Mme la Présidente : Monsieur, soyez le bienvenu. En tant que
directeur du BEA, nous avons tenu à vous entendre sur son fonctionnement, ses moyens et sa composition, ainsi que sur les propositions que vous jugeriez utiles
de présenter.
Je précise que nous n'enquêtons pas sur l'accident de Charm
el-Cheikh. Toutefois, notre mission d'information a bien été constituée à la suite de cette tragédie et il sera intéressant d'entendre les informations que
vous serez en mesure de nous fournir à ce sujet.
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Mme la Présidente, mesdames,
messieurs, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions de façon aussi claire que possible.
Le BEA fut créé voilà longtemps avec comme objectif initial, à
l'instar des organismes comparables de certains grands pays anglo-saxons, d'informer les autorités sur les conditions et les causes des accidents. La création
du BEA est consécutive à la sortie de la guerre. Nous étions jusque-là dans une logique de commission d'enquête et, durant les années qui suivirent la création
du BEA, la commission d'enquête et le service permanent ont co-existé, ce qui conduisit à certaines difficultés pratiques, surtout de cohérence, dans la mesure
où la commission d'enquête représentait essentiellement les personnes qui la composaient, sans souci de cohérence avec les actions du passé. La loi de 1999 a
légèrement modifié cet ordonnancement et il n'y a plus dans notre pays de co-existence d'une commission et d'un service permanent, mais association des deux.
Aujourd'hui, en cas d'accident, si, pour des raisons qui tiennent à son appréciation de la situation, le ministre responsable des transports décide de créer
une commission d'enquête, ceci ne change rien à la responsabilité de la conduite de l'enquête qui reste placée sous mon autorité. Maintenant, la commission
d'enquête joue un rôle, essentiel, de conseil, elle nous permet de réfléchir en toute confiance avec des professionnels d'expérience extérieurs au BEA, de
dialoguer avec eux, mais ils ne prennent pas de décision en ce qui concerne la conduite de l'enquête ou la rédaction du rapport.
Sur le fait de savoir si les enquêtes peuvent être modifiées pour
raison d'Etat, la réponse, bien sûr, est non. La loi l'interdit et, sous mon autorité, ce qui est prescrit par la loi s'exécute. Par ailleurs, une telle
modification serait « la pire des âneries possibles ». En effet, une « enquête accident » doit permettre, dès son origine, un retour d'expérience. Cette
mission demeure, même si elle s'est légèrement développée avec les évolutions de la société.
Incontestablement, aujourd'hui, nous exerçons également une mission
d'information, notamment du public, et accessoirement des professionnels. Il reste que la mission première de l'enquête accident est d'informer les autorités
sur ce qui s'est passé et de suggérer des modifications. Il n'y a pas de transfert de responsabilité à la suite d'un accident, les responsables restent
responsables de la conduite des affaires. Cette situation explique que je n'ai pas le droit et que je n'ai jamais demandé à avoir le droit d'interdire de vol
un avion. Je recommande, je propose, je conseille, mais je reste en dehors du circuit de décision. C'est une condition sine qua non de la vraie
indépendance.
Le BEA a une vocation de sécurité. Après la guerre, dans les pays
développés, apparaît l'idée selon laquelle l'examen détaillé des catastrophes aériennes et des autres accidents est de nature à apporter les enseignements qui
permettent d'éviter de nouveaux accidents. A cette fin, sont mis en place des règles - au travers de l'annexe 13 à la convention de Chicago -, des procédures
identiques partout dans le monde et, progressivement, des organismes spécialisés. La France n'est pas la première à avoir installé un organisme d'enquête, mais
c'est un des seuls pays à avoir créé un tel organisme assez vite et à ce niveau de développement.
Le BEA existe depuis la guerre. Ses missions sont restées
pratiquement inchangées, même si la formalisation de celles-ci et de ses moyens est allée en progressant. La loi de 1999 fut le point d'orgue de cette
évolution. Avant cette date, la pratique correspondait à l'annexe 13, mais la législation était succincte ; en 1994, une directive européenne est venue donner
aux normes de l'annexe 13, auxquelles les Etats peuvent ou non se conformer, un caractère obligatoire. La transposition en droit interne de cette directive au
plan national a été réalisée en France par la loi de 1999 qui, à mes yeux, est l'une des plus achevées dans l'arsenal législatif et réglementaire
international. Je ne suis pas mécontent des textes en vigueur en France.
Le BEA représente aujourd'hui un peu plus de cent personnes. Nous
étions une quinzaine à ma prise de fonctions en 1985. Il s'agit d'un développement rapide, qui n'est pas sans avoir suscité des difficultés, notamment en
raison d'une rotation importante des personnels. Nous avons du mal à conserver longtemps les enquêteurs car le métier est pénible au plan personnel. Nous
sommes en contact permanent avec l'échec et la mort, sans avoir la certitude de contribuer à améliorer la situation. Nous travaillons par v_ux, souhaits et
propositions. De l'accident évité, nous n'avons pas la preuve. D'où une usure assez rapide. Pour passer de 15 à 106, il a fallu « consommer des personnes »,
chacune apportant sa pierre. Il a fallu également s'adapter aux textes et à leur évolution, avec la volonté de donner de plus en plus d'indépendance aux
enquêteurs dans la pratique. Cela s'est traduit par la mise en place de structures administratives propres. Parallèlement, la nécessité de plus en plus forte
de transparence s'est traduite par la mise en place de structures de communication. Tout ceci contribue à expliquer l'évolution du chiffre du personnel. Nous
ne sommes pas passés de 15 à 106 personnes en recrutant uniquement des enquêteurs ; mon service compte actuellement un nombre assez important de non-enquêteurs.
Quelles sont les missions du BEA ? Sur le plan international, la
règle du jeu est la suivante. Quand un accident se produit dans un pays, celui-ci est responsable de l'enquête aéronautique et de sécurité. Il associe à
l'enquête le pays responsable de la conception de l'avion et le pays responsable de la tutelle de la compagnie aérienne. Ces deux pays ont un droit naturel à
participer à l'enquête et à avoir accès à toutes les informations. Cela ne signifie pas que l'enquête soit cogérée, elle reste de la responsabilité du pays
d'occurrence : c'est ce pays qui la conduit, qui établit le rapport et qui définit les règles de communication.
L'annexe 13 prévoit que les pays associés à l'enquête sont consultés
sur le rapport et ont le droit de formuler des observations, lesquelles sont annexées au rapport. C'est ce qui s'est passé lors de l'accident du Concorde par
exemple, où nos collègues britanniques ont émis quelques observations qui furent annexées au rapport.
Une disposition de l'annexe 13 est moins connue. Elle prend de
l'importance, notamment dans le contexte de Charm el-Cheikh : le pays qui compte de nombreux nationaux victimes d'un accident a le droit de désigner un
observateur. Celui-ci exerce des responsabilités limitées, mais a cependant accès à l'information initiale sur le site. C'est par ce biais que nous pensions
initialement pouvoir intervenir dans l'accident de Charm el-Cheikh. Les Egyptiens nous ont accordés bien plus, spontanément, puisque nous sommes entièrement
associés à l'enquête.
M. le Rapporteur : M. le directeur, vous avez indiqué que
l'effectif du BEA était de 106 membres. De combien d'enquêteurs disposez-vous sur le terrain ? Comment s'effectue leur recrutement ? Comment devient-on enquêteur
du BEA ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Le travail d'enquête s'opère sur le
terrain, en laboratoire, en atelier et sur dossiers. C'est un travail complet. Les personnes qui ont le titre d'enquêteur, c'est-à-dire qui bénéficient de toutes
les dispositions de la loi et qui peuvent se voir confier une enquête, sont au nombre de 42. En plus, une trentaine de techniciens supérieurs, agents de
catégorie B, sans être des enquêteurs au sens strict du terme, contribuent pleinement aux enquêtes. Ainsi, à Charm el-Cheikh, des techniciens se sont également
rendus sur le site pour participer au travail, dans les mêmes conditions que les enquêteurs. Globalement, nous comptons de l'ordre de 70 personnes à profil
enquête.
Nous avons également une dizaine d'ouvriers qui peuvent participer
aux enquêtes, par exemple, pour le démontage des moteurs ou pour des examens. Même parmi le personnel administratif, certains participent à l'enquête au
travers de la communication, de l'examen d'aspects réglementaires, de la préparation du rapport. En pratique, tout le monde doit se sentir concerné par la
mission d'enquête pour venir au BEA. Si vous n'avez pas le profil et la volonté de faire de l'enquête et de la sécurité, vous n'avez pas le profil pour venir
au BEA. Même une secrétaire qui se considérerait dans un service administratif normal ne ferait pas bien l'affaire.
S'agissant du recrutement du personnel du BEA, nous sommes pour
l'essentiel des fonctionnaires de l'Etat. La très grande partie des personnes recrutées est issue de la direction générale de l'aviation civile, du ministère
des transports. Quelques fonctionnaires viennent d'autres ministères ; nous comptons actuellement 2 agents mis à disposition par le ministère de la défense.
Nous avons également 14 contractuels.
M. le Rapporteur : Imaginons qu'un accident se produise sur le
territoire national. Concomitamment à votre saisine, une procédure judiciaire s'enclenche. Comment s'opère la liaison avec l'enquête conduite par un juge
d'instruction et la vôtre ? Y a-t-il des conflits de compétences ? Vous pouvez parler, le juge ne le peut pas.
M. Paul-Louis ARSLANIAN : La loi a essayé d'organiser la
coexistence en la matière. Je tiens à préciser que la saisine du BEA est automatique, de par la loi, en cas d'accident sur le territoire national.
Nous intervenons, par définition, dès qu'un accident d'aviation
civile se produit sur le territoire national. J'ai également l'obligation d'intervenir en cas d'incidents graves d'aviation civile ainsi que la faculté
d'intervenir en cas d'incidents. Selon la loi, je ne reçois pas d'instructions dans le cadre de ses enquêtes, ni n'en sollicite. Cela lui offre une très grande
liberté d'action et d'intervention.
Quand elle est saisie, la justice intervient naturellement de façon
distincte, mais les personnes se retrouvent sur le même site, avec la même épave et les mêmes pièces, la loi donnant le droit au BEA d'accéder au site et d'y
procéder à des observations. Ce travail est souvent conjoint, ce n'est pas un travail de services qui s'observent et se surveillent. Telle est la règle
générale, même s'il existe des exceptions.
La loi prévoit également, parmi les compétences du BEA, le
traitement des pièces qui constitue le deuxième volet sur lequel nous travaillons en commun. Il s'agit des enregistreurs de bord et des morceaux de l'épave sur
lesquels il y aura des interventions. Les enregistreurs nous sont remis par la justice. Nous procédons à une copie et nous travaillons sur cette copie. Pour
les pièces qui ne peuvent pas être copiées, par exemple un moteur d'avion, le juge ou le procureur a le choix : il peut nous confier la pièce et nous laisser
faire notre examen. Cet examen peut même être « destructif » et, dans ce cas, la seule contrainte est pour nous d'obtenir l'accord du juge. Mais il peut
également décider de faire le travail lui-même. Dans ce cas, nous en sommes prévenus et nous assistons au travail.
S'agissant de l'information au public, il est exact que j'ai le
droit - ce qui induit un certain devoir - d'informer, alors que la justice doit se taire. La solution n'est pas mauvaise, M. le Rapporteur, et il me semble
même que c'est une bonne chose car, auparavant, personne ne s'exprimait et l'on était devant cette situation quelque peu confuse avec des risques de fuites
plus ou moins organisées ou sauvages de personnes qui parlent pour orienter l'opinion publique. Par ailleurs, quand un ministre parlait, il n'avait pas
nécessairement la connaissance de terrain du dossier, ce qui pouvait conduire à des erreurs et mettre, en tout cas, le pouvoir politique en première ligne, non
pas pour la tâche politique qui est la sienne - montrer la continuité de l'autorité - mais pour des actes techniques. Nous sommes ainsi parvenus à une
polémique dans le cadre d'un accident qui s'est produit en Alsace à Habsheim.
Mme la Présidente : Devoir d'information, oui, mais à quel
moment et jusqu'où ? Pour Charm el-Cheikh nous avons reçu le courrier d'une famille en grande difficulté frappée par des morts multiples. Je me suis alors
demandé si le BEA aurait dû communiquer si vite et peut-être de façon partielle au moment de la remontée des « boîtes noires ». Ou peut-être avez-vous reçu des
informations complètes que vous avez été contraint de garder pour vous ? Votre tâche n'est pas facile et exige de sérier moralement les problèmes.
M. Paul-Louis ARSLANIAN : L'exercice se révèle très délicat et
demande une réflexion importante avant de s'exprimer. Charm el-Cheikh est à l'étranger. Nous ne sommes donc pas exactement dans le cadre que je décrivais. Quand
l'accident se produit à l'étranger, c'est l'autorité du pays de l'accident qui est responsable de la communication et, sauf exception, nous ne communiquons pas.
Dans ce cas précis, compte tenu de l'importance humaine et politique de cet accident pour la France, les autorités égyptiennes ont accepté que nous répercutions
leurs propos tout en restant dans le cadre qu'elles souhaitaient. Pour autant, quand faut-il communiquer ? Que faut-il dire ?
Les deux ou trois premiers jours suivant un accident, il est
impossible de communiquer, car il n'y a rien à dire. A ce moment-là, tout le monde parle et dit n'importe quoi. A partir d'un certain moment, l'on commence à
recevoir l'information et là se pose la question de savoir comment faire. Faut-il livrer cette information partielle en expliquant que nous ne disposons que de
ces quelques éléments établis et en précisant que nous la complèterons dès que possible ou faut-il délivrer l'information seulement lorsqu'elle est intégrale ?
Tout savoir peut prendre des années. Il convient de tenir compte de la pression médiatique - qui existe sans conteste, les médias recherchant aussi
l'information pirate - et de celle des familles qui demandent à être informées et se plaignent de ne pas l'être assez.
La démarche que j'ai suivie, en l'espèce, et que j'essaie de suivre
en mon âme et conscience dans d'autres affaires est d'informer de la façon la plus humaine, la plus délicate et la plus prudente possible plutôt que d'informer
brutalement ; il faut éviter que les familles découvrent l'information par la presse. Nous essayons de nous adresser à elles avant de divulguer l'information
dans la presse, en ne cachant rien mais en ne dérapant pas. L'une des questions posées actuellement par les familles frappées par le drame de Charm el-Cheikh,
et elles se la poseront très longtemps, est : ont-ils vu qu'ils allaient mourir ? Ont-ils souffert ? Il est très difficile de répondre à la première question.
Nous ne pouvons savoir ce que chacun a pensé et vécu, nous pouvons simplement dire que s'ils se sont rendu compte de quelque chose, c'est tout à fait à la fin,
dans les quatre ou cinq dernières secondes, sans comprendre qu'il s'agissait d'un accident. Il y a eu une tentative de récupération de l'avion. Probablement, à
ce moment-là, ont-ils dû sentir une man_uvre un peu brutale de l'avion. Ont-ils alors eu peur ? Je ne sais pas. Certaines familles souhaiteraient découvrir que
leurs proches ont su, un peu avant l'accident, que celui-ci était inévitable, le temps de procéder à un rapide examen de conscience. D'autres préfèrent penser
que leurs proches n'ont pas su. Mais nous ne pouvons nous mettre à la place des personnes qui étaient dans l'avion. Il s'agit donc de donner des informations à
des personnes qui l'attendent d'une façon contradictoire.
La seconde question est de savoir si leurs proches ont souffert. En
la circonstance, ils n'ont pas souffert, car le choc a été extrêmement violent. Mais cela nous conduit à dire qu'ils ont été désintégrés, pulvérisés. Ce
faisant, l'on risque à nouveau de provoquer des souffrances. Depuis le début, j'essaie de me montrer extrêmement prudent et de ne pas entrer dans des détails
qui peuvent faire mal, mais je ne puis empêcher les personnes de réfléchir. J'essaie d'éviter de répondre de façon trop précise aux questions des journalistes
auxquels je dis : « Pensez à ceux qui vous liront ou vous écouteront ».
C'est très difficile. D'un côté, l'on entend une demande de vérité,
de connaissance de ce qui s'est passé ; de l'autre, nous savons qu'en répondant brutalement, nous ferons mal. Il ne m'appartient pas de décider de ce qui est
bon ou non pour les autres. J'essaie de rester au plus près de la loi en informant sur ce que nous savons et sur le déroulement de l'enquête, sans nous lancer
dans des spéculations, et en essayant de recentrer en permanence le débat sur une approche objective. Les familles elles-mêmes tendent à nous entraîner vers
des accusations de telle ou telle personne. Ce n'est pas clair ; certains veulent déjà le ou les coupables. Après l'accident, on a pu assister à une sorte de
chasse aux sorcières partant d'un a priori négatif sur la compagnie aérienne égyptienne. Cela a brouillé la perception de l'opinion publique, mais aussi
celle des familles. Certaines sont convaincues que l'accident est dû à des déficientes lourdes de l'ensemble du système aéronautique.
Un peu plus tard, des accusations ont été portées contre l'avion.
Des personnes ont déclaré qu'il avait déjà connu un problème technique grave auparavant. Bien que j'aie expliqué aux familles que nous avons la certitude que
l'accident n'était pas dû au renouvellement de cette défaillance technique, certaines persistent à le penser. Nous sommes dans une situation difficile.
L'opération est extrêmement complexe au plan technique et nous avons affaire à de nombreuses personnes. Quand nous sommes confrontés à une seule famille, nous
savons à peu près, et rapidement vers quoi elle s'oriente, dans quel état d'esprit elle se place. Mais ne pas informer ou informer trop reste un choix
permanent.
M. le Rapporteur : Depuis sa création, de combien d'accidents
votre service a-t-il la mémoire ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Si vous parlez de catastrophes,
d'accidents où l'on compte de nombreux morts, j'hésite. Nous devons être plus proches d'une centaine que d'une cinquantaine.
M. le Rapporteur : Notre mission a pour but de mieux comprendre
les facteurs déterminants des accidents. Est-ce la machine, est-ce l'homme ou la combinaison des deux facteurs ? Quels sont les facteurs ou les circonstances
répétitifs au point d'être qualifiés de déterminants ?
Un membre éminent de l'administration à laquelle vous êtes rattaché,
expliquait qu'il n'y avait pas d'accident sans explication. Certaines enquêtes ont-elles abouti à des mystères ou à des séries de causes qui ont conduit à dire
que l'on ne savait pas ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Sans entrer dans le débat
philosophique, tout accident s'explique. Il est arrivé, au cours des derniers temps, que certains accidents soient restés inexpliqués, ce qui ne signifie
nullement qu'ils n'avaient pas d'explication. Parfois, il n'existe pas de liens, malheureusement, entre l'explication trouvée et le souvenir qu'en a l'opinion
publique qui très souvent se fige sur les déclarations faites au cours des premières heures de façon tonitruante. Je ne sais pas ce que dans dix ans l'opinion
publique dira de Charm el-Cheikh.
Une caravelle s'est abîmée en mer après avoir pris feu entre Ajaccio
et Nice voilà plus de trente ans. On retrouve encore fréquemment l'explication du missile, évoquée par la presse avant d'être totalement éliminée.
Mme la Présidente : Vous traitez aussi les incidents. Or, il
nous a été rapporté que l'on connaissait la faiblesse de certains 747, notamment celle de l'avion accidenté au large des côtes américaines, mais qu'il n'y est
pas remédié car la transformation de l'avion coûterait trop cher. S'agissant d'incidents, vous laisse-t-on accéder à l'avion et que pouvez-vous faire si ce n'est
formuler des souhaits et des propositions ? Quels sont vos moyens d'action, même si c'est avant tout moral ? Votre cheminement au sein du BEA et vos enquêtes
vous conduisent-ils à craindre certaines compagnies, certains avions et certains pays ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Pour finir de répondre à la question
de M. le rapporteur, je précise que jamais personne n'empêche le BEA de travailler, que ce soit sur un accident ou sur un incident. Quand nous voulons savoir
quelque chose, nous y parvenons. Il règne une bonne volonté généralisée dans le milieu aéronautique. Peut-être existe-t-il, ici ou là, quelques entreprises moins
conscientes de leurs responsabilités, mais l'essentiel se fait avec des acteurs mus par une même volonté de faire progresser la sécurité, non obligatoirement
pour des raisons éthiques, mais parce que c'est la seule façon de continuer à développer le transport aérien. La confiance est fondée sur la sécurité. Le
transport aérien s'est développé car, depuis le début, c'est la sécurité qui a été mise en avant. Dans l'immédiat après-guerre, comme avant-guerre, prendre
l'avion était risquer sa vie. Aujourd'hui, c'est l'accident qui est devenu un scandale. Si nous acceptons de prendre un risque sur la route pour aller prendre
l'avion, nous n'acceptons plus le risque à bord de l'avion. Voilà pourquoi, je considère que le travail du BEA est utile. Il n'est utile que parce que je
travaille avec un ensemble qui obéit à des règles et qui se contrôle. Des contrôles croisés sont opérés dans tous les sens. Nous travaillons essentiellement sous
forme de recommandations et non de décisions mais d'abord, nous travaillons sous forme d'informations. Le fait que nous relations le déroulé de l'accident revêt
tout de même un poids important. Une recommandation du BEA ou de ses homologues a une importance certaine. Lorsque je parle de recommandation, cela signifie que
je ne me substitue pas au décideur, qui peut être en possession d'autres éléments d'appréciation que ceux issus de l'examen d'un accident.
On ne laisse pas voler d'avions dangereux. Les constructeurs et les
compagnies aériennes ont une connaissance de l'outil, et parfois telle ou telle difficulté technique est compensée par des procédures, une surveillance accrue.
Parfois apparaît une déficience qui doit être corrigée. Lorsqu'elle peut l'être, sans mettre en danger de façon exagérée la sécurité, l'avion continue à voler.
En évoquant de telles questions, je sors de mon activité mais je le fais car je connais la façon dont on travaille !
En aviation civile, lors de la certification, les probabilités de
survenance des défaillances sont rapprochées de l'évaluation de leurs conséquences possibles. Un élément nouveau est apprécié aussi au regard de ces règles.
Ainsi, après l'accident du Concorde, il est apparu que la probabilité de déclencher le cycle, qui était celle d'un éclatement de pneu, s'avérait assez forte et
s'accompagnait d'une conséquence possible qui n'était pas un événement mineur, mais une catastrophe aérienne. C'est ce couple - catastrophe potentielle et
probabilité importante de déclencheur - qui s'est retrouvé au-delà de ce qui pouvait être accepté et c'est ce qui a conduit à l'arrêt de l'avion. Dans ce cas,
il n'y a pas eu de vols « avec précautions », car il n'y avait pas de précautions à prendre. Dès lors qu'il existe des précautions possibles, l'avion peut
continuer de voler. Parfois, il est vrai, certains ne sont pas d'accord avec la mise en _uvre d'une mesure correctrice qui coûterait cher. Un débat s'ouvre
alors entre ceux qui voudraient que les modifications interviennent plus vite et ceux qui souhaiteraient ralentir le processus. Ensuite, une décision est
prise.
Il est exact qu'elle peut ne pas satisfaire l'enquêteur qui voudrait
que toutes les améliorations soient entreprises immédiatement ; c'est pourquoi nous ne sommes pas responsables de la décision. Si nous prenions la décision,
nous serions obligés de prendre en compte ces aspects économiques, sociaux, voire d'emploi et nous n'aurions plus une vision neutre de l'événement suivant. Une
position de compromis fait qu'en cas de nouvel accident, nous perdrions notre neutralité, puisque nous aurions participé à la prise de décision. Nous nous en
tenons à proposer une décision uniquement liée à notre enquête, sans nous censurer, ce qui conduit parfois à un peu d'exagération dans la proposition. Il n'y a
pas d'accidents répétitifs en transport aérien. L'accident, en général, survient et permet d'éviter qu'un accident identique ne se reproduise. Il existe un
exemple cependant, celui du Boeing 737, qui posait un problème de gouverne de direction. Un accident survenu à Colorado Spring n'avait pas été compris et un
nouvel accident s'est produit à Pittsburgh. C'est le résultat du travail sur les deux accidents qui a permis d'en comprendre les causes. Mes collègues
américains, à l'époque, ont déclaré qu'ils n'avaient pas suffisamment d'informations. On disposait de peu de données enregistrées. Si l'accident s'était
produit en Europe, les données enregistrées auraient été plus nombreuses et il est possible, voire probable, que nous n'aurions pas eu besoin de deux accidents
pour comprendre ce qui s'était passé.
En revanche, il existe une constante que nous retrouvons dans la
plupart des accidents, c'est le manque de rigueur.
Mme la Présidente : Que pensez-vous de cette prévision qui fait
état d'un accident majeur par semaine à moyen terme ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Plus jeune, j'ai connu les
prédictions du club de Rome. Toute prévision qui procède par prolongement de courbes, sans tenir compte d'autres facteurs se révèle assez apocalyptique. La
prévision que vous évoquez résultait simplement d'un calcul qui rapprochait la croissance régulière du transport aérien et un taux d'accidents considéré comme
constant. Il se trouve que le taux d'accidents a baissé. Depuis une dizaine d'années, il a légèrement baissé. J'ai apporté un extrait d'un document de l'OACI,
qui retrace, hors Etats de l'ancienne URSS, le nombre d'accidents avec morts de passagers et le taux d'accidents ayant entraîné la mort de passagers. Le taux
enregistre une diminution régulière. Ainsi, à l'examen de la courbe elle-même, l'on relève un palier en 1994, puis une nouvelle baisse du taux d'accidents,
c'est-à-dire du nombre d'accidents par heure de vol, par nombre d'avions ou par nombre de vols. Nous connaissons un nombre d'accidents relativement stable, alors
que le transport aérien croît : une dizaine ou une quinzaine d'accidents causant plus de 20 morts. Un millier de personnes est tué en transport régulier par an.
Une relative stabilité s'affiche, alors que le transport aérien croît régulièrement. Les faits constituent donc plutôt une réfutation de ces projections qui,
pour autant, ne sont pas inutiles. Simplement, elles indiquent ce qui se passerait si nous ne réagissions pas. Ce n'est pas une fatalité, mais l'indication de ce
qui se passera si nous ne luttons pas contre le phénomène. C'est, en quelque sorte, la justification d'une nécessité : que l'ensemble des acteurs des transports
aériens soit motivé par la sécurité. C'est une mise en garde contre le manque de rigueur, contre la tendance à penser qu'une marge suffisante permet certains
accommodements.
M. Jean-Louis BERNARD : Vous nous avez très clairement expliqué
les secteurs de compétences du BEA, le rôle de diagnostic des dysfonctionnements qui conduisent à l'incident, à l'accident ou à la catastrophe, le rôle
accessoire d'une sorte de cellule de soutien psychologique. Mais revenons au premier domaine de compétences. Il serait intéressant, pour notre mission, de
connaître le nombre de dossiers que vous avez traités au cours des cinq dernières années. Quelle a été la durée moyenne de vos enquêtes pour arriver à trois
conclusions ? Soit la cause est évidente, soit elle est probable, soit elle est totalement inconnue. Au cas où la cause est certaine ou probable à la suite de
vos recommandations, quelles sont les mesures prises par les autorités responsables, les constructeurs, les compagnies aériennes, etc. ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Il faut faire abstraction de
l'aviation générale qui représente une activité importante, puisque nous gérons environ 350 dossiers par an. Pour ce type d'aviation, les conditions sont très
différentes, puisqu'il n'existe pas d'enregistrement et on observe une répétition des causes, notamment l'imprudence.
Pour l'aviation de transport, il convient de distinguer, d'une part
les accidents pour lesquels nous étions responsables de l'enquête et, d'autre part, les accidents à l'enquête desquels nous avons participé. Le BEA est, en
effet, intervenu plus souvent à l'étranger qu'en France ces dernières années. Je vous communiquerai les chiffres précis par écrit.
Au cours des cinq dernières années, nous avons eu à connaître
l'accident de Quiberon, en juillet 1998. C'est une catastrophe aérienne au-dessus de l'ancien paquebot France. L'avion est un petit avion, il compte une
quinzaine de passagers. Le pilote descend pour montrer le Norway, passe en vol à vue et heurte alors un autre avion de tourisme.
Très peu de temps après, du côté de Montpellier, un Airbus a évité
de justesse un planeur, dont la dérive a cependant été brisée par la collision. A la suite de ces événements, nous avons émis des recommandations relativement
nombreuses et une réorganisation de l'espace aérien français a été réalisée. Ensuite, est survenu l'accident du Concorde qui se traduit par
l'interdiction de vol des Concorde quinze jours après l'accident. J'insiste sur ce point : l'arrêt du Concorde dû à l'application, par le ministre, du principe
de précaution devient, quinze jours plus tard, un problème de sécurité. Le Concorde restera interdit de vol pendant un an et demi environ, puis sera remis en
service avec des modifications, notamment sur les pneus garantissant que ce type d'accident ne se reproduirait pas. Puis, le Concorde disparaîtra pour des
raisons économiques.
Fin 2002, nous enquêterons sur un accident à Taipei. Un ATR, lors
d'un vol cargo, entre dans une situation givrante, y reste et, après une perte de contrôle, heurte la mer de façon extrêmement violente. En mars de la même
année, un accident concerne un Boeing 737 à Tamanrasset.
Nous sommes intervenus sur l'ATR de Taipei, parce que la France est
considérée comme l'Etat constructeur des ATR. En Algérie, nous sommes intervenus, parce que les Algériens ont demandé notre assistance. Il y avait 7 Français
dans l'avion ce qui est un élément supplémentaire pour nous inciter à participer à cette enquête. Nous avons participé à l'enquête essentiellement en
assistance technique des Algériens. J'étais la semaine dernière en Algérie pour une nouvelle réunion de travail sur cet accident dont l'anniversaire à lieu
samedi.
En juin de la même année, nous avons eu à déplorer un accident de
Brit Air à Brest. Ce n'est pas une catastrophe aérienne et il n'y a qu'un mort, le commandant de bord, mais le faible nombre de victimes n'est que le fruit de
la chance. L'avion a touché le sol avant la piste, il a glissé au sol, mais nous aurions pu connaître un bilan plus lourd. Nous travaillons actuellement sur
cette enquête mais elle n'est pas totalement achevée. Il n'y a donc pas de résultats définitifs. Il s'agit de comprendre ce qui s'est passé dans un avion, a
priori, en bon état, avec des pilotes a priori qui effectuaient leur travail normalement, mais qui n'ont pas vu que l'avion se rapprochait du sol.
Mme la Présidente : Pourriez-vous nous retracer tout cela par
écrit ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Bien entendu. Le vrai problème, c'est
qu'après un accident, des mesures sont prises spontanément par les entreprises ou l'administration - parfois, sur la base de nos informations. Je ne sais pas si
je peux dire que cela fait partie des résultats de notre enquête ou que sans notre enquête, rien n'aurait été fait. Je n'ai pas la preuve que nous servions
réellement à quelque chose. Je l'espère, c'est tout. Je puis simplement vous dire que nous travaillons de façon professionnelle et que nous essayons d'apporter
aux autres une information valide pour que, le cas échéant, ils fassent ce qu'il convient et que nous leur fassions les recommandations que nous estimons
opportunes.
M. Marc REYMANN : Comment expliquez-vous la longueur de la
procédure judiciaire de l'accident du Mont Sainte-Odile ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Cela me donne l'occasion de répondre
à la question qui m'a été posée sur la durée d'une enquête. Une enquête sur un accident de transport public, surtout une catastrophe aérienne, prend du temps.
Il est rare que l'enquête dure moins d'un an. Il est plus fréquent
que la durée soit d'un an et demi ou de deux ans. La seule exception que j'ai en tête est relative à un accident d'ATR 42 au Kosovo, sur lequel nous sommes
intervenus, d'une part, du fait d'une disposition internationale et d'autre part, d'une disposition de la loi, dont je ne pensais pas qu'elle servirait un
jour. Cette disposition vise le cas de l'accident d'un avion français à l'étranger, sans enquête d'un autre pays. En l'absence d'autorité étatique au Kosovo,
nous sommes intervenus. Cela a conduit à fermer l'aéroport de Pristina environ cinq mois. Le rapport est sorti au terme de quatre mois d'enquête. C'était là
une durée exceptionnelle.
Pour l'accident du Mont Sainte-Odile, la commission a rendu son
rapport un an et demi après l'accident. Pour le reste, la procédure judiciaire m'échappe totalement, M. le député.
M. Marc REYMANN : Cela fait quand même près de douze ans.
Mme la Présidente : De votre côté, M. le directeur, l'enquête
est terminée ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Oui, depuis dix ans.
Mme la Présidente : Il y a donc deux enquêtes parallèles, dont
l'une...
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Je ne me permettrais pas de dire que
l'une est efficace et l'autre pas.
Mme la Présidente : Je n'ai rien dit de tel, M. le directeur.
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Sur cette procédure, nous sommes
entrés dans un cycle où les rapports d'experts se succèdent sans issue.
M. Jean-Pierre BLAZY : Je voudrais en préliminaire poser une
question sur le crash du Boeing 737 de la Flash Airlines. Comment réagissez-vous aux propos de M. Christian Roger, président de l'Observatoire des
nuisances aériennes et lui-même ancien pilote, qui a émis une hypothèse mettant en cause un problème de commandes ? Il pense que différents éléments lui
permettent de soutenir cette hypothèse. Il ajoute que le silence actuel sur la question, deux mois après l'accident, ne peut se justifier alors que des éléments
seraient connus des enquêteurs techniques et non judiciaires. Il serait donc temps, selon lui, de produire un rapport préliminaire. L'absence de publication de
rapport étaye sa thèse, dans la mesure où les informations qui ont filtré n'ont mis en cause ni l'équipage ni le terrorisme. Il en conclut que l'on pourrait
maintenant être plus transparent. Comment réagissez-vous à ces propos ?
Il y a six ans, j'étais rapporteur du projet de loi relatif aux
enquêtes techniques sur les accidents et les incidents dans l'aviation civile. Nous nous sommes rencontrés à ce moment-là. Dans mon rapport, j'émettais le v_u
que le BEA français dispose de moyens humains plus importants. Je voudrais une précision sur ce point : comment ces moyens humains en personnel ont-ils pu
évoluer depuis six ans, vous permettant, je l'espère, de mieux assurer vos missions ? Par ailleurs, la question qui me préoccupe depuis six ans, et surtout
depuis la catastrophe du Concorde, en lisant vos rapports successifs, est évidemment la question des incidents. Sur le Concorde, nous avons pu apprendre qu'il
y avait eu plusieurs dizaines d'incidents, dont des éclatements de pneus, y compris avec des projections sur les réservoirs, lesquels fort heureusement,
n'avaient pas provoqué de catastrophe.
Ces incidents, certes, ont donné lieu à quelques interventions, mais
peut-être pas à celles qu'il aurait fallu pour éviter la catastrophe de Gonesse. Finalement, il y a eu 70 ou 75 incidents répertoriés sur le Concorde. C'est
considérable.
Dans votre dernier rapport d'activités pour l'année 2002, vous avez
enquêté sur 146 incidents survenus en France et vous précisez : « En 2002, le BEA a été informé de 146 incidents survenus en France. » Aujourd'hui,
disposons-nous d'un inventaire très précis des incidents qui surviennent ou êtes-vous informé de certains incidents, mais pas de la totalité ?
S'agissant de la prévention des catastrophes, il faut travailler sur
les incidents avec beaucoup de rigueur. Vous-même déplorez le manque de rigueur. Je souhaiterais que vous nous en disiez un peu plus. Comment pourrions-nous
échapper à ce manque de rigueur, alors que le trafic augmente de nouveau, qu'il y a toujours plus d'avions qui volent et voleront, et que pour la prévention
des catastrophes, le manque de rigueur entraîne des conséquences très graves ?
Quelles améliorations le directeur du BEA, à la lumière du travail
accomplit, pourrait-il proposer ?
Le Concorde a repris ses vols après des modifications importantes et
coûteuses. Il a ensuite disparu, avez-vous dit, pour des raisons économiques. Franchement, êtes-vous sûr que sa disparition soit liée uniquement à des raisons
économiques ? Ma conviction est que l'on ne voulait pas avouer que cet avion n'était plus aux normes aéronautiques. Il était devenu dangereux et il fallait,
avant l'heure, arrêter son exploitation.
M. Paul-Louis ARSLANIAN : J'ai pris un des derniers vols du
Concorde et j'ai emmené mon fils avec moi.
Mme la Présidente : Moi aussi.
M. Paul-Louis ARSLANIAN : J'avais totalement confiance dans
l'avion. Ce n'est pas parce qu'un avion vieillit qu'il devient plus dangereux. Un suivi des avions est réalisé, sa connaissance en service progresse. Le Concorde
avait pour spécificité d'avoir peu volé. La connaissance en service ne permettait pas de compenser le calcul de risques qui est apparu quand est survenu
l'accident. Mais, à cette époque, le nombre d'éclatements de pneus, même s'il avait baissé au fil du temps, restait important. Il a été confronté à une
conséquence qui n'avait jamais été vue, ni même entrevue, et qui alors a décidé de son arrêt.
En 1979, un accident s'est produit à Washington : une roue s'était
brisée et des morceaux avaient percé le réservoir. Les trous du réservoir avaient provoqué une fuite et le Concorde s'était posé sans aucun problème. A
Gonesse, il n'y a pas eu fuite, mais un phénomène connu des tonneliers : quand on enfonce le bouchon d'un tonneau rempli à ras bord, celui-ci éclate. Personne
n'avait jamais envisagé que ce phénomène pouvait s'appliquer à l'aviation. Un réservoir plein a donc été frappé par un gros morceau de pneu qui ne l'a pas
perforé, mais qui a provoqué un « bombement » qui s'est propagé ailleurs, à un endroit plus fragile, et un morceau s'est arraché ; la fuite considérable qui
s'en est suivie s'est enflammée. Une petite fuite se serait éteinte simplement par le déplacement de l'avion, mais dans le cas de cette énorme fuite,
l'importance du feu ne l'a pas permis. Nous étions vraiment dans le cas de l'imprévu et de l'improbable. Nous avons constaté que l'improbable était possible,
conduisant à cet arrêt.
Par la suite et vers la fin de la vie du Concorde, des morceaux de
la gouverne de direction se perdaient en vol. Le problème est survenu sur un avion anglais, puis sur un avion français. Quand le Concorde a été arrêté, nous
étions en train de travailler sur la partie restante de cette gouverne pour comprendre comment elle avait pu se briser en vol. L'avion avait traversé
l'Atlantique, sans même que l'équipage s'en rende compte. Oui, tous les avions connaissent des incidents et tous les pilotes, au cours de leur carrière,
rencontrent des événements. Ils sont suivis, gérés. Nous intervenons en effet sur les incidents. Nous ne sommes évidemment pas informés de tous les incidents.
Le décret, pris en application de la loi que vous avez citée, impose une notification au BEA sur la base d'une liste d'incidents qu'il nous appartient
d'établir. Parallèlement, la Commission européenne avait entrepris la préparation d'une directive visant à une collecte exhaustive des incidents susceptibles
de se produire en vol. Nous avons mis un peu de temps à établir cette liste, car nous voulions écrire la liste des incidents qui devaient nous être rapportés
sur la base de la réflexion suivante : nous ne pouvons pas définir des critères de gravité d'un incident - c'est impossible. Il fallait établir une liste qui
englobe de la façon la plus précise possible les événements sur lesquels nous jugerions utiles d'enquêter. Nous avons essayé de le faire en nous rapprochant de
la liste que la Commission de Bruxelles établissait. Après beaucoup de travail et une large concertation, nous avons fini par établir une liste et l'arrêté est
paru le 4 avril 2003.
Depuis, nous essayons de profiter de l'existence de cette obligation
de nous communiquer les événements pour établir des relations de confiance avec les exploitants et faire un peu de pédagogie.
Le rôle du BEA n'est pas la surveillance, mais le retour
d'expérience. Le retour d'expérience ne sert à rien si l'enseignement est rejeté, si nos conclusions sont refusées et non appliquées. Nous ne pouvons
promouvoir la sécurité par la contrainte ou en plaçant des gendarmes derrière chacun et ce serait inefficace. Il faut conduire les acteurs à adhérer à ce
souci. Il faut convaincre tous les pilotes, tous les mécaniciens, tous les chefs d'entreprise, même lorsqu'ils commencent à perdre de l'argent ou qu'ils
commencent à faire faillite, que la sécurité est une donnée avec laquelle on ne joue pas.
Il faut convaincre l'administration, les inspecteurs de la DGAC de
n'avoir pas le souci de leur popularité. On ne travaille pas pour être bien vu de la compagnie aérienne ou de la presse. Cette démarche suppose une réelle
coopération. Cela signifie que nous essayons d'expliquer pourquoi l'on doit nous informer de l'événement et pourquoi on doit nous laisser travailler sur
l'événement, là où la tendance naturelle de chacun, il est vrai, est de garder pour soi l'événement et de le traiter soi-même. Nous demandons aux intéressés de
se mettre à nu, alors qu'ils ignorent ce qui s'est passé.
Mme la Présidente : De quels moyens disposez-vous pour obtenir
cette coopération ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : En premier lieu, de la confiance.
Chacun sait que nous ne trichons pas, que nous ne nous transformons pas brutalement en censeurs ou en juges. En deuxième lieu, nous leur montrons que c'est là
leur intérêt. Un jour ou l'autre, ils s'en rendent compte. Au départ, il y a toujours des réticences, le petit jeu des relations de force entre les pilotes, les
responsables d'entreprises, les syndicats. Finalement, en intervenant, nous permettons à l'événement d'être traité, alors qu'en le traitant eux-mêmes, les
acteurs s'englueraient dans leurs contradictions.
Les propos de M. Roger sont typiques de tout ce que nous essayons
d'éviter, parce qu'ils sont dangereux, qu'ils détruisent le message de sécurité et contribuent à propager la méfiance. Il a dit n'importe quoi. Si j'osais, je
dirais qu'il a « fumé la moquette » ! Cette expression de jeunes correspond bien à la situation ; c'est un tissu d'âneries. M. Roger dit des bêtises parce
qu'il confond intuition personnelle et démonstration rationnelle, qu'il extrapole des informations partielles et qu'il connaît mal, tout en refusant celles qui
ne conviennent pas à son propos et en comblant les trous par des affirmations . Excusez-moi de vous parler si franchement, je m'adresse à des représentants du
peuple, il n'était pas question de louvoyer et de vous cacher ma pensée.
Mme la Présidente : Vous avez certainement des raisons pour
tenir un tel propos.
Ce type de rapports de confiance, vous l'établissez en France, mais
est-il possible à l'étranger ? Des pays vous refusent-ils cet accès ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Mme la Présidente, permettez-moi de
rajouter quelques mots avant de vous répondre, ma réponse à la question précédente n'était pas complète, je n'avais pas fini de développer le problème des
personnels du BEA.
Un des problèmes que je rencontre est de convaincre d'autres
responsables de laisser partir des agents. Il s'agit, à volume global constant, d'augmenter l'effectif d'un service. La fonction publique n'est pas en phase
d'expansion. Il est nécessaire de convaincre l'administration de l'utilité de notre travail ; il faut aussi que nous apportions la preuve de cette utilité. On
ne nous fait pas une confiance a priori. La confiance se gagne, se mérite ; ce n'est pas simple d'autant que nous sommes parfois amenés à dire des
choses qui ne font pas nécessairement plaisir. J'ai dit une fois à un journaliste que je n'avais pas de confidence à lui faire, que, si tel était le cas, cela
signifierait que je cache aux autres. Je ne cache rien à personne et dis à chacun la même chose.
A l'étranger, nous avons deux types de pays, ceux, organisés, qui
ont une administration et un service « enquête accident ». Nous progressons par la rencontre, c'est par le travail en commun que s'établit ou non la relation
de confiance. Actuellement, avec ces pays, la confiance existe, nous travaillons dans la même configuration ; très souvent, nous travaillons ensemble sur les
mêmes événements, ce qui constitue un autre élément d'efficacité et d'indépendance de l'enquête. Quand plusieurs pays, plusieurs services travaillent sur le
même événement parce qu'ils sont associés, leur travail est plus efficace.
Nous travaillons avec les Américains sur un accident d'Airbus qui
s'est produit à New York, deux mois après les événements du 11 septembre. L'avion a perdu l'intégralité de sa dérive, juste après son décollage.
Ce travail est difficile car il nécessite une compréhension de
phénomènes à la fois techniques et humains qui sont loin d'être aisés, selon des points de vue et des approches qui ne sont pas nécessairement les mêmes, et
également, des façons de travailler différentes. Mais nous travaillons dans la confiance, alors qu'il y a quelques années nous nous étions affrontés au sujet
d'un accident d'ATR, où les Américains avaient adopté des conclusions qui nous apparaissaient légères et de parti pris. Nous avions raison, puisqu'ils sont
revenus ensuite sur leur enquête.
Les pays qui ne disposent pas de service d'enquêtes sont souvent des
pays en développement. Tout dépendra de la nature de l'accident, de la façon dont nous travaillerons avec eux. Il est incontestable que beaucoup de patience
sera nécessaire avec certains pays, parce qu'ils n'auront pas nécessairement la même infrastructure que nous. Bien qu'ayant les mêmes méthodes de travail, ils
n'auront pas le professionnalisme dans la méthode de travail qui nous permet d'aller plus vite. En outre, il peut arriver, dans certains pays, que nous soyons
confrontés à des interventions ou à des pressions politiques, mais cela se voit et cela se dénonce.
Aucun pays qui veut être accepté, reconnu, ne peut prendre le risque
d'être accusé de cacher des éléments de nature à améliorer la sécurité. Ce n'est certainement pas le cas de l'Egypte. L'Egypte ne peut pas courir le risque
d'être prise en flagrant délit de cachotterie ou de mensonge dans un domaine où la sécurité est en cause.
Là aussi, il faut beaucoup de persuasion, de temps. Il faut
rencontrer les personnes, le plus souvent possible et si possible à froid, il faut s'impliquer, les recevoir, les inviter, les former. Chaque fois que nous le
pouvons, nous formons des collègues étrangers. C'est ainsi que, petit à petit, nous arrivons à établir le réseau de relations qui permet d'aller un peu plus
vite et de faire un peu mieux. Après l'accident de Cotonou, le président de la commission d'enquête qui est le ministre de la défense du Bénin, nous a confié
l'enquête. Au départ, ce n'était pas clair : nous ne savions pas s'il s'agissait de l'enquête technique ou de la totalité de l'enquête, y compris la
communication sur cette enquête. J'ai rencontré récemment le ministre et je lui ai demandé de préciser les missions, ce qu'il fit par une lettre nous demandant
d'assumer l'ensemble de l'enquête. Nous allons donc commencer à communiquer. Le ministre m'a également confirmé que je rendrai public le rapport du BEA,
conformément aux procédures françaises. Il demande simplement, ce qui est légitime, que nous l'informions avant d'informer le public.
Nous arrivons donc à faire des choses. Au passage, nous aidons
l'administration étrangère à mettre en place des procédures. Grâce à l'enquête que nous menons en commun, l'Algérie est en train de créer un noyau « enquêtes
accidents », une équipe permanente qui sera en mesure d'intervenir systématiquement sur ces accidents mineurs ou sur les incidents, sans avoir à faire appel à
nous, même si bien sûr cela restera toujours possible, notamment en cas de catastrophe aérienne.
Nous avons également convaincu nos collègues algériens d'informer la
presse et les familles des victimes. Je ne dis pas que les familles sont satisfaites. On a toujours envie d'être davantage informé, mais elles ont quand même
été reçues par les autorités. Une première présentation leur a été faite et une autre interviendra au moment de la sortie du rapport.
M. Bruno Le ROUX : Ma première question est technique : dans le
cadre des enquêtes que vous avez menées, quel est le rôle des constructeurs ou des équipementiers ? Se déplacent-ils ? Quel est leur lien avec vous ? Sont-ils à
votre disposition ? Peuvent-ils créer des outils de simulation ? Quelles relations entretenez-vous avec les constructeurs et les équipementiers en cas de
catastrophes ?
On s'interroge sur la possibilité de mettre à la disposition de nos
concitoyens un outil qui leur permettrait de bénéficier d'une certaine transparence sur ce qui se passe en matière d'aviation civile, sur les risques encourus.
Pas simplement de par l'expérience du BEA en France, mais également de par les échanges avec vos collègues. Existe-t-il aujourd'hui un outil répertoriant des
typologies d'incidents ou d'accidents qui se reproduisent ou des appareils ou compagnies qui seraient plus souvent mis en cause que d'autres ? Disposez-vous de
cet outil et en existe-t-il une version qui pourrait être remaniée, transformée et mise à disposition du grand public ?
Observez-vous, quand vous étudiez les incidents et les accidents sur
plusieurs années, une évolution des tendances ? Vous inquiétez-vous aujourd'hui de la charge de travail, du trafic grandissant et, par exemple, de la charge de
travail de ceux qui sont, aujourd'hui, au sol, chargés de contrôler les avions, de leur signaler les routes, de les aider à l'approche et au décollage ? Dans
les tendances observées au niveau mondial, enregistre-t-on une recrudescence d'accidents ou d'incidents liés à cela ? Y a-t-il éventuellement une recrudescence
d'incidents ou d'accidents due à une détérioration du contrôle technique des appareils, autrement dit à une défaillance de la maintenance ? Par exemple,
existe-t-il une tendance liée au manque de qualification des équipages avec, parfois, des comptes rendus d'accidents qui donneraient lieu à des décisions
inadaptées ? De ce point de vue, voyez-vous se dessiner quelques tendances sur les incidents et les accidents ?
Vous parliez de liens de confiance pour multiplier les déclarations
d'incidents et d'accidents. Je préside le groupe d'études de l'Assemblée nationale sur la navigation légère. Dans ce domaine, il existe un « Recueil
d'événements confidentiels », le REC, qui permet, de façon tout à fait anonyme, de déclarer les incidents, qui sont d'ailleurs dus, dans la quasi-totalité des
cas, à des facteurs humains. Ce processus permet ensuite d'opérer un retour d'expérience et de faire partager la compréhension des situations qui auraient pu
dégénérer. Pour améliorer encore le taux de déclarations d'incidents et d'accidents, notamment dus aux facteurs humains, devrait-on inventer un outil semblable
au niveau de l'aviation civile ?
Enfin, dans votre interview du 13 février sur l'accident de Charm
el-Cheikh, vous évoquiez la chaîne de commande de l'avion. Pour l'heure, l'explication que vous avancez pourrait être tant technique qu'humaine ; vous ne
dissociez aucun des deux éléments ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Vous lisez bien un article dont la
fin a été mal écrite. Si vous le souhaitez, je peux vous dire ce que nous savons aujourd'hui sur Charm el-Cheikh. L'état des recherches n'est malheureusement pas
très avancé.
Lorsque nous nous référons au dossier, il s'agit d'un vol comme les
autres. Il n'y a pas de défaillance a priori identifiée ou identifiable de l'avion ou des pilotes.
L'avion décolle ; son décollage est tout à fait normal, de même que
le début de montée. Il commence à virer à gauche dans des conditions tout aussi normales et c'est là qu'intervient une anomalie : arrivé à près de 90 degrés de
sa trajectoire de départ, progressivement, son inclinaison, et donc le sens de son virage, s'inverse. Toujours en montée, l'avion s'incline de plus en plus sur
l'aile - c'est un mouvement de roulis -, jusqu'à se trouver sur la tranche. Sur la tranche, sans correction de la poussée, l'avion ne peut pas continuer à
monter, le nez s'abaisse et l'avion se met à descendre, tout cela sans accélération ni sensation physiologique particulière : tout ceci se passe en douceur. Il
descend ensuite, de plus en plus rapidement, à une vitesse croissante. Vers la fin, il y a, à la fois, correction de la position des ailes et action pour
arrêter la descente. Il y a comme une ressource, mais il est trop tard : l'avion heurte la mer avec la violence que vous savez, puisque l'avion est réellement
pulvérisé. Les morceaux sont tout petits. Les seuls gros morceaux retrouvés sont les deux trains d'atterrissage, les moteurs, encore qu'ils soient bien abîmés,
et la partie en croix de la queue de la dérive - il s'agit d'un morceau qui n'est même pas complet. Tout le reste est pulvérisé.
De par nos connaissances sur l'accident, de par l'état actuel de
compréhension des enregistrements, nous avons pu éliminer un certain nombre d'hypothèses, notamment l'attentat, aussi bien dû à un missile qu'à l'arrivée d'un
terroriste armé ou à une explosion à bord de l'avion. Nous avons pu également éliminer un certain nombre de défaillances possibles. Ce n'est pas, par exemple,
le déploiement intempestif d'un inverseur de poussée en vol. Nous avons également éliminé complètement la mise en cause de la commande de direction, la partie
qui bouge sur la partie verticale de l'avion et qui lui permet des mouvements en lacets. Le paramètre de cette dérive est tout à fait normal, elle ne bouge
pratiquement pas, et l'avion n'a jamais de départ en lacet ; il part en roulis, mouvement commandé par les ailerons. Nous savons que ce qui se produit
intervient au niveau de ce mouvement de l'avion.
A bord de l'avion, les pilotes s'aperçoivent d'une anomalie. Le
commandant de bord indique qu'il y a quelque chose qu'il ne comprend pas. Le copilote lui annonce que l'avion s'incline. Un dialogue s'instaure entre des
personnes qui essayent de tirer la situation au clair. Mais nous ne disposons pas d'éléments suffisamment précis à ce stade pour savoir s'il s'agit d'une cause
technique sur laquelle se greffe éventuellement une mauvaise correction, ou d'une cause purement humaine. Parmi les causes techniques, certaines peuvent
provenir de l'information. Il peut y avoir de mauvaises informations, mais aussi de mauvaises réactions de l'avion. A ce stade, nous n'avons pu encore
déterminer quelle était la cause.
Le champ s'est rétréci et nous savons où nous sommes. Reste à
comprendre pourquoi l'avion est parti en virage à droite, de plus en plus prononcé, jusqu'à commencer à piquer. C'est ce que nous devrons comprendre. Nous le
comprendrons, mais cela prendra encore du temps. De nouvelles réunions se tiennent actuellement au Caire. Aurons-nous, à leur terme, réalisé un progrès
suffisant pour annoncer qu'une nouvelle étape est comprise ? Je l'ignore.
Voilà où nous en sommes. Inutile que je vous dise à quel point les
journalistes ont parfois tendance à interpréter nos propos.
Vous m'avez interrogé sur le rôle des conseillers des entreprises,
par exemple Airbus. Les enquêtes accidents sont menées par les Etats. Dans l'organisation internationale dont je vous ai parlé, ce sont des services d'Etat qui
coopèrent. Ils font appel à des experts, à des conseillers dans les domaines qui sont normalement de la responsabilité de leur Etat dans l'enquête en question.
Quand le BEA travaille en tant qu'Etat constructeur, certificateur d'avions, nous avons avec nous des conseillers d'Airbus ou des équipementiers. Quand nous
travaillons en tant qu'Etat responsable d'une compagnie aérienne française, nous sommes entourés de conseillers de la compagnie aérienne, éventuellement de
l'administration, de l'aéroport, toutes sortes de conseillers. Ils travaillent dans le cadre de l'enquête sous le contrôle et sous l'autorité de l'enquêteur
désigné. Ce ne sont pas des parties à une enquête. Ils sont supposés apporter leurs connaissances et leurs compétences. C'est aussi un moyen de retour
d'expérience et de retour d'informations. Il est exact que le constructeur a souvent des moyens de simulation extrêmement précieux, mais en faisant ce travail,
en même temps, il arrive à la même conclusion. La démarche de l'enquête est une démarche fondée sur la confiance, mais une confiance raisonnée, non une
confiance aveugle et naïve. Je n'ai pas pour habitude de donner ma confiance sans la retenir avec un élastique.
Nous essayons de comprendre le plus vite et le mieux possible ce qui
s'est passé. Pour cela, nous avons besoin de la compétence des entreprises. Le but est d'arriver à un accord de tous. C'est en général ce qui se produit. Il
peut y avoir des désaccords sur tel ou tel point, mais il est exceptionnel que se produise un désaccord total comme celui que nous avions eu avec les
Américains au sujet de l'ATR dont je vous ai parlé.
Vous m'interrogiez sur les outils et sur l'utilité de réaliser le
tableau d'honneur des entreprises et des pays. C'est un inventaire impossible à dresser. C'est impossible et je ne suis même pas sûr que ce soit opportun.
Compte tenu de mon expérience, la seule façon d'améliorer la sécurité est d'entraîner les autres. On ne peut dresser de listes. Parfois, lorsqu'un avion est
mal entretenu, les pilotes le savent et tout le monde est plus vigilant, davantage que si l'avion était en parfait état. L'attentat contre UTA dans le Ténéré
s'est produit contre une compagnie considérée comme une des plus sûres, une des plus sérieuses, qui pratiquait la reconnaissance de bagages. Elle en a fait
pendant six mois. Un jour, estimant que cela n'apportait rien, elle s'est arrêtée et la bombe est entrée dans l'avion. On peut avoir un accident qui touche une
mauvaise compagnie comme une bonne compagnie. Il y a une injustice dans l'accident. Il n'y a pas de justice immanente qui ferait que les mauvais seront punis.
Le mauvais peut parfaitement survivre. Le but est donc de le surveiller, mais cela ne peut se faire à partir d'événements que l'on va explorer, car ils ne sont
pas assez fréquents.
Les compagnies qui rapportent les incidents sont plus souvent les
bonnes que les mauvaises. Si vous retenez les compagnies qui rapportent beaucoup d'incidents, vous dresserez un tableau de chasse à l'envers, vous allez clouer
les bonnes compagnies au pilori. Voyez la façon dont la presse présente la panne d'un moteur d'avion en vol : « Panne d'un moteur, le pilote se pose. » La
situation est prévue et est normalement sans danger, même si on a parfois connu des accidents. Or, l'incident est toujours présenté en gros titre, avec l'idée
sous-jacente « on est passé à deux doigts de la catastrophe » !
En revanche, et j'en ai connu un exemple, quand l'avion a une panne
de moteur en vol mais que le pilote ne dit rien, qu'il continue, qu'il traverse l'Atlantique, se pose aux Antilles, à Pointe-à-Pitre, repart avec des passagers
pour Fort-de-France et puis rentre chez lui pour se faire réparer, la presse n'en parle naturellement pas, puisqu'elle ne le sait pas, alors que la sécurité,
là, a été moindre que lors d'un vol normal. Ce n'est que par hasard, et toujours trop tard, qu'on découvre ces événements cachés.
On ne peut donc dresser de listes sur la base des incidents. On ne
peut pas, non plus, le faire sur la base des accidents, parce qu'il y en a trop peu et heureusement ! Par contre, il faut motiver, responsabiliser tous les
Etats pour qu'ils appliquent avec la même rigueur, la surveillance, le contrôle sur les entreprises et que tout cela soit partagé. Qu'est-ce qui s'oppose au
partage international de l'information ? C'est l'arrivée, un jour, soit d'un journaliste au nom de la libre communication de l'information, soit d'un juge qui
vient saisir. Il en résulte, en dépit de l'intérêt à partager l'information, une réticence à ce partage. Si un progrès est à réaliser, c'est sur cet aspect des
choses.
Mme la Présidente : Les affirmations que vous venez de tenir
n'entrent-elles pas en contradiction avec la volonté gouvernementale d'attribuer un label ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Vous avez demandé l'avis d'un
technicien, je vous ai livré l'avis d'un technicien ; je ne suis pas au Gouvernement ! Mais la façon d'attribuer le label peut se révéler déterminante. Je vous
ai répondu sur une procédure qui consiste à élaborer un tableau sur la base d'accidents et d'incidents. J'ignore totalement s'il existe une possibilité
d'élaborer des listes sur la base de contrôles conjoints.
Vous m'avez ensuite interrogé sur les tendances. Les types
d'accidents sont à peu près toujours les mêmes, c'est-à-dire des accidents qui se produisent avec une certaine incompréhension de la situation. C'est un fait
que l'on retrouve dans beaucoup d'accidents, en partie favorisé par la routine, la certitude que l'on saura faire face. C'est ce que j'appelle « le manque de
rigueur », qui consiste à ne pas appliquer strictement les procédures, en pensant que l'on sait mieux faire que les autres, que l'on peut prendre tel ou tel
risque.
Une tendance préoccupante réside dans le coût de la sécurité, car il
peut inciter certains à diminuer les normes de sécurité, par exemple, en s'installant dans des pays qui n'ont pas les moyens de la supervision. De ce point de
vue, si un pays n'a pas les moyens et répugne à demander à d'autres de l'aider dans sa tâche de surveillance des entreprises qui dépendent de lui, émerge
effectivement un problème. Mais si, du fait de ce coût, certaines entreprises qui travaillent sérieusement, disparaissent après faillite et sont
remplacées par des entreprises moins sérieuses, il y a lieu d'être préoccupé. Je suis actuellement intéressé à traiter ce point s'agissant de l'accident de
Cotonou. La compagnie aérienne en cause, c'est le moins que l'on puisse dire, n'est pas du tout organisée et sérieuse du point de vue de l'exploitation de
l'avion. Cette compagnie se trouve dans un contexte où il n'est pas du tout certain que son Etat de tutelle ait les moyens de sa politique. Cette tutelle
accepte des compagnies, accepte de leur donner un label de l'Etat, sans disposer des moyens de contrôle. Il sera probablement nécessaire de produire, au niveau
international, un effort de solidarité et de revoir le partage des responsabilités. Jusqu'à présent, chaque Etat était réputé accomplir ses engagements.
Il était donc réputé agir au même niveau que les autres. On observe actuellement une certaine évolution. Mais il y a deux façons d'évoluer : soit on se
barricade derrière les frontières d'ensembles régionaux relativement développés et on accepte que tout s'effondre dans le reste du monde ; soit on essaye
d'éviter ce décrochage. Je ne dispose pas aujourd'hui de la réponse.
M. Michel HERBILLON : Je reviens sur les incidents. Par la
connaissance accumulée des différents incidents de plus ou moins grande gravité, on peut peut-être éviter des catastrophes. Je n'ai pas trouvé votre réponse très
explicite sur ce point : avez-vous eu connaissance des incidents qui surviennent régulièrement sur les différents avions et compagnies ?
Je suppose que cela dépend de la nature de la catastrophe ou de
l'accident, mais quelle est la durée moyenne d'une enquête du BEA ?
Enfin, j'aimerais connaître précisément les conditions de saisines
de votre organisme. Qui vous saisit ? Pouvez-vous vous autosaisir ? Et, pardonnez-moi la trivialité de la question, qui vous rémunère ?
Mme la Présidente : Cela pose la question de votre lien avec le
ministère des Transports et de votre éventuelle plus grande liberté si vous n'y étiez pas rattaché.
M. Paul-Louis ARSLANIAN : De par la loi, je suis saisi
automatiquement. Il existe des procédures d'information, de notification de l'événement. Dès que nous sommes informés, nous intervenons en fonction de la nature
de l'événement. De certains incidents, nous nous autosaisissons. Pour les accidents, nous sommes saisis de par la loi. Lorsque vous avez voté la loi de 1999 à
l'unanimité, vous m'avez donc saisi. Depuis, je fais avec. Ce qui n'est pas aussi simple qu'il ne paraît. En effet, à l'inverse de la situation antérieure où
nous appréciions l'apport de l'événement afin d'adapter nos enquêtes à l'effectif, aux moyens, dans la situation actuelle, nous n'avons plus le choix. Nous
devons faire face avec les moyens dont nous disposons, ce qui peut provoquer des retards dans les rapports. On assiste, de ce fait, à un allongement des délais,
alors que nous avions réussi à les ramener à des temps qui tenaient à peu près la route : les rapports sortaient un an et demi après un accident de transport
public. C'est vraiment une limite maximale. Nous pouvons être amenés à la dépasser, car nous ne savons pas ce que nous allons trouver. La date anniversaire est
une date importante. L'idéal serait de ne pas dépasser les six mois, mais ce n'est actuellement pas le cas.
M. Michel HERBILLON : Etes-vous en deçà ou au-delà d'un an ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Nous tenons les délais pour certaines
affaires ; pour d'autres, où nous jouons de malchance, et qui passent en dessous de la pile, cela peut durer des années. Le plus ennuyeux, c'est lorsqu'un
enquêteur qui suit de petites affaires s'en va. Il est, en effet, fréquent qu'un seul enquêteur suive les petites affaires et il est très difficile de faire
reprendre les affaires qu'il n'a pas terminées.
Mme la Présidente : Est-ce à dire que vous manqueriez de
personnel ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Le BEA emploie actuellement 106
personnes. Il n'est pas dans mes habitudes de me plaindre. Cela dit, je saurais faire mieux et plus vite avec plus de monde. Nous faisons face à tout, mais il
est vrai, au détriment du traitement des incidents. Certains ne sont pas traités, parce que nous trions en fonction des priorités que nous impose la loi, entre
les accidents, les incidents graves...
M. Michel HERBILLON : Avez-vous connaissance de tous les
incidents ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Non, d'un certain nombre. Nous avons
connaissance d'une dizaine à d'une quinzaine d'incidents, dont nous sommes informés dans la semaine, ce qui est loin du nombre d'incidents qui se produisent
effectivement. Mais cette quantité même, nous n'arrivons pas à la traiter.
L'objectif est d'être toujours plus informé au travers du REC, des
rapports, grâce à l'information, à la transparence. Il y a aussi ce mouvement de confiance qui amène les gens à nous informer. Mais si, après nous avoir
informés, il n'y a pas réaction de notre part, le système se mettra à patiner. C'est pourquoi je déplore de ne pas avoir réussi à atteindre la taille critique
qui permettrait d'être capable de faire face à tous les événements.
L'accident du Concorde s'est traduit par une diminution dans les
années qui ont suivi du nombre de rapports sortis par le BEA.
Mme la Présidente : Quelle est la taille critique ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Dans une estimation qui ne soit pas
trop incohérente, je saurais facilement utiliser une vingtaine d'enquêteurs de plus, et atteindre un effectif de 130 à 150 personnes, pas au-delà. Il ne faut pas
non plus tomber dans l'excès. L'une des forces du BEA français est de disposer d'enquêteurs extrêmement compétents, car ils traitent beaucoup d'affaires
différentes. Ils travailleront tout aussi bien sur une affaire mettant en cause un avion de transport qu'un ULM. Cette vision accroît leur capacité, mais elle se
traduit par une certaine fatigue, notamment quand il s'agit de rédiger le rapport. L'ingénieur n'est pas très rédacteur. Il s'agit d'avoir un peu plus de monde.
Nous sommes informés de beaucoup d'incidents, mais pas de tous. Le
problème réside dans la définition de l'incident. L'incident peut être à peu près n'importe quoi. Selon une définition générale, l'incident est un moment où la
sécurité du vol, la sécurité de l'exploitation a été ou aurait pu être mise en danger, mais ce n'est pas très parlant. La définition même de l'accident ne
recouvre pas nécessairement un événement où il y a des morts ou des blessés. On peut considérer comme accident un événement au cours duquel le train
d'atterrissage s'est cassé, empêchant l'avion de repartir. Ce sera une défaillance. Dans certains cas, un incident est beaucoup plus porteur d'enseignements
qu'un accident. Nous avons, par exemple, dressé un rapport sur un incident qui s'est produit à Orly en 1997 avec un avion d'AOM. Le rapport publié, de type
« enquête accident », comportait une cinquantaine de pages. Il ne s'agissait que d'un incident, rien ne s'était produit, grâce au pilote qui avait réalisé que
l'avion volait très bas et avait remis les gaz, permettant ainsi de repartir. C'est un événement que nous avons considéré comme très grave et c'est pourquoi
nous avons réalisé une enquête complète. Nous avons traité l'ensemble des points relatifs à l'avion, à la formation et à la fatigue.
M. Michel HERBILLON : Qui procède au tri des incidents dont
vous avez connaissance et de ceux dont vous n'avez pas connaissance ? Ne pourrait-on imaginer un système où vous auriez connaissance des incidents et que ce soit
votre organisme indépendant qui déciderait d'enquêter sur tel ou tel incident, parce que c'est porteur de beaucoup d'enseignements ? Qui procède au tri ?
M. Bruno LE ROUX : Face aux incidents, vous formulez des
recommandations. Recevez-vous des réponses ? Avez-vous déjà piqué une grosse colère parce que vous auriez vu se répéter un incident, alors que vous l'aviez déjà
signalé par une recommandation restée sans effet ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Globalement, on assiste à une
amélioration de la situation. Certes, elle n'est pas aussi rapide que je le souhaiterais, c'est vrai, mais mon métier ne me permet pas d'être indulgent. Mon
métier m'impose d'être insatisfait. Si j'étais satisfait, je ne le ferais plus. Une exigence de perfection s'impose. Je parle toujours de rigueur, car rien ne me
met davantage en colère qu'une personne qui, par auto indulgence, ne respecte pas une procédure dont nous savons qu'en certaines circonstances elle peut
contribuer à un accident.
Sur les incidents, une évolution importante se met en place
actuellement avec l'arrêté que j'ai signé dernièrement par délégation du ministre, sur les événements qui doivent être rapportés au BEA. Les informations nous
arrivent en quantités de plus en plus nombreuses. Nous avons créé une cellule « incidents » qui essaye de faire ce que nous n'avons pas réussi à faire avec les
accidents, c'est-à-dire de produire des rapports sommaires mais rapides, quitte à ce que d'aucuns disent que nous n'avons pas bien travaillé, que nous sommes
passés « à côté de... ».
Par ailleurs, une nouvelle directive européenne sur les incidents a
été adoptée dont la mise en _uvre est en cours. La question est de savoir qui doit trier. Jusqu'à présent, l'orientation prise consiste à définir les
événements que nous souhaitons recevoir, ce qui ne signifie pas que nous allons les exploiter : nous allons les trier. Tout ce qui n'est pas à transmettre au
BEA devra être transmis, par exemple, à la DGAC. Parmi l'ensemble des incidents, nous ne recevrions qu'un sous-ensemble, ce qui est déjà le cas actuellement,
mais il s'agit d'étendre ce sous-ensemble au maximum.
Par ailleurs, j'utilise une disposition du décret, qui me permet
d'homologuer une entreprise de façon à ce que ce ne soit plus le pilote qui ait immédiatement à informer. Ainsi, pour les entreprises dont la procédure de
recueil et de transmission d'information aurait été homologuée, les pilotes ne sont plus contraints d'appeler immédiatement la tour de contrôle, alors qu'ils
ont à s'occuper de leurs passagers. J'utilise cette procédure, non pour éviter que les pilotes n'aient à rendre compte - ils en ont toujours la possibilité -,
mais pour établir une sorte de partenariat avec les entreprises. Autrement dit, au travers de ce transfert d'informations, nous les aidons à mieux comprendre
ce qui nous intéresse afin d'accélérer et de rendre systématique le retour de l'information. Je ne me fais pas d'illusion, le recueil, le chalutage des
événements n'est pas très sain, car nous risquons d'être noyés sous l'information. Il vaut mieux un recueil avec un traitement au fur et à mesure. Pour cela,
il faut développer des partenariats avec des personnes dont on accepterait la procédure, c'est-à-dire que le tri et le traitement resteraient sous notre
responsabilité.
Vous avez demandé, madame, si je souhaitais davantage
d'indépendance. J'ai une indépendance totale dans l'action et je suis plus, au contraire, à l'aise d'être dans l'administration, car cela me protège contre
l'image médiatique. Cette question d'image est, en effet, le danger que connaissent mes collègues à l'étranger quand, finalement, ils ne dépendent plus que de
l'image générale qu'ils ont.
Par ailleurs, cela facilite le dialogue avec nos collègues de la
DGAC, ainsi qu'avec les décideurs. C'est beaucoup plus facile, par exemple, avec le ministre quand on fait partie du personnel qu'il connaît et qu'il
rencontre, par exemple, au moment des v_ux. Mais personne ne me donne d'instruction. C'est un point sur lequel tous les ministres que j'ai connus, quelle que
soit leur tendance politique, ont veillé.
M. Michel HERBILLON : Etes-vous rattachés à la DGAC ?
M. Paul-Louis ARSLANIAN : Absolument pas. Nous occupons au sein
du ministère une position étrange, car nous sommes dedans, mais personne ne sait exactement où nous sommes !
En revanche, se pose le problème du financement. Nous connaissons
une difficulté de financement, qui ne concerne pas le financement quotidien, mais les imprévus. Je sais gérer une activité lissée, moyenne, mais il arrive que
nous connaissions des pointes comme pour l'accident de Charm el-Cheikh, où certaines opérations, comme la récupération ont un coût très élevé. Ces dépenses
exceptionnelles nous posent des problèmes que nous ne pouvons résoudre de façon satisfaisante. L'idéal, évidemment, serait d'avoir des crédits de
fonctionnement reportables d'une année sur l'autre et qui ne serviraient qu'à cela, non à améliorer l'ordinaire en fin d'année.
Le deuxième point qui nous pose un problème pratique est celui de la
rigidité qui s'attache au paiement des indemnités afférentes aux missions à l'étranger. L'enquêteur qui part à l'étranger, en général, ne choisit ni l'heure ni
le lieu de l'accident ; souvent même, il ne choisit pas l'hôtel qui lui est imposé par diverses considérations liées à l'enquête. Le fait que le montant de
l'indemnité soit forfaitaire pose un problème pratique. Ce sont des détails, mais c'est parfois ce qui est le plus difficile à gérer par la personne envoyée
sur le site. Il arrive qu'elle passe des heures au téléphone pour s'assurer qu'il lui est permis de louer une voiture. Quelques améliorations sont intervenues,
beaucoup de bonne volonté _uvre à cette amélioration, mais des difficultés demeurent.
Mme la Présidente : M. le directeur, je vous remercie de la
franchise avec laquelle vous avez répondu à nos questions. Notre mission présentera des préconisations. Il est intéressant d'entendre les uns et les autres sur
leurs capacités à assumer la mission pour laquelle ils ont été formés et employés.
Audition de M. Bruno FARENIAUX,
directeur du Tourisme
(Extrait du procès-verbal de la séance du 2 mars 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Nous recevons aujourd'hui M. Bruno
Fareniaux, directeur du tourisme. M. le directeur, vous avez la parole pour une intervention liminaire, après quoi nous entamerons le débat.
M. Bruno FARENIAUX : Le 3 janvier dernier, un avion de la
compagnie égyptienne Flash Airlines s'écrasait en mer au large de Charm el-Cheikh, entraînant la mort des 148 passagers et membres d'équipage, parmi lesquels 133
de nos compatriotes.
Cet accident intervient au moment même où le tourisme connaît la
crise la plus longue et la plus importante de son histoire. En effet, depuis près de trois ans, ce secteur enregistre un net recul de ses activités au niveau
mondial dû, en grande partie bien sûr, aux crises économiques que connaissent les pays émetteurs de touristes à forte contribution - Etats-Unis, Japon,
Allemagne -, mais aussi au climat d'insécurité engendré par les dramatiques attentats du 11 septembre 2001 à New York, de Bali, de Casablanca, de Djerba, et
par les conflits du Moyen-Orient dont la guerre d'Irak. Enfin, le SRAS et la grippe aviaire qui frappent durement les destinations d'Asie sont venus renforcer
le sentiment d'insécurité du voyageur.
Ce contexte insécurisant a créé, chez le voyageur, un besoin
« d'assurance » sur les modes de transports et les prestations qui lui sont offertes. De surcroît, ce client est devenu depuis quelques années très exigeant
sur la sécurité, parfois en contradiction avec ses exigences sur le prix.
Pour répondre à cette légitime attente de sécurité et de
transparence sur les prestations, l'Etat a pris, depuis plusieurs années, des mesures de prévention et de gestion de crises liées au déplacement des touristes
sur notre territoire national ou vers l'étranger.
Un grand nombre de ces mesures concerne le transport aérien. Elles
relèvent le plus souvent du ministère de l'Intérieur ou de notre ministère de tutelle au travers de la Direction générale de l'aviation civile. Elles portent
sur la sécurisation des aéroports, sur le contrôle des passagers et de leurs bagages, sur le contrôle technique des appareils et des compagnies desservant
notre territoire et sur leurs moyens de gestion des équipages.
Si la direction du tourisme n'est pas directement en charge de la
sécurité, elle est de plus en plus sollicitée sur la problématique de l'information, de la transparence et de la prévention. Elle intervient dans le domaine de
la régulation des activités de vente de voyages à forfait, régie par la loi de 1975, puis par celle du 13 juillet 1992 qui couvre l'ensemble de ces activités.
Ce dernier texte est en cours d'actualisation et de simplification. Des modifications intégreront bien évidemment ces logiques d'information, de transparence
et de sécurité.
La direction du tourisme intervient également sur la qualité des
prestations touristiques tant dans le domaine du tourisme réceptif que de l'émission de touristes français vers l'étranger. Vous savez que le comité
interministériel du tourisme du 9 septembre dernier a décidé la mise en _uvre d'un vaste plan "Qualité France" qui concernera, non seulement les prestations
touristiques sur le territoire français, mais aussi les agents de voyages ou les partenaires tour-opérateurs qui s'inscriront dans des démarches qualité où,
encore une fois, la bonne information du client et la sécurité seront au c_ur du dispositif.
La direction du tourisme intervient encore sur la prévention des
risques par la mise en _uvre et l'animation conjointe, avec le ministère des Affaires étrangères, d'un site internet d'information et de conseil aux voyageurs
sur l'ensemble des destinations mondiales.
Enfin, notre direction intervient dans les situations de crise par
un dispositif, conjoint avec le ministère de la Justice, d'aide aux victimes d'attentats ou d'accidents en leur apportant, au moment des événements et dans les
mois qui suivent, au travers de l'INAVEM (Institut national d'aide aux victimes et de médiation), une assistance juridique et psychologique. La création de l'INAVEM
date des attentats de 1995 ; nous avons appel à ses services après l'accident dramatique de Bagnolès qui a coûté la vie à un certain nombre de nos concitoyens.
A l'époque, nous nous sommes rendus sur place pour constater qu'au-delà de l'accident, la catastrophe résidait également dans la gestion difficile des
problèmes juridiques, des rapports avec la justice, dans la problématique des interrogatoires, dans la gestion de la presse et de la pression qu'elle exerçait
dans les hôpitaux. Difficultés redoublées avec le temps par la crainte d'un dénouement juridique défavorable, car plus l'affaire s'éloigne, plus les problèmes
d'assurances se mettent en place, plus la victime se retrouve seule. L'une des idées de l'époque était donc de mettre en place un dispositif d'aide tant
psychologique que juridique pour nos concitoyens quand ils ont un accident à l'étranger, mais aussi pour les victimes étrangères lorsque l'accident se déroule
en France.
C'est dans le cadre de cette responsabilité de l'Etat que, sans
attendre les conclusions des enquêtes diligentées par les autorités égyptiennes en lien avec les autorités françaises, le gouvernement a souhaité étudier les
moyens de renforcer encore la sécurité du voyageur dans le transport aérien et sa bonne information, en associant à cette réflexion, les professionnels du
tourisme français concernés et, en premier lieu, les organisateurs de voyages et agences de voyages privées ou associatives.
Dans cette perspective, le ministre de l'équipement, des transports,
du logement, du tourisme et de la mer, M. Gilles de Robien, a décidé, en accord avec les représentants des voyagistes et des distributeurs agents de voyages,
la constitution d'un groupe de travail chargé de lui soumettre des propositions permettant de répondre à une double exigence de transparence et de prévention
dans le domaine des voyages à forfait incluant un transport aérien. Il m'en a confié l'animation.
Les missions du groupe de travail sont excessivement ambitieuses.
Concernant la prévention des risques, nous travaillons sur la mise en place d'un label qui permettrait, au-delà des dispositifs réglementaires de contrôle des
appareils et des compagnies prévus en Europe et dans le monde par les Etats, d'identifier les compagnies aériennes, intra et extra européennes, qui offriraient
les meilleures garanties aux voyagistes comme aux clients en matière de professionnalisme et de sécurité. A terme s'ouvrirait la perspective de disposer d'une
« liste bleue » où viendraient « piocher » les professionnels du forfait touristique.
Ce label, dont il faudra préciser le calendrier de mise en _uvre,
pourrait impliquer notamment la réalisation, par des organismes spécialisés externes aux entreprises, d'audit des compagnies qui souhaiteraient travailler avec
les opérateurs français et, nous l'espérons, européens. Ces audits seraient financés par elles-mêmes, en particulier lorsqu'elles sont extra européennes et ne
peuvent justifier de toute autre forme de labellisation équivalente. Si aujourd'hui, dans l'absolu, l'ensemble des Etats respecte les mêmes règles au moment
des immatriculations, il existe toujours la crainte que celles-ci soient appliquées de façons différentes d'un continent à l'autre. Ainsi, toute compagnie
extra européenne désireuse de pénétrer le marché français et, nous l'espérons, européen des voyagistes, serait amenée à demander ce label et donc serait tenue
de justifier de l'audit de la compagnie.
Dans cet esprit, il est confié au groupe de travail le soin de
définir le cahier des charges de ce label et des agréments, certifications ou audits qu'il requiert pour son attribution. Il devrait permettre l'élaboration
d'une liste bleue des compagnies labellisées, régulièrement actualisée, en fonction de la réalisation des audits et en fonction des candidatures successives.
Nous introduirions dans les critères d'actualisation l'analyse des réactions des clients qui serait communiquée aux voyagistes, aux agents de voyages
distributeurs, lorsque ceux-ci se seraient plaints de tel ou tel comportement de l'équipage ou d'un mauvais état des appareils. Cette liste bleue serait
également communiquée aux clients qui en feraient la demande.
Concernant la transparence vis-à-vis du voyageur, il serait
désormais demandé aux voyagistes et compagnies aériennes de communiquer au client, au moment où il achète son produit, le nom des compagnies qui le
transporteront durant son voyage.
Tout cela fonctionne bien en règle générale, sauf dans le cas où
l'on fait appel à des « consolidateurs » et où, par le jeu des accords d'affrètement, on peut être conduit à faire appel à un appareil d'une autre compagnie, y
compris dans l'heure précédant le départ du touriste. Cela pose clairement le problème d'information du touriste. L'une des idées est donc de répondre en amont
à ce qui n'est pas aujourd'hui une obligation. Nous souhaiterions imposer la transparence sur toutes les compagnies qui sont censées le transporter et donc qui
font l'objet d'un accord au moment où il signe son contrat d'achat du voyage. En cas de modification de dernière minute, tout devra être mis en _uvre pour
qu'il soit informé de ce changement et du nom de la nouvelle compagnie le transportant. Le fait qu'il bénéficie d'une liste bleue des compagnies labellisées et
d'une information sur le nom de la compagnie, y compris au dernier moment, lui permettra, éventuellement, de prendre la décision de partir ou de ne pas partir.
Cela implique, en aval, un dispositif permettant la définition de règles commerciales en cas d'annulation si la compagnie de substitution ne figure pas dans la
liste bleue.
Cela implique que nous intégrons ces conditions dans le décret
d'application de la loi de 1992, qui est en cours de modification et préciser que, d'ici à trois ans, ce dispositif obligatoire sera mis en place.
Dans un premier temps et pour une période de trois ans maximum,
pourrait être retenu le principe de la recommandation faite au voyagiste d'informer le client sur la compagnie qui le transporte. Au terme de cette période,
cette recommandation se transformera en obligation pour le voyagiste comme pour l'agent de voyage.
Il est demandé au groupe de travail de réfléchir aux modalités de
mise en _uvre de cette obligation et à ses conséquences sur les conditions d'annulation du voyage, afin par exemple d'offrir au client la possibilité de
refuser de voyager sur une compagnie qui ne figurerait pas sur la liste bleue des compagnies labellisées, soit en reportant son voyage, soit en différant
l'excursion, ou en se faisant rembourser.
Nous avons fait part d'interrogations que pourrait induire
l'isolement de la position française. Sur un certain nombre de destinations, notre poids économique en terme de clientèle ne serait pas suffisant pour modifier
de façon extrêmement efficace la position, soit des Etats, soit des compagnies pour les inciter à accepter ce principe de labellisation et d'audits à leurs
frais. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé au ministre de présenter à la commissaire européenne, Mme Loyola de Palacio, l'idée de cette
labellisation et de cette liste, de sorte que notre démarche ne soit pas limitée au territoire national, mais s'étende au territoire européen, dimension
nécessaire quand on sait que la puissance des organisateurs de voyages réside plutôt dans l'Europe du nord qui a une force commerciale nettement supérieure à
la nôtre. Je rappelle que 10 % seulement de la population française part à l'étranger par le biais d'un agent de voyages et, forcément, la comparaison avec nos
collègues allemands, de Grande-Bretagne, des Pays-Bas ou de Scandinavie tourne à notre déFAVÉur. Nous avons d'ores et déjà rencontré nos collègues allemands
sur le sujet. Les sociétés allemandes ayant racheté des agences françaises sont particulièrement intéressées par la démarche.
Il est demandé au groupe de travail de remettre au ministre ses
propositions dans un délai de trois mois à compter de son installation officielle. Mais nous souhaitons mettre en _uvre dans les trois ans les mesures en
question selon une progressivité qui retiendrait dans un premier temps une préconisation forte faite aux opérateurs touristiques et aux agences de voyages
distributeurs d'indiquer le nom des compagnies dès les prochains catalogues. Sur ce point, nous avons noué un partenariat avec ces entreprises, elles sont
assez d'accord pour jouer le jeu. Mais, progressivement, ce système deviendrait obligatoire et la liste bleue serait disponible auprès de l'ensemble des
clients et pas seulement auprès des professionnels.
Nous avons toutefois des interrogations. La première est liée au
fait que le système repose en grande partie, y compris pour l'espace européen, sur la confiance entre les Etats d'immatriculation et sur la qualité des
contrôles. Or, nous savons bien que dans des pays proches avec lesquels nous commerçons beaucoup, il y a des interrogations sur la validité des process
de sécurité de certaines compagnies. Ces interrogations se trouvent renforcées par les accidents récents et sont encore plus fortes s'agissant de pays plus
lointains où les incidents se sont multipliés.
Les Etats d'immatriculation sont les principaux responsables de la
sécurité des transports aériens qu'ils ne peuvent transférer à un secteur particulier.
Une telle démarche de labellisation ne peut s'inscrire que dans un
contexte européen, pour éviter des phénomènes de distorsion de concurrence que nos professionnels français, déjà dominés par leurs concurrents nord européens,
ne pourraient supporter en l'état. Le marché français ne compte pas de grands groupes comme les marchés anglais ou allemands, mais une multitude de PME et
quelques entreprises un peu plus solides qui auraient des difficultés considérables de survie si nous leur imposions des contraintes lourdes.
Difficulté aussi à assurer la sécurité sur les « bouts de ligne »
sans une participation active des Etats d'immatriculation et des compagnies elles-mêmes. Au-delà du travail demandé à notre administration, ce sera peut-être
toute une assistance technique qu'il conviendra de mettre en _uvre, laquelle relève davantage de la compétence de nos collègues de la DGAC.
Enfin, derrière tout cela, se profile une interrogation de société
que nous retrouvons dans d'autres secteurs que l'aérien : l'incohérence du client, caractérisée par une demande renforcée de sécurité et le développement
contradictoire de la culture du rabais, du meilleur prix. Nous retrouvons ce dilemme avec le ski hors piste ou les activités en mer. Cette contradiction
devient de plus en plus difficile à gérer. Je ne dis pas qu'elle met en cause la sécurité aérienne mais elle serait un facteur aggravant si nous continuions à
vouloir pratiquer les prix que l'on pratique aujourd'hui en respectant les exigences absolues de sécurité qu'exigent les clients, d'autant que nous serons très
vite lâchés par les assurances. Il n'y a aujourd'hui que deux groupes d'assurances pour les tour-opérateurs qui nous ont clairement fait savoir qu'ils seraient
dans l'impossibilité d'assurer une responsabilité quelconque en matière d'accidents aériens si l'on en venait à transférer cette responsabilité sur le
tour-opérateur ou l'agent de voyage.
Une question se pose souvent par rapport à la loi de 1992 qui
définit les activités des agences de voyage. Ce texte prévoit clairement qu'il existe un seul interlocuteur en cas d'accident ou en cas de problème : le
vendeur du produit. Ce vendeur peut-être un agent de voyage appartenant à un réseau de distribution ou à un tour-opérateur qui dispose de son propre réseau de
distribution et vend directement. Cela signifie donc que la loi prévoit une responsabilité vis-à-vis du client et c'est une responsabilité globale. A charge
pour l'agent de voyage de se retourner sur les responsables probables de l'accident. Il n'y a que très peu de clauses d'exonération de cette responsabilité,
excepté le cas de force majeur et la faute du client. Il est difficile de prouver ces deux cas et encore plus d'essayer de s'appuyer sur d'autres ; nous
l'avons vu avec l'accident de Bagnolès. La responsabilité civile de l'agent de voyage fut engagée ; c'est seulement dans un second temps que la responsabilité
de la mairie, puis celle du propriétaire du bateau furent mises en cause.
Voilà où nous en sommes des interrogations de ce groupe de travail
après trois réunions. Nous avons précisé les principales questions dans le domaine du « qui fait quoi », « qui paie quoi », qui définira les éléments du cahier
des charges. Nous procéderons à partir de cette semaine à un certain nombre d'auditions. Nous effectuons un bilan global des systèmes de contrôles prévus par
la l'OACI, des contrôles SAFA qui sont plus ponctuels et plus rapides et des démarches engagées de certification et de labellisation. Je pense en particulier à
une démarche initiée par IATA (International Air Transport Association), l'un des organismes les plus importants du contrôle aérien, qui prévoit une
sorte de certification reposant sur des règles encore en cours d'élaboration.
Mme la Présidente : Merci. Cet exposé complet ne m'empêche pas
de poser une question : n'est-il pas irréaliste de penser décerner un label ? A quel prix se fera-t-il ? Est-il possible de réaliser un tel montage ?
M. Bruno FARENIAUX : C'est la question que nous nous sommes
posée quand on nous a confié la mission. Oui, il me semble possible d'améliorer clairement la sécurité au travers de ce système d'audit, à une condition : que la
France ne soit pas isolée. Nous n'avons pas les moyens d'être arrogants vis-à-vis des compagnies de « bout de ligne » c'est-à-dire, par exemple, la compagnie qui
assure la liaison Louxor/Abou Simbel. A défaut d'une volonté unanime des professionnels étrangers, qui sont les leaders européens ou mondiaux des
tour-opérateurs, de nous accompagner dans notre démarche, notre poids économique sera insuffisant pour exiger le respect des règles incombant aux Etats chargés
d'organiser ces contrôles et des règles commerciales.
Au moment où la directive de 1996 est réactivée au niveau de
l'Europe, au moment où nous parlons d'échange et de transparence des informations qui transitent de compagnie à compagnie sur les contrôles qu'elles
effectuent, et une application sur tout le territoire européen des conséquences de ces contrôles, c'est sans doute le moment ou jamais d'essayer d'obtenir une
position commune européenne. Nous savons que les destinations pour lesquelles nous avons le souci de sécuriser le transport de nos compatriotes, sont les
destinations des grands tour-opérateurs européens. Avec le poids économique de l'Europe, nous pourrons faire avancer le problème.
En revanche, si nous n'obtenons pas l'accord de nos partenaires
européens, nous mettrons beaucoup de temps et nous risquerons de mettre en péril les entreprises de nos tour-opérateurs qui ne pourront supporter seuls un
surcoût économique quelconque. Mon propos inclut les assurances qui suivent l'évolution du dossier et analysent les responsabilités de chacun.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous avez évoqué une amélioration de
la loi de 1992 pour faciliter le « repérage » des responsabilités dans la chaîne de production des produits touristiques, sans préciser dans quel sens la loi
pourrait être modifiée. Je comprends un peu pourquoi : ce ne doit pas être simple, dans la mesure où, précisément, il n'est pas facile de ne voir qu'un seul
responsable dans ces affaires ; au surplus, cela pose le problème des assurances que vous avez évoqué.
Sur le label, n'êtes-vous pas en train de monter une « usine à gaz »
pour résoudre un problème simple et qui m'apparaît de plus en plus clair au fur et à mesure des auditions, celui de la sécurité physique des petites compagnies
dans les pays qui ne respectent pas les règles de contrôle international de la sécurité. Ne risquez-vous pas de compliquer la vie de tout le monde pour un
problème sans doute insoluble car quelle sera la pression que nous exercerons sur ces pays pour qu'ils rentrent dans ce système de label ? Nous avons entendu
au cours des auditions précédentes qu'il était obligatoire pour des produits touristiques de passer par des compagnies locales faute, pour les autres
compagnies, d'arriver à obtenir des droits de trafic. Il y a un risque, mais l'on ne peut obliger les pays à labelliser ce risque de telle sorte qu'il soit
rassurant.
S'il y a label, c'est pour que les consommateurs en soient informés.
Cela pose toute une série de problèmes. Il faut que le voyageur puisse avoir le droit de changer si ce label n'existe pas ou n'est pas satisfaisant, d'où des
problèmes de droit commercial. Mais, finalement, à partir du moment où le client sait, par son billet, sur quelle compagnie il volera, il ne sera rassuré que
s'il connaît la compagnie indiquée. Si on lui dit « Flash Airlines », il sera moins rassuré que par l'évocation de British Airways ou Air France. On induira
ainsi une concentration supplémentaire des compagnies ou des marques.
Je pense que l'on s'oriente dans un sens négatif où, sous couvert de
sécurité, l'on diminuera la concurrence et on rendra le jeu oligopolistique.
Vous avez raison de préciser que, faute de trouver un accord avec
l'Europe, ce sera compliqué. Mais, même si nous parvenons à un accord européen à 25, que ferons-nous avec la Suisse ou les Etats-Unis, le Canada ou
l'Australie et les autres pays développés ? Faudra-t-il que l'on attende que le monde entier s'en remette à la notion de label ? Le vrai problème c'est la
sécurité IATA, la sécurité SAFA, tout le reste est fait pour « amuser la galerie ». Le vrai problème tient dans les conditions de travail et de sécurité,
protégées par un système international clair.
M. Bruno FARENIAUX : M. le ministre, l'idée du label peut
paraître assez compliquée à mettre en _uvre et présenter des risques de concentration comme vous l'avez évoqué. Je pense toutefois que l'exigence du client est
devenue à ce point précise qu'il faudra de toutes façons y répondre. Ainsi, quel que soit le système pédagogique ou d'obligations que nous utiliserons, il
faudra, à un moment donné, établir cette liste des compagnies avec lesquelles des tour-opérateurs pourront travailler. A défaut, si nous n'aidons pas les
compagnies à le faire, nous assisterons clairement à un abandon des tour-opérateurs par les compagnies d'assurances. Elles reprocheront aux Etats et aux
opérateurs de ne pas être capables d'être rassurants sur la fiabilité des compagnies et argueront de cette situation pour ne plus assurer que des compagnies
sûres et régulières. Je distingue bien ces deux dernières notions, car nous pouvons également nous interroger sur certaines compagnies régulières.
Le label, par rapport à l'ampleur de l'enjeu, peut sembler un terme
réducteur. La difficulté est de convaincre les Etats de l'enjeu de la sécurité sur leur territoire et de mettre en _uvre les règles prévues. Nous savons très
bien qu'ici ou là, par laxisme ou pour des questions d'argent, nous assistons à quelques irrégularités qui peuvent, dans un premier temps, ne pas causer de
problèmes, mais qui, soudain, à cause d'un accident, mettent la destination et l'économie du pays en cause dans un secteur pourtant porteur de devises pour le
pays. Nous évoluons dans un cercle vicieux.
Le ministre a souhaité, au travers du label, se saisir du problème
par un bout. Symboliquement, derrière le label, se profile l'enjeu de la liste. Il faut que nous puissions établir, à un moment donné, la liste des compagnies
avec lesquelles, dans le monde, l'on peut raisonnablement travailler. Les chiffres sont à vérifier mais il doit y avoir 66 compagnies de charters qui
travaillent avec les opérateurs français et 161 compagnies régulières. Le problème qui se pose donc pour la France concerne 220 ou 230 compagnies. Une
identification par pays est à faire. Le groupe de travail a par ailleurs isolé les zones où nous connaissons traditionnellement des difficultés et il faut
identifier, sur ces zones, les carences des Etats. Nous proposerons, via nos collègues de la DGAC, des mesures à mettre en _uvre par le jeu des
coopérations.
Une pression doit aussi être exercée sur les compagnies elles-mêmes
en arguant du nombre de clients, lequel peut justifier le recours à un audit. Mais il est vrai que, si nous prenons le marché de l'Afrique ou du Moyen-Orient,
nous ne sommes pas les premiers sur ces destinations, parce que le Français n'est pas un aussi grand voyageur que l'Allemand, le Britannique ou le Scandinave.
C'est pourquoi, au-delà au label qui est un outil pédagogique, il
faut surtout établir ces listes et faire jouer deux moyens de pression : un moyen de pression entre Etats, qui ne sera pas facile à mettre en _uvre, et une
pression économique nouvelle qui imposerait aux compagnies de se mettre en conformité et d'accepter des audits pour travailler avec la clientèle européenne.
Ces audits seraient conduits par des compagnies externes, sur la base d'une liste d'entreprises agréées par les gouvernements européens.
Nous nous sommes saisis du problème par un bout. J'espère que
celui-ci nous permettra d'aller le plus loin possible dans le sens de la sécurisation. Malheureusement, les autres bouts utilisés auparavant n'ont réussi
véritablement à améliorer de façon significative qu'une partie de la chaîne, en particulier la lutte contre les attentats. Pour les accidents, nous sommes
peut-être plus faibles.
Sur la loi de 1992, l'esprit de la simplification est de constater,
dans un premier temps, que les professionnels qui font des actes de voyages à forfait sont classés en quatre catégories : une licence et trois systèmes
dérogatoires. Nous allons simplifier le dispositif. Désormais, pourraient pratiquer les activités de vente de voyages à forfait, les détenteurs d'une licence
double, agent de voyage et association de voyages. C'est-à-dire que les associations qui, hier, bénéficiaient d'un régime dérogatoire mais qui exercent la
vente de voyage d'une façon professionnelle et exclusive, suivraient les mêmes règles que les agents de voyages, commerçants. Nous clarifions par métier. Ceux
qui ont une activité exclusive traditionnelle de vente de voyages à forfait auraient une licence unique avec deux appellations différentes à la demande des
opérateurs : licence d'agent de voyage ou licence d'association de tourisme. Nous établirions un seul système dérogatoire qui touchera à la fois les compagnies
aériennes, la SNCF, et toutes les personnes qui exercent ces métiers occasionnellement et non pas de façon principale.
Dans l'ancien texte, la responsabilité de l'agent de voyage est
totale ; elle est liée au principe du guichet unique. Nous conservons ce principe et nous le renforcerons dans le respect de la directive européenne qui le
prévoyait et nous indiquerons les quelques cas dérogatoires, où le professionnel peut se dédouaner. En dehors de ces quelques cas, le client se retournera
exclusivement vers l'agent de voyage, à charge pour lui de se retourner vers les responsables potentiels des accidents. En revanche, la loi de 1992 était
incomplète concernant le contenu de la responsabilité en matière d'information. Elle se limitait à exiger du vendeur « une bonne information sur les composants
du produit ». Le projet irait un peu plus loin dans la définition et si le dispositif se met en place comme nous l'espérons, il préciserait que, dès le contrat
de vente, une information devra être donnée sur les compagnies aériennes. Le décret d'application pourrait prévoir qu'en cas de changement de compagnies à la
dernière minute, le client peut refuser de voler sur la compagnie si celle-ci ne figure pas sur la liste. Dès lors, le client peut bénéficier de mesures
commerciales qui lui permettent, soit de différer son voyage, soit d'être remboursé.
M. Jean-Pierre BLAZY : M. le directeur, vous relevez, à juste
titre, une forme d'incohérence chez nos concitoyens voyageurs entre la culture du rabais et l'exigence de sécurité. Néanmoins, c'est aussi une incohérence que
l'on peut noter au niveau des entreprises elles-mêmes. Au final, les consommateurs sont quelque peu conditionnés par la guerre commerciale que se livrent les
compagnies régulières et encore plus s'agissant de tourisme. N'y a-t-il pas là une réflexion à mener pour dégager de nouvelles réglementations permettant de
tenir compte du fait que l'on ne peut voyager pour un coût zéro ?
Mme la Présidente : Sans parler des « low costs » !
M. Jean-Pierre BLAZY : Bien sûr, la réflexion de notre mission
ne se limite pas aux charters.
Sur la mise en _uvre du label, vous avez déclaré que pour les
prochains catalogues, l'Etat pourra proposer une recommandation ; quelle sera la nature de cette recommandation ? Il nous a été dit que depuis l'accident de
Charm el-Cheikh, les clients demandent sur quelle compagnie va s'opérer le voyage. La recommandation, dans un premier temps, ne serait-elle pas la recherche de
la transparence dans le catalogue, y compris pour les « bouts de lignes » ?
M. Bruno FARENIAUX : Nous travaillons aujourd'hui sur la base
d'un engagement des professionnels pris, en particulier, par M. René-Marc Chikli, Président du Centre d'étude des tour-opérateurs, le CETO. L'idée est de
commencer, sur les prochains catalogues, à indiquer le nom des compagnies de transport. Par le système de préconisation, puis d'obligations, nous souhaiterions,
au-delà d'une bonne information - ce qui constitue déjà un grand progrès - obtenir aussi des informations sur la sécurité. Très vite, le client demandera en
effet à l'agent de voyage si la compagnie aérienne est recommandée ou conseillée. Le premier progrès est donc celui de la transparence des noms - c'est
extrêmement important pour le client qui doit se sentir partenaire et prendre ses responsabilités - mais progressivement, l'établissement de cette liste
permettra, dans les trois ans, de compléter cette information. Le client pourra être remboursé si le nom de la nouvelle compagnie ne figure pas sur la liste qui
aura été communiquée au client. Entre communiquer sur le catalogue le nom de la compagnie et communiquer la liste des compagnies de référence, le chemin sera
court. Et je vous rejoins tout à fait sur cette nécessité.
Ce n'est d'ailleurs pas un phénomène spécifique au tourisme, c'est
un phénomène de société. Dans les stations touristiques de sports d'hiver, on assiste à des prises de risques qui engagent la vie, notamment celles des
sauveteurs. Une fois l'accident survenu, on recherche les responsables de l'accident et parfois le maire est désigné. Nous sentons bien que nous devrons
réfléchir à cette notion de responsabilité qui est extrêmement complexe. Cela passera aussi par une autre politique de prix et par une explication de la part,
dans le prix, de cette « valeur ajoutée » qu'est la sécurité.
Mme la Présidente : Le label et les audits ne vont-ils pas
doubler le travail de la DGAC ou de l'OACI en termes de certification ?
M. Bruno FARENIAUX : Non. La prochaine réunion du groupe de
travail a pour objet de balayer ce qui est contrôlé par l'OACI et ce qui l'est dans le cadre des contrôles SAFA. Nous aurons également une présentation du projet
de l'IATA qui devrait permettre d'améliorer, au niveau mondial, les règles du jeu. Ainsi verrons-nous où les mailles du filet sont encore larges et là où nous
aurons encore à travailler sur la sécurité. Si nous appliquions les règles existantes partout, nous réglerions déjà une bonne partie du problème mais je ne suis
pas sûr que cela suffirait à régler totalement le problème.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Supposons l'existence d'une telle
liste et que tout se passe comme vous le souhaitez. Un client achète un produit comprenant un vol Flash Airlines sur la base d'un audit qui indique que cette
compagnie va très bien. Charm el-Cheikh se produit. Dès lors, qui est responsable ? N'y a-t-il pas là un encouragement au juridisme ? On va se retourner contre
l'autorité ayant délivré le label, les sociétés Véritas, Sécuritas ou Socotec iront vérifier si les sociétés de contrôle ont bien mené leur audit, etc. Le
risque est d'entrer dans des procédures très complexes. Dès lors, où s'arrête le risque et où commence la sécurité ?
M. Bruno FARENIAUX : La vraie question est là. L'interrogation
du secrétariat d'Etat au tourisme et du directeur au tourisme est de savoir pourquoi une telle procédure pour l'aérien et pourquoi pas demain pour le transport
autocar ou le bateau ?
Mme la Présidente : Le souci exprimé est celui de ne pas vendre
une fausse sécurisation à des clients. Il ne faut pas leur faire croire qu'ils sont à l'abri, sous prétexte qu'ils ont retenu une compagnie qui figure sur une
liste alors qu'en réalité, même si elles ont les bonnes certifications, ces compagnies ne fonctionneront pas forcément avec les mêmes personnels ou les mêmes
moyens que d'autres compagnies. Dès lors, n'allons-nous pas tromper le client ?
M. Bruno FARENIAUX : Je ne sais pas comment va évoluer ce
dossier. Nous l'abordons pour la première fois par le biais de la profession qui a en charge l'information et non par une approche traditionnelle telle que celle
qu'aurait choisie la DGAC. Nous abordons cette question en tenant compte des agents économiques et du point de vue de ceux qui se trouvent face au client. Ce
n'est pas le directeur général de l'aviation civile qui est face au client, c'est l'agent de voyage et ce dernier sera mis en cause par le jeu de la loi de 1992
en cas d'accident.
Aujourd'hui, nous comprenons qu'il y a une chaîne de responsabilités
impliquant nombre de personnes, du client jusqu'à l'Etat et que nombreux sont ceux qui lâchent la chaîne de la responsabilité, y compris le client. Celui-ci ne
sait plus se repérer dans la politique de prix entre ce que lui proposent son agent de voyage, le collègue de celle-ci en Allemagne et internet. Il ne sait
plus ce que coûte une semaine en Tunisie. Cela n'empêche pas que, sur place, le client pourra manifester son insatisfaction même s'il a payé son voyage moins
de 500 euros. Il faudra prendre en compte à un moment donné cette problématique du client. L'analyse du filet de la sécurisation dévoilera, je le crains, des
mailles un peu larges et pas uniquement au niveau des Etats. Cela signifie qu'on peut avoir comme objectif de limiter au maximum les risques sans perdre de vue
ce que vous évoquiez - et je vous rejoins, Mme la présidente -, soit faire semblant - ce qui serait catastrophique - soit d'imaginer des systèmes trop
compliqués qui décourageraient plutôt qu'ils amélioreraient le dispositif. Nous évoluons sur un sujet très sensible, où nous ne pouvons être caricaturaux, nous
en avons bien conscience.
A chaque réunion de notre groupe de travail, un nombre considérable
de questions annexes vient se poser. Nous savons que, dès lors que nous aurons mis en place un dispositif, même si nous obtenons qu'il soit européen et qu'il
recueille l'accord de tour-opérateurs étrangers, il nous faudra rester extrêmement vigilants, car la partie n'est jamais gagnée. La sécurité se relâche
toujours à un moment ou à un autre.
Mme la Présidente : Ne risque-t-on pas une concentration des
tour-opérateurs qui sont nombreux en France ? Ne vont-ils pas se ranger derrière une bannière avec un gros label ? Comment la restructuration de la profession
est-elle envisagée ? Je ne sais si la profession est très consciente de sa responsabilité.
M. Bruno FARENIAUX : Elle a pris conscience de sa
responsabilité. Depuis trois ans, on annonce une reprise qui ne vient pas, ni pour nos petites entreprises ni pour les tour-opérateurs allemands ou britanniques.
Tout le monde souffre. Vous avez noté dans la presse internationale que de grands tour-opérateurs allemands commencent à être lâchés par leurs banques pendant
que de grandes sociétés d'assurances s'interrogent sur le fait de continuer ou non à assurer des avions.
La folie des systèmes d'indemnisation dans lesquels nous sommes
entrés nous a projetés subitement dans la « cour des grands ». Des personnes peuvent perdre leurs points de repère sur l'indemnisation. Entre le prix de la vie
d'un accident de voiture et celui d'un accident d'avion, il n'y a plus, aujourd'hui, de commune mesure. Nous sommes dans un système de cavalerie qui nécessite
que chacun mette un frein.
La profession se rend compte très douloureusement et très rapidement
de ces évolutions. Elle les prend en compte, non pas comme un grand groupe avec de grandes capacités d'analyse et de réflexion, mais comme des PME et des PMI
qui se sentent un peu isolées. Dès lors, soit ces sociétés se replieront sur leur métier de revendeur et elles abandonneront pour certaines d'entre elles leur
activité de voyagiste ; c'est une bonne chose, car elles n'ont pas la taille ou le professionnalisme nécessaire. Soit elles se replieront, ce qui serait aussi
une bonne chose, sur le tourisme « réceptif », permettant de combler un vide où le secteur public a dû se substituer au secteur privé ; soit, encore, elles
disparaîtront car, à l'évidence, nous ne pourrons conserver 300 tour-opérateurs de petite taille dans les 10 ans à venir.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : A la fois la DGAC et un
consolidateur auditionnés nous ont indiqué que les listes des compagnies étaient déjà connues. Les pays à risque sont connus ; la liste des labels serait presque
dressée. Nous avons entendu aussi, de la part d'un représentant des tour-opérateurs, que ce n'était pas leur intérêt d'envoyer des gens "au casse-pipe". De même,
des pilotes déclarent ne pas partir quand ils savent que cela peut être dangereux. Donc, a priori, tout est fait pour que chacun contribue à la sécurité.
Le seul problème est qu'il y a quand même des accidents. Or, prétextant que c'est le mode de transport le moins accidentogène au kilomètre parcouru, les
professionnels avancent qu'ils ne voient guère comment améliorer les choses, sauf à respecter les règles de sécurité SAFA et à convaincre les Etats voyous de ne
plus l'être ; en dehors de cela, il y aurait, disent-ils, davantage de risques avec le terrorisme ou le SRAS.
Mme la Présidente : Dès lors, n'y aurait-il pas plus de
résultats par le dialogue et la pression entre Etats qu'en passant par l'intermédiaire des professionnels, même si l'on a toujours intérêt à faire le ménage,
certains professionnels étant plus sérieux que d'autres ? N'est-il pas plus fiable de s'adresser aux Etats directement en leur proposant d'élaborer une norme ou
de corriger les normes existantes et surtout de vérifier l'application de ces normes ?
M. Bruno FARENIAUX : C'est effectivement l'enjeu. Comme je le
précisais, il y a toute une chaîne de responsabilité et il ne faut pas qu'un maillon lâche en cours de route. Jusqu'à présent, la tentation de cette profession,
qui ne vivait pas trop mal, était de se retourner vers l'Etat en cas de problème. Oui, il est bien de la responsabilité des Etats d'assurer la sécurité. Il est
vrai que les règlements le prévoient, mais, cela dit, la sécurité relève aussi de la responsabilité de chacun. Chacun doit participer à la pression pour que les
prescriptions de sécurité soient respectées. La seule pression diplomatique ne suffira pas, une pression économique sera nécessaire. Nous aurons gagné si,
demain, les poids lourds du tourisme qui exportent des touristes dans le monde entier indiquent aux Etats qu'ils n'assureront plus un seul "bout de ligne" tant
qu'il n'aura pas été sécurisé. C'est ce à quoi je crois. Le grand progrès réside dans la prise en compte par les professionnels de leur rôle d'acteurs. Ils ont
eu très peur de devoir payer les audits. Telle était l'idée initiale ; ils ont eu très peur pour leur profession, et cette crainte fut salutaire. Ils ont compris
qu'ils ne paieraient pas forcément, mais qu'ils resteraient, en fin de chaîne, les interlocuteurs des clients et qu'ils ont donc tout intérêt à assumer leurs
responsabilités.
Mme la Présidente : Notre travail alors n'aura pas été
inefficace sur ce chemin difficile. Merci de votre témoignage. Nous nous réservons de vous interroger à nouveau, par écrit, si nos travaux l'exigent.
Audition de M. Christophe LABBÉ,
journaliste
(Extrait du procès-verbal de la séance du 10 mars 2004)
Présidence de Mme Odile Saugues, Présidente
Mme la Présidente : Mes chers collègues, nous accueillons
aujourd'hui, M. Labbé dont nous avons pu lire les nombreux articles dans la presse.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Vos articles nous
conduisent à nous poser de nombreuses interrogations et nous laissent parfois stupéfaits. Je pense donc que mes collègues auront à c_ur de vous interroger et
qu'ils seront soucieux d'obtenir des précisions, voire des confirmations.
M. Christophe LABBÉ : Je précise d'emblée que je ne suis pas, à
proprement parler, un « spécialiste » de la sécurité aérienne. Je porte sur cette question, que je traite depuis bientôt huit ans, un regard généraliste, axé sur
l'aspect humain plus que sur l'aspect technique.
Mme la Présidente : Puisque vous insistez sur le caractère
généraliste de votre approche, peut-on dire que c'est ce qui vous permet d'aller aussi loin dans vos descriptions et de donner une si grande place au facteur
humain dans vos investigations ? Ce dernier est particulièrement important dans les accidents d'avion : avez-vous en tête des exemples - je pense notamment aux
pilotes qui, contraints de se recycler, retrouvent un emploi dans des compagnies peu fiables et offrant des conditions de travail qui laissent à désirer - où il
s'est révélé rédhibitoire ?
M. le Rapporteur : Vous n'ignorez pas que cette mission
d'information a été créée après l'accident survenu à Charm el-Cheikh, mais qu'elle n'y est pas directement liée : nous tentons de faire le point sur la sécurité
aérienne, de déterminer les domaines où les choses fonctionnent bien et ceux qui présentent des faiblesses. C'est un système complexe puisque chaque Etat est
responsable de ses infrastructures et de la gestion de son trafic lequel est, par définition, international.
Pour ce qui me concerne, j'aimerais avoir votre sentiment sur
l'objet de notre mission. Pourriez-vous nous dire, par exemple, s'il existe des aéroports à risque, comme celui de Nice, voire des pays à risque, comme par
exemple la Russie ? Dans votre lecture de la sécurité aérienne et des catastrophes aériennes, quel est le facteur le plus important : l'homme, la machine, la
massification du trafic, l'éclatement des opérateurs ou les différences entre les systèmes de contrôle et de sécurité ?
M. Christophe LABBÉ : La fréquence des accidents d'avions reste
stable : on évalue la moyenne à 0,3 accident sur un million de vols. Mais, compte tenu de l'augmentation du trafic, le nombre de catastrophes aériennes va
croître considérablement et, en conséquence, les médias vont être confrontés à des questions de plus en plus pressantes venant du public. Le sujet de la sécurité
aérienne va donc prendre de l'importance au sein des rédactions, chacun ayant bien conscience qu'il va peser de plus en plus lourd dans l'actualité.
Je répète que je ne suis pas spécialiste de la technique. Je suis
parti du constat que dans 70 % des cas, les causes des accidents, qui peuvent être multiples, dépendent d'un facteur humain, j'ai cherché à savoir pourquoi
l'homme était le maillon faible. Au fil des enquêtes, je me suis efforcé de prendre des chemins de traverse pour voir l'envers du décor, tant en ce qui
concerne les conditions de maintenance que les conditions de travail pour les personnels navigants. Cette démarche m'a permis de découvrir une réalité bien
différente de celle présentée par la profession elle-même, et qui pèse de façon incontestable sur la sécurité. C'est l'angle d'attaque que j'essaie d'adopter à
chaque nouvelle catastrophe aérienne.
Ainsi, j'ai été particulièrement frappé par la situation des
« galériens du ciel », ces pilotes qui investissent des sommes fabuleuses, pouvant aller jusqu'au million de francs, pour se former sur des périodes très
longues - dix ou quinze ans - en alternant des petits boulots dans le secteur aérien et les heures de vol pour l'aviation civile. J'en ai rencontré beaucoup,
ce sont des gens qui, étant tous passionnés, ont d'autant plus de pudeur à raconter leur vie quotidienne, qu'ils sont, eux aussi, accrochés au mythe du pilote
qui gagne bien sa vie et qu'ils tentent d'en renvoyer l'image. Toutefois, en poussant plus loin les investigations, on s'aperçoit que la profession,
généralement présentée comme nantie, compte, en France, 1 200 pilotes au chômage, qui vivent dans des situations financières étonnantes. J'en ai rencontré,
qui, compte tenu des échéances qu'il leur faut honorer pour rembourser les emprunts souscrits pour leur formation, vivent avec l'équivalent de 3 000 F par mois
et accumulent les heures de travail. J'ai le souvenir d'un pilote qui effectuait jusqu'à cinquante heures de vol par mois. D'autres m'ont confié à quel point
ils devaient se battre pour que ces tracas financiers ne perturbent pas l'ambiance du cockpit et ne viennent pas perturber le vol.
Bon nombre d'entre eux ont surtout déclaré qu'ils n'étaient pas en
situation de s'opposer à un certain nombre d'exigences mettant en jeu la sécurité et pouvant aller du cumul des heures de vol, à la réduction des périodes de
repos, en passant par le fait de « fermer les yeux » sur une impasse technique de l'appareil. En d'autres termes, il s'agissait de pilotes qui n'étaient
pas en mesure de jouer pleinement leur rôle de maillon essentiel dans la chaîne de la sécurité. Des différentes enquêtes qu'il m'a été donné de conduire, ce
qui m'a le plus frappé, c'est de constater que cette situation existe, qu'elle perdure et que les pouvoirs publics, notamment la DGAC, continuent à faire comme
si de rien n'était, alors que ces « galériens du ciel » transportent des passagers et travaillent pour des compagnies de troisième niveau, elles-mêmes appelées
parfois à travailler pour des compagnies de premier niveau.
Mme la Présidente : Puisque vous parlez de compagnies de
« troisième niveau », j'aimerais que vous nous apportiez des précisions sur cette terminologie.
Par ailleurs, que pourrions-nous proposer pour que ces licences et
certifications puissent être financées autrement que par des emprunts qui grèvent le budget et la vie de ces salariés ?
M. Christophe LABBÉ : L'appellation « compagnie de troisième
niveau » s'applique à toutes les petites compagnies qui ont une flotte limitée et qui interviennent surtout en appoint pour d'autres compagnies.
M. Marcel DEHOUX : Pourriez-vous nous citer des noms ?
M. Christophe LABBÉ : Disons que AOM et Air Liberté étaient de
grosses compagnies de troisième niveau, mais il y en a beaucoup d'autres dont Air Littoral.
M. le Rapporteur : Existe-t-il aussi des compagnies de
cinquième niveau ?
Mme la Présidente : Ces compagnies peuvent-elles être
sous-traitées par de grandes compagnies ?
M. Christophe LABBÉ : Tout le problème est là ! Quand on voit
les conditions de travail et de maintenance qu'offrent ces compagnies, on ne peut que constater que la sécurité y est altérée par rapport aux grandes compagnies
de renom, pour le compte desquelles elles travaillent pourtant. Le voyageur n'a, jusqu'à présent, pas la certitude en prenant un billet Air France de ne pas
finir le trajet sur une autre compagnie ne présentant pas le même niveau de sécurité.
Mme la Présidente : Ce système de hiérarchisation vous est-il
propre ou est-il officiel ?
M. Christophe LABBÉ : Ce n'est pas un système officiel, mais il
a cours dans le milieu aéronautique. Il y a, d'un côté, des compagnies reines qui ont une assise, dont les pilotes et les mécaniciens ont une base de
rémunération assurée et de bon niveau, où il peut y avoir des problèmes mais où les horaires de travail sont très contrôlés, et, de l'autre côté, les compagnies
qui additionnent les contrats précaires, sous-payés. En règle générale, plus la compagnie est petite, plus les conditions de travail se dégradent et plus il y a
de risques.
Concernant la formation, durant les années 80, toute une campagne
s'est développée pour promouvoir le métier de pilote qui était présenté comme une profession d'avenir. Un certain nombre de jeunes se sont alors engouffrés les
yeux fermés dans cette voie. Sauf que la formation gratuite d'Etat est très limitée - trente places par an - l'essentiel des pilotes est en fait formé par des
écoles privées dont les tarifs sont exorbitants et dont le nombre de licences délivré est libre, aucune réglementation n'ayant été prévue pour le limiter.
Ces écoles laissent croire à un certain nombre de jeunes passionnés
qu'ils vont décrocher une place à coup sûr, ce qui, évidemment, n'est pas le cas, puisque 1 200 pilotes sont actuellement au chômage, pris dans un cycle
infernal qui les contraint régulièrement à réemprunter pour parfaire leur qualification...
Mme la Présidente : Il y a une certaine incohérence dans le
fait d'une part, de limiter la formation officielle à trente places et, d'autre part, de permettre des formations privées sans numerus clausus. En la
matière, pensez-vous que nous pourrions faire des propositions ?
M. Christophe LABBÉ : C'est une situation que les pouvoirs
publics refusent de voir.
J'ai eu, à maintes reprises, l'occasion de demander à des pilotes et
à un certain nombre d'interlocuteurs du monde aéronautique s'il n'était pas préjudiciable à la sécurité d'avoir autant de pilotes au chômage, disposés à
accepter des conditions de sécurité réduites pour atteindre le nombre d'heures de vol exigé pour conserver leur licence. Quand ils s'expriment sur cette
main-d'_uvre captive, c'est ce problème des écoles qui est le plus fréquemment soulevé. Ils estiment qu'elles sont trop nombreuses, insuffisamment contrôlées
et déplorent que la présélection qu'elles opèrent se fasse essentiellement par l'argent. Ils souhaiteraient voir limiter le nombre des licences en fonction des
emplois de pilote offerts chaque année.
M. Christian MÉNARD : Ces écoles privées ne sont pas
agrémentées ?
M. Christophe LABBÉ : Si, mais, une fois agrémentées, elles
restent libres de recruter leurs candidats, ce qu'elles font à tour de bras.
M. Robert PANDRAUD : Et que se passe-t-il à la sortie ?
M. Christophe LABBÉ : Le jeune doit se livrer à un véritable
parcours du combattant pour additionner les qualifications : après la qualification minimale, il va essayer de progresser pour pouvoir voler sur des appareils de
type plus prestigieux.
M. Robert PANDRAUD : Par qui ces qualifications sont-elles
délivrées ?
M. Christophe LABBÉ : Ce sont des diplômes d'Etat, mais aucun
contrôle n'est exercé sur le nombre de candidats.
M. Robert PANDRAUD : Peut-on parler d'un système
« d'auto-école » ?
M. Christophe LABBÉ : Oui, c'est exactement le même système.
M. Robert PANDRAUD : Existe-t-il un contre-pouvoir syndical ?
M. Christophe LABBÉ : Oui, il y a un contre-pouvoir syndical,
mais il ne s'exerce que dans les grandes compagnies. Dans les petites compagnies où les conditions de vol sont dégradées, les syndicats ne jouent pas réellement
ce rôle. Le principe qui prévaut est celui du « chacun pour soi » et, même si je schématise un peu, l'objectif de chaque navigant étant, au bout du compte, de
finir à Air France, les pilotes partent du principe qu'ils doivent accepter les règles du jeu.
Pour tout dire, ce qui m'a frappé, c'est de voir que ces 1 200
pilotes au chômage, sans compter tous ceux qui « galèrent » pour pouvoir voler et rembourser leurs emprunts, ne sont pas réellement pris en compte dans le
discours syndical. La défense de leur cause ne fait pas partie des priorités syndicales.
M. Robert PANDRAUD : La limite d'âge est-elle la même dans
toutes les compagnies ?
M. Christophe LABBÉ : C'est un point que je n'ai pas étudié
précisément, mais il me semble qu'elle est très variable. Il y a une limite d'âge nationale, mais elle ne compte pas autant que la visite médicale à laquelle
sont régulièrement soumis tous les pilotes titulaires d'une licence. L'aptitude médicale à voler est délivrée de façon régulière et vaut tant pour les pilotes
des compagnies de troisième niveau que pour ceux d'Air France.
Le problème le plus préoccupant est la situation financière des
pilotes de petites compagnies, le fait qu'ils ne sont pas en situation de s'opposer à un ordre allant à l'encontre de la sécurité. C'est particulièrement vrai
pour les « tolérances techniques ». En d'autres termes, pour les pannes autorisées sur un avion. En effet, un certain nombre de pannes sont autorisées, à
condition d'y remédier dans un certain délai, l'objectif initial étant de ne pas immobiliser les appareils n'importe où et n'importe quand. Mais beaucoup de
petites compagnies jouent avec ces tolérances techniques en demandant aux pilotes de ne pas déclarer sur-le-champ ces pannes pour pouvoir reporter les dépenses
de maintenance. C'est ainsi que des avions volent avec quatre, six, voire dix tolérances techniques, alors que tous les experts estiment qu'au-delà de trois,
la ligne rouge est franchie.
C'est une pratique qui n'apparaît pas dans les statistiques de la
DGAC et des autres organismes de contrôle, alors qu'elle est courante, hormis dans les grandes compagnies où il est possible de compter sur la protection
syndicale.
M. Jean-Pierre BLAZY : Puisque vous avez parlé des « petites
compagnies », pouvez-vous nous en citer à l'échelle européenne ? S'agissant des vols réguliers, la formule s'applique-t-elle aux compagnies à bas prix (low
cost), où l'on sait que les pilotes effectuent un nombre d'heures nettement plus élevé qu'à Air France, par exemple ?
M. Christophe LABBÉ : Cela concerne effectivement les
compagnies à bas prix. Plus la compagnie est petite et ses prix cassés, et plus elle met en cause la sécurité. Tous les pilotes de ces compagnies nous
apportent des témoignages qui confirment que la sécurité y est dégradée.
M. Jean-Pierre BLAZY : Peut-on citer ces compagnies et dire,
par exemple, que easyJet ou Ryan Air en font partie ?
M. Christophe LABBÉ : Lorsqu'un journaliste écrit un papier, il
récupère un certain nombre d'informations, mais elles sont toutes anonymes car les pilotes ne souhaitent pas se « griller » dans le métier. A moins de pouvoir
récupérer des documents, ce qui n'arrive pratiquement jamais, l'auteur de l'article ne peut pas nommer les compagnies. C'est un véritable problème ! Les pilotes
recommandent à leur famille de ne pas voyager sur un certain nombre de compagnies françaises, européennes ou autres, mais on ne peut pas en publier la liste...
Mme la Présidente : Peut-on parler « d'omerta » ?
M. Christophe LABBÉ : C'est une réelle « omerta » !
M. Robert PANDRAUD : Elles ne sont pas inspectées par la DGAC ?
M. Christophe LABBÉ : On a parfois le sentiment que l'emploi et
le maintien d'une compagnie priment sur le niveau de sécurité. En réalité, un niveau de sécurité comme celui d'Air France, qui sans être parfait est quand même
bon, a un coût : il suppose non seulement d'assurer la maintenance et la formation des personnels, mais aussi de garantir la traçabilité des pièces détachées.
J'ai été effaré du flou qui entoure ce dernier point : nous ne
disposons d'aucune statistique sur les fausses pièces, usagées et sans certificat qui sont actuellement montées sur les avions. Des quelques études réalisées
aux Etats-Unis, il ressort que 10 % des avions sont concernés par ce problème.
De temps en temps, quelques affaires sortent. Cela a été récemment
le cas en Italie, quand les douanes et le FBI ont démantelé une filière de pièces contrefaites, « cannibalisées » sur de vieux Airbus et recyclées avec de faux
certificats. Lors d'enquêtes conduites sur le sujet, j'ai eu l'occasion de rencontrer des grossistes spécialisés dans ces pièces de rechange (brokers).
Leurs témoignages sont assez effrayants. En fait, il n'y a pas de contrôles réels sur l'origine des pièces montées sur les appareils. Un avion volant en
moyenne trente ans, toutes ses pièces, pourtant, sont appelées à être changées.
M. Jean-Pierre BLAZY : Outre les pièces contrefaites, il y a
les pièces usagées qui servent au-delà de la limite raisonnable : chacun se souvient de cette fameuse lamelle de l'appareil de Continental Airlines sur laquelle
le Concorde a roulé et qui, au dire des experts, était largement usagée ! Or, il ne s'agissait pas d'une compagnie à bas prix ! C'est une affaire dont on
n'a pas fini de parler et qui a mis en lumière une situation que beaucoup ignoraient. Avec ces pièces, c'est tout le problème de la maintenance qui se trouve
posé.
M. Christophe LABBÉ : La maintenance représente environ 12 % du
budget d'une compagnie, ce qui n'est pas négligeable. C'est l'une des lignes budgétaires sur lesquelles les compagnies aériennes essaieront de rogner pour faire
des économies. On dit que la SNECMA réalise un chiffre d'affaires supérieur avec les pièces détachées qu'avec les moteurs complets. C'est un commerce vraiment
lucratif : comme ces pièces coûtent cher, un certain nombre de malins ont occupé le créneau.
L'état de ces pièces est incriminé dans un certain nombre
d'accidents, étant entendu qu'il n'est finalement possible de repérer une pièce contrefaite qu'au terme des enquêtes conduites après le crash d'un
avion. Les autorités américaines avaient ainsi évalué à 500 le nombre de pièces récupérées sur le Boeing d'American Airlines, qui s'était écrasé en 1995 en
Colombie, pièces qui ont ensuite été remises sur le marché.
C'est une pratique courante qui, à en croire les mécaniciens
interrogés de façon non officielle, est un secret de polichinelle. Quand on leur demande s'ils sont capables de se prononcer sur l'authenticité d'une pièce
assortie d'un certificat, ils répondent tous non, sauf à la soumettre à des examens en laboratoire.
Mme la Présidente : C'est un véritable problème de traçabilité.
M. François SCELLIER : On retrouve les mêmes difficultés dans
d'autres secteurs. Je ne suis pas un adepte à tous prix de la réglementation, mais je pense qu'il est des domaines où elle est tout à fait insuffisante. Or, la
première approche que nous pouvons avoir du sujet tend à prouver, s'agissant aussi bien de la formation des pilotes que de la façon dont ils sont appelés à
travailler, qu'avec un peu plus de réglementation et de contrôle, nous ne nous en porterions que mieux et que nous aurions un peu plus envie de prendre l'avion,
car je crains que nous n'ayons dorénavant, les uns et les autres, quelque réticence à le faire...
Sans tirer d'ores et déjà des conclusions sur cette affaire, il
serait important que vous puissiez nous dire si vous entrevoyez des solutions pour améliorer la traçabilité des pièces et la façon dont sont effectués les
différents contrôles techniques.
M. Christophe LABBÉ : Je suis stupéfait de constater
qu'actuellement, personne ne s'occupe réellement de ce dossier. Il faudrait, d'abord, évaluer précisément la situation puisque nous ne disposons d'aucun chiffre
et que les rares informations sur ce sujet ne sont révélées qu'après un accident ou un contrôle ayant permis de prendre sur le fait un courtier indélicat.
Il conviendrait de se doter d'outils pour mener de vraies enquêtes
ciblées. En Europe, certains courtiers sont considérés comme sérieux, d'autres moins et il serait très facile d'enquêter sur eux pour savoir comment ils
travaillent réellement. Il faudrait également mieux encadrer la vente et la revente des pièces d'avion. On dénombre 2 000 courtiers aux Etats-Unis
et plusieurs centaines en Europe : c'est un monde qui vit sa vie sans contrôle !
M. Christian MÉNARD : Pouvez-nous nous donner des précisions
sur le pourcentage d'accidents imputables aux défaillances de pièces ?
M. Christophe LABBÉ : Je ne le peux pas, parce que la source
des accidents est « multi facteurs ». Il n'y a pas de stratégie pour étudier systématiquement cette question et, par conséquent, nous ne disposons ni de
statistiques, ni d'état des lieux.
Mme la Présidente : Ces problèmes relatifs aux pièces et à la
maintenance sont d'ordre international et semblent toucher, bien sûr à des degrés variables, toutes les compagnies. Je souhaiterais donc revenir sur la question
des licences, qui affecte plus de 1 200 pilotes rien qu'en France et qui renvoie au problème de la formation à l'échelle nationale. Qu'en est-il dans les autres
pays européens et aux Etats-Unis ?
M. Christophe LABBÉ : La situation dans les autres pays
européens est très hétérogène. Il faudrait l'étudier pays par pays, mais je n'ai pas l'impression que la France se distingue particulièrement : comme souvent, la
réglementation est plus stricte dans les pays du nord et s'assouplit en descendant vers le sud. Aujourd'hui, de nombreux pilotes français volent d'ailleurs dans
les pays du sud.
Mme la Présidente : Ils acceptent les risques ?
M. Christophe LABBÉ : Oui !
M. le Rapporteur : Vous nous avez indiqué que le facteur humain
était primordial, mais quelle est, aujourd'hui, en France, la principale défaillance du système ? La formation, dans l'ensemble, n'est pas forcément mauvaise,
sous la réserve que vous avez émise quant à la moralité des financements, les conditions de travail dans les compagnies françaises qui, il est vrai, restent peu
nombreuses, sont, bien qu'inégales, relativement bonnes, tout ce qui touche à la qualité de la maintenance et aux contrôles est plutôt satisfaisant.
Vous seriez ministre des transports avec tous les pouvoirs qui
accompagnent cette fonction, que feriez-vous pour améliorer encore la situation ? Quelle est l'urgence ?
M. Christophe LABBÉ : Tout dépend sous quel angle on se place.
Pour le voyageur, le manque de transparence est indéniable. La personne qui prend un avion ne dispose pas, aujourd'hui, à moins de faire partie du milieu
aéronautique, d'informations sur les risques que peut présenter une compagnie ou un appareil par rapport à d'autres.
Au niveau des pouvoirs publics, la communication n'est pas
optimale : le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA), lorsque survient un accident dramatique, n'obéit à aucune règle de communication. Ce manque de
communication est d'autant plus regrettable que la demande augmente. De plus en plus de gens voyageant par avion, le sujet intéresse et le public veut
comprendre.
Par ailleurs, les affrètements en cascade brouillent les cartes au
point que plus personne n'y comprend plus rien et n'est en mesure de dire qui fait quoi : aujourd'hui, il est fréquent de trouver un équipage d'une
nationalité, sur un appareil d'une compagnie appartenant à un autre pays et qui transporte des passagers d'origine encore différente. Tout ce mélange nuit à la
sécurité !
M. le Rapporteur : Le label « sécurité » vous semble être une
bonne idée ?
M. Christophe LABBÉ : Oui !
M. le Rapporteur : Sa mise en _uvre est envisageable ?
M. Christophe LABBÉ : Quand elle a été proposée, nous avons
interrogé nos différents interlocuteurs et le projet faisait l'unanimité.
M. le Rapporteur : Vous êtes spécialiste du transport aérien ou
des transports ?
M. Christophe LABBÉ : Le transport aérien fait partie de mes
champs d'action depuis un certain temps, mais je suis attaché au service « société ».
M. le Rapporteur : Je comprends vos exigences, mais je vais
raisonner différemment : finalement, on pourrait demander autant de rigueur que vous en exigez du transport aérien à d'autres moyens de transport. Quand vous
louez, par exemple, une voiture, vous ne savez pas grand-chose du véhicule qui vous est attribué ; quand vous prenez un bateau, vous ne vous posez pas la
question de savoir quelle est la nationalité du capitaine, combien de bâtiments il a coulés avant, etc.
Il est vrai que l'avion est un moyen de transport particulier, parce
qu'il est en l'air, parce que les accidents qui peuvent survenir sont très meurtriers et spectaculaires, mais, finalement, comme vous l'avez rappelé
précédemment, c'est le mode de transport le plus sûr du monde et le nombre des accidents constatés est stable, voire en diminution, par rapport à ce qu'il
était il y a vingt ans.
M. Christophe LABBÉ : Le nombre des accidents augmente puisque
le trafic augmente. Mon point de vue est celui du journaliste face à ses lecteurs. Un accident d'avion n'est pas un accident comme un autre. Il suscite, pour des
raisons démultipliées, une émotion dont nous sommes obligés de tenir compte. Sur de tels sujets, il y a une importante demande de sécurité, que l'on peut juger
extrême, mais qui existe : la société demande que ce mode de transport soit plus sécurisé que les autres.
Je me borne à constater cette demande croissante. Elle est
paradoxale puisque l'on exige de l'avion qu'il soit de plus en pus sûr, alors qu'il va y avoir de plus en plus d'accidents. D'autre part, il y a un décalage
avec la réalité, puisque le quotidien « des galériens du ciel » est loin de correspondre à l'idée que l'on se fait du métier. Personne n'imagine pouvoir voler
dans un avion commandé par un pilote soit en contrat à durée déterminée, soit en période d'essai, et pourtant ce sont des situations dont certaines compagnies
abusent pour ne pas avoir à rémunérer correctement leurs navigants.
Bref, il y a des conditions de vol qui sont loin de répondre à la
demande de la société en la matière.
M. Robert PANDRAUD : Je poserai deux questions d'un ordre tout
à fait différent.
Premièrement, vos propos, monsieur, laissent entendre que le fait
qu'il y ait aussi peu d'accidents tient du miracle quotidien, car toutes les raisons sont réunies pour qu'ils se multiplient.
Deuxièmement, dans ce dispositif, qui commande : le ministère des
transports ou Air France ? Pensez-vous que le premier puisse avoir un droit de regard valable sur Air France dans la mesure où nous sommes dans une situation
très oligopolistique et où Air France et Aéroports de Paris sont des débouchés lucratifs pour les fonctionnaires dudit ministère ?
M. Christophe LABBÉ : En réponse à votre première
interrogation, je dirai que c'est une question que nous nous sommes également posée. En observant l'envers du décor, nous nous sommes demandé comment certains
appareils continuent à voler. Selon les experts - et je pense qu'ils ont raison - la technologie est à ce point maîtrisée qu'elle « rattrape » en grande partie
les dysfonctionnements.
Pour ce qui est de votre seconde question, elle renvoie à un sujet
que je n'ai pas approfondi, bien qu'ayant parfois le sentiment que les outils de contrôle s'adaptent aux contraintes de certaines compagnies. Nous savons, par
exemple, que telle compagnie ne sera pas contrôlée sur un point ou un autre, alors même que les informations circulant dans le milieu aéronautique pointent des
dysfonctionnements.
Mme la Présidente : Ce sont des informations que vous tenez des
pilotes ?
M. Christophe LABBÉ : De pilotes ou de mécaniciens.
Mme la Présidente : Et cela fait aussi partie de ce que l'on ne
doit pas dire officiellement ?
M. Christophe LABBÉ : Exactement !
M. Robert PANDRAUD : C'est pourquoi, sans être assuré de la
véracité de ces informations, je déplore, Mme la Présidente, que dans cette mission d'information comme dans les autres, les personnes auditionnées appartiennent
surtout au sommet de la hiérarchie. Nous tirerions plus d'enseignements en écoutant des personnes venues de la base et choisies presque au hasard. En effet, d'un
côté on trouve les directions qui déforment totalement la vérité, et de l'autre, les organisations syndicales qui en font autant !
Ainsi, au cours de la commission d'enquête sur le fonctionnement des
forces de sécurité en Corse, nous avons entendu tous les responsables de la police, mais jamais le policier de base qui, pourtant, sait tout et fait tout ! Le
reste n'est que boniment et mise en avant des puissants de ce monde ...
Mme la Présidente : Nous touchons là au c_ur du problème. Il
est vrai que la mission d'information avait souhaité assister à des petits contrôles exercés localement, mais pensez-vous que les salariés, alors, se seraient
exprimés plus librement ? Je ne le pense pas. Pour en apprendre plus il faut entendre les journalistes, et c'est ce que nous faisons aujourd'hui !
J'ai moi-même commis une maladresse en faisant allusion, dans la
présentation d'un texte, à certaines pratiques liées aux conditions de travail de la compagnie Air France. Cet impair m'a valu les foudres de mes collègues,
alors que j'étais récemment élue à l'Assemblée nationale, et j'ai ensuite compris qu'il valait mieux éviter certains domaines ou bien les aborder « sur la
pointe des pieds ».
Cela revient à dire que nous n'obtiendrons pas ici toutes les
informations, et il est d'autant plus important que vous signaliez ce problème que nous sentons que nous tournons autour de sujets difficiles, sans disposer
d'informations sur le fond !
M. Jean-Pierre BLAZY : J'abonderai, Mme la présidente, dans
votre sens et dans celui de M. Pandraud. Il a été question tout à l'heure d'« omerta », mais on pourrait aussi parler d'autocensure. Le représentant du syndicat
des pilotes que nous avons auditionné ne nous a probablement pas tout dit, mais si nous prévoyons d'auditionner celui du syndicat du personnel de maintenance, il
faudra vraisemblablement aussi le pousser dans ses derniers retranchements.
Il y a dans le domaine du transport aérien que je connais depuis
quelques années, pour m'être intéressé aux problèmes d'environnement et de sécurité depuis l'écrasement du Concorde, beaucoup de non-dits !
Je souhaiterais, monsieur, obtenir de plus amples précisions sur
quelques-uns de vos propos. Après un accident, des enquêtes techniques sont diligentées et vous avez fait allusion au BEA. Vous savez qu'un texte législatif
régit maintenant les enquêtes sur les incidents et les accidents dans l'aviation civile, conformément aux directives européennes. Il est vrai qu'après une
catastrophe - celle de Charm el-Cheikh nous concerne particulièrement, mais il y en aura malheureusement et inévitablement d'autres - l'opinion est avide de
vérité.
Dans de telles circonstances, la transparence de notre dispositif
est-elle, selon vous, suffisante, étant précisé que je parle des enquêtes techniques et pas des enquêtes judiciaires qui donnent lieu à des batailles d'experts
sans fin?
M. Christophe LABBÉ : En tant que journaliste - je prêche pour
ma paroisse - je déplore le manque de transparence qui caractérise trop souvent les enquêtes techniques.
Le premier problème du BEA tient peut-être à son statut. Aux
Etats-Unis, la structure équivalente est une fondation totalement indépendante sur laquelle il y aurait aussi beaucoup dire, mais qui garantit indéniablement
une plus grande indépendance.
Le second problème du BEA tient au fait que ses enquêteurs
appartiennent à la DGAC et y retournent quand ils ont fait leur temps. Dès lors, je vois mal comment un enquêteur pourrait sereinement pointer les manquements
de la DGAC sans crainte de représailles : j'ai en tête des exemples précis.
M. Jean-Pierre BLAZY : C'est-à-dire ?
M. Christophe LABBÉ : Des personnes, ayant travaillé au BEA,
nous ont avoué ne pas avoir été aussi loin qu'elles l'auraient souhaité dans la mise en cause de la DGAC. Elles se sont autocensurées, notamment parce qu'elles
se sont projetées dans leur carrière.
S'agissant des enquêtes judiciaires, une petite anecdote est
révélatrice. Récemment, alors que le BEA avait quasiment bouclé son enquête sur un accident d'avion, un expert judiciaire qui avait repris les choses à zéro, a
découvert que deux passagers disposaient, au moment de l'accident, d'un caméscope et qu'ils avaient filmé tous les mouvements de l'aile. Cet expert a pu
disposer d'une pièce qui avait échappé au BEA !
M. Christian MÉNARD : Pour aller dans le sens des propos qui
ont été tenus, je me demande s'il ne serait pas possible d'auditionner des mécaniciens, des pilotes ou des contrôleurs du ciel qui interviendraient à titre
purement individuel. J'ignore si c'est possible, mais je crois qu'il serait vraiment intéressant d'entendre des gens qui ne s'autocensureraient pas.
Mme la Présidente : Nous pouvons toujours les inviter, tout le
problème étant de savoir s'ils répondront à notre invitation...
M. Robert PANDRAUD : Ce que vous avez dit, monsieur, concernant
premièrement, l'autocensure des fonctionnaires du BEA, deuxièmement, les divergences qui peuvent exister entre les enquêtes techniques et judiciaires, est
relativement grave ! Ces experts, qui travaillent dans le cadre de la procédure judiciaire sont-ils nombreux en France, ou sont-ils toujours les mêmes ? Combien
peuvent-ils toucher, car pour un accident important leur rémunération doit être monumentale ?
Par ailleurs, si le travail de l'expert retenu ne satisfait pas les
compagnies, elles doivent solliciter les services d'un second expert, d'ailleurs plus ou moins en cheville avec le premier ce qui fait qu'à l'arrivée ils
peuvent crier « A nous la bonne soupe ! ». Il est possible que leurs recherches soient plus approfondies que celles du BEA, mais elle sont certainement
plus onéreuses pour le contribuable pour des résultats qui, ne parvenant que bien années plus tard, perdent beaucoup de leur intérêt...
M. Christophe LABBÉ : Il est vrai que les experts judiciaires
sont peu nombreux !
M. Robert PANDRAUD : D'où sortent-ils ? Ce sont des experts du
BEA ?
M. Christophe LABBÉ : Il y a des anciens du BEA, mais aussi des
pilotes navigants : dans ce domaine, on trouve toutes sortes de profils, étant précisé que, comme partout, certains sont bons et d'autres moins.
J'ai constaté sur certaines affaires que le travail de l'expert
judiciaire complétait les investigations conduites dans le cadre de l'enquête technique et qu'il pouvait même parfois aller plus loin, comme en témoigne, entre
autres, l'exemple que je vous ai cité.
Mme la Présidente : Votre rôle est intéressant dans la
mesure où il vous permet de poser certaines questions qu'il « ne faut pas poser » et de pénétrer des domaines où beaucoup n'osent pas s'aventurer.
Je ferai néanmoins remarquer que la lecture du Figaro nous a
tout de même étonnés puisque la version que donnait, le 3 mars, ce quotidien de l'accident de Charm
el-Cheikh, et qui faisait état de déclarations du BEA, a été aussitôt démenti par ce dernier.
A ce propos, je ne peux pas ne pas nourrir quelque inquiétude en
vous entendant parler de transparence. Quand survient un grave accident, l'émotion est forte, beaucoup de familles sont touchées et il est tout à fait logique
qu'elles aient envie de savoir. Toutefois, il y a une différence entre cette envie de savoir, qui ne ramènera malheureusement pas les proches, et la
possibilité de savoir vite et bien : chacun sait que la mécanique ne livre pas facilement ses secrets et que, hormis des cas très précis, les causes de
l'accident ne sont pas évidentes. Je déplorerais que les médias, au prétexte de conduire au plus vite les recherches, versent dans le sensationnel ou, sans
aller jusque-là, laissent entendre que l'on pourrait dissimuler certains dysfonctionnements.
Personnellement, je crois qu'il faut du temps pour mener à bien une
enquête et j'admets que l'on ne puisse pas en livrer les résultats « bruts de décoffrage » pour des raisons qui parfois tiennent à la raison d'Etat, mais
également à la nécessité de pouvoir revenir sur des investigations insuffisamment approfondies, sans que les familles aient à en souffrir.
Je m'étonne donc de voir certains médias se lancer à la « va-vite »
dans certaines publications et je crains qu'ils ne confondent parfois le droit à l'information avec l'envie de publier un papier...
M. Robert PANDRAUD : Je rejoins vos préoccupations, mais compte
tenu de la nécessaire protection du secret de l'enquête ou de l'instruction et des fuites dont elles sont périodiquement émaillées, tant en raison des
investigations des journalistes que des communications officielles de certains fonctionnaires ou experts, ne serait-il pas souhaitable de publier des communiqués
d'étape du BEA ou des procureurs, selon les cas ?
Le public ne peut observer le silence : les langues vont bon train à
la sortie des bureaux et des restaurants et les médias exploitent, et souvent déforment, tous ces bruits qui, parfois, correspondent aussi à la vérité...
M. Christophe LABBÉ : Un accident d'avion fait partie des
sujets médiatiques les plus difficiles à traiter car, compte tenu du nombre des victimes, l'émotion est démultipliée, de même que les questions auxquelles nous
ne pouvons pas ne pas répondre.
Vous citiez l'exemple du Figaro. Il faut reconnaître que la
sécurité aérienne est un domaine où il y a peu de communication officielle, ce qui suppose d'aller chercher l'information. On peut imaginer que l'auteur de
l'article a pu récupérer les conversations dans le cockpit et que, s'appuyant sur des traductions de l'arabe, il a été à la merci d'une erreur. Dans ce genre
d'affaire, on peut également se trouver à la merci de manipulations dans la mesure où les enjeux sont importants.
Dans ce genre d'affaire, il y a peu de communication et, quand il y
en a, elle répond si mal à l'attente des journalistes qu'il n'est pas toujours facile de recouper l'information, ce qui se fait au minimum trois fois sur
d'autres sujets. Est-ce une raison pour s'interdire d'aller la chercher ? Je ne le pense pas !
Par rapport aux familles, il en va de même. Elles sont une source
d'information et les contacter fait aussi partie du travail du journaliste, étant entendu qu'il appartient ensuite à chacun de trouver l'équilibre pour ne pas
forcer la main et respecter la dignité de son interlocuteur.
M. Robert PANDRAUD : D'autant que la publication d'une nouvelle
tronquée appelle le plus souvent une mise au point officielle, utile au lecteur.
Mme la Présidente : Je vous remercie au nom de tous mes
collègues. Vous nous avez fait toucher du doigt la difficulté d'aborder la vérité et d'interroger ceux qui se trouvent au plus près d'elle, compte tenu des
moyens dont ils disposent pour la dire.
Audition de M. Marc DEBY,
Conseil national des clients aériens (CNCA)
(Extrait du procès-verbal de la séance du 10 mars 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Les membres de notre mission sont heureux
de vous accueillir. Vous êtes président du Conseil national des clients aériens - CNCA -, mais vous avez, auparavant, occupé le poste de directeur de l'Institut
national de la consommation, ce qui vous a tout naturellement sensibilisé aux interrogations des consommateurs et tout spécialement à celles des clients aériens.
Je vous laisse la parole avant que mes collègues et moi-même vous
posions quelques questions en vue de compléter notre information.
M. Marc DEBY : Mme la Présidente, mesdames et messieurs, je
vous remercie de votre accueil. Je suis effectivement président du Conseil national des clients aériens, dont l'ancienne appellation Comité des usagers du
transport aérien, a été modifiée sous l'impulsion de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, afin de mieux traduire son implication
en FAVÉur des consommateurs.
Ce conseil a été créé en 1995, par une décision, ultérieurement
transformée en arrêté ministériel, du ministre de l'équipement, du logement et des transports de l'époque, sous le nom de Comité des usagers du transport
aérien. Ce comité est devenu, en juin 2003, le Conseil national des clients aériens tout en conservant intégralement sa composition pluridisciplinaire et sa
mission d'étude de la qualité du service rendu au passager aérien. Outre des personnes qualifiées, il regroupe en son sein des représentants des organisations
de consommateurs, des opérateurs du transport aérien - compagnies, aéroports, agents de voyage - ainsi que les administrations en charge de ces questions.
Il est entièrement financé par la direction générale de l'aviation
civile (DGAC). Il établit et publie dorénavant chaque semestre un observatoire des retards du transport aérien : vous trouverez dans le petit dépliant qui vous
a été distribué la synthèse des travaux auxquels il se consacre dans ses études sur les retards. Le CNCA publie également chaque trimestre une lettre
d'information intitulée « Passager aérien » qui est diffusée à 300 000 exemplaires dans une trentaine d'aéroports.
Par ailleurs, le CNCA s'est également adressé aux professionnels au
cours d'une journée du passager aérien qui a réuni 140 professionnels, le 14 janvier 2004, sur le thème : l'information, un droit pour les clients, un devoir
pour les opérateurs.
Vous me permettrez de faire quelques remarques préalables sur
l'ensemble du sujet qui nous intéresse aujourd'hui.
Le Conseil national des clients aériens, s'il porte de l'intérêt à
toute démarche des opérateurs visant à renforcer la sécurité du transport aérien, n'a pas vraiment compétence à aborder ces questions purement techniques qui
touchent à la sécurité aérienne : sécurité des aéronefs, niveaux de qualification des personnels, et autres... Toutefois, dans ce cadre, les clients ont, bien
évidemment, conscience du fait que la sécurité aérienne participe pleinement de la qualité du service et ils n'accepteront en aucun cas que le haut niveau de
sécurité recherché dans le transport aérien puisse être abaissé au nom de quelque autre impératif. Pour le client aérien, la première qualité du service est
avant tout la sécurité.
En parallèle à cet enjeu capital, il en est un autre tout aussi
important : la sûreté du voyage. Ce sujet ne sera pas abordé ici, mais le Conseil national des clients aériens se réserve d'y revenir, ici ou dans d'autres
enceintes, compte tenu de l'impact des nouvelles mesures. Je pense, d'une part, aux nouveaux dispositifs de sûreté, mis en place pour l'essentiel au cours des
deux dernières années, dans les aéroports, d'autre part, aux nouvelles technologies dont l'implantation doit s'effectuer dans les prochains mois - notamment la
biométrie - ou aux interventions déjà effectuées puisque le blindage des portes de séparation des cockpits est achevé et que la présence des personnels de
police en civil, de type air marshals est d'ores et déjà effective.
Pour en revenir à la sécurité proprement dite, plusieurs axes de
réflexion peuvent être envisagés : les questions concernant les aéronefs au sens large, comprenant naturellement le contrôle technique des compagnies, des
avions et des pilotes, mais aussi tout ce qui touche à la sécurité pendant le vol ainsi que les aspects liés à la nécessaire information des clients.
Pour autant, il faut avoir présent à l'esprit que tous les aspects
qui touchent à la relation qu'ils entretiennent avec le système de transport restent ce qu'il y a de plus important pour le client. Cela revient à dire que ces
questions techniques, dont j'ai précisé qu'elles n'étaient pas de la compétence du CNCA, s'inscrivent dans une trame plus globale qui est celle de la façon
dont le client reçoit les informations qui lui sont restituées. Cet aspect des choses est, aujourd'hui, capital. En effet, la relation d'un opérateur à son
client n'est pas uniquement constituée d'une somme d'éléments matériels ; elle comprend aussi une dimension immatérielle qui est le propre de nos sociétés dite
de « l'information ». Si les opérateurs doivent connaître toujours davantage les attentes de leurs clients et leurs insatisfactions, ils doivent aussi mesurer
ce que le client ne dira pas forcément et qui touche plutôt à ce qu'il sait du transport aérien, ce qu'il en apprend, notamment par voie de presse. Il doit
ainsi apprécier comment il situe le transport aérien dans son propre référentiel de valeurs. La réponse du client à cette dernière question passera par toute
une palette de considérations allant d'une représentation du transport aérien comme moyen quasi-exclusif, voire irremplaçable d'évasion à une vision plus
largement dévalorisée d'un système régulièrement en panne, régulièrement paralysé par des dysfonctionnements de toute nature.
Ainsi le transport aérien constitue-t-il - avec peut-être la
chirurgie esthétique et ses aléas - l'activité économique offrant la gamme la plus étendue de jugements entre le paradis des espérances et l'enfer des
réalités. Je m'exprime sur ce point en ma double qualité de praticien du transport aérien et d'ancien directeur de l'Institut national de la consommation qui a
eu à connaître de bien des services mal rendus en matière de chirurgie esthétique.
Pour l'avenir, si la confiance des clients envers ce mode de
transport que nous avons reconnu comme irremplaçable demeure et si la demande qu'il suscite augmente, le trafic devrait reprendre le rythme de croissance de
l'ordre de 6 % par an qui a prévalu pendant des décennies, malgré le coup d'arrêt survenu ces deux dernières années. Il n'est donc pas douteux que cette
croissance pourra entraîner une augmentation du nombre des accidents, mais cette progression ne devrait pas, selon nous et d'après les informations que nous
tenons des autorités, s'opérer de façon homothétique. Dans une telle activité, cependant, le client sait bien que le risque zéro n'existe pas, ce qui souligne
toute l'importance et la pertinence de la qualité des contrôles qui, eux aussi, se sont développés depuis quinze ans.
Pour ce qui est de la sécurité aérienne et du contrôle technique
international, le régime élaboré au fil des ans depuis l'entrée en vigueur de la convention de Chicago, qui combine un dispositif de garantie par l'Etat
d'immatriculation et un complément diplomatique et économique sous forme de droits de trafic réciproquement accordés, s'est renforcé avec l'instauration, à
partir des années 1990, d'un programme général d'audit des autorités étatiques d'aviation civile. Ce dernier est lui-même complété par un programme dit « SAFA »,
dont vous avez dû entendre parler et qui est un programme d'inspection rapide soit purement administratif, soit, en cas de constatation d'un défaut technique
visible, assorti d'une demande de correction immédiate.
Le client ne peut que se féliciter de l'existence de ces différents
niveaux de contrôle dont l'organisation paraît couvrir les besoins des opérateurs en vue d'une sécurité maximale d'exploitation des aéronefs. En effet, si l'on
peut avoir l'assurance que c'est précisément dans cette articulation que réside l'efficacité du système, ce n'est que dans la mesure où cette vérification
pourra être réalisée, et où nous serons convaincus de la cohérence du dispositif, que nous pourrons nous en louer.
S'agissant des modèles économiques différents et de la façon dont
les types de compagnies aériennes appréhendent les questions de sécurité, les autorités d'aviation civile font état d'efforts positifs pour la mise à un même
niveau d'exigence des compagnies charters et des compagnies majeures.
Quant aux compagnies dites « low cost », ce sont en Europe,
pour l'essentiel - je ne parle pas de celles qui interviennent, nombreuses, dans le sud-est asiatique - de jeunes compagnies disposant de flottes plutôt
récentes.
Le CNCA accepte l'augure de ces bonnes nouvelles, mais ses membres,
après avoir assisté à de multiples débats d'experts, souhaiteraient faire une suggestion sur un cas particulier : celui des avions ayant appartenu à plusieurs
propriétaires, comme c'était d'ailleurs le cas de l'appareil de Flash Airlines. Leurs réflexions s'inspirent de l'esprit critique qui doit guider tout acheteur
de véhicules automobiles d'occasion, appelé à faire la différence entre ceux qui sont de « première main » et ceux qui ne le sont pas. Les avions qui
connaissent des défaillances d'entretien semblent être plus nombreux dans la catégorie des aéronefs ayant appartenu à plusieurs propriétaires. C'est pourquoi
le CNCA propose de renforcer les contrôles des organisations internationales compétentes avec pouvoir de sanctionner la compagnie cédante et de rendre
impossible la cession en cas de contrôles techniques insatisfaisants, à l'image de ce qui se fait pour les automobiles.
En tant que composante de ces différents modèles économiques, la
baisse des prix constatée sur certains secteurs du transport aérien peut, certes, être un élément à surveiller, mais ne peut, dans mon esprit, être tenue pour
responsable d'une quelconque dégradation de la qualité technique des aéronefs. En fait, il s'agit là d'un débat assez complexe et nous ne pouvons que remarquer
que cette baisse ne semble affecter que quelques lignes sensibles sur lesquelles semble précisément s'amorcer une concurrence - par exemple, lorsque deux,
voire trois compagnies desservent la même ligne - ce qui est loin d'être le cas de la grande majorité des vols intra-européens dont les tarifs restent fort
élevés. Il y a là une véritable rente pour les compagnies majeures et il ne faut pas être dupes de la communication de certains opérateurs qui, bien installés
dans le confort des droits de trafic bilatéraux, crient « au loup ! » quand arrivent sur leur marché des concurrents issus d'un modèle économique différent et
qui dégagent une rentabilité supérieure.
Pour ce qui est de la nécessité d'une coordination accrue, nous ne
pouvons que nous réjouir de la relance du projet de directive SAFA de 1997, rendu caduc en 1999, mais remis sur le métier par Mme de Palacio en 2002. Elle a
atteint la phase conclusive de sa procédure de conciliation, en novembre 2003, intégrant les amendements du Parlement européen et prévoyant notamment un
pouvoir d'injonction de la Commission européenne pour décider, soit d'immobiliser un appareil, soit d'étendre les mesures prises à l'ensemble de l'Union
européenne.
A la suite à l'accident de la compagnie Flash Airlines, nous avions,
en séance, posé la question de savoir pourquoi, à partir du moment où un Etat comme la Suisse avait signifié à cette compagnie l'interdiction de desservir son
territoire, un processus de coordination automatique pouvant déboucher sans délai à une interdiction étendue à tous les Etats n'avait pas été mis en _uvre.
L'évolution proposée avec cette directive paraît positive, mais seulement si le pouvoir d'interdiction peut être conféré à la Commission européenne, alors que,
selon mes dernières informations, les Etats conserveraient un large pouvoir d'appréciation sur ce principe d'interdiction. Actuellement, ce sont les seules
informations dont je dispose, mais on devrait apprendre bientôt si la directive va dans le sens souhaité.
En tout état de cause, rechercher dans l'insuffisance ou le manque
de coordination des contrôles, l'origine des problèmes de sécurité du transport aérien constitue probablement une voie à explorer, mais elle ne saurait être la
seule. Au nombre de mes suggestions se distingue nettement le souhait de voir mettre en place le renforcement des pouvoirs, tant des organisations
internationales spécialisées dans le transport aérien que des organisations communautaires.
Avec l'information des clients finaux et des professionnels du
voyage, j'en arrive à un sujet un peu différent. Dans la logique du raisonnement que je viens d'exposer, les clients ne peuvent qu'être favorables à l'idée
qu'on puisse leur délivrer une information concernant la sécurité. Je ne rappellerai que pour mémoire ce qui relève de l'information générale : d'une part,
tout ce qui a trait à la connaissance du secteur, notamment les questions techniques de sécurité visant à donner des informations généralement positives sur
les nouvelles technologies ; d'autre part, tout ce qui concerne les événements relatés dans la presse. C'est cet ensemble qui permet au client de modifier le
référentiel de valeurs auquel j'ai fait précédemment allusion.
Concernant ces deux aspects, nous sommes conduits à constater que,
pour répondre à certaines interrogations, les comportements et appréciations des clients sur le transport aérien ont considérablement évolué, depuis quelques
années. La connaissance du nom de la compagnie assurant le service revêt aujourd'hui d'autant plus d'importance que les compagnies ont, elles-mêmes, développé
la pratique du partage de code (code-share) par lequel un transporteur, pourtant identifié sur le billet du client, qui fait en quelque sorte fonction
de contrat de transport passé avec l'opérateur, confie ses clients à un autre transporteur. C'est une pratique qui existe et il est donc parfaitement légitime
que les clients réclament et obtiennent le nom de leur transporteur réel, même quand, en cas de voyage à forfait, seul l'agent de voyage est le cocontractant
du client.
De même que nous avons critiqué la pratique obscure du code-share
et demandé que les vendeurs de billets indiquent systématiquement le nom du transporteur réel, de même, nous estimons très légitime que cette information
soit apportée aux clients des tour-opérateurs et vendeurs de voyages à forfait. Les agents de voyage doivent donc également disposer préalablement de ces
informations.
En outre, en cas d'interdiction prononcée contre une compagnie
aérienne, il serait opportun d'adopter le principe d'un accès libre du client à une liste noire des opérateurs reconnus inaptes à exploiter un service de
transport de passagers. Dans la pratique, cette liste qui pourrait être régulièrement publiée exposerait les raisons de l'interdiction : panne technique,
défaut d'entretien, autorisation de desserte refusée par tel ou tel Etat. Son actualisation serait fort utile, non seulement pour les clients, mais également
pour les professionnels du voyage pour constituer leur offre aux clients finaux. En cas d'inscription nouvelle d'un opérateur sur cette liste noire, l'agent de
voyage qui aurait fait figurer son nom sur un catalogue de produits devrait pouvoir disposer d'un moyen objectif et simple - on peut penser à une banque de
données - pour rassurer son client et lui garantir que ladite compagnie n'est plus opératrice.
En revanche, et sous réserve d'un examen plus approfondi de la
question car j'avoue n'avoir pas d'éléments pour vous répondre plus précisément, il ne me paraît peut-être pas pertinent, pour le débat qui nous intéresse
concernant l'information utile des clients, d'établir une liste blanche d'opérateurs jugés techniquement aptes au transport des passagers, conformément aux
exigences actuelles de la sécurité aérienne. Sauf à porter un soupçon sur la liste noire, la liste blanche ne saurait en être que l'exact opposé.
Je voudrais, avant d'évoquer le sujet des personnes handicapées,
dire quelques mots de la sécurité aérienne en route. C'est un point évidemment très délicat qui ne pourrait être abordé par le CNCA que de façon très limitée.
En effet, d'aucuns, même si, personnellement, je pense le contraire, pourront en toute bonne foi arguer que cette question ne concerne ne rien les clients
aériens et qu'il convient même de les en tenir écartés. Il serait possible de faire droit à un refus global de s'intéresser à ce sujet si aucune information
n'était portée à la connaissance des citoyens sur la façon dont les avions sont contrôlés en vol. Mais alors, que penser de cette information parue le 19
février dernier, dans un journal local, Le Républicain lorrain, selon laquelle deux avions se sont frôlés au-dessus de Reims ? Bien que l'article
précise que les autorités françaises ont ouvert une enquête, le CNCA n'a, pour l'instant, ni par ce journal, ni par une autre source, appris quoi que ce soit
de plus et ignore toujours si cette enquête a abouti à des conclusions. Face aux rumeurs négatives qui circulent quant aux évolutions institutionnelles en
cours au sein des organisations étatiques, visant à séparer les fonctions opérationnelles des fonctions de régulation dévolues aux Etats, il apparaît d'autant
plus souhaitable d'adopter une attitude des plus transparentes, qu'une stratégie de silence ne peut qu'accroître le sentiment de défiance d'une partie de
l'opinion à l'égard du transport et du contrôle aériens. Il convient donc que les pouvoirs publics communiquent avec une pédagogie aussi soignée que possible
en direction des clients et, à cet égard, notre petite revue Passager aérien pourrait leur être un utile vecteur.
J'en viens à un point qui me tient encore plus à c_ur et que
j'appelle « l'alibi de la sécurité ». Le Conseil national des clients aériens tient à évoquer un sujet difficile par rapport auquel il restera vigilant : les
personnes handicapées voyageant en fauteuil roulant. Certaines compagnies, suivies par les postes d'inspection-filtrage des aéroports, arguent d'impératifs à
la fois de sécurité et de sûreté pour refuser aux voyageurs handicapés de conserver leur fauteuil roulant jusqu'en salle d'embarquement. Il faut savoir que les
personnes handicapées font corps avec leur fauteuil. L'obligation de s'en défaire devrait être limitée à la stricte durée du vol, pour leur éviter de se
trouver plus longtemps dans une situation qu'elles vivent comme précaire.
Un groupe de travail du CNCA réfléchit sur ces sujets, en
collaboration avec l'association des Paralysés de France et tous les personnels concernés depuis les équipages des compagnies jusqu'aux assistants d'escale en
passant par les représentants des aéroports et les sous-traitants. Il a ainsi permis d'établir qu'en réalité, et sans doute pour des raisons ayant trait au
fonctionnement routinier des compagnies et des opérateurs, les professionnels n'appliquent pas les recommandations IATA, qui préconisent la restitution du
fauteuil dès la sortie de l'appareil, et qu'ils ont d'eux-mêmes durci la réglementation concernant les contrôles aux postes d'inspection-filtrage.
Il faut savoir qu'aux Etats-Unis, un tel procédé est assimilé à une
discrimination et fait l'objet de sanctions. Il vous suffira de poser la question à Delta Airlines pour vérifier que cette compagnie maintient sans problème
les personnes handicapées dans leur fauteuil jusqu'à l'embarquement. Il s'agit, en l'espèce, d'un cas exemplaire aux limites, j'en conviens, de la sécurité
aérienne et la sûreté, mais il illustre bien à quel point cet alibi peut rendre particulièrement difficile ce qui me paraissait être un point essentiel de mon
exposé : la difficile relation de l'exploitant avec ses clients en raison de l'idée que ces derniers s'en font.
Enfin - cette réflexion est connexe de celle relative à la
conception des espaces offerts aux clients dans les aéronefs -, l'interdiction d'embarquement ou d'usage d'objets personnels pour des motifs de sécurité - ou
dans l'exemple précédent parce qu'il n'existe en cabine aucun système de fixation du fauteuil roulant, susceptible de résister aux mouvements de l'avion -
pourrait en fait être aisément réformée et définitivement réglée si la conception des volumes réservés aux bagages et aux espaces de circulation était revue.
Pour élargir cette piste d'étude, il faudrait donc que les constructeurs et les compagnies réfléchissent, parallèlement à ce qui a trait à la sécurité
d'exploitation des avions, à une amélioration du confort du passager, y compris pour la classe économique - car, on ne voit guère ce qui pourrait être refusé,
pour des raisons de sécurité, en classe supérieure... Ce sera un facteur important de la restauration de la confiance du client vis-à-vis de ce secteur qu'il
contribue notablement à faire vivre.
Mme la présidente : Dans la mesure où vous représentez des
usagers qui sont souvent tenus dans la préparation de leur voyage par des contraintes financières, et où j'ai eu connaissance de prix d'appel de l'ordre
d'environ 250 euros pour un voyage aller-retour en Egypte, incluant sept nuits d'hôtel en demi-pension, une question me vient immédiatement à l'esprit. Ne
croyez-vous pas, même si vous présentez les compagnies de charters et les compagnies low cost comme presque « blanc-bleu », que la réduction maximale de
prix puisse conduire à réaliser à des économies sur les salaires et les conditions de travail des personnels et, sans vouloir stigmatiser un maillon de la
chaîne, qu'elle puisse être facteur d'accident ?
M. Marc DEBY : Je ne vous suivrai pas, Mme la présidente, sur
ce point : on m'a expliqué à plusieurs reprises que la garde n'était pas baissée sur ces questions. C'est un grave soupçon qui est porté là ! J'ai interrogé
personnellement plusieurs patrons de compagnies charters qui m'ont affirmé qu'ils avaient élevé leur niveau d'exigence depuis un certain nombre d'années et que
jamais le prix ne devait être lié à un quelconque sacrifice en matière de sécurité. Il est difficile de se prononcer sur ce sujet : il faudrait pouvoir
apprécier, comme le fait la direction générale de la concurrence et de la consommation, à partir de quel niveau on gagne encore de l'argent sur une vente que
l'on suppose n'être pas à perte puisque de telles ventes sont, en principe, interdites !
Mme la présidente : Vous voulez parler des prix abusivement
bas ?
M. Marc DEBY : C'est peut-être sur ce point que la direction de
la concurrence et de la consommation devrait centrer ses recherches. Cela étant, il faut bien voir que les Français voyageant peu et réagissant surtout à des
incitations, les prix d'appel doivent avoir un caractère attractif ! Il faut également étudier, car c'est une composante, à quel prix sont estimées les nuits
d'hôtel pour un très grand tour-opérateur qui a la puissance de négociation pour casser les prix pendant un certain temps.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous avez évoqué le problème de
l'information de la clientèle qui, comme je le comprends parfaitement, est essentiel de votre point de vue. A ce propos, vous avez fait allusion à ce fameux
problème des listes noire et blanche. S'agissant de la liste blanche, comment envisageriez-vous d'assurer sa crédibilité ? Qui, selon vous, peut donner le label,
sur quels critères et avec quelles garanties d'objectivité ? Qu'est-ce qui permettrait d'éviter les contentieux en cas d'accident d'un appareil appartenant à une
compagnie figurant sur la liste blanche et donc ne figurant pas sur la liste noire ?
M. Marc DEBY : Nos sociétés de l'information sont aussi les
sociétés du soupçon. Le soupçon est partout : il s'est insinué dans nos vies, dans nos réflexions, depuis une vingtaine, voire une trentaine d'années. La
pression de l'information par les médias y est pour beaucoup, mais ils sont un moyen essentiel de connaissance par le client du monde du transport aérien.
Quelle serait la bonne démarche ? Je pense qu'il ne serait sans
doute pas bon, si les autorités lançaient ce principe de liste noire, de leur conserver trop longtemps un pouvoir de publication. Il faudrait que des
organisations internationales, offrant toutes les garanties, bien outillées, actives, disposant d'un pouvoir de sanction, puissent délivrer ces listes noires.
Evidemment, au cas où une compagnie figurant sur une liste blanche, serait victime d'un accident, il faudrait peut-être prévoir un contrôle renforcé, étant
précisé que celui-ci ne s'effectuerait qu'a posteriori. Même si ces contrôles ont bien une fonction préventive, même si le client se trouve face à un
transporteur ayant tout intérêt à ce que le vol se déroule dans les meilleures conditions, il faut quand même rappeler que les impondérables ne sont pas
évitables et que le risque zéro n'existe pas. C'est un problème difficile.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Quand vous parlez « d'organisations
internationales », pensez-vous à la IATA - International air transport association ?
M. Marc DEBY : Je ne pense pas que la IATA, dans sa
configuration actuelle, pourrait assumer cette fonction. Je pense plutôt à un organisme qui s'appuierait techniquement sur la IATA, sans être sûr que ce système
soit totalement satisfaisant du point de vue du client qui reste seul face à la compagnie.
M. Jean-Pierre BLAZY : Nous avons bien compris que vous parlez
maintenant de clients et non plus d'usagers, néanmoins nous avons également bien noté que les clients d'aujourd'hui sont plus soucieux de sécurité que les
usagers d'hier et que nous leur devons, les uns et les autres, et tout particulièrement vous à travers le CNCA, de prendre en compte leurs attentes. Vous avez
d'ailleurs formulé des propositions intéressantes.
L'essentiel de votre activité, en 2003, a été d'établir un
observatoire des retards, comme en témoigne le document que vous nous avez remis et qui dresse une liste des causes des retards. Cette question des retards a
fait l'objet de polémiques car il est évident, lorsque l'on prend l'avion, que l'on souhaite partir à l'heure, mais la sécurité qui nous préoccupe aujourd'hui
et qui compte parmi les causes possibles de retard, ne pourrait-elle pas être examinée de façon plus précise pour améliorer la transparence souhaitable en la
matière ? En quoi votre organisme pourrait-il y contribuer ?
M. Marc DEBY : Je vous remercie, M. le député, de cette
suggestion qui est fort intéressante. Nous ne traitons pas de la sécurité car dans les 70 causes répertoriées par la IATA, la sécurité sous-tend largement toutes
les causes imputables aux compagnies aériennes, qui sont extrêmement nombreuses. Vous trouverez dans le document plus développé, aux pages 50 et 51, le détail
des « causes IATA » où apparaissent les causes de retard dans l'exploitation et cette présentation prend en compte le souci de la compagnie, d'intégrer la
sécurité. En principe, il est ainsi répondu à votre demande. Je dis bien « en principe » car nous n'avons pas de garanties et c'est pourquoi je trouve votre
suggestion fort judicieuse.
De même que nous avons créé une catégorie « aéroports et services de
sûreté » pour distinguer les aspects propres à l'exploitation des aéroports des retards liés à la sûreté, c'est-à-dire aux postes d'inspection et de filtrage
et aux douanes dès lors que l'aéroport est international, de même, il serait intéressant de créer une sous-catégorie « compagnies aériennes et sécurité ».
Je vous remercie de cette suggestion que je transmettrai aux experts
de l'Aviation civile qui ont bâti avec moi, pendant de longues années, cet observatoire des retards qui a fait l'objet d'un manuel d'exploitation utilisé dans
les aéroports de notre échantillon.
M. Marcel DEHOUX : Je reviendrai, quant à moi, à la liste
blanche et à la liste noire : je ne crois pas beaucoup à l'internationalisation d'un tel système dont je considère que l'on découvrira assez vite les limites.
Par ailleurs, cette fonction ne relève-t-elle pas des compétences de la DGAC ?
M. Marc DEBY : J'ai répondu à M. Descamps sur ce point. Un tel
travail pourrait parfaitement revenir à une instance étatique, mais je crois qu'un soupçon peut subsister, notamment sur la question de savoir où la situer dans
ce grand travail de séparation, actuellement en cours, entre les autorités de contrôle et les autorités de régulation.
Il faudrait en effet probablement réfléchir pour faire en sorte que
la DGAC lance ce processus dans le respect des normes qu'elle est capable de poser et qu'un organisme puisse, ensuite, « européaniser » le chantier. Compte
tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, c'est une dimension qui me paraît essentielle. Ce que nous jugeons inadmissible, c'est
qu'un pays européen puisse décider d'interdire une compagnie de son territoire sans qu'aucune mesure de coordination ne soit prévue, sans qu'il y ait
automaticité. C'est une question fondamentale !
Si, au niveau européen, nous devons nous en tenir au vieux respect
des accords bilatéraux toujours en vigueur dans les transports aériens - quand on parle de « dérégulation », il faut reconnaître qu'elle est très limitée - à
quoi sert de faire l'Europe, à quoi sert de trouver des mécanismes communs pour des pays présentant les mêmes standards tant par rapport à l'économie que par
rapport à l'évaluation par leurs clients des opérateurs, des agents de voyage, et des compagnies aériennes ? Nous réclamons avec insistance, d'une part, cette
automaticité, d'autre part le moyen aussi simple que possible, pour les agents de voyage, d'avoir accès à la connaissance des compagnies.
M. le Rapporteur : Quel est votre budget ?
M. Marc DEBY : Nous fonctionnons sur des lignes budgétaires de
la direction générale de l'aviation civile.
M. le Rapporteur : Je pense que vous connaissez votre budget ?
M. Marc DEBY : N'y voyez aucune résistance de ma part, mais je
n'ai pas les chiffres en tête d'autant qu'un certain nombre d'éléments demandent à être globalisés.
Notre budget finance en premier lieu l'action de communication dont
je vous ai parlé, la « Journée du passager aérien ». Il couvre également le marché passé avec le sous-traitant qui réalise la lettre « Passager aérien »
et le distributeur, ainsi que les frais d'établissement de l'observatoire des retards. Il comprend, en outre, ce qu'il conviendrait d'ajouter, en comptabilité
analytique, au titre du temps passé par certaines personnes de la DGAC, que je sollicite et qui travaillent avec moi, généralement à temps très partiel. Je
souligne que le Conseil national des clients aériens, créé par arrêté du ministre chargé de l'Aviation civile, n'est rien de plus qu'une réunion de ses
participants, qui sont au nombre de 24, dont les organisations de consommateurs et les opérateurs, tout se faisant, si je peux dire « en régie » de la
direction générale de l'aviation civile, qui assure le secrétariat des réunions trimestrielles du Conseil.
M. le Rapporteur : Vous voulez dire que vous n'avez pas de
financement direct, que vous n'avez pas de personnel et que la DGAC pourvoit à vos besoins en fonction de ses lignes budgétaires ?
M. Marc DEBY : C'est exact.
M. le Rapporteur : Vous n'employez donc aucun permanent, pas
même une secrétaire ?
M. Marc DEBY : Non, aucun permanent !
Mme la présidente : Vous êtes donc pieds et poings liés à la
DGAC ?
M. le Rapporteur : Est-ce une bonne chose que les représentants
des usagers soient à ce point soumis à la DGAC ?
M. Marc DEBY : Je ne le pense pas et j'ai abordé avec
l'administration l'idée d'une autonomisation du conseil. J'ai notamment envisagé l'hypothèse de son évolution en établissement public ou en association,
éventuellement susceptible de recevoir d'autres financements. Ce sont des points délicats qui renvoient au risque de création de gestion de fait ou à des
difficultés du même ordre. C'est donc un sujet sur lequel j'ai demandé à la DGAC de se prononcer et auquel, je crois, elle est en train de réfléchir. Je la
sollicite régulièrement, peut-être ne le fais-je pas encore suffisamment...
A cet égard, si les parlementaires avaient une proposition dans ce
sens à formuler, peut-être devraient-ils la faire connaître à la direction générale de l'aviation civile. Je crois en effet que, malgré l'excellente
disponibilité des membres du Conseil national des clients aériens avec qui les relations sont confiantes, ce sont des financements propres sur lesquels nous
adosser qui nous font le plus cruellement défaut, pour mener les études nécessaires à la qualité du service dans le transport aérien.
M. le Rapporteur : Existe-t-il d'autres structures
représentatives des clients aériens ?
M. Marc DEBY : Il s'agit pour l'essentiel d'organisations de
consommateurs, qui font d'ailleurs partie de notre conseil.
M. le Rapporteur : Oui, mais ce sont les « apparatchiks » que
l'on retrouve dans toutes les instances où la loi a prévu une représentation des organisations. En d'autres termes, ce ne sont pas des spécialistes du transport
aérien ?
M. Marc DEBY : Certains le sont, d'autres non seulement ne sont
pas des spécialistes des transports aériens mais sont même favorables à d'autres modes de transport, ce qui est beaucoup plus gênant !
Je dois préciser que nous avons aussi un site internet sur lequel
nous recevons les appels des clients : c'est un site intégré à celui de la DGAC.
M. le Rapporteur : Nous avons entendu les agents de voyage nous
expliquer qu'ils n'ont pas les moyens de savoir ; nous venons de recevoir un journaliste nous dire qu'il parlait au nom des clients qui le harcelaient de
questions mais qu'il y avait des impératifs de sécurité etc. Beaucoup parlent au nom des clients, alors que personne ne les représente vraiment. C'est un
problème important et c'est pourquoi je me permets d'insister. J'ai l'impression qu'en France, dans ce secteur comme dans bien d'autres, il y a un réel problème
de représentativité des consommateurs et, en l'occurrence, des clients.
M. Marc DEBY : Tout de même, M. le député, il est des
organisations de consommateurs qui, sans être convaincues de l'importance de leur représentativité, aboutissent à quelques résultats ! Je citerai une
organisation comme l'Union fédérale des consommateurs qui dispose de structures relativement étoffées. Elle s'exprime à travers un journal, Que choisir,
souvent présenté comme le concurrent de 50 millions de consommateurs que j'ai dirigé et transformé en 60 millions de consommateurs. Elle est assez
puissante et bénéficie d'un minimum de représentativité. Il en existe d'autres plus spécialisées dans le transport mais nous retombons là sur la question de la
FNAUT - Fédération nationale des associations d'usagers des transports - que nous avons précédemment évoquée.
M. le Rapporteur : Vous penchez plus en FAVÉur de la liste
noire que de la liste blanche. Qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre, nous commençons à voir au sein de cette mission que le problème est extrêmement complexe.
En effet, sur quoi porterait une liste noire ? Elle devrait prendre en compte les compagnies, les aéroports, mais aussi les pays à risque. On pourrait ainsi
multiplier les listes noires ! Nous touchons là à un problème qui doit être, ou qui sera, au c_ur de la problématique du groupe de travail transparence, qui a
été soulevé par M. Descamps, et qui consiste à savoir qui accordera le label.
Si c'est la France, la DGAC pourra contrôler ce qui se passe sur le
territoire national, ce qui relève de son pavillon et ce qui relève de son droit, mais je vois mal comment elle pourrait distribuer les bonnes et les mauvaises
notes à travers le monde. Quand bien même pourrait-elle le faire en ayant accès à un certain nombre d'informations dont elle dispose librement, cela n'irait
pas sans entraîner des mesures de rétorsion ou sans mettre la France en difficulté. On voit donc bien que ce n'est sans doute pas à l'échelle des Etats que
l'on pourrait mettre en place un tel label de façon efficace.
Restent donc les organisations : l'OACI - Organisation de l'aviation
civile internationale - juge des Etats sans que personne ne connaisse réellement ses conclusions, étant précisé qu'elle ne juge pas forcément les compagnies et
les pratiques ; l'objectif de la IATA n'est pas celui-là puisqu'il s'agit d'un regroupement de compagnies aériennes qui « se partagent le gâteau ».
Nous sommes ainsi confrontés à un véritable problème au niveau
européen, et plus encore au niveau mondial.
M. Marc DEBY : Je pense, d'une certaine façon, et même si ma
réflexion peut vous paraître un peu utopique, que s'il nous fallait aller vers des abandons de souveraineté à l'échelle mondiale et passer par la dévolution de
certains pouvoirs à un organisme, ce serait probablement dans le domaine aérien qu'il conviendrait de nous y essayer en lui donnant un véritable pouvoir de
contrôle et de sanction.
Même si j'ignore comment faire aboutir un tel projet à l'échelle
internationale, je me demande si ce n'est pas sur ces matières purement techniques qu'il serait plus aisé de trouver un accord, mais j'ai bien conscience du
caractère utopique de mon observation.
M. le Rapporteur : Avez-vous des remarques ou des jugements à
formuler sur le BEA (Bureau d'enquêtes et d'analyses) et la politique très précautionneuse de diffusion de l'information qu'il conduit pour des raisons
évidentes : la nécessaire gestion à la fois de l'opinion publique et des familles.
Mme la présidente : Décidément, la DGAC est une grande
famille !
M. Marc DEBY : Tout le monde est lié à la DGAC et c'est
effectivement une grande famille qui regroupe toutes les fonctions, ce qui pose aussi problème - d'où le projet actuel de séparation des fonctions dans
l'Aviation civile.
Personnellement, je ne perçois pas dans l'attitude actuelle des
clients - mais sommes-nous représentatifs, en effet ? - de reproches adressés à l'aviation civile en France. La direction générale de l'aviation civile
me semble disposer d'un excellent crédit aux yeux de tous les Français que ces derniers prennent ou ne prennent pas l'avion. On a l'impression qu'une sorte de
main tutélaire est là pour contribuer à la surveillance.
Dans ces conditions, il n'est pas absurde d'imaginer que le BEA
puisse être intégré à la direction générale de l'aviation civile. Pour autant, comme le disait l'un des experts de ce bureau, on n'a pas toujours, voire
rarement, les explications finales dans un accident. Le problème relève donc plus de la gestion de l'instant, de la gestion de la procédure durant un certain
délai. Or, il est vrai que, de ce point de vue, les clients n'ont personne d'autre que les compagnies aériennes et les compagnies d'assurance pour gérer leurs
problèmes de victimes et, par voie de conséquence, d'indemnisation. A cet égard, le système est largement incomplet et il conviendrait peut-être de prévoir une
forme d'audit, réalisé par une autorité indépendante, permettant de vérifier que toutes les procédures ont bien été respectées. Mais jamais une assurance n'est
totalement apportée par la réponse d'un audit.
L'esprit humain est ainsi fait que l'individu éprouve toujours, par
une sorte d'« épistémomanie », le désir, jamais satisfait, de connaître la réponse au « pourquoi ». Malheureusement, l'établissement comme l'appréciation de la
responsabilité dans un accident restent _uvre humaine.
M. le Rapporteur : Avez-vous des précisions à nous apporter sur
les indemnisations des victimes ?
M. Marc DEBY : Nous n'avons de compétences en la matière. Nous
pouvons juste être conduits à poser des questions. Si je vous dis que nous ne sommes pas, non plus, le Conseil national des victimes des accidents aériens, ce
n'est pas que je veuille vous faire une réponse abrupte : je tiens juste à signaler qu'il conviendrait peut-être que, par des lettres de missions, notre conseil
soit chargé de vérifier si les indemnisations sont en cours et comment elles fonctionnent, étant précisé que, compte tenu de la faiblesse de ses moyens, il
serait contraint, pour le faire, de se retourner vers la DGAC !
Mme la présidente : Je souhaiterais vous poser une question
chiffrée : combien votre conseil compte-t-il de bénévoles ?
M. Marc DEBY : Nous n'avons aucun bénévole. Le Conseil compte
sur un certain nombre de ses membres qui acceptent, en cas de nécessité, de me remplacer à certaines réunions.
Mme. la présidente : A vous entendre, j'ai le sentiment que
vous vous occupez plus du confort du passager que de sa sécurité ce qui n'est pas un reproche car, compte tenu des moyens dont vous disposez, je vois mal comment
il pourrait en être autrement.
M. Marc DEBY : Je souscris à ces propos, même si je
substituerais plutôt à cet objectif de confort celui de « qualité de service ».
Mme la Présidente : Une autre remarque : alors que les clients
qui, pour reprendre votre formule, font confiance à la « main tutélaire » de la DGAC, souhaitent bénéficier des prix les plus bas, ce qui peut se comprendre,
leurs familles en cas d'accident exigent des indemnisations qui m'effarent, pour ne pas dire qu'elles me choquent, sachant qu'une vie humaine, au-delà des
difficultés rencontrées par les familles, n'a pas de prix ! Dans ces circonstances, quelles sont vos relations avec les associations de victimes ?
M. Marc DEBY : Nous n'en avons pas, Mme la présidente. Notre
action ne s'est pas étendue à ce sujet, faute d'avoir la disponibilité suffisante. Je ne dis pas que les associations de victimes ne présentent pas un intérêt
majeur, mais nous estimons que leurs problèmes relèvent plus des compagnies d'assurance et des compagnies aériennes.
M. Jean-Pierre BLAZY : Nous comprenons parfaitement quelles
sont les limites de votre champ d'activité. Pour autant, vous reconnaissez vous-même que dans la préoccupation des clients la sécurité est essentielle et qu'elle
est appelée à le devenir de plus en plus. Nous sommes toujours plus nombreux à voyager, le trafic augmente, et, par voie de conséquence, les risques aussi.
S'il est possible de vous joindre sur internet, il faut emprunter le
chemin de la DGAC et puisque vous parliez d'une nécessaire autonomisation, peut-être pourrions-nous, dans le cadre des préconisations de notre mission, en
tenir compte... ?
Dans la mesure où les compagnies siègent au CNCA, comment
travaillez-vous avec elles ? Font-elles preuve de réticence pour aborder certains sujets ?
Par ailleurs, en dehors des accidents, des incidents peuvent aussi
survenir. J'ai été, moi-même, victime d'un incident, finalement léger, dans un appareil en provenance de Madrid qui, pour des raisons météorologiques - de
forts vents de cisaillement -, a dû remettre les gaz à l'approche d'Orly, alors qu'il n'était qu'à 170 mètres d'altitude. Ce n'est que par la suite, et en
usant de ma qualité de parlementaire, que j'ai pu apprendre les causes de cette complication qui a fortement secoué les passagers dont certains, arrivés assez
mal en point, doivent encore s'interroger, aucune explication ne leur ayant été fournie à l'atterrissage, bien que dix appareils aient subi le même sort ce
jour-là.
Je n'en veux aucunement à l'équipage qui avait sûrement d'autres
préoccupations, mais il me semble que, dans de telles circonstances, il conviendrait tout de même de prévoir une prise en charge et un accompagnement du
passager pour ne pas entamer sa confiance. Peut-être, un organisme comme le vôtre pourrait-il se soucier de cet aspect des choses ? C'est une suggestion !
M. Marc DEBY : Je vous remercie de cette suggestion à laquelle
je réagirai en vous disant que, comme nous procédons à des auditions, il nous arrive d'entendre divers témoins. Ainsi, de même que, lorsque le climat social a
été fortement dégradé dans un aéroport, comme cela a pu se produire au mois de septembre, nous avions convié le directeur dudit aéroport pour savoir comment il
avait pu maîtriser le conflit, de même, je serais très heureux de vous recevoir à l'occasion de nos prochaines auditions pour vous permettre d'exposer ce point
de vue. En effet, si les professionnels - et c'est un peu le défaut de leur consanguinité ou de leur connivence - ont tous quelque chose à raconter en termes
d'incident, au moment de faire des propositions pour y remédier, on ne trouve plus grand monde.
Or, pour des incidents comme celui que vous venez de nous relater,
il serait très intéressant de prévoir un mécanisme pour permettre à la compagnie de fournir automatiquement des explications. Il est malheureux de devoir
l'exiger, sur l'incitation de professionnels, en élaborant des règlements, des chartes de qualité ou autres documents quand il serait tellement naturel que le
commandant, juste après l'atterrissage, informe les passagers par un communiqué en cabine ou lors d'une réunion à la sortie de l'avion. Les clients ont
confiance dans le commandant de bord qui est présent, qui incarne la technicité du voyage et qui est un acteur rassurant. Il est donc essentiel qu'il puisse
communiquer, mais il me semblerait dommage d'en arriver à l'exiger par écrit !
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Existe-il à l'étranger et chez nos
voisins européens, des organisations de clients aériens ?
M. Marc DEBY : Pas comme le Conseil national des clients
aériens. En revanche, il y a l'AUC - Air transport users council - en Grande-Bretagne, qui est une organisation dont il me paraîtrait intéressant de nous
inspirer. Elle publie aussi beaucoup sur les retards. Elle se présente comme un « chien de garde » des consommateurs vis-à-vis du transport aérien.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Cet organisme se préoccupe-t-il de
sécurité ?
M. Marc DEBY : Je ne pense pas que cet organisme s'en préoccupe
particulièrement, mais son site internet est assez complet et décrit ses missions. C'est une entité qui interdit formellement la collaboration de membres
rémunérés de l'aviation civile britannique en son sein. Sous bien des aspects, il conviendrait de nous inspirer de son fonctionnement comme je m'applique à le
faire entendre actuellement à la DGAC.
M. le Rapporteur : Je reconnais qu'il doit être très difficile,
par exemple dans une mission sur les retards, de rédiger un document en expliquant qu'il y a des retards, avec autour de la table des représentants des
compagnies aériennes, de la DGAC, des contrôleurs aériens : je salue donc votre courage !
M. Marc DEBY : Je vous remercie de cet encouragement.
Il m'arrive cependant de me dire que je ne pousse pas assez de
« coups de gueule ». Je l'ai fait, cependant, tout récemment, ce qui a d'ailleurs été repris par le journal La Tribune qui a souligné ma colère et
résumé mon propos sous cette formule un peu abusive : « les compagnies menacées de devoir indemniser les retards ».
S'agissant de l'indemnisation des retards, il faut savoir que plus
d'un quart des vols accusent un retard de plus de quinze minutes et que le plus souvent les retards sont de trois quarts d'heure, compte non tenu des délais
pour récupérer les bagages et sortir de l'aéroport. J'estime que cette situation est absolument inacceptable et qu'elle doit changer d'autant que nous ne
notons quasiment aucune évolution d'une année sur l'autre, alors que le trafic stagne. Que se passera-t-il pour les retards, si la croissance du trafic
reprend ?
C'est dans ce contexte qu'a été lancée l'idée d'une indemnisation
des retards, tout en étant bien conscient qu'il ne s'agit pas d'un système fermé comme celui du transport ferroviaire qui permet une réelle prise en compte de
la responsabilité de la SNCF.
Mme la présidente : Monsieur, je vous remercie.
Table ronde regroupant des voyagistes composée de
M. René-Marc CHIKLI, CETO,
M. Georges COLSON, FRAM,
M. Bruno GALLOIS, Marsans,
M. Hervé PIERRET, Nouvelles frontières,
M. Jean-François RIAL, Voyageurs du monde,
M. Richard VAINOPOULOS, TourCom
(Extrait du procès-verbal de la séance du 16 mars 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : La mission d'information parlementaire,
chargée de mener une réflexion sur la sécurité du transport aérien de voyageurs, a souhaité auditionner des représentants du tourisme étant donné l'importance du
transport aérien dans cette activité.
Avant de passer au débat, je souhaiterais que chacun de vous se
présente aux membres de la mission.
M. Jean-François RIAL : Je suis président directeur général du
groupe « Voyageurs du monde », tour opérateur essentiellement spécialisé dans deux activités : l'organisation de voyages en individuel sur mesure (Chine,
Vietnam, Afrique du Sud, etc.) principalement en long courrier, et le tourisme d'aventure avec la marque phare « Terre d'aventure » qui fait partie de notre
groupe. L'ensemble de ces activités représente environ 120 millions d'euros de chiffre d'affaires pour environ 100 000 clients par an.
En ce qui concerne le sujet qui nous intéresse, nous affrétons des
avions sur la zone saharienne et le Maroc, et ponctuellement dans d'autres zones.
M. René-Marc CHIKLI : Je suis président de l'association des
tour-opérateurs CETO, association créée il y a une vingtaine d'années et qui a pris un essor il y a quelques années. Elle regroupe les cinquante principaux tours
opérateurs, qui représentent 5 milliards d'euros de volume de chiffre d'affaires.
Le CETO, qui est une association et non pas un syndicat, se prononce
sur toutes les évolutions de la profession. Il réunit son bureau exécutif une fois par mois et appelle, quatre fois par an, une assemblée générale. Avec la
direction du tourisme, nous avons émis récemment une charte concernant le voyage à forfait qui est notre activité principale et nous publions chaque année
l'ensemble des statistiques concernant les tour-opérateurs, la dernière publication ayant eu lieu courant janvier 2004.
M. Richard VAINOPOULOS : Je suis président du réseau d'agences
de voyages TourCom ainsi que médiateur auprès de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF). Le réseau
TourCom représente aujourd'hui 430 points de vente. Il s'agit de petites agences de voyages indépendantes qui se regroupent au sein d'une enseigne, ce qui leur
permet de négocier des avantages, tant auprès des fournisseurs que des transporteurs, de les garantir contre les problèmes économiques et de disposer d'une aide
pour la défense et la négociation vis-à-vis des transporteurs. Aujourd'hui, les 430 points de vente représentent 1 milliard d'euros et 1 200 salariés. Nous
sommes présents pour 61 % en province et 39 % à Paris.
M. Georges COLSON : Je suis président du directoire du groupe
FRAM, entreprise française, familiale et régionale dont le siège est implanté à Toulouse depuis 1949. FRAM est l'une des plus anciennes sociétés de tourisme et
celle qui, en 1957, a affrété le premier charter entre Toulouse et Palma. Nous faisons voyager aujourd'hui environ 600 000 passagers par an : 500 000 vols
spéciaux, notamment dans le bassin méditerranéen, mais aussi jusqu'au Sénégal et en Egypte, et 100 000 passagers en long courrier.
Notre chiffre d'affaires est de 480 millions d'euros. Nos effectifs,
en France et à l'étranger, avec 38 filiales, regroupent 4 000 personnes, dont 600 en France dans 82 agences de distribution, ce qui constitue une nouvelle
activité pour FRAM. Nous avons des hôtels répartis dans différents pays, y compris dans les Antilles françaises. Nous faisons également du transport routier de
passagers, une activité qui fait partie intégrante de l'histoire de FRAM. En la matière, nous avons des filiales en France et dans d'autres pays.
FRAM a été l'entreprise la plus touchée par le drame de Charm
el-Cheikh du 3 janvier dernier.
M. Bruno GALLOIS : Je dirige le tour opérateur Marsans,
spécialisé dans les destinations hispaniques. Sous la marque TransTour, nous sommes plutôt tournés vers l'Europe Centrale, l'Asie centrale, etc.
Nous faisons voyager environ 115 000 passagers chaque année pour un
chiffre d'affaires de 140 millions d'euros. Nous affrétons sur des vols spéciaux, tant en long courrier qu'en moyen courrier, environ 100 000 voyageurs sur les
115 000.
M. Hervé PIERRET : Je suis membre du directoire du groupe
Nouvelles frontières, en charge de l'aérien et de l'informatique. Je fais partie d'un des principaux groupes touristiques européens, le groupe TUI, dont le
chiffre d'affaires, pour 2002, s'élève à 13 milliards pour environ 20 millions de clients dans le tourisme.
La partie française que je représente, connue sous la marque
« Nouvelles frontières », a été rachetée à l'automne 2001 par ce groupe allemand. En France, nous réalisons 1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires pour
1,6 million de clients. La société emploie 5 000 personnes.
Notre groupe a la particularité, que ce soit au niveau français ou
européen, d'être intégré. Ainsi, en France, nous disposons de notre propre réseau de distribution « agences Nouvelles frontières », de notre compagnie
aérienne, de notre tour opérateur, de nos hôtels ainsi que de nos filiales de réceptif de clients dans les pays de destination. Nous affrétons un grand nombre
d'avions, principalement au sein de notre propre groupe, puisque les deux tiers de nos clients voyagent à travers notre compagnie Corsair.
Mme la Présidente : Avant de passer la parole au Rapporteur et
aux membres de la mission, pourriez-vous nous dire quelle est la source principale des problèmes de sécurité dans le transport aérien, notamment dans
l'organisation des voyages ?
M. René-Marc CHIKLI : Ce n'est pas une question à laquelle il
est facile de répondre. A la suite de l'accident de Charm el-Cheikh, est apparu tout d'abord un manque évident de transparence sur les compagnies charters non
européennes. Une polémique s'est développée autour de cette question, ce que nous comprenons mal parce qu'il ne s'agit pas, malheureusement, du premier accident
concernant un vol charter. Il me semble que cette polémique est née d'une confusion entre le nom de la compagnie, les dirigeants, la notion de « broker »
et les voyagistes qui ont affrété l'avion.
C'est pourquoi la commission « label », mise en place très
rapidement après cet accident, poursuit deux objectifs : apporter plus de transparence en terme d'information sur les vols et déterminer les normes de sécurité
que nous serons amenés à surveiller, pour autant que ce soit notre rôle. En effet, la responsabilité, en matière de sécurité, incombe en premier lieu au
Gouvernement et à la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). Pour notre part, en tant que voyagistes, nous ne faisons qu'affréter des vols.
Je voudrais insister sur un dernier point. Nous sommes petits dans
un grand marché. L'activité de voyagiste et de « chartérisation » est faible en France, alors qu'elle est très développée en Europe du Nord, notamment en
Allemagne. M. Pierret citait l'importance de son groupe qui, à lui seul, produit deux à trois fois le chiffre d'affaires de l'ensemble des voyagistes français.
Le problème de la sécurité dépasse la notion de charter, européen ou
non européen, et concerne tout autant les vols réguliers, comme en témoigne tous les travaux menés, y compris par les grandes compagnies. Depuis le début, les
voyagistes ont manifesté leur intention de participer à ces travaux. Aujourd'hui, nous devons impérativement travailler selon les mêmes règles que les
voyagistes européens. D'ailleurs, les différentes déclarations faites en France ont été automatiquement reprises au niveau de la Commission européenne.
M. Georges COLSON : En tant qu'opérateurs, nous ne pouvons pas
nous transformer en transporteur à chaque opération, qu'il s'agisse de vols affrétés ou de vols réguliers. Par conséquent, ce qui nous importe, s'agissant de la
sécurité de nos passagers et quelle que soit la compagnie, est de savoir si celle-ci a été agréée par le pays où elle existe et par celui où elle va.
Je pense qu'aujourd'hui, tous les pays du monde disposent des
autorités compétentes pour autoriser la création d'une compagnie. En France, nous avons le Conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM) qui étudie les
dossiers de création de compagnie, puis tous les organismes de contrôle. Il va de soi que, dès lors qu'une compagnie, quelle que soit son origine ou quel que
soit son nom, est à même de nous produire les documents d'autorisation de chacun des pays concernés, on dispose d'un premier élément de sécurité.
Il y a ensuite la maintenance de ces appareils qui répond à des
règles internationales, et pas simplement européennes ou extra européennes. Le propriétaire de l'avion ou le locataire doit satisfaire, à des périodes
déterminées, à des obligations de maintenance, qui se présentent sous forme de « check-lists ». Dès lors que nous avons confirmation que ces points ont
été satisfaits, nous pouvons, en toute sérénité et confiance, commencer à effectuer notre métier.
M. Richard VAINOPOULOS : La guerre des prix entraîne
aujourd'hui des systèmes d'économie permanente qui ont une incidence sur la qualité de la maintenance, le nombre et la formation du personnel. On sait, par
exemple, que le prix et la durée de la maintenance sont très différents en France et en Irlande. En France, la durée de la maintenance est plus importante qu'en
Irlande. De même, les tarifs présentent des différences notables. Par conséquent, lorsque certaines compagnies, en particulier low costs, cassent leurs
tarifs, on peut s'interroger sur le niveau de sécurité qu'elles apporteront demain à leurs clients.
M. Jean-François RIAL : Je ne suis pas du tout d'accord avec ce
que vient de dire M. Vainopoulos. Il me semble que l'on ne fait pas les bons raisonnements. Je précise que je ne suis pas un voyagiste qui propose, affrète,
utilise ou vend des compagnies low costs. Néanmoins, je pense que le modèle économique de ces compagnies aériennes n'a absolument rien à voir avec celui
des compagnies régulières et qu'aujourd'hui, jusqu'à preuve du contraire, la fiabilité et la sécurité des compagnies low costs sont extrêmement bonnes.
La guerre des prix, qu'évoque M. Vainopoulos, est tout à fait
réelle. Mais il faut savoir que dans le prix de revient d'une heure de vol, la quote-part liée à l'amortissement de l'avion est énorme ; elle représente la
moitié, voire plus selon les cas. Par conséquent, en fonction du taux de remplissage de ces avions, les compagnies aériennes ou les voyagistes qui les
affrètent peuvent décider de baisser les prix de façon considérable, sans pour autant que cela ait un rapport avec la maintenance.
Pendant les deux mois qui ont suivi l'accident de Charm el-Cheikh,
les médias ont fait état de deux contrevérités fondamentales. La première a été de lier la maintenance au prix de vente, alors que les éléments qui permettent
de baisser le prix de vente ne sont pas du tout liés à la maintenance. La seconde contrevérité a été de nourrir une problématique sur les risques liés aux
compagnies charters. Cela n'a aucun sens, puisque toutes les compagnies sont à la fois charters et régulières.
M. Hervé PIERRET : J'abonderai dans le sens des propos de
M. Rial. Aujourd'hui, nous sommes tous soumis à des règles communautaires identiques. Pour apprécier l'aspect tarifaire, il faut tenir compte des modes de
commercialisation, lesquels sont propres à chaque opérateur.
Certains opérateurs se disent low costs (à bas coûts), ou au
moins low fare (à bas tarifs). Ils adoptent une politique tarifaire très agressive en termes de publicité, les prix proposés pouvant aller de 9 euros à
300 euros par trajet. Il s'agit là d'une approche purement commerciale qui n'a rien à voir avec les postes de coûts, donc le respect des règlements
communautaires.
Par ailleurs, la presse est responsable d'un amalgame qui a été
préjudiciable à nos professions. Les voyagistes que nous sommes affrétons des avions complets et prenons le risque de commercialiser ces avions, dans le cadre
de voyages à forfait, en y ajoutant des prestations dans le pays de destination. Les compagnies régulières décident, quant à elles, à leur propre risque, de
vendre toute ou partie de leur capacité par le biais de systèmes informatisés de réservation à la place. Il s'agit de modes de commercialisation différents,
mais qui, en aucun cas, ne concernent les modes opérationnels, que ce soit l'entretien, le pilotage ou le maintien des compétences.
Il est donc nécessaire de bien séparer la façon dont sont
commercialisés des produits, avec plus ou moins d'agressivité tarifaire, de la partie opérationnelle, purement aérienne. Sur ce dernier point, il revient aux
Etats membres d'apprécier le respect des règlements par les compagnies aériennes qu'ils agréent, qu'ils autorisent ou qu'ils interdisent.
M. Bruno GALLOIS : Je suis d'accord avec ce qui a été dit par
mes collègues. Mais la vraie question est la suivante : y a-t-il réellement un problème fondamentalement nouveau de sécurité du transport aérien ? Les Français
ont été très touchés par l'accident de Charm el-Cheikh, que nous regrettons tous, mais il faut comprendre que cet accident n'est pas lié au fait que ce soit un
charter ou un tour-opérateur. Il faut le considérer comme un accident malheureux qui a concerné un grand nombre de passagers français. Pour autant, la courbe du
risque aérien n'a pas augmenté ces dernières années. Il n'y a donc pas un problème fondamental de sécurité, mais plutôt des impératifs de sécurité à respecter au
maximum.
M. Richard VAINOPOULOS : Pour prolonger le propos de
M. Gallois, le dernier charter, tombé avant celui de Charm el-Cheikh et qui avait eu son importance sur le plan médiatique, était un charter de la compagnie Air
France, le Concorde. Or ces vols étaient les plus suivis et les plus contrôlés, en règle générale.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Il nous a été souligné, à plusieurs
reprises, que le transport aérien était effectivement le plus sûr de tous les transports. Par ailleurs, il est certain que l'accident de Charm el-Cheikh a
traumatisé la population française, parce qu'il s'agissait de passagers essentiellement français.
Le vrai problème n'est pas tant celui de la sécurité que celui de la
perception de la sécurité par vos clients. Comme M. Colson l'a rappelé, les voyagistes expriment l'idée d'une plus grande transparence vis-à-vis de leurs
clients, idée qui a présidé à la réflexion sur les labels et avec laquelle nous sommes tous d'accord. Or cette transparence vis-à-vis des clients passe par la
transparence vis-à-vis de vous, des acteurs de l'amont de la chaîne, c'est-à-dire les consolidateurs et, avant eux, les compagnies aériennes.
A cet égard, M. Colson a rappelé qu'il y avait des procédures que
l'on n'avait aucune raison de mettre en doute et que leur respect relevait de la responsabilité des Etats et des compagnies. Pourtant, au stade où nous en
sommes de nos travaux, nous avons compris qu'il y a des pays à risques et d'autres moins, qu'il y a des compagnies à risques et d'autres moins et que,
d'ailleurs, les compagnies à risques se situent souvent dans les pays à risques. La vraie question est donc de savoir quelle crédibilité accorder aux
procédures en vigueur pour assurer une véritable transparence sur la sécurité, d'une part en matière de matériels, d'autre part en matière d'exploitation des
moyens physiques et humains des compagnies.
Or nous avons des doutes quant à la crédibilité d'un certain nombre
de pays à assurer une vraie transparence sur la sécurité des matériels et quant à la crédibilité de certaines compagnies à assurer la transparence en matière
de gestion humaine. Je prends pour exemple les pilotes qui font trop d'heures supplémentaires.
Le fond de la question - que vous devez vous aussi vous poser - est
le suivant : quelle est la solution pour que vous-mêmes, voyagistes, soyez rassurés sur la façon dont la sécurité aérienne est assurée en amont par les
compagnies aériennes ? A quel moment pouvez-vous considérer que la sécurité n'étant plus assurée vous devez refuser d'utiliser telle compagnie ?
Nous avons entendu un consolidateur nous expliquer qu'il avait ses
listes de bonnes et de mauvaises compagnies. Avez-vous connaissance de ces listes ? Comment, à un moment donné, décidez-vous de ne plus prendre ou de ne plus
conseiller à vos clients un certain produit ?
Mme la Présidente : J'ajouterai : aurez-vous le courage de le
déconseiller si vous avez la certitude que ce produit n'est pas parfait ?
M. Richard VAINOPOULOS : La loi de 1992 nous donne obligation
de le faire, donc nous devons être courageux. Nous avons pratiquement un devoir de bonne fin vis-à-vis du voyageur. Si nous proposons des compagnies ou des
prestataires de mauvaise qualité à nos clients, cela se retournera automatiquement contre nous. Il y a vraiment danger.
On parle de la transparence des compagnies aériennes mais, en amont,
il faudrait parler de la transparence des aéroports et surtout de la DGAC. Les problèmes de correspondance entre la DGAC suisse et la DGAC française ont été
portés sur la place publique en janvier et nous avons effectivement des soucis à nous faire. Lorsque le directeur de la DGAC indique, dans les médias, qu'ils
étaient intervenus au moins deux fois sur l'avion de Charm el-Cheikh, cela prouve qu'il y a un problème d'information des consommateurs et des agences de
voyages.
Nous avons bien un devoir d'information vis-à-vis de nos clients.
Nous avons le courage de choisir les bonnes compagnies et nous le faisons régulièrement, mais pour cela, il faut recevoir l'information en amont.
M. Georges COLSON : Pour synthétiser, nous souhaiterions avoir
une communication verticale, transversale, voire mondiale. En effet, l'opérateur, même s'il connaît parfaitement son métier, n'a pas les moyens de s'informer sur
les incidents qui ont pu survenir dans tel ou tel pays, à risques ou pas. Nous sommes parfois responsables au titre de notre activité, alors même qu'aucune
information ne nous est communiquée ni par les autorités de notre propre pays, ni par celles des pays voisins, y compris de la communauté européenne, et encore
moins par celles de pays encore plus lointains.
Je vous rappelle que, au-delà du transport aérien, FRAM utilise
également les trois autres modes de transport que sont le fer, la route et la mer. La connaissance de problèmes spécifiques à telle ou telle entreprise nous
est donc indispensable pour faire un choix. Sinon, nous nous fondons sur des autorisations parfaitement tamponnées par des autorités locales, sur une compagnie
d'assurance qui va nous confirmer que la compagnie ou le prestataire est bien assuré, etc., alors qu'au-delà, il faudrait que nous sachions si, à travers le
monde, il ne s'est pas passé un incident qui pourrait nous alerter.
Depuis le 3 janvier, je fais beaucoup de cauchemars. J'ai rêvé que
la carte du monde des aéroports, un soir, s'allumait et s'arrêtait. Il me fallait compter le nombre d'avions au sol et le nombre d'interventions humaines
nécessaires, tous pays et tous avions confondus, pour résoudre un problème pouvant entraîner un risque en terme de sécurité. Dans mon rêve, cela concernait des
milliers d'appareils dans le monde.
Pour en avoir discuté avec des professionnels du transport aérien,
dans chaque aéroport du monde, il y a toujours un transporteur qui sait qu'à un moment donné, une révision ou un réglage est à faire. Pour autant, cela ne
signifie pas que ce mode de transport est dangereux.
La seule chose que nous demandons est une plus grande transparence
et plus d'information.
M. René-Marc CHIKLI : Il n'est pas supportable que chacun
dispose de sa petite liste. D'ailleurs, dans la liste publiée par Le Parisien après l'accident, on a eu la surprise de voir figurer des pays européens,
notamment par le biais de compagnies africaines, filiales de groupes nationaux. Et je viens d'apprendre que des consolidateurs français ont également leur liste.
Il faut plus de transparence et, pour cela, il faut de la visibilité. C'est pourquoi la DGAC et l'ensemble des organismes gouvernementaux compétents en matière
de sécurité doivent nous aider. Cette liste, qui est en préparation, doit être européenne et pas seulement française.
Peut-être, malheureusement, cet accident servira-t-il à accélérer la
réflexion européenne sur la sécurité. En effet, la réflexion lancée en France, et aussitôt suivie de la mise en place du fameux « comité label », a été
immédiatement reprise au niveau européen par toutes les instances compétentes, ainsi que par les tour-opérateurs européens et les agences de voyages
européennes.
Il me semble que l'établissement d'une « liste bleue » fondée sur
des normes de sécurité applicables à toutes les compagnies charters, ou régulières, européennes ou non européennes, va dans le bon sens, mais honnêtement, nous
sommes partis de très loin.
Le transport aérien a connu un très fort essor ces dernières années.
En revanche, le tour-operating ne s'est pas beaucoup développé en France, puisque chaque année, nous sommes en retrait de 5 à 6 %. Nous sommes petits
dans un grand marché et nous ne sommes pas les seuls affréteurs car autour de nous, beaucoup, y compris les agences de voyages, sont amenés à affréter des
avions. Aujourd'hui, tout le monde peut être agent de voyages ou tour-opérateur/voyagiste. En France, il y aurait 300 tour-opérateurs alors qu'en Allemagne,
une trentaine se partagent 90 % du marché. Ces différents éléments imposent une réflexion profonde sur notre métier, mais il y a un domaine qui ne nous
appartient pas c'est celui de la sécurité qui environne tous les aéroports.
En quelque sorte, nous serons à l'origine de tout un processus de
réflexion au niveau européen. D'ailleurs, vous noterez que, dès la création du « comité label », nous nous y sommes associés, alors que notre part, dans ce
comité, est faible. Nous devons simplement lister le nombre de compagnies et de sièges que nous utilisons, le poids économique, etc.
Dans les carnets de voyages, nous avons déjà garanti, à 90 % voire
plus, le nom de la compagnie utilisée. Mais nous souhaitons aller plus loin et, dès l'apparition de la « liste bleue », nous intégrerons celle-ci dans les
brochures. Nous souhaitons le faire le plus vite possible, pour autant que cette liste bleue soit communiquée. Toutefois, n'étant pas transporteur, il ne nous
appartient pas d'établir cette liste, car nous n'avons aucune compétence pour le faire.
Si les compagnies, pour figurer sur la liste bleue, doivent
effectuer certaines démarches, voire procéder à des audits, nous exigerons, au moment des rapports contractuels, qu'elles répondent, à leur charge, à ces
obligations. Il est fort probable que, pendant un temps, difficile à mesurer, un certain nombre d'opérateurs, et c'est leur intérêt, seront complètement
associés à cette démarche (liste bleue, transparence, label).
Mais un deuxième problème surgira alors. Le consommateur devra être
informé que, dans tel et tel cas de figure, les opérateurs ne se sont pas associés à la démarche. En effet, aujourd'hui, une multitude de compagnies décollent
de France car avec un million d'euros, il est possible de créer une compagnie, comme nous avons pu le constater dernièrement lors des fausses reprises de
compagnies de charters françaises. Il faudrait donc également réglementer l'activité d'opérateur aérien.
Beaucoup trop de questions ont été posées sur notre métier. Tous
ici, nous sommes des acteurs économiques du pays, nous employons des jeunes, nous faisons de la formation. Il faut donc favoriser le voyage à forfait en
France, ce que les autres acteurs européens ne se privent pas de faire. Ils sont d'ailleurs propriétaires de nombreuses entreprises en France. Et pour cela, il
faut un cadre législatif. Par exemple, il n'y a aucun contrôle dans la vente du « package dynamique » par internet. Nous l'avons vu dernièrement lorsque
des clients, pour cause de faillite de la société, se sont trouvés dans l'impossibilité de redécoller.
Mme la Présidente : Vous pointez là une méthode de vente tout à
fait particulière.
M. Hervé PIERRET : Ce n'est pas le mode de commercialisation
que l'on veut remettre en question mais le fait que des acteurs en ligne commencent à faire notre métier, c'est-à-dire affréter des avions. Dans ce cas, ils
doivent assumer des responsabilités comparables aux nôtres.
Mme la Présidente : Je ne voudrais pas que vous vous sentiez
mis en accusation. Vous êtes ici parce que nous recherchons des éclairages sur un sujet grave. En effet, de plus de plus de personnes se déplacent et nous savons
qu'il y a des responsabilités à tous les niveaux.
Vous dites que les compagnies low cost remplissent totalement
leurs avions. Nous le savons et nous le comprenons car ceux qui vendent des voyages doivent rentabiliser leur activité. Mais nous savons aussi que les salariés
qu'ils utilisent sont quelquefois sous-payés, sur-utilisés, dorment dans les avions ou les aérogares. Pour autant, je ne stigmatise pas ce mode de
commercialisation plus qu'un autre. Je considère simplement que tout au long de cette longue chaîne du voyage, il y a des maillons faibles et que nous sommes
là pour essayer de les identifier pour que les produits vendus aux clients le soient avec la plus grande honnêteté possible, même si nous savons que la
sécurité à 100 % n'existe pas.
Ce que je souhaiterais, c'est que l'on puisse répondre à certaines
questions précises. Par exemple, j'ai lu dans Air et Cosmos que la langue anglaise est tellement mal pratiquée qu'elle est source de confusions, voire
d'accidents. Même au niveau des pilotes d'Air France, il y a encore beaucoup à faire. Cela suppose que nous admettions nos propres carences, que ce soit au
niveau de la DGAC, du Gouvernement, de l'administration, mais aussi au niveau de ceux qui affrètent et qui organisent.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je souhaiterais rebondir sur
l'intervention de M. Chikli concernant le label et la « liste bleue ». J'ai bien compris que cette liste concernerait, selon votre souhait, l'ensemble des
compagnies de tous les pays du monde. En supposant que cela soit possible, qui attribuerait ce label ? Si vous me dites que ce sont les compagnies, quelle
crédibilité accorder à ces compagnies ? Si c'est la DGAC française, celle-ci a-t-elle le droit d'attribuer un label à une compagnie égyptienne qui fait
Louxor/Assouan ?
Et, en supposant que tout cela se passe bien, quelle conséquence en
tirer concernant la loi de 1992 et le problème de la responsabilité ? En fait, comme M. Vainopoulos l'exprime très clairement, vous souhaitez qu'on revoie
cette loi parce qu'elle engage votre responsabilité davantage que celle des transporteurs, pour diverses raisons d'assurance, etc. Mais comment revoir un texte
déjà assez compliqué - car il y a le tour-opérateur, l'agent de voyages, la compagnie aérienne, etc. -, s'il faut ajouter un dénommé X qui attribuerait le
label ? En effet, l'attribution d'un label implique une prise de responsabilité, et donc une responsabilité juridique, car il s'agit de décider qu'avec cette
compagnie il y a moins de risques qu'ailleurs. J'aimerais que vous nous précisiez quel est votre point de vue sur cet ensemble de questions.
M. Richard VAINOPOULOS : Je considère que la loi de 1992 a été
très bien faite. Nous souhaitons simplement une clarification de certains articles. Pour être franc, je ne crois pas au label. La DGAC est un organisme qui
contrôle les appareils qui viennent vers la France ou qui décollent de la France et cela devrait assurer une certaine sécurité. Si cette DGAC pouvait être
européenne, voire mondiale, le contrôle serait encore meilleur. Mais il est très clair aujourd'hui que les agences de voyages, les tour-opérateurs, voire les
transporteurs, ne peuvent pas établir un label qui, en fait, ne donnerait aucune assurance en matière de sécurité.
M. Georges COLSON : Mme la Présidente, je voudrais vous dire
que nous ne sentons pas du tout mis sur le banc des accusés, tout au moins en ce qui me concerne. Notre souhait est de participer à une réflexion et de vous
faire passer le message que nous lançons à notre propre conscience de professionnels du tourisme, en tenant compte des spécificités françaises et de notre loi et
en recherchant la transparence.
Pour ce qui concerne l'accident de Charm el-Cheikh, cette
transparence a souffert de toute la communication qui a suivi le drame, avec une montée au créneau de personnes qui n'y comprenaient absolument rien et qui ont
affirmé des contrevérités. La Suisse a mis en cause la France en indiquant qu'elle nous avait prévenus des graves défauts qu'elle avait relevés sur cet avion
qu'elle avait interdit. Il y a eu, en France, un petit moment d'hésitation avant que l'on précise que cet avion avait été contrôlé et que la compagnie, après
avoir fait les réparations nécessaires, avait été autorisée à voler de nouveau.
Ensuite, les journaux ont publié des listes noires ou des bonnes
listes dans lesquelles on retrouve des compagnies qui ont disparu du marché depuis trois ans. Ainsi, la fameuse liste noire qui a inquiété les passagers,
comprenait Air Afrique et Swissair, qui n'existent plus.
Cette fausse information a inquiété les consommateurs. Nous l'avons
subie de plein fouet et elle nous a choqués. Si, par la suite, d'autres informations sont venues atténuer les premières déclarations, nous n'en avons pas été
informés, pas plus que les médias. Tout au plus, dans de tout petits communiqués, a-t-il été précisé qu'en définitive, la Suisse avait admis que les fautes
relevées sur tel appareil n'étaient pas aussi graves, puisqu'il ne s'agissait que de la non-conformité du masque du copilote ou des lampes de marquage au sol
de l'avion.
Notre consolation est que, selon une enquête, 62 % de nos
concitoyens continuent à avoir confiance dans les vols affrétés. Mais il en reste 38 % à rassurer. C'est notre travail à tous, sans pour autant vouloir nous
transformer ni en compagnie aérienne, ni en DGAC, ni en atelier de maintenance, ni en constructeur, ou en chef des pilotes, sinon nous serions des
transporteurs. Gardons notre métier avec ses responsabilités, mais ne cherchons pas à vouloir porter le poids de tous ceux qui interviennent dans le transport
aérien de voyageurs.
M. Jean-Pierre BLAZY : M. Colson, vous venez d'évoquer l'avion
de la compagnie Flash Airlines et l'interdiction de vol émis par les autorités suisses à son encontre. Aviez-vous connaissance de cette décision avant de décider
de travailler avec Flash Airlines pour ce vol tragique ? Il s'agit d'une simple interrogation.
En effet, il ne s'agit pas, pour nous, de mettre en accusation une
profession ou de nous focaliser sur la sécurité des seuls vols charters. La sécurité des vols réguliers nous importe tout autant et vous avez eu raison, M. Vainopoulos,
de rappeler que le vol tragique du Concorde tombé à Gonesse, ville dont je suis le maire, était un vol charter affrété par la compagnie Air France.
En même temps, vous dites que ce n'est pas votre responsabilité et
que vous ne faites qu'affréter les vols. Il est vrai que la chaîne du voyage est complexe, que tout le monde a sa responsabilité et c'est pourquoi nous
auditionnons tous les acteurs. Mais justement, je lisais, dans Le Jour du 3 décembre dernier, une déclaration de M. Rial qui s'exprimait ainsi :
« dans certains pays d'Afrique, par exemple, je n'affréterais pas d'avions pour mes clients car je ne peux pas garantir la qualité des appareils ou des
pilotes. Il y a quelques années, j'ai annulé des vols intérieurs au Mexique au dernier moment, parce que j'avais des informations négatives sur une
compagnie. » Cela montre que vous avez exercé une responsabilité. Nous sommes là, avec l'ensemble des acteurs, pour essayer de trouver à la fois où sont
les maillons faibles et quelles sont les bonnes réponses.
M. Georges COLSON : Il va de soi que nous n'avions pas le
moindre doute sur la compagnie Flash Airlines, que nous utilisions depuis deux ans. Nous n'avons pas connaissance d'un incident qu'elle aurait rencontré en
Suisse ou d'une interdiction de vol. La jeune femme qui l'a précisé à cors et à cris, à la télévision, a mis le doute sur la véracité de nos affirmations, tout
comme sur la véracité même des contrôles de notre direction de l'aviation civile.
Parmi les voyagistes, nous sommes la société la plus ancienne et,
depuis 1957, nous avons affrété, en France, des charters de compagnies pionnières comme Minerve, parce qu'elle était, à l'époque, la seule sur le marché. De
temps à autre, l'aviation civile nous envoyait un message attirant notre attention sur le fait qu'elle avait coupé les droits de vol de cette compagnie pour
telle ou telle raison. Comme nous étions affréteurs, nous prenions contact avec le dirigeant de la compagnie pour lui faire savoir que nous suspendrions nos
commandes tant qu'il n'aurait pas régularisé sa situation auprès des autorités locales. Nous avons déjà procédé de cette manière, et c'est tout à fait normal.
Nous sommes suffisamment responsables pour ne pas faire embarquer nos passagers sur des avions qui ne présenteraient pas toutes les garanties nécessaires.
M. Jean-François RIAL : Pour revenir à l'interview publiée dans
Le Jour, j'évoquais la problématique, à laquelle sont particulièrement confrontés ceux qui organisent beaucoup de voyages vers des destinations
lointaines, de choisir et d'utiliser certaines compagnies aériennes intérieures.
Pour les vols, charters ou réguliers, au départ de la France,
jusqu'à présent, je ne me posais jamais la question parce que je considérais que je pouvais faire confiance aux autorisations délivrées par la DGAC. Pour les
vols intérieurs de certains pays, c'est différent. Nous avons nous-mêmes connu un très grave accident, il y a une dizaine d'années, en Chine sur un vol
intérieur, dans lesquels plusieurs de nos clients ont trouvé la mort. Nous faisons donc attention mais, au risque de vous choquer, la seule information dont
nous disposons est la rumeur. Nous nous renseignons auprès de nos partenaires locaux et de nos collaborateurs et il arrive que, dans certains pays, nous
n'utilisions pas diverses compagnies intérieures, même si les autorisations sont données localement.
C'est la raison pour laquelle, contrairement à M. Vainopoulos, il me
semble que la seule solution vraiment efficace est le label mondial et il appartient aux Etats de s'organiser pour le mettre en place. Comme pour l'écologie et
d'autres grands sujets de civilisation, les solutions sont internationales. Aujourd'hui, la DGAC, que l'on met parfois en accusation, n'a pas les moyens
d'aller vérifier par elle-même la fiabilité de certaines compagnies aériennes intérieures au Chili ou en Croatie. C'est très difficile.
M. Marcel DEHOUX : Ma question est très simple. Je souhaite
faire un voyage en Libye. Lorsque vous me vendez le billet, savez-vous sur quelle compagnie je vais voler ? Par ailleurs, à quel moment avez-vous connaissance du
nom de la compagnie qui va transporter le client ? J'ai lu, dans le grand quotidien régional La Voix du Nord, que depuis quelque temps, les voyagistes
indiquent le nom de la compagnie avec laquelle le client va partir. Ce progrès est-il lié aux derniers événements ?
M. Jean-François RIAL : Dans 95 % de nos voyages, nous
connaissons le nom de la compagnie aérienne avec laquelle le client va embarquer bien avant le départ ou l'inscription du client. Dans les rares cas où nous ne
la connaissons pas, c'est lorsque nous passons par un intermédiaire qui consolide des avions - c'est le cas de l'Egypte ou de certaines autres destinations
méditerranéennes - ou lorsque la compagnie régulière change soit parce qu'elle en est code share (partage de code) avec une autre, soit parce que
l'appareil est en panne et qu'elle en affrète un autre.
Mme la Présidente : Nous avions cru comprendre, au fil des
auditions, que cette dernière situation n'était pas aussi rare que cela...
M. Jean-François RIAL : C'est un faux débat et il y a une autre
aberration entendue après l'accident de Charm el-Cheikh. Si le client, qui partait avec FRAM en Egypte, avait su qu'il voyageait avec la compagnie Flash Airlines,
je ne vois pas en quoi cela lui aurait donné la moindre information supplémentaire en termes de sécurité. Soit la compagnie est fiable et on l'utilise, soit elle
n'est pas fiable et on ne l'utilise pas.
M. Bruno GALLOIS : Pour compléter la réponse de M. Rial, il
faut savoir que sur les longs et moyens courriers, nous négocions, dès le mois de mars, l'ensemble de nos contrats et de nos plans d'affrètement et de transport
pour l'hiver suivant, c'est-à-dire, en l'occurrence, pour la saison qui ira du 1er novembre 2004 au 30 avril 2005. D'ici à fin mars, je saurai donc très
exactement, sur l'ensemble de mes destinations, le nom des compagnies avec lesquelles mes clients vont embarquer, ainsi que les dates et les horaires. Sur les
longs courriers et la plus grande partie des moyens courriers, nous publions, dans nos catalogues, la compagnie aérienne sur laquelle le client va voyager,
l'heure à laquelle il va partir et l'aéroport de départ. Nous pouvons avoir cette information dans beaucoup de cas.
M. Georges COLSON : La parution, sur les brochures, des
informations concernant les vols affrétés ou réguliers a été l'un des arguments commerciaux que nous avons utilisés pendant des années dans notre entreprise.
Nous indiquions non seulement la compagnie, mais aussi le type d'avion et l'horaire. C'était le bon temps.
Dans les brochures actuelles, nous publions toujours le nom de la
compagnie utilisée, mais nous n'indiquons plus le type d'avion ni l'horaire. Parfois même, dans le cas précis de pays en voie de redéveloppement pour lesquels
nous avons dû nous adresser à un consolidateur, la mention du nom de la compagnie ne figure pas dans la brochure. Il m'a fallu, en tant que président du
groupe, beaucoup intervenir auprès de mes collaborateurs pour faire supprimer les horaires mentionnés pour nos vols affrétés, tels le Paris/Palma ou le
Paris/Marrakech car la dérégulation ou la perturbation aérienne a fait que les horaires des vols - réguliers ou non réguliers - devenaient une source de
litiges incessants avec les clients en raison du non respect des horaires mentionnés sur la brochure. En supprimant la mention de l'horaire, cette source de
petits mécontentements a disparu.
Mais il est certain que nous souhaitons maintenant revenir non
seulement à la transparence du nom de la compagnie, mais aussi du type d'avion et de l'horaire. Personnellement, je pousse mes collaborateurs à travailler en
ce sens, comme nous le faisions par le passé, car le client attend ces informations de nous.
M. Robert PANDRAUD : On peut rêver à un label mondial, mais il
faut cesser de croire aux contes de fées. Quelle autorité attribuerait ce label mondial ? Quels seraient les moyens d'action et de vérification de cette
autorité ? Ce label serait probablement établi avec un tel retard qu'entre-temps, les moyens de maintenance ou autres de la compagnie pourraient tout à fait
évoluer. Ce serait donc une fausse garantie donnée par une autorité manifestement incompétente. Cette autorité pourrait, certes, demander à la DGAC de Mongolie
un rapport sur les appareils qui pourrait se traduire par un label. Mais encore faut-il faire confiance aux autorités locales de Mongolie !
M. Jean-François RIAL : Certes, mais que proposez-vous ? Soit
nous restons au point où nous en sommes aujourd'hui, c'est-à-dire avec une DGAC et différents Etats qui donnent des autorisations, soit nous essayons de créer un
label ou une agence de notation - agence de « rating ». Dans d'autres domaines, il existe bien des organismes supranationaux exerçant des contrôles.
Mme la Présidente : Comment définissez-vous cette agence de
notation ?
M. Jean-François RIAL : Il s'agit d'attribuer des notes en
fonction d'un nombre de critères concernant la compagnie aérienne - maintenance au sol ou autre. M. Pandraud, vous avez raison de dire que c'est une illusion,
mais aujourd'hui, il n'y a pas une multitude de solutions.
Mme la Présidente : Vous reconnaissez qu'il existe des listes
noires et vous ne pouvez pas non plus ignorer, puisque nous-mêmes le savons, que des avions partent, alors que l'ordre devrait être de rester au sol parce que
les contrôles ne sont pas complets, les pièces défectueuses ...
M. Robert PANDRAUD : Je voudrais répondre à M. Rial qui m'a
demandé quelles solutions je proposais. Il me semble que c'est un peu inverser les rôles. Nous attendons vos propositions et si elles nous paraissent bonnes,
nous les intégrerons dans le rapport et nous les défendrons auprès des autorités gouvernementales nationales, voire internationales.
Pour ma part, je suis bien incapable de vous proposer des solutions,
car le concept même d'agence de notation est très discuté à l'heure actuelle, notamment dans le domaine bancaire où, en plus, elles sont concurrentes. Comment
imaginer qu'une agence, qui donnerait des notes au 1er janvier de telle année à une compagnie qui serait moribonde deux mois après, pourrait être une
solution ? Cela ne me parait pas très constructif.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : M. Chikli souhaitait répondre aux
questions précises que j'ai posées concernant la mondialisation du système, l'entité juridiquement responsable de l'attribution de ces labels et les conséquences
à en tirer sur la loi de 1992 et le partage des responsabilités entre les différents acteurs, de façon à éviter tout contentieux ultérieur. En effet, et comme
M. Pandraud l'a rappelé, si le système n'est pas « parfait », il est automatiquement source de contentieux supplémentaires.
M. René-Marc CHIKLI : Ce que nous recherchons existe déjà, dans
un autre domaine, avec l'IOSA (IATA Operationnal safety audit) Les compagnies aériennes, y compris la compagnie nationale Air France, se sont associées
pour rechercher un mode opératoire commun d'affrètement. Comme vous le savez, si vous prenez aujourd'hui un vol Air France, vous pouvez tout à fait voler avec
une autre compagnie. Toutes les grandes compagnies - Lufthansa, British Airways, ... - sont en train de s'associer au sein de ce programme IOSA, encadré par
l'IATA (International air transport association), mais ni cette dernière ni la DGAC n'ont encore donné leur accord à ce programme.
Il est donc évident que la réflexion existe déjà et doit se
poursuivre, et il est impératif que nous définissions au niveau européen, voire mondial, des normes d'utilisation des compagnies aériennes. Nous adhérons
totalement à cette démarche car nous avons absolument besoin d'un label pour clarifier nos choix de compagnies. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes
associés au « comité label », au sein duquel notre quote-part est respectée, puisqu'un tiers des acteurs viennent du tour-operating. J'ajoute que ce
comité est un modèle au niveau européen.
En ce qui concerne les responsabilités juridiques, je suis mal à
l'aise pour vous répondre parce que l'article 23 de la loi de 1992 a transposé la directive européenne de manière extrêmement contraignante. En effet, dans la
directive européenne, la responsabilité dépend des prestations vendues, alors qu'en France notre responsabilité est de plein droit, ce qui n'est pas très
concurrentiel vis-à-vis de nos partenaires européens. Nous avons recherché, avec notre ministère de tutelle, à ramener notre responsabilité au niveau de celle
des grands opérateurs européens. Mais pour l'instant, malheureusement, en raison de l'événement qui s'est produit, nous avons été informés que la
responsabilité de plein droit serait maintenue, ce qui constitue pour nous un handicap.
Comme vous le savez, beaucoup d'acteurs européens sont venus sur le
marché français et il faut que la loi nous donne les moyens de rester compétitifs. La notion de responsabilité de plein droit me paraît complètement inutile et
n'apporte rien de plus aux autorités et aux consommateurs, à mon avis.
Nous avions demandé que la notion de responsabilité de l'agent de
voyages soit au minimum limitée aux conventions internationales afin d'éviter que nous nous retrouvions pratiquement responsables du travail des autres, ce qui
est le cas dans la directive européenne sur les voyages. Nous avions aussi demandé que, pour les destinations à risques, nous puissions proposer, comme
certains de nos collègues européens, des décharges de responsabilité envers les clients qui souhaitent à tout prix partir vers une destination à risques,
quelle que soit la position du Quai d'Orsay. De même, dans le domaine de l'aérien, cela pourrait s'appliquer au client qui souhaite utiliser n'importe quelle
compagnie. C'est le choix du client et il faut le respecter.
Ainsi, pour répondre à la question de M. Descamps, il est vrai que
la réflexion sur le label et la loi de 1992 sont très liées du point de vue de la responsabilité.
M. Jacques BRUNHES : M. Colson a évoqué le problème préoccupant
de la dérégulation des transports et, évoquant la période précédente, il parlait du « bon temps ». On sait aussi que la dérégulation du transport ferroviaire,
mise en _uvre par Mme Thatcher, a engendré un grand nombre de problèmes de sécurité en Grande-Bretagne. Et, par ailleurs, j'ai à l'esprit une réflexion d'un de
vos collègues rencontré dans le cadre d'un autre travail parlementaire qui recommandait que notre mission visite des ateliers de maintenance à Orly Ouest et Orly
Sud, pour voir la différence entre les deux aérogares. En d'autres termes, ma question est la suivante : constatez-vous une aggravation de la situation
d'ensemble, depuis la libéralisation du transport aérien ?
Enfin, je voudrais préciser à mon collègue Pandraud que le
législateur a une très grande part de responsabilité dans les questions touchant à la sécurité aérienne. Nous ne pouvons pas laisser aux seuls voyagistes et
transporteurs le soin de travailler sur ces questions-là. Déterminer si la loi de 1992 est encore valable est une question très importante qui concerne
prioritairement le législateur et la nécessité de la réviser pourrait être une des propositions de notre mission, ou tout du moins, une voie de réflexion pour
nous.
Il en est de même pour les directives européennes. En tant que
législateur national, nous devons faire savoir aux autorités communautaires ce que nous pensons d'un certain nombre de leurs directives et des modifications
qui peuvent être apportées à certaines d'entre elles. Cela pourrait également entrer dans le cadre des propositions de la mission, si nécessaire.
M. Robert PANDRAUD : J'ai dit qu'il ne fallait pas demander
n'importe quelle chimère. S'il y a des propositions à faire, nous pouvons demander la transformation de la DGAC en agence européenne. Je crois que ce serait déjà
un progrès, notamment pour les économies publiques. Je crois aussi que, dans l'état actuel du monde, on ne pourra rien faire au niveau international.
M. Georges COLSON : Je voudrais revenir à l'article 23 de la
loi de 1992. Il me semble que cet article fait peser une épée de Damoclès sur l'avenir de notre métier de voyagistes en France. Si l'on veut faire porter à
l'agent de voyages ou au tour opérateur la responsabilité totale de l'accident aérien, ferroviaire, routier ou maritime, nos deux seules compagnies d'assurance
refuseront de nous couvrir. Jusqu'à présent, elles nous assurent en fonction de l'objet de notre métier qui lui-même est défini par la loi, mais elles s'arrêtent
à cet objet.
Nous avons attiré, avec M. Chikli, l'attention de notre ministère de
tutelle sur le danger que ferait peser une certaine pression pour que nos assurances interviennent en lieu et place de la personne morale mise en cause
directement dans l'accident. Ce serait, pour nous, une condamnation immédiate parce que nos assurances ne nous couvriraient plus. Nous devrions payer une prime
d'assurances qui serait à la fois celle de l'agent de voyages et celle de la compagnie aérienne, maritime ou ferroviaire. Pour le passager, ce ne serait plus
du low cost, ce serait du very high fare. Ce serait une situation invivable pour notre métier qui nous obligerait à mettre la clé sous la porte
et ferait disparaître un métier qui représente des milliers d'emplois. Nous profitons de cette réunion pour vous exprimer nos inquiétudes.
M. Richard VAINOPOULOS : Nous pouvons certes débattre de la
question de savoir s'il faut améliorer la loi de 1992, mais il y a un fort que l'on ne peut pas abattre, ce sont les transporteurs aériens qui, aujourd'hui, sont
protégés par les conventions de Varsovie et maintenant de Montréal. Il est évident que si l'on fait une loi pour protéger le consommateur, il faut aller jusqu'au
bout et inclure les compagnies aériennes.
Quand un accident d'avion, un retard très important ou un autre
événement se produit, c'est l'agence de voyages qui est responsable. Quand celle-ci se retourne contre la compagnie aérienne, elle doit suivre des procédures
très longues avant de parvenir à une quelconque solution. Tant que les transporteurs aériens ne seront pas inclus dans cette loi, on n'avancera pas dans le
domaine de la sécurité des clients.
Dernier point, on parle de « label », mais il existe, au niveau
européen, le programme SAFA (« Safety assessment of foreign aircraft »). Pourquoi les agences de voyages et les tours opérateurs n'ont-ils pas accès aux
informations résultant de ces contrôles ? Cela nous permettrait de savoir immédiatement quelles sont les compagnies dangereuses et celles qui ne le sont pas.
M. le Rapporteur : Tout d'abord, je souhaite préciser que nous
ne faisons le procès de personne et que nous essayons de comprendre la façon dont les problèmes se posent.
A titre personnel, vos propos me mettent mal à l'aise, et je me dis
qu'heureusement vos clients ne vous entendent pas. Ceux-ci se comptent par millions, vous font confiance pour un produit qu'ils achètent, pour lequel ils
signent avec vous un contrat. La détermination des intervenants et des responsabilités n'intéresse pas vos clients ; ce sont vos affaires. Vis-à-vis du client,
vous avez une responsabilité, celle de vendre un produit de qualité et sans risques.
Tout à l'heure, à l'exception de M. Rial, vous vous êtes livrés à un
jeu qui me parait difficilement acceptable. Vous dites que dès lors qu'une compagnie est agréée dans son pays, que la DGAC n'a fait aucun commentaire, vous
estimez pouvoir signer le contrat et affrétez. Seul M. Rial a eu l'honnêteté de dire que parfois, il avait eu des réticences en évoquant des « rumeurs ». Tout
à l'heure, il a été mentionné le fait que des « listes noires » existent partout - ce qu'aucun d'entre vous n'a contredit - mais j'ai le sentiment que vous
êtes les seuls à ne pas disposer de ces listes.
Il y a aussi un point que je voudrais bien comprendre. Carrefour,
Darty ou tout autre grand distributeur, en France, vend un produit que l'on retrouve n'importe où dans le monde. Ces grandes surfaces ont des chiffres
d'affaires et des parts de marché aussi importantes que les vôtres sur le marché du voyage. Ils produisent à l'étranger, ont le souci de vérifier que le
produit qu'ils vendent a été fabriqué avec un minimum de qualité, de respect des normes, avec des garanties de délai, de quantité, un souci des règles
environnementales voire sociales, etc. Vous êtes les seuls à ne pas vous interroger sur vos fournisseurs que sont les affréteurs. Cela me stupéfie.
A plusieurs reprises, vous avez rappelé que c'était le travail de la
DGAC. Mais celle-ci contrôle ce qui relève de la France, or votre marché est mondial, de même que vos interlocuteurs. Nous avons entendu des courtiers qui nous
ont dit, comme vous, qu'il n'y avait pas de possibilité d'accéder aux résultats des contrôles de l'OACI sur les Etats, ou d'obtenir les listes d'incidents.
Mais il semblerait que les courtiers ont réglé le problème. Certains d'entre eux se sont arrangés pour obtenir les moyens d'information nécessaires. Ils ont
fait des recherches pour référencer des compagnies car ils s'engagent vis-à-vis d'un client.
En vous écoutant, je me suis demandé si l'un d'entre vous s'était
interrogé sur la localisation actuelle du deuxième avion de la compagnie Flash Airlines, pour être sûr, que l'été prochain, vos clients ne voyageront pas dans
cet avion, puisque les contrats auront été signés six mois auparavant. Peut-être cet avion a-t-il été cédé à une compagnie qui se crée quelque part dans le
monde ?
Vous ne pouvez pas vous abriter derrière l'argument que, dès lors
qu'ils ont été agréés, ils sont pour vous des clients ou des fournisseurs avec lesquels vous pouvez signer des contrats. Ce n'est pas possible vis-à-vis des
clients.
M. Georges COLSON : Je pense m'être mal fait comprendre et j'en
suis navré. Il y a plus de quarante ans que je côtoie les clients et que je travaille pour eux et je ne peux pas accepter que l'on pense qu'un simple petit
tampon suffirait à me permettre de créer un produit qui mettrait en danger la sécurité de mes clients.
Lorsque vous signez un contrat avec une compagnie aérienne, vous lui
demandez toute une série de documents qu'elle doit être en mesure de vous fournir : sa date de création, ses capitaux, sa situation financière, son attestation
et le montant de son assurance, son enregistrement dans le pays où elle est immatriculée, son autorisation de vol, ses vérifications de maintenance,
l'autorisation demandée au pays de destination de pouvoir utiliser cet avion et réaliser des vols sur la destination en question. Nos contrats sont très
clairs.
Ainsi, je pense qu'aujourd'hui, nous demandons le maximum des
informations qui nous sont accessibles. Toutefois, certaines, qui ont pignon sur rue, et notamment de grandes compagnies régulières, refusant pratiquement de
nous communiquer les documents que j'ai énumérés, et nous nous adressons alors à des compagnies spécialisées sur le vol à la demande.
Il y a, en Europe ou près de l'Europe, de grandes compagnies
aériennes dont une compte notre compagnie nationale parmi ses actionnaires et qui pourtant, de temps en temps, se trouvent pénalisées par la DGAC de tel ou tel
pays de destination. Mais nous n'en avons connaissance que fortuitement et parce que, depuis le 3 janvier dernier, il est vrai, nous sommes beaucoup plus
attentifs, pour les raisons que vous comprendrez.
Je ne citerai pas le nom de la compagnie, mais personne n'aurait pu
imaginer que tel avion eût été bloqué, il y a trois semaines, à tel endroit parce qu'il ne répondait pas tout à fait aux normes de sécurité. Pourtant j'évoque
là une grande compagnie régulière qui fait des vols à la demande.
Je me suis donc mal fait comprendre. La sécurité de nos clients et
leur satisfaction sont, dans notre entreprise, comme dans l'ensemble de notre métier, des éléments indispensables. D'ailleurs c'est ce qui a permis à FRAM de
compter ses cinquante ans d'existence. Sinon depuis longtemps, notre société aurait disparu.
Ce que nous demandons, c'est d'avoir accès à des informations qui,
jusqu'à présent, nous étaient totalement refusées. Quand vous appeliez l'aviation civile française, même en étant le groupe FRAM, il fallait à l'époque
connaître M. Esperoux qui, par chance, était natif d'Albi pour pouvoir obtenir une réponse au téléphone.
M. le Rapporteur : Votre profession a-t-elle demandé aux
pouvoirs publics la liste d'un certain nombre d'informations et, auquel cas, quel type d'informations ?
M. Georges COLSON : Il nous faut les informations concernant le
transport aérien, mais aussi concernant tous les intervenants qui entrent dans notre métier, jusqu'aux taxis et aux voitures de location.
M. le Rapporteur : J'ai le sentiment que vous êtes plus
rigoureux sur le référencement des hôtels que sur celui des compagnies. Faites-nous part de votre opinion !
M. Georges COLSON : Dans le domaine de la sécurité du client,
on pourrait effectivement ajouter les hôtels car quelle garantie FRAM peut-elle avoir que l'hôtel avec lequel elle travaille en Grèce n'est pas situé sur une
zone sismique ! Mais s'agissant de la sécurité du transport aérien, si vous prenez l'ensemble des compagnies aériennes avec lesquelles nous travaillons, ce sont
toutes des compagnies régulières ou de renom dans les différents pays.
Seule l'Egypte a vu se créer différents opérateurs aériens, malgré
les difficultés que connaît le tourisme, non seulement en raison du développement du tourisme de la France vers l'Egypte, mais aussi en raison de
l'affaiblissement des ailes françaises qui n'existent pratiquement plus dans le domaine des vols à la demande.
C'est une réalité. Nous avions jadis une compagnie nationale qui
avait créé Air Charter International, grande compagnie charter, qui faisait 80 % de notre trafic. Quand elle a cessé ses activités, nous avons dû prendre des
risques avec trois avions tout neufs que nous avons confiés à Euralair. Vous connaissez la situation difficile d'Euralair, reprise par un Franco-égyptien. Nous
nous trouvons, en France, dans une situation de pénurie totale en matière de vols à la demande.
A une époque, nous avons travaillé avec Aeris, compagnie
toulousaine, en laquelle nous avions confiance. Je peux vous dire qu'à la fin, je n'avais plus du tout confiance et que j'avais peur pour mes clients.
Aujourd'hui, en dehors de Star et de Corsair, nous avons vite fait le tour. Nous repartons actuellement avec une nouvelle compagnie - Air Méditerranée - avec
laquelle nous prenons des risques avec deux Airbus. Nous allons essayer de les consolider pour que les ailes françaises ne disparaissent pas totalement du
monde de l'opération touristique.
M. Bruno GALLOIS : Je voudrais compléter ce qui vient d'être
dit par M. Colson. En effet, la loi de 1992 nous rend entièrement responsables de tout, de sorte qu'à moins d'être inconscient, elle nous oblige à être
extrêmement prudent. Même si la sécurité du client était notre dernier souci, l'article 23 de la loi de 1992 nous rend responsable en totalité.
Nous comprenons l'objectif de cet article qui est de ne donner au
client qu'un seul interlocuteur - le vendeur - et notre souci n'est pas tant de nous exonérer de cette responsabilité de plein droit que d'exclure son
application en cas de faute du client. En effet, si le client choisit de son propre gré de se mettre en situation de risque, nous ne voulons pas en être tenus
pour responsables. Or c'est ce qu'implique cet article dans sa rédaction actuelle.
Par ailleurs, nous souhaiterions que les indemnités éventuelles
soient plafonnées au niveau de celles qui s'appliquent aux compagnies aériennes dans le cadre des conventions internationales. Actuellement, la moindre agence
de voyages de quartier peut être condamnée dans un accident d'avion de vol régulier à des sommes bien supérieures à celles que la compagnie devra payer en
application de la convention de Montréal.
Telles sont les seules modifications que nous voulions apporter :
exonération de notre responsabilité en cas d'incident lié à la destination (enlèvement, attentat,
climat, ...) lorsque que celle-ci a été choisie librement par le client dûment informé, plafonnement des indemnités au niveau des conventions internationales
et exonération de notre responsabilité en cas d'incident sur place lié à une faute du client ou à une activité librement choisie par lui. Ce sont les
limitations que nous souhaitons, mais nous ne remettons pas en cause le fait d'être responsable, d'autant qu'il s'agit d'une obligation qui résulte de la
directive européenne.
Cela étant, à la différence de M. Darty, dont la responsabilité ne
sera pas engagée au-delà du remboursement de la machine à laver ou de l'ordinateur en cas de panne, notre responsabilité peut être engagée au pénal vis-à-vis
de nos clients. Cela nous oblige donc à une très grande rigueur dans le choix de nos prestataires.
Dans le domaine du transport aérien, nous respectons cette rigueur
car nous faisons voyager nos clients, notamment sur les longs courriers, avec des compagnies françaises agréées en France. Il est clair que pour la compagnie
aérienne Aeris, compagnie agréée, basée en France et surveillée par la DGAC, nous nous sommes posé la question de savoir s'il fallait continuer à l'utiliser
quand cette compagnie a commencé à connaître un grand nombre d'incidents. Mais la DGAC nous a obligés à mener le contrat que nous avions avec elle jusqu'à son
terme, quand la compagnie a déposé son bilan.
Actuellement, nous volons essentiellement en long courrier avec les
deux seules compagnies françaises exerçant dans ce domaine, Star et Corsair. Mais nous sommes incompétents pour dire si les avions de Corsair ou de Star sont
bons ou pas. Nous avons confiance parce que nous travaillons avec eux et que leurs avions sont contrôlés, mais nous n'avons aucun moyen technique d'affirmer
qu'ils sont meilleurs que d'autres compagnies étrangères.
La question se pose pour les compagnies étrangères qui viennent en
France. Nous savons que si leurs avions viennent régulièrement en France, elles peuvent être contrôlées par la DGAC. Si un avion vient toutes les semaines en
France, on peut considérer qu'il a eu toutes les autorisations et qu'il y a eu des échanges entre les DGAC française et locale pour les vérifier. Le vrai
problème se pose peut-être pour les « bouts de ligne », pour lesquels nous ne disposons d'aucun moyen de contrôle. Devons-nous alors renoncer à envoyer des
clients dans ces régions ?
A ce propos, je voudrais ouvrir une parenthèse. Quand j'ai vu, en
première page du « Parisien » que la compagnie la plus dangereuse au monde était Cubana de Aviacion, nous nous sommes sentis interpellés car nous faisons
voyager des milliers de clients depuis des années, sur cette compagnie. Or, il faut savoir que Cubana a utilisé, pendant quinze ans, des avions français d'AOM,
puis des avions d'Air Lib et actuellement des avions suédois. En cas d'accident, nos clients pourraient nous accuser de les envoyer au « casse-pipe », alors
qu'il s`agit d'avions agrées par des pays européens. C'est un exemple.
En tout cas, il est clair, comme le précisait M. Colson, que nous
sommes on ne peut plus conscients de notre responsabilité.
M. Jean-François RIAL : Je voudrais réagir à l'intervention de
M. le rapporteur sur trois points.
Je ne crois pas qu'il y a de différences d'appréciation entre nous.
Par exemple, quand nous avons décidé à Voyageurs du monde de ne plus utiliser une compagnie intérieure mexicaine pendant quelques mois, c'était à partir d'une
information transmise par un important confrère français. Ainsi, lorsqu'un confrère a vent de rumeurs concernant des compagnies locales « en bout de ligne »,
nous en discutons toujours ensemble et je n'ai jamais vu un de mes confrères ne pas être d'accord sur un tel sujet.
Ensuite, vous nous dites que nous ne sommes pas en position
d'accusation, mais en même temps que des listes circulent... Je travaille dans cette profession depuis huit ans, je suis un des plus jeunes, mais je n'ai
jamais vu de liste de compagnies aériennes considérées comme dangereuses ou non.
Enfin, vous soulignez que nous nous abritons derrière la DGAC pour
les vols, réguliers ou charters, au départ de la France. C'est vrai, car il faut bien reconnaître qu'ils sont beaucoup plus compétents que nous. Nous faisons
un métier très difficile, dans lequel on gagne très peu d'argent et où l'on dépense beaucoup d'énergie. Si, en plus, nous devons devenir des experts du
contrôle de la fiabilité des compagnies aériennes au départ de la France, nous ferons tous faillite.
Pour conclure, vous avez demandé à M. Colson s'il savait où se
trouve maintenant le deuxième avion de la compagnie Flash Airlines. Je ne crois pas qu'il est d'un grand intérêt de savoir où se trouve cet avion. Il pourrait
être utilisé par une compagnie comme Air France, peu importe, car cet avion, en tant que tel, n'était pas en cause. C'était peut-être un problème
d'exploitation ou autre chose mais cela ne concernait pas forcément l'avion.
M. Georges COLSON : L'avion n'appartenait pas à la compagnie
Flash Airlines, comme c'est souvent le cas. En règle générale, les avions appartiennent à l'un des trois grands loueurs d'avions au monde. Les deux avions de la
compagnie Flash Airlines appartenaient à IFLC. Quant au deuxième avion, il a été rendu, me semble-t-il, parce que la compagnie, au-delà du drame qu'elle a subi,
ne pouvait pas perdurer avec un seul avion. Elle a donc cessé ses activités et a rendu l'avion à IFLC. Peut-être demain, retrouvera-t-on cet avion chez Corsair
ou ailleurs, mais l'avion lui-même n'est pas en cause car il n'est pas vieux.
Mme la Présidente : M. Rial, vous dites que vous ne gagnez pas
beaucoup d'argent et que votre travail est difficile. Par ailleurs, il y a des compagnies à bas prix qui proposent des voyages pour ainsi dire gratuits
puisqu'on les propose à partir de 2 euros. Certes, il n'y a pas de service de restauration et il y a moins de confort mais un tel vol coûte quand même plus de
2 euros. Et cela renvoie aux dégradations constatées dans l'avion de Flash Airlines, lors de vols précédent celui du drame.
Jusqu'où irons-nous dans la dégradation des conditions de travail et
dans la déstructuration du travail et des modes de transport en général ? Il y a des pilotes sous-payés, des personnels navigants qui font le ménage une fois
l'avion au sol. Nous avons connu la même situation dans le transport routier, et l'on sait que lorsqu'il y a déstructuration d'une activité, il y a
déstructuration des conditions de travail. Jusqu'où irons-nous dans les prix abusivement bas ? J'attends que l'on fasse des propositions et que l'on soit
sérieux sur un sujet qui est très inquiétant.
M. Georges COLSON : Quand M. Rial a utilisé l'expression « on
ne gagne pas beaucoup d'argent », il a certainement voulu dire que l'on ne gagne pas suffisamment d'argent pour devenir des entreteneurs d'avions. Je crois que
c'est la traduction du propos de M. Rial, car nous ne sommes venus ici pour pleurer sur notre situation financière.
Par rapport à ce que vous avez dit sur les low costs, voire
les compagnies étrangères, vous savez que chaque pays a sa propre législation du travail et du temps de travail. En tant qu'employeur dans l'hôtellerie dans
des pays comme le Maroc et la Tunisie, ainsi qu'aux Antilles, je peux dire que le nombre d'heures effectuées par nos collaborateurs marocains ou tunisiens n'a
rien à voir avec celui de nos collaborateurs martiniquais ou guadeloupéens. L'Europe a donc intérêt à s'interroger sur les réglementations.
M. Hervé PIERRET : Je voudrais apporter une précision. On a
réussi à construire l'Europe dans certains domaines mais on a quelques difficultés dans d'autres. Par exemple, dans l'aéronautique, on a établi des normes
communes pour l'entretien des avions. Mais pour tout ce qui concerne l'organisation du travail - durée de temps de travail, travail de jour et de nuit -, chaque
pays conserve ses règles internes, avec ses problématiques syndicales ou ses lobbyings.
Après huit années de négociation, les quinze premiers pays européens
n'ont toujours pas réussi à harmoniser la réglementation dans ce domaine et l'élargissement de l'Europe va encore compliquer le processus. Il faudrait pourtant
essayer d'établir quelques lois communes d'emplois des personnels navigants. C'est vraiment un élément fondamental.
M. Ghislain BRAY : Il me semble qu'il ne faut pas se tromper de
débat. Il ne s'agit pas d'accuser quiconque. Je rappelle que nous travaillons dans le cadre d'une mission d'information dont le libellé est « mission
d'information sur la sécurité du transport aérien de voyageurs ». Nous savons bien qu'il existe des compagnies à risques, les auditions précédentes l'ont
suffisamment montré.
Aussi, le but de cette mission est-il de parvenir à un certain
nombre de propositions pour éviter, autant que faire se peut, de se trouver confrontés à des situations dramatiques. Plus particulièrement, j'attends de cette
table ronde que vous nous donniez un certain nombre d'indicateurs que nous puissions intégrer dans un système beaucoup plus général.
M. Jacques BRUNHES : Mme la Présidente, j'ai été choqué tout à
l'heure par la manière dont notre Rapporteur a présenté ses questions aux voyagistes. Vous dites que nous n'accusons personne et que nous sommes tous là pour
réfléchir mais j'ai senti qu'il y avait quand même une forme d'accusation dans les propos de notre Rapporteur, notamment lorsqu'il demandait aux voyagistes s'ils
savaient où se trouve le second avion de la compagnie Flash Airlines.
Quand vous parlez de la déstructuration du travail, vous abordez là
un problème essentiel. Mais faut-il poser cette question aux voyagistes ? Sont-ils les responsables de la déstructuration du travail et peuvent-ils résoudre
ces problèmes de déstructuration ? A cet égard, notre mission a un travail spécifique à mener. Si elle estime que la déstructuration du travail a des
conséquences sur la sécurité dans le transport aérien, ce que je pense profondément et ce qui ressort de tous les témoignages, il faudra le dire fermement. Je
ne me fais pas l'avocat des voyagistes, mais quand M. Pierret évoque le problème de l'Europe, il a parfaitement raison. Nous aurons sans doute là des
propositions à faire, car les réglementations sont tellement différentes dans les quinze pays de l'Union que nous arrivons à des situations tout à fait
incongrues.
Mme la Présidente : Mon cher collègue, puisque vous
m'interpellez, je vais vous répondre. Je sais pertinemment que ce ne sont pas les voyagistes qui vont modifier la législation et que c'est plutôt un domaine qui
nous concerne politiquement. Mais je voulais souligner le fait que les réponses que nous font les voyagistes semblent indiquer qu'ils ne sont pas informés. Or il
me semble qu'ils ne peuvent pas ignorer ces problèmes de sécurité. Nous les connaissons en tant que politiques, mais eux aussi parce que cela concerne
directement leur métier. Ils connaissent forcément les compagnies aériennes et savent très bien celles qui posent des problèmes et celles dont les conditions de
travail sont mauvaises.
Quand je rencontre des transporteurs routiers, puisque je
m'intéresse globalement au problème des transports, ils savent très bien quels sont les transporteurs étrangers qui posent problème parce que les conditions de
travail sont mauvaises.
Je ne voulais pas mettre en cause les voyagistes, mais j'attendais
qu'ils nous fassent des propositions. Nous sommes tous là pour avancer vers des propositions et je souhaiterais que nous en ayons.
M. Robert PANDRAUD : M. Colson, vous avez indiqué que pour
obtenir certains renseignements détenus par la DGAC, vous deviez faire appel à son représentant, plus réceptif parce que natif d'Albi. Certes, mais je vous
rappelle que c'est le contribuable qui finance la DGAC. Alors je pose la question suivante : les renseignements de la DGAC sont-ils ouverts ou fermés ? Si la
DGAC dispose de renseignements, autant qu'elle les communique à ceux qui en ont besoin, plutôt que de les obliger à aller mendier les informations auprès de tel
ou tel employé ou de passer par des contacts personnels. Il conviendrait d'avoir un circuit normal de transmission des questions et des réponses.
M. François SCELLIER : Je suis très satisfait de cette table
ronde parce qu'elle a montré, sur ce problème comme sur d'autres, que l'on ne peut pas, en matière de sécurité, faire porter la totalité du problème sur une
profession ou un groupe de professions. Il appartient à notre mission de voir comment, à partir de ce que nous avons entendu cet après-midi, améliorer la
situation, de manière que les informations remontent vers ceux qui doivent assurer la fiabilité du produit ou du service qu'ils vendent à leurs clients.
Dans ce but, il faut que les services publics fassent remonter les
informations suffisantes vers les voyagistes qui ne peuvent effectivement pas aller vérifier à tel ou tel endroit la manière dont est contrôlé l'avion. Sinon,
il faudrait supprimer toutes les administrations intermédiaires dont c'est précisément le rôle de remplir cette tâche d'information.
M. le Rapporteur : J'ai cru comprendre qu'il y avait un
différend sur la question du label. Quelle est la position de votre profession au sein du groupe de travail ? Comment évolue la réflexion au sein de ce groupe ?
M. René-Marc CHIKLI : Dans une profession, il peut y avoir des
tendances différentes. Les opinions ne sont pas divergentes, mais chacun s'exprime comme il l'entend. En tant que voyagistes, nous avons été impliqués en premier
lieu dans la définition du label parce qu'au début de la réflexion, il était envisagé de nous faire payer les audits à effectuer sur les compagnies de charters
non européennes. Comme l'indiquait M. Colson, cela supposait des moyens et des assurances que nous n'avons pas, et cela aurait remis en cause notre métier.
Nous en sommes ainsi arrivés à cette notion de « label ». Il s'agit
d'obliger la DGAC à définir exactement, vis-à-vis des voyagistes, ce qu'est la norme de sécurité. Comme vous avez pu le remarquer tout au long de cette
audition, quatre ou cinq types de contrôles ont été cités. Je suis moi-même devenu un « spécialiste », sans vraiment savoir précisément tout ce que cela
englobe, de l'OACI au SAFA en passant par les JAA et autres sigles. L'objectif du label est d'arriver à une définition, c'est d'obtenir, au niveau de la DGAC
française, un indicateur permettant de dire que telle ou telle compagnie est labellisée.
Par ailleurs, il ne faut pas que la cacophonie européenne se
poursuive au détriment des pays comme des voyagistes. Ces normes devront être reprises au niveau européen pour éviter que nos amis suisses découvrent des
contrôles que nous-mêmes ne connaissions pas.
Quant à nous, voyagistes, nous nous engageons à publier, dans les
brochures, la liste des compagnies aériennes que nous utilisons et, à l'intérieur de cette liste, il sera possible de « naviguer » sur les 10 % restants de
non-transparence, parce qu'il peut arriver que l'on soit obligé de changer de compagnie pour diverses raisons : grève, dépôt de bilan ou autre problème.
M. le Rapporteur : Que pensez-vous de la notation des
compagnies ?
M. René-Marc CHIKLI : Le groupe de travail concerne les vols
charters comme les vols réguliers. Mais le problème que pose les vols réguliers d'une compagnie « bout de ligne » dépasse le cadre européen. Il faut agir au
niveau mondial. Au niveau européen, nous avons fait 90 % du travail. Pour les 10 % qui restent, le cadre européen doit conduire à un cadre mondial qui pourra
s'appliquer aux compagnies « bout de ligne », dont la plupart sont filiales de compagnies nationales. A ce niveau, les accords sont passés entre Etats. Par
exemple, la compagnie nationale Air France utilise de tels accords pour desservir la destination. Aussi, cette question ne relève-t-elle plus des voyagistes mais
des relations politiques.
Mme la Présidente : Mais vous pouvez, en tant que voyagistes,
peser sur ce type de décision.
M. René-Marc CHIKLI : Tout à fait et il ne faut pas qu'il y ait
de malentendu. Nous nous sommes associés très rapidement à la démarche du « comité label », alors que l'ensemble de la profession n'avait pas l'intention de le
faire. D'ailleurs, certains professionnels que vous avez auditionnés représentent peu, au regard du poids économique considérable des voyagistes rassemblés
autour de cette table. Si vous retenez ce que vous disent les voyagistes ici présents, vous aurez fait le tour du problème. Evidemment, il y aura toujours un
professionnel qui cherchera à se distinguer en arguant du fait qu'il est le meilleur des consolidateurs et qu'il sait faire son choix en matière de compagnies.
Si cette personne est si efficace, il faut dès maintenant la nommer à la tête de la DGAC.
Nous avons fait l'inventaire des difficultés que nous rencontrons et
nous avons les solutions. Sachez que nous sommes totalement associés au travail ce groupe de travail qui doit livrer ses résultats dans les trois mois qui
viennent.
Lors de la dernière réunion, nous avons vu avec grande satisfaction
la DGAC française enfin avancer. Jusque-là, elle était très en retrait et parlait seulement d'établir une norme de qualité. Si le comité label devait se
limiter à un contrôle qualité, nous nous retirerions du groupe. Nous n'avons pas besoin d'une DGAC française pour vérifier si la couleur des sièges ou des
têtières est correcte ou pas. Nous apporterons notre contribution et notre soutien à un comité qui aborde vraiment le problème de la sécurité.
Mme la Présidente : Vous avez dû comprendre que c'était bien
cela qui nous intéressait et non pas la couleur des sièges.
M. Bruno GALLOIS : Nous travaillons essentiellement avec les
deux compagnies d'assurances en responsabilité civile, GAN Euro-courtage et Generali, qui sont pratiquement les deux dernières à nous assurer sur le marché
français. Lors de la dernière réunion plénière sur la loi de 1992, à laquelle participaient le ministère de la justice et le ministère de l'économie, le Gan
Euro-courtage et Generali ont clairement signifié aux représentants des deux ministères que si l'on faisait porter aux voyagistes la responsabilité de leurs
moyens de transport, ils abandonneraient le risque et se retireraient du marché. Si l'on nous attribue cette responsabilité, nous n'aurons donc plus d'assureur
et le problème serait ainsi réglé, faute de combattants.
M. Jean-François RIAL : D'abord, je voudrais dire que les
voyagistes adhèrent tous à cette idée de label. M. Vainopoulos n'est pas de cet avis, mais il est distributeur et non pas voyagiste.
Par ailleurs, je voudrais faire une proposition complémentaire qui
pourrait élargir celles de MM. Chikli et Colson. Nous pouvons faire un label européen, comme le suggère M. Pandraud, mais il serait aussi pertinent de demander
à la DGAC de nous aider à récupérer l'information concernant les compagnies « bout de ligne ». Celle-ci ne serait transmise, dans un premier temps, qu'aux
professionnels, pour éviter de semer une panique inutile auprès du public. Je ne sais pas si cela est possible, mais la DGAC me parait être une instance
beaucoup plus crédible que les voyagistes pour savoir si telle compagnie au Costa Rica est fiable ou non.
M. Hervé PIERRET : Pour conclure sur l'intervention de M. Rial,
je voudrais insister sur le fait que les voyagistes travaillent très en amont du calendrier. Comme cela a été souligné par M. Gallois, nous préparons six ou huit
mois à l'avance les brochures d'hiver et il est dommage qu'il ait fallu le drame du 3 janvier pour que l'on communique la liste, non exhaustive, des
250 compagnies aériennes avec lesquelles travaillent les principaux voyagistes du CETO.
Le fait de travailler à partir d'un système fondé sur les
informations réunies par la DGAC, directement ou via ses pairs européens, nous alertant sur telle ou telle entreprise, permettrait à notre profession de
bénéficier de renseignements techniquement bien-fondés parce que provenant de la DGAC.
M. Georges COLSON : Pour ma part, j'ai une interrogation sur
l'avancée des conventions internationales. Il me semble que l'on est toujours sous le régime de la convention de Varsovie, signée il y a fort longtemps, et que
la convention de Montréal, qui est plus favorable au passager par une réactualisation de la valeur de la vie de l'Homme, n'est toujours pas signée par la plupart
des grands pays, notamment par le nôtre. Notre souhait serait que la convention de Varsovie soit supprimée et remplacée par la convention de Montréal. Il
conviendrait donc de conseiller aux autorités de notre pays et des pays voisins, de signer cette convention de Montréal.
En ce qui concerne le label, nous sommes tout à fait partie
prenante, mais certaines questions exigeront toujours du courage. La première est de savoir qui attribuera le label et prendra la responsabilité de dire que
l'on peut voyager avec telle compagnie et pas telle autre.
Par ailleurs, il faudra communiquer immédiatement soit la fermeture
d'un éventuel partenaire labellisé bleu, soit l'arrivée d'un nouveau partenaire, soit le retour d'une compagnie qui aura satisfait aux améliorations demandées.
C'est un monde évolutif qui demandera une communication extrêmement rapide de tous les changements qui pourraient affecter la liste.
Mme la Présidente : Quelle estimation pouvez-vous nous donner
de l'augmentation du prix du billet, une fois que ce label sera mis en place ?
M. Georges COLSON : Tout d'abord, il faut que ce label soit
international, car nos confrères voisins grands opérateurs ne pourront pas regarder la France mettre en place un label sans participer à ce grand mouvement
d'amélioration de la sécurité du consommateur.
Chaque compagnie aura donc intérêt à investir dans la sécurité,
comme elle le fait d'ailleurs déjà, mais je ne pense pas que le coût sera élevé. Il sera néanmoins à supporter par les compagnies. En effet, je considère que
quand on veut appartenir au club des grands, il faut y mettre le prix.
Vous avez demandé, Mme la présidente, jusqu'où on ira avec les
low costs. Pour ma part, je pense qu'on ira jusqu'au drame. Il n'est plus possible de continuer à proposer des vols, par exemple Clermont-Ferrand/Londres
pour quelques euros. Il y aura, dans quelques mois, de grands drames. J'espère qu'ils ne seront que financiers et je souhaite qu'ils ne concernent pas la
sécurité. Il y a une réalité des coûts, de la vie des entreprises, des investissements. Nous avons l'exemple d'Aeris qui arrivait à s'en sortir avec des vols
charters et qui n'a pas tenu plus de six mois quand elle a voulu se lancer dans le low cost. Je suis comme vous, je n'y crois pas.
Mme la Présidente : Merci de votre franchise.
M. le Rapporteur : Je pense à une idée évoquée par la direction
du tourisme : avez-vous les moyens, en tant qu'organisation professionnelle, de faire pression sur les Etats pour obtenir un renforcement des mesures de sécurité
sur les destinations que l'on dit à risques ? S'il vous apparaît qu'un Etat ne fait pas les efforts nécessaires, avez-vous la capacité, en tant que grands
opérateurs de faire pression sur ces Etats au niveau national, voire européen et international et de les menacer, par exemple du boycott d'une destination ?
M. Georges COLSON : Vous touchez du doigt un problème
extrêmement délicat, en ce sens que l'on ne peut pas mélanger le géopolitique et la sécurité aérienne. A cet égard, nous sommes soumis à la communication du
ministère des affaires étrangères qui doit nous indiquer s'il y a danger ou pas sur telle destination. Mais on connaît la prudence de la diplomatie dans ce
domaine
En revanche, votre question tombe à propos parce que demain matin,
avec des opérateurs de poids, et y compris le président du CETO, nous avons rendez-vous avec le ministre égyptien du tourisme pour lui rappeler, de façon
orale, les obligations qui nous semblent être celles d'un pays comme le sien, notamment dans le domaine de la sécurité. D'ailleurs, dès le lendemain du drame
de Charm el-Cheikh, nous avions écrit à plusieurs ministres égyptiens pour attirer leur attention sur ce problème. Il est vrai que nous avons pensé aller
jusqu'au boycott, mais boycotter une destination quand votre pays lui-même n'ose pas le faire, c'est difficile !
L'accident de Charm el-Cheikh est un drame qui a beaucoup touché
notre profession, mais l'Egypte n'en a subi aucune conséquence en terme d'attrait touristique. L'accident a été perçu par beaucoup - journalistes et même
directeurs d'aéroport - comme l'accident d'un avion poubelle. Mais la grande majorité de nos citoyens restent toujours attirés par l'Egypte, de sorte que cette
destination, chez la plupart des tour-opérateurs français, y compris FRAM qui était le premier touché par ce drame, est en progression exponentielle
significative. Pendant deux jours, les ventes ont marqué un ralentissement mais il y a eu très peu d'annulations et il y a maintenant une réelle flambée des
demandes sur ce pays. Notre souhait est d'attirer l'attention des autorités locales sur les responsabilités qu'elles doivent prendre. Mais depuis l'accident,
on a appris que l'Egypte reste très bien placée dans les classements de l'aviation civile.
Enfin, je voudrais revenir sur l'exemple que vous avez donné des
grandes surfaces de distribution. Quand je vais chez le boucher, que ce soit à Carrefour, Auchan ou Champion, la viande que j'achète porte le tampon du service
vétérinaire qui confirme que la viande de cet animal est consommable. C'est ce que l'on appelle la traçabilité. Or ce n'est pas le distributeur qui appose le
tampon sur ce produit, mais le vétérinaire. Je fais un parallèle avec la DGAC qui, dans le domaine de la sécurité aérienne, reste pour nous irremplaçable et
indispensable.
M. René-Marc CHIKLI : Au niveau européen, nous avons des relais
parmi lesquels l'Institut européen des tour-opérateurs, dont nous sommes membres et qui est déjà saisi de tous les travaux que nous menons. Nos collègues
européens sont très soucieux tant il est vrai que les opérateurs ont besoin de cette information supplémentaire sur la qualité des compagnies. Il y a donc là un
excellent relais, au point même qu'ils vont parfois plus vite que nous et mon inquiétude est maintenant que nous ne soyons pas dépassés dans cette démarche où
nous devons conserver le leadership pour pouvoir apporter, au moins au niveau de l'Union européenne, des éléments de réflexion. D'ailleurs nous avons la
chance de compter des acteurs européens, allemands ou anglais, au sein du tour-operating français qui servent de relais d'information et ils ne
comprendraient pas que nous fassions marche arrière sur cette démarche de labellisation.
M. le Rapporteur : Les propositions seront-elles des
propositions de la profession ou du groupe de travail « label » ?
M. René-Marc CHIKLI : Ce seront des propositions du groupe de
travail. Nous sommes simplement partie prenante du groupe de travail avec les ministères du tourisme et du transport, la DGAC, les assureurs et les compagnies
aériennes, dont un représentant d'Air France.
Mme la Présidente : Je vous remercie. L'évolution même de la
discussion montre que cette réunion n'était pas inutile. Vous aviez certainement des choses à nous dire, des soucis à confier parce que la charge est lourde.
Elle l'est non seulement pour les opérateurs mais aussi pour le législateur qui doit rassurer les citoyens sur la fiabilité du transport aérien. Dans ce but,
nous nous tournons vers tous ceux qui font partie de ce que j'ai appelé « la chaîne », car c'est ainsi que je conçois le problème. Ce ne sera pas une tâche
facile, mais il est important que chacun y apporte un élément
Vous êtes précisément un élément important de la confiance que l'on
cherche à restaurer par votre activité et les grands noms que vous portez. Il était important que nous puissions nous rencontrer dans le cadre de cette
mission. Je vous remercie.
Table ronde sur la sécurité dans la construction des aéronefs regroupant
M. Rémi JOUTY, Service de la formation aéronautique et du contrôle technique (SFACT) et Mme Florence LEBLOND, Groupement de la sécurité de l'aviation civile (GSAC)
à la DGAC,
M. Bernard CATTEEUW et M. Claude SCHMITT, Airbus Industrie,
M. Jacques RENVIER, Snecma Moteurs,
M. Gilles GARROUSTE, Dassault Aviation,
M. Patrick LEPERCQ et M. Jean COURATIER, Michelin,
M. Francis TRUCHETET et M. Jérôme BANSARD, SNPL,
M. Roger SIMON, Agence européenne de sécurité aérienne (AESA),
M. Raymond AUFFRAY, expert auprès de la Cour de Cassation
(Extrait du procès-verbal de la séance du 31 mars 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Madame, messieurs, je voudrais d'abord vous
remercier de vous être rendus disponibles pour cette table ronde consacrée à la sécurité dans la construction des aéronefs. Cette question figure parmi les
points de réflexion de notre mission sur la sécurité du transport aérien des voyageurs, mission qui a été créée il y a deux mois, après l'accident de Charm
el-Cheikh.
Nous souhaitons que cette table ronde permette de faire émerger les
éventuelles lacunes dans la coordination des différents niveaux de réglementation, les lacunes dans le respect de la réglementation, les conséquences des
développements technologiques qui font circuler dans le ciel des avions de plus en plus gros et de plus en plus sophistiqués. J'espère également que cette
réunion vous permettra de nous informer sur les pistes d'amélioration auxquelles l'industrie aéronautique réfléchit car nous voudrions pouvoir rassurer les
utilisateurs du transport aérien.
Je propose que chacun de vous se présente brièvement, après quoi je
donnerai successivement la parole aux représentants de la DGAC et de l'Agence européenne de sécurité aérienne pour qu'ils nous fassent une présentation de la
réglementation sur la sécurité dans la construction des aéronefs. Nous procéderons ensuite à un échange de questions et de réponses.
M. Jean COURATIER : Je suis actuellement chargé de mission chez
Michelin. Jusqu'au mois de septembre 2003, j'étais directeur technique de la « Ligne produits avions », chargé du développement et de l'industrialisation des
produits que nous fabriquons et vendons.
M. Francis TRUCHETET : Je suis commandant de bord sur Boeing
777 à Air France, membre de la commission technique du syndicat national des pilotes de lignes, le SNPL. Je représente le SNPL à la fédération nationale des
pilotes de ligne et suis vice-président du groupe s'occupant de la conception et de l'exploitation des avions.
M. Jérôme BANSARD : Je suis vice-président exécutif du SNPL,
qui comprend une commission technique compétente pour tous les sujets que vous avez mis à l'ordre du jour.
M. Roger SIMON : Je travaille à la direction de la
certification de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA). Je vous présenterai les activités réglementaires et techniques concernant la sécurité dans
la construction.
M. Raymond AUFFRAY : Je suis ingénieur en chef des études de
l'armement. J'ai quitté l'administration en 1976, après vingt-sept ans de service - et 16 000 heures de vol -, dont un tiers à réceptionner du matériel, un autre
au bureau « Enquête accident et analyse » et enfin un dernier tiers à certifier des avions, notamment le Mercure et le Concorde. Les travaux de certification
technique de Concorde ont duré 14 ans, de 1962 à 1976 et j'ai assuré la responsabilité française de cette certification pendant les deux dernières années, de
1974 à 1976. Depuis 1976, je suis expert agréé par la Cour de cassation et j'ai, dans ce cadre, traité quelque 4 000 dossiers (judiciaires et privés).
M. Rémi JOUTY : J'appartiens à la DGAC où je suis le chef du
bureau « Navigabilité des avions de transport ». Nous nous occupons, au sein de ce bureau, de la délivrance des approbations pour tous les projets de conception
présentés par des concepteurs français ; cela couvre, en particulier, la délivrance de certificats de type et l'approbation de modifications pour tous les avions
conçus par les industriels français, Airbus, Dassault, ATR. Nous nous occupons également de l'approbation de modifications développées par les opérateurs
français eux-mêmes.
La DGAC, en termes de conception, a également des responsabilités à
l'égard de l'OACI : pour qu'un pays autre que la France émette un certificat de type sur un avion de conception française, le préalable est que la DGAC ait
déjà émis un certificat de type.
C'est également au sein de ce bureau que sont signés les certificats
individuels de tous les avions de transport immatriculés en France. Je rappelle que la délivrance du certificat individuel permet d'attester que l'avion
concerné est conforme à une conception approuvée.
Enfin, nous nous occupons du suivi de navigabilité ; nous nous
assurons que les concepteurs français, auxquels la DGAC a délivré des approbations, recueillent les incidents concernant les produits qu'ils ont conçus, en
font l'analyse afin d'évaluer le risque sur la sécurité et prennent, le cas échéant, les mesures nécessaires.
A titre individuel, je suis le chef de l'équipe internationale, en
charge de la certification de l'Airbus A 380.
Mme Florence LEBLOND : Je suis chef du bureau « Production » à
la DGAC. Ce bureau s'occupe de tout ce qui est activité de fabrication sur le territoire français ; en particulier, nous gérons 200 agréments qui ont été
délivrés, à la fois aux constructeurs d'aéronefs et aux fabricants de matériels équipements.
M. Claude SCHMITT : Je suis directeur à la direction des études
d'Airbus, dans la division « Product integrity ». A ce titre, je m'occupe de la sécurité des liaisons avec les autorités de certification. Je suis
également président de la commission « Navigabilité » du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales et de la commission « Navigabilité » de
l'association européenne des constructeurs aéronautiques.
M. Bernard CATTEEUW : Je suis responsable sécurité à Airbus,
chargé de m'assurer que dans toutes les divisions de notre société, les processus sont en place de façon à assurer la prise en compte des aspects sécurité. Je
suis également chargé de vérifier que tous les concepts de culture sécurité au niveau de l'organisation sont déployés correctement. Lorsque des problèmes sont
détectés, je m'assure qu'Airbus apporte son soutien, tel qu'il est prévu dans les annexes 13 de l'OACI en cas d'incidents majeurs ou d'accidents.
M. Jacques RENVIER : Je suis directeur technique adjoint de
Snecma Moteurs et responsable des fonctions « intégration propulsion » et de l'ensemble des ingénieurs en chef « moteurs ». J'ai donc la responsabilité technique
de l'ensemble des produits, depuis l'avant-projet jusqu'à la fin de vie. Je suis également vice-président du « Safety Standard Consultatif Committee » de
l'AESA.
M. Gilles GARROUSTE : Je suis responsable du département
« Navigabilité et certification » chez Dassault Aviation. Dans le cadre de l'organisation agréée en conception par la DGAC, je suis chargé de faire en sorte que
les définitions d'avions civils produites par Dassault Aviation soient conformes aux règlements, et prennent en compte les actions correctives identifiées sur
des avions en service.
M. Patrick LEPERCQ : Je suis directeur des affaires publiques
du groupe Michelin, en charge de la coordination des relations du groupe avec le Gouvernement et le Parlement.
M. Roger SIMON : Je commencerai par une courte présentation des
règles et régulateurs dans la conception aéronautique. Je me suis volontairement limité à la construction, thème de cette table ronde, ne soyez donc pas étonnés
si je ne parle pas des opérations, des licences ou de la maintenance.
Tout d'abord, de quel type de réglementation disposons-nous pour la
construction aéronautique ?
Au niveau mondial, l'Organisation de l'aviation civile
internationale, l'OACI, a développé depuis très longtemps un certain nombre d'éléments, dont la fameuse convention de Chicago et son annexe 8, « Navigabilité
des aéronefs ».
L'annexe 13, qui a été citée, est spécifique aux enquêtes accidents.
On y trouve un certain nombre d'obligations incombant aux Etats pour le recueil et le traitement des accidents et des incidents.
Au niveau de l'Union européenne, des règlements ont été mis en
place : le règlement (CE) 1592/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2002, concerne des règles communes dans le domaine de l'aviation civile
et institue une Agence européenne de la sécurité aérienne. Le règlement (CE) 1702/2003, de la Commission, du 24 septembre 2003, établit des règles pour la
certification de navigabilité et environnementale des aéronefs et produits, pièces et équipements associés, ainsi que pour la certification des organisations
de conception, de production et de maintenance.
L'Agence européenne a également un rôle dans la réglementation, mais
plus limité ; tous les règlements opposables au public sont de la compétence du Parlement, du Conseil ou de la Commission. Néanmoins, l'Agence a gardé une
compétence pour la définition de ce que nous appelons « les spécifications de certification », documents plus techniques, tels que le CS25 dérivé du JAR 25,
qui est une norme technique pour la construction des gros avions.
L'Agence développe également un certain nombre de moyens de
conformité et de documents d'orientation qui ont pour but d'aider les différents acteurs à établir la conformité aux règlements techniques.
Avant septembre 2002, c'est-à-dire avant la mise en _uvre de la
réglementation 1592/2002, tout cela était géré par les administrations nationales - la DGAC, chez nous - sous l'égide des JAA qui assuraient une coordination
globale au niveau européen élargi, puisque les JAA comptent actuellement 37 Etats membres.
Seules restent du domaine des JAA et des autorités nationales, les
réglementations d'opérations - les compagnies aériennes - et les équipages - les licences des pilotes. Ces activités seront, d'ici deux à trois ans, également
du domaine de l'Union européenne, dès que les éléments réglementaires en place auront été adoptés par le Parlement et le Conseil.
Quel est le rôle des différents acteurs ?
L'OACI élabore des règlements qui s'imposent aux Etats
contractants ; la convention de Chicago et ses annexes ont valeur de traité international. Ces obligations concernent également les produits, vous trouverez
donc dans l'annexe 8 un certain nombre de règles relatives à la construction, à la tenue structurale des avions, aux performances, etc. Les Etats membres sont
tenus de vérifier que les avions sont conformes à ces règles.
L'Union européenne développe des règles communautaires pour les
différents acteurs - législateur, autorités nationales, constructeurs, utilisateurs, industriels, etc - et pour les produits. Il s'agit de règles qui
définissent le système et les rôles respectifs des différentes parties - Commission, Agence, autorités nationales, constructeurs d'avions, utilisateurs et
industriels. Par ailleurs, l'Agence élabore des normes techniques.
Je souhaite également citer Eurocontrol qui est un organisme en
charge du trafic et de la navigation aérienne dont certaines dispositions ont des conséquences directes sur les avions eux-mêmes - ceux-ci doivent en effet
disposer de certains types d'équipements assurant certains types de fonctions ; les constructeurs et les autorités de certification doivent donc en tenir
compte pour certifier les nouveaux équipements qui vont répondre à ces spécifications et certifier leur utilisation sur les aéronefs. En résumé, il s'agit de
l'interface sur les sujets relatifs à la navigation aérienne et en particulier les équipements requis et leur certification.
Autre point : les liens entre les acteurs et leurs activités. Il
s'agit d'un système qui s'est construit petit à petit avec des tâches spécifiques.
L'OACI constitue une base mondiale, de laquelle dérivent toutes les
approches nationales ou collectives telles que JAA ou AESA. Toutes les initiatives dérivent, en effet, de la convention de Chicago et de ses annexes. Les Etats
prennent en compte ces annexes qui les obligent à mettre en _uvre des dispositions pour certifier les avions et assurer la sécurité du transport ; dans ce
contexte, ils développent leurs propres procédures de travail, leur propre réglementation qui sera un peu plus détaillée que l'annexe 8, par exemple.
Des liens ont été établis depuis toujours au sein de l'OACI : les
nations sont représentées, des groupes de travail ont été mis en _uvre, il existe une coordination entre les JAA et l'OACI, il y en aura une entre l'Agence
européenne et l'OACI, etc.
L'annexe 8 est en cours de révision pour intégrer de nouveaux
aspects, en particulier les facteurs humains, qui prennent une importance de plus en plus grande. A également été introduite, dans la dernière version de
l'annexe 8, la notion de certificat de type - qui existe depuis longtemps au niveau des Etats.
En Europe, l'évolution récente la plus importante a été la mise en
place de l'Agence européenne de la sécurité aérienne, avec une redistribution des rôles au sein de l'Union européenne, aussi bien sur le plan réglementaire que
dans le domaine de la vérification de l'application des règlements.
En particulier, l'Agence centralise la responsabilité d'approuver la
conception des avions et des produits associés, en s'appuyant largement, pour l'instant, sur les autorités nationales. La responsabilité appartient désormais à
l'agence européenne mais, en cette période de transition, les ressources utilisées sont encore celles des administrations nationales.
Sur le plan technique, un certain nombre d'événements et d'accidents
ont amené des réflexions de fond ; je ne citerai que quelques exemples. Pour le givrage, les accidents ont conduit à élaborer de nouveaux règlements relatifs
aux performances et aux qualités de vol, notamment un projet exigeant d'étudier le comportement de l'avion avec du givre accumulé sur les surfaces
aérodynamiques. Un projet de règlement est également en consultation pour le renforcement de la protection incendie de certaines catégories de soutes, afin de
mieux confiner les incendies. Pour l'explosion dans les réservoirs de carburant, une réflexion - qui a mobilisé beaucoup de monde - a débouché sur une action
américaine, la SFAR 88, et une action européenne équivalente pour essayer d'éliminer les risques potentiels. Des travaux sont également en cours pour imposer
des règles plus strictes au niveau de la conception de certains réservoirs de carburant.
Pour les éclatements de pneus - tout le monde se rappelle l'accident
malheureux du Concorde -, cet accident a entraîné des études importantes - dont le représentant de Michelin pourra vous parler - et des projets réglementaires
sont en cours.
S'agissant de l'ergonomie du poste de pilotage, les facteurs humains
sont de plus en plus pris en compte. Un certain nombre de réglementations ont été mises à jour pour intégrer explicitement la prise en compte des facteurs
humains, à tous les niveaux, conception, ateliers, organisations. Des travaux réglementaires sont également prévus dans le programme de travail 2004 de
l'Agence européenne.
Enfin, comment sont prises en compte les opinions des personnels
navigants et des utilisateurs ?
S'agissant de l'élaboration des règles, le système a été conçu pour
prendre en compte les opinions de tous les acteurs du monde aéronautique. Les utilisateurs participent aux groupes de travail qui définissent les règlements.
Ensuite, quand les projets réglementaires font l'objet d'une consultation, celle-ci est universelle : tout le monde peut commenter et proposer des
améliorations.
M. Rémi JOUTY : La présentation de M. Simon étant très
complète, je voudrais simplement faire une petite clarification au niveau de la mise en _uvre pratique de toute la réglementation de conception.
Depuis le 28 septembre 2003, l'Agence européenne a la responsabilité
de l'approbation - au sens légal - de la conception dans tous les Etats membres de l'Union européenne. Mais les investigations techniques qui conduisent à ces
approbations sont réalisées par les Etats, pour la simple raison que l'Agence ne possède pas aujourd'hui le personnel technique suffisant pour le faire.
Concrètement, dans le cadre d'un projet de conception d'un avion
nouveau, tel que l'A380, une équipe de spécialistes de certification de différents pays membres des JAA travaille avec le constructeur pour s'assurer que
celui-ci effectue correctement toutes les démonstrations propres à démontrer que l'avion répond aux normes de conception technique. Quand ce travail sera
terminé, l'équipe fera une recommandation à l'Agence européenne, afin qu'elle prononce l'approbation.
Mme la Présidente : Je vous remercie.
M. Simon, vous nous avez dit que tous les acteurs du monde
aéronautique étaient associés à la réflexion, et notamment les pilotes. J'aimerais connaître leur avis sur ce point : qu'en est-il sur le terrain, quel est le
ressenti de ceux qui sont, ensuite, « les seuls maîtres à bord » ?
M. Francis TRUCHETET : La création de l'Agence européenne de
sécurité aérienne étant toute récente, il n'y a pas encore eu de consultation à proprement parler.
En revanche, dans le système JAA, le système européen qui existe à
l'heure actuelle, des consultations ont lieu : des groupes de travail s'occupent des opérations, des licences, etc. Je représente le SNPL et l'IFALPA3
au sein du groupe de travail « opérations », qui est composé des autorités nationales, européennes, des membres des JAA, auxquels s'ajoutent les représentants
des pilotes et des constructeurs d'avions. Il existe donc bien une consultation, même si les avis ne sont pas toujours suivis, ce qui est normal.
L'Agence ne s'occupant, pour le moment, que de la certification et
de la maintenance, je n'ai pas eu d'information sur des consultations, même si elles sont prévues.
Mme la Présidente : Quel est votre avis sur la coordination
entre ces différentes strates ? Nous avons eu l'impression, au cours des premières auditions, que les avions appartenant aux Etats de l'Union européenne
n'étaient pas tous soumis aux mêmes règles.
M. Francis TRUCHETET : Les JAA sont en fait un club d'autorités
nationales - la DGAC pour la France, le LBA4,
pour l'Allemagne, la CAA5, pour les
Anglais - qui se sont réunies et qui ont décidé de créer des règlements communs ; la première mesure a été prise en 1974, pour la certification, puis en 1982,
d'autres mesures ont concerné les opérations et les licences. Cependant, les règlements adoptés par les JAA n'ont pas de force légale ; les règlements JAA, et
notamment le règlement relatif aux opérations, le JAR OPS, et le règlement sur la certification, le JAR 25, n'ont de valeur juridique que s'ils sont traduits
dans les législations nationales. Depuis 1997, l'OPS 1 a été la transcription du JAR OPS dans la réglementation française ; mais cette transcription n'est pas
obligatoire.
Au moment où les JAA se sont créés, toutes les autorités nationales
se sont engagées à mettre en _uvre ces règlements ; cette mise en _uvre a, toutefois, été plus ou moins bien suivie. Certains pays les adoptent immédiatement,
comme la Suisse. Pour d'autres il s'agit d'options, comme pour les Anglais qui ont leur propre réglementation, mais laissent une possibilité pour les
compagnies qui le désirent d'utiliser le JAR OPS. En France, l'OPS 1 a été mis en _uvre en 1997, il est également mis en _uvre en Allemagne, mais dans certains
pays, il ne l'est quasiment pas.
Le changement majeur produit par la création de l'Agence européenne,
émanation de la Commission européenne, est que les règles auront force de loi. Elles seront introduites comme directives ou règlements communautaires et, de
facto, elles entreront en vigueur dans tous les pays de l'Union européenne, alors qu'actuellement, on peut effectivement trouver des différences nationales
dans la transcription des règles émises par les JAA. Par exemple, l'OPS 1 français n'est pas la transcription littérale du JAR OPS.
M. Roger SIMON : Depuis le 28 septembre 2003, pour ce qui est
de la construction, il existe une norme unique, applicable dans tous les pays de l'Union - plus aucune variation n'est possible au niveau national.
S'agissant de la coordination entre les différents niveaux de
réglementation, je souhaiterais apporter une précision. Le système réglementaire a été défini pour recueillir l'avis de tous les acteurs concernés ; cela
fonctionnait de cette façon dans le système des JAA, et cela fonctionnera encore de cette façon, et pour quelques années, pour les règlements opérationnels et
ceux qui concernent les licences des pilotes.
Dans le système communautaire, il existe une forme de consultation
qui est différente mais qui englobe - notamment pour les règlements pris en Commission, Parlement ou Conseil - la consultation d'un certain nombre de
personnes.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je souhaiterais avoir une précision
sur le champ d'application de ces différentes réglementations. J'ai bien compris que vous parliez des constructeurs, mais on ne parle pas du tout de la
maintenance ou des modifications apportées ultérieurement aux aéronefs. Jusqu'où va l'application de ces règlements ?
Par ailleurs, ces règlements ne concernent-ils que les avions
construits sur le territoire européen ou tous ceux qui survolent et qui atterrissent en Europe ? Cette question est importante, car elle débouche sur le
problème du contrôle de l'application de ces règlements.
M. Roger SIMON : Cette table ronde concernant la construction,
je vous ai apporté des informations concernant la seule construction des avions.
Les règlements mis en _uvre couvrent à la fois la conception
initiale des avions et leur certification de type, mais également la certification ponctuelle de toute évolution ultérieure ; les modifications sont traitées
comme le produit initial.
Il existe des règles concernant les ateliers de maintenance, sur la
façon de travailler sur les avions, de les remettre en vol, et en ce qui concerne les opérations, des règles s'appliquent également aux compagnies aériennes.
Il me semble que deux autres tables rondes sont prévues concernant
la maintenance et l'exploitation, mes collègues vous y exposeront, en détail, les règles suivies en ces domaines.
En ce qui concerne l'application géographique, il est vrai que le
règlement actuel de l'Union européenne s'applique à tous les avions enregistrés en Europe - ou utilisés par des compagnies européennes, sous leur
responsabilité. Il ne concerne donc pas les produits qui sont sous la responsabilité directe d'Etats tiers. Ces Etats sont soumis aux obligations de la
convention internationale de l'aviation civile, et, à ce titre, ont mis en place de leur propre système.
Pour couvrir les opérations d'opérateurs étrangers, un certain
nombre de mesures ont déjà été prises dans le cadre de la CEAC6,
mesures qui relaient les initiatives prises par l'OACI ou la FAA7
américaine, telles que les inspections du programme Safety of foreign aircrafts (SAFA). Ce sont des opérations d'inspection « coup-de-poing », destinées
à vérifier si les avions qui se posent sur nos aéroports sont en état de navigabilité.
M. Rémi JOUTY : La réglementation européenne en matière de
certification s'applique à tous les aéronefs immatriculés dans un pays de l'Union européenne ou utilisés par des opérateurs résidant dans l'Union. Elle
s'applique également à tout concepteur concevant ses produits dans l'Union et, de ce fait, cela touche des avions qui sont exportés hors de l'Union européenne.
A titre d'exemple, quand Airbus exporte ses modèles en dehors de
l'Union, ceux-ci sont accompagnés de ce que l'on appelle un certificat de navigabilité pour exportation délivré par la DGAC attestant qu'ils sont conformes aux
normes de conception européennes. Cette procédure répond à une demande des autres membres de l'OACI.
M. Raymond AUFFRAY : Lors du développement et de la
certification d'un nouvel avion, un programme de maintenance est défini, dans lequel on trouve le détail de toutes les opérations de maintenance, le découpage
des potentiels d'emploi entre certains types de visites d'inspection ainsi que les durées de vie de certains composants de l'avion.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Quels sont les moyens humains mis en
_uvre pour effectuer le contrôle de l'application de la réglementation ?
Mme la Présidente : Qu'en est-il des avions des anciens pays de
l'Est, qui sont très critiqués ?
M. Rémi JOUTY : En ce qui concerne l'approbation de conception,
les JAA, et maintenant l'Agence européenne, ont mis en place un système de délégation au constructeur, sous forme d'organisme de conception agréé. Cela signifie
que le premier responsable de la mise en _uvre des réglementations relatives à la conception est le concepteur lui-même. Il existe par ailleurs un système de
surveillance du concepteur qui permet de s'assurer que celui-ci a mis en place un système « qualité » pour la conception. Ce système doit lui permettre de
vérifier lui-même qu'il applique correctement la réglementation.
Il existe également une surveillance directe de la conception du
produit lui-même. En France, les personnels de l'administration qui interviennent à ce niveau sont de l'ordre d'une centaine de personnes.
Mme la Présidente : Lorsqu'un défaut de conception est
constaté, je suppose que des ordres sont donnés au constructeur pour intervenir sur le point faible. Comment peut-on vérifier que le concepteur s'est soumis à
une injonction ?
M. Rémi JOUTY : Le concepteur est tenu, de par les règlements,
de mettre en place un système pour collecter auprès de tous ses opérateurs les informations relatives au produit qu'il a mis en service en cas de problème de
sécurité. Il est tenu de les collecter, de les analyser et de proposer, en cas de besoin, des actions correctives - modifications, inspections, consignes
opérationnelles particulières.
Lorsque ces actions sont nécessaires, l'autorité émet des consignes
de navigabilité qui s'imposent à tous les opérateurs.
Mme la Présidente : Quelle autorité ?
M. Rémi JOUTY : Avant le 28 septembre, pour la conception
française, il s'agissait de la DGAC ; depuis cette date, ces consignes de navigabilité sont proposées par la DGAC et approuvées par l'Agence européenne. De ce
fait, elles s'appliquent à tous les opérateurs utilisant le type d'avion concerné dans l'Union européenne, et elles ont valeur de recommandation pour tous les
autres Etats membres de l'OACI, hors Union - qui, en général, les appliquent directement également.
Concrètement, ce processus s'opère par échanges de dossiers, par
réunions périodiques ; le constructeur fait le travail et l'autorité s'assure qu'il est réalisé avec le sérieux nécessaire.
M. Raymond AUFFRAY : Se pose alors le problème de la qualité de
l'analyse des incidents et de la qualité de la détermination des causes des accidents, ce qui n'est pas simple. Il arrive, parfois, que des consignes de
navigabilité ne soient pas pertinentes. D'autres fois, faute d'avoir déterminé la cause d'un accident, on n'a pas édicté les consignes nécessaires. Il existe
donc des difficultés au niveau de l'exécution.
M. le Rapporteur : Que se passe-t-il lorsqu'un constructeur,
qui n'est pas européen, constate que la défaillance d'une pièce ou d'un mécanisme dans la production sur un type d'appareil, mérite un contrôle, voire un
changement de pièce ? Ce constructeur devrait, me semble-t-il, être tenu d'informer tout propriétaire de ce type d'appareil pour lui faire connaître ses
préconisations.
Le constructeur est-il obligé de corriger l'appareil ? Ou seul le
propriétaire décide de le faire ou de ne pas le faire ? Par ailleurs, qui contrôle l'exécution effective de ces modifications ?
M. Rémi JOUTY : A partir du moment où l'autorité du pays de
conception a pris la décision d'émettre une consigne de navigabilité, celle-ci est légalement applicable, de manière obligatoire, pour tous les avions
immatriculés dans le pays de conception. Dans le cas des avions de conception française, la DGAC travaille avec le constructeur pour s'assurer que ce dernier
fait des propositions, puis la DGAC émet des consignes de navigabilité lorsque cela est nécessaire. Depuis l'entrée en fonction de l'AESA, ces consignes sont
approuvées par l'AESA et légalement applicables pour tous les avions immatriculés dans l'Union européenne.
En ce qui concerne les avions de conception étrangère, pour prendre
l'exemple de Boeing, la FAA a un système similaire au nôtre. Boeing est donc tenu, au titre de la réglementation américaine, de faire cette même analyse des
événements qui lui sont rapportés et d'étudier des mesures correctives quand cela est nécessaire. La FAA émet alors des consignes de navigabilité qui ne sont
pas directement applicables aux avions immatriculés en Europe. Elles doivent être reprises par l'Agence européenne pour avoir une valeur légale en Europe.
Aujourd'hui, en ce qui concerne les avions de conception américaine,
le directeur de l'Agence européenne a pris la décision que les consignes de navigabilité émises par la FAA sur les produits importés - par exemple sur des
Boeing - sont immédiatement applicables dès leur publication en Europe.
Quant à la surveillance de l'application de ces consignes, elle se
fait dans le cadre de la surveillance de l'entretien des aéronefs.
M. le Rapporteur : Prenons le cas d'un Boeing appartenant à une
compagnie autre qu'européenne ou américaine et dont une pièce doit être modifiée, conformément à une consigne édictée par les autorités américaine et européenne.
Qu'adviendrait-il de cet avion, si, lors d'une escale à Paris, il était constaté que la modification n'a pas été effectuée ? La DGAC a-t-elle le pouvoir de
bloquer cet avion ?
M. Rémi JOUTY : Il s'agit d'une question délicate ; mais la
réponse est non ! Dans le cas d'une compagnie basée sur un autre continent - pour prendre l'exemple d'une compagnie basée en Asie et exploitant un Boeing -
celle-ci n'est pas tenue d'appliquer les consignes de navigabilité émises par la FAA, sauf si l'Etat de cette compagnie a pris la décision de les rendre
obligatoires.
Au titre de la convention de l'OACI, les Etats membres sont tenus
d'informer tous les autres Etats membres quand il y a nécessité d'appliquer ces actions. La FAA publie donc ses consignes de navigabilité dans le monde entier,
auprès de toutes les autorités, pour remplir ses obligations à l'égard de l'OACI. De même, la France publie ses consignes de navigabilité dans le monde entier
pour informer les autorités de la nécessité d'une action corrective sur un produit de conception française. En pratique, la plupart des pays membres de l'OACI
disposent d'un système - comme celui que je viens d'évoquer dans le cas de l'Union européenne - pour appliquer immédiatement et automatiquement les consignes
de navigabilité émises par l'Etat de conception.
Mais il est vrai que, légalement, si un Etat refusait de se
conformer à cette pratique, notre système réglementaire ne nous permet pas de l'imposer.
M. le Rapporteur : Imaginons que le même avion aille dans un
atelier de maintenance en Europe ; cet atelier a-t-il l'obligation de lui faire appliquer les consignes de navigabilité ?
Mme Florence LEBLOND : Il s'agit là de la réglementation
concernant la maintenance, vous aurez plus de détails lorsque vous recevrez les responsables de cette question. Cependant, je puis vous dire qu'un atelier
d'entretien se doit d'avertir l'autorité et ne peut pas libérer un appareil s'il a connaissance d'une condition qui rend l'appareil inapte au vol. Pour autant,
il n'est pas censé mener une enquête pour déterminer si les consignes de navigabilité ont été appliquées.
M. Jacques RENVIER : En ce qui concerne la maintenance des
moteurs, nous sommes tenus lorsque nous recevons un moteur à réparer, de vérifier, sa configuration, afin de déterminer si les consignes de navigabilité ont été
appliquées. Si cela n'a pas été le cas, nous insistons auprès du client pour qu'elles soient appliquées ; mais je n'ai pas souvenir d'un cas où le client ait
opposé un refus. Et cela est vrai pour les ateliers de réparation que nous avons en Europe comme au Maroc.
M. le Rapporteur : S'agit-il d'un « plus » Snecma ou vos
concurrents pratiquent-ils de la même façon ?
M. Jacques RENVIER : Je pense que nos concurrents pratiquent de
même.
M. Bernard CATTEEUW : Mais il n'y a pas d'exigences
réglementaires.
Mme la Présidente : J'ai lu dernièrement que sur certains
Boeing, il existe un risque sérieux d'explosion ; apparemment, tout le monde le sait. Le risque est maîtrisé intellectuellement, mais rien n'est fait car
l'élimination du risque aurait un coût trop important. En fait, le risque est trop faible par rapport à ce coût. Que pouvez-vous me répondre sur ce sujet ?
M. Raymond AUFFRAY : Vous faites allusion au TWA 800 ? Le
Boeing 747 qui a explosé au décollage de New York ?
M. le Rapporteur : La présidente aurait aussi pu faire allusion
à la dérive du Boeing 737.
M. Raymond AUFFRAY : Oui, mais si l'on parle de l'explosion
d'un réservoir, c'est forcément au TWA 800 auquel on fait allusion.
Je suis surpris de cette remarque car je suis l'un des trois experts
judiciaires ayant travaillé sur cet accident ; j'en connais donc bien la cause : il s'agit d'un problème de maintenance. Bien entendu, la conception pourrait
être améliorée au niveau de la métallisation, c'est-à-dire la continuité électrique des différents composants des avions, mais dans ce cas particulier, nous
avons affaire à un problème de maintenance ; il y a eu conjonction d'un certain nombre de paramètres malheureux qui ont conduit à l'explosion des vapeurs « air
carburant » qui étaient dans un réservoir pratiquement vide.
M. BANSARD : Je voudrais pour ma part faire le parallèle avec
les voitures. Lorsque Renault constate qu'un circuit de freinage est défaillant, il rappelle la totalité des véhicules concernés. Lorsque Boeing ou d'autres
constructeurs constatent un problème sur un avion, un délai est accordé ; il peut être court ou extrêmement long. Or, parfois, il nous apparaît que ces délais
sont tout à fait excessifs.
M. Rémi JOUTY : La question ne se pose jamais en termes aussi
clairs ; ce n'est pas blanc ou noir, ce n'est pas aussi dichotomique que vous l'avez présenté, madame la présidente.
Dans les deux cas que vous avez cités - explosion de réservoir et
problème d'embarquement de gouverne de direction sur le Boeing 737 -, des actions correctives obligatoires ont été décidées par la FAA, sous forme de consignes
de navigabilité. Dans ce genre de problème, il y a toujours plusieurs causes. En effet, le caractère redondant attaché à la conception des avions de transport
fait que, sauf dans des cas extrêmement rares, il faut plus d'une cause pour provoquer un accident.
Tout le travail du constructeur et des autorités de navigabilité,
dans ce type de situation, est de déterminer les actions à mettre en _uvre, et dans quel délai.
Dans les deux cas que vous venez de citer, je le répète, des actions
ont été mises en _uvre, à court et à moyen terme. Mais effectivement, la question qui reste ouverte est la suivante : jusqu'où devons-nous aller dans les
actions correctives ? Pour y répondre, plusieurs éléments sont pris en compte : le niveau de sécurité, le temps matériel nécessaire pour concevoir les
modifications pouvant améliorer la sécurité, le temps pour produire les pièces nécessaires à l'introduction de ces modifications, le temps pour permettre aux
opérateurs de modifier ces avions sans arrêter tout le transport aérien, et enfin, le coût.
Mme la Présidente : Entre également en ligne de compte le fait
qu'il s'agit d'une « fin de fabrication » ; on prend peut-être moins de risque financier lorsqu'il s'agit d'un avion qui a déjà fait son temps ?
M. Rémi JOUTY : Reprenons les deux cas que vous avez cités.
Premièrement, le Boeing 737 : 4 000 ou 5 000 avions de ce type sont en service aujourd'hui et dans 30 ans, il y en aura encore qui voleront. Ce serait donc un
pari extrêmement dangereux de la part de Boeing et de la FAA - et des autorités qui acceptent ce que font Boeing et la FAA - de considérer qu'il s'agit d'un
avion en fin de vie et qu'il n'est donc pas nécessaire de résoudre le problème. En second lieu, pour le Boeing 747 : plus d'un millier de ces avions volent
actuellement, et ils ne sont pas en fin de vie.
Il me semble donc que l'on ne peut pas se permettre de raisonner de
cette façon dans ces deux cas.
Il est vrai, cependant, que l'on évalue le temps maximum que l'on
peut se donner pour introduire des actions, dans les cas où l'on a vraiment un problème matériel. Si nous voulons aller plus vite, la seule solution est
d'immobiliser des avions - et donc de perturber gravement le transport aérien. Nous disposons pour cela d'outils d'analyse de risques qui sont effectivement
fondés sur des probabilités. Mais nous n'employons ce type de raisonnement que dans les cas où nous sommes convaincus, matériellement, que nous ne pouvons pas
aller plus vite.
Mais on ne peut pas se permettre d'ignorer délibérément un risque
sous prétexte que les avions arrivent en fin de vie !
M. Roger SIMON : Comme vous l'avez noté dans votre
questionnaire, le risque zéro n'existe pas.
Les approches développées par les constructeurs ont toujours
consisté à intégrer un certain nombre d'éléments pour arriver à fabriquer des produits qui volent et qui s'inscrivent dans un contexte global, économique, etc.
Bien entendu, du point de vue navigabilité, le rôle des autorités est de s'assurer que le risque est minimisé, qu'un travail est en permanence effectué pour
réduire les risques.
Je pourrais, si nous revenons sur le sujet, vous parler de certaines
initiatives qui ont été prises, avec des objectifs extrêmement ambitieux. Nous avons conscience que des accidents ont toujours lieu, que le trafic évolue et
devient de plus en plus important mais les initiatives prises par l'industrie et les autorités chargées d'établir la réglementation visent, néanmoins, à
poursuivre la réduction du nombre d'accidents.
S'agissant de l'Union européenne, un groupe de travail composé de
personnalités a annoncé - pour 2010 ou 2020 - une division du nombre d'accidents par quatre - alors que le taux est déjà faible. Une pression est donc mise, au
niveau politique, pour accomplir les efforts maximums en vue d'améliorer la sécurité
Toutefois, comme l'expliquait M. Jouty, certaines mesures ne peuvent
pas être prises, car elles perturberaient gravement l'ensemble du système. On ne peut pas, parce qu'un accident s'est produit, immédiatement garder tous les
avions du même type au sol ! Des enquêtes sont menées, des analyses sont faites, et une telle décision ne serait prise que si, à l'évidence, il existait un
problème générique justifiant l'immobilisation de plusieurs centaines d'avions.
Ces chiffres laissent imaginer l'ampleur du débat et les critères
qui doivent être pris en compte dans ce genre de décision, notamment par le constructeur qui est le premier responsable de la navigabilité de ses avions.
Je voudrais maintenant revenir sur la question du rapporteur,
concernant la maintenance des avions hors de l'Europe. Le système mis en place par l'OACI a pour but de permettre aux Etats d'accueillir sur leur territoire
des avions de tous les pays membres de l'OACI.
S'agissant des travaux de maintenance à effectuer sur un avion
d'Amérique du Sud ou d'Afrique, par exemple, ils découlent du programme de maintenance approuvé par l'autorité en charge. Si un avion africain choisit un
atelier européen parfaitement qualifié, ce dernier ne va pas travailler sur la base du programme de maintenance de la France, mais de l'utilisateur et de son
autorité.
Bien entendu, si le personnel découvre que l'avion est abîmé à un
point tel que l'on peut se demander comment il vole, il va certainement faire ce qu'il faut pour le signaler et éventuellement empêcher l'avion de décoller.
Mais légalement, le système est construit sur la base de la responsabilité des différents Etats membres de la convention de Chicago. Dans cet esprit,
l'ensemble des textes et annexes de la convention de Chicago a pour but d'assurer que les avions qui sont déclarés conformes aux différentes exigences,
provenant de pays déclarés eux aussi conformes aux exigences de l'annexe 8, sont acceptables dans tous les pays du monde.
Cependant, les problèmes que vous évoquez ont été identifiés, et ont
justifié un certain nombre d'initiatives de la part des Américains ; ceux-ci ont entrepris d'inspecter tous les Etats et de les classer par catégories. Seuls
les avions immatriculés dans des pays classés dans la catégorie 1 sont autorisés à se poser aux Etats-Unis.
En Europe, une initiative un peu similaire a été prise - le SAFA.
Enfin, l'OACI a aussi décidé d'auditer l'ensemble des pays contractants. Ce programme a abouti à la visite, par des équipes d'audit de l'OACI, de pratiquement
tous les pays membres.
Les autorités compétentes s'occupant du problème et un certain
nombre d'initiatives ayant été prises, il convient d'inscrire tout cela dans le contexte global de l'aviation civile, des responsabilités de chacune des
parties et de leur honnêteté.
Mme la Présidente : Je constate que certains pays se protègent
plus que d'autres, puisque les Américains semblent avoir leurs propres règles de sécurité.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Ma question s'adresse aux
constructeurs. Dans le document que vous nous avez remis, M. Simon, il est écrit que, selon les statistiques, les petits avions sont en général moins sûrs que
les gros. Pourquoi ?
Ces statistiques prêchent donc en FAVÉur d'avions du type A380 !
Mais lorsqu'un de ces gros avions a un accident, c'est matériellement, psychologiquement et humainement plus dramatique ! Pourquoi la sécurité varierait-elle
avec la taille des avions ?
M. Roger SIMON : Quand je parle de petits avions, je pense à
l'aviation générale, les avions de tourisme, d'aéroclubs, et les petits avions qui peuvent même être utilisés en transport. Selon les statistiques - nombre
d'accidents par heures de vol -, ils sont globalement moins sûrs.
Toutefois, pour faire le lien entre petits et gros avions et niveau
de sécurité, des règlements, applicables de manière identique à tous les avions, visent à assurer le niveau de sécurité minimum requis par l'annexe 8 ou les
règlements communautaires.
Il faut toujours voir la sécurité sur le plan du transport, du point
de vue de la mission globale de l'avion ; nous devons donc prendre en compte, non seulement la qualité de l'avion, mais également l'utilisation que l'on en
fait et son entretien. Les analyses des accidents démontrent qu'en général il y a, non pas une cause, mais un ensemble de facteurs qui provoquent la
catastrophe.
M. Michel HERBILLON : Au-delà des accidents, estimez-vous que
la collecte des incidents de tous types est performante ? Par ailleurs, des actions correctrices sont-elles menées et dans quel délai, à la suite de l'analyse
des informations obtenues par cette collecte ?
M. Roger SIMON : Des efforts énormes ont été mis en _uvre pour
assurer cette collecte. Rendre compte des incidents rencontrés est une obligation, à la fois pour les constructeurs, les utilisateurs et les ateliers.
A cet égard, il existe une directive communautaire, de juin 2003,
sur la collecte et la communication des informations sur les incidents, et sur la mise en place d'un système s'appuyant sur les ressources d'un centre de
recherche en Italie, l'ECCAIRS8.
Il s'agit d'une banque de données, développée avec une classification très précise des incidents, et des logiciels permettant aux différentes autorités
d'accéder à ces informations.
Qu'en est-il de l'exploitation de ces informations ? Il faut
reconnaître que des progrès sont encore à accomplir en ce domaine. Tout d'abord, les constructeurs ont l'obligation de les traiter, ce qu'ils font grâce aux
systèmes sophistiqués qui ont été mis en place. Ensuite, une initiative a été prise, avec le rapport du JSSI9
des JAA relatif aux méthodes d'analyse des données collectées.
Mme la Présidente : Quel est l'avis des pilotes sur ce point,
ils doivent avoir des choses à dire ?
M. Roger SIMON : Lorsqu'on parle de collecte, on parle de
collecte tous azimuts, cela inclut donc le reporting par les pilotes, dans les compagnies aériennes, de tous les incidents qui ont pu se produire.
D'ailleurs, la NPA10 OPS 35, un
nouveau règlement, va exiger de manière plus lourde le recueil des incidents au sein des compagnies aériennes.
M. Michel HERBILLON : Vous nous expliquez fort bien comment
sont collectés les différents incidents, mais nous serions également intéressés de savoir quelle est l'exploitation qui en est faite et dans quel délai ?
Pouvez-vous nous donner des exemples de correctifs importants ou significatifs mis en place à la suite de collecte d'incidents ?
M. Christian MÉNARD : M. Truchetet, comment cela se passe-t-il
quand un pilote constate une anomalie dans la construction ?
M. Francis TRUCHETET : Nous ne constatons pas d'anomalies dans
la conception, mais des choses qui ne fonctionnent pas comme nous voudrions qu'elles fonctionnent. Quand cela arrive - par exemple, une lampe ne s'allume pas,
les volets ne sont pas sortis ou un bruit anormal est émis lors de la rentrée du train d'atterrissage -, nous établissons un rapport technique. Ensuite, les
techniciens de la maintenance lisent ce rapport et apportent les corrections nécessaires.
S'agissant des actions à plus long terme, concernant notamment des
pannes récurrentes, ce sont les constructeurs et les certificateurs qui interviennent sur les systèmes dont la conception est en cause. En tant que pilotes,
nous sommes au bout de la chaîne ; nous ne savons pas fabriquer les avions, mais les utiliser et nous pouvons donc signaler ce qui ne semble pas fonctionner
correctement. Ce n'est donc pas sur la partie « conception, certification et maintenance » que nous avons le plus d'impact.
En revanche, nous établissons de nombreux rapports concernant
l'utilisation des avions, les procédures d'utilisation des avions et également sur le fait que certains systèmes nous donnent des informations qui ne nous
paraissent pas faciles à utiliser.
Les JAA nous obligent à mettre en place ce que l'on appelle des
« services d'assurance qualité » qui servent à vérifier que ce qui est écrit est bien mis en _uvre. Un de ces services concerne l'analyse des vols - M. Simon y
faisait référence quand il a cité la NPA OPS 35 sur le Fly Data Monitoring -, le dépouillement des enregistreurs de vols permet de déterminer si des
anomalies ont eu lieu et de les interpréter. Ce règlement est en vigueur en France depuis 1998 ou 1999, et va devenir obligatoire au niveau de l'OACI au 1er
janvier 2005 - de ce fait, les JAA vont le rendre obligatoire également.
A Air France, a été créée la commission d'analyse des vols qui
comprend des représentants de la maintenance, des opérations aériennes et des organisations professionnelles des pilotes. Lorsqu'une anomalie est décelée, elle
est étudiée au sein de cette commission qui se réunit tous les deux mois et nous émettons des recommandations qui peuvent concerner la maintenance ou la
modification des procédures d'exploitations (opérations). En général, nos recommandations concernent plus souvent les procédures que la maintenance.
A titre d'exemple, s'agissant de la conception des avions, un
certain nombre d'incidents ont eu lieu sur un système que nous appelons le TCAS11 ;
lorsque deux avions s'approchent trop près l'un de l'autre, ce système déclenche des alarmes, et donne aux pilotes la consigne de descendre ou de monter, en
fonction des positions respectives des avions. Or nous avons découvert, à la suite de l'analyse des vols, que sur un type d'Airbus, la présentation des
informations pouvait entraîner une confusion de la part des pilotes. La commission d'analyse des vols s'est directement adressée à Airbus Industrie pour lui
signaler le problème. Bien entendu, cela prend du temps, une modification de ce type ne se fait pas en cinq minutes !
Par ailleurs, la directive à laquelle faisait référence M. Simon
présente un gros avantage et un gros inconvénient. Elle est obligatoire, ce qui est bien, mais le revers de cette obligation est que dès qu'une personne
trébuche dans l'avion, nous devons faire un compte rendu ! Trop de petites choses sont censées être rapportées : les pilotes ne le font donc pas mais s'ils le
faisaient, vous pouvez imaginer la quantité absolument invraisemblable de données qu'il y aurait à traiter ! Alors bien entendu, les choses importantes sont
notées, mais la collecte et le traitement des incidents beaucoup plus bénins se fait plus ou moins bien.
Un système existe au sein de nombreuses compagnies européennes, mis
en _uvre initialement par British Airways : l'Air Safety Report. Adopté par Air France, KLM et Lufthansa, il comporte une base de données commune des
incidents rapportés par tous les commandants de bord et qui leur ont paru affecter la sécurité. Ces rapports sont traités au sein de la compagnie, puis
diffusés aux autres compagnies.
Enfin, il y a les rapports dits anonymes, établis par des personnes
qui, éprouvant une certaine réticence à être associées à certains événements, n'auraient pas rendu compte de ces événements sans l'assurance de bénéficier de
l'anonymat. Pour fonctionner, ce système suppose une culture de sécurité active, positive, une culture de non-blâme. Cette culture permet aux pilotes de
rapporter des faits sans craindre de se voir reprocher d'éventuelles erreurs et d'en subir les conséquences, notamment en termes d'emploi.
Nous essayons de mettre en _uvre ce système dans le transport aérien
depuis de nombreuses années, la situation va en s'améliorant et permet la prise en compte des facteurs humains auxquels faisait référence M. Simon, le but
étant d'inciter les personnels à rapporter tout ce qui leur paraît anormal ou intéressant.
Mme la Présidente : Fonctionne-t-il à Air France - nous savons
qu'il fonctionne aux Etats-Unis ?
M. Francis TRUCHETET : Oui, il fonctionne à Air France, mais il
n'est pas identique au système en vigueur aux Etats-Unis. A Air France, il s'agit de rapports dits confidentiels sur lesquels le pilote peut choisir de mettre ou
non son nom. Pour vous donner un ordre de grandeur, il y a, chaque année, environ 2 500 à 3 000 rapports signés par les commandants de bord, contre une
vingtaine, voire une trentaine de rapports anonymes. Mais ces derniers ont l'avantage de pointer des choses que l'on ne découvre nulle part ailleurs. Ces deux
types de rapports sont complémentaires.
Le système américain, est un peu différent. La Nasa a été chargée de
collecter et de procéder au traitement de rapports anonymes. Il existe même une clause d'impunité qui précise que tout rapporteur d'un incident par le biais de
ce système ne pourra pas encourir de sanctions de la part des autorités américaines. Ce système national produit donc un nombre de données extrêmement
important, et fonctionne non seulement dans les grandes compagnies aériennes, mais également chez les petits transporteurs, voire même dans l'aviation
générale.
M. Ghislain BRAY : S'agissant des rapports anonymes, une
émission télévisée a fait état de tout ce que vous venez d'évoquer, M. Truchetet. J'ai été surpris et choqué par ce procédé car, ne connaissant pas l'importance
du nombre de ces rapports, je trouvais surprenant qu'on puisse faire des rapports d'incident, sous couvert d'anonymat. A présent, je suis rassuré puisque vous me
dites, qu'il n'y en a qu'une vingtaine ou une trentaine par an.
En ce qui concerne le système électronique permettant de détecter
deux appareils volant à la même altitude, j'avais cru comprendre, toujours dans la même émission, que de nombreux problèmes avaient été soulevés, et notamment
que les indications et consignes données par le matériel électronique embarqué et les consignes données par les contrôleurs aériens étaient en complète
contradiction. Après l'analyse de ce dysfonctionnement, il s'est révélé que les formations données par Air France aux pilotes préconisaient de tenir compte,
non pas des consignes des contrôleurs aériens, mais de celles du matériel de bord. A cet égard, l'émission faisait état d'un accident, ayant entraîné la mort
de 250 à 300 personnes, qui aurait été causé par une contradiction de cet ordre.
M. Gilles GARROUSTE : Je voudrais revenir sur le niveau de
sécurité des petits avions. Les avions sont classés par catégories. Ceux que l'on appelle les « petits avions », dans la construction aéronautique, sont les
avions de masse inférieure à 5,7 tonnes ; on y trouve des avions à hélice, donc turbopropulseurs ou à moteurs à explosion. Dans la catégorie supérieure à 5,7
tonnes, on trouve des gros turbopropulseurs, type ATR et autres Sab 2000, ainsi que la plupart des jets d'affaires, les Falcon.
Si l'on compare la sécurité de ces petits avions à ceux opérés par
les compagnies d'aviation commerciale, il est exact que le taux global d'accidents est supérieur. J'ai là un document, que je pourrais vous laisser, qui fait
une analyse de ce phénomène et qui fait ressortir que le critère prépondérant en matière de sécurité des petits avions, est la compétence du pilote - selon
qu'il s'agit d'un pilote professionnel ou non. Il apparaît, en effet, que le niveau de sécurité de ces petits avions à réaction, du type Falcon, pilotés par
des pilotes professionnels salariés, est identique sinon légèrement meilleur, que celui de l'aviation de ligne.
Je souhaiterais maintenant vous parler du comportement des
constructeurs - du moins de Dassault Aviation - en matière de traitement des incidents.
Les constructeurs sont très proactifs en matière de traitement des
incidents. Dans l'aviation de ligne, les avions sont opérés par des compagnies importantes, type Air France, qui disposent de structures lourdes pour analyser
ce qu'il se passe pendant les vols. Sont rapportés vers leurs autorités et le constructeur, les phénomènes considérés comme affectant la sécurité.
Côté constructeur, nous sommes à la recherche des informations, soit
auprès des organisations de maintenance, qui ont une obligation de rapport auprès du constructeur et de l'autorité, soit auprès des opérateurs. Les
constructeurs disposent tous d'un système d'analyse de tous les faits techniques rapportés, conformément à la réglementation en place.
Ce sont en général les constructeurs qui proposent aux autorités des
mesures correctives. Celles-ci peuvent être décidées parce qu'à l'occasion d'un essai ou d'un fait en service, un défaut de conception est mis en lumière. On
propose alors une évolution de la définition de l'avion. Les mesures correctives peuvent aussi concerner les procédures d'utilisation. Il est particulièrement
difficile de mettre en évidence les problèmes d'adéquation des procédures à la conduite des vols. En effet, généralement, lorsqu'un avion a une panne, le
constructeur est facilement informé par les organisations de maintenance qui ont le devoir de changer les pièces et de prononcer la remise en vol de l'avion.
En revanche, s'agissant des procédures, il est plus difficile, pour
les constructeurs, d'être informés d'un défaut. Les grosses compagnies disposent des moyens leur permettant de réaliser ces analyses - je laisserai, sur ce
point, la parole à mes collègues d'Air France -, mais ce n'est pas le cas l'aviation d'affaires : la charge retombe donc sur le constructeur. La politique de
Dassault en la matière est, de ce fait, particulièrement volontariste.
Mme la Présidente : Avant de passer à d'autres questions, je
voudrais connaître la réponse de la DGAC sur ce problème des incidents et de leur traitement. Peut-on les traiter à l'identique de ce qui se pratique aux USA ?
M. Rémi JOUTY : Sur le traitement des incidents, une difficulté
vient du fait que, recherchant un très haut niveau de sécurité, nous sommes à la recherche d'incidents très peu fréquents qui ne seraient pas dangereux en
eux-mêmes, mais qui pourraient être des précurseurs de phénomènes dangereux.
Une autre difficulté résulte du fait que nous traitons de flottes
très importantes de sorte que le nombre d'incidents qui nous sont communiqués est très élevé, même si, à l'échelle d'un pilote, ce nombre est très faible.
A titre d'exemple, je citerai les pannes de moteurs. M. Renvier, de
la Snecma, a la responsabilité d'une flotte d'environ 15 000 moteurs équipant l'aviation civile. Ces moteurs sont extrêmement fiables. Il n'empêche qu'ils
volent chacun en moyenne une dizaine d'heures par jour ; aussi la Snecma reçoit-elle chaque mois des notifications de ses opérateurs indiquant que des moteurs
se sont arrêtés en vol. Je précise que l'arrêt en vol d'un seul moteur n'est pas dangereux ; en revanche, si un second moteur s'arrête au cours du même vol,
cela peut devenir beaucoup plus ennuyeux. Ainsi la Snecma a-t-elle à traiter un grand nombre d'événements d'arrêts moteur qui sont tous, en eux-mêmes, peu
dangereux. Il faut cependant s'assurer qu'ils ne sont pas trop nombreux et traiter ces événements en en recherchant les causes pour s'assurer qu'une
« épidémie » ne serait pas en train d'apparaître ou qu'une famille de moteurs ne présenterait pas un risque de pannes anormalement élevé qui pourrait aboutir à
une panne simultanée des deux moteurs.
Mme la Présidente : S'agissant du reporting des pilotes,
je voudrais savoir si nous pouvons adopter le système américain, beaucoup plus clair et plus direct : pas de pénalisation, chacun disant tout ce qu'il sait car
cela bénéficie à tous.
M. Rémi JOUTY : Compte tenu de la fiabilité des moteurs de la
Snecma, la plupart des pilotes ne connaîtront aucune panne moteur réelle durant toute leur vie professionnelle. Cela illustre la difficulté. Beaucoup
d'événements sont à traiter du fait de très larges flottes, mais les taux de fiabilité des équipements sont si élevés qu'à l'échelle individuelle, ces événements
restent très rares.
Sur le rapport des événements, je pense que vous faites allusion au
rapport volontaire et confidentiel que vous opposez au rapport réglementaire et obligatoire. Sur la conception, les problèmes remontent naturellement. Nul
besoin d'un rapport confidentiel pour cela. Car, d'un point de vue commercial, la compagnie qui constate un arrêt de moteur a envie que le concepteur agisse,
ne serait-ce que pour des raisons purement commerciales. Par ailleurs, il n'existe guère de problème de culpabilité qui ferait que les personnes hésiteraient à
faire état d'un problème.
Là où les rapports confidentiels peuvent être utiles, c'est dans le
domaine des facteurs humains et de la prise en compte des aspects opérationnels. Il est vrai que nous sommes en train de mettre en place ces systèmes
volontaires. Je reste cependant réservé sur ces rapports en raison de leur difficulté d'exploitation. Pour qu'ils soient confidentiels, il faut
"désensibiliser" ces rapports, c'est-à-dire supprimer l'intitulé de la machine, le lieu, certains éléments sur les circonstances. De ce fait, beaucoup de ces
événements ne peuvent plus se prêter à une analyse individuelle et concrète du cas réel, faute de pouvoir y accéder pour des raisons de confidentialité. Ils ne
peuvent plus que se prêter à une analyse statistique globale et ce type d'analyse en matière de facteurs humains se révèle extrêmement difficile. Les rapports
confidentiels présentent un intérêt en termes de sécurité, mais ne sont pas le meilleur outil pour le traitement des incidents. La difficulté majeure du
traitement des incidents tient dans la capacité à filtrer correctement la grande masse d'informations que les constructeurs, les concepteurs, les autorités
reçoivent et à être capable d'opérer un tri parmi cette grande masse d'informations, afin d'isoler ceux qui nécessitent réellement une action.
Mme la Présidente : Je souhaite poser à la manufacture Michelin
une question, tant sur la fiabilité que sur la qualité des pneus et sur la façon dont certains constructeurs ou compagnies font des économies sur cet outil très
important en matière de sécurité aérienne.
M. Jean COURATIER : Le risque de défaillance du pneumatique
existe ; mais, aujourd'hui, les efforts de l'industrie du pneumatique ont réussi à faire que ce produit n'est plus un objet de préoccupation. Pour certains,
c'est même devenu un objet de « non-considération ».
Puisque la dimension économique est citée, sachez que sur le prix
d'un billet d'avion, moins de 10 centimes servent à payer les pneumatiques. L'industrie aéronautique profite certainement des avancées techniques et des
standards de qualité très élevés qui ont été imposés par Michelin. Et sans la volonté qui est exprimée dans notre charte « performance et responsabilité », les
avions décolleraient encore sur des pneumatiques inventés voilà plus de cent ans et que nous savons surpassés en termes d'économie et de sécurité par le pneu
radial. Mais l'aéronautique ne rétribue pas de façon équitable les efforts d'innovation dans le domaine du pneumatique.
D'une façon générique, un pneumatique est constitué d'une coque
remplie d'un gaz sous pression. Le volume de la coque et la pression sont définis pour que le pneu supporte la charge aux vitesses atteintes au cours des
phases de taxi, de décollage et d'atterrissage.
Une pression trop faible induit un écrasement excessif et un
échauffement qui provoque l'arrachement de tout ou partie de la bande de roulement. Le roulage sur des objets étrangers peut endommager la coque ; il en
résultera une perte de pression lente et le risque de « déchapage », une perte de pression rapide et la dislocation, voire l'éclatement du pneumatique. Dans
tous ces cas, les débris projetés peuvent endommager l'avion avec les conséquences que nous connaissons.
Quelle est la situation aujourd'hui et comment se protège-t-on
contre ces risques ?
D'une part, la visite de routine et l'examen visuel réalisé par les
pilotes avant la plupart des départs sont très efficaces. A titre d'exemple, sur 95 846 cas d'opérations, nous enregistrons 8 183 cas - 1/100 - de pneus
retournés pour un examen, c'est-à-dire démontés avant qu'ils ne soient usés. Dans 8 147 cas, c'est-à-dire la quasi-totalité, sauf 36, le pneu a été démonté car
jugé suspect lors de l'inspection visuelle. Je pense donc que ces contrôles sont d'une très grande efficacité et qu'il faut entretenir cette efficacité par une
formation adaptée. Nous demandons que les pressions soient contrôlées tous les jours avant la mise en service des avions. Nous savons que ces recommandations
sont suivies d'une façon extrêmement laxiste. Par conséquent, le risque qu'un pneu soit amené à fonctionner avec une pression inférieure à la pression
recommandée induit un risque de déchapage important. Dans ces conditions, nous avons observé que la technologie radiale apportait un supplément de sécurité.
Sur des populations jugées statistiquement valides, la probabilité d'un événement pneu - arrachement de la bande de roulement ou éclatement - est aujourd'hui
au moins une fois et demie plus grande pour le pneu BIAS qu'elle ne l'est pour le radial. La probabilité d'éclatement est au moins cinq fois plus élevée.
Sachez qu'aujourd'hui deux avions sur trois sont encore équipés de pneus BIAS.
Nous proposons d'abord que la qualification d'un pneumatique soit
obtenue par l'administration de la preuve qu'il est fonctionnellement capable de porter la charge aux vitesses de décollage pendant un certain nombre de cycles
répétés. Nous demandons qu'un test de résistance aux dommages par objet étranger soit ajouté aux épreuves de qualification. Ce fut le cas pour Concorde à
l'initiative d'EADS c'est encore le cas pour l'Airbus A380. Pour tous les autres avions, il n'est fait aucune démonstration de leur aptitude à rouler sur un
objet sans perte de pression et sans projection de débris.
Les risques de dommages aux avions devraient être estimés en
étudiant les modes de défaillance du pneumatique en laboratoire. Aujourd'hui, pour obtenir sa certification, l'on doit apporter la preuve qu'un avion peut
résister aux défaillances du pneumatique. Ces défaillances sont connues par les observations faites à partir des dommages causés aux avions. C'est donc un
constat a posteriori. Il n'est pas raisonnable aujourd'hui que nous ne soyons pas capables d'assurer une protection a priori. Ce sont là deux
recommandations que Michelin souhaite voir traitées au niveau de l'industrie aéronautique ; il ne veut pas être le seul à porter cette vocation.
Mme la Présidente : Ai-je bien compris ? Certains industriels
pourraient-ils être indifférents à la qualité des enveloppes montées sur les aéronefs ?
M. Francis TRUCHETET : Ceux qui ne sont pas clients de
Michelin.
Mme la Présidente : Pour le bien connaître - j'ai travaillé
dans le rechapage -, je sais que le rechapage assure une qualité identique, sauf peut-être parfois la brillance de surface. J'ai lu que beaucoup de compagnies,
pas forcément les grandes, pour des raisons d'économies utilisaient des pneus rechapés. Peut-on utiliser de tels pneus sur des gros-porteurs sans risquer la
perte d'une bande de roulement ?
M. Jean COURATIER : Le rechapage d'un pneu d'avion est une
réalité technique et économique. Les statistiques dont nous disposons prouvent que le risque de défaillance d'un pneu rechapé n'est pas significativement
différent du risque de défaillance d'un pneu neuf. Comprenez qu'un avion décolle à des vitesses très élevées et que la bande de roulement est maintenue à une
épaisseur qui lui permet de résister à ces cycles thermodynamiques très violents. Nous ne pouvons pas mettre autant de gomme que nous le voudrions sur un pneu,
car celle-ci serait centrifugée aux vitesses de décollage. En revanche, la carcasse qui maintient l'air est conçue pour une durée de vie relativement importante.
Ainsi, la chape est usée bien avant la carcasse. Par conséquent, le rechapage, pour autant qu'il soit mené consciencieusement, ne remet absolument pas en cause
la sécurité des opérations aériennes. La fréquence des incidents « pneus » n'est pas plus élevée pour un pneu rechapé que pour un pneu neuf.
M. Bernard CATTEEUW : On a beaucoup parlé de réglementation, ce
qui est, certes, très utile. Je voudrais simplement dire que pour Airbus, la sécurité reste l'objectif premier année après année. Pour nous, c'est une question
d'éthique. Bien sûr, nous nous appuyons sur les exigences réglementaires lorsque nous dessinons nos avions et lors du suivi d'exploitation, mais je voulais vous
assurer que, dans beaucoup de cas, nous allons au-delà des exigences réglementaires.
On s'est demandé si, pour des raisons de coûts, certains auraient pu
être amenés à prendre des risques ? Je rappelle que pour la définition des avions, la conception ou le suivi en service, dans tous les cas, nous évaluons le
risque, la probabilité d'occurrences et les conséquences. En d'autres termes, si les conséquences sont extrêmement graves, comme la perte totale de l'avion et
des personnes à bord, la probabilité d'occurrence doit être extrêmement faible. Nous avons des critères, agréés par les autorités, auxquels doit répondre toute
décision. Un risque ne peut être accepté et donc un avion continuer à voler que si ce risque a été mesuré et accepté comme conforme aux critères. Sinon, nous
émettons des consignes particulières, nous demandons, par exemple, que certaines parties de l'avion qui devraient être vérifiées tous les dix-huit mois le
soient avant chaque vol, ou bien nous introduisons de nouvelles procédures. Pour arriver à ce niveau de sécurité, lors de la conception d'un avion, tous les
systèmes, qui sont extrêmement nombreux, sont analysés un à un.
C'est en fonction des probabilités d'occurrences de pannes et des
répercussions associées que nous sommes amenés à doubler, voire à tripler les systèmes sur les avions. Lorsque les avions sont mis en service, on accepte
certains niveaux de tolérance pour une période donnée. Autrement dit, toutes nos actions sont menées en accord avec les autorités. Nous sommes nous-mêmes un
peu plus exigeants que les autorités, ce dont, je pense, elles ne nous tiennent pas rigueur ! De ce fait, côté règlement et suivi, tout devrait bien se passer.
Quant au retour d'expérience, réglementairement, les opérateurs
doivent effectivement nous rapporter tout incident, qu'il s'agisse d'un défaut de comportement de la machine, principalement rapporté par les pilotes, ou d'un
défaut constaté lors d'une visite au sol. Ce sont alors les stations de réparation ou la maintenance de la compagnie qui nous rapporte les faits. Lorsqu'il y a
un défaut, s'il est très clair, nous prenons des mesures appropriées et tenons au courant les autorités de certification, que ce soient les autorités
françaises, européennes ou américaines, voire d'autres pays du monde. Trois mille cinq cents avions volant tous les jours, il se produit des incidents qui
donnent lieu à la transmission d'informations.
Si un phénomène est un peu plus difficile à comprendre, nous
exigeons de récupérer les données des enregistreurs de vols qui nous permettent des analyses beaucoup plus précises. En ce qui concerne l'idée exprimée par
Rémi Jouty lorsqu'il a employé le terme de « précurseur », nous essayons en permanence de déterminer si, combinés à d'autres incidents, un petit incident
n'aurait pas pu conduire à un accident ou à un incident majeur. C'est un travail considérable que des équipes réalisent en permanence et qui s'inscrit dans un
processus de suivi bien connu des autorités. De plus, nous lançons des actions qui dépassent les exigences réglementaires, car, pour nous, la sécurité n'est
pas une question de règlement, mais d'éthique. En montant à bord d'un Airbus, les passagers nous font confiance, nous nous devons, par conséquent, de faire le
maximum pour éviter les accidents. C'est un message important que je voulais faire passer.
Vous avez insisté sur la confidentialité des rapports. Il serait
souhaitable, dans certains cas, principalement pour des aspects opérationnels lorsque, par exemple, une anomalie a été enregistrée durant un vol, sans que le
déroulement de celui-ci en ait été affecté, de disposer d'un reporting confidentiel et non pas anonyme, car l'anonymat laisse trop d'éléments dans
l'ombre. En revanche, la confidentialité peut être utile à la recherche de précurseurs d'incidents.
Quant au suivi en exploitation, les autorités françaises ne peuvent
opposer les exigences réglementaires qu'aux avions immatriculés sur son sol, il en est de même pour les avions européens en ce qui concerne l'AESA. En
revanche, aux Etats-Unis, l'administration peut imposer des prescriptions aux avions qui opèrent en FAR 129, c'est-à-dire non immatriculés « US ». Il
serait bon d'établir un système équivalent en Europe. Les transporteurs venant en Europe devraient ainsi obéir à certaines contraintes.
Enfin, à propos du système SAFA, qui permet de vérifier les avions
en transit, immatriculés hors d'Europe, on peut en louer l'intention, mais je ne sais dans quelle mesure il peut être efficace car le contrôle s'effectue en
seulement vingt minutes. En un temps aussi limité, les contrôleurs ne peuvent détecter que de gros problèmes, apparents et évidents. Or, les risques peuvent
provenir d'autres domaines, non visibles. Le système est donc insuffisant et il conviendrait d'instaurer un système permettant d'imposer des exigences aux
avions des pays tiers qui volent en Europe.
Les statistiques montrent que génération d'avions après génération
d'avions, nos statistiques d'accidents se sont améliorées. Les taux d'accidents portant sur les dernières générations d'avions sont très bas. Il sera difficile
de continuer à progresser, mais nous ferons le nécessaire pour continuer.
M. Rémi JOUTY : Je reviens à la suggestion de M. Catteeuw
visant à installer en Europe l'équivalent de la FAR 129, car plusieurs interventions laissent croire que le système américain est bien meilleur que le système
européen en matière de sécurité, que les Américains peuvent librement imposer tout ce qu'ils veulent aux opérateurs étrangers, alors que les Européens
laisseraient venir les opérateurs étrangers sans aucun contrôle. En réalité, la FAR 129 a pour but d'imposer des règles opérationnelles que les Américains
estiment nécessaires au contexte opérationnel de leur territoire. Ces règles sont contraignantes pour les opérateurs étrangers, mais elles se limitent à ce
contexte. La FAR 129 n'a pas pour but d'imposer aux opérateurs étrangers qu'ils opèrent avec des avions conformes aux exigences de navigabilité américaine.
Je prends deux exemples pour illustrer mon propos. La FAR 129 a
imposé l'installation du TCAS, système de détection anticollision, sur tous les avions qui volent sur le territoire américain, car les Américains ont estimé,
voilà quelques années, que la densité de trafic dans certaines zones de leur territoire était nettement supérieure à ce que l'on observe dans le reste du monde
et qu'il était donc justifié d'imposer, sur leur territoire, une exigence supérieure. Depuis, l'équipement en TICAS a été imposé en Europe et s'étend aux
avions immatriculés hors d'Europe qui veulent y circuler. Ceci constitue, sans conteste, un processus similaire à la FAR 129.
Autre exemple : l'imposition de modifications des portes de cockpit
pour installer des portes de cockpit blindées dans les avions. Les Américains ont introduit cette exigence via la FAR 129. L'OACI et l'Europe ont suivi,
avec seulement quelques mois de décalage. Nous n'avons pas introduit d'exigences supérieures. Les Américains n'imposent pas de contrôles spécifiques des
avions, mis à part ce classement en catégories à travers des audits supérieurs à ceux des Européens. La raison pour laquelle ils ne le font pas ou ne peuvent
le faire résulte de la convention de Chicago, aux termes de laquelle tous les Etats membres de l'OACI s'engagent à appliquer les normes OACI. En échange, ils
laissent voler au-dessus de leur territoire les avions des autres Etats membres de l'OACI, sous réserve que ces autres Etats membres se soient engagés à
respecter les normes OACI, pas plus. Cela signifie qu'il leur est loisible de refuser des avions si, à l'évidence, ceux-ci ne sont pas conformes aux normes
OACI. En revanche, vouloir imposer à des avions non européens des exigences de navigabilité plus draconiennes que les normes OACI serait contraire à la
convention de Chicago.
M. Bernard CATTEUW : Mon propos ne visait nullement à critiquer
ce qui est fait. Je pense, toutefois, à la surveillance des autorités ou alors à la classification à laquelle M. Simon a fait allusion. De fait, une compagnie
aérienne déclassée de la catégorie 1 à la catégorie 3 ne peut plus opérer aux Etats-Unis. Cela nous a posé des problèmes à nous, fabricant d'avions. Je faisais
référence à ces règles dans leur principe, non en pensant à une application stricte de la FAR 129 en Europe.
On a beaucoup parlé des aspects réglementaires. Les avions sont
construits conformément à la réglementation et même, comme je vous l'expliquais, selon des standards supérieurs. Les problèmes ne se situent pas à ce niveau
mais dans le fait que circulent des avions non européens pour lesquels il faudrait avoir les moyens, soit de s'assurer que les autorités du pays
d'immatriculation réalisent correctement leur travail, soit de vérifier les avions qui atterrissent en Europe.
M. Roger SIMON : Lors de la session « exploitation » que vous
avez prévue, vous recevrez des personnes plus compétentes pour traiter de ces sujets, qui sont, par ailleurs, largement débattus au sein de l'Union. Vous
disposerez alors d'autres informations.
M. Francis TRUCHETET : M. Jouty a très bien expliqué que chaque
Etat était souverain chez lui s'agissant de ses avions et de leur surveillance. Un Etat n'a pas le droit de vérifier les avions d'un autre Etat. Le programme
SAFA remonte à 1998, mais ainsi que le soulignait M. Catteeuw à juste titre, les contrôleurs disposent de peu de temps pour faire le tour d'un avion. Même en une
heure, sauf à avoir un gros trou dans une structure, ils auront du mal à détecter quoi que ce soit. Cela étant, la FAR 129 est contraire à l'OACI, mais c'est un
instrument extrêmement performant pour imposer à des Etats tiers des spécifications dans le domaine de la maintenance par exemple. Il me semble que c'est une
voie intéressante et que l'Europe devrait penser à des dispositions identiques. Quant à vérifier les autres autorités, des programmes d'audit sont menés par
l'OACI, qui ont conduit, ces dernières années, semble-t-il, à des progrès. Jusqu'à peu, les Etats souscrivaient à l'OACI et puis rien ne se passait. Depuis une
dizaine d'années, l'OACI mène des audits des différentes autorités nationales. Ce ne sont pas les compagnies qui font l'objet des audits, mais les autorités,
telles que la DGAC en France. L'OACI émet ensuite des remarques sur l'application dans ces pays des règles de l'OACI que les Etats sont censés appliquer. Ces
audits ont provoqué des prises de conscience et des progrès ont été réalisés, il reste, cependant, encore beaucoup à faire.
M. le Rapporteur : La DGAC dispose-t-elle, à tout moment, d'un
moyen d'accès aux différents rapports anonymes ou confidentiels faits par les pilotes ? En est-elle obligatoirement informée ?
M. Rémi JOUTY : Une obligation s'impose aux opérateurs français
de rapporter les incidents ou les événements susceptibles d'affecter la sécurité au Bureau des enquêtes et analyses. Le BEA a, par exemple, été saisi du problème
de visualisation des indications TCAS sur les Airbus.
En outre, il reçoit notification des incidents, ce qui pose le
problème du tri et du traitement de ces incidents.
Mme la Présidente : Avec les moyens dont dispose le BEA...
M. le Rapporteur : Autrement dit, vous avez besoin de crédits,
de même que le BEA.
Je remarque que vous n'avez pas évoqué les problèmes posés par les
pièces de rechange. Quelles garanties avez-vous sur la qualité des pièces de rechange, notamment usagées ? Sur le problème de la contrefaçon, pouvez-vous en
estimer l'importance, au niveau mondial ? Des actions judiciaires sont-elles intentées contre les trafiquants ?
Sur le plan de la formation des hommes, de quelles garanties la
SNECMA dispose-t-elle quant à ceux qui, par le monde, dans différents ateliers, mettent un jour ou l'autre leurs mains dans un moteur SNECMA ? Quels sont les
moyens de contrôle de la SNECMA ou d'autres constructeurs sur la formation ou l'agrément des personnels qui, dans les ateliers de maintenance, interviennent
sur les matériels de leur fabrication ?
Je pose ces questions, parce que l'on a entendu des propos très
allusifs sur des avions « dépecés » : « Cela n'existe pas mais... », « à notre connaissance », « on ne sait pas où... », « on ne sait pas combien ». Ces propos
sont inquiétants.
M. Raymond AUFFRAY : Du point de vue judiciaire, j'ai eu à
traiter de nombreux dossiers sur le sujet, notamment des expertises liées au problème des pièces adaptables. Il s'agit d'un sujet dont la discussion requiert du
temps et qui pourrait s'inscrire dans le cadre de la table ronde sur la maintenance.
M. le Rapporteur : Je pense que la contrefaçon concerne les
constructeurs dans leur ensemble et qu'on ne saurait négliger un phénomène qui nuit aux intérêts financiers ainsi qu'à la renommée de ces constructeurs : Boeing,
Dassault... On ne peut avoir le réflexe de détourner la tête, ne serait-ce parce que cela fait perdre des clients, baisser le chiffre d'affaires. Derrière, c'est
la renommée de l'appareil et de la marque qui est atteinte.
M. Raymond AUFFRAY : Pour montrer la complexité du sujet, on
peut citer l'exemple d'une société fabriquant des freins pour une autre qui fabrique des avions. Si une pièce est livrée directement par le fabricant de freins,
sans l'intervention du constructeur des avions, cette pièce peut être considérée comme une pièce adaptable alors qu'elle est rigoureusement identique à la pièce
certifiée.
M. Jacques RENVIER : Je voudrais revenir sur la formation qui
constitue l'une de nos priorités.
En ce qui concerne la maintenance, tout d'abord, il faut prendre le
facteur humain dans la conception, pour limiter les possibilités d'erreur devant lesquelles sont parfois placés les personnels de maintenance ; ensuite, il
convient de renforcer la formation. Il faut convaincre les compagnies aériennes d'envoyer leur personnel se former. Nous avons un centre de formation à
Montereau, qui voit passer quelque 1 200 stagiaires par an, représentant soixante compagnies aériennes. Nous proposons également des formations sur sites, dans
les ateliers des compagnies aériennes. La promotion de la formation est, pour moi, un élément extrêmement important.
Pour faire suite aux propos de M. Jouty sur la fiabilité des moteurs
CFM 56, je préciserais que ces moteurs enregistrent un arrêt en vol toutes les 200 000 heures, ce qui équivaut à un seul arrêt en vol dans la vie de quatre
avions. Il revient aux pilotes de dire s'ils sont suffisamment formés et entraînés à gérer une telle situation.
Pour ce qui est des pièces PMA
12 ...
M. Claude SCHMITT : Ce sont des pièces de rechange qui ne sont
pas des pièces fournies par le constructeur d'origine.
M. Jacques RENVIER : Il y a les pièces de contrefaçon et celles
qui sont approuvées par les autorités, notamment la FAA, et qui ont donc une existence légale.
Mme la Présidente : Elles sont approuvées, mais ne viennent pas
du même constructeur ? Est-ce cela ?
M. Jacques RENVIER : Absolument et c'est un vrai souci car,
historiquement, cela a commencé par de petites pièces - des tubes, des supports, des boulons - alors que maintenant on fait la promotion d'ailettes de réacteur.
Le réacteur est un système extrêmement complexe, où tout inter réagit en terme de conception. Introduire des ailettes sur des turbines HP, c'est-à-dire à haute
pression, affecte la durée de vie de disques qui pèsent 70 kg et qui tournent à 15 000 tours/minute. C'est une vraie préoccupation car ces pièces ne sont pas
soumises à la même rigueur, à la même qualité de démonstration, de certification. Elles sont réalisées par des personnes qui n'ont pas, non plus, une vision
globale système du moteur.
M. le Rapporteur : Quelle est l'importance économique du
phénomène ?
M. Jacques RENVIER : Pour l'ensemble des moteurs CFM, toutes
pièces confondues, cela représente de 4 à 5 % du chiffre d'affaires. On commence à voir installer des aubes de turbines - certains avions de grandes compagnies
en sont équipés - ou des aubes de compresseurs à haute pression, ce qui, selon nous, pose le problème d'assurer la navigabilité et la sécurité. Ce sont
généralement des PMA, approuvées par la FAA, mais le parcours de validation de ces pièces ne répond absolument pas aux règles que nous observons pour la
validation des moteurs. En outre, ces approbations ne sont pas toujours réalisées par la FAA spécialisée dans les moteurs, mais peuvent être délivrées par des
bureaux de la FAA ayant d'autres compétences.
M. Roger SIMON : L'existence de la contrefaçon dans la
production des pièces de rechange est un problème qui a été identifié. Un document a été émis par les JAA il y a un an ou deux pour donner à chacun - autorités,
constructeurs, ateliers de maintenance - les moyens de détecter ces pièces qui pouvaient arriver dans les ateliers. Ce problème n'est plus ignoré. Des travaux
sont en cours pour éviter que ce genre de pièces ne soit installé sur les avions.
Avec la création de l'Agence européenne, a été introduit un système
de marquage spécifique pour toutes les pièces qui ne viennent pas du système constructeur. Autrement dit, il est possible de concevoir des pièces de
remplacement, mais la conception doit être approuvée et le marquage explicite. Le système permet donc de savoir tout de suite qu'une pièce n'est pas une pièce
du constructeur.
S'agissant du problème des moteurs que l'on a évoqué, il met en
présence, d'un côté, les motoristes et, de l'autre, les industriels qui s'estiment capables de produire ce genre de choses. Un débat est en cours. Pour les
autorités, il importe que la certification en bonne et due forme de ces pièces assure un niveau de sécurité satisfaisant. Je reconnais que beaucoup reste à
faire dans le domaine des moteurs et qu'il convient de rester très prudent dans la validation des pièces de rechange des moteurs.
Mme la Présidente : Pour prendre un exemple, si vous avez un
stylo à plume Montblanc et que vous utilisez une cartouche normalisée, le jour où vous aurez un ennui, chez Montblanc, on vous répondra que vous n'aviez qu'à
utiliser des cartouches de la marque. Cela signifie qu'il y a des incidences en terme de sécurité au niveau des pièces. Monsieur Auffray a évoqué un nombre
important de procès. Nous serions intéressés par des informations sur ce sujet et nous reviendrons avec vous sur le sujet dans le cadre de la future table ronde
sur la maintenance.
M. Bernard CATTEEUW : Le sigle Pma signifiant Parts
manufacturer approval, cela veut dire qu'il s'agit de pièces approuvées par les autorités. Cette procédure répond au souci de favoriser la compétition. Les
turbines du CFM 56 étant réalisées par la SNECMA, il en existerait donc une source unique. L'autorité législative a jugé nécessaire d'introduire la compétition
en permettant que d'autres fournisseurs travaillent sur les mêmes pièces. Nous avons nous-mêmes été critiqués, car nous avions dénié à d'autres fournisseurs la
capacité de faire des pièces d'avions. Le fait que la FAA autorise cette diversification crée ici un problème.
Une question a été posée sur l'utilisation des pièces de
contrefaçon. Lorsqu'une compagnie aérienne veut une pièce de rechange, elle s'adresse à Airbus, qui lui fournit une pièce « Airbus » avec un label « Airbus »
et de la documentation « Airbus » lui garantissant qu'elle détient une pièce d'origine. Les compagnies aériennes ou les stations de réparation, lorsqu'elles
s'adressent à un brocker, savent très bien qu'elles ne commandent pas au fournisseur.
Je pense que la solution peut passer par la surveillance des
stations de réparation et des compagnies aériennes pour s'assurer qu'elles utilisent bien du matériel fourni par le constructeur.
M. le Rapporteur : M. Simon, M. Jouty, pouvez-vous nous
garantir qu'il n'existe pas, en Europe, un atelier qui écoule de la contrefaçon ?
Mme la Présidente : Quels moyens avez-vous pour le vérifier ?
M. Roger SIMON : Au plan réglementaire, la réponse est aisée.
Dans le contexte d'agrément d'un atelier d'entretien ou de fabrication, il y a des exigences de qualité sur les pièces utilisées. Ces ateliers sont agréés, parce
qu'ils connaissent les conditions qu'ils doivent respecter pour prendre une pièce, l'installer sur l'avion, vérifier sa documentation et sa compatibilité. Pour
aider les contrôleurs, les JAA ont élaboré des documents d'orientation donnant des indications pour détecter les pièces de contrefaçon et expliquant comment les
rejeter.
M. Rémi JOUTY : Pour éviter toute confusion et pour revenir à
la question initiale, je classerai les pièces en plusieurs catégories :
En premier lieu, il y a les pièces de rechange fournies directement
par le constructeur qui sont emballées dans des boîtes portant le nom du constructeur.
Ensuite, il y a les pièces des équipementiers. Par exemple, le
fournisseur de freins fournit les disques de freins, conformes à la conception du constructeur. D'un point de vue théorique, ce processus ne pose aucun
problème, il se fait avec l'accord du constructeur, selon sa conception et est, en général, favorisé par le constructeur. Aujourd'hui, sur Airbus, la plupart
des pièces de rechange ne sont pas fournies directement par Airbus, mais par les équipementiers avec l'accord d'Airbus. Cela peut poser des problèmes dont il
serait utile de discuter dans le cadre de la table ronde sur la maintenance. Par exemple, quels sont les moyens pratiques dont dispose l'atelier de maintenance
pour s'assurer que le fournisseur du frein donne une pièce conforme à la définition « Airbus » ? En théorie, il n'y a pas de pas de problème de sécurité, même
si, en pratique, ce n'est pas si simple.
La troisième catégorie relève du système américain PMA, par lequel
l'autorité américaine autorise un tiers, sans l'accord du concepteur de l'avion, à produire une pièce de remplacement. Initialement, ce système avait pour but
de favoriser la concurrence et de permettre l'installation de pièces relativement simples. C'est encore le cas de la majorité de ces pièces. Ce peut être des
porte-documents en cabine, par exemple, des pièces relativement simples, pour lesquelles la FAA prenait la responsabilité de confirmer que la pièce que se
propose de fabriquer le fournisseur est identique à celle du constructeur. En Europe, nous n'avons pas mis en place de système équivalent. Un audit du système
américain a été réalisé dont la conclusion a conduit à la politique mise en _uvre en Europe qui consiste à accepter les pièces PMA d'origine américaine, sous
réserve qu'il ne s'agisse pas de pièces critiques, c'est-à-dire de pièces dont la rupture, à elle seule, peut conduire à une catastrophe.
Mme la Présidente : Ce sont les pièces de sécurité ?
M. Bernard CATTEEUW : Non, c'est plus restreint que cela. Il y
a beaucoup de pièces de sécurité sur les avions qui sont redondantes. Si elles cassent, même si elles ont une fonction de sécurité, cela ne suffit pas à mettre
l'avion en péril. En revanche, le disque de turbine est une pièce « critique », parce que son explosion en vol peut gravement endommager l'avion.
M. Rémi JOUTY : Pour l'heure, la politique européenne est plus
prudente que la politique américaine : elle accepte ces pièces, sous réserve qu'elles ne soient pas critiques. Cela pose la difficulté de savoir identifier ces
pièces et de savoir si elles sont ou non critiques. Cela pose donc également des problèmes de mise en _uvre. Je vous recommande de reprendre ce sujet dans le
cadre de la table ronde portant sur la maintenance.
La dernière catégorie est celle des pièces de contrefaçon comportant
une volonté malveillante. Il est clair que personne ne souhaite voir ces pièces montées sur les avions. Les processus destinés à contrôler ces pièces et à
éviter qu'elles ne soient installées par inadvertance seront débattus lors de la table ronde « maintenance ». Il semble que, ce problème étant plus développé
dans l'industrie américaine qu'en Europe, les autorités américaines surveillent ce processus et émettent des recommandations chaque fois qu'elles détectent
qu'un organisme a produit des pièces non approuvées. En Europe, nous reprenons ces recommandations.
Mme la Présidente : Je reprends la question qui peut fâcher :
nous avons vu les effets de la dérégulation aux USA. Vous avez évoqué à plusieurs reprises, au sujet de ces pièces et de leur certification, une ouverture à la
concurrence destinée à éviter les inconvénients du fournisseur unique. Que peut-on penser de cette libéralisation : induit-elle des risques accrus ?
M. Roger SIMON : La façon dont la réglementation européenne a
été conçue sur ce sujet ne permet par d'employer le terme de « dérégulation ». On a le même niveau d'exigence pour approuver le design, la conception, présentés
par quelqu'un d'autre que le constructeur que celle qu'on a envers le constructeur lui-même.
Le règlement est construit de telle sorte que si un dossier
d'homologation d'une pièce est soumis à l'autorité, il sera instruit par celle-ci afin de vérifier la conformité de la pièce au règlement de sorte que la
production de telle pièce sera autorisée. Enfin, le marquage spécifique, dont les règles sont entrées en vigueur lundi dernier, permettra, grâce à
l'apposition, sur ces pièces, des lettres spécifiques : EPA, - European part approval - de les identifier immédiatement. Les personnes qui achètent ces
pièces sauront, par ce moyen, que ce ne sont pas des pièces d'origine du constructeur.
En ce qui concerne les moteurs, je rejoindrai M. Renvier. Par
exemple, dans le système américain, pour montrer qu'une ailette seule est bonne, il est demandé beaucoup moins de travail que ce qui est demandé au
constructeur du moteur pour démontrer la même conformité, puisque le constructeur certifie un moteur complet avec des ailettes ; s'il remplace les ailettes, il
repassera par un processus relativement lourd. Il y a donc un réel problème du côté des moteurs, mais qui est quelque peu balisé par le système que nous
appliquons aux pièces critiques. Cependant, nombre de pièces peuvent être fabriquées ou conçues par d'autres que le constructeur, avec la même qualité.
Le point critique du sujet réside dans l'identification précise des
« zones » qui peuvent être traitées par d'autres industriels que le constructeur.
Mme la Présidente : Le souci me semble s'apparenter à celui qui
s'est exprimé lors de la discussion du deuxième paquet ferroviaire, en termes d'interopérabilité et de sécurité du matériel de rechange, avec cette différence
qu'en cas d'accident, le ferroviaire ne présente pas les mêmes risques que l'avion.
M. Jacques RENVIER : La compétition est une chose normale, mais
elle doit également prévaloir pour la rigueur avec laquelle sont développées et certifiées les pièces.
Pour prendre l'exemple d'un disque, qui est une pièce critique, sa
durée de vie peut être modifiée par les pièces que l'on monte dessus. J'ignore l'impact que peuvent avoir, sur la durée de vie du disque, des ailettes qui ne
sont pas produites par le constructeur. Des éléments apparemment insignifiants, un changement de masse ou de caractéristiques mécaniques (vibrations), peuvent
avoir des effets sur la durée de vie du disque. Certaines pièces ne peuvent pas être conçues, isolément, sans prendre en compte l'ensemble du système.
M. Francis TRUCHETET : Je voudrais apporter deux précisions au
sujet des pièces de rechange douteuses. D'une part, il me paraîtrait extrêmement choquant que des pièces PMA, qui ne sont pas produites par le constructeur,
soient autorisées sans l'approbation du constructeur. J'accepte l'idée d'une certaine concurrence, mais il faudrait aussi qu'Airbus ou la SNECMA donnent leur
accord pour que de telles pièces puissent être montées sur leurs avions ou moteurs. Si l'autorité s'arroge le droit d'autoriser ces pièces, il prend, de facto,
la responsabilité en cas d'accident.
D'autre part, bien que les pièces de contrefaçon, évoquées par M. Catteeuw,
relèvent plutôt du domaine de la maintenance, je voudrais signaler que le prix d'une pièce, dès qu'il s'agit d'un avion, est multiplié environ par dix par
rapport à son coût de fabrication, en raison des frais induits par la certification et les tests. Vous imaginez bien qu'il peut être tentant pour certaines
personnes de vendre une pièce dix fois le prix qu'elle leur a coûté. Pour les pièces de contrefaçon, il s'agit souvent de personnes peu scrupuleuses qui
utilisent les numéros de pièces détruites pour commercialiser des pièces non conformes. Il s'agit principalement d'un problème de maintenance.
M. la Présidente : Tout cela est intéressant, mais pas
rassurant !
Au milieu de tous ces contrôles qui, pour certains sont faits très
rapidement, un regard particulier est-il porté sur les low costs, ou sur certaines compagnies charters au niveau des pneumatiques ? On sait qu'il s'agit
d'un matériel soumis à de très fortes contraintes, essentiel pour la sécurité - on l'a vu pour le Concorde. Entendre que les pneus d'avion ne sont pas toujours
gonflés à la bonne pression n'est pas fait pour me rassurer.
Des contrôles sont-ils effectués ou passe-t-on rapidement sur ce
type de « détails » ?
M. Jean COURATIER : Que ce soit un avion Airbus ou Boeing
exploité par un low cost ou une compagnie majeure, il ne peut être monté sur un avion qu'un pneumatique dont la part number est listée sur le
manuel d'installation, c'est-à-dire seulement si le fabricant de l'avion a accepté que ces pneus puissent y être montés, et qu'il a vérifié que les systèmes de
freinage, l'encombrement en soute, etc. étaient compatibles. Les low costs et les opérateurs majeurs subissent la même contrainte : s'ils utilisent un
avion Airbus, ils ne peuvent monter que des parts numbers approuvées par Airbus pour ce qui concerne le pneumatique. Je suis surpris que la règle qui
s'applique aux pneumatiques ne s'applique pas aussi aux disques des moteurs SNECMA.
M. Rémi JOUTY : S'agissant de la conception, c'est-à-dire la
possibilité de modifier un avion ou d'installer des pièces d'une conception différente de celle du constructeur, aujourd'hui, les compagnies aériennes majeures
disposent souvent d'un bureau d'études et des capacités qui leur permettent de concevoir elles-mêmes des modifications sur leurs avions. Par exemple,
régulièrement, Air France modifie les cabines de ses avions. La compagnie assume tout à la fois la conception de la modification, nous présente le dossier de la
certification et installe la modification.
En général, les compagnies low costs ont un bureau d'étude
réduit au strict minimum et pour ces raisons renoncent à effectuer elles-mêmes une conception. En général, elles se limitent à installer des solutions conçues
par le constructeur. Du point de vue conception, je n'ai donc pas de souci avec les low costs.
Mme la Présidente : Madame, messieurs, je vous remercie tous de
votre participation.
Table ronde sur la sécurité dans l'exploitation des aéronefs
regroupant
Mme Geneviève MOLINIER et M. Jean TEILLET, Service de la formation aéronautique et du contrôle technique (SFACT) à la DGAC,
M. Laurent BARTHÉLÉMY et M. Bertrand de COURVILLE, Air France,
M. Jérôme BANSARD et M. Francis TRUCHETET, Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL),
M. Georges REBENDER, JAA (Joint aviation authorities)
(Extrait du procès-verbal de la séance du 7 avril 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Madame et messieurs, je vous remercie de
votre présence. Cette réunion s'inscrit dans le cadre d'une série d'auditions thématiques organisées par notre mission sur les différents aspects de la sécurité
aérienne.
La table ronde qui nous réunit aujourd'hui est consacrée à
l'exploitation. Sous ce vocable - on utilise aussi le terme d'« opération » tiré de l'anglais -, sont regroupées les règles opérationnelles relatives à
l'utilisation des aéronefs par les compagnies aériennes, notamment les procédures de navigation et leur contrôle, telles qu'elles résultent de l'annexe 6 de la
convention de Chicago. Chacun de vous pourra compléter cette définition si elle lui paraît insuffisante.
Je souhaiterais qu'émergent de cette table ronde les problèmes que
pose l'exploitation des aéronefs en terme de sécurité. En effet, les développements technologiques extrêmement rapides et importants de ces dernières années
mettent dans le ciel des avions bien plus nombreux, de plus en plus grands, transportant un nombre sans cesse croissant de passagers. Ces transports sont aussi
de plus en plus sophistiqués et les hommes qui les pilotent voient leurs responsabilités s'accroître. J'espère que cette audition nous permettra de nous
informer sur les pistes d'amélioration auxquelles les régulateurs et les compagnies réfléchissent car nous souhaiterions pouvoir rassurer les utilisateurs du
transport aérien et suggérer des conclusions concrètes.
Je propose que chacun se présente brièvement, puis, je donnerai la
parole aux représentants de la DGAC qui nous feront une courte présentation de la réglementation sur la sécurité dans l'exploitation des aéronefs. Ensuite,
ceux d'entre vous qui souhaitent donner un point de vue global pourront s'exprimer et nous procéderons ensuite à un débat.
Mme Geneviève MOLINIER : Je suis l'adjointe au chef de la
division exploitation du SFACT, service de la formation aéronautique, et du contrôle technique de la DGAC, dont la mission essentielle est de s'assurer de
l'efficacité et de la cohérence du système global de contrôle technique en France, contrôle portant principalement sur les entreprises françaises. Ce contrôle
technique est organisé en France, pour partie, au SFACT qui supervise directement la compagnie Air France et, de façon déconcentrée, dans les directions
régionales de l'aviation civile pour toutes les autres compagnies aériennes françaises.
M. Jean TEILLET : Je suis adjoint au chef de division
réglementation du SFACT. Cette division couvre tous les domaines réglementaires relatifs à la construction, à l'entretien et à l'exploitation des aéronefs ainsi
qu'aux licences du personnel. Elle est chargée d'élaborer la réglementation française, de coordonner le travail des experts de la DGAC au sein des groupes de
travail internationaux et de transposer les normes internationales en droit français, bien entendu, en coopération avec les autres divisions du SFACT et en
concertation avec les différents acteurs du système aéronautique français.
M. Francis TRUCHETET : Je suis commandant de bord d'un Boeing
777 chez Air France, membre du syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) et de la commission technique de ce syndicat. Je représente ce syndicat au sein de
l'IFALPA13, qui est la
fédération internationale des associations de pilotes de ligne, dans un groupe traitant de la certification et de l'opération des avions. A ce titre, je
représente aussi l'IFALPA au sein de la division des JAA en charge des opérations dont le directeur est M. Rebender, l'OST14.
M. Jérôme BANSARD : Je suis vice-président du SNPL et
commandant de bord chez Air France. J'accompagne notre expert, M. Truchetet.
M. Bertrand de COURVILLE : Je suis commandant de bord chez
Air France et responsable du service prévention et sécurité des vols. Ma mission est le recueil des retours d'expérience par différents canaux et la mise en
place d'une politique de prévention au sein de la compagnie. Je travaille en partenariat avec le service assurance qualité, représenté ici par M. Barthélémy.
M. Laurent BARTHÉLÉMY : Je suis directeur qualité pour Air
France. Ma fonction consiste à surveiller le bon fonctionnement du système qualité d'Air France dans le domaine réglementaire - nous reviendrons sans doute sur
la notion de « système qualité » - et d'assurer la sécurité des vols, mais également de répondre, dans les autres domaines, aux attentes de nos clients, qu'elles
soient implicites ou explicites.
M. Georges REBENDER : Je travaille aux JAA, comme directeur des
opérations aériennes et suis responsable, à ce titre, de trois processus.
Le premier est le processus réglementaire qui vise à établir la
réglementation relative à l'exploitation des aéronefs au niveau des JAA, qui est une structure regroupant trente-sept Etats membres européens au travers
d'accords dits « accords de Chypre ».
Le deuxième processus est celui « de standardisation ». Nous
effectuons l'audit des trente-sept Etats membres sur l'application du code européen et, à la suite des visites de standardisation, nous recommandons - ou pas -
la reconnaissance mutuelle des certificats de transport aérien.
Le troisième est un processus de vérification de l'adéquation entre
l'avion récemment certifié et son adaptation opérationnelle, dont le nom technique est JOEB.
Mme la Présidente : Je vous remercie. Comme prévu, je
demanderai aux représentants de la DGAC et des JAA de nous donner les principales directions dans lesquelles ils travaillent pour la réglementation concernant la
sécurité dans l'exploitation.
M. Jean TEILLET : Je me propose de commencer par vous exposer
le cadre international et l'annexe 6 de la convention de l'OACI.
Je rappelle que l'annexe 6 de la convention de l'OACI est divisée en
trois parties : une première portant sur le transport public par avion ; une seconde relative à l'aviation générale internationale pour les avions ; et une
troisième concernant les hélicoptères, elle-même divisée en deux sections, l'une pour l'aviation générale et l'autre pour le transport public.
Sachant que les règles concernant les hélicoptères sont très
voisines de celles concernant les avions et que les grands principes du transport public par hélicoptère rejoignent ceux du transport public par avion, je ne
traiterai que la première partie qui devrait suffire à votre information.
Il est tout d'abord rappelé dans cette annexe que l'exploitant doit
respecter les lois, règlements et procédures de l'Etat sur le territoire duquel se trouvent ses appareils.
Ensuite, est posée une exigence générale de mise en place d'un
programme de prévention et de sécurité des vols, étant précisé que ce programme sera renforcé à compter du 1er janvier 2005, l'annexe prévoyant que
pour les appareils de plus de 27 tonnes soit mis en place un système de programme d'analyse des données de vols.
Le chapitre qui suit porte sur les conditions générales, parmi
lesquelles l'exigence essentielle selon laquelle l'activité de transport public est subordonnée à la possession d'un permis d'exploitation aérienne délivré par
l'Etat de l'exploitant. Le certificat de transporteur aérien - CTA dans notre jargon - se fonde sur une organisation appropriée, une méthode de contrôle et de
supervision des vols, un programme de formation et sur des dispositions en matière d'entretien. Ces règles sont, bien entendu, adaptées à la nature des vols
réalisés par l'entreprise.
Viennent ensuite différents chapitres techniques.
Le premier concerne les normes de préparation et d'exécution des
vols. Le second indique les limites d'emploi relatives aux performances (distances de décollage et d'atterrissage, performances en croisière), les règles
relatives aux équipements et instruments de bord qui doivent être adaptées à la nature du vol, (vol de nuit, vol aux instruments, vols dans les espaces
réglementés ou autres), les règles d'équipements de communication et de navigation qui sont adaptées aux besoins des services de circulation aérienne. Le
troisième porte sur les normes d'entretien.
Les deux chapitres suivants ont trait aux règles relatives à la
composition de l'équipage, sa formation et ses qualifications, l'un étant consacré à l'équipage technique - pilotes et mécaniciens navigants - l'autre à
l'équipage de cabine.
Le sixième chapitre comprend des recommandations sur les agents
techniques d'exploitation, c'est-à-dire les personnels affectés à la préparation des vols.
Le septième a trait à la documentation que l'exploitant doit établir
pour décrire ses méthodes de travail et, par conséquent, les procédures qu'il utilise.
Enfin, un dernier chapitre s'intéresse aux normes en matière de
sûreté qui, bien entendu, après les malheureux événements de 2001, ont été renforcées très récemment.
Un groupe de travail composé d'experts de l'exploitation technique
- l'OPSP, operations panel dans le jargon OACI - étudie actuellement un certain nombre d'évolutions concernant, d'une part, l'exploitation « rayon
d'action étendue » - l'ETOPS et l'EROPS dans notre jargon - qui concernent l'exploitation sur de grandes distances, soit d'avions bimoteurs soit d'avions tri
ou quadrimoteurs, et, d'autre part, les précautions particulières à prendre en cas de problèmes en vol.
Ce groupe de travail s'intéresse également à un certain nombre
d'évolutions touchant à l'amélioration des capacités aéroportuaires - procédures d'atterrissage, sur des pistes parallèles, sur des pistes sécantes - destinées
à améliorer les capacités de fluidification de la circulation aérienne.
Des réflexions sont également conduites sur la réduction du bruit ;
il s'agit notamment d'étudier comment concilier la sécurité des vols et les mesures de réduction du bruit. D'autres réflexions portent sur la limitation des
temps de vol pour préciser l'exigence actuelle de l'annexe 6 qui est libellée en termes trop généraux.
D'autres sujets d'étude, qui intéressent moins votre mission,
portent sur l'exploitation d'avions monomoteur en IFR15
(règles de vol aux instruments), l'exploitation d'avions monopilote, ainsi que l'expérience et la qualification des pilotes.
Mme la Présidente : Je précise - puisque vous venez d'évoquer
cette question - que, si nous en avons le temps, je souhaiterais aborder la question des capacités aéroportuaires, des problèmes d'approche, de densité des
avions et de couloirs car nous voudrions apprécier les conséquences des dernières modifications des procédures d'approche sur les problèmes de sécurité.
Mme Geneviève MOLINIER : Si vous en êtes d'accord, il serait
nécessaire de présenter d'abord le cadre européen, puisque la réglementation française est issue de celle élaborée dans le cadre des JAA. J'expliquerai ensuite
comment nous appliquons cette réglementation, en France.
Mme la Présidente : Je vous en prie.
M. Georges REBENDER : La sécurité du transport aérien tant au
plan international que national repose sur trois piliers.
Le pilier majeur est le certificat de transport aérien (CTA),
mentionné par M. Teillet, qui est partie intégrante de la convention de Chicago dans son annexe 6. Nul ne peut entreprendre le transport de personnes, de
postes ou de marchandises contre rémunération, s'il n'est en possession d'un certificat de transport aérien délivré par l'autorité compétente, celle-ci étant
l'autorité nationale.
Le deuxième pilier concerne la réglementation à laquelle est
subordonnée l'obtention du certificat de transport aérien. Comme le disait M. Teillet, la réglementation des JAA est élaborée à travers un processus
réglementaire que je préside. Ce processus culmine dans un code dont le nom est JAR OPS - JAR OPS 1 pour le transport commercial par avion et JAR OPS 3 pour le
transport commercial par hélicoptère - et qui est transposé au niveau national.
La troisième étape est l'application de ces règlements par
l'exploitant.
Dans ce but, nous disposons de règles et de procédures - dont le nom
technique est JIPS, Joint implementation procedures - permettant de vérifier que le certificat de transport aérien est délivré selon les normes
réglementaires. Il revient à l'autorité nationale de délivrer, renouveler et de modifier le certificat de transport aérien en cas de changement d'appareil ou
de structure de route, par exemple, voire de le retirer. Obligation est donc faite à nos Etats membres de surveiller de façon continue l'exploitant.
L'application du code s'opère ainsi à travers un double système de
contrôle : le certificat de transport aérien qui a une durée de vie déterminée, de l'ordre de deux ans, soumis à renouvellement mais aussi, au cours de ces
deux années, la surveillance, en continu, de l'exploitation par les autorités nationales des Etats membres, au travers d'audits - dont certains peuvent être
non programmés - qui ont pour objet de vérifier que l'exploitant respecte bien les exigences réglementaires traduites dans le manuel d'exploitation, l' « operating
manual ».
Mme Geneviève MOLINIER : Pour ajouter quelques précisions sur
la situation française, je dirais qu'en France, nous avons repris la réglementation JAR OPS dans l'OPS 1 pour les avions exploités en transport public et la
réglementation JAR OPS 3, par le règlement l'OPS 3, pour les entreprises exploitant des hélicoptères en transport public.
Les grands thèmes de cette réglementation vous ont été présentés. Il
est vrai que tout tourne autour du certificat de transporteur aérien que la DGAC, en tant qu'autorité nationale, délivre aux compagnies françaises. Il est
important de rappeler que c'est effectivement l'autorité nationale qui est totalement en charge de la surveillance des exploitants basés sur son territoire.
C'est vraiment une responsabilité de l'Etat de l'exploitant au sens de la convention de Chicago. En France, nous sommes donc responsables de la supervision des
compagnies françaises.
A ce titre, l'autorité est organisée comme je vous l'ai déjà
rapidement indiqué. En tant que SFACT exploitation, nous assurons le contrôle direct de la compagnie Air France et les directions régionales de l'aviation
civile -au nombre de sept sur le territoire métropolitain, auxquelles s'ajoutent les directions d'outremer - sont chargées de surveiller les compagnies qui
ressortent de leur champ de compétence territoriale.
Pour harmoniser ce système de contrôle technique et faire en sorte
que toutes les compagnies soient surveillées selon les mêmes procédures, nous avons repris dans un manuel français - le manuel du contrôle technique des
entreprises de transport aérien public -, les méthodes et procédures de contrôles issues principalement des JAA que M. Rebender vous a brièvement présentées -
dénommées dans le système JAA, les « Joint implementation procedures » - c'est-à-dire la façon dont on délivre un CTA à une compagnie, dont on la
surveille, dont on délivre les approbations nécessaires inclues dans la réglementation. Ce manuel, mis en place au même moment que l'OPS 1, en 1998 pour les
compagnies de transport aérien françaises, a été élaboré avec toutes les parties prenantes au système du contrôle technique.
S'il est important de délivrer un CTA après une enquête très
approfondie sur l'organisation de l'exploitant, la façon dont celui-ci maîtrise son exploitation, dont son système qualité fonctionne et les moyens qu'il a mis
en place pour assurer son exploitation, il est tout aussi important de réaliser, par le biais de modes de surveillance divers, un contrôle continu de
l'exploitation de ces compagnies. Nous avons donc mis en place plusieurs modes de surveillance.
Tout d'abord la surveillance sur documents. Toute compagnie dispose
nécessairement d'un référentiel documentaire très important dont le manuel d'exploitation, qui est l'un des référentiels réglementaires et que l'autorité doit
agréer. Plusieurs services de la DGAC participent à la vérification de ce manuel.
Nous inspectons également tous les grands domaines de l'exploitation
d'une compagnie. Des pilotes appartenant à l'organisme de contrôle en vol de la DGAC effectuent des contrôles en vol inopinés. De même, nous étudions les
programmes de maintien de compétences des personnels navigants.
Enfin, nous effectuons, une fois ou deux par an, avec tous les
services impliqués dans le contrôle technique, des inspections complètes de compagnies.
Je ne reviens pas sur le contenu du règlement l'OPS 1, dont on vient
de vous détailler les différents domaines d'application.
Mme la Présidente : J'aimerais maintenant savoir ce que pense
Air France de cette réglementation et de la façon dont elle est appliquée, puis, connaître l'avis de ceux qui en sont les utilisateurs, c'est-à-dire les pilotes.
M. Laurent BARTHÉLÉMY : Je me propose de vous décrire
brièvement comment on applique et l'on vit cette réglementation à Air France.
Je parlais tout à l'heure d'un système qualité. Ce système, qui est
une obligation du règlement européen et qui, donc, s'applique dans sa traduction française, correspond à un certain nombre de caractéristiques ou d'obligations
que l'on peut rapidement décrire, puis illustrer par quelques exemples.
Tout part d'une politique portée au niveau des plus hauts
responsables de la compagnie, au sens de l'OPS 1, et qui implique une intégration complète dans la stratégie d'entreprise et un rappel régulier de la notion de
sécurité des vols, avec les moyens nécessaires.
Au-delà de cette politique, il y a une organisation. Celle-ci est
décrite en détail dans le manuel d'exploitation, qui est soumis à la DGAC. Celui-ci décrit très précisément la chaîne des responsabilités, depuis le dirigeant
responsable en passant par les principaux responsables des opérations aériennes, des opérations au sol, de la maintenance, du responsable qualité que je suis
et qui, à ce titre, rend compte directement au dirigeant responsable, sans oublier les responsabilités liées à la formation et autres. Le nom de la personne
responsable est cité dans le manuel d'exploitation. Ce n'est donc pas abstrait, c'est vraiment extrêmement concret. Cette organisation doit, bien sûr,
s'assurer que l'ensemble des acteurs, y compris ceux du terrain, sont pleinement impliqués dans la garantie de la sécurité des vols et, pour cela, disposent
des compétences nécessaires, des moyens suffisants, de l'accès à la réglementation, etc. Le personnel joue donc un très grand rôle dans cette organisation.
L'une des bases de la sécurité des vols est que la compagnie dispose
d'un référentiel conforme aux réglementations en vigueur, tenu à jour régulièrement, accessible à l'ensemble des acteurs, réaliste et suffisamment précis dans
sa définition.
Puis, la compagnie doit disposer d'une assurance qualité,
c'est-à-dire d'une organisation chargée de donner confiance : confiance aux clients qui vont prendre nos avions, confiance au management de l'entreprise et
confiance à l'autorité qui nous surveille en s'appuyant sur un certain nombre d'outils, dont deux, essentiels : le retour d'expérience et les audits.
Le retour d'expérience repose sur l'idée que pour progresser, il
faut avoir connaissance des incidents que rencontre une compagnie à tout moment de l'exploitation - au sol, en vol, après le vol, lors de la maintenance, etc.
Il faut connaître ces très nombreux événements, savoir trier ceux qui sont pertinents, intéressants, récurrents, les analyser, y apporter des solutions, et
vérifier que ces dernières sont pertinentes et résolvent bien le cas. Bref, il faut fonctionner dans le cadre d'une boucle qualité de type très classique pour
ceux qui ont fait un peu de qualité. Il s'agit de viser une amélioration continue grâce à la connaissance des événements et l'élaboration de solutions qui
rendent impossible leur renouvellement.
Nous y reviendrons, si vous le voulez, lors de la présentation de
M. de Courville, qui pourra illustrer ce propos dans le domaine des opérations aériennes. Mais cela existe dans tous les autres domaines de la compagnie.
Nous réalisons aussi des audits grâce à des corps d'auditeurs dûment
formés et qui, sur la base d'un plan d'audit établi en début d'exercice et soumis à notre autorité, vont « auditer » telle ou telle partie de notre
organisation, de notre exploitation. Cela peut toucher une escale, un atelier de maintenance, tel ou tel service des opérations aériennes, la préparation des
vols, etc. On s'assure que, dans le plan d'audits, toutes les composantes de la compagnie sont bien couvertes.
Ce plan d'audits représente environ 250 audits par an. Pour fixer un
ordre de grandeur, cela représente pour Air France un audit tous les jours ouvrables. A ces audits que nous réalisons nous-mêmes s'ajoutent, comme le décrivait
précédemment Mme Molinier, ceux que fait chez nous notre autorité, sans oublier ceux que peuvent être amenés à faire, chez nous, nos partenaires notamment dans
le domaine des partages de code, tout comme nous sommes conduits à en faire chez eux pour vérifier que leur niveau d'organisation et de conformité est
convenable.
Le dernier élément, et non des moindres, qui permet de faire
fonctionner ce système qualité et de garantir la sécurité des vols, c'est-à-dire tout ce qui est réalisé en matière de prévention.
Je parlais tout à l'heure de retour d'expérience, on est alors dans
une situation où un événement s'est produit, qui peut être tout à fait mineur, sans aucune conséquence opérationnelle, mais qui nous gêne tout de même. Faire
de la prévention, c'est aller au-delà. Il s'agit de réagir, alors qu'aucun événement de ce type ne s'est produit chez nous, mais qu'il a pu se produire dans
une autre compagnie ou qu'il pourrait intervenir chez nous. Nous remontons alors très en amont des accidents possibles et nous élaborons des défenses.
Le modèle très couramment utilisé dans le domaine du transport
aérien, est celui des plaques de Reason : on identifie un certain nombre de menaces par rapport auxquelles on place des plaques de défense - formation,
équipements des avions, procédures adaptées, etc. - et nous essayons de faire en sorte qu'aucun événement circonstanciel ne puisse traverser ces plaques
jusqu'à l'accident. Nous nous assurons qu'existe toujours une plaque qui, au dernier moment, va bloquer le processus pour qu'il ne se transforme pas en
accident. Les dernières plaques sont, bien entendu, les acteurs de terrain et très souvent les équipages, mais cela peut être aussi le mécanicien qui délivre
l'avion après avoir fermé le capot du moteur.
Tous les acteurs, notamment les acteurs opérationnels, sont
pleinement impliqués dans ces démarches. Cela nous amène à conduire des travaux assez élaborés dans le domaine des facteurs humains, puisque évidemment,
l'homme est partout présent dans ce processus, même si les progrès techniques ont été considérables.
Cela se traduit également au niveau des partenariats. Air France est
en partenariat avec un grand nombre de compagnies aériennes, sous des formes diverses : partages de code, affrètements, opérations de franchise... Nous ne
décidons de lancer ou de prolonger ces opérations de partenariat que dans la mesure où nous vérifions, le plus souvent sous forme d'audits, que nos partenaires
sont à un niveau de conformité satisfaisant. Nous pourrons vous décrire en détail cet aspect qui est important pour nous, puisqu'il permet notre ouverture sur
le monde extérieur.
Mme la Présidente : M. de Courville, avez-vous des précisions à
ajouter pour Air France ?
M. Bertrand de COURVILLE : Je pourrais évoquer très brièvement
la « culture de sécurité » d'Air France, selon le terme parfois utilisé. Au-delà des exigences réglementaires, qui ont été abordées ici, il y a la traduction que
l'on peut en faire à travers une « culture de sécurité », c'est-à-dire un ensemble de préoccupations, de valeurs, de réflexes partagés au sein d'une entreprise
pour faire face au risque d'accident et le réduire au maximum.
Pour entretenir cette culture de sécurité, il est important
d'informer, de créer au sein de l'entreprise une réelle transparence et d'encourager celle-ci afin que le niveau d'information de l'ensemble des acteurs de
l'entreprise soit le meilleur possible pour, précisément, avoir et faire vivre cette préoccupation de sécurité. L'animation et le soutien d'une politique de
prévention au sein d'une compagnie sont essentiellement fondés sur cette culture : faire en sorte que tout ce qui peut être tiré de l'exploitation quotidienne
en matière de leçons, d'amélioration continue de l'exploitation au sein de l'organisation ou au niveau des individus, soit mis en place. Nous encourageons donc
vivement le retour d'expérience et, dans ce but, nous avons mis en place des canaux de retour d'expérience, permettant la circulation de l'information au sein
de l'entreprise.
Concrètement, des comptes rendus obligatoires doivent être produits
dans certaines circonstances par les équipages mais aussi par la maintenance et les différents acteurs de l'exploitation. Il y a aussi les rapports spontanés
qui peuvent être intéressants pour le travail de prévention. Puis, il y a l'analyse systématique des vols évoquée précédemment. Elle fait aujourd'hui l'objet
d'un travail au niveau européen et devrait devenir une exigence réglementaire en 2005.
Certaines compagnies ont été leader dans ce domaine, dont
Air France qui, depuis trente ans, conduit un programme d'analyse systématique de tous les paramètres enregistrés à bord des avions. C'est un travail
collectif, source d'information intéressante pour tirer les leçons issues de l'exploitation.
Nous nous appuyons donc sur des rapports d'équipage, sur l'analyse
systématique des vols et, bien entendu, ce qui est peut-être plus évident, sur l'analyse des véritables incidents, ceux qui demandent la mise en place d'une
enquête, l'information des autorités, tous visant le même objectif d'amélioration permanente de l'exploitation.
M. Laurent BARTHÉLÉMY : Pour illustrer de façon très concrète
la notion de retour d'expérience, je préside tous les mardis après-midi une réunion au cours de laquelle une vingtaine de représentants qui ont analysé, chacun
dans leur domaine, les événements pertinents et significatifs de la semaine précédente et les ont triés, viennent les présenter, étudier la réponse à y apporter
et en discuter, éventuellement, avec d'autres composantes de l'entreprise, car ces événements peuvent avoir des applications transversales.
Au vu des rapports présentés au cours de cette réunion, soit des
actions mineures sont décidées, soit l'événement est mis en exergue et donne lieu à une enquête extrêmement détaillée avec un rapport communiqué à notre
autorité qui débouche sur des actions correctives enregistrées dans notre système de suivi et dont nous vérifions, bien évidemment, la mise en _uvre dans des
délais impartis, avec une « revue » régulière auprès du dirigeant responsable pour lui dire à quel rythme nous clôturons nos actions correctives.
Pour dire simplement, un « système qualité » produit, en fait, des
actions correctives que l'on souhaite pertinentes et dont on doit vérifier en permanence qu'elles sont mises en _uvre et répondent bien au défaut que l'on
cherche à corriger.
Mme la Présidente : La théorie semble parfaitement en place.
Qu'en est-il de la pratique ? Quel est l'avis des représentants du SNPL sur ces mécanismes ?
M. Francis TRUCHETET : Comme vous avez pu le constater, madame
la présidente, au niveau réglementaire, il ne manque pas grand-chose. Vous avez pu noter également que le transport aérien est un travail d'équipe. Je vais donc
vous parler de la partie émergée de l'iceberg, parce qu'il est vrai que, dans le transport aérien, on ne voit souvent que l'avion et l'équipage, qui sont loin
d'être les seuls intervenants.
Le rôle d'un commandant de bord est celui d'un chef d'équipe, qui
dirige l'équipe du poste de pilotage pour assurer la conduite et la sécurité du vol et celle du personnel navigant commercial, qui est en charge de la sécurité
et du bien-être des passagers, à l'arrière.
La grande difficulté est de mettre en _uvre ce bel échafaudage
réglementaire qui est absolument essentiel, nécessaire et qui est, je pense, bien fait, mais qui est un édifice théorique fondé sur une représentation de la
réalité. Or, quand ce bel édifice se heurte à la réalité, interviennent tous les acteurs de première ligne : les pilotes, en particulier les commandants de
bord, mais aussi les mécaniciens, les personnels qui amènent les passagers à bord, les « personnes du passage », les personnels chargés du contrôle aérien...
bref, tout cet ensemble extrêmement varié de personnes qui concourent à un fait : le transport de passagers d'un point A à un point B, en toute sécurité.
La grande difficulté du rôle d'un commandant de bord est de gérer
toutes les pressions, tous les risques liés à une activité qui est, par essence, risquée, car l'homme n'est pas fait pour voler. Pourtant, il arrive à le faire
avec des niveaux de sécurité remarquables. Toute la difficulté, la noblesse et l'intérêt de notre métier est de faire en sorte d'agréger, de « mettre
ensemble » tous ces règlements et de les confronter à la réalité.
Pour cela, deux conditions doivent être essentiellement réunies :
d'une part, une formation et une compétence les mieux adaptées à la réalité, d'autre part, une autonomie. Il faut que le commandant de bord puisse, au moment
où il est confronté à un problème, disposer d'une autonomie décisionnelle suffisante pour lui permettre d'assurer sa mission première qui est de transporter en
sécurité ses passagers. Cela implique de la part des services des compagnies aériennes une compréhension de ce que peut être la décision d'un commandant de
bord, qui peut aller parfois à l'encontre des intérêts immédiats de la compagnie, puisqu'il peut être amené à retarder un départ, voire à ne pas partir du tout
s'il n'est pas satisfait des conditions de sécurité dans lesquelles son activité s'exerce.
Que dire de plus ? S'il est évident que toute cette cascade
réglementaire est essentielle et, à mon sens, bien faite, la difficulté à laquelle sont confrontés les pilotes est de la comprendre, car la somme de
connaissances que nous sommes censés accumuler pour piloter un avion tiendrait peut-être avec difficulté dans cette grande salle où nous sommes tous réunis. Il
est évident que l'on ne peut savoir tout cela par c_ur, en permanence. Il faut donc un processus de formation et de maturation du pilote qui l'amène à être
capable d'assurer pleinement sa mission de sécurité. C'est de ce point de vue que le travail des compagnies et des autorités de réglementation, en particulier
la surveillance qui peut être faite des contrôles et de l'assurance qualité, sont essentiels pour que ces missions soient remplies dans de bonnes conditions.
Je n'ai rien à ajouter, mais je suis prêt à répondre à vos
questions.
M. Jean-Marc ROUBAUD : Apparemment, les pilotes ont des
difficultés à intégrer les règlements en raison de leur complexité. Je me demande si ce sont les règlements qui créent la réalité ou la réalité qui a créé les
règlements. Ce que vous venez de dire est assez inquiétant.
M. Francis TRUCHETET : Je ne pense que ce soit inquiétant. En
tout cas, mon propos n'était pas de vous inquiéter. Les règlements sont issus de la réalité comme l'indique l'évolution de cette activité. Le premier rapport
d'accident que je connais date de 1923. Un sénateur américain est mort dans un accident et une première commission d'enquête a été mise en place pour essayer
d'éviter que cet accident ne se reproduise. Notre réglementation découle de ce type d'exercice qui fonctionne en permanence.
Tous les services qui ont été décrits par M. Barthélémy sur
l'assurance qualité et par Mme Molinier, MM. Teillet et Rebender sur l'aspect réglementaire ont pour but de rendre le transport aussi sûr que possible. Nous
sommes parvenus à des niveaux extrêmement remarquables : un accident par million de départs. On essaie de progresser encore d'un facteur dix - ce n'est pas
gagné -, mais on progresse tous les jours.
Le règlement est donc bien issu de la réalité, mais il n'est aussi
qu'une construction intellectuelle, au même titre que les lois sont une construction intellectuelle pour régler les problèmes de fonctionnement d'une société
et pour faire en sorte que les individus puissent vivre ensemble. Il en va de même des règlements du transport aérien. Toute la difficulté, tant pour les
pilotes que pour les autres personnels des compagnies aériennes et pour tous ceux qui y sont confrontés, est d'adapter ce qui est écrit, comme le juge,
lorsqu'il est face à un problème, doit lire une loi et, pour l'appliquer, l'adapter à la réalité. C'est dans cet exercice que la formation et l'autonomie des
personnels chargés de la mise en _uvre de la réglementation sont essentielles.
Pour revenir sur ce que disait M. de Courville, la culture de
sécurité est quelque chose d'absolument indispensable ; il faut que les différents acteurs aient connaissance de la culture de la compagnie dans le domaine de
la sécurité et soient convaincus de l'importance de ce qu'ils font. Il n'y a pas de petite tâche dans l'aéronautique. Comme le disait M. Barthélémy, le
mécanicien qui serre mal un boulon, peut entraîner des conséquences dramatiques. Donc, tous les acteurs du transport aérien doivent être convaincus - et le
sont, je l'espère - de l'importance de leur tâche. Le fait d'avoir une culture commune à tous les acteurs d'une compagnie aérienne est essentiel pour s'assurer
que tous comprennent les problèmes des uns et des autres et puissent assurer, au mieux, la gestion des risques inhérents à cette activité.
Mme la Présidente : Vous avez parlé d'édifice théorique qu'il
faut savoir traduire dans la réalité. Puisque votre formation vous a théoriquement donné la possibilité d'analyser toute cette réglementation, qu'avez-vous à
dire sur le fait que l'on ait réduit les équipages dans les avions ? Cela a-t-il réduit votre capacité de réaction et, en terme de sécurité, cela a-t-il vraiment
une incidence ?
M. Francis TRUCHETET : Vaste question !
Statistiquement, on constate que la sécurité du transport aérien
depuis le passage de l'équipage à trois à l'équipage à deux n'a pas diminué. Au contraire, elle a continué à progresser même si, depuis quelques années, on
constate une certaine stagnation liée au fait que nous atteignons des niveaux extrêmement difficiles à surpasser et que toute amélioration coûte beaucoup,
beaucoup plus. Au début d'un processus industriel, les premiers progrès sont aisés mais plus votre niveau de sécurité est important, plus les progrès sont
difficiles et coûteux.
Le passage de l'équipage de trois à deux a été un moment difficile
pour l'aviation. Il n'est pas totalement achevé, puisque des avions d'équipage à trois volent encore. Cela n'a été rendu possible que par l'amélioration
technologique. Il est vrai que, dans les premiers temps, il y avait plus de monde dans les avions qu'il n'y en a maintenant. Pour autant, la sécurité est, à
mon sens, assurée correctement.
En revanche, cela a créé des charges supplémentaires pour les
équipages et des moments de pointe probablement plus lourds à gérer qu'auparavant. Cela nécessite donc une meilleure formation et, probablement, une sélection
plus serrée des personnels car il y a des moments où la pression est probablement plus forte parce que l'on dispose de moins de ressources pour gérer le même
problème. En effet, les problèmes sont toujours les mêmes depuis les débuts de l'aviation : confronté à un danger immédiat, il faut réagir et c'est alors que
toute la formation, la connaissance et l'instruction données par les compagnies aériennes sont importantes. Le passage de l'équipage à deux a rendu, il est
vrai, les pics de charge de travail plus aigus mais nous y sommes entraînés. Par ailleurs, il revient au travail purement réglementaire de certification des
avions de s'assurer que l'on peut piloter un avion en parfaite sécurité avec un équipage à deux.
Personnellement, j'ai fait de l'équipage à deux et de l'équipage à
trois. J'ai pu constater des différences entre les deux, mais je peux très sincèrement vous assurer que je ne me sens pas moins sûr dans mon avion avec un
équipage à deux aujourd'hui que je ne l'étais dans les avions où je pilotais en équipage à trois. Cela nécessite toutefois plus de rigueur et plus
d'implication de la part de l'équipage pour obtenir un même niveau de sécurité.
J'espère avoir répondu à votre question.
Mme la Présidente : Oui, même si je me pose toujours la
question de la capacité et de la vitesse d'analyse face à l'événement, lorsqu'il surgit. Vous avez parlé d'autonomie. L'autonomie, c'est la capacité de réflexion
de l'équipage. J'ai lu certains dossiers sur le sujet et si je ne me suis pas forgé une idée précise, il me semble malgré tout que des analyses peuvent être
menées différemment avec un membre d'équipage supplémentaire à bord, un mécanicien ou quelqu'un pouvant apporter une autre vision, notamment lorsqu'il est
nécessaire de réunir très rapidement des informations.
M. Francis TRUCHETET : Il est indéniable qu'à trois vous êtes
plus intelligent qu'à deux pour réfléchir au même problème, et, a fortiori, que seul. De plus, dans un processus décisionnel à deux, à la limite, c'est un
contre un alors qu'à trois, la donne est différente, il va falloir que deux, voire trois personnes soient d'accord. Au niveau de la dynamique de prise de
décision, cela enrichit la réflexion. Par contre, cela peut aussi rendre les choses plus difficiles car il faut que les trois personnes s'entendent parfaitement,
aient la même compréhension de la situation à un moment donné et puissent avoir le temps de communiquer entre elles. Parfois, ce temps manque et, dans certaines
situations, le commandant de bord va devoir prendre très rapidement, en quelques secondes, une décision car la survie de l'équipage et de l'avion est en cause.
Il devra alors compter sur le professionnalisme de son équipage pour mettre en _uvre les décisions qu'il aura prises pour sauvegarder la sécurité de ses
passagers et de l'aéronef.
M. Marc REYMANN : Vous parlez là des moyens courriers mais sur
les longs courriers, sur des vols qui durent treize heures, il n'y a pas que deux pilotes ?
M. Francis TRUCHETET : Il n'y a que deux pilotes aux commandes
en même temps, c'est-à-dire qu'il n'y a que deux sièges pour s'asseoir aux commandes dans les avions en équipage à deux.
Par contre, les limites physiologiques et de fatigue sont telles
qu'au-delà d'un certain nombre d'heures de vol, on ajoute un, voire deux pilotes pour que les équipages puissent se reposer et que la sécurité soit assurée
durant tout le vol, notamment au moment critique de l'atterrissage. Cela n'est possible que si un, voire deux pilotes supplémentaires à bord permettent des
roulements de repos. Pour l'instant, les règles de limites de temps de vol d'un équipage dans sa composition de certification, c'est-à-dire deux pour la
plupart des avions et trois pour les Boeing 747 ou les DC10, qui sont des avions plus anciens, sont inexistantes au plan mondial, sous réserve de règles
limitées aux grands principes.
M. Michel HERBILLON : Je poserai ensuite ma question mais,
auparavant, j'aimerais que vous précisiez votre réponse. Sur les longs courriers, compte tenu de la limite physique de fatigue, combien êtes-vous finalement ?
M. Francis TRUCHETET : Il n'y a pas de règles européennes.
Elles sont en cours d'élaboration. Depuis la création des JAA en 1989, on a étudié cette question, sans parvenir à se mettre d'accord. La Commission européenne y
travaille à nouveau avec l'espoir d'y parvenir rapidement mais, dans ce domaine, on en est, pour l'instant, réduit à des règles qui étaient, dans le temps,
nationales et qui tendent maintenant à devenir des règles propres à chaque compagnie aérienne.
Grosso modo, à la compagnie Air France, de jour, on peut
faire jusqu'à neuf heures trente de vol à deux. Au-delà, il faut un troisième pilote et, passé treize heures trente, il en faut un quatrième. De nuit, en
fonction de l'heure de décollage, on fait huit heures ou huit heures trente de vol à deux ; passé ce délai, il faut un, voire deux pilotes supplémentaires.
M. Michel HERBILLON : Les règles que vous exposez là sont
propres à Air France. D'autres compagnies ont-elles des règles très en deçà de celles d'Air France, ce qui pourrait mettre, de votre point de vue, la sécurité en
danger ?
Par ailleurs, il a été dit, et vous-même le dites, qu'entrent
souvent en jeu, lors des accidents ou incidents, beaucoup de facteurs humains. Je voudrais savoir s'il existe une sorte de typologie des facteurs humains, qui
servirait en quelque sorte de jurisprudence pour prévenir les risques futurs d'incidents ou d'accidents ?
Je reviens à la question des deux ou trois pilotes qui pose
effectivement un réel problème en matière de sécurité. Mais, en même temps, lorsqu'une décision extrêmement rapide doit être prise face à un incident grave, en
fait, vous n'avez pas le temps de vous concerter et c'est le commandant de bord qui doit prendre la décision très rapidement. Dans ces conditions, la présence
de deux ou trois personnes n'est-elle pas un faux problème sur le plan de la sécurité ? Ce point avait donné lieu à un grand débat dans le passé et je voudrais
vous entendre sur ce sujet.
M. Bertrand de COURVILLE : A propos de cette question
d'équipage à deux ou d'équipage à trois, il me semble que nous avons abordé deux aspects en même temps.
La composition d'un cockpit, si l'on parle des postes de pilotes est
aujourd'hui totalement passée à deux. On ne construit plus d'avion avec trois postes techniques. Cela a commencé il y a trente ans avec l'arrivée du Boeing
737. L'équipage à trois appartient donc au passé. Tant au point de vue des règlements et des certifications que dans la réalité cette transition s'est faite en
sécurité. On a mis en place de nouveaux modes de formation, en particulier parce que nous appelons le « crew resources management » (CRM),
c'est-à-dire la formation au travail en équipe, de même que des modes d'entraînement qui sont bien plus précis et pertinents. Cette transition s'est vraiment
faite en sécurité. Aujourd'hui, les avions sont pilotés à deux.
Cette question est différente de celle qu'évoquait M. Truchetet, qui
relève de la gestion des temps de repos et des temps de vol. En fonction du temps de vol, du moment - journée ou nuit - des pilotes viendront en renfort pour
remplacer les personnes fatiguées aux deux postes du cockpit.
Le cockpit à deux n'est plus aujourd'hui un sujet de débat et de
discussion.
Mme la Présidente : Nous aurons sûrement au cours de cette
mission l'occasion d'entendre d'autres avis.
M. Francis TRUCHETET : Je ferai de mon mieux pour répondre à
vos questions, monsieur le député. M. de Courville pourra sans doute m'aider pour ce qui concerne l'aspect facteurs humains car vous avez en sa personne un
éminent spécialiste des facteurs humains, l'un des fondateurs du CRM à Air France.
En ce qui concerne les règles de limitation des temps de vol, ce que
l'on appelle le FTL, fly time limitation, il y a une grande variété dans le monde. Certaines compagnies sont plus restrictives qu'Air France, d'autres
le sont moins, sachant que c'est l'autorité réglementaire, donc l'Etat qui autorise les règles d'utilisation des équipages pour telle ou telle compagnie. C'est
donc la DGAC en ce qui concerne la France, la CAA (Civil aviation authority) britannique ou le LBA (Luftfhart Bundesamt) allemand qui vont donner les
règles de « fly time limitation » pour leurs compagnies aériennes.
Les variations sont donc très importantes, mais je crains que la
physiologie humaine soit relativement constante. La fatigue est un phénomène qui se produit partout et, du point de vue syndical, au sens du SNPL, il y a des
endroits où certaines limites sont dépassées.
De plus, nous avons une grande difficulté à établir l'effet de la
fatigue dans les accidents ; c'est un élément qui a été très souvent évacué dans les commissions d'enquête, parce que très difficile à déterminer. Jusqu'à
présent, on étudiait l'aspect réglementaire : l'équipage avait-il respecté le cadre réglementaire ? Si tel n'était pas le cas, on concluait que quelque chose
n'allait pas. Mais si on était dans le cadre réglementaire, la plupart du temps, la question de la fatigue ne se posait pas.
Depuis quelques années, cette tendance a changé. On commence à
s'intéresser de plus en plus à la notion de fatigue, parce qu'un certain nombre d'accidents a pu être attribué de façon très claire à la fatigue. Mais nous
n'en sommes qu'aux balbutiements et les grandes difficultés qu'il y a à établir une vérité « scientifique » rendent l'exercice particulièrement ardu. Un
travail important reste à faire pour modifier la réglementation dans ce domaine.
Le règlement français date des années 70 et les règlements
internationaux n'ont pas évolué depuis de nombreuses années. La révision de la réglementation sur les limitations de temps de vol devra se faire à la lumière
de deux éléments : d'une part, une base scientifique, d'autre part, une base d'expérience opérationnelle permettant de faire la part des choses. En effet, on
ne peut pas attendre des scientifiques qu'ils nous disent que jusqu'à 12 heures il n'y a pas de risque, et qu'à partir de 12 heures une il y en a. Il faudra
une fine appréciation des équilibres et dans ce domaine, on parle de statistiques, puisque toute réglementation, bien évidemment, est d'application générale.
Par ailleurs, il y a toujours cette restriction réglementaire selon laquelle, un membre d'équipage doit s'abstenir d'assurer ses fonctions s'il ne s'estime
plus en mesure de le faire. Encore faut-il, pour que cela fonctionne, que la culture de sécurité de l'entreprise permette d'appliquer cette règle.
En ce qui concerne la prise de décision, les cas où l'on dispose de
très peu de temps et pour lesquels on ne peut quasiment pas consulter le reste de l'équipage sont rares. Dans leur immense majorité, les décisions se prennent
en concertation. Plus on dispose de temps, plus on peut élargir la concertation à l'intérieur de l'avion, voire à l'extérieur, jusqu'à interroger le service de
la compagnie, puisque nous avons la chance à Air France de pouvoir joindre les services d'ingeniering à tout moment par le biais de téléphones
satellitaires. Cela permet de conforter la décision du commandant de bord quand, bien entendu, le temps le permet, et de l'asseoir sur une base plus large de
compréhension permettant de réagir au mieux.
Mme la Présidente : Vous parlez de certains « endroits » où la
réglementation concernant les temps de vol n'est pas la même. Nous aurons, plus tard, une table ronde sur ce point qui intéresse beaucoup la mission, mais
pourriez-vous d'ores et déjà nous dire dans quels pays cette réglementation n'est pas respectée ?
M. Francis TRUCHETET : En fait, comment pouvoir dire qu'elle
n'est pas respectée, puisqu'il n'existe pas de règles internationales, seulement de grandes définitions ?
Mme la Présidente : Est-ce une question de compagnie, ou d'Etat ?
M. Francis TRUCHETET : C'est l'Etat qui autorise une compagnie
à utiliser un certain nombre de limitations. Il y a donc deux niveaux dans la question : l'aspect réglementaire, sur lequel je laisserai M. Rebender répondre, et
le respect de la réglementation : telle compagnie ou tel équipage respectent-ils la réglementation en vigueur ? Ne vont-ils pas parfois au-delà des limites
fixées pour assurer la continuité de l'exploitation ou bien l'équipage ne subit-il pas une pression de la part de son exploitant ?
Ma réponse est que, dans certains cas, certains transgressent les
règles mais, fort heureusement, ce sont des cas restreints. Bien évidemment, dans ces cas-là, la sécurité est mise en cause.
M. le Rapporteur : M. Truchetet, je trouve que vous n'avez pas
un langage très syndical. En tout cas, aujourd'hui. J'ai envie de vous demander si Air France applique également les règles que vous venez de rappeler - et que
vous trouvez, si j'ai bien compris, excellentes - aux pilotes d'Air France qui opèrent à partir de Roissy et qui sont, en fait, salariés de sociétés stationnées
ailleurs et donc non soumis au même droit social ?
M. Francis TRUCHETET : Je vais vous faire une réponse et je
pense qu'Air France va répondre...
M. le Rapporteur : Ce n'est pas à Air France de répondre, je
m'adresse au syndicaliste, parce que vous représentez un syndicat ce matin !
M. Francis TRUCHETET : Absolument et je crois avoir tenu des
propos syndicalistes. Je n'ai pas dit que j'étais satisfait de la réglementation d'Air France. J'ai dit qu'elle est ce qu'elle est et qu'il y a des domaines dans
lesquels, à mon sens, elle mériterait d'être améliorée. Elle me paraît satisfaisante à bien des égards mais nous travaillons encore sur certains aspects et,
comme me le rappelait M. Bansard à mes côtés, j'ai parlé de « temps de vol », alors qu'il faut parler de « temps de travail » car le travail de l'équipe ne se
limite pas au temps de vol, qu'il s'agisse de l'équipage technique ou du personnel navigant commercial, le PNC.
Pour répondre à votre question, c'est le droit du travail local qui
s'applique. Je ne pense pas qu'Air France, pour des compagnies affrétées à l'étranger, fasse appliquer ses propres règles concernant la limitation des temps de
vol, puisque, quand on fait un affrètement dit « wet lease », c'est-à-dire qu'on affrète un avion avec son équipage, ce sont les règlements de l'Etat
dans lequel est certifié cet avion qui s'appliquent et non les règlements d'Air France.
M. le Rapporteur : C'est le cas des pilotes d'Air France
officiellement salariés en Irlande ?
M. Francis TRUCHETET : Les règles qui s'appliquent étant liées
à l'Etat dans lequel le CTA a été donné, si les personnes opèrent dans un avion dont le CTA a été déposé en Irlande, ce sont les règles sociales irlandaises qui
s'appliqueront. Cela n'empêche pas qu'Air France peut - je ne sais pas s'ils le font car je ne connais pas ce dossier à fond - leur demander d'appliquer les
règles d'Air France mais, légalement, ils ne sont pas tenus de le faire.
Il me semblerait souhaitable, pour ne pas dire indispensable, que
les mêmes règles s'appliquent partout. Pour cela, il faudrait que nous disposions de règles européennes et nous n'en sommes pas à ce stade.
Mme la Présidente : C'est donc à M. Rebender qu'il faut
maintenant demander si des règles sont en préparation sur ce sujet brûlant.
J'ai lu, mais c'est peut-être inexact, des propos étonnants du genre
« des personnels disent qu'en vol, ils ne peuvent plus maintenant aller réveiller les pilotes, puisque les portes sont blindées. Or, quand les pilotes sont
très fatigués sur de longs trajets, il leur arrive de dormir tous les deux. » Je voudrais bien savoir si tout ceci est vrai et si des textes sont en
préparation sur ce point.
M. Georges REBENDER : Ainsi que vous l'indiquiez, la
problématique est non seulement brûlante, mais complexe. En fait, l'OACI demande actuellement aux Etats membres d'appliquer dans leurs codes nationaux un schéma
qui définit les temps de travail et les temps de vol - ce que l'on appelle le « duty time » et le « fly time ». Malheureusement, pour l'instant, la
réglementation OACI ne donne aucun détail. C'est donc à chaque Etat membre de définir, notamment à travers des chiffres, les temps de vol et les temps de travail
applicables sur son territoire.
Au niveau des JAA, malheureusement, ce sujet n'est certainement pas
celui dont nous pouvons être le plus fiers. La Commission européenne a repris le sujet en 1995 et, pour l'instant, je ne pense pas avoir vu de proposition dans
ce domaine. Certaines propositions ont été incorporées dans un projet de règlement européen, que l'on appelle EU OPS 1, lequel est actuellement examiné dans le
processus de co-décision entre le Parlement européen et le Conseil des ministres européens.
Au niveau OACI, il y a effectivement une activité, et même une
activité forte. Je représente moi-même les JAA dans le programme OACI concernant les opérations, l'Ops panel. C'est un sujet dont nous rediscuterons fin
avril à la conférence de Berlin, de façon à formuler une proposition d'amendement de l'annexe 6 dans ce domaine spécifique.
J'ai cru comprendre que vous touchiez un point particulier que l'on
appelle « controlled rest », le repos contrôlé, qui, en effet, a alimenté un débat au sein de la commission que je préside relative au règlement
européen. Il s'agit, en fait, de dispositions permettant à un pilote, et un seul, de se reposer, tout en assurant globalement le niveau de sécurité par des
processus spécifiques.
Il se trouve qu'aujourd'hui, l'élément sécuritaire est aussi à
prendre en compte dans ce processus. Le cockpit étant devenu une sorte de place forte, l'interface entre sûreté et sécurité nécessite une mise au point de la
notion de « controlled rest ».
M. le Rapporteur : Expliquez-nous en quoi consiste
concrètement, ce « controlled rest ». Pendant combien de temps et dans quelles conditions est-il autorisé de dormir ? Est-il possible, comme
l'évoquait la presse et Madame la présidente, que plusieurs membres de l'équipage du cockpit puissent dormir en même temps ? Cela fait-il partie des
concertations dans le cockpit qu'évoquait M. Truchetet précédemment ?
M. Georges REBENDER : Il y a des consignes. Il est tout à fait
évident que l'objectif de cet amendement au règlement JAR OPS est précisément d'éviter que tout le monde dorme à bord !
La proposition se fonde sur une étude très exhaustive réalisée par
des scientifiques qui montre que la période de repos ne doit pas dépasser vingt minutes. Au-delà, vous entrez dans un sommeil dit « profond » qui peut être
préjudiciable au processus de prise de décision.
Pour s'assurer que, pendant ce temps, l'autre pilote est bien actif,
différentes solutions sont envisageables. Une solution technologique consiste à surveiller l'activité du pilote à travers les interfaces disponibles et de
disposer d'un système d'alerte automatique, dès lors que le pilote qui ne se repose pas n'est plus actif. La plupart des compagnies utilise un membre de
l'équipage commercial qui s'assure que le pilote qui ne se repose pas est bel et bien actif.
Il existe donc une mesure de prévention du risque pour éviter le
scénario que vous évoquez.
M. Bertrand de COURVILLE : Une étude menée par une équipe de la
NASA qui remonte à une vingtaine d'années a démontré que la conduite d'une approche et d'un atterrissage était plus sûre, dès l'instant où, dans les heures de
croisière qui ont précédé, les membres de l'équipage avaient pris ce moment de sommeil très court.
Nous avons tous fait l'expérience, y compris pendant des réunions de
s'assoupir quelques instants et de redémarrer après, très efficacement. Cela se produit dans la vie de tous les jours, c'est un mécanisme physiologique
essentiel, fondamental. Dans le cas précis du transport aérien, on tire parti de ce mécanisme de manière contrôlée, parfaitement spécifiée, au sein des
compagnies qui l'ont mis en _uvre. Je pense que nous sommes plus sécurisés, en mettant en place ce type de normes et de règlements qui vont d'ailleurs être
installés au plan européen très prochainement - du moins, nous l'espérons.
M. le Rapporteur : Il est sûr que l'on est toujours mieux après
la sieste ! Cependant, le problème est de savoir si l'on peut se permettre de dormir. Je voudrais connaître très précisément les règles qui s'appliquent sur un
vol long courrier ?
Mme la Présidente : Et si quelqu'un a la possibilité
d'interrompre ce temps de repos que nous ne contestons pas, d'ailleurs ?
M. le Rapporteur : La sieste est légale, d'accord, mais dans
quelles conditions précisément ?
M. Michel HERBILLON : Quelle assurance a-t-on que les deux
pilotes ne se reposent pas en même temps durant cette période de vingt minutes ? Il n'y a aucun piège dans nos questions. Nous voudrions simplement savoir, de
manière précise, comment cela fonctionne et si, de votre point de vue, cela fonctionne bien.
Mme la Présidente : Nous sommes ici pour connaître les règles,
savoir comment elles s'élaborent et comment elles s'appliquent. S'il existe des préconisations en la matière, quelles sont-elles ? S'il n'en existe pas, nous
voulons aussi le savoir. Ce n'est pas le repos qui est contesté. Nous comprenons parfaitement qu'il soit nécessaire. Mais, compte tenu des nouvelles règles
internationales de sûreté, est-il toujours possible d'interrompre ce repos en cas de besoin ?
M. Francis TRUCHETET : Je peux répondre d'un point de vue
syndical. Il y a, effectivement, des dispositions JAA récentes sur ce point datant d'un an, si mes souvenirs sont exacts, mais je n'ai pas vérifié si elles ont
été transcrites dans la réglementation française. Je le pense mais en tout cas, elles l'ont été dans l'exploitation des compagnies aériennes : une seule personne
peut dormir pendant vingt minutes. En comptant dix minutes d'endormissement et dix de récupération, cela représente un temps total de quarante minutes, dont
vingt minutes de sommeil effectif. Pendant ce temps de repos, il faut s'assurer que l'autre est en bon état de veille. Dans ce but, on demande qu'un membre de
l'équipage commercial vienne vérifier que les deux ne sont pas en train de dormir. On demande aussi au co-pilote en veille - je le fais systématiquement dans mes
consignes - de réveiller l'autre s'il ne se sent pas bien car le peu qu'il aura dormi lui aura permis de récupérer et permettra à l'autre d'éviter
l'endormissement.
Mais ce sont des mesures palliatives. C'est pour cela que les règles
de limitation du temps de vol et les règles de durée de travail sont essentielles car si ces règles sont trop laxistes, le recours à ce type de mesures
palliatives se généralise et, soyons clairs, ce n'est certainement pas une bonne chose.
Mme la Présidente : Mon souci tient à l'évolution actuelle des
consignes de sûreté. On nous dit que maintenant la porte du cockpit est fermée pour les vols longs, et même blindée dans certains cas. Cette mesure n'est pas
contestée, mais elle suscite des interrogations de la part des équipages dont on m'a fait écho. Ma question est donc très précise. Je comprends fort bien la
nécessité pour un équipage de se reposer. Mais si vraiment les portes sont blindées, une procédure de contrôle est-elle prévue dans votre réglementation pour
s'assurer qu'un pilote est bien en étant de veille ?
M. Bertrand de COURVILLE : Que la porte soit blindée ou pas,
cela ne change pas la méthode de travail. En cabine, les personnels commerciaux appellent le cockpit par l'interphone et s'assurent, de manière périodique,
exactement comme auparavant, que les deux pilotent ne dorment pas dans le cockpit.
M. Francis TRUCHETET : Ces portes sont effectivement une
nouveauté. L'obligation réglementaire date de novembre 2003, et fait suite au tragique attentat du World Trade Center en septembre 2001. Elle nous pose un
problème d'exploitation absolument évident. Le fonctionnement de l'équipage a été altéré de façon non négligeable par l'existence de ces portes et par leur
fermeture systématique qui est, malheureusement, pour le moment, non contestable pour des raisons de sûreté évidente, parce qu'il faut assurer la protection et
éviter qu'un tel événement ne puisse se reproduire.
Mais je me suis battu, et je me bats encore, pour que le
fonctionnement soit modifié parce qu'il pose problème pour deux raisons.
La première est qu'avant d'ouvrir la porte, il faut pouvoir savoir
qui demande l'entrée, que l'environnement de la porte du poste de pilotage soit libre, et que personne ne puisse y pénétrer en même temps. A notre sens, cela
ne peut être assuré que par des moyens visuels, et sur les gros avions, ces moyens visuels sont évidemment des caméras. Il n'en existe pas d'autres. Or aucune
obligation réglementaire n'existe à l'heure actuelle ni en France, ni sur le plan européen dans ce domaine. Cela m'apparaît comme une carence importante.
La seconde est que ces portes ont été fabriquées et certifiées dans
une certaine hâte, en raison de l'urgence née de l'événement du 11 septembre. Elles sont d'un fonctionnement parfois difficile, elles sont bruyantes, dures à
ouvrir et elles perturbent le fonctionnement des équipages.
Nous formulons donc des demandes très fortes pour l'amélioration des
procédures et du fonctionnement de ces portes. Nous ne remettons en cause ni leur existence, ni le fait qu'il faille qu'elles soient verrouillées durant
certaines phases de vol. Toutefois, nous estimons qu'il faut absolument en améliorer le fonctionnement et y associer une caméra vidéo, ou un autre moyen. Sur
les avions plus petits, la solution peut être un panneau transparent dans la porte permettant de voir suffisamment l'intérieur du cockpit. Mais sur les avions
plus gros, du type Boeing 737 ou autres, la solution de la caméra reste la seule permettant vraiment de s'assurer que nous pouvons ouvrir la porte en toute
tranquillité.
Mme la Présidente : M. Rebender, existe-t-il un projet de
réglementation dans ce domaine ?
M. Georges REBENDER : Je partage l'avis de M. Truchetet. Cette
interface entre sécurité et sûreté, est une nouvelle dimension qui crée une problématique particulière.
Nous avons essayé aux JAA de proposer les caméras vidéo. En fait,
nous avons réagi sur la base d'un amendement de l'annexe 6 qui demande très clairement que l'accès au cockpit puisse être surveillé par les deux pilotes assis
dans leur siège de commandement et que puisse également être surveillée la zone devant la porte. La solution des caméras vidéo me semblait évidente. Très
malheureusement, le comité directeur - et c'est la seule fois où le comité directeur n'a pas suivi l'avis du groupe de travail - n'a pas cru bon d'entériner la
solution préconisée pour des raisons de coût. Pourtant, on peut s'interroger sur la valeur de cet argument, puisque les calculs montrent que l'ajout d'une
caméra de surveillance coûterait aux passagers entre trois et quatre cents par vol.
Actuellement, les discussions se poursuivent. Pas plus tard qu'hier,
le comité directeur des JAA a accepté que nos autorités nationales mettent en place des mesures sécuritaires correspondant à une recommandation des directeurs
généraux de la CEAC (Conférence européenne de l'aviation civile) en FAVÉur des caméras en priorité mais qui propose également d'autres moyens, tels que des
portes transparentes ou un _illeton, à condition que celui-ci montre son efficacité. Certains de mes experts ont émis des doutes sur ce point. Voilà où nous en
sommes.
J'aurais, à titre personnel, préféré que les avions significatifs en
masse ou en nombre de passagers, de l'ordre de trente passagers, soient équipés de caméras. Et je me demande comment un pilote peut surveiller la zone frontale
de la porte à travers un _illeton. Il me semble difficile de demander à un pilote de se lever de son siège et, de jeter un coup d'_il, de temps à autre, dans
l'oeilleton pour s'assurer qu'aucune activité suspecte ne se déroule devant la porte.
La plupart des portes sont accessibles pour des raisons de sécurité.
On peut les ouvrir grâce à un keypad, un code. En cas de crash notamment, il faut que les membres d'équipage puissent aider les pilotes coincés
dans le cockpit, sinon, ils seraient dans une situation de quasi-condamnation. Il existe donc un moyen d'accès. Pour revenir à votre question, à mon avis, la
caméra était le moyen, de loin le plus efficace, pour atteindre conjointement les objectifs de sûreté et de sécurité dans la surveillance de l'accès au
cockpit.
Mme la Présidente : C'est donc une question qui méritait d'être
posée, mais qui mérite aussi d'être creusée à votre niveau.
M. Georges REBENDER : La CEAC est la Conférence européenne de
l'aviation civile européenne, dont les JAA sont un membre associé, et qui compte 37 Etats membres européens. C'est une assemblée de haut niveau regroupant les
directeurs généraux de l'aviation civile desdits Etats et qui joue un rôle particulier en matière de sûreté et de santé des passagers.
Mme la Présidente : Vous avez parlé de coût. Cela m'étonne
parce qu'à mon sens, il y a, d'un côté, des organismes qui édictent des règles, qui sont constitués d'ingénieurs dont le niveau de compétence les rende aptes à
évaluer les risques, à les quantifier et à trouver des solutions, et de l'autre, des compagnies qui sont chargées de vivre, de bien vivre et de rendre à leurs
actionnaires les meilleurs résultats possibles. Comment se fait-il que des personnes chargées d'établir des normes puissent émettre un jugement fondé sur le coût
d'une mesure ?
M. Georges REBENDER : Je ne suis pas sûr qu'il y ait eu
jugement. J'ai été mis devant un fait accompli.
Le processus est le suivant : nous élaborons une proposition
réglementaire qui tient compte des dimensions sociales et économiques. Au sein de mon comité, les Etats membres sont représentés, mais également ce que l'on
appelle les « parties intéressées », c'est-à-dire les représentants des exploitants et des syndicats. Après discussion, une décision a été prise par le comité
de recommander les caméras. Il se trouve que le comité directeur chargé d'examiner la recommandation prise au niveau technique, n'a pas, dans ce cas précis,
entériné la proposition de mon comité.
Mme la Présidente : Trouvez-vous que les conditions
d'indépendance sont ainsi respectées ? Je m'étonne de ce type de fonctionnement.
M. Georges REBENDER : Ce serait une question à poser au
responsable du comité directeur.
M. Jean TEILLET : Il faut peut-être que j'apporte quelques
précisions sur les conditions d'élaboration des normes.
En ce qui concerne les règles européennes au niveau des JAA, les
Etats ont souhaité que, dans les conditions d'élaboration des normes, soient pris en compte tous les impacts possibles de la norme. Le règlement interne de
procédure d'élaboration des normes prévoit donc explicitement qu'avant d'élaborer une norme, on puisse en étudier son impact à la fois économique, social,
environnemental et autre.
En tant qu'autorité nationale, cela nous semble normal. Dans notre
système interne, il est également prévu que, quand on élabore une loi ou un arrêté, on en étudie l'impact avant de l'adopter. Il est clair que toute mesure a
un coût et que le système ne peut supporter n'importe quel coût. Il est clair aussi que la décision entre bénéfices en sécurité et coûts économiques est
souvent discutable. Il n'existe pas de formule magique permettant d'affirmer, dans tous les cas, qu'il fallait prendre ou pas la décision.
J'ajouterai qu'à ma connaissance, les moyens vidéo dont nous parlons
pour les portes ont donné lieu à des discussions parce que, dans certaines compagnies européennes, les procédures propres aux compagnies sont telles qu'il n'y
pas besoin d'ouvrir la porte : la porte reste fermée pendant tout le vol et des procédures sont prévues permettant les communications entre l'équipage de
cabine et l'équipage technique dans le cockpit, sans ouvrir la porte.
Donc, en fonction des cultures d'entreprise, le besoin d'ouvrir la
porte du cockpit est différent. Les compagnies qui font le vol porte fermée ne voient pas l'intérêt d'installer une vidéo pour voir qui est derrière la porte
puisque, a priori, personne ne doit ouvrir cette porte. C'est souvent le cas pour des vols court ou moyen courriers. Les règles n'étant pas les mêmes
pour toutes les compagnies aériennes, que ce soit pour un vol court courrier de cinquante minutes ou un long courrier de dix heures, il est clair qu'il est
difficile de prévoir une règle applicable à tous. C'est ce qui, à mon sens, peut expliquer la décision du comité directeur. Il a peut-être voulu laisser un peu
de souplesse pour tenir compte des conditions d'exploitation du vol et de la compagnie aérienne.
M. le Rapporteur : Officiellement, quelle était la position
française à ce fameux comité directeur ?
M. Jean TEILLET : Je ne suis plus sûr du tout de la position
française.
M. le Rapporteur : Quelle était la préconisation qu'avait faite
Air France à la DGAC pour le comité directeur ?
M. Laurent BARTHÉLÉMY : Nous avons fait le choix de mettre des
caméras, sans être obligés, réglementairement, de le faire.
M. Francis TRUCHETET : Pour revenir aux propos de M. Rebender,
je dirai que l'argument vaut pour un bureau mais que cela ne fonctionne pas pour les avions. Même sur un vol de cinquante minutes, vous pouvez avoir à sortir, ne
serait-ce que pour des raisons physiologiques, et cela entraîne alors de fortes contraintes : dans certaines compagnies américaines, quand un pilote doit aller
aux toilettes, il doit appeler son chef de cabine qui barricade l'entrée du poste au moyen de chariots repas et évacue les passagers pour tout bloquer. Quand le
pilote sort du poste, un membre de l'équipage commercial entre dans le poste de pilotage et l'on referme la porte. Ensuite, pour revenir dans le poste, le pilote
rappelle...
Plusieurs députés : Cela se fait en toute discrétion !
M. Francis TRUCHETET : Oui, en toute discrétion et toute
efficacité opérationnelle ! Je vous laisse imaginer les relations au sein d'un équipage dans de telles conditions !
J'ai appris la semaine dernière, lors d'une réunion, que le nombre
de pilotes souffrant de calculs rénaux aux Etats-Unis avait augmenté de façon remarquable, parce que les personnes ne boivent plus pour éviter d'aller aux
toilettes sur les vols long courrier. Cela n'est donc pas sans conséquences. Quand on prétend que l'on peut piloter un avion avec une porte soudée et que
l'équipage fonctionne alors correctement, c'est tout à fait faux.
De plus, alors que pendant des années, on a travaillé à
l'amélioration des relations entre les équipages techniques et l'équipage commercial pour mieux communiquer, on a ainsi recréé une espèce de forteresse qui
risque de couper à nouveau l'avion en deux. Nous essayons de tout faire pour l'éviter et c'est pour cela que je proposais d'améliorer le système de
fonctionnement d'interface des portes car, dans certains cas, les portes sont tellement renforcées que certaines hôtesses n'arrivent même pas à les ouvrir en
vol sans devoir prendre leur élan pour pouvoir les pousser ! Tout cet un aspect de mise au point et de maintenance des portes est aujourd'hui essentiel. C'est
probablement ce qui, au cours des deux dernières années, a eu le plus d'impact en terme de fonctionnement de l'équipage et, à notre avis, également en terme de
sécurité des vols.
Mme la Présidente : Je vous remercie de ces précisions. Tout
ceci concerne aussi l'exploitation !
M. le Rapporteur : Nous allons sortir des anecdotes, même si
elles illustrent bien ce que vous expliquiez sur les règlements, M. Truchetet, et sur la vie quotidienne dans un cockpit, pour poser maintenant des questions aux
représentants de la compagnie Air France.
Vous nous avez dit, messieurs, que vous disposiez, au sein de la
compagnie, de procédures de retour d'analyse d'incidents et d'un corps d'auditeurs pour travailler sur vos pratiques mais aussi sur celles de vos partenaires.
Quelles sont les règles ? Jusqu'où vont vos contrôles ? Selon quelles procédures ? Ces contrôles se font-il dans toutes les compagnies avec lesquelles vous
avez des codes partagés ? Avez-vous, au sein des grandes alliances, notamment celle que vous animez, la volonté d'uniformiser ces pratiques de contrôle pour
garantir la sécurité ? Quand on regarde la liste des compagnies qui font partie de l'alliance SkyTeam, je ne suis pas sûr que toutes nous auraient donné les
mêmes réponses que celles que vous nous avez faites ce matin. Pourtant, quand vous délivrez un billet Air France, au bout de la ligne, il y a parfois des
compagnies dans lesquelles je ne suis pas sûr que M. Truchetet prendrait le manche.
M. Laurent BARTHÉLÉMY : En matière de partenariat, le cadre
réglementaire français est précis et nous oblige à exercer un certain nombre de surveillances dans le cas d'affrètements et de partages de codes. A la base, pour
démarrer une opération de partenariat en partage de code, nous sommes tenus de réaliser un audit, en accord avec notre autorité de tutelle, la DGAC. Néanmoins,
un certain nombre de compagnies, parce qu'elles sont dans la zone JAA ou que ce sont de grandes compagnies, d'Australie, des Etats-Unis ou du Canada, n'ont pas à
être auditées. Nous pouvons les auditer, mais nous n'y sommes pas tenus. Le postulat de base reste bien toutefois que l'ensemble de nos partenaires doivent être
audités avant de pouvoir démarrer un code share.
Cela signifie que l'on envoie une équipe - selon la taille de la
compagnie, de six à dix auditeurs de toutes les spécialités (opérations aériennes, sûreté, maintenance et autres) - qui va, sur la base d'un référentiel très
précis, faire une mission de trois à cinq jours généralement, qui donne lieu à un rapport faisant ressortir, éventuellement, les non-conformités sur lesquelles
nous leur demandons de nous faire des propositions de correction. Lorsque nous estimons que le dossier est suffisamment solide, nous en envoyons copie à la
DGAC - ce qui n'est pas forcément fait dans tous les autres pays -, laquelle peut demander des compléments d'information ou, le plus souvent, peut suivre notre
proposition et nous donner l'autorisation de démarrer l'opération de partage de code.
Ces audits étant reproduits tous les deux ans, la validité d'un
audit est de deux ans mais ce délai peut être raccourci, si l'on a tel ou tel souci avec la compagnie concernée.
Mme la Présidente : Ces audits sont-ils internes ou opérés par
des intervenants extérieurs ?
M. Laurent BARTHÉLÉMY : Jusqu'à présent, ils étaient uniquement
opérés par des auditeurs d'Air France accrédités. Dès qu'a été créée l'alliance SkyTeam, en juillet 2000, nous nous sommes rapprochés de nos partenaires,
notamment de Delta Airlines, mais aussi d'autres compagnies, pour conforter notre liste de partenaires et organiser plus efficacement nos audits. C'est ainsi
que, sur la base, là encore, de procédures très établies, validées par nos différentes autorités, DGAC mais aussi FAA, nous effectuons un certain nombre d'audits
en collaboration avec nos partenaires. C'est-à-dire que font partie de l'équipe deux auditeurs d'Air France, un de Delta Airlines, un autre d'Alitalia, etc. Nous
effectuons donc les audits de nos partenaires communs en équipe multiple, partagée, et c'est un rapport commun qui est adressé à nos autorités, ce que nous
jugeons plus efficace.
C'est dans ce cadre que, début 2001, l'IATA
16, qui regroupe 270 compagnies
aériennes du monde entier, s'est inquiétée du fait que la multiplication des partages de code conduisait à une augmentation exponentielle des audits, chaque
compagnie devant auditer chacun de ses partenaires. Cela conduisait à des audits successifs, semaines après semaines, dont l'efficacité technique était pour le
moins douteuse, l'efficacité économique très mauvaise et la lisibilité problématique, ces contrôles étant effectués selon des référentiels variables d'un pays
à l'autre.
Un énorme travail a donc été conduit dans ce domaine, que je veux
évoquer, car Air France, comme la plupart des grandes compagnies mondiales, s'est fortement impliquée dans ce dossier que nous considérons comme important pour
la sécurité des vols et la surveillance de nos partenaires.
Donc, sous l'égide de l'IATA, ont été créés un très grand nombre de
groupes de travail pour que les trente plus grosses compagnies du monde - australiennes, américaines, européennes, etc. - mettent en commun les différents
référentiels et procédures d'audit de leurs partenaires pour partager les meilleures pratiques et élaborer un référentiel commun - qui en est aujourd'hui à sa
deuxième version. Ce référentiel comprend des standards qui reprennent le noyau dur des règles de l'OACI, notamment l'annexe 6 de la convention qui est la base
commune à tous les pays, mais qui vont aussi assez nettement au-delà.
Formellement, la DGAC exige, lorsque nous réalisons nos audits en
tant que compagnie Air France, que nos partenaires soient en conformité avec l'annexe 6 de la convention de l'OACI. En réalité, nous ajoutons un certain nombre
de standards que nous estimons judicieux et nécessaires.
Au-delà de ces standards - un bon millier - qui couvrent les
opérations aériennes, l'organisation de la compagnie, la maintenance, les opérations au sol, la sûreté, le personnel de cabine, bref, toutes les composantes de
la compagnie aérienne, assorties d'une check-list, des procédures très précises ont été élaborées pour définir qui est en droit de faire passer un
audit, quelles sont les caractéristiques en termes de compétences et de formation des auditeurs et quelles sont les procédures à suivre pour être certifié IOSA
17. Le principe est plutôt
que chaque compagnie audite chacun de ses partenaires, ce qui représente un nombre effarant d'audits dans le monde entier et qu'une organisation accréditée,
répondant à des critères très précis, soit seule habilitée à réaliser ces audits à la demande d'une compagnie x voulant entrer en partenariat avec une
compagnie y. Ayant passé toutes les étapes de l'audit, ayant été capable de répondre à tous les critères, la compagnie est alors proposée à la
certification IOSA et, dans la mesure où les autres compagnies reconnaissent cette certification, elles sont habilitées à travailler en partage de code avec
cette compagnie.
Cela présente l'avantage de réduire considérablement le nombre
d'audits et de les rendre plus homogènes. Tel est le principe de fonctionnement et la finalité du système IOSA.
J'ai ici une documentation sur le sujet, si cela vous intéresse.
Mme la Présidente : Cela nous intéresse, bien évidemment.
M. Laurent BARTHÉLÉMY : Après deux à trois ans de travail très
intense au niveau mondial, le système est entré dans une phase opérationnelle l'été dernier. Aujourd'hui, quatre organisations sont accréditées, que l'on appelle
les AO, accredited organisations. Deux sont situées en Europe et une aux Etats-Unis - c'est d'ailleurs United Airlines - et une en Australie. Une dizaine
d'audits sont en cours ou ont déjà été réalisés. Le système entre progressivement en vigueur, sachant que tout cela ne vaut que si celui-ci a la confiance des
compagnies aériennes et des autorités chargées de surveiller le secteur.
Mme la Présidente : Au-delà de ces standards IATA, sur lesquels
certains ont pu émettre des doutes - je ne le ferai pas parce que je n'en ai pas la compétence - la question ne se pose-t-elle pas de la nécessité d'améliorer
les règles OACI pour disposer d'une procédure universelle de certification ?
M. Jean TEILLET : Vous abordez là un vaste sujet, excessivement
complexe. Je pourrais vous répondre que ces procédures communes de certification existent, puisque l'annexe 6 fixe déjà des règles et qu'un certain nombre de
documents indicatifs et de manuels qui accompagnent cette annexe constituent les guides de bonnes pratiques que sont censées suivre les autorités nationales
quand elles délivrent un CTA.
En fait, chaque fois que l'on veut aller plus loin et être plus
précis dans ces normes internationales, cela pose problème, parce que les cultures et les pratiques sont différentes. Nous avons eu tout à l'heure l'exemple de
la discussion sur la fermeture ou non de la porte du cockpit au sein même de l'Europe où nos cultures sont relativement proches. On se doute bien qu'au niveau
mondial, quand on discute avec des compagnies et des autorités africaines, asiatiques ou sud-américaines, les approches sont extrêmement différentes, ce qui
contribue à rendre l'exercice encore plus difficile.
On peut dire, malgré tout, que le programme d'audit de supervision
de l'OACI, lancé depuis quelques années maintenant, pousse peu à peu les autorités nationales à appliquer un certain nombre de grands principes essentiels.
Dans le détail de la procédure exacte de délivrance d'un CTA et de sa surveillance, nous n'en sommes pas encore à une harmonisation totale mais la situation
s'améliore. Cela va dans le bon sens, même si ce n'est jamais aussi rapide qu'on le souhaiterait.
Faut-il aller plus vite, plus loin ? C'est difficile à dire.
M. Bertrand de COURVILLE : L'OACI parle aux Etats et l'IATA
parle aux compagnies aériennes. L'IATA a un siège à l'OACI et exprime les préoccupations et les besoins des compagnies. L'OACI n'est donc pas directement
interlocuteur des compagnies aériennes mais elle l'est indirectement, au travers des autorités de tutelle. Et le problème du respect de la souveraineté des Etats
se pose à chaque fois qu'il s'agit de prendre des mesures à caractère international.
Le programme IOSA est plus que cela. Il donne un moyen d'action
direct, au-delà des Etats mais avec eux également, qui permet concrètement d'accorder ou pas un agrément. Même si IOSA n'est pas un agrément d'Etat, c'est un
moyen d'action qui, je le pense, est prometteur en matière de sécurité.
D'autres programmes sont en cours. Je pense notamment au continent
africain où des actions sont certainement à réaliser en matière de soutien aux Etats pour les aider à développer et à mettre en place des programmes qui les
conduisent à réellement assurer leur rôle de supervision. Nous sommes convaincus que des actions sont à conduire en matière d'aide et de soutien de leurs
programmes nationaux. Cela ne relève pas uniquement des compagnies aériennes mais des Etats et des politiques de coopération.
Mme la Présidente : Vous venez de poser à nouveau le problème
de l'indépendance que j'avais souligné précédemment au sujet de l'élaboration des normes, lorsque le facteur économique intervient, à mon sens, trop tôt. Il est
important que des normes soient établies au vu des règles de sécurité que l'on veut édicter et qu'ensuite, tout cela puisse être, le cas échéant, rediscuté au
plan économique.
M. Francis TRUCHETET : Si vous le permettez, je voudrais
aborder le problème de la sécurité des vols et des compagnies aériennes. Il faut que vous soyez conscients que plus une compagnie est grosse, plus son exposition
au risque d'accident est forte. Des compagnies comme British Airways, Air France ou Lufthansa qui font un millier de vols par jour ont un millier de chances
d'avoir un accident par jour ; une compagnie de charters qui n'en fait que deux n'en a que deux. Je ne me fais pas trop de souci sur l'état de sécurité de ces
grandes compagnies - même si je ne suis pas toujours en accord avec ma compagnie - parce qu'il en va de leur survie. En effet, une compagnie ne résiste pas
longtemps à quelques accidents. La Pan Am est morte de Lockerbie et US Air a failli disparaître, il y a une dizaine d'années, parce qu'elle a enregistré trois
accidents sur une brève période. Les compagnies aériennes s'impliquent donc beaucoup en matière de sécurité. De plus, elles sont probablement plus activement
surveillées que les compagnies aériennes plus petites, parce qu'elles représentent un risque plus élevé. Donc, le contrôleur, la DGAC pour la France ou d'autres
régulateurs pour d'autres pays, va plutôt faire un audit de ces grandes compagnies. Elles présentent, en outre, l'avantage d'avoir une structure à laquelle on
peut facilement s'adresser.
Pour les compagnies plus petites ou toutes nouvelles - vous vous
rappelez certainement l'accident de Value Jet, il y a quelques années aux Etats-Unis - la difficulté est bien plus importante et la tentation peut exister même
cela ne veut pas dire que toutes les start up ou les petites compagnies ne font pas correctement leur travail. Mais l'immunité aussi bien en terme
d'accident qu'en terme réglementaire est plus importante, parce qu'avant qu'elles aient la malchance d'avoir un accident, il peut s'écouler du temps. En fait,
les statistiques sont très trompeuses, parce que du fait que le niveau de sécurité de l'aviation est très élevé - je l'ai dit : un accident par million de
départs - il faudra très longtemps avant que ces petites compagnies aient un accident, fort heureusement. L'exposition au risque est donc très différente.
C'est là qu'il y a problème. Le fait que toutes les compagnies du
monde puissent se poser sur un territoire ou transporter des passagers d'un pays par le biais des accords OACI ou que toute compagnie européenne ait le droit
de faire du transport aérien à l'intérieur de la France en raison du Traité de Rome pose problème car les niveaux de contrôle et de réglementation des
compagnies ne sont pas les mêmes, ne serait-ce qu'au niveau des normes sociales et de travail, qui sont absolument différentes les unes des autres.
Il est évident qu'un énorme travail réglementaire reste à faire au
plan européen pour qu'un niveau identique soit requis non seulement au plan technique mais également au plan social, notamment en matière de réglementation du
temps de travail. Nous comptons sur vous pour être moteur dans cette affaire.
Dernier point, avec votre permission, sur les low cost, dont
j'ignore totalement le degré de sécurité. Jusqu'à présent, ils n'ont pas eu d'accident majeur et je ne voudrais pas faire de procès d'intention mais, à titre
personnel, en tant que pilote, je suis extrêmement choqué que l'on puisse vendre un billet entre Paris et Nice moins cher que le prix du taxi de Paris à
l'aéroport.
La vente à perte est interdite dans de nombreux secteurs et dans
celui-ci, on autorise les prix d'appel. Je serais commandant de bord d'Easy Jet, je me demanderais quel respect on a pour mon travail.
Mme la Présidente : Cela rejoint le problème de la définition
du prix abusivement bas.
M. Michel HERBILLON : Vous dites manquer d'éléments
d'information sur la sécurité de ces compagnies low cost. Mais peut-être en savez-vous plus que vous ne voulez le dire ? C'est bien ici le lieu d'en
parler. Et si vous, monsieur, n'avez pas d'informations, peut-être certains d'entre vous en ont-ils ? Il serait intéressant de vous entendre sur ce sujet, outre
le fait que je comprends tout à fait ce que M. Truchetet vient de dire sur le prix.
M. Francis TRUCHETET : Je n'ai pas de réponse à votre question.
Certaines compagnies dites low cost existent depuis de nombreuses années, comme la Southwest, qui ont prouvé, sur vingt ans, qu'elles étaient capables
d'assurer un niveau de sécurité très élevé. Il n'est donc pas question de faire des procès d'intention.
Mais le fait d'être une start up permet de commencer avec des
structures de coût plus basses. La libéralisation dans ce domaine, a fait des dégâts tragiques en termes de sécurité des vols. Quand des compagnies plus
établies, ayant du personnel plus ancien - donc, des coûts d'exploitation plus élevés - se trouvent confrontées à une concurrence qui paraît déloyale, cela se
termine par des pressions lourdes s'exerçant sur les personnels de l'entreprise, pressions qui ne sont pas sans conséquence en termes de sécurité des vols car
quand l'on pressure davantage les personnels, quand on les fait travailler plus pour des salaires moindres, la motivation diminue et l'inquiétude augmente. La
sécurité des vols n'est pas indépendante de telles pressions.
Favoriser Ryanair ou easyJet peut paraître très intéressant d'un
point de vue politique, parce que cela fait parler d'une région et que cela crée des moyens de transport aérien dans des endroits où il n'y en a pas mais il
faut savoir que, ce faisant, on affaiblit aussi le reste du transport aérien.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Devant cette caricature de la
dérégulation, je voudrais savoir, de façon très précise, si l'on constate plus d'accidents dans les low cost qu'ailleurs.
M. Francis TRUCHETET : Mon propos n'était pas de parler des
low cost mais de parler des dégâts que peuvent occasionner les low cost ou autres dans les compagnies aériennes établies.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous avez parlé de dégâts sur la
sécurité, je voudrais savoir de façon précise s'il y a eu plus d'accidents dans les compagnies aériennes, et en particulier dans les low cost,
qu'auparavant. Le fait de mettre sur le dos de la dérégulation l'augmentation de l'insécurité mérite d'être justifié.
M. Francis TRUCHETET : Value Jet est un accident qui est très
clairement lié à cela. Il suffit pour s'en convaincre d'étudier les statistiques de ce qui s'est passé après la première dérégulation issue du président Carter
aux Etats-Unis pour constater que les taux d'incidents ont alors progressé de façon très importante. Fort heureusement, tous ne se traduisent pas
systématiquement par un accident, même si certains sont emblématiques, parce que le niveau de sécurité est très élevé. Mais en termes d'incidents et de
fonctionnement des compagnies, cela a eu un impact absolument indéniable.
Je peux préparer quelque chose sur le sujet, si vous le souhaitez,
pour argumenter plus précisément mes propos mais il est évident que la pression économique est insupportable. Et, et quand on voit des compagnies qui ont
malheureusement disparu, comme Air Liberté, on constate que la fin de l'exploitation ne se passe pas bien, ou risque de ne pas bien se passer, parce que la
pression économique et l'inquiétude sont telles chez les personnels qu'il est impossible d'assurer une exploitation sereine dans de telles conditions.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Si je peux me permettre, ne
mélangeons pas les problèmes. Nous sommes une mission d'information sur la sécurité. Dire ce que vous dites est très grave car, pour les conclusions que nous
pouvons tirer de notre mission, il n'est pas anodin de savoir si l'insécurité a augmenté en raison d'une politique de dérégulation ou pas. Vos propos
mériteraient d'être justifiés de façon plus scientifique que par des considérations qui sont empreintes d'éléments plus politiques ou psychologiques.
M le Rapporteur : M. Truchetet nous a promis un document. Nous
l'aurons ?
M. Francis TRUCHETET : Je m'y efforcerai.
M. le Rapporteur : Je vous en remercie.
Mme Geneviève MOLINIER : Je voudrais apporter une précision sur
ce qui vient d'être dit sur le fait que l'on contrôle davantage les grandes compagnies que les autres.
En France, la réglementation est exactement la même pour les
compagnies régulières et les compagnies charter. Il n'existe absolument aucune différence au niveau de la réglementation. La manière dont ces compagnies sont
contrôlées est similaire. Les mêmes procédures sont appliquées. Nous auditons régulièrement, sur une base de deux ans, tous les domaines des compagnies de la
même manière. Bien évidemment, l'organisation de chaque exploitant est approuvée par la DGAC. Nous connaissons les personnes responsables et nous allons
régulièrement faire des audits et des contrôles chez eux.
Il faut savoir aussi que quand nous sentons des compagnies un peu
plus fragilisées sur le plan économique, nos services techniques y prêtent une attention toute particulière, parce que nous savons que cela peut avoir un
impact sur certains aspects de la sécurité. Nous avons des exemples qui prouvent que certaines compagnies sont mises sous surveillance renforcée au niveau de
l'entretien. Je crois d'ailleurs que vous aurez une réunion sur la partie entretien qui vous exposera cela. Mais, même au niveau de l'exploitation, nous
exerçons des contrôles le plus souvent possible quand nous sentons qu'un problème potentiel de sécurité peut être engendré par le contexte.
Il n'y a pas de différence dans la manière de surveiller et de
réglementer les compagnies charter par rapport aux compagnies régulières.
M. le Rapporteur : Ces dernières années en tant qu'autorité
française, avez-vous eu l'occasion de contrôler des compagnies low cost et, comme l'a évoqué M. Truchetet, de constater que leur organisation, leur mode
de fonctionnement, leur politique commerciale pouvait avoir un impact en termes de sécurité sur l'opérateur national ?
M. Jean TEILLET : C'est toujours le même problème, c'est-à-dire
que la DGAC n'est habilitée à contrôler véritablement, autrement que par des contrôles ponctuels, que les exploitants français. Les low cost qui opèrent
en France aujourd'hui et qui ne sont pas des compagnies françaises sont donc auditées par l'Etat de l'exploitant.
A ma connaissance, nous n'avons pas aujourd'hui d'éléments nous
permettant d'affirmer que ces compagnies présentent un niveau de sécurité inférieur à celui que l'on attend d'une compagnie traditionnelle ni qu'elles ont fait
baisser le niveau de sécurité des autres compagnies. Il est vrai qu'elles ont perturbé le paysage aérien français et que cela a pu avoir des conséquences sur
des éléments d'exploitation mais, comme vient de vous le dire Mme Molinier, notre rôle d'autorité est de vérifier que les compagnies dont le paysage a été
perturbé par ces concurrences maintiennent un niveau de sécurité acceptable.
Mme la Présidente : Je voudrais préciser les choses. Je suis
ainsi faite que je ne suis pas forcément diplomate.
Pour ce qui est des low cost, M. Descamps, nous pouvons
simplement faire le constat que ce sont des compagnies qui entrent tout de suite dans le jeu commercial et se développent à très grande vitesse. Nous regardons
comment elles vivent, comment elles se développent. Elles n'ont pas une existence aussi ancienne que les autres. Notre fonction en tant que mission
parlementaire sur la sécurité dans le transport aérien de voyageurs est de nous interroger non seulement sur l'existant mais aussi sur l'avenir et notamment
sur l'évolution des matériels et sur ce qui relève de l'humain.
A un moment ou un autre, une low cost s'écrasera. Se posera
alors la question de savoir si le pilote a dormi, dans quelles conditions de confort il a pu le faire, s'il a été bien nourri, s'il était malade et s'il était
bien payé. Je ne vois donc pas ce qu'il y aurait d'iconoclaste à se poser la question de la dérégulation. M. Descamps, d'autres se la sont posée avant nous.
Cela ne me paraît pas donner une coloration politique à notre mission car nous sommes là pour poser les vraies questions. Nous devons nous interroger sur des
problèmes qui paraissaient, peut-être, un peu domestiques mais qui sont pourtant très importants et qui, en tout cas, prennent de l'importance lorsque les
catastrophes arrivent ! Aujourd'hui, on voit apparaître de très gros avions qui vont transporter plus de six cents personnes. On se posera peut-être alors de
vraies questions sur la confiance que l'on peut accorder aux personnes qui les pilotent, ce seront des questions matérielles, mais aussi, et surtout, humaines.
M. François SCELLIER : J'ai bien noté que se posaient des
problèmes à la fois techniques et humains.
Concernant les problèmes techniques, Mme Molinier, quand vous vous
êtes exprimée sur les contrôles, j'ai noté que vous aviez parlé de « contrôles similaires » à ceux des grandes compagnies. Entre similaires et identiques, la
notion de vocabulaire est importante. Les mots ne signifient pas tout à fait la même chose. Pourriez-vous préciser vos propos ?
Mme Geneviève MOLINIER : Nous travaillons de la même manière.
Les contrôles sont les mêmes et nous appliquons les mêmes procédures. Je précise que je ne parle que pour ce qui concerne les compagnies aériennes françaises car
nous ne sommes responsables que de celles-ci.
M. François SCELLIER : Concernant l'aspect humain, je comprends
toute la difficulté que représentent les portes blindées, notamment pour les repos contrôlés, et l'on conçoit aisément que l'état physique d'un pilote peut avoir
des conséquences sur la sécurité du vol. Mais il y a la fatigue subie par le pilote dans son poste de pilotage, et il y a la fatigue antérieure à la prise de
contrôle de l'avion. Pour prendre un exemple concret, un pilote qui arrive après avoir passé la nuit dans une boîte de nuit n'est certainement pas dans le même
état physique que celui qui a passé la nuit dans son lit à se reposer. La fatigue du pilote ou du commandant de bord avant la prise de possession de l'appareil
est-elle appréciée ?
M. Bertrand de COURVILLE : Je voulais évoquer effectivement les
limites de l'exercice de la réglementation des temps de vol car tout ce qui précède le vol conditionne, bien entendu, la performance de l'équipage pendant
l'exercice de son activité. On peut citer, à titre anecdotique, ce qui a longtemps existé dans les compagnies des pays de l'Est, où les équipages devaient passer
devant le service médical avant de voler. Cela n'existe plus aujourd'hui.
Il faut, à mon sens, que les compagnies fassent de la prévention, en
incitant au repos, à une vie saine. Nous avons un discours, une communication à développer sur ce point. Bien expliquer à nos équipages que la sécurité du vol
et leur performance pendant le vol dépendent de ce qu'ils font avant. Sur ce point, il ne s'agit pas de réglementation. C'est un problème d'éthique, de
motivation. Cela fait partie de la culture d'une compagnie.
M. le Rapporteur : Qu'en est-il de la consommation d'alcool,
par exemple ? Ou d'autres produits plus ou moins licites ?
M. Bertrand de COURVILLE : Les termes de la réglementation sont
précis. La consommation d'alcool sous quelque forme que ce soit est interdite dans les huit heures précédant le temps de service de vol. Il s'agit d'un règlement
européen et qui existe aussi partout dans le monde.
M. Michel HERBILLON : La compagnie contrôle-t-elle cela ?
M. Bertrand de COURVILLE : A ma connaissance, très peu de
compagnies le font. Cela apparaît dans l'étude des accidents ou des incidents car, en cas d'incident, un contrôle est fait. A travers tous les rapports que nous
avons pu lire, il ne semble pas que l'on ait perçu des tendances ou un problème manifeste.
Mme la Présidente : Cela pourrait faire l'objet d'une règle.
M. Georges REBENDER : Mme la présidente, je souhaiterais
éclaircir le débat si je le peux sur trois thématiques : les low cost, l'alcool et la fatigue.
Pour ce qui est de l'alcool, le règlement JAR OPS est extrêmement
clair. Il prévoit une non-absorption d'alcool huit heures avant le vol.
M. le Rapporteur : C'est un règlement international ?
M. Georges REBENDER : C'est le règlement JAR OPS qui s'applique
aux 37 Etats membres des JAA. Il existe donc une surveillance globale au niveau européen. J'ai malheureusement reçu un rapport faisant état de trois compagnies
européennes, dont je ne peux donner le nom, qui ont été « épinglées » récemment lors de contrôles impromptus. Sachez qu'il existe ainsi, au niveau européen, un
processus de surveillance impromptu. Ce n'est peut-être pas le cas en France mais cela existe dans d'autres pays.
M. le Rapporteur : Qu'entendez-vous par « épinglées » ? Vous
avez constaté des infractions, mais quelles ont été les sanctions pour les hommes et pour les compagnies ?
M. Georges REBENDER : Les compagnies sont « épinglées » quand
les inspecteurs appartenant aux pays qui ont effectué les contrôles ont constaté une infraction au règlement européen JAR OPS transcrit dans leurs règlements
nationaux. Les sanctions juridiques relèvent du dispositif réglementaire de ces pays. Nous produisons des lois ou des règlements qui assurent le respect des
règles de sécurité mais, en cas d'infraction, c'est à chaque Etat membre de définir la sanction. C'est ainsi que fonctionne le système européen à l'heure
actuelle. Il n'existe pas d'harmonisation du régime d'infraction.
Mme la Présidente : Notre gouvernement martèle depuis deux ans,
et à raison, que la prévention de l'alcoolisme est essentielle pour éviter l'hécatombe sur les routes. Il n'est certes pas question d'hécatombe dans l'aérien,
mais nous avons quelques informations sur le sujet et, comme le disait M. le Rapporteur, cela semble être un sujet tabou. On recommande à chacun d'avoir un
alcootest dans sa voiture pour vérifier que l'on peut reprendre sa voiture en rentrant de chez des amis. Ne serait-il pas possible de faire un contrôle avant que
le pilote reprenne son poste ? Cela pourrait faire partie de la règlementation.
M. Georges REBENDER : Ce serait effectivement une possibilité.
Actuellement, nous nous appuyons sur l'éthique professionnelle des personnes engagées dans le transport aérien, ainsi que sur des contrôles réalisés de façon
inopinée et aléatoire, dans certains des Etats membres.
M. le Rapporteur : Ma question suivante s'adressera donc à la
DGAC. Vous arrive-t-il de faire, avant le départ, des contrôles d'alcootest sur les équipages ?
Mme Geneviève MOLINIER : La réponse est non. Il n'y a pas de
contrôles d'alcootest sur les équipages.
M. Jean TEILLET : Cette question se pose depuis de nombreuses
années. Il n'y a pas de contrôle d'alcoolémie parce que, tout simplement, aujourd'hui, dans la réglementation française sur le transport aérien, le taux
d'alcoolémie n'est pas défini. Il est donc très difficile de le contrôler. Cela a fait l'objet de discussions sans fin avec les différents partenaires et nous ne
sommes jamais parvenus à un accord sur le niveau du taux d'alcoolémie minimal que nous voulions imposer ni sur les moyens de contrôles.
M. le Rapporteur : Je suis stupéfait de cette réponse ! Parce
que si vous nous dites que vous n'avez pas réussi à vous mettre d'accord sur un taux d'alcoolémie, c'est que vous acceptez l'idée qu'un pilote puisse monter à
bord avec un taux d'alcoolémie. A quel niveau, on ne le sait pas, mais vous acceptez...
Mme Geneviève MOLINIER : La réglementation française précise
que le pilote ne doit pas consommer d'alcool moins de huit heures avant son heure de présentation, mais on n'a pas pu mesurer exactement le taux correspondant.
M. le Rapporteur : Faisons le tour. Air France, vous est-il
arrivé de suspendre des pilotes pour alcoolémie ?
M. Bertrand de COURVILLE : A ma connaissance, non. Mais je
souhaiterais faire une remarque sur le gain de sécurité à espérer du renforcement d'une telle mesure. Autant pour la sécurité routière, je comprends
qu'effectivement, tout renforcement des règles entraîne, mécaniquement, une réduction du nombre de morts par an - cela se démontre aisément et c'est un élément
très important dans la démarche et dans la politique actuellement menée - autant un renforcement des mesures dans le domaine aérien, quel que soit le pays
d'ailleurs, n'entraînera pas mécaniquement une réduction du nombre d'accidents. L'alcool n'apparaît pas comme un facteur contributif d'accident dans les études
actuelles sur la sécurité du transport aérien, contrairement à la route.
Je voulais juste évoquer cet aspect. Maintenant, il est évident,
qu'en terme de prévention, il est important de s'assurer qu'aucun équipage ne vole avec un niveau d'alcoolémie inacceptable aux termes de la réglementation.
Mme la Présidente : Il s'agit d'un sujet véritablement tabou !
Je pense l'avoir dit au début de la mission, mais je me répète : un avion s'est écrasé pas très loin de Clermont-Ferrand, dans la forêt, au lieu-dit Noirétable
et il a fallu plus de quatorze ans pour savoir ce qui s'était passé. En fait, tout l'équipage avait fêté l'anniversaire du pilote, à Lyon, juste avant le départ.
Il me semble qu'un tel tabou sur l'existence même du problème - et je peux comprendre que certaines situations conduisent à ce genre d'écarts - n'est pas
acceptable que ce soit pour expliquer un accident ou en fonctionnement normal. Cette question fait partie de la chaîne de sécurité sur laquelle nous travaillons
et je suis surprise que rien ne soit prévu.
M. Michel HERBILLON : Seulement pour ajouter un mot, Mme la
Présidente, à ce que vous-même et notre collègue, M. le Rapporteur disiez. De mon point de vue, au-delà de l'alcool, il faudrait étendre les contrôles à un
certain nombre de produits illicites.
On nous a dit - ce qui ne manque pas de surprendre les personnes de
notre génération mais qui est une réalité - que de plus en plus de jeunes au collège et au lycée fument du cannabis. Sans se lancer dans une grande
investigation médicale, on peut émettre l'hypothèse qu'un certain nombre de jeunes pilotes qui, plus tard, seront recrutés pourraient avoir pris l'habitude de
l'usage du cannabis au collège, au lycée ou au cours de leurs études supérieures. Il me semble donc que le contrôle devrait s'étendre aussi à ces produits
stupéfiants ou illicites.
M. Bertrand de COURVILLE : On peut certes en évoquer le
principe. Mais, dès l'instant qu'un pilote exerce son métier et a une licence pour piloter des avions, il est soumis à des contrôles médicaux. A partir de
quarante ans, ces contrôles médicaux sont pratiqués tous les six mois. Il me semble donc que la prise de drogue est détectée car il existe un réel contrôle.
M. Michel HERBILLON : Mais c'est l'usage courant qui est
vérifié, dans ces contrôles, pas l'usage exceptionnel.
M. le Rapporteur : Je constate qu'il s'agit d'un réel tabou
social. Cela nous surprend. Je ne pense pas qu'il y ait vraiment de problème, sinon nous ne monterions pas autant dans les avions. Mais nous avons aussi quelques
confidences, notamment de compagnies étrangères qui nous ont communiqué des chiffres sur les pourcentages de leur personnel volant dont elles estiment qu'ils
sont « susceptibles » - soyons très prudents - d'avoir des problèmes de ce genre, occasionnellement. On nous a aussi expliqué que les pilotes sont des hommes
comme tous les autres, qu'il leur arrive de divorcer, d'avoir des problèmes de famille, des dépressions et autres... Et nous savons tous qu'il arrive que, dans
ces moments-là, on essaie de trouver des aides, qui n'en sont pas, en réalité.
Alors, quand je vous entends dire qu'on n'a jamais réalisé de
contrôle, que l'on n'a jamais pris de sanction, parce qu'il existe quelque part dans le règlement une règle qui préconise de ne pas prendre un verre dans les
huit heures précédant le vol, quand on entend la DGAC nous dire que l'on n'a pas su définir de seuil minimal, alors que l'on évoque éventuellement le taux zéro
pour la conduite automobile, et que nous sentons bien, depuis le début de cette mission, que c'est un sujet tabou, je voudrais savoir si la direction
d'Air France a engagé une réflexion et, éventuellement, proposé de discuter avec les syndicats des pilotes ou des personnels navigants sur ces questions.
Les représentants des pilotes ici présents peuvent-ils, en leur âme
et conscience, nous garantir, la main sur la Bible, sur la Constitution ou sur le Règlement d'Air France, comme ils préfèrent, qu'ils n'ont jamais vu un membre
du personnel navigant, dans aucun des vols qu'ils ont pu conduire, non pas ivre mais, disons, ayant visiblement transgressé la règle ?
M. Bertrand de COURVILLE : La référence que vous faites aux
comportements humains existe dans toutes les organisations. Le problème se pose dans toutes les activités à risque, que ce soit dans le nucléaire, le chimique ou
dans le transport aérien et doit être abordé avec le moins de tabou possible. En la matière, la réflexion de la médecine du travail est identique. Les médecins
se parlent et travaillent, mettent en place des solutions, font de la prévention et publient des articles. A mon sens, il n'y a pas de différence entre le
transport aérien et ces autres domaines d'activités à risque. Il faudrait donc se tourner vers la médecine du travail. Vous savez que, pour des raisons de
confidentialité, il existe un cloisonnement et, peut-être, le fait que vous perceviez le sujet comme tabou tient-il à cette confidentialité. Ce sujet en fait
partie, ainsi que d'autres telles que les erreurs commises dans le cockpit, qui sont traités par des moyens plus traditionnels, comme la prévention.
Mais vous avez certainement raison. Si, sur le plan européen, par
exemple, une règle était précisée en la matière, les compagnies, Air France y compris, n'y seraient sans doute pas opposées, de même que le syndicat SNPL. Nous
trouverions la meilleure manière de la mettre en _uvre et je pense, comme vous, qu'il ne faut pas avoir de tabou dans ce domaine. Nous vous rejoignons sur ce
point.
M. le Rapporteur : Et que disent les pilotes ?
M. Francis TRUCHETET : Cela m'est arrivé une fois, dans les
années 80, de travailler avec un commandant qui n'était pas en état. J'étais copilote sur un vol cargo, transportant du courrier. Depuis, cela ne s'est pas
reproduit.
M. le Rapporteur : Qu'avez-vous fait ?
M. Francis TRUCHETET : Je n'étais pas bien.
M. le Rapporteur : L'avez-vous dénoncé ?...
M. Francis TRUCHETET : Non. Cette personne est partie en
retraite peu après... Je vous réponds honnêtement, comme vous me l'avez demandé, avec toutes mes imperfections dans le domaine. J'étais très mal et je ne savais
pas quoi faire. S'il y avait eu des passagers, je ne sais pas si j'aurais envisagé de faire le vol avec cette personne. L'avion ne serait sûrement pas parti.
Maintenant, en ce qui concerne l'aspect plus précis des contrôles ou
la question de savoir si le tabac, les substances interdites ou même les médicaments, sont un tabou, j'espère qu'ils ne le sont plus. Ils l'ont été mais je
pense qu'ils le sont de moins en moins, parce que la médecine du travail en parle de plus en plus. Quand je suis entré dans la compagnie dans les années 80, on
ne parlait pas ou très peu de ces aspects. C'était tacite, implicite. Il n'en était pas question. Maintenant, on en parle et le seul fait que cette
transparence existe, que l'on ose en parler, montre une certaine maturité des transports aériens et des compagnies aériennes dans ce domaine.
S'agissant des contrôles, je dirais qu'à la différence de la route,
vous avez affaire à des professionnels, des personnes surveillées, entraînées, qui ont une haute conscience de leur devoir et de l'importance de leur mission.
Vous pouvez donc mettre en place des contrôles. Peut-être certains se feront-ils prendre. Mais une règle impose déjà que l'on ne consomme pas d'alcool dans les
huit heures avant le vol et une autre que l'on ne doit pas piloter quand on est sous l'emprise d'une substance quelconque, quand on n'est pas en pleine
possession de ses moyens. Pour ma part, je fais confiance à mes camarades pilotes ou personnels navigants commerciaux pour s'imposer une éthique qui leur
permettra d'assurer cela.
Des contrôles, pourquoi pas ? Mais alors, il faut contrôler tout le
monde, en permanence, et dans tous les domaines.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je vous écoute, mais, encore une
fois, on parle des compagnies françaises ou des compagnies européennes qui acceptent la réglementation des JAA, et on ne parle pas de toutes les autres
compagnies. Pourquoi ne fait-on pas un contrôle inopiné non pas au niveau des compagnies mais au niveau des aéroports, comme les gendarmes peuvent faire des
contrôles inopinés sur la route. J'ai, pour ma part, une éthique personnelle forte mais il m'est arrivé de me faire prendre comme tout le monde en sortant d'un
bistrot et de perdre des points. Pourquoi n'imaginons-nous pas un système de contrôle simple dans tous les aéroports du monde ? On souffle dans un ballon ou l'on
vérifie que l'on n'est pas sous l'effet de drogues - il doit bien exister des systèmes simples dans ce domaine aussi - avant de monter dans l'avion et d'être
autorisé à partir ? Est-ce une chose inimaginable ?
M. Jean TEILLET : Le problème aujourd'hui est que les
règlements sont très vagues. On va dire que le personnel navigant ne doit pas être sous l'influence de l'alcool, par exemple. Qu'est-ce que cela signifie ?
0,2 g, 0,3 g ou 0,4 g ?
M. le Rapporteur : Votre ministère, monsieur, parce que vous
êtes rattaché au ministère des transports a réglé le problème pour les automobilistes. Il a mis moins de temps et a institué des règles claires.
M. Jean TEILLET : La question est de fixer un taux. Vous
demandiez tout à l'heure s'il y avait un blocage social. Oui, il y en a un. C'est ainsi que nous le ressentons. Chaque fois que nous avons voulu aborder le
sujet, il y a eu blocage. C'est ainsi qu'aujourd'hui, on n'a toujours pas pu fixer de taux.
M. le Rapporteur : Quelles sont, de votre point de vue, les
raisons du blocage ?
M. Jean TEILLET : Elles sont parfois difficiles à comprendre.
Je pense - et je vous livre vraiment mon sentiment personnel - qu'il y a des raisons historiques liées à des accidents, où le taux d'alcoolémie des pilotes avait
été mis en cause, et qui avaient donné lieu à des débats d'experts pour savoir si, effectivement, les personnels en cause étaient en dessous ou en dessus d'un
certain taux. C'est un premier point.
Il y a aussi le sentiment de la profession d'être mis à l'index et
en accusation. Cela a été peut-être plus facile pour la route parce que la réglementation concernait tout le monde. Mon sentiment est que la profession s'est
sentie mise en accusation, présentée comme une profession particulièrement dangereuse qu'il fallait réglementer, alors que d'autres professions tout aussi
dangereuses ne le sont pas.
Ce que je viens de dire n'engage que moi. Cependant, je constate
qu'effectivement, à chaque fois que le sujet a été abordé, il a donné lieu à des discussions très difficiles, qui n'ont pas abouti.
M. Marcel DEHOUX : Nous insistons lourdement sur ce thème,
certainement à raison car il est important, mais je pense aussi qu'il n'y a pas non plus de raison de soupçonner la grande majorité des pilotes d'être des
alcooliques notoires. Par ailleurs, si cette règle des huit heures d'abstinence avant de prendre les commandes est respectée, elle est suffisante, à moins d'être
ivre mort huit heures avant le départ. Ce laps de temps permet d'éliminer toute trace d'alcoolémie après une consommation normale d'alcool. Qu'il y ait quelques
exceptions, je veux bien le croire, mais très franchement, je pense que, dans l'éthique de cette profession, il ne serait pas choquant d'envisager un taux
d'alcoolémie de zéro. Par ailleurs, le pilote peut être parfaitement en forme au moment de s'envoler, mais sur un vol un peu long, on sait aussi qu'il y a des
occasions, à l'intérieur de l'avion, de consommer de l'alcool. Lors des repas, je pense que toute consommation d'alcool devrait être strictement interdite pour
le personnel navigant.
Mme Geneviève MOLINIER, MM. Bertrand de COURVILLE et Laurent
BARTHÉLÉMY : Elle l'est.
M. Marcel DEHOUX : Très bien.
Mme Geneviève MOLINIER : Là dessus, le règlement est clair.
M. le Rapporteur : Tout à l'heure, nous évoquions avec les
représentants de la compagnie Air France, la question des codes partagés et des contrôles, etc. J'ai bien entendu votre réponse. Mais est-il arrivé que la
compagnie refuse un contrat - je pense que les codes partagés font l'objet de contrats - avec une compagnie de l'autre bout du monde parce que les contrôles en
question avaient mis en cause tel ou tel point, notamment en termes de sécurité.
M. Laurent BARTHÉLÉMY : Oui. Nous avons soit différé, soit
annulé. Il nous est même arrivé d'interrompre des opérations en cours parce qu'à la suite d'un audit, ce que nous avions trouvé ne nous satisfaisait pas.
M. le Rapporteur : Je ne parlais pas uniquement d'audit, mais
de l'ensemble des sujets que nous avons évoqués aujourd'hui. Peut-être est-il un peu tôt pour le dire, mais la compagnie Air France envisage-t-elle d'aligner ses
règles, dont nous avons compris qu'elles sont plutôt élevées par rapport à d'autres, dans le cadre de l'alliance avec KLM ? Sans entrer dans les détails, je
pense que les règles sociales, de fonctionnement notamment des pilotes, des personnels navigants y sont sans doute un peu différentes de ce qui a été évoqué par
les uns et les autres ici. Cette alliance signifie-t-elle des règles tirées vers le haut, négociées ou chacun conserve-t-il les siennes pour l'instant ?
M. Laurent BARTHÉLÉMY : Pour ce qui est du rapprochement en
cours avec KLM, nous avons déjà une certaine proximité, puisque étant tous les deux dans le cadre du JAR OPS, nous obéissons à une réglementation européenne
commune. Le principe est d'avoir deux compagnies avec des CTA différents ; à ce titre, on peut donc être amené à gérer certaines différences. Il est clair que
depuis que nous savons que nous allons nous rapprocher, des contacts sont en cours pour discuter de nos organisations et nos pratiques. Cela va s'amplifier, bien
entendu, dans les semaines et les mois à venir, de la même façon que nous l'avons fait dans le passé et que nous continuons à le faire avec nos partenaires de
SkyTeam, que ce soit Delta Airlines, Alitalia ou autres. Nous le ferons de façon encore plus étroite avec KLM, puisque nous sommes appelés à travailler de façon
très proche.
Vous parlez d'alignement. Certaines réglementations ou accords
sociaux peuvent marquer des différences. Nous vivrons, au moins dans un premier temps, avec ces différences. Peut-être qu'à terme, se gommeront-elles
progressivement ? Mais sur tout ce qui touche au partage d'incidents, à la transparence sur nos modes de fonctionnement, la fusion sera l'occasion de nous
rapprocher encore plus, de comparer nos bonnes pratiques et d'essayer de les mettre en place de part et d'autre.
M. le Rapporteur : Le syndicat des pilotes de ligne a-t-il déjà
eu des échanges avec nos amis néerlandais ?
M. Francis TRUCHETET : Bien évidemment, je ne suis
malheureusement pas familier de ce dossier, mais dès que l'annonce a été faite, nous avons eu des prises de contact. Récemment, un accord a été signé entre les
syndicats français et néerlandais pour le rapprochement des deux compagnies.
Bien que n'étant pas familier du dossier, je ne pense pas qu'il y
ait de différences énormes, sachant que ce sont deux compagnies de même type opérant dans les mêmes conditions réglementaires et dans le même environnement
social.
Mme la Présidente : Nous nous acheminons vers la fin de cette
table ronde. J'aurais cependant souhaité poser une dernière question. On a beaucoup parlé de réglementation et le Gouvernement a mis en place un groupe d'étude
« label et transparence ». Comment son travail peut-il enrichir la réflexion de tous ceux qui mettent la réglementation sur pied ? Comment arriver à un élément
techniquement utilisable qui puisse rassurer la population puisque, si ce label et sa mise en place ont été proposés, c'est pour rassurer les utilisateurs du
transport aérien ?
M. le Rapporteur : L'un d'entre vous fait-il partie du groupe
de travail ?
Mme Geneviève MOLINIER : Je n'y participe pas personnellement,
mais une personne de notre division le fait. Je dispose donc d'un certain nombre d'informations. L'idée est effectivement de pouvoir établir un cahier des
charges et un référentiel technique, lesquels pourraient servir de base pour que soit réalisé, par un organisme vraisemblablement extérieur, un audit intégrant
des aspects sécurité et des aspects qualité de service, permettant alors de labelliser ou non des compagnies extra-communautaires.
Quand il a décidé de mettre en place ce groupe de travail, le
ministre, M. de Robien, est allé rencontrer Mme de Palacio à la Commission européenne pour lui exposer le projet. Depuis, la Commission est invitée à ce groupe
de travail. Je sais que jusqu'à présent, celle-ci n'a pas participé aux réunions, mais les résultats du groupe de travail qui doit aboutir à la fin du mois, du
moins en ce qui concerne les premières propositions, seront présentés à la Commission, afin qu'une réflexion soit engagée, éventuellement sur le plan
communautaire.
L'actuelle présidence hollandaise nous a demandé des précisions sur
la création de ce label dont, elle-même avait également eu l'idée. Cela risque donc d'être repris au niveau de la communauté. C'est un élément qui permettra,
peut-être, d'européaniser cette idée de label. Mais il est trop tôt pour dire comment cela va véritablement fonctionner.
M. Laurent BARTHÉLÉMY : Je peux ajouter, puisque je fais partie
de ce groupe, que nous avons pu faire partager notre expérience sur les démarches, relativement similaires, mises en place dans le cadre de l'IATA autour du
label IOSA. Il m'a été donné à cette occasion de présenter le chemin à parcourir pour réaliser un label.
Tout d'abord, il faut définir un référentiel et que celui-ci soit
reconnu, fiable et utilisable. Il faut ensuite définir une procédure d'audit, ce qui n'est pas simple. Il faut également désigner des organisations accréditées
pour faire les audits. Il faut être sûr que les différents audits se révèlent fiables et réguliers. Il faut désigner, et ce n'est pas le plus simple, l'entité
qui délivrera le tampon de labellisation à une compagnie, entité qui devra aussi être capable de retirer le label, en sachant que cela peut entraîner la
disparition de la compagnie. Ce sont des opérations délicates qui ont des implications réglementaires, juridiques et commerciales d'une grande complexité.
On sent bien qu'une opération de ce type - je parle à titre
personnel - ne peut être durable et répondre à l'objectif fixé que si elle est relayée au niveau européen. On ne voit pas très bien comment le simple cadre
français pourrait faire vivre durablement un tel label, même si la France peut être à l'origine ou assurer la promotion de ce produit. Il faudrait qu'assez
vite, il puisse prendre, une dimension au moins européenne. Par ailleurs, quand on fait passer un audit, on obtient une photographie instantanée de la
compagnie ; trois ou six mois après, surtout pour les petites compagnies dont les organisations sont variables, qui ont peu d'avions, des pilotes d'origines
diverses, la situation peut varier. C'est en cela que ce label diffère aussi des audits que nous pratiquons de manière assez régulière dans nos opérations de
partage de code où nous nous adressons à des compagnies durablement installées, déjà existantes, qui peuvent elles aussi être soumises à des perturbations,
mais sûrement moins violentes et moins rapides que celles que peuvent subir de petites compagnies comme celles visées par ce label.
Ce n'est pas que simple et c'est ce que nous nous sommes permis
d'expliquer. Mais si nous pouvons apporter notre concours au groupe de travail, nous le ferons volontiers.
Mme la Présidente : Mesdames et messieurs, je vous remercie de
votre participation. Nous sommes arrivés au terme de cette table ronde mais nous ne sommes au bout de notre travail sur le sujet. Si des éléments n'ont pas été
abordés ce matin dont vous souhaitiez nous faire part, je vous propose de le faire par écrit.
Table ronde regroupant des représentants des compagnies aériennes et des pilotes composée de
M. Lionel GUÉRIN et M. Michel DUCAMP, Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM),
M. Pierre CAUSSADE, Air France,
M. Philippe PILLOUD et Mme Marie BOYER, easyJet,
M. Jérôme BANSARD, Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL),
M. Serge MARTINEZ, Star Airline,
M. Claude GUIBERT, expert judiciaire,
M. Bruno DEHAIS, Air France,
M. Yves ROGER, Syndicat national du personnel navigant de l'aviation civile (SNPNAC)
(Extrait du procès-verbal du 13 avril 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Madame, messieurs, merci de vous être
rendus disponibles pour participer à cette réunion.
Contrairement aux précédentes tables rondes organisées sur un thème
précis : les voyagistes, la construction, l'exploitation des aéronefs..., la réunion d'aujourd'hui ne porte pas sur un aspect spécifique de la chaîne de
sécurité. La mission a souhaité réunir les pilotes et les compagnies, ceux à qui est confié le fonctionnement concret du transport aérien de voyageurs. Nous
espérons que cette rencontre permettra d'approfondir les problèmes identifiés lors des précédentes réunions et nous rassurera sur le fonctionnement du
transport aérien, système de plus en plus utilisé et complexe, qui embarquera bientôt un nombre impressionnant de passagers par appareil.
Je vais demander à chacun de vous de se présenter avant d'entrer
dans le débat.
M. Claude GUIBERT : Personnellement, je ne suis plus acteur
puisque je suis en retraite, mais, en tant qu'expert auprès des tribunaux, je suis un observateur. J'ai quinze ans de carrière militaire, d'abord dans le
transport aérien militaire, puis dans les essais en vol. J'ai été représentant des services officiels pour la certification. Ensuite, j'ai fait trente ans de
carrière civile comme pilote, commandant de bord et instructeur. A ce titre, j'ai aussi été président des conseils d'enquêtes professionnelles qui, à l'intérieur
des compagnies, analysent les incidents ou les accidents. J'ai également été directeur d'exploitation et gérant d'une compagnie charter, Point Air, qui a été
arrêtée par décision administrative pour des problèmes antérieurs.
Depuis 1992, je suis expert aéronautique à titre libéral, pour les
questions d'organisation dans les compagnies aériennes, et j'interviens lors des enquêtes accidents, comme ceux du Concorde, du Mont Sainte-Odile, du Protéus,
au-dessus du paquebot France etc.
Mme la Présidente : Les conseils d'enquêtes professionnelles
mènent-ils des enquêtes internes ?
M. Claude GUIBERT : Oui, ces organismes sont constitués de
professionnels - commandants de bord, pilotes et mécaniciens navigants - qui font l'investigation technique à l'intérieur de la compagnie pour donner un avis et,
éventuellement, proposer des « sanctions. » Par exemple, ils peuvent suggérer à la direction qu'un commandant de bord soit rétrogradé temporairement comme
co-pilote. Cela ne se fait pas dans toutes les compagnies, mais cela existait déjà il y a trente ans.
M. Bruno DEHAIS : Actuellement pilote à Air France, j'ai passé
quatre ans et demi à Air Normandie, compagnie spécialisée dans le transport d'affaires et le transport régional. Ensuite, j'ai intégré la société Régionale
Airline, filiale d'Air France. Dans ces compagnies, j'ai été co-pilote, puis commandant de bord. J'ai aussi connu des conditions d'emploi qui ne sont pas celles
des belles entreprises.
Mme la Présidente : Il sera très intéressant que vous puissiez
nous en parler.
M. Serge MARTINEZ : Je suis pilote civil, commandant de bord et
instructeur. Je travaille actuellement dans une compagnie charter, Star Airline. Je représente aujourd'hui le SNPL.
Je suis sorti de l'ENAC en 1989. J'ai rejoint ensuite Air Liberté,
puis Air France en 1996 dans le cadre des projets de privatisation et d'études relatives au tourisme et à l'extension de la filière charter. J'étais en charge
d'harmonisation dans les conditions d'exploitation ou dans le cadre du développement. A ce titre, j'ai mené certaines missions pour le groupe Air France dans
les sociétés qui sont maintenant partenaires privilégiés comme la compagnie Middle East Airline à Beyrouth. Je suis revenu comme simple pilote, commandant de
bord instructeur, et je n'ai plus de fonction d'encadrement ou de restructuration, mais je continue à regarder cela d'un oeil attentif.
M. Jérôme BANSARD : Je suis commandant de bord à Air France,
vice-président du SNPL et j'assiste M. Martinez à cette réunion.
Mme Marie BOYER : Je m'occupe des affaires publiques d'easyJet.
Je laisserai la parole à M. Pilloud qui s'occupe de sécurité pour easyJet Suisse.
M. Philippe PILLOUD : Je suis commandant de bord chez easyJet
sur Airbus 319 et officier de la sécurité de vol. Auparavant, j'ai travaillé chez Cross Air, une compagnie régionale de Swissair, et à l'Office fédéral de
l'aviation civile pour la Suisse, l'équivalent de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). Aujourd'hui, je représente easyJet et non les compagnies à
bas prix en général.
M. Yves ROGER : Commandant de bord sur Boeing 747 chez Corsair
et secrétaire général de la branche transports d'un grand syndicat national, je m'exprimerai ici en tant que commandant de bord ayant analysé et réfléchi sur la
base de ses expériences personnelles, mais aussi en tant que syndicaliste ayant recueilli les expériences des collègues de ma compagnie ou d'autres compagnies
extérieures régulières ou de charters.
M. Pierre CAUSSADE : Je représente Air France où je travaille
depuis plus de vingt-cinq ans. Ingénieur aéronautique de formation avec un brevet de pilote privé, j'ai commencé ma carrière à la DGAC, puis j'ai travaillé à
Aéroports de Paris (ADP).
Directeur des opérations et du développement technique, j'anime
l'ensemble des services techniques qui organisent les opérations aériennes d'Air France, en particulier le service de prévention et de sécurité des vols, avec
le commandant Bertrand de Courville que vous avez entendu la semaine dernière.
M. Lionel GUERIN : Je suis président de la Fédération nationale
de l'aviation marchande (FNAM) et président de la compagnie régionale Airlinair que j'ai créée, il y a cinq ans. Je suis un ancien commandant de bord et
ingénieur en maintenance aéronautique.
M. Michel DUCAMP : Je suis un ancien cadre d'Air France où j'ai
passé trente-trois ans en commençant à la direction de la maintenance, puis comme responsable de la division des simulateurs de vol, chef d'escale, responsable
des projets de flotte matériels nouveaux. Je suis aujourd'hui à la FNAM au nom de laquelle je voudrais dire quelques mots.
Je souhaite rappeler en préambule l'intérêt et l'engagement constant
de la FNAM en FAVÉur de l'amélioration de la sécurité du transport aérien. Regroupant la grande majorité des exploitants du transport aérien français, mais
aussi des entreprises de travail aérien, d'aviation d'affaire, des ateliers de maintenance, des sociétés d'assistance en escale et des écoles de formation
privée, la FNAM se situe résolument dans le cadre d'un espace européen ouvert à la concurrence. C'est pourquoi elle a soutenu et soutient toujours activement
les initiatives visant à une harmonisation des normes réglementaires et techniques applicables au transport aérien, afin que l'ouverture des marchés ne puisse
pas se faire au détriment de la sécurité des personnes et des biens transportés et survolés.
Elle milite également pour une professionnalisation des normes
d'exploitation des entreprises de travail aérien.
En décembre 1996, alors que débutaient à peine à l'échelon national
les discussions relatives à la transposition, dans la réglementation française, du règlement JAR OPS 1, la FNAM réunissait à Massy, au centre Air France de
Vilgénis, plus de cent dirigeants et cadres de compagnies aériennes françaises pour travailler avec les responsables réglementation des JAA
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et de la DGAC, à la mise en _uvre de ce règlement, et tout particulièrement, du nouveau système qualité de l'exploitation dans notre pays.
Aujourd'hui, l'arrêté OPS 1 du 12 mai 1997 pour les avions et son
équivalent OPS 3 du 23 septembre 1999 pour les hélicoptères, constituent le cadre auquel se réfèrent tous les exploitants. En définissant les conditions
techniques nécessaires à l'obtention d'un certificat de transporteur aérien, ces deux règlements imposent aux opérateurs des principes d'organisation et de
répartition des responsabilités dans leurs entreprises, des règles relatives à la location des aéronefs et, surtout, l'obligation de contrôler en continu
l'adaptation de leurs structures d'exploitation à leurs missions.
Dans le même esprit, la FNAM a activement participé à la
transposition française des règlements FCL 1 et FCL 4 relatifs aux licences de pilote d'avion et de mécanicien navigant, portant à la fois les problématiques
des écoles de formation et celles des exploitants aériens.
Très tôt, elle a déclaré son intérêt pour la création d'une agence
européenne de la sécurité de l'aviation (AESA), souhaitant que son champ géographique de compétence soit le plus étendu possible pour favoriser une large
diffusion des normes communes de sécurité JAR. Elle a néanmoins accueilli favorablement la création de l'AESA, limitée à l'espace communautaire, comptant sur
sa capacité à faire appliquer les règlements européens dans tous les Etats membres de l'Union. Elle se prépare activement à la mise en _uvre du nouveau
règlement 2042/2003 relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs, qui permet d'étendre le champ de l'entretien, en environnement contrôlé, aux petits
aéronefs et renforce la formation des personnels de maintenance dans le domaine des facteurs humains. Ceci en attendant le lancement des consultations
relatives à la mise en _uvre, dans le cadre d'un règlement contraignant de la Commission européenne, des normes OPS (opérations) et FCL (licences) qui sont
encore aujourd'hui appliquées de manière inégale dans les pays membres de l'Europe.
Au-delà des frontières européennes, l'aviation est - comme chacun le
sait - organisée, dans le cadre de l'OACI et de ses conférences régionales, entre les Etats signataires de la convention de Chicago.
La FNAM attend des autorités nationales qu'elles poursuivent leurs
efforts en FAVÉur d'une interprétation commune et d'un respect rigoureux des normes et recommandations de l'OACI. Elle souhaite le renforcement des audits de
sécurité des Etats membres de l'organisation. Elle accueille donc positivement l'adoption conjointe par le Parlement et le Conseil européen, le 31 mars
dernier, de la nouvelle directive concernant la sécurité des aéronefs des pays tiers empruntant les aéroports de l'Union.
Mme la Présidente : Je propose de lancer d'emblée le débat
après ces présentations très rapides.
Vous venez d'exprimer le désir de l'aviation marchande d'entrer de
plain-pied dans les normes, de les faire appliquer, d'être un partenaire complet de la sécurité. Je l'ai bien entendu. Mais je voudrais que l'on réagisse à une
remarque qui m'a frappée tout à l'heure concernant les différences de sécurité entre grands groupes et groupes plus petits, alors que nous pensons que la
sécurité doit être assurée partout de la même manière.
M. Bruno DEHAIS : Dans les années 90, la deuxième partie des
normes européennes JAR a été appliquée aux toutes petites entreprises. On avait la volonté de mettre en pratique le principe du retour du service qualité, ce qui
était totalement inconnu dans ces entreprises, à mon avis.
Le problème est que toutes les entreprises ne perçoivent pas cette
mesure de la même manière. Pour beaucoup, c'est une contrainte et les règles européennes sont un plancher, le minimum qui sera appliqué. Pour d'autres
entreprises, une exploitation sûre, régulière et à l'heure, implique de prendre des marges. Les règles sont respectées, mais...
Mme la Présidente : Où sont prises ces marges ?
M. Bruno DEHAIS : J'ai connu des entreprises pratiquant des
contrats de travail a minima et une pression exercée sur les personnels. Dans les textes, le commandant de bord est le dernier rempart, le seul maître de
la décision de partir ou non. Dans les faits, c'est parfois très délicat.
Sans entrer dans l'anecdote, si l'on transporte des clients
représentant 10 ou 15 % du chiffre d'affaires annuel d'une compagnie d'aviation régionale ou d'affaire, en cas de panne dans une escale où ce type d'avion
n'est pas connu des services de maintenance et où il n'y a pas possibilité d'acheminer le matériel, l'avion peut repartir en panne. C'est le client qui décide.
M. le Rapporteur : Quand c'est un mauvais client, vous partez
et quand c'est un bon client, vous ne partez pas ?
M. Bruno DEHAIS : Non, ce n'est pas ce que je voulais dire.
Beaucoup de clients de l'aviation d'affaires donnent le chèque correspondant au prix du vol, au pied de l'avion. Le commandant de bord est le garant de
l'entreprise. Dans ce cas, le vol part malgré la panne - je ne parle pas d'une panne entamant la sécurité, je parle de réglementation. Les compagnies régulières
ou les compagnies qui sont sur des aérodromes de premier plan permettant de dépanner l'avion n'agiraient pas ainsi.
M. Claude GUIBERT : Le problème général n'est pas tellement un
problème de normes, de règles, etc. Il en faut, et un travail considérable a été fait à l'intérieur des JAA.
Pour l'anecdote, il faut se rappeler que ces normes ont d'abord été
étudiées et mises au point par les constructeurs. Puis l'administration est intervenue. Mais on a découvert, au moment d'appliquer la réglementation, que
personne n'avait de mandat pour le faire. Cela peut paraître curieux, mais les JAA sont venues du terrain, en réponse à un besoin, et cela a demandé vingt à
vingt-cinq ans.
Le problème n'est pas tant d'élaborer des normes et, éventuellement,
de mettre en place un service qualité, mais de comprendre que la sécurité est essentiellement d'ordre éthique. L'application de ces normes donne lieu à toutes
sortes d'attitudes : certains les appliquent bien, d'autres les appliquent avec un peu de marge, d'autres trichent vraiment et, avec les difficultés
économiques actuelles, d'autres appliquent les normes a minima. On ne progressera pas en matière de sécurité aérienne sans pratiquer une sécurité
aérienne « proactive », c'est-à-dire si l'on ne cesse pas de se limiter à faire le minimum réglementaire.
M. Yves ROGER : Je voudrais plonger un peu plus au c_ur du
problème.
Vous disiez, Mme la Présidente, que nous allons transporter un
nombre impressionnant de passagers. C'est déjà le cas avec le Boeing 747 qui transporte six cents personnes à 900 km à l'heure. Quand on traverse les océans,
il arrive forcément des aventures humaines, techniques, météorologiques, etc.
Je suis en partie d'accord avec mon collègue quant à l'origine des
problèmes. La sécurité aérienne dépend de nombreux facteurs techniques, dont les équipements. On a des équipements contre les collisions, le GPWS, des
équipements contre les abordages, le TICAS, mais contre la perte d'un avion, on n'a rien : on ne peut plus compter que sur l'équipage, d'où son importance.
Certes, il y a des procédures, des normes, mais tout cela est plus
éloigné, même si, parmi les normes édictées au niveau européen, l'assurance qualité - dont plusieurs intervenants ont parlé - est un élément intéressant. Le
problème est que, très souvent, le PDG est aussi le dirigeant responsable de l'assurance qualité.
Structurellement, la sécurité aérienne repose sur deux équilibres si
délicats qu'ils peuvent facilement et rapidement entrer en contradiction : il y a la sécurité et le profit et il y a le commandant de bord et le PDG.
La sécurité et le profit : il est évident que si l'on cherche à
faire trop de profits, on négligera la sécurité et que si l'on met tout dans la sécurité, il n'y aura pas assez de profits pour pérenniser la vie de
l'entreprise. Il y a donc bien un équilibre à trouver, dans lequel il faut savoir privilégier la sécurité.
Le commandant de bord et le PDG : je respecte les PDG, mais quand le
commandant de bord est dans l'avion, c'est lui qui assure la sécurité des passagers - ce n'est plus le PDG - et cela jusqu'à ce qu'il quitte l'avion, à la fin
de sa mission.
Il est possible d'agir assez facilement sur ces deux équilibres pour
améliorer la sécurité. Il n'y a pas de fatalité. Mais si l'on veut réellement obtenir des solutions significatives et durables, il ne faut pas se contenter de
conformisme ou de demi-mesures, il faut modifier certaines façons de faire.
Il y a un troisième intervenant dont le rôle est crucial, c'est la
DGAC, l'autorité de tutelle. Je pense qu'elle ne joue pas encore suffisamment et pas encore suffisamment correctement son rôle...
M. le Rapporteur : Pouvez-vous préciser vos propos ?
M. Yves ROGER : Sur ce point, je rejoins la réflexion de mon
collègue. Quand une compagnie aérienne se crée, la DGAC est censée contrôler son dossier dans plusieurs secteurs : financier, technique, social, etc. Or, ce
n'est pas suffisamment fait. On a vu de véritables voyous s'emparer de compagnies. Mon collègue a parlé de « tricheurs ». Il a raison. Mais moi, je parlerai même
de « voyous », comme en témoigne l'actualité la plus récente. Il n'est pas normal que la DGAC laisse des voyous s'emparer de compagnies aériennes.
Sur la distinction qui a été faite entre petites et grandes
entreprises, je ne suis pas tout à fait d'accord. Dans les petites entreprises, comme dans les grandes, on doit avoir la même vision de la sécurité. On peut y
arriver et c'est nécessaire.
Si les solutions passent par une implication plus importante et de
meilleure qualité de la DGAC, elles passent aussi par une présence des pilotes à un niveau élevé de la hiérarchie des compagnies. Pourquoi ? Parce que le
législateur a fait peser sur les épaules du commandant de bord d'énormes responsabilités et qu'il faut donc lui donner les prérogatives correspondant à ces
responsabilités. Il lui faut une place dans la hiérarchie qui lui permettre de superviser les activités essentielles de l'entreprise : les opérations, la
technique, l'exploitation, mais aussi le social, c'est très important.
Cela implique d'adapter à la compagnie aérienne le principe de
subsidiarité, le PDG se consacrant aux tâches de gestion et d'administration, et celui que j'appellerai le « directeur général pilote » se consacrant aux
problèmes techniques et aux fonctions de dirigeant responsable de l'assurance qualité. On aurait alors un bien meilleur fonctionnement que si l'on confie cette
tâche au PDG qui tient les cordons de la bourse.
Mme la Présidente : Vous pensez donc que vous n'êtes pas
seulement là pour appliquer les consignes, mais aussi pour les élaborer, en commun accord avec la hiérarchie de l'entreprise ?
M. Yves ROGER : Tout à fait. Si l'on n'est qu'un exécutant et
que le PDG exige de décoller, sous peine de licenciement, il faut avoir beaucoup de caractère pour ne pas décoller. Cela se fait, mais ce n'est pas facile et il
vaut mieux être délégué syndical dans ce cas-là !
Je termine en disant que cette initiative parlementaire me paraît
très bonne. C'est la première fois que je vois une initiative de cette nature et je m'en félicite. J'espère que, non seulement, ce sera renouvelé, mais qu'il y
aura un suivi et, éventuellement, une coordination avec les personnels navigants des compagnies pour que, à l'image de l'assurance qualité, cela fonctionne en
boucle. Car on ne peut pas obtenir un bon résultat en une seule fois. Il faut poser les mêmes questions plusieurs fois. Je viens de lire votre questionnaire
qui me paraît très bien fait car vous y avez recensé toutes les questions, des plus farfelues aux plus sérieuses. Vous avez raison car celles qui semblent les
plus farfelues ne le sont pas autant que cela.
M. Lionel GUERIN : D'abord une remarque d'ordre général. Votre
invitation et le questionnaire parlent « d'insécurité » dans le transport aérien. Pour ma part, je parlerai plutôt de « sécurité ». Parce que si je partage avec
mes collègues le souci de forte implication dans la sécurité, il me semble qu'au cours des dix dernières années, dans nos pays occidentaux, nous avons fait de
grandes avancées dans ce domaine. Aujourd'hui, le moyen de transport le plus sûr au monde est quand même le transport aérien, que ce soit par rapport à la route,
au bateau ou au train. Il faut le souligner avec force : deux week-ends font le même nombre de victimes que le dernier accident de Charm el-Cheikh ! Il ne faut
pas créer une psychose sur le transport aérien et sur son insécurité. Je parlerai donc plutôt de « sécurité ».
Comment est-on arrivé à ce degré de sécurité ? D'abord, grâce aux
diverses normes, très étroites, mises en place par les différents acteurs - organisations professionnelles salariales, patronales, autorités civiles. Le
transport aérien est, en effet, particulièrement touché de façon médiatique à chaque accident, ce qui entraîne une remise en cause systématique de l'activité.
Ces normes concernent d'ailleurs toutes les compagnies, petites ou grandes.
Le transport aérien européen, et français en particulier, a évolué
de manière considérable en vingt ans. Je travaille depuis vingt-cinq ans dans le secteur, après avoir commencé dans la maintenance ; j'ai été instructeur
commandant de bord à Air France etc. Puis, j'ai fini par créer une compagnie, il y a cinq ans et je dirige maintenant la FNAM. Je peux témoigner que les
investissements des uns et des autres sont considérables.
Vous disiez tout à l'heure que le dirigeant responsable est en même
temps patron du système qualité. C'est vrai et c'est faux, parce que le système qualité est contrôlé de façon de plus en plus fine par la DGAC, à travers de
nombreux documents, données informatiques ou audits, qui font que le système français ne permet pas de tricher durablement.
Les investissements économiques sont considérables et la sécurité
est en progrès permanent, mais il est vrai qu'il faut rester très modeste en matière de sécurité du transport car un accident peut arriver au plus gros comme
au plus petit.
Vous opposez PDG, commandant de bord, sécurité et profit. Le système
est ainsi parce que l'on ne peut exister dans le transport aérien que si la sécurité est démontrée. Sinon, la médiatisation agit directement sur la clientèle
qui disparaît. Ma compagnie exploite une vingtaine d'avions depuis quelques années et elle continue à se développer. Il est clair que je serais touché
frontalement en cas d'accident. La sécurité et le profit sont donc complètement liés.
Quant à l'opposition PDG et commandant de bord, il se trouve que je
suis PDG avec un portable en permanence et étais commandant de bord toutes les nuits, notamment pour La Poste. Nos amis anglo-saxons l'ont bien démontré, la
sécurité est un investissement de l'ensemble de l'entreprise. Bien évidemment, le commandant a une responsabilité de première ligne dans le domaine de la
sécurité, mais c'est toute la chaîne qui doit fonctionner, du PDG jusqu'au moindre salarié.
Sur la DGAC, je dirai qu'elle peut toujours faire l'objet de
critiques, mais elle a beaucoup évolué. Beaucoup de règles sont européennes et non françaises. Les contrôles sont de plus en plus fins, normés, implacables. Je
tenais à le souligner avec insistance.
M. Serge MARTINEZ : Notre sujet, comme en témoignent les
questions que vous nous avez fait parvenir, ne se limite pas au transport aérien français. Je vais contredire un peu M. Guibert, mais, de par ma formation et de
par les fonctions que j'ai pu avoir sur la mise au standard d'exploitation de compagnies aériennes, je suis très attaché à la notion de normes. Les normes sont
des fondamentaux dans notre métier.
S'il existe de l'insécurité dans le monde - et votre titre ne me
dérange pas -, c'est dû à l'absence de normes. Si l'on prend le transport aérien au plan mondial, le principal problème de la sécurité vient du niveau
d'exigence que les Etats imposent à leurs exploitants. Quand on parle du contrôle de la DGAC, d'attitude pointilleuse, de compétence ou de capacité à faire des
contrôles, encore faut-il que les contrôles soient faisables, que la DGAC ait le droit de les faire et qu'elle ait le temps et les moyens de les faire.
Mme la Présidente : Peut-on dire qu'un contrôle est réellement
honnête, sincère, raisonnable et qu'il sert à quelque chose quand il est fait de manière inopinée, sans savoir ce que l'on cherche, que l'on se contente de
regarder si cela fuit sous un train d'atterrissage ou que l'on contrôle quelques points en escale ? Ce sont des propos qui ont été tenus et que l'on a pu lire
par ailleurs. Ici, nous en sommes tous informés. Que pensez-vous de ce type de contrôle ?
M. Serge MARTINEZ : Mme la Présidente, je suis désolé de vous
dire que vous êtes, diplomatiquement, très incorrecte....
Mme la Présidente : Certainement, mais c'est volontaire !
M. Serge MARTINEZ : ... et je vais rebondir volontairement !
L'OACI a décidé, pour des raisons de souveraineté, de laisser à
chaque Etat la capacité de définir les normes d'exploitation des aéronefs qui opèrent au départ de son pays. Ce principe de souveraineté fait que le contrôle
de police, au sens général du terme, est délégué. A ce titre, chaque Etat définit ses normes. Les normes basiques de l'OACI de l'après-guerre n'étant plus
suffisantes aujourd'hui, l'ensemble des « DGAC » européennes a décidé d'agir en commun en créant les JAA. D'abord, pour les processus de construction, ce dont
vous avez déjà dû parler à travers la question des certifications. Il était absurde d'avoir des boutons qui tournent vers le bas pour faire plaisir aux
Anglais, vers le haut pour faire plaisir aux Français et sur le côté quand il fallait parler avec les Anglo-saxons ou les Allemands.
Très rapidement, on a normalisé l'exploitation, puis la délivrance
des certificats de transporteur aérien, l'exploitation et les licences et finalement, dernier volet, les conditions de travail et de limitation en temps.
En modifiant, en complétant l'ensemble des normes basiques OACI,
dites mondiales, on a élevé le débat et le vrai problème aujourd'hui est de savoir dans quel espace on évolue. A la question : Existe-t-il de l'insécurité ? Je
réponds : Oui et de par mon expérience, je considère qu'il y a trois niveaux de sécurité dans le monde.
La sécurité est quelque chose de très compliqué. Ce n'est pas parce
que vous avez un seul avion que vous faites bien les choses. Par ailleurs, de très grands groupes comme British Airways, Lufthansa ou Air France, dont les
nombreux avions volent tous les jours et plusieurs fois par jour, ont malheureusement statistiquement des risques d'avoir un incident majeur, voire un
accident. Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils font moins bien que celui qui n'a qu'un seul avion, qui fait mal les choses et qui a la chance de passer à
côté des trous.
Au niveau mondial, il existe trois grands statuts :
- le statut européen, avec les normes JAA qui sont comparables à ce
qui existe aux Etats-Unis avec la Federal aviation agency (FAA), au Canada avec Transports Canada ou en Australie avec l'aviation civile australienne avec,
malheureusement, des variantes liées à la capacité financière des Etats ;
- à l'autre bout de la planète, il y a le vide sidéral, représenté
par les normes basiques et fondamentales de l'OACI ;
- entre les deux, on trouve un certain nombre de pays qui, au
travers de leurs compagnies, de projets industriels ou de leurs Etats, décideront de hausser volontairement le niveau de sécurité d'exploitation de leurs
compagnies en rejoignant soit le standard JAA européen, soit le standard FAA américain, soit le standard britannique pour les pays appartenant au Commonwealth.
Le choix se fait en général selon des critères culturels car la sécurité dans l'aérien est d'abord et avant tout un problème de culture.
Le contrôle que l'on effectue en dix ou quinze minutes, la nuit,
avec une torche sur un parking, - sous réserve d'ailleurs que l'exploitant l'autorise, qu'il y ait les compétences humaines au moment dit, correspondant à ce
que l'on veut vérifier - est-il efficace ? Sans ambiguïté, la réponse est non. La DGAC est-elle fautive ? Non.
La première chose que le ministre a demandée après l'accident de
Charm el-Cheikh est justement la modification du niveau de compétence et du niveau d'autorisation pour effectuer les contrôles.
Lorsqu'un grand opérateur, membre des JAA, décide d'affréter une
compagnie aérienne pour se doter de moyens propres, il doit faire un audit de la compagnie, c'est-à-dire le même type de contrôle - en termes d'objectifs en
tout cas - que ce que fait la DGAC au nom de l'Etat français quand un opérateur vient en France. La différence vient de ce que la DGAC, compte tenu du mandat
qui lui est donné, peut faire faire par deux personnes une visite d'un quart d'heure, de nuit et à la torche, alors que l'audit JAR OPS d'une compagnie, qui
permet de vérifier les conditions réelles de l'exploitation, met en _uvre un groupe de travail de deux à cinq personnes pendant cinq à dix jours. On voit tout
de suite la différence !
Il y a, à ce niveau, autant de différences que le contrôle de police
effectué par la gendarmerie nationale pour vérifier vos papiers sur la route et le contrôle technique que vous faites passer à votre véhicule selon les délais
prescrits par la loi. Cela n'a rien à voir. La différence de niveau entre les deux est abyssale.
Pour revenir sur les normes, je veux m'inscrire en faux par rapport
à ce qui a été dit précédemment. Pour ma part, je pense que l'une des grandes avancées du système JAA est justement la désignation du PDG de la compagnie comme
accountable manager et à ce titre, comme responsable.
La plus grande difficulté, dans les zones de non droit - l'accident
du Boeing 727 de la UTAG à Cotonou en est l'exemple même - est qu'on ne trouve aucun responsable lorsque, après un accident, on commence à chercher qui faisait
quoi et sous les ordres de qui.
La grande force du système JAA est d'expliciter très clairement, de
façon pyramidale, qui est responsable de quoi. C'est fréquemment le meilleur garde-fou que l'on puisse imaginer pour empêcher les gens de faire n'importe quoi.
M. Pierre CAUSSADE : Je veux rebondir sur les propos de
M. Martinez et revenir sur ceux de M. Guérin.
Notre industrie a placé la sécurité au c_ur de ses préoccupations
et, globalement, celle-ci a beaucoup progressé au cours des vingt dernières années, et plus encore au cours des dix dernières. L'intérêt majeur du système
européen qui s'est mis en place progressivement est bien la clarification des responsabilités et je suis tout à fait d'accord avec ce qui vient d'être dit.
Bien sûr, la prévention est l'affaire de tous et non celle de
quelques spécialistes dans l'entreprise. Il faut que tout le monde comprenne que, de même que la survie de l'entreprise dépend de ses résultats économiques,
elle dépend de la confiance des clients et des passagers dans la sécurité de la compagnie. Mais il est très rassurant - car il faut que l'exemple vienne du
haut - que le dirigeant « responsable », au sens des normes européennes et des règles JAR OPS, soit le patron de l'entreprise pour montrer qu'il n'y a pas deux
types de fonctionnement au sein de l'entreprise : un fonctionnement économique et commercial dans un monde concurrentiel et par ailleurs, un fonctionnement
dédié à la sécurité.
Ces deux parties de l'activité doivent être intimement liées. Le
dirigeant responsable est là pour garantir que la politique de sécurité se développe et qu'elle est financée correctement là où elle doit l'être.
Mme la Présidente : Ne pensez-vous pas, au contraire, que le
fait que le patron soit en même temps responsable de la sécurité peut être parfois facteur de confusion en le rendant à la fois juge et partie ?
M. Pierre CAUSSADE : Le fait d'être pénalement responsable,
désigné par avance responsable du fonctionnement de son entreprise est extrêmement vertueux. Quand on est responsable, on sait qu'il faudra rendre compte du
fonctionnement de son entreprise, tout comme le commandant de bord est responsable de son vol et doit, le cas échéant, rendre compte de la mission qui lui est
confiée par l'entreprise.
Je voudrais ajouter que notre industrie a aussi progressé par son
effort collectif. On est dans un secteur où les associations professionnelles sont bien organisées et puissantes. Air France, par exemple, en tant que
compagnie régulière, appartient à l'IATA, l'association internationale des transporteurs aériens.
Autant la compétition se déchaîne sur le plan commercial, autant les
professionnels de l'industrie - et j'ai l'honneur de représenter Air France dans beaucoup de ces instances - ont compris que l'intérêt collectif du transport
aérien était de progresser en matière de sécurité et qu'il ne devait pas y avoir de compétition dans ce domaine. A plusieurs, surtout si l'on couvre la
planète, on est plus forts, plus avisés, plus performants, parce qu'on partage ses difficultés mais aussi les bonnes pratiques et la manière de progresser.
Cet ancrage sur les bonnes pratiques internationales produit un
effet plus particulier au c_ur des alliances et je rejoins, sur ce point, un commentaire qui a été fait : pour partager des codes de transporteurs sur un même
avion, c'est-à-dire pour transporter à bord d'un avion Air France des passagers de Delta Airlines, Japan Airlines ou d'autres grands transporteurs,
indépendamment des contrôles de chacun de nos Etats, nous pratiquons, entre nous, des audits croisés. Nous avons les uns et les autres la visite d'équipes de
commandants de bord, de spécialistes de l'entretien et de tous les secteurs clés de la maison qui viennent vérifier non seulement notre organisation, nos
normes internes, mais aussi notre pratique, en auditant notre fonctionnement, que ce soit dans les hangars, dans les escales ou dans les cockpits.
Cette approche est extrêmement vertueuse, puisque, au-delà du
règlement et du contrôle par les autorités, s'exerce une sorte de contrôle mutuel qui assure la progression de tous. Ce volet s'est fortement amplifié depuis
quatre ou cinq ans.
M. le Rapporteur : Il va falloir nous aider ! Nous vous avons
écoutés les uns et les autres avec beaucoup d'intérêt. Nous avons parfaitement intégré l'analyse de M. Martinez. Il n'y a autour de cette table que des gens
vertueux qui ne sont ni des tricheurs ni des voyous. Cela dit, nous sommes face à une problématique qui vient d'être rappelée et qui fait que les Français sont
susceptibles de monter dans n'importe quel avion, que n'importe quel avion de n'importe quelle compagnie - même la plus douteuse - de n'importe quel pays est
susceptible de se poser à Paris ou sur le territoire français et d'y avoir un accident.
A partir de là, que faisons-nous ? L'objectif de la mission est
d'essayer, à partir d'un drame - celui de Charm el-Cheikh, mais cela aurait pu être un autre drame - de faire le point sur la sécurité du transport aérien de
voyageurs. L'avion est le mode de transport le plus sûr - cela a été rappelé à juste titre et il faut s'en souvenir -, mais il n'empêche que chaque accident
d'avion est mondialement une catastrophe et peut prendre des proportions de catastrophe nationale comme l'a montré le cas de Charm el-Cheikh. Nous devons avoir
le souci de faire en sorte qu'il y ait le moins possible d'accidents et chacun doit y contribuer.
Nous sommes une mission d'information, pas une commission d'enquête
et nous avons besoin que vous nous aidiez à mieux comprendre où sont les endroits où il y a encore des problèmes et de quelle façon nous pourrions
juridiquement, et dans le cadre de nos compétences, proposer un certain nombre d'avancées.
Nous avons déjà vu les constructeurs. Nous savons bien qu'il y a un
certain nombre de problèmes, non pas sur les constructions, mais sur le besoin de renouvellement d'appareils. Certains appareils ont des problèmes qui ne sont
pas réglés ou mal réglés. Les constructeurs n'ont parfois pas les moyens de les régler. Les autorités de contrôle ne jouent pas forcément leur rôle partout
dans le monde.
Le problème est qu'il s'agit d'un marché mondial. Les tragédies
peuvent se passer n'importe où dans le monde, même si, dans notre petite partie du monde, nous sommes plus vertueux et pouvons prétendre donner des leçons aux
autres.
Nous avons bien vu aussi que certains problèmes tiennent aux
conditions d'exploitation, aux conditions sociales de fonctionnement. Même les gens vertueux que vous êtes essayent les uns et les autres de jouer sur un
certain nombre de différences sociales entre les pays, et cela, même au sein de l'Europe.
Nous savons aussi qu'il y a tout ce qui tient à l'homme. Le
commandant de bord rêve peut-être d'être PDG, mais en même temps, il peut avoir du mal à asseoir son autorité sur son propre équipage, ne serait-ce que parce
qu'on a mis entre eux une porte blindée.
Nous voulons faire avancer les choses. Vous êtes là pour nous dire
que tout va bien, et nous l'avons compris, mais il y a aussi un certain nombre de choses qui ne vont pas et sur lesquelles nous avons besoin de vérité. Nous ne
sommes pas là pour juger, d'ailleurs, nos auditions ne sont pas publiques et vous aurez l'occasion de vérifier vos propos si les comptes rendus sont publiés.
Mais nous avons besoin de vérité pour essayer, dans une
problématique mondiale - même si dans votre petit domaine, vous êtes chacun exemplaire - de trouver ici ou là des pistes, des solutions que nous pourrions
proposer aux autorités françaises, mais aussi au niveau européen, voire à certaines autorités internationales.
Il vous reste deux heures pour vider votre sac. Nous sommes
impatients et friands.
Mme la Présidente : J'ajouterai une phrase aux propos du
Rapporteur.
Vous avez parlé, M. Guibert, de « pratiques » plutôt que de
« normes ». Il est vrai que les normes sont bien établies en Europe - je ne parle pas des petits pays et des petites compagnies de bout de lignes - et que l'on
peut parler de sécurité. Mais nous savons aussi qu'il y a des pratiques incorrectes et j'aimerais que l'on s'explique sur ce point.
M. Michel DUCAMP : Permettez-moi de revenir un peu en arrière.
Beaucoup de choses intéressantes ont été dites, mais un point n'a pas été suffisamment exposé : le fait que la normalisation doit être considérée dans son
ensemble.
Ce qui fait la sécurité actuelle du transport aérien, c'est la mise
en _uvre simultanée de mesures et de règlements dans différents domaines de l'activité aéronautique. On a parlé de la construction, mais en ce qui concerne les
compagnies aériennes, il faut savoir que l'on travaille simultanément sur le maintien de la navigabilité, c'est-à-dire la surveillance de l'aptitude à voler de
l'avion, l'entretien de l'avion suivant des cahiers des charges extrêmement précis, la mise en place de dispositifs d'organisation à l'intérieur des sociétés
ou des ateliers qui assurent la maintenance, mais en même temps, les dispositifs de sûreté de l'exploitation, des dispositifs de sûreté concernant la formation
des personnels - les personnels navigants mais aussi les personnels mécaniciens, les personnels techniques spécialistes des opérations aériennes, etc.
Par conséquent, il faut être conscient qu'il s'agit d'un filet dont
la maille peut parfois paraître trop large, mais que les mailles se recouvrent. Le travail doit être mené simultanément dans tous ces domaines.
J'étais presque totalement d'accord avec la personne qui s'est
exprimée sur les normes OACI. Sauf sur un point : dans le dispositif OACI, les annexes de la convention de Chicago couvrent la totalité des problèmes de
sécurité. Il n'y a pas une seule annexe qui ne concerne pas la sécurité : les cartes, la météo, la formation des personnels navigants, les moyens de
télécommunication, la sûreté ; tout ce qui affecte la sécurité des vols et de l'exploitation aérienne et, en particulier, l'annexe 6 qui traite de
l'exploitation des aéronefs.
Sur le vocabulaire : il s'agit de rappeler que les « pratiques » ont
un sens. Le mot est utilisé dans le vocabulaire international de l'OACI. On y parle de « normes » et de « pratiques recommandées ». Comme vous voulez engager
le débat sur les pratiques, il faudra être très précis sur ce que l'on entend par-là.
On entend par « normes » ce qui est obligatoire pour les Etats
membres, et dont ils doivent imposer le respect aux compagnies de leur pavillon. Les « pratiques recommandées » sont des orientations qui, au bout de quelque
temps, deviennent souvent des normes.
On a évoqué des dispositifs permettant d'éviter les abordages en
vol. Au départ, c'était une recommandation, c'est maintenant en voie de devenir une norme. On travaille dans de nombreux domaines : l'équipement des aéronefs,
la façon de s'en servir, la façon de les concevoir, l'environnement dans lequel ils opèrent. Il ne faut pas négliger cet aspect des choses.
Quand on parle de pays qui exercent mal leur tutelle sur les
compagnies de leur pavillon ou qui n'en ont pas les moyens, il faudrait être plus précis. Il faut savoir s'il s'agit des conditions dans lesquelles le contrôle
de la circulation aérienne est effectué, ou des conditions dans lesquelles les certificats de navigabilité des aéronefs sont renouvelés, ou encore s'il s'agit
des conditions dans lesquelles les procédures d'exploitation des compagnies du pavillon sont conformes ou non aux recommandations de l'OACI, ou s'il s'agit de
la formation des personnels etc. Le problème est complexe.
Sans vouloir mettre le doigt sur certaines insuffisances, je dirai
simplement qu'un certain nombre de pays n'ont pas les moyens d'assurer leurs responsabilités internationales. C'est bien connu. Les audits qui sont à la
disposition de tous, publiés par l'OACI périodiquement, y compris les audits récurrents, montrent que certains pays où l'on avait noté des insuffisances se
sont corrigés très rapidement et que d'autres ont mis beaucoup de temps à ne rien faire. On constate encore aujourd'hui que certains pays d'Afrique noire,
certains pays sous-développés sont dans l'incapacité d'exercer leurs responsabilités à l'égard de la communauté internationale en matière de sécurité
aéronautique.
Que peut-on faire quand, sur son propre territoire - où l'on dispose
d'une certaine souveraineté -, on voit arriver un certain nombre de personnes à qui l'on a, pourtant, donné le droit de venir se poser chez nous ? C'est une
vraie question. Faut-il maintenir ce droit ? Faut-il régler le problème de façon diplomatique ou le régler de façon technique ? Faut-il considérer que l'on
doit aider à se développer certains pays incapables de s'auto suffire ?
Cela fait partie des programmes de l'OACI qui organise en Afrique
noire les moyens de financement des aides à la navigation, à la formation des personnels. J'ai travaillé autrefois pour un centre de formation de pilotes au
Moyen-Orient au moment de la guerre du Liban, centre financé par l'OACI pour former des pilotes sur simulateur.
Le problème est extrêmement complexe. A l'échelle du territoire
français, si l'on veut que les avions des autres ne nous tombent pas sur la tête, il faut interdire de venir à ceux qui ne sont pas conformes aux normes. C'est
aussi simple que cela ! S'il s'agit au contraire de voir le problème dans sa complexité, il faut y passer du temps et regarder problème par problème.
Mme la Présidente : C'est ce que notre mission essaie de faire.
J'ai bien compris que vous étiez très axés sur le respect des
normes, leur définition, leur nature, la façon dont elles sont observées par vos compagnies et j'ai bien compris que votre virginité est totale. Mais
j'aimerais que l'on insiste sur les hommes, sur les pratiques, sur des questions simples comme le respect des arrêts maladies dans certaines compagnies. Dans
certaines petites compagnies, n'emploie-t-on pas des personnels dans des conditions plus difficiles qui font que la sécurité des passagers est moins bien
assurée ?
Nous avons tous en tête des anecdotes inquiétantes et j'aimerais que
l'on puisse en discuter sans verrouiller le débat. Il ne sert à rien de courir en disant que l'on est bon, alors que l'on peut démontrer qu'il y a des failles
dans le système. Nous nous posons des questions et nous essayons d'en savoir plus pour pouvoir apporter des préconisations.
Pour avoir travaillé dans l'industrie, je sais que, dans les petites
entreprises, la loi est moins bien appliquée que dans les grandes, parce qu'elles y sont souvent poussées économiquement. Je sais aussi que les salariés y sont
moins bien protégés que dans une grande entreprise qui a plus de moyens.
M. Pilloud, vous représentez une compagnie à bas prix. Il serait
intéressant de vous entendre et j'aimerais que l'on abandonne un peu cette langue de bois et ces propos vertueux et que l'on essaye de dire qu'il y a peut-être
des problèmes humains auxquels il faut apporter des solutions.
M. Philippe PILLOUD : Merci d'avoir invité des représentants d'easyJet
à cette réunion. Je voudrais vous parler de la façon dont nous gérons la sécurité aérienne, chez nous, en tant que low cost.
Nous sommes une des principales compagnies low cost en
Europe. Low cost signifie « à bas coûts », cela ne signifie pas « à moyens limités ». Je crois que la nuance est de taille pour la sécurité aérienne.
Nous sommes une compagnie qui réduit certains coûts au minimum afin d'offrir des tarifs bas en permanence aux passagers. Cela ne signifie pas que nous
réduisions tous les coûts au minimum, et en tout cas, pas la sécurité aérienne.
Beaucoup pensent qu'il s'agit d'un paradoxe. Comment tendre vers les
standards de sécurité les plus sévères tout en conservant une structure de coûts permettant de rester compétitif ?
Notre solution : la sécurité en tant que culture d'entreprise,
l'innovation par l'utilisation des dernières technologies et le respect des recommandations internationales. Notre attitude envers la sécurité est de ne faire
aucun compromis. Je donnerai quelques exemples de notre gestion, ce qui permettra peut-être de trouver des solutions.
Nous souhaitons être un acteur principal de la sécurité aérienne, et
ceci pour la raison simple que certains préjugés sur les low cost feraient qu'un accident engendrerait probablement la disparition de la compagnie. Nous
avons une approche proactive et prédictive de la sécurité aérienne et pour cela, nous utilisons les recommandations de la sécurité aérienne : nous enregistrons
et analysons toutes les données de vol, ce qui ne se fait pas partout et ne sera obligatoire pour les grands appareils qu'à partir de 2005 et nous encourageons
les équipages à rendre compte du moindre événement qui pourrait avoir une relation avec la sécurité aérienne, ceci dans une culture ouverte et sans blâme. Nous
pensons que blâmer quelqu'un qui rapporte un événement est le meilleur moyen de ne plus être informé de ces événements.
Mme la Présidente : Comme aux USA : une ouverture totale de
l'information...
M. le Rapporteur : Mme la Présidente veut savoir si vous donnez
la garantie juridique qu'il n'y aura aucune conséquence, quel que soit l'incident rapporté.
M. Philippe PILLOUD : Pas tout à fait. Nous avons à l'intérieur
de l'entreprise ce que l'on appelle un gate keeper, c'est-à-dire une personne qui a été élue par les pilotes et qui est au courant de toutes les analyses
et de tous les rapports. C'est cette personne qui décidera de mettre au courant la direction de l'entreprise si la chose a été trop grave. Nous garantissons la
culture sans blâme pour autant qu'il ne s'agisse pas d'actes intentionnels.
Nous traitons systématiquement les événements rapportés et la base
de données est à disposition du personnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les personnes peuvent aller y voir les actions qui ont été menées à partir de
leur rapport.
De plus, nous avons introduit des rapports confidentiels à l'usage
des équipages permettant à ceux-ci de s'exprimer sur des aspects de la sécurité qui leur paraissent importants, mais qui ne sont pas visibles dans
l'enregistrement des données de vol.
Nous allons introduire, en collaboration avec Airbus, un programme
d'observation régulière de nos procédures de vol en ligne. Chaque membre d'équipage est contrôlé une fois par an. Nous souhaitons introduire dans les cockpits
des observateurs qui relèveraient dans un formulaire préconçu si les procédures du constructeur ou de la compagnie conviennent à nos opérations. Ce système,
qui deviendra éventuellement obligatoire en 2008, sera mis en place, chez nous, à partir du mois de juin prochain.
Nous tenons des réunions mensuelles dans chaque département, où nous
analysons les tendances et les actions préventives. Nous en profitons chaque fois pour rappeler aux dirigeants que la sécurité est notre préoccupation
première.
En effet, dans chaque compagnie, le PDG dira que la sécurité est
prioritaire, alors que dans les faits, les directeurs et chefs sont tentés de faire passer la productivité en premier et que les employés en première ligne
veulent contenter le directeur ou le chef en premier.
Nous participons également à des séances de travail, autant à Nice
qu'à Paris, et nous rencontrons les contrôleurs aériens. Par exemple, Nice avait un problème d'incursions de piste, c'est-à-dire une entrée d'avion non
autorisée sur une piste en service. Nice, qui comptait à peu près vingt incursions de piste par an, a fait appel à toutes les compagnies aériennes pour trouver
une solution. En travaillant ensemble dans une communication ouverte, nous sommes arrivés à cinq incursions de piste par an, soit quatre fois moins.
Enfin, nous avons eu un audit en 2003 sur la sécurité aérienne en
Suisse ; audit effectué à la demande du gouvernement par un laboratoire hollandais, spécialisé dans la sécurité aérienne. Nous avons été audités à l'instar de
l'Office fédéral suisse de l'aviation civile, du Bureau d'enquête sur les accidents d'avion, des aéroports principaux - Genève et Zurich -, de Sky Guide qui
est notre contrôle aérien, et des compagnies Swiss et easyJet Suisse.
Nous avons obtenu d'excellents résultats. Sans nous lancer des
fleurs, nous avons mis en place des solutions qui permettent d'améliorer la sécurité sans trop augmenter les coûts. L'effort est plus dans la culture
d'entreprise que dans des solutions extrêmement technologiques.
M. Yves ROGER : Je comprends que M. le Rapporteur nous demande
de l'aide. Avec ce que l'on a entendu, on peut partir ! Tout va bien !
Je dis non ! Cela ne va pas. Il y a des problèmes.
Charm el-Cheikh est un accident qui a été médiatisé, mais on
n'entend jamais parler des quasi accidents et des incidents. C'est ce que je vis actuellement, je ne vous parle pas de ce qui s'est passé il y a quinze ou
vingt ans. Je ne cherche pas non plus à devenir le PDG de la compagnie, et je ne dis pas que la DGAC ne fonctionne pas bien. Elle fonctionne bien, mais elle
doit fonctionner encore mieux.
Une compagnie aérienne n'est pas une entreprise normale en raison
même de l'importance de la sécurité. Une entreprise normale peut chercher à faire du profit, même s'il y a de la sécurité ; dans une compagnie aérienne, la
sécurité est prioritaire.
M. Pilloud dit qu'une low cost est une compagnie à bas coûts.
Or, dans l'aérien, les marges sont très faibles. Pour une compagnie aérienne, elles sont au grand maximum de 5 %. Toutes les marges d'une low cost
doivent être investies dans la sécurité !
Dans combien de temps allez-vous disparaître comme les autres, M. Pilloud ?
Il est très difficile de faire du low cost quand on veut faire sérieusement de la sécurité !
Je suis d'accord sur le fait que, dans une compagnie aérienne, tous
les acteurs ont leur place, du PDG jusqu'au bagagiste. Chacun apporte sa pierre à l'édifice, mais c'est le commandant de bord qui est le dernier maillon de la
chaîne de sécurité. Qu'on le veuille ou non, il est le dernier rempart pour les passagers.
On a parlé des annexes de l'OACI tout à l'heure. Oui, toutes les
annexes de l'OACI évoquent bien la sécurité. Mais parle-t-on de l'annexe 9 de l'OACI sur la facilitation ? On l'étudie pour nos certificats, mais dans la vie
courante, on n'en parle plus du tout ! La facilitation reprend toutes les actions consistant à faciliter le travail des intervenants dans une entreprise, en
particulier des équipages. En fait, la facilitation a été abandonnée. Ce n'est plus de la facilitation mais plutôt de l'obstruction.
On a parlé des audits. Qui les fait ? Quand il y a un audit, c'est
le PDG qui demande à telle entreprise qu'il a choisi de le faire. Je connais l'exemple - sans citer de nom - d'un PDG qui a demandé un audit à une entreprise
dont le patron est le père d'un technicien très haut placé du service technique de la compagnie ! Les dés sont pipés ! On dit qu'aujourd'hui, on ne peut plus
tricher. Ce n'est pas vrai : on peut encore tricher. Sinon, nous ne serions pas ici !
J'ai entendu dire aussi que s'il y avait un accident, cela
condamnait la compagnie à la disparition. Nous n'avons pas vu beaucoup de compagnies disparaître à la suite d'un accident ! En revanche, j'ai vu beaucoup de
directions prêtes à risquer l'accident tout en sachant que derrière il y a l'assurance, des pare-feu. On va jusqu'à risquer l'accident ! Donc, je ne suis pas
d'accord, l'accident n'implique pas forcément la disparition de la compagnie.
Il se passe de nombreux petits incidents dont on n'entend jamais
parler. Certains ne quittent même pas le cockpit. Nous ne sommes pas parfaits. Je ne dis pas que je suis parfait, je peux aussi m'améliorer, tout comme je
demande que la DGAC s'améliore.
Dans un cockpit, le mécanicien est derrière, alors que le pilote
regarde vers l'avant. S'il fait une petite bêtise, il met, l'espace de quelques secondes, la sécurité de l'avion en jeu, et le pilote ne le sait même pas.
Quelquefois, le cockpit entier sait qu'il a fait une bêtise mais ne dit rien. Et cela ne se voit pas sur les enregistrements. Certaines bêtises sont faites
aussi dans les services techniques, qui ne sont pas dites aux équipages. Il est déjà arrivé qu'on nous laisse partir sans nous dire l'état réel de l'avion, ce
qui est vraiment très grave !
Je serai peut-être le seul à le dire ici, mais je pense que l'on a
tout à fait raison de poser des questions sur la sécurité, parce qu'il y a beaucoup de problèmes de sécurité. Si nous voulons l'améliorer, il va falloir en
parler.
Mme la Présidente : Je ne sais pas si c'est une norme, mais je
crois que figure dans les textes l'obligation pour les pilotes de parler anglais. J'ai cru lire - certains de mes collègues l'ont lu - qu'une pratique
insuffisante, ou du moins imparfaite, de l'anglais avait déjà provoqué certains accidents. Selon un commentaire récent - peut-être exagéré, mais révélateur d'un
problème incontournable -, une bonne partie des pilotes d'Air France resterait au sol si on les obligeait à une pratique parfaite d'une langue qui permet aux
aiguilleurs du ciel et aux pilotes de se comprendre lors de toutes les man_uvres.
Sans vouloir faire dans le catastrophisme, il serait intéressant de
réagir sur ce point.
M. Pierre CAUSSADE : Dans notre métier, qui est très
international, nous sommes précisément confrontés à la contradiction entre anglais - jargon aéronautique et technique plus qu'une langue -, pratique
internationale qui exige une langue commune, et loi du pays - la loi Toubon - qui exige de travailler en langue française. C'est un point sur lequel le
législateur peut nous aider à faire la part entre la nécessaire protection de notre langue maternelle et la nécessaire internationalisation de notre métier qui
fait que pilotes et contrôleurs sont amenés à travailler ensemble, quelle que soit la nationalité d'origine.
Je vais essayer de répondre à votre appel en donnant des pistes de
propositions, tout en rebondissant sur certains commentaires.
La pratique de la transparence est essentielle. Vous évoquiez soit
les dispositifs réglementaires soit les pratiques au sein de compagnies françaises. La non punitive policy prévoit l'impunité, dès lors qu'un agent, un
commandant de bord, un membre d'équipage, un agent d'entretien ou un agent d'escale rend compte de son plein gré d'une difficulté ou d'une erreur. Pour
appliquer un tel système, il faut avoir le culte de l'erreur dans le sens que l'erreur est humaine et qu'il importe de la détecter. Le législateur pourrait
nous aider à ne pas tarir cette source essentielle de visibilité sur la réalité des pratiques.
Que se passe-t-il dans un cockpit, dans un atelier de maintenance,
dans une escale quand on prépare et charge un avion ? Il faut cultiver la pratique du compte rendu spontané : « J'ai fait une erreur, j'ai fait un geste qui
ne devait pas être fait, j'ai abîmé un avion en approchant mon engin de chargement. »
Dès lors qu'il ne s'agit pas d'un acte volontairement nuisible, il
faut que les entreprises, et au-delà, la communauté et le dispositif réglementaire, favorisent la politique de compte rendu en protégeant celui qui avoue sa
propre erreur pour faire avancer la sécurité. Tout acte contraire, toute répression a priori aurait un effet contreproductif désastreux.
Première piste : il faut donc préserver ce flux d'informations et
encourager une plus grande transparence que des collègues autour de la table appellent de leurs v_ux.
Deuxième suggestion, déjà évoquée : dans ce monde de relations
internationales, notamment Nord-Sud, la France peut, dans une politique de coopération, aider certains pays partenaires, notamment en Afrique ou autour du
bassin méditerranéen, à progresser, que ce soit dans leur capacité à organiser le contrôle aérien dans leur pays ou dans le contrôle des exploitants de leur
pays ou dans les niveaux d'équipement. Bien souvent, il y a des améliorations ponctuelles à apporter sur l'équipement, sur la formation d'un contrôleur aérien,
sur la formation des fonctionnaires ou des représentants de l'autorité, les structures équivalentes à la DGAC étant souvent assez sommaires dans ces pays. Je
crois que la France, dans le cadre d'échanges Nord-Sud, peut parfaitement favoriser, ainsi que l'OACI peut le faire, la progression de ces pays vers une
meilleure maîtrise de leurs opérations.
Troisième piste : vous parliez de « label » pour ces compagnies sous
pavillon étranger qui fréquentent la France et qui peuvent transporter les touristes français. Je souhaite rappeler que notre association internationale,
l'IATA, avec la contribution des 275 compagnies membres, est en train de développer un nouveau label, dit IOSA19,
pour garantir - indépendamment ou parallèlement aux structures officielles découlant de l'OACI et des pouvoirs régaliens des différents Etats - un label de la
profession, gage d'une bonne prise en compte de tous les grands principes qui permettent de progresser en matière de sécurité.
En la matière, de nombreuses pistes offrent de grandes marges de
progrès et cela vaut pour l'Europe, mais aussi dans nos relations avec le reste du monde.
M. Philippe PILLOUD : Merci à M. Roger d'avoir dit ce que
beaucoup de gens pensent.
Je vous donne quelques chiffres sur la réduction des coûts en
précisant qu'elle ne porte jamais sur le domaine de la sécurité.
On a parlé de marge de 5 %. En fait, notre système de vente directe
des billets représente déjà environ 9 % d'économie. Comme nous n'émettons pas de billet, dont le coût unitaire s'élève à 9 euros, nous économisons 180 millions
d'euros. La densité des sièges en classe unique représente 15 % d'économie. Comme nous ne servons pas de repas, nous économisons 7 euros par passager, soit
140 millions d'euros par an. Je pourrais encore donner quelques exemples.
Par ailleurs, l'audit de l'année passée n'avait pas du tout été
commandé par la compagnie, mais par le gouvernement suisse et il a été fait par un laboratoire étranger à la Suisse.
Mme la Présidente : Le temps de travail est-il le même qu'en
France ?
M. Philippe PILLOUD : Il est inférieur de 25 % au temps requis
par la loi suisse pour les pilotes sous pavillon suisse et de 10 % à 15 % au temps requis par la loi anglaise pour les pilotes travaillant sous pavillon anglais.
Mme la Présidente : Et par rapport à la France ?
M. Philippe PILLOUD : Quel est le nombre d'heures de vol
autorisé en France ?
M. Yves ROGER : 95 heures par mois.
M. Philippe PILLOUD : Chez nous, les pilotes travaillent en
moyenne 80 heures par mois, soit 15 % de moins que ce qui est requis par la loi française. Le maximum légal serait de 100 heures.
Mme la Présidente : Sous quel régime travaillez-vous ?
M. Philippe PILLOUD : Nous avons deux pavillons pour les
avions : un pavillon anglais et un pavillon suisse.
Mme la Présidente : Avec quel temps de travail ?
M. Philippe PILLOUD : En moyenne, nos pilotes travaillent
80 heures par mois.
M. Yves ROGER : C'est beaucoup. Nous faisons moins. Il faut
savoir qu'il y a de grosses différences entre un avion qui fait des vols Paris/Nice et un long-courrier auquel viennent s'ajouter le décalage horaire, les
rayonnements cosmiques et autres. Je ne dis pas que le court courrier n'est pas fatigant. Faire 80 heures par mois en court courrier est également fatiguant,
mais ce n'est pas la même fatigue.
Mme la Présidente : Il est intéressant de comparer les
pratiques.
M. Philippe PILLOUD : Nos pilotes bénéficient de dix à
douze jours de congés par mois. Nous arrivons là à un point crucial : nos horaires de travail sont de 20 % inférieurs au seuil légal. Pourquoi n'a-t-on pas pu se
mettre d'accord en Europe sur le nombre d'heures de travail des pilotes ? Nous touchons là à un point essentiel.
Mme la Présidente : C'était ce que je voulais vous entendre
dire.
M. Michel DUCAMP : Cela dure depuis quinze ans. Il faut savoir
que le projet de règlement commun européen, JAR OPS, est sorti en mars 1995 avec la sous-partie « Q » qui traitait des temps de repos des équipages. Je rappelle
que cette partie n'a jamais été transposée dans les réglementations nationales, de même que la sous-partie « O » concernant le personnel navigant commercial qui
est encore en état de latence.
Je rappelle aussi qu'à la fin du mois dernier, se tenait au Caire
une conférence sur la « facilitation internationale ». Par conséquent, ce n'est pas du tout un sujet abandonné. Toute personne intéressée par le sujet peut se
reporter au site de l'OACI où elle trouvera une quarantaine de documents de travail traitant de la facilitation.
A propos de la suggestion de M. Caussade sur la pratique de la
transparence, il est intéressant de mentionner que la directive européenne 2003-42 a été adoptée le 13 juin 2003, publiée au Journal officiel de l'Union
européenne du 4 juillet. Elle prévoit plusieurs pages de situations dans lesquelles des rapports d'évènements doivent être communiqués à l'autorité et circuler
dans les entreprises.
Si la mission devait proposer des améliorations à la pratique de
cette transparence, cela pourrait se faire à l'occasion de la transposition de cette directive en droit français qui doit être faite, selon le texte, avant le
4 juillet 2005.
Mme la Présidente : En souhaitant qu'elle ne subisse pas le
sort de certaines autres directives qui dorment encore du sommeil du juste !
M. Michel DUCAMP : Je représente ici la Fédération nationale de
l'aviation marchande, mais je rappelle que le SFACT (service de formation aéronautique et du contrôle technique de la DGAC) a déjà mis en place un dispositif de
retour d'expérience qui est une pré-application de cette directive et que le système commence à fonctionner.
Je veux aussi vous dire que l'amélioration du retour d'information
et de la circulation de cette information est une préoccupation partagée par tous aujourd'hui. Si des progrès peuvent être faits dans ce domaine, nous
souhaitons qu'ils le soient le plus rapidement possible.
On me taxera sans doute de vouloir toujours me référer à des aspects
réglementaires, mais le transport aérien est une activité totalement réglementée au niveau national ou international. Cette activité s'exerce dans un cadre
réglementaire qui couvre la totalité de ses aspects.
Or, il est dit dans les textes fondateurs que : « Le système
qualité doit comporter un système de retour d'information vers le dirigeant responsable pour s'assurer que les actions correctives sont à la fois identifiées
et rapidement prises en compte. Le système de retour d'information devrait également spécifier qui doit rectifier les incohérences et les non-conformités dans
chaque cas particulier et la procédure à suivre si l'action corrective n'est pas achevée dans les temps impartis. » C'est le cadre réglementaire
obligatoire de la mise en place d'une structure de transport aérien aujourd'hui en Europe.
M. Bruno DEHAIS : Je comprends mieux ce que vous cherchez.
Votre problème est de resserrer les mailles du filet pour y prendre les compagnies opportunistes, afin d'éviter ce qui s'est passé en Egypte.
Les normes existent. Nous en sommes même submergés. Comme l'a dit
M. Martinez, le problème est la peur du gendarme. Il faut faire respecter ces normes et faire comprendre aux compagnies opportunistes que celui qui
fraude sera pris.
Je n'ai connu que trois types de contrôles. Ils sont menés par les
autorités du pays où s'opère le contrôle. En France, c'est la DGAC qui les effectue. D'abord, dans les locaux de l'entreprise, on vérifie que les manuels, le
fonctionnement de l'entreprise sont conformes aux normes édictées. La plupart du temps, les contrôles ont lieu sur rendez-vous. Dans les entreprises où j'ai
travaillé, je n'ai pas connu d'exemple de contrôle surprise.
Il y a des contrôles en escale qui ne donnent pas les mêmes
résultats en fonction des lieux de contrôle.
Il faut aussi bien comprendre qu'un avion n'est ni neuf ni vieux et
qu'un avion bon pour le vol peut être inapte dix minutes plus tard. Un avion d'une compagnie très sérieuse vérifié en maintenance dans un lieu tout aussi
sérieux et qui a été jugé parfaitement bon pour le vol, peut être inapte au vol à l'arrivée. Ou bien l'on met quelqu'un en permanence dans les avions pour
vérifier que tout est fait, ou bien des contrôles inopinés, suffisamment dissuasifs, sont organisés pour éviter que les avions ne repartent.
Le dernier type de contrôle est généralement inopiné. Ce sont les
contrôles de l'Organisme du contrôle en vol (OCV) qui portent sur le fonctionnement de l'équipage et des méthodes d'exploitation dans le cockpit. Un pilote
contrôleur de l'aviation civile, nommé par l'administration, a toute autorisation pour pénétrer dans le cockpit. Il est très difficile de lui refuser le
contrôle au motif que le temps d'escale est court, puisqu'il participe au vol en tant qu'observateur transparent. Il valide ensuite l'ensemble des méthodes
mises au point par l'entreprise et la façon de les appliquer. Cela se fait peut-être uniquement en France, mais ces méthodes existent chez nous.
M. Caussade parlait tout à l'heure des audits. J'ai connu cela dans
mon entreprise, après qu'elle ait été affrétée par Air France sur une ligne régulière de passagers. Il y a eu enquête, transmission du dossier à Air France et
au bout de quelques jours, un commandant de bord d'Air France est venu faire un audit en vol, sans prévenir. Son rapport a été remis au service des compagnies
affrétées ou partenaires d'Air France.
Les très grandes compagnies qui veulent se développer tout en
veillant à la sécurité des vols s'imposent ce type de règles et sont même tout à fait en avance sur la réglementation et les normes. Les alliances telles qu'en
développe Air France ou d'autres entreprises dans le monde retombent en cascade sur toutes les compagnies partenaires. Mais toutes les entreprises n'ont pas
les moyens de faire cela. On a parlé tout à l'heure d'opportunisme. C'est le cas de certaines compagnies qui méconnaissent le métier.
M. Serge MARTINEZ : A propos de l'anglais, il est étonnant
d'entendre ici reprocher l'usage de l'anglais, sachant qu'il s'agit d'appliquer la loi Toubon qui s'impose à tout employeur et salarié français et que la DGAC
nous rappelle au quotidien les obligations sur l'usage de la langue française ! Le problème est donc franco-français. L'employeur doit fournir à ses employés des
notices, des règles de travail, ainsi que toute la documentation en français.
Mme la Présidente : Nous parlons de la pratique.
M. le Rapporteur : C'est la norme.
M. Serge MARTINEZ : Non, c'est la pratique, ce n'est pas la
norme. Les DAC, échelons régionaux de la DGAC, font un travail quotidien d'exploitation des documents et manuels de vol pour vérifier que la petite note avec ses
appendices fournis en anglais par le constructeur ont bien été traduits en français. Nous avons là un problème de fond, qui est une particularité
franco-française, un exemple négatif des particularités françaises.
Cela étant, il y a des aspects positifs. Les explications de M. Pilloud
sont très intéressantes. La compagnie easyJet qui est représentée ici aujourd'hui, sauf erreur de ma part, est un modèle réduit de TEA Switzerland. Il s'agit
bien de souveraineté. La Suisse n'autoriserait pas l'exploitation de lignes sur son Etat aux normes dites européennes générales. Les conditions d'exploitation
décrites aujourd'hui - je ne parle pas de sécurité, mais de normes de travail, entre autres - ne sont pas celles d'easyJet Angleterre, compagnie qui vole sur
la base d'un certificat de transporteur aérien britannique. Les particularismes peuvent ainsi parfois être intéressants.
Vous avez demandé ce que l'on peut faire. Je vais vous citer un
exemple tout simple. Un opérateur, sous réserve d'avoir les agréments de l'OACI, peut venir chercher des passagers en France. Aux Etats-Unis, la FAA au travers
de la FAR 129, ou au Canada, au travers du Transports Canada, ne l'autorisera pas sur cette seule base. Il y a quelques années, une compagnie, maintenant
disparue, avait un contrat d'affrètement pour un tour-opérateur concernant un DC 10 qui devait se poser à Québec. Le matin du vol, l'avion est tombé en panne,
ce qui peut arriver. La compagnie s'est alors adressée à l'un des opérateurs inscrits dans son manuel de vol, approuvé par la DGAC comme opérateur pouvant être
affrété ponctuellement en cas de panne. L'avion, un Tristar portugais, est parti du Portugal à vide et s'est posé à Québec. Les Canadiens ont dit qu'ils ne le
connaissaient pas. Les Portugais ont répondu qu'ils étaient OACI. Mais au regard du droit appliqué par Transports Canada, comme de la FAR 129, ce n'est pas à
la DGAC locale d'aller enquêter pour savoir si l'avion peut effectuer le transport de passagers, mais à l'opérateur de venir préalablement déclarer le type
d'opération qu'il compte faire, de prouver sa capacité en termes de fonctionnalité, de ressources financières et d'obtenir alors l'autorisation de fonctionner
au départ du territoire canadien ou américain.
De telles clauses n'existent absolument pas dans la législation
française.
Il ne faut pas faire du nombrilisme, même si les difficultés
existent en France. Des difficultés syndicales surgissent au quotidien, chaque entreprise a un délégué syndical, les relations peuvent être tendues. Je vous
engage à lire les différentes publications syndicales et vous verrez que l'aérien, comme tout secteur, est soumis à des pressions sociales, économiques,
salariales.
Mais vous avez demandé comment améliorer le transport aérien. Or, si
70 % des passagers charters sont transportés par des compagnies non européennes, nous n'aurons absolument rien résolu, si nous ne parlons que des Français.
Quel est le problème aujourd'hui ? Améliorer la sécurité en France ?
Oui. On peut toujours l'améliorer. C'est un principe de base, c'est fondamental.
L'administration de tutelle en a-t-elle les moyens ? La réponse est
oui et non. Elle a, en théorie, les moyens de le faire pour ce qui est des opérateurs européens, mais elle ne les a pas pour les opérateurs extra européens.
Parlons de l'Office de contrôle en vol, l'OCV, qui est une
particularité purement française. C'est un groupe de pilotes ne dépendant que du ministre, nommés par lui seul et ayant autorité pour contrôler en permanence,
à tout moment, avec ou sans préavis, l'exploitation des compagnies aériennes. Au titre de l'Europe, nous sommes supposés le faire disparaître. Le SNPL n'a
jamais voulu cette disparition immédiate, sans remplacement ou sans contre mesure équivalente. L'administration française ne s'est dotée que très récemment, au
travers d'une structure du SFACT, de pilotes de ligne.
On parle de contrôle, et c'est très bien. Mais qui contrôle quoi ?
Qui a la capacité de pouvoir contrôler ? Quels sont les moyens donnés à la DGAC et qui, ensuite, va être habilité à effectuer ces contrôles ?
Parce c'est aussi un problème de compétence ! Nous parlons de
l'administration, des grandes compagnies. Mais que se passe-t-il quand le problème se décline au niveau du tour-opérateur ? Comment font-ils ? Ils n'ont ni les
moyens humains ni les moyens techniques, même s'ils ont les moyens financiers. Ils n'ont pas de pilote de ligne, de directeur technique, d'ingénieur de
l'aviation civile. Comment un tour-opérateur peut-il juger de la compétence de la compagnie qui lui est proposée et pourquoi le ferait-il s'il suffit qu'il se
limite aux standards de l'OACI ? C'est le vide total !
M. Lionel GUERIN : M. Martinez m'a enlevé beaucoup d'arguments
car je partage la presque totalité de ses propos qui sont, à mon avis, très clairs et très concrets.
D'abord, sur la coopération internationale et sur l'implication des
divers Etats. M. Caussade a fait une remarque très juste : toutes ces normes que l'on partage doivent d'abord être mises en place et contrôlées par les Etats.
Ont-ils tous les moyens de le faire ? On ne le pense pas, en raison du manque de moyens financiers de certains.
Ensuite, il faut souligner qu'un certain nombre d'audits faits par
Air France et d'autres compagnies sont mis en commun dans une banque de données. Ces audits ne sont pas décidés par les PDG, mais sont mis en place par les
compagnies, avec des normes très établies, des protocoles et des standards au moins européens ou américains. En se communiquant les résultats de ces audits, on
peut faire gagner beaucoup de temps. Des audits croisés de divers transporteurs sur les mêmes compagnies permettent de détecter un certain nombre d'anomalies,
voire de déficiences, et l'on constate que tout le monde n'est pas au même niveau, effectivement.
Sur les temps de vol - pour répondre à easyJet -, il serait
intéressant de comparer ce qui se fait sur la ligne Orly/Nice. Il faudrait comparer ce que fait easyJet avec un autre opérateur français sur cette même ligne
concernant les limitations de temps de vol associés, les heures de vol maximum, la façon de travailler sur une desserte de ce type car je ne pense pas que l'on
fonctionne avec les mêmes règles sur tout le territoire français.
Vous aviez parlé aussi des améliorations des trajectoires à Nice. Je
partage votre avis, mais il faut savoir que l'ensemble des compagnies et des organisations professionnelles a contribué à l'amélioration du problème de Nice
depuis des années avec la DGAC. Il n'y a pas qu'easyJet, l'ensemble des opérateurs a beaucoup travaillé, dont les organisations professionnelles.
Ce qui est important est de comprendre que tout le transport
international n'est pas au même niveau. Vous le savez parfaitement. Et recentrer le débat sur ce point-là est essentiel.
M. Philippe PILLOUD : Je suis effectivement employé chez
easyJet Switzerland, mais je suis ici pour le groupe easyJet tout entier car je fais partie de la gestion de la sécurité pour tout le groupe easyJet.
Lorsqu'il y a des différences entre les normes suisses et les normes
anglaises, nous appliquons la règle la plus stricte. Je ne connais pas bien la réglementation française, mais la réglementation anglaise est assez stricte
concernant le temps de vol. Il serait effectivement très intéressant de comparer nos pratiques, ce qui s'inscrirait dans une plus grande communication entre
les compagnies aériennes.
Sur ce qui s'est fait à Nice, je n'ai pas dit qu'easyJet avait amené
la solution, j'ai dit qu'easyJet participe volontiers à des recherches de solutions, lorsque des problèmes spécifiques sont liés à un aéroport.
Concernant l'audit, je ne suis pas là pour célébrer l'excellent
résultat que notre compagnie a obtenu, mais pour donner les recettes que nous appliquons. Pourquoi ne pas appliquer ces règles à d'autres compagnies qui ne le
font pas ?
Mme la Présidente : Vous avez parlé du temps de travail et je
pense que vous en connaissez les pratiques. A votre niveau, le contraire me paraîtrait étonnant. Tout le monde sait que les camions Willy Baetz - dans le
transport, on ne peut pas ignorer cette constante - sont venus prendre des marchés chez nous avec une facilité déconcertante grâce à la possibilité de payer
leurs salariés bien moins cher que les salariés français et avec des temps de travail tout à fait différents. On sait parfaitement que la réglementation
irlandaise, par exemple, est différente et que de grandes compagnies françaises ont embauché, par sous-traitance interposée, des salariés qui travaillent dans
des conditions différentes en termes de salaires et d'horaires.
Nous le savons et ce que nous voudrions, c'est arriver à des
préconisations. S'il y a besoin d'accélérer la transcription de directives communautaires, il est intéressant que les parlementaires le sachent et en soient
saisis. S'il est intéressant d'édicter certaines règles, il est aussi intéressant de le savoir.
On a parlé de l'éthique avec laquelle doivent être appliquées ces
règles. S'il y a effectivement des règles françaises, européennes, internationales, certains pays n'ont pas de règles du tout et certaines descriptions de
leurs pratiques nous ont parues plus qu'inquiétantes. Il faut donc que les règles soient appliquées avec honnêteté, à défaut de zèle.
Notre mission n'a pas son compte d'informations. Si l'on veut
apporter un correctif, il faut que certains reconnaissent qu'il y a des faiblesses dans le système.
Je lisais récemment qu'un responsable de tour-opérateur, à bout
d'arguments, après avoir démontré qu'il était très fiable, que tout était bien, a fini par dire que les clients devraient être raisonnables car avec les prix
qu'ils demandent, il lui devenait impossible de tout respecter. On arrive ainsi, à force de discussion, à mettre le doigt sur certaines vérités !
M. Claude GUIBERT : Deux éléments, Mme la Présidente. J'ai
peut-être été mal compris tout à l'heure : il est hors de question de penser que je n'apprécie pas les normes et leur évolution. Les normes sont nécessaires, et
M. Martinez n'avait peut-être pas compris cela.
Pour rebondir sur ce point et sur les propos d'un autre intervenant,
les textes ou les normes pour rendre compte des incidents existent depuis cinquante ans ! Il y avait l'instruction ministérielle n° 300, l'arrêté de 1987 et
les derniers textes sur le BEA. Tout cela est organisé depuis très longtemps.
Le problème - c'est pourquoi je disais que c'était d'ordre éthique
et
culturel -, c'est que les compagnies ne veulent pas rendre compte. Elles ne veulent pas que ces informations soient transmises hors de la compagnie parce que
cela ne fait pas bien de dire qu'il y a eu des incidents.
En tant qu'expert judiciaire, cela fait dix ans que je cherche s'il
y a des éléments précurseurs dans les accidents. Je peux vous dire que j'ai beaucoup de mal à faire parler certains équipages après coup et que j'en apprends
plus par les « on-dit » ou des recherches personnelles que par un système établi de comptes rendus d'incidents. J'espère que cela va changer, comme tout le
monde, mais je n'en suis pas du tout certain.
Quant au système de non punitive policy, le système dont on a
parlé tout à l'heure, je vous souhaite bien du plaisir pour le mettre en place et pour le faire fonctionner ! Pour l'instant, les juges d'instruction, que je
côtoie tous les jours, se limitent à appliquer le code pénal et la procédure pénale.
Pour en venir à ce que vous nous demandez, c'est-à-dire des
solutions concrètes, l'OACI repose sur deux principes : à la fois faciliter les escales des passagers et les passages des compagnies sur notre sol et exiger
des contrôles techniques.
Je pense qu'il faut s'organiser d'une façon ou d'une autre - et cela
rejoint les propos tenus sur les moyens de la DGAC - pour faire de véritables contrôles techniques sur certains avions.
Les tour-opérateurs travaillent par « chaînes de vol » : un contrat
est passé avec une société qui va prendre les passagers et les emmener pendant une saison IATA, c'est-à-dire cinq à six mois. Je pense que si l'on exigeait du
tour-opérateur, en le prévoyant dans le contrat, que pendant les trois premiers vols, il fasse, au minimum, une escale de quatre heures, sur le premier terrain
français où ils viennent chercher des passagers, on pourrait facilement mettre cinq ou six personnes du bureau Véritas ou du GSAC, y compris un pilote et un
spécialiste des opérations. Il est certain qu'en trois ou quatre heures, cinq personnes ont le temps de voir ce qu'il est intéressant de vérifier d'autant que,
la plupart du temps, on sait ce que l'on cherche. Une personne toute seule à deux heures du matin avec une lampe ne le peut pas !
Mme la Présidente : Pourquoi dans les trois premiers vols ?
M. Claude GUIBERT : Parce que l'on ne peut pas exiger d'une
compagnie de faire quatre heures d'escale à chaque fois pendant six mois. Un avion est conçu pour faire une heure ou une heure et demie d'escale. Chaque fois
qu'il est au sol, cela coûte cher. On pourrait le demander pour les trois premiers vols, mais il ne s'agit que d'un exemple. Cela pourrait être pendant les cinq
ou les deux premiers vols.
Autre axe sur lequel travailler : le prêt de pavillon. Par exemple,
un vol est prévu comme devant être opéré par la compagnie « Tartempion Airline », vol 4325. Beaucoup de ces vols se font le week-end. Dans cette compagnie, on
sait très bien que l'on n'a pas d'avion pour faire ce vol, mais on attend le vendredi soir, après 17 heures, pour demander aux permanents de la DGAC
l'autorisation d'affréter, au dernier moment, « Trucmuche Airline » qui n'est pas du tout dans le système français ou quelquefois, qui n'a même pas l'habitude
de venir en France. On ferait bien de regarder de ce côté-là aussi !
Mme la Présidente : Voilà des éléments intéressants. Je vous
remercie.
M. Ghislain BRAY : Cela se précise !
M. Serge MARTINEZ : Je ne pense pas que l'on ait, en trois ou
quatre heures, la possibilité d'inspecter un avion. Pour avoir organisé ou subi des audits, ou avoir mis des compagnies à niveau pour être « auditables », je
sais qu'il faut beaucoup plus de temps. Il ne s'agit pas d'aller voir un appartement témoin et de savoir si ce que l'on vous dit est joli, mais de savoir si tout
ce que l'on vous dit est vrai.
De même, quand on dit que l'on sait ce que l'on cherche, je dis
non ! Dans le cadre de la restructuration d'une grande compagnie du Moyen Orient, il m'a fallu six mois pour comprendre et trouver ce que je cherchais. C'est
très compliqué.
Le système de « l'appartement témoin » qui consiste à venir avec de
jolis documents pour dire que tout va bien n'est pas suffisant. C'est un piège et les Américains ne le tolèrent pas. Tout à l'heure, à la fin de mon exemple,
j'ai d'ailleurs omis de vous dire que l'avion qui s'était posé à vide à Québec est reparti à vide. N'étant pas connu, il ne pouvait pas prendre de passagers.
L'obligation pour l'opérateur de se déclarer au préalable est très, très importante.
Pour ce qui est des tour-opérateurs et des vols affrétés à la
dernière minute, il faut savoir que 80 % de ces vols passent par des brokers, c'est-à-dire des courtiers spécialisés qui recherchent des avions pour
eux. Il faut modifier la loi pour que ces brokers soient responsables de ce qu'ils fournissent. C'est à eux d'acquérir les moyens techniques et
professionnels de garantir au tour-opérateur et/ou à la compagnie qui n'en aurait pas l'intégralité des moyens, que le vecteur aérien fourni correspond bien à
un standard acceptable.
Aujourd'hui, lorsque des compagnies comme Air France, Star Airline
ou Corsair affrètent une compagnie aérienne, elles vont d'abord l'auditer. Quand un tour-opérateur affrète à la dernière minute par un broker, il ne
fait rien. La compagnie a le droit de voler, elle a le droit de venir se poser ; elle se pose, embarque les passagers et repart. Il faut donc absolument que
les intermédiaires, dans ce marché de l'aérien, soient à la fois responsables économiquement - ils le sont - et juridiquement - ils le sont aussi -, mais il
faut aussi qu'ils soient maintenant garants au plan technique, auprès de l'administration, comme auprès du client.
Je vous confirme que trois heures ne suffisent pas pour savoir
comment fonctionne une compagnie. Le problème n'est pas de savoir si la personne a une licence de pilote de ligne, mais de savoir où sont faits les cours, qui
les fait et comment. Il faut savoir s'il y a un système de sécurité des vols. Faut-il se contenter des réponses données au moment du contrôle de l'avion ?
Certainement pas ! Le passage obligé par le siège de la compagnie est souvent révélateur de ce qui s'y passe. Si l'auditeur s'installe pendant quatre ou cinq
jours dans les locaux, il a déjà un premier sentiment sur la culture de l'entreprise. Or, la sécurité est avant tout un problème de culture.
Aujourd'hui, ne croyez pas que les très grandes compagnies sont
forcément mieux protégées que les petites. Il y a d'énormes problèmes en Asie du sud-est avec des compagnies, partenaires quelquefois de grandes alliances, qui
n'ont absolument pas de culture de la sécurité. Et cela pose d'énormes difficultés aux grands groupes.
Pour en revenir à la dernière partie des JAR, qui n'est pas encore
publiée, le FTL (fly time limitation), la limitation du temps de travail, je rebondis sur la particularité suisse. La Suisse ne fait pas partie de
l'Europe. Elle a conservé ses normes et ses règlements. Aujourd'hui, la Suisse peut effectivement se targuer d'avoir un niveau d'utilisation de ses équipages
qui reste dans une mesure soit acceptable, soit contrôlée, soit issue d'un passé et d'une historicité. Le projet de FTL est à l'étude à la FNAM et dans
l'ensemble des directions. Tout le monde y travaille. Mais qui va redéfinir ce que seront ces futures normes d'utilisation ? Les avis médicaux ont-ils été
vraiment pris pour savoir si c'est raisonnable ?
Si TEA Switzerland, qui est easyJet Switzerland aujourd'hui, a un
système très présentable, pour autant, faire six jours d'affilée, entre quatre et six étapes par jour comme c'est le cas d'easyJet Angleterre, avec une
pression très forte, parce qu'il s'agit d'étapes très courtes, n'est-ce pas fatigant ? Je pose tout simplement la question. Je ne suis pas médecin, je n'ai pas
la capacité de le savoir. Je peux le vivre, je peux donner mon avis, essayer de le faire, mais il est important que les études médicales et les avis médicaux
produits dans le monde entier soient pris en compte dans la rédaction de ces textes.
Pour rebondir sur de précédents propos : oui, il y a des patrons
« voyous », oui, il y a des entreprises « voyous ». Il y a de tout dans ce monde, mais les textes le permettent parfois.
Je reviens encore sur easyJet, qui est un très bon exemple. TEA
était un grand groupe européen créé dans les années 90 avec des branches en France, en Belgique, en Suisse, en Angleterre. Après la première guerre du Golfe et
avec la crise économique qui a suivi, toutes les branches ont coulé, sauf la branche suisse qui a très bien vécu sous le nom de TEA Switzerland, puis qui s'est
fait racheter par easyJet. Pourquoi a-t-elle pu survivre ? Parce qu'en droit suisse, pour créer une compagnie, il faut débloquer l'intégralité du capital et le
laisser bloqué en banque, alors qu'en France on peut le faire en débloquant un quart du capital et en le mangeant dans les trois mois qui suivent ! La sécurité
est souvent un problème d'argent.
M. Michel HERBILLON : Le responsable d'easyJet, M. Pilloud, a
parlé de l'audit fait en Suisse. Je voudrais savoir si un audit a été fait sur easyJet Grande-Bretagne. Si tel est le cas, pourquoi ne l'a-t-on pas et en quoi
est-il différent ou similaire, sinon identique, à celui concernant easyJet Suisse ?
Par ailleurs, je crois que, même quand le rapport d'audit est
favorable, des améliorations peuvent toujours être apportées. Dans le domaine spécifique de la sécurité, entendue au sens large, je souhaiterais qu'il nous
dise quels sont les domaines dans lesquels sa compagnie - tant pour la partie suisse que britannique - travaille à des améliorations.
Ma troisième question revient de façon récurrente lors de nos
auditions et s'adresse à nos divers interlocuteurs : pourquoi y a-t-il une telle opacité sur un point tout à fait crucial à nos yeux, qui est la relation des
différents types d'incidents, leur exploitation et la mise en _uvre de correctifs ?
M. Philippe PILLOUD : Merci à M. Martinez de plébisciter
easyJet Suisse.
Je ferai une petite correction : les normes suisses sont en fait
moins restrictives que ce qui s'applique aux JAR ou en Angleterre, c'est pourquoi nous appliquons les normes anglaises à notre compagnie. Si nous suivions les
normes suisses, nous pourrions travailler beaucoup plus que nous ne le faisons actuellement.
On a souvent parlé des moyens. C'est crucial, mais il s'agit moins
de s'intéresser à des entreprises qui pratiquent des coûts ou des prix bas qu'à celles qui n'ont pas les moyens d'assurer une sécurité aérienne.
L'audit d'easyJet a été fait par le gouvernement suisse pour les
entreprises suisses. Il y est relevé que : « Les synergies utilisées dans le groupe résultent d'une gestion de la sécurité supérieure à la moyenne ».
Nous avons beaucoup appris de nos collègues anglais sur la sécurité aérienne. J'encourage toutes les compagnies européennes à se rapprocher des compagnies
anglaises pour ce qui est de la sécurité aérienne.
Cet audit nous a fait la recommandation d'introduire un système de
relevé et d'analyse des données de vol. L'audit a été fait en février 2003, le rapport est sorti en juillet 2003, alors que nous étions déjà en train de mettre
en place ce système. Celui-ci a été introduit l'année passée, au mois de juin. C'est la seule recommandation de cet audit à notre égard.
Nous sommes même allés plus loin : nous allons introduire en juin
prochain, avec la participation d'Airbus, un système appelé « line opération assessment system ». Des observateurs viendront dans le cockpit et
examineront le travail des pilotes en fonctionnement normal.
M. Yves ROGER : M. Pilloud, je persiste à croire que vous êtes
un peu fâché avec les chiffres. Je suis à peu près d'accord avec ce que vous dites, mais 80 heures en moyenne par mois, je continue à dire que c'est beaucoup.
Douze jours de congés par mois, c'est beaucoup aussi. Cela fait 144 jours par an, soit plus du tiers du temps en congés. Pour les congés, les normes sont de
trois à quatre jours par mois. Pas plus ! Il y a congés et repos. C'est un peu différent. (Est-ce bien cela que vous avez voulu dire ?)
Pour revenir à l'anglais, le problème est que les pilotes parlent un
anglais très technique en utilisant toujours les mêmes termes. Ils ne restent pas assez longtemps dans les escales pour parler la langue quotidienne. Si les
contrôleurs ou d'autres personnels se mettent à parler un peu vite, ils ne comprennent parfois pas bien. Mais comment faire ? Il faudrait pratiquer beaucoup
l'anglais pour le parler correctement.
Je reviens sur la question de la transparence. Elle est le dernier
argument quand il n'y en a plus. Après un incident grave, j'entends la direction dire qu'elle joue la transparence. Evidemment, il n'y a plus que cela à
jouer ! L'incident est si grave que tout le monde est au courant. Il y a vite des fuites en cas d'incident grave ! La transparence ne veut pas dire
grand-chose. C'est quelquefois la dernière excuse.
Les contrôles dans l'entreprise ? J'ai vu des gens de la DGAC dans
mon entreprise. Mais ils ne sont pas venus me voir, pas plus que mes collègues. Ils n'ont pas lu les rapports des commandants de bord, ceux qui sont rédigés
dans les cockpits au moment des incidents, qui sont ensuite reproduits en plusieurs exemplaires et transmis. Ils ne viennent pas trouver les organisations
syndicales, mais ils vont trouver le PDG qui leur donne sa bonne parole, évidemment. Voilà ce qu'est un contrôle en entreprise ! Cela se termine en général par
un bon déjeuner !
Je souhaite revenir aussi sur la responsabilité du commandant de
bord qui est incontournable. Il a une responsabilité juridique, pénale, civile. Sa responsabilité est très grande. La question de M. Herbillon sur l'opacité
est liée à cela. En cas d'incident, tout le monde se demande qui va endosser la responsabilité, qui va prendre les sanctions. La direction ? Ou bien va-t-on
mettre cela sur le dos de l'équipage ou des techniciens ? Voilà la cause de l'opacité !
En cela, je suis d'accord avec M. Guibert. On apprend beaucoup plus
par les bruits de cockpit que par la voie officielle. Quand on fait une enquête, il ne faut surtout pas écouter la voie officielle. Je fais actuellement des
enquêtes, je vais voir les gens directement et je vérifie aussi les bruits de couloir. C'est ce qu'il y a de plus efficace pour arriver à la vérité.
M. Pierre CAUSSADE : Je voudrais m'inscrire un peu en faux avec
ce qui vient d'être dit, même si beaucoup de points convergent. Les bruits de couloir sont une source d'information, mais il ne faut pas non plus mettre en cause
- je parle pour les compagnies françaises que je représente, mais aussi pour d'autres - la rigueur, l'honnêteté intellectuelle et professionnelle des différents
salariés de l'entreprise qui exercent des postes de responsabilité, bien identifiée.
La DGAC est une administration contraignante qui pourrait, certes,
progresser, mais nous avons déjà des obligations de compte rendu d'incidents et d'anomalies, sur une base ponctuelle quand l'incident est significatif, sur une
base régulière pour les événements qui, pris isolément, ont moins d'importance, mais qui peuvent en avoir s'il apparaît qu'ils se multiplient. Donc, au moins
pour ce qui est de la France et de la relation entre la DGAC et les compagnies françaises, la sécurité est un mouvement perpétuel pour progresser toujours. Je
ne peux pas laisser dire que les entreprises « organisent » l'opacité. C'est l'honnêteté, la rigueur et la conscience professionnelle des différents dirigeants
qui pourraient être en cause. Nous avons le culte du compte rendu et de la transparence sur les opérations et nous jouons la carte de la transparence, au
quotidien, avec la DGAC. Je tiens à réaffirmer assez solennellement notre engagement, que ce soit pour la compagnie que je représente, mais par culture
partagée, pour beaucoup de compagnies françaises aussi.
M. Lionel GUERIN : Vous avez parlé tout à l'heure d'opacité des
retours d'expérience. J'ai compris que vous vouliez des précisions.
La directive européenne 2003-42 impose la mise en place d'un système
de recueil et d'enregistrement des rapports d'incidents.
Au niveau national, comme l'a dit M. Guibert, la non punitive
policy
- l'impunité pénale - est importante à notre sens car tous les salariés de l'entreprise doivent être à l'aise pour assurer un retour d'expérience qui est
fondamental pour la sécurité. Au cours de notre vie professionnelle, nous pouvons tous connaître des incidents. Il est important d'en tirer des conclusions
pour apporter des améliorations, au bénéfice de tous.
M. Michel HERBILLON : Vous dites qu'il y a des directives et
des normes. Soit ! Mais dans la pratique, que se passe-t-il ? Nous avons vraiment le sentiment que les anomalies, les incidents ne sont pas toujours exploités
comme il conviendrait pour toutes sortes de raisons qui ont été dites au cours de nos auditions. C'est un élément assez grave quand on s'interroge sur
l'amélioration de la sécurité du transport des voyageurs.
Nous avons l'impression que des raisons internes à l'entreprise,
comme la réticence à établir les responsabilités etc., font que l'on n'exploite pas comme il conviendrait les anomalies et incidents de toutes natures, quelle
que soit leur importance. Pourtant, cela nous semble être un élément déterminant pour améliorer la sécurité des passagers et donc l'image des différentes
entreprises de transport aérien.
M. Lionel GUERIN : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Mais
le constat que vous faites a dû être fait, puisque cette directive est sortie en 2003 et a été présentée fin 2003 aux aviations civiles locales. Elle est donc en
cours d'application. Mais, vous avez raison, le fait d'insister sur ce point est fondamental pour améliorer encore la sécurité.
J'ajoute que si le retour d'expérience est fondamental en interne,
il l'est aussi en externe. En interne, au niveau de l'Etat français, la dépénalisation est un élément très important pour favoriser le retour d'expérience. On
ne peut qu'appuyer cette démarche. Au niveau international, au moins européen, il est aussi très important que ces nouvelles directives obligent les Etats et
les compagnies à participer au retour d'expérience.
Aujourd'hui, on a déjà avancé. Les officiers de sécurité de vol se
réunissent. Ma petite compagnie participe aux réunions des compagnies régionales françaises. Chaque événement est analysé par le BEA. Quand on veut faire, on
peut faire !
Pourquoi une certaine opacité est-elle apparue dans vos auditions ?
Peut-être par peur de médiatiser des informations qui seraient mal comprises ?
Au niveau international, notamment à Bruxelles, c'est en légiférant
que l'on pourra mettre en place le retour d'expérience et l'imposer de manière plus contraignante aux compagnies internationales.
M. Claude GUIBERT : J'ajouterai que depuis les années 70, UTA,
suivi par Air France, a commencé à pratiquer le reporting interne et l'analyse des vols. Cela fonctionne, même si des améliorations sont possibles et même
si cela a mis un peu de temps à se mettre en place.
Le problème est de faire « sortir » les informations de la compagnie
pour les porter à la connaissance du BEA. Or - je le répète -, les textes existent depuis cinquante ans. Malgré cela, en tant qu'expert judiciaire disposant
d'un certain pouvoir d'investigation, je peux vous dire qu'à la DGAC ou chez le constructeur, on ne trouve quasiment rien. Cela ne « sort » donc pas et on peut
aisément le vérifier de manière factuelle. Je n'invente rien. Je suis en train d'enquêter sur un incident récent et je peux vous dire que les événements
antérieurs similaires existaient et ne sont pas « sortis » hors d'un petit cercle d'initiés interne à la compagnie. Et cela pour de nombreuses raisons d'ordre
culturel que l'on a un peu évoquées et qu'il serait peut-être trop long de développer à nouveau ici.
La solution n'est pas de faire des textes, mais de les appliquer et
de mener une politique de sécurité proactive - le terme a été utilisé par notre collègue d'easyJet. Il faut convaincre les compagnies d'accepter cette
pseudo mauvaise impression que pourrait causer la déclaration d'incidents, au lieu d'empêcher que l'information ne sorte. Ce n'est pas par volonté de
cacher, mais le système fait que l'information ne sort pas. C'est factuel. Et je suis bien placé pour le dire !
M. Yves ROGER : Il y a bien une opposition entre la
transparence et l'opacité, à un point tel que l'opacité est quelquefois délibérée. C'est bien là le problème. Ceux qui prétendent faire de la transparence
pratiquent quelquefois l'opacité la plus grave.
M. Serge MARTINEZ : Pour être très honnête, oui, il y a un
problème de culture.
Dans les années 90, nous avons introduit le CRM (Crew ressources
management), qui est en fait la gestion des ressources humaines au sein de l'équipage. Très rapidement, nous avons regardé ce qui se pratique dans les
autres pays : les Anglo-saxons ont une culture de l'échec différente de celle des Latins et des Asiatiques. C'est un problème fondamental sur lequel nous,
syndicats, travaillons au travers des commissions techniques auxquelles nous participons, et auquel je travaille lorsque je prends ma casquette d'instructeur
au quotidien.
Que peut-on faire pour améliorer la situation ? Pour ce qui concerne
les pays occidentaux, nous améliorerons tout doucement les problèmes de cultures propres à chaque nation, parce que la culture évolue et qu'elle se mondialise.
La mixité fait que la plupart des jeunes qui embrasse notre profession boit du Coca, regarde les films américains, et adopte une gestion anglo-saxonne de la
vie. Cela vaut pour les citoyens et pour les pilotes.
Pour autant, il faut peut-être que le législateur nous aide à le
faire. Il y a bien des obligations de contrôle en vol et, au retour, sur les enregistreurs de vol - je ne parle pas de ceux qui servent en cas d'accident, mais
de ceux qui servent au quotidien pour vérifier le contrôle et l'utilisation des avions par les équipages - mais il n'y a rien pour protéger les salariés.
Que se passe-t-il ? L'opacité dont vous parliez est effectivement un
vrai problème. Où le système fonctionne-t-il bien ? Il fonctionne dans l'entreprise qui s'est dotée, non seulement de structures syndicales ou para syndicales
ayant permis de développer une culture de sécurité, mais surtout qui s'est dotée de clauses permettant de protéger le salarié.
Faire de la transparence, c'est très bien et le législateur prévoit
que l'on vérifie l'exploitation de nos aéronefs. Tous les avions qui volent aux normes JAR en France ou en Europe procèdent donc à des analyses de vol
systématiques. De même, les exploitants savent très exactement comment leurs équipages exploitent leurs avions.
Mais que faire de l'erreur ? L'erreur est naturelle, elle est le
fait de tout être humain. Elle est d'ailleurs profitable. On apprend beaucoup des erreurs que l'on fait. C'est ainsi que les enfants apprennent. Les adultes
ont un autre mode de fonctionnement, mais la règle est aussi valable pour eux.
Si le législateur a bien prévu l'analyse des erreurs, il n'a pas
prévu de protection. Or, le système est d'autant plus transparent et fonctionnel que les structures locales, au sein de l'entreprise, ont permis d'obtenir un
accord de confidentialité par exemple. Un accord prévoyant également quand et pourquoi on peut lever la confidentialité.
Or, la DGAC, l'arme du pouvoir régalien, n'aide pas les syndicats à
mettre ces processus en _uvre dans les entreprises. Car, initialement, il est vrai, les processus sont souvent facteurs de blocage.
Faisons fi des problèmes d'opacité liés à la culture et qui
évolueront ! Les autres problèmes sont liés à des choses très simples : tout salarié d'une entreprise a un devoir de réserve, mai, au sein de l'entreprise,
comment sera utilisée cette information sur l'erreur ? Va-t-on valoriser la personne qui décrira un problème ? Va-t-on aller au bout de la transparence, comme
cela se fait dans certains groupes franco-français où sera publié de manière anonyme l'ensemble des incidents pour permettre un échange permanent d'idées ? Ou
bien aura-t-on un système inverse, avec des syndicats qui joueront le rôle du syndicalisme de base visant à la protection du salarié, quitte à bloquer le
système quand, dans une entreprise, il n'y a ni protocole ni encadrement de ce retour d'expérience ? C'est fondamental.
Mme la Présidente : On progresse ! On y a mis le temps, mais
c'est très intéressant.
M. Michel DUCAMP : Ce qui vient d'être dit est remarquable et
j'y souscris. On voit bien que la difficulté que l'on peut rencontrer au sein de l'entreprise pour faire remonter certaines informations est liée à la façon dont
on pratique les rapports sociaux dans les entreprises françaises.
Mais pour avoir pratiqué des entreprises américaines - Boeing, Mc Donnell
et autres -, je ne me souviens pas avoir assisté à des lavages de linge sale en public. Il ne faut pas non plus enjoliver et décrire autrement qu'elle n'est,
la réalité des pays anglo-saxons.
Sur le retour d'expérience, l'analyse qui vient d'être faite est une
des raisons pour lesquelles le problème a été abordé sous divers aspects.
Le projet de directive européenne qui a été évoqué plusieurs fois,
et dont je vous ai remis une copie, est une façon de faire remonter l'information au niveau de l'autorité et de la mettre, de manière aussi indépendante que
possible, à la disposition de tout usager potentiel.
Mais je rappelle que ces problématiques se sont posées, dès
l'écriture des premiers projets de textes concernant la réglementation opérationnelle et que, notamment, on fait obligation à l'employeur, lors des stages de
recyclage, dits de « rafraîchissement », qui figurent dans le JAR-OPS, de faire une synthèse des incidents et des situations dignes d'intérêt pour y
sensibiliser les pilotes, notamment, et ainsi améliorer constamment leur formation.
Après la citation de l'article par M. Martinez sur les programmes de
prévention de l'exploitant et de sécurité des vols qui sont une obligation au titre du paragraphe OPS 1.037, je cite l'appendice 1 au paragraphe 1-965 sur
l'entraînement et le contrôle périodique des pilotes qui requiert « un cours au sol dont le programme doit comprendre un bilan des accidents, incidents et
événements significatifs ». C'est une obligation de l'organisation des entreprises qui font de l'exploitation aérienne.
Comme ceci ne suffit pas, l'attention a été portée, ces dernières
années, sur ce que l'on appelle les « facteurs humains ». Cela consiste à montrer aux personnels qu'il est nécessaire de s'intéresser ou de s'interroger pour
prendre conscience des erreurs que l'on peut commettre et en même temps, faire évoluer la culture de la faute ou de l'erreur avouée ou de l'intérêt de partager
une information qui n'est pas a priori valorisante pour la personne qui en a été soit victime soit témoin.
Dans les dernières versions des documents qui définissent les
obligations de formation des personnels de maintenance, on vient d'ajouter une formation obligatoire de tous les personnels de maintenant aux facteurs humains,
comme on l'a fait pour les pilotes, il y a quelques années.
Mme la Présidente : J'ai vu que M. Roger réagissait aux propos
de M. Ducamp.
M. Yves ROGER : M. Guibert a parlé de CRM et de facteurs
humains - il avait raison - et ses propos ont été repris par M. Ducamp qui a évoqué, en outre, les stages de recyclage. Mais tout cela s'adresse uniquement au
personnel navigant de l'entreprise et pas à toute l'entreprise. Or, l'opacité est l'affaire de toute l'entreprise. D'ailleurs, c'est plutôt l'affaire de ceux qui
ne sont pas navigants que du personnel navigant.
Ces systèmes qui ont été mis en place ne concernent que les
personnels navigants. C'est pourquoi j'ai mis l'accent sur l'importance que doit avoir le personnel navigant dans la hiérarchie d'une entreprise.
M. Ghislain BRAY : J'ai vraiment apprécié les informations
livrées dans le débat de cet après-midi. On s'aperçoit que tout n'est pas si simple. Si nous avons fait un grand pas dans notre compréhension des problèmes,
c'est aujourd'hui. D'abord, parce que certaines propositions semblent se dégager et ensuite, parce que certains constats n'étaient pas aussi évidents, il y a
encore quelque temps.
J'avais posé, lors d'une précédente réunion, la question de
l'anonymat et de la déclaration des incidents de vol. Je n'arrivais pas à comprendre que l'on puisse déclarer des incidents survenus lors d'un vol, sous
couvert de l'anonymat, alors que le pilote et les personnels navigants sont connus.
Je crois comprendre, à travers votre propos, que l'anonymat est
justifié par l'absence de protection juridique du personnel et que vous attendez du législateur qu'il permette de lever, entre autres mesures, une partie de
l'anonymat. Est-ce bien cela ?
M. Serge MARTINEZ : Non. Au contraire ! Pour que le système
fonctionne bien, il faut garder l'anonymat. La levée d'anonymat n'intervient qu'en cas d'incident très grave et d'incident non déclaré. Ce qui est grave, c'est
de savoir ce que font les pilotes dans le cockpit. Vous venez de raisonner en franco-français en valorisant l'erreur. Est-il grave de faire une grosse erreur et
de la déclarer ou bien de faire une petite erreur et de ne pas la déclarer ?
Dans notre métier, on ne peut faire avancer la sécurité que si l'on
a le courage de déclarer l'intégralité de ses erreurs. Est-il intéressant de savoir qui a commis une erreur ? N'est-ce pas plutôt l'erreur elle-même qui est
intéressante ? Il est fondamental de raisonner sur l'erreur. Pourquoi ? Parce que plus on a de retours d'information sur l'erreur, plus on peut s'apercevoir
qu'il y a peut-être un défaut de formation ou de conception ou d'application ou de réglementation.
L'anonymat est l'élément fondamental de tout retour d'expérience.
Sinon, vous aurez toujours des personnels qui auront l'impression d'avoir une épée de Damoclès sur la tête et qui, de peur de ne pas être protégés, partiront
du principe « pas vu, pas pris. » Il faut rompre avec ce système, et c'est en cela que le législateur peut nous aider
M. Michel HERBILLON : Vous considérez donc que l'anonymat est
une bonne chose ?
M. Serge MARTINEZ : Primordiale et essentielle au
fonctionnement.
M. Yves ROGER : Et pas seulement chez les pilotes.
M. Serge MARTINEZ : Au sein de l'entreprise. Je disais tout à
l'heure que la sécurité est un problème de culture, ce qui explique que l'on ne peut pas faire des audits en deux ou trois heures. Il faut s'installer dans
l'entreprise qui doit être auditée et sentir la présence d'une « culture de la sécurité ».
M. Philippe PILLOUD : Je salue très fortement les propos de
M. Martinez. Je pense, effectivement, que l'anonymat est la première condition pour encourager les personnels à rapporter les événements.
Je peux donner un exemple sur la culture de la sécurité dans
l'entreprise qui illustre aussi la différence culturelle entre Français et Anglo-Saxons.
EasyJet Angleterre avait quatre fois plus de rapports d'incidents
qu'easyJet Suisse. Nous avons choisi l'approche selon laquelle nous ne sommes pas quatre fois meilleurs, mais que nous avons quatre fois moins d'incidents
rapportés. Pendant six mois, nous avons fait un travail très intensif de promotion avec des affiches dans toute l'entreprise, en citant en exemple les
incidents qui avaient été rapportés sans aucune conséquence, en faisant un retour d'information au personnel.
Nous avons aujourd'hui le même nombre de rapports en pourcentage
qu'en Angleterre. Cela demande un énorme travail d'inciter les personnels à rendre compte. Dans ce travail, nous avons aussi impliqué les syndicats. C'est une
nécessité.
Mme la Présidente : Je crois que dans ce débat, dans cette
petite confrontation entre vous, nous avons pu dégager des idées et vous amener à reconnaître certains points qui méritaient d'être améliorés.
Vous êtes ici des représentants des pilotes et des grandes
compagnies. J'aurais souhaité vous poser une question qui me tracasse. Pour m'occuper de transport, en particulier aérien, j'ai lu des choses qui m'inquiètent
un peu.
J'aimerais connaître d'abord l'avis des pilotes, puis celui des
compagnies, sur les nouvelles conditions d'approche des aéroports qui, d'après certains écrits, ne permettraient pas de conserver les mêmes conditions de
sécurité que les conditions précédentes. Est-ce exact ? Pour protéger les populations du bruit et pour respecter des normes environnementales, met-on parfois
en difficulté ou en péril la sécurité des pilotes, des passagers et des personnes qui habitent sous ces voies aériennes ?
M. Pierre CAUSSADE : Tout à l'heure, on a opposé économie,
profit et sécurité. A présent, vous nous questionnez sur une autre confrontation très intéressante : progrès dans le respect de l'environnement et sécurité.
Clairement, notre métier n'est pas simple et c'est pourquoi vous
avez affaire ici à des gens passionnés, qu'ils exercent leur métier en tant que navigant, ingénieur ou responsable au sol. Il faut être très prudent, parce que
des considérations environnementales peuvent pousser à privilégier certaines procédures plutôt que d'autres.
Dans l'histoire récente du transport aérien en Europe - je pense à
un accident qui s'est produit à Zurich -, des considérations d'environnement peuvent être, non pas la cause d'un accident, mais une cause contributive. Il y a
là un équilibre délicat qui, comme tout équilibre entre deux objectifs, peut trouver des solutions. Il y a tout à fait matière à progression dans le domaine de
l'environnement, tout en respectant la sécurité. C'est un problème d'équilibre entre la pression d'un objectif et le respect de l'environnement.
Je ne sais pas à quelle évolution de procédure vous faisiez
allusion. L'aéroport de Nice est bien connu parce il est au bord de l'eau, de la montagne et de la ville. Les procédures sont donc un peu compliquées. La
profession entière cherche à progresser pour conserver un bon niveau de sécurité et, même pour l'améliorer, tout en progressant en matière environnementale.
Vous venez de mettre le doigt sur une préoccupation qui est
réellement délicate dans notre profession.
M. Yves ROGER : Pour répondre plus précisément à votre
question, les nouvelles procédures ne mettent pas plus qu'avant la sécurité en jeu. Les trajectoires sont sûres, notamment à l'arrivée. Par exemple, l'arrivée
sur Orly se faisait par le nord ; maintenant, on arrive par le sud. Cela ne change pas grand-chose.
Mme la Présidente : C'est plus la question des altitudes.
M. Yves ROGER : Oui, il y a des altitudes différentes, mais
l'altitude la plus basse est quand même une altitude de sécurité. Ce n'est pas parce que l'avion vole bas qu'il n'est pas en sécurité. Du moment qu'il a la marge
nécessaire par rapport aux obstacles, il est en sécurité. Avant, l'avion volait plus bas ; maintenant, il vole plus haut pour faire moins de bruit, mais c'est
tout.
Contrairement à ce que l'on peut penser, le problème se pose au
départ. Au départ, pour l'avion qui décolle avec un gros quadriréacteur à pleine charge à Orly, la procédure anti-bruit consiste à s'éloigner le plus
rapidement possible du sol, avec des vitesses très faibles. C'est cela qui peut être dangereux. Il y a, certes, une échappatoire : si le commandant de bord
pense qu'il y a un danger à effectuer la procédure anti-bruit, il peut l'abandonner immédiatement. Mais ce n'est pas si facile avec un gros quadriréacteur à
pleine charge. Imaginez qu'au décollage, avec procédure anti-bruit, l'avion prenne des oiseaux dans une aile. Sur un quadriréacteur, cela se passe avec deux
réacteurs, alors que sur un biréacteur, cela se passe avec un seul réacteur. Si le biréacteur est fait pour voler avec un réacteur, le quadriréacteur n'est pas
fait du tout pour voler avec deux réacteurs, au décollage à la masse maximum. Cela fait un crash dans la banlieue avec les six cents personnes à bord et
probablement cinq mille morts au sol ! C'est très dangereux.
On n'arrête pas de nous mettre en avant les procédures anti-bruit et
on nous pousse à décoller avec des masses élevées et à des vitesses très faibles - on disait autrefois « pendu aux hélices. » Avec les réacteurs, c'est un peu
dangereux.
M. Serge MARTINEZ : Pour répondre très précisément à votre
question, il faut revenir un peu dans le passé.
Sous les gouvernements précédents - en particulier, la dernière
impulsion remonte à l'ouverture des troisième et quatrième pistes de Charles de Gaulle - des tables rondes ont été organisées, auxquelles participaient la FNAM,
le SNPL et certains autres syndicats, ainsi que les riverains. Dans la charte qui en est résultée, les compagnies, les exploitants et les pilotes ont accepté
de réfléchir à un certain nombre de nouvelles mesures propres à réduire l'impact sonore sur les riverains et permettre l'extension de Charles de Gaulle.
Parfois, le système se met en route et dans d'autres cas, on perd
l'historicité du système. En l'occurrence, il est vrai qu'aujourd'hui, on a un peu perdu cette historicité. Le changement de ministre, le changement
d'administration, etc. nuisent souvent à la mise en place des structures et des commissions.
Vous avez raison : oui, il y a un fort besoin de coopération entre
les différents partenaires, oui, il y a fréquemment incompatibilité entre l'amélioration de la sécurité - qui est notre but au quotidien - et la diminution des
nuisances. Souvent, il est nécessaire de faire un compromis.
Nice est vraisemblablement l'exemple du plus mauvais des compromis.
Nice s'est vu attribuer en 1996 une « black star » de la part de l'IFALPA20,
la fédération internationale des associations de pilotes de ligne. Sept terrains dans le monde ont reçu cette étoile noire, ce carton rouge, ce mauvais point,
qui signifie que l'aéroport présente des difficultés. L'illustrissime Hong-Kong est maintenant fermé. Il nous reste Nice, particularité franco-française. A
Nice, un travail a été entrepris avec la DGAC sous le ministre de l'époque, M. Pons, avec l'organisme du contrôle en vol, avec le SNPL, au travers de notre
commission technique, la COMETEC, pour essayer de faire évoluer les solutions. A Nice, il est vrai qu'on a un peu échangé du bruit contre de la sécurité.
Aujourd'hui, les conditions de réalisation de l'approche en piste 04, appelée « Riviera », sont peut-être moins bruyantes pour les riverains, mais pour cela,
on peut dire que l'on a plutôt dégradé les conditions de sécurité.
En permanence, il faut trouver un juste milieu. Nous sommes
conscients que l'on ne pourra pas développer le transport aérien si l'on continue à faire du bruit. Il n'est pas question de ne pas se soucier de ce qui se
passe dessous. Pour autant, les impératifs de sécurité sont permanents.
L'IFALPA, qui regroupe pour le SNPL et un certain nombre de grands
syndicats européens, des commissions techniques, se positionne fréquemment sur des grands principes du type : peu d'évolution au décollage pour les gros
porteurs, des approches stabilisées, longues, lointaines etc. On considère que celui qui sort de ce système dégrade fatalement le niveau de sécurité. Va-t-il
pour autant créer un accident ? Pas toujours, mais on ne peut avoir une quête d'amélioration au quotidien, sans tenir compte des dégradations qui peuvent
intervenir dans la construction des approches. Chaque approche, chaque élément doit faire l'objet d'une étude. C'est très compliqué. Les évolutions des
aéronefs, leur capacité ou non à suivre les trajectoires spécifiques, changent la donne au quotidien. Le principe de base est qu'il n'y a pas de vérité pour
l'éternité sur ce point. Un travail au quotidien, permanent, est nécessaire.
Il est regrettable que, parfois, la DGAC, au travers de sa branche
spécifique qu'est la DNA, la Direction de la navigation aérienne, qui publie les procédures, ne fasse pas un travail en amont pour savoir si ce type de
procédure est ou non réalisable. A ce titre, il serait peut-être nécessaire d'avoir un système permanent d'échange d'informations.
M. Michel DUCAMP : Autant, je souscrivais à cent pour cent à ce
que disait M. Martinez précédemment, autant je ne veux pas le suivre sur ce dernier développement. Il se trouve que j'ai suivi la rédaction de la charte de
l'environnement de Roissy et de celle d'Orly et que j'ai participé à des travaux sur les procédures de Nice.
J'ai pu constater qu'il y avait désaccord sur l'appréciation portée
par les participants aux travaux et d'autres sur la réalité d'un accroissement ou non du danger. Je note que la décision concernant la procédure « Riviera » a
été prise par un inspecteur général de l'Aviation civile, aujourd'hui à la retraite, le président de l'IGACEM21
de l'époque. Il a pris cette décision en son âme et conscience, en application de son expertise qui était grande dans le domaine de la navigation aérienne. Et
en concertation !
En revanche, aujourd'hui, une chose est certaine : les travaux se
poursuivent sur l'amélioration des procédures d'approche de Nice. La procédure Riviera actuelle fonctionne par temps clair. Par ailleurs, ceux qui connaissent
Nice savent que les travaux les plus urgents concernent plutôt les procédures en face à l'Ouest, que les procédures face à l'Est. Les travaux ne sont pas
achevés. Nous souhaitons simplement que ce que nous avions pensé pouvoir être le point d'équilibre d'un groupe de travail, il y a trois ans et qui a abouti à
la rédaction d'un document de synthèse, il y a un an et demi ou deux ans, puisse permettre de publier la conclusion des travaux qui, pour l'instant, est
suspendue. Nous souhaitons que les travaux continuent et sur ce point, je rejoins M. Martinez : il y a lieu de continuer à travailler.
Mme la Présidente : Si l'on se rejoint dans la conclusion pour
travailler tous en direction d'une meilleure sécurité sur les différents points abordés aujourd'hui, c'est déjà intéressant.
Table ronde sur les conditions de travail regroupant :
M. Stéphane DEHARVENGT, Service de la formation aéronautique et du contrôle technique (SFACT) à la DGAC,
Mme Dominique MARCHANT, division travail/emploi de la DGAC,
M. Jean-Claude BÜCK, commandant de bord,
M. René AMALBERTI, Institut de médecine aérospatiale du service de santé des armées (IMASSA),
M. Jan-Lou MIRIAL et Mme Martine LACOSTE, Air France,
M. Jérôme BANSARD et M. Thierry LE FLOC'H, Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL),
M. Claude ROHMAN et M. Yves ROGER, Syndicat national du personnel navigant de l'aviation civile (SNPNAC),
M. Jean PARIÈS, expert,
M. Régis MOLLARD, professeur à l'université de Paris V
(Extrait du procès-verbal de la séance du 14 avril 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Madame, Messieurs, nous sommes heureux de
vous accueillir à cette réunion organisée dans le cadre des travaux de notre mission sur la sécurité dans le transport aérien des voyageurs.
La table ronde qui nous réunit ce matin est consacrée aux facteurs
humains et plus particulièrement aux conditions de travail des personnels navigants. Quelles sont les conséquences de ces conditions de travail sur la sécurité
des vols ? Cette question renvoie aux règles relatives au temps de vol et au temps de repos, aux effets des décalages horaires, au stress et à la fatigue,
alors même que le pilotage devient de plus en plus sophistiqué. Je souhaiterais que l'on aborde également ces problèmes un peu tabous que sont l'endormissement
et l'alcoolisme.
La présente table ronde sera suivie d'une autre réunion sur les
conditions de travail, plus particulièrement consacrée à la formation des pilotes et au travail en équipage.
Pour commencer, je propose que chacun de vous se présente puis je
demanderai aux représentants de la DGAC de nous rappeler la législation applicable. Nous procéderons ensuite à un échange de questions et réponses.
M. Stéphane DEHARVENGT : Je travaille à la DGAC, au Service de
la formation aéronautique et du contrôle technique (SFACT) où je suis chargé des « facteurs humains ». A ce titre, je participe à différents travaux
internationaux et nationaux, plus particulièrement sur la conception des cockpits et la formation à la gestion des ressources d'équipages. J'apporte également
une expertise ponctuelle aux différentes divisions du SFACT sur les facteurs humains.
Mme Dominique MARCHANT : Je suis adjointe au chef de la
division « travail et emploi » de la DGAC. Cette division s'occupe de toutes les questions sociales liées à l'aviation civile : conditions de travail,
conventions collectives pour l'ensemble des entreprises placées sous le contrôle technique du ministre des transports en matière d'aviation civile. La division a
en charge la durée du travail du personnel navigant, mais s'occupe également des personnels des aéroports.
M. Jan-Lou MIRIAL : Je suis le président du CHSCT d'Air France
pour le personnel navigant technique et commercial. Je suis moi-même officier mécanicien navigant. En tant que président du CHSCT, je suis davantage concerné par
le code du travail que par le code de l'aviation civile.
M. René AMALBERTI : Je suis médecin en chef au service de santé
des armées, professeur au Val de Grâce et je travaille à l'IMASSA. Je dirige un laboratoire au sud de Paris sur les hautes technologies et les facteurs humains.
J'ai été détaché à l'aviation civile en 1992 pour y installer le secteur « facteurs humains » ; peu après, j'ai été détaché aux JAA
22,
pour faire de même au niveau européen. J'ai quitté ces fonctions en 1999 mais j'y reste associé comme chargé de mission à la DGAC pour les facteurs humains.
Mme Martine LACOSTE : Je suis responsable de la cellule de
développement et de coordination des facteurs humains à Air France. Mon activité concerne le personnel navigant et le personnel au sol et porte sur trois
domaines : la formation, - qu'elle soit initiale ou qu'elle vise le maintien de compétences -, le développement du retour d'expérience, - notamment transversal
et inter métiers après accident ou incident - et la recherche et l'information auprès des compagnies aériennes, des constructeurs, des institutions et aussi des
entreprises à risques.
M. Serge BANSARD : Je suis pilote instructeur à Air France et
président du SNPL. J'assiste aujourd'hui notre expert Thierry le Floc'h.
M. Thierry Le FLOC'H : Je suis ancien pilote militaire et,
depuis dix ans, j'ai rejoint l'aviation civile et je suis vice-président technique du SNPL.
M. Yves Roger : Je suis pilote de B_ing 747 à Corsair. A ce
titre, je m'exprimerai sur mes expériences personnelles. Je suis aussi secrétaire général de la branche Transport du SNPNAC et, à ce titre, je m'exprimerai sur
les expériences de mes collègues, ceux de ma propre compagnie et ceux d'autres compagnies régulières ou de charters.
M. Claude ROHMAN : Je suis président du SNPNAC, syndicat qui
existe depuis 1946 et qui présente la particularité d'être représentatif dans trois branches : le travail aérien, les essais réceptions et le transport aérien.
Je suis pilote à Air France sur Airbus A320. J'ai fait vingt ans de carrière à Air Inter et j'ai travaillé auparavant pour des compagnies de charters.
M. Régis Mollard : Je suis professeur d'ergonomie à Paris V et
directeur du laboratoire d'anthropologie appliquée. J'ai en charge la coordination d'un certain nombre d'enseignements relatifs à la sécurité et à la santé dans
les transports et aux facteurs humains en aéronautique. Ces enseignements ont été mis en place conjointement avec René Almalberti, pour promouvoir la
connaissance du facteur humain dans le mode aéronautique. Nous menons ainsi depuis plus de vingt ans des travaux sur la connaissance de la fatigue dans les
transports ferroviaires, routiers et aériens.
Les travaux sur la fatigue dans le monde aérien sont soutenus par le
SFACT et Airbus. Nous menons des recherches dans le cadre européen de l'ECASS23
et nous contribuons à un certain nombre d'enquêtes auprès du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) pour ce qui relève des facteurs humains.
M. Jean PARIÈS : J'ai une formation d'ingénieur de l'aviation
civile et j'ai exercé, pendant une dizaine d'années, diverses fonctions à la DGAC, pour l'essentiel liées à l'évolution de la réglementation sur la sécurité dans
différents domaines, en particulier celui des licences de pilotes. J'ai également passé quatre ans au BEA comme adjoint au chef de ce bureau et rapporteur
général de l'enquête relative au Mont Sainte-Odile.
En 1988, j'ai été désigné par la France pour participer, au niveau
de l'OACI, à la constitution d'un groupe d'experts consacré aux facteurs humains dans la sécurité des vols. Le sujet m'a à ce point intéressé que j'ai décidé
d'en faire mon métier et je dirige depuis 1994 une société de consultants qui a pour mission de traiter des facteurs humains et de la sécurité, pas seulement
dans l'aviation, mais aussi dans le secteur de l'industrie nucléaire, du transport ferroviaire et du monde hospitalier. Je puis donc donner un point de vue
interdisciplinaire sur les questions dont vous souhaitez débattre.
M. Jean-Claude BÜCK : Je suis un ancien pilote d'Air France,
ancien instructeur, examinateur et pendant un moment inspecteur à l'Organisme du contrôle en vol, l'OCV. Après ma retraite de chez Air France, j'ai travaillé
pour le compte de la DGAC de 1992 à 1999. J'ai représenté la France au comité JAR FCL des JAA, chargé, alors, de l'élaboration de la réglementation aujourd'hui
en vigueur dans tous les pays d'Europe. Je fais actuellement partie de l'Académie nationale de l'air et de l'espace, dont je suis, depuis peu, vice-président et
dont je préside la section qui s'occupe de l'homme dans l'air et dans l'espace.
Mme la Présidente : Je vous remercie. Je propose maintenant que
la DGAC nous expose la législation en vigueur.
Mme Dominique MARCHANT : La réglementation s'applique à toutes
les catégories de personnels navigants : commerciaux, techniques, pilotes ou mécaniciens navigants.
Le régime de travail du personnel navigant est régi par un décret de
branche pris sur la base de l'article L. 212-2 du code du travail. C'est donc bien une réglementation fondée sur le droit du travail et non sur un fondement
unique de sécurité. Ce décret n° 97-999 du 29 octobre 1997 a été modifié par le décret 2000-1 030 du 18 octobre 2000. Il fixe, pour l'essentiel des entreprises
de transport aérien, une limite d'amplitude de la journée de travail à 14 heures. Au surplus, le nombre maximum d'heures de vol, dans cette amplitude, est
limité à 10 heures. Telle est la règle qui s'applique aux entreprises qui font des transports réguliers ou non réguliers avec des appareils supérieurs à 10
tonnes et un nombre de passagers supérieur à 20. C'est-à-dire, en fait, pour l'essentiel, aux compagnies telles qu'on les connaît aujourd'hui, avec des avions
relativement importants. Le décret prévoit que ces deux limites peuvent être dépassées avec l'autorisation et sous le contrôle de l'administration, qui
accompagne l'autorisation de mesures compensatrices.
Ensuite, le décret fixe un régime de travail qui prévoit des temps
d'arrêt - et non pas des temps de repos - associés à des paliers progressifs d'heures de vol. Ces paliers progressifs d'heures de vol, inclus dans l'amplitude
de 14 heures, sont fixés à six, huit et dix heures. Chaque palier est accompagné d'un temps d'arrêt qui est un multiple du nombre d'heures de vol.
Ces différents paliers correspondent à certains modes
d'exploitation. Jusqu'à six heures de temps de vol, il s'agit de courts courriers domestiques ou de transport aérien régional. Les courriers entre 6 à 8 heures
correspondent à du moyen courrier : l'Europe géographique et les zones dépassant un peu le Maghreb. Ensuite, entre 8 heures et 10 heures de vol, s'ouvre le
domaine du long courrier international.
La réglementation actuelle organise donc différents régimes de
travail appuyés sur les modes d'exploitation existant au moment de la rédaction des textes de 1997 et de 2000, ces deux textes trouvant, en réalité, leurs
origines dans deux textes plus anciens qui n'ont guère évolué et qui datent de 1951 et 1960. Le texte de 1951 correspond à l'arrivée du quadrimoteur à hélice
et celui de 1960 à l'arrivée du moteur à réaction. L'actuelle réglementation reprend ces deux réglementations anciennes, sous une forme un peu différente et la
durée du travail, en France, a évolué parallèlement à l'évolution technique des appareils.
Deux autres éléments de réglementation viennent encadrer et limiter
l'utilisation du personnel navigant.
D'une part, des temps d'arrêts, appuyés sur les heures de vol et qui
comportent régulièrement des périodes de récupération. Au-delà de 6 heures de vol, le personnel navigant a droit, une fois sur deux, à 36 heures d'arrêt, dont
deux arrêts nocturnes normaux, c'est-à-dire deux nuits locales. Le mécanisme comporte des plages de récupération qui permettent théoriquement, dans l'esprit
des rédacteurs de l'époque, d'enchaîner sur d'autres périodes de vol.
D'autre part, des temps d'arrêt périodiques qui correspondent, en
gros, à ce que le code du travail nomme « le repos hebdomadaire ». Ils sont toutefois supérieurs au temps de repos hebdomadaire, car ils atteignent 36 heures
par semaine civile ou quatre jours consécutifs par mois pour les longs courriers, compte tenu des temps d'absence qui peuvent aller de sept à quinze jours.
La deuxième butée est fondée sur un décompte des heures effectives
de vol qui sont limitées à l'année entre 850 et 900. C'est un mode de calcul un peu dérogatoire par rapport au code du travail, car il ne décompte pas le temps
de travail effectif selon l'article L.212-4. Beaucoup de compagnies se sont d'ailleurs écartées de cette réglementation par le jeu d'accords collectifs.
D'importants accords ont ainsi été signés dans le secteur, notamment pour le transport aérien régional et la société Air France. Ils ont vocation à améliorer
les dispositions du décret, en s'appuyant souvent sur des unités de décompte différentes. Parmi les facteurs, c'est très souvent le temps de travail en tant
que tel, au sens de l'article L.212-4 du code du travail, qui est pris en compte.
Un important accord a bouleversé les dispositions du texte
d'origine. C'est l'accord de branche sur la réduction du travail du personnel navigant, signé en février 2000. Cet accord a abaissé le seuil de déclenchement
des heures supplémentaires en temps de vol, limité la durée maximale annuelle d'heures de vol et introduit deux mécanismes. Le premier ajoute aux temps de
récupération -temps d'arrêt et temps d'arrêt périodique - un nombre d'heures de repos élevé par semestre, en fonction du mode de travail des navigants : long
ou court courrier. Le second mécanisme prévoit un nombre de jours d'inactivité également important (64 jours par semestre), qui vient s'ajouter aux
dispositions du texte réglementaire applicable aujourd'hui. Il faut savoir que cette description vaut pour 85 % du transport aérien.
Une seconde section du texte regroupe les dispositions relatives à
l'aviation d'affaires, aux hélicoptères, aux taxis aériens, au travail aérien. Cette section est construite exactement sur le même modèle que la section que je
viens de vous décrire, mais comporte des limitations plus élevées. Ainsi peut-on atteindre jusqu'à 12 heures de vol sur une amplitude de 24 heures. C'est ce
qui reste de la première réglementation de 1951. Mais cela concerne un secteur où le nombre d'heures à l'année est relativement faible. Il s'agit de transports
à la demande avec de petits avions. C'est une activité qui, souvent, comporte de très nombreux temps d'attente et un nombre d'heures de vol beaucoup plus
faible que le secteur du transport aérien classique.
Mme la Présidente : Cette réglementation, qui a démarré avec
l'aviation civile, a donc évolué en 2000, notamment avec les accords sur la réduction du temps de travail. Comment ces conditions de travail sont-elles vécues
actuellement ?
M. Thierry Le FLOC'H : Mme Marchant a décrit un monde très
idyllique. Elle a notamment présenté l'aviation d'affaires comme résiduelle, alors qu'il s'agit d'une activité majeure. Il existe un industriel français qui vend
des avions qui est numéro 1 dans le secteur de l'aviation d'affaire. En termes économiques, c'est une activité que nous ne pouvons négliger et elle est régie par
ce que l'on appelle la « section III ».
La limitation réglementaire à laquelle Mme Marchant fait référence,
mentionne, effectivement, 12 heures. Mais, dans la réalité, l'article D 422-11 permet de porter cette limitation à 17 heures de vol consécutives si l'équipage
n'a pas de pose de repos à bord. S'il y a un poste de repos à bord, elle peut même aller jusqu'à 22 heures de vol consécutives. Cette section III n'utilisant
pas la notion d'amplitude, un équipage peut donc connaître jusqu'à 22 heures de vol consécutives par période de 24 heures.
Le texte prévoit - mais cela révèle un peu la schizophrénie de
l'autorité réglementaire - que l'équipage peut disposer à bord d'un poste de repos. Or, aucun avion n'est équipé d'un tel poste. Bien évidemment, les
employeurs utilisent cette autorisation de 22 heures en déclarant que le siège qui se trouve dans le galet est un poste de repos parfaitement adapté. Telle est
la réalité de l'aviation d'affaires aujourd'hui en France. Les temps de repos idylliques que Mme Marchant évoque sont effectivement limités à 36 heures par
semaine, à l'exclusion de tout autre repos. L'arrêté de 2000 sur la réduction du temps de travail exclut de son champ d'application tous les pilotes relevant
de la section III. C'est-à-dire, très clairement, que dans notre pays, malgré l'aspect conflictuel des 35 heures, le règlement prévoit que les pilotes de
l'aviation d'affaires n'ont pas à respecter la loi sur la RTT.
Les conséquences en termes de sécurité sont certaines. Lors du
débrayage d'un pilote automatique en Afrique, un avion a quitté sa trajectoire, s'est retrouvé en piqué à 60° avec 30° d'inclinaison. L'équipage a été réveillé
par les alarmes de vitesse excessive qui sont extrêmement bruyantes. C'est là un cas concret. Il en survient en permanence.
Mme la Présidente : Les deux pilotes étaient endormis ?
M. Thierry Le FLOC'H : Bien sûr ! Une journée très typique de
l'aviation d'affaires commence par un décollage vers 6 heures 30, à l'ouverture du Bourget ou des aéroports de province. Ce sont ensuite une ou deux étapes pour
déposer des hommes d'affaires et un retour le soir, très tard.
Cela peut vous paraître anodin, mais l'actionnaire principal du
groupe Carrefour est mort dans un accident d'avion au mois de décembre. Dans la foulée, comme il y avait une guerre de succession pour son capital, Walmart n'a
rien trouvé de mieux que d'entreprendre de grandes man_uvres pour prendre le contrôle de ce grand groupe de distribution. Vous ne pouvez pas être insensibles à
cet aspect des choses.
Si l'on peut penser que les pilotes sont des personnes très bien
suivies sur le plan médical, la fatigue reste une réalité physique dont nul ne peut s'affranchir. Un accident n'est jamais anodin. Béghin-Say est passé sous le
contrôle d'Eridania, après un accident au Bourget. La fatigue n'était pas en cause mais, dans cet accident, tout l'état-major de Béghin-Say a disparu ; avec
Carrefour, nous risquons la même chose. Il vous appartient maintenant de déterminer ces limites de fatigue et de mettre en application des interdictions, car
la loi permet tout actuellement.
En France le secteur de l'aviation d'affaires est performant,
comparé aux autres pays européens pour la simple et bonne raison que les règles d'utilisation des pilotes permettent tout et m'importe quoi. Selon moi,
22 heures de vol par période de 24 heures, ce n'est pas raisonnable. Le décret qui le permet a été pris en 1997 par MM. Gayssot et Jospin.
M. le Rapporteur : Ce ne sont pas 22 heures de vol, mais
22 heures de travail. Sommes-nous d'accord ?
M. Thierry Le FLOC'H : Je suis désolé, il s'agit de l'article D
422-11 issu du décret 97-99 du 29 octobre 1997, article 15 : « Pour les membres d'équipages doublés et secondés ou doublant et secondant ... » - la
période de vol a été décrite comme la somme de tous les vols possibles qui se succèdent - « ...les périodes de vol ne doivent pas dépasser avec ou sans arrêt
en escale, 17 heures consécutives si l'équipage ne dispose pas à bord de postes de repos suffisants et 22 heures consécutives si l'équipage dispose à bord de
postes de repos suffisants. »
Je vous confirme qu'il n'y a pas d'avions d'affaires équipés de
postes de repos, à l'heure actuelle et j'ajoute que le prochain avion d'affaire, à l'état de prototype chez Dassault Aviation, ne comportera pas de postes de
repos.
M. Jacques DESSALLANGRE : Prenons le cas de l'avion qui décolle
à 6 heures 30 du Bourget et qui rentre en fin d'après-midi. Excusez la naïveté de ma question, mais comment se fait-il que deux pilotes arrivent à s'endormir en
même temps ?
M. Thierry Le FLOC'H : Si vous prenez une journée isolée, les
équipages peuvent, bien sûr, programmer des périodes de repos. Ces périodes se succéderont. Contrairement à l'aviation régulière, le temps de repos consécutif à
un vol est de deux fois le temps de vol. C'est-à-dire que les périodes de repos sont très courtes. Les pilotes peuvent être conduit, après un retour vers
20 heures 30, à décoller de nouveau le lendemain vers 6 heures 30 et enchaîner ainsi, six jours sur sept des vols, avec de très grandes amplitudes, c'est-à-dire
des périodes très longues où les pilotes sont hors de chez eux, sur des aéroports. Ils font trois ou quatre étapes et rentrent le soir. Les étapes sont très
souvent courtes, comparées à celles de l'aviation charter ou de ligne, puisque 80 % de l'activité se déroule en Europe avec des vols d'une heure ou d'une heure
et demie, car ces avions sont assez performants. Mais les temps d'escale sont très longs et sont pris dans les aéroports, qui ne sont pas des endroits calmes
- les riverains sont là pour nous le rappeler - du fait des décollages incessants, surtout sur les aéroports internationaux, au trafic important. Les conditions
de repos ne sont pas satisfaisantes.
Pourquoi se sont-ils endormis simultanément ? Parce qu'ils étaient à
bout physiquement et qu'à partir d'un certain niveau de fatigue, l'endormissement ne se contrôle plus. Nous ne disposons pas des conditions matérielles
nécessaires pour bénéficier de période de repos dans des endroits adaptés.
M. Christian MÉNARD : Qu'entendez-vous exactement par « postes
de repos » ?
Mme Dominique MARCHANT : Dans un aéronef, un poste de repos
peut être un siège inclinable ou une couchette. Dans certains cas, ce peut être un siège de passager. Tout dépend du type d'appareil et de son installation
intérieure. Pour l'aviation de ligne, lorsque les vols sont très longs, l'administration exige l'installation d'une couchette. Cela ne signifie pas que toutes
les entreprises en installent systématiquement dans les avions anciens.
M. Régis MOLLARD : Nous avons beaucoup de difficultés à
percevoir ce que recouvrent les différentes réglementations européennes sur ces questions de temps de vol. Les durées de 22 heures se retrouvent au niveau
européen, et les Pays-Bas prévoient même 24 heures. Certes, aucun pilote ne sera en activité pendant 24 heures d'affilée, parce qu'il existe des équipages
renforcés : au lieu d'être à deux dans le cockpit, ils seront trois ou quatre, avec des règles différentes selon les compagnies. Autrement dit, quand on ne
travaille pas, on est en espace de repos.
Mme la Présidente : Selon les compagnies ou selon les pays ?
M. Régis MOLLARD : Les deux. Les règles de fonctionnement des
équipages renforcés varient selon les pratiques des compagnies : plus ou moins de pilotes seront présents sur une rotation.
S'agissant de l'espace de repos, il faut savoir que l'on ne dort pas
dans un avion comme dans son lit. L'espace de repos n'est pas physiquement adapté. Cela va du simple siège de type économique au fauteuil, plus confortable, de
type classe affaire ou première, voire à l'espace de repos séparé, mais quel que soit le poste, il est toujours situé dans un environnement bruyant. Il faut
savoir que le niveau sonore moyen d'un avion est de l'ordre de 78 décibels, 80 décibels ou plus, alors que le sommeil est perturbé à partir de 60 décibels. Sur
cette échelle logarithmique, chaque fois que l'on augmente de deux décibels, on double le niveau sonore. Cela signifie que le repos n'est pas récupérateur
comme il l'est quand on dort chez soi. La notion de repos à bord est donc une notion difficile à gérer. C'est pourquoi il arrive que deux personnes dorment
dans le cockpit en même temps.
Je ne connais pas précisément l'incident auquel vous vous référiez,
mais si les équipages sont partis à six heures trente, cela signifie qu'ils se sont levés à quatre heures. Cela suppose de s'être couché tôt mais même, si les
pilotes veulent se coucher tôt, ils n'en auront pas nécessairement la possibilité biologique, en fonction du service effectué les jours précédents. C'est l'un
des grands problèmes de la réglementation et de l'organisation des rotations par les compagnies. Ces notions sont insuffisamment intégrées. Une dette de
sommeil s'installe et vous aurez beau avoir deux pilotes en activité, cela n'empêchera pas qu'ils dorment en même temps dans le cockpit.
Les expériences portant sur le nombre de vols réalisés, que ce soit
à partir d'observations faites en vols réels ou par retours d'enquêtes auprès de pilotes français ou étrangers, montrent que la pratique de la sieste résulte
bien de la pression du sommeil. Le fait que les deux pilotes s'endorment concomitamment est un phénomène indépendant de la volonté. Ce n'est pas systématique,
mais on a souvent négligé l'importance des levers précoces et de leur enchaînement. En cas de services matinaux répétés, certains pilotes finissent par
connaître des problèmes de gestion du sommeil, même sans avoir fait de service de nuit.
M. Jean-Claude BÜCK : Ce problème n'est pas simple, car la réglementation européenne sur l'exploitation des aéronefs, le
JAR OPS, a été mise en place vers 1999, sans le chapitre Q relatif aux limitations de temps de vol. Le Conseil des ministres européens vient d'en repousser
l'adoption au mois d'octobre 2004.
Par ailleurs, il existe une règle qui permet, pour terminer une
mission et lorsque l'on ne peut faire autrement, de dépasser les limites. Par exemple, vous atterrissez sur un terrain de dégagement à Anchorage, car il ne
fait pas beau. Aucun hébergement n'est possible. Il fait moins trente degrés dehors. La seule solution est alors de rester à bord de l'avion avec la turbine
auxiliaire pour conserver une certaine température, en attendant qu'une amélioration des conditions météorologiques permette de repartir. Dans ce cas, on
dépasse les limitations. Je me suis beaucoup intéressé à ces problèmes.
Je rappelle d'ailleurs que M. Richard Dell'Agnola a organisé une
journée parlementaire sur les troubles du sommeil « Vigilance et accidents, un enjeu de santé publique » sous le haut patronage de MM. Debré et de Robien, au
cours de laquelle la question de l'endormissement a été traitée. J'ai moi-même écrit un document, dans lequel je cite deux cas d'endormissement, qui se sont
produits à bord d'un avion d'une grande compagnie et dont j'ai été témoin.
Dans le premier cas, mon co-pilote s'est endormi alors qu'il
effectuait une approche manuelle (pilote automatique débranché) à la fin du vol de nuit. Il pensait, à tort, que je le contrôlais au cours du vol et avait
refusé de prendre une courte période de sommeil (nap) pendant la nuit.
Dans le second cas, il s'agissait d'un vol cargo de nuit
Dubaï/Saigon/Hong-Kong aux limites de la réglementation, 9h30 de vol programmées en 12 heures d'amplitude. Pour différentes raisons, nous avons dû faire une
escale technique à Bangkok et l'escale prévue à Saigon a duré six heures au lieu de deux, sans aucune possibilité de repos car la police vietnamienne nous
interdisait de quitter l'avion. Quand nous avons décollé pour Hong-Kong, nous étions partis depuis plus de 15 heures avec un décollage à 11 h du soir. Arrivés
à l'altitude de croisière, nous nous sommes endormis tous les trois, le copilote, le mécanicien et moi-même. Nous avons été réveillés par le contrôle de
Hong-Kong qui, constatant que nous ne répondions pas à ses appels, a eu l'idée de faire fonctionner le système d'appel Selcal, sorte de sonnerie codée
déclenchée du sol et que l'on utilise en général pas sur les étapes courtes. Nous ne nous étions pas rendu compte que nous nous étions endormis. Quand j'ai
pris le micro pour répondre, on m'a demandé ce qui se passait, car cela faisait dix minutes que l'on nous appelait.
Mme la Présidente : Une question : qui pilotait ?!
M. Jean-Claude BÜCK : Le pilote automatique. Il faut savoir que
le pilote automatique est un instrument qui fonctionne très bien. En 1945, un avion, spécialement équipé, a traversé l'Atlantique entièrement en pilotage
automatique - il y avait quand même un équipage pour le cas où le système n'aurait pas fonctionné. Le seul problème est que le pilote automatique ne prend pas
d'initiatives. Il faut être capable de le programmer et de s'assurer de son bon fonctionnement. On constate que plus un pays a une culture aéronautique faible,
plus on y utilise le pilote automatique. C'est dire que dans ces pays, on branche le pilote automatique quand quelque chose ne va pas, en espérant qu'il va se
débrouiller ! Dans les pays plus évolués, comme le nôtre en particulier, on donne, au contraire, la consigne de réduire au minimum l'utilisation du pilote
automatique et de réfléchir quand il y a un problème.
M. Claude ROHMAN : Dans le rappel sur la réglementation, des
mots m'ont intéressé : « butée » et « limitation ». Dans ces textes, un peu anciens, quand on parle de limitation de durée de vol, d'amplitude, il s'agit bien de
maxima à ne pas dépasser. Cela n'a rien à voir avec le confort ; il s'agit de répondre à un critère de sécurité, non à une demande sociale.
Les temps de repos, les temps d'arrêts doivent être considérés comme
des temps mimima. Ce sont des minima que l'on doit accorder au personnel. A l'évidence, des employeurs auront tendance à viser le maximum pour la
durée de travail et le minimum pour le temps de repos. C'est l'aspect économique qui prime pour le chaînage des rotations du matériel qu'il faut utiliser et
exploiter. Cet aspect économique induit des cadencements dans le travail et de la fatigue.
On parle uniquement de temps de vol, mais le nombre d'étapes est
également important. Je citerai deux exemples. Air Inter pratiquait - c'était du reste sa spécialité - un « trois plus trois, nuit courte ». Il s'agissait d'un
vol, de trois étapes l'après-midi, une nuit courte, en escale, et trois étapes le lendemain matin. La nuit courte en escale correspondait à une durée de six
heures à l'hôtel, ce qui permettait de faire arriver l'avion tard le soir et de le faire repartir tôt le matin, à six heures trente ou six heures quarante.
L'avion poursuivait son activité toute la journée avec d'autres équipages. Ces « trois plus trois, nuit courte » n'étaient finalement pas fatigants. Le repos
de nuit était réduit, mais il n'était suivi que par trois étapes. Un peu plus tard, on a essayé de faire cinq étapes continues dans la journée. Le système a
fini par poser problème, car avec un premier décollage à six heures quarante-cinq, suivi de cinq étapes, il est arrivé que des pilotes ratent la sortie du
parking pour rentrer chez eux en voiture. Dans quel état étaient-ils trente minutes plus tôt dans l'avion ?
En revanche, si le « cinq étapes » commence à dix heures du matin
avec des escales un peu plus longues - de trente minutes, au début des navettes, on peut passer à quarante-cinq minutes -, le « cinq étapes » ne pose pas de
difficultés. Donc, ce n'est pas seulement le temps de vol qui est en cause.
Par ailleurs, j'abonde dans le sens des propos du représentant du
SNPL. Un gros effort est à engager au titre de la section III, relative aux avions de moins de vingt personnes et moins de dix tonnes.
Je voudrais maintenant aborder un autre sujet. Nous avons reçu
dernièrement un courrier en date du 30 mars concernant la transposition de la directive 2000-1979-CE relative à l'aménagement du temps de travail du personnel
mobile dans l'aviation civile. Un point m'étonne. Je lis : « Le gouvernement a choisi de procéder par ordonnances » pour la transposition de la
directive. Or, la clause 8 de l'accord prévoit « un temps de travail annuel maximal comprenant certaines périodes de réserve pour prise de service définie
par la législation en vigueur. » Il est également indiqué : « Le temps de travail annuel de service sera de 2000 heures dans lesquelles le temps de vol
total sera limité à 900 heures. » Cela nous choque beaucoup, dans la mesure où 900 heures de vol constituent une limitation qui date d'il y a un peu plus
de cinquante ans, alors que depuis, il s'est passé des choses concernant la durée du temps de travail. Cet aspect n'a pas été négocié. De plus, quel contrôle
allez-vous exercer, Mmes, MM. les députés, dès lors qu'il s'agirait d'une ordonnance ?
M. Jean PARIES : Le débat est intéressant, car il démontre que
la réglementation actuelle n'est pas homogène. Il existe de considérables inégalités de gestion de la fatigue dans l'aviation, pas seulement d'ailleurs entre
l'aviation d'affaire et le reste du monde. Plusieurs raisons à cela.
La première est que l'objet de la réglementation est flou. On ne
sait pas bien s'il s'agit d'une réglementation sur les conditions de travail ou d'une réglementation sur la sécurité. Les objectifs sont mélangés. On ne peut
pas dire que les maxima servent la sécurité, et que le reste définit les conditions de travail. La réalité est plus compliquée. Elle traduit davantage
les rapports de force entre les employeurs et les employés que la stricte application d'une réglementation qui aurait été vraiment pensée pour gérer le risque.
Si on élargit le point de vue en sortant du domaine de l'aviation, c'est encore plus spectaculaire. Par exemple, si l'on compare le temps de travail des
anesthésistes à celui des pilotes de ligne, le résultat est surréaliste. Une considérable diversité prévaut dans la gestion du risque.
Deuxième raison : les bases scientifiques permettant de modéliser la
relation entre la fatigue et le risque sont pauvres. Sans critiquer en aucune façon les scientifiques, ils ont encore beaucoup de recherche à faire pour
clarifier la relation entre fatigue et risque. Pour l'instant, on ne sait pas isoler la contribution de la fatigue. L'effet du travail sur le cycle du sommeil,
l'intensité du stress, sont autant de facteurs à prendre en compte et qui viennent s'ajouter à la fatigue. C'est un ensemble très compliqué à modéliser
scientifiquement. On en voit la trace dans la pauvreté du retour d'expérience. Les statistiques actuelles attribuent extrêmement peu d'accidents d'aviation, en
tout cas dans le transport publics de passagers - il en va peut-être un peu différemment dans l'aviation d'affaires - à des facteurs liés à la fatigue. C'est
un faible contributeur, ce qui ne signifie pas pour autant que ces chiffres correspondent à la réalité. Cela signifie simplement que, dans une enquête
accident, on ne déterminera pas le rôle de la fatigue, du décalage horaire... Plus généralement, nous sommes, dirais-je, très mauvais dans la détermination de
l'état physiologique de l'équipage par rapport aux conditions de performances minimales. On ne sait pas déterminer correctement ce facteur, alors qu'il devrait
relever de la partie « sciences dures » de la problématique d'une enquête.
Mme la Présidente : En fait, vous ne faites que des constats en
cas d'accidents et on en déduit, dans certains cas, que la cause est la fatigue.
M. Jean PARIES : Et nous le faisons mal. Il en va ainsi de tout
ce qui relève de l'état physiologique. De même pour l'alcool, le stress, le décalage horaire : on ne sait pas bien dire que la très mauvaise performance de tel
équipage est due à un état physiologique dégradé.
La troisième raison de ce relatif échec de la réglementation à
uniformiser la réalité tient au fait que si la réglementation est, dans ce domaine, absolument nécessaire, elle est totalement insuffisante. Nous ne pouvons
pas nous contenter d'une réglementation dans un domaine aussi compliqué. Il faut également gérer beaucoup d'autres éléments au sein des compagnies, dans la
relation des autorités de tutelle et des exploitants, pour parvenir à une gestion convenable du risque. Beaucoup d'autres facteurs interviennent dans les
pratiques réelles des équipages pour que l'on se contente de fixer une limite d'heures de vol en deçà de laquelle tout va bien et au-delà de laquelle tout va
mal. La réglementation est nécessaire, mais insuffisante.
M. Stéphane DEHARVENGT : Je partage l'analyse de M. Pariès. Il
est clair que la réglementation n'est pas idyllique et l'illustration des difficultés évoquées est effectivement visible à ce niveau : c'est la non application
de la sous-partie du JAR OPS qui avait été discutée au niveau européen et qui n'a pas été reprise en droit national. C'est dû pour partie à l'impossibilité
d'aboutir à un accord au niveau de ce club d'autorités européennes...
Mme la Présidente : Qu'est-ce qui freine cet accord ?
M. Stéphane DEHARVENGT : Les bases scientifiques incomplètes
sur l'explication de la fatigue que Jean Pariès vient d'évoquer. Par ailleurs, la réglementation est une affaire de compromis et les JAA n'étaient pas en
position d'effectuer un arbitrage, face aux autorités européennes, aux représentants des compagnies européennes et aux constructeurs, pour ce qui est la partie
repos équipage. Tout cela est très complexe.
La Commission européenne a essayé de reprendre à son compte cette
question au travers de EU OPS, l'équivalent du JAR OPS au niveau européen, qui a, lui aussi, du mal à aboutir, pour les mêmes raisons. L'administration a
essayé de relayer, dans le cadre de ces discussions européennes, l'apport des laboratoires européens - Régis Mollard a évoqué le groupe ECASS24
auquel son laboratoire participe - qui a donné son avis sur le projet de directive EU OPS qui incluait les aspects « temps de travail ». Nous conduisons
également d'autres actions de recherche. Il existe des guides sur la vigilance, sur la gestion par chaque pilote de son sommeil, que nous avons essayé de
diffuser. Le retour d'expérience fait aussi partie des axes sur lesquels nous essayons d'avancer par le biais de la transposition des directives européennes,
en particulier sur les incidents. C'est un monde très complexe.
Mme la Présidente : Si je résume, la recherche a encore
beaucoup de chemin à parcourir. La réglementation est difficile à élaborer, car elle est le fruit d'un compromis. Quand elle est élaborée, elle est difficile à
appliquer, faute d'être transcrite dans le droit interne des Etats, dont le nôtre. Nous aboutissons ainsi à de grandes difficultés de fonctionnement.
Mme Dominique MARCHANT : Je voudrais préciser qu'aucune
réglementation européenne n'a encore été adoptée. Des travaux sont en cours depuis 1989 pour essayer de trouver un texte commun à l'ensemble de l'Europe ; ils
n'ont toujours pas abouti. Il n'y a donc pas de problèmes de transcription de règles européennes en droit français, pour la bonne raison qu'il n'y a pas de
réglementation européenne sur les temps de vol. Des tentatives ont eu lieu, qui, à chaque fois, se sont heurtées à un problème d'ordre économique.
En effet, parmi les réglementations européennes existantes, très peu
sont conçues sur le même modèle. Très peu de pays ont des réseaux identiques. Très peu ont généré des réglementations qui se recoupent. Il faudrait que les
Etats membres acceptent le fait qu'ils devront, peut-être effectuer demain, à un autre coût, de manière différente, certaines parties des programmes qu'ils
engagent aujourd'hui, ou qu'ils seront même obligés de les abandonner. L'idée n'est pas nécessairement bien reçue au niveau européen. Les débats sur cette
question ont longtemps achoppé, car les différents acteurs estimaient que les propositions relevaient d'un schéma unique, extrêmement détaillé où personne ne
trouvait son compte.
Par ailleurs, il s'agit d'arriver à trouver un consensus entre
l'industrie et les syndicats de personnels navigants. Or, ce consensus n'a jamais pu être réuni en quinze ans.
M. Yves ROGER : Je voudrais revenir sur le problème de
l'endormissement qui est un vaste sujet. Il y a, comme ailleurs, des endormissements dans les cockpits et le danger est plus grand lorsqu'il s'agit d'un équipage
à deux. Sur les longs courriers, il est recommandé de faire des petits sommes, chacun à son tour, mais à trois, c'est plus facile. Pour prendre l'exemple de la
voiture, souvent le passager ne dort pas, car il se dit que le conducteur risque de s'endormir.
Sur les règlements : ils existent, mais il y a des dérogations et
même des dérogations aux dérogations - dont on n'a pas parlé - et tout cela finit par être difficile à supporter.
Sur la fatigue, bien entendu, la fatigue joue un rôle déterminant
dans la sécurité. M. Pariès précisait que l'on ne savait pas trop quel est son effet. Pourtant, il suffit de faire une enquête sur les accidents pour
s'apercevoir que les pilotes n'ont pas bénéficié du repos nécessaire. La performance est très différente entre une personne bien reposée et une autre qui ne
l'est pas du tout.
Mme la Présidente : Avez-vous des précisions sur ces
« dérogations aux dérogations » ?
M. Yves ROGER : La DGAC, voyez-vous est plus proche des
directions de compagnies que des personnels navigants. Il suffit qu'une compagnie demande une dérogation, voire une dérogation à une dérogation, pour l'obtenir,
sans que le personnel navigant soit réellement informé. Un personnel navigant a toujours la possibilité, lorsqu'il ne se sent pas en état de faire une mission,
de la refuser ; mais, dans un tel cas, il est préférable pour lui d'être délégué syndical !
Mme la Présidente : Mme Marchant, avez-vous des indications à
ce sujet ?
Mme Dominique MARCHANT : Il existe deux possibilités
réglementaires de dérogation. La première permet de dépasser les 10 heures de vol dans les 14 heures d'amplitude par autorisation administrative, accompagnée
d'un certain nombre de mesures de compensation. Cela vaut pour toutes les entreprises dépourvues d'accord collectif et qui font du long courrier. L'encadrement
de ces périodes supérieures à 10 heures est le suivant : trente-six heures de repos avant le courrier, un renfort d'équipage et une couchette obligatoires et
72 heures de repos, dont trois nuits locales après le courrier. Les compensations ne sont donc pas négligeables.
Un autre type de dérogation est prévu : celui des accords collectifs
qui permettent de répartir les temps d'arrêt et les temps de vol sur d'autres périodes que celles fixées par le code. Dans ce cas, on déroge aux dispositions
du code, mais sur la base d'un accord collectif.
Mme la Présidente : Je suppose les accords collectifs ne
peuvent aller que dans un sens d'une amélioration ?
Mme Dominique MARCHANT : Absolument.
Il existe une troisième possibilité lorsque la compagnie demande une
dérogation ponctuelle et exceptionnelle.
Tous ces systèmes de dérogation font l'objet d'une consultation de
l'ensemble des syndicats au niveau national. La demande leur est envoyée et les avis sont recueillis. Le ministre n'est pas tenu de les suivre, mais sa
décision fait systématiquement l'objet d'un arrêté de dérogation qui peut être contesté.
Il faut savoir aussi que les syndicats ne voient que les demandes
présentables et qu'ils n'ont pas connaissance des discussions préalables au cours desquelles nous pouvons obliger la compagnie à modifier sa demande, voire à
l'abandonner, purement et simplement.
M. Yves ROGER : Les mesures de compensation décrites par
Mme Marchant interviennent après. Ce sera, par exemple, un repos supplémentaire, à la suite du vol. Mais la fatigue complémentaire pendant le vol est tout de
même présente ! La compensation est une bonne chose, mais reste insuffisante. A Corsair, nous sommes d'ailleurs les champions de la dérogation !
Les postes de repos dont parlait M. Le Floc'h existent effectivement
sur les longs courriers. Mais voilà une semaine, j'ai commis un rapport sur le poste de repos d'un Boeing 747 qui est un grand avion. Le poste se situe très
loin, à l'arrière du pont supérieur, en dehors de la zone sécurisée - comme vous le savez, les portes du cockpit sont blindées - et il s'agit d'un tout petit
réduit mal commode qui est un véritable frigo. En outre, le sac de couchage est trop court, il faut tirer dessus. Sans doute, est-ce un modèle pour enfant,
moins cher que le modèle pour adulte. La couverture conviendrait bien pour un pique-nique sur l'herbe pour deux personnes, pas pour dormir !
Il y a aussi les nuits blanches. Le travail en long courrier
entraîne environ soixante nuits blanches, soit deux mois de nuits blanches dans l'année, rien que pour le travail. C'est beaucoup, surtout si l'on y ajoute le
décalage horaire et le cumul des décalages horaires.
Lorsque vous rentrez avec un décalage horaire, à peine reposé, et
que vous devez repartir dans l'autre sens, au bout d'un moment vous ne savez plus où vous habitez. Un exemple : vous êtes dans votre chambre en train de vous
reposer. Le téléphone sonne, vous ne savez pas s'il est à droite ou à gauche, vous ne savez plus où est la lumière, le téléphone a sonné dix fois, vous n'avez
pas pu décrocher et vous ne savez même plus dans quelle ville vous êtes, ni l'heure qu'il est. Vous êtes vraiment très fatigué.
M. le Rapporteur : Vous êtes bien malheureux, M. Roger, dur
métier !
On a beaucoup évoqué la réglementation française et la
réglementation européenne en gestation. Disposez-vous de comparaisons, notamment au niveau européen ? Je souhaiterais, aujourd'hui ou ultérieurement, obtenir
des informations et des chiffres sur les temps de travail et les temps de vol annuels dans les différents pays européens.
M. Le Floc'h évoquait, au sujet de l'aviation d'affaires, un
constructeur français - je pense qu'il s'agissait de Dassault - qui ne prévoit pas de postes de repos pour les appareils de moins de vingt personnes. C'est
étonnant car, à mon sens, le poste de repos ne devrait pas dépendre du nombre de personnes transportées, mais de la longueur du vol. J'ai du mal à comprendre
comment on peut agréer un avion, quelle que soit sa capacité, sans poste de repos, alors qu'il est susceptible d'assurer dix ou douze heures d'amplitude de
vol.
Mme Dominique MARCHANT : La certification de l'appareil
consiste à dire que l'appareil est apte à voler dans telle configuration. En l'occurrence, vous avez affaire à un texte social sur la durée du travail qui
indique la nécessité d'un poste de repos à bord, sans préciser ce qu'il doit être, dès lors que l'on dépasse 10 heures de vol et que l'on vole avec un renfort
d'équipage. En l'absence de précision réglementaire, il revient donc à l'employeur d'indiquer qu'un siège passager est consacré au repos du personnel navigant.
Ce sont deux points différents par rapport à la certification.
M. le Rapporteur : Je vois mal le pilote venir s'asseoir à côté
d'une famille et dire qu'il va dormir !
M. Jean-Claude BÜCK : Il est dommage qu'il n'y ait pas ici de
représentant de la société Dassault, qui a une philosophie un peu particulière du vol long courrier dans l'aviation d'affaires, que ses représentants viendront
exposer au cours d'un forum que l'académie organise le 22 juin à la DGAC sur les vols très long courrier - jusqu'à dix-huit heures de vol.
S'agissant du poste de repos, si celui-ci est situé à l'arrière d'un
très grand avion, la cabine est totalement libre. Si vous le placez à l'avant, il faut supprimer une série de sièges, ce qui explique certains choix.
M. le Rapporteur : Autre point qui me paraît important : le
contrôle de la réglementation.
La vraie problématique à l'heure actuelle, en France, est celle du
contrôle de la réglementation. Certes, il existe des dispositifs, mais sans contrôles. Il n'est pas normal que deux pilotes s'endorment en même temps.
Nous avons également compris qu'il existe une réglementation sur
l'alcoolisme. Mais, nous a-t-on précisé, jamais Air France ne procède à un quelconque contrôle préventif de l'alcool.
De même, M. Pariès a évoqué, à juste titre, la difficulté
d'apprécier l'état de fatigue d'un pilote. Mais ni la compagnie ni la DGAC ne procède jamais à un contrôle à l'improviste de l'état de santé des équipages. De
plus, on parle de la fatigue du travail, mais il existe également la fatigue des escales, au sujet desquelles nombre de légendes et d'histoires circulent.
M. Michel HERBILLON : Je regrette que nous ne parvenions pas à
obtenir un point de vue commun. Nous entendons, en effet, des informations très contradictoires.
M. Roger, je respecte votre point de vue, mais je n'entends de votre
part qu'une suite de critiques. Compte tenu de vos fonctions, il serait intéressant d'entendre aussi vos propositions d'amélioration.
Je constate aussi que, pour l'heure, nous ne parvenons pas à un
point de vue commun, à la fois sur le plan de la réglementation, sur le plan des pilotes, des experts, sur les liens entre la fatigue et les problèmes de
sécurité, sur la question de la prise d'alcool et la sécurité, sur la question jamais évoquée, quasiment taboue, du lien entre l'éventuelle prise de produits
stupéfiants ou de produits illicites et la sécurité. Cette question était sans doute moins prégnante quand M. Bück était commandant de bord mais elle l'est
davantage aujourd'hui avec de jeunes pilotes qui ont eu, au collège et au lycée, d'autres comportements que ceux de la génération précédente. Nous aimerions
obtenir votre point de vue sur ce point.
Nous n'arrivons pas non plus à avoir un point de vue commun sur le
pilotage automatique. Un avion en pilotage automatique vole-t-il en toute sécurité, si les deux pilotes dorment en même temps ? Oui ou non ? Pendant combien de
temps ?
On nous dit qu'il n'y a pas d'études scientifiques suffisamment
poussées sur le rapport entre manque de sommeil et sécurité. Mais j'ai du mal à croire que l'on n'a pas avancé dans ce type de recherche, compte tenu du nombre
élevé d'experts qui travaillent sur cette question. Disposez-vous d'éléments factuels ?
Au cours de précédentes auditions, on nous a dit qu'intervenait très
souvent un facteur humain dans les accidents, les incidents ou les anomalies. De quel facteur humain s'agit-il ? La fatigue est-elle un sujet tabou qui ne
remonte jamais dans les relations d'incidents ?
Je souhaiterais de la part de nos interlocuteurs des réponses
brèves, factuelles. Cela nous ferait progresser dans la connaissance de la problématique.
M. René AMALBERTI : Dans un parcours de vie qui m'a exposé aux
problèmes de fatigue, je n'ai jamais vu de réglementation s'installer de façon sereine dans ce domaine. Toutes les discussions ont consisté à se renvoyer la
balle entre les autorités européennes de l'aviation civile et les autorités européennes, tout court. Nous en sommes donc restés aux décrets nationaux. Une des
raisons fondamentales est sans doute que ce n'est peut-être pas la bonne cible d'attaque en terme de sécurité.
Les limites fixées par nos règlements sont raisonnables, au-delà de
ce que, médicalement, nous pouvons conseiller. Depuis quinze ans, avec la Commission européenne, mais également avec les subsides de l'Etat, nous avons dépensé
des millions d'euros pour payer des équipes d'experts en fatigue et en endormissement au niveau européen et américain. Ce qui en est résulté n'a jamais pu
s'imposer lors des négociations sur la « fermeture » de la réglementation. La réglementation est en effet décalée par rapport à ce que disent les médecins qui
préconisent une attitude très individualisée, prenant en compte les nuits qui précèdent, le jour de travail et la nuit de travail. Or, il est très difficile de
prendre en compte les jours qui précèdent dans une réglementation, puisque, pour partie, ceux-ci ne concernent pas le travail, mais des espaces privés de
récupération.
L'objet n'est donc pas standardisé en matière professionnelle. Nous
avons des séquences de repos privées, suivies de séquences de travail, les unes étant influencées par les autres, et réciproquement.
On a dégagé une enveloppe de sécurité. Il n'en reste pas moins
qu'aucune profession ne peut travailler de nuit sur de grandes amplitudes horaires, sans prétendre ne jamais s'endormir. Aucune ne le pourra jamais ! C'est un
risque. L'enveloppe est peut-être plus favorable pour les professions qui ont pu négocier des accords de branches. Peut-être, en effet, en résulte-t-il des
différences en termes de réglementation effective mais il me semble, quand même, que nous disposons d'une enveloppe de sécurité raisonnable.
Ce qui est important, c'est que les Américains et les Européens ont
abouti à une recommandation d'hygiène de repos à bord, aujourd'hui respectée par toutes les compagnies qui font du long courrier. Elle consiste à faire dormir
alternativement les pilotes dans l'avion, la nuit, sur des plages de repos qui permettent de réduire le risque d'endormissement simultané.
C'est une manière de gérer le risque d'endormissement, mais pas une
solution définitive et totale qui évitera, partout dans le monde, que des pilotes s'endorment en même temps dans le cockpit. Aucune mesure et aucun règlement,
d'aucune amplitude que ce soit, ne supprimera ce risque, parce que nous avons affaire à des humains. Statistiquement, peut-être y a-t-il 2 %, 1,5 %, 0,5 % ou
0,05 % de risques d'endormissement, mais lorsque l'on est à « 10 - 6 » en terme de sécurité aérienne, on n'est plus à 0,05 % de risques. Avec des humains
susceptibles de s'endormir à bord, on se situe toujours à un risque supérieur à la projection statistique d'un accident pour un million ou dix millions de
décollages.
Il faut prendre les mesures, bien sûr, et ce qui s'est fait est une
bonne chose. Revenir à des mesures coercitives n'est nullement dans mon propos. On a pris des marges, on a engagé des discussions de branches, on ne raisonne
plus seulement en terme de sécurité, mais aussi en terme de confort, c'est une bonne chose. Cependant, c'est aussi pour toutes ces raisons qu'il est naïf de
croire que l'on résoudra le problème de la sécurité aérienne par la gestion du temps de travail. Il faut négocier et on a vu que certains étaient plus
vulnérables, parce que moins bien défendus syndicalement que dans les grandes compagnies, mais la gestion du temps de travail n'est pas le nerf de la guerre.
Quant à l'alcool, c'est un autre sujet, que je disjoins totalement
de cette intervention.
M. Jean-Claude BÜCK : Le principal problème de la limitation du
temps de vol est qu'une réglementation est, par définition, rigide alors qu'elle s'applique à une matière qui ne l'est pas. La capacité de maintenir sa vigilance
dépend de certains facteurs qui ne sont pas indépendants les uns des autres : le vol, selon qu'il s'opère de jour ou de nuit, la durée du vol, la tranche horaire
du décollage et de l'atterrissage. Le professeur Reinberg, entre autres, a montré que l'espace de temps entre cinq et sept heures du matin était une période de
moindre vigilance, due au fonctionnement normal du cerveau. S'ajoutent d'autres facteurs : la qualité de l'hébergement en escale ; la qualité du poste de repos
s'il en existe un ; l'environnement de l'avion lui-même. Il y a aussi, bien sûr, le décalage horaire.
Tous ces facteurs peuvent conduire à des constatations paradoxales.
Un exemple : autrefois, Air France avait deux vols sur Los Angeles. Pour le premier, l'équipage restait en escale à Los Angeles le temps de la durée
réglementaire minimum, soit environ trente-six heures ; l'équipage de l'autre vol y restait quatre jours. Paradoxalement, l'escale de quatre jours se révélait
plus fatigante, parce que l'équipage avait le temps de subir le décalage horaire, alors que celui qui n'y demeurait que trente-six heures dormait la moitié du
temps et ne le subissait pas.
Autre exemple, qui met en jeu l'environnement. Lorsque des avions à
hélice réalisaient la traversée de la Méditerranée en quatre étapes dans la journée, les Caravelles procédaient au même trajet, sans étape. Les avions à hélice
mettaient environ 60 % de plus de temps que les Caravelles et pourtant, la fatigue des équipages était la même.
Pour un Paris/New York, les équipages de Concorde, qui voyageaient
en trois heures et demie, étaient aussi fatigués que les navigants qui faisaient le voyage en huit heures. Cela prouve que la fatigue est extrêmement difficile
à mesurer et qu'il convient de procéder au cas par cas.
Actuellement, une compagnie aérienne, Singapour Airlines, a commencé
une exploitation, hors normes, de l'Airbus 340-500. Elle fait Singapour/Los Angeles aller et retour, le retour durant 18 heures et demie. L'expérience est
suivie par un comité international, composé de représentants des JAA, de la Flight safety foundation, de la FAA, et des autorités des différents pays
concernés. Le suivi sera d'un grand intérêt. Nous attendons les conclusions de ces études, aussi bien pour les équipages que pour les passagers.
Pour répondre à M. Herbillon, tout accident est dû à une erreur
humaine, que ce soit une erreur dans la conception de l'avion, dans sa fabrication, dans l'entretien, dans la préparation du vol, dans son exécution, dans les
prévisions météorologiques. Et quand on parle d'erreur humaine, on pense toujours au pilote. On sait maintenant qu'il n'y a pas de vol sans erreur. On a
constaté que sur un vol normal, on commettait deux ou trois erreurs par heure, que l'on corrige automatiquement, à tel point qu'on ne s'en rend pas compte.
Maintenant, on sait qu'il faut construire des systèmes résistant à l'erreur. Des progrès sont en cours, mais on n'ont pas encore abouti.
Récemment, un petit colloque s'est tenu à Toulouse qui sera
probablement suivi l'an prochain par un grand colloque sur le thème de l'automatisation totale du transport aérien. Les avions seront pilotés à partir du sol.
Le contrôle aérien sera entièrement automatique. Bien entendu, ce n'est pas pour tout de suite, d'autant que des résistances assez fortes se manifestent.
M. Thierry Le FLOC'H : Mme la Présidente, MM. les députés, vous
avez souhaité aller rapidement à des études concrètes. Je laisserai un dossier à M. le Rapporteur. Je comprends les réticences des médecins, des experts à
statuer, mais je rappelle fermement - vous ne serez pas surpris de ma position - que c'est la loi qui libère le faible.
Les Britanniques nous ont montré la voie. Ils disposent d'un
document qui traite des limitations du temps de vol, la CAP 371, document qui date du mois de janvier 2004. Les Britanniques ont analysé ce phénomène, l'ont
pris en compte et, avec le pragmatisme qui les caractérise, ils ont intitulé leur loi : The avoidance of fatigue in aircrews, la prévention de la
fatigue chez les personnels navigants. Certes, la loi est très rigide. Les experts parlent de « personnalisation de la fatigue ». A chaque fois, il y a des
butées et des possibilités d'adapter au cas par cas, avec des marges de tolérance maximale. Je vous remettrai ce document.
Pour répondre à la demande de M. le Rapporteur, je lui fournirai les
textes comparatifs, en partant de la réglementation française, européenne, et des recommandations de l'OACI dont nous disposons en tant que représentants d'un
organisme de syndicats internationaux, l'IFALPA. La réglementation française est très éloignée des recommandations de l'OACI et de celles de l'IFALPA, qui a
une position « syndicale », mais en définitive relativement proche de celle de l'OACI.
Je dispose également d'une étude sur la fatigue. Contrairement à ce
que l'on voudrait nous faire croire, le phénomène a été parfaitement étudié. Il est connu et maîtrisé. Pour preuve, des molécules sont accessibles, vendues sur
internet et utilisées par les pilotes, parce que l'on sait qu'un être humain ne peut supporter des cadences de 22 heures, répétées continuellement. Ces
molécules, connues des experts, ont pour fonction de retarder l'apparition du seuil de fatigue. Refuser cette réalité c'est se condamner.
Mme la Présidente : Les documents que vous avez évoqués nous
intéressent et vous serez aimables de les mettre à notre disposition.
M. Thierry Le FLOC'H : Je reviens à l'idée selon laquelle la
loi libère le faible.
M. le Rapporteur : Peut-on considérer qu'il s'agit de dopage ?
M. Thierry Le FLOC'H : C'est très clairement, oui. Il s'agit de
molécules, en vente libre aux Etats-Unis. La molécule est le modafinil.
M. Eric RAOULT : Et la mélatonine.
M. Thierry Le FLOC'H : Non, la mélatonine, c'est, dirons-nous,
la vitamine C du coureur cycliste qui fait le tour de France. Nous avons très largement dépassé ce stade. Je parle sous le contrôle de médecins qui peuvent me
contredire.
Les études révèlent que les pilotes et les équipages ont des
consommations anormalement élevées de vitamine C et de caféine par rapport au reste de la population. Lorsque l'on atteint des consommations de quatre à six
cafés par heure de vol, on se rapproche des problèmes de drogue. Mais Il y a des stades de fatigue qui ne sont pas contrés par les effets de la vitamine C et
de la caféine. Il faut avoir recours à des molécules chimiques, développées par les forces françaises dans les différents théâtres d'opération, notamment au
Tchad. J'en ai consommé au Tchad et même pendant la guerre du Golfe. Ces molécules, à l'époque expérimentales, faisaient l'objet de protocoles médicaux très
contrôlés par le corps médical militaire. Aujourd'hui, ces molécules ont migré aux Etats-Unis, parce que cela représente un marché important, et reviennent sur
le marché français pour être consommées par les personnes qui ont à souffrir de la fatigue et qui doivent lutter très concrètement contre cet état. Ces
molécules ont été découvertes et exploitées en France.
M. Thierry Le FLOC'H : Ces substituts ne nous satisfont pas et
le syndicat des pilotes de ligne est tout à fait ouvert aux contrôles inopinés. Dans la réalité des faits, cela ne se produit jamais.
M. Michel HERBILLON : Pourquoi ?
M. Thierry Le FLOC'H : C'est une question de culture. Le
contrôle de l'alcoolisme ne se pratique pas non plus. Il n'est pas question de remettre en cause l'autorité d'un commandant de bord avec un contrôle
d'alcoolémie. Il en va de même pour le contrôle des stupéfiants. Mais le SNPL n'a aucun état d'âme à ce sujet. Le personnel navigant passe une visite tous les
ans ou tous les six mois, pour ceux qui ont plus de 40 ans, au Centre d'expertise médical des personnels navigants, le CENPL. Celui-ci procède de manière
systématique à des analyses d'urine pour recherche de produits illicites pour les militaires, jamais pour les navigants de l'aviation civile.
M. René AMALBERTI : La situation décrite est quelque peu
apocalyptique par rapport à la réalité quotidienne. C'est peut-être vrai pour certains, mais cela reste très marginal.
M. Michel HERBILLON : On n'en sait rien si aucun contrôle n'est
opéré !
M. René AMALBERTI : Ce n'est pas tout à fait exact, dans la
mesure où les pilotes sont une des populations les mieux suivies médicalement au monde. Avec l'encadrement et le suivi dont les pilotes font l'objet - un
contrôle par an, avec contrôle sanguin - il est impossible d'avoir une consommation régulière d'alcool, sans qu'elle soit dépistable et dépistée.
M. le Rapporteur : Avec un seul contrôle par an ?
M. René AMALBERTI : Un alcoolisme chronique se détecte. Si la
prise d'alcool est ponctuelle, aucun système ne permettra de la détecter. Sur le plan de la surveillance d'une profession, ce qui sera détecté sera une
chronicité. On ne peut pas détecter autre chose.
M. le Rapporteur : On nous a expliqué que l'alcool était
autorisé, mais pas au-dessus de 0,2 gramme.
M. René AMALBERTI : C'est négligeable. On ne sait pas faire les
mesures en dessous de 0,2 gramme. C'est comme un seuil zéro.
Mme la Présidente : Ce n'est pas le taux de 0,2 gramme que nous
contestons. Mais des contrôles, avant la montée dans l'avion, pourraient peut-être faire apparaître la prise de produits et permettraient d'éviter des accidents
référencés et connus.
M. Michel HERBILLON : On nous a dit que la culture interne des
pilotes fait que les contrôles, que ce soit d'alcoolémie ou de prise de stupéfiants, ne se font pas. Pensez-vous que cette culture est en train d'évoluer ? Je ne
vois pas en quoi cela remettrait en cause l'éthique des pilotes. Des évolutions sont intervenues en matière de circulation routière ; nous les vivons tous.
Peut-on imaginer une telle évolution pour les pilotes qui entrent dans le cockpit ?
Mme Martine LACOSTE : Je reviens aux propos de M. Le Floc'h
concernant ce qui précède le vol. L'antériorité d'un vol a énormément d'impact sur la vigilance et la fatigue. C'est un phénomène à prendre en compte qui va bien
au-delà du temps de vol ou du temps de travail. Les facteurs de cumul, comme on l'a vu, ont un effet physiologique. La fatigue est donc bien un facteur très
individuel et les solutions passent par une évolution de la culture de sécurité.
C'est pourquoi je dis qu'il faut aller au-delà des lois et des
règlements : il faut prendre conscience de tout ce que l'on peut avoir vécu et qui peut avoir des conséquences sur la capacité à réaliser des vols très longs
ou cinq étapes dans des tranches horaires difficiles. Culturellement, on doit identifier les menaces qui pèsent sur la vigilance. Nous savons que ce sont des
métiers à risques et nous sommes responsables. C'est pourquoi Air France dispense des formations obligatoires pour que les personnels prennent conscience des
risques physiologiques qu'ils peuvent rencontrer. La physiologie est un thème de formation obligatoire, dispensée par des médecins. De même, nous les informons
sur l'automédication, qui présente aussi un risque. Les Français sont, en effet, de gros consommateurs de médicaments. Il convient également de savoir gérer sa
propre fatigue. On ne doit ressentir aucune culpabilité à dire que cela ne va pas ou que l'on a besoin de se reposer vingt minutes pour récupérer 75 % de ses
capacités intellectuelles.
Nous avons également une responsabilité au niveau du management.
L'aspect collectif est important. C'est même un facteur central dans les problèmes d'alcoolisme. Je pense que nous devons faire un effort de prise de
conscience dans un environnement de plus en plus menaçant. Car même si la technologie évolue, l'être humain est capable de récupérer une situation détériorée
plus que n'importe quelle machine. Mais pour cela, il doit être en pleine possession de ses moyens physiques.
M. le Rapporteur : Les formations que vous évoquez sont-elles
obligatoires ? A quel rythme sont-elles dispensées ? Quelles sont éventuellement les sanctions si elles ne sont pas suivies ?
J'ai compris que vous étiez très attentive à la santé de vos
pilotes. Disposez-vous d'études sur l'alcool, sur les divorces ?
Mme Martine LACOSTE : Nous disposons d'études sur le stress que
peut provoquer ce type d'événement dans la vie de famille. Ce qui est médical reste confidentiel et entre les mains des médecins de l'entreprise qui, eux-mêmes,
réalisent, en permanence, des études sur l'impact du décalage horaire.
Ainsi que le soulignait un expert, contrairement à ce que l'on
aurait pu penser spontanément, le fait de rester moins longtemps en escale est moins fatiguant que de rester un temps plus long et de se recaler sur un autre
horaire. Aussi bien sur le plan médical qu'au niveau du Comité d'hygiène et de sécurité, ces sujets sont étudiés.
M. le Rapporteur : La compagnie compte, certes, beaucoup de
pilotes. Mais si vous apprenez qu'un pilote connaît une situation familiale difficile ou doit affronter le deuil d'une personne très proche, prenez-vous en
compte ce facteur dans ses conditions de travail ?
Mme Martine LACOSTE : S'il n'est pas en état de piloter pour
une raison grave, c'est lui-même qui prendra la décision de ne pas assurer sa mission ou de reporter un vol. Lui seul sait jusqu'à quel point il a été entamé par
ce qui vient de lui arriver. Nous voulons responsabiliser nos pilotes, nous ne voulons pas les rendre passifs par rapport à la réglementation. Cela dit, il y a
un encadrement, ils savent qu'ils peuvent s'exprimer et qu'ils ne seront pas sanctionnés s'ils estiment ne pas être en état, parce que leur enfant, par exemple,
vient d'avoir un grave accident. J'ai eu à connaître un cas de cette nature. Le pilote n'a pas pris le vol ; nous avons pris un autre pilote de réserve. Je
reconnais que nous en avons les moyens parce que nous sommes nombreux.
Mme la Présidente : Sans pénalisation ?
Mme Martine LACOSTE : Sans pénalisation, bien sûr. C'est une
responsabilité à la fois individuelle et collective. Il faut que nous conservions cette optique de responsabilisation de nos pilotes et de tous nos personnels
navigants ; c'est vrai aussi au niveau du personnel commercial et du personnel au sol car la sécurité du vol commence au sol.
Mme la Présidente : Votre compagnie a les moyens de fournir ce
type de soins au personnel. Qu'en est-il pour les plus petites compagnies ? Il est dommage qu'un de leur représentant ne soit pas là parmi nous aujourd'hui.
M. Ghislain BRAY : J'ai un petit souci de terminologie
concernant le « poste de repos ».
Si je comprends bien, cela ne ressemble pas à un poste de repos ;
c'est plutôt un poste de non-activité. J'éprouve quelques inquiétudes au regard de la réglementation, car on a insisté sur le problème des décibels. Même s'il
est bien organisé, bien géré, il semble que l'emplacement actuel du poste de repos ne règle pas le problème du double endormissement. Pouvez-vous préciser
cette notion de « poste de repos ».
M. Thierry LE FLOC'H : Dans la mesure où cela touche à l'avion,
c'est un problème de certification. Les contraintes biologiques sont identifiées : 60 décibels. Les produits pour isoler phoniquement les espaces de repos sont
également connus. Très clairement - et on tombe vite dans le domaine culturel - est-il normal de payer un repos à un pilote qui est en train de travailler ? Dans
la profession même, des pilotes anciens n'ont pas admis le système que l'on appelle le « nap » en anglais, un petit repos de deux ou trois heures,
estimant qu'ils sont payés en vol. Culturellement, ils n'acceptaient pas ces périodes de repos sur longs courriers. Il a fallu que ce soit quasiment imposé par
la hiérarchie, par l'autorité médicale, parce qu'il y avait un intérêt constaté et que certains pratiquaient régulièrement ce repos « sauvage ».
La réglementation impose la présence d'un poste de repos adéquat et
M. le Rapporteur s'interrogeait sur l'absence de poste de repos dans un avion prévu pour rester dix ou quinze heures en vol. Effectivement, c'est une question,
car si un avion est prévu pour avoir une autonomie de quinze heures de vol, les cycles biologiques des pilotes qui auront à le conduire, devront se caler sur
ces quinze heures. C'est la loi qui doit le préciser. La réglementation anglaise le décrit parfaitement : selon que le repos a lieu dans un poste de repos
adapté ou non, les temps de dépassement des périodes de service sont plus ou moins longs, plus ou moins importants. Le poste de repos déterminera l'autonomie
de l'équipage. A ce jour, la réglementation ne l'impose pas sur des avions de type longs courriers, pour la bonne raison que certains constructeurs utilisent
des avions longs courriers sur des réseaux courts courriers. C'est le cas de Boeing au Japon et d'Air France avec sa filiale Air Inter qui avait mis en _uvre
un Boeing 747 sur le réseau domestique. Le poste de repos ne se justifie pas sur cet appareil.
C'est un problème bien plus complexe qu'un problème de constructeur.
Le constructeur étudiera, bien évidemment, les postes de repos pour les vols longs courriers. Si l'avion est utilisé en très long courrier, la compagnie
retiendra cette option, car cela reste une option. Par contre, les compagnies étant de moins en moins propriétaires de leurs avions, ce sont des compagnies de
leasing qui définissent la norme. Lorsque vous vous mettez à la recherche d'un avion, vous pouvez hériter d'un avion qui n'est pas adapté spécifiquement
à votre réseau, ce qui pose des problèmes, car cela coûte très cher en sièges de passagers qui auraient rapporté sur le plan économique.
Pour des raisons de sûreté, les attentats du 11 septembre 2001 ont
imposé des postes de cockpit et un espace confiné à l'avant pour les équipages techniques. Beaucoup d'avions ayant été conçus avant le 11 septembre, de
nombreux postes de repos sont installés à l'arrière des avions. Quand le commandant de bord va se reposer à l'arrière de l'avion, les consignes de sûreté
consistent, très souvent, à ce que l'on ferme la porte pour ne plus la rouvrir jusqu'au moment où l'avion sera au sol. On arrive à la situation paradoxale où
le commandant de bord est enfermé dans son poste de repos et où deux copilotes, à l'avant, vont ramener l'avion.
Mme la Présidente : Le commandant ne peut réintégrer son poste
de pilotage ?
M. Thierry LE FLOC'H : Les procédures de sûreté l'interdisent.
Mme la Présidente : Nous avons mis le doigt sur un problème !
M. Thierry LE FLOC'H : J'attends un démenti, mais je suis d'une
sérénité à toute épreuve.
Mme la Présidente : En tant que passagers, nous le sommes
beaucoup moins !
M. Thierry LE FLOC'H : Si un détournement d'avion survient,
alors que le commandant de bord est dans son poste de repos, la porte du poste est fermée, verrouillée, le commandant de bord n'a plus accès à son poste de
pilotage, à moins que les officiers pilotes de ligne, les OPL, qui sont devant, dérogent aux règles de sûreté. La réponse serait d'installer des postes de repos
situés dans l'enceinte confinée, à proximité du poste de pilotage.
Mme la Présidente : Il y a, je crois, des modes de
reconnaissance des personnes, de type digicode. Une hôtesse ne peut-elle reconnaître le commandant qui demande à réintégrer son poste de pilotage ? Je suis à ce
point stupéfaite par l'information que vous venez de nous livrer que je ne sais si l'on doit en rire ou en pleurer !
M. Thierry LE FLOC'H : Je n'en ris absolument pas. Les méthodes
que vous mentionnez sont encore à l'état embryonnaire. Il s'agit du programme Safi, qui fait l'objet d'un investissement massif de la communauté
européenne qui permettra une reconnaissance biométrique pour l'accès à bord des avions. A ce jour, je le répète et je le maintiens, si deux OPL sont devant au
moment du détournement, les portes seront fermées et si les officiers pilotes de ligne respectent les règles de la compagnie, le commandant n'aura pas accès au
cockpit. Je le maintiens.
M. Jan-Lou MIRIAL : Il faut préciser que le poste de repos
n'est utilisable qu'en équipage renforcé. Lorsque l'avion est en équipage de base, qu'il soit formé de deux ou de trois pilotes, le poste de repos, s'il existe,
ne sera pas utilisé par les pilotes, qui pratiqueront, alors, ce que M. Le Floc'h a appelé le « nap » - c'est-à-dire, en français, « la sieste », qui
consiste en un repos contrôlé - pour s'assurer qu'un des deux ou des trois pilotes est toujours éveillé. Celui qui veut prendre son repos le prendra vingt à
quarante minutes durant, dans un espace temps bien défini.
Sur les longs courriers, l'équipage est renforcé. Un, voire deux
pilotes supplémentaires s'ajouteront à l'équipage de base. En ce cas, le poste de repos sera utilisé. Quant au poste de repos des avions modernes, il se situe
de plus en plus souvent dans l'espace du cockpit, en deçà de la porte blindée.
Ainsi que vous le souligniez, Mme la Présidente, pour ouvrir la
porte blindée, on demande l'autorisation. On se fait reconnaître. Vous évoquiez le digicode ; c'est ce que nous utilisons. Il y a un code normal que l'équipage
peut utiliser et il y a également un code d'urgence en cas de problème pour que le personnel navigant qui veut entrer soit reconnu par les pilotes qui sont aux
commandes de l'avion. Quant au poste repos situé au-delà de la porte blindée, à l'arrière des avions, ce sont ceux des avions d'ancienne génération. Je parle
sous couvert de mes collègues : dans ce cas, le commandant, avant de prendre son repos, passe ses consignes et l'un des deux pilotes qui reste aux commandes
est délégataire de la fonction « commandant de bord ». Il sera tout à fait capable de ramener l'équipage en cas de détournement. L'accès au cockpit sera
impossible à ce moment-là.
M. Régis MOLLARD : Je reviens au problème de la fatigue. Nous
avons mené une étude en 1999, publiée en 2002, portant sur la comparaison des réglementations nationales. Nous avons comparé 26 réglementations applicables dans
29 pays du monde entier sur la fatigue : comment la prise en compte de certains critères permet-elle de limiter la fatigue ?
Je rejoins ce qui a été dit préalablement. Les pays qui prennent le
mieux en compte la fatigue, notamment les variations des contraintes biologiques liées à l'alternance jour/nuit, sont ceux d'inspiration anglo-saxonne : la
Grande-Bretagne, Hong-Kong, Singapour. Ils tiennent compte de ces aspects, de la présence ou non de décalages horaires pour déterminer les durées de repos, à
l'escale, par exemple, ou plus généralement. Le temps de repos pré-vol est notamment pris en compte par certains pays. Je tiens à la disposition de la mission
cette étude et les articles relatifs à cette question.
Le besoin d'harmonisation s'impose. Si les résultats de ces
recherches scientifiques, pourtant probants, ne sont pas pris en compte, c'est parce qu'il n'y a pas toujours de liens de cause à effet entre un équipage
fatigué et un équipage qui mettra en péril la sécurité du vol. La fatigue n'a un impact sur la sécurité du vol que lorsqu'il se passe quelque chose
d'inattendu, sinon qu'en sera-t-il ? Pas grand-chose. Le pilote automatique est là pour gérer la situation.
Effectivement, si deux pilotes dorment en même temps, il y a un vrai
problème. Mais il est beaucoup moins pressant depuis qu'a été institué le système du « controlled rest », c'est-à-dire les siestes, préconisé par la
NASA et les équipes de recherche européennes dont nous faisons partie. Nous avons testé son effet bénéfique. Il s'agit d'un repos explicitement déclaré. La
personne déclare qu'elle va faire une sieste de vingt minutes et pas plus car, au-delà, il y a risque de tomber en sommeil profond. Dans ce cas, un réveil en
urgence pose le problème de l'inertie du sommeil, qui se traduit par une confusion mentale qui durera entre cinq et quinze minutes et qui peut poser problème
en cas de décision rapide. Car si l'on vous réveille c'est évidemment parce qu'il y a une urgence.
Le système des siestes contrôlées dans le cockpit est de plus en
plus recommandé mais, pour le moment, le Canada est le seul pays à en tenir compte sur le plan réglementaire. La réglementation canadienne indique que le
système des siestes en cockpit est admis, sous réserve qu'il soit parfaitement contrôlé par la mise en place de dispositifs d'assistance permettant de
s'assurer que le second pilote est bien réveillé. En effet, quand l'un des deux pilotes fait la sieste, l'autre ne parle plus, limite les communications, ce
qui augmente la monotonie. Par ailleurs, il ne faut pas que les pilotes soient trop fatigués et cela rejoint l'organisation des temps de travail. Si un pilote
est vraiment fatigué, il risque, en vingt minutes, de tomber en sommeil profond, avec une inertie du sommeil en cas de réveil. Nous étudions actuellement des
mesures de lutte contre l'inertie du sommeil. L'effet de la lumière, notamment, permet de réduire très rapidement l'inertie du sommeil.
On a beaucoup mentionné les amplitudes de services. Nous avons mené
des travaux portant sur plus de 250 vols et réalisé des recueils de mesures physiologiques, dont il résulte que les rotations transatlantiques en équipage à
deux ou à trois, donc en équipages de base, figurent parmi les rotations les plus fatigantes.
Donc, la nécessité du repos au cockpit est importante.
Mme la Présidente : Existe-t-il une différence selon qu'il
s'agit d'un équipage à trois ou à deux ? De longues discussions ont eu lieu à ce sujet et il est important de reposer la question.
M. Régis MOLLARD : Non. On a observé que dans les vols longs
courriers, le mécanicien navigant dormait plus que les autres. C'est ce qui résulte de nos observations et nos enregistrements, même si, je le sais, cela fait
réagir certains.
Il existe une culture de la fatigue et de la récupération qui varie
en fonction des pays. Nous avons mené une enquête, par questionnaire, sur la perception de la fatigue par les équipages. Dans les pays occidentaux, on
travaille davantage pour gérer son temps libre que pour se reposer, alors que dans les pays d'Extrême-Orient, on gère son repos pour être efficace pendant son
travail. Je sais qu'ainsi présenté, le résultat est un peu provocateur mais la situation revient à peu près à celle-là. Tous nos pilotes d'avions longs
courriers, tous les équipages auxquels nous avons proposé nos guides de recommandation - qui ont été diffusés à plus de 5 000 exemplaires - sont contents de
l'avoir, mais aucun ne s'en sert. En Asie du sud-est, c'est totalement l'inverse : les personnels ne sont pas demandeurs de recommandations, car, par nature,
ils les utilisent. C'est également un problème culturel. Nous sommes plus enclins à l'automédication.
Ce n'est donc pas que la réglementation est mal faite, mais c'est
que l'on veut gérer correctement sa vie et son bien-être. Le grand problème de l'évolution de la réglementation ou de la pratique des compagnies est lié à des
oppositions sociales. Notre guide recommande, pour un voyage de Paris à Boston ou à New York de rester calé sur les horaires de la base de départ, en
l'occurrence Paris, dans l'hypothèse d'une escale courte de 36 heures. Cela permet de gérer le sommeil, dans la mesure, bien sûr, où l'hôtel et les conditions
matérielles sont appropriés. Or, il y a une forte opposition des pilotes ou des équipages. Ils sont plus enclins à gérer leur temps libre que leur repos. C'est
une tendance globale, même si nous connaissons des équipages qui pratiquent ces recommandations établies, validées, justement parce qu'elles ont été testées
auprès des pilotes. Certains pilotes savent gérer ces recommandations, et dans ce cas, la fatigue est moindre.
Dès lors, pourquoi ne parvient-on pas à faire évoluer la
réglementation et la sécurité ? Parce qu'il n'y a pas une relation directe de cause à effet entre un pilote fatigué et un pilote qui mettra en danger la
sécurité du vol. Lorsque l'on pense « fatigue », on pense « dette de sommeil ». La dette de sommeil entraîne une augmentation des temps de réponse, de petites
omissions. Sur des temps de réaction, des tests élémentaires, on constatera des dégradations. Par contre, sur une performance opérationnelle globale, c'est
beaucoup plus difficile à démontrer.
Ce qui est sûr, par contre, c'est que lorsqu'on est fatigué, cela
agit sur la communication au sein de l'équipage. Les résultats de notre enquête sur la perception de la fatigue sont les suivants : quand on demande à un
pilote fatigué quelle est la perception de sa fatigue, il répond qu'il éprouve des douleurs dans la nuque, des picotements aux yeux, le besoin de dormir. Si on
l'interroge sur son collègue, il répond qu'il commet des erreurs, ne comprend pas, est irascible et qu'il est donc moins efficace. On peut donc imaginer que si
l'autre pilote, qui est également fatigué, a la même perception, cela peut agir sur la communication au sein de l'équipage. L'un des principaux problèmes posé
par la fatigue est qu'elle peut compromettre le diagnostic et la résolution de situations dégradées. Quand tout va bien, il n'y a pas de problème. Mais en cas
de problème, ce n'est pas comme pour le routier qui connaît une baisse de vigilance et qui atterrit sur le bas-côté. Dans un avion, c'est différent. C'est
pourquoi nous avons un peu de mal à promouvoir nos recommandations.
Vous avez raison d'être inquiète, Mme la Présidente, parce qu'avec
la mise en place des très longs vols - appelés vols ultra longs courriers - sur les Airbus 340/500, 340/600 et bientôt l'A 380, se posera le problème de la
gestion de la fatigue des équipages. Nous étudions d'ailleurs ces problèmes pour Singapour Air Line, au sein de l'ECASS.
Les premiers résultats sont encourageants. Il faut savoir que ces
très longs courriers sont en dehors de la réglementation. Sur ces nouveaux vols, l'aviation civile de Singapour a voulu tester une mesure dérogatoire en
suivant les équipages pendant six mois. Auparavant, des études, par simulation, nous avaient été demandées car nous disposons de modèles suffisamment efficaces
pour prédire le niveau de fatigue probable, en fonction de ce type de vol. Il semblerait que ce soit faisable, mais en faisant les choix opérationnels
appropriés. Pour autant, cela ne signifie pas que la compagnie persévérera.
Nous avons procédé à des simulations, par exemple, un retour de Los
Angeles, avec un départ, soit à une heure du matin, soit à quatorze heures. Pour des raisons commerciales, la compagnie a décidé de partir à quatorze heures.
Pourtant, le résultat de nos simulations a démontré que l'inverse était plus efficace. Nous ne sommes pas toujours suivis dans nos recommandations. La pression
économique passe avant nos préconisations, car nous ne pouvons pas toujours démontrer le lien direct entre fatigue et problème de sécurité.
Sur la fatigue et l'alcool, les Australiens ont réalisé des études
montrant qu'une dette de sommeil d'une quinzaine d'heures correspond à la présence de 1,5 gramme d'alcool dans le sang. Ces études confirment un point : la
détérioration des performances mentales sur des tests visiomoteurs de base. Les temps de réaction augmentent et les omissions sont plus nombreuses sur le test
appelé le « taping ». En revanche, il existe une différence fondamentale entre un pilote fatigué et un pilote en état d'imprégnation alcoolique. Ce dernier
sera beaucoup plus confiant en lui-même. On a donc un comportement de prise de risque, ce qui n'est pas le cas lorsqu'on est fatigué. Cela ne signifie pas
qu'il faille être pilote et fatigué !
On a aussi parlé d'automédication. Nous avons beaucoup de retour
d'information sur l'automédication, par usage de la mélatonine, substance non autorisée à la vente en France - parce qu'elle peut être d'origine animale plus
ou moins bien contrôlée - mais en vente libre aux Etats-Unis et très utilisée comme inducteur de sommeil, à l'instar d'un somnifère. Prise dans de bonnes
conditions, elle favorise le sommeil. C'est une manière détournée de gérer sa fatigue : plutôt que d'appliquer des recommandations pratiques d'exposition à la
lumière, de gestion de son sommeil, on prend une pilule de mélatonine ou un somnifère, pour faciliter le sommeil. Cette automédication n'est pas recommandée
par les médecins d'Air France. Les pilotes d'Air France, pour certains, me disent suivre un protocole Air France. En fait, il s'agit de personnes qui ont
entendu dire que la mélatonine était efficace mais qui se situent à la marge des pratiques conseillées par le corps médical.
Pour résumer les études que nous conduisons depuis une quinzaine
d'années sur la fatigue, une vraie question se pose pour les vols ultra longs et les vols très courts.
Pour les premiers, on ignore l'effet de l'allongement de la durée
des temps de vol. La principale difficulté concernera les passagers, ou plutôt les passagères de plus de cinquante ans, qui resteront assises plus de douze
heures dans un fauteuil, quelle que soit la classe, d'ailleurs. Car c'est l'immobilité en position assise qui favorise la thrombose veineuse, non le fait
d'être en classe économique, même si les cas sont plus fréquents en classe économique, parce que le nombre de personnes transportées est plus grand qu'en
classe business ou première.
Ensuite, on a sous-évalué le problème des rotations courtes. Les
rotations courtes avec des enchaînements de levers précoces - une présence tous les matins à Orly, à six heures du matin, suppose un lever à quatre heures du
matin - et cinq rotations par jour induisent une accumulation de dettes de sommeil, parce qu'on est en opposition permanente de phases avec l'horloge
biologique. La tendance naturelle consiste à décaler l'heure de sommeil, car on est biologiquement programmé ainsi. C'est pourquoi on s'adapte mieux au voyage
aller vers les Etats-Unis qu'au voyage de retour. Il faut savoir qu'une dette de sommeil d'une heure et demie par jour revient à une nuit blanche à la fin de
la semaine. La récupération, dans le strict respect de la réglementation, ne peut pas être complète et effective, selon les études menées sur les vols courts
courriers.
On n'a pas parlé des contrôleurs aériens. Pourtant, nous aurions
beaucoup à faire sur l'organisation de leurs horaires de travail, car elle est quelque peu désordonnée, même si certains - pas moi - disent qu'ils travaillent
peu.
Enfin, on ne se préoccupe pas du repos des personnels navigants
commerciaux. Il n'y a quasiment aucune étude sur le sujet, de même qu'il n'y a que très peu d'études sur l'organisation du travail des personnels de la
maintenance. Pourtant, on leur confie les avions, on leur demande de respecter des procédures et de faire beaucoup de choses. Le risque d'erreur humaine
- erreur et non faute - est fortement accru par les problèmes d'organisation de cette catégorie de personnels.
Mme la Présidente : Nous traiterons de la question de la
maintenance au cours d'une prochaine table ronde. Merci de nous avoir fourni des pistes.
M. Jean PARIÈS : Je vais essayer de synthétiser ce que je
perçois sur le sujet central de la sécurité des vols.
La gestion du risque dans un vol est extrêmement complexe et fait
intervenir une série de facteurs : la fatigue, la position par rapport au rythme biologique, mais aussi l'activité de la veille, dans la vie privée, ce que
l'on fait pendant le vol, l'intensité du travail, le niveau de stress associé au vol. Tout cela est indissociable et si on essaye de le dissocier, on aboutit à
des contrevérités ou à des effets paradoxaux, par exemple sur l'amplitude du travail ou le niveau de fatigue.
Puisque les contrôleurs de la circulation aérienne ont été
mentionnés, je vais reprendre l'exemple. Le retour de vacances est le moment de risque le plus élevé dans le travail d'un contrôleur. C'est quand il est le
moins fatigué, totalement reposé, que le risque est maximal, car, pour d'autres raisons, l'alternance des repos et du travail fait que l'on se retrouve
brutalement confronté à des exigences professionnelles que l'on n'est plus vraiment en mesure de satisfaire. Cela peut se produire également pour les pilotes
de longs courriers qui reviennent de vacances et qui ont un peu perdu la main, parce que leur dernier atterrissage est ancien. Il faut donc être très prudent
et ne pas être naïf sur le pouvoir d'une réglementation à organiser et à gérer correctement une telle complexité. Il est des domaines, contrairement à
d'autres, où il faut abandonner l'espoir de trouver des solutions par la réglementation.
Sur l'amplitude du temps de travail et du temps de vol : la
réglementation actuelle porte sur les conditions de travail et, à l'intérieur de cette enveloppe réglementaire, la sécurité est convenablement prise en compte.
Rationnellement, scientifiquement, on peut dire que ce que l'on sait de la relation entre l'amplitude du temps de travail et la sécurité est largement pris en
compte dans les exigences réglementaires actuelles en ce domaine. Nous n'évoluons pas dans un monde apocalyptique, où les gens seraient obligés de se doper
pour résister à des conditions effroyables qui leur seraient faites. On est très, très loin d'une telle réalité.
On est, en revanche, beaucoup moins performants en ce qui concerne
la prise en compte, dans la réglementation, de la gestion du sommeil et des rythmes biologiques. Les Anglo-Saxons ont fait mieux. On peut donc faire progresser
la réglementation dans ce domaine, sans oublier qu'elle ne pourra pas traiter la totalité des aspects. Il faut aussi éduquer, former non seulement les pilotes,
mais aussi les managers de la compagnie, et autres personnels pour bien comprendre les effets du sommeil sur la sécurité et sa gestion. Il faut toutefois
rester modeste, car les connaissances scientifiques dont nous disposons sont, aujourd'hui, très pauvres. On connaît l'existence d'un lien - tout le monde sait
qu'on n'est pas tous performants en conduite de nuit - mais la quantification de ces dégradations n'est pas suffisante.
Quant à la consommation de drogues, d'alcool, la réglementation
actuelle est encore moins performante. Je ne suis pas certain que l'on puisse faire grand-chose, si ce n'est annoncer qu'il ne faut pas en consommer. Le reste
est encore plus une affaire d'éducation, de culture de compagnie, de confiance à l'intérieur de la compagnie entre les différents niveaux de l'organisation. Il
serait contreproductif d'essayer de réglementer à outrance ces domaines.
M. René AMALBERTI : Je voudrais insister sur le fait que les
études accumulées depuis quinze ans ont, quand même permis une compréhension significative des mécanismes de fatigue et des facteurs d'aggravation de la
somnolence, liés à des horaires de départs en vol précoces ou des repos compensateurs inefficaces. Pour une large part, ces éléments ne sont pas véritablement en
butée de la réglementation actuelle, puisque celle-ci est très tolérante vis-à-vis de ces risques, excepté pour certains qui tiennent à des modes de travail
particuliers et pour lesquels la négociation sociale n'a jamais accepté les données livrées par les études scientifiques. La réglementation se heurte à un fait
social, très bien décrit par Régis Mollard, sur lequel il n'est pas utile de revenir.
Je veux maintenant insister sur deux points liés au fait que, dans
l'aviation, tous les éléments ne sont pas totalement planifiables.
Le premier réside dans l'irrégularité des horaires résultant
d'incidents les plus divers, qui n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes dans la gestion de la fatigue des équipages. La réglementation n'y peut
rien, sinon prévoir des règles de butée dont on sait que, dans certains cas, elles seront nécessairement accompagnées d'une demande de dérogation, faute d'une
autre solution quand l'avion est très loin et surtout s'il appartient à une petite compagnie.
Le second point tient à l'existence d'un système à deux vitesses :
un système raisonnablement bien protégé - même si on n'annule pas le risque - qui est celui des « majors », des grandes compagnies. Et puis, on a un
système plus fragilisé - la caricature étant l'avion d'affaire - pas seulement à cause des temps vols, mais parce qu'il s'agit d'un système qui s'adresse, pour
beaucoup, à de jeunes pilotes en recherche d'emploi dans un marché compétitif avec une plus grande tolérance aux excès, avec des plans de vols plus aléatoires
vers des destinations beaucoup plus souvent imprévues. Les risques sont plus nombreux et en même temps, les accords de branche sont plus faibles. Les
compagnies d'affaires présentent donc un risque objectivement supérieur à ceux des grandes compagnies, mais ce n'est pas uniquement lié à la durée de vol.
Mme la Présidente : Y a-t-il des arrêts de maladie pour raisons
psychologiques ou pour des troubles liés au travail ? Avez-vous des chiffres sur ce point ?
M. Thierry LE FLOC'H : La compagnie où je travaille
comptait onze commandants de bord en 2003, parmi lesquels, deux ont été arrêtés pendant quatre mois pour troubles psychologiques. Ce sont les seuls chiffres dont
je dispose et je n'ai pas la prétention de dire qu'il s'agit là d'une donnée statistique ni que cela est représentatif de l'activité des pilotes. Je précise
quand même que ces arrêts médicaux n'ont pas été prononcés par des médecins privés, mais par le CENPL.
M. Yves ROGER : Je suis globalement assez d'accord avec les
propos de MM. Mollard, le Floc'h et Almalberti, excepté sur quelques points.
D'abord, la mélatonine est plutôt un prolongateur de sommeil. Le
Stilnox est utilisé pour s'endormir et la mélatonine pour prolonger le sommeil. Il est vrai que cela fonctionne mais le règlement l'interdit.
Je ne suis pas non plus d'accord avec l'indication de M. Mollard sur
l'équipage à trois. Le mécanicien n'est pas celui qui dort le plus et je puis vous assurer que la plupart des pilotes, aujourd'hui, même ceux qui volent en
équipage à deux, regrettent la présence de ce troisième membre d'équipage, non seulement pour ses compétences techniques, mais aussi pour la vigilance
supplémentaire qu'il apportait dans l'équipage.
J'aurais aussi envie de dire à Mme Marchant que les règlements
actuels prévoient une période de repos, après le travail, alors qu'il faudrait une période de repos avant le travail.
On m'a indiqué que je formulais beaucoup de critiques. Mais c'est
bien pour dire ce qui ne va pas que je suis venu ! Ce qui va bien, il ne faut pas le changer ! Ce qu'il faut modifier c'est ce qui ne va pas et c'est pourquoi
j'explique ce qui ne va pas !
On me demande de faire des propositions. J'en ai formulé hier. J'en
fais encore aujourd'hui.
La première est d'utiliser le principe de subsidiarité, celui-là
même qui a prévalu pour l'Europe. C'est un bon principe, puisqu'il consiste à répartir les tâches correctement et à donner aux personnes concernées les moyens
d'agir. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs et les experts ne sont pas les pilotes. Le principe de subsidiarité est la proposition majeure que j'ai
avancée. Du reste, je n'en ai pas entendu beaucoup d'autres.
Je souhaiterais aussi aborder la question de l'alcoolisme et des
stupéfiants. Oui, l'alcoolisme existe dans l'aviation, comme partout. Je suis favorable aux contrôles, mais à la condition qu'ils ne soient pas pratiqués comme
le sont à l'heure actuelle les contrôles de police. Je suis commandant de bord, j'arrive en bel uniforme. Contrôle de police : devant tous les passages, on
vous enlève la veste, les chaussures, on fouille vos poches...
Le problème des stupéfiants existe aussi ; il reste, pour l'instant,
très marginal, mais il y a une interrogation pour l'avenir.
Mme Martine LACOSTE : Je réponds à la question posée par M. Gonnot
au sujet de la formation. Je reste convaincue que la formation et le retour d'expérience sont deux outils contribuant à la sécurité qui est un système
véritablement complexe.
Nous dispensons une formation initiale, obligatoire et réglementaire
à notre personnel navigant technique, également à notre personnel commercial, et nous l'avons étendue au personnel de maintenance et au personnel d'escale, car
nous estimons qu'il s'agit d'une culture qui doit être partagée.
Elle se déroule sur un minimum de deux jours, co-animés par deux
formateurs, dont nous assurons la formation sur le plan pédagogique et sur la notion de « facteurs humains », autour de dix concepts. Cette formation est
suivie tous les ans par un maintien de compétences, qui correspond à un approfondissement de trois des neuf concepts abordés au départ. Nous utilisons des
mises en situation sur simulateur de cabine pour la gestion de situation dégradée en collectif. Nous croyons beaucoup à la synergie d'équipage en situation
dégradée. Nous avons parlé de la ressource individuelle par rapport à la fatigue, mais la ressource collective est une chose tout aussi importante. Nous
croyons que l'apprentissage est une forme pédagogique beaucoup plus efficace que la formation en salle.
Souvent, nous avons été confrontés à un dilemme difficile entre
sécurité et sûreté. Nous avons toujours mis fortement en avant la sécurité et nous avons tout fait pour maintenir la visite du personnel commercial dans le
cockpit, toutes les quinze minutes, de nuit, et toutes les trente minutes, de jour, pour vérifier s'il n'y avait pas de problème d'assoupissement ou de
fatigue.
Le retour d'expérience devant se réaliser dans un climat de
confiance, il me semble essentiel de partager son expérience avec les autres et d'enrichir les stages de formation.
M. Régis MOLLARD : Un mot sur les statistiques concernant les
arrêts ou les pertes de licences temporaires chez les pilotes. Nous avons eu l'occasion d'étudier cet aspect récemment et nous n'avons pas enregistré
d'évolutions particulières sur les dernières années. Elle concerne une dizaine de milliers de cas cumulés, dans la mesure où pas plus de 3 000 ou 4 000 pilotes
sont recensés en France.
Par ailleurs, j'espère que l'on a bien compris que je ne cherche
nullement à promouvoir la mélatonine qui, je le répète, est un inducteur de sommeil. Si on l'utilise à d'autres fins, c'est que l'on n'a pas compris à quoi
cela sert. La mélatonine sert à faire croire au corps que c'est la nuit. Normalement, la mélatonine est produite, la nuit, dans l'obscurité pour favoriser le
sommeil. Elle cale l'horloge biologique. Si vous l'utilisez différemment, elle peut engendrer des effets désagréables. Pour obtenir le même effet que l'effet
naturel, on doit prendre des doses cent fois supérieures à celles produites naturellement par notre organisme. Je ne cherchais donc nullement à promouvoir la
mélatonine.
Sur les équipages à deux ou à trois, notre expérience porte sur des
avions longs ou très longs courriers, qui sont le Boeing 747-400. Pour des raisons sociales, la compagnie avait maintenu un mécanicien à bord qui effectuait
des tâches routinières : celles-ci le rendaient vraiment malheureux et il était somnolent. Heureusement, il pouvait récupérer. Cela dit, je ne parlais pas de
la conception de certains avions faits pour être pilotés à trois.
Mme la Présidente : Je souhaiterais savoir si l'on dispose de
chiffres sur le problème du retrait de licences.
M. René AMALBERTI : Des pertes de licences pour raisons
médicales ?
Mme la Présidente : Oui, ou pour des problèmes personnels vécus
par le pilote.
M. René AMALBERTI : Je ne suis pas en mesure de vous livrer de
chiffres. Oui, un flux de pertes de licences est lié à une surveillance médicale, extrêmement renforcée. Les pilotes font tous les ans l'objet d'examens, qui
augmentent en intensité et en criblage avec l'âge, notamment après 40 ans. Malgré un système de dérogation, naturel s'agissant de personnes ayant une expérience
professionnelle, un certain nombre de pilotes perdent tous les ans leur licence pour des raisons médicales. S'agissant, plus spécifiquement, du problème des
conduites addictives, c'est-à-dire de l'alcool - problème soulevé pour des questions culturelles, en France - et de prises de substances interdites, il concerne
un certain nombre de pilotes, mais le chiffre est sans comparaison avec l'incidence nationale. Nous avons affaire à une population très responsabilisée. Un état
alcoolique chronique grave reste très marginal dans les grandes compagnies.
Mme la Présidente : Il y a quelques années, Swissair avait
avoué 8 % de pilotes alcooliques.
M. René AMALBERTI : Non, ce n'est pas réaliste.
Mme la Présidente : S'agissait-il d'une erreur du journal ?
M. René AMALBERTI : Sans doute, car ce n'est pas réaliste.
Des épisodes de vie sont douloureux. A ce titre, tout être humain
peut être confronté à des périodes addictives temporaires, compensatrices. Elles sont difficiles à dépister si la compagnie qui les emploie, n'a pas une
culture d'éveil à ce type de problèmes. De ce que j'en ai vu, on peut raisonnablement penser que la compagnie Air France la possède. Mais, ponctuellement, il
est des cas où cela marche moins bien. Dans les petites compagnies, dans les emplois plus courts, en début de carrière, ou pour les pilotes d'aviation
d'affaires, il y a plus de risques. C'est toujours le même mécanisme de vulnérabilité. Dans le cadre d'un grand système assez bien protégé, les choses se
passent bien. Dans le cadre d'un petit système, les choses sont moins coordonnées.
Il n'en reste pas moins que chaque année, les pilotes subissent un
examen médical de sorte que, même si certains cherchent à cacher leur appétit pour des substances illicites - ce qui peut se comprendre de la part de
professionnels -, peu résistent à plusieurs examens médicaux, sans que cela se sache. Cette population fait donc l'objet d'un criblage médical très fort.
Je terminerai par la prise de substances addictives interdites, du
type héroïne ou modafinil. Ce sont des conduites très rares en France. Elles ont été fortement dénoncées aux Etats-Unis, où il y a sept ans, les taux avaient
atteint un seuil qui n'était pas très haut, mais qui constituait cependant un seuil d'alerte. On n'a pas retrouvé d'états comparatifs en Europe. En revanche,
on y relève un autre effet de société : le taux de jeunes de 20-25 ans entrant dans le métier, et ayant une expérience de prise de cannabis, est élevé. Si le
test de ces jeunes est positif à l'embauche, ils sont éliminés. Pour les autres, on ne peut pas dire que, parce qu'il y a eu prise ponctuelle de cannabis entre
15 et 25 ans, il y aura une conduite addictive mettant en danger la vie des passagers. Sur ce plan, nous manquons de recul, ce qui se traduit par une
application stricte du principe de précaution : le dépistage positif à l'embauche aboutit à un rejet de la candidature.
Pour ce qui est des prises ponctuelles, au cours de la vie
professionnelle, chez des personnes qui se situent, pour l'essentiel, dans la fraction 25-35 ans, des progrès restent à faire. Comme on l'a dit, cela ne fait
pas partie des vérifications annuelles mais cela pourrait le devenir, par négociation. Il ne faut surtout pas noircir le tableau. Ce n'est pas un risque majeur
pour l'aviation, même si ponctuellement des cas sont répertoriés, y compris de prises d'héroïne aux Etats-Unis qui ont donné lieu, dès qu'ils ont été connus, à
une mise à pied du pilote. Mais les cas sont plus que rares.
M. Thierry le FLOCH : Le SNPL gère un système de protection de
pertes de licences. Nous enregistrons environ 40 pertes de licences par an. Mais nous ne pouvons guère déterminer si c'est pour des raisons psychologiques ou
pour inaptitude médicale à la profession. Nous ne disposons pas de chiffres sur les causes psychologiques.
S'agissant des dérogations sur les temps de travail, les
organisations professionnelles sont régulièrement consultées et il y a un refus systématique du SNPL, c'est une question de principe, pour le syndicat. Nous
enregistrons environ dix demandes de dérogations par semaine.
Mme la Présidente : Je pense, s'agissant du retrait de
licences, que l'on peut faire la différence entre des douleurs articulaires, empêchant une personne de rester trois heures devant un poste de pilotage, et des
problèmes générés par d'autres causes. Dispose-t-on de chiffres ?
M. Thierry le FLOCH : Je peux vous transmettre le nombre global
de 40 pertes de licences par an, sans pour autant être en mesure de distinguer les raisons qui ont conduit à ces retraits.
M. Yves ROGER : Je veux aborder rapidement deux questions qui
ne l'ont pas été.
La première concerne la déshydratation dans les cockpits. Je vous
remettrai un document à ce titre. Second sujet : les radiations cosmiques. J'ai réalisé moi-même un relevé, sur une année, dans les cockpits. Tout le monde est
concerné, y compris les personnes au sol, même si c'est très faiblement. Plus on monte en altitude, plus on est concerné. On a cru un moment que le Concorde y
était sujet mais il était équipé pour cela. Il y a quelques contradictions sur le sujet, si bien qu'à Corsair, on sera équipé prochainement de détecteurs. De
nouvelles mesures seront réalisées. Mais je vous livrerai celles que j'ai réalisées moi-même.
Mme la Présidente : Le sujet que nous abordons dans le cadre de
la mission est complexe. On parle beaucoup de normes, de leur application, de formation, d'information des personnels, de culture. Si certains sujets ont été peu
ou mal traités, je propose que vous nous apportiez ces informations par écrit.
Pour notre détente, j'ajouterai une petite anecdote. Ce week-end, un
électeur m'a interrogée sur notre mission. Je lui ai répondu en précisant que le facteur humain était important. La personne m'a répondu avec un grand
sourire : « Mais, Mme la députée, les pilotes n'ont rien à faire ! Il ne peut y avoir de fatigue, puisqu'il y a le pilote automatique. » Voyez comment
vous êtes perçus à l'extérieur ! De même pour les députés qui sont perçus comme des personnes qui dorment en séance !
Madame, messieurs, je vous remercie de votre participation.
Table ronde sur la sécurité dans la maintenance des aéronefs regroupant :
M. Claude LABBÉ et M. Paul MASTANTUONO, Service de la formation aéronautique et du contrôle technique (SFACT) de la DGAC,
M. Philippe MUZELLE, Air France Industrie,
M. Christian SASSO, Dassault Falcon Service (Europe),
M. Jérôme BANSARD et M. Jean Michel BIDOT, Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL),
M. Sylvain SIMONNEAU et M. Jean-Luc JEANGEORGES, Syndicat national des mécaniciens au sol de l'aviation civile (SNMSAC),
M. Paul LABRUNIE, Union syndicale des personnels navigants techniques (USPNT),
M. Eric SIVEL, Agence européenne de sécurité aérienne (AESA),
M. Georges REBENDER, JAA25,
M. Raymond AUFFRAY, expert auprès de la Cour de Cassation
(Extrait du procès-verbal de la séance du 14 avril 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Messieurs, merci à tous d'être venus
participer à cette table ronde consacrée à la maintenance des aéronefs.
Nous avons commencé une série d'auditions thématiques, pour
alimenter le rapport que produira notre mission, chargée de réfléchir sur les différents aspects de la sécurité aérienne, après l'accident de Charm el-Cheikh.
Je souhaite que la table ronde qui nous réunit aujourd'hui soit le
lieu de vrais échanges sur les problèmes posés par la maintenance des aéronefs, sachant que la qualité de l'entretien est une composante essentielle de la
sécurité. Sur ce point, et au-delà des réglementations, qui sont toujours satisfaisantes sur le papier, les auditions que nous avons déjà tenues, ainsi que
certains reportages diffusés sur les chaînes de télévision, suscitent de nombreuses questions. Ces questions portent sur la fiabilité des ateliers de
maintenance et des contrôles, sur la qualité des pièces détachées, sur les trafics et la contrefaçon et sur la compétence des mécaniciens et de tous les
opérateurs.
J'espère que cette réunion nous permettra de mieux connaître les
pistes d'amélioration auxquelles les régulateurs, l'industrie et les compagnies aériennes réfléchissent.
Je vais proposer à chacun d'entre vous de se présenter brièvement.
Je donnerai ensuite la parole aux deux représentants de la DGAC, puisqu'ils ont des spécificités différentes, ainsi qu'aux représentants des JAA et de l'AESA
pour qu'ils nous fassent une courte présentation de la réglementation relative à la maintenance des aéronefs. Ensuite, ceux qui voudront donner leurs points de
vue le pourront afin d'élargir le débat.
M. Claude LABBÉ : Merci Mme la Présidente. Je suis le chef de
la division « exploitation » du SFACT. Ce service appartient à la DGAC et a la charge de la définition et de la mise en oeuvre des réglementations relatives
aussi bien aux opérations aériennes qu'à la maintenance. A ce titre, je suis le chef de Paul Mastantuono, qui est lui-même le chef du bureau entretien et qui va
poursuivre la présentation.
M. Paul MASTANTUONO : Je suis donc le chef du bureau entretien
des aéronefs du SFACT et je suis également le chef du département entretien du Groupement pour la sécurité de l'aviation civile. Le GSAC est la structure qui
effectue la surveillance de l'entretien et qui en rend compte à la DGAC, laquelle signe notamment des agréments. Claude Labbé, dans le cadre du fonctionnement du
GSAC, est également directeur d'activité. A ce titre, il donne au GSAC les directives à appliquer pour la mise en oeuvre des règlements d'entretien.
M. Eric SIVEL : Je travaille au sein de la nouvelle Agence
européenne pour la sécurité aérienne, l'AESA, pour l'instant basée à Bruxelles, avant d'être déplacée à Cologne. Je travaille à la division « réglementation »
pour les textes relatifs au maintien de la navigabilité des aéronefs dont une grosse composante est constituée par la maintenance.
M. Georges REBENDER : Je suis directeur d'exploitation aux JAA.
A ce titre, je suis responsable de trois processus, le premier - réglementaire -, vise à établir les normes d'exploitation européennes, le deuxième - de
standardisation - consiste à auditer les Etats membres et à s'assurer de leur conformité par rapport aux règlements. Le troisième concerne l'évaluation de
l'avion par rapport aux règles de certification.
M. Raymond AUFFRAY : Je suis ingénieur en chef des études de
l'armement air, honoraire depuis 1976, après avoir coordonné la certification des avions Mercure et Concorde. Depuis 1976, je suis expert judiciaire agréé auprès
de la Cour de cassation. J'ai produit beaucoup d'expertises.
M. Paul LABRUNIE : Je suis mécanicien navigant à bord du Boeing
747 et vice-président du SNOMAC, qui représente les mécaniciens navigants. Ces derniers sont des spécialistes à bord, en voie de disparition. Cette disparition
ne va pas dans le bon sens pour le suivi de l'entretien.
M. Jean-Luc JEANGEORGES : Je suis un mécanicien au sol. C'est
l'autre partie de la chaîne. Je suis secrétaire adjoint du SNMSAC. Ce syndicat représente essentiellement les personnels de maintenance. Pour ma part, je suis
technicien avionique à Air France. J'ai d'ailleurs eu l'honneur de recevoir récemment une licence JAR 66, signée par M. Mastantuono. La création de cette licence
pour les mécaniciens, dont nous nous félicitons, est une vieille revendication de notre syndicat.
M. Sylvain SIMONNEAU : Je suis secrétaire national du SNMSAC,
syndicat des mécaniciens. Je suis mécanicien depuis une trentaine d'années sur différents types d'avions et, actuellement, je travaille dans une grande compagnie
commerciale anglaise : la British Airways. Je suis chargé de la remise en service des avions arrivant en escale. Ils sont sous ma responsabilité. Ma signature
autorise les équipages à reprendre l'air avec les avions révisés.
M. Philippe MUZELLE : Je suis directeur de l'assurance qualité
entretien d'Air France et, à ce titre, rattaché au directeur général industriel. Le sujet que vous abordez ce soir me concerne directement. J'ai deux missions
essentielles. En premier lieu, je suis chargé de la surveillance de ce qu'on appelle la « sous-partie M », puisque Air France est avant tout un exploitant. En
second lieu, j'assure la surveillance du JAR 145, puisque Air France, en plus d'être exploitant, entretient ses avions.
M. Christian SASSO : J'ai à peu près le même rôle que le
précédent intervenant à une échelle différente. En effet, Dassault Falcon Services exploite une flotte de Falcon, c'est-à-dire d'avions d'affaires. En outre,
Dassault Falcon Services est une station-service agréée de maintenance des Falcon, entretenant un peu plus de 50 % de la flotte de Falcon présente sur les
marchés européens, africains et moyen-orientaux.
M. Jean-Michel BIDOT : Je suis commandant de bord instructeur
sur Boeing 777 et membre, au sein du SNPL, de la commission technique. Tout récemment, j'ai été désigné par l'ECA pour participer à un comité scientifique de
consultation de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) qui s'appelle SSCC, « Safety standards consultative commitee ».
M. Jérôme BANSARD : Je suis vice-président exécutif du SNPL,
commandant de bord et instructeur. J'assiste aujourd'hui notre expert, M. Bidot.
M. Claude LABBÉ : Je vais essayer de présenter les grands
principes qui régissent la maintenance et de vous indiquer quels sont les principaux règlements imposés à la fois aux compagnies aériennes et à ceux qui
entretiennent les aéronefs.
Pour simplifier, le rôle de la maintenance consiste à préserver le
bon état technique d'un avion qui a été certifié et qui a été garanti « bon pour le vol » par al délivrance d'un certificat de navigabilité. C'est tout le
débat que vous avez eu sur la certification. Quand un avion sort de la chaîne de construction, il est bon pour le service car tous les contrôles ont été
effectués. Il s'agit, tout au long de sa vie, de faire en sorte qu'il reste dans un état de navigabilité aussi bon que possible. Pour cela, nous nous appuyons
sur la compétence des personnels. Ce sera un premier volet réglementaire. Il s'agit de faire en sorte que ceux qui interviennent à différents stades de
l'entretien aient une compétence affirmée et reconnue. De cette manière, lorsque cet avion est remis en vol, nous avons l'assurance que les opérations de
maintenance ont été réalisées par des personnels compétents.
Le deuxième volet, relatif à une bonne maintenance concerne la
compétence des organismes. M. Muzelle a évoqué le JAR 145 et la « sous-partie M ». Ces normes concernent pour la première les organismes de maintenance et les
ateliers d'entretien, pour la seconde la compagnie aérienne qui a, elle-même, un certain nombre de responsabilités que nous pourrons détailler par la suite. Il
faut faire en sorte que les organismes, qui interviennent dans le processus de maintenance, disposent des moyens et des procédures adaptés, d'une organisation
convenable et d'un système assurant une qualité de prestation optimale.
Le troisième volet permettant d'assurer la qualité de la
maintenance - je crois que c'est assez spécifique à ce métier - est le suivi des travaux effectués sur les aéronefs et de l'ensemble des différents composants
de l'aéronef, qu'il s'agisse des pièces, des équipements ou d'ensembles plus importants. Ce volet que nous appelons communément la « traçabilité » est
extrêmement important pour la qualité de l'entretien des aéronefs.
Le quatrième volet consiste à tirer partie de l'expérience acquise
tout au long de la vie de l'avion. Une flotte d'aéronefs, tout au long de sa vie, va connaître un certain nombre de problèmes qui, sans être générateurs
d'accidents ou d'incidents, sont les indices d'une détérioration du matériel. Il est donc important de tirer partie de cette expérience pour améliorer à la
fois les procédures de maintenance mais également le matériel, c'est ce qui est appelé le retour d'expérience.
Tout ce processus, qui démarre après la certification initiale de
l'avion et se poursuit par son utilisation, constitue le schéma autour duquel ont été bâties les différentes réglementations. Celles-ci obligent les compagnies
aériennes, les exploitants et les ateliers à travailler dans un cadre rigoureux et précis. Le règlement est là pour fixer les normes minimales à appliquer afin
de garantir que le niveau de sécurité que nous souhaitons est bien assuré.
En matière de règlement, les ateliers et les compagnies aériennes
sont tenus d'appliquer les règlements de leur pays. En France, Air France ou Dassault appliquent donc la réglementation française. Aujourd'hui, et depuis de
nombreuses des années déjà, cette réglementation n'est pas une réglementation franco-française. Elle découle d'un certain nombre de réglementations
préexistantes ou élaborées dans un cadre international. Le but est de faire en sorte que cette activité, qui est éminemment internationale, puisse offrir les
mêmes garanties aux passagers transportés, aux équipages et aux tiers quel que soit le pays survolé. Ceci explique l'implication forte des organismes
internationaux dans l'élaboration et la mise en place des réglementations.
Au premier rang figure l'Organisation de l'aviation civile
internationale. L'OACI, au travers de la convention de Chicago, attribue aux Etats un certain nombre de responsabilités et d'obligations. Il est important pour
la suite des débats de préciser les responsabilités qui découlent de la convention de Chicago.
L'Etat considéré est le pays de l'exploitant pour les aspects liés à
l'exploitation en transport public, le pays d'immatriculation pour les aspects liés au maintien de la navigabilité de l'aéronef. Dans la mesure - et c'est bien
souvent le cas - où le pays de l'exploitant et d'immatriculation de l'aéronef est le même, les choses sont plus simples. Toutefois, ce n'est pas toujours le
cas.
Par ailleurs, il est prévu, dans cette même convention, que les
Etats s'obligent à mettre en oeuvre les annexes. La maintenance est concernée par trois annexes. L'annexe 1 traite des licences du personnel, licences du
personnel navigant mais également des mécaniciens au sol, donc des exigences concernant le personnel de maintenance au sol.
La deuxième annexe concernant la maintenance - et la plus
développée - est l'annexe 6 qui traite de l'exploitation technique des aéronefs. Cette annexe s'adresse particulièrement à l'exploitant aérien et fixe ses
responsabilités. On y retrouve à la fois des indications concernant le programme de maintenance, l'état de maintenance, des renseignements sur la navigabilité
des aéronefs, des renseignements sur les organismes de maintenance agréés et des fiches de maintenance qu'on peut considérer comme un des points clés de la
traçabilité.
Le dernier volet concerne l'annexe 8. Cette annexe est
essentiellement destinée à la certification des aéronefs et à leur navigabilité. Elle fixe des obligations en matière de documentation à produire pour
permettre la mise en _uvre d'un programme d'entretien dédié à un avion venant d'être livré neuf.
Il va sans dire que la façon dont ces trois annexes sont rédigées et
leurs degrés de précision sont insuffisants - particulièrement pour un Etat comme la France. Ceci explique l'existence de travaux complémentaires pour préciser
ce qui devrait être mis en oeuvre par les Etats.
Depuis maintenant une trentaine d'années, la France a _uvré au sein
des JAA pour élaborer des règlements techniques qui découlent des annexes OACI. Ils sont transposés dans les règlements nationaux. Depuis l'année dernière, le
relais a été pris par l'AESA. Nous sommes donc, aujourd'hui, dans le domaine de la maintenance, soumis à un règlement communautaire. Ce dernier, le 20-42,
comporte une partie réglementaire assez générale et quatre parties qui détaillent de façon très complète et très précise tous les aspects de la maintenance.
Sans les énoncer dans l'ordre, la partie 66 concerne la formation des personnels, la façon de délivrer les licences des mécaniciens au sol et la partie 147 la
façon d'agréer les écoles de formation de ces mécaniciens. La partie 145 traite de l'agrément des organismes d'entretien qui ont vocation à entretenir des
aéronefs utilisés en transport public. La partie « M » porte à la fois sur les obligations de la compagnie aérienne en matière de suivi de la navigabilité de
ses aéronefs, l'agrément de petits ateliers qui travaillent pour l'aviation générale, et les règles de maintenance et de renouvellement de certificat de
navigabilité. Voilà, schématiquement, ce que je pouvais dire en introduction au débat.
M. Georges REBENDER : Mon exposé sera très court et se
concentrera sur les articulations majeures, M. Sivel ayant non seulement la compétence légale mais également la compétence technique pour développer ces points.
Les machines volantes, comme toutes machines, sont sujettes au phénomène bien connu de fatigue, notamment du métal. Elles sont également soumises à l'usure, des
pneus par exemple, ou à la corrosion. En outre, comme dans tous les domaines où il y a intervention humaine, il y a risque d'erreur. En conséquence, l'OACI, dans
son dispositif réglementaire, a prévu de mitiger ces risques pour qu'il n'y ait pas deux standards, c'est-à-dire des passagers privilégiés qui voyageraient avec
des avions neufs et des passagers moins privilégiés qui voyageraient sur des avions plus dangereux, parce qu'anciens. L'objectif de ce dispositif réglementaire
est de maintenir un niveau de sécurité constant. La maintenance est du domaine de la responsabilité du propriétaire ou de l'exploitant. Dans le cadre du
transport aérien public, l'exploitant est le responsable. Comme nous l'avons indiqué lors de notre première réunion le 7 avril, la maintenance est l'une des
composantes du certificat de transport aérien (le CAT), qui est le point d'orgue du processus sécuritaire auquel est soumis un exploitant de transport public de
passagers.
L'aspect programmation de la maintenance est un élément préventif
qui établit un lien fort avec le constructeur. C'est, en effet, le constructeur qui, dans son processus de certification, détermine les tâches à programmer au
travers d'un document appelé le MRB (Maintenance review board). Il peut s'agir des taches de maintenance, des périodicités de maintenance et des durées
de vie. Bien évidemment, le programme de maintenance comporte également un volet destiné à corriger les pannes et les défauts qui peuvent apparaître.
Le règlement JAR-OPS, qui intègre cette « sous-partie M » -
transférée à l'EASA avec pour date d'effectivité 2007 en ce qui concerne le transport public de passagers -, exige que la maintenance, c'est-à-dire les
interventions sur les machines soient faites dans des garages approuvés - ce qui caractérise le JAR 145 - et par du personnel qualifié, notamment pour
l'approbation de la remise en service (JAR 66). Le concept est pleinement intégré dans la structure des annexes 6 et 8.
Au niveau européen, nous allons plus loin que les exigences - je ne
dirais pas « minimalistes » car ce serait un abus de langage - plancher déterminées par l'OACI. Nous imposons un système qualité. Contrairement à ce qui se
passe chez nos amis américains, par exemple, ce système qualité fait partie intégrante d'un atelier agréé « JAR 145 ». Nous avons également - et nous en sommes
fiers - intégré les éléments « facteur humain » dans les dispositions réglementaires afférentes à la maintenance. C'est une première dans ce domaine.
Je souhaite évoquer un troisième processus qui fait partie de votre
questionnaire, le programme SAFA. Les JAA sont les gestionnaires de ce programme, piloté par la CEAC (Conférence européenne de l'aviation civile). J'ai en ma
possession le rapport annuel et si des questions se posent au sujet du programme SAFA, je pourrai tenter d'y répondre.
M. Eric SIVEL : Avant d'entrer dans le sujet spécifique de la
maintenance, je vais prendre quelques minutes pour parler de la nouvelle agence qui s'est créée il y a maintenant un an. De cette manière, vous pourrez connaître
le nouvel environnement réglementaire dans lequel fonctionne à présent la maintenance.
En juillet 2002, le Conseil et le Parlement européens ont adopté un
règlement appelé le 15-92 2002, qui crée l'Agence européenne de la sécurité aérienne, l'AESA. Ce règlement donne compétence à la Commission européenne pour
mettre en place des règlements ou des règles de mise en oeuvre concernant la navigabilité des aéronefs et le suivi de cette navigabilité, ainsi que la
qualification des mécaniciens au sol. L'AESA est compétente en matière de surveillance des ateliers d'entretien à l'étranger, des organismes de conception
d'aéronefs partout en Europe et des organismes de production d'aéronefs à l'étranger. Par « étranger », j'entends en dehors de l'Union européenne.
A partir de juillet 2002, la Commission a demandé aux JAA de fixer
les dispositions exigées par le règlement 15-92 et l'AESA a commencé à se mettre en place. Elle a réellement commencé ses activités le 1er septembre 2003,
avec la prise de fonction de son directeur exécutif. Le 24 septembre 2003, un premier règlement, le 17-02, a été adopté par la Commission en « comitologie ».
Ce règlement traite de la navigabilité des aéronefs, de leur construction et des modifications qui leur sont apportées ultérieurement.
A partir du 28 septembre 2003, l'AESA est devenue opérationnelle
pour la partie certification des avions, moteurs et ensembles. Là encore, je parle des avions neufs ou des modifications d'aéronefs existants. Au mois de
novembre 2003, le deuxième volet réglementaire a été adopté, lui aussi, par la Commission en « comitologie ». C'est le règlement 24-02, dont a parlé M. Labbé,
relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs, et qui est entré en vigueur à la fin du mois de novembre 2003. Depuis le 28 novembre 2003, la Commission
européenne et son agence, l'AESA, sont donc compétentes pour réglementer le maintien de la navigabilité des aéronefs dans l'Union européenne. En outre, l'AESA
est compétente pour surveiller les ateliers d'entretien basés en dehors de l'Union. Elle a également la charge de vérifier l'application des règlements à
l'intérieur de l'Union. Pour cela, sera mis en place un système d'inspection des autorités ou de « standardisation », comme nous l'appelons au sein des JAA.
Les diverses autorités des GAC et CAA seront auditées par l'AESA pour examiner le standard exigé en matière de surveillance de la maintenance dans les
différents pays.
Mme la Présidente : Permettez-moi de vous interrompre.
Avez-vous du personnel ? Comment cela se passe-t-il ?
M. Eric SIVEL : Le 11 décembre 2003, l'AESA a pris sa première
décision en délivrant un premier certificat sur un moteur d'aéronef. Les premières embauches ont eu lieu au début de l'année 2004, en janvier et en février.
Actuellement, l'agence emploie 30 personnes. Elle devrait en compter une centaine à la fin de l'année et atteindre le chiffre de 300 dans deux ou trois ans.
La mise en place de l'AESA et la constitution de ses effectifs est
une première étape. La deuxième étape, prévue par la Commission européenne, sera de mettre en place, comme l'ont été les deux textes cités précédemment, les
règlements de base relatifs aux opérations aériennes et aux licences des personnels navigants. Je reviendrai sur les structures des règlements.
L'AESA est composée de quatre divisions. La division réglementaire
est chargée d'élaborer, de modifier ou de faire vivre les règlements par rapport au retour d'expérience. La division « recherches et analyses », qui se met en
place, effectue l'analyse du retour d'expérience, afin de modifier les règlements en cas de besoin. La division « qualité et standardisation » est chargée
d'harmoniser et de standardiser la surveillance à l'intérieur de l'Europe. Enfin, la division « certification » est chargée d'agir et de superviser les
ateliers agréés selon les normes européennes à l'étranger. En outre, elle a la responsabilité de la certification des aéronefs neufs.
Le projet de l'AESA est de disposer d'une centaine d'employés d'ici
la fin de l'année. Actuellement, ses activités sont effectuées en collaboration avec les JAA. En effet, les organismes existants, c'est-à-dire les JAA auxquels
appartient M. Rebender, étaient chargés de la réglementation et de la standardisation des activités en Europe dans le domaine de la navigabilité et du suivi de
la navigabilité. L'agence n'ayant pas encore les personnels adéquats pour assurer cette activité, s'appuie sur le personnel des JAA de niveau central
c'est-à-dire à Hausdorff aux Pays-Bas, et sur les autorités membres des JAA qui rendent à l'agence un certain nombre de services dans le cadre d'un contrat
cadre. Pour l'instant, l'AESA travaille donc avec les autorités nationales. A terme, son but est de reprendre à son compte l'ensemble des activités qui lui
sont dévolues. D'ici deux ou trois ans, l'agence européenne aura la charge de la réglementation de la navigabilité et du suivi de cette navigabilité. De plus,
elle prendra en charge la surveillance des ateliers et des organismes agréés européens en dehors de la Communauté. En outre, elle sera chargée de la
standardisation et de la supervision de la surveillance à l'intérieur de l'Union européenne.
Mme la Présidente : Je m'interroge sur la surveillance des
organismes. Qui aura le contrôle de l'exécution sur place lorsqu'il y aura remise aux normes d'un aéronef ou d'importantes réparations ? Qui sera en bout de
chaîne ?
M. Eric SIVEL : L'organisme est agréé pour cela.
Mme la Présidente : Vous avez du remarquer que j'avais une
certaine impatience à redescendre cet empilage. En effet, je m'intéresse au bout de la chaîne.
M. Eric SIVEL : Pour revenir à la maintenance à proprement
parler, le suivi de la navigabilité d'un avion et la maintenance d'un avion se composent de quatre éléments. Premièrement, il y a les normes d'entretien qui sont
définies par le constructeur et qui évoluent dans le temps en fonction des retours d'expérience. Ces retours d'expérience peuvent être la conséquence d'incidents
ou d'accidents. Mais ils sont également une conséquence des constats effectués lors d'opérations de maintenance permettant, par exemple, de s'apercevoir que, sur
certaines parties de l'aéronef, la corrosion progresse plus vite que prévu. Le premier rôle de l'exploitant est, en fonction des recommandations et des demandes
des constructeurs, ou parfois, des autorités, de s'assurer que l'entretien est fait en temps et en heure, et selon les normes adéquates sur les aéronefs qu'il
exploite.
Le deuxième volet concerne l'exécution de la maintenance. Dans le
domaine du transport aérien, seuls des ateliers agréés peuvent y procéder.
Mme la Présidente : En Europe ?
M. Eric SIVEL : Oui, en Europe. Un atelier agréé JAR 145 en
France peut entretenir un aéronef qui fait du transport aérien pour n'importe quel opérateur européen, de même qu'un opérateur français peut faire entretenir ses
aéronefs ou ses équipements dans n'importe quel atelier agréé selon la norme 145 en Europe. Ces ateliers d'entretien sont agréés dans ce but, le rôle de
l'autorité étant de s'assurer que les normes en vigueur sont respectées. Pour cela, l'autorité procède à des contrôles selon des procédures établies par les
différentes autorités nationales et par le règlement européen, notamment dans sa partie « B », qui détaille les procédures administratives à respecter. Par
exemple, un atelier d'entretien 145 doit être entièrement contrôlé par une autorité une fois tous les deux ans, au minimum.
Mme la Présidente : Existe-t-il des sanctions si les règlements
ne sont pas respectés ou si les préconisations sont ignorées ?
M. Eric SIVEL : Si une préconisation n'est pas respectée par
l'atelier ou par l'opérateur, cela relève du droit national. Le règlement européen dit : « si vous constatez une anomalie ou un non respect des règlements,
vous déclenchez une procédure d'avertissement ». En effet, il peut s'agir d'une erreur que l'on répare. Si cette erreur persiste ou si elle a été faite
sciemment, le problème relève du droit pénal et du droit civil du pays en question. L'Union européenne n'a pas autorité pour décider de la sanction qui sera
appliquée à un opérateur ou à un atelier qui n'applique pas les règlements.
Mme la Présidente : Les temps de réponse du droit et de la
justice sont souvent longs. Quels moyens avez-vous pour agir plus rapidement et efficacement si les règles édictées par les autorités européennes ne sont pas
respectées ?
M. Eric SIVEL : Le règlement européen prévoit, dans la partie
145, un retrait de l'agrément à titre conservatoire, mais l'AESA n'intervient pas au niveau de la surveillance des ateliers en Europe. Les règlements
communautaires sont inscrits dans le droit interne des Etats membres, donc, par exemple, le rôle de la DGAC est de les faire appliquer en France.
M. Claude LABBÉ : Le règlement communautaire dont parle M.
Sivel définit clairement les responsabilités de l'agence et des Etats. L'AESA a la responsabilité de proposer des règlements qui sont adoptés soit par le Conseil
et le Parlement européens, soit par la Commission. En tant que règlements communautaires, ils sont applicables directement par chaque Etat membre. L'agence a
également la responsabilité de la certification des avions et de l'approbation des modifications apportées à ces derniers. Par contre, les Etats membres ont la
responsabilité de délivrer les agréments des différents ateliers établis dans leur pays et, au travers du certificat de transport aérien délivré aux compagnies
aériennes, de s'assurer que celles-ci disposent des compétences nécessaires pour effectuer leur maintenance.
Pour ce qui concerne la France, nous appliquons l'ensemble des
procédures de droit interne pour que les assujettis respectent le règlement. Nous disposons de toute une palette de procédures allant de la lettre de mise en
demeure jusqu'au retrait de l'autorisation, qui est la solution ultime. Tout dépend de la gravité de la situation et de son impact sur la sécurité des
aéronefs. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
M. Georges REBENDER : Je pense que vous touchez là un point
crucial, Mme la Présidente. Dans cette dimension européenne, la problématique se déplace. Les Etats membres de l'Union européenne ont la responsabilité de
délivrer les certificats ainsi que l'évoquait M. Labbé. Si un Etat, par manque de moyens ou par laxisme, n'assume pas ses obligations, il est probable que le
directeur de standardisation de l'AESA fera un rapport. La Commission peut alors entreprendre une procédure contre cet Etat, mais, comme vous le mentionnez,
cette procédure est longue. Dans le processus antérieur, sous l'égide des JAA, une fois qu'un Etat était standardisé et reconnu conforme aux normes 145, 66, etc.,
il y avait reconnaissance mutuelle. Désormais, le contrôle est a posteriori et si nous sommes face à un Etat faible, le seul recours est une procédure
judiciaire intentée par la Commission devant la Cour de Luxembourg.
Mme la Présidente : A ce stade des discussions, je souhaite me
tourner vers les industriels pour savoir comment ils vivent ces obligations relatives à la maintenance. Vous avez à faire appliquer les règles et à rendre
compte. Comment procédez-vous ? Maîtrisez-vous l'ensemble des éléments, y compris la petite erreur qui peut être cachée ou peut ne pas être vue lors d'un
contrôle exécuté trop vite ? Comment cela se passe-t-il pratiquement ?
M. Christian SASSO : En tant qu'atelier JAR 145 ou FAR 145, si
nous travaillons sur des avions immatriculés aux Etats-Unis - éléments également contrôlés par les autorités françaises maintenant -, nos organismes de contrôle
sont les autorités nationales. Il s'agit donc de la DGAC, du GSAC, et de la DAC, la direction de l'aviation civile. Pour le moment, nous n'avons pas directement
affaire à des autorités étrangères. C'est le premier point.
En ce qui concerne notre organisation interne, pour permettre que
nous respections bien tous les règlements - je suppose que c'est la même chose dans toutes les entreprises, même si je parle en particulier de Dassault Falcon
Services - nous disposons d'un département de production chargé de faire les travaux sur les avions. Ce département est encadré et surveillé par une autorité
interne de l'entreprise qui ne dépend pas de lui mais, en général, directement du dirigeant responsable au sens du règlement JAR-OPS. Il s'agit du département
de la qualité et du contrôle technique qui s'assure en permanence que les travaux exécutés par les opérationnels, c'est-à-dire par les mécaniciens, les agents
de maîtrise qui les encadrent et les ingénieurs qui encadrent les agents de maîtrise, sont conformes aux différents processus. Le département « qualité
contrôle » se compose de deux termes. Le terme « qualité » induit que des personnes vérifient les processus. Elles n'agissent pas directement pour vérifier que
les opérations ont bien été effectuées, mais que les processus internes à l'entreprise sont conformes à la réglementation.
De plus, nous nous sommes créé des contraintes supplémentaires pour
nous assurer d'un certain niveau de qualité. Pour satisfaire nos clients et certaines exigences liées à des contrats spécifiques - généralement
gouvernementaux - nous sommes soumis à des contraintes de certification ISO 9000. Ce département qualité s'assure donc que nous respectons les processus JAR,
FAR 145, ISO ou les normes liées aux divers agréments de conception. La qualité est donc un travail, en amont, de contrôle des processus.
Il existe un deuxième terme qui concerne le contrôle technique. Dans
ce cadre, nous avons affaire à d'anciens mécaniciens très expérimentés qui sont passés par le service contrôle. Leur rôle est d'être présents physiquement dans
les avions, de vérifier, par exemple, que les dossiers ont été bien remplis et que les caissons ont été correctement nettoyés. Désormais, avec le JAR 66, une
nouvelle procédure est apparue, qui consiste à déléguer au personnel d'exécution, suivant un processus très établi et garantissant les compétences, le contrôle
de leurs propres travaux. Eux-mêmes vont être habilités à effectuer un certain nombre de travaux de contrôle de leurs opérations. Toutefois, au travers du
service contrôle, il existe encore d'autres contrôleurs ayant d'autres niveaux de licence, qui peuvent assurer d'autres vérifications.
Nous avons donc toute une chaîne d'exécution, une chaîne de contrôle
technique du travail effectué sur les avions, et une chaîne de qualité qui s'assure du respect des processus, eux-mêmes réalisés pour garantir la correcte
exécution des opérations.
Mme la Présidente : Procédez-vous par contrôle aléatoire ou par
contrôle systématique ?
M. Christian SASSO : Avec le JAR 66, les contrôles sont
systématiquement effectués par les différents opérateurs. Ensuite, le contrôle intervenant au niveau de la licence C - qui permet de délivrer l'APRS globale de
l'avion - est encore systématique.
Mme la Présidente : Les contrôles visent-ils la main-d'oeuvre
et la qualité du matériel qui est utilisé pour la maintenance ?
M. Christian SASSO : La qualité du matériel entre dans ce
cadre. Toutefois, d'autres filtres existent. Le matériel que nous utilisons sort de magasins faisant partie intégrante de l'entreprise. Dans ces magasins, des
contrôleurs de réception ont pour tâche de vérifier que tout le matériel est « avionable ». Pour vérifier qu'un matériel est avionable, nous vérifions son aspect
général mais également les documents qui y sont associés. Sur ce point il existe également une réglementation appelée « JAA Form One ». Ce document
garantit l'authenticité du matériel et le fait qu'il est avionable. Un équipement ne sortira donc du magasin que s'il est en bon état physique et que s'il
s'accompagne des documents libératoires qui permettent de le monter sur un avion. Ensuite, le contrôleur C, qui délivre l'APRS, aura la charge de vérifier la
conformité de l'ensemble des documents relatifs aux équipements. Tous ces éléments sont ensuite compilés dans un rapport technique, définissant l'ensemble des
travaux effectués sur un avion. Dans ce document, sont décrites toutes les opérations de maintenance, et les opérateurs qui les ont faites, les équipements
montés, leurs références, leurs numéros de série et les documents qui les accompagnaient. Nous devons pouvoir retracer tous ces éléments et vérifier à tout
moment par qui les travaux ont été faits et en application de quels documents. La référence, la version et l'édition des documents de maintenance sont notées
dans le dossier de maintenance des avions.
Mme la Présidente : Je vous remercie. Je pense qu'Air France a
le même souci de perfection.
M. Philippe MUZELLE : Au sein d'Air France, nous faisons 5 à
6 millions d'heures productives. Cela représente 1 à 2 millions d'opérations d'entretien. D'un côté, notre mission est facile, car nous travaillons sur des
données qui nous sont fournies. D'un autre côté, ce travail est un travail quotidien et opiniâtre de rigueur.
J'ai noté tout à l'heure, Mme la Présidente, que vous parliez de la
réglementation en disant qu'elle était « bien sur le papier ». La réglementation n'est pas bien que sur le papier. Nous y attachons toute l'importance qu'il se
doit. En effet, si cette réglementation est contraignante et sans doute un peu coûteuse, elle a pour avantage de nous pousser à plus de rigueur et conduit au
progrès, telle est ma conviction profonde.
Cette réglementation est aujourd'hui nationale et sera, demain,
européenne. J'avoue une préférence pour une réglementation nationale. En effet, nous connaissons nos interlocuteurs et il est facile de discuter avec eux et
d'interpréter des textes qui sont parfois complexes et pas toujours très clairs. Cette proximité permet de débattre d'un certain nombre de points
réglementaires. La réglementation européenne qui arrive de Bruxelles et bientôt de Cologne, rendra peut-être ce dialogue plus difficile. S'y ajouteront
également les problèmes de langue.
La réglementation est importante car, si elle introduit des
contraintes, elle est aussi une occasion de progrès. En effet, elle nous oblige à de la rigueur dans nos locaux. On n'entretient pas des avions dans n'importe
quel lieu, cela exige des équipements spécifiques. En outre, la réglementation nous oblige à maintenir la compétence de notre personnel. Je préciserai que,
pour l'exercice IATA26
2004/2005, nous allons consacrer 550 000 heures à la formation du personnel sol de la direction générale industrielle, cela équivaut à 370 personnes en
formation toute l'année.
Cette réglementation nous oblige également à être rigoureux pour la
libération des avions, car autoriser la remise en service est un acte important qui suppose de la compétence. Le cadre réglementaire nous conduit donc à nous
soucier de la compétence et de la mise en compétence. Il s'exerce également sur les outillages destinés aux avions qui sont importants et supposent des
calibrages, ainsi qu'un certain nombre d'opérations périodiques imposées par les règlements. Nous travaillons sur des données qui nous sont fournies par les
constructeurs et que nous avons discutées avec eux.
Quand un constructeur conçoit un avion, il organise des réunions de
maintenance (review boards) auxquelles participent les compagnies. Dans ce cadre, nous préparons la politique de maintenance de cet avion. Ensuite,
seront rédigés des documents de maintenance (MRBD27),
un calendrier de maintenance (MPD28)
puis un manuel d'entretien de l'exploitant. L'organisme qui entretiendra l'avion n'inventera pas le manuel d'entretien, il s'appuiera sur les recommandations
du constructeur qui a déposé un certificat de type approuvé. Nous travaillons sur des documents approuvés comme l'AMM29,
le manuel de maintenance de l'avion, ou le CMM30 et, en aval,
nous déclinons un certain nombre de documents d'application traduits à l'usage du personnel d'exécution. La réglementation nous oblige à travailler sur ces
données approuvées.
A propos de la traçabilité, dont vous parliez en introduction, la
réglementation nous oblige à « tracer » nos opérations. Par exemple, il nous a été demandé par l'ONU si nous avions travaillé sur l'enregistreur
(enregistrement vocal) du Falcon 50 qui a été abattu lors de l'attentat de 1994 au Rwanda. Il se trouve que mes contrôleurs ont retrouvé la fiche d'entretien
de ce voice recorder qui date de 1983. Nous essayons donc de « tracer » nos actions comme la réglementation nous y oblige.
En outre, nous travaillons nos procédures, qui doivent être en
harmonie avec ce cadre réglementaire, à la fois pesant et nécessaire. Pour cela, nous élaborons un système qualité. Qu'est-ce qu'un système qualité ? J'aurais
tendance à dire que le système qualité est constitué par les 10 000 salariés de l'entreprise. Qu'on soit acheteur, contrôleur, lanceur, approvisionneur, chef
d'équipe ou ingénieur, on participe tous au système qualité. On le fait d'autant plus que nous avons également le label ISO 9001, version 2000. Il existe deux
outils fondamentaux pour ce contrôle qualité, comme au sein de Dassault Falcon, d'ailleurs. L'un est le contrôle qualité production de niveau 2 qui va vérifier
les conformités et faire des sondages. L'autre est l'assurance qualité de niveau 3 qui nous est imposée par le cadre réglementaire. Elle vise à garantir la
conformité de toutes nos actions au cadre réglementaire.
Avec 5 à 6 millions d'heures productives et 1 à 2 millions
d'opérations de maintenance, qui pourrait prétendre à la perfection ? Il est, naturellement, possible que nous enfreignions parfois le règlement. Cela nous
arrive mais le rôle de l'assurance qualité est de surveiller cela en continuité, puisque nous avons un plan de surveillance à la semaine.
Nous enregistrons à peu près 400 actes de surveillance par an et
nous ne sommes pas seuls à assurer cette surveillance. Le Groupement de sécurité de l'aviation civile (GSAC) qui représente l'autorité nationale en matière de
surveillance, effectue aussi des contrôles, de même que des autorités étrangères - puisque nous avons l'agrément d'une trentaine d'Etats étrangers -, et des
compagnies aériennes qui nous confient leurs avions. Ces 400 actes de surveillance donnent lieu à environ 2 000 fiches d'actions correctives et préventives
portant sur tous les aspects - les processus, les procédures, l'outillage, les conditions de travail, la formation ou les travaux réalisés - à partir
desquelles nous mettons en place des plans d'action. Telle est l'essence de la prévention engagée sur la base de cette assurance qualité.
Mme la Présidente : Je voudrais interroger maintenant ceux qui
sont directement sur le terrain - les mécaniciens - pour savoir s'ils ont les moyens d'appliquer une telle politique et comment ils la vivent. En outre, je
voudrais les interroger sur leurs conditions de travail et leur demander quelles sont les difficultés qu'ils rencontrent.
M. Raymond AUFFRAY : Je voudrais simplement auparavant apporter
quelques précisions et donner des chiffres représentatifs de ce qui se passe dans l'utilisation des aéronefs.
Premièrement, la maintenance se définit très en amont, en même temps
que la conception de l'avion. Il est vrai que dans le passé, beaucoup d'avions ont été conçus de telle manière que la maintenance était difficile, voire
impossible, en certains endroits. Le représentant d'Air France a bien dit que, parallèlement à la certification d'un nouvel avion, les groupes de travail (Maintenance
review boards - MRB) faisaient une large place aux constructeurs pour faire des propositions. En outre, les autorités de certification, les spécialistes de
la maintenance et les exploitants appartiennent à ces MRB. Cela aboutit à la définition même des opérations à effectuer. Ces procédures sont, au cours de la
vie d'un avion, constamment amendées à la lumière de l'expérience en service.
En second lieu, je voudrais faire état d'une analyse statistique
d'un certain nombre de cas que j'ai eu à connaître : 351 expertises extrajudiciaires et 378 expertises judiciaires auxquelles j'ai participé, soit 729
expertises, réalisées par des personnes indépendantes. Sur ces 729 expertises, j'ai trouvé 22 problèmes de maintenance, 14 relatifs à des avions de moins de
5,7 tonnes et 8 problèmes de maintenance sur des hélicoptères. Ce sont des incidents qui ont donc posé des problèmes d'ordre matériel ou financier. Sur les 729
cas, il y a eu, bien sûr, des accidents. Sur les 30 accidents les plus importants des 25 dernières années, seuls deux, à ma connaissance, étaient liés à des
problèmes de maintenance. Il s'agit du Boeing 747-100 de la TWA qui a explosé peu après son décollage de New York et, en France, d'un FH-227 de la compagnie
TAT qui s'est écrasé entre Nancy et Paris, à côté de Fontainebleau. Je ne connais pas d'autre accident grave lié à des problèmes de maintenance.
Par ailleurs, certains incidents liés à la maintenance peuvent
provenir de la conception. Je pense, notamment, à un incident concernant une crique qui ne pouvait pas être vue en dehors de certaines inspections. La
périodicité de ces inspections ayant été mal calculée, il y a eu, sur un Airbus 340, rupture du train d'atterrissage, faute d'une inspection complète réalisée
en temps utile.
Mme la Présidente : Je vous remercie de ces précisions. Je
voudrais maintenant demander aux techniciens leur point de vue sur la façon dont les contrôles sont faits à leur niveau. En outre, je m'interroge sur ce qu'ils
pensent des consignes qui leur sont données et sur le travail réalisé.
M. Jean-Luc JEANGEORGES : Je suis technicien avionique de base.
J'ai appris mon métier dans la Marine et ai ensuite rejoint Air France. Je voudrais, à cet égard, souligner que d'autres entreprises connaissent des difficultés
bien plus grandes qu'Air France. Je pense, notamment, à Air Liberté dont le secteur maintenance a été remis en cause dans son intégralité.
Nous sommes ravis d'entendre que la maintenance participe pleinement
à la sécurité des vols. Cela n'a pas toujours été perçu de cette manière. Nous avions l'impression qu'on parlait beaucoup des pilotes et des entreprises, mais
beaucoup moins des mécaniciens.
Mme la Présidente, pour répondre à votre interrogation lors de votre
préambule quant à la féminisation dans la maintenance aéronautique, je voudrais préciser qu'il y a quelques femmes dans nos métiers, bien que nous déplorions,
également, leur faible nombre. La raison de ce faible nombre réside peut-être dans les difficultés du métier, le caractère contraignant de ses rythmes, peu
compatibles avec la vie de famille. En outre, il est exposé aux intempéries et souvent physiquement éprouvant, notamment sur certains avions comme sur les
Boeing 747, dont la hauteur atteint 17 mètres à la dérive.
Dans notre métier, deux critères sont fondamentaux. En premier lieu,
je citerai les compétences techniques et technologiques. J'ai appris mon métier il y a 30 ans, aujourd'hui il a considérablement évolué. A l'époque, nous
travaillions avec des calculateurs à lampes, désormais, les calculateurs utilisent des composants électroniques bien plus rapides que les lampes. Les
connaissances et les méthodes évoluent sans cesse et cela nécessite une constante remise à niveau, effectuée notamment dans le cadre des formations. Comme l'a
souligné M. Muselle, la politique de formation est importante, nous ne le contestons pas, et le métier l'exige, notamment parce qu'il nous appartient
d'approuver la mise en service des avions.
Il existe un deuxième critère essentiel : c'est notre responsabilité
et le maintien de nos facultés. Le facteur humain est, en effet, fondamental. En ce qui concerne la réglementation, sa mise en _uvre relève essentiellement de
l'entreprise. Nous sommes, pour notre part, assujettis à la réglementation sur les licences JAR 66. Il existe enfin un diplôme européen, ce qui n'était pas le
cas auparavant. A cet égard, les pays anglophones étaient en avance sur la France depuis bien longtemps.
Mme la Présidente : Quelle est leur situation aujourd'hui ?
M. Jean-Luc JEANGEORGES : Ils sont en train de se faire
rattraper par le reste de l'Europe mais ils possèdent cette culture de licence depuis bien plus longtemps que nous.
Mme la Présidente : Ce que vous nous avez décrit jusqu'à
présent est très intéressant. Travaillez-vous uniquement sur des avions d'Air France ?
M. Jean-Luc JEANGEORGES : Nous travaillons sur des avions Air
France ou sur des avions traités par Air France. Toutefois, nous représentons également d'autres entreprises.
Mme la Présidente : Ma façon d'accélérer le débat vous montre
que je suis assez en confiance avec les entreprises connues qui sont présentes ici. Il est vrai que les normes édictées y sont certainement largement respectées
et qu'il y existe une culture d'entreprise très forte. Pouvez-vous nous parler d'autres situations et de problèmes vécus ailleurs ?
M. Sylvain SIMONNEAU : Je voudrais surtout vous parler du
métier de mécanicien d'escale, c'est-à-dire du bout de la chaîne. Je suis chargé, lors de l'escale d'un avion, d'effectuer un travail de routine, c'est-à-dire
d'inspecter l'avion et de participer à des dépannages qui lui permettront de repartir. Mon métier comporte donc la signature de la remise en service de cet
avion. Cette procédure porte ma signature et un numéro d'agrément et engage ma responsabilité pénale en cas d'accident ou d'incidents.
Pour être habilités, nous recevons une formation de qualification de
type avions d'une durée minimale de huit semaines débouchant sur des examens très poussés et très difficiles. Chaque année, nous suivons des stages de remise à
niveau sanctionnés par des examens. Nous devons obligatoirement les réussir pour pouvoir continuer à signer les APRS, c'est-à-dire la remise en service des
avions.
Je voudrais signaler deux éléments qui nous préoccupent. En premier
lieu, certains avions, sur les courts et moyens courriers, ne sont plus, lors des visites précédant le vol - les visites « pré-vol » - examinés par un
mécanicien mais par les navigants techniques. Pour nous, il s'agit d'un non-sens car une certaine expérience est nécessaire pour déterminer, par exemple, si
une fuite d'hydraulique est dans les normes de tolérance ou si elle risque de s'aggraver en vol. Nous trouvons anormal qu'Air France, British Airways ou
d'autres compagnies n'emploient plus de mécaniciens en escale pour effectuer ces visites.
Mme la Présidente : Depuis quand n'y a-t-il plus de mécaniciens
d'escale ?
M. Jean-Luc JEANGEORGES : Je n'ai pas dit qu'il n'y avait plus
de mécaniciens d'escale mais que sur les petits et moyens courriers on ne fait désormais appel à la maintenance qu'à la demande de l'équipage. Dans la journée,
l'avion passe trois fois à Roissy sans que nous le voyons. Nous ne l'examinons qu'à la demande de l'équipage. Il s'agit de l'Assistance technique en escale (ATE).
M. Sylvain SIMONNEAU : Je peux citer le cas précis d'un avion
de la British Airways qui avait pris la foudre en fin de vol vers sur Roissy et qui est reparti sans que l'équipage ne nous ait appelés pour une inspection.
Mme la Présidente : Est-il obligatoire dans ce cas que
l'équipage s'en réfère aux mécaniciens ?
M. Sylvain SIMONNEAU : Absolument.
Mme la Présidente : Dans ce cas, il y a donc erreur ou faute ?
M. Sylvain SIMONNEAU : Il s'agit d'une erreur qui ne se serait
pas produite si les mécaniciens avaient fait leur visite pré-vol, comme c'était le cas auparavant. Ceux-ci auraient, grâce à l'expérience, détecté le problème.
En second lieu, je voudrais évoquer les problèmes soulevés par
certains de nos clients de pays étrangers. Quelquefois, la signature de remise en service ne nous appartient pas. C'est un représentant technique de la
compagnie qui la signe. Nous effectuons le travail de routine et de dépannage, mais, pour des raisons commerciales opérationnelles, nous avons parfois été
obligés de bloquer l'avion car le représentant technique était prêt à le laisser repartir avec des fuites hydrauliques importantes ou des usures graves.
Mme la Présidente : Je voudrais mieux comprendre comment cela
se passe. Une convention est-elle passée avec ces sociétés ? Imaginons le cas d'un charter venant d'une contrée lointaine, plus ou moins bien réputée pour sa
qualité dans le domaine aérien. Qui commande votre intervention ?
M. Sylvain SIMONNEAU : En règle générale, nous sommes maîtres
d'oeuvre sur ces avions. Nous inspectons, nous dépannons et nous signons la remise en service. Cependant, certaines compagnies ont un représentant technique qui
est chargé de signer la remise en service. Dans ce cas, nous assistons le technicien de la compagnie.
M. Christian SASSO : Chez Dassault Falcon service, nous
entretenons des avions qui appartiennent à des compagnies ou à des propriétaires privés. Nous traitons de nombreux avions qui arrivent de toute l'Europe,
d'Afrique ou du Moyen-Orient. Sur une flotte de 400 Falcon, certains viennent de tous les pays d'Europe.
Il existe d'autres stations-service que la nôtre mais nous traitons
les avions d'un grand nombre de pays n'appartenant pas forcément à l'Union Européenne. Les mécaniciens nous disent que certains avions sont « unconditionned ».
Cela signifie que, tant qu'ils fonctionnent, on les fait voler. Nous voyons par exemple des cas dans lesquels les visites ont été reportées de 500 heures.
Récemment, nous avons accueilli l'avion d'une compagnie d'un pays
n'appartenant pas à l'Union européenne. A l'issue de la visite, nous avons estimé nécessaire le changement d'un certain nombre de pièces mais l'exploitant a
refusé ces opérations. Dans ce cas, nous ne délivrons pas une approbation de remise en service de l'avion, mais seulement un certificat de travaux. C'est
l'exploitant qui délivre lui-même son APRS. La réglementation nous oblige alors à envoyer un rapport à l'autorité du pays d'immatriculation de l'avion pour lui
signaler les raisons pour lesquelles nous n'avons pas délivré d'APRS. Le pays en question est ensuite censé agir.
Mme la Présidente : L'avion repart-il ?
M. Christian SASSO : Oui.
Mme la Présidente : N'avons-nous pas les moyens de
l'immobiliser ?
M. Christian SASSO : Non. Toutefois, si les problèmes étaient
gravissimes, nous agirions afin que l'avion ne reparte pas. Dans le cas précis que j'évoque, nous avons prévenu le pays. Celui-ci est intervenu dans les jours
qui ont suivi l'arrivée de l'avion sur son territoire, et a retiré l'autorisation d'exploitation de la compagnie.
Mme la Présidente : La DGAC n'avait-elle pas la possibilité
d'agir ?
M. Christian SASSO : Je tiens à rappeler que, dans le cas
évoqué, les causes n'étaient pas de nature à mettre l'avion en danger immédiat. Dans la durée néanmoins, il aurait été hors tolérance.
M. Claude LABBÉ : La responsabilité de la navigabilité d'un
aéronef appartient à l'Etat d'immatriculation. Cependant, la DGAC - c'est inscrit dans la loi française et cela découle de la convention de Chicago - a toujours
la possibilité de maintenir un avion au sol si elle estime que la sécurité est mise en cause. Pour nous, c'est le respect des annexes de l'OACI qui prévaut. Dès
lors que les inspections faites par des inspecteurs DGAC montrent qu'un avion a enfreint la réglementation OACI et que nous estimons que la sécurité est en
danger, nous pouvons bloquer l'avion.
Mme la Présidente : Qui prévient la DGAC ?
M. Christian SASSO : Du fait des anomalies que nous avions
constatées, nos obligations réglementaires ne nous imposaient pas de prévenir la DGAC mais seulement les autorités du pays d'immatriculation de l'avion et
l'exploitant. C'est ce que nous avons fait. Toutefois, si nous avions considéré que l'avion était un danger volant, nous aurions prévenu la DGAC, celle-ci ayant
autorité pour interdire à l'avion de repartir.
M. Jean-Michel BIDOT : Pour vous éclairer, je souhaiterais
prendre l'exemple de la route, réglementée elle aussi, par notre code de la route. L'année dernière, 6 000 morts ont été enregistrées sur la route, contre 12 000
quelques années auparavant avec la même réglementation. Par conséquent, une réglementation n'est pas, à elle seule, porteuse de sécurité. Il faut se donner les
moyens de contrôler l'application de cette réglementation et appliquer les sanctions en cas de manquement.
Les conditions d'application d'une réglementation sont extrêmement
importantes, de même que la peur du gendarme. C'est pour cela que ce qui se passe au niveau de l'Europe nous fait peur à nous, pilotes européens. La
responsabilité a tendance à se diluer. Les conditions d'application relèvent du pays d'immatriculation, de même que les sanctions. Or, je peux citer l'exemple
d'une compagnie irlandaise, exploitant ses avions au départ de Bruxelles et de Milan, dont les avions sont immatriculés en Irlande. L'autorité irlandaise
intervient très peu car tout se fait au départ de Bruxelles ou de Milan, c'est-à-dire hors d'Irlande. Nous devons combattre ce genre d'abus.
M. Sylvain SIMONNEAU : Je voulais revenir sur le cas que j'ai
évoqué précédemment. Nous avons effectivement réussi à bloquer l'avion en contactant par téléphone les services techniques « qualité assurance » de cette
compagnie pour les alerter sur l'état de l'appareil. Toutefois, si nous n'avions pas été suivis par ces services techniques, la DGAC aurait-elle pu agir
rapidement pour bloquer l'avion ?
M. Claude LABBÉ : Je ferai la même réponse que précédemment.
Nous entrons pleinement dans le cadre du programme SAFA, c'est-à-dire du contrôle par les inspecteurs des Etats de la Conférence européenne de l'aviation civile
(CEAC) et des possibilités d'intervention.
Mme la Présidente : Quelles contraintes édicter et comment les
faire respecter ?
M. Raymond AUFFRAY : Pour illustrer ce que vient de dire M.
Sasso, j'évoquerai un exemple de désaccord pouvant surgir entre les ateliers de maintenance et les compagnies et qui, parfois, donnent lieu à des expertises
judiciaires. Récemment, un Falcon 200 est arrivé chez M. Sasso pour une visite, sur la base d'un devis de moins de 40 000 euros. Le contrôle a mis en lumière de
nombreuses anomalies, dues à ce qui était arrivé à l'appareil peu de temps auparavant, et la nécessité d'interventions. Une expertise judiciaire, dont j'ai eu la
responsabilité, ayant reconnu que la quasi-totalité des travaux préconisés était justifiée, l'avion est reparti avec une facture dépassant les 300 000 euros.
Mme la Présidente : Les travaux ont donc été imposés.
M. Christian SASSO : Nous ne voulions pas laisser repartir
l'avion.
Mme la Présidente : M. Muzelle a signalé précédemment que cette
réglementation était coûteuse. Cela veut donc dire que les compagnies font payer un prix justifié par le niveau de sécurité assuré. Il n'est pas question de
faire un mauvais procès à certaines formes de transport aérien, mais il importe de rechercher la vérité pour être en mesure de formuler des préconisations. Qu'en
pensez-vous, vous qui avez les mains dans le cambouis ? Vous qui devez éviter l'utilisation de mauvais matériels et de pièces non contrôlées, dont les
conséquences peuvent être graves. Malheureusement, il semble le coût de cette maintenance fait qu'elle n'est pas forcément bien effectuée partout.
M. Jean-Michel BIDOT : Je voudrais parler de la sous-traitance
en vous racontant une anecdote. L'automne dernier, un avion d'Air France est revenu de Washington avec 9 tonnes de plus. Le responsable du chargement de cet
avion avait oublié de retirer le fret à l'arrivée. S'étant aperçu de son erreur, il n'est jamais réapparu chez son employeur, se doutant bien que son erreur
serait sanctionnée pour un renvoi immédiat. Cela indique que les entreprises sous-traitantes des grandes compagnies n'ont pas toujours, non plus, la culture de
la sécurité. Leurs personnels n'ont pas l'assurance de pouvoir faire état d'une erreur tout en restant couverts. Au contraire, le directeur général d'Air France,
M. Gourjon, a établi une charte de qualité, garantissant l'impunité à un opérateur de première ligne qui accepte de signaler une de ses erreurs. Cette charte
figure dans notre manuel d'exploitation.
Mme la Présidente : Je souhaite vous interroger sur le problème
des intérimaires. Je sais que, dans certaines professions, les intérimaires n'ont pas une formation suffisante, ne savent pas bien se protéger et sont victimes
de plus d'accidents que les personnels titulaires. Nous savons que cela est générateur de troubles dans la pratique de certains métiers. Je pense que, dans un
métier comme le vôtre qui demande de la précision et des connaissances, le recours à l'intérim doit poser de véritables questions.
M. Jean-Luc JEANGEORGES : L'intérim existe. Il y a même des
agences spécialisées qui font des annonces dans les revues spécialisées. Nous constatons qu'elles font appel à des personnes devant correspondre à la nouvelle
réglementation, par exemple, elles recherchent des qualifications JAR 66, des JAR 66 maintenance Falcon 200, Boeing 737 ou 747. Certaines de ces agences sont
implantées sur des plates-formes aéroportuaires.
De grandes entreprises assument leur maintenance. C'est le cas de
l'entreprise à laquelle j'appartiens. D'autres, en revanche, l'assument beaucoup moins. Elles se chargent de l'exploitation, la maintenance étant confiée à des
organismes qui sont certainement respectables pour certains, et moins peut-être pour d'autres.
J'ai eu l'occasion d'aborder un aspect de leur compétence, ce qui
m'a valu de recevoir une « volée de bois vert » de la part de ma direction. Il s'agissait du « pastillage avion ». A la suite de l'inspection sécurité sûreté,
nous devons rendre vierges toutes les entrées qui ne doivent plus être accessibles avant le départ. Un jour, il a été envisagé de sous-traiter cette activité,
dont la réalisation par un salarié de la maintenance avait été jugée trop onéreuse. Nous nous sommes battus pour bloquer ce projet. J'ai, en effet, estimé que,
seul un mécanicien - j'ai même contesté ce droit aux pilotes - pouvait juger de l'intégrité d'une soute électronique. On m'a répondu que je n'étais pas là pour
juger de l'intégrité d'une soute électronique mais pour vérifier s'il y avait une bombe. J'ai objecté qu'au-delà de la présence d'une bombe, un calculateur
pouvait manquer ou des éléments être coupés, sans que l'agent de sûreté de base puisse s'en apercevoir.
Mme la Présidente : On mélange sûreté et sécurité.
M. Jean-Luc JEANGEORGES : On ne doit pas les mélanger. Je veux
bien qu'un policier se charge de l'aspect sûreté relatif à une bombe mais la vérification de la sécurité et de l'intégrité d'une soute appartient au mécanicien.
J'ai obtenu gain de cause et le projet a été retiré. Toutefois, ce genre de problème peut resurgir sous prétexte de réorganisation du travail. Il est vrai qu'il
est dérangeant d'effectuer 20 pastillages par nuit sur 20 avions mais cela fait partie du métier.
M. Paul MASTANTUONO : En ce qui concerne le recours à
l'intérim, le règlement comporte des dispositions, concernant notamment la proportion d'intérimaires présents sur un chantier d'entretien. Il existe donc des
armes réglementaires. Toutefois, pour que les entreprises aient une organisation répondant à des objectifs de sécurité, nous exigeons qu'elles mettent en place
des noyaux permanents suffisants pour encadrer tout type de personnel, qu'il s'agisse d'intérimaires ou de sous-traitants. En effet, lors d'un chantier
important, on peut faire appel à des spécialistes, comme un constructeur, par exemple. Ces personnels peuvent, d'ailleurs, être très nombreux. Nous sommes donc
intervenus, y compris en France, non seulement pour réglementer le recours aux intérimaires - certains sont d'ailleurs parfois très qualifiés et restent
intérimaires pour des raisons personnelles - mais également pour réglementer l'encadrement de ce personnel et des sous-traitants.
En France, nous avons peut-être été au-delà du règlement cette
question. Nous avons discuté avec des entreprises pour les convaincre qu'il fallait changer un certain nombre de pratiques pour des raisons de sécurité. Par
exemple, s'il existe un chantier Air France, la compagnie est responsable de l'ensemble des travaux : il n'existe pas d'approbation pour remise en service
partiel. Cela posait un certain nombre de problèmes dans l'organisation du travail et des problèmes de droit du travail. Nous nous sommes donné les moyens
d'intervenir pour encadrer cette activité. Aujourd'hui, le règlement demande que les entreprises élaborent leurs propres politiques de sécurité. Indépendamment
de ce que dit le règlement, l'entreprise doit donc tout faire pour garantir la sécurité. Par ailleurs, la prise en compte du facteur humain est aussi un
élément de sécurité.
En France, le système devrait donc encore se renforcer et être plus
coûteux en formation, en contrôle et dans la prise en compte des facteurs humains.
M. Philippe MUZELLE : Le cadre réglementaire nous contraint
dans le bon sens. Concernant les éventuels renforts d'intérimaires et de sous-traitants, la loi exige que nous ayons 50 % de personnels statutaires sur les
chantiers. Comme le disait Jean-Luc Jeangeorges, les appels à intérimaires sont peu nombreux car on trouve très peu de mécaniciens sur le marché du travail et,
parce que nous nous efforçons de confier les travaux de maintenance à des professionnels de chez Air France. Nous faisons donc plutôt appel à des sous-traitants,
ceci, le plus souvent, d'ailleurs, pour des activités que nous qualifions d'« industrielles » et qui concernent les gros chantiers d'entretien des avions. Nous
en trouvons également pour le montage et le démontage des sièges d'avions au cours d'opérations de maintenance.
Il faut savoir que les sous-traitants ne font pas n'importe quoi.
Ils sont habilités par l'assurance « qualité entretien ». Ce sont des prestataires de services triés sur le volet qui font l'objet d'audit ou de
questionnaires, qui sont éventuellement labellisés ISO et dont le travail respecte notre système qualité.
A la fin de l'année 2003, de nombreux sous-traitants se sont vus
retirer leurs habilitations APRS. A l'époque nous avions le souci de ne pas voir couler de petites entreprises françaises. Nous avons donc essayé de continuer
avec elles, malgré le surcoût représenté. En effet, notre système d'habilitation avait dû être renforcé, de même que notre système de contrôle, puisque nous
nous substituons au contrôle des sous-traitants, et signons désormais, les dossiers libératoires qu'ils signaient auparavant. Il y a donc eu transfert de
responsabilité du sous-traitant vers la maison mère Air France. Le système de recours aux intérimaires et aux sous-traitants est donc encadré.
M. Christian SASSO : J'adhère parfaitement à ce qui a été dit
auparavant. Toutefois, une entreprise doit être économiquement viable pour exister. Il existe toujours un aspect économique, qu'il s'agisse d'une société qui
entretient ses avions - le coût de la maintenance se répercute alors sur le coût des billets - ou qu'il s'agisse d'une station-service comme la nôtre. Si les
coûts sont trop élevés, les clients vont dans d'autres stations-service. En France, nous avons effectivement beaucoup de règlements, mais dans beaucoup de pays
européens, ils sont à peu près du même ordre, même s'il y en a peut-être légèrement plus en France. Par exemple, nous travaillons beaucoup sur la base de la
réglementation anglaise qui ressemble beaucoup à la réglementation française.
Les coûts vont prendre une dimension de plus en plus importante. En
effet, il devrait y avoir bientôt des stations-service en charge de la maintenance dans tous les pays de l'Union européenne et bien que la réglementation soit
la même pour tous, elle ne sera pas appliquée avec la même rigueur dans tous les pays. Nous devons donc être attentifs au problème des coûts, car nous risquons
de nous retrouver face à des pays qui appliqueront bien toutes les réglementations quand d'autres ne les appliqueront pas. Le marché fera alors que les clients
iront naturellement aux endroits où les coûts seront les moins élevés.
M. Paul LABRUNIE : Nous sommes au c_ur du problème de la
compression des coûts. J'appartiens à la profession des mécaniciens navigants dont le coût a été jugé excessif. Nous sommes passés à un équipage à deux, et, si
je me souviens bien, il s'agit encore d'une situation dérogatoire sur le plan réglementaire, alors que l'équipage à deux pilotes est maintenant généralisé. J'ai
fait ce métier avec plaisir. Nous assurions la complémentarité entre l'équipage et nos collègues du sol. Nous suivions un avion pendant quatre étapes avant de le
repasser à un autre équipage, cela créait une réelle continuité. Seul l'aspect des coûts a été considéré et nos actions en termes de maintien du niveau de
compétence globale de l'équipage et d'apport aux personnels au sol ont été balayés par l'argument économique. Egalement pour des raisons de coût, Air France fait
faire des visites en Thaïlande, en Afrique du Sud, notamment les grandes visites des Boeing 747. C'est de la sous-traitance. Personne ne dit rien.
Mme la Présidente : Vous considérez donc que la dérégulation
joue un jeu dangereux ?
M. Paul LABRUNIE : Oui. Les Américains se sont fait piéger par
leur propre système. Ils ont dérégulé, ce qui leur a causé du tort, ainsi qu'à nous. Le crash du Concorde est dû à un bout de ferraille laissé par un DC 10 dont
un panneau avait été mal réparé. Le Concorde a roulé sur cette pièce, ce qui a provoqué l'accident. C'était bien un problème de maintenance. Il y a beaucoup de
choses dont on ne mesure pas les conséquences tant qu'on n'assiste pas à des événements spectaculaires. La politique des coûts vise les personnels de maintenance
des avions, leur formation et leur capacité à défendre leurs conditions de travail ainsi que leurs salaires. Les coûts étant toujours tirés vers le bas, il y
aura toujours un moins-disant quelque part et s'il n'y a pas de règles internationales plaçant tout le monde sur la même base et des gendarmes pour les faire
respecter, il sera vain d'organiser des missions comme la vôtre. Pour ma part, je trouve votre démarche très intéressante, cela fait 25 ans que je fais du
syndicalisme et c'est la première fois que je suis entendu à un tel niveau.
Les avions mal entretenus en provenance d'Egypte, d'Afrique ou
d'ailleurs viennent sur notre territoire. Un jour, ils sèmeront la panique à Roissy ou ailleurs et tueront peut-être des gens, cela s'est déjà produit. Tant
que nous ne mettrons pas en place des gendarmes pour faire respecter la réglementation, rien ne sera résolu. Les Américains ont essayé : la FAA a infligé des
amendes, mais les compagnies ne les payent même plus. Les Américains ont été pris à leur propre piège en n'ayant pas su imposer les contraintes réglementaires
qu'ils avaient écrites.
Mme la Présidente : J'ai bien noté que les différents
intervenants ayant témoigné devant nous, qu'il s'agisse des tours opérateurs ou des entreprises aériennes, ont indiqué que le coût ne comptait pas face à la
sécurité. Néanmoins, lorsqu'on insiste un peu, on entend toujours une petite phrase qui dit : « si en plus de cela les voyageurs veulent à la fois des prix
bas et la sécurité... ». On aboutit donc au type de conclusion que nous venons d'entendre, ce qui nous amène à poser la question des low costs. Sans
vouloir stigmatiser ces entreprises, on remarque qu'elles ont fait de la réduction des coûts un véritable « catéchisme ». Qu'en est-il exactement ?
M. Eric SIVEL : Six thèmes ont été soulevés. Pour l'élaboration
des règlements, nous essayons de prendre en compte un certain nombre de critères de sécurité. Les règlements ne sont pas parfaits mais ne sont pas forcément si
mauvais que cela. Il existe un réflexe systématique qui consiste à rajouter un règlement, dès qu'un problème apparaît. A force, les coûts induits deviennent
insupportables. Ce réflexe n'est pas forcément le bon. Parmi les exemples qui ont été soulevés ici, beaucoup ont déjà été traités par les règlements.
Il existe désormais une règlementation commune pour les Etats
membres de l'Union européenne en matière de maintenance. Une phase transitoire donne à chaque pays le temps de s'adapter, mais à l'horizon 2005, tous les pays
auront transposé le même règlement dans leur droit national, sans possibilité d'interprétation. Par ailleurs, il est vrai que la création d'un règlement
européen réduit la proximité. C'est la raison pour laquelle l'organisme de surveillance reste l'autorité nationale. Il n'est pas question que l'exploitant se
rende à Cologne pour demander à l'AESA comment elle compte le surveiller. C'est l'Etat dans lequel est basée une société qui assure les actes de surveillance.
En outre, il est prévu dans le nouveau règlement - ce qui n'était
pas le cas antérieurement - que les autorités doivent coopérer. Le pays de l'opérateur est chargé de surveiller les aéronefs. Si l'opérateur a un certificat de
transporteur aérien, établi en Irlande, par exemple, et si ses aéronefs sont exploités en dehors d'Irlande, l'Irlande a l'obligation de demander de l'aide aux
autorités des pays dans lesquels les avions sont effectivement exploités. Ces dispositions sont inscrites dans la partie B du règlement relatif aux obligations
des Etats.
Enfin, il existe des règles concernant la sous-traitance. Au niveau
des noyaux durs, on a vu qu'il doit y avoir sur chaque chantier 50 % de personnels statutaires. Quant aux intérimaires, ils doivent être formés et avoir le
même niveau de qualification que les personnes qui sont employées en permanence par la société. En outre, on ne peut sous-traiter qu'à des sociétés agréées
« 145 ». Celles qui ne le sont pas doivent être placées sous le contrôle du système qualité de la société donneuse d'ordre.
Toutes ces dispositions sont traitées dans le règlement intra
européen. Il ne s'agit pas de rajouter des règlements qui augmenteront les coûts. Le problème se place souvent - je ne vais pas parler de la surveillance car
elle est en général bien effectuée en Europe - au niveau de la « peur du gendarme », c'est-à-dire au niveau de la sanction. Pour illustrer mon propos, je
citerai la règle du 50 km/h en ville. Comme tout le monde roule à 70 km/h, il est souvent demandé au législateur de limiter la vitesse à 30 km/h. Ce n'est pas
cette nouvelle limitation qui empêchera les automobilistes de rouler à 70 km/h. C'est tout simplement en faisant en sorte qu'ils arrêtent de rouler à 70 km/h.
En Europe, il est vrai que les armes juridiques des autorités de surveillance sont variables et sont plus ou moins efficaces. C'est à ce niveau que le coût
entre en jeu.
M. Jean-Michel BIDOT : Je voudrais éclairer la commission sur
une vision peut-être un peu provocatrice de ce qu'est une organisation de la sécurité par rapport à une organisation qualité. Le système qualité, à la mode
depuis les années 80, consiste à dire que nous écrivons ce que nous allons faire et que nous faisons ce que nous avons écrit, puis à contrôler. Cela fonctionne
pour l'industrie avec un taux de réussite de l'ordre de 99,9 %. Une organisation de la sécurité est une organisation homothétique, sauf que l'on y travaille sur
des taux d'échec par million ou par dizaines de millions. « Qualité » et « sécurité » sont d'ordre différent. Alors qu'une « organisation » fait de la qualité,
une « culture » fait de la sécurité.
Mme la Présidente : Je voudrais maintenant poser la question
des pièces de contrefaçon, puis nous passerons au problème des pays tiers. Quels moyens avez-vous pour vous protéger des filières diffusant des telles pièces de
contrefaçon ? Ce n'est certainement pas en France que nous sommes le plus touchés par ce problème, mais qu'en est-il à l'étranger ?
M. Philippe MUZELLE : Je ne voudrais pas que l'on considère que
nous sommes exemplaires. Ce n'est jamais le cas. Cependant, en ce qui concerne la lutte contre les contrefaçons et les matériels suspects, nous sommes
structurés. Nous venons de mettre en vigueur une procédure générale, appelée MK12, relative à la réception des matériels. Cette procédure générale, qui fait une
cinquantaine de pages, décrit tous les types de réception de matériels, qu'il s'agisse de matériel neuf, de matériel usagé, hors d'état de servir, en état de
servir, fabriqué par des propriétaires de certificat de type (comme Airbus ou Boeing), par des propriétaires de certificats supplémentaires de type, par des
organismes européens et américains.
Nous avons donc la typologie des pièces que nous recevons. En
fonction du type de matériel, du type de fournisseurs, du type de libération de ce matériel, nous invitons les services de réception à vérifier les documents
d'accompagnement, en particulier tout ce qui est document libératoire, et à effectuer les niveaux de contrôle nécessaires et qui vont de 1 à 3. Actuellement,
j'ai entre mes murs un inspecteur des douanes qui prépare un DESS sur tout ce qui est matériel dévoyé et à qui on est incapable de fournir un seul exemple. Je
ne dis pas qu'un matériel de ce type ne sera jamais monté sur un de nos avions. Mais je garantis que, grâce à ce filtre important de réception, il y a peu de
chances que cela arrive. Il s'agit d'une procédure générale qui intéresse les fournisseurs de biens, les fournisseurs de services, les réparateurs, les
revendeurs, les brokers (courtiers), etc.
M. Jean-Luc JEANGEORGES : La personne qui pose la pièce sur
l'avion fait confiance à toute la chaîne qui précède, qui contrôle et réceptionne toutes les pièces. Il est dommage que cette activité humaine puisse être
victime de contrefaçon. J'ai évoqué ce sujet avec des lycéens, à l'occasion d'un colloque sur la traçabilité, au cours duquel avait aussi été évoqué le problème
de la « vache folle ». Quand je leur ai dit que cela existait également dans le domaine aéronautique, bien que dans de faibles proportions, ils ont été choqués.
M. Philippe MUSELLE : J'ai l'exemple d'un broker anglais
qui avait falsifié des documents d'Air France prétendant revendre du matériel Air France. Malgré notre plainte, la juridiction française ne l'a pas poursuivi,
probablement en raison de la complexité juridique de l'affaire. Néanmoins un de mes collaborateurs a été témoigner devant un tribunal britannique.
M. Paul LABRUNIE : La contrefaçon résulte, comme le reste,
d'une recherche permanente de réduction des coûts. Il n'y a pas, dans tous les pays, des compagnies telles qu'Air France ou British Airways. Pour ma part, j'ai
beaucoup voyagé en Afrique et je me suis demandé, en voyant tous les avions qui traînent sur les terrains africains, avec quoi certains avaient été réparés. La
contrefaçon est encore un malheur qui nous guette.
M. Claude LABBÉ : Il est vrai que l'arsenal réglementaire
concernant la traçabilité des pièces, a pour but d'éviter la contrefaçon. Depuis sa création jusqu'à son obsolescence, la pièce doit être à chaque instant suivie
et étiquetée. Par ailleurs, les principaux acteurs de l'entretien sont surveillés, qu'il s'agisse de la compagnie aérienne ou de l'organisme de maintenance. En
revanche, et M. Muzelle l'a bien souligné, il existe un maillon faible qui échappe à la réglementation, telle qu'on a pu la décrire depuis le début de cette
réunion. C'est la profession de broker, c'est-à-dire ces personnes qui font le commerce de pièces d'avion en les achetant et en les revendant. Je crois
que c'est un problème qu'il faut souligner. Quant à savoir combien de pièces falsifiées existent en Europe, je crois qu'à partir du moment où on ne les découvre
pas, il est difficile d'en évaluer le nombre. On peut simplement dire qu'il est très rare que des déclarations, c'est-à-dire des constats effectués par les
entreprises et qui nous sont transmis, signalent de telles pièces.
M. Eric SIVEL : L'AESA parle de pièces « non-conformes » car
elles ne sont pas forcément contrefaites. Elles sont parfois mal entretenues ou d'origine douteuse. La contrefaçon n'est pas la seule raison de non conformité
d'une pièce. Il est prévu d'ouvrir un chantier sur ce problème, en 2005, avec pour objectif, dans un premier temps, d'évaluer l'étendue du problème avec l'aide
de l'industrie et des autorités et, ensuite, de proposer des solutions. Mais, si certaines autorités trouvent que le problème est grave et doit être résolu à
court terme, d'autres ne le considèrent pas urgent. Un des axes de réflexion est donc de réglementer les revendeurs de pièces qui ne le sont pas pour le moment.
Ce contrôle s'accompagnera nécessairement de surcoûts qu'il faudra évaluer. Il faut cependant souligner que 80 % des revendeurs de pièces dans le monde se
situent aux Etats-Unis. Il nous faudrait donc réglementer une activité américaine.
M. Jean-Michel BIDOT : Quelle est la sanction prévue pour une
personne utilisant sciemment des pièces non conformes ? Est-elle en rapport avec l'argent économisé ?
M. Eric SIVEL : La sanction relève du droit national. Je peux
citer le cas d'une pièce non conforme montée sur un hélicoptère, en Grande-Bretagne. L'auteur a été condamné pour tentative d'homicide, à dix ans de prison.
Mme la Présidente : On en revient au problème de la peine et
surtout de la lenteur de la justice.
Je voudrais que l'on parle des avions des pays tiers, parce qu'il
semble que le programme européen SAFA ne permet pas un contrôle aussi approfondi que les contrôles effectués aux Etats-Unis. Pourquoi ? L'Europe va-t-elle
améliorer ce type de contrôle ?
M. Claude LABBÉ : Le programme SAFA est un programme de
contrôle des avions étrangers pendant qu'ils font une escale dans un pays membre de la CEAC. Il n'y a pas d'équivalent aux Etats-Unis, si ce n'est que des
inspecteurs américains peuvent procéder à des inspections sur des aéronefs étrangers qui font escale aux Etats-Unis. D'ailleurs, il existe une coopération entre
les Etats de la CEAC qui ont mis en oeuvre ce programme et la FAA. Toutefois, je crois qu'on ne peut pas dire que les programmes sont moins contraignants en
Europe. Ce sont des programmes d'inspection au sol par des inspecteurs qui ont pour but de faire un certain nombre de vérifications, telles qu'on peut les faire
lorsqu'un avion est en escale. Cela porte sur un certain nombre de points, comme les documents de bord, les licences du personnel navigant, le contrôle du
chargement et le contrôle des opérations de l'avion. En outre, il y a un contrôle de l'état technique de l'avion qu'on peut assimiler à une inspection pré-vol.
C'est ce que font les inspecteurs, en France, et dans d'autres pays européens participant à ce programme.
Parmi les grands programmes pouvant contribuer à l'amélioration
globale de la sécurité aérienne dans le monde, il faut également parler du programme OACI d'audit des autorités nationale qui permet d'avoir une connaissance
précise des capacités des Etats à surveiller leurs exploitants aériens. Il est destiné à les responsabiliser. Il est vrai que les Etats-Unis avaient développé
un programme de ce type pour le moins controversé, puisque effectué sans aucune coordination internationale. C'est plutôt dans ce sens que le problème se
posait. Cela a d'ailleurs conduit l'OACI, sous l'impulsion de la France, à lancer ce programme d'audit.
Mme la Présidente : Les informations que j'ai font état de plus
grandes contraintes aux Etats-Unis concernant les avions étrangers.
M. Paul LABRUNIE : J'ai fait 14 ans de moyen-courrier en Europe
et je n'ai jamais été contrôlé par la DGAC, en dehors des contrôles classiques professionnels assurés par ma compagnie. En revanche, sur 15 ans de long-courrier
aux Etats-Unis, j'ai été contrôlé trois fois : une fois à Chicago, une fois à New York et une fois à Houston. Statistiquement, les Américains semblent avoir des
effectifs de contrôleurs FAA beaucoup plus importants que ceux de nos contrôleurs DGAC, ce qui leur permet de contrôler et de viser peut-être un peu plus les
avions français ou étrangers que les leurs. Personnellement, en 29 ans de ligne j'ai donc été contrôlé trois fois aux Etats-Unis et jamais en Europe. Il
semblerait qu'il y ait ici un vide.
M. Eric SIVEL : En ce qui concerne les Etats tiers, on dispose
donc de la directive SAFA. Par ailleurs, il y a plusieurs lignes de réflexion pour les aéronefs étrangers. L'une des mesures a déjà été prise et figure dans la
« partie M », c'est-à-dire dans le règlement 20-42. Selon ces dispositions, tout aéronef immatriculé à l'étranger, mais basé en Europe ou affrété par un
opérateur européen - car certaines compagnies européennes utilisent des aéronefs d'autres pays -, doit respecter les règlements européens et être contrôlé par
les autorités de l'opérateur européen. Cela concerne surtout les avions d'affaires et les aéronefs d'aviation générale. Pour contourner les exigences
réglementaires des pays européens et échapper aux contrôles, certaines compagnies prenaient des pavillons de complaisance. Beaucoup d'appareils dans cette
situation arboraient un « N », comme novembre, sur leur carlingue.
Il s'est même trouvé, dans deux ou trois cas en Europe, que certains
aéronefs comportant cette immatriculation ne figurent pas sur les registres du pays concerné. Le premier axe de réflexion vise donc à ce que les aéronefs basés
ou exploités en Europe, même immatriculés hors d'Europe, subissent le même niveau de sécurité et de contrôle que s'ils avaient été immatriculés en Europe. Cela
figure déjà dans les textes concernant la maintenance.
Le deuxième axe de réflexion vise le plus long terme. L'AESA
travaille sur les exigences de base en matière d'opérations aériennes. Ce règlement essentiel donnera compétence à l'agence pour rédiger un règlement du type
FAR 129 américain.
Mme la Présidente : Ce règlement est-il plus exigeant que celui
de l'OACI ?
M. Eric SIVEL : Il n'est pas plus exigeant. L'OACI dit que les
opérateurs d'un pays étranger sont acceptés si ce pays est conforme à l'OACI. Mais le FAR 129 ajoute des exigences à celles de l'OACI pour les opérateurs
étrangers.
Mme la Présidente : C'est pour cela que je disais que les
Etats-Unis sont plus exigeants que nous.
M. Eric SIVEL : L'axe de réflexion sur lequel nous travaillons
vise à permettre, au niveau européen, de développer un règlement similaire pour les compagnies aériennes qui comptent exploiter depuis le territoire européen.
C'est à longue échéance néanmoins.
M. Sylvain SIMONNEAU : Je souhaite revenir sur les contrôles
effectués par la DGAC. Il me semble que le nombre de contrôles effectués dans une année correspond à peu près au nombre de vols d'une journée sur le territoire
français, ce qui est très peu. D'autre part, je voudrais signaler qu'en raison d'impératifs commerciaux, des compagnies que nous assistons exigent que leurs
avions repartent en temps et en heure car leur immobilisation génère des frais supplémentaires.
Le représentant technique a donc parfois tendance à faire repartir
l'avion dans des conditions inacceptables. D'autre part, il arrive que nous ne puissions pas contrôler ce qui figure dans le carnet de compte-rendu technique
car la langue utilisée ne nous est pas connue, je pense au chinois, par exemple. Dans ce cas, nous sommes dans l'incapacité d'exercer un réel contrôle.
Mme la Présidente : On me précise que le règlement américain
FAR 129 va bien au-delà du programme SAFA pour le contrôle des avions des pays tiers, je voudrais donc obtenir des précisions.
M. Claude LABBÉ : Ce sont deux choses totalement différentes.
La FAR 129 est un règlement qui soumet les transporteurs aériens assurant des vols commerciaux aux Etats-Unis à autorisation. Le programme SAFA est un programme
d'inspection des avions étrangers sur le sol européen. Ce sont deux choses différentes mais qui peuvent être complémentaires. Il est vrai qu'en Europe, notamment
dans le cadre des JAA, on réfléchit depuis déjà plusieurs années à la possibilité de mettre en place un règlement parallèle à celui de la FAR 129. Jusqu'à
présent, les autorités européennes ont considéré qu'il y avait d'autres priorités.
Par ailleurs, l'idée d'un certain nombre d'Etats européens, et de la
France, en particulier, a été plutôt de développer le rôle de l'OACI pour faire en sorte que l'ensemble des Etats se mettent au niveau OACI plutôt que de
développer leurs propres barrières concernant les avions étrangers. Deux philosophies se sont donc affrontées. Aujourd'hui, la tendance est plutôt à
l'instauration de barrières nationales ou multinationales, mais le débat n'est pas clos. Les deux philosophies ont été étudiées, puis confrontées et, jusqu'à
présent, les démarches conduites dans le cadre de l'OACI pour l'amélioration de l'ordre mondial ont été préférées à l'érection de barrières.
Mme la Présidente : D'une façon générale, la réglementation
devrait être meilleure pour éviter que certains fassent du zèle et que d'autres ne fassent rien.
M. Georges REBENDER : Je pense pouvoir éclaircir un peu le
débat. Le 7 avril dernier, nous avons évoqué la nécessité, pour les autorités de surveiller de façon continue leurs exploitants. Il y a trois façons de faire. La
première est de faire pleinement confiance à l'OACI qui a un programme annuel. En effet, elle audite les différents Etats membres mais les résultats de ces
audits ne sont pas publics. Seul un rapport résumé est publié.
Mon expérience personnelle, pour avoir, au sein des JAA, visité des
pays JAA audités par l'OACI, m'a prouvé que l'on pouvait trouver des situations très correctes sur le papier. Toutefois, au sein de ces audits, la culture
sécurité de tous les exploitants est difficile à établir car l'audit se concentre sur deux ou trois exploitants jugés représentatifs. Au titre de la
souveraineté inscrite dans la convention de Chicago, la première attitude possible consiste à dire que l'OACI ayant un processus, il faut la laisser faire et
essayer d'améliorer ce processus.
La deuxième attitude possible est celle des Américains. Le système
américain a un double effet. Le premier se concentre sur l'exploitant. Pour obtenir une licence d'exploitation aux Etats-Unis, il faut passer à travers les
fourches caudines de la FAR 129, qui se traduit, dans les faits, par une spécification opérationnelle. Je pense que les exploitants comme Air France ne me
contrediront pas. C'est un exercice qui est loin d'être aisé. Le deuxième effet est que les Etats-Unis inspectent individuellement chaque Etat membre ayant le
droit d'assurer un transport régulier sur leur territoire. Il y a eu des sanctions contre la Grèce et la Pologne. La semaine prochaine, nous allons donc
essayer de participer, à titre d'observateur, à ce processus FAA, qui peut se solder par une sanction économique, voire un retrait du certificat de transport
aérien (CTA), ou une non exploitation du CTA aux Etats-Unis ou bien encore, une limitation du droit de trafic. La Grèce a été sanctionnée par une limitation du
droit de trafic, ce qui n'est pas sans conséquence dans la perspective des jeux olympiques.
Le système américain consiste à appliquer au titre de leur
souveraineté sur leur territoire, les Etats-Unis ont le droit d'appliquer une procédure technique de qualification de l'exploitant et de l'Etat membre. En
fait, les inspecteurs FAA refont la visite OACI pour voir comment les Etats membres délivrent les CTA et exercent leurs responsabilités en matière de
surveillance continue.
La voie européenne est originale. Elle s'appuie essentiellement sur
l'OACI, complété par les contrôles SAFA. Le programme SAFA, inscrit dans un protocole établi entre l'OACI et le SAFA, se concentre sur l'avion lui-même. Tous
les pays membres de la CEAC ont contribué à ce programme auquel sont soumis tous les avions, membres de la CEAC ou non. En résumé, les contrôles SAFA se
concentrent sur la documentation, les manuels, l'état apparent de l'avion (les pneus et les fuites), les licences des pilotes et les éléments de sécurité
cabine.
En 2003, le programme SAFA s'est traduit par 3 414 inspections qui
ont visé 623 opérateurs appartenant à 131 Etats membres dont 40 % n'appartiennent pas à la CEAC. Une des conclusions de ce rapport montre que la situation est
très contrastée selon les régions.
Les taux d'attribution de la catégorie 3 peuvent être, dans
certaines régions, 5 à 6 fois supérieurs à la moyenne SAFA. Je précise que donnent lieu à un classement dans la catégorie 3, des événements majeurs pouvant
amener un Etat membre à refuser qu'un avion reparte ou à contraindre la compagnie aérienne à mener une action immédiate sur un de ses appareils.
Le programme SAFA a été repris par une directive européenne, ce qui
permet d'uniformiser le processus au niveau européen. Malheureusement, vérifier les pales de fan ne signifie pas que le moteur a une marge d'EGT (Exhaust
gas turbine) correcte, c'est-à-dire permettant au moteur de fonctionner sur terrain chaud. Je suis très heureux d'apprendre que la Commission européenne
semble s'orienter vers une proposition dont j'étais à l'origine en 1994. Il s'agit d'une problématique à dimension politique, mais je pense que dans le monde
de l'aviation, nous sommes plusieurs à être convaincus que le principe civis pacem para belum est finalement l'un de ceux qui marchent encore le mieux.
M. Paul LABRUNIE : M. Rebender dit qu'un contrôle dure
20 minutes. Une visite pré-vol réalisée par un mécanicien à l'ancienne durait 1 heure 15 minutes. Sur des moyen-courriers, sur des machines comme les Caravelles,
les Boeing 727 ou les Airbus A300, on partait avant nos collègues pilotes, de façon à respecter les horaires du vol. Voyez où nous mène la pression des coûts !
Mme la Présidente : Je vois que les représentants de la DGAC
réagissent à vos propos.
M. Paul LABRUNIE : Ils peuvent réagir. Je tiens la
documentation Air France à leur disposition et j'affirme que les visites pré-vol duraient bien 1 heure et 15 minutes.
M. Paul MASTANTUONO : Les avions ont évolué, ils sont plus
fiables et il y a moins de choses à faire.
Mme la Présidente : Ils sont toutefois plus compliqués
techniquement.
M. Paul LABRUNIE : Le constructeur est arrivé à nous persuader
qu'un avion fonctionnait comme une voiture. On met le contact, la lampe verte s'allume et on peut y aller.
M. Paul MASTANTUONO : Dans les années 60, peu d'avions étaient
capables de voler seize heures par jour de manière régulière. Aujourd'hui, entre un vol et le vol suivant, le laps de temps séparant l'atterrissage, le
débarquement des passagers et la remise en vol de l'avion est très court. Cette évolution a été permise car la technologie des avions a évolué.
M. Paul LABRUNIE : On se rejoint mais c'est quand même trop
court. C'est encore une fois la pression du temps et des coûts.
Mme la Présidente : Les confrontations sont parfois
intéressantes et nous permettent d'apprendre des choses.
M. Paul LABRUNIE : M. Rebender disait que la marge de
température EGT était significative de l'état du réacteur. Il suffit de demander à un exploitant la température extérieure limite à laquelle un moteur n'atteint
plus la poussée maximale du jour. Si vous lui demandez cela et que vous constatez que son réacteur étant en dessous de la performance limite, il ne possède plus
les performances de décollage, vous devrez l'obliger à rester au sol. Il en va de la pertinence des contrôles. Or, il ne faut plus déranger les exploitants dans
leur course à l'économie. De ce fait, on ne leur pose plus la question pour être tranquille.
M. Jean-Michel BIDOT : On sait que 70 % des accidents sont dus
à des opérateurs de première ligne humains. Or, lors des contrôles, on ne vérifie pas les conditions d'emploi des pilotes, notamment leurs conditions de repos.
Pourtant, c'est ce qui cause les accidents. Il y a encore des insuffisances.
M. Claude LABBÉ : M. Bidot a raison de souligner que les
contrôles SAFA ne permettent pas de tout voir. Tout ce dont nous avons discuté aujourd'hui doit être mis en oeuvre par les exploitants et être surveillé par des
autorités responsables. Il est nécessaire de faire en sorte que tous les contrôles des opérations soient faits en amont.
Mme la Présidente : Le but de notre mission - et la façon dont
nous avons établi notre progression lors des tables rondes et des auditions - était de bien voir tous les éléments les uns après les autres. On sait que certains
sont peut-être plus importants. Néanmoins, nous devons aller au fond des choses. La maintenance est un des volets de cette réflexion.
M. Eric SIVEL : Le problème des avions étrangers ne peut pas se
résumer au programme SAFA. Néanmoins, ses effets ont été positifs, ce que tend à montrer le nombre des constatations. Important au début de ce programme, il a
aujourd'hui beaucoup baissé.
Il faudra, sans doute, repenser les inspections et l'objet des
contrôles, mais le fond du programme est utile. La mise en place d'une FAR 129 à l'européenne est complémentaire et permet de voir en amont. Le programme SAFA
ne permet pas de vérifier si la société qui exploite l'appareil est bien organisée et gère correctement ses aéronefs. Ce n'est pas la durée de l'inspection qui
permet ou non de voir s'il y a des problèmes. Il faut avoir plusieurs angles de vue pour détecter un problème.
Mme la Présidente : A la télévision, j'ai vu une émission
montrant un cimetière d'avion en Arizona. J'ai été très étonnée de voir qu'on y contrôlait les avions tous les jours, ainsi que l'hygrométrie. Certains viennent
y faire leurs emplettes. Comme les coûts sont faibles, on peut s'approvisionner avantageusement sur ce marché. Néanmoins, on sait tous que, lorsqu'un moteur n'a
pas tourné depuis longtemps, son état n'est pas des meilleurs. Pensez-vous honnêtement que l'on puisse réutiliser un avion qui n'a pas volé depuis longtemps ?
Peut-on avoir confiance ?
M. Raymond AUFFRAY : Ces avions n'ont pas plus d'accidents que
les autres. Ils ne se sont pas caractérisés par un taux d'accident supérieur à celui de l'ensemble de la flotte.
M. Paul LABRUNIE : Dans le désert de Morave en particulier, il
existe plusieurs modes de stockage. Des avions ne tournent pas et d'autres tournent tous les jours. Si l'acheteur acquiert un avion qui a tourné tous les jours,
il n'a pas plus de risques d'avoir des soucis que s'il achetait un avion qui vole tous les jours. Peut-être aurait-il juste quelques problèmes mineurs. C'est
comme votre voiture au fond du garage. Si vous la faites tourner tous les jours, le jour où vous la remettez route, elle sort du garage. Si vous la laissez deux
ans sans faire tourner le moteur, elle ne démarrera même pas.
Mme la Présidente : Vous n'avez pas constaté de problèmes
particuliers avec ce type de pratiques ?
M. Claude LABBÉ : Le stockage des avions est une pratique
courante. Les procédures de stockage définies par le constructeur doivent néanmoins être strictement appliquées. Suivant le temps de stockage, il existe des
procédures particulières de remise en service qui sont garantes du niveau de qualité. Il est évident que si on laisse les avions à l'abandon, on court beaucoup
de risques. Cette émission de télévision porte donc le doute et ne présente ni les tenants ni les aboutissants du problème. Si vous allez à Châteauroux, vous
verrez des Airbus produits à Toulouse, flambant neufs, et stockés, eux aussi. Il ne fait pas en déduire que ces avions, une fois remis en service, ne seront pas
sûrs.
M. Jean-Luc JEANGEORGES : A Châteauroux, vous verrez des avions
dans la même situation que ceux dans le désert de Morave. Tout dépend de l'entretien qu'on fait sur ces avions. Ces avions sont malgré tout entretenus. Il existe
une règle, et M. Muselle va peut-être réagir sur ce point, qui exige que les moteurs d'un avion tournent tous les sept jours. Cette règle est respectée, même en
cas de grève.
Mme la Présidente : Que faire pour accélérer la prise de
conscience de la nécessité d'une meilleure sécurité au niveau de la maintenance ? Nous sommes à la recherche de préconisations.
M. Jean-Michel BIDOT : En tant que législateur, vous pouvez
aider les opérateurs de première ligne, que sont notamment les mécaniciens au sol ou les pilotes, à mieux rendre compte de tous les événements qu'ils ont vécus
ou des erreurs qu'ils ont faites en promulguant une loi identique à celle existant aux Etats-Unis, c'est-à-dire une loi de dépénalisation.
Mme la Présidente : Cela revient à chacune de nos tables
rondes.
M. Jean-Luc JEANGEORGES : La formation est primordiale aussi.
Notre métier est soumis à la répétition des formations. Nous sommes dorénavant comme les pilotes. Il faut, par ailleurs, motiver les personnels pour qu'ils
restent dans le métier. Les Américains ont, à cet égard, connu un problème grave il y a quelques années, avec le départ massif vers le secteur des nouvelles
technologies des personnels qui avaient une formation électronique. Notre métier est motivant, encore faut-il qu'il le reste.
M. Christian SASSO : Je voudrais dire qu'il y a suffisamment de
réglementations et qu'il faut s'assurer que tous les pays les suivent. Rajouter toujours plus de réglementation française, en décalage avec ce que font d'autres
pays, contribuerait à amplifier le mouvement amorcé qui fait que de moins en moins de passagers dans le monde sont transportés par des compagnies aériennes
françaises ou des avions français. Il n'y a qu'à voir le désastre économique de l'aéronautique française. C'est vrai pour l'aéronautique de ligne comme pour les
avions d'affaires. En effet, je vois de moins en moins d'avions immatriculés en France sur nos parkings. Ce sont les lois de la nature. A titre personnel, je
voyage sur des compagnies aériennes françaises. Cependant, je comprends que les clients s'orientent vers les compagnies les moins chères. Il faut donc essayer
d'imposer aux autres les règles que nous observons. C'est comme les 35 heures. Ce serait magnifique si le monde entier travaillait 35 heures par semaine !
M. Eric SIVEL : Je voudrais rappeler que la directive sur le
reporting a été adoptée par le Conseil européen. Il ne reste plus qu'à la transposer en droit français.
M. Philippe MUZELLE : Je voudrais revenir sur ce qu'a dit M. Jeangeorges
pour confirmer que la formation est un outil essentiel. C'est une des composantes de la compétence. Je trouve que la réglementation était, jusqu'ici, en retrait.
En effet, elle nous demandait de faire subir à nos salariés un certain cursus de formation : stage A, plus stage B, plus stage C. Elle nous demandait également
une certaine expérience professionnelle. Ce n'est pas parce qu'on a été en formation et qu'on est mécanicien depuis cinq ans qu'on est un mécanicien compétent.
Or, cette notion de compétence apparaît dans les nouveaux textes. On s'intéresse à la compétence intrinsèque des hommes et des femmes au travail. C'est
essentiel. Cette compétence passe par des actes de formation efficaces. Il en est ainsi des mécaniciens mais également de leur encadrement, des métiers support,
tels que les métiers d'achat ou les métiers logistiques. De ce point de vue-là, la réglementation est peut-être un peu insuffisante.
Enfin, sur les carences éventuelles des low costs en terme de
maintenance, bien que je n'aie pas de compétence particulière pour en parler, je pense que se pose peut-être un problème de surveillance. La compagnie Air
France, en tant qu'entreprise nationale, est extrêmement surveillée et nous assurons nous-mêmes une surveillance soutenue de l'institution. Je me demande si
c'est le cas pour un certain nombre de compagnies plus petites qui travaillent à un moindre coût.
M. Paul LABRUNIE : Mme la Présidente, nous avons écrit une
contribution que je vais vous remettre. On y traite des salaires, de la formation, de la maintenance. En outre, elle propose des suggestions et des contrôles que
nous souhaitons vivement voir appliqués.
Mme la Présidente : Je vous remercie. S'il y a des points
particuliers que vous auriez souhaité aborder, communiquez-les nous. Nous accueillerons vos suggestions avec plaisir. Merci de votre participation.
Table ronde sur les facteurs humains (formation, travail en équipage) regroupant
M. Didier GUY, Ecole de pilotage
d'Amaury la Grange (EPAG),
M. Denis APVRILLE, Service d'exploitation de la formation aéronautique (SEFA),
M. Jean-François BUFFAT, Service de la formation aéronautique et du contrôle technique (SFACT) de la DGAC,
M. Jean-Pierre HÉLIOT, président de jury des examens du personnel navigant,
M. Roger LOISEL, M. Bernard CHEGNION
et M. Jean-François CRUCIS, Air France,
M. Serge MARTINEZ, Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL),
M. Gérard PIC et M. Jean-Pierre TRIMAILLE, Syndicat national des industriels et professionnels de l'aviation générale (SNIPAG),
M. Philippe RAFFIN, Syndicat des pilotes de l'aviation civile (SPAC),
M. Pierre BAUD, ancien responsable de Airbus training,
M. Jean BARIL, JAA
(Extrait du procès-verbal de la séance du 27 avril 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Je vous remercie tous d'avoir bien voulu
vous rendre disponibles pour participer aux travaux de notre mission sur la sécurité dans le transport aérien de voyageurs.
La table ronde qui nous réunit aujourd'hui est consacrée aux
facteurs humains et, plus particulièrement, à la formation des personnels et au travail en équipage.
C'est la deuxième fois que nous nous réunissons sur les facteurs
humains. Ils nous paraissent d'autant plus importants qu'ils interviennent pour près de 70 % dans les accidents. On sait également que le pilotage devient de
plus en plus sophistiqué et que la formation continue doit prendre en compte la relation homme/machine. Je voudrais que cette réunion nous permette aussi
d'aborder le travail en équipage, sur lequel repose la cohésion des personnels, notamment dans les situations de crise et dans les situations de fatigue.
La première table ronde a porté sur les conditions de travail des
personnels navigants, c'est-à-dire sur les règles relatives au temps de vol et de repos, sur les effets des décalages horaires, l'importance du stress et de la
fatigue... Nous avons également abordé le problème de l'alcoolisme et des autres dépendances.
Je propose que chacun d'entre vous se présente et que les
représentants de la DGAC et des JAA nous indiquent le contexte réglementaire dans lequel est organisée la formation des personnels. Nous procéderons ensuite à
un débat.
M. Jean-François BUFFAT : Au sein de la DGAC, j'appartiens à la
division des personnels aéronautiques du SFACT qui a en charge la mise en oeuvre de la réglementation concernant la formation, les examens et la délivrance des
licences du personnel navigant technique et commercial.
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Je suis ancien commandant de bord d'Air
France, ancien chef de l'Organisme du contrôle en vol (OCV), ancien chef des aptitudes techniques du personnel navigant professionnel à la DGAC, et actuellement
président du jury des examens du personnel navigant théorique et pratique.
M. Jean BARIL : Je suis assistant du directeur des licences aux
JAA31, chargé de coordonner
les évaluations opérationnelles des formations sur les avions nouveaux et, le cas échéant, sur les anciens. Cette évaluation sert, entre autres, de critère pour
l'approbation, par les autorités, des formations dispensées par les écoles.
M. Roger LOISEL : Je suis commandant de bord chez Air France,
et responsable de la formation aux facteurs humains des personnels navigants techniques d'Air France, donc des pilotes. Dans notre jargon aéronautique, la
formation « facteurs humains » concerne tout ce qui favorise, chez les opérateurs, la conscience et la prise en compte du risque dans l'exercice de leur métier.
Quoique réducteur dans sa formulation, le terme vise tout ce qu'implique l'intervention opérationnelle de l'humain dans la conduite des aéronefs.
M. Jean-François CRUCIS : Je suis commandant de bord sur Boeing
747-400 chez Air France, également chargé de la politique de formation des équipages (pilotes, mécaniciens, hôtesses et stewards), particulièrement pour ce qui
concerne les « opérations en ligne ».
M. Bernard CHEGNION : Je suis également commandant de bord sur
Boeing 747-400 chez Air France, et je dirige le centre de formation technique du personnel navigant. Celui-ci est chargé de la formation des pilotes qui
intègrent la compagnie, et ensuite de leur qualification - appelée qualification « de type » - chaque fois qu'ils changent d'avion au cours de leur carrière,
dans le cadre d'un organisme réglementaire qui s'appelle le T.R.T.O Le centre est également chargé de concevoir les formations « sécurité/sauvetage » pour
l'ensemble du personnel navigant commercial. Dans ce but, il met à disposition les moyens nécessaires à la formation technique du personnel d'Air France,
notamment pour la formation opérationnelle dont vient de parler mon collègue. Il est, enfin, chargé de former les instructeurs.
M. Didier GUY : Je suis le président directeur général de l'Ecole
de pilotage d'Amaury la Grange, qui effectue la formation initiale des pilotes, en amont de ce que M. Chégnion réalise à Air France. Je suis également le
président d'une association qui regroupe les principales écoles de pilotage en Europe.
M. Denis APVRILLE : Je suis directeur du SEFA, le service
d'exploitation de la formation aéronautique, rattaché à la DGAC, dont la vocation essentielle est d'assurer la formation de pilotes pour l'Etat ou de formations
financées par l'Etat. A ce titre, nous formons les pilotes issus de la sélection du concours de l'ENAC, l'Ecole nationale de l'aviation civile, qui assure la
formation théorique des pilotes. Nous assurons aussi la formation ab initio, c'est-à-dire depuis zéro heure de vol jusqu'au certificat de travail en
équipage, avant la qualification de type.
M. Gérard PIC : Je suis président du SNIPAG, le syndicat
national des industriels et professionnels de l'aviation générale qui regroupe la majorité des écoles privées de formation de pilotes. J'ai consacré ma vie à
former des pilotes et j'ai créé, en 1970, la première école de formation de pilotes.
M. Jean-Pierre TRIMAILLE : Je suis responsable pédagogique
d'une école de formation de pilotes, et je suis, au SNIPAG, responsable de la totalité des écoles qui sont regroupées au sein du SNIPAG.
M. Serge MARTINEZ : Je suis commandant de bord et instructeur
Airbus dans une compagnie de charters, et j'interviens aujourd'hui au nom du SNPL pour représenter l'avis de la profession sur l'ensemble des sujets liés à la
formation, et particulièrement à la formation continue et au CRM32,
c'est-à-dire au travail en équipage.
M. Philippe RAFFIN : Je suis commandant de bord sur Boeing 737
chez Air France et président du SPAC, section Air France.
M. Pierre BAUD : Je représente Airbus, constructeur. J'ai été,
pendant vingt ans, directeur des essais en vol et chef pilote d'essai chez Airbus, puis, pendant dix ans, directeur de l'entraînement des équipages, du personnel
de maintenance et du support opérationnel auprès des compagnies aériennes pour Airbus.
Contrairement à M. Didier Guy qui intervient en amont, j'interviens
en aval, puisque tous les pilotes que nous formons chez Airbus sont déjà des pilotes expérimentés, qui se forment sur un nouveau type d'avion, et que l'on
exige un certain nombre de pré-requis et d'expériences, telles que 1 500 heures de vol minimum, pour la qualification de commandant de bord sur Airbus.
Mme la Présidente : Je m'adresse maintenant aux représentants
de la DGAC et des JAA, pour qu'ils nous présentent le contexte réglementaire dans lequel s'effectue la formation des pilotes.
M. Jean-François BUFFAT : La formation des personnels navigants
techniques est régie, en France, par un ensemble de textes réglementaires. Il faut bien insister sur le fait que, pour l'heure, il s'agit de réglementations
nationales. C'est un arrêté du 29 mars 1999 qui définit les conditions réglementaires d'accès aux fonctions de pilote d'avion, le contenu de la formation, et des
épreuves.
Toutefois, cette réglementation nationale s'appuie aujourd'hui sur
un standard européen que nous appelons communément, dans notre jargon, le FCL1 (Flight crew licensing - licence des personnels navigants), le chiffre 1
signifiant « avion ». Il s'agit d'un standard d'origine européenne, mais au sens JAA - ce club de volontaires, comme on le dit souvent - c'est-à-dire qui n'a
pas directement valeur de réglementation européenne aujourd'hui. Mais cette situation est appelée à changer, puisque l'Agence européenne de la sécurité
aérienne, l'AESA, mise en place le 28 septembre 2003, a commencé à s'attaquer aux questions de réglementation en matière de certification et doit, dans les
cinq ans qui viennent, élaborer des normes en matière de licence des personnels navigants qui s'imposeront, par le biais de règlements européens, à l'ensemble
des Etats de l'Union européenne, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Ce standard définit la réglementation applicable à tous les pilotes
intervenant sur des avions immatriculés au registre civil français, qu'ils soient privés ou professionnels.
Je mentionne, pour mémoire, que la DGAC traite beaucoup d'autres
catégories d'aéronefs, en particulier les hélicoptères, pour lesquels nous n'appliquons pas encore la réglementation européenne, ainsi que les planeurs, les
ULM, les ballons, etc.
L'Organisation de l'aviation civile internationale, l'OACI, et
notamment son annexe 1, traite également des licences de personnels navigants. Il faut savoir que dans tous les cas, qu'il s'agisse des avions, pour lesquels
on s'appuie sur le FCL, ou pour les autres catégories d'aéronefs, la France applique des règles qui se situent au moins au niveau de celles de l'OACI, voire
au-dessus.
Qu'est-ce que ce standard FCL1 et comment l'appliquons-nous ?
Ce standard FCL1 couvre l'ensemble des règles applicables à la
formation, aux examens théoriques et pratiques et à la délivrance des licences, y compris jusqu'au format des licences. Sur la base de ces textes, notre
administration délivre des agréments aux écoles de formation.
Ces agréments sont subordonnés à des critères d'organisation et de
moyens humains et matériels. Nous agréons également le contenu des cours, les systèmes qualité et les procédures des écoles. Nous devons aussi vérifier la
viabilité financière des entreprises que nous agréons. Il y a un agrément initial, suivi d'un ensemble d'opérations de surveillance et d'audits visant à
vérifier que toutes les conditions d'agrément continuent à être respectées par les entreprises.
La deuxième grande mission de la DGAC dans ce domaine est
l'organisation des examens aéronautiques théoriques qui sont des examens d'Etat sous forme d'épreuves écrites, se déroulant dans plusieurs centres, en
métropole et outre-mer.
Nous avons aussi la responsabilité de l'organisation des examens
pratiques, c'est-à-dire des tests sur avions ou sur simulateurs. Ils sont fort nombreux, puisque des épreuves sont prévues pour chaque délivrance et pour
chaque prorogation de qualification ou de licence. Cette phase fait donc appel à un nombre important d'examinateurs gérés par la DGAC. Le FCL permet que
l'administration délègue la responsabilité de faire passer ces examens à des examinateurs désignés, extérieurs à la DGAC. Il s'agit de personnes qualifiées et
d'instructeurs exerçant au sein des compagnies aériennes ou des écoles de formation.
Un autre volet de la réglementation concerne la gestion du système
de délivrance des brevets et licences. Aujourd'hui, on compte au total, environ 13 000 licences de pilotes professionnels, ce chiffre incluant les hélicoptères
et même les mécaniciens navigants.
Quelques chiffres : il existe, en France, une soixantaine d'écoles
agréées pour la formation de pilotes professionnels, dont vingt-cinq se consacrent à la formation initiale
- ce qu'on appelle les FTO (Flying training organisation), vingt-neuf sont des TRTO (Type rating training organisation), c'est-à-dire des
organismes de formation aux qualifications particulières, qui sont souvent associés à des compagnies aériennes ou à des avionneurs pour des types d'avions
donnés. Il y a aussi huit organismes un peu particuliers qui sont des FTO limités à la formation théorique, c'est-à-dire des organismes qui travaillent en
partenariat avec un autre organisme pour le reste de la formation.
En complément de la réglementation FCL relative à la délivrance des
licences, il faut également signaler la réglementation que nous appelons OPS, qui concerne les opérations et qui s'adresse aux opérateurs et aux compagnies
aériennes. Elle définit un certain nombre d'obligations liées à l'agrément des compagnies aériennes et à la délivrance du certificat de transporteur aérien et
notamment la formation continue des personnels navigants professionnels des compagnies aériennes.
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Je ne reviendrai pas sur la partie
réglementaire présentée par mon collègue. Pour éclairer le débat, il faut bien faire la différence entre la formation dispensée par les écoles, et la formation
incombant aux exploitants.
La première comprend la formation théorique qui suit les règles JAA,
puis la formation pratique, qu'on appelle très souvent la formation de base, c'est-à-dire, en réalité, l'apprentissage de la fonction de pilote et la
qualification type, c'est-à-dire une qualification correspondant à l'appareil sur lequel on va voler avant de rejoindre une compagnie.
Le second type de formation incombe beaucoup plus à l'exploitant et
correspond à la phase d'adaptation en ligne, qui se termine par la phase de formation continue, de maintien de compétence, et ce qu'on appelle la phase
« d'entraînement et de contrôle périodique des équipages ».
Autre élément : il faut savoir que l'entrée dans le système JAA a
été, pour la France, un changement de culture vraiment profond. Nous sommes passés, avec les JAA, à une culture beaucoup plus anglo-saxonne. Cette culture a eu
l'avantage certain d'obliger la France à formaliser les choses.
Mme la Présidente : Ce n'était quand même pas, auparavant, une
tradition orale ? Rassurez-moi !
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Non, tout de même pas, soyez rassurée !
En revanche, je n'ai pas le sentiment que l'entrée dans le système
JAA ait beaucoup amélioré le fond même de la formation en France.
M. Jean BARIL : Je remercie mes collègues d'avoir fait une
aussi bonne présentation de ce que doit refléter une autorité nationale au sein des JAA.
J'ai été à la fois heureux de venir ici et en même temps un peu
préoccupé que l'on présente certains éléments au hasard en les extirpant du contexte. C'était pour éviter cet écueil que le système JAA a créé un concept
extrêmement complet, détaillé, et interconnecté. Les connexions sont toujours très importantes dans la formation. C'est un concept complet qu'il ne faut pas
séparer en petits morceaux.
Pour le reste, les JAA sont, en effet, une sorte de club,
d'engagement des autorités nationales. Il ne suffit pas de dire « j'aimerais bien y participer », il y a des procédures de standardisation. Cela veut
dire qu'avant d'être reconnu, il faudra d'abord se familiariser avec les JAA. On acceptera le candidat comme membre à part entière, après un vote, et avec des
procédures détaillées et sérieuses. Il faut donc montrer beaucoup de professionnalisme pour passer ce filtre et rejoindre cet organisme où prévaut la règle de
la mutuelle reconnaissance.
La mutuelle reconnaissance répond en partie à quelques-unes de vos
questions car pour en bénéficier, nous devons suivre préalablement des procédures de standardisation extrêmement détaillées et complètes qui donnent lieu à des
rapports et à des réunions. Cela veut dire qu'une reconnaissance mutuelle entre les Etats membres des JAA ne peut se faire que lorsque les licences, les
qualifications, les autorisations, les approbations et les certificats obtenus sont déclarés conformes aux critères pré-établis. La liste comporte des pays
comme la Belgique, la République Tchèque, le Danemark, la Finlande, la France, l'Allemagne, l'Islande, l'Irlande, Malte, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal,
la Slovénie, l'Espagne, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni, la Grèce, l'Italie et la Roumanie. La procédure d'adhésion est un vrai travail de fourmi et ce
travail est effectué pour chaque pays candidat. C'est ce qui permet ensuite -normalement - d'accepter les licences, les autorisations et les qualifications des
pays membres, sans autres formalités.
Dans la pratique, il y a peut-être encore des atermoiements, des
imperfections, mais le système des JAA débouche, malgré tout, sur un standard assez appréciable et assez professionnel.
Mme la Présidente : Je propose de lancer le débat en vous
demandant si la différence de statut privé/public des écoles a des incidences sur la qualité de la formation. Y a-t-il des disparités ? Ceux qui la dispensent et
ceux qui la « subissent » peuvent peut-être répondre à cette question ?
Il y a aussi la question du numerus clausus, puisque l'on
sait qu'il y a de nombreux pilotes sans travail.
M. Denis APVRILLE : Je représente une école publique. Sur les
différences de formation, la réponse résulte de l'exposé réglementaire qui a été fait, puisque la réglementation et l'agrément par l'Etat s'appliquent à toutes
les écoles. Toutes doivent respecter des programmes qui couvrent un certain nombre de matières décrites dans la réglementation FCL.
Cent quarante heures minimum sont imposées. On peut en faire plus ou
moins mais la différence joue sur quelques dizaines d'heures de vol. Par contre, ce qui peut jouer sur la formation, c'est surtout ce que va demander le
client. En ce qui concerne le SEFA - mais c'est valable aussi pour l'EPAG - le gros employeur français est Air France, et nous avons des retours d'expérience
assez importants avec cette compagnie cliente, qui permettent de recaler, ou pas, un certain nombre de formations.
Les différences de formation portent éventuellement sur les manières
de faire, sur les méthodes, mais absolument pas sur les programmes, parce qu'ils sont imposés par la réglementation. Elles peuvent éventuellement résulter
également des modes de sélection. Mais là aussi, les méthodes sont relativement connues et suivies, notamment en matière de facteurs humains. C'est le cas, par
exemple, pour les sélections à l'entrée. Ainsi, le concours de l'ENAC prévoit des tests psychotechniques et des tests psychologiques permettant de vérifier si
la personne aura le comportement qui convient pour le métier de pilote, notamment pour le travail en équipage. Ce n'est pas une science exacte, bien entendu,
et il y a parfois des échecs en cours de formation, mais cette méthode permet de bien sélectionner.
Au sujet du numerus clausus, le nombre de postes proposés au
concours ENAC a énormément varié dans le passé. Il y a eu des années où l'on proposait plus de 100 postes et d'autres où l'on n'en proposait aucun. Il n'est
jamais très bon de faire ainsi des aller et retour. Une stabilisation s'observe, depuis quelques années, autour de 45 à 48 élèves par an, ce qui permet d'avoir
des instructeurs permanents employant les bonnes méthodes. C'est une garantie de qualité dans notre école et il revient aux employeurs de dire si c'est trop ou
pas assez.
M. Didier GUY : Je voudrais dire que l'EPAG, qui est une école
privée, et le SEFA, ont, en matière de formation initiale des pilotes, des activités extrêmement voisines et parallèles, qui respectent la réglementation, comme
toutes les écoles de pilotage. Cette réglementation est un minimum défini par l'Etat, une condition d'homologation censée apporter le niveau de sécurité
nécessaire.
Par contre, le contenu de la formation, au-dessus de ce minimum,
varie en fonction du savoir-faire des écoles, de la clientèle des écoles et des exigences plus ou moins grandes de leurs clients. Les écoles qui comptent des
compagnies aériennes parmi leurs clients ont, en général, des exigences particulières, qui vont au-delà de la réglementation et offrent sans doute des
prestations différentes de celles fournies à un pilote qui va devoir trouver sa voie tout seul, et peut-être péniblement à travers des emplois successifs.
M. Christian MÉNARD : J'aimerais connaître le contenu de la
formation initiale, ainsi que la durée des études, et les critères retenus. On a également parlé de test psychotechnique, ce qui est important. Pourriez-vous
nous dire quel est le taux d'échecs aux examens ?
M. Didier GUY : Une formation complète, concernant quelqu'un
qui n'a a priori aucune connaissance en aéronautique et qui va, à l'issue de sa formation, entrer dans une compagnie aérienne comme Air France pour être
formé sur un A 320 et ensuite voler en ligne, va pouvoir se dérouler de façon intégrée, c'est-à-dire à temps plein, sur à peu près deux ans.
Il est aussi possible d'accéder au même poste après une formation
modulaire qui consistera à acquérir les mêmes licences et les mêmes compétences, mais petit à petit, par étapes successives.
S'agissant de la formation intégrée en deux ans, très grossièrement,
il y aura une petite année de formation théorique avec un minimum réglementaire de 750 heures de cours, ce qui veut dire à peu près neuf mois de formation
théorique à temps plein. L'organisation précise peut varier, c'est-à-dire qu'on peut décider de ne pas faire un temps plein et mélanger la formation théorique
à la formation en vol, mais c'est du détail, du savoir-faire dépendant de chaque école.
Ces 1 000 heures de cours de formation théorique débouchent sur un
examen de quinze épreuves, quatorze sur des matières techniques, plus une épreuve d'anglais. Ces quatorze épreuves, vous pouvez l'imaginer, traitent de
réglementation, de météorologie, de navigation, de connaissance des avions, de procédures opérationnelles, de toute la connaissance théorique, et de la culture
nécessaires à l'exercice du métier de pilote.
La formation pratique va s'appuyer sur des outils pédagogiques qui
sont des petits avions et des simulateurs, le genre d'avions qu'on trouve en aéroclub et des avions à peine un peu plus gros. Vous pourrez disposer d'un petit
monomoteur, sur lequel vous apprendrez les bases du maniement d'un avion : d'abord un petit monomoteur, parce que c'est simple et parce que ce n'est pas trop
cher, et ensuite vous passerez sur des avions plus complexes qui vont permettre des vols « aux instruments ». Puis vous volerez sur des avions bimoteurs, parce
que la dissymétrie et la complexité sont des éléments importants, tout ceci s'accompagnant assez vite de l'utilisation de simulateurs. Il ne s'agit pas des
simulateurs extrêmement sophistiqués, complexes et coûteux, qu'on trouve dans les compagnies aériennes et qui servent à la formation très fine sur l'avion de
ligne. Ce sont plutôt des entraîneurs au vol, et même s'ils sont de plus en plus sophistiqués, ce sont en général des engins fixes, qui ne vont pas simuler les
mouvements de l'avion, mais qui ont, par contre, un visuel complètement enveloppant, qui augmente l'efficacité de la formation au vol.
La fin du cursus porte sur une formation au travail en équipage qui
se fait aujourd'hui sur un simulateur, relativement sophistiqué mais, en général, également fixe.
M. le Rapporteur : Quel est le coût de cette formation et
comment ce coût est-il assumé ?
M. Didier GUY : La formation complète, non comprise la
qualification de type qui ne se fait pas à l'EPAG, est de l'ordre de 100 000 euros pour les deux années.
Comment ce coût est-il financé ? Dans une école privée, le client
paiera la formation. Il s'agit, soit de la compagnie aérienne qui nous envoie les candidats, soit du stagiaire, lui-même, qui entreprend une formation à titre
individuel dans le but de chercher, ensuite, un emploi avec les licences de base en poche.
Puisqu'on parle des coûts, et en réponse à la question que vous avez
précédemment posée sur la différence entre écoles privées et écoles d'Etat, je dirai que l'EPAG en tant qu'école privée - comme les autres écoles privées
d'ailleurs - présente une grande faiblesse par rapport à une école d'Etat. Elle risque de disparaître beaucoup plus rapidement si elle n'équilibre pas ses
comptes. En revanche, on peut penser qu'une structure privée a souvent une meilleure capacité d'adaptation. C'est la contrepartie positive de la menace
financière permanente qui pèse sur elle.
M. Bernard CHÉGNION : Je voudrais préciser qu'Air France
pratique quatre types de recrutement, parce qu'elle souhaite assurer la diversité de son recrutement, pour deux raisons : premièrement, le fait d'avoir des
pilotes qui ont des formations d'origine diverses est un enrichissement professionnel et, deuxièmement, nous devons maîtriser nos recrutements, et lorsqu'une
source se tarit, nous devons pouvoir actionner d'autres leviers.
Nos quatre sources de recrutement sont les militaires sortant de
l'Armée de l'air, les professionnels des compagnies aériennes qui souhaitent entrer à Air France, les élèves de l'Ecole nationale de l'aviation civile et de ce
que nous appelons nos « formations cadets », c'est-à-dire les élèves que nous formons nous-mêmes, à partir de zéro, pour en faire des copilotes sur A 320.
Nous voyons très bien la différence entre les élèves qui sortent du
SEFA et ceux qui sortent de l'EPAG, notre fournisseur principal en formation initiale étant l'EPAG, mais cette différence n'est pas fondamentale parce que les
objectifs de formation sont quasiment les mêmes.
Le coût d'une formation ab initio, pour la compagnie
aérienne, c'est-à-dire celle des cadets que nous confions à l'EPAG, est actuellement de 200 000 euros pour Air France, 105 000 euros pour la formation initiale
à l'école de pilotage, 40 000 euros pour la formation qui se fait ensuite dans notre centre de formation pour donner aux élèves pilotes l'expérience du vol sur
réacteur, puis les méthodes de travail en usage à Air France, et ensuite 55 000 euros couvrant la rémunération du stagiaire pendant sa formation. Cette
rémunération fait l'objet d'un remboursement de la part du stagiaire qui est de l'ordre de 50 000 euros, restitués pendant les cinq premières années de sa
carrière. La formation d'un pilote cadet s'élève donc, au total, à 150 000 euros pour Air France.
M. Jean-Louis BERNARD : Entre les pilotes issus du milieu
militaire qui ont piloté des Transal, des Hercules ou des ravitailleurs américains et l'élève que M. Guy forme entièrement, la formation doit probablement être
un peu différente, de même que le coût financier ?
Une question connexe : parmi les commandants de bord et les membres
de l'équipage, quel est actuellement - par exemple dans une compagnie comme Air France - le pourcentage des équipages issus du milieu militaire ou purement du
civil ?
Et je poserai une autre question sur la formation des équipages et
des pilotes : est-il possible d'avoir des précisions sur le suivi médical des équipages, notamment sur la fréquence et la nature des examens physiques,
biologiques, radiologiques, auditifs, ophtalmologique ? Mme la Présidente a parlé tout à l'heure d'erreur humaine et on nous a dit que dans tout accident, il y
avait toujours un homme ou une femme devant ou derrière la machine et que, par conséquent, quelle que soit la cause, l'erreur humaine est présente à 100 % dans
un accident.
M. Gérard PIC : Avant de vous répondre, j'aurais voulu revenir
un peu sur les écoles et sur la formation des pilotes. Je représente les écoles privées en dehors de l'EPAG, qui est une école privée à statut un peu spécial et
qui, en plus, a le marché d'Air France pour la formation des cadets. Je représente moi-même des écoles privées classiques qui ont été agréées par
l'administration. Je voudrais quand même vous dire que ces écoles ont formé et continuent à former 75 % des pilotes qui sont aux commandes des avions dans
lesquels vous volez. Il faut le savoir. Il n'y a pas que les formations cadets, il n'y a pas que les formations ENAG, il y a aussi les formations autodidactes de
gens passionnés qui veulent faire de l'aviation et qui vont se former dans ces écoles, à grands frais, sans être envoyés par les compagnies.
Je ne vois pas comment on peut mettre en doute la qualité de ces
formations, puisque ces écoles sont agréées et que ces personnes passent les mêmes examens que les autres : même examen théorique, mêmes tests en vol et même
examen pratique.
J'ajoute que certaines questions de votre questionnaire m'ont un peu
heurté car elles parlent de différence de formation dans les petites écoles. Il n'y a pas, pour moi, de petites écoles et de grandes écoles. Elles sont
peut-être différentes par leurs structures et peut-être par leurs moyens, mais je ne peux pas accepter que l'on parle de différence de qualité des services
rendus, sauf à mettre en cause l'administration en disant qu'elle est laxiste, puisque c'est elle qui délivre les agréments.
Mme la Présidente : Vous dites que les petites écoles sont
aussi bonnes que les grandes écoles. Ne faisons pas de procès d'intention et demandons ce qu'en pensent ceux qui utilisent ces écoles, qui sont au bout de la
chaîne et qui sont confrontés à des problèmes en vol. Cette formation est-elle suffisante ? Comporte-t-elle des carences ?
Je voudrais aussi qu'on revienne au problème des pilotes qui se sont
endettés pour se former et qui restent sans travail. La question du nombre de pilotes en formation se trouve ainsi posée.
M. Philippe RAFFIN : Je voudrais d'abord rappeler que le
transport aérien reste le moyen de transport le plus sûr - c'est une réalité qu'il faut prendre en compte -, et que le niveau de sécurité dans ce secteur
d'activité repose essentiellement sur quatre paramètres qui sont l'expérience des compagnies aériennes, le contexte opérationnel dans lequel elles évoluent - à
titre d'exemple, 3 % des vols qui se font en Afrique représente 28 % des accidents -, la qualité de la maintenance - c'est un paramètre fondamental - et la
formation du personnel navigant.
Il faut aussi rappeler que ce secteur d'activité, de la volonté même
du législateur, est soumis à une concurrence très forte du fait de la dérégulation. Contrairement à une entreprise comme Renault qui produit des voitures et
qui les stocke quand elle ne les vend pas, une compagnie aérienne vend des sièges qui sont perdus quand ils ne sont pas vendus. Les chiffres d'affaires sont
monumentaux et les marges bénéficiaires extrêmement faibles.
Quand on aborde le problème de la sécurité aérienne, il faut donc se
poser la question de ce que font les compagnies aériennes par rapport aux coûts fixes. Je pense à la flotte, au carburant, à la maintenance des avions et à la
formation des équipages.
J'entends, ici, tout le monde se donner un satisfecit sur la
formation. Il est vrai qu'on peut plutôt être satisfait de la formation dispensée en France mais, pour améliorer la sécurité à bord de nos avions, il faut que
les contrôles exercés sur les grandes compagnies aériennes comme Air France, KLM, Lufthansa ou British Airways, par chacune des autorités nationales de
tutelle, s'exercent également sur les compagnies plus petites, qui, à l'évidence - parce que la pression économique est très forte - n'ont pas les moyens de
mettre en place des cursus de formation comme ceux d'Air France.
Pour répondre à la question de M. Bernard sur la différence entre la
formation des pilotes militaires et des pilotes civils, j'ai eu la chance de commencer ma carrière dans l'Armée de l'air et de faire onze ans d'aviation de
chasse. Au risque d'être un peu caricatural, je dirai qu'un pilote de chasse est quelqu'un qui n'est pas du tout payé cher, tout en ayant un domaine de vol
très large, bien plus large que celui de l'avion de ligne. En conséquence, la formation repose essentiellement sur des heures de vol et sur l'acquisition d'une
expérience. En gros, on fait beaucoup de pratique et assez peu de théorie. Un pilote de ligne civile est quelqu'un qui est payé beaucoup plus cher pour garder,
en permanence, 30 % de marge par rapport au domaine de vol de l'avion.
M. Jean-Louis BERNARD : Ne demande-t-on pas maintenant des
heures de vol pour devenir pilote de chasse : 180 heures sur les transporteurs ?
M. Pierre BAUD : En effet, mais il faut distinguer la formation
des pilotes de chasse et celle des pilotes militaires de transport. Le problème du pilote de Mirage 3 est de mettre un missile au but, et ce pilote - certes mal
payé - va jusqu'au bout de son avion. En revanche, je peux vous assurer que la formation des pilotes militaires qui font du transport aérien sur Transal ou sur
Hercules, et qui passent par le SIEC33
de Toulouse, est très similaire à celle des pilotes de ligne, et que les notions de marge de 30 %, de travail en équipage sont tout autant mises en exergue que
dans une compagnie aérienne.
Clairement, les pilotes d'avions de transport militaires reçoivent,
à mon avis, la meilleure des quatre formations - militaire, professionnelle, ENAC et formation cadets. Ils sont, selon moi, au « top niveau » de la profession.
Mme la Présidente : Avis d'expert !
M. Pierre BAUD : Venant d'un constructeur d'avions, je vois des
gens déjà très largement expérimentés et mon jugement s'en trouve naturellement influencé dans une discussion qui concerne essentiellement les formations ab
initio et la formation des jeunes équipages.
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Pour poursuivre sur ce que vient de
dire M. Baud, il faut quand même signaler l'évolution récente de la formation des pilotes militaires qui viennent de faire le choix de passer des examens
théoriques et pratiques civils au début de leur formation, ce qui n'était pas le cas auparavant. C'est-à-dire qu'ils ont pris conscience qu'ils vivent dans le
même ciel que nous, et ils ont, en conséquence, pris l'option de passer les examens civils des JAA.
De la même manière, concernant les visites médicales, en dehors de
la visite d'admission qui est très sévère, les pilotes civils et militaires passent, tout au long de leur carrière, des contrôles médicaux annuels jusqu'à 40
ans, et au-delà de 40 ans, ils passent des visites tous les six mois.
M. le Rapporteur : Quel est le contenu de ces visites ?
Mme la Présidente : Ces visites sont-elles un peu aléatoires
comme les révisions d'avions ou les contrôles en escales ?
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Non, il y a, pour ces visites, des
médecins et des centres médicaux civils et militaires agréés. Ces centres médicaux sont très peu nombreux : cinq, en France, qui font passer des visites
médicales très spécifiques, adaptées à ces professionnels.
M. Jean-François BUFFAT : Au sujet de la formation des pilotes
militaires, j'ajoute que, parmi les 25 organismes de formation initiale que j'ai cités tout à l'heure, nous avons quatre organismes agréés de formation pour les
militaires et que nous avons des relations très étroites avec la Défense pour que les formations et les licences délivrées à ces pilotes puissent être
directement employées quand ces pilotes quittent l'armée et se retrouvent sur le marché de l'emploi.
Concernant le contrôle médical des pilotes professionnels, j'insiste
sur le fait que toutes les visites médicales sont faites en centre médical et non pas chez un médecin agréé. Il n'y a que cinq centres agréés en France, et ce
sont des visites médicales relativement approfondies. Ce ne sont pas des « visites d'escale », pour reprendre les propos de Mme la Présidente.
M. le Rapporteur : Peut-on vous demander des chiffres sur ces
visites ? Combien de pilotes voyez-vous par an et combien sont jugés inaptes, toutes raisons médicales confondues ?
M. Pierre BAUD : Tout le monde a ici des exemples de gens...
M. le Rapporteur : Je ne demande pas d'exemples, je demande des
chiffres.
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Tous les pilotes sont soumis à ces
visites.
M. Pierre BAUD : Approximativement 6 000/6 500 pilotes
professionnels passent des visites tous les ans.
M. le Rapporteur : Et combien sont-ils jugés inaptes pour
raisons médicales, toutes raisons médicales confondues ?
M. Serge MARTINEZ : C'est couvert par le secret médical. Ces
visites médicales se passent dans des centres agréés par l'Etat. Les JAA ont permis une évolution des critères d'aptitude médicale, d'abord pour entrer dans la
profession et après, pour la surveillance du maintien de l'aptitude. Les conditions de surveillance et de renouvellement des aptitudes prennent en compte le
vieillissement de l'individu et c'est bien ainsi. Je regrette que le CEMAC34,
qui est l'organisme de tutelle qui organise ces visites médicales, ne soit pas représenté ici.
En France, la plupart des pilotes, au-delà de 40 ans, passent deux
visites par an : une tous les six mois. Cette visite, pour la comparer aux visites normales en entreprises, ne dure pas quinze minutes, mais une matinée en
règle générale, donc à peu près trois heures. Le pilote voit pendant cinq à quinze minutes un médecin spécialisé dans chaque spécialité médicale, ce qui donne
une idée du sérieux de ces visites médicales.
M. le Rapporteur : La question est simple et ne relève ni du
secret d'Etat ni du secret médical. Sur 6 500 visites, combien de pilotes sont-ils jugés inaptes ?
M. Serge MARTINEZ ou M. BAUD ? : Il y a rarement une inaptitude
définitive, mais souvent une inaptitude partielle.
M. Bernard CHÉGNION : Parmi les quatre sources de recrutements
pratiquées chez Air France, il y en a deux avec lesquelles nous n'avons aucun problème, c'est la formation du SEFA et la formation cadets, parce que ce sont des
pilotes que nous prenons ab initio, que nous structurons complètement, dont nous maîtrisons complètement le cursus, et qui répondent parfaitement aux
objectifs opérationnels de la compagnie.
De même, nous n'avons aucun problème avec les militaires issus du
transport militaire, parce que leur métier est pratiquement celui de pilote de ligne. Ils savent travailler en équipage et la transformation est donc très
facile. Quelques problèmes peuvent, en revanche, apparaître avec des pilotes qui sortent de la formation de chasse, parce qu'ils sont habitués à travailler
seuls en prenant leurs décisions seuls. Ce sont de très bons pilotes, excellents manoeuvriers, mais ils doivent prendre en compte le fait qu'ils ont à
travailler en équipage. Mais les formations militaires ne posent aucun problème d'une façon générale.
Par contre, on peut avoir des difficultés avec des pilotes qui ont
des formations acquises individuellement, dans des conditions probablement moins structurées que les formations délivrées à nos pilotes cadets.
Je précise que la formation d'un cadet dure 27 mois. Ces 27 mois
comprennent 19 mois de formation en école, 3 mois de préformation à la compagnie - pilotage réacteur et travail en équipage -, 2 mois pour la formation de
qualification sur un type d'avion, et enfin 4 mois sur la formation en ligne pour acquérir la pratique nécessaire dans le cadre opérationnel. Pour un pilote
militaire, cette formation est réduite à 8 mois avec une préformation de l'ordre de 2 mois, suivie, comme le pilote cadet, d'une formation de qualification
type, et d'une formation en ligne qui sera un peu plus courte. La formation totale va donc durer de 6 à 8 mois.
Mme la Présidente : Je crois que nous sommes maintenant bien
informés sur les cursus de formation. Je voudrais qu'on en tire des conséquences en termes de compétence et d'incidence sur les problèmes de sécurité.
M. Philippe RAFFIN : Pour répondre à la question relative aux
examens médicaux, je reviens à ce que je disais tout à l'heure : la pression économique sur les compagnies aériennes est très forte. Or, une journée
d'immobilisation de pilote est très coûteuse. Pour Air France, par exemple, la visite médicale annuelle, voire biannuelle, de ses 4 000 pilotes coûte très cher.
La tendance instaurée par le législateur d'aller dans le sens du
moins-disant - nos collègues anglo-saxons ont des normes qui sont peut-être un peu moins sévères que les nôtres - fait que ces visites médicales, avec le
temps, sont de plus en plus superficielles. J'en veux pour preuve mon propre cas. J'ai 43 ans et je passe deux fois par an la visite médicale. J'arrive à
7 h 45 pour les premiers examens sanguins et biologiques, et ma visite est terminée à 9 h 30, après avoir vu cinq spécialistes.
Mme la Présidente : Ce n'est pas ce qu'on appelle de la
médecine lente.
M. Philippe RAFFIN : Il y a quelque temps encore, à chaque fois
qu'on allait voir l'ophtalmologue, on passait une batterie de tests et on ne voyait l'ophtalmologue qu'ensuite. Aujourd'hui, la batterie de tests n'a lieu qu'une
fois sur deux.
Mme la Présidente : Ceux qui ont travaillé en entreprise et qui
ont suivi pendant des années des examens médicaux savent ce qu'il en est. On appelait cela le « médecin des chèvres » ! Mais je ne crois pas qu'il en soit de
même pour les examens médicaux des pilotes. Toutefois, il est intéressant de savoir si l'on va au bout de la logique et si vous pensez que la sécurité, à la fois
du pilote - puisque c'est sa santé - et des citoyens qu'il transportera, n'est pas en jeu.
M. Jean BARIL : Je comprends tout à fait votre inquiétude, mais
je voudrais en même temps vous rassurer. Parmi les normes JAA, il y a le FCL3 qui concerne le médical. C'est un document extrêmement complet et détaillé sur ce
que doit être une visite médicale et sur ce que sont les problèmes médicaux, dans leur généralité. Il y a aussi des visites de standardisation et de
reconnaissance, puis une reconnaissance mutuelle des différents centres médicaux dans chaque pays. Les outils existent donc bel et bien au niveau de la
réglementation.
Par ailleurs, je suis un peu surpris de ce que je viens d'entendre.
A une époque, je passais des visites médicales à Toulon qui prenaient effectivement du temps, non pas parce qu'on était examiné pendant toute la matinée, mais
parce qu'il fallait attendre son tour.
Encore une fois, le processus de standardisation est extrêmement
précis.
Mme la Présidente : M. Martinez doit avoir une expérience. Il a
vécu et vit peut-être toujours ce genre de visites ?
M. Serge MARTINEZ : Il ne faut pas faire de confusion : on ne
parle pas de médecine du travail. Nous passons également des visites de médecine du travail, ce qui n'a strictement rien à voir. Le problème de la médecine du
travail est connu en France, c'est un problème général, mais qui ne concerne pas notre aptitude de pilote. Le médecin du travail n'est pas compétent pour dire si
je suis apte ou non à voler. Il a juste la compétence pour dire si je suis apte ou non à aller travailler. Mon aptitude de pilote n'est appréciée que dans un
centre agréé.
Pour revenir à la formation générale, il y a quatre façons de
devenir pilote : la façon initiale militaire, la voie ex-royale qui était l'Ecole nationale d'aviation civile, les systèmes de sponsoring ou de cadets comme
l'a expliqué M. Chégnion d'Air France, et il y a le reste du monde, c'est-à-dire les autodidactes qui décident de choisir cette profession et qui financent
eux-mêmes leur formation.
Vous avez parlé de tradition orale, Mme la présidente et vous
n'étiez pas très loin de la réalité. Il faut avoir le courage de dire qu'avant la formalisation exacte des cursus de formation, quand vous alliez dans une
école, vous pouviez tomber sur un instructeur expérimenté ou sur un instructeur moins expérimenté. Bien que le cursus fut sanctionné par un diplôme d'Etat
identique, quelle que soit l'école de formation, vous aviez des niveaux très aléatoires. Etaient-ils suffisants ? La mission pourrait se poser la question. Ils
étaient, en tout cas, suffisants pour avoir l'examen.
Aujourd'hui, on ne peut pas dire que le pilote qui a suivi une
formation d'Etat ou la formation de cadet chez Air France ou celle de Lufthansa ou British Airways, a très exactement la même formation que celui qui
auto-finance sa formation. La raison en est que le delta est à peu près de 50 % dans les moyens mis en _uvre. L'un visera le minimum nécessaire, puisqu'il
finance lui-même sa formation, l'autre bénéficiera des exigences du donneur d'ordre, en l'occurrence la compagnie ou l'Etat qui définit le niveau nécessaire,
non pas pour avoir l'examen mais pour exercer ensuite au sein de son entreprise. Il faut avoir le courage de dire que le niveau est différent.
Mme la Présidente : Cela veut-il dire qu'il y aura une
différence entre le pilote d'une grande compagnie et celui d'une petite compagnie ?
M. Serge MARTINEZ : Non, pas nécessairement, parce que, dans
les petites compagnies, il peut y avoir des pilotes issus du cursus d'Etat, de l'ENAC, et il peut également y avoir, au sein d'Air France, des pilotes issus de
la formation générale, les 75 % qui se sont payé les formations nécessaires à l'accession à la profession.
La grande différence a été dite : lorsque Air France ou l'Etat
décide d'envoyer un pilote en formation, il fait passer toute une batterie de tests permettant d'évaluer les compétences générales, la capacité d'évolution de
l'individu, sa capacité à évoluer au sein d'un équipage, ses compétences en général sur l'anglais et sur un certain nombre de sujets. Le stagiaire ne bénéficie
de la formation que lorsque ces fondamentaux ont été vérifiés.
Lorsqu'il s'agit de s'autofinancer, l'élève suivra l'intégralité de
sa formation, et c'est ensuite qu'il essaiera de prouver à son futur employeur qu'il a les pré-requis. C'est totalement différent.
Que deviennent ces gens qui se forment mais qui n'ont pas les
pré-requis pour accéder à la profession ? Ils vont échouer à gauche ou à droite dans diverses compagnies, ou même ne pas pouvoir exercer leur profession et se
retrouver souvent très endettés et en situation d'échec.
M. Jean-Pierre TRIMAILLE : On ne peut pas laisser dire cela !
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Pour clore le débat sur les visites
médicales, nous essaierons de vous fournir les chiffres d'échecs annuels sur les cinq dernières années, par l'intermédiaire des services médicaux agréés.
Je voudrais quand même dire que je connais très peu de professions
dans lesquelles on passe des visites médicales d'une manière aussi régulière, aussi complète et précise, quoi qu'en disent certains de mes collègues, même s'il
y a, peut-être, quelques dérapages comme ils l'ont dit, mais je n'en ai, moi-même, jamais connus.
Pour vous rassurer, tous les pilotes ici présents considèrent que
cette visite médicale, tous les six mois, au-delà de 40 ans, ou tous les ans avant cet âge fatidique, est un couperet dont dépend l'exercice de leur
profession.
M. Gérard PIC : Je suis horrifié de ce que je viens d'entendre
de la part de M. Martinez. Je ne peux pas laisser dire cela. J'ai passé ma vie à former des pilotes que je retrouve dans les avions, entre autres ceux d'Air
France, mais pas seulement. On ne parle que de cette compagnie mais il y en a d'autres qui, malheureusement, n'ont pas pu résister.
Je ne peux pratiquement pas prendre un avion de ligne, entre autres
d'Air France, sans retrouver un des élèves autodidactes de nos écoles privées qui, soi-disant, ne seraient pas très bien formés, par rapport aux autres. Sur
les 4 000 pilotes d'Air France, combien y a-t-il de pilotes issus de l'ENAC et des cadets ? Qui sont les autres ? Ce sont bien nos pilotes.
Ces pilotes ont effectivement payé leur formation, ils ont été au
minimum, c'est-à-dire qu'ils ont obtenu leur licence et leur brevet correctement, mais il est vrai qu'ils n'ont pas eu la chance de bénéficier des avantages
fournis par la compagnie, mais cela ne veut pas dire que ce sont de mauvais pilotes. Ils se sont formés dans d'autres petites compagnies et les petites
compagnies se sont investies pour les former. Ils ont gravi les échelons. Beaucoup de pilotes d'Air France provenant de nos écoles, qui sont déjà à la
retraite, nous ont envoyé leurs enfants pour qu'on les forme. Je ne peux donc pas laisser dire cela.
Mme la Présidente : Je ne pense pas que nous l'ayons perçu
comme ceci.
M. Pierre BAUD : Je n'ai absolument pas pris l'intervention de
M. Martinez comme une critique de la qualité de la formation des pilotes privés. En revanche, je voudrais insister sur le fait qu'il y a, en dehors des pilotes
d'Air France, des pilotes qui ont non seulement la vie dure, mais qui ont suivi leur formation dans des conditions que je pourrais qualifier de « chaotiques ».
Ces gens-là veulent être pilotes, c'est leur passion mais, pour financer une formation, ils n'ont pas d'autre possibilité que de recourir à l'aide de leur
famille ou de s'endetter ab initio.
Il y a deux possibilités : ou bien ils font cette formation en
France, et dans ce cas, ils payent la TVA sur l'essence, les taxes, etc., ou alors ils font leur formation en Angleterre parce qu'elle coûte moins cher, tout
en ayant une qualité qui ne semble, a priori, pas extrêmement différente de celle qu'on dispense en France. Mais une fois cette formation ab initio
acquise, ils ne peuvent rien faire sans un Typrating, c'est-à-dire une qualification de type.
Je les ai souvent vus en tant que patron du centre de formation
d'Airbus parce qu'ils venaient me voir : « M. Baud, n'avez-vous pas un trou ici, ne pouvez-vous pas me faire des prix ? ». J'essayais mais
malheureusement sans grand succès. Une qualification A 320 coûte globalement, en tirant les prix, 40 000 euros minimum, qui s'ajoutent aux 100 000 ou 65 000
euros dépensés pour la formation en école...
Voici donc des jeunes gens de 22 ans qui ont 100 000 euros de
dettes, dès leur entrée dans la vie. Ils sortent de leur formation avec la qualification de type et se présentent dans une compagnie en s'imaginant que toutes
les portes leur sont ouvertes. Mais on leur demande, alors, quelle est leur expérience et on leur répond qu'on ne peut pas les prendre s'ils n'ont pas
150 heures de vol, parce que la qualification de type ne suffit pas, il faut aussi avoir une expérience en ligne.
Si bien que, même avec 100 000 euros de dettes, il y a beaucoup de
jeunes pilotes qui doivent chercher du travail pour avoir ces heures de vol qui vont leur permettre d'entrer dans des compagnies - non pas Air France bien
sûr - mais Star, par exemple, ou des compagnies de ce type qui sont très sérieuses et qui demandent non seulement une formation initiale et une qualification
de type, mais aussi une certaine expérience.
M. le Rapporteur : C'est normal.
M. Pierre BAUD : C'est tout à fait normal. Mais ce que je veux
dire, c'est que la formation des pilotes ab initio délivrée dans les écoles privées a sans doute la même qualité que dans des écoles d'Etat, mais après
cette formation initiale, ils doivent gagner un peu d'argent pour éponger leurs dettes avant de s'endetter à nouveau pour suivre une qualification de type, si
bien que leur formation est hachée.
Il se peut que la compétence s'en ressente au bout du compte mais
cela provient essentiellement du chaos de la formation de ces jeunes qui ne peuvent pas s'endetter d'un seul coup à hauteur de 150 000 euros pour toute leur
formation.
M. Didier GUY : Concernant les coûts de formation en France, il
me semble qu'il faut parler de la formation des pilotes aux Etats-Unis et du système de licence de la FAA35.
C'était d'ailleurs une des questions qui nous ont été adressées. Il s'agit d'un élément très important du point de vue économique et du point de vue des
répercussions sur la sécurité. Nous avons parlé de systèmes réglementaires tendant à s'harmoniser ou à se reconnaître mutuellement en Europe. Il en résulte que
ce que peut décider n'importe quel Etat européen a des implications sur la situation de n'importe quel autre Etat européen.
Pour être concret, Air France a choisi, aujourd'hui, de former ses
pilotes en France à l'EPAG. Demain, la compagnie pourrait choisir de former ses pilotes en Lituanie. Je prends l'exemple de la Lituanie parce que les pays
d'Europe du nord ont, par tradition, beaucoup plus d'ouverture et de bienveillance envers le système américain. Le risque, en agrégeant des systèmes différents
- et le système américain est fondamentalement différent du système français -, et en prenant des morceaux de réglementation dans des systèmes différents, est
de ne pas atteindre une parfaite complémentarité du point de vue de la sécurité.
Je suppose que le niveau d'un commandant de bord sur un Airbus 340
- pour parler d'un avion que pourrait piloter un pilote américain -, est probablement relativement équivalent à ce stade de la carrière. Par contre, en début
de formation, il est certain que les exigences, les savoir-faire, les étapes, même s'ils portent aujourd'hui les mêmes noms sur le plan réglementaire - le CPL
en chinois veut dire licence de pilote professionnel comme en français -, n'ont pas nécessairement le même contenu.
La poussée vers cette formation composite et cet agrégat, dont il a
été question tout à l'heure, vient de la pression économique. C'est particulièrement vrai pour quelqu'un qui se forme à ses propres frais et qui peut tout
naturellement se poser la question de savoir s'il n'a pas intérêt financièrement à prendre ses premières heures de formation aux Etats-Unis et ses dernières
heures en France, par exemple.
Mme la Présidente : La question se pose-t-elle, alors, d'une
formation au rabais ?
M. Didier GUY : J'éviterai d'utiliser de telles formules et je
n'irai pas jusque là, mais il faut faire très attention à la tendance qui, sous la pression économique, conduit à des agrégations d'éléments composites qui sont
en réalité peu compatibles.
Pour l'éviter, il faudrait peut-être rétablir des conditions de
concurrence plus équitables. M. Pierre Baud citait tout à l'heure le problème de la TVA non récupérable sur le carburant avion. Aux Etats-Unis, on le sait, les
prix sont beaucoup plus bas.
Un autre élément est le prix de l'instructeur. Les instructeurs dans
nos écoles européennes coûtent extrêmement cher pour deux raisons : d'abord parce qu'en Europe, les lois sociales augmentent le coût du travail. Il y a aussi
une raison liée à la méthode car l'instructeur est, en France, souvent expérimenté, voire très expérimenté, alors qu'à l'étranger, il n'anime que des élèves
sortant de leur formation, passant une qualification d'instructeur pour former les élèves de la promotion suivante ou de la promotion N - 2.
Mme la Présidente : Pouvez-vous nous citer des pays ?
M. Didier GUY : Les Etats-Unis. Un instructeur professionnel de
base aux Etats-Unis coûte le prix d'un instructeur bénévole français. Je vous rassure, nous n'employons pas de bénévoles à l'EPAG, sinon je serais en prison,
mais c'est le cas dans les aéroclubs, et un bénévole d'aéroclub est payé en moyenne 10 euros par heure, c'est-à-dire à peu près l'équivalent de 10 dollars qui
est le prix d'un instructeur américain.
On est dans un système techniquement et économiquement complètement
différent.
Je ne veux pas vous faire pleurer sur le sort des écoles privées,
mais il faut comprendre et les difficultés économiques que connaît ce secteur d'activité qu'est la formation initiale et l'éventuelle disparition de ces
écoles, à terme, signifierait aussi la disparition d'un savoir-faire, pas seulement le nôtre, mais aussi celui de tout notre environnement, y compris
l'environnement réglementaire. Si l'administration n'a plus à nous contrôler, à nous homologuer et à nous auditer, comment bâtira-t-elle sa compétence pour
définir ce que doit être une formation de pilote ? C'est aussi un enjeu important pour la sécurité et c'est un sujet sur lequel le législateur pourrait
certainement avoir un rôle très positif, tout particulièrement en France.
M. Alain GOURIOU : Après tout ce qui a été dit sur la formation
privée des pilotes, il me semble que cette formation est au coeur des problèmes que notre mission étudie. A cet égard, j'aimerais que l'on me précise ce que
signifie le « niveau zéro ». Quelle est la formation générale minimale qui permet à un apprenti ou à un aspirant d'entrer dans une de ces écoles privées ?
Exige-t-on le baccalauréat et un minimum de formation en anglais ? Je pense en effet que la maîtrise de l'anglais - dont on n'a pas encore parlé ce soir - est au
c_ur des problèmes de sécurité. Or, on a entendu à plusieurs reprises que dans le contrôle aérien, les pilotes français étaient souvent connus pour la très
mauvaise qualité de leur anglais. J'aimerais savoir quelle est l'importance de l'anglais qui me semble être fondamental dans la pratique du pilotage.
Par ailleurs, combien de candidats font-ils acte de candidature à
cette formation ? Combien en retient-on et combien en sortent avec un niveau que l'on peut estimer satisfaisant ?
Je voudrais également savoir s'il y a des caractéristiques
physiques, physiologiques ou psychologiques que l'on estime incompatibles avec l'activité de pilote et qui se traduisent par l'élimination immédiate des
candidats ? Si oui, lesquelles ?
Dernière question : les compagnies françaises font-elles aujourd'hui
appel à des pilotes étrangers, au titre des équivalences de diplômes dans l'Union européenne ? Et au-delà de l'Union, fait-on appel à des pilotes américains.
Après le 11 septembre, on a beaucoup parlé de ces écoles américaines où, précisément, un certain nombre des pilotes du 11 septembre avaient suivi des
formations aussi rapides que, semble-t-il, efficaces puisqu'elles leur avaient permis d'atteindre leur objectif avec une certaine exactitude.
J'aimerais des réponses courtes et précises sur tous ces points, y
compris chiffrées.
M. Bernard CHÉGNION : A la première question qui concerne la
sélection des pilotes, je citerai le cas d'Air France - et je regrette, encore une fois, qu'Air France soit le seul opérateur ici à s'exprimer -, les candidats à
la formation cadets sont des élèves de lycées et classes préparatoires aux grandes écoles, Maths sup et Maths spé, donc Bac+2, et ils ont entre 20 et 24-25 ans.
Sur environ 2 000 qui se présentent par an, 600 dossiers sont retenus, et sur ces 600 dossiers, le taux de succès à la sélection d'Air France est de 8 %. On
notera d'ailleurs que dans ce taux global de réussite, les filles représentent 10 % des 600 candidats contre 7 % pour les garçons.
La sélection comporte des épreuves de connaissance générale, des
tests psychotechniques et des tests psychomoteurs, ainsi qu'une épreuve de comportement en groupe, et une épreuve d'anglais général.
Cette sélection est faite par deux types d'opérateurs : des
professionnels qui sont des pilotes d'Air France ayant le titre d'opérateurs de sélection et des psychologues.
M. Gérard PIC : Il faut faire une différence entre les critères
d'une compagnie, tels qu'ils viennent d'être exposés pour Air France, par exemple, et les critères généraux pour devenir pilote. Pour devenir pilote, il faut
passer un examen théorique, et donc passer par une école agréée dont l'accès n'est subordonné à aucune sélection, sinon la capacité du candidat à suivre
correctement le programme théorique dispensé. En général, les écoles de formation théorique demandent donc au moins un bac et plutôt un bac scientifique.
Un élève qui sort du bac peut accéder à une telle école en suivant
ce qu'on appelle une « formation intégrée », c'est-à-dire qu'il fera de la formation théorique et, dans le même cursus, une formation pratique. Il n'a pas
besoin d'avoir des heures de vol.
Si le candidat veut faire une formation modulaire, c'est-à-dire
faire d'abord sa formation théorique et ensuite accéder à la formation pratique, il doit disposer de ce qu'on appelle un PPL (« Private pilot licence »),
c'est-à-dire un pilote privé avec le minimum réglementaire de l'OACI qui est de 50 heures.
Lorsqu'il a réussi ses examens théoriques réglementaires, l'élève
peut se présenter dans une école de formation pratique qui va vérifier s'il résiste et supporte bien le vol, sauf s'il s'agit d'un élève ayant un PPL.
Il faut préciser que le cursus théorique est précédé d'une visite
médicale, car ce serait tromper le candidat que de l'engager dans une formation théorique et constater qu'il est inapte à faire ce métier quand il veut accéder
à la formation pratique.
Il va suivre, alors, le cursus prévu avec le nombre d'heures de vol
réglementaire et si cela se passe bien, il passera son examen avec le minimum requis. Si, au contraire, il n'y arrive pas, il faudra lui faire suivre des
heures de formation complémentaires car l'école doit délivrer une attestation assurant qu'il a suivi un stage complet et satisfaisant. Le volume horaire
réglementaire pourra donc être dépassé si cela est nécessaire au niveau requis pour le diplôme. A partir de là, il lui reviendra de trouver une compagnie qui
l'embauchera avec ses propres critères.
Mme la Présidente : En considérant que les pilotes ont acquis
la compétence requise, j'aimerais savoir combien de pilotes sont actuellement au chômage en France. Sont-ils nombreux à être employés en CDD ? Pourquoi le nombre
de formations n'est-il pas limité ? On s'est laissé dire dans cette mission que les pilotes diplômés étaient nombreux sur le marché du travail. J'aimerais qu'on
nous donne des chiffres sur ce problème et je souhaiterais après, que nous parlions des autres personnels navigants.
M. Gérard PIC : Comme je présidais la commission nationale
paritaire pour l'emploi du personnel navigant, il y a encore deux mois, j'ai des éléments très précis concernant les chiffres des pilotes demandeurs d'emploi.
Mme la Présidente : Nous serions très intéressés d'avoir ces
chiffres par écrit. Il est important de savoir si le taux de chômage est effectivement élevé, car alors, pourquoi délivre-t-on des licences sans limitation ?
M. Didier GUY : Je sens poindre l'idée du numerus clausus
qui n'est évidemment pas forcément souhaité par les écoles privées, ni par l'EPAG, ni certainement par les autres. Il faut laisser cette question à
l'appréciation de ceux à qui appartiennent les décisions dans ce domaine. Mais je voudrais simplement rappeler qu'on est dans un environnement international où
le pilote, qui ne pourrait pas se former en France, peut parfaitement aller se former ailleurs.
M. Jean-Pierre TRIMAILLE : Il peut aussi trouver du travail
ailleurs qu'en France.
M. Jean-Pierre BLAZY : J'attends avec intérêt les statistiques
promises par M. Héliot de la DGAC, sur la question des visites médicales. Il faut que vous donniez des chiffres précis ; car nous enquêtons sur la sécurité dans
le transport aérien civil, et cette question est évidemment fondamentale. Vous avez parlé de chiffres globaux sur 5 ans - ce serait mieux si c'était un peu
plus -, mais il serait intéressant également de connaître le détail par compagnie : combien de pilotes, leur âge, les raisons médicales qui justifient
l'interruption de l'exercice professionnel, les risques encourus pour la sécurité ? Y a-t-il également des données sur la corrélation éventuelle entre les
incidents ou les accidents, et les problèmes de santé que peuvent rencontrer les pilotes ? Il faut que nous puissions tirer de ces chiffres des arguments dans un
sens ou dans un autre et il nous faut être très précis. Nous ne pouvons pas nous contenter de données partielles ou très insuffisantes.
Par ailleurs, je souhaiterais avoir l'avis de nos invités sur l'âge
de la retraite. Même si je pense qu'un pilote, au-delà de 40 ans, est plus expérimenté qu'un jeune pilote, que pensez-vous de la possibilité dont on parle de
repousser l'âge de la retraite des pilotes ? Car cela peut avoir un lien avec les problèmes de sécurité.
Sur un tout autre sujet : les accidents et les catastrophes
aériennes se produisent principalement au décollage ou à l'atterrissage, comme les statistiques le montrent. Comment la question de la protection de
l'environnement et des riverains est-elle prise en compte dans les formations, sachant qu'on assiste à une augmentation du trafic aux abords des grands
aéroports, comme Roissy, et qu'il faut assurer une parfaite sécurité ?
M. Roger LOISEL : Pour les approches, on raisonne en termes de
prévention et de sécurité des vols, à partir de ce qu'on appelle les « domaines de risques » identifiés qui font le plus de morts - non pas en nombre d'accidents
mais en nombre de morts par accident -, il y a ce qu'on appelle le C.F.I.T.(Controlled flight into terrain), c'est-à-dire la collision d'un avion avec le
sol, alors que l'avion est intègre, c'est-à-dire qu'il fonctionne parfaitement et la perte de contrôle en vol, lorsque l'avion perd ses qualités aérodynamiques
et qu'il entre dans une phase qui n'est pas contrôlable.
Lors des phases d'approche, le rôle pilote/contrôleur est essentiel,
puisqu'une interaction très rapide se fait par messages radio. Et la sécurité des vols dépend beaucoup de la qualité des échanges et de l'évaluation de la
situation qui est faite par le contrôleur aérien.
A bord des avions, il a été ajouté, depuis quelques années, ce qu'on
appelle le TCAS. C'est un système qui visualise l'avion sur un écran et permet de le situer par rapport aux autres avions qui sont dans l'environnement. Il
permet d'éviter des collisions lorsqu'on arrive à des distances de rapprochement trop faibles. Les pilotes y sont, en principe, entraînés.
Sur le plan purement comportemental, il faut bien voir qu'un groupe
comme Air France fait 1 200 étapes par jour et que le nombre d'incidents est très faible parce que les avions sont très fiables. Il est certain qu'un pilote
accumule de l'expérience au cours d'une carrière. Mais il est rarement confronté à des incidents dits « graves ». L'objet de la formation aux facteurs humains
est donc de faire en sorte que les pilotes gardent une bonne conscience du risque, qu'ils restent toujours très vigilants et préparés à des événements
imprévus. Tout l'enjeu de nos formations, en complément des formations techniques sur la capacité opérationnelle des pilotes, est de maintenir cette vigilance.
Ces formations à la conscience du risque sont dispensées depuis dix
ans à Air France. Elles ont commencé en 1993 et évoluent au fur et à mesure des recherches permanentes sur le fonctionnement humain, le cerveau, la physiologie
et l'interaction entre l'homme et la machine, c'est-à-dire l'avion ou le système de contrôle, pour les contrôleurs aériens.
M. Jean-François CRUCIS : Pour compléter les propos de mon
collègue, je précise que nous avons des objectifs très clairs en matière de formation des équipages à Air France, qu'il s'agisse de la formation initiale mais
aussi, et surtout, de la formation continue en ligne. Le premier objectif est celui de la sécurité des vols, du décollage à l'atterrissage. Le deuxième est celui
de la sûreté des vols, problème de plus en plus important. Le troisième critère est la satisfaction du client : nous vivons grâce à lui et nous sommes là pour le
satisfaire. Le critère suivant est celui de la rentabilité de l'entreprise. Et enfin, depuis quelques années - deux ou trois ans -, nous intégrons des notions
d'environnement, essentiellement axées sur les phases que vous citiez décollage, montée, approche et atterrissage.
Cet aspect a été intégré, il y a deux ou trois ans, dans la
formation continue annuelle des équipages, à travers la présentation d'une charte signée par les organisations professionnelles de pilotes et de contrôleurs,
et par la DGAC et les compagnies aériennes. Cela a permis de sensibiliser les pilotes et les contrôleurs aux problèmes de l'environnement. Mais cela ne suffit
pas. Nous insistons beaucoup maintenant sur la rigueur des trajectoires au décollage et à l'atterrissage, et sur les problèmes de tenue des procédures avion
qui doivent être très strictes.
La question de l'environnement est un point important que nous
commençons à traiter, dès la formation initiale des pilotes.
M. Pierre BAUD : S'agissant des incidents ou accidents en
approche liés au décollage, je peux ajouter que les constructeurs d'avions, poussés par les autorités de certification, imposent des équipements nouveaux. On a
mentionné le TCAS, qui est un système anti-collision dont sont équipés les avions et que les autorités des pays imposent à bord de tous les avions qui les
survolent. De la même manière, les avions modernes sont équipés des systèmes GPS qu'on trouve maintenant dans les voitures. On trouve ces GPS Primary, en
particulier sur les Airbus, mais les vieux Boeings 737 ou les avions des générations 60, 70 ou 80 ne sont pas équipés de ce dispositif qui permet de réduire
considérablement les risques d'abordage, et de donner une précision de navigation dans des zones terminales, comme Roissy.
L'environnement et la congestion du trafic, dans certaines zones,
ont donc été pris en compte dans l'élaboration et les spécifications techniques des avions modernes. Mais, pour les avions anciens, il faut faire ce qu'on
appelle des « rétrofits », ce qui est coûteux, et peut donc être considéré comme superflu si l'équipement n'est pas imposé par les autorités du pays
survolé.
Il y a donc une certaine inégalité dans l'utilisation des avions,
suivant qu'ils sont modernes ou anciens.
M. Denis APVRILLE : M. Blazy demandait tout à l'heure s'il
existe des corrélations entre les accidents ou incidents et les problèmes de santé. Nous avons la chance, en France, d'avoir le BEA, le bureau d'enquêtes et
d'analyses dont la réputation est internationale et qu'il serait intéressant d'interroger, parce qu'il possède une banque de données sur les incidents et
accidents intervenant non seulement en France mais également sur des compagnies françaises, et sur les avions fabriqués en France, ou transportant beaucoup de
Français comme ce fut malheureusement le cas de l'accident de Charm el-Cheikh. Il y a là une source d'informations considérable.
Mme la Présidente : Nous avons auditionné le BEA, dès le début
de notre mission.
M. Denis APVRILLE : Deuxième point : on a parlé des pilotes au
chômage et M. Pic a des éléments très intéressants à vous communiquer par écrit. Mais il faut faire très attention aux statistiques parce que, selon leur
qualification, les pilotes au chômage sont plus ou moins employables. Il y a quelques années, la DGAC avait mis en place un programme, en liaison avec l'ANPE,
pour essayer de remettre au travail un certain nombre de pilotes au chômage. La DGAC s'est aperçue, malheureusement, que peu de pilotes étaient réemployables,
parce que beaucoup avaient perdu leurs qualifications et auraient dû repartir pratiquement à zéro, ou bien avaient des qualifications dépassées. Il faut donc
prendre ces statistiques avec beaucoup de précautions.
M. Serge MARTINEZ : Je voudrais m'excuser auprès de M. Pic. Je
ne visais naturellement pas son école qui est une des plus anciennes écoles de formation de France. Mais M. Héliot qui chapeaute l'ensemble des écoles pourrait
vous parler des écoles qu'il ferme régulièrement parce qu'elles n'adoptent pas leurs formations aux évolutions de la réglementation.
Sur le numerus clausus, je dirai que c'est un choix délibéré
de la profession. Le marché des pilotes est un marché qui s'autorégule et qui génère malheureusement régulièrement, soit de la pénurie, soit du chômage, parce
qu'étant très chaotique, il est très sensible aux crises. Par ailleurs, la plupart des pilotes qui se forment au travers de parcours chaotiques, comme l'a
décrit M. Baud, perdent leurs compétences si elles ne sont plus utilisées, de sorte que les investissements faits à titre individuel sont effectivement souvent
perdus.
La création d'un numerus clausus aujourd'hui, alors qu'on est
dans un système JAA, c'est-à-dire un système européen, ne permettrait qu'une seule chose : limiter les Français en favorisant une invasion de l'ensemble des
autres pays membres des JAA. Ces pilotes étrangers ne pourraient, certes pas, s'inscrire au chômage parce qu'ils n'y ont pas droit pour l'instant, mais ils
seraient présents sur le marché. Par ailleurs, comme le disait M. Pic, il ne faut pas sous-estimer l'apport des pilotes français à l'étranger et, notamment,
dans certains continents tels que l'Afrique. Même si c'est moins le cas aujourd'hui à cause de la crise, un certain nombre de Français formés en France sont
allés trouver du travail, initialement, sur d'autres continents.
M. Philippe RAFFIN : Sans revenir sur l'ensemble du débat car
nous formulerons nos remarques par écrit, je vais juste répondre à la question essentielle de l'âge de départ en retraite. Il me semble que le report de l'âge de
départ en retraite des pilotes de 60 à 65 ans, sans aucune concertation, aura au moins deux conséquences gravissimes : la première est que tous les pilots qui
attendent de trouver du travail aujourd'hui devront attendre au moins cinq ans si tout le monde reste dans l'entreprise. Deuxièmement, cette modification
entraînerait de terribles conséquences sociales parce que si, en même temps, on porte l'âge de départ en retraite du personnel navigant commercial à 55 ans,
parce que c'est un métier difficile, la pérennité de la caisse de retraite du personnel navigant serait directement remise en question.
Et, en tout état de cause, une telle mesure poserait de gros
problèmes, tout simplement sur le plan social. C'est en effet un dossier complexe. Il faudra mettre des dizaines de gens autour de la table de négociations, et
ce dossier ne sera pas bouclé rapidement. Je peux vous certifier aujourd'hui que si de telles mesures étaient prises, sans que personne ne soit consulté, la
compagnie aérienne Air France - encore nationale pour quelque temps - ne ferait plus voler d'avions pendant un bon moment parce que la situation deviendra
hautement conflictuelle.
M. Serge MARTINEZ : Pour préciser la position du SNPL, sachez
que le problème est beaucoup plus social, que médical. Je comprends que la représentation se pose la question sur le plan médical, mais c'est un mauvais angle,
dans la mesure où, quel que soit l'âge, que celui-ci soit augmenté ou réduit, le pilote serait de toutes façons soumis aux mêmes contrôles médicaux. Par le
passé, il y a environ une douzaine d'années, certains pilotes, en France, volaient même jusqu'à 70 ans.
Du point de vue médical, la balle n'est pas dans notre camp, elle
est dans celui des médecins. Ce sont les médecins qui décident de l'aptitude médicale, pas la DGAC, ni les syndicats de pilotes ou les écoles de formation.
Nous étions encore, il y a huit à douze ans, à 65 ans. Pour des raisons sociales, nous sommes revenus à 60 ans. Le problème de l'âge ou du vieillissement en
tant que tel est un demi problème.
M. Philippe RAFFIN : Il faut prendre en compte les
statistiques. Les modes de sélection des pilotes à l'entrée et le suivi médical dont ils sont l'objet font que ces personnels sont d'une constitution physique
qui devrait normalement les conduire à vivre plus vieux que les autres. Or, ce n'est pas le cas. Le taux de mortalité est le même que pour tous les Français.
Cela veut dire que c'est un métier fatigant.
M. Bernard CHÉGNION : Une précision pour vous fixer quelques
idées : les pilotes travaillent jusqu'à 65 ans aux Etats-Unis. En Europe, c'est généralement moins : 60 ans chez Air France, 55 ans chez British Airways, et 55 à
56 ans chez KLM.
M. le Rapporteur : ...et 50 ans pour les conducteurs de
locomotive de TGV à la SNCF.
M. Pierre BAUD : Je suis d'accord avec ces chiffres mais ce
sont des règles compagnies. En revanche, selon les règlements JAR OPS, la France est le seul pays qui limite l'âge des pilotes à 60 ans. Dans tous les autres
pays qui adhèrent à la JAR, l'âge de la retraite est fixé à 64 ans. Seule la France impose, par le JAR1 OPS, ce qu'on appelle une « variante nationale » qui
impose d'arrêter à 60 ans. L'âge est de 64 ans dans tous les autres pays, sauf un - je crois que c'est la Slovaquie.
M. Jean BARIL : Pour être tout à fait précis, d'après le JAR
FCL, la limite d'âge est 60 ans en transport aérien commercial, mais une extension est prévue jusqu'à 65 ans pour les avions multi pilotes, à condition qu'un
seul pilote ait plus de 60 ans. Voilà exactement ce que dit la réglementation. Et les variantes nationales sont portées au JAR FCL. La France est limitée à 60
ans, tout simplement parce qu'elle respecte les normes de l'OACI. Le JAR FCL n'a pas respecté le règlement basique de l'OACI dans ce domaine, c'est l'une des
seules variantes par rapport à l'OACI. L'Italie est passée à 60 ans et la République Tchèque à 62 ans.
Ce n'est pas écrit dans le JAR mais il semble que le survol de la
France par des avions pilotés par des commandants de bord et copilotes de plus de 60 ans est interdit. En Italie, les survols sont autorisés mais les pilotes
ne peuvent pas se poser. Mais, allez-vous me dire, comment vérifie-t-on l'âge du pilote qui survole un pays ?
Mme la Présidente : Oui, expliquez-le moi !
M. le Rapporteur : La DGAC peut-elle répondre à cette question
?
M. Pierre BAUD : Il y a des possibilités : on connaît le nom du
pilote, il y a des plans de vol...
M. Serge MARTINEZ : On fait du diplomatiquement correct, comme
pour les audits dont nous avons parlé précédemment. On part du principe que l'Etat et la compagnie de l'avion respectent leurs engagements sur ce point. Mais
vous n'avez strictement aucun moyen de vérifier l'âge du commandant qui passe au-dessus de chez vous.
Mme la Présidente : La DGAC n'est pas tout à fait d'accord.
M. Jean-François BUFFAT : Si, je suis d'accord globalement avec
ce qui vient d'être dit, mais je précise que la réglementation française s'adresse d'abord aux pilotes titulaires de licence française, pour lesquels la limite
est à 60 ans dans les fonctions à la fois de commandant de bord et de co-pilote. C'est conforme à l'OACI, même si les recommandations de l'OACI comportent une
petite différence.
Nous appliquons cette réglementation et nous l'imposons,
contrairement à d'autres Etats, à toutes les compagnies qui survolent ou qui se posent en France. L'interdiction est reprise, en particulier, dans la
réglementation JAR OPS pour, justement, l'interdire aux compagnies étrangères.
Comment le contrôlons-nous ? Les méthodes de contrôle relèvent des
règles générales de contrôle des compagnies étrangères qui opèrent en France. Vous avez déjà eu l'occasion d'en parler dans cette mission d'information. Il
s'agit d'interventions de contrôle technique d'exploitation en escales, lors desquelles des agents de l'administration française peuvent intervenir à tout
moment pour faire des vérifications...
Mme la Présidente : ... pour demander l'âge du capitaine... ?
M. Jean-François BUFFAT : ...absolument, pour demander la
production des licences et de tous les document individuels, y compris l'âge du capitaine.
M. Serge MARTINEZ : C'est pour ceux qui se posent mais pas pour
ceux qui ne se posent pas en France.
M. Jean BARIL : Les Etats membres qui font voler leurs avions
avec un pilote de plus de 60 ans volent de toute façon selon les règles JAR FCL. La France a une spécificité nationale qui est tout à fait reconnue, tout comme
l'Italie a la sienne.
Mme la Présidente : Quelle est la tendance maintenant ?
M. Jean BARIL : Je ne la connais pas.
Mme la Présidente : Les règles vont-elles bouger avec
l'élargissement de l'Europe ?
M. Jean BARIL : Ne nous méprenons pas, nous avons encore cette
mosaïque d'autorités nationale. Mais vous avez dû comprendre que l'AESA va devenir une autorité commune à tous. Pour l'instant, les JAA font des recommandations
aux autorités nationales que les autorités acceptent ou n'acceptent pas, ou bien relèvent le standard JAA. C'est tout à fait leur droit, bien que le voeu, au
départ, soit d'éviter les spécificités nationales. Pour l'instant, les JAA préparent une décision technique mais la décision légale appartient aux autorités
nationales. Il est donc tout à fait légitime que la DGAC ou l'Italie prennent cette décision.
M. Philippe RAFFIN : Pour éviter la langue de bois et pour que
ce rendez-vous soit un peu productif, il faut comprendre que le problème est celui du contrôle de l'application des normes. Cette vérification est relativement
facile dans tous les pays européens ou en Amérique du Nord, parce que ce sont des pays qui sont par nature respectueux des règlements - encore qu'on s'aperçoit
de temps en temps que, même des compagnies nord-américaines, confrontées à une pression économique un peu forte, sont capables de négliger les normes, en
particulier en matière de maintenance, pour faire des économies.
Mais la vraie question est de savoir ce qui est fait dans le reste
du monde. Comment fait-on pour vérifier que les normes en matière de formation, de maintenance... s'appliquent au fin fond de l'Egypte ? Toute la difficulté
est là. L'axe de travail principal est là. A qui donne-t-on des agrémentations, quels audits faut-il faire, quel contrôle faut-il exercer ? Comment
contrôle-t-on ceux qui font les contrôles ? C'est l'axe de travail principal.
Mme la Présidente : C'est évidemment le problème auquel on se
heurte depuis le début de cette mission.
M. Pierre BAUD : Il est vrai que l'on n'a parlé que des
compagnies françaises ce soir, alors que le problème ne se situe pas tellement là.
Mme la Présidente : Nous avons fait un débat très interne et il
faudrait le pousser beaucoup plus loin pour apprécier valablement la réalité de la sécurité, mais vous êtes tous des représentants nationaux et on peut vous
demander votre avis.
Je reviens à ma question sur la formation des personnels navigants
commerciaux. Quelle est la formation de ces personnes ? Y a-t-il un contrôle, est-on exigeant ? Comment cela se passe en cabine ?
M. Bernard CHÉGNION : Le centre de formation technique d'Air
France a en charge la formation du personnel navigant commercial (PNC) qui compte une partie commerciale liée à la satisfaction du client et une partie technique
liée à la sécurité des vols.
En ce qui concerne la partie technique, les personnels qui entrent
chez Air France doivent être titulaires d'un certificat sécurité/sauvetage (CSS). Ce certificat est obligatoire mais nous n'assurons pas cette formation qui
est dispensée dans des écoles privées. Nous allons en revanche compléter cette formation, pour que le personnel soit capable de mettre en oeuvre les moyens de
sécurité nécessaires dans un avion : c'est la lutte contre le feu, ce sont les évacuations passagers, c'est tout ce qui peut arriver dans un avion et auquel on
doit faire face en cas de difficultés.
La formation de base dure cinq jours : 10 heures consacrées aux
problèmes sécurité/sauvetage - on parle de généralités -, deux journées consacrées aux facteurs humains, une demi-journée consacrée au secourisme, incluant une
formation à l'utilisation des défibrillateurs en vol - l'obligation est maintenant faite d'avoir des défibrillateurs dans les avions et il faut former les
personnels à cette utilisation -, une journée consacrée à la sûreté et une journée consacrée aux passagers indisciplinés - le problème des passagers
indisciplinés qui n'appliquent pas les consignes de sécurité est de plus en plus fréquent -, et 30 minutes consacrées aux marchandises dangereuses.
A l'issue de cette formation générale, il y a une formation adaptée
au type d'avion sur lequel les personnels seront amenés à opérer, qui varie de un à deux jours, suivant le type avion. Le personnel sera familiarisé, au cours
de cette formation, à l'utilisation des extincteurs, à l'ouverture des portes en cas d'évacuation, à l'utilisation des toboggans, des canaux, etc.
Mme la Présidente : Que fait-on pour assurer la cohésion de
l'équipage ?
M. Bernard CHÉGNION : Sur ce point, je laisserai la parole à
Roger Loisel qui vous parlera des facteurs humains. Je voudrais terminer en disant qu'un contrôle QCM sur papier, est fait à l'issue de cette formation, et que
les personnels navigants commerciaux subissent, chaque année en moyenne, un contrôle en vol - moins strict que pour le personnel technique navigant -
essentiellement axé sur leur formation commerciale mais qui vérifie quand même leurs capacités en matière de sécurité/sauvetage.
Je terminerai en disant qu'Air France consacre à la formation 15 %
de la masse salariale de son personnel navigant commercial. Dans ces 15 %, 6 % sont consacrés à la formation sécurité/sauvetage, le reste étant dédié la
formation commerciale.
M. Jean-François CRUCIS : En complément de ce que vient de dire
Bernard Chégnion, j'ajoute que toute la formation des personnels navigants commerciaux relève de l'arrêté de 1987 et ne dépend pas, aujourd'hui, de la
réglementation européenne, excepté pour les problèmes de facteurs humains et de Crew resources management (CRM), c'est-à-dire le travail en équipage, qui
commencent à apparaître dans la réglementation européenne.
M. Roger LOISEL : Le seul texte qui existe et qui parle de la
formation commune pilotes, hôtesses et stewards aux facteurs humains, figure dans la NPA 16 (Notice of proposed amendment) qui est un texte de
propositions établi au niveau des JAA, destiné à être intégré dans les réglementations européennes puis traduit ensuite dans les réglementations nationales. Il
tend à imposer la réalisation de formations communes rassemblant les pilotes et les personnels navigants commerciaux lors, d'une même session de formation.
Les compagnies aériennes ont peu de recul sur ces formations
communes, puisqu'elles ne sont pas encore complètement obligatoires. Air France a décidé de les anticiper, et l'on risque de vous décevoir parce que nous avons
plutôt tendance, chez Air France, à être des mieux-disants par rapport au filet réglementaire qui est l'incitateur minimum des obligations auxquelles sont
soumises les entreprises.
Air France investit beaucoup dans les moyens de formation, et à
l'instar des simulateurs qui permettent aux pilotes de se rapprocher de la situation de travail réelle - hormis le risque fatal -, Air France vient de
s'équiper de ce qu'on appelle un simulateur de cabine qui permet de reproduire un grand nombre d'incidents susceptibles de se produire à bord et qui fonctionne
à peu près comme un simulateur. On se sert de cet outil pour bâtir des scénarii qu'on fait suivre à un équipage complet, pilotes plus personnels navigants
commerciaux, axé à la fois sur le respect des procédures, sur la capacité à communiquer et à rendre compte, aussi bien des pilotes vers les hôtesses et
stewards que des hôtesses et stewards qui sont en cabine vers les pilotes. Il s'agit que l'ensemble de l'équipage ait une bonne représentation de la situation
vécue à un instant donné et puisse gérer au mieux, en équipage, un incident réel, chacun dans son domaine de compétence. Ce comportement fait essentiellement
appel à la capacité de communication.
Il s'agit également de sensibiliser les personnels navigants
commerciaux au risque et à la conscience qu'il faut en avoir pour qu'ils soient individuellement et collectivement le mieux armés pour faire face à une
situation imprévue.
Nous sommes quasiment précurseurs dans ce domaine par rapport aux
compagnies avec lesquelles on travaille au sein de l'alliance Sky Team. Nous en sommes assez fiers et nous le disons, mais je ne suis pas sûr que la
même tendance est suivie par d'autres compagnies aériennes. Il est vrai qu'un simulateur de cabine représente des investissements très lourds - 2 millions
d'euros.
M. Serge MARTINEZ : Nous sommes un des rares pays au monde à
avoir régi réglementairement à la fois l'obtention du diplôme et le niveau professionnel des PNC. C'est une spécificité française.
Le seul problème pouvant intervenir pour l'ensemble du personnel
navigant commercial est celui de la précarité dans la mesure où les emplois et les contrats sont de plus en plus courts...
Mme la Présidente :... et mal payés.
M. Serge MARTINEZ :... pas forcément. Le problème est surtout
celui de la précarité et de l'inexpérience qui en résulte. Mais, encore une fois, n'ayons pas qu'un regard gaulois de la situation. Il faut savoir que cette
formation des PNC n'est généralement absolument pas réglementée dans le monde, même si certaines très grandes compagnies en ont conscience et la dispensent de
leur propre chef. Un certain nombre d'opérateurs dans le monde se vantent même d'employer une multitude de personnes avec une multitude de langages, à bord, pour
satisfaire les impératifs commerciaux - qui sont économiques - et dont la formation est totalement inexistante. On recrute des petits stagiaires de 21/23 ans
dans les facultés d'Espagne, d'Italie ou de Grèce, à qui l'on promet un contrat de trois ans ou d'un an non renouvelable, et qu'on renouvelle à tour de bras.
Mme la Présidente : Retrouve-t-on les problèmes dont vous avez
parlé tout à l'heure sur ces compagnies étrangères, sur ces compagnies de bout de ligne... ?
M. Serge MARTINEZ : Absolument ! Sur l'ensemble des compagnies
de bout de ligne, ainsi que sur un certain nombre de compagnies européennes.
Mme la Présidente : Les retrouve-t-on sur les low cost ?
M. Serge MARTINEZ : Tout dépend des pays.
Mme la Présidente :... sur les charters ?
M. Serge MARTINEZ : Il ne faut pas s'arrêter au qualificatif.
Ce qui compte, c'est l'espace dans lequel évolue la compagnie. Il y a les compagnies qui évoluent dans l'espace JAR OPS, celles qui évoluent dans un espace
apparenté ou volontairement apparenté à l'espace JAR OPS et les compagnies du reste du monde. Le problème n'est pas celui du type d'avion. Vous avez, à bord des
compagnies de charters françaises, des PNC qui ont exactement la même formation que les PNC d'Air France pour la bonne et simple raison qu'aucune compagnie
charter française n'a pas les moyens de se doter de ces centres de formation et que les centres de formation utilisés sont ceux d'Air France. La logique
économique vous contraint donc, à un moment donné, et vous tire vers le haut. Pour autant, une compagnie régulière, voire nationale, d'un pays qui évolue dans le
reste du monde aura une pratique des langues totalement inexistante.
Mme la Présidente : Risque-t-il d'y avoir des problèmes de
langues, d'entente et de compréhension entre le personnel commercial et les pilotes ?
M. Serge MARTINEZ : L'ancien président de Crossair, à l'époque
où il a créé sa compagnie, se vantait d'avoir 27 nationalités dans son entreprise. Il a pris ensuite la succession du président de Swissair et vient d'ailleurs
de présenter sa démission, parce qu'il n'entend pas, justement, assumer la politique qu'il avait suivie en terme d'emploi à cet égard. C'est une des compagnies
qui se targuait d'avoir 27 ou 35 nationalités au sein de l'entreprise. Vous imaginez les difficultés de compréhension, les barrières de langage et de culture que
cette diversité représentait ! C'est bien évidemment contraire au principe, qu'on a pu évoquer jusqu'à présent au sein de toutes ces réunions, de placer la
sécurité au coeur de l'exploitation.
M. Alain GOURIOU : Il a été question, messieurs, après les
graves incidents et même les drames que nous avons connus dans le transport aérien, d'installer à bord des avions, des personnels d'intervention, peut-être sur
un certain nombre de lignes, ainsi que sur un certain nombre d'appareils, en fonction de la longueur ou de la durée du vol. Cette question est-elle toujours à
l'ordre du jour ?
Sur le personnel étranger d'une manière générale, n'y a-t-il pas une
grande tentation, de la part des compagnies aériennes, y compris françaises, d'embaucher comme personnel naviguant, mais surtout comme personnel naviguant
commercial, des citoyens de différents pays pour des raisons à la fois de droit social et de niveau de rémunération ?
M. Serge MARTINEZ : D'un point de vue général, il faut faire
très attention, en sûreté, à ce que la solution ne soit pas pire que les maux. Les Américains viennent de découvrir qu'il est très bien d'avoir des gens armés,
mais il y en a un qui va, aujourd'hui, être renvoyé, parce qu'il a oublié son arme au bar, en allant aux toilettes.
Il y a un principe fondamental qui est celui de la zone d'exclusion.
On part du principe qu'un avion doit être sûr. C'est donc à l'Etat de garantir que personne ne peut arriver à bord avec des éléments pouvant nuire à la
sécurité des gens. Commencer à armer les personnels risque de conduire à ce qu'il y ait des armes dans des zones qui étaient, jusque là, des zones d'exclusion
de toute arme. Et il faut véritablement réfléchir à la question de savoir si la solution n'est pas pire que le mal.
C'est un peu différent pour ce qui est des étrangers, parce qu'on
est encore dans un système normé. Vous pouvez embaucher demain une Slovaque - dont le pays est depuis peu membre de l'Europe - mais tant qu'elle n'a pas de
diplôme reconnu par l'administration française, elle ne pourra pas exercer dans un avion immatriculé ou dans un avion dont le certificat de transporteur aérien
a été émis par la DGAC, et lorsque cette personne viendra travailler au sein de la compagnie X qui l'emploiera, la compagnie sera obligée de lui appliquer
l'ensemble des règles qu'elle applique aux autres membres de ses équipages.
Le seul cas de figure qui pourrait apparaître serait celui d'une
compagnie totalement composite, au sens JAA du terme. C'est un des éléments qui avait initialement conduit l'ensemble des syndicats à rejeter, en 1996, le
processus d'harmonisation européen. Le problème était, et est toujours, que le volet social de l'ensemble de l'harmonisation des diplômes européens n'a pas été
pris en compte.
Donc, actuellement, sous réserve d'avoir les agréments JAA, donc de
respecter les textes réglementaires, vous pouvez effectivement, à l'image de certains grands groupes industriels, avoir une compagnie européenne totalement
virtuelle, qui baserait ses avions à un endroit, parce que les règles fiscales d'amortissement y sont plus intéressantes, qui prendrait ses pilotes dans un
autre Etat parce que la formation y est plus facile, et ses PNC dans un autre Etat. L'Europe nous contraindrait aujourd'hui, techniquement parlant, à accepter
ce type de situation.
Mme la Présidente : Ce type de situation existe...
M. Serge MARTINEZ : Elle n'existe pas au sein des compagnies
françaises actuellement.
Mme la Présidente : Il y a des hôtesses qui sont recrutées sur
d'autres bases et avec des salaires assez bas...
M. Serge MARTINEZ :... pas au sein de compagnies françaises,
pour l'instant...
M. Philippe RAFFIN :... à l'exception de City Jet, filiale du
groupe Air France.
M. Alain GOURIOU : Je vous ai posé la question, monsieur, parce
qu'il nous est arrivé de voir un projet de loi, sur le bureau du Parlement, qui ne concerne pas l'aviation mais qui concerne la marine marchande, qui s'appelle
le RIF - Registre International Français -, qui donnerait aux armateurs français, si ce projet de loi était adopté, une très grande liberté en matière d'embauche
de personnels navigants, tant d'encadrement que de service, avec, en particulier, la seule obligation, pour un bateau français, de n'avoir à bord que deux
officiers français, le commandant et un officier de sécurité. Imaginez qu'on applique un jour cette règle à la navigation aérienne, il va de soi que le paysage
que vous venez de décrire serait quelque peu bouleversé !
Mme la Présidente : Je souhaiterais que l'on parle de City Jet.
M. Philippe RAFFIN : Je répète que le transport aérien
représente un chiffre d'affaires colossal, des marges bénéficiaires extrêmement faibles et une concurrence très forte due à l'ouverture du marché. Pourquoi Air
France utilise-t-il aujourd'hui les services d'une entreprise comme City Jet ? Pourquoi City Jet est-elle affrétée ou franchisée sur des vols qui touchent
l'Angleterre et la Scandinavie ? Parce qu'on est confronté à une concurrence très forte et que l'on ne pourrait pas faire concurrence aux Britanniques sur ces
destinations si l'on gardait des coûts salariaux alourdis par les charges sociales appliquées en France. On serait donc obligé d'abandonner ces réseaux.
Mme la Présidente : Mais on constate que certains personnels
sont à des niveaux de salaires tout à fait différents et sont recrutés dans d'autres nationalités.
M. Philippe RAFFIN : Cela reste contenu à l'intérieur de City
Jet. Pour la compagnie nationale Air France, il est vrai qu'on a des PNC qui arrivent de tous les horizons, y compris des pilotes, puisqu'on a des Belges, des
Italiens, etc., mais tout le monde est embauché aux mêmes conditions que les salariés français.
M. Serge MARTINEZ : Le problème a été évoqué dès 1996 avec la
distorsion de concurrence existant entre les différents Etats membres et le parallèle avec la marine a été étudié en novembre et décembre 1997. Cette possibilité
a été évoquée à un moment donné, dans l'esprit de sauvegarder le transport aérien français, car on parle bien ici de compagnies qui sont en permanence en
concurrence avec des pays qui n'ont pas le même type de régime.
Lorsque vous vendez des pizzas au pied de chez vous, le vendeur de
pizzas d'à côté a les mêmes charges sociales. Le problème est celui de savoir s'il a des clients ou pas. Dans notre système de concurrence internationale, les
choix que nous avons faits collectivement, en 1948 en matière de protection sociale, en France, font que nous ne sommes pas à l'abri, avec l'application de
l'ensemble des textes européens, des « faiseurs de coûts » qui se lancent dans des compagnies totalement virtuelles pour, justement, économiser là où c'est
possible.
Vous avez parlé de salaires différents. Mais le salaire n'est pas
tellement différent, en général. C'est le salaire chargé qui est monstrueusement différent. La rémunération touchée, c'est-à-dire le net, ne fluctue pas
autant. Ne croyez pas que la différence se fasse à ce niveau. Le véritable problème, est qu'il y a 45 % d'écart de charges, au final, pour l'employeur. On ne
peut pas dire aujourd'hui que telle hôtesse d'une compagnie européenne est nécessairement plus mal lotie qu'une hôtesse de compagnie charter française en
matière de rémunération nette. Le problème est celui du niveau des charges et surtout celui de la compagnie virtuelle qui irait choisir différents éléments,
endroit par endroit, pour arriver à une compagnie composite, avec des sièges spécifiques pour chacune des spécificités. C'est notre appréhension et, je le
répète, les textes le permettent aujourd'hui.
Mme la Présidente : La réglementation qui s'annonce sera-t-elle
prudente et fera-t-elle attention à ces dérives ou bien l'ouverture à la concurrence sera-t-elle totale ?
M. Serge MARTINEZ : L'application des JAR ne prend pas du tout
en compte l'aspect social, ce ne sont que des normes techniques.
M. Philippe RAFFIN : L'aspect social relève des organisations
syndicales.
M. Serge MARTINEZ : N'oubliez pas la genèse du système JAR.
C'est d'abord et avant tout un club de représentants des autorités nationales d'aviation civile qui se réunissent pour mettre au point - à juste titre - des
problèmes techniques, tels que les problèmes de certification, puis d'exploitation pour harmoniser les solutions. Le côté social n'a jamais été pris en compte.
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Comme on l'a dit, le PNC n'est pas,
sous réglementation communautaire aujourd'hui, ni même JAR d'ailleurs, mais toujours sous réglementation française. Ce secteur est protégé, pour l'instant, de la
venue de PNC étrangers, parce que notre réglementation exige d'avoir le certificat de sécurité/sauvetage dont M. Chégnion a parlé tout à l'heure, qui est un
diplôme d'Etat. Je ne suis pas persuadé que cette spécificité française persiste lorsqu'on passera sous règlement AESA, c'est-à-dire communautaire, parce que
pour l'instant, on n'arrive pas à un accord au niveau des JAA dans ce domaine. Je suis très soucieux parce que j'ai l'impression que cette spécificité va être
condamnée.
M. Serge MARTINEZ : Elle sera condamnée au titre de la libre
circulation.
M. Jean-Pierre HÉLIOT : On a aujourd'hui un barrage pour les
PNC et d'ailleurs également pour les personnels navigants techniques (PNT), qui est le barrage des diplômes d'Etat - ou des diplômes JAA pour le PNT - et aussi
le problème de la langue. Je précise, en effet, que nous avons aujourd'hui l'obligation de parler la même langue dans les cockpits et dans les cabines d'avions
passagers, c'est-à-dire de parler le français sur les lignes françaises. Mais je ne suis pas sûr que ce sera le cas demain - je suis même sûr du contraire. Parce
que, dans l'application du Crew resources management, dont M. Loisel parlait tout à l'heure, je ne suis pas sûr que le fait de parler 35 langues
différentes, comme je l'ai entendu dire par mon collègue, soit compatible avec la bonne communication qu'implique ce système.
Il faut savoir - ce qui est assez paradoxal - que beaucoup de
compagnies de troisième niveau, charters ou autres, utilisent heureusement des avions français du style Airbus, et, paradoxalement, en dehors bien sûr des
équipages et des pilotes d'Air France, il y a très peu de pilotes, et particulièrement de pilotes demandeurs d'emploi, ayant aujourd'hui une qualification de
type Airbus. Il n'y en a pratiquement pas. Nous faisons donc appel, pour travailler dans nos compagnies, à des Européens, des Anglais mais essentiellement,
d'ailleurs, des Belges parce qu'ils parlent français. Il faut quand même savoir que nous avons validé, depuis un an et demi à peu près, 400 licences
européennes de PNT extérieures à la France. Je ne connais pas le chiffre exact de M. Pic, concernant les chômeurs, mais je peux vous apporter le chiffre que
j'ai obtenu hier de la direction du travail et de l'emploi de la DGAC : les demandeurs d'emploi étaient, hier, de 1 852 parmi les pilotes français.
M. Didier GUY : Je voudrais apporter brièvement un éclairage
complémentaire sur le plan linguistique parce que ce point est très important du point de vue de la sécurité et qu'il apporterait une réponse à la question de la
compétence linguistique des pilotes formés en France qui sont majoritairement des pilotes français. Il est important que les centres de formation puissent
dispenser leur enseignement, autant que possible, en anglais. C'est important pour les futurs pilotes mais aussi pour que nous puissions exporter notre
savoir-faire en matière de formation, parce qu'il est certain qu'il faudra s'exprimer en anglais si nous voulons accueillir en formation des Hollandais, des
Scandinaves ou des Chinois. Ce sera en anglais, ou bien cela ne se fera pas.
Par ailleurs, il faut éviter certaines contradictions et je pense à
une loi qui est souvent citée comme un épouvantail parce qu'elle freine nos efforts pour former davantage en anglais. C'est la loi Toubon. Quelles que soient
les bonnes intentions de ce texte, il peut avoir des effets désastreux s'il est appliqué à la formation. Il faut que nous puissions utiliser de la
documentation en langue anglaise et il faut que nous puissions parler anglais à la radio quand nous communiquons sur les terrains d'aviation. C'est en général
possible mais il y a des cas où ça ne l'est pas et ces cas sont utilisés, très naturellement, comme autant d'aspérités auxquelles se raccrochent ceux qui ne
veulent pas qu'on passe à l'anglais, parce qu'ils ne sont pas bons. Je pense à certains instructeurs de mon école et je suis sûr qu'il y en a ailleurs. Il est
très dommage que nous ayons ainsi des dispositifs contre-productifs. Le jury des examens a beaucoup évolué et dans un sens très positif sur ce point, mais il
reste certainement beaucoup à faire.
M. Jean-François CRUCIS : Je ferai une distinction entre
l'anglais technique et l'anglais général. L'anglais technique est très procédurier avec une phraséologie normée et des termes très précis que les Anglo-saxons
n'appliquent d'ailleurs pas toujours, en particulier les Américains. Il ne faut pas que nous ayons honte, nous, Français, de mal parler l'anglais, parce qu'en
matière d'anglais technique pur, cet anglais normé est très mal parlé aux Etats-Unis et les Américains ont beaucoup de progrès à faire, ce qui n'est peut-être
pas le cas des Anglais.
L'autre anglais, plus général, qu'on utilise en dehors des
procédures classiques, lorsqu'il y a des problèmes, n'est peut-être pas au niveau qu'on pourrait souhaiter chez Air France, et cela est en grande partie dû à
ce que fait l'Education nationale dans ce domaine. Nous récupérons beaucoup de Bac+2, Maths sup, Maths spé dont le niveau d'anglais n'est pas celui qu'on
constate chez les jeunes Hollandais, pour citer leur exemple, puisque nous sommes de plus en plus proches d'eux au sein de KLM. Sans vouloir tout faire peser
sur l'Education nationale, je crois que nous avons d'énormes progrès à faire sur ce plan, dès la maternelle d'ailleurs.
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Je vais très vite conclure sur
l'anglais. Soyons clairs, le niveau d'anglais des pilotes de ligne est aujourd'hui celui du diplôme universitaire obtenu. On ne fait pas d'anglais dans la
formation de base des pilotes, et on n'a pas réglementairement de cours d'anglais, si ce n'est l'anglais technique - phraséologie, procédure, etc. -, dont vient
de vous parler M. Crucis.
Mme la Présidente : Cela rejoint la question que j'allais poser
en guise de conclusion à tout le monde : que proposez-vous comme améliorations ?
M. Jean-Pierre HÉLIOT : Ce n'est pas nous qui allons faire des
propositions dans ce domaine, parce qu'elles sont faites par l'OACI. Celle-ci, consciente de la faiblesse du niveau d'anglais - et pas seulement chez les
Français, mais aussi dans le reste du monde non anglo-saxon - va imposer un niveau d'anglais général qui sera évalué à partir de la fin 2004, et qui, sur une
échelle de 1 à 6, sera de niveau 4 pour les pilotes. Je parle bien d'anglais général, pas de l'anglais technique.
Il va donc falloir que tout le monde fasse un effort considérable,
les compagnies, les pilotes existants, les écoles qui iront peut-être aussi - comme le désire M. Didier Guy - vers une formation en anglais, et, bien
évidemment, l'administration qui va être obligée de mettre au point les moyens de contrôle de ces niveaux. Voilà ce qui est prévu dans un avenir relativement
proche.
M. Serge MARTINEZ : A titre d'exemple, puisque je suis passé
par l'ENAC, je peux vous dire que j'avais une heure d'anglais hebdomadaire. Cela vous donne une idée de l'intérêt qu'on peut avoir pour cette langue. Seuls les
militaires, pour des problèmes de compréhension interarmes ou d'alliance, ont des stages d'anglais organisés, avec de véritables stages d'immersion.
M. Denis APVRILLE : Cela a beaucoup changé depuis votre époque.
Il y a maintenant 90 heures d'anglais dans la formation d'Etat, la formation SEFA et l'ENAC, et en plus, pendant la formation théorique dans les centres, on fait
du face à face élèves pendant 60 heures. Ils ont, par ailleurs, beaucoup de moyens à leur disposition. Cette formation s'est améliorée, même s'il y a encore des
progrès à faire.
M. Serge MARTINEZ : 90 heures d'anglais par an, cela ne fait
jamais qu'une heure 30 hebdomadaire.
M. Denis APVRILLE : La formation théorique n'est pas sur un an,
nous la faisons sur huit mois.
M. Serge MARTINEZ : Hors groupe Air France, moins de la moitié
des compagnies françaises font passer une épreuve d'anglais aux pilotes qu'elles recrutent. C'est une réminiscence de la loi Toubon.
Mme la Présidente : Y en a-t-il parmi vous qui souhaitent faire
des propositions pour améliorer le système actuel, en terme de formation notamment ?
M. Philippe RAFFIN : Pour garantir la sécurité, une compagnie
sérieuse doit avoir des compétences et du temps pour consolider et fiabiliser sa structure opérationnelle. Elle a besoin de faire des investissements lourds en
matériels et en hommes, et elle a surtout besoin de sérénité pour permettre à chacun de travailler et de se former.
Nous avons identifié quelques pistes : en matière de formation en
particulier, l'Etat souhaitait se désengager de la formation pour faire reposer ces coûts sur les opérateurs. C'est sa responsabilité. Il convient néanmoins,
plutôt que de se retourner vers ces opérateurs, de renforcer les contrôles, de contrôler les organismes de contrôle eux-mêmes, par exemple en publiant des
rapports d'audit, pour que chacun des consommateurs sache à qui il a affaire. Je vais vous donner un exemple : on évitera peut-être un certain nombre de choses
le jour où les tour-opérateurs accepteront de publier sur les billets le nom des compagnies qu'ils affrètent.
Je pense qu'il faut responsabiliser l'ensemble des intervenants, et
notamment les tour-opérateurs, en les rendant coresponsables du niveau de sécurité des compagnies qu'ils affrètent. Cela me semble essentiel. Ensuite,
contraindre la totalité des opérateurs à indiquer clairement, au moment où ils vendent le billet, sur quelle compagnie les gens vont voyager, et s'il y a un
changement, d'obliger les commerciaux à informer la clientèle de ce qui se passe.
Enfin, on peut aussi - c'est assez facile - cesser de délivrer des
CTA, c'est-à-dire des certificats de transport aérien, aux mêmes entreprises et aux mêmes chefs d'entreprise, lorsque ces derniers ont montré, pour le moins,
leur incapacité à gérer les compagnies aériennes, ont couvert des malversations ou commis des infractions graves aux règles de sécurité. Il y a du ménage à
faire de ce point de vue, même chez nous.
Ensuite je pense qu'il convient de faire pression au plan
international pour que certains pays, ainsi que le nôtre, cessent de cautionner des entreprises ou des administrations qui ne sont véritablement pas sérieuses.
M. Didier GUY : Vous demandez des propositions pour que la
formation puisse être améliorée : pour que la formation initiale puisse s'améliorer, il me semble qu'il faudrait d'abord qu'elle continue d'exister, et toutes
les mesures que vous pourriez prendre pour que les conditions économiques d'exercice de cette formation soient aussi équitables et aussi équilibrées que possible
par rapport à notre concurrence - qui est internationale -, seraient bienvenues : c'est évidemment tout particulièrement le problème du prix du carburant qui est
élevé à cause de la fiscalité du carburant. Et, comme cela a été abondamment évoqué sur d'autres sujets - et c'est un sujet plus difficile encore -, il y a le
problème du coût du travail, des charges sociales, et de l'ensemble du dispositif de protection sociale.
M. Denis APVRILLE : Un sujet a été peu abordé, bien qu'il
figure parmi les questions, c'est le pourcentage de simulateurs ou d'entraîneurs en vol dans la formation. Les simulateurs sont de plus en plus utilisés - et
heureusement - parce qu'ils sont très précieux. Mais il existe actuellement des projets internationaux qui conduiraient à mettre en co-pilotes sur des avions de
type Airbus des personnes qui n'auraient que 70 heures de vol ou même 60. Cela risquerait de devenir dangereux, parce qu'au-delà de l'aspect technique et du
savoir-faire qu'on peut acquérir sur un simulateur, il y a ce sens de l'air et cette expérience qu'on a en l'air et qui sont, à mon avis, très importants. Il
faudra être extrêmement vigilant sur ce point car il y a un vrai danger.
Mme la Présidente : Nous n'avons malheureusement pas pu aborder
tous les sujets que nous avions identifiés pour ce débat. Vous avez reçu un questionnaire et vous pourrez compléter votre contribution par écrit, si vous le
souhaitez.
Table ronde sur la sécurité dans le contrôle du trafic aérien regroupant
M. Gilles MANTOUX, direction de la navigation aérienne (DNA) à la DGAC et M. Olivier JOUANS, service du contrôle du trafic aérien (SCTA) à la DGAC,
M. Frédéric RICO, Aéroports de Paris (ADP),
M. Yann GOUPIL et M. Gérald RÉGNIAUD, Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien (SNTCA),
M. Daniel JOUSSE, Union syndicale de l'aviation civile (USAC-CGT),
M. Jean-Pierre HESTIN, direction de la circulation aérienne militaire (DIRCAM),
M. Vincent FAVÉ, expert auprès de la Cour de Cassation,
Mme Martine BLAIZE, M. Jean-Robert BAUCHET et M. Erik MERCKX, Eurocontrol,
M. Koen De VOS et le général François RIVET, direction du transport aérien de la Commission européenne
(Extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Merci à tous de vous être rendus
disponibles pour cette matinée de travail organisée dans le cadre de notre mission sur la sécurité du transport aérien.
La table ronde qui nous réunit ce matin est consacrée au contrôle
aérien. Il s'agit d'apprécier comment est pris en compte le problème de la sécurité dans le contrôle du trafic aérien, dans les règles d'approche et dans la
conception des infrastructures aéroportuaires.
Cette question est largement d'actualité puisque la presse vient de
faire état des conclusions de la catastrophe de Milan qui avait fait 118 morts en 2001, lors d'une collision entre deux avions dans un aéroport. On a également
appris, il y a quelques jours, qu'un avion de la compagnie Alitalia avait heurté un autre avion sur la piste de l'aéroport de Trieste, heureusement sans
conséquences graves pour les passagers.
Notre réunion d'aujourd'hui sera suivie, demain à Toulouse, de la
visite du centre d'évaluation de la navigation aérienne. Nous nous déplacerons aussi à Bruxelles au début du mois de mai pour prolonger cette réunion au siège
de l'organisation d'Eurocontrol.
Pour commencer, je demande à chacun de se présenter brièvement.
Ensuite, je donnerai la parole aux représentants de la DGAC, de la Commission européenne et d'Eurocontrol, afin qu'ils nous permettent de situer la
problématique sur le plan réglementaire.
Ensuite, nous procéderons, comme d'habitude, aux échanges de
questions/réponses, afin que le débat puisse nous amener le plus loin possible.
M. Olivier JOUANS : Je suis chef du département exploitation et
sécurité du Service du contrôle du trafic aérien, le SCTA.
M. Gilles MANTOUX : Je suis conseiller du directeur de la
navigation aérienne, M. Jean-Yves Delhaye, qui, tout fraîchement nommé, n'a pas pu inscrire cette matinée dans son agenda. J'ai également rédigé la réponse au
questionnaire, qui vous a été transmise.
M. Frédéric RICO : Je suis directeur des opérations aériennes à
Aéroports de Paris (ADP).
M. Yann GOUPIL : Je suis secrétaire national du Syndicat
national des contrôleurs du trafic aérien (SNCTA) et aussi contrôleur à Roissy/Charles de Gaulle.
M. Gérald RÉGNIAUD : Je suis délégué national du SNCTA et
contrôleur à Reims.
M. Daniel JOUSSE : Je représente le syndicat CGT de l'aviation
civile. Je suis contrôleur aérien de formation et, professionnellement, coordinateur national du retour d'expérience.
M. Jean-Pierre HESTIN : Je suis colonel, directeur adjoint de
la direction de la circulation aérienne militaire. Je représente le général Cazarré qui, retenu à Bruxelles, ne pouvait pas participer à cette table ronde.
M. Vincent FAVÉ : Je suis expert judiciaire agréé par la Cour
de cassation.
M. Jean-Robert BAUCHET : Je suis directeur du CFMU36
d'Eurocontrol, l'organisme central de gestion des courants de trafic aérien, à Bruxelles.
Eurocontrol a plusieurs missions parmi lesquelles une mission
opérationnelle, qui est la gestion des courants de trafic aérien en Europe, en étroite collaboration avec les organismes de contrôle de circulation aérienne.
Nous gérons les flux.
Eurocontrol a d'autres missions de réglementation en relation avec
la Commission européenne et des missions de suivi de programmes, notamment des programmes de sécurité sur lesquels nous reviendrons.
Mme Martine BLAIZE : Je travaille chez Eurocontrol en tant
qu'adjointe au responsable de l'unité de réglementation de la sécurité aérienne.
M. Eric MERCKX : Je suis chef d'unité chez Eurocontrol, chargé
de la mise en place de systèmes de gestion de sécurité en support pour les fournisseurs de service.
M. Koen DE VOS : Je travaille à la direction générale des
transports et de l'énergie de la Commission européenne, notamment dans l'unité de gestion de trafic aérien. Notre unité est responsable du dossier « ciel
unique ».
M. François RIVET : Je travaille dans la même équipe que Koen
De Vos à la Commission européenne.
Mme la Présidente : La parole est au représentant de la DGAC.
M. Gilles MANTOUX : Vous aurez l'occasion d'examiner le
contrôle de la sécurité dans des entreprises commerciales où le ressort de l'activité est de réaliser un résultat économique. La particularité de la gestion du
trafic aérien et de son c_ur, le contrôle de la circulation aérienne, et sa raison d'être même, est la sécurité des passagers, des équipages et des populations
survolées. Cette activité n'est donc pas en conflit avec la recherche d'un profit commercial. La sécurité est la priorité numéro un de la gestion du trafic
aérien.
Cette caractéristique l'a fait classer par la jurisprudence
française comme une police administrative et par la jurisprudence communautaire comme une activité ne justifiant pas l'application des règles de concurrence du
traité de Rome. C'est d'ailleurs rappelé dans les règlements « ciel unique européen ». Cette considération est importante, même si la gestion du trafic aérien
a aussi pour but l'écoulement efficace et sans retard des vols, et cela dans un contexte de croissance de leur nombre. Dans une ressource limitée, l'espace, il
faut faire passer de plus en plus d'avions. Ce n'est possible qu'au prix d'un accroissement et d'une évolution permanente des techniques et, partant, d'une
augmentation constante de la sécurité. S'attachent tout de même à cette activité l'objectif de performance économique et, de manière croissante, la protection
de l'environnement autour des aéroports.
La gestion du trafic aérien reste, à travers l'Europe, une
responsabilité des Etats, même si le prestataire de service de navigation aérienne est le plus souvent une entreprise publique, à l'exception du Royaume-Uni où
l'entreprise, bien que privatisée, reste néanmoins sous un contrôle fort de l'Etat. C'était d'ailleurs une activité d'Etat jusqu'au début des années 90.
J'en viens maintenant à l'organisation de la sécurité dans le
contrôle du trafic aérien. Nous verrons que cette considération générale a son importance. Vous m'avez demandé de parler du cadre de l'OACI. On retrouve un
cadre similaire à celui de la surveillance des aéronefs, à savoir la convention de Chicago de 1944 et les normes et pratiques recommandées recensées dans les
annexes à cette convention. Il faut savoir que les deux tiers des annexes de la convention de Chicago concernent l'organisation du trafic aérien et les
services de navigation aérienne.
S'ajoutent à ces documents normatifs des documents de procédure qui,
dans des détails assez poussés, fixent les procédures de circulation aérienne employées de manière universelle et harmonisées dans les différents Etats. C'est
aussi une dimension qui permet de retrouver les mêmes procédures au travers des différents pays et par conséquent, une coopération internationale poussée entre
prestataires de service de navigation aérienne où la coopération en matière de sécurité entre transporteurs aériens n'est pas naturelle, en soi.
L'OACI intervient également par la planification de l'organisation
du trafic aérien à une échelle régionale, c'est-à-dire continentale. Cette planification consiste, par exemple, en l'introduction de nouveaux réseaux de
routes ; la séparation des niveaux de vol, récemment réduite en espace supérieur, est un exemple de cette planification régionale. Il y a également les balises
et les services rendus et l'introduction des changements technologiques majeurs.
Enfin, l'OACI prend un certain nombre de décisions dans le cadre de
son assemblée, de son conseil et des conférences qui préparent les évolutions normatives. Par exemple, la décision en 2001 de préconiser au niveau mondial
l'introduction de systèmes de gestion de la sécurité dans les services de navigation aérienne. Cette décision, assez récente, essaye de renforcer la
formalisation de la gestion de la sécurité dans ces services.
Je passerai rapidement sur le cadre européen, même si les documents
distribués recensent quelques points seulement des activités d'Eurocontrol. Je rappelle seulement que la France était un pays fondateur d'Eurocontrol en 1960
et qu'elle est l'un de ses plus gros contributeurs, sinon le plus gros sous l'aspect financier et, bien sûr, en apport de savoir-faire et du désir de partager
son niveau de connaissance et ses capacités de coopération avec les Etats de la zone Europe. Cela vaut notamment pour la sécurité où la France a une expérience
très reconnue et motrice dans l'organisation de la sécurité de la navigation aérienne.
Le rôle de l'Union européenne va aller croissant dans ce domaine à
la suite des règlements « ciel unique », même si le but initial de ces règlements n'est pas l'augmentation de la sécurité, mais a été mû plutôt plus par des
considérations d'efficacité économique et d'organisation institutionnelle et d'interopérabilité.
Une directive de 2003 sur les comptes rendus d'événements concerne à
la fois les événements de sécurité de navigation aérienne, c'est-à-dire les incidents de contrôle de trafic aérien, aussi bien que les incidents concernant
l'exploitation d'aéronefs, de navigabilité ou de maintenance. Elle entrera dans les faits prochainement.
Au plan national, l'organisation de la sécurité dans la gestion du
trafic aérien réside dans un grand nombre de mesures.
L'action première, et permanente, est la formation des personnels au
niveau de leur qualification initiale, mais aussi du maintien de leur qualification tout au long de leur vie professionnelle, leur formation aux matériels
nouveaux, le maintien de leurs connaissances linguistiques, leur formation aux situations anormales et dégradées qui profitent sans cesse du retour
d'expérience, les facteurs humains, comme les phénomènes de gestion d'équipe.
Un autre point clef de l'organisation est l'analyse des incidents et
le retour d'expérience qui en est fait à la fois au niveau national et au niveau local. Ce système a été développé en même temps que la gestion de la qualité
en général dans les services, par exemple au niveau de la régularité et de la disponibilité des chaînes techniques dont se servent les contrôleurs aériens et
du service rendu aux usagers.
Par exemple, la procédure « airprox » s'applique aux incidents
signalés par un équipage. Il y a aussi tous les événements recensés par les organismes locaux de contrôle aérien qui sont systématiquement analysés, après
enregistrement dans une base de données nationale, qui est également disponible dans tous les organismes locaux. Cette base de données recense 15 000 à
20 000 événements par an, qui sont systématiquement analysés et sur lesquels les commissions locales de sécurité reviennent en tant que de besoin pour faire
progresser les connaissances et le partage de ces connaissances aux personnels.
La DGAC traite des systèmes et des équipements eux-mêmes, la façon
de les concevoir et de les développer. Il en va de même pour les procédures de circulation aérienne, notamment aux alentours des aéroports.
Le point clef dans ce domaine est l'implication des personnels à
tous les stades de conception, de développement et de préparation de mise en service de ces systèmes, de ces équipements et de ces nouvelles procédures.
Le formalisme s'est accru avec la formalisation récente des
procédures de mise en service et de maintenance programmée des équipements dans des documents qui font partie du manuel d'exploitation de l'opérateur de
navigation aérienne.
Les contrôleurs bénéficient d'aides en nombre croissant sous forme
de filets de sauvegarde, de radars sol sur les aéroports et de l'équipement MSAW37
qui permet au contrôleur de détecter des rapprochements anormaux d'un aéronef avec le sol, à proximité d'un aéroport, et d'alerter l'équipage sur son attitude
anormale. C'est plutôt une aide du contrôleur à l'équipage, mais prise en compte par la navigation aérienne.
La DGAC a en charge la structuration de l'espace aérien, entre
autres, par une classification de l'espace en différentes catégories qui comportent des exigences pour accéder à ces catégories d'espace. On peut notamment
gérer, en fonction de la densité du trafic, la ségrégation des trafics commerciaux en règles de vol aux instruments et les trafics en vol à vue qui ne
disposent pas des mêmes moyens à bord.
Enfin, la DGAC assure la régulation des flux de trafic dont la
France a été un pays pionnier en Europe, en liaison avec CFMU d'Eurocontrol qui repose sur un système centralisé à Bruxelles, en liaison avec des
correspondants situés dans les grands organismes de contrôle, notamment les « centres en route » qui gèrent la charge de trafic passant à travers les centres
de contrôle, grâce à des prévisions et des outils informatiques permettant de plafonner les vols passant à travers une zone, dès lors que la demande de trafic
excéderait la capacité raisonnable de traitement permettant au contrôleur de gérer en toute sécurité son espace.
La réorganisation en cours de la DGAC prévoit une formalisation dans
la séparation des activités de navigation, de prestations de service et de surveillance des services qui sera accrue. Cette séparation repose aujourd'hui sur
des principes d'organisation. Actuellement, il y a des personnels différents pour assurer la surveillance de la sécurité et pour rendre les services. La
création d'une direction de la sécurité et de la sûreté, qui correspondra à la notion d'autorité nationale de surveillance, au sens des règlements du ciel
unique, délimitera très nettement les attributions, alors que les activités de réglementation iront à une direction chargée de la réglementation : la direction
des affaires stratégiques et techniques.
M. Jean-Robert BAUCHET : Nous vous avons donné un dossier de
fond, sur lequel nous passerons rapidement.
Je rappelle simplement qu'Eurocontrol est une organisation
intergouvernementale chargée de la sécurité de la navigation aérienne dont la première convention remonte à 1960. Elle regroupe les ministères des transports
et ceux de la défense, de 32 Etats européens, l'objectif étant de regrouper l'ensemble des Etats membres de la Conférence européenne de l'aviation civile
(CEAC) qui représente une quarantaine d'Etats en Europe, plus la communauté européenne.
La Commission européenne siège dans les instances d'Eurocontrol
depuis peu. Les quinze Etats peuvent être représentés au sein d'Eurocontrol par la Commission. Dans quelques jours, la Commission pourra représenter vingt cinq
Etats sur les trente deux.
La structure d'Eurocontrol s'articule sur deux grands piliers qui
préfigurent - l'organisation n'est pas totalement achevée - la séparation en le régulateur et l'opérateur ; point important que vous avez du reste souligné
dans le questionnaire. Le conseil d'Eurocontrol est composé des directeurs généraux de l'aviation civile et des directeurs de la circulation aérienne
militaire. Il est important de le souligner. A ce conseil, composé de directeurs généraux représentant les ministres, sont directement rattachées des
commissions et, en particulier, la commission de réglementation de la sécurité, auprès de laquelle nous mettons à disposition une unité, un support. Mme
Martine Blaize représente cette commission de réglementation qui travaille de plus en plus en étroite collaboration avec la Commission européenne. Nous y
reviendrons certainement, puisque certaines de vos questions portent sur les ESARR38,
les règlements édictés par Eurocontrol qui seront repris dans la réglementation communautaire.
D'autres commissions, indépendantes, sont rattachées au conseil.
Elles sont composées de personnalités cooptées d'un certain nombre d'Etats qui rapportent directement au conseil.
Enfin, Eurocontrol s'appuie une agence avec un directeur général et
du personnel Eurocontrol, dont les activités principales figurent sur le document qui vous a été remis. Nous en relèverons deux :
- la gestion de programmes paneuropéens, dont ceux qui traitent de
la sécurité en Europe. M. Erik Merckx, responsable de cette unité, développera cet aspect ;
- des prestations de services de la circulation aérienne - Gilles
Mantoux en a parlé - dans un centre à Maastricht et, prochainement, dans un centre pour la partie centrale de l'Europe. De plus, tous les Etats membres de la
CEAC ont décidé de confier à Eurocontrol la mise en _uvre et l'exploitation d'un organisme central de gestion des courants de trafic aérien, plus connu sous le
sigle anglais CFMU, situé à Bruxelles et que je dirige. De façon schématique, son travail est de faire en sorte qu'il n'y ait pas de « bouchon » du ciel. Cet
organisme n'intervient pas directement sur les avions en tant que tels - ce sont les organismes de contrôle et les contrôleurs qui en sont chargés -, son rôle
est de faire en sorte que les flux de trafic qui vont se présenter sur les aéroports ou dans les centres de contrôle ne dépassent pas un certain niveau pour
des questions de sécurité. C'est un premier filtre de sécurité par rapport à la charge de travail.
La présentation va maintenant être faite par les spécialistes. La
préparation à la réglementation sera présentée par Martine Blaize ; le suivi de programmes pour gérer la sécurité au niveau européen - qui concerne trente deux
Etats en Europe aujourd'hui - sera présenté par Erik Merckx.
Mme Martine BLAIZE : Nous avons rappelé la séparation de plus
en plus importante des tâches régaliennes de l'Etat, réglementaires, de celles de prestations de service. Au niveau européen, cela a été acté par une décision
politique en 1997 par la Conférence européenne de l'aviation civile. Dans ce cadre, une clarification des responsabilités s'établit, bénéfique à nos yeux.
Dans le cadre de cette clarification de responsabilités, la
commission de réglementation de sécurité d'Eurocontrol contribue à harmoniser à la fois les règlements de sécurité pour le contrôle aérien, mais aussi les
méthodes de vérification pour s'assurer que ces méthodes sont bien mises en place.
Il y a deux volets aux tâches régaliennes : l'établissement
d'exigences réglementaires et la vérification que ces exigences sont bien respectées par le prestataire de service. Eurocontrol contribue donc à standardiser
les approches européennes dans ces deux volets de tâches publiques.
Nous avons des réglementations communes, mais aussi des programmes
d'assistance pour les régulateurs nationaux et des programmes de formation.
Voilà ce que je souhaitais ajouter pour expliquer comment nous
contribuons à harmoniser les fonctions réglementaires du contrôle aérien en matière de sécurité.
M. Erik MERCKX : Comme vous l'ont dit Mme Blaize et M. Bauchet,
Eurocontrol travaille pour assurer la sécurité dans tous les pays membres. Son rôle se partage entre la régulation de la sécurité et l'application des programmes
de sécurité. Si je peux me permettre une analogie, Mme Blaize prépare des textes pour se conformer à la réglementation qui oblige les voitures à s'arrêter devant
un feu rouge. C'est à nous en quelque sorte d'expliquer au chauffeur comment freiner pour s'arrêter au feu rouge.
Un point essentiel pour les programmes de sécurité est de s'assurer
que les fournisseurs de services ont un système de gestion de sécurité. M. Mantoux l'a déjà évoqué. L'organisation internationale de l'aviation civile, l'OACI,
affirme également la nécessité de l'existence d'un système de gestion de sécurité dans la gestion de la circulation aérienne.
Avoir un système de gestion de sécurité signifie que les dirigeants,
le directeur général, les managers disposent à chaque instant d'une photo complète de la sécurité de l'organisation. Arriver à un tel niveau de sécurité
implique la mise en place d'un certain nombre de mesures. En conformité avec la régulation européenne ESSARR, nous prescrivons que l'organisation ait une
stratégie, une politique claire au niveau de la sécurité et que celle-ci soit bien communiquée à tout le monde dans l'organisation.
Sans entrer dans le détail, j'ajouterai que l'on doit avoir un
système de rapport des incidents pour pouvoir les analyser afin d'en tirer les leçons qui seront ensuite expliquées à tout le monde.
Il faut aussi avoir une méthodologie pour analyser tous les risques
qui peuvent exister lors de changements dans l'organisation, par exemple quand on change l'équipement, certaines procédures de vol, l'organisation elle-même.
Il faut à chaque fois analyser les risques.
Autre point qui fait partie d'un bon système de gestion de
sécurité : il faut savoir, à tout moment, quels sont les indicateurs de sécurité. Il n'y a pas que les incidents. Les autres indicateurs doivent assurer la
mesure, le suivi. Sinon, comment sait-on que l'organisation est sûre ou pas ?
Une partie de mon équipe a pour fonction de venir en support des
fournisseurs de services dans tous les Etats membres d'Eurocontrol. On le fait pour les 41 membres du niveau paneuropéen.
Au niveau matériel, nous leur apportons par exemple des guides de
formation. Trois à quatre fois par an, nous nous réunissons avec l'ensemble des directeurs de sécurité des fournisseurs de services pour échanger des exemples.
Nous avions hier soir une discussion sur la bonne traduction en français de l'expression best practices. Nous avons opté pour « les meilleures façons de
travailler. » Nous essayons d'échanger de l'information sur ces bonnes pratiques pour harmoniser les systèmes de gestion de sécurité.
M. Koen DE VOS : Je vais vous présenter quelques aspects de la
sécurité dans ce paquet « ciel unique » en répondant à trois questions : qu'est-ce que le paquet ciel unique ? Quels sont ses objectifs ? Quels sont ses aspects
de sécurité ?
Le paquet « ciel unique » est, en fait, composé de quatre règlements
adoptés le 31 mars 2004 qui sont entrés en vigueur le 20 avril. Ces quatre règlements sont le règlement cadre sur la réalisation du ciel unique, qui établit un
cadre institutionnel de gestion de l'espace aérien, ainsi que de nouvelles méthodes de travail. Le deuxième règlement concerne la fourniture des services de
navigation aérienne, ce qui inclut la gestion du trafic aérien. Le troisième règlement concerne l'organisation et l'utilisation de l'espace aérien pour créer
un espace européen en tant que continuum fonctionnel. Le quatrième règlement concerne l'équipement pour assurer l'interopérabilité.
Ce paquet « ciel unique » sera applicable non seulement dans les
vingt cinq pays de l'Union européenne, mais aussi dans les Etats avec lesquels l'Union a conclu des accords, comme la Suisse, la Norvège etc. On vise à établir
un European common aviation area, un espace commun d'aviation civile qui va au-delà de ces pays et qui pourrait encore inclure les autres pays
candidats. On vise même à inclure les pays balkaniques dans un terme plus lointain. C'est la vision de l'avenir.
Quels sont les objectifs de ce paquet « ciel unique » ? Ils sont
doubles. C'est à la fois augmenter l'efficacité de l'organisation de la gestion de trafic aérien et renforcer la sécurité. L'article premier du règlement cadre
prévoit que : « L'initiative ciel unique européen a pour objectif de renforcer les normes de sécurité actuelles et l'efficacité globale de la circulation
aérienne. » Ce sont ces deux objectifs à la fois qui devraient être atteints.
Quels sont les aspects principaux de sécurité contenus dans le
paquet « ciel unique » ?
L'initiative réglementaire établit un pouvoir de renforcement des
actes réglementaires. Je reprends l'exemple d'Erik Merckx. Il établit les règles pour s'arrêter au feu rouge et aide les chauffeurs à trouver les façons de le
faire. Nous avons un cadre dans lequel nous pouvons aussi assurer le rôle de police pour être certains que le chauffeur freine. C'est un pouvoir de
renforcement de nos lois. C'est notre atout. C'est aussi le cadre législatif dans lequel seront transposés les ESARR mentionnés par Martine Blaize.
Le deuxième aspect de sécurité constitue notre approche horizontale
de ces aspects de sécurité : la sécurité sera une partie intégrante des critères de certification des prestataires de services. La sécurité sera prise en
compte, dès le début, dans cette politique de certification. Quand on va établir des règles sur l'interopérabilité, la sécurité fera partie intégrante de la
politique d'interopérabilité.
Troisièmement, j'ai mentionné la nomination des acteurs avec des
responsabilités précises. La législation est faite au niveau européen avec des lois européennes. Les Etats membres seront obligés de nommer des autorités de
surveillance et les prestataires de services pourront offrir toute la gamme de services ou un seul type de services. On a donc défini tous les services de
navigation aérienne, y compris le trafic. La gestion du trafic aérien est un des services. La façon de s'organiser est au choix des prestataires de services.
On procède par un système de certification de tous les services de navigation aérienne.
Les Etats membres peuvent continuer à désigner leurs prestataires de
services seulement dans le domaine du trafic aérien et de la météorologie sans les mettre en concurrence. Donc, des services de fourniture de communication
peuvent être mis en concurrence, mais c'est le libre choix du prestataire de service et aussi, en fait, le libre choix de chaque Etat membre qui désigne son
prestataire de services.
Le quatrième principe est le principe sacro-saint de séparation
entre surveillance et prestation de services pour éviter des conflits d'intérêt.
J'ai déjà mentionné la certification des prestataires de services.
Nous allons utiliser l'instrument juridique pour établir des exigences communes, en transposant les règlements d'Eurocontrol, les ESARR, dans le droit
communautaire. Puisque la plupart des ESARR s'adresse aux prestataires de services, les exigences communes qui seront inscrites dans des règlements de mise en
_uvre, s'adresseront aussi aux prestataires de services. Nous allons en profiter pour incorporer la plupart des ESARR dans cet instrument communautaire, dans
les mois qui viennent.
On parle aussi beaucoup de la notion de « bloc fonctionnel
d'espace » : l'établissement d'un dossier de blocs fonctionnels sera aussi étayé par un dossier de sécurité.
Le septième élément de sécurité est l'harmonisation des compétences
qui prévoit une licence communautaire pour les aiguilleurs du ciel.
Pour terminer, je voulais souligner l'expérience d'Eurocontrol et la
symbiose que l'on est en train d'établir entre les deux grandes institutions européennes qui, de plus en plus, ont un champ d'application convergent.
Mme la Présidente : Ces exposés nous ont permis de comprendre
que les règles étaient bien définies, que tout était fait pour qu'elle soient appliquées, que les vérifications étaient en place.
Je poserai la question du béotien pour lancer le débat. Tout cela
est réglé comme un ballet particulièrement brillant et structuré. Qu'en est-il des flux accidentels dus aux accidents météo, aux grèves, qui peuvent être dus
aussi - il y en a certainement beaucoup - à des incidents techniques, à des pannes d'aéronef, des pannes à l'intérieur même du système de contrôle ? Tous ces
imprévus ne se traduisent pas par des accidents. Bien heureusement !
Comment arrivez-vous à dominer ce type d'événements qui
n'apparaissent pas aux yeux du citoyen ? Ce dont le citoyen a connaissance, ce sont les avions qui se percutent au sol. C'est très rare, heureusement. Le ciel,
pour nous qui le regardons en amateurs, est un miracle. Avec l'augmentation du nombre de routes, l'augmentation des trafics, comment gérez-vous tous ces
aléas ?
M. Olivier JOUANS : Je répondrai à votre question sur notre
façon de gérer l'imprévu.
Vous parliez de la grève. S'agissant des systèmes de contrôle
aérien, nous avons une procédure assez particulière, puisque le préavis doit être déposé cinq jours avant. Ce n'est donc plus vraiment un imprévu. Nous gérons
les phénomènes de grève par la restriction du trafic. Nous n'autorisons pas les avions à décoller et nous adaptons le trafic autorisé à ce que nous sommes en
mesure de contrôler. Nous avons aussi la possibilité d'astreindre certains personnels pour maintenir la sécurité et assurer les vols nécessaires au maintien
des missions régaliennes du contrôle aérien français.
Pour les vrais imprévus, pannes techniques ou incidents météo - car
les phénomènes orageux contraignent le trafic aérien dans des proportions importantes - la méthode la plus utilisée pour garantir la sécurité est de réduire le
trafic. C'est là qu'intervient la CFMU dont M. Bauchet parlera. Quand le phénomène orageux est connu et se produit, nous suivons des procédures prédéterminées
qui consistent à réduire le trafic en l'air et à l'adapter aux espaces effectivement utilisables. Un nuage orageux n'est en général pas traversable par les
avions, ampute une partie de l'espace et réduit de fait nos capacités à contrôler les avions. Pour séparer des avions, il faut de l'espace, donc, s'il y a
moins d'espace, moins d'avions seront autorisés sur les zones concernées par les phénomènes orageux. C'est alors qu'intervient la CFMU, par les systèmes de
régulation. On déclare à la CFMU le nombre d'avions que l'on sera capable de prendre sur telle partie de l'espace français.
Mme la Présidente : Vous avertissez au plus haut niveau.
M. Olivier JOUANS : Nous avertissons la CFMU elle-même,
c'est-à-dire l'unité centrale. C'est un fait quotidien, puisque tous les jours nous déclarons le nombre d'avions que nous sommes capables de prendre par unité
d'espace français. Ce nombre varie en fonction des personnels disponibles, en fonction de l'espace disponible, puisque nous le partageons avec la Défense, et en
fonction des phénomènes météo. S'il y a un orage, nous avons moins d'espace, et donc moins d'avions contrôlables. Nous allons déclarer des capacités par secteur
plus faibles à la CFMU qui va attribuer à chaque avion un créneau de décollage de façon à garantir que, sur les espaces désignés, on n'ait pas plus que ce que
l'on est capable de maîtriser. La logique étant de garantir la sécurité des avions, il vaut mieux les maintenir au sol que d'avoir des bouchons en l'air.
Dernier point sur les incidences de la météo en cas d'orage ou
d'incidence météo forte mobilisant de l'espace : une autre solution consiste à récupérer de l'espace d'une façon ou d'une autre. La meilleure façon est
d'intervenir auprès de nos collègues militaires pour récupérer une partie de l'espace dévolu à un instant « t » aux missions de la Défense. Nous disposons là
aussi de procédures.
Mme la Présidente : On oblige les militaires à se pousser !
M. Olivier JOUANS : Si cela leur est possible de nous rendre de
l'espace, nous le mobilisons pour le trafic civil.
M. Jean-Pierre HESTIN : Nous n'utilisons pas ces termes-là,
mais il nous est beaucoup plus facile de libérer de l'espace puisque, en temps de paix, nous faisons des missions d'entraînement. Dans un espace particulier, en
cas de survenance d'un phénomène météo particulier, nous pouvons libérer de façon quasiment instantanée de l'espace au profit des avions de transport civil qui
auraient besoin de traverser une zone que nous aurions prévu d'activer.
Mme la Présidente : Vous servez en quelque sorte de vase
d'expansion !
M. Jean-Pierre HESTIN : Dans ce cas-là, oui.
Mme la Présidente : M. Rico, vous avez été interpellé. Je pense
que pour ADP, vous avez quelques précisions à apporter.
M. Frédéric RICO : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à
l'expression de M. Jouans. Vous avez posé des questions sur l'imprévu. Notre métier est de faire en sorte qu'il n'y en ait pas. Quand un imprévu survient, il
nous faut avoir des bretelles et une ceinture, plus une ficelle en poche au cas où les bretelles ou la ceinture nous lâcheraient.
C'est pourquoi tous nos systèmes informatiques sont doublés. Nous
avons un système opérationnel, un deuxième, que nous appelons le « secours chaud », qui est capable de reprendre instantanément les missions du premier
système. Nous avons perfectionné nos approches de sécurité grâce à la contribution des gens du Centre d'études de la navigation aérienne (CNA).
Nous essayons de faire en sorte que le système de secours - puisque
tous nos systèmes sont informatisés - ait été développé par une autre société informatique que celle qui a réalisé le système principal. De cette façon, si le
logiciel principal connaît des difficultés, nous avons une chance que cela ne se reproduise pas sur le système de secours.
La plupart du temps, nous avons un troisième système, de « secours
ultime », qui ne fournit pas les mêmes prestations en termes de capacité de traitement, en nombre d'avions à l'heure, mais qui est capable d'assurer les
fondamentaux de la sécurité.
Voilà ce que je peux dire sur ce point précis qui n'est pas ma
spécialité. Nous sommes des gestionnaires d'installations aéroportuaires.
Mme la Présidente : Après avoir entendu M. Bauchet, je
demanderai aux syndicats si le personnel est en nombre suffisant et si les conditions de travail sont satisfaisantes pour avoir la réactivité nécessaire à ce que
vous appelez le « secours ultime ».
M. Jean-Robert BAUCHET : Nous considérons, au niveau européen
que, fondamentalement, la sécurité in fine repose sur le contrôleur qui a à sa disposition un ensemble de moyens. Au final, c'est bien lui qui a la
responsabilité, qui gère en temps réel les avions.
Tout le système mis en place dans une approche européenne vise à
placer ce contrôleur dans les meilleures conditions possibles pour exercer cette fonction fondamentale d'anti-collision, de contrôle. Notamment au niveau de la
charge de travail.
Comme l'ont dit Gilles Mantoux et le représentant du SCTA, il ne
peut pas y avoir de bouchon dans le ciel. Quand on lit dans le journal qu'il y a eu un bouchon, cela me paraît être une aberration. Peut-on imaginer des avions
qui s'arrêtent comme dans un bouchon sur l'A7, pendant les vacances d'été ?
Mme la Présidente : Mais nous savons tous qu'il y a des
« millefeuilles ».
M. Jean-Robert BAUCHET : Oui, mais 1 000 pieds d'espace
séparent chaque feuille et la crème ! Heureusement ! Par contre, il est sûr que gérer un « millefeuille » n'est pas évident.
Nous en venons justement à la philosophie européenne qui est de
faire en sorte que le contrôleur ne soit pas, ou le moins souvent possible, dans la situation de gérer un « millefeuille », d'autant qu'en haute altitude,
c'est un énorme gâteau qui prend beaucoup de place. Tout le problème est de gérer cette quantité de travail.
Pour éviter cela, on fait attendre les avions au sol, avant le
départ. Ce principe fondamental a été adopté il y a plus de trente ans en Europe. Il n'est pas le même dans d'autres pays du monde, en particulier aux
Etats-Unis, mais ils y viennent de plus en plus. Quand on entendait dans certains aéroports, il y a quelques années, qu'à cause de l'encombrement du ciel,
Bruxelles imposait une demi-heure de retard, c'était une application directe dans une perspective de sécurité. Soit il y a avait justement un risque de
« millefeuille », soit l'aéroport de destination était encombré. Les contraintes sont multiples : contraintes d'environnement, de capacité, météorologiques.
Souvent, le passager ne comprend pas que c'est le brouillard sur
l'aéroport de destination qui explique la demi-heure de retard imposée pour éviter ce « millefeuille ».
Cette approche a donc été faite dans un contexte européen, d'où la
création du CFMU, il y a quelques années, qui a le pouvoir de bloquer les avions, d'orienter les flux de trafic. C'est aussi lui qui, en situation difficile,
va imposer une heure de décollage, en fonction des prévisions. De la même façon que les stations de radio informent les automobilistes des bouchons routiers.
L'organisme central, en liaison avec les centres de contrôle dans
l'Europe entière, a pour rôle de prévoir ces bouchons et de dire à ceux qui habitent le 14e qu'ils ne pourront partir qu'à dix-huit heures et ceux
du 15e à dix-huit heures trente pour arriver à une certaine fluidité. Ce principe a été établi dans un but de sécurité, puisque toute la philosophie
est de maintenir la charge de travail du contrôleur à un niveau acceptable.
Les événements imprévus, les situations de brouillard, de neige sont
prévus dans leur principe. Ce que l'on ne connaît pas, c'est le moment précis où ces situations seront effectives. Mais tout est préparé, toutes les consignes
sont passées.
Quand Frédéric Rico parle de s'équiper d'une ceinture, de bretelles,
plus de la ficelle et du canif, c'est pour faire face à tout ce qui peut survenir, mais l'incertitude demeure sur la date et l'heure. Il faut donc se préparer
et faire constamment des analyses de risque.
Le 11 septembre, nous étions en relation avec le centre de
Washington qui est l'équivalent du CFMU aux Etats-Unis. Nous avons parfaitement géré le retour des deux cents vols qui étaient déjà au-dessus de l'Atlantique
et qui ont pu revenir se poser en Europe, parce que nous avions libéré un peu l'espace aérien en bloquant d'autres avions au départ de l'Europe en trafic
intérieur.
85 % du trafic européen est intra-européen. Pour rapatrier les vols
partis vers les Etats-Unis, nous avons bloqué des vols Londres/Vienne, Paris/Milan ou Barcelone. L'objectif était d'éviter la saturation des contrôleurs et de
ne pas se retrouver en situation de « millefeuille » pour des raisons de sécurité et aussi pour des raisons économiques et d'environnement.
Il est fort difficile de faire tourner des piles d'avions au-dessus
d'un village. Il est préférable d'attendre, moteur éteint, sur la plate-forme.
M. Jean-Pierre HESTIN : A tous ces systèmes qui prévoient
l'imprévu, il faut rajouter le fait que, dans toutes les machines et derrière les consoles, il y a des hommes, très bien formés, dès leur formation initiale, à
l'aide de simulateurs et de cas concrets, à parer à l'imprévu et à être prêts à réagir à une panne d'avion ou de système, à faire basculer un système de radar
sur un autre.
Il y aura toujours de l'imprévu dans ce métier, mais au bout de la
chaîne, il y a l'homme. Qu'il soit contrôleur ou pilote, il est toujours capable, grâce à sa formation de haut niveau, de parer à ces imprévus.
M. Christian MÉNARD : Depuis l'ouverture de la concurrence en
Grande-Bretagne, avez-vous constaté des effets pervers ? Si oui, lesquels ?
M. Gilles MANTOUX : La question fait sans doute allusion à la
privatisation de l'organisme de contrôle. En pratique, cette privatisation doit s'analyser comme un acte en partie financier du gouvernement britannique. Elle a
suivi le même canevas que la privatisation des aéroports britanniques, c'est-à-dire la vente de 51 % des actions à des intérêts privés qui sont en fait des
compagnies aériennes, elles-mêmes parties prenantes dans la chaîne de sécurité et d'efficacité, et le maintien de 5 % des actions entre les mains des salariés,
du moins au début. Le gouvernement qui garde 49 % des parts a assorti sa participation de clauses législatives de contrôles spéciaux sur la société. Elles
tendent à éviter des dérives qui pourraient être inspirées par la recherche de résultats au détriment de la sécurité, telles que ventes d'actifs, et obligent la
compagnie à soumettre un plan de capacité et différents plans aux organes gouvernementaux.
Mme la Présidente : Avant de passer la parole à M. Blazy,
j'aurais souhaité que les organisations syndicales disent ce qu'elles pensent de ce qui s'est passé aux Etats-Unis du temps du Président Reagan, du licenciement
et des réembauches de contrôleurs aériens, des conséquences de la dérégulation. M. Ménard a demandé ce qui s'est passé en Angleterre. J'aimerais avoir le
sentiment des salariés et des pilotes sur ces problèmes.
M. Yann GOUPIL : Je vais essayer de répondre à toutes les
questions posées.
La sécurité est un ensemble d'éléments dont il est difficile de
quantifier une composante. C'est l'ensemble des éléments qui permettent à un système d'être considéré comme sûr ou pas. Ces éléments sont des outils techniques
fiables et de haut niveau, des procédures de fonctionnement, de la formation des contrôleurs et d'autres personnels de l'aviation civile. C'est leur ensemble
qui permet à un système d'être dit sûr.
Le contrôleur aérien, au sein de ce système, est un élément
primordial. C'est le dernier maillon de la chaîne qui a à prendre la « responsabilité finale » de ce qu'il va dire à un pilote ou à un ensemble d'avions pour
écouler de manière sûre et efficace le trafic aérien. Il gère également des événements imprévus.
Si tous les événements ont été prévus en théorie, entre le moment où
l'on met en place une régulation et le moment où elle prend effet, il y a un certain délai. On peut arriver à une situation de surcapacité en temps réel soit
sur un secteur de contrôle, soit aux abords d'un aéroport. Il faut alors réussir à absorber ce supplément de trafic en toute sécurité. C'est la gestion et la
formation des contrôleurs qui permettent de gérer cela.
Vous avez parlé des effets pervers. Ils sont assez importants. M. Jouans
a répondu sur la Grande-Bretagne. Il faut savoir que dans ce pays, pendant un moment, des calculateurs dédiés aux outils techniques mis à la disposition des
contrôleurs aériens ont été utilisés, pendant la nuit, pour des tâches annexes, ce qui entraînait des réductions de capacité assez importante et des problèmes
de sécurité avérés, en particulier lors de la mise en _uvre du nouveau centre dans le sud de l'Angleterre. Entre la théorie et la pratique, la différence est
donc importante.
Pour les Etats-Unis, pays où l'on met en place beaucoup de
dérégulation et où l'on met en concurrence toutes les activités, les contrôleurs là-bas sont très attachés à la notion de service public. Le contrôle aérien
dépend des deniers publics aux Etats-Unis et malgré la volonté affichée et répétée, à la fois de l'administration Bush et d'autres avant elle, de privatiser ce
service, les contrôleurs refusent la mise en concurrence de l'activité de contrôle parce qu'elle est préjudiciable à la sécurité.
En effet, à partir du moment où l'on met en avant la capacité,
l'augmentation du trafic, la performance de l'individu au détriment de la performance globale du système en terme de sécurité, on finit par faire des impasses.
Un incident ou un accident n'est jamais la résultante immédiate d'une erreur humaine ou technique. C'est un ensemble d'éléments qui font que l'incident ou
l'accident arrive.
Les plaques de « Reason », du nom de leur concepteur James Reason,
sont un ensemble de plaques percées de trous de différentes tailles. Ces plaques représentent l'ensemble des composantes : les facteurs humains, les outils
techniques, les procédures. Elles bougent en fonction de ce qui peut arriver en temps réel, des problèmes techniques, de la dégradation de certains outils, de
la formation inadaptée des contrôleurs. Dès lors que ces plaques sont dans un agencement tel qu'il permet à un faisceau lumineux de passer au travers, on est
dans un système de risque important. C'est ce qui fait que les accidents arrivent la plupart du temps. Ce n'est pas parce qu'un contrôleur ou un pilote a fait
une erreur, ou parce qu'un problème technique s'est produit, c'est un ensemble de données qui font que l'accident est arrivé. Il faut tenir compte de tous ces
éléments pour améliorer sans cesse la sécurité.
Mme la Présidente : Une autre organisation syndicale
souhaite-t-elle s'exprimer ?
M. Daniel JOUSSE : Vous nous avez demandé si nous avions les
effectifs suffisants pour faire face aux aléas du travail 24 heures sur 24. A première vue, oui, nous avons les effectifs, à quelques détails près. On peut
considérer que l'on dispose d'un effectif correct de contrôleurs. Nous avons quelques difficultés à certains endroits où des personnels sont encore en formation.
Je pense à Roissy, aéroport en forte croissance, où la complexité demande des délais d'apprentissage assez longs. Nous avons besoin de personnels en formation
pour être efficaces à tout moment.
Pour faire face à l'imprévu, il faut des hommes, mais aussi des
outils. Pour les orages, nous avons des systèmes pour les voir venir. Nous avons à perfectionner ces outils de façon à mieux prévoir la difficulté pour les
avions.
Pour revenir aux effectifs de contrôleurs, nous sommes entrés dans
une politique de formation aux situations inhabituelles. On les entraîne à réagir aux situations qui arrivent rarement pour qu'ils puissent faire face le jour
où cela arrive. Cette formation est également un peu coûteuse en effectifs.
En matière de maintenance, nous avons à peu près partout des équipes
de maintenance avec des électroniciens prêtes à réagir 24 heures sur 24. Mais sur certains aéroports, les services de maintenance sont fermés la nuit. Cela se
traduit par des régulations strictes en cas de panne. En tant qu'organisation syndicale, nous pensons que, dans ce domaine, il faudrait avoir plus de monde
pour améliorer la réactivité.
Toujours en matière d'effectifs, les aléas sont étudiés dans des
unités d'étude des événements avec des personnels, des contrôleurs, des électroniciens. Dans les grands centres, ces unités sont à peu près correctement
dimensionnées ; dans les petits centres où nous avons lancé cette démarche, nous avons encore besoin de renforcer ces unités d'analyse.
Mon collègue parlait tout à l'heure des boucles de Reason, c'est le
travail de ces entités qui analysent les événements, de comprendre l'enchaînement des dysfonctionnements qui peut amener à un incident grave et de porter
l'explication auprès des collègues et de faire remonter ces analyses à l'encadrement. En effet, dans tout enchaînement de dysfonctionnements, il n'y a pas que
le facteur humain, mais il y a aussi des modifications de procédure, de formation, d'investissement à apporter.
Ma conclusion est que nous avons à peu près les effectifs pour faire
face, sauf à quelques endroits où nous devrions améliorer nos prestations si nous avions un peu plus de monde.
Mme la Présidente : Dans un passé récent, il y a eu un conflit
des contrôleurs aériens pour un problème de déplacement entre Orly et Roissy. Valait-il mieux être regroupés que séparés mais plus proches des problèmes ?
Avez-vous quelques réponses à apporter ?
M. Yann GOUPIL : Notre organisation syndicale soutenait
fortement la proposition visant à regrouper les deux approches d'Orly et Roissy. Et cela pour des raisons simples qui ont trait à la sécurité.
La région parisienne représente plus de 750 000 mouvements par an,
2 500 vols par jour dans un espace très contraint et très exigu. L'aéroport d'Orly, maintenu à 250 000 mouvements pour des raisons environnementales, sans
réelle augmentation du trafic, et l'aéroport de Roissy, soumis également aux pressions environnementales, et qui a connu une croissance quasi exponentielle,
constituent deux organismes différents qui ont vécu les vingt dernières années de manières différentes. On a donc là des trajectoires totalement imbriquées au
sein de ces deux entités, des coordinations très lourdes, des méthodes de travail différentes.
Nous soutenons bien entendu le projet de regroupement qui permettra
d'harmoniser toutes ces méthodes de travail en vue d'une amélioration de la sécurité et d'absorber l'augmentation inéluctable de la capacité en région
parisienne.
Nous le soutenons également pour permettre une politique plus claire
en matière d'environnement. En effet, deux commissions consultatives de l'environnement coexistent, une à Orly et l'autre à Roissy. Lorsqu'une mesure entraîne
des implications sur un aéroport, elle en entraîne automatiquement sur l'autre, sans que les élus et les riverains en soient informés.
Le projet a été mis à l'étude. Les conclusions devraient être
rendues à la fin de l'année. Nous souhaitons ardemment que le projet aboutisse à la mise en _uvre d'une approche commune en région parisienne, quel que soit
son lieu d'implantation. Nous sommes persuadés que, sinon, il y aura des risques importants à terme pour la sécurité en Région parisienne entre ces deux
approches. Il faut donc préparer l'avenir pour absorber en toute sécurité, et de manière efficace, l'augmentation de capacité en région parisienne et pour
pouvoir répondre aux attentes légitimes des riverains.
Mme la Présidente : Nous aurons bien préparé le terrain pour la
question de M. Blazy.
M. Jean-Pierre BLAZY : Je ne souhaitais pas forcément
intervenir ou réagir à ce que je viens d'entendre. Mais après votre question et la réponse de M. Goupil, évidemment, je commencerai par là.
Actuellement, la mise en service de la nouvelle tour de contrôle à
Roissy est retardée. Une des raisons avancées par ADP est que les contrôleurs aériens ne veulent pas y aller. Je le répercute comme je l'ai entendu. Vous avez
sans doute raison par rapport à ce que vous venez de dire. En tant qu'élu et riverain, j'entends bien ce que vous venez d'exprimer et je suis très réceptif.
Cela étant, je voulais interroger M. Mantoux qui a parlé rapidement
d'une base de données dans laquelle étaient répertoriées 15 000 à 20 000 événements, sans nous en dire plus. Or, nous sommes très demandeurs de données
chiffrées à tous points de vue sur les accidents et surtout sur les incidents, car le chiffre des accidents est connu.
Notre interrogation porte plutôt sur les incidents ou les quasi
incidents dont certains sont connus parce qu'ils ont été plus ou moins médiatisés. Je pense à ce problème que l'on peut considérer comme un incident, intervenu
dernièrement à Nantes. Il a été médiatisé parce qu'un témoin l'a relaté. Sinon, en aurions-nous eu connaissance ? Vous certainement ; nous, cela m'étonnerait !
Il me semblerait utile que notre mission sache ce que contient cette
base de données des incidents connus ou pas. En tant qu'usagers du transport aérien, nous avons pu vivre certains événements qui n'ont pas donné lieu à
médiatisation. Sont-ils vraiment répertoriés ? J'en doute. Que sont alors ces 15 000 ou 20 000 événements ?
Quand, dans le dossier Eurocontrol que vous nous avez remis, on
regarde la carte de l'évolution de la densité du trafic aérien entre 2000 et 2020, on comprend à la fois le travail que vous faites les uns et les autres, et
les adaptations que vous avez présentées tant au plan national qu'au plan européen. Mais on se demande aussi comment, dans ce ciel unique européen, on pourra
continuer à concilier l'impératif de sécurité et en même temps l'augmentation des capacités qui est aussi votre objectif.
Jusqu'où peut-on aller ? Quelles sont les limites ? Demandera-t-on
encore plus aux militaires de céder de l'espace d'aérien. Pourront-ils le faire encore plus ?
Il y a deux ans, dans un avion Iberia de retour de Madrid, j'ai vécu
un incident dû à des problèmes météo à l'approche d'Orly. Il s'agissait non pas d'un orage mais de vents de cisaillement, d'après les informations que j'ai
obtenues. Une dizaine d'avions avaient été fort chahutés et avaient dû remettre les gaz, comme l'appareil dans lequel j'étais. Cette man_uvre est intervenue à
170 mètres, ce qui est très bas, alors que nous étions en approche finale. Fort heureusement, tout s'est bien terminé. Mais je me suis posé des questions.
Comment a-t-on pu laisser autant d'avions dans des conditions aussi difficiles car il y a eu plusieurs remises de gaz ? Pourquoi ne les a-t-on pas détournés ?
Il m'a été répondu, alors, que c'était au pilote d'apprécier. Entre le contrôleur et le pilote, quelles sont les compétences et capacités de chacun dans ce
genre de problème ?
M. Gilles MANTOUX : Vous posez des questions très différentes
et très intéressantes.
Ce qui illustre bien la priorité donnée à la sécurité dans
l'organisation de la gestion du trafic aérien, c'est que la capacité d'écoulement du trafic ne se fait qu'en fonction de l'effectif disponible. C'est pour
cette raison que l'augmentation des capacités de Roissy ne se fera effectivement qu'après la formation d'un potentiel de contrôleurs en nombre suffisant et
pleinement qualifiés pour armer toutes les positions nécessaires en tour de contrôle nord.
Les 15 000 à 20 000 incidents de la base de données INCA (incidents
de circulation aérienne) vont de l'incident à gravité significative pouvant avoir été aussi analysés par le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA). C'est le cas
de l'incident de Nantes, même si une forte composante, à l'évidence, revient à la maîtrise de la trajectoire par l'équipage. On n'en dira pas plus pour le
moment, parce que l'incident est en cours d'analyse, aussi bien au sein du BEA que dans les services de navigation aérienne pour la composante facteurs
humains.
A l'autre extrémité, une chaise qui s'écroule sous le contrôleur ou
un micro qui a des parasites et qu'il faut changer, constituent également des incidents qui sont répertoriés. Les incidents de gravité intermédiaire sont par
exemple la perte de contact radio avec l'avion, parce que le pilote et le contrôleur se sont mal compris sur la fréquence à afficher. L'incident reprendra le
temps qu'il a fallu pour corriger l'erreur.
Il existe toute une classification de la gravité des incidents. Une
petite partie de la base de données reprend des incidents graves au point d'être vus par le BEA. D'autres, plus spécifiques, donnent lieu à un retour
d'expérience plus ou moins répandu ou plus ou moins local, selon la nature de l'incident.
Mme la Présidente : Plusieurs intervenants nous ont indiqué que
l'anglais n'était pas pratiqué au même niveau, avec les mêmes caractéristiques et le même accent et que cela pouvait donner lieu à des incompréhensions dans les
échanges entre le pilote et le contrôleur aérien. J'en profite donc pour vous poser la question.
M. Gilles MANTOUX : Sur ce point précis, je laisserai la parole
à M. Rico.
Sur l'organisation du groupe de travail concernant le contrôle de la
circulation aérienne en région parisienne, il faut simplement dire qu'il s'agit d'un groupe de travail sur l'organisation du contrôle aérien à proprement
parler et pas d'une remise à plat des procédures qui amènent les survols de la région.
J'en profite pour compléter la réponse que j'ai faite tout à l'heure
sur le NATS39. La licence
d'exploitation donnée par le gouvernement britannique à l'organisme NATS privatisé, qui est une autorisation d'exploiter, comporte un certain nombre de charges
en termes de service public, de performances et de contrôle de la tarification. Dans le régime de tarification du NATS, une partie de la formule du calcul des
revenus dépend de la performance en termes de retards constatés.
Cette formule a inspiré jusqu'à un certain stade, le texte en débat
dans les règlements du ciel unique européen. Finalement, cette formule a été laissée en option, un certain nombre d'Etats, dont la France, considérant qu'il
fallait que chaque Etat puisse apprécier s'il était compatible avec sa propre culture de sécurité d'avoir une pression indirecte, du management sur les
contrôleurs, du fait de lier la capacité d'écoulement du trafic aux résultats économiques. En effet, pour nous, il est primordial de lier capacité avec
sécurité.
M. Frédéric RICO : Je vais essayer de répondre à toutes les
questions précises qui ont été posées.
J'insiste pour dire que nous avons mis en place et que nous
continuons à le faire, des SMS (systèmes de management de la sécurité). C'est un point fondamental qui est prescrit par les organismes européens. Quand on
commence à penser SMS, un principe fondamental s'impose tout de suite à nous : ce n'est pas parce que nous n'avons pas connaissance d'incident que notre
système est sûr. Une fois que l'on a pris connaissance de cette sorte de diamant qui doit être au c_ur de la préoccupation sécurité, tout le système se déroule
alors logiquement.
Il faut connaître le maximum d'incidents. Un accident est la suite
de la conjonction d'une multitude d'événements. Mes collègues d'Air France, qui ont beaucoup d'avance sur nous en matière de gestion de la sécurité, ont un
système de représentation graphique intéressant où l'accident est symbolisé par la face émergée d'un iceberg. Pour eux, s'intéresser à ce qui se passe
au-dessus de la surface de l'eau n'a aucun intérêt, c'est ce qui se passe en dessous qui est fondamental. La théorie du SMS préconise donc d'identifier les
précurseurs des accidents. S'intéresser à l'accident après est le métier des experts. Notre métier est de faire en sorte que l'accident n'arrive pas.
La fameuse base de données INCA dont parlait M. Mantoux où l'on
ramasse tout et les services de M. Jouans jouent un rôle important. A partir d'incidents signalés à Aurillac, Dinard, Clermont-Ferrand, Roissy ou Nice, ils
essaient d'identifier des constantes et l'apparition de précurseurs.
Récemment, ils nous ont prévenus du problème des incursions de
piste, que les Américains avaient identifié avant nous. Au niveau de chaque aérodrome français, le problème n'était pas prioritaire, ni préoccupant. Mais quand
on rassemble toutes les informations, on identifie des précurseurs, même si l'on n'en est pas encore à risquer l'accident. Il faut travailler ensemble pour que
ces précurseurs n'aillent pas au-delà de ce qu'ils sont. Toutes les questions posées font référence à des précurseurs. Ce n'est pas parce que nous travaillons
sur ces précurseurs qu'il y aura demain un accident, mais, au contraire, nous espérons qu'en travaillant au niveau des précurseurs, il n'y aura pas d'accident.
Les remises de gaz ont été évoquées. Nous avons en région parisienne
un taux constant de 1,5 remise de gaz pour mille arrivées en moyenne. Il faut savoir que la remise de gaz, ce que nous appelons l' « approche interrompue »,
est une procédure normale. Quand on forme un pilote, on commence par lui apprendre à remettre les gaz, avant de lui apprendre à se poser. Dans la formation
initiale de pilotage aux instruments, on nous « programme » de façon à considérer que, quand on entame la procédure d'approche finale, la décision à prendre
n'est pas celle de remettre les gaz, mais celle de ne pas remettre les gaz puisque, dans son schéma mental, un pilote s'est préparé à remettre les gaz.
La deuxième question évoquée porte sur l'usage de l'anglais. C'est à
la mode. Si tous les contrôleurs et tous les pilotes parlaient l'anglais, le monde serait merveilleux ! Il est certain que l'industrie française aurait
quelques problèmes et le monde anglo-saxon aurait encore progressé sur la voie de son hégémonie mondialiste.
Nous avons expérimenté la pratique de l'anglais à Charles de Gaulle
en février 2000. Air France venait de s'allier à Delta Airline dont les pilotes avaient émis le souhait que sur leur deuxième base mondiale, tout le monde
parle la même langue. Nous avons arrêté au bout de quinze jours parce que nous avons identifié des problèmes que nous n'avions pas pu prévoir. En fait, on nous
dit maintenant que nous aurions dû faire une analyse de sécurité avant de prendre cette décision. Heureusement, nous avons arrêté l'expérimentation quand nous
avons vu remonter les problèmes.
L'un des points fondamentaux dans notre système de sécurité est le
collationnement d'une instruction de contrôle : le contrôleur donne une instruction à un pilote, le pilote répète l'instruction qu'il a reçue et le contrôleur
vérifie que la répétition correspond à ce que le contrôleur avait demandé. Nous nous sommes aperçus que lorsqu'un contrôleur francophone s'adresse en anglais à
un pilote francophone, la durée de cette boucle - instruction, collationnement et vérification du collationnement - est multipliée par six en temps. Cette
information objective, froide, nous a amenés à arrêter l'expérience mais à prendre la décision d'améliorer le niveau d'anglais des contrôleurs.
Ce problème a été identifié au plan international. Des niveaux de
maîtrise de la langue anglaise ont été définis au plan international. Cela va de 1 à 6. La recommandation est que tous les contrôleurs soient au moins au
niveau 4.
Je voudrais terminer sur le sujet en m'adressant à la représentation
nationale qui est en face de moi. Lorsque ADP a décidé de faire cette expérience d'utilisation de la langue anglaise sur les fréquences de contrôle à Charles
de Gaulle en février 2000, nous nous sommes mis hors-la-loi. La loi Toubon précise en effet que le français est la langue de la fonction publique et la langue
des fonctionnaires. Nous sommes des fonctionnaires de la République française, nous en sommes fiers. Avant que nous donnions l'instruction à nos collaborateurs
de s'exprimer en anglais de façon permanente et définitive, il faudrait que la représentation nationale nous ait préalablement autorisé à le faire.
Mme la Présidente : Le problème a été déjà soulevé. Les
missions servent aussi à identifier des problèmes et à faire des propositions qui peuvent déboucher sur des éléments de modernisation de nos institutions.
M. Frédéric RICO : Cela dit, nos contrôleurs sont formés de
façon à être quasiment bilingues. C'est au pilote de choisir la langue qu'il va utiliser. Si un pilote français d'Air France décide de s'adresser en anglais à un
contrôleur, celui-ci lui répondra en anglais. L'OACI a défini un certain nombre de langues de travail. Nous avons la chance que le français soit une langue de
travail de l'OACI. Nous utilisons donc indifféremment l'anglais ou le français. Si les pilotes souhaitent avoir la « situation awareness », avoir
conscience de la situation aérienne qui les entoure, ils n'ont qu'à s'exprimer en anglais. Les contrôleurs ici présents confirmeront qu'ils sont capables de
répondre en anglais aux pilotes qui choisissent de s'exprimer en anglais.
M. Jean-Robert BAUCHET : Je souhaite intervenir à la suite des
propos de M. Blazy sur la base de données et la médiatisation des incidents.
Tout d'abord, qu'est-ce qu'un incident ? C'est un point fondamental.
Nous considérons qu'un incident se situe bien avant l'incident fatal qui est la collision. Il y a donc un certain nombre de marges. Sur l'autoroute, un panneau
de signalisation rappelle de laisser au moins deux marques au sol entre deux véhicules pour assurer la sécurité. Les compagnies d'assurance tiennent compte,
dans leur bilan, du nombre de collisions de voitures, mais n'enregistrent pas les cas où deux véhicules se sont trop approchés.
Dans le domaine de la navigation aérienne, dès lors que deux avions
sont à 90 mètres l'un de l'autre, cela constitue un incident qui sera analysé. C'est pour cela que l'on arrive à des milliers d'incidents, ce qui paraît
monstrueux. C'est par rapport à un certain nombre de règles définies dans le but d'analyser les risques, comme l'a expliqué Frédéric Rico. Cette banque de
données existe aux niveaux européen et national.
Toute la question posée par M. Blazy - elle est fondamentale, et
c'est aux élus d'en débattre - concerne la médiatisation des incidents. J'ai réagi quand M. Blazy a utilisé cette expression : « médiatisation des incidents ».
Toute cette banque de données doit-elle être publique ? Doit elle être...
M. Jean-Pierre BLAZY : Je n'ai pas dit cela.
M. Jean-Robert BAUCHET : J'ai entendu l'expression :
médiatisation des incidents.
Mme la Présidente : Non, je crois qu'il faut plutôt parler de
transparence que de médiatisation.
M. Jean-Pierre BLAZY : Je voulais dire que des incidents ne
nous sont connus que parce qu'ils ont été médiatisés. L'incident de Nantes a été médiatisé parce qu'un témoin l'a relaté. Ma question était de savoir si nous
aurions eu connaissance de l'incident de Nantes sans cette médiatisation. Je n'ai pas dit qu'il fallait médiatiser l'ensemble de la banque de données INCA.
En revanche, la mission souhaiterait avoir une synthèse des données
chiffrées qui sont dans cette banque de données pour étayer son analyse.
M. Jean-Robert BAUCHET : Vous avez eu connaissance de
l'incident par les journaux. Les organismes français et européens de navigation aérienne et Eurocontrol disposent de cette base de données. La question est de
savoir qui accède à cette base et pour quel usage.
Mme la Présidente : Qui l'exploite et comment ?
M. Jean-Robert BAUCHET : Nous l'exploitons pour en tirer des
enseignements afin d'éviter les incidents. A vous de légiférer sur toute autre utilisation !
Je pense que c'est un point fondamental. Eurocontrol est fortement
appuyé par l'administration française, ce qui n'est pas le cas de tous les pays européens. Il y a encore une forme de confidentialité ou d'appréhension à
communiquer certains éléments au public, et même au milieu professionnel. Il y a aussi toute une éducation du personnel. Pour un contrôleur comme pour un
pilote, c'est toute une éducation de dire qu'il a eu un incident. C'est toute l'approche non punitive, mais éducative. Mes collègues peuvent vraiment vous
apporter tous les éléments dans ce domaine. Je tiens à témoigner que la France est très coopérative et en avance par rapport à d'autres Etats européens.
M. François RIVET : Je souhaite intervenir sur les deux
premières questions de M. Blazy concernant le recueil des incidents et l'évolution du trafic.
Je commencerai par rappeler les mesures proposées par la Commission
européenne et ce qui ont été décidées par le Parlement et le Conseil des ministres européen.
Concernant les incidents, une directive a été adoptée en juin 2003
portant obligation, pour tous les acteurs du transport aérien constatant un événement lié à la sécurité - c'est bien le mot « événement » qui est utilisé, et
non pas celui d'incident - de le rapporter. Et ce quel que soit l'acteur : le pilote, le contrôleur etc.
Cette directive définit l'événement, la nature des événements devant
faire l'objet d'une collecte. Il est traité de l'obligation de signaler, de collecter, d'échanger l'information entre les Etats membres, de la création d'une
banque de données européenne - la Commission européenne a financé dans ce cadre le développement du logiciel ECCAIRS (European co-ordination center for
aviation incident reporting system) merci de développer le sigle) qui est maintenant mis en place en France et dans d'autres pays. Cette directive sera
mise en application à partir de juillet 2005.
Au-delà, dès que les événements sont collectés et diffusés, c'est
aux Etats membres, encore aujourd'hui, d'en assurer l'exploitation, c'est-à-dire d'en tirer les leçons et les mesures à prendre. Il est possible que la
Commission prenne ultérieurement l'initiative de proposer aux Etats d'avoir, au niveau européen, une analyse des incidents.
La diffusion de ces événements est un problème très délicat. Il est
prévu que ces événements puissent être diffusés et communiqués à l'ensemble des autorités européennes qui sont investies de compétences et de responsabilités
en matière de sécurité. Il est prévu aussi que les Etats membres puissent publier, tous les ans, un rapport sur la sécurité, de leur propre initiative. Pour
l'instant, le règlement laisse les Etats libres d'effectuer ces actions
A travers la procédure de « commitologie », la Commission pourra
ultérieurement proposer d'étendre à l'ensemble du public la diffusion de ces informations.
Pour ce qui est de l'évolution du trafic, je suis tout à fait
d'accord avec M. le député qui se demande comment faire face au trafic, tel qu'il est présenté en 2010 ou 2015. La volonté de l'Union européenne a été
d'essayer de réglementer d'abord le transport aérien, puis la construction des aéronefs à travers la création de l'Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (AESA)
- vous avez cité, Mme la Présidente, vos enquêtes à ce sujet.
Enfin, quand l'Union européenne a décidé de proposer une
réglementation du contrôle aérien, le troisième élément du transport aérien, elle a voulu non seulement harmoniser et améliorer la sécurité, mais aussi ouvrir
la voie à de nouvelles initiatives.
Nous pensons que, grâce à une réglementation claire qui fixe le
cadre des activités du transport aérien - tout en maintenant la sécurité qui doit être inscrite au c_ur de la réglementation -, nous devons laisser les Etats
et les acteurs majeurs du domaine (fournisseurs de services, industries...) développer des initiatives pour faire évoluer le contrôle aérien dont les principes
sont restés les mêmes depuis trente ans : tout repose sur l'action du contrôleur et les ressources nationales. On peut imaginer que des initiatives
technologiques puissent transférer au pilote une responsabilité plus importante dans l'anti-abordage ou l'anti-collision. On peut estimer qu'en harmonisant, au
niveau européen, les missions des services de contrôle aérien et la qualification des contrôleurs, il pourra y avoir une plus grande circulation des
compétences à travers l'Union européenne. Tout cela devrait concourir à développer des moyens nouveaux pour assurer le contrôle du trafic aérien.
En effet, vous avez raison, M. le député : l'espace est assez limité
et si la philosophie de l'emploi des outils utilisés jusqu'à présent ne change pas, on arrivera à saturation.
Mme la Présidente : M. Régniaud souhaite répondre aux questions
posées par M. Blazy.
M. Gérald RÉGNIAUD : Les reports d'incidents sont effectivement
un dossier central. Le général Rivet vient de rappeler les décisions prises par la Communauté. Une directive antérieure concernait la façon dont ont fait les
enquêtes et les analyses des incidents et accidents. Elle a permis de changer la signification du sigle BEA qui n'est plus le Bureau d'enquêtes-accident mais le
Bureau d'enquêtes et d'analyses - pour préciser que l'on ne faisait plus seulement des enquêtes sur les accidents, mais aussi des analyses sur tous les types
d'événements que l'on peut rencontrer. C'est une culture assez nouvelle en Europe qui entre relativement bien dans l'esprit des gens.
Un chiffre : en France, nous avons mis en place une fiche de
notification d'événement. Ce formulaire administratif, assez simple à remplir, permet aux individus de noter rapidement beaucoup d'événements qui n'étaient pas
reportés auparavant, tout simplement parce qu'ils paraissaient anodins. On laissait traîner et beaucoup de petits événements disparaissaient. Depuis la mise en
place de ces FNE (fiches de notification d'événement), le nombre de reports a augmenté de 25 ou 30 % entre 2002 et 2003, ce qui montre que cette culture entre
bien dans l'esprit des gens.
Ce qui est intéressant dans la directive 2003/42 évoquée par le
général Rivet, c'est l'aspect non punitif de ce report d'incident. C'est capital. On a vu dans les semaines précédentes, les condamnations prononcées à la
suite du procès sur l'accident de Milan. Tout cela pose de nombreuses questions sur le statut pénal ou juridique du contrôleur aérien ou de l'opérateur de
première ligne dans ces systèmes de sécurité. L'aspect non punitif de ce report d'incident est capital. Il faut insister sur ce point.
Mme Martine BLAIZE : L'essentiel ayant été dit, je voudrais
compléter en rapportant une anecdote.
Quand j'ai rejoint Eurocontrol en 1998, la première question que
l'on m'a demandé de traiter portait sur le niveau de sécurité du contrôle aérien en Europe. J'ai mené une enquête. A cette époque, j'ai constaté que beaucoup
de conclusions étaient tirées sur le fait qu'il n'y avait pas de problèmes de sécurité, en l'absence de reports d'incidents. Toute mesure destinée à encourager
le report, l'analyse et le partage d'expérience est donc absolument essentielle.
Constatant qu'Eurocontrol, l'organisation responsable de la sécurité
de la navigation aérienne, n'était pas en mesure de tirer des conclusions sur le niveau de sécurité du contrôle aérien en Europe, nous avions publié un
règlement ESARR 2 sur le report et l'analyse des incidents et des précurseurs d'accidents relatifs au contrôle aérien. C'était une mesure d'urgence, approuvée
en 1999, et rendue obligatoire au niveau de tous les pays membres d'Eurocontrol.
Cette exigence réglementaire comporte deux volets : le premier est
de reporter, analyser et partager l'expérience sur les incidents et tous les précurseurs d'accidents. Il est bien précisé qu'au niveau national, il faut aller
au-delà des incidents et bien mesurer et comprendre où défaillaient toutes les défenses mises dans le système
- M. Rico parlait des redondances d'architecture, de la formation qui constituent ces défenses.
Le second volet est de transmettre à Eurocontrol, sur une base
annuelle, les statistiques d'incidents, d'évènements pour voir les tendances et mettre en place un retour d'expérience au niveau européen.
Aujourd'hui, nous avons des statistiques, des conclusions sur
certains domaines où il faut reporter notre attention pour améliorer la sécurité. Hélas, nous constatons aussi que plusieurs pays n'ont pas mis en place cette
exigence réglementaire, ni les ressources, ni l'environnement légal ou culturel pour favoriser le retour d'expérience. La France a une certaine avance sur
plusieurs pays où l'on n'hésite à rendre compte d'un incident parce que l'on peut toujours aller en prison.
La culture fait que dans certains pays, il n'est pas populaire
d'avouer une erreur ou de reconnaître que le système est défaillant ou que les responsables du centre de contrôle n'ont pas mis en place les procédures qui
convenaient. Il y a tout une culture et un environnement légal à assurer pour favoriser le retour d'expérience et la transparence pour pouvoir agir sur les
améliorations de sécurité.
Au niveau européen, nous mettons en place, depuis 1999, un retour
d'expérience au travers de tous les pays. Nous considérons que si un voisin a eu un problème de sécurité, ce n'est pas pour des raisons qui lui sont propres et
que cela peut aussi arriver chez nous. Nous insistons sur ce retour d'expérience au niveau européen.
M. Erik MERCKX : J'aimerais ajouter quelques remarques aux
propos de mes collègues.
Concernant la base de données des incidents, les chiffres ne disent
pas grand-chose. Comme l'a dit Mme Blaize, il y a une grande différence entre le nombre des rapports d'incidents et les incidents eux-mêmes. Par exemple, il y
a quelques années, on a commencé à développer un plan d'action européen pour améliorer la sécurité des aéroports et la sécurité des pistes. Au début, nous
pensions avoir un problème et nous l'avons expliqué à nos Etats- membres. Certains Etats membres affirmaient que ce n'était pas du tout leur problème. Nous
avons donc mené des campagnes de sensibilisation et nous avons vu, petit à petit, une augmentation des rapports.
Je suis convaincu que cette augmentation des rapports ne correspond
pas à une augmentation des incidents. Il faut être prudent sur l'interprétation des statistiques. La seule raison de l'existence de ces statistiques est de
savoir clairement quelles sont les causes sur lesquelles on peut réagir très vite. Je peux dire que la transparence en France est, en effet, exemplaire. Dans
certains pays, elle l'est beaucoup moins.
Je souhaite aussi intervenir sur le problème de l'évolution du
trafic. Une planche de la présentation Eurocontrol montre que le trafic va doubler en vingt ans. Comment réagir ? On doit augmenter la capacité - c'est sûr -
mais sans pour cela sacrifier la sécurité. Comment y parvenir au niveau européen ?
On met en place des programmes pour augmenter la capacité, mais ce
faisant, on fait une analyse des risques de sécurité. On l'a déjà fait pour un certain nombre de programmes, comme le programme RVSM qui a permis de diminuer
au niveau européen la distance verticale entre les avions de 2 000 pieds à 1 000 pieds. C'est une augmentation de capacité très importante.
M. Jean-Pierre BLAZY : Et au niveau de la sécurité ?
M. Erik MERCKX : J'y viens. Nous avons travaillé plus d'un an
pour analyser en détail les risques. Je peux vous assurer que nous avons eu de nombreuses discussions au sein d'Eurocontrol sur ce sujet. C'est quand nous avons
été sûrs à cent pour cent que nous avons introduit ce programme.
Nous faisons exactement la même chose avec d'autres programmes. Par
exemple, il y a le problème connu du nombre de fréquences disponibles pour la communication entre le contrôleur et les pilotes. Nous sommes en train d'agir
pour augmenter la capacité des fréquences. A ce niveau-là aussi, on fait des analyses de sécurité.
La Commission européenne souhaiterait augmenter l'interopérabilité
au niveau européen entre les fournisseurs de services. Elle a donné mandat à Eurocontrol d'établir un plan. Ce plan intègre une étude de sécurité. Même si cela
ne s'est pas vu, à chaque fois que nous avons essayé d'augmenter la capacité petit à petit, la sécurité était bien prise en compte.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : En vous entendant tous, je suis
encore un peu plus convaincu que tout est fait à Bruxelles et Paris pour améliorer progressivement la sécurité au fur et à mesure que le trafic augmente. Depuis
le début de notre mission, nous sentons bien que le problème n'est pas chez nous, mais chez ceux qui sont moins avancés aux plans technique et organisationnel et
au plan de la sécurité.
Si vous permettez, je poserai quatre questions simples.
Avec l'élargissement, plus on s'écarte vers l'Est, plus la qualité
des compagnies, des avions, des pilotes est discutée. L'Europe procèdera-t-elle très vite à cette harmonisation des compétences dont vous parliez ? A quel
moment aurons-nous la certitude que tout ce qui vient des pays de l'Est sera à niveau en terme de qualité, que ce soit du côté des pilotes ou des contrôleurs
aériens ? L'usager de base doit pouvoir penser que ce qu'il connaît en France, en Italie ou en Grande-Bretagne, il l'aura aussi dans les autres pays européens.
De plus, je suppose que l'harmonisation se fera vers le haut, c'est-à-dire au niveau français, puisque tout le monde semble dire que c'est en France que l'on
est les plus exigeants.
Vous dites que 20 % du trafic est extra européen. Quand il s'agit
des Etats-Unis, on est relativement rassuré, mais s'il s'agit d'Afrique, on l'est moins. Quid de la qualité des relations entre le contrôle aérien
européen ou national et les compagnies, les pilotes, les avions, etc. qui arrivent de Géorgie, d'Afghanistan ou de Côte d'Ivoire ? Comment décelez-vous la
qualité du pilote pour être sûr qu'il n'y a pas de risque ? Question de bon sens, mais peut-être délicate.
Ma troisième question rejoint les interrogations de M. Blazy et
porte sur le problème du trafic. A quel moment est-on dans un espace donné saturé ? On peut toujours trouver des espaces militaires disponibles, mais la région
parisienne, par exemple, finira par être saturée.
Cela implique-t-il, par exemple, un changement de politique ? Mme la
Présidente y faisait allusion en parlant de la tendance à aller vers les gros porteurs, les grands aéroports. Cela implique-t-il de changer notre fusil
d'épaule ? Vaut-il mieux un troisième aéroport dans la région parisienne pour faciliter la sécurité ou faut-il continuer à faire grandir les deux aéroports
actuels ? Autrement dit, à quel moment va-t-on aller vers la saturation et comment y aller le plus tard possible ?
Ma dernière question résulte directement de l'objet de la mission :
quand quelqu'un prend l'avion, quelle perception immédiate a-t-il de la sécurité ? Quelqu'un a évoqué les problèmes d'attente, en l'air, de remise des gaz, etc.
Pourquoi n'informe-t-on pas mieux les passagers ? Pourquoi n'explique-t-on pas le motif du retard quand il s'agit d'un problème de sécurité ? C'est peut-être
le problème de ADP, des aéroports ou des compagnies. Le passager qui est toujours laissé dans l'incertitude finit par penser que c'est dangereux, sans savoir
pourquoi. Comment améliorer la perception de la sécurité par le passager entre le moment où il entre dans l'aéroport de départ et celui où il sort de
l'aéroport d'arrivée ?
M. Erik MERCKX : Si vous me permettez, je répondrai à la
première question sur le niveau de sécurité dans tous les pays d'Europe. On pourrait parler pendant deux semaines pour répondre aux quatre questions.
La France est très avancée, très bien positionnée. Dans les 41 Etats
membres d'Eurocontrol, nous avons fait une étude pour apprécier le degré de maturité de chaque fournisseur de services pour la mise en place des systèmes de
gestion de sécurité. Une planche du document distribué montre une très grande différence de niveau de maturité entre les 37 fournisseurs de services. Les pays
ne sont pas identifiés, c'est une étude confidentielle.
Mme la Présidente : Si cette pudeur vous honore, elle nous
gêne. Nous souhaiterions avoir les informations.
M. Jean-Robert BAUCHET : Avec beaucoup de respect - je
représente le directeur général d'Eurocontrol - nous représentons 32 Etats. Je ne peux pas, sous prétexte que je travaille dans une organisation internationale,
transmettre des informations, même à ma mère patrie, si 31 Etats s'y opposent.
On arrive ainsi au c_ur d'un sujet extrêmement important : la
complémentarité entre Eurocontrol et la Commission européenne. Eurocontrol est un organisme intergouvernemental. Nous n'édictons pas véritablement de
règlement. Qui dit règlement dit police. Cela a été souligné par notre collègue de la Commission. Avec le complément de la Commission européenne, il y aura,
alors, peut-être obligation pour les Etats de rendre publiques certaines informations. Mais aujourd'hui, Eurocontrol fonctionne sur le mode du consensus. C'est
un organisme intergouvernemental qui n'a aucun pouvoir de police. C'est bien la différence aussi entre les ESARR - question que vous avez posée - et les
règlements que la Commission européenne va promulguer.
Je rappelle que certaines informations appartiennent à des Etats.
Imaginez la réciproque ! Je ferai la même chose vis-à-vis de la France si je n'avais pas son autorisation pour diffuser des informations la concernant à tous
les pays de l'Europe ou du monde.
Bien sûr, c'est à vous de gérer cette question.
M. Erik MERCKX : Je remercie M. Bauchet pour son intervention.
Ce que vous voyez là, c'est le degré de maturité de 37 fournisseurs
de services. La France est bien sûr située à droite du graphique, c'est-à-dire avec le meilleur score de maturité. D'autres pays sont plutôt à gauche, et
malheureusement, ce ne sont pas toujours les pays de l'Est. C'est le premier message que je souhaite vous faire passer. Les pays de l'Est ont mauvaise
réputation, mais ce n'est pas toujours mérité. Certains sont bien avancés. Certains des pays dont la performance apparaît sur la gauche du graphique ne sont
pas loin d'ici.
Vous avez raison : les pays n'ont pas tous la même vitesse de
développement. Si vous allez de Paris à Moscou, le degré de sécurité sur tous ces pays n'est pas le même. Nous savons bien quels sont ces pays et nous
travaillons avec eux pour augmenter la sécurité aussi rapidement que possible. Malheureusement, ce n'est pas toujours simple, parce que, contrairement à ce qui
se passe ici, la volonté politique d'améliorer la situation n'existe pas toujours, l'intérêt de la sécurité n'étant pas compris.
Voilà la situation actuelle - vous avez raison -, mais nous essayons
de l'améliorer. C'est pourquoi je suis très heureux que la Commission européenne mette en place des règlements pour sanctionner les pays qui ne sont pas
conformes.
M. Koen DE VOS : Je souhaite faire une remarque sur les effets
de l'élargissement.
Les Etats membres doivent appliquer, dès le début de
l'élargissement, toutes les normes. Je veux quand même faire remarquer que, dans le domaine de l'aviation civile, on a anticipé l'élargissement : toutes les
lois communautaires sont déjà applicables. Les compagnies aériennes ont déjà le droit d'entrer dans l'Union européenne. Vous ne l'avez pas senti, mais c'est
déjà mis en application. Concernant le ciel unique, comme ce sont de nouveaux règlements, ils seront mis en application dès le 1er mai.
Je veux revenir aussi sur les exigences communes qui sont les
indicateurs qui seront utilisés par les autorités nationales pour certifier les prestataires de services. Là aussi, nous allons utiliser des indicateurs de
performance dans la sécurité. Nous sommes en train de voir dans quelle mesure nous pouvons détailler le niveau de performance dans le domaine de la sécurité
pour essayer d'équilibrer les deux objectifs : performance à la fois en termes de capacité et de sécurité.
Pour donner quelques pistes sur la saturation, la Commission est la
seule instance où l'on prône une politique de « modal shift », c'est-à-dire le rééquilibrage entre un mode de transport et un autre, par exemple de
l'aviation civile vers le ferroviaire. Dans le domaine de l'allocation de créneaux de décollage, s'il y a conflit entre deux lignes, c'est la ligne vers la
destination la plus lointaine qui sera privilégiée par rapport à la ligne plus courte qui disposerait d'une liaison ferroviaire. C'est une mesure très pratique
pour favoriser le transport ferroviaire et essayer d'éviter la saturation du ciel.
Mme Martine BLAIZE : Je voudrais aussi parler de cet aspect
européen, du fait que la France n'est pas seule en Europe, et de la façon d'harmoniser les niveaux de sécurité. Il faut aller au-delà de règles communes.
Aujourd'hui, que ce soit avec Eurocontrol ou avec le ciel unique, nous avons des règles communes qui représentent un niveau de sécurité harmonisé, standardisé,
tolérable. Le même pour tous.
Le deuxième volet, qui est essentiel, consiste à bien vérifier que
ces exigences sont mises en place dans les pays. Au travers du ciel unique, nous introduisons un processus de certification avec un certificat reconnu dans
tous pays membres de l'Union européenne. Il faut donc avoir confiance dans les processus de certification des autorités qui sont mises en place.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Qui contrôle ?
Mme Martine BLAIZE : Aujourd'hui, il y a des exigences
réglementaires. Eurocontrol a lancé un programme d'audit des autorités de contrôle nationales pour voir comment elles travaillent et si l'on peut leur faire
confiance dans les processus de contrôle des opérateurs, fonction qui va un peu au-delà des pays. L'Organisation internationale de l'aviation civile a une
démarche similaire. Nous en tirons des conclusions similaires : il va falloir réagir. C'est-à-dire qu'un petit groupe de pays en Europe fait les choses à peu
près correctement. Ils ont à peu près les ressources et l'expertise pour exercer cette fonction de contrôle.
Il y a aussi - pour être sans ambiguïté - des coquilles vides. Si,
au niveau politique, on sépare les fonctions régaliennes du fournisseur de services, il faut que les deux rôles s'exercent. Or, nous constatons aujourd'hui,
dans la moitié des pays que nous avons audités, qu'il y a en place une coquille vide. On retrouve bien le système légal, le système organisationnel, une
autorité de surveillance des opérateurs de contrôle aérien existe, mais il n'y a pas les ressources financières et humaines.
Nous avons tiré ces conclusions. Nous rendons compte...
Mme la Présidente : Quels pays cela concerne-t-il ? Ce que vous
dites là est très important ! S'agit-il de ceux qui vont adhérer ou, en fonction de ce qui a été dit précédemment, on n'a pas le droit d'en parler ?
Mme Martine BLAIZE : C'est en deux volets. Le programme d'audit
était soumis à des règles de confidentialité, sinon nous n'avions pas accès à l'information. Maintenant, nous avons l'information et nous pouvons réagir. L'audit
a été fait aussi au début de la mise en place de ces nouveaux systèmes de contrôle/supervision.
Nous sommes en train de redéfinir un programme qui commence l'année
prochaine en lien avec l'organisation internationale de l'aviation civile. Nous nous proposons de publier avec eux une large partie des rapports pour que nous
puissions prendre, non seulement des mesures techniques d'assistance, mais aussi des mesures politiques et économiques de façon que ces pays commencent à
bouger. En l'occurrence, nous envisageons de travailler en lien avec la Commission européenne.
La première phase est celle de l'aide des Etats. Grâce aux audits,
nous mettons en évidence des problèmes. Si ces pays-là ne réagissent pas, n'ont pas la volonté politique de mettre en place ces instances de contrôle de
manière suffisante, la conclusion des audits fournit un moyen politique et économique d'agir. Une fonction de contrôle s'exerce au niveau européen et
international. Vis-à-vis des pays récalcitrants, qui n'ont pas la volonté politique de tenir leurs engagements internationaux au niveau de la sécurité, il faut
qu'il y ait des actions politiques et économiques, en plus des actions techniques qui ne seraient pas suffisantes.
Mme la Présidente : Parce qu'il n'y a pas de pénalité ?!
Mme Martine BLAIZE : Non. Eurocontrol et l'Organisation
internationale de l'aviation civile sont régies par des conventions internationales. Si les pays ne tiennent pas leurs engagements, il n'y a pas de police. C'est
là où la Commission européenne apporte un troisième élément : l'aspect police. Il peut y avoir des sanctions, on peut aller devant la Cour de justice et on peut
prendre des mesures.
Mme la Présidente : Donc, M. Descamps, le passager doit faire
confiance !
M. Jean-Jacques DESCAMPS : A quel horizon peut-on penser avoir
en Europe une garantie de professionnalisme suffisante de l'ensemble du dispositif de contrôle aérien ?
Mme la Présidente : M. Mantoux, souhaitez-vous répondre à cette
question ?
M. Gilles MANTOUX : Je ne prétends pas me substituer au savoir
central qui existe au niveau d'Eurocontrol ou de la Commission. Mais rappelons-nous aussi que dans les critères d'évaluation de la sécurité, l'existence de
systèmes de gestion de la sécurité et de qualité est un moyen. Mais c'est un des moyens, et il est récent.
Je ne suis pas sûr que Martine Blaize ait voulu dire que les audits
ont amené à la conviction que les contrôleurs parlaient mal anglais ou n'étaient pas bien formés ou qu'il n'y avait pas de systèmes redondants dans les centres
de contrôle. Peut-être faut-il relativiser ? Certains de nos indicateurs se focalisent sur une partie de l'organisation de la sécurité. Cela ne veut pas
forcément dire que l'on court à la catastrophe en volant dans ces pays-là.
Mme Martine BLAIZE : Je voudrais préciser mes propos, sans
vouloir être alarmiste. Les objectifs de l'audit étaient de vérifier la capacité de l'Etat à tenir ses obligations internationales, c'est-à-dire les fonctions
régaliennes de l'Etat, d'assurer le contrôle que les exigences de sécurité minimales étaient bien remplies.
Aujourd'hui, la réponse est factuelle, elle est étayée par un
rapport : la moitié des 28 pays audités n'ont pas cette capacité. Après un tel constat, il faut agir. Eurocontrol mène des actions d'assistance, de formation.
Cela ne suffit pas. Il faut des actions politiques. C'est pourquoi le nouveau programme d'audit que nous mettons en place rendra visibles les conclusions des
audits, au moins partiellement, pour permettre des actions politiques. Sinon, cette situation durera.
L'échéance d'harmonisation, je ne la maîtrise pas. Mais on ne peut
pas se permettre de l'attendre trop longtemps. Je pense qu'avec le ciel unique, les choses pourront s'accélérer, puisque l'impact politique est plus important.
M. Koen DE VOS : Je veux faire référence à l'article 4 du
règlement cadre qui prévoit que les Etats membres désignent ou établissent un ou plusieurs organismes faisant fonction d'autorité de surveillance nationale
chargée d'assumer les tâches. Il s'agit notamment des tâches de contrôle.
Comme ces règlements sont en vigueur, c'est maintenant aux Etats
membres de réagir. S'ils ne le font pas, c'est la tâche de la Commission de promouvoir l'établissement de telles autorités nationales. Et pas seulement dans un
Etat, car on essaie aussi de promouvoir des collaborations régionales entre autorités nationales. Pourquoi les administrations belges et néerlandaises ne
pourraient-elles pas se joindre pour assurer une meilleure qualité de contrôle ? Ce sont des idées nouvelles que nous lançons dans le débat. Nous allons lancer
quelques campagnes de promotion dans ce domaine en étroite collaboration avec les divers Etats membres et les prestataires de services.
Dans ma présentation, j'ai dit que les règlements sont entrés en
vigueur le 20 avril dernier. Ils sont donc d'application. C'est maintenant que les Etats membres doivent désigner les autorités nationales. Nous sommes en
train de travailler avec les Etats membres pour qu'ils puissent le faire dans les meilleurs délais.
M. Gérald RÉGNIAUD : Je ne voudrais pas que la représentation
nationale puisse s'installer dans une espèce de béatitude sur la sécurité, en particulier en Europe de l'Ouest. L'intérêt que portent les institutions ou les
politiques à la sécurité est relativement nouveau. A la fin des années 90, au début de la rédaction de ces fameux règlements « ciel unique », on nous a beaucoup
dit que la sécurité était acquise et que l'on n'y toucherait pas. Petit à petit, les événements s'accumulant, on s'est rendu compte que, finalement, il fallait
vraiment s'intéresser à la sécurité et qu'elle n'était pas si acquise que cela.
Eurocontrol dispose d'une « performance review commission »,
une commission d'évaluation des performances, qui chaque année, établit un rapport d'évaluation des performances. Cela fait sept ans que cette commission
travaille sur toute une série d'indicateurs de performance du trafic aérien en Europe. Nous avons les retards, les délais, les indicateurs économiques. Les
informations pullulent. Par contre, quand on s'intéresse aux indicateurs de sécurité, on se trouve depuis sept ans devant une page blanche parce qu'il n'y a
pas d'indicateurs sur la sécurité en Europe.
On sent bien, par les interventions qui précédent, que l'on va
avancer sur ce terrain, mais cela fait sept ans que ces indicateurs n'existent pas et que la commission d'évaluation regrette leur inexistence.
En début de séance, on a beaucoup insisté sur les ceintures, les
bretelles, les bouts de ficelle et couteaux qui nous permettent de rattraper éventuellement des situations dégradées. Il y a la théorie, et puis la pratique.
Quand on dit qu'en cas de situation orageuse, nos amis militaires libèrent immédiatement les zones de combat, c'est la théorie. Dans la pratique, il faut mener
un vrai combat pour qu'ils libèrent ces zones. Quand on parle de réduction de capacité, il faut aussi parler des pressions exercées par l'encadrement, dont
c'est le métier, sur les chefs de salle ou les chefs de tour, notamment à Roissy/Charles de Gaulle pour faire réaugmenter ces capacités, au-delà des chiffres
prévus par le manuel, lorsqu'il y a des situations dégradées.
Je ne suis pas sûr que l'on puisse qualifier la Suisse ou l'Italie
de pays sous-développés en matière aéronautique. Et pourtant, deux accidents qui ont fait les choux gras de la presse au cours des deux dernières années, ont
eu lieu à Uberlingen et à Milan. Dans les deux cas, le système s'est mis volontairement, en conscience, dans une situation dégradée.
A Uberlingen, on remarque l'absence de filet de sauvegarde et le
contrôleur est seul devant son radar. C'est ce que l'on appelle les single man opérations, alors que dans la journée à Zurich, ils sont deux. Pourquoi ?
Parce que quand on utilise un seul homme la nuit au lieu de deux, on peut faire travailler le deuxième dans la journée et offrir ainsi plus de capacité. Le
lendemain de l'accident, après avoir retrouvé un niveau de sérénité - le meilleur qui puisse être dans une salle de contrôle après un tel accident -, on a mis
deux hommes au radar la nuit. Immédiatement, la capacité du centre de contrôle de Zurich a diminué de 18 % pendant la journée, uniquement pour cette raison.
L'impact économique n'est pas négligeable.
En Italie, pendant plusieurs années, les collègues contrôleurs se
sont émus de l'absence de ce fameux radar sol qui est la cause, si ce n'est directe, du moins principale, de l'accident.
Encore une fois, les pays de l'Est peut-être, éventuellement,
nonobstant la confidentialité des documents d'Eurocontrol, ont un certain retard. En ce qui nous concerne, contrôleurs aériens, nous rencontrons beaucoup plus
de difficultés sur les secteurs de contrôle avec des militaires américains qu'avec des compagnies de l'Est, qu'elles soient hongroises, polonaises ou tchèques.
Sur l'harmonisation et les processus de certification, on a le
sentiment qu'avec la certification, on va pouvoir mettre tout le monde au même niveau. La crainte - sous-jacente dans votre question - est que le nivellement
se fasse par le bas. La Commission dit que ce n'est pas possible et dans le même temps, Eurocontrol dit que ses audits montrent que dans un certain nombre de
pays, les autorités nationales de surveillance, censées délivrer ces certificats, sont finalement des coquilles vides. Cela fait longtemps que tout le monde le
sait. D'ailleurs, la Commission a prévu une solution, dans ses règlements, pour les Etats qui n'auraient pas les moyens, faute de finances ou de compétences,
d'effectuer ces contrôles et cette surveillance, puis cette certification. On leur propose de faire appel à des « organismes reconnus ». Nous appelons cela des
Dekra ou des Véritas du contrôle, en faisant le pendant avec ce qui existe dans le maritime. Qu'est-ce que qui empêchera demain un pays comme le pays de
Tintin, la Syldavie, de faire appel à un organisme que l'on dira reconnu pour certifier son organisme de contrôle ? C'est une problématique.
Nous avions fait une proposition qui nous paraissait intéressante,
mais qui n'a malheureusement pas été retenue. Pour ces pays qui n'auraient pas les moyens financiers ou les compétences pour faire la vérification, nous avions
suggéré de faire appel à Eurocontrol qui dispose à la fois des moyens et des compétences.
Une question a été posée sur les informations données aux passagers.
Les contrôleurs que nous sommes ont assez peu accès aux passagers. Ceux qui sont en première ligne sont les pilotes, les commandants de bord et les compagnies
aériennes avec le personnel commercial. Il faut bien dire que là, nous sommes dans un vrai domaine concurrentiel. La ponctualité fait partie de la concurrence.
Rien de plus tentant que de faire porter la responsabilité à une entité extérieure. Récemment, un collègue en cabine a assisté à quelque chose de phénoménal au
décollage d'Orly. Un problème de moteur oblige l'avion à faire demi-tour. Mais la faute est mise au compte du contrôle aérien ! Mon exemple est exagéré, ce
n'est pas toujours comme cela.
M. Jean-Pierre BLAZY : Comme pour les retards !
M. Gilles MANTOUX : Il y a bien une information faite aux
passagers au travers de la revue qu'édite le Comité national des clients aériens sur les causes de retard en particulier et leur répartition. Les numéros datent
peut-être, il faudrait les actualiser, mais ils sont dans les aérogares. Ce n'est pas commercial. Il y a peut-être une difficulté de diffusion, mais une dizaine
de milliers de numéros sont emportés régulièrement.
Mme la Présidente : Nous les avons entendus. Cela apparaîtra
dans le rapport qui sera fourni.
J'ai vu apparaître un problème dans certaines lectures. Est-il exact
que le respect de la qualité environnementale des riverains d'aéroport entrerait en contradiction avec la sécurité du contrôle aérien ? Plus précisément, les
approches que l'on fait pour éviter le bruit ou pour survoler d'un peu moins près certaines habitations et certaines communes, mettraient-elles plus ou moins
en danger les passagers des avions en question ?
M. Frédéric RICO : Cette question est mentionnée dans le
questionnaire que nous avons reçu. Respectueusement, je me permets de vous faire remarquer que la question est, à mon avis, mal posée. La question ne doit pas
être : « L'environnement et la sécurité sont-ils antinomiques ? », mais « Quelles précautions prenez-vous pour que cela ne soit pas antinomique ? »
ou plutôt « Comment prenez-vous en compte les attentes légitimes des populations survolées pour leur apporter une réponse satisfaisante, sans dégrader le
niveau de sécurité ? »
Mme la Présidente : Mais en conclusion, sont-elles
antinomiques ?
M. Frédéric RICO : Si l'on commence par dire que c'est
antinomique, on entre dans en débat sans fin.
En revanche, se dire qu'il faut être capable d'apporter des réponses
satisfaisantes au problème environnemental, sans dégrader le niveau de sécurité ou en le faisant progresser, cela est vraiment une ambition. La réponse que je
peux apporter à cette question posée dans ces termes est que c'est une question d'éducation, d'information et de compréhension mutuelle.
Pour entrer plus dans le détail, en matière d'éducation, il s'agit
de l'éducation des deux parties. Les contraintes techniques du vol devraient être connues de tous, afin d'éviter que des demandes ou des exigences séduisantes
en matière de maîtrise des nuisances sonores soient formulées, alors qu'il paraît parfois évident qu'elles sont irréalistes en termes de conduite du vol.
Par contre, de l'autre côté, ce que l'on appelle la trace sonore
d'un vol, c'est-à-dire la traduction en termes de décibels de la façon dont on contrôle un avion, dont on le conduit, devrait être connue, tout au moins dans
ses grandes lignes, par les équipages et les contrôleurs. Or, ce n'est pas toujours le cas. Je ne citerai, en exemple, que le problème de la vitesse maximum en
région parisienne.
Ensuite, nous avons un devoir d'information, nous avons une
obligation morale de transparence. Dès que je dis cela, je sais que je soulève des problèmes parce que la Sûreté - avec une majuscule - commence à s'exprimer.
Pour les non familiers du jargon, on distingue fondamentalement la sécurité qui est d'éviter l'accident, et la sûreté, qui est d'éviter l'intervention illicite
ou le détournement d'avion. Les spécialistes de la Sûreté nous reprochent nos efforts de transparence, notamment en matière environnementale.
Je suis persuadé que les populations survolées ont droit à une
information claire et précise sur les circonstances qui ont pu conduire un vol, non pas à se dérouler hors norme, mais de façon divergente par rapport à la
moyenne des vols. Ce que perçoit le riverain, c'est la moyenne du comportement des avions. Parfois, un avion ne se comporte pas comme la majorité des autres.
Ce n'est peut-être pas en raison d'un problème de sécurité, mais il faut être capable d'expliquer ce qui s'est passé ce jour-là dans ces circonstances
particulières.
Mme la Présidente : Très précisément, ces moyennes ont été
modifiées ces dernières années pour répondre à des contraintes environnementales. C'est sur ce point aussi que je vous demandais un jugement.
M. Frédéric RICO : On a modifié les référentiels en procédant à
des analyses de sécurité et en prenant toutes les précautions nécessaires.
La réponse en matière d'information est ce que l'on appelle les
maisons de l'environnement à Paris et les espaces riverains sur les aéroports de province. Je regrette que des outils que nous avions développés, après des
coordinations et concertations délicates avec nos collègues contrôleurs et les pilotes, qui consistaient à mettre de l'information sur Internet n'aient pu être
mis en _uvre, à la suite d'une décision des autorités chargées de la sûreté. Elles considéraient que ce genre d'informations n'avait pas à être mis à
disposition du plus grand nombre.
M. Jean-Pierre BLAZY : Est-ce la Défense ?
M. Frédéric RICO : Pour être clair, je ne vise pas la direction
de la circulation militaire, mais les services du Premier ministre et plus précisément le secrétariat général à la Défense nationale.
Je formule un souhait de compréhension : que chacun admette la bonne
foi de l'autre. S'il n'y a pas de volonté de travailler en commun, nous n'y arriverons pas.
Je termine en disant qu'il ne faut pas chercher à opposer
systématiquement environnement et sécurité. Il est très facile de dire qu'à telle occasion, la recherche de la performance environnementale a compromis la
sécurité. J'ai un exemple en tête où la pression environnementale nous a amenés à progresser en matière de sécurité.
Nous avons publié ce que nous appelons « les volumes de protection
environnementale », zones ou volumes à l'intérieur desquels, pour les phases initiales de décollage ou les phases finales de l'approche, le vol doit
normalement se dérouler. Si le vol sort du volume, cela donne lieu à analyse et enquête. Très souvent, cela se termine devant la Commission nationale de
prévention des nuisances. Dans un cas particulier, une recrudescence d'événements environnementaux nous a amenés à identifier un précurseur en matière de
sécurité. Sur un aérodrome, certaines équipes de contrôle avaient oublié la nécessité de ménager trente secondes de vol stabilisé, en palier, avant que l'avion
ne commence sa descente finale. Comme les volumes de protection environnementale avaient été construits sur la base de ces trente secondes de vol stabilisé, le
système qui détectait automatiquement le non-respect des volumes de protection environnementale nous a alertés sur ce problème environnemental qui, après
résolution et à la suite d'une analyse, nous a amenés à dire que nous avions un exemple où le souci environnemental nous a permis de progresser en matière de
sécurité.
Cela me permet de terminer sur une suggestion. Nous avons deux
systèmes totalement distincts en matière de prévention des nuisances et de sécurité de la circulation aérienne : la Commission nationale de prévention des
nuisances, qui s'occupe de vérifier le respect des règles environnementales, et la Commission nationale de sécurité de la circulation aérienne, organisme
indépendant de la DGAC, qui a publié, hier, son rapport sur les incidents de l'année 2002. Ne serait-il pas judicieux de suggérer un rapprochement entre ces
deux structures. L'expérience que nous avons acquise en ayant à l'esprit que le souci environnemental et l'analyse d'un évènement environnemental peuvent
permettre de progresser en matière de sécurité serait susceptible d'être généralisée.
Mme la Présidente : Le sujet que nous traitons rejoint la
question de M. Descamps qui n'a pas eu de réponse : la nécessité ou non d'un troisième aéroport.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je reprécise ma question. Ce
problème de l'environnement, plus celui de la sécurité - qui ne sont pas antinomiques comme M. Rico l'a très bien expliqué - plus le problème de l'augmentation
de trafic, plus le problème de la multiplication des techniques d'amélioration de la sécurité en l'air, Eurocontrol etc. ; tout cela est-il supportable pour un
aéroport comme Roissy ? A quelle échéance cela va-t-il bloquer ?
M. Frédéric RICO : A question claire, réponse claire. D'abord,
vous devriez poser la question à M. Gonnot qui a présidé une mission sur ce sujet précis.
Deuxièmement, le trafic de l'aéroport Charles de Gaulle est limité.
C'est une vue de l'esprit, c'est jouer à se faire peur que de dire que le trafic de l'aéroport va croître sans cesse. Qu'est-ce qui limite le trafic à Charles
de Gaulle ? C'est ce qu'on appelle « l'indicateur global de bruit ». Des dispositions réglementaires ont été prises et publiées au Journal officiel. On est
passé d'un indicateur global de bruit calculé à un indicateur global de bruit dit « mesuré », à partir de stations de mesure de bruit. Nous savons maintenant
que c'est cet indicateur global de bruit qui détermine la capacité d'augmentation du nombre de mouvements sur l'aéroport Charles de Gaulle.
On peut penser qu'il suffit de remplacer un avion bruyant par deux
avions silencieux.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : A quel moment la sécurité
devient-elle l'élément principal ? C'est le sens de ma question. Il faut rester dans la compétence de la mission. A quel moment la sécurité devient-elle
l'élément bloquant du système des aéroports ?
M. Frédéric RICO : La sécurité est toujours l'élément bloquant
du système des aéroports !
Mme la Présidente : Je voudrais passer la parole à M. Bauchet
qui semble impatient de répondre.
M. Jean-Robert BAUCHET : Je ne suis pas impatient
personnellement, mais je voudrais apporter une réponse qui a été fournie par les directeurs généraux de l'aviation civile réunis à Eurocontrol. La même question
y a été posée, en d'autres termes. La réponse a été très claire : la sécurité prime.
Il y a deux paramètres fondamentaux : la sécurité et la capacité. La
sécurité est le paramètre prioritaire. Ensuite, la capacité dépend elle-même d'un certain nombre de paramètres, dont l'environnement. C'est un choix de
société, c'est aux élus de décider. Mais dans les priorités : sécurité d'abord, et puis capacité, selon l'environnement.
Je dispose d'un observatoire extraordinaire qui est l'aéroport
d'Amsterdam. Il a clairement privilégié l'environnement dans le développement de son aéroport, même s'il y a cinq pistes. Quand ils ont dépassé un certain
quota de bruit - M. Blazy, vous connaissez certainement l'exemple d'Amsterdam -, je suis amené à retarder des vols à destination d'Amsterdam pour cause
environnementale. C'est une décision purement politique, un choix de société. A vous, en France, et dans les autres pays d'en faire autant ! Mais au niveau
européen, le premier paramètre est la sécurité.
M. Yann GOUPIL : Je partage beaucoup des réponses données par
M. Rico, en particulier sur la nécessité d'information et de connaissance dans le cadre du discours que l'on peut avoir au sein des commissions consultatives et
avec les élus, les associations de riverains et les professionnels que nous représentons.
Les éléments liés à la sécurité et aux nécessités environnementales
ne sont pas automatiquement antinomiques, mais sont néanmoins très liés. Jusqu'à ces dernières années, il y avait deux problématiques : la capacité et la
sécurité. L'environnement s'est greffé à cela. Dès que l'on touche à l'un de ces critères, les deux autres bougent en même temps. On ne peut pas dire que l'on
met en cause directement la sécurité par des volontés environnementales, mais il y a des choses que l'on ne peut pas faire, parce qu'elles engagent, à terme,
la sécurité dans certaines situations.
A propos d'un troisième aéroport parisien, j'ai plus de liberté de
parole que le directeur des opérations aériennes. Notre organisation syndicale était favorable à la construction d'un troisième aéroport parisien, mais pas
n'importe où. La question n'est pas de savoir s'il faut un troisième aéroport parisien, mais de savoir où on le met.
On a beaucoup parlé de Chalons Vatry qui présente des avantages en
termes d'environnement et de proximité avec la région parisienne par les moyens ferroviaires. Mais il a un énorme défaut en terme de situation géographique.
Pour qu'un aéroport puisse vivre, il faut pouvoir y amener des avions. Pour cela, il faut construire des routes au-dessus de l'aéroport, des routes qui n'aient
pas d'effets sur d'autres routes déjà surchargées. Or, c'est déjà le cas de l'aéroport de Vatry.
Nous pensons que s'il y a un troisième aéroport, il ne peut être
placé que dans un axe nord-sud de Roissy et Orly, c'est-à-dire soit au nord de Roissy, soit au sud d'Orly.
Il faut tirer les enseignements de certaines dérives. Votre
questionnaire évoque le terrain de Nice. Très clairement, on y a cédé aux pressions environnementales, au détriment de la sécurité. Un doublé de pistes est
utilisé en général avec la piste intérieure pour les décollages et la piste extérieure pour les atterrissages. La raison en est simple : en cas de remise de
gaz, la piste à l'extérieur dégage dans un sens et au décollage, l'avion maintient son axe. Pour des raisons de bruit, on a fait l'inverse à Nice. Et pour
renforcer encore la nécessité de prendre en compte l'environnement, on fait se croiser les avions non pas au seuil de piste, ce qui permettrait en cas
d'incursion de piste que l'avion passe au-dessus de l'avion en approche finale, mais au niveau du toucher des roues, parce que les seuils de pistes sont près
des habitations.
De la même manière, on a mis en place la procédure Riviera qui ne
donne plus aux contrôleurs de Nice que 36 degrés sur 360 pour travailler, à cause des montagnes et des problèmes de riverains. C'est très peu. Les riverains
ont demandé à décaler encore cette procédure, ce qui réduirait le nombre de degrés disponibles pour les contrôleurs aériens. Il faut savoir que cette procédure
a été la cause principale d'un accident en Allemagne. Cette procédure Riviera amène à perdre le contact visuel avec la piste, puisque l'avion fait un virage à
gauche suivi d'un virage à droite avec la proximité des montagnes.
Enfin, la sécurité va bien au-delà. Une procédure en piste 22 à Nice
prévoit que les avions à l'arrivée descendent à 2 500 pieds, au lieu de 1 500 pieds quand il fait beau. Quand il fait mauvais, les avions descendent à
2 500 pieds, alors que les avions au départ passent juste en dessous à 1 500 pieds. Comme les pilotes sont habitués à descendre à 1 500 pieds, il y a beaucoup
d'alertes pour des problèmes environnementaux qui ont fait descendre l'avion de 1 500 pieds vers la mer, et donc avec des difficultés.
Depuis peu, une expérimentation essaye de changer cette procédure
qui comprend deux volets : un volet qui concerne uniquement la plateforme de Nice et un volet qui concerne, en amont, toutes les procédures d'arrivée. Ces
procédures d'arrivée nécessitent des études au niveau de la circulation aérienne, des accords avec les militaires, des accords avec l'ACNUSA40,
des accords avec le centre de contrôle aux routes.
Si l'on veut mettre la sécurité au c_ur du système, il faut mener
énormément d'actions, en amont, pour préserver cette sécurité, quelles que soient les différentes situations rencontrées.
Mme la Présidente : Ce que vous venez de dire est effectivement
très important.
M. Vincent FAVÉ : Je voudrais faire un commentaire sur le
retour d'expérience et l'analyse des incidents dans le contrôle de la circulation aérienne. M. Rico a parlé tout à l'heure de l'iceberg formé par les incidents
et les accidents. J'ai l'impression que nous sommes en train d'étudier les incidents qui sont rapportés, la partie visible de l'iceberg. Un report volontaire des
incidents en vol est également fait par les équipages. C'est aussi la partie visible.
S'attache-t-on à étudier la partie invisible ?
Les compagnies aériennes, depuis de très nombreuses années, ont
compris ce principe et ont été conduites à faire de plus en plus de l'analyse de vol. Les enregistrements sont lus de façon automatique, plus tard, et les
écarts sont détectés. Cela a permis de mettre en évidence un certain nombre de points pour améliorer la sécurité. Auparavant, ces points n'apparaissaient pas
du tout aux systèmes de gestion de la sécurité des compagnies aériennes. Cela a été mis en place depuis très longtemps.
Il serait intéressant d'avoir l'avis des spécialistes.
M. Daniel JOUSSE : Dans les avions, les systèmes modernes
enregistrent un grand nombre de paramètres. Par une lecture rapide, on peut repérer ceux qui dépassent les limites. Dans le contrôle de la circulation aérienne,
nous n'en sommes pas là, mais nous disposons de certaines détections automatiques qui permettent de repérer des dysfonctionnements et de les analyser.
Le filet de sauvegarde évoqué tout à l'heure est une forme de
mouchard qui enregistre toutes les fois où deux avions passent trop près. D'autres sont en cours de développement. Ce filet de sauvegarde, qui existe depuis
vingt ans en France - pays précurseur dans ce domaine - est une des bases qui nous servent aujourd'hui à analyser les incidents. Quand deux avions passent en
dessous des normes, on regarde ce qui se passe.
Je suis heureux d'intervenir en tant que syndicaliste dans la mesure
où ces études se font aujourd'hui dans un climat social apaisé. On est capable d'avoir, dans ces unités d'analyse, des gens qui travaillent sur ces événements
repérés par un calculateur. On arrive à en parler avec les contrôleurs, à identifier un certain nombre de causes et à agir ensuite sur ces causes pour en
éviter le renouvellement.
Pour répondre à la remarque, nous n'avons pas encore les systèmes
parfaitement automatisés des avions qui permettent d'étudier un grand nombre de paramètres, mais nous sommes inscrits dans cette démarche.
Je souhaiterais dire un mot sur Nice. Aujourd'hui, beaucoup de
choses y ont changé. Nice est un aérodrome sur lequel on a essayé de faire un maximum de choses sur une surface extrêmement petite. Il a une taille ridicule
par rapport à ceux qui ont un trafic similaire. Tout a été fait en remblai sur la mer. Dans cette idée de faire un aéroport à tout prix, il y a eu des prises
de risques inadmissibles. On a transformé une ancienne piste en taxiway, de sorte que certaines pistes principales sont moins larges que le taxiway et que
certains avions se sont posés dessus par erreur. La démarche était d'avoir deux pistes pour faire du trafic. Sont venus s'ajouter les problèmes
d'environnement. La navigation aérienne est en train de régler ce problème.
Nous avions des problèmes d'incursion de pistes, c'est-à-dire que
des avions sont sur la piste, alors que l'on ne s'y attend pas. Un gros travail de reports d'événements a été fait, d'analyses en commun entre contrôleurs et
analystes. Beaucoup d'enseignements en sont sortis.
Une parenthèse : ces incursions de pistes à Nice ne mettent pas en
cause la tour de contrôle. Ce sont généralement des erreurs que l'on peut raccorder à l'équipage pour plusieurs raisons. Ils pensent être autorisés ou n'ont
pas compris qu'ils sont sur la piste. Mais la navigation aérienne commence à se sortir de cette confusion. Les incursions de piste sont passées de vingt à un
nombre très réduit par des actions en matière d'équipement, des actions de sensibilisation des équipages et des contrôleurs. Tout cela étant basé sur le retour
d'expérience. Et la dernière partie de la procédure dangereuse est en train d'évoluer.
A partir d'un aérodrome qui présentait des risques importants, nous
nous sommes donc donné les moyens d'améliorer la sécurité - j'ajouterai en tant que syndicaliste - grâce à un travail commun des contrôleurs et des gens
concernés dans notre maison.
M. Olivier JOUANS : M. Jousse a répondu à peu près comme je
souhaitais le faire.
Depuis deux heures et demie, ce dont nous parlons, à mon sens, est
le dessous de l'iceberg. Les 16 000 événements repris dans INCA constituent la totalité de l'iceberg, en fonction de la capacité actuelle à obtenir les
informations.
La notification par le contrôleur est une partie visible de
l'iceberg, mais aussi une partie cachée puisqu'il s'agit de précurseurs et pas d'incidents à proprement parler. Un certain nombre de systèmes automatiques
détectent également les incidents - l'image des cent mètres entre deux véhicules - qui n'étaient que des incidents, de l'aveu même du contrôleur, et non des
problèmes liés à la sécurité.
Je reviens à la question de savoir s'il faut rendre ces informations
disponibles au public. Nous qualifions de « quasi collision » un croisement de deux avions à moins de 5 kilomètres car la distance est inférieure aux normes.
Nous avons un système automatique de détection et d'analyse complète, qui n'est pas le même que celui que pourrait donner le BEA qui est spécialisé dans les
accidents. Nous analysons complètement l'incident comme une défaillance de notre système qui vise à séparer les avions d'au moins 5 nautiques, près de 10 km.
Mme la Présidente : En conclusion, j'aurais aimé qu'il ressorte
de cette réunion des propositions pour améliorer la sécurité dans le contrôle aérien.
M. François RIVET : La Commission européenne, qui a pris
l'initiative en matière de réglementation de l'activité des opérateurs aériens et des constructions d'aéronefs, souhaiterait que la sécurité du contrôle aérien
entre dans cette même logique. Ainsi, l'Agence européenne de la sécurité aérienne, qui vient de débuter ses activités, assure actuellement dans ces domaines la
préparation et l'exécution des mesures d'application. Bientôt, son champ d'application pourrait s'étendre aux aéroports. La Commission européenne souhaiterait
proposer aux Etats d'étendre le champ d'application de cette agence à la sécurité du contrôle aérien. Nous aurions réunis dans cette même entité, au niveau
européen, les responsabilités d'établir et de faire appliquer de façon cohérente des règlements et standards de sécurités pour les acteurs majeurs du transport
aérien : opérateurs aériens, constructeurs, contrôle aérien et aéroports.
C'est une volonté de la Commission de le proposer aux Etats. Ce sera
bien évidemment discuté par le Conseil et le Parlement. C'est une piste que je vous propose.
Mme la Présidente : Y a-t-il d'autres suggestions ?
M. Gérald REGNAUD : On pourrait d'abord soutenir la proposition
de la Commission européenne de faire agir un peu plus l'AESA dans le domaine de la navigation aérienne.
Il faut vraiment jouer la carte européenne dans ce domaine et le
faire dans un sens positif. Malheureusement, pour des raisons diverses, les règlements ciel unique ont été initialement assez mal engagés avec une idée forte
d'instauration de concurrence. Cela s'est quelque peu atténué, mais il reste un gros esprit de compétition dans ces règlements ciel unique.
En matière de sécurité comme en matière de sûreté, la compétition
est souvent nuisible. Ce qui fonctionne mieux, c'est la coopération. Nous souhaiterions que soient trouvées des formes institutionnelles qui permettent
d'améliorer la coopération entre les opérateurs de services de navigation aérienne, plutôt que de favoriser la compétition.
On pourrait proposer une idée peut-être trop fédéraliste de création
d'une entité européenne de gestion du trafic aérien. Plutôt que d'avoir plusieurs opérateurs de contrôle aérien en Europe, on pourrait penser n'en avoir qu'un
seul, à l'image de ce qui existe aux Etats-Unis.
Peut-être aussi, dans la progression de l'idée européenne, on l'a
vu, lors des débats sur les règlements, faut-il régler la problématique des compétences de l'Union par rapport au militaire. Aujourd'hui, on est toujours dans
cette problématique. Il faut espérer que l'Union européenne gagne en compétences pour que l'on puisse aborder ces questions de façon un peu plus sereine. En
effet, quand on parle de capacité, cela a rapidement des conséquences sur la sécurité. Nos amis militaires sont parfois au mauvais moment au mauvais endroit !
M. Jean-Robert BAUCHET : C'est le fruit de toute une expérience
et surtout d'une vision internationale. On sent bien que, malgré tout, malgré toutes les paroles échangées et les exposés, il y a parfois dualité ou combat
intellectuel entre les différents paramètres, la sécurité étant, du reste, au c_ur du sujet. Je pense qu'une séparation plus claire des responsabilités est en
train de se mettre en place, notamment sous l'impulsion des règlements et surtout du premier règlement cité par la Commission tout à l'heure. Non seulement elle
se met en place, mais elle s'accélère.
Par séparation, j'entends la mise en place des autorités de
surveillance, les responsabilités de l'opérateur, des autorités de surveillance, des pouvoirs des élus et du gouvernement. Je l'ai vécu en France, mais on le
voit aussi dans de nombreux pays : on demande à un technicien de faire des choix politiques ou de trancher des débats de société. On s'aperçoit que dans les
pays où il y a eu - sans rentrer dans le débat de la privatisation ou de la corporatisation et de la compétition - une séparation claire des responsabilités
entre le régulateur et l'opérateur, c'est de nature à faire progresser un certain nombre de dossiers, dont celui de la sécurité.
Par exemple - je peux citer le pays car c'est du domaine public -,
autour de Genève, un dispositif de circulation aérienne a été proposé par l'opérateur. Après examen par une autorité de sécurité, une route en particulier a
été jugée inappropriée. L'opérateur ne l'a pas mise en place. C'est de nature à faire progresser la sécurité car l'opérateur n'a pas subi de pression pour,
coûte que coûte, utiliser le dispositif et augmenter la capacité de Genève.
Le v_u que je forme est d'accélérer cette séparation.
M. Jean-Pierre HESTIN : Je voudrais faire aussi une proposition
et rebondir sur les propos de M. Régniaud.
Nous n'avons pas beaucoup parlé de l'impact possible sur la sécurité
- il faudrait voir s'il existe, ce qui pourrait provoquer un débat assez long - de la présence des militaires dans un même espace que les civils. Je pense que
l'on ne peut décemment pas dire qu'il n'y a pas d'impact. Pour deux raisons : la première est que l'on met dans un même coin de l'espace des aéronefs régis par
des règles différentes, contrôlés par des contrôleurs situés à des endroits différents. On peut imaginer, toutes choses égales par ailleurs, qu'il y a un
impact sur la sécurité. La deuxième raison est que les militaires, pour s'entraîner au combat, ont besoin d'espace aérien. Le fait de prendre de l'espace
aérien réduit donc forcément l'espace aérien restant pour les flux civils.
Mais on ne peut pas dire aujourd'hui que les militaires prennent
aujourd'hui de l'espace. Un chiffre : si l'on mettait toute la défense aérienne dans tous les espaces qui pourraient lui être réservés dans une journée, on
occuperait 20 % de l'espace français. On ne peut pas dire que ce soit excessif. Si l'on ramène cela à l'échelle temps, on occupe entre 15 et 20 % de l'espace
pendant deux heures et demie de la journée. Reste pour nous à travailler sur la réalité du besoin. La Défense y travaille en coopération avec les Défenses
européennes.
Je terminerai en donnant deux pistes pour améliorer la sécurité : la
coopération entre les Défenses étrangères - la Défense française est moteur dans ce domaine - et une plus étroite coordination, à tous niveaux, entre
l'aviation civile française et la Défense française. Etroite coordination à tous niveaux, c'est-à-dire depuis l'administration où l'on pourrait imaginer un
régulateur commun qui prenne en compte les intérêts civils et militaires plutôt que deux régulateurs séparés. Etroite coordination à tous niveaux, c'est-à-dire
jusqu'au plus bas niveau, pour mettre en coordination directe les contrôleurs civils et nos contrôleurs militaires qui ont la responsabilité, qu'ils ne
partagent avec personne, de l'anti-abordage.
Un maître mot : une meilleure coordination entre l'aviation civile
et la défense aérienne.
M. Gilles MANTOUX : Représentant la partie administration
civile du contrôle aérien, je veux me féliciter de l'attention et de la pression portée au niveau politique sur l'organisation de la sécurité. Je pense que la
collectivité aéronautique en général émet un souhait : que cette pression continue à s'exercer régulièrement et soit portée par le politique. C'est bien un fait
d'Etat et de société.
Egalement, elle souhaite que l'on intègre la complexité de la
sécurité et une certaine logique de méthodes et de moyens qui se mettent forcément ensuite en balance avec la capacité et le développement de l'industrie.
Mme la Présidente : Merci à tous de ces informations, de ces
propositions et des éventuels compléments écrits que vous souhaiterez communiquer à la mission.
Table ronde sur le retour d'expérience regroupant
M. Pascal SÉNARD et M. Guillaume ADAM, Service de la formation aéronautique et du contrôle technique (SFACT) de la DGAC,
M. Pierre JOUNIAUX, Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA),
M. Olivier JOUANS, Service du contrôle du trafic aérien (SCTA),
M. Bertrand de COURVILLE, Air France,
M. Christophe BAILLY, Corsair,
M. Jérôme BANSARD et M. Thierry LE FLOC'H, Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL),
M. François GRANGIER, expert judiciaire,
M. Claude GUIBERT, expert judiciaire,
Maître Catherine HENNEQUIN, avocate,
M. Nicolas LOUKAKOS, spécialiste du droit de l'aéronautique,
(Extrait du procès-verbal de la séance du 4 mai 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Madame, messieurs, je vous remercie de
votre présence à cette réunion organisée dans le cadre des travaux de notre mission sur la sécurité dans le transport aérien de voyageurs.
Aujourd'hui, notre table ronde est consacrée au retour d'expérience
après incidents et accidents, c'est-à-dire au recensement et à l'exploitation des incidents et accidents dans un but de prévention. Ce retour d'expérience est
une question transversale évoquée au cours de chacune de nos tables rondes. Elle se place au c_ur du processus de prévention.
Chercher à comprendre la cause d'un accident, c'est tenter de
remédier à tout ce qui a pu passer au travers des mailles du filet et accroître la sécurité. Tel est donc le sujet de cette réunion qui terminera notre série
de tables rondes sur la sécurité dans toutes les étapes de la vie d'un aéronef. Vous êtes tous ici appelés à vous exprimer sur la façon dont sont appliqués les
textes. Nous souhaitons également que cette table ronde permette de dégager des pistes d'amélioration.
Je vous propose de vous présenter. Puis les représentants de la DGAC
et du BEA rappelleront le cadre réglementaire dans lequel s'effectue le retour d'expérience avant que nous entamions notre débat.
M. Guillaume ADAM : Depuis deux ans, je suis chargé du
programme « retour d'expérience » au sein du SFACT qui fait partie de la DGAC. J'ai été enquêteur technique pendant sept ans. L'objectif de notre service est la
transposition en droit français, ainsi que la mise en vigueur effective de la directive européenne "compte rendu obligatoire" afin de mettre en place le retour
d'expérience au sein de la DGAC.
M. Bertrand de COURVILLE : Je suis chef du service « Sécurité
et prévention des vols » chez Air France et commandant de bord sur Airbus 340 et 330.
M. Christophe BAILLY : Je suis commandant de bord sur
Airbus 330 à la compagnie Corsair, et adjoint-secteur de l'officier de sécurité des vols. Je suis en charge de l'analyse des vols du secteur A 330.
M. Jérôme BANSARD : Je suis commandant de bord chez Air France
et vice-président du SNPL.
M. Thierry Le FLOC'H : Je suis commandant de bord chez Dassault
Falcon Service et vice-président technique du SNPL.
M. Nicolas LOUKAKOS : Je suis ancien commandant de bord,
juriste spécialisé en droit aérien.
M. Claude GUIBERT : Je suis ancien commandant de bord, ancien
pilote d'essai et ancien ingénieur naviguant d'essai, et expert judiciaire.
M. François GRANGIER : Je suis commandant de bord sur
Airbus 330 et 340. Je suis qualifié sur les autres Airbus et instructeur. Je suis aussi expert auprès de la cour d'appel de Pau et vice-président de la Compagnie
des experts.
Mme Catherine HENNEQUIN : Je suis avocate à la cour d'appel.
J'ai fait une spécialisation de troisième cycle en droit aéronautique et j'ai eu à traiter de dossiers en responsabilité dans ce domaine.
M. Pascal SÉNARD : Je suis le chef de la division
réglementation du SFACT. Cette division comprend le bureau « retour d'expérience » et le bureau de la réglementation, chargé de la transposition de la directive
(CE) 2003-42 concernant les comptes rendus d'événements A titre personnel, j'ai eu à comparer les systèmes de sécurité aérienne et les systèmes de sûreté
nucléaire ; un point commun à ces deux secteurs tient dans le retour d'expérience.
M. Olivier JOUANS : Je suis le chef du département
« Exploitation et sécurité » du service du contrôle du trafic aérien. A ce titre, j'assure la coordination au niveau national du recueil de l'analyse des
incidents et le retour d'expérience pour tous les événements liés à la sécurité dans le contrôle du trafic aérien.
M. Pierre JOUNIAUX : Je suis enquêteur technique au BEA depuis
sept ans et je suis actuellement responsable de la cellule qui traite les incidents, en application de la nouvelle réglementation d'avril 2003.
M. le Rapporteur : Avant de commencer, nous souhaiterions
savoir exactement ce que l'on appelle « retour d'expérience » ?
M. Bertrand de COURVILLE : Une compagnie commence à bénéficier
de retour d'expérience quand elle peut confronter la manière dont elle s'attend à ce que les opérations se réalisent et la relation que les acteurs en
rapportent. Quand on peut procéder à cette confrontation, grâce à un retour des acteurs de première ligne ou des différents opérateurs, on peut dire qu'il y a
retour d'expérience.
M. Guillaume ADAM : J'ajouterai que le but du retour
d'expérience consiste à collecter l'information et à l'analyser en vue de prévenir les accidents. L'expérience prouve que les accidents ont des précurseurs et
que des incidents de nature semblable à l'accident ont souvent eu lieu avant que l'accident ne se produise. L'étude systématique de ces incidents permet
d'arrêter des mesures préventives afin qu'ils ne dégénèrent pas en accident.
Mme Catherine HENNEQUIN : Juridiquement « retour d'expérience »
signifie absence de dommages. Il y a eu un incident, non un fait volontaire caractérisé relevant d'une qualification juridique sanctionnable. En tout état de
cause, il n'y a pas eu accident, car, en cas d'accident, nous ne sommes plus dans le domaine juridique pur du retour d'expérience.
M. Pascal SÉNARD : La DGAC a retenu une vision qui comprend
plusieurs retours d'expérience. Les dispositions relatives au retour d'expérience ne se sont pas construites du jour au lendemain. C'est lentement, au fur et à
mesure de la construction de l'aviation, que la problématique de la sécurité est devenue de plus en plus cruciale et que les ingénieurs et techniciens ont jugé
nécessaire de tirer les leçons de tout événement connu.
Après-guerre, on tirait les leçons des accidents ou des échecs lors
des essais de prototypes : aujourd'hui, nous n'en sommes plus là. Le premier système que nous considérons comme système de retour d'expérience et qui a permis
de faire des progrès significatifs en matière de sécurité a été celui du suivi de la navigabilité des aéronefs. Ce système s'est construit au niveau
international. On a pris alors des dispositions réglementaires à l'encontre des constructeurs. Tous les propriétaires ou exploitants d'aéronefs devaient
rapporter les problèmes techniques, essentiellement matériels, auprès du constructeur pour que celui-ci puisse, dans un premier temps, améliorer la fiabilité
des matériels. L'objectif était précis, réduire les pannes des équipements, car l'on sait aujourd'hui qu'une panne simple peut induire une chaîne d'incidents
successifs qui conduisent à des incidents majeurs, voire à des accidents.
Par ailleurs, ne nous leurrons pas, les constructeurs continuent
aussi à avoir tout intérêt à accroître la fiabilité de leur matériel, pas seulement pour la sécurité, mais pour en tirer un avantage commercial.
Les deux parties, les autorités de tutelle, dites de l'Etat de
conception, et les constructeurs, avaient tout avantage à mettre en place ce système. Il est donc déjà très ancien et a évolué au fur et à mesure des
changements intervenant sur les chaînes de production et en fonction de l'augmentation exponentielle du nombre d'avions en exploitation au cours des années 80.
Le système reposait sur une relation réglementée entre le constructeur et l'Etat de conception, la France pour Airbus et les Etats-Unis, pour Boeing.
Forts de cela et des études de sécurité, en France, nous avons
considéré qu'il fallait aller plus loin et nous nous sommes lancés, dans les années 1997-2000, dans un autre type de retour d'expérience : l'analyse des vols.
Nous avons réglementairement demandé aux compagnies aériennes de mettre en place, en interne, un système de retour d'expérience qui recueille les incidents de
leur propre exploitation et qui rapporte les événements majeurs à l'autorité, dite alors Etat de l'exploitant.
L'autre objectif de la DGAC pour ce retour d'expérience - et il est
partagé avec les exploitants - est de fiabiliser les procédures et la formation au sein des exploitants.
Mme la Présidente : Le contrôle effectué par la DGAC ne
concerne-t-il que le constructeur français ?
M. Pascal SÉNARD : Au niveau international, l'Organisation
internationale de l'aviation civile, l'OACI, a normalisé le retour d'expérience que nous appelons « le suivi de navigabilité ». Concrètement, en cas d'un
incident technique sur un avion brésilien, une compagnie française exploitante a l'obligation contractuelle de le rapporter auprès de Embraer au Brésil et
l'autorité brésilienne entretient une relation particulière avec son constructeur pour analyser cet incident dans le cadre du suivi de navigabilité des avions
Embraer. En tant que compagnie française, c'est le l'analyse des vols qui entre en jeu : les événements intervenus sur un aéronef immatriculé français, d'un
exploitant français, doivent être rapportés à l'autorité française. Ainsi, un même incident peut être utilisé par plusieurs utilisateurs avec des objectifs
différents. Le constructeur se focalise sur la fiabilité du matériel ; la compagnie se concentre sur la fiabilité des procédures, éventuellement de la formation
des personnels.
Aujourd'hui, nous disposons de moyens informatiques de plus en plus
sophistiqués. L'idée de collecter systématiquement tous les incidents de tous les incidents connus des constructeurs, des exploitants, des aéroports et de
leurs sous-traitants a été lancée et retenue au niveau international. Cela signifie que l'on va créer, en application de la directive européenne dont j'ai
parlée, des bases de données nationales et que l'on échangera des informations entre les Etats sur les avions et les procédures des compagnies. Au-delà de
l'Union européenne, L'OACI étudie l'élargissement du système de compte rendu d'événements au niveau mondial. Concrètement, le système anglais recevra des
données grâce à British Aerospace et British Airways. Nous recueillerons des données grâce au système Airbus et par le biais de l'exploitation des compagnies
françaises. Tout sera échangé. Il est clair que nous n'éviterons pas des doublons dans l'enregistrement des événements. Nous réfléchissons sur un système de
bases de données en réseau et d'échanges de données pour que tous les utilisateurs qui souhaitent améliorer la sécurité aérienne puissent trouver les
informations et les traiter selon leurs objectifs.
La directive européenne nourrit cette première ambition de recueil
et de partage de l'information. Ensuite, chaque autorité traitera les données selon son besoin particulier. En ce qui concerne la DGAC, le premier objectif est
de développer la conscience du risque pour améliorer la sécurité, ce qui impose de chercher à réduire le nombre d'incidents. A cet égard, tous les acteurs
doivent avoir conscience que des événements quotidiens peuvent être précurseurs d'un risque. Nous voulons partager cette information, afin que chaque
exploitant soit conscient et responsable de ces procédures, indépendamment des contrôles exercés par la DGAC. Là réside la force du système de sécurité
aérienne.
Ce nouveau système de retour d'expérience doit, à la base, permettre
concrètement d'organiser la collecte d'informations diverses et variées, de les stocker, de les coder et de les traiter en données utiles.
M. Pierre JOUNIAUX : Il faut partir du principe selon lequel la
sécurité ne se divise pas : elle concerne tout le monde. Le BEA s'organise en fonction de ce constat et de ses propres objectifs.
Le BEA conduit des enquêtes dont le seul but est la prévention. Il
s'agit de déceler des défaillances qui peuvent être systémiques pour introduire un ordre correcteur et, là aussi, permettre un retour d'expérience, parce qu'il
faut informer les acteurs et maintenir un niveau important de conscience du risque. Ces deux objectifs cohabitent dans l'enquête technique. Le BEA se situe au
sein de cette boucle de sécurité.
Dans un premier temps, les enquêtes portaient essentiellement sur
les accidents ; progressivement, nous nous sommes orientés vers des enquêtes plus systémiques des accidents, mais aussi des incidents. Nous nous retrouvons
donc, pour la fiabilité des équipements et l'amélioration des entraînements, face au paradigme de sécurité suivant : avec un matériel fiable et un personnel
entraîné, l'on atteint un certain objectif de sécurité. Il se trouve que ce n'est plus suffisant, parce que l'asymptote de sécurité exige de pousser plus loin
l'analyse des dysfonctionnements.
En matière d'incidents, le BEA travaille ponctuellement à partir
d'événements spécifiques dans une approche clinique. Nous recherchons globalement et transversalement toutes les informations pour mettre à jour les causes
profondes d'un événement. L'idée consiste à transposer aux incidents les règles d'investigation qui prévalent pour l'enquête accident.
Mme la Présidente : Le BEA a-t-il connaissance de ce qu'on
appelle en anglais le reporting, c'est-à-dire tout ce qui a été relevé en terme d'incidents ?
M. Olivier JOUNIAUX : Oui, c'est très global. L'arrêté du
4 avril 2003, pris en application d'une directive européenne, fixe une liste d'événements parmi lesquels on trouve des incidents qui concernent l'exploitation de
l'avion, la circulation aérienne, la maintenance et certaines opérations au sol. Tout événement de cette liste sera notifié au BEA. Ensuite, sur cette base - qui
suppose d'investir des ressources pour aller chercher les informations, les collecter et les analyser - il convient de procéder à un tri, car l'enquête est
relativement lourde. Certains événements, jugés intéressants pour la sécurité, feront ainsi l'objet d'enquêtes plus approfondies.
Tout notre système repose sur une information systématique des
événements figurant sur la liste que reçoit parallèlement la DGAC. Je précise que le BEA ne joue pas le même rôle que la DGAC, laquelle est chargée de la
tutelle des compagnies aériennes et des constructeurs.
Mme la Présidente : Qui centralise en France la relation
d'incidents après un vol ? Qui reçoit en premier lieu l'analyse et quel chemin suit-elle ?
M. Bertrand de COURVILLE : Partons de la source : les
événements se produisent dans les avions ; les premiers acteurs et observateurs sont les équipages, les personnes chargées de la maintenance ou les personnes
chargées, en ligne directe avec les opérations, de réaliser l'exploitation. Le premier responsable du recueil de ce retour d'expérience est la compagnie. Elle a
l'obligation réglementaire d'informer son autorité de tutelle. Des canaux sont en place. Certains types d'événements doivent être rapportés et font aujourd'hui
l'objet d'une remise à jour à travers la directive européenne.
Le canal part donc du cockpit, de l'atelier ou de l'opération en
piste. La deuxième étape est le traitement de l'information par la compagnie et le compte-rendu à nos autorités. Au-delà, il y a le partage avec d'autres
compagnies au travers d'organisations ou de groupes de travail moins formels, mais tout aussi importants, car chacun peut tirer partie d'événements intervenus
dans d'autres compagnies.
M. Thierry le FLOC'H : La description de M. de Courville de ce
qui se passe chez Air France suppose qu'il existe une structure et un système qualité susceptibles de traiter ces informations. Dans les petites structures, il
en va malheureusement différemment.
Après la promulgation du décret du 4 avril 2003, j'ai été victime de
deux incidents. Ce décret précise que le commandant de bord peut faire directement ses rapports au BEA et à toutes les structures administratives. Les
incidents se sont déroulés en mai et juillet 2003 ; à ce jour, je n'ai pas reçu d'accusé de réception de mes rapports. Telle est la réalité. La vision
idyllique de la structure mise en place à Air France, et qui fonctionne certainement, laisse penser qu'il y a une collaboration étroite avec l'administration ;
je ne la nie pas, mais l'aéronautique française existe aussi en dehors de Air France. Les petites structures où je pratique mon activité alimentent
l'administration, mais sans retour. Les deux incidents évoqués peuvent être qualifiés de précurseurs, ils sont
symptomatiques et auraient, au moins, mérité un accusé de réception.
Mme la Présidente : Attribuez-vous le fait à un embouteillage
des circuits ? Considérez-vous que l'on se penche en priorité sur les problèmes posés aux grandes compagnies, alors que vous représentez l'aviation d'affaires ?
M. Thierry le FLOC'H : J'ai une vision de terrain. Je n'ai ni
la vocation ni l'ambition d'appartenir à Air France. Mais il ne faut pas oublier que nous partageons le ciel avec des compagnies qui ne sont pas aussi
structurées qu'Air France et qui n'ont pas ses moyens financiers pour assurer leur obligation de retour d'expérience. Les commandants de bord qui postent des
lettres ont l'impression que leur texte tombe dans un puits. Même la formule de politesse élémentaire n'est pas respectée. Je ne parle même pas du traitement. Il
y a peut-être une volonté et du personnel mais, en réalité, le retour ne se fait pas.
M. Olivier JOUANS : Sur la notification des événements, il faut
distinguer plusieurs sources. Il est évident que seul le pilote connaît ce qui se passe dans le cockpit ; il rapporte l'incident à sa compagnie ou par
l'intermédiaire de sa compagnie.
Lorsqu'il s'agit d'accident, le rapport se fait naturellement auprès
du BEA. Lorsqu'il s'agit d'incidents d'exploitation, il s'opère plutôt auprès du SFACT. Lorsqu'il s'agit d'incidents de contrôle aérien, il s'opère auprès
d'une structure idoine mise en place au sein du contrôle aérien. Nous disposons d'ailleurs d'un système conforme aux recommandations européennes relatives au
rapport d'incidents.
L'intérêt se porte-t-il davantage vers les grosses compagnies que
vers les petites ? La réponse est clairement non ; la taille de la compagnie ne joue pas face à un incident.
Mme la Présidente : Avez-vous le temps et les moyens de traiter
ces informations ?
M. Olivier JOUANS : Nous nous intéressons en priorité aux
événements jugés graves, qu'ils soient le fait d'une petite ou d'une grosse compagnie ; nous travaillons à partir d'immatriculations de vols et non de
compagnies. Nous nous intéressons aux événements riches de retour d'expériences. Si un incident est déjà connu et que nous savons que nous n'en tirerons rien de
plus ou que le croisement n'a pas présenté de réels dangers, il est clair que nous y consacrerons moins de temps qu'à un incident que nous jugerons grave ou qui
permet de détecter des défaillances dans notre système d'exploitation ou dans notre formation.
Mme la Présidente : Des propos de M. Le Floc'h, j'ai retenu
qu'il était délicat d'encourager la relation des incidents, parce qu'il faut, ensuite, en assurer l'exploitation pratique. Pour s'exprimer, le pilote devrait
déjà être sûr qu'il sera entendu. Que répondre à la remarque relative à l'absence d'accusé de réception ?
M. Olivier JOUANS : Ne pas envoyer d'accusé de réception est
une erreur ; pire, c'est une faute. Si cela se produit dans les services dont j'ai la charge, il nous faudra absolument corriger ce manquement. Le pilote est un
homme et si ses actions ne servent à rien, il les cessera, par découragement. L'accusé de réception sert aussi à convaincre que le message n'est pas tombé dans
un puits sans fond.
Un second objectif consiste à traiter la majorité, sinon la totalité
des incidents. Mais là nous entrons dans une autre dimension. Si nous totalisions les trois types d'incidents que j'ai évoqués, plus ceux des compagnies
aériennes, nous parviendrions à un total de plusieurs dizaines de milliers d'événements par an. Une analyse d'incidents, selon la difficulté, peut prendre ...
Mme la Présidente : Vous pensez ne pas avoir les moyens de le
faire ?
M. Olivier JOUANS : Avec nos moyens actuels, il est certain que
nous ne pourrions pas analyser tous les incidents. La seule circulation aérienne représente 16 000 incidents par an dont la gravité s'échelonne de « nulle» à
« extrêmement grave ». Les « graves » et « très graves » représentent une trentaine d'événements par an. Nous analysons systématiquement les « très graves »,
classés « A », ainsi que les « graves », classés « B ». Les événements dits « à sécurité compromise », mais sans véritable danger immédiat, sont analysés à
hauteur de 75 %. Nous analysons rarement plus de 10 % des événements sans gravité directe et seulement ceux où nous avons détecté une défaillance de nos
systèmes.
Mme la Présidente : N'y a-t-il pas une banalisation de certains
incidents ?
M. Olivier JOUANS : Il faut savoir raison garder. D'un point de
vue économique, il n'est pas possible d'analyser tous les types d'incidents que l'on peut rencontrer. Par exemple, une remise de gaz est vécue comme un incident,
pourtant, elle est prévue dans les procédures. Il est normal que des remises de gaz interviennent et elles doivent être vécues comme telles par le pilote, alors
qu'elles peuvent être identifiées comme des incidents. L'analyse de ce type d'incidents ne doit pas monopoliser la force de travail.
M. Thierry le FLOC'H : Comment améliorer le reporting ?
Il est, à mon sens, extrêmement important que la boucle de retour soit la plus rapide possible. Nous avons analysé les incidents avec des systèmes qualité, des
systèmes d'analyse des vols, des systèmes productifs. On s'aperçoit que ce n'est guère efficace. Auparavant, existait un système qui s'appelait « le bar de
l'escadrille », c'était un endroit où existait une vie sociale, je suppose que, de la même façon, beaucoup d'affaires se débloquent à la buvette de
l'Assemblée ! Il faut instiller cette culture du debriefing avec des boucles de retour les plus rapides possible. Un porte-avions, lors d'un assaut à la
mer, représente, du point de vue technologique ou opérationnel, un ensemble d'une extrême complexité. Les avions sont engagés aux limites de leur rayon d'action,
mais, à chaque erreur, le debriefing est immédiat et collectif. Se dégagent ainsi, dans l'instant, les solutions pour résoudre les problèmes. Les
problèmes sont des incidents qui parfois se règlent très vite, sans nécessiter d'études approfondies. D'autres incidents, beaucoup plus graves, appellent une
expertise, voire l'intervention du constructeur. Mais si nous voulons garder un niveau de sécurité, alors que le porte-avions évolue dans un contexte extrêmement
compliqué et guerrier avec des pressions temporelles et opérationnelles très fortes sans niveau d'accidents supérieur au transport aérien, il convient d'assurer
à ce retour d'expérience aérienne, une boucle tout aussi rapide. Telle est la grande différence avec un traitement administratif, sans doute d'un très haut
niveau d'expertise, mais qui n'a pas le sens des réalités. Il faut revenir au concret, à la base.
M. Pascal SÉNARD : Le besoin de retour vers le notifiant nous
le ressentons, mais nous ne souhaitons effectivement ne pas entrer dans une logique où, à chaque événement, correspondrait un accusé de réception.
Le système de reporting actuel crée une obligation de
rapporter au BEA des incidents considérés comme graves et figurant dans une liste. Pour ces incidents, après une boucle très courte, le BEA doit décider s'il
ouvre ou non une enquête. En cas d'enquête, le notifiant - l'exploitant ou le commandement de bord - doit être mis au courant très vite. En parallèle, il y a
notification auprès du système qualité, sécurité ou analyse des vols de l'exploitant. Là encore, ce système interne de l'exploitant doit réglementairement
réagir immédiatement, informer la DGAC et convenir avec elle d'actions correctives.
La DGAC intervient en deux temps. En premier, lorsque le BEA annonce
qu'il ouvre une enquête, la DGAC analyse l'événement par ses propres moyens pour définir les mesures conservatoires éventuelles. En second, lorsque nous
rencontrons les gestionnaires des systèmes d'analyse des vols, nous examinons avec eux leurs propres analyses et nous les prenons en considération pour valider
les actions correctives prises.
La directive européenne remettra sûrement tout à zéro. Aujourd'hui,
l'information part du notifiant vers un ou plusieurs organismes ou services nationaux, voire internationaux, selon des procédures et des besoins propres à
chacun d'eux. La directive européenne précise que l'information est enregistrée dans une base nationale, et est mise à disposition de toutes les parties
concernées par l'amélioration de la sécurité, mais normalement il n'y aura plus superposition ou association de dispositifs propres à chacun.
Mme la Présidente : Quelle est la périodicité de ces
rencontres ?
M. Pascal SÉNARD : Un certificat de transporteur aérien est
délivré pour une période maximum de trois ans. Au minimum, un audit du système d'analyse d'expérience est effectué tous les trois ans avec les responsables du
système qualité, ce qui nous permet de nous assurer que l'exploitant a bien mis en place les procédures permettant la réactivité recherchée. Des réunions
périodiques sont planifiées dans le cadre de la surveillance continue. Néanmoins, nous rencontrons les gestionnaires du système d'analyse du vol et de sécurité
des vols chaque fois que nous jugeons nécessaire de le faire compte tenu de l'incident rapporté.
Nous avons demandé aux responsables d'Airbus d'établir un système de
retour d'expérience avec ses clients et nous les rencontrons chaque trimestre pour dresser le bilan qu'ils ont tiré des événements. Peut-être que nous-mêmes
aurons eu connaissance, par un autre canal, des mêmes événements. Nous allons confronter nos informations à partir du tri qu'ils auront opéré. Dans ce but,
nous avons, ensemble, mis au point une procédure qui nous assure que le tri qu'ils ont fait nous intéressera.
Nous ne laissons pas le constructeur ou l'exploitant établir son
propre tri, nous lui indiquons l'objet précis de ces réunions périodiques. Dès lors, il nous revient de repréciser nos attentes, en fonction de l'actualité.
Plusieurs boucles de retour d'expérience se superposent, chacun a la sienne. La boucle de l'administration, est dite une grande boucle car elle prend du temps,
d'autant que la DGAC n'a pas à traiter des incidents graves et des accidents. Nous en sommes seulement informés après le BEA.
Nous sommes en train de collecter un grand nombre d'événements, qui,
pour beaucoup, sont insignifiants, isolés, mais nous les mettrons tous en relation à partir d'outils informatiques et d'algorithmes à construire - je ne vous
cache pas que c'est encore à l'étude - pour pouvoir déterminer si ces événements a priori sans gravité peuvent finalement améliorer la sécurité.
Par exemple, un exploitant qui compte une petite flotte de cinq ATR 72
peut rencontrer des événements précurseurs mais il ne dispose pas d'une masse suffisante d'événements similaires ou n'est pas capable de les mettre en relation
pour les analyser. Ce que nous souhaitons, c'est que tous les exploitants français d'ATR 72 soient informés des problèmes que cet avion a pu rencontrer.
Au-delà, nous cherchons à mettre en place des systèmes de retour
d'expérience internes aux autres acteurs du transport aérien - aéroport, assistants en escale, atelier de maintenance -qui soient également « enveloppés » par
le système géré par la DGAC.
La réactivité est importante. Cependant, notre objectif n'est pas
une notification à chaque événement, mais une notification à travers un retour d'information général sur les événements analysés. Nous pensons indispensable
d'utiliser des bulletins d'information à destination de tous ceux qui participent à l'alimentation du système de retour d'expérience. Ainsi disons-nous à
chacun : peut-être votre incident n'a-t-il pas été suivi d'effet, mais d'autres l'ont été et ceux-là vous concernent aussi.
M. le Rapporteur : Vos propos sont sans doute d'une grande
évidence pour vous ; ils ne le sont pas pour nous. Quand commence un incident et jusqu'où peut-il aller, sans devenir un accident ? Prenons un exemple. Un Boeing
d'Air France fait un vol long-courrier Paris-Miami-Rio de Janeiro. Entre Paris et Miami, le pilote constate que deux voyants ne marchent plus. A Miami, un autre
équipage monte pour faire le vol suivant. Quelle est l'obligation du pilote ? A qui rapporte-t-il ? Comment prévient-il la maintenance d'Air France car il y a
peut-être urgence ?
Sur cet incident, quelle est l'obligation du pilote ? Celle de la
compagnie au regard des autorités françaises, sachant que l'incident est constaté aux Etats-Unis sur un appareil américain ? Y a-t-il information du
constructeur ? La DGAC est-elle censée être au courant ou faut-il alerter les autorités américaines ?
L'avion repart, arrive à Rio de Janeiro, et là connaît un incident
lourd qui frôle l'accident grave. Par exemple, au moment d'atterrir, un avion croise sa route au bout de la piste. Il remet les gaz. Comment le pilote
rapporte-t-il ce problème ? A qui ? Dans quelles conditions ?
M. Bertrand de COURVILLE : La question est concrète. Il est
possible d'y répondre en suivant le fil de ce vol. A Miami, l'équipe qui constate l'incident de voyants a l'obligation, en temps réel, de consigner l'information
sur le compte rendu mécanique de l'avion, puisqu'il s'agit d'une information technique. Ce compte rendu reste attaché à l'avion. Il permettra de communiquer avec
le mécanicien au sol, à Miami ; il servira également à l'équipage qui reprend l'avion en compte, après traitement de la panne à l'escale, de prendre connaissance
de ce qui a été rapporté. Le retour d'expérience sera effectué en temps réel à l'équipage suivant. Cet événement est transmis directement à la compagnie et à la
maintenance de la compagnie. Le constructeur Boeing compte des représentants permanents dans nos services d'entretien ; il aura donc connaissance de cette
anomalie et pourra, dans le processus de navigabilité continue, traiter cet événement, éventuellement l'associer à d'autres qui pourraient être similaires et
voir si des mesures sont à prendre au niveau du constructeur. La DGAC a en permanence accès à ces informations.
M. le Rapporteur : Vous n'allez pas écrire à la DGAC ?
M. Bertrand de COURVILLE : Si l'événement est considéré comme
significatif et important la DGAC sera informée par la maintenance.
M. Michel HERBILLON : Qui juge de l'importance ? Qui juge utile
ou non de signaler à la DGAC ?
M. le Rapporteur : Quid des autorités américaines ?
M. Michel HERBILLON : Si j'ai bien compris, vous dites que l'on
intervient à Miami, avant de repartir à Rio.
M. Bertrand de COURVILLE : Tout à fait. Il y a aussi l'autre
dimension de l'événement. Si l'équipage constate une difficulté d'interprétation de l'alarme, la perception de l'événement, la difficulté qu'il aurait pu
rencontrer dans le traitement de cet événement, fait aussi l'objet d'un canal de retour d'expérience. C'est un canal complémentaire. L'équipage remplit un
support d'information dédié aux questions de sécurité, qu'on appelle un Air safety report. C'est un flux d'informations, parallèle à la description
purement technique et très formelle de l'événement. Là, l'équipage s'exprime de façon plus suggestive, mais tout aussi importante, car les décisions qu'il
prendra seront liées à la perception qu'il aura eue de l'événement. Éventuellement, les difficultés qu'il aura rencontrées pourront être rapportées au travers du
document.
Une compagnie comme Air France a un flux d'informations de cette
nature d'environ 400 événements par mois ; pour British Airways, le chiffre se situe entre 400 et 500 par mois. Ce sont des flux très importants d'information
qui sont traités ; ils nécessitent une gestion informatique. Il y a retour vers la compagnie, mais aussi vers les autorités qui ont, en permanence, accès à
cette base Air safety report.
Quant à l'autorité américaine, elle sera informée de tout incident
de maintenance à travers l'antenne Boeing d'Air France et Boeing devra informer son autorité de tutelle, si l'événement est considéré comme significatif.
M. le Rapporteur : Passons à la suite du scénario où, à Rio,
aurait lieu un incident plus grave.
M. Bertrand de COURVILLE : Pour Rio, vous avez évoqué un
incident de type « perte de séparation » avec un autre avion. L'événement entre dans le cadre des règles OACI. L'équipage doit donc rapporter, selon un format de
transmission radio bien précis, ce que nous appelons un airprox, antérieurement un airmiss. L'information est donc transmise au contrôle qui doit
enregistrer l'information ou la plainte. Elle sera traitée par les autorités brésiliennes qui s'occupent du contrôle et cela revient vers la DGAC et le BEA par
un air safety report qui est le canal utilisé dans ce cas.
M. Nicolas LOUKAKOS : Je suis émerveillé par cette vision
idyllique de l'aviation !
J'ai 25 ans de carrière de navigant. Je puis narrer l'expérience
d'un commandant de bord d'AirLib qui vient pour prendre un avion ayant avalé des oiseaux au décollage de la Réunion et qui, en principe, aurait dû être réparé
selon les prescriptions du constructeur, c'est-à-dire subir une inspection des réacteurs par un système de fibres optiques. Cette opération n'a pas eu lieu. Le
pilote refuse l'avion et entre en conflit ouvert avec sa direction et son bouillant président de l'époque. Il est finalement licencié, sans être défendu ni par
le BEA ni par la DGAC, informés de l'incident. Le licenciement est sans préavis ni indemnités. Le pilote a pris la peine d'avertir Air France car c'était un
vol en partage de code avec Air France qui comptait des passagers de cette compagnie à bord, mais n'a pas davantage été défendu par Air France. Le conseil des
prud'hommes de Salon de Provence vient de reconnaître le caractère abusif du licenciement.
Il faut savoir que dans le concret tout cela fonctionne très bien
chez Air France et dans les grandes compagnies. Mais comme cela devient très compliqué, très difficile à gérer et très cher, les tour-opérateurs français font
appel à Flash Airlines, à Luxor Air dont un avion a fait, récemment, une approche très remarquée à Nantes, sur la rocade, avant d'être récupéré par les
contrôleurs. On a licencié sur le champ le commandant de bord vénézuélien qui discutait, en anglais, avec son copilote égyptien et avec des passagers français
à bord. La DGAC a interdit cette compagnie du territoire pendant dix jours. Dix jours après, un avion de Luxor Air se pose à nouveau à Roissy. Comment cela se
fait-il ?
Entre-temps, l'équivalent néerlandais de la DGAC contrôle la même
compagnie et découvre qu'elle n'a pas de manuel d'exploitation et qu'elle ne respecte pas les règles. Elle est interdite aux Pays-Bas.
La DGAC, obligée de suivre les autres tutelles qui ont interdit
cette compagnie en Italie, en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas, a fini par l'interdire en France.
Je suis le trublion, mais entre la réalité et cette vision idyllique
d'Air France - l'une des compagnies qui investit le plus d'argent dans la sécurité -, un fossé se creuse. J'estime que tout investissement dans la sécurité est
un très bon investissement. Les Américains qui sont, comme tous les Anglo-saxons, très sensibles à la sécurité disent : « Safety is good business »,
c'est-à-dire « la sécurité, c'est une bonne affaire ». M. de Courville se souvient sans doute de cet Américain qui a déclaré, lors d'un colloque à Toulouse,
que chaque dollar investi dans la sécurité revient en décuple. Certes, mais la sécurité devient une telle entreprise à gérer que cela revient moins cher
d'aller chercher des pilotes à l'étranger, alors que nous comptons 2 000 pilotes au chômage en France, pourtant parfaitement formés et à très grand coût. Ces
pilotes ont souvent des dettes sur le dos et connaissent des situations très difficiles. Pourtant, nous délocalisons cette activité, qui est une activité à
risques, où le facteur humain est très important. On sait que plus de 70 % des accidents sont dus aux facteurs humains. Nous allons chercher des personnes
culturellement beaucoup plus faibles que nous pour ces activités. C'est méconnaître gravement la réalité que d'ignorer que les accidents qui arrivent dans
certains pays sont dus à un facteur simple culturel : le copilote voit le commandant de bord faire une erreur, mais ne le dit pas, car le chef est Dieu !
Ces problèmes existent dans le monde et nous continuons à autoriser
la délocalisation de notre activité et à mettre au chômage nos navigants, formés très chèrement, à les condamner aujourd'hui à ne plus pouvoir exercer leur
métier, leur licence n'étant valable que 12 mois. Très rapidement, ils sont rayés de leur profession et les compagnies vont en Egypte chercher des pilotes qui
comptent 100 heures de vol sur le type d'avion pour leur confier 148 passagers français. J'attends que l'on trouve une logique, autre que financière, à cette
délocalisation.
Mme la Présidente : M. Loukakos, les problèmes que vous venez
d'aborder ont déjà été évoqués au cours de cette mission. Je compte bien que nous les traitions à nouveau ce soir.
M. François GRANGIER : J'ai écouté tous les intervenants et M.
Gonnot qui a posé une question simple : qu'est-ce que le retour d'expérience ?
Ici, les experts, tous passionnés et tous spécialistes dans leur
domaine, apportent des éléments extrêmement intéressants et en font part d'une manière très précise, à défaut d'être claire. Mais il y a aussi ici des
auditeurs qu'il convient de renseigner. Dans ce débat, l'état des lieux et le fonctionnement de ce qui existe sont importants, mais il convient tout autant de
parler de l'avenir et d'appréhender ce que la directive européenne nous demande et comment le réaliser.
Le voyage aérien est une activité qui réclame de la qualité et qui
impose une obligation de résultat. De ce fait, une boucle de retour est obligatoire. A l'image de l'artillerie, après avoir tiré une première salve, il est
nécessaire d'ajuster le tir.
Trois cas de figure se présentent : vous touchez votre cible, vous
la manquez, vous créez des dommages collatéraux.
Partons du pire. En aéronautique, le dommage collatéral, c'est
l'accident, l'incident grave ou l'incident avéré qui entraîne une obligation de compte rendu, soit de l'administration, soit des intervenants, et qui est
traité par le BEA, dans le cas le plus grave, ou par les services administratifs de la DGAC dans les cas qui le sont moins. Ces deux entités gèrent aujourd'hui
des méthodes de remontée de l'information qui ne fonctionnent pas si bien que cela, mais qui ont le mérite d'exister.
Le deuxième cas de figure est celui où l'on a manqué la cible, mais
sans conséquences graves. L'avion est arrivé à destination, mais par des biais peu académiques ; là encore, des structures sont mises en _uvre par les
opérateurs et nommées « analyse des vols ». Elles permettent, lors de la constatation de la déviation, d'analyser cette déviation et d'essayer de faire en
sorte qu'elle ne se reproduise pas. Nous avons parlé des compagnies aériennes qui mettent en _uvre ce retour d'expérience ou tout du moins ce retour d'analyse
des vols. Cela existe effectivement. Toujours de la même manière, forcément des défaillances de fonctionnement se produisent, mais le système existe.
Reste le troisième cas, le vide que cette circulaire européenne
aimerait combler. C'est le cas où l'on a touché la cible. La question est alors : comment l'a-t-on touchée ? D'une manière parfaitement académique ou bien,
est-il survenu quelque chose ? C'est là que le vrai retour d'expérience devient nécessaire, car ce n'est ni une obligation ni un principe acquis, mais une
procédure fondée sur le volontariat. C'est-à-dire que personne n'est au courant de ce qui s'est passé dans cet avion ou dans ce service - le retour
d'expérience ne concerne pas que le vol, mais aussi l'entretien, le service du contrôle aérien. Que s'est-il passé ? Les intervenants ont-ils un moyen simple
qui leur garantisse une certaine immunité afin de respecter l'aspect humain et comment le mettre en _uvre ? C'est un débat abordé maintes fois par le passé. Je
l'ai suivi moi-même, il y a une quinzaine d'années, lors des réunions du comité d'analyse des accidents de la Fédération internationale des associations de
pilotes de ligne, l'IFALPA.
Constitué exclusivement de pilotes représentants de leur
association, ce comité était désireux de mettre en place un système de rapports anonymes, permettant aux pilotes d'utiliser leurs compétences, pas forcément
dans le cas d'un incident, mais aussi dans le cas d'événements qui, pour être parfaitement normaux, pourraient aussi être générateurs d'accidents. Il faut donc
utiliser leurs compétences de techniciens pour qu'ils fassent des suggestions, donnent des informations, voire, dans certains cas, pour leur permettre de faire
amende honorable.
La mise en place d'un tel service se heurte à deux problèmes. Un
problème physique : il suppose une chaîne de traitement qui reçoit les informations, qui les traite et les renvoie, c'est purement technique. Le second
problème est humain : la motivation et, surtout, l'assurance de ne pas avoir de soucis par la suite.
La question semble simple à exposer, mais se révèle d'une complexité
extraordinaire. En effet, la solution communément admise est de chercher à établir un système anonyme. Oui, mais l'aspect humain et l'aspect technique sont
deux aspects dont l'intersection n'est pas vide. Pour traiter une information, il faut disposer de la totalité des éléments. Aucune chaîne de retour
d'expérience ne peut être totalement anonyme dans les phases de départ. L'entité qui traite l'accident doit pouvoir contacter la personne qui a fait le compte
rendu, dans le cas où il manquerait certains éléments dont l'intérêt paraît capital pour l'analyse. Il faut donc pouvoir établir un lien de confiance avec les
personnes qui effectuent ces comptes rendus et dont on doit tenir compte dans l'analyse du problème.
Je suis pilote et les autres pilotes autour de cette table ne me
démentiront pas : un pilote s'adresse difficilement à quelqu'un d'autre qu'un pilote, surtout quand il s'agit d'histoire de pilotes ! C'est le constat dressé
voilà quinze ans, au sein du comité d'analyse des accidents de l'IFALPA. A la suite de ce constat, on a essayé de mettre en place, à l'échelon mondial, un
numéro de fax unique, avec un seul interlocuteur, un pilote. Celui-ci devait être le point d'entrée pour les personnes désireuses de faire des rapports
d'expérience. Il va de soi que cela n'a mené à rien du tout, parce que le volume des informations était tel et l'organisation à ce point complexe que le
système est tombé à l'eau.
Aujourd'hui, la directive européenne nous demande d'utiliser ce
canal extrêmement intéressant et d'essayer de faire fonctionner un système qui permettra qu'aucune information précieuse ne se perde.
Dans la mesure où un certain nombre de canaux existent pour d'autres
circonstances, le débat réel d'aujourd'hui est de savoir comment mettre en _uvre le canal qui nous manque et comment créer la confiance des différents
intervenants, afin qu'ils donnent cette matière première excessivement importante, que quelqu'un la reçoive, la traite et la réinjecte dans le circuit de la
réglementation et des opérateurs.
M. Thierry Le FLOC'H : Pour répondre à la question de M. le
Rapporteur sur le traitement des pannes. Vous avez entendu la version d'Air France. Je vais me permettre de donner une autre vision.
Chaque commandant de bord, chaque équipage dispose d'un manuel qui
est la référence. C'est le « Minimum equipment list », le MEL. Dans ce document, sont classés tous les équipements a minima nécessaires pour
entreprendre un vol. Jusqu'il y a une dizaine d'années, il concernait essentiellement des éléments de navigabilité : s'il manquait un moteur ou une aile, pas
question de décoller. Ce document n'était pas une bible et n'importe qui pouvait le manier, parce qu'on traitait ce que j'appellerai « le dur ». Un avion qui
n'était pas entretenu ne décollait pas et le commandement de bord pouvait se justifier objectivement. Aujourd'hui, des espaces aériens obéissent à des règles
opérationnelles très précises, qui nécessitent des emports de matériels sophistiqués. Pour accéder à ces espaces - en particulier en Europe où nous avons un
espace aérien avec des niveaux de productivité très élevés, ce que n'ont pas encore les Etats-Unis, par exemple -, nous avons diminué les écarts d'altitudes
séparant deux avions en vol, et, pour cela, nous avons mis en _uvre des technologies, tel le RVSM. Voilà le problème !
Pour recourir au RVSM, il faut deux centrales anémométriques ; s'il
en perd une, l'avion continue parfaitement à voler, les peintures ne sont pas écaillées, on peut même inspirer confiance. Pourtant, l'équipement est
défectueux, voire inopérant à bord. Personne ne s'en rendra compte, si ce n'est le commandant de bord ou l'équipage qui a le niveau d'expertise pour constater
qu'il n'a plus accès à cet espace. C'est là où l'administration a une responsabilité considérable. Depuis avril 1998, avec l'OPS 1.035, les MEL doivent être
approuvés, c'est-à-dire que l'administration donne son quitus pour l'exploitation d'un avion avec des équipements éventuellement défaillants. Or, à la date
d'aujourd'hui, pour les compagnies, autres que Air France, il n'y a pas d'approbation car, vous l'aurez deviné, la pression économique est telle que le
commandant de bord qui ne veut pas décoller, faute d'une centrale anémométrique, alors que l'avion peut voler, que les sièges passagers sont confortables et
que la projection de film est assurée, se retrouve seul. Pourquoi le commandant voudrait-il laisser à terre 450 passagers ? C'est là que la pression économique
se fait sentir.
La vision idyllique d'Air France, qui a son souci de notoriété, qui
a investi sur le long terme, qui affectera, sur beaucoup d'escales, des mécaniciens capables d'effectuer des réparations de ce type ne vaut que pour elle ; les
autres compagnies, charters ou régulières, qui n'ont pas ce souci de notoriété - qui est un investissement sur le long terme - se retourneront immédiatement
vers le commandant de bord qui est le seul décisionnaire pour entreprendre le vol. Or, depuis six ans, les MEL ne sont toujours pas approuvés par l'autorité.
C'est devenu, très clairement, un outil de productivité et une pression considérable s'exerce sur les commandants de bord pour les amener à prendre le vol.
Bien sûr, l'avion peut voler, mais avec une seule centrale anémométrique, quand il arrivera dans l'espace RVSM, il devra descendre, donc consommer davantage,
d'où une étape supplémentaire. Le commandant peut être tenté de ne rien dire pour garder son emploi en restant dans l'espace RVSM.
Bien entendu, les systèmes qualité et les dispositifs de retour
d'expérience existent, mais si le pilote ne dit rien et simplement informe, à l'atterrissage, qu'il a perdu son ADC, il fait économiser à son entreprise un
dépannage au loin et évite un arrêt sur le chemin du retour. A cet égard, l'administration, en particulier la DGAC, ne joue pas son rôle, dans la mesure où
elle n'a pas approuvé les MEL. L'outil de productivité que représente la gestion des MEL est malheureusement considérable. L'administration n'a pas voulu
prendre la responsabilité d'approuver les MEL, elle a donc transféré la décision à l'échelon le plus fragile - le commandant de bord - au motif que ce dernier
ne ferait pas de bêtise, puisqu'il est dans l'avion !
Les retours d'expérience et les systèmes qualité fonctionnent
certainement à Air France, parce que derrière l'activité, se profile la notion de notoriété, parce que le mot « France » s'étale sur les avions ; mais, dans
les petites compagnies, moins soucieuses de leur notoriété et de leur image de marque, cela ne fonctionne pas. L'administration est très clairement complice en
refusant d'approuver les MEL des compagnies.
M. Christophe BAILLY : Je vole pour la compagnie Corsair qui se
situe à mi-chemin entre les petites compagnies et Air France. Le retour d'expérience est un élément très important de la sécurité des vols. Mais je veux
reprendre les propos de M. Loukakos et de M. Le Floc'h ; je suis d'accord à 100 % avec eux. Il y a beaucoup plus grave au niveau sécurité des vols que le retour
d'expérience. C'est cette pression économique dont on a parlé et l'affrètement des compagnies exotiques.
Le retour d'expérience permet d'améliorer la sécurité des vols, mais
nous pouvons être 50 fois plus efficaces en évitant d'affréter une compagnie exotique dont le commandant de bord vénézuélien ne parle pas le français et dont
la procédure de percée à Nantes a failli se terminer par le crash d'un avion en centre-ville, alors que si nous avions évité ce genre d'affrètement, nous
aurions accompli un progrès considérable au niveau de la sécurité des vols. Le retour d'expérience reste important, mais nous serions beaucoup plus efficaces
si nous parlions de la pression exercée sur les commandants de bord, notamment sur celui d'Air Lib qui a été licencié parce qu'il a voulu faire vérifier son
moteur qui avait avalé des oiseaux à la Réunion. La pression est considérable. Quand, à 23 h 05, à Orly, on découvre un problème sur l'avion, son dépannage
suppose que les 450 passagers dorment à l'hôtel.
Ce type de pressions est lié à la survie des compagnies. Bien sûr,
un pilote ne décollera pas avec un moteur en moins, mais, il pourra parfois être amené à décoller sans respecter la réglementation. S'il finit par être
contrôlé, la compagnie niera l'y avoir contraint et affirmera même le contraire. La pression peut être terrible.
Mme la Présidente : C'est un discours que nous avons entendu
chez les pilotes de petites compagnies ou d'aviation d'affaires.
M. Christophe BAILLY : Pas seulement. Cela existe à Air Lib, et
dans d'autres compagnies. Bien sûr, on ne dira pas aux pilotes de mettre la vie des passagers en danger, jamais.
Ce week-end, j'ai assuré un vol sur Palerme, avec une des trois
radios VHF41 en panne. Nous
avons pris en compte cette MEL qui indique que l'on peut décoller avec 2 VHF. Nous avons décollé avec deux radios et pas une seule seconde la sécurité du vol
n'a été en danger. On ne vous demande jamais de décoller sans les instruments indispensables, et d'ailleurs nul n'est candidat au suicide, mais pour améliorer
la sécurité des vols, en France, il faut agir sur deux facteurs prépondérants : en premier lieu, l'affrètement de compagnies moins disantes socialement venant
d'un pays exotique avec des pilotes improbables, parlant mal le français et l'anglais ; en second lieu la pression économique pour le décollage de l'avion. Si
l'on passe à côté de cela, on passe à côté de l'essentiel.
M. Nicolas LOUKAKOS : Je veux enfoncer le clou de l'hypocrisie.
Le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur la disparition d'Air Lib que des éminents membres de l'Assemblée nationale ont rédigé comprend le compte
rendu de l'audition de M. Gilles Ricono, directeur de cabinet de M. Gayssot, qui indique en substance : « Nous savions que Air Lib ne répondait pas aux
conditions techniques, n'entretenait pas ses avions, mais nous avons laissé faire. »
Mme la Présidente : Merci de ce rappel. Nous réviserons nos
classiques !
M. Pascal SÉNARD : Je ne veux pas répondre point par point, ce
qui lancerait un débat polémique. Je suis venu pour parler du retour d'expérience. Aujourd'hui, j'entends M. Bailly et M. Loukakos se demander s'il faut
davantage de contrôles sur le terrain, derrière les commandants de bord ! C'est une autre question que celle qui nous réunit ici aujourd'hui.
Le retour d'expérience est partie intégrante du système de sécurité
aéronautique qui repose - peut-être faut-il reconnaître la naïveté du dispositif - sur la responsabilisation de tous les acteurs de la chaîne, à commencer par
les commandants de bord, les équipages, les exploitants, le constructeur.
Pour améliorer le niveau global de sécurité, il faut aller au-delà
et mettre en relation tous les événements non notifiés jusqu'à présent.
La liste minimale d'équipement existe, c'est cette fameuse MEL. Elle
fait partie du manuel d'exploitation de toutes les compagnies, elle est nécessaire pour obtenir le certificat de transporteur aérien. Qu'elle soit approuvée de
manière isolée ou dans son ensemble, son application ou sa non application n'entre pas directement dans la problématique du retour d'expérience. C'est un
problème d'appropriation, d'acceptation de cette liste minimale d'équipement par le commandant de bord qui applique ou refuse d'appliquer la règle prévue.
Le retour d'expérience ne traite pas des manquements à la
réglementation. Il consiste plutôt à comprendre, à tirer les leçons de l'expérience vécue : dans l'exemple de la MEL, lorsque nous autorisons une exploitation
dégradée - ce qui ne signifie pas une exploitation où la sécurité serait a priori compromise - parce que l'on constate l'existence d'une redondance, le
retour d'expérience doit permettre de déterminer si cette redondance est nécessaire au vol. Concrètement, alors que la MEL indique que l'on peut décoller avec
une radio en moins, si l'on nous rapporte que la troisième radio, pour reprendre l'exemple cité, est nécessaire, l'information nous intéresse, car elle
implique de revenir sur l'autorisation de laisser l'avion partir avec une radio en moins.
C'est cela le retour d'expérience. Si l'événement n'est pas isolé,
s'il est survenu à plusieurs compagnies ou s'il survient dans une zone géographique où il est préférable d'avoir trois radios, à cause de problèmes
d'interférences, tous ces éléments, nous devons réussir à les cerner pour pouvoir, après coup, revenir sur la réglementation, et mettre en place un système
d'alerte, afin que les équipages qui voleront dans telle ou telle zone disposent bien de trois radios.
M. Jean-Pierre BLAZY : Les pilotes et certains experts ont
parlé de façon directe ou indirecte d'un problème majeur : la pression économique. Je ne pense pas que la DGAC, même si elle n'est missionnée aujourd'hui que
pour nous parler du retour d'expérience, puisse en rester là. Sinon il faudra sans doute auditionner à nouveau la DGAC. J'entends, en effet, une mise en cause
très clairement exprimée, très explicite de l'aviation civile. Nous avons sans doute une direction responsable et l'une des meilleures du monde ; mais, en même
temps, on perçoit une mise en cause.
La pression économique existe et, pour avoir vécu à Gonesse le crash
du Concorde, je reste convaincu que la reprise des vols du supersonique relevait aussi d'une forme de pression économique exercée jusqu'à son arrêt mais qui ne
s'explique pas, selon moi, par les seules raisons économiques.
Je souhaite donc que M. Jouans précise ses propos. Il a bien dit que
nous n'avions pas les moyens d'analyser tous les incidents répertoriés avant d'ajouter en substance : « D'un point de vue économique, soyons réalistes ».
Enfin, le nombre d'incidents répertorié est-il de 16 000 ou de
10 000 ? Nous avons demandé des données plus précises sur l'analyse de ce fichier INCA. Parmi les données analysées, quelles préconisations a-t-on pu mettre en
_uvre depuis que le dispositif existe ?
M. le Rapporteur : Concrètement, ces 10 000 ou 16 000 cas
sont-ils sur un serveur informatique ?
M. Olivier JOUANS : Les 16 000 événements que j'ai cités sont
les événements INCA, c'est-à-dire les événements liés directement au contrôle aérien. Si l'on y ajoutait les événements enregistrés par le SFACT, le BEA ou les
compagnies aériennes, il faudrait plutôt citer le chiffre de 30 000 événements par an.
En 2002, ces 16 000 événements se répartissent comme suit : trente
ou cinquante événements sont jugés d'une très grande gravité. Ils imposent une notification immédiate au BEA. On considère que le rapprochement des avions a
été suffisamment proche et mal maîtrisé pour qu'il y ait pu y avoir un accident ; trente à cinquante événements par an nécessitent une enquête ou, au moins,
une notification au BEA.
Entre 200 et 250 événements par an nécessitent une analyse interne,
car l'on a identifié un dysfonctionnement de nos services de contrôle. Cela n'a pas conduit à un rapprochement dangereux, il n'y a pas eu de transgression des
normes - deux avions doivent être séparés de 5 milles nautiques, soit près de 10 km, mais on estime avoir un rapprochement dangereux quand on passe en dessous
de 3 nautiques, soit à peu près 6 km - nous sommes dans la tranche 10 km - 6 km, mais on a identifié un dysfonctionnement et donc un précurseur. Il est anormal
que les normes aient été transgressées ; cela nécessite une analyse.
Ensuite, nous arrivons à une enveloppe très différente - mais qui
englobe la précédente - : 13 000 événements par an constituent le domaine « ESARR 2 », l'ensemble des événements qu'Eurocontrol nous demande de lui notifier,
de façon à établir un recueil d'événements au niveau européen. Ils sont intéressants, car ils comprennent les premiers événements extrêmement graves, mais ils
le sont aussi à titre statistique. Un événement peut être d'une gravité quasi nulle s'il a lieu une fois. Mais s'il se produit 50 fois au même endroit, c'est
déjà plus préoccupant et si c'est 500 fois au même endroit, on peut en conclure que quelque chose ne va pas.
A cela on ajoute 2 000 à 3 000 événements qui sont, en fait, des non
événements : manque de papier dans une imprimante, store qui marche mal, etc. Nous les enregistrons, puis nous les éliminons très vite, car ils sont
sans rapport avec la sécurité des vols.
Mme la Présidente : La mission souhaiterait être destinataire
de ce document.
M. Claude GUIBERT : Le rapport de la commission nationale de
sécurité de la circulation aérienne est très intéressant. J'en prends connaissance tous les ans, mais il faut environ deux ans et demi entre le moment où les
événements se produisent et la publication de l'information ! Il se résume de la façon suivante : entre 110 et 130 fois, nous ne sommes pas passés loin de
l'accident. Il s'agit de risques de collision sérieux.
Le rapport est publié. Il est très intéressant. Vous pourrez vous
faire vous-même une opinion sur cette affaire que je me suis permis de résumer brutalement. En ma qualité d'expert judiciaire, j'en extrais ce que je vous ai
dit.
Mme la Présidente : Merci de cette franchise.
M. Claude GUIBERT : Je voudrais donner un avis en amont. Nous
l'avons évoqué lors d'une précédente audition : un constructeur, lorsqu'il construit un avion, retient un certain nombre d'options : des options techniques sur
le matériel, des options techniques sur le logiciel, des options sur les méthodes opérationnelles qu'il emploiera. Il ne le fait pas tout seul, mais sous l'_il
intéressé des services officiels, de l'administration, de la DGAC. Il réalise des analyses de sécurité compliquées... Cela dit, il ne prévoit pas tout et, de
temps à autre, il décrète que tel incident n'arrivera jamais. Qu'est-ce que le retour d'expérience si ce n'est la confrontation de ce qui se passe dans la
réalité, dans les avions et dans les cockpits, avec les options prises au départ ?
Pour améliorer le retour d'expérience, il faut que le maximum
d'éléments revienne vers le constructeur, pour modifier l'avion, ou vers les services officiels, pour modifier les règlements. Mais le problème du retour est
culturel. J'y ai insisté lors de la dernière audition et je reviens sur ce point.
Imaginons que les membres de l'équipage constatent un
dysfonctionnement. Le pilote peut considérer ne pas avoir bien compris, ne pas avoir bien utilisé le matériel. Les équipages ont affaire à des avions de plus
en plus sophistiqués. La philosophie opérationnelle, c'est-à-dire la façon la plus astucieuse d'utiliser ce matériel sophistiqué, à l'instar de ce que les
ingénieurs et les concepteurs avaient dans la tête, a du mal à passer jusqu'au dernier pilote. Plus la technique est sophistiquée, plus l'écart est grand entre
la pensée des ingénieurs et l'utilisation effective du matériel. Lorsque des incidents surviennent, que les équipages ne comprennent pas, mais qui peuvent être
momentanément dangereux, même si, heureusement, ils sont surmontés, les équipages ne sont pas toujours désireux de consigner cela par écrit, car il leur reste
à l'esprit qu'ils n'ont pas fait preuve de professionnalisme dans cette circonstance, qu'après tout cela ne s'est peut-être produit qu'une seule fois et qu'il
est par conséquent inutile de le signaler.
Je corrige un propos antérieur : les premières compagnies françaises
ont mis en place des systèmes d'analyse des vols opérationnels, non en 1990, mais en 1970 à UTA et aux environ de 1975 à Air France, et ils le furent bien
avant que l'administration ne le réclame. Il faut voir que le mouvement s'inscrit dans l'intérêt de tous.
Mme la Présidente : C'est une culture.
M. Claude GUIBERT : Absolument. Il faut donc que les systèmes
soient opérationnels et que la compagnie se sente suffisamment concernée, et au niveau adéquat, pour que puissent être prises des actions sur place, notamment en
matière de formation, éventuellement en direction du constructeur pour qu'il opère des modifications, par exemple. Mais un autre phénomène culturel intervient :
la compagnie n'a pas toujours envie de signaler au constructeur que tel ou tel élément ne fonctionne pas, alors que la faute en incombe peut-être aux personnels.
La semaine dernière, j'ai eu l'occasion d'avoir entre les mains, à
propos d'une compagnie qui n'existe plus, le rapport adressé à la DGAC et au constructeur, au terme de deux ans d'exploitation. A sa lecture, vous tombez de
votre siège ! Vis-à-vis de la DGAC, aucun problème spécifique ne ressort ; au contraire, on explique que tout s'est bien passé, sans doute avec quelques
petites difficultés en matière de formation, mais rien de plus. En revanche, le constructeur se voit reprocher que l'avion n'était pas « mûr » et qu'il a fallu
faire un tas de choses.
Mme la Présidente : Comment expliquez-vous cette frilosité
vis-à-vis de la DGAC ?
M. Claude GUIBERT : Vous n'allez pas à confesse tous les
jours ! La DGAC, en l'occurrence joue un rôle de conseiller technique et surtout de surveillant général. Vous n'allez donc pas raconter tout ce que vous savez à
votre surveillant général !
Mme la Présidente : Est-ce par crainte de la sanction, est-ce
dû à la culture de culpabilité judéo-chrétienne ?
M. Claude GUIBERT : Il y a un peu de cela. Au niveau du
constructeur, on retrouve un peu le même problème. Il n'a pas envie de tout étaler.
La culture latine, voire judéo-chrétienne a pour défaut de ne pas
différencier l'erreur de la faute, alors que le fait de commettre des erreurs s'inscrit dans le cours normal des choses. Je fais scandale dans les colloques,
lorsque je parle de la nécessité de banaliser l'erreur, voire de la positiver. Vous ne pouvez acquérir une expérience et progresser, sans commettre d'erreurs.
C'est impossible. L'objectif est de faire en sorte que les gens considèrent normal de faire des erreurs et d'en rendre compte. Rappelez-vous l'officier de
sécurité des vols d'easyJet qui relevait, entre les Saxons et les autres, une différence d'un quart/trois quarts d'événements pour les mêmes avions, les mêmes
étapes...
Par contre, il faut réserver à la faute sa place et la justice doit
la sanctionner ; si une personne n'a pas fait son travail, il est normal qu'elle soit punie. Il convient, bien sûr, d'être attentif à l'approche juridique de
cette affaire, car, à vouloir déculpabiliser tout le monde systématiquement, on arrivera à une tricherie systématique. Les personnes feront des rapports
uniquement pour ne pas être ennuyés par la suite, y compris en cas de fautes relativement intentionnelles. Il convient donc de prendre garde à cet écueil.
M. Guillaume ADAM : Je reviens à l'évaluation du nombre
d'incidents. Environ 30 000 incidents sont répertoriés dans quatre domaines : 15 000 relatifs au contrôle aérien ; 7 000 pour les compagnies aériennes ; 5 000 à
6 000 pour la maintenance ; plusieurs milliers pour l'aspect touchant à l'aéroport, nonobstant l'aspect constructeur qui est passé récemment sous la tutelle de
l'Agence européenne de la sécurité aérienne, l'AESA.
La DGAC met en place un réseau à partir d'un logiciel appelé ECCARS
développé par la Commission européenne. La plupart des DGAC européennes ou des BEA européens s'équipent de ce logiciel qui permettra de stocker les données, de
les évaluer et de les échanger, afin d'augmenter notre connaissance des événements et de profiter de l'expérience des autres.
Avec 30 000 événements par an concernant l'ensemble des domaines de
l'aviation civile, deux types d'analyses peuvent être effectuées. D'une part, l'analyse statistique, notamment le suivi de tendances. Par exemple, avec dix
éclatements de pneus une année et cinquante l'année suivante, je dois me poser des questions. D'autre part, l'analyse de gravité, laquelle consiste à évaluer
le risque en fonction des circonstances de l'événement.
Pour recevoir les événements, la protection des notifiants est
essentielle, car les commandants de bord, les mécaniciens, les contrôleurs peuvent craindre d'être sanctionnés à la suite de la notification de l'événement
qu'ils ont identifié. La directive européenne 2003-42 demande donc aux Etats membres de protéger le notifiant des sanctions administratives.
La DGAC est en train de préparer un projet de transposition
reprenant cette exigence. Dans la communication de la DGAC, cet aspect est essentiel car la boucle du retour d'expérience passe par la collecte, l'analyse et
donc la protection des notifiants et le retour d'expérience, c'est-à-dire le retour au notifiant. Si l'on ne motive pas le notifiant en lui montrant
concrètement que les incidents relevés ont servi à modifier des règles ou des procédures, il perdra confiance dans le système. Le but de la DGAC est donc de
montrer que le système est efficace. Sa plus-value consiste à replacer un incident dans un contexte plus général. Exemple : une compagnie aérienne connaît un
incident sur un avion. A la suite de son analyse, elle change de procédure. Il est intéressant de voir si cette nouvelle procédure peut être étendue à toutes
les compagnies aériennes françaises. Telle est la plus-value de la DGAC : placer les événements prédigérés par les opérateurs dans un contexte plus large. Il
est essentiel que les opérateurs du premier plan soient au courant de leurs événements. Nous ne souhaitons pas, par exemple, que tous les commandants de bord
notifient directement à la DGAC leurs événements, sans passer par Air France qui a besoin d'en avoir connaissance pour progresser.
A propos de la base de données ECCARS, M. Grangier a indiqué que la
notification initiale n'était pas tout à fait confidentielle. Nous nous engagerons - et nous communiquerons à ce sujet - sur le fait que les informations
stockées par la DGAC resteront confidentielles et que toutes informations destinées à un acteur de l'aéronautique dont l'objet est la sécurité seront
anonymisées et ne permettront pas de retrouver le notifiant. Nous réaliserons cette communication par un projet de loi qui vous sera présenté. Il traitera de
l'aspect juridique et notamment de la CADA, la Commission d'accès aux documents administratifs, afin de nous protéger des interrogations d'un journaliste qui
voudrait avoir accès à nos données. Nous démontrerons au notifiant que nous protégeons ses données et que nous sommes seuls habilités, selon notre jugement, à
livrer des données à des intervenants travaillant sur la sécurité.
Mme la Présidente : A la condition que la protection ne se
traduise pas par un verrouillage tel qu'il en empêche l'exploitation. C'est ce que nous pourrions redouter. C'est une question d'éthique.
M. le Rapporteur : M. Adam a parlé d'impunité administrative,
mais il ne répondait pas directement à la question évoquée par plusieurs d'entre vous, c'est-à-dire l'impunité vis-à-vis de l'employeur. Vous l'avez qualifiée de
sociale ou de pénale. Pourriez-vous être plus précis, même s'il s'agit d'un projet ?
M. Guillaume ADAM : Des débats sont ouverts à ce sujet.
Personnellement, je ne suis pas favorable à ce que l'on sanctionne un notifiant et je suis hostile à ce qu'il subisse des sanctions de la part de son employeur
s'il a notifié un incident dont la communauté aéronautique tire bénéfice. Quant à l'aspect pénal, nous arrivons là dans un domaine extrêmement délicat.
Vous ouvrez la porte. Je n'y suis pas défavorable. C'est un débat
que nous n'avons pas encore entamé. En effet, il y a des aspects judiciaires dans les actes de l'aviation, mais cet aspect n'a pas été abordé. Nous sommes
cependant prêts à y réfléchir.
M. Nicolas LOUKAKOS : Anonymisation ne signifie nullement
immunité. Un conflit oppose la loi et le règlement en ce cas d'espèce. Le juge judiciaire est tenu d'appliquer la loi en cas de délit, de mise en danger
délibérée d'autrui. En revanche, il n'est pas tenu d'appliquer le règlement. Or, toute la réglementation OPS 1 est d'essence réglementaire. Il peut le faire en
exerçant un contrôle de la légalité. Le juge judiciaire peut interpréter le règlement, non la loi. Le règlement ne lui est pas opposable à ce jour, comme nous
avons pu le constater dans plusieurs affaires où l'anonymisation des enregistreurs de vol ou des rapports confidentiels ne peut être garantie, puisque le juge
judiciaire qui se rendrait à la compagnie en commission rogatoire, avec des officiers de police judiciaire et des gendarmes, avait immédiatement communication du
document source, c'est-à-dire du document identifiant l'auteur, le vol et l'ensemble des intervenants.
C'est un sujet délicat, car il s'agirait d'ouvrir, comme aux
Etats-Unis, une brèche dans le droit pénal, sachant que, contrairement à nous, la culture anglo-saxonne n'est pas axée sur la punition. Dans les affaires
d'accidents d'avions, les Américains cherchent à obtenir des punitives damages, c'est-à-dire des dommages punitifs, se traduisant par une indemnisation
la plus élevée possible du dommage. Dans la culture latine, nous recherchons, non seulement des responsables, mais également des coupables.
Je profite de l'occasion pour poser une question. Nous avons souvent
procédé à des comparaisons avec les Anglo-Saxons. Aux Etats-Unis, le NTSB42,
a pour fonction de surveiller les transports, aussi bien terrestres, maritimes qu'aériens et nous avons constaté que la NTSB condamnait souvent la FAA43,
l'équivalent de la DGAC, pour n'avoir pas fait appliquer tel règlement à telle compagnie ou pour n'avoir pas surveillé tel opérateur, ce qui n'est pas le cas
en France. Qui, en France, surveille l'action et la qualité du travail de la DGAC ?
Mme la Présidente : Excellente question !
M. Catherine HENNEQUIN : Sur le retour d'expérience, je n'aurai
qu'une approche juridique. C'est là un très vaste débat et je n'aurai nullement la prétention d'y répondre de manière exhaustive.
Il convient de replacer le retour d'expérience dans son cadre
général. Il est fondé sur une notion de transparence qui n'est permise que par la bonne volonté de chacun de révéler un incident. En droit français, à la
différence du droit anglo-saxon, la transparence a pour corollaire automatique la responsabilité. Celle-ci est administrative, pénale et elle relève également
du droit du travail. Car lorsqu'un pilote fera son retour d'expérience à son employeur, sa responsabilité pourra être mise en cause.
La responsabilité est aussi économique car on a vu des cas où,
précisément, il n'y avait pas eu de retour d'expérience par pression économique et où le commandant de bord avait pris la décision, sur pressions économiques,
d'effectuer un vol.
La responsabilité présente donc des facettes multiples. C'est la
base de l'évolution générale de notre société. Ainsi qu'on l'a souligné, il ne peut pas y avoir actuellement dans notre société de faute ou d'erreur sans
responsabilité. Nous sommes passés d'une responsabilité pour « faute prouvée » - nous l'avons vu notamment en matière pénale, avec les délits apparus dans le
nouveau code pénal - à une responsabilité « pour risques ». Pourquoi ? Uniquement pour assurer la protection de la victime et du consommateur.
J'en reviens au retour d'expérience. Celui-ci doit viser une
prévention réelle du risque. C'est, selon moi, l'élément fondamental de la gestion de tout transport aérien. Si nous ne gérons pas le risque, il n'y aura plus
de transports aériens à l'avenir. Cela dit, le problème se pose de la protection de l'opérateur, c'est-à-dire du personnel navigant. C'est lui qui est en bout
de chaîne du retour d'expérience, ou au début de la chaîne, comme vous voulez, mais, en tant que juriste, je considère qu'il est en bout de chaîne, car c'est
vers lui que je me retourne.
Toutes les nouvelles réglementations communautaires font peser sur
le personnel navigant une exigence globale : il assume une responsabilité en matière de gestion de vol, de contrôle aérien, de problèmes liés à la construction
de l'avion. Je ne vais pas mettre en doute la compétence des pilotes présents dans cette salle, mais peut-on demander à quiconque autant de compétences ? Or,
c'est bien ce que l'on fait dans le cadre du retour d'expérience.
Les pilotes qui sont juridiquement les opérateurs finaux ont la
responsabilité de l'information et de la communication de l'information. On leur fait supporter un risque énorme : celui de toutes les conséquences afférentes
à l'exigence de transparence qui résulte du principe du retour d'expérience. Car sans transparence, il n'y a pas de retour d'expérience. On fait peser sur toux
ceux qui procèdent à un retour d'expérience - et principalement sur les pilotes, car on sait qu'ils ont une obligation - la prévention des risques dans le
transport aérien. Si une protection forte n'est pas instaurée corrélativement, le système se verrouillera très rapidement.
Pour disposer des éléments réels permettant d'exploiter utilement
ces retours d'expérience, on parle d'anonymat. Mais dans le transport aérien, je ne sais pas comment on peut conserver le respect de l'anonymat, puisque tous
les vols sont contrôlés. C'est une protection virtuelle. Cela demeure, selon moi du domaine de la bonne volonté. Ce qui est encore plus compliqué, c'est la
gestion de l'anonymat.
On peut protéger l'anonymat par rapport aux organismes de contrôle
et on a vu que la DGAC expurge tous les retours d'expérience pour que l'anonymat soit véritablement conservé, et je dirai même consacré. Mais il y a le
problème de l'anonymat par rapport à l'employeur. Je ne parle pas d'Air France, mais de manière générale. Imaginons des retours d'expérience répétés vers
l'employeur. Lorsque ces retours fâcheux représentent, par exemple, 30 incidents graves relevant de l'accident mortel, ou bien quand l'employeur reçoit quinze
retours d'expérience du même pilote, représentant quinze accidents graves, quelle responsabilité assume la compagnie aérienne en gérant l'anonymat ?
L'employeur n'a-t-il pas l'obligation de réagir vis-à-vis de son salarié ? D'où une seconde limite juridique par rapport à l'anonymat. Certes, nous devons
protéger l'opérateur final, le pilote, vis-à-vis de son employeur, vis-à-vis des organismes. Mais il faut également prévoir des « garde fous » pour que les
organismes de contrôle et l'employeur puissent intervenir dans des situations « critiques ». Je fais confiance à l'Assemblée nationale pour définir d'une
manière juridique les situations dites « critiques ».
Donc, si l'anonymat est difficile à conserver dans le lien
hiérarchique, et par rapport aux organismes de contrôle, il faut trouver un autre système. Et, selon moi, le bon cheval de bataille juridique est l'impunité.
Une impunité administrative, une impunité par rapport au droit du travail et une impunité pénale. Et cela repose sur le contenu de ce retour d'expérience.
Pour que le retour d'expérience soit efficace, il devrait être
obligatoire. Ce n'est pas le législateur ou le règlement qui doit rendre le retour d'expérience obligatoire. Il faut que cela figure dans les contrats de
travail.
Un salarié a une relation de confiance avec son employeur et
vice-versa. Poser des règles contractuelles définies au niveau de l'ensemble de nos compagnies françaises constituerait une première avancée avant de
parler de l'Europe. Nous insérerions dans nos contrats de travail une clause aux termes de laquelle telle personne, et notamment le pilote, a l'obligation
d'effectuer des retours d'expérience, conformément aux dispositions applicables. Quant aux employeurs, ils s'engageraient à ne pas engager la responsabilité du
salarié. Cela serait un progrès par rapport au droit français qui connaît mal ces dispositions conventionnelles et qui considère encore que c'est par la loi et
le règlement que les choses doivent changer.
Mais vous allez me dire qu'on ne peut absoudre l'impunité des règles
légales, qu'elles soient administratives ou pénales.
Mme la Présidente : En effet, car il existe d'autres causes de
poursuites que l'on ne peut éviter, par exemple celles des associations de victimes qui sont actuellement très revendicatives.
Mme Catherine HENNEQUIN : On ne peut évidemment pas déroger à
la loi pénale. D'où la nécessité d'exclure le cas extrême. Pour moi, il n'y a pas d'impunité possible en cas d'« airmiss », par exemple, parce que, dans
ce cas, on se situe au-delà de l'événement normal ; il s'agit d'un événement constitutif d'une faute qui peut emporter une sanction, tant sur le plan
professionnel qu'au plan réglementaire, voire au-delà.
Il faut délimiter des cadres et fixer des curseurs. La mise en _uvre
est très compliquée car nous sommes confrontés, juridiquement, à la difficulté de fixer des définitions. Or définir est quelque chose de très compliqué et je
pense que la définition légale est plus compliquée à établir que la définition conventionnelle. J'ai confiance dans le bon sens tant du salarié que de
l'employeur.
Ensuite, le cadre général légal s'impose de toute façon. Il convient
de bien le définir et de le sanctionner au besoin. Nous ne demanderons pas une impunité pénale, laquelle n'a aucune valeur. Je ne vais pas demander une
modification de la loi pénale. Cela ne sert strictement à rien. Instaurons un système de confiance en indiquant que l'impunité est le point de départ, plus
essentielle que l'anonymat, pour faire fonctionner ce système.
Mais je perçois déjà le danger de ma propre proposition.
Si l'on met en _uvre une impunité totale, celle-ci serait
susceptible d'affecter la sécurité. Mon idée est donc stupide d'autant que le but poursuivi ne serait nullement atteint, au contraire. Si, par contre, l'on
instaure une impunité insuffisante et que le salarié en a conscience, toutes les mesures qui auront été mises en _uvre deviendront inefficaces et le système ne
fonctionnera pas davantage !
On peut regretter que le consensus qui existe et qui fonctionne chez
les Anglo-saxons, n'existe pas en France. Nous substituons toujours aux relations conventionnelles et de confiance des textes qui encadrent et qui répriment.
Ce n'est pas aujourd'hui, surtout dans un domaine aussi difficile, affecté de contraintes économiques lourdes, que l'on pourra résoudre ce problème. Mais
peut-être serait-ce l'occasion d'avancer sur un raisonnement qui responsabilise, car qui dit « impunité » ne dit pas « déresponsabilisation» - au contraire :
je pense que les gens sont d'autant plus responsables.
Je ne vous donnerai pas les curseurs aujourd'hui, car ils sont très
difficiles à rédiger, mais je pense que cela peut être une méthode de travail pour faire avancer, de concert, des points de vue totalement différents et pour
lever les tensions qui existent entre toutes les parties prenantes, les compagnies et leurs salariés, les constructeurs, l'administration civile et, au-dessus,
l'affreux juge qui, au pénal, fera son enquête pour chercher où se situe la déviance.
Le premier principe est donc une impunité conventionnelle. Il faut
ensuite définir les curseurs, en dehors de la responsabilité pénale pour faute.
Mme la Présidente : Cette démonstration ne semble pas
recueillir l'accord de tout le monde !
M. Pascal SÉNARD : Maître Hennequin a bien exprimé la
problématique que pose la transposition de la directive sur le compte rendu obligatoire des événements. Nous savons qu'il y a une demande d'anonymat, de
protection des personnes. Ce sont les termes utilisés dans la directive.
Cette transposition en droit français peut passer par des besoins
d'impunité, ce qui est plus fort que la protection. La problématique de la DGAC consiste à sécuriser le flot d'informations et leur fiabilité. Nous ne
souhaitons pas que le système de retour d'expérience se traduise par une situation où tout le monde y va de son petit mot sur ce qui s'est passé pour obtenir
une impunité éventuelle.
Maître Hennequin s'est concentrée dans son exposé sur les pilotes,
qui sont 7 000 en France. Or le problème du retour d'expérience touche aussi 50 000 mécaniciens au sol et 50 000 personnes d'assistance en escale sur les
aéroports qui travaillent tous les jours sur les avions. Les pilotes ont la responsabilité totale du vol. C'est inscrit dans les lois. Le mécanicien ne l'a
pas, l'assistant de piste, le mécano ou le pompiste non plus. Or lui-même peut commettre des erreurs. Il est arrivé que le pompiste ne mette pas suffisamment
d'essence ou que le cariste ait tapé dans l'avion ; aujourd'hui, le principe de « pas vu, pas pris » s'applique faute de véritable prise de conscience du
risque.
C'est une dimension à intégrer dans la problématique et nous savons
que, lors de la transposition, nous ne ferons pas l'économie d'une discussion avec les ministères du travail et de la justice, ce qui n'exclut pas, bien sûr, la
prise en compte de la proposition de maître Hennequin.
M. Nicolas LOUKAKOS : Il faut considérer l'histoire du droit
aérien et la convention de Varsovie de 1929 qui a fixé des plafonds d'indemnisation ridiculement bas, qui ne pouvaient être dépassés que par la faute dolosive
que l'on nomme « la faute inexcusable » du transporteur ou du préposé du transporteur qui permettait d'indemniser les victimes correctement. Cette convention n'a
plus cours car la convention de Montréal de 1999 est entrée en vigueur le 4 novembre 2003.
Je rappelle simplement cette dimension historique pour vous
expliquer les raisons de la vengeance et de la victimisation dans le transport aérien. Les victimes étaient indemnisées à hauteur de 250 000 francs or Poincaré
par passager décédé, soit 80 000 francs courants de l'époque. Il fallait absolument que le juge judiciaire, dans un esprit de juste indemnisation, condamne les
pilotes pour faute. Parfois, ceux-ci étaient vivants, parfois, ils étaient morts. Quand ils étaient morts, il était plus facile d'attribuer l'accident à une
faute de pilotage, ce qui permettait de se placer sur le terrain de la faute inexcusable, définie dans le code de l'aviation civile, donc la faute dolosive, et
ainsi de faire sauter le plafond varsovien pour passer à l'indemnisation intégrale. On estimait qu'un dentiste qui avait quatre enfants, professeur de
chirurgie dentaire valait tant. Cela illustre l'expression « la lutte des classes » : deux personnes assises dans un même avion - le plombier et le professeur
de chirurgie dentaire ...
Mme la Présidente : Nous avons compris.
M. Nicolas LOUKAKOS : Cela pour l'aspect historique.
L'aviation civile a eu un espoir avec la loi Fauchon, faite pour
protéger les élus locaux des fautes non intentionnelles, des délits de mise en danger ; elle contenait une disposition très importante pour les juristes et les
aviateurs : la modification de l'article 4-1 du code de procédure pénale, pour dissocier la faute civile de la faute pénale, contrairement au principe qui
prévalait en France depuis 1917, selon lequel la faute civile implique la faute pénale et vice-versa et également contraire au principe selon lequel le pénal
tient le civil en l'état.
La pression des médias encourage la victimisation ; aujourd'hui, il
y a les « victimes bourreaux ». Il existe un statut des victimes, les victimes ont des droits... C'est très compliqué. C'est pourquoi je ne crois guère aux
immunités pénales dont il est question. Des idées intéressantes sont à l'étude dans le cadre des comités de réflexion du syndicat des pilotes de ligne, où je
me trouvais aujourd'hui. Elles consistent à définir un statut de travailleur international pour les navigants professionnels, un statut pour tous les
intervenants dans la chaîne du transport aérien, un statut particulier qui, précisément, ferait jouer, non pas des immunités, mais des circonstances permettant
de ne pas poursuivre les rapports volontaires. On parle toujours d'erreur et non de faute, car celle-ci porte, en elle, un caractère intentionnel. J'ai noté
que les personnes ici présentes faisaient bien la différence. Il s'agit de ne pas réprimer les erreurs et de permettre aux personnels de rapporter le maximum
de renseignements. Nous sommes des adultes qui n'avons appris qu'à force d'avoir commis des erreurs. Ce qui nous sauve dans la vie et qui nous fait avancer, ce
sont bien les erreurs du passé. Si nous n'en commettons pas, nous sommes des morts potentiels. Les pilotes le savent : s'ils n'ont pas la culture du retour
d'expérience fondée sur l'erreur, connue et partagée, ils sont des morts en devenir.
Il faut protéger les pilotes de ligne par un statut de travailleur
international qui permettrait de contourner cette barrière de la loi pénale en les dotant d'un statut avec des immunités. Comme le sont, toutes proportions
gardées, les diplomates avec la convention de Vienne, pour les personnels au sol, il faudrait aussi négocier des statuts tant il est vrai que je ne crois guère
à l'angélisme, selon lequel on protégerait les salariés de l'employeur. Aujourd'hui, la réalité du droit social est celle-là : les salariés protégés sont
licenciés ; les délégués syndicaux sont confrontés au délit d'entrave. C'est le lot quotidien. Vous dites que l'on protégera le salarié. Qui le protégera ?
Mme la Présidente : Vous avez raison : le droit social se
détricote !
M. Claude GUIBERT : Face à un expert juridique, il ne faut pas
trop batifoler dans le juridique, mais tout de même ! Maître Hennequin, vous proposez de recourir à une clause conventionnelle, une disposition aux termes de
laquelle l'application du règlement ne suscitera pas de sanctions ! Je vois mal comment faire passer cela, car le règlement s'applique à tous !
Quant à l'immunité, que ce soit au plan national ou international,
je me demande comment vous allez « vendre » un tel produit à la représentation nationale ! C'est socialement invendable. Comment faire passer une loi qui
accorde une impunité, alors que très souvent l'accident se solde par des morts, et en grand nombre ? Très souvent, on se reporte aux statistiques, en avançant
le fait que l'on avait prévu que l'événement se passerait à dix puissance moins quatre. Cela s'est produit, c'est bien dommage, mais c'était statistique, nous
rétorque-t-on. Or, ainsi que je le dis souvent, un mort statistique à dix puissance moins quatre, je ne sais pas ce que c'est. Pour moi, les morts sont tous
morts à cent pour cent !
M. Claude GUIBERT : Un accident d'avion revêt une dimension
technique. Par le retour d'expérience, on peut tenter d'améliorer la technique, mais c'est toujours une catastrophe sociale, qu'il faut réparer d'une manière ou
d'une autre. Pour ce faire, je ne vois que la voie judiciaire. Je veux bien que l'on essaye d'introduire la notion d'immunité, mais je vous souhaite bien du
courage - et je ne l'espère pas !
M. Guillaume ADAM : Pour rebondir sur l'intervention de maître
Hennequin, du point de vue des curseurs, nous envisagions de nous inspirer de la loi relative au fonctionnement du BEA qui protège le notifiant, sauf en cas de
manquements délibérés ou répétés. Pierre Jouniaux est mieux placé que moi pour vous fournir des détails sur ce point. Cela nous semble éviter la notification
abusive, destinée à se protéger. En même temps, la grande majorité des vols se faisant sans manquement délibéré ou répété à la sécurité, le système permettrait
de récolter des incidents et ainsi d'apprendre à travers le rapport qu'on en fait.
Autre question : la directive européenne prévoit une protection du
notifiant, dont les curseurs restent à définir avec vous. Il faut également penser aux analystes, fonctionnaires de l'administration, qui vont se retrouver
avec ces données et qui devront les évaluer. Ils sont aussi dans la boucle du retour d'expérience, puisque, à travers leur analyse, des décisions correctives
peuvent être prises. Il ne faut pas oublier de les protéger, eux aussi.
M. Alain GOURIOU : Je ne suis pas juriste. Par
conséquent, les discussions à très haut niveau en matière de droit me paraissent difficiles à suivre par moment. Par ailleurs, chacun connaît l'adage Summum
jus, summa injuria. Il n'y a pas de solution idéale.
Je reviens aux boîtes noires. Tous les avions transportant des
passagers sur des lignes régulières ou non sont équipés de boîtes noires, témoins de tout événement depuis le décollage, voire, je présume, au cours des
opérations préparatoires au décollage, jusqu'à l'atterrissage inclus, et probablement un peu après.
A chaque fois que se produit un accident, on parle des boîtes noires
que l'on recherche et que l'on trouve ou non. En temps ordinaire, ces boîtes noires sont-elles consultées, en particulier lorsque des incidents jugés graves
ont été notifiés ? Monsieur, vous avez cité entre trente et cinquante incidents dits « très graves » à l'occasion desquels on est passé très près du drame. Sur
ce type d'incident, consulte-t-on les boîtes noires qui permettent de décortiquer les différents éléments de l'incident ?
M. Pierre JOUNIAUX : A partir de la notification d'un événement, on peut décider d'ouvrir une enquête. C'est l'un des
éléments de l'enquête que de récupérer les données des enregistreurs pour les utiliser aux fins d'analyses.
Par ailleurs, en France, il y a une obligation d'analyse
systématique des vols. Les données de chaque vol sont dépouillées pour détecter des écarts par rapport à des normes. Il y a donc un suivi des données de
manière continue, et ponctuelle dans le cadre d'enquêtes. Les paramètres de chaque vol sont analysés.
Mme la Présidente : Ceux contenus dans les boîtes noires ?
M. Pierre JOUNIAUX : C'est une copie non protégée.
M. Thierry LE FLOC'H : Il convient d'être précis : ce ne sont
pas les boîtes noires qui sont analysées, ce sont les paramètres de vol contenus dans un équipement particulier, du nom de « QAR », Quick Access Report,
lequel permet la surveillance continue d'un certain nombre de paramètres.
Le système pose quelques problèmes d'ordre pratique. Pour Dassault,
nous nous occupons de la surveillance des avions d'affaires français. Une compagnie sortait très régulièrement du domaine qu'elle avait elle-même défini. Car
il faut savoir que l'administration ne dit rien. Ce sont les opérateurs qui décident des paramètres qu'ils estiment devoir surveiller, ceux qu'ils estiment
dangereux. Les données sont entrées dans des ordinateurs ; elles sont recueillies, analysées, permettant de mettre à jour tel problème sur tel vol.
Une compagnie revenait donc très régulièrement dans nos contrôles.
Au lieu de surveiller les procédures, décrites dans un premier temps par la compagnie comme résultant d'une conduite saine, puisque les éléments sortaient et
que les autres ne sortaient pas, qu'ont-ils fait ? Ils ont déplacé des index aux limites du domaine de vol. Cette compagnie s'est retrouvée ne plus avoir aucun
problème, à l'instar des autres compagnies qui avaient pressenti, au départ, le problème qui allait se poser et qui avait positionné leurs index aux limites du
domaine de vol. Et on rencontre là, très clairement, les limites des leçons de sécurité que l'on souhaiterait voir s'appliquer.
Les pilotes de ligne, culturellement, doivent à leurs passagers -
c'est transmis dans les formations à tous les niveaux - 30 % du domaine de vol de l'avion. C'est la marge que l'on donne à nos passagers pour assurer les vols
en toute sécurité. Pour éviter tout problème d'analyse des vols, l'ensemble des compagnies d'avions d'affaires a positionné ses index aux limites du domaine de
vol, c'est-à-dire que les incidents n'apparaissent que si les pilotes sortent du domaine de vol. C'est-à-dire lorsqu'ils sont dans le domaine de définition des
pilotes d'essai. On fait, avec des passagers, ce que des pilotes d'essai ont fait avec des ingénieurs et des pilotes navigants. A aucun moment,
l'administration ne vient contrôler les définitions des index.
Mme la Présidente : Pouvez-vous préciser ?
M. Thierry LE FLOC'H : Vous avez parfaitement compris ! A un
moment donné, les opérateurs choisissent les paramètres qu'ils doivent surveiller. C'est le résultat d'une politique, d'une stratégie industrielle : on
surveillera par exemple que les pilotes ne sortent pas leurs volets à certaines vitesses, car il existe des vitesses limites. Deux possibilités s'offrent alors.
Prenons un exemple. Chez Dassault, la recommandation est fixée à 180
n_uds, la limitation du constructeur l'est à 220 n_uds, soit 40 n_uds au-dessus. Si je positionne le curseur à 180 n_uds, je connaîtrai un nombre d'incidents
élevé, mais cela n'aura aucune incidence sur la sécurité des vols, puisque le constructeur a prévu une limite à 220 n_uds. Si je ne veux pas que des incidents
apparaissent, si le contexte est idéal, si je ne subis pas de pression économique, je positionnerai le curseur à 220 n_uds et je ne connaîtrai plus aucun
problème.
Que des incidents se produisent n'est pas grave en soi ; ce qu'il
faut, c'est harmoniser les limites d'un système qui s'autorégule. Des règles doivent être définies par l'autorité fixant le domaine de vol de l'avion,
établissant à 30 % le domaine de vol dû aux passagers, autorisant les pilotes à les dépasser occasionnellement, mais il faut alors savoir que c'est un
incident, parce qu'on n'a pas respecté les règles de l'art. Actuellement, on a fixé les limites du domaine de vol aux limites du domaine physique.
L'administration ne dit rien et se satisfait de beaux bilans. Je vous parle, bien sûr, des petites entreprises confrontées au domaine international, non de Air
France, où les organisations professionnelles surveillent tout cela et donnent leur avis.
Dans le domaine concurrentiel, les limites sont des limites
constructeurs.
Mme la Présidente : A l'instar de ce qui se passe un peu dans
l'industrie où les conditions de sécurité sont bien mieux surveillées dans les grandes entreprises que dans les petites.
M. Olivier JOUANS : Sur les boîtes noires : mon domaine
d'action est celui du contrôle aérien. Nous enregistrons en continu et en permanence toutes les informations radars, celles qui sont présentées au contrôleur,
ainsi que tous les échanges radio. Nous les enregistrons au sol. C'est une limite conceptuelle. Nous estimons qu'en enregistrant au sol, nous disposons de
l'intégralité des échanges : échanges radios, radios téléphoniques et toutes les données radar. Celles-ci sont conservées et servent de matière première à
l'analyse.
M. Christophe BAILLY : Les boîtes noires ont une capacité
d'enregistrement de vingt-quatre heures. Un voyage à l'Ile de la Réunion dure douze heures à l'aller, autant au retour. Un événement peut donc disparaître, car,
au bout de vingt-quatre heures, la bande est effacée. S'il n'y a pas d'incidents, nous ne touchons jamais à cette bande-là.
M. Le Floc'h évoquait certains paramètres. Je peux dire qu'à Corsair,
nous ne sommes pas du tout positionnés au maximum. Au contraire, nous sommes positionnés au minimum, ce qui pose d'ailleurs des problèmes aux pilotes. En
effet, revenant d'un vol, on constate que l'on a déclenché un incident. Cela arrive constamment aux pilotes d'Airbus, non pas qu'ils soient plus mauvais que
les autres, mais parce que le système est programmé pour surveiller une centaine de paramètres en permanence. A la limite, c'est parfois mal fait, car le
déclenchement se produit trop facilement. Un exemple : la limitation de vitesse est de 250 n_uds, soit 450 kilomètres/heures en dessous de 10 000 pieds, soit
3 300 mètres à peu près dans beaucoup de zones. Si l'on enregistre 251 n_uds au-dessous de 10 000 pieds, il y a déclenchement. Il n'y a pas de tolérance.
La question s'est posée dans ma compagnie, car elle avait constaté
que les pilotes d'Airbus déclenchaient dix fois plus que les pilotes de Boeing 737 ou 747 qui sont des avions beaucoup plus anciens, avec des systèmes
d'analyse infiniment moins précis qui ne se déclenchaient jamais. Cela ne signifiait pas que les pilotes de Boeing étaient meilleurs que nous, mais ils étaient
moins surveillés. Il a fallu faire accepter à nos pilotes de connaître un taux de déclenchements considérable. A Corsair, mon rôle est de procéder à l'analyse
des dépassements et de trier le bon grain de l'ivraie pour déterminer ce qui est important de ce qui ne l'est pas. Il convient de déterminer - et tel est
l'objet de l'analyse des vols - les difficultés de l'avion.
Il y a deux ans, j'ai fait un Paris/Montréal, un vol pourrait-on
dire « parfait ». Il ne s'était rien passé : beau temps, atterrissage merveilleux... A l'arrivée, j'appelle l'ingénieur sol à Paris pour lui demander si
j'avais déclenché quoi que ce soit. Il m'a répondu que j'avais déclenché à l'atterrissage. Quand on fait un bel atterrissage, l'angle de l'avion est un peu
cabré. Au-delà d'une certaine limite, déjà très basse, il y a déclenchement. J'avais dépassé la limite d'un rien, d'où ce qu'on appelle un « excessive
pitch », un degré excessif. Or, je peux vous affirmer que nous étions très loin du moment où il pouvait se produire quoi que ce soit. Cela pour vous dire
que sur un vol que je considérais parfait, j'avais réussi à provoquer un déclenchement.
Il faut donc pondérer les cas de déclenchement d'analyse des vols. A
Corsair, le réglage est beaucoup trop fin. Il n'est pas question d'aller aux limites, mais il convient de rester dans le raisonnable. Pour l'heure, c'est un
peu comme si l'on flashait les automobiles au radar à 111 au lieu de 110 kilomètres/heure.
Mme la Présidente : Ne peut-on avoir des tolérances tout comme
on en a dans l'industrie pour la fabrication des pièces ? Le système ne pourrait-il pas être plus souple, en même temps plus normé, qu'il soit similaire d'une
entreprise à une autre ?
M. Christophe BAILLY : Air France, Corsair et Star Airlines
opèrent sur Airbus A 330. Nous pourrions effectivement avoir les mêmes paramètres.
M. Claude GUIBERT : Je voudrais remettre tout cela en
perspective pour une bonne compréhension du problème.
Il y a trois boîtes noires : deux boîtes réglementairement
obligatoires, l'une enregistrant les bruits, les conversations ; l'autre les paramètres de vol. Elles restent toutes deux dans l'avion et sont encadrées
réglementairement avec un minimum de paramètres. En général, elles ne sont pas exploitées, excepté en cas de besoin.
La troisième boîte est un enregistreur à accès rapide, un QAR,
Quick Access Recorder, imaginé à l'origine pour la maintenance.
On enregistre dans un avion une multitude de paramètres très utiles
pour suivre la vie du moteur, ses écarts en température... On s'est également aperçu qu'il était utile, pour l'exploitation, de savoir comment les pilotes
réalisaient les approches, freinaient, roulaient au sol... Tous ces paramètres sont analysés dans un logiciel paramétré par la compagnie et de temps à autre,
l'analyse signale un écart. Si l'on place les curseurs aux limites possibles du domaine de vol, le système se déclenchera très rarement et les incidents seront
peu nombreux. Si l'on place les curseurs à un pourcentage qui paraît honnête au point de vue opérationnel, il y aura davantage de déclenchements. C'est alors
tout le savoir-faire, toute l'expertise du service d'analyse des vols qui vont opérer.
Parfois, il y a eu déclenchement à la suite d'une turbulence. Le
service détermine si c'est important ou non, et retient les éléments significatifs. Par exemple, lors d'une approche sur l'aéroport de Niamey, lorsque l'on
survole à basse altitude le fleuve Niger, tous les avions descendent brutalement et approchent la vitesse « de référence », c'est-à-dire la vitesse la plus
faible. On signale le phénomène aux pilotes et on les met en garde, surtout en hiver, contre les cisaillements de vent. On leur préconise, chaque fois qu'ils
se rendent à Niamey, de prendre dix n_uds de vitesse en plus, car le problème est récurrent lorsque l'on se rend au Niger. Il n'y a ni faute ni erreur.
Le retour d'expérience constate, de façon répétitive, qu'il se passe
quelque chose de très spécial à un endroit très précis où les pilotes, le système d'atterrissage, le freinage automatique, déclenchent très rapidement à la
moindre pression. Ainsi, le retour d'expérience ne sert pas uniquement à répercuter des faits répréhensibles ou des fautes. Il s'agit simplement de noter des
écarts par rapport à un pourcentage fixé et qui deviennent significatifs d'une situation, d'une procédure opérationnelle, ou parfois d'un règlement.
Mme la Présidente : Une part d'événements sert à l'expérience
et à l'enseignement de problèmes techniques. D'autres indiquent des erreurs, des fautes. Les boîtes collectent un ensemble de données.
M. François GRANGIER : M. Gouriou a posé une question claire :
utilise-t-on les données des enregistreurs de vol à des fins de retour d'expérience ? La réponse est tout aussi claire : non. Beaucoup de personnes ont répondu
oui. Mais pas du tout.
Il existe deux types principaux d'enregistreurs de vol à bord des
avions : les enregistreurs d'enquête, que tout le monde appelle « les boîtes noires », et les enregistreurs des constructeurs ou des opérateurs qui sont des
enregistreurs d'analyse de vol. La particularité des enregistreurs d'enquête réside dans le fait qu'il s'agit de boucles en circuit fermé : de deux heures pour
les enregistreurs modernes de conversation et vingt-cinq heures pour les enregistreurs de paramètres. Vingt-cinq heures représentent deux allers-retours de
long courrier. C'est dire que si l'on n'a pas été alerté de l'événement dans les deux jours qui suivent, les données d'enquête sont perdues.
Il en est différemment des enregistreurs de l'opérateur ou du
constructeur, que l'on appelle « accès rapide », car leur support est différent. Il ne s'agit pas d'un support en temps perdu, mais d'une cassette ou d'un
disque, magnéto optique, qui, avant la fin, émet une alarme, permettant ainsi de le changer à la première escale. C'est dire qu'à chaque fois les données sont
enregistrées et à chaque fois conservées.
Mais ces données sont soumises à une convention, dont les
compagnies, les opérateurs sont parties et qui définit clairement leur utilisation. S'il n'y a pas débordement des curseurs, qui ne sont pas absolus, il n'y
aura pas analyse de la bande, donc non utilisation des données. Un incident qui ne se situe pas clairement en dehors des valeurs retenues par l'opérateur, ne
sera jamais découvert.
Par ailleurs, ces enregistreurs offrent la possibilité de créer un
marqueur fictif. Un bouton dans le poste de pilotage est à la disposition du navigant, qui appuie dessus s'il considère, à un moment donné, qu'il y a quelque
chose d'intéressant à signaler, ce qui émet une zone, représentant une alerte. L'enregistreur, qu'il y ait eu ou non déviation, sera systématiquement analysé,
parce qu'il sortira de la phase d'analyse rapide, donc de la mise à la poubelle.
Il convient donc d'expliquer aux pilotes qu'ils ne doivent pas
hésiter à appuyer sur le bouton et à utiliser les enregistreurs. Pour cela, il faut un cadre. Précédemment, on a évoqué les contraintes économiques. On vient
de parler de la divulgation de données sensibles en rapport à une convention d'utilisation. Nous avons abordé beaucoup d'autres thèmes tout à l'heure dans le
cadre des incidents et des accidents. On revient toujours au même problème : l'individu, en bout de chaîne, doit avoir à sa disposition, un moyen de rapporter
ces informations, qui doit répondre à deux mots clefs d'organisation : confiance et impunité.
La confiance, parce qu'il faut que le pilote soit convaincu que la
personne morale ou physique, à qui il va rapporter un incident, l'utilisera dans un but « noble » ;
L'impunité, parce que, si l'on veut que l'ensemble du matériel
existant soit correctement utilisé par tous les intervenants, il faut réfléchir à la création d'une entité indépendante. J'ai certes entendu les représentants
de l'aviation civile parler de traitement, mais la DGAC est quand même juge et partie. Il faut donc créer une entité, un « groupe des sages », qui pourrait, à
l'image de celle qui existe à l'intérieur d'une compagnie aérienne pour l'analyse des vols, gérer un enregistrement transmis par les pilotes, confiants dans
leur expédition, parce que, précisément, la question de l'impunité aurait été réglée avec les modulations juridiques déclinées précédemment et les commentaires
qui s'en sont suivis.
M. Bertrand de COURVILLE : On parle de la démarche d'analyse
des vols comme d'une procédure bien installée. En fait, si quelques compagnies ont commencé, il y a bien longtemps, d'analyser systématiquement les paramètres
enregistrés, cela reste quelque chose de très nouveau au niveau de l'industrie. Aux Etats-Unis, de très grandes compagnies américaines n'en sont qu'au début de
cette démarche systématique d'analyse des vols. Jusqu'à il y a quatre ou cinq ans, aucune compagnie ne procédait à l'analyse des paramètres enregistrés. Notre
industrie du transport aérien est en train d'apprendre à se servir de cet outil qui est très certainement très prometteur. Nous avons beaucoup de progrès à
espérer en ce domaine.
Notre plan d'action pour les années à venir reçoit de la part des
membres de notre groupe de travail, le Safety advisory committee de l'IATA, l'Association du transport aérien international, un encouragement très clair
à mettre en place cet outil d'analyse systématique des vols, qui demande beaucoup de précaution. Imaginez que dans les blocs opératoires, on installe des
enregistreurs sur chaque instrument utilisé pour l'anesthésie ou les différentes phases de l'opération chirurgicale... Ce n'est pas chose aisée à mettre en
place.
On peut faire du benchmark (recherche des bonnes pratiques
chez les autres pour s'en servir comme référence) dans d'autres domaines professionnels, mais l'intérêt en termes de retour d'expérience, d'apprentissage
continu et collectif pour une meilleure sécurité, est grand et la promesse est suffisamment importante pour que l'on progresse en ce domaine et dans d'autres
et que l'on accepte de prendre des risques, voire des risques judiciaires. Il nous faut progresser.
M. Nicolas LOUKAKOS : J'ajouterai simplement que la tendance,
au niveau professionnel, consiste à étudier les possibilités d'installation de vidéos enregistreurs pour surveiller le travail de l'équipage. C'est une grande
première. Cela fait partie des rares métiers où tout ce qui est fait est analysé et vu.
Aujourd'hui, en plus des enregistreurs dont on vient de vous parler
brillamment, la tendance dans l'industrie - au sens le plus large - consiste à placer des caméras « grand angle » pour mieux savoir ce qui s'est passé dans le
cockpit. Les pilotes sur leurs écrans cathodiques, ont-ils reçu l'information ou y a-t-il eu une panne de générateur de symboles ? Très souvent, il y a de
grandes inconnues dans les accidents. Telle alarme a été générée et l'on se demande si les pilotes en ont eu connaissance : le symbole sur l'écran l'a-t-il
répercuté ? Ont-ils pu le voir ou est-ce une erreur de représentation des pilotes ? Aujourd'hui, on vise donc à filmer le maximum d'éléments pour mieux
expliquer les incidents et les accidents.
Mme la Présidente : Cela pose la question de savoir jusqu'où
aller pour ne pas rendre le métier inhumain. Ce que j'en apprends me terrifie aussi bien s'agissant des risques que l'on prend parfois en montant dans l'avion
que des contraintes et difficultés des personnels en charge de deux cents, trois cents, et désormais parfois beaucoup plus de passagers.
Mme Catherine HENNEQUIN : Le récolement de l'information est
une chose - c'est le début du retour d'expérience. Mais j'ai un double souci.
D'une part, celui du traitement de l'information. On a constaté que
le traitement était effectué avec deux ans, deux ans et demi de retard. C'est bien trop long. L'aviation va trop vite pour que l'on se contente de traiter
l'information avec deux ans à deux ans et demi de retard. Le juridique est lent, mais si l'aviation est lente, où allons-nous ! Si l'on ne résout pas le
problème du traitement des informations, si l'on fait peser trop d'obligations sur des individus chargés de rapporter des événements qui ne présentent aucun
intérêt, on sera noyé.
Une fois le problème du traitement résolu - vingt personnes à la
DGAC pour traiter l'information c'est peu -, on pourra aborder le retour d'information. C'est mon second souci. Car quel est l'intérêt de demander légalement
ou conventionnellement ce qui s'est passé si l'on ne précise pas au notifiant les conséquences juridiques qu'il risquait d'encourir, les raisons pour
lesquelles il ne les subit pas, comment il doit et peut faire techniquement, quelle a été l'intervention de la compagnie auprès du constructeur... Tout cela
passe par une diffusion de l'information, mais également par une formation professionnelle. Et le problème économique se pose à nouveau. Certaines compagnies
en auront la capacité, d'autres ne l'auront pas avant un certain temps, et je suis optimiste. Sans ce retour, on décourage le notifiant qui aura spontanément,
volontairement ou obligatoirement, procédé au retour d'expérience.
Le traitement est donc excessivement important, de même que sa
rapidité, et sa fiabilité suppose une formation. Il faut en tout cas un débouché.
J'irai même plus loin. Je ne suis pas d'accord avec le propos selon
lequel il y aurait une vengeance des victimes, parce que la convention de Varsovie indemnisait à hauteur de 80 000 francs. Pour un accident de la circulation,
on indemnise toujours la victime à hauteur de 40 000 francs et on n'observe pas cette manifestation de vengeance, quoi que nous commencions à avoir des
dossiers sur la responsabilité des constructeurs. Mais ce qui n'existait pas auparavant pour les accidents de la circulation existait déjà dans l'aviation : je
parle de l'obligation de résultats : dès que le voyageur met le pied dans un avion, le transporteur a une obligation de résultats. Il suffit de voir comment
les médias présentent chaque accident. La première question posée concerne la défectuosité technique de l'appareil, comme s'il était évident que tous les
avions ne sont pas fiables ; ensuite on cherche à savoir si le pilote n'était pas lui-même défaillant. On ne pense pas à la fatalité, alors que cela peut
arriver.
Si le retour d'expérience est appliqué de manière optimale, le
public saura que la fatalité peut intervenir. Cela dit, il faut protéger la confidentialité vis-à-vis de la presse. Des rapports annuels pourraient être
communiqués à la presse indiquant le nombre d'incidents survenus, dans tel ou tel domaine, mais sans dramatiser.
Pourquoi la victime est-elle en colère ? Parce qu'elle n'a jamais eu
l'information. Pourquoi y a-t-il des procès ? Parce que l'on n'a pas considéré les gens comme responsables, quel que soit le domaine, aéronautique, médical ou
autre. Si, au contraire, on leur explique ce qui s'est passé et que l'auteur assume sa responsabilité - qui peut d'ailleurs n'être que civile avec une
indemnisation versée par la compagnie - les victimes ne vont pas au procès. En revanche, si elles ne reçoivent pas d'information, elles sont animées d'un
esprit revanchard.
Avec la médiatisation et la publication des rapports annuels des
retours d'expérience et ce qu'en ont tiré les compagnies et les organismes étatiques, quand un accident d'aéronef surviendra, la victime pourra mieux
appréhender la réalité et comprendre que le maximum a été fait pour prévenir l'accident. Au lieu d'aggraver, peut-être pourra-t-on atténuer cette
responsabilité intellectuelle - je ne parle pas de responsabilité juridique.
Car la responsabilité intellectuelle que les victimes imputent
systématiquement au transporteur est beaucoup plus grave que la responsabilité juridique. Pourquoi ? Parce qu'elle ne peut s'effacer par un jugement. Il suffit
de voir les réactions des personnes dans les salles d'audience. Elles n'ont pas compris que, juridiquement les faits n'étaient pas caractérisés, car elles
n'ont pas reçu la totalité de l'information.
Et je reviens à mon propos de départ : la transparence est
nécessaire au début de la chaîne, mais il faut aussi que l'information puisse être lue, entendue et acceptée par le public, afin qu'il comprenne que le
transport aérien est de plus en sûr. Si le traitement de l'information n'est pas assuré jusqu'au bout, il ne sert à rien de se poser la question de l'impunité.
Il va de soi que l'impunité est exclue en cas de fait volontairement fautif. C'est légal. Il ne sert à rien de parler d'impunité ou d'anonymat si l'objectif
final n'est pas, outre la prévention des incidents, une meilleure information du public pour améliorer la communication qui, en ce domaine, fait grandement
défaut.
M. Jean-Pierre BLAZY : Je partage les propos de Mme Hennequin
sur la nécessité de la transparence. Notre mission a été mise en place après le drame de Charm el-Cheikh et notre souci est bien celui d'une plus grande
transparence. Nous ne progresserons qu'à la condition de mieux informer le public, même si chacun sait que le risque zéro n'existe pas, que la transparence est
nécessaire, mais ne suffira pas, et qu'il faut prévenir au mieux les risques. On ne le fait peut-être pas suffisamment assez. Nous avons insisté sur le problème
de la pression économique. Cela montre à l'évidence que l'on va vers une régression par rapport au niveau de sécurité que nous avions pu atteindre, et pas
uniquement en matière de transport aérien.
Je reviens sur les incidents jugés les plus graves, que la DGAC
transmet au BEA pour analyse. J'ai le sentiment que ce dernier ne dispose pas de moyens suffisants pour une analyse performante des incidents significatifs. Et
il ne s'agit pas seulement des moyens humains. M. Grangier a indiqué que le contenu des enregistreurs d'enquête disparaissait rapidement s'il n'y avait pas eu
d'accident. Dès lors qu'un accident est repéré par la DGAC et considéré comme significatif, quels sont les éléments que le BEA reçoit pour analyse ? Tous ces
enregistreurs vous parviennent-ils complets ? Combien de rapports produisez-vous ? Pourrions-nous avoir une synthèse, sur les cinq dernières années, des
analyses que vous avez pu faire sur les incidents graves ?
M. Pierre JOUNIAUX : Dans la mesure où la notification parvient
suffisamment tôt au BEA, il est possible de préserver - et telles sont les consignes qui sont données - les éléments qui pourraient profiter à l'enquête. Les
enregistreurs en font partie et les compagnies aériennes mettent aussi en place des procédures qui font que, dans certains cas, ils doivent préserver ces
données. Les enregistreurs de données de paramètre, et parfois de conversation, peuvent être exploités dans le cadre de certains incidents. C'est là une
situation idéale.
Mais parfois, des délais sont introduits dans les processus de
notification, notamment pour l'incident survenu à Nantes de la compagnie égyptienne Louxor Air, dont je m'occupe personnellement. Nous avons connu une perte
d'information : en effet, l'événement nous est parvenu trop tard pour que nous puissions agir et demander aux autorités égyptiennes de préserver ces éléments.
Pour ce qui est du nombre d'incidents que nous pouvons traiter
annuellement, l'effectif global des enquêteurs du BEA est d'une trentaine pour un nombre d'événements brut annuel - en termes de navigation aérienne et
d'exploitation - supérieur à la centaine. Nous ne sommes donc pas en mesure d'établir un rapport complet sur tous les événements. L'idée retenue est de traiter
un nombre supérieur d'événements en procédant à des rapports plus concis. J'ai amené ici une publication sur les incidents que je vous remettrai.
Le BEA intervient aussi à l'origine sur les accidents. Il est
fortement impliqué au niveau international dans tous les accidents mettant en cause la construction française : Airbus, ATR, Dassault et Eurocopter. Cela
implique un grand nombre de participations à des enquêtes internationales, limitant ainsi le nombre de rapports que nous pouvons établir.
M. Pascal SÉNARD : Je souhaite réagir, sans polémique, à
l'intervention de M. Grangier qui a déclaré, comme une évidence, que la DGAC était à la fois juge et partie. Je réagis, car tout cela est source de confusion.
La DGAC comprend la navigation aérienne. Ce secteur est opérateur de
navigation aérienne, a son système d'exploitation et son propre système de retour d'expérience. Une autre partie de la DGAC s'occupe du contrôle technique des
aéronefs, des pilotes et des matériels. La DGAC est en train de réfléchir à une réorganisation, notamment sous l'influence de futurs règlements uniques où il
sera demandé que l'opérateur DGAC soit séparé fonctionnellement du contrôleur DGAC. La réorganisation devrait prendre effet à partir du 1er janvier
2005. Le SFACT, dont je suis actuellement responsable, s'appellera probablement la direction de la sécurité. Comme elle le fait déjà auprès des compagnies
aériennes, elle aura à vérifier que l'exploitant du système de contrôle aérien a bien un système de retour d'expérience, d'analyse du contrôle aérien et que
les métiers d'opérateur ou d'exploitant - une compagnie aérienne est un opérateur - sont différents de celui du contrôleur.
La DGAC ne peut être un exploitant. La DGAC, si elle était
exploitant, permettez-moi la boutade, s'appellerait « Aeroflot » ! C'est dire que nous aurions une pensée unique et un système unique. Nous n'en sommes pas là.
Nous n'avons pas toutes les expertises pour exploiter les avions et nous ne recherchons pas cette expertise. Nous souhaitons pouvoir avoir un avis critique sur
les exploitations, mais la sécurité n'est pas une science absolue. On parle d'un niveau de sécurité, mais il est empirique ; nous l'avons construit pas à pas,
nous grignotons progressivement pour avancer. Mais nous avons mis dix ans pour gagner du terrain.
Peut-être est-on aujourd'hui en train de dégrader certains facteurs
et allons-nous en sens inverse. Les systèmes de retour d'expérience consistent à maintenir la vigilance. M. Le Floc'h évoquait la nécessité d'harmoniser les
curseurs dans les paramètres de vol. Pourquoi pas ? Encore faut-il que nous soyons convaincus de l'intérêt d'une harmonisation. Pour en être convaincu, il faut
que l'on s'aperçoive à l'exploitation - je le répète, nous ne sommes pas présents dans tous les avions, à toutes les heures, avec des milliers de pilotes qui
nous rapportent des événements -, que tout le monde a le même paramètre. Si cela va dans le sens de la sécurité, nous harmoniserons, mais cela ne coule pas de
source. A travers le retour d'expérience, nous souhaitons continuer à porter un avis critique et faire remarquer aux compagnies qui ont positionné le curseur
tout en haut que nous avons une autre vision, qui vient, sans trahir de secrets professionnels, de la compagnie voisine, laquelle procède différemment. Si
l'une fait blanc, l'autre noir, peut-être faut-il que l'on se penche sur la question.
Nous sommes là pour poser ces questions. En l'absence de réponse,
nous laissons l'exploitant nous présenter des propositions, que nous examinons au fur et à mesure avec l'expérience acquise - et ce n'est jamais du jour au
lendemain. Nous apprenons en parallèle, sans jamais nous substituer à l'exploitant, pour ajuster les paramètres. Nous les harmonisons, parfois au niveau
européen, voire au niveau mondial, lorsque tout le monde s'accorde sur le bon paramètre à retenir.
M. Thierry le FLOC'H : S'agissant de l'avion égyptien qui a
atterri à Nantes, il faut dire qu'on n'a pas retrouvé de paramètres parce que, dans cet avion, il n'y avait que des boîtes d'enquête. Ainsi que l'a expliqué M.
Grangier, au bout de 24 heures, les bandes sont effacées.
Les obligations d'emport des avions extracommunautaires ne sont pas
identiques à celles des avions communautaires. Donc, pour reconstituer la trajectoire, le BEA est contraint de faire appel à des informations qui ne résultent
pas d'une obligation légale des constructeurs. Comprenez bien que des obligations légales, réglementaires, s'imposent aux opérateurs français et européens,
parce que les divers Etats ont décidé d'imposer tel niveau de sécurité, parce que la perception du risque chez les passagers de ces pays est telle que cela
justifie les investissements faits dans les avions. On ne retrouve pas ces mêmes perceptions du risque au Caire, au Maghreb.
La compagnie Corsair a été rachetée par un tour-opérateur
international. Elle perdra son activité court courrier pour une raison simple : une compagnie va se créer au Maroc, où les obligations JAR OPS 1 ne sont pas
nécessaires. On continuera de faire transporter des passagers français par des compagnies qui ne répondront pas aux obligations des compagnies européennes.
Mme la Présidente : J'allais dire : tout cela pour ça ? Nous
avons parlé de normes, de définitions, de règles, d'éthique. Avec votre dernière phrase, on retourne à une logique économique très inquiétante.
M. Jérôme BANSARD : Mme la Présidente, je voudrais tirer
quelques réflexions, une sorte de petit retour d'expérience de ce que j'ai entendu au cours des différentes séances auxquelles j'ai assisté, à côté des experts
du SNPL.
Les experts du SNPL l'ont relevé à maintes reprises : il y a
beaucoup de réglementations, mais pas de contrôle de l'application de ces réglementations, faute de moyens - soyons très clairs.
Les avions tiers ne sont pas contrôlés et nous ne disposons pas de
moyens de contrôle réel. Les Etats-Unis se sont dotés de la FAR 129 qui permet, malgré la souveraineté territoriale, malgré l'OACI, de vérifier et de contrôler
que telle entreprise répond bien aux critères américains. Je souhaiterais que la France, en bon élève de l'Europe, propose à la Commission la création d'une
JAR 129, qui serait un « copier/coller » de la FAR 129. Avec les représentants européens, vous pouvez sans doute _uvrer dans ce sens.
Pour rester au niveau national, plusieurs actions peuvent être
entreprises.
D'abord, dépoussiérer le code de l'aviation civile, en particulier
ses articles 324-1, 324-2. Je vous soumettrai les propositions que le SNPL avance pour les modifier. Cela permettrait d'avoir des critères techniques
équivalents aux opérateurs à JAR OPS lorsqu'il s'agit d'un pays tiers ou d'un tour-opérateur. Le but est de prévoir une même responsabilité pour les
tour-opérateurs ou les brokers d'avions que pour une compagnie aérienne.
J'en viens au code pénal. Si nous voulons un retour d'expérience
efficace, il faudra trouver le moyen de dépénaliser les personnes qui, volontairement, livreront des informations sur les erreurs qu'elles auront commises. Air
France a réglé le problème sur le plan administratif. Aux termes de la charte d'éthique d'Air France, nul ne peut être inquiété dans son travail s'il relate
une erreur commise. Notre directeur général s'y est engagé. Un représentant de la DGAC a indiqué que c'était là une voie sur laquelle on semblait s'engager sur
le plan administratif et que cela ne paraissait pas compliqué. Reste le code pénal. Il conviendrait que d'éminents juristes se penchent sur cette solution. Je
comprends bien que l'on ne puisse instaurer un particularisme pour les navigants, mais peut-être faudrait-il les assimiler, comme le proposait M. Loukakos, à
des travailleurs internationaux, et trouver une solution, afin qu'ils ne puissent être inquiétés pénalement ; autrement, comme le relevait maître Hennequin, ce
système se verrouillera rapidement.
Nous avons souvent parlé de concurrence, pour nous apercevoir que le
transport aérien français a baissé depuis six ans de 19 %, alors que le transport aérien mondial a augmenté de 19 % pendant la même période. M. Loukakos vous
transmettra une liste impressionnante de compagnies qui, depuis quelques années, ont disparu. On se pose la question de savoir pourquoi les entrepreneurs
français ne s'installent pas en France. La DGAC a commencé récemment de réfléchir à ce sujet dans le cadre d'une commission à laquelle nous participons. Elle a
conclu que les charges sociales françaises et les charges sociales irlandaises ou britanniques n'étaient pas du tout du même ordre.
Nous, Syndicat national des pilotes de ligne, avons trouvé une
première solution pour faire baisser de 10 % la masse salariale de l'ensemble des navigants, ce qui est quand même relativement intéressant, puisque, à titre
d'exemple, sur le bilan 2002 d'Air France, cela représenterait pour la compagnie 160 millions d'euros d'économies, soit plus que son bénéfice pour cette
année-là.
La solution, relativement simple, impose toutefois de modifier le
code de la sécurité sociale. Il conviendrait de mettre en avant le fait que les navigants sont des travailleurs mobiles et qu'ils peuvent par conséquent
s'affilier à la caisse des Français à l'étranger.
Mme la Présidente : N'est-ce pas là un expédient ?
M. Jérôme BANSARD : Certes, mais il faut bien trouver des
solutions !
M. Jean-Pierre BLAZY : De bonnes solutions !
M. Jérôme BANSARD : Quelle est l'alternative si l'on ne trouve
pas de solution pour baisser les charges et inciter les entrepreneurs à s'installer en France ? Que feront ceux qui sont encore en France ? Ils feront ce qu'ont
fait les autres, c'est-à-dire qu'ils placeront les contrats de travail sous l'emprise du droit irlandais ou britannique. Malheureusement, contre cela, nous ne
pouvons rien. C'est le lieu du contrat de travail, ce n'est pas le lieu où le travailleur est effectivement employé qui fixe le régime de protection sociale. Si
l'on ne prend pas de mesures pour inciter les employeurs à revenir en France ou à maintenir ceux qui y sont, un jour ou l'autre, ils iront là où les charges sont
moins lourdes, autrement dit dans les pays anglo-saxons. Nos organismes sociaux perdront tout.
Je vous rappelle que la caisse des Français à l'étranger relève de
la sécurité sociale ; il ne s'agit nullement d'une caisse extérieure, d'une caisse privée ou d'une mutuelle. C'est de l'argent, si j'ose dire, qui reste dans
l'Hexagone.
Mme la Présidente : Cela fait donc partie de vos conclusions ?
M. Jérôme BANSARD : En effet. Je vous fournirai les autres par
écrit.
M. Pascal SÉNARD : Réglementer l'entrée de pavillons
étrangers est une réflexion qui a commencé au niveau de la Commission européenne. Derrière, il y a l'idée de faire de l'Europe une sorte de forteresse comme les
Etats-Unis souhaite le faire. On peut l'imaginer, le débat reste ouvert, car nos avions ont besoin d'aller se poser là où le passager a envie d'aller, c'est à
dire pas uniquement dans le monde occidental. Aujourd'hui, le système international, quitte à vous paraître naïf, a montré ses preuves, vu le niveau - même s'il
n'est pas absolu - de la sécurité aérienne. On l'a construit tous ensemble, c'est-à-dire les 189 Etats ayant adhéré à l'OACI, certains se situant en tête,
d'autres traînant un peu.
L'OACI a su réagir. Elle a mis en place le programme de surveillance
des Etats. Peut-être est-ce insuffisant et convient-il de se tourner de ce côté-là, en renforçant ce type d'évaluation et de contrôle et en diffusant mieux
l'information. Mais n'oublions pas que le système actuel a montré des ambitions et des qualités. Ne le jetons pas tout de suite avec l'eau du bain. Il est
capable de réagir. Il existe des mécanismes d'assistance auprès des Etats étrangers, auxquels il faut penser. Peut-être la sécurité passe-t-elle par un moindre
égoïsme vis-à-vis nos propres règlements et à participer à la mise en _uvre de règlements, peut-être imparfaits, mais applicables, dans d'autres Etats
étrangers.
Mme la Présidente : Notre séance de travail a été fructueuse,
tous les participants sont allés au bout de leurs convictions.
Pour reprendre les propos de M. Sénard, quelles que soient les
avancées et les démarches que nous entreprendrons, que l'on garde l'homme à sa place dans le travail, à son poste de travail, dans une surenchère de
libéralisation, c'est un fait. Nous en dressons le constat tous les jours. M. Berlusconi, dont on ne peut dire qu'il soit un fleuron de la gauche, a déclaré
lui-même que c'était la libéralisation du transport aérien qui avait mis Alitalia en difficulté !
La grande responsabilité des pilotes a été soulignée. Ils subissent
une pression très forte sur le plan humain qui s'exerce sur des individus qui ont une vie personnelle et qui apportent l'extérieur à l'intérieur du cockpit.
Mme Hennequin a soulevé un problème. Les familles sont exigeantes,
parfois jusqu'à la vengeance, ce dont je m'étonne toujours.
Nous avons parlé aussi de transparence. Dans l'accident aérien, le
nombre frappe toujours l'imaginaire populaire. C'est incontournable et cela ne peut aller qu'en s'accentuant. Par ailleurs, il y a la longueur de l'enquête et
l'absence de réponse rapide, contrairement à l'accident de voiture, où le conducteur est monté sur le trottoir parce qu'il avait quatre grammes d'alcool dans
le sang. Les raisons sont ici beaucoup plus complexes. L'aérien est, en effet, une machine magnifique, mais ô combien complexe !
L'imbrication de l'humain et de la technique a permis un débat
riche, mais il est extrêmement difficile de tirer des conclusions. Nous essaierons pourtant, nous, représentation nationale, de tirer au travers de cette
mission, non pas des certitudes, mais quelques préconisations.
Je vous remercie d'avoir participé à ce travail, important.
Audition conjointe de M. Gilles de ROBIEN, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer,
accompagné de M. Léon BERTRAND, ministre délégué au tourisme
et de M. François GOULARD, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer
(Extrait du procès-verbal de la séance du mardi 8 juin 2004)
Présidence de Mme Odile SAUGUES, Présidente
Mme la Présidente : Messieurs les ministres, je vous remercie
d'avoir accepté cette audition qui arrive à la fin de notre mission et au moment où le gouvernement vient d'annoncer les premiers résultats du groupe de travail
mis en place le 7 janvier, à la suite de l'accident de Charm el-Cheikh, et qui avait pour mission de définir les modalités d'un label pour les compagnies
aériennes et l'organisation d'une meilleure information des usagers du transport aérien.
Notre mission a également été créée à la suite de cette catastrophe,
mais elle s'est donné un champ d'investigation beaucoup plus large, se penchant sur l'ensemble des facteurs de risque pendant toute la vie de l'aéronef.
Nous avons ainsi étudié les problèmes de sécurité dans la
construction, dans l'exploitation, dans la maintenance des avions. Nous avons aussi examiné la répercussion en termes de sécurité de l'organisation économique
du transport aérien, tour-opérateurs, compagnies à bas coûts, charters - points qui se rapprochent du groupe de travail ministériel -, mais aussi les
conditions de travail des personnels navigants et autres.
Nous nous sommes également intéressés au problème du contrôle du
trafic aérien, notamment en rencontrant les chercheurs du centre d'évaluation de la navigation aérienne de Toulouse et les responsables d'Eurocontrol à
Bruxelles.
Nous avons été sensibilisés à l'importance des facteurs humains dont
ont dit qu'ils sont à 75 % responsables des accidents aériens - certains disent même qu'ils le sont dans 100 % des cas, et je dois dire que j'en fais partie,
car il y a toujours un homme derrière une machine.
Nous avons porté une attention toute particulière au retour
d'expérience, qui est en fait une question transversale, d'ailleurs systématiquement évoquée lors de nos tables rondes parce qu'il est au c_ur du processus de
prévention. Il s'agit d'un gros travail qui n'est pas encore achevé.
Depuis le 11 février dernier, nous avons tenu 17 réunions dont
9 tables rondes qui nous ont permis d'entendre plus de 100 personnes. Les investigations de la mission ont débordé nos frontières, car la sécurité du transport
des voyageurs est évidemment une question internationale. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes déplacés à Bruxelles, et la semaine dernière aux
Etats-Unis et au Canada, où nous avons rencontré les responsables des autorités fédérales américaines et les experts de l'OACI.
J'espère que cette audition sera l'occasion d'informer la mission
plus avant sur les conclusions du groupe de travail ministériel, qui ont fait l'objet d'une communication en conseil des ministres, hier, et dont la presse se
faisait l'écho ce matin. Permettez-moi cependant d'exprimer le regret que les parlementaires, qui travaillent sur cet important sujet depuis maintenant quatre
mois, n'aient pas eu la primeur de vos conclusions.
Je souhaite aussi que cette audition soit l'occasion d'un échange
plus large et qu'elle permette de répondre aux questions des membres de la mission sur d'autres points touchant à la sécurité aérienne.
J'espère surtout, M. le ministre, que les conclusions de notre
mission, qui seront rendues au début du mois de juillet, seront prises en compte par le gouvernement.
Avant de vous laisser la parole pour un exposé liminaire, je
voudrais vous poser deux questions.
La première concerne les conditions de travail. Je souhaiterais
connaître la position du gouvernement sur la proposition Simpson relative aux limites du temps de vol et aux temps de repos des équipages. Cette proposition,
qui résulte d'un amendement au texte de la Commission européenne, lors de la discussion du texte au Parlement européen, laisse trop de souplesse d'application
aux autorités des Etats et constituerait une harmonisation a minima. Par ailleurs, elle n'a fait, semble-t-il, l'objet d'aucune étude scientifique et a
été élaborée en dehors de toute concertation avec les associations représentatives des personnels, contrairement à ce qui avait été prévu.
La DGAC a été destinataire de courriers sur cette question et je
voudrais connaître votre position - si vous ne possédez pas tous les éléments aujourd'hui, peut-être pourrez-vous nous faire parvenir votre réponse plus tard.
Ma seconde question concerne la définition du prix abusivement bas
dans le transport aérien.
La loi du 16 janvier 2001 portant diverses dispositions d'adaptation
au droit communautaire dans le domaine des transports, dont j'ai été la rapporteure, comporte, dans son article 19, une disposition sur le prix abusivement bas
en matière de transport aérien ; elle tend à punir tout transporteur aérien ou tout prestataire de services de transport aérien qui ne s'est pas conformé à une
décision des services aériens intracommunautaires interdisant de nouvelles baisses sur les tarifs de passagers et sur le fret des services aériens.
Cette disposition, qui était, à mon sens, a minima car elle
ne concerne que les seules liaisons régulières intracommunautaires, n'empêche par les tour-opérateurs d'affréter des compagnies, notamment de pays tiers, à des
prix qui ne permettent pas de garantir un niveau de sécurité équivalent au standard JAA44
de l'Union européenne, ni au minimum social des personnels.
L'accident récent du Boeing 737 de Flash Airlines a malheureusement
remis sur le devant de la scène le rapport indiscutable entre prix bas et insécurité. Je souhaiterais connaître votre position sur le non-respect du prix
abusivement bas dans le transport aérien et ses conséquences sur la sécurité.
M. Gilles de ROBIEN : Mme la présidente, vous auriez eu une
réponse plus argumentée si vous nous aviez communiqué vos deux questions, qui sont très pointues. Mais je pense que François Goulard va pouvoir y répondre
partiellement, et nous vous enverrons une réponse plus détaillée qui viendra étayer votre rapport.
M. François GOULARD : Mme la présidente, il est vrai que ces
questions mériteraient une réponse longue et détaillée.
S'agissant des prix abusivement bas, il faut nuancer l'affirmation
selon laquelle la recherche d'économies par les compagnies est génératrice d'insécurité. En effet, l'observation que l'on peut faire du degré de sécurité des
aéronefs et de la qualité du sérieux des compagnies, n'est pas directement liée aux tarifs pratiqués. Certaines compagnies à bas coût sont irréprochables en
termes de qualité, d'autres compagnies, qui sont plus chères, peuvent ne pas l'être. Le lien ne me paraît donc pas aussi évident.
Ce qui est certain, c'est qu'il convient d'être intraitable en
matière de sécurité, pour tout le monde, indépendamment des aspects économiques. Et nous sommes tous d'accord pour dire qu'en dessous d'un certain prix, l'on
ne peut rien faire de bien.
En ce qui concerne votre première question, la France souhaite une
certaine souplesse dans les horaires de travail, pour la raison suivante : nous avons un problème spécifique qui est celui des liaisons avec les villes
moyennes ou les capitales régionales, avec des départs relativement tardifs des avions et un redécollage le lendemain matin de très bonne heure ; l'avion
dessert une ville de province en partant de Paris le soir, et le même équipage repart de bonne heure le lendemain matin. Si nous devions être plus strict sur
le temps de travail et le temps de repos, conformément à la réglementation européenne - c'est la question de la nuit courte -, nos compagnies seraient très
pénalisées et le coût des dessertes régionales augmenterait fortement - un second équipage serait nécessaire.
Bien entendu, la sécurité prime, et les temps de travail et de repos
doivent être compatibles avec une bonne sécurité. Mais je me permets de soulever ce point, qui nous place relativement à part en Europe, car nous sommes un
grand pays par sa superficie et les liaisons Paris/villes de province sont une spécificité française.
M. Gilles de ROBIEN : Mme la Présidente, mesdames et messieurs
les députés, nous sommes heureux de vous rencontrer aujourd'hui dans le cadre de l'importante mission qui vous a été confiée sur la sécurité du transport aérien.
Ce travail contribue à la transparence que nous recherchons dans les actions du ministère dans ce domaine. Je sais que vous avez analysé de nombreuses facettes
de ce sujet complexe, et je sais que vous avez auditionné de nombreux experts et acteurs essentiels du transport aérien. Vous comprendrez donc que nous attendons
avec beaucoup d'intérêt, avec Léon Bertrand et François Goulard, vos conclusions. Le travail colossal que vous menez devrait aider le gouvernement à dégager des
pistes de réflexion pour continuer à améliorer la sécurité de tous.
Le 03 janvier dernier, un avion de la compagnie égyptienne Flash
Airlines s'écrasait en mer au large de Charm el-Cheikh entraînant la mort des 148 passagers et membres d'équipage, parmi lesquels 135 de nos compatriotes.
Cet accident et la peine immense des familles restent très présents
dans nos mémoires. Sous le contrôle des autorités égyptiennes, et avec le plus grand professionnalisme, l'enquête technique se poursuit. Plusieurs hypothèses
ont pu être écartées mais la cause précise de cette tragédie n'est pas encore connue.
Cet accident a aussi soulevé beaucoup de questions sur la sécurité
de l'aviation civile commerciale.
Pour les experts de l'aviation civile, comme pour nous, décideurs
politiques, la sécurité reste une priorité absolue. Nous avons conscience qu'en matière de sécurité rien n'est définitivement acquis. Chaque nouvel accident
est un drame pour les victimes ou leur famille. C'est aussi un échec du système de sécurité qui nous rappelle l'obligation de consolider encore les acquis et
de progresser.
Comme vous le savez, j'ai, à la suite de cet accident, pris
immédiatement un certain nombre de décisions.
La première a été la création d'un groupe de travail sur le label et
la transparence dont l'objectif est de répondre à deux questions précises : la première question porte sur le sentiment des passagers qu'il existe de fortes
disparités dans la manière dont les Etats et les compagnies s'acquittent des règles de sécurité et de leurs contrôles. Les règles de la convention de Chicago,
les fameuses « normes et pratiques recommandées internationales en matière de sécurité », sont inégalement appliquées par les compagnies et inégalement
contrôlées par les Etats.
La seconde question, porte sur les moyens d'améliorer l'information
des passagers aériens français qui ont acheté leur billet à un voyagiste français, et qui empruntent des compagnies aériennes, parfois sans en connaître
l'identité. Je laisserai Léon Bertrand vous exposer la situation et les propositions qui sont faites dans ce domaine.
Ce groupe de travail, que nous avions décidé avec Léon Bertrand le 7
janvier 2004, associait les professionnels du voyage, les administrations du tourisme et de l'aviation civile ainsi que des représentants des usagers. Il a
tenu le délai de 5 mois que nous lui avions fixé, et il atteint ses objectifs, avec des propositions concrètes. Ce sont ces propositions que j'ai reprises dans
ma communication en conseil des ministres le 7 juin.
Concernant la première question, c'est à dire le volet sur la
sécurité et la qualité, j'avais demandé d'étudier la faisabilité d'un label. Un label qui permettrait, au-delà des dispositifs de contrôle prévus en Europe et
dans le monde par les Etats, de signaler les compagnies aériennes - régulières ou charters - qui offriraient les meilleures garanties en matière de
professionnalisme et de sécurité.