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N° 2724

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 décembre 2005.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 2219), adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple

PAR Mme Chantal Brunel

Députée.

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SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I.     UNE PROPOSITION DE LOI QUI CONSTITUE UNE AVANCÉE POSITIVE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE 7

A. PAR UN ÉLARGISSEMENT DU CHAMP D'APPLICATION DES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES 7

B. PAR DES DISPOSITIONS QUI VIENNENT RENFORCER LE DISPOSITIF PÉNAL 7

II.    DES MESURES PROTECTRICES À L'ÉGARD DES FEMMES ISSUES DE L'IMMIGRATION QUI MÉRITENT NÉANMOINS D'ÊTRE COMPLÉTÉES 8

A. LES AMENDEMENTS ADOPTÉS ASSURENT UNE PROTECTION RENFORCÉE DES FEMMES ISSUES DE L'IMMIGRATION 8

B. CES MESURES INDISPENSABLES DOIVENT NÉANMOINS ÊTRE COMPLÉTÉES 9

III.   UN VOLET PÉNAL QUI NE SAURAIT RÉSOUDRE A LUI SEUL LE PROBLÈME DE LA VIOLENCE AU SEIN DES COUPLES 10

A. UNE POLITIQUE PÉNALE QUI DOIT APPORTER DES RÉPONSES PLUS ADAPTÉES AUX SPÉCIFICITÉS DE LA VIOLENCE AU SEIN DES COUPLES 10

1) Limiter le recours à la médiation pénale 10

2) Recourir davantage à l'injonction de soins 10

B. DES ACTIONS DE PRÉVENTION ET DES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT QUI NÉCESSITENT D'ÊTRE APPROFONDIES 11

1) Un travail d'éducation et de formation indispensable 11

2) La nécessité de renforcer les mesures d'accompagnement 12

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 15

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 17

ANNEXE : Audition de Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes 19

Mesdames, Messieurs,

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a examiné la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple, adoptée en première lecture le 29 mars 2005 par le Sénat.

La Délégation est particulièrement sensible aux violences dont les femmes sont victimes et se montre préoccupée par l'ampleur de la violence au sein des couples qui, à des degrés divers, touche également de nombreux pays étrangers.

Les chiffres sont éloquents puisque l'étude menée dans le cadre de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes (ENVEFF) en décembre 2000 a permis d'établir que près d'une femme sur dix vivait dans un climat de violence conjugale. Les actes de violence au sein du couple vont même parfois jusqu'à l'homicide. Ainsi, un recensement national des morts violentes survenues au sein du couple en 2003 et 2004 a montré qu'une femme meurt tous les quatre jours des suites de violence au sein du couple et qu'un homme meurt tous les seize jours, la femme auteur de l'acte subissant dans la moitié de ces cas des violences de sa part.

Un phénomène de cette ampleur et de cette gravité déborde largement la sphère privée et nécessite des réponses appropriées de la société.

L'Espagne sert actuellement de référence en la matière puisqu'elle a adopté en décembre 2004 une loi dite intégrale, destinée à lutter contre la violence de genre et qui a pour ambition de parvenir à éradiquer la violence au sein des couples. Cette loi est, jusqu'à présent, la seule en Europe à avoir défini un dispositif global de lutte contre la violence au sein des couples.

Les deux propositions de loi à l'origine du texte adopté par le Sénat se sont inspirées de la loi espagnole pour améliorer le dispositif pénal déjà existant en France. La commission des lois du Sénat a examiné conjointement ces deux propositions. Toutes les mesures proposées n'ont pas été retenues, notamment celles relatives à la prévention, au motif qu'elles relevaient du domaine réglementaire, de même que les mesures d'aide aux victimes dont la commission a estimé soit qu'elles correspondaient à des dispositifs déjà existants, soit qu'elles avaient un impact financier insuffisamment mesuré. Par ailleurs, la commission des lois du Sénat a rajouté des dispositions destinées à compléter le dispositif pénal.

Le texte adopté en première lecture par le Sénat vise essentiellement à renforcer l'arsenal pénal en matière de violences commises au sein des couples. Le travail d'étude approfondi mené par M. Jean-Guy Branger, sénateur, au nom de la Délégation aux droits des femmes du Sénat a apporté une contribution importante à la connaissance de ce phénomène. En outre, les débats en séance publique, lors de la première lecture du texte au Sénat, ont été marqués par la volonté d'obtenir des résultats tangibles en matière de violences au sein des couples.

La Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale considère cette proposition de loi comme une avancée positive. Elle souscrit entièrement aux nouvelles dispositions du texte.

Il lui paraît néanmoins indispensable de le compléter par des mesures supplémentaires permettant de lutter plus efficacement contre la violence subie par les femmes de l'immigration, telle que les mariages forcés ou la polygamie.

Par ailleurs, les nouvelles dispositions se traduisent principalement par une aggravation des peines. Si elles présentent un caractère pédagogique et une vertu dissuasive indéniables, elles risquent de s'avérer peu opérantes, dans la mesure où les peines maximales sont très rarement appliquées dans ce domaine et où la politique pénale en la matière se traduit davantage par des peines assorties de sursis et très en deçà des maxima légaux. De plus, parmi les femmes victimes de violences au sein du couple, seul un dixième d'entre elles se résolvent à porter plainte. Il convient donc de développer également des mesures alternatives aux poursuites et de mener des actions de prévention et d'accompagnement approfondies.

I.    UNE PROPOSITION DE LOI QUI CONSTITUE UNE AVANCÉE POSITIVE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE

A. PAR UN ÉLARGISSEMENT DU CHAMP D'APPLICATION DES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES

La Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale est favorable aux dispositions élargissant la notion de circonstances aggravantes à l'ensemble des violences commises dans le cadre ou à la suite d'une relation de couple. Les dispositions figurant dans la proposition de loi viennent compléter les dispositions déjà existantes et signifient très clairement que la violence au sein des couples est particulièrement inacceptable et que la société ne saurait la tolérer. Les peines renforcées prévues dans ce cas ont donc une valeur pédagogique et auront, il faut l'espérer, un effet dissuasif.

C'est pourquoi, les dispositions suivantes de la proposition de loi apparaissent opportunes :

- La définition dans la partie générale du code pénal de la circonstance aggravante liée à la commission d'infractions au sein du couple, comme c'est déjà le cas pour les infractions commises en raison de la race ou de l'orientation sexuelle de la victime. Cette définition générale souligne les motifs de cette répression plus rigoureuse.

- L'application de la circonstance aggravante à l'infraction la plus grave, celle de meurtre, étant donné qu'elle existe déjà pour quatre types d'infractions : tortures et actes de barbarie ; violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner ; violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ; violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours.

- L'extension de la circonstance aggravante aux pacsés. Celle-ci est déjà prévue pour les conjoints et les concubins. Il est donc justifié de viser expressément les pacsés.

- L'extension de la circonstance aggravante aux « ex », qu'il s'agisse de l'ancien conjoint, de l'ancien concubin ou de l'ancien partenaire (« ex pacsé ») de la victime. Cette extension paraît tout à fait adaptée, la période consécutive à la rupture étant souvent le moment où la violence se manifeste de manière exacerbée. C'est parfois le cas sur une longue durée, ce qui justifie qu'il n'ait pas été fixé de limite dans le temps à l'application de la circonstance aggravante aux « ex ».

B. PAR DES DISPOSITIONS QUI VIENNENT RENFORCER LE DISPOSITIF PÉNAL

- L'incrimination explicite du viol au sein du couple a une vertu clarificatrice. En effet, la Cour de cassation reconnaît depuis 1990 le viol entre époux. Toutefois, il paraît important que cette infraction soit expressément visée par le code pénal. Elle offrira ainsi une meilleure lisibilité, afin que nul n'ignore que le viol au sein du couple ne constitue pas une circonstance atténuante.

En outre, cette disposition présente un intérêt indéniable pour lutter contre les mariages forcés qui sont en recrudescence, du fait d'un repli identitaire de plus en plus marqué de la part de certaines communautés issues de l'immigration. Or, ces mariages forcés sont souvent le cadre de relations sexuelles sous la contrainte imposées à ces jeunes filles de manière répétée. Cette nouvelle disposition du code pénal devrait leur permettre de mieux faire valoir leur droit à disposer d'elles-mêmes.

- L'interdiction spécifique du domicile commun pour l'auteur de violences au sein du couple dans le cadre de la libération conditionnelle et du sursis avec mise à l'épreuve. Le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention pouvait d'ores et déjà interdire au prévenu d'entrer en contact avec la victime et de paraître en certains lieux. Il apparaît toutefois que les juges hésitaient à prononcer des mesures d'éloignement du domicile du couple qui peuvent s'avérer pourtant indispensables pour assurer la protection de la victime. Il est donc utile de prévoir cette possibilité de manière tout à fait explicite, afin qu'elle soit mise en oeuvre de manière plus systématique.

II.   DES MESURES PROTECTRICES À L'ÉGARD DES FEMMES ISSUES DE L'IMMIGRATION QUI MÉRITENT NÉANMOINS D'ÊTRE COMPLÉTÉES

A. LES AMENDEMENTS ADOPTÉS ASSURENT UNE PROTECTION RENFORCÉE DES FEMMES ISSUES DE L'IMMIGRATION

- Il s'agit en premier lieu du relèvement de l'âge du mariage de 15 à 18 ans pour les filles. Cette disposition constitue une mesure de protection indispensable pour prévenir les mariages forcés. En effet, ce laps de temps entre 15 et 18 ans est la période où la jeune fille se trouve le plus vulnérable, du fait de son extrême jeunesse et de la dépendance dans laquelle elle se trouve à l'égard de sa famille. Les jeunes filles que l'on cherche à contraindre au mariage seront plus à même de résister aux pressions de leur famille si elles ne sont pas autorisées à se marier avant leur majorité. En outre, au cas où la rupture avec leur famille s'avère le seul moyen d'échapper à un mariage forcé, elles auront davantage les moyens de leur autonomie si elles sont majeures, car elles pourront prendre elles-mêmes les décisions les concernant.

- La constitution d'une nouvelle infraction concernant la privation des pièces d'identité ou relatives au titre de séjour ou de résidence, par le conjoint, le concubin, le partenaire lié par un PACS, l'ex-conjoint, l'ex-concubin, l'ex-partenaire apparaît également justifiée. Cette infraction est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Une telle disposition devrait être particulièrement adaptée pour les femmes, généralement très jeunes, que l'on fait venir de l'étranger pour être mariées en France et qui subissent parfois des violences de la part de leur conjoint, ce dernier exerçant sur elles un véritable chantage, sachant qu'il n'y a pas de retour possible au pays, sous peine de déshonneur ou même de mort.

B. CES MESURES INDISPENSABLES DOIVENT NÉANMOINS ÊTRE COMPLÉTÉES

- En instituant un contrôle systématique de la réalité du consentement des jeunes filles résidant en France qu'elles soient françaises ou étrangères avant toute transcription du mariage à l'état civil français.

Les mariages forcés constituent une violence caractérisée contre les femmes. Le relèvement de l'âge du mariage à 18 ans pour les jeunes filles est un premier pas indispensable. Il convient en outre de se donner les moyens de contrôler systématiquement la réalité du consentement au mariage.

A l'heure actuelle, l'audition des époux par les agents diplomatiques, lors de la transcription des mariages effectués à l'étranger, n'est pas obligatoire, puisque les agents peuvent juger qu'elle n'est pas nécessaire ou ne pas l'effectuer en cas d'impossibilité. La Délégation estime indispensable que la législation soit modifiée afin de s'assurer de l'existence d'un consentement réel au mariage. Il conviendrait ainsi d'établir, pour les mariages célébrés à l'étranger, une audition obligatoire, systématique et séparée des futurs époux.

- En luttant contre la pratique de la polygamie, qui constitue une violence faite à des femmes souvent en situation précaire et parfois très jeunes, par le recours à la mise sous tutelle des prestations à caractère familial.

La Délégation estime indispensable d'appliquer plus fermement la législation afin de procéder à la mise sous tutelle des prestations familiales. En effet, tous les observateurs s'accordent sur le constat d'un véritable détournement, par les pères polygames, des sommes versées par les caisses d'allocations familiales. Alors que ces prestations ont pour vocation de subvenir aux besoins alimentaires et d'éducation des enfants, celles-ci sont utilisées par les pères au mieux pour leurs besoins personnels, au pire pour faire venir en France une nouvelle épouse. Il convient absolument de faire cesser cette situation, indigne, qui constitue le ressort d'une violence psychologique et économique inacceptable exercée à l'encontre de femmes se trouvant dans une situation de dépendance extrême par rapport à leur époux, du fait de leur absence de ressources propres et de leurs difficultés à maîtriser la langue française. Elles ont ainsi une connaissance très limitée de leurs droits et sont dans l'incapacité d'accomplir seules des démarches administratives. La tutelle apparaît donc particulièrement indiquée pour leur permettre de se dégager de l'emprise de leur époux.

III.  UN VOLET PÉNAL QUI NE SAURAIT RÉSOUDRE A LUI SEUL LE PROBLÈME DE LA VIOLENCE AU SEIN DES COUPLES

A. UNE POLITIQUE PÉNALE QUI DOIT APPORTER DES RÉPONSES PLUS ADAPTÉES AUX SPÉCIFICITÉS DE LA VIOLENCE AU SEIN DES COUPLES

La violence au sein des couples présente des caractéristiques spécifiques par rapport à la violence au sens large, du fait qu'il existe un lien entre l'agresseur et la victime, lien qui peut perdurer malgré la violence, notamment lorsque le couple a des enfants. Une politique purement répressive ne peut donc résoudre tous les problèmes et il est essentiel d'obtenir à terme un changement de comportement de l'agresseur. Un certain nombre de femmes n'ont d'ailleurs pas fait le deuil de leur couple même lorsqu'elles sont victimes de violences répétées et désirent avant tout que leur compagnon « change » et cesse d'être violent. S'y conjugue le poids de culpabilité ressenti par certaines femmes à l'idée d'envoyer en prison un homme pour qui elles ont éprouvé de l'attachement ou qui est le père de leurs enfants. A cela peut également s'ajouter la peur des représailles si elles dénoncent au grand jour la violence qu'elles subissent. Toutes ces raisons expliquent que moins de 10 % des femmes victimes de violences se résolvent à porter plainte contre leur compagnon ou leur ex-compagnon.

1) Limiter le recours à la médiation pénale

Il apparaît donc essentiel de développer le recours aux mesures alternatives aux poursuites. Or, dans ce domaine, la médiation pénale semble la plupart du temps inappropriée. C'est pourquoi, la Délégation préconise qu'elle ne puisse être utilisée qu'une fois dans les cas de violences au sein du couple. Le ministère de la justice, dans son guide de l'action publique relatif à la lutte contre les violences au sein du couple, met d'ailleurs l'accent sur le fait que la médiation pénale n'est pertinente que dans des cas circonscrits : il est recommandé de n'y recourir que lorsqu'il s'agit de « violences isolées et de moindre gravité ET mis en cause sans antécédent ET couple vivant sous le même toit ET désirant maintenir le lien conjugal, de concubinage ou le PACS » ou bien lorsqu'il s'agit d'un « couple séparé avec enfant(s) ET dont les deux membres désirent conserver un lien parental apaisé ». Si la médiation pénale ne produit aucun résultat, il paraît inutile et inopportun de tenter une nouvelle médiation. La médiation pénale ne doit, en effet, pas être détournée de son objet et servir au conjoint violent à assurer son emprise sur la victime, ni à lui permettre d'échapper aux conséquences de ses actes.

2) Recourir davantage à l'injonction de soins

L'injonction de soins apparaît comme une mesure alternative aux poursuites beaucoup plus efficace dans le domaine de la violence au sein des couples. En effet, ainsi que l'a indiqué Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes, lors de son audition par la Délégation le 29 novembre 2005, « ce ne sont pas des malades, mais ils devraient très certainement être destinataires de mesures socio-éducatives ». Des expériences pilotes sont menées avec succès à Paris, où il existe un site regroupant des psychiatres, des psychologues et des infirmiers qui travaille en partenariat avec le Parquet de Paris pour assurer la prise en charge d'hommes violents. De même, à Nîmes, un centre de prise en charge des conjoints ou concubins violents a été créé auprès du tribunal de grande instance. Compte tenu des résultats positifs obtenus par ces structures, il serait judicieux d'étendre le nombre d'antennes de psychiatrie et de psychologie à d'autres tribunaux de grande instance. En effet, les techniques de thérapie de groupe ont été développées ces dernières années et elles fonctionnent beaucoup mieux que les thérapies individuelles. Les hommes violents parviennent plus facilement à une prise de conscience du caractère inacceptable de leurs actes lorsqu'ils sont confrontés au regard et au jugement des autres. Dans l'ensemble, ils se soumettent assez facilement aux injonctions de soins. Toutefois, ces hommes n'accepteront jamais de consulter s'ils n'y sont pas obligés.

B. DES ACTIONS DE PRÉVENTION ET DES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT QUI NÉCESSITENT D'ÊTRE APPROFONDIES

1) Un travail d'éducation et de formation indispensable

Afin de prévenir l'apparition de comportements violents de la part des hommes à l'encontre des femmes, il est essentiel de mener des actions éducatives approfondies à tous les stades de la scolarité. En effet, les représentations mentales et les comportements se forgent très tôt et il est beaucoup plus difficile d'obtenir un infléchissement à l'âge adulte, une fois que des schémas négatifs d'infériorité et de soumission des femmes se sont installés dans les esprits. Des actions spécifiques de sensibilisation doivent donc être entreprises, mettant l'accent sur la notion de respect de l'autre, sur le principe d'égalité entre les hommes et les femmes et apportant progressivement aux élèves les outils méthodologiques de la résolution pacifique des conflits. Ce travail est d'autant plus important que la violence des hommes à l'égard des femmes commence avant même la constitution du couple, du fait de représentations culturelles erronées. Le couple devient alors le lieu d'expression de cette violence, les tentations de domination brutale de l'homme sur la femme étant souvent accentuées lorsque celle-ci se trouve en situation de dépendance économique.

Compte tenu des spécificités de la violence au sein des couples, il est indispensable que tous les intervenants reçoivent une formation adaptée, afin que la prise en charge des femmes victimes de violences s'effectue dans de bonnes conditions et que des réponses efficaces soient apportées. Or, les ressorts et les mécanismes de cette violence sont souvent ignorés des différents intervenants. Ainsi, il serait particulièrement utile que des efforts de formation soient entrepris auprès des médecins, afin qu'ils puissent détecter plus facilement les faits de violence conjugale et de façon à obtenir une plus grande homogénéité des certificats médicaux initiaux, notamment dans la détermination de l'incapacité totale de travail (ITT), qui constitue une pièce maîtresse dans la procédure judiciaire. La formation des policiers et des gendarmes doit également être développée, de façon à ce qu'ils soient mieux à même de comprendre les ressorts psychologiques des comportements des femmes victimes de violences qui paraissent ne pas savoir ce qu'elles veulent vis-à-vis de leur agresseur et qui, souvent, après avoir entrepris de dénoncer les faits de violence dont elles sont victimes, renoncent à poursuivre. En outre, il est important que les policiers et les gendarmes orientent systématiquement les femmes victimes de violences conjugales vers le dépôt de plainte plutôt que vers la main courante qui constitue une simple déclaration. La formation des magistrats aux spécificités de cette forme de violence est également essentielle car ce sont eux qui ont en charge de déterminer les réponses à apporter à chaque situation individuelle qui leur est soumise.

Par ailleurs, une meilleure connaissance du phénomène de la violence au sein du couple nécessite des données chiffrées, détaillées et récentes, permettant de mesurer l'ampleur du phénomène et l'impact réel des actions entreprises. Or, les statistiques actuellement disponibles en ce qui concerne les violences se contentent de les recenser par nature. Il est donc indispensable d'élaborer les outils permettant d'avoir accès annuellement, en matière de violences, à des statistiques sexuées et que celles-ci renseignent également sur l'âge de la victime ainsi que sur le lien de couple présent ou passé qu'elle a éventuellement avec son agresseur.

2) La nécessité de renforcer les mesures d'accompagnement

Une des raisons principales pour laquelle les victimes subissent en silence, parfois pendant fort longtemps, les violences répétées de leur compagnon provient des difficultés matérielles auxquelles elles sont confrontées pour reconstruire leur existence loin de leur agresseur. Il convient donc de développer les dispositifs leur permettant de recouvrer leur autonomie.

Bien que la loi du 26 mai 2004 relative au divorce autorise le juge aux affaires familiales à prononcer l'éviction du domicile du conjoint violent, cette disposition ne permet pas de résoudre toutes les situations. Il est donc important, surtout pour les femmes démunies de ressources propres, d'améliorer les capacités d'accueil en urgence que ce soit dans les centres d'hébergement ou dans des familles d'accueil. Il est également indispensable de permettre, à la demande du procureur de la République, le versement en urgence, afin de faire face aux dépenses immédiates, des différentes aides sociales et prestations familiales auxquelles les femmes peuvent prétendre.

Dans le même esprit, il faut favoriser la mobilité géographique des femmes ayant un emploi qui cherchent à s'éloigner d'un compagnon ou d'un ex-compagnon violent. Ainsi, en s'inspirant des dispositions de la loi espagnole, il faudrait autoriser le versement des indemnités Assedic aux femmes démissionnant de leur emploi pour s'éloigner d'un compagnon ou d'un ex-compagnon violent, lorsqu'une procédure judiciaire est en cours. Dans le même cas, il convient de reconnaître aux femmes fonctionnaires un droit prioritaire à la mobilité géographique.

L'ensemble de ces mesures devrait permettre d'obtenir des résultats significatifs dans le domaine de la lutte contre les violences au sein du couple. Celle-ci apparaît primordiale car cette violence constitue un drame humain pour les femmes qui la subissent mais aussi pour les enfants qui y assistent et débouche trop souvent sur des situations de précarité.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation s'est réunie le mardi 6 décembre 2005, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, pour examiner la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple.

Mme Chantal Brunel, rapporteure de la Délégation, a indiqué que la proposition de loi, adoptée à l'unanimité par le Sénat en première lecture le 25 mars dernier, comporte des avancées extrêmement positives, en améliorant les dispositions pénales existantes et en prévoyant deux mesures spécifiques destinées à protéger les femmes issues de l'immigration : le relèvement de l'âge du mariage de 15 à 18 ans pour les filles, qui devrait permettre de réduire le nombre de mariages forcés, et la définition d'une nouvelle infraction réprimant la privation de pièces d'identité ou relatives au titre de séjour ou de résidence.

Elle a ensuite présenté les recommandations de la Délégation et indiqué qu'elle souhaitait reprendre sous forme d'amendements celles qui ont une portée législative.

S'agissant des mesures alternatives aux poursuites, elle a observé que la médiation pénale obtient peu de résultats concrets puisque l'agresseur est placé sur le même plan que la victime et qu'elle conduit souvent à l'abandon de la procédure. Elle a relevé que si les associations d'aide aux victimes de violence souhaitent généralement sa suppression, la recommandation proposée, plus modérée, limite à une seule fois la possibilité de recourir à cette médiation pénale. Par ailleurs, le recours plus systématique à l'injonction de soins fait également l'objet d'une recommandation.

Une autre recommandation vise à favoriser la mobilité géographique des femmes qui ont besoin de quitter leur emploi pour s'éloigner d'un compagnon ou d'un ex-compagnon violent afin de reconstruire leur vie. Lorsqu'une procédure judiciaire est en cours pour violences, il faudrait ouvrir le droit aux allocations de chômage en cas de démission, pour les femmes travaillant dans le secteur privé, et établir un droit prioritaire à la mobilité géographique, pour les femmes fonctionnaires. L'ouverture des droits pourrait s'effectuer sur la base d'un document délivré par le Procureur de la République.

Mme Chantal Brunel a insisté sur la nécessité d'aider financièrement les femmes victimes de violence. Elle a en effet relevé qu'elles hésitent à dénoncer leur mari de peur des répercussions économiques sur la famille. Elle a donc insisté sur la nécessité de leur délivrer en urgence les prestations auxquelles elles peuvent prétendre, car au-delà du problème du logement, se pose le problème de leur insuffisance de ressources lorsqu'elles quittent le domicile conjugal. Il appartiendrait donc au Procureur de la République d'autoriser le versement en urgence des prestations à caractère social ou familial auxquelles elles peuvent prétendre.

En ce qui concerne la polygamie, Mme Chantal Brunel a estimé qu'il conviendrait d'instituer un tuteur extérieur à la famille (association, assistante sociale,...) qui puisse s'assurer de la préservation des intérêts des enfants et empêcher que le père n'ait la libre disposition des prestations familiales. En effet, les prestations familiales représentent parfois l'équivalent d'un salaire pour le père polygame et lui permettent d'exercer un contrôle psychologique et économique sur ses épouses. La polygamie est certes interdite en France, mais elle existe : il conviendrait donc d'enlever au père polygame ce moyen de domination sur les mères qui s'exerce de manière préjudiciable pour les enfants.

Mme Patricia Adam a fait observer qu'il existe déjà dans le code de la famille des dispositions permettant au juge des enfants d'ordonner que les prestations soient versées à un tuteur si le montant des prestations n'est pas employé dans l'intérêt des enfants. Elle a donc relevé que la loi existe et qu'il suffirait de la faire appliquer. Elle a souligné que l'on dispose de peu de moyens permettant de savoir de manière précise combien de familles sont concernées par la polygamie.

Mme Chantal Brunel a indiqué que la polygamie est très répandue dans certains quartiers et que l'on ne peut ignorer le phénomène.

Elle a proposé de modifier la proposition de recommandation en précisant dans celle-ci que le versement des prestations familiales à un tuteur extérieur à la famille a pour objectif de s'assurer qu'elles sont bien utilisées pour les enfants.

La Délégation a ensuite adopté l'ensemble des recommandations :

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

1. Mettre en oeuvre des actions spécifiques de prévention en milieu scolaire, afin d'obtenir une évolution en profondeur des mentalités et des représentations concernant les relations entre les hommes et les femmes, en insistant particulièrement sur la notion de respect de l'autre, sur le principe d'égalité entre les hommes et les femmes et en formant progressivement les élèves aux méthodes de résolution pacifique des conflits ;

2. Élaborer des modules de formation englobant tous les aspects de la prise en charge des violences au sein du couple (psychologie des agresseurs et thérapie, parcours et démarches à accomplir pour faire cesser la violence, mesures d'accompagnement permettant aux femmes de recouvrer leur autonomie). Ces modules, adaptés au rôle spécifique de chaque catégorie d'intervenants (travailleurs sociaux, médecins, policiers, gendarmes, magistrats, avocats) doivent être intégrés aussi bien dans la formation initiale que dans la formation continue ;

3. Créer des outils statistiques permettant de recenser annuellement les violences non pas uniquement en fonction de leur nature, mais également en précisant le sexe de la victime, l'âge et s'il existe ou existait une relation de couple entre l'agresseur et la victime. Ces données chiffrées précises permettraient de mesurer de manière exacte l'ampleur et les caractéristiques des violences subies par les femmes au sein du couple et d'apprécier l'efficacité des actions entreprises pour lutter contre ce phénomène ;

4. Limiter à une fois la possibilité de recourir à la médiation pénale en matière de violences au sein du couple. Il s'agit, en effet, d'une alternative aux poursuites qui obtient peu de résultats concrets puisque l'agresseur est placé sur le même plan que la victime. La médiation apparaît donc bien souvent à l'agresseur comme un moyen d'échapper aux sanctions, sans subir la moindre contrainte ;

5. Rendre plus systématique le recours à l'injonction de soins dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites, notamment en le préconisant fortement dans le guide de l'action publique du ministère de la Justice relatif à la lutte contre les violences au sein du couple. Ces thérapies permettent d'obtenir des résultats beaucoup plus tangibles en matière de comportement de l'agresseur que la médiation pénale, laquelle banalise les actes de violence car elle en fait un élément du conflit relationnel au sein du couple. A cet égard, les expériences pilotes menées à Paris et à Nîmes ont obtenu des résultats positifs dans ce domaine et mériteraient d'être étendues ;

6. Développer les capacités d'accueil en urgence pour les femmes victimes de violences au sein du couple, que ce soit dans des centres d'hébergement ou bien dans des familles d'accueil, les deux dispositifs pouvant être utilisés de manière complémentaire ;

7. Autoriser le versement en urgence, à la demande du procureur de la République, des prestations à caractère social ou familial auxquelles les femmes peuvent prétendre. En effet, celles qui sont totalement démunies de ressources sont actuellement dans l'incapacité de faire face aux dépenses immédiates lorsqu'elles doivent quitter le domicile, du fait de la violence de leur compagnon ;

8. Favoriser la mobilité géographique des femmes ayant un emploi qui s'efforcent de limiter, voire de supprimer les contacts avec leur agresseur. Cela nécessite, à partir du moment où une procédure judiciaire est en cours pour violences commises par le compagnon ou l'ex-compagnon, d'ouvrir le droit aux allocations de chômage aux femmes travaillant dans le secteur privé lorsqu'elles démissionnent pour s'éloigner de leur agresseur et de reconnaître aux femmes fonctionnaires un droit prioritaire à la mobilité géographique ;

9. Renforcer la lutte contre les mariages forcés qui constituent une violence caractérisée contre les femmes, en instituant un contrôle systématique de la réalité du consentement des jeunes filles mariées à l'étranger, la transcription du mariage en France devant être notamment subordonnée à une autorisation qui ne pourra être délivrée qu'après que la jeune fille ait été entendue séparément par les autorités consulaires ;

10. La polygamie constituant une violence faite à des femmes souvent en situation précaire et parfois mineures, s'assurer, dans le cas de familles vivant en état de polygamie, que les prestations familiales bénéficient bien aux enfants en les versant à un tuteur extérieur à la famille.

ANNEXE :



Audition de Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes

Audition de Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la
Fédération Nationale Solidarité Femmes

Réunion du mardi 29 novembre 2005

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité la bienvenue à Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes. La proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple adoptée par le Sénat en première lecture ayant été déposée sur le bureau de l'Assemblée, qui l'examinera le 13 décembre, la Délégation a souhaité savoir ce que la Fédération attend de ce texte.

Mme Marie-Dominique de Suremain a déclaré que les soixante associations qui composent le réseau Solidarité Femmes se félicitent que la navette parlementaire progresse. Depuis un an, sa commission « justice » réfléchit à une loi-cadre dont l'objet serait d'adapter au droit français la loi organique adoptée par l'Espagne. A cet égard, les dispositions votées par le Sénat lui paraissent importantes mais encore insuffisantes.

C'est une bonne chose de prévoir, comme le fait la proposition, que « les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise non seulement par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, mais également par les anciens partenaires ». C'est en effet au moment de la séparation que se produisent les faits les plus graves. Mais la relation par la presse de terribles faits divers - des jeunes filles brûlées ou assassinées par des prétendants qui ne supportaient pas qu'elles résistent à leurs avances - montre que la violence faite aux femmes n'a pas pour seul cadre les couples constitués. Il conviendrait donc de privilégier la notion de « violences faites aux femmes », qui couvrirait plus clairement ce type de délits, le viol conjugal entrant au nombre de ces crimes.

C'est pourquoi, la Fédération est favorable à l'extension des circonstances aggravantes lorsque les faits sont commis par l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est interrogée sur la notion de « viol conjugal ».

La question est de reconnaître, a observé Mme Marie-Dominique de Suremain, que l'on doit considérer comme un crime d'imposer une relation sexuelle même lorsque l'on est marié. La jurisprudence, en tout cas, reconnaît le viol conjugal. Cette notion doit-elle figurer explicitement dans la loi ? Pour la Fédération, cela aurait une importance symbolique réelle. La législation de nombreux pays le prévoit, le Mexique vient d'adopter des dispositions en ce sens. Toutefois, cette nouvelle incrimination poserait un problème juridique puisque, une fois exposé que le crime a ceci de spécifique qu'il est perpétré dans une relation de couple, il faudrait, pour la même raison, prévoir les circonstances aggravantes, ce qui paraît redondant. Voilà pourquoi le débat demeure ouvert. Pour l'heure, le Sénat s'est limité à proposer d'insérer dans l'article 222-23 du code pénal qui traite du viol un nouvel alinéa ainsi rédigé : « La qualité de conjoint ou de concubin de la victime ou de partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ne peut être retenue comme cause d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité. »

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que la notion de viol conjugal lui semblait bien difficile à définir.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu que des preuves sont naturellement nécessaires mais qu'il s'en trouve suffisamment pour qu'une jurisprudence existe déjà à ce sujet.

Pour ce qui est des mesures d'éloignement du conjoint violent, elles ne sont possibles qu'en cas de divorce. Il conviendrait qu'elles deviennent une sanction pénale et de préciser qu'elles sont impératives lorsque des violences sont dénoncées. On ne peut se contenter de dire qu'il est « possible » de prononcer l'éloignement. Si jusqu'à présent, la question n'a été traitée qu'au civil, c'est que le cadre était celui du divorce et non celui des violences conjugales. La loi espagnole va plus loin, et prévoit une mesure de protection générale en plusieurs volets. Voilà ce qui serait nécessaire en droit français ; on ne peut se limiter à informer.

Par ailleurs, la Fédération s'interroge sur le dispositif des familles d'accueil pour femmes victimes de violences conjugales car l'expérience montre que, si quelqu'un a dû quitter son domicile en raison de violences, des mesures de sécurité sont nécessaires. C'est pourquoi les centres d'hébergement de la Fédération sont des lieux sécurisés et anonymes. Une famille d'accueil n'est pas armée pour faire face à un agresseur. Une famille d'accueil peut être utile dans certains cas, par exemple pour des jeunes filles menacées de mariage forcé, mais il est indispensable d'accroître le nombre de lieux d'hébergement spécialisés, dans lequel les femmes en détresse rencontreront une réponse intégrale, notamment dans le domaine juridique et de l'accès aux droits sociaux.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé qui financerait ces lieux.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu que la charge en reviendrait aux DDASS.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que si Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, a parlé de familles d'accueil, c'est aussi en raison de considérations financières.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu que s'en remettre aux familles d'accueil dans de tels cas serait les mettre en danger. Est-ce la meilleure solution ? Avoir recours à des familles d'accueil pour des personnes en situation précaire est une chose mais, dans le cas de violences conjugales, on est à la croisée du pénal et du social. Des mesures de sécurité sont donc indispensables et il faut que des professionnels puissent apprendre à évaluer le danger. La Fédération insiste avec force sur ce point au cours de ses nombreuses actions de formation de policiers, de médecins et de magistrats.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé si les policiers bénéficiaient d'une formation spécifique à ce sujet.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu qu'elle était prévue. La Fédération dispense des formations au sein de modules de deux ou trois jours, mais la formation au long cours qui serait nécessaire est encore à venir. Elle a dit espérer que les moyens indispensables soient dégagés à cette fin.

Elle a ensuite souligné la nécessité d'inclure dans la définition des violences domestiques les violences psychologiques qui, souvent, précèdent les violences physiques. Il faut, naturellement, distinguer le simple conflit conjugal de la violence par laquelle quelqu'un entend imposer sa volonté et dominer ou soumettre le conjoint. La violence conjugale s'exerce dans la durée et par différents moyens - économiques, psychologiques, physiques et sexuels. Le conjoint violent interdit à l'autre d'utiliser l'argent qu'il gagne, peut aller jusqu'à l'empêcher de travailler pour le rendre dépendant, l'humilie, le frappe, le terrorise. La violence conjugale se traduit donc aussi par des violences psychologiques qui vont jusqu'au harcèlement après la séparation, ce harcèlement moral qui a été reconnu sur les lieux de travail et que l'on retrouve très fréquemment dans les cas de violence conjugale. Il convient donc d'inclure ce type de violences dans la définition générale de la violence conjugale.

Mme Marie-Dominique de Suremain est ensuite revenue sur l'éloignement du conjoint violent prévu dans la réforme du divorce.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que la disposition ne vaut que pour les couples mariés. La Délégation avait souhaité l'étendre aux concubins et aux personnes pacsées mais elle n'a pas été suivie.

Mme Marie-Dominique de Suremain a exposé que la mesure ne devrait pas être prise seulement par le juge aux affaires familiales mais constituer également un dispositif pénal, car le maintien de la victime à son domicile lorsque l'agresseur est très violent ne suffit pas à la protéger.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a objecté qu'il paraît difficile de faire davantage que de maintenir la victime au domicile et d'imposer l'éviction du conjoint violent.

Mme Marie-Dominique de Suremain a rappelé que la mesure tombe si le divorce n'est pas demandé par la victime dans les quatre mois qui suivent l'éviction du conjoint violent. La réforme du divorce a mis l'accent sur les conditions économiques de la séparation mais, aussi longtemps que les violences n'ont pas cessé, les victimes ne sont pas prêtes à envisager les aspects pratiques du divorce, si bien que ce délai de quatre mois est extrêmement court pour elles. Par ailleurs, les juges aux affaires familiales sont très peu enclins - et très peu préparés - à prendre des mesures relatives aux violences conjugales, car elles sont supposées prises au pénal. Dans le même temps, les procédures décidées en correctionnelle sont largement insuffisantes. Le Guide de l'action publique édité par la chancellerie en septembre 2004 a constitué un progrès certain, mais encore faudrait-il que tout ce qu'il contient soit appliqué. Pour cela, il faudrait une volonté politique beaucoup plus affirmée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que la question de l'application de la loi vaut pour tout texte. Mais il est vrai que si une loi n'est pas appliquée, rien ne sert d'en élaborer une nouvelle.

Mme Marie-Dominique de Suremain a indiqué que l'une des grandes faiblesses de la législation française en matière de violence conjugale est l'absence de conception commune au civil et au pénal. Pourtant, si un adulte exerce son autorité en appliquant la loi du plus fort, en ridiculisant sa compagne, en l'humiliant et en l'écrasant, quelle éducation donne-t-il à ses enfants ? Un tel comportement a un très fort impact social qui demande un traitement d'ensemble plus cohérent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que l'on entrait là dans la sphère privée.

Mme Marie-Dominique de Suremain a remarqué que, ce faisant, on civiliserait la sphère privée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est demandé qui peut pénétrer la sphère privée pour mesurer une violence. C'est là toute la difficulté du sujet : non seulement la femme doit être consciente qu'une violence lui est faite, ce qui n'est pas toujours le cas, mais il reste à déterminer qui va évaluer les violences commises.

Mme Marie-Dominique de Suremain a indiqué que l'enquête nationale sur les violences envers les femmes (ENVEFF) a fait progresser la connaissance sociologique et psychologique des violences conjugales, en montrant qu'elles touchent toutes les classes sociales. L'enquête a aussi permis de mieux cerner une certaine ambivalence, qui tient à ce que les victimes mettent du temps à renoncer à leur rêve d'une vie harmonieuse, à prendre conscience qu'elles n'ont plus de liberté ni d'identité. Ces cycles sont désormais connus, et l'on peut former utilement les policiers et les médecins à faire des diagnostics dont les magistrats accepteront la validité. Mais, pour cela, les bonnes questions doivent être posées : « Avez-vous la liberté d'aller et de venir ? Vous habillez-vous comme vous le souhaitez ? Gérez-vous vous-même l'argent que vous gagnez ? » Si de telles questions sont posées, la démonstration des violences conjugales apparaît avec une grande clarté au fil des réponses. Le problème, c'est qu'elles ne le sont pas. Il arrive même que les femmes qui viennent exposer leur drame soient ridiculisées dans les commissariats. Cela changera lorsque tous les policiers auront été convenablement formés à l'utilisation de trames d'auditions types. Par ailleurs, l'audition des agresseurs est elle-même source d'enseignements, car ils ont un comportement typique et reconnaissable en ce qu'ils expriment toujours les mêmes notions : « C'est ma femme, j'ai le droit, d'ailleurs elle m'énerve, elle ne fait pas ce que je veux ». Systématiquement, l'agresseur se défausse de sa responsabilité.

Ce n'est pas toujours pour les faits les plus graves que les femmes portent plainte. Mais si l'on s'avise que deux ou trois épisodes ont été portés sur la main courante et que la femme va chercher des témoignages, la situation est manifestement de celles dans lesquelles on peut démontrer l'existence de violences conjugales. Encore faut-il former les professionnels de manière adéquate, pour qu'ils comprennent la situation. La formation est donc un élément essentiel dont la loi doit faire explicitement mention. Par formation, il faut entendre celle des policiers, des médecins, des travailleurs sociaux et des magistrats. Mme Marie-Dominique de Suremain a cité l'exemple d'un policier qui lui a dit, en sortant de l'une des formations organisées par la Fédération : « J'ai beaucoup appris mais, surtout, j'ai compris ». De même, des médecins ont expliqué avoir repéré, après ces formations, des signes qu'ils ignoraient auparavant. L'un d'eux a exposé être manifestement passé à côté de la signification de certains troubles de l'audition, récurrents et inexplicables, accompagnés d'une grande angoisse et d'une dépression, comprenant soudain que la femme concernée recevait des coups sur la tête, de ces coups qui ne laissent pas de trace. Les professionnels formés comprennent les cycles de la violence et donc les rémissions ; ils savent que les femmes perdent tout repère sous l'effet d'une déstabilisation constante et d'un déplacement de la responsabilité de l'agresseur sur la victime tel que, les rôles s'inversant, la femme finit par croire mériter les coups qui lui sont portés.

Si les auditions sont mieux faites par des policiers mieux formés, si des preuves sont recueillies, si les travailleurs sociaux collaborent, si des certificats médicaux circonstanciés sont rédigés, on pourra faire quelque chose. Mais les comportements doivent changer et une loi-cadre contribuera à modifier une conception erronée des relations entre les hommes et les femmes.

Il faut aussi maintenir les commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes qui accomplissent un travail considérable.

Actuellement, il existe une fâcheuse contradiction entre les dispositions du code pénal et celles du code civil. Ainsi, une femme en danger peut légitimement partir de chez elle pour se mettre à l'abri ; elle laissera une trace en faisant inscrire sur la main courante le motif de son départ. Mais le droit civil dispose que l'on ne peut cacher à un père l'adresse de ses enfants mineurs. De ce fait, des commissariats exigent parfois des associations membres de la Fédération qu'elles indiquent où sont hébergées les femmes qui se sont soustraites aux violences infligées par leur conjoint... pour les remercier ensuite de leur refus lorsqu'ils se rendent compte du danger qui menace ces femmes. Il faut mettre fin à ces contradictions juridiques en définissant une stratégie spécifique unique tendant à instituer des mesures de protection des victimes.

Une autre mesure importante concerne l'aide juridictionnelle, qui devrait être automatique. Elle l'est en Espagne en cas de violences, et l'on ne vérifie qu'ensuite si les conditions d'obtention sont réunies, pour obtenir, dans le cas contraire, le remboursement des sommes dues. En France, il faut de deux à quatre mois pour obtenir l'aide juridictionnelle, aide à laquelle les victimes n'ont donc pas accès au moment où, dans l'urgence, elles en ont un besoin extrême.

Il serait nécessaire, par ailleurs, d'informer les victimes des dates de sortie de prison ou de permissions de leur agresseur, pour qu'elles puissent se protéger, car l'emprisonnement est très peu ordonné et, lorsqu'il l'est, c'est qu'il y a eu récidive et que l'agresseur est particulièrement dangereux.

S'agissant des femmes étrangères, le Sénat a prévu à juste titre que la privation des pièces d'identité ou des pièces relatives au titre de séjour ou de résidence par le conjoint sera passible de sanctions. La question est d'une grande importance, car, souvent, les hommes violents empêchent la régularisation administrative de l'épouse qu'ils ont fait venir au titre du regroupement familial, si bien qu'elles n'acquièrent pas de droit personnel au séjour et se trouvent, bien malgré elles, en situation irrégulière. La loi de novembre 2003 contient un article incitant les préfets à une attention particulière « lorsque la communauté de vie a été rompue à l'initiative de l'étranger à raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint ». C'est un progrès, mais tout demeure subordonné à l'appréciation des préfets. Il faut donc qu'une association ait constitué un dossier consistant, ce qui n'est pas le cas pour toutes les victimes.

Un autre dispositif pose problème : la médiation pénale, singulièrement inadéquate en cas de violences conjugales. Le plus souvent, lorsqu'un parquet est saisi d'une plainte pour violence conjugale, soit il la classe sans suite, soit il ordonne une médiation pénale. Comment ne pas comprendre que, dans un tel cas, les deux membres du couple ne sont pas sur le même pied ? En fait, il se passe dans le cadre de la médiation exactement ce qui se passait dans la sphère privée : l'agresseur promet de changer de comportement, la victime croit que les choses vont s'arranger... et rien ne change ! Les associations qui composent la Fédération voient affluer dans leurs locaux des femmes qui ont consulté un médiateur pénal avec un résultat rigoureusement inefficace. Il faut expliquer aux procureurs que ce dispositif est inapproprié dans ce cas. Pour l'instant, le Guide de l'action publique recommande un recours « restreint » à la médiation conjugale en cas de violence - alors qu'elle devrait être rendue impossible. On comprend l'intérêt de la démarche en cas de conflit, mais aucunement en cas de violence installée, lorsque l'un des membres du couple est vampirisé et écrasé par l'autre. Et que penser de ce médiateur déclarant : « Madame, veillez à ne pas énerver Monsieur » ? Quel contresens !

La Fédération demande l'ouverture d'un lieu d'hébergement spécialisé dans chaque département, l'inclusion d'un nombre suffisant de logements réservés aux femmes victimes de violences dans les plans de construction de logements sociaux et l'évolution du droit aux Assedic lorsqu'une femme est contrainte de quitter son emploi pour fuir des violences conjugales. La loi espagnole comporte un ensemble de dispositions à ce sujet ; il faudrait qu'au moins, en France, on accorde le droit aux Assedic aux femmes obligées de fuir.

La Fédération souhaite encore l'établissement d'un bilan annuel des violences faites aux femmes et la tenue de statistiques sexuées, identifiant les meurtres, les plaintes classées sans suite, le nombre de poursuites, le quantum des peines prononcées et aussi le suivi socio-judiciaire des agresseurs. Ce ne sont pas des malades, mais ils devraient très certainement être destinataires de mesures socio-éducatives. Quelqu'un qui frappe son conjoint estime avoir la légitimité de le faire ; il n'est pas question de maladie mentale et, la plupart du temps, il s'agit d'individus apparemment sensés dans leur vie sociale mais qui, chez eux, se sentent fondés à faire appliquer leur loi. Voilà pourquoi les enquêtes de voisinage ne donnent rien : ce sont des hommes décrits comme des gens charmants, mais qui ont sous leur coupe une proie sur laquelle ils déversent toute leur hargne. L'interrogation fondamentale est : au nom de quoi ce comportement est-il légitimé dans la société française ? Le fait est que très peu d'hommes sont victimes de violences conjugales.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé qu'elle n'en était pas si sûre.

Mme Marie-Dominique de Suremain a indiqué que la proportion varie de un à dix selon qu'il s'agit d'hommes battus ou de femmes battues.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que, souvent, les hommes ne portent pas plainte car ils ont honte.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu que les femmes sont plus honteuses encore. Lorsque les violences contre les femmes seront réduites en nombre à celles qui concernent les hommes, la partie sera gagnée. L'écart gigantesque qui demeure montre qu'il s'agit d'un phénomène social et culturel. Que la société ne le sanctionne pas et ne le reconnaisse même pas explique pourquoi une loi est nécessaire. Une telle législation existe déjà dans un grand nombre de pays et la France est largement retard dans ce domaine sur l'Autriche, l'Allemagne, l'Espagne, le Canada, le Japon et plusieurs pays d'Amérique latine, dont les législations sont souvent beaucoup plus sévères que ce que la Fédération demande.

Il conviendrait également de réduire le droit de visite accordé aux hommes violents. Peut-on être un bon père quand on a écrasé, frappé, voire assassiné sa femme ? Quel modèle de société propose-t-on aux enfants ? Ne pas réduire le droit de visite, c'est permettre que le harcèlement continue. Le père doit, bien sûr, continuer de cultiver une relation avec ses enfants, mais les rencontres doivent se faire dans des lieux neutres pour préserver la mère. D'ailleurs, le plus souvent, les hommes violents ne respectent pas les horaires fixés et viennent quand ils le souhaitent. Cela ne peut être, car c'est utiliser les droits de visite pour continuer de déstabiliser la femme, les enfants n'étant plus que les instruments d'un jeu pervers. Il est indispensable de mettre un terme à ces manipulations, à la fois pour les femmes et pour les enfants, qui vivent sous le coup d'une menace permanente et qui doivent pouvoir grandir dans la sérénité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Marie-Dominique de Suremain.

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N° 2724 - Rapport d'information de Mme Chantal Brunel sur la proposition de loi (n° 2219), adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple