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N° 2211

_____________

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 mars 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

en application de l'article 29 du Règlement

au nom des délégués de l'Assemblée nationale à l'Assemblée

parlementaire du Conseil de l'Europe (1) sur l'activité de cette Assemblée

au cours de la première partie de sa session ordinaire de 2005

par M. Bernard SCHREINER

Député

ET PRÉSENTÉ A LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

(1) La composition de cette délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est composée de : MM. René André, Georges Colombier, Claude Evin, Pierre Goldberg, Jean-Pierre Kucheida, Edouard Landrain, Jean-Claude Mignon, Marc Reymann, François Rochebloine, André Schneider, Bernard Schreiner, en tant que membres titulaires, et MM. Alain Cousin, Jean-Marie Geveaux, Mme Arlette Grosskost, MM. Michel Hunault, Denis Jacquat, Jean-Claude Lefort, Jean-Marie Le Guen, Guy Lengagne, François Loncle, Christian Ménard, Gilbert Meyer, Rudy Salles, en tant que membres suppléants.

SOMMAIRE

Pages

INTRODUCTION 5

PRÉSENTATION DES ACTIVITÉS DE LA DÉLÉGATION PENDANT LA PREMIÈRE PARTIE DE LA SESSION DE 2005 5

RENOUVELLEMENT DU BUREAU DE L'ASSEMBLÉE ET DES BUREAUX DES COMMISSIONS ET SOUS-COMMISSIONS 7

LISTE DES RECOMMANDATIONS ET RÉSOLUTIONS ADOPTÉES 9

LES GRANDS DÉBATS DE POLITIQUE INTERNATIONALE 10

A. RESPECT DES OBLIGATIONS ET ENGAGEMENTS DE LA GÉORGIE 10

B. LE CONFLIT DU HAUT-KARABAKH TRAITÉ PAR LA CONFÉRENCE DE MINSK DE L'ORGANISATION POUR LA SÉCURITÉ ET LA COOPÉRATION EN EUROPE - OSCE 10

C. OBSERVATION DE L'ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ PALESTINIENNE 12

D. DISCOURS DE M. VIKTOR IOUCHTCHENKO, PRÉSIDENT DE L'UKRAINE 13

E. DISCUSSION SELON LA PROCÉDURE D'URGENCE : PERSPECTIVES POUR LA PAIX AU PROCHE-ORIENT 16

F. RELATIONS ENTRE L'EUROPE ET LES ÉTATS-UNIS 20

LE DÉBAT PORTANT SUR LE 3ÈME SOMMET DES CHEFS D'ÉTAT ET DE GOUVERNEMENT DU CONSEIL DE L'EUROPE 25

LES QUESTIONS DE SOCIÉTÉ 31

A. AVIS SUR LE PROJET DE CONVENTION DU CONSEIL DE L'EUROPE SUR LA LUTTE CONTRE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS 31

B. AVIS SUR LE PROJET DE CONVENTION RELATIVE AU BLANCHIMENT, AU FINANCEMENT DU TERRORISME, AU DÉPISTAGE, À LA SAISIE ET À LA CONFISCATION DES PRODUITS DU CRIME ET AVIS SUR LE PROJET DE CONVENTION POUR LA PRÉVENTION DU TERRORISME 32

C. QUELLES SOLUTIONS POUR LE CHÔMAGE EN EUROPE ? DYNAMISER LA COHÉSION SOCIALE ET L'EMPLOI : MULTIPLIER ET AMÉLIORER LES EMPLOIS 33

LA COMMÉMORATION DU 60ÈME ANNIVERSAIRE DE LA LIBÉRATION DES CAMPS D'AUSCHWITZ ET L'OPPOSITION DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE À UNE PROPOSITION AMBIGUË 36

L'OPPOSITION DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE AU PROJET DE RECOMMANDATION CONTENU DANS LE RAPPORT 10378 36

B. LE DÉBAT EN SÉANCE PLÉNIÈRE SUR LA PROPOSITION DE CRÉATION D'UN CENTRE À LA MÉMOIRE DES VICTIMES DE DÉPLACEMENTS FORCÉS DE POPULATION ET DU NETTOYAGE ETHNIQUE 38

ANNEXES 40

QUESTION DE M. JACQUES LEGENDRE, SÉNATEUR, À M. JAN TRUSZCZYNSKI, VICE-MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE POLOGNE, EN QUALITÉ DE PRÉSIDENT EN EXERCICE DU COMITÉ DES MINISTRES 42

QUESTION DE M. ERIK JURGENS (PAYS-BAS - SOC) AU COMITÉ DES MINISTRES AU SUJET DE L'« AFFAIRE HAKKAR CONTRE FRANCE » 43

RAPPEL AU RÈGLEMENT DE M. DANIEL GOULET, SÉNATEUR, AU SUJET D'UNE DÉCLARATION ANTISÉMITE) 44

RÉPONSE ÉCRITE DU COMITÉ DES MINISTRES 44

à la Recommandation 1651 (2004) adoptée par la Commission permanente, agissant au nom de l'Assemblée, le 2 mars 2004 (Doc. 10063) sur le rapport de M. Jacques Legendre, sénateur, au nom de la commission de la culture, de la science et de l'éducation : « Mettre un terme au pillage des biens culturels africains »

INTRODUCTION

PRÉSENTATION des ACTIVITÉS de la DÉLÉGATION pendant la PREMIÈRE partie de la session de 2005

Cette première partie du rapport annuel de la Délégation française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe rend compte de l'activité des vingt-quatre délégués élus par l'Assemblée nationale et des douze délégués élus par le Sénat, au cours de la première partie de la session ordinaire de 2005.

Cette première partie de session a été marquée par la venue d'éminentes personnalités. Se sont notamment adressées à l'Assemblée :

M. Alcee L. Hastings, Président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE ;

M. Viktor Iouchtchenko, Président de l'Ukraine, dont ce fut la première intervention devant des institutions européennes, au lendemain de son élection ;

M. Mikheil Saakachvili, Président de la Géorgie ;

M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères français.

Les débats auxquels ont participé les membres de la Délégation française ont principalement porté sur l'évolution de la situation dans certains États membres, Ukraine, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan, dans la province du Kosovo ainsi qu'aux relations entre l'Europe et les États-Unis ; mais aussi dans une région dont la stabilité influe sur celle de l'Europe comme des autres continents, à savoir le Moyen-Orient au lendemain de l'élection du Président de l'Autorité palestinienne ; et enfin dans les pays affectés par le raz-de-marée (tsunami) du 26 décembre 2004.

Outre l'important débat sur la contribution au 3ème Sommet des chefs d'État et de gouvernement, l'Assemblée, jouant pleinement son rôle de creuset où s'élaborent les instruments de protection des droits de l'Homme, a également délibéré de la future Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, et de deux autres projets de Conventions, l'une relative au blanchiment des produits du crime, l'autre sur la prévention du crime.

L'Assemblée a également délibéré de propositions aux aspects plus nettement économiques : les organismes génétiquement modifiés ; les solutions au chômage en Europe ; la dynamisation de la cohésion sociale et de l'emploi.

Enfin, l'Assemblée a tenu, le 25 janvier 2005, une séance solennelle de commémoration du 60ème anniversaire de la libération des camps d'Auschwitz.

Dans l'esprit de cette commémoration, la Délégation française, unanime, a manifesté son opposition à une proposition de Recommandation dont elle a finalement obtenu le rejet, et qui tendait à la création d'un « Centre européen à la mémoire des victimes de déplacements forcés et de nettoyage ethnique » qui eût présenté le risque de favoriser une confusion entre le sort des victimes déportées vers les camps d'extermination et celui des personnes déplacées de force au cours du xxsiècle.

L'ensemble des documents et débats de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est consultable sur le site de la délégation :

http://conseil-europe.assemblee-nationale.fr

Renouvellement du Bureau de l'ASSEMBLÉE et des bureaux des commissions et sous-commissions

Le lundi 24 janvier, à l'ouverture de la première partie de la session 2005, l'Assemblée a procédé à l'élection, pour un premier mandat d'un an, de son nouveau président en la personne de M. René van der Linden (Pays-Bas - PPE) qui succède à M. Peter Schieder (Autriche - Socialiste), qui était arrivé au terme de son troisième mandat d'un an.

Au cours de la même séance, l'Assemblée a réélu M. Bernard Schreiner comme Vice-Président de l'Assemblée au titre de la France.

Puis les Commissions et les Sous-commissions ont tour à tour renouvelé leurs bureaux (certaines ne l'ont pas encore fait).

Ainsi, M. Jacques Legendre, sénateur (Nord - UMP) a été élu Président de la Commission de la Culture, de la Science et de l'Éducation ; M. Claude Évin, député (Loire-Atlantique - Soc.) a été réélu Vice-Président de la Sous-commission de la Charte sociale ; M. Jean-Guy Branger, sénateur (Charente-Maritime - UMP) a été réélu Vice-Président de la Commission des migrations, des réfugiés et de la population et M. André Schneider, député (Bas-Rhin - UMP) a été élu Vice-Président de la Sous-commission de la Jeunesse et du Sport.

Liste des recommandations et RÉSOLUTIONS adoptÉes

Textes adoptés

Titre

Rapport-Doc :

Résolution 1415

Respect des obligations et engagements de la Géorgie.

10383

Recommandation 1692 et Résolution 1418

Les circonstances entourant l'arrestation et l'inculpation de hauts dirigeants de Ioukos.

10368

" "

Recommandation 1691
et Résolution 1417

Protection des droits de l'homme au Kosovo.

10393

Recommandation 1690

Le conflit du Haut-Karabakh traité par la Conférence de Minsk de l'OSCE.

10364

et Résolution 1416

" "

Résolution 1420

Les perspectives de paix au Proche-Orient.

10427

Recommandation 1693

Le 3e Sommet des Chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe.

10381 et Avis 10391, 10395, 10404, 10417, 10421, 10435

Résolution 1419

Organismes génétiquement modifiés (OGM).

10380

Avis 253

Avis sur le projet de Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.

10389 et 10397

Recommandation 1694

Relations entre l'Europe et les États-Unis.

10353

et Résolution 1421

" "

Résolution 1422

L'Europe et le désastre du tsunami.

1422

Avis 254

Avis de l'Assemblée sur le projet de Convention relative au blanchiment, au financement du terrorisme, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime.

1356 et 10392

Avis 255

Avis de l'Assemblée sur le projet de convention sur la prévention du terrorisme.

10357 et 10396

Résolution 1423

Quelles solutions pour le chômage en Europe ?

1069

Résolution 1424

Dynamiser la cohésion sociale et l'emploi : multiplier et améliorer les emplois.

10265

Résolution 1425

Révision des mandats des commissions de l'Assemblée.

10379

Les grands dÉbats de politique internationale

A. Respect des obligations et engagements de la GÉORGIE (LUNDI 24 JANVIER 2005)

Dans le débat sur les observations des rapporteurs de la commission du suivi des obligations et engagements souscrits par la Géorgie lors de son adhésion au Conseil de l'Europe, Mme Josette Durrieu, Sénatrice, s'est exprimée dans les termes suivants :

« Je tiens à saluer la délégation géorgienne dans son ensemble ainsi que le travail des rapporteurs qui ont travaillé dans des conditions jamais faciles. Quelqu'un a parlé d'instabilité des Balkans et du Caucase. Or, il n'y a pas de stabilité sans stabilité de la Géorgie. C'est un point essentiel, la Georgie est un point d'ancrage. Il n'y aura pas de paix dans cette zone, y compris en Europe, si elle n'a pas retrouvé la stabilité dont elle a besoin.

On l'a dit fort justement, ce peuple est doté d'une inspiration particulière, d'une culture immense. C'est sa spécificité.

La révolution dite « des roses », faite par un futur président, est encourageante. Renverser le régime antérieur dans ces conditions, ça ne peut que nous laisser l'espoir qu'on rebâtira derrière, dès aujourd'hui, - pas seulement demain, - dans les mêmes conditions de sérénité. Mais très vite, il y a une exigence. Il y a beaucoup d'espoir et par conséquent un grand chantier. Je le souhaite vraiment, la Géorgie réussira ! »

Tout en maintenant la procédure de suivi à l'égard de la Géorgie, avec un nouveau rendez-vous en octobre 2005, l'Assemblée a noté les progrès accomplis, en adoptant la Résolution 1415.

B. Le conflit du Haut-Karabakh TRAITÉ par la CONFÉRENCE de Minsk de l'organisation pour la SÉCURITÉ et la coopÉration en Europe - OSCE (MARDI 25 JANVIER 2005)

M. David Atkinson (Royaume-Uni - GDE), rapporteur au nom de la commission des questions politiques, sur le conflit du Haut-Karabakh, rappelle qu'en l'an 2000, l'Assemblée s'est prononcée en faveur de l'adhésion simultanée de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie au Conseil de l'Europe, considérant que cela permettrait de résoudre le conflit en suspens dans la région du Haut-Karabakh. Cela n'a pas eu lieu. Dans ces conditions, comment le Conseil de l'Europe peut-il venir en aide aux parties en conflit sans nuire au processus de Minsk ? Ce que propose le rapporteur de la commission des questions politiques, c'est d'introduire dans le processus de Minsk une dimension parlementaire.

M. Atkinson déclare qu'il partage l'opinion de M. Terry Davis, qui a été rapporteur sur ce dossier jusqu'au 31 août 2004 : rien ne peut être imposé à la population du Haut-Karabakh contre sa volonté. Le rapporteur se félicite donc que le nouveau Secrétaire Général ait décidé de se charger d'une mission de conciliation. L'Assemblée se doit en effet de contribuer du mieux qu'elle peut à l'aboutissement du processus de Minsk. C'est ce à quoi tendent le projet de résolution et le projet de recommandation. Ni la solution militaire ni le statu quo n'étant acceptables, la solution pacifique est la seule qui vaille pour éliminer la haine entre des populations qui vivaient ensemble au sein de l'ancienne Union soviétique et qui doivent pouvoir recommencer à vivre en paix.

M. François Rochebloine, Député, s'est alors exprimé de la façon suivante :

« Au moment d'intervenir dans ce débat, j'avoue éprouver un certain embarras. Comment, en effet, ne pas douter quelque peu de la pertinence de l'intervention de notre Assemblée parlementaire et du Conseil de l'Europe, en général, dans ce dossier ?

Le rapport de M. David Atkinson contient d'ailleurs tous les éléments propres à fonder ce doute. Une phrase m'a particulièrement frappé : « Le conflit du Haut-Karabakh est en réalité un conflit entre deux principes : l'intégrité territoriale et l'autodétermination ». Comme si le maintien en l'état de frontières héritées d'un passé imposé et d'une situation politique dépassée pouvait servir de base sérieuse à la recherche d'une solution négociée !

Par rapport à un tel héritage, parler de «forces séparatistes» n'a guère de sens. Compte tenu de la sensibilité du sujet, l'usage de cette expression ne peut qu'être interprété comme une prise de position en faveur de l'une des parties en présence ; c'est pourquoi je soutiens l'amendement qui vise à la faire disparaître et qui a été adopté ce matin en commission. Il me semble, en effet, plus conforme aux traditions démocratiques communes aux membres du Conseil de l'Europe, de retenir l'autodétermination comme principe directeur d'une négociation qui demeure nécessaire pour la stabilité de la région.

Le rapporteur lui-même rappelle que la population arménienne n'a jamais cessé d'être majoritaire dans le Haut-Karabakh. D'ailleurs, ne déplore-t-il pas que « la population actuelle du Haut-Karabakh n'est pas partie prenante dans le processus de négociation sous les auspices du Groupe de Minsk ? ». Il aurait dû, me semble-t-il, reconnaître que la responsabilité de cet état de fait incombe aux exigences préalables de la partie azérie, qui privent la négociation, dès le départ, d'une grande partie de son objet. Il aurait dû aussi reconnaître que regretter cette absence n'a pas de sens si l'on ne permet pas à ceux qui représentent la population du Haut-Karabakh de s'impliquer dans le processus de Minsk et d'établir un dialogue avec le Gouvernement d'Azerbaïdjan. C'est la raison pour laquelle il importe que soit mentionnée dans cette résolution la nécessité de contacts entre le Gouvernement azéri et les autorités du Haut-Karabakh.

Aussi l'urgence est-elle bien d'encourager ce processus qui apparaît, plus que jamais, comme la seule voie praticable pour un règlement de ce conflit. Les pourparlers entamés ces dernières années ont permis de dégager des éléments préparatoires à la solution du conflit. Dans cette perspective, l'objectivité appellerait une présentation plus équilibrée de l'attitude de la partie arménienne et de sa disponibilité à négocier.

Dans un contexte aussi délicat, notre Assemblée doit veiller à ne pas compliquer la situation. Pour cela, elle doit être fidèle à sa mission propre : elle ne peut que soutenir les propositions visant à restaurer la confiance et l'entente mutuelle entre les peuples ainsi qu'à développer les contacts entre parlementaires et élus locaux en vue d'instituer une coopération interrégionale. C'est, à mes yeux, sa responsabilité authentique ; c'est le terrain sur lequel elle peut faire œuvre véritablement utile. »

Au cours du débat, un amendement présenté, notamment par MM. François Rochebloine, Rudy Salles, Philippe Nachbar, François Loncle, Bernard Schreiner, Georges Colombier et Denis Badré, rappelant l'engagement des deux parties, Arménie et Azerbaïdjan, à promouvoir une solution pacifique au conflit, est adopté. À l'issue de ce débat, sont adoptées la Recommandation n° 1690 et la Résolution n° 1416.

C. Observation de l'Élection du PrÉsident de l'autoritÉ palestinienne (LUNDI 24 JANVIER 2005)

Lord Kilclooney (Royaume-Uni - PPE), rapporteur de la commission ad hoc pour l'observation de l'élection du président de l'autorité palestinienne, cite le communiqué de presse unanime qui a été publié le 10 janvier ainsi que son rapport (Doc. 10416). Trois territoires étaient concernés par l'élection du Président de l'autorité palestinienne. Pour des raisons de sécurité, les observateurs n'ont pu se rendre à Gaza. Le rapporteur estime ce fait dommageable et aimerait que, dorénavant, l'on puisse vérifier les sources lorsque des raisons de sécurité sont invoquées. La mission des observateurs s'est donc limitée à Jérusalem-Est et à la Cisjordanie.

Ils ont été fort impressionnés par le calme qui a présidé à cette élection, en faisant un exemple pour les pays arabes du Proche-Orient. Les Palestiniens ont accepté de reconnaître la commission électorale comme une instance impartiale. La situation a toutefois laissé à désirer en ce qui concerne Jérusalem-Est où les autorités israéliennes ont imposé d'importantes restrictions au dernier moment, empêchant ainsi de nombreux Palestiniens inscrits de se rendre aux urnes. Le Hamas a également freiné la participation en encourageant l'abstention.

La venue au pouvoir de Mahmoud Abbas permet de développer des espoirs, pour autant qu'Israël et les États-Unis saisissent cette opportunité. D'une part, Israël doit arrêter d'accroître le nombre de colonies de peuplement illégales et, d'autre part, la Palestine doit éviter tout recours à la violence.

Des élections parlementaires se tiendront le 17 juillet dans les territoires palestiniens. La situation sera cette fois plus compliquée puisque trois grands partis seront en lice : celui de Mahmoud Abbas, celui de Moustafa Bargouti et le Hamas. Le rapporteur suggère au Bureau d'organiser une nouvelle mission d'observation à cette occasion.

Mme Josette Durrieu, Sénatrice, intervient alors en ces termes :

« J'ai participé également à l'observation des élections en Palestine et je partage naturellement toutes les remarques et les points de vue qui se sont exprimés ici.

Ces élections ont été organisées de façon remarquable par les autorités palestiniennes et dans les pires conditions. Il faut le redire sans cesse, ce pays est occupé. Il est muré, verrouillé. Dans ce petit pays, pour 1 300 000 électeurs, on comptait 740 check-points. Ces élections ont été bien organisées, sauf à Jérusalem, où elles l'ont été par les autorités israéliennes. On ne votait pas dans des bureaux de vote, mais dans des bureaux de poste. Toute une symbolique jouait : on ne votait pas directement, mais par correspondance. Il n'y avait que 5 bureaux de vote. Alors qu'il aurait dû y avoir 124 000 inscrits, il n'y en avait que 5 000. En effet, beaucoup de pressions ont été exercées sur ceux qui ne se sont pas inscrits, notamment sur leurs droits dans la vie quotidienne. Bref, il y a l'ombre de Jérusalem. Soixante-dix pour cent des Palestiniens ont réussi malgré tout à se faire inscrire sur l'ensemble de la Palestine. La mobilité, bien sûr, n'était pas assurée, la campagne ne s'est pas forcément bien déroulée. Mahmoud Abbas, qui a été élu, n'a pas pu aller faire campagne à Jérusalem-Est. Malgré cette situation totalement anormale, ces élections se sont déroulées dans des conditions que nous avons considérées comme bonnes. Il faut s'en réjouir. C'était le premier défi, les Palestiniens voulaient prouver quelque chose, ils l'ont fait.

Mahmoud Abbas a été élu avec plus de 60 % des voix. C'était aussi un objectif à atteindre, d'ailleurs pas très facile parce que le Hamas s'était prononcé pour l'abstention, Mahmoud Abbas étant le candidat des Américains et ce n'était pas non plus forcément le meilleur des slogans de campagne pour lui. Il n'empêche, le second, Moustafa Bargouti, a remporté près de 20 % des voix. Une opposition jeune et structurée se crée aussi, ce qui est un signe également assez positif dans cette situation politique.

Aujourd'hui, Mahmoud Abbas incarne à l'évidence un espoir. Y a-t-il une confiance absolue en lui de la part des Palestiniens, même de la part de ceux qui ont voté pour lui ? Non, il reste beaucoup de peurs, de doutes sur ce que pourraient être les renoncements dans le cadre des négociations. Parlons-en de ces négociations, puisque la paix doit être négociée. Les Israéliens devront accepter que ce n'est pas par la force et à l'abri de murs que leur État pourra exister et durer. La paix négociée, oui, mais entre deux forces extrémistes de part et d'autre. D'un côté, la politique de Sharon, politique du fait accompli, avec l'objectif évident de liquider l'État palestinien en bénéficiant du soutien, jusqu'à aujourd'hui de Bush comme de Kerry.

De l'autre côté, maintenant, Mahmoud Abbas remplace Arafat. Sur quoi s'appuie-t-il ? Où est la communauté internationale ? Où est cette Europe à laquelle on fait dramatiquement référence en permanence ? Où est la force politique européenne ? Il n'y en a pas puisque le Quartet dont nous sommes est complètement dilué. La feuille de route n'est absolument pas d'actualité. Eh oui, il faut tout replacer dans l'actualité politique. La situation est assez accablante. Tout le monde souffre de part et d'autre. La paix est souhaitée par tous. Et elle est souhaitée par les Palestiniens.

Sont-ils prêts à des renoncements ? Je dirais oui. Certains ont été exprimés par M. Quorei, le Premier Ministre, quand nous l'avons rencontré. Les Palestiniens sont prêts à accepter le petit État symbolique qu'on finirait par leur donner, État non viable, c'est évident. Quand je lui ai demandé : à quoi ne renoncerez-vous pas, les frontières, les colonies, les retours et Jérusalem ? Il a répondu : nous ne renoncerons pas aux colonies, le reste est discutable. Si on considère Jérusalem comme une colonie, je pense que c'est ainsi qu'il fallait l'interpréter.

Il est évident que les Palestiniens veulent la paix. Oui, ils sont prêts à beaucoup de renoncements. Non, cet État ne sera pas viable. Les Palestiniens misent sur le temps, sur l'avenir, sur le nombre sûrement. Il ne faut pas les décevoir lorsque se réunira la première conférence en 2005 à Londres. Il faut qu'il en sorte un statut permanent pour ce petit État. »

D. Discours de M. Viktor Iouchtchenko, prÉsident de l'Ukraine (MARDI 25 JANVIER 2005)

M. René van der Linden, Président de l'Assemblée, a accueilli le Président Iouchtchenko en déclarant que l'accueil que venait de lui réserver l'Assemblée, avec de vifs et longs applaudissements, montre à M. Iouchtchenko à quel point il est le bienvenu. Le Président le félicite sincèrement pour le succès remporté lors des élections et est heureux que Strasbourg soit la première destination choisie par le nouveau Président, deux jours à peine après son entrée en fonction. Il y voit un heureux augure pour la future coopération entre l'Assemblée parlementaire et l'Ukraine.

C'est avec attention que les parlementaires de cette Assemblée ont suivi les événements qui se sont déroulés en Ukraine durant l'automne 2004. Quatre missions d'observateurs y ont été envoyées et une délégation nombreuse a suivi le dernier tour de l'élection présidentielle malgré la période des fêtes. Cela montre l'engagement des membres de l'Assemblée parlementaire au service de la démocratie. Ayant assisté à la télévision à la prise de fonction de M. Iouchtchenko, le Président de l'Assemblée se réjouit que le nouveau président de l'Ukraine considère l'avenir de son pays comme indissociable de celui de l'Europe unie.

M. Viktor Iouchtchenko, Président de l'Ukraine, a tout d'abord déclaré qu'il considérait comme un grand honneur le fait de prendre la parole dans cet hémicycle et de débuter ses activités de Président par une visite à Strasbourg au siège de la plus ancienne Organisation politique européenne. En 1946, Winston Churchill a émis l'idée d'une union européenne qui permettrait aux peuples du vieux continent de vivre libres et heureux. Le Conseil de l'Europe a été fondé pour appliquer les principes de démocratie et pour sauvegarder les libertés fondamentales. C'est pour partager de tels principes que l'Ukraine a voulu adhérer au Conseil de l'Europe en 1995, il y aura bientôt dix ans. L'automne prochain sera l'occasion, pour son pays, de fêter l'anniversaire de son retour dans la famille européenne.

Le Conseil de l'Europe et les parlementaires qui y siègent ont aidé l'Ukraine à passer la période de transition. M. Iouchtchenko exprime la reconnaissance de ses concitoyens envers les membres de l'Organisation qui, par leurs critiques et leurs encouragements, ont aidé l'Ukraine à progresser au cours de ces dix dernières années. Les cris d'alarme lancés par l'Assemblée parlementaire lors de l'assassinat du journaliste Georgui Gongadze et les critiques ainsi que l'aide apportée lorsque la liberté de presse était menacée en Ukraine ont servi à la prise de conscience de l'opinion publique. A cet égard, le Président remercie deux femmes courageuses, membres de l'Assemblée parlementaire, Mmes Severinsen et Wohlwend qui furent les yeux et les oreilles de la conscience européenne en Ukraine.

Le gouvernement ukrainien a la ferme intention de développer la société civile et de réaliser les idéaux démocratiques prônés par le Conseil de l'Europe. Le peuple ukrainien est un peuple européen. En tant que tel, il a développé une forte conscience des valeurs attachées à la démocratie européenne. C'est pour cela que la révolution orange a réussi : pour défendre les libertés et pour bâtir un avenir meilleur basé sur le respect des droits de l'homme. Le peuple ukrainien remercie les parlementaires du Conseil de l'Europe pour leur aide, pour leur participation aux événements qui se sont déroulés dans le pays et pour leur solidarité.

Après Strasbourg, le Président de l'Ukraine se rendra à Auschwitz, symbole du malheur et rendra hommage à la mémoire de tous ces détenus parmi lesquels se trouvait son propre père. Se souvenant des conversations qu'il eut avec lui, c'est avec une douleur particulière qu'il vivra cette commémoration. En tant que dirigeant de l'Ukraine, il mettra tout en œuvre pour éviter un partage de son pays. Les événements pénibles vécus par le peuple ukrainien au cours du 20ème siècle rappellent l'importance de ne pas créer de nouvelle ligne de démarcation derrière laquelle les crimes restent impunis.

Lors de l'adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe, ce pays a pris l'engagement de développer la démocratie et le respect des droits de l'homme en appliquant dans la pratique des règles juridiques strictes. En tant que Président de l'Ukraine, M. Iouchtchenko compte tout mettre en œuvre pour rendre irréversible le processus démocratique en Ukraine. Il sait que pour assurer la prééminence du droit et des libertés individuelles de nombreuses réformes seront nécessaires : réforme du système juridique, amélioration de la situation des médias, garanties quant au respect des libertés individuelles, renforcement de la société civile, lutte contre la criminalité organisée. Pour réaliser ces réformes, le soutien du Conseil de l'Europe sera extrêmement précieux, notamment son expertise en matière législative. Le nouveau pouvoir exécutif ukrainien compte travailler en étroite collaboration avec les autres pouvoirs pour remplir les engagements contractés vis-à-vis du Conseil de l'Europe. Le Président considère qu'un de ses premiers devoirs sera de poursuivre l'enquête sur l'assassinat du journaliste Gongadze.

L'attitude adoptée par les nouveaux dirigeants de l'Ukraine témoigne de leur désir de collaborer avec le Conseil de l'Europe. Les réponses qu'apportera l'Assemblée parlementaire aux défis qui se posent aujourd'hui en Ukraine permettront de stimuler ce pays. Avoir gagné l'élection présidentielle n'est qu'un premier pas. C'est maintenant que débute véritablement le processus de démocratisation qui doit aboutir à une amélioration des conditions de vie du peuple ukrainien. La voie est certes difficile mais ne sera pas obligatoirement longue. Le Président a mis sur pied un plan quinquennal de transformation. Toute son équipe est prête à le mettre en route. L'objectif stratégique de ce plan est bien sûr, à terme, l'adhésion à l'Union européenne.

La réforme du pouvoir exécutif doit permettre de donner un sens concret à l'avancée vers l'Union européenne et l'Ukraine se félicite de la nouvelle stratégie de l'Union à son égard dans tous les domaines, car c'est un premier pas vers l'objectif de l'adhésion. L'Ukraine espère être reconnue comme économie de marché avec, fin 2005, l'entrée dans l'OMC et la constitution avec l'Union d'un espace de libre échange. Des facilités concernant le régime des visas pour les pays de l'Union permettraient dans un premier temps aux Ukrainiens de voyager en Europe et d'y faire des études. Intégrer l'Ukraine à l'Europe comme espace de déplacement sans visas, pourrait contribuer à montrer la vitalité du processus d'unification. Ce pourrait être une base de réflexion pour le Troisième Sommet.

À une question portant sur les ambitions de l'Ukraine vis-à-vis de l'adhésion à l'Union européenne et sur la politique extérieure qu'elle entendait mener, le Président Iouchtchenko a répondu que la Russie est pour l'Ukraine un partenaire stratégique et un voisin incontournable. L'Ukraine qui a conscience du rôle que la Russie peut jouer pour promouvoir ses intérêts, est disposée à formaliser ses relations avec ce pays dans le domaine économique, qu'il s'agisse de la circulation des capitaux ou de la main d'œuvre, des douanes, de la fiscalité ou du budget. Si ces principes intéressent d'autres pays, l'Ukraine n'est pas hostile à des arrangements et à des accords. La formation d'un espace économique commun doit cependant être conforme aux intérêts généraux de l'Europe et ne pas entrer en conflit avec l'objectif de l'adhésion. Il doit être possible de mener une politique qui combine à la fois le mouvement vers l'Europe et le développement de relations avec les pays de la CEI, dont la Russie.

M. Ioutchenko a répondu à plusieurs questions, notamment à celle posée par M. François Rochebloine, Député, en ces termes :

« Monsieur le Président, lors de la campagne pour l'élection présidentielle, l'opinion a été frappée par les informations faisant état de menaces quant à la cohésion nationale de l'Ukraine. Ce risque vous paraît-il toujours présent un mois après votre élection et dans la mesure où des circonstances ont été invoquées à l'appui de cette crainte ? Quelles dispositions comptez-vous prendre à cet égard et comment l'Europe peut-elle vous aider ? »

Dans sa réponse, le Président Iouchtchenko a rappelé qu'il a gagné les élections dans dix-sept régions et à Kiev, ce qui représente la victoire électorale la plus large d'un candidat à la présidentielle dans l'histoire récente de l'Ukraine. Personne avant lui n'avait obtenu plus de quinze régions. Fort de ce soutien géographique étendu, il peut affirmer qu'il n'y a pas dans l'Ukraine, actuellement, de base naturelle à un conflit entre l'Ouest et l'Est, de nature linguistique ou autre. Les Ukrainiens sont tous favorables à la préservation de l'intégrité et de la souveraineté de l'Ukraine, et l'initiative de quelques membres de l'opposition n'est pas conforme aux aspirations de la nation. Cet aventurisme n'a pas d'avenir, parce qu'il est impossible de diviser l'Ukraine et que les tentations fédéralistes et séparatistes n'ont pas de soutien sérieux. Il est important en revanche de participer aux structures du Conseil de l'Europe et aux autres organisations européennes. L'adhésion à ces valeurs ne peut que conforter l'unité et l'indépendance de l'Ukraine.

Mme Josette Durrieu, Sénatrice, a interrogé à son tour M. Ioutchenko en ces termes :

« Monsieur le Président, je vous félicite et vous souhaite beaucoup de courage. Vous avez récemment déclaré, je vous cite : « Dès les premiers mois, les citoyens sentiront ce que signifie dans un pays, démocratie ». Je voudrais savoir, de façon précise, quelles actions immédiates vous souhaitez prendre et, éventuellement, quelles sont déjà les premières actions que vous avez engagées. »

Dans sa réponse, M. Iouchtchenko a souligné que l'époque n'est plus, en Ukraine, à la justice aux ordres, à la démocratie bafouée, aux médias sous contrôle de la présidence, aux salaires de misère versés aux professeurs, aux médecins et aux soldats. L'époque n'est plus, non plus, à ce qu'un journaliste risque la décapitation parce qu'il ne partage pas les vues du pouvoir. Voilà tout ce que le Président de l'Ukraine ne veut plus voir dans son pays. C'est pourquoi il a participé, il y a dix-huit mois, à la création d'une fondation chargée de définir une stratégie pour l'Ukraine propre à la rapprocher de l'Union européenne. Ce programme sera présenté dans les jours qui viennent à la Rada, c'est-à-dire au Parlement.

Déjà, l'information n'est plus censurée, les journalistes ne sont plus poursuivis pour délit d'opinion, et les Ukrainiens respirent l'air de la liberté - le tout, en quelques semaines à peine ! Et puis, pour la première fois dans l'histoire ukrainienne, 136 enquêtes ont été ouvertes pour violations de la loi électorale et deux autres y visent à déterminer les responsabilités dans la mort de Georgiy Gongadze. C'est encore peu, mais c'est la traduction d'un changement radical.

D'autre part, M. Iouchtchenko s'apprête à rencontrer des hommes d'affaires pour traiter avec eux des problèmes économiques du pays. A ce sujet, il se dit prêt à baisser les impôts à condition que tous ceux qui doivent en payer le fassent. C'est un défi considérable qui attend le pays, mais M. Iouchtchenko se dit convaincu que l'Ukraine saura le relever, avec l'aide du Conseil de l'Europe, bien entendu.

E. discussion selon la procÉdure d'urgence : perspectives pour la paix au proche-orient (MERCREDI 26 JANVIER 2005)

M. Mikhaïl Margelov (Fédération de Russie - GDF), rapporteur, tient tout d'abord à saluer la présence, dans les tribunes de représentants israéliens et palestiniens et à féliciter M. Mollazade pour sa récente élection au poste de président de la sous-commission des questions relatives au Proche-Orient.

Les récentes élections organisées en Palestine constituent un événement historique et ouvrent une ère nouvelle pour la région. Il est désormais possible d'espérer la reprise du dialogue entre les deux peuples et la fin d'un conflit qui dure depuis des décennies. L'excellent travail d'observation organisé par diverses institutions internationales a conclu au caractère démocratique et transparent du scrutin. Les électeurs ont pu se déplacer librement pour accéder aux bureaux de vote, grâce notamment à l'ouverture des points de passage. Par ailleurs, la commission électorale centrale palestinienne a décidé le 9 janvier de reporter l'heure de fermeture des bureaux de vote de 19 heures à 21 heures.

Cette élection constitue une victoire pour le peuple palestinien, qui vient de démontrer son attachement aux principes démocratiques. Il aura bientôt l'opportunité de confirmer sa volonté de mettre en place des institutions démocratiques en Palestine, lors des élections législatives du mois de juillet prochain. Le statut du territoire palestinien dépendra des évolutions politiques à venir et l'Assemblée du Conseil de l'Europe a un rôle important à jouer pour soutenir ce peuple dans cette nouvelle page de son histoire.

La Commission de Venise doit évidemment apporter son concours. Il faut aussi développer le dialogue interparlementaire entre l'Assemblée, la Knesset et le Conseil législatif palestinien. Une délégation de l'Assemblée devrait bientôt se rendre au Proche-Orient pour préparer une mission d'observation des élections législatives.

Bien sûr, toutes les attaques contre les populations civiles doivent cesser et Israël doit mettre fin aux implantations de nouvelles colonies. Il faudra du temps pour mettre un terme au terrorisme qui a entraîné la rupture de tout contact entre les deux peuples. Les événements des derniers jours laissent espérer une reprise rapide du processus de négociation. Il est du devoir de l'Assemblée de tout mettre en œuvre pour faciliter le retour au dialogue.

M. Jean-Pierre Kucheida, Député, intervient alors en ces termes :

« Le Proche-Orient, cette région du globe berceau de la civilisation s'écrit depuis des décennies en lettres de sang. Plus de 4 700 morts en Israël et en Palestine depuis le début de l'Intifada, fin septembre 2000 ; des centaines de milliers de victimes en Irak depuis son invasion par les troupes de la coalition et, très régulièrement, des attentats qui font de plus en plus de victimes innocentes, femmes et enfants.

Et nous, les Occidentaux, devant nos postes de télévision, nous semblons résignés, voire apathiques face - n'ayons pas peur des mots - à ce carnage qui s'étale chaque jour devant nos yeux. Pourtant l'espoir et les solutions existent. L'élection en ce début d'année 2005 de Mahmoud Abbas à la présidence de l'Autorité palestinienne nous fait entrevoir des perspectives. La volonté encore timide d'Ariel Sharon nous montre peut-être un nouveau chemin.

En effet, pour que le Moyen-Orient retrouve la voie de la paix, condition indispensable aussi pour nous Européens car d'ici quelques années l'Union européenne, et le Conseil de l'Europe en même temps, sera un voisin immédiat de cette région dont l'instabilité risque de compromettre la sécurité en Europe, les éléments suivants - la liste n'est pas exhaustive - doivent être pris en compte et appliqués : l'égalité et le respect des droits de tous ainsi que l'implication des principes du droit international afin de construire une démocratie garante de sécurité ; le règlement du conflit israélo-palestinien, à travers notamment l'application de la feuille de route et la reconnaissance mutuelle des deux États ; la co-souveraineté sur Jérusalem ; le retrait immédiat des colonies et la destruction du mur de séparation, ce mur de la honte qui nous fait penser à d'autres murs. Ils finissent toujours par s'écrouler, mais qu'ils s'écroulent tout simplement le plus vite possible ; le respect du droit au retour des réfugiés palestiniens et la libération des prisonniers politiques ; un partage équitable des ressources en eau ; le rétablissement de la souveraineté en Irak, d'une véritable souveraineté ; la mise en place d'une économie arabe moins dépendante des économies occidentales ; et l'application du droit des peuples à disposer des ressources naturelles de leur pays.

Ce n'est qu'en s'intéressant et en appliquant les valeurs de la démocratie que l'on pourra résoudre les problèmes du Proche-Orient car l'issue est politique, totalement politique. Ainsi, les solutions appartiennent aux hommes de bonne volonté, humains et honnêtes, et non aux grands groupes financiers, aux grands groupes militaires ou encore à certaines minorités extrémistes mais terriblement agissantes.

L'espoir grandit aujourd'hui. Nous espérons que les décisions d'Ariel Sharon seront suivies. L'élection de Mahmoud Abbas à la présidence de l'autorité palestinienne nous ouvre des perspectives. Israël et les États-Unis doivent, comme les plus forts, montrer l'exemple dans cette négociation qui débloquera en partie, j'en suis persuadé, la situation au Proche-Orient.

Enfin, Monsieur le Président, de tout cœur, comme nombre de mes collègues, j'espère que nous recevrons M. Mahmoud Abbas pour que nous puissions lui donner la force de continuer la mission de paix dans laquelle il s'inscrit aujourd'hui. »

M. François Rochebloine, Député, s'adresse alors à l'Assemblée en ces termes :

« Que de fois avons-nous espéré voir les perspectives de paix au Proche-Orient se préciser, s'affirmer et qu'une étape nouvelle soit franchie sur le chemin de la paix. Il est inutile de refaire ici l'historique des faits, présent dans toutes les mémoires. Avec la commission des questions politiques, je partage l'avis du rapporteur qui nous invite à regarder vers l'avenir et à saisir tous les signes d'espérance. Cependant, je veux le faire en toute objectivité quant aux responsabilités et aux enjeux.

Sur les responsabilités de la crise actuelle et de ses conséquences, il y a le terrorisme, qu'il nous faut condamner d'où qu'il vienne. Il y a aussi cet étrange aveuglement, étrange même s'il est volontaire, qui a conduit la première puissance démocratique du monde à récuser le Président Yasser Arafat. L'histoire jugera l'action de celui-ci, elle en dira les grandeurs et les limites. Il m'étonnerait toutefois qu'elle en vienne à contester que, pour tout un peuple déraciné, le Président Arafat n'ait pas été l'expression de la volonté collective d'autodétermination, de l'aspiration à l'indépendance. Il a été le symbole irrécusable du peuple palestinien. On ne récuse pas un symbole.

Vérité sur les enjeux aussi. Puisque, à plusieurs reprises, le rapport exprime l'espoir que l'accession de M. Mahmoud Abbas à la présidence de l'Autorité palestinienne soit l'occasion de faciliter la reprise des négociations. Il serait difficile, en effet, d'invoquer à nouveau des considérations de personnes pour justifier leur blocage. Les conditions de l'élection de M. Abbas dont tout le monde reconnaît la légitimité et l'expérience politique en font un interlocuteur doublement représentatif.

Je souhaite évidemment que ces négociations aboutissent. Je souhaite également qu'elles se traduisent par la naissance d'un véritable État palestinien pourvu d'un territoire cohérent et que les conditions d'une vie paisible et normale soient garanties aux deux peuples, israélien et palestinien. Cela suppose la disparition de ce mur de la honte, inacceptable et condamné par la Cour internationale de justice, qui sépare les communautés. Des efforts doivent être accomplis de la part de chacun. C'est à ce prix, et à ce prix seulement, que ces pays pourront vivre en paix et espérer un avenir meilleur. »

Puis, Mme Josette Durrieu, Sénatrice, prend la parole :

« Je remercie notre rapporteur. Arafat est mort : un obstacle - ou un prétexte - est tombé. Mahmoud Abbas vient d'être élu dans des conditions exemplaires, sauf à Jérusalem. J'étais présente. Il porte beaucoup d'espoir ; son échec serait un peu le nôtre et probablement aussi un peu celui d'Ariel Sharon.

« Tout le monde aspire à la paix. La souffrance est immense de part et d'autre. J'ai été témoin en Palestine - où nous étions récemment - de témoignages, toutes générations confondues, des jeunes comme des plus âgés, d'aspiration à la paix.

« La paix sera négociée ; ce sera une paix politique. Chers amis Palestiniens, chers amis Israéliens, il n'y aura pas de paix derrière des murs, pas de paix par la force. Une conférence internationale doit s'ouvrir et deux statuts seront instaurés pour deux États. A l'évidence, le plan Sharon ne conduit pas à la négociation juste et équilibrée, car il est unilatéral. Le Quartet doit reprendre ses droits et la feuille de route. Par la force des choses, un compromis interviendra entre les exigences des uns et les renoncements des autres, qui portera sur trois points : les colonies, les réfugiés, Jérusalem.

« Les colonies - et c'est juste - sont une exigence des Palestiniens. Le retrait s'impose. L'équation israélienne c'est moins d'hommes et plus de terres. La question est délicate, elle est essentielle.

« Du retour des réfugiés, notre Assemblée doit en faire un principe. Retour ou compensation sera un point qui sera certainement négocié.

« Jérusalem est une question centrale ; pourtant, personne n'en parle. L'occupation est une réalité. La division a été réglementairement acceptée, mais l'occupation, si elle est aujourd'hui invisible, est pourtant un fait. Lors des élections, nous avons constaté que sur 120 000 Palestiniens en mesure de voter, 5 400 seulement étaient inscrits. Aujourd'hui, un Palestinien a un passeport jordanien. Il peut obtenir un passeport israélien ; il ne peut voyager que s'il obtient une autorisation des Israéliens. Jérusalem sera la question la plus difficile à négocier, mais je pense que Jérusalem est déjà réunifiée. Les colonies encerclent, quand les murs ne les doublent pas, les quartiers arabes. Si le processus ne s'engage pas rapidement, l'Intifada reprendra. Elle fédérera le monde musulman contre l'Occident, elle donnera ses droits au terrorisme que nous combattons au nom de la justice. Soutenons le processus de paix qui doit s'engager très rapidement. »

Enfin, M. Bernard Schreiner, Député, a présenté les observations suivantes :

« Mise en place d'un gouvernement d'union nationale en Israël, disparition de M. Yasser Arafat et arrivée de M. Mahmoud Abbas à la tête de l'Autorité palestinienne. Les choses bougent dans un Moyen-Orient qui nous avait habitué, ces dix dernières années, à un immobilisme meurtrier et désespérant.

« Le successeur de M. Arafat à l'OLP a estimé que la proposition de M. Tony Blair d'organiser une conférence internationale début 2005 à Londres pour soutenir la réforme de l'Autorité palestinienne et la relance du processus de paix, était un « premier pas ». Il a souligné le bien-fondé de réformes économiques et sécuritaires que les Palestiniens comme la communauté internationale réclamaient à M. Arafat.

« Il est aussi conscient de la nécessité d'améliorer la transparence dans les comptes de l'Autorité palestinienne.

« Ces éléments sont positifs. L'élection présidentielle a, dans un premier temps permis une transition sans heurts. Elle révèle également l'existence d'une culture démocratique dans la société palestinienne.

« M. Ariel Sharon, appuyé sur une nouvelle majorité politique s'est engagé à évacuer la Bande de Gaza. C'est une attitude politiquement courageuse quoique l'on puisse penser du fond du dossier.

« Les relations entre les deux leaders semblent s'améliorer. M. Sharon a appelé M. Abbas pour le féliciter après son élection.

« M. Abbas, après un attentat meurtrier qui a fait craindre le pire pour l'avenir des relations israélo-palestiniennes, a en partie accédé aux demandes de M. Sharon en s'efforçant de calmer les plus extrémistes de son camp.

« Malgré les difficultés, un lien ténu a été tissé entre les deux camps.

« Rien n'est définitif mais tout doit être fait pour entretenir l'espoir de paix dans une région meurtrie par des décennies de guerre et sans la stabilisation de laquelle, il paraît illusoire de penser pouvoir lutter efficacement contre le terrorisme.

« Et c'est là que l'Union européenne a un rôle à jouer, alors que s'ouvre une nouvelle opportunité. Les ministres européens des affaires étrangères ont rappelé au sommet de Bruxelles leur doctrine. Une paix durable passe impérativement par la coopération en matière de sécurité, comme le prévoit la feuille de route.

« Pour le Conseil des ministres le retrait israélien de la bande de Gaza et d'une partie de la Cisjordanie pourrait constituer un pas important sur la voie de la mise en œuvre de la feuille de route « pour autant que ce retrait soit total et complet et qu'il soit mis en œuvre conformément aux cinq éléments énoncés par le Conseil européen de mars 2004 », à savoir : qu'il s'inscrive dans le cadre de la feuille de route ; qu'il constitue une étape dans un règlement du conflit sur l'existence de deux États ; qu'il n'entraîne pas de déplacement des colonies de peuplement vers la Cisjordanie ; qu'il comporte un transfert organisé et négocié de responsabilités à l'Autorité palestinienne ; qu'Israël facilite la réhabilitation et la reconstruction de Gaza.

« Le Conseil a aussi souligné que « le retrait ne devait pas viser à remplacer la feuille de route et le règlement du conflit fondé sur l'existence de deux États que la feuille de route prévoit ». Il est rappelé que les activités de colonisation sont contraires à la feuille de route.

« C'est dans ce cadre que l'Union européenne a apporté son soutien aux élections palestiniennes.

« Au terme de ce bilan et de cette analyse, que conclure ? La situation au Moyen-Orient est toujours incertaine et pourtant, de nouvelles perspectives semblent se dessiner. Alors je ne peux que vous rappeler la maxime de Guillaume d'Orange : "il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer". Puisse cette maxime soutenir les efforts de tous les artisans de paix au Moyen-Orient, car ils ont face à eux, dans les deux camps, de nombreux extrémistes, qui agissent selon une logique de haine et d'exclusion. »

Au terme de ce débat d'urgence, l'Assemblée a adopté la Résolution n° 1420.

F. Relations entre l'Europe et les États-Unis (JEUDI 27 JANVIER 2005)

M. Claudio Azzolini (Italie - PPE), rapporteur au nom de la commission des questions politiques, se déclare militant convaincu de l'idée européenne, et persuadé que le Conseil de l'Europe peut apporter une contribution originale au renouveau du partenariat transatlantique. Il a donc appuyé ses réflexions sur les conclusions du forum interparlementaire sur le dialogue transatlantique qui s'est tenu à Londres le 19 avril 2004.

Le rapport traduit l'idée que la coopération transatlantique demeure irremplaçable pour la sécurité de la planète. John Kennedy rappelait déjà que « ce qui nous unit est beaucoup plus important que ce qui nous divise ». M. Azzolini se félicite que l'approche retenue ait fait l'objet d'un consensus au sein de la commission, toutes tendances politiques confondues. Il ne s'agissait pas de taire les divergences mais de dire l'importance d'une stratégie commune sur les grandes questions du moment - le règlement du conflit au Proche-Orient, par exemple - selon le principe défendu par l'ancien Président de l'Assemblée Giuseppe Vedovato, ardent défenseur de la coopération transatlantique. Lors des célébrations du bicentenaire de l'indépendance américaine, il avait souligné que les relations devaient être fondées « sur la franchise des arguments et la convergence des principes ».

Les valeurs communes à l'Europe et aux États-Unis que sont le respect et la défense des droits de l'homme ont d'ailleurs été évoquées par le président Bush lors de son tout récent discours d'investiture. Tant l'Europe que les États-Unis doivent admettre qu'elles tireront avantage de leur complémentarité et de leur interdépendance. Déjà, les conséquences tragiques du tsunami qui a dévasté certains pays d'Asie du Sud-Est ont suscité une mobilisation et une solidarité unanime sur les deux continents.

Le processus d'intégration européenne aura sans conteste des conséquences politiques, militaires et économiques et l'Europe élargie enrichira la relation transatlantique, en sa qualité d'alliée fiable des États-Unis, qui doivent surmonter leur méfiance devant l'évolution en cours. Quant à l'Europe, elle ne doit pas se complaire dans une dialectique stérile avec les États-Unis. La venue du Président Bush en Europe, le 22 février, est le signe encourageant d'un tournant dans les relations transatlantiques, du renforcement de la cohésion et, on peut l'espérer, du nouveau multilatéralisme efficace que M. Fini, ministre des Affaires étrangères de l'Italie, appelle de ses vœux.

Quelle peut être la contribution du Conseil de l'Europe au renouveau souhaitable du partenariat transatlantique ? Il doit favoriser l'institutionnalisation du dialogue entre l'Assemblée et le Congrès américain, et créer pour cela une délégation parlementaire ad hoc. Par ailleurs, le Congrès des États-Unis devrait être incité à demander l'octroi du statut d'observateur auprès de l'Assemblée parlementaire et, entre-temps, à désigner en son sein un groupe de contact. De nombreux malentendus pourront ainsi être levés entre une Europe qui commémore cette année la libération d'Auschwitz et, plus largement, sa libération, permise par le sacrifice de milliers de vies américaines. Que Victor Hugo ne soit pas démenti, lui qui, cent ans avant la création du Conseil de l'Europe, imaginait déjà qu'un jour viendrait où Amérique et Europe se tendraient la main par-dessus l'Atlantique.

M. François Loncle, Député, nuance quelque peu ces observations :

« Inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe un débat avec un excellent rapport de notre collègue M. Azzolini sur le lien transatlantique montre l'importance de cette question pour nous, Européens : je ne suis pas sûr que le Congrès des États-Unis émette actuellement le souhait de mener un débat similaire.

« C'est dire si le lien atlantique, si important sous la guerre froide, est sorti fragilisé d'une série d'événements, malgré la communauté de valeurs qui unit l'Europe, les États-Unis et le Canada, malgré l'intensité des relations humaines, économiques ou culturelles qui forment ce que nous appelons le monde occidental.

« La chute du mur de Berlin a modifié l'ensemble des données de la situation internationale. A un monde binaire où l'alliance euro-américaine garantissait notre liberté, a succédé un monde fragmenté, plus complexe qu'auparavant, où les menaces sont diverses et n'ont pas toujours une origine étatique.

« Face à ce monde, devenu dangereux, force est de constater que l'Europe, pas toujours unie, et les États-Unis d'Amérique n'ont pas la même approche. Par une ironie de l'histoire, l'Europe privilégie actuellement une démarche multilatérale, héritée du Président américain Wilson. L'Europe continue de faire confiance aux institutions collectives, qu'il s'agisse des Nations Unies, de l'OSCE, de notre Conseil de l'Europe, ou de la diplomatie naissante de l'Union européenne. Si nous voulons renforcer le multilatéralisme, il faut que nous agissions ensemble sur les causes des problèmes du monde.

« Les États-Unis ont adopté une attitude différente. Il est vrai que les éléments qui fondent leur position sont liés à leur puissance militaire, ce pays assurant à lui seul 40 % des dépenses mondiales d'armement chaque année. Depuis la prise de fonction du Président George Bush, les États-Unis placent les relations internationales sous l'égide classique des rapports de force et cherchent à donner une forme juridique légitime à la notion d'attaque préventive, sorte de droit de défense anticipé, les autorisant à attaquer tout État qui pourrait - j'utilise à dessein le conditionnel - menacer leur sécurité.

« L'impact de l'attentat du 11 septembre a été sous-estimé par un certain nombre de dirigeants européens. Mais du côté américain, il a apporté une justification de fait à une théorie qui circulait dans l'administration bien avant ce tragique événement. Si, à l'évidence, les États européens ne pouvaient que se sentir solidaires des Américains dans l'épreuve qu'ils traversaient, il a été ensuite difficile pour nombre d'entre eux de souscrire à des actes qui violaient délibérément la Charte des Nations Unies.

« Est-ce à dire que le lien transatlantique est définitivement distendu ? Je répondrai sans ambiguïté par la négative, sachant que la principale question porte sur la nature conjoncturelle ou structurelle de la distanciation que nous percevons. Rappelons qu'Européens et Américains ont conduit une coopération militaire et politique exemplaire en Bosnie, qu'ils travaillent ensemble à la stabilisation de l'Afghanistan, qu'ils ont en commun appelé à des élections libres en Ukraine et qu'ils se sont ensemble impliqués, via le Conseil de l'Europe et l'OSCE, dans la supervision du nouveau second tour, qui a conduit à l'élection de M. Iouchtchenko.

« La distanciation entre États-Unis et Europe va-t-elle au-delà de la divergence de conjoncture, du désaccord sur l'affaire irakienne ? Là est sans doute l'interrogation majeure. Le commerce, la culture, la non ratification du Protocole de Kyoto, la non reconnaissance du Tribunal pénal international sont autant de désaccords sur la vision des relations internationales.

« Restaurer le lien atlantique devient dès lors un enjeu majeur des relations internationales. Les États-Unis sont un allié auquel nous devons notre liberté, les cérémonies du 60ème anniversaire du débarquement de Normandie ont à cet égard montré l'attachement de nombreux Français envers les Américains qui ont versé leur sang en Europe.

« A l'exception de l'Irak, je ne vois pas de problèmes sur lesquels nos positions ne puissent se rapprocher. Dans les Balkans, en Afghanistan, face au risque nucléaire en Iran, face au terrorisme, Américains et Européens partagent les mêmes visions.

« Les divergences sur l'Organisation mondiale du commerce ou le Protocole de Kyoto sont d'une autre nature, car s'il s'agit de questions fondamentales, elles n'engagent pas la liberté du monde. Et, s'agissant de l'Irak, convenons que personne n'a intérêt à ce que subsiste une situation de chaos. Chacun doit s'atteler à la reconstruction.

« Le resserrement du lien transatlantique ne dépend pas uniquement des gouvernements. Les Parlements nationaux, comme les assemblées interparlementaires, ont un rôle à jouer. Nos collègues membres des assemblées de l'OTAN et de l'OSCE comptent au rang des États membres les États-Unis. Mais je vous suggèrerai, Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, en signe politique, de bien vouloir transmettre nos débats aux speakers de la Chambre des Représentants et du Sénat, ainsi qu'aux leaders de la minorité démocrate, afin qu'ils sachent que leurs collègues européens attachent une grande importance aux relations entre nos pays, et que notre attente est également grande de savoir quelle vision ont les parlementaires américains de leurs relations avec l'Europe. »

M. Bernard Schreiner, Député, s'adresse à son tour ainsi à l'Assemblée :

« Créés par des Européens en rupture avec le vieux continent, les États-Unis ont entretenu des relations complexes et changeantes avec notre continent.

« Après une longue période d'isolationnisme, le premier conflit mondial a ouvert, avec le Président Wilson, une ère de multilatéralisme. Dès lors, Européens et Américains se sont retrouvés unis pour lutter contre le nazisme puis contenir l'expansion soviétique.

« L'effondrement du mur de Berlin et la disparition de l'adversaire commun ont commencé à fragiliser les relations transatlantiques. Le 11 septembre et la crise irakienne les ont profondément perturbées.

« Pourtant, les relations transatlantiques, c'est-à-dire l'étroite coopération entre l'Europe et les États-Unis, sont plus que jamais nécessaires.

« Tout d'abord une réalité : l'Europe a besoin des États-Unis pour assurer sa défense globale. Certes l'adversaire soviétique a disparu, mais la guerre du Golfe en 1991 a révélé l'extraordinaire retard en armement de l'Europe, montrant l'ampleur des efforts militaires qu'il nous reste à faire. L'Union européenne ne manque certes ni de puissance économique et culturelle, ni de légitimité juridique et démocratique. Mais elle manque de puissance militaire.

« Si les Européens veulent être pris au sérieux par Washington, ils ne peuvent se contenter de s'appuyer sur la puissance militaire des États-Unis. La politique européenne de sécurité et de défense est une réponse à cet impératif, elle vise à rompre avec l'image d'une Europe sous protectorat américain. Certes, les États-Unis ont clairement fait savoir aux européens que la PESD ne devait pas se développer au détriment de l'OTAN. Mais elle est compatible avec le « pilier européen de l'Alliance » évoqué par Henry Kissinger, où les Européens prendraient leur part du fardeau financier. Malheureusement, les Américains ne semblent pas prêts à en accepter les conséquences logiques, à savoir que les Européens puissent également participer à la prise de décision.

« De son côté, l'Amérique a besoin de l'Europe. Les États-Unis sont incomparablement plus puissants que les autres États, même si ceux-ci se prévalent eux-mêmes du titre de grandes puissances.

« Dans ce monde complexe, le plus fort a constamment besoin d'alliés, ne serait-ce que pour maintenir en temps réel un réseau de communication indispensable face aux ennemis qu'il combat, notamment le terrorisme.

« Les États-Unis ont besoin de leurs amis européens et pas seulement pour la qualité de leurs services de renseignement, la compétence de leurs polices, le professionnalisme de leurs juges mais pour leur présence et leur détermination ainsi que leur connaissance de la complexité du monde.

« Les Américains peuvent sans doute donner des leçons de détermination aux Européens, mais ceux-ci peuvent leur donner en retour des leçons de complexité.

« Enfin, le monde a besoin d'une relation transatlantique forte. Démographiquement, l'importance de l'Occident a diminué. Économiquement, les zones de croissance se sont déplacées en Asie. Mais politiquement, sans même mentionner les aspects stratégiques et militaires, l'influence de l'Occident reste considérable. Seul cet Occident a la volonté, la capacité et les moyens de s'impliquer dans les affaires du monde.

« Il n'existe pas de fossé culturel et stratégique entre l'Europe et les États-Unis.

« Parce qu'ils sont moins puissants aujourd'hui, les Européens doivent faire davantage. S'ils ne progressent pas dans le domaine de la sécurité, ils ne seront pas pris au sérieux par les Américains. Pour leur part, les Américains doivent redécouvrir les vertus de la modestie et de l'autolimitation. C'est pour eux une tâche difficile. Mais seul ce double mouvement peut réinventer l'Occident et lui permettre de faire face aux enjeux du XXIème siècle. »

M. André Schneider, Député, présente ses observations en ces termes :

« Il n'y a aucun doute en la matière : le lien entre l'Europe et les États-Unis s'est distendu au cours des dernières années, et le premier mandat du Président George Bush n'en est pas la seule raison. Fondamentalement, l'Europe et les États-Unis n'ont plus toujours les mêmes intérêts. Ils demeurent cependant des alliés irremplaçables l'un pour l'autre, ce qui, quelque part, les force à trouver des terrains d'entente.

« Il est par trop facile de mettre sur le compte de la seule politique de M. George Bush la distanciation croissante des deux rives de l'Atlantique. Certes, le Président américain n'a pas la même vision des relations internationales que ses prédécesseurs - j'y reviendrai - mais il nous faut garder à l'esprit que la politique est à la fois une œuvre de volontarisme et le reflet de l'évolution des sociétés. Or tout observateur ne peut que constater la différence entre une société américaine libérale, exaltant la réussite individuelle, et une société européenne, qui a des difficultés à rénover son modèle de cohésion sociale. Tandis que les États-Unis sont un laboratoire de hautes technologies et consacrent dix fois plus de fonds à la recherche fondamentale que l'Europe, cette dernière ne peut que constater l'échec de la stratégie de Lisbonne.

« Un autre constat s'impose : l'Europe et les États-Unis ne sont plus l'un pour l'autre le premier partenaire commercial. La Chine joue désormais ce rôle pour l'Europe, comme pour les États-Unis. Le tropisme des États-Unis vers l'Asie se développe dès les années 1970 avec l'émergence des pays de l'ASEAN. Parallèlement aux liens avec le Japon et Taiwan, ce tropisme ne cesse de se renforcer. Ajoutons la dépendance monétaire des États-Unis vers la Chine, premier acheteur des bons du trésor américain, et l'on comprendra que les intérêts économiques américains glissent de plus en plus vers l'Asie.

« Je tenais à souligner cette évolution de nos sociétés et de nos intérêts, même si, à l'évidence, c'est bien l'affaire irakienne qui a révélé nos divisions : division entre pays européens, voire à l'intérieur de leurs opinions publiques et, finalement, division entre les États-Unis et plusieurs pays européens. C'est une réalité qu'il nous faut déplorer, tant les relations internationales ont longtemps reposé sur la certitude de l'intangibilité du lien atlantique.

« La très large réélection du Président Bush - alors que de nombreux Européens souhaitaient sa défaite - a prouvé que les Américains avaient une vision du monde et des relations internationales radicalement différentes de la nôtre. Nous considérons que le terrorisme fait partie du champ des relations internationales, sans doute parce que nombre de nos pays en ont subi les atteintes depuis les années 1970, sous diverses formes, tandis que les Américains, traumatisés par le 11 septembre, y voient une déclaration de guerre. Ils considèrent ou veulent considérer que le terrorisme est un fait étatique alors que les Européens analysent le terrorisme comme l'action de groupes organisés, cette action n'engageant pas les États, à de rares exceptions, comme l'Afghanistan des Talibans.

« L'analyse n'est donc pas la même. Le diagnostic non plus. L'Europe incline au dialogue et n'admet le recours à la force que sur la base de l'article 51 de la Charte des Nations Unies ou d'une décision du Conseil de Sécurité, prise en application du Chapitre VII de la Charte. Les États-Unis cherchent, pour leur part, à théoriser, sinon à donner une base juridique à la notion de défense préventive.

« Ce constat n'est guère optimiste pour les années à venir. Mais le volontarisme, dès lors qu'il s'appuie sur la réalité, peut nous permettre de resserrer nos liens atlantiques. Si Européens et Américains n'ont pu se mettre d'accord sur l'Irak, ils le sont en Bosnie et en Afghanistan, et jouent sur ces deux théâtres d'opération un rôle crucial de stabilisation. Ils ont également tous deux intérêt à éviter l'embrasement du Caucase. Dans ces trois régions, leur message est identique et passe par le renforcement de la démocratie.

« L'année 2005 pourrait permettre de tester d'éventuels rapprochements entre nos deux continents : élections palestiniennes, élections irakiennes, Sommet du G8, entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, sans oublier la coordination de nos efforts de solidarité envers les pays frappés par le Tsunami. Européens et Américains auront maintes occasions de rappeler que leurs divergences ne sont peut-être que conjoncturelles et que l'Atlantique est toujours le foyer de la démocratie et des droits de l'homme.

« C'est la raison pour laquelle je soutiendrai le rapport de notre collègue. »

Mme Josette Durrieu, Sénatrice, s'exprime alors en ces termes :

« Je tiens à saluer le rôle joué dans l'histoire par les États-Unis, intervenus à deux reprises dans des conflits mondiaux pour sauver la situation. Ils constituent également l'un des grands pays fondateurs de la démocratie moderne. En effet, la Déclaration des droits aux États-Unis a précédé la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en France.

« Lorsque j'ai abordé cette réflexion, deux mots ont traversé mon esprit : paix et démocratie. Après m'être rendue avec un certain nombre d'entre vous, deux fois, aux États-Unis au mois de novembre, je me suis interrogée.

« Première question : quelles sont les réelles menaces qui pèsent sur le monde aujourd'hui ? Faut-il incriminer les régimes ou bien les acteurs non étatique, le terrorisme, Ben Laden ?

« Pour ce qui est des régimes, les Américains ont tranché : l'Irak, Saddam Hussein, étaient la clé du mal. Aujourd'hui, c'est l'Iran. Autre risque de bombe : la Corée du Nord. Le danger est le même.

« Quelle est la stratégie ? Elle est définie par les États-Unis et nous sommes divisés à propos de l'Irak. Quelle est et quelle sera notre position sur le problème de l'Iran ? La crise est imminente et l'accord auquel sont parvenus trois pays européens est fragile.

« Quelles sont les priorités ? Avons-nous les mêmes ? La priorité est-elle notamment de régler le conflit israélo-palestinien ? A l'évidence, non. Sinon, on s'y serait employé plus tôt. Hier, la priorité était d'attaquer l'Irak, demain ce sera d'attaquer l'Iran.

« Quelle est la finalité ? En la matière, il n'y a rien de très cohérent, ni de très clair. Les moyens ont déjà été évoqués. Ceux de l'Europe et ceux des États-Unis ne sont pas comparables. L'Union européenne a déjà pris quatre-vingts ans de retard en matière de défense. Les États-Unis sont la seule force mondiale ; l'Europe n'est qu'une force régionale. En termes de puissance nucléaire, les États-Unis représentent un poids supérieur aux forces cumulées de la Grande-Bretagne, de la France et de la Chine, qui totalisent pourtant plus de mille bombes atomiques. Treize pays possèdent la bombe, quarante sont en capacité de l'obtenir. Deux pays sont redoutés : la Corée du Nord et l'Iran. Le risque est réel.

« Les relations transatlantiques sont aujourd'hui à un tournant. Les États-Unis abandonnent l'Europe. Tous ceux qui sont allés, en novembre, aux États-Unis se le sont entendus dire. Nous sommes obligés de l'entendre. Les conflits européens sont des conflits régionaux qui ne relèvent plus de leur champ d'action. En outre, l'Europe est devenue pour eux un partenaire secondaire. C'est la fin du multilatéralisme, la fin des alliances traditionnelles. Vous le savez, est venu le temps du partenariat à la carte. Parmi les autres partenaires possibles, même si on a du mal à l'entendre, figurent la Corée du Nord et le Japon.

« La Constitution que nous approuverons prochainement, les uns et les autres, fait référence aux alliances traditionnelles et à l'OTAN comme point d'ancrage d'un processus de construction de la défense européenne. Veillons à ne pas nous accrocher dans le vide et à un partenaire qui n'en veut plus.

« S'agissant enfin de la démocratie, si le combat des valeurs remplace la force, tant mieux, mais pour quelles valeurs ? Si M. Bush reste favorable à la peine de mort, nous ne partageons pas cette valeur. Quant à la « liberté économique », en tant que socialiste, je tiens à rappeler qu'elle opprime souvent et que la loi libère. Il n'empêche que le combat des valeurs, c'est le nôtre, le nôtre en Europe, le nôtre ici. »

À la suite de ce débat, l'Assemblée a adopté la Résolution n° 1421 et la Recommandation n° 1694.

Le dÉbat portant sur le 3ÈME sommet des chefs d'État et de gouvernement du conseil de l'europe (MERCREDI 26 JANVIER 2005)

En prévision du 3ème Sommet des chefs d'État et de gouvernement des 46 États du Conseil de l'Europe qui doit se tenir à Varsovie les 16 et 17 mai 2005, l'Assemblée a délibéré d'une Recommandation à partir du projet de la Commission des questions politiques et des contributions de toutes les commissions.

Dans ce débat, M. Jacques Legendre, Sénateur, a présenté l'avis de la Commission de la Culture, de la Science et de l'Éducation, en ces termes :

« La commission de la culture, de la science et de l'éducation estime évidemment que la culture est une composante très forte dans les défis que nos sociétés et, par conséquent, le Conseil de l'Europe, se doivent de relever. Les exemples abondent : nécessité d'assurer la cohésion de nos sociétés de plus en plus culturelles, multi religieuses, tout en préservant la diversité culturelle et linguistique ; besoin d'éducation et de formation adaptées à la société d'information et au développement économique ; défense des droits de l'homme et des valeurs démocratiques dans le contexte des progrès de la science et de la technologie.

« Le Troisième Sommet coïncide avec la célébration de cinquante ans de coopération culturelle européenne, qui a contribué, dans une grande mesure, au rapprochement des pays européens et à la promotion de nos valeurs, même avant la chute du Mur de Berlin. Si le Sommet veut renforcer le rôle et l'influence du Conseil de l'Europe au sein et au-delà du continent européen, il doit attribuer une place particulière à la culture, au sens le plus large : éducation, patrimoine, art, science, médias, jeunesse et sports.

« La commission de la culture se réjouit donc que la commission politique ait accepté ses amendements, qui visaient justement à mettre l'accent sur l'importance de la culture et notamment sur quelques aspects auxquels notre commission a toujours attaché une importance particulière : l'éducation à la citoyenneté démocratique et aux valeurs que notre organisation estime devoir rester une des activités primordiales du Conseil de l'Europe.

« Le Sommet devrait également réaffirmer le rôle de l'organisation en tant que forum paneuropéen interactif de promotion du dialogue interculturel et religieux. Dans le contexte de la société de l'information et de la globalisation, le Sommet devrait appuyer la diversité culturelle, y compris celle des médias, et défendre le rôle de la culture comme porteuse de valeurs et non comme un bien de consommation. Nous attachons une importance particulière aux travaux en cours à l'UNESCO sur une convention internationale pour la protection de la diversité culturelle et des expressions artistiques.

« Finalement, la réalisation des objectifs doit être accompagnée de mécanismes de suivi efficaces et transparents. C'est la raison pour laquelle la commission souhaite qu'à côté du monitoring par pays, se mette en place, de plus en plus, un système de monitoring thématique renforcé. »

Intervenant dans le débat, M. Michel Barnier, ministre français des Affaires étrangères, a fait la déclaration suivante :

« Mesdames et Messieurs, en vous saluant au nom du Gouvernement de la République française chacune et chacun, dans la diversité de vos engagements politiques - qui sont variés comme il est normal en démocratie - et de vos nationalités, je tiens à dire que je suis très heureux de l'invitation que vous m'avez faite à m'adresser à vous pendant quelques minutes, très heureux pour plusieurs raisons.

« Tout d'abord, parce que, naturellement, le gouvernement de mon pays est heureux, fier et honoré que ce soit sur le territoire de la France que se trouve le Conseil de l'Europe. Je dis cela non seulement au nom du gouvernement de la France, mais aussi en associant à ce sentiment de fierté et d'honneur les parlementaires français qui siègent parmi vous.

« Puis, René van der Linden vient de le rappeler, pendant les cinq dernières années, j'ai eu l'honneur d'être Commissaire européen en charge d'une des plus belles politiques de l'Union, celle de la solidarité avec les régions, cette politique de cohésion économique, sociale et territoriale qui prouve simplement que cette Union qui se construit depuis cinquante ans et qui tient ses promesses de paix et de stabilité, n'est pas seulement un supermarché mais est aussi une communauté solidaire, et qu'elle veut être un acteur politique dans le monde.

« J'ai également eu la chance avec votre Président et avec d'autres, de travailler dans la Convention en tant que membre du præsidium et d'être attentif à des sujets qui vous concernent et vous intéressent, sur lesquels vous avez les uns ou les autres travaillé. Je pense à la Charte des droits de l'homme qui aura, je l'espère, une valeur constitutionnelle une fois la Constitution approuvée ou à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention des droits de l'homme.

« Puis, au-delà de cet engagement européen, qui est au cœur de ma propre action publique depuis le début, le temps où j'ai été moi-même, durant presque une vingtaine d'années, parlementaire national n'est pas si loin. Cela me permet de saluer votre propre engagement aux uns et aux autres dans vos pays pour faire vivre ces valeurs qui nous réunissent aujourd'hui.

« Puisque vous m'en donnez l'occasion, je dirai à mon tour, Monsieur le Président, quelques mots de ce rendez-vous très important qu'est le Troisième Sommet du Conseil de l'Europe qui se tiendra à Varsovie les 16 et 17 mai prochains. A mes yeux, ce sommet doit être celui d'un engagement mais aussi le moment d'un bilan et, probablement, celui d'un nouvel élan.

« Il sera donc d'abord, le moment d'un engagement : celui d'une Europe déterminée à promouvoir les droits de l'homme, la démocratie et l'État de droit, d'une Europe décidée à poursuivre sa transformation. Alors que d'autres régions, dans un monde très désordonné, hésitent encore sur leur propre avenir, alors que nombre d'entre elles basculent dans la violence, nous donnons l'image d'une Europe unanime, rassemblée sur un socle de valeurs, celles du Conseil de l'Europe. C'est là un message extrêmement fort.

« Je peux en témoigner en tant que Ministre des Affaires étrangères parcourant ce monde en désordre et dangereux où, souvent, sans que nous ayons à donner des leçons aux autres régions, ce que nous faisons ici sert d'exemple ou de référence. C'est donc un message politique fort dans le monde d'aujourd'hui dont nous avons encore mesuré la force, voici quelques jours à peine, en écoutant et en respectant le peuple ukrainien dont le Président s'est exprimé devant vous il y a quelques heures.

« Ce sommet sera ensuite le moment d'un bilan. En effet, le Conseil de l'Europe est sur le seuil d'une étape importante de son histoire : il a réussi son élargissement, à l'exception de la Biélorussie ; il représente la mémoire, il est le gardien des progrès de la démocratie en Europe depuis plus de cinquante ans. Cinquante ans après, sans doute le moment est-il venu d'une réflexion sur les activités de notre organisation : quelles sont ses réussites, ses difficultés ? Comment mieux répondre aux défis actuels, notamment aux liens qui doivent s'établir avec les autres institutions européennes, elles-mêmes profondément transformées ? Cela doit être au cœur du plan d'action que prépare le Comité des Ministres, auquel votre Assemblée va contribuer.

« Enfin, au-delà du bilan, le Sommet doit donner de l'élan au Conseil de l'Europe. Nous devons regarder résolument vers l'avenir tout en nous appuyant sur les leçons de l'histoire. J'ai entendu M. Wilkinson évoquer le soixantième anniversaire de la libération des camps. Demain, je serai à Auschwitz avec beaucoup d'autres ; lundi dernier, je me trouvais à la tribune des Nations Unies à New-York pour participer à la session exceptionnelle consacrée à la commémoration aux côtés du prix Nobel, Elie Wiesel. Au nom du Gouvernement français, j'ai rappelé que ce moment de commémoration était l'occasion d'exprimer avec force un devoir de mémoire et un devoir de vigilance.

« Mesdames, Messieurs, votre Assemblée, qui a été la première réponse européenne au lendemain de la libération des camps, au lendemain de cette nouvelle et tragique nouvelle "guerre civile" pour reprendre les termes de Victor Hugo parlant des guerres entre Européens, doit être, et chaque jour davantage, le lieu militant de la vigilance. Je pense à tout ce qui peut, ici ou là, remettre en cause les valeurs et les principes de la démocratie ; je pense aux résurgences de l'antisémitisme et du racisme, en particulier.

« La conviction de la France est que le Conseil de l'Europe a une responsabilité pour l'avenir. Notre organisation, différente dans ses missions et dans ses dimensions de l'Union européenne, joue un rôle irremplaçable pour le projet européen. Elle en est, nous en sommes, ici dans cette assemblée, la fondation. Que je sache, aucune construction, aussi ambitieuse soit-elle, ne peut se passer d'une fondation. Encore faut-il que certaines conditions soient réunies.

« La première est que le Conseil de l'Europe soit fort sur ses points forts et maintienne son niveau d'excellence, d'intransigeance sur les questions qu'il connaît mieux que personne : la protection des droits de l'homme, la démocratie, la prééminence du droit. C'est cette contribution qui fait la force et la spécificité de notre organisation. Voilà pourquoi je souhaite que le Sommet de Varsovie fixe clairement comme priorité de préserver le rôle de la Cour européenne des Droits de l'Homme qui offre un recours direct à 800 millions de citoyens européens. Or, actuellement, la Cour n'est pas à même de répondre dans un délai raisonnable à l'afflux des requêtes. Nous devons relever ce défi et mener à bien la réforme voulue dans le Protocole 14 avec l'objectif qu'il soit ratifié par tous d'ici au mois de mai 2006. Nous devons aussi nous engager à fournir à la Cour un soutien financier durable.

« Permettez-moi - parce qu'il effectue un travail différent, mais aussi remarquable - de mentionner l'action, que je veux saluer, du Commissaire aux droits de l'homme, Alvaro Gil Robles.

« Dans le même esprit, nous devons prendre garde à la mise en œuvre des conventions. A quoi bon travailler à des textes si leur application n'est pas suivie, ni évaluée, ni corrigée quand nécessaire ?

« Ainsi que vous l'avez indiqué, Monsieur le Président, lundi devant l'Assemblée, le Conseil de l'Europe doit exercer une action concrète dans la vie des gens. Pour cela, plus que des textes de droit, il faut aussi des mécanismes de suivi, d'évaluation et de contrôle. Les questions de démocratie et de droits de l'homme n'ont naturellement rien de figé ni de conservateur. Elles sont, tout au contraire, constamment confrontées à de nouveaux défis. Le Conseil de l'Europe l'a parfaitement compris en traitant le sujet complexe de la cyber-criminalité.

« Le plus grand de ces nouveaux défis dans le monde dangereux où nous vivons est sans doute celui du terrorisme, que le Conseil ne peut évidemment pas ignorer. Il doit apporter sa propre contribution, par exemple à la lutte contre l'apologie du terrorisme ou à l'indemnisation des victimes. Cette contribution doit trouver sa place dans l'effort multilatéral de lutte contre le terrorisme. C'est une menace mondialisée par excellence.

« La deuxième condition d'un nouvel élan passe par une meilleure coopération du Conseil avec d'autres organisations internationales. Je pense à l'OSCE, aux Nations Unies et, notamment, à l'Union européenne, qui s'est beaucoup élargie, qui s'élargira encore et qui s'apprête à franchir une étape décisive constitutionnelle sur ce parcours d'une cinquantaine d'années. C'est une étape à laquelle plusieurs d'entre vous en qualité de Parlementaires, vous-même, Monsieur le Président, ont grandement contribué au sein de cette convention qui, pour la première fois, depuis cinquante ans, a élaboré un texte fondateur ou refondateur de notre Union, un nouveau traité de Rome, autrement que dans le secret d'une conférence diplomatique. Les portes et les fenêtres de cette convention, à laquelle les Parlements nationaux ont été associés, étaient ouvertes. C'est probablement - je peux le dire ayant été l'un des ouvriers de cette convention - l'une des raisons du succès final.

« En tout état de cause, les rôles de la nouvelle Union et du Conseil sont et resteront naturellement complémentaires. De ce point de vue, avec l'expérience qui est la mienne, je ne peux que plaider pour la multiplication des lieux et des occasions de concertation, qu'elles soient politiques ou administratives. Je citerai, parmi d'autres, la participation que le Conseil pourrait prendre dans les programmes conduits par l'Union avec ses nouveaux voisins ou, dans un autre domaine, le rôle qu'il doit jouer auprès de la nouvelle Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne.

« La troisième condition est que le Conseil ouvre davantage ses travaux vers l'extérieur. Il doit être un partenaire privilégié des sociétés civiles, des réseaux académiques, des ONG, des médias. Il doit s'appuyer sur son Assemblée parlementaire et sur son Congrès des pouvoirs locaux et régionaux pour offrir aux élus de la grande Europe un forum unique de discussion et de diffusion de bonnes pratiques. Il doit accomplir un effort particulier pour former les élus et les élites.

« Alors, dans un esprit d'ouverture, pourquoi ne pas organiser, en marge et en lien avec le Sommet de Varsovie, un forum en direction des ONG et des experts pour les associer à nos travaux ?

« Mesdames, Messieurs, vigilance et même intransigeance sur la démocratie et les droits de l'homme ; coopération avec l'Union européenne ; ouverture sur l'extérieur : ces trois conditions sont à la portée du Conseil de l'Europe, pour le Sommet de Varsovie. Il peut compter, pour cela, sur l'ambition de la présidence polonaise, qui conduit le travail préparatoire avec détermination. Je puis en témoigner pour avoir rencontré le Gouvernement polonais. Il peut compter également sur le formidable travail de votre équipe administrative, du Secrétaire Général Terry Davis et de son administration auxquels je souhaite rendre hommage.

« Sachez qu'il peut compter, tout autant, sur la disponibilité de la France et sur son attachement à la grande Europe. »

M. Bernard Schreiner, Député, intervenant à son tour, a tenu tout d'abord à remercier M. Michel Barnier :

« D'abord, je remercie M. Barnier d'être venu à Strasbourg. Merci également, Monsieur le ministre, pour votre inlassable engagement en faveur de l'Europe et pour le soutien du gouvernement français au Troisième Sommet que nous préparons. Que de chemin parcouru par le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire depuis 1949. La mission politique très noble qui leur avait été conférée, fondée sur la défense des droits de l'homme, portait une résonance particulière dans le contexte de l'après-guerre puis de la guerre froide. Cette mission a uni l'Europe occidentale autour de valeurs communes et a envoyé un signal d'espoir vers l'Europe de l'Est. Nous avons garanti la pérennité de ce rôle en nous appuyant sur la Convention européenne des Droits de l'homme, sans doute le plus puissant mécanisme de protection de notre continent.

« La chute du Mur de Berlin a entraîné de sensibles modifications dans l'activité de notre Assemblée. Celle-ci a constitué un point d'ancrage pour les nouvelles démocraties européennes et est devenue un organe au sein duquel les parlementaires de ces pays se sont initiés aux concepts liés à l'État de droit. L'adhésion au Conseil de l'Europe et à notre Assemblée symbolise l'adhésion aux valeurs humanistes de l'Europe et précède le plus souvent l'entrée de ces pays dans l'Union européenne.

« Lors du Sommet de Vienne, les gouvernements de nos États membres ont décidé que le Conseil de l'Europe aurait pour mission de protéger les droits de l'homme, la démocratie et l'État de droit, en complément de la sécurité militaire assurée de facto par l'OTAN. Le respect des règles démocratiques est considéré comme un moyen, une condition de la paix et de la stabilité en Europe. C'est à ce titre que notre Assemblée a conduit de nombreuses missions de surveillance électorale pour garantir la sincérité des scrutins.

« Nous pouvons collectivement être fiers de notre action mais notre tâche est loin d'être achevée : la division des Balkans, les déplacements de population pour des raisons ethniques, les massacres de population ont rappelé combien notre civilisation était fragile. L'extension de la traite des êtres humains sous l'égide de diverses mafias, l'existence de conflits gelés en Géorgie, en Arménie et en Azerbaïdjan, la situation de la Biélorussie et de la Moldavie sont encore un champ d'actions extraordinaires pour nous.

« Le projet des chefs d'État et de gouvernement pour le Troisième Sommet constitue un plan d'action intéressant. Je ne puis qu'approuver la réforme de la Cour européenne des droits de l'Homme, visant à une meilleure efficacité de la justice. De même, le renforcement du rôle du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe avec un pouvoir de tierce intervention, sera de nature à accroître la protection juridique de nos concitoyens. L'attention portée aux nouveaux défis posés aux sociétés européennes et l'attachement aux valeurs démocratiques répondent à l'intention des pères fondateurs.

« Je suis par ailleurs favorable à la proposition qui nous est faite de coopérer avec d'autres assemblées interparlementaires, à condition que nous coordonnions bien nos efforts avec l'OSCE, l'OTAN et l'UEO.

« Je suggère, Monsieur le Président, que vous preniez l'attache de vos collègues pour inscrire notre action dans un schéma qui serait commun à l'ensemble des Assemblées interparlementaires européennes, tout en veillant à conserver notre mission majeure, à savoir la défense des droits de l'homme et des valeurs universelles, alors que d'autres forces voudraient les démolir. C'est là une mission digne et forte qui justifiera dans les décennies à venir la confiance que nous portent nos concitoyens. »

Dans le cours du débat, M. Daniel Goulet, Sénateur, présente un amendement cosigné notamment par MM. André Schneider et Bernard Schreiner, Députés, en ces termes :

«Le Conseil de l'Europe proposera au Président de l'Autorité palestinienne, élu le 9 janvier dernier, l'envoi d'une mission d'appui à la préparation des élections législatives qui doivent se tenir en juillet prochain.» En effet, dans les conclusions de son excellent rapport, notre rapporteur invite la Communauté internationale à jouer un rôle moteur et à faire en sorte que la situation ne s'enlise pas. L'Europe doit donc profiter des circonstances et assumer ses responsabilités en faveur d'un règlement politique du conflit. Le rapporteur estime que "si on laisse échapper l'occasion et que l'on assiste à une escalade de la violence, tout espoir de paix risque de disparaître à nouveau pour longtemps".

« Or, une étape très longue devra être franchie entre le 9 janvier et les élections législatives. Il serait donc intéressant que le Conseil de l'Europe se manifeste par l'amendement que je défends, et propose au Président de l'Autorité palestinienne, élu le 9 janvier dernier, l'envoi d'une mission d'appui - pas une mission d'assistance ou d'aide particulière - à la préparation des élections législatives qui doivent se tenir en juillet prochain.

« Je considère que le Conseil national palestinien est beaucoup plus démuni pour se préparer à l'exercice difficile de la démocratie que ne peut l'être l'État d'Israël qui n'en a pas besoin. »

Considérant que le but poursuivi par l'amendement est satisfait par d'autres dispositions et tout en approuvant son orientation, l'Assemblée ne l'adopte pas.

Au terme du débat, l'Assemblée a adopté la Recommandation n° 1693.

LES QUESTIONS DE SOCIÉTÉ

A. Avis sur le projet de convention du Conseil de l'europe sur la lutte contre la traite des ÊTRES humains (MERCREDI 26 JANVIER 2005)

Dans le débat qui porte sur l'Avis que l'Assemblée est appelée à donner sur le projet de Convention élaboré par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, M. André Schneider, Député, formule les observations suivantes :

« La déclaration relative à l'abolition universelle de la traite des esclaves date de 1815. Nous sommes au début de l'année 2005 et nous avons à nous prononcer sur un projet de convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des être humains. Quel cruel paradoxe !

« Comme le rappelle Mme Vermot-Mangold dans son excellent rapport, le trafic des êtres humains est le troisième trafic mondial après la drogue et les armes. Le chiffre d'affaires brassé par ce type de trafic était estimé par l'Onu à près de quinze millions d'euros en 2000. Tous les ans, selon l'Unesco, un million d'enfants sont concernés, pas seulement dans le but d'une exploitation sexuelle mais victimes de trafics en tout genre. C'est tout simplement consternant.

« Le développement des réseaux internationaux a incité les Nations Unies à intensifier leurs travaux sur la traite des êtres humains. La Convention de 1949 visait notamment la répression de la traite des êtres humains et l'exploitation de la prostitution d'autrui. La Conférence sur le crime organisé, qui s'est tenue en Sicile en décembre 2000, a abouti à la signature de la Convention des Nations Unies contre le crime transnational organisé. L'article 3 du Protocole additionnel de cette Convention de Palerme définit la traite comme "le recrutement, le transfert, l'hébergement, l'accueil de personnes par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contraintes, par l'enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation."

« Cette définition fort large est reprise dans le projet de convention du Conseil de l'Europe. Elle concerne l'ensemble de la chaîne de la traite, puisqu'elle fait référence au recrutement, au transport, à l'hébergement, à l'accueil et mentionne tous les moyens qui peuvent être utilisés. Mais ce protocole n'évoque que de façon très générale les mesures qui doivent être prises par les États membres pour les incriminations citées.

« Compte tenu de son statut fondé sur les droits de l'homme, le Conseil de l'Europe a, depuis quelques années, orienté plus précisément ses travaux sur les phénomènes d'esclavage et de traite qui ont abouti à des initiatives importantes. Le Comité des Ministres a adopté, notamment le 19 mai 2000, une recommandation sur la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelles. Il est heureux que le Comité des Ministres ait décidé d'élaborer une convention européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains.

« Le préambule du projet de convention rappelle avec force que la traite des êtres humains constitue en soi une violation des droits de la personne humaine et une atteinte à sa dignité, à son intégrité.

« La convention a un champ d'application très large. Elle couvre toutes les formes de traite ainsi que le rappelle Mme Vermot-Mangold. Mais celle-ci déplore la place insuffisante laissée à la nécessaire protection des victimes.

« Je tiens à rappeler ici que l'Assemblée nationale française avait, en 2001, organisé une mission d'information sur l'esclavage en France. J'avais d'ailleurs eu l'honneur d'en faire partie. A cette occasion, elle avait auditionné Mme Lydie Err, rapporteure de la commission sur l'égalité des chances du Conseil de l'Europe. Or celle-ci rappelait avec pertinence que toute définition ou approche de la traite implique des choix. Je la cite : "Certains États vont considérer la traite au travers du spectre de la lutte contre la criminalité organisée, laissant de côté les victimes de cette forme de violence à l'égard des femmes. D'autres, par contre, seront principalement concernés par l'afflux d'illégaux, considéreront et traiteront les victimes de la traite en tant que telles."

« Toutes les approches proposées, entre autres, par le Parlement européen, le Conseil de l'Europe, l'Organisation internationale des migrations diffèrent et mettent en avant des intérêts et des priorités divers.

« La question de la contrainte prévue par les différents instruments internationaux n'est pas cruciale pour la France, État de droit, qui se plie à ses engagements internationaux et communautaires. C'est la raison pour laquelle je pense que le Comité des Ministres devrait considérer avec toute l'attention nécessaire les amendements proposés par notre rapporteure, qui visent tous à renforcer l'efficacité de cette convention.

« Monsieur le Président, mes chers collègues, si tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, il n'est plus possible de tolérer par faiblesse l'esclavage de millions d'hommes et de femmes. Le Conseil de l'Europe est parfaitement dans son rôle quand il affirme cette vocation universelle. »

À l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté, à l'unanimité, l'Avis n° 253.

B. avis sur le projet de convention relative au blanchiment, au financement du terrorisme, au dÉpistage, À la saisie et À la confiscation des produits du crime ET avis sur le projet de convention pour la prÉvention du terrorisme (JEUDI 27 JANVIER 2005)

Dans la discussion commune sur les demandes d'avis adressées à l'Assemblée par le Comité des Ministres sur les deux projets de Conventions du Conseil de l'Europe, M. Michel Hunault, Député, a exposé son opinion en ces termes :

« Je voudrais d'abord saluer le remarquable travail de nos rapporteurs sur ces deux textes particulièrement importants que sont le projet de convention pour la prévention du terrorisme et le projet de convention relatif au blanchiment, au financement du terrorisme, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime.

« Au cours de cette session, plus que jamais, le rôle de notre Assemblée est apparu essentiel pour garantir les valeurs de la démocratie et du respect des Droits de l'homme, valeurs universelles que nous devons préserver.

« C'est dans cette dimension que s'inscrit la discussion de ces deux conventions. En effet, en ce début de siècle, les menaces ont pour noms «terrorisme», «corruption», «blanchiment». Notre assemblée est parfaitement dans son rôle lorsqu'elle s'attache à les combattre et, surtout, à les prévenir.

« Il convient néanmoins de s'attacher à concilier la lutte contre le terrorisme avec la lutte pour le respect des droits de l'homme les plus essentiels, car le but même des terroristes et des activités criminelles organisées, c'est de s'attaquer aux fondements, aux principes mêmes de nos organisations démocratiques. D'ailleurs, dans sa dernière session, le Conseil de l'Europe a adopté une convention intitulée "Lutte contre le terrorisme et respect des droits de l'homme".

« Le projet de convention que nous examinons cet après-midi érige en infraction des agissements préparatoires aux actes terroristes et encourage la prévention. Cela doit être salué et encouragé, mais veillons qu'en toutes circonstances, les instruments dont nous nous dotons grâce à cette convention concilient lutte et prévention du terrorisme avec la dignité de l'homme, la préservation de la présomption d'innocence, le droit à la garde à vue et des instructions qui se déroulent dans la transparence et la dignité.

« La lutte contre le terrorisme est un défi. Nous condamnons avec fermeté les actes terroristes. Mais nous devons, dans le même temps, rester fidèles aux principes juridiques dont le Conseil de l'Europe est le dernier rempart. Ainsi, veiller à ne pas autoriser l'extradition vers des pays qui n'ont pas aboli la peine de mort est pour nous une obligation.

« Le nouvel instrument de coopération juridique est nécessaire. Prévenir le financement du terrorisme est une obligation. C'est dans cette perspective qu'il convenait d'actualiser la convention de 1990 contre le blanchiment, dont notre Assemblée était à l'origine.

« La lutte contre le blanchiment de l'activité criminelle organisée s'inscrit dans une longue marche vers l'éthique, pour une plus grande traçabilité des mouvements financiers. Cette convention vise à lutter contre le recyclage de l'argent d'activités criminelles organisées : argent de la drogue, filières de travail clandestin, filières d'immigration illégale, filières de prostitution. Cette activité criminelle représente près de 1 800 milliards de dollars par an, soit l'équivalent du produit d'un pays comme la France ou l'Angleterre.

« Depuis la précédente convention du Conseil de l'Europe, la communauté internationale s'est dotée d'instruments nouveaux. Je pense notamment au GAFI. L'Union européenne s'apprête à publier une nouvelle directive. La convention dont nous discutons cet après-midi s'inscrit dans cette perspective. La lutte contre le financement du terrorisme permettra d'assécher les sources de son financement.

« Mais comment ne pas s'élever contre la réticence de certains Etats membres de notre assemblée qui, à ce jour, n'ont toujours pas ratifié la convention de 1990 ni les conventions pénales contre la corruption ?

« Avec l'adoption de ces deux conventions relatives à la lutte contre le terrorisme et à la lutte contre le blanchiment, le Conseil de l'Europe concourt à se doter des moyens juridiques à même de promouvoir la lutte pour un monde moins corrompu, plus proche des valeurs dont nous sommes les dépositaires. ».

Au terme de ce débat, l'Assemblée a adopté les Avis n° 254 et n° 255 sur les deux projets de Conventions du Conseil de l'Europe.

C. quelles solutions pour le CHÔMAGE en Europe ? dynamiser la cohÉsion sociale et l'emploi : multiplier et amÉliorer les emplois (VENDREDI 28 JANVIER 2005)

Dans la discussion commune de ces deux rapports, M. Marc Reymann, Député, exprime sa position en ces termes :

« La réalité du chômage est ancienne. En effet, c'est de la fin du XIXème siècle que date la définition de la catégorie statistique «chômeur» et, dans le cas de la France, c'est le recensement de 1896 qui énonce pour la première fois des critères d'appartenance au chômage. Le chômeur est l'ouvrier ou l'employé qui est sans travail pour une autre cause que "la maladie, l'invalidité, la morte saison ordinaire ou le manque accidentel d'ouvrage".

« Auparavant, le flou était de mise puisque, dans le recensement de 1891, les chômeurs étaient encore comptabilisés dans la même rubrique que "sans profession, saltimbanques, bohémiens, vagabonds et filles publiques". Depuis la dernière Conférence internationale des statisticiens du travail en octobre 1982, les chômeurs comprennent les personnes "sans travail, disponibles pour travailler et à la recherche d'un travail, salarié ou non salarié, à temps complet ou non".

« Derrière ces définitions et derrière les statistiques nécessaires pour mesurer le phénomène, on trouve des réalités économiques, sociales, humaines. Des réalités économiques, d'abord : nous savons tous qu'un chômage massif pèse à la fois sur la croissance et sur les déficits publics. Des réalités sociales, ensuite : avec les restructurations, ce sont parfois des bassins entiers d'emplois qui sont frappés et des régions entières sinistrées, comme ce fut le cas en France, en Lorraine, avec la faillite sidérurgique. Des réalités humaines, enfin : familles endettées et parfois, hélas, disloquées, misère sociale, etc ...

« Il est donc exact de dire, comme le souligne M. Högmark, rapporteur, que la lutte contre le chômage comporte des enjeux moraux et sociétaux.

« Si l'on reprend les chiffres cités dans le rapport, 10 % de la population de l'Union européenne en mesure de travailler est au chômage. La persistance d'un chômage de longue durée est une vraie source de préoccupation. Les variations selon les pays sont cependant importantes. La situation du marché de l'emploi en France et en Allemagne, voire en Italie, peut apparaître comme atypique. Enfin, aujourd'hui, au Royaume-Uni et dans les pays d'Europe du Nord, le chômage ne constitue plus l'abcès central de la société.

« Quoi qu'il en soit des variations importantes d'un pays à l'autre, le chômage reste, hélas, un problème d'actualité. C'est pourquoi la recherche de solutions efficaces est une exigence.

« La théorie économique n'apporte que des réponses partielles et nous laisse démunis. Si l'on se réfère à la version traditionnelle de l'analyse néoclassique, le chômage est tout simplement impossible en situation de concurrence parfaite. Et pourtant le chômage existe. On a donc mis en avant la rigidité des salaires à la baisse. Peut-on en déduire que s'il n'existait ni salaire minimum ni négociations salariales avec les syndicats, on éliminerait toute source de rigidité à la baisse ? La réponse formulée par le schéma néoclassique dans les années 80 est négative et de plus, les institutions encadrant le marché du travail étaient déjà en place avant la hausse du chômage.

« Quant aux politiques de lutte contre le chômage, d'inspiration keynésienne, qui mettent l'accent sur la relance de la demande globale, elles ont perdu de leur efficacité dans les années 70 avec l'apparition de la stagflation, c'est-à-dire de la coexistence de l'inflation et du chômage.

« Les hésitations de la théorie économique comme les fortes différences constatées entre les pays constituent un avertissement pour ceux qui voudraient s'en remettre à des explications simplistes telles que «l'Europe est en déclin» ou «la protection sociale est néfaste pour l'emploi». Le rapport Camdessus qui allie la croissance et l'emploi en ménageant le statut du salarié est une bonne synthèse qu'il faut approuver.

« L'engouement pour tel ou tel modèle doit aussi rester mesuré : comment oublier les louanges adressées dans le passé aux cas allemand, suédois ou encore japonais ? Difficilement transposables, les modèles économiques et sociaux d'Europe du Nord, notamment danois, ne font aujourd'hui pas l'unanimité au sein des Vingt-cinq. Ils sont coûteux dans leur fonctionnement et les pays qui les pratiquent sont les plus riches du club européen.

Faut-il le rappeler, ce sont les entreprises qui créent l'emploi, même si, depuis quelques années, plus de la moitié ne survit pas. La création d'entreprises qui s'est fortement développée ces deux dernières années en France, est un espoir parmi d'autres solutions comme la baisse des charges sur les bas salaires et la souplesse de l'embauche. De nombreux secteurs exigent une main-d'œuvre abondante, notamment dans le domaine du troisième âge. Des gisements d'emplois nombreux ne sont pas encore explorés. C'est peut-être dans l'innovation et les succès de la recherche que les solutions les plus durables sont à trouver. »

Au terme de la discussion commune, l'Assemblée a adopté les Résolutions n° 1423 et n° 1424.

La commÉmoration du 60ÈME anniversaire de la libÉration des camps d'auschwitz et l'opposition de la dÉlÉgation française À une proposition ambiguË

L'opposition de la dÉlÉgation française au projet de recommandation contenu dans le rapport 10378

Dans l'esprit de recueillement qui a entouré la cérémonie du 25 janvier, la Délégation parlementaire française, à l'unanimité des membres présents à Strasbourg, a tenu à manifester son opposition à un projet porteur d'ambiguïtés, comme l'indiquent le communiqué du Président Bernard Schreiner, Député, et la Déclaration diffusés au nom de la Délégation au cours d'une Conférence de presse le 25 janvier 2005 dont les textes sont reproduits ci-dessous.

Communiqué :

« L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe discutera jeudi 27 janvier 2005 de la création d'un centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de population et du nettoyage ethnique.

« Alors que l'avant-veille nous aurons commémoré le 60ème anniversaire de la libération d'Auschwitz, en ayant à l'esprit le caractère unique de la tragédie que constituèrent les déportations dans les camps d'extermination, la délégation française, unanime, s'opposera à ce texte ambigu, qui risque de créer des amalgames entre des événements dramatiques de nature différente ».

Déclaration :

Entouré de tous les membres de la Délégation française présents à Strasbourg, M. Bernard Schreiner, Député, a diffusé la déclaration suivante :

« Centre de la mémoire ou détournement de mémoire ?

« Le jour même de la célébration du 60ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau, le 27 janvier 2005, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est invitée à créer un "Centre européen en mémoire des déplacements forcés de populations et du nettoyage ethnique", proposé par la Commission des Migrations sur le Rapport de M. Einarsson (Suède - Gauche Unie Européenne).

« La Délégation française unanime rejette cette proposition en raison de ses ambiguïtés, voire des confusions inadmissibles auxquelles ce Centre peut donner lieu, et enfin de ses effets déstabilisateurs pour la réconciliation européenne, encore fragile.

« I. Origine du projet

« Des personnes de souche allemande chassées des territoires anciennement germaniques ou soumis par le IIIe Reich ont proposé la création d'un "Centre contre les expulsions".

« Il n'est pas question de nier les souffrances de ces groupes massivement déplacés de Silésie, Poméranie, Sudètes, etc...

« À noter cependant que la création d'un tel "Centre" a été rejetée par le Bundestag et clairement repoussée par la Chancelier Schröder, inquiet de l'émotion qu'elle soulevait en Pologne, notamment au Parlement, ainsi qu'en République Tchèque...

« Dès lors, l'initiative a été portée devant l'Assemblée du Conseil de l'Europe.

« La proposition initiale présentée à la Commission des Migrations visait à "faire connaître les souffrances des populations allemandes déplacées depuis les pays d'Europe centrale, orientale et méridionale à la suite de la seconde guerre mondiale" ; le Communiqué (C.E. Press. 29.10.2004) l'annonçant même comme "réponse au débat tenu en Allemagne". Puis l'objet a été élargi à la mémoire des "victimes" de tous les déplacements forcés sur le continent européen.

« II. Principaux points de désaccord de la Délégation française

« Il y en a trois :

« Tout d'abord, l'emploi du terme de "déportation" : la proposition de Recommandation mentionne indifféremment la "déportation" à côté des "expulsions" et "transferts forcés", voire "nettoyage ethnique".

« Certes, le paragraphe 2 rappelle que "en Allemagne et dans d'autres territoires sous l'influence du régime nazi, les Juifs et les Tziganes, mais aussi des Russes, des Polonais, des Ukrainiens et d'autres, ont été déportés vers les camps de concentration et d'extermination et les premiers d'entre eux ont été victimes d'un génocide".

« L'usage indifférencié du terme déportation met un signe d'équivalence entre le voyage à Auschwitz et les échanges de populations convenus dans les Traités d'après 1945. Cette pseudo-équivalence des souffrances de celles-ci avec le génocide des Juifs est d'autant plus inadmissible pour les Français que la justice a réservé le terme de déportation aux transferts vers les camps de concentration et d'extermination.

« En deuxième lieu, la qualification de "crime contre l'Humanité" figurant dans le document se réfère à la jurisprudence de la toute nouvelle Cour Pénale Internationale : si elle était appliquée aux transferts d'après 1945, ce serait un anachronisme juridique. Et faudrait-il s'opposer au Plan Annan pour la réunification de Chypre, qui exclut le retour des Chypriotes grecs chassés de leurs terres du nord de l'île par une invasion militaire étrangère ?

« Enfin, l'attribution au "Centre" de compétences pour entreprendre des "recherches juridiques » est à la fois floue et dangereuse.

« J'évoquerai à peine le flou chronologique avec l'absence de tout terme dans le temps posé à l'étude des mouvements forcés de populations en Europe : depuis quand ? Jusques à quand ? Compétence dangereuse aussi : l'invitation à mener des "recherches juridiques" rend des plus improbables la mission de "réconciliation" comme de "prévention des conflits" assignée au "Centre". Si, d'aventure, ledit "Centre" prétendait établir (et avec quelle légitimité ?) le fondement juridique des revendications de personnes chassées de leurs anciens territoires, ces groupes ne manqueraient pas de représenter des demandes de récupération ou d'indemnisation, précisément rejetées, notamment, par les gouvernements Allemand et Polonais...

« Conclusion

« La création d'un Centre permanent du Conseil de l'Europe consacré à la mémoire des personnes déplacées au lendemain de la chute du IIIe Reich, au moment même du 60ème anniversaire de la libération des camps nazis, apparaît comme une inadmissible confusion entre les différentes victimes et une insulte aux millions de martyrs de la "solution finale" ou aux Résistants qui ont payé de leur vie la libération de leurs pays respectifs.

« La Délégation française, unanime, refuse de s'associer à une proposition susceptible de toutes les instrumentalisations par les groupes négationnistes toujours à l'œuvre ; elle demandera au Gouvernement français de ne pas inscrire la création de ce "Centre" à l'agenda du 3ème sommet des Chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe, qui doit se tenir les 16 et 17 mai prochains à Varsovie. »

Puis, M. Bernard Schreiner, ainsi que MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Denis Badré, Rudy Salles, Daniel Goulet, Michel Hunault, Marc Reymann, André Schneider et Georges Colombier, ont répondu aux questions des nombreux journalistes présents.

B. Le dÉbat en sÉance plÉniÈre sur la proposition de crÉation d'un centre À la mÉmoire des victimes de dÉplacements forcÉs de population et du nettoyage ethnique (JEUDI 27 JANVIER 2005)

Le débat s'ouvre d'abord sur une motion de procédure de renvoi en commission, qu'appuie le Rapporteur pour avis de la commission de la culture, M. Lluis Maria de Puig (Espagne - Socialiste) et que M. Bernard Schreiner, Député, présente en ces termes :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, en application de l'article 37 du Règlement, notamment au nom de la délégation française, je vous demande le renvoi en commission du rapport contenu dans le document 10378 sur la création d'un centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de populations et du nettoyage ethnique.

« Les déplacements forcés de populations et le nettoyage ethnique sont une réalité historique que nous ne contestons pas mais le projet de recommandation crée un amalgame entre des tragédies de nature très différentes. Or le document est très ambigu sur la place faite aux victimes des camps de concentration, des camps de la mort par rapport aux victimes des déplacements forcés. C'est particulièrement mal venu en ce jour anniversaire de la libération du fameux camp d'Auschwitz.

« Voilà pourquoi la délégation française vous demande, mes chers collègues, le renvoi en commission. »

Dans la discussion qui s'engage finalement, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Sénateur, exprime ainsi sa position en accord avec ses collègues de la Délégation française :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, il faut faire de l'histoire, mais, bien évidemment, sans préjugé ni stéréotypes, et sans passion.

« Un centre européen devrait être un centre européen "historique" d'étude des déplacements forcés de populations et du nettoyage ethnique, et pas forcément une création "en mémoire". En effet, puisqu'on veut faire de l'histoire pour tirer des leçons pour l'avenir, le terme de "mémoire" ne suffit certainement pas.

« A cet égard, je formulerai deux observations.

« En français, le mot "déporté" est réservé de par la loi à ceux qui ont été déportés vers les camps d'extermination. Monsieur le rapporteur, je vous suggère d'écrire dans le texte anglais "deportation" qui signifie "déplacement" et dans le texte français "déplacement" au lieu de "déportation".

« Par ailleurs, en l'état actuel, le texte procède à des amalgames qui doivent être supprimés. Le principal consiste à parler de "déplacements forcés de populations", en se référant aux personnes qui ont été exterminées dans les camps d'extermination. Or il ne s'agissait nullement de déplacements de population : l'extermination était le seul but recherché. C'est pourquoi nous avons proposé un amendement pour supprimer au moins une partie du deuxième alinéa.

« Pour ce qui est des crimes contre l'humanité, que peuvent constituer les déplacements de population forcés et les nettoyages ethniques, reportons-nous à la Convention de Genève n° 4 de 1949. Il s'agit uniquement du temps de guerre. Il n'est donc pas bon, dans le même paragraphe, de sanctionner les accords internationaux qui ont cru devoir décréter des déplacements n'intervenant pas dans des circonstances odieuses et inhumaines. Nous pensons que le choix ne sera plus donné de saluer la mémoire de ceux qui ont été déplacés suite à des décisions prises au plan international dans un but qui se voulait pacifique - à tort ou à raison, il faudra en parler. C'est pourquoi nous avons proposé qu'une convention du Conseil de l'Europe détermine les différentes formes de déplacements et de nettoyage ethnique.

« Voilà les observations que nous voulions présenter, regrettant, encore une fois, - parce qu'il y a dans le texte actuel l'amalgame que j'ai dénoncé, - que nous discutions ce problème au moment où les chefs d'Etat se réunissent à Auschwitz.

Puis, M. Michel Dreyfus-Schmidt fait adopter divers amendements tendant à préciser la notion de « crimes de guerre », à écarter toute ambiguïté dans l'usage du terme « déportation » réservé par la justice française au transfert vers les camps de concentration et d'extermination, et enfin à éviter la confusion entre les victimes comme il l'expose en ces termes :

« J'hésite à dire que j'interviens avec le même état d'esprit que précédemment, mais s'il y a des victimes qui méritent qu'on leur rende hommage, il y en a d'autres pour lesquelles c'est beaucoup plus discutable. J'ai des exemples à la mémoire où certaines populations ont pu être considérées comme étant au départ une cinquième colonne. Tout le monde reconnaîtra le cas auquel je pense. Je ne tiens donc pas à rendre hommage aux "victimes" des conséquences de ces actes là. »

Enfin, M. Michel Dreyfus-Schmidt présente un amendement co-signé par MM. Jacques Legendre, Michel Hunault, François Loncle et Jean-Marie Geveaux, tendant à proposer une solution alternative à la création d'un Centre dont le débat fait ressortir toute l'ambiguïté :

« Pour ce faire, le Conseil de l'Europe devrait mettre en chantier une convention relative aux déplacements forcés de populations et au «nettoyage ethnique», rappelant l'histoire des migrations forcées en Europe et constituant un instrument de prévention des conflits. En effet, nous avions pensé que ce sujet devait être étudié et que le Conseil de l'Europe pourrait parfaitement s'acquitter de cette tâche. Cela n'a pas été retenu. Il n'en reste pas moins que des études doivent être menées par le centre, que j'espère "historique" et non pas destinées à réveiller les passions entre les diverses nationalités. Comme on l'a souligné dans la discussion générale, on pourrait envisager une convention relative aux déplacements forcés de population et au nettoyage ethnique. Nous pourrions ainsi tirer nous-mêmes - Conseil de l'Europe - les leçons de ce qui aura été étudié afin d'envisager ce que nous pouvons proposer aux divers pays. »

Si cet amendement n'a pas été adopté, les arguments développés ont porté puisque au terme de ce débat, la proposition de Recommandation, faute de majorité, est considérée comme rejetée par l'Assemblée.

ANNEXES

I - Question orale de M. Jacques Legendre, sénateur, au Comité des Ministres et réponse de M. Jan Truszczynski, vice-ministre des affaires étrangères de Pologne, représentant la Présidence polonaise du Comité des ministres

II - Question de M. Erik Jurgens (Pays-Bas - soc) et réponse du Comité des Ministres, au sujet d'une procédure pénale conduite en France (« affaire Hakkar »)

III - Rappel au règlement de M. Daniel Goulet, sénateur, au sujet d'une déclaration antisémite

IV - Réponse du Comité des Ministres :

À la Recommandation adoptée par l'Assemblée sur le Rapport de M. Jacques Legendre, Sénateur : « Mettre un terme au pillage des biens culturels africains »

Question de M. Jacques Legendre, sÉnateur, À m. Jan Truszczynski, vice-ministre des affaires ÉtrangÈres de pologne, en qualitÉ de prÉsident en exercice du comitÉ des ministres

M. Jacques Legendre, Sénateur, a déposé une question au Comité des Ministres ainsi libellée :

« Notant que la présence, pour la première fois en octobre dernier, d'un rapporteur de l'Assemblée sur les médias lors d'une réunion des Délégués des Ministres était un signe propre à faire espérer une meilleure coordination dans le domaine de la liberté d'expression ;

« Déplorant par ailleurs que les conclusions de la procédure de suivi sur la liberté d'expression n'aient pas été transmises à l'Assemblée et qu'il ait été mis fin à la procédure elle-même,

« Demande au Président du Comité des Ministres,

« Alors qu'il était auparavant difficilement explicable que la question de la liberté d'expression puisse être examinée derrière des portes closes, si le Comité des Ministres assure de fait un suivi de la liberté d'expression ;

« Et quelles mesures ont été prises concrètement dans les États où la procédure de suivi a mis en évidence des motifs de grave et de très grave préoccupation. »

A cette question de M. Jacques Legendre, le Président du Comité des Ministres a répondu en ces termes :

« Je suis effectivement en mesure de confirmer que les Délégués voient dans la présence du rapporteur de l'Assemblée sur les médias à la réunion de suivi des Délégués des Ministres en octobre dernier un signe positif de l'intensification de la coopération entre les deux principaux organes de l'Organisation. Sa contribution au débat a été extrêmement appréciée.

Comme le sait l'honorable parlementaire, le Comité des Ministres a réformé sa procédure de suivi thématique au mois de juillet 2004. La « liberté d'expression et d'information » a été le dernier thème traité dans le cadre de l'ancienne procédure de suivi thématique et les Délégués des Ministres ont décidé de clore ce thème comme ils l'ont fait avec tous les thèmes examinés dans le cadre de l'ancienne procédure.

Le prochain exercice de suivi thématique portera sur la « liberté d'association ». Pour le moment, la liberté d'expression n'a pas été proposée comme thème de suivi, mais cela n'empêche pas les délégations de le faire en vue d'un futur exercice de suivi.

S'agissant de la question de savoir si le Comité des Ministres assure un suivi de la liberté d'expression, j'aimerais rappeler que, outre le suivi thématique, le Comité des Ministres suit également le respect des engagements des États membres. Dans ce contexte, le Comité des Ministres accorde et continuera à accorder une attention particulière à la liberté d'expression.

En ce qui concerne le suivi du thème de la « liberté d'expression et d'information », j'aimerais rappeler à l'honorable parlementaire les décisions prises par les Délégués le 21 octobre et le 24 novembre 2004. Les données recueillies sur les progrès réalisés dans les États membres ont été transmises au Comité directeur sur les moyens de communication de masse (CDMM). Dans ses travaux futurs, le CDMM a été chargé « d'examiner les questions suivantes : l'alignement des lois relatives à la diffamation sur la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des Droits de l'Homme, y compris la question de la dépénalisation de la diffamation ; le pluralisme des médias face à la concentration des médias et l'indépendance du service public de radiodiffusion ». Les Délégués ont également demandé au Secrétariat d'accorder une place plus importante dans le cadre du programme d'activités de l'Organisation, à la formation des journalistes et des rédacteurs en chef et de poursuivre les efforts pour former les juges et les procureurs dans le domaine de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme relative à l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. »

Question de M. Erik Jurgens (pays-bas - soc) au comitÉ des ministres au sujet de l'« affaire hakkar contre France »

M. Erik Jurgens a également posé au Président du Comité des Ministres une question, en se référant à sa question précédente concernant l'affaire Hakkar contre France, et à la précédente réponse du Président du Comité des Ministres le 22 juin 2004.

Il a ainsi rappelé que dans sa réponse, le Président du Comité des Ministres avait indiqué qu'il était persuadé que l'audience en appel permettrait d'établir clairement la situation pénale de M. Hakkar, le Comité des Ministres ayant la responsabilité de suivre cette affaire.

Aussi, a-t-il demandé au Président du Comité des Ministres s'il a pris note de l'arrêt rendu le 14 janvier 2005 par la Cour d'assises d'appel des Yvelines par laquelle cette juridiction a pris la décision exceptionnelle de réduire la période de sûreté dont la peine de réclusion criminelle à perpétuité était assortie, à savoir de 18 à 16 ans et s'il peut informer l'Assemblée des conséquences pratiques de cette décision exceptionnelle pour M. Hakkar, et notamment à quelle date ce dernier peut-il être libéré, une fois que l'arrêt du 14 janvier 2005 sera devenu définitif.

Le Président du Comité des Ministres a répondu en ces termes :

« Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que M. Hakkar a été parmi les premiers à bénéficier de la loi française sur la présomption d'innocence. Celle-ci permet aux personnes qui ont été condamnées à l'issue d'un procès dont il a été constaté qu'il n'était pas conforme à la Convention européenne des Droits de l'Homme de demander à être rejugées. Lors de ce nouveau procès, le requérant a été à nouveau condamné par décision du 26 février 2003 et sa peine d'emprisonnement n'a pas été modifiée.

« Cela a débouché sur une situation dans laquelle l'intéressé semblait purger deux peines consécutives pour le même délit. Mais vous vous souviendrez qu'un de mes prédécesseurs a clairement expliqué à l'Assemblée que la condamnation initiale disparaîtrait lorsque la seconde deviendrait définitive. Cela a été retardé par le fait que le requérant a fait appel du jugement rendu dans le second procès. Comme l'honorable parlementaire le relève, la cour d'appel, dans un arrêt rendu ce mois-ci a réduit de 18 à 16 ans la peine de sûreté dont était assortie la condamnation de M. Hakkar.

« A la suite de cet arrêt il aurait pu être possible de confirmer que M. Hakkar pouvait éventuellement prétendre à une libération conditionnelle. Sous réserve qu'il ne purge pas d'autre peine et ne fasse plus rien pour retarder le statut définitif de sa condamnation. Nous savons, toutefois, que M. Hakkar est passible d'autres condamnations et également qu'il a formulé un pourvoi en cassation contre la récente confirmation de sa condamnation. Je tiendrai M. Jurgens informé dès que j'aurai pu me faire une idée plus claire de la situation de M. Hakkar à la lumière de son pourvoi en cassation. »

Rappel au rÈglement de M. Daniel Goulet, sÉnateur, au sujet d'une dÉclaration antisÉmite (27 JANVIER 2005)

M. Daniel Goulet, Sénateur, à l'ouverture de la séance, a fait part à l'Assemblée d'une toute récente observation :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, je voudrais vous rendre attentifs au fait qu'une vingtaine de députés nationalistes russes ont pris une regrettable initiative en demandant l'interdiction d'organisations juives dans leur pays, les accusant de tous les maux. Une telle initiative me semble d'autant plus inacceptable et regrettable qu'elle est conduite par un ancien membre de notre Assemblée du Conseil de l'Europe. Elle va à l'encontre des principes et des droits que nous défendons dans cet hémicycle.

Le moment est d'autant plus inopportun que nous avons, avant-hier, commémoré - et d'une manière ô combien unanime - le 60e anniversaire de la libération d'Auschwitz. Quand on sait qu'aujourd'hui les chefs d'État d'une grande partie de l'Europe se rendent directement sur les lieux pour commémorer à leur tour ce douloureux anniversaire, je veux m'élever avec indignation contre une telle initiative qui, si elle était soutenue et suivie par d'autres, serait encore plus inacceptable.

Je laisse le soin à chacun de s'interroger personnellement sur les faits que je viens de porter à votre connaissance. »

RÉponse Écrite du ComitÉ des Ministres

À LA RECOMMANDATION 1651 (2004) ADOPTÉE PAR LA COMMISSION PERMANENTE, AGISSANT AU NOM DE L'ASSEMBLÉE, LE 2 MARS 2004 (DOC. 10063) SUR LE RAPPORT DE M. JACQUES LEGENDRE, SÉNATEUR, AU NOM DE LA COMMISSION DE LA CULTURE, DE LA SCIENCE ET DE L'ÉDUCATION : « METTRE UN TERME AU PILLAGE DES BIENS CULTURELS AFRICAINS »

Réponse du Comité des Ministres adoptée à la 911ème réunion des Délégués des Ministres (12 janvier 2005 - Doc. 10400 - 17 janvier 2005)

« 1.         Le Comité des Ministres a considéré la Recommandation 1651 (2004) de l'Assemblée parlementaire relative aux moyens pour mettre un terme au pillage des biens culturels africains.

2.         Le Comité des Ministres désire évoquer l'importance de l'art africain, qui le plus souvent constitue le seul témoignage d'une culture en voie de disparition et également souligner la valeur de la créativité des artistes africains contemporains. L'art africain a eu une grande importance pour la culture européenne, en particulier comme source  d'inspiration pour les artistes les plus importants du XXe siècle.

3.         Tout comme l'Assemblée parlementaire l'affirme, il est possible de mettre un terme au pillage des biens culturels africains si l'on veille à : 

reconnaître à l'art africain le même niveau de protections accordées aux biens culturels européens ;

étendre aux biens culturels africains les certificats d'origine, d'exportation, et les titres de propriété qui doivent être vérifiés tant dans le cas de vente aux particuliers qu'aux musées publics et privés.

4.         Le Comité des Ministres reconnaît qu'actuellement le Conseil de l'Europe n'a pas des programmes spécifiques sur ce thème. Toutefois au cours de la prochaine réunion plénière du Comité directeur de la Culture (CDCULT), l'attention des délégations nationales sera attirée sur l'opportunité de :

ratifier les instruments internationaux, notamment de l'UNESCO relatifs au contrôle du commerce de l'art, de la circulation illicite des biens culturels et de les appliquer au commerce de l'art africain ;

s'inspirer, le cas échéant, pour ce qui est des législations nationales des Recommandations pertinentes de l'Assemblée parlementaire ;

renforcer la coopération bilatérale avec les États africains pour la sauvegarde de leur patrimoine, par exemple à travers l'échange d'informations entre polices spécialisées dans la récupération des biens culturels (telles qu'elles existent en France et en Italie) ;

faire régulièrement rapport des progrès accomplis en matière réglementaire mais aussi en ce qui concerne la mise en œuvre de bonnes pratiques. »

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a connu une session de janvier particulièrement riche.

Elle a tout d'abord élu son nouveau Président, M. René van der Linden (Pays-Bas - PPE) qui succède à M. Peter Schieder (Autriche - socialiste) qui était arrivé au terme de son troisième mandat d'un an.

Elle a également entendu plusieurs personnalités importantes au premier rang desquelles on peut citer M. Michel Barnier, qui est intervenu dans le cadre du débat sur le 3ème Sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement, et M. Viktor Iouchtchenko, Président de l'Ukraine dont ce fut la première intervention sur la scène internationale, au lendemain de son élection.

Dans le domaine international, l'Assemblée s'est intéressée à la Géorgie, au conflit du Haut-Karabakh, aux droits de l'homme au Kosovo, à la paix au Proche-Orient et aux relations Europe - Etats-Unis.

Dans le secteur économique et social, elle a débattu des organismes génétiquement modifiés et du chômage en Europe.

Enfin, l'Assemblée a examiné une recommandation proposant la création d'un Centre à la mémoire des victimes de déplacements forcés de population et du nettoyage ethnique. La délégation française s'est opposée à ce texte, considérant qu'il s'agissait d'une proposition ambiguë, tendant à assimiler des populations victimes de faits très différents et inopportune au moment où l'on célébrait le 60ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz. Faute de majorité, cette proposition a finalement été rejetée.

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N° 2211 - Rapport d'information sur l'activité de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au cours de la premièyre partie de sa session ordinaire de 2005 (M. Bernard Schreiner)