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CONCLUSIONS ET PRÉCONISATIONS

En conclusion, votre Rapporteur vous présente ci-après les principales propositions qu'il a dégagées des travaux de la mission.

Celles-ci, par leur nombre et par leur diversité soulignent toute la complexité du problème de la sécurité du transport aérien et toute la difficulté de la question que chacun se pose : quelles sont les sources de l'insécurité dans le transport aérien ?

Le présent rapport a permis de dégager un certain nombre d'explications, tout en démontrant à quel point le souci de sécurité est désormais intégré à toutes les étapes de la vie d'un avion. Ces différentes propositions contribueront à la réflexion qu'il faut mener sans relâche dans ce domaine pour que la sécurité - jamais définitivement acquise - demeure une priorité pour tous les acteurs du transport aérien.

Au-delà de ces propositions, le rapport a permis de dégager deux éléments clés du problème de la sécurité aérienne :

- la sécurité dans le transport aérien est avant tout fonction de l'espace juridique dans lequel les compagnies évoluent. A cet égard, si les espaces juridiques européen et nord-américain ont permis de déboucher sur des normes de sécurité très élevées, tel n'est pas le cas dans le reste du monde.

- par ailleurs, au sein même de chaque espace, y compris là où la réglementation est déjà développée, le degré de sécurité offert aux passagers est largement lié à l'existence ou non d'une culture de la sécurité chez tous les acteurs du transport aérien, parmi lesquels, au premier, chef les compagnies aériennes.

Les propositions qui suivent relèvent de plusieurs niveaux de responsabilité :

- international avec l'OACI,

- européen dans le cadre communautaire ou paneuropéen,

- et français avec la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), qui dépend du ministère des transports.

En complément de cette activité réglementaire, les autorités publiques doivent mettre en place des politiques et plans d'action spécifiques aptes à entraîner une dynamique de sécurité chez toutes les parties prenantes, constructeurs, compagnies aériennes, ateliers de maintenance, contrôle aérien, autorités de l'aviation civile, personnels.

A son niveau, le Parlement doit continuer à s'informer régulièrement sur l'évolution de la sécurité aérienne. Cette question fait l'objet d'une proposition.

Au niveau international (Organisation internationale de l'aviation civile) :

1. Veiller à une application effective des règles de l'OACI :

- en instaurant une plus grande transparence des rapports d'audits sommaires et des rapports complets de l'OACI relatifs à la supervision de la sécurité aérienne, l'OACI devant faire l'objet d'une augmentation de ses moyens afin d'être en mesure d'effectuer un suivi plus rapide de l'évolution de cette question ;

- en introduisant un mécanisme d'alerte à l'encontre de tout pays en situation de manquement grave ;

- en engageant une réflexion en vue de réviser la convention de Chicago, afin de permettre l'utilisation et le renforcement de dispositifs visant à assurer une application effective des règles de l'OACI. ;

2. Réviser les règles de l'OACI, afin de prendre en compte les phénomènes croissants de dilution de responsabilité en matière de sécurité, notamment dans l'hypothèse où une compagnie « virtuelle » ventilerait dans différents pays, au regard des coûts proposés, les opérations liées à l'enregistrement et à l'immatriculation de l'aéronef, à la maintenance et à la domiciliation de son personnel ;

3. Renforcer la coopération technique en faveur des pays qui présentent, en raison de l'insuffisance de leurs moyens, des carences en matière de sécurité aérienne et poursuivre la réflexion engagée en vue d'accroître les moyens financiers de l'OACI, afin de lui permettre d'amplifier son programme de coopération et d'assistance technique ;

4. Encourager les regroupements régionaux de supervision de la sécurité aérienne, afin de permettre la mise en commun des moyens consacrés à la sécurité, en particulier dans les pays en développement qui connaissent des difficultés de ressources, à l'instar de l'ASECNA (Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne) et de l'AAMAC (Autorités Africaines et Malgaches pour l'Aviation Civile) en Afrique ;

5. Introduire, au niveau de l'OACI, une réglementation relative :

- aux courtiers et grossistes en pièces détachées, qui ne font actuellement pas l'objet d'une procédure d'agrément au contraire des ateliers de maintenance, afin d'assurer une meilleure traçabilité des pièces détachées et de lutter contre le trafic de pièces non conformes, de contrefaçon ou d'occasion ;

- aux pièces copiées susceptibles d'être considérées comme essentielles pour la sécurité ;

6. Rejeter le projet étudié au niveau de l'OACI d'une licence de pilote multi-équipages (MPL227) pour les copilotes, dont l'obtention reposerait sur une réduction excessive et sensible du nombre d'heures réelles de vol ;

7. Anticiper l'obligation prévue au niveau de l'OACI, à compter du 1er janvier 2007, d'installer dans les aéronefs de plus de dix tonnes des enregistreurs de vol à accès rapide et introduire, en liaison avec les constructeurs, l'obligation d'installer dans le cockpit une troisième boite noire, inviolable, abritant une caméra vidéo pour filmer le tableau de bord et dont les enregistrements ne seraient analysés qu'en cas d'accident, à l'exclusion de toute autre utilisation par les exploitants.

En Europe :

8. Demander l'entrée en vigueur anticipée de la directive « SAFA » relative aux contrôles au sol des aéronefs des pays tiers empruntant les aéroports communautaires et renforcer les mesures de sécurité prévues à ce titre, en prévoyant l'application automatique sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne d'une mesure d'immobilisation prise par un Etat membre en application de cette directive ;

9. Conférer à l'AESA un pouvoir de surveillance des compagnies aériennes des pays tiers ayant des liaisons aériennes avec l'Europe, à l'instar de la « Part 129 » retenue dans la législation américaine ;

10. Instaurer une clause de sécurité dans les accords bilatéraux de droit de trafic que la Commission européenne négocie avec les pays tiers au nom des Etats membres ;

11. Donner pouvoir à l'AESA pour que l'Union européenne puisse auditer, de façon ciblée, les autorités de l'aviation civile des pays tiers qui soulèveraient des doutes sérieux s'agissant de la qualité de leur système de surveillance de la sécurité ;

12. Renforcer le plan d'action européen sur la sécurité des aéroports au-delà du seul aspect des incursions de piste et de manière à couvrir les petits aéroports ;

13. S'assurer que l'évolution des normes de l'OACI soit aussi neutre que possible en terme de concurrence entre les différents constructeurs d'avions et, à cette fin, veiller à une meilleure coordination des autorités et institutions européennes concernées ;

14. Renforcer, au sein de l'Union européenne, les contrôles sur les compétences réelles des pilotes, d'une part, en augmentant les effectifs des organismes de contrôles en vol des Etats membres chargés des contrôles inopinés et, d'autre part, en autorisant le contrôle de la qualification effective des pilotes effectuant un vol sur un aéronef immatriculé dans l'un des Etats membres ;

15. Etablir un bilan, pour chaque Etat membre, d'une part, du degré de transposition en droit interne des normes JAR FCL relatives aux qualifications et aux licences des personnels navigants et, d'autre part, du niveau réel de leur qualification ;

16. Délivrer au personnel navigant des Etats membres de l'Union européenne une formation spécifique consacrée à la gestion de sa fatigue et destinée à le responsabiliser quant aux risques encourus ;

17. Etablir et publier un bilan des législations des Etats membres de l'Union européenne relatives à la durée de vol et au temps de repos dans le transport aérien ;

18. Introduire une législation communautaire inspirée du « projet Simpson », afin d'établir une durée de vol plafond et un temps de repos plancher pour le personnel navigant, le dispositif proposé devant, préalablement à son adoption, faire l'objet d'une analyse de son impact juridique sur les réglementations en vigueur dans les Etats membres et de ses implications en termes de sécurité, notamment au regard de la fatigue du personnel navigant ;

19. En cas d'incident grave au sens de la directive 94/56 survenant dans un aéronef immatriculé dans l'un des Etats membres, reconnaître aux différentes autorités de l'aviation civile des Etats membres des pouvoirs d'enquête identiques, susceptibles de déboucher sur l'interdiction de la compagnie ou de l'aéronef en cause ;

20. Informer, automatiquement et dans les plus brefs délais, l'AESA de la survenance de tout incident grave au sens de la directive 94/56, ainsi que des mesures de sécurité adoptées, l'AESA étant chargée, d'une part, de répercuter ces informations auprès des autorités nationales de l'aviation civile des autres Etats membres et, d'autre part, en cas d'interdiction d'un aéronef ou d'un exploitant, de veiller à l'application de cette interdiction sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne ;

21. Etablir et publier, pour chaque Etat membre de l'Union européenne, un bilan des procédures de compte-rendu (compte-rendu) interne à l'exploitant et au constructeur et de compte-rendu externe à l'autorité de l'aviation civile des incidents survenant dans le transport aérien, ce bilan devant notamment analyser les procédures de compte-rendu des événements notifiés par les services de la circulation aérienne à Eurocontrol ;

22. Harmoniser, au plan communautaire, les seuils des paramètres des systèmes d'analyse automatique des données de vol, dont le franchissement constitue une anomalie et doit, à ce titre, faire l'objet d'un compte-rendu ;

23. Publier, dès 2006, un bilan, pour chaque Etat membre, de la mise en œuvre effective des nouvelles obligations introduites par la directive 2003/42 de compte-rendu aux autorités de l'aviation civile de tout événement ayant un impact sur la sécurité des vols ;

24. Restreindre l'accès à la base d'informations regroupant, en application de la directive 2003/42, tous les événements survenus dans le transport aérien et ayant un impact sur la sécurité des vols, aux seuls opérateurs désireux de procéder à des analyses statistiques de cette base de données en vue de définir des mesures de prévention et garantir le caractère anonyme des données accessibles, afin qu'elles conservent leur confidentialité ;

25. Favoriser le compte-rendu aux autorités de l'aviation civile des Etats membres des événements ayant un impact sur la sécurité des vols, en introduisant une protection contre toute sanction administrative et disciplinaire du notifiant qui rend compte spontanément et sans délai d'un événement relatif à la sécurité dans le transport aérien, sauf en cas de manquement délibéré ou répété aux règles de sécurité ;

En France :

26. Demander à la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) d'améliorer l'information des professionnels et du public sur la sécurité aérienne et, en particulier, de publier sur internet la liste des compagnies aériennes qui font l'objet de mesures de restriction ou d'interdiction à la suite de contrôles ;

27. Séparer fonctionnellement les activités de surveillance de la DGAC de celles liées à son rôle de régulateur, en augmentant les moyens affectés aux tâches de surveillance, au fur et à mesure du développement de l'activité réglementaire de l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA) ;

28. Mettre en œuvre, en France, le plus rapidement possible, une utilisation flexible de l'espace aérien, afin d'optimiser le partage du ciel entre civils et militaires ;

29. Augmenter les efforts consacrés à la recherche dans le domaine aéronautique, notamment pour la construction des aéronefs et pour le développement des équipements embarqués et au sol, en coordination avec le programme communautaire cadre de recherche et de développement, afin de soutenir les industriels dans leurs efforts d'amélioration de la sécurité ;

30. Renforcer dès 2005 la formation à l'anglais courant des pilotes au sein des écoles de formation et des compagnies aériennes, afin que ceux-ci - qu'il s'agisse de pilotes anciens ou nouveaux - soient en mesure de respecter le niveau 4 d'anglais fixé par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) ;

31. Entamer une réflexion sur les difficultés causées par l'usage insuffisant de l'anglais dans l'aviation civile française, imputables en particulier à la nécessité de traduire et d'utiliser, en français, les manuels d'exploitation des aéronefs et de recourir à cette langue pour les échanges radiophoniques entre pilotes et contrôleurs aériens ;

32. Effectuer, de manière aléatoire, des tests d'alcoolémie et anti-drogues sur le personnel navigant technique, le dépassement du seuil de 0,2 gramme d'alcool par litre de sang devant aboutir à un retrait de licence ;

33. Réviser l'article D422-11 du code de l'aviation civile, afin de réduire la durée de vol dans l'aviation d'affaires et étudier avec les constructeurs la possibilité de prévoir l'installation d'une couchette comme poste de repos du personnel navigant ;

34. Pour les vols longs courriers, d'une durée supérieure à 10 heures, généraliser, à l'avenir, en liaison avec les constructeurs, l'installation d'un poste de repos sous forme de couchette, qui devrait se située, pour des raisons de sûreté, dans l'espace du cockpit ;

35. Analyser la législation française relative aux temps de vol et aux périodes de repos du personnel navigant sur la base des concepts proposés dans le projet du député européen M. Brian Simpson (Royaume-Uni) pour définir une réglementation communautaire en la matière, afin d'étudier la possibilité de passer d'une législation nationale définie au regard d'un temps de vol maximum à une réglementation reposant sur un « temps de service de vol » maximum, cette notion permettant de tenir compte des périodes d'activités liées au pré-vol, susceptibles de varier en fonction des horaires de décollage prévus ;

36. Engager une réflexion visant à renforcer l'indépendance du Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA) et, à court terme, accroître de 20% ses effectifs afin de lui permettre de présenter, au terme d'un délai d'un an, les premiers résultats des enquêtes menées suite à un accident et d'analyser systématiquement les incidents les plus graves survenant dans le transport aérien dont il est saisi en application de la directive 94/56 et de l'arrêté du 4 avril 2003 ;

37. En cas d'incident grave, afin d'accélérer la mise en œuvre des mesures de sécurité requises, instaurer une procédure de saisie automatique de la DGAC par le BEA, ce dernier devant l'informer à cette occasion de sa décision d'ouvrir ou non une enquête sur l'incident en cause ;

38. Accroître la transparence des mesures prises suite à un accident ou à un incident grave, d'une part, en publiant systématiquement les résultats des enquêtes menées par le BEA, assortis des recommandations de sécurité préconisées, et, d'autre part, en informant l'opinion publique des mesures correctrices mises en œuvre par la DGAC, tout écart avec les recommandations de sécurité préconisées par le BEA devant être justifié ;

39. Accroître les moyens humains et techniques de la DGAC, afin de lui permettre, en application de la directive 2003/42, d'être en mesure de collecter toute information liée à un événement ayant un impact sur la sécurité des vols et de traiter l'information ainsi collectée, en vue de détecter les incidents précurseurs d'accidents, les travaux d'analyse de la DGAC devant faire l'objet d'une publication annuelle ;

40. Renforcer le suivi par le Parlement des questions touchant à la sécurité aérienne en organisant une conférence parlementaire annuelle réunissant les organes compétents des assemblées et les principaux responsables publics et industriels qui permettra, notamment, de faire le point sur le suivi par le gouvernement des propositions de la mission.

RÉSUMÉ DU RAPPORT

Ce rapport, fruit d'une mission d'information constituée en janvier 2004 sur la sécurité dans le transport aérien de voyageurs, dresse dans une première partie un bilan sur la sécurité du transport aérien. Dans un contexte de grande vitalité du trafic aérien - 1,7 milliard de passagers en 2003 -, le nombre de catastrophes aériennes reste relativement faible comparé à la croissance du trafic, 58 accidents ayant occasionné la mort de 621 personnes en 2003.

En effet, le transport aérien connaît une croissance dès les années 60 dont le rythme est supérieur à celui de l'économie mondiale. De 1990 à 2003, le trafic a augmenté en moyenne de 2,7% par an en nombre de passagers et de 2,8% par an en nombre de vols. Il convient de souligner que cette croissance est nettement plus marquée au sein de l'Union européenne qu'aux Etats-Unis. Le nombre de passagers a ainsi augmenté en moyenne de 5,5% par an au sein de l'Union européenne, contre 1,8% aux Etats-Unis. En 2003, ce marché porteur a transporté 1,7 milliard de passagers dans le monde, dont près de 100 millions de passagers sur des compagnies françaises. Cette croissance du trafic aérien devrait se poursuivre : 2,5 milliards de passagers sont attendus pour 2015.

Ce mode de transport apparaît de plus en plus sûr au vu des statistiques, même si des catastrophes, dramatiques en termes de pertes humaines, surviennent régulièrement. On a constaté une nette amélioration de la sécurité sur les vols réguliers mais des zones d'ombre subsistent, avec les vols charters et l'identification de zones géographiques plus dangereuses que d'autres.

Comment expliquer cette situation ?

Il ressort des travaux de la mission que le système institutionnel et règlementaire établissant le cadre de l'aviation civile est insuffisamment adapté à la mondialisation et à la croissance du trafic aérien. L'OACI (Organisation internationale de l'aviation civile) est une organisation dont les pouvoirs restent insuffisants. Elle n'établit que des normes « a minima » qui n'ont pas de valeur contraignante et qui doivent être retranscrites dans les différents pays. Leur mise en œuvre est très inégale selon les régions du monde : si l'Europe et l'Amérique du Nord appliquent bien les normes, voire les dépassent, il n'en est pas de même en Asie, en Amérique latine et surtout en Afrique.

L'OACI a lancé un programme d'audit des autorités de l'aviation civile dont il ressort que 30 des 111 pays audités ne respectent pas suffisamment ces normes pour assurer un niveau suffisant de contrôle de la sécurité des avions et des compagnies aériennes immatriculées chez eux. Certains pays n'ont pas les ressources ou la volonté politique pour assurer un tel niveau de sécurité. Les compagnies aériennes sont alors tentées d'utiliser la division internationale du travail pour effectuer, là où les coûts et les contrôles sont moindres, le rattachement des personnels navigants ou les opérations de maintenance. On peut ainsi craindre l'apparition de « compagnies virtuelles » et de « pavillons de complaisance » si l'OACI n'y prête pas rapidement attention.

L'Europe, pour sa part, a très tôt lancé un processus d'harmonisation de la réglementation en matière de sécurité, mais ce processus est encore à parfaire. Cette harmonisation est largement entamée au niveau paneuropéen, avec la Conférence européenne de l'aviation civile (CEAC), les Autorités conjointes de l'aviation (JAA - Joint aviation authorities) et Eurocontrol, une quarantaine de pays ayant accepté des règles communes non contraignantes dans de multiples domaines. La CEAC a, en particulier, adopté en 1996 le programme SAFA (Safety assessment of foreign aircrafts) d'inspection des avions des pays étrangers, pour tenter de pallier l'insuffisance des contrôles dans certains pays. Mais ces contrôles au sol réalisés en une demi-heure environ se limitent à un contrôle visuel des avions ou des documents embarqués et ne peuvent se substituer à une surveillance technique continue.

Par ailleurs, cette harmonisation n'a pas empêché la persistance de faiblesses chez certains pays européens. On peut citer, à titre d'exemple, la Grèce
- à quelques semaines des Jeux Olympiques -, le Portugal, Chypre et la Hongrie, voire l'ancienne république de Macédoine. Les 10 nouveaux Etats membres de l'Union européenne ont procédé à un rattrapage accéléré de leur niveau de contrôle, mais font encore l'objet d'une surveillance particulière pour combler leur retard. Ainsi les avions de l'ancien bloc soviétique sont toujours en cours de certification.

Ce processus d'harmonisation devrait être traduit dans l'ordre juridique communautaire avec l'entrée en fonction depuis septembre 2003 de l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA). La création de l'AESA constitue une avancée majeure, même si une réglementation communautaire de la sécurité aérienne a, depuis l'origine, accompagné la libéralisation du transport aérien lancée en 1987. En avril 2004, l'Union européenne a repris le programme SAFA de contrôle des avions des pays tiers en l'améliorant et en le rendant obligatoire. Dans chaque Etat membre, les autorités de l'aviation civile sont chargées de mettre en œuvre les réglementations européennes. Cette compétence revient, en France, à la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). Le rapport se prononce pour une augmentation des moyens de la DGAC affectés à la surveillance, avec une séparation fonctionnelle entre ses activités de régulation et de contrôle.

Dans une deuxième partie, le rapport se prononce pour un relèvement du référentiel des normes à l'origine des contrôles. Le niveau de fiabilité technique est certes élevé, mais doit être constamment maintenu. Ce niveau de sécurité est en effet élevé dans la construction des aéronefs, mais l'exploitation et la maintenance sont de qualité très inégale selon les compagnies aériennes et selon les pays. La mission d'information a en particulier noté le problème des pièces détachées dont la traçabilité n'est pas établie et qui font l'objet de copies ou de trafics illicites (contrefaçon, pièces d'occasion recyclées...).

Le trafic aérien européen doit faire face a un doublement prévisible au cours des 20 prochaines années, ce qui constitue un défi majeur pour les organismes en charge du contrôle. Le risque majeur d'accidents se situe dans la gestion des aéroports, qui seront par ailleurs confrontés à des contraintes plus lourdes de respect de l'environnement. Le progrès technique apporte constamment de nouveaux équipements permettant d'éviter les collisions et les règlements communautaires « ciel unique » mis en oeuvre cette année devraient permettre une gestion commune et une utilisation flexible de l'espace en fonction des utilisations civile et militaire. Mais Eurocontrol constate une application très inégale des normes européennes, sans accepter de divulguer les pays mis en cause.

La sécurité doit faire l'objet d'un effort continu, notamment par des plans d'action des autorités publiques (« JSSI » en Europe et « CAST » aux Etats-Unis) et un soutien à la recherche aéronautique.

L'amélioration des normes à caractère social est également un impératif pour améliorer la sécurité dans le transport aérien. Leur insuffisance porte en germe des risques pour la compétence du personnel navigant. Si la formation est de qualité en France, eu égard aux standards des JAA, des difficultés de fond subsistent, ainsi que des sources d'inquiétude, notamment un risque de dégradation de la qualification des pilotes au niveau des normes OACI. L'élargissement de l'Union européenne soulève la question de la qualification des pilotes des pays de l'Est. Un sujet reste, par ailleurs, tabou : le recours à l'alcool et aux substances illicites. Malgré une interdiction théorique, des comportements déviants peuvent exister, qui appellent l'introduction de contrôles aléatoires. Enfin, la durée de vol ne fait l'objet d'aucune réglementation au sein de l'Union européenne. La législation française apparaît comme favorable au personnel navigant, même si elle n'est pas exempte de critique. L'Europe du transport aérien reste donc à construire pour éviter que la durée de vol ne soit une source de remise en cause - au travers de la fatigue - des compétences du personnel navigant et une source de dumping social au sein de l'Union européenne. Le projet du député européen Brian Simpson (Royaume-Uni) représente, à cet égard, une avancée intéressante, mais encore inacceptable en l'état.

Dans une troisième partie, le rapport se prononce pour un renforcement des contrôles et pour plus de prévention. Les contrôles doivent être renforcés, afin que tous les pays assurent un niveau satisfaisant de sécurité sur leur territoire. L'Union européenne doit, quant à elle, assumer son rôle, avec la montée en puissance de l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA), qui va bientôt étendre ses compétences à l'exploitation des compagnies aériennes et aux licences des pilotes ; à terme elle supervisera également la gestion du trafic aérien. Mais surtout, l'Union européenne doit établir un contrôle renforcé sur les avions et compagnies aériennes des pays tiers. A l'instar des Etats-Unis, elle doit renforcer sa réglementation pour établir une procédure de surveillance permanente des compagnies aériennes des pays tiers, en s'inspirant de la « Part 129 » du code fédéral américain. Son rôle pourrait aller jusqu'à contrôler de façon ciblée les autorités de l'aviation civile de certains pays dont les compagnies ont des liaisons avec l'Union européenne et pour lesquels existerait un doute sérieux en matière de sécurité. En cas de manquement avéré de sécurité, l'Europe devrait réduire ou supprimer les droits de trafic accordés à ces pays déficients dans le cadre des accords bilatéraux qui sont en train d'être renégociés par la Commission européenne pour le compte des Etats membres.

Dans ce contexte, la labellisation des compagnies aériennes des pays tiers récemment proposée par le Gouvernement français répond au double objectif d'améliorer la sécurité des vols et de renforcer l'information des passagers. Il représente donc une plus value indéniable en termes de transparence, mais son apport reste incertain en terme de sécurité, du fait des difficultés qui ne manqueront pas de se poser lors de sa mise en application, notamment dans l'hypothèse où un accident surviendrait au sein d'une compagnie « labellisée ».

Au niveau mondial, l'OACI doit affirmer sa fonction de supervision globale de la sécurité aérienne par un renforcement permanent des normes internationales. Mais surtout, ces normes devraient être mieux mises en œuvre dans les différents pays. Les rapports d'audit sur la sécurité effectués par l'OACI devraient faire l'objet d'une plus grande transparence et cette organisation devrait réfléchir à la mise en place d'un mécanisme d'alerte permettant de renforcer ses procédures afin d'assurer une application effective de ses normes.

Parallèlement, l'OACI doit renforcer la coopération et l'assistance qu'elle accorde aux pays qui souffrent d'une insuffisance de moyens pour assurer un niveau satisfaisant de sécurité. Une piste prometteuse passe par la coopération régionale, plusieurs pays mettant en commun leurs ressources techniques et de contrôle. Ainsi l'ASECNA (Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar), regroupe 16 pays de l'Afrique francophone. Les efforts de coopération de l'OACI doivent être relayés aux niveaux communautaire et français, même en tenant compte des contraintes qui pèsent en ce moment sur les finances publiques.

Le renforcement des contrôles des compagnies aériennes ne saurait cependant suffire à améliorer la sécurité dans le transport aérien. Compte tenu du taux d'accident observé en 2003 - de 0,03 sur les vols réguliers -, seule une politique « proactive » de prévention peut permettre de réduire ce taux à l'avenir. Pour cela, il convient d'instituer une politique de retour d'expérience efficace et de développer une véritable « culture de la sécurité » dans le transport aérien.

Les accidents et les incidents graves constituent la partie émergée des sources d'insécurité dans le transport aérien. Il convient donc d'analyser systématiquement les accidents et les incidents les plus graves pour prévenir de nouvelles catastrophes et ce, dans des délais les plus brefs possibles. Cet objectif nécessite d'accroître les moyens du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) et de renforcer le rôle de la DGAC, en coordination avec ses homologues communautaires. Le rapport est notamment favorable à l'introduction d'une troisième boite noire, inviolable, abritant une caméra vidéo pour filmer le tableau de bord et dont les enregistrements ne seraient analysés qu'en cas d'accident.

La partie immergée de l'iceberg est constituée des incidents mineurs encore trop peu connus. Or, le reporting de ces multiples événements se heurte encore à des obstacles de nature culturelle, économique et technique, malgré une réglementation poussée et des expériences exemplaires notamment au sein d'Airbus et d'Air France. Les obligations de reporting devront donc être étendues, afin d'instaurer une véritable culture en la matière. La directive communautaire 2003/42, en introduisant une obligation de reporting systématique et exhaustif des événements liés à la sécurité dans le transport aérien, constitue, à cet égard, une avancée indéniable. Encore faut-il qu'elle soit mise en oeuvre.

En conclusion, le rapport présente 40 propositions permettant d'améliorer la sécurité du transport aérien à tous les niveaux de décision, international, européen et français.

EXAMEN DU RAPPORT

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La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 7 juillet 2003 et l'a adopté à l'unanimité.

Elle a ensuite autorisé sa publication conformément à l'article 145 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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EXPLICATIONS DE VOTE ET CONTRIBUTIONS

CONTRIBUTION DE M. MICHEL HERBILLON, VICE-PRÉSIDENT DE LA MISSION D'INFORMATION SUR LA SÉCURITÉ DU TRANSPORT AÉRIEN DE VOYAGEURS,
AU NOM DES MEMBRES DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE UMP

La vive émotion causée, en France, par le tragique accident de Charm el-Cheikh, les nombreuses interrogations suscitées par ce crash aérien ainsi que le sentiment d'insécurité qui s'est installé chez les passagers ont rendu nécessaire la création d'une mission d'information parlementaire sur la sécurité du transport aérien de voyageurs.

Les membres de la mission se sont attachés à répondre à ces inquiétudes, à faire le point complet sur la réglementation et la législation en vigueur ainsi que son application et à proposer des pistes de réforme tant au niveau national, qu'européen et international afin de rétablir la confiance dans un mode de transport, globalement fiable, qui va s'accroître fortement dans les prochaines années.

Cette mission a effectué un travail approfondi, particulièrement riche, analysant l'ensemble des problèmes posés par la sécurité du transport aérien et nos travaux se sont déroulés dans un climat consensuel qu'il convient de souligner.

Les 40 propositions formulées par la mission d'information, dont 15 concernent la France, visent à assurer un haut niveau de sécurité du transport aérien de voyageurs, à rendre plus efficace l'application de la réglementation tant nationale, qu'européenne et internationale, à répondre à l'exigence de transparence et à améliorer l'information des professionnels et du public.

Le renforcement nécessaire d'une véritable « culture de la sécurité » contribuera au développement de l'économie touristique générée par l'activité des compagnies aériennes, des vols charters et des compagnies aériennes à bas prix (low cost) dans la mesure où l'opacité qui prévalait jusqu'à présent n'est plus de mise.

Le maintien d'un haut niveau de qualification des personnels, le respect des conditions de travail, particulièrement celles relatives aux heures de vol, le contrôle soutenu de la qualité de la maintenance et de l'entretien des aéronefs, le développement du compte-rendu (reporting) au sein des différentes compagnies ou l'effort en matière de recherche aéronautique répondent à ces objectifs.

A ce titre, nous nous félicitons des mesures qui ont été proposées par le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, Gilles de Robien, lors d'une communication au Conseil des Ministres, le 9 juin 2004, pour « l'amélioration des standards de sécurité du transport aérien des passagers et de l'information des passagers ».

Les dispositions, telles que la mise en place d'un label de qualité permettant d'identifier les compagnies aériennes qui offrent les meilleures garanties en matière de sécurité, ainsi que l'obligation d'information donnée aux clients par les voyagistes sur le nom et l'origine des compagnies les transportant s'inscrivent dans la démarche qui a été celle de la mission d'information.

Les actions en faveur de la sécurité du transport aérien de voyageurs ne pourront être menées à bien que si, dans le même temps, la réglementation au niveau européen et international se renforce.

En ce sens, la directive européenne obligeant tous les Etats membres de l'Union à systématiser les comptes rendus d'incidents sera applicable à compter de 2005. Cette obligation est une bonne chose car le « retour d'expérience » sur les incidents est un élément important d'information et de prévention. Il repose sur l'exploitation systématique des incidents survenus lors des vols et la mise en place de mesures correctrices qui permettront d'éviter des accidents plus graves.

Les propositions de la mission sur l'accentuation des contrôles en Europe des aéronefs de pays tiers, sur l'harmonisation des législations relatives au temps de travail des personnels navigants, sur la qualification et les licences, sur la circulation de l'information des incidents survenus sur le sol européen nous paraissent nécessaires et adaptées à l'évolution du trafic aérien.

Il en va, de même, au niveau international pour les recommandations de notre mission parlementaire portant sur l'application effective des normes de sécurité internationales, sur le renforcement des règles définies par l'organisation internationale de l'aviation civile (OACI) ou la publication des audits sur les pays et les compagnies qui ne respectent pas suffisamment les normes de sécurité.

Notre mobilisation pour la sécurité du transport aérien de voyageur ne doit cependant pas s'arrêter avec les conclusions de la mission d'information.

Le Parlement doit pouvoir régulièrement faire le point sur le suivi par le gouvernement des préconisations qu'elle vient de formuler. L'instauration d'une conférence parlementaire annuelle dans le domaine de la sécurité aérienne nous paraît, à ce titre, appropriée.

EXPLICATION DE VOTE DES MEMBRES DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE

Les membres socialistes de la mission d'information sur la sécurité du transport aérien de voyageurs soulignent l'intérêt du rapport, présenté le 7 juillet 2004, après plusieurs mois de travail, consacré aux auditions et aux analyses des différents partenaires intervenant dans le trafic aérien.

La mission d'information, présidée par notre collègue Odile Saugues, a travaillé dans un climat de coopération, animé par la volonté de présenter de nombreuses propositions concrètes et précises de nature à renforcer la sécurité aérienne.

Le groupe socialiste s'associe globalement à l'analyse très approfondie développée dans ce rapport et fait siennes l'ensemble des préconisations recommandées en conclusion du rapport.

Le groupe socialiste appelle cependant la vigilance des pouvoirs publics et du Parlement sur quelques points particuliers :

- Compte tenu de l'importance des facteurs humains, présentés dans ce rapport comme étant la principale cause accidentogène dans les catastrophes inventoriées, il convient d'être particulièrement vigilant quant à la législation et la réglementation tant nationales qu'européennes applicables aux conditions de travail des différentes catégories de personnel jouant un rôle essentiel en matière de sécurité aérienne : temps de travail, temps de vol, temps de repos et de récupération nécessaires.

- Le groupe socialiste souligne encore les risques de libéralisation excessive et de dérégulation des compagnies aériennes. Il convient d'empêcher toute dérive vers un quelconque système de « pavillons de complaisance ». La préoccupation de certaines compagnies ou de certaines sociétés de voyagistes de pratiquer des prix toujours plus bas risque de déboucher sur des carences graves en matière de sécurité : législation du travail, maintenance moins rigoureuse, utilisation de pièces de rechange de provenance douteuse... .

- Le groupe socialiste émet enfin les réserves les plus grandes quant à la proposition gouvernementale d'accorder certains labels de sécurité à des compagnies aériennes. Notre groupe recommande une démarche similaire à la pratique utilisée par la FAA (USA) établissant des listes de pays dont les systèmes de contrôle paraissent manquer de rigueur.

Compte tenu de ces remarques, le groupe socialiste a voté ce rapport.

CONTRIBUTION DES MEMBRES DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE UDF

Le groupe UDF partage, globalement, l'analyse faite par la mission d'information mais regrette que le coût de certaines propositions au regard de leur efficacité ne soit pas évalué, alors même que le coût de la sécurité et de la sûreté s'est considérablement accru et que le niveau de sécurité est beaucoup plus élevé en matière aérienne que dans les autres moyens de transport.

Par ailleurs, le Groupe UDF s'interroge sur l'intérêt de la proposition 28 visant à rendre plus flexible l'utilisation des espaces aériens, civils et militaires, au regard de la sécurité du transport aérien : si une meilleure coordination est nécessaire, il convient d'être prudent quant à une utilisation plus flexible des deux espaces aériens.

Enfin, le groupe UDF partage la nécessité d'accentuer l'européanisation de la réglementation en la matière.

CONTRIBUTION DES MEMBRES DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE COMMUNISTES ET RÉPUBLICAINS

LA SECURITE DES PASSAGERS EST-ELLE SOLUBLE DANS LE MARCHE LIBERAL ?

- Les prérogatives de la Mission d'information

Malgré le nombre de personnes auditionnées par la mission, le recours à la procédure de la « mission d'information » plutôt qu'à celle de la « commission d'enquête » n'a pas toujours permis de dépasser le niveau des discours entendus au cours desquels chacun tente de démontrer que la sécurité est la première de ses préoccupations.

Le rapport de notre mission sera très probablement une source intéressante d'information grâce à la diversité des interventions. Néanmoins l'absence de contrainte juridique n'a peut-être pas toujours favorisé la manifestation de vérités plus dures et crues que les déclarations d'intentions

- Le transport aérien et l'évaluation du risque

Les opérateurs de transports aériens affichent des ratios de risque laissant supposer que ce mode de transport est le plus sûr mais le choix du mode de calcul leur est très favorable puisqu'il intègre en dénominateur le nombre de kilomètres parcourus. La comparaison des risques entre mode de transport est un exercice délicat et il n'est pas judicieux de choisir des modes de calcul faussant la représentation que nos concitoyens peuvent avoir des risques qu'ils encourent.

Les projections de croissance du trafic prévoient un doublement au cours des 20 prochaines années malgré le goulot d'étranglement représenté par la capacité d'absorption des aéroports. Depuis 20 ans le ratio du nombre d'accidents par rapport au nombre de vols est resté stable. Allons-nous donc accepter de voir les catastrophes aériennes et les morts se multiplier au cours des prochaines années ?

I - La sécurité est consubstantielle à la prestation de transport

L'analyse libérale classique considère le transport comme l'activité économique consistant à amener une chose ou une personne d'un point à un autre contre le paiement d'un prix qui doit être supérieur aux coûts. En période de guerre des prix et dans cette perspective libérale, toute contrainte matérielle ou réglementaire est analysée comme un coût. La sécurité représente un coût et fait à ce titre l'objet d'une optimisation.

A cette définition nous proposons d'apporter une précision qui semble frappée au sceau du bon sens mais qui ne paraît pas être aujourd'hui encore en vigueur. S'il est vrai que le premier élément de définition de la prestation de transport est d'amener une chose ou une personne d'un point à un autre, il est sous entendu que la chose doit arriver dans le même état et que la personne doit survivre au transport. La sécurité des personnes et la non altération des qualités de la chose transportée sont donc consubstantielles à la prestation de transport. La sécurité doit être considérée de manière radicalement différente par rapport à d'autres qualités ajoutées à la prestation de transport. Il en est ainsi par exemple de la vitesse, du confort qui peuvent être améliorés ou dégradés, sans pour autant remettre en cause la nature de la prestation. En d'autres termes, il ne saurait être une activité économique de transport si cette sécurité n'est pas assurée.

Ces éléments de démonstration en terme conceptuel se révèlent également pertinents en matière économique. L'augmentation des accidents et catastrophes aériennes amplifiant la perception du danger affecterait très sérieusement l'ensemble de l'activité économique du transport aérien de passagers. Les compagnies occidentales ont elles-mêmes pris conscience que le secteur aérien ne pourra continuer de se développer au même rythme que si la confiance des clients en leur sécurité est assurée.

Sécurité optimale totale ou maximale ?

Notre définition ne tend pas pour autant à imposer le risque zéro. Le risque zéro n'existe pas ; toute activité humaine (ou inactivité) génère un risque plus ou moins direct. La sécurité totale n'existe donc pas mais devons-nous nous résigner à une sécurité optimale en fonction des coûts qu'elle suppose ? Non, nous ne le pensons pas ; les passagers ont droit à une sécurité maximale.

L'acceptation d'une sécurité optimale équivaudrait à se satisfaire d'une perception mercantile qui choisit le meilleur ratio entre le coût et le niveau de sécurité obtenu. L'exigence d'une sécurité maximale équivaut à n'accepter comme facteur de risque que l'imprévisible, l'inévitable, la force majeure.

La sécurité des passagers et des équipages est-elle aujourd'hui correctement assurée face aux pressions économiques du marché ?

II - La pression du marché

La guerre des prix fait rage entre les compagnies régulières, les compagnies charter et les compagnies low cost afin d'acquérir des parts de marché et surtout d'augmenter les taux de remplissage et d'utilisation des appareils qui conditionnent le résultat de l'entreprise.

Le client semble de prime abord bénéficier de ce climat que les libéraux affectionnent : la concurrence exacerbée. Mais ce n'est qu'une illusion car d'une part la concurrence se restreint avec la multiplication des faillites et concentrations et d'autre part, cette guerre favorise des choix incompatibles avec la sécurité. Certains prix sont tellement proches du coût d'exploitation qu'ils poussent les opérateurs à réduire ou optimiser tout ce qui leur apparaît comme un coût, dont la sécurité.

a) Contraintes économiques pesant sur les personnels

L'étude des incidents graves et accidents révèle que 63 % des cas proviennent directement ou indirectement d'erreurs humaines. Bien que ce pourcentage puisse être soumis à discussion au regard des intérêts industriels en jeu qui tendent à favoriser la responsabilité humaine, ce chiffre révèle l'attention que doivent porter les compagnies à la formation initiale, à l'évaluation continue et à l'état de fatigue et de stress des personnels navigants.

La recherche d'une productivité accrue peut amener certaines compagnies à exploiter au maximum de leur potentiel les personnels. Cette utilisation maximale des personnels est source de fatigue et de stress qui sont les deux facteurs majeurs favorisant les erreurs d'appréciation ou de réaction.

Un équipage fatigué ou stressé réagira moins bien et moins vite à une situation d'urgence.

La pression économique conjuguée à la faiblesse des contrôles conduit certaines compagnies à s'affranchir des impératifs de sécurité. Les personnels navigants sont parfois exploités jusqu'à des états de grande fatigue. Ces infractions à la réglementation aérienne ne sont, à notre connaissance, que le fait d'une minorité de compagnies mais leur comportement nuit à la sécurité de tous et à l'image de l'ensemble du secteur aérien. Le dépassement régulier des quotas d'heures autorisés par la réglementation permet d'éviter le recrutement de personnel et donc de réduire les coûts d'exploitation. L'hétérogénéité des législations favorise la création de pavillons de complaisance et le dumping social. Nous savons pourtant que l'essentiel des progrès en matière de sécurité portera sur l'amélioration de l'intégration des facteurs humains. Mais aux dires même de la DGAC les nombreuses tentatives d'harmonisation sociale ont toutes échoué face à la pression économique ; il est donc impérieux de faire enfin preuve de volontarisme politique pour sauvegarder la sécurité des passagers et l'avenir de ce secteur économique.

b) Contraintes économiques pesant sur les appareils

La réglementation aéronautique internationale est assez draconienne quant au respect des conditions de navigabilité des appareils mais la faiblesse des contrôles et l'attribution, à l'étranger, de certifications dans des conditions parfois discutables rendent l'application des règles très inégales.

Par ailleurs l'importance du marché que représentent les visites régulières des appareils a favorisé l'émergence de prestataires de qualités très inégales. Les disparités proviennent de la qualité de la main-d'œuvre mais aussi de la qualité des pièces utilisées dont certaines sont usagées et d'autres non certifiées.

Le commandant de bord reste responsable de la sécurité du vol et seul juge en dernier ressort. Il peut donc décider de ne pas voler si l'avion ne répond pas aux conditions de sécurité. Néanmoins le coût de l'immobilisation d'un appareil, et donc la pression économique exercée par certains employeurs, rendent ce droit, ou plutôt ce devoir, très théorique. Un avion ne décolle que très rarement avec l'ensemble des systèmes en état de fonctionnement car ils ne sont pas tous indispensables à la sécurité du vol. Néanmoins, la multiplication de ces tolérances peut, dépassé un certain seuil, faire partie d'une chaîne de causalité conduisant à l incident.

c) Contraintes économiques pesant sur les services de circulation aérienne

Aujourd'hui encore la sécurité reste la première des préoccupations du contrôle aérien français. Le caractère public de l'organisme de contrôle (qui en est l'une des garanties) permet de s'affranchir de la pression économique.

Cependant, le plus dangereux est à venir avec l'approfondissement des projets européens de séparation entre régulateur et prestataires que les gouvernements libéralistes ne manqueront pas d'interpréter comme un appel à la privatisation. Le projet de « ciel unique » européen n'améliore pas les règles de circulation aérienne, il ne fait qu'instaurer un mode de gestion du contrôle aérien fondé sur des critères économiques.

Cette libéralisation, même soumise à un cahier des charges draconien, impliquera irrémédiablement la recherche de réductions de coûts et l'utilisation maximale des personnels. La nécessité pour ce futur prestataire privé de réaliser des bénéfices le conduira à faire des choix qui seront parfois éloignés de la recherche d'un objectif de sécurité maximale. Pour Eurocontrol tout problème trouvera sa solution dans le renforcement de ses prérogatives et l'intégration de l'espace aérien au-delà des frontières des Etats. Mais ce modèle européen libéral a déjà fait la preuve de ses défaillances, notamment en Suisse où les incidents et accidents se sont multipliés avec Skyguide, organisme privé chargé du contrôle aérien. Eurocontrol ne défend pas une sécurité maximale mais un « niveau de sécurité adéquat », sans définir ce qui est adéquat.

Ces dangers liés à la privatisation du contrôle aérien seront amplifiés par le choix du mode de rétribution du prestataire et l'augmentation concomitante du trafic aérien. La saturation des espaces aériens et de certains aéroports ne conduira-t-elle pas le prestataire privé à réduire les espacements entre appareils afin d'absorber un flux plus important ?

Cette double recherche d'optimisation de la gestion et de l'espace aérien serait un facteur déterminant d'augmentation des risques et d'insécurité.

III - Mesures préconisées

Les députés du groupe communiste et républicains ne peuvent se satisfaire des mesurettes annoncées par le ministre des transports, début juin. Ces annonces ont pour objectif de berner les clients potentiels afin de leur faire croire que les enseignements des catastrophes aériennes ont été tirés et qu'ils peuvent maintenant voyager en toute sécurité car le gouvernement veille. C'est une illusion car le label de sécurité du gouvernement ne présente aucun caractère contraignant et coercitif ; une compagnie aérienne pourra continuer d'exploiter des vols sur le territoire national même si elle n'a pas obtenu le label de sécurité. Face à la pression économique, la seule méthode pour obtenir une amélioration de la sécurité est la contrainte ; la création d'une « liste bleue » ne modifiera pas substantiellement les comportements. La sécurité des passagers est trop importante pour accepter de s'en remettre à la bonne volonté des compagnies, elles-mêmes soumises au marché.

A la pression du marché, seule peut répondre la pression de la réglementation ; nous proposons donc une série non exhaustive de pistes à explorer qui utilisent la contrainte, l'incitation et l'aide.

Contraintes accrues sur les compagnies aériennes afin d'une part qu'elles augmentent les standards de sécurité et d'équipements des aéronefs. Ce renforcement passe par l'intégration de nouveaux équipements obligatoires tels les alertes anti-collision (TCAS). Les sociétés chargées des révisions périodiques doivent aussi être soumises à un examen approfondi avant toute certification.

L'amélioration de la sécurité des aéronefs est indispensable mais il en est également de même pour les hommes qui sont aux commandes. Les équipages doivent être correctement formés et surtout préservés des cadences de travail qui nuisent à la sécurité. Nous pourrions instaurer pour tous les aéronefs transitant par notre territoire des standards améliorés. Mais l'un des obstacles à l'application d'une réglementation plus rigoureuse demeure le principe selon lequel la législation applicable est celle de l'immatriculation de l'aéronef.

Le présent rapport effectue quelques recommandations mais ne propose pas de solutions suffisamment audacieuses, notamment en matière d'harmonisation sociale. Nous proposons que le principe du pavillon soit remis en question pour les mesures de sécurité et plus particulièrement celles touchant aux facteurs humains comme les temps de vol et de repos. La législation applicable serait en ces matières celle du territoire, comme c'est le cas dans le droit commun. Les compagnies auraient la charge de s'assurer que leurs équipages respectent bien le droit des pays dans lesquels ils se rendent et plus particulièrement le droit français.

A ce titre nous pourrions renforcer particulièrement les règles applicables au temps de vol élargissant cette notion au temps de service de vol (intègrant le temps de pré-vol) qui reflète mieux la charge réelle de travail et la fatigue de l'équipage ; sachant que le maximum quotidien ne saurait être supérieur à 10 heures, voire 8 heures comme aux Etats-Unis.

Les sanctions envisageables en cas d'infraction aux règles de sécurité seraient l'interdiction de l'espace aérien français à toute compagnie refusant de s'y soumettre. Il serait préférable que le champ d'application de ces sanctions soit européen pour éviter le dumping, notamment le dumping social intra-communautaire mais nous pouvons, dès aujourd'hui, prendre l'initiative d'une sécurité renforcée. Il est possible que ce contrôle renforcé et ces sanctions froissent quelques accords bilatéraux, néanmoins nous ne pouvons nous satisfaire de l'inaction quand la vie des passagers est en jeu.

L'amélioration des standards de sécurité est indispensable mais il a son corollaire : assurer l'application et l'efficacité des règles par un meilleur contrôle. Il est donc nécessaire de procéder aux recrutements d'inspecteurs chargés de contrôler et de faire respecter la réglementation.

Conscients du caractère élevé de ces standards de sécurité et de la difficulté d'y parvenir pour certaines compagnies de pays moins riches, il nous semble opportun de renforcer l'aide technique dans le cadre de l'OACI mais aussi de créer un fonds (alimenté par toutes les compagnies) ayant pour objet d'inciter et d'aider ces transporteurs aériens à se hisser vers nos standards de sécurité.

Si nous ne menons pas cette politique internationale l'hétérogénéité des conditions de sécurité s'accroîtra et toute personne pourra, à l'étranger, se retrouver dans des conditions périlleuses. Dès lors que les hommes voyagent, l'insécurité n'a plus de frontières.

CONTRIBUTION DE M. FRÉDÉRIC SOULIER, MEMBRE DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE UMP

Face aux catastrophes comme celle de Charm el Cheikh, notre mission nous a amenés, après un état des lieux sur la maintenance, le contrôle, la sécurité des avions et du trafic aérien, à faire des préconisations pour plus de contrôles et plus de prévention.

Je partage le contenu de ce rapport sur l'analyse du contexte et sur les 40 propositions formulées qui permettront de conforter le voyageur dans un marché qui tend à fortement progresser.

Au fond, la question qui se pose est de savoir si les prix bas ou abusivement bas ont une incidence sur la sécurité.

Le lien est très délicat et très risqué. Mais nous le savons bien, l'attrait des prix bas explique l'utilisation des compagnies étrangères. Les tours opérateurs français utilisent à hauteur de 70 % de leur achat de sièges, des charters extra européens.

Face au système de transport aérien mondial qui repose sur la confiance mutuelle entre Etat, nous avons appris que l'OACI n'édicte que des recommandations. Il appartient à chacun de ses 188 membres de les appliquer. Si 30 pays sur les 188 ne remplissent pas, de manière satisfaisante, les conditions de sécurité aérienne, il faut obtenir que les audits sur ces pays et sur les compagnies aériennes soient publiés et connus.

Le renforcement des contrôles des aéronefs de tous les pays est nécessaire, plus pour certains que d'autres.

Aujourd'hui encore trop de « dangers volants » circulent grâce à des pratiques conciliantes maquillant anomalies et pièces détachées non conformes, gênant les contrôles lorsque l'avion change de main ou trop souvent de propriétaires.

Les compagnies qui revendiquent un haut niveau de professionnalisme ne peuvent être montrées du doigt plus longtemps. En revanche, il nous appartient de condamner très fermement les pratiques dites « ficelles » qui permettent d'inscrire sur le carnet la mention « grounds check ok ».

Toutes ces pratiques sont inacceptables et je me félicite de l'initiative du ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, Gilles de Robien, sur la mise en place d'un label obligatoire, même si celui-ci ne garantit pas un taux zéro d'accident.

Transmettre la liste des avions « sûrs » aux professionnels et informer le client du nom et de l'origine de la compagnie qu'il s'apprête à prendre me paraît être une bonne décision, en attendant qu'un texte européen rende obligatoire cette norme au sein de l'Union.

Le label doit assurer aux clients une sécurité optimale. Il est un gage de qualité pour le voyageur et vise à renforcer l'information au public.

Un des enjeux est de contribuer à redonner une image moderne de qualité aux charters, même si celle-ci a beaucoup évolué en 15 ans. Cette appellation, parfois péjorative, évoque ou évoquait une image de voyages à « faible coût » avec des aéronefs mal entretenus.

Il me semble important aujourd'hui de rappeler que ces prestations sont indispensables au développement de l'économie touristique. En particulier en province où les charters et les low cost desservent des destinations estivales que les lignes régulières ignorent.

La mobilisation doit être forte et déterminée à tous les différents niveaux de contrôles afin de contrer les irresponsables qui mettent en péril la vie des passagers. Ce rapport nous sensibilise sur l'indispensable obligation de ne rien négliger dans le domaine de la sécurité du transport aérien car le trafic devrait doubler dans les 20 prochaines années.

Garantir la sécurité et la sûreté des transports doit donc être une priorité.

Le transport aérien reste le plus rapide et le plus fiable au monde, nous devons cependant être réactifs car la sécurité du voyageur est avant tout un droit du passager.

La mission d'information rend aujourd'hui service aux voyageurs mais elle ne doit s'arrêter aux conclusions établies dans son rapport. Elle doit, au côté du gouvernement, trouver sa place dans le suivi des préconisations qu'elle vient de formuler, en participant à une conférence parlementaire annuelle compétente sur les questions de sécurité aérienne.

CONTRIBUTION DE M. JEAN-PIERRE BLAZY, MEMBRE DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE

AMÉLIORER LA SÉCURITÉ AÉRIENNE SUPPOSE LE REFUS DU GIGANTISME AÉROPORTUAIRE

Développer la sécurité du transport aérien est une des exigences essentielles du transport aérien. Œuvrer pour améliorer le niveau de sécurité est une gageure et les travaux menés au sein de la mission d'information parlementaire sur « la sécurité du transport aérien de voyageurs » constituent une avancée. Néanmoins celle-ci, dans le temps qu'elle s'est donnée, n'a pas pu traiter de façon exhaustive l'ensemble des questions relatives à la sécurité du transport aérien. C'est pourquoi, je tiens à apporter ma contribution à une question majeure : la sécurité du transport aérien aux abords des grands aéroports.

I - Les réalités de la sécurité aérienne aux abords des grands aéroports situés en zones urbaines

En 1996, le constructeur Boeing annonçait la probabilité d'un crash aérien important par semaine dans le monde au début de la prochaine décennie. Nous y sommes. Personne ne peut accepter le fatalisme vis à vis de l'insécurité aérienne et la banalisation de la catastrophe aérienne envisagée comme régulateur de la saturation du ciel. L'opacité qui règne autour de cette question doit être levée. En effet, les acteurs du transport aérien communiquent très peu et minimisent trop souvent les incidents et les quasi-accidents qui se multiplient de façon alarmante. Les quasi-collisions ou les incursions de pistes sont devenus quasi quotidiennes sur certains aéroports. 228

Suite au crash de Charm el Cheikh en janvier 2004 et quatre ans après le drame du Concorde, la sécurité aérienne est de nouveau en question pour les populations riveraines des grands aéroports. Les évolutions techniques et opérationnelles de l'aviation peuvent remettre en cause les hypothèses retenues lors de l'élaboration des règles de sécurité. Ainsi, si rien n'était fait, une extrapolation des données existantes montre que les risques d'accidents et de pertes de vies humaines augmenteraient avec la croissance du trafic. Pour les élus que nous sommes qui veillons à l'intérêt des populations riveraines ou survolées, il n'est pas acceptable d'imaginer la possibilité que les médias se fassent l'écho d'un accident d'avion de transport commercial par semaine d'ici quelques années. Dans un contexte de sensibilité accrue de la population aux accidents aériens, le souci de maintenir, dans les prochaines années, un niveau acceptable de sécurité du transport aérien commercial rend nécessaire un surcroît d'efforts visant à réduire encore les risques d'accidents et de pertes de vies humaines.

Afin de contribuer à maintenir, en permanence, la sécurité aérienne au niveau optimal, les dispositions réglementaires et méthodes de contrôle technique en vigueur touchant à la conception, la construction et l'exploitation des aéronefs ainsi que la formation des personnels aéronautiques doivent être réexaminées avec attention. Après observations et analyses, la sécurité aérienne repose sur deux piliers : la coopération en réseaux de tous les intéressés et la responsabilité individuelle. Telles sont les bases de la réglementation, de la surveillance et du perfectionnement de l'ensemble des aspects sécuritaires.

Le risque zéro n'existe pas quand bien même le niveau de sécurité est élevé. Chaque phase de vol présente des risques différents. La plupart des accidents ont lieu au décollage ou à l'atterrissage, c'est-à-dire au-dessus de zones urbanisées, voire très urbanisées. Cela pose également le problème de la sécurité des populations riveraines des grands sites aéroportuaires.

Il y a plus d'accidents à l'atterrissage qu'au décollage. Les zones où le risque de crash est effectivement plus marqué se situent dans le périmètre de l'aéroport et aux deux extrémités des pistes. Leurs formes et surfaces varient selon que la piste est utilisée pour décoller ou atterrir. En effet, à l'atterrissage, les accidents peuvent se produire aussi bien en bout de piste que lors de la procédure d'approche. Au décollage, seule la zone située dans le prolongement de la piste est concernée. Statistiquement, il y a presque deux fois plus d'accidents à l'atterrissage qu'au décollage.

L'accident au sol, avant le décollage ou après l'atterrissage, ne fait pas partie des risques qui viennent immédiatement à l'esprit lorsque l'on songe à la sécurité du transport aérien ; c'est pourtant à une collision au sol que doit être imputé le plus lourd bilan à ce jour d'une catastrophe aérienne (582 morts à Ténériffe/Los Rodeos le 27 mars 1977).

Les accidents au sol sont le plus souvent causés par une conjonction de facteurs relatifs aux infrastructures, à l'erreur humaine et aux capacités de manœuvre des aéronefs. Le « risque zéro » étant inaccessible, il s'agit de mettre en place des procédés qui permettent d'éviter les catastrophes comme celle de Ténériffe, de stopper au sol le concorde incendié d'Air France (113 morts à Gonesse le 25 juillet 2000) et de prévenir les collisions de Roissy (1 mort le 25 mai 2000) et de Milan (118 morts le 8 octobre 2001), ou encore l'accident de Taipei (83 morts le 31 octobre 2000), etc.

Pour le seul aéroport de Roissy/Charles-de-Gaulle et les seuls six premiers mois de l'année 2000, c'est tous les neuf jours que s'est produit un incident relatif à la circulation au sol qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques. 229 L'analyse est identique s'agissant des grands aéroports régionaux.

Malgré tout, suite à la déréglementation du transport aérien dans les années 80, les gouvernements successifs privilégient la politique du « tout économique », celle du gigantisme aéroportuaire qui vise à développer les infrastructures existantes...

II - Les conséquences de la déréglementation du transport aérien sur la sécurité ou la politique du gigantisme aéroportuaire servie par la logique du « hub »

Quel constat ? Les contrôleurs du trafic aérien ont le sentiment d'être l'objet d'un procès d'intention instruit par les compagnies aériennes, qui imputent les retards à l'incapacité des contrôleurs aériens de s'adapter à l'accroissement du trafic. A l'inverse, les compagnies aériennes estiment injustifiée la mise en cause de leurs pratiques, car elles n'auraient fait, selon elles, que tirer les conséquences de la déréglementation du transport aérien voulue par les autorités politiques, aux Etats-Unis comme en Europe.

Aux Etats-Unis, une étude récente suggère ainsi que « la Federal Aviation Administration (FAA) doit être en mesure de traiter un accroissement de 20 à 25% du nombre de vols, sans qu'elle ait à y voir un risque de saturation du ciel ». 230

La même étude souligne parallèlement, et non sans paradoxe, les dangers entraînés par la situation de saturation à laquelle mène la politique des compagnies aériennes, qui consiste à programmer davantage de vols que ne l'autorisent les infrastructures aéroportuaires existantes.

Les pratiques commerciales des compagnies aériennes contribuent à la saturation croissante du ciel. Ex : système de « navettes » (emport moyen faible en semaine et pratique du surbooking le week-end par les compagnies sur ces vols). Cela entraîne une augmentation du nombre de mouvements et donc une augmentation des nuisances pour les populations.

L'intensification de la concurrence explique cette tendance des compagnies aériennes à ne pas respecter les créneaux horaires et à prévoir plusieurs vols aux heures de pointe du matin et du soir pour attirer le maximum de passagers. Le résultat est qu'on observe un accroissement du trafic sur certaines plages horaires et un risque accru pour la sécurité. Il en est ainsi des vols qui, tout en ayant eu lieu, n'ont pas normalement fait partie de ceux qui étaient planifiés dans le secteur contrôlé.

La question cruciale de l'insuffisance des infrastructures aéroportuaires résulte désormais des contraintes environnementales, car la sensibilité environnementale aujourd'hui est un paramètre incontournable imposé aux aéroports, qui s'accompagne de l'opposition des populations riveraines ou survolées à l'extension de ces mêmes infrastructures.

L'encombrement actuel des grands aéroports américains et européens n'est pas sans lien avec la mise en place de la logique du hub. Celui-ci a été créé au début des années 80 aux Etats-Unis, suite à la déréglementation du transport aérien. Les hubs reposent ainsi sur un réseau en étoile qui optimise les correspondances entre les différents vols d'une compagnie.

Ce système aboutit à des « vagues » de départ et des « vagues » d'arrivées, chacune d'entre elles pouvant comprendre plusieurs dizaines d'avions par plage horaire. A Roissy CDG, les plages horaires les plus encombrées du hub comptent plus de 100 mouvements par heure.

Les hubs amplifient donc les effets dommageables pour le contrôle aérien et la sécurité. De plus, ils génèrent un accroissement exponentiel du trafic.

La logique du hub entraîne une concentration du trafic, des nuisances sonores et atmosphériques, du risque d'accident et entrave une meilleure gestion des capacités au sol et dans le ciel.

D'une part, les grandes compagnies aériennes fusionnent au sein de grands groupes (Ex : Fusion Air France-KLM) membres d'une alliance (ex : Sky team pour Air France-KLM) et conservent une position dominante et même monopolistique sur leurs hubs ; d'autre part, les compagnies low-cost s'organisent sur des plates-formes secondaires qui ont vu leur trafic croître de façon importante (ex : Beauvais qui dépasse le million de passagers par an). Le récent rapport d'information parlementaire sur l'avenir du transport aérien intégrait pleinement cette logique du hub dans sa démonstration, jusqu'à proposer dans ses conclusions la création de deux nouvelles pistes à Roissy Charles-de-Gaulle afin de développer le hub principal d'Air France ainsi que les hubs secondaires de Lyon Saint-Exupéry et de Bordeaux-Mérignac. Face au doublement du trafic annoncé d'ici 2020, cette mesure était présentée comme une solution environnementale !

Or, aujourd'hui, compte-tenu des contraintes environnementales et afin de ne plus reproduire les erreurs du passé, on ne peut concevoir le développement d'un aéroport de façon illimitée. La déréglementation du transport aérien a des effets pervers évidents qui participent de l'augmentation des incidents ou quasi-accidents aériens que ce soit au niveau des grandes compagnies nationales ou des compagnies low-cost (charters).

Dans cette logique du « tout économique », les gestionnaires d'aéroports doivent assumer leur part de responsabilité. Si l'on prend l'exemple d'ADP pour les aéroports parisiens, qui accélère ses investissements sur le site de Roissy CDG à coup de millions d'euros et veut étendre toujours plus la zone aéroportuaire, on peut déplorer le drame du 23 mai dernier suite à l'effondrement d'une partie de la voûte du terminal 2 E, moins d'un an après sa mise en service et qui aura coûté près de 750 millions d'euros. Avec ce drame (4 morts), c'est toute l'organisation du hub d'Air France qui est bouleversée.

Car, si le terminal 2 E ne représentait que 60 vols par jour, ces derniers sont pour la quasi-totalité assurés par des gros porteurs de 270 (Boeing 777) à plus de 400 places (Boeing 747-400). Ce qui représente un flux de 10 000 à 15 000 passagers par jour. Soit l'équivalent de 4 millions de passagers sur l'année que la compagnie va devoir traiter dans d'autres terminaux qui sont d'ores et déjà saturés. D'autant que la moitié du terminal 1 est inopérante en raison des travaux de rénovation et de modernisation qui courent jusqu'en 2008. Ainsi la livraison des A 380 est repoussée.

Les risques de saturation de Roissy CDG sont d'autant plus évidents dans cette nouvelle configuration. Les risques pour la sécurité aérienne dans la périphérie de l'aéroport sont également accrus. Les pouvoirs publics ont l'occasion de mettre en pratique des solutions alternatives comme l'utilisation de plates-formes secondaires dans le grand Bassin Parisien (Vatry, Châteauroux) pour les vols de nuit et les vols charters. Par ailleurs, la saturation des aéroports parisiens pose de nouveau la nécessité de réaliser un complément d'infrastructure fonctionnant en bipôle avec Roissy, projet qui pour l'instant a été abandonné et qui permettait d'anticiper au mieux la croissance structurelle du trafic.

Améliorer la sécurité aérienne exige la prise en compte des risques encourus par les populations survolées aux abords des aéroports et en particulier des grands aéroports. De ce point de vue, l'impératif de sécurité rejoint l'exigence environnementale.

Sur la question de l'offre aéroportuaire, trois thèses s'affrontent :

- la thèse défendue par le gouvernement qui vise à abandonner le projet de troisième aéroport dans le grand Bassin Parisien, à développer les infrastructures existantes. Le troisième réseau aéroportuaire purement virtuel sert de cache-sexe à cette politique ;

- la thèse écologiste qui rejette toute augmentation de la demande de transport aérien et la réorganisation nécessaire de l'offre aéroportuaire. Celle-ci ne s'appuie pas sur le réel ;

- la thèse qui offre le meilleur compromis possible entre les différentes exigences, économique, environnementale et de sécurité. C'est sur ces bases que le gouvernement de Lionel Jospin avait finalement fait le choix de la création de l'aéroport de Chaulnes sans exclure le développement maîtrisé des aéroports régionaux et de celui de Vatry.

Il apparaît donc évident que l'on ne peut dissocier la problématique de la sécurité aérienne de celle du développement aéroportuaire et plus généralement de l'économie du transport aérien. La déréglementation de celui-ci et la logique du « hub » qui en découle en grande partie pousse au gigantisme aéroportuaire, indéniablement source de risque aggravé et en particulier dans la périphérie des infrastructures aéroportuaires densément peuplée. La culture de la sécurité aérienne que le rapport de la mission parlementaire souhaite développer imposera inévitablement la prise en compte de la question du développement maîtrisé des aéroports.

227 « Multicrew pilote licence »

228 Le parquet de Nantes a lancé une enquête préliminaire sur les circonstances d'un incident majeur survenu la nuit du samedi 20 au dimanche 21 mars 2004 à un appareil de la compagnie charter égyptienne Luxor Air lors de sa phase d'approche sur l'aéroport de Nantes. Deux enquêtes administratives ont déjà été lancées, l'une par le Bureau d'Enquêtes et d'Analyses (BEA), l'autre par le ministère égyptien de l'Aviation civile. Un incident considéré comme un quasi-accident et donc suffisamment sérieux pour que la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) ait décidé d'interdire Luxor Air d'atterrir en France jusqu'à nouvel ordre.

Selon la DGAC, le MD-83 de Luxor Air, s'est « écarté de son axe. Il n'était ni dans la bonne trajectoire, ni à la bonne altitude ». La procédure d'approche sur l'aéroport de Nantes prévoit que les avions doivent se présenter dans un axe Est-Ouest avec survol d'une partie de l'agglomération. Or, l'appareil de Luxor Air a dévié de cette trajectoire « de deux kilomètres » pour se retrouver pratiquement sur un axe nord-sud presque perpendiculaire à la piste. Et au moment du survol de la zone urbaine, « il était à moins de 200 mètres de hauteur », a précisé Michel Wachenheim, directeur général de la DGAC.

Or, la procédure habituelle requiert une altitude de 500 mètres. Suite aux remarques du contrôle, l' « avion a ensuite interrompu son approche, effectué une remise de gaz et s'est posé sur l'aéroport au terme d'une deuxième approche », a-t-il ajouté. De son côté, le BEA a demandé aux autorités égyptiennes de vérifier certaines spécifications concernant la formation des équipages, la documentation opérationnelle de la compagnie et les instruments de bord de l'appareil concerné.

229 Cf. Rapport du BEA sur l'accident survenu le 25 mai 2000 à Paris-Charles-de-Gaulle aux avions immatriculés F-GHED exploité par Air Liberté et G-SSWN exploité par Streamline Aviation.

L'annexe 6 (p.88-89) fait le bilan des événements significatifs du 1er janvier au 30 juin 2000 à Paris-Charles-de-Gaulle. On relève 20 événements d'incursion de piste avec comme risque majeur une collision en phase de décollage.

De même, l'annexe 7 (p.90) fait état de 4 événements avec risque de collision en phase de décollage et atterrissage pour le mois de septembre 2000 sur les 16 événements relevés.

L'enquête du BEA fait le constat suivant : « les incursions sur piste sont relativement fréquentes. L'examen fait apparaître des types d'événements récurrents : des avions traversent une piste ou dépassent un point d'arrêt, des avions s'alignent devant un avion au décollage ou en finale au lieu de s'aligner derrière, des confusions d'indicatifs provoquent le mouvement d'un avion autre que celui auquel le contrôleur voulait s'adresser » (p. 52)

230 Cf. Darryl Jenkins, « Warning : It will only get worse » (Attention : la situation ne peut que s'aggraver)