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N° 2677

_____________

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 novembre 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

en application de l'article 29 du Règlement

au nom des délégués de l'Assemblée nationale à l'Assemblée

parlementaire du Conseil de l'Europe (1) sur l'activité de cette Assemblée

au cours de la quatrième partie de sa session ordinaire de 2005

par M. Bernard SCHREINER

Député

ET PRÉSENTÉ A LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

(1) La composition de cette délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est composée de : MM. René André, Georges Colombier, Claude Evin, Pierre Goldberg, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Edouard Landrain, Jean-Claude Mignon, Marc Reymann, François Rochebloine, André Schneider, Bernard Schreiner, en tant que membres titulaires, et MM. Alain Cousin, Jean-Marie Geveaux, Mmes Claude Greff, Arlette Grosskost, MM. Michel Hunault, Denis Jacquat, Jean-Claude Lefort, Jean-Marie Le Guen, Guy Lengagne, François Loncle, Gilbert Meyer, Rudy Salles, en tant que membres suppléants.

S O M M A I R E

Pages

INTRODUCTION 5

I. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE 7

DÉROULEMENT DE LA SESSION

A. Liste des recommandations et résolutions adoptées 7

B. Interventions des parlementaires français 9

II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION 13

A. Le débat d'urgence : l'Europe face à la grippe aviaire 13

B. Problèmes de société 17

1. Les migrations : la politique de co-développement 17

comme mesure positive de régulation des flux

migratoires

2. La religion 24

a. Femmes et religion en Europe 24

b. Education et religion 30

3. Mariages forcés et mariages d'enfants 39

C. Les questions européennes 44

1. Le Conseil de l'Europe et la Politique européenne 44

de voisinage de l'Union Européenne

2. Le coût de la politique agricole commune 48

D. Les questions économiques : l'OCDE et l'économie 55

mondiale

ANNEXES 61

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La quatrième partie de la session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est déroulée du 3 au 7 octobre 2005 à Strasbourg.

L'Assemblée a consacré une large partie de ses travaux aux questions de société et, notamment, aux questions liées aux migrations et à la religion.

Les questions européennes ont également occupé une bonne place dans l'ordre du jour ; à l'issue du débat sur le coût de la politique agricole commune, la délégation française a publié un communiqué de presse déplorant les nombreuses inexactitudes figurant dans le rapport de la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales et affirmant son opposition à la résolution adoptée.

Par ailleurs, les parlementaires ont procédé à l'élection d'un nouveau Secrétaire général, en la personne de M. Mateo SORINAS, pour un mandat de cinq ans prenant effet le 1er février 2006.

Ils ont aussi élu le nouveau commissaire aux droits de l'homme ; trois candidats étaient en lice, au second tour, M. Thomas HAMMARBEG (Suède) l'a emporté.

Au cours de la session, de nombreuses personnalités se sont exprimées :

- M. Marian LUPU, Président du Parlement de Moldavie ;

- M. Miguel Angel MORATINOS, Ministre des affaires extérieures et de la coopération de l'Espagne ;

- M. Ekmeleddin IHSANOGLU, Secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique ;

- M. Volodymyr LYTVYN, Président du Parlement de l'Ukraine ;

- M. Fernando d'Oliveira NEVES, Secrétaire d'Etat aux affaires européennes du Portugal.

Après avoir rappelé les recommandations et résolutions adoptées au cours de cette session, ce rapport s'attachera à présenter les contributions de la délégation française.

I. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE DÉROULEMENT DE LA SESSION

A.  LISTE DES RECOMMANDATIONS ET RESOLUTIONS ADOPTÉES

N° Titre Doc

------------------------------------------------------------------------------------

Recommandation 1718 La politique de co-développement comme 10654

mesure positive de régulation des flux

migratoires

Recommandation 1719 Disparitions forcées 10679

Recommandation 1720 Education et religion 10673

Recommandation 1721 Fonctionnement des institutions démocra- 10671

tiques en Moldova

Recommandation 1722 Respect des obligations et engagements de 10676

l'Ukraine

Recommandation 1723 Mariages forcés et mariages d'enfants 10590

Recommandation 1724 Le Conseil de l'Europe et la politique 10696

européenne de voisinage de l'Union

Européenne

Recommandation 1725 L'Europe face à la grippe aviaire - mesures 10707

préventives dans le domaine de la santé

Recommandation 1726 Graves violations des droits de l'homme en 10677

Libye - traitement inhumain de personnel

médical bulgare

Recommandation 1727 Procédures d'asile accélérées dans les Etats 10655

membres du Conseil de l'Europe

Résolution 1462 La politique de co-développement comme 10654

mesure positive de régulation des flux

migratoires

Résolution 1463 Disparitions forcées 10679

Résolution 1464 Femmes et religions en Europe 10670

Résolution 1465 Fonctionnement des institutions démocra- 10671

tiques en Moldova

Résolution 1466 Respect des obligations et engagements de 10676

l'Ukraine

Résolution 1467 L'OCDE et l'économie mondiale 10645

Résolution 1468 Mariages forcés et mariages d'enfants 10590

Résolution 1469 L'accès aux soins et les problèmes 10648

linguistiques dans la région de Bruxelles -

Capitale en Belgique

Résolution 1470 Le coût de la Politique agricole commune 10649

Résolution 1471 Procédures d'asile accélérées dans les Etats 10655

membres du Conseil de l'Europe

B.  INTERVENTIONS DES PARLEMENTAIRES FRANÇAIS

Séance du lundi 3 octobre, après-midi :

Politique de co-développe-ment comme mesure positive de régulation des flux migratoires

Interventions de :

- M. Rudy Salles en tant que rapporteur au nom de la commission des migrations ;

- M. Jean-Pierre Kucheida appelant au développement du commerce équitable.

Séance du mardi 4 octobre, matin :

Femmes et religion en Europe

Interventions de :

- M. Jean-Pierre Kucheida exhortant le Conseil de l'Europe à soutenir le développement de sociétés laïques ;

- M. Jean-Guy Branger sur le respect par les Etats membres des principes posés par la Cour Européenne des Droits de l'Homme ;

- M. Bernard Schreiner sur l'applica-tion dans les pays européens, de lois relatives au statut personnel.

Séance du mardi 4 octobre, après-midi :

Discours de M. Ekmeleddin IHSANOGLU, Secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique

Questions de :

- Mme Josette Durrieu sur l'applica-tion de la Charia ;

- M. Jean-Guy Branger sur la condamnation de la lapidation par l'Union Européenne.

Education et religion

Interventions de :

- M. André Schneider sur son rapport au nom de la commission de la culture, de la science et de l'éducation ;

- Mme Josette Durrieu réaffirmant son attachement au principe de laïcité ;

- M. Bernard Schreiner soutenant ce rapport qui permettra de mieux connaître et accepter les croyances d'autrui et favorisera la tolérance ;

- M. Jacques Legendre apportant des précisions sur le but de l'enseignement du fait religieux, décrit dans ce rapport.

Fonctionnement des institutions démocratiques

en Moldova

Mme Josette Durrieu en tant que rapporteur.

Séance du mercredi 5 octobre, après-midi :

L'OCDE et l'économie mondiale

Interventions de :

- M. Jean-Pierre Kucheida critiquant les orientations libérales du rapport et de l'activité de l'OCDE ;

- M. Francis Grignon soutenant ce rapport et notamment le développement du commerce international.

Mariages forcés et mariages d'enfants

Interventions de :

- M. Jean-Guy Branger soutenant ce rapport et rappelant la législation française dans ce domaine ;

- M. Jean-Marie Bockel insistant sur la subordination de toute cérémonie religieuse à un enregistrement préalable par les autorités publiques.

Séance du jeudi 6 octobre, matin :

Le Conseil de l'Europe et

la politique européenne de voisinage de l'Union européenne

Interventions de :

- M. Marc Reymann considérant qu'il y avait là une occasion de mettre en pratique les résolutions adoptées lors du Sommet de Varsovie ;

- Mme Josette Durrieu sur la nécessaire relance du processus de Barcelone.

Séance du jeudi 6 octobre, après-midi :

L'Europe face à la grippe aviaire - mesures préventives dans le domaine de la santé

Interventions de :

- M. Denis Jacquat sur son rapport au nom de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille.

- M. Jean-Pierre Masseret sur la mise en œuvre du principe de précaution et l'assouplissement du droit des brevets.

Graves violations des droits de l'homme en Libye - traitement inhumain de personnel médical bulgare

Intervention de M. Yves Pozzo di Borgo appelant à la libération du personnel médical bulgare et à l'envoi d'une délégation en Libye à l'occasion de leur procès.

Séance du vendredi 7 octobre, matin :

Le coût de la Politique Agricole Commune

Interventions de :

- M. Gilbert Meyer rappelant l'effica-cité de cette politique et déplorant le ton alarmiste du rapport ;

- M. Bernard Schreiner critiquant le caractère partiel et partial de ce rapport ;

- M. Francis Grignon sur l'évolution de la législation française en matière agricole.

L'ensemble des documents et débats de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est consultable sur le site :

http://conseil-europe.assemblee-nationale.fr

II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION

Cette quatrième session a été marquée par des débats sur des sujets de société ; deux grands thèmes ont dominé : les migrations et le droit des étrangers, et la religion. Ont été ainsi évoqués les politiques de co-développement, les procédures d'asile, les mariages forcés, les rapports entre femmes et religion, et éducation et religion.

Plusieurs débats ont été consacrés à l'actualité européenne et internationale : coût de la politique agricole commune, politique européenne de voisinage, disparitions forcées et violation des droits de l'homme en Libye. La situation de l'Europe face à la menace d'une épidémie de grippe aviaire a, par ailleurs, fait l'objet d'un débat d'urgence.

Enfin, deux rapports ont traité des procédures de suivi de deux nouveaux membres du Conseil de l'Europe : la Moldavie et l'Ukraine.

A. LE DÉBAT D'URGENCE : L'EUROPE FACE À LA GRIPPE AVIAIRE

Le rapporteur, au nom de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, M. Denis Jacquat (France/NI) a attiré l'attention des Etats membres du Conseil de l'Europe sur les risques d'une pandémie de grippe aviaire. Il a particulièrement insisté sur le manque de préparation de beaucoup de pays et a exhorté les Etats à harmoniser leurs contrôles sanitaires aux frontières et à améliorer leur arsenal préventif en renforçant leurs stocks de médicaments antiviraux et de vaccins.

« Lors de la deuxième Conférence européenne sur la grippe qui s'est tenue à Malte du 10 au 14 septembre 2005, les experts de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ont averti les gouvernements à la fois de l'imminence d'une pandémie de grippe et du manque de préparation d'un grand nombre de pays.

Selon l'OMS, la grippe aviaire pourrait entraîner des millions de morts. Les experts ont d'ailleurs rappelé que les pandémies de grippe du siècle précédent avaient pris le monde par surprise, ne laissant aux services de santé que peu de temps pour se préparer, ce qui a entraîné une grande désorganisation sociale et économique et un grand nombre de pertes en vies humaines.

Cet appel a été réitéré lors du sommet de l'ONU à New-York, qui s'est tenu le 16 septembre 2005. Les représentants des gouvernements ont saisi cette occasion pour demander une mobilisation internationale concernant la grippe aviaire en rappelant qu'elle pouvait entraîner une menace grave pour la santé humaine.

Les experts ont en effet constaté une augmentation des cas de peste aviaire dans les élevages de volailles et que certaines épizooties étaient associées à une contamination humaine parfois fatale. Ceux-ci craignent que la mutation du virus entraîne une transmission directe de la maladie d'homme à homme. Les défenses immunitaires humaines ne sont pas adaptées pour lutter contre ce nouveau virus.

Ce virus s'est manifesté en 1997 puis en 2003. Il proviendrait d'élevages du sud de la Chine et il serait véhiculé par de nombreuses espèces d'oiseaux migrateurs. Cette infection peut ainsi toucher presque toutes les espèces d'oiseaux sauvages ou domestiques et peut être très contagieuse surtout chez les poulets et les dindes. Ce virus pourrait infecter d'autres espèces animales comme le porc et d'autres mammifères.

Il peut ainsi tuer entre 24 et 48 heures 100 % des animaux infectés. Tous les pays qui ont été touchés ont malheureusement réagi avec beaucoup de retard, laissant le temps au virus de se propager. En outre, ils n'ont pas appliqué les mesures vétérinaires qui s'imposaient. Dans ce contexte, les experts ont constaté des changements inquiétants depuis 2005. Le virus s'est en effet déclaré chez l'homme et s'est étendu à de nouveaux pays. Il ne cesse ainsi d'évoluer en prenant une forme de plus en plus virulente. Un peu plus de 50 % des personnes infectées sont décédées.

Les scientifiques estiment qu'il devient urgent de mettre en place un système d'alerte précoce, notamment dans les pays à risque où les capacités sanitaires et vétérinaires sont pratiquement inexistantes et pour lesquels un système d'alerte est difficile à mettre en place, faute de ressources financières. De plus, dans ces pays où l'agriculture représente la pierre angulaire de l'économie, les agriculteurs hésitent à signaler l'existence du virus, d'autant que les indemnités en cas d'abattage de volailles sont très faibles.

Par ailleurs, alors que le virus poursuit sa progression, seule une poignée de pays riches a la capacité de produire et de distribuer des quantités encore limitées d'antiviraux. Pourtant les antiviraux représentent l'un des meilleurs moyens de lutter, à condition d'être utilisés suffisamment à temps. Malheureusement, force est de constater que les pays se sont surtout concentrés sur l'élaboration de plans d'intervention et n'ont pas pris les mesures nécessaires pour produire et constituer des stocks suffisants de vaccins et de médicaments antiviraux. Cela résulte notamment des coûts très élevés de la production pharmaceutique et des délais souvent trop longs dans l'homologation et la diffusion des vaccins et des antiviraux.

Il apparaît par conséquent nécessaire que les gouvernements prennent les mesures utiles pour lutter contre cette nouvelle menace en tenant également compte du risque accru représenté par les migrations et le développement du tourisme. Il est essentiel que les gouvernements appliquent les mesures sanitaires appropriées recommandées par l'Organisation de la Santé Animale et par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), notamment la mise en quarantaine des élevages contaminés et la destruction des volailles infectées et qu'ils prévoient un plan de lutte contre la pandémie grippale.

Pour conclure, j'insisterai sur certains points.

Tout d'abord, il convient de mettre en place très rapidement une harmonisation des dispositifs de contrôle sanitaire aux frontières.

Par ailleurs, nous devons développer les capacités de production industrielle en matière de vaccins et de produits antiviraux.

De même, l'éradication à la source est essentielle.

Enfin, un bilan de la situation doit être effectué régulièrement, le prochain devant être dans six mois. »

M. Jean-Pierre Masseret a soutenu ce rapport en insistant sur deux points. Il convient, en premier lieu, d'appliquer le principe de précaution, en faisant prévaloir, en cas de crise, les objectifs de la santé publique sur les textes garantissant la protection des oiseaux migrateurs. En second lieu, il préconise un assouplissement du droit des brevets pour faire face aux besoins.

« Je félicite d'abord notre commission de s'être saisie de ce débat d'urgence. Je remercie nos deux rapporteurs, M. Jacquat et M. Lobkowicz.

Dans l'immédiat, le danger de grippe aviaire semble virtuel puisque la transmission inter-humaine n'est pas avérée. Mais il y a tout lieu de penser qu'elle se fera. Il nous incombe donc d'anticiper une situation qui pourrait très rapidement se révéler catastrophique, non seulement pour des millions de vies, mais aussi pour l'économie mondiale qui est fondée sur les échanges. On imagine les conséquences de l'arrêt des transports, de la fermeture des réseaux ferrés, des écoles, et j'en passe. Il nous appartient donc, à partir de l'avis des experts, d'organiser la diffusion de l'information et la coordination des moyens de prévention et de soins.

La France, comme l'Union européenne, a pris la menace très au sérieux depuis longtemps. Un grand laboratoire lié à l'Institut Pasteur a d'ores et déjà livré un nouveau vaccin aux États-Unis. Les premiers résultats des essais cliniques sur l'homme sont encourageants mais le virus mute rapidement. Les pays de l'Union constituent des stocks de matériel, de masques, d'anti-viraux et, bientôt, de vaccins.

Toutefois nous pouvons constater qu'en dépit des efforts conjugués de l'Organisation Mondiale de la Santé, de la FAO et de l'Organisation Mondiale de la Santé Animale, il n'a pas été procédé à la vaccination massive des volailles de batteries ni de celles qui vivent dans des poulaillers. Notre rapporteur pour avis insiste à juste titre sur le dépistage et la prévention dans les élevages.

Deux points sont particulièrement préoccupants.

En premier lieu, nous devons apporter une aide logistique et médicale aux pays touchés par la grippe aviaire. Au plan logistique il s'agit, et c'est essentiel, de mettre en place des réseaux de surveillance et d'alerte. Ce point me semble capital dans la lutte contre la propagation de l'épidémie afin de permettre un traitement préventif des personnes qui ont été en contact avec le virus, ainsi que l'abattage systématique des volailles suspectes. Ces réseaux doivent être étendus au plus vite à toute l'Europe et nous devons aider à s'y joindre les États non européens à risque. Je partage avec Denis Jacquat le souci de généraliser l'aide technique, indispensable s'agissant d'un virus évidemment transfrontières.

Ensuite, il faudra apporter une aide médicale en cas de pandémie si elle se réalise. Le rapporteur y insiste à juste titre. La Commission européenne a déjà débloqué des crédits à cet effet.

En second lieu, le vecteur du virus, les oiseaux migrateurs, est très inquiétant - non pas les cigognes sédentaires du parc de l'Orangerie voisin mais les oiseaux qui voyagent d'Europe en Afrique. Dans une situation d'urgence extrême, il conviendra de privilégier les mesures protégeant la santé humaine sur les directives européennes de protection des oiseaux migrateurs. Le principe de précaution devra prévaloir de la façon la plus stricte sur une réglementation de la chasse qui pourra retrouver son application quand le danger sera passé.

Il faut d'urgence développer un effort international de recherche, donc dégager des crédits, et diffuser des procédures de prévention et de soins qui pourraient être découvertes. J'approuve pleinement l'amendement n° 2 qui privilégie la protection de la santé humaine sur le droit des brevets. Il est des moments où il convient d'avoir le sens des valeurs et des priorités. C'est une question de solidarité.

Mes chers collègues, devant un risque sanitaire mondial, il est de notre devoir d'unir nos efforts dans cette Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour prendre part à ce débat et dire ce qui nous paraît important dans ce combat qui dépasse nos frontières pour protéger la vie de nos concitoyens. »

A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté la recommandation n° 1725 afin de mobiliser tous les Etats membres face au risque que présente cette nouvelle pandémie, elle leur recommande notamment :

- de se conformer aux recommandations de l'OMS ;

- de renforcer leurs services sanitaires ;

- de prévoir des stocks de masques et de médicaments antiviraux ;

- de créer un fonds de solidarité pour aider les pays en voie de développement à faire face à ce risque.

B. PROBLÈMES DE SOCIÉTÉ

1. Les migrations : la politique de co-développement comme mesure positive de régulation des flux migratoires

M. Rudy Salles (France, ADLE), au nom de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, a présenté un rapport sur la politique de co-développement.

Afin de lutter contre l'immigration illégale et de mieux maîtriser les flux migratoires, le rapport préconise la mise en place d'un partenariat actif entre les pays d'origine des migrants et les pays d'accueil, sous la forme d'aide au développement, d'assistance à des projets économiques, de programmes de formation et de réinsertion sociale.

Il a ainsi déclaré :

« L'Europe est confrontée au défi majeur de la coopération avec les pays en développement. Avec plus de 20 millions de migrants venant de pays en développement, notre démarche a consisté à associer une politique de développement équitable, destinée à éradiquer la pauvreté, à une politique migratoire claire et pensée de manière globale ; il s'agit désormais de ne plus opposer les uns aux autres, les populations d'accueil et les populations accueillies, mais, face aux enjeux majeurs qui sont devant nous, d'unir tous ceux qui peuvent apporter leur savoir, leur expertise pour mettre en œuvre des solutions durables aux problèmes du sous-développement.

La politique de co-développement est apparue comme un moyen de faire des migrants des acteurs actifs du développement, qui renforcent la coopération entre les sociétés d'origine et les sociétés d'accueil. Une telle politique comporte plusieurs éléments.

Il faut d'abord une assistance pour élaborer un projet économique, des programmes de formation et/ou, de réinsertion sociale, ainsi qu'une aide financière pour déclencher l'aide au développement existante, les mécanismes de coopération, l'accès aux institutions de crédit, etc ...

Elle doit ensuite être appuyée sur un partenariat actif entre les autorités du pays d'accueil et celles du pays d'origine, notamment par la signature d'accords de co-développement ou de contrats de réinsertion avec des associations de migrants et des entreprises installées dans le pays d'origine.

Elle doit enfin permettre d'aider les pays d'origine à progresser vers des régimes politiques démocratiques respectant les principes fondateurs du Conseil de l'Europe.

Ce type de politique comporte des avantages, en premier lieu pour le pays d'accueil puisque cela permet de stabiliser et de gérer les flux migratoires, de diriger l'aide au service du développement en permettant aux populations locales de participer à des projets économiques.

Elle en a également pour le pays d'origine puisque cela génère des richesses et crée des emplois en renforçant les capacités de production, les infrastructures et la portée de l'action des organes locaux.

Les politiques de co-développement mettent en avant la responsabilité qu'ont les pays d'origine de lutter contre l'immigration illégale en se servant des ressources financières qu'ils reçoivent afin de créer des emplois meilleurs pour leurs citoyens.

Les collectivités locales, comme les diasporas et les migrants eux-mêmes, jouent un rôle primordial dans la mise en œuvre des projets de co-développement : les collectivités locales, notamment pour faciliter les transferts de fonds et offrir aux migrants des conditions favorables à leurs projets d'investissement et de retour dans leurs pays d'origine ; les migrants : en ce qu'ils participent à l'essor des sociétés d'origine par le biais d'investissements et de transferts de fonds, mais aussi par leurs compétences, leurs activités de chef d'entreprise.

Il convient également de noter le rôle important des femmes. En effet les politiques de co-développement peuvent responsabiliser les femmes en favorisant leur indépendance financière et en leur permettant d'exercer réellement leurs droits. Les migrantes peuvent utiliser les compétences acquises pour provoquer un changement et une évolution dans les pays d'origine.

Vous le voyez, mes chers collègues, les propositions que nous formulons à l'issue de cette réflexion, viennent bouleverser le rapport Nord-Sud tel qu'il existe depuis très longtemps avec les riches au Nord et les pauvres au Sud, les uns devant payer et les autres encaisser. Si ce système avait fonctionné normalement, nous aurions dû enregistrer des résultats formidables et nous ne devrions plus parler de ce problème aujourd'hui. Or force est de constater que les problèmes dont nous parlons ne sont pas derrière nous mais devant. Et si les anciennes formules fondées sur la nécessaire solidarité qui doit exister entre les peuples nantis et ceux qui connaissent la pauvreté ne fonctionnent pas comme nous aurions pu le souhaiter, alors il faut inventer d'autres systèmes qui puissent déboucher sur des progrès en la matière.

C'est exactement ce que nous avons voulu proposer dans cette réflexion en affichant une volonté nouvelle de développer une coopération renforcée grâce à un partenariat plus grand entre tous les acteurs. La migration est souvent jugée comme un phénomène à la charge du pays d'accueil et souvent aussi avec une forte connotation péjorative. Pourtant chacun sait bien que l'écart de développement entre le Nord et le Sud est un appel à la migration et ce, quelles que soient les politiques internes des pays d'accueil. D'ailleurs, malgré le renforcement des législations pour contrôler l'immigration dans les pays du nord, chacun peut constater que celle-ci se poursuit et souvent de la manière la plus dangereuse ; je veux parler de l'immigration clandestine.

C'est pourquoi, nous proposons l'utilisation de la migration comme facteur de développement en faisant des migrants des acteurs privilégiés d'une telle politique. Cette proposition n'est évidemment pas exclusive et elle devra être conjuguée à d'autres initiatives existantes ou à inventer, mais elle devra être mise en place dans l'intérêt de la coopération.

Je vois aussi un autre avantage dans cette proposition : elle permettrait de changer la perception de nos opinions publiques à l'égard des migrants qui sont souvent rejetés. Cela se traduit d'ailleurs souvent par la montée de mouvements populistes et extrêmes en Europe.

En essayant un nouveau type de relation avec les migrants nous œuvrerons en faveur non seulement de la coopération mais aussi de la démocratie. Je crois que nous ne devons négliger aucune piste pour atteindre ces objectifs essentiels. »

M. Jean-Pierre Kucheida a apporté son soutien à cette politique tout en relevant ses limites et a appelé au développement du commerce équitable.

« D'abord, je tiens à féliciter M. Salles pour la qualité de son rapport. Les pays d'Europe sont confrontés aux problèmes de l'immigration, notamment clandestine. Pas de semaine où l'on ne nous parle de reconduites aux frontières ou de décès d'immigrés clandestins lors de leur tentative de franchissement de la Méditerranée. On a pu le voir encore il y a quelques jours.

Que cherchent ces personnes ? Tout simplement du travail, un pays où vivre décemment, un pays où elles ne seront pas persécutées. Or, nos pays, subissant la mondialisation et les délocalisations de plein fouet sont déjà en proie au chômage et aux problèmes sociaux. Dans ces conditions, il leur faut trouver des solutions pour limiter les venues des nouveaux immigrés.

Le co-développement en est une. Ses principaux objectifs sont louables et les résultats des premières expériences concluantes. Il est vrai que l'originalité de cette politique tient dans le fait que les migrants deviennent les acteurs conscients du développement de leur pays d'origine. Mais cette solution pose aussi de nombreux problèmes.

Les personnes, dont les pays d'origine ont le plus grand besoin dans le domaine de la santé et de l'éducation, par exemple, voudront-elles repartir dans leur pays où les niveaux de vie sont bien moins élevés ? Est-il réaliste d'imaginer maîtriser et organiser les flux migratoires ? En fait, ce système peut se trouver à l'origine de la fixation de contingents de migrants temporaires, principe qui peut déboucher sur «l'immigration zéro». Le retour au pays de personnes diplômées dans le pays d'accueil ne va-t-il pas créer des inégalités avec celles qui ont été formées sur place ? Le système ne va-t-il pas créer de nouvelles castes, de nouvelles inégalités ? Comment contrôler le bon usage des flux financiers ?

Nous devrions avant tout étudier les causes de la venue d'un aussi grand nombre d'immigrés. Ces personnes ne viennent-elles pas chez nous tout simplement parce qu'elles ne peuvent vivre chez elles de ce qu'elles produisent ? En effet, nos pays achètent les produits de leur pays à des prix dérisoires. Jamais les pays dits «développés» n'ont été aussi riches ! Et pourtant jamais leurs sociétés n'ont été aussi inégalitaires ! Cela se retrouve dans les rapports Nord-Sud. Voilà une des sources du problème.

Le co-développement n'est pas une mauvaise chose en soi, mais il ne faut pas que les pays développés laissent tomber les pays dont sont originaires les migrants. Surtout, il est urgentissime de développer en parallèle, à grande échelle, le commerce équitable et le développement économique et environnemental durable afin que ces pays puissent se développer librement, selon leurs aspirations et leurs cultures de base. »

Une demande de renvoi en commission ayant échouée, l'Assemblée a adopté la résolution° 1462 qui invite les Etats membres à encourager le développement de politiques de co-développement, plusieurs mesures concrètes sont suggérées pour la mise en œuvre d'une telle politique.

1. L'Europe compte aujourd'hui plus de 20 millions de résidents étrangers. La plupart de ces migrants viennent de pays en développement et apportent des contributions précieuses tant aux sociétés d'accueil qu'aux sociétés d'origine.

2. Les migrants participent à l'essor de ces dernières par le biais d'investissements et de transferts de fonds, mais aussi par leurs compétences, leurs activités de chef d'entreprise, ainsi que par leur soutien à la démocratisation et à la promotion des droits de l'homme. Cet impact positif des migrations sur le développement est reconnu de plus en plus par tous les acteurs de la coopération internationale dans ce domaine.

3. L'Assemblée parlementaire est d'avis que l'interaction entre les migrations et le développement pourrait être plus efficace grâce aux politiques de co-développement, autrement dit les migrations facilitent un développement durable et que ce dernier, à son tour, permet une gestion plus satisfaisante des migrations. Le co-développement est appréciable tant pour l'Europe qu'au regard de la coopération Nord-Sud.

4. L'Assemblée est convaincue, en outre, qu'il convient de promouvoir activement, au niveau européen, des politiques de co-développement visant à faire des migrants des acteurs du développement et à renforcer la coopération entre les sociétés d'origine et d'accueil.

5. L'Assemblée fait valoir que les partenariats entre les pays d'origine et d'accueil des migrants sont indispensables au partage des responsabilités quant à la régulation des flux migratoires, dans l'intérêt commun.

6. Elle souligne, en particulier, le rôle des collectivités locales dans le processus de développement, notamment pour faciliter les transferts de fonds et offrir aux migrants des conditions favorables à leurs projets d'investissement et de retour dans leur pays d'origine.

7. Les politiques de co-développement peuvent responsabiliser les femmes en favorisant leur indépendance financière et en leur permettant d'exercer réellement leurs droits. Les migrantes peuvent utiliser les compétences acquises pour provoquer un changement et une évolution dans les pays d'origine.

8. L'Assemblée reconnaît la contribution précieuse des diasporas à leur pays d'origine et appelle les États membres à voir en elles des partenaires privilégiés de leur politique nationale de développement.

9. L'Assemblée se félicite des efforts d'organisations internationales, telles que l'Organisation internationale pour les migrations, l'Union européenne, l'Organisation mondiale du commerce, les Nations Unies et l'Union interparlementaire, afin de promouvoir les activités relatives aux migrations et au développement et de faciliter la coopération entre les pays d'origine et les pays d'accueil.

10.

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En conséquence, l'Assemblée invite les gouvernements des États membres du Conseil de l'Europe :

10.1. en ce qui concerne les liens entre le développement et les migrations, à :

10.1.1. intégrer la gestion des migrations dans les politiques de développement ;

10.1.2. faire en sorte que les migrants deviennent des agents du développement, en créant à cet effet des conditions adéquates aux niveaux national, régional et international ;

10.1.3. signer des accords bilatéraux et régionaux permettant une gestion ordonnée des migrations ;

10.1.4. aider les pays d'origine à améliorer leurs infrastructures et à établir des conditions plus favorables aux investissements internationaux, s'agissant en particulier des migrants ;

10.1.5. instaurer des liens entre les initiatives locales et les administrations nationales, régionales et internationales compétentes en matière de gestion des migrations et de coopération en vue du co-développement ;

10.2. en ce qui concerne les politiques de co-développement, à :

10.2.1. encourager la participation des migrants à l'élaboration des politiques et projets de co-développement ;

10.2.2. promouvoir un retour des étudiants et migrants répondant aux besoins des pays d'origine et à y intégrer la formation et l'aide nécessaires au réemploi ;

10.2.3. apporter un soutien financier et administratif aux projets de co-développement ;

10.2.4. intensifier la coopération entre autorités concernées, tant dans les pays d'accueil que dans les pays d'origine, pour que les projets de co-développement fassent l'objet d'un suivi et d'une évaluation ;

10.2.5. mettre au point à l'intention des migrants des programmes de formation stimulant, dans les deux sens, les échanges entre les pays d'accueil et les pays d'origine ;

10.2.6. encourager la circulation de l'information et l'établissement de réseaux, y compris une base de données sur les projets de co-développement ;

10.2.7. promouvoir la coopération avec les diasporas et à fournir un appui aux réseaux et organisations de diasporas existants, pour les aider à mettre sur pied leur propre ordre du jour du co-développement ;

10.2.8. faire participer activement les jenes, les femmes et leurs organisationsau prcessus de co-développement ;

graphique

10.2.9. recueillir des informations et données sur les diasporas, ainsi qu'à recenser leurs initiatives, réseaux et associations, mouvements commerciaux et transferts de fonds.

10.3. en ce qui concerne les transferts de fonds, à :

10.3.1. définir des politiques publiques ayant pour but d'accroître l'impact positif des transferts, en y englobant le recours aux compétences, aux connaissances et à la position unique des migrants pour créer de nouvelles possibilités de commerce et d'échanges internationaux ;

10.3.2. encourager les collectivités locales et les banques à faciliter l'affectation de l'épargne des migrants à des projets de développements locaux ;

10.3.3. stimuler l'action des organisations non gouvernementales tendant à promouvoir les projets utilisant les transferts de fonds pour réduire la pauvreté et instaurer un développement durable dans les pays d'origine.

11. L'Assemblée invite également les instances internationales compétentes à procéder à des études sur l'impact micro et macro économique des transferts de fonds et sur les relations entre les migrations et ces transferts.»

2. La religion

a. Femmes et religion en Europe

C'est Mme Rosmarie Zapfl Helbling (Suisse, PPE/DC) qui a présenté le rapport sur femmes et religion, au nom de la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes.

Elle a critiqué la remise en cause des droits des femmes au nom de convictions religieuses.

A la suite la présentation de ce rapport, l'Assemblée a entendu Mme Asma Jahangir, rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion et de conviction.

Elle a plaidé pour un nécessaire équilibre entre liberté religieuse et respect des droits fondamentaux, dont le statut des femmes.

Ce débat a été l'occasion pour la délégation française de s'exprimer à plusieurs reprises.

M. Jean Pierre Kucheida a été le premier à prendre la parole. Il a approuvé ce rapport et a exhorté le Conseil de l'Europe à soutenir le développement de sociétés laïques.

« En premier lieu, je tiens à féliciter Mme Zapfl-Helbling pour son excellent rapport. Le sujet qu'elle a choisi de présenter n'est pas facile ; il est malheureusement trop souvent d'actualité. Ce rapport ne règle pas tout, chère madame, mais quel progrès ! Le renvoyer aurait été une véritable régression !

En effet, très souvent, trop souvent même, la presse se fait l'écho d'agressions d' «intégristes» de toutes obédiences contre les femmes : prétendus « crimes d'honneur» », lapidations, mutilations génitales, mariages forcés, commandos anti-avortement, et j'en passe. Ce ne sont hélas, que quelques exemples car la liste complète de toutes les exactions dont sont victimes les femmes, pour raisons religieuses, est tellement longue et horrible qu'il est difficile de la présenter dans sa totalité. Ces exactions font froid dans le dos.

Les problèmes soulevés sont complexes car il existe différentes religions - certaines étant tout de même plus tolérantes que d'autres- qui appliquent des règles dignes du totalitarisme, de l'esclavage envers les femmes, en entravant notamment le droit de ces dernières à disposer librement de leur corps et de leur esprit. Ainsi, leur sont imposés, dans certains cas, le port du voile, l'interdiction du recours à la contraception - en ces temps d'épidémie mondiale du SIDA, c'est un crime ! - et à l'avortement. Les femmes peuvent être contraintes de ne pouvoir divorcer, de ne pas choisir leur partenaire, de subir la polygamie - même en Europe - ou d'être mutilées.

Mon intervention n'a pas pour but d'attaquer les religions, -loin de moi cette idée !- mais de défendre, en tant qu'être humain et en ma qualité d'élu, mes semblables lorsque ceux-ci, ou plutôt celles-ci, sont victimes de profondes injustices. Hervé Bazin, écrivain français contemporain, ne disait-il pas : «Il est significatif que le statut de la femme demeure à peu près inchangé là où les religions sont encore très puissantes. Partout ailleurs, il est remis en question.»

Voilà pourquoi il faut tout faire pour développer une société laïque où le pouvoir politique n'est influencé en rien par la religion dans ses politiques en faveur des femmes. C'est encore rare dans le monde, voire en Europe. Là encore, le Conseil de l'Europe a un très grand rôle à jouer.

Il est temps d'en finir avec l'époque où le sort de la femme était celui de femme au foyer, de femme objet, de femme esclave, taillable et corvéable à merci. Le XXe siècle marque le début de l'émancipation de la femme. Le XXIe devra être celui de l'égalité entre les sexes dans tous les domaines.

Les religions qui souhaitent être respectables et respectées doivent évoluer et admettre cette situation, en harmonie avec les droits de l'homme que le Conseil de l'Europe défend avec juste raison. Il a un rôle éminent à jouer dans ce domaine. »

M. Jean-Guy Branger lui a succédé dans le débat ; dans son intervention, il s'est attaché à démontrer que l'Etat ne doit pas s'immiscer dans les affaires religieuses mais plutôt s'efforcer de faire respecter les principes posés par la Convention européenne des droits de l'homme.

« A peu près tous les débat inscrits à l'ordre du jour de notre Assemblée aujourd'hui, ont trait à la conciliation entre la liberté de religion avec les droits universels que consacre notre Convention européenne des Droits de l'Homme. Notre rapporteur, Mme Zapfl-Helbling, nous propose une résolution, d'où se dégagent de nombreux éléments positifs même si j'espère quelques inflexions.

A propos du rôle de la religion dans la vie de nombreuses femmes, je rappellerai l'anecdote de la longue résistance du Sénat français, à l'accès des femmes au droit de vote. Nos prédécesseurs craignaient que leurs suffrages ne soient dictés par les ministres des cultes ! Heureusement, le général de Gaulle a mis fin à cette discrimination. Mais notre rapporteur insiste à juste titre sur des discriminations non moins choquantes imposées aux femmes au nom de préceptes religieux.

J'approuve pleinement, au paragraphe 7, la dénonciation des atteintes à l'intégrité physique et à la liberté de circulation, des mariages forcés et pis, des prétendus «crimes d'honneur». Je souscris à la déclaration selon laquelle : «la liberté de religion trouve ses limites avec les droits de la personne humaine».

Je souscris également pleinement à l'invitation adressée à nos gouvernements de dénoncer les traités bilatéraux qui reconnaissent des dispositions de codes de la famille étrangers et de statuts personnels. Je compte d'ailleurs m'appuyer sur cette résolution pour interroger mon gouvernement.

J'ai le plaisir de vous indiquer, mes chers collègues qu'à l'issue de l'audition organisée à Anvers par notre collègue, Mimount Bousakla, sur les mariages forcés, j'avais interrogé le ministre des Affaires étrangères, alors M. de Villepin, qui était convenu d'un renforcement du contrôle de la réalité du consentement, à des unions contractées à l'étranger et dont la transcription en droit français était demandée.

Je compte faire la même démarche à l'égard de la prise en considération, en France, d'une répudiation et d'une attribution automatique de la garde des enfants par un prétendu «jugement» prononcé, à l'étranger, selon un code de la famille contraire à la Convention européenne des Droits de l'homme, en particulier à l'exigence d'un jugement équitable, sans parler du principe d'égalité entre les hommes et les femmes.

J'approuve également la dénonciation de traditions qui visent à contraindre des jeunes filles mineures à se soumettre à des "codes religieux" y compris des codes vestimentaires. La Cour européenne des Droits de l'Homme a d'ailleurs reconnu, en juin 2004, la prohibition de certaines de ces traditions pour protéger l'égalité entre les hommes et les femmes et prévenir les pressions qui pourraient s'exercer à l'encontre des jeunes filles qui refuseraient de se soumettre à ces prescriptions vestimentaires.

Mes seules réserves porteront moins sur votre rapport que sur la recommandation «éducation et religion» dont nous discuterons tout à l'heure. J'en reviens ainsi à ma première observation. Loin de moi l'idée de nier le rôle positif que peut jouer la religion dans la construction d'une éthique personnelle comme dans l'accomplissement des devoirs envers la société. Il incombe aux lois civiles, conformément à notre Convention, de protéger l'exercice par chacun de sa religion. En revanche, l'État n'a pas à s'immiscer dans les rapports entre les différentes religions, dans les pratiques familiales dans les rites ou dans les dogmes. Son rôle doit se borner à faire respecter tous les principes de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Dans celui-ci, il doit se montrer sans faiblesses. »

Quant à M. Bernard Schreiner, Président de la délégation, il a souhaité apporter des précisions sur un point évoqué dans le rapport, relatif à la signature de conventions bilatérales qui conduiraient à l'application de lois islamiques (lois relatives au statut personnel) défavorables aux femmes dans les pays européens, dont la France.

« Le rapport présenté aborde un sujet très difficile, puisqu'il nous incite à nous interroger sur la mise en œuvre des droits garantis par la Convention européenne des Droits de l'Homme dont l'application simultanée est source de positions qui peuvent paraître à la fois légitimes et inconciliables.

De fait, la Convention européenne des Droits de l'Homme garantit dans son article 9, la liberté de religion qui autorise en particulier «la liberté de manifester sa religion (...) par le culte, (...), les pratiques et l'accomplissement des rites». Dans son alinéa 2, cet article précise que des restrictions peuvent être apportées au principe pour assurer «la protection des droits et libertés d'autrui». Or l'article 14 du même texte mentionne parmi ces droits et libertés, l'interdiction de toute discrimination en fonction du sexe.

Dès lors il apparaît que certains vont chercher à justifier des situations contraires à l'égalité entre les sexes au nom de la liberté de religion alors que d'autres, se fondant sur l'interdiction de toute discrimination entre les sexes, vont les contester.

Si l'on ajoute à ces considérations que la religion est une donnée indissociable de la personnalité, de la culture de chacun d'entre nous et qu'elle apparaît comme le facteur d'unité de nombreuses communautés humaines dans nos pays, il est évident que le sujet que nous traitons est très délicat. Je pense que c'est à l'honneur de notre Assemblée d'avoir eu le courage de l'aborder et je tiens à féliciter Mme Zapfl-Helbling pour son travail précis et concerté.

Je souhaiterais toutefois apporter des précisions sur un élément. Au point 19, on peut lire que des lois islamiques défavorables aux femmes peuvent indirectement concerner des femmes immigrées, «car certains États (comme la France) ont conclu des traités avec certains de ces pays (le Maroc, par exemple) reconnaissant leurs lois relatives au statut personnel. Il est donc possible, pour les femmes marocaines résidant en France d'être par exemple unilatéralement répudiée par leur mari, ou de se voir supprimer la garde de leurs enfants de plus de 7 ans.»

Cette assertion repose sur une réalité juridique, la convention franco-marocaine qui reconnaît dans une certaine mesure le "statut personnel" marocain : mais les conséquences qui en sont tirées sont excessives et méritent d'être nuancées. En effet, ni la mise en œuvre du droit international privé ni l'application des conventions internationales ne mettent en cause l'application des principes de la Convention européenne des Droits de l'Homme en France.

S'agissant de la répudiation, si la convention franco-marocaine du 10 août 1981 peut conduire à reconnaître à une décision marocaine de répudiation les mêmes effets qu'à un jugement français de divorce, la mise en œuvre d'un tel mécanisme de reconnaissance demeure subordonnée au contrôle, par nos juridictions, que la décision en question a été prise dans le respect des principes fondamentaux d'égalité entre les époux et des droits de la défense. Dans quatre arrêts simultanément rendus le 17 février 2004, la Cour de cassation, juridiction suprême en France, a consacré l'obligation d'un tel contrôle dans l'application de la convention franco-marocaine.

Concrètement, si des répudiations prononcées à l'étranger peuvent être opposables en France lorsque ces États ne connaissent que cette forme religieuse de dissolution du mariage, les juridictions appelées à statuer sur la reconnaissance et l'opposabilité de ces décisions étrangères considèrent avec prudence la situation des deux époux et leur nationalité.

La Cour de cassation a ainsi étendu son contrôle afin de faire échec aux tentatives de fraude ou aux violations de l'ordre public procédural français. C'est le cas notamment lorsque l'épouse est de nationalité française, qu'elle n'a pas été légalement citée ou représentée, ou encore quand la dissolution du mariage ne s'est accompagnée d'aucune compensation financière.

Ces décisions de la plus haute juridiction française affirment le respect par la France des principes de la convention européenne des droits de l'homme dans ce domaine.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur français, a déclaré : «Pour moi, c'est parfaitement clair, il n'y a qu'une seule loi qui prévaut, c'est la loi de la République, et elle vaut sur tout le territoire français. Pour tout le monde. Et nous n'accepterons aucun système de domination, y compris familial».

A l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté la résolution n° 1464 qui exhorte les Etats membres à adopter les mesures nécessaires pour garantir le droit des femmes contre toute atteinte qui serait justifiée par la religion.

b. Education et religion

M. André Schneider (France, PPE/DC) a présenté son rapport éducation et religion, au nom de la commission de la culture, de la science et de l'éducation.

Pour lutter contre le fanatisme religieux, le rapporteur suggère d'apporter une réponse éducative. Il propose que l'histoire des religions soit enseignée à l'école. Dans ce cadre, il préconise la création d'un institut européen de formation des enseignants pour l'étude comparative des religions.

Une meilleure appréhension du fait religieux contribuera à renforcer la tolérance et la citoyenneté démocratique.

Il a ainsi déclaré :

« Dans notre monde en pleine mutation, où les tensions culturelles et sociales sont souvent exacerbées, le 11 septembre 2001 a servi de dramatique révélateur. En effet, le monde dit "occidental" a été bouleversé par l'onde de choc des attentats de fanatiques islamistes. Aussi nous est-il apparu indispensable d'apporter une réponse éducative à ce fanatisme dû à l'ignorance qui, à un moment ou à un autre de leur histoire, a traversé toutes les religions.

Voilà pourquoi, Monsieur le Président, mes chers collègues, nous vous proposons la présente recommandation.

Comme le notait le quotidien « Dernières nouvelles d'Alsace » il y a quelques jours, c'est une heureuse coïncidence que ce débat ait lieu aujourd'hui, jour où les catholiques fêtent Saint-François d'Assise, artisan du dialogue entre chrétiens et musulmans, jour où les juifs fêtent Roch Hachana, le nouvel an, et les musulmans le début du Ramadan. Ces trois religions qui ont des racines communes, avec Abraham, partagent beaucoup de valeurs avec d'autres et ces valeurs sont à l'origine de celles défendues par le Conseil de l'Europe.

Voilà des années que notre commission de la culture, de la science et de l'éducation se préoccupe de questions liées à la religion. Notamment dans sa Recommandation 1396 de 1999 sur la religion et la démocratie - avec un excellent rapport défendu par Lluis Maria de Puig -, l'Assemblée affirmait que «Plusieurs problèmes de la société européenne moderne ont une composante religieuse, tels que les mouvements fondamentalistes intolérants et les actes terroristes, le racisme et la xénophobie, les conflits ethniques». L'exacerbation récente de l'extrémisme islamique est venue donner une plus grande urgence à nos réflexions.

Il est de fait que la mondialisation s'accompagne d'une mobilité croissante des populations, qui génère des confrontations entre idéologies, religions et cultures différentes. Ce phénomène met à l'épreuve dans de nombreux pays la capacité des systèmes éducatifs à résoudre les problèmes d'intégration, car les compromis, les équilibres établis depuis longtemps entre l'éducatif et le religieux sont remis en cause. Et tout cela intervient au moment même où se développe au niveau européen, mais aussi mondial, une volonté politique de promouvoir par l'éducation nos valeurs communes : démocratie, droits de l'homme, solidarité, respect de l'autre ... Se pencher sur cette question est donc parfaitement légitime.

La religion joue un rôle important en Europe et dans le monde. Cependant, un nombre élevé d'européens n'a que des idées très approximatives du fait religieux. Comment prétendre étudier l'histoire de l'art ou la philosophie, comprendre les conflits qui déchirent notre planète sans connaître l'histoire des religions et les principes qui les fondent ? Tel est l'objectif qui a été le nôtre lors de l'élaboration du présent rapport.

La connaissance des religions a fait partie intégrante de celle de l'histoire des hommes et des civilisations et une bonne connaissance générale des religions développe le sens de la tolérance qui est indispensable à l'exercice de la citoyenneté démocratique. Il est essentiel, par exemple, de comprendre l'histoire des abus et des conflits politiques au nom de la religion.

Cette connaissance, totalement différente de la croyance en une religion en particulier et de sa pratique, doit être acquise à l'école, qui est un élément majeur de l'éducation, de la formation de l'esprit critique des futurs citoyens. En enseignant aux enfants l'histoire et la philosophie des principales religions avec mesure et objectivité dans le respect des valeurs de la Convention européenne des Droits de l'Homme, l'école luttera efficacement contre le fanatisme.

Il est bien entendu que les différentes religions doivent aussi contribuer à cette lutte, mais l'objet du rapport est de s'adresser prioritairement aux instances éducatives de nos pays.

L'objectif de cet enseignement est de faire découvrir aux élèves les religions qui se pratiquent dans leur pays et celles de leurs voisins, de leur faire voir que chacun a le même droit de croire que sa religion «est la vraie» et que le fait que d'autres ont une religion différente - ou n'ont pas de religion - ne les rend pas différents en tant qu'êtres humains. Sans intervenir dans le domaine des croyances qui relève de la sphère privée, l'école doit, pour des raisons historiques et culturelles, être attentive à l'apparition des grandes religions monothéistes ainsi qu'aux contestations qu'elles engendrent et aux deux grands livres que sont la Bible et le Coran.

Telle est, à mes yeux, la clé du problème et l'une des principales conséquences du rapport de Régis Debray, à savoir la mise en place en France d'un Institut européen en sciences des religions chargé de valoriser les travaux de recherche dans ce domaine et de les rendre accessibles aux enseignants.

Cependant en Europe, il n'y a pas assez d'enseignants en mesure d'assurer l'étude comparative des différentes religions : d'où l'intérêt de créer un institut européen de formation de formateurs des futurs enseignants. Il nous a semblé nécessaire qu'un tel institut ait une reconnaissance internationale, comme celle que lui donnerait le Conseil de l'Europe. Aussi nous proposons de recommander au Comité des Ministres d'envisager sa création à Strasbourg.

Bien entendu pour l'élaboration des programmes de ce futur institut européen de formation de formateurs, le Conseil de l'Europe consultera tous les partenaires concernés par cette importante problématique, y compris les représentants des confessions religieuses.

Il est bien évident que l'enseignement que nous proposons ne doit pas franchir la limite entre le culturel et le cultuel et doit s'accommoder du principe que la religion de chacun, incluant l'option de ne pas avoir de religion, relève du domaine strictement privé. Même si quelques-uns de nos interlocuteurs, ainsi que quelques membres de la commission, souhaitaient que nous abordions aussi «l'expérience religieuse», nous avons préféré de ne pas le faire à ce stade, notamment pour éviter toute confusion.

Pour la préparation du présent rapport, notre commission a entendu successivement le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe - c'est de lui qu'est venue l'idée de la création d'un institut européen de formation des enseignants pour l'étude comparative des religions - un représentant des enseignants au niveau européen, des personnalités religieuses de six religions différentes et enfin les ONG qui travaillent avec notre organisation. Nous avons constaté un assez large consensus.

Mon souhait est que ce consensus perdure lors des débats que nous allons avoir. Je n'ignore pas que le sujet est délicat et que chacun aura à cœur de défendre ses convictions et les traditions de son pays. Si chacun le fait avec tolérance et ouverture, cette discussion sera fructueuse. Mon rapport n'entend pas établir une vérité valable toujours et partout mais, plus modestement, faire le point sur ce sujet, proposer des solutions concrètes et, dans le respect des valeurs et principes garantis par la Déclaration européenne des droits de l'homme, permettre des avancées dans la compréhension mutuelle de nos populations. Comme l'a écrit Confucius : «Nous sommes frères par la nature mais étrangers par l'éducation». J'espère qu'en améliorant la prise en charge du fait religieux par le système éducatif, nous parviendrons à améliorer cette nécessaire compréhension. C'est là tout le sens de mon travail et le défi que je vous propose de relever.

La présente recommandation est bien entendu le résultat de tous ces débats. Elle est à mes yeux un heureux compromis qui tient le plus grand compte de tous les avis exprimés dans nos discussions liées à cette importante question existentielle. Elle ne franchit à aucun moment la ligne de démarcation solidement ancrée dans nos esprits entre l'historique et le culturel d'une part, le cultuel et le religieux d'autre part. Elle garantit ainsi le respect de la laïcité et la liberté de religion.

Comme l'a si bien souligné l'écrivain africain Amadou Hampâté Bâ : «Ce qu'il faudrait, c'est toujours concéder à son prochain qu'il a une parcelle de vérité et non pas de dire que toute la vérité est à moi, à mon pays, à ma race, à ma religion.»

Mme Josette Durrieu est intervenue la première dans ce débat. Si elle a approuvé l'idée d'enseigner l'histoire des religions, elle a toutefois réaffirmé son attachement au principe de laïcité.

« Education et religion : merci, Monsieur le rapporteur, car je pense que vous avez dit l'essentiel et de façon très juste ! Mais quelqu'un a prévenu tout à l'heure : «soyons prudents.» Il avait raison, parce qu'il s'agit en fait de nos enfants, il s'agit de savoir ce que nous voulons enseigner à nos enfants. Il est deux valeurs essentielles, qui sont l'esprit critique et la tolérance, c'est-à-dire qu'il faudra former l'esprit mais pas nécessairement enseigner le dogme. Il était essentiel de le répéter.

C'est sur cette base que pourra s'établir le dialogue avec les civilisations. S'il ne s'établit pas au nom de la religion, nous savons quelles peuvent en être les conséquences. Nous avons connu cent ans de guerres de religion en France. C'est pourquoi notre pays est historiquement attaché à la laïcité. Aujourd'hui comme hier, les religions sont à l'origine de tous les conflits. C'est vrai en Israël et en Palestine. C'était vrai en Irlande. On pourrait multiplier les exemples. Il faut donc enseigner l'histoire des religions qui, à l'évidence, est à la base même de l'enseignement des civilisations.

S'agissant de la religion et de la politique, je considère que religion et démocratie ne sont pas incompatibles. Monsieur le rapporteur, vous écrivez, au chapitre 5, que la politique et la religion ne doivent pas se mélanger. Si ! A un certain moment ! La religion étant un fait de société, il appartient à ceux qui ont le pouvoir politique de fixer des règles. Un certain nombre de conditions sont essentielles à la protection de la démocratie. Pour ma part, je considère que la loi civile, c'est-à-dire la loi de l'État, est supérieure à la loi religieuse, en l'occurrence, la Charia dont nous parlions tout à l'heure. Ensuite, la religion doit respecter l'espace privé de l'individu par rapport à l'espace public. C'est sûrement ce que vous avez voulu dire ? Vous avez eu raison de le rappeler car c'est l'un des fondements de la laïcité. Enfin, il convient de reconnaître et de faire reconnaître la valeur de l'homme universel. Je ferai d'ailleurs remarquer à ceux qui participaient au précédent débat que nous n'avons jamais entendu le mot «femme» avant que je ne l'ai moi-même prononcé, ce qui signifie que l'égalité des sexes n'était pas reconnue.

Je rappelle que la Charia, la loi religieuse de l'Islam, en est aussi le code pénal. Elle autorise la polygamie, - en revanche, elle rejette le divorce -, l'héritage et - on le valide ou pas - la lapidation, la flagellation, les amputations, bref l'oppression de la femme. C'est souvent vrai, mais pas partout. Voilà qui prouve que des pays musulmans peuvent se libérer. Tel est le cas, bien entendu, de la Turquie, Etat musulman et laïc, de la Jordanie, de l'Algérie. En 2003, dans des conditions difficiles, le Maroc a repensé le code la famille en revenant sur la fameuse Moudawana, qui était une forme d'oppression achevée de la femme par la loi.

Nous voulons former un enfant qui devienne un homme, «l'honnête homme» du XVIIe siècle, le citoyen moderne que nous voulons doté d'un esprit critique qui lui permettra ensuite de faire seul son choix religieux ou philosophique. J'ai envie de dire que les professeurs aussi - historienne de formation, j'ai enseigné l'histoire pendant trente ans,- doivent être laïcs s'ils veulent être objectifs. Je ne pense pas que le professeur puisse être un ministre du culte, qu'il soit curé, pasteur, rabbin ou imam.

Je pense que tout ce que nous avons dit peut être résumé en un mot : laïcité. »

M. Bernard Schreiner, Président de la délégation, a quant à lui salué le travail de son collègue. En effet, il a constaté que l'enseignement du fait religieux permettra de mieux connaître et d'accepter davantage les croyances d'autrui et ainsi favorisera la tolérance :

« Tout au long de l'histoire, éducation et religion ont entretenu des rapports complexes, allant de l'assimilation totale à l'ignorance absolue en passant par une série de situations intermédiaires où l'acceptation de l'enseignement des religions est plus ou moins tolérée.

Aujourd'hui l'ouverture croissante de nos sociétés au monde renouvelle les données du problème en favorisant la confrontation entre des cultures différentes qui n'ont pas toutes, loin s'en faut, la même approche. Confrontés à cette réalité, nos systèmes éducatifs tentent de s'adapter face à la remise en question d'équilibres subtils issus de l'évolution des pays.

L'exemple français du «foulard» illustre bien ce propos. Fallait-il tolérer le foulard au risque de nier la tradition républicaine de notre école, refusant tout affichage de convictions religieuses, ou rejeter hors du système éducatif des jeunes filles qui ne faisaient qu'appliquer certains préceptes ? La solution trouvée par la France dans le dialogue était tout à fait correcte et juste.

Mais dans ce débat, nous devons avant tout me semble-t-il, nous attacher à respecter totalement les dispositions inscrites dans la Convention européenne des Droits de l'homme. Ces textes reconnaissent explicitement la légitimité de deux aspects. Premièrement, l'école publique doit être pluraliste et respecter les convictions religieuses et philosophiques des familles. Elle doit s'interdire tout endoctrinement. Deuxièmement, la liberté de l'enseignement implique la liberté de créer des écoles privées, ce qui signifie que l'État n'a pas absolument besoin de s'en mêler.

La séparation des églises et de l'État, qui prévaut dans de nombreux pays, n'exclut pas l'enseignement de la religion ou du fait religieux dans les différents cours. Ce rappel rapide du contenu de notre Charte commune montre bien que la proposition de notre rapporteur, visant à favoriser l'enseignement du fait religieux à l'école, est parfaitement justifiée.

J'ajouterai deux considérations. D'une part, nous devons nous garder de confondre les religions avec les visions dévoyées qu'en donnent les différents intégrismes qui tentent malheureusement, d'accaparer l'actualité. D'autre part, j'insisterai sur la tolérance. L'enseignement du fait religieux s'impose aujourd'hui au nom de la nécessaire tolérance. Mieux connaître les croyances de l'autre, c'est se préparer à mieux l'accepter. L'Europe a connu trop de conflits, trop de guerres de religions, pour ne pas mettre en place aujourd'hui les éléments propres à nous prévenir contre le retour de ce fléau.

Le rapport de mon excellent collègue M. Schneider va parfaitement dans ce sens, c'est la raison pour laquelle je lui apporte tout mon soutien.

Pour conclure, je citerai Ghandi : «Les religions sont comme des routes différentes convergeant vers un même point. Qu'importe que nous empruntions des itinéraires différents pourvu que nous arrivions au même but». Puisse ce salutaire appel à la tolérance être entendu par tous ! »

M. Jacques Legendre, Président de la commission, a conclu en apportant des précisions sur le contenu de ce rapport. En premier lieu, l'enseignement du fait religieux serait conçu dans un but éducatif et culturel et, en second lieu, les représentants des principaux cultes seraient consultés avant la mise en œuvre d'un tel programme.

« Je veux saluer le travail de la commission et du rapporteur, et, à mon tour, bien souligner le fait que nous n'entendons pas nous substituer aux religions pour faire connaître les valeurs et les vérités que ces religions estiment devoir transmettre à leurs membres. Il s'agit de former les «jeunes citoyens» au fait religieux. Il est bien clair que dans notre monde ce fait religieux a toute sa place et toute sa présence et qu'il n'est pas toujours facile pour ces jeunes d'être informés. C'est donc bien un but éducatif et culturel qui est recherché.

J'ai entendu aussi que les religions doivent être associées à cette information et doivent être consultées. Cela va de soi. Il n'est pas dans l'esprit de la commission ni du rapporteur, de ne pas entendre les représentants des religions pour la mise en place de cette information, dans le respect et la liberté en face de chacune de ces religions.

Le rapport présenté est de bonne foi et utile. Je souhaite ardemment avec la commission que notre Assemblée l'approuve. »

A l'issue du débat, après un rejet de renvoi en commission, la recommandation n° 1720 a été adoptée.

Elle recommande aux Etats membres d'assurer l'enseignement du fait religieux dans le primaire et le secondaire et de créer un institut de formation pour les enseignants appelés à dispenser ce type de cours.

1.

graphique
L'Assemblée parlementaire réaffirme avec force que la religion de chacun, y inclus l'option de ne pas avoir de religion, relève du domaine strictement privé. Ceci cependant n'est pas incompatible avec la constatation qu'une bonne connaissance générale des religions, et par conséquent un sens de la tolérance, sont indispensables à l'exercice de la citoyenneté démocratique.

2. Dans sa Recommandation 1396 (1999) sur la religion et la démocratie, l'Assemblée affirmait que "Plusieurs problèmes de la société européenne moderne ont une composante religieuse, tels que les mouvements fondamentalistes intolérants et les actes terroristes, le racisme et la xénophobie, les conflits ethniques".

3. Dans beaucoup de familles, la connaissance des religions est en train de se perdre. De plus en plus de jeunes manquent de repères pour bien appréhender les sociétés dans lesquelles ils évoluent et celles avec lesquelles ils sont confrontés.

4. Les médias - presse écrite et audiovisuel - peuvent avoir un rôle d'information très positif. Cependant, certains d'entre eux, surtout parmi ceux destinés au grand public, font très souvent preuve d'une regrettable méconnaissance des religions, comme l'indiquent par exemple les amalgames fréquents entre l'Islam et certains mouvements fondamentalistes et radicaux.

5. La politique et la religion ne devraient pas se mélanger. Cependant, la religion et la démocratie ne doivent pas être incompatibles. En effet, elles doivent être des partenaires valables. En s'attaquant aux problèmes de société, les autorités publiques peuvent éliminer beaucoup de situations qui favorisent l'extrémisme religieux.

6. L'éducation est essentielle pour combattre l'ignorance, les stéréotypes et l'incompréhension des religions. Les gouvernements devraient aussi faire plus pour garantir la liberté de conscience et d'expression religieuse, pour encourager l'enseignement du fait religieux, pour promouvoir le dialogue avec et entre les religions et pour favoriser l'expression culturelle et sociale des religions.

7. L'école est un élément majeur de l'éducation, de la formation de l'esprit critique des futurs citoyens et donc du dialogue interculturel. Elle pose les bases d'un comportement tolérant. En enseignant aux enfants l'histoire et la philosophie des principales religions avec mesure et objectivité dans le respect des valeurs de la Convention Européenne des Droits de l'Homme elle luttera efficacement contre le fanatisme. Il est essentiel de comprendre l'histoire des conflits politiques au nom de la religion.

8.

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La connaissance des religions fait partie intégrante de celle de l'histoire des hommes et des civilisations. Elle est tout à fait différente de la croyance en une religion en particulier et de sa pratique. Même les pays où une confession est largement prédominante se doivent d'enseigner les origines de toutes les religions plutôt que d'en privilégier une ou de promouvoir le prosélytisme.

9. En Europe, diverses situations co-existent. D'une manière générale, les systèmes scolaires - en particulier les écoles publiques dans les pays dits laïcs - ne consacrent pas suffisamment de ressources à l'enseignement des religions ou - en particulier dans les pays à religion d'État et dans les établissements confessionnels - privilégient une seule religion. Certains pays ont interdit le port de symboles religieux dans les établissements scolaires.

10. Malheureusement, un peu partout en Europe il n'y a pas assez d'enseignants en mesure d'assurer l'étude comparative des différentes religions d'où l'intérêt de créer pour cela un institut européen de formation des enseignants (au moins pour les formateurs des futurs enseignants).

11. Le Conseil de l'Europe accorde à l'éducation un rôle central dans la construction d'une société démocratique mais l'étude des religions dans les écoles n'a pas encore fait l'objet d'une attention particulière.

12. L'Assemblée constate par ailleurs que les trois religions monothéistes du Livre ont des racines communes (Abraham) et partagent beaucoup de valeurs avec d'autres religions et que ces valeurs sont à l'origine de celles défendues par le Conseil de l'Europe.

13. En conséquence, l'Assemblée recommande au Comité des Ministres :

13.1. d'étudier les approches possibles à l'enseignement des religions pour les niveaux primaire et secondaire par exemple par des modules de base qui seraient ensuite adaptés aux différents systèmes éducatifs ;

13.2. de promouvoir la formation initiale et continue des enseignants du fait religieux dans le respect des principes évoqués dans les paragraphes précédents ;

13.3. d'envisager la création d'un institut européen de formation d'enseignants pour l'étude comparative des religions.

14.

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L'Assemblée recommande aussi au Comité des Ministres d'encourager les gouvernements des États membres à veiller à l'enseignement du fait religieux aux niveaux primaire et secondaire de l'éducation nationale, notamment sur la base des critères suivants :

14.1. son objectif doit faire découvrir aux élèves les religions qui se pratiquent dans leur pays et celles de leurs voisins, de leur faire voir que chacun a le même droit de croire que sa religion "est la vraie" et que le fait que d'autres ont une religion différente, ou n'ont pas de religion, ne les rend pas différents en tant qu'êtres humains ;

14.2. il devrait inclure l'histoire des principales religions, ainsi que l'option de ne pas avoir de religion, en toute neutralité ;

14.3. il devrait donner à la jeunesse des outils pédagogiques lui permettant d'aborder en toute sécurité les partisans d'une approche religieuse fanatique ;

14.4. il ne doit pas franchir la limite entre le culturel et le cultuel, même pour un pays à religion d'État. Il ne s'agit pas de transmettre une foi, mais de faire comprendre aux jeunes pourquoi des millions de gens puisent à ces sources ;

14.5. les enseignants des religions devront avoir une formation spécifique. Cela devrait être des enseignants d'une discipline culturelle ou littéraire. Cependant les spécialistes d'une autre discipline, pourraient être chargés de cet enseignement ;

14.6. il appartient aux autorités publiques de veiller à la formation des enseignants et de définir les programmes qui doivent être adaptés à la spécificité de chaque pays et à l'âge des élèves.»

3. Mariages forcés et mariages d'enfants

Mme Rosmarie Zapfl-Helbling (Suisse, PPE/DC) a présenté son rapport sur les mariages forcés et les mariages d'enfants, au nom de la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes.

Elle a fustigé cette pratique, assimilée à un délit passible de poursuites pénales qui demeure en vigueur dans beaucoup de pays européens, et souhaité que les Etats membres du Conseil de l'Europe modifient leurs législations, en instituant l'âge légal du mariage à 18 ans.

M. Jean Guy Branger a apporté son soutien à ce rapport et a rappelé que la France était très vigilante sur ce sujet. Un projet de loi est en cours de discussion pour relever à 18 ans l'âge minimum du mariage pour les filles.

« Je me réjouis de la tenue de ce débat. Je tiens à remercier et à féliciter notre rapporteur, ainsi que notre collègue belge, la sénatrice Mimount Bousakla, qui avait courageusement organisé une audition à Anvers, le 18 octobre 2004. Je profite de l'occasion pour lui exprimer mon amicale solidarité puisqu'elle a été l'objet de menaces très graves à la suite de la dénonciation publique des mariages forcés.

Dans certaines communes de Belgique, des Pays-Bas et, je le crains, en France aussi, on estime à près d'un quart des unions des jeunes issus de l'immigration, même nés en Europe, les mariages qui sont conclus sous contrainte familiale.

Devant le caractère pathétique de certains témoignages que nous avons entendus lors de cette audition, notamment de jeunes Françaises d'origine maghrébine, j'avais interrogé le ministre français des Affaires étrangères, qui était alors M. de Villepin, aujourd'hui Premier ministre. Celui-ci m'avait alors assuré que la mise en œuvre de la loi française du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration et à la nationalité avait ouvert la possibilité de vérifier la réalité du consentement des futurs époux en les auditionnant avant la célébration du mariage lorsqu'il doit avoir lieu sur le sol français. Lorsque la célébration doit se tenir à l'étranger selon le droit local, c'est au moment de la transcription en droit français que les autorités consulaires peuvent auditionner les conjoints. Début 2005, les effets de cette loi avaient déjà fait passer le nombre d'examens de demandes de transcription suspectées de fraude de 740 en 2003 à 1 200 en 2004.

Dans le cas d'un mariage forcé avéré, la délivrance du visa ou le renouvellement du titre de séjour au conjoint étranger est refusé.

Toutefois c'est sans doute au niveau de la prévention que l'effort doit se porter, comme nous y invite notre rapporteur, Mme Zapfl-Helbling. Le lieu de cette prévention est évidemment le cadre scolaire où les jeunes filles qui se sentent menacées d'un mariage contraint, souvent à l'occasion de «vacances» dans le pays d'origine de la famille, peuvent se confier à leurs professeurs, à l'assistante sociale ou au médecin scolaire. Ces responsables peuvent alors saisir soit directement la justice, soit les services de défense des mineurs. Cette prévention s'est révélée à plusieurs reprises très efficace.

Enfin, je souscris pleinement à la proposition du relèvement de l'âge minimum du mariage pour les jeunes filles. Le Sénat français l'a d'ores et déjà porté à 18 ans, pour les garçons comme pour les filles. A cet égard, je préciserai que si des dérogations peuvent être demandées, elles doivent être soumises à l'appréciation d'un tiers de confiance. En France, c'est la justice qui apprécie le bien-fondé de cette dérogation.

Je m'opposerai à une possibilité de dérogation laissée à la seule appréciation de la famille de la jeune fille, comme à la possibilité de mariage par procuration, encore permise par la Convention de l'Onu de 1962. Je regrette, à cet égard, une disposition qui semble légitimer le tuteur matrimonial, qui symbolise l'incapacité juridique de la femme, subsistant dans certains droits. Cette institution est la négation même de la liberté de consentement. Enfin, je partage la plupart des observations figurant dans l'avis de notre commission des affaires sociales, à l'exception peut-être de l'amendement qui fait l'hypothèse de violences symétriques en cas de mariage forcé, y compris au détriment du prétendu mari. Cette situation théorique ne me paraît pas avoir de réalité.

Tel est, mes chers collègues, mon point de vue sur un débat bienvenu, non seulement pour marquer notre préoccupation constante de la promotion de l'égalité des femmes avec les hommes, mais aussi pour le progrès des sociétés d'origine où les traditions d'inégalité sont d'ailleurs de plus en plus largement remises en question. »

M. Jean-Marie Bockel s'est félicité de ce rapport ; il a tenu à insister sur la nécessité de subordonner la célébration religieuse ou coutumière du mariage à son enregistrement par les autorités publiques afin de vérifier le consentement des époux.

« Je suis maire d'une commune qui comporte une forte population immigrée, d'origine maghrébine principalement.

Je suis témoin que la majorité de ces personnes veulent vivre paisiblement dans l'espace européen et apprécient le respect de l'autonomie individuelle qui est à la base de notre «vivre ensemble».

Je ne méconnais pas cependant que certaines familles, provenant des régions les plus pauvres, restent attachées à des traditions contraires au respect des droits individuels.

Aussi, je me réjouis que notre Assemblée ouvre le débat sur le phénomène des mariages forcés et des mariages d'enfants.

Je souscris en particulier à la déclaration de notre Rapporteur, Mme Zapfl-Helbling, s'indignant que «sous couvert de respect de la culture et des traditions des communautés immigrées, des autorités tolèrent les mariages forcés et les mariages d'enfants (...)».

Aussi, j'approuve l'appel à nos gouvernements et à nos parlements :

- de «renégocier, écarter ou dénoncer les chapitres des accords internationaux et les règles de droit international privé qui portent atteinte aux principes fondamentaux des droits de l'homme». Il faut faire obstacle à la revendication de faire prévaloir de prétendus statuts personnels sur les principes d'universalité et d'égalité qui caractérisent les droits de l'homme ;

- il convient également de relever l'âge minimum légal de consentement au mariage pour le fixer à dix-huit ans pour les femmes comme pour les hommes. J'indiquerai que la législation française a longtemps tardé à cette réforme, heureusement en cours d'adoption ;

- la pénalisation de la complicité dans l'organisation d'un mariage forcé ou d'un mariage de mineur doit également être inscrite dans nos droits puisque c'est le plus souvent sous la pression des familles que sont contractées ces prétendues unions.

En revanche, j'aurais souhaité que soit plus nettement affirmée la distinction entre les célébrations religieuses ou coutumières et les mariages enregistrés par une autorité publique. La législation française prévoit de subordonner la célébration d'une union par un ministre d'un culte à la production d'un extrait de l'état civil enregistrant le mariage légal.

Je regrette pour ma part que cette obligation pleinement respectée désormais par les religions juive et chrétienne soit trop souvent méconnue dans les familles musulmanes comme dans certaines familles d'origine africaine.

En effet, ces unions coutumières donnent parfois lieu à des violences à l'égard des jeunes femmes qui ont été contraintes par leur famille à ces pseudo-mariages.

La loi étant la même pour tous, les ministres des différents cultes doivent y être également soumis. Pour ma part, j'estime que la célébration du mariage dans le cadre légal offre seule le minimum de garantie de respect des droits individuels.

Je ne pense pas qu'une autorité coutumière s'appuyant sur des règles, d'ailleurs variables, d'un pays non européen soit la personne la mieux placée pour s'assurer de la liberté de consentement des jeunes femmes, alors même que la comparution de la jeune fille n'est même pas prévue dans certaines traditions.

La seule réserve que je formulerai à l'égard de la Convention des Nations Unies de 1962 sur le consentement au mariage, c'est qu'elle maintient la possibilité de mariage par procuration, procédure favorisant évidemment les mariages forcés. Cette Convention, qui a déjà plus de quarante ans, devrait d'ailleurs être revue sur ce point.

Il faut cesser de regarder comme des discriminations cet appel à la loi et aux principes d'égalité et d'universalité des droits humains. En adressant ce message aux populations immigrées en Europe, nous favorisons leur intégration et l'harmonie sociale dans nos villes ; nous favorisons aussi la diffusion d'un message de progrès dans les communautés d'origine qui ne peuvent espérer se développer avec le maintien de l'oppression des femmes. »

L'Assemblée a adopté la résolution n° 1468. Cette dernière demande aux Etats membres de prendre des mesures législatives pour mieux encadrer le droit du mariage afin de prévenir les mariages forcés.

Parmi ces mesures, elle propose de :

- Fixer l'âge légal du mariage à 18 ans ;

- Rendre obligatoire la déclaration de tout mariage ;

- Vérifier le consentement des époux ;

- Faciliter l'annulation des mariages forcés.

C. LES QUESTIONS EUROPÉENNES

1. Le Conseil de l'Europe et la politique européenne de voisinage de l'Union européenne

Le rapport défendu par M. Luc Van Den Brande (PPE/DC), au nom de la commission des questions politiques, a rappelé les objectifs fixés par la politique européenne de voisinage : établir une coopération entre l'Union européenne qui s'élargit et ses voisins de l'Est et du Sud.

Cette coopération vise à promouvoir la démocratie et le respect des droits de l'homme, domaines d'excellence du Conseil de l'Europe.

Le rapport insiste sur le rôle que doit jouer le Conseil dans la mise en œuvre de cette politique.

Le premier orateur français, M. Marc Reymann, s'est félicité du contenu de ce rapport. Cette politique est l'occasion de mettre en pratique les résolutions adoptées lors du sommet de Varsovie, qui préconisaient une collaboration et une complémentarité entre le Conseil et l'Union.

« En 2004, l'Union européenne s'est agrandie. Elle compte aujourd'hui vingt-cinq membres et d'autres adhésions devraient intervenir en 2007, dont celle de la Bulgarie, de la Roumanie et, sans doute, de la Turquie, membre fondateur du Conseil de l'Europe depuis 1949.

La Bulgarie et la Roumanie sont devenues membres du Conseil respectivement en 1992 et 1993. On le voit, l'adhésion au Conseil de l'Europe est souvent la première étape sur le chemin de l'intégration européenne. C'est pourquoi le Conseil de l'Europe compte en son sein de nombreux pays qui aspirent à rejoindre l'Union européenne. Il compte également bon nombre de pays situés aux frontières géographiques de l'Europe.

C'est à destination de ces pays voisins de l'Est et du Sud que l'Union européenne a décidé d'initier une politique européenne de voisinage afin d'aider à leur stabilité politique et d'encourager la démocratie. Ce plan d'action couvre seize Etats, soit quatre cent millions d'habitants. C'est l'occasion de mettre en pratique les résolutions qui ont été prises lors du Sommet de Varsovie en mai 2005, qui visent à la collaboration et à la complémentarité entre le Conseil et l'Union.

Nous devons veiller à agir en complémentarité avec l'Union européenne dans la mise en œuvre de ce programme, qui n'en est encore qu'au stade du développement. Par ailleurs, il convient d'éviter les concurrences inutiles, les doublons, qui sont à la fois inefficaces et onéreux.

Notre Assemblée est la plus à même de défendre les valeurs politiques du projet européen. En effet, adhérer à ce projet, c'est faire sienne les valeurs de la démocratie, de l'État de droit et du respect des droits de l'homme.

Force est de constater que notre Assemblée a d'ailleurs joué un rôle considérable auprès des nouveaux membres de l'Union européenne et a pleinement rempli son rôle d'école de la démocratie.

En effet, le Conseil de l'Europe ne s'est pas construit sur l'idée d'un grand marché économique, mais plutôt autour de l'idéal démocratique et des droits de l'homme qui ne connaissent pas de frontières. Il s'est acquis en ces domaines une grande expérience et une capacité d'expertise qui ne lui sont pas contestées, et il est toujours prêt à inciter ses partenaires à poursuivre leurs réformes pour s'approcher de cet idéal.

Le Conseil dispose pour cela d'un savoir-faire qui passe par la fixation d'un calendrier et d'une procédure de suivi lors de la mise en œuvre de programmes. En outre, il œuvre pour un renforcement du dialogue entre l'Europe, la Méditerranée et le Proche-Orient, dans la ligne fixée par la politique européenne de voisinage. Ainsi est-il prévu de nommer en son sein un coordinateur pour le dialogue interculturel.

L'Union européenne fait rêver ceux qui convoitent de la rejoindre car elle symbolise à leurs yeux à la fois la prospérité économique et l'idéal démocratique. Cela en dit long sur sa réussite malgré ses difficultés et des interrogations légitimes sur son avenir institutionnel. Accueillant en son sein cinq des seize pays visés par la politique de voisinage de l'Union européenne, le Conseil de l'Europe se doit d'y être particulièrement attentif.

Le rapporteur souligne fort justement le rôle clé que le Conseil de l'Europe peut jouer dans la mise en œuvre de cette politique. On peut espérer que le rapport que doit remettre M. Jean-Claude Juncker sur les relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne en tiendra compte.

Monsieur le Président, mes chers collègues, je vous remercie de votre attention et je félicite notre collègue pour la qualité de son rapport. »

Mme Josette Durrieu a, elle aussi, soutenu ce rapport. Elle a tenu à orienter son propos sur la politique vis-à-vis des pays du Sud et du Moyen-Orient. Elle a notamment appelé à une relance du processus de Barcelone.

« Je remercie d'abord M. le rapporteur pour son travail. J'orienterai ensuite mon propos différemment, car de nombreuses choses ont déjà été dites et bien dites.

Le projet de politique européenne de voisinage visait initialement les pays de l'Est ; progressivement, les pays de l'Asie centrale ont été concernés et aujourd'hui nous devons nous préoccuper des pays du Sud, et notamment de ceux qui se situent au sud de la Méditerranée. La plupart de ces pays du Sud sont musulmans, leur population s'élevant à 1,3 milliard. Or celle-ci manque aujourd'hui de reconnaissance et peut être victime d'un «choc des civilisations». Nous savons bien que la pauvreté est la source de tous les risques, et notamment du terrorisme.

L'Europe est à la fois une référence et un modèle, mais elle est menacée par cette situation. C'est la raison pour laquelle elle doit s'engager pleinement - l'Union européenne et le Conseil de l'Europe - vers une politique européenne de voisinage. D'ailleurs, le processus de Barcelone, en 1995, était une excellente initiative qui fixait un cadre très large - allant de la Mauritanie à la Turquie et, au-delà, de l'Iran au Pakistan - de ce qui devait être la stabilisation de la paix, de la prospérité, de la démocratie, notamment. A savoir, tout ce qui doit constituer les bases d'un processus visant à éviter le choc des civilisations.

Le processus de Barcelone est en panne, en raison du conflit israélo-palestinien. Or, rien ne sera réglé dans cet espace tant que l'on ne mettra pas fin à ce conflit.

Si depuis 2004 émerge, à l'initiative de l'Europe, une nouvelle politique de voisinage, une politique américaine, appelée «politique du grand Moyen-Orient», et fondée sur les mêmes bases, a également été mise en place. Elle consiste à combattre le terrorisme en développant l'économie, la démocratie et le processus de paix. Or il convient de constater que cette volonté commune de faire bouger les choses et de mettre en place de nouvelles réformes donne des résultats. Le processus démocratique semblerait avancer puisque des élections, que l'on qualifie de «pluralistes», ont eu lieu en Egypte. Il s'agit d'un simulacre bien sûr, mais quelque chose a changé.

Des progrès plus marquants ont été réalisés en 2004 : au Maroc, le code de la famille a été modifié, en Arabie Saoudite les femmes ont obtenu le droit de conduire, et dans le Golfe le droit de voter. Alors il est vrai que les choses bougent, mais pas suffisamment.

C'est la raison pour laquelle l'Europe toute entière, à tous les niveaux et avec toutes ses structures, doit être au cœur de cette dynamique : aux côtés de l'Union européenne, le Conseil de l'Europe pourrait trouver là sa place.

Dans le cadre de cette politique de voisinage structurée, je tiens à insister sur notre combat d'hier, concernant ces infirmières de nationalité bulgare qui vont peut-être être exécutées. Elles sont condamnées à mort à Tripoli. Ce que nous faisons ne sera pas suffisant. Alors mobilisons-nous davantage pour tenter de les sauver ! Il y a six mois, je me suis rendue en Libye, je sais donc que la menace de leur exécution, dans les semaines qui viennent, est une réalité. Il s'agit donc d'un combat que le Conseil de l'Europe doit mener et j'espère qu'il va le faire de façon plus énergique : il faut sauver ces infirmières bulgares condamnées à mort en Libye et qui vont être exécutées. »

A l'issue de ce débat, la recommandation n° 1724 a été votée.

Elle rappelle la nécessaire complémentarité entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe et demande que « l'expérience et les possibilités d'action du Conseil de l'Europe soient pleinement reconnues ... et mises largement à contribution pour appliquer la Politique européenne de voisinage (PEV) ».

Ce texte demande au Comité des ministres :

- de faire des propositions de coopération aux autorités compétentes de l'Union européenne en vue d'institutionnaliser la contribution du Conseil de l'Europe à la PEV ;

- de nouer des relations plus spécifiques avec les Etats non-membres concernés par la PEV.

Il réclame le soutien du Parlement européen dans ce domaine, demande au Commissaire aux droits de l'homme et au Centre européen pour l'interdépendance et la solidarité mondiales de nouer des contacts avec les Etats non-membres concernés par la PEV et souhaite que la Commission de Venise offre son assistance aux pays couverts par la PEV.

Enfin, cette recommandation précise que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe décide :

- de coopérer étroitement avec le Parlement européen dans ce domaine ;

- d'intensifier ses contacts et sa coopération avec les Parlements des Etats non-membres couverts par la PEV ;

- d'inviter les délégués nationaux de pays membres de l'Union européenne à appeler leurs gouvernements à honorer les engagements pris au Troisième Sommet en ce qui concerne la complémentarité des organisations européennes.

2. Le coût de la politique agricole commune

Ce débat a été suivi avec particulièrement d'intérêt par la délégation française.

Le rapporteur, M. Paul Flynn (Royaume-Uni/SOC), au nom de la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales, s'est livré à un réquisitoire contre la politique agricole commune, qu'il juge coûteuse et injuste vis-à-vis des pays en voie de développement. Il appelle à une réforme de cette politique trop axée, selon lui, sur la distribution de subventions.

Le premier orateur français, M. Gilbert Meyer, a tout d'abord rappelé que cette politique avait atteint ses objectifs et fait ainsi la preuve de son efficacité. Il constate que cette politique a beaucoup évolué depuis sa création et a su s'adapter face aux critiques, c'est pourquoi il déplore le ton alarmiste du rapport.

« Je suis heureux de constater que M. Flynn reconnaît d'emblée dans son rapport, que la politique agricole commune instaurée il y a cinquante ans a atteint ses objectifs : augmentation de la productivité agricole, stabilisation des marchés, approvisionnements garantis, stabilisation du revenu des agriculteurs. Une politique qui atteint ses objectifs, cela s'appelle, je crois, une politique efficace.

Alors, bien sûr, tout au long de son histoire, la PAC a dû évoluer pour faire face à de nouveaux défis et notamment la maîtrise des déséquilibres quantitatifs. Elle s'est fixée de nouveaux objectifs : sûreté alimentaire, préservation de l'environnement rural, utilisation rationnelle des deniers publics.

Cette approche nouvelle met davantage en lumière le rôle que les agriculteurs peuvent jouer dans l'amélioration de la qualité, la préservation de la diversité biologique et des paysages traditionnels, avec le maintien de la vitalité des économies rurales.

Dans l'Agenda 2000 de l'Union européenne, le développement rural est officiellement devenu le second pilier de la politique agricole de l'Union parallèlement à l'agriculture. Les réformes mettant en œuvre les principes de l'Agenda 2000 sont maintenant en cours d'application. Elles introduisent des changements fondamentaux par rapport à la création de la PAC en 1958.

Les subventions à la production disparaissent pour être remplacées par des paiements directs en faveur des agriculteurs. Paiements subordonnés au respect de normes en matière d'environnement, de santé et de bien-être des animaux, de protection phytosanitaire, ainsi qu'au maintien des terres agricoles dans un état satisfaisant. État satisfaisant tant du point de vue agricole que pour celui de la préservation du milieu rural.

L'éventail des activités financées par le budget agricole s'est élargi, comprenant désormais le développement rural et l'environnement.

Les aides en faveur des agriculteurs communautaires représentent moins de 1 % de la dépense publique globale de l'Union.

La réforme des modalités de financement de l'agriculture communautaire vise également à répondre aux accusations selon lesquelles la PAC serait à l'origine de distorsions dans les échanges mondiaux. Les réformes les plus récentes ont réduit de 70 % les types d'aides agricoles génératrices de distorsions commerciales. Elles ont préparé l'Union européenne au cycle de Doha. Les efforts consentis, notamment en termes de réduction des prix de soutien, constituent une contribution essentielle de la Communauté européenne à la stabilisation des marchés agricoles mondiaux.

Rappelons que d'ores et déjà, l'Union européenne est le premier importateur mondial de denrées alimentaires et le plus gros marché pour les denrées alimentaires du tiers monde.

En octobre 2002, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne ont conclu, à l'unanimité, un accord politique à Bruxelles qui sanctuarise jusqu'en 2013 le montant de la majeure partie des dépenses de la PAC.

Dans ce contexte, le ton alarmiste de M. Flynn dans son rapport sur le coût de la PAC surprend. Que la PAC doive évoluer pour s'adapter à de nouveaux contextes, personne ne cherche à le nier.

Cependant, comme le rappelait récemment le ministre français de l'Agriculture, M. Bussereau, et ce sera ma conclusion : «On commence à peine à appliquer la nouvelle politique agricole, on applique les nouvelles règles environnementales, les nouvelles règles de paiement ... donc le débat pour «rechanger» quelque chose qui vient de changer, est absurde». »

M. Bernard Schreiner, Président de la délégation, est intervenu ensuite dans le débat pour critiquer ce rapport qu'il a qualifié de partial et partiel. Il s'est étonné, tout d'abord, qu'un tel sujet relevant plutôt des compétences de l'Union européenne, soit abordé au sein du Conseil de l'Europe. Ensuite, il a tenu à apporter des précisions sur les observations et chiffres évoqués dans ce rapport.

« Tout d'abord je veux rassurer le rapporteur en lui affirmant très clairement que je n'ai aucun intérêt financier personnel dans l'agriculture.

Nous voilà réunis pour discuter d'un sujet important, la politique agricole commune, sur la base d'un rapport hostile à ce mécanisme. Chacun est libre de penser ce qu'il veut de la PAC mais encore faut il aborder ce sujet dans sa globalité et s'il s'agit, comme c'est le cas, de réclamer une réforme profonde qu'il me soit permis de rappeler à notre rapporteur, qui appartient comme moi à un pays membre de l'Union européenne, que ce n'est pas le meilleur lieu pour le faire. S'agissant d'une politique communautaire, ce débat doit avoir lieu au sein des institutions de l'Union. Je ne pense pas qu'à un moment où, à la suite notamment du Troisième Sommet, on s'efforce de clarifier les relations entre Union européenne et Conseil de l'Europe, la meilleure chose qu'ait à faire notre assemblée soit d'adresser de véritables injonctions à l'Union européenne.

La politique agricole commune est la plus ancienne politique communautaire. En dépit des crises et des critiques, elle a permis à l'agriculture européenne de se maintenir, y compris dans les régions difficiles, de se développer, de produire durablement et de mettre à disposition de tous des produits de qualité. Elle est également un instrument important du développement rural.

Notre rapporteur nous dit que la PAC coûte trop cher. Il écrit : «La PAC consomme... près de 50 % du budget communautaire... la PAC ponctionne aujourd'hui des ressources qui pourraient être réorientées ailleurs». Ces chiffres sont inexacts, ils vont même au delà de ceux avancés par le Premier ministre britannique qui s'en était tenu à 40 %. En fait la PAC, pour la période 2007-2013 ne représentent pas 50 % du budget ni 40 % mais 30 % environ.

S'agissant maintenant des réformes de la PAC, notre rapporteur leur consacre un jugement lapidaire : «la PAC a été réformée en lui donnant une orientation environnementale, un « vernis écologique », au lieu de s'attaquer aux véritables coûts de cette politique.» Là encore, je tiens à rappeler certaines vérités. Avec les trois dernières réformes, la PAC s'est transformée : les prix garantis et l'intervention publique sur les marchés ne représentent plus qu'une faible part des actions et des financements (20 % environ) et il en va de même des subventions à l'exportation.

Permettez-moi maintenant de m'attarder sur une autre affirmation de notre rapporteur selon laquelle : «dans l'UE, pour chaque bovin, en moyenne, les gouvernements de l'UE versent désormais 2,20 USD par jour, soit plus que le revenu journalier dont dispose la moitié de la population mondiale». Cela est erroné. Les deux dollars ne sont évidemment pas destinés aux vaches mais aux éleveurs qui s'en occupent et à leurs familles. Or, les agriculteurs sont des Européens comme les autres, qui ont droit au même niveau de vie, à la sécurité sociale, à l'école pour leurs enfants... C'est pourquoi, je considère que la comparaison faite avec les paysans les plus pauvres d'autres continents est totalement démagogique. Faudrait-il donc ramener le niveau de vie des agriculteurs européens à celui des agriculteurs du Bangladesh ?

Dernier élément que je voudrais aborder : les conséquences de la PAC sur l'agriculture des pays en développement. Qu'il y ait là un problème ne peut être nié mais cette question ne pourra être valablement traitée que dans le cadre global de l'OMC. Pourquoi l'Europe baisserait-elle unilatéralement sa garde alors que d'autres, les Américains pour ne pas les nommer, continueraient à soutenir massivement leur agriculture ? Comme l'a déclaré récemment le Premier ministre français : l' «Europe ne renoncera à ses aides à l'exportation que si les autres pays font de même et nous en apportent la preuve.» Il est d'ailleurs faux d'affirmer que la politique agricole commune ne participe pas à l'aide au développement. Faut-il rappeler qu'en dix ans, nous avons divisé par trois le montant de nos restitutions à l'exportation et que nous sommes de loin le premier importateur mondial de produits agricoles en provenance des pays les moins avancés ?

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, ce rapport partiel et partial me paraît critiquable. Il participe à ce vaste mouvement de remise en cause de la PAC que déplorait Jacques Chirac en 2001 lorsqu'il regrettait que «La politique agricole soit si souvent malmenée, au risque de lâcher la proie pour l'ombre, dans des débats internes mal posés ou dans des négociations internationales mal maîtrisées.» Je me méfie des grands principes qui sont impossibles à assumer politiquement. A ceux qui veulent une libéralisation totale de l'agriculture, je rappellerai que l'application pure et simple des règles commerciales de l'OMC à l'agriculture impliquerait la disparition de 80 % environ des exploitations agricoles de l'Union européenne. Est-ce vers cela que l'on veut aller ? Ce n'est en tout cas pas mon cas et c'est pourquoi je m'opposerai au texte qui va être soumis à notre vote. »

M. Francis Grignon s'est, lui aussi, élevé contre le contenu de ce rapport. Il a fait remarquer que l'agriculture américaine était plus largement subventionnée que l'agriculture européenne. Il a surtout fait part du vote en France d'un projet de loi d'orientation de l'agriculture, qui, notamment, vise à favoriser l'évolution des exploitations d'un modèle familial vers un modèle d'entreprise.

« Notre rapporteur se livre à une charge contre la politique agricole commune de l'Union européenne, en toute bonne foi je n'en doute pas. Mais je crains qu'il se trompe largement de cible.

D'une part, il s'en prend à la politique agricole commune telle qu'elle était conduite dans les années soixante et d'autre part sa charge se concentre sur les agriculteurs européens sommés de faire tous les efforts, mais épargne les autres pays qui subventionnent leur agriculture, notamment les Etats-Unis.

Vous me permettez d'emprunter à un britannique illustre, M. Peter Mandelson, commissaire européen au commerce, une citation de son entretien avec le journal français «Le Figaro» du 26 septembre dernier :

«L'Europe est le marché le plus ouvert du monde, plus ouvert même que les Etats-Unis. Les critiques à l'encontre de notre secteur agricole font un portrait erroné de l'économie européenne et ne tiennent pas compte des réformes considérables déjà réalisées (...) Nos aides aux agriculteurs diminuent et nos réformes avancent alors qu'aux Etats-Unis avec la dernière Farm Bill, les aides augmentent. L'année dernière à Genève, nous avons décidé de réduire les soutiens internes qui perturbent le commerce et de supprimer les soutiens à l'exportation à la condition que les autres pays fassent de même. Dans le cycle commercial de Doha, l'Europe va négocier après avoir réformé. Les Etats-Unis vont devoir négocier sans avoir réformé».

En France même, l'Assemblée nationale débat ces jours-ci d'un projet de réforme qui vise à renforcer la prise en compte des contraintes économiques en favorisant l'évolution des exploitations vers une « démarche d'entreprise », tout en aidant les producteurs à répondre aux nouvelles attentes de la société en termes de qualité, de sécurité sanitaire, de protection de l'environnement et de bien être des animaux.

Notre rapporteur ne peut donc qu'être satisfait de cette réforme dont je me ferai un plaisir de lui transmettre le texte final.

Pendant que l'agriculture européenne se réforme, j'ajoute qu'on évalue à dix sept milliards de dollars les aides directes et indirectes que les agriculteurs américains reçoivent de leur gouvernement, y compris sous forme de soutien à l'exportation.

L'Europe a renoncé à toute aide à la culture du coton ; l'administration américaine quant à elle refuse de supprimer les subventions internes comme externes à ce produit, alors même qu'elles pénalisent des pays africains producteurs de coton qui sont parmi les plus pauvres du monde, comme le Mali.

Je voudrai aussi m'interroger sur une approche purement comptable du coût de la PAC, dans lequel sont pourtant incluses les dépenses visant à garantir la qualité des produits et la sécurité pour les consommateurs.

Je n'aurai pas la cruauté de rappeler la pénible affaire de la vache folle ... Ne représente-t-elle pas un coût immense pour les éleveurs et d'abord les éleveurs britanniques ? Sans parler des immenses souffrances des dizaines de malades conduits à une mort atroce ...

L'ouverture de nos marchés ne doit pas se faire au prix d'un abaissement des garanties offertes aux consommateurs. Nous devons au contraire obtenir de nos partenaires, et d'abord des pays développés, la reconnaissance des normes les plus élevées. Je pense en particulier à la prohibition de l'administration d'hormones dans l'élevage dont les traces se retrouvent dans la viande et dans le lait. Depuis de trop nombreuses années, les États-Unis nous imposent des mesures de rétorsion alors même que les cancers hormono-dépendants sont en augmentation considérable dans ce pays.

Quant aux agricultures qui nous sont données en exemple, je reste perplexe.

La Nouvelle-Zélande ? N'est-ce pas l'un des avocats de la primauté du droit des marques sur les appellations d'origine géographique ?

Si un commerçant, dans l'un des pays qui privilégient le droit des marques, a déposé une appellation comme marque, par exemple le fameux fromage Double Gloucester ou le vin de Champagne, un producteur de l'une de ces région en Europe est passible d'une procédure en contrefaçon s'il prétend importer, en Nouvelle-Zélande, par exemple, l'un des fleurons de nos terroirs.

Notre rapporteur se dit soucieux de préserver les traditions de nos terroirs. Peut-il se satisfaire d'un accord sur le vin, qui comporte de la part des États-Unis le seul engagement de déposer un projet de loi protégeant dix-sept appellations pour les vingt-cinq États européens, sans garantie d'adoption par le Congrès, en échange d'une acceptation de «pratiques œnologiques» : sucrage, arrosage, ajout d'arômes artificiels, etc, qui conduiraient n'importe quel vigneron européen en prison.

Mon interrogation fait sourire quand on nous cite en exemple l'agriculture suisse, dont les délices comme le Fendant ou l'Appenzeller disparaîtraient en même temps que les soutiens aux agriculteurs qui les produisent.

Je m'abstiendrai d'apprécier l'opportunité de publier les noms des bénéficiaires de subventions : je crois comprendre qu'il s'agit de dénoncer quelques grands propriétaires terriens du Royaume-Uni. En Alsace et dans la Suisse et la Souabe voisine, il s'agit d'exploitations familiales. Enfin, les réformes du régime communautaire du sucre et du tabac sont largement engagées dans le sens souhaité par notre rapporteur. Là encore, l'Europe montre la voie.

Quand notre rapporteur rapproche les dépenses communautaires pour la PAC de celles pour la recherche, sait il que la PAC est presque exclusivement communautarisée tandis que les budgets de recherche sont encore nationaux ? Cette comparaison est donc complètement faussée et je n'ose croire qu'elle l'est délibérément pour tromper l'opinion.

La plupart de nos concitoyens, notamment des Etats d'Europe centrale qui ont retrouvé toute leur place à nos côtés, sont attachés à des productions savoureuses, caractéristiques de leur terroir, mais aussi respectueuses de l'environnement et surtout de la santé, y compris à long terme, des consommateurs.

Les réformes déjà adoptées et celles qui sont en cours apportent en fait toutes les garanties que demande notre rapporteur. Je forme le souhait qu'il s'informe de l'état actuel de l'agriculture européenne et qu'il montre la même exigence à l'égard de nos grands partenaires commerciaux qui tardent, eux, à prendre des mesures phytosanitaires, de protection de l'environnement et de la santé animale et, enfin, de concurrence loyale avec les pays en développement que nous nous sommes déjà imposées. »

Après que la demande de renvoi en commission, demandée par le Président de la délégation française, M. Bernard Schreiner, arguant du caractère démagogique et polémique du rapport, ait été repoussée, l'Assemblée a adopté la résolution n° 1470 qui appelle à une réforme de la politique agricole commune en prenant en compte la promotion du développement rural et la protection de l'environnement ainsi qu'en assurant une transparence des bénéficiaires de subventions.

D.   LES QUESTIONS ÉCONOMIQUES : L'OCDE ET L'ÉCONOMIE MONDIALE

Le rapporteur de la Commission des questions économiques et du développement, M. Konstantinos Vrettos (Grèce, socialiste), après s'être félicité de la bonne maîtrise de l'inflation dans les pays de l'OCDE, a insisté sur plusieurs points :

- la hausse du déficit des comptes courants américains,

- les problèmes monétaires qui entraînent des distorsions,

- la difficile négociation en cours à l'OMC,

- la faiblesse de la croissance dans la zone euro qui devrait notamment amener les pays concernés à une plus grande discipline budgétaire et à une mise en œuvre plus dynamique de la stratégie de Lisbonne,

- les raisons du prix élevé du pétrole et les perspectives dans ce domaine,

- la nécessité de réfléchir sérieusement à l'élargissement de l'OCDE.

Premier intervenant de la délégation française M. Jean-Pierre Kucheida a critiqué l'orientation trop libérale du rapport et de l'activité de l'OCDE :

« Je tiens à remercier M. Vrettos pour la qualité de son rapport sur l'OCDE et l'économie mondiale.

En lisant le titre, je m'étais figuré que le rapport allait peut-être apporter de nouvelles solutions pour faire face aux différentes crises - chômage, pauvreté, envolée des prix, en particulier celui du pétrole - que traverse la planète. Or grande fut ma surprise, lors de la lecture, de ne trouver qu'essentiellement des idées libérales classiques : privatisations déguisées, libéralisation des services, et j'en passe. Cela dit, je n'aurais pas dû être surpris, dans la mesure où il n'y a pas eu de révolution à l'OCDE. Si tel avait été le cas, cela se serait su ! Voilà pourquoi je partage fortement les idées développées précédemment par deux de mes collègues, M. Elo et M. Kox.

De plus, l'OCDE s'appuie toujours sur un indicateur que l'on pourrait qualifier aujourd'hui d'obsolète ; j'ai nommé le PIB, produit intérieur brut, qui mesure la richesse produite par un pays. Or le PIB ne reflète en rien l'état de pauvreté, l'état social ou sanitaire d'un pays.

En outre, les économistes n'ont qu'un mot à la bouche : la croissance. C'est vrai qu'il en faut, mais peut-on espérer une croissance infinie dans un monde fini ? Pourquoi se fonder uniquement sur la croissance des personnes ? Mme Brundtland disait à juste titre à ce sujet : «Si sept milliards de personnes devaient consommer autant que nous à l'Ouest, il nous faudrait dix mondes et non un seul pour satisfaire nos besoins.» Pourquoi ne pas remplacer le PIB par un autre indice, comme l'indicateur de développement humain, l'IDH, par exemple, plus qualitatif qui prend en compte non seulement le niveau de vie par habitant, mais également le niveau de scolarisation et l'espérance de vie moyenne ? Bien qu'imparfait, comme tout indice, cet indicateur présente l'avantage d'être plus qualitatif et reconnu, lui aussi, au niveau international.

Pour lutter contre une partie des problèmes cités par le rapport - déficits publics, chômage, pauvreté, relance de l'économie... -, il faudrait essayer d'autres solutions, mais elles se situent malheureusement à l'opposé de ce que proposent les théories libérales qui sont celles de l'OCDE et, d'abord, des États-Unis. L'OCDE devrait donc en tenir compte et faire sa révolution intérieure.

En voici quelques unes: lutter contre les délocalisations et obliger les entreprises qui délocalisent à rembourser les aides obtenues lors de leur implantation; diminuer les temps de travail ; taxer ou mieux boycotter les produits en provenance de pays où les enfants travaillent au lieu d'aller à l'école et où les salariés n'ont pas de quoi assumer leur subsistance dans de bonnes conditions ; rétablir partout l'apprentissage ; rendre à l'État son rôle de régulateur du chômage en développant des services publics maîtrisés et efficaces ; intégrer au calcul, jusqu'alors biaisé, du coût des transports, les coûts externes ; œuvrer pour le développement et ensuite la généralisation du commerce équitable - les relations Nord-Sud n'en seraient que meilleures et surtout, suivre un modèle de développement durable en changeant progressivement nos modes de vie.

En ce qui concerne l'envolée du prix du pétrole, on m'a rapporté que son prix risquait d'atteindre 350 à 450 dollars le baril en 2010-2012. A chacun ses responsabilités, il faut donc que les États s'allient afin de lutter et de taxer très fortement les spéculateurs qui sont en train de mettre en péril l'économie mondiale. Mais il faut aussi profiter de l'occasion pour développer les économies d'énergie, lutter contre le gaspillage et surtout favoriser les modes alternatifs de production d'énergie, énergies renouvelables, pile à combustible... Il en est de même pour toutes les autres ressources de la terre.

Pour terminer avec une phrase de Gandhi : «Il y a suffisamment de ressources sur la planète pour répondre aux besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire l'avidité de chacun !» »

M. Francis Grignon a salué les orientations du rapport et insisté sur le nécessaire développement du commerce international :

« Je me réjouis de la tenue de ce débat avec les délégués des pays observateurs également membres de l'OCDE.

J'approuve tout à fait les orientations du rapport de notre collègue Vrettos à propos du développement du commerce international. En particulier, j'approuve l'appel à un développement des échanges dans le cadre des négociations du programme de Doha à l'Organisation Mondiale du Commerce.

La bonne organisation des échanges internationaux doit reposer sur le respect de règles qui s'imposent à tous :

- un socle commun en matière de développement durable ;

- le respect de la propriété industrielle et des appellations d'origine pour les produits agro-alimentaires ;

- un socle commun également de normes sociales.

Ce n'est que dans ces conditions que nos concitoyens pourront accepter une concurrence accrue et les bénéfices réciproques que nous en attendons.

Notre Rapporteur met aussi justement l'accent sur les déséquilibres qu'engendrent les déficits commerciaux américains drainant l'épargne des zones plus vertueuses.

Je souscris également à l'appel à l'invitation qui est adressée aux gouvernements des États de l'OCDE d'améliorer l'efficacité énergétique et de diversifier les sources d'énergie y compris par le recours à l'énergie nucléaire comme réponse à la hausse du prix du pétrole dont on peut craindre qu'elle ne soit durable.

Je me réjouis d'ailleurs très vivement que le pôle de recherches d'une énergie d'origine nucléaire pratiquement sans déchets soit localisé en Europe avec l'implantation d'ITER : je m'en réjouis d'abord pour la protection de l'environnement mais je m'en réjouis également pour l'indépendance énergétique de nos pays. L'exploration de nouveaux gisements de pétrole et de gaz ne saurait être à mes yeux l'unique solution ni même la solution privilégiée à une demande croissante au niveau mondial de sources d'énergie.

Enfin, je souhaite, avec notre Rapporteur, que les négociations du cycle de Doha progressent. L'Union européenne a formulé des propositions qui visent notamment à réduire les soutiens internes aux prix agricoles et à supprimer les soutiens à l'exportation à condition que nos partenaires procèdent aux mêmes réformes.

D'ores et déjà, le G8 a abandonné les créances publiques à l'égard des États les plus pauvres engagés, de leur côté, dans des réformes de « bonne gouvernance ».

La France a également proposé une taxation des billets d'avion pour mobiliser les fonds qui manquent encore en faveur du développement des économies des pays pauvres. D'autres États européens se joignent à ce projet, dont j'espère le succès. En effet, le développement économique doit prendre de vitesse les frustrations qu'exploitent les terroristes.

Il nous incombe à nous, responsables politiques, d'assurer les deux piliers du développement économique au niveau mondial : l'ouverture des marchés et des règles équitables ménageant les chances des plus fragiles. »

A l'issue de ses débats l'Assemblée a adopté la résolution n°1467 qui s'inquiète notamment de la faible croissance de la zone euro et s'interroge à ce titre sur la politique des taux d'intérêt de la Banque centrale européenne et de la hausse des prix du pétrole qui implique en particulier un développement des efforts visant à stabiliser la situation au Proche et au Moyen-Orient. Ce texte, après s'être félicité des programmes de coopération en cours avec la Russie et la Chine, affirme que les déséquilibres prononcés dans l'économie mondiale - par exemple le déficit américain en compte courant, la divergence croissante entre les économies de la zone euro et le retard préoccupant accumulé par nombre des pays les plus pauvres de la planète - constituent des sources de préoccupations. Il plaide également pour l'élargissement de l'OCDE et pour une meilleure prise en compte de facteurs tels que l'éducation, la recherche scientifique, la cohésion sociale, la bonne gouvernance et la stabilité démocratique qui ont des impacts de plus en plus visibles sur la performance économique des pays considérés individuellement et de l'économie mondiale dans son ensemble. La résolution se prononce enfin pour :

- un renforcement de la coopération entre l'OCDE et le Conseil de l'Europe dans les domaines prioritaires qu'ils auront tous deux identifiés en matière de politique éducative,

- une meilleure prise en compte des aspects non économiques de l'agriculture,

- un soutien ferme au mandat en cours de l'OCDE sur l'encadrement du développement durable, et considère que la réalisation des objectifs de la «Stratégie de l'environnement de l'OCDE pour les dix premières années du XXIe siècle» en vue d'assurer une protection durable de l'environnement devrait être traitée en tant que priorité urgente.

ANNEXES

Autres interventions en séance des membres de la délégation française

Séance du mardi 4 octobre, après-midi :

Intervention de M. Ekmeleddin Ihsanoğlu, Secrétaire général de l'organisation de la Conférence islamique

Question de Mme Josette Durrieu :

« Monsieur İhsanoğlu, en 2004, l'Organisation de la Conférence islamique, dont vous êtes donc le Secrétaire général, a publié une résolution sur le rôle de la femme dans le développement de la société musulmane. Elle s'appuyait sur l'un de vos rapports dans lequel vous demandiez aux États membres de «prendre les mesures appropriées pour organiser les activités féminines aux niveaux national et international, dans les divers domaines, et ce dans le respect de la nature féminine et dans le cadre des restrictions de la Charia». Selon vous, quelles restrictions doivent être imposées aux activités des femmes au nom de «la nature féminine» et des «prescriptions de la Charia» ? J'ajoute, Monsieur le Secrétaire général, que la condition de la femme, c'est le miroir de l'Islam. »

M. Ekmeleddin Ihsanoğlu lui a répondu :

« M. İhsanoğlu remercie l'oratrice pour cette question importante à laquelle il apportera une réponse détaillée. Tout d'abord, puisque l'oratrice l'a cité, il tient à préciser n'avoir jamais parlé de restriction. Il a dit «dans le cadre de», ce qui introduit une nuance différente.

La position de la femme dans l'Islam est un sujet très controversé. Si l'on compare la doctrine de l'Islam par rapport à celle d'autres religions, la position de la femme y est plutôt favorable. Toutefois, celle-ci varie selon les interprétations qui sont faites du Coran et en fonction des coutumes locales, souvent préislamiques, qui varient selon les sociétés. C'est le cas dans des tribus nomades aux traditions multiséculaires. Mais il faut constater que, dans les sociétés avancées, la position de la femme musulmane est souvent identique à celle de la femme dans de nombreux pays européens. C'est le cas en Turquie. On ne peut donc affirmer qu'il existe une seule pratique dans le monde musulman.

Il faut aussi tenir compte du fait que le monde musulman n'a pas évolué au même rythme que le monde occidental. Le développement de la foi et la maturité sont extrêmement différents. Si l'Occident est entré dans l'ère de la post-industrialisation, beaucoup de pays musulmans n'ont pas encore connu leur révolution industrielle. La modernisation générale de ces sociétés s'en trouve retardée, ce qui provoque un important décalage au niveau du développement. Les mentalités évolueront parallèlement à la modernisation de ces pays. La Turquie a connu cette évolution et a même eu une femme Premier ministre, tout comme le Pakistan.

Il ne faut jamais oublier qu'il y a des différences fondamentales entre ce qu'enseigne la religion et ce qui est dit au nom de la religion. Depuis l'époque du prophète, les femmes musulmanes ont toujours fait partie intégrante de la vie sociale et publique, même si certains pays tentent de les nier. Les choses évoluent dans le bon sens mais il faudra certes faire preuve de patience car on ne peut heurter de front toutes les sensibilités. »

Question de M. Jean-Guy Branger :

« Ma question va servir d'élément de ponctuation pour celle de ma collègue, Mme Durrieu.

Monsieur le Secrétaire général, permettez-moi d'évoquer le communiqué final du 16 juin 2004 : la Conférence a appelé à s'abstenir de toute utilisation de l'universalité des droits de l'homme comme prétexte pour s'ingérer dans les affaires intérieures des États. Elle a en outre dénoncé la décision de l'Union européenne relative à la condamnation de la peine de la lapidation et des autres peines, qualifiées d'inhumaines, appliquées dans certains États membres en vertu des dispositions de la Charia.

Je vous saurais gré, Monsieur le Secrétaire général, de nous dire si vous considérez s'il est possible de soutenir pareille déclaration et de prétendre dans le même temps collaborer avec le Conseil de l'Europe et les valeurs qui y sont défendues depuis le statut de 1949, notamment le principe de l'universalité des droits de l'homme. »

Le Secrétaire général lui a apporté les précisions suivantes :

« Il faut remplacer le phénomène de la lapidation dans l'évolution historique du monde musulman. Aucun dogme, aucun écrit ne justifie cette pratique dans l'Islam. A l'époque du prophète, on ne constate que deux cas de lapidation. Après avoir quitté La Mecque, lorsqu'il résidait à Médine, le prophète était aussi le chef politique. Il a dû trancher deux cas de châtiment à donner à des femmes adultères et à autoriser la lapidation conforme à la loi juive. Peu après, le prophète a eu une illumination et a refusé que ce type de punitions continue d'être appliqué. Plusieurs écoles se disputent à ce sujet. Pour les uns, la doctrine autorise la lapidation si certaines conditions sont réunies, dont la présence de quatre témoins de l'adultère, condition pour le moins irréaliste. Les autres rejettent purement et simplement la lapidation.

Certains pays défendent la lapidation au motif fallacieux que l'Islam l'imposerait. Nombreux sont pourtant les musulmans à refuser cette pratique contraire à la véritable doctrine. Il s'agit d'une mauvaise interprétation du Coran qui, selon M. İhsanoğlu, devrait être progressivement abandonnée. »

Intervention de Mme Josette Durrieu sur la Moldova, en tant que co-rapporteur :

« La République de Moldova est membre du Conseil de l'Europe depuis plus de dix ans. Elle est encore et toujours sous monitoring. Voilà un petit pays qui se heurte à beaucoup de problèmes. Il n'empêche que la République de Moldova vit une période de relative stabilité politique autour du Parti communiste, ce qui fait de ce pays du Conseil de l'Europe l'un des plus originaux en termes politiques.

La République de Moldova a besoin d'engager de profondes réformes. C'est une des raisons pour lesquelles le monitoring dure. Ces réformes nécessaires dépendront d'une volonté affirmée, laquelle s'est aujourd'hui exprimée, notamment à travers le discours prononcé par le Président du Parlement. Nous formons tous des vœux sincères pour que le programme et l'échéancier qu'il a évoqués deviennent réalité.

La République de Moldova est confrontée à des difficultés économiques et à des problèmes sociaux. Nous ne saurions nous en étonner : on a pour habitude de dire que c'est le pays le plus pauvre du Conseil de l'Europe. Peut-être n'est-ce pas vrai ? Je garde le souvenir de l'OCDE qui, au début, considérait qu'il était le meilleur élève de la classe.

Depuis dix ans, ce pays a des difficultés, accentuées par le fait que la République de Moldova est privée de la Transnistrie, la partie la plus riche économiquement de son territoire. En effet, c'est là que se trouvent 56 % des biens de consommation, 87 % de l'électricité et plus de 30 % du potentiel industriel. La question de la Transnistrie est donc placée au cœur de tout. Le Président du Parlement parlait ce matin de «lourd fardeau». Quel fardeau en effet ! Espérons que le dialogue puisse être engagé à la suite des propositions formulées par l'Ukraine, qui, je l'espère, seront reprises par la Fédération de Russie, présente avec ses armes, ses stocks, ses troupes et qui peut-être exprimera la volonté de faire avancer le dialogue. C'est à cette seule condition que la situation pourra évoluer.

Nous sommes attachés à ce pays d'Europe qui a vraiment sa place en Europe. Que chacun le soutienne ! »

Jeudi 6 octobre, après-midi :

Intervention de M. Yves Pozzo di Borgo sur le rapport : « Graves violations des droits de l'homme en Libye »

« Nous avons tous en mémoire, après les premiers ravages du sida, l'incertitude qui se prolongea sur ses causes et sur les modes de contamination. Ce retard dans la compréhension de la maladie a entraîné des millions de contaminations et de drames individuels.

Je pense être votre interprète, comme plusieurs de mes collègues ici présents, en exprimant ma profonde compassion envers les malades, en particulier les enfants et, bien sûr, les enfants libyens porteurs du virus. Je peux comprendre, comme beaucoup de nos collègues, que des parents fous de douleur et d'angoisse cherchent de responsabilités, comme ce fut le cas en France aussi.

En revanche, les autorités politiques doivent s'interroger sur les dysfonctionnements administratifs et sanitaires qui ont pu favoriser la diffusion du virus, comme ce fut le cas en France et dans d'autres pays. En aucun cas, les autorités ne doivent jeter en pâture à leurs opinions de prétendus coupables, alors même que des soignants se dévouaient pour soigner des enfants. Il n'y a pas de responsabilité pénale quand il n'y a pas d'intention de nuire. C'est un principe fondamental et universel du droit pénal.

Les cinq infirmières et le médecin palestinien qui sont emprisonnés depuis février 1999 ont été victimes d'une parodie de procédure et de jugement les condamnant à mort. De prétendus aveux extorqués sous la torture ont été retenus contre eux. Les responsables de ces violences, accompagnées même de viols, - je rappelle que c'est un crime très grave - ont été innocentés alors que certains d'entre eux avaient reconnu ces crimes.

La recommandation que nous allons adopter apparaît alors comme l'une des dernières chances, sinon la dernière, d'appeler les autorités libyennes à revenir sur un acharnement inacceptable en mettant fin à un déni de justice.

Mes chers collègues, notre devoir est de parler sans ambages à ces autorités. Je suis en désaccord avec notre collègue russe. La diplomatie appartient à l'exécutif, mais si le Conseil de l'Europe ne dit pas le droit, qui le dira ?

L'Union européenne a adopté un plan d'action d'aide médicale aux enfants touchés par le virus. Nous devons apporter notre soutien à ce plan. Mon propre pays, la France, a accueilli, dès le printemps 1999, des dizaines d'enfants pour les soigner afin qu'ils retournent dans leurs familles avec un protocole de traitement destiné à les sauver, protocole très efficace qui a beaucoup d'effet en France. Or le ministre libyen a indiqué que ces protocoles n'avaient pas été mis en œuvre. Cela n'est pas acceptable de la part de ces autorités.

Sans m'immiscer dans les affaires intérieures libyennes, je m'interroge sur l'emploi des fonds surabondants dont ce pays doit disposer à cause de la hausse des prix des hydrocarbures dont il est exportateur. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler les articles de la presse people sur les frasques financières des enfants du régime. Je ne suis pas loin de penser que l'incarcération des personnels soignants, sans aucune garantie de procès légal, s'apparente à une prise d'otages accompagnée d'une demande de rançon et qu'elle a pour but de faire oublier les lacunes administratives et sanitaires de ce pays.

Sans même évoquer la détérioration de la santé de plusieurs de ces personnes, menaçant leur vie même, c'est une épreuve injuste qui leur est infligée depuis sept ans. Nous sommes en colère et nous nous sentons impuissants. C'est pourquoi j'approuve pleinement la suggestion contenue dans l'amendement n° 4, ou plutôt dans la rédaction que lui donne le sous-amendement de la commission des questions juridiques, à l'initiative de mon collègue Dreyfus-Schmidt, d'envoyer une délégation en Libye pour rencontrer le chef d'État et suivre le procès en appel qui devrait s'ouvrir à partir du 15 novembre.

Je forme le vœu ardent que les autorités libyennes qui aspirent à retrouver leur place dans les États de droit renoncent à une obstination dans l'erreur qui risque d'entraîner la mort de soignants dévoués et ainsi d'entacher à nouveau, et pour longtemps, la réputation de la Libye. »

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N° 2677 - Rapport fait en application au nom des délégués de l'Assemblée nationale à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (1) sur l'activité de cette Assemblée au cours de la quatrième partie de sa session ordinaire de 2005 (M. Bernard Schreiner)