'expérience montre que les jurisprudences se parlent parfois l'une à l'autre, et trouvent des points de convergence.

M. Serge BLISKO : Ce dernier échange entre le président et vous-même a bien montré l'une de nos difficultés. Si nous estimions que tel ou tel groupe, telle ou telle association, fût-elle reconnue comme cultuelle, n'appliquait pas la convention de New York, nous serions en difficulté devant le juge administratif. Est-ce quelque chose de courant que cette espèce de « protection » des États nationaux par rapport à une convention internationale considérée comme une grande déclaration de principes ? Ou est-ce plutôt un phénomène spécifique au droit des personnes ?

M. Stéphane FRATACCI : Il est difficile de théoriser le problème. De plus en plus, la jurisprudence administrative comme la jurisprudence judiciaire appliquent de manière plus complète le droit international. Je crois que le raisonnement porte non pas sur la souveraineté des États dans l'application de telle ou telle norme, mais plutôt sur la portée de l'engagement qui a été souscrit. La question est de savoir si cet engagement produit tel quel des effets pour la situation des personnes physiques ou morales, ou si, tout en liant les États, il doit se traduire par l'édiction de normes complémentaires et, éventuellement, la révision des normes internes qui seraient contraire à cet engagement.

Sans doute l'influence de l'application du droit européen est-elle l'élément directeur de ce raisonnement, étant entendu que le droit européen a, par ailleurs, ses propres spécificités, le droit dérivé étant l'une d'entre elles.

M. le Président : Le droit européen a sa juridiction, la Cour européenne des droits de l'homme.

M. Stéphane FRATACCI : Pour la Convention européenne des droits de l'homme comme pour les traités de l'Union européenne, il y a une juridiction qui peut sanctionner directement ce qu'elle estimerait devoir être sanctionné. Il est vrai que la convention des droits de l'enfant n'a pas sa juridiction. Mais c'est le cas de la plupart des conventions multilatérales prises sous l'égide des Nations unies, la compétence de la Cour internationale de justice étant gouvernée, sauf erreur de ma part, par le règlement de cette cour et la décision des États parties de s'y soumettre ou non.

M. le Président : Il me reste à vous remercier d'avoir contribué aux réflexions de notre commission.

Audition du professeur Marcel RUFO,
directeur de la « maison des adolescents » de l'hôpital Cochin de Paris



(Procès-verbal de la séance du 19 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Professeur Rufo, vous êtes pédiatre, pédopsychiatre, et directeur de la « Maison de Solenn », qui est la maison des adolescents de l'hôpital Cochin de Paris. Vous avez demandé à être entendu en raison de l'intérêt que pourraient présenter pour nos travaux certaines informations que vous êtes susceptibles de nous donner, et je vous en remercie.

Je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Marcel Rufo prête serment)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement. Monsieur le Professeur, vous avez la parole.

M. Marcel RUFO : Si je suis ici, c'est d'abord en réaction à un site Internet qui fait du prosélytisme pour l'anorexie. Je me suis en effet demandé s'il n'y avait pas là une possible dérive sectaire, menaçant ce public fragile que sont les adolescents, plus susceptibles que nous autres adultes d'aller chercher des informations sur la Toile.

Nous sommes dans une société de l'image, qui envahit notre capacité à penser et à réfléchir. Il est devenu banal, dans les congrès, que les conférenciers lisent des transparents - je dois être l'un des derniers à ne pas le faire. En même temps, des questions récurrentes reviennent : la télévision, les jeux vidéo favorisent-ils la violence ? Et trop parler de l'anorexie, du suicide, ne risque-t-il pas d'avoir un effet incitatif ? On a vu à la télévision l'an dernier, lors de la crise des banlieues, des adolescents qui cherchaient davantage à être à l'image qu'à brûler des voitures. L'un d'eux, qui sautait athlétiquement sur le capot des voitures, avait l'air de dire : « Tu as vu comme je saute bien ? » Pour lui, ce qui comptait, c'était de passer à la télévision.

On peut aussi se demander si cette présence de l'image n'a pas toujours existé. J'ai vu l'autre jour, à une foire aux antiquités en Bourgogne, un tableau du XIXe siècle qui représentait des personnages au visage fermé, à l'attitude étrange, qu'on aurait tendance, aujourd'hui, à orienter vers une psychothérapie...

En fait, plus qu'une société de l'image, nous sommes peut-être surtout une société de l'immédiat, du hic et nunc. Et ce que je vois, dans ma pratique, c'est que ce phénomène de « présentification » touche particulièrement les adolescents, qui vivent dans le présent car ils se fichent pas mal du passé et se disent que pour l'avenir, ma foi, ils verront plus tard...

Je voudrais m'arrêter plus longtemps sur l'anorexie. C'est une pathologie heureusement très marginale, puisqu'elle concerne tout au plus 1 % des adolescents, selon les statistiques les plus pessimistes.

M. le Président : Ce n'est déjà pas mal !

M. Marcel RUFO : Mais, si j'en crois une enquête récente, elle intéresse 41 % d'entre eux. Il y a, à cet âge sensible qu'est l'adolescence, un intérêt extraordinaire pour la transformation du corps, pour la capacité à faire de son corps quelque chose de nouveau par rapport au corps de l'enfance. L'anorexie, contrairement à ce que l'on dit parfois, est surtout une maladie de l'image de soi. L'un de mes collègues avait à l'égard des anorexiques une attitude que je n'approuvais pas : il les mettait devant un miroir pour qu'ils s'y voient. Or, cela ne sert à rien de dire à des maigres qu'ils sont maigres, quand leur pathologie, c'est justement de ne pas se voir tels qu'ils sont. Une jeune fille de mon service a fait un dessin magnifique où elle se dessine squelettique et contemplant son image obèse dans un miroir. Cela caractérise bien la maladie de l'anorexie.

Il y a trois phases dans l'anorexie. La première est la phase « solide », celle du régime. C'est le « syndrome du mois de mai ». Doit-on pour autant incriminer la presse, crier au scandale parce qu'elle pousse les gens à perdre trois ou quatre kilos pour être beaux en maillot de bain, alors que, c'est bien connu, on n'a jamais la beauté qu'on voudrait avoir ?

Plus inquiétante, en vérité, est la deuxième phase, la phase « liquide ». Les anorexiques croient qu'on peut survivre en ne buvant que de l'eau, et arrivent à piéger les généralistes chez qui on les envoie en buvant un litre d'eau avant de venir. C'est quelque chose qu'on ne peut pas dépister sans faire un examen vésical.

La troisième phase, la plus dramatique, est la phase « aérienne », car l'anorexique en est venu à croire que l'air lui suffit. Il disparaît du monde, et il y a un véritable risque suicidologique. Une de mes patientes, qui en était à ce stade, me susurrait d'une voix à peine audible : « Je compte mes respirations pour ne pas consommer trop d'air. » Vous imaginez le degré qu'avait atteint sa pathologie ! Or, il y a une Australienne qui fait des conférences délirantes - je vous laisserai la documentation tout à l'heure - sur le thème : « Je ne mange plus depuis cinq ans, je me nourris de l'air que je respire »... On compte déjà trois morts à cause de ce genre de choses. Quand on vit d'air et d'eau fraîche, il manque un général un élément essentiel, à savoir l'amour, qui donne notamment l'appétit.

J'en viens à Internet, sur lequel j'ai trouvé ces ahurissants sites pro-anorexiques, d'ailleurs parfois associés à des sites satanistes. C'est la première fois qu'on accentue délibérément, dans un but commercial et non d'information, la pathologie du sujet, qu'on lui donne des conseils pour s'engager encore plus avant dans la maladie, pour rejoindre en quelque sorte la secte des anorexiques ». On lui souffle ce qu'il faut dire à ses parents, à son médecin, on lui montre comment se faire vomir. C'est comme si on lui disait de fumer tant de cigarettes par jour pour être sûr d'attraper le cancer du poumon - à cette seule différence que l'anorexie est une maladie moins organique que le cancer, moins répertoriée sur le plan anatomo-pathologique.

Le problème, c'est que les adolescents sont beaucoup plus forts que nous pour faire des recherches sur le Net. Je me souviens qu'il y a longtemps, les grands-parents qui achetaient un nouveau téléviseur commençaient par interdire à leurs petits-enfants d'y toucher parce qu'ils allaient tout abîmer, mais qu'en fin de compte c'étaient les petits-enfants qui le réglaient pour eux ! Aujourd'hui, c'est un peu la même chose : ils essaient de se mettre à Internet, et leurs petits-enfants s'amusent de leurs maladresses...

Nul ne conteste l'intérêt d'Internet, mais le risque est l'isolement. Internet offre aux adolescents, et surtout aux plus fragiles, la possibilité d'un contact purement virtuel, au moyen d'une image masquée. Il ne faut pas oublier qu'il y a, à côté des 90 % d'adolescents qui vont bien - et qui savent utiliser Internet bien mieux que nous -, 10 % d'adolescents plus vulnérables, qui trouvent dans le Net un moyen d'isolement et non de contact, grâce auquel ils transforment leur vulnérabilité en apparente invulnérabilité. Il ne faut pas confondre, en effet, le contact et l'outil de communication. Les sites comme celui dont je vous ai parlé sont dangereux, car ils ouvrent une voie. C'est comme le haschisch : si l'adolescent n'est pas vulnérable, ce n'est pas très grave, mais s'il l'est, cela ouvre la voie à la pathologie. Or, tous les adolescents se croient invulnérables, et cette notion d'invulnérabilité à l'adolescence est souvent, justement, un signe d'entrée dans la vulnérabilité. Je suis très alarmé par ces sites qui démolissent toute l'action thérapeutique et préventive que nous devons avoir envers les adolescents en mal d'image de soi.

M. le Président : Je vous remercie pour votre exposé, professeur. Si nous ne vous avions pas entendu, nous serions effectivement passés à côté de cet aspect des choses, qui ne ressort pas des alertes habituelles que nous recevons des associations. Vous nous avez parlé de dérives à caractère quasi sectaire passant par le Net, et favorisant l'entrée dans la pathologie ou la valorisation de celle-ci. Avez-vous en tête des sites, des blogs ?

M. Marcel RUFO : Je pense notamment à un site comme anorexia, qui touche les adolescents. Ce sont des adolescents hospitalisés dans mon service qui m'ont alerté. En matière de communication, le fait divers est souvent plus important que l'aspect conceptuel, et c'est sur la Toile que les adolescents vont pour cautionner leur pathologie. Le site dont je vous parle est remarquablement fait, hélas, sur le plan psycho-pathologique. Il inculque des modes de dénégation, fournit des stratégies d'évitement, et cautionne la pathologie. C'est proprement ahurissant, c'est comme si l'on disait aux gens qui se sont cassé la jambe : « Ne faites surtout pas de rééducation, vous aurez ainsi plus de séquelles orthopédiques, et un taux d'invalidité supérieur »...

M. le Président : Vous avez évoqué une conférencière australienne. De qui s'agit-il ?

M. Marcel RUFO : Il y a un site, le site B'harmony.com, qui promeut le programme Pramad 2000 : quatre jours de stage à Marseille, Paris ou Lyon sur le thème « Vivre de lumière, cinq ans sans nourriture matérielle »...

M. le Président : S'agirait-il de Jasmuheen, de son vrai nom Ellen Greve, qui prétend ne plus se nourrir depuis 1993 ?

M. Marcel RUFO : Oui. A Marseille, on la traiterait de « fadade »...

M. le Président : On pourrait appeler « respirianisme » cette théorie du passage du solide au liquide puis à l'aérien.

M. Marcel RUFO : Je suis de ceux qui défendent le recours aux techniques de médiation corporelle comme la sophrologie ou la relaxation, dans la prise en charge corporelle des adolescents, avant de passer à une psychothérapie ou à une chimiothérapie. J'ai même eu la chance de pouvoir recruter dans mon service - c'était une première à Paris - la première sophrologue reconnue. Je ne critique donc pas du tout les techniques respiratoires. Mais en l'espèce, il s'agit de cautionner l'entrée dans la maladie et d'y enfoncer les gens.

M. Jean-Pierre BRARD : Comment distinguer, parmi les sophrologues, les relaxologues, les naturopathes ou autres, le bon grain de l'ivraie ? Y a-t-il des diplômes ?

M. Marcel RUFO : Je sais que vous avez eu des discussions très animées sur le diplôme de psychothérapeute, et que vous êtes donc au fait de la législation. Le bon grain, pour moi, ce sont les gens qui savent douter d'eux-mêmes et acceptent d'être contrôlés par un organe regroupant l'ensemble des professionnels. L'ivraie, c'est, par exemple, un homéopathe qui s'en remet à la seule homéopathie pour soigner les cancers : c'est un homme dangereux, même s'il a le titre de docteur en médecine. Mais quelqu'un qui cherche simplement à éviter la multiplication des soins paracliniques en considérant le sujet dans son entité, pour moi, c'est encore le bon grain.

J'étais invité, il y a quelque temps, à un congrès d'homéopathes dans un pays qui m'est cher, la Corse. Je m'y suis rendu parce que je m'intéresse à la proximité qui existe, du point de vue de l'immédiateté du contact, entre psychiatrie et homéopathie. Une dame homéopathe m'y a demandé ce que je pensais du donjuanisme - sujet éminemment intéressant pour un psychiatre - avant de proclamer qu'elle avait, elle, la solution : une infusion de sarriette. Je lui ai répondu que j'avais un ami qui ferait bien d'en brouter tout un champ, mais je ne suis pas sûr qu'elle ait compris... Cela dit, une fois de temps en temps, une petite infusion peut sans doute aider.

M. Jean-Pierre BRARD : Reste que les sophrologues ne sont pas organisés en profession constituée, susceptible d'authentifier le bon grain.

M. Marcel RUFO : Justement, le professeur Yvon Berland, président de l'université de la Méditerranée, travaille beaucoup sur ces nouveaux métiers et ces nouvelles techniques. Organiser tout cela dans un cadre universitaire serait sans doute une réponse. Cela pourrait en outre fournir un débouché supplémentaire à des étudiants victimes du numerus clausus en médecine, actuellement si sévère qu'il n'est pas rare d'échouer en fin de première année malgré une moyenne de plus de 14 sur 20. On pourrait imaginer que les écoles de médecine forment, outre les kinésithérapeutes, les infirmiers, les orthophonistes, etc., ceux qui prodigueront ces soins de « médiation corporelle », qui me paraissent essentiels en dépit des dérives comme celle de l'Australienne dont il était question tout à l'heure.

M. Jean-Pierre BRARD : Si je comprends bien, la chose est en devenir, mais le taux de charlatanisme risque d'être élevé tant que la profession ne se sera pas organisée.

M. Marcel RUFO : Il y a aussi des charlatans en médecine !

M. Jean-Pierre BRARD : Comme en politique...

M. Marcel RUFO : Je ne me prononcerai pas sur ce point... Je me contente de balayer devant ma porte.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez esquissé tout à l'heure une idée intéressante pour ceux qui, comme nous, travaillent depuis longtemps sur les sectes. C'est l'idée selon laquelle il y aurait une sorte de secte virtuelle, dont le gourou n'est pas visible, mais existe bel et bien, et favorise des perversions pouvant aller jusqu'à la négation de soi-même. Est-ce une hypothèse que l'on peut former, et qui permettrait de caractériser une sorte de nouvelle dérive sectaire ?

Je voudrais aussi évoquer la question des automutilations, comme celles pratiquées dans les mouvements gothiques ou satanistes : il y a des jeunes, me rapporte-t-on des lycées de ma ville, qui se scarifient sans que cela provoque de réactions dans leur entourage, ni même que les gens s'en aperçoivent.

M. Marcel RUFO : Les scarifications sont un phénomène très passionnant pour la réflexion actuelle sur la psychologie de l'adolescent. Dans certaines classes de vingt-cinq élèves, on compte jusqu'à cinq élèves qui en ont ! Ce n'est donc pas un phénomène mineur. De mon temps, il y avait des garçons qui se brûlaient avec des cigarettes pour faire le malin et impressionner les filles, mais la plupart les trouvaient un peu bizarres.

Une raison possible de ces scarifications est peut-être, paradoxalement, que les parents ont fait des progrès dans leur compréhension des enfants. Cela expliquerait que, pour devenir propriétaire de soi-même à l'adolescence, il faille se faire mal, comme si la douleur était la seule chose qui puisse vous appartenir en propre. Et puis, aller mal, c'est facile, on y arrive toujours, alors que réussir sa traversée de l'adolescence est autrement plus complexe.

Il existe peut-être aussi un phénomène épidémique. Dans mon service, il y a une jeune fille qui se scarifie très profondément, jusqu'au derme - cela me fait mal rien que d'en parler - et qui, de temps en temps, le fait en public, de sorte que deux ou trois autres jeunes filles ont voulu faire pareil. Leur cas, pourtant, n'avait rien à voir, mais il y a une sorte d'identification négative à l'époque de l'adolescence.

Un double fait divers m'a beaucoup marqué, et a marqué tout le monde, je crois : il s'agit de ces deux jeunes filles qui ont sauté ensemble du dix-septième étage. Elles étaient dans une dérive mélancolique, et auraient eu besoin de soins. Mais ce qui m'intéresse surtout, ce sont les deux autres jeunes filles qui les ont imitées. À l'adolescence, la meilleure amie peut avoir une influence très dangereuse, car elle remplace la famille, la fratrie, et cela peut être au bénéfice de la part négative, satanique, de la vie - comme si certains adolescents fragiles avaient plus peur de la vie que de la mort. N'oublions pas que le suicide est la deuxième cause de mortalité entre 15 et 19 ans, et la première entre 20 et 25 ans. Nous devons, au-delà de la nécessaire réflexion en termes de statistiques et d'épidémiologie, faire davantage pour la prévention. C'est là une critique que j'adresse à ma propre discipline, qui a tendance à s'intéresser plus aux soins qu'à la prévention et à l'origine des troubles. Peut-être faudrait-il travailler sur une sorte de « vaccin psychologique », mais en parler nous entraînerait assez loin, tant le sujet est complexe...

M. Jean-Pierre BRARD : Je voudrais revenir à cette question de l'émergence, sur Internet, d'une nouvelle catégorie de secte, où l'on ne voit jamais son gourou persécuteur, et qui peut déboucher sur la rupture sociale et familiale. Quels sont, selon vous, les circuits d'entrée ?

M. Marcel RUFO : Pour réussir, une secte a besoin de mystère, de clés pour entrer, et la Toile, de ce point de vue, est un outil idéal, je suis d'accord avec vous là-dessus. C'est le mystère qui crée le gourou, et celui-ci bénéficie du fait d'être masqué, immobile, hors d'atteinte, recherché, contrairement aux apôtres, qui sont, eux, visibles. En fait, le gourou est virtuel, et la virtualité permet la pathologie.

M. Philippe TOURTELIER : Vous avez parlé du risque d'isolement devant le Net. Nous avons auditionné un magistrat qui avait jugé une affaire en se basant sur le risque de désocialisation de l'enfant. Peut-on s'appuyer de façon solide sur ce risque pour combattre certains abus ?

M. Marcel RUFO : Un adolescent qui va mal présente un faisceau de signes. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter s'il se contente de surfer sur le Net. Mais si, en plus, il ne dort plus, ne travaille plus en classe, ne voit plus ses amis, arrête les activités qu'il aimait, devient agressif en paroles et physiquement, contre lui-même et contre les autres, alors le temps passé sur Internet est un signal d'alarme, d'autant plus inquiétant s'il est associé à d'autres signes.

Nous recevons à peu près 1 500 adolescents par mois, dont 80 % viennent spontanément, avec leurs parents. Ils disent toujours que ce sont leurs parents qui ont voulu qu'ils viennent, mais trois quarts d'heure après, ils ne veulent plus repartir, ils n'arrêtent pas de parler, il faut presque les pousser dehors. Cela veut dire qu'il y a encore une possibilité d'ouverture.

Prenons garde, cela dit, à notre propre jalousie, qui peut venir du fait que nous n'avions pas Internet quand nous étions adolescents. Nous avions d'autres choses : moi, par exemple, j'ai été pendant longtemps un vrai mordu du flipper, je n'arrêtais pas de demander 20 centimes à ma grand-mère pour aller faire une partie - et si j'avais eu des jeux vidéo chez moi, j'y aurais sans doute passé beaucoup de temps. Mais d'être un peu addictif ne m'a pas empêché de devenir psychiatre ! Ce qu'il faut considérer, c'est le faisceau de signes : pour ma part, je présentais des signes d'empathie, j'étais sociable et j'aimais beaucoup ma grand-mère, qui faisait une délicieuse poitrine de veau farcie...

M. Philippe TOURTELIER : Si des parents emmènent un adolescent dans une communauté sectaire fermée, ils l'astreignent à des règles particulières qui le coupent de la société et l'empêchent de se confronter à la vie. Est-ce quelque chose à quoi le psychiatre peut réagir ?

M. Marcel RUFO : Si je voyais ça en consultation, je ferais un signalement au juge des enfants, car des parents pathologiques risquent d'entraîner leurs enfants. Nous avons vu, à propos de l'affaire d'Outreau, que des enfants de gens très malades peuvent adhérer à la pathologie de leurs parents, parce qu'il vaut parfois mieux avoir une mère sorcière que pas de mère du tout. Le « co-délire » est quelque chose que l'on voit souvent dans les couples. J'ai été persécuté, c'est le cas de le dire, par un collègue dont la femme est délirante, et qui, par affection, co-délire avec elle, au point de militer contre cette notion. Les enfants sont obligés, eux aussi, d'adhérer à ce délire familial. Les signalements se font normalement en cas de sévices, mais en l'espèce il s'agit d'un sévice social, et il y a tout intérêt que le juge soit saisi.

M. le Président : C'est un avis que nous partageons très largement.

Mme Martine AURILLAC : Je voudrais revenir un instant sur cette notion de « secte virtuelle ». S'agit-il, selon vous, d'un phénomène récent ? À quand remonte-t-il, à peu près ? Les sites en question sont-ils fréquemment consultés ?

D'autre part, parmi les quelque 1 500 adolescents que vous recevez, y en a-t-il qui aient été touchés par des phénomènes sectaires, embarqués dans des parcours plus ou moins longs par des manipulateurs pervers ?

M. Marcel RUFO : Les sites dont je parle doivent avoir été créés il y a cinq ou dix années déjà, mais c'est la diffusion de l'accès à Internet qui a donné son ampleur au phénomène. Il faudrait tracer les deux courbes.

Pour répondre à votre seconde question, ce que je vois le plus souvent dans ma pratique, ce sont les rites satanistes. Cela passe par le Net, bien sûr, mais aussi des ouvrages, des livres, toute une littérature tournée vers la mort. Si, à l'adolescence, l'habit fait le moine, nous gardons tous, plus âgés, des séquelles de notre adolescence dans notre vêture. Le rite sataniste est sans nul doute quelque chose qui marque beaucoup. Si quelqu'un parmi nous était forcé de porter un piercing à la langue, il porterait plainte. Et encore, un piercing, admettons, mais cinq ou dix, y compris sur la langue, ce n'est plus de la tolérance parentale, c'est de l'abandon ! L'autre jour, dans l'autobus 91, j'ai vu tout près de moi un gosse avec des habits noirs, des clous, des piercings de tous les côtés. Je lui ai demandé carrément : « Ça ne te fait pas mal ? » Il s'est retourné et m'a répondu : « Attention, je pique ! ». Je lui ai dit : « Non, c'est toi que ça pique. » Il est descendu à l'arrêt suivant pour prendre le bus d'après, il ne pouvait plus supporter ma présence.

Il faut avoir le courage de dire les choses aux adolescents. Les parents doivent faire attention à ce que l'apparence ne prenne pas le pas sur l'intérieur. Je vois souvent des adolescents qui ont une apparence, disons, discutable. Je leur dis : « Mais comment est-tu attifé ? Comment veux-tu que tes professeurs croient que tu t'investis dans tes études, alors que tu ressembles à un diable ? » Les parents me demandent : « Vous croyez qu'on peut lui dire des choses comme ça ? » Je leur réponds que oui. Entre une trop grande tolérance et un rejet par les parents, il y a souvent des liens de cousinage plus forts que l'on ne croit.

M. le Président : Je signale aux membres de la commission l'ouvrage tout récent édité par la MIVILUDES : Le Satanisme : un risque de dérive sectaire. Je vous lis le passage consacré au fameux Anton LaVey, dit « le Pape noir ». « Ancien dompteur de fauves, organiste d'église, photographe de la police américaine et proche de Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie à ses débuts, il est l'instigateur de la création de l'Eglise de Satan (Church of Satan) le jour de la Walpurgisnacht (fête germanique supposée magique). Il rédige La Bible satanique (Satanic Bible), en vente en France depuis début 2006, cœur d'un système philosophique élitiste, hédoniste, antireligieux et darwiniste. Derrière un formalisme antithèse du christianisme (...), expose une « philosophie religieuse dont Satan est le symbole de la liberté et de l'individualisme ». Satan n'est donc plus une personnification réelle du Mal, mais un symbole. » Est-ce un phénomène qui touche vraiment la jeunesse ? C'est une de nos préoccupations.

Le « respirianisme » n'est pas non plus pure théorie. La « gourelle » australienne de ce mouvement est venue animer une retraite en Ardèche. Le rassemblement a été surveillé, mais il ne s'est rien passé : il ne s'agissait en fait que du prélude à un processus de jeûne ultérieur. Nous avons été informés aussi d'une série de conférences à Paris. Cela montre bien que le phénomène est susceptible de « prendre » en France.

Nous avons également vu un petit film saisissant sur ce qu'on appelle la « communication facilitée ». Avez-vous un avis scientifique sur la validité de cette technique, qui semble être appliquée notamment aux autistes, et rencontrer un certain écho chez des parents désemparés ?

M. Marcel RUFO : Je crois qu'il n'y a rien de pire, pour des parents, que d'avoir un enfant autiste. L'autisme est une maladie de la communication : l'autiste ne communique pas, n'a pas de contact avec autrui. La mère d'un enfant autiste ne peut pas vivre, comme les autres mamans, cette belle période des dix-huit premiers mois, cet état de « folie amoureuse » qui la rend si attentive aux progrès de son bébé qu'elle les décèle mieux et plus vite que n'importe quel spécialiste - au point que l'on assiste à des disputes dans les parcs, sur le mode : « Mon fils a fait ci et ça à trois semaines », « Le mien l'a fait à dix-neuf jours »... Tous ces parents « doltoïsés » sont d'une grande compétence par rapport aux parents d'avant, et c'est pourquoi ils sont si avides de techniques lorsqu'ils ont le malheur d'avoir un enfant autiste. Certaines techniques comportementalistes peuvent naturellement amener les autistes à avoir un semblant de communication, mais je crois, pour ma part, que l'avenir est plutôt dans la recherche médicale, dans la radiologie notamment : si l'on arrivait à montrer que certains enfants n'utilisent pas certaines zones du cerveau, cela permettrait de déculpabiliser les parents. Il faut le dire et le redire : l'autisme est une maladie, et les parents ne sont pas responsables de l'autisme chez leurs enfants. Quelqu'un comme Bruno Bettelheim a dit d'énormes bêtises sur cette question, qui ont malheureusement été beaucoup relayées à la télévision : il prétendait notamment prendre en charge des enfants autistes dans son centre orthogénique de Chicago, hors de la présence parentale, et les guérir ! Comment voulez-vous que de tels propos n'entraînent pas un sentiment de culpabilité ? L'autisme est une maladie neurophysiologique, un handicap immense. On prend en charge les enfants autistes dans les institutions, avec des aides, des IMA à temps partiel, mais la souffrance des parents est telle qu'il y en aura toujours pour se réfugier dans le déni de la réalité et chercher des techniques gadgets, comme cette « communication facilitée ».

M. le Président : Cette technique que vous qualifiez de gadget est prise en considération, nous a-t-on dit, dans certaines facultés de médecine ?

M. Marcel RUFO : Je suis un peu gêné pour vous répondre, car un de mes anciens collaborateurs est justement l'un des chantres de cette pratique, sur laquelle je suis personnellement très circonspect.

M. le Président : Seulement circonspect ?

M. Marcel RUFO : Il ne faut pas utiliser la science pour justifier des modalités de prise en charge. C'est un peu comme la méthode Doman, qui consiste à faire prendre un enfant handicapé par tout le voisinage. Quand Jean-Pierre Papin ou d'autres célébrités apportent leur soutien à cela, vous imaginez l'impact sur les parents qui souffrent ! Pour ma part, je ne suis pas favorable à l'interdiction de telle ou telle pratique. Je suis plutôt partisan de chercher à ramener les gens vers une conception plus globale du traitement.

M. Jean-Pierre BRARD : Nous connaissons tous des familles avec des enfants autistes. Il est dommage qu'on n'entende pas davantage votre discours à la télévision, au lieu de celui de saltimbanques qui, parce qu'ils ont la langue mieux pendue que les neurones, finissent par être plus écoutés que les spécialistes, au prix de souffrances aggravées pour les parents.

Vous avez parlé, à propos des piercings excessifs, d'abandon parental. Je voudrais revenir sur les scarifications, qui semblent plus répandues chez les garçons que les filles. Les enseignants peuvent-ils vraiment, s'ils sont attentifs à leurs élèves, ne rien remarquer ? N'y a-t-il pas des lacunes dans la formation qu'ils reçoivent ?

Par ailleurs, vous avez dit qu'il y a des livres et des sites qui incitent au suicide. Que devons-nous faire, en tant que législateurs ? Prendre des mesures de coercition, d'interdiction ? Quel est votre sentiment ?

Enfin, avez-vous connaissance de passages du virtuel au réel, de gourous masqués qui sortiraient de l'ombre pour passer à une étape supplémentaire de la manipulation ?

M. Marcel RUFO : Je suis un admirateur absolu de l'éducation nationale. L'école offre aux enfants une chance extraordinaire : celle de compléter la compréhension du monde que leur offrent leurs parents biologiques. Il arrive même que les enseignants comptent plus, de ce point de vue, que les parents biologiques. Peut-être avez-vous lu, dans Le Premier Homme d'Albert Camus, la lettre que lui a adressée son instituteur, M. Germain, lorsqu'il a obtenu le prix Nobel de littérature ? Il lui écrit en substance : « Avec ma femme, nous t'avons vu à la télévision, nous sommes fiers de toi. » L'instituteur « parentalise » en quelque sorte le succès de son élève, et a plus loin cette parole fabuleuse, que je cite également de mémoire : « Si tu savais combien le plaisir que j'avais chaque jour à voir ton plaisir de découverte m'a enrichi dans mon rôle d'enseignant ! » Certes, on n'a pas toujours la chance d'avoir Camus pour élève, mais je crois tout de même que ce rôle de l'éducation nationale est essentiel.

Le problème se situe dans les IUFM : il faudrait qu'il y ait, dans la formation, 30 % de cours de psychologie, avec des réflexions sur des cas cliniques. C'est un aspect un peu trop négligé. On a longtemps fait de la « bébéologie », maintenant il n'y en a plus que pour les adolescents, mais il faudrait aussi s'intéresser aux enfants qui ont l'âge d'être en maternelle et en primaire, qui sont en phase de latence, de découverte physiologique et épistémologique. Il y a tout un travail de prévention des troubles par l'éducation et la culture à mener. Si j'étais législateur, je m'investirais beaucoup sur ces questions.

Faut-il prendre des mesures coercitives à l'encontre de certains sites ou livres ? Je n'ai pas à me substituer au législateur, mais j'ai tendance à penser que l'interdiction n'est pas bonne, qu'il vaut mieux privilégier la diffusion de la vraie connaissance.

M. le Président : Il existe des textes contre la cyber-criminalité, et des services compétents qui surveillent la Toile.

M. Marcel RUFO : Le rôle du juge est central, mais les chemins de l'explication sont essentiels.

M. Jean-Pierre BRARD : Et sur le passage de la secte virtuelle à la secte réelle, sur le passage à l'acte du gourou, avez-vous une réflexion, des expériences ?

M. Marcel RUFO : J'aurais personnellement tendance, même si c'est un peu contradictoire avec ce que je viens de dire, à être plus répressif, et à arrêter le gourou lorsqu'il sort de son trou. La question est un peu délicate, car les adolescents nous mettent toujours, nous parents, en situation de tester notre propre tolérance, en se faisant les « supporters » de choses que nous ne supportons pas. C'est par la différence qu'ils s'autonomisent, mais s'il est « interdit d'interdire », il nous est tout de même permis de donner notre avis...

M. Jean-Pierre BRARD : Un dernier diagnostic, professeur ?

M. Marcel RUFO : Je crois que les parents ont beaucoup progressé sur la notion de parentalité, et que ce progrès de la société permet de mieux repérer les déviances qu'avant. Mais, paradoxalement, quand 90 % des adolescents vont bien et que 10 % seulement vont mal, ces derniers sont davantage stigmatisés. C'est la même chose que pour ceux qui, aujourd'hui, n'ont ni bac ni CAP, quand 80 % des élèves ont le premier et 80 % des autres ont le second. De mon temps, il n'y avait que 17 % des enfants qui entraient en sixième, et c'étaient eux, finalement, qui étaient marginalisés !

M. le Président : Professeur, je vous remercie. Je crois que nous avons entendu le message que vous avez souhaité délivrer à la représentation nationale, et que nous n'avons pas perdu notre temps en votre compagnie.

* Audition de M. Didier HOUSSIN, directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités, du Dr Carole CRETIN, chef du bureau maladie chronique enfants et vieillissement et de M. Bertrand SACHS, sociologue


(Procès-verbal de la séance du 24 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons à présent M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités.

Vous remerciant, monsieur, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Dans le cadre de la formule du huis clos qui a été retenue pour votre audition, celle-ci ne sera rendue publique qu'à l'issue des travaux de la commission. Cependant, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué et les observations que vous pourriez présenter seront soumises à la commission.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires punit des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, toute personne qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport de la commission a fait état de cette information.

Je vous rappelle qu'en vertu du même article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Enfin, l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. Cependant pour la commodité de l'audition, vous pourrez citer nommément les enfants qui auront été victimes de ces actes, la commission les rendant anonymes dans son rapport.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Didier Houssin prête serment.)

La commission va maintenant procéder à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement.

Monsieur Houssin, vous avez la parole.

M. Didier HOUSSIN : La commission a souhaité m'entendre en raison de mes responsabilités dans le système de santé français, en tant que directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités.

À la suite de mon introduction, j'aborderai les points suivants : le champ spécifique de la DGS en matière de lutte contre les dérives sectaires ; le recours au droit commun ; le dispositif de lutte contre les dérives sectaires au sein du ministère de la santé et des solidarités ; les actions conduites par la DGS ; les perspectives.

Les pratiques des mouvements à caractère sectaire dans les domaines qui relèvent du ministère de la santé et des solidarités sont préoccupantes, leur action visant en particulier des personnes vulnérables en difficulté, qui, souvent, sont démunies face aux messages et aux stratégies de communication mises en œuvre. Ces mouvements s'intéressent souvent aussi aux enfants de leurs adeptes et les confrontent notamment à des situations potentiellement ou effectivement dangereuses pour la santé mentale et physique de ceux-ci.

Au cours des dernières décennies, les sectes ont investi massivement le champ de la santé et le champ médico-social, notamment à travers des offres de prise en compte globale de la personne dans une perspective dite « holistique ».

Plus largement, s'est développée une offre considérable de pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, exercées par des personnes ou des micro structures, dont les théories, les modes d'intervention, le langage s'apparentent dans une large mesure à ceux que l'on retrouve dans les mouvements sectaires.

Cette situation prend aussi la forme du développement, sur ce même champ, d'offres de formations de toute nature, dispensées au prix fort, souvent brèves et présentées comme qualifiantes par leurs promoteurs.

Ces similitudes avec les sectes n'impliquent pas que toutes ces pratiques ou offres de formations puissent être assimilées à des dérives sectaires ou y conduisent. En revanche, les croyances sur lesquelles elles se fondent, leurs modes d'organisation et de diffusion, conviennent bien aux mouvements sectaires qui, pour certains, se les approprient ou en inventent de semblables.

J'aborderai maintenant le champ d'action spécifique de la DGS au regard des dérives sectaires

Dans le champ de la santé, la lutte contre les dérives sectaires trouve sa place dans les actions à l'encontre de toute pratique à prétention thérapeutique dès lors que ces pratiques sont exercées indûment au regard des règles et contrôles en vigueur ; que, sur la base d'allégations mensongères ou sans fondement, ou à cause d'une incompétence fautive, elles peuvent entraîner pour le patient concerné une perte de chance ou un risque de perte de chance, c'est-à-dire un danger, au regard des connaissances scientifiques les plus récentes et des effets obtenus par des pratiques de soins éprouvées et accessibles.

Ainsi, pour la direction générale de la santé, la notion de dérive sectaire contient la notion de dérive thérapeutique. Sans être exclusive du milieu sectaire, cette notion doit être mise en regard des pratiques des nombreux mouvements qui se qualifient ou que l'on qualifie de « guérisseurs ».

La lutte contre les dérives sectaires vise essentiellement des processus d'emprise psychique sur les personnes. L'adhésion que de tels processus suscitent chez certains pose des questions d'ordre philosophique et éthique qui dépassent largement la seule DGS, notamment quand il est question de définir le rôle de l'État en termes de lutte contre le phénomène sectaire et, en même temps, en termes de protection des libertés individuelles.

La lutte contre les dérives thérapeutiques, relative à des pratiques effectivement ou potentiellement dangereuses pour la santé des personnes, exercées en milieu sectaire ou hors de celui-ci, est plus proche du champ d'action de la DGS et peut s'appuyer sur des fondements juridiques précis comme ceux qui, par exemple, permettent d'incriminer le charlatanisme ou l'exercice illégal de la médecine. Vous conviendrez avec moi que les incriminations de cette nature sont aujourd'hui très rares.

J'évoquerai à présent l'importance, mais aussi les limites, du recours au droit commun.

La direction générale de la santé veille tout particulièrement à ce que les actions de lutte contre les dérives sectaires et les dérives thérapeutiques soient conduites dans le strict respect des droits des personnes ainsi que des droits des malades, tels qu'ils ont été rappelés et renforcés dans des textes législatifs récents (loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ; loi du 9 août 2006 relative à la politique de santé publique).

Les infractions commises dans un cadre sectaire perdent cependant la dénomination de dérive sectaire quand elles arrivent devant les tribunaux puisque ni la notion de secte, ni celle de dérive sectaire n'ont de véritable définition juridique. Les infractions sont alors poursuivies selon les qualifications non spécifiques dont elles relèvent : escroquerie, travail dissimulé, fraude fiscale, exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, charlatanisme, atteintes aux droits des mineurs, manque à l'obligation scolaire, maltraitances et/ou violences.

La loi « About-Picard » du 12 juin 2001 a renforcé la protection des personnes face à des situations d'abus de faiblesse, notamment dans un cadre sectaire, mais les faits qu'elle est réputée sanctionner ne sont pas faciles à établir et son usage est, jusqu'ici, resté extrêmement limité.

Pour ce qui concerne les enfants vivant en milieu sectaire, les dispositifs relatifs à la protection des mineurs doivent être mobilisés chaque fois que parviennent à émerger à l'extérieur du huis clos de ce milieu, des soupçons de danger ou des dangers avérés.

Les infractions commises dans un cadre sectaire, réputé par nature occulte et très aguerri dans l'art de la dissimulation, sont difficiles à mettre en évidence, à caractériser et à poursuivre, davantage que celles commises dans des cadres moins fermés.

Je me limiterai à un bref rappel concernant le dispositif de lutte contre les dérives sectaires au sein du ministère de la santé et des solidarités, qui vous a déjà été présenté.

Un chargé de mission au sein de la direction générale de l'action sociale, que vous avez déjà entendu, exerce une fonction de coordination de la réflexion, d'animation pour l'ensemble du ministère de la santé et de la protection sociale ainsi que pour les directions concernées du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Il coordonne également les liens du ministère avec la MIVILUDES.

Des correspondants sur les dérives sectaires sont désignés au sein de chaque direction de l'administration centrale et dans chacune des directions régionales du ministère.

Un groupe de travail interdirections réunit chaque mois l'ensemble des correspondants de l'administration centrale.

Ce dispositif assure une circulation des informations sur les dérives sectaires et une réflexion collective sur les situations qui font problème et sur ce qui peut permettre ou non de tenter d'y remédier.

Je vais à présent vous présenter les principales actions conduites par la direction générale de la santé dans sa lutte contre les dérives sectaires et contre les dérives thérapeutiques.

Je n'évoquerai pas aujourd'hui la question des dérives sectaires ou des risques de dérives sectaires dans le champ de la santé mentale. Ce thème a été l'objet d'une audition spécifique le lundi 5 octobre dernier, en la présence de MM. Bernard Basset, sous-directeur santé et société à la DGS, et Erik Rance, conseiller au cabinet du ministre.

Le premier chapitre est celui des refus de soins et des refus de transfusion sanguine.

Les adeptes de certains mouvements sectaires sont incités à refuser de recevoir les soins appropriés à leur état de santé. Afin d'apporter une aide aux médecins susceptibles d'être confrontés à ce problème, le ministère de la santé et des solidarités achève l'élaboration d'une fiche technique sur le refus de soins et de transfusion sanguine. Cette fiche contient un état détaillé du droit sur cette question.

Pour ce qui concerne les mineurs, l'article R. 1112-35 du code de la santé publique précise que « lorsque la santé ou l'intégrité corporelle du mineur risquent d'être compromises par le refus du représentant légal du mineur ou l'impossibilité de recueillir le consentement de celui-ci, le médecin responsable du service peut saisir le ministère public afin de provoquer les mesures d'assistance éducative lui permettant de donner les soins qui s'imposent ».

Le deuxième chapitre est celui des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique exercées sur des mineurs. Diverses pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique sont aujourd'hui proposées à des familles et à des institutions qui apportent des soins à des enfants ou à des adolescents atteints de graves troubles de santé au plan physique et/ou psychique, et qui, compte tenu de leur désarroi, sont prêtes « à tout tenter ».

Aucune de ces pratiques n'a jusqu'ici fait la preuve de son efficacité selon les modalités requises de l'évaluation scientifique. Certaines d'entre elles sont cependant soutenues par des personnalités du monde du sport ou du spectacle et sont régulièrement l'objet d'une médiatisation préoccupante. J'ajoute qu'au sein même de la médecine conventionnelle, certaines pratiques peuvent s'apparenter à celles de la médecine non-conventionnelle. On sait par exemple que, ignorant les recommandations des sociétés savantes de cancérologie et de pédiatrie, un médecin propose à des patients, et en particulier à des enfants, des pratiques qui, tout en s'inscrivant dans le cadre de la médecine conventionnelle, tendent à les mettre en œuvre dans un contexte qui n'est pas reconnu par la communauté scientifique. Il est d'autant plus difficile de lutter contre ces pratiques qu'elles reçoivent le soutien de personnalités médiatiquement reconnues, ce qui entraîne en particulier toute une série de pétitions de soutien.

À la demande de la DGS, une étude sur plusieurs de ces méthodes est actuellement en cours. Sur la base des enseignements de cette étude, le Conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale réfléchira à la définition de bonnes pratiques.

On sait que de nombreuses techniques de « médecines douces » ou alternatives, dont certaines sont promues par des mouvements considérés comme sectaires, récusent toute vaccination. Les critiques de la vaccination obligatoire sont portées par des associations qui se défendent de toute référence sectaire et qui se placent sur le terrain de la liberté individuelle et des critiques de l'efficacité et de l'effet secondaire des vaccins. Il faut reconnaître que l'histoire de la vaccinologie peut fournir des arguments à ceux qui s'insurgent contre la notion d'obligation vaccinale.

Il reste que ces associations relaient des théories non prouvées sur le plan scientifique - en particulier le lien entre la sclérose en plaque et la vaccination contre l'hépatite B en France, ou entre l'autisme et la vaccination contre la rougeole au Royaume-Uni - et participent d'un discours sur les médecines alternatives ou écologiques, qui rejoint celui de certaines sectes.

En 2003, une lettre circulaire commune DHOS/DGS aux DDASS et aux DRASS a rappelé la législation applicable en matière de vaccination obligatoire, notamment lorsque les parents produisent des certificats de contre indication.

Depuis le mois de mai 2006, la DGS adresse aux services déconcentrés qui en font la demande, un courrier précisant les procédures à suivre afin de s'assurer de la vaccination de l'enfant contre le BCG. Ces précisions sont également disponibles sur le site intranet du ministère.

Le code de la santé publique contient des dispositions pénales punissant les personnes titulaires de l'autorité parentale de contravention de cinquième classe en cas de refus de soumettre leurs enfants aux vaccinations rendues obligatoires par le code de la santé publique. La DGS n'a pas connaissance de poursuites pénales qui auraient été réalisées sur cette base.

La direction générale de la santé est consciente de l'importance de faire œuvre d'explication afin de convaincre la population de la nécessité de recourir à la vaccination dans la lutte contre les maladies infectieuses. Dans ce souci, la DGS a, entre autres initiatives, financé et organisé le 10 octobre 2006 une « journée vaccination », en collaboration avec l'INPES.

Au cours de ces dernières années le bureau de la DOS chargé de la périnatalité a mis en œuvre sa détermination à prévenir d'éventuelles dérives sectaires dans le domaine de la naissance. En particulier, deux actions ont indirectement contribué à renforcer les moyens de vigilance au regard d'un risque d'entrisme sectaire sur les terrains de la préparation à la naissance et des maisons de naissance.

Il s'agit d'abord, dans le cadre de la préparation à la naissance, de la mise en œuvre, à partir de 2007, d'un entretien supplémentaire, au quatrième mois, individuel ou en couple. Cet entretien est destiné à dépister les vulnérabilités psychologiques des futures mères. La réalisation, actuellement en cours, d'un référentiel de formation pour l'exercice de cet entretien a été confiée à la Société française de médecine périnatale.

En second lieu, dans le cadre du plan périnatalité 2005-2007, un groupe de travail composé de représentants des sociétés savantes et des professionnels hospitaliers a été constitué fin 2005 pour établir le cahier des charges du fonctionnement des maisons de naissance à titre expérimental. Cette expérimentation vise à offrir des garanties en termes de sécurité de la mère et de l'enfant, notamment par la création de ces structures à proximité immédiate du service d'obstétrique. Le cahier des charges devrait être finalisé fin 2006.

Ces mesures sont de nature à faciliter le dialogue entre les professionnels et les futurs parents, à instaurer la confiance et à diminuer le risque que la recherche de réponses aux inquiétudes que peut susciter la naissance et la parentalité, prenne la forme d'un recours auprès de personnes ou de mouvements dangereux en termes de dérive sectaire et/ou thérapeutique.

Les autorités françaises n'ont pas connaissance de tentatives de clonage reproductif sur le sol français. Certaines sectes se sont fait les avocats de ce type de mode de reproduction. En ce qui concerne la législation française telle qu'elle résulte de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, elle a été renforcée afin de pouvoir réprimer efficacement le clonage reproductif sous toutes ses formes.

Ainsi, la législation française comporte un arsenal de dispositions suffisantes pour prévenir tous comportements criminels et délictuels relatifs au clonage d'êtres humains.

J'achèverai cette présentation par les perspectives de la DGS sur ce dossier.

Ainsi que vous l'a exposé M. Érik Rance, conseiller au cabinet, lors d'une audition précédente de votre commission, le ministère de la santé et des solidarités prépare actuellement la mise en œuvre d'une série de mesures destinées à renforcer ses actions contre les dérives sectaires et les dérives thérapeutiques.

Dans ce cadre, les agents concernés du ministère et de ses services déconcentrés seront appelés à développer la concertation avec les différents relais et ressources présents sur le champ de la lutte contre les dérives sectaires, parmi lesquels je citerai les cellules de vigilance départementales placées auprès des préfets, les autorités policières et judiciaires concernées, les correspondants régionaux de la MIVILUDES, les associations de lutte contre les dérives sectaires, les ordres professionnels existant dans le champ de la santé.

Il s'agira en particulier pour la DGS de développer, avec les partenaires appropriés, des outils de veille et d'analyse susceptibles de favoriser d'une part la détection des pratiques délictueuses et l'engagement de poursuites à leur encontre et, d'autre part, à terme, d'informer le public sur les dangers, pour la santé, de certaines pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique.

Mais il faut reconnaître, et j'avoue que la préparation de cette audition m'a permis d'en prendre conscience, qu'en matière de santé, notre attention vis-à-vis des médecines non conventionnelles, et donc des liens qu'elles peuvent avoir avec les dérives sectaires, n'est peut-être pas à ce jour suffisante.

M. le Président : Les Témoins de Jéhovah, prônant le refus de la transfusion sanguine, ont largement diffusé auprès des médecins des hôpitaux publics un DVD qui dresse l'état des lieux en matière d'épargne sanguine et d'alternatives à la transfusion. Selon le rapport 2005 de la MIVILUDES, 10 000 exemplaires ont été distribués. Ce DVD fait actuellement l'objet d'un examen par vos services : quelles premières conclusions tirez-vous de ce document qui fait intervenir un certain nombre « de sommités mondiales et de références dans leur domaine » ? Une lettre a été adressée le 10 octobre dernier au Premier ministre par le président de la Fédération des Témoins de Jéhovah. Elle est consultable sur leur site Internet. Pouvez-vous nous donner le point de vue de votre ministère sur la validité de ces alternatives, sur leur disponibilité et sur leur applicabilité en cas d'urgence ?

M. Didier HOUSSIN : En matière de transfusion sanguine, un certain nombre d'événements qui se sont produits dans les années passées - et je pense en particulier aux complications de transmission d'agents infectieux liés à la transfusion sanguine - ont certainement donné des arguments, et même des arguments de poids, à ceux qui, pour des raisons de croyances, s'opposent à toute notion de transfusion sanguine.

Aujourd'hui, la sécurité sanitaire des produits sanguins a atteint un niveau de sécurité très élevé. Les actions de vigilance en la matière font partie des tâches quotidiennes importantes de l'Établissement français du sang, des acteurs de la transfusion dans les établissements de santé, et de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

Par ailleurs, l'usage de la transfusion sanguine telle qu'elle se pratique aujourd'hui est la seule méthode qui ait fait la preuve de son efficacité et de son innocuité. Nous avons bien conscience que cette solution peut avoir des inconvénients dans certaines circonstances, ce qui peut conduire parfois à avoir recours à des techniques d'auto-transfusion. Par contre, les méthodes qui ont visé à l'élaboration de sang artificiel ou de substituts du sang ne sont pas entrées dans la pratique courante et n'ont pas permis d'éviter le recours à la transfusion sanguine.

Dans les conditions actuelles, il est absolument incontestable que, dans différentes circonstances de la pathologie, et je pense en particulier à la chirurgie, à l'hématologie et à l'obstétrique, la transfusion sanguine est un acte thérapeutique vital pour de nombreuses personnes. Il n'y a pas de discussion possible sur ce sujet.

La position des Témoins de Jéhovah conduit toujours les médecins à une négociation qui, en général, aboutit à une attitude raisonnable. Un dialogue s'engage avec le patient pour aboutir à un compromis : nous allons limiter autant que possible la transfusion, mais vous comprenez bien que si nous ne pouvons pas faire autrement, nous y aurons recours. Il faut reconnaître que dans la grande majorité des cas, les patients, y compris Témoins de Jéhovah, acceptent cette proposition.

Par contre, il arrive que les personnes concernées ne fassent aucune concession et refusent absolument la transfusion sanguine.

On peut dire aujourd'hui que l'urgence offre, malgré tout, de grandes possibilités d'action dans le domaine de la pratique médicale, à la condition que le malade et ses proches soient informés. L'analyse de la jurisprudence montre que les médecins peuvent se prévaloir de la notion d'assistance à personne en danger pour mettre en œuvre les actions thérapeutiques que l'état de la personne réclame. Je ne crois pas que des médecins aient été condamnés, dès lors qu'ils avaient pris le temps d'informer le patient, et pu démontrer que tout avait été fait pour éviter la transfusion sanguine mais que celle-ci s'est révélée indispensable.

M. Jean-Pierre BRARD : Ce que vous venez de dire est évidemment très important. Peut-on dire qu'il n'y a pas aujourd'hui de substitut général à la transfusion sanguine quand un médecin pense devoir y avoir recours pour préserver le malade ?

D'autre part, peut-on conclure de la dernière partie de votre réponse que vous pensez, en tant que médecin, qu'il est légitime pour un médecin de passer outre la volonté du patient dès lors qu'il considère que c'est son devoir de procéder à une transfusion sanguine ?

Vous avez parlez d'obstétrique. J'imagine qu'il peut arriver que la transfusion sanguine soit indispensable pour sauver le bébé. Dans ces cas-là, peut-on respecter la volonté d'une mère Témoin de Jéhovah qui refuserait la transfusion sanguine ?

M. Didier HOUSSIN : À ma connaissance, il n'existe pas aujourd'hui de substitut général à la transfusion sanguine qui soit utilisable au sein du système de soins français. Cela dit, personne ne peut prédire que les choses n'évolueront pas. Il n'est pas exclu qu'un jour, on puisse ne pas avoir recours à la transfusion.

Si un Témoin de Jéhovah se trouve dans une situation d'extrême urgence, dans le cas d'une hémorragie massive, et s'il refuse la transfusion sanguine, mon point de vue personnel - mais je sais qu'il est très largement partagé - est le suivant : si toutes les précautions d'information du patient, ou de la famille lorsque celui-ci aurait perdu sa capacité à communiquer, ont été prises ; si une concertation a été menée au sein de l'équipe ; s'il est avéré que la transfusion sanguine est la seule solution pour sauver le malade ; si tout cela est écrit dans le dossier médical, alors le médecin doit remplir son devoir d'assistance à personne en danger. Il doit alors procéder à la transfusion, et ensuite s'en remettre au juge si cela est nécessaire.

Les conditions que je viens d'indiquer sont très importantes ; je pense que c'est là que des difficultés ont pu survenir. Si le médecin impose la transfusion sans aucune espèce de dialogue avec le malade ou sa famille, cette attitude n'est pas défendable, et l'on peut concevoir que dans ces circonstances, un juge ait estimé qu'il n'était pas allé assez loin dans son effort d'explication et d'information.

Ce raisonnement vaut dans le cas d'un accouchement où la vie du bébé serait en danger.

M. Jean-Pierre BRARD : Les Témoins de Jéhovah n'utilisent pas le terme de substitut général. Ils parlent de « méthode alternative ». Comment qualifieriez-vous cet écart sémantique ?

M. Didier HOUSSIN : C'est, précisément, un écart sémantique.

Il y a plusieurs manières d'éviter la transfusion hétérologue. La première est d'éviter l'hémorragie. La deuxième est d'utiliser, si c'est possible, les méthodes de transfusion autologue. La troisième est d'essayer de favoriser la production de globules rouges afin que, un peu avant l'intervention, le patient ait un taux de globules rouges plus élevé qu'en temps normal. On peut ainsi réduire l'impact d'une hémorragie modérée, et donc éviter une transfusion.

Mais les « méthodes alternatives » auxquelles songent les Témoins de Jéhovah sont plutôt des méthodes destinées à éviter purement et simplement l'usage du sang. Je ne crois pas que ce soit possible en l'état actuel de la médecine.

M. Jean-Pierre BRARD : Si nous vous posons ces questions par écrit, en tant que directeur général de la santé, vous pourriez formuler des réponses aussi claires que celles que vous venez de nous donner ?

M. Didier HOUSSIN : Oui, tout à fait. Je suis prêt à l'écrire et à le signer.

M. le Président : Les Témoins de Jéhovah ont institué des comités de liaison hospitaliers afin de « promouvoir et de faciliter le dialogue et l'information entre les patients de leur obédience et la structure sanitaire », selon La Croix du 4 septembre 2006. Ils font valoir qu'ils ont recours à ces comités lorsqu'ils s'opposent aux transfusions sanguines. Quel est le statut de ces comités qui s'apparentent à des associations d'usagers ? Comment sont-ils perçus par le corps médical et le personnel hospitalier ? Avez-vous eu connaissance de cas où ces comités auraient outrepassé leur rôle, notamment en ayant exercé des pressions sur les personnels hospitaliers ? Si oui, quelles mesures avez-vous prises ?

M. Didier HOUSSIN : J'ignorais l'existence de ces comités. On peut concevoir qu'ils servent de lien entre les professionnels de santé et les adeptes de cette Église. J'aurais tendance à dire : pourquoi pas ? Je pense que l'un des aspects essentiels, en ce qui concerne la transfusion sanguine pour les Témoins de Jéhovah, est la question de l'information et de l'explication. Les croyances sont d'intensité variable, elles peuvent être ferventes ou tièdes. Il y a une place importante pour le dialogue. Et après tout, il est possible que ces comités de liaison aient pu faciliter les choses plutôt que les aggraver.

J'imagine que ces comités se présentent comme des associations de malades et sont susceptibles d'intervenir de façon ponctuelle. Je ne crois pas qu'il y ait de représentants de ces comités au sein des conseils d'administration des hôpitaux, encore qu'on peut avoir des surprises. Je ne crois pas non plus que ces comités fassent partie du collectif inter-associatif des associations de malades.

M. Jean-Pierre BRARD : Connaissez-vous « l'Association nationale Droits des patients » ?

M. Didier HOUSSIN : Je sais qu'en matière de droits de l'homme, des associations ont choisi une appellation proche de celle d'instances officielles afin de jouer sur la proximité des sigles. J'imagine que cette association, que je ne connais pas, tente de se prévaloir de la notion de droit des patients, qui figure dans la loi, pour faire avancer ses idées.

Cela dit, mes collaborateurs ici présents savent beaucoup plus de choses que moi. Si vous permettez qu'ils prennent la parole, ils pourront peut-être vous en dire plus.

M. Bertrand SACHS : Je suis un collaborateur de M. Didier Houssin. Je m'occupe en particulier des dérives sectaires et dérives thérapeutiques. Je ne prétends pas avoir une connaissance approfondie de cette association, d'autant qu'elle est relativement récente. Sauf erreur de ma part, elle serait déjà réputée comme étant une émanation de l'Église de Scientologie.

M. Jean-Pierre BRARD : Non. Elle est proche des Témoins de Jéhovah.

M. Bertrand SACHS : Au temps pour moi. Des associations écrans de ce genre étaient jusqu'à présent plutôt le fait de l'Église de Scientologie.

Cette association fait partie de ces associations lobbyistes qui existent dans le milieu sectaire, et qui font tout pour égarer le public, notamment à travers leurs intitulés, qui, d'une part, ressemblent toujours à des intitulés officiels, et d'autre part, font toujours référence à la défense de la personne et de l'être humain.

Les Témoins de Jéhovah ont adressé récemment une lettre de quinze pages au Premier ministre. Leur propos consiste à dire qu'ils ne sont que des citoyens revendiquant leurs droits de citoyens, d'où l'appellation de l'association.

Sur celle-ci, nous allons chercher à en savoir plus.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous pourrez vous adresser au bureau des associations de la préfecture de police de Paris. Je suis sûr que je vais vous surprendre. Savez-vous qui est le secrétaire général fondateur de cette association ? Patrick Pelloux.

M. Didier HOUSSIN : Secrétaire général fondateur ?

M. Jean-Pierre BRARD : Absolument, quelles que soient ses dénégations. Il y a quelques semaines, il en était toujours le secrétaire général ?

M. Didier HOUSSIN : Je me demande s'il ne s'est pas défendu, par le passé, de ce lien supposé avec les Témoins de Jéhovah.

M. Jean-Pierre BRARD : Tout à fait. Il m'a même poursuivi en justice. La veille du jour de l'audience devant la 17e chambre correctionnelle, il s'est désisté de sa plainte. Il est secrétaire général fondateur de cette association, c'est-à-dire qu'il l'a cofondée bien avant sa célébrité liée à la canicule de 2003.

M. Didier HOUSSIN : Et le lien entre cette association et les Témoins de Jéhovah est clair ?

M. Jean-Pierre BRARD : Oui. Regardez tous les colloques qu'ils ont organisés, et ceux qui y participent. Vous retrouverez notamment l'inénarrable MGaray, qui est l'un de ses amis personnels, et dont il a fait l'avocat de l'Association des médecins urgentistes de France. Il avait des honoraires si élevés qu'il a fallu augmenter les cotisations, puis changer d'avocat.

M. Didier HOUSSIN : J'avais lu le livre que M. Garay et M. Pelloux avaient écrit sur l'urgence. Ce livre, essentiellement consacré à des analyses juridiques, m'avait paru assez équilibré. Lorsque j'ai appris que ces deux personnes pouvaient avoir un lien avec les Témoins de Jéhovah, j'ai été un peu surpris. Peut-être faudrait-il que je relise ce livre.

M. Serge BLISKO : S'agissant du refus de la vaccination, je me suis livré à une petite expérience, consistant à entrer les mots « liberté de vaccination » et « antivaccination » sur un moteur de recherche. J'ai été très étonné de constater que des mères demandent, dans des forums de discussion, des adresses de médecins pratiquant des faux certificats de contre-indication.

L'histoire de la vaccination est, comme vous l'avez dit, émaillée d'incidents qui peuvent donner certains arguments à ceux qui la refusent. Il n'en reste pas moins que son utilité n'est pas contestable, du point de vue statistique, pour les populations prises dans leur ensemble. Mais ce vieux thème de la « liberté de vaccination » revient en force, notamment sous l'influence de la mouvance New Age, et sous des habits nouveaux, qui se veulent scientifiques, et a priori plus « sympathiques » que ceux du bon docteur Carton dans les années 1930.

Par ailleurs, autour de la périnatalité se développe un véritable fanatisme de l'allaitement maternel. Pas plus tard qu'il y a deux jours, devant l'Hôtel de ville de Paris, on a vu un grand rassemblement de femmes allaitant leurs bébés. Or, on sait pertinemment qu'un certain nombre de sectes ou de mouvements étonnants militent en ce sens. Sur cette question, et c'est l'une des caractéristiques de l'esprit sectaire, la discussion ne peut pas avoir lieu : on est vilipendé dès que l'on émet le moindre doute. Un certain nombre de mouvements sectaires utilisent ce thème en exploitant la fragilité psychologique de certaines mères.

Troisièmement, l'emprise sectaire me paraît certaine dans le domaine de la formation des personnels de santé, où nous avons pu constater plusieurs exemples de dérives. Certains livres publiés au Québec sur le diagnostic infirmier sont assez étonnants à cet égard, et contiennent des éléments qui ne sont guère compatibles avec la logique des soins infirmiers en France. J'ai été très surpris en particulier par l'acharnement avec lequel un certain nombre de personnels français, en particulier des cadres formateurs dans les IFSI, refusaient toute remise en cause du diagnostic infirmier, en expliquant que l'époque est révolue où le personnel infirmier était subordonné au médecin. Les livres dont je parle, qui émanent très clairement de l'Église de Scientologie, ont reçu l'aval administratif du ministère de la santé, qui les a reconnus comme pouvant être des manuels utilisés dans les IFSI. J'avais alerté le ministère, où je n'ai pas rencontré une grande écoute.

J'évoque ici le cas de la formation des futurs personnels infirmiers, mais le problème doit également se poser dans d'autres domaines qui, de par leur nature même, se prêtent plus à l'influence de discours sectaires. Je pense à l'ergothérapie ou la psychomotricité.

M. Didier HOUSSIN : Je vous remercie, monsieur le député, d'attirer mon attention sur ces signaux d'alerte.

L'action anti-vaccinale a, en effet, tendance à s'appuyer sur des arguments qui se veulent scientifiques. Les discours prônant l'allaitement maternel relèvent plutôt d'une thématique écologiste. Les médecines alternatives mettent beaucoup l'accent sur le retour à la nature, le respect des phénomènes naturels. On peut trouver tout et son contraire dans la promotion de ces différentes approches.

Quant à la formation, nous l'avons identifiée comme un élément crucial. Dans des fonctions antérieures, j'ai été frappé par la rapidité avec laquelle les mouvements sectaires pouvaient se saisir de cette occasion dès que des victimes potentielles se présentent. C'est vrai en particulier dans le domaine de la formation sur le thème du prélèvement d'organes.

S'agissant des discours portant sur le diagnostic infirmier, ils correspondent souvent à un besoin de reconnaissance. Même les guérisseurs ont besoin de reconnaissance. On constate d'ailleurs, chez les tenants de certaines médecines alternatives, la volonté de se prêter à une sorte d'évaluation. En Chine, j'ai été très frappé par l'importance que prenait la médecine traditionnelle dans l'exercice de la médecine. Elle a, dans ce pays, un statut qui n'est pas très éloigné de celui de la médecine conventionnelle : elle est enseignée dans des facultés, où elle fait l'objet d'évaluations. En France, certains acteurs de la médecine traditionnelle souhaitent ne pas être totalement rejetés dans le champ de l'irrationnel. La question qui se pose à nous est de savoir s'il faut accompagner ce mouvement, même si l'on aboutit à des évaluations très imparfaites au regard des critères scientifiques, ou s'il faut au contraire, comme c'est le cas aujourd'hui, le laisser totalement dans l'ombre, dans une situation de « non-existence », et ce alors qu'ils ont une existence réelle pour la population, à travers les soins qu'ils apportent à des milliers de personnes.

Mme Carole Crétin, chef du bureau des maladies chroniques, de l'enfant et du vieillissement, souhaite vous apporter des éléments de réponse complémentaires.

Mme Carole CRETIN : Dans le cadre de la refonte du carnet de santé, l'accent a été mis sur la prévention. C'est ainsi que, même si l'allaitement maternel a certes été présenté comme conforme aux « bonnes pratiques », l'allaitement par biberon a aussi été présenté comme une méthode valable. Le choix est laissé aux parents. Le carnet de maternité qui sera distribué aux femmes dans le cadre de la préparation à la naissance reprend ces éléments.

S'agissant de la vaccination et des certificats de contre-indication de complaisance, il a été rappelé aux DDASS et aux DRASS qu'il ne saurait y avoir de contre-indication générale. Les certificats de contre-indication doivent être motivés dans chaque cas, et le médecin inspecteur de la DDASS peut évidemment demander une explication au médecin ayant rédigé ce certificat.

En ce qui concerne la formation, nous sommes tout à fait prêts, monsieur Blisko, à examiner les cas concrets que vous pourriez nous signaler.

M. Jean-Pierre BRARD : Sur un peu plus de 100 000 médecins, il y a forcément des adeptes des sectes. En avez-vous connu qui étaient Témoins de Jéhovah ? On m'a dit qu'une clinique parisienne appartenait aux Témoins de Jéhovah, mais jamais je n'ai pu obtenir son adresse. Avez-vous des informations à cet égard ?

M. Didier HOUSSIN : Je suis navré de vous dire que je n'en ai pas beaucoup. Je redoute même d'être peut-être l'un des derniers à en avoir. Nous sommes confrontés sur le terrain, en milieu hospitalier, au positionnement des Témoins de Jéhovah, qui peut ne pas être totalement tranché mais qui peut aussi parfois être extrêmement difficile à gérer. Mais je ne connais pas d'organisations qu'ils auraient mises en place. Je me souviens surtout d'avoir été confronté à des personnes en situation de désarroi, plutôt qu'à des personnes capables de conduire une organisation.

M. Jean-Pierre BRARD : N'avez-vous pas le sentiment que l'Ordre des médecins manifeste parfois un zèle modéré quand il s'agit de prendre des mesures à l'égard de médecins qui auraient des pratiques ou des comportements étranges ? Je pense à un exemple très précis, celui d'un médecin connu pour accueillir une grande quantité de toxicomanes, à tel point qu'on fait la queue dans l'escalier de l'immeuble où il est installé. J'ai fait un signalement au préfet et à l'Ordre des médecins. J'ai l'impression d'une absence de réaction.

M. Didier HOUSSIN : Notre analyse est tout à fait proche. L'exemple que vous évoquez ne relève pas de la dérive sectaire, mais plutôt d'une pratique de la médecine conventionnelle, faisant courir aux patients un risque de perte de chances.

On peut dire que, vis-à-vis à des médecines traditionnelles et alternatives, il y a une certaine tolérance historique et culturelle de la société française. Deuxièmement, il y a une certaine indifférence du système de santé officiel, au regard notamment de préoccupations scientifiques qui sont considérées comme prioritaires. Troisièmement, il y a une certaine impuissance de la médecine conventionnelle : au sein de la population survivent des croyances et des attentes auxquelles elle a parfois du mal à répondre. Peut-être y a-t-il également un certain intérêt, de la part de la médecine conventionnelle, pour des pratiques qui, pour autant qu'elles ne sont pas dangereuses pour les personnes ou qu'elles se limitent au traitement de pathologies bénignes, peuvent être considérées, d'une certaine manière, comme allégeant le poids des tâches et des coûts du système de santé. Enfin, dans un certain nombre de cas, la médecine non conventionnelle est considérée comme un mal nécessaire et inévitable au regard des échecs, des limites et des erreurs qui subsistent parfois aussi dans le champ de la médecine conventionnelle.

En fait, ces pratiques et ces usages ne sont pas pris en compte comme une question de société majeure. La question est de savoir s'il ne faudrait pas faire en sorte qu'elles soient considérées comme telle, soit pour agir de façon beaucoup plus drastique, soit au contraire pour essayer d'intégrer dans un courant plus normal ce qu'il peut y avoir malgré tout d'utile et de bénéfique dans cette approche de la médecine.

M. le Président : Le code de déontologie médicale est intégré dans la partie réglementaire du code de la santé publique. Son article 39, soit l'article R. 4127-39 du code de la santé publique, prévoit bien que « les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite. » Cela n'empêche pas qu'un certain nombre de ces pratiques sont remboursées par la sécurité sociale.

M. Didier HOUSSIN : Vous mettez bien le doigt sur l'ambiguïté que j'évoquais, et en particulier sur une certaine « tolérance-indifférence » vis-à-vis de pratiques qui sont largement utilisées bien qu'elles n'aient à l'évidence pas reçu d'onction scientifique. L'homéopathie, par exemple, est partiellement remboursée par la sécurité sociale. J'ajoute que cette tolérance est d'autant plus grande que les pratiques relevant de la médecine alternative donnent lieu à peu de plaintes.

Mais il est clair que c'est un champ qui mérite d'être creusé.

M. le Président : Au cours de son audition, M. Emmanuel Jancovici estimait que le nombre de médecins appartenant à des mouvements sectaires pouvait être évalué aux alentours de 3 500 à 4 000 et celui des personnels para-médicaux également aux alentours de 3 500 à 4 000. Validez-vous cette évaluation ?

M. Didier HOUSSIN : Je ne sais pas sur quoi sont fondées ces estimations. Je n'ai pas non plus une idée de ce que représentent les membres d'organisations à caractère sectaire par rapport à la population française. Mais compte tenu du nombre de médecins et de professionnels de santé, ces chiffres me semblent à la fois importants en valeur absolue et assez faibles en valeur relative. Quoi qu'il en soit, ils ne sont peut-être pas si surprenants que cela.

M. le Président : Pour être tout à fait complet, il faut préciser que, selon le rapport 2005 de la MIVILUDES, certains médecins adeptes d'une médecine non conventionnelle « décrochent leur plaque professionnelle » et demandent leur radiation de l'ordre afin d'exercer comme praticien. Possédez-vous des renseignements sur l'étendue de ce phénomène ? Comment l'information des patients est-elle assurée ?

M. Didier HOUSSIN : Ces médecins rejoignent finalement le statut de guérisseur, d'une certaine manière.

M. le Président : Exactement.

M. Didier HOUSSIN : On sait que les guérisseurs existent. Le guérisseur rural est bien souvent encore en activité, avec ses herbes et ses onguents. Il s'est parfois modernisé avec la radiesthésie, le pendule, le magnétisme.

Que des médecins quittent la médecine pour faire profession de guérisseurs, parce qu'ils y voient peut-être un intérêt économique, cela ne me surprendrait pas. Mais M. Bertrand Sachs pourrait peut-être vous en dire plus.

M. Bertrand SACHS : Nous n'avons pas de statistiques permettant de mesurer l'ampleur du phénomène. Parmi les médecins qui quittent volontairement le Conseil de l'ordre, certains font partie de la dizaine de « personnages » connus sur la place publique. Tout en s'étant retirés du Conseil de l'ordre, ils ne manquent pas d'indiquer sur leur carte de visite la mention « docteur en médecine », ce qu'ils ont au demeurant le droit de faire. Nous suivons ce dossier de près. Une dizaine de personnes se rendent coupables de pratiques qui relèvent probablement du charlatanisme, qu'elles soient anciens médecins ou pas. Puisque nous devons nous appuyer sur le droit commun, c'est sans doute autour de la notion de charlatanisme que notre action en la matière devra s'organiser.

M. le Président : Avez-vous des précisions à nous fournir sur le décret relatif à la profession de psychothérapeute ?

M. Didier HOUSSIN : Ce décret porte sur le titre de psychothérapeute. Son élaboration a donné lieu à une concertation très importante. Tous les représentants des psychothérapeutes autoproclamés, des psychanalystes, des psychologues et des psychiatres ont été conviés à cette concertation. Un certain nombre de psychothérapeutes ont des pratiques dont il est difficile d'affirmer qu'elles sont de nature sectaire, mais que l'on pourrait considérer comme relevant du charlatanisme. Une partie d'entre eux s'est formée dans des structures de formation totalement privées, n'ayant fait l'objet d'aucun contrôle sur les formations qu'elles dispensent. Cependant, chacun craignait, en l'absence de références scientifiques admises par tous, que sa propre pratique ne soit remise en cause. Le travail d'explication et de concertation a donc nécessairement été très long.

Nous sommes maintenant dans la phase finale. La concertation sur un projet de décret ayant l'aval à la fois du ministre de la santé et du ministre de l'éducation nationale s'est achevée le 9 octobre. Il reste deux étapes : la consultation du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, et l'examen par le Conseil d'État. Ce décret réservera l'usage du titre, pour ceux qui n'en bénéficient pas de droit, à des professionnels pouvant attester d'une formation universitaire préalable importante.

Les discussions ont tourné autour de la notion de formation en psychopathologie clinique. On peut la considérer comme un préalable qu'il est raisonnable de retenir pour prétendre au titre de psychothérapeute. Notre projet initial était de donner un contenu à la définition de cette formation. C'est cela qui a fait l'objet de contestations, dont la presse s'est fait l'écho. On a reproché à l'État de sortir de son rôle.

Je vous avoue que j'ai été sidéré par la diversité des profils observés dans le cadre de cette concertation.

M. le Président : Pouvez-vous nous dire un mot de la promotion de l'iboga dans le traitement de certains toxicomanes, alors que ce stupéfiant est interdit aux États-Unis, en Belgique et en Suisse ? Récemment s'est tenu en Ardèche un séminaire de découverte de l'iboga.

L'ayahuasca, par contre, a été inscrite sur la liste des stupéfiants en 2005.

M. Didier HOUSSIN : L'inscription de l'ayahuasca sur la liste des stupéfiants est l'un de mes hauts faits, qui m'a d'ailleurs valu d'être présenté dans certains sites Internet comme un monstre épouvantable. Je ne me souviens pas d'avoir signé un texte concernant l'iboga. Peut-être M. Bertrand Sachs pourrait-il vous en dire plus.

M. Bertrand SACHS : Pour l'instant, c'est essentiellement la MILDT qui suit le dossier de l'iboga. Un organisme en France est « l'importateur » de ce produit, auquel il prête des effets en matière de sevrage des toxicomanes. Or, il apparaît que ce produit peut être très dangereux. Un décès est survenu assez récemment, même si ses causes ne sont pas encore complètement établies.

D'après ce que j'en sais, une action est en cours au sein de la MILDT, qui devrait aboutir à son inscription sur la liste des produits toxiques.

M. Serge BLISKO : Le 10 octobre dernier, nous avons visionné un film consacré à la « communication facilitée », qui nous a conduit à nous poser certaines questions quant à l'acceptation de cette méthode, qui ne paraît pas tout à fait validée, par un certain nombre de services hospitaliers.

M. le Président : Nous avons interrogé M. Bernard Basset sur l'étude qui avait été menée sur la « communication facilitée ». Il nous a répondu : « Malgré nos recherches, il nous a été impossible de trouver l'original de cette étude financée par la direction générale de la santé ».

M. Didier HOUSSIN : Les promoteurs de cette méthode sembleraient faire état d'une étude qui a été faite à la demande de la DGS, ce qui a effectivement été le cas. Ce travail a été jugé d'une qualité déplorable, ne permettant pas d'aboutir à une évaluation convenable. Cette méthode n'est nullement validée par la DGS.

Mme Carole CRETIN : Pour compléter la réponse de M. le directeur, la DGAS, qui suit plus particulièrement les aspects concernant l'autisme, a demandé à des spécialistes une revue de la littérature scientifique. Ils viennent de rendre leur rapport intermédiaire, d'où il ressort qu'il n'existe aucune validation internationale de cette méthode. Le Conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale a de nouveau été saisi, pour l'année 2007, afin qu'il rende les conclusions d'une étude visant à recenser et mesurer les méthodes de prise en charge des personnes autistes dans la perspective d'une conférence de consensus.

M. Bertrand SACHS : Je voudrais simplement signaler que cette méthode est un exemple type illustrant la question de savoir quand il faut évaluer et jusqu'où il faut le faire. Cette méthode existe en Allemagne depuis plus dix ou quinze ans. La personne qui, en France, en est l'instigatrice principale prône la communication avec les morts. D'autre part, la communication que rend possible sa méthode est, dit-elle, une communication d'inconscient à inconscient.

Nous réfléchissons, au sein de la DGS, à la possibilité de définir plusieurs degrés d'évaluation. Il n'est pas nécessaire de se lancer dans des travaux d'envergure pour mesurer l'inanité des ouvrages prônant la « communication facilitée ». Il faudra réfléchir sur la définition d'une « pré-évaluation ». Car si l'on évalue un système comme celui-là de façon approfondie, le fait même de l'évaluer ainsi constitue, aux yeux de ses inventeurs, une forme de « pré-validation ».

M. le Président : Nous avons vu dans ce film un bébé de quelques mois taper sur un clavier le mot « germination ». On se demande en quoi il est nécessaire de procéder à l'évaluation officielle d'une telle méthode. C'est déjà mettre le doigt dans l'engrenage. Évaluer officiellement une méthode aussi grotesque, c'est déjà lui donner un semblant de crédit.

M. Bertrand SACHS : Des méthodes de ce genre ont ceci de commun avec les sectes qu'elles ont leur « groupies ». Ceux qui seraient les moins défavorables à la « communication facilitée » disent qu'à la limite, cette méthode signifie pour la personne concernée la preuve d'un soin et d'une attention. Le cas échéant, on observera qu'une personne qui aura utilisé la « communication facilitée » se porte un peu mieux, et que si on l'interrompt, elle se portera moins bien. Parmi ceux qui jugent cette méthode totalement farfelue, certains disent que ce léger mieux s'explique simplement par le bénéfice de l'attention et du soin.

M. Didier HOUSSIN : J'avoue être un peu perplexe. En un sens, j'ai bien l'impression que notre action, malgré l'attention que nous prêtons à un certain nombre de sujets, n'est probablement pas à la mesure de ce qui serait nécessaire compte tenu de l'ampleur du champ. Depuis que j'ai commencé à préparer cette audition, je me demande très sérieusement s'il ne faudrait pas passer à une vitesse très supérieure.

M. le Président : C'était d'ailleurs la première question que j'avais envisagée de vous poser : « Aucune étude standardisée ni aucune recherche épidémiologique ne semblent avoir été réalisées sur l'impact des pratiques sectaires sur la santé physique et mentale des jeunes. Pourquoi ? De telles études vous paraissent-elles pouvoir être mises en œuvre aujourd'hui ? Dans quels délais ? » Cela rejoint votre interrogation.

M. Didier HOUSSIN : Tout à fait. La question que l'on peut se poser est celle de la méthode. On peut essayer de recenser tous les acteurs pratiquants, ce qui requiert un travail d'enquête extrêmement précis, mais qui est peut-être faisable dès lors que l'on se donne les moyens d'enquêter, sachant qu'il faudrait s'entourer de toutes les précautions qu'impose une enquête de ce genre.

La deuxième possibilité est de s'adresser à la population. Ce serait une enquête d'ordre quasiment sociologique, soit auprès de la population, soit auprès des « professionnels », si tant est que l'on puisse parler de profession.

Une autre approche serait d'envisager les choses sous un angle judiciaire, en tentant d'avoir une meilleure vision du paysage judiciaire qui entoure ce domaine.

Le sujet peut également être abordé sous un angle presque scientifique. Mais on risque d'aboutir à un résultat analogue à ce sur quoi a abouti l'étude demandée à l'INSERM sur les psychothérapies. Ce rapport a été très critiqué.

Je crois qu'il est souhaitable d'aborder le sujet en ayant le souci de mieux comprendre ces pratiques, c'est-à-dire dans une approche un peu plus conforme à ce qui est recommandé au niveau européen, afin de pouvoir mieux distinguer ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas.

M. Jean-Pierre BRARD : S'agissant du refus de la vaccination, vous avez dit n'avoir pas connaissance de cas où des poursuites pénales auraient été engagées. Comment l'expliquer ? Le refus de la vaccination revient tout de même à livrer délibérément un enfant à une absence de protection.

M. Didier HOUSSIN : Un enfant doit avoir subi les vaccinations obligatoires pour être accepté en crèche, ou dans un autre établissement collectif. Je n'ai pas connaissance, en effet, d'actions pénales qui auraient été engagées. Est-ce parce que les parents d'enfants non vaccinés ont obtenu des certificats de complaisance, de faux certificats de vaccination ? Est-ce parce que l'établissement a fermé les yeux sur l'absence de vaccination ? Je ne saurais vous le dire.

M. Bertrand SACHS : L'une de mes collègues qui suit le dossier des vaccinations au ministère me disait récemment que l'une des raisons qui expliquent l'absence de poursuites pénales est que les refus de vaccination, d'un point de vue quantitatif, ne sont pas de nature à compromettre la protection générale de la collectivité. Selon elle, étant donné le petit nombre de refus de vaccination, il n'y a pas matière à forte inquiétude.

M. Jean-Pierre BRARD : Comment peut-on avoir une idée du nombre de refus de vaccination, mis à part ceux qui sont clairement exprimés ? S'agissant, par exemple, des enfants qui sont soustraits à l'obligation d'instruction, comment peut-on savoir si les parents ont refusé ou non qu'ils soient vaccinés ?

M. le Président : De manière plus générale, quel est le lien entre votre ministère et celui de l'éducation nationale pour ce qui relève de la médecine scolaire ?

M. Didier HOUSSIN : La médecine scolaire ne relève pas du ministère de la santé. La DGS a des liens avec la direction de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale. Nous avons des contacts avec les représentants de la médecine scolaire. Nous avons notamment été amenés à travailler avec eux sur la question de la préparation à une pandémie grippale. Mais il est vrai que nous n'avons pas un lien direct, permanent, avec les médecins scolaires. Ils seraient eux-mêmes assez désireux de resserrer leurs liens avec le ministère de la santé.

Mme Carole CRETIN : Je précise qu'une convention-cadre lie la DGS et la direction de l'enseignement scolaire, en vue de favoriser des actions coordonnées et communes. Un représentant du ministère de l'éducation nationale est systématiquement invité dans les groupes de travail consacrés aux divers aspects de la politique de santé en direction de l'enfant. Le but est de travailler en commun, mais il n'y pas de lien institutionnel entre nos deux ministères.

Je voudrais, si vous le permettez, attirer votre attention sur tout ce qui concerne l'accompagnement de la fin de vie. Il est bien évident qu'en termes épidémiologiques, cette question concerne moins les mineurs. Mais il reste que l'action des bénévoles en la matière, de même que les formations dans lesquelles peuvent s'impliquer des psychologues ou psychothérapeutes, sont susceptibles de donner lieu à des dérives d'ordre sectaire.

M. Jean-Pierre BRARD : En effet ! Et la captation d'héritage peut être l'un des objectifs poursuivis. Les soins palliatifs sont un cadre idéal pour accéder au magot.

M. le Président : Monsieur le directeur général, nous vous remercions de votre contribution aux travaux de notre commission.

Audition de M. Jean-Pierre MACHELON,
président de la commission de réflexion juridique
sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics



(Procès-verbal de la séance du 24 octobre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Monsieur le professeur, merci d'être venu répondre à nos questions.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

M. Jean-Pierre Machelon prête serment.

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

M. le Président : Nous avons reçu votre rapport du 20 septembre 2006, qui contient des propositions fortes et novatrices. Avant de vous poser des questions à ce sujet, je vous donne la parole pour un exposé liminaire.

M. Jean-Pierre MACHELON : Mon propos est de vous exposer les conclusions du rapport que j'ai remis au ministre d'État, ministre de l'intérieur, au nom de la commission que j'ai eu l'honneur de présider durant toute une année.

La tâche de proposition qui nous incombait était définie très largement dans la lettre de mission du ministre : étudier les amendements possibles aux multiples textes régissant l'exercice public des cultes, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État n'étant que le plus visible d'entre eux ; faire plus particulièrement des propositions sur les relations entre les communes et les cultes relativement au régime de la construction et de l'aménagement des lieux de culte et à la police spéciale des cimetières ; revoir le régime fiscal des cultes ainsi que l'articulation entre les associations cultuelles de la loi de 1905 et les associations à objet cultuel régies par la seule loi du 1er juillet 1901.

Nous avons tenu une trentaine de réunions, qui se sont déroulées dans un climat constructif, mais n'excluant pas la controverse ni les divergences de vues. Plusieurs dizaines de personnalités ont été entendues, à huis clos, à commencer par les responsables, en France, des grandes religions. Nous avons reçu aussi nombre d'élus locaux et de parlementaires diversement placés sur l'échiquier politique et sur le territoire national. De hauts fonctionnaires sont également venus jusqu'à nous, de même que des experts en droit des cultes, représentants d'associations ou spécialistes du monde religieux, les uns et les autres représentant un très large spectre de sensibilités et de réflexions.

Tous nous ont dit qu'il n'y avait pas lieu de bouleverser les grands équilibres fixés aux articles 1er et 2 de la loi de 1905, mais que des aménagements pourraient permettre de mieux adapter le droit en vigueur aux réalités d'aujourd'hui, de manière à rendre plus faciles et plus apaisées les relations entre nos concitoyens. Ils nous ont fait part de leur expérience, et parfois de difficultés préoccupantes.

Nous nous sommes efforcés d'examiner ces difficultés en juristes et de leur apporter des solutions juridiques, présentées le plus souvent possible sous forme d'articles rédigés ou d'amendements à des textes législatifs ou réglementaires.

Sur les questions les plus complexes, le rapport fournit une gamme de réponses ou des réponses complémentaires ou alternatives, éventuellement assorties d'un bref commentaire ou d'un exposé des motifs. Car il est bien rare qu'un problème de droit de quelque importance n'appelle qu'une seule solution, et exceptionnel que son choix revienne au seul juriste.

De fortes convictions n'en sous-tendent pas moins ce rapport : le droit est fait pour encadrer la vie des hommes en société, en leur offrant si possible le maximum de sécurité et de justice. Il n'est pas destiné à véhiculer « des vaches sacrées » et il n'y a aucune bonne raison de tenir pour tels les lois et règlements relatifs au droit des cultes, pas même la loi de 1905. Ce grand texte républicain est, à très bon droit, révéré pour ses principes, mais il a déjà été modifié treize fois depuis son édiction. Aucune de ses dispositions n'a d'ailleurs valeur de règle constitutionnelle. Pas même son article 2, qui dispose que : « La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. » Des réformes sont donc possibles, et certaines sont nécessaires pour rendre la règle de droit plus accessible, plus intelligible, dans une matière où elle a bien souvent cessé de l'être.

L'opinion majoritaire de la commission suggère même qu'une modification des dispositions applicables au culte soit mise en chantier et menée progressivement et avec le plus grand soin. D'autres propositions tendent à supprimer des incohérences et à rendre le droit applicable plus rationnel et plus équitable.

La commission a ainsi cherché à moderniser le régime juridique des associations cultuelles prévu par le titre IV de la loi de 1905 afin de faciliter la tâche de ceux qui y ont déjà recours et d'engager à s'y plier ceux qui sont réticents. Je tiens à souligner que les propositions faites sur ce point vont dans le sens de l'accroissement des moyens juridiques de lutte contre les dérives sectaires.

L'exercice du culte peut être assuré aujourd'hui au moyen de plusieurs supports juridiques : l'association déclarée de la loi de 1901 ; l'association cultuelle prévue par le titre IV de la loi de 1905 - association diocésaine ou assimilée ; ou encore une simple réunion tenue sur initiative individuelle. Du point de vue des responsables des cultes, chaque formule a ses avantages et ses inconvénients.

L'association déclarée de la loi de 1901 peut recevoir des subventions publiques, si du moins elle exerce des activités non cultuelles ; elle jouit de la plus grande liberté mais elle ne peut bénéficier de dons et legs.

L'association cultuelle a une capacité beaucoup plus étendue : elle peut recevoir des dons et legs sans droits de mutation, elle peut bénéficier d'exonérations fiscales, elle peut délivrer des reçus fiscaux permettant des dégrèvements d'impôts aux donateurs ; mais elle ne peut recevoir de subventions publiques, sauf pour financer des réparations d'édifices affectés au culte public ; elle ne peut reverser ses surplus de recettes qu'à des associations ayant le même objet, c'est-à-dire à d'autres associations cultuelles. Elles doivent avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte, poursuivre exclusivement des activités à caractère cultuel, lesquelles, par ailleurs, ne doivent pas être contraires à l'ordre public.

Nous préconisons le maintien de ce système libéral, le maintien du choix entre les deux formules. Mais nous proposons également de rendre plus attractive l'option pour l'association cultuelle qui permet à l'administration de vérifier que l'association ne poursuit pas des activités contraires à l'ordre public. C'est le système dit de la « petite reconnaissance ». Le préfet, en autorisant l'association demanderesse à accepter des dons et legs et à bénéficier des avantages fiscaux attachés au régime de l'association cultuelle, s'assure qu'elle remplit bien les conditions légales et qu'elle ne menace pas l'ordre public.

Nous recommandons que le préfet reste au centre de ce système, même si, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 28 juillet 2005, ce système risque un peu d'être vidé de sa substance. En effet, l'acceptation de libéralités n'a plus à être autorisée cas par cas par le préfet ; une déclaration préalable par les bénéficiaires doit désormais suffire, l'administration fiscale disposant d'une simple faculté d'opposition.

Selon nous, toute association devrait pouvoir, si elle le souhaite, interroger le préfet sur sa capacité à bénéficier des avantages attachés aux statuts de l'association cultuelle. C'est ce que nous appelons dans le rapport le « rescrit cultuel ». Une telle réforme irait dans l'intérêt du demandeur et de l'ordre public.

En outre, pour rendre le statut des associations cultuelles plus attractif et donc le contrôle de l'administration plus étendu, nous proposons un certain nombre de mesures : allègement des obligations comptables, mise à niveau des règles applicables aux dons annuels consentis aux associations. En effet, depuis quelques années, les associations cultuelles ne bénéficient plus d'un avantage par rapport aux associations de droit commun. Nous préconisons aussi une atténuation de l'interdiction de détenir des immeubles de rapport et un assouplissement du fonctionnement des associations cultuelles, mais sans révolution aucune.

Il n'est pas proposé, dans ce rapport, d'élargir l'objet des associations cultuelles, qui doit être exclusivement l'exercice public d'un culte. Il n'est pas proposé non plus de revenir sur la conception traditionnelle de la notion de culte, dont le droit français n'envisage avec sagesse que la dimension objective. Si ce n'était pas le cas, l'État devrait qualifier le fait religieux, ce qui serait en contradiction avec le principe de séparation. Il est proposé de mettre fin à l'étanchéité financière absolue entre les associations cultuelles et les autres. Nous suggérons que les associations cultuelles puissent reverser de l'argent à des associations bénéficiant des mêmes avantages fiscaux, associations reconnues d'utilité publique ou associations ayant pour objet exclusif l'assistance ou la bienfaisance. À terme, il est proposé d'envisager la création d'une forme particulière de reconnaissance d'utilité publique pour les activités religieuses. Elle serait ouverte à toute association à objet religieux - y compris les cultuelles - pouvant justifier d'une utilité publique : contribution à l'éducation et à la culture, ou à l'intégration sociale ou au développement d'activités caritatives. Une telle création permettrait un contrôle de l'État plus approprié que celui qui est exercé aujourd'hui sur les associations cultuelles à travers la législation sur les dons et legs.

Je passerai beaucoup plus vite sur les autres propositions du rapport, qui sont plus éloignées des préoccupations qui vous réunissent ici. Dans l'esprit de la commission, toute difficulté n'avait pas forcément à être réglée par une modification des lois et règlements. Plusieurs propositions visent, à droit constant, à ouvrir la voie à certaines solutions d'avenir. Il est ainsi envisagé de reconnaître par étapes le culte musulman en Alsace-Moselle en commençant par inclure l'islam dans l'enseignement religieux proposé aux élèves de l'enseignement secondaire, une action concertée entre les pouvoirs publics et les autorités religieuses concernées devant permettre au préalable d'assurer la formation du personnel enseignant.

Sur d'autres sujets, la législation funéraire ou la construction de nouveaux lieux de culte, nos propositions ont pu paraître plus audacieuses. Mais elles ne sont audacieuses qu'à demi.

Le principe de la neutralité des cimetières n'interdit pas au maire de prendre acte de la volonté de certains défunts, israélites ou musulmans, d'être enterrés au voisinage de leurs coreligionnaires. Le regroupement de fait des sépultures n'est pas prohibé par la loi. Deux circulaires ministérielles l'ont d'ailleurs rappelé en 1975 et 1991. Mais ce regroupement de fait n'est pas non plus consacré par la loi, ce que déplorent un certain nombre d'élus locaux, inquiets de l'insécurité juridique qui peut s'ensuivre. Sans vouloir consacrer l'institution de véritables carrés confessionnels séparés physiquement du reste du cimetière et plus ou moins cogérés par les autorités religieuses, la commission s'est efforcée de répondre à cette inquiétude. Elle propose d'amender deux dispositions du code général des collectivités territoriales afin d'inscrire dans la loi la possibilité pour le maire de tenir compte, dans l'exercice de son pouvoir de police des funérailles, de la volonté exprimée par les personnes décédées en rapport avec leurs croyances, et de tenir compte, dans l'attribution des concessions, des convictions religieuses exprimées par les demandeurs. La dimension religieuse des rites funéraires ne serait donc plus ignorée dans tous les cas par l'autorité administrative, mais la liberté d'appréciation du maire et le principe de la neutralité des cimetières resteraient saufs.

S'agissant de l'immobilier cultuel, nous avons considéré, après de longues discussions, que le temps des contorsions juridiques et des montages plus ou moins légaux était révolu, ou du moins qu'il devait s'achever. L'actualité nous a confortés dans cette opinion. Un jugement du tribunal administratif de Montpellier, en date du 30 juin dernier, a annulé une délibération du conseil municipal de la ville qui, sous l'appellation de « salle polyvalente à caractère associatif et à vocation de réunion », avait permis, plusieurs années plus tôt, la construction et le financement d'une mosquée à la satisfaction générale mais en violation de la loi. À une large majorité, nous avons préconisé que les communes et leurs groupements se voient formellement reconnaître la possibilité de subventionner la construction de lieux de culte.

Cette aide à l'investissement pourrait intervenir sans plafonnement fixé par la loi. En effet, il est difficile de tracer la frontière entre une aide directe et les aides indirectes souvent pratiquées aujourd'hui, comme l'instrument juridique des baux emphytéotiques et qu'il faudrait réintégrer dans le calcul du plafond. Par ailleurs, en instituant un plafonnement ou une quotité, 10 ou 15 %, on risquerait de suggérer l'existence d'une sorte de droit de tirage, de droit à subvention dans la limite d'un certain pourcentage. Or, ce n'est pas ce que nous avons recherché.

La mesure est beaucoup moins hardie qu'il n'y paraît. Je précise qu'elle n'est pas contraire à la Constitution, car le libre exercice des cultes ne serait pas conditionné par l'octroi de la subvention. Elle s'inscrit dans la continuité des lois et règlements qui, au cours du vingtième siècle, ont tendu à de multiples reprises à favoriser la construction et la réparation et l'entretien des édifices du culte. L'affectation au culte de bâtiments publics, leur entretien et leur conservation, les réparations même quand le bâtiment n'appartient pas aux collectivités publiques mais à des associations cultuelles, ont évidemment une signification en termes économiques du même ordre que ce que nous préconisons.

Cette subvention directe ne couvrirait qu'une petite fraction de la dépense. Elle ne serait qu'une faculté pour les conseils municipaux et sa mise en œuvre serait sans doute exceptionnelle. La légalité des délibérations en ce sens demeurerait subordonnée à l'utilité communale de la subvention, donc à l'existence d'un intérêt général distinct de l'intérêt cultuel, conformément au droit commun.

Les abus ne sauraient se présumer. On ne sache pas que la plaine d'Alsace soit hérissée de minarets. Et pourtant, les communes qui s'y trouvent ne sont pas limitées dans leur subventionnement par la loi de 1905, qui n'est pas applicable dans cette région.

L'orientation préconisée s'inscrit dans la droite ligne des grands principes de notre République. L'exigence constitutionnelle de laïcité implique, certes, la neutralité des personnes publiques. Mais elle implique aussi la liberté religieuse et le respect de toutes les croyances. Elle implique le pluralisme et s'accompagne de la garantie du libre exercice des cultes proclamée au moment même de la séparation des églises et de l'État. Comme la République ne reconnaît aucun culte, toutes les religions doivent avoir droit de cité pourvu qu'elles respectent les lois de la République. Il n'est pas anormal, en conséquence, que des collectivités publiques qui participent à l'entretien de l'essentiel du patrimoine cultuel existant, puissent venir en aide aux fidèles de confessions d'implantation récente. Ces confessions ne possédant pas de patrimoine n'ont rien à faire réparer et rencontrent des difficultés pour pratiquer.

La mesure proposée est un acte de foi - très laïque - dans la démocratie locale. Les maires et les conseils municipaux sont assurément les mieux placés pour apprécier s'il y a lieu de mettre en œuvre un dispositif de subventionnement cultuel. À l'heure de la décentralisation assumée, il est tout naturel d'envisager de leur confier la maîtrise de ce type d'intervention.

M. le Président : Merci, monsieur le professeur. La loi de séparation des églises et de l'État, dont on vient de fêter le centenaire, recouvre des problématiques qui dépassent largement le cœur de notre commission d'enquête. Votre travail ne peut pas nous laisser indifférents. Vos travaux déboucheront un jour ou l'autre sur des modifications et notre souci est de savoir si les conclusions auxquelles vous êtes parvenus pourraient avoir des incidences sur ce qui nous préoccupe aujourd'hui. C'est dans cet esprit que nous vous avons demandé de venir. Mais je laisse la parole à M. Jean-Pierre Brard, qui commencera la phase des questions et réponses.

M. Jean-Pierre BRARD : Je voudrais savoir qui a choisi les membres de la commission que vous présidiez. Avez-vous eu votre mot à dire ? Pourquoi n'y a-t-il aucune femme, en dehors du rapporteur ? Par qui les personnes auditionnées ont-elles été choisies ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Les membres de la commission ont été choisis par le ministre. Il y a deux femmes - Mme Laurence Botbol-Lalou et Mme Laurence Marion - au sein de la commission, qui ne dépasse pas seize membres. Il faut savoir que les spécialistes du droit des cultes ne sont pas très nombreux. La probabilité de désigner autant de femmes que d'hommes était assurément limitée.

C'est moi qui ai choisi les personnes auditionnées en plein accord avec les membres de la commission.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez choisi des personnes représentant les sectes : M. Jean-Claude Pons, M. Jacques Picq - bien connu pour sa proximité avec la Scientologie -, M. Jacques Robert. Mais vous n'avez pas auditionné de victimes de sectes. N'y a-t-il pas là un déséquilibre en termes d'équité, qui doit pourtant présider aux travaux d'une commission de cette importance ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Nous avons eu le souci permanent de trouver, en étudiant à fond le droit des cultes tel qu'il existe aujourd'hui, ce qui mérite d'être réformé, ce qui peut l'être. Nous n'avons pas eu celui d'étudier le problème des dérives sectaires. Pour autant, nous sommes conscients qu'en renforçant les droits des représentants de la puissance publique, nous contribuons à mieux armer ces derniers dans leur lutte éventuelle contre les dérives sectaires.

M. Jean-Pierre BRARD : Les représentants des sectes avaient-ils qualité pour alimenter votre réflexion, alors que vous n'avez pas auditionné de victimes ? Cela n'hypothèque-t-il pas la qualité de vos travaux ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je ne le pense pas. Une quarantaine de personnalités ont été auditionnées. Personnellement, je ne me prononce pas sur le point de savoir si telle ou telle peut avoir telle ou telle proximité avec les sectes. Il m'a semblé nécessaire d'entendre ceux qui, par les fonctions qu'ils ont exercées, par leur connaissance du droit public, pouvaient nous apporter beaucoup dans le cadre de notre étude.

Nous avons considéré qu'il n'était pas absurde d'entendre des représentants des Témoins de Jéhovah. Cela ne signifie pas que nous avons approuvé tout ce qu'ils nous ont dit.

M. Jean-Pierre BRARD : À quel titre avez-vous entendu le président de l'Union nationale des Frères de Plymouth de France, que nous caractérisons comme secte ? Était-ce pour ses compétences juridiques ?

D'autre part, selon vous, le refus de la transfusion sanguine n'est-il pas un trouble à l'ordre public ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Différents courriers ont appelé mon attention sur les Frères de Plymouth. J'ai pensé qu'il pourrait être intéressant de les entendre pour savoir qui ils étaient et comment ils pratiquaient leur culte.

M. Jean-Pierre BRARD : Et les Témoins de Jéhovah ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Ma mission ne consistait pas à entendre les victimes, ni à étudier les moyens de renforcer la législation permettant d'éviter les dérives sectaires, même si, par certains aspects, nous y avons songé.

Nous aurions pu aussi entendre beaucoup plus de monde. Mais, tout en siégeant une fois par semaine, il ne nous était pas possible d'entendre un très grand nombre de personnes.

M. Serge BLISKO : Vous avez eu une appréciation tout à fait agréable sur l'esprit de responsabilité des collectivités locales. Maire d'un arrondissement parisien de 170 000 habitants, je voudrais apporter un témoignage sur la situation difficile dans laquelle vous mettriez les élus en leur attribuant ce qui est aujourd'hui confié à l'État.

Au cours des quarante dernières années, nous avons eu dans le XIIIe arrondissement de Paris six ouvertures de lieux de culte israélite, implantés de façon correcte mais sommaire ; deux ouvertures de lieux de culte bouddhiste, de moindre qualité, avec les réfugiés du Sud-Est asiatique arrivés il y a vingt-cinq ans ; un lieu de culte shintoïste ; trois salles de prières de très mauvaise qualité au rez-de-chaussée ou dans les sous-sols de foyers de travailleurs migrants ; une vieille église catholique orthodoxe. Tout cela s'ajoute aux sites religieux classiques : temples réformés, églises catholiques, temples luthériens, temple adventiste, et je ne compte plus le nombre de salles de prières de chrétiens évangéliques qui naissent ou disparaissent en fonction des mouvements de populations.

L'effort des collectivités locales n'a pas été nul, et nous avons réussi à réserver un certain nombre de locaux pour une aumônerie catholique. Une église catholique a même été construite par mon prédécesseur dans un quartier neuf, dans des conditions sur lesquelles je ne veux pas revenir.

Vous pouvez imaginer la difficulté dans laquelle nous nous trouverions si les collectivités locales avaient cette possibilité : indépendamment de notre volonté propre, nous n'aurions pas les moyens de résister à cette demande diffuse, compliquée, multiple de salles de prières. Sans compter qu'une « salle du Royaume » quelconque viendrait se surajouter à ces lieux de culte tout à fait honorables.

Il ne faut pas mettre le doigt dans l'engrenage. Cela risque de nous entraîner dans des guerres picrocholines, commune par commune.

M. Jean-Pierre MACHELON : Notre proposition de permettre, dans certains cas, dans les conditions que j'ai rappelées, aux communes d'accorder des subventions de manière directe n'a pas pour but d'embarrasser les élus locaux. Il s'agit d'éviter qu'ils se trouvent dans la situation qui est à l'origine de la décision du tribunal de Montpellier du 30 juin. Certaines mesures, qui relèvent d'un subventionnement déguisé, sont contraires à la loi. Il est bon alors que parfois la loi soit modifiée.

Le subventionnement indirect existe. Un bail emphytéotique permettant l'occupation d'un terrain est parfois un avantage considérable, bien supérieur à un coup de pouce éventuel pour une construction. Nous avons été animés par un souci de transparence et de clarté.

M. Jacques MYARD : Monsieur, je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt, mais aussi beaucoup d'effroi. Je vous rappellerai que si le législateur a la capacité de modifier les lois, il y en a certaines qui fondent la République et auxquelles il ne faut toucher qu'avec infiniment de précaution. Je pense que la loi sur la laïcité fait partie de ce bloc, même si la loi de 1905 n'appartient pas à la Constitution.

Vous avez parlé des associations de la loi de 1901 comme d'un véhicule pour exercer sa religion. Permettez-moi de vous dire que j'ai appartenu à une mission sur la laïcité et nous avons rappelé que la loi de 1901 n'était pas le bon véhicule.

Vous nous dites ensuite ce qu'une circulaire rappelle s'agissant des cimetières. Or, cette circulaire est certainement illégale, même si elle n'a pas été attaquée. Vous semblez considérer qu'il est anormal que le tribunal administratif de Montpellier ait rappelé la loi. Permettez-moi de vous faire remarquer que, s'il y a des dérives, si certains élus prennent des libertés avec la loi républicaine et s'ils se font taper sur les doigts, c'est très bien. J'ai participé aux précédentes missions d'information sur les sectes et je trouve que vous faites preuve d'un certain laxisme par rapport à l'application des lois qui m'étonne de la part d'un professeur de droit.

J'ai une question personnelle à vous poser, à laquelle vous êtes libre de ne pas répondre. Si j'en crois à ce qu'on a entendu de vous, appartenez-vous à des milieux d'une religion certes reconnue, mais qui milite de manière active ?

Ensuite, je voudrais que vous définissiez ce qu'est une religion. Pour ma part, je ne le sais pas. Il existe des faits religieux et des religions établies. Si, demain matin, je fonde la « myarologie », dès que j'aurai un certain nombre d'adeptes, j'irai voir le maire en lui demandant que mon culte soit financé. Les scientologues parlent bien de leur « église ». Allons-nous financer la Scientologie ? Cela me paraît loufoque.

Nous sommes en train de mettre à bas un principe selon lequel les affaires religieuses relèvent de la vie privée. On avance l'argument économique qui est que certains ne peuvent pas se payer un lieu de culte. Or, c'est absolument faux. Je peux vous donner l'exemple de communautés religieuses que je respecte qui, à peu de frais, se paient un lieu de culte en transformant un entrepôt. Et je peux vous y emmener. Ne me dites pas que des gens qui ont beaucoup d'argent parce qu'ils sont nombreux ne peuvent pas le faire. C'est un faux problème.

Je crains fort qu'avec ces propositions qui me paraissent dans l'air du temps du Café du commerce on n'aille vers une dérive sans qu'on sache où. On risque d'être assaillis de demandes. Je ne sais pas ce qu'est une religion et je pourrais donner des subventions aux scientologues, aux raéliens. Je ne sais pas juger. Comment faire ? Je crains fort que vous n'ayez joué les apprentis sorciers.

M. le Président : Monsieur le professeur, vous n'êtes pas obligé de répondre à la question personnelle qui vous a été posée.

M. Jean-Pierre MACHELON : Effectivement, je ne suis pas dans un confessionnal. J'aimerais répondre, en revanche, aux vraies questions qui m'ont été posées.

S'agissant de la loi de 1905, je suis profondément convaincu, et la commission a été unanime sur ce point, qu'il y a une différence à faire entre les articles 1er et 2, qui sont sous le titre « Principes », et le reste de la loi qui a d'ailleurs été modifié de nombreuses fois. Nous ne proposons évidemment pas de modifier les deux premiers articles.

Le libéralisme du droit français qui permet des activités religieuses via les associations de la loi de 1901 et dispense de remplir les conditions requises pour créer des associations cultuelles, a paru incontournable à la commission dans un pays de liberté comme le nôtre. Pour autant, je suis d'accord avec vous, monsieur le député, pour dire qu'il est plus normal, s'agissant de culte, que l'on constitue des associations cultuelles. Mais si l'on veut faire autrement...

M. Jacques MYARD : On ne fait pas du culte ! On fait de l'associatif, du caritatif. Il y a un moment où il faut savoir dire : « C'est comme cela et pas autrement. » Je suis désolé de voir qu'il y a confusion. Remettons les pendules à l'heure !

M. Jean-Pierre MACHELON : Nous avons cherché à rendre plus attractif le statut des associations cultuelles, précisément pour aller dans ce sens. Simplement, nous n'avons pas proposé de mesures drastiques.

Je suis d'accord avec vous : il n'y a pas, en droit français, de définition de la religion. Le droit français ne connaît que le culte, c'est-à-dire l'aspect rituel et objectif.

M. Jacques MYARD : Et on va financer la Scientologie !

M. Jean-Pierre MACHELON : Le culte est la mise en œuvre de la croyance religieuse par des rites accomplis collectivement.

M. Jacques MYARD : Et on va financer la Scientologie et les raéliens !

M. Jean-Pierre MACHELON : Le culte a une définition juridique.

M. Jacques MYARD : Mais il n'y a pas que les religions du Livre, et quelques autres, qui vont être concernées : vous allez voir arriver toutes les prétendues religions comme la Scientologie. Pour ses membres, il s'agit d'une religion ; ils se retrouvent dans une salle pour pratiquer leur culte. Alors, que va-t-on faire ? Financer ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Personne n'est obligé de financer quoi que ce soit.

M. Jacques MYARD : Personne ? Vous allez ouvrir un guichet.

M. le Président : Professeur, vous avez donné la définition d'un culte à partir des rites. La jurisprudence du Conseil d'État rappelle très clairement que ce doit être exclusivement l'objet d'un culte et qu'il ne doit pas y avoir trouble à l'ordre public.

M. Jean-Pierre MACHELON : C'est l'avis du 24 octobre 1997.

M. le Président : J'ai lu attentivement votre rapport. Page 40, vous rappelez la procédure de reconnaissance par les préfectures des associations qui revendiquent le statut d'association cultuelle et vous remarquez : « une procédure de reconnaissance s'est en effet reconstituée de manière indirecte puisque l'administration - comme l'y invitait parfois mais pas toujours la législation - estimait que seules pouvaient avoir accès au régime juridique et fiscal particulier prévu pour les associations cultuelles les associations munies d'un arrêté préfectoral les autorisant à bénéficier d'un don ou d'un legs. À cette occasion, elle pouvait se prononcer sur le caractère cultuel ou non d'une association au sens de la loi de 1905. Cette « petite reconnaissance » constitue pour l'administration un levier important de lutte contre les dérives sectaires, dès lors notamment que la réserve d'ordre public permet de dénier la qualité d'association cultuelle à une association qui, pourtant, remplirait toutes les autres conditions posées par la loi de 1905. » Mais je n'ai pas trouvé d'analyse sur ce qu'est ce trouble à l'ordre public, qui justifierait le refus d'accorder la petite reconnaissance.

M. Jean-Pierre MACHELON : C'est une question de police administrative, qui dépend du lieu et du moment. C'est avant tout un problème de fait.

M. le Président : Avez-vous des exemples ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Le trouble à l'ordre public peut être matériel : risques d'affrontement entre les administrés.

M. le Président : Vous avez auditionné le porte-parole de l'organisation des Témoins de Jéhovah. Nous n'avons rien contre eux et nous ne saurions juger du bien-fondé de la doctrine. Mais ce qui nous préoccupe, c'est le problème de l'interdiction, du refus de soins, et notamment le refus de la transfusion sanguine. Cela concerne les mineurs. Pouvez-vous nous dire votre sentiment sur ce sujet, en tant que juriste, président de cette commission ? Est-ce que le fait de s'opposer à la transfusion sanguine d'un mineur dont la vie est en danger est constitutif ou non d'un trouble à l'ordre public, ce qui justifierait de refuser le statut d'association cultuelle ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je vais vous donner l'avis personnel que j'aurais exprimé avant la loi Kouchner de 2002. La réponse aurait été « oui ». C'est d'ailleurs dans ce sens que M. Delon, le commissaire du Gouvernement, s'était exprimé devant le Conseil d'État en 1985.

Aujourd'hui, le problème ne se pose plus de la même façon, puisqu'un médecin peut toujours délivrer les soins indispensables à un mineur, malgré le refus du titulaire de l'autorité parentale. C'est très bien ainsi.

M. le Président : Il n'en demeure pas moins que cette interdiction de la transfusion est maintenue dans la pratique religieuse.

M. Jean-Pierre MACHELON : Certes, mais dans l'état actuel de notre législation, ce refus n'a plus les mêmes conséquences.

M. Jean-Pierre BRARD : Quand le pronostic vital d'un patient est engagé, est-ce que le refus de la transfusion sanguine est oui ou non un trouble à l'ordre public ?

Quand un enfant est soustrait à la présentation à l'hôpital alors qu'il aurait besoin d'une transfusion sanguine pour être sauvé, le médecin n'est plus en position d'arbitrer. Est-ce, oui ou non, un trouble à l'ordre public ?

Conduire quelqu'un à la mort est-il un trouble à l'ordre public dans ces cas-là ?

M. Jean-Pierre MACHELON : La question ne se pose pas comme cela. Tout un chacun peut intervenir et empêcher l'issue fatale.

M. Jean-Pierre BRARD : Mais qui ? Les parents ? Soustraire un enfant à la transfusion sanguine constitue-t-il un trouble à l'ordre public quand le pronostic vital est engagé ?

M. Jean-Pierre MACHELON : C'en serait assurément un, s'il n'y avait pas le moyen de contourner le refus de l'autorité parentale.

M. Jean-Pierre BRARD : Comment faire quand cela se passe au sein de la famille ? Comment sauver l'enfant ? Est-ce, dans ce cas-là, un trouble à l'ordre public ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Non, puisque le médecin peut...

M. Jean-Pierre BRARD : Non, le médecin n'est pas là et les parents refusent d'emmener l'enfant à l'hôpital alors qu'ils connaissent la pathologie. Le fait de conduire cet enfant à la mort constitue-t-il un trouble à l'ordre public ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Il y a non-assistance à personne en danger, ce que certaines dispositions du code pénal permettent de réprimer.

M. Jean-Pierre BRARD : Après coup. Est-ce, oui ou non, un trouble à l'ordre public ?

M. le Président : Une infraction pénale suppose nécessairement un trouble à l'ordre public.

M. Jean-Pierre BRARD : Il est donc évident qu'il s'agit d'un trouble à l'ordre public ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Il est évident que les crimes et délits doivent être réprimés.

M. Jean-Pierre BRARD : Alors, pourquoi, sachant tout cela, avez-vous auditionné le porte-parole des Témoins de Jéhovah qui prônent ces pratiques ? Pourquoi n'avez-vous pas auditionné les victimes ? Pourquoi ce parti pris ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Mais il n'y a aucun parti pris.

M. Jean-Pierre BRARD : Expliquez-moi pourquoi, si vous voulez être convaincant. Vous avez auditionné ceux qui sont coupables de cette théorie, mais vous n'avez pas auditionné les victimes. Pourquoi ce choix ? Vous avez fait la même chose avec les Frères de Plymouth.

M. Jean-Pierre MACHELON : Nous avons auditionné tous ceux qui se réclament de la liberté de culte, pour connaître la manière dont ils la comprennent et pour comprendre leur argumentation.

M. Jean-Pierre BRARD : Avez-vous auditionné des scientologues ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Non.

M. Jean-Pierre BRARD : Est-ce que la Scientologie est une religion ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je n'en sais rien.

M. Jean-Pierre BRARD : Quel est l'avis du professeur Jacques Robert là-dessus ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je connais ce professeur depuis de très longues années. C'est un éminent juriste, ancien membre du Conseil constitutionnel, ancien président de l'université de droit, d'économie et de sciences sociales de Paris, président de la Société de droit comparé. C'est un membre éminent des églises protestantes. Il me paraissait avoir tous les titres pour être entendu par nous.

M. le Président : Vous connaissez sa position sur la Scientologie. Il a rendu une consultation juridique très étoffée et argumentée estimant que celle-ci pouvait prétendre à la qualité de religion. Le saviez-vous ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Nous ne l'avons pas auditionné pour lui demander ce qu'il pensait de la Scientologie, et nous n'avons pas abordé cette question.

M. le Président : Mais le saviez-vous ? Je vous rappelle que vous parlez sous la foi du serment.

M. Jean-Pierre MACHELON : Je ne le sais pas, mais ce que je sais, c'est que le professeur Jacques Robert considère qu'il n'y a pas de moyens juridiques de différencier une secte et une religion. Il n'existe pas de définition juridique de la secte ou de la religion.

La discussion que nous avons eue avec le professeur Jacques Robert a porté sur tous les aspects du droit des cultes, mais pas sur la Scientologie.

M. Jean-Pierre BRARD : Êtes-vous aussi de l'opinion qu'on ne peut pas distinguer une religion d'une secte ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je vais vous donner mon opinion à titre personnel. Je peux partager l'indignation à l'égard des dérives des comportements sectaires. Je partage complètement la compassion de tout le monde pour les victimes. D'un autre côté, je suis conscient des difficultés qu'il y a à organiser la prévention et la répression de ces dérives, précisément parce qu'il n'y a pas de définition juridique des sectes, pas plus que des religions.

L'arsenal répressif du code pénal peut toujours être amélioré. Des voies peuvent être préférées à d'autres pour lutter contre les dérives sectaires. Il est normal de renforcer la législation sur certains points, comme ce fut le cas en 2001. Il est bon que la justice soit saisie, que l'administration soit diligente. Rien de tout cela ne me paraît choquant.

M. Jean-Pierre BRARD : Une dernière question : je suis maire ; avec vos propositions, demain, une organisation catholique, une organisation protestante, une organisation musulmane, une organisation juive, une organisation raélienne, une organisation scientologue vont me demander un lieu de culte. Je vais devoir respecter l'égalité entre eux. Vous êtes bien d'accord ?

M. Jean-Pierre MACHELON : En tant que maire, vous êtes juge du point de savoir s'il y a une menace pour l'ordre public.

M. Jean-Pierre BRARD : Mais vous qui êtes professeur de droit, vous ne voulez pas la reconnaître ! Vous voulez que moi, qui suis maire mais pas juriste, je distingue le bon grain de l'ivraie ?

M. Jacques REMILLIER : Je suis maire d'une ville de 32 000 habitants et je suis interpellé : vous voulez nous transférer une responsabilité que vous n'assumez pas vous-même.

Concernant le refus des transfusions sanguines, vous avez dit qu'aujourd'hui cela n'avait plus les mêmes conséquences. Ne cherchez-vous pas, en défendant ce point de vue, à justifier ce refus ? Pourriez-vous préciser cette partie de phrase : cela n'a plus les mêmes conséquences aujourd'hui qu'auparavant ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je voulais dire simplement que la législation ayant changé, tout médecin pouvant passer outre au refus opposé par l'autorité parentale, cela n'a plus les mêmes conséquences. C'est seulement cela que j'ai voulu dire.

Mme Martine DAVID : Je voudrais savoir si vous avez auditionné les maires et ce qu'ils vous ont dit. Les communes sont très diverses, politiquement, géographiquement, socialement. Je doute que la majorité des élus locaux vous aient donné leur assentiment sur la proposition que vous avez formulée.

Vous avez essayé de nous démontrer que vous-même et les membres de la commission êtes des gens très libéraux. Or, je ne suis pas sûr qu'on contribue à la liberté en risquant de mettre les maires dans des situations inextricables. Mesurez-vous réellement les effets probables d'une telle proposition si elle était retenue ? J'espère qu'elle ne le sera jamais, car j'y suis formellement opposée.

Je ne vois pas ce qui pourrait la légitimer. Comment pourrions-nous répondre équitablement à toutes les demandes qui ne manqueraient pas de nous être adressées ? Et puis, où trouverions-nous l'argent ?

M. Jean-Pierre MACHELON : S'agissant du subventionnement direct, nous avons entendu des propos très divers. Comme il est dit dans le rapport, l'unanimité n'a pas été obtenue sur ce point.

Mme Martine DAVID : Je voudrais être sûre que vous mesurez bien les conséquences d'une telle proposition, si par malheur elle était mise en œuvre. Aujourd'hui, on se pose des questions sur les religions et leur exercice. En même temps, on se préoccupe des dérives sectaires qu'on a parfois du mal à répertorier. Vous donneriez aux maires la possibilité d'autoriser certains mouvements susceptibles de se rendre coupables d'abus de faiblesse, de mise en dépendance psychologique des mineurs, etc. Si demain ces mouvements s'adressent à eux, ils n'auront plus grand-chose à leur opposer.

M. Jean-Pierre MACHELON : Si. Ils ont les dispositions de la loi, en cas d'abus de faiblesse.

Mme Martine DAVID : Vous savez que certaines choses sont difficiles à prouver. Ce qui ne signifie pas qu'elles n'existent pas. Ces mouvements, qui se trouvent sur le territoire de nos communes, pourront nous solliciter si demain cette proposition est applicable. Que fera-t-on ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Si je suis maire, je propose à mon conseil municipal d'être regardant. Dans le rapport, il y a des propositions de toutes sortes. Mais l'une des dominantes, c'est que l'administration préfectorale, ainsi que l'administration municipale se trouvent renforcées, notamment dans leur lutte éventuelle contre les dérives sectaires. C'est la réforme des associations cultuelles que nous présentons.

M. Marcel DEHOUX : Parmi les personnes auditionnées, il y avait de nombreux responsables des religions. Mais il existe aussi un mouvement qui regroupe des athées. Or, je n'ai pas entendu qu'il ait été interrogé. Ont-ils refusé de venir ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Non. Mais il nous a semblé, dans un but d'efficacité pratique, plus utile d'écouter davantage ceux qui administrent les cultes au quotidien. Ce qu'ils avaient à nous dire correspondait plus directement à notre propos.

M. Marcel DEHOUX : Est-ce que votre rapport a été adopté à l'unanimité ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Ce n'est pas comme au Parlement. Il n'y a pas eu de vote d'ensemble. Mais lorsque, sur telle disposition d'un chapitre, il n'y a pas eu unanimité, c'est indiqué dans le rapport.

M. Marcel DEHOUX : Les représentants du courant que j'évoquais tout à l'heure sont en total désaccord avec votre rapport. Nous souhaitons que cela reste dans la sphère privée.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez dit que vous aviez préféré entendre des représentants des administrations du culte. Mais vous proposez que tous les citoyens paient. Mais ceux qui ne se reconnaissent pas dans un culte, pourquoi ne les avez-vous pas entendus, dans la mesure où ils sont contribuables comme les autres ? Vous instituez déjà une discrimination au moment de la réflexion.

Vous avez dit également que vous aviez eu le souci de nous aider dans notre lutte contre les excès des déviances sectaires. J'aimerais connaître quelle a été l'opinion de M. Jean-Paul Willaime, qui a été membre de votre commission.

M. Jean-Pierre MACHELON : Je ne peux pas vous restituer les propos des membres de la commission.

M. le Président : Pouvez-vous préciser votre question, monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre BRARD : Tout à l'heure, j'avais demandé qui avait choisi les membres de cette commission. Car le rapport est fonction de sa composition. Il se trouve que M. Jean-Paul Willaime a pris fait et cause pour les États-Unis contre la France s'agissant des sectes. Il a attaqué avec violence le travail des parlementaires français. C'est tout à fait son droit, mais cela ne le qualifiait pas forcément pour participer à une commission qui a vocation à former des propositions pour la France. D'où le malaise que nous ressentons tant vis-à-vis du contenu de vos travaux que des personnes que vous avez auditionnées.

Vous avez auditionné des personnes qui représentent les sectes, connaissant leurs déviances dont les conséquences sont gravissimes pour les victimes et vous n'avez pas auditionné ces victimes. Vous avez donc exprimé un parti pris.

M. Jean-Pierre MACHELON : Ce n'est pas du tout le sentiment que j'ai.

M. Jean-Pierre BRARD : Votre sentiment est démenti par ce que vous avez fait. Les noms sont là.

M. Jean-Pierre MACHELON : De même que je suis responsable du rapport que j'ai présenté au ministre, de même je n'ai pas à rendre compte des propos que tel ou tel membre de la commission aurait tenus.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous avez juré de dire toute la vérité, rien que la vérité devant la commission d'enquête. Donc, quand nous vous interrogeons, vous devez répondre.

M. Jean-Pierre MACHELON : Je réponds le plus complètement que je le peux. Mais il y a des questions auxquelles je ne peux pas répondre.

M. le Président. Vous ne pouvez pas vous engager pour M. Jean-Paul Willaime.

M. Jean-Pierre MACHELON : Je ne peux pas m'engager pour lui. J'ignore ce qu'il pense sur certains sujets.

M. Jean-Pierre BRARD : Je vous donnerai les textes qu'il a écrits, tout comme ceux de M. Jacques Robert, qui sont dans le domaine public.

M. Jean-Pierre MACHELON : Il a le droit d'avoir son opinion sur la liberté des cultes.

M. Jean-Pierre BRARD : C'est sur les sectes, pas sur les cultes.

M. Jacques REMILLIER : Vous avez auditionné un de nos collègues, Jacques Pélissard, député du Jura, en sa qualité de président de l'Association des maires de France. Sur quel thème cette audition a-t-elle porté ? Quelle était sa position ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je l'ai interrogé sur les remarques que pouvait susciter chez lui l'état présent des lois et règlements relatifs à l'exercice public du culte. Il nous a présenté un exposé qui a été suivi de questions. Mais je ne vais pas donner de détails.

Mme Martine DAVID : L'opinion du président de l'AMF compte, par rapport aux propositions que vous avez été amené à faire. Vous ne pouvez pas dire, pour toutes les auditions, que vous ne vous rappelez de rien ! Vous avez prêté serment. Et le président de l'AMF vous a bien donné son opinion sur la proposition sur laquelle nous vous interrogeons depuis tout à l'heure. Ou vous avez des troubles de mémoire, ou vous ne voulez pas nous en parler. Cela nous pose un vrai problème.

M. le Président : L'Association des maires de France a-t-elle officiellement exprimé sa position ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je n'ai pas eu connaissance d'une réaction au rapport.

M. le Président : A-t-elle une position de principe sur le subventionnement ou l'aide à la construction de lieux de culte par les collectivités locales ?

M. Jacques REMILLIER : Je voudrais savoir ce que vous avez en mémoire. C'est important pour nous, qui sommes tous maires. Nous pouvons le demander au président Pélissard. Mais j'aimerais que vous nous disiez officiellement si vous lui avez posé la question.

M. Jean-Pierre MACHELON : Je n'ai pas le détail des questions que j'ai posées aux différentes personnes auditionnées.

M. le Président : Il s'agit tout de même du président de l'Association des maires de France. Son audition devait être différente de celle des autres. Vous lui avez sûrement posé des questions très précises sur la responsabilité des maires à l'égard des religions.

M. Jean-Pierre MACHELON : Je n'ai pas, à la minute, et je doute que ce soit souhaitable, le détail des questions que je lui ai posées.

M. le Président : Vous indiquez dans votre rapport, page 7, s'agissant des Témoins de Jéhovah : « Les mouvements religieux atypiques connaissent, en dépit des polémiques qu'ils déclenchent et quel que soit le statut qu'on leur attribue, une certaine vitalité. On le constate, par exemple, chez les Témoins de Jéhovah qui revendiquent près de 140 000 « proclamateurs », dont plus de 20 000 outre-mer ». Avez-vous vérifié ce chiffre de 140 000 ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Des précautions de style ont été prises lorsqu'il s'est agi, pour chaque religion, de donner des éléments statistiques. Ce sont des ordres de grandeur.

M. le Président : En l'occurrence, quelles sont vos sources ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Nous nous sommes inspirés de publications que j'aurais pu vous apporter, et que les spécialistes des religions trouvent facilement.

M. le Président : Vous n'avez pas de sources privilégiées ? Savez-vous que les Témoins de Jéhovah revendiquent près de 250 000 adhérents en France ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Qu'ils soient 140 000 ou 250 000, le problème est le même. Les chiffres sont approximatifs, comme pour les bouddhistes et les églises orthodoxes. Même pour la religion catholique ou la religion réformée, personne ne peut dire quels sont les effectifs actuels.

M. Jean-Pierre BRARD : Est-ce que les bouddhistes sont à l'origine de troubles à l'ordre public ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je n'en ai pas connaissance. Je ne suis pas responsable de l'ordre public dans chaque commune.

M. le Président : Avez-vous connaissance de la lettre adressée au Premier ministre, en date du 10 octobre 2006, et que les Témoins de Jéhovah publient sur leur site officiel ? Ils y rappelaient que le statut cultuel a été accordé à 933 de leurs associations locales et à leur association nationale par des arrêtés préfectoraux. Ils soulignent : « Les décisions administratives sont prises en toute transparence à l'issue de contrôles de l'administration, conformément aux principes et règles de procédure prévus par la loi de 1905 ».

Pouvez-vous nous rappeler quels sont ces principes et règles de procédure et nous indiquer la position de votre commission sur le point de vue des Témoins de Jéhovah et sur ces 933 labellisations ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Le mouvement des Témoins de Jéhovah est très décentralisé. Le chiffre que vous donnez montre que les différentes associations ont demandé de bénéficier du statut d'associations cultuelles à l'occasion de la demande d'acceptation de dons et legs. Aucune objection n'a dû être faite par l'autorité administrative touchant à l'ordre public. Sinon, elles n'auraient pas obtenu ce statut.

M. le Président : C'est un constat que vous faites. N'avez-vous pas d'opinion sur ce sujet ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je n'ai pas à en avoir.

M. le Président : L'une de vos préconisations est que toute association, si elle le souhaite, puisse interroger l'administration sur sa capacité à bénéficier des avantages liés au statut d'association cultuelle. Une association à caractère sectaire peut donc demander à l'administration de lui donner un avis.

Ne craignez-vous pas, par cette préconisation, d'encourager les associations à caractère sectaire, que vous dénoncez par ailleurs dans votre rapport ? D'ailleurs, comment l'administration va-t-elle faire cette étude et se prononcer ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Ce n'est pas une facilité supplémentaire, c'est une occasion supplémentaire de contrôle. Simplement, c'est l'administré qui va au-devant du contrôleur dans un but de sécurité juridique. Pourquoi cette idée de rescrit cultuel ? Parce que, depuis l'ordonnance de 2005, les autorisations de recevoir les dons et legs ne sont plus données au cas par cas.

M. le Président : Au cours de toutes nos auditions, est revenue la question de l'application, dans notre droit interne, de la convention de New York sur les droits de l'enfant. Je pense notamment à certaines de ses dispositions selon lesquelles l'éducation doit permettre à chaque enfant de devenir un citoyen capable de jugement critique. Or, manifestement, cette convention qui a été ratifiée par la France n'est pas prise en compte par les hautes juridictions de notre pays. Nous n'avons trouvé qu'une décision de la Cour de cassation qui y faisait référence. Le non-respect des dispositions de la convention de New York n'est pas constitutif d'un trouble à l'ordre public.

Comment se fait-il que la France, qui est signataire de cette convention, n'intègre pas dans la notion de trouble à l'ordre public, le fait de ne pas respecter les dispositions de cette convention ?

La jurisprudence a admis qu'une construction monumentale dans un site protégé et le refus de le détruire constituait une atteinte à l'ordre public. Dans le même temps, le refus d'une transfusion sanguine n'est pas considéré comme une atteinte à l'ordre public. On se pose la question : quelle est l'échelle des valeurs ?

M. Jean-Pierre MACHELON : La notion d'ordre public s'apprécie localement. C'est la seule réponse que je puisse vous faire.

L'ordre public ne s'apprécie pas en soi mais sur un terrain donné, à une époque donnée et en fonction du jugement d'une personne donnée. On peut le regretter, mais c'est ainsi.

Mme Martine DAVID : Pourquoi n'intègre-t-on pas le contenu d'une convention internationale signée par notre pays ?

M. Jean-Pierre MACHELON : Je ne peux pas vous répondre. Certains ne s'y réfèrent pas, mais d'autres doivent le faire. Il n'y a pas d'impossibilité sur ce point.

M. le Président : Professeur, je vous remercie d'avoir répondu à toutes nos questions, dont certaines n'étaient pas faciles. Vous nous pardonnerez la vivacité de certaines questions, mais c'était pour nous indispensable pour parvenir, autant que possible, à la manifestation de la vérité.

M. Jean-Pierre MACHELON : De mon côté, je vous ai répondu de manière vive et spontanée, et c'était bien ainsi.

Audition d'anciens adeptes de la communauté de Tabitha's Place


(Procès-verbal de la séance du 5 décembre 2006)

Présidence de M. Georges FENECH, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour une dernière audition, avant la remise de notre rapport, afin d'entendre d'anciens adeptes de la communauté de Tabitha's Place. Il a semblé en effet utile, après le déplacement de la commission d'enquête sur le site de cette communauté, de compléter notre information en auditionnant d'anciens membres de ce mouvement.

Vous remerciant, madame, monsieur, d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête, je souhaite vous informer au préalable de vos droits et de vos obligations.

Je vous rappelle tout d'abord qu'aux termes de l'article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l'article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

Je m'adresse aux représentants de la presse pour leur rappeler les termes de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle. J'invite donc les représentants de la presse à ne pas citer nommément les enfants qui ont été victimes de ces actes.

Avant de vous céder la parole, je tiens à rappeler qu'une procédure judiciaire vous opposant à la communauté de Tabitha's Place est en cours. Dans ces conditions, je vous invite à ne pas évoquer des faits susceptibles de relever de cette procédure. Cette remarque préalable vaut naturellement pour les membres de la commission d'enquête.

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Madame, Monsieur, vous avez la parole.

M. N : Je tiens tout d'abord à remercier votre commission de nous accueillir aujourd'hui et d'être à l'écoute de notre souffrance.

Lorsque nous sommes entrés en contact avec cette communauté, nous avions déjà trois enfants en bas âge. Nous avions une affaire artisanale, qui tournait bien.

Un jour, nous avons visité, en touristes, un salon professionnel consacré à l'équitation, EquitaLyon, qui se tenait au Palais des expositions de Lyon. Nous voulions montrer aux enfants des chevaux, des activités équestres. À peine arrivé dans le salon, j'ai vu le stand de Ruben and Brothers. Je ne savais pas encore que c'était l'intitulé de la SARL qui sert de vitrine à la communauté de Tabitha's Place. Ce qui m'a troublé, c'est le nom de Ruben, qui est celui que nous avions donné à notre troisième enfant, lequel était dans sa poussette. L'un des membres de la communauté sort du stand à ce moment-là : « Quel beau bébé ! Comment s'appelle-t-il ? Ruben ? Pourquoi avez-vous choisi ce nom-là ? » Et de fil en aiguille, nous nous mettons à parler de la foi. À l'époque, j'étais habité par une foi chrétienne très zélée. Par ailleurs, je remarque que des chaussures et des sandales étaient exposées. C'est ainsi que nous parlons de chaussures. Un lien commence à se créer. Puis, nous parlons de l'éducation des enfants, puis de l'instruction scolaire, puis de l'apprentissage. Tous ces sujets étaient très importants pour moi. C'était ma vie.

Je précise que je suis un Compagnon du Devoir. J'ai commencé mon Tour de France en 1977. Tout ce qui a trait au métier, à l'artisanat, à l'apprentissage, à la tradition était très important pour moi. C'est ainsi qu'un lien d'amitié s'est créé. Nous sommes restés sur le stand pendant un certain temps, en échangeant sur ce que nous avions en commun. Les membres de la communauté m'ont invité à venir à Sus. Ils m'ont également remis de la documentation, des journaux gratuits, qui sont un matériel de prosélytisme.

Une fois rentré à la maison, la lecture de cette documentation a fait naître en moi une certaine appréhension. Ces textes ressemblaient un peu à la littérature des Témoins de Jéhovah. Je me suis dit, à un moment donné, qu'il s'agissait d'une secte. J'ai jeté les journaux.

Le temps a passé. J'ai repris le cours de mon activité, qui ne me laissait aucun loisir.

Nous avons été de nouveau contactés, par téléphone. On nous invitait à une bar-mitsvah. Plus tard, en novembre 1998, on nous invitait à un mariage. J'ai décliné les deux invitations. La distance, les frais d'essence, le problème des enfants, tout cela nous a conduits à refuser de faire le voyage.

En décembre 1998, des membres de la communauté m'ont téléphoné : « Nous sommes en voyage. Est-ce que nous pourrions faire étape chez toi ? » L'hospitalité est pour moi une valeur sacrée. J'ai accepté. C'est ainsi que nous avons reçu chez nous deux couples que nous ne connaissions pas du tout. Entre eux, ils s'appelaient par leurs surnoms israélites.

Ils m'ont proposé de m'aider, de ranger mon garage. Cette aide nous a beaucoup touchés. Il s'agissait d'une aide effective, concrète, non de paroles. Elle répondait aussi à un grand besoin que nous ressentions. Car si nous faisions partie d'une assemblée chrétienne, nous savions très bien que nous n'avions pas d'amis. Nous étions assez isolés. Nous avions, en tant que chrétiens, ce besoin de vivre vraiment l'Évangile, que les chrétiens que nous connaissions me reprochaient d'ailleurs, au motif que se voir deux heures par semaine était largement suffisant. J'étais donc seul, peu satisfait dans ma foi, comme si ma façon de vivre n'était pas en correspondance avec cette foi. J'avais besoin de partager ma maison, ma table. Bref, j'avais un vide. D'une certaine façon, lorsque ces adeptes sont venus chez nous, ils ont comblé ce vide. Je voyais des gens qui avaient la foi, qui vivaient ensemble, qui répondaient finalement au manque que je ressentais. Quelque chose d'ordre affectif s'est produit lors de cette visite. Lorsqu'ils sont repartis, nous avons ressenti un grand vide, nous reprenions notre vie solitaire, dans un froid glacial. C'était notre façon de voir à l'époque.

Tous les matins, je me levais très tôt. Je lisais la Bible pendant au moins une heure avant de commencer ma journée de travail. Cette lecture alimentait en moi un désir d'accomplir ma foi de manière concrète, dans le vécu.

Mon travail était très pressant. Mais la clientèle faisait une pause entre Noël et le jour de l'An. Nous sommes donc allés passer quelques jours dans la famille, en Bretagne. De là, nous sommes allés à Sus, où nous avions prévu de passer trois jours tout au plus. J'avais promis à mes clients de revenir au début du mois de janvier. Je n'avais aucune intention de rester là-bas.

Je me faisais de la communauté installée à Sus une image idéalisée, celle d'une vie familiale, rurale, une vie de travail. Je devais constater par la suite que cette image était bien éloignée de la réalité.

Nous avons été accueillis à la gare de Pau par M. X et sa famille. Tabitha's Place est le nom donné au château Laroque. Lorsque nous sommes arrivés au château, tout le monde était sur le perron. Alors que c'était jour de repos, tout le monde avait fait l'effort de se lever du lit pour nous accueillir. Imaginez 120 personnes vous accueillant avec des drapeaux, des banderoles. J'y suis allé de ma petite larme. Enfin de la chaleur ! Une petite fête a été organisée, avec musique d'Israël et danses. Le processus de séduction avait commencé. Il est réservé à tous les nouveaux arrivants, quels qu'ils soient. Il est d'autant plus efficace qu'il contraste avec la société dans laquelle nous vivons, où les relations humaines sont, disons, plus sobres. Là-bas, vous avez l'impression que vous appartenez à quelque chose, que vous avez de l'importance aux yeux d'autrui. Mon besoin d'approbation, que je ressentais depuis longtemps, était satisfait : « Tu es merveilleux, tu es unique, on avait besoin de toi, on n'attendait que vous, ça fait un an qu'on parle de vous, on était sûrs que vous viendriez ».

Cependant, au moment où nous avons voulu repartir, les choses se sont compliquées :

« Vous n'allez pas nous quitter comme ça ! Tu es vraiment sûr que tu dois rentrer chez toi ? »

« Oui, mes clients m'attendent, j'ai du travail en retard. »

« Mais ce serait bien que vous restiez jusqu'au Shabbat. On va faire la fête. Vous n'avez jamais vu ça. »

Il faut préciser que la communauté prétend être l'une des douze tribus d'Israël. Considérant que les Juifs de souche ont failli, ont déchu, ne peuvent pas accéder aux promesses, une nouvelle nation, le nouvel Israël, doit se construire, qui sera issue de toutes les races, de tous les peuples. Ce thème m'a touché quelque part, car j'ai aussi une recherche dans ce sens.

Nous voulions tout de même rentrer. Je me sentais engagé vis-à-vis de la clientèle. Et puis, nous n'étions pas encore prêts à vivre là-bas. Les responsables sont venus pour nous convaincre de rester. L'un d'eux m'a conduit à Oloron. Nous avons repoussé la date du billet de train afin que nous puissions participer à la fête. Après quoi, nous avons à nouveau manifesté le désir de partir. Cela a donné lieu à des discussions sans fin : « On a besoin de vous. Pourquoi voulez-vous partir ? Tu vas retourner dans ta petite vie égoïste. » J'étais pris au piège. J'avais dit trop de choses, montré trop d'attrait pour leur système. Je ne pouvais plus reculer, comme si le fait de partir était une négation de mes propres paroles. J'avais dit que j'aspirais à une vie sociale épanouie, à une vie commune faite de partage. Le mot selon lequel j'allais retourner dans ma « petite vie égoïste » ne me laissait pas non plus en paix. Je me disais que je travaillais beaucoup, que je gagnais de l'argent, mais que je ne le partageais pas.

Encore aujourd'hui, je n'ai pas totalement tiré au clair ce qui a pu se passer pour que je donne mon acquiescement. Je ne sais pas si j'ai été sous l'emprise d'un phénomène hypnotique. Toujours est-il que les choses ont basculé à un moment donné. Je n'ai consulté personne. Je n'ai rien demandé à mes enfants. Je n'ai pas demandé à ma femme si cela lui plaisait. Il y avait peut-être aussi en moi quelque chose qui relevait d'une démarche suicidaire, la volonté de tout effacer, de brutalement faire table rase du passé pour recommencer à zéro.

Mon épouse n'avait pas spécialement envie de rester. Mais pour me suivre, elle a accepté de rester. Les enfants n'y voyaient aucun inconvénient. Ils étaient entourés d'autres enfants. Cela leur suffisait. Ils dansaient ensemble.

La séduction a continué, en ce sens qu'on m'a dit qu'on avait besoin de moi pour l'atelier chaussures. Je pouvais ainsi continuer de vivre ma passion. Je ne me suis pas tellement inquiété du reste de la famille.

Je vais peut-être laisser à présent la parole à mon épouse. Je dirai seulement que la séduction initiale s'est peu à peu estompée. S'agissant des enfants, le but de cette communauté n'est pas d'en faire des citoyens mais des disciples de Yahshua, nom hébreu de Jésus. On doit obtenir d'eux la soumission totale, au moyen de la correction physique infligée à la moindre désobéissance. Le but final est en rapport avec ce qui est écrit dans l'Apocalypse au sujet des 144 000 serviteurs marqués du sceau divin. L'interprétation qui est faite de ce passage est que ces 144 000 serviteurs seront de jeunes garçons, qui n'auront jamais connu de femme, qui seront purs, et qui seront envoyés dans le monde en sachant qu'ils y seront persécutés et même exterminés. Le but ultime est de former des enfants tellement soumis à la volonté de leurs parents et à celle de Dieu - tel qu'il est interprété dans la communauté - que, sachant qu'ils vont mourir, ils partiront avec joie, à l'image du Crucifié, qui savait ce qui l'attendait et a assumé ses souffrances, en allant même jusqu'à pardonner aux hommes.

M. le Président : Combien de temps êtes-vous restés dans cette communauté ?

M. N : Cinq ans et demi, du 26 décembre 1998 à juillet 2004.

M. le Président : Quel âge avaient vos enfants ?

Mme N : Les trois premiers avaient quatre ans et demi, trois ans et dix-sept mois. J'ai accouché là-bas d'un quatrième enfant.

M. le Président : Poursuivez, madame.

Mme N : Comme l'a dit mon mari, nous n'étions pas partis pour rester là-bas. Le jour où mon mari a fait le « choix » de rester, toute la communauté s'est tournée vers moi pour me demander ce que je voulais faire. Quand nous sommes arrivés là-bas, c'était à mes yeux le Moyen Âge. Je n'avais jamais vu cela. Mais je ne voulais pas me séparer de mon mari. Nous n'avions jamais envisagé de divorcer. Nous avions cinq ans de mariage. Nous étions heureux. Je ne voyais pas ce qui nous séparerait. Je me suis dit : « On verra ».

La vie à Sus ne nous laissait pas non plus trop de temps pour penser. Lever à cinq heures du matin. Après une séance d'aérobic, on lève les enfants. À six heures, réunion de toute la communauté dans le pavillon en bois qu'on appelle le Lodge : une heure de prières, de chants, de danses. À sept heures, petit déjeuner très frugal : millet et oignons crus. Puis, on se met au travail. Mes enfants étant tout petits, ils restaient avec moi. Je devais suivre une femme qui me montrait comment il fallait nettoyer la maison. Les enfants, eux aussi, avaient leur serpillière.

Peu après notre arrivée, nos enfants avaient encore leurs cadeaux de Noël dans les bras. Mais les enfants de la communauté n'ont jamais vu de poupée ou d'ours en peluche. Certains avaient même peur de la poupée de ma fille. Les autres membres de la communauté nous ont demandé de nous séparer de ces objets. Nous les avons mis dans un placard.

À midi ou une heure, le repas est composé de riz complet. L'été, on mange les légumes du jardin. On mange des œufs une ou deux fois par semaine. Le fromage est très rare. On n'en mange qu'à l'occasion des fêtes. Du yaourt une fois par semaine, le jour du Shabbat. Pas de laitages. Pas de dessert, sauf le jour du Shabbat.

L'après-midi, travail. Le soir, on se retrouve au Lodge, pour encore une heure de prières, de chants et de danses. Le dîner, lui aussi très frugal, n'a lieu qu'ensuite. Après le dîner, travail. Ce sont des activités de groupe : nettoyage en commun, jardin en commun, ou, pendant l'été, avec les enfants, ramassage des légumes. Le vendredi, veille du Shabbat, c'est jour de jeûne. Le vendredi soir commence la cérémonie.

Le vendredi matin, on laisse dormir les enfants. Ce jour-là, tous les adultes, y compris les célibataires, suivent un enseignement très important, au sujet de l'éducation des enfants. C'est très précis : on vous dit tout ce qu'il faut faire et tout ce qu'il ne faut pas faire. Un point essentiel est l'obéissance, qui est demandée aux enfants au premier commandement. Si l'enfant ne fait pas ce que vous lui demandez dans la seconde, et dès la première fois que vous le lui demandez, une correction physique doit lui être donnée. On vous donne une baguette en osier, très flexible. La correction doit avoir l'effet escompté, et doit faire mal. On va également demander à l'enfant, progressivement, de bien recevoir sa correction, c'est-à-dire de ne pas pleurer, de ne pas se rebeller, jusqu'à arriver à un point où il va demander lui-même sa correction s'il a mauvaise conscience. Peu à peu, on va lui apprendre ce qui est bien et ce qui est mal, et s'il a dépassé les limites que vous lui avez fixées, il va se dénoncer lui-même : « J'ai une mauvaise conscience, j'ai besoin d'être corrigé. » Seule la correction à la baguette peut lui rendre une bonne conscience. L'enfant se sent alors libéré, et la vie peut reprendre son cours.

Un jour, pendant l'enseignement qu'ils reçoivent en commun, la personne chargée d'assurer cet enseignement - sans avoir le titre de professeur - s'était absentée quelques minutes. Durant son absence, les enfants avaient pris l'initiative de balayer sous la table. Quand le « professeur » est revenu dans la salle, il leur a dit qu'il ne leur avait pas demandé de nettoyer. Les enfants ont tous été corrigés.

Au sein de la communauté, on ne « corrige » pas son enfant, on le « discipline ». C'est le terme qui est employé parce qu'à chaque fois qu'on corrige son enfant, on le rend un peu plus disciple de Yahshua. Le but est d'en faire un enfant pur, un enfant sans péché. Les enfants le savent. Et puisqu'ils aiment leurs parents, ils sont d'accord. Quand les travailleurs sociaux, qui viennent une fois par mois, interrogent les enfants sur ce point, ils répondent : « La correction me donne une bonne conscience. Après, je suis heureux. » Mais avant que l'enfant en arrive à l'accepter, il y a de grandes crises. Ces corrections leur font très mal. Les coups sont donnés sur les fesses. En général, l'enfant part à la cave, et il doit baisser son pantalon pour recevoir les coups. Il n'y a pas de nombre de coups défini. C'est l'adulte qui choisit.

La correction peut être donnée par les parents, mais aussi par n'importe quel adulte qui voit l'enfant faire quelque chose qui ne lui semble pas correct. Un jour, l'une de mes filles passait avec son « professeur » sur la terrasse. J'allais faire le ménage. Nous nous croisons, et ma fille me salue. Le « professeur » se retourne et dit à ma fille : « Tu seras punie. Je ne t'ai pas demandé de saluer ta mère. »

Nous sommes très observés. Nous avons en permanence quelqu'un avec nous, qui rapporte aux responsables notre comportement de parents et de disciples. Si l'on a vu notre enfant jouer - alors que les enfants ne sont pas censés jouer - et que cela est rapporté, nous serons, lors du prochain « Teaching », mis sur la sellette : « Vous êtes de mauvais parents, vous ne voulez pas que votre enfant soit pur, vous le laissez avoir une mauvaise conscience. »

La mauvaise conscience est un état tel que l'enfant, s'il meurt à ce moment-là, n'ira pas au Paradis mais en Enfer, étant entendu qu'il n'y a pas de Purgatoire. On ne va au Paradis que si l'on meurt avec une bonne conscience. C'est donc une grande responsabilité que de s'assurer que l'enfant ait une bonne conscience. Mais ce sont eux qui fixent les critères, qui sont très exigeants.

L'enseignement dispensé aux enfants est très restreint. Un enfant de la communauté n'a jamais lu un livre, pas même d'un grand auteur, et encore moins une bande dessinée. On leur fait lire des petits livres rédigés par la secte.

M. N : Ce sont des livres inspirés des textes bibliques. Je vous en remets un exemplaire.

Mme N : Ou alors, quelqu'un invente une petite histoire pour demander à l'enfant le bien-fondé de son éducation.

N la fin du Shabbat, on réunit tous les enfants. Quelqu'un leur raconte une histoire, tirée de la Bible, en général de l'Ancien Testament. Cela peut être un grand choc pour l'enfant. Je pense en particulier à l'histoire d'un père qui, ayant gagné la guerre, avait promis à Dieu de sacrifier la première chose qui sortirait de sa maison au moment de son retour. Quand il est arrivé chez lui, c'est sa fille qui sortait de sa maison. Il a immolé pour sa fille pour tenir sa parole vis-à-vis de Dieu. Cette histoire était racontée aux enfants dans le but d'illustrer l'enseignement selon lequel les parents ont le droit de vie et de mort sur leur enfant. Il s'agit d'amener l'enfant à ne jamais se rebeller contre la volonté de ses parents.

M. Guy GEOFFROY : Vous nous avez dit que l'enseignement dispensé aux enfants était plutôt léger, inférieur aux exigences ordinaires. À la rentrée de septembre 2004, vos enfants sont allés à l'école. Quel est le bilan qui a pu être fait de leur niveau scolaire par rapport aux enfants de leur âge ? Dans quelles conditions ont-ils pu accéder à la scolarité et rattraper le retard dont on peut craindre qu'il ait été assez important ? Et qu'en est-il aujourd'hui ?

Mme N : Nous avons de la famille en Bretagne, qui nous a trouvé un logement. Nous nous y sommes installés au mois d'août 2004. Nous n'avons rencontré aucune assistance sociale. Nous avons simplement inscrit les enfants à l'école du village, dont le directeur ne nous a rien demandé. Nous lui avons tout de même dit que les enfants n'avaient pas été scolarisés auparavant, mais sans entrer dans les détails. Au vu de leur âge, il a inscrit l'aînée en CM2, la deuxième en CM1 et le troisième en CP au lieu du CE1. Après quelques semaines, il s'est avéré que les deux premières n'arrivaient pas à suivre. La deuxième est allée en CE2. L'aînée est restée dans sa classe, qui était mixte puisqu'elle regroupait le CM1 et le CM2. Mais elle a fait deux années de CM2, car elle n'était pas du tout prête, psychologiquement, à entrer au collège.

Il a été très difficile pour eux de s'adapter. Ils n'avaient jamais eu d'autres contacts avec d'autres enfants. Ils n'avaient pas le même langage. Ils ne s'habillaient pas, ne se coiffaient pas de la même façon. Il a fallu une bonne année pour qu'ils s'adaptent.

Là-bas, on ne leur demandait pas de résultats scolaires. Le but était une adaptation psychologique.

Ils bénéficient aujourd'hui d'un soutien scolaire.

En mathématiques et en français, ils ne s'en sortent pas trop mal, étant donné qu'ils en ont fait au sein de la communauté. Mais en ce qui concerne l'histoire, ils n'ont appris là-bas que celle d'Israël, celle de l'Ancien Testament. Ils entendent parler pour la première fois de l'homme préhistorique, et de l'ensemble de la chronologie. Ils ont énormément de mal à se situer dans le temps.

L'inspecteur voulait les rétrograder de deux classes. Mais ils n'ont pas subi de test. C'est le directeur qui a pris la décision.

Ils avaient une grande crainte des adultes. Ils étaient traumatisés. Ils ont été suivis par des psychologues. À Sus, on leur dit qu'ils ne doivent avoir confiance en personne. Ils ne peuvent, une fois sortis, faire confiance aux adultes du jour au lendemain. Ce problème subsiste encore aujourd'hui, deux ans après leur départ de la communauté. L'aînée est entrée en sixième, elle a de bons résultats, mais au collège, on ne connaît pas le son de sa voix.

M. Jean-Yves HUGON : Je tiens tout d'abord à souligner à quel point j'ai été touché, comme mes collègues, par votre témoignage.

Avant le mois de décembre 1998, vous meniez une vie normale. Vous payiez donc des impôts, des factures de gaz et d'électricité. Quand vous avez rejoint la communauté de Sus, les différentes administrations ont-elles perdu votre trace ?

Un peu plus de deux ans après votre retour à la vie normale, vos enfants ont-ils encore des séquelles, et si oui, lesquelles ?

Enfin, qu'est-ce qui vous a poussé à décider de quitter la secte ? Quel a été le déclic ? Pratiquement, cela a-t-il été facile ou non ?

M. N : Le courrier administratif a suivi. J'ai eu à payer mes cotisations à l'URSSAF. Pendant un certain temps, on peut se croire hors société. Mais administrativement parlant, ce n'est pas le cas. J'ai fait face aux dépenses.

Mais il est vrai qu'au bout d'un certain temps passé au sein de la communauté, on n'existe plus. On n'a plus de revenus, plus de famille, plus de biens. Tout cela est partagé, et puis s'envole.

Mme N : Les séquelles sur les enfants, c'est la crainte des adultes qu'ils ressentent toujours. Celle qui est née là-bas est très angoissée, surtout la nuit.

M. N : Deux de nos filles font souvent des cauchemars. Par exemple, ma fille est avec d'autres enfants. Un avion militaire arrive, des gens en sortent pour prendre les enfants. Elle se cache, elle est la seule à échapper au raid. Mais s'apercevant qu'elle manque à l'appel, l'avion revient pour la prendre.

Ce genre de cauchemars s'explique par le fait que mes enfants étaient au courant des litiges avec l'inspection académique. Le procureur avait également demandé au juge des enfants d'envoyer des travailleurs sociaux à Tabitha's Place. Dans ce climat, les enfants ont développé un comportement de bête traquée.

Le manque de confiance dans les adultes s'étend même à leur père. Je sens qu'ils me tiennent, à juste titre, responsable du choix que j'ai fait, même si je m'en suis expliqué auprès d'eux en leur disant que je pensais que c'était leur bien. Ils n'ont plus confiance en moi. C'est comme si ma parole ne portait plus. Le dialogue peut exister, mais dans des circonstances très particulières. Quand je suis seul avec l'un de mes enfants, il pourra me parler de choses qui l'ont fait souffrir. Mais quand ils sont tous les quatre ensemble, cela ne favorise pas le dialogue. De même, quand ils sont chez la psychologue, ils font les dessins qu'elle leur demande de faire, mais ils ne lui disent rien. Ils font bloc, et ne disent rien de leurs sentiments.

M. Philippe VUILQUE, rapporteur : C'est donc la situation des enfants qui vous a fait prendre conscience de la nécessité de quitter la communauté ?

Mme N : Oui. Il y a un autre élément déclenchant. Je ne pouvais pas supporter le standard en vigueur dans la communauté. J'aime mes enfants, je ne pouvais pas les corriger. Quand ils étaient petits, il m'est arrivé de donner des fessées quand ils allaient trop loin. C'est ce que j'avais connu moi-même étant enfant. Je ne connaissais rien d'autre. Mais la baguette, non. Cette attitude était mal vue, et on me le faisait sentir. À chaque fois que je travaillais au sein d'une équipe, on finissait toujours par me dire, à un moment ou à un autre : « On n'a pas le même standard. » Un jour, je plantais des salades avec mon fils. Nous étions tous deux agenouillés, mon fils étant à cinq ou six mètres de moi. Je sens une ombre dans mon dos. C'était le responsable du jardin qui était venu me reprocher de laisser mon fils à une trop grande distance. Voilà un jeune de vingt-cinq ans qui me faisait la leçon, me disant que mon fils était trop loin, que je ne le contrôlais pas, et qu'à ma place il irait le corriger. J'ai pris mon fils par la main, comme si j'obéissais, et nous sommes allés faire un tour ensemble.

J'en avais assez de ce climat, mais j'étais encore aveuglé. De son côté, ma femme a subi beaucoup de souffrances.

Un jour où nous étions absents, nous avions laissé notre fils à un couple âgé de la communauté. Nous avions toute confiance en eux. La dame s'occupait de l'enseignement des enfants. Pendant notre absence, il a désobéi. L'homme a voulu le corriger. Mon fils ne s'est pas laissé faire, il s'est caché sous une table. L'homme l'a attrapé et l'a enfermé dans un placard, ou dans une petite pièce. Par la suite, ils sont allés chercher un responsable, qui est intervenu auprès de mon fils, a essayé de le convaincre de recevoir sa discipline. Car il faut que l'enfant consente à reconnaître sa faute avant de recevoir sa correction. Mon fils a fait front, ce dont je lui sais gré aujourd'hui. Quand on m'a raconté cela, j'aurais dû en avoir honte selon les critères en vigueur au sein de la secte, mais j'en ai été très fier. Cet incident a été un élément déclenchant, qui a eu beaucoup de conséquences, et en particulier le fait que mon fils n'a plus eu le droit de suivre le « Training », c'est-à-dire l'enseignement de la secte. On m'a alors dit que, dans ces conditions, c'était à moi qu'il appartiendrait de lui dispenser l'enseignement de base : lire, écrire, compter. Or, c'était mon rêve. Je sais que je n'ai pas une grande compétence, mais j'avais envie de le faire. C'était un lien avec mon fils. Nous voilà donc enfermés, tous les matins, pour que je lui apprenne à lire, à écrire, à compter. J'ai eu cette joie durant les derniers temps que nous avons passés au sein de la secte. Durant ces heures, nous étions coupés de la communion. Je devais m'occuper de mon fils, je n'avais plus de travail, et je n'en voulais plus. Je ne voulais plus participer à ce système.

Ma femme vous racontera ses souffrances. Nous avons pu en parler parce que mon fils et moi avions enfin le temps de se parler. C'est ainsi que nous avons décidé que cela suffisait.

C'est comme cela que j'analyse les choses aujourd'hui, avec un recul de deux ans. Mais dans deux ans, j'aurai encore une analyse plus profonde.

M. Jacques MYARD : Je voudrais que vous nous disiez quelques mots des conditions de votre départ de la secte. Vous étiez soumis à une telle pression psychologique que cela n'a pas dû être très simple de vous extraire de ce milieu.

D'autre part, quelle est l'organisation sociale de cette communauté ? Quelle emprise son responsable a-t-il sur la secte ?

Mme N : Notre sortie s'est faite en plusieurs temps. En 2000, j'étais enceinte. J'en avais plus qu'assez de vivre là-bas. Je suis partie. J'ai appelé en cachette mes parents, qui sont venus me chercher, avec mes enfants. Mais mon mari était resté. Je me retrouvais seule avec trois enfants, bientôt quatre, et plus de mari. Je me suis dit : « Nous y sommes entrés ensemble, nous en sortirons ensemble ». Je suis donc retournée là-bas. Pour me faire accepter à nouveau au sein de la communauté, j'ai dû passer par des humiliations. Il a fallu faire un mea culpa général, être baptisée à nouveau dans le gave d'Oloron. Il y a toute une mise en scène.

J'ai donc pu rejoindre mon mari. J'ai accouché là-bas, sans autre aide que celle que m'ont apportée deux ou trois femmes de la communauté.

Là-bas, on vit en dehors du temps. On ne fête pas Noël, ni le jour de l'An, ni quoi que ce soit. On voit défiler les saisons. Je ne peux donc dire à quelle époque j'ai craqué. Toujours est-il que j'ai « piqué » une voiture et suis partie avec les enfants. Arrivés à Pau, l'aînée me demande : « Et Aba ? Qu'est-ce qu'on fait d'Aba ? » Car les enfants n'appellent pas leurs parents Papa et Maman, mais Aba et Ima. Aba veut dire « source de vie », Ima veut dire « fondation ». Que fait-on d'Aba ? On ne peut pas le laisser seul là-bas. C'est ainsi que nous sommes retournés dans la communauté. Nous avons à nouveau subi des choses pénibles.

L'année 2004 était celle du cinquantième anniversaire de mariage de mes beaux-parents. En janvier, nous avons pris ce prétexte, puisque la communauté est fondée sur le mariage, pour demander à aller voir mes beaux-parents, afin de les honorer. Ils n'ont pas accepté. Mais nous avons insisté. Au mois de juin, ils ont fini par nous donner les clés d'une voiture. Nous avions une permission de quatre jours. Nous sommes restés un peu plus. À notre retour, nous étions retournés au stade de « visiteurs », nous n'étions plus considérés comme des disciples. Ils avaient déménagé nos affaires. Nous avions changé de chambre. Nos enfants n'avaient plus le droit d'aller au « Training ». En fait, ils voulaient nous faire à nouveau subir une humiliation, nous faire dire que nous n'aurions pas dû partir. Ils ont senti que nous avions pris une liberté que les autres n'avaient pas. Il fallait casser une bonne fois pour toutes l'indépendance qui restait en nous. En fait, nous y avons puisé l'énergie pour dire : « Nous en avons assez. Nous voulons partir. »

Mais il ne suffit pas de dire qu'on veut partir. Le compte en banque est à découvert. La famille n'est pas forcément prête à faire quelque chose après tant d'années.

Ils ont essayé de nous faire changer d'avis. Nous avons refusé de participer à toutes les réunions spirituelles. Ils frappaient à la porte de notre chambre pour tenter de nous obliger à y aller. Nous avons résisté autant que nous avons pu. Cela a duré quinze jours. Au bout du compte, ils nous ont donné les clés d'un véhicule. Nous étions très étonnés. En fait, ce véhicule était à notre nom. C'est ainsi que nous sommes partis.

Au départ, nous n'avons pas été très bien reçus par la famille. C'était très dur pour elle. Elle nous gardait rancune de l'avoir quittée. De plus, nous avons quitté la communauté à la fin du mois de juillet, pendant les vacances d'été. Nous avons beaucoup erré à droite et à gauche, jusqu'à ce que des membres de notre famille aient le temps de nous aider.

M. N : Pour ce qui est de l'emprise que les responsables exercent sur la secte, il est très difficile de résumer les choses.

À mon arrivée, j'étais persuadé que j'allais enfin trouver un lieu démocratique. Je voyais tout le monde réuni en cercle, ce qui me semblait symbolique d'une certaine égalité au sein d'une communauté où chacun pouvait s'exprimer. Mais avec le temps, je trouvais étrange que, bien que beaucoup de pères de familles s'expriment, seul comptait ce qu'avaient dit trois d'entre eux. Je m'étonnais aussi que les enseignements soient toujours donnés par les mêmes personnes. Le seul fait de poser la question a suffi pour que l'on me regarde de travers. Je n'étais pas tout à fait le disciple idéal. Je pensais que ma parole avait de la valeur, comme celle de mon voisin. Apparemment, certaines paroles avaient plus de valeur que d'autres, certains hommes étaient plus dignes d'enseigner que d'autres. Il y a une hiérarchie parmi les créatures de Dieu ? Étrange.

J'ai aussi posé maintes fois la question de savoir pourquoi telle personne et pas telle autre était reconnue digne de faire partie du « gouvernement ». Ce qu'ils appellent le « gouvernement » de la communauté, c'est tout au plus huit personnes auxquelles est reconnu le droit de gouverner les autres. Je me suis demandé en fonction de quels critères on était choisi pour faire partie de ce « gouvernement ». J'avais une foi zélée, je travaillais, j'avais des enfants, mais je n'étais apparemment pas qualifié pour en faire partie.

Progressivement, on voit apparaître les personnes qui ont le plus d'influence. Quoi qu'il arrive dans la communauté, la règle est que le membre de base comme moi confie son problème à sa tête d'équipe, qui dirige le jardin ou l'atelier chaussures. La tête d'équipe en réfère plus haut. Si le problème est vraiment important, on est convoqué dans la pièce principale.

Au bout d'un certain temps, j'ai compris que M. X s'absentait régulièrement. Il allait aux États-Unis, d'où il rapportait tous les enseignements du fondateur de la secte, Elbert Eugen Spriggs, dit Yoneq, qui est venu deux fois en France durant la période où nous étions à Sus. La Bible est interprétée par cet homme. Ses enseignements sont destinés aux adultes et aux enfants. M. X ramène des États-Unis les chansons, les livres pour enfants, les manuels pour « sage-femme ». Quand M. X est absent, c'est M. Y qui dirige tout : l'argent, les instruments médicaux, l'enseignement, tout passe par lui. Des comparses s'occupent plus de tout ce qui concerne les véhicules, les ventes aux enchères, les achats au domaine. MM. A, B, C, D, E faisaient partie du « gouvernement » à l'époque où nous avons quitté la secte.

M. X, du fait qu'il a des contacts assez fréquents avec les États-Unis, est un peu « l'Américain », celui qui a toujours un projet, une idée neuve. Mais ses paroles stimulantes, destinées à « donner la vision », selon son expression, ne se traduisent jamais dans des actes. Il avait, par exemple, envisagé l'acquisition du domaine de Ribaute, près de Béziers : « Il y aura du travail pour tout le monde, les bâtiments sont à refaire, il y a la terre à travailler, on pourra avoir des animaux, on pourra faire de l'élevage. » C'était le moment de nous demander de vider notre compte en banque. Les seuls contacts que j'avais avec M. Y, c'était pour me demander de l'argent : « Tu n'as pas 15 000 francs ? ». Il prélevait sur mon compte l'argent qui était censé alimenter des projets de ce genre. Il y avait aussi un projet de salon de thé à Montmartre.

M. Z était « Rabbi », le Maître. C'est lui qui chapeaute l'enseignement des enfants, alors qu'il n'a aucune compétence. Il m'a avoué n'avoir jamais eu de métier. Il vivait du RMI dans l'Ariège. Mais parce qu'il est le copain de M. X, il devient le responsable de l'enseignement aux enfants.

M. X a une grande capacité à manipuler les personnes. Entre ce qui était annoncé et ce qui était fait, je voyais un écart qui me semblait absurde. En réalité, rien n'est absurde. Il s'agit de démanteler la personne, de la déstructurer complètement. C'est ce qui m'est arrivé. En 1998, en une journée normale de 12 heures de travail, je produisais de quoi faire vivre ma famille. Aujourd'hui, j'en suis incapable.

M. le Président : Je voudrais que vous nous parliez, madame, des circonstances de votre accouchement. Comment se fait-il que vous ayez accepté d'accoucher dans ce manoir ? Il n'y a pas eu de complications ?

Mme N : Normalement, on ne va pas voir de sage-femme à l'extérieur. Les grossesses ne sont pas suivies. Quand vous êtes au sein de la communauté, c'est comme si vous viviez dans un autre pays. La société environnante, c'est le mal incarné, c'est Satan. Quand vous avez cela dans la tête, vous n'avez pas envie d'aller mettre votre enfant au monde dans les ténèbres. On vous dit qu'il y a à l'intérieur des femmes qui ont la compétence de sage-femme. Un jour, une femme est venue des États-Unis pour enseigner cette science à certaines femmes. Seules certaines femmes sont choisies pour être « sages-femmes. »

C'était mon quatrième accouchement, je ne me faisais pas de souci.

M. le Président : L'accouchement s'est-il bien passé ?

Mme N : J'ai perdu plus de deux litres de sang. J'ai mis plusieurs mois à m'en remettre.

M. le Président : À votre connaissance, y a-t-il eu à Sus des accouchements qui se sont moins bien terminés ?

Mme N : Oui.

M. le Président : Y a-t-il eu mort d'enfant à la naissance ?

Mme N : Oui.

M. le Président : Que fait-on, dans ces cas-là, du corps de l'enfant ?

Mme N : Je ne sais pas. Si cela nous était arrivé, je ne pense pas que nous serions allés le dire à l'extérieur en prenant le risque d'aller en prison. Vu ce qui s'est passé dans l'affaire X...

M. le Président : Vous voulez parler du décès du petit Raphaël ?

Mme N : Oui.

M. le Président : Vous étiez au courant de cela ?

Mme N : Oui, une fois entrés dans la communauté. Quand nous étions à l'extérieur, nous ne le savions pas. Durant la période où nous étions à Sus, le procès X a eu lieu. Mais on ne nous a pas dit que les parents avaient refusé des soins. On nous a dit que l'enfant avait une malformation cardiaque dès la naissance, qu'il serait mort de toute façon, et que les parents voulaient qu'il meure dans leurs bras et non à l'hôpital. Nous l'avons cru.

M. le Président : En dehors du cas du petit Raphaël, qu'est-ce qui vous permet de dire qu'il y a eu mort d'enfant ?

Mme N : Lors d'un mariage à Tabitha's Place, il y avait une femme espagnole qui était enceinte. L'accouchement était imminent. Des femmes de la communauté de Sus l'ont accompagnée en Espagne pour l'assister lors de son accouchement. Elles sont revenues en disant que les choses s'étaient mal passées et que le bébé était mort.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance de cas d'un bébé mort à Sus ?

Mme N : Dans la période où nous y étions, je n'en ai pas eu connaissance. Je n'ai pas vu de femme enceinte qui ait perdu son bébé.

M. le Président : Le seul cas que vous ayez connu est donc celui du bébé mort en Espagne.

Mme N : Il y a eu aussi un cas en Angleterre. Peu de temps après notre arrivée, une famille est partie en Argentine. On a su qu'ils ont perdu là-bas une fille, qui était déjà grande. On nous a dit de ne jamais en parler.

M. le Président : La fille de qui ?

Mme N : Là-bas, on ne connaît pas les noms des membres. C'est seulement une fois sortis de la secte que nous avons tenté de recouper les visages et les noms.

M. le Président : Ces gens qui ont perdu leur fille, vous seriez capables de les reconnaître ?

Mme N : Oui.

M. le Président : Vous avez connu cette fille ?

Mme N : Oui.

M. le Président : Où serait-elle décédée ?

M. N : À côté de Buenos Aires.

M. le Président : Le décès de cet enfant n'aurait jamais été déclaré ?

M. N : Probablement pas.

Le soir du Shabbat, lors du « partage du pain », M. X prenait la parole pour nous dire que tel fait s'était produit et que la famille ne voulait pas qu'on en parle. Cela voulait dire, en clair, qu'il fallait se taire : « On n'a rien vu. Rien ne s'est passé ».

M. le Président : Le couple était de nationalité française ?

M. N : Non. L'homme était allemand, la femme espagnole.

M. le Président : Combien de temps ont-ils vécu à Sus ?

Mme N : Longtemps. Mais nous sommes arrivés en décembre 1998 et ils sont partis en février 1999.

M. N : Je crois que c'est l'homme qui a été mis en cause pour exercice illégal de la médecine.

M. le Président : En dehors du cas du petit Raphaël, vous ne savez pas s'il y a eu d'autres décès à Sus ?

M. N : Pas à notre connaissance.

M. Jacques MYARD : Y a-t-il eu des cas d'adultères à Sus ? Comment se règle ce genre de problème ?

Mme N : Les personnes sont chassées. Il y a eu le cas d'une femme qui a dû laisser son mari et son enfant.

M. Philippe TOURTELIER : Il y aurait 120 personnes à Sus. Combien y a-t-il d'adultes ?

M. N : La moitié environ.

M. Philippe TOURTELIER : Si l'on met à part ceux qui prennent les décisions, cela fait entre 40 et 50 personnes qui sont là « de leur plein gré ». Qu'est-ce qui les pousse à rester ? Comment se fait-il qu'il n'y ait pas de prise de conscience ?

Vous avez dit que les gens étaient surveillés. Êtes-vous vous-même devenu un surveillant ?

Quel est le rôle de l'humiliation au sein de la communauté ?

Enfin, vous avez peu parlé des problèmes relatifs aux soins. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Mme N : Nous avons connu le cas d'une célibataire qui, comme moi, en avait assez et voulait partir. Mais c'est difficile. Il faut échapper à tous les regards, même s'il n'y a pas de portail. Il faut partir à un moment où rien n'est prévu dans l'emploi du temps. Cette femme a essayé à plusieurs reprises de partir. À chaque fois, elle a été rattrapée. Ils sont même allés la chercher dans sa famille, en région parisienne. On l'a toujours vue revenir.

D'autres jeunes sont partis l'été dernier, dont des enfants de responsables. Ils se sont fait récupérer aussi, du moins certains d'entre eux.

M. Philippe VITEL : Vous-mêmes, ont-ils essayé de vous faire revenir à Sus ?

Mme N : Oui. Ils sont venus en Bretagne, dans un bus, accompagnés de plusieurs familles que nous connaissions bien là-bas, pour nous relancer.

M. Philippe VITEL : L'ont-ils fait à plusieurs reprises ?

Mme N : Non, parce que nous avons été très clairs. Nous nous sommes soudés. Nous avions la force d'une famille. Mais pour une personne seule, c'est pratiquement impossible.

M. Philippe VITEL : Au sein de la communauté, quel âge ont les plus âgés ?

Mme N : Entre 65 et 70 ans.

Pour revenir à l'humiliation, à chaque fois que vous avez désobéi ou que vous avez manifesté un esprit d'indépendance, vous êtes sanctionné. Les femmes portent un foulard qui couvre leurs cheveux, au moins pendant les prières. Tout le monde se prend dans les bras en signe de paix. Si vous avez fait quelque chose de « répréhensible », on vous enlève votre foulard, et plus personne ne vous salue. Vous êtes dans l'isolement. Si vous voulez retrouver ce qu'ils appellent la « communion fraternelle », vous devez vous exprimer devant tout le monde et montrer que vous vous repentez vraiment de ce que vous avez fait. On vous emmène alors à la rivière pour vous laver de vos péchés, et vous êtes réintroduit dans la communauté à travers une fête.

M. Serge BLISKO : Vous recommande-t-on de couper les liens avec votre famille extérieure ? Gardiez-vous un contact avec vos familles respectives ?

Vous avez parlé d'instruments médicaux. Qu'en est-il ?

Enfin, les adolescents sont à l'âge de toutes les révoltes. Ne se rebellent-ils pas contre les châtiments corporels ?

M. N : Dans l'Évangile, Jésus dit que si quelqu'un aime son père, sa mère, sa famille plus que lui, il n'est pas digne d'entrer dans le Royaume. En s'appuyant sur ces paroles, ils font en sorte que Dieu prenne toute la place. Chacun va s'identifier à Yahshua, constamment tourné vers son Père qui est dans les cieux, obéissant entièrement au dessein qui a été formé pour lui. Peu à peu, la famille extérieure paraît dérisoire. Nous n'avons pas coupé tout lien, mais dès le départ, j'ai essuyé des reproches. Car mon attitude était incompréhensible. À l'époque, j'ai presque minimisé la chose. Mon père souffrait. Il m'a écrit pour me reprocher cet abandon : « on ne part pas comme ça, on n'abandonne pas sa maison ». Je me disais que nous étions dans l'incompréhension, que nous ne pouvions rien nous dire.

On se détache de la famille parce que la communauté est comme une nouvelle famille, qui nous semble remplacer l'ancienne, parce qu'on a toujours de l'aide.

Beaucoup de membres de la communauté sont exclus ou se sont exclus. Certains se droguaient, d'autres n'aimaient pas la société, d'autres encore n'avaient jamais eu de métier. Il y en a qui ne voulaient pas travailler. Il y a quelques Slovaques, là-bas, qui étaient des clochards et qui sont bien contents d'être au chaud. Certains finissent par se trouver une raison de vivre là.

Le point commun entre tous les membres est qu'ils aspirent à de l'intérêt, à de l'amour, à être avec ses semblables.

Beaucoup n'ont plus de famille, ou ont coupé les liens avec une famille avec laquelle ils étaient en conflit.

Pour notre part, le contact avec nos familles n'a jamais été totalement rompu. Cela aussi était assez mal ressenti au sein de la communauté.

Il faut également tenir compte du fait qu'après un certain temps, les personnes n'ont plus le choix. Assez rapidement, votre compte en banque est vide. Vous n'avez plus votre véhicule qui vous permettrait de quitter la communauté. Et après tout, pourquoi rejoindre une société que l'on vous présente comme très méchante et hostile ?

Mme N : Au contraire de mon mari, j'étais très proche de mes parents. Ils sont venus nous rendre visite. Mais nous ne sommes jamais restés seuls en tête-à-tête. Nous ne les avons pas reçus dans notre chambre, mais dans une pièce commune, où nous étions très surveillés, très écoutés. Ceux qui nous surveillaient répondaient pour nous aux questions embarrassantes. Mes parents ont eu l'idée de louer un appartement à l'extérieur et nous y ont invités, pour pouvoir nous voir en dehors de la communauté. Je trouvais normal de répondre à leur invitation. Mais il fallait demander un véhicule pour s'y rendre. Nous nous sommes heurtés à un barrage total : « Non, vous n'irez pas. Imaginez ce qu'ils peuvent faire ! Peut-être qu'ils viennent pour enlever les enfants. » Il ne fallait jamais rester seuls, ni avec des étrangers ni avec des membres de la famille.

Là-bas, il n'y a pas à proprement parler d'adolescents. Tout le monde travaille, y compris les enfants et les adolescents. Il n'y a pas de jouets, il n'y a pas d'âge.

M. le Président : Il n'y a pas d'âge, dites-vous. Nous avons été étonnés, lors de notre visite à Sus, de constater que les mères ne connaissaient pas la date de naissance de leurs enfants. Comment l'expliquez-vous ?

Mme N : On ne fête pas les anniversaires.

M. le Président : Une mère est quand même censée connaître la date de naissance de ses enfants.

Mme N : Est-ce que c'était la mère ?

M. le Président : Nous nous sommes posé la question, en effet. Y a-t-il des enfants qui sont confiés à une autre mère que leur mère biologique ?

Mme N : C'est possible. Tout est possible. Quand l'enfant naît, personne de l'extérieur n'est présent. Après mon accouchement, c'est mon mari qui est allé déclarer l'enfant à la mairie.

M. Jacques MYARD : On ne vous a pas empêché d'aller le déclarer ?

Mme N : Non, au contraire. Ils évitent les problèmes avec la justice. Par contre, on peut aller déclarer l'enfant n'importe quand, puisque personne ne sait quand l'enfant est né. On peut attendre une semaine, quinze jours, pour s'assurer que l'enfant est viable avant de le déclarer.

Pour revenir aux adolescents, ils ne se révoltent pas ; parce qu'ils travaillent, ils n'ont pas le temps de réfléchir.

M. N : Cependant, j'ai remarqué qu'à la moindre occasion, ils essayaient de se regrouper, même si c'était difficile. Quand nous étions à table, ils préféraient ne pas manger et se retrouver ensemble. Je tentais d'écouter leurs conversations, qu'ils tiennent souvent dans une espèce de sabir franco-américain. Ils n'étaient pas d'accord avec les décisions qui gouvernaient la communauté. Ils avaient envie d'action. On leur a confié le recyclage d'anciennes caisses à champignons pour les occuper, parce qu'on se rendait compte qu'ils commençaient à manifester leur désir de partir.

Je les voyais monter dans le semi-remorque pour écouter la radio. Pour eux, c'était fabuleux. Car on n'a aucun accès à l'information extérieure. Ils aimaient écouter le rock'n'roll, qu'ils découvraient. Ils cherchaient toutes les occasions d'avoir un contact avec l'extérieur. Ils avaient subtilisé une bicyclette destinée à être vendue pour faire du vélo en cachette. Certains, par exemple les fils de M. X, avaient le privilège d'aller sur les foires. Ils ont pu voir de belles filles, des affiches. Ils ont eu envie de partir, ce qu'ils ont fait avec le véhicule de la communauté. Mais ils ne savaient pas où aller. Ils sont allés à la plage de Bayonne, sans savoir quoi y faire. On les a appelés sur le portable qu'ils avaient gardé, et après négociation avec les dirigeants, on les a récupérés. Certains ont négocié leur départ pour les États-Unis, où ils ont pu s'occuper, parce qu'il existe là-bas des équipes de jeunes qui travaillent sur des chantiers extérieurs.

M. Alain GEST : Je voudrais vous remercier pour votre témoignage. Je sais combien c'est difficile et douloureux. Pour ceux d'entre nous qui suivent les problèmes sectaires depuis longtemps, qui ont parfois le sentiment de passer pour des paranoïaques, il est important de pouvoir disposer de votre témoignage, qui corrobore d'ailleurs assez bien les témoignages de ceux qui ont été adeptes d'autres sectes, avec des mécanismes identiques.

Vous avez dit à un moment donné : « Enfin, on s'est retrouvé ensemble. » Cela peut paraître curieux, car vous logiez bien dans la même chambre. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point ?

D'autre part, je faisais partie de la délégation qui s'est rendue sur place. Même si nous avons été estomaqués parce que nous avons découvert, nous avons eu le sentiment que c'était un lieu très ouvert. Comment peut-on ne pas pouvoir sortir ? C'est quelque chose qu'on a du mal à s'expliquer. Il y a trente mètres à faire pour être dans la rue, pour aller téléphoner, y compris chez les voisins du château.

Enfin, vous avez évoqué les visites régulières de travailleurs sociaux. Venaient-ils après avoir informé la communauté de leur arrivée ? Avez-vous eu des échos de ces visites ? Avez-vous eu, par ailleurs, des informations sur les visites des inspecteurs académiques ? Il semble qu'ils effectuaient des contrôles exclusivement en dehors de la communauté, dans le collège le plus proche, et après avoir prévenu de leur arrivée.

M. N : J'étais souvent amené à travailler de nuit. La journée, j'étais au jardin. Le soir, je conduisais le camion qui devait apporter du matériel sur telle ou telle foire. On me faisait souvent partir de nuit. Après de telles journées, on s'effondre de fatigue. Mais quand mon fils et moi avons été enfermés dans cette chambre, nous avons enfin pu réfléchir sans pression extérieure. Car on est constamment surveillé.

On nous a souvent dit : « Il n'y a pas de portail. On n'est pas une secte. » J'y ai cru. Mais les choses ne sont pas aussi simples.

Mme N : On ne peut même pas aller au fond de ce qu'on appelle le grand champ, qui jouxte le château parce qu'on vous fait peur : « Là-bas, tu ne seras pas protégé, tu vas être agressé. »

M. Alain GEST : Vous avez dit avoir eu l'impression d'être au Moyen Âge quand vous êtes arrivée. Nous avons pu le constater nous-mêmes. Après un certain temps, on oublie qu'on est au Moyen Âge ?

Mme N : Oui.

Les travailleurs sociaux venaient après avoir envoyé un avis. Le juge des enfants nous convoquait. Concernant les vaccinations, nous savions qu'il fallait lui dire que c'était à lui de prendre la responsabilité de faire vacciner les enfants, parce qu'après une vaccination, il se peut qu'il y ait un problème de santé. Finalement, on ne nous obligeait pas à les vacciner.

M. le Président : Qui, « on » ?

Mme N : Les autorités, la justice.

M. le Président : La justice ? Alors que la vaccination est obligatoire ?

Mme N : On nous disait de dire que nous ne voulions pas les faire vacciner parce que c'était contraire à notre conscience. Nos trois premiers enfants, avant que nous entrions dans la secte, avaient été vaccinés. Ensuite, ils n'ont pas eu leur rappel de vaccin. Et la dernière n'a pas été vaccinée. Nous avions des enseignements contre la vaccination : « C'est très dangereux de vacciner son enfant. Il peut mourir. Il y a eu tel et tel cas. » Nous disions au juge des enfants que nous ne voulions pas les faire vacciner parce qu'ils risquaient de mourir, et nous lui demandions s'il en prenait la responsabilité. Évidemment, il n'en prenait pas la responsabilité.

M. le Président : Madame, le refus de vaccination est une contravention, et le refus de vaccination contre la tuberculose est un délit. Je ne vois pas comment le juge peut vous autoriser à ne pas vacciner vos enfants. Une expertise a-t-elle été ordonnée pour savoir s'il y avait une contre-indication ?

Mme N : Non.

M. le Président : Aucune décision n'a été prise ?

Mme N : Non.

M. le Rapporteur : Lorsque vous êtes entrés à Tabitha's Place, vous aviez une enfant de quatre ans et demi. Était-elle déjà scolarisée ?

Mme N : Oui.

M. le Rapporteur : Comment les choses se sont-elles passées ?

Mme N : Du jour au lendemain, nous avons disparu de la circulation, et nous n'avons donné signe de vie à personne.

M. le Rapporteur : Justement, personne ne vous a cherchés ?

M. N : La directrice de l'école m'a écrit pour me demander pourquoi ma fille ne venait plus à l'école. Je lui ai répondu que nous avions déménagé et qu'elle serait désormais scolarisée à Sus.

M. le Rapporteur : Normalement, des contrôles pédagogiques sont régulièrement effectués. Avez-vous été tenus au courant de ces contrôles, de leur contenu ?

D'autre part, vos enfants faisaient-ils l'objet d'un suivi médical ?

Lorsque nous avons visité la communauté, on a été incapable de nous indiquer le nombre exact d'enfants. C'est étonnant.

Nous avons constaté qu'il y avait une classe pour les filles et une classe pour les garçons. Manifestement, il y a un cloisonnement entre garçons et filles. Qu'en est-il au juste ?

M. N : Il n'y a pas seulement un cloisonnement entre garçons et filles. Si vous êtes avec votre enfant et que vous croisez un adulte qui est avec le sien, les deux enfants ne doivent pas communiquer. Ils doivent se tenir à côté de leur père ou de leur mère, bouche cousue. L'enfant doit être soumis.

Le cloisonnement entre garçons et filles correspond aussi à l'optique du mariage. Si un garçon est amoureux d'une fille, il va en parler à son père ou à l'adulte qui est responsable de lui. La fille en fera autant de son côté. Les adultes des deux familles s'assurent que les deux jeunes ont manifesté leur désir. Pendant une longue période, le garçon et la fille ne seront pas en contact. On leur permettra de se voir en public, au milieu de la communauté, et sans avoir aucun contact. Une semaine avant le mariage, les fiancés ne doivent plus du tout se voir.

Il m'est arrivé de participer à un enseignement donné au futur marié, une semaine avant le mariage, car les jeunes ignorent tout sur tout, notamment sur la sexualité. Ce qui est mis en avant est le respect dû par le marié à sa femme, tous les devoirs qu'il a envers elle. C'est quelque chose de positif. Mais il est désastreux que le jeune soit maintenu dans l'ignorance jusqu'à son mariage.

Si l'on vous a dit ignorer le nombre d'enfants présents dans la communauté, c'est un mensonge. On sait très bien combien ils sont. Un appel est fait chaque matin. Chaque « enseignant » sait le nombre d'enfants qui sont sous sa responsabilité.

M. Alain GEST : On connaît le nombre d'enfants en âge d'être scolarisés, mais qu'en est-il des moins de six ans et des plus de seize ans ? Personne n'a été capable de nous donner de chiffre, même pas concernant le nombre d'adultes.

Mme N : Ils le connaissent mais ils ne veulent pas le donner. En cas de problème avec la justice, ils veulent pouvoir garder la possibilité de faire passer des membres à l'étranger.

M. le Rapporteur : Les enfants sont-ils suivis par un médecin ?

Mme N : Non.

M. le Rapporteur : Que se passe-t-il en cas de maladie grave ?

M. le Président : La médecine traditionnelle est-elle acceptée ?

Mme N : Non. Pas de médicaments, pas d'antibiotiques. Les membres de la communauté recourent à l'usage de plantes. Il y a des femmes qui connaissent des plantes. On se soigne au moyen d'argile ou de tisanes.

M. le Rapporteur : Nous avons constaté, en assistant à un cours, qu'une petite fille avait manifestement des problèmes de vue. Y a-t-il un dépistage des troubles de la vue ?

Mme N : Non. Il n'y a pas de sécurité sociale.

M. le Président : Les enfants portent-ils des lunettes ?

Mme N : J'ai vu une fille qui en portait, parce que c'était la fille d'un responsable.

M. N : Seuls les enfants des responsables ont des lunettes. Les autres se débrouillent.

Je précise qu'en application des usages d'Israël, l'enfant mâle est circoncis au huitième jour. Il l'est à l'intérieur de la communauté. Je pense que cela se passe de commentaire.

Le suivi médical est refusé parce que les parents ont peur que le médecin s'aperçoive de la circoncision et pose des questions au sujet des conditions dans lesquelles elle a été pratiquée.

D'autre part, si mon fils avait fait sa bar-mitzvah vers l'âge de douze ou treize ans, il aurait dû être circoncis, et moi aussi. Sans doute dans le but de me faire trembler, mon chef d'équipe m'a raconté que cela se faisait avec un couteau. Il pensait que j'allais tomber dans les pommes, ce qui n'a pas été le cas.

Par contre, j'ai vu un collègue tomber dans les pommes. Nous étions à l'atelier chaussures. Il avait un corps étranger dans la paume de la main. M. X est venu, et l'a opéré à vif avec un cutter. Voilà la « médecine » qui est pratiquée là-bas.

M. le Président : Avez-vous signalé à l'autorité judiciaire les deux décès d'enfants de personnes ayant séjourné à Sus, l'un en Espagne, l'autre en Argentine ?

M. N : Oui.

M. le Président : À quelle époque ?

M. N : À ma sortie, en 2004, à la gendarmerie de Châteauneuf-du-Faou.

M. le Président : Savez-vous s'il y a une enquête?

M. N : Oui. Elle a été lancée aussitôt par le procureur.

M. le Président : Lorsqu'il y a un décès naturel, quels sont les lieux de sépulture ?

M. N : Nous avons su qu'un homme d'environ 36 ans est décédé d'une crise cardiaque à Sus avant notre arrivée. Il a peut-être été rapatrié dans son pays. Je n'ai pas d'autre précision. Le cas ne s'est pas présenté lorsque nous étions à Sus.

M. le Président : Mais quelle est la règle ?

Mme N : Nous savons seulement que dans la communauté installée aux États-Unis, des gens sont décédés de cancer sans avoir reçu quelque soin que ce soit. Mais nous n'en savons pas plus. À mon avis, c'est la famille qui prend en charge les funérailles.

M. le Président : On oppose souvent à l'action des pouvoirs publics la nécessité de veiller au respect de la liberté de croyance, de la liberté de conscience. Selon vous, est-ce que les pouvoirs publics exercent suffisamment de contrôles ? Les enfants sont-ils suffisamment protégés, ou attendez-vous de la société qu'elle fasse quelque chose ?

M. N : Nous avons pu constater, lorsque nous étions à l'intérieur de la communauté, qu'aucune poursuite n'était engagée efficacement contre elle. M. X s'en glorifie toujours, en disant en substance : « Vous voyez, Dieu nous protège. On n'a rien à craindre du monde. » Le « monde », c'est le monde extérieur, malfaisant.

L'action des travailleurs sociaux, aussi excellente qu'elle soit, ne leur permettait pas d'accéder à nos enfants. Nous nous y opposions, sous des prétextes divers : nous les avions déjà « confiés à d'autres familles », ou nous les avions « envoyés au jardin ».

Pour dépister une éventuelle myopie ou un daltonisme, il faut que l'enfant soit soumis à un contrôle médical. Mais il n'en est pas question dans la communauté. L'enfant n'est pas scolarisé. C'est là un point essentiel. S'ils allaient à l'école publique, ils ne seraient pas nombreux à choisir de revenir au sein de la communauté.

Beaucoup d'actions ont été entreprises contre cette communauté. Mais à chaque fois, on bute sur la nécessité de respecter les droits de l'homme, de respecter les croyances religieuses. En fait, la religion n'est qu'un prétexte pour se protéger juridiquement. Il y a un discours chrétien, biblique, et des actes qui sont sans rapport avec ce discours. Je pourrais vous citer des exemples savoureux si nous avions le droit d'évoquer ici une affaire judiciaire en cours.

Il est essentiel de permettre aux enfants d'être l'objet d'un dépistage médical et d'avoir accès à l'école publique. Ils découvriraient que le monde n'est pas méchant, qu'on ne leur veut pas de mal, qu'on peut les aider, qu'ils peuvent devenir autre chose qu'un disciple destiné à être crucifié. Je ne vois pas d'autre action susceptible de leur venir en aide efficacement.

L'inspecteur de l'éducation nationale nous avait prévenus de son arrivée à Sus. Il avait compris qu'il fallait négocier pour pouvoir avoir accès aux enfants. Nous refusions toujours de nous rendre aux évaluations, sous des prétextes divers. Nous invoquions notamment le fait que nous ne voulions pas que nos enfants soient évalués en notre absence. Finalement, l'inspecteur a fait un pas vers nous en disant qu'il était d'accord pour que nous accompagnions nos enfants au collège, y compris dans la salle où aurait lieu l'évaluation, mais sans intervenir. Cela a permis aux enfants de voir l'école, de découvrir l'existence d'un autre monde que celui où ils vivaient. C'était très important. Cet inspecteur a su nous écouter, mais en même temps faire ce qu'il avait prévu de faire. Il a agi très finement et a réussi à faire avancer les choses progressivement. Nous n'avions plus de raison de refuser l'évaluation, et nos enfants ont pu voir un autre univers.

Malheureusement, cela n'a pas débouché sur grand-chose. Même l'action du juge des enfants n'est pas allée très loin. Il nous a parlé assez rudement, ce qui était justifié, mais sa démarche n'a pas été couronnée de succès puisque les enfants n'ont pas été vaccinés, n'ont pas fait l'objet d'un dépistage. Nous n'allions pas aux rendez-vous fixés par la PMI.

M. Guy GEOFFROY : Vos enfants sont désormais dans un milieu ouvert. Ils ont des camarades de classe. Même s'ils ne sont pas très bavards, ce que l'on peut comprendre, ils peuvent échanger entre eux, et avec vous. Vous parlent-ils de ce qu'ils ont vécu ? Sont-ils interrogés par leurs camarades ? En parlent-ils spontanément ?

Mme N : C'est leur jardin secret. Ils ne désirent pas en parler à l'école. Personne ne le sait. Avant d'entrer dans le cabinet de la psychologue, ils ont décidé qu'ils n'en parleraient pas, bien que nous leur ayons dit qu'ils pouvaient avoir confiance en elle et en parler librement. Avec nous, ils en parlent très peu, de temps en temps. Votre visite a fait l'objet d'informations télévisées. Ils ont vu les personnes qui les ont maltraitées. Ils étaient fous furieux. Mon fils a des envies de vengeance.

M. Philippe VITEL : Quelle était la place de la stratégie de recrutement à l'intérieur du fonctionnement de la communauté ? Quel était le flux d'arrivées et de sorties ? Y avait-il une grande stabilité de la population d'adeptes, ou un « turnover » important ?

Mme N : La masse des adeptes est constante. Il faut faire tourner la maison, cela demande beaucoup de bras. Le recrutement s'appuie beaucoup sur les foires auxquelles participe la secte. Le but est moins de vendre des produits que de pratiquer le prosélytisme.

M. Philippe VITEL : Ceux qui tiennent les stands, dans ces foires, sont-ils formés à la stratégie de recrutement ?

Mme N : Oui. Ils savent quoi dire. Parfois, ils ramènent des personnes à la communauté. Il faut entre quatre ou cinq jours pour que la personne reste définitivement. Si elle n'est pas partie dans les premiers jours, elle reste.

M. Philippe VITEL : Quel est le profil type des cibles ? Plutôt des célibataires, des couples, des familles ?

Mme N : Je crois que ce sont plutôt les familles qui les intéressent. Leur but est que des enfants grandissent dans la secte, se marient et aient eux-mêmes des enfants. Ils ne seront plus à convaincre. Les célibataires constituent une main-d'œuvre gratuite.

M. Alain GEST : Vous disiez, monsieur, que les responsables de la secte tiennent un discours séduisant qu'ils ne mettent pas du tout en application. Et vous venez de dire, madame, qu'ils préfèrent recruter des familles. Cela m'amène à poser la question de leur but ultime. En règle générale, les dirigeants des mouvements sectaires ont une motivation d'ordre financier. Est-ce là, selon vous, la motivation essentielle des dirigeants de Tabitha's Place, ou en ont-ils une autre ?

Mme N : Je crois que vous avez rencontré là-bas un responsable de la secte qui en fait partie depuis l'âge de huit ans. Ils veulent confier des responsabilités à des jeunes qui ont grandi dans la secte, ont le « standard » qui leur a été enseigné depuis leur enfance, et ne connaissent rien de la société. Ils vivront comme des disciples. Ils n'auront pas plus d'argent pour autant. Nous vivions avec des responsables qui n'avaient pas d'autre train de vie que le nôtre. On ne peut pas dire qu'il y avait un gourou. Mais l'argent partait bien quelque part.

Le but est tout de même que tout le monde les rejoigne pour se convertir et donner ses biens.

M. Alain GEST : Parce qu'ils ont la foi, ou parce qu'ils ont envie de gagner de l'argent ?

M. Philippe VITEL : Il y a des dirigeants qui profitent financièrement des activités de la secte.

Mme N : Cela, nous ne le voyions pas. Il est difficile pour nous d'en parler.

M. Philippe VITEL : Si les lunettes sont réservées aux enfants de responsables, c'est que, de manière plus générale, des moyens financiers doivent aussi leur être réservés.

M. N : Certainement, mais nous n'avons pas pu le vérifier.

Qu'est-ce qui fait que nous avons été séduits ? C'est que nous étions chrétiens et que ce que nous voyions correspondait à ce qu'annonce l'Écriture. Que voyions-nous autour de nous ? Des gens démunis. Je me suis dit que je n'avais pas d'excuse : j'ai un patrimoine, de l'argent, il faut que je les partage. Avec le temps, je me suis aperçu que mes voisins immédiats, les familles et les célibataires, étaient toujours en haillons. On n'avait pas de miel pour faire les tisanes des enfants. Autrement dit, le besoin perdurait, alors même que nous avions confié à la secte des sommes énormes et que, d'autre part, les recettes des foires étaient considérables, toujours perçues en liquide et sans caisse enregistreuse. L'argent allait directement au responsable de la foire, qui ne nous disait pas quel était le montant des ventes.

J'ai cru longtemps qu'ils étaient animés par la foi. Aujourd'hui, je pense que leur première motivation est le business. C'est un très bon filon que de se servir de la naïveté de gens comme nous.

Il n'y a pas de profil type de la victime de secte. Nous avons tous en nous un vide à combler. Ils trouveront toujours le moyen de le combler en s'adaptant à la personnalité de chacun. Un autre que moi aurait été séduit par le côté « culture bio ». Chacun alimente lui-même, avec sa passion intérieure, les ressorts qui seront exploités par la secte. Chacun se séduit lui-même, pour ainsi dire, en se persuadant qu'il a trouvé le lieu qui lui convenait.

Tout le monde, après un certain temps, se rend compte qu'il s'est fait piéger. Mais comment faire quand on a coupé avec la famille et qu'on n'a plus d'argent ?

Il est difficile de résumer un phénomène très subtil, qui s'étale dans le temps, face à des gens qui ont toujours la parole de Dieu à la bouche.

M. le Président : Madame, monsieur, je vous remercie de votre témoignage et de votre contribution aux travaux de notre commission d'enquête.

1 () Rapport n° 2468 du 22 décembre 1995 (M. Alain Gest, président et M. Jacques Guyard, rapporteur).

2 () Rapport n° 2468 précité ; Rapport n° 1687 « L'argent et les sectes » du 10 juin 1999 (M. Jacques Guyard, président et M. Jean-Pierre Brard, rapporteur).

3 () Audition du 12 octobre 2006.

4 () Audition du 12 juillet 2006.

5 () Cf., à titre d'exemple, l'intervention du président Georges Fenech, lors de l'audition de MM. Stéphane Fratacci et Marc-André Ganibenq le 18 octobre 2006.

6 () Audition du 3 octobre 2006.

7 () Audition du 19 septembre 2006.

8 () Audition du 12 juillet 2006.

9 () Audition du 27 septembre 2006.

10 () Audition du 13 septembre 2006.

11 () Audition du 19 septembre 2006.

12 () Audition du 12 juillet 2006.

13 () Audition du 3 octobre 2006.

14 () En 2004, 19 000 enfants maltraités ont été signalés contre 18 000 en 2003. 76 000 enfants ont été signalés par ailleurs en 2004 pour carences familiales graves (Source : Observatoire décentralisé de l'action sociale).

15 () Audition du 3 octobre 2006.

16 () Audition du 3 octobre 2006.

17 () Audition du 26 septembre 2006.

18 () Audition du 13 septembre 2006.

19 () Audition du 12 juillet 2006.

20 () Audition du 12 juillet 2006.

21 () Audition du 26 septembre 2006.

22 () Audition du 27 septembre 2006.

23 () Audition du 5 septembre 2006.

24 () Audition du 26 septembre 2006.

25 () Audition du 3 octobre 2006.

26 () Audition du 26 septembre 2006.

27 () Audition du 19 septembre 2006.

28 () Audition du 26 septembre 2006.

29 () Audition du 3 octobre 2006.

30 () MM. Jean-Yves Dupuis et Pierre Polivka, audition du 10 octobre 2006.

31 () Audition du 5 décembre 2006.

32 () Audition de Mme Sonya Jougla du 19 septembre 2006.

33 () Audition du 19 septembre 2006.

34 () Audition du 12 juillet 2006.

35 () Audition du 26 septembre 2006.

36 () Audition du 12 juillet 2006.

37 () Audition du 12 octobre 2006.

38 () Audition du 26 septembre 2006.

39 () Audition du 26 septembre 2006.

40 () Audition du 12 septembre 2006.

41 () Audition du 27 septembre 2006.

42 () Audition du 13 septembre 2006.

43 () Audition du 26 septembre 2006.

44 () Audition de MM. Jean-Yves Dupuis et Pierre Polivka du 10 octobre 2006.

45 () Audition du 3 octobre 2006.

46 () Audition du 19 septembre 2006.

47 () Audition du 12 juillet 2006.

48 () Audition du 19 septembre 2006.

49 () Audition du 26 septembre 2006.

50 () Audition du 13 septembre 2006.

51 () Audition du 12 septembre 2006.

52 () Audition du 12 septembre 2006.

53 () Audition du 26 septembre 2006.

54 () Audition du 12 septembre 2006.

55 () Audition du 5 décembre 2006.

56 () Audition du 12 septembre 2006.

57 () Audition du 13 septembre 2006.

58 () Audition du 19 septembre 2006.

59 () Audition du 19 octobre 2006.

60 () Éd. Payot, 2002.

61 () Audition du 3 octobre 2006.

62 () Audition du 3 octobre 2006.

63 () Audition du 19 septembre 2006.

64 () Audition du 26 septembre 2006.

65 () Audition du 17 octobre 2006.

66 () Audition du 3 octobre 2006.

67 () Audition du 19 septembre 2006.

68 () Audition du 13 septembre 2006.

69 () Audition du 3 octobre 2006.

70 () Audition du 5 septembre 2006.

71 () Audition du 12 octobre 2006.

72 () Audition du 4 octobre 2006.

73 () Audition du 4 octobre 2006.

74 () Cf. Cass. 1re Civ 28 mars 1995 et article de Mme Claire Neirinck « Enfance » in Répertoire civil Dalloz n° 144.

75 () Audition du 12 octobre 2006.

76 () Audition du 3 octobre 2006.

77 () Audition du 26 septembre 2006.

78 () Audition du 3 octobre 2006.

79 () Audition du 19 septembre 2006.

80 () Audition du 13 septembre 2006.

81 () Audition du 12 juillet 2006.

82 () CA Pau, 1ère ch. correctionnelle, 01/00445, 19 mars 2002.

83 () Ordonnance de référé du Tribunal administratif de Toulouse n° 04/2785 du 26 août 2004.

84 () CA Pau, 1ère ch. correctionnelle, 18 juin 2002.

85 () Audition du 10 octobre 2006.

86 () Audition du 12 octobre 2006.

87 () CA Pau, 1ère ch. correctionnelle, 01/00445, 19 mars 2002.

88 () Audition du 5 septembre 2006.

89 () Ex La Tribu entre les années 1970 et 1980.

90 () Cf. site Internet http://www.prevensectes.com/home.htm, rubrique : « Listes des divers groupes et sectes ».

91 () Cf. rapport 2005 de la MIVILUDES, p. 24.

92 () Organisation scientologue, définie par M. Roger Gonnet, lors de son audition du 27 septembre 2006 comme « l'organisation maritime, informelle, non déclarée, qui constitue le service de commandement central de la Scientologie », cf. supra I-3.

93 () Cf. rapport 2005 de la MIVILUDES, p. 17-18.

94 () Audition du 13 septembre 2006.

95 () Régime excluant la viande.

96 () Régime ne comprenant que des végétaux.

97 () Régime ne comprenant que des aliments crus, sélectionnés sur leur odeur.

98 () Cf. infra, Annexes « Réponses d'organisations entrant dans le champ d'investigation de la commission d'enquête ».

99 () Extrait du témoignage transmis à la commission d'enquête par M. Éric Bresson, président de la Coordination nationale des victimes de la kinésiologie.

100 () Cf. rapport 2005 de la MIVILUDES, p. 45 à 46.

101 () Consultable sur le site Internet du ministère de la santé et des solidarités : www.sante.gouv.fr, rubriques « Thèmes : tous les dossiers » et « Vaccins ».

102 () Audition du 4 octobre 2006 de M. Joël Bouchité, directeur central des renseignements généraux au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

103 () Audition du 3 octobre 2006 de M. Michel Duvette, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice.

104 () Audition du 24 octobre 2006.

105 () Audition du 5 décembre 2006.

106 () Cf. audition du 24 octobre 2006.

107 () Cf. Bulletin épidémiologique hebdomadaire (n° 7/2006) du 14 février 2006 et (n° 18/2006) du 9 mai 2006.

108 () Cf. rapport 2005 de la MIVILUDES, p. 54 et 55.

109 () Audition du 5 décembre 2006.

110 () Idem.

111 () Ibidem.

112 () Cf. supra le paragraphe « L'enfermement à travers l'instruction à domicile ».

113 () Genèse IX, 3-4 : « Tout ce qui remue et qui vit vous servira de nourriture (...) Toutefois, vous ne mangerez pas la chair avec sa vie, c'est-à-dire son sang. » ;

Lévitique XVII, 14 «  car la vie de toute créature, c'est son sang, tant qu'elle est en vie ; aussi ai-je dit aux fils d'Israël : "Vous ne consommerez du sang d'aucune créature, car la vie de toute créature, c'est son sang. Celui qui en consomme doit être retranché" » ;

Actes des Apôtres XV, 20 : « Écrivons-leur de simplement s'abstenir des souillures de l'idolâtrie, de l'immoralité, de la viande étouffée et du sang. »

114 () Cf. infra, annexes : « Réponses de divers organismes ».

115 () Audition du 24 octobre 2006 de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités.

116 () Audition du 24 octobre 2006 de M. Didier Houssin.

117 () Déclaration du 16 juin 2000 à tous les comités de liaisons hospitaliers publiée dans le rapport 2001 de la MILS (p. 94 et annexes).

118 () A. Dosner-Dolivet, Le consentement au traitement médical : une liberté fondamentale en demi-teinte, RFDA, mai-juin 2003, p. 528.

119 () Cf. audition du 12 juillet 2006 de M. Emmanuel Jancovici, chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires au ministère de la santé et des solidarités.

120 () Cf. audition du 26 septembre 2006 de MM. Nicolas Jaquette et Alain Berrou.

121 () Audition du 4 octobre 2006.

122 () Audition du 26 septembre 2006 de MM. Nicolas Jaquette et Alain Berrou.

123 () Audition du 13 septembre 2006.

124 () Audition du 5 septembre 2006.

125 () Auditionné par la commission d'enquête, M. Guy Rouquet, président de l'association « Psychothérapie vigilance » a déclaré avoir connaissance « de nombreuses histoires où la famille a été l'objet d'une véritable opération de démolition des pseudo-thérapeutes... » (Audition du 12 septembre 2006).

126 () Selon l'expression de M. Jean-Marie Abgrall, « La mécanique des sectes », Éd. Payot (2002).

127 () Raël annonce un voyage au Burkina Faso. Il tente de développer un nouveau champ d'action : la reconstitution de l'intégrité physique des femmes victimes d'excision.

128 () Question écrite n° 46147, publiée au Journal officiel le 31 août 2004 ; réponse publiée au Journal officiel du 5 octobre 2004.

129 () Mikhaël Aïvanhov, Une éducation qui commence avant la naissance, Éd. Prosveta.

130 () Audition du 24 octobre 2006.

131 () Rapport 2003, p. 80 ; cf. également le rapport 2005, p. 45 .

132 () Audition du 24 octobre 2006.

133 () Résolution n° 435 du Congrès, adoptée le 17 septembre 2002 ; résolution n° 276, adoptée le 18 octobre 2005 par le Sénat.

134 () Cf. État de Caroline du Nord: http://www.ncga.state.nc.us/Sessions/2003/Bills/Senate/HTML/S251v6.html

Cf. État du Colorado : http://www.state.co.us/gov_dir/leg_dir/olls/sl2001/sl.129.htm

135 () Bernard Auriol, psychiatre psychanalyste, cf http://auriol.free/yogathera/relaxation/rebirth.htm.

136 () Cf. un exemple « d'annuaire du rebirth » sur http://www.medecines-douces.com/annuaires/an_rebirh.htm.

137 () Le phénomène a pris une telle ampleur aux États-Unis qu'une « False Memory Syndrome Foundation » a été créée.

138 () Audition du 5 septembre 2006.

139 () Arrêt n° 373/J/2005, 3 mai 2005, 19chambre de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

140 () La psycho-généalogie fait l'objet de nombreux ouvrages, aux titres particulièrement évocateurs, par exemple : Se libérer du temps généalogique - Comment déprogrammer son destin par la psycho-généalogie, Elisabeth Horowitz et Reynaud Pascale éd. Chemins de l'harmonie (2002) ; Ces enfants malades de leurs parents, Anne Ancelin Shützenberger et Ghislain Devroede, éd Payot (2003) ; J'ai mal à mes ancêtres : la psychogénéalogie aujourd'hui, Patrice Van Erseel et Catherine Maillard, éd. Albin Michel (2002).

141 () Présentation du volume 1, CD n° 5, conférences sur la renaissance :

http://www.dixdecoeur.com/pages/vente/claude-imbert.htm.

142 () La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté son pourvoi le 2 juin 2005.

143 () Audition du 13 septembre 2006.

144 () Audition du 12 juillet 2006.

145 () Selon cette théorie, propagée par M. Claude Sabbah, l'état du corps n'est que l'encodage d'un état psychique.

146 () La division cellulaire aurait pour conséquence la présence d'une existence jumelle qui, dans la plupart des cas, meurt en cours de gestation ; cette mort constituerait une sorte de drame originel dont les conséquences sont aggravées du fait que ce jumeau continuerait à hanter l'enfant survivant. Cette théorie a été popularisée par Mme Claude Imbert dans son ouvrage : Un seul être vous manque... Auriez-vous un jumeau ? Éd. Visualisation Holistique.

147 () « EMF », acronyme pour « electro magnetic field »; « Balancing » signifie harmonisation. La dénomination « EMF-Balancing Technique » est une marque déposée.

148 () Programme de la conférence du vendredi 1er mars 2002, à Saint-Estève, Pyrénées-Orientales.

149 () Citation de la 4de couverture du livre de Mme Marie-Françoise Neveu Les enfants « actuels ». Le grand défi « cerveau droit » dans un univers « cerveau gauche », Éd. Exergue, 2006.

150 () Ces deux thérapeutes avancent sur leur site Internet, http://silus.club.fr/AteliersSeminaires.html#S.Il les titres suivants : « cliniciens expérimentés (plus de 35 années d'expériences cliniques) : psychologue clinicien, psychopédagogue, psychanalyste, chercheur, écrivain, conférencier, fondateur de l'Ontopsychologie et de l'Ontothétrapie pour Cyrille ; médecin, sophrologue, hypnothérapeute, psychothérapeute et thérapeute énergéticienne pour Sélène ; praticiens Reiki fondateurs du Reiki Unitaire, tous deux channels en rapport avec les plus hautes dimensions de conscience, les Maîtres de Sagesse et les Fraternités de Lumière. »

151 () « Aucune information sur ce site internet n'est destinée à remplacer l'avis de votre médecin traitant. »

152 () La seule information précise émane d'une réponse du ministère de l'éducation nationale à une question écrite de M. Philippe Vuilque ; aux termes de cette réponse, un unique signalement est connu de l'administration, celui d'un chef d'établissement qui mentionne le départ de quelques élèves, dont les parents adhèrent à cette théorie, vers un établissement privé hors contrat. (Question écrite n° 38156, publiée au Journal officiel le 27 avril 2004, réponse publiée au Journal officiel du 8 août 2006).

153 () Groupe de coopération en matière de lutte contre l'abus et le trafic illicite de stupéfiants, Accord partiel du Conseil de l'Europe.

154 () TDA/TH acronyme pour : trouble de déficience de l'attention/troubles hyperkinétiques.

155 () Question écrite n° 66909 publiée au Journal officiel le 14 juin 2005, réponse publiée au Journal officiel le 18 octobre 2005.

156 () Il est significatif que Mme Marie-Françoise Neveu, l'une des propagandistes de la théorie des enfants indigo se réfère dans son dernier ouvrage Les Enfants actuels (opus cité) aux thèses de Mme  Anne-Marguerite Vexiau, consacrant à la psychophanie une annexe complète particulièrement élogieuse.

157 () Selon un article de presse paru dans l'Express du 26 janvier 2006, Mme Anne-Marguerite Vexiau, prétendrait même avoir pu « entrer en liaison avec un embryon décédé, via l'inconscient de sa mère ».

158 () Note : Lettre au docteur Jezequel, en date du 25 mars 2004, qui s'inquiétait du contenu de la fiche de renseignement relative à la communication facilitée éditée par Centre Interrégional d'Études et de Ressources sur l'Autisme (CIERA) Bretagne-Pays de Loire  ; ce dernier comprend par ailleurs parmi ses ressources documentaires un large choix de cassettes vidéo de Mme Anne-Marguerite Vexiau.

159 () Dans ce contexte, l'existence d'un module « d'aide à la communication » au sein du diplôme « Syndromes autistiques, du diagnostic à la prise en charge » mis en place par l'UFR de médecine de l'Université de Bretagne occidentale peut susciter des inquiétudes.

160 () Audition du 10 octobre 2006.

161 () Audition du 24 octobre 2006.

162 () Audition du 5 septembre 2006 de Mme Chantal Lebatard, responsable du département « Sociologie, psychologie et droit de la famille » de l'Union nationale des associations familiales.

163 () Audition du 26 septembre 2006 de Mme Catherine Picard, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu.

164 () En 1996, elle gérait 67 centres en France et elle pouvait accueillir 2 500 pensionnaires.

165 () Rapport sur le dispositif de lutte contre la toxicomanie (juillet 1998).

166 () Audition du 27 septembre 2006.

167 () Article du 3 août 2006 de Mme Solenne Durox « Sectes : d'une drogue à l'autre ».

168 () Audition du 12 septembre 2006 de M. Guy Rouquet, président de l'association « Psychologie Vigilance ».

169 () Idem.

170 () Audition du 19 septembre 2006 de M. Houssine Jobeir, maître de conférences en psychologie à l'université de Bretagne occidentale.

171 () Audition de M. Guy Rouquet, précitée.

172 () Audition du 19 septembre 2006.

173 () Cf. n° 90, juin 2006.

174 () Cf. infra, Annexe : « Réponses des ministères ».

175 () Audition du 12 juillet 2006.

176 () Rapport 2005, p. 72 et 73.

177 () Cf. audition du 13 septembre 2006 de Mme Charline Delporte, présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais.

178 () Audition du 5 septembre 2006.

179 () Audition du 12 juillet 2006.

180 () Auditions de M. Jean-Michel Roulet du 12 juillet 2006 et de MM. Pierre Polivka et Jean-Yves Dupuis du 10 octobre 2006.

181 () Acadomia a 2 700 emplois équivalent temps plein pour un chiffre d'affaires de 15,39 millions d'euros et un résultat net d'exploitation de près de 6 millions d'euros.

182 () Le Figaro, 11 novembre 2006.

183 () Si les agents peuvent utiliser leurs compétences professionnelles en exerçant dans le secteur privé des activités d'enseignement , ces activités ne peuvent être assurées qu'avec l'accord de l'administration (CE, 8 février 1967, Plagnol, Leb. , p. 840).

184 () Audition du 11 octobre 2006.

185 () Hamburger Abendblatt, 1er novembre 2002.

186 () Articles 203 et 204 du code civil, Juriscl. aliments, fasc. 10, 32.

187 () Gérard Cornu, La famille, Montchrestien, 8e édition 2003, p. 206.

188 () Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative aux infractions sexuelles et à la protection des mineurs.

189 () Audition du 18 octobre 2006.

190 () Connecté à un réseau de téléphonie mobile, un terminal BlackBerry interroge régulièrement (tous les quarts d'heure environ) le serveur e-mail de l'utilisateur. Lorsqu'un nouveau mail est arrivé, le terminal le signale. L'usager peut alors consulter le texte du courriel et y répondre.

191 () Audition du 19 octobre 2006.

192 () Études octobre 2006, p. 330.

193 () Dominique Cardon, sociologue au Laboratoire des usagers de France Télécom, La Croix, 10 novembre 2006.

194 () CE, 15 octobre 2003, req. n° 244428.

195 () Texte adopté n° 623.

196 () Deutscher Bundestag, 13 Wahlperiode - Drucksache 13/10950, 9 juin 1998, Endbericht der Enquete-Kommission « Sogenannte sekten und Psychogruppen » ; version anglaise : final report of the enquete commission on « So called sects and psychogroups ».

197 () Audition du 17 octobre 2006.

198 () JO Débats Sénat du 3 mai 2001, p. 1722.

199 () 90-283 DC, 8 janvier 1991, cons. 15, p. 11.

200 () Audition du 17 octobre 2006.

201 () Audition du 12 septembre 2006.

202 () Audition du 12 septembre 2006.

203 () Audition du 12 juillet 2006.

204 () Audition du 3 octobre 2006.

205 () Audition du 12 septembre 2006.

206 () Audition du 4 octobre 2006.

207 () Audition du 12 juillet 2006.

208 () Audition du 26 septembre 2006.

209 () Cass. Crim. 11 juillet 1994.

210 () Commentaire Dalloz, nouveau code pénal 2006, p 592.

211 () CA Pau, 1ère ch. Correctionnelle, 01/00445, le 19 mars 2002.

212 () La rédaction actuelle du premier alinéa de l'article 223-15-2 est la suivante : « Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».

213 () Audition du 13 septembre 2006 de Mme Charline Delporte, présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais.

214 () La Documentation française, février 1983.

215 () « Les sectes en France » (Assemblée nationale, n° 2468, décembre 1995).

216 () Réponse ministérielle du 22 octobre 1998 (JO Sénat, Questions, n° 11565).

217 () Réponse ministérielle du 9 août 1999 (JO AN, Questions n° 28864).

218 () Rapport 2001, p. 44-45.

219 () Réponse ministérielle du 6 janvier 2003 (JO AN, Questions, n° 8069).

220 () Rapport n° 3363, annexe 12, présenté par M. Jean-Pierre Brard au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2007.

221 () Audition du 19 septembre 2006.

222 () Établissement public chargé de la formation initiale et continue de l'ensemble des personnels des collectivités locales.

223 () Rapport 2004 de la MIVILUDES, p. 56.

224 () Cf. infra, le paragraphe « Des formations continues à renforcer ».

225 () Rapport 2005, p. 94.

226 () Audition du 12 septembre 2006 de M. Henri de Cordes, président du CIAOSN.

227 () Audition du 12 juillet 2006.

228 () Cf. infra, Annexe : « Réponses de ministères ».

229 () 86-217 DC, 18 septembre 1986, Rec. p. 141.

230 () 92-316 DC, 20 janvier 1993, Rec. p. 14.

231 () Rapport 1997, p. 15 à 31.

232 () Rapports 1999 (p. 6 à 10), 2000 (p. 23 à 29) et 2001 (p.23 à 36).

233 () Rapports 2003 (p. 57 à 77), 2004 (p. 11 à 15) et 2005 (p. 85 à 138).

234 () Audition du 10 octobre 2006 de MM. Pierre Polivka et Jean-Yves Dupuis.

235 () Audition du 24 octobre 2006 de M. Didier Houssin, directeur général de la santé.

236 () Audition du 18 octobre 2006.

237 () Audition du 4 octobre 2006.

238 () Audition du 4 octobre 2006.

239 () Audition du 10 octobre 2006 de MM. Jean-Yves Dupuis et Pierre Polivka.

240 () Audition du 10 octobre 2006.

241 () Créés par l'article 10 du décret précité, leurs attributions sont définies par l'article 12.

242 () Audition du 26 septembre 2006.

243 () Audition du 4 octobre 2006.

244 () Audition du 18 octobre 2006.

245 () Audition du 12 juillet 2006 de M. Jean-Michel Roulet, président de la MIVILUDES.

246 () Auditions du 5 septembre 2006 de Mme Chantal Lebatard, responsable du département « Sociologie, psychologie et droit de la famille » à l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et du 13 septembre 2006 de Mme Charline Delporte, présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais.

247 () Le 08 84 28 46 37.

248 () Audition du 13 septembre 2006.

249 () Audition du 12 juillet 2006 de M. Jean-Michel Roulet, président de la MIVILUDES.

250 () Audition du 12 juillet 2006.

251 () Audition du 26 septembre 2006.

252 () Audition du 10 octobre 2006 de MM. Pierre Polivka et Jean-Yves Dupuis.

253 () Idem.

254 () Ce texte prévoit que le président du conseil général sera chargé « du recueil, du traitement et de l'évaluation, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être ».

255 () Cf. infra, Annexe : « Réponses de ministères ».

256 () Cf. rapport 2005, p. 119-120.

257 () Cf. infra, annexes : « Réponses de divers organismes ».

258 () Hormone traitant la baisse des globules rouges du sang - l'anémie - en favorisant la production de ces derniers par la moelle osseuse.

259 () Cf. infra, annexes : « Réponses de divers organismes ».

260 () Dénoncées par la MIVILUDES dans son rapport 2005, p. 29 et suivantes.

261 () Audition du 24 octobre 2006.

262 () Cf. infra, Annexe : « Réponses de ministères ».

263 () Audition du 26 septembre 2006 de Mme Catherine Picard, présidente de l'UNADFI - Cf. aussi, les auditions de MM. Daniel Groscolas, président du CCMM (5 septembre 2006), Henri de Cordes, président du CIAOSN (12 septembre 2006) et Hans-Werner Carlhoff , fonctionnaire au ministère de la culture, de la jeunesse et des sports du Bade-Wurtemberg (11 octobre 2006).

264 () Audition du 17 octobre 2006

265 () Cf. rapport 2004 de la MIVILUDES, p. 48.

266 () Cf. rapports 2003 (p. 38) et 2005 de la MIVILUDES (p. 142). Aucune cartographie n'a été établie pour 2004.

267 () Cf. supra, le paragraphe « Les cellules de vigilance ».

268 () Audition du 19 septembre 2006.

269 () En 2004, 439 000 euros et 95 000 euros ont été alloués respectivement à l'UNADFI et au CCMM (Projet de loi de finances pour 2006 - liste des associations).

270 () Audition du 13 septembre 2006.

271 () Audition du 13 septembre 2006.

272 () Audition du 13 septembre 2006.

273 () Cf. supra I-B-2, le paragraphe « L'exemple de l'action du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative : un encadrement juridique des associations satisfaisant ».

274 () Audition du 12 juillet 2006.

275 () Audition du 4 octobre 2006.

276 () Idem.

277 () Audition du 10 octobre 2006 de MM. Pierre Polivka et Jean-Yves Dupuis.

278 () Audition du 26 septembre 2006.

279 () Audition du19 septembre 2006.

280 () Audition du 12 juillet 2006 de M. Jean-Michel Roulet.

281 () CE, 24 avril 1992, Département du Doubs c. F, req. n° 110178.

282 () Audition du 10 octobre 2006 de M. Bernard Basset, sous-directeur à la direction générale de la santé.

283 () Lettre du 9 novembre 2006, adressée à la commission d'enquête par le ministre de la santé et des solidarités : cf. infra, Annexe : « Réponses de ministères ».

284 () En Allemagne l'obligation de sensibilisation des autorités publiques en la matière s'appuie sur un arrêt de la cour constitutionnelle fédérale, qui rappelle que la mission d'information du gouvernement fédéral est de la responsabilité de l'État (Bverfg 1, BvR 670/91, 26 juin 2002).

285 () Auditions des 26 septembre et 3 octobre 2006.

286 () Audition du 12 juillet 2006 de M. Jean-Michel Roulet.

287 () Audition du 3 octobre 2006.

288 () Audition du 12 octobre 2006.

289 () Audition du 3 octobre 2006.

290 () Cf. supra, le paragraphe « Les actions locales ».

291 () Audition du 3 octobre 2006 de Me Line N'Kaoua.

292 () Audition du 19 septembre 2006 de Mme Sonya Jougla.

293 () Audition du 19 septembre 2006 de M. Philippe-Jean Parquet.

294 () Idem.

295 () Cf. supra, le paragraphe « Les actions menées par la MIVILUDES ».

296 () Cf. audition du 13 septembre 2006 de Mme Charline Delporte, présidente de l'ADFI Nord-Pas-de-Calais.

297 () Cf. supra, le paragraphe « Une mobilisation constante des parlementaires ».

298 () Audition du 13 septembre 2006 de Mme Armelle Tabary, directrice de l'Institut national d'aide aux victimes.

299 () Audition du 3 octobre 2006.

300 () Arrêté du 1er juillet 2002 pour la classe de seconde ; arrêté du 9 août 2000 pour la classe de première et arrêté du 30 août 2001 pour la classe de terminale.

301 () Cf., par exemple, CE, 28 avril 2004, Association cultuelle du Vajra triomphant, AJDA, 2004, p. 1367. Rapport de la Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, 20 septembre 2006, p. 40.

302 () Audition du 17 octobre 2006.

303 () Conclusions de M. Jacques Arrighi de Casanova sous l'avis du Conseil d'État du 24 octobre 1997.

304 () Auditions de M. Didier Leschi du 17 octobre 2006 et de M. Stéphane Fratacci du 18 octobre 2006.

305 () Audition de M. Didier Leschi du 17 octobre 2006.

306 () Audition du 18 octobre 2006.

307 () Audition du 17 octobre 2006.

308 () Cf. audition de M. Stéphane Fratacci du 18 octobre 2006.

309 () Audition du 17 octobre 2006.

310 () « Les dispositions entre vifs ou par testament, au profit des hospices, des pauvres d'une commune, ou d'établissements d'utilité publique, n'auront leur effet qu'autant qu'elles seront autorisées par une ordonnance royale (un décret).Toutefois les dispositions entre vifs ou par testament, au profit des fondations, des congrégations et des associations ayant la capacité à recevoir des libéralités, à l'exception des associations ou fondations dont les activités ou celles de leurs dirigeants sont visées à l'article 1er de la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, sont acceptées librement par celles-ci, sauf opposition motivée par l'inaptitude de l'organisme légataire ou donataire à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire. L'opposition est formée par l'autorité administrative à laquelle la libéralité est déclarée, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. L'opposition prive d'effet cette acceptation.

   « NOTA : Ordonnance 2005-856 du 28 juillet 2005 art. 9 : les dispositions de l'article 1er ne sont pas applicables aux libéralités pour lesquelles des demandes d'autorisation de leur acceptation ont été formées avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance. »

311 () Projet de loi n° 1504 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

312 () Rapport n° 1250 de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, Assemblée nationale, XIe législature.

313 () Audition du 10 octobre 2006.

314 () Audition du 10 octobre 2006.

315 () Audition du 5 septembre 2006.

316 () Texte adopté n° 623.

317 () Article L. 122-1 du code de l'éducation.

318 () Abrogé par le décret en Conseil d'État 2004-703 du 13 juillet 2004 (JO Lois et Décrets, 17 juillet 2004, p. 12824 et codifié aux articles D. 131-11 et suivants du code de l'éducation).

319 () « Le fait par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. L'infraction prévue par le présent article est assimilée à un abandon de famille pour l'application du 3° de l'article 373 du code civil ».

320 () Article L. 131-1-1 du code de l'éducation.

321 () Article L. 131-11 du code de l'éducation.

322 () Article D. 131-12 du code de l'éducation.

323 () Article D. 131-13 du code de l'éducation.

324 () Article D. 131-15 du code de l'éducation.

325 () Article D. 131-16 du code de l'éducation.

326 () L'ouverture illégale résulte soit d'une ouverture sans déclaration, soit d'une ouverture avec déclaration mais sans attendre l'expiration du délai d'opposition, soit d'une ouverture après opposition pendant le délai d'appel devant le conseil académique sans attendre la décision de celui-ci, (Bull. Crim. n° 206, Cass. cri, 26 juin 1968, Bourdonneau ; Bull. crim. n° 206 - Cass. crim., 7 février 1967, Michel D. 1967, Somm, p. 79 - CE, 26 février 1982, Mme Marcanet, Rec p. 91). L'autorité judiciaire est seule compétente pour prononcer la fermeture en cas de non-respect de la formalité de déclaration (TA Paris, 26 octobre 2000, req. 0007150/7, 0007259/7, 0007260/7, Europe Rencontres Echanges).

327 () Audition du 10 octobre 2006.

328 () Audition du 10 octobre 2006.

329 () Cf. texte n° 623 adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 5 décembre 2006.

330 () Audition du 10 octobre 2006.

331 () Article L. 911-5 : « Sont incapables de diriger un établissement d'enseignement du premier et du second degré ou un établissement d'enseignement technique, qu'ils soient publics ou privés, ou d'y être employés, à quelque titre que ce soit : 1° Ceux qui ont subi une condamnation judiciaire pour crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs ; 2° Ceux qui ont été privés par jugement de tout ou partie des droits civils, civiques et de famille mentionnés à l'article 131-26 du code pénal, ou qui ont été déchus de l'autorité parentale ; 3° Ceux qui ont été frappés d'interdiction définitive d'enseigner. En outre, est incapable de diriger un établissement d'enseignement du second degré public ou privé, ou d'y être employée, toute personne qui, ayant appartenu à l'enseignement public, a été révoquée. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux membres de l'enseignement général (AJ ; L. n° 2003-339, 14 avril 2003, art. 2XX) du second degré public.

332 () Audition du 10 octobre 2006.

333 () Audition du 10 octobre 2006.

334 () Audition du 5 septembre 2006.

335 () Rapport n° 138 (2003-2004) de MM. Jean-Louis LORRAIN et Francis GIRAUD, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 7 janvier 2004.

336 () Audition du 26 septembre 2006.

337 () Approche retenue par l'Inserm dans son rapport 2004 : Psychothérapies : Trois approches évaluées.

338 () http:// www.ff2.fr/fichiers_site/registre/registre.html.

339 () Réf. : http://www.mieux-etre.org/interactif/mot.php3?id_mot=271.

340 () Question écrite n° 68050 de M. Jean-Marc Roubaud, publiée au Journal officiel du 21 juin 2005, réponse publiée au Journal officiel du 15 novembre 2005.

341 () Question écrite n° 39230 de Mme Bérengère Poletti publiée au Journal officiel du 11 mai 2004, réponse publiée au Journal officiel du 21 septembre 2004.

342 () Rapport 2001, MILS, p. 98.

343 () Rapport 2001, MILS, p. 100.

344 () Cf. site internet. http://www.tmpp.net/asso.htm.

345 () Cf. site internet : http://www.tmpp.net/praticiens.htm.

346 () Cf. site internet : http://www.tmpp.net/CHARTE_DU_FACILITANT.pdf.

347 () L'association Arsinoe était représentée par son vice président, M. Rousseau, à une conférence-débat sur le thème « Une journée pour la résilience » qui s'est tenue à l'École Nationale de la Magistrature, le 6 janvier 2005.

348 () Fiche de présentation des journées d'études Franco-Québecoises, organisées par l'association Arsinoe présidée par Mme Marie-France Haffner, sur le thème de « L'inceste : trahison, blessures et résiliences ».

349 () Journal officiel, Débats Assemblée nationale, 1ère séance du mercredi 8 octobre 2003.

350 () Cf. Article 44, paragraphe IV, de la loi n° 85-772 modifiée du 25 juillet 1985.

351 () Délit puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

352 () Rapport (n° 1777, 28 juillet 2004) fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la santé publique, par M. Jean-Michel Dubernard, député et MM. Francis Giraud et Jean-Louis Lorrain, sénateurs.

353 () Extrait de l'arrêt du 3 mai 2005, 19ème chambre n°373/J/2005.

354 () Rapport n° 3009 fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, par Mme Maryvonne Briot, sur la proposition de loi (n°2996) de M. Richard Mallié et Mme Maryvonne Briot et plusieurs de leurs collègues, portant création d'un ordre national des infirmiers.

355 () Cf. première partie du rapport : Des pratiques portant atteinte à la dignité des enfants handicapés

356 () Articles L.4391-1 à L.4398-5 du code de la santé publique.

357 () Cf. la proposition de loi de M. Richard Mallié et Mme Maryvonne Briot et plusieurs de leurs collègues portant création d'un ordre national des infirmiers (n°2996).

358 () Comme l'a rappelé M. Francis Brunelle, conseiller au cabinet du ministre de la santé et des solidarités : « Trois critères définissent une profession de santé : premièrement, l'établissement d'un numerus clausus ou d'un quota ; deuxièmement, l'agrément du cursus de formation, délivré conjointement par les ministères de l'enseignement supérieur et de la santé ; troisièmement, la délivrance d'un diplôme d'État, qui est un droit d'exercer. » (Audition du 10 octobre 2006).

359 () Cf. article L. 4391-2 du code de la santé publique.

360 () Audition du 10 octobre 2006.

361 Union nationale des associations pour la défense de la famille et de l'individu victime des sectes.

362 Chaque Témoin de Jéhovah baptisé possède une carte qu'il renouvelle chaque année pour demander aux médecins de ne pas lui administrer de transfusion sanguine en cas d'accident ou d'opération chirurgicale.

363 Shri Mataji (Mataji = Mère sacrée), fondatrice de Sahaja Yoga.

364 M. Gervais Martel, président du Racing Club de Lens, et Jean-Marie Bomba, directeur de Bollaert Développement, société en charge de la gestion du stade.

365 Les « amis de la vérité » sont les personnes intéressées par les Témoins de Jéhovah, qui étudient les doctrines TJ en vue de se faire baptiser, ou simplement des sympathisants qui viennent au moins à la réunion annuelle principale des TJ, dans chaque congrégation : le mémorial (qui commémore la mort du Christ). L'âge minimum pour se faire baptiser TJ est d'environ 13 ans. Les enfants TJ ne sont donc qu'amis de la vérité tant qu'ils n'ont pas l'âge de se faire baptiser. Source : http://www.tj-liberte.org/

366 « Organisation et cellule de base de notre société, la famille est primordiale et voulue de Dieu, car elle offre un cadre aux enfants de notre Père Céleste pour naître ici-bas et grandir normalement, s'ils sont accompagnés de parents charitables et aimants. Idéalement, la famille se compose de la mère, du père et d'enfants. » Définition donnée sur http://www.sdj-mormons.net/, site d'information sur l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.

367 Avocat français à la cour de Paris. Membre associé de l'équipe Droit et Religions du LIDEMS, il enseigne en Master Laïcité, Droit des cultes à l'Université d'Aix-Marseille III. Expert français auprès de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE- panel sur la liberté de religion), il est membre des comités de rédaction de l'Annuaire Droit et religions et de Conscience et Liberté et membre de l'association internationale pour la défense de la liberté religieuse. Il est l'avocat français par excellence des Témoins de Jéhovah. Source : http://www.tj-encyclopedie.org/

368 Ancien membre du Comité de liaison hospitalier du Béthel de France. Vice-président et membre du comité scientifique de l'association pro-jéhoviste Association médico-scientifique d'information et d'assistance du malade. Associé de l'entreprise d'organisation de colloques médicaux LMS-Group spécialisée dans l'organisation des colloques d'associations ayant un lien avec la chirurgie sans transfusion ou avec Alain Garay. Source : http://www.tj-encyclopedie.org/

369 ADFI des deux Savoie et de l'Isère à Chambéry (74).

370 GEMPPI à Marseille : Groupe d'Étude sur les Mouvements de Pensée en vue de la Prévention de l'Individu, membre de la FECRIS.

371 Historien des religions, Jacky Cordonnier est membre du comité de direction et du conseil scientifique de l'Institut de formation pour l'enseignement des religions. Il est également vice-président du Groupe d'étude des mouvements de pensée en vue de la prévention de l'individu et intervient en milieu scolaire pour prévenir de la montée du satanisme.

372 http://www.watchtower.org/

373 Traduction de Intelligent design.

http://www.sciencepresse.qc.ca/dossiers/design.html

374 Matthieu 24:34, 36. : « Cette génération ne passera pas que toutes ces choses n'arrivent. »

375 Pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie.

376 Brigades départementales de renseignement et d'investigation judiciaire.

377 Groupes d'intervention régionale.

378 Système de traitement informatisé des infractions constatées.

379 Système Judiciaire de Documentation et d'Exploitation.

380 Article 13 de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants :

« Nonobstant les dispositions de l'article précédent, l'autorité judiciaire ou administrative de l'État requis n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant, lorsque la personne, l'institution ou l'organisme qui s'oppose à son retour établit :

« a) que la personne, l'institution ou l'organisme qui avait le soin de la personne de l'enfant n'exerçait pas effectivement le droit de garde à l'époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour ; ou

« b) qu'il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

« L'autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d'ordonner le retour de l'enfant si elle constate que celui-ci s'oppose à son retour et qu'il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.

« Dans l'appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l'Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l'État de la résidence habituelle de l'enfant sur sa situation sociale. »

381 Article L.131-2 du code de l'éducation:

« L'instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l'un d'entre eux, ou toute personne de leur choix. »

382 Article L.131-10 du code de l'éducation.


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