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N° 2833

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 janvier 2006

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA MISSION D'INFORMATION (1)

SUR LA GRIPPE AVIAIRE : MESURES PRÉVENTIVES

Président

M. Jean-Marie LE GUEN,

Rapporteur

M. Jean-Pierre DOOR,

Députés.

--

TOME III 

« Plan pandémie » : une stratégie de gestion de crise

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d'information sur la grippe aviaire : mesures préventives est composée de : M. Jean-Marie LE GUEN, Président ; Mme Bérengère POLETTI, M. Jean-Michel BOUCHERON, Vice-Présidents ; Mme Jacqueline FRAYSSE, M. Claude LETEURTRE, Secrétaires ; M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur ; MM. Gérard BAPT, Gabriel BIANCHERI, Jérôme BIGNON, Mme Françoise BRANGET, MM. Gérard CHARASSE, Roland CHASSAIN, Alain CLAEYS, Gérard DUBRAC, Yannick FAVENNEC, Jean-Claude FLORY, Mmes Arlette FRANCO, Geneviève GAILLARD, Catherine GENISSON, M. François GUILLAUME, Mme Paulette GUINCHARD, MM. Pierre HELLIER, Denis JACQUAT, Mme Janine JAMBU, MM. Marc JOULAUD, Marc LE FUR, Michel LEJEUNE, Germinal PEIRO, Daniel PREVOST, Serge ROQUES, Rudy SALLES.

S O M M A I R E

Pages

INTRODUCTION................................................................................. 7

Avant- propos du président................................................................ 13

I. Le Plan gouvernemental de prévention et de lutte « Pandémie grippale » : une anticipation évolutive de la crise 17

A. La genèse et les objectifs du plan gouvernemental : une démarche évolutive visant à préparer la France à une pandémie grippale 17

1. La maturation et l'évolution du plan : une démarche progressive 17

a) Le « Plan mondial OMS de préparation à une pandémie de grippe » définit une stratégie mondiale de lutte contre une éventuelle pandémie 17

b) Suivant les recommandations de l'OMS, la France a élaboré dès 2004 un plan de préparation contre le risque d'une pandémie grippale 22

2. La stratégie générale du plan gouvernemental : améliorer les capacités de résistance de la société française à une pandémie grippale 28

a) La stratégie générale du plan consiste à faire fonctionner l'État et la société en mode dégradé jusqu'à la mise au point d'un vaccin, afin de freiner la propagation d'un virus pandémique 28

b) Sans un effort communication, d'information et de formation tendant à promouvoir des comportements civiques, l'efficacité de la stratégie gouvernementale est incertaine 31

B. Les orientations générales du plan gouvernemental : une gestion anticipative de la crise 41

1. Créer un dispositif de gestion de crise 41

a) Le dispositif national de gestion de crise repose sur une organisation interministérielle évolutive 41

b) Plusieurs dispositifs de gestion de crise peuvent cohabiter à l'échelon territorial : un dispositif national déconcentré et des dispositifs créés à l'initiative des collectivités territoriales 48

c) La gestion internationale d'une crise pandémique repose sur des mécanismes de coordination utiles mais perfectibles. 55

d) Vers une culture de gestion de crise ? 61

2. Préparer le déploiement de « mesures barrières » 65

a) Le plan prévoit de généraliser le port de masques respiratoires pour freiner la propagation d'un virus pandémique et protéger les professionnels de santé 65

b) Le plan prévoit la constitution de stocks d'antiviraux à des fins curatives mais ne prévoit pas expressément leur utilisation prophylactique 69

c) Le gouvernement anticipe la vaccination de l'ensemble de la population 72

3. Assurer la continuité de services essentiels 74

a) Le plan vise à maintenir en activité les transports collectifs, moyennant des aménagements à leur organisation habituelle 75

b) Le plan prévoit, en cas de pandémie, la fermeture des établissements d'enseignements, compensée par un dispositif de continuité pédagogique 77

c) Le plan ne traite pas encore en détail des problématiques relatives à la continuité de la vie économique 83

II. un defi sans prÉCÈdent : assurer la continuitÉ du fonctionnement du systÈme de santÉ 89

A. periode d'alerte pre-pandemique et pandemique : la veille sanitaire et la prise en charge des premiers cas 91

1. Les enjeux de la veille et de la surveillance sanitaire 91

a) Les acteurs de veille sanitaire 92

b) Le rôle de la veille sanitaire : expertise, anticipation et surveillance 97

2. La prise en charge des malades en période pré pandémique : appliquer le principe de précaution 102

a) La détection des cas de grippe 104

b) L'hospitalisation dès la suspicion d'infection 110

B. le principe du maintien des malades a domicile en période pandémique 114

1. L'ampleur du choc pandémique impose de redéfinir le rôle des acteurs de santé 115

a) La définition du rôle respectif des acteurs de santé dans la gestion de la crise 115

b) L'application du principe du maintien des malades à domicile 120

2. L'organisation du maintien à domicile des malades 124

a) Les professionnels libéraux seront les acteurs de première ligne 124

b) L'organisation des soins ambulatoires 132

3. La télémédecine : une solution ? Une contribution de Mme Bérengère Poletti, membre de la mission 138

C. Les etablissements de sante doivent s'organiser pour faire face a une crise grave et prolongee 142

1. La préparation des établissements et des personnels 144

a) Cette préparation s'inscrit dans le cadre juridique des plans blancs 144

b) L'information et la formation des personnels 150

2. Un fonctionnement adapté pour assurer la prise en charge des cas les plus graves tout en maintenant la continuité des soins aux autres malades 155

a) Éviter la saturation des établissements et limiter la diffusion du virus : l'accueil des patients et la sectorisation des établissements 156

b) Assurer la prise en charge optimale des malades 164

c) Une vraie préoccupation : les réanimations adulte et pédiatrique 175

3. Sur le terrain : un bilan des visites effectuées par des délégations de la mission dans plusieurs hôpitaux 183

a) L'aménagement et l'équipement des locaux 184

b) La mobilisation des personnels hospitaliers 186

c) Les stocks de masques et de Tamiflu 186

d) La réanimation pédiatrique 187

e) La coordination avec la médecine libérale 188

f) L'organisation d'exercices de simulation 188

annexe : un point sur l'épizootie de grippe aviaire 189

1. La situation sur le plan international 189

a) Le point au 23 juin 189

b) Le compte rendu d'un déplacement d'une délégation de la mission en Asie du Sud-Est en janvier 191

c) Le compte rendu d'un déplacement d'une délégation de la mission en Turquie en février 213

d) Le déplacement d'une délégation de la mission en Afrique en mars : le compte rendu de M. Jean-Marie Le Guen, Président 221

2. La situation en France 231

3. l'accès à la connaissance des séquences génétiques H5N1 : une contribution de M. Alain Claeys, membre de la mission 233

declaration de la mission 247

recommandations de la mission 249

auditions auxquelles la mission a procédé 253

Le présent rapport a été établi d'après les éléments d'information dont disposait le Rapporteur à la date du 23 juin 2006

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Dès 1999, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) alertait les Etats-membres sur le risque de pandémie grippale qui, selon elle, constituait dorénavant une menace permanente pour l'humanité et contre lequel il convenait de se prémunir au plus tôt.

La France a pris cette alerte très au sérieux et engagé un processus de préparation générale qui a abouti à un « plan de lutte contre une pandémie grippale », finalisé en octobre 2004 mais rendu public seulement en mai 2005 après avoir fait l'objet d'une mise à jour. Ce plan a pour objectifs, d'une part, de détecter l'apparition d'un nouveau virus grippal de nature pandémique et d'en contenir la diffusion, d'autre part, d'organiser le système de soins et le fonctionnement de la société une fois la pandémie installée.

L'évolution de la situation internationale depuis l'été 2005, marquée, en particulier, par la progression de l'épizootie de grippe aviaire à H5N1 dans le monde, a rendu encore plus plausible le risque de voir une pandémie éclater. En effet, la plupart des experts considèrent que plus le virus H5N1 contamine d'oiseaux, plus il a de chances de subir des mutations génétiques qui lui permettraient de s'adapter à l'organisme humain, puis de se transmettre d'homme à homme.

Dans ces conditions, le Gouvernement français a décidé de revoir le dispositif initialement prévu pour tenir compte de l'aggravation de la menace et anticiper au mieux l'arrivée d'un virus pandémique sur le territoire national. Un nouveau plan a ainsi été présenté au mois de janvier dernier, sous le titre : Plan gouvernemental de prévention et de lutte « Pandémie grippale ».

Le ministre de la santé, M. Xavier Bertrand, qui a bien voulu réserver à la mission la primeur de ce nouveau plan, a fait observer, à l'occasion de son audition : « L'évolution de la situation montre avant tout que la France a certainement été inspirée en décidant d'améliorer son état de préparation », en insistant sur le caractère évolutif des mesures arrêtées : « Nous devons faire preuve d'humilité et nous dire que, tant qu'il sera possible d'améliorer notre plan, nous le ferons ».

La France est ainsi, depuis bientôt deux ans, en conformité avec les recommandations de l'OMS et, également, comme l'a fait remarquer le Ministre à la mission, « très en avance par rapport à bien d'autres pays ». Elle sert, d'ailleurs, de référence dans le monde, les plus hauts responsables de l'OMS ayant félicité à plusieurs reprises les autorités françaises pour leur travail de préparation au risque pandémique. Au demeurant, dans un article de la revue The Lancet (20 avril 2006), qui publie les résultats d'une étude comparative des plans nationaux de vingt-et-un Etats-membres de l'Union européenne, la France figure parmi les quatre premiers pays jugés les mieux préparés pour chacun des domaines envisagés (surveillance, communication, réponses du système de santé, fonctionnement des services essentiels...).

Le plan français décline un ensemble de mesures destinées à organiser les différents secteurs de la vie du pays, à commencer par celui de la santé, en fonction de la progression de la maladie, d'abord en période pré-pandémique, puis en phase pandémique.

La mission d'information avait décidé, lors de sa réunion constitutive au mois d'octobre 2005, de consacrer à l'évaluation du plan gouvernemental de préparation à la pandémie le dernier des trois rapports qu'elle avait l'intention de publier tout au long de ses travaux. On rappellera, pour mémoire, que le premier rapport procédait à un état des lieux des moyens médicaux et de protection individuelle d'ores et déjà disponibles en cas de pandémie : « Menace de pandémie grippale : préparer les moyens médicaux » ; le deuxième faisait le point sur l'épizootie de grippe aviaire dans le monde et sur la situation de la France en particulier : « Le H5N1 : une menace durable pour la santé animale ».

Le présent rapport a donc pour objectif d'analyser le contenu du plan français dans ses grandes lignes, à la lumière des conditions dans lesquelles il a été élaboré, c'est-à-dire dans la perspective d'un événement encore inédit à ce jour : d'une part, il reste largement inconnu - les pandémies de ces cinquante dernières années n'ont pas éclaté dans le contexte de mondialisation qu'on connaît aujourd'hui ; d'autre part, personne n'est capable d'en prévoir la gravité. C'est donc principalement par simulations et extrapolations que le Gouvernement a ébauché des hypothèses d'attaque du virus pandémique et évalué les moyens à mobiliser en conséquence.

Parmi ces moyens, le système de santé figure, naturellement, au premier rang : en cas de pandémie, il faudrait soigner des millions de malades qui, pour la plupart sans doute, seraient atteints d'une forme bénigne de grippe, mais dont un pourcentage non négligeable développera des complications graves nécessitant leur hospitalisation.

L'importance tant stratégique que concrète des modalités de prise en charge de tous les malades a conduit la mission à décider de concentrer l'essentiel de ses travaux à l'examen du plan sous cet angle. Elle a, à cet effet, consacré vingt-cinq réunions à l'audition, notamment :

-- du ministre de la santé et des solidarités, M. Xavier Bertrand, qui s'est rendu devant la mission à trois reprises, le 29 novembre 2005, puis le 11 janvier et le 29 mars 2006 ;

-- d'experts - le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, le Secrétaire général de la Défense nationale, le directeur de l'Institut national de veille sanitaire, un haut responsable de l'OMS ;

-- de professionnels de santé - médecins libéraux, personnels hospitaliers, directeurs d'hôpital, cadres hospitaliers.

Il est ressorti de l'ensemble de ces auditions que les personnels médicaux, toutes catégories confondues, seraient, à l'évidence, grandement sollicités. Leurs représentants l'ont assuré devant la mission : tous sont clairement conscients de la responsabilité qui serait la leur en cas de pandémie et parfaitement décidés à l'assumer pleinement, quelles que soient les circonstances.

Certains membres de la mission ont émis des doutes sur la solidité de cet engagement moral face à l'épreuve de la pandémie : ils se sont interrogés sur les capacités de résistance des uns et des autres au mouvement de panique qui pourrait s'emparer de la population, et à la tentation de fuir la contagion.

Le Rapporteur ne partage pas cette vision pessimiste du sens du devoir, en particulier chez les médecins. Le serment d'Hippocrate qu'ils ont prêté, comme la conscience aiguë qu'ils ont de l'attente, confiante, de leurs concitoyens, les conduira à assumer leurs obligations professionnelles, le Rapporteur en est convaincu. Leurs représentants l'ont affirmé avec force devant la mission et il n'y a, pour le Rapporteur, aucune raison de douter de cet engagement. Il est tout aussi confiant dans la mobilisation des autres personnels de santé, cela va sans dire.

Ceci dit, les médecins, comme les autres personnels, attendent - et n'est-ce pas légitime ? - que toutes les précautions soient prises pour garantir leur sécurité personnelle comme celle de leurs proches face au risque de contagion. Ils veulent, notamment, être assurés de disposer des matériels de protection contre le risque infectieux : masques, gants, solutions hydro-alcooliques... Ils veulent aussi que ceux d'entre eux qui le demanderont puissent bénéficier d'un traitement préventif par anti-viraux. Ces revendications sont bien normales et seront, cela va de soi, satisfaites en temps utile.

Le Rapporteur est persuadé que les professionnels de santé répondront « Présents » le moment venu, si toutes les assurances leur sont données d'une pratique médicale sécurisée. Ne perdons pas de vue, non plus, que le risque infectieux est une donnée somme toute bien « banale » dans la vie des professionnels de santé, médecins ou autres, a fortiori pour ceux qui travaillent dans les services hospitaliers des maladies infectieuses, où le risque contagieux est une donnée permanente quotidienne.

Pour compléter les témoignages recueillis au cours de ses auditions, la mission a aussi voulu savoir comment, sur le terrain, les hôpitaux se préparaient au risque pandémique et à l'afflux prévisible de malades. Une dizaine de déplacements ont ainsi été organisés à Paris et en province, principalement dans des centres hospitaliers universitaires (CHU), entre janvier et mars. Ils ont permis aux députés présents de rencontrer les acteurs de cette préparation et de visiter les locaux qui devraient accueillir, le cas échéant, les malades de la grippe. On trouvera dans le rapport une synthèse de ces visites.

Par ailleurs, le rapport est enrichi d'une contribution de Mme Bérengère Poletti, membre de la mission, sur la télémédecine : son auteur met en évidence les avantages d'un recours plus grand aux nouvelles technologies dans l'exercice de la médecine dans la perspective d'une pandémie.

S'agissant des autres principaux aspects du plan comme, par exemple, la question des transports ou le maintien de la vie économique du pays, ils font l'objet de développements dans le présent rapport. Certains sujets ont donné lieu à quelques auditions « ciblées » devant la mission : la gestion de l'information - audition de M. Robert Namias, directeur de l'information à TF1 ; la continuité du service public de l'enseignement - audition de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; la préparation des communes et la mobilisation des équipes municipales - auditions d'un représentant de l'Association des maires de France, d'un élu d'une commune de taille moyenne et du Secrétaire général de la Ville de Paris.

Le rapport intègre enfin quelques éléments d'information fournis par les participants au colloque organisé le 15 juin sur le thème : « Grippe aviaire : état d'alerte international » et que le Rapporteur a présidé.

Pour présenter l'ensemble de ces travaux, le rapport comportera deux parties. La première, après avoir rappelé l'historique du plan français, en exposera l'objectif : organiser le fonctionnement du pays en mode dit « dégradé ». Puis le Rapporteur s'attachera à en présenter les modalités d'application : mobilisation de l'État et des collectivités territoriales, mise en œuvre de mesures barrières susceptibles de réduire le risque de contagion, enfin administration des services publics essentiels.

La seconde partie sera consacrée à l'organisation du système de santé en période pré-pandémique, puis en phase pandémique, avec un éclairage particulier sur le rôle de l'hôpital tout au long de la crise.

Au total, donc, le présent rapport offrira une vue d'ensemble du dispositif prévu pour préserver au maximum la santé humaine des conséquences de l'arrivée d'un virus pandémique.

La mission a cependant tenu, avant de parachever ses travaux, à faire un nouveau point sur l'épizootie de grippe aviaire dans le monde et sur la situation de la France, ne serait-ce que pour souligner une nouvelle fois combien les deux problématiques santé animale - santé humaine au regard de la protection contre le H5N1 sont intimement liées, la défense de la seconde restant largement tributaire de l'efficacité des moyens mis en œuvre pour préserver la première.

C'est aussi l'occasion de rappeler que le combat contre le H5N1 doit continuer, même si le risque est moins apparent en ces mois plus chauds. Loin de baisser la garde, il faut, au contraire, rester vigilant pour ne pas se laisser surprendre par d'éventuelles nouvelles flambées aviaires à l'automne prochain.

On trouvera donc, à la fin du rapport, une annexe sur l'actualité de l'épizootie de grippe aviaire. Pour ce qui concerne la France, aujourd'hui indemne de grippe aviaire, la mission a souhaité voir avec Madame Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable, les conséquences de l'amélioration de la situation sur le territoire national sur les conditions de pratique de la chasse, en particulier la chasse avec appelants. Elle a donc procédé à son audition, le 30 mai.

On pourra également lire une contribution de M. Alain Claeys, membre de la mission, sur l'accès à la connaissance des séquences génétiques du virus H5N1. Son auteur fait le point sur les blocages qui rendent cet accès aujourd'hui difficile et freinent les échanges d'informations entre experts, pourtant essentiels puisqu'ils permettent de surveiller les modifications génétiques du virus et aideraient donc, le cas échéant, à la détection d'un risque de début de pandémie. Notre collègue propose quelques pistes de réflexion pour corriger les imperfections de la situation actuelle.

Enfin, la mission a décidé de publier le compte rendu de deux déplacements effectués dans des pays touchés par l'épizootie de grippe aviaire : Vietnam et Chine, à l'occasion de la Conférence internationale des donateurs qui s'est tenu à Pékin au mois de janvier ; Turquie, au mois de février, après que des cas de contamination humaine y aient été découverts. Au mois de mars, une délégation s'est rendue au Sénégal et au Mali, alors indemnes de grippe aviaire - et qui le sont toujours aujourd'hui - pour évaluer les dispositifs de surveillance et d'alerte mis en place dans ces deux pays notamment par la France ; le compte rendu de ce voyage figure également dans le rapport.

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Pour terminer, le Rapporteur souhaite attirer l'attention sur l'indispensable mobilisation de tous les Français pour faire face à la menace de pandémie grippale. À cet égard, l'organisation, annoncée par le Ministre de la santé et des solidarités, d'un colloque sur « Éthique et pandémie grippale » au mois de septembre prochain, est une initiative dont il se félicite : il aidera à la prise de conscience par chacun de la menace qui pèse sur la santé humaine et permettra d'impulser un débat national et civique sur les enjeux de société liés au risque pandémique. De même, la tenue d'exercices de simulation dans tous les départements et les établissements de santé, souhaitée par le Ministre pour la rentrée, contribuera à sensibiliser chacun au défi qu'il faut aujourd'hui relever.

AVANT- PROPOS DU PRÉSIDENT

On trouvera, ci-après, le texte de la lettre que j'ai adressée à M. Jacques Chirac, Président de la République, le 12 juin 2006.

« M. Jean-Marie Le Guen, député de Paris

« Monsieur le Président,

« Le 8 août dernier, au retour d'une mission de l'Assemblée nationale aux États-Unis, je vous écrivais pour vous faire part de ma grande préoccupation devant les risques renforcés de pandémie grippale, l'évolution de l'épizootie de grippe aviaire et l'insuffisante préparation de la communauté internationale.

« Face aux dangers que fait courir l'éventualité de la survenue d'une pandémie, vous mettiez en place, dès la rentrée de septembre, plusieurs initiatives pour mobiliser l'opinion, les pouvoirs publics et la communauté internationale.

« À la suite de votre intervention, le gouvernement a activé la mise en œuvre d'une politique de précaution. Il fut, ainsi, décidé la commande et le stockage de biens médicaux utiles (médicaments, vaccins, masques, etc.). Le plan de lutte contre la pandémie fut, en partie, retravaillé et précisé. Ces premières actions ont permis à notre pays d'être reconnu comme l'un des plus avancés dans la préparation contre la pandémie.

« Quelques mois plus tard, la découverte sur le territoire national de la présence du virus H5N1 et ses conséquences sur la filière avicole émurent fortement l'opinion publique. Heureusement, après une période d'inquiétude, nos concitoyens recouvrèrent, très majoritairement, leur confiance. Notre pays a pu, ainsi, surmonter cet épisode sans subir de conséquence sanitaire ni de dommages économiques de grande envergure.

« Ces derniers mois, j'ai eu l'occasion, à plusieurs reprises, tant à titre personnel que comme président de la mission parlementaire sur la grippe aviaire, d'exprimer mon approbation et mon soutien à l'action engagée.

« Cependant, et pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, il est de mon devoir de vous renouveler mon adresse pour vous faire connaître mes inquiétudes concernant la mise en œuvre de notre préparation au risque pandémique.

« Que ce soit dans le cadre de la mission parlementaire que je préside ou par mes contacts personnels, je constate que notre système de soins et, plus largement, la société française ne sont pas préparés à faire face à une éventuelle pandémie.

« Plusieurs raisons expliquent nos difficultés. Certains de nos concitoyens, parmi lesquels se trouvent des professionnels de santé, voient leur tentation du déni l'emporter sur toute autre considération. Pour d'autres, c'est l'ampleur des tâches quotidiennes qui dissuadent de se préoccuper d'un risque qui paraît s'être éloigné et demeure hypothétique. De même, nos collectivités locales sont, à leur niveau, trop inégalement engagées dans la préparation d'un plan de lutte.

« Je redoute que cette situation préoccupante ne résulte pas uniquement du délai nécessaire à la mise en œuvre du plan, mais aussi d'insuffisances dans l'approche politique. Il me semble, en effet, que le plan de lutte demeure encore peu précis dans la formulation de ses priorités et de ses responsabilités.

« La première précision qu'il nous faut apporter concerne la nature de notre réponse face à la menace pandémique initiale. Celle-ci doit-elle être d'ordre médical (médicaments, vaccins, hospitalisations) ou d'ordre social (réseaux de solidarité, comportements individuels) ?

« Mon sentiment est que, tant que nous manquerons de vaccin, outil décisif contre le risque épidémique infectieux, la réponse doit d'abord être sociale. Ni le médicament dont l'utilisation et plus encore la distribution sont complexes, ni les masques essentiellement disponibles pour les professionnels de santé, ni l'hospitalisation dont nous devons tant redouter l'encombrement ne fournissent à eux seuls une réponse satisfaisante. Ceci ne signifie en aucune manière que nous ne devions pas veiller à pouvoir en disposer pleinement, ce que j'ai soutenu et publiquement approuvé.

« Mais c'est d'abord par la protection que procurent des comportements individuels et collectifs adéquats qu'on limitera la diffusion de l'épidémie. C'est par un voisinage attentif et un filet de surveillance médicale opérationnel que l'on pourra maintenir et soigner à domicile la plupart des malades qui ne souffriront, heureusement, que des symptômes d'une grippe habituelle. Il faut donc préparer nos concitoyens à être les acteurs principaux du dispositif primaire de vigilance. La crise pandémique sera moins une crise sanitaire majeure qu'une forte épreuve de cohésion pour notre société. C'est en développant la solidarité active de proximité qu'on fera naître la confiance.

« Si l'on accepte cette stratégie de responsabilisation individuelle et de cohésion sociale, il faut alors penser que le rôle et le positionnement de l'État sont, sans doute, bien différents de la démarche hiérarchisée et administrative traditionnelle. C'est un État stratège, planificateur, pourvoyeur de logistique mais fondamentalement animateur et non pas administrateur dont nous avons besoin pour dynamiser la réponse sociale.

« La solution repose, en effet, sur la mobilisation des citoyens plus que sur celle des techniciens et des autorités qui n'interviennent qu'en complément.

« J'en viens au troisième point qui suscite mon inquiétude.

« Je ne crois pas que l'engagement des professionnels concernés, à commencer par les professionnels de santé, aille naturellement de soi. Le fait que certaines catégories professionnelles mobilisables disposent d'un cadre juridique plus ou moins précis organisant leur emploi n'est pas une garantie suffisante, ni pour eux, ni pour la société. Ce statut juridique sera bien fragile si, auparavant, l'enjeu éthique n'est pas affirmé et les dispositions pratiques leur assurant une bonne protection mises en place. Il faudrait, dès aujourd'hui, préciser quel type de mission de service public nous attendons des uns et des autres.

« Je suis convaincu qu'un tel appel rejoindrait les valeurs et la déontologie de beaucoup de nos concitoyens. Entre le volontariat qui ne correspond pas aux besoins quantitatifs et qualitatifs, et la réquisition qui ne répond en rien aux questions légitimes que peuvent se poser les professionnels, il y a une place pour un discours de vérité et de mobilisation.

« Dans ce sens, je crois utile de créer, auprès du gouvernement, un comité regroupant des représentants des principaux acteurs et des forces vives de la Nation pour que soit mené, en toute transparence, le débat sur la mise en œuvre du plan.

« Sur tous ces sujets, nous restons dans le non-dit, parfois, dans le mal dit. J'ignore si nous sommes d'accord sur ces orientations, mais, quoi qu'il en soit, nous n'en avons pas encore tiré les conséquences logiques. Vous comprendrez, au regard de l'importance des enjeux, que je profite de la période d'apparente rémission pour dire sans fard ce que je crois.

« Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'expression de ma très haute considération.

« Copie à Monsieur Xavier Bertrand, ministre de la Santé

I. LE PLAN GOUVERNEMENTAL DE PRÉVENTION ET DE LUTTE « PANDÉMIE GRIPPALE » : UNE ANTICIPATION ÉVOLUTIVE DE LA CRISE

Le plan gouvernemental1  est le produit d'une démarche de préparation à une pandémie grippale initiée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1999, et relayée à l'échelon national depuis 2004.

Cette démarche présente un caractère évolutif, dans la mesure où le plan gouvernemental est appelé à être mis à jour, en fonction du contexte épidémiologique. Il peut également faire l'objet de modifications pour tirer les enseignements d'exercices, organisés régulièrement, de simulation d'une crise pandémique. Ainsi, cette démarche de planification tend-elle à anticiper la crise en préparant dès à présent les mesures à mettre en œuvre le cas échéant.

A. LA GENÈSE ET LES OBJECTIFS DU PLAN GOUVERNEMENTAL : UNE DÉMARCHE ÉVOLUTIVE VISANT À PRÉPARER LA FRANCE À UNE PANDÉMIE GRIPPALE

1. La maturation et l'évolution du plan : une démarche progressive

Le « Plan gouvernemental de prévention et de lutte Pandémie grippale » dont la France est dotée s'inscrit dans la lignée de plans antérieurs, eux-mêmes inspirés d'un « Plan mondial OMS de préparation à une pandémie de grippe » publié en 1999 et mis à jour en 2005.

a) Le « Plan mondial OMS de préparation à une pandémie de grippe »2 définit une stratégie mondiale de lutte contre une éventuelle pandémie

●  Dès 1948, l'OMS a mis en place un « Programme mondial pour la surveillance de la grippe »

M. Guénaël Rodier, ancien directeur du département « Alerte et réponse en cas d'épidémie et de pandémie » de l'OMS, a souligné devant la mission3 que le « programme mondial pour la surveillance de la grippe », « bien rôdé » aujourd'hui, constitue « le plus ancien système de surveillance de l'OMS ». Il s'appuie, depuis 1952, sur un réseau de 4 « centres collaborateurs », 3 « laboratoires de référence » et 112 « centres nationaux » répartis dans 83 pays4. En outre, c'est également sous l'égide de l'OMS qu'a été créé, en avril 2000, un « Réseau mondial d'alerte et d'action en cas d'épidémie »5 auquel la France participe activement, notamment par le biais de l'Institut de veille sanitaire (InVS).

Ainsi que l'a rappelé à la mission M. Didier Houssin, délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA)6 : « On sait depuis longtemps [...] que la pandémie grippale est une des menaces sanitaires identifiables les plus importantes qui pèsent sur l'espèce humaine ». Or, à la fin des années 1990, cette menace a été aggravée par l'épizootie de grippe aviaire survenue en Asie. Comme l'a noté M. Didier Houssin, la crainte de voir ce virus aviaire passer à l'homme a ensuite pris une consistance particulière, « à mesure que l'épizootie s'étendait et qu'apparaissaient les premiers cas humains », notamment à Hong Kong en 1997.

●  En avril 1999, l'OMS a publié un « Plan mondial OMS de préparation à une pandémie de grippe »7 

Considérant que « produire rapidement un vaccin efficace contre une vague pandémique grippale pourrait s'avérer impossible » et que « des mesures alternatives de contrôle de cette pandémie doivent être prévues à l'avance », l'OMS a publié, en avril 1999, un plan définissant des phases de progression d'une pandémie due à l'infection de l'homme par un virus aviaire de sous-type H5N1. Pour chacune de ces phases, ce plan précisait les mesures qui seraient prises par l'OMS et signalait les questions relevant de la compétence des États membres.

●  À la suite de consultations organisées à Genève du 13 au 15 décembre 2004, le plan de l'OMS a été mis à jour en mars 2005 puis révisé en novembre 2005

Une mise à jour s'avérait nécessaire pour différentes raisons.

Il fallait, d'abord, tenir compte du caractère désormais endémique du virus grippal de sous-type H5N1 en circulation en Asie depuis plusieurs années : entre 1999 et 2005, il a infecté plusieurs espèces animales, tuant des millions d'oiseaux, et s'est, de plus, transmis à l'homme.

En outre, les progrès de la biologie évolutive des virus grippaux, ainsi que la mise au point de nouvelles techniques de fabrication de vaccins et de diagnostic de laboratoire devaient être pris en compte.

Cette mise à jour visait par ailleurs à tirer les enseignements, pour la gestion d'une crise sanitaire, de l'épidémie du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) qui a sévi en 2003. Le nouveau plan de l'OMS constate le « succès » de la gestion de cette épidémie et l'attribue pour partie à « la mise en œuvre rapide de mesures mondiales et nationales coordonnées par l'OMS, qui reposaient sur une reconnaissance précoce de la maladie, un soutien politique au plus haut niveau pour les interventions et une communication transparente à laquelle participaient de nombreux partenaires et le grand public ».

Il convenait aussi d'intégrer la récente révision du Règlement sanitaire international.

Enfin, certains États membres auraient demandé à l'OMS de formuler des recommandations plus précises, concernant notamment les objectifs nationaux et les mesures à appliquer au cours des différentes phases de la lutte contre la pandémie.

Ainsi, la version actualisée du plan de l'OMS redéfinit-il les phases d'une pandémie, en tenant compte des risques que fait courir une épizootie pour la santé humaine. Comme l'a indiqué devant la mission8 Mme Margaret Chan, sous-directrice générale de l'OMS en charge des maladies transmissibles, l'on se trouve actuellement en phase 3 du plan, caractérisée par des infections chez l'homme sans propagation inter-humaine, sauf quelques cas de transmission à un contact proche.

Le passage d'une phase à une autre est décidé à la suite d'une évaluation du risque à laquelle procède quotidiennement l'OMS sur la base d'informations provenant de sources très diverses : autorités officielles des Etats-membres, presse, Internet, notamment. Mme Margaret Chan a précisé à la mission que pour apprécier la situation, « l'OMS ne dépend pas uniquement des notifications qui lui sont faites par les États membres »et M. Guénaël Rodier que l'OMS avait mis en place, il y a sept ans, « un système d'information axé sur l'écoute des bruits émis par le public et les médias » 9 .

Le nouveau plan de l'OMS indique par ailleurs que l'Organisation « accorde davantage d'attention aux phases précoces » d'une éventuelle pandémie, « lorsqu'une intervention rapide peut contenir ou retarder la propagation d'un nouveau sous-type de virus grippal chez l'homme ».

Enfin, pour chaque phase, le nouveau plan de l'OMS assigne à l'Organisation ainsi qu'aux autorités nationales des objectifs et des tâches plus précises que sa version antérieure (voir sur ce point le tableau ci-dessous). Ces tâches et objectifs sont détaillés dans un document annexe10 .

Buts prioritaires de santé publique pour chaque phase du plan de l'OMS

Nouvelles phases

Buts prioritaires de santé publique

Période Interpandémique

Phase 1. Aucun nouveau sous-type du virus grippal n'a été dépisté chez l'homme. Un sous-type de virus grippal ayant causé une infection chez l'homme peut être présent chez l'animal. Si c'est le cas, le risque d'infection ou de maladie chez l'homme est considéré comme faible.

Renforcer la préparation à une pandémie de grippe à l'échelle mondiale, régionale, nationale et locale.

Phase 2. Aucun nouveau sous-type de virus grippal n'a été dépisté chez l'homme. Cependant, un sous-type de virus grippal circulant chez l'animal expose à un risque important de maladie chez l'homme.

Réduire au minimum le risque de transmission à l'homme ; détecter et rapporter rapidement une telle transmission si elle se produit.

Période d'alerte à la pandémie

Phase 3. Infection(s) chez l'homme due(s) à un nouveau sous-type, mais pas de transmission inter-humaine, ou tout au plus quelques rares cas de transmission à un contact proche.

Veiller à ce que le nouveau sous-type viral soit rapidement caractérisé et à ce que les nouveaux cas soient rapidement dépistés et notifiés et des mesures prises.

Phase 4. Petit(s) groupe(s) de cas dans lesquels il y a une transmission inter-humaine limitée, mais la propagation est très localisée, ce qui laisse à penser que le virus n'est pas bien adapté à l'homme.

Contenir le nouveau virus à l'intérieur de foyers limités ou retarder sa propagation pour gagner du temps afin de mettre en œuvre les mesures de préparation, notamment la mise au point d'un vaccin.

Phase 5. Groupe(s) de cas plus importants, mais transmission inter-humaine toujours localisée, laissant à penser que le virus s'adapte de plus en plus à l'homme, mais n'est peut-être pas encore pleinement transmissible (risque important de pandémie).

S'efforcer au maximum d'endiguer ou de retarder la propagation, afin de peut-être éviter une pandémie et de gagner du temps pour mettre en œuvre des mesures de lutte contre la pandémie.

Période de pandémie

Phase 6. Pandémie : transmission accrue et durable dans la population générale.

Réduire au minimum les effets de la pandémie.

La distinction entre la phase 1 et la phase 2 est basée sur le risque d'infection ou de maladie chez l'homme résultant de la présence de souches circulant chez l'animal. Cette distinction est basée sur divers facteurs et sur leur importance relative compte tenu des connaissances scientifiques du moment. Il peut s'agir du pouvoir pathogène chez l'animal et chez l'homme, de la survenue de cas chez les animaux domestiques et d'élevage ou uniquement dans la faune sauvage, de la nature enzootique ou épizootique, géographiquement localisée ou largement répandue et/ou d'autres paramètres scientifiques.

La distinction entre la phase 1 et la phase 2 est basée sur le risque d'infection ou de maladie chez l'homme résultant de la présence de souches circulant chez l'animal. Cette distinction est basée sur divers facteurs et sur leur importance relative compte tenu des connaissances scientifiques du moment. Il peut s'agir du pouvoir pathogène chez l'animal et chez l'homme, de la survenue de cas chez les animaux domestiques et d'élevage ou uniquement dans la faune sauvage, de la nature enzootique ou épizootique, géographiquement localisée ou largement répandue et/ou d'autres paramètres scientifiques.

Source : Plan mondial OMS de préparation à une pandémie de grippe, 2005

●  Les États-membres sont invités à décliner le plan de l'OMS à leur échelle

Le plan de 1999 recommandait déjà aux Etats-membres de réunir au sein de « comités nationaux de prévention des pandémies » des équipes pluridisciplinaires chargées d'élaborer une stratégie nationale d'anticipation des pandémies.

Le plan de 2005 indique plus clairement encore : « Chaque pays est instamment prié d'élaborer ou de mettre à jour un plan national de préparation à la grippe conformément aux recommandations figurant dans ce document ». Il postule en effet qu'une telle harmonisation internationale constitue « la clé du succès si l'on veut réduire le risque de propagation d'une pandémie de grippe ». Mme Margaret Chan a souligné devant la mission : « Il est important que les plans nationaux de lutte contre la pandémie soient alignés sur les phases de l'OMS (...). Sinon, ce serait la confusion ».

Surtout, ce plan met en évidence l'importance d'« une direction politique à haut niveau pour appuyer la planification intersectorielle nécessaire ». Le Rapporteur note, à cet égard, la forte implication des autorités françaises dans le processus de planification de la réponse à une pandémie grippale, engagement que M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités a confirmé devant la mission11 : conformément à ce qu'avait annoncé le Président de la République au mois d'août 2005, « aucun obstacle économique et financier ne sera mis à l'amélioration de notre état de préparation ».

b) Suivant les recommandations de l'OMS, la France a élaboré dès 2004 un plan de préparation contre le risque d'une pandémie grippale

M. Didier Houssin12  a fait observer à la mission que l'appel lancé par l'OMS en 1999 constituait le point de départ de la démarche française de préparation contre le risque d'une pandémie grippale. Il a souligné la « rapidité » avec laquelle la France a réagi à cet appel. Mme Margaret Chan13  a évoqué, pour sa part, le « rôle pionnier » de la France en la matière.

●  Le premier plan gouvernemental « Pandémie grippale » 14 

Un premier plan d'ensemble visant à préparer la France à une pandémie grippale a été élaboré sous la direction du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN). Il a été examiné en Conseil des ministres le 13 octobre 2004.

Lors de sa première audition devant la mission, M. Didier Houssin a regretté que ce plan ait été classé, à l'époque, « confidentiel défense », estimant qu'une telle classification a pu « constituer un certain handicap » dans la mise en œuvre du volet « communication » de ce plan. À cet égard, comme M. Robert Namias15 , directeur de l'information de TF1, l'a fait remarquer à la mission : « En matière de santé publique plus encore que dans toute autre, la transparence est indispensable ».

On ne peut donc que se féliciter que le plan ait finalement été rendu public en mai 2005. Cette publication a été précédée d'une première actualisation.

Ainsi actualisé, le plan a fait l'objet d'une évaluation « grandeur nature », - comme l'a qualifiée M. Xavier Bertrand16 - à l'occasion de l'exercice national « Pandémie grippale 2005 » organisé le 30 juin 2005 par le SGDN et le Service d'information du gouvernement (SIG). Il s'agissait d'un exercice de simulation de la gestion d'une crise pandémique par l'État. Cet exercice a été mené sous le regard de représentants de la société civile. M. Didier Houssin17 a estimé que cet exercice avait « permis de prendre conscience de la réalité du danger, mais également de détecter les points à améliorer dans le dispositif ». Parmi ces points, il a notamment cité la prise en compte des Français de l'étranger, la coopération internationale et la cohérence de l'action de l'État. Il a aussi mentionné la nécessité de doter le plan d'« un véritable volet « communication - formation - information » ».

●  Le plan gouvernemental du 6 janvier 2006

Les enseignements tirés de cet exercice national, mais aussi l'aggravation de l'épizootie de grippe aviaire dans le monde et l'apparition de cas de contamination humaine, ont amené le gouvernement à remplacer le plan de 2004, actualisé en 2005, par un nouveau « plan de prévention et de lutte « Pandémie grippale » » en date du 6 janvier 200618 .

Ce nouveau plan commence par un exposé en sept chapitres des grandes lignes de la stratégie qui le sous-tend. Il énumère ensuite, pour chaque situation épidémiologique envisageable, les mesures que le gouvernement pourrait prendre (voir sur ce point l'encadré ci-dessous).

La structure du plan

· Le chapitre I du plan du 6 janvier 2006 présente les objectifs de ce plan et les principaux choix stratégiques qui les sous-tendent.

· Les chapitres II, III et IV « Organisation pour la gestion de la crise (préparation et conduite) », « Missions et actions permanentes » et « Déclinaison du plan et évaluation du niveau de préparation » détaillent les mesures prises par le gouvernement pour assurer la cohérence de l'action de l'État et sa coordination avec les organisations internationales (cf. infra).

· Le chapitre V traite du volet communication-formation-information de la préparation et de lutte anti-pandémique.

· Le chapitre VI présente succinctement une doctrine d'emploi des masques respiratoires, des médicaments antiviraux et des vaccins.

· Le chapitre VII est consacré à l'influenza aviaire.

· Le chapitre VIII « Situations et mesures » définit, pour chaque niveau d'alerte, les objectifs qui seront assignés aux pouvoirs publics et énumère les mesures qui pourront être mises en œuvre pour les atteindre.

Le dernier chapitre propose près de 250 mesures, qu'il appartiendrait au gouvernement de choisir de mettre en œuvre ou non, selon la configuration de la crise. Selon M. Francis Delon19 , Secrétaire général de la défense nationale, ce chapitre constitue une « boîte à outils où les mesures doivent être sélectionnées en fonction des paramètres du moment ».

Les niveaux d'alerte - ou « situations » - retenus par le plan correspondent aux phases du nouveau plan de l'OMS (voir sur ce point l'encadré ci-dessous).

Situations du plan gouvernemental et phases du plan de l'OMS

Nouvelles phases OMS

Situations du plan français

anciennes phases OMS

Période interpandémique

Ph. 1

Pas de nouveau virus grippal circulant chez l'homme

Sit. 1

Absence de circulation de nouveau virus hautement pathogène chez l'animal et chez l'homme

Ph. 2

Pas de nouveau virus grippal circulant chez l'homme, malgré un virus animal occasionnant un risque substantiel de maladie humaine

Sit. 2A

Épizootie à l'étranger provoquée par un virus hautement pathogène, sans cas humain

phase 0 - niveau 0

Sit. 2B

Épizootie en France provoquée par un virus hautement pathogène, sans cas humain

Période d'alerte pandémique (pré-pandémie)

Ph. 3

infection humaine par un nouveau virus (pas de transmission inter-humaine, ou cas rares et isolés liés à des contacts rapprochés)

Sit. 3A

Cas humains isolés à l'étranger sans transmission inter-humaine

phase 0 - niveau 1

Sit. 3B

Cas humains isolés en France sans transmission inter-humaine

phase 0 - niveau 2

Ph. 4

cas groupés (« clusters ») de transmission inter-humaine limitée et localisée (virus incomplètement adapté aux humains)

Sit. 4A

Cas humains groupés à l'étranger, limités et localisés (transmission inter-humaine limitée due à un virus mal adapté à l'homme)

phase 0 - niveau 3

Sit. 4B

Cas humains groupés en France, limités et localisés (transmission inter-humaine limitée due à un virus mal adapté à l'homme)

Ph. 5

extension des cas groupés, encore géographiquement localisée (le virus s'adapte à l'homme)

Sit. 5A

Larges foyers de cas groupés non maîtrisés à l'étrange

phase 0 - niveau 3

Sit. 5B

Extension des cas humains groupés en France

Période pandémique

Ph. 6

forte transmission inter-humaine dans la population, avec extension géographique rapide

Sit. 6

Pandémie grippale

phase 1

Sit. 7

Fin de vague pandémique

Source : plan gouvernemental

L'OMS suggère aux États de subdiviser les phases 2 à 6 de son plan en deux situations distinctes, selon que le pays est touché ou non. Le plan français procède à une telle subdivision pour les phases 2 à 5 du plan de l'OMS, mais pas pour sa phase 6, c'est-à-dire la phase de pandémie. Sur ce point, le plan précise que le gouvernement mettra en œuvre « des mesures de santé publique précoces et d'emblée drastiques ». En effet, comme l'a expliqué M. Xavier Bertrand à la mission, il est ressorti de l'exercice national du 30 juin 2005 « que moins on hésitait à prendre des mesures radicales au début d'une transmission inter-humaine, plus on retardait l'arrivée d'un virus sur le territoire européen et donc national » 20.

Les mesures envisagées par le nouveau plan sont détaillées dans des fiches techniques qui lui sont annexées. Les précisions apportées par ces fiches visent à faciliter l'appropriation du plan par les différents acteurs. Estimant ainsi que « La France est certainement l'un des rares pays à être entré aussi loin dans le détail et dans les aspects fonctionnels », M. Xavier Bertrand a rappelé à la mission  le souci du gouvernement « de faire en sorte que notre plan ne reste pas un plan de papier, ou sur le papier » 21.

●  Des perspectives d'approfondissement de certains aspects du plan gouvernemental

Un nouvel exercice national a été organisé les 24 et 25 avril 2006. Selon M. Francis Delon22 , « Il s'agissait d'un exercice dit d'état-major visant à tester le processus de décision au niveau gouvernemental dans une phase critique de la pandémie, c'est-à-dire en situations 5 et 6 ». Il a ajouté : « Le but était d'entraîner les autorités gouvernementales et les services de l'État appelés à intervenir dans la gestion de la crise, mais également de tester les aspects de communication publique et d'évaluer les mesures du plan gouvernemental ».

La société civile était représentée par deux panels « opinion publique » et quatre groupes professionnels - gestionnaires territoriaux de crise, professions de santé, entreprises et services à la population, monde agricole et filière agroalimentaire -, appelés à réagir en temps réel aux décisions prises, afin d'en mesurer l'impact et d'éclairer les décideurs. En outre, comme l'a indiqué M. Francis Delon, « des organisations internationales avaient été conviées à participer [à l'exercice] et plusieurs pays ont envoyé des représentants à Paris », observant qu'il s'agissait là d'un « élément nouveau par rapport aux précédents exercices ».

Revenant sur les résultats de cet exercice, il a d'abord souligné « le niveau élevé de participation et d'implication des ministères ». Il a jugé que le plan paraissait « bien connu des participants » et que « ses grandes lignes comme les mesures proposées étaient pertinentes ».

Il a toutefois relevé certaines insuffisances dans le dispositif gouvernemental, citant notamment :

- un besoin de précision sur les mesures à appliquer dans la situation charnière 5B, entre la phase 5 et la phase 6 ;

- un retard dans l'élaboration des plans de continuité des « opérateurs d'importance vitale » - administrations, collectivités territoriales, entreprises ;

- une articulation insuffisante entre l'échelon national et les échelons européen et international.

Allant, sur ce dernier point, dans le même sens, M. Didier Houssin a estimé devant la mission (audition du 30 mai) qu'en situation d'urgence, une telle insuffisance complique la prise de certaines décisions, notamment quand il s'agit de fermer les frontières nationales, d'apporter une aide aux Français de l'étranger ou de diffuser les recommandations de l'OMS. Il a relevé deux autres deux autres points qui mériteraient également d'être « affinés » :

- la préparation des certaines collectivités d'outre-mer comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ;

- l'accès de la population au numéraire ainsi qu'aux minima sociaux.

Par ailleurs, il s'est félicité du fait que « Pour la première fois, il a été possible de travailler dans des locaux de gestion de crise dignes de ce nom ». Il a cependant jugé que des progrès restaient à faire, « notamment dans les procédures de fonctionnement de la cellule interministérielle de crise ».

Il a aussi rappelé à la mission que « parallèlement à cet exercice d'état-major, des exercices de terrain ont été organisés », citant notamment un exercice « épizootie » organisé à Kergloff, en Bretagne, l'exercice « arrivée d'une suspicion de cas » tenu à Lyon et un exercice hospitalier dans un établissement d'Île-de-France. Il a jugé « qu'il faudra continuer à marier [de tels exercices locaux] avec les exercices d'état-major en souhaitant que soient organisées de plus en plus de simulations à des niveaux fins, au sein d'entreprises, de collectivités locales, d'établissements de santé et dans la prise en charge de malades à domicile ». En outre, il a estimé que l'effort gouvernemental de gestion de crise ne permettait en aucun cas aux collectivités territoriales de faire l'économie d'un effort de préparation d'une pandémie grippale.

L'exercice de mars dernier pourrait donc permettre d'améliorer encore le plan gouvernemental. M. Xavier Bertrand avait d'ailleurs admis que celui-ci puisse faire l'objet de nouvelles modifications : « Même si nous sommes très en avance par rapport à bien d'autres pays, nous pouvons et devons améliorer encore notre état de préparation. [...] Tant qu'il sera possible d'améliorer notre plan, nous le ferons ». M. Didier Houssin23  a ainsi indiqué que le gouvernement pourrait affecter à un ministère en particulier chacune des tâches découlant des mesures proposées par le plan. De même, il a constaté que l'exercice avait montré « à quel point l'équilibre était difficile à trouver entre la nécessité d'attendre l'instruction officielle - au risque de retarder la mise en œuvre de la décision - et celle d'anticiper, au risque de provoquer un emballement du processus », souhaitant donc que le délai de préparation de chacune des tâches précitées soit précisé.

2. La stratégie générale du plan gouvernemental : améliorer les capacités de résistance de la société française à une pandémie grippale

Le plan a pour objectif principal « de protéger la population en métropole et outre-mer, ainsi que nos ressortissants à l'étranger, contre une menace de pandémie grippale ». A défaut de pouvoir éradiquer précocement le virus, la stratégie générale qui le sous-tend consiste, selon M. Xavier Bertrand24, à « gagner du temps et retarder au maximum la propagation du virus » en attendant qu'un vaccin anti-pandémique soit disponible. À cette fin, le plan vise à adapter l'État et la société à un contexte pandémique.

a) La stratégie générale du plan consiste à faire fonctionner l'État et la société en mode dégradé jusqu'à la mise au point d'un vaccin, afin de freiner la propagation d'un virus pandémique

Le plan gouvernemental définit une stratégie générale de préparation et de réponse à une pandémie grippale qui repose sur un compromis entre deux exigences contradictoires :

- d'une part, isoler le plus grand nombre de personnes à leur domicile, pour limiter la diffusion d'une pandémie ;

- d'autre part, porter le moins d'atteintes possible au fonctionnement normal des activités économiques et sociales.

Ainsi, afin de « freiner l'apparition sur le territoire national et le développement d'un nouveau virus adapté à l'homme », le point n° 3 prévoit « des mesures de santé publique précoces et d'emblée drastiques » visant à limiter les occasions de contamination inter-humaine. Il est notamment proposé de limiter les déplacements et les transports collectifs, de maintenir à domicile le maximum de personnes et de fermer les lieux privilégiés de forte concentration humaine. Il est également prévu un « rappel des mesures de protection et d'hygiène pour le public ».

L'interruption totale de toute activité en phase pandémique semble, en revanche, inenvisageable. En effet, certaines activités sont indispensables à la survie de la population ou à la continuité de l'État. Elles devront donc être poursuivies malgré une pandémie grippale. Or, comme l'envisage le plan : « Outre son impact sanitaire majeur, une pandémie pourrait provoquer durablement :

- une désorganisation du système de santé en raison de la saturation rapide des services de soins ;

- une désorganisation de la vie sociale et économique ;

- une paralysie partielle de services essentiels nécessaires au fonctionnement de la société et de l'État ».

Pour permettre la poursuite de ces activités essentielles dans un contexte sanitaire dégradé, le plan propose donc des mesures visant, en quelques sortes, à « organiser leur désorganisation ».

Pour éviter une saturation du système de santé, le plan propose diverses mesures d'adaptation du système de santé publique à un contexte sanitaire dégradé (cf. infra). Il souligne notamment l'importance d'une veille scientifique et technologique ainsi que d'« une action permanente de planification, d'information, d'organisation et d'exercices ». Il prévoit en outre « l'acquisition de moyens de protection et de traitement ».

Par ailleurs, pour prévenir une paralysie des services essentiels à la population, le plan prévoit d'« organiser la continuité de l'État et de la vie sociale et économique ». Est ainsi envisagé le « maintien des conditions de vie des personnes à domicile, grâce à une organisation de proximité appuyée sur la solidarité de voisinage et consolidée par les collectivités locales ». Le plan insiste également sur « l'approvisionnement alimentaire » de la population, sur le « maintien de l'ordre public et du respect de la loi » ainsi que sur « la sécurité des installations dangereuses », et propose diverses mesures en ce sens.

On soulignera enfin que pour les situations d'urgence, des possibilités d'extension des pouvoirs des autorités administratives sont prévues par les textes. Les mesures évoquées plus haut pourraient ainsi être prises notamment sur le fondement des dispositions de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence ainsi que de l'article L. 3110-1 du code de la santé publique (voir sur ce point l'encadré ci-dessous).

Bases légales pour des mesures d'urgence

●  L'article 36 de la Constitution prévoit la possibilité de décréter l'état de siège en Conseil des ministres, sa prorogation au-delà de douze jours ne pouvant cependant être autorisée que par le Parlement.

●  La loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence prévoit que « L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire [...], soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Son article 2 précise que l'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres et que sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement.

Ce décret en Conseil des ministres détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles l'état d'urgence entre en vigueur. Dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l'état d'urgence reçoit application sont fixées par décret simple.

Cette loi précise les mesures d'urgence qui peuvent être prises sans ce cadre.

Son article 5 dispose ainsi que, dans les circonscriptions territoriales où s'applique l'état d'urgence, la déclaration de l'état d'urgence donne pouvoir au préfet :

1° D'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ;

2° D'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;

3° D'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics ».

De plus, l'article 6 de la même loi permet au ministre chargé de l'intérieur de prononcer l'assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée de toute personne dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics des circonscriptions territoriales où s'applique l'état d'urgence. Son article 8 donne compétence au ministre de l'intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, et au préfet, dans le département, pour ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature. Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.

Enfin, l'article 11 de la même loi prévoit que le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peuvent, par une disposition expresse, habiliter le ministre de l'intérieur et le préfet à « prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ».

●  Par ailleurs, « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie », l'article L. 3110-1 du code de la santé publique, inséré par la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, permet au ministre chargé de la santé de prescrire par arrêté « toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ». La fiche technique A.11 annexée au plan pandémie « Dispositions du code de la santé publique applicables en situation de pandémie » indique qu'une menace de pandémie grippale constitue une « menace sanitaire grave » au sens de l'article L. 3110-1 précité.

Cet article précise que le ministre chargé de la santé peut habiliter le représentant de l'État territorialement compétent à prendre toutes les mesures de police nécessaires à l'application de ces prescriptions, y compris des mesures individuelles.

Pour le cas où le ministre chargé de la santé recommanderait, en application des dispositions de l'article L. 3110-1 précité, la prescription ou l'administration d'un médicament « hors des conditions normales d'utilisation prévues par l'autorisation de mise sur le marché », l'article L. 3110-3 du même code prévoit une exonération de la responsabilité des professionnels de santé.

Pour la réparation des dommages imputables aux mesures prescrites par le ministre chargé de la santé sur le fondement de l'article L. 3110-1 précité, l'article L. 3110-4 du même code fixe un régime de responsabilité sans faute de l'État. Comme le souligne le rapport de M. Jean-Michel Dubernard, fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur le projet de loi relatif à la politique de santé publique, ce « régime s'inscrit dans la construction jurisprudentielle du Conseil d'État de la responsabilité de la puissance publique pour risque ».

Enfin, l'article L. 3110-7 du même code permet la réquisition dans le cadre d'un « plan blanc » des personnels hospitaliers nécessaires à la gestion d'une crise sanitaire. L'article L. 3110-8 permet de surcroît au préfet, au préfet de zone ou au Premier ministre de réquisitionner tout professionnel ou établissement de santé dans le cadre d'un « plan blanc élargi ».

●  Il existe en outre une construction jurisprudentielle : le Conseil d'État a développé la théorie dite « des circonstances exceptionnelles », qui autorise l'extension des pouvoirs des autorités administratives en raison de circonstances exceptionnelles (voir sur ce point, par exemple, l'arrêt du Conseil d'État Heyriès du 28 juin 1918).

b) Sans un effort communication, d'information et de formation tendant à promouvoir des comportements civiques, l'efficacité de la stratégie gouvernementale est incertaine

Le comportement de la population constituera un paramètre important dans la gestion d'une crise pandémique. Or le plan gouvernemental mise sur certains comportements individuels de nature à freiner la propagation d'un virus, notamment en limitant les déplacements. Il est donc indispensable de sensibiliser la population à ces comportements.

● « L'efficacité du dispositif prévu dans le plan repose sur le maintien d'un lien de confiance fort entre les autorités gouvernementales et la population »25.

L'exemple des mesures tendant à maintenir les personnes à leur domicile, y compris les malades dont l'état ne présente pas de signe d'aggravation, est particulièrement significatif de la nécessaire adhésion de la population aux exigences qui le seraient imposées en cas de pandémie. En effet, on voit mal comment des mesures obligeant les Français à rester chez eux pourraient être appliquées par la contrainte : les effectifs, encore disponibles des forces de l'ordre, n'y suffiraient pas. De telles mesures ne peuvent donc se concevoir que si la population adopte un comportement civique. Dans le cadre du plan gouvernemental, chaque individu se voit confier une véritable responsabilité.

Tel est aussi le cas, à plus forte raison, des professionnels de santé. Le plan prévoit par exemple que « Les médecins libéraux [...] assurent la première ligne d'action », en traitant à domicile tous les patients dont l'état ne nécessite pas de prise en charge hospitalière. Une telle mesure ne pourrait pas être mise en œuvre sans une mobilisation volontaire de ces professionnels, conformément, au demeurant, à leurs obligations déontologiques. En effet, en cas de pandémie, les pouvoirs publics n'auraient probablement pas les moyens de les contraindre tous à remplir la mission que le plan leur assigne. En attendant des professionnels de santé, hospitaliers comme libéraux, un comportement conforme à leur déontologie professionnelle, le plan gouvernemental leur confie donc ainsi une responsabilité.

●  Ces considérations soulignent l'importance des mesures de communication, d'information et de formation prévues par le plan.

A défaut de pouvoir contraindre la population et les professionnels de santé à suivre les consignes qui leur seront données en cas de crise pandémique, il faut parvenir à les convaincre à l'avance du bien-fondé de ce qui leur sera demandé. Un récent rapport du « groupe de travail sur la pandémie grippale » du Joint Center for Bioethics de l'Université de Toronto26  tirait de l'épidémie de SRAS la conclusion suivante : « Les gens sont plus enclins à accepter des décisions tendant à restreindre leur liberté individuelle quand ces décisions ont été prises publiquement et de façon transparente ». Il paraît ainsi indispensable de donner du sens aux principales orientations stratégiques du plan ; ceci plaide pour un important effort de communication. Le plan souligne d'ailleurs qu'un tel effort est nécessaire pour maintenir « l'esprit civique et la cohésion sociale ».

À cette fin, le plan prévoit d'« accompagner [sa] stratégie par un large effort de communication, d'information et de formation ». La fiche technique H.1 « Stratégie d'information, de formation et de communication » indique en effet que « Les exercices « pandémie grippale » menés ces derniers mois aux niveaux régional, national et européen ainsi que les développements médiatiques sur les évènements récents ont mis en exergue le besoin d'une stratégie de communication gouvernementale transparente pour accompagner les actions de préparation de la société à la perspective d'une éventuelle pandémie ».

Cet effort de communication vise à former la population et les professionnels à une « culture de prévention », par une « information régulière et pédagogique ». D'après le plan, « la communication doit comporter trois volets :

- une communication informative sur l'état de la situation et de la préparation : suivi de l'épizootie et de l'épidémie dans le monde ;

- une communication pédagogique sur les comportements : information sur la pandémie grippale et sur sa prévention ;

- une communication de confiance dans les pouvoirs publics : suivi de l'alerte et des dispositions prises ».

Le plan insiste en outre sur la nécessité de la « cohérence » et de la « coordination de la communication », qui « conduit au choix d'une communication centralisée ».

Ainsi, le plan prévoit un effort de communication à destination des professionnels de santé comme du grand public, afin de favoriser une appropriation précoce de la stratégie qui le sous-tend.

●  L'effort d'information porte en priorité sur les relais professionnels de santé et assimilés

Le 29 mars 2006, M. Xavier Bertrand a déclaré à la mission : « La question à mes yeux essentielle aujourd'hui est bien celle de la mobilisation, de l'information et de la formation, pour les hospitaliers comme pour les libéraux ».

Or, il ressort de l'audition des représentants des cadres hospitaliers27 que l'appropriation du plan par les personnels hospitaliers reste, pour l'heure, inégale (voir infra Partie II). Ainsi, M. Jean-Olivier Arnaud, président du syndicat national des cadres hospitaliers estime t-il que : « Le niveau de sensibilisation, de formation, de préparation, de connaissances, de communication nécessite d'être sérieusement relevé. Si, évidemment, un travail efficace a pu être mené au niveau du corps médical et des directions, les personnels restent mal informés des risques réels liés à la grippe aviaire, de l'usage des masques, du Tamiflu, etc. Il faut impérativement renforcer la formation ». Allant dans le même sens, M. Francis Fellinger, président de la Conférence des présidents de Commissions médicales d'établissements (CME) de centres hospitaliers a déclaré à la mission : « Nous savons que notre personnel est clairement sous-informé et sous-formé, ce qui suppose un effort important et rapide, au niveau central, de formation obligatoire et non dépendant des plus ou moins bonnes volontés ».

Quant aux médecins libéraux, leurs représentants syndicaux entendus par la mission ont regretté que l'effort de communication du gouvernement ait pris du retard. Ainsi, pour M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France (FMF) : « Il existe un travail important effectué par le ministère de la santé pour faire face à une éventuelle pandémie, dont les médecins sont pour la plupart informés par la presse et certains par les publications disponibles sur le site du ministère. Il faut reconnaître que cette information souhaitée par le Gouvernement n'est pas encore entrée en application. [...] Nous ne doutons pas que la formation de l'ensemble des médecins libéraux à faire face à une éventuelle pandémie de grippe aviaire s'effectuera dans les mois qui viennent »28 .

Pour répondre à cette attente, un « kit de formation et d'information »29 devait être envoyé dans le courant du printemps aux 380 000 professionnels de santé, y compris ceux exerçant à titre libéral (cf. infra Partie II).

●  Le plan prévoit également un effort de communication, d'information et de formation à destination du grand public.

Selon la fiche H.1, « le gouvernement sera l'émetteur principal d'une information complète et ouverte afin d'éviter les risques d'ignorance, de désinformation ou de rumeurs susceptibles de provoquer des comportements irrationnels ». Il est précisé qu'« il faut également se mettre en position de pouvoir communiquer en cas d'aggravation de la situation ».

Ainsi, le gouvernement a lancé, le 24 avril 2006, une campagne de prévention des virus respiratoires intitulée « Adoptons les gestes qui nous protègent ». Soulignant sa « vocation avant tout pédagogique », le dossier de presse relatif à son lancement indique qu'elle a pour cible le grand public et pour relais les professionnels de santé. Elle se déclinera en plusieurs volets, en fonction du contexte sanitaire (voir sur ce point l'encadré ci-dessous). Pour l'heure, elle vise surtout à promouvoir « le respect de mesures d'hygiène élémentaires » : se laver les mains, utiliser des mouchoirs jetables à usage unique, porter un masque chirurgical ou éviter les contacts rapprochés avec des malades.

La campagne de prévention des virus respiratoires 2006 :
« Adoptons les gestes qui nous protègent »

Elle se décline dès aujourd'hui en deux volets :

· Le premier présente des « gestes d'hygiène essentiels » permettant de « limiter les risques d'infection liés aux virus respiratoires ». Il s'agit d'une campagne d'affichage chez les professionnels de santé dès mai 2006 (cabinets médicaux, pharmacies) et dans les établissements d'enseignement scolaire à partir de septembre 2006.

· Le deuxième présente des gestes limitant les risques de contamination de l'homme par un oiseau. Il a pour support des affichettes et des messages radiodiffusés. Bien qu'il soit développé dès à présent, il ne sera mis en œuvre qu'à partir du déclenchement d'une éventuelle épizootie aviaire.

Un troisième volet ne sera développé qu'en cas de pandémie grippale. Il vise « faire adopter les gestes et comportements essentiels pour limiter les risques de contagion ». Il reposerait sur une signalétique propre aux lieux de soins, sur des messages télévisés et radiodiffusés, ainsi que sur « un dépliant à destination du grand public » et des affichettes.

Source : Ministère de la santé et des solidarités, dossier de presse relatif à la campagne d'information et de formation « Adoptons les gestes qui nous protègent », 26 avril 2006

M. Didier Houssin a confirmé à la mission30  que l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) avait entamé les opérations de routage de ces documents.

●  L'effort de communication, d'information et de formation mériterait d'être approfondi.

L'attention de la mission a été attirée sur le fait que le gouvernement n'avait pas choisi d'associer d'emblée les médias privés à son effort de communication. Ainsi, devant la mission, M. Robert Namias31  a jugé « surprenant » que le gouvernement n'ait pas sollicité TF1 pour diffuser des informations de santé publique, alors même que cette chaîne « s'adresse à 10 millions de Français tous les soirs et à 8 millions à 13 heures ». Sa remarque, a-t-il précisé, ne concerne pas seulement TF1, mais l'ensemble des médias de masse, citant notamment les radios de la bande FM, particulièrement écoutées par les jeunes. Selon lui, « par tradition ou par culture, la communication gouvernementale privilégie le service public de la radiodiffusion et de la télévision, au détriment des médias les plus puissants, ce qui met à mal sa propre efficacité ».

M. Bruno Cortès32, rédacteur en chef adjoint de TF1, a fait remarquer : « Le gouvernement semble considérer qu'il suffit qu'une des entreprises publiques de communication [...] soit en mesure de relayer a minima son message pour que la continuité de la communication de santé publique soit assurée ». Selon lui, les vecteurs de diffusion de l'information gouvernementale ne sont donc pas choisis en fonction de critères d'audience : « Le seul souci du gouvernement est de pouvoir disposer d'un vecteur de communication en cas de crise ».

Dans un récent article33, M. Emmanuel Hirsch, directeur de l'« Espace éthique » de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), faisait valoir, pour sa part, qu'en période de crise, les médias de masse servent à la fois de « vecteurs des savoirs utiles » et d'« expression tangible du lien social ».

Dans un souci d'efficacité, et au vu de ces observations, ne conviendrait-il pas d'envisager une diversification des canaux de transmission de la communication publique ?

De surcroît, ne faudrait-il pas, bien en amont de la crise, informer le public de la conduite à tenir en cas de pandémie, sans attendre le déclenchement de la crise ? Sur ce point, M. Emmanuel Hirsch souligne dans son article précité : « La réceptivité en période de crise s'avérant pour le moins incertaine, l'anticipation s'avère indispensable ». Il note qu'en matière d'information de santé publique, l'anticipation passe notamment par « la mise à disposition des outils indispensables à la préservation d'une certaine forme d'autonomie » des personnes. Il n'exclut pas que les plans nationaux puissent « donner la fausse assurance d'une possible maîtrise d'une information parfaitement canalisée et diffusée » tout au long d'une pandémie, alors qu'il est vraisemblable que la situation sera « marquée par une désorganisation partielle ou complète, par la circulation de données incontrôlables ou de rumeurs, dans un contexte psychologique favorable à l'irrationnel ».

Pour le Rapporteur, le risque qu'en cas de pandémie, l'opinion publique ne soit plus en mesure pas de recevoir rationnellement les informations qui seront diffusées, est réel : la panique fera que l'irrationnel prendra le pas sur la raison. Il ne lui semble donc pas prématuré de sensibiliser dès à présent le grand public au comportement qu'il devra avoir en cas de pandémie, notamment pour limiter les risques de contamination.

S'agissant du contenu de l'information délivrée au grand public, le rapporteur tient à souligner également la difficulté de trouver un équilibre entre deux tentations contradictoires :

- d'une part, exagérer le danger pandémique pour accélérer la mobilisation des professionnels de santé et l'appropriation du plan gouvernemental par la population. Une telle exagération serait de nature à développer une anxiété déstabilisante pour la société ;

- d'autre part, rassurer à tout prix la population pour éviter des réactions de panique. En cas de crise sanitaire manifestement grave, un tel effort se révélerait non seulement vain, mais également contreproductif, dans la mesure où la crédibilité de la communication publique en serait affectée. Le rapporteur relève, par exemple, que vingt ans après l'affaire dite du « nuage de Tchernobyl », la communication en matière de santé publique souffre encore d'un déficit de crédibilité, en raison du sentiment, largement répandu dans l'opinion publique, que les autorités sanitaires françaises auraient, à l'époque, volontairement sous-évalué le danger sanitaire.

M. Didier Houssin34 a souligné la difficulté de cette question : « Comment concilier une stratégie [...] dont la mise en œuvre génère nécessairement un certain degré d'inquiétude, et la gestion de l'actualité et du très court terme pour laquelle on aimerait ne pas susciter d'inquiétude exagérée ? ». Pour sa part, M. François Bricaire35 , chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, a observé devant la mission : « Tout en continuant à défendre le bien-fondé d'actions à nos yeux indispensables et qu'il faudra encore approfondir, il est également de notre devoir d'essayer de moduler [...] le message à adresser à nos concitoyens afin de préserver un certain degré de sérénité ».

Pour éviter ces écueils, la fiche H.1 précitée insiste sur la nécessaire transparence de l'information de santé publique. Revenant sur les enseignements de l'exercice national « Pandémie grippale » 2006, M. Francis Delon a d'ailleurs noté un plus grand « souci de transparence », « chacun [étant] est bien conscient du fait que, pour être efficace, la parole publique doit être crédible et crue ». M. Didier Houssin a indiqué à la mission que le Premier ministre lui avait demandé de « communiquer le plus possible » et qu'il s'attachait à le faire « sous forme non pas d'annonces, mais plutôt d'une communication explicative ».

Enfin, on pourrait regretter que le plan ne traite pas spécifiquement des enjeux et des choix éthiques qui sous-tendent son équilibre général. Le rapport précité du Joint Center for Bioethics juge nécessaire que tout plan de prévention d'une pandémie grippale « s'appuie sur des valeurs éthiques largement partagées, de façon à ce que la population comprenne à l'avance les choix qui devront être faits ». Il considère que ces valeurs doivent être discutées « en amont d'une crise sanitaire et non au moment où les gens feront la queue à l'entrée des urgences ». Il appelle donc chaque gouvernement à doter son plan de prévention d'une pandémie grippale d'un « volet éthique ». Il est à noter que l'OMS, dans sa « Checklist pour l'élaboration de plans de préparation à une pandémie grippale »36, juge une telle démarche « souhaitable ».

Les enjeux éthiques
à l'
œuvre dans la planification de la réponse à une pandémie grippale

Le rapport précité du Joint Center for Bioethics de l'Université de Toronto recense les enjeux éthiques à la base de tout plan national de prévention d'une pandémie. Le rapporteur en relève trois principaux, particulièrement pertinents pour l'analyse du plan français.

· Le premier concerne les devoirs des professionnels de santé. Le rapport précité souligne que « le devoir d'assistance aux malades constitue [pour eux] une obligation éthique de base » et recommande qu'ils bénéficient en contrepartie de protections particulières (traitements, assurance-vie, etc.). Il recommande aussi aux instances ordinales de rappeler à ces professionnels leurs devoirs déontologiques de façon expresse et régulière.

M. Pierre MONOD, au nom des URML a d'ailleurs rappelé devant la mission qu'« il y a des responsabilités citoyennes à rappeler au sein d'un groupe professionnel et la grippe est l'occasion d'en parler - d'où l'importance des réunions de formation et de suivi ».

· Le deuxième de ces enjeux est relatif aux mesures restrictives des libertés publiques qui pourraient être imposées, comme par exemple les mesures de quarantaine. Les travaux de l'Université de Toronto plaident pour la proportionnalité de ces mesures, le caractère transparent et contradictoire de leurs procédures d'adoption ainsi que le respect de la vie privée des personnes concernées.

De ce point de vue, l'adéquation du régime juridique de l'« état d'urgence », tel qu'il ressort de la loi du 3 avril 1955 précitée, avec les enjeux d'une crise sanitaire mériterait un examen approfondi.

S'agissant en revanche des prérogatives reconnues au ministre chargé de la santé par l'article L. 3110-1 du code de la santé publique (cf. supra), on relèvera que le code de la santé publique encadre leurs conditions d'attribution et d'exercice, conformément aux recommandations des chercheurs l'Université de Toronto.

Ainsi, selon l'article L. 3110-1, il faut une « menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence ». Pour ce qui est des prescriptions elles mêmes, il faut souligner que d'un point de vue formel, l'arrêté du ministre en charge de la santé doit être motivé. Sur le fond, elles doivent être décidées « dans l'intérêt de la santé publique ». Elles doivent en outre être « proportionnées aux risques courus »37 et « appropriées aux circonstances de temps et de lieu ».

De surcroît, si « Le ministre peut habiliter le représentant de l'État territorialement compétent à prendre toutes les mesures d'application de ces dispositions », l'exercice de ces pouvoirs de police sanitaire par le représentant de l'État est encadré. Il est en effet précisé que le procureur de la République est « immédiatement » informé de toute mesure individuelle, que la confidentialité des données recueillies doit être respectée et que le représentant de l'État rend compte de son action au ministre en charge de la santé.

· Le troisième enjeu éthique à l'œuvre dans le plan gouvernemental tient à la doctrine d'emploi de certaines ressources rares en période de pandémie (lits d'hôpitaux, antiviraux, masques, vaccins notamment). Le Joint Center for Bioethics insiste sur la transparence du processus de définition des publics prioritaires.

On pourrait regretter que le plan gouvernemental n'établisse pas une telle liste des publics prioritaires, si ce n'est pour l'utilisation des différents types de masques respiratoires (cf. infra).

Source : University of Toronto, Joint Centre for Bioethics, Pandemic Influenza Working Group, « Stand on guard for thee » Ethical considerations in preparedness planning for pandemic influenza, 2005.

Comme l'a rappelé le Ministre M. Xavier Bertrand en clôture du colloque du 15 juin, le Gouvernement envisage d'organiser un colloque avant la fin de l'année 2006, afin de préciser les enjeux éthiques de la démarche française de préparation à une pandémie grippale.

En somme, le plan gouvernemental est le produit d'une démarche de planification progressive et évolutive. Il n'en constitue cependant pas l'achèvement. Au contraire, ce plan a vocation à être actualisé, tant en fonction du contexte épidémiologique mondial que pour tenir compte des lacunes identifiées à l'occasion des différents exercices de simulation. Cette démarche vise à préparer la société française à résister à une pandémie en attendant qu'un vaccin soit disponible. À cette fin, le plan gouvernemental anticipe la crise en organisant de façon précoce des structures ainsi que des mesures de gestion de crise.

B. LES ORIENTATIONS GÉNÉRALES DU PLAN GOUVERNEMENTAL : UNE GESTION ANTICIPATIVE DE LA CRISE

La démarche française de planification de la réponse à une pandémie grippale consiste à préparer le plus en amont possible les mesures qui devront être mises en œuvre dans chaque situation. Anticipant la crise, le plan gouvernemental met en place ainsi un dispositif de gestion de crise, organise le déploiement de « mesures barrières » destinées à freiner la propagation du virus et tend à préserver la continuité des services indispensables à la population.

1. Créer un dispositif de gestion de crise

En France, il n'existe pas de structure administrative spécifiquement dédiée à la gestion de crise. Le plan gouvernemental définit les rôles des différentes autorités administratives françaises dans la préparation d'une éventuelle pandémie ; il prévoit en outre la création de structures administratives ad hoc. Cette organisation administrative est appelée à évoluer en fonction de la gravité de la crise et de la nature de ses enjeux. En outre, si le plan gouvernemental traite surtout de la gestion de crise à l'échelon national, il aborde aussi les rôles des échelons locaux et internationaux.

a) Le dispositif national de gestion de crise repose sur une organisation interministérielle évolutive

Le plan gouvernemental définit un schéma administratif de gestion de crise interministérielle ainsi que des scénarii d'évolution de ce schéma. L'organisation retenue vise à préserver la cohérence de l'action gouvernementale tout en prenant en compte la dimension intersectorielle de l'action de l'État contre un risque de pandémie d'origine aviaire.

●  L'organisation du dispositif national de gestion de crise vise à garantir la cohérence de l'action gouvernementale.

Dans toutes les situations du plan, c'est le Premier ministre qui pilote la stratégie gouvernementale, qui dirige l'action du gouvernement et qui veille à sa cohérence. Selon le plan, c'est notamment lui qui « détermine les situations du plan dans lesquelles se trouve la France ». Au motif qu'une « situation de pandémie ne peut être l'apanage d'aucun ministère en tant que tel », M. Francis Delon a confirmé devant la mission38  que « c'est le Premier ministre qui a la main sur les opérations », jugeant que l'implication du Premier ministre garantissait le caractère interministériel de la gestion de la crise. Il a noté que dans certains États européens, la responsabilité de la conduite des opérations est confiée au seul ministre chargé de la santé.

Pour assister le Premier ministre dans ses fonctions de coordination de l'action gouvernementale, le décret n° 2005-1057 du 30 août 2005 a placé auprès de lui un délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA). L'article 1er de ce décret dispose que le DILGA « coordonne l'action de l'État contre un risque de pandémie de grippe d'origine aviaire et suit la mise en œuvre des mesures décidées dans le cadre du plan de lutte contre ce risque ».

Revenant, au cours de son audition du 30 mai, sur ses quelques mois d'activité en tant que délégué interministériel, M. Didier Houssin a indiqué que la DILGA a joué un rôle « de « pré-mâchage » de certaines décisions ou orientations techniques, (...) de mobilisation... », et enfin, « au moment de l'exercice, (...) d'appui au ministre de la santé » ou « au ministre de l'intérieur chargé de l'action interministérielle, particulièrement au moment du passage de témoin ». Il avait précisé à la mission, lors de sa première audition, le 2 novembre 2005, que son équipe était composée de représentants des ministères de l'intérieur et des affaires étrangères, ainsi que de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS). Le 30 mai, il a jugé souhaitable que son équipe soit renforcée, notamment dans les domaines de l'appui logistique, de la documentation, de la communication ainsi que de l'appui à la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) du ministère de la santé et des solidarités pour tout ce qui touche à l'animation du secteur, aux établissements et aux professionnels de santé.

Le plan cite d'autres services chargés d'assister le Premier ministre en matière de planification de la réponse à une pandémie grippale. Il s'agit du SGDN, qui élabore et actualise le plan, du secrétariat général du gouvernement (SGG), du secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et du service d'information du gouvernement (SIG).

●  Le dispositif national de gestion de crise mobilise les principaux secteurs ministériels.

Le plan prévoit que le Premier ministre peut confier la conduite opérationnelle de l'action du gouvernement à l'un de ses ministres. Pour les situations 1, 2 et 3A39 , il s'agit du ministre chargé de l'agriculture. A partir de la situation 3B40 , le ministre chargé de la santé prend le relais. En outre, d'après le plan, « Dès lors que les questions de sécurité civile, d'ordre public ou de continuité de la vie collective deviennent prédominantes », le Premier ministre peut transférer la conduite opérationnelle de la gestion de crise au ministre chargé de l'intérieur. M. Francis Delon41  a indiqué à la mission qu'il était d'ores et déjà « admis » qu'un tel transfert serait décidé en phase 6 du plan.

En toute hypothèse, le ministre chargé de la santé conserve la responsabilité de la gestion opérationnelle des questions sanitaires. À cette fin, il peut activer auprès de lui une « cellule d'aide à la décision » dès les niveaux d'alerte les plus précoces. Il bénéficie également de l'appui d'une « cellule d'appui logistique » chargée notamment de gérer les moyens opérationnels du ministère, de suivre les stocks d'antiviraux et de masques et de procéder à leur distribution. Le ministre chargé de l'économie et de l'industrie est, quant à lui, responsable de la continuité de la vie économique et du maintien des principales ressources - le plan cite notamment les communications électroniques, l'énergie et l'eau. En outre, au sein de la direction des Français à l'étranger et des étrangers en France du ministère des affaires étrangères, une « cellule de veille », activée dès le début de la crise, est chargée d'animer le réseau des cellules de crise des postes diplomatiques français.

De plus, le plan précise que le ministre chargé de la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale bénéficie du concours de l'ensemble des ministres. Il énumère les principaux départements ministériels concernés (voir sur ce point l'encadré ci-dessous).

Principaux ministres appelés à apporter leur appui au ministre chargé de la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale

· le ministre de la santé pour le volet épidémiologique et sanitaire ;

· le ministre de l'intérieur pour la sécurité civile, l'ordre public, la continuité de la vie collective, la mise en place d'un dispositif de vie courante auprès des personnes maintenues à domicile ;

· le ministre de l'agriculture pour les mesures vétérinaires et la gestion des ressources alimentaires ;

· le ministre de l'économie pour la coordination des mesures de défense économique ;

· le ministre des affaires étrangères pour ce qui concerne les Français à l'étranger et les aspects internationaux de la crise ;

· le ministre de la défense pour la préservation des fonctions militaires stratégiques et la participation des armées à la défense civile ;

· le ministre chargé du travail, notamment pour la protection des travailleurs et l'organisation du travail en phase pandémique ;

· le ministre chargé des transports et du tourisme pour l'information préventive, l'acheminement des produits indispensables à la vie économique et la limitation des transports collectifs de passagers ;

· le ministre chargé de l'outre-mer pour les questions touchant les collectivités d'outre-mer.

Source : plan gouvernemental

Enfin, le chapitre III du plan « Mission est actions permanentes » charge chaque ministre d'établir un « plan de continuité » pour ses services. Chacun de ces plans définit les activités prioritaires du ministère concerné ainsi que les effectifs minimaux nécessaires pour les assurer. Il fixe également la composition et les missions du « centre opérationnel » (CO) chargé d'assister le ministre dans le suivi de la crise.

●  L'organisation du dispositif national de gestion de crise évolue en fonction de la gravité de la pandémie et de la nature de ses enjeux prédominants.

Le Premier ministre peut à tout moment transférer la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale au ministre du département duquel relèvent habituellement les enjeux prédominants dans la crise42  - enjeux vétérinaires, sanitaires ou de défense civile. Il est d'ailleurs à noter que l'exercice national tenu les 24 et 25 avril 2006 tendait à simuler le transfert de la conduite des opérations du ministre de la santé et des solidarités au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Un tel transfert participe du caractère évolutif du modèle de gestion de crise défini par le plan français.

Par ailleurs, le plan prévoit de renforcer le schéma administratif de gestion de crise dès lors que la gravité d'une crise pandémique franchit un « seuil critique ». Le gouvernement mettrait alors en place des cellules de crise spécifiques. Ce seuil est caractérisé, soit par le constat d'une transmission inter-humaine sur le territoire national (situation 4B), soit par une expansion rapide à l'étranger (situation 5A).

Ainsi, dès que ce « seuil critique » est atteint, le ministre chargé de la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale met en place auprès de lui une « cellule interministérielle de crise », également appelée « cellule interministérielle de suivi et de crise » (CIC), appuyée sur la structure de son ministère. Cette cellule est composée de représentants de plusieurs ministères, des services du Premier ministre ainsi que des principales agences sanitaires43 . S'agissant de ses missions, le plan souligne sa « vocation décisionnelle » et indique qu'elle « assure la permanence de la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale ». Elle prépare notamment les décisions du ministre, assure un suivi de la crise en temps réel et établit « les éléments de la communication gouvernementale ». De plus, une « cellule de communication » lui serait adjointe.

Missions de la cellule interministérielle de crise (CIC)

Le chapitre I « Organisation pour la conduite de la crise (préparation et conduite) » du plan précise les missions de la CIC :

· elle traite les informations et les indicateurs envoyés par tous les départements ministériels et organismes concernés, et en fait la synthèse ;

· elle prépare les décisions et actes réglementaires relevant de l'échelon gouvernemental ;

· elle prend et met en forme les décisions relevant de sa compétence et les transmet aux chaînes opérationnelles ;

· elle suit, au plan international, l'évolution de la crise ;

· elle établit les éléments de la communication gouvernementale et pilote la cellule de communication ;

· elle oriente et coordonne l'action d'ensemble.

Source : plan gouvernemental

Le plan prévoit en outre la mise en place éventuelle de deux autres cellules de crise dès que le « seuil critique » est atteint :

- si le ministre chargé de la santé n'est pas responsable de la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale, il conserve auprès de lui une « cellule de santé publique ». Associant des représentants de plusieurs ministères, cette cellule élaborerait « des propositions de toute nature visant à répondre à la menace sanitaire » ;

- dans l'hypothèse inverse, c'est le ministre chargé de l'intérieur qui mettrait en place auprès de lui une « cellule d'anticipation », afin de préparer le transfert éventuel entre ses mains de la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale.

Enfin, en période d'alerte pandémique (situation 5) et en période de pandémie (situation 6), le ministre chargé de l'économie met en place une « cellule de continuité de l'activité économique ». Celle-ci forme alors des « cellules sectorielles »44, animée chacune par une des principales directions du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

Schéma administratif de gestion de crise à l'échelon national

graphique

graphique

COBeauvau :

centre opérationnel de la police nationale : structure non permanente d'information et de gestion des forces de police

COGIC :

centre opérationnel de gestion interministérielle des crises du ministère de l'intérieur : structure permanente qui assure une veille permanente des opérations de défense et de sécurité civiles ; pivot de la chaîne opérationnelle entre l'échelon national et les échelons locaux

CROGend :

centre de renseignement et d'opération de la gendarmerie nationale : centre opérationnel permanent intervenant en appui des missions de maintien de l'ordre ou de défense civile

ComSégur :

centre de crise du ministère de la santé

Source : plan gouvernemental et fiche technique A.7

b) Plusieurs dispositifs de gestion de crise peuvent cohabiter à l'échelon territorial : un dispositif national déconcentré et des dispositifs créés à l'initiative des collectivités territoriales

●  Le dispositif national de gestion de crise est relayé à trois échelons territoriaux : la zone de défense, la région et le département.

Selon les chaînes opérationnelles définies par le plan, dans chaque zone de défense, le préfet de zone est chargé de coordonner les moyens civils et militaires de l'État45  et de les mettre, le cas échéant, à la disposition des préfets de département de la zone. Il s'appuie sur un « centre opérationnel zonal » (COZ) et active une « cellule zonale d'appui pour la coordination sanitaire » en situation 4B. Il assure également la synthèse des informations que lui transmettent les autorités à l'échelon départemental.

Le préfet de région assure la coordination de l'organisation des soins par délégation du préfet de zone. Il s'appuie sur une « cellule régionale d'appui pour la coordination sanitaire » activée en situation 4B. D'après le plan, c'est lui qui serait désigné pour appliquer les mesures d'urgence prises éventuellement prises par le ministre chargé de la santé, en application du dernier alinéa de l'article L. 3110-1 du code de la santé publique.

Quant au préfet de département, il veille à la mise en œuvre des mesures gouvernementales par les services placés sous son autorité. En application des dispositions de l'article 34 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, « il a la charge [...] de l'ordre public » et dispose à cette fin de pouvoirs de police. Il s'appuie sur un « centre opérationnel départemental » (COD) et active auprès de lui une « cellule grippe départementale » en situation 3B. En phase 4B, cette cellule recevrait le renfort de représentants des professionnels de santé et des principales institutions sanitaires et sociales du département46 . Elle assurerait alors une liaison entre les services déconcentrés de l'État et les cellules municipales de crise mises en places à l'initiative de certains maires.

La circulaire DGS/DESUS/DHOS/HFD n° 2005-233 du 16 mai 2005 de mise en place du plan gouvernemental « Pandémie grippale », adressée aux préfets de zone, aux préfets de région, aux directeurs des agences régionales d'hospitalisation et aux préfets de département, récapitule les tâches relevant des services déconcentrés de l'État en phase pré-pandémique et en phase pandémique.

Comme l'a relevé M. Didier Houssin47 , la structuration de l'action de l'État autour des préfets dotera le pays d'« une capacité interministérielle qui fait parfois défaut dans d'autres pays ».

Les schémas ci-dessous illustrent l'organisation de gestion de crise prévue par le plan, selon la nature des enjeux prédominants dans la crise.

Schéma d'organisation
de la gestion d'une crise pandémique à dominante sanitaire

graphique

Source : fiche technique A.6 « Organisation de la gestion de crise « Santé » »

Schéma d'organisation
de la gestion d'une crise pandémique à dominante de défense civile

graphique

Source : fiche technique A.7 « Organisation de la gestion de crise « intérieur » »

●  L'implication des collectivités territoriales dans la gestion du risque pandémique mériterait d'être approfondie et rendue systématique.

Comme l'a fait observer à la mission M. Jean-Olivier Arnaud, au nom du Syndicat national des cadres hospitaliers48 : « La coordination territoriale comme la coordination entre les différents services publics sera [...] indispensable. [...] tout le monde doit se mobiliser : on ne peut tout faire reposer sur l'hôpital. L'ensemble des participants de l'action publique sanitaire devrait agir de concert. Qui devrait les coordonner ? Le préfet ou la DDASS ? Ce ne sont pas forcément les échelons les plus appropriés. Les maires et les conseillers municipaux connaissent bien le terrain. On a vu, depuis la canicule, les maires de certaines villes prendre en charge les systèmes d'alerte, constituer des fichiers d'adresses de personnes âgées, bref, se lancer dans une préparation que l'on pourrait mettre à profit ». D'ailleurs, les collectivités territoriales ont des compétences importantes dans certains secteurs abordés par le plan, comme le service public de l'enseignement : ainsi, c'est aux communes qu'il reviendrait, le cas échéant, de fermer les écoles.

La mission a pu constater que certaines collectivités territoriales menaient des politiques actives de préparation à une pandémie grippale. Il en est ainsi, par exemple, de Paris et de Maubeuge, dont la mission a entendu les représentants : M. Pierre Guinot-Deléry, secrétaire général de la Ville de Paris, et M. Francis Trincaretto, conseiller municipal de la ville de Maubeuge49 .

Ces deux villes, de taille bien différente, ont, chacune à l'échelon de leur territoire, déjà engagé un programme de sensibilisation aussi bien de leurs habitants que de leurs personnels.

Même si leurs initiatives ne sont pas significatives de la mobilisation de l'ensemble des collectivités territoriales, elles offrent des exemples de ce qu'il est possible de faire à l'échelon communal.

- Mise en place de structures de gestion de crise

Paris comme Maubeuge disposent de cellules de crise. Paris a créé la sienne début 2002 et Maubeuge envisage de créer une cellule de veille en appui de la cellule de crise communale déjà existante.

De plus, les deux villes ont établi des plans de continuité pour leurs propres services. Elles ont notamment mené des actions de formation de leurs agents au risque pandémique et identifié les activités qu'il faudra continuer d'assurer en phase pandémique, les moyens humains et matériels nécessaires à cet effet ayant fait l'objet d'une évaluation. Ces plans de continuité ont été testés à l'occasion d'exercices de simulation.

Il est également à noter que Paris a consenti un effort notable d'acquisition de masques. Selon M. Pierre Guinot-Deléry, Paris disposerait d'ores et déjà de 3,5 millions de masques FFP2 et aurait « prévu et budgété l'achat de 1,5 million de masques » supplémentaires en 2006.

À Maubeuge, l'hôpital a organisé un exercice d'évaluation du « degré d'acceptation par les visiteurs et les malades du port du masque ». M. Francis Trincaretto a jugé que cet exercice avait « donné de bons résultats en général ».

- Lutte contre l'épizootie de grippe aviaire

M. Pierre Guinot-Deléry a indiqué que la Ville de Paris avait lancé une campagne d'affichage visant à rappeler aux usagers de ses parcs et jardins « une interdiction ancienne, et bien oubliée, de nourrir les pigeons ».

Quant à Maubeuge, elle a fait procéder au recensement des volailles et des oiseaux. M. Francis Trincaretto a d'ailleurs constaté qu'à l'occasion de ce recensement, certains propriétaires de volailles avaient amélioré leurs conditions d'élevage.

- Information des administrés

À Paris et à Maubeuge, les politiques de préparation à une pandémie grippale passent d'abord par un effort d'information du public, via « La lettre du maire » pour Maubeuge, via le site internet de la ville et la revue municipale pour Paris.

- Soutien aux personnes les plus vulnérables

À la suite de la canicule de 2003, les deux villes ont procédé à un recensement des personnes vulnérables, afin de pouvoir leur porter assistance en cas de menace sanitaire.

M. Pierre Guinot-Deléry a indiqué qu'un fichier, intitulé « CHALEX » et constitué « avec la bénédiction de la CNIL et à partir des signalements faits volontairement des personnes isolées », recense les personnes vulnérables et qu'ainsi : « En cas de pandémie, nous leur prêterions une attention particulière, en s'assurant qu'elles disposent de l'approvisionnement nécessaire et qu'elles n'ont pas de problèmes de santé. En cas de besoin, les agents des services sociaux polyvalents de la Ville pourraient leur rendre visite à domicile ».

De même, selon M. Francis Trincaretto, Maubeuge a mis en place « un système de repérage » de ses 6 000 habitants âgés de plus de 65 ans, en lien avec le centre communal d'action sociale (CCAS). Ainsi, chaque année, la commune envoie à ces personnes un courrier d'information ainsi qu'un questionnaire. Les réponses sont collectées dans un fichier informatisé. En cas de besoin, la commune fait contacter par téléphone les personnes recensées afin de détecter une éventuelle détresse et envoyer un agent sur place. Mme Gaëlle Courant, directrice du service « Santé publique, handicap et personnes âgées » de la ville de Maubeuge, a précisé que sur les 6 000 personnes âgées de plus de 60 ans que compte Maubeuge, « Entre 160 et 170 personnes ont renvoyé le coupon et se sont déclarées vulnérables ».

De tels fichiers pourraient, bien évidemment, être utilement exploités en cas de pandémie grippale.

Mais, pour les interlocuteurs de la mission, il reste encore beaucoup à faire, et des problèmes subsistent.

Ainsi, M. Francis Trincaretto a relevé que la ville de Maubeuge n'avait pas encore réglé les éventuels problèmes d'approvisionnement, notamment alimentaire, en cas de pandémie.

Par ailleurs, l'efficacité du dispositif dépend largement des conditions dans lesquelles la coordination entre services sera assurée. M. Francis  Trincaretto a reconnu, par exemple, que « les mesures que la ville pourrait prendre ne seront efficaces que s'il existe une bonne coopération entre les services municipaux et le centre hospitalier ». Pour sa part, M. Pierre Guinot-Deléry a fait remarquer : « la Ville de Paris n'est pas encore une collectivité locale de plein exercice comme les autres : certaines décisions ne relèvent pas du maire mais du préfet de police ». Il a également souligné que la Ville n'était pas compétente en matière de transports et que, s'agissant des établissements hospitaliers, l'autorité du maire de Paris sur l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) restait largement théorique.

Ainsi, les communes qui souhaitent élaborer un plan aussi complet que possible pourraient être amenées à dépasser le cadre strict de leurs compétences et de leurs obligations. À cet égard, M. Francis Trincaretto a relevé que les élus municipaux sont « de plus en plus sollicités sur des questions de santé publique : canicule, risque climatique, risque nucléaire » et que ces sujets « vont au-delà [de leurs] compétences classiques ». De son côté, M. Pierre Guinot-Deléry a indiqué que dans son effort de préparation, la Ville de Paris était « allée un peu au-delà de ce qui serait strictement nécessaire sur le plan juridique », notamment pour organiser le transport de son personnel et informer la population.

Si, donc, Paris et Maubeuge semblent déjà bien avancées en termes d'anticipation de la pandémie, beaucoup de communes de France n'en sont pas arrivées à ce niveau de préparation, faute de moyens, notamment d'infrastructures hospitalières ; or, l'hôpital constitue le pivot central de tout dispositif de préparation à la pandémie, y compris pour coordonner les relations avec la médecine libérale.

Pour remédier à la faiblesse des services de certaines communes, ne pourrait-on pas envisager une coopération à l'échelon intercommunal ? Un soutien plus substantiel des services déconcentrés de l'État aux initiatives locales serait peut-être une autre piste : ils pourraient, par exemple, mettre à la disposition des collectivités territoriales des documents pratiques facilitant l'élaboration de plans de préparation à une pandémie grippale (guides, fiches de conseils, sessions de formation...).

c) La gestion internationale d'une crise pandémique repose sur des mécanismes de coordination utiles mais perfectibles.

M. Didier Houssin a estimé devant la mission50  qu'en cas de crise pandémique, « le regard national sur certains secteurs est à l'évidence par trop limité et [que] nous devons être très attentifs à la dimension internationale ou mondiale, qu'il s'agisse des communications, des grandes entreprises, des frontières, des vols internationaux ou encore de la transmission des instructions de l'OMS ». Ses propos mettent en évidence l'importance des dispositifs internationaux de gestion de crise et celle de leur coordination avec les structures nationales de gestion de crise.

●  Le plan expose en détail les compétences respectives de l'OMS et de l'Union européenne

L'OMS coordonne un système international de surveillance épidémiologique sur la base duquel elle déclare les phases d'alerte. Ainsi, c'est elle qui déclarerait officiellement le passage en phase pandémique. Dans le cadre des dispositions de son plan, elle émet régulièrement des recommandations à destination des États-membres. Enfin, en cas de pandémie, l'OMS serait responsable de l'identification de la souche virale pandémique et de sa transmission à des laboratoires spécialisés chargés de fabriquer la souche vaccinale mise plus tard à la disposition des producteurs de vaccin. Le plan précise que l'Organisation s'appuie, à cette fin, « sur un réseau de laboratoires experts ».

Les prérogatives de l'Union européenne sont, quant à elles, beaucoup plus limitées car, comme l'a rappelé M. Xavier Bertrand à la mission51 : « la santé humaine reste de la compétence de chaque État. L'Europe ne peut avoir en la matière qu'un rôle de coordination et sensibilisation ». Le plan indique ainsi qu'en application du principe de subsidiarité, l'Union ne prend pas de mesures de planification de la réponse à une pandémie grippale.

La fiche technique A.3 « Coordination européenne » signale cependant que la Commission a élaboré en mars 2004 et a mis à jour, en novembre 2005, un document de « Planification de la préparation et de l'intervention de la Communauté européenne en cas de grippe pandémique »52 . Ce document définit les rôles respectifs de l'Union et des États (voir sur ce point l'encadré ci-dessous). La Commission propose, notamment, de constituer un partenariat public-privé visant à élaborer et à produire à grande échelle des vaccins en trois mois, contre six à huit actuellement. En outre, deux règlements récents53 permettent de réduire les délais d'autorisation de mise sur le marché de vaccins antiviraux en cas de pandémie.

Le rôle de l'Union européenne
dans la planification de la réponse à une pandémie grippale

●  L'Union vise à compléter les politiques nationales de prévention et de surveillance virologique. À cette fin, l'Union a mis en place :

- un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCE)54 chargé de coordonner les réseaux nationaux et internationaux de surveillance ;

- l'Early Warning Rapid System (EWRS)55 , permettant à chaque État de notifier à la Commission et aux autres États les mesures d'urgence qu'il prend ;

- un réseau de surveillance épidémiologique spécifiquement consacré à la grippe humaine, le European Influenza Surveillance Scheme (EISS)56.

●  Le plan communautaire de préparation à une pandémie de grippe présente les principales tâches incombant aux États-membres, à la Commission et aux agences communautaires. Ce plan a fait l'objet d'un exercice d'état-major organisé les 23 et 24 décembre derniers.

La fiche A.3 du plan français note que « la Commission entend avancer sur quelques pistes concrètes », citant notamment la « constitution d'un stock communautaire », la « prise en charge des ressortissants européens à l'étranger » ainsi que la « traçabilité des voyageurs » et le « contrôle sanitaire aux frontières ».

Cette fiche indique également que la Commission a présenté une proposition de règlement instituant un fond de solidarité de l'UE pour élargir les possibilités d'action en cas d'urgence en matière de santé publique, notamment pour prendre en charge financièrement la mise à disposition de vaccins ou d'antiviraux au profit des populations à risque.

Source : fiche technique A.3 « Coordination européenne »

●  La coordination européenne et les liaisons indispensables à la gestion d'une crise à l'échelon international pourraient être améliorées.

Certaines des mesures proposées par le plan ne peuvent être mises en œuvre qu'à l'échelon européen, voire international.

Tel est le cas, notamment, des décisions relatives à la fermeture des frontières. Il en résulte donc que ces questions devront être traitées au plan international, ou au moins communautaire. Sur cette question, M. Xavier Bertrand a souhaité devant la mission57  « le maximum de coordination entre les différents États membres » ainsi que « des politiques communes (...). Il faut contrôler les frontières aériennes, dans les aéroports internationaux ; les frontières portuaires ; les frontières terrestres. L'intérêt de cette coopération internationale est justement que les mêmes mesures de protection s'appliquent partout en Europe. Imaginez que nous ayons des mesures de contrôle renforcé à Roissy, mais que de telles mesures ne soient pas prises à l'identique en Allemagne ou à Bruxelles ! Le passager infecté qui descendrait d'avion à Bruxelles et louerait une voiture pour aller en France pourrait donc entrer sur notre territoire sans avoir été détecté ». Pour lui, « La question du contrôle aux frontières nationales et européennes doit [...] recevoir une réponse claire de la part de l'ensemble des États membres de l'Union européenne ».

Il semble par ailleurs que la coordination des mesures de préparation des États-membres de l'Union européenne puisse, à l'avenir, être renforcée. On retiendra en effet que lors de son audition le 29 mars 2006, M. Xavier Bertrand a regretté qu'à cette date, tous les États-membres n'aient pas encore rendu public le niveau de leurs stocks d'antiviraux, alors même que cela leur a été demandé à chaque Conseil des ministres chargés de la santé. À une question sur les raisons de ce silence, le ministre a répondu : « La réponse, vous la connaissez : tout le monde n'a pas forcément le niveau de couverture souhaité par l'OMS - 25 % de la population nationale. Les pays concernés n'ont pas de problèmes financiers pour acheter du Tamiflu ; pourtant, bon nombre n'ont pas encore atteint le taux de 25 % et n'ont parfois même pas encore passé commande ».

Par ailleurs, il est indispensable que des liaisons fiables soient assurées, même en période pandémique, entre l'échelon national et les dispositifs internationaux de gestion de crise. La fiche technique A.4 « Liaisons assurées par les ministères avec les organisations internationales concernées » énumère les organisations internationales avec lesquelles chaque ministère58  devra se coordonner.

●  Une application anticipée du règlement sanitaire international révisé permettrait d'améliorer la gestion de crise à l'échelon international.

À l'occasion de la révision du règlement sanitaire international (RSI) en 2005, les compétences de l'OMS en matière de gestion de crise ont été précisées.

Ainsi, son article 4 prévoit la mise en place d'un réseau de « points focaux nationaux RSI » chargés d'assurer une liaison permanente entre les autorités nationales compétentes en matière de santé publique et des « points de contact RSI » identifiés au sein des services de l'OMS. De plus, ses articles 5 à 14 fixent des règles d'évaluation collective du risque sanitaire en précisant les modalités de surveillance, de notification et de vérification des informations sanitaires.

En outre, l'annexe 2 du RSI révisé fait de la grippe humaine causée par un nouveau sous-type de virus une maladie qui doit être notifiée à l'OMS.

Par ailleurs, ce RSI révisé fixe les obligations des États-membres en cas d'« urgence de santé publique de portée internationale »59 (voir sur ce point l'encadré ci-dessous). Dans une telle situation, son article 15 donne compétence au directeur général de l'OMS pour publier des « recommandations temporaires » à mettre en œuvre par l'État-membre où survient cette urgence, par d'autres États-membres, ou par les exploitants de moyens de transport internationaux. Ces recommandations sont prises après avis d'un « comité d'urgence » composé d'experts. Il est également à noter que, face à un risque pour la santé publique, l'article 16 du RSI permet au directeur général de l'OMS de publier des « recommandations permanentes » après avis d'un « comité d'examen » composé d'experts.

définition de l'urgence de santé publique de portée internationale
et obligations pesant sur les États-membres dans une telle situation

L'article 1er du RSI révisé qualifie d'« urgence de santé publique de portée internationale » un « événement extraordinaire » dont il est déterminé :

« i) qu'il constitue un risque pour la santé publique dans d'autres États en raison du risque de propagation internationale de maladies ;

et ii) qu'il peut requérir une action internationale coordonnée ».

Comme le soulignait déjà le tome II du présent rapport, l'urgence de santé publique est caractérisée par plusieurs critères : gravité des répercussions de l'événement sur la santé publique, caractère inhabituel ou inattendu de l'événement, risque que celui-ci se propage sur le plan international, et/ou risques d'entraves aux échanges ou aux voyages qui pourraient résulter de l'événement.

Lorsque tous ces critères sont réunis, les États sont alors soumis aux obligations suivantes :

· évaluer les événements survenant sur leur territoire et déclarer à l'OMS tous ceux qui pourraient constituer une urgence de santé publique de portée internationale ;

· répondre aux demandes de vérification de l'information à propos de ces événements ;

· intervenir sur les risques de santé publique entraînant une menace de propagation sur le plan international ;

· développer, renforcer et maintenir la capacité de détecter, de notifier certains événements de santé publique, et d'y répondre ;

· assurer des activités d'inspection et de contrôle systématiques dans les aéroports internationaux, les ports et à certains postes frontières pour éviter la transmission internationale des maladies ;

· fournir une justification sur le plan de la santé publique et sur le plan scientifique à propos des mesures supplémentaires entravant les échanges internationaux de manière significative.

En contrepartie, les États peuvent bénéficier de l'appui des ressources en santé publique internationale.

En application de son article 59, le RSI ainsi révisé est censé entrer en vigueur le 15 juin 2007.

Toutefois, une résolution adoptée par le conseil exécutif de l'OMS lors de sa réunion du 23 au 28 janvier 2006 invite les États-membres à anticiper, sur une base volontaire, l'application des dispositions précitées du RSI révisé. Cette résolution a été approuvée par la 59ème Assemblée mondiale de la Santé, dont la résolution WHA59.2 du 26 mai 2006 invite les États-membres « à appliquer immédiatement, sur une base volontaire, les dispositions du Règlement sanitaire international (2005) considérées comme pertinentes au regard du risque présenté par la grippe aviaire et la grippe pandémique ».

Cette application anticipée du RSI révisé semble de nature à renforcer les mécanismes de gestion de crise à l'échelon international.

d) Vers une culture de gestion de crise ?

Ainsi qu'il a été noté plus haut, le plan français comme le plan de l'OMS tirent les enseignements de la gestion des crises passées, qu'il s'agisse du SRAS ou de la canicule de 2003. En outre, le plan gouvernemental prévoit de mobiliser, dans le cadre de la réponse à une pandémie grippale, des dispositifs de gestion de crise élaborés pour répondre à d'autres crises. Tel est notamment le cas des « plans blancs » et des « plans blancs élargis », initialement développés pour faire face aux risques dits « NRBC » (nucléaire, radiologique, biologique ou chimique)60 .

Ainsi, le plan gouvernemental a-t-il bénéficié de l'expérience capitalisée au gré de crises successives. La gestion de crises futures pourrait également profiter des enseignements tirés de la préparation à la pandémie grippale.

●  La préparation à une pandémie grippale permet d'acculturer les structures administratives et sanitaires françaises aux techniques de gestion de crise.

L'effort national de préparation à une pandémie grippale tend à mobiliser les structures administratives et sanitaires françaises. Or, certaines des personnes auditionnées par la mission ont émis la crainte que cette mobilisation, faute de danger immédiat, ne s'essouffle au point que les structures administratives et sanitaires se laissent, paradoxalement, surprendre par une pandémie à laquelle elles se seraient préparées trop tôt. Ainsi, pour M. Pierre Fuentes, président de la Conférence des présidents de CME de CHU : « nous sommes un peu dans la situation du « Désert des Tartares » : après une période d'effervescence et une montée en tension, liées à l'hiver, à l'apparition de cas animaux ou humains de par le monde, rapportés par la presse ou les pouvoirs publics, le plan ayant été lancé et les beaux jours revenant, on a l'impression que la menace de grippe se dissipe [...]. D'où un risque d'essoufflement dans la mobilisation des énergies face à un risque potentiel, même si tous les spécialistes le jugent réel » 61 .

Pour le Rapporteur, malgré tout, l'actuel effort de mobilisation est indispensable, d'abord parce qu'elle aide à l'appropriation par tous, à commencer par les professionnels de santé, de l'idée de menace pandémique : les esprits, peu à peu, vont s'en imprégner jusqu'à réaliser que la pandémie est désormais un risque réel, de moins en moins théorique.

Ensuite, cette préparation constitue une expérience utile de gestion de crise : c'est, en effet, au gré de telles expériences que les structures administratives et sanitaires françaises se rôdent pour acquérir une véritable culture de gestion de crise. Il y a des mécanismes, des outils et des réflexes qui restent les mêmes d'une crise à l'autre, quelle que soit son origine (sanitaire, terroriste...).

●  Le dispositif français de gestion de crise pourrait être renforcé par l'institution de structures pérennes.

Le récent « Livre blanc du Gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme » estime que « notre organisation et nos moyens de gestion de crise doivent encore être renforcés ».

Actuellement, plusieurs ministères disposent de leur propre organisation et de leurs propres moyens de gestion de crise. Il n'existe pas de structure interministérielle de gestion de crise chargée de centraliser l'ensemble des moyens opérationnels existants, ou tout du moins de les faire fonctionner en réseau. C'est d'ailleurs pourquoi le « Livre blanc » précité recommande de « développer l'interopérabilité entre salles de crises, c'est-à-dire utiliser des outils de communication et de gestion de crise comparables, mutualisables et sécurisés ».

Une telle recommandation va effectivement dans le sens d'une plus grande cohérence des moyens de gestion de crise.

Mais, pour le Rapporteur, l'exigence de rapidité et d'efficacité dans la réponse impose d'aller plus loin : la visibilité et la dimension interministérielle du dispositif français de gestion de crise seraient mieux assurées si le Premier ministre avait à sa disposition une infrastructure permanente de gestion de crise. La mise en place d'une structure interministérielle unique, pérenne et spécifiquement dédiée à la gestion de crise - à l'image, par exemple, du Cabinet Office Briefing Room A (COBRA) britannique - permettrait d'améliorer les capacités de réaction des autorités françaises.

En outre, l'existence d'une telle structure simplifierait la gestion des crises. Dans le schéma actuel, si la décision devait être prise de transférer la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale d'un ministre à un autre, il y aurait rupture dans la gestion opérationnelle de la crise, dans la mesure où la cellule interministérielle de crise (CIC) s'appuie sur les services du ministre en charge des opérations. Au surplus, cette rupture interviendrait au moment où la crise atteindrait son paroxysme. L'existence d'une structure interministérielle de gestion de grise permettrait d'éviter ces inconvénients.

  En appelant les citoyens à un effort de solidarité en cas de pandémie, le plan gouvernemental tend à augmenter les capacités de résistance de la société française aux crises de toute nature.

Il ressort des auditions de la mission qu'une pandémie grippale pourrait constituer non seulement une crise sanitaire majeure mais également une difficile épreuve pour notre cohésion sociale. Certaines des personnes entendues ont, en effet, émis la crainte que des comportements individualistes ne prennent alors le pas sur l'exigence de solidarité.

Le plan gouvernemental mise, pour sa part, sur « une organisation de proximité appuyée sur la solidarité de voisinage » car la mise en œuvre, sur le terrain, d'un certain nombre des mesures qu'il comporte ne sera possible que moyennant un effort de solidarité de la part de tous.

Tel serait, par exemple, le cas de la fermeture des crèches, des établissements d'enseignement et de formation et des internats (mesure bar 02). M. Gilles de Robien62  a ainsi fait observer à la mission : « il est prévu de faire jouer au maximum ce que j'appelle le principe de solidarité, pour assurer la prise en charge de la garde des plus jeunes enfants. Il faudra faire appel à la solidarité familiale - frères et sœurs aînés, grands-parents - à la solidarité de voisinage et à celle des amis ». Il en irait de même pour les mesures tendant à maintenir les personnes à leur domicile : s'agissant de personnes vulnérables, il faut prévoir un dispositif d'assistance à la vie courante. C'est pourquoi la mesure mtn 38 du plan prévoit des « actions de solidarité de voisinage au profit de personnes isolées ou dépendantes, ou de familles maintenues à domicile pour soigner un ou plusieurs malades ».

Plus encore que la solidarité, le plan mise sur les citoyens pour prêter main forte si nécessaire aux pouvoirs publics. Ainsi, la mesure mtn 39 prévoit un « Recours au bénévolat », en se fondant « autant que possible » - mais pas exclusivement - « sur les structures associatives existantes ». Il est précisé que les bénévoles se verraient appliquer le « statut de collaborateur occasionnel du service public ». De telles actions de solidarité seraient de nature à conforter la cohésion sociale en temps de crise.

Pour susciter et pour encadrer sur le terrain de telles actions de solidarité, le plan compte sur les collectivités territoriales. À cet égard, la mesure mtn 38 précitée confie à ces collectivités la « mise en œuvre, [l']incitation et [l']encadrement » de ces actions.

Ainsi, si, comme le Rapporteur l'a souligné plus haut, la mobilisation des structures administratives et sanitaires en vue d'une pandémie grippale contribue à développer au sein de ces structures une culture de gestion de crise, il en va de même au sein de la population : la préparation d'une pandémie grippale pourrait augmenter les capacités de résistance de la société française aux crises de toute nature. C'est le point de vue développé devant la mission par M. Pierre Costes63, président de MG France (fédération française des médecins généralistes) : « lors d'une vraie catastrophe, plus personne ne commande, tout le monde agit, mais suivant des protocoles appris à l'avance. Lorsqu'il y a un incendie dans une maison, c'est le niveau de conscience générale et la connaissance de comportements de base adaptés qui contribueront à améliorer les chances de survie. En cas de pandémie, l'éducation populaire et préalable aux mesures barrières sera très importante et très efficace ».

2. Préparer le déploiement de « mesures barrières »

Le plan prévoit l'emploi de masques respiratoires, de médicaments antiviraux et de vaccins, autant de « mesures barrières » qui visent à freiner la propagation du virus pandémique. Le plan de l'OMS explique en effet que « Même si elle ne permet pas de contenir la propagation, cette approche doit permettre de gagner du temps pour mettre au point des vaccins contre la nouvelle souche ». Et, pour le ministre de la santé, M. Xavier Bertrand, « l'objectif est de gagner du temps et de retarder au maximum la propagation du virus »64 .

a) Le plan prévoit de généraliser le port de masques respiratoires pour freiner la propagation d'un virus pandémique et protéger les professionnels de santé

De l'avis général, et comme l'a rappelé M. Xavier Bertrand65 , les masques constituent « la mesure barrière la plus efficace tant pour limiter la propagation de l'épidémie que pour protéger les professionnels en contact avec les malades ». M. Didier Houssin a également cité devant la mission66  des travaux scientifiques qui tendraient à montrer que le port de masques à Hong Kong durant l'épidémie de SRAS a entraîné une diminution significative du nombre d'affections respiratoires, alors même qu'il s'agissait de simples masques en tissu, « plus rudimentaires » que les masques FFP2.

●  Différents types de masques seraient utilisés en fonction du degré de risque encouru par chacun.

Deux types de masques pourraient être utilisés : des masques filtrants de type FFP2 et des masques dits « anti-projections » ou « chirurgicaux »67 . M. Xavier Bertrand a précisé que les masques FFP2 seraient attribués en priorité aux « acteurs en contact avec les malades »68  (voir sur ce point l'encadré ci-dessous).

Les modalités d'utilisation des masques respiratoires
en fonction de l'exposition des personnes au virus

Cas

Niveaux d'équipement

Malades

Cas possibles ou confirmés

- Masque anti-projections

Activités de type familial

Personnes vivant dans l'entourage immédiat d'un cas possible ou confirmé et contribuant à ses soins

- Masque anti-projections

Activités de vie collective

Personnes se rendant dans des lieux publics

- Masque anti-projections ou masque grand public

Personnes se déplaçant en transport en commun pour se rendre au travail ou pour des activités professionnelles

- Masque anti-projections ou masque grand public

Activités de type professionnel

Les intervenants peuvent être ou sont exposés régulièrement au public

- Masque FFP2

Les intervenants peuvent être ou sont exposés (régulièrement) à des cas possibles ou confirmés

- Masque FFP2

- Gants de protection

Les intervenants peuvent être ou sont en contact étroit avec des cas possibles ou confirmés ou avec des prélèvements issus de tels cas

- Masque FFP2

- Gants de protection

- Lunettes de protection

- Vêtements de protection

Source : fiche technique C.4 « mesures barrières sanitaires »

Quant aux masques chirurgicaux, la fiche technique G.4 indique qu'ils « seront distribués gratuitement aux malades et à leurs familles (par boîte de 50 unités) ». M. Didier Houssin a souligné leur « vocation « altruiste » : ils servent surtout à limiter l'émission de particules virales par le malade. Le plan prévoyant le maintien du maximum de personnes à domicile en phase pandémique, l'emploi des masques est particulièrement important pour protéger les proches des malades.

Pour le public, la fiche G.4 indique que « différents types de masques sont en vente dans le commerce ». En outre, M. Xavier Bertrand69  a indiqué qu'il faisait « tester le plus rapidement possible » par le laboratoire de la direction générale de l'armement un nouveau type de masque en tissu, réutilisable, « destiné au grand public ». Il a précisé que si ces tests sont positifs, un stock national de ce type de masques pourrait être constitué « non pas à la place des masques FFP2 ou chirurgicaux, mais bel et bien en complément des stocks déjà constitués (...) ne serait-ce que dans un but psychologique ».

●  La constitution de stocks de masques respiratoires est largement avancée.

Le Ministre de la santé a indiqué à la mission que son ministère disposait d'ores et déjà de 125 millions de masques FFP2 et d'autant de masques chirurgicaux.

S'agissant des masques FFP2, il a rappelé que son ministère avait commandé « 285 millions de masques FFP2 pour les professionnels de santé, libéraux et hospitaliers, ce qui correspond à une moyenne de trois masques par jour pendant quatre-vingt-dix jours pour un million de personnels de santé », prévoyant que dès le mois de mai 2006, 200 millions de masques FFP2 seraient en stock. Il a ajouté que le gouvernement envisageait d'« aller au-delà du chiffre de 285 millions ».

Quant aux masques chirurgicaux, il a indiqué que son ministère avait prévu initialement de disposer de 500 millions d'unités en fin d'année 2006. Toutefois, selon lui, le rythme de progression de ce stock devrait permettre de dépasser ce nombre, afin de pouvoir faire face à des situations particulières, comme, par exemple, dans les familles où les petits enfants ne supporteraient pas le port de masques, en raison de leur âge ou de la gêne occasionnée : ce serait alors aux autres membres de la famille d'en porter.

●  L'approvisionnement national en masques respiratoires est sécurisé

Pour ne pas dépendre d'un approvisionnement extérieur qui pourrait devenir incertain en cas de pandémie, le gouvernement a souhaité favoriser la production de masques sur le territoire national. L'État a signé à cette fin des protocoles avec cinq entreprises pour la fabrication, en France, de masques FFP2, entre 2006 et 2008, sur la base de commandes minimales, à prix négocié, pour 550 millions d'unité. Pour le Ministre70  : « Nous sommes le seul pays en Europe à disposer de telles capacités ».

Soulignant qu'« après la constitution du stock national, il nous faudra prévoir un renouvellement tous les trois ans » du fait de la péremption des masques, M. Xavier Bertrand a indiqué qu'il avait d'ores et déjà « rencontré les industriels pour préciser les conditions de la pérennisation de cette production de masques ».

Le tome I du présent rapport avait relayé les inquiétudes de certains fabricants de masques sur leur approvisionnement en matières premières. M. Xavier Bertrand a rappelé que les quantités de matières premières nécessaires pour fabriquer 650 millions de masques représentaient 0,1 % de la production mondiale pour le spun et 2 % pour le meltblown71. Selon lui, « nous ne sommes pas en situation de pénurie ».

Il a toutefois indiqué qu'à toutes fins utiles, les protocoles signés entre l'État et les cinq entreprises retenues obligent ces dernières à sécuriser leurs approvisionnements. Ces protocoles leur imposent en effet d'organiser leurs filières d'approvisionnement par des accords de fourniture avec des entreprises françaises ou européennes et de constituer des stocks de matière première correspondant à huit à douze semaines de production. Il a ajouté que « ces mesures font l'objet de vérifications directes sur les lieux de production », comme par exemple « chez Maco-Pharma, qui a débuté sa production en début d'année, et où Didier Houssin s'est rendu en personne ».

  En cas de besoin, la distribution des masques respiratoires sera rapide et gratuite.

M. Xavier Bertrand a indiqué à la mission72  que le stock national de masques était actuellement réparti sur tout le territoire dans plus de 750 sites ou établissements de soins, en fonction du nombre de passages aux urgences, ainsi que dans quelques réserves centralisées. Il a précisé : « Ce stock peut être libéré en quelques heures pour équiper les personnels hospitaliers et les professionnels de santé libéraux », ajoutant que ces derniers devaient prochainement être recensés par les préfets. Il a aussi annoncé que « Dans les mois qui viennent, nous mettrons un certain nombre de masques FFP2 directement à la disposition des professionnels libéraux ».

Le plan prévoit une distribution progressive des masques stockés par l'État. Ainsi, M. Xavier Bertrand a expliqué à la mission que ces masques seraient mis gratuitement à la disposition des professionnels de santé dès que « seraient identifiés des foyers de transmission inter-humaine limitée en France, autrement dit en situation 4B », mais pas dès maintenant. Il est toutefois à noter que le kit d'information précité destiné aux professionnels de santé comprend un masque chirurgical et un masque FFP2.

Le ministre a précisé qu'« En cas de pandémie avérée, c'est-à-dire en situation 5B ou 6, la distribution des masques, notamment chirurgicaux, serait évidemment généralisée sur l'ensemble du territoire ».

b) Le plan prévoit la constitution de stocks d'antiviraux à des fins curatives mais ne prévoit pas expressément leur utilisation prophylactique

Comme le rapporteur l'a expliqué dans le tome I du présent rapport -« Menace de pandémie grippale : préparer les moyens médicaux » - l'utilisation d'antiviraux permet de réduire la multiplication du virus et, par conséquent sa capacité de propagation. Les deux principaux antiviraux sont le Tamiflu et le Relenza73 .

Le chapitre VI du plan « Aperçu sur les moyens de protection et les produits de santé » prévoit que « Le ministère de la santé assure la disponibilité des stocks nécessaires au traitement de l'ensemble des malades ». Selon une estimation de l'Institut national de veille sanitaire, rappelée par la fiche technique C.5 « Stratégie et modalités d'utilisation des antiviraux », le nombre de malades varierait entre 9 et 21 millions selon le taux d'attaque de la maladie. Cette fiche rappelle également que l'OMS recommande de constituer un stock de Tamiflu permettant de traiter 25 % de la population nationale.

●  La constitution d'un stock national d'antiviraux, pré-positionné en plusieurs endroits du territoire national, est en bonne voie.

M. Xavier Bertrand a précisé à la mission74  que l'État disposait de 13,8 millions de traitements de Tamiflu® et 200 000 de Relenza®, ajoutant que l'État avait passé une commande supplémentaire de 10 millions de traitements de Tamiflu®, disponibles dès janvier 2007, c'est-à-dire « avec plusieurs mois d'avance sur les prévisions ». Il a souligné qu'il était souhaitable d'aller ainsi au-delà du seuil de 25 % recommandé par l'OMS, au cas où le virus pandémique se révélerait particulièrement virulent et nécessiterait une augmentation de la posologie habituelle de Tamiflu®.

Il a indiqué que ce stock était pré-positionné dans treize hôpitaux répartis sur tout le territoire et que « les dispositions nécessaires ont été prises pour les zones du territoire qui sont éloignées géographiquement de ces centres », faisant notamment mention de la Corse et des collectivités d'outre-mer. Des stocks ont également été constitués dans les postes diplomatiques français en Asie, en Afrique, en Europe de l'Est et au Moyen-Orient. De plus, a annoncé le Ministre, dès la situation 4A, « par anticipation du passage en situation 4 B, nous pré-positionnerions immédiatement un stock de traitements antiviraux chez les grossistes répartiteurs, qui livreraient par la suite les pharmacies d'officine des zones touchées en situation 4B ».

Il est à noter que le chapitre VI du plan prévoit que les antiviraux seront délivrés gratuitement sur prescription médicale.

●  Une doctrine d'emploi pas encore fixée.

La fiche C.5 recommande d'administrer ces antiviraux le plus tôt possible après un risque de contamination. Cependant, M. Xavier Bertrand a cité devant la mission des « études, encore parcellaires, des laboratoires Roche » d'après lesquelles « il semblerait que des patients mis sous Tamiflu® seulement le quatrième jour aient pu être sauvés ».

La fiche technique renvoie à des instructions du ministre chargé de la santé pour la définition des cas dans lesquels les antiviraux pourraient être administrés en prophylaxie « au vu des caractéristiques du virus, des données épidémiologiques disponibles, de l'efficacité des traitements et des quantités disponibles d'antiviraux ».

On peut supposer que les antiviraux seraient administrés à titre préventif aux personnes les plus exposées, à commencer par les personnels de santé (cf. infra Partie II). Mais, sur ce point, le plan ne fournit aucune indication ni, non plus, sur les autres bénéficiaires éventuels d'un traitement prophylactique. Il faut bien admettre que le sujet n'est pas simple, renvoyant à des considérations de nature presque éthique, dès lors qu'il n'est pas envisageable de traiter préventivement l'ensemble de la population française et, ce, pendant plusieurs semaines de suite. Des choix devront inévitablement être faits par les autorités ministérielles compétentes, au regard de critères qu'il leur appartiendra de fixer mais qui devront impérativement être expliqués aux Français pour éviter, autant que faire se peut, des réactions d'incompréhension, voire de colère.

●  L'approvisionnement national en médicaments antiviraux est en voie d'être sécurisé.

Le tome I du présent rapport faisait état d'incertitudes sur la disponibilité de certaines matières premières nécessaires à l'élaboration du Tamiflu®, notamment la badiane produite en Chine et dont est extrait l'acide shikimique. Cependant, le laboratoire Roche a développé une méthode de production d'un acide shikimique de synthèse. M. Xavier Bertrand a indiqué à la mission75  qu'un accord récemment signé entre le laboratoire Roche et la société Sanofi-Aventis confiait à cette dernière la production de cet acide de synthèse et que cette production serait entreprise sur le territoire français. Les représentants de roche font d'ailleurs savoir que, désormais, la majeure partie de l'acide shikimique utilisé est obtenue par ce procédé.

Le ministre a souligné par ailleurs que « les capacités de production de Roche ne sont pas couvertes par les réservations », relevant que quinze jours avant son audition, « 80 millions de traitements étaient disponibles pour des commandes ». Il est par ailleurs à noter que ces capacités ont été multipliées par 20 depuis 2003 et devraient atteindre 400 millions de traitements pour l'année 2007. Aussi, le Ministre a-t-il souligné que « contrairement à ce que laissent entendre certains milieux, Roche se déclare totalement capable de produire et de satisfaire toutes les commandes ».

●  Un manque de transparence entre les pays européens quant au niveau des stocks d'antiviraux constitués par chacun

Regrettant qu'en matière de stocks d'antiviraux, « il est impossible de savoir exactement qui a quoi », M. Xavier Bertrand a estimé que « certains [États] pourraient, en cas de pandémie, dire que, finalement, ils n'ont pas de stocks et demanderaient à être aidés »76 . Pour éviter de telles demandes reconventionnelles, il a rappelé que « Le plan français repose sur une logique d'anticipation » et émit le souhait « que l'ensemble des pays européens adopte la même logique ».

c) Le gouvernement anticipe la vaccination de l'ensemble de la population

Plusieurs types de vaccins peuvent être utilisés. Le plan en énumère quatre :

- « les vaccins contre les virus de grippe saisonnière qui, en l'état actuel des connaissances, n'auraient pas d'efficacité contre le virus pandémique » ;

- « le vaccin contre le virus aviaire H5N1 », dit aussi « vaccin pré-pandémique » ;

- « le vaccin contre le virus pandémique » ;

- « le vaccin anti-pneumococcique, qui n'a pas vocation à remplacer le vaccin contre le virus pandémique mais peut aider à protéger les personnes vulnérables contre certaines complications bactériennes de la grippe ».

●  Le gouvernement a passé commande de 2,5 millions de doses de vaccin contre le virus aviaire H5N1.

M. Didier Houssin a indiqué à la mission77 que la France avait lancé un appel d'offres européen et passé un marché avec Chiron et Sanofi-Pasteur pour un total de 2,5 millions de doses de vaccin H5N1, dit aussi « vaccin pré-pandémique ».

Le plan qualifie d'« incertaine » l'efficacité d'un tel vaccin. Cependant, M. Didier Houssin a expliqué à la mission que « Ce marché était avant tout destiné à mobiliser l'industrie et à l'amener à démontrer sa capacité à produire rapidement un vaccin d'un type nouveau ».

De plus, certains experts estiment qu'un vaccin pré-pandémique doté d'adjuvants adéquats pourrait avoir une certaine efficacité contre un virus pandémique issu du virus aviaire H5N1 et pourraient donc être administrés en préalable à un vaccin pandémique. Cette hypothèse fait l'objet d'études qui devraient être oubliées à l'automne 2006, au vu desquelles il conviendra peut-être de réévaluer la stratégie vaccinale prévue par le plan.

●  60 à 63 millions de doses du futur vaccin contre le virus pandémique devraient être fournies à l'État

Le plan indique qu'un vaccin contre le virus pandémique « sera destiné à assurer la protection de l'ensemble de la population » mais qu'il « ne pourra être développé qu'une fois le virus isolé et ne sera disponible que plusieurs mois plus tard ».

Selon M. Didier Houssin, l'État a d'ores et déjà passé commande pour ce futur vaccin « dans les conditions particulières dites de « sleeping contract » - les fabricants ne livreront le vaccin que le jour où, le virus ayant été isolé, le vaccin pourra être produit ». Ainsi, 12 millions de doses ont été commandées à Chiron et 28 millions à Sanofi-Pasteur. M. Xavier Bertrand78 a ajouté qu'un appel d'offres complémentaire vise à porter le stock national de vaccin pandémique à 60 ou 63 millions de doses.

●  La production du vaccin pandémique devrait être sécurisée face au risque de pénurie d'oeufs

Les souches vaccinales grippales étant cultivées sur des œufs embryonnés, l'approvisionnement en œufs est primordial mais menacé si le virus H5N1 devait décimer les élevages de poules pondeuses.

C'est pourquoi, a indiqué le Ministre à la mission, les cahiers des charges élaborés en vue de la passation des marchés précités comportent-ils « des mesures propres à sécuriser les approvisionnements en œufs dès le stade des couvoirs et des élevages de poulettes pondeuses ».

Par ailleurs, les techniques de production de vaccins pourraient évoluer, des perspectives « intéressantes », selon le Ministre, semblant se dessiner avec l'expérimentation de culture cellulaire des souches vaccinales. Ce procédé biotechnologique n'est toutefois pas encore opérationnel et ne le sera pas avant un certain temps. À plus court terme, c'est plutôt vers les recherches sur l'utilisation d'adjuvants facilitant la culture des souches vaccinales que les espoirs sont tournés. M. Xavier Bertrand s'est félicité devant la mission de la constitution d'un « partenariat [...] entre les entreprises privées du secteur sur cette question, qui ont parfaitement intégré l'enjeu de santé publique ».

3. Assurer la continuité de services essentiels

M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a présenté79  devant la mission « les grands principes retenus au niveau gouvernemental » pour assurer la continuité des activités économiques et sociales en phase pandémique : « la limitation des déplacements, l'interdiction des regroupements et, d'une manière plus générale, l'interruption d'activités non essentielles au maintien des fonctions vitales de la Nation ».

Le plan applique ces principes généraux à chacune de ces activités essentielles, selon des modalités résultant d'un compromis entre, d'une part, les précautions nécessaires pour éviter la propagation du virus et, d'autre part, la nécessaire continuité des activités concernées.

Ainsi, le plan prévoit la poursuite de certaines activités en mode dégradé pendant la phase de pandémie : c'est notamment le cas des activités de transport. Pour d'autres secteurs, comme l'enseignement, il prévoit au contraire un arrêt précoce de l'activité, compensé, le cas échéant, par un recours accru aux nouvelles technologies de l'information et de la communication pour un enseignement à distance. Enfin, le plan laisse à chaque entreprise le soin de décider elle-même des modalités de poursuite ou d'interruption de son activité.

a) Le plan vise à maintenir en activité les transports collectifs, moyennant des aménagements à leur organisation habituelle

●  En phase pré-pandémique, le plan invite les opérateurs de services de transports collectifs à mettre en place des « plans de continuité ».

La fiche G.6 « Dispositions relatives aux transports collectifs » précise que ces « plans de continuité » doivent définir, en liaison avec les autorités organisatrices des services de transport terrestre concernés, « un service répondant aux besoins de continuité de la vie sociale et économique en situation 4B » ainsi qu'un « service minimum » permettant de répondre aux exigences de sécurité en situation 5B. Cette fiche précise également qu'en matière de transports aériens, « Les opérateurs, transporteurs et aéroports, sont invités à préparer un plan de fonctionnement de leurs services dans les situations 4, 5 et 6 ».

D'après les renseignements fournis au Rapporteur par le ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, les principaux opérateurs de transport français ont déjà élaboré leur plan. Tel est le cas, notamment, de la SNCF, de la RATP, d'Air France et d'Aéroports de Paris. Météo France, dont l'activité est indispensable au trafic aérien, a également mis en place un plan de continuité. Les services compétents80  du ministère précité organisent d'ailleurs des réunions de sensibilisation des opérateurs de transport.

S'agissant des transports aériens, la fiche G.6prévoit qu'« A partir de la situation 4A, le Premier ministre, ou le ministre chargé de la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale, peut décider d'interrompre certains vols en fonction de la situation référencée par l'Organisation mondiale de la santé dans le pays d'origine et dans le pays de destination de ces vols » et après concertation avec les États-membres de l'Union européenne. Elle prévoit la même possibilité pour « les liaisons maritimes en provenance ou à destination de l'étranger et/ou des collectivités territoriales d'outre-mer ».

Enfin, un effort d'information et de sensibilisation des voyageurs a d'ores et déjà été entrepris. Des documents d'informations ont été distribués dès le mois de juin 2005 dans les principaux aéroports nationaux.

●  Sans continuité des transports collectifs, la poursuite de toute autre activité paraît compromise.

Il va de soi que les transports collectifs constituent une activité indispensable pour l'acheminement des salariés vers leurs lieux de travail. S'ils devaient être interrompus ou, du moins très réduits, l'activité des entreprises et des administrations risquerait d'être sérieusement entravée. Les conséquences d'une telle interruption seraient particulièrement lourdes pour le fonctionnement des établissements hospitaliers, à un moment où ils auraient à accueillir de très nombreux malades.

Il serait donc souhaitable que les plans de continuité intègrent cette donnée. La Ville de Paris a, pour sa part, déjà envisagé le problème puisque, d'après M. Pierre Guinot-Deléry, elle a « prévu de pouvoir, le cas échéant, acheminer nos fonctionnaires par [ses] propres moyens sur leur lieu de travail, et aussi de les héberger dans des gymnases et des écoles pour limiter les allées et venues et, avec elles, les risques de contamination 81 ».

●  En phase pandémique, le gouvernement privilégie la poursuite du trafic moyennant des mesures de protection particulières.

La fiche G.6 indique qu'en situation 6 du plan - ou en situations 4B ou 5B pour les régions touchées - le Premier ministre, ou le ministre chargé de la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale, peut décider d'aménager ou d'interrompre les services de transports collectifs terrestres « afin de limiter les risques de propagation de la pandémie tout en veillant au maintien de la continuité de la vie économique et sociale ».

Cette fiche prévoit également que dès la situation 4B, les opérateurs peuvent prendre des mesures de limitation d'accès aux services de transport, en imposant notamment le port de masques. Elle leur fait également obligation de mettre leurs systèmes d'information à disposition des voyageurs, « de manière à permettre une information précise sur la situation et sur les services disponibles ».

Elle précise enfin qu'en cas d'interruption du trafic, les opérateurs doivent prendre « les dispositions d'entretien, de maintenance et de sécurité nécessaires pour préparer la reprise de leurs services le moment venu ».

Sauf interruption très précoce de leur activité, les principaux aéroports français devront prendre très tôt des mesures particulières de repérage, d'isolation et, le cas échéant, de mise en quarantaine des voyageurs malades. Certains experts indiquent qu'à cette fin, le ministère de la santé et des solidarités et la société Aéroports de Paris testent actuellement un dispositif de repérage par caméra thermique des voyageurs souffrant de fièvre.

M. Didier Houssin a néanmoins déclaré à la mission82  que « tout sera fait pour que les transports, y compris les transports en commun dans les grandes agglomérations, continuent à fonctionner », même si, a-t-il ajouté, « le port du masque y sera sans doute obligatoire et les horaires aménagés compte tenu du degré d'absentéisme des agents des transports ».

b) Le plan prévoit, en cas de pandémie, la fermeture des établissements d'enseignements, compensée par un dispositif de continuité pédagogique

●  En phase pré-pandémique, le plan prévoit des mesures visant à préparer les établissements d'enseignement à une pandémie grippale.

La première de ces mesures consiste à améliorer l'information des enseignants sur les virus grippaux. M. Gilles de Robien a ainsi indiqué devant la mission83 qu'« une information, appuyée sur des documents de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé, sera prochainement diffusée à tous les enseignants du primaire et du secondaire ainsi qu'à tous les personnels de santé ». Cette information porterait sur le mode de transmission du virus et sur les mesures d'hygiène standard à mettre en œuvre en cas de déclaration de maladies contagieuses comme notamment le lavage des mains, l'aération des pièces et l'isolement des malades. M. Gilles de Robien a par ailleurs évoqué l'idée « que le ministère de l'éducation nationale émette une recommandation pour améliorer les installations [sanitaires des établissements scolaires] qui ne seraient pas aux normes ou pourraient être des lieux de contamination ».

Plusieurs membres de la mission ont fait remarquer que la préparation à la pandémie était sans doute une occasion à saisir pour rappeler aux élèves les règles élémentaires d'hygiène, à commencer par le lavage des mains, et les inciter à les appliquer dans leur établissement.

Le plan prévoit également que chaque établissement scolaire devra élaborer une « fiche de continuité » qui recense les personnels nécessaires au fonctionnement du service en mode réduit, en prévision du passage en phase pandémique. Selon M. Gilles de Robien, ils peuvent être regroupés « en trois catégories :

- les personnels indispensables, qui devront rester présents sur le site ;

- les personnels mobilisables, qui devront rester disponibles en permanence à leur domicile pour apporter, le cas échéant, un renfort ponctuel ou assurer le remplacement de personnes indispensables ;

- les personnels qui resteront en réserve, à leur domicile ».

La fiche technique G.6 « gestion du service public de l'enseignement » précise que chaque « fiche de continuité » déterminera également les locaux dont l'utilisation pourrait s'avérer indispensable pendant la phase de pandémie.

En outre, les dispositifs de « continuité pédagogiques » mis en œuvre en phase pandémique doivent être préparés dès la phase pré-pandémique. D'après les informations fournies à la mission par M. Gilles de Robien, les établissements d'enseignement secondaire doivent recenser, en accord avec les personnels et les élèves, le numéro de téléphone et les adresses électroniques des familles. S'agissant des établissements d'enseignement supérieur, le ministre a indiqué à la mission qu'ils « sont invités à prévoir une possibilité de contacts entre les équipes pédagogiques et les étudiants  (et à) recenser dès maintenant toutes les ressources pédagogiques disponibles -notamment en ligne (...). Les équipes pédagogiques de chaque formation de diplôme seront responsables de la diffusion de ces informations à leurs étudiants ». Les établissements sont également appelés à collecter les adresses électroniques personnelles des étudiants et à demander ces adresses dans les documents d'inscription de la prochaine rentrée universitaire.

●  En phase pandémique, le plan prévoit la fermeture des établissements d'enseignement, compensée par un dispositif de continuité pédagogique.

La fiche G.6 indique qu'en phase pandémique, le ministre chargé de la santé pourra décider la fermeture des établissements d'enseignement. Elle rappelle en effet que « Des études réalisées aux États-Unis, en Israël et en Nouvelle-Zélande à l'occasion de pandémies grippales antérieures ont démontré qu'il existait une nette corrélation de l'extension de l'épidémie avec l'ouverture ou la fermeture des écoles ».

M. Gilles de Robien a précisé devant la mission que les décisions de fermeture s'étendraient à « tous les lieux de formation et installations sportives annexées, de la maternelle à l'enseignement supérieur, sans distinction des niveaux d'enseignement ».

Pour la garde des enfants les plus jeunes à la maison, la fiche G.6 invite à faire appel à la « solidarité familiale ou de voisinage ».

Par exception à la mesure générale de fermeture des établissements d'enseignement, M. Gilles de Robien a indiqué que « Les présidents d'université, les directeurs d'organismes de recherche, pourront décider de la poursuite d'activités de certains laboratoires de recherche ». Les personnels indispensables au fonctionnement de ces laboratoires se verraient équipés de masques FFP2. Le ministre a d'ailleurs déclaré que ses services en avaient commandé 17 millions, « qui seront livrés entre mai et juillet 2006 dans tous les rectorats ». Pour ce qui est des établissements de recherche indépendants des établissements d'enseignement, comme le CNRS (centre national de la recherche scientifique), M. Gilles de Robien a fait état de la diffusion récente d'une instruction ministérielle tendant à « sensibiliser les directeurs des laboratoires de recherche de ces organismes pour qu'ils complètent leur plan de continuité et qu'ils élaborent des fiches de procédure pour chaque laboratoire ». Pour les établissements dont l'activité doit être maintenue, il a indiqué que des réflexions étaient en cours pour fixer les mesures de protection adéquates. Il a notamment évoqué le port de masques ainsi que des mesures de quarantaine pour une durée « de l'ordre de dix jours ».

Pour le cas où les établissements d'enseignement seraient fermés, la fiche G.6 prévoit qu'« il faudra s'efforcer d'assurer une continuité pédagogique, grâce à l'Internet et, si possible, par la radio et la télévision ». Elle précise qu'« un ou deux enseignants « référents » assureront des permanences légères dans chaque établissement [pour servir] d'intermédiaire, par Internet ou par téléphone, entre les élèves et leurs enseignants ». Selon M. Gilles de Robien, le dispositif de continuité pédagogique vise « à maintenir chez les élèves les connaissances déjà acquises, le goût des études, une certaine envie de savoir et d'apprendre ».

Au niveau national, il est prévu de diffuser, sur France 5 et France Culture, des émissions de nature pédagogique. M. Gilles de Robien a précisé qu'une première programmation avait déjà été élaborée, organisée en modules qui proviennent des fonds des grands opérateurs comme le centre national de documentation pédagogique (CNDP) et du centre national d'enseignement à distance (CNED). Cette programmation « correspond à une durée quotidienne totale de cinq heures et demie pour France 5, de six heures pour France-Culture. Cela correspond à un total hebdomadaire de près de 60 heures d'émission, entre 8 heures et 12 heures et entre 14 heures et 17 heures 50  (...). Pour certaines disciplines, faute de ressources suffisantes, la production de ressources nouvelles a été lancée. Chaque module porte sur une durée d'environ trente minutes, par référence aux productions existantes et s'ordonne selon des priorités pédagogiques bien définies à cette fin par l'Inspection générale de l'éducation nationale ».

S'agissant de la répartition du temps d'antenne, le Ministre a apporté les précisions suivantes : « La répartition du temps entre l'école, le collège et le lycée a été faite sur la base de trois tiers, avec, à chaque niveau, la répartition suivante : pour l'école, parité entre les cycles 2 et 3 ; pour le collège, un quart de mathématiques, sciences et technologie, un quart de français, un quart d'histoire-géographie, arts et éducation civique, et un quart de langues vivantes - anglais, allemand, espagnol ; pour le lycée, un cinquième de maths, un cinquième de français et philo, un cinquième de SVT, physique et chimie, un cinquième d'histoire-géographie, arts, économie et gestion, et un cinquième de langues ».

En tout état de cause, selon lui, « Cette première programmation permettra d'en préparer une seconde, et ainsi de suite, par mois glissant ».

Cette action serait relayée au niveau local, où, selon le ministre, « les rectorats, les inspections d'académie et les établissements d'enseignement seront invités à mettre en œuvre toute action permettant de compléter l'offre nationale [et] de favoriser le maintien des échanges informatiques et téléphoniques entre les enseignants et leurs élèves ».

Dans les établissements fermés, la fiche G.6, prévoit qu'« une permanence permettra d'assurer les fonctions vitales suivantes, liées à la sécurité des biens et des personnes : direction et communication, logistique matérielle, maintenance des réseaux et fonctions financières ». M. Gilles de Robien a expliqué que cette permanence « sera assurée par un nombre restreint de personnels, dont le volume résultera d'un compromis entre la nécessaire continuité du service public et le principe de précaution », précisant que « le télétravail pourra se substituer au travail sur site ». Selon ses déclarations, l'organisation de permanences concernera au premier chef les personnels logés sur place, ensuite ceux habitant à proximité de leur lieu de travail dès lors que leur fonction est identifiée comme devant être maintenue.

Il a en outre insisté sur le fait que « Le volontariat sera privilégié ». Il s'est dit « sûr que, même sur la base de l'incitation, du volontariat, les professeurs se mobiliseront comme ils savent le faire dans des circonstances exceptionnelles ». Il a d'ailleurs souligné que « la base du volontariat a [...] bien réussi pour le remplacement des professeurs absents sur une courte durée » mais n'a pas exclu que « Si tel n'était pas le cas, nous pourrions adopter une solution de rattrapage, basée sur l'obligation ».

●  En fonction de la date à laquelle surviendrait la pandémie, l'organisation des examens et des concours serait adaptée aux circonstances.

Le plan ne fixe pas de règles quant à la tenue des examens et concours en situation pandémique. La fiche G.6 indique simplement que « Différents scénarii sont élaborés par le ministère en fonction de la date d'apparition de la pandémie et de l'effectivité des programmes étudiés », évoquant un éventuel « report d'examen [...] avec ou sans aménagement des épreuves écrites, orales ou pratiques ». En tout état de cause, les examens et concours étant organisés selon un calendrier précis, l'impact d'une pandémie grippale sur leur organisation dépendrait de la date à laquelle elle surviendrait.

M. Gilles de Robien a présenté à la mission les principaux scenarii envisagés, s'agissant de la tenue des examens et concours : « Pour les examens professionnels, l'évaluation devra se dérouler sous la forme d'une épreuve ponctuelle terminale. Pour le brevet des collèges, on envisage de délivrer le diplôme uniquement à partir du livret scolaire. Pour le baccalauréat, la solution retenue sera variable et fonction du moment de la déclaration de la pandémie ; [...] plusieurs hypothèses ont été envisagées : une seule session en septembre, une session allégée en juin avec rattrapage en septembre, voire un diplôme délivré à partir des seules épreuves écrites ou des seules épreuves orales ».

S'agissant des examens universitaires, si le début de la pandémie se situe en début de semestre, « on envisagera des modalités de contrôle des connaissances pouvant se substituer à l'examen final, avec un travail personnel réalisé par chaque étudiant, ou encore des épreuves via Internet, dont il faudra étudier la faisabilité ». Si le début de la pandémie survient en fin de semestre, alors que 70 à 80 % des cours auront été assurés, « les notes déjà acquises par l'étudiant pourront servir de base à la délivrance des crédits ECTS - European Credit Transfer System - et du diplôme (...). Une session de rattrapage pourra être organisée en sortie de crise ».

S'agissant du recrutement des personnels de l'Education nationale, le ministère envisage d'adapter l'organisation de ses concours au contexte pandémique. Le ministre a indiqué à la mission que, s'agissant des concours de recrutement du second degré, « Le nombre de personnes concernées et les déplacements induits conduiront, en cas de pandémie, à interrompre le processus ». Les opérations de concours pourraient alors être « décalées ». Dans le cas contraire, « des solutions plus radicales seraient envisagées, qui pourraient concerner tous les recrutements de la fonction publique »84 .

S'agissant des concours de recrutement des grandes écoles, le ministre a évoqué un « regroupement des écoles dans des concours communs » ainsi qu'un « allègement du nombre d'épreuves ». Une autre solution possible consisterait à décaler de quelques semaines les épreuves et l'accès en première année.

Pour le Ministre, « Le seul vrai problème qui peut se poser est celui de l'examen professionnel du principalat dans le corps des attachés d'administration centrale ». Relevant que pour le ministère de l'éducation nationale, il ne comporte qu'une épreuve orale, il a déclaré que son ministère « s'alignera sur la doctrine qui sera retenue par le ministère de la fonction publique (...) ; il pourrait s'agir d'un report de quelques mois de cet examen professionnel ».

c) Le plan ne traite pas encore en détail des problématiques relatives à la continuité de la vie économique

Le rapport semestriel du Fonds monétaire international (FMI) sur la stabilité financière, paru en avril 200685 , recommande aux États-membres de « fournir aux entreprises des lignes directrices pour l'élaboration de leurs plans de continuité ».

Or, à la différence d'autres dispositifs nationaux de préparation à une pandémie grippale, le plan français ne traite pas encore de la continuité des activités économiques. Il comporte seulement certaines mesures relatives aux secteurs jugés « vitaux ».

●  Une pandémie grippale pourrait désorganiser profondément les entreprises.

Le rapport précité du FMI analyse les « risques opérationnels » liés à l'absentéisme de la main d'œuvre ainsi que les « risques de perturbation des marchés » qui résulteraient d'une pandémie de grippe.

De son côté, dans une contribution à un récent ouvrage sur « Les défis de la grippe »86, M. Patrick Gilbert relève notamment qu'un taux d'absentéisme de 7 % de la main d'œuvre est de nature à perturber gravement la production d'entreprises industrielles comme Peugeot systèmes automobiles (PSA).

Face à de tels risques, il est éminemment souhaitable que les entreprises élaborent des plans de continuité de leurs activités. Pour M. Didier Houssin87, les entreprises « devront informer leurs employés, acquérir les masques de protection nécessaires et adopter une organisation garantissant un niveau d'absentéisme le plus bas possible ».

●  Exceptés « les opérateurs majeurs des secteurs d'activité d'importance vitale », le plan gouvernemental fait pourtant peu de place aux entreprises.

La fiche technique A.8 « Organisation de la gestion de crise « Économie, finances, industrie » » indique que la « cellule de continuité économique », mise en place par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie en situations 5B et 6, « est structurée en cellules sectorielles » qui « assurent l'interface avec les opérateurs majeurs des secteurs d'activité l'importance vitale qui sont représentés au sein de ces cellules » (voir sur ce point le schéma ci-dessous).

Il est précisé que ces cellules sectorielles doivent permettre « de s'assurer, par anticipation, de la continuité du fonctionnement des secteurs d'activité d'importance vitale, dans des conditions optimisées, au vu de la situation de crise ».

Schéma d'organisation de la « Cellule de continuité économique »

graphique

EMZD : état-major de zone de défense

Source : fiche technique A.8 « Organisation de la gestion de crise « Économie, finances, industrie » »

En attendant la mise en place de cette cellule, M. Didier Houssin a indiqué à la mission : « Des contacts ont été pris à plusieurs reprises par la [DILGA] avec les différents secteurs - grande distribution, restauration, assurances, eau et énergie, etc. ». Des réunions d'information auraient ainsi été organisées avec les responsables sécurité des entreprises, regroupés au sein de diverses associations.

S'agissant en revanche des entreprises dont l'activité n'a pas été identifiée comme méritant une attention particulière, le plan annonce une fiche technique G.1 « Principes généraux, recommandations et droit applicable dans les entreprises privées en cas de grippe aviaire », aujourd'hui toujours en cours d'élaboration.

Mme Catherine Puiseux, responsable de la gestion de crise de TF1, a regretté devant la mission que « le plan français (ne soit) guère axé vers la continuité des entreprises : il est essentiellement tourné vers les personnels de santé et le grand public ». Elle a notamment regretté que les pouvoirs publics ne puissent pas apporter au plan de continuité des activités de son entreprise, d'ores et déjà arrêté, une « validation externe », pourtant « nécessaire à (sa) pertinence ».

●  Pour autant, le retard dans l'élaboration de la fiche G.1 ne prive pas complètement les entreprises françaises de documents de référence pour l'élaboration de leurs plans de continuité.

Conformément aux recommandations du FMI, certains États ont préparé, à l'attention de leurs entreprises, des guides pour l'élaboration de leurs plans de continuité. C'est le cas, par exemple, des États-unis88 .

Les entreprises françaises peuvent, naturellement, se référer à ces guides étrangers, à l'image de TF1. Mme Catherine Puiseux a en effet indiqué à la mission que pour l'élaboration du plan de continuité de cette entreprise, elle s'était « référée à des éléments très concrets mis à la disposition de leurs entreprises par les Gouvernements canadien et néo-zélandais ».

Par ailleurs, on signalera que dans le cadre des travaux de sa « cellule de veille « grippe aviaire » », le Mouvement des entreprises de France (Medef) propose, sur son site internet une trame-type de plan de continuité des activités89  ainsi qu'une fiche énumérant des « Points d'organisation à prendre en compte de façon préventive par les entreprises »90 .

●  L'exemple de TF1.

Selon M. Robert Namias, TF1, qui compte 1 700 salariés, a créé « des structures quasi permanentes de gestion des risques de toute nature » depuis le début des années 2000. Initialement destinée à faire face au risque de crue de la Seine, la mise en place de telles structures est apparue particulièrement nécessaire à la suite des attentats du 11 septembre 2001.

Dans la lignée de ces initiatives, TF1 a mis en place un plan de continuité de ses activités en cas de pandémie grippale, que les représentants de la société ont exposé à la mission. La société a d'ores et déjà stocké 100 000 masques, envisagé la production d'émissions avec des moyens réduits et mis au point des protocoles de circulation visant à ce que jamais plus de trois personnes se trouvent réunies dans une même salle. Les 70 prestataires de service les plus importants avec lesquels TF1 est en relation ont été associés à la préparation du plan, eux-mêmes disposant de plans de continuité. Le plan a été élaboré dans un souci de transparence : le CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) a été associé et une session d'information à l'intention des salariés a été organisée.

Le cas de TF1 n'est cependant par représentatif de l'ensemble des entreprises françaises. M. Didier Houssin a ainsi constaté devant la mission que parmi les entreprises françaises, « le travail de préparation est encore très inégal : si certaines entreprises sont d'ores et déjà bien préparées - le plan de Sanofi-Aventis est à l'évidence très élaboré -, d'autres le sont beaucoup moins ».

II. UN DEFI SANS PRÉCÈDENT : ASSURER LA CONTINUITÉ DU FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME DE SANTÉ

Le plan de prévention et de lutte «  pandémie grippale » a été élaboré sur la base des hypothèses formulées par l'Institut de veille sanitaire (InVS) dans son étude publiée en 2005 : « Préparation à la lutte contre une pandémie grippale »91 ; Cette étude a modélisé la cinétique et l'impact d'une pandémie sur la base des pandémies historiques. Le directeur général de l'InVS, M. Gilles Brücker, a rappelé que ce document « laisse envisager une attaque sur 15 à 35 % de la population, soit 9 à 22 millions de personnes touchées, 500 000 à 1 million d'hospitalisations et 90 000 à 200 000 décès possibles ». Afin de se préparer au pire et dans une démarche d'anticipation maximale, les pouvoirs publics ont retenu la fourchette haute de ces estimations.

Il importe de souligner que ces prévisions sont faites en excluant toute mesure sanitaire éventuelle, ainsi que l'a précisé M. Gilles Brücker : « Ce scénario ne prévoit aucune intervention des pouvoirs publics, aucun plan, aucune utilisation d'antiviraux ; il décrit l'histoire naturelle d'une épidémie grippale sans intervention. Avec les mesures programmées dans le plan, nous ne devrions pas assister à un phénomène d'une telle ampleur. »

Spontanément, le choc sera brutal et pour le système de santé, le défi sera sans précédent. C'est pourquoi, au travers de ses auditions et de ses visites sur le terrain, la mission a porté une attention toute particulière aux conditions dans lesquelles les structures sanitaires tant hospitalières qu'ambulatoires s'y préparent.

À ce jour, la France se trouve en situation 3A, ainsi que l'a rappelé M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, devant la mission92  : « Sur le plan de la santé humaine, le niveau épidémiologique en France reste le même : nous sommes toujours au niveau 3A du plan gouvernemental - autrement dit, il n'y a pas de transmission inter-humaine déclarée ». Avant que ne se déclenche la situation 6 dite de pandémie grippale, des phases intermédiaires se succéderont, caractérisées par une aggravation de la menace (cf. supra Partie I). Le délai ainsi laissé doit être mis à profit par les pouvoirs publics, d'une part, pour préparer la mise en œuvre des interventions visant à limiter la transmission du virus et à atténuer le nombre de formes cliniques les plus graves, d'autre part, pour organiser notre système de santé.

Les structures sanitaires devront, en tout état de cause, être adaptées aux objectifs de santé publique et aux besoins de la population dans les différentes situations correspondant aux deux phases habituelles d'une pandémie. Comme l'a expliqué M. Xavier Bertrand devant la mission : « Globalement, il faut distinguer deux phases. Durant la première, qui correspond à la situation d'aujourd'hui jusqu'aux premiers cas de contamination inter-humaine, l'hospitalisation est recommandée systématiquement afin d'isoler les suspicions -voire les premiers cas-, de limiter la propagation et surtout de mieux connaître le virus et notamment la réponse du patient aux traitements. Suivra une deuxième phase au cours de laquelle la propagation du virus devient plus importante : les hospitalisations ne concerneraient alors plus que les cas graves, en particulier les complications respiratoires nécessitant une réanimation. Il est important de comprendre qu'il s'agit de deux phénomènes différents et qui ont besoin d'être exposés avec le plus de clarté et de pédagogie possible : jusqu'à un certain stade, on peut et on doit prendre en charge tout le monde à l'hôpital ; mais une fois en phase pandémique, il ne faudra plus admettre à l'hôpital que les cas graves 93 ».

Le plan distingue donc expressément ces deux temps, correspondant à des besoins sanitaires différents. Ainsi, la fiche D.1- « Conduite à tenir en présence d'un malade ou d'une personne suspectée d'être contaminée en périodes pré-pandémique et pandémique » fixe t-elle des conditions de prise en charge des malades en période pandémique qui sont à l'inverse de celles applicables en période pré-pandémique : « En cas de pandémie, les patients seront traités à domicile ou sur leur lieu de séjour ou de résidence au moment où la maladie se déclare, l'hospitalisation est réservée aux patients dont l'état le nécessite. En période d'alerte pandémique, tant que les cas ne seront pas trop nombreux, les personnes sont hospitalisées pour éviter une diffusion dans la population générale et pour assurer un suivi médical détaillé ».

L'organisation des soins sera donc différenciée pendant ces deux phases au cours desquelles, dans les deux cas, la veille et la surveillance sanitaires constitueront un enjeu fondamental de santé publique.

A. PERIODE D'ALERTE PRE-PANDEMIQUE ET PANDEMIQUE : LA VEILLE SANITAIRE ET LA PRISE EN CHARGE DES PREMIERS CAS

1. Les enjeux de la veille et de la surveillance sanitaire

En cas de risque de crise sanitaire majeure, il importe que le dispositif d'alerte sanitaire fonctionne parfaitement de façon à fournir aux pouvoirs publics les informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées. Dans le rapport de la commission d'enquête sur la canicule94, M. François d'Aubert, Rapporteur, pointait les « défaillances du dispositif de veille sanitaire », constatant que « l'InVS n'a pas permis de prévenir la crise comme il l'aurait dû ». Il mettait ces faiblesses sur le compte des « défauts de jeunesse » de cet organisme créé par la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme . Auditionné alors par la commission d'enquête, M. Gilles Brücker avait convenu des limites des capteurs d'information dont disposait l'InVS. Depuis, l'institut a amélioré ses réseaux d'information, et, donc, sa capacité de surveillance. De plus, il s'intègre désormais dans le dispositif de veille et de sécurité sanitaire constitué des grandes agences sanitaires, notamment l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES).

Les acteurs de la veille sanitaire participent à la cellule d'aide à la décision activée au sein du ministère de la santé dès la situation 3B , ainsi que le précise la fiche A.6-Organisation de la gestion de crise  «  Santé ». Ils se sont vus confier, parallèlement à la fonction traditionnelle de suivi de la situation sanitaire en phase de pré-pandémie comme de pandémie, un rôle nouveau d'expertise et d'anticipation pour la préparation du plan.

Votre Rapporteur souhaiterait insister ici sur l'importance de la veille sanitaire dans la période actuelle où la menace semblant s'éloigner, l'attention pourrait se relâcher, Il est essentiel de rester vigilant et de poursuivre la surveillance des indicateurs habituellement utilisés, afin de ne pas se laisser surprendre ni de se démobiliser.

a) Les acteurs de veille sanitaire

  L'expérience de la grippe saisonnière

La grippe saisonnière est une maladie particulièrement surveillée car si elle est bénigne pour un sujet sain, elle peut être grave du point de vue de la collectivité, du fait de sa grande fréquence et de sa forte contagiosité. Lors des pics hivernaux, s'y ajoute un risque aggravé pour certaines populations fragiles. La grippe a, chaque année, un impact important en termes de morbidité et de mortalité qui, pour les épidémies moyennes, se compte en millions de cas et en milliers de décès par an : une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a estimé que, de 1980 à 1990, le nombre des décès annuels attribués à la grippe s'est situé chaque année dans une fourchette de 1000 à 17 000 cas.

Deux composantes sont essentielles dans la surveillance de la grippe : la surveillance épidémiologique et la surveillance virologique. La première a ainsi permis, à travers les données recueillies, d'identifier les populations à risque, qui seront une donnée essentielle en cas de pandémie. La surveillance virologique repose essentiellement sur l'analyse antigénique des isolats circulants : cette surveillance est capitale en raison de l'extrême variabilité des virus. Dans le cadre des épidémies saisonnières, elle permet de vérifier l'adéquation des souches vaccinales avec les souches circulantes, notamment chez les personnes les plus à risques qui ont été vaccinées.

Le réseau de surveillance de cette maladie a acquis une connaissance approfondie de la grippe saisonnière qui sera mise à profit dans la perspective d'une pandémie grippale. La fiche F.2 « Suivi de la situation sanitaire lors d'une pandémie grippale » précise que le suivi sanitaire de la situation s'appuiera sur le dispositif préexistant en matière de surveillance de la grippe. Elle reconnaît à l'InVS un rôle moteur : « le suivi de la situation sanitaire est assuré par l'Institut de veille sanitaire » et conforte, dans leurs missions respectives, les différents acteurs de veille sanitaire sur lesquels s'appuie l'InVS et qui lui fournissent les outils d'analyse utilisables en situation pré-pandémique et pandémique.

  Le réseau de l'Institut de veille sanitaire (InVS)

L'institut dispose de seize relais interrégionaux.

- L'Institut de veille sanitaire

L'InVS est un établissement national de santé publique chargé de surveiller en permanence l'état de santé de la population et son évolution. A ce titre, il est en particulier chargé :

- de détecter toute menace pour la santé publique, d'en alerter les pouvoirs publics et de leur recommander toutes mesures de maîtrise et de prévention de ces menaces ;

- de rassembler, expertiser et valoriser les connaissances sur les risques sanitaires, leurs causes et leur évolution ;

- de réaliser ou d'appuyer toute action (enquête, étude, expertise...) susceptibles de contribuer aux missions de veille sanitaire.

Cette mission se décline dans tous les champs d'action de la santé publique, notamment les maladies infectieuses, dont la grippe. Son action repose sur la mise en œuvre et la coordination d'activités de surveillance. En effet, la conception de l'épidémiologie qui a présidé à la création de l'InVS repose sur la notion « d'acteurs de veille sanitaire ». Tous les professionnels de santé participent à la mission de veille sanitaire, qui ne peut, en effet, s'exercer autour d'un seul acteur mais grâce à un ensemble de partenaires organisés dans une même démarche visant, selon les thématiques, à recueillir, valider, analyser les données de morbidité et de mortalité, mais aussi d'assurer une évaluation des risques. L'InVS a donc mobilisé différentes équipes de santé publique et établi un réseau national de santé publique, constitué de réseaux locaux opérationnels et de réseaux nationaux partenaires de l'InVS collaborant avec des réseaux internationaux.

-Les réseaux locaux opérationnels

La mission de l'InVS est relayée par seize cellules interrégionales d'épidémiologie (Cire) placées sous la responsabilité scientifique de l'InVS et installées au sein des Directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS). Les Cire constituent les premiers éléments d'une organisation régionale de la veille sanitaire assurant un relais local à l'action de l'InVS. Elles ont pour mission l'épidémiologie d'intervention et l'évaluation quantifiée des risques ; elles coordonnent leur action avec les acteurs locaux de la veille sanitaire. M. Gilles Brücker, devant la mission, a rappelé que cette organisation permet de « créer des bases de données régionalisées, en travaillant notamment sur des plates-formes régionales, dans une démarche concertée entre les agences régionales d'hospitalisation, les ARH, les DRASS, et les bases régionalisées de l'InVS, les CIRE, cellules interrégionales d'épidémiologie ». Ces bases de données permettront une remontée des informations nécessaires à l'établissement des différents indicateurs de surveillance de la situation sanitaire.

  Les réseaux nationaux partenaires de l'InVS 

L'InVS s'appuie par ailleurs sur des réseaux nationaux participant à la surveillance de l'état de santé de la population, que M. Gilles Brücker a présentés à la mission:

- Les Centres nationaux de référence (CNR) dont deux sont particulièrement compétents en matière de grippe : « Les agents pathogènes les plus importants sont suivis par les centres nationaux de référence, les CNR, éléments essentiels à la politique de surveillance et d'expertise, dont deux sont compétents en matière de grippe, l'un pour le nord, l'autre pour le sud du pays. »95. Ces CNR caractérisent les souches des virus en circulation et évaluent leur sensibilité aux antiviraux.

- Les registres de morbidité établis permettent de surveiller la mortalité : « Nous avons considérablement renforcé la surveillance de la mortalité, avec des outils de deux ordres : la surveillance de la mortalité due à la grippe, à travers les DDASS des départements les plus peuplés de chaque région, qui nous font remonter en temps réel le nombre de certificats de décès mentionnant la grippe ; la surveillance de la mortalité en général, en travaillant en liaison étroite avec l'INSEE, qui nous informe pratiquement en temps réel de la mortalité dans toutes les communes de France informatisées, ce qui représente une couverture de près de 75 % de la mortalité - ce deuxième volet a été mis sur pied après la canicule de 2003. »96

- L'InVS fait également appel aux différents systèmes de surveillance ou réseaux de services de soins. Il travaille ainsi en liaison avec les hôpitaux : « Nous avons choisi de nous servir des systèmes informatisés existants, dans lesquels sont enregistrés les passages aux urgences. Après la canicule 2003, j'ai écrit à tous les hôpitaux pour recenser les différents systèmes de surveillance des passages aux urgences. Leur diversité s'est révélée être un véritable casse-tête pour les informaticiens, et nous avons commencé, modestement, par construire un premier réseau reliant les hôpitaux dont les systèmes étaient compatibles. Ce réseau, qui s'est particulièrement développé en Île-de-France, avec la participation très active de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l'AP-HP, est en cours d'extension. »97. La fiche F.2 précise que trente et un services hospitaliers participent à ce réseau, actuellement en cours d'extension.

- Les autorités de santé se sont adjointes des partenaires clés dans la surveillance du risque épidémique. En effet, deux réseaux de médecins généralistes ont signé en 2004 une convention de coopération avec l'InVS : le réseau Sentinelles et le réseaux des GROG (groupes régionaux d'observation de la grippe) : « L'InVS dispose déjà depuis longtemps d'outils de surveillance pour suivre la progression d'une épidémie grippale mais il a renforcé les réseaux existants, notamment celui des médecins SENTINELLE et des groupements régionaux d'observation de la grippe, les GROG. Ces deux réseaux fournissent des données de nature différente : le réseau SENTINELLE s'intéresse essentiellement aux aspects cliniques ; le réseau GROG assortit sa surveillance clinique de prélèvements en vue de rechercher le virus grippal..98 »

Le plan conforte ces deux réseaux dans leur rôle, rappelant la spécificité de chacun :

- Le réseau Sentinelles est un système de surveillance nationale qui permet, depuis novembre 1984, le recueil, l'analyse et la redistribution en temps réel de données épidémiologiques issues de l'activité des médecins généralistes libéraux. Les médecins généralistes de ce réseau déclarent les syndromes grippaux à l'unité 707 de l'Inserm ;

- Les médecins des groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG) répartis sur l'ensemble du territoire notifient les infections respiratoires aiguës provoquées par la grippe et procèdent à des prélèvements aux fins de surveillance des virus. Leurs données ainsi recueillies, ainsi que les résultats des prélèvements qui sont analysés par les deux centres régionaux de la grippe, sont regroupés par la coordination nationale des réseaux GROG.

Les GROG ont été créés en 1984 pour être un réseau d'alerte et de surveillance des épidémies de grippe à un moment où la seule surveillance de la grippe se faisait dans les hôpitaux. Leur mise en place a reposé sur le constat que les médecins et les soignants de ville étaient les premiers en ligne face à ce type d'épidémies. Ils s'appuient donc sur un réseau pluridisciplinaire regroupant les différents types de soignants de premiers recours : environ 500 médecins généralistes, pierre angulaire du système, une centaine de pédiatres, des médecins d'urgence, des médecins militaires et du travail ainsi que des pharmaciens. Ces « vigies », réparties sur tout le territoire français, participent au recueil d'informations ciblées (consommation de médicaments, visites chez les généralistes, hospitalisation) permettant d'avoir une vision claire des événements. Une collaboration avec les deux centres nationaux de référence pour la grippe et avec les laboratoires de virologie hospitalière a été mise en place. Ce modèle de surveillance spécifique, clinique et virologique a par ailleurs été retenu à l'échelon européen et les GROG représentent la France dans le réseau EISS (European Influenza Surveillance Scheme).

Mme Anne Mosnier et M. Jean-Marie Cohen, médecins coordinateurs des GROG, ont rappelé à la mission leur souhait d'être mobilisés en période de pré-pandémie comme de pandémie afin que soit utilisée de manière optimale l'expérience acquise par ce réseau en matière de surveillance de la grippe. Dans cette perspective, ils ont estimé souhaitable que : « les GROG développent un réseau dormant (...) pouvant être réveillé pendant la durée de la pandémie ou n'importe quelle autre situation de crise : un médecin généraliste sur quinze devrait y adhérer et se soumettre uniquement à un petit exercice par an, pour que nous vérifiions qu'il est encore en activité et équipé en informatique, qu'il a un mail, lit ses messages et peut intervenir sous une heure »99 .

  Les réseaux européens et internationaux d'alerte et de surveillance

Compte tenu de la dimension internationale de la problématique de la pandémie grippale, il importe que le réseau français d'alerte s'intègre dans les réseaux européens et internationaux. Comme l'a rappelé M. Gilles Brücker, « la veille sanitaire ne se conçoit pas sans prendre en compte la dimension internationale, le syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, l'a prouvé. Nous collaborons avec l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, dans le cadre du Global Outbreack Alert Response Network, le GOARN, à travers des missions d'expertises diverses. Nous soutenons aussi des actions de l'OMS en Turquie, en Azerbaïdjan, en Arménie et en Iran, où nous avons envoyé des équipes, notre capacité d'expertise étant connue et appréciée.Notre soutien à la réflexion européenne passe désormais par l'European Center for Disease Prevention and Control, l'ECDC, qui a été fondé il y a un an et demi à Stockholm. L'InVS représente la France au conseil d'administration et au conseil scientifique de cet organisme ».

À cet effet, le positionnement de l'InVS au sein des réseaux de surveillance sanitaire mondiaux s'effectue à trois niveaux : la participation au bureau de l'OMS à Lyon, au réseau global d'alerte et de réponse aux épidémies (GOARN) et la collaboration avec le bureau régional de l'OMS pour l'Europe. L'InVS participe ainsi à la surveillance de l'évolution du virus H5N1 et de ses mutations.

Dans le cadre de cette surveillance internationale de la situation, a indiqué M. Brücker, l'InVS publie  « tous les jours les données de la surveillance internationale et nous diffusons un bulletin hebdomadaire décrivant la situation épizootique et répertoriant, pour chacun des pays touchés, le nombre de cas humains et le nombre de décès recensés 100». Ce bulletin est consultable sur le site Internet de l'InVS.

b) Le rôle de la veille sanitaire : expertise, anticipation et surveillance

À côté de son rôle traditionnel de surveillance, les pouvoirs publics ont confié à l'InVS, en vue de la préparation du plan de prévention et de lutte contre une pandémie grippale, une mission d'expertise et d'anticipation.

●  L'expertise et l'anticipation

En 2004, la Direction générale de la santé a demandé à l'InVS d'estimer l'ampleur qu'aurait une éventuelle pandémie grippale en France et d'analyser l'impact épidémiologique de différentes stratégies de lutte, ainsi que l'a rappelé M. Gilles Brücker, « L'InVS a d'abord eu une fonction d'expertise et d'anticipation, sur la base de données disponibles, vis-à-vis du risque pandémique à venir. C'est dans ce contexte que nous avons publié, il y a plus d'un an, un document intitulé Préparation à la lutte contre une pandémie grippale (...) qui prend appui sur une modélisation des données des trois grandes pandémies de 1918, 1957 et 1968 ».

L'InVS a élaboré un modèle statistique d'analyse du risque afin de prendre en compte l'incertitude associée à chaque paramètre.

Dans un premier temps, les taux d'incidence de la grippe pandémique sur la population, variant entre 15 et 35 %, les taux d'hospitalisation et la létalité ont été fixés à partir des données de la littérature concernant les épidémies passées ainsi que des opinions d'experts. Ces taux ont permis de calculer, sous différentes hypothèses, le nombre de cas, d'hospitalisations et de décès attendus et d'en établir la distribution selon l'âge et l'appartenance ou non à un groupe à risque, et de donner ainsi des indications aux établissements hospitaliers sur les flux attendus de malades. Sur ces bases, le plan a pu envisager des mesures générales, comme la déprogrammation, ou plus spécifiques, comme l'augmentation des capacités de réanimation.

Dans un second temps, plusieurs stratégies de lutte contre le virus ont été comparées. L'InVS s'est plus particulièrement attachée à mesurer l'impact de la vaccination et de l'utilisation des antiviraux, soit en traitement curatif, soit en prophylaxie continue, soit en prophylaxie post-exposition (prise d'antiviraux à la suite d'un contact avec une personne malade). Les calculs ont été effectués sur la base de l'efficacité de ces interventions contre les virus grippaux classiques. Les stratégies ont été appliquées à la population générale, puis à la population des personnes nécessaires à la continuité des activités essentielles (professionnels de santé, de secours et de sécurité, services publics ou privés indispensables), enfin à la population à risque élevé de complications en cas de grippe (personnes âgées ou vivant en institution, femmes enceintes, sujets atteints de maladie chronique , enfants de moins de deux ans) ; les effectifs de ces deux dernières populations ont été estimés respectivement à 3,6 et 8,7 millions de personnes.

Les conclusions de cette étude ont servi de base notamment à l'élaboration des stratégies de vaccination (Fiche C.6 -Doctrine et stratégie de vaccination contre une grippe à virus pandémique ) et d'utilisation des antiviraux (Fiche C.5 -Stratégie et modalités d'utilisation des antiviraux ). 

- La vaccination :

Selon l'étude réalisée par l'InVS, si un vaccin était disponible dès le début de la pandémie, la vaccination de la population générale permettrait en moyenne d'éviter 57% des cas, 62 % des hospitalisations et 73 % des décès. Mais la souche pandémique étant par définition inconnue, le vaccin ne sera disponible que dans un délai estimé à six mois après l'identification de la souche. Aussi, afin de permettre d'accélérer la production et la mise à disposition d'un vaccin pandémique, les laboratoires pharmaceutiques ont été incités à développer, dès 2004, un « vaccin-prototype » à partir de la souche H5N1, donc du virus animal, isolée chez des personnes contaminées au Vietnam.

Le ministère chargé de la santé a commandé auprès de deux laboratoires deux millions de doses de « vaccin-prototype ». Il a, d'autre part, passé une réservation ferme auprès de deux producteurs pour une première tranche de lots de vaccin permettant de vacciner 20 millions de personnes et une seconde tranche permettant de vacciner 20 autres millions. M. Xavier Bertrand a confirmé à la mission le principe de ces commandes : « Pour l'instant, nous confirmerons nos appels d'offres concernant le vaccin pandémique ; plusieurs laboratoires ont d'ores et déjà répondu. Je ne veux pas prendre de risques : nous devons être assurés de la disponibilité du vaccin. Pourquoi voulons-nous aller au-delà des 40 millions de traitements vaccinaux ? Pour augmenter les capacités de production, c'est-à-dire être capable d'avoir davantage de vaccins tous les mois. La quantité d'antiviraux dont nous disposons permettrait déjà de traiter les malades, ce qui rend chez nous d'autant moins cruciale la question de la production des vaccins. Cela ne signifie pas que nous ne nous y intéressions pas : sinon, je ne chercherai pas à commander 63 millions de doses. Ajoutons que Sanofi les produit sur le territoire national, et que les conditions de la reprise de Chiron par Novartis sont pour nous une garantie supplémentaire : je m'en suis entretenu avec M. Vasella, le PDG de Novartis, que j'ai rencontré à Bâle. »

S'agissant plus spécifiquement de la stratégie vaccinale, la fiche C.6 s'appuie sur la notion de personnes exposées et de personnes à risque pour définir les catégories de personnes dont il conviendrait d'assurer en premier lieu la vaccination, dans la mesure ou les vaccins ne seront que progressivement disponibles. Il s'agira des professionnels de santé amenés à assurer le maintien de l'organisation des soins ainsi que les personnels nécessaires à la fabrication des produits de santé permettant de lutter contre la pandémie, les populations particulièrement vulnérables au virus pandémique et les professionnels des activités indispensables au fonctionnement du pays.

- Les antiviraux

En l'absence de vaccin, lors de la première phase pandémique, l'InVS estime que pour la population à protéger en priorité en raison de ses activités professionnelles indispensables au fonctionnement minimum de la société, la prophylaxie par antiviraux en continu paraît la stratégie la plus efficace. Pour les populations à risque médical, la comparaison de l'utilisation des antiviraux en prophylaxie ou en curatif plaide en faveur d'un usage en curatif : le traitement antiviral curatif, bien qu'évitant moins de cas, semble plus faisable et présente un meilleur rapport coût /efficacité que la prophylaxie en post-exposition. L'InVS préconise donc que l'usage en curatif soit privilégié, en particulier si la disponibilité en antiviraux était limitée.

Compte tenu de cette préconisation, ainsi que de l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France en date du 16 janvier 2004101, la fiche C.5 indique que « le stock national d'antiviraux doit être utilisé en priorité en traitement curatif ». M. Xavier Bertrand a confirmé cette option du « traitement curatif par antiviraux de tous les cas - rendu possible par notre stock »102 .

Pour autant, la stratégie d'utilisation des antiviraux méritera vraisemblablement d'être affinée, en fonction de l'évolution des stocks disponibles. Cette doctrine d'emploi n'est donc pas figée et M. Xavier Bertrand a annoncé à la mission qu'il entendait aller au-delà du taux de couverture de 25 % de la population préconisés par l'OMS afin de réserver cette possibilité d'évolution et de ne pas raisonner seulement en termes d'affectation de ressources rares. De surcroît, il a indiqué que des études récentes faisaient état de la nécessité d'augmenter les doses d'antiviraux pour obtenir des effets thérapeutiques souhaitables. C'est la raison pour laquelle il a « demandé à l'OMS, mais également au « Center for disease and prevention » (CDC) de se pencher sur cette question pour obtenir le maximum d'informations. »

b) La surveillance épidémiologique et virologique

Dès la phase 3B - dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui - le plan prévoit la mise en alerte des deux réseaux de surveillance GROG et Sentinelles, ainsi que l'activation de la cellule nationale d'évaluation clinico-épidémiologique de l'InVS. Cette cellule, composée de représentants de l'InVS, des deux centres nationaux de référence et de cliniciens, a un rôle d'aide aux professionnels de santé, notamment libéraux, dans l'évaluation des cas de suspicion de grippe aviaire, et l'InVS peut la mobiliser en cas de nécessité.

Tant que la transmission inter-humaine n'est pas avérée, les cas seront par définition peu nombreux et la surveillance sera essentiellement virologique afin de détecter les cas possibles et de traiter les malades. Cette surveillance virologique aura aussi pour objet la détection précoce d'un virus pandémique.

Une fois la transmission inter-humaine établie, il s'agira de mettre en œuvre une surveillance épidémiologique et une surveillance virologique dont la fiche F.2-Suivi de la situation sanitaire lors d'une pandémie grippale, énonce les différents indicateurs et leurs modes de recueil et d'analyse.

La surveillance épidémiologique

La surveillance épidémiologique sera d'abord chronologique pour déterminer le début de la pandémie, à partir de seuils. Puis, au fur et à mesure que les cas s'étendront, les pouvoirs publics auront besoin d'informations sur l'ampleur de la pandémie et sa progression. Les différents indicateurs nécessaires à cette surveillance seront les suivants : nouveaux cas, morbidité (nombre de formes sévères de syndromes grippaux chez l'enfant et l'adulte), mortalité... À cet effet, comme l'a rappelé M. Gilles Brücker : « La surveillance que nous exerçons constitue un outil majeur utilisable en phase pandémique, à plusieurs niveaux : surveillance de la médecine libérale, avec les généralistes, en particulier les médecins Sentinelles ; surveillance des urgences hospitalières, qui nous communiquent un relevé quotidien du nombre de passages aux urgences, de la composition de cette population par âge et par sexe et des principaux symptômes constatés ». Le réseau des GROG, que M. Jean-Marie Cohen décrit comme « un outil éminemment adaptable », participera à cette surveillance par l'intermédiaire de ces vigies « habituées à la réactivité parce qu'elles sont très curieuses et parce qu'elles observent et alertent spontanément ». Cette surveillance épidémiologique orientera les décisions d'organisation du système sanitaire. Ainsi, s'agissant de la déprogrammation de certaines activités hospitalières non urgentes pour accueillir les cas graves de grippe, M. Pierre Fuentes, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d'établissements des centres hospitaliers universitaires, a rappelé que : « l'InVS doit jouer son rôle et c'est à partir des données remontant des établissements sur l'InVS que les pouvoirs publics doivent prendre leurs décisions. Sans doute faudra-t-il introduire un peu « d'affinage » dans la déprogrammation le moment venu ».

La surveillance virologique

M. Gilles Brücker a rappelé l'objet de cette surveillance : « une partie de la surveillance sera de nature virologique : la sensibilité du virus aux antiviraux et l'évolution du virus nécessiteront des prélèvements en temps réel ». Pour le recueil de ces données, l'expérience que les médecins des GROG ont acquise en matière de prélèvements sera particulièrement utile. Les principaux indicateurs virologiques (caractérisation antigénique et génétique des virus grippaux, sensibilité des virus aux antiviraux) permettront d'estimer l'impact du vaccin spécifique, s'il est disponible, des masques et des antiviraux. La fiche C.5 indique sur ce point que la stratégie d'utilisation des antiviraux pourra évoluer en fonction des données épidémiologiques, de pathogénicité de la souche et d'émergence de résistances qui seront collectées et analysées par les experts au sein de la cellule d'aide à la décision grippe. À cet effet, les résistances seront surveillées par les deux centres nationaux de référence des virus influenza. M. Xavier Bertrand se place d'ailleurs dans cette perspective d'évolution possible des traitements par antiviraux : « personne ne peut dire ce que serait la virulence du H5N1 muté : peut-être faudra-t-il prendre plus de dix comprimés.»

2. La prise en charge des malades en période pré pandémique : appliquer le principe de précaution

La veille sanitaire jouera aussi un rôle déterminant pour, en phase pré-pandémique, la prise en charge des cas suspects et l'apparition des premiers cas de maladie.

Si le plan de prévention et de lutte contre une pandémie distingue six phases, la distinction pertinente pour la prise en charge des malades par le système de santé, rappelée devant la mission par M. Xavier Bertrand, est celle d'une approche en deux temps. Le premier correspond à la phase pré-pandémique sans transmission humaine (cas de « grippe aviaire » proprement dite), dans laquelle nous nous trouvons actuellement, puis avec transmission inter-humaine limitée ; le deuxième recouvre la phase pandémique. Dans le premier temps, l'objectif posé par le plan est de détecter, de signaler et de prendre en charge les cas humains afin de limiter la propagation du virus ; la prise en charge d'un afflux massif de malades constituera l'enjeu de la phase pandémique.

Les fiches techniques du plan reprennent cette distinction : la fiche D.1 traite de la conduite à tenir en présence d'un malade ou d'une personne suspectée d'être contaminée en périodes pré-pandémique et pandémique et la fiche D.2 est relative à la prise en charge médicale des malades et de leurs contacts en phase pandémique.

La fiche D.1 vise expressément les situations suivantes :

- 3B : cas humains isolés en France et sans transmission humaine ;

- 4 A et B : cas humains groupés, limités et localisés à l'étranger ou en France, avec une transmission inter-humaine limitée due à un virus mal adapté à l'homme ;

- 5A : larges foyers de cas groupés à l'étranger ;

- 5B : extension des cas humains groupés en France.

Ces situations correspondant à des risques sanitaires différents font l'objet d'un traitement commun, dans une approche de précaution. Celle-ci est indispensable dans l'hypothèse où, à l'occasion d'un cas à traiter, on constaterait qu'on passe de la situation 3 (sans transmission inter-humaine) à une situation 4 (premiers cas de transmission inter-humaine). Dans cette perspective, le plan établit les lignes directrices suivantes :

- la gestion des cas doit se faire dans une démarche associant étroitement les structures de soins (SAMU, Centres 15, hôpitaux) et les autorités de santé (directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS), la direction générale de la santé (DGS)et la direction des hôpitaux et de l'organisation des soins (DHOS) au ministère de la santé, l'InVS), afin d'assurer à la fois une réponse à la situation de la personne concernée et le pilotage adapté de l'action publique et de l'information de la population ;

- il importe de recueillir des informations précises sur l'état des malades afin de disposer rapidement d'éléments épidémiologiques facilitant la détection ultérieure d'autres cas et d'adapter les soins aux caractéristiques du virus ;

- tant que le nombre de cas reste limité, il apparaît préférable d'hospitaliser les personnes concernées afin de faire un suivi médical précis. Cette hospitalisation doit se faire dans un établissement assurant des conditions de sécurité optimale pour le personnel et les autres malades ;

- tout cas suspecté doit faire l'objet d'une investigation s'appuyant sur l'expertise de l'InVS.

a) La détection des cas de grippe

Alors qu'en phase de pandémie et eu égard au nombre de cas à traiter, s'appliquera le principe de présomption de grippe pandémique, dans la phase pré-pandémique, il s'agit, par souci de précaution, d'éviter de passer à côté d'un cas possible. M. Jean-Marc Boulanger, Secrétaire général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, résume ainsi les modalités de prise en charge : « À supposer qu'un cas survienne, nous ne devons pas passer à côté. Il va falloir le prendre en charge, l'identifier parfaitement, faire les prélèvements nécessaires pendant la période d'incertitude et, s'il est avéré que c'est un cas de grippe aviaire, le traiter. Autrement dit, le schéma est le suivant : nous commençons par le tri ; si le cas apparaît possible, nous le transférons dans un hôpital référent ou un établissement ayant un service de maladies infectieuses, si le malade en est d'accord, pour prélèvement et suivi jusqu'à ce que le résultat soit connu, négatif ou positif, ensuite, éventuellement, nous le traitons. »103 . Les modalités de cette prise en charge sont les mêmes, qu'il s'agisse des cas de grippe aviaire due au virus H5N1 non muté ou des premiers cas de grippe due au virus muté pandémique.

  Les cas possibles

La définition des cas possibles

À ce jour, aucune transmission inter-humaine du virus aviaire n'a été détectée. Les seuls cas possibles de grippe sont donc des formes humaines de grippe aviaire. L'InVS en a défini les caractéristiques, en fonction des connaissances épidémiologiques disponibles. Les cas devant faire l'objet d'une investigation répondent actuellement à deux types de définition, selon que le sujet revient d'un pays où des cas humains ont été notifiés ou d'un pays où sévit seulement l'épizootie :

- un patient de retour d'un pays où sévit l'épizootie liée au virus H5N1 avec des cas humains notifiés, présentant un syndrome respiratoire aigu avec fièvre supérieure à 38° et toux et/ou dyspnée et ayant eu, dans les sept jours avant le début de ces signes, soit un contact prolongé ou répété avec des volatiles, soit un contact avec un cas humain confirmé de grippe H5N1.

- un patient qui présente une détresse respiratoire au détour d'un syndrome grippal et qui revient depuis moins de sept jours d'un pays où sévit l'épizootie liée au virus H5N1 sans cas humain notifié.

La définition de ces cas, avec les spécifications des zones d'épizootie, et la conduite à tenir sont disponibles sur les sites Internet de l'Institut de veille sanitaire ainsi que du ministère de la santé ; ils sont régulièrement actualisés. Cette fonction fait partie intégrante du dispositif de veille décrit par M. Gilles Brücker : « il s'agit d'identifier toute personne présentant une symptomatologie compatible avec la maladie et étant de retour d'un pays où sévit l'épizootie et où des cas humains ont été recensés. Nous analysons tous ces cas pour vérifier que la symptomatologie, les dates du voyage et les contacts rendent la contamination possible et justifient des prélèvements et un suivi. Lorsque la situation clinique d'une personne est particulièrement préoccupante, c'est-à-dire lorsqu'un syndrome de détresse respiratoire aiguë est diagnostiqué, dès lors qu'elle est passée par un pays touché par l'épizootie, quels que furent ses contacts avec les oiseaux, la contamination est considérée comme possible»

Il a souligné que la définition des cas possibles n'était pas figée : « Nous mettons très régulièrement à jour cette définition » ; elle peut être amenée à s'adapter à la situation épidémiologique. En tout état de cause, cette définition et l'évaluation des cas seront revues en cas de transmission inter-humaine due à la mutation du virus, ainsi que l'a fait observer le professeur François Bricaire, Chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière104  : « s'ils sont d'ores et déjà établis et utilisés, ces critères ne sont pas pour autant définitifs : en fonction de l'épidémiologie, de la transformation du virus, de son extension géographique, ils pourront devenir plus serrés ou, au contraire, plus ouverts. Cette mise à jour sera plus spécifiquement du rôle de l'InVS»

L'évaluation clinique et épidémiologique des cas possibles : un circuit court entre le praticien, le SAMU-Centre 15 et l'InVS

Si une personne craint d'avoir contracté la grippe aviaire, le plan prévoit deux possibilités : soit elle appelle le SAMU-Centre 15 ou un médecin, soit elle se rend d'elle-même dans un établissement de santé. M. Xavier Bertrand a confirmé cette double possibilité : « Il s'agit bien d'un cumul, que je suis arrivé à envisager pour en avoir parlé avec les médecins libéraux, mais également à la suite de réunions avec d'autres professionnels. Pourquoi ? Parce que l'on pourrait avoir affaire à un patient directement arrivé au cabinet médical sans savoir ce qu'il a. Autrement dit, il ne sera pas dans la logique du centre 15, laquelle s'inscrit du reste, à ce moment précis, tout à la fois dans l'orientation et dans la régulation. Il peut également arriver qu'un patient, même en pressentant ce qu'il a, n'ait pas le réflexe de contacter le centre 15 et aille directement au cabinet médical. J'imagine ce que cela peut représenter, sur le plan psychologique, pour le personnel dudit cabinet comme pour le praticien... Mieux vaut éviter tout moment d'incertitude sur la conduite à tenir en prévoyant cette deuxième procédure, qui ne remplace pas pour autant la première. »105 

Chaque cas suspecté doit faire l'objet, par le praticien qui examine le sujet, d'une investigation s'appuyant sur l'expertise de l'InVS. Tant qu'un cas possible n'est ni exclu ni confirmé, il est considéré comme « un cas en cours d'investigation ». L'objet de l'évaluation clinique et épidémiologique est, dans un premier temps, de déterminer si un cas est exclu ou possible. Cette évaluation est faite par le biais, comme le décrit M. Gilles Brücker, d'un « circuit court, qui va du médecin généraliste au centre 15 puis à l'InVS, avec au bout du fil une personne parfaitement au courant de la problématique ». Le praticien qui est en face d'un cas prend contact sans délai avec le SAMU - centre 15 qui contacte l'InVS où des médecins épidémiologistes sont d'astreinte. M. Gilles Brücker a indiqué que cette veille pourra être renforcée en tant que de besoin, et qu'il y a, au sein de l'Institut, « des médecins épidémiologistes d'astreinte, parfaitement au fait des procédures. La veille vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept existe indépendamment de la grippe aviaire. Lorsqu'un seul interlocuteur ne suffit pas pour répondre au flux d'appels, nous en mettons systématiquement deux d'astreinte et, en cas de besoin, nous pouvons encore renforcer le dispositif dans la semaine. »

Il est à noter que ce circuit court est applicable quel que soit le lieu d'examen du patient, cabinet libéral ou établissement hospitalier. Le médecin, libéral ou hospitalier, qui considère que le patient correspond à un cas suspect contacte le SAMU qui fait une évaluation du cas en liaison avec l'InVS.

Dans un souci de prise en charge optimale du malade, la décision de mise sous traitement antiviral à posologie thérapeutique peut être prise par le praticien, que les cas soient en cours d'évaluation ou confirmés ; en effet, le délai entre l'apparition des premiers signes et la mise sous traitement doit être le plus court possible, et ne pas excéder 48 heures en tout état de cause pour que le traitement soit le plus efficace possible.

Cette procédure d'évaluation a déjà eu l'occasion de s'appliquer en France et M. Gilles Brücker a indiqué à la mission qu'au 15 mars, l'InVS  « avait reçu 265 appels émanant des centres 15, dont 245 concernaient des personnes revenant de zones affectées par le virus H5N1, ce qui nous a conduits à prélever une trentaine d'individus, sans résultat positif à ce jour, vous le savez. L'identification récente d'oiseaux malades sur notre territoire a évidemment provoqué un pic d'appels considérable ». M. Xavier Bertrand a précisé que dans  « 90 % des cas de suspicion, les patients sont allés directement aux urgences ; il n'y a guère eu qu'un cas où le malade s'est adressé à un praticien libéral. »

  La confirmation des « cas possibles » par les prélèvements

Dès le classement d'un cas en « cas possible », des prélèvements naso-pharyngés sont réalisés afin de confirmer ou d'infirmer l'infection. Ces prélèvements nécessitent le strict respect des mesures d'hygiène et de protection prévues dans le kit de prélèvement qui fait l'objet de la fiche E.4 - Prélèvement naso-pharyngé - utilisation du kit de prélèvement. Le kit doit être utilisé en cas de suspicion d'un virus hautement pathogène ou dès lors qu'une transmission inter-humaine a été mise en évidence. Ces kits ont d'abord vocation à être utilisés en phase pré-pandémique mais ils pourront l'être en période pandémique. Cependant, comme l'a fait observer M. Hubert Allemand, médecin-conseil de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, devant la mission : « La fonction de ces outils ne sera pas la même selon que l'on sera en phase pré-pandémique ou en phase pandémique. Les kits de prélèvement n'ont vocation à servir qu'en phase pré-épidémique...En période épidémique, il ne sera évidemment plus question de faire des prélèvements : le moindre signe avant-coureur déclenchera l'intervention immédiate »106 . Ainsi, la fiche E.4 précise que si, en phase pandémique, les analyses de prélèvements naso-pharyngés ne seront pas systématiques, un plan minimal d'analyses défini par l'InVS sera réalisé pour assurer un suivi des caractéristiques du virus.

Ce kit est, pour l'instant, utilisé dans les structures hospitalières mais il pourra être distribué aux professionnels libéraux pour utilisation dans la période-charnière envisagée par le plan où l'hospitalisation systématique des cas suspects ne pourra plus se faire. En effet, il est prévu que dans les cas où les patients sont maintenus à domicile, le prélèvement puisse être réalisé au domicile, soit par le médecin traitant qui se procurera le matériel auprès du SAMU - centre 15, soit par un médecin du réseau GROG envoyé par le SAMU ; le patient peut aussi être transporté momentanément à l'hôpital pour le prélèvement.  

Les kits de prélèvement viral, dont Mme Dominique Péton-Klein, de la DHOS, a rappelé qu'ils « ont été harmonisés et que leur fabrication suit « une trame définie au niveau national », se composent :

- d'un équipement de protection du soignant ;

- d'un kit de prélèvement viral ;

- d'un triple emballage normalisé ;

- de masques chirurgicaux à laisser au malade ;

- d'un sac pour le recueil des déchets.

Le prélèvement est effectué, selon le cas, au domicile du malade ou à l'hôpital ; il est transporté au SAMU - Centre 15 pour être ensuite acheminé vers un laboratoire P3 ou vers le centre national de référence de la zone concernée.107

Le laboratoire ayant effectué l'analyse en communique les résultats au patient et au médecin ainsi qu'au SAMU concerné, au centre national de référence, à l'InVS, à la DDASS et au ministère de la santé (DGS et DHOS). Si le résultat est déclaré « cas confirmé », le patient et son entourage en sont informés par le médecin soignant, en relation avec la DDASS pour les autres personnes qui auraient pu être identifiées comme des cas co-exposés ou des cas contacts.

Plusieurs personnalités auditionnées par la mission se sont interrogées sur le bien-fondé de la mobilisation des SAMU pour effectuer ces prélèvements, alors qu'ils sont déjà, et seront plus encore, plus tard, appelés à réaliser d'autres interventions. M. Patrick Golstein, chef du SAMU du département du Nord, estime que « si le cas suspect se porte encore très bien, il n'est pas nécessaire d'envoyer une équipe du SMUR » et qu' « un transporteur quel qu'il soit - sapeurs-pompiers, transporteur sanitaire privé » peut réaliser l'opération108 . L'appréciation de M. François Bricaire  a été encore plus tranchée : « Se pose toutefois une difficulté au niveau du transport, pour lequel il est prévu de solliciter les services du SAMU, à mon avis à tort : c'est là un détournement de fonction qui me paraît grave. »109  De même, Mme Anne Mosnier, médecin coordinateur des GROG, a regretté que l'expérience acquise en matière de prélèvements par les médecins des GROG ne soit pas mise à profit dans la mise en œuvre du plan : « Si un médecin GROG est en mesure d'intervenir dans une zone, cela soulage le SAMU, mais il faut l'écrire en amont pour que le médecin GROG n'ait pas l'impression d'être considéré comme un pis-aller. La première version du plan grippe désignait clairement les médecins de GROG comme préleveurs en période pré-pandémique ; la deuxième est à mon sens beaucoup plus ambiguë car nous ne sommes plus perçus comme un relais de premier recours. En tant que coordinateurs, nous avons été impliqués dans les groupes de travail nationaux, et beaucoup de médecins de terrain GROG sont également mobilisés par le ministère. Il est d'autant plus incompréhensible de voir que notre mission, dans le plan, s'estompe peu à peu »110 .

M. Gilles Brücker l'a rejointe dans son analyse : « Les GROG peuvent être utiles pour une intervention en cas d'apparition de foyers de grippe aviaire, afin de désamorcer la panique, mais aussi en matière de risque NBC ou industriel. L'existence d'un réseau de professionnels formés, compétents et capables d'effectuer des gestes techniques variés constitue un atout précieux pour un pays en cas de crise, quelle qu'elle soit ».

De son côté, M. Jean-Marie Cohen, également coordinateur des GROG, a rappelé que lors de la crise du SRAS, la « décision d'utiliser les GROG comme « bras armé de terrain » de la direction générale de la santé, la DGS, et de l'InVS a été prise en vingt minutes, avec notre accord. Ce sont des médecins des GROG qui sont allés effectuer les prélèvements et ont suivi toutes les personnes déclarées suspectes ».

Mme Anne Mosnier a toutefois fait observer qu'à ce jour, les médecins des GROG ne pourraient pas, en tout état de cause, effectuer des prélèvements, faute d'être équipés en masques de protection : « Les médecins, qui prélèvent dans le cadre de la grippe saisonnière, sont équipés de kits de prélèvement mais nous n'avons pas obtenu, partout, des masques et autres matériels de protection, malgré nos demandes aux directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales. Dans certaines régions, il semble exister un manque de volonté des autorités. C'est dommage et injustifié car il ne serait pas si difficile d'équiper 700 à 800 médecins. En attendant, les médecins des GROG ne pourraient pas intervenir car les masques sont prépositionnés dans les hôpitaux. Il faut dire que tous les médecins libéraux demandent des masques et que les services hospitaliers craignent de « mettre le feu aux poudres » en en délivrant une petite quantité à une catégorie de professionnel donnée ».

b) L'hospitalisation dès la suspicion d'infection

  Le principe de l'hospitalisation

Le plan prévoit l'hospitalisation systématique des cas possibles en vue de leur isolement, tout au moins tant que leur nombre le permettra. La fiche D.1 indique en effet qu'en période d'alerte pandémique, tant que les cas ne seront pas trop nombreux, les personnes sont hospitalisées pour éviter une diffusion dans la population générale et pour assurer un suivi médical détaillé. Si, compte tenu de l'évolution de la situation, le nombre des cas possibles devenait très important et créait des problèmes de gestion des hospitalisations, la prise en charge du patient pourra être réalisée à son domicile s'il n'y a pas de critères de gravité et si le suivi médical à domicile apparaît possible.

Dès lors, si un patient se présente chez un médecin libéral, celui-ci, après l'entretien avec l'InVS, devra organiser l'hospitalisation du patient en liaison avec le SAMU. Cette option n'allait pas de soi, en particulier dans la période où la transmission inter-humaine n'est pas avérée et où la contagiosité de la maladie est donc faible. Seule la gravité des symptômes pourrait la justifier. Telle est l'analyse de M. Gilles Brücker : « Faut-il déclencher des mesures avant même d'avoir connaissance le résultat du prélèvement ? La question mérite réflexion. Un cas considéré comme possible doit-il être ou non hospitalisé ? Cela ne va pas de soi. D'un point de vue médical, il est préférable que le patient se couche dans un lit d'hôpital mais, au plan strictement épidémiologique, en cas de syndrome fébrile ou grippal modéré, ce n'est pas indispensable. Le seul critère d'hospitalisation est la sévérité du cas ». Il explique l'option retenue par « l'inquiétude ambiante » qui fait que « la tendance est toutefois à l'isolement, à l'hôpital, pendant les vingt-quatre heures d'attente nécessaires pour avoir le résultat du prélèvement »111 .

M. Xavier Bertrand a, pour sa part, ainsi justifié ce choix : « Pour des raisons d'ordre psychologique vis-à-vis des professionnels de santé libéraux, pour garantir un maximum de prise en charge et pour étudier intégralement les cas cliniques qui se présenteront ».112  L'hospitalisation aura également pour intérêt de permettre d'identifier le tableau clinique de la grippe pandémique, les signes cliniques pouvant être différents d'une grippe saisonnière.

  Les modalités de l'hospitalisation

L'hospitalisation des malades s'organise autour des hôpitaux référents définis par zones de défense, des établissements de santé comportant des services de maladies infectieuses et ceux ayant un service d'urgence. M. Patrick Goldstein, chef du SAMU du département du Nord, a rappelé qu'« il existe un établissement référent de la zone de défense dans le cadre de la gestion des nouveaux risques - en l'occurrence les risques NRBC- et la grippe aviaire est considérée comme une application particulière du risque biologique »113 . Ainsi, pour la région Nord-Pas-de-Calais, l'établissement de référence est le centre hospitalier universitaire régional de Lille. S'agissant de la région parisienne, M. Jean-Marc Boulanger, secrétaire général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, a décrit le schéma parisien qui « s'articule autour de trois hôpitaux référents (Bichat, Pitié-Salpêtrière et Necker), six autres établissements comportant un service maladies infectieuses (Avicenne, Saint-Louis, Saint-Antoine, Tenon, Paul-Brousse et Poincaré), l'ensemble des hôpitaux recevant les urgences, le SAMU et enfin un dispositif dit CERVEAU114 de suivi d'ensemble mis en place en 2004 à la suite de la canicule »115 .

La question de l'affectation géographique des patients n'est pas traitée par le plan, car il est difficile de définir préalablement des secteurs géographiques de prise en charge. En tout état de cause, il apparaît que l'hospitalisation des patients ne se fera pas prioritairement dans l'établissement de référence mais dans l'hôpital le plus proche et remplissant les conditions de sécurité posées par le plan. Ainsi, M. Patrick Goldstein a indiqué que : « Pour ce qui est de l'hospitalisation, soyons clairs : il est hors de question, a fortiori en période de pandémie, d'hospitaliser un habitant de Picardie ailleurs qu'au CHU d'Amiens... De la même manière, les malades du Nord-Pas-de-Calais seront probablement hospitalisés à Lille ».

Ces établissements ont mis en place, dans le cadre de leur plan blanc, des procédures de prise en charge des malades suspects ou confirmés afin de limiter au maximum les risques de contamination. Ces procédures s'appuient sur le précédent du SRAS et sur les règles élaborées en matière de risque NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique). Selon M. Jean-Marc Boulanger : « Nous pouvons considérer que nous sommes aujourd'hui capables de prendre correctement en charge les cas qui se présenteraient sur notre territoire en phase pré-pandémique, autrement dit en situation 3 de la classification OMS ». L'accent étant particulièrement mis sur la protection physique des patients et des personnels, M. Jean-Marc Boulanger a précisé que les services peuvent s'appuyer sur « une fiche d'aide à la décision, commune à tous les services d'accueil des urgences et aux SAMU, qui permet d'effectuer un premier tri ».

L'isolement des patients est réalisé dans des locaux spécifiques, notamment des chambres d'isolement avec sas et pression négative. À la fin 2002, la France ne possédait qu'une seule chambre à pression négative et n'était guère préparée aux risques émergents de type infectieux ou bioterroriste. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le risque bioterroriste a surgi sur le devant de la scène et des programmes spécifiques de prise en charge de la variole ou du risque terroriste ont alors été élaborés. La crise liée au SRAS a constitué une étape supplémentaire dans la prise en compte du risque infectieux. Aujourd'hui, on compte 80 chambres à pression négative : pour l'ensemble du territoire national, c'est encore bien insuffisant. Lors de visites d'hôpitaux effectuées par des membres de la mission, le manque criant de ce genre d'infrastructures spécifiques a été fréquemment dénoncé par les personnes rencontrées.

M. François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, a rappelé que pour la région Île-de-France, il est  « normalement prévu que soient mises à disposition de ces deux unités hospitalières [La Pitié-Salpêtrière et Bichat], dans les deux services de maladies infectieuses, des chambres d'isolement capables d'accueillir, dans des conditions satisfaisantes, des malades infectés et donc potentiellement contagieux - ce qui signifie des chambres isolées avec sas et pression négative pour éviter tout risque de contamination. » Cependant, les travaux ont pris du retard : « Force est de reconnaître qu'à ce jour, ces décisions n'ont pas été concrétisées par une réalisation des travaux. L'AP-HP est bien consciente de son rôle, mais, du fait de ses propres difficultés et de la lourdeur de la planification hospitalière qui ne peut pas être bousculée, sauf ordres qui viendraient de très haut, le cheminement est extrêmement long. Je sais, pour être également intérimaire à Bichat, que l'Assistance publique a fait faire des plans - largement avancés - de travaux pour réaliser ces chambres dans les deux structures. » Pour lui, cependant, les structures existantes permettent « d'ores et déjà un accueil satisfaisant et [...] en aucune façon, nous ne faisons prendre un risque à quiconque. Ce n'est pas le « top », j'en conviens, mais la sécurité est assurée. Et je m'inscris en faux contre ce qu'ont prétendu certains journaux : la préparation de nos équipes est faite, et est bonne. Celle que j'ai le plaisir de diriger, sur le plan tant des infirmières et aides-soignantes que des médecins, a déjà montré à plusieurs reprises combien elle était capable de faire face à l'accueil de cas de suspicion de fièvre hémorragique, de charbon ou autre risque infectieux lié au bioterrorisme, et même de grippe aviaire. »

  Le cas particulier de la prise en charge des malades détectés sur le trajet de leur arrivée en France

Dans le contexte d'une menace de pandémie grippale, le plan prévoit une procédure adaptée pour la prise en charge des personnes revenant de zones où sévit l'épizootie, et dont la suspicion a été détectée pendant le trajet. Cette procédure, s'appuyant sur les recommandations de l'Association internationale du transport aérien du 28 juillet 2005, est applicable dans les zones aéroportuaires et maritimes tant en situation 3 (absence de transmission inter-humaine) qu'en situation 4 et 5 (transmission inter-humaine avérée).

S'agissant des voyages par avion, si un passager présente pendant le vol des symptômes évoquant une infection grippale, le commandant de bord doit en être immédiatement averti. Ce dernier alerte aussitôt l'aéroport de destination afin que le passager soit pris en charge à son arrivée. À l'arrivée, le SAMU ou le service médical intervenant sur l'aéroport monte à bord et prend en charge le passager de manière sécurisée. Les services sanitaires distribuent des fiches de traçabilité à chacun des autres passagers. Avant le débarquement, les passagers et l'équipage sont informés de la conduite à tenir en cas de survenue de signes évocateurs de grippe dans les dix jours suivants. Le passager est ensuite pris en charge selon les dispositions prévues pour un patient localisé sur le territoire français.

Un exercice s'est tenu à Lyon le 24 février 2006 et a simulé l'arrivée de deux personnes touchées par le virus de la grippe aviaire. Cette simulation a permis d'évaluer la coordination des différents services impliqués dans la procédure : périmètre de sécurité autour de l'appareil, PC de crise à la préfecture, prise en charge des malades (évacuation vers un service de maladies infectieuses en chambre d'isolement, prélèvements envoyés au centre national de référence), fiches d'identification distribuées à l'ensemble des passagers.

B. LE PRINCIPE DU MAINTIEN DES MALADES A DOMICILE EN PÉRIODE PANDÉMIQUE 

La mission a constaté,  au cours de ses premières auditions à l'automne 2005, que de nombreuses interrogations demeuraient sur l'organisation du système de santé en période pandémique. En mars, M. Xavier Bertrand a lui-même admis avoir « le sentiment que nous devons améliorer [l'] état de préparation... Et pour ce faire, nous devons nous projeter dans ce que pourrait être le scénario pandémique 116 ». Pour sa part, M. Jean Castex, Directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) du ministère de la santé et des solidarités a déclaré : « Il n'est pas dit que j'aie à ce jour toutes les réponses à toutes vos questions...(...) il est des sujets sur lesquels nous avons encore à progresser ».

Deux mois plus tard, le 30 mai, lors de son audition, M. Didier Houssin a fait valoir que l'approche des problématiques s'affinait. Le Rapporteur a pu apprécier la construction progressive du plan. Par exemple, dans la version parue en janvier 2006, les dispositions concernant les établissements de santé faisaient par exemple l'objet d'une unique fiche relativement succincte (Fiche E.3-Organisation des établissements de santé pendant la pandémie). Depuis, est paru à la fin du mois d'avril, un ensemble complet de « fiches de recommandations sur l'organisation des soins en situation de pandémie grippale »  détaillant des problématiques qui avaient été soulevées, au demeurant, par la mission, comme celle, par exemple, de la réanimation des patients les plus gravement atteints. Ces fiches devraient, au surplus, être complétées et précisées dans une deuxième édition prévue pour l'été 2006.

Le Rapporteur a par ailleurs noté des inflexions dans les stratégies envisagées. La réflexion des pouvoirs publics a notamment porté sur les structures pouvant assurer des relais afin de permettre le fonctionnement du système de santé, même en mode dégradé. C'est ainsi que des fiches ont été élaborées sur le corps de réserve sanitaire, à l'image de ce qui existe en matière militaire et de protection civile, ou sur les structures intermédiaires.

Il va de soi que cette réflexion en cours sur les modalités d'application du plan s'inscrit dans le cadre général des principes qui régissent la prise en charge des malades. Alors que pendant la période pré-pandémique, il y aura lieu de procéder à l'hospitalisation de précaution des patients, ce principe sera inversé en période pandémique. La fiche E.1- Organisation des professionnels de santé dispensant des soins ambulatoires pendant la pandémie- dispose que « Le principe retenu est le maintien des patients à domicile si leur état de santé le permet ». Les pandémies précédentes ont permis de constater qu'en cas de grippe, les pathologies sont de sévérité très variable : des symptômes bénins coexistent avec des formes très graves. Cette constatation est prise en compte dans l'organisation logistique des soins prévue dans le plan : le système hospitalier ne pouvant en effet faire face seul à l'afflux de tous les malades, le plan prévoit de mettre les professionnels de santé libéraux en première ligne de soins pour les formes cliniques sans complications majeures.

1. L'ampleur du choc pandémique impose de redéfinir le rôle des acteurs de santé

a) La définition du rôle respectif des acteurs de santé dans la gestion de la crise

  Un risque de désorganisation complète du système de santé

L'étude précitée de l'InVS indique que le nombre de cas en fin d'épidémie varierait entre 9 et 21 millions de malades. L'hypothèse retenue est celle d'une pandémie qui aurait la même cinétique que les épidémies grippales hivernales et qui se composerait de deux vagues de dix semaines chacune, selon deux scénarii. Soit ces vagues seront identiques en termes de nombre de malades, soit une première vague plus faible (un tiers des cas) sera suivie d'une seconde plus importante (deux tiers des cas). Cette hypothèse de l'extension d'une pandémie en vagues successives, qui permettrait ainsi de gagner du temps pour mettre au point un vaccin pandémique, est classiquement admise. Cependant, en raison de la mondialisation des échanges, une extension de la pandémie sans vagues successives, mais avec des pics associés avec un fond permanent de cas est également possible.

Compte tenu de ces prévisions, une pandémie pourrait provoquer une désorganisation complète du système de santé. La dernière des pandémies grippales qui a frappé la population française est la grippe de Hong Kong de 1969. Selon une étude réalisée récemment à partir des fichiers de mortalité conservés par l'unité « centre épidémiologique sur les causes médicales de décès » de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), cette grippe avait fait plus de 31 000 morts en deux mois, soit deux fois plus que la canicule de 2003. Cette pandémie a été fort peu étudiée. Il aura fallu la menace d'une nouvelle pandémie liée à l'émergence du virus H5N1 pour que l'on s'aperçoive que les cas n'avaient jamais été dénombrés et que l'on décide d'entreprendre l'étude précitée.

Aucune étude, en revanche, n'a été conduite sur les conséquences de la grippe de Hong Kong pour le système hospitalier ; seuls sont disponibles les témoignages de médecins qui exerçaient alors. Le professeur Pierre Dellamonica, actuellement chef du service d'infectiologie du CHU de Nice, évoque ses souvenirs alors qu'il travaillait comme externe dans un service de réanimation : « Les gens arrivaient en brancard, dans un état catastrophique. Ils mouraient d'hémorragie pulmonaire... »117. Plus récemment, l'expérience de la canicule a montré que le système sanitaire pouvait être mis à rude épreuve lors d'une crise majeure : le rapport fait au nom de la commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et sociales de la canicule118 a mis l'accent sur les dysfonctionnements de l'organisation hospitalière (urgences débordées, planification défaillante des capacités d'accueil, déclenchement tardif des plans blancs).

Même si la crise de l'été 2003 présente des caractéristiques très différentes - dont celle, et non des moindres, de l'absence de contagiosité, laquelle sera un élément crucial de la pandémie grippale - il est possible d'en tirer des leçons. Les mesures contenues dans le plan visent à assurer la prise en charge optimale des malades atteints de grippe tout en assurant la continuité des soins pour les autres pathologies. Ce défi ne pourra être relevé qu'en redéfinissant les missions respectives des acteurs de santé. Cela implique de renoncer à ce que plusieurs personnalités auditionnées par la mission ont qualifié d' «  hospitalo-centrisme ».

  Une prise en charge adaptée à l'état du malade 

Le plan part de l'hypothèse d'une probable saturation du système de soins. C'est pourquoi le maintien à domicile des patients en phase pandémique est préconisé tant que leur état clinique le permet. Afin d'éviter la saturation des hôpitaux et la thrombose des services, les indications d'hospitalisation doivent être strictement limitées aux cas présentant des signes de gravité.

Ce principe retenu par le plan fait l'objet d'un consensus parmi les personnes auditionnées par la mission, qui reconnaissent que les établissements hospitaliers ne pourront pas gérer l'afflux massif de patients. Ainsi selon M. Jean Castex, Directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) « Le plan gouvernemental de prévention et de lutte contre la pandémie grippale retient comme principe de base le maintien, dans toute la mesure du possible, des patients à leur domicile.(...) Retenir le principe inverse, autrement dit l'hospitalisation systématique, aboutirait immanquablement à faire exploser le système en raison du nombre attendu de patients, et ce quelles que soient les modulations »119 .

M. Pierre Monod, président de la Conférence nationale des présidents des Unions régionales des médecins libéraux (URML), estime également que « nos structures hospitalières seront incapables d'y faire face - n'y voyez pas une critique mais un constat »120 .

De surcroît, privilégier le maintien à domicile a l'avantage d'éviter la diffusion du virus. M. Pierre Fuentes, président de la Conférence des présidents de CME de CHU, a souligné  « le risque ...de faire entrer la grippe à l'hôpital où elle pourrait devenir une maladie nosocomiale pour les autres hospitalisés comme pour le personnel »121 . En fait, il s'agira d'apprécier si le risque de garder une personne atteinte de la grippe aviaire est plus grand que celui de la renvoyer chez elle.

Cette stratégie impose à l'évidence de revoir, en période de crise, la mission traditionnelle de l'hôpital qui est d'accueillir tout le monde. Cela va à l'encontre de ce que M. Pierre Fuentes a défini comme « la culture sanitaire de la population française » qui fait que « nos concitoyens se tournent de plus en plus vers l'hôpital», comportement lié selon lui à l'« absence de réponse conforme » à l'attente des citoyens apportée par la médecine libérale. Plusieurs personnalités auditionnées par la mission ont, à cet égard, mis en avant les carences de la permanence de soins dans un grand nombre de régions et le désarroi des patients qui ne trouvent pas d'autre solution que de se rendre aux urgences de l'hôpital.

Un des objectifs du plan est donc de garantir aux citoyens une réponse adaptée à leur état, consistant en une prise en charge de qualité à domicile avec l'assurance que l'hôpital pourrait reprendre la main si nécessaire. M. Bernard Huynh, président de l'URML d'Île-de-France, a cité, comme exemple de ce que pourrait être l'application du principe du maintien à domicile avec recours à l'hospitalisation en cas de nécessité, les « réseaux bronchiolite » fonctionnant pour les enfants atteints de cette pathologie virale contagieuse : « Nous avons un excellent modèle d'articulation hôpital-ville, celui de la bronchiolite, maladie où l'enjeu essentiel est de laisser les enfants à la maison autant que possible, tout en restant capable de prendre très rapidement en charge à l'hôpital les cas les plus fragiles. Les réseaux bronchiolite fonctionnent très bien et pourraient parfaitement être adaptés à la pandémie grippale. Ce dispositif permet tout à la fois un maintien à domicile de très bonne qualité et une articulation médecine de ville/hôpital garantissant une admission en urgence sitôt que l'état du malade l'exige »122.

En privilégiant le maintien à domicile, le plan confère inévitablement une responsabilité particulière aux patients. En leur demandant de rester se soigner à domicile, on en fait implicitement des acteurs de santé à part entière, ce qui rend d'autant plus indispensable leur information, comme l'a fait observer M. Bernard Gouget, représentant de la Fédération hospitalière de France : « Ce qui m'interpelle enfin, c'est le rôle du citoyen en tant qu'acteur de santé. Le plan pandémie canadien, par exemple, reconnaît clairement le citoyen comme le troisième acteur, à côté des acteurs libéraux et de l'hôpital public et privé. Le citoyen est à l'évidence le troisième maillon de la chaîne, sinon le premier. Il nous paraît important de l'informer peu à peu sur la conduite à tenir. (...) Désormais, il va falloir que nous soyons partenaires, avec le secteur libéral, mais également avec le citoyen. À l'exemple du Canada, nous avons tout intérêt à inciter chaque citoyen à prendre en charge sa maladie dans ses formes les plus bénignes, et à adopter les mesures de protection nécessaires. Si le citoyen ne sait pas ce qu'il doit faire pour, d'abord, ne pas être contaminé, ensuite ne pas contaminer les autres, l'hôpital risque davantage encore d'être dépassé et les médecins libéraux totalement débordés. La première mesure barrière se situe au niveau du citoyen lui-même »123 .

  La transition entre la phase pré-pandémique et la phase pandémique : une délicate période charnière

Comme il a été dit précédemment, en période pré-pandémique, le principe posé par le plan est celui de l'hospitalisation mais en période de pandémie, les besoins seront tels que les patients devront prioritairement être soignés à domicile. Le problème sera de savoir où se situera la zone de « partage des eaux ». Nul doute que la transition entre les deux phases sera délicate et lors de son audition du 30 mai 2006 par la mission, M. Didier Houssin indiquait que le passage entre la phase 5 et la phase 6 serait une période charnière sur le déroulement de laquelle il convient de travailler.

M. Francis Fellinger, Président de la conférence des présidents de commissions médicales d'établissements de CHU, avait attiré l'attention de la mission sur la phase d'entrée dans la pandémie, qui sera : « délicate pour les hôpitaux, probablement placés en première ligne. Même si la théorie prévoit des filtrages pré-hospitaliers, nul doute que l'apparition de plusieurs cas simultanés provoquera des mouvements de panique et un afflux de patients dans les services d'urgences. Ce sera pour nous une période de « calage » très délicate, qui verra se mélanger des gens réellement malades, des gens potentiellement malades et des gens angoissés qu'il sera impossible à ce stade de filtrer et d'organiser en flux séparés, et ce d'autant plus que les potentiellement malades, en phase préclinique, sont précisément les plus contagieux. »124 . 

Cette phase sera délicate à gérer pour le secteur hospitalier public car ce sera : « le seul en ligne à ce moment-là. ».

M. Xavier Bertrand s'est donc prononcé en faveur d'« une bascule la plus rapide possible... Cette logique de SAMU et d'urgence ne peut se concevoir que dans les tout premiers temps ; sinon, nous aurons le plus grand mal à expliquer pourquoi on accueillait avant à l'hôpital, et plus après... Nous aurons suffisamment d'efforts à déployer sur le plan de la pédagogie pour ne pas avoir à en ajouter d'autres. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il faudra basculer très tôt »125 .

b) L'application du principe du maintien des malades à domicile

  Les critères de gravité de l'état du malade

Poser le principe d'une prise en charge adaptée suppose que soient préalablement définis les critères de gravité sur la base desquels les malades seront maintenus à domicile ou hospitalisés. Ces critères font l'objet d'une description détaillée dans la fiche D.3 - Prise en charge médicale des malades atteints de grippe et de leurs contacts en cas de pandémie.

Les signes de gravité sont différenciés selon qu'il s'agit d'enfants ou d'adultes. De surcroît, pour l'enfant, il y a lieu d'appliquer le maximum de précaution et la présence d'un seul des signes suivants suffit à justifier l'hospitalisation : difficultés alimentaires d'un nourrisson de moins de six mois, tolérance clinique médiocre de la fièvre malgré les mesures adaptées, signes de déshydratation aiguë associée, existence de troubles de la vigilance, convulsions répétées ou état de mal convulsif, signes de détresse respiratoire, apnées ou enfin contexte particulier (très jeune âge, c'est-à-dire moins de trois mois, antécédents de prématurité). Chez l'adulte, les signes d'alerte sont les suivants : troubles de la vigilance, pression artérielle et température inférieure à un certain seuil, fréquences respiratoire et cardiaque supérieure à un certain seuil.

Par ailleurs, l'appartenance d'un patient à un groupe à risque (pathologies respiratoires chroniques, pathologies cardiaques, diabète, immunodépression, grossesse, sujet de plus de soixante-cinq ans ...), si elle ne doit pas forcément conduire à une hospitalisation, nécessite le renforcement de l'attention du médecin dans la recherche de signes de gravité présents ou à venir.

  L'application de ces critères sera assurée par la régulation médicale

-- Le rôle pivot des SAMU-Centres 15

La régulation médicale se trouvera, comme l'a souligné M. Jean Castex « au cœur du dispositif des soins de ville, des transports sanitaires et des hospitalisations ». Les SAMU-Centres 15 seront les pivots de cette régulation et la fiche E.2- Organisation des services d'aide médicale urgente (SAMU-centres 15) et des transports sanitaires leur assigne « un rôle majeur au sein du dispositif d'organisation des soins ». « Tour de contrôle » selon l'expression de M. Jean-Marie Paulot, Directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation Nord - Pas-de-Calais126 , le SAMU-Centre 15 devra tout à la fois traiter les informations, orienter les malades, faire prévaloir le principe du maintien à domicile en réservant l'hospitalisation aux cas les plus graves et organiser le transport des malades les plus touchés.

En principe, l'hospitalisation du patient ne pourra s'effectuer qu'après régulation médicale par le SAMU-Centre 15. Celui-ci assurera donc ce premier rôle de régulation des hospitalisations en orientant le patient soit vers la médecine de ville, soit vers l'hôpital. M. Jean Castex a aussi rappelé le rôle de « conseil médical auprès de la population », insistant sur la nécessité de « mettre au point un message national homogène et clair. »

De surcroît, la régulation libérale de permanence des soins sera centralisée au SAMU-Centre 15 ; cette régulation fonctionnera avec des médecins libéraux et des associations de médecins de garde du type SOS médecins. Cette option a été retenue par le plan sur la base d'expériences réussies de régulation libérale au sein du SAMU-Centres 15. M. Jean-Marie Paulot a fait part de l'expérience de la région Nord- Pas-de-Calais : « La région Nord-Pas-de-Calais a la chance d'avoir une régulation libérale travaillant aux côtés du SAMU, ce qui nous sera très utile dans l'application du principe du maintien à domicile. Nous avons, de surcroît, constitué un réseau d'hospitalisation à domicile de 600 places, avec une organisation par secteur. Le pilotage est assuré par un médecin coordonnateur en relation constante avec l'hôpital. Cela devrait faciliter la mise en œuvre du principe du maintien à domicile. »

Le Centre 15 sera l'unique point d'entrée des appels des particuliers comme des professionnels. Même si le plan maintient opportunément, pour des raisons pratiques, l'ensemble des numéros d'urgence (17, 18, SOS médecins...), tous ces appels seront transférés sur les Centres 15. M. Patrick Golstein, du CHU de Lille, a assuré à la mission que le « reroutage ne pose aucun problème avec les autocoms modernes. »

Circuit de prise en charge des malades en phase pandémique

graphique

-- Les risques de saturation des SAMU-Centres 15

Compte tenu de l'ensemble des missions assignées aux SAMU-Centres 15, une saturation des services est prévisible. Il s'agit donc, comme l'a fait observer M. Jean Castex « d'anticiper un surcroît d'appels et d'interventions sans pour autant bouleverser les réflexes des patients comme des professionnels de santé ».

En effet, pour que les malades respectent la consigne de rester à leur domicile, il importe qu'ils puissent entrer en contact, dans des délais raisonnables, avec des interlocuteurs informés et compétents.

Le plan met donc l'accent sur la nécessité de prévoir la montée en puissance, en moyens humains et techniques, des SAMU-Centres 15, que certains hôpitaux ont d'ores et déjà anticipée. M. Philippe Hrouda, de l'AP-HP, a ainsi décrit à la mission le  « programme de renforcement systématique de nos centres 15, dit CARMEN (Centre d'Appel et de Régulation Médicale Nominale) engagé depuis deux ans et qui dépasse l'épure de la préparation à la pandémie. La question est de savoir comment nous pourrions accélérer le programme CARMEN dans les trois SAMU de la petite couronne et tirer les conclusions de l'audit mené sur le cas spécifique du SAMU 75 dans le cadre plus général de ses attributions en tant que SAMU de la zone de défense »127 .

Le renforcement en moyens humains sera central comme l'a signalé M. Jean Castex : « La place des SAMU-Centres 15 est un sujet central, y compris sur le plan technique. C'est d'abord un problème humain, celui des personnels amenés à répondre au téléphone, et celui de leur formation à un sujet très spécifique ». Le plan prévoit donc de recenser des personnels mobilisables et de les former. M. Jean Castex a suggéré de faire appel à  « des médecins régulateurs retraités depuis moins de trois ans ou à des médecins possédant un diplôme universitaire de régulation ou une capacité d'aide médicale urgente. Par ailleurs, les services départementaux peuvent également prévoir de former certains personnels administratifs de l'hôpital aux fonctions de permanenciers, qui sont des personnels non médicaux travaillant dans les SAMU-Centres 15 ».

M. Jean-Marie Paulot a présenté l'état de la réflexion effectuée dans sa région sur ce sujet : « Pour ce qui concerne le centre 15, nous sommes actuellement en train de lister et de rechercher tous les médecins passés et formés dans notre service, afin de pouvoir les rappeler pour utiliser leur expérience de la régulation. Parallèlement, puisque chaque équipe du 15 est composée d'un permanencier et d'un médecin, nous allons proposer aux directions des ressources humaines des hôpitaux de faire un appel aux volontaires parmi le personnel administratif non soignant, autrement dit des secrétaires médicales, et de leur proposer de suivre un séminaire d'une journée pour se former comme auxiliaires de régulation. C'est exactement la démarche que nous avions suivie en matière de risque chimique et terroriste, lorsque nous avions fait appel à des volontaires, tous statuts confondus, au sein de l'hôpital, pour leur apprendre à décontaminer. »

Concernant le renforcement en moyens matériels, conformément aux préconisations du plan, un état des lieux doit être dressé dès à présent dans chaque SAMU-Centre 15 afin d'identifier les moyens matériels existants et les possibilités d'extension de ceux-ci (lignes téléphoniques, informatique). S'agissant de la région parisienne dans laquelle on dénombre quatre SAMU, M. Philippe Hrouda a signalé à la mission qu' « Un audit est en cours sur les capacités de traitement du centre 15 de Paris, où nous pressentons des limites. ». M. Jean-Marie Paulot estime pour sa part qu'il faudrait, dans sa région, augmenter les lignes « au minimum de 50% ».

Enfin, si la saturation du standard du SAMU-Centre 15 est telle qu'elle remet en cause la qualité de gestion des appels, M. Jean Castex a indiqué que « des cellules d'expertise et d'appui » au sein d'un SAMU-Centre 15 d'un CHU seront créées à la demande des autorités de santé . Les missions de cette cellule pourront s'exercer à plusieurs niveaux selon l'état de saturation des standards. Au premier niveau, elle aura un rôle de conseil aux professionnels de santé ; au second, elle se développera pour permettre une extension de la régulation et un développement des possibilités de traitement des appels, afin d'assurer la continuité du service à la population.

2. L'organisation du maintien à domicile des malades

Selon l'étude précitée de l'InVS, le taux moyen d'hospitalisation des malades, en phase pandémique, serait de 5 %. Il reviendrait donc à la médecine de de ville de prendre en charge 95 % des malades. Le nombre attendu de personnes potentiellement grippées nécessitera donc d'adapter cette offre de soins.

Les fiches D.3 - Prise en charge médicale des malades atteints de grippe et de leurs contacts en situation de pandémie et E.1 - Organisation des professionnels de santé dispensant des soins ambulatoires pendant la pandémie posent les principes de l'organisation des soins à domicile pendant cette période. Elles ont été récemment détaillées et complétées par le document précité paru fin avril « Organisation des soins en situation de pandémie grippale ».

a) Les professionnels libéraux seront les acteurs de première ligne

Les professionnels libéraux, tout particulièrement les médecins généralistes, ont une expertise de la grippe saisonnière. M. Jean-Marie Cohen, des GROG, a rappelé que la grippe est bien connue « des soignants de première ligne, car c'est une maladie virale communautaire, qui amène les patients à consulter les pharmaciens et les médecins de ville (...) ; la proportion des grippés hospitalisés, pendant les épidémies saisonnières, est (...) inférieure à 0,5 %. » Cette expérience leur permettra d'être plus efficacement mobilisés pour faire face à l'afflux de patients grippés.

Or, une des conditions pour que la population reste se soigner à domicile est, comme l'a analysé M. Bernard Ortolan, président du Conseil national de la formation continue des médecins au sein de la CSDMF (Confédération des syndicats médicaux français), « [La] confiance dans la réponse de proximité qu'apporteront les généralistes, les spécialistes - qui devront également se mobiliser - et tous les médecins quels qu'ils soient : salariés dans les dispensaires, médecins dans les hôpitaux, etc. Il faudra informer, rassurer les gens et les renvoyer chez eux avec le traitement adéquat »128 

Les modalités d'organisation des soins ambulatoires doivent créer des conditions de cette confiance.

Les médecins se sont engagés à assumer leurs responsabilités professionnelles.

Si le Conseil de l'Ordre n'a pas donné de consignes spécifiques relatives à la pandémie grippale et si aucun engagement, formalisé dans le code de déontologie, n'a été pris par cette instance, la mission a pu entendre de la part des représentants des médecins des engagements moraux conformes à leur déontologie professionnelle, qu'il conviendra de soumettre, le moment venu, à l'épreuve des faits :

- « Nous devons assumer une responsabilité partagée, chacun à la mesure de ses moyens » (M. Pierre Costes, Président de M.G. France, Fédération française des médecins généralistes) ;

- « Nous sommes des responsables syndicaux, mais nous sommes aussi médecins. Je peux vous dire que je n'ai entendu personne, parmi les généralistes que je connais, qui ait dit qu'il prendrait la poudre d'escampette dès le premier malade ausculté... Je n'ai entendu personne dire qu'il ne ferait pas face. » (M. Jean-Claude Régi, président de la FMF, Fédération des médecins de France) ;

- « Ils ont conscience du travail important qu'ils peuvent faire dès maintenant et qu'ils feront, en cas de pandémie, comme de bons petits soldats, selon le plan d'urgence qui sera déclenché. Les médecins joueront leur rôle avec le parfait désintéressement qu'on leur connaît. Je ne vous parle pas aujourd'hui de réquisition ni d'honoraires, ce ne sont pas des problèmes qui nous intéressent. » (M. Bernard Ortolan, président du Conseil national de la formation continue des médecins au sein de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) ;

- « Je voudrais insister sur le fait que de toute façon, les médecins assumeront, comme ils l'ont toujours fait. » (M. Roger Rua, Secrétaire général du SML (Syndicat des médecins libéraux).

La garantie de disposer gratuitement des équipements de sécurité, ainsi que le prévoit le plan, sera la contrepartie légitime de cet engagement et les professionnels libéraux se sont montrés très soucieux de se les procurer.

M. Bernard Ortolan l'a notamment souligné : « Les médecins souhaitent simplement avoir du matériel pour se protéger et protéger leur famille, leurs patients et leurs salariés ». M. Jean-Claude Régi a confirmé ces attentes : « j'ai rencontré des médecins demandeurs d'information pour savoir ce qu'il faudrait faire. Qu'on leur donne les masques et le matériel de protection, qu'on leur fasse parvenir du Tamiflu pour eux-mêmes et leur famille : ce sont leurs attentes aujourd'hui ».

Cependant, la mise à disposition des masques par les pouvoirs publics a pris du retard, comme l'a regretté M. Jean-Claude Regi : « En période pré-pandémique, c'est-à-dire aujourd'hui, [les médecins libéraux] doivent avoir à leur disposition un équipement adéquat pour se protéger, qu'il s'agisse de masques, de gants, de lunettes, de sur-blouses. Or, nous constatons que peu de médecins libéraux sont en possession de ces équipements. En période pandémique, ces équipements devront être d'usage quotidien, donc en quantité suffisante, et l'approvisionnement devra être assuré. Actuellement, les médecins libéraux attendent toujours de savoir comment obtenir ces équipements, tant pour eux que pour les malades. Sachez qu'en période pré-pandémique, il faut utiliser un masque par patient infecté et qu'en période pandémique, il faut changer de masque toutes les trois ou quatre heures. Cela suppose des masses importantes de matériel à disposition. »

Certains médecins ont d'ores et déjà pris l'initiative de s'équiper, à leurs frais, de masques, le Conseil de l'Ordre comme les organisations professionnelles et syndicale indiquant sur leurs sites la liste des fournisseurs de masques agréés.

L'engagement moral des médecins libéraux ne pourra qu'être conforté par la décision annoncée par M. Xavier Bertrand de doter chaque praticien d'un kit de protection avant l'automne. M. Didier Houssin a confirmé que cette initiative allait être prochainement suivie d'application : « des stocks considérables de masques FFP2 à haute capacité de filtration ont été constitués dans les établissements de santé et sont en cours de constitution au niveau zonal afin d'être distribués aux médecins. Des moyens complémentaires leur seront également attribués et un kit de première protection est en cours de constitution »129 .

Dans l'introduction du présent rapport, le Rapporteur a évoqué les doutes qu'ont émis plusieurs membres de la mission sur la disponibilité et le dévouement des médecins le moment venu, se demandant si, comme peut-être d'autres Français, ils ne cèderont pas à la panique ambiante et ne préfèreront pas fuir la contagion.

Le Rapporteur ne partage pas ce jugement à la fois pessimiste et injuste sur le degré de conscience professionnelle des médecins, Il est convaincu que face à la gravité de la situation, et conformément au serment d'Hippocrate qu'ils ont tous prêté, les médecins assumeront leurs obligations professionnelles et répondront à l'appel à la mobilisation générale. Pourquoi douter a priori de leur sens du devoir et ne pas leur faire confiance ? Leurs représentants, entendus par la mission, ont insisté sur l'engagement moral qu'ils ont pris d'être présents sur le front lorsque la pandémie éclatera. Faisons-leur crédit de cette détermination à ne pas se soustraire à leurs responsabilités.

  Une formation adaptée devra être assurée

--Une formation indispensable

La grippe est une pathologie certes bien connue des médecins généralistes, comme l'a fait observer M. Pierre Monod : « la grippe, on connaît. Elle a de tout temps existé. La grippe aviaire n'est finalement qu'une grippe un peu spéciale, qui sera sans doute plus grave, voire mortelle, et sous forme épidémique. »

Cependant, la formation des professionnels de santé est indispensable pour plusieurs raisons :

- les médecins généralistes appelés à prendre en charge de manière courante la grippe saisonnière ne seront pas les seuls à intervenir en phase de pandémie. Toutes les énergies seront mobilisées et les médecins spécialistes, quelle que soit leur spécialité, pourront être amenés à examiner des pathologies grippales ;

- les médecins ont besoin d'être formés au diagnostic différentiel permettant de savoir si un patient relève ou non de l'hospitalisation, ainsi que l'a rappelé M. Jean-Claude Regi : « Le problème de la prise en charge des patients, en fonction de la gravité des signes cliniques, notamment si le pronostic vital est en jeu, relève de l'ARH, des hôpitaux publics. En revanche, si le pronostic vital n'est pas en jeu, les médecins généralistes libéraux pourront prendre en charge le malade. Cela nécessite de former ces médecins au diagnostic différentiel » ;

- la formation participe de la mobilisation des médecins et de leur préparation psychologique, notamment celle des jeunes médecins qui n'ont pas eu à affronter de crises sanitaires majeures. Elle permet, selon l'expression de M. Pierre Monod, de construire « l'armée suisse, selon la théorie « the right man in the right place », selon laquelle chacun doit savoir ce qu'il a à faire pour minimiser la panique ». Elle est aussi « l'occasion unique de faire se rencontrer les professionnels de santé » et une façon pour les pouvoirs publics de montrer que leurs préoccupations ne sont pas principalement tournées vers les personnels hospitaliers ;

- la formation fournit aux professionnels des réponses à apporter à leurs patients afin de désamorcer des craintes, voire des paniques.

La formation des médecins libéraux a pris du retard

Les professionnels de santé se sont tous montrés très désireux de recevoir une formation adaptée au risque pandémique, M. Roger Rua a souligné notamment que son organisation, le Syndicat des médecins libéraux (SML), avait engagé « une démarche syndicale classique, consistant à aller voir le ministre pour l'inviter à s'engager dans la formation et l'accompagnement des médecins. »

La mise en place de cette formation a pris du retard, comme l'a souligné M. Jean-Claude Régi, « Il existe un travail important effectué par le ministère de la santé pour faire face à une éventuelle pandémie, dont les médecins sont pour la plupart informés par la presse et certains par les publications disponibles sur le site du ministère. Il faut reconnaître que cette information souhaitée par le Gouvernement n'est pas encore entrée en application. [...] Nous ne doutons pas que la formation de l'ensemble des médecins libéraux à faire face à une éventuelle pandémie de grippe aviaire s'effectuera dans les mois qui viennent ».

Ce retard est notamment dû aux difficultés pour joindre les médecins, en raison de l'absence de répertoire des professionnels libéraux, ce qu'a relevé M. Pierre Monod : « L'expérience montre qu'il n'existe pas de répertoire fiable : il sera toujours faux dans une proportion de 12 à 18 % et le nôtre n'est pas meilleur. Nous avons choqué tout le monde, Ordre et administration, en disant que la France ne savait pas compter ses médecins : notre but n'était pas de choquer, mais d'essayer d'avancer vers quelque chose qui soit un peu moins faux. »

De l'avis général des professionnels, le fascicule de huit pages « Pandémie grippale d'origine aviaire : Conseils aux médecins » élaboré par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), en liaison avec les professionnels de santé,  disponible depuis le mois de décembre 2005, apporte les premiers éléments de réponses aux grandes questions : que faire en phase pandémique si vous suspectez un cas d'infection par le virus aviaire ? Comment protéger les soignants ? Comment répondre aux préoccupations de mes patients ? Il est cependant relativement succinct et une formation plus individualisée est nécessaire. C'est dans cette voie que se sont engagés les pouvoirs publics.

La mise en place de formations individualisées

Le 29 mars 2006, M. Xavier Bertrand a déclaré à la mission : « La question à mes yeux essentielle aujourd'hui est bien celle de la mobilisation, de l'information et de la formation, pour les hospitaliers comme pour les libéraux ». Il annonçait l'envoi, dès la deuxième quinzaine d'avril, aux 380 000 professionnels de santé, y compris ceux exerçant à titre libéral, d'un kit de formation et d'information. Depuis, le dispositif se concrétise et comme l'a indiqué M. Didier Houssin, il montera en puissance pendant toute l'année 2006 : « « Le ministère de la santé a répondu à cette préoccupation en lançant une campagne de formation des libéraux et des hospitaliers, déjà en plein développement et qui se poursuivra tout au long de l'année 2006, de même qu'une campagne nationale d'information par voie d'affiches et de documents divers visant en direction du grand public, mais également des professionnels de santé. Cette campagne se met en place, les routages sont en cours de réalisation, le directeur général de l'INPES nous l'a confirmé encore hier »130 .

Parallèlement à la campagne de communication à destination du grand public lancée il y a quelques semaines, a été mis en place un programme d'information et de formation des personnels de santé tant libéraux qu'hospitaliers. Il comprend des sessions de formation, au niveau régional et national, ainsi que l'envoi d'un outil de formation, information et communication dit «  kit à l'usage des professionnels » qui servira de base commune à la formation.

Le kit et le contenu de la formation ont été élaborés, en concertation, par les groupes d'experts pilotés par la Direction générale de la santé. Ces groupes comprenaient notamment les GROG qui ont pu apporter une expertise adaptée aux pratiques de terrain, l'Ordre des médecins et des pharmaciens, les URML, les diverses instances représentatives ainsi que des sociétés savantes d'infectiologie et de pneumologie.

Composition du « kit de formation et d'information »
mis à la disposition des professionnels de santé

· Un cédérom interactif organisé autour de trois rubriques majeures :

1. Savoir et se former : Les fondamentaux en matière de connaissance de la grippe aviaire y sont présentés ainsi que les grands principes d'organisation des soins en situation de pandémie grippale. Des paroles d'experts apportent un éclairage scientifique complémentaire sur la problématique.

2. Se préparer pour faire face aux risques : cette partie propose une présentation générale du plan, la stratégie et organisation intergouvernementale, le plan gouvernemental de prévention et de lutte « pandémie grippale », les fiches techniques du plan gouvernemental et enfin deux vidéos présentant les exercices de gestion de crise (Lyon pour le volet humain, et Bretagne pour le volet animal). Ces informations s'accompagnent d'une interview de Didier Houssin, Délégué Interministériel à la Lutte contre la Grippe Aviaire.

3. S'informer et informer ses patients : cette rubrique permet aux professions de santé de se repérer au sein de l'ensemble des informations disponibles sur la grippe aviaire, et présente aussi tous les outils de la campagne « Adoptons les gestes qui nous protègent ».

Les connaissances étant amenées à évoluer, des mises à jour fréquentes du CD Rom seront disponibles sur le site Internet du ministère de la santé (www.sante.gouv.fr).

· Un échantillon de deux masques, un masque filtrant type FFP2 préconisé pour les personnes à risque majeur d'exposition tels que les professionnels de santé et un masque anti-projection chirurgical préconisé pour les patients en vue de prévenir la contamination de leur entourage et de leur environnement. Ces masques sont fournis afin de permettre aux professionnels de santé de se familiariser avec leur manipulation.

· Treize fiches mémo synthétiques et pratiques, en format papier, à l'usage du professionnel.

Source : Ministère de la santé et des solidarités, dossier de presse relatif au lancement de la campagne d'information et de formation « Adoptons les gestes qui nous protègent », 26 avril 2006

Un « schéma national de formation » a par ailleurs été présenté le 6 avril 2006 aux représentants des professionnels de santé exerçant à titre libéral. L'architecture retenue est celle d'une organisation en « cascade », ainsi que l'avait suggéré devant la mission, M. Bernard Huynh, président de l'URML d'Île-de-France. Il avait fait part des propositions de son organisme d'un système de formation à « plusieurs étages en fonction du nombre de médecins dans chaque région. Autrement dit, l'information ne circule pas d'une seule traite. Prenons le cas de l'Île-de-France, qui compte 25 000 médecins. Parmi eux, 250 médecins particulièrement motivés, habitués et entraînés constitueront le premier degré. Nous les considérerons comme des médecins libéraux de santé publique ; ils recevront à ce titre une formation spécifique et feront l'objet d'un engagement spécifique, voire d'une indemnisation régulière pour transmettre l'information ou la recueillir auprès de 2 500 médecins, et ainsi de suite dans un troisième degré pour atteindre finalement les 25 000. Cette organisation en degrés d'information permet de minimiser les pertes en ligne et d'assurer l'information de tous tout en gardant la possibilité de cibler les destinataires si besoin est, par zone ou par spécialité. » Cette organisation a été, dans un premier temps, proposée à la DRASS d'Ile-de-France et le préfet de région l'a inscrite comme thème de travail dans le cadre du projet de plan régional de santé publique (PRSP). Par la suite, ce modèle d'organisation pyramidale a été retenu par le ministère de la santé.

Le 21 avril 2006 s'est tenue une session de formation d'une centaine de formateurs régionaux, appelés à former à leur tour des formateurs locaux. Depuis le mois de mai 2006, chaque direction régionale des affaires sanitaires et sociales doit également lancer, en liaison avec l'Union régionales des médecins libéraux (URML) de son ressort, un appel d'offres relatif à l'organisation de sessions de formation, sur la base d'un cahier des charges national. Ces sessions se dérouleront de juin à décembre 2006.

Ces schémas d'information et de formation en cascade pourront utilement être déclinés lors de la pandémie pour diffuser l'information aux professionnels de santé.

b) L'organisation des soins ambulatoires

Elle doit permettre d'atteindre les objectifs généraux posés par le plan : prendre en charge les patients de façon adaptée à leur état et éviter la diffusion du virus dans la population. Ce dernier objectif devra être poursuivi à domicile : des mesures préventives (limitation des contacts, port de masques chirurgicaux par le malade ...) sont prévues afin de protéger l'entourage.

L'organisation retenue a pour objectif d'éviter que la médecine de ville ne soit débordée. Elle repose sur les axes suivants :

  Des modalités d'exercice adaptées

-- Une augmentation des consultations médicales

Selon les projections de l'InVS, le système ambulatoire devra prendre en charge entre 10 et 20 millions de malades. M. Pierre Costes a fait un décompte selon lequel les médecins libéraux auront à prendre en charge « 500 000 patients par jour », en tirant la conclusion qu'ils devront « augmenter leur productivité ».

Cet impératif de « productivité » devra être concilié avec le principe énoncé par le plan : privilégier les visites à domicile afin de limiter le regroupement de patients grippés et non grippés. Si, toutefois, des consultations devaient avoir lieu dans le cabinet libéral, le plan préconise l'organisation adaptée de celui-ci afin de réduire les risques de contamination : mise à disposition dans la salle d'attente d'une signalétique informative, de masques, de mouchoirs ; limitation des temps d'attente ; élimination adéquate des déchets ...

Il importe de noter que le principe de la visite à domicile en période de pandémie va à l'encontre de la tendance de fond en période normale qui est le déclin des visites à domicile.

En phase pandémique, les modalités des visites à domicile nécessiteront des adaptations que le plan n'a pas encore définies. Certaines personnalités ont fait part à la mission de pistes de réflexion sur les conditions de l'exercice libéral.

M. Pierre Monod a ainsi présenté deux suggestions intéressantes :

- un colis standard : « il nous a paru nécessaire de mettre au point une sorte de « colis standard » qui serait déposé sur demande au domicile des malades. Imaginer que les médecins transporteront et distribueront eux-mêmes les colis est invraisemblable... Ainsi que je l'ai expliqué aux services du ministère, le médecin actuel a, en moyenne, cinquante ans et les immeubles d'Île-de-France n'ont pas tous un ascenseur en état de marche ! Il faut donc prévoir un système de distribution de ce colis standard qui s'apparenterait à une ration de guerre contenant les médicaments, le thermomètre et les masques pour la famille, les sacs pour éliminer les déchets, etc. »

- des fiches de surveillance : « Nous avons également imaginé, à l'URML Île-de-France, et notre idée a été reprise par toutes les unions, un système de fiches de surveillance avec quatre questions simples qu'un standardiste pourrait poser au téléphone, ce qui permettrait au médecin de n'aller voir que les malades dont l'état se dégrade, état que l'on évaluerait donc par le biais d'une fiche standardisée et d'un questionnaire confié à des instituts de sondages ou des call centers requis pour l'occasion : ce serait autant d'économisé sur la ressource médicale et permettrait de limiter autant que faire se peut les visites. »

Il importe enfin de noter que, dans la phase pandémique, les médecins libéraux devront vraisemblablement renoncer, pour une large part, à leur statut libéral, notamment du point de vue des rémunérations. M. Frédéric Van Roekeghem, Directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, a fait part de réflexions menées par son organisme pour : « anticiper des dispositifs spécifiques et transitoires garantissant le remboursement des dépenses de santé en toutes circonstances, et en premier lieu garantir aux professionnels de santé libéraux (...) des revenus leur permettant de subsister alors même qu'ils ne réaliseront plus aucun acte, la totalité de leur activité étant dédiée à la grippe aviaire. Nous n'en avons pas encore discuté avec leurs syndicats représentatifs, mais nous privilégions pour l'instant un système d'avances. Il en serait de même pour les cliniques réquisitionnées.»

- Le recours à un corps de réserve sanitaire 

Le plan envisage, tant pour le secteur hospitalier que pour le secteur libéral, le recours à un corps de réserve sanitaire dont l'objet est la suppléance et le renforcement du personnel médical et paramédical. Il est actuellement en voie de constitution : le travail de recensement des diverses personnes mobilisables est en cours. Parmi les pistes de travail inscrites dans le plan, figurent, pour les médecins libéraux, les médecins retraités depuis plus de trois ans, des médecins remplaçants, des médecins salariés, des étudiants ayant validé le deuxième cycle des études médicales... Cette suppléance est également prévue pour les professions paramédicales, les transporteurs sanitaires et les pharmaciens.

  La coordination sanitaire

L'organisation des soins ambulatoires impliquera l'ensemble des professionnels médicaux et paramédicaux. Les questions posées par l'articulation de leurs compétences respectives seront traitées au sein de deux instances :

- Le comité départemental de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires (CODAMUPS)

Le CODAMUPS prévu à l'article L.6313-2 du code de la santé publique est une instance dont la composition est fixée par l'article R.6313-1 du code de la santé publique et qui réunit des représentants des administrations déconcentrées, des autorités politiques, des services d'urgence, des caisses d'assurance maladie, des professions médicales. Le plan prévoit d'en élargir la composition à l'ensemble des professions de santé (pharmaciens, infirmiers...) lorsque celui-ci traitera des questions relatives à la pandémie. Les réflexions de cette instance devront notamment porter sur le recensement des moyens humains susceptibles de renforcer les médecins généralistes et sur l'organisation sanitaire.

La question du quadrillage du territoire relèvera notamment de la compétence de cette instance. Elle mériterait d'être approfondie. Le plan indique seulement que le dispositif du médecin traitant sera suspendu mais ne précise pas comment se fera l'affectation des patients par secteur géographique. M. Jean Castex a envisagé de « recourir à des modalités exceptionnelles d'organisation, comme la mise en place d'un système de visites par secteur géographique, centré sur des immeubles ou des quartiers »131 . En tout état de cause, cette organisation devra tenir compte des spécificités de chaque département et des zones urbaines et rurales.

Cette instance a d'ores et déjà engagé des réflexions dans certains départements. M. Jean Marie Paulot a ainsi fait part de l'expérience de la région Nord-Pas-de-Calais : « S'agissant de l'état de préparation, des mesures préventives de sensibilisation et de l'articulation des compétences, les deux CODAMUPS du Nord et du Pas-de-Calais ont été réunis en décembre, à l'initiative des préfets, sur le dossier de la grippe aviaire, avec la participation de l'ARH, en formation élargie avec les pharmaciens, les infirmiers libéraux et les masseurs-kinésithérapeutes, afin que tous les professionnels soient informés de la situation et des mesures préventives à organiser »

- Les centres de coordination sanitaire

Le principe du maintien à domicile conduira à la prise en charge d'un grand nombre de patients dont l'état clinique nécessitera des soins quotidiens, notamment infirmiers. La coordination des différents personnels de santé est envisagée dans le cadre de « centres de coordination sanitaire », institués par le plan. S'appuyant sur des structures existantes (hôpital local, structure d'un service de soins à domicile...), leurs principales missions seront d'assurer la répartition des soins à domicile, en coordonnant les professionnels paramédicaux libéraux et les structures de soins à domicile ainsi que d'assurer un soutien logistique en matière d'acheminement au domicile des patients de masques, antiviraux et autres produits de santé. Ces centres de coordination sanitaire disposeront d'un médecin coordonnateur et d'un personnel soignant. Un numéro dédié leur sera attribué.

- Les modalités de distribution des produits de santé et des protections aux malades

Face à la menace de pandémie grippale, ont été constitués des stocks de médicaments antiviraux et de masques. Le plan énonce, dans la fiche C.7 - Distribution des produits de santé et des protections aux malades - le principe de la gratuité de leur délivrance. En cas d'alerte pandémique (dès la situation 4), les antiviraux et les masques chirurgicaux seront pris en charge, à partir des stocks nationaux ou zonaux, par un dépositaire agréé. M. Didier Houssin a apporté à la mission les précisions suivantes : « La logistique prévue pour la distribution des masques chirurgicaux et des antiviraux va des stocks de l'État aux stocks dépositaires puis aux grossistes répartiteurs, enfin aux pharmacies d'officine ou aux PUI des établissements de santé. Des conventions sont en cours de négociation entre les différents opérateurs »132 .

La délivrance aux malades sera assurée, en règle générale, par les pharmacies d'officine, dans le respect de la réglementation en vigueur, sur ordonnance du médecin traitant. Mais il est prévu qu'en cas d'impérieuse nécessité, la distribution puisse être assurée par un réseau spécifique comme l'a confirmé M. Didier Houssin : « ce dispositif... n'exclut pas un dispositif de secours pour le cas où il ne serait pas possible de passer par les pharmacies d'officine en raison d'agressions de pharmaciens, par exemple, ou d'autres événements de ce genre. »

  Les structures intermédiaires

L'idée de créer des structures intermédiaires - intermédiaires entre l'hôpital et la maison - constitue un point d'inflexion significatif dans la stratégie définie par les pouvoirs publics. Elles doivent permettre d'éviter un engorgement des hôpitaux provoqué par l'arrivée de personnes dont l'état ne nécessiterait pas une hospitalisation mais qui, en plein désarroi, voire paniquées, se seraient tournées vers l'hôpital.

M. Xavier Bertrand avait, au mois de mars, présenté l'état de ses réflexions à la mission : «  [Nous] proposons d'adapter notre système hospitalier de la manière suivante : pour ce qui concerne les hospitalisations ne nécessitant pas de réanimation, nous sommes en train d'élaborer avec les professionnels du secteur un cahier des charges pour aménager au niveau local des structures intermédiaires - hôtels, voire gymnases et écoles - où pourraient être dispensés soit des soins, soit du suivi médical. Ce cahier des charges sera adressé à chaque préfet afin qu'il organise dans son département la mise en place de ces structures d'ici à l'été 2006. S'il est besoin de l'accélérer au vu de l'actualité internationale, nous le ferons »133 .

Ces structures intermédiaires figurent dans les fiches parues en avril. Elles sont, en fait, une modalité de l'application du principe du maintien à domicile, dans la mesure où il s'agit de structures d'accueil extra-hospitalières créées pour tenir compte de la situation précaire de certains patients isolés, handicapés ou fragiles nécessitant une surveillance, mais pas une hospitalisation. Ces structures n'auront pas vocation à assurer les missions dévolues aux hôpitaux, mais il est cependant prévu une prise en charge médicale comprenant des visites périodiques des médecins de ville. En cas d'aggravation de son état, le malade sera transféré à l'hôpital. Ces structures intermédiaires seront en relation permanente avec le préfet, les centres communaux d'action sociale et les associations travaillant auprès des personnes isolées. L'encadrement pourrait être assuré par du personnel associatif et la présence d'un personnel soignant est obligatoire.

Les personnalités auditionnées par la mission ont, d'une manière générale, adhéré au dispositif envisagé. Ainsi, Mme Anne Mosnier a indiqué : « Nous avons vu ce qui s'est passé lors de la canicule, surtout pour les personnes seules. L'idée est donc très intéressante ». M. Francis Fellinger considère, pour sa part, cette création comme une évidence :  « Il faut évidemment mettre en place des structures-tampons qui servent (...) de structures intermédiaires à l'intention des personnes nécessitant plus un accompagnement social qu'une prise en charge médicale lourde. »

M. Jean-Claude Régi, Président de la FMF (Fédération des médecins de France) a, pour sa part, émis quelques réserves : « Je pense que mettre des personnes malades dans un gymnase reviendrait à décentraliser l'hôpital, à diffuser la charge virale et à faire des morts parmi les soignants. Mais c'est mon intuition, qui n'est pas partagée par tous. »

Mme Anne Mosnier a, quant à elle, insisté sur le fait qu'il fallait  préparer « l'opération en amont, déterminer ses modalités et désigner les structures responsables, en concertation. » Il s'agit notamment de prévoir quels seront les plateaux techniques nécessaires et les règles d'hygiène applicables.

L'identification des structures de ce type, pouvant s'appuyer sur certains sites d'hébergement (hôpital local, hôtel...) est actuellement en cours au niveau départemental. M. Bernard Gouget a suggéré d'associer les maires à cette démarche : « Pour ce qui est de l'éventuelle organisation de locaux relais, le maire étant le président du conseil d'administration de l'hôpital public, il est totalement associé à la recherche de solutions en cas de situation dégradée. Le responsable de la cellule dite de gestion des risques et crises est amené à se demander comment, sur un territoire de santé donné, on peut dégager à titre transitoire des locaux de substitution et des structures intermédiaires. »

M. Didier Houssin a reconnu le 30 mai, devant la mission qu'en ce qui concerne « la mise en place de structures intermédiaires ...le plus gros reste à faire ou à préciser. Il sera évidemment souhaitable d'y associer les professionnels de santé afin qu'ils apportent leur contribution, d'autant que cette organisation sera largement fonction du terrain. »

Pour le Rapporteur, ce projet de structures intermédiaires est particulièrement prometteur dans la mesure où il permettrait de soulager les établissements hospitaliers, tout en garantissant aux personnes concernées une prise en charge adaptées à leurs besoins. Aussi faut-il dresser le plus rapidement possible un état des lieux des structures disponibles et des moyens en matériels et en personnels qu'il conviendrait d'y affecter.

3. La télémédecine : une solution ? Une contribution de Mme Bérengère Poletti, membre de la mission

La télémédecine a pour vocation de soigner le malade à distance en établissant un diagnostic précis. Elle est aujourd'hui au point mais, encore peu utilisée alors qu'elle apporte comme je l'ai souligné, dans mon avis sur le projet de loi de finances pour 2005, 134[1] des solutions à bon nombre de problèmes auxquels est confrontée la médecine aujourd'hui, tels que la désertification médicale en zones rurales.

La révolution numérique a pourtant du mal à rentrer dans les faits. Il est symptomatique que les intervenants que nous avons auditionnés nous aient fort peu parlé de l'apport des nouvelles technologies dans la lutte contre la grippe aviaire et, plus généralement les pandémies.

Il me paraît donc important que notre mission d'information se penche sur cette question.

La détention d'un ordinateur couplé à Internet est devenu un phénomène de masse : au 31 décembre 2005, la France comptait 9,5 millions d'abonnement à l'internet haut débit. Ce chiffre est en croissance rapide (11,6 % entre le 3eme et le 4eme trimestre de 2005).135[2]

Nous pouvons estimer qu'à terme rapproché, un tiers des foyers français (probablement plus) pourrait avoir accès à la télémédecine. Ce chiffre est considérable. Or, l'impact de la télémédecine et son utilisation ne sont pas véritablement intégrés au plan de lutte contre une pandémie grippale, bien que depuis 2004, la télémédecine dispose d'un statut légal.

I Un cadre légal offrant des potentialités pour lutter contre une pandémie

Messieurs Jean Dionis du Séjour, député et Jean-Claude Etienne, sénateur, ont, à la suite du rapport de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques sur les télécommunications à haut débit au service du système de santé136, proposé des amendements qui, intégrés dans la loi du 13 août 2004, ont doté l'exercice de la télémédecine d'un cadre légal.

L'article 32 de la loi du 13 août 2004 définit l'acte de télémédecine comme un acte médical placé sous la responsabilité du médecin137[4]. En conséquence, une ordonnance peut être délivrée par courriel (article 34).

Il est possible pour un médecin de traiter intégralement un patient par l'intermédiaire d'une station de télémédecine138[5], qui permet de prendre la tension ou d'ausculter le malade. Dans le cadre de la lutte contre une pandémie, nous nous trouverions en présence de particuliers dotés d'un ordinateur, éventuellement couplé à une webcam. Il est donc difficile de considérer que nous sommes en présence d'une véritable station de télémédecine, mais en cas de pandémie, la notion de circonstances exceptionnelles, au sens juridique de ce terme, permet d'utiliser le matériel disponible.

Toutefois la loi est très claire : il est de la responsabilité du médecin d'apprécier si les outils à sa disposition lui permettent de poser un diagnostic et de traiter le patient ; il demeure libre d'estimer que les moyens techniques à sa disposition ne sont pas adaptés et d'en tirer les conséquences, en demandant au patient de venir à l'hôpital ou en le transférant vers la régulation afin qu'il soit examiné par un médecin.

Ce dispositif permettrait, dans un grand nombre de cas, à un médecin, au vu des indications portées par le patient, de formuler un diagnostic de suspicion de grippe ou d'exclure ce cas de figure. Il est évident que cette formule est moins satisfaisante qu'un examen clinique par le médecin mais elle permet une meilleure orientation du patient, et surtout d'autoriser légalement la délivrance de médicaments. Il faut bien évidemment nous placer dans une situation de crise où les services seraient débordés et où une réponse, même imparfaite, est préférable à l'absence de réponse.

Il convient de noter que la question de la responsabilité des personnes qui interviendraient dans le cadre de la lutte contre une pandémie n'est pas réglée à l'heure actuelle. Lors du colloque « grippe aviaire état d'alerte international », organisé le 15 juin par M. Jean-Pierre Door, le Délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire a indiqué qu'une réflexion était en cours sur ce sujet.

La jurisprudence a toujours admis que la notion de faute devait être interprétée de manière restrictive en cas de circonstances exceptionnelles ; une pandémie de grande ampleur en serait une. Il faudra probablement préciser ce point : en particulier, l'obligation pour le médecin de s'assurer qu'il dispose des moyens nécessaires pour poser son diagnostic devra être interprétée au regard des circonstances. Il nous paraît indispensable que le recours à un service mis en place par l'État ne puisse pas engager d'autre responsabilité que la sienne.

II Trois apports importants à la lutte contre la grippe aviaire

A La lutte contre l'angoisse

Il est clair que la lutte contre l'angoisse générée par une pandémie sera le premier défi à relever.

Or, comme Mme Christine AMMIRATI l'a souligné devant la mission, lors de l'audition de la féderation hospitalière de France : « Ce qui m'interpelle enfin, c'est le rôle du citoyen en tant qu'acteur de santé. Le plan pandémie canadien, par exemple, reconnaît clairement le citoyen comme le troisième acteur, à côté des acteurs libéraux et de l'hôpital public et privé. Le citoyen est à l'évidence le troisième maillon de la chaîne, sinon le premier. Il nous paraît important de l'informer peu à peu sur la conduite à tenir. La télémédecine nous a jusqu'à présent servi, dans la régulation, à traiter un certain nombre de choses au téléphone ; désormais, il va falloir que nous soyons partenaires, avec le secteur libéral, mais également avec le citoyen. À l'exemple du Canada, nous avons tout intérêt à inciter chaque citoyen à prendre en charge sa maladie dans ses formes les plus bénignes et à adopter les mesures de protection nécessaires. Si le citoyen ne sait pas ce qu'il doit faire pour, d'abord, ne pas être contaminé, ensuite ne pas contaminer les autres, l'hôpital risque davantage encore d'être dépassé et les médecins libéraux totalement débordés. La première mesure barrière se situe au niveau du citoyen lui-même. »

En effet le plan de lutte contre une pandémie grippale s'est polarisé sur les moyens de l'État et des institutions, en particulier hospitalière. Il convient d'aborder une phase où les pouvoirs publics donnent aux citoyens les moyens d'être associés à la politique mise en place. Sonner le tocsin quotidiennement pour un risque virtuel serait certainement contre productif.

Le recours à l'informatique permet, par une démarche interactive, de dialoguer avec le citoyen qui serait confronté à un problème de pandémie grippale, sans danger pour l'internaute et les autres.

B La délivrance rapide des antiviraux

Le citoyen sera d'autant plus rassuré si le recours à la télémédecine lui permet de se procurer rapidement des antiviraux.

Cette question est majeure : un portail de santé devrait être ouvert par le Gouvernement afin que les patients puissent être éclairés sur les symptômes de la grippe aviaire et, en cas de doute, orientés vers un médecin ou l'hôpital.

Si la suspicion de grippe aviaire est confirmée, conformément à l'article 34 de la loi du 13 août 2004 précitée, la prescription de Tamiflu serait effectuée par voie électronique. Un médecin validerait l'ordonnance par sa signature électronique, au vu des indications fournies par le patient (température, signes cliniques).

A partir de là deux solutions sont possibles pour la délivrance du Tamiflu :

· Soit c'est le patient, muni de l'ordonnance qu'il aura imprimée, ou d'un numéro de code, qui se rend lui-même à la pharmacie pour obtenir la délivrance de Tamiflu ;

· Soit un système de portage à domicile est mis en place : le serveur transmet automatiquement une copie de l'ordonnance à une organisation en charge de la délivrance du Tamiflu, qui l'apporte au domicile du patient. Cette solution évite le déplacement de personnes potentiellement contaminées.

Un tel système serait accessible à environ un tiers de la population, L'indication de la composition du foyer permettrait en même temps d'apporter un kit de protection, pour éviter la contamination des proches et, si les personnes sont isolées, de prévenir en temps réel les mairies pour qu'un portage à domicile des repas soit mis en place.

La solution proposée repose sur la confiance. Il y aura probablement des personnes qui pourront, par ce biais, obtenir indûment des médicaments. Pour lutter contre ce risque, il peut être intéressant de promouvoir l'usage de webcams afin que le prescripteur voie le patient. Cette piste a d'ailleurs été évoquée par Mme Christine AMMIRATI lors de son audition : «Nous devrions chercher à utiliser les possibilités de « visio » désormais offertes par les téléphones portables 139[6]afin de réellement voir le patient, cela rendrait la régulation beaucoup plus pertinente qu'avec un simple échange téléphonique. Cette solution n'est pas techniquement évidente, mais elle serait très intéressante... »

Une autre objection, fondée, peut être avancée : l'inégalité devant l'âge ou le handicap, qui fait que dans notre pays, il existe beaucoup de personnes qui ne disposent pas d'ordinateur ou ne savent pas s'en servir. Cela est vrai, mais l'accès de ces personnes aux soignants sera facilité, si, grâce au recours aux nouvelles technologies de l'information, un tiers des vingt millions de patients susceptibles d'être atteints peut être soigné, sans avoir recours au circuit traditionnel de soins qui seront en conséquence moins encombrés.

C L'aide à la régulation

Comme cela a été soulignée par la Fédération hospitalière de France : « Une série de problèmes techniques restent à résoudre pour ce qui est de la télémédecine. Premièrement, il faudrait, au-delà des moyens humains, trouver une possibilité technique pour re-router les appels aux centres hospitaliers sièges de centres 15 vers une cellule d'expertise et d'appui en fonction de la demande ; le serveur vocal pourrait être une solution parmi d'autres, qu'il faut en tout cas étudier rapidement ».

En cas de pandémie, il est clair que les régulateurs joueront un rôle majeur et qu'une bonne orientation des patients permettra de limiter les phénomènes de panique. Le fait de pouvoir indiquer rapidement à un patient une solution est fondamental. Or, le recours à la télématique permet de lui indiquer, si son cas relève de l'hôpital, le service dans lequel il devra se rendre, pour éviter d'encombrer inutilement les urgences. Il en est de même pour le recours à la médecine car le serveur pourrait lui indiquer l'heure de passage du médecin.

Les obstacles techniques sont considérables : aussi est-il urgent d'entreprendre les études nécessaires, pour que les services en charge de la régulation des patients puissent les mettre en œuvre.

D Les moyens à mettre en œuvre

Le Ministère de la santé n'a probablement pas les moyens informatiques de traiter conjointement plusieurs millions de connexions informatiques. La mise en place en permanence d'un serveur de grande capacité serait certainement ruineuse.

Il nous semble qu'une solution pourrait être trouvée dans le recours aux moyens informatiques du Ministère des Finances qui, pour gérer des millions de déclarations d'impôts par voie électronique, s'est doté d'une capacité informatique considérable.

Les difficultés du recours sur une grande échelle à la télémédecine ne doivent pas être mésestimées mais, la réflexion n'a pas été engagée par le Gouvernement. Il serait intéressant de lancer rapidement une expertise technique pour étudier la faisabilité de la solution que nous proposons et son architecture : par exemple, faut-il un système unique pour toute la France ou un outil plus léger au niveau régional ou départemental. ?

En conclusion, il me semble que les deux avantages importants du système proposé résident dans la limitation des déplacements et le fait de pouvoir apporter une réponse rapide aux populations.

C. LES ETABLISSEMENTS DE SANTE DOIVENT S'ORGANISER POUR FAIRE FACE A UNE CRISE GRAVE ET PROLONGEE

Si la médecine de ville aura la lourde tâche de prendre en charge la majorité des patients grippés, la responsabilité des patients les plus gravement atteints incombera aux établissements de santé, publics et privés. L'InVS a, dans l'étude précitée, fait une estimation de ce que pourrait être l'impact de la pandémie sur les établissements de soins en nombre hebdomadaire d'admissions hospitalières et de journées d'hospitalisation. Les hypothèses retenues sont celles d'une cinétique de la pandémie en deux vagues successives, de taux d'attaque de la population de 15, 25 et 35 % et d'un taux d'hospitalisation moyen de 5%.

Même si l'InVS reste prudent dans ses conclusions, précisant notamment que « plus encore que l'évaluation de l'impact de la pandémie, ces calculs reposent sur un grand nombre d'hypothèses qui doivent conduire à les considérer avec la plus grande prudence », les chiffres avancés fournissent un ordre de grandeur de ce que pourrait être la surcharge hospitalière en cas de pandémie. Le nombre d'admissions hebdomadaires évoluerait, selon le taux d'attaque et l'importance des vagues, entre 31 633 et 151 129 au pic de l'épidémie. Pour les 0-19 ans, ce chiffre oscillera entre 12 014 et 56 158. Plus de la moitié des admissions seront concentrées sur une période de trois semaines. Le nombre de journées hebdomadaires d'hospitalisation, selon le taux d'attaque, l'importance des vagues et la durée de l'hospitalisation, varie entre 11 788 et 2 023 978 ; ce chiffre est compris, pour les 0-19 ans, entre 4 477 et 752 090 . La pandémie entraînerait, à son pic, une augmentation des admissions comprise entre 10 et 46 % et une augmentation du nombre des journées d'hospitalisation entre 10 et 132 %.

Les personnalités auditionnées par la mission ont fait des estimations locales de l'impact de la pandémie. Ainsi, s'agissant de la région Nord-Pas de Calais, M. Jean-Marie Paulot a estimé, compte tenu du « flux de passage aux urgences...actuellement de 70 000 par mois », « que les entrées supplémentaires générées par une pandémie seront de l'ordre de 30 000 à 40 000. ». Pour les départements du Haut et du Bas-Rhin, M. Daniel Christmann, professeur de médecine au CHU de Strasbourg, a avancé les chiffres suivants : « 600 000 sujets infectés, 40 000 personnes à hospitaliser et 4 000 décès. Ce sont les chiffres sur lesquels nous devons travailler »140 .

Ces chiffres sont éloquents : la pandémie perturbera considérablement, et sur une longue durée, le fonctionnement des établissements de soins. Les services risquent d'être saturés, encore plus rapidement si la pandémie survenait en même temps que d'autres épidémies hivernales, notamment pédiatriques comme la bronchiolite ou la gastro-entérite dont les formes aggravées nécessitent une hospitalisation.

Le système hospitalier devra faire face à deux enjeux majeurs :

- gérer le flux supplémentaire des malades et leur assurer des soins adaptés à leur état.

- éviter la transmission du virus aux patients non grippés.

Le système de santé ne pourra fonctionner que si la collaboration pleine et entière des établissements de santé du secteur privé est assurée. À cet effet, le plan s'applique à ces établissements de la même façon qu'au secteur public. M. Roger-Ken Danis, pour la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), a déclaré à la mission que les établissements privés seraient entièrement partie prenante au dispositif : « Après en avoir discuté avec toutes nos instances et fort du vote unanime de ma fédération, je puis vous affirmer clairement que l'hospitalisation privée est totalement volontaire et prête à mettre tous ses moyens en place pour répondre à une éventuelle pandémie. Nous disposons de moins de services de médecine que l'hospitalisation publique, mais par contre de beaucoup plus de services de chirurgie. Nous pouvons, dès lors, nous montrer d'une très grande utilité dans la mesure où nous disposons de nombreuses salles de réveil, avec les respirateurs et les anesthésistes réanimateurs qui vont avec. C'est tout ce potentiel de forces que nous mettrions à disposition en cas de pandémie grippale »141 .

Face à la menace de pandémie, il importe de préparer les établissements le plus précocement possible afin qu'ils puissent anticiper la crise.

1. La préparation des établissements et des personnels

a) Cette préparation s'inscrit dans le cadre juridique des plans blancs

  Les plans blancs s'appliquent à l'ensemble du système sanitaire

Ainsi que l'a rappelé MJean Castex142  : « Le cadre juridique dans lequel s'effectuera la mobilisation des professionnels de santé, et particulièrement des hôpitaux, est celui du plan blanc et du plan blanc élargi ; il sera utilisé en cas de déclenchement d'une pandémie de grippe aviaire ».

Deux instruments régissent l'organisation du système de santé en cas de menace sanitaire grave : les plans blancs d'établissements et les plans blancs élargis.

- le plan blanc d'établissement

C'est une circulaire du 24 décembre 1987 qui a institué des procédures hospitalières pour faire face à un afflux massif de victimes. Les dispositions de ce texte ont été aménagées par une circulaire du 3 mai 2002 (n° 2002-284) relative à l'organisation du système hospitalier en cas d'afflux de victimes. La loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a ensuite donné une base législative aux plans blancs d'établissements : ils réorganisent concrètement les hôpitaux sur les plans logistique et humain en cas de crise sanitaire.

Le plan blanc d'établissement désigne le dispositif de crise dont doit être doté chaque établissement de santé pour lui permettre de mobiliser immédiatement les moyens de toute nature dont il dispose en cas d'afflux massif de victimes ou pour faire face à une situation sanitaire exceptionnelle. Une cellule de crise doit être prévue et adaptée au type de situations de crise à laquelle elle est confrontée.

Ce plan définit notamment :

- les modalités de son déclenchement et de sa levée ;

- les modalités de constitution et de fonctionnement de la cellule de crise ;

- des modalités adaptées et graduées de mobilisation des moyens humains et matériels de l'établissement ;

- les modalités d'accueil et d'orientation des victimes ;

- les modalités de communication interne et externe ;

- un plan de circulation et de stationnement au sein de l'établissement ;

- des mesures spécifiques pour les accidents nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques ;

- des modalités de formation et d'entraînement à la mise en œuvre du plan.

Évalué et révisé chaque année, le plan blanc est arrêté par l'instance délibérative de l'établissement de santé, sur proposition de son directeur ou de son responsable et après avis des instances consultatives.

Il peut être déclenché par le directeur ou son responsable, qui en informe sans délai le préfet de département, ou à la demande de ce dernier. Dans tous les cas, le préfet de département informe immédiatement le directeur de l'ARH, le SAMU du département et les représentants des collectivités territoriales concernées.

- Le plan blanc élargi 

Le plan blanc élargi désigne, quant à lui, le dispositif de réquisition de biens et services mis à la disposition des préfets de département en cas d'afflux massif de patients ou quand la situation sanitaire le justifie. Il recense, à l'échelon du département, l'ensemble des personnes, biens et services susceptibles d'être mobilisés, individuellement ou collectivement, pour une crise sanitaire grave. En fonction des risques qu'il identifie, il définit les modalités de leur mobilisation et de leur coordination, en liaison notamment avec le SAMU. Il tient compte du schéma régional d'organisation sanitaire (SROS) et du plan régional de santé publique. Le plan blanc élargi est préparé et révisé chaque année par le directeur des affaires sanitaires et sociales. Il est arrêté par le préfet du département (le préfet de police à Paris), après avis du comité départemental de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires. Il doit être notamment transmis aux établissements de santé du département et au conseil département de l'ordre des médecins.

Il est à noter que dans une perspective de pandémie grippale, le décret n° 205-1764 du 30 décembre 2005 relatif à l'organisation du système de santé en cas de menaces sanitaires graves a précisé les définitions et le contenu du plan blanc d'établissement et du plan blanc élargi, ainsi que l'a rappelé M. Jean Castex : « Le plan blanc et le plan blanc élargi ont fait l'objet d'un décret paru le 30 décembre dernier, qui est venu améliorer le dispositif antérieur. Pour simplifier, un plan blanc est de la responsabilité d'un directeur d'établissement de santé ; chaque établissement doit être doté d'un plan blanc, avec différentes annexes selon la nature de la crise attendue, et qu'il appartient au directeur, le cas échéant, de déclencher et de mettre en œuvre. Le plan blanc élargi est quant à lui de la responsabilité du représentant de l'État dans le département et vise à préparer et à mobiliser tous les acteurs de santé : établissements, professionnels de santé libéraux et structures médico-sociales. C'est sans doute l'innovation la plus forte de ce décret que d'avoir prévu une organisation à l'échelon départemental sur ces questions qui ne sont pas seulement hospitalières, en vue de mobiliser tous les acteurs dans un schéma d'ensemble. »

●  L'annexe « grippe aviaire » au plan blanc d'établissement

Les plans blancs avaient été institués pour permettre aux établissements hospitaliers de faire face à un afflux de patients très brusque, dans une configuration de catastrophe ponctuelle, du type accident de masse ou attentat. Or, la canicule de 2003 a démontré que le système hospitalier devait être en mesure de surmonter des crises sanitaires durables. À l'aune de ce constat, le mécanisme des plans blancs est apparu partiellement inadapté en cas de pandémie qui risque de conduire à une crise d'une durée bien plus longue encore. C'est pourquoi le plan prévoit que tous les établissements doivent élaborer une annexe biologique du plan blanc adaptée à une pandémie grippale. Cette annexe « grippe aviaire » devra notamment adapter le fonctionnement de la cellule de crise. En cas de pandémie grippale, les fonctions de la cellule de crise sont notamment : l'organisation des soins ; la logistique permettant de s'assurer des prestations indispensables à la continuité du service public et des soins ; le soutien à la décision médicale, la cellule de crise devant inclure une cellule d'aide à la décision médicale ; la sécurisation de l'établissement.

Les plans blancs sont en voie de généralisation, dans les établissements tant publics que privés. Ils avaient été fortement activés à la suite de la canicule mais cette mise en place avait marqué un temps d'arrêt : en juillet 2005, selon les données collectées par la DHOS, 17 % des établissements dotés de service d'urgence n'avaient pas encore élaboré de plan blanc, tandis que seulement 11 % des établissements sans urgence et 7 % des établissements privés disposaient d'un plan blanc. Depuis un an, même si les chiffres ne sont pas connus, il semble que la situation ait évolué positivement. M. Jean-Marie Paulot a indiqué à la mission que dans la région Nord-Pas-de-Calais : « Tous les établissements publics, de même qu'une bonne moitié des établissements privés ayant un service d'urgence, ont désormais un plan blanc validé par les DDASS ». De même, M. Roger-Ken Danis, pour la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), faisait état d'un « dernier pointage » selon lequel « 36 % des établissements [privés] ont un plan blanc ».

Les annexes « grippe aviaire » sont en cours d'élaboration, comme dans le Nord-Pas-de-Calais où, selon M. Jean-Marie Paulot : « L'annexe biologique est d'ores et déjà réalisée dans six services d'urgence et en cours pour les douze autres. Les établissements ont été relancés par l'ARH afin qu'elle soit en place dans les meilleurs délais. Reste à réunir les cellules de crises pour faire un test en blanc et identifier les zones dites de « basse densité virale » et de « haute densité virale » dans chaque établissement. Enfin, conformément aux textes publiés en décembre dernier, les plans blancs élargis sont en cours d'élaboration à l'initiative des préfets et des DDASS. »

Il serait souhaitable que la DHOS puisse évaluer régulièrement l'état d'avancement de ces annexes et qu'à cet effet, les informations remontent plus systématiquement à ses services.

  Les exercices d'application des plans blancs

Catastrophes naturelles (tempête, inondations), crise du SRAS, risque lié au bioterrorisme, canicule constituent autant d'événements qui ont soumis à rude épreuve notre organisation sanitaire et qui pour douloureux qu'ils aient été, ont permis de développer dans les établissements hospitaliers une culture de la prévention et de la mobilisation en cas de crise.

Les plans blancs participent à une culture d'anticipation et de gestion des crises, ainsi que l'a souligné M. Jean Castex : « nous avons pris l'habitude depuis plusieurs années de préparer notre système hospitalier et notre organisation sanitaire à une situation de crise. De ce point de vue, le travail auquel nous nous attelons dans le cadre de cette pandémie a vocation à servir plus généralement l'organisation de notre système de soins et sa capacité à faire face à des crises d'ampleur très diverse ».

La préparation à la menace de pandémie grippale s'inscrit donc dans le cadre plus général de préparation à des crises de toute nature, en améliorant la capacité générale de réaction des établissements de santé. Pour M. Jean-Marc Boulanger, secrétaire général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris : « L'organisation de crise est désormais considérée comme un élément structurel et structurant, y compris pour la vie quotidienne, et cette idée doit être intégrée par tout le personnel, de la directrice générale au brancardier. Quatre grands sujets transversaux nous préoccupent au plus haut point : la tarification à l'activité, la nouvelle gouvernance hospitalière, le nouveau système d'information et la préparation à la gestion de crise. Pour 2005-2006, nous avons retenu deux domaines : l'attentat multisites - il y a trois ans, c'étaient les inondations - et la préparation à la pandémie grippale, et organisé notre action autour de trois piliers : une organisation de crise, une préparation à la crise et une capacité d'adaptation. On aura beau se dire prêt jusqu'au dernier bouton de guêtre, rien dans le réel ne se passe jamais comme prévu : il faut savoir s'adapter. Mais pour virtuelle qu'elle soit, la préparation n'en est pas moins nécessaire : il y aura toujours des bouts qui colleront et qu'il faudra savoir recomposer ».

Le plan indique qu'il est indispensable de tester régulièrement le bon fonctionnement de la cellule de crise en initiant des exercices appropriés. En effet, l'exercice est le seul moyen de tester le caractère opérationnel du dispositif ; il est aussi l'occasion de mobiliser le personnel afin qu'il puisse, en quelque sorte, s'approprier le plan.

La mission a certes noté que des exercices avaient été organisés. Ainsi, pour la région Île-de-France, M. Jean-Marc Boulanger a rappelé l'exercice Ambroise qui s'est tenu à la fin 2005 : « Quant au dispositif d'action en situation pandémique, il devrait être totalement effectif d'ici à la fin du semestre. Le centre opérationnel Victoria, en relation permanente avec les hôpitaux, les services généraux, les SAMU et les centres opérationnels ministériels ou de zone, peut être considéré comme fonctionnel : nous l'avons mis en œuvre à l'occasion de l'exercice Ambroise du 7 décembre dernier et les liaisons ont correctement fonctionné. ». M. Jean-Luc Chassaniol, président de l'association des directeurs d'hôpital, a fait savoir, lors de son audition du 3 mai, qu' « aujourd'hui même, depuis sept heures du matin, le CHU et les cliniques privées de Dijon sont impliqués dans un exercice « grippe aviaire-plan blanc » avec l'ARH. »

Cependant, il apparaît que ces exercices sont loin d'être généralisés, comme les membres de la mission ont pu le constater à l'occasion des visites effectuées dans les hôpitaux. M. Jean-Marie Paulot a donc exprimé le souhait que soient réalisés « des exercices dans nos établissements, avec mise sous tension des cellules de crises à travers, notamment, des opérations de déshébergement et de transferts interhospitaliers, voire un exercice transfrontalier avec nos voisins belges. »

M. Jean-Luc Chassaniol, s'appuyant sur le précédent de la formation à la lutte contre l'incendie, estime que de tels exercices sont réalisables : « C'est vrai que ces opérations sont plutôt lourdes... L'idéal serait de passer de un à deux exercices par an, comme le préconisent du reste tous les manuels de gestion des risques, afin que les automatismes se mettent en place. De même, en matière de formation : nous sommes bien obligés d'en mettre une en place au moins tous les deux ans pour chaque agent volontaire « sécurité incendie ». (...) Ce n'est pas infaisable ». Selon lui, ces exercices auraient l'avantage de mobiliser l'ensemble du personnel car, pour l'heure : « Le management de crise reste encore trop circonscrit au niveau des cadres supérieurs. »

M. Xavier Bertrand s'est dit convaincu de la nécessité de développer ces exercices. Aussi a-t-il demandé  « qu'un exercice soit très rapidement déclenché au moins dans chaque département. J'ai ainsi demandé au directeur de l'hospitalisation de m'indiquer dans quels délais ce sera possible, mais également dans quelles conditions nous pourrions organiser, selon des modalités à définir dans un cahier des charges standard, un exercice dans chaque établissement, ne serait-ce que pour une demi-journée, voire quelques heures. C'est en conditions réelles que l'on mesure exactement un état de préparation »143 .

b) L'information et la formation des personnels

C'est des personnels de santé que dépendra pour une large part la capacité de résistance de notre système de soins à la pandémie. Pour faire face à l'afflux de milliers, voire de dizaines de milliers de malades, ils devront être efficaces au moment stratégique. Dans le cadre du plan blanc, doivent notamment être prévues « les modalités adaptées et graduées de mobilisation des moyens humains ». Cette mobilisation des personnels ne peut se faire que par une information et une formation préalables. Elle suppose aussi qu'il soit répondu aux questions qu'ils se posent légitimement, concernant notamment leur sécurité et sur celle de leurs proches.

D'un point de vue éthique, s'il ne serait pas acceptable que les personnels se dérobent à leur devoir, en contrepartie, la société doit leur donner l'assurance qu'ils bénéficieront d'une information et d'une formation préalable et le moment venu, des moyens d'assurer leur protection contre le virus.

La mission a entendu des représentants des personnels de santé hospitaliers et a noté que leur préparation à la survenue d'une pandémie était encore très imparfaite.

M. Didier Houssin, lors de son audition du 30 mai, a reconnu la légitimité des inquiétudes des personnels : « L'inquiétude des professionnels de santé, tant libéraux qu'hospitaliers, est tout à la fois réelle et compréhensible dans la mesure où ils seront les premiers exposés ».

  L'information et la formation sont insuffisantes et inégales selon les établissements

On ne peut exclure qu'à défaut d'informations claires et précises sur la pandémie, les personnels hospitaliers, comme tous les autres citoyens au demeurant, ne cèdent à la panique. Ce risque a été souligné par M. Frédéric Ancelet, représentant du syndicat UNSA-Santé sociaux : « il est essentiel d'informer les personnels, pour qui, aujourd'hui, « grippe aviaire » signifie « mort ». Il ne faut pas raconter n'importe quoi aux soignants mais leur donner des informations claires et justes et dans un délai approprié, pour ne pas donner le sentiment qu'il faudra courir après l'information : cela susciterait toutes sortes de supputations et pourrait provoquer une absence des personnels ».

Pour M. Jean-Marc Boulanger, « L'information et la formation restent un point-clé. Les 93 000 agents de l'AP-HP, c'est pratiquement une opinion publique et il est impératif que tous les personnels de l'AP-HP aient les idées claires sur le sujet. Or, ce n'est pas facile dans la mesure où la communication est davantage faite par Le Parisien que par ce que nous-mêmes pouvons écrire... »

Or, si l'information et la formation ont été mises en place, elles sont très inégalement dispensées selon les établissements et reste encore, selon M. Didier Bernus, représentant du syndicat FO, «  lacunaire[s] ».

M. Jean-Marc Boulanger a décrit les efforts faits dans les établissements dépendant de l'AP-HP : « Chaque mois, un document mèl traitant des quatre chantiers précités, dont celui de la pandémie, est distribué dans 30.000 boîtes. Autrement dit, une information circule, mais nous n'en sommes encore qu'au début du processus et il y a encore un gros travail à accomplir. Dans les hôpitaux référents, les choses sont plus avancées qu'ailleurs : le Comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), notamment, est bien informé et, du coup, l'information se diffuse assez bien. Nous devons faire de même dans les autres hôpitaux...Pour ce qui est de la formation, un travail a été accompli dans tous les établissements comportant un service de maladies infectieuses par les professeurs des services référents, qui a porté jusqu'à présent sur 1 500 personnes environ. Un centre de formation pratique au risque NRBC a été, par ailleurs, mis en place à l'hôpital Broussais, où nous sommes progressivement passés des simples exercices de décontamination à la prise en charge des infections émergentes. Parallèlement, nous avons demandé aux hôpitaux d'inclure dans leurs programmes de formation des sessions spécifiquement consacrées à la prise en charge d'une pandémie. »

Force est de constater qu'il n'en est pas de même dans tous les établissements. Mme Nathalie Wanounou, représentante de la CFDT, considère que cette inégalité est due à la « grande latitude laissée aux directeurs », et de ce fait : « Certaines directions d'établissement ont réuni le personnel en assemblée générale pour les informer des mesures qu'elles comptent prendre en cas de pandémie mais d'autres refusent de dévoiler leur plan pour, soi-disant, ne pas affoler le personnel. Cette attitude est particulièrement contre-productive, car l'ensemble du personnel attend des informations et s'inquiète de ne pas en recevoir 144 ».

Ce constat est partagé par les représentants des cadres hospitaliers. Ainsi, pour M. Francis Fellinger, au nom des présidents de CME de centres hospitaliers : « les établissements sièges de services d'accueil et d'urgence (SAU) ont une culture et une organisation de l'urgence qui leur facilite les choses par rapport à des établissements plus petits, notamment en butte à des difficultés de personnel non médical et de budget. »

La mission a constaté une forte demande de formations individualisées, que M. Didier Bernus a soulignée : « Il existe une très forte demande d'informations individualisées, qu'il revient aux directions d'établissements de satisfaire. On peut, certes, décréter une organisation nationale de préparation à la lutte contre une éventuelle pandémie, mais l'approche doit aussi être locale. Si l'on ne s'assure pas que chaque agent dispose des informations nécessaires sur l'organisation spécifique de l'établissement dans lequel il travaille, sur les équipements auxquels il aura accès et sur les mesures de protection qui seront prises, cela ne fonctionnera pas. Toutes ces questions sur les masques, les vaccins, etc. doivent trouver une réponse à l'échelon local car au moment de la pandémie, on fera avec ce dont on disposera sur place ».

Les personnalités auditionnées par la mission ont présenté à la mission des suggestions sur les modalités que pourrait revêtir une telle formation. De l'avis général, une formation de base commune à l'ensemble des personnels constitue une première étape .

Pour M. Francis Fellinger, la formation du personnel pourrait prendre la forme de formations minimales régulièrement actualisées : « nous aurons besoin de tout le monde. On peut commencer par des formations minimales, quitte à les réactiver par la suite, comme un vaccin, car dans des situations d'urgence, si l'on n'est pas très vite opérationnel, on est vite dépassé. Et pour être vite opérationnel, il faut constamment réapprendre et se remettre à niveau ». M. Didier Bernus propose l'élaboration de « plaquettes d'information simples et en nombre suffisant pour toucher chaque agent hospitalier ». M. Jean-Luc Chassaniol a suggéré « qu'au niveau ministériel, un kit d'information unique soit préparé à l'intention du million d'agents hospitaliers ».

  Des sessions de formation se mettent en place

Le Ministre, M. Xavier Bertrand, s'est dit tout à fait conscient des lacunes dans l'information et la formation : « La question, à mes yeux essentielle aujourd'hui, est bien celle de la mobilisation, de l'information et de la formation, pour les hospitaliers comme pour les libéraux. Or si, dans bon nombre d'établissements, on a déjà parlé de la grippe aviaire, je crois savoir que, dans d'autres, l'information n'a pas été générale ».

Aussi a-t-il demandé que, dans chaque établissement, « une réunion d'information de l'ensemble du personnel soit organisée » et au moins un exercice « très rapidement déclenché ». À cet effet, une réunion destinée à « caler » les informations et formations (calendriers et contenus) données à toutes les catégories de personnels hospitaliers a eu lieu fin mai au ministère.

La formation des personnels hospitaliers s'inscrit dans le cadre général de la mise en place du programme d'information et de formation des personnels de santé, libéraux et hospitaliers (voir supra : formation des professionnels de santé libéraux). La même organisation en cascade a été retenue : il incombe à chaque DRASS d'organiser, en juin et en juillet 2006, la formation de formateurs qui assureront à leur tour des réunions de formation au sein de chaque établissement, de septembre à fin décembre 2006.

Le Rapporteur a été récemment informé que les kits de formations, destinés aux professionnels de santé, étaient arrivés dans les établissements et avaient été remis à chaque médecin, internes compris, par les présidents des commissions d'établissement.

  La concertation avec les personnels sur l'organisation des établissements

Comme l'a fait observer M. Jean-Robert Chevallier pour la Fédération hospitalière de France, l'ampleur et la durée de la pandémie seront telles « qu'il faut s'attendre à un conflit d'intérêts entre exigences professionnelles et vie familiale ».

La mobilisation du personnel en cas de pandémie dépendra des réponses apportées à leurs questions relatives à l'organisation de leur service et de leur vie privée. Les représentants des personnels hospitaliers ont tous insisté sur la nécessité d'anticiper les problématiques suivantes :

- les modalités d'accès à leur service si les transports ne fonctionnent pas, pour ceux qui résident loin de leur lieu de travail ; le plan envisage d'ailleurs la possibilité de les affecter dans un autre établissement ;

- la garde de leurs enfants ;

- les conditions de recours au personnel : volontariat, réquisitions ...

- le maintien sur place des personnels ; on notera sur ce point l'opinion du professeur François Bricaire : « Une phrase dans la nouvelle version du plan laisse même entendre que l'on pourra consigner des personnels sur place. Pour ma part, je veux bien y passer quelque temps, mais si cela doit durer six semaines ou davantage, j'aimerais bien rentrer chez moi... »145 .

- l'affectation de certains personnels vulnérables (femmes enceintes, personnes atteintes de certaines pathologies) dans des secteurs non exposés à la contagion.

C'est la raison pour laquelle, ainsi que le souligne M. Didier Bernus, pour FO : « L'organisation des conditions de vie des agents en cas de pandémie doit également être précisée, qu'il s'agisse de la garde des enfants ou des moyens de déplacement, notamment dans les zones urbaines. Que feront ceux qui, en région parisienne par exemple, habitent à plus d'une heure de l'hôpital qui les emploie si les transports en commun sont désorganisés ? Devront-ils prendre leur service dans un établissement plus proche de leur domicile ? Toutes les questions de ce type tenant compte des particularismes locaux doivent faire l'objet d'études plus poussé »146 .

Cet avis est partagé par les représentants des cadres hospitaliers, M. Jean-Olivier Arnaud, du Syndicat national des cadres hospitaliers, estimant que « les gens ont besoin de consignes précises - pour savoir jusqu'à quand on vient travailler, à partir de quel moment on ne vient pas, comment on se réorganise, etc. ». M. Jean-Robert Chevallier, de la Fédération hospitalière de France, a reconnu « que ce point doit encore être travaillé. »

Les personnels estiment nécessaire que cette anticipation des problèmes fasse l'objet d'une concertation. Mme Nathalie Wanounou, pour la CFDT, a souligné que : « si l'on souhaite mobiliser les personnels, une concertation réelle serait préférable à une simple information. Or, dans certains établissements, des mesures sont imposées qui ne sont pas toujours d'une parfaite cohérence avec le plan gouvernemental, et l'anticipation fait parfois défaut. Cela vaut notamment pour la garde des enfants, préoccupation majeure des mères, puisqu'en cas de pandémie, les écoles risquent d'être fermées. Ainsi, on propose de regrouper les enfants dans les Instituts de formation aux soins infirmiers, où les élèves infirmiers s'occuperaient d'eux. Mais si l'on concentre ainsi les enfants en un seul lieu, pourquoi ne pas laisser les crèches ouvertes ? Il apparaît, par ailleurs, que certains membres du personnel seraient amenés à travailler dans un établissement autre que celui auquel ils sont affectés en temps ordinaire. Si c'est le cas, cela nécessite d'être anticipé et ne peut se faire sans concertation préalable »147 .

Cette concertation permettrait sans doute d'améliorer la mise en place de certaines dispositions du plan blanc, comme la constitution d'un recueil des adresses et des coordonnées téléphoniques auxquelles il sera possible de joindre les personnels en cas d'urgence.

Cette préparation permettra, si l'heure de la pandémie arrive, que les principes d'organisation posés par le plan puissent s'appliquer le mieux possible, même si en tout état de cause, l'imprévu ne manquera pas de surgir.

2. Un fonctionnement adapté pour assurer la prise en charge des cas les plus graves tout en maintenant la continuité des soins aux autres malades

Le Rapporteur a évoqué plus haut le rôle de « tour de contrôle » dévolu aux SAMU-Centres 15 qui auront la lourde tâche d'apprécier si les malades devront, ou non, être hospitalisés, au vu des symptômes qui seront, soit décrits téléphoniquement, soit constatés lors de l'examen. Pour autant, il va de soi que de nombreux malades se présenteront spontanément aux urgences de l'hôpital, sans passer par la régulation des SAMU-Centres 15. Aussi, le plan envisage t-il plusieurs cas de figures selon le schéma ci-dessous.

L'accès aux soins en situation de pandémie grippale (situation 6)

graphique
Source : Ministère de la santé et des solidarités, Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) « Organisation des soins en situation de pandémie grippale », Fiches de recommandations, avril 2006.

Afin d'éviter la saturation des capacités d'accueil des établissements, le plan prévoit une organisation pré-hospitalière qui aura également pour objet de limiter la diffusion du virus. Une fois cette régulation effectuée, il s'agira d'assurer une prise en charge optimale des malades dont certains seront dans un état grave.

a) Éviter la saturation des établissements et limiter la diffusion du virus : l'accueil des patients et la sectorisation des établissements

Le Ministre, M. Xavier Bertrand, a rappelé à la mission ce double objectif et les principes d'organisation qui en découlent : « La pandémie imposerait de réorganiser les établissements de santé. Sans entrer dans les aspects de cette réorganisation, détaillés dans des fiches remises aux établissements, j'en rappelle les grands principes. Tous les établissements de santé doivent mettre en place une zone de tri. Où la situer ? L'idée est de réguler l'arrivée spontanée des patients dans l'hôpital - en général aux urgences, mais il faut pouvoir les canaliser aux autres accès. Les patients ne nécessitant pas d'hospitalisation mais dont l'état de santé requiert un suivi médical seraient réorientés vers la médecine libérale ou un service de consultation ad hoc, ce qui suppose la présence de libéraux dans l'enceinte de l'hôpital, suivant la même logique que les maisons médicales de garde. Les malades appelant une hospitalisation seraient dirigés, en fonction de leur état clinique, vers les urgences ou vers les services appropriés ... Pour les établissements dotés d'un service d'urgences, la zone de tri sera située, selon la configuration, en amont ou à la porte du service. Nous veillons à ce que tous les établissements de santé ou médico-sociaux prévoient la mise en place de doubles circuits, avec une zone à forte densité virale, bien identifiée, où toutes les mesures seront prises pour rapidement dispatcher les patients selon leur état, et une zone à faible densité virale où seraient regroupés les patients considérés comme non grippés »148 .

  Les transports sanitaires

Si après régulation, le SAMU-Centre 15 estime que l'état du malade nécessite son hospitalisation, il sera décidé, en fonction de la gravité des symptômes, des moyens de transports du malade à l'hôpital. Selon que des soins d'urgence seront ou non nécessaires, le transport pourra être assuré soit par une ambulance privée, soit par un véhicule de secours et d'assistance aux victimes (les VSAV dépendent des sapeurs-pompiers), soit par les services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR).

En situation de pandémie grippale, les services de secours devront faire face à une augmentation des prises en charge, alors que les équipes seront réduites. Aussi, le plan envisage-t-il des adaptations des conditions de transports sanitaires et une meilleure coordination entre les SAMU-Centres 15 et les services d'incendie et de secours (SDIS).

- D'une manière générale, comme l'a rappelé la circulaire n°2006-26 du 13 février 2006 relative aux dispositions applicables aux personnels de soins et de secours en situation de pandémie grippale, les personnels devront porter un équipement de protection et leur nombre réduit au maximum. La composition des équipes sera adaptée, par dérogation aux règles habituelles. Ainsi, les équipages de VSAV pourront fonctionner à deux sapeurs-pompiers. De même, les équipes des SMUR pourront être réduites à deux personnes.

- La coordination entre les différents intervenants justifiera l'amélioration de l'interconnexion, par la mise en place d'une ligne dédiée entre eux et par le renforcement d'une procédure de veille radio entre le médecin régulateur du SAMU-Centre 15 et les responsables des interventions d'urgence.

C'est au préfet qu'il revient de mettre en place une planification des moyens permettant d'harmoniser les modalités d'intervention des services concernés. M. Jean-Marie Paulot a indiqué que dans la région Nord-Pas-de-Calais, « nous avons d'ores et déjà réuni l'ensemble des services d'urgence », évoquant aussi : « l'initiative très opportune de l'association des ambulanciers du département du Nord d'organiser un réseau d'ambulances dédiées au transport de malades atteints de grippe aviaire ».

  L'accueil des malades : les zones de tri

Tous les établissements de santé doivent mettre en place une zone de tri.

-- L'objet de la zone de tri est double

- Identifier les patients, grippés ou non, ne relevant pas d'une hospitalisation

Les zones de tri visent d'abord à réguler l'arrivée spontanée des patients et identifier ceux dont l'état nécessite une hospitalisation, qu'ils soient grippés ou non. Ce point est essentiel car il limitera la saturation des établissements. En effet, même si la règle du maintien à domicile et de l'appel préalable aux numéros d'urgence aux fins de régulation médicale a été posée, l'hypothèse de patients se présentant spontanément dans les établissements de santé est plus que probable. M. Jean Castex, directeur de la DHOS, a fait observer : « dès lors que la règle a été posée du maintien, autant que possible, des patients au domicile, l'hospitalisation sera donc réservée aux cas les plus graves, sur régulation du SAMU-Centre 15. Nonobstant cette disposition, il y a fort à parier que beaucoup de gens se présenteront spontanément dans les établissements de santé, cependant que d'autres continueront à devoir se rendre à l'hôpital pour d'autres maladies que la grippe... Aussi travaillons-nous à organiser un système de tri à l'entrée des hôpitaux, qui est inévitable. La démarche s'apparente à celle d'une médecine de guerre : il s'agira de réguler les flux 149 ».

Certains patients se présenteront munis d'une lettre de leur médecin traitant. La question de savoir si cette lettre suffira à justifier l'hospitalisation se pose. Interrogé sur ce point, le professeur François Bricaire a fait une réponse nuancée : « C'est davantage une question de bon sens qu'une règle absolue. J'ai toujours enseigné à mes jeunes confrères que l'avis du médecin traitant méritait la plus haute considération. Le premier médecin qui voit le malade a généralement raison. C'est là une règle de bonne pratique clinique. Mais peut-être faudra-t-il prévoir quelques restrictions en cas de saturation et renvoyer le patient chez lui, tout en gardant le contact avec son médecin traitant. On prendra certainement des risques ; mais à la guerre comme à la guerre, il faudra se battre... »150 . Il importe donc que l'organisation du tri, comme le prévoit d'ailleurs le plan, soit confié à un médecin expérimenté ».

Les patients ne relevant pas d'une hospitalisation mais dont l'état de santé requiert un suivi médical seront orientés vers la médecine libérale ou vers un service de consultations ad hoc mis en place par l'établissement. M. Jean Castex a insisté sur le lien qui doit se faire entre l'établissement et la médecine de ville : « [Le tri]amènera à renvoyer chez eux tous les patients dont l'examen clinique aura montré qu'ils ne nécessitent pas d'hospitalisation - mais également de faire le lien avec la médecine de ville afin qu'elle prenne le relais. Les patients nécessitant une hospitalisation seront orientés, en fonction de leur état clinique, vers les urgences, ou vers des zones ou services appropriés ».

- Trier entre patients grippés et non grippés

Des patients se présenteront à l'hôpital pour des pathologies diverses.

Les patients nécessitant une hospitalisation, quelle que soit la pathologie, seront transférés au service des urgences. Le plan dispose que dans la mesure du possible, un double circuit des urgences devra être prévu pour limiter au maximum les contacts entre grippés et non grippés et procéder rapidement au transfert des patients vers les services appropriés ; les établissements ont la charge d'établir un document décrivant cette organisation. Pour le professeur Daniel Christmann, du CHU de Strasbourg : « Il est hors de question d'accueillir un cas suspect de grippe dans un secteur d'accueil des urgences classiques, à côté d'autres patients atteints de troubles cardiaques, respiratoires, digestifs ou autres. Il faut absolument séparer les deux populations pour éviter toute contamination et donc définir un secteur dédié à l'accueil des grippés. » Il importe donc que les établissements de santé organisent le double circuit prévu par le plan au plus vite.

En tout état de cause, tous les patients se présentant au point d'accueil devront porter un masque chirurgical afin d'éviter la contamination de l'environnement (personnels et malades non grippés). Tous les professionnels de santé dans les zones de tri et dans les services d'urgence porteront, pour leur part, un masque FFP2. Les visiteurs - sachant que les visites seront limitées autant que faire se peut - recevront, eux, un masque chirurgical. Ces dispositions impliquent, comme l'a fait observer M. Jean-Marc Boulanger, de «calculer la dotation [de masques]de manière plus exacte, la compléter par des masques chirurgicaux à l'usage des patients, des visiteurs et probablement une partie des personnels - tout le monde n'a pas besoin d'utiliser en permanence un FFP2. Reste également à mettre en place toute l'organisation logistique - doctrine d'emploi, processus d'approvisionnement, etc. - dans le cadre de la préparation à la phase pandémique, d'ici au deuxième trimestre. »

--L'organisation des zones de tri

Le plan pose le principe d'une entrée unique pour le tri, afin de contrôler les admissions et éviter que les patients ne se présentent directement dans un service d'urgence ou tout autre service de l'établissement. Le professeur Daniel Christmann a indiqué à la mission que, s'agissant du CHU de Strasbourg, l'option de l'entrée unique avait été retenue lors de l'épidémie de SRAS : « nous avons opté, comme nous l'avons fait pour le SRAS en 2003, pour un dispositif les empêchant à tout prix de pénétrer dans les services d'accueil et les salles d'attente. En 2003, nous avions procédé par voie d'affichage à l'entrée, avec des panneaux demandant aux patients présentant des problèmes respiratoires ou de la fièvre de s'adresser d'abord à l'hôtesse d'accueil ». Il a indiqué que ce système avait correctement fonctionné : « Cette première démarche préparatoire a parfaitement fonctionné en 2003. Avant l'affichage, un seul cas suspect s'était retrouvé dans une salle d'attente, au milieu des autres patients ; après l'affichage, il n'y a plus eu une seule erreur. Tous les patients ont été aiguillés là où il fallait, avec les mesures de prévention appropriées - masques, etc. »151 .

Le plan n'impose aucun modèle-type pour l'organisation de la zone de tri sur laquelle chaque établissement devra réfléchir en tenant compte de sa configuration et des spécificités locales. Plusieurs formules sont néanmoins suggérées : tente de type poste médical avancé, structures préfabriquées, secteur dédié du service des urgences ...). Les établissements ont commencé à se pencher sur les modalités pratiques d'organisation. Le professeur François Bricaire a ainsi indiqué que l'hôpital La Pitié-Salpêtrière prévoit d'installer la « zone de tri dans la partie centrale, c'est-à-dire l'entrée de La Salpêtrière » et que « Bichat prévoit un accueil sous tente »

-- La sécurisation des zones de tri

Le plan envisage l'éventualité d'avoir à contrôler l'accès des hôpitaux pour des raisons d'ordre public. Les établissements doivent donc prendre des mesures nécessaires pour sécuriser leurs entrées. M. François Bricaire a indiqué qu'à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, « un plan de fermeture a été organisé avec les autorités de police ».

  La sectorisation des établissements : les zones à basse et haute densité virale

-- L'organisation de secteurs dédiés

Le plan prévoit d'identifier, dans tous les établissements, des zones dites « à forte densité virale », où seront regroupés les patients grippés et des zones dites « à faible densité virale » pour les patients considérés comme non grippés. La création de nouvelles structures n'étant pas envisagée en raison de la pénurie prévisible de personnels, la sectorisation se fera en redéployant les services existants.

Les établissements de santé ont déjà engagé ce travail d'organisation des structures dédiées aux patients grippés qui sera, comme l'a fait observer le professeur François Bricaire, largement « fonction des caractéristiques de l'établissement - hôpital tour ou pavillonnaire, taille, spécialisations ... ». Certains établissements de grande taille disposent d'« une marge de manœuvre importante » qui leur permet plus de souplesse dans l'organisation du dispositif. C'est le cas à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière : « Nous avons défini nos zones « grippés » et « non grippés ». Ainsi, notre bâtiment cardiologie et cardiovasculaire sera à l'évidence réservé aux non grippés, de même que le service gynécologie obstétrique. Ces services devront rester « propres ». A contrario, on trouvera, dans la partie « grippés », le service des maladies infectieuses et le service de pneumologie, mais également, en déclinaisons successives, selon les nécessités d'admissions, les services de médecine interne, d'hépato-gastro-entérologie, de rhumatologie, etc. Nous nous sommes enfin permis une petite « fantaisie » en laissant une zone « grise », dont l'affectation sera fonction de ce qui nous sera demandé et de l'importance de l'épidémie. En fonction de la progression de l'épidémie, on pourra décider d'y reprogrammer des activités ou de la transformer en zone « grippés ». Cette définition en zones imposera de restructurer certaines équipes, comme par exemple de demander à une infirmière en cardiologie de s'occuper de patients grippés, mais cela ne devrait pas poser de grosses difficultés »152.

-- La stricte séparation entre secteurs dédiés et non dédiés

L'interrogation principale porte sur l'étanchéité entre les deux secteurs, que M. François Bricaire a qualifiée de « virtuelle ». M. Jean Castex a, pour sa part, admis qu' « une sectorisation totale sera difficile, voire illusoire ». Sans doute, cette étanchéité sera-t-elle favorisée par certaines configurations géographiques. À cet égard, il apparaît que les structures pavillonnaires seront plus à même de la préserver. M. Daniel Christmann a fait part de l'option retenue au CHU de Strasbourg qui est de privilégier les structures pavillonnaires pour créer des secteurs dédiés : « Il faut absolument séparer les deux populations pour éviter toute contamination et donc définir un secteur dédié à l'accueil des grippés. Nous avons deux accueils des urgences à Strasbourg, un sur le site de l'Hôpital civil, l'autre sur le site de Hautepierre qui est une tour de treize étages. Nous n'avons évidemment pas retenu ce deuxième secteur pour accueillir les urgences, dont la configuration rendrait ingérable l'admission et l'hospitalisation de ces patients. Il faut s'orienter vers des structures pavillonnaires ».

Des personnalités auditionnées par la mission ont suggéré d'autres pistes de réflexion, comme l'affectation d'établissements entiers à la prise en charge de la grippe. Ainsi, M. Pierre Fuentes, pour la Conférence des présidents de CME de CHU, s'est demandé s'il ne conviendrait pas de réfléchir, « comme pour la médecine de ville, à une sectorisation de tout ou partie des établissements hospitaliers, par le biais d'une déprogrammation sélective et totale dans certains établissements, qui permettrait de reporter les pathologies classiques dans certains hôpitaux et de concentrer les malades grippés dans d'autres établissements ? Ce serait théoriquement la meilleure façon de protéger de la maladie les autres malades et les personnels hospitaliers, mais cela poserait probablement des difficultés pratiques et organisationnelles assez lourdes. Ce n'est pas nouveau, et la question s'est déjà posée à l'occasion d'autres épidémies, de mettre en place, durant une période limitée, des structures spécifiquement dédiées, autrement dit une nouvelle répartition des lits, au lieu d'une mobilisation d'ensemble des lits, qui verrait se mêler des personnels formés et d'autres non formés, des malades non grippés et des grippés contagieux »153 .

Bien que cette solution ne soit pas préconisée par le plan, M. Jean Castex ne l'a pas formellement exclue : « La spécialisation des établissements a été évoquée par plusieurs d'entre vous. Comment utiliser au mieux, en période pandémique, une clinique privée qui faisait pour l'essentiel de la chirurgie programmée ? Une solution pourrait consister à lui confier les urgences chirurgicales de l'hôpital - il y en aura malheureusement toujours ; mais on pourrait également, à l'inverse, fermer ce type d'établissements en accès public afin de les confiner et de les spécialiser dans l'hospitalisation des patients atteints de grippe aviaire. Plusieurs solutions sont possibles ; tout dépendra des territoires, de l'organisation du CHU, des situations, etc. Il faut laisser au niveau local le choix du mode d'organisation le plus adapté ».

En tout état de cause, cette option soulèverait des difficultés. Certaines régions par exemple ne disposent que d'un seul hôpital. M. François Bricaire craint pour sa part que « l'étanchéité entre les deux systèmes [ne soit] largement battue en brèche ». Comme l'a admis M. Pierre Fuentes, elle « exigera probablement une organisation assez complexe, à supposer qu'elle soit politiquement bien perçue, car elle n'est pas sans inconvénients. Elle se heurterait, en tout état de cause, à des difficultés géographiques, certaines régions étant nettement sous-équipées en termes de nombre de lits par rapport à d'autres. Sur le plan épidémiologique et de la diffusion de la maladie, ce pourrait être une réponse ».

Au vu de ces éléments, Le Rapporteur partage le souhait exprimé par M. Jean-Luc Chassaniol, que « les prochaines conférences sanitaires inscrivent systématiquement à leur ordre du jour une réflexion sur la distinction entre hôpitaux à haute ou à basse densité virale ».

b) Assurer la prise en charge optimale des malades

  La déprogrammation

La déprogrammation des activités non urgentes est une mesure figurant dans les plans blancs et les plans blancs élargis. Elle sera essentielle pour, d'une part, redéployer les capacités hospitalières et les personnels, d'autre part, regrouper des activités et assurer ainsi le maximum de protection aux patients comme aux professionnels de santé.

Chaque établissement doit élaborer un plan de déprogrammation, en coordination avec ceux des autres établissements de santé d'une ville et d'un département, et être intégré au plan blanc élargi, voire planifié au niveau régional pour un certain nombre de spécialités. Des modélisations régionales doivent être conduites par les agences régionales de l'hospitalisation, sur la base des données indicatives de l'InVS relatives au nombre d'hospitalisations attendues.

-- La coordination entre le secteur public et le secteur privé

La déprogrammation est l'occasion de mettre en place une coopération entre le secteur public et le secteur privé, comme l'a souligné M. Jean-Olivier Arnaud, pour le Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH) : « La collaboration public-privé devrait probablement commencer à se faire jour, notamment à l'occasion de la préparation de la déprogrammation. Nous avons reçu des instructions pour la préparer ».

En effet, pour une large part, l'activité du secteur privé est constituée d'activités programmées et donc, déprogrammables au moins à court ou moyen terme. M. Roger-Ken Danis, au nom de la Fédération de l'hospitalisation privée, a rappelé le potentiel représenté par ce secteur : « Aujourd'hui, sur cent interventions chirurgicales, vingt-cinq seulement ne peuvent pas être déprogrammées pour cause de risque vital. Les soixante-quinze autres peuvent être décalées : si au lieu d'être opéré le 10 juillet, le patient doit attendre jusqu'au 10 septembre, il aura peut-être mal à la hanche, mais il n'y aura pas mort d'homme... Potentiellement, il y a de la place, et du monde à mettre sur le pont. Notre engagement là-dessus est clair et net ».

Cette coordination se met en place localement. Ainsi, M. Marc Lamour, membre de la conférence des présidents de CME de centres hospitaliers, a fait savoir que  «  dans le département du Finistère, et sous l'autorité de la DDASS, deux réunions se sont déjà tenues, auxquelles était convié l'ensemble des représentants des structures d'hospitalisation publiques et privées, et qui portaient précisément sur les modalités de coopération. Quatre groupes de travail ont été constitués, qui ont déjà commencé à se réunir »154 .

Les modalités de cette coordination mériteraient d'être approfondies afin que puissent être dissipées les craintes exprimées par M. Pierre Fuentes, pour la Conférence des présidents de CME de CHU, qu'en période pandémique ne se prolonge une situation qu'il juge « immorale (...) : on déprogramme d'un côté en laissant les autres programmer à leur guise, nos établissements n'auront plus de ressources suffisantes tandis que les autres seront dans une situation financière très favorable... Je trouve déjà la situation actuelle, hors pandémie, assez immorale dans la mesure où l'on demande aux hôpitaux, particulièrement aux CHU, de se charger de ce dont le secteur privé ne veut pas. Il y a donc ceux qui choisissent ce qu'ils veulent bien faire, et les autres font le reste : et c'est cela que l'on appelle le service public. En période de pandémie, une permanence des soins qui ne repose que sur le bon vouloir de la médecine libérale devient proprement immorale. Jusqu'à présent, l'État n'est jamais parvenu à faire autrement ; mais en rester à un tel système dans une situation de crise ne me paraît pas acceptable »155. 

M. Jean-Marie Paulot, le directeur de l'ARH du Nord-Pas-de-Calais, s'est quant à lui montré confiant quant à la participation des établissements privés dans sa région : « Nous connaissons bien les établissements privés exerçant dans le domaine de l'urgence. Nous en avons plusieurs dans la région, PSPH ou non, dont six UPATOU156 privées. Peut-être est-ce lié à la légendaire solidarité des gens du Nord, mais je n'ai pas trop de craintes sur la volonté du secteur privé de participer. Encore faudra-t-il organiser ces renforts, personne ne connaissant encore précisément les besoins et surtout la durée. Déprogrammer est une chose ; encore faut-il pouvoir reprogrammer ensuite et donc évaluer l'ensemble des conséquences en allant jusqu'au bout de la chaîne »157 .

Il serait regrettable que la bonne volonté dont que manifestent les établissements privés se heurte à des considérations financières. Or, comme l'a fait observer M. Roger-Ken Danis, pour la Fédération de l'hospitalisation privée, si la déprogrammation devait durer six semaines - ce qui représente une forte probabilité - les établissements rencontreraient des difficultés sérieuses : « Une déprogrammation sur quatre ou cinq jours ne met pas en péril la santé d'un établissement : l'activité déprogrammée finira par être rattrapée. Mais si une pandémie d'une gravité inouïe oblige à déprogrammer pendant quatre mois, il faudra clairement compenser nos pertes, faute de quoi les établissements ne pourront pas fonctionner ni payer leur personnel. Autrement dit, sur un court délai, ils s'en sortiront ; mais sur un long délai, ils ne s'en sortiront pas sans compensation. Nous en avons déjà eu l'expérience à l'occasion de catastrophes ponctuelles : lorsqu'un train a déraillé à Melun, les établissements ont déprogrammé durant une journée sans demander de compensation. De même lors de l'explosion d'AZF : cela n'a pas duré trop longtemps et cela restait tolérable. Il en serait de même pour la grippe aviaire si la crise s'avérait de courte durée ; c'est ce qui explique que nous ayons annoncé notre volontariat sans l'assortir d'aucune demande. Mais si nous devons déprogrammer pendant six semaines, jamais nous ne tiendrons le coup ».

De l'avis de votre Rapporteur, il importe donc de prévoir les modalités de compensation pour le secteur privé.

Les modalités de la déprogrammation

La déprogrammation sera engagée dès le début de la pandémie, mais la montée en charge du processus sera progressive.

Son organisation relève de la cellule de crise, renforcée par la cellule d'aide à la décision médicale, et nécessitera une gestion fine des activités. Si certaines activités ne sont à l'évidence pas déprogrammables (urgences médicales et chirurgicales, dialyses, accouchements), d'autres ne pourront l'être que pour un certain temps, ainsi que l'a observé le professeur François Bricaire : « il appartiendra à chaque structure de prévoir ce qu'elle pourra faire, ce qu'elle ne pourra pas faire, comment elle pourra déprogrammer certaines activités et surtout pendant combien de temps : décaler d'un jour une intervention sur un patient atteint d'un cancer ne pose pas problème, de quinze jours, c'est encore supportable, mais renvoyer l'opération à trois ou six mois devient tout à fait déraisonnable. Il faut donc un travail de préparation pour, en quelque sorte, re-programmer ce qui aura été déprogrammé ».

Allant dans le même sens, M. Pierre Fuentes a souligné : « il conviendra, à un moment donné, de définir ce qui est considéré comme « déprogrammable », et pendant combien de temps : certaines interventions sont déprogrammables une semaine, d'autres un mois, d'autres six mois. Déprogrammer ne signifie rien en soi : encore faut-il définir des échelles de temps et de gravité. Déprogrammer une prothèse totale de hanche est une chose, déprogrammer une chirurgie du cancer du poumon une autre : cela peut attendre une semaine, voire quinze jours ou trois semaines, mais pas six mois. »

De surcroît, le niveau d'activités déprogrammables est très variable selon les établissements. Selon M. Patrick Camphain, de l'AP-HP, il est possible de l'estimer globalement à 40 %, sachant que certains établissements ont une activité programmée plus importante que d'autres. La déprogrammation doit donc faire l'objet d'une évaluation précise selon les situations : « Tout cela doit être étudié site par site et défini en fonction des organisations, mais également en fonction de ces deux zones à haute et basse densité virale, avec tout ce que cela suppose en termes de regroupements, de lieux de prise en charge et de circuits de communication. C'est là un travail très compliqué qui demande une approche des détails. »

Enfin, derrière la question de la déprogrammation, se profile, comme l'a souligné le professeur François Bricaire, la question du redéploiement des personnels entre services, qui est « un maillon faible car, pour l'instant, aucune doctrine n'est arrêtée en la matière, et le choix d'une doctrine aura des répercussions importantes en termes d'organisation ».

  La mobilisation des personnels hospitaliers

L'absentéisme dans les établissements de santé dans la phase pandémique peut être estimé, selon l'hypothèse retenue par le plan et confirmée par l'ensemble des personnalités auditionnées par la mission, entre 30 et 40 % des effectifs. Le taux moyen d'absentéisme observé, hors pandémie, est d'environ 12%.158 A cet absentéisme habituel, s'ajoutera un absentéisme résultant soit de la pandémie grippale affectant directement ces personnels, soit de problèmes connexes (transport, garde d'enfants ou de personnes à charge).

M. Jean Castex a ainsi résumé les données du problème : « Non seulement nous devrons faire face à un afflux de patients, mais il faudra s'attendre à ce qu'une partie de nos personnels soient malades ou ne se présentent pas à leur travail pour des raisons diverses, par exemple s'ils ont des personnes atteintes par le virus dans leurs familles ».

Pour s'assurer de la présence d'effectifs en nombre suffisant pour assurer la continuité du service public de santé, il importe, d'une part, de limiter le plus possible l'absentéisme par une mobilisation du personnel, d'autre part, d'organiser la suppléance et le renforcement du personnel.

-- Limiter l'absentéisme

D'une manière générale, il ressort des auditions auxquelles a procédé la mission que les personnels se tiendraient prêts le moment venu. Si les syndicats ont rappelé que les établissements de santé fonctionnent actuellement en flux tendus en termes d'effectifs, la mission a toutefois entendu des engagements précis. M. Didier Bernus, pour FO, a ainsi mis en avant «la culture et l'éthique » des personnels, qui les amènent à se mettre « à la disposition des établissements sans attendre de directives ». Il en donne pour preuve l'expérience de la canicule de l'été 2003 et les premiers cas de sida : « Lorsque les premiers cas de sida ont commencé d'être traités dans les établissements, les personnels ont demandé des informations et souhaité que des mesures de protection soient prises mais ils ne se sont jamais dérobés ». M. Frédéric Ancelet, représentant du syndicat UNSA-Santé Sociaux, témoigne de cet engagement : « [Les personnels] appartiennent au service public de santé et s'ils ne sont pas réquisitionnés, ils se présenteront spontanément ». Les représentants des cadres hospitaliers, dont M. Jean-Olivier Arnaud, comptent aussi sur « la culture hospitalière qui prendra le dessus dans tous les services et (...) qui pousse les gens à se mobiliser spontanément en cas de catastrophe. Cette auto-mobilisation se retrouve à chaque fois que les gens en comprennent la nécessité, pour peu que cette chaîne d'information et de solidarité fonctionne ».

On peut espérer limiter l'absentéisme en assurant aux personnels, qui pourraient redouter la contagion, des moyens de protection appropriés qui les rassureraient : masques, traitement par anti-viraux.

-- Les masques

Le virus grippal se transmet par voie aérienne, notamment par l'intermédiaire de gouttelettes respiratoires émises lors des accès de toux. Des critères permettant de définir des facteurs complémentaires de risque majeur d'exposition ont été retenus par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF) : proximité de moins de deux mètres d'une personne malade, densité de personnes dans ce rayon de proximité, proportion de personnes infectées ou d'agents infectés dans ce rayon de proximité, confinement et absence de remplacement des personnes dans ce rayon. Les personnels hospitaliers se trouveront dans ces contextes de risques majeurs d'exposition pour lesquels le plan préconise l'emploi des « protections respiratoires individuelles » (PRI).

M. Didier Bernus a souligné l'importance des masques: « Comme on ignore, bien sûr, combien d'agents seront touché par le virus en cas de pandémie, il faut faire le maximum pour que ceux qui demeureront valides grâce aux mesures de protection comme les masques, soient d'autant plus efficaces ». 

Il a cependant regretté que « pour l'accès aux équipements de protection, le flou persiste. On conçoit qu'il n'est pas simple de fabriquer et de stocker les millions de masques nécessaires aux quelque 900 000 personnes qui travaillent dans les établissements hospitaliers français, mais nous ne savons rien de l'état de la production. Où en est-on ? Toutes les régions seront-elles également dotées, ou certaines seront-elles plus particulièrement ciblées ? Nous avons besoin d'avoir des réponses à ces questions ».

Sur ce point, le Ministre, M. Xavier Bertrand, a rappelé qu'ont été commandés  « 285 millions de masques FFP2 pour les professionnels de santé, libéraux et hospitaliers, ce qui correspond à une moyenne de trois masques par jour pendant quatre-vingt-dix jours pour un million de personnels de santé. » Selon les précisions apportées par M. Jean Castex, au 1er février, date de son audition, « 500 établissements de santé sont d'ores et déjà dépositaires de 100 millions de masques FFP2 ».

Les établissements ont fait l'avance de frais pour l'achat de ces masques mais le principe de leur remboursement par l'État est acquis, ainsi que l'a assuré M. Jean Castex : « il a été très clairement indiqué que les crédits seraient débloqués, et ils le seront effectivement.. Certes, les établissements doivent pour le moment faire l'avance, mais des instructions très claires ont été données et rappelées en conférence des directeurs généraux. Le Président de la République et le Premier ministre l'ont eux-mêmes affirmé : il n'y aura aucun obstacle financier à la préparation de la pandémie, ce qui n'interdit pas de chercher à se faire une estimation relativement précise des besoins. Je veux vous rassurer et, à travers vous, les hospitaliers que vous avez rencontrés : leurs préoccupations seront prises en compte et les procédures de remboursement des sommes qui ont été avancées sont en cours de finalisation ».

L'attention de votre rapporteur a été attirée par M. Roger-Ken Danis sur les masques qui seront mis à la disposition des personnels des établissements privés qui, dans un contexte de mobilisation de l'ensemble des forces sanitaires du pays, seront amenés à jouer un rôle dans la lutte contre la pandémie : « Force est de déplorer un manque évident de clarté. Il faut savoir...quels moyens seront mis à disposition des établissements volontaires pour protéger leurs personnels. La première chose qu'il nous faut, avant même les anti-viraux, ce sont les masques FFP2 que toutes les notices préconisent pour protéger les personnels exposés aux malades atteints ou potentiellement atteints. Or, en dépit des progrès observés ces dernières semaines, l'incertitude demeure. J'en ai quelques exemples : à croire le dernier pointage réalisé ce matin même en Île-de-France, un nombre non négligeable d'établissements d'urgence homologués, qui traitent entre 14 et 15 000 cas urgents, ne disposent toujours pas de masques alors que, très curieusement, des établissements non positionnés dans l'urgence en ont, jusqu'à un établissement de psychiatrie qui nous a demandé ce qu'il devait faire des sept palettes de masques qu'il a reçues, de même qu'un établissement de soins de suite et de réadaptation ! Je leur ai suggéré, par plaisanterie, de les revendre... Sur ce point, il y a encore des améliorations à apporter».

-- Les traitements antiviraux

M. Xavier Bertrand a indiqué que « des traitements ont été pré-positionnés dans treize hôpitaux répartis sur tout le territoire - 130 000 à la pharmacie centrale de l'AP-HP et 70 000 dans les douze établissements de référence »159 .

Le plan préconise, d'une manière générale et compte tenu des stocks disponibles, une utilisation prioritaire des antiviraux en traitement curatif. Cependant,comme le rappelait M. François Bricaire, l'efficacité des antiviraux et plus spécifiquement du Tamiflu est largement dépendante de la précocité de son administration : « Les travaux scientifiques, c'est-à-dire publiés dans la littérature médicale, à partir d'essais sérieux et validés, ont montré que le Tamiflu était efficace, en tout cas à un coefficient suffisamment élevé pour être pris en considération - plus de 70 % -, à une condition fondamentale et très difficile à réaliser : être pris très précocement à partir du premier symptôme. Administré dans les six premières heures suivant les premiers symptômes, il fait gagner plus de trois jours dans la durée des symptômes - sur une maladie qui en fait cinq, c'est important. S'il est administré dans les douze heures, la perte d'efficacité atteint une journée. À quarante-huit heures, il ne sert plus à rien. Il ne faut pas être surpris qu'il ait donné si peu de résultats en Asie : on l'a utilisé, et c'est normal, mais cela l'a été souvent trop tard ».

La question se pose donc de savoir  « s'il ne faudrait pas aller un peu plus loin et utiliser le Tamiflu en prévention ou plus exactement en prophylaxie rapprochée, à la suite d'un contact avec un grippé. Les études scientifiques, qui sont au demeurant peu nombreuses, ont montré une efficacité de 90 %. Le problème est qu'une utilisation de ce type amène à définir des gens que l'on voudrait ainsi protéger, décision très difficile ».

M. François Bricaire a fait part de ses doutes quant à l'usage prophylactique des antiviraux : « On pourrait se demander, y compris pour le personnel hospitalier, s'il ne vaudrait pas mieux attendre les premiers symptômes pour donner immédiatement le médicament : la personne développera une forme bénigne de la grippe et, immédiatement après, retournera travailler, et sera de surcroît protégée, le Tamiflu n'empêchant pas l'apparition des anticorps. On est moins sûr qu'un traitement systématique en prophylaxie assure la même protection en cas de contamination. Je n'ai pas la réponse à cette question, qui doit être intégrée à la réflexion. Mais là aussi, il faut rester raisonnable afin d'éviter les dérapages. »

La mission a constaté que les personnels sont demandeurs d'une protection prophylactique, comme l'a fait observer M. Philippe Hrouda pour l'AP-HP : « Je suis intervenu deux fois devant le CHSCT central de l'Assistance publique : par deux fois, il a été évoqué la possibilité de donner à l'ensemble du personnel des hôpitaux un traitement prophylactique individuel ».

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il importe qu'une stratégie claire d'utilisation des antiviraux pour les personnels hospitaliers soit définie, en concertation avec ces personnels, et que ses conséquences éventuelles sur le volume des stocks à constituer soient évaluées le plus tôt possible.

-- Le droit de retrait

L'attention de la mission a été attirée à plusieurs reprises sur la question du droit de retrait que les personnels pourraient, le cas échéant, invoquer. Ainsi, M. Jean-Robert Chevallier, pour la Fédération hospitalière de France, a relevé que « le droit de retrait est prévu par le code du travail, et celui-ci s'applique à l'hôpital public ».En effet, l'article L.231-8 du code du travail reconnaît à tout salarié « le droit de cesser son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent ». L'article L.231-1 du même code précise que ces dispositions sont applicables aux établissements de santé tant publics que privés.

Cependant, le droit de retrait dans ce secteur doit être interprété avec nuance. Selon l'article L.231-8-2 du même code, « la faculté ouverte par l'article L231-8 doit être exercée de telle manière qu'elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de risque grave et imminent ». En l'occurrence, le droit de retrait des personnels hospitaliers peut être incompatible avec certaines missions du service public hospitalier. En ce sens, une circulaire du 8 décembre 1989 relative aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail des établissements de santé précise que « l'application de plano de ces dispositions (l'article L. 231-8-2) aux établissements publics sanitaires et sociaux chargés du bon fonctionnement d'un service public essentiel pourrait être de nature à mettre gravement en péril la sécurité des malades ». La jurisprudence est, en la matière, peu abondante mais on peut toutefois citer une décision du Tribunal administratif de Versailles (2 juin 1994), qui a estimé que l'admission de malades porteurs du virus HIV ou de l'hépatite virale B ne présente pas en elle-même le caractère d'un danger grave et imminent, dès lors qu'un tel établissement, en raison même de sa mission, doit être apte à faire face aux risques de contagion pour ses agents et pour les tiers.

Pour ces raisons, on peut reconnaître avec M. Jean-Robert Chevallier qu'il sera « difficile pour un professionnel de soin d'exprimer ce droit de retrait dans la mesure où la matière est beaucoup plus complexe ». Toutefois, il a fait observer que les établissements de santé ont une obligation de mettre à disposition de ses personnels les moyens de protections à la mesure du risque : « si, d'aventure, l'hôpital n'avait pas la possibilité de proposer les masques et les gants nécessaires tout au long des douze semaines pour cause d'épuisement du stock, les professionnels pourraient logiquement être amenés à faire valoir leur droit de retrait, ce qui créerait des difficultés d'une exceptionnelle gravité ».

Il importe donc que les personnels hospitaliers aient toute assurance dans le niveau de protection qui leur sera assuré afin qu'ils n'aient pas de raison légitime de faire valoir leur droit de retrait. De surcroît, si des mesures de réquisition devaient être prises sur la base de l'article L.3110-1 du code de la santé publique - qui permet au ministre de la santé, en cas de menace grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, de réquisitionner les personnels - il faudrait qu'elles s'accompagnent de la mise à disposition des agents concernés de moyens de protection appropriés.

-- La suppléance et le renforcement du personnel

Compte tenu de l'absentéisme prévisible, M. Jean Castex a présenté les possibilités d'adaptation des effectifs à la pandémie : « nous travaillons sur deux pistes : premièrement, une série de mesures structurelles faisant appel au « vivier » existant - redéploiement de certains personnels soignants dans les services sous tension, rappel des personnels en formation ou en congé, réorganisation des conditions de travail - et deuxièmement, la constitution de ce que le professeur Houssin appelle un « corps de réserve sanitaire » composé de personnels externes qui constitueront des personnels supplémentaires : étudiants en médecine et en écoles paramédicales, retraités de moins de trois ans. »

-- Des mesures internes à l'établissement 

Le plan prévoit des mesures internes à l'établissement applicables dans le cadre du plan blanc. Le rappel des personnels en formation et en congé est la première de ces mesures, ce qui impose de disposer des adresses personnelles de chacun. Il conviendra de veiller à rendre effective l'obligation pour chaque agent de communiquer ses coordonnées, en dépit des « (parfois) réticences à communiquer à la direction de l'hôpital » évoquées par M. Jean-Luc Chassaniol.

Le plan prévoit, conformément aux dispositions des plans blancs d'établissement, la réorganisation des conditions de travail : elle peut passer par une augmentation de l'amplitude du temps de travail, une augmentation de la durée de travail pour les salariés à temps partiel et l'ajustement des cycles de travail. Parallèlement, le plan engage les établissements sur la voie d'une réflexion portant sur les possibilités d'hébergement sur place ou les modalités de garde des enfants. Ce dernier point doit faire l'objet d'une attention particulière car il déterminera le niveau de présence d'un personnel largement féminisé. Le plan incite à réfléchir à toutes les solutions qui pourraient être activées : réseaux d'entraide, sensibilisation des familles, recours à des organismes d'œuvres sociales, à des sociétés de service, etc.

Ce « vivier » pourra en outre être alimenté grâce aux effets de la déprogrammation d'un certain nombre d'activités et par le redéploiement de personnels qui en résultera. La possibilité d'affecter des personnels dans un établissement autre que son établissement d'origine - « la logique inter établissement » - est retenue par le plan.

Pour compléter ce dispositif, chaque établissement doit dès à présent procéder à l'état des lieux des conditions sociales de son personnel (personnes à charge, lieu de domiciliation, moyen de transport). Le résultat de cet état des lieux servira notamment de base à l'élaboration de scénarii de redéploiement et la mise en place de sessions de formation adaptées.

Pour l'heure, il ressort des auditions que la mise en place de ces mesures n'en est encore, de manière générale, qu'à ses débuts. Certes, M. Paul Castel, directeur du CHU de Strasbourg, a indiqué que « Nous devrons mettre en place le « plan blanc », rappeler les personnels au repos, déprogrammer certaines interventions, au besoin recourir aux personnels des écoles et aux élèves en fin de formation. Le dispositif est prêt à être bouclé ». Mais M. Jean-Marie Paulot, pour sa part, a noté que : « Le simple passage à l'an 2000 nous avait déjà amenés à prendre des dispositions dérogatoires en matière de gestion des personnels - astreintes, durée des vacations -, assorties de mesures d'indemnisation arrêtées à l'avance. Cette question, quoique d'ores et déjà prévue dans le plan blanc, commence seulement à être évoquée au sein des organismes paritaires, et elle appelle légitimement une réponse. »

-- le recours à des ressources externes : le « corps de réserve sanitaire »

La mobilisation des personnels internes à l'établissement ne sera pas à la mesure des besoins. Le recours à des personnels pouvant suppléer les équipes soignantes est donc une des pistes de réflexion majeures du plan. Le principe du recours au corps de réserve sanitaire est d'application générale : on a vu, plus haut, qu'il sera également mobilisé dans le cadre de la médecine de ville.

Sa composition varie en fonction du type de soins et des structures accueillantes. Seront principalement sollicités les étudiants et les professionnels de santé retraités de moins de trois ans (médecins, infirmiers, aides-soignants ...). À titre d'exemple, les étudiants ayant validé le deuxième cycle des études médicales pourront suppléer les médecins généralistes ; les étudiants en médecine et en instituts de formation aux soins infirmiers renforceront, pour leur part, les professions paramédicales.

L'idée de ce corps de réserve sanitaire apparaît être maintenant intégrée à la réflexion menée par les directions d'hôpital sur l'organisation de leur établissement pendant la pandémie. Des points d'interrogation demeurent sur le meilleur emploi qui pourrait être fait de ces personnels, comme l'a indiqué M. Xavier Bertrand : « Nous entrons là dans une autre logique, celle de la mise en place d'un corps de réserve sanitaire, dont il nous faudrait ensuite déterminer la meilleure utilisation : dans les établissements, dans les opérations de tri à l'entrée, et pour renforcer les plates-formes téléphoniques non seulement des centres 15, mais également des services d'assistance médicale à domicile afin d'éviter que les malades restés chez eux ne soient pris de panique et n'aient plus qu'une idée en tête : rejoindre l'hôpital par leurs propres moyens, au risque d'accroître la contamination »160 .

Le professeur Daniel Christmann, du CHU de Strasbourg, s'est interrogé sur la possibilité d'affecter les effectifs du corps de réserve dans les zones à haute densité virale : « Nous pourrions effectivement affecter ces étudiants de dernière année dans les secteurs dédiés, sous réserve que nous en ayons légalement et administrativement la possibilité... » Il a cependant privilégié la solution de leur affectation dans les secteurs à basse densité virale : « Les personnes en dernière année de formation, élèves infirmières ou étudiants en médecine, devront être envoyées dans les secteurs réservés à l'hospitalisation des patients non grippés ; ceux qui s'occuperont des malades infectés par la grippe feront appel à des personnels diplômés et appartenant déjà à l'établissement »161 .

Le Rapporteur estime que cette question de l'affectation du corps de réserve sanitaire dans les zones à haute densité virale devrait faire l'objet d'une analyse juridique par les services du ministère de la santé.

c) Une vraie préoccupation : les réanimations adulte et pédiatrique

  La réanimation adulte : des capacités qui ne seront pas à la mesure des besoins

-- Une estimation des besoins

Selon les projections de l'InVS, le nombre d'admissions hospitalières hebdomadaires pourrait varier entre 3 400 en début de pandémie et plus de 65 000 au moment du pic pandémique. Le taux d'hospitalisation moyen retenu est de 5 % de la population, sur lequel on estime qu'il y aura 15 % de cas graves nécessitant une réanimation ; en effet, les formes les plus sévères de la grippe entraînent souvent des complications respiratoires.

Ces hypothèses ont été confirmées à la mission par M. Xavier Bertrand : « Ces hospitalisations, toujours selon les modélisations de l'InVS, pourraient se répartir de la manière suivante : 85 % hors réanimation et 15 % en réanimation dont la moitié pourrait nécessiter une ventilation assistée - je me réfère cette fois-ci aux estimations du CDC, de l'Union européenne et de l'InVS, qui ne tiennent pas compte, je le répète, des mesures barrières ni des traitements antiviraux. Cela correspond, au maximum et durant une ou deux semaines, à 10 000 admissions en réanimation dont la moitié sous ventilation assistée. »

Si ces hypothèses sont généralement admises, M. Xavier Bertrand a estimé nécessaire d'affiner « ces estimations afin que nous soyons parfaitement au clair. »

-- Des capacités insuffisantes

M. Xavier Bertrand a présenté à la mission un bilan global des capacités de réanimation en France, qui « sont actuellement d'un peu plus de 5 700 lits de réanimation adulte, 1 064 lits de réanimation pédiatrique et néonatale et 16 900 lits de soins intensifs, de surveillance et de salles post-interventionnelles pour adultes. »

Ces capacités de réanimation sont inégalement réparties sur l'ensemble du territoire. M. Jean-Marc Boulanger a indiqué que les établissements de l'AP-HP disposaient d'un millier de lits de réanimation adultes. La région Nord-Pas-de-Calais en a pour sa part 241, M. Jean-Marie Paulot ayant fait observer que c'est un « ratio particulièrement faible par rapport à la moyenne nationale ».

Hors pandémie, les lits de réanimation sont d'ores et déjà très souvent utilisés au maximum de leurs capacités. M. Jean-Marie Paulot a indiqué que « nos capacités de réanimation, particulièrement en ces temps de grippe, sont très souvent saturées. » Il a fait part de ses inquiétudes à la mission : « Les premières modélisations, encore grossières, effectuées sur la métropole lilloise montrent qu'avec 250 patients atteints de la grippe aviaire par jour et un taux de réanimation de 5 %, l'ensemble des capacités de réanimation - une centaine de lits environ - serait saturé au bout d'une semaine. Autrement dit, nous avons un réel problème ».

Cette inquiétude est unanimement partagée.

Une des fiches parues en avril est relative à la réanimation et reconnaît que les « capacités de réanimation sont limitées ». M. François Bricaire a admis que la réanimation « est effectivement un de nos gros problèmes », M. Francis Fellinger, au nom de la Conférence des présidents de CME de centres hospitaliers, estimant, pour sa part, que « la réanimation pose un problème majeur »

-- Des solutions délicates à mettre en œuvre

Compte tenu de la saturation presque générale des capacités de réanimation hors pandémie et des prévisions de patients supplémentaires nécessitant une réanimation, le plan pose l'objectif global d'un doublement des capacités d'hospitalisation en réanimation pour la période de pandémie . M. Xavier Bertrand l'a confirmé : « Nos capacités de ventilation et de réanimation doivent donc, d'ores et déjà, être multipliées par deux. ». De l'avis de M. Francis Fellinger, doubler les capacités apparaît comme une «  évidence ».

Il est difficilement envisageable d'atteindre l'objectif de doublement des capacités en créant spécialement des structures de réanimation à hauteur des besoins. De l'avis de M. Francis Fellinger, « ce serait une grave erreur, sur le plan médical comme sur le plan économique ». Le plan s'oriente donc vers une adaptation des structures existantes, la création de lits étant envisagé seulement à titre de complément pour atteindre l'objectif de doublement des capacités.

M. Xavier Bertrand a présenté les deux solutions envisagées : « Il est possible d'accroître les capacités en déprogrammant certaines activités... et en transformant d'autres lits d'hospitalisation, sous réserve de l'acquisition des matériels nécessaires et de la présence de personnels dûment formés ».

-- La déprogrammation

L'application des plans de déprogrammation conduira à libérer des places de réanimation du fait du report de certaines interventions chirurgicales : les salles de surveillance post interventionnelle (salles de réveil) rendues disponibles par la réduction d'activité de certains blocs opératoires pourront être utilisées. M. François Bricaire a exposé le projet de l'hôpital La Pitié-Salpêtrière : « [il s'agit de profiter] de la déprogrammation pour récupérer des salles de réveil et réutiliser tous les secteurs de réanimation laissés libres du fait de la réduction de certaines activités chirurgicales. Pour la Pitié-Salpêtrière, les premiers services de réanimation à monter graduellement en puissance seront évidemment la réanimation pneumologique, puis la réanimation d'hépato-gastro-entérologie, etc. Chaque structure, chaque établissement devra élaborer un plan de montée en puissance de l'utilisation de ses lits - lits standard et lits de soins « intensifs ».

Dans cette perspective, l'apport des établissements de santé privé sera fondamental dans la mesure où leur activité est largement concentrée sur les actes chirurgicaux pour lesquels des salles de réveil sont requises. M. Roger-Ken Danis a rappelé qu'en cas de pandémie, le secteur privé déprogrammerait ses activités et pourrait mettre à disposition  « Huit cents blocs opératoires, certes de tailles différentes, mais aucune salle de réveil ne comporte moins de quatre ou cinq postes de réanimation, et la plupart sont beaucoup plus grandes représentant quelques milliers de lits. Si, demain, les plans blancs élargis sont déclenchés, nous déprogrammerons nos activités comme nous savons le faire et comme nous l'avons déjà fait à l'occasion de crises ponctuelles, à certains endroits ».

-- La mise en place de systèmes mobiles

Cette mise en place se traduira, comme l'a précisé M. Xavier Bertrand devant la mission, par l'acquisition des « équipements nécessaires à l'adaptation de 6 000 lits d'hospitalisation pour une prise en charge de réanimation respiratoire ».

Il s'agit, selon M. Francis Fellinger, de « transformer des lits classiques en lits de réanimation par l'adjonction de « kits » permettant d'assurer à tout le moins une pré-réanimation ou une réanimation mobile. », « dans l'esprit de la médecine militaire ».

Ces systèmes mobiles permettraient d'accroître sensiblement les capacités de réanimation, même en mode dégradé, et présenteraient l'avantage de pouvoir être utilisés dans des établissements n'effectuant pas d'actes chirurgicaux et n'ayant donc pas, de ce fait, de capacités mobilisables.

M. Xavier Bertrand a donné des précisions sur le matériel qui serait nécessaire à cette réanimation mobile : « des ventilateurs mixtes adaptés aux adultes comme aux enfants... le système d'aspiration, le dispositif de monitorage global, le stock de consommables qui va avec - sondes et filtres - ainsi que les produits de santé, pousse-seringues, matériel de perfusion, etc. Enfin, nous nous sommes aperçus qu'en achetant des valves additionnelles, nous pourrions également réutiliser les 2 100 respirateurs Biotox - en espérant ne pas avoir à faire face aux deux menaces en même temps ».

Pour l'heure, comme l'a fait observer M. Jean Castex - mais c'était le 1er février 2006 - « nous n'en sommes pour l'instant qu'à l'état des lieux et nous n'avons rien préconisé du tout en termes d'achat de matériels... ». Interrogé sur la mise en œuvre de ces systèmes mobiles, M. Francis Fellinger a répondu : « C'est totalement embryonnaire ».

La mission a, par ailleurs, relevé la remarque alarmiste de M. Jean-Marie Paulot, selon lequel : « l'acquisition de matériels supplémentaires, apparemment peu disponibles en France, constitue un deuxième goulot d'étranglement technique ».

Votre Rapporteur formule donc le souhait qu'un état des lieux des besoins soit dressé au plus vite afin que les achats puissent être réalisés en temps utile.

-- La formation des personnels à la réanimation

La réanimation associe matériel et compétence d'un personnel dûment formé. La qualité des soins ne pourra être assurée, ainsi que l'a rappelé M. François Bricaire, que par « des personnels compétents, rompus aux manœuvres de réanimation et du matériel ad hoc ». Doubler les capacités de réanimation implique donc un effort de formation supplémentaire des personnels.

La formation des personnels aux manœuvres de réanimation est à l'évidence une question névralgique. La plupart des médecins n'ont pas de connaissance particulière en la matière, ainsi que l'a fait remarquer M. François Bricaire : «  un des soucis du corps médical, exprimé notamment par les pneumologues, est d'avoir un personnel médical re-formé à l'intubation et à la ventilation. Sur dix internes en médecine, je vous mets au défi d'en trouver un capable de ventiler ».

Le plan prévoit la formation du personnel mais les modalités concrètes n'en sont pas définies. M. Xavier Bertrand a rappelé que « les personnels doivent donc être recensés pour être formés », cette formation pouvant être inspirée de celle mise en place par « la société de médecine d'urgence américaine [qui]retient une formation composée d'une journée d'enseignement théorique et d'une journée en immersion ». M. François Bricaire est d'avis de «  proposer une formation dans ce domaine et les pneumologues, en région parisienne à tout le moins, sont prêts à le faire ». Cette formation pourrait se faire en coordination avec les sociétés savantes, et notamment la société de réanimation en langue française qui a proposé de dispenser  « un savoir minimal partagé ».

La formation devra par ailleurs concerner d'autres personnels, comme les infirmiers qui pourront être amenés à suppléer les infirmiers anesthésistes.

  La réanimation pédiatrique : une inquiétude aggravée

Les problèmes qui se posent pour la réanimation adulte se retrouvent, sur un mode aggravé, pour la réanimation pédiatrique.

-- Une population à risque

Chaque pandémie frappe prioritairement certaines tranches d'âge et il n'est pas facile de prévoir celles qui vont être touchées. Cependant, à la lumière des informations disponibles sur la grippe aviaire à H5N1, il est à craindre que les enfants paient un « lourd tribut à la pandémie », selon les termes de M. François Bricaire. Comme l'avait relevé le Rapporteur dans le premier rapport de la mission, si l'on analyse les statistiques de grippe aviaire établies par l'OMS au plan mondial, « on peut noter que les patients qui ont été hospitalisés pour un cas avéré de grippe aviaire sont plutôt jeunes, le plus souvent de jeunes enfants ou des adultes jusque là en bonne santé. Au Vietnam, l'âge moyen est de 15 ans : les enfants malades ont de 14 mois à 15 ans et l'adulte le plus vieux à avoir développé la maladie était âgé de 35 ans. En Thaïlande, la moyenne d'âge est de 20 ans. En Indonésie, le dernier cas concerne un adolescent de 16 ans. Les victimes turques avaient moins de 15 ans. Sur la totalité des cas recensés, seuls deux adultes de plus de 50 ans ont été atteints par la maladie. L'OMS n'a fourni pour l'instant aucune explication scientifique à ce profil pathologique ».

M. Xavier Bertrand a indiqué que les pouvoirs publics, dans le cadre de la préparation à la pandémie, s'étaient placés dans la perspective d'une atteinte forte de la population jeune par le virus : « Nous n'avons aucune idée de la virulence du virus sur telle ou telle catégorie de la population, mais nous partons du principe, au vu de ce qui s'est passé en Asie du Sud-Est ou en Turquie, que les enfants seraient particulièrement touchés. Même si rien ne dit que ce sera le cas, nous devons intégrer cette dimension »162 . On a vu précédemment que, de son côté, l'InVS s'était attaché à calculer des prévisions d'hospitalisations spécifiques pour la tranche d'âge de 0 à 19 ans.

Même si, comme l'a rappelé le ministre, des mesures (fermeture des écoles et des crèches) seront prises pour « minimiser ce genre de risque », il y a tout lieu de craindre un « nombre probablement important d'enfants » dont l'état de santé nécessitera une réanimation. D'après les informations qui ont été transmises au Rapporteur, une fiche spécifique à la prise en charge en pédiatrie fera partie de la mise à jour prévue pour juillet 2006. Elle traitera de l'ensemble des problèmes soulevés par la prise en charge des enfants, parmi lesquels la réanimation pédiatrique avant tout. Si les principes généraux, dont le principe du maintien à domicile, leur seront applicables, il importe de les adapter aux spécificités de cette population. On a vu précédemment que les critères d'hospitalisation sont différenciés et que la doctrine d'emploi de masques devrait être aménagée. Le Rapporteur note que la doctrine d'emploi des anti-viraux pour les très jeunes enfants devrait être utilement précisée car, s'il est admis que le Tamiflu peut être utilisé chez l'enfant entre un et douze ans, aucune étude n'a été réalisée chez les enfants de moins d'un an. Ce point a d'ailleurs fait l'objet d'une saisine de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).

-- des capacités de réanimation pédiatriques restreintes

Il ressort de l'ensemble des auditions et des visites d'hôpitaux effectuées par les membres de la mission, que globalement, la situation de la réanimation pédiatrique n'est pas bonne, ainsi que l'a admis M. Jean Casteix : « S'agissant du problème, réel, de la réanimation des enfants, nous sommes en train de procéder à un recensement précis de l'existant. Tout montre en effet que nos moyens de réanimation pédiatrique sont globalement, et sur le plan national, adaptés à une situation normale, mais seraient insuffisants en cas de pandémie grippale. »

M. Francis Fellinger s'est montré pour sa part plus abrupt dans ses propos : « La réanimation pédiatrique ...pose un énorme problème...La pédiatrie hospitalière est une des disciplines hospitalières les plus sinistrées ».

Si l'on s'attache à examiner les situations locales, le constat peut être aggravé. Pour la région Nord-Pas de Calais, M. Jean-Marie Paulot a dressé un bilan inquiétant : « Quant à la réanimation pédiatrique, elle ne compte que seize lits en tout et pour tout, d'ores et déjà totalement saturés : nous avons dix-huit patients... ».

Si la situation de cette région est particulièrement difficile, elle est loin d'être optimale dans les autres, comme l'a souligné M. François Bricaire : « vous touchez du doigt l'un des problèmes essentiels. Nous avons entendu les inquiétudes de nos collègues du Nord. Le problème se pose dans des termes rigoureusement identiques en Île-de-France : nous souffrons d'une insuffisance potentielle de lits de réanimation pédiatrique. » M. Patrick Camphain a indiqué : « L'AP-HP dispose de 80 lits de réanimation pédiatrique, hors lits de réanimation néonatale », ce qui, rapporté à la population francilienne, est, à l'évidence, dérisoire.

-- Des solutions difficiles tant pour les équipements que pour le personnel de réanimation

L'augmentation des capacités de réanimation pédiatrique s'impose. Il est par ailleurs possible que le principe général de leur doublement doive être revu à la hausse pour cette discipline, si les enfants étaient particulièrement frappés par la pandémie.

En tout état de cause, la réanimation pédiatrique, tout comme la réanimation adulte, ne pourra pas être assurée en cherchant «  à respecter les normes requises en situation ordinaire », comme l'a déclaré M. Jean Castex.

Les solutions pour augmenter les capacités seront, dans un premier temps, les mêmes que celles retenues pour les secteurs adultes, à savoir l'utilisation des marges de manœuvre laissées par la déprogrammation, et notamment l'utilisation des salles de surveillance post opérationnelles.

Une autre solution a été envisagée devant la mission : la prise en charge des enfants par des services de réanimation adultes en cas de saturation des services de réanimation pédiatrique. C'est sur cette option qu'ont commencé à travailler les établissements de la région Nord-Pas-de-Calais, comme l'a indiqué M. Jean-Marie Paulot : « Nous imaginons dans un premier temps basculer une partie des enfants vers la réanimation adultes et sans doute « déspécialiser » l'hôpital Jeanne-de-Flandre du CHRU afin de le transformer en une unité de réanimation pédiatrique plus étendue. »

Il est à noter que cette option, comme l'a fait remarquer à juste titre M. François Bricaire, « ne fait que déplacer le problème, qui est réel [puisque] la réanimation adulte [sera] déjà potentiellement encombrée » . De plus, elle pose à l'évidence, selon M. Philippe Hrouda, de l'AP-HP : « un problème éthique dans la mesure où la décision individuelle, dont nous avons l'habitude, cède le pas à la décision collective, caractéristique de la médecine de catastrophe. Une étude est en cours dans le milieu des anesthésistes-réanimateurs - aussi bien pédiatriques que pour adultes - pour déterminer aussi sereinement que possible l'ajustement du curseur par rapport à l'âge des enfants. » Il a rappelé que : « Classiquement, un enfant est considéré comme tel jusqu'à quatorze ou quinze ans. Mais si, entre zéro et quatre ou cinq ans, les méthodes de ventilation exigent l'intervention de réanimateurs très spécialisés, un réanimateur adulte peut prendre en charge la ventilation d'un enfant à partir de cinq-six ans dans des configurations plus classiques. ».

Des groupes de travail sur ces sujets ont rassemblé autour de la DHOS, des professionnels de santé, des directeurs d'établissement et des autorités sanitaires. D'après les renseignements qui ont été transmis au Rapporteur, la solution retenue est la suivante : en situation de pandémie grippale, les enfants de plus de 20-25 kilos seront pris en charge prioritairement dans les services de réanimation adulte. À cet effet, les 6 000 ventilateurs que le gouvernement prévoit d'acheter seront d'usage mixte, comme l'avait d'ailleurs annoncé M. Xavier Bertrand. Il est également prévu l'achat d'embouts, patchs et autres dispositifs de santé pédiatriques afin que tous les matériels nécessaires soient adaptables à la prise en charge des enfants.

Mais si l'on admet que le problème des matériels est résolu, celui de la formation des personnels à la réanimation pédiatrique se pose avec une particulière acuité. Les personnalités auditionnées ont toutes dit la spécificité de la réanimation pédiatrique, qui exige une haute technicité et des compétences particulières qu'il est impossible d'acquérir rapidement. M. Jean Castex a ainsi souligné combien « la matière est très spécifique et exige des qualifications professionnelles particulières : on n'intube ni ne réanime un enfant comme un adulte ». Aussi, plus encore que pour la réanimation adulte, le Rapporteur insiste sur l'urgence de la mise en place de formations adaptées.

3. Sur le terrain : un bilan des visites effectuées par des délégations de la mission dans plusieurs hôpitaux

À l'initiative de son Président, M. Jean-Marie Le Guen, la mission a décidé, au début de l'année 2006, d'organiser des visites d'hôpitaux, afin d'en évaluer l'état de préparation au risque de pandémie. Plusieurs de ses membres se sont ainsi rendus dans différents établissements, principalement des centres hospitaliers universitaires (CHU), dont ils ont rencontré les responsables administratifs comme les personnels médicaux, et visité les locaux susceptibles d'accueillir, le cas échéant, les malades de la grippe aviaire.

La mission a validé un programme de dix déplacements, qui ont été effectués entre janvier et mars :

-- une délégation de la mission, composée de MM. Jean-Michel Boucheron, Jean-Pierre Door, Rapporteur, Mme Catherine Génisson, M. Pierre Hellier, Jean-Marie Le Guen, Président, s'est déplacée au centre hospitalier de Chartres le 5 janvier ;

-- M. Jérôme Bignon a visité le CHU d'Amiens le 12 janvier ;

-- MM. Pierre Hellier et Marc Joulaud se sont déplacés au CH du Mans le 20 janvier ;

-- M. Alain Claeys a visité le CHU de Poitiers le 26 janvier ;

-- M. Rudy Salles s'est rendu au CHU de Nice le 27 janvier ;

-- MM. François Guillaume et Denis Jacquat se sont rendus au CHU de Nancy le 30 janvier et au CHR de Metz le 3 février ;

-- M. Gérard Bapt a visité le CHU de Toulouse le 27 février ;

-- M. Michel Lejeune a été reçu au CHU de Rouen le 6 mars ;

-- une délégation de la mission, composée de MM. Gérard Bapt, Alain Claeys, Jean-Pierre Door, Rapporteur, Mme Jacqueline Fraysse, MM. Pierre Hellier, Jean-Marie Le Guen, Président, Mme Bérengère Poletti et M. Daniel Prévost, s'est déplacée au CHU La Pitié-Salpêtrière, à Paris, le 29 mars.

Ces visites ont permis de mettre en évidence deux caractéristiques majeures de la situation des CHU au regard du risque de pandémie grippale : l'élaboration de l'annexe « grippe aviaire » du plan blanc est bien avancée mais des interrogations subsistent, sensiblement les mêmes d'un hôpital à l'autre.

On trouvera, ci-après, une synthèse des principales questions abordées au cours de ces visites, regroupées en six thèmes.

a) L'aménagement et l'équipement des locaux

En période pré-pandémique, les hôpitaux ont prévu un accueil spécifique aux Urgences des malades suspectés de grippe aviaire : le malade est isolé du reste du public présent, un questionnaire lui est soumis, un circuit dédié lui permet, le cas échéant, de rejoindre le service des maladies infectieuses où un prélèvement sera effectué.

En période pandémique, la plupart des établissements visités envisagent de « trier » les malades à l'entrée principale de l'hôpital, pour distinguer les malades « grippe aviaire » des autres, dans un bâtiment déjà existant ou dans des structures provisoires mises en place à cet effet (tentes).

Une fois l'accueil passé, l'hospitalisation des cas « grippe aviaire » se fera selon des modalités qui diffèrent d'un hôpital à l'autre, selon la configuration des lieux : les établissements dits « pavillonnaires » dédieront à ces cas un ou plusieurs pavillons, qui auront été, entre temps, libérés de leurs malades ; dans les hôpitaux installés dans des immeubles, un ou plusieurs étages seront entièrement affectés à la grippe aviaire.

Il y aura donc, à l'intérieur de chaque établissement, des zones dites « à forte densité virale » et d'autres dites « à basse densité virale ». Dans les premières, où seront donc concentrés les malades grippés, des équipements spécifiques devront être installés, en particulier des matériels de réanimation et de ventilation, dans la mesure où les cas de détresse respiratoire risquent d'être nombreux. L'attention des députés a été attirée sur le fait que ces matériels sont actuellement en quantité insuffisante dans les hôpitaux, qui parviennent tout juste, au prix d'une gestion parfois acrobatique des stocks disponibles, à prendre en charge les malades qui en ont besoin. Pour beaucoup, ce déficit, quasi chronique depuis plusieurs années, aurait, bien entendu, des conséquences dramatiques en cas de pandémie, sans parler de la situation sinistrée de la réanimation pédiatrique (cf infra).

La plupart des personnes rencontrées, à commencer par certains chefs de service des maladies infectieuses, ont déploré, par ailleurs, le manque de chambres dites à pression négative, qui garantissent pourtant l'isolement le plus efficace des malades. Les quelques services qui en sont équipés n'en comptent pas plus d'une ou deux.

Autre point souligné au cours des visites : la nécessité de prévoir un plan de « déprogrammation » des hospitalisations ou interventions non urgentes, afin de libérer au maximum à la fois des lits et des personnels. Cette déprogrammation inquiète les cadres hospitaliers rencontrés, qui se demandent notamment à qui incombera la décision de commencer à déprogrammer - le directeur de l'établissement, une autorité ministérielle ? - et s'interrogent sur les modalités de la participation du secteur hospitalier privé à la gestion des conséquences de la déprogrammation.

D'une manière plus générale, pour la majorité des responsables rencontrés, le rôle des établissements privés en cas de pandémie n'est pas encore suffisamment clarifié : beaucoup souhaitent que la coordination public/privé soit rapidement mise au point dans la mesure où l'hôpital public ne pourra pas assumer seul, à l'évidence, la gestion de la crise.

b) La mobilisation des personnels hospitaliers

Depuis peu, des actions de sensibilisation des personnels hospitaliers au risque pandémique sont menées au sein des hôpitaux. Elles prennent diverses formes : réunions de formation et d'information, diffusion de plaquettes explicatives, numéros spéciaux du journal interne de l'hôpital, mise en ligne d'informations sur le site Intranet...

Aussi bien les cadres que les agents hospitaliers semblent persuadés que chacun sera à son poste le moment venu et que le risque de voir certains fuir leurs responsabilités par peur de la contagion est réduit. Ils en veulent pour preuve le fait que lors de l'apparition du sida, de l'épidémie de SRAS, de la crise de l'anthrax ou encore de la canicule de 2003, les personnels ont répondu «  présent », un grand nombre de ceux en congés étant même rentrés plus tôt pour prêter main forte à leurs collègues. La « culture de crise », selon l'expression d'un agent, est une donnée désormais bien intégrée dans la vie de l'hôpital.

Tous ont, toutefois, conscience que la situation, en cas de pandémie, sera bien plus difficile : il y aura, évidemment, des malades de la grippe parmi eux ; le fonctionnement en mode dégradé des transports compliquera les trajets domicile/hôpital ; la fermeture des établissements scolaires posera des problèmes de garde des enfants. Ils tablent donc sur un taux d'absentéisme assez élevé, entre 30 % et 50 % selon les hôpitaux.

La constitution de « corps de réserve sanitaire » paraît, dans ces conditions, indispensable. Constitués de retraités, d'étudiants en fin d'études ou d'élèves infirmières, ces corps de réserve permettraient de suppléer à la défaillance des personnels en fonction.

c) Les stocks de masques et de Tamiflu

Récurrente dans tous les hôpitaux visités, la question de la protection des personnels appelés à soigner les malades de la grippe aviaire est une source d'inquiétude diffuse. L'attente des intéressés sur ce point est grande : ils veulent être assurés que toutes les mesures seront prises pour éviter tout risque de contamination, sachant que les matériels existent puisqu'ils sont d'usage courant dans les services exposés, tels ceux des maladies infectieuses.

Les hôpitaux ont d'ores et déjà commencé à constituer des stocks de masques de protection : des masques FFP2, à haute capacité de filtration, pour les personnels, et des masques chirurgicaux pour, principalement, les malades. Les stocks sont entreposés dans des locaux sécurisés, que certains députés ont pu visiter.

S'agissant de l'utilisation du Tamiflu à titre préventif, les personnels sont apparus partagés sur ce point : si certains doutent de son efficacité prophylactique et se préoccupent des éventuels effets secondaires d'un traitement sur plusieurs semaines, d'autres, en revanche, jugent impensable de ne pas proposer de traitement préventif par Tamiflu aux personnels soignants. Mais tous se retrouvent pour s'inquiéter du fait que les hôpitaux ne sont pas encore dotés de stocks de Tamiflu, considérant que la distribution des réserves, aujourd'hui sous la garde de l'armée, ne saurait se faire au dernier moment. Ils s'interrogent aussi sur les critères qui détermineront cette distribution, craignant, outre des retards d'approvisionnement, des inégalités de traitement entre établissements et, à l'intérieur de chaque hôpital, entre services.

d) La réanimation pédiatrique

Le constat est partout le même : les capacités de réanimation pédiatrique sont, dans les hôpitaux, très largement insuffisants. Elles permettent à peine de faire face aux besoins aujourd'hui : qu'en sera-t-il en cas de pandémie, sachant que les enfants risquent d'être les plus touchés par le virus et de développer de graves complications respiratoires ?

Chaque visite d'hôpital a été l'occasion de sensibiliser la représentation nationale à cet état de fait, qui n'est pas nouveau, mais qui prend un relief particulièrement alarmant, replacé dans la perspective d'une pandémie.

Les lits disponibles en réanimation pédiatrique étaient occupés à 100 % dans la plupart des hôpitaux visités - pathologies diverses, auxquelles commençaient à s'ajouter les premiers cas de grippe saisonnière. Les responsables des services concernés ont fait observer que cette spécialité requérait une qualification des personnels et des matériels bien spécifiques. En conséquence, un accroissement des capacités d'accueil en réanimation pédiatrique, dans la perspective d'une pandémie, doit être soigneusement préparée ; elle passe notamment, pour les spécialistes rencontrés, par une substantielle augmentation du nombre de ventilateurs adaptés aux très jeunes enfants.

e) La coordination avec la médecine libérale

L'articulation médecine libérale/hôpital sera un élément central du dispositif de prise en charge des malades de la grippe pandémique : seuls devraient être hospitalisés les malades présentant des symptômes graves, les autres restant soignés à domicile par les médecins libéraux qui les visiteront régulièrement. En phase pré-pandémique, au contraire, les cas suspects qui auront été identifiés comme tels par les médecins de ville devront être adressés d'office à l'hôpital.

Dans les hôpitaux visités, les personnels s'interrogent sur les modalités de cette collaboration, une condition sine qua non, selon eux, de la survie du système de soins en période pandémique, mais qu'il faudrait organiser dès à présent ; or, ont-ils relevé, la concertation avec les médecins libéraux n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements : si des réunions d'information ou de formation ont déjà eu lieu ici ou là, sous l'égide du CHU, il reste beaucoup à faire.

Certains sont restés sceptiques, évoquant le dialogue traditionnellement difficile entre l'hôpital et la médecine de ville et que la disparition, en certains lieux, de la permanence des soins en ville le soir et le week-end, avec ses conséquences sur les services hospitaliers des urgences, a tendu davantage.

f) L'organisation d'exercices de simulation

Les personnels hospitaliers ont insisté sur la nécessité de tester le dispositif « grippe aviaire » au sein de l'hôpital, en organisant régulièrement des exercices de simulation.

Certains hôpitaux en ont déjà effectué plusieurs, d'autre en ont programmé dans les semaines à venir ; dans ceux où rien n'est encore prévu, les personnels sont demandeurs d'initiatives de la direction en ce sens, considérant que de tels exercices permettraient, outre de mettre en évidence les imperfections du dispositif, de sensibiliser toutes les parties prenantes et de rassurer ceux que l'inconnu inquiète.

ANNEXE : UN POINT SUR L'ÉPIZOOTIE DE GRIPPE AVIAIRE

1. LA SITUATION SUR LE PLAN INTERNATIONAL

a) Le point au 23 juin

« La progression de la grippe aviaire s'est ralentie à l'échelle mondiale », a déclaré M. Bernard Vallat, directeur général de l'OIE, à l'AFP le 19 juin. Après plusieurs mois de rapide extension, l'épizootie marquerait donc le pas, mais le risque d'une nouvelle aggravation est loin d'être écarté : pour M. Bernard Vallat, « un seul élevage contaminé peut suffire à réinfecter une bande d'oiseaux sauvages » et le cycle serait réamorcé.

À ce jour, si l'on se réfère aux données fournies par l'InVS sur son site Internet, « 57 pays ou territoires ont notifié des infections chez des oiseaux sauvages ou d'élevage: Afghanistan; Albanie; Allemagne; Arabie Saoudite; Autriche; Azerbaïdjan; Birmanie; Bosnie-Herzégovine; Bulgarie; Burkina Faso; Cambodge; Cameroun; Chine; Chypre; Côte d'Ivoire; Corée du Sud; Croatie; Danemark; Djibouti ; Égypte; France; Géorgie; Grèce; Hong-Kong; Hongrie; Inde; Indonésie; Irak; Iran; Israël; Italie; Japon; Jordanie; Kazakhstan; Koweït; Laos; Malaisie; Mongolie; Niger; Nigeria; Palestine; Pakistan; Pologne; Roumanie; Royaume-Uni (Ecosse); Russie; Serbie-Monténégro; Slovaquie; Slovénie; Soudan; Suède; Suisse; Thaïlande; Tchéquie Turquie; Ukraine; Vietnam.

« Sur le continent européen, des épizooties dues au virus A(H5N1) ont touché des élevages de volaille dans 11 pays: Albanie, Allemagne, Chypre, Danemark, France, Hongrie, Roumanie, Russie, Serbie-Monténégro, Turquie et Ukraine.

« Par ailleurs, des oiseaux sauvages, le plus souvent des cygnes, ont été trouvés porteurs du virus A(H5N1) dans 13 autres pays d'Europe à ce jour: Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Tchéquie.
L'infection par le virus a également été récemment identifiée chez des chats domestiques en Allemagne, en Autriche et en Roumanie. Des infections chez des félins avaient déjà été identifiées en Asie en 2003-2004. Aucun de ces cas n'a été à l'origine d'une transmission documentée à l'homme.

« Une infection a également été documentée chez des mustélidés (vison et fouine) en Allemagne et en Suède. Ces animaux sauvages très sensibles aux virus de la grippe se sont probablement contaminés en mangeant des cadavres d'oiseaux infectés ».

Le rôle joué par les oiseaux migrateurs dans la diffusion du virus reste encore mal connu mais il aurait été déterminant dans l'apparition du virus en Europe et au Moyen Orient. En revanche, il semble que la contamination du continent africain soit le fruit d'échanges commerciaux, légaux ou non, de volailles infectées. Huit pays sont, à ce jour, touchés : Burkina Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire, Djibouti, Égypte, Niger, Nigeria, Soudan.

Le 23 juin, a débuté à Abuja, la capitale du Nigeria, une réunion des ministres de l'agriculture, de la santé et de l'environnement des 15 pays membres de la Communauté économique des États d'Afrique de l'ouest, la Cedeao, qui devrait aboutir à l'adoption d'un plan régional de lutte contre la grippe aviaire.

S'agissant des cas de contamination humaine, on en dénombrait 228 au 22 juin, dont 130 mortels. 10 pays sont touchés : 5 en Asie, 3 au Moyen-orient/Caucase et 2 en Afrique.

Récapitulatif des cas humain de grippe A(H5N1) notifiés par l'OMS

au 22 juin 2006

graphique

Source : InVS

Le pays le plus touché reste le Vietnam, avec 93 cas, dont 42 mortels mais la situation semble en voie d'amélioration puisqu'aucun nouveau cas humain n'a encore été enregistré depuis le début de l'année. En revanche, plusieurs pays ont été atteints par le virus pour la première fois cette année : Azerbaïdjan, Djibouti, Égypte, Irak, Turquie.

La situation continue de se dégrader en Indonésie, où 28 personnes sont mortes depuis le début de l'année, sur les 34 qui ont été contaminées. La confirmation formelle par l'OMS, le 23 juin, d'un cas de contamination inter-humaine au sein d'une famille vivant sur l'île de Sumatra, en Indonésie, est une nouvelle préoccupante : c'est la première fois que l'OMS dispose d'éléments lui permettant d'établir avec une quasi certitude la réalité d'une transmission d'homme à homme. Il reste que, comme l'a expliqué à l'AFP M. Keiji Fukuda, coordinateur du programme anti-grippe de l'OMS, il s'agit d'une « contamination inter-humaine limitée et non prolongée » ; au surplus, a-t-il observé : « Nous n'avons pas constaté d'évolution dans la mutation du virus (...) qui changerait la transmissibilité du virus. Il y a une légère mutation, mais tous les virus grippaux mutent sans cesse » (AFP, 23 juin).

L'InVS relève, pour sa part, que la plupart des cas de contamination humaine résultent de contacts avec des animaux malades ou morts, ou avec leurs déjections. Mais, souligne t-il, « une trentaine d'épisodes de cas groupés familiaux ont été décrits depuis le début de l'épidémie en Azerbaïdjan, au Cambodge, en Chine, en Égypte, en Indonésie, en Irak, en Thaïlande, en Turquie, et au Vietnam. Pour une dizaine d'entre eux, une transmission interhumaine limitée était fortement suspectée. Toutefois, cette possible transmission interhumaine est restée limitée et n'a pas donné lieu jusqu'à présent à une transmission communautaire » (www.invs.sante.fr, 22 juin).

b) Le compte rendu d'un déplacement d'une délégation de la mission en Asie du Sud-Est en janvier

Une délégation de la mission, composée de M. Jean-Marie LE GUEN, Président de la mission et de M. Jean-Pierre Door, Rapporteur, se sont rendus au Vietnam et en Chine du 16 au 20 janvier 2006.

Alors que la mission d'information tenait ses premières réunions de travail, se déroulait à Genève, du 7 au 9 novembre 2005, la conférence internationale sur la grippe aviaire et la pandémie humaine, organisée conjointement par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), l'OIE (Organisation internationale de la santé animale), l'OMS (Organisation mondiale de la santé) et la Banque mondiale. Cette conférence a mis un point final aux divergences opposant, d'une part, l'OMS dont la priorité est la santé humaine et, d'autre part, l'OIE et la FAO pour lesquels la lutte doit avant tout porter sur la maladie animale.

La communauté internationale a reconnu, à cette occasion, que les deux problématiques étaient indissociablement liées : il faut mener de front le combat contre l'épizootie et la préparation à une éventuelle pandémie. En effet, le virus aviaire H5N1 a déjà provoqué plus de cent décès humains et ceux-ci sont tous apparus dans des zones où des flambées épizootiques ont été constatées. En outre, plus le virus circule, plus il a d'occasions de muter et donc de s'adapter à l'homme.

A l'issue de la conférence de Genève, il a été annoncé qu'un milliard de dollars seraient consacrés à la lutte contre l'épizootie et à la préparation d'une éventuelle pandémie. Ces fonds devaient être mobilisés lors de la conférence des pays donateurs annoncée pour le mois de janvier 2006, et qui s'est réunie les 17 et 18 janvier à Pékin, à l'initiative de l'Union européenne, de la Banque mondiale et du gouvernement chinois.

L'enjeu de cette conférence étant fondamental, le Président et le Rapporteur de la mission ont décidé de se rendre sur place où ils faisaient partie, en accord avec le Gouvernement, de la délégation française, manifestant ainsi l'intérêt porté par la représentation nationale à la gestion de cette crise.

Par ailleurs, la mission souhaitait faire un point de la situation dans cette région du monde particulièrement affectée par l'épizootie et la forme humaine de la grippe aviaire. Le Président et le Rapporteur ont donc profité de leur déplacement en Chine pour se rendre au Vietnam et à HongKong. Le Vietnam est le pays qui compte à ce jour le plus de cas humains déclarés mais qui a mis en place des mesures de lutte contre l'épizootie conformes aux préconisations de l'OIE et de la FAO. La visite à Hong Kong, qui a eu à lutter contre le virus H5N1 dès 1997, avait pour objet d'étudier les moyens mis en œuvre contre la maladie animale et d'apprécier l'état de préparation à une éventuelle pandémie humaine d'un territoire qui a connu le grave épisode du SRAS en 2003. Elle fut aussi l'occasion de rencontrer la communauté scientifique (Institut Pasteur et Université de Hong Kong) dont les travaux de recherche sur le virus H5N1 font autorité.

I. VIETNAM

A. ÉTAT DE L'ÉPIZOOTIE ET CAS HUMAINS

Le Vietnam a été durement frappé dès le début de l'épizootie : de janvier à mars 2004, 60 % des villes étaient atteintes et 45 millions de volailles ont été abattues (17% du cheptel). D'avril à décembre 2005, 200 foyers ont été recensés dans 22 des 64 provinces que compte ce pays. Conséquence inévitable de ces fortes flambées, le Vietnam est le premier pays où des cas humains ont été déclarés et celui où ils ont été le plus nombreux : 32 dont 23 mortels en 2004 et 61 dont 19 mortels en 2005 ; cependant, depuis le deuxième semestre de 2005, un seul cas humain nouveau a été déploré.

Au moment de la visite de la délégation, le Vietnam se préparait à déclarer l'ensemble du pays indemne de foyers d'infection par la grippe selon les critères posés par l'OIE : toutes les provinces qui avaient connu des foyers étaient indemnes depuis plus de 21 jours. Ce pays applique les préconisations de l'OIE qui lui avait notamment conseillé - l'épizootie ne pouvant pas être maîtrisée par les mesures classiques d'abattage et d'isolement - de mettre en œuvre une politique de vaccination généralisée des volailles.

Le déplacement au Vietnam présentait donc un intérêt tout particulier du point de vue de la stratégie de lutte contre l'épizootie : dans ce pays, on dispose en effet d'un recul suffisant pour apprécier l'efficacité des mesures appliquées depuis maintenant deux ans et en tirer des enseignements.

Le 16 janvier 2006, la mission a rencontré M. Bui Ba Bong, vice-ministre de l'agriculture et du développement rural, ainsi que des représentants du ministère de la santé. Elle a aussi visité l'Institut d'hygiène et d'épidémiologie de Hanoi (INHE), membre du réseau international des Instituts Pasteur. Par ailleurs, un déjeuner à la résidence de France a rassemblé autour de la délégation, les médecins référents de ce poste, le directeur de l'Hôpital Français de Hanoi, celui de la société SOS International et le directeur de l'association Agronomes et vétérinaires sans frontières. Enfin, la mission a eu un entretien avec M. Paul Brey, représentant de l'Institut Pasteur de Paris au Vietnam et coordonnateur du réseau des instituts Pasteur de la région.

B. ENTRETIENS AU MINISTÈRE DE LA SANTE

Le Docteur Tran Trong Hai, directeur du département des relations internationales et le Docteur Nguyen Van Binh, directeur adjoint du département de la médecine préventive, service chargé de la lutte contre la grippe aviaire, ont fait en préalable un rappel de l'état de la situation au Vietnam sur le plan de la maladie animale et humaine, le recul de la maladie sur ces deux fronts étant le résultat des efforts soutenus du gouvernement.

Le comité national de pilotage pour la prévention et le contrôle de la grippe aviaire, créé selon le modèle de l'organe chargé de combattre l'épidémie de SRAS en 2003, siège régulièrement et a élaboré un « plan national intégré pour le contrôle de la grippe aviaire et de préparation et de réponse au risque pandémique » pour 2006-2008, doté de 239 millions de dollars (incluant les besoins du ministère et de ceux du ministère de l'agriculture et du développement rural). Tous les ministères concernés (santé, agriculture, transports, tourisme ...) ont participé à l'élaboration de ce plan, conforme aux préconisations de l'OMS.

Trois exercices de simulations ont été réalisées à Hanoi, Ho Chi Minh Ville et Hué dans le but de tester la réactivité des comités de pilotages provinciaux ainsi que leur capacité d'organisation des structures d'isolement et de traitement temporaires.

Le gouvernement a misé sur l'efficacité d'un fort niveau de communication et d'information sur la grippe aviaire, par le biais des médias (la télévision est l'instrument principal de communication ; les messages visent notamment à interdire la consommation des volailles malades).

Interrogés sur des enquêtes épidémiologiques mentionnant des cas de contamination plus nombreux que ceux signalés officiellement, les représentants du ministère de la santé ont répondu n'en avoir pas eu connaissance mais ont insisté sur l'instauration d'un système de veille très étendu dont le fonctionnement est similaire à celui mis en œuvre au Japon ou à Hong-Kong. Dès qu'un signe inquiétant est signalé dans une commune, il est immédiatement rapporté et analysé au niveau national. Si des incertitudes demeurent, il est fait appel à des laboratoires étrangers, notamment canadiens et japonais, garants de la qualité des tests.

Les interlocuteurs sont restés vagues sur les quantités de Tamiflu disponibles localement, le recours à une production locale et l'état des négociations avec le laboratoire Roche, se bornant à dire qu'ils disposeraient d'une « quantité suffisante » de ce médicament.

C. ENTRETIEN AU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE ET DU DÉVELOPPEMENT RURAL

L'entretien avec M. Bui Ba Bong, vice-ministre de l'agriculture, a permis de confirmer que le Vietnam pouvait être considéré actuellement comme indemne de grippe aviaire : les 200 foyers constatés à l'automne 2005 dans 22 provinces ont été maîtrisés. Il a rappelé que le dispositif de lutte contre l'épizootie s'articulait autour des axes suivants :

-communication et information sur la grippe aviaire ;

-interdiction des élevages en zone urbaine et restrictions importantes sur les élevages en zone rurale (notamment des canards) ;

-réglementation et contrôle sanitaire des élevages, des abattoirs et des marchés ;

-surveillance épidémiologique et contrôle du transport des volailles ;

-poursuite de la vaccination de l'ensemble des volailles du pays : 140 millions de volailles ont déjà été vaccinées sur un cheptel de 220 millions ; la plupart des canards (80 millions) ont été vaccinés.

M. Bui Ba Bong a indiqué que les populations sont désormais mieux sensibilisées aux précautions à prendre concernant les volailles et que la coordination entre les ministères de la santé et de l'agriculture est plus efficace. La surveillance et le traitement de l'épizootie sont maintenant bien structurés à tous les niveaux (communes, districts et provinces), chacun d'entre eux exécutant les consignes données au niveau central. La restructuration des élevages est en cours : interdiction des élevages en ville, amorce de concentration des élevages, réflexion sur le confinement des volailles afin d'éviter les contacts avec les oiseaux migrateurs, indemnisation des éleveurs en cas d'abattage.

Pour lutter contre l'épizootie, le gouvernement vietnamien a bénéficié de la coopération internationale. Ainsi, le programme « Avian influenza emergency recovery project » (AIERP), mis en œuvre conjointement par la FAO, l'OMS et la Banque mondiale, le CIRAD (centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et l'organisation non gouvernementale  « Agronomes et Vétérinaires sans frontières » (VSF-CICDA) a largement aidé à la mise en œuvre de la campagne de vaccination.

La grippe aviaire semblait, en janvier, en voie de disparition au Vietnam mais les autorités affichaient, avec une modestie calculée, une certaine prudence, de mise à l'approche des festivités du nouvel an lunaire, période propice aux déplacements de populations vers les villages et à la consommation de volailles. Une reprise de l'épizootie ne pouvait et ne peut en effet pas être écartée, le virus restant très présent dans l'environnement et la dissémination des élevages ainsi que le mélange des espèces pouvant favoriser cette reprise. Au surplus, dans la région, l'Indonésie et surtout la Chine, continuent de déclarer de nouvelles flambées épizootiques et de nouveaux cas humains.

Le Président et le Rapporteur de la mission se sont félicités, auprès de leurs interlocuteurs, des efforts engagés par le gouvernement vietnamien : abattage des élevages infectés, campagnes de vaccination, transparence, information de la population. Ils ont rappelé que le Vietnam devait être l'un des premiers pays aidés par la communauté internationale dans ce combat mondial contre l'épizootie.

De l'ensemble de ces entretiens dans les deux ministères - santé et agriculture -, bien que parfois convenus et déclaratifs, la délégation retient une impression générale favorable de l'action du gouvernement vietnamien. Celle-ci peut être résumée par une forte détermination de l'appareil politique à contrôler la situation, un choix affiché de transparence et de communication vis-à-vis des partenaires et de la communauté internationale et une volonté de démontrer l'efficacité des méthodes de santé publique vietnamiennes déjà saluées lors du contrôle de l'épidémie de SRAS au printemps 2003.

D. VISITE DE L'INSTITUT NATIONAL D'HYGIÈNE ET D'ÉPIDÉMIOLOGIE (INHE)

Cet institut est membre du réseau international des 29 Instituts Pasteur (IP).

Les rencontres à l'INHE avec son directeur, le docteur Nguyen Tran Hien et son adjoint, ont donné un aperçu des compétences techniques du personnel de l'Institut et de la gestion des nombreux partenariats hébergés par celui-ci.

L'INHE, qui siège au Comité National de pilotage de la lutte contre la grippe aviaire, est « Laboratoire national de surveillance de la grippe » et membre du réseau mondial de surveillance et de veille pour la grippe. Il entretient plusieurs coopérations étrangères, au premier rang desquelles celles avec le Japon et l'OMS, les États Unis mais aussi et - plus récemment - avec la France à travers l'aide de l'Institut Pasteur de Paris et le renforcement du réseau régional des instituts Pasteur de la région. L'INHE accueillera, en 2006, la conférence annuelle des directeurs d'Instituts Pasteur, ainsi que la conférence scientifique de ces instituts.

Au sein de cet institut, plusieurs études sont en cours, sur l'histoire naturelle du virus H5N1, ses réservoirs et porteurs sains, son épidémiologie ainsi que les aspects comportementaux et culturels favorisant sa transmission à l'homme. L'évolution génétique du virus H5N1 fait l'objet d'une veille active (surveillance sérologique) et passive (sur les prélèvements sur des malades). Des travaux, en collaboration avec les Japonais, sont en cours sur la sensibilité du virus au Tamiflu ainsi que sur la réalisation d'un vaccin humain sur cellules de rein de singe utilisant la technique de la transcription inverse. L'INHE fait également porter ses recherches sur d'autres virus émergents : à titre d'exemple, une étude est en cours sur l'identification de l'agent d'une encéphalite aiguë sévère inconnue qui se développe depuis quelques années sous forme de petites épidémies chez les enfants dans le nord du Vietnam (en collaboration avec l' Institut Pasteur de Paris).

L'INHE a par ailleurs la responsabilité de la mise sur pied de groupes pluridisciplinaires (épidémiologiste, biologiste, médecin, vétérinaire et technicien de l'environnement) de détection et d'intervention rapides dans l'ensemble du pays. Les résultats des tests de dépistages sont produits par technique de PCR (polymerase chain reaction, c'est-à-dire amplification en chaîne par polymérase) en 48 heures. Mais seuls les centres de Hanoi et Ho Chi Minh ville sont, à l'heure actuelle, capables de réaliser ces analyses, ce qui laisse encore beaucoup d'espace et de temps à l'éventualité de démarrages épidémiques non diagnostiqués. C'est pourquoi il est important de renforcer la capacité de détection dans les provinces et de soutenir les groupes mobiles qui, pour l'heure, ne sont pas dotés de kits d'analyses. De plus, le Vietnam ne dispose pas de laboratoire P3, dont le directeur de l'INHE a appelé de ses vœux la création mais qui nécessite un haut niveau de sécurité biologique.

Sur la question du passage du virus H5N1 à l'homme, le directeur de l'INHE a rappelé que pour le moment, la contamination de l'homme par le virus H5N1 restait difficile et que le virus, même s'il avait connu des mutations, a conservé sa structure aviaire. Cependant, comme tout est théoriquement possible, il a souligné que si l'on veut que la mutation du virus n'ait pas les mêmes conséquences que lors de la pandémie de 1918, les efforts de surveillance ne devaient pas être relâchés.

E. AUTRES ENTRETIENS

- Entretien avec M. Paul Brey, représentant de l'Institut Pasteur de Paris au Vietnam et coordonnateur du réseau des instituts Pasteur de la région

Cet entretien a permis de renseigner le Rapporteur et le Président de façon plus approfondie sur les questions et les enjeux de la recherche sur la grippe aviaire et les maladies infectieuses émergentes. M. Paul Brey a également précisé le rôle de l'Institut Pasteur dans la région et auprès de l'INHE de Hanoi, son développement récent et ses perspectives à venir, notamment dans le cadre du renforcement du réseau régional des instituts Pasteur soutenu par l'Agence française du développement (AFD) et du rapprochement entre l'Institut Pasteur et le Ministère de la santé américain sur le sujet de la grippe aviaire et des infections émergentes (voir encadré). Il s'est dit convaincu que la France a, par le biais du réseau Pasteur, un rôle fondamental à jouer en matière de maladies transmissibles au Vietnam et dans les autres pays de la zone. Le réseau Pasteur propose en effet un modèle de coopération internationale qui, dans le respect des pays et de leur développement durable, apporte une compétence scientifique inégalée, et même jalousée par certains grands pays. Ainsi, les États-Unis ont reconnu, en signant l'accord précité, que la coopération avec le réseau Pasteur était incontournable.

M. Paul Brey, interrogé sur les défauts que présenterait la « cuirasse vietnamienne » contre la grippe aviaire, s'est dit impressionné par la capacité de l'administration vietnamienne à mettre en place des structures capables de contrôler les risques épidémiques. Il a relevé le rapprochement entre acteurs de la défense de la santé animale et ceux de la santé humaine dans les derniers mois. Il a noté la qualité de la campagne d'information et de communication et la nécessité de comprendre les facteurs environnementaux et culturels pour lutter efficacement contre le risque épidémique. En conclusion, il s'est dit convaincu que l'embellie actuelle que connaissait le Vietnam n'était pas uniquement le fruit du hasard.

Le réseau Pasteur au Vietnam

Les trois instituts membres du réseau Pasteur (Hanoi, Ho Chi Minh Ville et Nha Trang) bénéficient de soutiens en matière de recherche biomédicale et de santé publique :

-L'Institut Pasteur de Paris dispose depuis mai 2005, d'un chercheur en poste à Hanoi, également chargé de l'animation du bureau de coordination du réseau des Instituts Pasteur de la région, et qui vient d'obtenir une licence lui permettant de fonctionner officiellement au Vietnam.

-Le projet '' Surveillance et investigation épidémique en Asie du Sud-est » (SISEA) développé par l'Agence Française de Développement ( AFD)en partenariat avec l'Institut Pasteur, a pour ambition de renforcer, à travers le réseau des Instituts Pasteur, les capacités des États de la région à faire face aux menaces épidémiques. Les moyens proposés (6,6 millions d'euros sur une durée de 4 ans) semblent également bien adaptés au contexte et susceptibles de produire les résultats escomptés. Ce projet est actuellement en voie d'achèvement.

-La visite au Vietnam, le 20 novembre 2005, de M. Xavier Bertrand , ministre de la santé et des solidarités, a été l'occasion d'annoncer, parallèlement à la mise en place d'un dispositif opérationnel de lutte contre la grippe aviaire au profit des Français de l'étranger, un effort français très significatif en vue de renforcer l'action des organisations internationales (10 Millions de dollars en urgence pour la mobilisation du réseau des coopérants techniques et des centres de recherche français (Instituts Pasteur, Institut de recherche pour le développement (IRD) et CIRAD). Une convention a été signée avec l'Institut Pasteur de Paris, pour la mise en œuvre d'une aide aux instituts Pasteur de Hanoi et Ho Chi Minh Ville pour un montant total de près de 500.000 euros, consistant principalement en appuis à la formation des chercheurs ; deux autres mesures visent à créer un réseau informel de veille sanitaire en Asie du Sud -Est et à développer un pôle régional de formation destiné à former des experts et des spécialistes en sécurité sanitaire.

-Le Secrétaire d'État à la santé américain a proposé à l'Institut Pasteur une aide visant à renforcer les capacités de recherche et de surveillance de la grippe aviaire des Instituts Pasteur de la région (les trois instituts du Vietnam, celui de Phnom Penh et celui en projet au Laos). Cette offre de coopération a fait l'objet d'un accord, signé le 6 février 2006, par Mme Alice Dautry, directrice générale de l'Institut Pasteur, et M. Alex Azar, secrétaire adjoint du Département américain de la Santé et des Services humanitaires. Il met en place un groupe de travail pour assurer le suivi de cette coopération. Cet accord prévoit le renforcement des moyens de diagnostic, de surveillance et de contrôle de l'épidémie aviaire, ainsi que la mise en commun de compétences destinées à répondre aux situations d'urgence par la formation du personnel local et l'amélioration des moyens de communication (Internet) dans les pays touchés. Il complète les actions engagées par l'Institut Pasteur, avec le soutien du ministère des Affaires étrangères, dans la lutte contre la grippe aviaire et crée un nouveau partenariat international contre les épidémies qui constituent une menace pour la santé mondiale.

- Agronomes et vétérinaires sans frontières (VSF-CICDA)

Cette organisation non gouvernementale bénéficie d'une implantation sérieuse et très appréciée au Vietnam. Elle est l'opérateur principal pour l'Agence française de développement, la Banque mondiale et la FAO sur les plans de l'évaluation de la situation épidémiologique, la description de la filière de production aviaire et l'impact socio économique de l'épizootie. VSF-CICDA a produit un guide (en langue locale, à l'intention des para-vétérinaires) de prévention et contrôle de la grippe aviaire dans les petits élevages, qui fait autorité au Vietnam et dans les autres pays de la région.

VSF-CICDA a vu son équipe renforcée en janvier 2006 par la venue d'un volontaire international dans des fonctions d'assistant technique vétérinaire et d'un spécialiste australien des systèmes d'information. Ainsi, aux cotés d'une équipe de 10 personnes travaillant pour le développement durable du petit élevage en montagne, un pôle de compétence « services vétérinaires / grippe aviaire » de 10 personnes supplémentaires, dont 6 vétérinaires vietnamiens, sera créé pour appuyer spécifiquement les services vétérinaires dans 14 provinces en 2006 (avec des financements de la Banque Mondiale, de la France, du Japon, de la Suisse et d'organismes privés).

M. Patrice Gautier, responsable de cette organisation pour le Vietnam, a toutefois exprimé aux membres de la délégation des réserves tenant à la grande décentralisation des pouvoirs et aux risques de dissimulations locales ou de manque de moyens de réactions, notamment dans les zones pauvres du pays.

À la veille de la conférence de Pékin, la délégation vietnamienne se préparait, en bonne élève de l'OIE et de la FAO et bien servie par l'épidémiologie du début d'année 2006, à présenter ses réalisations et ses besoins aux pays donateurs. M. Bui Ba Bong, vice-ministre de l'agriculture, avait indiqué que les besoins qui seraient exprimés par le Vietnam lors de la conférence de Pékin seraient de 260 millions de dollars, dont 130 pour le ministère de l'agriculture et du développement rural.

II. CHINE

A. PÉKIN

De l'avis unanime de la communauté scientifique, c'est depuis la Chine que le virus H5N1 s'est propagé en Asie du Sud-est à partir de 1996. Compte tenu de la taille du cheptel de volailles (14 milliards de têtes sur un an) et des conditions d'élevage et de mise sur le marché des animaux, la situation y est vraisemblablement endémique depuis plusieurs années. Cependant, ce n'est qu'en 2004 que la Chine a déclaré ses premiers foyers aviaires et en 2005 qu'elle a reconnu officiellement les premiers cas humains, dont le nombre ne cesse, depuis, d'augmenter. Ces failles dans la transparence ont vraisemblablement contribué à la diffusion du virus dans le pays et dans les États voisins.

Le Gouvernement chinois était, avec l'Union européenne et la Banque mondiale, coorganisateur de la conférence des pays donateurs, en coordination avec l'OMS, la FAO et l'OIE, témoignant ainsi de sa volonté de participer à la lutte contre l'épizootie, dans un souci de transparence. En marge de la conférence de Pékin, le Président et le Rapporteur ont rencontré M. Li Jinxinag, directeur général adjoint à la Direction de la santé animale au ministère de l'agriculture.

1. Conférence de Pékin

La conférence de Pékin avait pour objectif de confirmer les stratégies ayant fait l'objet d'un consensus à Genève au mois de novembre, de rassembler des fonds et de définir les mécanismes par lesquels ceux-ci seraient gérés. La conférence de Pékin a marqué une avancée indéniable dans la mobilisation mondiale contre l'épizootie et la menace de pandémie : alors qu'un milliard de dollars avait été annoncé à Genève, 1,9 milliard a été promis. Il importe maintenant de veiller à ce que ces promesses soient honorées le plus complètement et le plus rapidement possible.

La conférence a réuni 600 délégués et représentants de plus de 80 pays et 20 agences et organisations internationales techniques, du secteur privé et de la société civile.

a) Ouverture de la conférence (17 janvier)

Les travaux de cette journée ont été consacrés à l'étude des besoins techniques et financiers dans les pays atteints par la grippe aviaire.

Après un rappel, par le coordinateur des Nations unies pour la lutte contre la grippe aviaire, David Nabarro, des conclusions et des grandes orientations adoptées à Genève en novembre dernier, les principaux intervenants - Commission européenne, FAO, OIE, OMS, représentants de l'Union Africaine et de l'ASEAN (Association des nations du Sud-est asiatique), Fédération Internationale de la Croix-Rouge - ont présenté le bilan de la situation sanitaire actuelle et des mesures mises en place depuis le début de la crise et à la suite de la conférence de Genève. En particulier, ont été réaffirmées la nécessité de coordonner les interventions au niveaux international, régional et national, en fonction de priorités géographiques et économiques précises, et l'importance de concentrer les efforts sur la lutte contre la maladie animale tout en préparant l'éventualité d'une pandémie humaine.

Le vice-président de la Banque mondiale, James Adams, a présenté le document financier-cadre (« Financing framework for avian and human influenza ») évaluant les besoins au niveau mondial à 1,2 milliard de dollars sur trois ans, objectif affiché de l'appel aux contributions internationales. Insistant sur la nécessité de mettre à la disposition des pays et des agences techniques une série d'instruments et de fonds disponibles, il a présenté le projet de Trust Fund de la Banque Mondiale comme l'un des outils proposés : administré par la Banque, ce Fonds aurait vocation à rester d'utilisation flexible par les pays bénéficiaires et par les organisations internationales.

b) Session ministérielle de la Conférence (18 janvier)

La journée du 18 janvier, consacrée à la session ministérielle de la conférence, était centrée sur la séance de promesses de dons (« Pledging session »).

Ouverte au Grand Palais du Peuple par le Premier Ministre chinois Wen Jiabao, le Commissaire européen Marcos Kyprianou, le Directeur général de l'OMS, M. Lee Jong Wook ainsi que, par visioconférence, MM. Kofi Annam, Secrétaire général des Nations Unies et Paul Wolfowitz, Président de la Banque mondiale, la session ministérielle de la Conférence a été l'occasion pour chacun des intervenants de témoigner de l'engagement et de la mobilisation de l'ensemble de la communauté internationale contre la menace de pandémie mondiale.

M. Wen Jiabao a exposé les grandes lignes du plan national de prévention et de lutte contre la grippe aviaire, distribué à l'occasion de la Conférence ; il a rappelé la détermination de son gouvernement à mettre tous les moyens en œuvre pour préserver la santé des citoyens chinois et affirmé l'engagement de la Chine dans la lutte au niveau régional et international. Le Premier ministre a présenté les deux axes principaux de l'action de la Chine à l'extérieur de ses frontières : aide technique à ses voisins « dans la limite de ses moyens » et information épidémiologique de ses partenaires internationaux. M. Wen Jiabao, qui a précisé que la Chine leur fournirait la séquence génomique des souches concernées, a aussi plaidé pour un rôle accru de la Banque mondiale dans la mobilisation des fonds alloués à la grippe aviaire.

- La séance des promesses de dons («  Pledging session »)

La séance de promesses de dons a permis de réunir 1,9 milliard de dollars. La Banque mondiale, la Banque asiatique de développement et les pays donateurs se sont engagés à verser, sur trois ans, 1,9 milliards de dollars au lieu du 1,4 milliard estimé nécessaire par la Banque mondiale et du milliard annoncé à Genève. Ces sommes sont constituées, pour 900 millions de dollars, de prêts (500 millions pour la Banque mondiale et 400 millions pour la Banque asiatique de développement) et, pour 1 milliard de dollars, de dons. Les sommes ainsi dégagées constituent un volant de ressources devant permettre de faire face, à la fois, aux dépenses urgentes et aux dépenses structurantes à long terme.

Les principaux donateurs de la Conférence de Pékin

- les États-Unis, pour 334 millions de dollars, très majoritairement consacrés aux programmes bilatéraux ;

- l'Union européenne, pour 250 millions de dollars, dont 122 versés par la Commission Européenne et 128 par les États membres (dont 35 pour le Royaume-Uni, 31 pour la France (soit 26,4 millions d'euros), 28 pour l`Allemagne, 13,7 pour les Pays-Bas, 9 pour la Suède, 6,8 pour l'Italie) ;

- le Japon, pour 156 millions de dollars ;

- l'Australie, pour 70 millions de dollars ;

- la Banque Asiatique de Développement, pour 68 millions de dollars;

- la Russie, pour 44,7 millions de dollars.

Certains pays comme le Canada, la Nouvelle-Zélande et la Corée, ne pouvant avancer de chiffre à ce stade, se sont engagés à annoncer leurs dons ultérieurement.

La Chine, quant à elle, en insistant sur le fait qu'elle avait elle-même grand besoin de fonds pour la lutte sur son territoire, a annoncé un don de 10 millions de dollars.

Contribution de la France

La France a annoncé une contribution totale de 26,4 millions d'euros aux efforts internationaux de lutte contre l'épizootie et de prévention d'une possible pandémie.

La contribution française se répartit entre un volant multilatéral et un volant bilatéral :

- pour le premier volant, il s'agit d'une contribution de 10 millions d'euros aux programmes de l'Organisation des Nations unies pour l'Agriculture et l'Alimentation (FAO/OAA), de l'Office International des Epizooties (OIE), et de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ainsi que du financement de dix postes d'assistance technique sur trois ans pour un montant de 4,2 millions d'euros ;

- s'agissant du volant bilatéral, il recouvre, d'une part, une contribution de 9,2 millions d'euros, dont 6,6 millions via l'Agence Française de Développement (AFD) et 2,6 millions du ministère de la Santé, pour financer des actions de coopération et d'appui aux Instituts Pasteur et, d'autre part, une contribution de 3 millions d'euros pour le financement d'actions bilatérales consacrées à l'AFD au Laos (2 millions) et au Cambodge (1 million).

Cette contribution place la France parmi les principaux contributeurs mondiaux. Elle a été le seul pays à être cité, à plusieurs reprises, tant par les organisateurs que par les intervenants, pour son engagement auprès des pays atteints par la grippe aviaire.

L'ensemble des dons se répartit entre des actions bilatérales, des dons aux organisations internationales et aux ONG, et des efforts supplémentaires de recherche. Seuls quatre pays ont expressément indiqué qu'une partie de leurs dons seraient affectés au Trust Fund de la Banque mondiale : le Japon (21 millions de dollars, le chiffre incluant aussi le fonds de la Banque asiatique de développement dédié à la grippe aviaire), l'Australie (5 millions de dollars), la Suisse (4,8 millions de dollars) et l'Islande (400 000 dollars).

S'agissant des prêts, la Banque mondiale a offert 500 millions de dollars et la Banque asiatique de Développement 400. Il est à noter que la Banque mondiale a fait preuve d'une attitude consensuelle et n'a pas cherché à imposer le Trust Fund comme passage obligé de l'aide : très peu mis en avant, sans doute en raison de discussions internes en cours sur ses modalités de fonctionnement, l'outil pourrait connaître une montée en puissance progressive dans l'avenir car il répond aux besoins de coordination et de gestion des aides attendues par des pays, tels le Vietnam et le Laos, qui bénéficient de plusieurs types d'aides versées par différents donateurs.

- La déclaration de Pékin

Cette déclaration, adoptée à l'unanimité à la fin de la conférence, a conforté le rôle des agences techniques des Nations Unies et, pour la première fois à ce niveau, de l'OIE, toutes créditées pour leurs actions récentes. Elle a aussi précisé les recommandations accompagnant les aides. Celles-ci devront servir :

- au niveau national, à l'élaboration de systèmes d'alerte rapide et de plans d'urgence, ce qui passera par une amélioration de la qualité des services vétérinaires et une meilleure capacité de diagnostic, la diminution de l'exposition des populations au virus aviaire et la constitution de stocks de médicaments, ainsi que l'évaluation régulière des dispositifs ;

- au niveau régional, à la mise en place de réseaux de communication et d'échanges d'information, en particulier entre laboratoires ;

- au niveau international, à la transparence et l'échange des données épidémiologiques et scientifiques, l'augmentation de l'effort de recherche allant de pair avec un effort accru de coopération en matière de connaissance du virus et de recherche sur les vaccins.

- La réunion informelle du 19 janvier

Une réunion informelle, à laquelle la délégation n'a pas participé, s'est tenue le 19 janvier, à l'initiative des co-organisateurs de la Conférence et des États-unis, au nom de leur « Initiative internationale pour la lutte contre la pandémie de grippe aviaire » (IPAPI). Elle avait pour objet d'assurer la bonne coordination des acteurs multilatéraux, régionaux et nationaux, coordination qui constitue le principal défi de la mise en œuvre des aides.

Quatre axes majeurs d'action ont pu être dégagés à l'issue des échanges :

- la Banque mondiale et les agences des Nations Unies prépareront une note à l'attention des pays donateurs et bénéficiaires pour identifier et mettre en œuvre les mécanismes d'aide à leur disposition ;

- dans la perspective de la Conférence IPAPI d'avril 2006 qui réunira les acteurs majeurs de la lutte contre la grippe aviaire, un document de bilan des actions engagées et des difficultés rencontrées depuis la Conférence de Pékin sera également préparé par la Banque mondiale et les agences des Nations Unies ;

- afin d'harmoniser les informations disponibles, la Banque mondiale élaborera une « matrice » rappelant les principales réunions de suivi programmées, les projets par pays et les réponses aux principales questions techniques et logistiques soulevées ;

- des directives seront adressées aux représentants locaux des agences des Nations Unies pour la dépense des moyens financiers.

Cette réunion a également permis de préciser le calendrier des principaux rendez-vous de l'année sur le thème de la grippe aviaire, principalement en avril : à Pékin, la réunion régionale de suivi de la conférence de janvier ; au Vietnam, la réunion des ministres de la santé de la zone Asie ; au printemps 2006, la troisième réunion pour l'Asie du GF-TADs (Global Fund for Transboundary Animal Diseases) et en avril, la finalisation et l'adoption du Règlement sanitaire international (RSI) à Genève.

2. Entretiens au ministère de l'agriculture

Le Président et le Rapporteur ont rencontré M. Li Jinxinag, directeur général adjoint à la Direction de la santé animale au ministère de l'agriculture. Celui-ci a dit combien le gouvernement central chinois et les gouvernements locaux étaient soucieux de contrôler la situation, notamment du point de vue des 32 cas humains  dénombrés et que M. Li Jinxinag estime être dispersés géographiquement. En matière de lutte contre la maladie animale, qui touche 13 provinces et 57 cantons, le gouvernement a annoncé le 18 novembre 2005, un ensemble de mesures pour sortir de la crise. Les points essentiels sont la mise en place d'un réseau de surveillance, la compensation des volailles abattues et une campagne de vaccination généralisée. Les volailles vaccinées font l'objet d'un contrôle très strict : aucun cas de maladie n'a pour le moment été signalé sur des volailles vaccinées et la vaccination n'a pas d'incidence sur la qualité de la viande, ainsi que l'a d'ailleurs certifié l'Université de Hong Kong.

Interrogé sur l'acceptation de cette vaccination par les petits éleveurs, qui détiennent 60 % du cheptel, M. Li Jinxinag a certes reconnu qu'elle était plus aisée à mettre en œuvre dans les élevages industriels mais que des mesures ont été prises pour en faciliter l'application. Ainsi, dans chaque canton ou district, il existe une station vétérinaire qui s'occupe de la totalité de l'opération et qui gère le stock de vaccins.

Ces stations vétérinaires sont par ailleurs chargées de recuillir toutes informations sur des cas suspects, ces informations étant données par les « rapporteurs », au nombre de 640 000 et qui sont enregistrés dans chaque village de Chine. Une campagne par voie d'affichages dans les zones rurales a été mise en œuvre et les paysans sont maintenant incités à déclarer les cas car ils sont indemnisés (la somme d'un euro a été évoquée).

M. Li Jinxinag s'est déclaré relativement confiant quant à la maîtrise du virus chez les animaux domestiques ; par contre, il a émis de fortes craintes concernant le rôle des oiseaux migrateurs que l'on ne peut contrôler et qui constituent donc une menace pour les élevages.

Au cours de cet entretien, il n'a pas été possible d'aller au-delà des informations officielles.

B. REGION ADMINISTRATIVE SPECIALE DE HONG KONG (20 JANVIER)

La première poussée épidémique de grippe aviaire à H5N1 dans les élevages de Hong Kong remonte à 1997 : cette flambée a montré que des virus aviaires pouvaient directement provoquer des cas humains de grippe sévère. Cette année là, le virus a en effet été isolé pour la première fois chez l'homme : dix-huit cas, dont six décès, ont été recensés. Ces cas sont les premiers documentés de transmission de la grippe aviaire, directement d'oiseaux à humains.

Depuis, les autorités de Hong Kong mènent une surveillance intensive de la grippe humaine et aviaire, d'autant que deux cas dus à un autre virus aviaire (H9N2) en 1999 et un en décembre 2003, ont été recensés. Ce territoire ayant tiré les leçons de l'épidémie de SRAS et bénéficiant de l'appui scientifique de chercheurs de renommée internationale, il s'est préparé de la façon la plus complète possible à l'éventualité d'une pandémie.

1. Protection de la communauté française

La communauté française de Hong Kong étant la première communauté française d'Extrême-Orient, avec 4 660 immatriculés, il était particulièrement intéressant d'apprécier l'état de préparation de la protection de nos concitoyens en cas de pandémie grippale.

Conformément aux directives nationales, le consulat général réunit régulièrement le « comité de sécurité » pour partager l'information disponible sur le risque pandémique local. Sous l'autorité de ce comité, le réseau de sécurité est chargé de mettre en œuvre, en cas de crise, les mesures adoptées par le gouvernement français. Il s'appuie sur un maillage de l'ensemble du territoire en îlots géographiques cohérents, placés sous la responsabilité d'un chef d'îlot, assisté par un ou plusieurs adjoints. Les chefs d'îlots et leurs adjoints jouent un rôle essentiel pour relayer l'information et les consignes éventuelles, entre le consulat général et les ressortissants. Le système d'îlotage est particulièrement adapté à Hong Kong qui compte une population dense sur un territoire restreint (8 millions d'habitants sur 8 kilomètres carrés).

Le consulat général a désigné un médecin référent, point de contact médical du ministère des Affaires étrangères, dans l'hypothèse du déclenchement d'une pandémie. À l'heure actuelle, le réseau des médecins référents est opérationnel pour l'ensemble de nos ambassades en Asie et le Rapporteur a pu rencontrer le médecin référent à Hong Kong.

Le gouvernement a pris la décision de doter les ambassades et consulats (hors UE) d'anti-viraux et de masques de protection, de sorte que 30 % des Français de l'étranger puissent être pris en charge (même ratio que celui retenu par le ministère de la santé pour le territoire national). Cependant, compte tenu du risque spécifique en Asie et par mesure de précaution, les communautés françaises des pays d'Asie touchés par l'épizootie sont prises en charge en totalité. À Hong Kong, ces doses sont arrivées et stockées au consulat général.

2. Centre de recherche conjoint HKU-PCR (University of Hong Kong-Pasteur Research Institute)

Ce centre de recherche fait partie du réseau mondial des 29 instituts Pasteur. C'est un des plus anciens instituts Pasteur : il s'inscrit en effet dans une tradition historique remontant à la découverte du bacille de la peste à Hong Kong par Yersin en 1894. La mission a rencontré son directeur, le professeur Ralf Altmeyer, et son adjoint, M. Jean-Michel Garcia.

- Un travail en réseau

Depuis décembre 2004, les instituts asiatiques du réseau international de l'Institut Pasteur (IP) ont mis en place un consortium visant à étudier les infections respiratoires émergentes, dont la grippe aviaire qui fait l'objet d'un sous-programme. Ce réseau dénommé «  RESPARI » comprend les IP de Phnom Penh, Hanoi, Nha Thrang, Ho Chi Minh Ville, Séoul, Shanghai, Nouméa et Hong Kong. Ce travail en réseau, unique au monde, permet à chaque institut de se spécialiser tout en bénéficiant de l'appui scientifique des autres instituts. La recherche fondamentale à l'institut de Hong Kong a une visée thérapeutique et dans le cas de la grippe aviaire, elle porte principalement sur les stratégies anti-virales.

- L'étude des mutations du virus H5N1

La recherche sur la grippe aviaire à l'institut de Hong Kong est centrée sur l'étude de la mutation du virus H5N1 lui permettant d'acquérir la caractéristique de transmissibilité interhumaine. En effet, les virus se lient aux cellules hôtes par l'intermédiaire de récepteurs présents à la surface cellulaire. La transmissibilité interhumaine de ce virus dépendra, entre autre, de ses capacités à utiliser les récepteurs cellulaires humains, acide sialique a2-6, au lieu des récepteurs cellulaires aviaires, acide sialique a2-3.

L'institut de Hong Kong travaille en coopération avec l'institut du Cambodge sur l'analyse des séquences du génome du virus H5N1 ; les travaux menés ont révélé que les souches identifiées avaient une signature moléculaire unique au niveau de l'hémagglutinine pouvant induire une telle mutation. Les chercheurs analysent actuellement la capacité de l'hémagglutinine de ces souches à se fixer sur les récepteurs aviaires et humains et à les utiliser pour pénétrer dans les cellules. En collaboration avec l'unité de virologie structurale de l'institut Pasteur de Paris, les conséquences de ces mutations sont également évaluées. Par ailleurs, l'institut travaille avec le département de microbiologie de l'université de Hong Kong sur des modèles expérimentaux pour l'analyse de l'entrée virale et donc la pathogénicité. Pour cette recherche, l'institut a élaboré des outils de pointe pour la séro-épidémiologie : des protéines purifiées, cellules exprimant des protéines virales et virus pseudotypes. Tous ces outils sont utilisés sur une plate-forme à haut débit déjà mise en place. Cette technologie est évidemment très coûteuse et l'institut dépend, pour son financement, à 85 % de l'Université de Hong Kong. Aussi, l'aide apportée par la France à la suite de la visite de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, a-t-elle été bienvenue. M. Ralf Altmeyer a regretté que la région ne soit pas dotée d'un laboratoire P3, nécessaire à la réalisation de certaines expériences ; pour les mener à bien, les équipes sont souvent obligés d'effectuer des déplacements à l'Institut Pasteur de Paris.

Interrogé sur les perspectives d'évolution du virus H5N1, le professeur Ralf Altmeyer a répondu que pour l'instant, l'étude des séquences génomiques montre, certes, des changements génétiques mais qui ne sont pas des changements fonctionnels. Il a mis en garde contre le risque de « pandémie médiatique » autour de la mutation du virus alors même, a-t-il observé, qu'une mutation du virus ne se traduira pas forcément par un gain de virulence : il n'est pas impossible que le virus s'adapte à l'organisme qu'il infecte et que, pour ne pas le tuer, il perde en virulence. Par ailleurs, la surveillance dont fait l'objet le virus, surveillance « pré-pandémique », permet de se préparer efficacement à différents scénarii, ce qui n'avait pas été le cas pour les autres pandémies qui avaient pris le monde par surprise. L'étude du génome permet de préparer un vaccin ; par ailleurs, des moyens de protection - masques et antiviraux - peuvent être stockés. Cette préparation, si elle ne sert pas dans le cas du H5N1, ne sera en tout état de cause pas perdue car le monde n'est pas à l'abri de l'émergence de virus nouveaux, notamment grippaux.

- L'application thérapeutique des recherches fondamentales

Pour le professeur Ralf Altmeyer, contrairement à l'institut Pasteur de Paris où il est possible de ne pas se préoccuper des applications réelles des recherches, le contexte local asiatique exige que la recherche fondamentale produise des solutions thérapeutiques. L'institut de Hong Kong travaille ainsi sur la mise au point d'un vaccin sur le SIDA.

S'agissant de la grippe aviaire, il étudie des stratégies antivirales qui pourraient être des alternatives aux médicaments connus. L'institut a étudié les résistances du virus au Tamiflu et au Relenza qui ont tous deux pour cible la neuraminidase. Ces résistances sont tout à fait prévisibles car le virus est intelligent et s'adapte : un médicament qui ne provoque pas de résistance est un médicament inefficace. L'institut recherche donc des antiviraux susceptibles de porter sur d'autres cibles. Cependant, la découverte de nouvelles molécules ne devrait pas se faire avant une dizaine d'années.

Ces recherches appliquées étant très coûteuse, le professeur Ralf Altmeyer et le docteur Jean-Michel Garcia ont insisté sur la nécessité d'y intéresser les industriels de la pharmacie. Pour cela, l'institut a élaboré la stratégie suivante : quand il fait une découverte, il dépose un brevet et négocie un accord de collaboration avec des partenaires, aux termes duquel la propriété industrielle du brevet est partagée et l'exploitation laissée au partenaire industriel.

3. Université de Hong Kong (HKU)

À l'université de Hong Kong (HKU), le Rapporteur a rencontré deux scientifiques de renommée internationale : le professeur Kwok-Yung Yuen, directeur du département de microbiologie, et M. Malik Peiris, chercheur qui a découvert le corona virus du SRAS. Le département de microbiologie de la HKU mène depuis plusieurs années des recherches fondamentales et appliquées sur les maladies infectieuses émergentes en général, sur les virus de la grippe aviaire en particulier. Son équipe maintient des liens étroits avec les plus grands instituts travaillant sur les maladies infectieuses et ses membres sont souvent sollicités par des organismes internationaux comme l'OMS. Elle possède plus de 50 communications scientifiques publiées dans des conférences, des revues et des journaux à comité de lecture (The Lancet, the new England journal of medecine, Nature...). Le département de microbiologie consacre près de 1,2 million d'euros pour mener 10 projets de recherche sur des sujets relatifs à la grippe aviaire, dont l'un est consacré à l'étude de l'origine du virus dans le sud de la Chine.

- Entretien avec le professeur Kwok-Yung Yuen

Le professeur Yuen a rappelé que le génome du virus H5N1 est constitué de 12 600 pièces et qu'il est donc dans sa nature de muter constamment. Ces mutations peuvent entraîner, soit une plus grande virulence, soit une moindre virulence mais il est absolument impossible de prévoir quelle sera l'évolution du H5N1. Il a également souligné le rôle des oiseaux migrateurs dans la diffusion du virus , craignant que par ce biais, le Moyen-Orient et l'Afrique ne soient à leur tour infectés. Les événements de cet hiver ont, hélas, montré qu'il ne s'était pas trompé. Interrogé sur l'efficacité des antiviraux, le professeur Yuen a indiqué que les résistances constatées lors de l'administration du traitement étaient vraisemblablement dues à une administration tardive. En tout état de cause, même si les antiviraux ne sont pas la panacée, il en préconise l'emploi à la fois préventif et curatif.

Le professeur Yuen a par ailleurs été formel sur la réalité de la situation en Chine ; les cas humains y sont, selon toute vraisemblance, sous-estimés. Il a regretté que la Chine n'ait pas tiré suffisamment d'enseignements de l'épidémie de SRAS et a mis l'accent sur la nécessité d'une coordination internationale et de la plus grande transparence des États.

En conclusion de l'entretien, le professeur Yuen a insisté sur le rôle de la communauté scientifique, qui est d'informer et de communiquer mais surtout pas de paniquer la population. La communauté scientifique de Hong Kong se garde d'ailleurs de toute attitude alarmiste.

- Entretien avec le professeur Malik Peiris

Les propos du professeur Malik Peiris ont rejoint ceux du professeur Yuen, notamment concernant la nécessité d'être, certes, attentif à l'évolution de la situation mais de ne pas céder aux tentations alarmistes. Dans la mesure où personne ne peut prédire quelle sera la mutation du virus, il importe de se préparer au pire en espérant que le meilleur se produise...

Il a insisté à son tour sur la gravité de la situation en Chine, annonçant au Rapporteur la publication prochaine d'un article sur le sujet qui est, depuis, paru (en février)163[1]. Cet article donne des indications sur l'évolution réelle de la situation épidémiologique en Chine et présente des arguments de poids quant au rôle des oiseaux migrateurs dans l'extension de l'épizootie. M. Malik Peiris prévoyait d'ailleurs que la prochaine étape de diffusion du virus en Asie serait l'Inde, par les voies migratoires et là encore, les faits lui ont donné raison.

Au lendemain de la conférence de Pékin, il a regretté qu'elle ne se soit pas tenue plus tôt ; il estime que deux ans ont été perdus dans la lutte contre le virus.

4. Entretien au ministère de la santé

La politique de la santé est une compétence propre de la Région administrative spéciale et ne dépend donc pas du gouvernement chinois. Les autorités locales cherchent à rassurer la population et à éviter des conséquences négatives semblables à celles causées par la crise du SRAS en 2003, qui avait entraîné la démission du ministre de la santé accusé d'avoir trop attendu avant de mettre en place les mesures sanitaires nécessaires. Depuis 1998, un programme de surveillance et de prévention de la grippe humaine et aviaire est opérationnel. Il a fait preuve de son efficacité car Hong Kong n'a, depuis 2003, signalé que des cas de grippe aviaire sur la faune sauvage. Ce programme a été renforcé en février 2005 par un plan opérationnel pour lutter contre les pandémies grippales d'origine aviaire (« Emergency preparedness for influenza pandemic in Hong-Kong ») conforme aux spécifications de l'OMS et qui a été approuvé par l'équipe du professeur Yuen.

M.Wing-yan Leung et Lok Kin Tsui, fonctionnaires au ministère de la santé (respectivement « Principal assistant secretary » et « Senior medical and health officer »164) ont présenté ce plan qui distingue trois niveaux d'alerte :

- le niveau « alerte » (« alert reponse level ») est activé dès l'apparition d'un virus aviaire hautement pathogène touchant les animaux ou les humaines hors de Hong Kong, ou bien d'une infection aviaire détectée à Hong Kong. L'objectif est de protéger le territoire de toute poussée de grippe aviaire (si elle se situe en dehors de Hong Kong) et de la contenir et de l'éradiquer (si elle survient à Hong Kong) ;

- le niveau « sérieux » (« serious reponse level ») est lancé si une poussée de grippe aviaire mettent en cause une souche de virus grippal potentiellement pathogène pour l'homme est décelée sur les marchés de volailles et dans les fermes à Hong Kong. Ce niveau d'alerte est également lancé si l'on détecte à Hong Kong un ou plusieurs cas humains sans mise en évidence de diffusion ou d'activité épidémique humaine : l'objectif est de bloquer la chaîne de transmission du virus. Le secrétaire d'État à la santé présidera alors un comité directeur chargé de coordonner la réponse des autorités ;

- Le niveau « urgence » (« emergency reponse level ») est mis en place si la transmission interhumaine d'une nouvelle souche du virus grippal a été confirmée à Hong Kong ou ailleurs. L'objectif est de ralentir la transmission et de minimiser les pertes humaines.

Au vu des poussées épidémiques dans la région, les autorités ont renforcé les mesures de sécurité sanitaire et ont déclenché le premier niveau de leur plan de lutte. Le ministère de la santé continue à alimenter ses stocks d'antiviraux : actuellement, trois millions de doses sont disponibles et des accords avec l'industrie pharmaceutique vont permettre au gouvernement de constituer d'ici 2007 un stock de 20,5 millions de doses de médicaments antiviraux. Face aux incertitudes quant à l'efficacité du Tamiflu à lutter contre le virus H5N1, il a été également commandé trois millions de doses de Relenza, livrées en janvier 2006.

Les autorités hospitalières ont annoncé la disponibilité, en cas de grippe aviaire, de 14 300 lits dans les 42 hôpitaux publics de Hong Kong. Ces 14 300 lits comportent 1415 lits d'isolation et 800 lits en soins intensifs. Un nouveau bloc destiné aux maladies infectieuses sera disponible dans le courant de l'année 2006 à l'hôpital « Princess Margaret ». Les cliniques privées, dans chacun des 18 districts de la Région, sont largement associées à ce dispositif et viendront le renforcer pour soulager les hôpitaux publics. Par ailleurs, il est prévu que les stades ayant de grandes capacités d'accueil (par exemple, le stade de Hong Kong avec 40 000 places) puissent être transformés en hôpitaux de campagne.

Les autorités jouent également la carte de la transparence la plus totale à l'égard de la population et comptent, en retour, sur le sens des responsabilités des citoyens auxquels a été distribué un manuel intitulé « Kit de préparation à une pandémie grippale » : il contient à la fois des informations sur la grippe aviaire et le virus H5N1 et des conseils pratiques pour se préparer à la survenue d'une pandémie et en cas de pandémie.

Par ailleurs, dans la mesure où Hong Kong est une plaque tournante internationale, des mesures strictes de contrôle à l'aéroport sont appliquées ; ce contrôle s'effectue par des caméras thermiques très sensibles et par le biais d'une détection visuelle exercée par des agents spécialement formés. La proximité de la Chine continentale, où la situation est loin d'être maîtrisée, a justifié la signature d'un accord de coopération sanitaire sur les maladies infectieuses avec Macao et la Chine continentale (voir encadré).

Accord de coopération sanitaire sur les maladies infectieuses entre Hong-Kong, Macao et la Chine continentale

En marge de la quatrième réunion de haut niveau des fonctionnaires chargés de la santé , qui s'est tenue pendant deux jours à Kunming (Yunnan), les représentants de Hong Kong (Dr York CHOW, ministre de la santé), de Macao (Dr Sai On CHUI, ministre des affaires sociales et de la culture), et de Pékin (Prof Jiefu HUANG, vice ministre de la santé), ont signé le vendredi 21 octobre 2005, un accord de coopération qui prévoit un système de réponse coordonné en cas d'épidémie de maladie infectieuse. Aux termes de cet accord, les autorités sanitaires, qui s'obligent chacune à notifier immédiatement aux deux autres les urgences sanitaires susceptibles d'affecter les partenaires, conviennent de mettre en place un mécanisme de coordination et de soutien mutuel, en partageant leurs ressources humaines et techniques.

Une partie de l'accord porte sur le développement de coopération en matière de formation et de recherche scientifique.

L'accord prévoit également qu'en cas de situation d'urgence, les trois parties pourraient constituer ensemble des équipes d'intervention rapide déployables sur le terrain.

Cet accord vise toutes les maladies infectieuses. Il cherche notamment à répondre aux fortes préoccupations de la population de Hong Kong et de Macao, récemment choqués par plusieurs cas mettant en cause la qualité du suivi vétérinaire et sanitaire en Chine continentale (épidémie de streptococcus suis porcin à l'été 2005 et nombreux cas de contamination de poissons d'élevage par la malachite verte), qui affectaient des produits vendus sur les deux territoires. Ce mécanisme est cependant interprété comme une précaution visant désormais surtout le cas de la grippe aviaire, devant la multiplication des cas humains en Chine au cours du second semestre 2005.

c) Le compte rendu d'un déplacement d'une délégation de la mission en Turquie en février

Une délégation de la mission, composée de M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur de la mission et président de la délégation, et de MM. Alain CLAEYS, Denis JACQUAT, Marc JOULAUD et Marc LE FUR, s'est rendue en Turquie du 12 au 14 février 2006, pour évaluer la manière dont ce pays, proche de la France, avait réagi devant la multiplication des foyers de grippe aviaire à laquelle il était confronté. La délégation a pu s'entretenir avec plusieurs hautes autorités turques, en particulier avec le Ministre de l'agriculture et le Secrétaire d'État à la santé.

Les foyers de grippe aviaire ont éclaté principalement dans l'est du pays, là où est concentrée la plus grande partie des 7 millions d'analphabètes que compte la Turquie et où les infrastructures se rapprochent de celles des pays en voie de développement : l'intervention des spécialistes dans les zones touchées n'a pas été facile ; en outre, le caractère montagneux de ces zones (les hauts plateaux anatoliens se situent souvent à plus de 2000 mètres d'altitude) et la rigueur du climat qui en découle ont compliqué la tâche des équipes sur place.

I.  LA TURQUIE A JOUÉ LA CARTE DE LA TRANSPARENCE

A. LES FAITS

Le premier cas de grippe aviaire a été relevé le 5 octobre 2005 dans une exploitation de dindes. Il n'y en a pas eu d'autres ensuite, jusqu'à ce qu'un second cas soit constaté au mois de décembre dans l'est de l'Anatolie.

Aujourd'hui, 97 foyers auraient été confirmés et 60 cas sont suspectés. Ils se situent dans des régions riches en plans d'eau, au bord desquels les volailles sont entrées en contact avec des oiseaux migrateurs, surtout les canards. Un cas de pigeon victime du H5N1 a été, par ailleurs, rapporté.

Le Ministre de l'agriculture a tenu à souligner devant la délégation qu'aucun cas n'avait été trouvé dans les exploitations industrielles qui produisent 86 % des volailles commercialisées.

Le 27 décembre, dans l'est de l'Anatolie, et surtout à partir du 31 décembre, la Turquie a vu apparaître un début de suspicion de cas humains qui ont été confirmés le 4 janvier. Au total, la suspicion a concerné 21 personnes : 12 cas de grippe aviaire ont été confirmés, dont 4 concernant des enfants qui sont tous décédés ; 9 cas étaient encore en examen lors du déplacement de la délégation. Les autorités turques estiment que les quatre enfants décédés n'avaient pas été soignés assez rapidement.

L'épizootie constatée en Turquie est d'abord liée à des conditions socio- économiques et culturelles particulières : dans ce pays, 15 % des volailles sont élevées dans de très petites structures, dans des régions où il n'existe pas de centrales d'achat, et où les habitants élèvent 3 ou 4 poulets dans leur jardin.

L'Organisation internationale des épizooties, l'Organisation mondiale de la santé, l'Union européenne ainsi que toutes les organisations internationales concernées ont été immédiatement informées de la situation en Turquie. Leurs représentants rencontrés sur place par la délégation ont confirmé que les autorités turques avaient fait preuve d'un incontestable souci de coopération et de transparence.

B. LES MESURES PRISES

1. L'abattage des volailles et l'indemnisation des éleveurs

Le Ministre de l'agriculture a indiqué à la délégation que la Turquie appliquait les règles préconisées par les organisations internationales pour lutter contre l'épizootie : un périmètre de 3 kilomètres est défini autour de chaque foyer d'infection, à l'intérieur duquel on pratique l'abattage systématique des volailles, les éleveurs touchés étant ensuite indemnisés. Autour de ce périmètre est mis en place un périmètre de précaution de 7 kilomètres à l'intérieur duquel il est procédé à une surveillance et à une désinfection.

Le premier cas de grippe aviaire, relevé dans un élevage de dindes de la région de Marmara en octobre 2005, concernait une exploitation de plein air de 1700 dindes, située sur un terrain assez aquatique. Cette exploitation était relativement facile à isoler car l'exploitation était bordée sur un côté par un espace militaire. L'infection a conduit à l'abattage, dès le mois d'octobre, de 21 0147 animaux. Les autorités ont eu le sentiment que ce premier foyer avait été rapidement éradiqué grâce aux mesures d'abattage.

Le Ministre a précisé à la délégation qu'on évaluait à environ 300 millions le nombre de volailles en Turquie, élevées, pour 90 % d'entre elles, dans des installations modernes créées ces dix dernières années et très largement automatisées. Le problème des élevages familiaux de plein air se pose plutôt en Anatolie. Au total 1 820 000 animaux ont été abattus : la première moitié en raison d'une suspicion de contamination par la maladie, l'autre moitié en application du principe de précaution.

La crise a entraîné une forte baisse de la consommation, car les médias locaux en ont beaucoup parlé. Or, 2 millions de personnes travaillent dans le secteur avicole. Cette situation a conduit le gouvernement à préparer un programme économique d'aide à l'aviculture, prévoyant notamment un moratoire de six mois pour le paiement des impôts, des cotisations sociales et des dépenses d'électricité, ainsi que l'octroi de crédits bonifiés.

L'abattage des volailles a entraîné pour beaucoup de familles la disparition d'une source de revenus mais aussi d'alimentation en œufs. L'indemnisation des éleveurs s'est faite sur la base de 2,5€ par volaille, en moyenne. Au début de la crise le barème était déterminé au plan national (cinq euros pour un poulet, par exemple), mais le choix du montant de l'indemnisation a ensuite été laissé à l'appréciation des provinces. Les éleveurs ne perçoivent pas une indemnisation immédiate en numéraire car un système de bons a été mis en place. En février ils commençaient tout juste à percevoir l'argent de l'indemnisation.

Pour rassurer le public, une réception a été organisée au Parlement le 31 janvier 2006, au cours de laquelle les principales personnalités politiques ont mangé du poulet. Cette manifestation a eu les effets attendus puisqu'une augmentation de la consommation des volailles a été constatée par la suite.

2. L'interdiction de la chasse

Elle est totalement interdite sur l'ensemble de la Turquie.

3. L'interdiction des transports

Tous les transports d'animaux vivants, à l'exception des chevaux de course, ont été interdits.

Toutefois, la vente de volailles n'est pas interdite dans les marchés pour permettre de satisfaire les besoins des habitants en viande blanche : en effet, dans certaines régions, les paysans n'ont pas les moyens d'acheter des volailles élevées en milieu confiné, en raison de leur prix.

4. L'amélioration de l'accueil à l'hôpital

S'il existe encore aujourd'hui en Turquie des problèmes au niveau de la détection de la grippe aviaire, l'accueil à l'hôpital des patients contaminés ne semble plus présenter de difficultés.

Mais il a fallu, au début de la crise, définir un protocole pour l'accueil des personnes suspectées de grippe aviaire, afin que les personnels soignants leur posent les bonnes questions, s'agissant en particulier de leurs contacts éventuels avec des volailles.

5. La mise en place d'une cellule de coordination et d'alerte

Lors de l'apparition de l'épizootie de grippe aviaire, la Turquie a mis en place une cellule de coordination de crise pour arrêter des réponses communes dans les domaines de la santé et de l'agriculture et harmoniser la coopération entre toutes les provinces.

Ce comité de coordination, co-présidé par les Ministres de la santé et de l'agriculture,évalue les alertes quotidiennement ; tout citoyen au courant d'un cas doit le déclarer dans les 24 heures, le cas déclaré étant lui-même pris en charge par les autorités dans un délai maximal de 24 heures.

En outre, un centre de coopération commun aux ministères de l'agriculture et de la santé a été mis en place. Aujourd'hui une équipe de 50 personnes suit cette question au ministère de la santé.

De plus, le ministère de l'environnement surveille les lieux de nidification .Une nouvelle restructuration a été mise en œuvre, avec la création de 16 postes de coordonnateur de terrain pour s'assurer que les consignes ont été bien comprises. Comme en France le ministère de l'environnement et de la forêt est responsable de la surveillance de la faune sauvage, qui semble avoir été le principal vecteur de la maladie.

Une réforme de la structure hospitalière pour séparer la direction médicale et administrative des hôpitaux est en cours. En réponse à une question sur les moyens du ministère de la santé sur le terrain, le processus de décision et les moyens de diagnostic rapide, le Ministre de la santé a indiqué que le plan de lutte contre une pandémie nationale était basé sur le plan cadre de l'Organisation mondiale de la santé, avec trois scénarios impliquant la mise en œuvre de moyens différents. Mais, a-t-il tenu à souligner, si le pire des scénarios envisagés venait à se réaliser, il est vraisemblable que le meilleur des systèmes, quel qu'il soit, s'effondrerait vraisemblablement.

Il convient également de noter que la coopération sanitaire avec l'Union européenne a été bonne.

C. LA QUESTION DE LA VACCINATION

La question de la vaccination des oiseaux n'est pas tranchée à l'échelon scientifique. En effet, les experts n'ont pas encore rendu leurs avis, certains doutant de l'efficacité sur le terrain d'une vaccination généralisée. En conséquence, au plan politique, le principe même de la vaccination n'est pas arrêté, et le choix du vaccin non plus, a foritori.

Toutefois, il a été assuré à la délégation que si la Turquie décidait de recourir à la vaccination, elle disposerait des dispositifs nécessaires pour produire les vaccins en trois semaines.

La Turquie souhaitant devenir un pays exportateur de volailles, il semble logique qu'elle privilégie l'abattage à la vaccination. Au demeurant, la vaccination serait difficile à réaliser pour des raisons économiques : son coût, a-t-il été indiqué à la délégation, serait d'un euro par volaille, ce qui est prohibitif au regard du prix de vente des produits.

D. LES OUTILS SCIENTIFIQUES

La Turquie dispose aujourd'hui de huit laboratoires permettant de réaliser tous les tests de détection de la maladie, et répartis sur l'ensemble du territoire. Ils remplissent quatre fonctions essentielles : la détection des maladies, la production des vaccins, les recherches liées à la santé publique, la formation des vétérinaires et des agriculteurs.

Il existe actuellement un seul laboratoire de classe P3 en Turquie, à Ankara. L'Union européenne a promis d'aider au financement d'un laboratoire P3 supplémentaire. Pour le moment, les travaux sont réalisés dans des laboratoires P2 à l'intérieur desquels le personnel est doté de vêtements adaptés.

La délégation s'est rendue à l'Institut d'Etlik où travaillent 164 personnes, dont 44 vétérinaires, et qui supervise 14 des 80 départements que compte le pays. L'analyse de prélèvements y est effectuée, de même que l'autopsie des animaux morts. Jusqu'à présent, aucune contradiction n'a été enregistrée entre les résultats du laboratoire turc et ceux du laboratoire anglais de référence. En réponse à une question sur les lenteurs générées par l'envoi des analyses en Angleterre pour confirmation, le secrétaire d'État a indiqué à la délégation qu'il allait envoyer une équipe dans le laboratoire anglais pour se familiariser avec les procédures.

Le laboratoire d'Etlik effectue deux taches principales : il essaie d'identifier le type de virus ainsi que son potentiel de charge virale. Dans cette perspective, il va commencer à décrypter le code ADN du virus. Les travaux sont réalisés en conformité avec les préconisations de l'OMS.

Le Directeur du laboratoire souhaite développer la coopération internationale, en particulier en matière de standardisation des laboratoires, et une convention est sur le point d'être signé avec l'institut Pasteur et un laboratoire israélien en vue d'instituer une coopération susceptible de bénéficier de fonds européens.

Une difficulté, liée à la géographie du pays, a été signalée à la délégation. Il est indispensable que chaque région dispose d'un laboratoire, afin que les prélèvements puissent faire l'objet d'une analyse la plus rapide possible. Un effort a été réalisé avec le personnel du ministère de la santé dédié à cette tâche, pour standardiser les actes de prélèvements.

E. L'EPIZOOTIE RISQUE DE DEVENIR ENDEMIQUE

La carte des migrations des oiseaux met en évidence le fait que l'ensemble du territoire turc est touché, car il existe beaucoup d'endroits aquatiques favorables au rassemblement des oiseaux migrateurs.

Le Ministre de l'agriculture a fait part à la délégation de son inquiétude face au risque de contamination des équidés et a insisté, s'agissant du retour des oiseaux migrateurs, sur la nécessité d'élaborer une cartographie pour essayer de déterminer à quel moment les oiseaux migrateurs reviendront.

Le nombre total de foyers suspectés s'élève à 1 470, ce qui fait craindre qu'à ce niveau, l'épizootie ne devienne endémique, même si le nombre total de cas positifs n'est « que » de 67, dont 44 détectés dans l'institut d'Eltik.

II.  DES PROBLÈMES STRUCTURELS IMPORTANTS DEMEURENT

A. LA COOPÉRATION DES POPULATIONS N'EST PAS ACQUISE

L'arrivée de la grippe aviaire a permis au gouvernement turc de démontrer sa capacité à régler la crise lors du premier cas. Mais il est difficile de savoir si ce succès s'explique par un heureux concours de circonstances - la proximité d'un terrain militaire ayant permis l'isolement de l'exploitation - ou à une bonne organisation. Après le premier cas, les autorités turques ont compris qu'elles devaient immédiatement donner l'information aux organisations internationales et permettre à leurs experts d'aller sur le terrain. Le Ministre de la santé s'est montré ouvert, transparent et clair dans son dialogue avec les membres de la délégation. Le Ministre de l'agriculture s'est, pour sa part, montré soucieux de ménager les agriculteurs.

S'agissant de l'information du public, le ministère de l'agriculture a formé du personnel à cette mission et transmet ses messages à la population par l'intermédiaire des medias - presse, radio - d'affiches ; il a, par ailleurs, mis en service une ligne téléphonique dédiée au sujet. Il a également mis à profit les vacances scolaires pour former un certain nombre d'enseignants, qui ont pu à leur tour former leurs collègues à la rentrée.

En réponse à une question sur les difficultés que l'abattage a pu créer ici ou là et qui ont été montrées à la télévision, par exemple les poules étouffées dans des sacs plastiques ou des femmes cachant leurs volailles, le Ministre de l'agriculture a admis devant la délégation que la tâche des autorités avait pu être contrariée dans les zones où les populations sont peu éduquées et pauvres, et les transports difficiles. Il a indiqué que l'alerte, rapide, dès le premier cas, était une nécessité et qu'il fallait à tout prix, organiser et former des groupes d'abattage.

L'attention de la délégation a été attirée sur le fait que, quand il fait froid, les paysans rentrent les volailles dans les maisons : les risques de contacts avec des bêtes malades est donc très élevé, surtout pour les enfants pour lesquels les poulets sont souvent des compagnons de jeu. On évalue à environ 10 à 15 le nombre de volailles par famille. Il est vraisemblable, pour de nombreux observateurs internationaux, qu'un nombre important de volailles malades n'a pas été signalé aux autorités sanitaires.

Il a été également indiqué à la délégation qu'à deux reprises au moins, des villageois s'en sont pris à ceux qui avaient déclaré des cas suspects.

B. LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

Le Gouvernement turc considère que la lutte contre l'épizootie ne concerne pas simplement la Turquie et les pays voisins, mais l'ensemble de la communauté internationale. La Turquie a d'ailleurs participé, un mois avant que n'apparaissent les premiers cas de grippe aviaire sur son territoire, à un travail de répétition avec l'Union européenne qui l'a aidé, ensuite, à affronter cette situation.

Le Ministre de l'agriculture a tenu à souligner devant la délégation qu'une coopération internationale impliquant tous les États est plus que jamais nécessaire. Ainsi, chaque gouvernement qui apprend l'existence d'un cas suspect doit-il en informer immédiatement les autres pays. C'est, au demeurant, a insisté le Ministre, ce qu'a fait la Turquie, qui prend sa part dans la préparation de projets à long terme de lutte contre une éventuelle pandémie de grippe aviaire en collaboration avec l'Union européenne, la Banque mondiale et les États-Unis.

Le Ministre a indiqué qu'il était prêt à faire partager l'expérience de son pays à la lutte contre l'épizootie. Il a lancé un appel à la coopération internationale et dit attendre que les promesses faites à Pékin, au cours de la Conférence internationale des donateurs au mois de janvier dernier, soient tenues, que les pays pauvres soient aidés et qu'un effort soit fait dans le domaine de la recherche scientifique.

Dans le cadre de la candidature turque à l'Union européenne, il est prévu de renforcer le contrôle aux frontières : il est évident que l'épizootie n'a pas eu pour seule cause les mouvements des oiseaux migrateurs mais qu'elle est aussi le fruit de trafics commerciaux illégaux.

Liste des personnalités rencontrées

Autorités turques :

-- M. Mehmet Mehdi Eker, Ministre de l'agriculture ;

-- Pr.Neckdet Unuvar, Sous-secrétaire d'État à la santé, et M. Touran Uzgae, Directeur des maladies infectieuses;

-- M. KIRISCI, Président de la Commission Agriculturede la Grande Assemblée nationale turque ;

-- Dr. Sükrü.ELEKDAG, Président du groupe d'amitié Turquie-France de la Grande Assemblée nationale turque, et Mme Gülsün Bilgehan, Député d'Ankara ;

-- Docteur Nahit Yazicioalu, Directeur de l'Institut de virologie d'Etlik ;

Représentants des organisations internationales :

-- Dr Luigi Migliorini, représentant de l'OMS en Turquie ;

-- Mme Lila Pieters, coordonnatrice des programmes de l'UNICEF ;

-- M. Martin Dawson, Commission européenne ;

Ambassade de France :

-- M. Paul Poudade, Ambassadeur de France ;

-- Mme Elisabeth Barsacq, Premier Conseiller.

d) Le déplacement d'une délégation de la mission en Afrique en mars : le compte rendu de M. Jean-Marie Le Guen, Président

Une délégation de la mission, composée de M. Jean-Marie LE GUEN, Président de la mission, M. Gabriel BIANCHERI, Mme Geneviève GAILLARD, M. Pierre HELLIER et Mme Bérengère Poletti, s'est rendue au Sénégal et au Mali au début du mois de mars afin d'étudier le dispositif de surveillance des oiseaux migrateurs mis en place dans ces deux pays, ainsi que les mesures de prévention arrêtées par les autorités pour prévenir l'épizootie de grippe aviaire.

Lorsque ce voyage a été décidé, l'Afrique n'était pas encore touchée par la grippe aviaire. Depuis, de nombreux foyers se sont déclarés, dans plusieurs pays. Il semblerait que l'infection provienne de deux sources : en Afrique orientale, le virus H5N1 aurait suivi les mouvements des oiseaux migrateurs et aurait déjà provoqué des victimes humaines ; en Afrique de l'Ouest, sa présence serait le résultat d'importations illégales de poussins d'un jour provenant de pays contaminés et qui seraient à l'origine des premiers foyers constatés au Nigeria et peut être au Niger et au Cameroun.

La lutte contre la grippe aviaire en Afrique se heurte à de nombreuses difficultés qui tiennent, principalement, au manque de moyens dont disposent les pays touchés, alors même que la mobilisation générale a été décrétée, comme le montrent la déclaration de Libreville du 22 mars 2006 sur la grippe aviaire et, quelques mois plus tôt, celle de Dakar, du 23 février 2006, qui a constitué la référence systématique de tous les interlocuteurs de la délégation.

Déclaration de Dakar du 23 février 2006

À l'initiative de Son Excellence Maître Abdoulaye WADE, Président de la République du Sénégal, la Réunion ministérielle sur la Coordination de la Prévention et de la Riposte contre la grippe aviaire s'est tenue à Dakar, du 22 au 23 Février 2006, sous l'égide de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) avec la participation de la République Islamique de Mauritanie. Ont pris part à cette rencontre, les Ministres et Hauts Responsables en charge de l'élevage, de la Santé, de l'Environnement et du Commerce des pays ci-après : Bénin Cap Vert Côte d'Ivoire Gambie Guinée Guinée-Bissau Mali Mauritanie Niger Nigeria Sénégal°Togo. Ont également participé aux travaux, les représentants d'Organisations internationales et régionales: OIE, PAO, OMS, UE, PNUD, UNICEF, UA-IBAR, CEDEAO, UEMOA, BAD, C1RAD, APHIS-USDA, Wetlands international et les Opérateurs de la filière avicole.

L'allocution prononcée par Monsieur le Président de la République du Sénégal à la cérémonie d'ouverture et les différentes présentations faites par l'OlE, l'UA-IBAR, la PAO, la CEDEAO, l'UEMOA, l'OMS sur la situation de la grippe aviaire ont permis de mener de riches débats, à l'issue desquels les participants ont convenu d'adopter une déclaration appelée Déclaration de Dakar.

Nous, participants à la réunion ministérielle sur la Coordination de la Prévention et de la Riposte contre la grippe aviaire ;

Considérant la menace de pandémie et les inquiétudes qu'elle engendre au sein de l'opinion publique, des acteurs de la filière avicole, des milieux scientifiques et des gouvernants ;

Conscients de la nécessité de prévenir l'apparition de i'épizootie dans les pays indemnes, de circonscrire et d'éradiquer la maladie là où elle est apparue, de préparer la gestion du risque, de pandémie et les graves préjudices socio économiques, environnementaux que peuvent entraîner son apparition et les opérations de lutte ;

Rappelant les résolutions des Ministres en charge de l'élevage de l'Union africaine (UA) adoptées à Kigali, le 02 novembre 2005 et les recommandations des pays de l'Union économique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA), réunis, à Ouagadougou, le 16 février 2006, qui ont conclu à la nécessité de mettre en commun les ressources pour une mise en œuvre immédiate des mesures d'urgence ;

Prenant en compte les recommandations des réunions internationales et régionales sur la grippe aviaire, notamment celles de Nairobi du 14 au 16 septembre 2005, de Genève du 07 au 09 novembre 2005, de Brazzaville du 12 janvier 2006, de Beijing du 17 janvier 2006 et de Bamako du 23 au 26 janvier 2006 ;

Convaincus de la nécessité de concrétiser les engagements pris à divers échelons par la communauté scientifique, les partenaires au développement et les décideurs politiques ;

Considérant le caractère transfrontalier de cette maladie émergente et son récent développement au Nigeria et en Égypte ;

Convaincus de la nécessité d'harmoniser les plans de prévention et d'intervention et de coordonner les méthodes et les moyens des États en vue de lutter efficacement contre ce fléau ;

Déterminés à développer et à approfondir les relations de coopération entre les pays de la sous région dans le domaine de la prévention et de la riposte contre la grippe aviaire ;

Désireux de partager les informations et les expériences en matière de diagnostic, de formation, de sensibilisation, de prévention et de lutte ;

Appréciant les encouragements et la disponibilité renouvelée des partenaires au développement à continuer à soutenir les efforts des États dans la définition et la mise en œuvre de stratégies concertées et coordonnées en vue de prévenir et de lutter efficacement contre la grippe aviaire ;

Conscients de l'urgence à agir ensemble et rapidement ;

Réaffirmons notre engagement à œuvrer pour la protection de la santé publique, la sauvegarde de la sécurité alimentaire, la protection de l'environnement et la lutte contre la pauvreté dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire et multidimensionnelle ;

Saluons les initiatives prises par des pays de la sous région Ouest africaine et de l'Union du Maghreb arabe (UMA) pour renforcer leur dispositif de surveillance ou engager la mise en œuvre immédiate de leur plan de prévention et de riposte ;

Encourageons les efforts fournis par les États dans la lutte contre la maladie en dépit de la faiblesse de leurs moyens ;

Engageons nos États à garantir une parfaite transparence de l'information sanitaire vis-à-vis de l'opinion publique, de l'OlE et de l'OMS, notamment par la déclaration immédiate de foyers, soulignons la nécessité d'une approche concertée et coordonnée concernant la mise en œuvre des pians nationaux de lutte dans le cadre d'un mécanisme sous-régional de coordination de prévention et de riposte ;

Convenons de la mise en place immédiate d'un Comité ministériel de pilotage composé d'un représentant par pays et présidé pour un an par le Sénégal pour assurer la mobilisation de l'ensemble des Acteurs concernés (niveau national et régional), la liaison et la coordination avec les Partenaires au développement ;

Décidons la désignation d'un Groupe d'Experts chargés de réfléchir sur les missions et les modalités de fonctionnement d'un mécanisme opérationnel tenant compte des dispositifs existants ;

Invitons les États à désigner leurs représentants au sein de ce Groupe d'experts qui devra se réunir les 16 et 17 mars 2006, à Bamako, sous la coordination de l'UA-IBAR et en collaboration avec la Plateforme OIE-FAO et l'OMS. Le Groupe d'experts devra soumettre un rapport aux Ministres de la CEDEAO et de la République Islamique de Mauritanie à l'occasion d'une réunion qui sera organisée par la CEDEAO à Abuja en avril 2006 ;

Décidons de créer un Fonds sous-régional d'intervention d'urgence domicilié à la Banque Africaine de Développement (BAD) doté de mécanismes souples de mobilisation ;

Lançons un appel à la solidarité de la Communauté internationale pour une contribution urgente à ce Fonds, ainsi qu'un soutien résolu à la relance de la filière avicole.

Déclaration de Libreville du 22 mars 2006 sur la grippe aviaire

et la menace d'une pandémie humaine en Afrique

Face à l'éclatement et à l'extension en Afrique de l'épizootie de grippe aviaire due au virus hautement pathogène (GAHP) H5N1 et à la menace d'une pandémie de grippe humaine à travers le continent, les agences du système des Nations Unies et les représentants des gouvernements de 45 pays de la Région africaine se sont réunis à Libreville, au Gabon, du 20 au 22 mars 2006.

La réunion a été ouverte par Son Excellence le Président Omar Bongo Ondimba, Président de la République gabonaise, en présence des Directeurs régionaux de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), du Fonds des Nations Unies pour l'Agriculture et l'Alimentation (FAO), du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), du coordonnateur des Nations Unies pour la grippe aviaire (UNISIC), du directeur adjoint de l'OCHA ainsi que des représentants du Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF), du Programme Alimentaire Mondial (PAM), de l'Organisation Internationale de la Santé Animale (OIE), des bailleurs de fonds et les États.

A l'issue de deux jours de délibération, nous, participants de la Réunion régionale du système des Nations Unies sur la grippe aviaire en Afrique, considérant :

Le risque que représente à l'échelle mondiale la grippe aviaire due au virus hautement pathogène H5N1, à la suite de l'extension de l'épidémie de l'Asie à l'Europe, puis à l'Afrique ;

Les récentes flambées de grippe aviaire au Nigéria, en Égypte, au Niger et au Cameroun, ainsi que la survenue potentielle de l'épizootie dans d'autres pays d'Afrique ;

L'urgence et la nécessité de prendre immédiatement des mesures pour lutter contre les épizooties, dans le cadre des efforts déployés pour maîtriser les flambées de grippe aviaire, au regard de ses effets socio-économiques et de l'importance de cette maladie sur le plan de la santé publique;

La faiblesse ou l'inexistence des capacités de détection en laboratoire du virus de la grippe aviaire, pour préserver à la fois la santé animale et la santé humaine en Afrique ;

L'insuffisance de la préparation, dans la plupart des pays, pour faire face à la menace d'une pandémie de grippe humaine ;

Le sérieux défi que pose la grippe aviaire et humaine, qui vient s'ajouter aux autres défis existants, tels que les défis liés à la pauvreté, à la santé humaine (VIH/SIDA, paludisme, tuberculose, etc.) et à la santé animale (maladie de Newcastle, gumboro, choléra du poulet, etc.) ;

Le caractère limité des ressources allouées à la santé animale et humaine et la faiblesse des capacités institutionnelles nationales qui entravent sérieusement la mise en œuvre des plans de préparation et de riposte ;

L'impact socio-économique grave de la lutte contre la grippe aviaire et particulièrement de la stratégie d'abattage systématique préconisée par les gouvernements ;

Les importantes décisions prises au niveau mondial à Washington D.C., aux États-Unis d'Amérique (septembre 2005), à Ottawa, au Canada (octobre 2005), à Genève, en Suisse (novembre 2005) et à Beijing, en Chine (janvier 2006), ainsi qu'au niveau continental à Kigali, au Rwanda (novembre 2005), à Brazzaville, en République du Congo (janvier 2006) et en N'djamena, au Tchad (en février 2006) ;

Déclarons la nécessité de faire preuve d'un ferme engagement politique au sommet de l'État et d'assurer une coordination multi-sectorielle au niveau supra-ministériel pour l'élaboration des plans, la mobilisation des ressources, la mise en œuvre et le suivi des plans, en étroite collaboration avec les Organisations à base communautaires, la société civile et les Organisations Non Gouvernementales et autres acteurs ;

Déclarons la nécessité de donner la priorité, au niveau de chaque pays, à la finalisation d'un plan intégré, consolidé et multi-sectoriel de préparation et de riposte contre la grippe aviaire et la pandémie humaine ;

Encourageons les pays à mettre en œuvre des programmes cohérents de communication et de sensibilisation du public, afin de réduire le risque d'extension de l'épizootie et de transmission de la maladie à l'homme. Ces programmes devraient être développés en consultation avec les personnes touchées ;

Lançons un appel aux pays africains de notifier promptement aux organisations internationales notamment l'OMS, l'OIE, la FAO et l'UA-IBAR (Bureau Inter-Africain des Ressources Animales de l'Union Africaine) conformément au Règlement Sanitaire International (2005) et au Code zoosanitaire ;

Déclarons que les pays doivent appliquer rigoureusement les mesures préconisées pour l'endiguement de la grippe aviaire, telles qu'indiquées dans la Stratégie mondiale FAO/OIE de lutte progressive contre la GAHP à savoir l'abattage systématique de volailles, l'adoption des mesures de biosécurité requises, les restrictions en matière de circulation des animaux/véhicules et la vaccination sélective ou de masse, lorsque des cas de GAHP sont détectés ;

Déclarons que les pays doivent veiller à ce que des études soient conduites sur les aspects socio-économiques et les alternatives concernant les sources de revenu, en vue de mettre en place des programmes pertinents en faveur des zones ou localités touchées ;

Invitons les pays à prendre en compte la relance de la filière avicole en concertation avec les associations d'aviculteurs du pays et la société civile ;

Déclarons que les pays doivent mettre en place, à titre d'incitation des fonds et des mécanismes de compensation appropriés, à titre d'incitation, en faveur des éleveurs touchés ;

Déclarons que les pays africains doivent évaluer et renforcer urgemment leurs services vétérinaires afin de garantir la rapidité de la détection, de l'investigation et de la réponse en particulier les suspicions et épizooties de la grippe aviaire chez la volaille domestique et les populations d'oiseaux sauvages migrateurs/résidents ;

Déclarons que tous les pays africains doivent renforcer leurs systèmes de surveillance de santé humaine pour garantir la rapidité de la détection, de l'investigation et de la réponse en cas de contamination humaine au virus H5N1 et de transmission interhumaine ;

Soulignons la nécessité que les pays établissent et renforcent les liens de collaboration la prévention de la pandémie de grippe humaine ;

Affirmons l'impérieuse nécessité de renforcer les capacités d'au moins trois laboratoires vétérinaires et trois laboratoires de santé humaine afin de les rendre capables de faire des sous-typages fiables H et N du virus grippal ;

Lançons un appel pressant à l'Agence Internationale de Transport Aérien (IATA) afin qu'elle demande aux compagnies aériennes de faciliter l'acheminement des échantillons vers les laboratoires de référence et aux Centres collaborateurs ;

Demandons instamment au système des Nations Unies de renforcer la capacité de ses équipes pays à fournir aux États un appui substantiel dans la mise en œuvre du plan intégré multi-sectoriel de lutte contre la grippe aviaire ;

Réaffirmons la nécessité pour les pays et la communauté internationale de mobiliser des ressources financières et techniques additionnelles, auprès des sources locales et internationales, pour la mise en œuvre des plans intégrés et de mettre en place des mécanismes d'accès rapide à ces fonds ;

Lançons un appel à la communauté internationale et aux fabricants d'antiviraux, de matériels de protection, de vaccins (pour l'animal et l'homme) et d'autres fournitures, pour qu'ils rendent ces produits accessibles en Afrique ;

Décidons de créer un comité de suivi composé de représentants des Agences des Nations Unies de l'OIE, de l'UA et de l'UNSIC, pour assurer le suivi des recommandations émanant de la présente réunion, en particulier celles qui concernent les plans de préparation et de riposte, la mobilisation des ressources, la coordination entre les spécialistes de la santé animale et humaine, les aspects socio-économiques, le stockage du matériel de protection, des antiviraux, des vaccins, des désinfectants, etc.

Ces déclarations témoignent de la prise de conscience de la gravité de l'épizootie par les plus hautes autorités politiques des pays d'Afrique de l'Ouest. Avant même ces déclarations, des mesures avaient été prises dès la fin de 2005 pour commencer à mobiliser l'aide internationale, avec l'ouverture d'un compte bancaire dédié à la gestion des fonds qui pourraient être mobilisés. Et dans les deux pays visités par la délégation, pour le moment indemnes de grippe aviaire, les autorités avaient mis en œuvre assez vite les mesures préconisées au niveau international, en particulier l'arrêt des importations en provenance de pays infectés, mais aussi la sensibilisation des populations au risque de contamination : ainsi, au Sénégal, l'école vétérinaire de Dakar a mis au point une mallette pédagogique destinée à sensibiliser les éleveurs au risque de contagion inter humaine.

Il reste que les problèmes de fond propres à l'Afrique subsistent, le premier d'entre eux étant le manque de moyens car, quelle que soit la qualité des dispositifs nationaux, si, comme la délégation a pu elle-même le remarquer, les techniciens chargés des prélèvements ne disposent pas d'écouvillons, ni même de l'essence nécessaire pour faire rouler leurs mobylettes jusqu'au laboratoire chargé des analyses, il sera difficile de disposer d'un réseau de surveillance performant.

Au surplus, un certain nombre de pays sont durement frappés par des maladies aujourd'hui disparues en Occident, comme le choléra, la rougeole ou la tuberculose, mortelles notamment pour les enfants. Les autorités locales sont donc contraintes, on le comprend bien, de hiérarchiser les questions de santé publique, ce qui rend plus difficile la mobilisation sur la grippe aviaire. Le Mali, malgré tout, a mis en place un plan d'urgence, d'un coût de 862 094 646 FCFA, auquel il apporte 322 600 000 FCFA, ce qui illustre une prise de conscience du problème et une volonté d'agir des autorités d'un pays pourtant démuni.

L'état de préparation du Sénégal et du Mali

Le Sénégal, est le carrefour maritime et aérien de l'ouest africain. Il abrite une demi-douzaine de parcs nationaux où des centaines de milliers d'oiseaux migrateurs transitent chaque année.

Le plus important est le parc national du Djoudj : avec une superficie de 16.000 hectares sur le fleuve Sénégal, près de la frontière mauritanienne, il constitue la première zone humide d'importance au sud du Sahara. La délégation, accompagnée d'un expert, le docteur Chevalier, vétérinaire du CIRAD, s'y est rendue. Elle voulait se rendre compte du travail effectué sur place par les organismes scientifiques qui se sont mobilisés pour tenter de devancer la maladie et ont envoyé en Afrique, dans les zones à risque - Djouj, delta du Niger, lac Tchad  - des équipes de spécialistes chargés de dresser un premier bilan épidémiologique.

La délégation s'est également rendue à Mopti, dans le Nord-Ouest du Mali, qui offrait l'intérêt d'être l'un des plus importants lieux de regroupement d'oiseaux migrateurs en Afrique de l'Ouest (4 millions d'oiseaux en période de migration, 350 espèces dénombrées, originaires notamment d'une quinzaine de pays européens). C'est également, par voie de conséquence, un grand carrefour de commerce de volailles, mais aussi d'oiseaux sauvages. La région de Mopti apparaît donc comme une zone très vulnérable, d'autant plus qu'il existe une grande promiscuité hommes/volailles (il n'y a quasiment pas d'élevages confinés). Sur cette situation se greffe un commerce illégal en provenance de pays voisins (même si, officiellement, les importations ont été suspendues au lendemain de la découverte du virus au Nigeria).

La délégation a perçu, au cours de ses entretiens, un sentiment d'inquiétude, ses interlocuteurs insistant sur le fait que tous les éléments constitutifs d'une endémie permanente étaient aujourd'hui réunis en Afrique de l'ouest. Le CIRAD a effectué 2000 prélèvements qui étaient en cours d'analyse lors du passage de la délégation ; mais Westland a fait une campagne de comptage et n'a rien relevé d'anormal et les ornithologues n'ont pas constaté de mortalité anormale des oiseaux.

Lorsque la délégation s'est rendue en Afrique, le continent n'était pas encore touché par la grippe aviaire. Le Sénégal, qui compte quatre fois plus de poulets que le reste de l'Afrique de l'ouest, craignait toutefois une contamination à partir de flux commerciaux illégaux.

A. LA MISE EN PLACE DES MESURES PRÉCONISÉES PAR LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

La principale difficulté pour lutter contre la grippe aviaire réside dans le manque de moyens des pays touchés. Néanmoins, le Sénégal et le Mali ont mis en place le dispositif préconisé au niveau international.

1. L'arrêt des importations

L'arrêt des importations en provenance des pays infectés a été décidé, dès le 16 novembre 2005 par le Mali qui a également mis en place après avoir installé quelques jours plus tôt, le 18 octobre 2005, un comité technique de coordination pour la lutte contre la grippe aviaire.

La même mesure d'interdiction des importations a été prise par le Sénégal mais des dérogations subsistent pour les poussins d'un jour ; le contrôle de ces importations est donc essentiel.

2. La mise en place de cellules d'alerte

Le Sénégal a mis en place un Comité National de lutte contre la Grippe Aviaire (CONAGA), au sein duquel l'institut Pasteur de Dakar (IPD), qui dispose d'un laboratoire de type P3 pouvant réaliser les diagnostics de grippe aviaire165, joue un rôle primordial.

Ce Comité se réunit régulièrement, mais son action n'a pu réellement débuter qu'après un déblocage des premiers fonds nationaux après l'apparition d'un foyer de grippe aviaire au Niger.

Un certain nombre de pays voisins (Mauritanie, Mali, Guinée-Bissau, Guinée, Gambie, Cap-vert) ont également mis en place des cellules de veille et de riposte.

3. Les difficultés rencontrées

À ce jour, aucun cas animal n'a été confirmé sur les différents prélèvements réalisés dans l'ensemble de ces pays. Par ailleurs, aucun cas suspect humain n'a été notifié.

Mais, si un cas devait survenir, les autorités locales auraient vraisemblablement des difficultés pour indemniser les éleveurs rapidement et à un niveau convenable. Il serait souhaitable qu'un plan d'indemnisation soit élaboré dès maintenant avec les organisations internationales dans les États qui ne sont pas encore touchés par l'épizootie : les éleveurs, ainsi assurés d'une indemnisation, seraient davantage incités à déclarer les cas de grippe aviaire dans leurs élevages. Il en va de l'efficacité du dispositif de lutte contre l'épizootie.

Il a été indiqué à la délégation que le Mali détenait l'un des principaux cheptels avicoles d'Afrique de l'ouest, avec près de 26 000 000 de têtes (toutes espèces confondues) et un chiffre d'affaires d'environ 100 milliards FCFA par an. L'aviculture occupe donc une place de choix dans la vie économique du pays et constitue un important vecteur de lutte contre la pauvreté. Il est clair que dans ce contexte, l'éradication de la grippe aviaire par abattage serait probablement très difficile à mettre en place, même si la volonté des autorités locales d'appliquer les normes de l'OIE est réelle, comme la délégation a pu le vérifier elle-même.

Les autorités des deux pays visités se heurtent, dans la mise en œuvre des mesures de prévention préconisées par l'OIE, au problème, récurent en Afrique, de la perméabilité des frontières. L'attention des membres de la délégation a été ainsi attirée sur les difficultés rencontrées pour contrôler, sur le plan sanitaire, les mouvements de population liés au pèlerinage dans la ville sainte de Tuba.

Du point de vue de l'analyse des dispositifs d'alerte, le voyage au Mali a été particulièrement intéressant : dans la continuité du plan national de prévention et de lutte contre la grippe aviaire, la région de Mopti a mis en place, à l'instar des autres régions du pays, un dispositif d'alerte à trois niveaux - régional, local (équivalent département) et communal - les informations recueillies par les différentes cellules de veille étant centralisées par le comité national de coordination technique. Des campagnes de sensibilisation - messages radio - ont débuté, auxquelles les populations concernées (chasseurs d'oiseaux sauvages, éleveurs, marchands) réagissent plutôt positivement, d'après les responsables régionaux maliens.

Si, sur le papier, le dispositif de prévention au Sénégal comme au Mali semble satisfaisant, la réalité, sur le terrain, l'est sans doute moins car les responsables locaux manquent, à l'évidence, de moyens logistiques (matériels de prélèvement entre autres). Ainsi, au Mali, outre l'appel formulé auprès des bailleurs pour financer le plan national (500 MFCFA sur un montant global de 800 MFCFA), les autorités régionales évaluent à 100 MFCFA les besoins supplémentaires pour la seule région de Mopti, qu'elles considèrent comme la plus exposée du pays.

B. LE RÔLE PRÉPONDÉRANT DE L'INSTITUT PASTEUR DE DAKAR

À la suite de l'Atelier Régional Interministériel qui s'est tenu à Dakar les 22 et 23 février derniers, sous l'égide du Chef de l'État sénégalais, l'OMS et le bureau de surveillance des pathologies vétérinaires de l'Union Africaine (IBAR/UA) ont proposé que l'institut Pasteur de Dakar (IPD), un établissement dépendant directement de la fondation Pasteur, soit reconnu comme laboratoire référent pour le diagnostic du virus de la grippe aviaire hautement pathogène.

La délégation a eu l'occasion de visiter l'Institut Pasteur et son laboratoire P3. En vertu d'une convention conclue avec les autorités sénégalaises, l'établissement est reconnu d'utilité publique et intégré aux structures sanitaires du pays. Il compte 150 personnes, dont une vingtaine d'expatriés français et 20 à 25 cadres scientifiques sénégalais.

Son laboratoire est référencé par l'OMS pour la grippe aviaire mais, il dispose en fait d'une compétence régionale pour isoler d'autres types de virus et assurer une surveillance générale. Il dispose du matériel technique et de la compétence pour poser le diagnostic. Même si les structures vétérinaires doivent rester les intervenants de première ligne pour la description des foyers et des cas, ainsi que pour la surveillance épidémiologique animale, seul l'IPD a la capacité, sur place, d'identifier le virus H5N1, en attendant la mise en place d'autres laboratoires fonctionnels pour soulager les laboratoires de référence internationaux en Europe qui risquent d'être rapidement débordés si l'épizootie devait gagner le continent africain. Cette situation illustre la nécessité pour le Gouvernement français de renforcer son appui à l'institut Pasteur et à son réseau international, comme le Rapporteur l'avait souligné dans le rapport sur le risque épidémique qu'il a présenté avec Mme Marie-Christine Blandin devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques au mois de mai 2005.

C. L'AIDE INTERNATIONALE

La délégation ne peut que se féliciter de la mobilisation régionale, dont la récente conférence de Dakar en est une illustration significative, avec la création d'un fonds régional d'intervention géré par la Banque africaine de développement (BAD). Il faut aussi que l'assistance financière de la Banque mondiale, dans la continuité de la conférence de Pékin de janvier dernier, parvienne au plus vite aux pays concernés.

À ce jour, seuls les États Unis ont annoncé une aide spécifique de 150 000 dollars pour le Mali. La France devrait, pour sa part, fournir un effort proportionnel à l'importance des relations qu'elle entretient avec un certain nombre d'États dans la région.

Parallèlement à nos interventions auprès des fonds régionaux, l'ambassade de France à Bamako étudie la possibilité d'un appui immédiat au gouvernement malien, notamment pour renforcer les capacités de diagnostic des laboratoires locaux. Cette aide, qui s'inscrirait dans le cadre de l'assistance déjà sollicitée par la partie malienne, pourrait tout d'abord prendre la forme d'une offre de stage de formation de deux semaines en France (formation d'un virologiste du laboratoire central vétérinaire qui sera lui-même formateur à son retour au Mali). Cette formation pourrait éventuellement être assurée, sous réserve des disponibilités, dans les locaux du laboratoire de l'AFSSA de Ploufragan, spécialisé en pathologie aviaire. Outre l'appui au laboratoire vétérinaire central, l'action de la France pourrait consister, dans un deuxième temps, à accroître son assistance à la plate-forme vétérinaire sous-régionale de Bamako OIE/BIRA, en vue de renforcer ses compétences humaines et matérielles. La délégation ne peut qu'appuyer avec vigueur les efforts de l'ambassade de France au Mali qui s'est particulièrement mobilisée sur la question de la grippe aviaire.

D. LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE

La communauté française est très importante au Sénégal : de l'ordre de 20 000 personnes. Sa protection constitue une préoccupation pour l'ambassade de France.

La préparation à une pandémie repose sur des îlotiers, qui encadrent les Français en liaison avec les autorités sénégalaises et peuvent s'appuyer sur l'hôpital principal de Dakar ainsi que, si les autorités sénégalaises donnent leur accord, sur les forces armées disponibles.

La question centrale, et non résolue à ce jour, réside dans les difficultés que susciterait inévitablement la distribution à une communauté étrangère aussi importante des moyens de protection (masques) et de soins (Tamiflu) auxquels les populations locales n'auraient pas accès. Il serait, par exemple, difficile d'envisager de ne protéger que les seuls enfants de nationalité française au sein des établissements d'enseignement français. Il est évident que des tensions en résulteraient.

S'agissant du Mali, une cellule grippe aviaire a été constituée au niveau de l'ambassade de France à Bamako, à la demande du Ministère et se compose d'un médecin agréé, médecin chef du centre médico-social du poste, d'un conseiller médical « grippe aviaire », point de contact médical local, d'un conseiller technique vétérinaire, d'un correspondant « pandémie grippale ».

La cellule entretient des contacts quasi permanents avec les autorités administratives et sanitaires locales compétentes, ainsi qu'avec les représentants locaux des organisations de santé internationales (OMS) et les partenaires européens et occidentaux présents au Mali.

Un état des lieux des produits médicaux et matériels de première urgence, ainsi que du réseau de soins local, a été réalisé. Ce premier constat a permis d'établir l'offre sanitaire la plus performante sur place.

Liste des personnalités rencontrées

Au Sénégal

Ministère de la santé et de la prévention médicale :

-- M. Moussa Mbaye, Secrétaire général ;

-- Dr Abdoulaye Ly, gestionnaire des services de santé, conseiller technique n°2 ;

-- Dr Bruno Floury, Coopération française, conseiller technique ;

IRD

-- M. Christian Colin, directeur du centre de Dakar et représentant de l'IRD pour la sous-région ;

-- M. Jean-François Molez, médecin ;

Institut Pasteur de Dakar

-- Dr Philippe MAUCLERE Directeur ;

-- Mme Laurence Marama, épidémiologiste.

Service de santé des armées

-- Jean-Jacques Kowlaski, Médecin chef.

Cirad

-- Dr Véronique Chevallier.

Ambassade de France

- M. André Parant,Ambassadeur de France ;

-- Mme Geneviève Tancu, consul général ;

-- M Dunghi, attaché humanitaire ;

-- M Phillippe Rémy ;

Mme Evelyne Sengsunn, attachée de coopération.

Au Mali

-- M. Alou Sidibe, Gouverneur de Mopti ;

-- M.Issa Diarra, Conseiller du Gouverneur ;

-- M. Mamadou Kané, directeur national des services vétérinaires (Ministère de l'élevage) ;

-- M. Bakary Koné, coordonnateur national de l'ONG Wetlands ;

-- M. Boubakary Tapily, Président de l'Assemblée régionale de Mopty, Conseiller national ;

-- M. Bourana Niagate, ingénieur des eaux et forêts, Président de l'ONG Amepane ;

-- M. G. Fedière, Directeur de l'IRD au Mali,

-- Mme Caroline Planté, experte vétérinaire française détachée auprès du bureau régional de l'OIE ;

-- M. Joël Meyer, Premier Conseiller à l'Ambassade de France au Mali.

2. LA SITUATION EN FRANCE

La France a été touchée par la grippe aviaire au mois de février : des cadavres d'oiseaux infectés par le H5N1 ont été retrouvés dans le département de l'Ain, plus précisément dans la région de la Dombes, avant que le virus ne soit détecté, quelques jours plus tard, dans un élevage de volailles de la région.

Le principe de précaution a alors conduit le Gouvernement à renforcer très sensiblement le dispositif mis en place depuis août 2005 pour prévenir la contamination du territoire national et, le cas échéant, la circonscrire le plus vite possible. Dans la lignée des dispositions arrêtées tout au long de l'automne, un certain nombre de mesures ont été prises au mois de février, parmi lesquelles le confinement généralisé des élevages domestiques. L'ensemble du dispositif a été analysé dans le volume II du présent rapport : « Le H5N1 : une menace durable pour la santé animale ».

Toutes ces mesures ont été d'une grande efficacité puisqu'aucun autre foyer de grippe aviaire ne s'est déclaré et la France est aujourd'hui considérée comme indemne de grippe aviaire. Les mesures de confinement ont d'ailleurs été levées le 12 mai sur l'ensemble du territoire, à l'exception de la région de la Dombes. Les mesures de biosécurité restent, en revanche, toujours en vigueur. Les éleveurs ont été appelés à demeurer vigilants et à continuer de limiter les contacts entre oiseaux d'élevage et oiseaux sauvages.

L'AFSSA procèdera à une nouvelle évaluation du risque avant la fin de l'été 2006, dans la perspective des prochaines migrations de l'automne.

S'agissant de la répercussion de la crise sur la filière avicole, on notera que la consommation de volaille, après avoir baissé pendant quelques semaines après la découverte des cas de grippe aviaire en France, a retrouvé son niveau habituel, les consommateurs ayant entendu les appels à la raison lancés par les professionnels comme par les pouvoirs publics : la consommation de volaille cuite ne présente pas le moindre danger pour la santé humaine.

L'indemnisation des éleveurs touchés par la crise a fait l'objet d'une première série de mesures prises au cours de l'hiver : elles ont été exposées dans le volume II du présent rapport (« Le H5N1 : une menace durable pour la santé animale »). Pour aller plus loin et pouvoir répondre aux difficultés économiques de la filière avicole, le ministre de l'agriculture, M. Dominique Bussereau, avait présenté au Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne, le 20 mars, un mémorandum français pour autoriser la mise en œuvre de mesures structurelles de gestion de la crise.

Le 21 juin dernier, la Commission européenne a adopté un règlement qui doit permettre, notamment, d'apporter les « aides indispensables à la destruction des œufs à couver, à l'abattage anticipé de reproducteurs et à l'allongement du vide sanitaire pour les éleveurs. Ce dispositif permettra d'indemniser les pertes constatées entre les mois d'octobre 2005 et avril 2006, en dehors du plafond de minimis de 3.000 euros » (communiqué de presse du 21 juin, Ministère de l'agriculture et de la pêche). Mais les autorités françaises reconnaissent que ces mesures « ne répondent malheureusement pas aux besoins de soutien des entreprises d'abattage et de transformation affectées par cette crise, pas plus qu'elles ne permettent la prise en compte des pertes des éleveurs jusqu'à la fin du mois de juillet » (communiqué précité). Le Ministre français de l'agriculture a regretté devant ses collègues européens, le 19 juin, la position, qu'il juge trop restrictive, de la Commission.

Pour ce qui concerne la chasse, le Gouvernement a maintenu l'interdiction d'utiliser des appelants, compte tenu des risques de contamination auxquels ils sont exposés, notamment lorsqu'ils se posent sur des plans d'eau. Entendue par la mission le 30 mai dernier, Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable, a annoncé une prochaine réévaluation du dispositif en vigueur.

3. L'ACCÈS À LA CONNAISSANCE DES SÉQUENCES GÉNÉTIQUES H5N1 : UNE CONTRIBUTION DE M. ALAIN CLAEYS, MEMBRE DE LA MISSION

La surveillance des mutations du virus H5N1 est indispensable pour anticiper une pandémie et mettre au point des traitements. En effet, ces mutations sont consécutives à des modifications de la structure de certains gènes du virus. Le séquençage166 de ces gènes et la comparaison des séquences ainsi obtenues permettent de détecter ces modifications.

Pourtant, ces séquences ne sont pas systématiquement rendues publiques dès leur identification. La mission a souhaité approfondir la question pour tenter d'identifier les blocages expliquant cette situation et les solutions susceptibles de les lever. Elle a donc chargé l'un de ses membres, M. Alain CLAEYS, de rédiger la présente contribution. Celle-ci reprend en partie les travaux de son auteur à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur « La brevetabilité du vivant » et « Les conséquences des modes d'appropriation du vivant sur les plans économique, juridique et éthique »167. Elle est également nourrie par les informations que lui ont communiquées les experts qu'il a consultés et dont la liste figure en annexe.

Dans cette contribution, l'auteur s'attachera d'abord à montrer pourquoi un certain nombre de chercheurs ne veulent pas divulguer précocement les séquences H5N1 qu'ils identifient (I). Dans un second temps, il proposera quelques pistes de réflexion de nature à corriger les imperfections de la situation actuelle (II).

I.-  LES RÉTICENCES DE CERTAINS CHERCHEURS À DIVULGUER LES SÉQUENCES H5N1 QU'ILS IDENTIFIENT

A.- LES PERSPECTIVES DE PUBLICATION D'ARTICLES SCIENTIFIQUES ET DE BREVETABILITÉ DES DÉCOUVERTES OFFERTES AUX CHERCHEURS PARAISSENT DE NATURE À LES DISSUADER DE DIVULGUER LES SÉQUENCES H5N1 DÈS QU'ILS LES IDENTIFIENT.

1.- Certains chercheurs peuvent retarder ou restreindre la diffusion des séquences qu'ils identifient jusqu'à ce qu'ils puissent publier un article dans une revue scientifique.

Dans un article récent du magazine Science168, le Dr Ian BROWN, directeur du laboratoire de la Veterinary Laboratories Agency à Weybridge (Grande-Bretagne)169, reconnaît qu'il attend qu'une revue accepte de publier un article sur les séquences H5N1 qu'il a identifiées pour les divulguer car « en théorie, une fois que des séquences sont mises dans le domaine public, n'importe qui peut écrire un article à leur sujet ». Une partie de la presse, à l'image du Figaro170, avance ainsi l'idée que les chercheurs « n'ont aucun intérêt à partager avec d'autres des données qu'ils attendent de publier dans les revues savantes, ce qui améliore leur carrière et leur réputation ».

En effet, selon un récent rapport de la Commission européenne171, « la liste de « publications » détermine habituellement la réputation d'un chercheur, la qualité de son travail et l'évolution de sa carrière ». L'article précité de Science ajoute que certains scientifiques allèguent qu'il leur est plus difficile de demander des subventions si les résultats de leurs travaux de séquençage sont rendus publics instantanément et gratuitement.

Il est donc permis de penser que ces considérations peuvent sans doute, parfois, dissuader certains chercheurs de diffuser les séquences qu'ils identifient, si ce n'est sur un réseau restreint et sous condition de confidentialité.

2.- La diffusion des souches virales et la divulgation de leurs séquences génétiques peuvent également être retardées ou restreintes en vue du dépôt de brevets

● Au même titre que toute séquence génétique, une séquence H5N1 pourrait faire l'objet d'un brevet. Le rapport précité publié par l'OPECST en 2004 explique comment l'affaiblissement des critères classiques de brevetabilité a permis une appropriation croissante du vivant (cf. encadré ci-dessous).

L'affaiblissement des critères classiques de brevetabilité

Le rapport précité de l'OPECST indique que classiquement, les critères de fond de la brevetabilité sont au nombre de trois :

- la nouveauté : une invention est considérée comme nouvelle si elle n'a pas été divulguée, avant la date de dépôt de la demande de brevet, par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen ;

- l'inventivité : est réputée inventive une invention ne découlant pas, pour un homme de métier, de manière évidente de l'état de la technique ;

- l'application industrielle : est considérée comme susceptible d'application industrielle l'invention dont l'objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie.

Cependant, comme l'indique le rapport « Propriété intellectuelle »172 du Conseil d'analyse économique (CAE), « il y a longtemps que les Offices de brevets, souvent suivis, voire précédés, par les tribunaux, ont affaibli certaines des exigences fondamentales formulées dans les lois sur la protection de la propriété intellectuelle ».

· S'agissant du critère de nouveauté, l'article 3 § 2 de la directive n° 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques prévoit qu'« une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique peut être l'objet d'une invention, même lorsqu'elle préexistait à l'état naturel ». Cette disposition reprend la jurisprudence antérieure de la division d'opposition de l'Office européen des brevets (OEB)173. Le rapport précité de l'OPECST regrette cette « négation du caractère « naturel » des gènes du simple fait de leur isolement ».

· Pour ce qui est du critère d'inventivité, bien que les travaux de séquençage revêtent un caractère routinier du fait des récents progrès de la bio-informatique, l'article 5 § 2, de la même directive prévoit : « Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable ». Le considérant n° 21 de cette directive souligne qu'un tel élément est « le résultat de procédés techniques l'ayant identifié, purifié, caractérisé et multiplié en dehors du corps humain, techniques que seul l'être humain est capable de mettre en œuvre ». Le rapport précité de l'OPECST constate : « La notion d'invention a donc été étendue à tout travail d'isolement des choses naturelles qui sont décrites, manipulées, isolées et reproduites » et souligne que « C'est le travail d'interprétation des gènes qui devrait donner lieu à récompense et non le simple travail de décryptage », déplorant qu'en l'état actuel du droit, ce soit « l'activité routinière » et non le travail créatif qui soit récompensé.

· En ce qui concerne le critère d'application industrielle, il semble être satisfait par la seule indication de la fonction de la séquence génétique pour laquelle un brevet est demandé. L'article 5 § 3, de la directive précitée prévoit que « L'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle d'un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevet ». Le considérant n° 23 précise « qu'une simple séquence d'ADN sans indication d'une fonction ne contient aucun enseignement technique » et « qu'elle ne saurait, par conséquent, constituer une invention brevetable ». En outre, la jurisprudence de l'OEB considère que ne peuvent pas en tant que telles être considérées comme des applications industrielles les utilisations potentielles qui ne sont ni spécifiques, ni concrètes, ni crédibles174. Le rapport précité de l'OPECST souligne cependant que l'état actuel des connaissances génétiques et biochimiques ne rend pas trop difficile l'indication de fonctions théoriquement plausibles. Ainsi, l'« application industrielle » peut souvent n'être que la fonction biologique de codage d'un récepteur, ce qui peut s'apparenter plus à la description d'un fait naturel et qu'à une invention.

En application de la règle 23 sexies du règlement d'exécution de la convention sur la délivrance de brevets européens conclue le 5 octobre 1973 à Munich, il suffit qu'un laboratoire identifie une séquence H5N1 et l'une de ses fonctions pour pouvoir breveter la dite séquence.

D'après les informations dont dispose l'auteur de la présente contribution, au moins cinq demandes de brevet sur des séquences génétiques H5N1 ont d'ores et déjà été déposées. De plus, il semble probable que les séquences d'un éventuel virus pandémique feraient également l'objet de demandes de brevets en vue de la fabrication d'un vaccin. Tel avait été le cas de certaines séquences du virus du « syndrome respiratoire aigu sévère » (SRAS)175.

Il est à noter qu'un tel brevet confèrerait à son détenteur des droits exclusifs sur tout vaccin et tout réactif qui seraient fabriqués à partir de cette séquence. Le rapport « Propriété intellectuelle » précité du Conseil d'analyse économique (CAE) rappelle à cet égard qu'un brevet sur un gène « accorde au bénéficiaire le contrôle de toutes les fonctions du gène et de toutes les applications que permettront ces fonctions, même si elles restent pour l'essentiel inconnues au moment où le brevet est accordé ».

● Le rapport précité de la Commission européenne montre que le régime des brevets est de nature à faire naître un conflit entre une stratégie de « publication rapide » et une stratégie de protection des découvertes par brevet. Il souligne qu'« un retard dans la publication scientifique pourrait résulter de ce conflit », retard qui « pourrait entraver la diffusion rapide de connaissances scientifiques et donc ralentir d'autres avancées en science et en technologie ». Il est donc vraisemblable que si certains laboratoires sont réticents à divulguer les séquences H5N1 qu'ils identifient, c'est pour se réserver la possibilité de breveter ces séquences.

En effet, comme le précise Mme Hélène GAUMONT-PRAT, professeur de droit et membre du Comité consultatif national d'éthique, dans le Jurisclasseur « Brevets »176, le fait qu'une séquence génétique soit divulguée est destructeur de la condition de nouveauté. Ainsi, une séquence divulguée ne peut pas, en principe, faire d'objet d'un brevet.

Il semble en revanche que la jurisprudence de l'OEB considère que la divulgation d'une séquence H5N1 sur une banque de données dont l'accès est restreint et placé sous condition de confidentialité n'est pas destructrice de la condition de nouveauté177.

● Par ailleurs, certains États, soucieux de favoriser leurs laboratoires nationaux, peuvent user de leurs droits souverains pour refuser de partager les souches H5N1 prélevées sur leur territoire ou d'en divulguer les séquences. Soulignant que « Les souches virales présentent effectivement un très grand intérêt (...) économique(s) puisqu'elles sont essentielles pour le développement de vaccins et de tests diagnostics », M. Guénaël RODIER, ancien directeur du département « Alerte et réponse en cas d'épidémie et pandémie » de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a également déclaré, lors de son audition par la mission d'information178 : « Mettez-vous à la place d'un pays pauvre comme le Vietnam : s'il détient une souche et la met sur le marché, qu'obtient-il en échange de la part des pays riches ? ».

Le préambule de la convention sur la diversité biologique conclue à Rio de Janeiro le 5 juin 1992 stipule en effet que « les États ont des droits souverains sur leurs ressources biologiques ». Les 1er et 5ème alinéas de l'article 15 de cette convention précisent que « le pouvoir de déterminer l'accès aux ressources génétiques appartient aux gouvernements » et que « L'accès aux ressources génétiques est soumis au consentement préalable donné en connaissance de cause de la Partie contractante qui fournit lesdites ressources ». Comme l'indique le rapport précité publié par l'OPECST en 2001, il ressort de ces stipulations que chaque État est propriétaire des souches H5N1 prélevées sur son territoire, y compris de l'information génétique qu'elles contiennent. Ainsi, sauf stipulation conventionnelle contraire, lorsqu'une souche est prélevée sur le territoire d'un État, celui-ci peut s'opposer à sa diffusion ainsi qu'à la divulgation de ses séquences génétiques.

C'est pourquoi, lors de la conférence internationale des pays donateurs sur la grippe aviaire tenue à Pékin les 17 et 18 janvier 2006, les États représentés se sont engagés à échanger « données épidémiologiques et scientifiques ». Dans le tome 2 du présent rapport, le rapporteur de la mission d'information soulignait que « La réalisation de cet engagement par tous les signataires, sans exceptions, devra faire l'objet d'une vigilance toute particulière ». Il indiquait cependant avoir « « noté que si, dans son discours, le Premier Ministre chinois a promis de « partager les séquences génomiques », il n'avait pas expressément mentionné le « matériel biologique » », c'est-à-dire les souches virales. Un porte-parole de l'OMS constatait, pour sa part, dans l'article précité de Science, que « la Chine n'a pas partagé de souche aviaire depuis un an ».

B.- CES RETARDS ET CES RESTRICTIONS DANS LA DIVULGATION DES SÉQUENCES H5N1 COMPLIQUENT LA SURVEILLANCE VIROLOGIQUE

1.- La surveillance des mutations génétiques des souches virales est particulièrement importante en matière de grippe aviaire

Comme l'indiquait le Rapporteur de la mission d'information dans le tome I du présent rapport, « Les experts n'excluent pas qu'à l'occasion de contaminations successives de plus en plus nombreuses, le virus [H5N1] puisse subir une mutation génétique qui le rende plus facilement mais aussi plus rapidement transmissible d'homme à homme ». Pour surveiller l'épizootie et prévoir une éventuelle pandémie, ces mutations génétiques doivent donc être surveillées.

Or, une telle surveillance passe par la comparaison des séquences génétiques des différentes souches prélevées. Ainsi, toute rétention d'informations issues du séquençage de ces souches complique la surveillance virologique. C'est pourquoi le Dr Ilaria CAPUA, chef du laboratoire de virologie de l'Instituto Zooprofilattico Sperimentale delle Venezie179, conclut une lettre ouverte180 du 9 mars 2006 en affirmant qu'« une plus grande disponibilité de l'information [...] semble être le seul moyen dont nous disposons pour essayer de comprendre du point de vue génétique [...] la transmission inter espèces du virus ainsi que ses mécanismes d'évolution ».

2.- Pourtant, les séquences H5N1 ne sont pas systématiquement rendues publiques dès leur identification

Dans l'article précité de Science, le Dr Ian BROWN explique que si la divulgation de certaines séquences est rapide, elle peut être, pour d'autres, « une affaire de semaines ». M. Guénaël RODIER a également déclaré, lors de son audition par la mission, que « les laboratoires rechignent à mettre dans le domaine public la composition des génomes » des souches H5N1, estimant qu'« une minorité des souches identifiées, tant animales qu'humaines, sont disponibles dans le domaine public ».

Par ailleurs, certaines séquences ne sont diffusées que sur des réseaux d'accès restreint à un nombre limité de chercheurs et placé sous condition de confidentialité. Plusieurs scientifiques ont confirmé à l'auteur de la présente contribution qu'il était habituel pour les chercheurs d'avoir recours à de tels réseaux, qu'il s'agisse de simples chaînes de courrier électronique ou de banques de données plus complexes.

D'après les informations fournies à l'auteur de cette contribution par les services compétents de l'OMS, l'Organisation gérerait ainsi une banque de données d'accès restreint consacrée aux séquences H5N1. Il s'agirait d'une section de la banque de données Flunet181, sécurisée par un mot de passe et réservée aux « centres collaborateurs » et « laboratoires de référence » de l'OMS182, ainsi qu'à quelques chercheurs choisis par elle183.

II.- POUR REMÉDIER À LA SITUATION ACTUELLE, IL SERAIT SOUHAITABLE DE CRÉER DES MÉCANISMES FACILITANT L'ACCÈS AUX SOUCHES ET AUX SÉQUENCES H5N1 ET D'ENVISAGER UNE MODIFICATION DU RÉGIME DES BREVETS.

A.- L'OMS, L'OIE ET LA FAO S'ACCORDENT SUR L'OPPORTUNITÉ D'UN PLUS LARGE ACCÈS AUX SÉQUENCES H5N1, MAIS PAS SUR LES MOYENS À METTRE EN œUVRE.

1.- L'OIE et la FAO plaident avec le Dr Ilaria CAPUA pour un plus large accès aux séquences H5N1.

Certains chercheurs ont publiquement regretté que tous leurs confrères ne divulguent pas systématiquement et instantanément les séquences H5N1 qu'ils identifient. On citera notamment la lettre circulaire envoyée le 16 février 2006 par le Dr Ilaria CAPUA à une cinquantaine de scientifiques, les appelant à divulguer les séquences H5N1 dès qu'ils les identifient. Cet appel a été largement relayé par la presse184. Elle l'a renouvelé dans son intervention au 6ème Symposium international sur l'influenza aviaire185.

Selon les précisions apportées à l'auteur de la présente contribution par les services compétents de l'OIE et de la FAO, l'initiative du Dr Ilaria CAPUA serait soutenue par l'OIE et la FAO. Elle aurait d'ailleurs lancé cet appel en sa qualité de secrétaire de l'OFFLU, le réseau d'expertise OIE/FAO sur la grippe aviaire créé en février 2005186.

2.- De son côté, l'OMS cherche, elle aussi, à favoriser une meilleure diffusion des séquences H5N1 mais elle doit tenir compte des réticences de certains États.

D'après les renseignements fournis à l'auteur de cette contribution par les services compétents de l'OMS, l'Organisation aurait choisi de mettre en place la banque de données d'accès restreint précitée pour permettre à ses laboratoires de référence et centres collaborateurs de partager instantanément leurs données. Ils fonctionneraient ainsi virtuellement comme un seul et même laboratoire. Un dispositif analogue, mis en place en 2003, lors de l'émergence du SRAS, aurait fait la preuve de son efficacité. Un système comparable serait également utilisé chaque année, dans le cadre du suivi de la grippe saisonnière.

Un tel dispositif permettrait aux chercheurs qui y ont accès de connaître les séquences H5N1 nouvellement identifiées sans attendre que les États qui ont fourni les souches concernées n'aient délivré les autorisations nécessaires à la divulgation de leurs séquences. Il est également à noter que même en cas de dépôt de brevet, toutes les séquences diffusées sur cette base de données auraient vocation à être rendues publiques à court ou moyen terme. Pour le cas où une information particulièrement importante ne serait diffusée que sur cette base de donnée d'accès restreint, certains des scientifiques contactés par l'auteur de la présente contribution ont estimé que l'on pourrait faire confiance à l'OMS pour prendre les mesures nécessaires à sa divulgation.

Selon les renseignements dont dispose l'auteur de cette contribution, cette banque de donnée aurait été mise en place en 2004, suivant des modalités définies par un accord non formalisé des pays membres, des laboratoires et référence et des centres collaborateurs de l'OMS. Cet accord aurait été conclu pour concilier, d'une part, les réticences de certains États à diffuser leurs souches H5N1 et, d'autre part, les besoins des chercheurs. Selon ces mêmes renseignements, depuis un an, la direction générale de l'OMS étudierait avec les parties intéressées une modification de cet accord dans le sens d'un accès plus large aux séquences H5N1. À ce jour, seuls certains États n'adhèreraient pas encore à cet objectif.

B.- IL APPARAÎT DONC NÉCESSAIRE D'ENVISAGER UNE RECTIFICATION DU RÉGIME DES BREVETS ET DE CRÉER DES MÉCANISMES FACILITANT L'ACCÈS AUX SOUCHES ET AUX SÉQUENCES H5N1.

1.- Il semble nécessaire de rectifier le régime des brevets, afin d'exclure de la brevetabilité les séquences génétiques en tant que telles.

Le rapport précité publié par l'OPECST en 2004 propose plusieurs voies d'amélioration du régime des brevets visant à « éviter le blocage de la recherche », « à faciliter la diffusion de la connaissance et à obvier aux inconvénients des brevets ».

 Recommandation n° 1 : Exclure de la brevetabilité les séquences génétiques en tant que telles.

Ce rapport reprenait notamment la proposition n° 11 du rapport précité publié par l'OPECST en 2001, qui consistait à exclure de la brevetabilité les séquences génétiques humaines en tant que telles. Il était précisé que suivant cette proposition, la protection par brevet d'une application de ces séquences demeurerait possible, cette protection ne couvrant la séquence concernée que dans la mesure nécessaire à la réalisation et à l'exploitation de l'application ainsi brevetée.

On soulignera que l'article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, inséré par la loi nº 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, fixe des règles analogues. Il prévoit en effet que « Seule une invention constituant l'application technique d'une fonction d'un élément du corps humain peut être protégée par brevet ». Il dispose que « Cette protection ne couvre l'élément du corps humain que dans la mesure nécessaire à la réalisation et à l'exploitation de cette application particulière ». Il précise que « Ne sont notamment pas brevetables : [...] d) Les séquences totales ou partielles d'un gène prises en tant que telles » (voir sur ce point le fascicule précité du Jurisclasseur « Brevets », point n° 20).

Ce dispositif mériterait d'être élargi à l'ensemble des séquences génétiques, humaines ou non. Avec une telle mesure, les critères classiques de la brevetabilité exposés plus haut, notamment le critère d'application industrielle, regagneraient en consistance. Ainsi, les perspectives de dépôt de brevets laissées aux chercheurs ne seraient plus incompatibles avec une divulgation précoce de ces séquences.

Comme l'indiquait le rapport précité de l'OPECST, les règles de brevetabilité du vivant s'insèrent dans un cadre international, les « Accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce » (ADPIC), signés le 15 avril 1994 en annexe de l'accord-cadre de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette organisation constitue donc le meilleur échelon d'application des recommandations suivantes.

Une proposition visant à exclure de la brevetabilité les séquences génétiques en tant que telles pourrait être examinée dans le cadre de l'OMC. Une modification des ADPIC entérinerait alors un éventuel accord.

2.- Dans l'immédiat, il semble également utile de créer des mécanismes facilitant l'accès aux souches et aux séquences H5N1.

Une modification des ADPIC ne semble envisageable que dans des délais trop longs pour lever les obstacles au libre accès aux séquences H5N1.

Dans l'immédiat, ces obstacles ne semblent pouvoir être levés que par des mécanismes internationaux de partage des souches et des séquences H5N1. L'OMS, l'OIE et la FAO constitueraient donc le niveau le plus approprié pour élaborer de tels mécanismes.

● Recommandation n° 2 : Plaider pour la création d'un dispositif conventionnel de partage obligatoire des souches virales.

Dans l'annexe n° 3 au rapport du Pr Philippe KOURILSKY et du Pr Geneviève VINEY sur « Le principe de précaution »187, Mme Marie-Angèle HERMITTE, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du droit de la biologie estimait qu'« il faudrait, en présence d'une crise sanitaire à vocation internationale, disposer de mécanismes de coopération à mettre en place de manière automatique et obligatoire ».

Les réticences de certains États à diffuser les souches virales H5N1 prélevées sur leur territoire laissent à penser que cette proposition est toujours d'actualité. Aussi bien pour le cas de la grippe aviaire qu'en vue de prochaines crises sanitaires, il semble donc nécessaire de créer un système conventionnel de partage obligatoire des souches virales. Un tel système pourrait être négocié et mis en place dans le cadre de l'OMS.

● Recommandation n° 3 : Appeler à la mise en commun de données brutes fondamentales relatives aux séquences H5N1.

Le 14 mars 2000, le président des États-Unis et le Premier ministre britannique ont lancé un appel à la communauté scientifique et à l'industrie biotechnologique pour que les données brutes fondamentales concernant le génome humain soient librement accessibles à tous les scientifiques. À la suite de cet appel, un consortium international pour le séquençage du génome humain (Hugo) a mis les séquences de l'ADN humain à la disposition du public. Il est à noter que les informations ainsi partagées se limitent à la séquence brute sans indication de localisation des gènes et de leur fonction car, comme le souligne l'article précité du Jurisclasseur « Brevet », « il s'agit de ne pas empêcher la prise ultérieure de brevets ».

Une initiative analogue, coordonnée par l'OIE et la FAE, devrait être prise en matière de grippe aviaire. Les séquences ainsi rassemblées pourraient être déposées sur des banques de données génétiques d'accès libres, comme celle du European Molecular Biology Laboratory (EMBL), GenBank ou la DNA Data Bank of Japan (DDBJ)188.

SOURCES

Personnes contactées :

- Dr Bernard VALLAT, directeur général de l'Organisation internationale des épizooties (OIE) ;

- Mme Maria ZAMPAGLIONE, porte-parole de l'OIE ;

- Dr Joseph DOMENECH, chef du service de la santé animale de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ;

- M. Keiji FUDUKA, coordinateur du Programme mondial contre la grippe, Organisation mondiale de la santé (OMS) (échange en anglais) ;

- Dr Alice CROISIER, du Programme mondial contre la grippe de l'OMS ;

- Dr Sylvie VAN DER WERF, chef de l'unité de recherche génétique moléculaire des virus respiratoires (GMVR) de l'Institut Pasteur ;

- Mme Marie-Angèle HERMITTE, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste du droit de la biologie ;

- Mme Siobhán YEATS, directrice des biotechnologies de l'Office européen des brevets (OEB) (échange en anglais) ;

- M. Rainer OSTERWALDER, porte-parole de l'OEB ;

- M. Pierre TREICHEL, expert de l'OEB en droit de la propriété intellectuelle ;

- Dr Jean-Paul LEVY, ancien directeur médical de la santé publique à l'Institut Pasteur ;

Références documentaires :

● Textes juridiques

- Convention sur la délivrance de brevets européens conclue le 5 octobre 1973 à Munich, et le Règlement d'exécution qui lui est annexé ;

- Convention de Rio de Janeiro sur la diversité biologique, 5 juin 1992 ;

- Accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce » (Adpic), signés le 15 avril 1994 en annexe de l'accord-cadre de Marrakech instituant l'OMC ;

- Directive n° 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques ;

- Article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle ;

● Jurisprudence

- Division d'opposition de l'OEB, décision Relaxine du 6 juillet 1994 ;

- Division d'opposition de l'OEB, décision ICOS du 20 juin 2001 ;

- Chambre des recours de l'OEB, décision Alpha interféron / Biogen, le 16 février 1989 ;

● Rapports

- Rapport n° 3502 du 20 décembre 2001 sur « La brevetabilité du vivant » fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) par M. Alain CLAEYS, député ;

- Rapport n° 1487 du 4 mars 2004 sur « Les conséquences des modes d'appropriation du vivant sur les plans économique, juridique et éthique » fait au nom de l'OPECST par M. Alain CLAEYS, député ;

- Rapport COM (2002) 2 final de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, « Évaluation des implications dans le domaine de la recherche fondamentale en génie génétique de la non publication ou de la publication tardive de documents dont l'objet pourrait être brevetable comme prévu à l'article 16(b) de la directive 98/44/CE relative à la protection des inventions biotechnologiques », 14 janvier 2002 ;

- Rapport COM (2005) 312 final de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, « Évolution et implications du droit des brevets dans le domaine de la biotechnologie et du génie génétique », 14 juillet 2005 ;

- HENRY Claude, TROMMETTER Michel et TUBIANA Laurence, Innovations et droits de propriété intellectuelle : quels enjeux pour les biotechnologies ? in TIROLE Jean (sous la direction de), « Propriété intellectuelle » (annexe n° 3), Conseil d'analyse économique, rapport au Premier ministre, 11 juin 2003 ;

Commission indépendante sur les droits de la propriété intellectuelle, l'innovation et la santé publique de l'OMS, « Santé publique, innovation et droits de propriété intellectuelle », avril 2006 ;

- DORMONT Dominique et HERMITTE Marie-Angèle, Propositions pour le principe de précaution a la lumière de l'affaire de la vache folle, annexe n° 3 in KOURILSKY Philippe et VINEY Geneviève, « Le principe de précaution », rapport au Premier ministre, 15 octobre 1999 ;

● Doctrine

- GAUMONT-PRAT Hélène, « Brevetabilité du vivant : animal et humain - application du droit des brevets aux inventions biotechnologiques », 30 août 2004 in Jurisclasseur « Brevets », fascicule n° 4241 ;

● Presse

- CAPUA Ilaria, « Avian influenza virus : sequence database proposal », 9 mars 2006, article n° 20060309.0750, www.promedmail.org (site d'échange de données géré par la International Society for Infectious Diseases) ;

- ENSERINK Martin, « As H5N1 keeps spreading, a call to release more data », Science, 3 mars 2006, vol. 311, n° 5765, p. 1224 ;

- BADER Jean-Michel, « Des chercheurs réclament un accès plus large aux données H5N1 », Le Figaro, 18 mars 2006 ;

- NAU Jean-Yves, « Appel pour la mise en commun des données sur le H5N1 », Le Monde, 11 avril 2006 ;

● Sites internet

- http://gamapserver.who.int/GlobalAtlas/home.asp (portail du Global Atlas of Infectious Diseases) ;

- www.lanl.gov, site du Los Alamos national Laboratory ;

- www.who.int/csr/disease/avian_influenza/guidelines/referencelabs/en/index.html, liste des « centres collaborateurs » et des « laboratoires de référence » de l'OMS pour la grippe ;

- www.offlu.net, site de l'OFFLU, réseau d'échange de données commun à l'OIE et la FAO ;

- www.promedmail.org, site de ProMed, International Society for Infectious Diseases ;

- www.ncbi.nlm.nih.gov, sur la banque de données américaine GenBank ;

- www.ncbi.nlm.nih.gov, sur la DNA Data Bank of Japan (DDBJ) ;

- www.embl.org, sur le European Molecular Biology Laboratory (EMBL) ;

- www.insdc.org, site de la International Nucleotide Sequence Databases Collaboration.

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Au cours de sa réunion du 28 juin 2006, la mission d'information a examiné le rapport, présenté par M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Après un débat auquel ont pris part M. Jean-Pierre Door, rapporteur, M. Jean-Marie Le Guen, Président, MM. Gabriel Biancheri, Roland Chassain, Mmes Jacqueline Fraysse, Geneviève Gaillard, Catherine Génisson, MM. François Guillaume, Pierre Hellier, Michel Lejeune, Mme Bérengère Poletti, la mission d'information a, à l'unanimité, adopté ce rapport et, conformément à l'article 145 du Règlement de l'Assemblée nationale, autorisé sa publication.

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DECLARATION DE LA MISSION

Les membres de la mission constatent que les Français ont aujourd'hui une perception amoindrie de la menace de pandémie grippale, qui leur paraît s'être éloignée avec la fin de l'hiver. Or, les experts s'accordent tous pour considérer que le risque d'avoir, un jour, à faire face à une pandémie de cette nature est désormais une certitude ; seule l'échéance demeure encore inconnue. La constatation formelle par l'OMS, il y a quelques jours, d'un cas de transmission inter-humaine dans l'île de Sumatra, n'a fait que confirmer la réalité du risque.

C'est pourquoi les membres de la mission souhaitent attirer solennellement l'attention de chacun sur l'absolue nécessité de ne pas baisser la garde et de continuer à se préparer activement à la pandémie, comme, d'ailleurs, à tous les risques, qu'ils soient ou non infectieux.

Il est du devoir de la représentation nationale d'appeler à la mobilisation générale du corps social dans son ensemble, à commencer par les professionnels de santé qui se retrouveront en première ligne au moment du choc.

Mais il faut également sensibiliser l'ensemble de la population, parfois tentée par le déni du risque, pour qu'ils s'approprient l'idée d'une possible pandémie et prennent conscience qu'ils seront, eux aussi, des acteurs importants de la gestion de la crise. Dès lors, en effet, que, conformément à la stratégie retenue par le plan du Gouvernement, il leur sera demandé de modifier leurs habitudes de vie pour limiter autant que possible leurs contacts avec l'extérieur et, le cas échéant, de se soigner ou de soigner leurs proches à domicile, sauf cas grave nécessitant une hospitalisation, il sera de leur devoir de citoyen de se plier d'eux-mêmes à ces consignes et de s'accommoder des contraintes qui en résulteront dans leur vie quotidienne.

Pour les membres de la mission, il est primordial que l'effort engagé par le Gouvernement pour préparer le pays à répondre au défi que constituerait l'arrivée d'une pandémie sur le territoire national soit poursuivi au niveau central et relayé, en vue de son appropriation par le terrain, notamment par les maires et par les organisations professionnelles des personnels de santé.

Il n'y a pas de préparation efficace sans la mobilisation de tous les citoyens. Les initiatives qui aideront à la prise de conscience de la menace qui pèse sur la santé humaine et à la mise en œuvre d'une stratégie offensive de riposte seront les bienvenues.

Prenons aujourd'hui nos dispositions pour ne pas regretter demain d'avoir sous-estimé la menace.

RECOMMANDATIONS DE LA MISSION

Les structures administratives de gestion de crise

Etoffer les effectifs et renforcer les moyens de la délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA).

Créer auprès du Premier Ministre une structure interministérielle permanente de gestion de crise de toute nature, sur site unique. En cas de pandémie, elle se substitue à la cellule interministérielle de suivi et de crise (CIC).

Les collectivités territoriales

Appuyer les collectivités territoriales dans l'élaboration de leur propre plan de préparation à une pandémie grippale, le cas échéant à l'échelon intercommunal, notamment en leur fournissant des documents d'explication sur les procédures et les moyens à mettre en œuvre.

Inciter les collectivités territoriales à organiser régulièrement des exercices de simulation.

Inviter les maires à organiser des réunions de concertation avec tous les acteurs de terrain concernés, notamment les professionnels de santé, les centres communaux d'action sociale (CCAS), les bailleurs sociaux, les associations familiales...

L'idée de structures de regroupement intermédiaires entre le domicile et l'hôpital est apparue, à plusieurs reprises, nécessaire, tant aux membres de la mission qu'au Gouvernement. Si cette idée devait être validée, il faudrait que, sous l'autorité des préfets, soit mis en œuvre, en liaison avec les collectivités territoriales, un plan spécifique organisant l'accueil des malades.

L'InVS

Renforcer les moyens de l'Institut national de veille sanitaire (InVS) pour permettre la mobilisation d'effectifs supplémentaires nécessaires à la surveillance épidémiologique et virologique de la pandémie.

L'information de la population et l'aide aux malades soignés à domicile

Lancer une campagne d'information précoce et pédagogique à destination du grand public - par voie audiovisuelle et par livret - visant à expliquer les comportements à adopter en cas de pandémie.

Faire étudier un projet de « colis standard » de santé qui serait remis à chaque foyer touché par la grippe pandémique, comprenant des matériels propres à assurer la protection du malade et de son entourage.

La médecine de ville

Prévoir une information régulière des médecins prescripteurs sur l'utilisation des antiviraux.

Décharger les SAMU des prélèvements rhinopharyngés et de leur transport, en s'assurant, sur ce point, du concours des Groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG). Veiller à ce que les SAMU soient dotés de moyens à la hauteur des tâches qu'ils auront à assumer en liaison avec la médecine libérale.

Pérenniser les réseaux de surveillance GROG et Sentinelles en leur allouant les moyens d'indemniser leurs membres.

Faire étudier les conditions d'une utilisation optimale de la télémédecine dans la lutte contre la pandémie.

Les structures hospitalières

Faire vérifier par la Direction de l'hospitalisation et des soins que les établissements hospitaliers ont bien élaboré une annexe « grippe aviaire » à leur plan blanc.

Accélérer le rythme des travaux de construction de structures hospitalières d'isolement dans les établissements référents (chambres avec sas et à pression négative).

Dégager les moyens financiers nécessaires à l'acquisition de respirateurs et autres matériels permettant de créer des lits de réanimation mobile, singulièrement en pédiatrie.

Mettre en place le plus rapidement possible une formation des personnels médicaux et paramédicaux à la réanimation adulte et pédiatrique, en liaison notamment avec les sociétés savantes de réanimation.

Développer les exercices de simulation dans chaque établissement hospitalier, et organiser des exercices transfrontaliers.

AUDITIONS AUXQUELLES LA MISSION A PROCÉDÉ

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Mission.

- Audition du Professeur François BRICAIRE, Chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière (Compte rendu de la réunion du mercredi 23 novembre 2005) 259

- Audition de M. Paul CASTEL, directeur général du Centre hospitalier universitaire de Strasbourg, accompagné de M. Daniel CHRISTMANN, professeur de médecine (Compte rendu de la réunion du mercredi 23 novembre 2005) 273

- Audition de M. Xavier BERTRAND, ministre de la santé et des solidarités (Compte rendu de la réunion du mercredi 29 novembre 2005) 289

- Audition de M. Jean CASTEX, Directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) au ministère de la santé et des solidarités, de M. Luc ALLAIRE, directeur adjoint, et de Mme Dominique PETON-KLEIN, responsable de la cellule « gestion des risques » (Compte rendu de la réunion du mercredi 1er février 2006) 307

- Audition de M. Frédéric VAN ROEKEGHEM, Directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), et du professeur Hubert ALLEMAND, médecin-conseil de la CNAMTS (Compte rendu de la réunion du mercredi 8 février 2006) 321

- Audition de MM. Bernard GOUGET,  Jean-Robert CHEVALLIER et Mme Christine AMMIRATI, représentants de la Fédération hospitalière de France (FHF) (Compte rendu de la réunion du mercredi 8 février 2006) 333

- Audition de M. Jean-Marie PAULOT, Directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation Nord - Pas-de-Calais, accompagné du docteur Patrick GOLDSTEIN, chef du SAMU du Nord, de Mme Martine DENEU, référent régional grippe aviaire pour l'ARH et le Préfet, et du docteur Marie-Pierre VILLARUBIAS, chargée de mission Urgences Compte rendu de la réunion du mercredi 15 février 2006 347

- Audition de M. Jean-Marc BOULANGER, secrétaire général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, accompagné de MM. François BRICAIRE, Patrick CAMPHIN et Philippe HROUDA (Compte rendu de la réunion du mercredi 15 février 2006) 361

- Audition du docteur Roger-Ken DANIS, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), accompagné de Mme Laure MERLY et de M. Yann de KERGUENEC (Compte rendu de la réunion du mercredi 15 février 2006) 377

- Audition, par visioconférence, de M. Guénaël RODIER, ancien directeur du département « Alerte et réponse en cas d'épidémie et pandémie » de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) (Compte rendu de la réunion du mercredi 15  mars 2006) 385

- Audition de Mme Anne MOSNIER et de M. Jean-Marie COHEN, coordinateurs du réseau des Groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG) (Compte rendu de la réunion du mercredi 15 mars 2006) 395

- Audition de MM. Gilles BRÜCKER, directeur général de l'Institut national de veille sanitaire (InVS), et Daniel LEVY-BRUHL, expert au département des maladies infectieuses de l'InVS (Compte rendu de la réunion du mercredi 15 mars 2006) 405

- Audition de M. Xavier BERTRAND, Ministre de la santé et des solidarités (Compte rendu de la réunion du mercredi 29 mars 2006) 415

- Audition de M. Gilles de ROBIEN, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, MM. Bernard NEMITZ et Dominique ANTOINE (Compte rendu de la réunion du mercredi 12 avril 2006) 438

- Audition du docteur Irène KAHN-BENSAUDE, Présidente de la section santé publique du Conseil national de l'Ordre des médecins (Compte rendu de la réunion du mercredi 26 avril 2006) 453

- Audition conjointe des syndicats des médecins libéraux, avec : M. Pierre COSTES, Président de M.G. France (Fédération française des médecins généralistes), M. Bernard ORTOLAN, président du Conseil national de la formation continue des médecins au sein de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), M. Jean-Claude REGI, Président de la FMF (Fédération des médecins de France), M. Roger RUA, Secrétaire général du SML (Syndicat des médecins libéraux) (Compte rendu de la réunion du mercredi 26 avril 2006 463

- Audition de M. Robert NAMIAS, directeur de l'information à TF1, Mme Catherine PUISEUX et M. Bruno CORTES (Compte rendu de la réunion du mardi 2 mai 2006) 483

- Audition de M. Pierre MONOD, président de la Conférence nationale des présidents des Unions régionales des médecins libéraux (URML), accompagné du docteur Bernard HUYNH, président de l'URML d'Île-de-France et vice-président de la Conférence nationale des Présidents d'URML, et de M. Alexandre GRENIER, responsable des études de l'URML d'Île-de-France (Compte rendu de la réunion du mercredi 3 mai 2006) 497

- Table ronde sur l'état de préparation des hôpitaux à la pandémie, avec des représentants de l'Association des directeurs d'hôpital : M. Jean-Luc CHASSANIOL, président, et M. Marc LAMOUR ; de la Conférence des présidents de CME de centres hospitaliers : M. Francis FELLINGER, président ; de la Conférence des présidents de CME de CHU : M. Pierre FUENTES, président ; du Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH) : M. Jean-Olivier ARNAUD, président (Compte rendu de la réunion du mercredi 3 mai 2006) 509

- Audition conjointe des organisations syndicales de personnels hospitaliers : CFDT, Mme Nathalie WANOUNOU et M. Fabrice RONDEPIERRE ; FO, M. Didier BERNUS (Compte rendu de la réunion du mardi 9 mai 2006) 529

- Audition conjointe des organisations syndicales de personnels hospitaliers : CFE-CGC : M. Paul CHAUVOT, CGT : Mme Nadine PRIGENT et M. Christophe PRUDHOMME, UNSA Santé-Sociaux : M. Jean-Claude BELLOQUE et M. Frédéric ANCELET (Compte rendu de la réunion du mardi 9 mai 2006) 538

- Audition de M. Michel VOISIN, député, représentant de l'Association des Maires de France (AMF) (Compte rendu de la réunion du mercredi 10 mai 2006) 551

- Audition de M. Francis TRINCARETTO, conseiller municipal de la ville de Maubeuge, et de Mme Gaëlle COURANT, directrice du service de santé publique de la ville de Maubeuge (Compte rendu de la réunion du mercredi 10 mai 2006) 560

- Audition de MM. Pierre GUINOT-DELÉRY, secrétaire général de la Ville de Paris, et Thierry LE LAY, directeur de la protection et de la prévention à la Ville de Paris 567

- Audition de M. Francis DELON, Secrétaire général de la défense nationale, et de M. Didier HOUSSIN, Directeur général de la santé, Délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (Compte rendu de la réunion du mardi 30 mai 2006) 575

- Audition de Mme Nelly OLIN, Ministre de l'écologie et du développement durable (Compte rendu de la réunion du mardi 30 mai 2006) 585

Audition du Professeur François BRICAIRE, Chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière

(Compte rendu de la réunion du mercredi 23 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Monsieur le Professeur, vous inaugurez le cycle de nos auditions consacrées à l'hôpital. La mission d'information sur la grippe aviaire poursuit deux objectifs : le premier est de participer au contrôle parlementaire de l'exécutif ; le deuxième est de contribuer à l'information de nos concitoyens et à la rationalisation de cette information. Le Parlement a ainsi vocation à être en quelque sorte une « chambre de décantation » de l'information : grâce à vos explications, mais également grâce à nos questions, nous essayons, à propos d'une affaire qui fait beaucoup de bruit, de faire passer des messages. Or, chacun sait que le bruit et le message ne sont pas exactement la même chose...

Depuis un mois, nous avons beaucoup travaillé sur les moyens médicaux disponibles, notamment les médicaments et les vaccins. Nous entamons une deuxième série d'auditions en examinant la problématique de l'hôpital. Or vous êtes non seulement un spécialiste reconnu des maladies infectieuses, mais également le responsable du service des maladies infectieuses d'au moins un hôpital, particulièrement cher à mes yeux, qui est au cœur du dispositif parisien et francilien. Cette réunion, à laquelle participent des députés de toutes sensibilités, est également ouverte aux représentants de la presse dans la mesure où nous avons vocation à fournir des informations exactes, dans un cadre public.

M. François BRICAIRE : Je vous remercie d'abord de m'entendre sur ce problème qui met les experts dans une situation peu confortable, dans la mesure où nous devons, et c'est ce que nous avons fait, alerter l'opinion publique sur un phénomène scientifiquement réel - en l'occurrence, une épidémie pandémique animale, dont nous avons lieu de craindre qu'elle ne se transmette à l'homme -, mais également savoir mettre des limites à un phénomène d'emballement induit par l'action précédente, entretenu et peut-être aggravé par le fait qu'il se passe réellement quelque chose et que le monde entier, et singulièrement les plus grands de ce monde, est en train d'en prendre conscience.

Dès lors, tout en continuant à défendre le bien-fondé d'actions à nos yeux indispensables et qu'il faudra encore approfondir, il est également de notre devoir d'essayer de moduler, comme vous-même l'avez évoqué, le message à adresser à nos concitoyens afin de préserver un certain degré de sérénité face à un phénomène qui, premièrement, reste un phénomène naturel, deuxièmement, qui a déjà existé - ce ne serait pas la première fois que nous assisterions à une pandémie de grippe aviaire adaptée à l'homme - et, troisièmement, qu'il faut resituer dans le contexte d'une société qui peut avoir les moyens - inexistants autrefois - de lutter contre un phénomène pandémique, mais tellement attachée à aboutir au risque zéro que cette exigence la conduit à prendre des mesures bonnes sur le principe, mais parfois un peu excessives. Le professeur Jean-Philippe Derenne, avec lequel j'ai écrit un livre, et que vous avez entendu il y a quelques semaines, vous a sans doute tenu des propos semblables : s'il est des mesures à prendre et auxquelles nous tenons, elles n'en doivent pas moins respecter une certaine sagesse. Je tenais à le dire en préambule.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous nous sommes déjà rencontrés dans le cadre du rapport sur le risque épidémique que j'ai présenté à l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Je voudrais vous interroger sur l'évolution des moyens mis à votre disposition depuis les cinq dernières années, et notamment depuis l'apparition des risques infectieux émergents, SRAS et autres, dans le domaine des risques infectieux et épidémiques ? Comment jugez-vous cette évolution ?

M. François BRICAIRE : La grippe aviaire n'est pas parfaitement superposable aux risques infectieux émergents, au bioterrorisme ou encore à une infection très épidémique mais relativement limitée comme le serait une fièvre hémorragique venant d'Afrique, voire une reprise du syndrome du SRAS.

L'organisation autour d'hôpitaux référents a abouti à faire de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, l'AP-HP, le référent pour l'Île-de-France, les structures hospitalières Pitié-Salpêtrière et Bichat ayant été désignées comme les bras armés de cette prise en charge. Il est normalement prévu que soient mises à disposition de ces deux unités hospitalières, dans les deux services de maladies infectieuses, des chambres d'isolement capables d'accueillir, dans des conditions satisfaisantes, des malades infectés et donc potentiellement contagieux - ce qui signifie des chambres isolées avec sas et pression négative pour éviter tout risque de contamination. Mais force est de reconnaître qu'à ce jour, ces décisions n'ont pas été concrétisées par une réalisation des travaux. L'AP-HP est bien consciente de son rôle, mais, du fait de ses propres difficultés et de la lourdeur de la planification hospitalière qui ne peut pas être bousculée, sauf ordres qui viendraient de très haut, le cheminement est extrêmement long. Je sais, pour être également intérimaire à Bichat, que l'Assistance publique a fait faire des plans - largement avancés - de travaux pour réaliser ces chambres dans les deux structures.

Il faut toutefois reconnaître que l'on a perdu du temps en hésitant sur les décisions à prendre : soit on était déterminé à doter la région parisienne en particulier de chambres d'isolement, auquel cas il fallait les faire ; soit on admettait que c'était superflu, trop cher, et on ne les faisait pas, auquel cas il fallait le dire afin de ne pas encourir le reproche de double langage. Nous n'avons pas à ce jour tout ce que nous souhaitions ; cela devrait venir, mais il faut continuer à stimuler nos autorités de tutelle.

Cela dit, et même si la presse a publié certains articles un peu désagréables pour l'AP-HP, je puis assurer à M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur que la structure qu'il a visitée il y a quelques mois permet d'ores et déjà un accueil satisfaisant et qu'en aucune façon, nous ne faisons prendre un risque à quiconque. Ce n'est pas le « top », j'en conviens, mais la sécurité est assurée. Et je m'inscris en faux contre ce qu'ont prétendu certains journaux : la préparation de nos équipes est faite, et est bonne. Celle que j'ai le plaisir de diriger, sur le plan tant des infirmières et aides-soignantes que des médecins, a déjà montré à plusieurs reprises combien elle était capable de faire face à l'accueil de cas de suspicion de fièvre hémorragique, de charbon ou autre risque infectieux lié au bioterrorisme, et même de grippe aviaire.

M. le Président : Je crois que vous venez d'introduire le sujet. Les estimations de l'InVS tablent sur plus d'un million d'hospitalisations en cas de pandémie. Il serait utile que vous nous précisiez quelle serait la doctrine en matière d'hospitalisation. Vous n'allez pas recevoir tous les malades dans votre service. Quel serait donc le rôle spécifique de votre service ? Comment tout cela va-t-il s'articuler ?

M. François BRICAIRE : Le problème d'une pandémie grippale ne se pose absolument pas dans les mêmes termes qu'une épidémie de SRAS ou a fortiori un phénomène aigu lié au bioterrorisme. Le caractère très contagieux du virus de la grippe et sa propension à se répandre dans la population aboutissent rapidement à une multiplication telle du nombre des sujets atteints que toutes les structures hospitalières seront concernées. On ne connaît pas la virulence du futur mutant ni sa capacité à atteindre la population. L'InVS a fait des projections en fonction du pourcentage de sujets atteints - entre 15 et 35 % -. Il est de notre devoir de raisonner et de nous préparer sur la base des fourchettes les plus hautes, même si nous estimons - nous l'espérons en tout cas - qu'elles ne seront pas atteintes.

Le jour où l'épidémie de grippe aviaire « humanisée » aura atteint le territoire français, l'alerte sera lancée, comme on le fait déjà pour la grippe chaque année. Toute structure hospitalière, quelle qu'elle soit, devra alors se sentir concernée. Il faut donc que ces structures se préparent dans le cadre d'un plan d'accueil de malades grippés. Néanmoins, s'il y a, comme c'est probable, une courte période, dite phase prépandémique, au cours de laquelle arriveront sur le territoire des cas suspects dont on pourra se demander s'il s'agit de la grippe aviaire humanisée ou pas, cette phase particulière justifiera à mon sens -  et ce jugement est partagé par les personnels du SAMU et plusieurs collègues - une stratégie un peu différente, qui consistera à transférer ces sujets dits suspects et sélectionnés selon des critères prédéfinis par nos services référents, afin de les isoler et de procéder à des prélèvements ; ces prélèvements seront confiés aux laboratoires référents qui donneront leur réponse et permettront de sortir au plus vite de la période d'incertitude. J'insiste d'autant plus que je ne suis pas totalement persuadé d'avoir convaincu l'InVS : le plan gouvernemental prévoit des mesures d'isolement et de quarantaine des sujets, même s'ils ont un début de grippe, et auxquels on conseillera de rester chez eux. J'en suis d'accord, mais cela ne vaudra qu'une fois la pandémie déclarée.

M. le Président : Exact.

M. François BRICAIRE : Auparavant, il est fondamental de prendre les mêmes mesures. Il faut être concret. Imaginez qu'un médecin soit appelé au chevet d'un patient qui lui apprend qu'il revient depuis quarante-huit heures d'un pays où il y a déjà de la grippe aviaire humanisée, qu'il ne se sent pas bien et qu'il tousse. Va-t-il lui dire qu'il est possible qu'il soit atteint par le virus, lui conseiller de rester tranquillement chez lui et se contenter de passer un coup de téléphone à l'InVS ou à la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales ? Ce serait déraisonnable. Il faut au contraire suivre le schéma prévu : appel du « 15 », autrement dit du SAMU, transfert à Bichat ou à La Pitié-Salpêtrière, dans la mesure où il y a suspicion, isolement et prélèvement ; une fois les réponses obtenues, l'InVS et les services de surveillance pourront être prévenus qu'il y a bel et bien de la grippe aviaire humanisée sur le territoire national. Voilà le travail que, partout en France, dans les différentes zones de défense, nos services référents devront faire pendant cette phase prépandémique qui ne durera peut-être qu'un ou deux jours, peut-être un peu plus. En revanche, une fois l'épidémie déclenchée et la guerre déclarée, il ne sera plus question de transférer un malade de Bar-le-Duc à Nancy en se demandant si sa grippe est aviaire ou pas ; on se battra là où il faudra se battre, c'est-à-dire là où sont les malades.

M. Pierre HELLIER : Je comprends très bien la nécessité d'isoler et de certifier le premier cas, mais un prélèvement à domicile ne permettrait-il pas d'identifier tout aussi efficacement le H5N1 mutant ? Le transfert en structure hospitalière ne se ferait dans ce cas que dans un deuxième temps.

M. François BRICAIRE : C'est théoriquement possible ; il est même prévu que des kits de prélèvement soient mis à disposition éventuellement des médecins traitants. Se pose toutefois une difficulté au niveau du transport, pour lequel il est prévu de solliciter les services du SAMU, à mon avis à tort : c'est là un détournement de fonction qui me paraît grave. Les personnels du SAMU en sont d'ailleurs conscients.

M. Pierre HELLIER : Un gaspillage !

M. François BRICAIRE : Un gaspillage et un danger pour le reste de la population : il vaut mieux que le SAMU s'occupe d'un infarctus du myocarde plutôt que de transférer un prélèvement à l'institut Pasteur... Ajoutons enfin qu'il me paraît psychologiquement difficile de conseiller au patient, en attendant que le résultat du prélèvement confirme ou non la présence de H5N1 mutant, de rester tranquillement chez lui au milieu des siens... Voilà pourquoi je crois important d'aboutir rapidement à une réponse précise, et c'est pourquoi cette période sera relativement courte - et peut-être limitée à un seul endroit du territoire : si le virus est détecté à Bordeaux, on peut estimer que ce n'est pas la peine d'aller le chercher à Paris ou ailleurs. Se poseront ensuite d'autres questions, dont celles de l'organisation de l'hôpital.

M. le Président : Vous avez bien distingué la période prépandémique de la période pandémique. Mais, dans une certaine mesure, on pourrait distinguer une période « pré-prépandémique », d'expertise devant un cas douteux, encore très isolé, puis une période prépandémique où l'alerte est déjà généralisée, où l'on cherchera à faire du « containment » en tâchant de gérer les gens qui arriveront malades à l'hôpital, et enfin la période de pandémie déclarée. La première période sera clairement l'affaire de services très spécialisés et hyper-protégés. Mais durant la deuxième, où les présomptions deviendront très fortes, pourra-t-on amener tout le monde à La Pitié-Salpêtrière ?

M. François BRICAIRE : Prenons garde à ce que nous disons : on pourrait penser que le pré-prépandémique correspond à la période actuelle, dans la mesure où l'on nous fait déjà accueillir des gens suspectés d'avoir attrapé la grippe aviaire, au motif qu'ils reviennent du Vietnam, qu'ils s'y sont occupés de poulets et qu'ils présentent un syndrome ressemblant fort à la grippe. Tout cela, nous savons très bien le gérer, et le SAMU aussi : les patients sont transférés dans notre unité ou celle de Bichat, sont traités selon qu'il s'agit d'une grippe ou pas, les prélèvements sont effectués et envoyés de façon protégée à l'institut Pasteur pour la région parisienne, et, ailleurs, aux autres laboratoires référents P4 ; les résultats sont connus sous quarante-huit heures. Je ne sais comment qualifier cette période...

M. le Président : Appelons la période de suspicion légitime...

M. François BRICAIRE : Vient ensuite la période que vous appelez pré-prépandémique, dans laquelle nous jouons effectivement le rôle que nous avons défini, puis, très vite, j'en conviens, viendra le moment où il ne sera plus possible ni même souhaitable de transférer les patients à La Pitié, à Bichat, ou à l'hôpital référent de Bordeaux ou de Lille. On n'ira pas faire un transfert de Toulouse à Bordeaux, hôpital référent, alors que l'on connaîtra déjà un ou deux cas avérés de grippe aviaire sur le territoire : le service des maladies infectieuses de l'hôpital Purpan pourra à l'évidence gérer cette affaire en phase prépandémique, comme du reste bon nombre de structures hospitalières de la région. Tout hôpital bien structuré, et au moins tous les établissements hospitalo-universitaires, seront en mesure d'assurer l'accueil et l'isolement des patients, et de procéder aux prélèvements qu'ils adresseront au centre biologique référent afin que le diagnostic soit établi. Les transferts seront inutiles.

M. Jean-Claude FLORY : À ce propos, qu'en est-il de l'élaboration de la grille des critères de sélectivité et de sa diffusion auprès de tous ceux qui ont été installés aux points de repérage potentiels - services hospitaliers, mais également médecins de ville et de campagne - qui auront un rôle majeur et doivent donc être sensibilisés et formés à l'appréhension du phénomène ?

M. Pierre HELLIER : Le passage d'un système à l'autre sera très difficile. Le médecin traitant aura une lourde décision à prendre : est-ce une grippe aviaire ou une grippe banale ? Dans le premier cas, on enverra le patient dans le service référent, mais seulement dans la première phase ; ensuite, il ne faudra surtout plus l'y envoyer et l'on devra être en mesure de le traiter sur place. Mais le passage d'un dispositif à l'autre sera très rapide et sûrement très difficile.

Mme Paulette GUINCHARD : Et la pression des gens très forte.

M. François BRICAIRE : Les critères ont été établis d'un commun accord entre les infectiologues, les réanimateurs, les experts de l'InVS, etc., pour définir les cas possibles, les cas probables et les cas exclus. Mais s'ils sont d'ores et déjà établis et utilisés, ces critères ne sont pas pour autant définitifs : en fonction de l'épidémiologie, de la transformation du virus, de son extension géographique, ils pourront devenir plus serrés ou, au contraire, plus ouverts. Cette mise à jour sera plus spécifiquement du rôle de l'InVS.

Le rôle des médecins de ville est absolument fondamental et appelle un investissement qui ne se met en place que depuis peu de temps et qui est encore très largement insuffisant. On le voit bien dans les réunions qui se tiennent au ministère de la santé et auxquelles assiste le Conseil de l'ordre des médecins. Le plan prévoit, dès le tout début de la phase prépandémique, de demander aux généralistes de se poser systématiquement la question de la possibilité d'une grippe aviaire ; encore faut-il leur faire savoir qu'ils devront immédiatement appeler le « 15 » s'ils se trouvent en présence d'un cas suspect. Une fois la phase pandémique déclarée, en plus de leur rôle habituel de médecin s'occupant de leur clientèle pour diagnostiquer les grippes, ils seront également chargés de l'organisation de la surveillance en ville : le docteur Untel s'occupera de tel secteur géographique dont il assurera la surveillance systématique, y compris celle de la petite dame habitant à telle adresse, restée gentiment et civiquement chez elle avec sa grippe, afin d'éviter que son état ne vienne à s'aggraver sans que personne ne s'en aperçoive. C'est là une affaire lourde et difficile, qui se met en place progressivement mais qui exige un gros travail de préparation. Les médecins généralistes en sont bien conscients et ont exprimé leur accord lors d'une première réunion au ministère de la santé ; mais ils demandent une formation et une information claires, ce qui, pour l'instant, n'est pas le cas.

M. Pierre HELLIER : Il faudra certainement associer le reste du personnel médical, ceux qui assurent des soins infirmiers à domicile, prévoir les coordinations nécessaires... Est-ce prévu dans le plan ?

M. François BRICAIRE : C'est prévu mais, là encore, si la pandémie éclatait demain, nous ne serions pas forts... La surveillance à domicile exigera à l'évidence le concours d'un personnel paramédical aux côtés du personnel médical. Au demeurant, il peut suffire dans certains cas qu'une assistante sociale, ou une aide à domicile, passe pour signaler que Mme Unetelle, qui allait bien hier, ne va pas bien ce matin.

M. le Président : Nous aurons l'occasion d'y revenir dans le détail. Concentrons-nous maintenant sur la problématique de l'hôpital en phase pandémique et, au sein de l'hôpital, sur le rôle des services référents. Comment s'organise la circulation des patients, quels sont les éléments de sélection, quels problèmes médicaux, administratifs ou autres rencontrez-vous ?

M. François BRICAIRE : L'organisation de l'hôpital est toujours en discussion et la direction de l'hospitalisation, au ministère de la santé, y travaille. D'ores et déjà, chaque structure hospitalière est invitée à présenter, en annexe à son plan blanc, un schéma d'organisation de l'établissement en cas de grippe aviaire, autrement dit en cas d'afflux important de sujets grippés. Le plan est naturellement fonction des caractéristiques de l'établissement - hôpital tour ou pavillonnaire, taille, spécialisations, etc. Mais globalement, l'organisation découle d'un premier principe : en période pandémique, il faudra essayer d'accueillir au maximum les grippés si la nécessité s'en fait sentir et, parallèlement, réduire, autrement dit déprogrammer, les autres activités de l'hôpital considérées comme non urgentes. Autant que possible, seront définies une zone « grippés » et une zone « non grippés », si c'est possible, en ayant conscience que l'étanchéité est virtuelle. C'est pourquoi il faut organiser les services d'accueil pour orienter les arrivées dans ces zones, de façon à limiter au maximum les possibilités de contamination, avec un personnel informé et protégé en conséquence, en particulier par les fameux masques.

M. le Président : Nous reviendrons sur les problèmes de protection du personnel.

M. François BRICAIRE : Au vu de ces principes généraux, certaines unités hospitalières pourront, compte tenu de leurs caractéristiques et de leurs services, accueillir un grand nombre de patients - ce sera le cas des services de médecine interne ou semi-spécialisés -, et d'autres, à l'inverse, un nombre beaucoup plus limité.

La question s'est posée de savoir s'il fallait prévoir des structures hospitalières « grippés » et d'autres « non grippés ». Le ministère de la santé n'y est pas favorable et cela me paraît très difficile sur le plan pratique, d'autant que l'étanchéité entre les deux systèmes sera largement battue en brèche. Cela risque d'aboutir à des dérapages et des confusions.

Au-delà de ce schéma général, il appartiendra à chaque structure de prévoir ce qu'elle pourra faire, ce qu'elle ne pourra pas faire, comment elle pourra déprogrammer certaines activités et surtout pendant combien de temps : décaler d'un jour une intervention sur un patient atteint d'un cancer ne pose pas problème, de quinze jours, c'est encore supportable, mais renvoyer l'opération à trois ou six mois devient tout à fait déraisonnable. Il faut donc un travail de préparation pour, en quelque sorte, re-programmer ce qui aura été déprogrammé.

Certaines structures, comme La Pitié-Salpêtrière, ont une plus grande marge de manœuvre parce qu'elles sont plus importantes. Chez nous, un groupe de réflexion a été constitué autour de la directrice de l'hôpital, qui réunit tous les acteurs concernés (la cellule d'hygiène, la pharmacie, les infectiologues, les pneumologues, le laboratoire de microbiologie et virologie...) et fait des propositions en liaison avec le président du comité consultatif médical.

M. le Président : Et où en êtes-vous ?

M. François BRICAIRE : Nous avons défini nos zones « grippés » et « non grippés ». Ainsi, notre bâtiment cardiologie et cardiovasculaire sera à l'évidence réservé aux non grippés, de même que le service gynécologie obstétrique. Ces services devront rester « propres ». A contrario, on trouvera, dans la partie « grippés », le service des maladies infectieuses et le service de pneumologie, mais également, en déclinaisons successive, selon les nécessités d'admissions, les services de médecine interne, d'hépato-gastro-entérologie, de rhumatologie, etc. Nous nous sommes enfin permis une petite « fantaisie » en laissant une zone « grise », dont l'affectation sera fonction de ce qui nous sera demandé et de l'importance de l'épidémie. En fonction de la progression de l'épidémie, on pourra décider d'y reprogrammer des activités ou de la transformer en zone « grippés ». Cette définition en zones imposera de restructurer certaines équipes, comme par exemple de demander à une infirmière en cardiologie de s'occuper de patients grippés, mais cela ne devrait pas poser de grosses difficultés.

M. Jean-Michel BOUCHERON : Entre la période prépandémique, où il n'y aura que quelques cas répertoriés dans les hôpitaux, et la période pandémique, où ceux-ci risqueront d'être débordés, a-t-on une idée du temps dont on pourra disposer ? 48 heures, un mois ? Autrement dit, à quelle vitesse arrivera le tsunami ?

M. François BRICAIRE : Il est très difficile de répondre à cette question. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'extension d'une épidémie n'est pas forcément aussi explosive que certains scénarios le laissent entendre. Une contamination venant d'Asie nous arrivera-t-elle dès le lendemain par le premier avion, ou seulement au bout de trois mois, par la voie terrestre, dans la mesure où c'est davantage par cette voie-là qu'arrivent les épidémies ? C'est tout le but de nos opérations retardatrices qui feront alors preuve ou non de leur efficacité : port de masques, utilisation du Tamiflu, contrôle aux frontières, etc. L'association de tous ces moyens - et cette association est importante car, par exemple, un contrôle aux frontières sans port des masques ne servirait à rien - n'a d'autre but que de retarder le processus, de donner du temps à la France pour se préparer à l'arrivée d'une contamination chinoise, par exemple, puis de laisser un peu de temps à Marseille par rapport à la région parisienne... Cela dit, notre territoire étant géographiquement assez limité, je crains fort que nous ne soyons tous rapidement concernés, même si l'on met des masques pour freiner la propagation du virus.

M. le Président : La question est surtout de savoir au bout de combien de temps nous serons prévenus de ce qui se sera passé en Asie - ou ailleurs. Tout porte à croire que ce temps s'exprimera plutôt en termes de petites semaines qu'en termes de mois...

M. François BRICAIRE : C'est effectivement plutôt de cet ordre.

M. Pierre HELLIER : Vous avez défini des zones dans votre hôpital, mais avez-vous envisagé la possibilité de reconfigurer des locaux inutilisés situés à proximité ?

M. François BRICAIRE : Nous n'avons pas conduit cette démarche, même s'il faut effectivement y penser. Votre suggestion est bonne et avait été déjà émise par M. Derenne. Mais, pour l'instant, nous nous contentons d'essayer d'organiser notre hôpital en termes de moyens humains : nous devrons en effet fonctionner avec des effectifs réduits, dans la mesure où une partie de notre personnel sera ou malade, ou dans l'impossibilité de se déplacer pour cause de restriction de transports, de fermeture de crèches ou d'écoles, voire tout simplement par peur de la contamination au travail. On réfléchit aussi au problème de l'organisation des salles de réanimation et de ventilation pour accueillir et traiter les patients grippés atteints de complications respiratoires ou infectieuses. Cela posera vraisemblablement des problèmes majeurs et exige une réflexion sur le plan des matériels d'abord. On a recensé le matériel et, grâce au bioterrorisme, nous disposons de ventilateurs légers que le SAMU a en dépôt à l'hôpital Necker, et qui nous permettront de disposer d'une soupape de qualité. La réflexion doit également se faire en termes de locaux : faut-il privilégier l'hospitalisation en chambre isolée et ventilée ou, à l'inverse, un regroupement dans des locaux plus larges ? L'idée d'installer une tente à Bichat a été émise. La Pitié avait envisagé un temps de mettre la chapelle à disposition, mais il y fait très froid. La réflexion est actuellement en cours, sans encore de réponses pour l'instant.

M. Gérard CHARASSE : Ma question était pratiquement la même : avez-vous prévu la restructuration ou l'aménagement de certains locaux ?

M. François BRICAIRE : Non, à l'exception des chambres isolées dont la finalité est tout à fait particulière. Je parle en tout cas pour Bichat et La Pitié-Salpêtrière ; il est possible que certaines structures hospitalières en province soient plus motivées sur ce point et songent à certaines adaptations.

M. François GUILLAUME : Tous les établissements hospitaliers, publics et privés, ont-ils reçu des consignes pour préparer cette répartition des locaux en cas de pandémie ? Si celle-ci venait à toucher une part importante de la population, que pourra-t-on faire au-delà des capacités d'accueil dont vous venez de parler ? Le maintien à domicile semble difficile du fait de la contagion - encore qu'il soit souvent trop tard une fois la maladie déclarée.

M. François BRICAIRE : Je ne sais pas si tous les hôpitaux ont reçu la consigne mais il incombe à la DHOS, la direction de l'hôpital, de faire passer le message. Pour ce qui est du secteur public, cela a normalement été fait. L'AP-HP a reçu la consigne et chacune de ses structures hospitalières est chargée de présenter sa contribution. S'agissant du maintien à domicile, c'est à l'évidence un élément important. Les gens ont l'impression - et j'en reviens à mon propos initial -, en entendant parler de grippe aviaire, que ce sera une calamité comme on n'en a jamais vu, qu'un sujet sur deux en mourra, etc. Tout porte à croire heureusement qu'il n'en sera pas ainsi. Un virus qui mute perd de sa virulence et les pires épidémies de grippe que l'on a connues jusqu'à présent n'ont jamais dépassé 2 % de mortalité. Si l'on atteint 3 % dans le monde, cela sera considéré comme important...

M. le Président : Cela fait du monde !

M. François BRICAIRE : Et cela ferait du dégât. Il faut revenir à une plus juste appréciation des choses : bon nombre de gens feront une grippe qui durera trois, quatre ou cinq jours, comme la grippe ordinaire, en guériront, repartiront au travail et seront, de surcroît, immunisés. Il faudra compter sur ces forces pour continuer à faire tourner la société dont l'arrêt absolu est inimaginable.

Cela signifie que le maintien à domicile, pour peu qu'il soit encadré et surveillé, apparaît une bonne chose en ce sens qu'il évitera à bien des gens de se précipiter dans des structures hospitalières elles-mêmes débordées et dont le rôle premier sera d'accueillir les gens vraiment gravement malades.

M. le Président : Venons-en aux aspects d'expertise médicale. Sur quels critères se fera l'hospitalisation ? Accepterez-vous toute personne sur indication du médecin traitant ? Y aura-t-il un diagnostic d'entrée ? On peut imaginer, dans les scénarios les plus noirs, que les gens se précipiteront à l'hôpital, croyant à tort qu'ils seront immédiatement pris en charge et soignés avec des médicaments miracle, etc. Comment gérerez-vous ces flux ?

Par ailleurs, et c'est une question importante dont nous discuterons avec les organisations syndicales, quel degré de protection exigerez-vous, en tant qu'infectiologue, pour vos personnels ? Le port des masques sera, à l'évidence, imposé. Mais comment ? Leur donnerez-vous du Tamiflu, en préventif ou non ? Enfin, comment traiterez-vous, en aval, tous les problèmes liés aux surinfections ?

M. Jean-Claude FLORY : Vous avez évoqué le rôle des centres hospitaliers universitaires, pour les mesures à prendre durant les phases prépandémique et pandémique. En tant qu'élu d'un territoire rural, je pense que ces plans doivent également être envisagés, au besoin en phase 2, dans les centres hospitaliers généraux (CHG). Les habitants de nos territoires ruraux vont d'abord voir le médecin traitant, éventuellement se rendent à l'hôpital local, puis à l'hôpital général avant d'aller au CHU qui, pour le département de l'Ardèche, peut être à deux heures de route.

M. François BRICAIRE : Vous avez parfaitement raison. L'hôpital de Privas doit se préparer au même titre que le CHU de Montpellier.

M. Claude LETEURTRE : Vous avez, à juste titre, évoqué les exigences d'une société à la recherche d'immortalité, qu'il convenait de ramener à la raison. La grippe aviaire, fût-elle sous sa forme humaine, resterait une grippe saisonnière. Si l'on a du mal à estimer le délai de l'explosion, peut-on au moins la situer dans le temps ? La grippe habituelle dure entre trois semaines et un mois. Peut-on avoir la même approche pour cette pathologie ? Sera-t-elle vraiment saisonnière ? Aura-t-elle des chances, en survenant en mars-avril, d'être moins sévère qu'en novembre ou décembre ?

M. François BRICAIRE : Si la grippe est habituellement saisonnière, il n'est pas sûr du tout que la grippe aviaire le soit également. Elle peut exploser à n'importe quel moment, d'autant que si cette explosion a lieu, elle surviendra dans des territoires géographiquement et climatologiquement très différents du nôtre.

Des nuances épidémiologiques pourront toutefois apparaître, selon que nous serons en saison froide ou en saison chaude. La saison froide favorise paradoxalement les grippes : le virus ne prolifère guère dans les températures froides, mais nous avons tendance à nous confiner dans des locaux chauffés et limités en volume : votre salle est ainsi parfaite pour garantir une bonne contamination... L'été, le virus se sent peut-être plus à l'aise, mais il diffuse beaucoup moins.

Venons-en à la question des critères de diagnostic et d'hospitalisation. Autant il sera important, dans la phase pré-pandémique, d'avoir un diagnostic précis sur des prélèvements bien exécutés, autant, une fois la pandémie déclarée, il sera inutile de perdre son temps et son argent : tout sujet qui présenterait une suspicion de grippe sera présumé et déclaré porteur de la grippe, comme cela se fait d'ailleurs pour la grippe banale.

Pour ce qui est des critères de l'hospitalisation, nous avons, en coordination avec nos collègues de l'hôpital Bichat et ceux du SAMU, mis au point une série de critères soumis à l'approbation de nos pairs et qui devraient être diffusés, par le ministère de la santé, aux médecins traitants : c'est là où nous avons encore du travail à faire afin que nos confrères sachent précisément quand il faut, en phase pré-pandémique, faire appel au « 15 » et réclamer le transfert en secteur hospitalier. Les patients qui se présenteront directement dans les hôpitaux seront, comme je l'ai indiqué plus haut, accueillis dans une zone spécialisée : au vu de leur état, on jugera de la nécessité d'une hospitalisation ou d'un renvoi au domicile - peut-être en donnant un masque, ce qui, d'ailleurs, posera des problèmes pratique pas toujours évidents.

M. le Président : Les recommandations de bonnes pratiques seront-elles impératives ou seulement indicatives ? L'hospitalisation sera-t-elle subordonnée à une confirmation du pronostic du médecin traitant, ou une lettre de celui-ci suffira-t-elle à justifier cette hospitalisation ?

M. François BRICAIRE : C'est davantage une question de bon sens qu'une règle absolue. J'ai toujours enseigné à mes jeunes confrères que l'avis du médecin traitant méritait la plus haute considération. Le premier médecin qui voit le malade a généralement raison. C'est là une règle de bonne pratique clinique. Mais peut-être faudra-t-il prévoir quelques restrictions en cas de saturation et renvoyer le patient chez lui, tout en gardant le contact avec son médecin traitant. On prendra certainement des risques ; mais à la guerre comme à la guerre, il faudra se battre...

M. le Président : Dans un grand hôpital très ouvert comme La Pitié-Salpêtrière, beaucoup de gens peuvent entrer. N'envisagez-vous pas un tri ?

M. François BRICAIRE : Si. Tout dépendra évidemment de l'intensité du phénomène, mais un plan de fermeture a été organisé avec les autorités de police si besoin, ainsi qu'une zone de tri dans la partie centrale, c'est-à-dire l'entrée de La Salpêtrière. Bichat prévoit un accueil sous tente. Chaque hôpital doit organiser son propre système. Mais tout dépendra de l'afflux, et il n'est pas dit que, dans le cas d'une grippe pandémique, il sera aussi massif et brutal que ce que nous pourrions connaître à l'occasion d'une attaque bioterroriste ou chimique. Il se distillera en quantités importantes certes, mais étalées dans le temps et, donc, plus faciles à gérer qu'un phénomène aigu.

M. Gabriel BIANCHERI : Nous sommes pour l'instant en présence d'un virus hypothétique dont on maximalise la virulence. Mais la grippe standard ne donne-t-elle pas lieu à de telles prévisions à chaque saison ?

M. François BRICAIRE : Évidemment si. Le plan « grippe aviaire » est tiré du plan « grippe standard » mis en place à La Pitié-Salpêtrière depuis deux ans. Nous n'avons pas réinventé l'eau chaude : les hôpitaux ont toujours accueilli des grippes et cela s'est bien passé. On nous demande simplement de mieux nous structurer, parce que c'est toujours mieux quand il y a une fiche, etc. Mais le service des maladies infectieuses et le service de pneumologie sont toujours en tête de liste, point.

M. Gabriel BIANCHERI : Cela méritait d'être dit, car c'est important en termes d'information : on sait déjà répondre à la grippe.

M. François BRICAIRE : Bien sûr.

M. le Président : Et pour la protection des personnels ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : A-t-on également réfléchi à la gestion du stress chez les personnels ?

M. François BRICAIRE : La protection contre les maladies infectieuses est relativement facile. Les agents pathogènes ne franchissent pas aussi aisément qu'on peut le penser les barrières mises en places, pour peu qu'on dispose d'un matériel correct mais simple. Un masque FFP 2 bien mis, une surblouse, une casaque et des gants protègent parfaitement de tous les virus et bactéries connus. Le tout est d'en disposer et de les utiliser correctement. Nos services sont d'ores et déjà équipés en permanence ; tout au plus suffit-il d'adapter le niveau d'approvisionnement. On ne saurait enfin trop insister sur l'importance du lavage des mains qui, s'il est insuffisant, fait perdre la moitié du bénéfice des mesures de protection.

Sur les antiviraux, Tamiflu et Relenza, ma réponse sera plus nuancée : tout dépend de l'approvisionnement et de ce que l'on peut en faire. Au-delà de la protection des malades dès les premiers symptômes - passées quarante-huit heures, ces anti-viraux ne servent plus à rien -, la protection des personnels est, à ma connaissance, prévue, mais pose de nombreuses difficultés. Qui doit-on protéger dans un hôpital ? Si l'on a suffisamment de produit, il faut protéger tout le monde. On ne peut pas, comme on l'a entendu dire, se limiter aux services des urgences, des maladies infectieuses et de la pneumologie sans l'étendre aux radiologues et à l'ensemble du personnel de l'hôpital. C'est inconcevable. L'AP-HP, dans le cadre notamment de la cellule de crise à laquelle j'appartiens, a décidé que tout le monde à l'hôpital serait protégé.

Tout le monde sera protégé, mais pendant combien de temps ? Logiquement, pendant toute la durée de la pandémie. Donc, s'il y a deux périodes de poussée, comme c'est souvent le cas pour la grippe, il faudra protéger le personnel au moment des deux poussées, sauf évidemment ceux qui seront immunisés pour l'avoir déjà contractée.

Reste à savoir comment seront distribuées les gélules de Tamiflu ; et là, disons-le, nous ne sommes pas au point du tout. Cela suppose, premièrement, une distribution très rapide des centres de stockage vers les structures qui en ont besoin, et, deuxièmement, à l'intérieur même de l'établissement, une protection physique des réserves et l'organisation de la distribution du médicament aux personnels auxquels il aura été décidé de l'administrer. Or ce n'est pas aussi facile qu'il y paraît : le pharmacien n'aura pas le temps de procéder à une distribution tous les matins ; en plus, si vous donnez à chaque infirmière un stock de Tamiflu pour dix jours, elle sera incapable de prendre sa gélule tous les matins devant ses enfants...

M. le Président : C'est impossible.

M. François BRICAIRE : Elle leur donnera son Tamiflu, et c'est normal. L'objectif ne sera pas atteint et tout le monde aura perdu. Cela fait partie des réflexions stratégiques non encore abouties.

M. Gabriel BIANCHERI : Faut-il le donner aux personnels malades ou à titre préventif ?

M. François BRICAIRE : Toute la question est là. On pourrait se demander, y compris pour le personnel hospitalier, s'il ne vaudrait pas mieux attendre les premiers symptômes pour donner immédiatement le médicament : la personne développera une forme bénigne de la grippe et, immédiatement après, retournera travailler, et sera de surcroît protégée, le Tamiflu n'empêchant pas l'apparition des anticorps. On est moins sûr qu'un traitement systématique en prophylaxie assure la même protection en cas de contamination. Je n'ai pas la réponse à cette question, qui doit être intégrée à la réflexion. Mais là aussi, il faut rester raisonnable afin d'éviter les dérapages.

La gestion du stress sera, à n'en pas douter, difficile ; nous aurons besoin de tout le monde, y compris des psychologues. Des actions de formation et d'information ont déjà été organisées dans nos services et dans nos hôpitaux ; cela fait aussi partie de notre travail.

M. le Président : Ont-elles réellement commencé ? Sous quelle forme ?

M. François BRICAIRE : Premièrement, j'organise régulièrement des séances d'information dans l'ensemble de mon service qui a besoin d'être « briefé » sur tous les problèmes infectieux ; deuxièmement, je me mets à disposition de la direction pour le faire en direction de l'ensemble du personnel hospitalier ; troisièmement, et c'est probablement une des choses les plus importantes, il faut aller porter l'information devant le Comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). C'est le meilleur moyen de désarmer les contestations les plus virulentes. Il y a déjà des actions de formation et d'information intéressantes, relayées par les médias.

M. François GUILLAUME : Un vaccin serait, nous a-t-on dit, en cours de préparation. Exigerez-vous la vaccination des personnels lorsqu'il sera au point ?

M. le Président : Nous avons voté hier, et nous revoterons ce soir dans le cadre du PLFSS, le principe de la vaccination obligatoire contre la grippe du personnel soignant. Qu'en pensez-vous ?

M. François BRICAIRE : La vaccination standard, telle qu'on la connaît aujourd'hui, protège contre le virus humain, mais absolument pas - ou si peu - contre le virus aviaire. Le vaccin actuellement en cours de préparation est un vaccin aviaire, et non aviaire humanisé ; on ne pourra mettre au point un vaccin aviaire humanisé que le jour où le virus sera effectivement repéré et isolé ; à partir de ce moment-là, il faudra six mois. Tout l'objectif de nos mesures retardatrices est de gagner le maximum de temps, afin de permettre aux fabricants de produire le vaccin et aux autorités sanitaires d'engager la vaccination à la hauteur des besoins de la population, en fonction des capacités de production des fabricants. Là encore, tout est affaire de stratégie : si jamais, par chance, le virus mettait six mois à atteindre notre pays, nous aurions tout intérêt à organiser une vaccination en masse et dans le minimum de temps. Nous avons déjà une expérience en la matière, la vaccination contre la variole, à une différence près, c'est que, dans le cas de la grippe, l'immunogénéicité modérée obligera vraisemblablement à deux injections, ce qui pose un problème de stratégie vaccinale.

Je fais partie des gens qui poussent à la vaccination du personnel de santé, ne serait-ce que parce que la grippe est une infection nosocomiale : indépendamment du fait qu'il faut se protéger, le personnel hospitalier se doit de ne pas transmettre la grippe à des patients hospitalisés pour d'autres raisons.

M. le Président : Je note au passage que le Parlement n'a pas jugé utile de l'exiger des médecins libéraux.

M. François BRICAIRE : C'est peut-être regrettable. Quoi qu'il en soit, je vous rends hommage : rendre obligatoire une vaccination n'est pas évident aujourd'hui...

M. le Président : Pour les professionnels de santé et hospitaliers, cela fait partie du droit du travail.

M. François BRICAIRE : C'est une très bonne chose et nous l'encourageons, mais les résultats restent assez médiocres. Ils s'améliorent cette année compte tenu des circonstances, mais tiendrons-nous le cap ? Rien n'est moins sûr.

M. Pierre HELLIER : On parle des masques et du lavage des mains, mais beaucoup moins des lunettes...

M. François BRICAIRE : Effectivement, on ne parle pas de lunettes pour ne pas trop charger la barque. Le risque de transmission par voie conjonctivale existe, mais il est quand même beaucoup plus faible que celui, majeure, de la transmission par gouttelettes ou voie respiratoire. Tant mieux pour ceux qui portent des lunettes...

M. le Président : Professeur, nous vous remercions. Sans doute aurons-nous l'occasion de nous revoir lors de notre prochaine visite à La Pitié-Salpêtrière.

Audition de M. Paul CASTEL, directeur général du Centre hospitalier universitaire de Strasbourg, accompagné de M. Daniel CHRISTMANN, professeur de médecine

(Compte rendu de la réunion du mercredi 23 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. La mission d'information sur la grippe aviaire poursuit deux objectifs : participer au contrôle parlementaire sur le fonctionnement de l'exécutif et œuvrer pour la transparence de l'information en direction de nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle cette audition est ouverte à la presse.

Nous souhaiterions que vous nous apportiez les informations dont vous disposez en matière de lutte contre la pandémie au niveau de l'hôpital. Monsieur Castel, vous êtes directeur général du CHU de Strasbourg, mais également responsable de l'association des directeurs de CHU ; sans doute pourrez-vous nous parler des aspects organisationnels et administratifs, les aspects strictement médicaux, même si parfois les deux se recoupent, ayant déjà été traités lors de précédentes auditions.

M. Paul CASTEL : J'avais cru comprendre que vous vous intéressiez plus précisément à l'organisation retenue au CHU de Strasbourg et en région Alsace, mais nous tâcherons de répondre à votre souhait. Le professeur Christmann, professeur de médecine et infectiologue, spécialiste, donc, des disciplines directement concernées par le sujet et cheville ouvrière de notre organisation sur Strasbourg, a bien voulu m'accompagner.

M. Daniel CHRISTMANN : Je commencerai par éclaircir deux ou trois points fondamentaux avant d'aborder les problèmes « grippe aviaire », puis « pandémie grippale » et de vous donner un aperçu de notre organisation et des difficultés rencontrées.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Je comprends très bien votre intention mais nous avons déjà eu pas mal d'informations médicales ; ce qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, c'est ce que vous proposez ou souhaitez voir mettre en œuvre sur le plan hospitalier dans votre région. Comment vous préparez-vous ? Quels moyens avez-vous à votre disposition ? Quels sont ceux qui vous manquent, ce qui est une de nos préoccupations ?

M. Daniel CHRISTMANN : Je voudrais quand même bien distinguer la grippe aviaire et la pandémie grippale, dans la mesure où la préparation n'est pas la même.

Le virus de la grippe aviaire circule depuis fin 2003. Seize pays sont touchés et le nombre de patients contaminés s'élève au 16 novembre à 126 patients, dont 64 sont décédés. Tout porte à croire que le risque « grippe aviaire » sera très limité en France - trois à cinq cas au grand maximum - compte tenu des mesures prises par les services vétérinaires. De ce fait, la prise en charge en milieu hospitalier, très différente de celle de la pandémie, s'apparentera à ce que l'on a pu observer en mars 2003 avec le SRAS et le coronavirus, où il y a eu cinq cas plus quelques situations à risque, qui se sont avérées ne pas l'être. Le risque aviaire se caractérise toutefois par la gravité du tableau clinique, en raison d'atteintes pulmonaires et encéphaliques beaucoup plus sévères et qui appellent une prise en charge adaptée. L'âge des patients atteints - 19 ou 20 ans en moyenne, ne présentant donc pas de facteurs de risque particuliers - incite à penser que ces personnes ont fait l'objet d'une contamination massive.

Un chiffre reste toutefois inconnu : le coronavirus du SRAS avait donné lieu à des enquêtes dans le Sud-est asiatique auprès des personnes travaillant sur les marchés montrant que 30 % des gens présentaient des anticorps, autrement dit qu'ils avaient été contaminés sans pour autant développer de forme grave. Pour la grippe aviaire, on a recensé 126 cas, mais sans savoir si des personnes, et combien, ont pu présenter des formes très discrètes, voire totalement silencieuses de la maladie. Seules des enquêtes sérologiques sur les populations du Sud-est asiatique permettront de répondre à cette question.

Compte tenu de leur faible nombre, les patients suspects de grippe aviaire devront certainement être hospitalisés dans des secteurs dédiés - essentiellement les secteurs de maladies infectieuses -, être impérativement isolés et soumis à des traitements symptomatiques et antiviraux. Le Tamiflu est actif sur ce virus ; seule une observation au Vietnam a mis en évidence une souche résistante. Le Relenza est également actif. Mais il faut être très prudents vis-à-vis de ces thérapeutiques car nous ne sommes pas à l'abri d'un risque d'évolution vers des souches résistantes. Les mesures d'isolement sont absolument fondamentales.

M. le Président : Vous avez parfaitement raison de distinguer la problématique « grippe aviaire » de la problématique « pandémie grippale », mais c'est particulièrement cette dernière qui nous intéresse. Où en est l'hôpital de Strasbourg dans sa préparation à une période pandémique ? De quels moyens disposez-vous dès à présent - stocks, organisation, financements ? Outre l'aspect médical, l'aspect administratif de la question retient notre attention. Pouvez-vous nous indiquer précisément si tout va bien, si vous avez tous les stocks, si toutes les circulaires explicatives sont prêtes, si le réseau d'expertise fonctionne, etc. ? Savez-vous parfaitement ce que vous aurez à faire à partir du jour J ?

M. Daniel CHRISTMANN : Vous connaissez les prévisions d'attaque de la pandémie : entre 15 et 35 % de la population. Cela nous amène, pour le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, à quelque 600 000 sujets infectés, 40 000 personnes à hospitaliser et 4 000 décès. Ce sont les chiffres sur lesquels nous devons travailler. On distingue une phase prépandémique qui sera certainement très courte, durant laquelle se posera la question de savoir que faire des patients. Ceux-ci doivent, de notre point de vue, être hospitalisés systématiquement pour la bonne raison qu'il faudra impérativement faire la preuve de la nature virale de l'affection et du type de virus en cause, sachant que nous serons également confrontés à la grippe saisonnière. Dans cette phase prépandémique, nous devons également avoir un aperçu du risque évolutif. Cela suppose toute une organisation au niveau des SAMU, de la médecine libérale et des établissements hospitaliers, où il faudra des structures dédiées.

Pour ce qui est de la phase pandémique, il faut absolument identifier les secteurs d'hospitalisations sur lesquels on pourra s'appuyer.

M. le Président : Avez-vous fait ce travail au niveau du CHU de Strasbourg ? Avez-vous un plan exact des services ?

M. Daniel CHRISTMANN : Nous l'avons fait.

Le cheminement du patient se décompose en plusieurs étapes, dont la première est l'accueil. Il est hors de question d'accueillir un cas suspect de grippe dans un secteur d'accueil des urgences classiques, à côté d'autres patients atteints de troubles cardiaques, respiratoires, digestifs ou autres. Il faut absolument séparer les deux populations pour éviter toute contamination et donc définir un secteur dédié à l'accueil des grippés. Nous avons deux accueils des urgences à Strasbourg, un sur le site de l'Hôpital civil, l'autre sur le site de Hautepierre qui est une tour de treize étages. Nous n'avons évidemment pas retenu ce deuxième secteur pour accueillir les urgences, dont la configuration rendrait ingérable l'admission et l'hospitalisation de ces patients. Il faut s'orienter vers des structures pavillonnaires.

M. le Président : Autrement dit, la structure verticale « tour » est totalement inappropriée...

M. Daniel CHRISTMANN : Disons que ce n'est peut-être pas la plus appropriée.

M. le Président : ...et les patients suspectés de pandémie grippale seront dirigés vers un hôpital horizontal, de type pavillonnaire.

M. Daniel CHRISTMANN : Dans la mesure du possible. À Strasbourg, le secteur des maladies infectieuses occupe un bâtiment de trois étages, d'une capacité de 80 à 85 lits, qui sera totalement dédié à l'accueil des patients. Nous avons défini un deuxième secteur d'hospitalisation dans une structure qui, actuellement, fonctionne en tant que maternité, mais qui serait vidé de ses patientes. Enfin, divers services ont d'ores et déjà été sélectionnés en fonction du nombre d'hospitalisations nécessaires, qui seront exclusivement dédiés à la prise en charge des patients infectés.

M. Pierre HELLIER : D'accord sur l'hospitalisation, mais quid du tri ? Il faudra s'attendre à des consultations spontanées, et à d'autres accompagnées d'un mot du médecin traitant. Il faudra forcément faire un tri à un moment ou à un autre. Où se fera ce tri ?

M. Jean-Michel BOUCHERON : Le matériel dont vous avez besoin pour traiter les patients est-il très lourd et non déménageable ? Autrement dit, serait-il possible de transformer telle école désaffectée en annexe de l'hôpital, aménagée, clôturée, et d'y transporter le matériel ?

M. Daniel CHRISTMANN : On sait que, lors d'une pandémie grippale, 25 à 35 % de la population n'est plus en mesure d'assurer une activité. Il en sera évidemment de même pour les personnels, infirmiers, médecins de nos établissements. Dans ces conditions, il est difficile d'envisager la mise en place d'une nouvelle structure dédiée, ce qui supposerait d'y affecter des équipes et des personnels pris sur les structures en fonctionnement, autrement dit de vider nos services pour les délocaliser sur de nouvelles structures. Sans compter que toute l'infrastructure à mettre en place dans un bâtiment nouvellement dédié : fluides, oxygène, etc. sera difficile à installer : il ne peut s'agir que d'une organisation légère. Il faut également rappeler que ne seront hospitalisés que les sujets les plus sévèrement atteints.

M. le Président : Comment les déterminerez-vous ?

M. Daniel CHRISTMANN : La majorité des patients seront pris en charge en milieu extra-hospitalier, par les médecins de famille. Seules les personnes fragilisées ou sujettes à des complications seront hospitalisées.

M. le Président : Fragilisées médicalement ou socialement ?

M. Daniel CHRISTMANN : D'abord médicalement : je veux parler des patients atteints de complications, de surinfections, ou souffrant de pathologies préexistantes. Certains groupes de personnes socialement fragilisées devront peut-être faire l'objet d'une surveillance régulière, soit par le biais d'un médecin ou d'une équipe d'infirmières de ville, ce qui peut être délicat, soit par le biais d'une hospitalisation. Toutefois celle-ci visera prioritairement les personnes sujettes à des complications médicales.

M. le Président : Avez-vous mis en place une articulation entre le CHU de Strasbourg et la médecine de ville ?

M. Daniel CHRISTMANN : Une réflexion a été lancée au niveau de la DRASS et de la DDASS, et plusieurs réunions seront consacrées à l'organisation.

M. Paul CASTEL : Il existe au CHU de Strasbourg un plan détaillant l'affectation des différents services, bâtiments, cliniques, qui sont au nombre de 25. Par chance, nous sommes en train de construire, pour remplacer nos cliniques en centre ville, un hôpital ultramoderne qui devrait ouvrir dans dix-huit mois, et nous nous demandions précisément comment ce nouvel établissement pourrait fonctionner de façon aussi sécurisée que nos cliniques. Le plan est prêt, qui prévoit la mise en route de procédures dégradées, au prix évidemment d'une déprogrammation des hospitalisations dans plusieurs cliniques.

M. le Président : Vous avez parlé tout à l'heure d'une maternité. Il y sera difficile de déprogrammer...

M. Daniel CHRISTMANN : Nous avons plusieurs maternités à Strasbourg...

M. Paul CASTEL : Nous avons trois sites.

M. le Président : Autrement dit, vous allez réorienter vers d'autres maternités.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Parlez-vous de cliniques privées ?

M. Paul CASTEL : À Strasbourg, le terme de clinique désigne des entités à l'intérieur de l'hôpital public, autrement dit des bâtiments.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Et avec les établissements privés ?

M. Paul CASTEL : La coordination n'est pas encore faite.

M. le Président : Qu'avez-vous prévu pour le tri, sur le plan pratique - tentes, accueil, vigiles, etc. ?

M. Daniel CHRISTMANN : Ce tri ne peut pas s'effectuer dans nos actuels secteurs d'accueil des urgences. Il faut donc un « pré-tri », un tri en amont. Nous avons deux options, du reste complémentaires : premièrement, un secteur dédié, une filière réservée à l'accueil de ces patients. Cette opération se déroulera prioritairement sur le site de l'Hôpital central civil, là où précisément se trouvent ces fameuses « cliniques », là où seront hospitalisés les patients. Il y a un problème à régler, celui de l'accueil pédiatrique, où il faudra un tri particulier.

M. Pierre HELLIER : Mais vous ne savez pas au départ qui a la grippe. Autrement dit, tous les patients, dans un premier temps, iront là-bas.

M. Daniel CHRISTMANN : C'est une question importante. Une phase de pandémie doit obligatoirement donner lieu à une information tant des patients que des médecins. Ils seront prévenus que l'accueil des sujets susceptibles d'avoir contracté une grippe se fera sur le site dédié. Cette information sera une première étape. Cela dit, on n'empêchera pas des gens de vouloir entrer dans l'autre secteur d'accueil ; nous avons opté, comme nous l'avons fait pour le SRAS en 2003, pour un dispositif les empêchant à tout prix de pénétrer dans les services d'accueil et les salles d'attente. En 2003, nous avions procédé par voie d'affichage à l'entrée, avec des panneaux demandant aux patients présentant des problèmes respiratoires ou de la fièvre de s'adresser d'abord à l'hôtesse d'accueil.

M. Pierre HELLIER : Et cela a marché ?

M. Daniel CHRISTMANN : Cette première démarche préparatoire a parfaitement fonctionné en 2003. Avant l'affichage, un seul cas suspect s'était retrouvé dans une salle d'attente, au milieu des autres patients ; après l'affichage, il n'y a plus eu une seule erreur. Tous les patients ont été aiguillés là où il fallait, avec les mesures de prévention appropriées - masques, etc.

M. le Président : Les patients arrivant par le « 15 » auront été pré-triés, du moins peut-on le supposer. Mais comment pré-trierez-vous ceux qui arriveront à pied ?

M. Daniel CHRISTMANN : Si, en phase pandémique, un sujet souffre d'un syndrome infectieux grippal, de deux choses l'une : ou bien il présente des signes de gravité, de complications ou un terrain à risque, auquel cas il sera hospitalisé dans un de nos secteurs dédiés ; ou bien il s'agit d'un syndrome grippal sans risque particulier et le patient sera confié à son médecin traitant. Nous n'aurons pas la possibilité pratique de prendre en charge tout le monde.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Et vous resterez en lien avec le médecin traitant ?

M. Daniel CHRISTMANN : Obligatoirement.

M. Pierre HELLIER : Vous ne nous parlez pas d'une zone de tri spécifique...

M. Daniel CHRISTMANN : Nous avons dédié une zone d'accueil spécifique sur le site de l'Hôpital civil. À l'hôpital de Hautepierre, secteur « Tour », un dispositif situé avant l'entrée permettra de réorienter les sujets suspectés de grippes vers l'Hôpital civil.

M. le Président : Vous nous avez donné les chiffres pour l'Alsace. Qu'en est-il pour Strasbourg même ?

M. Daniel CHRISTMANN : Sur une base arrondie de 500 000 habitants, cela nous donne 150 000 à 160 000 sujets infectés et entre 1 200 et 1 500 hospitalisations.

M. le Président : Combien de lits avez-vous dégagés - potentiellement, s'entend ?

M. Daniel CHRISTMANN : Nous demanderons à l'ensemble des services de médecine, de chirurgie et de gynécologie obstétrique de suspendre une activité programmée. Certaines interventions - dialyses, etc. - continueront évidemment à être assurées. Chacun de nos collègues nous indiquera alors combien de lits, sur cette base, sont susceptibles d'être dégagés.

M. le Président : De combien de lits disposez-vous sur l'ensemble des hôpitaux de Strasbourg ?

M. Paul CASTEL : 2 500, dont 2 000 en MCO189

Mme Paulette GUINCHARD : Plus exactement en court séjour.

M. Paul CASTEL : En effet. Le taux d'occupation moyen est de 85 %. Nous comptons sur les 15 % disponibles, plus les déprogrammations envisagées...

M. Daniel CHRISTMANN : Pour le moment, nous n'avons pas encore dégagé de lits. Nous espérons dégager environ quelque 300 à 400 lits, par déprogrammations. Il est évidemment hors de question d'admettre des patients grippés dans ces lits libérés : ceux-ci serviront simplement à transférer les malades des secteurs dédiés vers ces lits qui auront été libérés, les secteurs dédiés n'accueillant que des sujets grippés. Ce point d'organisation ne devrait pas poser problème, si ce n'est que les personnels soignants devront quitter leurs secteurs d'origine pour suivre leurs malades dans ces nouveaux secteurs... Ce sera notamment le cas de la clinique dans laquelle j'exerce, et qui compte 80 lits.

Reste le problème de la pédiatrie, localisée sur le site de Hautepierre, autrement dit ce bâtiment de treize étages. Avec les personnes responsables du service pédiatrique, nous avons clairement posé le principe que les enfants n'iraient pas sur ce site de pédiatrie et seraient obligatoirement hospitalisés dans la maternité dont je parlais plus haut et qui comporte une partie pédiatrie.

M. le Président : En d'autres termes, vous créez une aile pédiatrique spécifique.

M. Daniel CHRISTMANN : Elle existe déjà, en partie, dans le cadre de la maternité, pour les nouveau-nés. Elle deviendra un secteur pédiatrique spécifiquement dédié.

Pour ce qui est de la réanimation, il y a deux secteurs de réanimation à Strasbourg. Or, le secteur de réanimation médicale ou chirurgicale ne pourra pas être facilement mobilisé, car il lui faudra continuer à faire face aux autres affections. On pourrait éventuellement réserver un des deux secteurs de réanimation chirurgicale aux patients grippés ; en tout état de cause, on trouvera dans les secteurs dédiés des salles où seront dispensés des soins continus et intensifs, et des respirateurs installés.

M. le Président : De combien de respirateurs disposez-vous aujourd'hui ?

M. Daniel CHRISTMANN : En tant que centre référent pour risques NRBC190 , nous avons été dotés de respirateurs supplémentaires, que nous pensons mobiliser en cas de pandémie.

M. le Président : Combien ?

M. Paul CASTEL : Je n'ai pas le chiffre en tête.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il s'agit de respirateurs mobiles ?

M. Daniel CHRISTMANN : En effet.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il est donc possible d'installer ce genre d'appareil à la demande...

M. Daniel CHRISTMANN : C'est assez facile à installer - à condition d'avoir tous les fluides.

M. Serge ROQUES : À combien estimez-vous le nombre de patients relevant de la réanimation et nécessitant une aide respiratoire ?

M. Daniel CHRISTMANN : La proportion pourrait être respectivement de 15 % et d'au moins 10 à 12 %. Les problèmes tiennent essentiellement à des complications respiratoires.

M. le Président : Soit 250 personnes.

M. Daniel CHRISTMANN : À peu près, sachant que cette pandémie, à en croire les projections de l'InVS, devrait survenir en deux phases. Cela dit, ces chiffres décrivent une extension de la pandémie à travers toute la France ; les périodes de crise ne devraient pas dépasser trois semaines à un mois au maximum. On peut tabler sur deux phases de quatre semaines tout au plus.

M. le Président : On l'espère !

Mme Paulette GUINCHARD : Vos projections ne parlent que des hôpitaux les plus importants de la région. Un travail similaire a-t-il été mené dans les autres établissements du Bas-Rhin ?

M. Daniel CHRISTMANN : Oui. Je ne vous cache pas que les hôpitaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin attendent notre document finalisé - ce sera l'affaire de dix ou quinze jours - pour appliquer sur Colmar, Mulhouse, Altkirch et ailleurs nos recommandations définies sur le site de Strasbourg.

M. le Président : Peut-on imaginer que ces établissements ne disposent pas des moyens de haute technicité suffisants, au point qu'il faille envisager un transfert sur le CHU de Strasbourg ? Autrement dit, vos hospitalisations se limiteront-elles à Strasbourg même ou devrez-vous vous attendre à recevoir des malades venant d'autres villes d'Alsace ?

M. Daniel CHRISTMANN : Je crois très raisonnablement que Colmar et Mulhouse prendront en charge les malades de leur secteur. Ils ont des services de réanimation parfaitement efficaces.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous avez parlé de 250 personnes hospitalisées. Mais à combien de personnes par jour ce flux de prise en charge pourrait-il s'élever ?

M. Daniel CHRISTMANN : Les données de l'InVS parlent d'un tiers de patients durant la première vague et de deux tiers durant la seconde. Le nombre de personnes à réanimer serait respectivement de 80, puis de 160 malades, échelonnés sur quinze jours. Soit une moyenne de cinq à six personnes par jour.

Mme Paulette GUINCHARD : Avez-vous prévu, au moment de la crise, une équipe chargée de la veille ? J'ai été très frappée, lors des travaux de la commission d'enquête parlementaire sur la canicule de 2003, par le travail d'un polytechnicien sur la question de la veille dans les situations de grande crise. En fait, on ne peut jamais tout prévoir... Ce qui est le plus important, c'est la nécessité d'un dispositif de veille capable de tout écouter, de tout entendre, de tout imaginer au vu des renseignements qu'il reçoit. Avez-vous prévu un dispositif de ce genre ?

M. Daniel CHRISTMANN : A travers le plan blanc, depuis septembre 2001, nous avons institué une astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un infectiologue...

Mme Paulette GUINCHARD : Ce n'est pas de cela que je parle.

M. le Président : C'est au niveau des préfets qu'il faudrait traiter ce problème, non au niveau de l'hôpital.

Mme Paulette GUINCHARD : Je n'en suis pas sûre. L'organisation hospitalière est tout de même très importante.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Mais il faut que le préfet soit au courant des capacités d'accueil...

M. le Président : En dépit de tout ce travail de préparation, il faudra encore adapter, et plus certainement encore prendre en compte ce qui n'aura pas été vu. D'où la nécessité d'un dispositif de veille. L'hôpital a, par essence, l'habitude d'être en veille permanente.

M. Paul CASTEL : Nous venons de vous exposer le dispositif interne à l'hôpital, qui sera définitivement bouclé d'ici à une dizaine de jours ; mais nous restons très tributaires de l'organisation départementale et régionale, dans laquelle nous sommes tout à la fois participants et aiguillons, mais qui associe des partenaires sur lesquels seules les autorités de l'État peuvent avoir prise, à commencer par les cliniques privées, avec lesquelles une coordination s'impose, et la médecine libérale, dont le rôle est essentiel. Sur la coordination avec le secteur privé, nous n'avons pas d'éléments précis.

M. le Président : En fait, vous avez jusqu'à présent travaillé sur vos propres moyens. Vous n'avez donc encore aucune coordination avec le secteur privé ? Je croyais que le secteur hospitalier privé était traditionnellement assez fort à Strasbourg...

M. Paul CASTEL : Non, le service privé à but lucratif est faible à Strasbourg : il existe très peu d'établissements et de lits à but lucratif en Alsace.

M. Daniel CHRISTMANN : Une première grande réunion a été organisée au niveau de la DRASS, suivie d'une deuxième sous l'égide de la DDASS du Haut-Rhin.

M. le Président : Sur l'aspect strictement hospitalier ou sur la pandémie en général ?

M. Daniel CHRISTMANN : Sur la pandémie en général, et surtout sur l'organisation hospitalière.

M. Pierre HELLIER : Pour les prélèvements sanguins durant la période prépandémique, comment ferez-vous ? Où seront-ils acheminés et comment ?

M. Daniel CHRISTMANN : En période prépandémique, il faut avoir la certitude que le virus détecté est bien celui de la pandémie. La question s'est posée de savoir si ce prélèvement devait être fait en ville, avec un circuit dédié et un centre prêt à le réceptionner. Or le médecin traitant n'a généralement pas d'équipe spécifique et ce n'est pas non plus le rôle du SAMU. Aussi avons-nous opté pour l'hospitalisation des premiers cas suspects à observer ; les prélèvements seraient envoyés à l'Institut Pasteur, mais il est question de confier ces analyses à tous les laboratoires centres référents - auquel cas celui de notre CHU sera parfaitement habilité à les analyser. D'ailleurs, tous les CHU peuvent le faire. Une fois la phase pandémique engagée, ces prélèvements n'auront plus lieu d'être.

Se pose toutefois le problème du transport sécurisé avec triple emballage des prélèvements vers les secteurs de microbiologie, mais également vers les secteurs peut-être moins spécialisés de biologie classique, tout aussi exposés au risque.

M. Pierre HELLIER : Le transport par le SAMU serait un gaspillage...

M. Daniel CHRISTMANN : Excessif, en effet.

M. le Président : Où en est le CHU de Strasbourg en matière de stockage des matériels médicaux, masques, médicaments antiviraux, antibiotiques et autres, oxygène, etc. ? Avez-vous arrêté une doctrine d'emploi, notamment en direction de vos personnels ?

M. Daniel CHRISTMANN : Nous avons été dotés de 800 000 masques FFP 2 stockés sur un site dédié et nous devrions recevoir fin 2005 ou début 2006 une dotation complémentaire de 200 000 masques. Soit un million au total...

M. le Président : Pour combien de personnels ?

M. Paul CASTEL : 7 000 personnels soignants dont 2 000 personnels infirmiers.

M. Daniel CHRISTMANN : Du fait de la mise en place de secteurs dédiés, le nombre de personnels exposés sera beaucoup plus limité. Le matériel sera nécessaire pour les services d'accueil et les services dédiés. N'y voyez pas un souci d'économie, mais une préoccupation de meilleure gestion de notre matériel - masques, mais également gants, surblouses, etc.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Avez-vous déterminé le nombre de personnes concernées ?

M. Daniel CHRISTMANN : Pas encore. Pour les personnels infirmiers, cela devrait représenter quelque 300 ou 400 personnes.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Plus les médecins...

M. le Président : C'est en proportion des lits.

M. Daniel CHRISTMANN : L'objectif est tout de même de limiter au maximum les risques de contamination et donc d'exposer le moins possible les personnels.

M. le Président : Avez-vous prévu de leur donner du Tamiflu en préventif ?

M. Daniel CHRISTMANN : Il y a d'abord les mesures d'hygiène classiques - lavage des mains avec une solution hydro-alcoolique - en cours de réactualisation, spécifiquement pour la pandémie. Les personnels prenant quotidiennement en charge les patients grippés seraient évidemment, par prévention, sous Tamiflu par périodes de dix jours. À ceux qui ne seraient exposés qu'à un risque occasionnel ou éventuel, il serait simplement demandé de surveiller leur température et d'éventuels signes cliniques, et de se manifester dès l'apparition des premières manifestations. Nous voudrions limiter les traitements préventifs aux personnes réellement exposées, de façon quotidienne et répétitive.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Avez-vous entamé des démarches de formation et d'information dans ce sens auprès de vos personnels ? Ceux qui bénéficieront des masques et des médicaments seront contents, mais d'autres pourraient s'inquiéter...

Mme Paulette GUINCHARD : Comment allez-vous gérer la pression ?

M. Daniel CHRISTMANN : Nous avons connu l'expérience du SRAS au cours de laquelle nous avons su éviter toute panique.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Mais la médiatisation n'était pas la même...

M. Daniel CHRISTMANN : Mais la transmission avait été beaucoup plus rapide, et les formes plus sévères. Il y a eu 9000 à 10 000 cas, et presque 800 décès. Pour la pandémie grippale, nous ne devrions pas avoir de difficultés pour faire accepter la démarche préventive aux principaux concernés, mais il faudra l'expliquer aux personnels des autres secteurs d'hospitalisation. Une première campagne d'information sur les risques liés à la grippe aviaire et les mesures prises a déjà été organisée auprès de l'ensemble des cadres de l'hôpital, et il n'y a pas eu d'affolement particulier. Il faut maintenant espérer que les cadres sauront transmettre le message aux équipes soignantes. Dans une deuxième étape, nous répondrons aux questions qui, éventuellement, pourront être posées, ce qui sera certainement le cas. Nous procédons par étapes.

M. Paul CASTEL : Nous avons réuni avant-hier l'ensemble des cadres de l'établissement. Nous sommes en train de travailler sur le risque d'absentéisme des personnels et de ses conséquences. On peut tabler sur 20 % de personnels atteints par la grippe. Nous devrons mettre en place le « plan blanc », rappeler les personnels au repos, déprogrammer certaines interventions, au besoin recourir aux personnels des écoles et aux élèves en fin de formation. Le dispositif est prêt à être bouclé ; mais tout dépendra de l'ampleur du phénomène.

M. le Président : Avez-vous autorité pour demander, par exemple, aux élèves en dernière année d'école d'infirmières de travailler dans le service des maladies infectieuses ?

M. Daniel CHRISTMANN : Les personnes en dernière année de formation, élèves infirmières ou étudiants en médecine, devront être envoyées dans les secteurs réservés à l'hospitalisation des patients non grippés ; ceux qui s'occuperont des malades infectés par la grippe feront appel à des personnels diplômés et appartenant déjà à l'établissement.

M. le Président : N'est-ce pas un peu contradictoire ? Après tout, le niveau technique requis pour surveiller un patient grippé n'est pas extraordinairement spécialisé. Mais je me fais peut-être l'avocat du diable. Peut-être risquerez-vous de retirer à certains services hypertechniques des personnels très au point et difficilement remplaçables. Former en deux heures trois cents élèves infirmiers ou infirmières de dernière année en leur expliquant comment surveiller un grippé reste du domaine du possible, en tout cas moins compliqué qu'une formation à la réanimation cardiaque.

M. Daniel CHRISTMANN : Nous pourrions effectivement affecter ces étudiants de dernière année dans les secteurs dédiés, sous réserve que nous en ayons légalement et administrativement la possibilité...

Mme Paulette GUINCHARD : Mais avez-vous autorité sur les stagiaires ? Seule l'école l'a, me semble-t-il.

M. Daniel CHRISTMANN : Je ne suis même pas sûr que l'école ait cette autorité.

M. Paul CASTEL : Nous parlons de circonstances exceptionnelles. Du reste, les stagiaires en troisième année travaillent d'ores et déjà au sein de nos services, dans le cadre de leur formation.

Mme Paulette GUINCHARD : Mais c'est l'école qui les y envoie.

M. Paul CASTEL : L'école est placée sous la responsabilité de l'établissement.

Mme Paulette GUINCHARD : Malgré la décentralisation ?

M. le Président : La question est précise, mais peut-être n'avez-vous pas les moyens d'y répondre et une expertise juridique est peut-être nécessaire. Il ne s'agit pas de savoir si des volontaires répondraient à l'appel : il faut s'attendre à de la perte en ligne... Sans obligation légale, vous aurez un problème pour faire venir des élèves infirmiers ou infirmières ou des étudiants en médecine. Etes-vous, vous-même ou le préfet, en mesure juridiquement d'obliger les élèves à venir chez vous ? Sinon, il va falloir que nous y réfléchissions...

M. Paul CASTEL : Pour ce qui est des stagiaires infirmiers, les écoles sont placées sous l'autorité de l'établissement ; pour ce qui est des risques juridiques, je ne peux répondre, et il faut approfondir ce sujet. Les médecins, en revanche, sont en formation, et déjà présents, dans nos services ; pour eux, le problème se pose en termes de répartition des tâches. Autre chose est de faire faire des actes infirmiers à des infirmiers non encore diplômés.

M. le Président : Vous êtes plein d'espoir, c'est bien... Nous verrons comment réagiront les médecins libéraux !

Mme Paulette GUINCHARD : Je reviens sur la question de la gestion du stress. Nous avons vécu une situation humainement très difficile au moment du SRAS à Besançon, où un médecin a été jusqu'à se sauver.

M. Paul CASTEL : Nous l'avons soigné à Strasbourg, précisément dans le service du professeur Christmann !

Mme Paulette GUINCHARD : La gestion de l'angoisse et du stress sera un problème très difficile pour les personnels, notamment infirmiers, qui craindront pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Quels dispositifs prévoyez-vous de mettre en place à cet effet, afin que les personnels soignants soient individuellement capables de dépasser leurs angoisses ? Nombre de jeunes infirmières ayant des enfants en bas âge auront pour seule et unique réaction de vouloir les protéger à tout prix. J'ai été très marquée par cette affaire de Besançon, qui avait créé une véritable inquiétude au sein de l'hôpital même.

M. Daniel CHRISTMANN : Le médecin en question, qui avait contracté le SRAS, était resté tranquille durant les douze jours de son traitement. Le treizième jour, il est effectivement devenu intenable, mais le problème était réglé. Nous lui avons demandé de rester chez lui, je ne sais pas si cela a été fait, et il n'a pas eu de complications. Nous avons alors entrepris une action d'explication auprès des personnels de notre équipe ; une campagne d'information similaire devra être reprogrammée auprès de toutes les équipes qui auront à prendre en charge les malades de la grippe aviaire. Ajoutons que nous sommes tout de même très proches de ces personnes : si elles ont le moindre souci, elles savent à qui s'adresser. Il n'y a aucune raison de laisser une infirmière dans l'inquiétude, c'est hors de question. C'est pour nous une population très précieuse et nous devons l'aider à gérer ce stress, en insistant sur les précautions prises pour les personnes au contact des patients, qu'il s'agisse des masques ou du Tamiflu. Une bonne information et une application correcte de toutes les recommandations devraient permettre d'éviter tout problème à cet égard. Nous vous avons déjà parlé de notre réunion avec les cadres ; j'attends de connaître le retour d'information et surtout les questions que certains se posent peut-être déjà.

M. Paul CASTEL : Le fait de faire partie d'un centre de référence est déjà une bonne préparation, et l'expérience du SRAS a eu un effet de rodage utile, au point même qu'une certaine  « culture » a imprégné notre CHU.

M. Daniel CHRISTMANN : Notre pharmacie s'est penchée sur la question d'une augmentation des stocks d'antibiotiques nécessaires pour traiter les complications. Ces stocks ne doivent pas être figés mais accrus, tout en assurant une rotation afin d'éviter toute péremption. Mais d'ores et déjà, des quantités ont été définies avec les pharmacies...

M. le Président : De combien, en gros, devraient-ils augmenter ?

M. Daniel CHRISTMANN : Je ne peux pas répondre précisément, cela pourrait être de l'ordre de 40 à 50 %, mais pour quatre ou cinq médicaments seulement, sachant que le Tamiflu est pour l'instant stocké dans des sites sécurisés.

M. le Président : Les financements proviennent-ils d'une ligne dédiée « plan grippe aviaire » ou du budget de l'hôpital ?

M. Paul CASTEL : Pour l'instant, du budget de l'hôpital. Mais une fois arrêté le chiffrage de tous les coûts que nous venons d'évoquer, la partie MIGAC191  du budget de l'hôpital et surtout des CHU référents devra être revue...

M. le Président : Il serait à mon avis préférable de prévoir une ligne dédiée spécifique au lieu de les intégrer dans les MIGAC.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Avez-vous fléché les dépenses en question ?

M. Paul CASTEL : Absolument. Nous en tenons une comptabilité très précise.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Xavier BERTRAND, ministre de la santé et des solidarités

(Compte rendu de la réunion du mercredi 29 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Notre discussion d'aujourd'hui ne portera pas, comme cela était initialement prévu, sur la nouvelle version du plan gouvernemental de lutte contre la pandémie, car il est encore en cours de finalisation. Après nous être demandés, le Ministre et moi-même, si nous maintenions cette audition, nous avons finalement décidé de la maintenir pour avoir l'occasion d'aborder ensemble la dimension internationale et européenne du dossier grippe aviaire. Nous entendrons le Ministre sur la version actualisée du plan « Pandémie » dans les prochaines semaines.

M. Xavier BERTRAND : L'officialisation de la nouvelle version du plan pandémie est, en effet, une question de jours. Des réunions interministérielles ont d'ores et déjà eu lieu et nous n'attendons plus qu'une ultime réunion ministérielle, qui devrait se tenir très bientôt. Sitôt qu'elle aura eu lieu, je reviendrai devant votre mission pour vous présenter le plan actualisé.

Nous avons tenu à décliner le plan français sur le même phasage que celui de l'OMS, modifié en mai dernier. La version actualisée du plan va ainsi distinguer six phases, réparties en trois périodes. Je peux les évoquer devant vous car elles sont déjà définitivement calées.

La première période, dite interpandémique, couvre deux phases : la phase 1, où n'est constatée la présence d'aucun virus dit hautement pathogène ; la phase 2, correspondant à l'apparition d'un virus hautement pathogène chez l'animal, que ce soit à l'étranger ou en France.

La deuxième période, dite de l'alerte pandémique, correspond à l'apparition d'une contamination humaine et distingue trois phases : la phase 3, dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, où l'on a pu constater une transmission de l'animal à l'homme ; la phase 4, qui est celle d'une contamination interhumaine limitée ; la phase 5, qui est celle d'une contamination plus étendue, mais géographiquement localisée.

La troisième période est la période pandémique, qui correspond à une forte transmission interhumaine et à une extension géographique rapide. C'est la phase 6.

Dès la fin 2004, le ministère de la santé avait commandé 13,8 millions de traitements antiviraux. Au moment où je vous parle, 12 millions de traitements ont déjà été livrés - 11,8 millions de Tamiflu et 200 000 de Relenza. Nous avons commandé 10 millions supplémentaires de traitements de Tamiflu et 9 millions supplémentaires de Relenza, qui seront livrés en 2006 et au début de l'année 2007. Une partie du Tamiflu se présente en vrac. Il peut être transformé en gélules en deux mois environ par la pharmacie centrale des armées. Je précise que la péremption de ces stocks en vrac est actuellement de dix ans. Avec l'ensemble de ces traitements, la France se situerait à un niveau de couverture supérieure à celui recommandé par l'OMS, qui est de 25 % de la population. Nous pourrions ainsi prévenir les risques de résistance et, aussi, nous adapter dans les stratégies mises en œuvre en fonction des caractéristiques du virus et de la pandémie.

S'agissant des vaccins, 40 millions de vaccins pandémiques ont d'ores et déjà été réservés : 28 millions auprès de Sanofi-Pasteur et 12 millions auprès de Chiron. Nous sommes actuellement en pourparlers avec cinq grands groupes mondiaux, de façon à étendre la couverture vaccinale jusqu'à 62 millions de traitements vaccinaux.

Je voudrais maintenant aborder la coordination européenne entre les États membres. Un conseil informel des ministres de la santé s'est tenu à Hertfordshire le 21 octobre. Un Conseil européen, très formel celui-ci, se tiendra le 9 décembre prochain à Bruxelles.

L'idée est que nous avons besoin de renforcer la coordination entre tous les États membres. Pour cela, il nous faut renforcer la communication entre eux. Le commissaire européen Markos Kyprianou et moi-même avons demandé à chacun des États membres de nous informer, le 9 décembre, de leur état de préparation en nous indiquant : si leurs plans sont en phasage complet avec l'OMS ; quelles sont leurs disponibilités en médicaments ; quelles sont leurs réservations vaccinales ; quelles sont leurs dotations en masques ; quel est leur niveau d'organisation.

C'est important, même si les résultats officiels de l'exercice Common Ground qui s'est tenu la semaine dernière ne sont pas encore communiqués par la Commission européenne. Nous attendons d'ailleurs ces résultats pour valider définitivement notre plan ; il reste des points en suspens comme le contrôle renforcé aux frontières ou la mutualisation des capacités de rapatriement des Français et des autres Européens à l'étranger.

Nous devons également savoir si nous avons la volonté et la capacité de constituer des stocks de médicaments au plan européen, en plus des stocks nationaux. Le commissaire européen avait fait une proposition en ce sens, que j'ai l'intention de reprendre le 9 décembre pour qu'elle émane d'un État membre, puisque la Commission n'a pas de compétence en matière de santé. Nous avons en effet l'impérieuse nécessité de doter l'Europe de stocks supplémentaires, de façon à mutualiser notre action en faveur de pays qui ne seraient pas suffisamment pourvus, et aussi à développer des capacités d'action internationales.

Nous avons besoin de renforcer la coordination de l'information délivrée aux voyageurs. Nous avons d'ores et déjà renforcé cette information dans les aéroports français, et nous la renforcerons encore davantage en cas de transmission d'homme à homme. Les vols internationaux pourront être suspendus de manière temporaire.

La question du contrôle aux frontières nationales et européennes doit aussi être posée et recevoir une réponse claire de la part de l'ensemble des États membres de l'Union européenne.

Il faut également savoir si nous sommes capables d'avoir une veille sanitaire, une veille épidémiologique, et s'il existe une volonté européenne de renforcer les moyens de recherche à l'échelle européenne, pour aider les pays directement exposés au risque de grippe aviaire.

Chacun doit bien avoir conscience qu'aujourd'hui, il faut prendre le mal à la racine et apporter notre assistance à tous les pays qui sont en première ligne. Ce n'est pas seulement une question de solidarité : c'est aussi le moyen de nous protéger nous-mêmes.

Aujourd'hui, la demande la plus pressante que formulent ces pays est qu'on leur apporte un soutien en matière de veille sanitaire et de veille épidémiologique, un soutien pour l'analyse des données recensées et la recherche. On pourra répondre à leur attente si la coordination, à la fois européenne et internationale, est au rendez-vous.

La France a choisi de renforcer son aide aux structures multilatérales, qu'il s'agisse de l'OMS, de l'OIE ou de la FAO. Lors de la conférence des donateurs qui s'est tenue à Genève du 7 au 9 novembre 2005, la Banque mondiale a chiffré entre 750 millions et un milliard de dollars le montant de l'aide à apporter aux pays peu équipés pour qu'ils puissent faire face non seulement à l'épizootie, mais aussi à une éventuelle pandémie - en dehors bien sûr des coûts vaccinaux et des antiviraux. Elle a estimé les besoins urgents à 80 millions de dollars. La France a d'ores et déjà indiqué qu'elle verserait 12 millions de dollars, soit 10 millions d'euros, ce qui couvre 15 % des besoins recensés sur le plan international.

Une nouvelle conférence des donateurs aura lieu à Pékin entre le l7 et le 19 janvier - la date n'est pas encore arrêtée. Nous pourrons alors faire le point sur qui donne quoi et comment nous pouvons aider les uns et les autres.

Nous avons décidé de renforcer la contribution française contre la grippe aviaire dans les pays qui sont aujourd'hui en première ligne, notamment les pays d'Asie. Quatre experts viennent de prendre leurs fonctions auprès du bureau des ressources animales de l'ASEAN et du bureau de l'OIE à Bangkok. Nous augmenterons nos contributions volontaires pour 2006 de 2,5 millions d'euros supplémentaires.

La contribution totale de la France représente aujourd'hui huit postes, dont un auprès de « Vétérinaires sans frontières » à Hanoï. Parallèlement, nous entretenons des liens très étroits avec l'OIE.

Mais nous devons aussi réfléchir pour savoir si nous voulons passer des accords bilatéraux de coopération renforcée avec un certain nombre d'États. Après le déplacement que je viens d'effectuer à Hanoï, à Pékin et à Hong Kong, je considère qu'il est indispensable de passer de tels accords. Les pays concernés sont d'ailleurs demandeurs.

J'ai proposé, lors de la réunion du G7 + Mexique, qui s'est tenue à Rome le 18 novembre dernier, la mise en place d'une Université de sécurité sanitaire mondiale, qui serait ancrée au sein du pôle de l'OMS de Lyon, sur le modèle de ce qui a été fait il y a quelques années à Malmö avec l'Université de sécurité maritime. Cette proposition, qui permettrait de faire profiter tout le monde des connaissances et de l'expertise d'ores et déjà acquises, a recueilli un large assentiment, non seulement de la part des pays présents au G7 + Mexique, mais aussi du Vietnam ou de la Chine.

M. le Président : Je vous propose de commencer la discussion par la question de la gestion, au plan européen et international, d'une crise en phase 4, 5 ou 6, s'agissant, par exemple, du contrôle aux frontières ou du rapatriement des Français de l'étranger.

M. Xavier BERTRAND : Je souhaite le maximum de coordination entre les différents États membres, et des politiques communes, s'agissant notamment des contrôles aux frontières.

J'ai participé à un exercice grandeur nature qui s'est tenu le 30 juin dernier à Paris. Nous nous sommes aperçus que moins on hésitait à prendre des mesures radicales au début d'une transmission interhumaine, plus on retardait l'arrivée d'un virus sur le territoire européen et donc national.

Il faut contrôler les frontières aériennes, dans les aéroports internationaux ; les frontières portuaires ; les frontières terrestres. L'intérêt de cette coopération internationale est justement que les mêmes mesures de protection s'appliquent partout en Europe. Imaginez que nous ayons des mesures de contrôle renforcé à Roissy, mais que de telles mesures ne soient pas prises à l'identique en Allemagne ou à Bruxelles ! Le passager infecté qui descendrait d'avion à Bruxelles et louerait une voiture pour aller en France pourrait donc entrer sur notre territoire sans avoir été détecté.

La fermeture des frontières à titre temporaire est une possibilité...

M. Jean Michel BOUCHERON : Quelles frontières ? Celles de la France ou celles de Schengen ?

M. Xavier BERTRAND : Nous sommes bien dans une logique européenne. Je parle de l'ensemble des frontières de l'Union européenne.

Pour pouvoir organiser la réponse sanitaire à une situation pandémique en Asie du Sud-Est, il faut savoir gagner du temps, afin de préparer notre système de santé. Quelqu'un qui arriverait, malade, sur le territoire devra pouvoir y être traité dans les meilleures conditions. Là encore, il faut que nous ayons tous le même niveau de réponse.

Ce matin, dans une conférence de presse, le commissaire européen a indiqué qu'il ne donnerait que vers le 10 ou le 12 décembre l'ensemble des résultats de l'exercice du 30 juin dernier. Mais je peux vous dire d'ores et déjà que la question du contrôle aux frontières est une question centrale, qui a été révélée par l'exercice.

M. le Président : L'objectif, en fermant, le cas échéant, nos frontières est bien de retarder - l'empêcher serait impossible - l'arrivée de la pandémie en France. Je repose donc la question : le gouvernement veut-il instaurer un contrôle aux frontières Schengen, Union européenne, ou, à défaut, aux frontières nationales ?

M. Xavier BERTRAND : Nous disons la même chose que l'OMS : l'objectif est de gagner du temps et de retarder au maximum la propagation du virus.

Le plan français prévoit des mesures de contrôle aux frontières, qui seront adoptées prochainement. Au niveau européen, je souhaite que les mesures de contrôle les plus rigoureuses possibles soient prises, avec une détection sanitaire aux aéroports - où se trouve le principal risque - et sur les frontières des vingt-cinq pays de l'Union. Soyons clairs : je parle de l'Union européenne, et donc des frontières de l'ensemble des États membres.

M. Jérôme BIGNON : Le gouvernement semble craindre que le niveau de conscience ou d'exigence ne soit pas partout le même.

M. le Président : Pour ma part, je poserais la question inverse : le gouvernement ne redoute-t-il pas une réaction de « sur-précaution » de certains pays ?

M. Xavier BERTRAND : Si nous voulons être efficaces, il faut que, dans l'ensemble des aéroports de l'Union européenne, les mêmes messages soient passés aux passagers, que les équipages, personnel navigant et personnel au sol, aient bénéficié du même type d'information et de formation sur la conduite à tenir si un passager en provenance d'un pays qui connaîtrait une situation pandémique a été contaminé ou présente des risques de suspicion très forts.

Nous souhaitons qu'on institue un mode de contrôle - caméras thermiques ou thermomètres auriculaires - et qu'on soit capable d'isoler les passagers contagieux et de les soumettre immédiatement à un suivi médical. Si nous voulons être efficaces, il faut que l'ensemble des pays réagisse exactement de la même manière.

Si nous n'en étions pas capables, il faudrait bien que le gouvernement français en tire les conclusions - et cela fera partie du plan.

M. le Président : Comment réagiriez-vous si un pays déclarait vouloir fermer ses frontières ?

M. Xavier BERTRAND : Cela me gênerait moins qu'un pays qui refuserait de les fermer. À ce propos, je remarque qu'il faudra résoudre le problème des transfrontaliers. Je m'en suis d'ailleurs entretenu avec M. Mars Di Bartolomeo, le ministre de la santé luxembourgeois.

Aujourd'hui, l'objectif prioritaire est de mettre en place un même niveau de protection sur l'ensemble des frontières.

M. Alain CLAEYS : Y a-t-il une prise de conscience parmi les Vingt-Cinq ? Certains pays sont-ils en retard par rapport aux autres ? Comment la Commission et le Conseil des ministres articulent-ils leurs positions respectives ?

M. Xavier BERTRAND : Il est vrai que le niveau de préparation n'est pas le même selon les États. Mais je ne distribuerai pas de bons et de mauvais points. Markos Kyprianou avait écrit à l'ensemble des pays membres pour leur demander quel était leur niveau de préparation. Tous les pays ne lui ont pas répondu. Il faut commencer par communiquer entre nous et jouer carte sur table. Autrement, certains pourraient, en cas de pandémie, dire que, finalement, ils n'ont pas de stocks et demanderaient à être aidés. Il faut anticiper.

Le plan français repose sur une logique d'anticipation. Je demande que l'ensemble des pays européens adopte la même logique. Markos Kyprianou, le commissaire européen, est très sensible, depuis longtemps, à cette nécessité d'anticipation d'une crise pandémique. Je précise qu'entre le Conseil des ministres et la Commission, il n'y a pas de différence de position. La seule chose à laquelle il faut veiller, c'est que la logique européenne s'impose par rapport aux logiques nationales. Le dernier sommet a été très intéressant. Nous y avons entendu une intervention de Mme Margaret Chan, sous-directrice à l'OMS. Son franc-parler n'a pas manqué de provoquer une prise de conscience chez certains, si elle ne s'était pas encore produite.

Dans un premier temps les pays ont constitué des stocks de moyens de protection - masques, antiviraux et vaccins. Maintenant, il faut aller au-delà et imaginer, si possible dans le détail, comment utiliser ces moyens. Même quand nous aurons réussi à obtenir des informations sur ces moyens, il faudra s'assurer de leur utilisation opérationnelle.

Enfin, il ne faut pas oublier un autre aspect, qui est essentiel : la communication.

M. François GUILLAUME : Il est surprenant, depuis le temps qu'on parle d'une possible pandémie, que le Conseil des ministres, sur proposition de la Commission, n'ait pas adopté les mesures nécessaires pour mettre en place dans tous les pays des systèmes de prévention. C'est étonnant qu'on n'aille pas plus vite.

Vous avez signalé que l'Union européenne envisageait de constituer des stocks de Tamiflu. Mais attention à ce que cette initiative n'incite certains pays à ne pas faire trop d'efforts, comptant, en cas de crise, sur l'aide européenne. Ne faudrait-il pas, par exemple, dédier ces stocks à l'aide aux pays qui seront les premiers touchés, ceux d'Europe de l'Est notamment ?

M. Pierre HELLIER : Y a-t-il eu une réflexion, au niveau européen, sur la surveillance des oiseaux migrateurs ? Il est indispensable de coordonner toutes les actions à ce niveau. La France, qui semble relativement bien préparée, pourrait servir d'exemple. Quand les oiseaux reviendront, nous risquons d'assister à des contaminations croisées et multiples. Or la pandémie sera d'autant plus grave qu'il y aura eu davantage d'animaux malades.

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : Quels sont les moyens envisagés au plan européen pour combattre le problème étiologique ? Il ne faut pas attendre que le mal continue de se développer. Quels sont les moyens envisagés au plan européen pour surveiller ce qui se passe en Afrique, où sont arrivés, pour l'hiver, les oiseaux migrateurs, et d'où ils vont repartir au printemps ?

M. Marc JOULAUD : Monsieur le ministre, vous avez évoqué des différences de niveau de préparation entre les pays de l'Union. S'expliquent-elles, selon vous, par un degré de sensibilisation différent au sujet ou par les difficultés financières de certains pays ? Dans ce cas, est-ce que l'Union peut envisager d'intervenir financièrement pour aider à cette préparation ?

Avez-vous le sentiment que l'ensemble des pays de l'Union, s'il en avait la volonté, pourrait se doter de stocks susceptibles de protéger l'ensemble de la population européenne ? La capacité de production industrielle en Europe et dans le monde serait-elle suffisante ?

M. Gabriel BIANCHERI : La vaccination des volailles a-t-elle été envisagée ? Est-elle réalisable ou non ? On sait bien que plus vite on enrayera l'épizootie, plus grandes seront les chances de limiter le risque pandémique.

M. le Président : J'ai appris que l'Autriche avait annoncé son intention de fermer ses frontières.

Si tel devait être le cas, que penseraient les Français si leur gouvernement se contentait, dans le même temps, de renforcer les contrôles dans les aéroports et les infrastructures portuaires, en considérant ces mesures suffisantes pour la santé publique, sans aller jusqu'à fermer les frontières ? Nos concitoyens pourraient penser que nous ne prenons pas toutes les mesures nécessaires. Rappelez-vous l'affaire du confinement des poulets : les citoyens français se sont demandé si le Gouvernement avait pris les bonnes mesures.

M. Xavier BERTRAND : Avant même de nous demander quelle interprétation l'opinion publique pourrait tirer du fait que tel pays ferme ses frontières alors que tel autre ne les ferme pas, nous devons nous interroger sur ce qu'il y a à faire au nom du principe de précaution. Ce qui me semble, à cet égard, essentiel, c'est que tout le monde prenne, dès le début, des mesures rigoureuses, même si ces mesures, par exemple de fermeture des frontières, peuvent n'avoir qu'un caractère transitoire. Il pourrait aussi s'agir de mesures restrictives applicables pas seulement à l'arrivée dans les pays, mais aussi au départ. C'est un point sur lequel j'ai sensibilisé le docteur Li et le docteur Chan, de l'OMS. L'OMS a aussi un rôle important à jouer pour empêcher la propagation du virus au niveau mondial. Nous réfléchissons pour l'Europe, mais il est évident que l'Amérique et les autres continents seront tout aussi concernés par cette question. Je me doute d'ailleurs de ce que ferait le continent australien, pour m'en être entretenu avec un certain nombre de dirigeants à Hong Kong.

Jouons la carte de la coopération européenne. Si tout le monde ne le faisait pas, il faudrait en tirer les conclusions.

Je répondrai à Gabriel Biancheri que nous sommes, effectivement, dans une logique d'épizootie. Il faut remettre les choses à leur juste place : aujourd'hui, aucun cas de transmission de l'homme à l'homme n'a été recensé nulle part sur la planète. Mais à partir du moment où le risque existe, il faut absolument que nous soyons capables d'en parler de façon transparente et, surtout, de nous y préparer.

Un certain nombre de mesures de protection des volailles ont déjà été prises au niveau européen. La vaccination est une option possible. Aujourd'hui, les recommandations des experts vétérinaires n'ont pas amené la France à l'adopter. Il en a été de même au niveau européen.

En revanche, la Chine et le Vietnam appliquent à la fois des mesures d'abattage et de vaccination. Mais il faut savoir que ces vaccinations obligent à des manipulations quasi individuelles de chaque volaille, que les vaccins qui peuvent exister ne produisent pas les mêmes effets sur tel ou tel type de volaille, et que la vaccination risque de masquer la présence du virus. On sait aussi qu'elle peut conduire à l'apparition de résistances. Ce qui est sûr, c'est que nous devons prévoir l'éventualité que les experts vétérinaires recommandent la vaccination.

Je précise que la vaccination qui est recommandée est celle dite en anneau : elle est effectuée dans un certain rayon autour du foyer épizootique, tandis qu'au cœur de ce rayon, c'est la mesure d'abattage qui s'impose. La Chine, le Vietnam et Hong Kong ont, eux, choisi la vaccination systématique.

Marc Joulaud a insisté sur le niveau de sensibilisation et de préparation de chaque pays. Il s'est demandé si ce niveau était identique et, sinon, pour quelle raison. Il m'est très difficile de répondre à cette question. Si tout le monde voulait se mettre au même niveau, chacun des pays pourrait-il le faire ? Compte tenu des nouvelles capacités de production annoncées par le laboratoire Roche, qui estime être en mesure de produire en année pleine 300 millions de traitements de Tamiflu, ce serait théoriquement possible. Encore faudrait-il savoir à quel moment ces traitements seront disponibles. Le laboratoire Roche s'est dit prêt à accorder des licences pour permettre à d'autres laboratoires de produire du Tamiflu.

N'oublions pas le Relenza, l'autre antiviral disponible contre la grippe, et dont l'efficacité est, pour l'OMS, de même niveau que celui du Tamiflu.

M. Alain CLAEYS : Je rappelle que Roche détient l'exclusivité de la fabrication du Tamiflu. La législation sur les brevets et la propriété intellectuelle ne constitue-t-elle pas un frein à l'augmentation des capacités de production ? Quelles initiatives pourraient être prises auprès de l'OMC à cet égard ?

M. Xavier BERTRAND : C'est l'OMS qui est compétente. Selon les accords de Doha, c'est elle qui décrète la situation de pandémie, et qui permet ensuite d'en tirer les conclusions sur le droit des brevets.

Mais avant même la question des brevets, c'est de la capacité de production dont il faut se préoccuper. Si Roche, comme il l'a annoncé, est prêt à accorder des licences, qui va pouvoir répondre à cet appel et être en mesure de fabriquer du Tamiflu ? Ce n'est pas le tout d'accorder des licences : il faut avoir les moyens de production pour aller au-delà de 300 millions de traitements.

Autre problème : la protection par antiviraux ne peut pas être l'apanage des seuls pays riches. Dans quel pays vivrions-nous si nous n'étions pas capables de faire preuve de solidarité internationale et de faire en sorte que dans tous les pays du monde, on puisse avoir accès aux médicaments ? Et c'est valable aussi pour les vaccins.

La vraie question est donc celle de l'accès au traitement, qu'il soit médicamenteux ou vaccinal. Je le dis avec d'autant plus de force que la France est certainement considérée par l'OMS comme l'un des pays qui se sont le mieux préparés. Mais nous ne pouvons pas nous contenter d'assurer la protection de la santé des seuls Français, qu'ils soient sur le territoire métropolitain ou à l'étranger. L'accès au traitement doit se faire de façon globalisée, au niveau européen comme au niveau international.

M. le Président : Je ne comprends pas la position du laboratoire Roche. Au mois de septembre, ses représentants m'assuraient que le processus de fabrication du Tamiflu était tellement compliqué et tellement dangereux que seul Roche savait le maîtriser. Quelques semaines plus tard, Roche se dit prêt à accorder des licences secondaires, notamment au Vietnam et en Indonésie. Or ces pays, que je connais et que je respecte, n'ont pas une industrie chimique des plus poussées. Alors, je m'interroge et je comprends d'autant moins que, dans le même temps, on apprend que Taïwan, dont le niveau de développement est nettement supérieur, n'est pas jugé capable, par Roche, de fabriquer du Tamiflu ! Quelle est votre opinion, Monsieur le Ministre ?

D'autre part, peut-on raisonnablement espérer, en augmentant sensiblement la production d'antiviraux, assurer une protection efficace des populations, alors que l'on sait que l'efficacité du Tamiflu dépend des conditions dans lesquelles on l'emploie ?

M. Xavier BERTRAND : Roche a dit que Cipla, laboratoire indien, n'arriverait pas à fabriquer le générique. En même temps, nous avons entendu dire que le Tamiflu pourrait être fabriqué au Vietnam. Ces deux déclarations ne me semblent pas très cohérentes, en effet.

De son côté, Cipla explique que ce n'est pas si compliqué de produire du Tamiflu, le problème étant plutôt de pouvoir disposer de la matière première, la badiane ou anis étoilé, dont on extrait l'acide shikimique. Ce qui est délicat, en réalité, c'est la phase suivante, la phase explosive, que tout le monde ne maîtrise pas.

M. Alain CLAEYS : Est-ce que le gouvernement français envisage de sécuriser le marché de cette matière première ?

M. Xavier BERTRAND : Aujourd'hui, nous avons déjà des stocks sur le territoire national. Je ne sais pas comment Cipla a pu sécuriser là-bas - c'est-à-dire en Inde - la matière première. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne saurait accepter que telle ou telle firme réserve la matière première à son seul bénéfice. Celle-ci doit profiter à l'ensemble de la planète.

Les différents process de fabrication devraient permettre à d'autres laboratoires dans le monde de fabriquer du Tamiflu. Cela dit, j'ai le sentiment que l'on a beaucoup parlé du Tamiflu, et pas assez du Relenza, ni non plus d'autres médicaments. Le laboratoire Pasteur, à Hong Kong, a intégré dans son programme de recherche la préparation et la conception de nouvelles thérapeutiques. Il nous faut en effet imaginer de nouveaux traitements médicamenteux et de nouveaux antiviraux. Cela peut prendre du temps, mais je pense que nous aurions tout intérêt à doper les moyens de recherche pour y parvenir.

Et n'oublions pas les autres moyens de protection, comme les masques. La France a voulu se doter de stocks importants de masques. Nous savons que dans certains pays, notamment lors de la crise du SRAS, les masques ont été la première et la meilleure des protections.

Enfin, des règles d'hygiène et de vie sociale adaptées sont tout aussi protectrices, comme le rappelle régulièrement l'OMS.

Jean-Pierre Door et Pierre Hellier ont évoqué les moyens européens pour lutter contre l'épizootie. Nous avons en effet besoin d'une action européenne en la matière. La France a choisi de jouer la carte des organisations internationales, car il faut, par exemple, surveiller ce qui se passe aujourd'hui en Afrique, où des quantités impressionnantes d'oiseaux migrateurs se sont retrouvés aux abords du lac Tanganyika et du lac Debo. Nous voudrions savoir s'il y a, aux abords de ces deux lacs, une mortalité anormale chez les oiseaux migrateurs. Il faudrait pouvoir procéder à des prélèvements, car on se demande si certains oiseaux ne pourraient pas être porteurs du virus H5N1 sans en être pour autant les victimes. Faire de telles recherches pendant l'hiver serait intéressant : en effet, les flux migratoires, à partir de février/mars, vont directement repasser au-dessus des pays européens, notamment la France. Les Américains travaillent eux aussi, en Afrique, à la surveillance des oiseaux migrateurs et font des analyses.

François Guillaume a parlé de la stratégie et de la position de la Commission européenne. Comme je l'ai déjà dit, la santé n'est pas une compétence propre de l'Union européenne. La Commission a un rôle de coordination, d'impulsion, de sensibilisation, mais elle ne peut pas directement imposer des orientations ou des choix. C'est d'ailleurs pourquoi, je vous l'ai indiqué, la France reprendra la proposition du commissaire européen Kyprianou de constituer des stocks européens, en plus des stocks nationaux.

M. le Président : J'aimerais connaître la position du Gouvernement français sur la polémique entre l'OIE et l'OMS à propos de ce qu'il aurait fallu faire ou ne pas faire au début de l'épizootie.

M. Xavier BERTRAND : La position du gouvernement français est de ne pas rentrer dans la polémique ! Cela dit, il faut rappeler qu'aujourd'hui, c'est sur la santé animale que nous pouvons être efficaces.

M. le Rapporteur : Quels enseignements avez-vous tirés de votre récent voyage en Chine ? Que pensez-vous de la transparence des informations données par la Chine sur l'épizootie dans le pays ? Quels moyens les Chinois ont-ils engagés ? Ils ont déclaré qu'ils allaient vacciner 5 milliards de volailles ? Cela paraît difficile, sur le plan technique comme sur le plan financier.

M. Marc LE FUR : Je reviens d'un voyage au Cambodge, organisé dans le cadre du groupe d'amitié France-Cambodge. J'en ai profité pour regarder ce qui se passait en matière de lutte contre la grippe aviaire. Les personnes que j'ai rencontrées, qu'il s'agisse de nos diplomates ou des responsables de l'institut Pasteur, étaient très mobilisées.

Il y a eu au Cambodge quatre malades, qui sont décédés. Mes interlocuteurs sont convaincus du caractère saisonnier de la maladie. Les derniers décès étant intervenus en mai, ils considèrent qu'à partir de février, on rentrera à nouveau dans une phase très délicate, où l'on pourrait avoir des décès dus à l'épizootie. Ils s'y préparent. Le secrétaire américain à la santé a fait une tournée générale au Cambodge. Il est venu dans l'intention de mettre beaucoup d'argent sur la table.

Nous avons là bas un institut Pasteur qui fonctionne bien, avec des personnels remarquables. Or cet institut Pasteur a un laboratoire classé P2. Les personnels considèrent qu'il serait tout à fait indispensable qu'il passe à un niveau P3, afin de pouvoir faire des examens d'échantillons dans des conditions satisfaisantes au moment où la pandémie se déclarerait. Ils considèrent que les examens devront se faire sur place pour pallier une éventuelle désorganisation du pays -interdiction de transports, etc. Je signale que le coût d'une telle transformation est assez limité, de l'ordre d'un million d'euros.

M. Xavier BERTRAND : Si je suis allé au Vietnam et en Chine, c'était pour y mesurer l'état d'esprit, ainsi que l'état de préparation et l'état des besoins, en particulier de nos ressortissants sur place. En effet, la façon dont nous préparons la prise en charge de nos ressortissants permettra à notre opinion d'apprécier notre capacité à réagir face à un risque pandémique sur le territoire national. Il est donc très important de bien mesurer le niveau de besoin de nos ressortissants à l'étranger, auprès de nos postes diplomatiques.

Les organisations internationales, le réseau Pasteur, qui est très développé et très apprécié là-bas, et les autorités gouvernementales peuvent nous renseigner. À Hanoï, à Shanghai ou à Hong Kong, j'ai rencontré à chaque fois les ministres de la santé et les représentants de l'Institut Pasteur.

Les besoins qui ont été exprimés ne sont pas d'ordre financier. Ces pays demandent des moyens supplémentaires pour la veille sanitaire, la veille épidémiologique, pour améliorer leurs capacités d'analyse et surtout pour mener des travaux de recherche. Ils ont besoin, en fait, de chercheurs.

L'Université de Hong Kong a fait un travail très important. Je pense notamment aux chercheurs qui ont travaillé sur le SRAS et réussi à concevoir le vaccin.

Pasteur travaille sur la grippe aviaire. Son travail est remarquable, mais repose sur deux personnes seulement. Si nous pouvions doter chacun des postes de Pasteur de tout ce qu'il y a dans le réseau RESPARI en Asie du Sud-Est, nous pourrions faire progresser la recherche à grand pas.

On nous demande des collaborations et des chercheurs supplémentaires. Je pense qu'il serait bon que nous puissions le faire au niveau européen. Je rencontrerai vendredi les responsables de l'institut Pasteur pour évaluer les moyens que nous pourrions trouver.

La France s'est singularisée par sa capacité à mettre en place des forces d'action rapide à caractère humanitaire. Nous devons aussi être capables de mettre en place de façon préventive des forces d'action rapide à caractère sanitaire et épidémiologique. C'est de cela que ces pays ont besoin. Si nous étions capables de nous mobiliser au plan international, on pourrait sans doute limiter le développement de la crise.

S'agissant du caractère saisonnier de la grippe aviaire, M. Joseph Domenech, de la FAO, a effectivement dit qu'il pouvait y avoir un lien de cause à effet entre le cycle de culture du riz et le déplacement des canards domestiques, ce qui pourrait expliquer le caractère saisonnier de la grippe. Je serai très prudent. On nous avait dit que c'était plutôt en phase hivernale qu'on pouvait assister à une recrudescence. Mais je note que les cas successifs de transmission à l'homme ont été de moins en moins virulents. Est-ce dû à une meilleure prise de conscience du problème par les éleveurs touchés ? Vont-ils se faire soigner plus rapidement ? Le virus devient-il moins pathogène lorsqu'il passe à l'homme ? Les chercheurs sont en train de travailler sur ces sujets.

Vous voyez tout l'intérêt qu'il y a à envisager de chercher, comme le fait Pasteur à Hong-Kong, les critères de transmission à l'homme du virus H5N1. Mais il faut aussi envisager l'hypothèse que la contamination humaine pourrait résulter d'une autre souche. Il ne faudrait pas être totalement désarmés dans ce cas-là.

On peut renforcer les moyens en hommes, mais aussi en dotations. C'est vrai qu'à Shanghai, comme au Cambodge, les chercheurs souhaiteraient disposer d'un laboratoire P3. La difficulté, c'est que, lorsque les laboratoires sont situés en territoire urbain, les autorités locales sont très attentives au respect des normes de sécurité. Il faudrait trois autorisations pour que le laboratoire de Shanghai passe du niveau P2 au niveau P3. J'ai obtenu l'accord du ministre de la santé chinois et l'accord de la municipalité de Shanghai ; il nous reste à solliciter et à obtenir l'accord du ministère chinois de la recherche. Le ministre de la santé, M. Gao Qiang, m'a assuré qu'il interviendrait auprès de son collègue. Il sera ainsi possible de faire, sur place, des travaux de recherche sans être obligés de les transmettre, ensuite, à d'autres laboratoires situés ailleurs. Vous savez qu'un laboratoire P4 est prévu à Wuhan. Mais il faut aussi qu'il y ait des laboratoires de proximité.

J'ai apporté aux autorités chinoises des garanties en termes de sécurité. J'ai rappelé que le responsable du laboratoire de Shanghai a travaillé au sein du laboratoire P4 de Lyon, ce qui est tout de même une référence.

M. le Président : Qui construit le P4 chinois ?

M. Xavier BERTRAND : C'est une collaboration franco-chinoise, mais avec, à la base, l'expertise française. Il faudra aussi réfléchir à la création de laboratoires P3 mobiles. Si nous voulons être capables de réagir de façon encore plus efficace, il faut pouvoir déplacer un certain nombre de laboratoires. Je m'adresserai à nos spécialistes en France pour savoir quel en serait le coût et pour envisager les conditions d'une mutualisation au niveau européen. Si nous développons les capacités de recherche, nous ferons gagner un temps précieux à l'industrie qui produira le vaccin pandémique.

J'ai été frappé par la sérénité de nos ressortissants, qui ont vécu l'épisode du SRAS et pour lesquels, aujourd'hui, la grippe aviaire reste encore un problème de santé animale. Il en est de même des autorités locales, qui en ont néanmoins bien mesuré le risque.

Les autorités chinoises et vietnamiennes sont décidées à communiquer dans la plus grande transparence et à prendre des mesures très rigoureuses, notamment en matière d'abattage. Ainsi, les élevages qui étaient autour de Hanoï ont disparu quasiment en une semaine. Aujourd'hui, sur les marchés, il n'y a plus de volailles vivantes.

Je me suis entretenu pendant une heure et demie avec le ministre chinois. Je l'ai interrogé et j'ai obtenu de lui des réponses très claires. Les Chinois ont bien conscience qu'ils doivent faire preuve aujourd'hui de la plus grande transparence et la plus grande rigueur. Deux événements mondiaux majeurs auront lieu en Chine : en 2008 les Jeux Olympiques, en 2010 l'Exposition internationale à Shangaï. Les Chinois ont donc à cœur de montrer que, s'agissant de la grippe aviaire, ils sont décidés à prendre les choses avec le plus grand sérieux et le plus tôt possible.

L'épisode du SRAS a marqué les esprits, aussi bien chez les responsables politiques que chez les responsables sanitaires. Ils ont bien conscience que si la pandémie était là, le système de santé comme le système économique et social rencontreraient bien des difficultés. C'est pourquoi ils sont déterminés à trouver, le plus vite possible, les solutions les plus efficaces.

Je sais bien que des observateurs s'interrogent sur le niveau d'engagement des autorités concernées et sur la précision des réponses aux questions posées. Mais j'ai pu mesurer qu'elles avaient bien conscience des risques existants pour la santé humaine.

M. le Rapporteur : A la conférence des donateurs qui doit avoir lieu à Pékin au mois de janvier, la France sera-t-elle représentée ?

M. Xavier BERTRAND : La France sera représentée au niveau ministériel. Cette conférence de Pékin devrait permettre de faire le point, à la suite de l'appel aux donateurs lancé à Kuala Lumpur en juillet dernier et à la suite de la conférence de Genève du mois de novembre dernier. Deux questions devraient y recevoir une réponse précise : qui fait quoi ? Qui donne quoi ?

M. Gerard DUBRAC : Est-ce que les Chinois utilisent le Tamiflu ? Les cas sporadiques de contamination humaine pourraient être l'occasion de tester l'efficacité de ce produit : qu'en pensez-vous ?

M. le Président : Début janvier 2005, une délégation de députés membres de la commission des affaires sociales de notre Assemblée s'est rendue en Chine. Nous avons visité, à Pékin, le CDC, Center for Disease Control, le centre de lutte contre les maladies infectieuses. Nos entretiens, sur place, ont mis en évidence les limites de la capacité des autorités chinoises à dire les choses telles qu'elles sont, qu'il s'agisse du SRAS, de la grippe aviaire ou du sida. Il y a un décalage entre ce que disent les élites scientifiques du pays, qui ont pris conscience du problème, et ce que disent les autorités politiques, qui maintiennent un système totalement opaque. On a bien vu que, pendant dix mois, alors que l'épizootie se répandait au Cambodge, au Vietnam, en Birmanie, provinces qui ont des liens avec la Chine du sud et de l'ouest, on nous disait qu'il n'y avait pas de grippe aviaire en Chine. Maintenant, on s'aperçoit qu'il y en a en Chine du sud et qu'elle s'est répandue dans des endroits où l'on ne pensait pas la voir si rapidement, notamment au nord est. À tel point qu'on s'est demandé comment il pouvait y avoir autant de grippe aviaire chez les animaux sans cas d'infection chez les humains. Puis on apprend récemment qu'il y a eu un cas humain ! Compte tenu de l'immensité de la Chine, on se dit qu'on ne sait peut-être pas tout. Ne serait-ce pas, simplement, parce que les informations ne remontent pas toutes aux autorités chinoises centrales ?

Ce n'est pas la première fois que la Chine décide de vacciner les animaux. Elle avait déjà mené une première campagne de vaccination mais qui n'a visiblement pas marché. Nous devons donc être vigilants.

La conférence de Pékin est d'autant plus importante qu'elle est le signe d'une prise de conscience de la Chine. Il reste que la situation est potentiellement explosive dans cette région du monde.

M. Xavier BERTRAND : Si je m'étais rendu en Chine il y a dix mois, je ne suis pas certain que je vous aurais donné la même réponse. Or je m'y suis rendu après la révélation de trois cas de transmission à l'homme.

Lors de mes entretiens sur place, j'ai compris que sur le plan de l'épizootie, la Chine était loin de tout maîtriser dans certains endroits du territoire. Mes interlocuteurs chinois ont dit qu'ils avaient bien conscience que, dans un certain nombre de campagnes isolées ou reculées, les capacités de réaction et d'isolement rapides n'étaient pas du même niveau que celui constaté à Pékin et à Shanghai.

Je tiens à vous préciser qu'au moment où je me suis rendu en Chine, il y avait 74 foyers épizootiques dans neuf provinces. Le fait que nous soyons au courant est une preuve de transparence.

J'ai aussi appris que les Chinois avaient l'intention de renforcer leur législation : il deviendra obligatoire de déclarer aux autorités nationales, sous peine de sanction, tous les cas constatés dans les quatre heures suivant leur découverte.

S'agissant du Tamiflu, les Chinois disposent de stocks, mais je ne pense pas que ce soit à hauteur du taux de couverture de la population recommandé par l'OMS, soit 25 %...

Je remarque par ailleurs que, depuis des années, le Japon utilise massivement le Tamiflu, notamment pour la grippe saisonnière. Il est sûrement le premier consommateur au monde de Tamiflu.

M. le Président : Dans une publication de l'institut Pasteur du Vietnam, j'ai lu que le H5N1 avait muté. Que savez-vous sur ce point ?

M. Xavier BERTRAND : On parle davantage d'évolution que de mutation, ce qui expliquerait sa moindre virulence aujourd'hui. Fort heureusement, car les taux de mortalité étaient jusqu'à présent de 50 %. Cela dit, comme il y a aussi une meilleure prise de conscience du problème et un meilleur accès à des traitements de qualité, dans des délais raccourcis, il est difficile de se prononcer.

M. le Président : J'aimerais faire une suggestion. Il existe une structure internationale, qui s'appelle l'ASEM192, qui rapproche les pays ASEAN1932 de l'Europe. Elle a été lancée par la France il y a sept ou huit ans, puis reprise par l'Europe, mais tourne un peu en rond aujourd'hui. Elle pourrait constituer un cadre intéressant pour organiser une conférence, à la fois parce que c'est l'Europe, mais aussi parce que c'est l'ASEAN plus trois pays, dont le Japon et Singapour, qui ont de l'argent et des moyens techniques.

Lorsque je me suis rendu aux États-Unis, je me suis rendu compte que les Américains considéraient la question de la grippe aviaire comme une question de souveraineté nationale mais aussi internationale : nationale pour la défense de leur territoire, internationale pour l'image des États-Unis. Plus généralement, ce sont l'image de chacun d'entre nous et notre capacité à prendre le leadership au plan international qui sont en jeu.

La France a fait le choix du multilatéralisme vis-à-vis de l'OMS. Est-ce que cela la prive de relations bilatérales avec les États-Unis ? Dans des pays comme le Vietnam ou le Cambodge, les États-Unis ont une volonté très forte de s'appuyer sur les structures françaises existantes.

Comment tous ces éléments d'ordre international pourraient-ils, selon vous, s'articuler ?

M. Xavier BERTRAND : Nous avons déjà songé à organiser une conférence internationale. L'idée d'en organiser une dans le cadre de l'ASEM est bonne. Je vais voir avec le ministère

des affaires étrangères si l'ASEM constituerait un cadre adapté.

J'ai rencontré, il y a quelques mois, l'ambassadeur américain à Paris, M. Craig Stapleton. Force est de reconnaître que les Américains sont impliqués dans la coopération avec les organisations internationales plus substantiellement que ce qu'ils semblaient avoir l'intention de faire il y a quelques mois.

J'ai, par ailleurs, constaté que les moyens financiers n'étaient pas la demande prioritaire des pays touchés. Ainsi, la ministre de la santé du Vietnam m'a demandé une aide en personnes et en moyens, ainsi qu'une aide pour les situations d'urgence - matériel médical, vêtements, ambulances, respirateurs. Nous allons inviter des entreprises françaises installées là-bas à aider les autorités nationales. Et donc, bien qu'engagée dans les organisations internationales, la France n'exclut évidemment pas l'éventualité de passer des accords bilatéraux avec les pays concernés.

S'agissant des États-Unis, nous avons rencontré à Rome des experts du Center for Disease Control, le CDC. Les Américains sont très intéressés par ce qui se passe en Afrique. S'ils veulent contribuer à renforcer la coopération internationale, notamment au Cambodge et dans tout le réseau RESPARI, nous devons nous garder de nous placer en concurrents. Complémentarité oui, concurrence non.

Cela suppose que la France et l'Europe soient présentes là-bas. L'enjeu est d'aider ces pays. En les aidant, nous nous protégeons. Mais pour nous protéger, il faut aussi être capables de mener des travaux de recherche sur le vaccin, ce qui n'est pas secondaire.

S'agissant de l'Afrique, nous n'avons pas encore été sollicités. Toutefois, nous avons anticipé la demande car elle risque d'arriver. Force est de reconnaître que les niveaux de veille sanitaire ne sont pas les mêmes dans tous les pays africains. Si nous avons vraiment une force d'action rapide en matière vétérinaire à installer, ce sera en Afrique. On sait que l'Afrique est un foyer potentiel d'épizootie. Mais le poids économique et culturel des élevages n'est pas le même en Afrique qu'en Asie du Sud-Est. Il n'y a pas la même proximité entre les élevages et les humains, et la place du poulet dans l'alimentation n'est pas non plus la même qu'en Asie. Cela dit, le niveau des services vétérinaires demanderait certainement à être renforcé sur l'ensemble du continent africain.

M. le Rapporteur : Nous n'avons pas encore auditionné l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Son audition aura lieu dans une quinzaine de jours. Quel serait son rôle en Afrique ?

M. Xavier BERTRAND : La question n'a pas encore été abordée. Aujourd'hui, c'est davantage avec la FAO et l'OIE que j'ai eu des contacts.

M. le Président : D'après vous, quels sont les pays africains les plus sensibles ?

M. Xavier BERTRAND : Je n'ai pas d'idée précise. Une étude a montré qu'un certain nombre de pays africains seront, dans quelques années, sur le plan économique, l'équivalent des dragons asiatiques. On peut donc penser qu'ils auront un niveau de réactivité supérieur. C'est en tout cas ce qu'on a dit du Kenya et de l'Afrique du Sud. Mais je n'ai pas à porter de jugement sur l'état de préparation de ces pays.

M. le Président : Ma question visait plutôt les pays qui, au départ, risqueraient d'être plus touchés par l'épizootie ?

M. Xavier BERTRAND : Aujourd'hui, même la FAO n'est pas en mesure de répondre précisément à cette question. Mais bien évidemment, les pays de l'Afrique subsaharienne seraient plus directement concernés.

M. le Président : Merci, monsieur le ministre.

Audition de M. Jean CASTEX, Directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) au ministère de la santé et des solidarités, de M. Luc ALLAIRE, directeur adjoint, et de Mme Dominique PETON-KLEIN, responsable de la cellule « gestion des risques »

(Compte rendu de la réunion du mercredi 1er février 2006)

Présidence de Mme Geneviève GAILLARD, vice-présidente

Mme Geneviève GAILLARD, Présidente : Madame, Messieurs, nous vous remercions d'être venus. Après une première série de travaux consacrée à la mobilisation des moyens médicaux nécessaires à la lutte contre une potentielle pandémie, et qui a fait l'objet d'un rapport publié la semaine dernière, notre mission s'est ensuite penchée sur le problème de l'épizootie aviaire, donc sur l'évolution de la maladie animale. Votre audition marque le début d'une troisième étape : nous évaluons la manière dont les autorités de santé géreront une éventuelle pandémie grippale.

M. Jean CASTEX : Permettez-moi au préalable de vous présenter mes collaborateurs : M. Luc Allaire, adjoint au directeur de la DHOS et le docteur Dominique Péton-Klein, responsable de la cellule de gestion des risques - et par le fait, cheville ouvrière de notre participation au plan de lutte contre la grippe aviaire.

Un plan gouvernemental de préparation à la pandémie a été élaboré, avec le concours de l'ensemble des ministères, par le SGDN sous l'autorité du Premier ministre ; dans le même temps a été nommé un délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire. Les actions de ma direction se situent clairement dans le cadre de ce plan, tant en matière de contenu qu'en matière d'organisation. Mon intervention elle-même s'effectuera dans le cadre de l'action conduite par le professeur Didier Houssin, délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire et par ailleurs directeur général de la santé - autrement dit mon collègue -, ce qui donne toutes assurances sur la cohérence de notre démarche avec le plan gouvernemental.

Précisons que, depuis les textes de 2000 qui la régissent et qui ont étendu ses compétences, la DHOS est compétente pour ce qui touche, naturellement, au monde hospitalier, mais également à l'organisation des soins ambulatoires. Et on est, ici, au cœur du sujet, car il s'agit bien, en l'espèce, d'organiser l'intervention des professionnels de santé autres que ceux qui exercent dans le cadre de l'hôpital - même si celui-ci est appelé à jouer un rôle central dans ce domaine - dans la préparation et, le cas échéant, la prise en charge d'une éventuelle pandémie. C'est plus précisément le rôle de la cellule de gestion des risques.

Enfin, nous avons pris l'habitude, depuis plusieurs années, de préparer notre système hospitalier et notre organisation sanitaire à une situation de crise. De ce point de vue, le travail auquel nous nous attelons dans le cadre de la préparation à une pandémie a vocation à servir plus généralement l'organisation de notre système de soins et sa capacité à faire face à des crises d'ampleur très diverse. Le cadre juridique dans lequel s'effectuera la mobilisation des professionnels de santé, et particulièrement des hôpitaux, est celui du plan blanc et du plan blanc élargi ; il sera utilisé en cas de déclenchement d'une pandémie de grippe aviaire, mais également à l'occasion de tout autre phénomène de nature ou aux effets comparables à ceux d'une grippe. Autrement dit, nous nous préparons à la grippe aviaire, mais nous cherchons, à la faveur de cette préparation, à améliorer notre organisation et notre capacité de réaction pour faire face aux crises en général.

Le plan blanc et le plan blanc élargi ont fait l'objet d'un décret paru le 30 décembre dernier, qui est venu améliorer le dispositif antérieur. Pour simplifier, un plan blanc est de la responsabilité du directeur d'établissement de santé ; chaque établissement doit être doté d'un plan blanc, avec différentes annexes selon la nature de la crise attendue, et qu'il appartient au directeur, le cas échéant, de déclencher et de mettre en œuvre. Le plan blanc élargi est quant à lui de la responsabilité du représentant de l'État dans le département et vise à préparer et à mobiliser tous les acteurs de santé : établissements, professionnels de santé libéraux et structures médico-sociales. C'est sans doute l'innovation la plus forte de ce décret que d'avoir prévu une organisation à l'échelon départemental sur ces questions qui ne sont pas seulement hospitalières, en vue de mobiliser tous les acteurs dans un schéma d'ensemble.

Le plan gouvernemental de prévention et de lutte contre la pandémie grippale retient comme principe de base le maintien, dans toute la mesure du possible, des patients à leur domicile. C'est un point central, qui résulte du nombre prévisible de malades. Retenir le principe inverse, autrement dit l'hospitalisation systématique, aboutirait immanquablement à faire exploser le système en raison du nombre attendu de patients, et ce quelles que soient les modulations. Le choix du maintien à domicile supposera de mobiliser notamment les professionnels de santé libéraux et de recourir à des modalités exceptionnelles d'organisation, comme la mise en place d'un système de visites par secteur géographique, centré sur des immeubles ou des quartiers. J'y reviendrai.

Devra également être prévue la protection des soignants, c'est-à-dire des mesures-barrières afin d'éviter la transmission du virus. Le ministre de la santé a ainsi annoncé que tous les professionnels de santé disposeront de masques adaptés à leur niveau d'exposition, qu'il s'agisse des masques FFP2, les plus complets, ou des masques chirurgicaux, et d'une protection médicamenteuse - sous forme de traitements curatifs précoces ou post-exposition - et vaccinale.

La coordination entre établissements publics et privés, d'une part, professionnels de santé libéraux des structures de soins ambulatoires à domicile, d'autre part, est un axe majeur du plan. Le principe du maintien à domicile, outre l'organisation de la médecine de ville, impliquera une mise en œuvre coordonnée des structures et des services de soins à domicile (hospitalisation et services de soins infirmiers à domicile). Des plates-formes logistiques et administratives de coordination seront mises en place pour gérer leur organisation, leur nombre et leurs modalités de fonctionnement, tout ceci sous la responsabilité du préfet de département, selon la déclinaison du plan national. Cette coordination s'entend également entre établissements de santé et soins de ville, notamment pour la prise en charge des patients.

L'organisation des soins hospitaliers conduira au regroupement de certaines disciplines - réanimation, cancérologie, pédiatrie, etc. - impliquant la désignation d'établissements de santé ou de structures dédiées. C'est un point important : nous allons spécialiser nos structures. Parallèlement à cette spécialisation, il faudra, à l'évidence, prévoir une augmentation des capacités pour faire face à cet afflux, ce qui supposera la déprogrammation des activités non urgentes, qui elle-même exigera une réflexion commune entre établissements de santé, chacun d'eux ne pouvant plus à son niveau assumer toutes ses fonctions habituelles. L'activité de certains établissements - je pense aux cliniques privées qui souvent ont des activités monochirurgicales - sera ainsi redéployée vers les autres activités de soins dans le cadre de la déprogrammation. Ainsi, nous envisageons de transformer des cliniques qui ne font actuellement que de la chirurgie en les spécialisant exclusivement dans des activités de réanimation de patients atteints de grippe aviaire.

En situation de pandémie grippale, les SAMU-Centres 15 seront bien évidemment au cœur du dispositif de régulation des soins de ville, des transports sanitaires et des hospitalisations. Ils auront aussi à jouer un rôle de conseil médical auprès de la population, ce qui nécessitera de mettre au point un message national homogène et clair. L'objectif est donc d'anticiper un surcroît d'appels et d'interventions sans pour autant bouleverser les réflexes des patients comme des professionnels de santé.

En phase pandémique, les numéros d'appel 15, 18, 17 seront maintenus. Le centre 15 doit rester l'unique point d'entrée pour les appels des particuliers comme des professionnels de santé, tout en continuant d'assurer ses fonctions habituelles de régulation des appels médicaux urgents, de conseil médical, d'envoi des secours et d'orientation hospitalière. Les surcroîts d'appels, prévisibles, et qui seront forcément très importants, justifieront un renforcement significatif des effectifs, par le recours, par exemple, à des médecins régulateurs retraités depuis moins de trois ans ou à des médecins possédant un diplôme universitaire de régulation ou une capacité d'aide médicale urgente. Par ailleurs, les services départementaux peuvent également prévoir de former certains personnels administratifs de l'hôpital aux fonctions de permanenciers, qui sont des personnels non médicaux travaillant dans les SAMU-Centres 15. Sont également prévues des cellules d'expertise et d'appui des SAMU-Centres 15 départementaux.

Evidemment, je précise que nous travaillons non en vase clos, mais en étroite collaboration avec les personnels de santé et leurs représentants nationaux. Le point d'orgue de cette collaboration a été l'organisation par nos soins, sous l'égide de M. Didier Houssin, de deux colloques nationaux, le premier réunissant les hospitaliers, personnels médicaux et administratifs, l'autre les professionnels de santé libéraux. Ce système itératif de concertation permanente a permis d'élaborer sur tous ces sujets des fiches de recommandations à l'usage de l'ensemble des professionnels susceptibles d'avoir à mettre en œuvre le dispositif de lutte contre la pandémie, à quelque niveau qu'ils soient.

Dès lors que la règle a été posée du maintien, autant que possible, des patients au domicile, l'hospitalisation sera donc réservée aux cas les plus graves, sur régulation du SAMU-Centre 15. Nonobstant cette disposition, il y a fort à parier que beaucoup de gens se présenteront spontanément dans les établissements de santé, cependant que d'autres continueront à devoir se rendre à l'hôpital pour d'autres maladies que la grippe... Aussi travaillons-nous à organiser un système de tri à l'entrée des hôpitaux, qui est inévitable. La démarche s'apparente à celle d'une médecine de guerre : il s'agira de réguler les flux - ce qui amènera à renvoyer chez eux tous les patients dont l'examen clinique aura montré qu'ils ne nécessitent pas d'hospitalisation - mais également de faire le lien avec la médecine de ville afin qu'elle prenne le relais. Les patients nécessitant une hospitalisation seront orientés, en fonction de leur état clinique, vers les urgences, ou vers des zones ou services appropriés. Le tri aura pour but de détecter immédiatement les patients présentant des symptômes de la maladie, qui se caractérise par une très forte contagiosité. D'où un deuxième principe de l'organisation hospitalière : le confinement des malades à l'intérieur de ces établissements, grâce à la mise au point de circuits adaptés et l'utilisation de locaux réservés, afin de traiter ces patients dans des zones d'où le virus ne pourra pas se propager - même si, on le sait, une sectorisation totale sera difficile, voire illusoire. Se pose également le difficile problème des services de réanimation, qui seront à l'évidence très sollicités. Ce sera un sujet à approfondir et sur lequel nous travaillons.

Non seulement nous devrons faire face à un afflux de patients, mais il faudra s'attendre à ce qu'une partie de nos personnels soient malades ou ne se présentent pas à leur travail pour des raisons diverses, par exemple s'ils ont des personnes atteintes par le virus dans leurs familles. Aussi avons-nous demandé qu'une annexe spécifique du plan blanc prévoie les modalités de renforcement des personnels, et pour commencer des actions d'explication et de sensibilisation sur ce qu'est la grippe aviaire, ses conséquences, l'organisation qui en découle, etc. Pour ce qui est de l'adaptation des effectifs proprement dite, nous travaillons sur deux pistes : premièrement, une série de mesures structurelles faisant appel au « vivier » existant - redéploiement de certains personnels soignants dans les services sous tension, rappel des personnels en formation ou en congé, réorganisation des conditions de travail - et deuxièmement, la constitution de ce que le professeur Houssin appelle un « corps de réserve sanitaire » composé de personnels externes qui constitueront des personnels supplémentaires : étudiants en médecine et en écoles paramédicales, retraités de moins de trois ans. D'autres pistes sont encore en discussion avec les professionnels.

Pour ce qui est enfin de la constitution de stocks d'antiviraux et d'équipements, notamment les masques, 14 millions de traitements antiviraux étaient d'ores et déjà stockés au 31 janvier 2006, dont 20 000 prépositionnés dans dix établissements de référence ; 500 établissements de santé sont d'ores et déjà dépositaires de 100 millions de masque FFP2 et un milliard de masques chirurgicaux sont en cours de commande, sachant que les stocks s'élèvent déjà à 14 ou 15 milliards d'unités.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Plusieurs députés membres de la mission ont visité des établissements hospitaliers et ont pu constater un certain avancement dans les préparatifs, du moins dans un certain nombre d'entre eux. Toutefois, beaucoup de questions demeurent.

Le premier problème tient au financement de l'hôpital, qui dépend de l'ARH. Le ministre nous a confirmé que les antiviraux et les masques seraient mis à disposition hors budget hospitalier. Mais quid des blouses, gants, lunettes et matériels jetables ? Qui paiera ?

Par ailleurs, une certaine insuffisance a été relevée dans les moyens de réanimation des services pédiatriques ; or les enfants risquent d'être les premiers touchés.

En matière d'effectifs également, une inquiétude demeure. Vous-même y avez fait allusion : tous les personnels, y compris les aides-soignantes et les femmes de ménage, viendront-ils travailler en cas de pandémie ? Les directeurs d'hôpitaux eux-mêmes s'inquiètent du risque d'absentéisme majeur. Les présidents des commissions médicales d'établissements nous ont posé la question, craignant même que certains médecins ne viennent pas. Ne faut-il pas aller plus vite et plus loin dans l'information et l'explication au sein de l'hôpital ? On avait même évoqué l'idée d'un support audiovisuel. Il faudrait envisager des moyens de communication comme, par exemple, un livret d'information.

En aval, les préfets sont responsables de l'application du plan. Celui de mon département m'a montré le sien. Mais il faudra bien que les maires, aussi, soient placés en ordre de bataille. C'est pourquoi il est nécessaire d'accroître l'information dans les communes et préciser, notamment, les responsabilités des maires et des centres communaux d'action sociale (CCAS) à l'égard des patients qui ne seront pas hospitalisés parce que leur état de santé ne le nécessitera pas. Ceux-là reviendront à leur domicile ; certes, les médecins libéraux seront réquisitionnés, mais les municipalités auront un rôle à jouer, surtout s'il s'agit de personnes seules ou âgées.

Mme Catherine GÉNISSON : Certains intervenants potentiels n'ont pas été cités dans votre description des plans blancs et plans blancs élargis, à commencer par les corps de sapeurs-pompiers, voire le service de santé des armées, dont les compétences pourraient être très utiles en période de catastrophe sanitaire. Notre rapporteur a insisté sur l'implication des soignants ; la question est effectivement majeure. Je sais par expérience que, même dans des circonstances normales, il est très difficile de rappeler des personnels pour pallier un manque : les gens se mettent systématiquement sur messagerie... Sans compter les questions que se posent l'ensemble des personnels, médicaux compris, sur la nécessaire protection que l'on se doit de leur assurer. Cette préoccupation était particulièrement prégnante dans le centre hospitalier de référence que nous avons été plusieurs à visiter au début de l'année.

Pouvez-vous nous expliciter davantage les liens qui existeront entre les SAMU-Centres 15 et les plates-formes logistiques et administratives de coordination ? On devrait s'intéresser à l'expérience du département du Pas-de-Calais où, à côté du centre 15, a été monté un centre dit « 15 bis » où les libéraux participent à la régulation médicale des appels d'urgences en faisant la démonstration de leur engagement et de leur compétence. Il serait bon de mobiliser les libéraux sur leur mission propre, mais également sur cette dimension de régulation, à l'évidence nécessaire.

Quant aux établissements dédiés, ils me paraissent, vraiment, une vue de l'esprit... On sait très bien ce que sera la réalité : sitôt qu'ils auront peur, les gens prendront leurs enfants, s'engouffreront dans leurs voitures et débarqueront dans le premier établissement hospitalier venu, qu'il soit privé ou public. Il y a là un énorme travail d'explication et de pédagogie à mener. Vous avez également parlé de détourner les établissements privés de leur activité habituelle ; ne serait-il pas plus intéressant de maintenir leur organisation première, en leur transférant tout ce qui resterait « programmé-obligatoire » de l'hôpital public, plutôt que de les contraindre à adopter une nouvelle organisation spécifique à la crise ? Toutes ces questions, qui relèvent de la médecine de catastrophe, n'admettent pas l'improvisation. Leur mise en pratique exige une grande habitude et une expérience avérée.

Les libéraux, qu'il s'agisse des médecins ou des professions paramédicales, sont encore trop peu informés et formés sur le sujet. Quant aux exercices, ils sont indispensables pour valider les dispositions prévues ; encore faut-il que les moyens supplémentaires qu'ils exigent soient pris en compte dans les financements des hôpitaux qui fonctionnent déjà à flux tendus.

M. Marc LE FUR : Si l'on tire les enseignements de l'actuelle épizootie, on constate que les enfants sont effectivement les premiers touchés ; des mesures spécifiques de planification ont-elles été prévues en conséquence ? Envisagez-vous un exercice concret, grandeur nature, à l'exemple de l'exercice vétérinaire réalisé en Bretagne au mois de novembre dernier, et dont, contrairement à ce que beaucoup craignaient, le retentissement médiatique a finalement eu un effet plutôt rassurant sur les populations ? Comment, dans quels délais, selon quelle ampleur ?

M. Denis JACQUAT : L'organisation de la réanimation pédiatrique a été évoquée ; en Lorraine, douze lits ont été réservés au CHU pour deux millions d'habitants... Cela fait peu !

Le masque FFP 2 a normalement une durée de vie de quelques heures. On a beau en avoir des millions, chaque utilisateur devra le renouveler. Quelle est sa durée maximum d'utilisation ? À croire les responsables hospitaliers, elle se situerait entre trois et six heures...

Je rejoins Mme Génisson sur la nécessité de mieux former et informer les professions médicales et paramédicales, particulièrement en milieu libéral. L'information des communes est également très importante, particulièrement en zone rurale. Si la pandémie éclate, les gens paniqueront et partiront dans tous les sens. Ne sous-estimons pas les capacités d'adaptation des cliniques privées : à Metz une énorme clinique privée assure les urgences vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pourquoi ne l'utiliserait-on pas ?

Mme Catherine GÉNISSON : En effet ; cela dépend des situations.

M. Denis JACQUAT : Je crois enfin savoir que les hôpitaux qui ont reçu des matériels ont avancé l'argent... Ils vont être remboursés mais devront-ils encore faire l'avance pour les équipements qui vont suivre ?

M. François GUILLAUME : Le CHU de Nancy a déjà très bien décliné le plan que vous nous avez exposé. Néanmoins, les professionnels nous ont posé quelques questions très concrètes à propos de son application.

Vous avez fort justement indiqué qu'il faudrait garder le plus grand nombre possible de malades à la maison ; mais compte tenu du caractère très contagieux de la maladie, on aura tout loisir de mourir en famille, si vous me permettez cet humour noir... Une panoplie de soins a-t-elle été prévue pour protéger la famille amenée à vivre avec le malade ?

Vous avez parlé de la mobilisation du secteur public, mais également du secteur privé. Serait-il nécessaire de mettre en place une législation ou une réglementation garantissant la mobilisation du secteur privé, et notamment les cliniques ?

S'agissant enfin de l'utilisation des antiviraux, votre plan définit-il des catégories de personnels prioritaires ? Par ailleurs, comment protéger les pharmacies de l'afflux de clients qui, à peine la pandémie déclarée, exigeront des antiviraux, y compris sous la menace ?

M. Rudy SALLES : Aux blouses et lunettes évoquées par le rapporteur, il faudrait ajouter les solutions hydro-alcooliques ; à l'exception des masques, les hôpitaux fonctionnent sur les stocks dont ils disposent. La question nous a été posée avec insistance à Nice.

Le Tamiflu a été stocké dans les centres de référence. Nous avons visité le CHU de Nice où le comité de pilotage fonctionne parfaitement depuis plusieurs mois : il se réunit chaque semaine et produit des documents très élaborés. Une inquiétude s'est toutefois fait jour à propos des antiviraux : ils craignent que les centres de référence et les établissements situés à proximité soient beaucoup mieux servis que les établissements les plus éloignés. Il faut savoir que le CHU de Nice n'a, pour l'heure, que dix boîtes de Tamiflu en stock...

Si le comité de pilotage fonctionne bien et le CHU de Nice travaille efficacement, on ne peut pas en dire autant de la coordination avec l'ensemble des services de la ville, qui n'a absolument pas commencé. Le préfet n'a encore prévenu personne. Je trouve cela un peu étonnant. Ce phénomène est-il général ? Les deux mouvements devraient normalement aller de pair ; or, la communication ne passe toujours pas. Les professionnels de ville sont totalement coupés du processus d'information.

M. Jérôme BIGNON : J'ai, moi aussi, trouvé au CHU d'Amiens des professionnels très mobilisés et en parfaite harmonie avec la présentation de M. Jean CASTEX.

Cela dit, le cas de certains établissements - hôpitaux psychiatriques, maisons de retraite, maisons d'arrêt - n'est jamais évoqué ; or, la contagion risque d'y être très forte alors même que l'état de santé des populations concernées est loin d'être toujours satisfaisant. Qu'est-il exactement prévu de ce côté ?

Je confirme, après mon collègue Rudy Salles, le décalage entre une préparation parfaitement déclinée au niveau départemental comme dans les établissements importants, et la situation de la médecine de ville. Qu'en est-il des petits hôpitaux, voire des hôpitaux ruraux qui pourraient servir de chambre d'expansion, comme lors des crues, et accueillir des personnes seules, par exemple, et des médecins de ville qui, pour l'instant, semblent décalés par rapport au discours officiel qu'ils considèrent avec indifférence, sinon une certaine dérision ?

Enfin, les centres 15 sont-ils techniquement capables de supporter un tel afflux d'appel en temps de crise ?

Mme Catherine GÉNISSON : Absolument pas...

M. Jérôme BIGNON : A-t-on évalué et vérifié leurs capacités techniques ? Si l'on veut dissuader les gens d'aller à l'hôpital, encore faut-il être en mesure de leur répondre lorsqu'ils téléphonent... Faute de quoi, ils sauteront dans leur voiture la seconde d'après. Essayons au moins de pouvoir raisonner ceux qui feront l'effort de téléphoner.

M. Gabriel BIANCHERI : Je voudrais insister sur la nécessité de mobiliser les libéraux. Le maillage territorial est essentiel. Par ailleurs, qu'en est-il de l'élimination des matériels jetables utilisés ?

M. Jean CASTEX : Il n'est pas dit que j'aie à ce jour toutes les réponses à toutes vos questions... Je peux vous dire ce que l'on a l'intention de faire mais il est des sujets sur lesquels nous avons encore à progresser.

S'agissant des questions politiques, au sens noble du terme, organisationnelles, vous avez été plusieurs à vous inquiéter de la mobilisation des libéraux. C'est un vrai sujet. Nos établissements hospitaliers ont depuis toujours une culture de la crise et sont par nature très organisés ; il n'est donc pas illogique, a fortiori pour nos centres de référence, qu'ils se soient emparés du sujet de façon plus structurée et réactive que les libéraux, plus portés à agir sous un angle individuel et dont les modes d'organisation ne sont pas de même nature, sans que cela soit péjoratif. Raison de plus, comme l'a indiqué le Ministre, de les associer encore mieux et d'en faire la cible privilégiée d'un travail pédagogique de formation et d'information, au demeurant également utile pour les personnels hospitaliers. C'est ce que nous faisons sur le plan national : jamais, sur ces sujets, les contacts n'ont été aussi intenses avec les représentants nationaux de la médecine libérale. Et nous nous efforçons surtout de travailler par thématique, en évitant de nous adresser, un jour, aux hospitaliers, le lendemain aux libéraux, etc.

Mme Catherine GÉNISSON : Il faudrait que les préfets en fassent autant.

M. Jean CASTEX : Effectivement, et nous avons envoyé des instructions très claires aux représentants de l'État dans les départements où existe une instance qui rassemble les professionnels de santé libéraux, médicaux et paramédicaux, transporteurs sanitaires compris, les services d'incendie et de secours et les hospitaliers : les CODAMUPS194, présidés par les préfets, qui ont justement pour mission d'organiser cette prise en charge sur un territoire déterminé.

Mme Catherine GÉNISSON : Vous venez de parler des sapeurs pompiers : connaissant les relations entre les uns et les autres, on ne peut songer à les faire intervenir sans prescriptions politiques claires.

M. Jean CASTEX : Vous avez totalement raison. Une circulaire conjointe de la direction de la sécurité civile et du ministère de la santé est en cours de rédaction, qui sera vraisemblablement signée par les deux ministres et arrêtera l'articulation entre les services départementaux d'incendie et de secours et l'appareil sanitaire, ainsi que les modalités d'intervention coordonnée - même si les conditions d'emploi, et donc de préparation, des SDIS à une pandémie grippale continueront à relever du ministère de l'intérieur. De la même manière, nous sommes en étroite discussion avec le ministère de la défense sur le rôle à donner au service de santé des armées, qui pourrait nous être utile à deux titres : la mobilisation dans le cadre de notre vivier de réserve de professionnels expérimentés et les apports méthodologiques, compte tenu de l'expérience du SSA et de sa capacité à répondre à des situations exceptionnelles de crise.

S'agissant des équipements, et pas seulement des masques, des questions nous sont évidemment remontées à propos des blouses, lunettes, solutés et autres. Avant de savoir qui paiera et comment, encore faut-il savoir ce qui sera nécessaire et, donc, centraliser autant que possible les demandes pour se faire une idée des besoins spécifiques à la préparation de la pandémie. Qui paiera ? Vous avez indiqué qu'il y avait des problèmes de remboursement d'avances ; je ne suis pas certain que vos interlocuteurs aient été particulièrement inquiets, dans la mesure où il a été très clairement indiqué que les crédits seraient débloqués, et ils le seront effectivement. Certes, les établissements doivent pour le moment faire l'avance, mais des instructions très claires ont été données et rappelées en conférence des directeurs généraux. Le Président de la République et le Premier ministre l'ont eux-mêmes affirmé : il n'y aura aucun obstacle financier à la préparation de la pandémie, ce qui n'interdit pas de chercher à se faire une estimation relativement précise des besoins. Je veux vous rassurer et, à travers vous, les hospitaliers que vous avez rencontrés : leurs préoccupations seront prises en compte et les procédures de remboursement des sommes qui ont été avancées sont en cours de finalisation.

La place des SAMU-Centres 15 est un sujet central, y compris sur le plan technique. C'est d'abord un problème humain, celui des personnels amenés à répondre au téléphone, et celui de leur formation à un sujet très spécifique. Nous sommes par ailleurs totalement convaincus de l'absolue nécessité d'une participation des médecins libéraux à la régulation médicale par les centres 15, en situation normale comme en situation pandémique. Partout où elle a été mise en place, elle constitue un progrès. Le cas du Pas-de-Calais est effectivement particulier ; reste que, dans de très nombreux départements, des médecins libéraux participent chaque jour à la régulation dans les centres 15. Leur nombre s'est significativement accru au cours des cinq dernières années et les conditions juridiques et financières de leur intervention devraient désormais être réglées dans pratiquement tous les cas par le décret du 7 avril dernier et l'avenant conventionnel de juillet. Il faudra maintenant, comme le prévoit le plan, doubler, voire tripler au besoin leurs effectifs. Cela dit, la déclinaison des orientations générales du plan dans chaque département autorise une certaine souplesse dans le choix des solutions : le nombre de professionnels libéraux dans les Alpes-Maritimes n'a rien à voir avec celui d'autres départements français... Autant il faut exiger un état de préparation sur des bases homogènes, autant il faut laisser aux acteurs au niveau territorial une possibilité d'adaptation en fonction des ressources disponibles.

Mme Génisson a regretté que les personnels soient parfois si difficiles à joindre... C'est effectivement un réel souci et les exigences du nouveau plan blanc visent précisément à éviter de tels obstacles. Je voudrais faire observer que, si ce problème peut se poser lors de petites crises, il n'est pas rare, lorsque la situation devient grave, que les hôpitaux soient confrontés à un afflux spontané de personnels pour prêter main-forte... à tel point qu'ils ont parfois du mal à organiser cette ressource imprévue. Les crises exceptionnelles provoquent souvent une mobilisation supplémentaire.

Mme Catherine GÉNISSON : Cette mobilisation, du fait de la contagion de la grippe, pourrait ne pas être de même nature.

M. Jean CASTEX : Nous nous sommes aperçus qu'il était plus facile d'obtenir les coordonnées des gens dans le cadre du plan blanc d'établissement - annexe pandémie grippale ; d'ordinaire, ils prétendent ne pas être joignables et rechignent à donner leur numéro de portable. Le dispositif dont nous pouvons user à ce jour pour réquisitionner tant les professionnels de santé, libéraux et autres, que les établissements ou structures juridiques nécessaires, grâce aux dispositions de la loi relative à la politique de santé publique d'août 2004, codifiées dans le code de la santé publique, nous paraît, sous réserve d'expertises complémentaires, tout à fait suffisant. Autrement dit, les représentants de l'État dans les départements disposeraient, en cas de pandémie, des outils juridiques nécessaires pour mobiliser celles et ceux qui n'accepteraient pas de s'inscrire spontanément dans les plans de mobilisation dont ils ont la responsabilité. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de modifier l'arsenal juridique.

La spécialisation des établissements a été évoquée par plusieurs d'entre vous. Comment utiliser au mieux, en période pandémique, une clinique privée qui faisait pour l'essentiel de la chirurgie programmée ? Une solution pourrait consister à lui confier les urgences chirurgicales de l'hôpital - il y en aura malheureusement toujours ; mais on pourrait également, à l'inverse, fermer ce type d'établissements en accès public afin de les confiner et de les spécialiser dans l'hospitalisation des patients atteints de grippe aviaire. Plusieurs solutions sont possibles ; tout dépendra des territoires, de l'organisation du CHU, des situations, etc. Il faut laisser au niveau local le choix du mode d'organisation le plus adapté.

S'agissant du problème, réel, de la réanimation des enfants, nous sommes en train de procéder à un recensement précis de l'existant. Tout montre en effet que nos moyens de réanimation pédiatrique sont globalement, et sur le plan national, adaptés à une situation normale, mais seraient insuffisants en cas de pandémie grippale. Or, cela pose un problème car la matière est très spécifique et exige des qualifications professionnelles particulières : on n'intube ni ne réanime un enfant comme un adulte. Reste que, en cas d'afflux massif, il va bien falloir...

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Que tout le monde s'y mette !

M. Jean CASTEX : ...assumer collectivement la situation, sans nécessairement chercher à respecter précisément toutes les normes requises en situation ordinaire. Nous sommes en train de voir comment nous allons transférer des capacités de réanimation pour adultes au bénéfice de la réanimation pédiatrique. C'est un des axes centraux de notre réflexion, mais nous avons encore besoin d'affiner les remontées d'informations sur le sujet.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La spécificité dans ce domaine vaut pour les praticiens comme pour les matériels. Faites-vous un relevé des appareils existants ?

M. Jean CASTEX : Tout à fait.

Mme Catherine GÉNISSON : Alors que les matériels de ventilation jusqu'alors stockés sont relativement standards, la réanimation et la ventilation de ces patients exigent des équipements très sophistiqués.

Mme Dominique PÉTON-KLEIN : Il s'agit essentiellement de respirateurs d'urgence acquis pour des situations de catastrophes. Une fois effectué l'indispensable état des lieux, nous privilégierons surtout l'achat de matériels polyvalents, capables de servir tant pour les adultes que pour les enfants.

Mme Catherine GÉNISSON : Mais les matériels dont je parle sont extrêmement complexes, et les réanimateurs avec lesquels j'en ai discuté se déclarent souvent déconcertés par les matériels préconisés.

M. Jean CASTEX : Je suis surpris de cette affirmation : nous n'en sommes pour l'instant qu'à l'état des lieux et nous n'avons rien préconisé du tout en termes d'achat de matériels...

Mme Dominique PÉTON-KLEIN : Les stocks de 2 000 respirateurs d'ores et déjà constitués s'inscrivent dans un autre cadre : il s'agit de respirateurs d'urgence qui, en aucun cas, ne pourraient servir en situation de pandémie grippale.

Mme Catherine GÉNISSON : En effet.

M. Jean CASTEX : Le rôle des communes et des CCAS est défini dans le plan gouvernemental de lutte contre la grippe aviaire, mais se trouve hors du champ de mes compétences. Les communes sont au centre du dispositif, mais cette affaire relève de la compétence du ministère de l'intérieur.

Des exercices sont effectivement prévus, à l'instar de la simulation vétérinaire organisée en Bretagne l'automne dernier, et nous nous y préparons, mais il ne m'appartient pas ici de vous en détailler ni les dates ni les conditions. Il est, en tout cas, indispensable d'organiser des exercices hospitaliers et d'organisation des soins, sur site ou régionaux, afin de tester la capacité de réponse de notre appareil institutionnel en cas de survenance de la pandémie.

M. Marc LE FUR : Ce seraient donc des exercices d'initiative nationale et non d'initiative locale. On se souvient que, parallèlement à l'exercice vétérinaire breton, une initiative locale avait été prise par l'hôpital du secteur, et que cette combinaison, sans préparation conjointe du vétérinaire et du sanitaire, avait été quelque peu malvenue.

M. Jean CASTEX : Ce sera un exercice d'initiative nationale dans le cadre de la préparation du plan national.

Mme Geneviève GAILLARD, Présidente : Mon département des Deux-Sèvres abrite des entreprises aux capacités énormes en matière de standards téléphoniques - ainsi Inter Mutuelles Assistance. Envisagez-vous de mobiliser leurs compétences ?

M. Jean CASTEX : Nous aimerions, au préalable, procéder à une expertise technique sur la capacité de monter en puissance des SAMU-Centres 15 ; certains disposent d'une marge de manoeuvre car ils sont plus récents, et d'autres pas. Les réponses devront être adaptées à cet état de fait. J'avoue ne pas avoir spontanément réfléchi à la solution que vous évoquez... Pourquoi pas ?

Mme Dominique PÉTON-KLEIN : S'agissant des conditions d'emploi des antiviraux actuellement stockés, la recommandation se limite à un usage essentiellement curatif et non prophylactique. Lorsque les stocks deviendront plus importants, nous arrêterons une liste de professionnels prioritaires appelés à en recevoir, voire de populations fragiles - les patients sous chimiothérapie pourraient ainsi bénéficier de ces traitements. Pour ce qui est de la disponibilité, nous disposons de deux stocks nationaux, et des stocks prépositionnés dans les établissements de référence, afin de faire face aux besoins immédiats. La mise à disposition des stocks nationaux et, évidemment, la répartition entre les établissements de santé interviendront dans un second temps et cela pourra se faire très vite. Les plans d'acheminement sont en cours d'étude.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Les centres hospitaliers de Hong-Kong se sont résolus à donner du Tamiflu à titre prophylactique à tous les personnels soignants sitôt que des malades présenteraient des symptômes de grippe pandémique : non seulement les personnels le réclament pour venir travailler, mais cela permet de constituer un premier rideau de protection. Une question : qu'en est-il des kits de prélèvement ? Ont-ils été unifiés ? Y a-t-il un seul modèle national ou chaque hôpital fait-il son choix ?

Mme Dominique PÉTON-KLEIN : Les kits de prélèvement ont été harmonisés. Plusieurs industriels fabriquent ces panoplies et doivent suivre une trame définie au niveau national.

Mme Catherine GÉNISSON : Nous avons tous été témoins d'une très forte demande des professionnels de santé s'agissant des antiviraux : la prise de Tamiflu à titre prophylactique est pour eux une exigence dont dépendra leur mobilisation. Je voudrais vous sensibiliser sur ce point. Je partage à ce propos l'inquiétude de Rudy Salles : autant la mobilisation est bonne au niveau national et au sein des établissements hospitaliers, autant elle reste très insuffisante chez les professionnels libéraux, sur le plan de la formation et de l'information. Les préfets doivent impérativement prendre en main cette affaire au niveau départemental : pour l'instant, c'est un peu mou de ce côté-là...

Mme Geneviève GAILLARD, Présidente : Et le traitement des déchets ?

M. Roland CHASSAIN : Quelle est la durée de vie du Tamiflu dans l'organisme et pendant combien de temps reste-t-il efficace ?

M. Jean CASTEX : L'idée de prendre du Tamiflu à titre prophylactique est compréhensible et cette revendication ne m'a pas échappé. Je crains qu'elle ne monte en puissance. Reste que l'efficacité d'une telle méthode ne fait pas consensus, c'est le moins que l'on puisse dire...

Mme Dominique PÉTON-KLEIN. S'agissant des déchets, ils sont pris en charge et traités selon la procédure habituellement appliquée dans les établissements hospitaliers pour l'élimination des DASRI195 et assimilés. De même chez les particuliers, les professionnels libéraux devront suivre la procédure classique. Il n'y a pas de procédure spécifique à la grippe aviaire.

M. Gabriel BIANCHERI : J'avais posé cette question sur les déchets moins pour obtenir une réponse que pour appeler l'attention sur le problème. Il n'a rien de mineur ; j'ai peur que l'on ne soit passé à côté pour l'instant.

Mme Geneviève GAILLARD, Présidente : C'est une bonne remarque. Madame, Messieurs, je vous remercie.

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Audition de M. Frédéric VAN ROEKEGHEM, Directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), et du professeur Hubert ALLEMAND, médecin-conseil de la CNAMTS

(Compte rendu de la réunion du mercredi 8 février 2006)

Présidence de Mme Bérengère POLETTI, Vice-Présidente

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La première partie de nos travaux avait porté sur l'état des moyens médicaux disponibles en cas de pandémie. La deuxième partie, en cours, est consacrée à l'épizootie aviaire et son évolution. Mais, nous avons d'ores et déjà entamé la troisième partie de nos travaux, qui concerne le « Plan pandémie » du Gouvernement. Nous vous avons invités pour voir avec vous le rôle que joueraient les caisses d'assurance maladie en cas de pandémie.

Pouvez-vous nous indiquer le cadre dans lequel interviendra la caisse nationale d'assurance maladie ? Comment l'assurance maladie participe-t-elle ordinairement à la lutte contre la grippe saisonnière ? Comment se répartissent les compétences entre les caisses et l'État en matière de prévention des risques épidémiques ? Comment intervenez-vous dans le financement des médicaments - le Tamiflu et le Relenza en particulier - et des masques de protection ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Je vous propose de commencer par les questions liées à la grippe aviaire pour, ensuite, parler de l'organisation générale de la prévention et de la répartition des compétences entre l'État et la CNAM. Hubert Allemand, présent à mes côtés, a été l'artisan de la politique de prévention que nous avons présentée à notre conseil en application de la loi de 2004.

L'assurance maladie serait amenée à participer au programme de lutte contre la grippe aviaire à trois titres : le financement du dispositif ; l'accompagnement des assurés et la mise à disposition des moyens financiers permettant d'assurer la continuité de l'activité des professionnels de santé - libéraux et cliniques principalement ; le recours à notre service médical, l'assurance maladie disposant d'un nombre important de professionnels de santé capables, en phase pré-pandémique, de participer au dispositif mis en place par les pouvoirs publics.

Le financement est la partie la plus simple : l'assurance maladie intervient en fonction des dispositions législatives et, le cas échéant, de budgets complémentaires. La grippe aviaire a fait l'objet d'un financement de 62 millions d'euros inscrit au titre de 2004 dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 et versé en début d'année. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 prévoyait deux versements complémentaires pour la grippe aviaire : 176 millions d'euros au titre de 2005 et 175 millions d'euros au titre de 2006. À la demande du ministre de la santé et des solidarités, j'ai été amené à mandater un premier versement de 50 millions d'euros le 4 novembre 2005, alors que le projet de loi était en cours de discussion au Parlement ; j'en ai évidemment informé le conseil de la CNAM, qui l'a ratifiée. Une fois que la loi de financement de la sécurité sociale a été adoptée et la décision du Conseil constitutionnel publiée, 126 millions d'euros ont été versés, le 30 décembre. Autrement dit, l'ensemble des dotations au titre de 2005 ont été versées avant la fin de l'année. Le versement de la dotation 2006 - 175 millions d'euros - est en cours : son exécution est programmée aux alentours de lundi prochain.

Parallèlement, l'État a sollicité l'assurance maladie pour l'inscription d'un budget complémentaire de 25 millions d'euros au Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires, en vue notamment de l'acquisition de masques dans les établissements de santé. Ce financement a fait l'objet d'une décision modificative approuvée par le conseil de la CNAM et sera débloqué au fur et à mesure des besoins. Ces sommes, versées à titre de fonds de concours, donnent donc lieu à rétablissement de crédits au sein de l'État et constituent pour celui-ci autant de possibilités budgétaires pour mettre en place les appels d'offres dans le cadre de l'équilibre général arrêté par le délégué interministériel, le professeur Didier Houssin. Autrement dit, la CNAM n'intervient plus dans le processus décisionnel à partir du moment où les fonds ont été versés - ce qui n'interdit évidemment pas des réunions régulières avec le directeur général de la santé. C'est ainsi que, dans le cadre de nos activités de service public, j'ai proposé à M. Didier Houssin, le 19 octobre 2005, de mettre à disposition les moyens de l'assurance maladie pour assurer, autant que de besoin, les fonctions d'information des assurés et des professionnels de santé en phase pré-pandémique, ainsi que le prévoit le plan.

Pour ce qui est de notre participation en tant que service public à la lutte contre une éventuelle pandémie, j'ai demandé à notre directeur délégué aux opérations, Olivier de Cadeville, de prendre l'attache du haut fonctionnaire de défense du ministère de la santé, ce qui fut fait le 5 décembre 2005, pour élaborer un plan de crise, aujourd'hui en cours de finalisation. Ce plan repose sur trois objectifs majeurs : restreindre l'extension de la pandémie grâce à des mesures prophylactiques adaptées ; adapter nos organisations pour assurer la continuité du service public ; anticiper des dispositifs spécifiques et transitoires garantissant le remboursement des dépenses de santé en toutes circonstances.

S'agissant des mesures prophylactiques, le plan de crise, qui sera bien évidemment finalisé en liaison avec la direction générale de la santé, prévoit de relayer la campagne de sensibilisation conçue par l'INPES pour le compte du ministère de la santé en phase pré-pandémique, et, le cas échéant, par des moyens téléphoniques d'appels sortants en phase plus avancée. Les publics fragilisés, sujets notamment à d'autres affections, pourront faire l'objet d'une communication adaptée.

La prévention visera également les personnels des organismes de l'assurance maladie ; l'activité des points d'accueil devrait être progressivement réduite à mesure que se déclencheront les différentes phases du plan. Parallèlement seront mises en place diverses mesures d'hygiène - lavage des mains, ports des masques, etc. - en situation 5B et 6 - ce qui supposera l'acquisition de produits adaptés : gants, masques, en fonction de leur disponibilité et des priorités définies par les pouvoirs publics pour assurer la continuité du service public.

Afin de limiter les risques découlant des relations « clientèle », les mesures prophylactiques comporteront notamment un plan de maîtrise de l'ouverture des points d'accueil en fonction des niveaux de risque pandémique.

Enfin, les services « santé » de l'assurance maladie seront évidemment mobilisés, notamment en phase pandémique, afin que les médecins conseils soient mis à contribution pour soutenir l'action des professionnels de santé dans les domaines tant préventif que curatif. Les ressources des centres d'examen de santé seront prioritairement consacrées à la lutte contre la pandémie ; nous partons de l'hypothèse que nos établissements de santé relevant des unions de caisses d'assurance maladie - établissements de soins de suite et de réadaptation et établissements médico-sociaux notamment - ont été pris en compte, au même titre que les autres établissements de santé, dans le plan général établi par la DHOS en liaison avec le DILGA, le délégué interministériel.

S'agissant des mesures organisationnelles, et plus particulièrement des dispositions préalables à la pandémie, une note de cadrage sera émise d'ici mars prochain : elle prévoit qu'un cadre de haut niveau responsable « grippe aviaire » sera désigné dans chaque organisme afin de piloter le plan local de prévention et d'animer un comité de suivi comprenant les correspondants-relais retenus au sein des entités décentralisées de l'organisme. Notre réseau décentralisé nous permet de déléguer les responsabilités aux directeurs d'organismes pour animer, en liaison avec les préfets, les actions nécessaires à la mise en œuvre des plans blancs des départements. Nous demanderons à tous nos organismes d'élaborer des scénarios d'organisation des activités en tenant compte du risque prévisible d'une moindre mobilisation des personnels.

En période de pré-crise, une campagne de communication sera lancée auprès de nos partenaires, pour leur exposer les différents dispositifs de gestion de crise mis en place au sein des réseaux de l'assurance maladie, afin qu'ils connaissent tout à la fois notre organisation et leurs correspondants.

Notre plan de crise prévoit ensuite une série de mesures de priorisation des activités au cours de la pandémie - autrement dit, dans l'hypothèse où nous serions en situation 5B ou 6. Notre offre de services devra alors être adaptée pour maintenir un dispositif de relations efficaces avec le public tout en minimisant les risques. Pressentant que l'écart entre les phases 5B et 6 sera relativement faible, notre plan prévoira en situation 5B la mise en œuvre des mesures de phase 6 dans des zones géographiquement délimitées, mais cette distinction est plus théorique que pratique.

Seront considérées comme prioritaires les activités de remboursement des soins et de versement de revenus de substitution, sachant que l'activité de remboursement des soins devra être adaptée à l'organisation spécifique d'une situation de crise. Le traitement de certaines fonctions comme la gestion de fichiers, le traitement des rejets et des signalements ou la gestion de fonctions de support ou d'expertise sera différé : nous avons calculé qu'il ne serait pas nécessaire de mobiliser tout le service de paie alors qu'il est parfaitement possible de recourir à un système d'avances à partir d'une borne magnétique pour effectuer des règlements dans des conditions temporairement satisfaisantes, quitte à prévoir des récupérations ou ajustements une fois passée la phase pandémique.

Un plan spécifique sera proposé pour s'assurer du maintien des compétences nécessaires au bon fonctionnement de l'informatique, particulièrement de notre informatique de production. Nous avons besoin de nos équipes au sein des centres techniques informatiques de l'assurance maladie et d'un dispositif d'astreinte pour le personnel informatique des organismes.

Nous devons, enfin, anticiper des dispositifs spécifiques et transitoires garantissant le remboursement des dépenses de santé en toutes circonstances, et en premier lieu garantir aux professionnels de santé libéraux - dans la mesure évidemment où ils feront face à leurs obligations de réquisition - des revenus leur permettant de subsister alors même qu'ils ne réaliseront plus aucun acte, la totalité de leur activité étant dédiée à la grippe aviaire. Nous n'en avons pas encore discuté avec leurs syndicats représentatifs, mais nous privilégions pour l'instant un système d'avances. Il en serait de même pour les cliniques réquisitionnées, le cas échéant, pour faire face à la pandémie, afin qu'elles disposent des moyens financiers permettant leur fonctionnement.

La question se pose évidemment de savoir sur quels fonds on « tirera » ; on verra, à ce propos, que notre plan repose sur une série d'hypothèses de fonctionnement des services publics au sens large. Le financement de l'assurance maladie repose sur le circuit financier de l'ACOSS, lequel repose sur le réseau de la Caisse des Dépôts, lequel reste, en dépit de la séparation des comptes de l'État et de la CDC par le biais du programme GEODE, activé par les trésoreries générales. Je m'étais, du reste, opposé à l'idée d'aller plus loin dans la séparation pour des raisons notamment liées à la sécurité des paiements. Nos comptes restant alimentés par le réseau des trésoreries générales, sous contrôle de la Caisse des Dépôts, nous devrions être capables de mettre en place un dispositif d'avances - que nous avons d'ailleurs testé cette année bien malgré nous, lorsque le Parlement a autorisé la mise en place de la tarification à l'activité - tant pour les professionnels de santé que pour les cliniques, voire pour les hôpitaux, encore que l'on puisse se demander où serait l'intérêt de passer par l'assurance maladie pour alimenter les comptes des hôpitaux publics, qui sont ouverts auprès des trésoreries générales, alors qu'il suffirait d'une autorisation du ministre des finances.

Nous devons, en second lieu, garantir le reversement des revenus de substitution, c'est-à-dire des sommes et prestations en nature perçues par les assurés en arrêt de travail, mais également des prestations qui découleront directement de la pandémie. Cela pose le problème de la capacité de récupération de l'information - autrement dit des feuilles d'arrêt maladie - dans un contexte de fonctionnement interne dégradé : au vu, notamment, des estimations du plan ministériel, nous nous situons dans l'hypothèse d'un absentéisme modéré ou élevé (30 % ou 50 %). Une fois les fonctions essentielles isolées, l'affectation des personnels présents devra privilégier la réquisition des personnels les moins exposés compte tenu des mesures générales prises par les pouvoirs publics, en particulier la fermeture de certains lieux publics et notamment des écoles, et de l'expérience acquise lors des précédentes épidémies de grippe. Dans tous les cas où cela pourrait être compatible avec le maintien de la continuité des activités, nous dispenserions d'activité les mères de famille afin qu'elles puissent s'occuper de leurs enfants restés à la maison.

Il reste que notre bon fonctionnement dépendra, indépendamment de l'aspect financier, du soutien d'autres services publics. La fermeture de guichets physiquement ouverts au public conduira à privilégier des dispositifs d'accueil de type téléphonique ou électronique ; encore faut-il que ces outils de communication soient encore en état de fonctionner. Il en est de même pour les transports, dont dépendra pour une bonne part le taux de présence de nos personnels.

Tel est l'état de préparation du service public de l'assurance maladie face à une éventuelle crise pandémique. Dès la fin de ce mois, un numéro d'« Info Dirigeants » récapitulera les éléments préparés, à l'adresse de nos cadres dirigeants ; à la fin mars, une circulaire nationale arrêtera, au vu des derniers contacts, les modalités organisationnelles de façon déconcentrée ; fin juin chacun de nos organismes nous fera remonter le plan de continuité qu'il aura prévu pour faire face à cette situation particulière. Mais pour l'instant, la probabilité d'une phase pandémique en 2006, d'après nos estimations, reste faible.

L'assurance maladie sera enfin amenée à intervenir dans le cadre de son service médical. Conformément au plan gouvernemental, l'ensemble de ses praticiens salariés seraient bien évidemment réquisitionnés. Il serait néanmoins nécessaire de nous préserver un minimum de compétences médicales pour aider au pilotage général du réseau en phase pandémique, mais également pour sécuriser nos personnels, à tout le moins sur le plan psychologique et prophylactique, afin d'améliorer le taux de présence, en leur assurant la présence d'une autorité médicale dans les endroits où ils travailleront, en particulier dans les points d'accueil restés ouverts au public.

M. Pierre HELLIER : Quelles sommes avez-vous réellement versé en 2005 et 2006 au titre de la prévention des risques, et quelle est l'origine des fonds ? Pour ce qui est de l'information des médecins, entendez-vous laisser aux caisses primaires une certaine liberté d'action ou tout partira-t-il du haut ? Les caisses entretiennent souvent des rapports privilégiés avec les médecins. Or, ceux-ci ne semblent pas encore très informés de ce qui pourrait arriver et de ce qui risque de leur être imposé - il faudra notamment bien se mettre d'accord sur la question de leurs revenus et des honoraires : non seulement ils n'en ont aucune idée précise, mais je crois qu'ils ne veulent même pas en entendre parler.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : C'est pourquoi j'ai parlé d'avances.

M. Pierre HELLIER : Il faut bien évidemment un plan national, mais il faut également laisser une marge de liberté aux CPAM. Vous avez également raison de vouloir garder des médecins à l'intérieur des caisses, même s'il faudra en mettre une partie sur le terrain. Il faut bien comprendre que notre système de soins serait amené à fonctionner d'une manière très différente, en privilégiant effectivement, pour ce qui est de l'hôpital, le non-recours à la CNAM.

Mme Catherine GÉNISSON : Je partage les inquiétudes de mon collègue sur la formation et l'information des professions médicales et paramédicales. Très peu d'informations sont pour l'instant diffusées sur le terrain, y compris auprès des médecins généralistes. Je n'ai pas très bien compris comment votre plan s'articulait avec le plan gouvernemental de lutte contre la grippe aviaire, ni quelles seraient vos relations avec l'hôpital public en phase 6. Les hôpitaux aussi ont des dépenses...

M. François GUILLAUME : L'information des médecins libéraux me préoccupe également. Nous avons été assez rassurés en voyant comment le plan national était décliné dans certains CHU et CHR. Certains ont organisé des réunions d'informations à l'adresse des médecins libéraux, mais il ne semble pas que les caisses primaires aient été associées à cette opération d'information. D'une façon plus générale, on n'a pas l'impression qu'il y ait de liens bien étroits entre les initiatives des uns et des autres.

M. Pierre HELLIER : C'est aux ARH de s'en occuper...

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Ainsi que nous l'avons rappelé en octobre dernier au directeur général de la santé, nous disposons de moyens importants qui peuvent être mis à disposition, pour peu évidemment que le Gouvernement le souhaite : il s'agit principalement, pour une intervention en phase pré-pandémique, de moyens humains et matériels, à commencer par nos capacités d'impression. Ainsi, l'ensemble des formulaires à l'adresse des médecins traitants a été imprimé dans nos centres. Mais à ce stade, nous n'avons pas été mobilisés sur l'information des professionnels de santé. L'information des médecins comme des assurés passe plutôt par d'autres canaux que ceux de l'assurance maladie. Cela ne veut pas dire que nous ne serions pas impliqués à un stade plus avancé : le plan gouvernemental évolue chaque jour et M. Houssin veille précisément à ce qu'il colle au mieux à la réalité du moment. En attendant, nous n'avons pas reçu de demande officielle de mobilisation de nos moyens. Si nous préparons un plan de crise en interne, c'est parce que nous avons le sentiment que cela deviendra nécessaire à un moment donné. Non seulement nous nous sommes fondés sur les orientations rendues publiques par le ministère le 11 janvier dernier, mais nous ne le lancerons qu'après validation par le délégué interministériel.

Au-delà, nous sommes tombés d'accord avec Didier Houssin pour inclure spécifiquement, dans la convention d'objectifs et de gestion 2006, la contribution de l'assurance maladie au dispositif de surveillance sanitaire dans la perspective de la survenue de menaces sanitaires graves - grippe aviaire notamment - liées à la mondialisation des échanges. Ainsi, au-delà de la seule question de la grippe aviaire, est posée la question de l'organisation générale du système de santé dans le cadre des dispositions de la loi de 2004, aux termes desquelles l'assurance maladie participe à la politique de santé publique dont l'État est responsable. L'État et la CNAM se sont d'ores et déjà mis d'accord, dans le cadre des pré-négociations, pour intensifier leur concertation sur deux axes : utiliser la puissance d'information de la CNAM en direction des professionnels comme des assurés, et améliorer l'implication des professionnels de santé associés à des actions de vigilance et de surveillance en articulation avec des agences sanitaires - InVS et AFSSA -, en vue de recueillir des indices d'alerte. Les modalités de participation des professionnels à ces missions seront définies dans le cadre des négociations conventionnelles. Nous partageons le souci de voir les moyens de l'assurance maladie mieux utilisés, en cohérence avec notre politique de santé publique. D'ici à la fin mars, nous aurons « calé » avec la DGS notre plan d'intervention commun.

Nous partageons votre sentiment sur l'état d'information des médecins. Le niveau actuel de la menace - 3A - peut expliquer leur mobilisation encore très relative ; il en est de même pour les professionnels paramédicaux et les infirmières. Mais nous disposons des fichiers et des moyens humains prêts à être activés en cas de crise - dans une période pré-pandémique, s'entend, car tout doit être préparé en amont de la phase pandémique - pour participer à l'information de ces personnels, au besoin en organisant des réunions locales comme le font régulièrement les caisses primaires.

Notre organisation est particulière : étant un service public déconcentré, nous essayons de mutualiser ce qui est utile. Le contenu de l'information à dispenser aux professionnels de santé doit à l'évidence être mutualisé au niveau national, en s'appuyant, autant que faire se peut, sur ce qui a déjà été fait par la DGS. En revanche, la mise en œuvre des mesures relève des caisses primaires, dans le cadre d'un cahier des charges. C'est ainsi que nous concevons de plus en plus le management du réseau : le niveau national ne doit pas piloter chacune des opérations - ce serait d'autant moins souhaitable que l'organisation retenue par l'État repose sur un pilotage au niveau départemental, sous l'égide du préfet. En revanche, les contenus et le cahier des charges resteront élaborés au niveau national, notamment pour ce qui est des fonctions essentielles - sous réserve évidemment de la subsidiarité et du principe d'un pilotage par le préfet du département.

Pour ce qui est du revenu et des honoraires des médecins, il serait illusoire de songer à faire fonctionner, en phase pandémique, un système de rémunération à l'acte, d'autant que les médecins n'auraient vraisemblablement plus le temps de remplir leurs feuilles de soins électroniques : plus qu'un problème financier, c'est surtout un problème pratique. Non seulement une partie des personnels seraient « réaffectés » pour intervenir à domicile ou dans des établissements de santé, mais d'autres dépenses de soins non liées à la grippe devront toujours être traitées et prises en charge. Aussi entendons-nous privilégier la diminution du papier - pour nombre de raisons, à commencer par le manque de personnel pour le traiter -, alors même que les personnels réaffectés ne seront pas en mesure d'activer les feuilles de soins électroniques : il faudra donc mettre en place des systèmes alternatifs, sous la forme d'un dispositif d'avances dans un premier temps, ce qui nécessitera vraisemblablement de modifier les textes afin de les adapter à cette situation très particulière. Il est vrai que les personnels de santé libéraux n'ont pas totalement conscience de cette nécessité et que nous n'avons pas évoqué ce point avec eux.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Précisément : à qui revient ce rôle de discuter de ces moyens de remplacement avec les professionnels de santé ? À vous ou au ministère ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Si cela reste du domaine du contrat, autrement dit d'une modification conventionnelle, cela relève de l'union des caisses. Si ce n'est pas négociable, cela relève d'une modification de nature législative.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Ou réglementaire, dans le cadre du plan d'urgence.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Au demeurant, si des dispositions réglementaires n'étaient pas prises, il faudrait bien faire face à la réalité et, à tout le moins, mettre en place un dispositif d'avances. La loi l'avait, du reste, déjà autorisé, en dehors des situations de crise, pour les cliniques. Et les professionnels réquisitionnés devront bien continuer à nourrir leurs familles... C'est le type même de situation à anticiper.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Si des dispositions législatives devaient être prises, vous serait-il possible de nous faire parvenir une note qui pourrait donner lieu à une recommandation de la mission ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Tout à fait. Et cela vaut pour les médecins comme pour les infirmières et toutes les professions paramédicales.

M. Gabriel BIANCHERI : Les étudiants en dernière année de médecine ne pourraient-ils pas être mobilisés ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : C'est au ministère de décider de les réquisitionner.

Mme Catherine GÉNISSON : Les rémunérera-t-on ?

M. Gérard BAPT : Au CHU de Toulouse, le plan est en cours de préparation, mais il est loin d'être achevé : « C'est bien, ces réunions, cela nous permet de nous parler ! » ai-je entendu dire le chef du service des maladies infectieuses au médecin urgentiste responsable de la gestion de ce genre de risque. Preuve que nous n'en sommes qu'au stade de la montée en charge, y compris dans les CHU...

M. Pierre HELLIER : Vous n'êtes pas montés trop vite...

M. Gérard BAPT : La question s'est posée de la distribution des masques aux professionnels libéraux, y compris les transporteurs, en présence d'un cas suspect. Est-il prévu des réserves minimales de masques à cet effet ? Mais peut-être cette affaire relève-t-elle de la DGS...

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Le plan prévoit que cette affaire est gérée par l'État, qui constitue des stocks stratégiques, de masques FFP 2 notamment, destinés aux professionnels de santé. Je suppose qu'il le fait également pour les services publics dits essentiels, particulièrement ceux qui seraient au contact avec des personnes susceptibles d'être infectées. Nous devrons nous-même nous préoccuper de notre propre fonctionnement interne, et nous assurer à tout le moins que nous sommes bien prévus dans le plan... Compte tenu des goulots d'étranglement qui affectent la production, il semble logique de laisser à l'État le soin de définir les priorités d'attribution.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Certains se sont précipités dans les pharmacies pour acheter du Tamiflu. Est-ce remboursable ?

M. Gérard BAPT : Est-ce efficace ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Avant que l'État ne fasse retirer ce médicament des pharmacies d'officine, j'avais fait mettre en place un dispositif de surveillance journalière des remboursements de Tamiflu, craignant qu'une augmentation ne vienne à peser sur les dépenses d'assurance maladie. Le directeur de cabinet du ministre, auquel je m'en étais ouvert, m'a rassuré en m'informant que ce médicament serait rapidement retiré de la vente, afin de pouvoir être distribué, le moment venu, en fonction des priorités définies par l'État et d'éviter la constitution de stocks de précaution sauvages. À noter que la constitution de stocks stratégique avait commencé, bien avant cette date, par l'achat de Tamiflu en vrac, la fabrication de gélules devant être assurée par la pharmacie centrale des armées. Toutes les mesures ont été prises pour surveiller la délivrance de Tamiflu dans le cadre remboursé - de fait, il peut toujours l'être aujourd'hui, mais on n'en trouve plus... Cette affaire a été prise en mains très tôt.

M. Hubert ALLEMAND : La distribution de ce produit exigera toute une logistique, mais j'ignore ce que prévoit le plan à cet égard. Il devrait être délivré sur prescription individuelle délivrée par le médecin, ce qui supposera une très grande réactivité pour être efficace. On pourrait envisager des dépôts ailleurs que dans les pharmacies et les hôpitaux, avec des professionnels de santé chargés de la distribution, en fonction des localisations géographiques et des situations locales. J'imagine que tout cela doit être en train de se préparer.

M. Pierre HELLIER : Il faudrait éviter au maximum que les gens se déplacent pour en avoir... De même pour les kits de prélèvements, que les médecins traitants devraient aller chercher dans les centres hospitaliers ! Chacun devrait avoir au moins un kit d'avance : on ne peut pas imaginer un médecin abandonnant sa clientèle au premier cas suspect pour aller chercher un kit à l'hôpital et revenir faire le prélèvement... C'est pourtant ce qui est prévu pour l'instant. Les mairies et les services de soins devraient pouvoir répartir le Tamiflu.

M. Gabriel BIANCHERI : Et les kits de prélèvement.

Mme Catherine GÉNISSON : Et le reste, notamment les masques.

M. Hubert ALLEMAND : La fonction de ces outils ne sera pas la même selon que l'on sera en phase pré-pandémique ou en phase pandémique. Les kits de prélèvement n'ont vocation à servir qu'en phase pré-épidémique, et de façon très ponctuelle, après information du centre 15 et éventuellement description des symptômes à l'opérateur. En période épidémique, il ne sera évidemment plus question de faire des prélèvements : le moindre signe avant-coureur déclenchera l'intervention immédiate.

M. Pierre HELLIER : Évidemment. Je parlais bien évidemment de la phase pré-pandémique.

M. Gérard BAPT : Certains spécialistes estiment qu'une pandémie aurait moins de chances de se déclencher une fois l'hiver passé. Continuera-t-on alors à constituer des stocks conformément aux objectifs initiaux ou adoptera-t-on plutôt un régime de veille ?

M. Hubert ALLEMAND : Tout dépend si nous sommes alors en situation d'être totalement prêts, notamment en termes de stocks de Tamiflu ou de masques, ou encore en montée en charge. Tout cela suppose une logistique adaptée, y compris pour le renouvellement de ces stocks - les masques FFP 2 eux-mêmes ne peuvent pas être stockés indéfiniment -, mais également pour leur diffusion opérationnelle sur le territoire. Nous-mêmes ne savons pas si nous devrons nous procurer des masques ou si nous serons approvisionnés, compte tenu du fait que nos personnels seront en contact avec des assurés susceptibles d'être infectés. Tous ces points restent à préciser. Il reste que la distribution et l'utilisation du Tamiflu seront d'abord fonction des stocks disponibles. Si ceux-ci sont restreints, il ne pourra être utilisé qu'à titre curatif ; dans d'autres situations, on peut envisager des hypothèses différentes. Je ne sais pas ce que sera la position des pouvoirs publics, et notamment de la DGS, à cet égard.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Sans compter un troisième cas, celui où nos capacités de détection avancée d'un virus transmissible par voie interhumaine permettraient d'élaborer un vaccin à temps, ce qui pourrait nous ramener à un schéma de prévention traditionnel de la grippe : l'assurance maladie a une solide expérience en matière de prévention de la grippe classique.

M. Hubert ALLEMAND : Cela permet d'apprécier le rôle d'opérateur de l'assurance maladie : nous vaccinons chaque année plusieurs millions de personnes, soit 70 % des personnes âgées et tous les patients atteints d'affections de longue durée, particulièrement exposés, selon une programmation quasiment parfaite : sollicitation individuelle, délivrance d'un bon, prise en charge à 100 %, etc. On ne parle jamais des trains qui arrivent à l'heure : il n'est pourtant pas évident de vacciner chaque année plusieurs millions de personnes, et de surcroît les mêmes, quand on voit les difficultés que nous donnent certaines vaccinations, comme la rougeole-oreillons-rubéole, qui n'ont lieu qu'une ou deux fois dans la vie et ne concernent que 700 000 ou 800 000 personnes par an. L'assurance maladie apparaît en la matière comme un opérateur particulièrement puissant, qui peut se prévaloir d'un dispositif bien rodé, grâce à ses contacts permanents avec les assurés et les professionnels.

Mme Catherine GÉNISSON : Nous nous posons encore beaucoup de questions à propos du Tamiflu. À vous entendre, il ne serait prescrit qu'à titre strictement curatif en période de pandémie avérée ; ce n'est pas forcément vrai. La médecine de catastrophe amène à totalement inverser nos réflexes de prise en charge « normale » des patients. La question est clairement posée de la prescription de Tamiflu à titre préventif pour tous les acteurs, à quelque titre que ce soit, de la prise en charge des populations infectées.

M. Pierre HELLIER : En effet.

M. Hubert ALLEMAND : Vous avez parfaitement raison : il y aura une possibilité d'utilisation de Tamiflu à titre préventif chez certaines populations...

Mme Catherine GÉNISSON : Cela sera exigé.

M. Hubert ALLEMAND : ...alors même que l'AFSSET196 l'a théoriquement exclue. Cela fait partie des questions à préciser, ne serait-ce que pour éviter les situations de panique, l'état des stocks ne permettant pas une action préventive sur une très large population.

M. Pierre HELLIER : Bien sûr.

M. Hubert ALLEMAND : On peut également imaginer utiliser des pré-vaccins. Enfin, mais il conviendrait d'interroger à ce sujet les spécialistes en épidémiologie des maladies infectieuses, il arrive que des personnes, particulièrement de jeunes adultes, commencent par contracter la maladie sous une forme relativement bénigne et deviennent par la suite immunisées. Cette cinétique de l'épidémie, qui pourrait permettre à des sujets désormais immunisés de travailler par la suite à découvert, sans masque, au contact de populations infectées, doit également être prise en compte, même si je suis incapable de vous modéliser ce cas de figure.

Mme Catherine GÉNISSON : Vous avez parfaitement raison, mais nous aurons beaucoup de mal à convaincre avec ce type d'argument...

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Nous avons pu, avec le président Le Guen, avoir connaissance des plans de prévention développés en Asie, en particulier celui de Hong Kong, extrêmement élaboré. Ce pays peut se prévaloir d'une double expérience : la grippe aviaire en 1997 et le SRAS en 2003. Ce plan prévoit une utilisation systématique du Tamiflu en prophylaxie post-contact et en préventif pour tous les personnels de santé, des transports et d'autres services essentiels. La conclusion des Hongkongais, qui rejoint celle du professeur Perris, l'inventeur du coronavirus, est que l'investissement ainsi consenti sera toujours utile, notamment pour d'autres risques. Autrement dit, les efforts d'aujourd'hui serviront pour demain ou après-demain.

M. Hubert ALLEMAND : Mes propos de tout à l'heure valaient pour une situation pandémique, où une très grande partie de la population serait atteinte. Ce qui s'est passé en Asie ne correspond pas à une pandémie : il s'agissait de cas relativement isolés, où la priorité est de protéger l'environnement proche et, en premier lieu, les professionnels exposés. Il faut bien distinguer la situation pré-pandémique, où il s'agit de faire fonctionner à plein tous les dispositifs préventifs, y compris avec le Tamiflu, et la situation pandémique où l'on peut être contraint de gérer une ressource rare face à un nombre énorme de pathologies. L'Asie n'a pas connu de situation pandémique.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Toute cette affaire relève de la DGS. Nous appliquerons les priorités arrêtées au niveau ministériel.

Mme Catherine GÉNISSON : Effectivement, cela ne relève plus de l'assurance maladie. Il reste que nous avons beaucoup de mal à nous mettre dans une logique de gestion crise et de médecine de catastrophe, où les priorités sont inversées : ce sont en fait les gens les moins atteints que l'on prend en charge.

M. Pierre HELLIER : Vous n'avez pas répondu à ma question sur les fonds versés en 2005 et 2006 au titre de la prévention des risques.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : 62 millions d'euros avaient été prévus dans la loi de finances pour le plan Biotox ; cette dotation initiale sera utilisée par la DGS pour participer au financement du plan. À quoi sont venus s'ajouter 176 millions d'euros, versés en deux parties : 50 millions le 4 novembre et le solde le 31 décembre. Au titre de cette année, une dotation complémentaire de 175 millions d'euros a été inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale, qui a fait l'objet d'une décision spécifique du Conseil constitutionnel. Elle devrait être versée d'ici au 13 février. Parallèlement, un complément de 25 millions d'euros a été inscrit au budget du FNPEIS. D'une manière générale, il est permis de penser que ces dotations relèvent davantage du Fonds national de prévoyance que de la gestion des risques proprement dite. Toutes ces sommes s'entendent indépendamment de l'impact financier lié à la rémunération des personnels libéraux et au fonctionnement des établissements de santé en cas de pandémie. Des simulations ont été faites sur la base de 20 millions de personnes touchées. Tout porte à croire qu'il faudra prévoir un dispositif de versement vraisemblablement forfaitaire.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Chacun a bien compris le rôle de premier plan que peut jouer l'assurance maladie en direction des professionnels de santé. Mais il y a encore beaucoup à faire dans le domaine de l'information. Nous attendons de connaître vos suggestions de modifications législatives que nous pourrions reprendre dans notre rapport. Messieurs, je vous remercie.

Audition de MM. Bernard GOUGET,  Jean-Robert CHEVALLIER et Mme Christine AMMIRATI, représentants de la Fédération hospitalière de France (FHF)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 8 février 2006)

Présidence de Mme Bérengère POLETTI, Vice-Présidente

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Pour évaluer l'état de préparation des établissements hospitaliers à la menace de pandémie, plusieurs d'entre nous se sont rendus dans les hôpitaux de nos circonscriptions, afin de voir quelles dispositions y avaient été prises pour se préparer au risque de grippe aviaire. Je vous poserai d'abord la question de l'organisation de l'hôpital en cas de crise sanitaire majeure. Pensez-vous que l'élaboration de plans de prévention doit se faire avant tout au niveau central, avec des déclinaisons locales, ou qu'il convient de laisser une substantielle marge d'appréciation aux établissements ?

L'urgence fait certes partie intégrante de la culture hospitalière, mais une pandémie grippale grave pose de nouveaux défis dans la mesure où le personnel n'y est plus seulement acteur, mais également, avec sa famille, victime potentielle. Le premier défi à relever sera celui de la mobilisation des personnels. Les mesures annoncées vous paraissent-elles, à cet égard, suffisamment protectrices pour les personnels et leurs familles ?

Le recours à la télémédecine serait un moyen simple d'éviter la contagion. Avez-vous envisagé d'organiser, via Internet, un système de consultation propre à éviter un afflux aux urgences ?

Une des principales difficultés nous semble résider dans l'insuffisante coordination entre la médecine hospitalière, publique ou privée, et la médecine libérale. Qu'en pensez-vous ?

M. Bernard GOUGET : La Fédération hospitalière de France représente l'ensemble de l'hospitalisation publique et des établissements médico-sociaux. Je suis venu accompagné de Mme Christine Ammirati, du CHU d'Amiens, coordonnatrice du pôle d'urgence et SAMU, et de M. Jean-Robert Chevallier, directeur par intérim du centre hospitalier de Blois, mais également directeur des ressources humaines et directeur de la stratégie des affaires médicales.

La FHF a été très tôt impliquée dans la gestion des crises et des risques. Elle a notamment été partie prenante dans l'élaboration des plans blancs dont se sont dotés tous les établissements publics, et dont le plan « grippe aviaire » n'est, finalement, qu'une déclinaison sous forme d'annexe. La montée en puissance de la sensibilisation de nos établissements est effective depuis 2004 et nous avons joué le rôle de promoteurs de la mise en œuvre des plans blancs, par le biais de nos réseaux et d'une série de manifestations.

S'agissant du problème plus spécifique de la pandémie grippale, il est essentiel, avant tout, de bien informer le public, sans l'affoler. Nous travaillons en relation avec le cabinet du ministre de la santé, où j'ai toujours trouvé sur ces sujets une écoute favorable.

La France a fait figure d'exception en mettant en place, la première, un délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, ce qui nous a donné une incontestable avance, sur le plan de la coordination, au niveau européen. Nous entretenons des relations très suivies avec M. Didier Houssin, le délégué interministériel, de même qu'avec le département des urgences sanitaires. De la même façon, la DHOS, dont vous avez déjà auditionné le directeur, nous a très tôt sollicités afin de disposer de référents dans chaque groupe de travail. Nous avons également participé, avec la DGS, à la déclinaison d'une série de fiches de recommandations dans les établissements médico-sociaux auxquels il faudra être particulièrement attentifs, compte tenu des populations fragilisées qu'ils accueillent.

La Fédération hospitalière de France entretient également des contacts réguliers avec les structures nationales de gestion, d'appui et de décision, à commencer par l'Institut de veille sanitaire. Il est essentiel de vérifier au jour le jour la situation sanitaire au plan international : de janvier 2004 au 3 février 2006, 161 cas dûment déclarés ont été recensés, qui ont donné lieu à 86 décès ayant tous reçu une confirmation virologique, sans aucun cas de contamination interhumaine. Nous sommes donc toujours en phase dite 3A.

La FHF s'est également donné les moyens d'assurer une veille au niveau européen, grâce à ses contacts réguliers avec les directions européennes et internationales, plusieurs réseaux de surveillance épidémiologiques, en particulier, et le centre européen de prévention et de contrôle des maladies, inauguré en 2005 ; nous avons également été consultés sur le Règlement sanitaire international.

Grâce à l'encadrement et aux contacts qu'elle a su mettre en place, la FHF bénéficie d'un environnement institutionnel assez favorable. La question est de savoir comment le décliner au niveau national et au niveau local. L'hôpital public se considère comme le fer de lance dans toute démarche de gestion des crises. Capable de mobiliser tant ses personnels que les énergies, il répondra présent dans toute situation de crise grave.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : L'hôpital public a réalisé, durant ces cinq ou six dernières années, d'exceptionnels efforts dans le domaine de la prévention et de la gestion des crises. La DHOS s'est attachée à promouvoir cette thématique que les hôpitaux ont aujourd'hui parfaitement intégrée. L'hôpital apparaît donc beaucoup mieux préparé à une situation de crise qu'il ne l'était voilà cinq ans. L'est-il parfaitement ? Il serait présomptueux de l'affirmer. Il est de fait que chaque établissement dispose désormais d'un plan blanc, c'est-à-dire d'un document de nature à mobiliser des moyens à caractère exceptionnel pour faire face à des situations exceptionnelles. Il est vrai que ces plans blancs sont habituellement déclenchés à l'occasion de circonstances du type accidents de la route, et que l'hôpital public n'a encore jamais été confronté à une pandémie telle que celle envisagée. La question est donc de savoir comment adapter le plan blanc de chaque établissement à la spécificité de la grippe aviaire.

Un point, en particulier, mérite d'être souligné : la durée de la phase épidémique. On estime que la pandémie pourrait se traduire par deux ou trois vagues de douze semaines chacune. Il est impossible de savoir aujourd'hui comment les professionnels et l'organisation hospitalière pourront répondre dans les meilleures conditions, et aussi longtemps. C'est là une inquiétude face à laquelle il est encore difficile d'apporter la moindre assurance.

Pour l'heure, les réflexions de l'hôpital public s'organisent autour de deux champs : la prise en charge des patients atteints de grippe aviaire et la protection des personnels. Le but est de se mettre en situation de garantir que l'ensemble des professionnels hospitaliers pourra travailler dans des conditions de sécurité maximale : les procédures traditionnelles d'isolement, la mise à disposition de masques, etc. sont autant d'aspects d'ores et déjà maîtrisés.

Au-delà de la sécurité des personnels, il faut revenir sur le problème de leur mobilisation. Lorsqu'il s'agit de faire face à un afflux de victimes suite à un accident d'autoroute, par exemple, l'ensemble des professionnels a coutume de se mobiliser instantanément. Jamais on n'en a vu un faire mine de se retirer ou de se désintéresser de la question. Lors de la canicule, beaucoup d'agents sont revenus spontanément de leurs congés, sans même qu'on les rappelle. Mais qu'en sera-t-il douze semaines durant et trois fois de suite ? On peut imaginer qu'il y aura là, fatalement, pour les personnels, un élément de conflit entre des considérations professionnelles et le souci de préserver sa famille. Force est de reconnaître que ce point doit encore être travaillé car, si la mobilisation des personnels sur un mois est totalement acquise, est-elle raisonnablement possible durant trois fois douze semaines ?

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : D'autant qu'en cas de pandémie se posera pour eux le problème de la garde des enfants à la maison, par exemple.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : Exactement. C'est bien pour cela qu'il faut s'attendre à un conflit d'intérêts entre exigences professionnelles et vie familiale. Les personnels ne seront-ils pas amenés à faire des arbitrages différents de ceux qu'ils réalisent lors de mobilisations d'une autre nature ? Ne vont-ils pas vouloir connaître la nature du risque auxquels ils s'exposent en se rendant à l'hôpital, et craindre surtout de mettre la vie de leurs enfants en danger ? Je parle cette fois-ci en tant que DRH : toute la problématique sera de pouvoir, les yeux dans les yeux, garantir aux gens qu'ils ne prendront pas de risques ni pour eux ni pour leur famille, et s'assurer que tel sera bien le cas. Or, à ce jour, ce serait mentir que de le garantir à 100 %. Nous travaillons tous les jours pour parvenir à cet objectif qui nous tient particulièrement à cœur. À côté de la prise en charge des patients, la protection des personnels est l'autre aspect essentiel de la préparation des hôpitaux à la grippe aviaire.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : J'ai visité le centre hospitalier de Chartres, où le plan est bien avancé ; mais, de l'avis même de son directeur, le risque d'absentéisme reste un motif d'inquiétude. Est-on sûr de pouvoir joindre les agents sur leurs portables en cas de besoin ? Vous-mêmes, organisez-vous des rendez-vous réguliers d'information du personnel ? Est-il envisagé d'utiliser le Tamiflu à titre préventif ? Un certain nombre d'hospitaliers nous ont dit constater un manque de coordination entre la médecine hospitalière et la médecine libérale. Avez-vous pu resserrer ce lien dans votre hôpital, de même qu'avec le SAMU, le centre 15, les transporteurs, etc. ?

M. Bernard GOUGET : Les fiches de recommandation ont décliné de façon exhaustive toutes les questions liées au recensement du personnel, aux suppléances et au corps de réserve sanitaire. Subsistent quelques interrogations à propos du taux d'absentéisme, estimé dans certains scénarios à 30 %, voire à 50 %, ce qui amène à s'interroger sur l'évolution de l'organisation du travail au sein des hôpitaux.

Cela dit, il ne faudrait pas que le problème de la grippe aviaire occulte le fait que nos personnels de santé travaillent d'ores et déjà à soigner des pathologies dangereuses ; autrement dit, ils sont habitués à faire face à des risques graves. Il faudra mettre l'accent sur les bonnes pratiques d'hygiène. De nombreux établissements se sont déjà engagés dans la démarche de l'indicateur composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales. Nous avons souhaité appuyer ces actions de formation d'information des personnels auprès notamment de la DHOS ; encore faudra-t-il trouver des financements associés, car tout cela a un coût, et également voir ce qu'il en est dans les petits établissements médico-sociaux qui accueillent des populations âgées, souvent dépendantes et fragilisées. Il ne faudrait pas que ces petits établissements envoient directement les patients vers l'hôpital au risque de créer une obstruction catastrophique. Mme Ammirati vous parlera tout à l'heure des centres 15 et des efforts que nous menons pour que les plans mis en œuvre par l'hôpital public ne soient pas des modèles propriétaires, mais bien des schémas harmonieux et coordonnés au niveau d'un territoire de santé, quitte à les tester segment par segment afin d'en vérifier la complémentarité et d'être sûr d'être en mesure de répondre de façon adaptée le jour où la crise surviendra.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : La problématique de la grippe aviaire sera de savoir comment faire face à un afflux très significatif de victimes, avec beaucoup moins de personnels. Aussi envisageons-nous de déprogrammer très largement les activités médicales et chirurgicales qui peuvent l'être afin de concentrer les moyens là où ils seront les plus utiles.

Pour ce qui est des numéros de téléphone, peut-être serai-je plus optimiste que le rapporteur ; dans mon centre de Blois, qui compte 2 400 salariés, je dispose des 2 400 numéros, fixes et portables : il n'en manque pas un seul et je n'ai jamais vu un professionnel, médecin ou autre, refuser de me donner son numéro de portable pour quelque motif que ce soit, précisément parce que nous nous sommes efforcés ces dernières années de sensibiliser les professionnels à la thématique de la prévention et de la gestion de crise. Nous leur expliquons que si nous leur demandons leur numéro de portable, c'est pour le jour où nous devrons peut-être les mobiliser pour faire face à une situation tout à fait exceptionnelle. Lorsque nous le leur expliquons ainsi, ils n'hésitent pas une seconde.

Notre mission est d'essayer de sensibiliser petit à petit nos personnels à la façon dont l'hôpital devra s'organiser, en explicitant sereinement nos orientations. C'est ce que je faisais hier après-midi dans le cadre des comités techniques d'établissement, où siègent les organisations syndicales : toutes tendances confondues, elles étaient très intéressées. Elles seront bien entendu étroitement associées : nous avons besoin de la contribution de chacun.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Quelle est leur réponse ? Se sentent-elles impliquées dans votre plan ou le considèrent-elles comme hypothétique ?

M. Jean-Robert CHEVALLIER : À titre individuel, chacun a le droit, et nous le respectons, de penser que cela arrivera ou que cela n'arrivera pas. Mais collectivement, on ne peut s'offrir d'alternative. Lorsque l'on travaille à l'hôpital, on n'a pas le droit de dire : « je ne sais pas. » On est obligé de construire collectivement une réponse et les professionnels sont parfaitement d'accord pour examiner tous les scénarios. Ils restent toutefois dans l'expectative en constatant la multiplicité et la variété des hypothèses, au point que l'on a parfois du mal à répondre à toutes les questions. Ainsi, les modalités d'organisation d'un site de psychiatrie en cas de grippe aviaire n'ont rien à voir avec les dispositions à mettre en œuvre en pédiatrie, en chirurgie ou aux urgences. Le champ à explorer est immense et c'est, pour l'hôpital public, autant de défis à relever.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Les personnels ont-ils juridiquement la possibilité de refuser d'accomplir leur service au motif que leur santé serait gravement exposée ?

M. Jean-Robert CHEVALLIER : Oui. Le droit de retrait est prévu par le code du travail, et celui-ci s'applique à l'hôpital public. Cela dit, si un cuisinier peut refuser de travailler devant une marmite qui fuit, il est plus difficile pour un professionnel de soin d'exprimer ce droit de retrait dans la mesure où la matière est beaucoup plus complexe. Mais si, d'aventure, l'hôpital n'avait pas la possibilité de proposer les masques et les gants nécessaires tout au long des douze semaines pour cause d'épuisement du stock, les professionnels pourraient logiquement être amenés à faire valoir leur droit de retrait, ce qui créerait des difficultés d'une exceptionnelle gravité.

Mme Christine AMMIRATI : L'information des personnels hospitaliers est une nécessité absolue, tant sur ce que l'on sait que sur ce que l'on ne sait pas. Dans mon CHU d'Amiens, nous organisons régulièrement des réunions avec le personnel ; nous en aurons bientôt une avec les « référents plan blanc » de chaque service pour faire le point sur l'état de nos connaissances. Une information régulière est indispensable pour que tout le monde ait le même niveau d'information. Rappelons que bon nombre de personnels de santé sont quotidiennement confrontés à des problèmes infectieux graves et contagieux, sans même parler du purpura fulminans, et ne se posent pas pour autant la question d'une éventuelle contagiosité familiale, tout simplement parce que des mesures-barrières ont été prises, parce qu'ils savent clairement ce que sont ces pathologies. Si nous parvenons à en faire autant pour la grippe aviaire, la mobilisation des agents en sera facilitée.

Cette question de la protection de l'entourage familial, comme toutes les interrogations sur la grippe aviaire, se pose pour tous les personnels, y compris les professionnels libéraux ; j'ai pu le constater hier lors d'une réunion sur la formation des généralistes. La mobilisation de tous les acteurs de santé, publics comme privés, sera fonction de la réponse qu'ils pourront apporter à la question : « Que faire pour les miens ? »

Pour ce qui est de la coordination entre la médecine de ville et l'hôpital, il nous paraît primordial que la régulation des médecins généralistes s'effectue aux côtés de la régulation des médecins hospitaliers au SAMU-Centre 15. Le principe du lieu unique est gage de réussite et a déjà fait la preuve de son efficacité. Dans notre département, les médecins généralistes régulent à nos côtés ; nous avons organisé une formation des libéraux et notre entente est cordiale. Lors de l'épisode du SRAS, c'est un médecin généraliste qui a reçu un appel pour un patient suspect, et c'est précisément parce que nous étions côte à côte que nous avons pu l'isoler et prendre toutes les mesures nécessaires. Il en est de même avec les méningites. Ce qui doit marcher demain doit marcher aujourd'hui et c'est dès à présent que nous devons construire ce maillon ville-hôpital ; or un des points d'ancrage se situe clairement au niveau de la régulation.

Un comité de pilotage a été installé au niveau de chaque département, sous l'égide de la DDASS, comprenant l'URML197, SOS Médecins et les maires, afin de mettre en place des groupes de travail et d'améliorer les relations et la coordination entre la médecine libérale et l'hôpital. Il est prévu un CODAMUPS198 d'ici peu. Les groupes de travail commun doivent réunir tout à la fois le milieu hospitalier et les acteurs de santé libéraux : médecins généralistes, kinés, infirmières, sans oublier les pharmaciens, et les transporteurs sanitaires publics et privés. De l'harmonisation des actions de chacun dépendra la pertinence de la réponse à la crise potentielle de demain.

Cela suppose un tronc de formation identique : nous devons parler le même langage. Nous avons fait parvenir, en décembre, un diaporama à tous les établissements sièges de SAMU et de centres d'enseignement des soins d'urgence - les écoles des SAMU - afin que toute formation sur la grippe aviaire fasse appel à des mots communs, à un langage commun, à une pratique commune. Partir dans tous les sens, avec des conduites à tenir différentes, ne peut qu'être source de rumeurs et de désinformation.

Ce qui m'interpelle enfin, c'est le rôle du citoyen en tant qu'acteur de santé. Le plan pandémie canadien, par exemple, reconnaît clairement le citoyen comme le troisième acteur, à côté des médecins libéraux et de l'hôpital, public ou privé. Le citoyen est, à l'évidence, le troisième maillon de la chaîne, sinon le premier. Il nous paraît important de l'informer peu à peu sur la conduite à tenir. La télémédecine nous a jusqu'à présent servi, dans la régulation, à traiter un certain nombre de cas au téléphone ; désormais, il va falloir que nous soyons partenaires, avec le secteur libéral, mais également avec le citoyen. À l'exemple du Canada, nous avons tout intérêt à inciter chaque citoyen à prendre en charge sa maladie dans ses formes les plus bénignes et à adopter les mesures de protection nécessaires. Si le citoyen ne sait pas ce qu'il doit faire pour, d'abord, ne pas être contaminé, ensuite ne pas contaminer les autres, l'hôpital risque davantage encore d'être dépassé et les médecins libéraux totalement débordés. La première mesure-barrière se situe au niveau du citoyen lui-même.

Une série de problèmes techniques restent à résoudre pour ce qui est de la télémédecine. Premièrement, il faudrait, au-delà des moyens humains, trouver une possibilité technique pour re-router les appels aux centres 15 vers une cellule d'expertise et d'appui en fonction de la demande ; le serveur vocal pourrait être une solution parmi d'autres, qu'il faut en tout cas étudier rapidement. Deuxièmement, nous devrions chercher à utiliser les possibilités de « visio » désormais offertes par les téléphones portables afin de réellement voir le patient, cela rendrait la régulation beaucoup plus pertinente qu'avec un simple échange téléphonique. Cette solution n'est pas techniquement évidente, mais elle serait très intéressante : la télémédecine avec webcam n'est pas toujours évidente, notamment dans le cas de personnes âgées.

Enfin, il nous paraît fondamental de maintenir les réseaux de prise en charge des personnes isolées, en particulier les CLIC199 qui, dans certains départements, ont disparu une fois passée la canicule. C'est dommage : c'était un bon moyen d'assurer la prise en charge à domicile et le lien ville-hôpital.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Les inquiétudes que nous avons ressenties chez les personnels soignants sont parfaitement compréhensibles : 50 % de cas mortels recensés dans le monde...

M. Gérard BAPT : Surtout chez des jeunes.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Effectivement. On comprend, dès lors, qu'une mère de famille puisse hésiter à rentrer chez elle après s'être occupée de cinquante ou soixante personnes dans son service... Peut-on imaginer que le personnel reste dormir sur place, sans rentrer chez lui, pendant quelques jours ? Cette solution a-t-elle été proposée par les personnels ou par la direction ?

M. Jean-Robert CHEVALLIER : L'idée de maintenir les personnels sur le site a été envisagée ; nous avons, à Blois, un foyer d'une centaine de chambres à l'école d'infirmières. Les cours étant évidemment interrompus en cas de grippe aviaire, les chambres seraient disponibles. Mais est-il raisonnable d'éloigner quelqu'un de ses enfants douze semaines d'affilée ? Objectivement non.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Certes, mais ces questions se poseront tôt ou tard.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : La préparation du plan doit s'effectuer au niveau central et au niveau local. Les établissements ont jugé très précieux les travaux réalisés par la DHOS, particulièrement les documents distribués récemment qui sont, pour nous, des guides de réflexions propres à nous faciliter grandement la tâche. À charge pour nous évidemment de décliner ensuite ces orientations générales en fonction de nos spécificités et de notre culture locale.

N'oublions pas que ce défi de la préparation de l'hôpital public à la grippe aviaire nous est lancé alors que le passage à la tarification à l'acte - la T2A - vient totalement révolutionner le fonctionnement hospitalier. Nous sommes en train de construire des hôpitaux autour de pôles d'activité et non plus de services. Tout cela représente beaucoup de sollicitations pour l'ensemble des professionnels, amenés à réfléchir et à faire avancer de concert tous ces projets concomitants.

La communication au plan national sera un élément déterminant si, d'aventure, la pandémie survenait : tout dépendra de la capacité à fournir une information de nature à convaincre les gens de ne pas se précipiter à l'hôpital. Ce sera essentiel dans la mesure où, à notre niveau local, nos moyens de communication en direction de la population se limiteront tout au plus à un article dans le journal local...

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Et ce n'est pas votre rôle !

M. Jean-Robert CHEVALLIER : En effet.

M. Gérard BAPT : Nous avons déjà été alertés sur les problèmes de personnels, de fonctionnement, de budget, etc... dans les hôpitaux. Un dialogue s'est-il établi entre la FHF, le ministère de la santé et la CNAM sur la question des moyens, y compris lorsqu'il s'agit d'épauler le personnel en cas de pandémie durable ?

M. Bernard GOUGET : À chaque fois que le sujet a été abordé, notre ministre nous a assuré que le problème financier n'en était pas un et que les hôpitaux seraient correctement pourvus. Nous pouvons donc lui faire confiance, penser qu'il saura prendre conscience des enjeux et faire en sorte que le système de santé soit suffisamment flexible et adapté pour répondre à la pandémie grippale, et qu'il dispose des moyens associés. Cela dit, le montant de la dotation accordée à l'ensemble des hôpitaux n'est pas sans nous inquiéter.

Vous recevrez bientôt la fédération de l'hospitalisation privée ; rappelons que toutes les fédérations sont présentes au sein des groupes de travail, mais que la FHF y fait figure de moteur. Ce sont les principaux acteurs du secteur public qui ont décliné l'ensemble des fiches de recommandation, certes en coordination et en bonne entente avec leurs partenaires ; il reste que l'hôpital public a joué un rôle véritablement moteur et novateur. La déprogrammation des activités, nous savons faire ; nous avons su répondre, lors d'inondations, au besoin de récupérer les malades des cliniques en situation difficile. Il ne s'agirait pas que l'hôpital public, après s'être comporté de façon plus qu'honorable lors des précédentes catastrophes, se retrouve aujourd'hui pénalisé par la lourdeur du système et que le secteur privé en profite pour récupérer des parts de marché... Nous entendons que la règle du jeu ne nous mette pas en difficulté et que nous puissions répondre, comme nous savons le faire, avec des moyens financiers et humains adaptés.

Le fait que nous soyons venus devant vous accompagnés de représentants de nos centres hospitaliers et de nos CHU traduit la capacité de la FHF à communiquer avec ses unions et ses régions. Nos permanents au siège, nos délégués aux unions et nos délégués régionaux sont constamment informés du degré d'avancement de tous les groupes de travail. Cette communication est à double sens : si elle part des conclusions des groupes de travail, elle est aussi facilitée par les retours d'expérience. Nous avons ainsi mis en place un système d'alerte qui nous permet de savoir si une structure est en retard ou en difficulté pour mettre son plan en œuvre.

Mme Ammirati a parlé des nouveaux outils de communication et des enjeux de la télémédecine. Certains programmes européens ont été engagés sur le thème de l'« e - santé », considérée comme un fer de lance pour améliorer la qualité des soins, la qualité de vie et la performance des systèmes de santé. Malheureusement, la France reste sur ce plan dans une situation très ambiguë et prend un sérieux retard. Nos collègues britanniques et danois ont mis en place des portails santé ; la FHF songe à en faire de même, car c'est un excellent moyen de communication. Nous avons un plan national sur l'amélioration de la qualité de vie et sur la maladie chronique ; des relais d'information et de communication à distance permettraient une meilleure prise en charge de la pathologie et donc une meilleure qualité de vie. Les exemples du Canada ont montré que la mise en réseau amenait une diminution de la mortalité. Nous avons donc tout lieu d'appeler à une montée en puissance de la santé en ligne.

La démarche fédérative, en termes de réseaux, a montré qu'elle fonctionnait. L'hôpital public se mobilise fortement afin d'être prêt. Il reste encore des efforts à faire ; nous avons le temps pour cela et nous pouvons nous féliciter de pouvoir mener un dialogue de qualité, dont cette audition est encore une illustration. En tant qu'élus, vous avez partagé notre ressenti et compris l'importance des problèmes de communication et d'éducation citoyenne, afin que la mobilisation des professionnels aille de pair avec l'information des citoyens qu'il faut à tout prix éviter de paniquer. Il faudra désormais songer à nous tester en organisant des exercices, déclinés segment par segment, à tous les niveaux. Là encore, il faudra encourager la mutualisation des moyens en direction des maisons de retraites, des EHPAD et autres petites structures au personnel réduit. Nous avons encore quelques inquiétudes à ce sujet, en termes de régulation.

S'agissant de la suppléance des personnels, on a parlé du droit de retrait ; n'oublions pas toutefois que les médecins sont, pour ce qui les concerne, astreints à un code de déontologie qui ne reconnaît pas le droit de retrait.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous venez de nous répondre sur les relations entre la FHF et la FHP, la Fédération de l'hospitalisation privée ; comme nous recevrons cette dernière bientôt, nous ne manquerons pas de lui poser les mêmes questions... Il est effectivement prévu que les activités déprogrammées puissent être confiées au secteur concurrentiel ; si j'ai bien compris, cela semble poser problème.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : Nous disons simplement que si l'hôpital public doit déprogrammer, l'hôpital privé doit lui aussi déprogrammer.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Pour éviter tout effet d'aubaine ?

M. Jean-Robert CHEVALLIER : Absolument.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il faut garantir de bonnes relations au sein du secteur hospitalier, dès l'instant où l'épidémie concernera tout le monde. Nous prenons bonne note de votre remarque et nous interrogerons la FHP.

M. Bernard GOUGET : Nous en discutons au sein des groupes de travail. Nous devons faire en sorte que l'hôpital public ne se retrouve pas pénalisé au détour de la crise.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Le directeur de l'hôpital de ma ville m'a assuré que son plan blanc était prêt et envisageait même un exercice grandeur nature. Les exercices se dérouleront-ils dans le cadre d'une journée nationale ou seront-ils organisés à l'initiative de chaque établissement ?

Il m'a également posé la question de l'isolement des patients en cas d'afflux massif. Il y a lieu d'en discuter avec les collectivités locales. A-t-on exploré les voies d'une coopération entre les collectivités territoriales et l'hôpital, notamment public ? Les maires devraient d'ores et déjà réfléchir aux locaux qu'ils pourraient éventuellement libérer à proximité des hôpitaux.

Je veux à mon tour insister sur la nécessité de parler aux citoyens, sans pour autant savoir quel sera le moment et la forme les plus appropriés pour éviter tout mouvement de panique. Il y a lieu, en tout cas, d'y réfléchir dès à présent et en toute sérénité. Et lorsque la crise aura éclaté, l'action des médias devra être assortie d'un mode d'emploi. Je sais, pour avoir vécu le drame de Nanterre, combien leur rôle peut être catastrophique : les médias se sont comportés de façon proprement odieuse à l'égard notamment de certaines familles. L'irresponsabilité dont ils font souvent preuve pourrait, dans une situation de crise, devenir excessivement dangereuse. Tout en restant fermement attachée au sacro-saint principe de la liberté d'information, je pense qu'il aurait lieu de réfléchir, avec les autorités sanitaires, à la forme des communiqués afin d'éviter les difficultés liées à des informations contradictoires ou sensationnelles.

M. Jérôme BIGNON : La mission a souhaité que ces auditions soient ouvertes à la presse, et il faut reconnaître que notre coopération a été très positive dans la mesure où elle a su relayer les informations que nous fournissaient nos interlocuteurs, aidant du même coup à l'information citoyenne dont parlait Mme Ammirati. À ce stade de nos travaux, les médias ont su adopter un comportement très mûr et responsable, a fortiori sur un sujet où il est très difficile d'informer sans paniquer. Si les gens comprennent au moins que l'épizootie n'est pas la pandémie, ce sera déjà un gros progrès de fait. Les travaux de notre mission me laissent à cet égard une impression des plus favorables : ils démontrent qu'il est possible de travailler de façon parfaitement transparente, sans prendre de risques et en suivant un schéma moderne et adapté. On ne peut évidemment exclure quelques dérapages, mais le bilan m'apparaît tout à fait positif.

Au niveau local également, j'observe que la presse de la Somme, en tout cas, s'est comportée de la manière la plus clean et la plus responsable qui soit : zéro faute... J'ai par ailleurs été extrêmement frappé par l'attente de nos concitoyens. Apprenant que j'étais membre de la mission et que j'avais visité le CHU d'Amiens à cette occasion, les gens n'ont eu de cesse de m'interroger. Ajoutons que la Somme étant une terre de migration d'oiseaux, les gens ont un niveau de sensibilité peut-être supérieur à la moyenne, et particulièrement dans la circonscription que je représente... De mon côté, je ne leur ai jamais refusé cette information, que j'estime de mon devoir de leur donner. J'ai relevé chez mes concitoyens, premièrement, une extrême attention, deuxièmement, pas la moindre conversation type « café du commerce », troisièmement, une demande de compléments. Beaucoup m'ont suggéré d'organiser des réunions d'informations sur ce sujet. J'ai ressenti une réelle volonté de participation, de transparence, de compréhension d'un phénomène qu'ils jugent, sous l'effet de la réduction médiatique, traité de façon un peu courte. Ils ont besoin qu'on prenne le temps de les informer. Je n'ai pas encore organisé de réunion, mais je crois qu'il serait intéressant de le faire. Je vais essayer de m'y employer : c'est un vrai beau sujet citoyen sur lequel on peut préparer l'opinion publique sur le long terme, tout comme nous devons préparer le couple hôpital public-médecine libérale. Nous résoudrons beaucoup mieux le problème, s'il vient à se présenter, avec un citoyen informé et préparé, et il ne nous le reprochera pas. Mon témoignage est certes très différent de celui de Mme Fraysse mais que je comprends parfaitement, après l'expérience qu'elle a vécue.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Je suis, pour ma part, d'accord avec les deux interventions. La presse a su faire preuve sur cette affaire d'un comportement tout à fait responsable, tant au niveau national qu'au niveau local, mais cela n'a pas toujours été le cas lorsqu'il s'est agi d'un événement majeur ou sensationnel. La survenue d'une pandémie pourrait de la même façon donner lieu à des dérapages.

M. Bernard GOUGET : L'exercice national est toujours programmé pour le mois de mars, comme annoncé par le Premier ministre. Il sera suivi de déclinaisons régionales et départementales. Pour l'heure, chaque établissement est amené à tester le caractère opérationnel de son dispositif.

Pour ce qui est de l'éventuelle organisation de locaux-relais, le maire étant le président du conseil d'administration de l'hôpital public, il est totalement associé à la recherche de solutions en cas de situation dégradée. Le responsable de la cellule dite de gestion des risques et crises est amené à se demander comment, sur un territoire de santé donné, on peut dégager à titre transitoire des locaux de substitution et des structures intermédiaires ; cette question s'intègre exactement dans la même problématique que celle de l'adéquation des personnels susceptibles de prendre le relais.

Pour ce qui est de la communication, un effort a été réalisé au niveau central à travers les différents sites institutionnels, dont Infogrippe. De son côté, la FHF diffuse à l'intention des journalistes un bulletin, L'Essentiel de l'Hôpital, qui paraît toutes les six semaines environ et a pour but de les sensibiliser à des questions d'actualité. Sans chercher à maîtriser l'ensemble de la communication, nous essayons de faire passer des messages à leur juste valeur à travers un réseau de journalistes. En retour, ceux-ci nous sollicitent à chaque fois que se produit un événement pour s'assurer de la validité de leurs informations - cela se passe très bien et nous avons pu le tester en début de semaine à propos des infections nosocomiales. Enfin, dans le cadre de nos manifestations, et notamment Hôpital Expo-Intermédica en mai, nous ménageons un lieu de parole sous la forme d'un plateau multimédia et d'un espace spécifiquement organisé pour le grand public afin d'informer l'ensemble de nos concitoyens.

Mme Christine AMMIRATI : Mme Fraysse a parfaitement raison : lors d'une crise sanitaire, l'interlocuteur de proximité reste le maire, le pharmacien, le médecin, l'infirmière libérale. Il est donc essentiel de donner une information commune à tous les maires, à ceux qui président nos conseils d'administration comme à ceux des petites communes rurales.

Dans le domaine de l'information citoyenne, nous avons été plusieurs à commencer à apposer dans nos salles d'attente - les cliniques privées qui travaillent avec nous en font autant, et SOS médecins le fera bientôt - une affiche incitant dès à présent les patients à mettre un masque et à se laver les mains sitôt qu'ils toussent et ont de la fièvre. Il ne nous paraît pas logique d'attendre que l'épidémie soit là pour commencer l'action d'éducation et d'information. Nous avons donc installé cette affiche dans le hall d'accueil du CHU d'Amiens, les hôtesses d'accueil ont été informées et formées pour rassurer et donner les explications nécessaires et nous en évaluerons l'impact auprès de nos visiteurs. Nous ne nous faisons guère d'illusions : le geste de mettre un masque et de se laver les mains n'est pas encore totalement entré dans la mentalité française... Au Canada, on le dit avec beaucoup moins de fleurs : « Vous toussez et vous avez de la fièvre ? Prenez un masque et lavez-vous les mains ! » Chez nous, cela reste du genre : « Halte à l'infection, merci de demander à l'hôtesse d'accueil... », mais le principe est le même. Il faut commencer dès maintenant pour le faire entrer progressivement dans les mœurs. Il en va exactement de même pour les règles d'hygiène dans les établissements.

Il est difficile d'aller à l'encontre des pratiques habituelles : les gens ont tendance à venir de plus en plus à l'hôpital et surtout aux urgences ; or, en cas de pandémie grippale, il faut surtout qu'ils n'y viennent pas ! D'ores et déjà, nombre de pathologies peuvent être traitées à domicile sans qu'il soit besoin d'encombrer les urgences, mais c'est là une autre réflexion à mener. En tout état de cause, nous ne gagnerons demain que si nous nous préparons aujourd'hui.

M. Bernard GOUGET : Toujours à propos de communication, nous travaillons en étroite collaboration avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'INSEPS, qui publie et met en ligne une série de fiches techniques sur le H5N1, extrêmement claires, didactiques et pédagogiques. C'est là un moyen tout à fait adapté de communication en direction des professionnels comme du grand public. Des efforts similaires s'imposeront, le moment venu, avec d'autres supports de communication. Là encore, des groupes de travail mènent à bien leur tâche en symbiose avec l'ensemble des acteurs.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Madame, Messieurs, nous avons bien senti à quel point vous vous sentiez impliqués dans ce dossier et dans la préparation des centres hospitaliers. Peut-être reste-t-il à resserrer le lien entre l'hôpital public et les acteurs libéraux et privés. Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Marie PAULOT, Directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation Nord - Pas-de-Calais, accompagné du docteur Patrick GOLDSTEIN, chef du SAMU du Nord, de Mme Martine DENEU, référent régional grippe aviaire pour l'ARH et le Préfet, et du docteur Marie-Pierre VILLARUBIAS, chargée de mission Urgences

Compte rendu de la réunion du mercredi 15 février 2006

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Mesdames, Messieurs, nous vous remercions de venir nous informer sur l'état de préparation et plus généralement sur les méthodes de l'ARH du Nord - Pas-de-Calais. Notre mission a pour tâche de contrôler l'action gouvernementale, mais également de participer à l'information de nos concitoyens ; c'est pourquoi nos réunions sont publiques.

La première étape de notre réflexion, qui a fait l'objet d'un premier rapport, était axée sur l'évaluation des moyens médicaux dont notre pays devrait disposer pour faire face à un risque éventuel de pandémie. Nos travaux ont ensuite porté sur l'épizootie aviaire, actuellement sous les feux de l'actualité. Ils ne sont pas terminés mais nous abordons concomitamment l'examen du « Plan Pandémie » du Gouvernement dans sa nouvelle version, en nous focalisant dans un premier temps sur la question hospitalière ; plusieurs de nos collègues se sont rendus dans des hôpitaux de leurs circonscriptions pour en évaluer l'état de préparation. C'est dans ce contexte que nous avons souhaité entendre un directeur d'agence régionale de l'hospitalisation.

M. Jean-Marie PAULOT : Trois missions incombent à un directeur d'ARH : premièrement, organiser l'offre de soins publique et privée de façon à répondre aux besoins de santé de la population ; deuxièmement, affecter les ressources budgétaires, tout au moins une partie, aux établissements ; troisièmement, veiller à la qualité et à la sécurité des soins. Le directeur de l'ARH n'a pas de compétences propres en matière de gestion de crise : il met seulement ses compétences à disposition dans le cadre de la cellule de crise que dirige et anime le préfet. En revanche, il lui appartient de veiller, dans sa sphère de compétence, à ce que les hôpitaux soient prêts à faire face à la situation. Je dispose, pour ce faire, des moyens des deux DDASS de la région Nord - Pas-de-Calais.

La région Nord - Pas-de-Calais concentre quatre millions d'habitants sur deux départements. Du fait de cette densité de population, triple de la moyenne nationale, les médecins s'accordent à penser que la propagation de la grippe aviaire y serait probablement plus rapide qu'ailleurs, et encore aggravée par le caractère transfrontalier de la région et son ouverture maritime très forte. Ajoutons que le Nord - Pas-de-Calais est une des régions les plus jeunes de France : 36 % de sa population a moins de vingt-cinq ans.

L'autre caractéristique est sa densité hospitalière et le nombre de grands établissements. Nous disposons de 150 établissements au total, publics et privés, 15 000 lits en médecine, chirurgie et obstétrique, dix-huit services d'urgence enregistrant 850 000 passages par an, vingt-sept équipes SMUR, deux SAMU et un établissement référent pour la zone de défense qui couvre deux régions, le Nord - Pas-de-Calais et la Picardie, le CHRU de Lille.

M. le Président : Vous voulez dire que le CHU d'Amiens est placé sous sa responsabilité ?

M. Jean-Marie PAULOT : L'établissement de référence pour la zone est le CHU de Lille.

M. le Président : Au sens « zone de défense » ou au sens « grippe aviaire » ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Il existe un établissement référent de la zone de défense dans le cadre de la gestion des nouveaux risques - en l'occurrence les risques NRBC- et la grippe aviaire est considérée comme une application particulière du risque biologique. Tout ce qui a trait à la formation des personnels et aux modèles de formation doit émaner de l'établissement référent. Cela dit, nous sommes des gens très pragmatiques et nous nous rencontrons très souvent : Amiénois et Lillois se sont partagés le travail dans leur zone de défense. Plutôt que de parler d'établissement référent de zone, on parlera d'équipes référentes de zone. En termes d'expertise au niveau supra-départemental, les compétences et les moyens des services d'infectiologie d'Amiens, de Lille et même de Tourcoing seront mutualisés. Mais la notion d'établissement référent de zone, y compris en termes d'hospitalisation, est pertinente.

M. le Président : Imaginons que nous soyons en situation de pandémie. Je ne doute pas de l'excellence de la coopération entre Picards et Lillois, que nous vivons fort bien à l'Assemblée ...

Mme Jacqueline FRAYSSE : Parfois, ce n'est pas facile... Mais on se débrouille !

M. le Président : ... mais où est le sommet de la pyramide ? Où iront les cas les plus graves ? À Amiens ou à Lille ? La plate-forme de gestion des cas les plus lourds sera-t-elle collectivisée ? Quelle sera l'approche ?

M. Jean-Marie PAULOT : On applique le principe de subsidiarité : en matière de crise sanitaire, l'autorité compétente est le préfet du département. Subsidiairement, viennent en appui le préfet de région pour apporter des moyens complémentaires, puis le préfet de zone. Lille étant tout à la fois siège de zone, préfecture de région et chef-lieu de département, le préfet Aribaud concentre sur lui l'ensemble de ces compétences et le CHRU de Lille est bien l'établissement de référence pour l'ensemble de la zone.

M. Patrick GOLDSTEIN : Pour ce qui est de l'hospitalisation, soyons clairs : il est hors de question, a fortiori en période de pandémie, d'hospitaliser un habitant de Picardie ailleurs qu'au CHU d'Amiens... De la même manière, les malades du Nord-Pas-de-Calais seront probablement hospitalisés à Lille. Au demeurant, le problème ne se posera pas en ces termes : très rapidement, la mobilisation concernera tous les établissements de santé.

M. le Président : Nous sommes bien d'accord. Mais ne peut-on imaginer qu'il y aura des patients nécessitant des soins plus intensifs que d'autres ? A contrario, à quoi sert la notion même de zone de défense par rapport à la région traditionnelle ? À quoi sert ce concept de zone de défense par rapport aux structures administratives ? Pourquoi ce chevauchement ? Je suis le premier à comprendre l'intérêt de travailler sur la grippe aviaire en gardant un œil sur le NRBC, mais pas au point de les confondre dans l'organisation de la structure : en effet, une chose est d'avoir un attentat à Lille ou ailleurs, autre chose est d'avoir affaire à une pandémie qui sévira sur l'ensemble de la planète...

M. Patrick GOLDSTEIN : Nous sommes totalement d'accord. Il reste qu'il existe une zone de défense en termes de sécurité civile et qu'elle vaut également pour la sécurité sanitaire, avec un établissement référent - pour le laboratoire, par exemple. Un prélèvement fait à Amiens ne va pas systématiquement aller à l'Institut Pasteur à Paris, mais au laboratoire agréé P3 du CHU de Lille.

M. le Président : Il n'y a que vous qui avez un P3 ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Oui. C'est en ce sens que nous parlions de mutualisation. De même pour la formation : on peut envisager une action pédagogique ordonnée et coordonnée sur une zone de défense pour mutualiser les moyens. Mais il n'est pas question d'hospitalisation, de lits disponibles de réanimation ou autre chose de ce genre.

M. le Président : Mais la gestion de crise ? Où est la plate-forme qui fera l'arbitrage sur les malades, par exemple ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Au niveau départemental.

M. Jean-Marie PAULOT : La compétence première appartient au préfet de département.

M. le Président : Si le laboratoire agréé P3 est à Lille, il paraît assez logique que les échantillons et souches prélevés à Amiens aillent à Lille plutôt qu'à Pasteur. Autre chose est le recours à la notion de zone de défense... Ce débat n'est pas neutre.

M. Pierre HELLIER : On peut poser le problème autrement. Imaginons que nous soyons déjà en situation de contamination interhumaine, mais avec très peu de cas en France, sinon pas du tout. Une première suspicion est détectée à Amiens. Que fera-t-on du prélèvement, qui le fera, où ira-t-il ?

M. Jean-Marie PAULOT : Au laboratoire de l'hôpital Calmette à Lille.

M. Pierre HELLIER : Et le prélèvement sera effectué sur place ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Ce problème n'est pas spécifiquement lillois ; il a été abordé à l'occasion d'autres réunions avec la DGS et la DHOS. Si un cas est identifié comme suspect, il y a deux options possibles : soit on envoie une équipe type SMUR pour effectuer le prélèvement nasopharyngé sur place, soit on amène le patient à l'hôpital. Mais ce qu'il faut surtout éviter, c'est de passer à côté d'un cas possible. Aussi a-t-il été décidé de transférer le patient dans le service d'urgence le plus proche, sachant que tous les services d'urgence sont équipés de kits de prélèvement nasopharyngé. Il appartiendrait évidemment au centre 15 de prévenir le service d'urgence concerné, afin que le circuit privilégié d'un patient potentiellement contaminant soit préparé - personnel en nombre réduit et protégé, box isolé. De la même façon, le transporteur, quel qu'il soit - sapeurs pompiers, transporteur sanitaire privé, car si le cas suspect se porte encore très bien, il n'est pas nécessaire d'envoyer une équipe de SMUR -, devra être parfaitement prévenu et protégé. Peu importe que le prélèvement soit effectué à l'hôpital d'Amiens, de Saint-Quentin, de Boulogne ou de Lille : l'essentiel est qu'il arrive, par des circuits prédéterminés, au laboratoire agréé P3 de Lille.

M. Jean-Marie PAULOT : Du fait de notre densité médicale et hospitalière plus faible que la moyenne, les problèmes de disponibilité des ressources médicales en seront d'autant aggravés : la question de renforts à trouver à l'intérieur de la région ou en provenance d'autres régions pourra se poser. Le flux de passage aux urgences est actuellement de 70 000 par mois ; on estime que les entrées supplémentaires générées par une pandémie seront de l'ordre de 30 000 à 40 000.

S'agissant de l'état de préparation, des mesures de sensibilisation et de l'articulation des compétences, les deux CODAMUPS du Nord et du Pas-de-Calais ont été réunis en décembre, à l'initiative des préfets, sur le dossier de la grippe aviaire, avec la participation de l'ARH, en formation élargie avec les pharmaciens, les infirmiers libéraux et les masseurs-kinésithérapeutes, afin que tous les professionnels soient informés de la situation et des mesures préventives à organiser ; des groupes de travail ont été mis en place sur l'articulation ville-hôpital, les transports sanitaires et l'organisation de la réanimation pédiatrique. À noter l'initiative très opportune de l'association des ambulanciers du département du Nord d'organiser un réseau d'ambulances dédiées au transport de malades atteints de grippe aviaire. Enfin, nous avons d'ores et déjà réuni l'ensemble des services d'urgence.

Je passe sur les questions de stocks d'antiviraux et de masques - 4 millions au total...

M. le Président : Je suppose qu'ils sont en proportion des stocks nationaux.

M. Jean-Marie PAULOT : Exactement. Le remboursement par les caisses de sécurité sociale des frais engagés par les hôpitaux est en cours.

M. le Président : Par qui est fait l'acte d'achat ?

M. Jean-Marie PAULOT : L'acte d'achat se fait sur des marchés nationaux, mais ce sont les établissements eux-mêmes qui achètent. Les caisses de sécurité sociale les rembourseront sur présentation des factures.

M. le Président : Autrement dit, chaque établissement achète.

M. Jean-Marie PAULOT : Oui. Et pour ce qui nous concerne, ces sommes sont réparties entre les établissements sièges de services d'urgence.

Les plans blancs avaient été fortement activés à la suite de la canicule de 2003. Tous les établissements publics, de même qu'une bonne moitié des établissements privés ayant un service d'urgence, ont désormais un plan blanc validé par les DDASS. L'annexe biologique est d'ores et déjà réalisée dans six services d'urgence et en cours pour les douze autres. Les établissements ont été relancés par l'ARH afin qu'elle soit en place dans les meilleurs délais. Reste à réunir les cellules de crises pour faire un test en blanc et identifier les zones dites de « basse densité virale » et de « haute densité virale » dans chaque établissement. Enfin, conformément aux textes publiés en décembre dernier, les plans blancs élargis sont en cours d'élaboration à l'initiative des préfets et des DDASS.

Enfin, une action de communication a été entreprise en direction de la médecine de ville. La DDASS du Nord organise le 10 mars une réunion avec l'ensemble des médecins libéraux.

D'une manière générale, le principal problème sera de faire fonctionner l'hôpital en prenant en charge un flux supplémentaire - plus 40 % aux urgences selon les estimations - alors même que ses moyens disponibles, notamment en personnels, seront fortement dégradés. Le rôle opérationnel majeur de « tour de contrôle » sera dévolu au centre 15 qui devra tout à la fois traiter les informations, orienter les malades, faire prévaloir le principe du maintien à domicile en réservant l'hospitalisation aux cas les plus graves et organiser le transport des malades les plus touchés. En pareille occasion, le directeur de l'ARH devra être présent dans la cellule de crise commandée par le préfet, analyser la situation à travers les flux de patients et leur localisation, anticiper les renforcements de moyens en provenance des établissements publics et privés.

M. le Président : En supposant même que l'on en reste à 40 % de flux supplémentaire, le centre 15 aura toutes les chances d'exploser sous les demandes... Il faudra doubler les salles, tripler les lignes, quadrupler le nombre d'opérateurs téléphoniques, gérer les cas graves, mais également les malades autres que les grippés ...

M. Jean-Marie PAULOT : La région Nord-Pas-de-Calais a la chance d'avoir une régulation libérale travaillant aux côtés du SAMU, ce qui nous sera très utile dans l'application du principe du maintien à domicile. Nous avons, de surcroît, constitué un réseau d'hospitalisation à domicile de 600 places, avec une organisation par secteur. Le pilotage est assuré par un médecin coordonnateur en relation constante avec l'hôpital. Cela devrait faciliter la mise en œuvre du principe du maintien à domicile.

M. le Président : Je ne parlais que de l'organisation de la plate-forme téléphonique du centre 15. Cette structure est appelée à jouer un rôle de premier plan. Je reviens de La Réunion, où sévit le chikungunia, et j'ai vu comment l'ARH est amenée à prendre des responsabilités importantes à l'occasion d'une crise de santé publique. Il faut espérer que la médecine libérale sera plus présente si pareille crise se produit en métropole... Votre collègue là-bas a bien du travail ! Comment fonctionne votre centre 15 sur le plan du traitement de l'information ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Je connais bien ce qui se passe à La Réunion où nous venons d'envoyer trois médecins. Il s'agit vraiment d'un modèle expérimental qu'il convient d'analyser de près.

Il est d'abord exclu que le centre 15 centralise tous les appels. Nous sommes tombés d'accord au niveau national pour ne pas mettre en place un numéro spécifique « grippe aviaire ». Autrement dit, on garde tous les numéros : le médecin de famille - s'il décroche encore ! - les pompiers, le 112, SOS Médecins et autres structures de garde. L'idée est d'avoir des réponses coordonnées entre ces différentes structures ; autrement dit, tous ces gens doivent travailler en amont pour apporter les mêmes éléments de réponse, et surtout être interconnectés. Dans le Nord, les pompiers et le SAMU sont totalement interconnectés, et cela fonctionne.

M. le Président : Vous avez de la chance...

M. Patrick GOLDSTEIN : Il est clair en revanche que l'on ne peut songer affronter une crise comme celle-là sans la médecine libérale. La régulation libérale sera essentielle. Il devra être décidé de sa présence dans les centres 15 par voie réglementaire et des décrets régissent d'ores et déjà sa présence au sein de l'hôpital. Mais pour l'instant, elle ne fonctionne que de vingt heures à minuit dans certains endroits alors qu'elle devra tourner vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Mes collègues libéraux, dont je suis solidaire, se heurtent évidemment à une série de difficultés. Le maintien à domicile étant la règle générale, l'essentiel du dispositif reposera sur eux ; encore faudra-t-il assurer une traçabilité des patients restés à domicile et c'est là que le centre 15 jouera son rôle. Mais ils ne pourront pas en même temps être sur le terrain auprès de leurs patients, être responsables de certains secteurs et faire de la régulation... D'où l'idée de la « réserve sanitaire » que l'on pourrait rappeler si besoin était, en affectant à la régulation libérale certains médecins du travail, des médecins de l'assurance maladie ou même certains personnels paramédicaux.

Pour ce qui concerne le centre 15, nous sommes actuellement en train de lister et de rechercher tous les médecins passés et formés dans notre service, afin de pouvoir les rappeler pour utiliser leur expérience de la régulation. Parallèlement, puisque chaque équipe du 15 est composée d'un permanencier et d'un médecin, nous allons proposer aux directions des ressources humaines des hôpitaux de faire un appel aux volontaires parmi le personnel administratif non soignant, autrement dit des secrétaires médicales, et de leur proposer de suivre un séminaire d'une journée pour se former comme auxiliaires de régulation. C'est exactement la démarche que nous avions suivie en matière de risque chimique et terroriste, lorsque nous avions fait appel à des volontaires, tous statuts confondus, au sein de l'hôpital, pour leur apprendre à décontaminer.

Enfin, nous avons reçu des instructions sur la question des lignes disponibles : les autocoms sont-ils adaptés ? Faut-il augmenter le nombre de lignes ? Est-ce possible ? Combien cela va-t-il coûter ? Tous les centres 15 devront très rapidement fournir des réponses techniques, indépendamment des inspections pour vérification de conformité.

M. le Président : De combien, en proportion, faudrait-il augmenter le nombre de vos lignes ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Au minimum de 50 %. J'ai connu deux expériences, dont celle de la Josacine. À vingt-heures-une, nous regardions le journal de Patrick Poivre d'Arvor et nous découvrions cette affaire, comme tout le monde. Cinq minutes plus tard, tous les centres 15 en France étaient saturés, car on prescrivait beaucoup la Josacine à cette époque.

Seconde expérience, plus locale, celle du Coca-Cola. Nous avons une usine près de Dunkerque ; on découvre un jour du mercure dans une boîte de Coca-Cola. Arrive le journal de TF1 ; l'instant d'après, nous étions saturés...

Ces expériences nous ont appris que la pédagogie en amont et la relation avec la presse sont des éléments essentiels. On parle d'information des professionnels de santé, mais il va bien falloir à un moment parler à la population et lui expliquer qu'il n'est pas question d'appeler n'importe qui n'importe comment.

M. le Président : Je vous rejoins totalement, avec le sentiment que l'on est en train de sous-estimer les problèmes de gestion de l'information, et à tous les niveaux, qu'il s'agisse des relations classiques avec les médias ou de l'utilisation des nouvelles technologies. Il ne reste plus qu'à espérer que cela n'arrivera pas ou, si cela arrivait, que vos 50 % de lignes en plus permettront de répondre à la demande... En toute honnêteté, je n'y crois pas du tout ! Pour commencer, les médecins de ville seront sur le terrain à visiter les gens, comme on le leur demandera. Ils ne pourront pas toujours répondre sur leur portable... Ensuite, l'expérience montre, encore aujourd'hui à La Réunion, que les gens ont tendance à se diriger vers l'hôpital, et plus encore dans une région à tradition populaire comme la vôtre. Nous allons devoir affronter un énorme problème de gestion de l'information, dans tous les sens du terme. Vous en avez parfaitement conscience et vous faites beaucoup de choses, mais je crains que cela ne suffise pas - et ce n'est pas spécifique à Lille.

M. Patrick GOLDSTEIN : Il faut clairement prendre en compte cette dimension technique.

M. le Président : Avez-vous la possibilité de rebasculer des appels de coaching sur des plates-formes dédiées ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Le re-routage ne pose aucun problème avec les autocoms modernes. Ils nous permettraient également de nous servir de messages télématiques pour « ligner » un certain nombre de paramètres avant même que l'appel n'arrive. Nous l'avons déjà fait ; le problème est qu'en situation d'urgence, les gens ne l'acceptent pas.

M. le Président : C'est en tout cas un vrai problème sur lequel il va falloir nous pencher.

M. Patrick GOLDSTEIN : Cela dit, nos services d'urgence ont été récemment réaménagés, voire totalement reconstruits dans le cadre du plan hôpital 2007, ce qui pourrait faciliter les choses par rapport à d'autres régions. Mais vous soulevez un problème technique et pratique très lourd.

Quant à la gestion des flux dans les établissements, elle pose d'abord la question de la déprogrammation : elle est, certes, prévue dans le plan et les hôpitaux s'y sont préparés, mais il faudra sans doute aller plus loin, jusqu'au déshébergement. On n'échappera pas à la nécessité d'organiser des exercices dans chaque établissement. Il faudra ensuite penser au renfort du secteur privé.

M. le Président : Auriez-vous déjà techniquement la possibilité d'opérer un dispatching global de lits, qu'il s'agisse d'établissements PSPH200 ou privés au sens strict ?

M. Jean-Marie PAULOT : C'est juridiquement possible par le biais du pouvoir de réquisition du préfet...

M. le Président : Mais avez-vous les informations nécessaires ?

M. Jean-Marie PAULOT : Nous connaissons bien les établissements privés exerçant dans le domaine de l'urgence. Nous en avons plusieurs dans la région, PSPH ou non, dont six UPATOU201 privées. Peut-être est-ce lié à la légendaire solidarité des gens du Nord, mais je n'ai pas trop de craintes sur la volonté du secteur privé de participer. Encore faudra-t-il organiser ces renforts, personne ne connaissant encore précisément les besoins et surtout la durée. Déprogrammer est une chose ; encore faut-il pouvoir reprogrammer ensuite et donc évaluer l'ensemble des conséquences en allant jusqu'au bout de la chaîne.

M. le Président : Certes, mais la déprogrammation est d'ores et déjà prévue dans l'hôpital public. Est-elle envisagée dans le cadre de l'hospitalisation privée ?

M. Jean-Marie PAULOT : Dans les recommandations élaborées par la DHOS en tout cas, cette mesure doit faire partie des réflexions demandées à l'ensemble des services territoriaux. Nous y échapperons d'autant moins dans le Nord-Pas-de-Calais que le poids de l'hospitalisation privée n'y est pas négligeable.

S'agissant de la gestion des personnels en période de crise, les vacations des personnels amenés à soigner les patients atteints de grippe aviaire devront sans doute être allongées et l'organisation des horaires repensée. Le simple passage à l'an 2000 nous avait déjà amenés à prendre des dispositions dérogatoires en matière de gestion des personnels - astreintes, durée des vacations -, assorties de mesures d'indemnisation arrêtées à l'avance. Cette question, quoique d'ores et déjà prévue dans le plan blanc, commence seulement à être évoquée au sein des organismes paritaires, et elle appelle légitimement une réponse.

Il reste deux sujets de préoccupation particulièrement lourds : la réanimation et la réanimation pédiatrique. La région Nord-Pas-de-Calais dispose de 241 lits de réanimation, ce qui donne un ratio particulièrement faible comparé à la moyenne nationale. Nos capacités de réanimation, particulièrement en ces temps de grippe, sont très souvent saturées. En début de pandémie, une première solution consisterait à dédier certaines unités de réanimation à la prise en charge des malades atteints de grippe aviaire ; une deuxième serait d'englober progressivement les unités de surveillance continue et de soins intensifs, ce qui porterait la capacité totale de 241 à 1 000 lits environ. Sera-ce suffisant ? Apparemment, pas du tout. Les premières modélisations, encore grossières, effectuées sur la métropole lilloise montrent qu'avec 250 patients atteints de la grippe aviaire par jour et un taux de réanimation de 5 %, l'ensemble des capacités de réanimation - une centaine de lits environ - serait saturé au bout d'une semaine. Autrement dit, nous avons un réel problème.

M. le Président : Qu'attendez-vous des pouvoirs publics sur cette question ?

M. Jean-Marie PAULOT : Il reste une troisième solution, sur laquelle nous avons commencé à travailler dans les hôpitaux de Lille et de Tourcoing, établissements de référence, qui consisterait à dégrader davantage la qualité de la réanimation en mobilisant les respirateurs et matériels des autres services ; nos capacités en seraient encore augmentées, mais ce ne serait plus du tout la même réanimation. Là encore, la mobilisation des respirateurs et l'acquisition de matériels supplémentaires, apparemment peu disponibles en France, constitue un deuxième goulot d'étranglement technique.

Quant à la réanimation pédiatrique, elle ne compte que seize lits en tout et pour tout, d'ores et déjà totalement saturés : nous avons dix-huit patients... Nous imaginons dans un premier temps basculer une partie des enfants vers la réanimation adultes et sans doute « déspécialiser » l'hôpital Jeanne-de-Flandre du CHRU afin de le transformer en une unité de réanimation pédiatrique plus étendue. Ce qui pose évidemment le problème du matériel, de la taille des lits, etc. La réanimation - pédiatrique comme adulte - reste à nos yeux un problème majeur.

Il nous faut enfin poursuivre nos efforts de communication en direction des personnels hospitaliers comme des médecins de ville, poursuivre les initiatives engagées en décembre pour améliorer l'articulation ville-hôpital, réaliser des exercices dans nos établissements, avec mise sous tension des cellules de crises à travers, notamment, des opérations de déshébergement et de transferts interhospitaliers, voire un exercice transfrontalier avec nos voisins belges.

M. le Président : Je reviens au problème de la réanimation. Quels sont vos besoins ? Sont-ils d'ordre financier, matériel, humain, et comment y faire face dans un laps de temps raisonnable ? Votre stratégie de déploiement et de dégradation paraît des plus judicieuses. Mais quelles lignes directrices allez-vous appliquer, y compris sur le plan éthique ?

M. Jean-Marie PAULOT : La première question est celle des achats de matériels, qu'il faut anticiper. Encore faut-il commencer par recenser les matériels mobilisables dans les autres services et les possibilités de réaffectation, calculer les besoins supplémentaires à couvrir et, surtout, passer les commandes. J'ai observé qu'à La Réunion, le Ministre avait apporté avec lui des matériels de réanimation supplémentaires, notamment des respirateurs. Il faut établir un chiffrage raisonnable et c'est toute l'utilité des exercices.

La deuxième question est assurément celle des personnels, même si les frontières entre spécialités s'atténuent quelque peu en période de crise - en tout cas, nous nous y efforcerons. D'après les calculs approximatifs que nous avons pu faire, la capacité de réanimation sur Lille devrait être multipliée par deux, ce qui implique d'avoir un plus grand nombre d'anesthésistes-réanimateurs. Ce sera assurément une difficulté.

M. Patrick GOLDSTEIN : Le problème éthique est essentiel et est plusieurs fois revenu dans nos discussions. Nous sommes dans une médecine qui n'est plus celle du quotidien et qui s'apparente pratiquement à de la médecine de catastrophe, qui conduit à ce que l'éthique individuelle cède le pas à l'éthique collective. Mais qui décidera ?

M. le Président : Quelle est votre demande ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Il ne peut pas y avoir de différence d'approche entre le Nord de la France, Midi-Pyrénées et le Cantal. Il faudra bien prendre une décision claire et nette pour arrêter les critères d'hospitalisation à un moment donné en fonction de nos possibilités. On le dit, mais de là à passer à l'acte...

M. le Président : Mais souhaitez-vous que cette décision soit prise par vous-même, par un collège médical, par une autorité publique ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Je ne suis qu'un technicien d'appui dans cette affaire... Nous sommes là, me semble-t-il, dans le domaine de la décision citoyenne.

M. le Président : Je le crois aussi.

M. Patrick GOLDSTEIN : En tant que médecins, nous revendiquons nos responsabilités. Mais il arrive un moment où elles doivent être partagées, en particulier avec les citoyens ou leurs représentants.

M. le Président : C'est effectivement très important. Le plan pandémie ne se limite pas à compter les masques...

M. Pierre HELLIER : Le personnel sera à l'évidence inquiet et il faut s'attendre à des réticences légitimes. Souhaite-t-il travailler sous Tamiflu, pris à titre préventif alors même que l'AFSSA le déconseille ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Il faut faire très attention à tout ce qui circule sur le Tamiflu ! Je vous renverrais volontiers à une analyse publiée récemment dans le Lancet sur l'efficacité de ce médicament... Encore faudrait-il s'assurer de sa véritable efficacité face à un virus que l'on ne connaît pas encore totalement. Quant à l'utiliser à titre préventif ou prophylactique, l'AFSSA et tous les infectiologues le disent clairement, c'est non, non et non ! Il faut le garder, y compris pour le personnel hospitalier, pour le moment où apparaîtront les premiers signes : je suis au contact de malades, je commence à tousser, je fais de la température, j'ai vingt-quatre heures pour me traiter. Mais surtout pas en traitement préventif.

Sur la question des réticences à aller travailler, les personnels des hôpitaux sont comme tout le monde. Certains ne voudront peut-être pas venir travailler, par crainte pour eux-mêmes, mais surtout pour leur famille. C'est vrai que le personnel hospitalier français est fantastique. Bien sûr, ils voudront venir travailler. Mais ils se poseront la question de savoir s'ils importent un risque en rentrant chez eux, s'ils doivent protéger leur entourage. Faut-il leur donner du Tamiflu, des masques ? Se pose également le problème des mamans : que feront-elles de leurs enfants, sachant que les crèches seront fermées ? Ces questions ne sont pas résolues et elles ne sont pas spécifiques à notre région.

M. Pierre HELLIER : L'inquiétude est légitime : certains personnels nous ont déjà prévenus que, sans Tamiflu, ils auraient beaucoup de réticences à aller travailler. Votre position est certes logique...

M. Patrick GOLDSTEIN : Ma position est rationnelle et scientifique : je ne m'appuie que sur les données actualisées de la science. On sait qu'il ne faut pas donner de Tamiflu à titre préventif ou prophylactique ; on sait même qu'il peut provoquer des effets secondaires. Peut-être faut-il le faire savoir. Comment peut-on imaginer rester dix semaines sous Tamiflu !

M. le Président : Je n'ai pas vu d'indications aussi claires sur l'utilisation du Tamiflu, hormis les recommandations de l'OMS qui remontent à deux ans, et qui s'inscrivent dans un contexte tout à fait particulier de pénurie. Laissons de côté cet aspect de pénurie, quand bien même il doit nécessairement être pris en compte. Le Tamiflu est-il réellement porteur de risques potentiels, résistance et autres ? Il a fort peu d'effets secondaires...

M. Patrick GOLDSTEIN : Il n'est jamais prescrit sur une longue durée.

M. Pierre HELLIER : C'est vrai.

M. Patrick GOLDSTEIN : Au moins conviendrait-il au préalable de s'en assurer, au cas où il devrait être prescrit en traitements de longue durée, ne serait-ce, par exemple, que dans le cas des femmes enceintes, pour lesquelles il est contre-indiqué. Permettez-moi, monsieur le Président, de vous renvoyer à des spécialistes de l'infectiologie, comme François Bricaire, qui sont bien plus compétents que moi : nous n'avons aucune expérience du Tamiflu utilisé sur dix semaines...

M. Pierre HELLIER : En dix semaines, on a le temps de mourir pas mal de fois !

M. Patrick GOLDSTEIN : Je suis d'accord, mais la vraie question est de savoir si cela protégerait pendant dix semaines - et si l'on en aurait assez.

M. Pierre HELLIER : Le problème est de faire en sorte que les professionnels de santé arrivent au travail un tant soi peu sereins. J'ai entendu la même personne m'affirmer à quelques secondes d'intervalle que le Tamiflu ne servait à rien, mais qu'il n'était pas question qu'elle vienne travailler si on ne lui en donnait pas !

M. Patrick GOLDSTEIN : Il nous faut à la fois garantir à tous les professionnels de santé - et sans doute à d'autres - qu'au moindre signe d'alerte, ils seront aussitôt traités par Tamiflu, et insister sur les autres mesures-barrières, à commencer par le port du masque. Nous ne sommes qu'en phase 2, mais l'hôpital ne manque pas de malades susceptibles de transmettre des bactéries ou des virus... Peut-être serait-il judicieux de ne pas attendre la phase 3 pour remettre à l'honneur les mesures basiques de prévention de certains risques collectifs, comme la tuberculose que l'on voit réapparaître chez le personnel hospitalier. Et l'on ne va pas mettre tout le monde sous antibacillaire...

M. Pierre HELLIER : L'idée avait été émise de mettre à disposition de chaque professionnel une boîte scellée, à n'ouvrir qu'en cas de symptômes. Au moins serait-il sûr de ne pas avoir à attendre le médicament...

M. le Président : Le débat sur cette affaire n'est pas clos, mais il a été quelque peu faussé, à l'origine, par la contrainte de la pénurie qui a marqué la réflexion de toutes les autorités de santé publique, en France comme ailleurs, même dans les pays qui ont énormément de moyens. Or, plus tard arrivera la pandémie, moins cette contrainte sera forte. On n'est pas forcément obligés de réfléchir dans un contexte de pénurie.

Nous vous remercions de toutes ces informations, qui prouvent à quel point ces questions vous mobilisent. Combien vous ont-elles pris de temps durant ces derniers mois, monsieur le directeur ?

M. Jean-Marie PAULOT : Signalons que le Ministre, lorsqu'il rencontre chaque mois les directeurs d'ARH, commence généralement son propos introductif en appelant à la mobilisation face à la grippe aviaire... Pour autant, je ne peux pas dire que ce dossier me prend une part très élevée de mon temps. C'est avant tout l'achèvement des schémas régionaux d'organisation sanitaire qui mobilise les directeurs d'ARH en ce moment : tout doit être bouclé pour le 31 mars prochain... Ayant pris mes fonctions en avril 2003, la première crise sanitaire à laquelle j'aie eu à faire face était la canicule - qui s'est, du reste, mieux passée dans le Nord-Pas-de-Calais qu'ailleurs. Depuis, les services ont nettement amélioré leur organisation de gestion de crise. Avant la canicule, les plans blancs n'existaient que sur le papier, sinon dans la tête de certains ; depuis, ils sont devenus une réalité. La gestion de crise est désormais prise en compte à tous les niveaux des services de l'État et des établissements de santé : mi-2005, mille personnes étaient déjà formées au risque NRBC dans notre région, et la préparation des équipes hospitalières est réellement montée en puissance. Nous sommes en tout cas sur la bonne voie d'une préparation à la pandémie.

M. le Président : Mesdames, Messieurs, nous vous remercions.

Audition de M. Jean-Marc BOULANGER, secrétaire général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, accompagné de MM. François BRICAIRE, Patrick CAMPHIN et Philippe HROUDA

(Compte rendu de la réunion du mercredi 15 février 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Le but de notre mission est tout à la fois de contrôler l'action gouvernementale, mais également de fournir des éléments d'information et des repères à l'opinion publique sur la question de la grippe aviaire et du risque de pandémie.

Nous avons déjà consacré plusieurs séances de travail à la problématique du plan « pandémie ». Nous avons publié un premier rapport sur les dispositifs médicaux d'ores et déjà en place. Nos travaux ont ensuite porté sur l'aspect aviaire stricto sensu, mais nous avons en même temps commencé à travailler sur le » plan pandémie » du Gouvernement, en nous focalisant plus particulièrement dans un premier temps sur l'hôpital : sur ce point, l'expérience de l'Assistance publique nous sera très utile. Notre rôle est de savoir si nous sommes sur la bonne voie. Faut-il accélérer la préparation à la pandémie ? Quelles questions devons-nous nous poser en priorité, sachant que bien des interrogations sont encore devant nous ? C'est dans ce cadre que nous avons souhaité vous auditionner, afin que vous nous aidiez dans notre réflexion globale.

M. Jean-Marc BOULANGER : La préparation à une gestion de crise comme, par exemple, la pandémie grippale, est une des vingt-et-une lignes directrices de notre plan stratégique. Il n'est plus possible de considérer la crise comme un événement exceptionnel, face auquel l'on se débrouille quand il arrive. L'organisation de crise est désormais considérée comme un élément structurel et structurant, y compris pour la vie quotidienne, et cette idée doit être intégrée par tout le personnel, de la directrice générale au brancardier, afin qu'ils soient mobilisés. Quatre grands sujets transversaux sont au rang de nos priorités à ce jour : la tarification à l'activité, la nouvelle gouvernance hospitalière, le nouveau système d'information et la préparation à la gestion de crise. Pour 2005-2006, nous avons retenu sur ce dernier thème deux sujets : l'attentat multi-sites - il y a trois ans, c'étaient les inondations - et la préparation à la pandémie grippale, et nous avons organisé notre action autour de trois piliers : une organisation de crise, une préparation à la crise et une capacité d'adaptation. On aura beau se dire prêt jusqu'au dernier bouton de guêtre, rien, dans la réalité, ne se passe tout à fait comme prévu : il faut savoir s'adapter. Il faut être capable de recomposer un dispositif opérationnel répondant aux exigences de la réalité constatée à partir des éléments fournis par les plans préparés. Cependant, pour virtuelle qu'elle soit, la préparation à la crise n'en est pas moins nécessaire.

Sur les aspects « attentats multi-sites » et « pandémie grippale », nous avons travaillé sur l'organisation du siège et son interopérabilité avec, d'une part, les cellules de crise des hôpitaux et, d'autre part, les services de l'État : la zone de défense, qui pour nous est le référent, et le centre opérationnel du ministère chargé de la santé.

M. le Président : Pourquoi la zone de défense est-elle, pour vous le référent ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Parce que notre « patron-État », à Paris, c'est la zone de défense.

M. le Président : Pas en cas de crise pandémique...

M. Jean-Marc BOULANGER : Pour ce qui est de la préparation de crise, nous travaillons directement et en liaison continue avec le secrétariat général de la zone de défense. Il en est ainsi depuis la canicule de 2003.

M. le Président : Mais cela n'a-t-il pas changé depuis la nomination d'un délégué interministériel ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Notre organisation au niveau du siège repose sur notre propre centre opérationnel, celui de la zone et celui du ministère. Et comme nous sommes une structure à deux étages, il nous faut un peu plus de temps qu'ailleurs pour traiter tous les sujets et monter notre dispositif... Viennent ensuite l'organisation pré-hospitalière, avec les SAMU, et l'organisation des hôpitaux.

Nous devions être prêts à assurer une prise en charge en situation pré-pandémique fin janvier. De ce point de vue, le calendrier est tenu. Quant au dispositif d'action en situation pandémique, qui est plus complexe à mettre en œuvre, il devrait être effectif d'ici à la fin du semestre 2006. Le centre opérationnel Victoria, en relation permanente avec les hôpitaux, les services généraux, les SAMU et les centres opérationnels ministériels ou de zone, peut être considéré comme fonctionnel : nous l'avons mis en œuvre à l'occasion de l'exercice Ambroise du 7 décembre dernier et les liaisons ont correctement fonctionné.

L'information et la formation restent un point-clé. Les 93 000 agents de l'AP-HP, c'est pratiquement une opinion publique et il est impératif que tous les personnels de l'AP-HP aient les idées claires sur le sujet. Or, ce n'est pas facile dans la mesure où la communication est à la fois partagée entre Le Parisien et par ce que nous-mêmes pouvons écrire... Chaque mois, un document mèl traitant des quatre chantiers précités, dont celui de la pandémie, est distribué dans 30.000 boîtes. Autrement dit, une information circule, mais nous sommes encore au début du processus et il y a encore un gros travail à accomplir. Dans les hôpitaux référents, les choses sont plus avancées qu'ailleurs : le Comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), notamment, est bien informé et, de ce fait, l'information se diffuse assez bien. Nous devons faire de même dans les autres hôpitaux.

Pour ce qui est de la formation, un travail a été accompli dans tous les établissements comportant un service de maladies infectieuses par les professeurs des services référents, qui a porté jusqu'à présent sur 1 500 personnes environ. Un centre de formation pratique au risque NRBC a été, par ailleurs, mis en place à l'hôpital Broussais, où nous sommes progressivement passés des simples exercices de décontamination à la prise en charge des infections émergentes. Parallèlement, nous avons demandé aux hôpitaux d'inclure dans leurs programmes de formation des sessions spécifiquement consacrées à la prise en charge d'une pandémie.

Sujet plus connu, la mise en place des stocks, bien que le fait qu'ils existent ne signifie pas pour autant qu'ils soient opérationnels et répartis. Nous disposons en gros de 10 % - même s'il ne nous appartient pas à proprement parler - du stock national de Tamiflu à l'AGEPS202 ; les masques FFP 2 - un peu plus de cinq millions - sont stockés dans les hôpitaux.

M. le Président : Est-ce vous qui les avez achetés ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Ils nous ont été livrés et nous les avons payés ; ils nous seront remboursés.

M. le Président : Mais qui a fait l'acte d'achat ?

M. Jean-Marc BOULANGER : L'AGEPS, autrement dit la Pharmacie centrale des hôpitaux. Les masques ont été positionnés dans tous les hôpitaux en proportion de leur taille, plus un stock resté à l'AGEPS.

Il ne s'agit à nos yeux que de l'acte I : il faut maintenant calculer la dotation de manière plus exacte, la compléter par des masques chirurgicaux à l'usage des patients, des visiteurs et probablement une partie des personnels - tout le monde n'a pas besoin d'utiliser en permanence un FFP 2. Reste également à mettre en place toute l'organisation logistique - doctrine d'emploi, processus d'approvisionnement, etc. - dans le cadre de la préparation à la phase pandémique, d'ici au deuxième trimestre.

Autre sujet important, qui vaut tout aussi bien pour l'attentat multi-sites que pour la pandémie grippale : la sécurisation des hôpitaux. Un des points-clefs sera non pas de fermer totalement les hôpitaux, mais d'en contrôler les accès, y compris pour les visiteurs. Ce travail est mené de manière progressive, en partant des hôpitaux référents NRBC pour s'étendre à l'ensemble des établissements, en liaison avec la préfecture de police.

Nous nous attachons enfin à développer la culture de l'exercice. Un premier exercice NRBC avait été organisé en octobre 2004 à Necker ; nous avons été ensuite conviés à participer à l'exercice national SGDN de juin 2005 ; en octobre-novembre, un exercice de sécurisation NRBC a eu lieu à l'hôpital référent de Bichat ainsi qu'un exercice spécifique « pandémie » à l'hôpital de Garches ; le dernier en date a été l'exercice Ambroise en décembre. C'est le seul moyen de vérifier si ce que l'on a prévu est opérationnel ou non.

Nous pouvons considérer que nous sommes aujourd'hui capables de prendre correctement en charge les cas qui se présenteraient sur notre territoire en phase pré-pandémique, autrement dit en situation 3 de la classification OMS. Le schéma s'articule autour de trois hôpitaux référents (Bichat, Pitié-Salpêtrière et Necker), six établissements comportant un service maladies infectieuses (Avicenne, Saint-Louis, Saint-Antoine, Tenon, Paul-Brousse et Poincaré), l'ensemble des hôpitaux recevant les urgences, le SAMU et enfin un dispositif dit CERVEAU (CEllule Régionale de VEille et d'Action sur les Urgences) de suivi d'ensemble mis en place en 2004 à la suite de la canicule.

Le but n'est pas d'intervenir sitôt que quelqu'un déclare avoir croisé un canard en Chine et ressent de la fièvre... Aussi avons-nous mis au point une fiche d'aide à la décision, commune à tous les services d'accueil des urgences et aux SAMU, qui permet d'effectuer un premier tri. Au moindre doute, le service d'accueil fait appel au service référent qui l'aidera à consolider son questionnement. On a parlé des quelques cas suspects à la Réunion et à Montpellier, mais il va sans dire que Paris a également connu des alertes du même type - encore hier - et que le processus de sélection et d'identification a permis d'éliminer. Le risque est très faible ; encore ne faut-il pas passer à côté, sans pour autant se laisser polluer par la psychose et céder à la pandémie médiatique. Notre système d'aide à la décision est opérationnel depuis décembre.

M. le Président : Ce travail est certes important et nécessaire, mais ne correspond-il pas davantage à un schéma de type SRAS qu'à un schéma de type pandémie ? La probabilité qu'un hôpital de l'Assistance publique soit saisi du premier cas préalable à l'irruption de la pandémie sur la planète est somme toute assez faible. La situation la plus probable est celle d'un premier cas détecté dans un pays étranger, suivi d'autres cas dans le pays, puis dans la zone, puis, par le biais des transports, à Toronto, à Montevideo et un peu partout en quinze jours, au mieux un mois... Le scénario le plus vraisemblable est le suivant : à vingt heures, le journal télévisé annonce l'arrivée du virus, à vingt heures quinze, les gens commencent à avoir mal à la tête et trois semaines plus tard, vous vous retrouvez face à une foule de malades...

M. Jean-Marc BOULANGER : Je raisonne toujours en situation 3 : pas de transmission interhumaine, donc pas de risque pandémique. À supposer qu'un cas survienne, nous ne devons pas passer à côté. Il va falloir le prendre en charge, l'identifier parfaitement, faire les prélèvements nécessaires pendant la période d'incertitude et, s'il est avéré que c'est un cas de grippe aviaire, le traiter. Autrement dit, le schéma est le suivant : nous commençons par le tri ; si le cas apparaît possible, nous le transférons dans un hôpital référent ou un établissement ayant un service de maladies infectieuses, si le malade en est d'accord, pour prélèvement et suivi jusqu'à ce que le résultat soit connu, négatif ou positif, ensuite, éventuellement, nous le traitons.

M. Pierre HELLIER : Combien avez-vous déjà effectué de questionnements et de prélèvements, afin que nous ayons une idée du tri à faire ?

M. François BRICAIRE : Pour ce qui concerne La Pitié-Salpêtrière, les demandes ont été de l'ordre d'une vingtaine au moins, dont trois cas hospitalisés pour vérification, encore qu'un interrogatoire correctement mené eût rapidement dissipé les doutes. Mais dès lors que plusieurs critères étaient remplis, il fallait appliquer la procédure et traiter, ce que nous avons fait, et de même à Bichat.

M. le Président : Comment sont arrivées ces vingt personnes ?

M. François BRICAIRE : Un patient se présente dans une structure de santé - médecin, hôpital ou autre - où il déclare revenir d'une zone contaminée et souffrir d'un syndrome grippal, ce qui l'amène à penser qu'il a contracté la grippe aviaire. Les gens ont d'ores et déjà compris que le centre 15 était là pour aider à la réponse : les gens du SAMU prennent immédiatement le relais et indiquent les questions à poser. Au moindre doute, ils préviennent le centre référent et nous terminons l'analyse avec eux. Ou bien nous voyons que ce n'est pas une grippe aviaire - comme cela s'est passé hier encore avec des voyageurs qui revenaient de Chine -, ou bien il reste un point d'interrogation, auquel cas nous transférons le cas suspect au centre référent pour effectuer les prélèvements.

M. Pierre HELLIER : Au départ, il y en avait donc plus de vingt.

M. François BRICAIRE : Vingt cas appelant réellement une interrogation et montrant la nécessité du questionnaire. Je vous passe les appels fantaisistes...

M. Jean-Marc BOULANGER : Cela ne peut effectivement pas correspondre à un grand nombre de situations, mais il est important de couper court à toute psychose. Pour ce qui est de la phase pandémique, qui correspond aux situations 5 et 6 de l'OMS, nous ne savons pas quand elle se produira ni quelle sera la virulence de l'attaque. Nous estimons qu'elle pourrait se produire en deux vagues d'environ dix semaines chacune, en considérant que nous devrons être totalement prêts à faire face à la première vague et être à même d'ajuster notre dispositif initial afin de répondre à la seconde ; tout dépendra de l'allure générale de la première vague et de la mise au point ou non d'un vaccin. Nous avons pour l'instant dégagé des principes et un mode de travail, mais il reste beaucoup à faire.

Au niveau des principes, je voudrais dire qu'il n'y aura pas des hôpitaux « grippe » et des hôpitaux « pas grippe » ; cela ne nous paraît pas tenable. En revanche, nous demandons à chaque établissement d'identifier une zone de haute densité virale qu'il sera possible d'étendre au vu de la situation. Une épidémie en deux temps a le mérite de laisser un peu de temps au début pour voir ce qu'il en est...

M. le Président : On espère !

M. Jean-Marc BOULANGER : ...et se préparer à gérer l'appoint. Parallèlement sera ménagée une zone de basse densité virale pour les autres patients.

M. le Président : Avez-vous estimé, approximativement, la part d'activités à déprogrammer ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Notre schéma consiste à nous concentrer sur l'indispensable.

M. le Président : J'entends, mais combien ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Sur 12 000 lits en MCO, 3 000 sont occupés par l'aval des urgences. Le reste est pris par des activités d'une autre nature.

M. le Président : Vous n'allez tout de même pas renvoyer tous ces gens chez eux, y compris les malades qui ont pris rendez-vous depuis un mois pour se faire opérer d'un cancer... A-t-on une idée de ce qui peut être repoussé de deux mois ou trois ?

M. Patrick CAMPHIN : Globalement, cela doit représenter 40 %... Certains établissements ont une activité programmée plus importante que d'autres : tout cela doit être étudié site par site et défini en fonction des organisations, mais également en fonction de ces deux zones à haute et basse densité virale, avec tout ce que cela suppose en termes de regroupements, de lieux de prise en charge et de circuits de communication. C'est là un travail très compliqué qui demande une approche des détails, sachant qu'en tout état de cause, il restera une part d'offre de soins que nous ne serons pas en capacité d'assurer.

M. le Président : Ce qui revient à dire que les principaux hôpitaux de l'AP-HP n'ont pas encore opéré ce travail de séparation.

M. Jean-Marc BOULANGER : Pas partout, car nous avons adopté une démarche progressive. À la Pitié-Salpêtrière, hôpital tout à la fois central et référent, il a été fait...

M. le Président : J'en suis d'autant plus heureux que c'est ma circonscription, mais on comprendra que je ne puisse m'en satisfaire !

M. Jean-Marc BOULANGER : Nous avons organisé une réunion avec l'ensemble des directeurs des hôpitaux le 23 janvier dernier, afin de leur expliquer le processus à suivre à partir, précisément, de l'exemple de la Pitié-Salpêtrière. Ce travail doit être achevé avant la fin du semestre. Il en va évidemment de même pour d'autres sujets : les orientations sont données au fur et à mesure. La prochaine réunion avec l'ensemble des directeurs adjoints en charge de ces problèmes est prévue fin mars pour savoir où ils en sont et éventuellement les relancer. La référence reste bien entendu le plan blanc, le principe étant d'assurer l'exceptionnel dans les locaux de tous les jours.

Des questions particulières se posent, par exemple autour de la réanimation. Tout dépendra de l'ampleur et de la virulence de la pandémie. Nous avons pour l'instant retenu un schéma pivot dans lequel la proportion de lits pris par des patients grippés pourrait être, au plus fort de la première vague, de l'ordre de celle actuellement occupée par les urgences - qu'il faudrait continuer à assurer -, soit en gros 3 000 lits.

M. le Président : Quelles sont vos prévisions face à un premier pic ? Combien d'hospitalisations, combien de réanimations, et combien, en particulier, en infantile-pédiatrique ?

M. Jean-Marc BOULANGER : J'insiste sur le fait qu'il s'agit, en matière d'hospitalisation, d'un raisonnement pivot : ce peut être plus ou moins...

M. le Président : Nous avons bien compris. Si vous pouviez donner tous les chiffres, il faudrait vous élever une statue !

M. Jean-Marc BOULANGER : En pointe, le nombre de personnes simultanément hospitalisées en raison de la grippe serait, en gros, de l'ordre de 3 000...

M. le Président : Alors que votre zone d'impact correspond à toute l'Île-de-France !

M. Jean-Marc BOULANGER : Nous ne représentons pas toute l'offre de soins en Île-de-France.

M. Patrick CAMPHIN : Environ 30 %.

M. le Président : En comptant la MCO, les cliniques d'accouchement ?

M. Patrick CAMPHIN : En comptant la MCO.

M. Jean-Marc BOULANGER : Ce chiffre de 3 000 correspond au nombre de lits mobilisés à l'instant T, au pic de la première phase. Il y aura évidemment beaucoup plus d'hospitalisations durant ces dix semaines. Encore ne s'agit-il que d'une hypothèse, ni la pire, ni la plus favorable.

M. le Président : Et en réanimation ? De combien de lits disposez-vous aujourd'hui ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Un millier. En prenant une hypothèse élevée, on peut estimer que neuf cents malades, plus ou moins, auront besoin d'une ventilation continue, toujours au moment du pic.

M. Pierre HELLIER : À partir du moment où la plupart des grippés resteront chez eux, ceux qui viendront chez vous seront proches de la détresse respiratoire... Vous êtes obligés de retenir l'hypothèse élevée.

M. le Président : Avez-vous travaillé sur la dégradation de service ? Envisagez-vous des transferts de la réanimation en chirurgie vers la réanimation médicale, et ainsi de suite ?

M. François BRICAIRE : C'est effectivement un de nos gros problèmes : prendre en charge un grand nombre de patients à ventiler, tout en maintenant la qualité des soins par des personnels compétents, rompus aux manœuvres de réanimation, et du matériel ad hoc... La restructuration ne peut guère porter que sur les locaux, en profitant de la déprogrammation pour récupérer des salles de réveil et réutiliser tous les secteurs de réanimation laissés libres du fait de la réduction de certaines activités chirurgicales. Pour la Pitié-Salpêtrière, les premiers services de réanimation à monter graduellement en puissance seront évidemment la réanimation pneumologique, puis la réanimation d'hépato-gastro-entérologie, etc. Chaque structure, chaque établissement devra élaborer un plan de montée en puissance de l'utilisation de ses lits - lits standard et lits de soins « intensifs ».

M. le Président : Et pour la pédiatrie ?

M. Patrick CAMPHIN : L'AP-HP dispose de 80 lits de réanimation pédiatrique, hors lits de réanimation néonatale. Le sujet est par nature très complexe. La question que nous nous posons avec les pédiatres est de savoir jusqu'où doit aller la prise en charge des enfants dans un service de pédiatrie et à partir de quel niveau est possible d'envisager une prise en charge par un service adultes notamment en réanimation.

M. Pierre HELLIER : Ce qui ne résout rien dans la mesure où l'on manque déjà de lits en réanimation adulte...

M. le Président : Cela relève également de choix éthiques... Cela dit, pour un enfant de quatorze ans, cela peut se concevoir, mais pour les autres plus jeunes, le problème ne se pose pas seulement en termes d'affectation de lits : le matériel n'est pas le même. J'imagine qu'intuber et ventiler un enfant de trois ans, ce n'est pas la même chose que pour un adulte de quarante-cinq ans...

M. Philippe HROUDA : Cela pose effectivement un problème éthique dans la mesure où la décision individuelle, dont nous avons l'habitude, cède le pas à la décision collective, caractéristique de la médecine de catastrophe. Une étude est en cours dans le milieu des anesthésistes-réanimateurs - aussi bien pédiatriques que pour adultes - pour déterminer aussi sereinement que possible l'ajustement du curseur par rapport à l'âge des enfants.

M. le Président : Expliquez-nous cela...

M. Philippe HROUDA : Classiquement, un enfant est considéré comme tel jusqu'à quatorze ou quinze ans. Mais si, entre zéro et quatre ou cinq ans, les méthodes de ventilation exigent l'intervention de réanimateurs très spécialisés, un réanimateur adulte peut prendre en charge la ventilation d'un enfant à partir de cinq-six ans dans des configurations plus classiques.

M. le Président : Autrement dit, le problème se pose moins en termes de matériel qu'en termes de personnels.

M. Philippe HROUDA : Les deux sont liés, mais en tout état de cause il faudra prévoir un abaissement de l'âge de prise en charge en réanimation des enfants.

M. Jean-Marc BOULANGER : Et pouvoir affecter à des activités de ventilation des espaces qui, jusqu'à aujourd'hui, n'étaient pas dédiés à cette activité.

M. François BRICAIRE : M. le Président, vous touchez du doigt l'un des problèmes essentiels. Nous avons entendu les inquiétudes de nos collègues du Nord. Le problème se pose dans des termes rigoureusement identiques en Île-de-France : nous souffrons d'une insuffisance potentielle de lits de réanimation pédiatrique, et basculer autant que faire se peut vers la réanimation adulte, déjà potentiellement encombrée, ne fait que déplacer le problème, qui est réel. Or celui-ci devra d'autant plus être résolu que l'on sait les enfants très sensibles aux épidémies de grippe, particulièrement dans les phases pandémiques où le nourrisson paie souvent un lourd tribut.

M. Pierre HELLIER : Mais le problème est-il matériel ou humain ?

M. le Président : C'est exactement la question que j'allais poser ! L'un et l'autre devraient pouvoir se résoudre. N'est-il pas possible de former des gens à la réanimation pédiatrique, en s'y prenant dès maintenant ?

M. François BRICAIRE : Je répondrais que les deux problèmes se posent.

Mme Jacqueline FRAYSSE : On ne parle pas des respirateurs. En a-t-on seulement un nombre suffisant ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Nous en avons 1 900 au total.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Si vous ouvrez des salles de réanimation, vous devrez prévoir le personnel, mais aussi les respirateurs. Faut-il en acheter d'autres ?

M. le Président : Si je me souviens de l'équation d'un excellent livre sur la pandémie, le taux d'hospitalisation, « en stock », devrait s'établir à 10 %...

M. François BRICAIRE : Entre 10 et 15 %.

M. le Président : Soit, pour une phase pandémique de dix semaines et une durée moyenne d'hospitalisation de l'ordre d'une semaine, un flux théorique égal à 1 % de la population. Quelle hypothèse avez-vous retenu au début du pic ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Le schéma retient 5 % de patients hospitalisés par rapport au nombre total des malades, dont 15 % de cas graves, conformément à l'hypothèse de l'Institut de veille sanitaire.

M. le Président : Autrement dit, 15 % de 5 % pouvant justifier une réanimation.

M. Patrick CAMPHIN : Nécessitant d'être pris en charge en réanimation ou en soins continus.

M. le Président : Soit 0,75 % de 12 millions de patients... Vous affirmez ne représenter que le tiers de l'offre de soins de l'Île-de-France ; je serais étonné que vous soyez en dessous de 50 % pour la spécialité de réanimation.

M. Jean-Marc BOULANGER : Les chiffres sont toujours discutables, mais c'est la raison pour laquelle notre poids en réanimation est plus élevé : 900 lits pour 3 000 hospitalisations en pointe.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Il faudrait stocker des respirateurs, et pas seulement du Tamiflu...

M. le Président : En retenant un stock de 0,75 % de patients à risque sur 12 millions d'habitants, à diviser par dix semaines, et à supposer que l'AP-HP n'en prenne en charge que la moitié, cela nous donne quelque chose comme 3 600 personnes en réanimation...

Mme Jacqueline FRAYSSE : Sans compter le secteur pédiatrique à prendre en charge...

M. le Président : En effet.

M. François BRICAIRE : Un des soucis du corps médical, exprimé notamment par les pneumologues, est d'avoir un personnel médical re-formé à l'intubation et à la ventilation. Sur dix internes en médecine - et a fortiori au-dessus -, je vous mets au défi d'en trouver un capable de ventiler...

M. le Président : Nous sommes bien d'accord là-dessus !

M. Pierre HELLIER : Il faut commencer tout de suite.

M. François BRICAIRE : En effet, je pense qu'il faut proposer une formation dans ce domaine et les pneumologues, en région parisienne à tout le moins, sont prêts à le faire.

M. le Président : Il faudra aussi acheter du matériel. Et faire la même chose en pédiatrie...

M. Pierre HELLIER : Plus encore !

M. le Président : Avez-vous directement la gestion du centre 15 ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Nous avons quatre SAMU intégrés à l'AP-HP.

M. le Président : Est-ce vous qui engagez et payez les régulateurs ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Oui.

M. Philippe HROUDA : Nous avons quatre SAMU, autonomes par rapport à la régulation globale, de niveau régional un pour chaque département de Paris et de la petite couronne, en lien permanent avec leur DDASS et leur préfet, leur hiérarchie hospitalière et avec la permanence de soins au niveau des collectivités locales, et le conseil de l'Ordre.

M. le Président : Ça, c'est un peu sur le papier...

M. Philippe HROUDA : La situation n'étant pas la même dans les quatre départements, chaque SAMU a développé des façons de faire qui lui sont propres. À la différence de ce qui est prévu dans le cadre du plan national, l'AP-HP entend maintenir l'autonomie de ces SAMU en raison de l'importance de la population des départements concernés, plutôt que de tomber dans le piège qui consisterait à tout centraliser à Paris, chef lieu de la zone de défense.

M. le Président : Cela me paraît une bonne chose.

M. Philippe HROUDA : Le SAMU 75 n'aurait plus la capacité de gérer la traçabilité de tout ce qui se passe sur Paris et les trois départements de la petite couronne.

Se pose en revanche la question de la capacité de chacun de ces quatre SAMU à faire face à un accroissement relativement soudain du nombre d'appels, même si les courbes sont croissantes sur plusieurs semaines. Un audit est en cours sur les capacités de traitement du centre 15 de Paris, où nous pressentons des limites.

M. le Président : Et sur le reste ?

M. Philippe HROUDA : Le reste est inclus dans un programme de renforcement systématique de nos centres 15, dit CARMEN (Centre d'Appel et de Régulation Médicale Nominale) engagé depuis deux ans et qui dépasse l'épure de la préparation à la pandémie. La question est de savoir comment nous pourrions accélérer le programme CARMEN dans les trois SAMU de la petite couronne et tirer les conclusions de l'audit mené sur le cas spécifique du SAMU 75 dans le cadre plus général de ses attributions en tant que SAMU de la zone de défense.

M. le Président : Où, géographiquement, est situé notre centre 15 ?

M. Philippe HROUDA : À l'hôpital Necker, dans un bâtiment dédié au SAMU.

M. le Président : Avez-vous la possibilité d'augmenter les capacités des centres 15, de pousser les murs, de tirer des câbles, de renvoyer des lignes ? Vos collègues du Nord remarquaient, avec raison, qu'ils avaient une tradition communautaire beaucoup plus forte que la région parisienne. Je suis persuadé que les gens commenceront par appeler le 15, et à juste titre. Imaginez le nombre d'appels ! L'AP-HP doit faire remonter ce problème si elle n'a pas les moyens de le gérer. Ce ne sera pas 50 % de plus... Sans parler de la complexité liée au fait qu'une partie des appels est traitée par la préfecture de police et les pompiers. Ils seront immédiatement débordés.

M. Jean-Marc BOULANGER : Il faudra, à coup sûr, doubler notre capacité d'accueil et de réaction - ce qui pose un problème technique et un problème de personnels.

Mme Jacqueline FRAYSSE : On travaille beaucoup sur le plan, mais il faudrait également songer aux goulots d'étranglement. Ce n'est pas la peine de faire tous ces efforts si, au bout du compte, on ne peut pas prendre en charge médicalement les cas les plus graves par manque de respirateurs. Après cette audition et celle qui l'a précédée, je suis très préoccupée par la question de la réanimation, et particulièrement la réanimation pédiatrique dont la situation est dramatique : seize lits à Lille et il y a dix-huit patients en ce moment même ! Il ne faudrait pas qu'il y ait deux cas de grippe aviaire... Peut-être le cas de l'Île-de-France est-il un peu moins préoccupant que celui de Nord - Pas-de-Calais, mais il n'en est pas moins très inquiétant. Il est du rôle de notre mission d'appeler l'attention sur la nécessité de prendre des mesures dans ce domaine. Pour les autres patients, on les mettra dans les couloirs, on devrait pouvoir se débrouiller ; mais en réanimation, si quelqu'un a besoin d'un respirateur et qu'on ne l'a pas, il va mourir ! La question est de savoir ce qu'il faut faire concrètement pour accroître considérablement, et à bref délai, nos capacités de réanimation adulte et pédiatrique. On peut évidemment faire passer les enfants les plus âgés en réanimation adulte, mais elle risque d'être déjà saturée... Cela dépasse évidemment le cadre strict des responsabilités de l'AP-HP : vous ferez avec ce que vous aurez... Mais il nous appartient de pointer ce problème, à l'évidence le plus préoccupant.

M. Jean-Marc BOULANGER : La déprogrammation permettra de libérer une partie des capacités existantes. Il faut ensuite installer des systèmes de ventilation en plus de ceux des salles de réveil disponibles aujourd'hui. Il reste évidemment un goulot d'étranglement qui tient au fait que nous n'avons que 1 900 respirateurs au total.

M. le Président : Lits de réanimation inclus ? Cela nous fait 1 900 pour 3 600 patients, d'après notre calcul à la louche de tout à l'heure...

M. Jean-Marc BOULANGER : Tous les cas n'appellent pas forcément une ventilation.

M. le Président : Je parle bien des 15 % des cas les plus graves des 5 % hospitalisés... Autrement dit, il manquerait, au jour J, 1 500 respirateurs sur Paris ! Et cela ne se fabrique pas en quinze jours... Sans parler de leur prix.

Notre mission a vocation à engager le dialogue sur les sujets qui posent problème, et nous ne sommes pas l'Inspection générale des affaires sociales. Nous pourrions aborder d'autres problèmes, comme les problèmes d'éthique, mais en une heure, cela semble difficile.

Voyez-vous d'autres sujets sur lesquels vous butez ou vous vous interrogez ?

M. Jean-Marc BOULANGER : L'hôpital n'est pas un îlot isolé du reste de la société. L'attitude des personnels dépendra de la façon dont le problème de la pandémie sera abordé lorsqu'il se produira, et des phobies auxquelles il donnera lieu ou pas. Au-delà, la fermeture des écoles et les dysfonctionnements des transports joueront également un rôle déterminant dans notre capacité de réponse : nous ferons comme tout le monde... Cela dit, il est essentiel d'insister sur l'importance des mesures-barrières, port du masque, etc. et sur le fait qu'elles garantissent une protection plus efficace que le chacun chez soi : l'hôpital ne peut pas fonctionner très longtemps si tout le monde reste enfermé chez soi... L'idée qu'il faudra bien, à un moment donné, vivre avec la grippe aviaire, et correctement pour peu que l'on se protège avec des moyens adaptés, n'a rien d'inacceptable : c'est une vraie réaction professionnelle que nous devons nous attacher à promouvoir. Il faut des respirateurs et des installations, mais il faut que le personnel soit au travail pour les faire fonctionner... De même la distinction entre zones de haute et de basse densité virale peut paraître évidente, mais encore faut-il la mettre en œuvre en identifiant ce qui peut être dédié à l'une ou à l'autre, hôpital par hôpital, et cela prend du temps. C'est tout le sens de la démarche de déploiement progressif que nous avons initiée en partant de l'exemple de la Pitié-Salpêtrière, et que nous devrons ajuster à une réalité qui ne sera évidemment pas celle que nous avons prévue.

M. le Président : Certes, mais le but est d'avoir un ordre d'idée : quand le Nord - Pas-de-Calais nous dit ne disposer que de seize lits, on peut trouver que ce n'est pas beaucoup... Votre total est plus impressionnant, mais il faut le mettre en rapport avec les besoins. Quant à la séparation des services, nous l'avons vue mise en œuvre à l'hôpital de Chartres...

M. Jean-Marc BOULANGER : Le programmé en urgence sera concentré dans les zones de basse densité, ce qui sera « grippe » en zone de haute densité. Et il faudra identifier tout ce qui pourra être mis à l'arrêt.

Mme Jacqueline FRAYSSE : J'aimerais connaître l'opinion du professeur Bricaire sur le Tamiflu. On entend dire beaucoup de choses à ce sujet...

M. François BRICAIRE : On entend effectivement dire beaucoup de choses sur le Tamiflu et d'abord qu'il serait inefficace - auquel cas, il serait inutile d'en stocker des quantités industrielles pour un bénéfice qui risque d'être des plus modérés.

Les travaux scientifiques, c'est-à-dire publiés dans la littérature médicale, à partir d'essais sérieux et validés, ont montré que le Tamiflu était efficace, en tout cas à un coefficient suffisamment élevé pour être pris en considération - plus de 70 % -, à une condition fondamentale et très difficile à réaliser : être pris très précocement à partir du premier symptôme. Administré dans les six premières heures suivant les premiers symptômes, il fait gagner plus de trois jours dans la durée des symptômes - sur une maladie qui en fait cinq, c'est important. S'il est administré dans les douze heures, la perte d'efficacité atteint une journée. À quarante-huit heures, il ne sert plus à rien. Il ne faut pas être surpris qu'il ait donné si peu de résultats en Asie : on l'a utilisé, et c'est normal, mais cela l'a été souvent trop tard.

Ce qui amène à la question de savoir s'il ne faudrait pas aller un peu plus loin et utiliser le Tamiflu en prévention ou plus exactement en prophylaxie rapprochée, à la suite d'un contact avec un grippé. Les études scientifiques, qui sont au demeurant peu nombreuses, ont montré une efficacité de 90 %. Le problème est qu'une utilisation de ce type amène à définir des gens que l'on voudrait ainsi protéger, décision très difficile,...

M. le Président : Très difficile politiquement !

Mme Jacqueline FRAYSSE : Et scientifiquement.

M. François BRICAIRE : ...et exigera des quantités phénoménales de produit, avec tout ce que cela sous-entend de conséquences en termes de durée, de tolérance, qui est sans doute bonne mais qu'il faudra bien étudier, etc. Comment peut-on avancer pour savoir qui et comment on peut protéger ?

M. le Président : Ce sera un des dossiers majeurs sur lesquels il nous faudra travailler. Pour l'instant, pris par l'urgence, nous aussi stockons... Une fois le terrain déblayé, il nous faudra attaquer ces sujets extrêmement délicats.

M. François BRICAIRE : Qui et comment ? À chaque fois que nous essayons d'approcher une solution, nous soulevons dix autres problèmes qui aboutissent finalement à une contradiction dans la décision primaire...

M. Jean-Marc BOULANGER : C'est le type même de question à laquelle il faut éviter de répondre trop vite : c'est un problème de doctrine d'emploi et il faut qu'elle soit crédible...

M. le Président : Ce n'est du reste pas à vous de l'établir, mais aux pouvoirs publics.

M. Jean-Marc BOULANGER : Effectivement. Et comme dans notre propre processus de déploiement, cette question a tendance à venir très vite, au point de venir avant les autres alors qu'elle devrait venir après, nous devons rester extrêmement prudents.

M. le Président : Êtes-vous déjà saisis d'une demande des organisations syndicales ? Que demandent-elles ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Bien sûr, elles demandent si les gens auront du Tamiflu et s'il faut utiliser le Tamiflu.

M. le Président : Ont-elles une doctrine d'emploi ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Elles ont plutôt tendance à dire oui...

M. Philippe HROUDA : Je suis intervenu deux fois devant le CHSCT central de l'Assistance publique : par deux fois, il a été évoqué la possibilité de donner à l'ensemble du personnel des hôpitaux un traitement prophylactique individuel.

M. le Président : C'est une poutre-maîtresse du plan et une question stratégique, qui dépasse le cadre de la problématique hospitalière. Le professeur Bricaire se trouve-t-il confronté à d'autres difficultés ?

M. François BRICAIRE : Celle que posera le maintien, dans la durée, du personnel médical et paramédical. Une phrase dans la nouvelle version du plan laisse même entendre que l'on pourra consigner des personnels sur place. Pour ma part, je veux bien y passer quelque temps, mais si cela doit durer six semaines ou davantage, j'aimerais bien rentrer chez moi...

Un élément important doit également être pris en compte dans les réflexions, mais on n'en parle jamais : c'est que les personnels auront la grippe précocement mais probablement sous une forme bénigne parce qu'on leur aura immédiatement et gratuitement distribué du Tamiflu, selon les données du plan. Ces gens-là devront automatiquement entrer dans le circuit pendant le reste de l'épidémie et travailler efficacement - du moins faut-il l'espérer. Il faut savoir positiver sur certains aspects...

M. le Président : Songeriez-vous à inciter à une sorte de séro-conversion préventive ?

M. François BRICAIRE : Presque... Au début de ma réflexion sur le Tamiflu, j'étais partisan de protéger le personnel médical, paramédical, les sapeurs-pompiers, etc. Mais devant la difficulté que cela pose - on n'a pas de Tamiflu autant qu'on veut, cela coûte cher, c'est difficile à distribuer, son efficacité est parfois contestée, on a du mal à repérer les symptômes d'une grippe, etc. -, je me suis dit que l'idée défendue par les autorités de tutelle de ne le donner qu'aux malades n'était finalement pas si mauvaise : après tout, cela donne des formes de grippe assez atténuées, cela réduit la durée des symptômes et cela permet une montée d'anticorps assurant une protection, ce dont on est moins sûr avec un traitement prophylactique. On n'est pas certain que si l'on donne un traitement prophylactique, même à ceux en contact avec des sujets grippés, la personne développe des anticorps. Autrement dit, si on est malade, à la limite, tant mieux...

M. le Président : Monsieur le professeur, nous devrons reprendre cette conversation, car c'est effectivement un sujet majeur, une question centrale qu'il faut prendre le temps de traiter au fond et dans tous ses aspects, y compris celui de la demande des personnels. Encore faut-il commencer par lever l'hypothèque de la pénurie : il ne sert à rien de discuter des solutions si l'on n'en a pas les moyens. Le problème n'est pas d'acheter ni de stocker du Tamiflu, mais de savoir que l'on en aura autant que de besoin pour être en mesure d'affronter la crise. Sinon, que répondre demain aux personnels de santé ? Leur réflexe de demander du Tamiflu est peut-être bon, peut-être mauvais, nous n'en savons encore rien aujourd'hui. Mais si nous leur répondons que nous n'en avons pas assez, que nous n'avons pas eu le temps, etc., cela va mal se terminer !

M. Jean-Marc BOULANGER : Il faut une doctrine d'emploi tout à la fois raisonnable et raisonnée - avant, ou juste après, ou tout de suite - et qui, une fois posée, ne fasse l'objet d'aucune polémique.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

Audition du docteur Roger-Ken DANIS, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), accompagné de Mme Laure MERLY et de M. Yann de KERGUENEC

(Compte rendu de la réunion du mercredi 15 février 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Madame, Messieurs, nous vous remercions d'être venus devant la mission d'information sur la grippe aviaire - mesures préventives, dont l'objectif est de contrôler l'action du Gouvernement, mais également d'informer, de la façon la plus transparente possible, l'opinion publique sur les dispositifs mis en place pour faire face à une éventuelle crise sanitaire. Si le plan gouvernemental pose le principe, qui recueille un fort consensus, d'un traitement des patients à domicile, il faut tout de même s'attendre à un recours important à l'hospitalisation, pour des raisons objectives et médicales ; de plus, la population sera tentée de chercher auprès de la structure hospitalière des réponses qu'elle croira, souvent à tort, plus efficaces. L'hôpital public sera naturellement très sollicité, mais on peut penser que l'hôpital privé prendra sa part dans le dispositif - ce qui pourra créer des difficultés dans son fonctionnement. Pouvez-vous nous faire part de vos engagements potentiels, de vos interrogations et de vos remarques concernant votre place dans le dispositif ?

M. Roger-Ken DANIS : L'hospitalisation privée représente 1 300 établissements dont 800 de court séjour, ceux-là même que nous pourrions mettre en première ligne : les établissements de soins de suite ou de psychiatrie ne relèvent pas, me semble-t-il, de la même problématique. Si une pandémie se déclenchait, il serait certes souhaitable de soigner les patients à domicile ; mais à voir comment sont sollicitées les urgences aujourd'hui, il est hautement probable qu'il y aura un afflux massif, pas toujours rationnel ni bien régulé, dans les établissements hospitaliers, où se mélangeront grippés réellement atteints et patients non grippés : il faudra faire un tri. Sans oublier l'angoisse des personnels : si nous ne sommes pas capables de leur fournir des réponses claires, je ne sais pas jusqu'où ira leur dévouement. Il sera difficile de mettre des gens sur le front s'ils peuvent y laisser leur peau...

Après en avoir discuté avec toutes nos instances et fort du vote unanime de ma fédération, je puis vous affirmer clairement que l'hospitalisation privée est totalement volontaire et prête à mettre tous ses moyens en place pour répondre à une éventuelle pandémie. Nous disposons de moins de services de médecine que l'hospitalisation publique, mais par contre de beaucoup plus de services de chirurgie. Nous pouvons, dès lors, nous montrer d'une très grande utilité dans la mesure où nous disposons de nombreuses salles de réveil, avec les respirateurs et les anesthésistes réanimateurs qui vont avec. C'est tout ce potentiel de forces que nous mettrions à disposition en cas de pandémie grippale.

M. le Président : Qu'est-ce que cela représente ?

M. Roger-Ken DANIS : Huit cents blocs opératoires, certes de tailles différentes, mais aucune salle de réveil ne comporte moins de quatre ou cinq postes de réanimation, et la plupart sont beaucoup plus grandes représentant quelques milliers de lits. Si, demain, les plans blancs élargis sont déclenchés, nous déprogrammerons nos activités comme nous savons le faire et comme nous l'avons déjà fait à l'occasion de crises ponctuelles, à certains endroits. Aujourd'hui sur cent interventions chirurgicales, vingt-cinq seulement ne peuvent pas être déprogrammées pour cause de risque vital. Les soixante-quinze autres peuvent être décalées : si au lieu d'être opéré le 10 juillet, le patient doit attendre jusqu'au 10 septembre, il aura peut-être mal à la hanche, mais il n'y aura pas mort d'homme... Potentiellement, il y a de la place, et du monde à mettre sur le pont. Notre engagement là-dessus est clair et net.

Nous avons participé à de nombreuses réunions, plus celles que nous avons organisées au sein de la fédération pour alerter les médecins et les dirigeants d'établissements, publié des articles dans des revues et sur Internet. Au dernier pointage, 36 % de nos établissements ont un plan blanc ; nous avons largement rattrapé notre retard. La quasi-totalité des établissements privés qui disposent d'un service d'urgence en ont un. Mais force est de déplorer un manque évident de clarté. Il faut savoir, notamment, qui déclenchera les plans blancs et quels moyens seront mis à disposition des établissements volontaires pour protéger leurs personnels. La première chose qu'il nous faut, avant même les anti-viraux, ce sont les masques FFP 2 que toutes les notices préconisent pour protéger les personnels exposés aux malades atteints ou potentiellement atteints. Or, en dépit des progrès observés ces dernières semaines, l'incertitude demeure. J'en ai quelques exemples : à croire le dernier pointage réalisé ce matin même en Île-de-France, un nombre non négligeable d'établissements d'urgence homologués, qui traitent entre 14 et 15 000 cas urgents, ne disposent toujours pas de masques alors que, très curieusement, des établissements non positionnés dans l'urgence en ont, jusqu'à un établissement de psychiatrie qui nous a demandé ce qu'il devait faire des sept palettes de masques qu'il a reçues, de même qu'un établissement de soins de suite et de réadaptation ! Je leur ai suggéré, par plaisanterie, de les revendre... Sur ce point, il y a encore des améliorations à apporter.

M. le Président : Ils les ont commandés, ou ils les ont reçus ?

M. Roger-Ken DANIS : Apparemment, ils les ont reçus. L'établissement psychiatrique n'avait jamais rien commandé.

M. le Président : C'est tout de même assez invraisemblable...

M. Roger-Ken DANIS : Certes !

M. le Président : Alors qu'il aurait paru assez logique de voir l'État passer un marché global, on nous a expliqué que chaque établissement devait lui-même acheter ses masques : c'est ce qu'a fait l'AP-HP, mais pour ses propres hôpitaux, pas pour le CHU d'Amiens ou l'hôpital de Beauvais. Ce serait donc une ARH qui les aurait commandés ?

M. Roger-Ken DANIS : Non. À voir la liste fournie par le ministère, manifestement le traitement est fait par les DDASS, département par département, et non par l'ARH. Je puis vous assurer que cet établissement psychiatrique n'a rien commandé ni rien payé du tout - et il n'est pas prêt de le faire puisque ces équipements ne lui seront pratiquement d'aucune utilité, dans la mesure où il ne sera pas en première ligne en cas de grippe aviaire. Aujourd'hui ce que nous souhaiterions face au volontariat affiché de l'hospitalisation privée, serait qu'au moins tous les centres d'urgence puissent être dotés de masques dans un premier temps, afin que nos personnels aient l'assurance qu'ils seront protégés. Or, pour l'heure, bon nombre de nos centres d'urgence, appelés à être les premiers en lice pour affronter la pandémie, n'ont pas de masques de protection.

Le sujet est potentiellement trop grave pour être l'occasion d'une polémique entre hospitalisation publique et hospitalisation privée. Néanmoins, des enseignements mériteraient d'être tirés de la crise sanitaire de la canicule, où les établissements privés se sont portés volontaires et se sont mobilisés, particulièrement en Île-de-France, au point que nous avions reçu les félicitations du directeur de l'ARH. Reste qu'il y a eu des dysfonctionnements que je ne souhaiterais pas voir se reproduire à l'occasion d'une éventuelle pandémie aviaire : si les hôpitaux publics ont été surchargés, les cliniques privées volontaires sont souvent restées en sous-capacité et elles attendaient que l'on fasse appel à elles, ce qui n'a pas été fait.

M. le Président : Concrètement, dans une région donnée, l'Auvergne par exemple, votre interlocuteur n'est-il pas l'ARH ?

M. Roger-Ken DANIS : En fait, c'est très variable... Pour les masques, c'est la DDASS.

M. le Président : Mais pour la coordination public-privé, la DDASS n'est pas concernée...

Mme Jacqueline FRAYSSE : Ce devrait être le centre 15, en principe.

M. Roger-Ken DANIS : Pour l'instant, c'est le préfet qui déclenche le plan blanc.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Mais ce sont les centres 15 qui réguleront et orienteront les patients vers les établissements hospitaliers, et vous devriez normalement être pris en compte dans le « dispatching ».

M. Roger-Ken DANIS : C'est ce que je souhaite, Madame. Mais au moment de la canicule, c'étaient déjà les centres 15 qui dispatchaient et les capacités du privé ont été sous-utilisées. C'est un peu sot... Dès lors qu'une structure propose ses services, autant s'en servir.

Pour résumer : premièrement, nous sommes volontaires, deuxièmement, nous disposons d'un potentiel d'action loin d'être négligeable, et troisièmement, nous aimerions un peu de clarté afin d'être à même de rassurer nos personnels, notamment sur les masques, pour savoir notamment à qui ils doivent être affectés. La semaine dernière encore, il m'a été indiqué officieusement que les masques avaient d'abord été distribués aux établissements accueillant plus de 19 000 urgences par an - ce qui n'a rien de choquant, en tout cas à un moment où les masques ne sont pas encore tous produits. Mais il n'est pas logique d'en rester là : tous les centres d'urgence y compris les plus petits connaîtront un afflux de patients en cas de pandémie. Il faudrait donc doter tous les centres catalogués comme centres d'urgences, puis éventuellement les établissements volontaires non centres d'urgence. Or, non seulement les derniers pointages montrent à cet égard une situation très hétérogène d'un département à l'autre, mais je puis vous assurer que les cent vingt centres d'urgence de l'hospitalisation privée n'ont pas été tous dotés de masques.

M. le Président : Selon une logique que je persiste à trouver assez curieuse, chaque établissement a été invité à acheter ses masques, à charge pour l'État ou l'assurance maladie de les lui rembourser - et, à ce qu'on nous a dit, cela s'est bien passé ainsi. Ce que je trouve aberrant, c'est qu'on ne vous ait pas prévenus qu'il fallait que vous achetiez des masques... Que l'État fixe des conditions au remboursement, je le conçois. Je comprends qu'une clinique psychiatrique n'ait pas à acheter de masques, encore que l'on ait vu des structures plus surprenantes encore en acheter. On peut même imaginer de stocker des masques pour les tenir ensuite à votre disposition. Mais je suis frappé de cette désorganisation...

M. Roger-Ken DANIS : On retrouve, sur le terrain, tous les cas de figure : des établissements ont reçu une dotation en masques à titre gratuit, d'autres les ont payés, d'autres enfin n'ont rien eu... Il faut fixer le plus rapidement possible une règle claire et simple, afin que chaque centre d'urgences, dans un premier temps, soit doté de masques, ou éventuellement qu'il sache que telle quantité lui a été réservée et stockée à tel endroit et qu'elle lui sera livrée dans les deux heures suivant le déclenchement du plan blanc. Le responsable de la clinique pourra alors entreprendre l'action de communication qui s'impose en direction de son personnel en leur présentant quelques exemplaires de démonstration. Il n'est pas nécessaire que nous soyons livrés, mais il est indispensable que nous sachions si nous serons livrés, et dans quels délais.

M. le Président : Vos établissements sont-ils convoqués à des réunions déconcentrées ? À quel niveau - préfet, ARH ? Systématiquement ou non ?

M. Yann de KERGUENEC : Là encore, la situation est extrêmement variable, même si, depuis quelque temps, une instruction a été manifestement envoyée aux préfets pour accélérer la mise en place des plans blancs élargis. Même si le décret ne date que de fin décembre, ceux-ci avaient été prévus dès la loi du 9 août 2004 sous le nom de schémas départementaux de plan blanc. Or, d'après nos informations, seulement quinze départements à ce jour se seraient dotés d'un plan blanc élargi. D'où l'instruction donnée aux préfets d'activer leur mise en place dans la perspective d'une éventuelle pandémie grippale. Dans certains départements, nos établissements, ainsi que les médecins libéraux, ont été invités à participer à des réunions assez œcuméniques, afin de commencer à réfléchir à l'organisation tant de la déprogrammation que de la distribution de masques. Le ministère parle à cet égard de « stocks stratégiques », ce qui laisse entendre qu'ils ne seront pas destinés aux seuls professionnels de santé de l'établissement, mais que l'établissement serait également chargé de leur distribution dans son bassin de population. Nous en sommes tout à fait d'accord, mais personne ne sait comment devra être organisée cette distribution en cas de pandémie grippale : peut-être les établissements seront-ils confrontés à un afflux de médecins, pharmaciens, infirmières libérales et autres professionnels qui leur demanderont des masques. Quelle sera la doctrine en la matière ? Devront-ils réserver une partie de leur stock ? Autant de questions auxquelles devraient répondre les plans blancs élargis dont, je le rappelle, la mise en place est non seulement récente, mais également très variable selon les départements.

M. Roger-Ken DANIS : Voyons les choses simplement : pour les 120 établissements agréés comme centres d'urgence par l'État, l'accueil et le traitement des urgences sont une obligation figurant dans le contrat les liant à l'État ; cet accueil sera fait mais ils doivent donc recevoir des instructions parfaitement claires et qui, à partir de ce premier échelon, pourront se diffuser. Je regrette que cela n'ait pas été le cas, même si je veux croire que ce sera fait dans les semaines à venir.

M. le Président : Comment concevez-vous l'articulation entre les plans blancs élargis et l'ARH ? Vous paraît-elle fluide ? Pose-t-elle problème ? Je reviens de la Réunion où l'on est en train de gérer la crise du chikungunia : l'ARH y a clairement pris les choses en main pour ce qui est de l'offre de soins. Même si la DDASS et le préfet restent l'autorité administrative, la gestion de la crise relèvera de plus en plus de l'ARH.

M. Roger-Ken DANIS : Je suis bien de votre avis, pour la grippe aviaire en tout cas, ce sont les ARH qui doivent gérer cela. Sur le plan de la grippe aviaire et sur un plan plus général, j'aimerais que les choses soient simples et que les DDASS soient les bras armés des ARH. Le problème est que celles-ci n'existent que depuis seulement une dizaine d'années, mais on n'a pas toiletté le droit en conséquence. De ce fait, les DDASS ont gardé une certaine indépendance ; qui plus est, on a laissé les DRASS. Dès lors, on a du mal à s'y retrouver...

M. le Président : Je suis bien d'accord avec vous.

M. Roger-Ken DANIS : Ce sont les ARH qui passent contrat avec les établissements ; pour nous, le directeur de l'ARH est une sorte de préfet sanitaire. C'est à lui de régler tout cela et de se servir des échelons déconcentrés de l'État.

M. le Président : D'autant que c'est lui qui vous connaît.

M. Roger-Ken DANIS : Effectivement, quoique les DDASS aussi soient censées nous connaître. Mais à mon avis, le pilotage doit être l'affaire des ARH. Or, c'est loin d'être aussi clair : le programme régional de santé publique est sous l'autorité de la DRASS pour le Préfet de Région, le plan blanc élargi sous l'autorité du Préfet de département ou sous l'autorité du responsable de la zone de défense et l'ARH organise les urgences...

M. le Président : Mais, indépendamment de la problématique générale, que je connais tout comme vous, comment voyez-vous les choses pour la problématique « grippe aviaire » ?

M. Roger-Ken DANIS : Le plus simple est de laisser faire l'ARH.

M. le Président : Qu'attendez-vous des pouvoirs publics et plus particulièrement de l'assurance maladie sur la question de la déprogrammation ? Vos établissements ont besoin d'un chiffre d'affaires pour fonctionner. Si vous déprogrammez 75 % de vos activités, que se passera-t-il sur le plan financier ? Qu'attendez-vous ?

M. Roger-Ken DANIS : Tout dépendra de la durée de la crise, mais il faudrait un financement en contrepartie du service...

M. le Président : Avez-vous une idée de ce que cela représente ?

M. Roger-Ken DANIS : L'assurance maladie connaît parfaitement le chiffre d'affaires de chaque établissement.

M. le Président : Autrement dit, vous demandez une compensation à due concurrence de vos pertes.

M. Roger-Ken DANIS : Bien entendu - si la crise doit durer, s'entend. Une déprogrammation sur quatre ou cinq jours ne met pas en péril la santé d'un établissement : l'activité déprogrammée finira par être rattrapée. Mais si une pandémie d'une gravité inouïe oblige à déprogrammer pendant quatre mois, il faudra clairement compenser nos pertes, faute de quoi les établissements ne pourront pas fonctionner ni payer leur personnel. Autrement dit, sur un court délai, ils s'en sortiront ; mais sur un long délai, ils ne s'en sortiront pas sans compensation. Nous en avons déjà eu l'expérience à l'occasion de catastrophes ponctuelles : lorsqu'un train a déraillé à Melun, les établissements ont déprogrammé durant une journée sans demander de compensation. De même lors de l'explosion d'AZF : cela n'a pas duré trop longtemps et cela restait tolérable. Il en serait de même pour la grippe aviaire si la crise s'avérait de courte durée ; c'est ce qui explique que nous ayons annoncé notre volontariat sans l'assortir d'aucune demande. Mais si nous devons déprogrammer pendant six semaines, jamais nous ne tiendrons le coup.

M. le Président : J'enregistre votre réponse avec intérêt : cela me paraît raisonnable.

M. François GUILLAUME : Selon vous, c'est à l'ARH d'assumer une responsabilité régionale. Qu'elle prépare les plans d'action, cela me semble logique, mais il me paraît beaucoup plus sûr d'en confier l'application à l'administration préfectorale : on trouve un sous-préfet dans chaque arrondissement, qui connaît parfaitement son territoire et les acteurs de terrain, particulièrement en milieu rural. Il peut donc procéder, à partir de consignes claires, à une mise en œuvre rapide et complète. L'ARH ne dispose pas de relais aussi efficaces sur le terrain pour organiser la riposte.

M. le Président : Ce débat institutionnel entre la logique départementale et la logique régionale est parfaitement légitime, mais nous ne le trancherons pas aujourd'hui. Cela dit, je ne vois que deux portes d'entrée possibles dans le système de santé en période de grippe aviaire : ou bien on contacte son médecin traitant - ce qui est un peu contradictoire avec l'idée de le faire tourner sans arrêt sur le terrain -, soit on appelle le centre 15, autrement dit on passe par l'accès régional.

M. Roger-Ken DANIS : Il y a une troisième possibilité : l'accès direct, qui peut être très désordonné.

M. le Président : Effectivement, il posera un problème majeur.

M. Roger-Ken DANIS : Je crains fort qu'en cas de menace de pandémie de grippe aviaire, il ne soit massif et incontrôlable.

M. le Président : Il posera effectivement des problèmes d'ordre public, lesquels relèveront davantage de l'échelon départemental. Cela appellera à l'évidence une politique d'information et de gestion des centres de santé, qui n'aura rien d'évident.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Vous avez regretté, tout à l'heure, le manque de clarté sur l'identification de l'autorité chargée de déclencher le plan blanc. À l'évidence, c'est le préfet.

M. Roger-Ken DANIS : C'était bien ma question, Madame ; mais j'aimerais qu'il soit bien précisé dès lors que nous serons dans le cadre d'un plan blanc élargi. Or, pour l'heure, les établissements connaissent peu le préfet et celui-ci les connaît d'autant moins depuis la création des ARH. Les DDASS continuent à dépendre hiérarchiquement de lui, mais elles travaillent beaucoup plus avec l'ARH. Je souhaite un message très clair. Qui déclenchera, le préfet ou le directeur de l'ARH ? Voilà ce que les établissements veulent savoir. Vraisemblablement, ce sera le préfet. Mais je prends la précaution d'ajouter : « vraisemblablement »...

M. le Président : Ce sera en fait beaucoup plus simple, dans la mesure où le déclenchement a toutes chances d'être ordonné au niveau national. Ajoutons que les ARH sont en période de crise sous l'autorité du préfet de région. La hiérarchie préfectorale s'y retrouve... Le problème reste celui de la distinction entre ce qui relèvera de l'offre hospitalière, dont vous faites partie intégrante, et de l'offre de soins ambulatoires ; se pose aussi le problème de la coordination entre la médecine de ville et l'hôpital - éternel problème de notre système de santé... Comment sera-t-il géré ? Par l'accès direct ? Par le biais du médecin traitant lorsque ce sera possible et par le centre 15, autrement dit par des gens qui ont plutôt l'habitude de travailler dans une sphère régionale avec les hôpitaux, donc avec l'ARH, y compris pour leur financement ? On ne supprimera ni les DDASS ni les ARH dans la perspective d'une crise sanitaire : il faut simplement que l'État central impose plus fortement les guidelines nécessaires. N'imaginez pas que l'on déclenchera le plan blanc dans le Lot pendant que l'on continuera à dormir tranquillement dans l'Aveyron : on fera probablement « chauffer les turbines » partout en même temps.

M. Roger-Ken DANIS : Vous avez sûrement raison, monsieur le président. Mais ce qui entretient précisément le doute et, donc, l'inquiétude, c'est de ne pas savoir qui pilote la distribution des moyens de protection. Cela me paraît pourtant simple à régler...

M. le Président. Oui, cela devrait !

Madame, Messieurs, nous vous remercions.

Audition, par visioconférence, de M. Guénaël RODIER, ancien directeur du département « Alerte et réponse en cas d'épidémie et pandémie » de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 15  mars 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN

M. le Président : Notre mission d'information réfléchit sur la grippe aviaire mais aussi sur la préparation du plan de prévention et de lutte « pandémie grippale ». Notre rôle consiste à contrôler l'action gouvernementale et à diffuser vers nos concitoyens des informations que nous récoltons au gré d'une enquête pluraliste qui nous permet de prendre un certain recul dans nos discussions.

Je vous invite à présenter la position de l'Organisation mondiale de la santé sur la question de l'alerte et de la surveillance, s'agissant de la préparation à la pandémie, tant pour ce qui est des principes généraux que de votre action sur le terrain, dans les pays africains notamment, où la situation est inquiétante, comme certains de nos collègues et moi-même avons pu le constater au cours d'un récent voyage au Sénégal et au Mali.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : L'OMS a indiqué, il y a quelques jours, que des réunions importantes s'étaient tenues à Atlanta et Stockholm, en vue d'améliorer le protocole de réponse à la pandémie, qui devrait être rendu public aujourd'hui, le 15 mars. Pouvez-vous nous indiquer les mesures prévues dans ce protocole d'action ?

M. Guénaël RODIER : J'ai été, ces cinq dernières années, directeur du département alerte et réponse en cas d'épidémie, à Genève ; je suis maintenant en poste à Copenhague, où j'exerce les fonctions de conseiller du directeur régional de l'OMS pour les maladies infectieuses.

J'ai participé à la réunion qui s'est tenue à Genève du 6 au 9 mars. À la suite de cette réunion, un rapport devrait, en effet, être rendu public avant la fin de la semaine ; je n'ai pas eu connaissance de ses conclusions définitives. Ce fut une réunion extrêmement intéressante, qui a mis en lumière de telles difficultés pratiques, qu'il ne semble pas évident de trouver une intervention efficace dans tous les cas. Il faudra aussi compter sur la chance pour détecter l'émergence d'une pandémie de façon précoce et utiliser la fenêtre d'opportunité de deux ou trois semaines pendant laquelle il est possible de ralentir son évolution et, ainsi, gagner du temps afin de développer des vaccins et d'améliorer les dispositifs de protection des différents pays.

La surveillance est une action complexe. Des systèmes existent en France pour surveiller la grippe saisonnière, comme les GROG - Groupements régionaux d'observation de la grippe - de l'Institut Pasteur, ou Sentiweb, le réseau de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui fournissent surtout de l'information destinée aux laboratoires. L'OMS a également un programme, Flunet, qui vise d'abord à conseiller l'industrie pour la composition de vaccins basés sur les souches circulant dans chacun des deux hémisphères. Il s'agit du plus ancien système de surveillance de l'OMS ; c'est un système bien rôdé. Au niveau national, il est souvent utilisé pour détecter l'arrivée d'une vague de contagion. Ce système a néanmoins pour faiblesse principale de s'appuyer sur une ligne de front, constituée de médecins de terrain qui sont souvent des bénévoles, des volontaires. En tout cas, ces systèmes ne sont pas du tout destinés à repérer les premiers cas d'une pandémie, d'une transmission interhumaine. Par ailleurs, ils ne sont en place que dans le monde développé, c'est-à-dire un tiers des pays, où ils ne fonctionnent d'ailleurs que pendant les périodes d'activité de la grippe saisonnière - c'est-à-dire, en France, d'octobre à mai.

Les systèmes d'alerte épidémiologique et de réponse présentent quant à eux des caractéristiques relativement nouvelles : ils dépendent non pas de l'information émanant des systèmes de santé publique officiels mais de la vigilance du public et des acteurs de la ligne de front, en particulier les médecins et les infirmières. Ces systèmes ont donc leurs faiblesses. Ils dépendent en effet de l'intérêt du moment pour la grippe ainsi que de la capacité du pays concerné à apporter une réponse à chaque alerte, faute de quoi le dispositif s'effondre par découragement. Cela suppose donc que des gens suivent à plein temps l'ensemble des rumeurs qui traversent le pays en s'appuyant notamment sur les médias. Les autorités chargées de la santé publique ne seront, en effet le plus souvent, jamais plus rapidement informées que par les réseaux de journalistes - d'autant que de plus en plus de journalistes sont spécialisés en matière de santé. Le rôle de ces autorités est alors de prendre en compte ces informations, de les évaluer et de les vérifier sur le terrain.

Ainsi, un réseau de recherche mis sur pied avec le Canada, GPHIN - Global Public Health Intelligence Network - recueille quotidiennement de l'information : l'OMS suit dix à vingt événements chaque jour et se retourne vers les pays concernés pour leur demander des précisions. Il s'agit donc davantage d'un processus de vérification que de notification. Les informations reçues par l'OMS émanent à plus de 90 % de sources informelles. L'Organisation contacte ensuite le ministère de la santé concerné et lui demande de vérifier ces informations. Cela a été mis en œuvre 1 500 à 2 000 fois à ce jour sans qu'il y ait à déplorer de difficultés majeures.

Il existe par ailleurs des systèmes assez actifs, notamment dans les pays pauvres, dédiés à des maladies particulières, notamment la poliomyélite : ils offrent ainsi une infrastructure dans le domaine de la surveillance d'événements sanitaires.

M. le Président : Nous imaginions que les informations provenaient des structures étatiques officielles. Or ce n'est pas du tout ainsi que vous drainez l'information, puisque 90 % au moins de vos renseignements proviennent du réseau planétaire spontané, c'est-à-dire de l'Internet, après quoi vous interprétez ces bruits et vous les vérifiez. Cela nous semble, sans jugement de valeur, étonnant. Pourriez-vous nous faire parvenir un tableau de suivi de ces bruits et de leur vérification, pays par pays ou région par région, pour notre information sur les éventuelles défaillances de la gouvernance d'État ?

M. Guénaël RODIER : Notre ancien système d'information était conçu verticalement, maladie par maladie, ce qui n'était pas très bien adapté. En la matière, il convient en effet d'opérer non pas sur trois ou six mois, à l'image de cet ancien système, mais sur vingt-quatre heures, faute de quoi le pays en question se trouve le plus souvent court-circuité par les circuits d'information professionnels que sont les médias : dans la société de l'information, les premiers à faire part d'un événement sont le public et les médias. C'est pourquoi nous avons mis en place, il y a sept ans, un système d'information axé sur l'écoute des bruits émis par le public et les médias.

Une liste de vérification de ces bruits, l'Outbreak Verification List, est établie quotidiennement par l'OMS. Dans notre nouveau système de renseignement épidémiologique, l'OMS s'en remet donc aux États pour la vérification plutôt que pour la notification des problèmes.

Les pays ne sont pas juridiquement tenus de rendre compte à l'OMS des maladies qu'ils constatent, à l'exception de celles figurant dans le Règlement sanitaire international encore en vigueur, à savoir le choléra, la fièvre jaune et la peste. Un nouveau Règlement sanitaire international a été adopté par l'assemblée mondiale de l'OMS mais ne prendra effet qu'au 15 juin 2007. Nous traversons donc une phase de transition. Une demande de mise en œuvre anticipée de ce règlement a été déposée le 15 janvier, lors du conseil exécutif de l'OMS.

Pour répondre à votre demande, je vous transmettrai une série de listes quotidiennes d'événements vérifiés, pour vous donner une idée concrète de notre fonctionnement.

Le système du suivi des rumeurs fonctionne bien, mais il est forcément biaisé par l'intérêt des médias et du public vis-à-vis de certains sujets, comme aujourd'hui la grippe aviaire, ou hier le SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère : quand quelqu'un voit un pigeon mort à Paris, il y a de fortes chances que cela soit rapporté ; si rien ne se passe pendant six mois, la vigilance s'éteindra. Ainsi, les pays touchés par l'épizootie ont atteint un degré de surveillance suffisant pour que nous recevions de l'information, mais la vigilance, en Amérique du Sud, n'est pas aussi grande qu'en Europe, dans le bassin du Mékong ou en Afrique subsaharienne.

Dans des pays en développement d'Afrique subsaharienne, d'Asie du sud-est ou d'Asie centrale, par exemple en Azerbaïdjan, des cas humains ont été relevés sur place grâce à la technique PCR - Polymerase Chain Reaction. Dans ces pays, se pose cependant un problème d'acheminement des échantillons dans les laboratoires référents. En outre, notre système d'information est encombré par des signaux sans lien avec la grippe aviaire, qui créent un « bruit de fond ». Ce bruit de fond est considérable, en particulier pour les enfants de moins de cinq ans, pour lesquels les causes premières de mortalité sont les infections respiratoires aiguës. Or, une enquête épidémiologique ne peut être mise en œuvre pour chaque enfant se présentant avec ce type de maladie. Ce bruit de fond concerne également les personnes âgées qui, elles aussi, présentent une vulnérabilité aux infections respiratoires aiguës. Nous nous attachons à éliminer ces bruits de fond dans les signaux que nous percevons. Nous nous intéressons donc surtout aux personnes de cinq à trente-cinq ans, ainsi qu'aux soignants, afin de détecter s'il existe une possible transmission interhumaine.

Il convient donc de distinguer, d'une part, les systèmes de surveillance de la grippe saisonnière et, d'autre part, les systèmes d'alerte et de réponse, qui relèvent d'une autre approche. Dans l'ensemble, ces deux types de systèmes dépendent du niveau de développement des pays, de ses infrastructures, de son savoir-faire, quelquefois de son cadre juridique, et aussi, très certainement, de la participation de ses citoyens et de la volonté politique des dirigeants, car la surveillance est coûteuse. Cet aspect, longtemps délaissé, revient un peu sur le devant de la scène depuis quelques années, à l'OMS comme dans certains pays. Nous nous intéressons non seulement à la mortalité, mais également à tout ce qui peut se passer concernant les humains, les animaux, les insectes comme les moustiques ou tout autre vecteur, en nous fondant sur l'information vétérinaire. S'agissant de la grippe aviaire, cela suppose aussi l'établissement d'un lien avec la surveillance de l'épizootie. Toutefois, le décalage entre les méthodes de travail de l'agriculture et de la santé est toujours très profond.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La Turquie, qui se situe au carrefour de l'Asie, de l'Afrique et de l'Europe, a constitué, en fin d'année dernière, le détonateur de l'épizootie. Vous vous êtes rendu en mission dans ce pays, en particulier dans la zone dite sensible. Pouvez-vous nous faire part de vos impressions et nous dire un mot sur la transparence des informations relatives à la situation turque ?

M. Guénaël RODIER : J'ai en effet coordonné la réponse internationale sur la Turquie. La zone concernée est située aux confins de l'Europe, elle est montagneuse, rurale et relativement pauvre ; de plus, elle connaît des difficultés politiques liées à son peuplement kurde. L'épizootie animale, dans cette partie de la Turquie, n'était pas reconnue : c'est la maladie humaine qui sert d'indicateur de l'épizootie. Or il faudrait connaître la situation animale pour cibler l'éducation du public : de ce fait, les gens ont été pris par surprise.

En effet, en Turquie, les élevages ne sont pas bien contrôlés sur le plan vétérinaire puisqu'il s'agit de poulaillers de basse-cour, avec peu de volailles. De ce fait, et compte tenu de l'interface humaine, la vigilance des familles est cruciale pour améliorer le niveau d'alerte. Or les contacts rapprochés sont très courants puisque ce sont souvent les adolescents qui abattent les poulets et les tout-petits qui vont chercher les œufs, les enfants entretenant par ailleurs de relations affectives très fortes avec ces oiseaux. Ils sont en effet parfois considérés comme des animaux de compagnie en Turquie, à la différence par exemple du bassin du Mékong, où la volaille semble être un produit purement économique.

En outre, si l'on insiste volontiers sur le rôle de vecteur des oiseaux migrateurs, il ne faut pas oublier pour autant celui des mouvements de volailles qui existent dans nombre de pays.

M. le Président : Nous entendons parler de l'Azerbaïdjan depuis longtemps, où l'on pense que la contamination des volailles est forte mais sans disposer d'éléments tangibles. On a l'impression que, comme en Turquie, c'est l'apparition de cas humains qui sert d'indicateur de l'épizootie.

M. Guénaël RODIER : L'Azerbaïdjan étant très proche de l'est de la Turquie, il n'est pas surprenant que surviennent des cas humains et une épizootie. Les cas concernent plutôt des jeunes adultes que des petits enfants mais il est trop tôt pour vous donner davantage d'informations. Une de nos équipes est sur place pour essayer de comprendre ce qui s'y passe.

Compte tenu des ressources de l'OMS et de la communauté internationale, nous pouvons aider la Turquie et l'Azerbaïdjan, mais il nous sera difficile de déployer la logistique suffisante pour aider trois, quatre ou cinq pays en même temps. Quoi qu'il en soit, dans les semaines à venir, nous risquons de connaître davantage d'alertes, justifiées ou non mais nécessitant une investigation de terrain.

M. le Président : Quelles informations détenez-vous sur l'Afrique ? Ce continent constitue-t-il pour l'OMS une problématique particulière ?

Suivez-vous le développement de la maladie aviaire par le biais de modèles de pré-alerte adaptés ou attendez-vous qu'un cas animal soit avéré ?

M. Guénaël RODIER : Pour y avoir travaillé, je connais bien l'Afrique. Même si nous le redoutions depuis longtemps, le fait que le virus s'introduise dans des pays comme l'Égypte, l'Inde ou le Nigeria n'est pas une bonne nouvelle. Pour les mêmes raisons qu'en Turquie, mais à une plus grande échelle, il sera difficile de contrôler l'épizootie. Le bruit de fond des infections respiratoires aiguës chez les enfants compliquera aussi l'organisation d'enquêtes systématiques. La réunion précitée de Génève visait d'ailleurs à déterminer les signaux intéressants à rechercher, qui doivent être à la fois sensibles et spécifiques. L'on ne peut pas compter sur les infrastructures sanitaires des pays d'Afrique subsaharienne, extrêmement faibles voire effondrées, pour des raisons variées. Notre principal levier reste la vigilance des populations. Il faudrait mobiliser les énergies sur le thème de la prévention ou de la détection précoce de la pandémie, mais cela demande des ressources énormes et la population a bien d'autres priorités à gérer, notamment le paludisme, le sida, la tuberculose, la maladie du sommeil ou la malnutrition, qui causent largement plus de décès que la grippe aviaire. Les gouvernements locaux, avec les ONG et aussi les Églises, exercent une vigilance, mais qui a ses limites : nous risquons de passer à côté de certains signaux.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Les instituts Pasteur suivent le virus au jour le jour sur le plan microbiologique et bactériologique. Mais, en cas d'évolution virale, comment s'effectue la communication entre les scientifiques chargés de cette surveillance et vous, sur le terrain ?

M. Guénaël RODIER : Le réseau de la trentaine d'instituts Pasteur, porteur d'un savoir-faire et d'une technologie uniques, mérite d'être renforcé et revalorisé. La marine américaine dispose d'un réseau comparable. L'intérêt de ces réseaux tient à ce qu'ils apportent des capacités de diagnostic à des pays qui n'en disposent pas d'eux-mêmes. En effet, la surveillance virologique intervient toujours après la surveillance épidémiologique puisqu'elle s'appuie sur les prélèvements effectués ici et là sur les malades suspects. Elle risque par conséquent d'arriver trop tard pour détecter un début d'épidémie. Les instituts Pasteur, centres de référence nationaux pour la grippe saisonnière, appartiennent à un réseau de quelque 130 laboratoires internationaux,, le plus ancien réseau de l'OMS, qui fournit régulièrement des souches virales examinées en vue d'établir les recommandations relatives à la fabrication de vaccins. Grâce à ce réseau, dès qu'une souche est identifiée quelque part dans le monde, les laboratoires de référence de l'OMS en sont informés par les scientifiques présents sur le terrain.

M. le Président : En Afrique, nous avons eu l'impression que, face à la crise, l'encombrement pourrait poser des problèmes. Qu'en pensez-vous ?

Vous évoquez la difficulté à gérer la crise dans plusieurs pays en même temps. Manquez-vous de moyens humains ou de moyens financiers ? Dans l'affirmative, comment pallier ce manque ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : En Afrique subsaharienne, les capacités de diagnostic sont faibles. Or, la virologie, un peu plus compliquée que la bactériologie et la parasitologie, requiert le déploiement d'infrastructures et de savoir-faire importants. Nous essayons donc depuis longtemps de renforcer les capacités de ces pays. Sur le plan vétérinaire, vous connaissez les réseaux de l'Organisation mondiale de la santé animale, l'OIE, et de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO. Des déficits du même ordre existent aussi dans beaucoup d'autres modèles : il est difficile d'importer une bulle technologique dans un pays aux infrastructures insuffisantes. Ce déficit, depuis cinq ans, est en partie compensé par un renforcement des réseaux de l'Institut Pasteur et de l'armée américaine.

M. le Président : Ce dernier se renforce surtout en Asie.

M. Guénaël RODIER : Son plus gros laboratoire, qui gère les zones Afrique et Moyen-Orient, se trouve en Égypte, au Caire. L'approche de l'OMS consiste à renforcer ces pôles d'excellence, en particulier en Afrique du Sud.

Comment apporter d'autres ressources humaines et techniques pour faire face à la demande ? Nous avons développé, depuis 2001, un réseau international, appelé Global Outbreak Alert and Response Network, GOARN, pour accéder rapidement à toutes les ressources internationales possibles. Ce réseau est implanté dans les pays développés mais aussi dans les autres, afin de bénéficier de la connaissance de la culture et de la langue locales. En France, la branche internationale de l'Institut de veille sanitaire, l'Institut Pasteur, l'Institut de recherche pour le développement et l'Institut de médecine tropicale du service de santé aux armées, dit « école du Pharo », font partie de nos partenaires, de même que de grandes organisations non gouvernementales comme Médecins sans frontières. Au total, environ 120 institutions sont capables de déployer des ressources. Nous nous appuyons sur ces ressources internationales. Ainsi, tous les membres de ce réseau ont été alertés hier au sujet de la situation en Azerbaïdjan, où nous appelons à l'envoi de deux épidémiologistes. Au moment de la crise du SRAS, nous avons envoyé concomitamment douze équipes sur le terrain, l'OMS se chargeant de la coordination centrale.

M. le Président : Outre les pays qui, pour diverses raisons, ne font pas partie de votre réseau, certains pays ne font-ils pas semblant d'accepter le jeu de la fluidité et de la transparence ? Nous avons le sentiment, par exemple, que l'appropriation des souches fait l'objet de rapports de forces à l'échelle internationale, pour des motifs économiques ou stratégiques.

M. Guénaël RODIER : Il ne faut pas non plus sous-estimer la transparence. Lorsqu'un pays rencontre des difficultés sanitaires, il est généralement content d'avoir l'OMS à ses côtés, ne serait-ce que pour justifier son action. Tous les pays dans lesquels je me suis rendu pour gérer des épidémies étaient relativement satisfaits de nous voir arriver et relativement transparents, même s'il arrive que des retards soient à déplorer. En effet, la menace d'embargo commercial fait certainement réfléchir les responsables nationaux mais, de toute façon, ce ne sont pas eux qui nous contactent en premier. Au début du sida, dans les années 1980, les États n'étaient guère transparents ; aujourd'hui, le sujet est beaucoup moins sensible, moins tabou, et les cas de sida sont rapportés. Il en va de même pour les épidémies : après le SRAS, les pays savent qu'ils ne peuvent pas cacher un événement pendant très longtemps et qu'ils ont intérêt à communiquer. Cet aspect est pris en compte dans le nouveau Règlement sanitaire international. Tout n'est pas parfait, mais les choses évoluent, lentement, mais elles évoluent.

M. le Président : Ma question portait aussi sur le comportement des pays très actifs sur le plan international dans l'alerte et la surveillance : certains ne tentent-ils pas de tirer la couverture à eux exagérément ?

M. Guénaël RODIER : Les grands États, notamment outre-Atlantique, sont plutôt en avance qu'en retard et, ces dernières années, ont soutenu financièrement l'équipement de l'OMS, avec des moyens substantiels. La France fait, du reste, partie des États qui ont contribué significativement à ce financement. Un problème de confiance se pose vis-à-vis du système des Nations unies et du multilatéralisme par rapport aux accords bilatéraux ; mais au final, la plupart des grands pays jouent sur les deux tableaux. En tout état de cause, tout le monde reconnaît sur le terrain la nécessité d'une coordination internationale. Le réseau international GOARN est très connu des techniciens, familiers des coordinations internationales.

S'agissant des souches virales, elles présentent effectivement un très grand intérêt du point de vue économique puisqu'elles sont essentielles pour le développement de vaccins et de tests diagnostics. En théorie, elles appartiennent au pays où elles sont apparues, mais le problème est juridiquement très compliqué et les laboratoires rechignent à mettre dans le domaine public la composition des génomes : seule une minorité des souches identifiées, tant animales qu'humaines, sont disponibles dans le domaine public.

M. le Président : Auprès de quel responsable de l'OMS nous conseillez-vous d'intervenir pour approfondir la question ?

M. Guénaël RODIER : Le docteur Margaret Chan s'occupe personnellement du problème, qui est autant politique qu'économique. Mettez-vous à la place d'un pays pauvre comme le Vietnam : s'il détient une souche et la met sur le marché, qu'obtient-il en échange de la part des pays riches ? Sera-t-il le premier à accéder au vaccin ou au test diagnostic ? Les pays riches devraient s'engager plus avant.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Selon Margaret Chan, l'évolution des événements fait craindre une pandémie. Un coordinateur du système de surveillance de l'OMS a proposé la création d'une task force. La création d'une telle structure ne signifierait-elle pas que vous souffrez de faiblesses, de fragilités ?

M. Guénaël RODIER : Il y a encore dix ans, l'OMS ne se préoccupait pas de ce type de surveillance ; ce sont les épidémies de peste en Inde en 1994 et d'Ebola en 1995 qui ont suscité la mise en place de ces nouveaux systèmes et de grands progrès ont été accomplis depuis lors. L'important est que tout le monde joue le jeu sur le plan international et politique. À l'OMS, nous avons beaucoup de task forces ; évoquer la création d'une telle structure pour la grippe aviaire n'est donc pas significatif en soi. Le nouveau Règlement sanitaire international demande qu'avant 2007, tout événement considéré comme une urgence internationale provoque la création d'un comité de crise. L'OMS doit proposer un panel de scientifiques de diverses disciplines et bien répartis géographiquement, chargés d'émettre des recommandations à l'attention du Directeur général. L'OMS ne peut agir dans un pays si elle n'y est pas invitée, ce qui nécessite de conclure des accords en amont ; si la pandémie démarrait en France, il serait anormal que nous intervenions sans accord préalable des autorités politiques françaises. La task force dont la création a été évoquée en lien avec le Règlement sanitaire international serait chargée de proposer de tels accords.

M. le Président : Certains pays très pauvres sont plutôt transparents tandis que des grandes puissances ne le sont pas. Si l'OMS devait subordonner son intervention à des palabres diplomatiques, ce ne serait pas rassurant.

M. Guénaël RODIER : Ces problèmes ont été largement abordés dans le cadre de la révision du Règlement sanitaire international, qui crée des règles du jeu, y compris sur le plan politique. L'OMS est une agence technique qui a aussi pour rôle de négocier, d'expliquer les problèmes, de tenir compte des sensibilités culturelles et commerciales locales. Elle appartient à ses États membres et n'a, en aucune manière, le droit de leur forcer la main : nous ne pouvons pas envoyer des parachutistes que nous n'avons pas. Les pays se sont engagés à faire part à l'OMS, sous vingt-quatre heures, de tout événement inhabituel, mais cela suppose que les pays eux-mêmes aient accès à cette information, qu'ils sachent ce qui se passe chez eux.

M. le Président : Nous tenons à vous féliciter pour l'action menée par l'OMS. Nous avons bien noté que l'Organisation doit prendre en compte les souhaits de ses États membres. Pour légitimes que soient ces préoccupations diplomatiques, nous souhaitons cependant que l'OMS soit aussi l'autorité, au moins morale, dont notre monde a besoin face aux politiques parfois cyniques et irresponsables de certains pays.

Audition de Mme Anne MOSNIER et de M. Jean-Marie COHEN, coordinateurs du réseau des Groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 15 mars 2006)

Présidence de Mme Bérangère POLETTI, Vice-présidente,

puis de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

Mme la Présidente : Les Groupes régionaux d'observation de la grippe, les GROG, constituent un réseau de médecins libéraux très utile dans l'analyse du phénomène de la grippe ; ils interviennent aussi dans d'autres domaines de la santé publique relevant plus de la médecine libérale que de la médecine hospitalière. Aussi est-il intéressant pour la mission de vous entendre sur le fonctionnement de ce réseau. Comment appréhendez-vous la menace de pandémie de grippe aviaire en termes d'alerte ?

M. Jean-Marie COHEN : Anne Mosnier et moi-même sommes médecins généralistes de formation et avons une fonction très précise : nous coordonnons l'ensemble des GROG, ce réseau de réseaux, la lettre « R » correspondant aux régions INSEE.

Je voudrais, en vous décrivant ce réseau, vous convaincre que les soignants des premières lignes de soin, notamment les médecins de ville ou ruraux et les pharmaciens, jouent un rôle essentiel dans la surveillance et le traitement de la grippe. C'est un réseau créé par les acteurs des premières lignes de soins, et pour eux. Les GROG ont été créés en 1984 par le professeur Claude Hannoun, en liaison avec l'Institut Pasteur, afin de constituer un réseau d'alerte et de surveillance de la grippe, maladie qui doit être surveillée, car elle est épidémique et surtout imprévisible. Il est actuellement beaucoup question de grippe aviaire mais rien ne prouve que celle-ci sera responsable de la prochaine pandémie grippale : il faut se montrer vigilants face à tous les virus grippaux émergents, y compris les plus discrets, et aussi trouver une autre appellation pour la grippe pandémique humaine, l'usage de l'expression « grippe aviaire » entraînant une confusion avec la maladie animale. La grippe est imprévisible, mais elle est cependant bien connue des soignants de première ligne, car c'est une maladie virale communautaire, qui amène les patients à consulter les pharmaciens et les médecins de ville dans un premier temps ; la proportion des grippés hospitalisés, pendant les épidémies saisonnières, est, en effet, inférieure à 0,5 %. Ceux qui ont l'expertise de la grippe saisonnière, ce sont les médecins de ville et les pharmaciens

L'organisation des GROG, au départ, était originale. D'abord, nous nous sommes appuyés sur une infrastructure régionale, ce qui, à l'époque, était inédit. Ensuite, le principe fondateur était de créer un circuit direct entre les soignants de première ligne et les virologues les plus pointus d'Europe. Le professeur Claude Hannoun était « Monsieur grippe ». Notre réseau est pluridisciplinaire : il associe des généralistes, des pédiatres, des médecins militaires, des pharmaciens d'officines, des grossistes répartiteurs, des entreprises vigies... Ce maillage extrêmement diversifié nous permet de savoir ce qui se passe, quelle que soit l'ampleur du phénomène. Les vigies sont réparties dans toute la France avec une coordination région par région ou une coordination transversale à la fois pour l'armée, avec le Système militaire d'observation de la grippe, le SMOG, et pour les grossistes répartiteurs qui sont organisés nationalement.

M. Jean-Marie LE GUEN : À partir de quels éléments les grossistes répartiteurs peuvent-ils participer à l'alerte ?

M. Jean-Marie COHEN : Ils ne font pas de prélèvements biologiques mais ils surveillent un panel de médicaments dit « médicaments vigie » sélectionnés, comme le paracétamol et quelques antibiotiques, comme le Clamoxyl® injectable, peu utilisé en dehors des épidémies de grippe.

Mme Anne MOSNIER : Ces médicaments constituent davantage des indicateurs d'impact en cas de phénomène épidémique émergent que d' alerte.

M. Jean-Marie COHEN : Ce réseau, outre la surveillance des gens grippés, a pour particularité d'effectuer des prélèvements rhinopharyngés, qui sont envoyés aux centres de référence pour la grippe, à savoir l'Institut Pasteur à Paris et les Hospices civils à Lyon. L'efficacité du réseau repose sur cette double compétence : mesures d'impact et du nombre de cas et prélèvements.

Depuis vingt-deux ans, les vigies des GROG apportent une importante contribution à la connaissance des épidémies virales respiratoires et d'autres maladies. C'est une expertise qui fonctionne, comme les petites rivières font les grands fleuves : les petites connaissances, accumulées jour après jour, finissent par aboutir à une grande expertise. Le modèle GROG est devenu le standard européen puisque son principe a inspiré le réseau European Influenza Surveillance Scheme, EISS. Les GROG représentent la France au sein de EISS, de VIRGIL, réseau chargé de l'étude de la résistance aux antiviraux, et d'EUROGROG, réseau qui draine l'information sur la grippe au-delà de l'Oural, c'est-à-dire y compris sur toute la zone russe.

M. Jean-Marie LE GUEN : Au plan épidémiologique, existe-t-il un effet « frontières » ou vous attachez-vous à fonctionner en réseau européen ?

M. Jean-Marie COHEN : La grippe, à l'instar du nuage de Tchernobyl, ne s'arrête pas aux frontières. L'effet « frontières » perturbe en revanche considérablement l'observation de la grippe, qui dépend de l'organisation du système de soins. Dans certains pays européens, les médecins inscrivent obligatoirement leurs patients sur une liste, et l'on peut donc calculer le nombre de patients par médecin. En France, cela deviendra théoriquement possible avec l'institution du médecin traitant. Afin d'échapper aux particularités sanitaires nationales, nous préparons actuellement un système de calcul avec une cartographie pour toute l'Europe.

Je voudrais vous faire passer un deuxième message, qui est que les GROG sont un outil éminemment adaptable. Nos médecins et pharmaciens vigies sont habitués à la réactivité parce qu'ils sont très curieux et qu'ils posent donc les vraies questions et parce qu'ils observent et alertent spontanément. C'est ainsi que les médecins du GROG ont participé à la lutte contre le SRAS et se retrouvent souvent dans la gestion des situations d'alerte, même quand celles-ci n'ont rien à voir avec la grippe, comme la lutte contre le dopage ou des situations d'alerte infectieuse. Les membres des GROG ont également une capacité de relais et de renfort de l'information publique : cela a été très net dans les campagnes visant à un usage plus raisonnable des antibiotiques. Le rôle des GROG a été dans cette affaire très utile car les messages télévisés laissent toujours subsister des doutes dans l'opinion publique ; quand le médecin de ville les relaie, il les crédibilise et les personnalise.

L'outil des GROG est aussi évolutif : en cas de crise, il est en mesure de se renforcer sur une zone donnée. Encourager les médecins généralistes et les soignants de ville à participer à des réseaux de ce type est essentiel pour accompagner les autorités de santé sur le terrain.

M. Jean-Marie LE GUEN : Avez-vous des services d'urgences dans vos réseaux ?

M. Jean-Marie COHEN : Toutes les associations SOS-Médecins et quelques autres associations de médecins d'urgence participent aux GROG depuis qu'ils existent, mais les services d'urgences hospitalières y participent peu.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment s'articule le travail des médecins libéraux et des médecins hospitaliers ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Comment recrutez-vous ?

M. Jean-Marie COHEN : Nous constituons, région par région, un échantillon représentatif de médecins généralistes et de pédiatres en fonction de l'âge, du sexe et du département, avec un panachage entre ville et campagne. Nous associons systématiquement tous les laboratoires de virologie hospitalière et nous avons donc connaissance des souches prélevées à l'hôpital. Le réseau de services hospitaliers d'urgence est directement coordonné par l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, avec lequel les GROG sont conventionnés. En revanche, les médecins urgentistes de ville sont coordonnés directement par les GROG.

Mme la Présidente : Contactez-vous les médecins pour leur demander de se porter volontaires ?

M. Jean-Marie COHEN : Tout à fait.

Mme la Présidente : Et comment réagissent-ils ?

M. Jean-Marie COHEN : Les GROG sont désormais réputés auprès des médecins de ville. La clef de notre organisation est de faire en sorte que chaque volontaire participe pleinement à notre travail. Les volontaires sont appelés au téléphone chaque lundi, à une heure qui leur convient et qu'ils ont fixée eux-mêmes, de façon à ce que nous soyons sûrs de récupérer les chiffres.

Mme la Présidente : Cette fonction est-elle bénévole ?

M. Jean-Marie COHEN : Oui, presque partout, et c'est probablement dommage. Il est arrivé que, grâce au fonds d'amélioration de la qualité des soins de ville (FAQSV), nous parvenions à rémunérer transitoirement quelques médecins et pharmaciens mais ce n'est pratiquement plus le cas nulle part. C'est un vrai problème. Certains professionnels s'investissent depuis vingt-deux ans et la fonction vigie devrait être reconnue officiellement et honorée, non seulement par une rémunération mais par des actes officiels, des points de formation ou une décoration.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Quelles difficultés le système rencontre-t-il ? Constatez-vous des défaillances dans la remontée des informations ?

M. Jean-Marie COHEN : Les remontées d'informations sont excellentes, la participation, hors vacances, est supérieure à 95 % et le turn-over est proche de zéro.

Mme la Présidente : Les médecins peuvent-ils assumer partout cette charge, et efficacement, même dans les régions où la démographie médicale est inquiétante et où ils sont surchargés ?

M. Jean-Marie COHEN : Oui, parce que nous faisons tout pour que cela leur prenne le moins de temps possible. Mais nous sommes confrontés à deux menaces graves. Premièrement, le bénévolat et le militantisme peuvent rapidement se retourner contre nous : si une autorité régionale ou nationale, préfet ou ministre, traite ces professionnels avec un certain mépris, ils peuvent arrêter du jour au lendemain, ce qui tuerait instantanément le réseau. Le deuxième problème est, effectivement, un problème démographique : le nombre de zones désertifiées où les médecins généralistes sont au bord de la crise augmente. Les médecins n'auront plus le temps.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous êtes donc partisan d'une rémunération des acteurs de terrain participant à votre schéma de surveillance.

M. Jean-Marie COHEN : Oui. Les GROG, dont l'assise institutionnelle est maintenant solide grâce à la convention avec l'InVS, restent assez fragiles et doivent être pérennisés. Ils dépendent, en effet, d'une bonne volonté des vigies et nous sommes à la merci d'une révolte des professionnels ou d'un constat d'impuissance de leur part, face à l'ampleur des tâches qui leur incombent par ailleurs. En outre, notre financement est toujours limite. Il va donc falloir pérenniser cette organisation.

Les GROG peuvent être utiles, et je pense qu'ils seront indispensables en cas d'apparition de foyers de grippe aviaire, afin de désamorcer la panique et d'apporter de l'information, mais aussi en matière de risque NBC ou de catastrophe industrielle. L'existence d'un réseau de professionnels formés, compétents et capables d'effectuer des gestes techniques variés constitue un atout précieux pour un pays en cas de crise, quelle qu'elle soit.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous vous situez en amont, et vous contribuez ainsi à accélérer l'élaboration des vaccins. Des financements privés peuvent-ils être envisagés, notamment de la part des laboratoires pharmaceutiques ?

M. Jean-Marie COHEN : Le financement est actuellement assuré pour un tiers par l'InVS, pour un tiers par des fonds parapublics (Sécurité sociale, URML, FAQSV), et pour un tiers par des firmes pharmaceutiques. Les fonds privés sont à la fois utiles - même indispensables - et dangereux. Les fonds publics sont difficiles à obtenir et parviennent quelquefois avec retard, ce qui crée des problèmes de trésorerie ingérables. Mais comme les GROG sont chargés d'annoncer l'arrivée des épidémies de grippe, il ne faudrait pas que le réseau soit suspecté de subir l'influence des firmes pharmaceutiques, car l'information qu'ils diffusent risquerait de perdre en crédibilité. Il faut rester indépendants. Les fonds privés doivent donc être parfaitement transparents et rester très minoritaires.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La répartition en trois tiers vous paraît-elle bonne ?

M. Jean-Marie COHEN : Si les vigies étaient indemnisées, cela représenterait une forte augmentation de budget. Il faudrait le faire sur fonds publics, et non sur fonds privés. Notre budget passerait de 200 000 à 1,5 million d'euros par an, cela ne pourrait plus se répartir en trois tiers. Ce ne serait plus du tout la même échelle.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Le système de veille des GROG est-il opérationnel concernant la menace de pandémie de grippe aviaire ?

M. Jean-Marie COHEN : Oui, nous l'avons vérifié, sur une petite échelle, avec le SRAS. La décision d'utiliser les GROG comme « bras armé de terrain » de la direction générale de la santé, la DGS, et de l'InVS a été prise en vingt minutes, avec notre accord. Ce sont des médecins des GROG qui sont allés effectuer les prélèvements et ont suivi toutes les personnes déclarées suspectes. En matière de grippe aviaire - je précise bien qu'il s'agit d'épizootie - si un foyer se déclare, comme dans la Bresse, nous pouvons mobiliser un médecin pour faire un prélèvement. Mais, en principe, c'est le SAMU qui en est chargé, et les GROG n'interviennent que si le SAMU ne le peut pas. Je vous rappelle que la France est un pays « hospitalocentré », et c'est l'hôpital qui intervient d'abord. C'est probablement une erreur grave.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Si le SAMU est chargé de ces problèmes, il ne peut plus s'occuper des urgences classiques. Or, les SAMU ne sont pas si nombreux.

M. Jean-Marie COHEN : Absolument. C'est du gâchis que le SAMU fasse des prélèvements. Je pense que si un SAMU était sollicité sur deux sites le même jour, il serait incapable de suivre. Mais il est difficile, en France, de combattre et d'abattre le dogme de la primauté de l'hôpital. Le message à faire passer en cas de survenue d'une pandémie - et il sera difficile à faire passer - sera d'aller le moins possible à l'hôpital. Mais en disant cela, on heurte de front un discours dominant.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous préconisez donc de mettre les GROG en première position, ou alors d'instituer un véritable partenariat.

M. Jean-Marie COHEN : Le partenariat s'impose : si la ferme contaminée est située dans une grande préfecture, le SAMU aura les moyens d'y aller ; mais ce n'est généralement pas le cas des établissements aviaires. Il est extrêmement irritant, pour un médecin généraliste rural, d'entendre à la télévision des représentants du SAMU déclarer qu'ils font tout alors que c'est à lui qu'incombera le travail, en cas de besoin.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il serait important de préciser le rôle des GROG.

Mme Anne MOSNIER : Il n'y a pas des SAMU partout mais c'est également le cas des GROG, même si notre maillage est relativement fin. Aussi, j'opterais plus pour un partenariat. Si un médecin GROG est en mesure d'intervenir dans une zone, cela soulagerait le SAMU, mais encore faudrait-il le préciser dès maintenant en amont pour que le médecin GROG n'ait pas l'impression d'être considéré comme un pis-aller. La première version du plan grippe désignait clairement les médecins de GROG comme préleveurs en période pré-pandémique ; la deuxième est, à mon sens, beaucoup plus ambiguë. De temps en temps, le mot « GROG » apparaît dans les fiches techniques comme un support possible mais nous ne sommes plus perçus comme un partenariat ou un relais de premier recours. En tant que coordinateurs, nous avons été impliqués pour notre expertise dans les groupes de travail nationaux, et beaucoup de médecins des GROG sont également sollicités par le ministère pour apporter leur expérience de terrain. Il est d'autant plus incompréhensible de voir que notre mission, dans le plan, devienne de plus en plus discrète.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vos médecins sont-ils en possession de kits de prélèvement ?

Mme Anne MOSNIER : Les médecins, qui prélèvent dans le cadre de la grippe saisonnière, sont équipés de kits de prélèvement mais nous n'avons pas obtenu, partout, des masques et autres matériels de protection, malgré nos demandes aux directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales. Dans certaines régions, il semble exister un manque de volonté des autorités. C'est dommage et injustifié car il ne serait pas si difficile d'équiper 700 à 800 médecins. En attendant, les médecins des GROG ne pourraient pas intervenir car les masques sont prépositionnés dans les hôpitaux. Il faut dire que tous les médecins libéraux demandent des masques et que les services hospitaliers craignent de « mettre le feu aux poudres » en en délivrant une petite quantité à une catégorie de professionnel donnée.

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. Jean-Marie COHEN : La grippe est, en fait, un bon révélateur des dysfonctionnements de la société française. Les régions où cela marche bien, où il n'y a pas de problèmes de masques, sont celles où les responsables administratifs anticipent les crises, comprennent les problèmes ; ailleurs, nous perdons un temps considérable et nous nous épuisons. C'est dommage car nous avons beaucoup à faire.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous avez indiqué que votre système est réactif. Si, demain, le passage du virus H5N1 de l'homme à l'homme se confirmait, vraisemblablement à l'étranger, quel serait votre temps de réaction ?

M. Jean-Marie COHEN : Une heure.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous augmenteriez alors le nombre de vigies ? Comment procéderiez-vous avec les médecins libéraux ? Auriez-vous un rôle à jouer vis-à-vis des médecins hospitaliers ?

M. Jean-Marie COHEN : Tout est en train de se jouer actuellement au ministère de la santé. Nous avons fait une enquête téléphonique auprès des médecins généralistes franciliens, qui révèle que 90 à 95 % d'entre eux ne savent pas ce qu'ils auraient à faire en cas de pandémie. Il convient, par conséquent, de mettre sur pied un plan de formation du soignant de base - médecin, pharmacien, kinésithérapeute ou dentiste. Le ministère s'y emploie, mais il peine un peu car les médecins libéraux sont assez divisés, les syndicats se trouvant actuellement en compétition dans la perspective des prochaines élections dans les unions ! Techniquement, c'est possible car on sait à peu près ce qu'il conviendrait de faire. Le dispositif de formation continue a fonctionné pour la campagne antibiotiques  et les médecins ont été formés à l'usage du « test streptocoque ».

Il serait bien, par ailleurs, que les GROG développent un réseau dormant, un peu comme une armée suisse, pouvant être réveillée pendant la durée de la pandémie ou n'importe quelle autre situation de crise : un médecin généraliste sur quinze devrait y adhérer et se soumettre à un exercice par an, juste pour que nous vérifiions qu'il est équipé en informatique, qu'il a un mail, lit ses messages et peut intervenir sous une heure. Cela reste à mettre en place, et j'espère que Xavier BERTRAND arrivera à résoudre les conflits entre les organisations professionnelles.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Avez-vous déjà formulé ces propositions ?

M. Jean-Marie COHEN : Nous sommes en train de les formaliser afin de les transmettre au ministère de la santé. Je considère personnellement qu'un réseau de GROG élargi, interface très riche, véritable « Réseau de surveillance du territoire sanitaire », devrait rendre compte périodiquement à l'Assemblée nationale. Nous pouvons faire beaucoup de choses, surtout si nous sommes correctement articulés avec l'InVS et les fonctionnaires de la Défense pour tout ce qui est risque NRBC.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment le partenariat entre les SAMU et les GROG pourrait-il s'articuler afin de dépasser l'« hospitalocentrisme » dont vous parliez ? Entretenez-vous des relations mutuelles ?

M. Jean-Marie COHEN : Nous nous connaissons personnellement, ce qui est important. Quand un exercice sanitaire sur la grippe aviaire a été organisé près d'Angers, le SAMU nous a prévenus une demi-heure après le début des opérations mais nous avons travaillé ensemble sans problème.

Mme Anne MOSNIER : Ce qui a été fait pour mettre les SAMU au centre du plan a été bousculé par tout ce qui tourne autour de la permanence des soins. Ce serait bien que les choses se passent partout de façon aussi conviviale ; cela dépend des endroits. Si les petits SAMU et les petits centres 15 savent où se trouve leur GROG, en ce qui concerne les SAMU des grosses villes et au niveau central, je suis moins optimiste : certains nous perçoivent comme des « électrons libres ». C'est vrai que le plan indique qu'en phase pandémique, les SAMU seront obligés de se tourner vers la médecine de ville.

M. Jean-Marie COHEN : Il est, en fait, délicat de faire comprendre à un grand professeur de médecine, chef d'un SAMU, notabilité dans sa région, qu'il devrait parler d'égal à égal avec des pharmaciens et des médecins généralistes de ville car ce n'est pas dans l'ordre hiérarchique universitaire.

Mme Anne MOSNIER : Je pense que c'est davantage un problème de méconnaissance que de mauvaise volonté. De notre côté, dans la mesure où nous sommes un réseau de ville, nous n'avons jamais fait l'effort de travailler avec eux. Eux-mêmes nous connaissent mal, mais si on fait l'effort de leur expliquer, les liens se créent.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Alors qu'une menace de pandémie existe, le souci de partenariat et de coordination sur le terrain devrait s'intensifier. Or ce n'est pas le cas. Le SAMU aura d'autres missions à remplir.

M. Jean-Marie COHEN : En cas de pandémie, le risque de mortalité majeur concernera des personnes qui attendront un geste d'urgence n'ayant rien à voir avec la grippe maligne - une appendicite, par exemple - et qui ne pourront pas être prises à temps du fait de l'encombrement des hôpitaux. Il faut s'efforcer de faire passer ce message. Il faut donc que les hôpitaux s'occupent des malades dont ils doivent s'occuper et que le dispositif extra-hospitalier gère les autres malades. Mais ce ne sera pas facile.

M. le Président : On voit bien les grandes différences culturelles entre le monde hospitalier et la médecine de ville ; les méfiances réciproques sont très puissantes et cette brèche doit être colmatée le plus rapidement possible par la communication. On entend maintenant pas des personnes préconiser, si la grippe atteint un certain niveau, l'ouverture de lieux intermédiaires dédiés à une surveillance médicale un peu plus intense qu'en ambulatoire, afin de faciliter l'intervention du corps médical et de désengorger les hôpitaux. Que pensez-vous de cette construction stratégique ?

Mme Anne MOSNIER : Nous avons vu ce qui s'est passé lors de la canicule, surtout pour les personnes seules. L'idée est donc très intéressante, mais il faut une concertation pou préparer l'opération en amont, déterminer ses modalités et désigner les structures responsables. Sans rien reprocher au plan du Gouvernement sa rédaction fait que les praticiens hospitaliers estiment que les soignants de ville, dans la phase pré-pandémique, ne doivent représenter qu'un pis-aller. C'est la même chose pour les SAMU et les GROG. Il faut recadrer le discours et indiquer que le plan a été conçu pour limiter la diffusion du virus dans la première phase et gérer au mieux la crise dans la deuxième.

Mme Catherine GÉNISSON : S'agissant de l'organisation hospitalière, le plan attribue à peu près les mêmes fonctions à l'hôpital public et à l'hôpital privé. Ne serait-il pas intéressant que l'hôpital public se spécialise dans l'accueil des personnes touchées par la grippe aviaire et que l'hôpital privé prenne en charge d'autres pathologies, pour lesquelles il est tout à fait compétent ? Certes, la mise en place de ce dispositif soulèverait bien des difficultés, et la FHP, la Fédération hospitalière de France, y est sans doute opposée, mais il serait sans doute plus efficace. Or, ce n'est pas inscrit dans le plan.

M. Jean-Marie COHEN : Ce n'est pas notre domaine de compétence. Mais j'ai l'impression que les hôpitaux privés ont été assez peu impliqués dans la rédaction du plan ; c'est probablement une erreur.

M. le Président : Madame, Monsieur, je vous remercie.

Audition de MM. Gilles BRÜCKER, directeur général de l'Institut national de veille sanitaire (InVS), et Daniel LEVY-BRUHL, expert au département des maladies infectieuses de l'InVS

(Compte rendu de la réunion du mercredi 15 mars 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Dans le cadre de l'examen du « plan Pandémie » auquel elle procède actuellement, notre mission d'information se penche sur les questions de veille et d'alerte sanitaires. Quel est le rôle de l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, à cet égard ? Si une pandémie se produisait, la France ne serait vraisemblablement pas le premier pays touché et il serait possible de freiner la pénétration du virus, mais pas, je crois, de l'empêcher. On se concentre trop, à mon avis, sur la recherche du premier cas français alors qu'il faudrait plutôt travailler sur l'hypothèse d'un grand nombre de cas. Qu'en pensez-vous ?

M. Gilles BRÜCKER : Les choix du plan ont-ils été parfaitement bien dimensionnés ? Compte tenu de la complexité de la question, répondre n'est pas simple.

Jusqu'à présent, 178 cas de personnes atteintes par le virus H5N1 non humanisé, non muté, ont été identifiés dans le monde, avec 98 décès recensés dans sept pays. Mais aucun cas n'a été identifié ni en France ni en Europe et, surtout, jamais une transmission interhumaine n'a été constatée : nous ne sommes donc pas en situation pandémique, alors que le virus H5N1 épizootique voyage depuis deux ans et s'étend. Et, si nous identifions un cas en France, cela ne signifiera pas non plus que la pandémie démarrera.

L'InVS a d'abord eu une fonction d'expertise et d'anticipation, sur la base des données disponibles, s'agissant du risque pandémique à venir. C'est dans ce contexte que nous avons publié, il y a plus d'un an, un document intitulé Préparation à la lutte contre une pandémie grippale, qui prend appui sur une modélisation des données des trois grandes pandémies de 1918, 1957 et 1968. Il envisage une attaque sur 15 à 35 % de la population, soit 9 à 22 millions de personnes touchées, 500 000 à 1 million d'hospitalisations et 90 000 à 200 000 décès possibles. Ce scénario repose sur l'hypothèse d'une absence totale d'intervention des pouvoirs publics, de mesures-barrières, ni d'utilisation d'antiviraux ; il décrit l'histoire naturelle d'une épidémie grippale suivant son cours, sans intervention. Avec les mesures programmées dans le plan, nous ne devrions pas assister à un phénomène d'une telle ampleur.

L'InVS a également analysé les bénéfices attendus des différentes mesures de contrôle possibles, singulièrement l'utilisation des antiviraux, pour traiter les malades ou dans un souci prophylactique, chez les professionnels de santé - des professionnels indispensables au pays en cas de situation pandémique.

Nous avons aussi sérieusement renforcé la surveillance de la grippe saisonnière. La pandémie grippale susceptible de survenir ne serait pas fondamentalement différente d'une épidémie habituelle. L'InVS dispose déjà depuis longtemps d'outils de surveillance pour suivre la progression d'une épidémie grippale mais il a renforcé les réseaux existants, notamment celui des médecins SENTINELLE et des groupements régionaux d'observation de la grippe, les GROG. Ces deux réseaux fournissent des données de nature différente : le réseau SENTINELLE s'intéresse essentiellement aux aspects cliniques ; le réseau GROG assortit sa surveillance clinique de prélèvements en vue de rechercher le virus grippal.

Nous avons considérablement renforcé la surveillance de la mortalité, avec des outils de deux ordres : la surveillance de la mortalité due à la grippe, à travers les DDASS des départements les plus peuplés de chaque région, qui nous font remonter en temps réel le nombre de certificats de décès mentionnant la grippe ; la surveillance de la mortalité en général, en liaison étroite avec l'INSEE, qui nous informe pratiquement en temps réel de la mortalité dans toutes les communes de France informatisées, ce qui représente une couverture de près de 75 % de la mortalité - ce deuxième volet a été mis sur pied après la canicule de 2003.

La surveillance que nous exerçons constitue un outil majeur utilisable en phase pandémique, à plusieurs niveaux : surveillance de la médecine libérale, avec l'aide des généralistes, en particulier les médecins SENTINELLE ; surveillance des urgences hospitalières, qui nous communiquent un relevé quotidien du nombre de passages aux urgences, de la composition de cette population par âge et par sexe et des principaux symptômes constatés. Le diagnostic est principalement d'ordre symptomatique. Certains réseaux de surveillance sont axés sur des pathologies assez spécifiques, comme celui de la bronchiolite, mais ils ne sont pas ancrés dans toutes les structures d'urgence.

Le développement de ce système aboutit à la constitution de bases de données assez volumineuses, ce qui nous impose de faire des choix stratégiques. Le premier objectif consiste à créer des bases de données régionalisées, en travaillant notamment sur des plates-formes régionales, dans une démarche concertée entre les agences régionales d'hospitalisation - les ARH - les DRASS, et les bases régionalisées de l'InVS, les CIRE, cellules interrégionales d'épidémiologie.

Mme Catherine GÉNISSON : Comment transitent les informations ? La communication en temps réel fonctionne-t-elle partout ? Tous les services d'urgence de France y participent-ils ?

M. Gilles BRÜCKER : Pas encore ! Nous ne pouvons pas demander aux urgentistes, par ailleurs accaparés, de remplir des fiches épidémiologiques ; c'est pourquoi nous n'avions pas organisé jusqu'à présent de véritable système de surveillance à partir des urgences. Nous avons choisi de nous servir des systèmes informatisés existants, dans lesquels sont enregistrés les passages aux urgences. Après la canicule 2003, j'ai écrit à tous les hôpitaux pour recenser les différents systèmes de surveillance des passages aux urgences. Leur diversité s'est révélée être un véritable casse-tête pour les informaticiens, et nous avons commencé, modestement, par construire un premier réseau reliant les hôpitaux dont les systèmes étaient compatibles. Ce réseau, qui s'est particulièrement développé en Île-de-France, avec la participation très active de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l'AP-HP, est en cours d'extension. Compte tenu de la mise en place des groupements régionaux de santé publique et des plans régionaux de santé publique, à la suite de la loi de santé publique, il nous a semblé important de dimensionner de véritables réseaux régionaux, qui répondent au plan grippe, mais aussi au plan canicule. Le dispositif n'est pas achevé, mais nous avançons avec les services du ministère de la santé pour que de plus en plus de régions et d'établissements bénéficient de plates-formes.

Nous évaluons la gravité de la situation en suivant les entrées aux urgences, les transferts vers les unités de soins intensifs ainsi que les données de mortalité.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment votre réseau SENTINELLE fonctionne-t-il ? La coexistence avec les GROG est-elle utile ? Ne serait-il pas plus pertinent de constituer un seul réseau en l'étoffant sur tout le territoire ?

M. Gilles BRÜCKER : Le réseau SENTINELLE, qui fonctionne avec des médecins généralistes libéraux, surveille plusieurs pathologies comme la grippe ou la rougeole. Comme d'autres, il fonctionne sur la base du bénévolat des médecins, dont l'implication n'est pas toujours optimale. Il compte, en principe, un nombre de médecins relativement élevé, près d'un millier, mais 200 à 300 d'entre eux assurent des transmissions actives. La couverture du territoire est-elle suffisante pour fonder une vision à peu près claire de la situation ? Les volontaires participent au réseau pendant un an ou deux, après quoi beaucoup se lassent et il faut les remplacer.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Le réseau SENTINELLE est donc fragile, contrairement au réseau GROG, qui semble présenter une certaine stabilité et donner de bons résultats.

Le bénévolat ayant des limites, ne faut-il pas envisager une indemnisation des médecins volontaires ?

M. Gilles BRÜCKER : Nous soutenons les deux réseaux et nous venons de renforcer notre soutien aux GROG, dont l'apport épidémiologique est majeur en matière de grippe, grâce aux prélèvements réalisés. Le réseau SENTINELLE est peut-être moins avancé dans le diagnostic car il n'effectue pas de prélèvements biologiques mais il présente l'avantage important d'être polyvalent, contrairement aux GROG, focalisés sur les pathologies grippales.

M. Daniel LEVY-BRUHL : Le réseau des GROG est indispensable en cas de pandémie parce qu'une partie de la surveillance sera de nature virologique : la sensibilité du virus aux antiviraux et l'évolution du virus nécessiteront des prélèvements en temps réel.

L'existence de deux réseaux présente également l'avantage de nous permettre de valider chaque semaine les données obtenues.

Le nombre de médecins qui se connectent n'est certes pas très élevé mais le réseau SENTINELLE a eu l'intelligence de garder en mémoire les références des 1 200 praticiens qui y ont participé un jour. Ceux-ci ne veulent peut-être plus s'investir chaque semaine, mais ils resteraient vraisemblablement intéressés par des actions particulières, notamment la surveillance d'un événement exceptionnel, comme le serait une pandémie.

M. Gilles BRÜCKER : Le signalement est une charge de travail supplémentaire. Il faudra par conséquent trouver les moyens d'indemniser les médecins participant à la veille sanitaire, afin de les fidéliser et de rendre l'outil plus efficace.

Mme Catherine GÉNISSON : Le seul critère de l'engagement bénévole et militant suffit-il à établir un échantillon représentatif au niveau national ? Ce manque d'exigence me surprend mais il n'est pas propre à la grippe aviaire.

M. le Président : Ni à l'InVS ! Notre système de santé n'est pas adapté aux objectifs de santé publique. Le volontariat n'est pas une solution au regard des impératifs de la politique de santé publique. Ce qui est nécessaire ne doit pas être volontaire.

M. Gilles BRÜCKER : Toute aide est bienvenue ! L'exigence de qualité et de représentativité est en effet très importante. Nous publions un bulletin hebdomadaire de surveillance de la grippe, comme pour d'autres pathologies, notamment la gastro-entérite aiguë. Malgré les imperfections du système, les données tiennent la route : elles permettent de suivre l'évolution de la situation dans toutes les régions de France et de faire un signalement quand le seuil épidémique est dépassé. L'outil est sûrement perfectible mais, avec le double réseau de SENTINELLE et des GROG, nous pouvons dresser des cartes et assurer un suivi reflétant assez bien la réalité.

M. le Président : Si vous êtes plutôt satisfait de la coexistence de deux réseaux nous, nous continuons à nous interroger.

M. Gilles BRÜCKER : Le champ de surveillance de l'InVS englobe à la fois les pathologies connues et les menaces potentielles. Pour les pathologies que nous connaissons, nous mettons en place un système de surveillance spécifique : les GROG.

M. le Président : Mais les GROG ont vocation à élargir leur périmètre de surveillance.

M. Gilles BRÜCKER : Nous souhaitons renforcer la surveillance effectuée par l'intermédiaire du réseau des médecins libéraux.

J'en viens à la surveillance plus spécifique du virus H5N1, dans ses composantes épizootique et humaine.

L'InVS a mis en place des outils de surveillance et de coopération internationaux : la veille sanitaire ne se conçoit pas sans prendre en compte la dimension internationale, le syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, l'a prouvé. Nous collaborons avec l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, dans le cadre du Global Outbreack Alert Response Network, le GOARN, à travers des missions d'expertises diverses. Nous soutenons aussi des actions de l'OMS en Turquie, en Azerbaïdjan, en Arménie et en Iran, où nous avons envoyé des équipes, notre capacité d'expertise étant connue et appréciée.

Notre soutien à la réflexion européenne passe désormais par l'European Center for Disease Prevention and Control, l'ECDC, fondé il y a un an et demi à Stockholm. L'InVS représente la France au conseil d'administration et au conseil scientifique de cet organisme. Daniel Lévy-Bruhl fait partie du premier groupe d'experts que l'ECDC a mis en place, relatif au risque pandémique.

Nous publions tous les jours les données de la surveillance internationale et nous diffusons un bulletin hebdomadaire décrivant la situation épizootique et répertoriant, pour chacun des pays touchés, le nombre de cas humains et le nombre de décès recensés.

Dans le cadre du plan contre la grippe aviaire, il est capital de définir ce qu'est un cas suspect, afin d'organiser la surveillance et le suivi des signalements. Nous mettons très régulièrement à jour cette définition : il s'agit d'identifier toute personne présentant une symptomatologie compatible avec la maladie, par ailleurs de retour d'un pays où sévit l'épizootie et où des cas humains ont été recensés. Nous analysons tous les cas pour vérifier que la symptomatologie, les dates du voyage et les contacts rendent la contamination possible et justifient des prélèvements et un suivi. Lorsque la situation clinique d'une personne est particulièrement préoccupante, c'est-à-dire lorsqu'un syndrome de détresse respiratoire aiguë est diagnostiqué, dès lors que le malade est passé par un pays touché par l'épizootie, quels qu'aient pu être ses contacts avec les oiseaux, la contamination est considérée comme possible.

Le médecin praticien confronté à une symptomatologie clinique de type grippal chez une personne ayant fréquenté une zone d'épizootie appelle le centre 15, qui prévient l'InVS, joignable vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Nous vérifions alors l'ensemble des données et, si nécessaire, un prélèvement est immédiatement fait.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : À l'InVS, qui reçoit les appels ?

M. Gilles BRÜCKER : Des médecins épidémiologistes d'astreinte, parfaitement au fait des procédures. La veille, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, existe indépendamment de la grippe aviaire. Lorsqu'un seul interlocuteur ne suffit pas pour répondre au flux d'appels, nous en mettons systématiquement deux d'astreinte et, en cas de besoin, nous pouvons encore renforcer le dispositif dans la semaine.

M. le Président : Dans les procédures d'alerte, quelles qu'elles soient, vous êtes donc prévenus avant le DDASS, c'est-à-dire avant la filière étatique.

M. Gilles BRÜCKER : La fonction de base de l'InVS, la fonction épidémiologique, a été récemment renforcée dans son aspect alerte : nous sommes en première ligne. C'est un circuit court, qui va du médecin généraliste au centre 15 puis à l'InVS, avec au bout du fil une personne parfaitement au courant de la problématique.

Mme Catherine GÉNISSON : Je confirme que consigne est donnée aux centres 15 de procéder de la sorte.

Les tableaux cliniques sont fréquemment actualisés. Mais comment les nouvelles versions parviennent-elles aux médecins généralistes ? Je n'ai pas l'impression que l'information descende jusqu'aux acteurs de terrain.

M. Gilles BRÜCKER : Le premier maillon de la surveillance passe forcément par le médecin généraliste, qui établit le constat clinique.

Mme Catherine GÉNISSON : Vos documents existent mais ne sont pas diffusés aussi bien que vous l'imaginez.

M. Gilles BRÜCKER : J'ignore comment ils sont diffusés, mais je puis vous dire qu'une série de documents existent, sans oublier les sites Internet. En tout cas, l'InVS, le 15 mars, avait reçu 265 appels émanant des centres 15, dont 245 concernaient des personnes revenant de zones touchées par le virus H5N1, ce qui nous a conduits à prélever une trentaine d'individus, sans résultat positif à ce jour, vous le savez. L'identification récente d'oiseaux malades sur notre territoire a évidemment provoqué un pic d'appels.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Sur près de 300 appels, vous effectuez donc une trentaine de prélèvements, soit 10 %. Comment concluez-vous à la nécessité de réaliser un prélèvement ?

M. Gilles BRÜCKER : En discutant avec le médecin régulateur du centre 15, ou, si nécessaire, en prenant directement des renseignements auprès du médecin traitant, nous concluons souvent qu'il n'est pas nécessaire de prélever.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Ensuite, dans la chaîne de l'alerte, quelles opérations déclenchez-vous ?

M. Gilles BRÜCKER : Nous informons bien entendu la DDASS. Faut-il déclencher l'alerte avant même d'avoir connaissance le résultat du prélèvement ? La question mérite réflexion. Un cas considéré comme possible doit-il être ou non hospitalisé ? Cela ne va pas de soi. D'un point de vue médical, il est préférable que le patient soit hospitalisé mais, au plan strictement épidémiologique, en cas de syndrome fébrile ou grippal modéré, ce n'est pas indispensable tant qu'aucune transmission interhumaine n'a été observée. Le seul critère d'hospitalisation est la sévérité du cas. Compte tenu de l'inquiétude ambiante, la tendance est toutefois à l'isolement, à l'hôpital, pendant les vingt-quatre heures d'attente nécessaires pour avoir le résultat du prélèvement.

M. Gérard BAPT : Vos documents sont sans doute parfaitement rédigés, mais encore faut-il qu'ils parviennent aux praticiens. Or, un médecin m'a confié qu'il s'était senti complètement démuni lorsqu'il avait dû s'interroger sur la nécessité ou pas d'adresser un patient aux urgences. Le président du Conseil de l'Ordre ayant été saisi, les médecins généralistes de Haute-Garonne ont, enfin, tous reçu une information.

Nous avons repéré plusieurs dysfonctionnements dans les hôpitaux de Toulouse. Par exemple, un patient se présente un vendredi soir au CHU de Toulouse, où un prélèvement est effectué et une hospitalisation envisagée jusqu'au lendemain ; toutefois, le médecin de garde de l'InVS, contacté par téléphone, estime, lui, que l'hospitalisation n'est pas nécessaire. Le personnel du CHU ne sait que faire et finit par laisser repartir le patient qui, le lendemain matin, va voir son généraliste. Ce dernier n'a pas été appelé par l'hôpital et ne l'a pas lui-même appelé. Le hiatus entre les documents et la réalité est bien là : sur le plan opérationnel, tout reste à faire.

M. Gilles BRÜCKER : Des marges de progrès existent incontestablement pour améliorer l'appropriation des recommandations par tous les acteurs de terrain mais je n'irais pas jusqu'à parler de dysfonctionnements. Le principe de l'hospitalisation des cas suspects, alors que nous ne sommes pas entrés dans une phase de transmission interhumaine, n'est pas acté.

M. Gérard BAPT : Le service des maladies infectieuses a pour habitude d'hospitaliser les cas suspects, qui sont, certes, rares.

M. Gilles BRÜCKER : Le virus ne se transmettant pas pour l'instant d'homme à homme, il appartient au clinicien de déterminer si le malade doit être hospitalisé. Nous sommes extrêmement attentifs à ne pas aller au-delà de notre métier d'épidémiologiste, afin de ne pas interférer dans le choix des soins, qui relève du médecin traitant et de lui seul : la médecine par téléphone est dangereuse ; nous devons nous contenter d'échanger des informations.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous avons reçu du Conseil national de l'Ordre un petit document, que j'ai lu en détail et que je trouve assez bien fait.

M. Gilles BRÜCKER : Au-delà de ces procédures de signalement, notre articulation avec l'expertise biologique est extrêmement forte. Les agents pathogènes les plus importants sont suivis par les centres nationaux de référence, les CNR, éléments essentiels à la politique de surveillance et d'expertise, dont deux sont compétents en matière de la grippe, l'un pour le nord, l'autre pour le sud du pays. Le travail des épidémiologistes de l'InVS s'imbrique non dans celui de ces biologistes, sur le plan financier et évidemment sur le plan technique ; cette relation est irremplaçable pour la qualité de la surveillance et de l'expertise des maladies infectieuses.

M. le Président : En pleine crise pandémique, qu'apporterait l'InVS pour la gestion de la crise ?

M. Gilles BRÜCKER : Si la pandémie arrivait, la situation pourrait être très évolutive, et la gestion de la situation dépendra de sa gravité, du scénario qui se concrétisera. Le travail de l'InVS consistera à surveiller l'évolution pandémique - comme pour la grippe saisonnière -, à suivre la distribution géographique des cas et sa progression, à analyser la répartition par tranches d'âge et à surveiller différents indicateurs de gravité. Ces données seront extraordinairement importantes pour orienter les décisions politiques concernant la surveillance et le contrôle, ainsi que pour mettre en œuvre des mesures-barrières. Le bon usage des antiviraux et la mise sur pied d'une politique vaccinale nécessiteront une véritable stratégie de pilotage. Et nous assurerons, bien évidemment, un suivi ; nous avons d'ailleurs prévu de renforcer nos moyens. Je rappellerai que pendant les trois mois de l'épidémie de SRAS, il a fallu mobiliser vingt personnes à temps plein au sein du département des maladies infectieuses.

M. le Président : Avez-vous les moyens matériels et humains pour une telle montée en puissance ? Avez-vous reçu, depuis quatre ans, des moyens nouveaux ?

M. Gilles BRÜCKER : Notre difficulté est réelle, face à la grippe aviaire et au chikungunya, mais aussi à la méningite, dans la région de Dieppe, et ailleurs. Avec la place que prend désormais la veille sanitaire dans la politique de santé publique, nous devons tout savoir sur tout, tout le temps, en temps réel.

M. le Président : Avez-vous reçu des renforts budgétaires depuis six mois ?

M. Gilles BRÜCKER : Non. Le dimensionnement de notre dispositif régional n'est pas à la mesure des besoins, puisqu'il existe seulement 16 CIRE, dont certaines sont en outre trop petites - des besoins ont notamment été exprimés pour les CIRE ultramarines. Plus globalement, 150 postes font défaut à l'InVS pour mener à bien ses missions.

Le développement de l'activité de l'InVS depuis trois ans témoigne d'un réel soutien de la part des pouvoirs publics mais l'ampleur des demandes, le renforcement des systèmes d'alerte, la précision et la réactivité attendues requièrent incontestablement un renforcement de nos moyens.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Les préfets ont demandé aux maires de désigner un correspondant de veille sanitaire avant le 1er avril. Quel pourrait être son rôle ?

M. Gilles BRÜCKER : Je suis très sensible à cette démarche car nous avons besoin de relais de proximité. L'événement de la canicule nous a profondément marqués et l'un de nos soucis est, en effet, de bien identifier les groupes de population vulnérables et exposés. Le réseau des médecins SENTINELLE ne répondra pas à ce besoin de proximité. Cela vaut aussi pour les victimes du chikungunya, maladie assez invalidante qui nécessite une action de proximité au niveau des communes, à condition de disposer d'un dispositif approprié.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Faut-il aller plus loin, comme à Hongkong, où des citoyens sont chargés de la surveillance de leur quartier ?

M. Gilles BRÜCKER : Je ne sais pas si un tel îlotage serait approprié. Des réponses doivent être apportées mais il est primordial qu'elles garantissent le respect dû aux personnes. Faisons attention au bénévolat non contrôlé, non accompagné, non encadré : la qualité n'est pas toujours au rendez-vous.

M. le Président : Monsieur le Directeur général, je vous remercie.

Audition de M. Xavier BERTRAND, Ministre de la santé et des solidarités

(Compte rendu de la réunion du mercredi 29 mars 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président :  Monsieur le ministre, nous vous remercions d'être venu devant notre mission pour nous faire part de vos réactions au rapport que nous avons publié au mois de janvier dernier et qui portait sur les moyens médicaux disponibles - antiviraux, vaccins, masques, autres dispositifs médicaux - en cas de pandémie. Le rapporteur, M. Jean-Pierre DOOR, reviendra sur les interrogations qu'il posait dans ce rapport et sur les recommandations que la mission a formulées. Mais auparavant, je voulais vous inviter à nous faire part de votre jugement sur l'évolution globale de la situation, alors que l'épizootie continue de s'étendre dans le monde.

M. Xavier BERTRAND, ministre de la santé et des solidarités : L'évolution de la situation montre avant tout que la France a certainement été inspirée en décidant d'améliorer son état de préparation... Le premier plan, présenté en octobre 2004, prévoyait la constitution de stocks de masques et d'antiviraux, et la réservation de vaccins ; depuis le mois de juin 2005, nous avons entrepris non seulement d'améliorer notre préparation, mais surtout de faire en sorte que notre plan ne reste pas de papier, ou sur le papier. La France est certainement l'un des rares pays à être entré aussi loin dans le détail et dans les aspects fonctionnels.

La situation dans le monde, compte tenu de ses nouveaux développements, doit évidemment être prise avec le plus grand sérieux ; et quand bien même l'actualité laisse moins de place à la grippe aviaire, jamais je n'ai ralenti le rythme des réunions et des rencontres sur le sujet. Au-delà même de la situation africaine, les derniers événements en Égypte et en Azerbaïdjan montrent que la contamination de l'oiseau à l'homme continue : nous avons passé le cap des cent décès. J'ai officiellement demandé à l'OMS qu'une étude scientifique et médicale soit réalisée sur un certain nombre de cas, ce qui n'a encore jamais été fait, hormis par le laboratoire Roche Nous avons besoin tout à la fois de comprendre ce qui s'est passé et de savoir comment les patients ont été traités.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Le rapport fait état des interrogations que les membres de la mission se sont posées à l'issue d'auditions de fabricants de masques, de médicaments ou de vaccins. Ces questions appellent des réponses.

D'abord, à propos du Tamiflu®, il nous a été dit que l'approvisionnement de certaines matières premières, en particulier l'anis étoilé extrait de la badiane produite en Chine, pourrait poser des problèmes. Certes, il est désormais possible de produire le Tamiflu® par voie chimique, mais nous avons besoin d'avoir toutes assurances sur les possibilités de constitution de stocks à l'échelle française, mais également européenne et mondiale, puisque nous ne sommes pas les seuls à vouloir nous prémunir...

Par ailleurs, on nous a fait remarquer, sur un mode humoristique, que sans poules, il n'y aurait plus d'œufs pour fabriquer des vaccins. La question se pose de la sécurité de l'approvisionnement en œufs - il en faut entre un et quatre pour une dose de vaccin - sauf à utiliser une autre filière de fabrication, du côté des biotechnologies.

En outre, des responsables d'établissements hospitaliers se sont inquiétés de l'état du stock d'antibiotiques destinés à traiter les complications grippales, en particulier les pneumopathies et les insuffisances respiratoires secondaires. Sommes-nous assurés de disposer de quantités suffisantes au niveau tant des services hospitaliers que des pharmacies ?

Enfin, les fabricants de masques nous ont fait part de possibles problèmes d'approvisionnement en matières premières, qu'il s'agisse de textiles ou de dérivés du pétrole. Les stocks pourront-ils être aisément constitués ? Tous les besoins seront-ils satisfaits ? Y a-t-il des problèmes de fabrication ? Conformément à votre plan, les commandes ont été passées, mais la production suivra-t-elle ?

M. le Président : Peut-être pourriez-vous, Monsieur le ministre, nous préciser les quantités d'ores et déjà stockées, les livraisons prévues en 2006 ainsi que l'état des commandes pour le Tamiflu®, les masques, les vaccins et autres équipements.

M. le ministre de la santé et des solidarités : J'ai lu avec intérêt votre rapport, dont j'avais d'ailleurs eu l'occasion de prendre connaissance dans la presse avant même qu'il me soit officiellement transmis... J'ai toujours dit - cela fait la troisième fois que je viens devant vous - que cette mission pouvait être un lieu d'échange et de dialogue. Or j'ai eu le sentiment, en lisant ce premier rapport, que certaines de mes remarques n'avaient visiblement pas été intégrées.

Il faut bien souligner qu'à ce jour, aucun début de pandémie n'a encore été annoncé dans le monde. Même si nous sommes très en avance par rapport à bien d'autres pays, nous pouvons et devons améliorer encore notre état de préparation. Nous devons faire preuve d'humilité et nous dire que, tant qu'il sera possible d'améliorer notre plan, nous le ferons. Tous les aspects de la préparation ont-ils été intégrés ? Resterait-il des points que nous aurions oubliés ? Vous connaissez la position exprimée par le Président de la République : aucun obstacle économique et financier ne sera mis à l'amélioration de notre état de préparation. Nous pourrions- mais votre mission est souveraine en la matière - avoir davantage d'échanges entre nous, afin que vous nous fassiez part, avant même la publication de vos rapports, des points sur lesquels vous souhaitez appeler notre attention ou obtenir des réponses plus précises. J'ai le sentiment que nous pourrions progresser dans l'écoute, mais également dans le dialogue et les échanges.

Je voudrais maintenant vous faire part des derniers développements de la situation épidémiologique ; certains événements récents méritent d'être évoqués, même si l'actualité les a peu mis en avant ces derniers temps.

Sur le plan de la santé animale, la France est toujours au niveau 2 B. Les dernières semaines ont été marquées par une progression continue du virus H5N1, tant sur le plan géographique que sur celui des espèces touchées : plusieurs cas de contamination de mammifères ont été recensés. De nouveaux foyers de contamination d'oiseaux domestiques sont apparus en Cisjordanie, en Israël, en Jordanie ; au total, quarante-huit pays - quarante-neuf lorsqu'arrivera la confirmation officielle pour la République tchèque - sont désormais touchés en Asie du Sud-Est, en Asie centrale, en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Sur le continent européen, sept pays sont concernés pour les élevages de volailles, plus quinze autres pour les oiseaux sauvages.

Sur le plan de la santé humaine, le niveau épidémiologique en France reste le même : nous sommes toujours au niveau 3 A du plan gouvernemental - autrement dit, il n'y a pas de transmission interhumaine déclarée. Je prête la plus grande attention à la situation en Azerbaïdjan où viennent d'être observés des cas humains groupés : même si nous sommes toujours en présence d'une contamination de l'oiseau à l'homme, nous tenons à avoir un maximum d'informations scientifiques et cliniques sur ces cas, dont cinq décès. En Égypte, cinq cas humains - dont deux décès - sont, en cours de confirmation par l'OMS : il s'agirait des premiers cas humains sur le continent africain.

Au total, l'OMS recense 186 cas humains dont 105 décès. On note également une accélération du nombre de cas : ces trois derniers mois, quarante-deux cas ont été comptabilisés, soit la moitié de ce qui avait été observé durant toute l'année 2005. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir exactement dans quelles conditions les personnes contaminées ont été prises en charge. D'après des études, encore parcellaires, des laboratoires Roche, il semblerait que des patients mis sous Tamiflu® seulement le quatrième jour aient pu être sauvés. Sur les 105 malades décédés, combien ont été réellement pris en charge avec du Tamiflu® ? Au bout de combien de jours ? Combien n'ont pas fait l'objet d'un traitement approprié ? Voilà pourquoi j'ai demandé à l'OMS, mais également au « Center for disease and prevention » (CDC) de se pencher sur cette question pour obtenir le maximum d'informations.

J'en viens à notre état de préparation. Dès lors que nous n'entendons pas en rester à un plan qui se bornerait à résumer nos moyens de préparation, je sais pertinemment que nous nous exposons à des remarques : comment se fait-il que l'on n'ait pas encore tout fait ou pensé à tout ? Et comme j'entends que tous les acteurs - professionnels de santé, collectivités locales, partenaires sociaux, grandes entreprises, etc. - s'approprient ce plan, il est évident que notre calendrier se doit d'être le plus serré possible, quand bien même nous ne sommes pas en situation de pandémie ni même en présence de cas de transmission interhumaine. Mais je crois préférable de donner à chacun la possibilité de s'approprier le plan, quitte à le remettre en question : sitôt que nous donnerons à 300 000 professionnels de santé des indications sur la conduite à tenir en cas de pandémie, nul doute que certains ne manqueront pas de dire, dans la presse locale ou ailleurs, qu'il faudrait faire autrement. Mais je préfère entendre ces remarques dès maintenant plutôt que le jour où surviendra la pandémie... D'autres pays ont, quant à eux, décidé de se doter de certains niveaux de protection sans communiquer sur le reste : ce faisant, ils s'épargnent cet inconvénient, mais ils s'exposent à bien plus grave si une pandémie venait à éclater. Je suis prêt à essuyer un feu roulant de remarques - pour ne pas dire plus - durant la période qui s'ouvre, et je l'assume ; je préfère répondre à ces questions maintenant plutôt que trop tard.

Parlons maintenant de nos stocks et de leur acheminement - les deux vont désormais de pair. Les masques, je veux le rappeler, constituent la mesure-barrière la plus efficace tant pour limiter la propagation de l'épidémie que pour protéger les professionnels en contact avec les malades. Nous avons commandé 285 millions de masques FFP2 pour les professionnels de santé, libéraux et hospitaliers, ce qui correspond à une moyenne de trois masques par jour pendant quatre-vingt-dix jours pour un million de personnels de santé. À ce jour, le ministère de la santé dispose de 250 millions de masques - FFP2 et chirurgicaux.

Il est une autre piste que je veux explorer : l'idée d'un masque réutilisable, destiné au grand public. Le laboratoire de la direction générale de l'armement rendra d'ici à quelques semaines les résultats de tests pratiqués sur un prototype. S'ils sont positifs, nous pourrions alors constituer un stock national, non pas à la place des masques FFP 2 ou chirurgicaux, mais bel et bien en complément des stocks déjà constitués.

L'État a signé des protocoles avec cinq entreprises - Maco-Pharma, Bacou-Dalloz, Deltalyo, Paul Boyé et Thuasne - pour la fabrication de masques FFP2 en France, entre 2006 et 2008, sur la base de commandes minimales, à prix négocié, pour 550 millions d'unités, en plus des commandes passées à l'extérieur. Nous sommes le seul pays en Europe à disposer de telles capacités.

Je vais tenter de répondre précisément à la question technique de M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. En dehors des matériaux annexes - élastiques, attaches plastiques, languette nasale -, un masque FFP2 est constitué de deux éléments de tissu : un tissu de soutien dit spun, fait d'un matériau non tissé dérivé du pétrole, et un tissu de filtration dit meltblown, non tissé également mais dont la forte charge électrostatique assure une grande capacité filtrante. Dans un masque classique, deux feuilles de spun encadrent une, deux ou trois feuilles de meltblown. Le spun est un matériau facilement disponible : on le trouve chez 3M-France, BBA FiberwebTM, Dinotis SA, qui en fabriquent notamment pour les couches-culottes et les serviettes hygiéniques : ce n'est donc pas un produit rare. Le meltblown, en revanche, nécessite des unités de productions très spécifiques et complexes. Les quantités de non-tissé nécessaires pour fabriquer 650 millions de masques représentent 0,1 % de la production mondiale pour le spun et 2 % pour le meltblown. Nous ne sommes donc vraiment pas dans une situation de pénurie, contrairement à ce qu'un des acteurs vous a affirmé ; les autres auraient pu vous donner tous apaisements sur ce point.

C'est la raison pour laquelle les protocoles signés entre l'État et les entreprises obligent ces dernières à sécuriser leurs approvisionnements : cela figure noir sur blanc dans les contrats. Comment ? En organisant leurs filières d'approvisionnement, notamment de meltblown, par des accords de fourniture avec des entreprises françaises ou européennes - je ne veux pas avoir de problèmes d'approvisionnement avec une société à l'autre bout du monde - et en constituant des stocks de matière première correspondant à huit à douze semaines de production. De surcroît, nous ne nous contentons pas de l'avoir écrit dans le cahier des charges : ces mesures font l'objet de vérifications directes sur les lieux de production. Cela a déjà été fait notamment chez Maco-Pharma, qui a débuté sa production en début d'année, et où Didier Houssin s'est rendu en personne.

S'agissant plus particulièrement du meltblown, je voudrais aller au-delà de cette capacité de production, car je souhaiterais que les autres pays européens aient la même démarche que nous. À moins qu'ils ne tiennent à installer des unités de fabrication sur leur territoire - c'est leur droit -, je leur ai fait clairement savoir que nous pouvions accroître nos capacités de production, une fois nos propres besoins couverts. Le ministère de l'industrie a identifié plusieurs entreprises produisant du meltblown en France, parmi lesquelles 3M-France et BBA FiberwebTM. Il est impératif pour nous de ne pas manquer de cette matière première, faute de quoi nos commandes resteraient de papier ou sur le papier.

Le 19 janvier dernier, j'ai rencontré les industriels pour préciser les conditions de la pérennisation de cette production de masques. Après la constitution du stock national, il nous faudra prévoir un renouvellement tous les trois ans. Le 22 janvier, j'ai écrit à Markos Kyprianou, le commissaire européen à la santé, pour proposer un partenariat au niveau européen afin que la France puisse fournir - à un tarif préférentiel évidemment, s'agissant d'un enjeu de santé publique - les autres pays de l'Union européenne, ce qui amoindrirait d'autant notre dépendance vis-à-vis des importations d'Asie. Le prochain sommet européen de la santé aura lieu en avril à Vienne : j'ai fait inscrire la question de la grippe aviaire à l'ordre du jour et la France s'emploiera à ce qu'elle revienne dans les débats.

S'agissant des modalités d'approvisionnement, il est entendu que les professionnels doivent pouvoir disposer rapidement et gratuitement de ces équipements - je sais que la question a été évoquée par plusieurs d'entre eux. Il y va de la responsabilité de l'État. Le stock national de masques est actuellement réparti sur tout le territoire dans plus de 750 sites ou établissements de soins, en fonction du nombre de passages aux urgences, en plus de quelques réserves centralisées. Ce stock peut être libéré en quelques heures pour équiper les personnels hospitaliers et les professionnels de santé libéraux. Je demanderai aux préfets de définir les lieux et les modalités de distribution, en concertation avec les élus locaux. Une circulaire que j'ai cosignée avec le ministère de l'intérieur, leur demande de procéder à ce recensement dès maintenant. Dans les mois qui viennent, nous mettrons un certain nombre de masques FFP 2 directement à la disposition des professionnels libéraux - et donc, par le fait, à disposition de tous les établissements de santé et plus seulement aux 750 sites dont je viens de parler.

M. le Président : Vous avez cumulé dans vos chiffres les masques FFP 2 et les masques chirurgicaux. Leur usage n'étant pas le même, mieux vaudrait les distinguer. « Nous mettrons à disposition », avez-vous dit ; mais pour l'instant, les établissements hospitaliers doivent acheter ces masques, ce qu'ils font du reste dans des proportions assez inégales. Est-ce à dire que vous allez mettre en place un mécanisme d'achat centralisé ? J'ai bien compris que vous visiez essentiellement la médecine libérale et ambulatoire, mais comment tout cela s'articulera-t-il avec la problématique hospitalière ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Le stock de 250 millions de masques d'ores et déjà constitué se décompose en 125 millions de masques FFP 2 et 125 millions de masques chirurgicaux. Nous en serons à 220 millions de masques FFP 2 pour le mois de mai. Pour les masques chirurgicaux, le rythme de progression devrait nous permettre de dépasser les 500 millions d'unités prévus pour la fin 2006. Autrement dit, sur les 285 millions de masques FFP 2 commandés par le ministère de la santé, nous en avons à cette heure 125 millions et très bientôt 200 millions, mais nous examinons si nous n'avons pas intérêt à aller au-delà du chiffre de 285 millions. Les masques sont mis à disposition des établissements ; ceux-ci font l'avance et nous les remboursons ensuite, comme indiqué lors de la première audition.

Quand seront-ils disponibles ? Dès que seraient identifiés des foyers de transmission inter-humaine limitée en France, autrement dit en situation 4 B. Les points de distribution dans les zones concernées seront approvisionnés à partir de stocks départementaux et les professionnels de santé, notamment libéraux, en seront rapidement et gratuitement dotés - de même évidemment que les hospitaliers, qui les auront à disposition dans l'établissement même. Ils n'ont pas à aller les chercher dès maintenant.

En cas de pandémie avérée, c'est-à-dire en situation 5 B ou 6, la distribution des masques, notamment chirurgicaux, serait évidemment généralisée sur l'ensemble du territoire.

Reste une situation où ce dispositif devrait répondre davantage à l'attente des professionnels comme à notre souci de les protéger : je veux parler de l'hypothèse où, avant même que des cas humains ne soient détectés dans une zone donnée, des professionnels de santé exerçant en ville pourraient être en contact avec des cas suspects - une personne revenant d'un pays considéré comme touché, par exemple, et qui présenterait des symptômes. Il serait utile, pour faire face à de telles circonstances, de mettre sans attendre des masques à la disposition des professionnels libéraux, et d'en faire de même dans nos 3 000 établissements de santé et non plus seulement dans les 750 déjà sélectionnés. Pourquoi ne pas le faire dès maintenant ? Parce qu'aucun cas de transmission interhumaine n'a été constaté. Du reste, un patient qui serait porteur du virus ne donnerait pas pour autant lieu à contamination ; mais nous avons intérêt à intégrer cette dimension et à mettre un peu plus tôt les masques à la disposition des personnels médicaux. Aussi ai-je décidé, dans une relation de totale confiance avec eux, de doter chaque professionnel de santé libéral d'un kit de protection, et ce avant l'automne - si l'actualité venait à évoluer, nous accélérions bien évidemment le mouvement. Ce kit comprendra, entre autres, un nombre minimum de masques FFP 2 afin qu'il y ait dans chaque cabinet une réserve disponible, avant toute mise en œuvre des procédures de distribution prévues en situations 4 B, 5 B et 6. Sa composition définitive - nombre de masques FFP 2, masques chirurgicaux, lunettes et autres - sera arrêtée en concertation avec les représentants des professionnels de santé.

M. le Président : Ce kit présentera un intérêt tout à fait réel, au moins sur le plan psychologique. Il reste que je sens dans votre réponse un certain changement dans la stratégie à mettre en œuvre lors de l'apparition des premiers cas : jusqu'alors très centrée autour des centres 15, elle semble ouvrir la possibilité d'une intervention du praticien libéral. Ces deux stratégies sont-elles appelées à se cumuler ou la seconde va-t-elle chasser la première ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Il s'agit bien d'un cumul, que je suis arrivé à envisager pour en avoir parlé avec les médecins libéraux, mais également à la suite de réunions avec d'autres professionnels. Pourquoi ? Parce que l'on pourrait avoir affaire à un patient directement arrivé au cabinet médical sans savoir ce qu'il a. Autrement dit, il ne sera pas dans la logique du centre 15, laquelle s'inscrit du reste, à ce moment précis, tout à la fois dans l'orientation et dans la régulation. Il peut également arriver qu'un patient, même en pressentant ce qu'il a, n'ait pas le réflexe de contacter le centre 15 et aille directement au cabinet médical. J'imagine ce que cela peut représenter, sur le plan psychologique, pour le personnel dudit cabinet comme pour le praticien... Mieux vaut éviter tout moment d'incertitude sur la conduite à tenir en prévoyant cette deuxième procédure, qui ne remplace pas pour autant la première.

S'agissant du Tamiflu®, un stock national a été constitué et des traitements ont été prépositionnés dans treize hôpitaux répartis sur tout le territoire - 130 000 à la pharmacie centrale de l'AP-HP et 70 000 dans les douze établissements de référence. Précisons, pour répondre à certaines interrogations, que les dispositions nécessaires ont été prises pour les zones du territoire qui sont éloignées géographiquement de ces centres, à savoir la Corse et les DOM-TOM - Guyane, Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Nouvelle-Calédonie et même en Polynésie, bien que les règles sur les compétences dans le domaine de la santé y soient différentes -, ou sont en train de l'être, pour Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon. Les médicaments seront donc prépositionnés sur place au lieu d'être, comme nous l'avions initialement prévu, acheminés au moment où la situation internationale l'exigerait. Pour le cas où des foyers de transmission humaine seraient détectés, mais limités à l'étranger, autrement dit en situation 4 A, nos postes diplomatiques en Asie, en Afrique, en Europe de l'Est et au Moyen-Orient disposent d'ores et déjà de stocks ; par anticipation du passage en situation 4 B, nous prépositionnerions immédiatement un stock de traitements antiviraux chez les grossistes répartiteurs, qui livreraient par la suite les pharmacies d'officine des zones touchées en situation 4B ; ce modèle serait évidemment généralisé à toutes les officines si nous devions passer en situation 5B.

Nous disposons d'ores et déjà de 13,8 millions de traitements de Tamiflu® et 200 000 de Relenza®. Nous avons passé commande de 10 millions de traitements de Tamiflu® supplémentaires.

M. le Président : Pour fin 2006 ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Je vous avais toujours dit que ce serait pour la fin du premier semestre 2007. Mais je peux vous annoncer aujourd'hui, pour l'avoir obtenu de M. Hummer, le président de Roche, que ces 10 millions de traitements seront disponibles dès janvier 2007. Les traitements de Relenza® supplémentaires sont toujours livrables pour la deuxième partie de l'année ; mais, dans notre stratégie, le Relenza® est destiné à être utilisé en plus, à côté, et selon des prescriptions d'utilisation différentes.

Vous avez posé la question de l'acheminement : la badiane, c'est exotique, mais est-on sûr d'en disposer assez ? Nous avions demandé à nos services de renseignements de vérifier si nous étions assurés de sa disponibilité ; mais nous avons décidé en parallèle de recourir à la voie de l'acide shikimique. Un accord industriel a été signé, qui nous intéresse évidemment, mais nous n'y sommes pas partie, entre le laboratoire Roche et la société Sanofi-Aventis qui assurera la production de cet acide. Non seulement nous aurons ce qu'il faut, mais ce sera produit sur le territoire national. À l'autre bout de la chaîne, le conditionnement d'une bonne partie du Tamiflu® sera effectué également en France, dans une usine de Roche qui sera réutilisée à cet effet. Bâle n'est évidemment pas loin, mais ce n'est pas une mauvaise chose qu'une partie de la chaîne de fabrication soit située chez nous. Les capacités de production d'acide shikimique par Sanofi sont très élevées.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Mais les représentants de Roche vous ont-ils fait part de leurs doutes sur les capacités de production de l'anis étoilé, comme ils l'avaient fait devant nous lors de leur audition ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Quand ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : En novembre dernier.

M. le ministre de la santé et des solidarités : Le but, lorsque nous passons commande, n'est pas d'être livré à la Saint-Glinglin. Je vous signale au passage que les capacités de production de Roche ne sont pas couvertes par les réservations : il y a quinze jours, 80 millions de traitements étaient disponibles pour des commandes...J'ai immédiatement rapporté cette information au commissaire européen à la santé. Autrement dit, contrairement à ce que laissent entendre certains milieux, Roche se déclare totalement capable de produire et de satisfaire toutes les commandes.

M. le Président : Vous avez parfaitement raison de le souligner, encore que notre mission parlementaire a pu constater qu'il n'y avait pas, en Afrique, un gramme de Tamiflu® disponible ; une bonne partie du monde en est largement dépourvue.

M. le ministre de la santé et des solidarités : Le problème n'est pas tant celui des capacités de production, que de la volonté de commande et de réservation, notablement insuffisante. Du fait du manque de transparence entre les pays européens, il est impossible de savoir exactement qui a quoi. Ajoutons que, depuis la conférence de Pékin - nous aurons l'occasion d'y revenir à Vienne -, nous ne manquons pas de moyens financiers. Encore faut-il que cet argent soit dépensé. Si des pays n'ont pas de Tamiflu®, ce n'est pas faute de capacités de production : Roche est parfaitement à même de les approvisionner.

M. le Président : Vous avez raison d'insister sur ces distorsions incroyables... À croire les dépêches, le Viêt-Nam serait capable de produire du Tamiflu®, par le biais d'un accord de sous-traitance avec Roche ! Comment pouvons-nous nous en assurer compte tenu de l'opacité qui entoure la production, la distribution et la commercialisation du Tamiflu® au plan international ? Nous ne savons pas qui peut produire ni qui a acheté - vous non plus, apparemment -, sans même parler des prix et des conditions commerciales ! On ne peut également que s'étonner de la situation américaine.

M. Alain ClAEYS : Les informations du ministre sont intéressantes : elles signifient que des capacités de production restent sous-utilisées. D'où viennent les blocages ? Quelles difficultés rencontre-t-on au niveau de l'Union européenne ? Pourquoi l'argent destiné à l'Afrique n'est-il pas débloqué ? Qu'a pu faire la France au niveau de l'OMS ? Peut-on dire enfin qu'il y a un problème de prix ?

M. le Président : Pour l'Afrique, c'est clair !

M. le ministre de la santé et des solidarités : Par qui ont été levés les fonds à Pékin ?

M. le Président : Après la protestation élevée par la mission d'information contre la situation faite à l'Afrique qui n'a pas encore touché un centime de l'argent débloqué lors de la conférence de Pékin - encore n'était-il pas question de Tamiflu®, mais d'écouvillons et d'un peu de pétrole à mettre dans la mobylette pour aller prélever les oiseaux, le représentant de l'Union européenne, sur un ton très sûr, a répondu que les fonds ne seront pas débloqués avant juin. Et je ne vous parle que de petites sommes à consacrer à la surveillance animale et non des problématiques de santé humaine et de pandémie !

M. le ministre de la santé et des solidarités : Cela ne va pas assez vite, je ne cesse de le dire, y compris sur la transparence entre États membres : le commissaire européen lui-même n'arrive pas à savoir qui a quoi... Ce n'est pas faute de le demander : je le réclame à chaque conseil de la santé ! La vraie question, c'est : pourquoi ? La réponse, vous la connaissez : tout le monde n'a pas forcément le niveau de couverture souhaité par l'OMS - 25 % de la population nationale. Les pays concernés n'ont pas de problèmes financiers pour acheter du Tamiflu® ; pourtant, bon nombre n'ont pas encore atteint le taux de 25 % et n'ont parfois même pas encore passé commande. Certes, le fait que nous soyons le seul pays à avoir une capacité de transformer en gélules la poudre de Tamiflu en vrac nous a facilité les choses.

M. le Président : Notre armée, qui maîtrise cette technologie de transformation, s'est déclarée prête à la transférer aux pays qui le demanderaient.

M. le ministre de la santé et des solidarités : À condition que Roche nous y autorise, comme prévu dans l'accord. La Belgique et le Luxembourg seraient intéressés, mais j'entends respecter le contrat que j'ai signé.

Il faut également se souvenir que, si la santé animale est de la compétence propre de l'Union, la santé humaine reste de la compétence de chaque État. L'Europe ne peut avoir en la matière qu'un rôle de coordination et de sensibilisation ; ce n'est pas du tout la même chose. Sur la constitution d'un stock européen, que je n'ai cessé de prôner, les choses avancent ; j'en ai parlé avec mon homologue allemande Ulla Schmidt à plusieurs reprises. Il est bien entendu que ce stock européen viendrait en plus, et non en remplacement, des stocks nationaux que chaque État reste tenu de constituer. Au-delà de la dimension de solidarité, la rapidité du déblocage des stocks n'est pas à la hauteur de la situation. Si un cas de transmission interhumaine était détecté en Afrique, il faudrait immédiatement appliquer une stratégie en anneau. Évidemment, Roche mettrait le produit à disposition de l'OMS qui se transporterait dans la zone ; mais ce serait mieux si nous avions déjà sur place des stocks sécurisés sous la responsabilité de l'OMS : je partage à cet égard votre point de vue.

M. le Président : Si cela éclate à Lagos, ce ne sont pas les quelques stocks de gélules de l'OMS qui suffiront...

M. le ministre de la santé et des solidarités : Je parlais des 3 millions de traitements. Pendant longtemps, l'OMS était persuadée que les premiers cas de transmission interhumaine se produiraient en Asie du Sud-Est, compte tenu de l'ancienneté de la présence du H5N1. Or, je le dis depuis des mois et nous nous rejoignons sur ce point, le principal facteur de risque est en Afrique, du fait de l'état de ses structures sanitaires. Je comptais d'ailleurs vous demander de me faire part de ce que vous avez pu y voir et constater.

Du côté de Roche, la situation a également évolué du fait du développement de la biofermentation dont ils ont compris la nécessité - d'où ce partenariat industriel avec Sanofi. Les stocks supplémentaires de Tamiflu® nous seront livrés à partir de septembre 2006 à raison d'une tonne en septembre, deux tonnes en octobre, une tonne et demi en novembre, deux tonnes et demi en décembre et trois tonnes en janvier 2007. Soit dix tonnes au total, dont nous savons, depuis mon déplacement à Bâle qu'elles seront livrées avec plusieurs mois d'avance sur les prévisions.

S'agissant du Viêt-Nam, des accords ont été passés par Roche avec deux sociétés, mais j'aimerais savoir s'ils portent sur la phase complète de fabrication du Tamiflu ou seulement sur le conditionnement. Très peu d'entreprises dans le monde maîtrisent la phase complète ; je n'en connais qu'une. Je doute que les Vietnamiens en soient capables.

M. le Président : Les Indiens savent-ils le faire ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Je ne suis pas en mesure de vous le dire.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Et les Chinois ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Un grand groupe mondial basé en France doit y entreprendre les différentes étapes de la fabrication du produit.

M. le Président : Combien de temps faudrait-il à un industriel pour mettre en œuvre des chaînes de production ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Pour la France en tout cas, le risque est davantage de se voir demander pourquoi elle a tant de Tamiflu®...

M. le Président : Ma question est davantage en rapport avec ce grand groupe français que vous venez d'évoquer...

M. le ministre de la santé et des solidarités : Celui précisément qui vient de signer l'accord sur l'acide shikimique.

M. le Président : Combien de temps lui faut-il pour mettre l'ensemble du produit en production ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : C'est à lui qu'il faut le demander ; je n'ai pas à me poser cette question dans la mesure où la France, entre le Tamiflu® et le Relenza®, a déjà les 25 % requis par l'OMS et sera bientôt très largement au-dessus.

M. le Président : Encore que les dernières publications de Roche disent qu'il faudrait vraisemblablement augmenter les doses pour obtenir les effets thérapeutiques souhaités...

M. le ministre de la santé et des solidarités : C'est bien la raison pour laquelle j'entends aller au-delà de ces 25 %, d'autant que personne ne peut dire ce que serait la virulence du H5N1 muté : peut-être faudra-t-il prendre plus de dix comprimés. D'où l'intérêt que je porte aux études scientifiques sur les décès liés à la grippe aviaire. De surcroît, si quelqu'un tousse, devra-t-on vérifier s'il est porteur de la grippe aviaire ou de la grippe saisonnière ? On ne fera pas d'enquête de police pour vérifier si le patient a été en contact avec des personnes contaminées : ce sera immédiatement Tamiflu® ou Relenza®...

M. Pierre HELLIER : À ce propos, est-il prévu d'adjoindre au kit de protection remis aux médecins un nécessaire de prélèvement, pour accélérer le diagnostic ?

M. Jean-Michel BOUCHERON : On nous a parlé des masques destinés aux professionnels. Qu'est-il prévu pour la population, particulièrement pour les enfants ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Initialement, les masques FFP 2 ont été prévus pour tous les acteurs en contact avec les malades. Le masque chirurgical a, quant à lui, une vocation « altruiste », puisqu'il est destiné à être porté par le malade afin de protéger ses proches. Il nous faut réfléchir à la constitution d'un stock de masques pour tout un chacun, dans la limite de nos dotations budgétaires, ne serait-ce que dans un but psychologique. Cela dit, il ne faut pas que ce soit purement psychologique : il faut quelque chose d'efficace. C'est pourquoi je fais tester le plus rapidement possible ce masque en tissu réutilisable, pour savoir s'il protège de quelque chose. Peut-être est-ce une autre doctrine ; je l'assume. Nous devons d'ores et déjà intégrer cette dimension. Peu de pays le font ; l'Angleterre nous observe attentivement. Plusieurs pays considèrent que ces mesures barrières, qui ont montré leur efficacité contre le SRAS en Asie du Sud-Est, pourraient donner les mêmes résultats en cas de pandémie.

Pour ce qui est des enfants, Mme Chang, actuellement à l'OMS et à Hong-Kong à l'époque du SRAS, m'avait expliqué que nous devions prévoir plusieurs formats de masques et surtout des lanières adaptables. En tout état de cause, si un enfant était incapable, en raison de son âge ou de la gêne occasionnée, de supporter un masque, c'est tout le reste de la famille qui devrait en porter. C'est pourquoi je souhaite aller au-delà des 500 millions de masques chirurgicaux à la fin de l'année.

M. le Président : Le masque chez un enfant vise avant tout à éviter les excrétions, non à le protéger. Encore que si la mère ou le père sont malades...

M. le ministre de la santé et des solidarités : Appartenant au monde médical, vous savez que le masque a une vocation avant tout altruiste. Mais ainsi que le suggère M. Boucheron, nous devrions intégrer le besoin de tout un chacun d'avoir un masque pour se rassurer - si tant est que celui-ci soit réellement efficace, ce dont je tiens à m'assurer.

Tous les médecins membres du réseau GROG ont un kit de prélèvement, mais tous nos compatriotes ne choisiront pas pour autant leur médecin traitant parmi les membres de ce réseau... Trois Français sur quatre ont déjà fait leur choix et je ne voudrais pas les obliger à le refaire ! Nous n'avons pas envisagé de donner un kit de prélèvement à chaque praticien ; du reste, personne ne nous l'a demandé. Face à une suspicion, la bonne réponse consiste à orienter vers les services des urgences.

M. le Président :  Nombreux sont ceux, notamment parmi les personnels hospitaliers, qui font une confusion avec la problématique du SRAS, oubliant que nous serons confrontés à une épidémie de masse. Mettre toute notre énergie et notre savoir-faire dans la gestion par le centre 15 du tout premier cas qui arrivera à Roissy, c'est peut-être très intéressant sur le plan scientifique, mais nous risquons plutôt d'avoir à faire face à des pénétrations multiples du virus qui échapperont à tout contrôle par les centres 15.

Vous n'avez pas répondu sur la disponibilité des œufs. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que la technique de la culture sur œufs, par comparaison avec les cultures sur cellules, est totalement archaïque mais reste, à ce jour, la seule, simplement parce que personne, au niveau mondial, n'a voulu investir dans les vaccins depuis quinze ans. Ce qui m'amène à vous interroger sur les actions susceptibles d'accélérer les recherches sur les vaccins et les différentes stratégies de fabrication, mais également sur les antiviraux, sachant que le fait de n'en avoir que deux n'est pas sans poser un problème scientifique... Est-il possible pour la France, pour l'Europe, pour les pays développés, de favoriser des investissements et des politiques de recherche dans ces domaines ? Peut-être pourrez-vous nous dire également un mot sur l'InVS dont le directeur nous a confié récemment qu'il avait besoin de cent cinquante postes...

M. le ministre de la santé et des solidarités : J'ai lu cela avec intérêt, même si je n'en avais pas entendu parler lors de la préparation des budgets...

M. le Président : Le rapport budgétaire n'avait pas chiffré à ce niveau les besoins de l'InVS.

M. le ministre de la santé et des solidarités : Parce qu'il n'avait pas eu vent de telles demandes...

M. le Président : Sans doute.

M. Gérard BAPT : Une polémique s'est développée sur la question des souches virales, que certains chercheurs travaillant en réseau garderaient pour eux.

M. le Président : À Paris même, l'accès aux souches virales fait l'objet de batailles très difficiles... C'est tout le problème des investissements, de la compétition et de l'organisation dans le domaine de la recherche. Les Allemands ont consacré 60 millions d'euros à ce sujet...

M. le ministre de la santé et des solidarités : Dont une grosse part, pour ne pas dire la quasi-totalité, sur la partie animale...

M. le Président : Nous n'avons pas parlé des moyens de diagnostic et de détection rapide de la grippe aviaire, à l'évidence stratégiques.

M. le ministre de la santé et des solidarités : Un laboratoire vient de mettre au point un nouveau test : je suis curieux de savoir le crédit que l'on peut lui porter et quelles sont les perspectives de développement.

Sur la question de la recherche, je ne suis pas le seul pilote à bord ; je ne sais pas si vous avez prévu d'auditionner François Goulard, le ministre de la recherche, sur cette question. Un appel d'offres européen a été lancé le 22 mars, ainsi qu'un autre au niveau national. Avant même leur lancement, j'ai pris la responsabilité de doter tout le réseau Pasteur en Asie du Sud-Est de crédits supplémentaires - 2,6 millions d'euros - pour installer un laboratoire P3 à Phnom Penh et renforcer leurs moyens en matériel et en personnel. Tout est d'ores et déjà mis en œuvre. Mais ce qui m'intéresse là-bas, c'est non seulement le travail conduit sur les souches virales - à Phnom Penh, on travaille sur les souches prélevées sur des porteurs de grippe aviaire décédés -, mais également les recherches conduites sur les nouvelles thérapies et notamment les nouveaux antiviraux. C'est précisément l'objectif poursuivi par l'institut Pasteur de Hong-Kong qui collabore avec la Hong-Kong University, où 120 chercheurs travaillent sur ce sujet.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Je les ai rencontrés là-bas, et je confirme.

M. le ministre de la santé et des solidarités : Le Professeur Ralf Altmeyer était à Paris il y a quelques jours et m'a confirmé que tout était en place. Une chose est certaine : la nécessité d'un partenariat public-privé. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir à l'occasion de l'appel d'offres complémentaire que nous passons pour obtenir non pas 40 millions de traitements vaccinaux, mais 60 à 63 millions, afin de disposer notamment d'une alternative vaccinale pour les enfants en très bas âge. L'industrie pharmaceutique s'est lancée dans un réel effort de recherche - pour des raisons évidentes.

Pour fabriquer des vaccins, encore faut-il avoir des œufs... Aussi avons-nous introduit dans les cahiers des charges des mesures propres à sécuriser les approvisionnements en œufs dès le stade des couvoirs et des élevages de poulettes pondeuses, en attendant de passer aux cultures cellulaires. La pire des choses serait de ne pas avoir de volailles, ni d'œufs, ni de vaccins.

Les perspectives en matière de culture cellulaire sont intéressantes : certains avancent la date de 2009, d'autres plutôt 2010 ou 2011. À plus court terme, la voie des adjuvants apparaît très prometteuse : les laboratoires Glaxo-Smith-Kline (GSK) notamment ont mis au point des adjuvants de bonne qualité. À noter qu'un partenariat s'est noué entre les entreprises privées du secteur sur cette question, qui ont parfaitement intégré l'enjeu de santé publique, ce dont il faut se réjouir.

M. le Président : Que pensez-vous du vaccin prototype en voie de mise au point ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Nous poursuivons les investigations. Je me suis laissé dire qu'un pays européen s'était engagé dans cette voie sans être encore parvenu, me semble-t-il, à une concrétisation. Des études ont déjà été menées sur le furet ; cela pose, pour commencer, la question d'une double vaccination, dont la dimension psychologique n'est pas toujours facile à intégrer. Nous avons demandé à ceux qui mènent ces études, sitôt qu'ils auront de nouvelles informations, de nous les communiquer.

Pour l'instant, nous confirmerons nos appels d'offres concernant le vaccin pandémique ; plusieurs laboratoires ont d'ores et déjà répondu. Je ne veux pas prendre de risques : nous devons être assurés de la disponibilité du vaccin. Pourquoi voulons-nous aller au-delà des 40 millions de traitements vaccinaux ? Pour augmenter les capacités de production, c'est-à-dire être capable d'avoir davantage de vaccins tous les mois. La quantité d'antiviraux dont nous disposons permettrait déjà de traiter les malades, ce qui rend chez nous d'autant moins cruciale la question de la production des vaccins. Cela ne signifie pas que nous ne nous y intéressions pas : sinon, je ne chercherai pas à commander 63 millions de doses. Ajoutons que Sanofi les produit sur le territoire national, et que les conditions de la reprise de Chiron par Novartis sont pour nous une garantie supplémentaire : je m'en suis entretenu avec M. Vasella, le PDG de Novartis, que j'ai rencontré à Bâle.

Venons-en à l'hôpital. À croire la Fédération hospitalière de France et son président, M. Claude Evin, depuis le 17 janvier 2006, les hôpitaux publics sont prêts. J'ai pour ma part le sentiment que nous devons améliorer leur état de préparation... Et pour ce faire, nous devons nous projeter dans ce que pourrait être le scénario pandémique. Mais j'insiste sur le fait que cela reste de la spéculation. Rappelons également qu'en parlant de l'adaptation du système hospitalier, nous visons les 5 à 10 % de malades qui, selon les estimations de l'InVS, présenteraient des formes graves appelant une prise en charge dans les établissements de santé. Les autres grippés seraient traités à domicile - encore faudra-t-il être certain qu'ils y restent, sans avoir le sentiment d'être ignorés ou isolés-, autrement dit qu'ils seront totalement pris en charge : cela nous a amené à explorer une série d'orientations nouvelles que je vous présenterai et sur lesquelles j'attends votre retour.

Ce à quoi s'ajoute, pour l'hôpital, la nécessité d'appréhender la crise à travers sa dynamique, en prenant en compte l'évolution de l'épidémie et le turn over des malades.

Globalement, il faut distinguer deux phases. Durant la première, qui correspond à la situation d'aujourd'hui jusqu'aux premiers cas de contamination interhumaine, l'hospitalisation est recommandée systématiquement afin d'isoler les suspicions -voire les premiers cas-, de limiter la propagation et surtout de mieux connaître le virus et notamment la réponse du patient aux traitements. Suivra une deuxième phase au cours de laquelle la propagation du virus devient plus importante : les hospitalisations ne concerneraient alors plus que les cas graves, en particulier les complications respiratoires nécessitant une réanimation. Il est important de comprendre qu'il s'agit de deux phénomènes différents et qui ont besoin d'être exposés avec le plus de clarté et de pédagogie possible : jusqu'à un certain stade, on peut et on doit prendre en charge tout le monde à l'hôpital ; mais une fois en phase pandémique, il ne faudra plus admettre à l'hôpital que les cas graves, ce qui implique une gestion particulièrement élaborée au niveau de l'accueil.

Au-delà des problèmes d'isolement et des mesures barrières à mettre en place tout au long de l'épidémie, la question essentielle est celle de la capacité des établissements à absorber un flux croissant de patients infectés. Une série de questions est posée en termes d'organisation mais j'insisterai surtout sur deux aspects particuliers : la réanimation et les urgences.

Nos capacités de réanimation sont actuellement d'un peu plus de 5 700 lits de réanimation adulte, 1 064 lits de réanimation pédiatrique et néonatale et 16 900 lits de soins intensifs, de surveillance et de salles post-interventionnelles pour adultes.

Quels seraient les besoins en cas de pandémie ? Toujours selon les estimations de l'InVS, une pandémie pourrait engendrer, en l'absence de toute intervention et mesures de prévention, entre 9 et 21 millions de malades, entre 500 000 et 1 000 000 hospitalisations et entre 90 000 et 210 000 décès. Avec un traitement curatif par antiviraux de tous les cas - rendu possible par notre stock -, le nombre d'hospitalisations serait considérablement réduit - d'un tiers, estime l'InVS. Autrement dit, il s'agit d'estimations maximalistes, qui ne prennent pas en compte l'impact des antiviraux ni des mesures barrières.

M. Pierre HELLIER : Pourquoi traiter tous les cas à l'hôpital durant la première phase ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Pour des raisons d'ordre psychologique vis-à-vis des professionnels de santé libéraux, pour garantir un maximum de prise en charge et pour étudier intégralement les cas cliniques qui se présenteront.

M. le Président : Nous aurons des difficultés considérables à faire admettre que cette maladie, considérée à tort comme gravement mortelle, hautement létale, ne donne pas lieu à hospitalisation une fois l'épidémie enclenchée, après avoir hospitalisé tout le monde durant la première phase... Attendons-nous à un problème de communication majeur ! Nous sommes déjà contraints de tenir un double discours, en insistant d'un côté sur le risque sanitaire pour hausser le niveau de préparation et en rappelant, d'un autre côté, que le taux de létalité, pour insupportable qu'il soit au plan social, n'a rien de dramatique...

M. le ministre de la santé et des solidarités : C'est encore plus difficile à expliquer...

M. le Président : C'est bien ce que je dis, et il faudra bien arriver à faire passer ces deux messages apparemment contradictoires. C'est précisément dans cette logique que les premiers cas doivent être traités à l'hôpital et les suivants à domicile. Reste que nous aurons le plus grand mal à tenir ce discours et à expliquer cette marche arrière.

M. le ministre de la santé et des solidarités : Que préconisez-vous ?

M. le Président : Ou bien nous parvenons à attraper le tout premier cas débarquant à Roissy et nous restons dans la stratégie SAMU ; ou bien nous nous retrouvons face à des cas disséminés un peu partout sur le territoire, et il vaudrait mieux que les équipes hospitalières dédiées se lancent sur le terrain aux côtés des libéraux...

M. Pierre HELLIER : C'est également ce que je crois.

M. le Président : S'il y a aggravation de l'état du malade, il sera légitime de l'hospitaliser ; mais mieux vaut faire passer le message d'une hospitalisation à domicile plutôt que celui d'une hospitalisation apparemment « massive » - entendons-nous bien : soixante, cent, trois ou quatre cents personnes - qui créera un effet d'appel considérable si jamais la vague arrive. Cela dit, ma position mérite certainement critique...

M. le ministre de la santé et des solidarités : Je n'ai pas forcément envie de la critiquer, car nous sommes sur la même ligne. La question est de savoir à quel moment on fait la bascule...

M. le Président : Tant que nous sommes dans la gestion SAMU, un peu cow-boy, autrement dit un « scénario SRAS » qui ne durera guère que quatre jours, nous pouvons continuer sur l'hôpital. Sitôt sortis du scénario SAMU, il faut très rapidement basculer.

M. le ministre de la santé et des solidarités : Justement, je suis pour une bascule la plus rapide possible. Pour l'instant, dans 90 % des cas de suspicion, les patients sont allés directement aux urgences ; il n'y a guère eu qu'un cas où le malade s'est adressé à un praticien libéral. Cette logique de SAMU et d'urgence ne peut se concevoir que dans les tout premiers temps ; sinon, nous aurons le plus grand mal à expliquer pourquoi on accueillait avant à l'hôpital, et plus après... Nous aurons suffisamment d'efforts à déployer sur le plan de la pédagogie pour ne pas avoir à en rajouter d'autres. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il faudra basculer très tôt.

M. le Président : Vous nous avez parlé d'un millier de lits de réanimation pédiatrique et néonatale ; or l'ARH du Nord - Pas-de-Calais nous a dit qu'elle ne disposait que de seize lits en tout et pour tout... Je savais le Nord - Pas-de-Calais mal doté, mais tout de même !

M. le ministre de la santé et des solidarités : La suite devrait vous intéresser...

Les simulations de l'InVS montrent que, selon l'importance des vagues pandémiques, le nombre d'admissions hospitalières hebdomadaires pourrait varier entre 3 400 au tout début de la pandémie et plus de 65 000 au moment du pic - si on réussit à garder à domicile la quasi-totalité des cas, ce qui supposera un gros travail. Ces hospitalisations, toujours selon les modélisations de l'InVS, pourraient se répartir de la manière suivante : 85 % hors réanimation et 15 % en réanimation dont la moitié pourrait nécessiter une ventilation assistée - je me réfère cette fois-ci aux estimations du CDC, de l'Union européenne et de l'InVS, qui ne tiennent pas compte, je le répète, des mesures barrières ni des traitements antiviraux. Cela correspond, au maximum et durant une ou deux semaines, à 10 000 admissions en réanimation dont la moitié sous ventilation assistée. Je compte faire affiner ces estimations afin que nous soyons parfaitement au clair.

Nos capacités de ventilation et de réanimation doivent donc, d'ores et déjà, être multipliées par deux. Aussi proposons-nous d'adapter notre système hospitalier de la manière suivante : pour ce qui concerne les hospitalisations ne nécessitant pas de réanimation, nous sommes en train d'élaborer avec les professionnels du secteur un cahier des charges pour aménager au niveau local des structures intermédiaires - hôtels, voire gymnases et écoles - où pourraient être dispensés soit des soins, soit du suivi médical. Ce cahier des charges sera adressé à chaque préfet afin qu'il organise dans son département la mise en place de ces structures d'ici à l'été 2006. S'il est besoin de l'accélérer au vu de l'actualité internationale, nous le ferons.

Pour ce qui concerne les besoins en réanimation adulte comme pédiatrique, il est possible d'accroître les capacités en déprogrammant certaines activités - mais seulement durant quelques semaines - et en transformant d'autres lits d'hospitalisation, sous réserve de l'acquisition des matériels nécessaires et de la présence de personnels dûment formés. Compte tenu de nos actuelles capacités de réanimation pédiatrique et néonatale et du nombre probablement important d'enfants appelant de tels soins - même si des mesures de protection seront prises en priorité dans les écoles et dans les crèches pour minimiser ce genre de risque -, il sera nécessaire, en cas de pandémie, de prendre en charge les enfants de plus de vingt ou vingt-cinq kilos dans les services de réanimation adulte. D'après certains spécialistes, la chose est possible. Nous n'avons aucune idée de la virulence du virus sur telle ou telle catégorie de la population, mais nous partons du principe, au vu de ce qui s'est passé en Asie du Sud-Est ou en Turquie, que les enfants seraient particulièrement touchés. Même si rien ne dit que ce sera le cas, nous devons intégrer cette dimension.

Il nous faut donc acquérir les équipements nécessaires à l'adaptation de 6 000 lits d'hospitalisation pour une prise en charge de réanimation respiratoire, avec des ventilateurs mixtes adaptés aux adultes comme aux enfants - de plus comme de moins de cinq kilos - le système d'aspiration, le dispositif de monitorage global, le stock de consommables qui va avec - sondes et filtres - ainsi que les produits de santé, pousse-seringues, matériel de perfusion, etc. Enfin, nous nous sommes aperçus qu'en achetant des valves additionnelles, nous pourrions également réutiliser les 2 100 respirateurs Biotox - en espérant ne pas avoir à faire face aux deux menaces en même temps. Il nous faut également renforcer les personnels aptes à la prise en charge de la réanimation, alors même que les matériels de monitorage et de ventilation restent assez méconnus. Les personnels doivent donc être recensés pour être formés : ainsi, la société de médecine d'urgence américaine retient une formation composée d'une journée d'enseignement théorique et d'une journée en immersion. Dès à présent, chaque établissement en France doit, en liaison avec sa DDASS et son ARH, recenser le personnel d'anesthésie et de réanimation en activité dans ses services à ce jour ou ayant exercé durant ces cinq dernières années. Celui-ci pourrait être régulièrement formé afin d'être opérationnel en situation de pandémie.

M. le Président : Irez-vous jusqu'aux externes ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : Nous entrons là dans une autre logique, celle de la mise en place d'un corps de réserve sanitaire, dont il nous faudrait ensuite déterminer la meilleure utilisation : dans les établissements, dans les opérations de tri à l'entrée, et pour renforcer les plates-formes téléphoniques non seulement des centres 15, mais également des services d'assistance médicale à domicile afin d'éviter que les malades restés chez eux ne soient pris de panique et n'aient plus qu'une idée en tête : rejoindre l'hôpital par leurs propres moyens, au risque d'accroître la contamination.

Au-delà du problème de la réanimation, la pandémie imposerait de réorganiser les établissements de santé. Sans entrer dans les aspects de cette réorganisation, détaillés dans des fiches remises aux établissements, j'en rappelle les grands principes. Tous les établissements de santé doivent mettre en place une zone de tri. Où la situer ? L'idée est de réguler l'arrivée spontanée des patients dans l'hôpital - en général aux urgences, mais il faut pouvoir les canaliser aux autres accès. Les patients ne nécessitant pas d'hospitalisation mais dont l'état de santé requiert un suivi médical seraient réorientés vers la médecine libérale ou un service de consultation ad hoc, ce qui suppose la présence de libéraux dans l'enceinte de l'hôpital, suivant la même logique que les maisons médicales de garde. Les malades appelant une hospitalisation seraient dirigés, en fonction de leur état clinique, vers les urgences ou vers les services appropriés.

Pour les établissements dotés d'un service d'urgences, la zone de tri sera située, selon la configuration, en amont ou à la porte du service. Nous veillons à ce que tous les établissements de santé ou médico-sociaux prévoient la mise en place de doubles circuits, avec une zone à forte densité virale, bien identifiée, où toutes les mesures seront prises pour rapidement dispatcher les patients selon leur état, et une zone à faible densité virale où seraient regroupés les patients considérés comme non grippés.

Je souhaite toutefois que nous allions plus loin dans l'investigation. Au-delà des estimations de l'InVS ou du CDC, nous devons intégrer des hypothèses plus alarmistes et imaginer les pires scénarios : on sait que la grippe espagnole a été autrement plus grave que les pandémies de 1957 ou de 1968. Nous y travaillons et je pourrais revenir devant vous pour vous en exposer les détails, qu'il s'agisse des critères de gravité - qui les définit et comment ? -, d'un éventuel recours à d'autres personnels, de la logique des équipes mobiles de coordination et de supervision des patients ou d'autres structures plus légères dans des scénarios d'une exceptionnelle gravité.

M. le Président : Cette partie est très intéressante, mais nous n'y avons pas encore beaucoup travaillé...

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous aurons effectivement à revenir sur ce sujet qui sera traité dans notre troisième rapport, mais je suis très heureux de vous entendre évoquer les structures intermédiaires dont on nous a encore parlé dans le CHU que nous visitions à Paris tout à l'heure, comme alternative à l'hospitalisation. Elles auront très probablement un intérêt et les maires sont d'ores et déjà appelés par les préfets à y réfléchir dans leurs communes. En cas de catastrophe sanitaire, les écoles et lycées seront fermés. Ne serait-il pas judicieux de se servir des internats des établissements scolaires ?

M. le ministre de la santé et des solidarités : C'est précisément l'objet du recensement demandé.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Fort bien. Ces structures intermédiaires me paraissent une bonne réponse à une bonne question.

Je m'interroge aussi sur le rôle des ARH. Quand on n'a affaire qu'à des centres hospitaliers régionaux, les choses ne se passent pas trop mal. Dans la région parisienne en revanche, chaque hôpital semble agir en toute indépendance...

M. le Président : Je suis plutôt d'accord avec l'idée de recourir à des structures intermédiaires, particulièrement en zone urbaine ; reste que cette idée, incontestablement intéressante, mérite d'être bien réfléchie, dans la mesure où elle marque, par rapport à la stratégie jusqu'alors développée dans le « plan Pandémie », un changement notable et dont les conséquences à court et moyen termes seront très lourdes. Nous avons évoqué, tout à l'heure, l'aspect psychologique du problème, avec la difficulté de tenir un discours appelant tout à la fois à la mobilisation et au calme, sachant que la létalité sera sans doute moindre que celle que l'on redoute. Nous discutions ce midi même avec les représentants syndicaux du CHU que nous visitions à Paris : bon nombre de personnels hospitaliers ont dans l'idée qu'ils vont mourir en soignant les malades de la grippe aviaire... D'où la nécessité d'une action pédagogique pour leur faire comprendre que le nombre de morts sera loin d'atteindre les 1 % prévus et qu'il n'est pas question d'aller se faire faucher au champ d'honneur ! Cela dit, il faut agir vite en matière de formation des personnels : si nous voulons que le matériel serve, il faut former ceux qui devront les utiliser.

M. le ministre de la santé et des solidarités : C'est ce que j'ai toujours dit : le problème n'est pas d'avoir le matériel ou les équipements de protection, mais de savoir qui fait quoi. J'ai demandé à ce sujet au délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA) et au directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) de me faire dans les plus brefs délais une synthèse de l'état de mobilisation des personnels hospitaliers dans le cadre de la préparation à la survenue d'une pandémie grippale. La question, à mes yeux essentielle aujourd'hui, est bien celle de la mobilisation, de l'information et de la formation, pour les hospitaliers comme pour les libéraux. Or si, dans bon nombre d'établissements, on a déjà parlé de la grippe aviaire, je crois savoir que, dans d'autres, l'information n'a pas été générale. Aussi ai-je demandé qu'une réunion d'information de l'ensemble du personnel soit organisée dans chaque établissement de santé et qu'un exercice soit très rapidement déclenché au moins dans chaque département. J'ai ainsi demandé au directeur de l'hospitalisation de m'indiquer dans quels délais ce sera possible, mais également dans quelles conditions nous pourrions organiser, selon des modalités à définir dans un cahier des charges standard, un exercice dans chaque établissement, ne serait-ce que pour une demi-journée, voire quelques heures. C'est en conditions réelles que l'on mesure exactement un état de préparation. Je suis parfaitement d'accord avec vous : ce n'est pas le tout de mettre des matériels à disposition, l'enjeu fondamental est humain - formation et information.

Le patron de l'organisation reste le préfet, qui peut évidemment s'adjoindre les services des ARH. En phase pandémique, le Premier ministre peut transférer la conduite opérationnelle au ministre de l'intérieur.

Pour ce qui est de la région Nord - Pas-de-Calais, le nombre de lits de réanimation pédiatrique et néonatale est de soixante-sept, soit seize lits en réanimation pédiatrique et cinquante et un en néonatale.

Venons-en très rapidement aux professionnels libéraux. Un kit de formation et d'information sera adressé à partir de la deuxième quinzaine d'avril à tous les professionnels de santé - soit 380 000 personnes -, en plus des réunions de formation de formateurs qui commenceront début avril. Ce kit comprendra un CD-ROM, un masque chirurgical et un masque FFP 2, qu'ils n'avaient jusqu'alors jamais eu l'occasion de manipuler. Ils disposeront d'informations sur la conduite à tenir en cas de pandémie. J'avais déjà écrit aux médecins pour leur expliquer la conduite à adopter en phase interpandémique ; ils ne devraient pas être surpris de recevoir des informations, qu'ils attendent, sur la phase pandémique. Le CD-ROM contiendra trois rubriques : « savoir et se former », « se préparer et agir ensemble » expliquant le rôle de chacun dans une approche très transversale, « s'informer et informer ses patients », sachant que ceux-ci ne manquent jamais d'interroger en premier leur professionnel de santé. Une partie « évaluation » est prévue. J'ai également demandé aux préfets de faire en sorte qu'une réunion d'information de l'ensemble des professionnels de santé soit rapidement organisée dans chaque département.

Nous trouverons toujours quelqu'un qui dira ne pas encore savoir précisément quoi faire ; mais à partir du moment où ce kit d'information sera envoyé, nous effectuerons un suivi régulier afin d'évaluer en permanence le dispositif.

J'aurais voulu, pour terminer, vous poser une question : quel regard portez-vous sur la situation en Afrique, où vous vous êtes rendus il y a quelques jours ?

M. le Président : Sur l'aspect pandémie, c'est assez léger ; nous n'avons pas voulu ennuyer nos interlocuteurs...

M. le ministre de la santé et des solidarités : Léger ?

M. le Président : Il n'y a rien. Pas un gramme de Tamiflu® nulle part, même pas à l'hôpital principal de Dakar. Aussi, plutôt que de parler de plan pandémie, nous nous sommes surtout penchés sur la problématique « grippe aviaire ». Et dans le rapport entre l'animal et l'homme, le problème se situe d'abord au niveau de l'animal : là encore, il n'y a rien... À ceci près qu'il existe des plans de lutte contre l'épizootie aviaire qui semblent bien faits et, particulièrement au Mali, voire au Sénégal, un niveau d'information, de compétences et de volonté politique assez remarquable. Certes, on trouve des équipes de l'IRD et du CIRAD qui travaillent dans les parcs, dans des conditions pas toujours faciles.Mais, en dehors de quelques informations et mesures de surveillances diffusées à la radio, il n'y a rien. A contrario, on sent une réelle conscience du risque. Mais pas un centime pour acheter des écouvillons à prélèvements... On peut souhaiter un laboratoire P3 pour l'Afrique, mais pour l'instant, le problème est de se procurer l'écouvillon et l'essence à mettre dans la mobylette pour aller de Mopti à l'élevage situé à quinze kilomètres. C'est d'autant plus choquant que la bonne volonté, la réactivité, la structuration de la pensée et de l'action sont réelles.

On peut espérer que les migrations ont eu lieu juste avant que l'Afrique de l'Ouest ne soit totalement touchée ; nous sommes pour l'instant épargnés, mais il y aura des allers et retours durant les années à venir et personne ne doute que l'endémie arrivera tôt ou tard, ne serait-ce que par le commerce local : du Nigeria au Niger, du Niger au Mali, du Mali au Sénégal, personne n'imagine pouvoir fermer des milliers de kilomètres de frontières que les gens ont coutume de traverser régulièrement. Partant de là, ces pays attendent de l'aide pour traiter des problématiques de gestion animale, informer, indemniser les paysans pour les bêtes abattues, etc. Il n'y a aucun moyen technique disponible, même pas pour les prélèvements et l'alerte ! De même pour la protection des hommes dans leurs contacts avec les animaux : pas de Tamiflu®, pas de plan d'intervention...

M. le ministre de la santé et des solidarités : Même en matière de règles d'hygiène ? Ils communiquent là-dessus ?

M. le Président : Absolument. Sur le marché de Mopti, les marchands de volailles ont été séparés des autres et sont identifiés par un tablier spécifique. L'information circule, même si l'on peut parfois douter de sa crédibilité. Mais contrairement à ce que l'on pouvait craindre, la prise de conscience du danger est réelle. Même le policier au bord de la route sait très bien de quoi il s'agit lorsque vous lui parlez de grippe aviaire. Le niveau d'information et de prise de conscience de la situation par les responsables politiques et administratifs au Mali et au Sénégal est très bon ; malheureusement, il n'y a que ça ! Quant aux autres pays, je n'en sais rien. Tous les États d'Afrique de l'Ouest, à l'exception de la Côte-d'Ivoire, ont collaboré avec la Banque africaine du développement pour ouvrir un compte commun ; ils y ont même versé chacun une cotisation symbolique. Maintenant, ils attendent le chèque des pays donateurs ; or pas un centime n'a encore été viré sur ce compte commun. Et les procès d'intention qu'on leur fait sur l'utilisation de cet argent relèvent d'un esprit bureaucratique et technocratique invraisemblable : avec seulement 1 million d'euros au Mali et 1 million d'euros au Sénégal pour commencer, ils pourraient acheter l'essence pour leurs mobylettes... Les procédures du « trust fund » de la Banque mondiale et de l'Union européenne sont totalement scandaleuses !

M. le ministre de la santé et des solidarités : Les autorités locales ont-elles officiellement contacté l'OMS et la Banque mondiale ?

M. le Président : Bien sûr, conférences de presse à l'appui. Toutes les procédures ont été respectées. Les pays concernés hésitent à le dire, de peur d'être mal considérés par les bureaucrates du FMI et de la Banque mondiale, mais on y tient tout un discours sur la privatisation des services vétérinaires, à mes yeux particulièrement dangereux. La Banque mondiale ayant enfin compris que l'on ne pouvait plus appeler à la suppression de la santé, de l'éducation et des services vétérinaires, elle est passée au stade supérieur : la privatisation... Imaginez le concept, appliqué en brousse !

Je vous signale enfin qu'il se posera à coup sûr un problème à Dakar. Dans cette presqu'île vivent trois millions de personnes, au milieu desquels vingt mille Français. La problématique que vous nous exposiez tout à l'heure n'est psychologiquement, politiquement, humainement, pas gérable, d'autant que les hôpitaux sont administrés en partie par les Français. Comment faire un tri entre malades et pas malades et Français et pas Français ? C'est rigoureusement impossible. Il faudra être présent à Dakar, avec tout le matériel approprié.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : On m'a également fait part, par téléphone, de la situation au Cameroun. Le Nord, à la frontière du Nigeria et du Tchad, commence à être touché alors que les ethnies qui y vivent élèvent de la volaille... Tout le pays risque d'être rapidement envahi. Il faudrait aussi parler de la Turquie, où la situation est très instable, d'après ce que nous avons pu constater voilà un mois. Or ce pays se trouve à un carrefour dangereux, y compris peut-être en matière de transmission à l'homme.

M. le ministre de la santé et des solidarités : Le ministère des affaires étrangères va dégager en juin 3 millions d'euros de crédits de coopération pour financer des équipes dans les laboratoires légers, des épidémiologistes pour la veille et la formation des services vétérinaires. De mon côté, j'ai demandé à l'Institut Pasteur de me présenter un projet d'ensemble de mise à niveau de son réseau en Afrique, à l'exemple de ce que nous avons fait en Asie. Peut-être le problème s'est-il déplacé ; en tout cas, les informations que vous venez de m'apporter confirment que le risque africain ne doit surtout pas être sous-estimé, c'est le moins que l'on puisse dire !

M. le Président : Monsieur le ministre, nous vous remercions.

Audition de M. Gilles de ROBIEN, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, MM. Bernard NEMITZ et Dominique ANTOINE

(Compte rendu de la réunion du mercredi 12 avril 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Monsieur le ministre, notre mission procède actuellement à une évaluation du plan gouvernemental de lutte contre la pandémie grippale. Se posent des problèmes d'organisation du système de santé et, plus généralement, de la société. En cas de pandémie, il est prévu de fermer les écoles, lieux propices à la propagation des virus, quels qu'ils soient.

Nous aimerions connaître les mesures que vous avez d'ores et déjà prises, mais aussi difficultés que vous rencontrez, le cas échéant.

M. Gilles de ROBIEN : Dans le cadre du plan gouvernemental, chaque ministre doit élaborer un document présentant toutes les mesures indispensables d'anticipation et d'organisation de ses propres services en cas de crise.

Le plan de continuité de mon ministère porte sur l'administration centrale, sur les services déconcentrés et les établissements placés sous tutelle : plus de 8,5 millions d'élèves et d'étudiants, 1,2 million de personnels, soit plus de 20 % de la population globale de notre pays.

Ce plan prévoit la préservation du patrimoine et des personnes qui doivent assurer les fonctions techniques et administratives vitales pour le ministère. Il intègre les grands principes retenus au niveau gouvernemental : la limitation des déplacements, l'interdiction des regroupements et, d'une manière plus générale, l'interruption d'activités non essentielles au maintien des fonctions vitales de la Nation. Il est essentiellement tourné vers la phase de pandémie, mais prévoit un certain nombre de mesures à prendre dans les phases préalables.

En amont d'une éventuelle crise, une première action concerne l'éducation à la santé : une information, appuyée sur des documents de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé, sera prochainement diffusée à tous les enseignants du primaire et du secondaire ainsi qu'à tous les personnels de santé. Elle portera sur le mode de transmission du virus et sur les mesures d'hygiène standard à mettre en œuvre en cas de déclaration de maladies contagieuses comme le lavage des mains, l'aération des pièces, l'isolement des malades, etc. Les heures de vie de classe et d'éducation à la santé seront mises à profit pour sensibiliser les élèves à ces mesures, qui peuvent trouver dès maintenant une application utile au quotidien.

S'agissant de l'information des milieux éducatifs, une circulaire à destination de la communauté scolaire, datée du 22 février, signée par le directeur de cabinet des ministres chargés de l'éducation nationale et de la santé, précise la conduite à tenir en cas de découverte d'un oiseau mort. Elle interdit la manipulation, par les enseignants, d'oiseaux et de produits dérivés et recommande d'éviter toute activité externe aux établissements scolaires de nature à mettre les élèves en contact direct avec des oiseaux sauvages. Une fiche interministérielle relative aux activités humaines, en cours de finalisation, reprend ce dernier point et précise que toute sortie Nature est interdite dans les zones contaminées, pour éviter la diffusion du virus par l'intermédiaire des vêtements, des chaussures, des cheveux, les sorties Nature restant possibles sur tout le reste du territoire sous réserve qu'elles n'exposent pas les participants à un contact physique direct avec des oiseaux sauvages.

Pour ce qui est de l'information des professionnels de santé, les 1 385 médecins et 7 008 infirmières en fonction à l'éducation nationale vont recevoir une information technique sur l'évolution du virus H5N1 et la pandémie grippale en relation avec le virus. Cette information leur sera donnée dans le cadre d'une formation commune à l'ensemble des personnels de santé libéraux, hospitaliers et salariés, organisée par les directions régionales des affaires sanitaires et sociales à partir d'avril 2006. Une culture médicale commune sur ce sujet est apparue nécessaire, d'autant qu'il pourrait être fait appel à ces personnels de santé de l'éducation nationale pour renforcer la médecine de ville et les plates-formes de régulation des cellules Centre 15.

Passons au recensement des personnels nécessaires au fonctionnement du service en mode réduit. Ceux-ci sont répartis en trois catégories : les personnels indispensables, qui devront rester présents sur le site ; les personnels mobilisables, qui devront rester disponibles en permanence à leur domicile pour apporter, le cas échéant, un renfort ponctuel ou assurer le remplacement de personnes indispensables ; les personnels qui resteront en réserve, à leur domicile. Chaque établissement a été prié d'établir le recensement des personnels entrant dans chacune de ces trois catégories, ainsi que des locaux dont l'utilisation pourrait s'avérer indispensable pendant la phase de pandémie.

Quelles seront les mesures à prendre en phase de pandémie ?

D'abord, la fermeture des établissements. Les décisions de fermeture des établissements d'enseignement et de formation et de restriction des transports collectifs seront prises par le ministre de la santé ou par les préfets. La fermeture des établissements concernera alors tous les lieux de formation et installations sportives annexées, de la maternelle à l'enseignement supérieur, sans distinction des niveaux d'enseignement.

Un problème d'occupation des enfants va évidemment se poser si, au regard de la dangerosité de la maladie, ils sont amenés à rester confinés dans un appartement, même si la continuité pédagogique viendra, pour les plus grands, atténuer l'impression d'enfermement. Dans ces conditions, pour la garde des jeunes enfants, il sera nécessaire de faire appel à la solidarité familiale - frères et sœur plus âgés, grands-parents, etc. - et à la solidarité de voisinage.

En phase pandémique, tout établissement d'enseignement est susceptible d'être réquisitionné par le préfet pour un autre usage : centre de regroupement pour la vaccination en masse, centre d'hébergement de personnes isolées, lieu de distribution des équipements de soin ou de protection, etc.

S'agissant de la continuité du fonctionnement des services, la fermeture des établissements d'enseignement primaire, secondaire et supérieur ne signifie pas l'abandon des bâtiments et l'absence totale des personnels. La permanence sera assurée par un nombre restreint de personnels, dont le volume résultera d'un compromis entre la nécessaire continuité du service public et le principe de précaution. Le télétravail pourra se substituer au travail sur site.

Les fonctions assurées pendant la crise seront les suivantes : direction et communication ; maintenance, logistique pour garantir la sécurité des biens et des personnes : gardiennage, chauffage, etc. ; maintenance des réseaux de communication informatique et de téléphonie ; fonction financière, parce qu'il faut rémunérer le personnel et payer les factures.

L'organisation de permanences concernera au premier chef les personnels logés sur place, ensuite ceux habitant à proximité de leur lieu de travail dès lors que leur fonction est identifiée comme devant être maintenue. Le volontariat sera privilégié.

Les présidents d'université, les directeurs d'organismes de recherche, pourront décider de la poursuite d'activités de certains laboratoires de recherche. Les laboratoires qui ne pourront pas interrompre leurs activités, parce qu'elles sont liées à la pandémie, ou parce que ce serait dangereux devront mettre en œuvre des mesures supplémentaires de protection. Un dispositif de protection respiratoire individuel et jetable sera attribué au personnel indispensable à la continuité du service. Je peux vous indiquer d'ores et déjà que l'éducation nationale a commandé 17 millions de masques de type FFP2, qui seront livrés entre mai et juillet 2006 dans tous les rectorats.

Le site web du ministère de l'éducation nationale donnera des informations utiles sur la conduite des actions ministérielles et proposera des liens avec des sites spécialisés. Un forum de questions sera ouvert pour répondre aux interrogations des divers usagers du système scolaire.

Venons-en à la continuité pédagogique. Dans l'enseignement primaire et secondaire, en cas de fermeture des écoles et des lycées, un lien pédagogique sera maintenu entre les enseignants et les élèves. Il sera destiné à maintenir chez les élèves les connaissances déjà acquises, le goût des études, une certaine envie de savoir et d'apprendre. Il évitera également l'ennui pendant les longues journées passées à la maison. Il sera organisé au niveau national et au niveau local.

Au niveau national, il est prévu de diffuser par voie hertzienne des émissions de radio et de télévision de nature pédagogique. Ce choix permettra d'atteindre le plus grand nombre possible de familles puisque toutes, quasiment, sont équipées de téléviseurs. Les médias retenus sont France 5 et France Culture. Une première programmation a déjà été élaborée. Les modules sont ciblés pour un public déterminé. Ils pourront également bénéficier à des élèves d'un niveau voisin. Enfin, d'autres publics que les élèves en formation initiale pourront être intéressés par ces émissions : stagiaires, apprentis, stagiaires de la formation continue, par exemple.

Au niveau local, les rectorats, les inspections d'académie et les établissements d'enseignement seront invités à mettre en œuvre toute action permettant de compléter l'offre nationale, de favoriser le maintien des échanges informatiques et téléphoniques entre les enseignants et leurs élèves.

Dans l'enseignement secondaire, pour favoriser ce lien pédagogique, en accord avec les personnels et les élèves, les établissements recenseront, outre le numéro de téléphone, les adresses électroniques des familles. Les sites web académiques et les sites des établissements pourront compléter ce dispositif.

Dans le supérieur, d'ici à la fin du mois d'avril 2006, une circulaire demandera aux établissements de prévoir le maintien d'un lien pédagogique et scientifique avec les étudiants. Les établissements sont invités à prévoir une possibilité de contacts entre les équipes pédagogiques et les étudiants, pour permettre à ces derniers de réaliser des travaux personnels sous le contrôle des professeurs, en ayant recours aux différentes modalités d'enseignement à distance. Dans cette perspective, il est demandé aux établissements de recenser dès maintenant toutes les ressources pédagogiques disponibles -notamment en ligne-, de faire connaître les ressources des universités, de préparer un document d'information à l'attention des étudiants, des étudiants chercheurs et d'autres personnels, précisant les modalités d'accès à toutes les ressources documentaires consultables via le système d'information ou le portail de l'établissement. Les équipes pédagogiques de chaque formation de diplôme seront responsables de la diffusion de ces informations à leurs étudiants. Elles leur indiqueront la part que prendra la formation à distance dans le contrôle des connaissances. Pour mettre en œuvre cette continuité pédagogique et scientifique, on a également demandé aux établissements de recenser les adresses électroniques personnelles des étudiants et de demander ces adresses dans les documents d'inscription de la prochaine rentrée universitaire.

Passons à la sortie de crise et à la réouverture des établissements. La décision de réouverture et de reprise d'un fonctionnement normal sera prise par les autorités compétentes : ministre de la santé ou préfet.

Pour les examens professionnels, l'évaluation devra se dérouler sous la forme d'une épreuve ponctuelle terminale. Pour le brevet des collèges, on envisage de délivrer le diplôme uniquement à partir du livret scolaire. Pour le baccalauréat, la solution retenue sera variable et fonction du moment de la déclaration de la pandémie ; quoi qu'il en soit, la procédure d'élaboration et de choix des sujets ne sera jamais interrompue, les réunions de choix de sujets étant remplacées par des échanges par Internet. Une banque de sujets sera d'ailleurs disponible au niveau national pour pallier les difficultés des académies et pour permettre d'accéder à des sujets de cours d'une partie du programme. S'agissant des épreuves, plusieurs hypothèses ont été envisagées : une seule session en septembre, une session allégée en juin avec rattrapage en septembre, voire un diplôme délivré à partir des seules épreuves écrites ou des seules épreuves orales. La décision sera toujours prise par l'échelon central du ministère. Pour les examens universitaires, si le début de la pandémie se situe en début de semestre, on envisagera des modalités de contrôle des connaissances pouvant se substituer à l'examen final, avec un travail personnel réalisé par chaque étudiant, ou encore des épreuves via Internet, dont il faudra étudier la faisabilité. Si le début de la pandémie survient en fin de semestre, alors que 70 à 80 % des cours auront été assurés, les notes déjà acquises par l'étudiant pourront servir de base à la délivrance des crédits ECTS - European Credit Transfer System - et du diplôme. Une session de rattrapage pourra être organisée en sortie de crise.

Comment seront organisés les concours de recrutement des enseignants ?

Les concours du second degré intéressent environ 150 000 candidats pour les épreuves écrites de janvier à avril, et ceux du premier degré 60 000 candidats en mai. Les épreuves d'admission du second degré commencent vers la mi-mars pour se terminer fin juillet pour environ 25 000 admissibles, celles du premier degré se déroulent entre juin et mi-juillet pour 23 000 admissibles. Près de 20 000 membres de jury sont mobilisés pendant cette période, 500 personnels administratifs le sont pour l'organisation et un millier pour la surveillance. Sur le plan géographique, les candidats se répartissent sur tout le territoire et rejoignent, pour les épreuves, les chefs lieux d'académie des départements. Le nombre de personnes concernées et les déplacements induits conduiront, en cas de pandémie, à interrompre le processus. En cas d'interruption pendant quelques mois et quel que soit le moment, les opérations pourront toujours être décalées. Les admissions seraient ainsi prononcées à l'automne plutôt qu'avant l'été dans le calendrier normal, ce qui réduirait d'autant la formation initiale. Celle-ci pourrait être aménagée, et prolongée par de la formation continue la première année d'exercice. S'il était impossible de terminer le processus, des solutions plus radicales seraient envisagées, qui pourraient concerner tous les recrutements de la fonction publique : des concours très simplifiés, consistant en deux épreuves, l'une écrite et l'autre orale, en une seule phase, couplée à une formation initiale réduite ; un doublement des recrutements l'année suivante, en veillant à ce que la moitié des recrutés prennent leurs fonctions après une formation adaptée pour remplacer les départs à la retraite de l'année ; le maintien, à titre exceptionnel, de professeurs en exercice qui devaient partir à la retraite pour compenser des non recrutements.

Dans l'enseignement supérieur, la qualification par les sections du Conseil national des universités et le recrutement par l'établissement seront adaptés aux circonstances.

Le calendrier de recrutement des grandes écoles s'étend sur plusieurs mois, en combinant les épreuves écrites d'admissibilité et les épreuves orales d'admission. Une réflexion est en cours, selon deux axes : regroupement des écoles dans des concours communs, ce qui est déjà le cas pour nombre d'entre elles ; allègement du nombre d'épreuves, à court terme.

Si la pandémie grippale se déclarait, d'autres types de solutions pourraient être envisagés, notamment en décalant de quelques semaines l'accès en première année dans les grandes écoles, avec un concours normal s'étendant sur une période plus longue. L'enseignement perdu en début d'année pourrait être réintroduit sur les trois années de formation.

Le ministère organise par ailleurs de nombreux concours pour les cadres administratifs et techniques. Certains sont déconcentrés, d'autres pilotés par le niveau national. Le seul vrai problème qui peut se poser est celui de l'examen professionnel du principalat dans le corps des attachés d'administration centrale. Pour le ministère de l'éducation nationale, il est très allégé parce qu'il ne comporte qu'une épreuve orale, et cela concerne plusieurs centaines de candidats. Le ministère s'alignera sur la doctrine qui sera retenue par le ministère de la fonction publique ; il pourrait s'agir d'un report de quelques mois de cet examen professionnel.

Telles sont, mesdames et messieurs les parlementaires, les grandes lignes du plan d'action du ministère destiné à faire face à cet éventuel fléau sanitaire.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Monsieur le ministre, comment envisagez-vous la garde des enfants dont les écoles seraient fermées et dont les parents travailleraient ?

Par ailleurs, vous avez parlé d'interdire les sorties scolaires en raison des risques de contact avec les oiseaux. N'allez-vous pas un peu trop loin ?

En ce qui concerne les cantines scolaires, certains élus avaient parlé de supprimer le poulet des menus, ce qui n'avait pas de sens. Ne doit-on pas plutôt inciter à la consommation de poulet ?

Vous avez indiqué que vous alliez faire parvenir aux élèves des prospectus d'information de l'INPES. Ne faut-il pas aller plus loin et offrir une information plus poussée en matière d'épidémiologie ou de risques infectieux, à l'occasion des cours, pendant les quelques années à venir ?

Venons-en aux normes d'hygiène dans les écoles, les collèges et les lycées, notamment en matière de lavage des mains. Sans empiéter sur les responsabilités des collectivités territoriales, votre ministère juge-t-il les équipements suffisants ? Ne faudrait-il par établir des normes en la matière ?

Enfin, les médecins et infirmières travaillant en milieu scolaire ne pourraient-ils pas être appelés, voire réquisitionnés, pour participer à la lutte contre cette pandémie ?

Mme Catherine GÉNISSON : Quel est le degré d'appropriation, par l'ensemble des acteurs de la communauté éducative, du plan que vous nous avez présenté, et qui va dans le détail sur beaucoup de sujets ? J'ai été particulièrement attentive aux dispositions concernant l'accès aux examens.

Si l'apprentissage de l'épidémiologie et de certains aspects un peu sophistiqués est certes important, il me semble que l'apprentissage des règles élémentaires d'hygiène devrait être obligatoire. À l'occasion d'une éventuelle pandémie de grippe aviaire, on pourrait rappeler quelques règles fondamentales en milieu scolaire, dès la maternelle.

Enfin, je n'ai pas très bien compris la façon dont vous « catégorisez » les personnels. J'aurais plutôt pensé qu'on procéderait par rotation des personnels. Pouvez me dire comment vous envisagez de mobiliser ces personnels, et de les protéger ?

M. Michel LEJEUNE : Je voudrais revenir sur la circulaire qui a été envoyée à tous les enseignants concernant les sorties scolaires. J'ai l'impression qu'elle est interprétée sur le terrain de manière un peu exagérée. Ainsi, dans mon département, on a interdit toute sortie scolaire, quel que soit son objet.

M. Gérard BAPT : Je voudrais, moi aussi, revenir sur la circulaire concernant les sorties découverte en forêt ou dans la nature. Elle nous a un peu choqués, car elle alimente, selon nous, l'inquiétude générale. C'est particulièrement mal venu de la part de l'éducation nationale.

M. Gilles de ROBIEN : Sur la garde des enfants, il convient d'être très clair : il n'est pas prévu de garde dans les établissements d'enseignement dès lors qu'ils seront fermés, car il s'agit de respecter le principe de précaution qui repose sur la plus grande limitation possible des groupements. Mais il est prévu de faire jouer au maximum ce que j'appelle le principe de solidarité, pour assurer la prise en charge de la garde des plus jeunes enfants. Il faudra faire appel à la solidarité familiale - frères et sœurs aînés, grands-parents - à la solidarité de voisinage et à celle des amis. Je pense que la mobilisation permettra de trouver la ressource humaine suffisante dans un moment aussi exceptionnel. On peut penser aussi qu'une partie des enfants pourront être gardés par les agents de la fonction publique qui resteront à domicile. 85 à 90 % des agents de la fonction publique de l'État devraient en effet rester à domicile en cas de pandémie.

S'agissant des activités scolaires en contact avec la faune, il est vrai qu'après le signalement des premiers cas d'oiseaux sauvages contaminés, un communiqué des directeurs de cabinet des ministres chargés de la santé et de l'éducation nationale a été adressé le 22 février 2006 aux recteurs d'académie et publié le 2 mars. L'une de ses phrases peut effectivement prêter à interprétation. Les trois premiers points de la note portent sur les règles d'hygiène et de comportement qui sont à respecter. Le quatrième point recommande d'« éviter toute activité externe aux établissements scolaires de nature à mettre les élèves en contact direct avec des oiseaux sauvages ». Des présidents d'associations, des directeurs de parc zoologique, nous ont écrit pour signaler les conséquences économiques de ces dispositions sur leur exploitation. Ils ont demandé que des précisions soient apportées pour qu'à l'exclusion des zones mises en quarantaine, les activités de découverte de la nature puissent se poursuivre normalement, sous réserve d'une bonne information de tous et du respect des mesures de précaution. À l'issue de la troisième réunion interministérielle consacrée, précisément, aux activités de nature et à la faune sauvage, le 7 avril, les positions retenues pour l'éducation nationale, en l'état actuel des choses, sont les suivantes : pas de contact physique avec des oiseaux sur tout le territoire national ; pas de sorties scolaires dans les zones réglementées, par exemple actuellement dans la Dombes ; a contrario, les sorties culturelles dans la nature sont possibles sur tout le reste du territoire national.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : On avait l'impression que l'interdiction était générale. Il y a donc eu une mauvaise interprétation.

M. le Président : Ce type de circulaire arrive-t-elle directement à l'enseignant ou au directeur de l'école, ou bien passe-t-elle par le filtre d'une relecture par le recteur ou l'inspecteur d'académie ?

M. Gilles de ROBIEN : Nous l'envoyons aux recteurs, et les recteurs l'envoient aux inspecteurs d'académie et aux chefs d'établissements.

M. le Président : Il semble qu'à chaque échelon territorial, il y ait eu des ajouts à vos instructions. Si des gens qui croient bien faire en rajoutent, il faut en conclure que la déconcentration peut créer des problèmes.

M. Gilles de ROBIEN : Il faut que la circulaire arrive jusqu'au bon niveau. Il faut en outre qu'elle soit lue et bien interprétée. En l'occurrence, dans la phrase évoquée, qu'est-ce que le « contact direct avec les oiseaux sauvages » ?

M. Door a évoqué la réquisition éventuelle des médecins et infirmières scolaires. C'est un sujet interministériel et je ne puis lui répondre aujourd'hui.

Si vous me le permettez, je vais passer la parole au professeur Bernard Nemitz concernant les cours d'épidémiologie et l'hygiène, puis à M. le directeur Dominique Antoine pour les autres sujets qui ont été abordés.

M. Bernard NEMITZ : Nous mettons au point, avec le ministère de la santé et la délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire, un ensemble de documents pédagogiques. Les enseignants de sciences de la vie et de la terre (SVT) seront évidemment sollicités. Il s'agit de fournir une information la plus précise possible à l'ensemble des élèves sur l'épizootie actuelle et sur la pandémie que l'on craint. Un kit pédagogique est en cours de finalisation. Il vise à dire ce qu'est la grippe aviaire et quelles peuvent en être les conséquences.

S'agissant de l'hygiène, toujours avec le ministère de la santé, nous tiendrons dès cet après-midi une réunion pour finaliser les documents qui devront être diffusés. Nous enverrons, dans l'ensemble des établissements scolaires, des notes très simples visant à promouvoir des règles élémentaires d'hygiène mais trop souvent oubliées. La préparation du pays à une éventuelle pandémie peut être une opportunité pour faire adopter aux enfants de meilleures pratiques dans le milieu éducatif. Ces outils pédagogiques seront utilisés dans cet objectif.

Dans les hôpitaux, nous avons également travaillé avec le ministère de la santé à la diffusion de ce type d'informations, par exemple dans les halls d'accueil des services d'urgence. On y indique, entre autres, que lorsqu'on est enrhumé, on évite d'éternuer sur son voisin et de serrer des mains, ces contacts constituant autant de vecteurs de contamination.

Mme Catherine GÉNISSON : Je pense, en effet, qu'il faut « profiter » de cet événement éventuellement malheureux pour rappeler des règles de base en matière d'hygiène. Mais s'il est bon que les enseignants soient formés, il conviendrait d'imaginer aussi des guides à l'usage des enfants, guides qui pourraient accompagner le travail des enseignants. Et j'insiste sur le fait que c'est dès la maternelle qu'il faut enseigner certains gestes élémentaires. L'éducation de l'hygiène s'apprend à la maison, mais aussi à l'école. Une telle mobilisation, une telle sensibilisation est fondamentale sur le plan de la prévention.

M. Bernard NEMITZ : C'est bien ce que nous allons faire.

M. Dominique ANTOINE : Je voudrais intervenir à propos du degré d'appropriation du plan par le système éducatif et du choix des personnels susceptibles d'être mobilisés.

S'agissant de l'appropriation du plan, vous avez tout à fait raison : un travail de communication s'impose. Le plan qui vous a été présenté par M. le Ministre nous a été demandé pour la fin du mois de mars. Il a donné lieu à une circulaire aux recteurs qui est partie le 7 avril. Un travail très important a été fait avec les secrétaires généraux et les inspecteurs d'académie, ainsi qu'avec les organisations syndicales, fédérations de fonctionnaires et syndicats spécialisés - médecins, infirmières, chefs d'établissements, intendants. Maintenant, un travail de popularisation reste à faire.

S'agissant des personnes susceptibles d'être mobilisées, nous avons déterminé trois groupes de fonctionnaires ; ceux qui seraient susceptibles d'être mobilisés de façon intense ; ceux qui seraient en réserve, disponibles ; d'autres qui seraient chez eux. On peut envisager une rotation entre les personnels. Mais cela s'oppose à la spécialisation des fonctions, dont nous devons assurer obligatoirement la continuité : communication, gardiennage des bâtiments, maintenance des réseaux, fonction financière.

M. le Président : Pour se laver les mains, il faut qu'on en ait la possibilité dans des conditions de propreté correctes. Or, on a le sentiment que cela n'est pas toujours le cas dans les bâtiments actuels, notamment dans l'enseignement secondaire. Si les enfants ont perdu les réflexes de l'hygiène, c'est aussi parce que les pouvoirs publics n'ont pas prévu les moyens appropriés. Ne pensez-vous pas que les normes devraient évoluer en ce domaine ? On pourrait envisager un plan d'équipement sur cinq ou dix ans.

Vous avez déclaré que, le moment venu, on verrait comment maintenir des programmes ou des dispositifs de soutien scolaire. Ne pourrait-on pas aller plus loin et faire obligation aux enseignants qui resteront chez eux d'entretenir avec tous les enfants avec lesquels c'est possible un contact pédagogique via le téléphone ou Internet ? On passerait de l'incitation à la norme.

De telles mesures augmenteraient en tout cas les besoins de crédits de communication. Si je suis enseignant et qu'on me dit que je dois passer six ou sept heures à appeler de mon téléphone portable l'ensemble des enfants de ma classe, je considèrerais légitime une aide de l'éducation nationale pour mon forfait téléphonique. Est-ce envisageable ?

M. Gilles de ROBIEN : C'est possible, et je suis sûr que, même sur la base de l'incitation, du volontariat, les professeurs se mobiliseront comme ils savent le faire dans des circonstances exceptionnelles pour continuer à assurer les cours, en complément des programmes diffusés par voie herzienne. Se poseront peut-être des questions matérielles relatives aux forfaits téléphoniques, notamment. On peut imaginer qu'ils ne soient pas pénalisés. Mais je vous indique que, pendant ces périodes-là, ils seront rémunérés.

M. le Président : Que penseriez-vous d'une recommandation de la mission pour une participation obligatoire des enseignants ?

M. Gilles de ROBIEN : Libre à vous de la demander. Mais la base du volontariat a si bien réussi pour le remplacement des professeurs absents sur une courte durée que j'ai tendance à faire confiance aux personnels de l'éducation nationale.

M. le Président : Si, en période de crise, on ne compte que sur le volontariat, que devient le service public ? Cette question se posera aussi pour les personnels médicaux et paramédicaux hospitaliers.

M. Gilles de ROBIEN : Il n'est pas interdit de penser qu'il y aura 100 % de volontaires. Si tel n'était pas le cas, nous pourrions adopter une solution de rattrapage, basée sur l'obligation.

C'est ce qui s'est passé pour le remplacement. Nous avons commencé sur la base du volontariat, étant entendu que j'avais dit qu'au 1er janvier 2006, là où le volontariat ne marchait pas, nous passerions à la désignation.

Je suis très ouvert sur la méthode. Mais je suis sûr du résultat.

M. Alain CLAEYS : Reconnaissez que le problème des remplacements n'était pas tout à fait de la même nature...

M. Gilles de ROBIEN : Bien sûr que non, mais a fortiori, en cas de drame national ou international comme celui-là, je n'imagine pas que des personnels puissent ne pas répondre à l'appel. Mais s'il y en avait, on abandonnerait la démarche basée sur l'invitation et l'incitation.

M. le Président : Pensez-vous que, dans une période de crise, il y a aura beaucoup de fonctionnaires capables d'évaluer le fonctionnement du système et d'en tirer les conclusions ? Pensez-vous qu'en pleine crise, il vous suffirait de rappeler à la télévision qu'on va passer du volontariat à l'obligation ? Je ne sais pas si c'est la bonne démarche.

M. Gilles de ROBIEN : Je suis ouvert à toutes les démarches et j'attends avec grand intérêt votre rapport !

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Les personnels hospitaliers nous ont indiqué que, disposant d'un droit de retrait, ils pourraient en user si on leur disait qu'il y avait 50 % de létalité en cas de pandémie. Qu'en sera-t-il à l'Education nationale ?

M. Gilles de ROBIEN : On peut toujours avoir recours à la réquisition. Mais effectivement, monsieur le Président, il ne faut pas perdre de temps.

Mme Catherine GÉNISSON : C'est une réquisition à domicile.

M. Gilles de ROBIEN : On parle en effet d'une réquisition de mission, pas d'une réquisition de lieu.

Venons-en aux installations sanitaires. Il faut savoir que les situations sont très contrastées d'un lieu à l'autre, d'une école, d'un collège, d'un lycée à l'autre. Il s'agit par ailleurs plutôt d'une compétence des collectivités territoriales. Mais il n'est pas interdit, évidemment, que le ministère de l'éducation nationale émette une recommandation pour améliorer les installations qui ne seraient pas aux normes ou pourraient être des lieux de contamination. L'impulsion peut être donnée par le ministère dont j'ai la charge. C'est une idée que je retiens.

Mme Catherine GÉNISSON : Nous ne pouvons que cautionner cette proposition. Néanmoins, il faut être vigilant, en particulier dans les zones rurales. Certaines écoles, dans les petites communes, subsistent grâce aux efforts de la commune, mais ont des budgets assez serrés. Il faut agir avec discernement. Je remarque, au demeurant, que les écoles rurales sont souvent mieux équipées que les écoles urbaines.

M. Gilles de ROBIEN : Vous avez raison. Il faut par ailleurs être attentif à la couverture téléphonique du territoire, notamment celle des zones blanches, ainsi qu'à sa couverture pour le haut débit. En matière de télévision aussi, il y a des zones où la chaîne France 5 ne peut pas être captée.

M. le Président : Il est clair que la politique de santé ne vise pas seulement à protéger les enseignants, mais que l'intérêt collectif interdit les rassemblements massifs, notamment de populations jeunes. Or on voit mal comment expliquer aux élèves qu'il faut garder une certaine distance sociale de deux mètres quand ils jouent dans la cour de récréation.

En matière de recherche, la problématique est différente. Les recommandations n'ont pas à être comparables. Il s'agit plutôt de continuer à travailler, même si c'est par télétravail. N'auriez-vous donc pas intérêt à dissocier l'enseignement de la recherche : si on comprend bien que le risque de contagion dans les écoles imposera de fermer celles-ci, on comprend moins bien pourquoi il faudrait interrompre le fonctionnement des organismes de recherche, qui pourraient continuer à fonctionner en mode dégradé.

M. Gilles de ROBIEN : Vous avez parfaitement raison. La problématique n'est pas du tout la même. Même à l'intérieur du secteur de la recherche, les situations sont très disparates entre les grands organismes de recherche - 30 000 personnes pour le Centre national de la recherche scientifique, 10 000 pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale - et les petits laboratoires, qui sont relativement isolés. En général, ces organismes sont très disséminés sur le territoire, avec une structure nationale de pilotage, des structures intermédiaires de coordination et des laboratoires plus locaux.

Une instruction a été diffusée pour sensibiliser les directeurs des laboratoires de recherche de ces organismes pour qu'ils complètent leur plan de continuité et qu'ils élaborent des fiches de procédure pour chaque laboratoire. Compte tenu de la nécessité d'assurer la sécurité de certaines installations sensibles ou dangereuses, ce qui passe parfois par le maintien de l'activité, des mesures de quarantaine doivent être prévues pour les équipes de relève avant l'accès aux installations. Pour sécuriser le dispositif, il faudrait, en théorie, que chaque personne reste isolée de toute source de contamination pendant une durée au moins égale à la période d'incubation et jusqu'à l'apparition éventuelle des symptômes. Cette durée dépendra des caractéristiques du virus. Dans les réflexions en cours, la durée prise en compte est de l'ordre de dix jours. S'agissant des protections respiratoires individuelles, il a été demandé à chaque organisme de recherche de prélever sur ses moyens propres le budget nécessaire à l'achat de masques.

M. le Président : Vous avez parlé de France 5 et de France-Culture. Mais qui va émettre ? Qui élaborera les programmes éducatifs émis ?

M. Gilles de ROBIEN : Ce sont France 5 et France-Culture qui émettront elles-mêmes et intégreront les programmes éducatifs dans leurs programmes quotidiens.

S'agissant de l'élaboration des programmes, il existe des établissements spécialisés : le CNDP et le CNED notamment.

Une première programmation a été élaborée selon certains paramètres. Elle se situe globalement dans le cadre d'un troisième trimestre, sur quatre semaines initiales. Cette première programmation permettra d'en préparer une seconde, et ainsi de suite, par mois glissant. Pour faire face à une déclaration de pandémie à tout moment de l'année, la même programmation sera faite pour le 1er septembre dans l'optique du premier trimestre et pour le 1er janvier dans l'optique du second trimestre.

Elle correspond à une durée quotidienne totale de cinq heures et demie pour France 5, de six heures pour France-Culture. Cela correspond à un total hebdomadaire de près de 60 heures d'émission, entre 8 heures et 12 heures et entre 14 heures et 17 heures 50.

Elle prend appui sur les ressources existantes, organisées en modules qui proviennent des fonds des grands opérateurs comme le CNDP et le CNED.

Pour certaines disciplines, faute de ressources suffisantes, la production de ressources nouvelles a été lancée. Chaque module porte sur une durée d'environ trente minutes, par référence aux productions existantes et s'ordonne selon des priorités pédagogiques bien définies à cette fin par l'Inspection générale de l'éducation nationale.

La répartition du temps entre l'école, le collège et le lycée a été faite sur la base de trois tiers, avec, à chaque niveau, la répartition suivante : pour l'école, parité entre les cycles 2 et 3 ; pour le collège, un quart de mathématiques, sciences et technologie, un quart de français, un quart d'histoire-géographie, arts et éducation civique, et un quart de langues vivantes - anglais, allemand, espagnol ; pour le lycée, un cinquième de maths, un cinquième de français et philo, un cinquième de SVT, physique et chimie, un cinquième d'histoire-géographie, arts, économie et gestion, et un cinquième de langues. Ce sont des modules ciblés, pour les élèves d'un niveau déterminé et qui peuvent bénéficier à des élèves d'un niveau voisin.

Mme Catherine GÉNISSON : Dans le cadre de relations plus humanisées entre les élèves et les enseignants, peut-on envisager une régionalisation de ces propositions d'enseignement, avec la mobilisation des enseignants volontaires et la mobilisation de France 3, qui est tout de même la chaîne nationale régionalisée ? Est-ce réaliste ?

M. Dominique ANTOINE : Les programmes restent nationaux et c'est dans le cadre national qu'a été conçue cette offre à distance. Elle doit cependant être relayée à l'échelon local. On a ainsi pensé à FR3 surtout pour faire connaître les programmes prévus sur les deux grandes chaînes, France 5 et France-Culture.

M. le Président : Avez-vous pensé au fait que, dans le même temps, certaines grandes chaînes, publiques et privées, produiront des émissions pour enfants comme elles le font tous les jours ? Il faudra prendre une position politique sur le sujet. On ne peut pas demander à des enfants qui resteront chez eux des journées entières de regarder des émissions pédagogiques alors qu'il y aura, sur d'autres chaînes, des dessins animés. Le contrôle parental ne se fera que si les parents sont là.

Merci Monsieur le Ministre, merci Messieurs.

Audition du docteur Irène KAHN-BENSAUDE, Présidente de la section santé publique du Conseil national de l'Ordre des médecins

(Compte rendu de la réunion du mercredi 26 avril 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Nous avons commencé nos travaux en nous intéressant d'abord à la problématique des moyens médicaux nécessaires au stockage. L'actualité nous a ensuite amenés à traiter du problème de la grippe aviaire en tant que telle, c'est-à-dire en tant que maladie des animaux. Nous entrons désormais dans une troisième phase de notre travail, qui est l'évaluation du plan pandémie et nous souhaitons à ce titre connaître les propositions et la position du Conseil de l'Ordre des médecins.

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Je commencerai par vous dire ce que nous avons déjà fait.

Au tout début, nous avons été victimes d'un psycho-terrorisme médiatique sur le Tamiflu et sur la grippe, à tel point que les médecins ne savaient plus où ils en étaient, qu'ils prescrivaient du Tamiflu à tour de bras et que nous avons dû calmer les esprits.

Nous avons ensuite annoncé, dans le bulletin de l'Ordre, qui est diffusé aux 260 000 médecins français, que nous mettions sur notre site Internet un « tiroir » grippe aviaire, comportant essentiellement des liens et des numéros de téléphone.

En décembre, avec le docteur Nicolas Postel-Vinay, de la Direction général de la santé, nous avons rédigé une plaquette de huit pages que nous avons envoyée à tous les médecins de France.

Voilà ce qui a été fait. Ce que je suis en train de faire, mais qui me pose énormément de difficultés, c'est d'essayer de créer une alerte sanitaire. Nous avons demandé à nos conseils départementaux de récupérer les adresses e-mail et les numéros de téléphone mobile de tous les médecins, mais en dépit de notre engagement de confidentialité, ces derniers semblent craindre que nous ne les diffusions. Du coup, nous n'en avons guère collecté que 10 000 à 12 000.

Je pense qu'il aurait fallu distinguer épidémie et pandémie, cette dernière ne devant pas arriver du jour au lendemain. Il est par ailleurs affligeant que le plan traite, d'un côté, des médecins hospitaliers et, de l'autre, des médecins libéraux et ne prévoit pas davantage de croisements entre les deux. Il y avait pourtant là une occasion de former ensemble des gens qui se détestent réciproquement depuis toujours et de leur permettre de comparer leurs expériences. Cela n'a malheureusement pas été fait.

Même si les choses semblent aller un peu mieux, tout était, au débutt, centré autour du médecin hospitalier. Or, il ne faut pas oublier que les médecins libéraux vont être les premiers au front, généralistes et pédiatres d'abord. Je pense qu'ils seront « bien » mais de quels médecins s'agira-t-il ? 30  % des généralistes ne font pas de médecine générale et, sur les 70 % restants, 20 % ne font pas uniquement de la médecine générale. Cela diminue donc le nombre de médecins qui vont aller au front. A ceci s'ajoute que 45 % d'entre eux sont des femmes, très souvent mères de famille. Lors de toutes les réunions, on nous a dit que la situation pourrait être dramatique pour les infirmières parce qu'il leur faudrait trouver des solutions de garde, les écoles étant fermées, mais on oubliait de parler des femmes médecins libéraux.

Il y aura ensuite les pédiatres car on sait que la grippe touche surtout les enfants et les personnes âgées. Je pense qu'ils répondront présent.

On a envisagé de faire appel aux médecins retraités, qui seront sans doute ravis de pouvoir faire quelque chose, mais je ne suis pas sûre que l'on pourra tous les mettre au front car ce sont des personnes à risque. Il faudra s'interroger sur les conditions de leur intervention.

Les pneumologues et d'autres spécialistes pourront aussi être appelés en renfort : n'importe qui est capable de soigner une grippe, de voir si une aggravation est dangereuse et d'hospitaliser.

Autre problème sur lequel j'ai posé une question lors d'une réunion à la Direction des hôpitaux : au cours de la pandémie, quand un grand nombre de gens seront malades, comment et avec qui sera organisée la permanence des soins pour toutes les autres pathologies ? Je n'ai jamais eu de réponse sur ce point. Vous savez comme moi que le problème de la permanence des soins a beaucoup mobilisé un certain nombre de personnes et qu'il n'est pas encore réglé. Comment le réglera-t-on, quand il y aura cette pandémie ? Quand il y aura le vaccin, il n'y a aucun problème car une fois vacciné, chacun sera présent.

M. le Président : J'avoue ne pas bien comprendre pourquoi le Conseil de l'Ordre édite des documents sur la conduite à tenir et fait de la pédagogie, alors qu'on aurait pu penser que la Haute Autorité de santé avait un rôle à jouer dans la connaissance de la maladie, que la formation n'entre pas vraiment dans votre champ de compétences. S'il s'agit de donner des consignes de santé publique, il y a aussi une administration pour cela. Avez-vous agi de la sorte pour remplir un vide où vous êtes-vous emparés ce dossier ?

Au-delà de ce que vous avez déjà fait, qu'est-ce qui, selon vous, relève de la responsabilité du Conseil de l'Ordre ? Pourquoi, d'une manière générale, intervient-il dans cette affaire ?

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Il s'agit d'un très important problème de santé publique. O,r il y a au sein du Conseil une section de santé publique, que je préside, et qui se consacre principalement à cette question.

Nous sommes par ailleurs responsables d'une certaine qualité de la médecine et d'un service correct rendu aux patients.

Il est vrai que nous ne sommes pas directement en charge de la formation, mais nous avons aussi une section consacrée à la formation et à la qualification, et il est tout de même de notre responsabilité que les médecins soient bien formés. Nous avons aussi un code de déontologie qui inclut notamment la permanence des soins et les soins aux patients. C'est tout ce qui est du ressort du Conseil de l'ordre.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Votre rôle est aussi d'agir en direction de l'ensemble du corps médical, qu'il soit hospitalier ou libéral, donc de savoir s'il va répondre présent en cas d'épidémie. Nous savons que certains praticiens risquent de ne pas répondre. Le Conseil de l'Ordre, qui est en charge de l'éthique et de la déontologie, s'est-il préoccupés de ce qui pourrait advenir dans ce cas ? La réquisition de ceux qui ne répondraient pas à l'appel pourrait-elle être une solution ? Il me semble que ces questions relèvent de la compétence du Conseil.

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : La section de santé publique est également responsable de la démographie médicale et dispose de la carte de répartition des médecins sur le territoire, qui permet par exemple de savoir rapidement qui sont les pneumologues du Loiret et où ils exercent. C'est à ce titre que j'essaie de mettre au point une alerte sanitaire parallèlement avec la Direction générale de la Santé.

Quant à la réquisition, elle n'est pas vraiment de notre compétence.

M. le Président : Certes, c'est aux préfets qu'il appartient de réquisitionner. Il me semble que la question de notre rapporteur se situait plus sur un plan philosophique et déontologique. Je comprends très bien que vous occupiez un espace libre, mais on peut quand même craindre qu'en période de crise, chacun ne se mette à communiquer dans tous les sens et que le message ne soit quelque peu brouillé. Il va donc falloir mettre un peu d'ordre et savoir exactement qui fait quoi.

C'est donc plus sur un terrain philosophique que nous souhaitons que le Conseil de l'Ordre. En effet, l'Histoire nous apprend qu'en cas d'épidémie, toutes les professions concernées ne répondent pas toujours à l'appel du devoir. Nous aimerions donc que vous nous disiez si, en cas d'appel, es médecins devront y répondre en fonction de leur diplôme et si tous seront concernés.

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : La pandémie entraînera un véritable état de guerre, qui exigera en effet solidarité et devoir, et je pense que la majorité des médecins se sentiront concernés.

Quand nous avons envoyé notre document aux médecins pour mettre au point cette alerte, nous n'avons pas regardé leur âge et nous l'avons fait tout azimut : certains retraités, fort âgé,s parfois ont répondu qu'ils ne pourraient certainement pas être sur le terrain, mais ils ont demandé qu'on les appelle malgré tout pour voir s'ils pourraient faire quelque chose. Sur l'ensemble des destinataires, un seul nous a demandé comment il serait assuré et ce qu'il adviendrait de sa veuve s'il devait succomber à la maladie. Pour ma part, oui, je crois à la solidarité et au sens du devoir des médecins.

M. le Président : Ce devoir est-il immanent ? Est-ce seulement une affaire de conscience pour chaque médecin ? Ou incombe-t-il à une autorité, publique ou privée, de rappeler ce devoir ? Qui, parmi les médecins, sera censé l'entendre ? Les chirurgiens plasticiens, par exemple, seront-ils concernés ?

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Pourquoi pas ? Tous les médecins ont prêté le serment d'Hippocrate. N'oublions pas, non plus, que le code pénal sanctionne la non-assistance à personne en danger. Là, il ne s'agit plus de philosophie mais de bâton...

Mme Jacqueline FRAYSSE : Ce que vous nous dites montre bien que tout ne saurait dépendre de l'initiative de l'Ordre des médecins et qu'il est nécessaire que le ministre de la santé définisse mieux le rôle et les responsabilités de chacun afin qu'il n'y ait pas d'interférences négatives.

Ce qui me préoccupe surtout, c'est que je ne distingue pas quelle est la philosophie du Conseil de l'Ordre. Vous pensez que « la majorité des médecins se sentiront concernés », mais vous nous avez aussi dit que nombre d'entre eux refusaient de vous donner leur adresse e-mail. Vous n'avez reçu qu'une lettre d'un médecin inquiet, mais, manifestement, il vous dit ce que d'autres n'osent pas vous dire. D'ailleurs, si vous avez évoqué les difficultés que pourraient rencontrer les femmes médecins pour faire garder leurs enfants, elles sont, elles aussi, légitimement inquiètes quant au risque de diffusion du virus dans leur famille.

Nous aimerions donc que le Conseil de l'Ordre, au lieu de se voiler la face, se demande comment surmonter ces réticences, qu'il dise aux médecins qu'il va examiner avec eux la façon de les aider à se protéger au mieux, mais qu'il leur rappelle surtout que leur devoir est de faire leur métier et d'aller sur le terrain pour soigner les gens. Le Conseil tient-il un discours de ce type ou reste-t-il muet ? Son rôle et sa responsabilité sont de se montrer positif, mais aussi offensif et exigeant à l'égard du corps médical et de son éthique.

Par ailleurs, vous avez parlé des pneumologues, mais j'estime pour ma part que les dermatologues et les chirurgiens seront aussi concernés en cas de pandémie : ce sont des médecins, et quand il y a la guerre, tout le monde est concerné et entre en résistance.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Les médecins retraités restent inscrits au Conseil de l'Ordre, mais ils n'ont pas le droit d'exercer et de donner des traitements. Envisagez-vous de le leur donner à nouveau, de façon légale, dans le cas où il faudrait faire appel à eux ?

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Ils peuvent encore prescrire pour leurs proches et leurs familles. Dans tous les départements, des conventions sont actuellement passées avec le préfet afin que les retraités puissent prescrire et être rémunérés dans le cadre précis de leur mission. Il reste à voir comment vont-ils répondre.

Je suis par ailleurs d'accord avec Mme Fraysse : si nous avons été pris au début dans le tourbillon des réunions et si nous avons publié notre plaquette en décembre, nous essayons, depuis lors, de mettre en place une alerte sanitaire et nous constatons qu'il n'est pas évident de faire bouger les médecins.

Comme la pandémie n'est pas pour cette année, il nous reste encore la possibilité de nous montrer plus offensif, que nous ne l'avons été jusqu'ici. Je pense quand même que les médecins iront au front.

M. Michel LEJEUNE : S'agissant de la disponibilité des médecins et de la valeur du serment d'Hippocrate, je nourris quand même quelque inquiétude et quelque doute quand je vois que dans certains départements, le préfet est obligé de réquisitionner les médecins pour tenir le service de garde le week-end dans les campagnes... Du samedi midi au lundi matin et le soir après 19 h 30, plus aucun médecin n'accepte de se déplacer. Récemment dans ma circonscription, à l'occasion de l'enterrement d'un ancien combattant, un porte-drapeau a fait un malaise, on est allé chercher le médecin qui consultait au même moment à son cabinet, sur la place de la mairie, tout à côté : il a refusé de se déplacer et a conseillé d'appeler le « 15 », au motif qu'il ne faisait pas les urgences ! Vous comprendrez mes doutes quant au comportement des médecins en cas de pandémie...

M. le Président : Il y a quelques années, le Conseil de l'Ordre avait affirmé fermement qu'assurer la permanence des soins revêtait une dimension déontologique. Violemment attaqué alors par les syndicats médicaux, il est, depuis, devenu beaucoup plus prudent et cela explique sans doute aujourd'hui ce que nous constatons quant à la permanence des soins et à l'attitude des médecins face au risque de pandémie grippale.

M. Pierre HELLIER : Pour moi, le Conseil de l'Ordre doit s'assurer du respect de la déontologie et de la garantie de l'exercice médical. Il est vrai qu'après que vous ayez signé l'obligation d'assurer les gardes, on en est arrivé à ce texte législatif affirmant que la garde était obligatoire déontologiquement mais pas légalement... Nous sommes donc un peu tous coupables.

Ancien médecin généraliste moi-même, j'assurais toutes mes gardes. Je pourrais être considéré aujourd'hui comme retraité et mobilisable à ce titre, et j'irais, en dépit de mes inquiétudes. Mais je nourris moi aussi des doutes - comme vous-même, m'a-t-il semblé - quant à la mobilisation de mes confrères, en particulier quand je constate la difficulté à assurer les gardes dans nos campagnes. Mais, étant chargé au sein du conseil général de la Sarthe d'attirer les médecins dans notre département, vous comprendrez que je ne me montre pas trop agressif avec eux...

Cela étant, j'ai l'impression que les médecins ne veulent pas entendre parler de la grippe aviaire et de la possibilité d'une pandémie. Quand on parle de pandémie à des médecins, il changent très vite de sujet. Vous-même affirmez qu'elle n'est pas pour demain alors que nous n'en savons rien. Le risque existe réellement, mais on dirait que les médecins refusent de voir qu'il faudra nécessairement mettre en commun tous les moyens médicaux et mobiliser tous ceux qui sont capables de diagnostiquer une grippe et d'essayer de la soigner. Sans doute aurons-nous le temps de nous organiser un peu mais, pour l'instant, on ne l'a pas fait du tout. Et le fait de refuser de donner son adresse électronique va selon moi au-delà des questions de confidentialité, et est donc quelque peu préoccupant.

Enfin, vous avez parlé du fossé entre libéraux et hospitaliers : il me semble que c'est précisément à vous d'essayer de le combler. Voilà ce qui pourrait être une mission de l'Ordre.

M. Jean-Claude FLORY : Si vous pensez, Madame, qu'il nous reste un peu de temps avant la pandémie, il faut précisément en profiter pour mener un travail de préparation psychologique à la crise. C'est d'autant plus indispensable qu'aucun médecin actuellement en exercice n'a personnellement connu de crise médicale majeure au cours de sa carrière. Les médecins aujourd'hui les plus âgés ont en effet commencé à exercer à la fin des années cinquante. Une telle étape de conditionnement psychologique doit être préalable à l'application de sanctions pour non-respect des principes du serment.

Vous avez par ailleurs rappelé que 45 % des généralistes sont des femmes, et elles sont même 70 % dans les générations qui sortent actuellement des écoles. On pourrait prévoir une gradation dans l'exposition aux risques, de même d'ailleurs que dans l'application des sanctions pour non respect des engagements déontologiques.

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Il y a des années que nous essayons de combler le fossé entre les libéraux et les hospitaliers, et il me semble que nous n'avons pas trop mal réussi, par l'intermédiaire de notre bulletin et d'un certain nombre d'autres actions. Mais je rappelle que ce n'est pas nous qui créons ce fossé, mais bien davantage l'avenue Duquesne : récemment, lors d'une table ronde consacrée aux libéraux, il n'y avait que des hospitaliers à la tribune et aussi parmi les intervenants !

Vous parliez des sanctions. Au titre de ses missions précisées par le code de la santé publique, le Conseil de l'Ordre peut sanctionner les médecins en application des articles du code de déontologie et on en trouverait sans doute un qui s'appliquerait au refus de s'insérer dans le plan pandémie. Mais je ne suis pas d'accord pour parler d'emblée de sanctions.

M. Jean-Claude FLORY : C'est bien pourquoi j'ai parlé de préparation préalable...

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : S'agissant de cette préparation, je rappelle que ce n'est pas le Conseil mais l'avenue Duquesne qui a la main sur l'information. Nous sommes donc très tributaires du ministère. J'ajoute qu'il est bien difficile de faire de l'information sur un sujet qui est soumis à une telle pression médiatique. Une préparation psychologique est sans doute utile, mais nous n'avons pas pensé à l'imminence de la pandémie.

M. le Président : Vous ne faites pas d'information, mais vous avez quand même adressé à tous les médecins une plaquette de huit pages, dont je peux comprendre qu'elle ait répondu à un besoin qui n'était pas satisfait. Mais elle ne comporte aucune déclaration de principes. Or, ce que l'on attendrait plutôt du Conseil de l'Ordre, c'est qu'il dise, au nom de l'ensemble du corps médical et alors qu'une crise sanitaire éventuelle se profile, que les médecins, qui ont tous prêté le serment d'Hippocrate, ont une responsabilité morale, qu'ils répondront à leur devoir et seront présents, quel que soit leur statut, hospitalier ou libéral, généraliste ou spécialiste, salarié ou payé à l'acte. Mais nous n'entendons pas ce discours, alors que votre responsabilité est moins de faire de l'information et de la formation que de vous situer sur le terrain moral, philosophique, éthique et déontologique. Pouvez-vous nous dire si le Conseil de l'Ordre soutient cette déclaration ou sur la responsabilité morale des médecins devant une grave crise sanitaire ?

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Oui !

M. le Président : Disposez-vous d'un texte à la disposition du public ?

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Je l'ai dit, nous n'avons rien fait publiquement pour l'instant.

M. Pierre HELLIER : Nous attendons surtout du Conseil de l'Ordre qu'il réunisse les médecins dans chaque département et qu'il leur explique qu'on aura besoin d'eux s'il se passe quelque chose.

M. le Président : En cas de crise, nous aurons aussi besoin des policiers, des pompiers, des professionnels de santé et, aussi, des personnels qui approvisionnent les supermarchés, dont aucun n'a, que je sache, prêté le serment d'Hippocrate. Et on se contenterait de considérer que, parmi les médecins, seuls interviendraient ceux qui voudront bien répondre à l'appel et qui seraient, au surplus, spécialisés dans le traitement de la grippe !

Il faudrait quand même aider les pouvoirs publics et rappeler que les chirurgiens plasticiens, les ostéopathes, les acupuncteurs, les chirurgiens cardiaques, les généralistes, les médecins du sport, les psychiatres, les psychanalystes pourront être réquisitionnés au nom du serment qu'ils ont prêté.

M. Pierre HELLIER : Sans aller jusqu'à un discours aussi vigoureux, je pense quand même que le Conseil de l'Ordre doit organiser un certain nombre de rencontres départementales avec les médecins, afin de les mettre en face de leurs responsabilités à venir et leur expliquer, sans agressivité et sans parler de réquisition, ce qu'ils vont devoir faire si, malheureusement, la pandémie arrive. Car j'ai vraiment l'impression qu'ils ne veulent pas prendre conscience de ce qui peut advenir.

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Je suis intervenue devant vous en tant que conseillère nationale et présidente de la section « santé publique » de l'Ordre. Je rappelle que chaque conseil départemental est indépendant et compte un responsable de la grippe aviaire. Chacun a pris l'attache du préfet, des conventions ont été passées, des réunions se sont tenues, mais je ne connais pas le détail de ces démarches car je ne suis pas allée sur le terrain.

M. Pierre HELLIER : L'Ordre national donne quand même des indications...

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Non, il n'y a pas de position nationale, tout se passe au sein des départements.

M. le Président : Face à une menace sur la santé publique, il est quand même étonnant que le Conseil national de l'Ordre ne publie pas de déclaration pour rappeler que cette menace existe, qu'elle est prise en compte et qu'au sein du corps médical, au nom de ses principes déontologiques, chacun devra prendre sa part de responsabilité. S'il est légitime que le Conseil demande des garanties quant aux assurances et à la sécurité des médecins - et c'est normal - on peut en revanche s'étonner qu'il ne tienne pas de discours mobilisateur.

M. Pierre HELLIER : Il me semble en effet que se préoccuper de la manière dont seront assurés, indemnisées et traités les médecins qui entreront dans le système fait partie de la mission du Conseil national.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il faudrait que l'Ordre national soit plus offensif, d'autant qu'en publiant une plaquette de huit pages, vous montrez que vous retenez, effectivement, l'hypothèse d'une pandémie.

Mme Irène KAHN-BENSAUDE : Je n'ai pas dit qu'elle ne surviendrait pas, j'ai dit que le risque ne paraissait pas imminent.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Dans cette hypothèse, le rôle du Conseil national est bien de délivrer un message et de lancer l'alarme auprès des conseils départementaux, afin de mobiliser tous les médecins, selon des modalités qui devront en effet être précisées au niveau local. C'est un mode de fonctionnement logique. Ce n'est pas à l'État de le faire.

M. le Président : Madame, je vous remercie.

Audition conjointe des syndicats des médecins libéraux, avec : M. Pierre COSTES, Président de M.G. France (Fédération française des médecins généralistes), M. Bernard ORTOLAN, président du Conseil national de la formation continue des médecins au sein de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), M. Jean-Claude REGI, Président de la FMF (Fédération des médecins de France), M. Roger RUA, Secrétaire général du SML (Syndicat des médecins libéraux)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 26 avril 2006
)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président. Notre mission d'information a travaillé jusqu'à présent sur les moyens médicaux disponibles en cas de pandémie et sur l'épizootie de grippe aviaire. Elle travaille maintenant sur la pandémie à proprement parler, s'intéressant notamment aux hôpitaux et à la médecine ambulatoire. Nous voudrions connaître votre sentiment sur le plan de lutte contre la pandémie. Y a-t-il ou non des divergences entre les organisations syndicales en la matière ?

M. Roger RUA. Je ne pense pas que les divergences soient si nombreuses. Nous sommes tous d'accord pour considérer que les médecins libéraux doivent participer aux missions de santé publique. Concernant les mesures elles-mêmes, nous souhaiterions être avertis directement et immédiatement, et non par la presse, comme cela s'est déjà produit. Nous souhaiterions également bénéficier de mesures de « surprotection » dans la mesure où nous serons sur le terrain, éventuellement dans des zones isolées. Pour cela, il faut prévoir et engranger du matériel. Nous souhaiterions enfin savoir comment la formation va se faire. Comment sera-t-elle financée ? Sera-t-elle spécifique ? Qui s'en chargera ? Nous acceptons de le faire par l'intermédiaire des associations de formation. Mais comme nous avons déjà été échaudés pour certaines formations, nous attendons des précisions.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Quel est l'état d'esprit des médecins libéraux, notamment de vos adhérents, depuis qu'on parle de cette possible pandémie ?

M. Roger RUA. Les médecins souhaitent être informés les premiers, et ne pas apprendre les choses par d'autres. S'agissant de leur participation, elle ne pose aucun problème.

M. le Président. Qu'entendez-vous par là ?

M. Roger RUA. Ils participeront aux mesures de prévention dès qu'elles seront mises en place.

M. le Président. Qu'entendez-vous par « mesures de prévention » ?

M. Roger RUA. Utilisation du matériel de prévention, isolement, délimitation des zones de pandémie et des zones éventuellement contaminées.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Vous répondrez « présent » ?

M. Roger RUA. Oui, bien sûr, nous jouerons notre rôle, tout comme les hospitaliers.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Avez-vous lancé des messages dans ce sens ? Avez-vous déjà engagé une action offensive, pour ne pas attendre le dernier moment ?

M. Roger RUA. Nous avons déjà nommé plusieurs responsables chargés de faire circuler l'information de manière pyramidale, en étant eux-mêmes pré formés. La mise en route de la prévention est déjà engagée.

M. Pierre COSTES. Je m'étonne que cette audition se tienne à huis clos. J'aurais dit en public les mêmes choses, sans utiliser la langue de bois.

Le sujet est grave, et le pays doit s'en saisir comme tel. Une pandémie, c'est un afflux massif de malades par milliers, voire par millions.

En France, nous avons des plans de secours pour les accidentés, mais pas de plans de catastrophes sanitaires. Les plans rouges, les plans blancs marchent très bien pour des « petits » nombres. Mais avec des milliers, voire des millions de malades, il en ira autrement. Tous les moyens sanitaires existants devront être déployés au maximum de leur capacité sans aucune certitude de pouvoir faire face aux besoins.

M. Didier Houssin a donné une conférence pour présenter à 1 000 pharmaciens la vision qu'a la DGS d'une pandémie. Je l'ai écouté en tant que responsable syndical et médecin généraliste et j'ai été frappé par trois arguments : cette catastrophe mobilisera tout le système de santé, à commencer par les généralistes ; elle est inéluctable ; nous ne sommes pas prêts et nous ne parviendrons jamais à en faire une affaire complètement sécurisée.

Ayant pris conscience du risque, de la certitude et de l'ampleur des choses, MG France ne pouvait plus se cantonner dans un syndicalisme classique en disant : « l'État doit assumer », et en se limitant à la critique des mesures envisagées organisées. Nous devons assumer une responsabilité partagée, chacun à la mesure de ses moyens. C'est une position syndicale difficile à tenir ! Un comité directeur s'est tenu le 1er décembre 2005, et j'ai incité mon organisation à se lancer dans l'aide aux professionnels, pour qu'ils se préparent à faire face à un risque pandémique. Tout en invitant le Gouvernement à s'engager dans la formation et l'accompagnement des médecins notamment en leur garantissant les moyens nécessaires, nous avons mis en place un plan de formation pour lequel nous avons mobilisé nos ressources internes.

Je voudrais insister sur le fait que de toute façon, les médecins assumeront, comme ils l'ont toujours fait. Mais attention à ne pas concentrer les moyens sur l'hôpital : dans les situations de catastrophe, il faut une déconcentration. Regardez ce qui se passe à La Réunion, avec la crise du chikungunya. : un tiers de la population réunionnaise est touchée par cette maladie de type viral, qui dure depuis deux mois, avec des afflux massifs de patients. Le chikungunya est un modèle expérimental de pandémie. En l'occurrence, les autorités publiques n'ont pas assumé. Ce sont les médecins généralistes qui ont assumé tous ces malades : 20 000 par semaine au plus fort de l'épidémie, et ce, sans que leur soient fournis des moyens nouveaux particuliers.

Nous avons donc conscience que le sujet est majeur, que nous devons accompagner les médecins, les former et les assurer de kits de protection. Mais je ne pense pas, vu la manière dont la crise du chikungunya a été gérée, que les généralistes disposeront des moyens nécessaires. C'est pourquoi nous avons décidé de nous organiser.

M. le Président. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

M. Pierre COSTES. Je suis médecin de catastrophes. Je suis intervenu dans des catastrophes qui ont fait des centaines de milliers de morts. Plus il y a de malades, plus il y a de blessés, plus il y a de pathologies, moins il faut centraliser.

Lors d'une pandémie, avec 20 millions de malades, il faudra examiner, en deux mois, jusqu'à deux fois le nombre de malades qu'accueillent tous les hôpitaux de France en une année, en service de porte ! Pour chaque malade, vous pouvez calculer le nombre d'appels téléphoniques : l'appel initial, un appel supplémentaire si cela ne va pas, et un appel pour l'entourage. On ne gérera pas seulement 10 à 20 millions de malades, mais toute la population qui sera en contact avec les malades.

Le plan, qui concentre les appels téléphoniques sur les centres 15, fait l'inverse de ce qu'il faut prévoir. Déjà, en cas de grippe normale, les centres d'appels sont saturés au bout d'une demi-journée.

Les services de l'État élaborent, en fait, des plans d'état-major permettant de savoir qui va commander. Or, lors d'une vraie catastrophe, plus personne ne commande, tout le monde agit, mais suivant des protocoles appris à l'avance. Lorsqu'il y a un incendie dans une maison, c'est le niveau de conscience générale et la connaissance de comportements de base adaptés qui contribueront à améliorer les chances de survie. En cas de pandémie, l'éducation populaire et préalable aux mesures-barrières sera très importante et très efficace.

M. le Président. Il me semble que le plan du Gouvernement n'invite pas à aller vers l'hôpital.

M. Pierre COSTES. Je note que le plan a prévu la suspension du dispositif du médecin traitant qui par définition devrait faciliter la prise en charge des malades. Ce qui me semble inopportun. Par le biais de ce dispositif, les 40 millions d'assurés sont déclarés et déjà répertoriés ! On devrait donc construire un plan opérationnel sur cette nouvelle règle qui permettrait de pré-positionner du matériel ou des médicaments dans les cabinets de médecins pour soigner les patients dont ils ont la charge. Qu'on suspende l'application des règles de déremboursement, c'est logique. Mais qu'on suspende un principe d'organisation des soins juste au moment où l'on en a besoin, cela me paraît curieux.

On envisage, par ailleurs, la mise en place d'un dispositif de soins ambulatoires pour la médecine de ville. Comme si on allait créer un dispositif propre à la pandémie ! On sera dans le cadre d'une médecine de catastrophe. Et dans ce cadre, on fait tourner à plein les systèmes existants. On ne crée jamais de dispositif spécifique...

M. le Président. Selon vous, seuls les médecins généralistes vont gérer le système ?

M. Pierre COSTES. En terme de soins de masse, oui.

M. le Président. Si on ne crée pas de nouveaux dispositifs, cela veut dire que seuls les généralistes interviendront. Pensez-vous souhaitable que seuls les généralistes soient associés à cette logique ambulatoire, ou bien que chaque médecin, quels que soient sa formation initiale et son statut, soit mobilisé ?

M. Pierre COSTES. C'est ainsi que cela se passera, et que cela s'est d'ailleurs passé à La Réunion, avec le chikungunya : afflux massif de patients dans un système ambulatoire. Et naturellement, la masse des consultants ont été pris en charge par le système ambulatoire lui-même.

M. le Président. Vous avez dû noter que je n'ai pas toujours approuvé l'action du Gouvernement dans la crise du chikungunya. Mais objectivement, on ne peut pas comparer cette maladie à la pandémie grippale. Dans le premier cas, c'est certes une maladie désagréable, mais on n'en meurt pas. Et surtout, ce n'est pas contagieux. Je suis convaincu qu'il y a des enseignements à tirer de l'épidémie de chikungunya, mais pas de façon mécanique car ce n'est pas la même problématique.

M. Pierre COSTES. Je ne suis pas d'accord avec vous. Il faut traiter le sujet, non pas selon la gravité de la maladie, mais en fonction de l'afflux massif ou non de malades : c'est cela, la problématique. Et dans cette hypothèse, plus les cas sont nombreux et graves, et moins il faut de centralisation. Notons quand même que 200 décès à La Réunion correspondent à 12 000 décès en métropole.

M. le Président. Le plan du Gouvernement ne prévoit pas un afflux massif de patients dans les hôpitaux, mais plutôt le maintien à leur domicile des malades, qui seront visités par des médecins allant d'immeuble en immeuble.

M. Pierre COSTES. La réalité, ce sera 10 à 20 millions de personnes à soigner en deux mois. Les médecins de ville pourront-ils assumer ? Aujourd'hui, les médecins généralistes voient un million de malades par jour ouvrable. Sans préjuger de la virulence, il y aura environ 20 millions de malades à prendre en charge. Avec une petite virulence, 60 000 morts, cela correspondra à un mort par médecin généraliste. En cas de problème massif, avec 180 000 morts, cela correspondra à trois morts sur les 1 000 patients, patientèle moyenne relevant d'un médecin généraliste. Cela reste très grave, mais c'est une autre façon d'aborder le problème.

Plus la maladie sera grave en terme de nombre, plus les patients devront être soignés en périphérie du système de soins, même si leur état est grave. Plus ils seront nombreux, moins on pourra les hospitaliser.

M. le Président. Vous contestez l'architecture globale du plan, la manière dont il est mis en œuvre aujourd'hui par les pouvoirs publics : il accorderait plus d'importance au secteur hospitalier qu'au secteur ambulatoire. Mais voyons d'abord comment le médecin s'insèrerait dans la mobilisation. Que demande-t-il éventuellement en échange ? Nous pourrons ensuite revenir sur la question de l'architecture générale du plan.

M. Jean-Claude REGI. Le problème de la prise en charge des patients, en fonction de la gravité des signes cliniques, notamment si le pronostic vital est en jeu, relève de l'ARH, des hôpitaux publics. En revanche, si le pronostic vital n'est pas en jeu, les médecins généralistes libéraux pourront prendre en charge le malade. Cela nécessite de former ces médecins au diagnostic différentiel. Une réunion a eu lieu, le 21 de ce mois-ci, au niveau national, pour assurer cette formation.

M. le Président. Il s'agit donc de former les formateurs.

M. Jean-Claude REGI. Ensuite, il faut se préoccuper de la formation et de l'information des médecins au niveau de chaque département, par les DDASS, avec la mise en place d'un numéro de téléphone réservé aux seuls médecins. Il faut aussi mettre en place des mesures de protection des médecins.

M. le Président. C'est-à-dire ?

M. Jean-Claude REGI. Mise à disposition, à usage personnel, de Tamiflu, de masques de protection en quantités suffisantes, de collecteurs de déchets ; des déplacements et un stationnement facilités dans les agglomérations ; un renouvellement des traitements des malades chroniques sans passer par le généraliste, afin de dégager du temps ; distribution du Tamiflu aux médecins.

M. le Président. Mettre du Tamiflu à la disposition des médecins à titre préventif ?

M. Pierre COSTES. Il faut le prendre à titre préventif, même si nous n'avons pas la certitude de son efficacité. Les professionnels sont demandeurs de moyens. Nous en avons fait la liste.

M. le Président. Il faut nous la faire parvenir. La distribution du Tamiflu aux professions médicales à titre préventif est une question centrale.

M. Jean-Claude REGI. Il faudrait mettre le Tamiflu à la disposition de chaque foyer en phase pré-pandémique, afin qu'il soit pris en phase d'incubation, après demande du médecin traitant. Il faut anticiper le mouvement.

Les médecins libéraux sont prêts à assurer leur mission, mais leur propre sécurité sanitaire doit être assurée. Ils doivent être formés, et suffisamment informés sur leur rôle et leurs missions ; les décisions doivent être prises en concertation avec leurs représentants.

Mais que se passe-t-il réellement aujourd'hui ? La seule information adressée aux médecins libéraux a été la plaquette d'octobre 2005, très bien faite d'ailleurs, sur la conduite à tenir en cas de risque de pandémie. Un travail important a été effectué par le ministère de la santé pour faire face à une éventuelle pandémie, dont les médecins sont informés par la presse et les publications disponibles sur le site du ministère. Il faut reconnaître que l'information n'a pas encore bien circulé. Les représentants des URML, qui ont la responsabilité de dispenser la formation auprès des formateurs et des organismes de formation médicale continue habilités, se sont réunis le 21 avril. Nous ne doutons pas que la formation de l'ensemble des médecins libéraux s'effectuera dans les mois qui viennent.

Cette pandémie bouleverserait radicalement le mode de fonctionnement de notre système de santé, par la prise en charge des patients par la médecine de ville et non par l'hôpital, leur maintien à domicile devant contribuer à éviter à la fois la propagation du virus et la paralysie des services hospitaliers.

Les mesures à prendre en faveur des professionnels de santé sont connues. En période pré-pandémique, c'est-à-dire aujourd'hui, ils doivent avoir à leur disposition un équipement adéquat pour se protéger, qu'il s'agisse de masques, de gants, de lunettes, de sur-blouses. Or, nous constatons que peu de médecins libéraux sont en possession de ces équipements. En période pandémique, ces équipements devront être d'usage quotidien, donc en quantité suffisante, et l'approvisionnement devra être assuré. Actuellement, les médecins libéraux attendent toujours de savoir comment obtenir ces équipements, tant pour eux que pour les malades. Sachez qu'en période prépandémique, il faut utiliser un masque par patient infecté et qu'en période pandémique, il faut changer de masque toutes les trois ou quatre heures. Cela suppose des masses importantes de matériel à disposition.

M. le Président. Que vous a-t-on dit sur ce point ?

M. Pierre COSTES. Pour l'instant : ayez confiance !

M. le Président. Vous dit-on que vous serez livrés en temps et en heure ?

M. Jean-Claude REGI. C'est cela.

M. le Président. Pendant la période pandémique ou avant ?

M. Jean-Claude REGI. Je souhaiterais que ce soit avant.

M. le Président. C'est ce que vous souhaitez, mais que vous dit-on ?

M. Jean-Claude REGI. Ce n'est pas précisé. De même, il semblerait que les traitements antiviraux seront mis gratuitement à la disposition des patients et des soignants. Là encore, les médecins attendent de savoir comment obtenir ces traitements.

Il convient donc d'organiser la communication et la formation, en sachant qu'il est impossible de prévoir la date d'arrivée de cette pandémie La question se pose donc de la validité des informations dans le temps.

Les médecins libéraux sont quotidiennement interrogés par leurs patients. Quelle information leur donner, sans céder au catastrophisme ? Il convient, parallèlement à l'information et à la formation des médecins, de mettre en place un plan de communication destiné au grand public : cela relève de la responsabilité du Gouvernement.

En période pandémique, il ne f ait aucun doute que les médecins habitués à soigner rempliront leur rôle.

M. le Président. Qu'est-ce qui vous permet de dire cela ?

M. Jean-Claude REGI. Les informations dont on dispose. Les médecins sont demandeurs d'informations...

M. le Président. L'histoire des catastrophes montre le contraire. Qu'est-ce qui vous permet de dire que les médecins resteront sur place ? La question se pose aussi, d'ailleurs, pour d'autres professions. En outre, le corps médical étant fortement féminisé, beaucoup de médecins auront des contraintes familiales. Certes, les médecins sont des gens bien. Mais que valent les déclarations d'intention ?

M. Jean-Claude REGI : Nous sommes en train de vous dire que les médecins sont demandeurs de formations, d'informations et qu'ils ont bien compris le problème de la pandémie. Je n'ai pas vu un seul médecin qui ait dit qu'il se moquait de ce qui allait arriver !

M. le Président : Selon vous, les chirurgiens-plasticiens, ou d'autres médecins spécialistes, devraient-ils être mobilisés ? Si oui, dans quelles conditions ?

M. Jean-Claude REGI. Avant de venir à cette audition, j'ai interrogé nos adhérents. Il se trouve qu'un médecin spécialiste, ORL, président d'une commission d'établissement privé, a répondu qu'il n'avait aucune information et qu'il se demandait comment il pourrait, malgré tout, intervenir en tant que spécialiste travaillant dans un établissement privé. Les informations doivent donc suivre, et rapidement. Car à l'heure où je vous parle, les établissements, du moins privés, ne sont pas vraiment impliqués. Or, comme vous le faites très justement remarquer, tout le monde devra être concerné.

M. le Président. J'imagine bien ce que peut penser un médecin spécialiste, qui ne sait pas ce qu'il devra faire et qui se demande pourquoi il risquerait sa vie. Ce sont des interrogations légitimes.

M. Jean-Claude REGI. Nous sommes des responsables syndicaux, mais nous sommes aussi médecins. Je peux vous dire que je n'ai entendu personne, parmi les généralistes que je connais, qui ait dit qu'il prendrait la poudre d'escampette dès le premier malade ausculté. En revanche, j'ai rencontré des médecins demandeurs d'information pour savoir ce qu'il faudrait faire. Qu'on leur donne les masques et le matériel de protection, qu'on leur fasse parvenir du Tamiflu pour eux-mêmes et leur famille : ce sont leurs attentes aujourd'hui. Je n'ai entendu personne dire qu'il ne ferait pas face.

M. Pierre HELLIER. Je suis plutôt rassuré par votre discours car vous connaissez bien vos troupes. S'agissant des généralistes, vous êtes quasiment certains qu'il n'y aura pas de défections. Mais quand on voit les difficultés rencontrées actuellement pour assurer la permanence des soins dans certains départements, on peut avoir quelque inquiétude. Mais comme je suis certain que vous connaissez bien vos troupes, j'imagine que vous ne vous avanceriez pas autant si vous n'étiez pas sûrs d'elles. On peut donc compter sur la mobilisation effective des généralistes. On sera peut-être amené, ensuite, à développer, autour des généralistes, l'intervention d'autres professionnels de santé comme renforts. Mais le gros de la troupe sera constitué de généralistes.

S'agissant du 15, vous avez raison : ce numéro sera vite saturé. En tout cas, pour nous, ce n'est pas l'hôpital, mais le généraliste qui devra intervenir, et à domicile. Il semble que ce soit aussi votre analyse.

M. Pierre COSTES. Les généralistes assumeront car ils savent bien que sur mille patients, il n'y aura pas mille morts. Ils ne fuiront pas. Pour aller où, d'ailleurs ? Il s'agira d'une pandémie. Et puis, il ne s'agit pas de la peste. Nous organisons des formations et les gens y assistent : s'il y a trente places, il y a quarante participants. La seule chose qu'ils demandent aux syndicats, ce sont des moyens ; ils ne disent pas vouloir être déchargés de leur mission.

Aujourd'hui, en période de pré-pandémie, devant un cas suspect, le généraliste appelle le 15. Et il voit arriver une équipe de professionnels équipés de sur-combinaisons, de lunettes, de gants, pour faire un prélèvement. Il en conclut que le cas est grave, mais constate que, lui n'a rien, aucune protection. Il ne s'agit pas de fuir, mais de savoir quels seront les moyens mis à disposition.

Le problème n'est pas de savoir si le 15 est une mauvaise solution, mais de connaître les moyens téléphoniques ou d'assistance téléphonique dont seront équipés les cabinets des généralistes.

Les généralistes devraient pouvoir prendre en charge 500 000 patients par jour. Pour produire plus d'actes et voir plus de malades, il faudra leur demander de quels outils ils auront besoin. La société, qui souhaite de la part des soignants la réaction la plus appropriée à un afflux massif de patients, doit les interroger tous, chacun dans leur registre : à l'hôpital ou en libéral, généralistes ou spécialistes libéraux. Car ils auront tous à augmenter leur productivité, pendant une période de trois semaines. Voilà sur quoi doivent porter les questions. 90 à 95 % des malades devront être pris en charge par le système ambulatoire. Et les 5 % qui devront être hospitalisés risquent de faire exploser les services de réanimation. Il faudra que tout le monde augmente sa productivité.

Ce plan est, pour l'essentiel, un plan d'état-major, précisant qui commande - l'intérieur et la santé -, qui fait telle ou telle chose, comment on réquisitionne, etc. Quant à nous, nous ne sommes pas dans le commandement : nous sommes des fantassins, nous voulons seulement savoir comment nous mettre en marche, en sachant que nous devrons tirer beaucoup de cartouches : qu'aurons-nous comme gilets pare-balles, comme mitraillettes ? Quelles seront nos armes ?

Connaissant la demande des médecins en matière de formation, les syndicats professionnels organisent une formation et demandent à l'État de leur fournir davantage de moyens ; je n'ai cependant pas encore vu de budget pour cela.

S'agissant des matériels de protection, nous fournissons à nos collègues des adresses où se procurer des matériels. Mais nous demanderons également à l'État comment il nous aidera à nous procurer ce matériel.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Nous avons rencontré un certain nombre de responsables hospitaliers, en province et à Paris. Ils sont persuadés qu'en cas de pandémie , tout le monde sera paniqué et se précipitera vers l'hôpital. Les médecins hospitaliers ne pourront pas absorber ce flux de population. Il faudra donc, et c'est ce que le plan prévoit, traiter le maximum de patients à domicile. Ils nous ont dit également avoir très peu de liens avec leurs collègues de la médecine ambulatoire et se demandent si ceux-ci vont accepter de prendre en charge les malades à leur domicile.

J'ai rencontré un préfet qui m'a dit qu'il recevait les représentants des syndicats, les représentants de l'URML, pour voir avec eux comment agir au niveau local. Cela prouve au moins qu'il y a une information à ce niveau. Je ne sais pas si cela se fait partout. Les élus locaux seront bien entendu également concernés. On pourrait envisager l'ouverture de structures d'hospitalisation annexes si certaines personnes ne peuvent pas rester à domicile, comme on l'a vu lors de la canicule.

Nous essayons de voir ce qu'il est possible de construire. Nous avons, nous aussi, lu le plan gouvernemental, appelé d'ailleurs à évoluer, comme nous l'a confirmé M Didier Houssin. Et le Ministre de la santé nous a certifié lui-même que vous disposeriez des kits de protection prochainement.

M. Bernard ORTOLAN. Mon message est le même que celui que mes confrères : les médecins ne se déroberont pas à leur devoir et à leurs obligations.

M. le Président. Je n'y crois pas.

M. Bernard ORTOLAN. Peut-être n'y croyez-vous pas, monsieur Le Guen, mais vous verrez bien, le moment venu ! Ne cédons pas à la panique dès maintenant, la situation deviendra sinon incontrôlable. Dans cette première phase pré-pandémique, nous essayons d'imaginer le pire en souhaitant qu'il n'arrive pas et en le prévenant au maximum. Dès maintenant, il s'agit d'apporter des réponses aux questions que se posent légitimement les médecins. Ils ont conscience du travail important qu'ils peuvent faire dès maintenant et qu'ils feront, en cas de pandémie, comme de bons petits soldats, selon le plan d'urgence qui sera déclenché.

Les médecins joueront leur rôle avec le parfait désintéressement qu'on leur connaît. Je ne vous parle pas aujourd'hui de réquisition ni d'honoraires, ce ne sont pas des problèmes qui nous intéressent. Les médecins souhaitent simplement avoir du matériel pour se protéger et protéger leur famille, leurs patients et leurs salariés. Ils souhaitent avoir des instructions claires sur la façon dont ils devront gérer les flux de malades.

Aujourd'hui, on parle de confiner les malades, d'interrompre les transports en commun et de fermer les écoles, pour éviter la transmission du virus. Il faut assurer l'information de la population le plus en amont possible, de façon à éviter les mouvements de panique ou les mouvements contre-productifs comme celui qui consisterait à se précipiter à l'hôpital. Nous en avons déjà eu l'expérience avec la bronchiolite du nourrisson. Au début, les enfants atteints de cette pathologie allaient directement à l'hôpital. A la suite d'une conférence de consensus, on a créé des réseaux « bronchiolite ». Il faudrait faire quelque chose de ce type. Nous devons faire en sorte que la population ait confiance dans la réponse de proximité qu'apporteront les généralistes, les spécialistes - qui devront également se mobiliser - et tous les médecins quels qu'ils soient : salariés dans les dispensaires, médecins dans les hôpitaux, etc. Il faudra informer, rassurer les gens et les renvoyer chez eux avec le traitement adéquat.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Ma question s'adresse à tous les quatre. Vous avez évoqué la question de l'indemnisation des médecins. Les caisses d'assurance maladie, que nous avons interrogées, nous ont dit que cela ne constituerait pas un problème. En cas de très forte augmentation des consultations, on ne se préoccupera pas de feuilles de remboursement ni de cartes, et les caisses verseront à chaque cabinet médical une avance sur trésorerie pendant un certain temps. Avez-vous eu cette information ?

M. Jean-Claude REGI. Pour ma part, j'ignorais cette perspective d'avance de trésorerie.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Cela nous a été dit officiellement ici.

M. Jean-Claude REGI. Il faudra aborder la question, bien que ce ne soit pas un problème majeur. Mais il faut être pragmatique. L'idée est de maintenir les malades à domicile, sauf pronostic vital engagé, pour éviter la diffusion du virus.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Des personnes seules ne peuvent pas rester chez elles en cas de grippe.

M. Jean-Claude REGI. Dans la phase actuelle, il faut informer les gens et leur dire, de façon préventive, que le schéma est de rester à domicile. Il s'agit d'un choix politique. Les généralistes seront les médecins de premier recours, mais tous les médecins seront mobilisés.

M. Roger RUA. Il est bien évident que les honoraires ne seront pas notre préoccupation principale en cas de catastrophe. Nous avons l'habitude de prendre nos responsabilités : lorsque nous intervenons dans un avion, nous ne demandons pas une feuille de maladie...

Je tiens à préciser que les spécialistes sont des docteurs en médecine comme les autres. En cas de catastrophe et en premier recours, ils joueront, eux aussi, leur rôle. La formation « grippe aviaire » n'est pas très spécialisée, c'est une formation de médecine de catastrophe.

Au stade préventif, il faudra isoler les foyers et informer les médecins. C'est pourquoi je vous avais demandé, au début de mon intervention, une information prioritaire, quasi instantanée.

On ne peut pas imaginer un plan de catastrophe sans un commandement centralisé. N'importe quel militaire vous le dira. Et nous serons tous, généralistes et spécialistes, des soldats bien disciplinés.

Enfin, il faudra éviter que tout le monde se précipite à l'hôpital. C'est pourquoi il faudra isoler le plus vite possible les foyers infectieux.

M. Pierre HELLIER. J'entends bien l'engagement des syndicats. C'est très satisfaisant, dans la mesure où il existait quelque crainte, qui vient d'être levée. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour que les généralistes s'efforcent de garder tout le monde à domicile. Car plus il y aura de déplacements, et plus le virus circulera. Je pense qu'il faudrait faire passer ce message très rapidement. On ne devrait pas pouvoir aller à l'hôpital sans une lettre de son médecin traitant.

En tant que médecin, je suis tout à fait rassuré par votre engagement très fort à participer à l'effort général. Il faudra certainement mettre au point une organisation et un réseau. Vous parlez de formation, mais très honnêtement, celle qui est nécessaire pour prévenir ou traiter la grippe aviaire me paraît relativement simple.

M. Bernard ORTOLAN. Nous ne sommes pas tout à fait d'accord. Il faut pouvoir faire la différence entre une simple grippe, une grippe aviaire ou autre chose. Si la pression est très forte, des erreurs sont possibles. Ce n'est pas si simple que cela. Vendredi dernier, il y a eu une journée sur la question de la formation. Des formateurs ont reçu un premier programme, lequel sera décliné vers des formations de formateurs, de façon à couvrir l'ensemble du territoire pour que tous les médecins puissent bénéficier d'une soirée de formation leur donnant les détails du plan, quelques éléments cliniques et virologiques et les bonnes attitudes à adopter. Les médecins sont très demandeurs. Il faut donc leur livrer ce programme d'ici la fin de l'année.

M. le Président. Je note que le corps médical se dit prêt à s'impliquer. Mais partout, il sera fait appel aux bonnes volontés : on demandera qui est volontaire pour venir. Le discours actuel est basé sur le volontariat et les déclarations d'intention, chacun faisant appel à sa conscience professionnelle individuelle. C'est une belle chose !

M. Pierre COSTES. Vous pensez que les gens vont quitter leur poste ?

M. le Président. Oui. Aujourd'hui, quand je parle avec des directeurs du personnel d'hôpitaux, ils me disent qu'ils ne feront appel qu'aux volontaires car certains personnels ne pourront pas venir. Il y en aura d'ailleurs sans doute parmi les médecins. Les gens qui ont des enfants en bas âge, qui habitent loin...

M. Pierre COSTES. Des personnels dont c'est le métier, et alors que ce sont leurs horaires de travail, ne viendraient pas ?

M. le Président. C'est ce que je vous dis.

M. Pierre COSTES. Pour des raisons objectives ?

M. le Président. Je ne sais pas. Aujourd'hui, le discours politiquement correct consiste à faire appel au volontariat et à la bonne conscience des gens. Et personne ne dira que la bonne conscience des uns est supérieure à la bonne conscience des autres. Je n'ai pas à mettre en cause le corps médical. Je suis d'ailleurs médecin moi-même.

Le ministre de l'éducation nationale nous a dit que le rôle des enseignants serait de rester chez eux pendant la crise pandémique, mais qu'on comptait sur eux pour qu'ils suivent les devoirs des enfants, par Internet, par téléphone, etc. Je lui ai alors demandé s'il s'agirait d'une suggestion ou d'une obligation. Il m'a répondu qu'il s'agirait d'une suggestion. Qu'en sera-t-il des policiers ?

Vous pensez que nous pouvons en appeler à la conscience individuelle de tout un chacun. Mais il faut se mettre à la place des gestionnaires de l'État : ils ne sauront pas combien il pourra y avoir de policiers, d'aides soignants, de brancardiers, etc.

Je prends acte de la bonne volonté de tout le monde. Mais il me semble qu'on a peut-être besoin de passer à un stade supérieur.

Vous vous interrogez tous sur le contenu stratégique du plan. Vous vous interrogez aussi sur les moyens qui vous seront donnés, qu'ils soient de protection, financiers... C'est légitime. En agissant ainsi, vous faites votre travail de syndicalistes. Mais peut-on « aller à la guerre » alors que les représentants des professions les plus concernées se posent des problèmes d'orientation stratégique et d'intendance ? On ne peut pas en rester là. Car si la pandémie se produit, notre responsabilité, en tant que politiques, en tant que représentants du corps médical, sera engagée. Quelle responsabilité, pour nous, s'il apparaissait, au cas où la pandémie surviendrait, que nous ne sommes pas capables de gérer le risque, alors même que nous le connaissions et que nous disposions du temps nécessaire pour nous organiser !

On ne peut donc pas ignorer vos interrogations d'ordre stratégique. Pour autant, je ne suis pas convaincu par votre vision des choses. Je suis d'ailleurs de moins en moins convaincu par le plan car des interrogations fortes se font jour. Jean-Pierre DOOR a évoqué la création de zones-tampon, de sas, de zones de triage, et c'est plutôt dans ce sens que va notre analyse stratégique. Elle implique la présence du corps médical dans ces structures, ce qui vous concerne au premier chef. En revanche, je ne crois pas souhaitable que les gens se déplacent dans les cabinets de consultation des médecins. Dans l'hypothèse où ils resteront chez eux, c'est le médecin qui viendra les voir.

M. Pierre COSTES. Je suis heureux de voir que vous avez relevé nos interrogations d'ordre stratégique. C'est vrai : les professionnels ambulatoires ne sont pas sûrs d'avoir les moyens de faire face à leur excès de travail, alors qu'ils savent que l'hôpital parvient, lui, à obtenir des moyens.

M. le Président. Honnêtement, je ne crains pas qu'il y ait des moyens pour les uns et pas pour les autres. Je m'attends plutôt à un stress profond qui désorganise les deux structures. Sachez qu'aujourd'hui, l'hôpital n'est pas en état de supporter le stress potentiel auquel il pourrait être soumis. La situation est d'ailleurs très différente entre les départements ruraux français et les grandes zones urbaines, qui représentent 50 à 60 % de la population française. Dans ces zones urbaines, il y aura de sérieux problèmes d'organisation et de gestion.

Le rôle de notre mission est de tout entendre, mais de ne se satisfaire de rien. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de déclarations d'intention ; nous sommes là pour essayer de comprendre toutes les remises en cause, qu'elles portent sur l'orientation stratégique ou tactique. Nous ne sommes pas là pour donner des leçons à qui que ce soit. Mais quand vous nous dites, uniquement pour nous rassurer, que les professions de santé feront leur devoir, je vous réponds : comment peuvent-elles faire leur devoir si elles n'adhèrent pas à la stratégie et si elles estiment qu'elles n'en ont pas tactiquement les moyens ?

Sans la médecine ambulatoire et libérale que vous représentez, nous aurons de grosses difficultés, parce qu'il n'y a pas de solution hospitalière à la crise pandémique. La médecine ambulatoire aura un rôle majeur, y compris le secteur médico-social et les simples citoyens. Je ne voudrais pas qu'on fasse l'impasse sur les difficultés réelles du plan en préparation et que demain on polémique, comme ce fut le cas à propos de la canicule.

Nous devons essayer de voir ce que nous pouvons faire, les uns et les autres, pour nous comprendre, entre politiques et syndicalistes de la médecine libérale, mais aussi hospitalo-universitaires, etc.

M. Jean-Claude REGI. Nous sommes venus vous faire passer un message : les médecins libéraux, de première ligne, répondront présents. De votre côté, vous avez des interrogations, ce que je comprends. Mais que pouvez-vous proposer d'autre ? Voulez-vous réquisitionner tout le pays ? Voulez-vous réquisitionner tous les médecins, 24 heures sur 24 ?

M. le Président. Voilà des questions parfaitement légitimes.

M. Jean-Claude REGI. Et ce médecin ne pourra-t-il pas vous dire qu'il est malade ?

M. le Président. Nous y sommes...

M. Jean-Claude REGI. Et vous n'aurez pas réglé le problème.

M. le Président. Je suis d'accord.

M. Jean-Claude REGI. Le médecin de base n'est pas vraiment au courant, même s'il a reçu une plaquette d'information. La stratégie adoptée, et pas seulement par la France, est celle du maintien des malades à domicile. Maintenant, nous sommes au pied du mur et les choses doivent se mettre en place, notamment en matière de formation. Je répète que les médecins sont demandeurs de moyens.

M. le Président. Je n'ai pas pensé une seconde tenir un discours du genre : les médecins libéraux n'ont qu'à être là et à faire leur travail ! Vous vous interrogez : « Vont-ils devoir travailler 24 heures sur 24 pendant six semaines ? N'ont-ils pas, eux aussi, des enfants ? Ne tomberont-ils pas malades, eux aussi ? » Vous avez raison. Comment ne pas prendre ces éléments en considération ?

Le conseil de l'Ordre nous a dit avoir envoyé une notice d'information. Mais est-ce bien son travail ? J'ai demandé à sa représentante si le conseil de l'Ordre n'avait pas à rappeler, au nom de la déontologie, le devoir moral et la responsabilité éthique des médecins. C'est au conseil de l'Ordre d'abord, et au pouvoir politique ensuite, d'en appeler à la responsabilité des uns et des autres.

M. Pierre COSTES : Ne trouvez-vous pas curieux, alors que l'on compte sur la médecine de ville pour assurer 90 % des soins à la population dans le cadre d'une pandémie, que nous apprenions ici, par incidence, que les caisses ont envisagé un système pour que les médecins puissent travailler et être rémunérés ?

Les médecins, qui seront en première ligne, s'inquiètent. Ils se disent que, comme d'habitude, ils seront considérés comme les dernières roues du carrosse et qu'on ne se préoccupera que tardivement de la façon dont ils seront équipés. On leur a parlé réquisition, obligation, alors même qu'ils étaient volontaires et qu'ils craignent de ne pas avoir de moyens !

Les médecins généralistes voient un million de personnes par jour. Ces personnes les interrogent sur la grippe aviaire et ils ne peuvent que leur répondre qu'ils ne savent rien. Ce n'est pas vraiment rassurant !

M. le Président. Je suis d'accord avec vous. J'ai pris acte d'un malaise. Tout comme mes collègues ont ressenti un malaise en écoutant le conseil de l'Ordre tout à l'heure - même si sa représentante n'est pas en cause.

M. Pierre COSTES. Pour autant, nous n'avons pas le sentiment que les médecins généralistes vont déserter devant la maladie.

M. le Président. Personne ne pense cela. Je ne l'ai jamais dit. Vous l'avez entendu parce que vous craigniez... que je ne le craigne !

Je ne pense pas qu'on soit, sous prétexte qu'on a fait sept ans d'études de médecine, plus sain qu'un autre. Les hommes sont les hommes. Parmi les médecins il y a des gens extraordinaires, d'autres qui sont un peu moins bien. Je ne demande pas qu'on me dise qu'ils sont extraordinaires. Je souhaite savoir comment ils pourront se sentir mobilisés et sécurisés.

Si vous pensez utile de soulever la question du Tamiflu en usage prophylactique, parlez-en. Car cela aura des conséquences immédiates.

M. Pierre COSTES. Cela a déjà eu des conséquences puisqu'un grand nombre de professionnels en ont déjà acheté. Je pense qu'aujourd'hui, les acteurs de proximité n'ont pas confiance.

M. le Président. J'ai bien compris qu'il y avait une certaine défiance.

M. Jean-Claude REGI. Je ne crois pas que les médecins soient en train de se poser des questions existentielles. Leur bonne foi et leur conscience professionnelle sont évidentes. Certes, plusieurs paramètres interviendront, qui risquent de dénaturer les choses.

Il faut aujourd'hui informer et former les médecins. C'est ce qu'ils attendent. Ils ne savent pas vraiment que répondre à leurs patients. Il faut absolument que la population s'approprie ce plan.

On peut discuter à loisir des orientations stratégiques du plan et lancer des discussions tactiques sur sa mise en œuvre. Mais nous n'avons pas toutes les compétences pour cela. Il faut être assez humble : on ne sait pas encore tout, et les choses changent.

M. Door a parlé d'utiliser des gymnases, je pense que mettre des personnes malades dans un gymnase reviendrait à décentraliser l'hôpital, à diffuser la charge virale et à faire des morts parmi les soignants. Mais c'est mon intuition, qui n'est pas partagée par tous.

On a parlé du Tamiflu. On peut, certes, en stocker. Mais il va falloir aussi savoir l'utiliser. Il ne faudra pas le gaspiller, ni le prescrire à tort ou à travers. Des problèmes éthiques vont donc se poser ; faudra-t-il faire une sélection au moment de sa distribution ?

Toutes ces questions, techniques, tactiques, éthiques ne sont pas résolues. Il faut qu'on réfléchisse davantage. Mais je fais confiance à ce que vous choisirez in fine, vous en tant que représentants du peuple. Les médecins, comme moi, feront ce qu'on leur dira de faire.

M. Roger RUA. Nous ne sommes pas contre les orientations stratégiques. Reste qu'aujourd'hui, il existe un plan et que nous avons beaucoup progressé par rapport à ces dernières années. Le fait que vous nous invitiez à vous présenter nos observations est tout de même positif.

M. le Président : S'il n'y a pas une adhésion globale à la stratégie du plan, cela posera des problèmes. Ceux qui vont aller au feu doivent être certains qu'ils seront protégés.

Si vous avez des revendications précises, il faut les présenter. Vous avez parlé de la formation. Il semblerait que les choses soient en train de se faire. Ne serait-il pas utile de tenir une conférence nationale consultative sur la préparation de la grippe aviaire, à laquelle vous participeriez en tant que représentants syndicaux ?

M. Pierre COSTES. C'est de votre responsabilité.

M. Le Président. C'est pourquoi je suis prêt à acter, avec mes collègues, ce type de revendication, qui me semble aller dans le bon sens. C'est le moment ou jamais, devant ce défi, de dépasser le clivage entre les hospitaliers et les libéraux. Les hospitaliers que nous avons vus savent très bien que l'hôpital risque de sombrer.

M. Pierre COSTES. Il y a une différence essentielle entre les libéraux et les hospitaliers. Les cadres et les médecins d'un hôpital peuvent s'inquiéter, s'effondrer, mais ils n'ont pas la direction de leur affaire. Ils peuvent seulement crier au secours pour avoir des moyens. Je fais la même chose, en tant que syndicaliste, pour les médecins de ville qui vont assumer le choc de la pandémie, quel que soit son degré de virulence.

Nous avons dit que nous n'étions pas sûrs du soutien de l'État, qui a du mal à considérer la médecine ambulatoire comme un élément fort de sa politique de santé. Pour autant, les médecins iront au feu et ne fuiront pas. Mais ils demanderont des équipements.

En décembre, nous avons fait le choix de revendiquer, notamment, une formation, mais nous avons aussi mis en place un dispositif : c'est ainsi qu'en juin, nous aurons formé 5 000 médecins. Nous pensons que nous devons aider nos collègues à être mieux préparés, et organiser la fourniture du matériel...

M. le Président. Ce n'est pas à vous de le faire !

M.Pierre Costes. Vous avez raison. Mais tant que nous n'aurons pas la certitude que l'on commencera par là...

M. le Président. Il faut poser la question !

M. Pierre COSTES. Mais où sont les stocks ?

M. le Président. Ils existent, je peux en témoigner. Je suis frappé par cette distance terrible, par cette absence de confiance, entre les autorités et le corps médical que vous représentez.

M. Roger RUA. On ne peut pas dire qu'il y a une méfiance totale.

M. le Président. Disons que la confiance est nuancée.

M. Roger RUA. Nous avons confiance dans les autorités de l'État !

M. Bernard ORTOLAN. En cas de pandémie, nous ne pourrons plus faire un travail syndical de base. Nous serons dans un contexte où nous dirons à nos adhérents de faire leur devoir en étant protégé. Mais la question se posera de savoir comment les protéger et comment améliorer le plan. Est-ce que c'est nous qui nous occuperons du Tamiflu ? Est-ce que ce seront les pharmaciens ? Il faut le savoir. J'espère que nous ne nous trouverons pas dans la situation où nous devrons trier les patients.

M. le Président. Vous semblez douter de l'autorité de l'État.

M. Bernard ORTOLAN. Pas du tout. On me dit qu'il y a 40 millions de doses de Tamiflu, qu'elles sont stockées quelque part et que ce n'est pas à nous de les distribuer. Soit, mais je me demande comment on les mobilisera et comment on s'assurera qu'elles seront données de manière adéquate et qu'elles ne seront pas gaspillées. En outre, au début, il y aura peut-être des doutes sur le diagnostic, faisant hésiter sur la réalité de l'affection par le virus H5N1. Comme il y aura des patients dans les salles d'attente, il faut y installer des distributeurs de masques. Pour l'instant, ce n'est pas prévu.

M. le Président. Croyez-vous qu'en zone urbaine, vous allez pouvoir stocker quoi que ce soit dans vos cabinets ? Prendriez-vous le risque ?

M. Pierre COSTES. Il n'y a pas plusieurs solutions : ou bien il y a ce qu'il faut pour protéger les gens, et il n'y a ni panique ni risque. Ou bien...

M. le Président. Il y aura panique, même s'il y a ce qu'il faut. Le problème est d'essayer d'en abaisser le niveau alors que des malades voudront du Tamiflu matin, midi et soir...

M. Pierre COSTES. C'est comme les antibiotiques, qui n'ont pas à être prescrits automatiquement. C'est le niveau de connaissance générale de la population qui déterminera le niveau de survie et de bonne adaptation. Et les problèmes liés au stockage du Tamiflu dépendront du niveau d'information donnée à la collectivité.

M. le Président. Je ne vous parle pas en tant que médecin, mais en tant qu'élu. Dans les zones urbaines denses, je ne prendrai pas le risque de dire que dans tel ou tel cabinet, il y a un stock de 5 000 comprimés de Tamiflu. Je suis évidemment convaincu de l'importance des campagnes de prévention. Mais il y a des gens qui comprendront mal le message.

Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. Cette audition montre qu'on a besoin de se parler, de confronter les médecins de régions différentes, de spécialités différentes. Vous parlez pour les généralistes, ce qui est normal. Mais nous, nous réfléchissons de façon globale.

J'ai le sentiment que les généralistes ne pourront pas faire face, seuls, à la pandémie. Ils auront besoin d'être protégés. En cas de situation grave, il faudra que les non-généralistes les aident. Il faut penser que les « recettes » ne seront pas les mêmes dans la Creuse ou dans les Hauts de Seine, car les densités hospitalières sont différentes.

Il faut que des professionnels ayant des angles de vue et des expériences différentes se rencontrent, de manière à ce que leurs préoccupations respectives soient confrontées les unes aux autres afin de trouver des solutions. Le sujet est nouveau, difficile. Il y a de nombreuses interrogations, notamment scientifiques, auxquelles nous ne savons pas répondre.

Par exemple, qui doit distribuer le Tamiflu, comment doit-il être stocké ? Vous envisagez de le stocker dans les cabinets. C'est peut-être la solution, mais nous nous interrogeons sur son bien fondé. En tout état de cause, il faudra bien qu'il soit stocké quelque part. Comment le protéger ? On ne trouvera pas la solution en restant chacun dans notre chapelle.

Le débat a été assez vif, mais franc. Ce n'est pas une mauvaise chose. Que les médecins dans leur ensemble aient envie de participer, je n'en doute pas. Je suis moi-même médecin. Mais je pense qu'il ne faut pas sous-estimer le fait qu'en cas de catastrophe, la situation se compliquera. C'est pourquoi on doit exiger pour les soignants de première ligne des protections. Nous devons tout faire pour qu'ils soient protégés et sécurisés afin qu'ils travaillent dans un maximum de sérénité, à un moment où il n'y aura plus de sérénité. Comment les sécuriser ? Que peut-on leur dire et faire ? À un moment donné, il faudra que les autorités, les élus exigent plus qu'un discours flou : des actes visibles, en lien avec les médecins eux-mêmes. Il serait bon que les médecins savent où le Tamiflu est stocké, qu'ils puissent le voir, qu'on en discute avec eux, et qu'ils aient des assurances concrètes.

M. Jean-Claude REGI. Je suis très content de cette réunion d'aujourd'hui. Toutes les interrogations que vous avez, nous les avons. Nous vous disons que nous adhérons au système et que les médecins seront présents. Nous ne voyons pas comment nous pourrions vous dire autre chose. Mais j'ai compris votre discours. Je suis conscient que des questions pratiques se posent, notamment s'agissant du Tamiflu.

M. le Président. Je vous ai demandé si les médecins seraient prêts. Il faut que vous n'hésitiez pas à dire que les médecins ont toutes les raisons de se mobiliser, et que vous créiez les conditions de cette mobilisation. Pour cela, il faut qu'ils adhèrent à la stratégie, qu'ils la comprennent et qu'ils aient les moyens tactiques d'être présents sur le terrain. C'est cela la question de fond.

On peut dire que le plan est bon et que les médecins sont bons. Mais s'il n'y a pas de convergence stratégique sur l'organisation, s'il y a du flou, au premier choc, le système explosera.

M. Bernard ORTOLAN. Le plan a le mérite d'exister. Mais il peut être amélioré. Il faut le retravailler. Toutes les observations sont les bienvenues de la part de l'ensemble des acteurs de ce dispositif, y compris les scientifiques.

Nous serons aux ordres le moment venu, mais d'ici là, il faut améliorer le plan. Cela implique d'écouter tout le monde et de prendre en compte les observations de chacun.

M. le Président. Il faudra bien que quelqu'un tienne un discours qui mobilise les gens et qui donne le cadre philosophique de l'ensemble du système. Il faudra parler des valeurs collectives et ne pas se contenter de la spontanéité. Je pense qu'entre l'engagement spontané et la réquisition, il y a une solution intermédiaire à trouver.

Madame, Messieurs, nous vous remercions.

Audition de M. Robert NAMIAS, directeur de l'information à TF1, Mme Catherine PUISEUX et M. Bruno CORTES

(Compte rendu de la réunion du mardi 2 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Merci beaucoup d'avoir accepté de venir témoigner devant notre mission parlementaire de la façon dont une entreprise comme la vôtre réfléchit sur la problématique de la pandémie grippale.

Notre mission travaille depuis huit mois sur le sujet. Au cours du dernier trimestre 2005, nous avons plus particulièrement examiné les moyens médicaux disponibles pour faire face à un risque de pandémie ; nos travaux ont donné lieu à un premier rapport. Début 2006, nous nous sommes penchés sur la problématique de l'épizootie pour en faire le bilan tant au plan national qu'international. Nous abordons maintenant le troisième volet de notre travail : l'évaluation du plan pandémie du gouvernement. Nous souhaitons, aujourd'hui, voir comment serait gérée la communication de crise, en cas de pandémie.

Il semble, en effet, qu'au-delà de la crise sanitaire, nous nous trouverions, en cas de pandémie, devant une véritable crise politique. D'où l'importance de l'information et de la relation de confiance qui sera entretenue avec les citoyens. Il nous a paru intéressant de vous entendre, sachant que vous y travaillez vous-même depuis un moment et que vous n'avez sans doute pas terminé de vous y préparer. Je crois savoir, en effet, que votre entreprise est l'une des entreprises pilotes qui a été désignée pour se préparer, en interne, à la pandémie. Dès le mois de septembre, vous avez été amenés à parler, à l'antenne, de grippe aviaire et de pandémie. Nous aimerions donc connaître votre point de vue sur la problématique de l'information.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La semaine dernière, nous avons reçu un expert américain de la gestion de catastrophe. Il ressort de son audition qu'en période de crise, la gestion de la communication serait très difficile : selon lui, dès qu'une crise est entamée, la gestion de la communication et de l'information devient impossible car elle n'est plus acceptée par le public. Il nous paraît donc important d'anticiper ce problème, avant le déclenchement d'une éventuelle pandémie.

M. Robert NAMIAS : M. Le Guen l'a dit, une entreprise comme TF1 est dans une situation un peu particulière puisqu'elle est à la fois spectateur et acteur de la crise éventuelle. Nous courons en effet les mêmes risques que n'importe quelle entreprise. Et en même temps, nous avons pour métier de faire de l'information et du spectacle. Il est probable que les Français, malades ou non, seront invités à rester chez eux et regarderont, de ce fait, la télévision plus souvent qu'aujourd'hui. Quelles émissions diffuserons-nous ? Comment les fabriquera-t-on ? Seront-elles différentes de celles d'aujourd'hui ? Ces questions concernent aussi bien la direction des programmes que la direction générale de l'antenne.

Pour ce qui est spécifiquement de TF1, et non de LCI, nous serons certainement amenés à modifier notre réflexion sur l'information, sur le format des journaux et le rythme de l'information qu'on donnera. TF1 conservera-t-elle un grand journal à 13 heures et un grand journal à 20 heures ? Programmera-t-on d'autres rendez-vous d'information de manière provisoire, pendant X semaines ou X mois ? Que mettra-t-on dans ces journaux, comment seront-ils fabriqués ? Avec quels personnels ? De quoi va-t-on parler : uniquement de grippe aviaire, ou d'autre chose ? De l'actualité du moment ? En tout état de cause, en cas de pandémie en France ou en Europe, les informations sur la grippe aviaire prendront 90 ou 95 % de l'information, tant à la télévision qu'à la radio ou dans la presse écrite.

Le plus difficile est d'être à la fois sujet et objet dans cette affaire.  L'entreprise TF1 réfléchit depuis longtemps sur les risques à venir. Nous avons ainsi créé, à l'intérieur de l'entreprise, des structures quasi permanentes de gestion des risques de toute nature. Il y a quelques années, nous nous étions préoccupés d'une éventuelle crue décennale de la Seine. Si elle avait eu lieu, cela nous aurait amenés à gérer l'information de façon très différente. Matériellement, nous n'aurions d'ailleurs pas pu rester dans les locaux qui abritent le siège de TF1 à Boulogne-Billancourt. Tout cela pour dire que la gestion des risques fait partie de la culture de l'entreprise TF1.

Nous le faisons dans des conditions que nous avons décidées nous-mêmes, qui ne nous ont jamais été suggérées de l'extérieur - et certainement pas par les autorités gouvernementales. Nous sommes peut-être une entreprise pilote, mais nous ne sommes pas considérés comme une entreprise stratégique par le Gouvernement français, qui ne nous a associés à aucune réunion consacrée à la préparation d'une éventuelle pandémie. C'est nous qui nous sommes enquis des différents plans gouvernementaux. Il est, au demeurant, assez surprenant que le Gouvernement ne considère pas une chaîne d'information comme la nôtre -la première chaîne française en termes d'audience- comme une entreprise stratégique.

M. le Président : Cela vous rassure, vous inquiète ou vous laisse indifférent ?

M. Robert NAMIAS : Cela nous est indifférent. Cela nous rassure, également, parce que cela nous permet de travailler avec une totale liberté. Mais je ne peux qu'être inquiet que le Gouvernement ne se préoccupe pas de ce que fera ou dira TF1, qui se propose d'être un relais de l'information de service public.

M. le Président : Vous ne seriez pas choqué que nous soyons nous-mêmes inquiets ?

M. Robert NAMIAS : Pas du tout. Il est surprenant que le Gouvernement n'ait pas demandé quoi que ce soit à un média qui s'adresse à 10 millions de Français tous les soirs et à 8 millions à 13 heures, pour faire passer certaines informations de santé publique. Nous trouverions une telle demande très légitime.

Cela dit, nous ferons ce que nous avons à faire. Nous le ferons d'abord en interne, pour protéger notre personnel et lui permettre de faire son travail d'information.

Mme Catherine PUISEUX : Notre structure de gestion des risques a maintenant cinq ans, comme c'est le cas pour la plupart des grandes entreprises françaises. Nous avons engagé notre réflexion au début des années 2000, et après septembre 2001, nous sommes allés à marche forcée.

Notre premier grand plan de gestion des risques concernait le risque de crue de la Seine. Il portait essentiellement sur les dégâts aux bâtiments et au matériel. Il consistait surtout à déplacer des activités sur des sites externes. Pour la grippe aviaire, nous sommes amenés à élaborer un plan d'une nature différente, dans la mesure où le risque concerne les hommes. C'est pourquoi, depuis le début de cette année, nous mettons au point une nouvelle version du plan de continuité de TF1, totalement différente de la première.

Nous nous sommes fondés sur les statistiques du plan français, mais pas uniquement. Car le plan français n'est guère axé vers la continuité des entreprises : il est essentiellement tourné vers les personnels de santé et le grand public. Nous nous en sentons assez absents. Sans doute est-ce un problème de calendrier. En attendant, je me suis référée à des éléments très concrets mis à la disposition de leurs entreprises par les Gouvernements canadien et néo-zélandais.

Je confirme l'absence de contacts avec le Gouvernement, qu'évoquait M. Robert NAMIAS. Elle est regrettable car elle ôte de la pertinence à notre plan. Nous sommes en effet dépendants des grands opérateurs comme Télédiffusion de France ou Électricité de France. Sans validation ni assurance de continuité de la part de ces opérateurs, nous ne pourrions pas faire grand-chose...

Peut-être n'avons-nous pas trouvé les bons interlocuteurs. J'ai, moi aussi, entendu parler, dès le mois de janvier, du fait que TF1 était identifiée comme une entreprise pilote, mais cela ne s'est pas vérifié par la suite. Je suis allée voir la DDM, la direction des médias, où l'on nous a dit que nos activités n'étaient pas classées Défense, qu'il existait sans doute des documents que nous n'avions pas le droit de voir, mais que ce droit nous serait certainement accordé plus tard.

M. Bruno CORTÈS : J'ai participé à cette réunion avec la DDM, qui dépend du Premier ministre. Le Gouvernement semble considérer qu'il suffit qu'une des entreprises publiques de communication, que ce soit Radio France, France 2 ou France 3, soit en mesure de relayer a minima son message pour que la continuité de la communication en matière de santé publique soit garantie. La notion d'audience n'est pas prise en compte. Le seul souci du Gouvernement est de pouvoir disposer d'un vecteur de communication en cas de crise.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Avez-vous fait connaître votre point de vue au Gouvernement ?

M. Bruno CORTÈS : Oui. Si nous sommes une entreprise importante, nous devons être reconnus comme entreprise stratégique. Il faut alors qu'on nous donne les moyens de fonctionner normalement - moyens de se déplacer, d'avoir accès à des systèmes fiables de transmission, de protéger nos personnels en priorité. Il faut d'ailleurs noter que le groupe Bouygues comporte des activités qui, elles, ont été reconnues comme stratégiques, que ce soit la SAUR pour la distribution de l'eau ou Bouygues Télécom pour ses réseaux de communication. Notre activité télévisuelle n'a pas été prise en compte.

Mme Catherine PUISEUX : J'ai demandé au SGDN que nous puissions participer aux exercices nationaux. Je n'ai pas eu de réponse. J'ai également assisté à la conférence de presse donnée lundi dernier par le ministre de la santé, relative au lancement de la campagne de communication sur la grippe aviaire. J'ai eu l'occasion de poser la question qui me tenait à cœur, à savoir : est-ce que la continuité des médias pour relayer une communication de cette ampleur peut intéresser le ministère ? On m'a répondu qu'en termes de calendrier, cela viendrait certainement. La délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA) m'a ensuite fait savoir qu'un groupe de travail lié aux médias pourrait peut-être être constitué bientôt.

M. Robert NAMIAS : C'est l'occasion pour moi de noter que ce qui apparaît évident à nos yeux ne l'est pas forcément aux yeux des autorités sanitaires. Pour moi, ce qui comptera d'abord, c'est la communication et l'information. Je ne vois pas bien par quels autres canaux que par la télévision ou la radio on pourra informer les Français. Nous sommes dans une situation où, par tradition ou par culture, la communication gouvernementale privilégie le service public de la radiodiffusion et de la télévision, qu'il s'agisse de France Télévisions ou de Radio France, au détriment des médias plus puissants ; l'efficacité de la communication s'en ressentira. Cela ne concerne pas seulement seulement TF1 : on pourrait évoquer aussi les radios de la bande FM, par le biais desquelles on pourrait toucher beaucoup de Français, notamment les jeunes, et communiquer sur le risque d'épidémie.

Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour insister, dans un esprit de service public, sur le fait qu'on voit mal comment on pourrait lutter efficacement contre le développement de la pandémie si on ne se donne pas les moyens de communiquer en permanence avec l'ensemble des Français, et pas seulement avec les adeptes et les fidèles du service public de la radio et de la télévision.

Mme Catherine GÉNISSON : Votre témoignage est assez édifiant, en tant qu'entreprise et en tant qu'entreprise de communication. En tant qu'entreprise, il semble assez incroyable que vous n'ayez été destinataires d'aucun document, dans la mesure où certaines prescriptions devront être appliquées, à commencer par la règle du maintien à domicile. En tant que première entreprise de communication, il est étonnant que vous n'ayez pas été associés au plan gouvernemental.

Malgré tout, quelles sont les dispositions que votre entreprise a prises, à la fois pour protéger ses employés et pour agir en partenaire du service public de l'information ?

M. Robert NAMIAS : Nous n'avons pas encore validé toutes nos procédures et tous nos systèmes. Nous allons donc rester relativement vagues, s'agissant du plan que nous appliquerons en cas de risque d'épidémie.

Il s'agit d'un plan très fouillé, qui intègre : les besoins de l'antenne TF1 de manière générale et des antennes du groupe, de LCI et des autres chaînes en matière de programmation 24 heures sur 24, l'information, la structure et le contenu de l'information.

S'agissant de ce contenu, il est assez facile de décider de diffuser un certain nombre de fictions, de séries. Tout ce qui relèvera de l'événementiel, comme les retransmissions de matchs sportifs de toute nature, sera, bien évidemment, supprimé. Le contenu d'antenne sera fait essentiellement de programmes enregistrés.

Les questions à se poser seront donc les suivantes : qui diffuse, quels sont les personnels dont on a besoin pour assurer les émissions ? Il y a 1 700 personnes à TF 1 et on a imaginé qu'il faudrait travailler avec à peine un tiers d'entre elles.

Mme Catherine PUISEUX : Nous avons compté d'emblée 50 % de personnes indisponibles. Nous travaillons à recenser les activités prioritaires. Le problème est de savoir comment travailler à domicile en limitant les déplacements et la présence sur site. On arrive à une présence minimale sur site de moins de 100 personnes. Cela fait partie de notre plan que de savoir comment gérer le site, sur le plan sanitaire, dans ces conditions.

Comment œuvrer pour que la communication interne soit fluide et riche à ce moment-là ? Comment conserver les activités essentielles que sont la paye et le paiement des fournisseurs ? Le traitement de ces fournisseurs et de ces prestataires sera alors important. Si nos effectifs sont touchés, les leurs le seront davantage, notamment s'il s'agit de sociétés de nettoyage et de sécurité.

Notre plan prévoit aussi le déploiement d'outils de communication à distance, ainsi que la mise en place d'une gestion de crise, ce dont nous n'avons pas l'habitude. Il sera déconseillé de tenir des réunions. Tous les dispositifs sont prêts pour qu'il n'y ait jamais plus de trois personnes ensemble dans une salle.

M. Robert NAMIAS : Toutes ces procédures sont en cours de validation, mais elles sont pratiquement toutes définies. S'il survenait une crise de cette nature à l'hiver ou à l'automne prochains, elles seraient mises en application au sein des trois grandes structures de TF1 : les programmes et l'antenne de manière générale ; la publicité, qui risque d'ailleurs d'être bloquée très rapidement ; l'information, sur laquelle je vais dire quelques mots.

Il s'agira de donner l'ensemble des informations disponibles sur l'épidémie elle-même, en faisant en sorte qu'on soit toujours à même de les donner. Pour cela il faudra protéger le personnel d'information - journalistes, diffuseurs des journaux, réalisateurs, personnel de régie, etc. Ce personnel devra être réduit au minimum sur le site même de TF1 : l'essentiel de l'activité, y compris journalistique, la fabrication des reportages et des sujets s'exerceront à l'extérieur. La plupart des tâches pourront donc être externalisées dans des lieux décentralisés ou à domicile.

Nous avons déjà défini de façon précise quel serait le personnel nécessaire à la fabrication du journal sur le site de TF1, étant entendu que l'essentiel de l'activité aura lieu à l'extérieur et par ce qu'on pourrait appeler du télétravail. Nous sommes en train d'organiser et de mettre en place cette façon de travailler.

Selon la gravité de l'épidémie et du nombre de personnes touchées, nous avons prévu une gamme de contenus d'information, allant de l'information la plus réduite qui ressemblerait à de la radio filmée, à des journaux ressemblant à ceux d'aujourd'hui.

M. le Président : Avez-vous acheté des masques, du Tamiflu, etc. ?

Mme Catherine PUISEUX : Nous avons commencé à stocker des masques et envisagé de configurer le bâtiment de manière à pouvoir contrôler les flux de visiteurs. Certains protocoles permettent de ne pas faire entre des gens malades sur le site, de soigner ceux qui développeraient des symptômes sur le site. C'est le médecin du travail, salarié à mi-temps par TF1, qui nous fait bénéficier de ses compétences en la matière.

Plus généralement, nous travaillons avec l'ensemble des compétences de la maison : le médecin, mais aussi le service des affaires générales, qui nous aideront à tracer un itinéraire pour faire en sorte que personne ne se croise dans des lieux restreints, à disposer de lieux pour se laver les mains, pour prendre le matériel de protection, etc. Toutes les compétences transverses de l'entreprise sont mises à contribution.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous avez évoqué les plans canadien et néo-zélandais : s'agit-il de plans élaborés par des chaînes de télévision ou de plans gouvernementaux ?

Mme Catherine PUISEUX : Ce sont des plans réalisés à partir de plans gouvernementaux. S'agissant du Canada, ils sont plutôt préparés par les régions, qui ont mis des sortes de boîtes à outil à la disposition des entreprises, ou par des groupements d'entreprise qui mettent à disposition de l'ensemble de leurs adhérents ces boîtes à outils, qui sont très pratiques. Pour ce qui est de la Nouvelle-Zélande, nous avons utilisé un plan particulier, celui de l'entreprise Shell.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment avez-vous eu ces plans ?

Mme Catherine PUISEUX : Ces plans sont disponibles sur Internet. Les paramètres épidémiologiques sont les mêmes d'un pays à l'autre : c'est donc parce que ces plans étaient immédiatement accessibles que j'ai choisi les plans canadien et néo-zélandais.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Qui valide les choix à l'intérieur de l'entreprise ? Le médecin ?

Mme Catherine PUISEUX : Chacun valide sa partie, puis la direction de TF1 valide l'ensemble. Si le lien avec les autorités gouvernementales est, selon moi, important, c'est parce que je considère qu'une validation externe est nécessaire à la pertinence du plan. J'imagine également qu'une mise à jour devra intervenir. Il faudra donc installer une dynamique dans le temps pour pérenniser notre effort.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment les représentants des salariés ont-ils été associés à cette démarche ?

Mme Catherine PUISEUX : Ce plan n'est pas secret. Pour éviter toute panique, nous avons joué la transparence. Nous avons d'abord communiqué avec le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, en répondant assez librement aux questions posées. Nous avons également organisé, à l'intérieur de l'entreprise, une session d'information.

M. Bruno CORTÈS : Il s'agissait d'une session de trois heures ouverte à tout le personnel, avec des représentants du monde scientifique, des représentants du laboratoire Roche venus exposer la différence entre grippe aviaire et pandémie grippale, les risques de transmission, la passation du virus de l'animal à l'homme, toutes les questions que peuvent se poser à la fois les journalistes et le reste du personnel. Cette séance a été filmée et rediffusés sur le circuit interne.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Certaines personnes vous ont-elles indiqué qu'en cas de pandémie, elles ne se rendraient pas à leurs postes ?

M. Robert NAMIAS : Nous n'avons pas eu de retour de ce genre. Mais il faut comprendre que le traitement du risque de grippe aviaire et de pandémie s'intègre à la gestion des risques dont on a maintenant l'habitude depuis cinq ans.

À TF1, il existe un plan permanent, le plan « Réagir ». Dans le cadre de ce plan, une quarantaine de personnes travaillent en permanence sur les risques qui s'imposent d'eux-mêmes comme les épidémies ou les accidents, et sur les risques qui sont signalés. Toutes les directions de l'entreprise - la direction administrative et financière, la direction juridique, la direction de la communication, la direction de l'information, la direction de l'antenne - tiennent des réunions communes au niveau des directeurs ou de leurs collaborateurs de haut niveau. Ce comité de pilotage travaille en permanence à l'élaboration des procédures du plan.

Ce travail est ensuite validé par les directeurs de chacune de ces directions et, finalement, par la présidence de TF1 et la direction générale de l'antenne, en l'occurrence par MM. Patrick LE LAY et Etienne MOUGEOTTE. Il est le résultat d'une réflexion quasi permanente au sein de ce comité de pilotage, étant entendu que le principe même de « Réagir » est la prévention et la gestion des risques quels qu'ils soient, dans la durée et dans le temps.

En termes de communication, ce système a un avantage : chaque direction est capable de restituer à son personnel l'ensemble des travaux et de l'élaboration des procédures. C'est ainsi que nous avons stocké 100 000 masques, que nous en avons averti le personnel en lui indiquant comment il faudrait l'utiliser, tout en l'avertissant des éventuels désagréments qui en résulteraient. Hormis la grande réunion dont nous vous avons parlé, nous avons organisé d'autres réunions avec le médecin du travail.

Ce travail de communication interne est donc permanent. Il se trouve, en outre, que certaines directions, dont la mienne, ont une réunion de communication interne hebdomadaire avec l'ensemble des chefs de service. Le but est de communiquer sur tout et de jouer la transparence, en particulier en matière de gestion des risques.

M. le Président : Tout est basé sur la dynamique interne de l'entreprise, sur la transparence et l'anticipation. Votre statut juridique vous permettrait-il, si vous le souhaitiez, de réquisitionner votre personnel ? Seriez-vous éventuellement demandeurs d'un tel pouvoir ?

M. Bruno CORTÈS : Dans le plan gouvernemental tel qu'il existe, tout ce qui concerne la communication est très succinct. On y trouve des banalités du style : il faut multiplier les conférences de presse, informer le grand public, se servir du relais que constituent les télévisions et les radios pour faire passer le message, etc. Même dans les phases finales, on n'évoque pas la possibilité pour les pouvoirs publics de réquisitionner des entreprises de communication privées, ce qui me paraît d'ailleurs assez sain. En effet, nous n'avons pas l'impression que des gens dont ce ne serait pas le métier pourraient faire le travail d'information mieux que nous. Nous préférons nous inscrire dans une logique de collaboration pour relayer le message, fabriquer ensemble des émissions dédiées, notamment en développant les informations services.

M. Robert NAMIAS : Nous n'avons pas encore réfléchi à la question de la réquisition parce que nous nous situons dans une culture d'entreprise où ce qu'on pourrait appeler, ailleurs, le volontariat est une règle absolue. On aura plutôt du mal à obliger les gens à rester chez eux et à travailler à l'extérieur sans passer par le site de TF1. Une bonne partie de la communication a d'ailleurs pour thème : « voilà comment travailler autrement qu'en venant tous sur le site pour faire une couverture ».

Sur le plan juridique, je crois qu'aucun dispositif de réquisition du personnel n'est prévu par notre statut, qui relève du droit privé. La seule sujétion de notre cahier des charges est relative à la diffusion des allocutions du Président de la République. On peut imaginer que le CSA nous demande de passer tel ou tel communiqué à telle ou telle heure, mais ce ne serait jamais qu'une collaboration de bonne volonté. Encore une fois, je crois que tout repose sur le volontariat. Je n'ai aucun doute sur le fait que le personnel de TF1 sera là pour assurer l'antenne.

M. Bruno CORTÈS : Je ferai une réserve. Aux États-Unis, au moment des inondations, 30 % des personnels policiers ne se sont pas rendus à leurs postes. Et on a constaté un phénomène équivalent en France, à l'occasion de l'épidémie de SRAS.

Nous sommes une entreprise comme les autres, et des mères et des pères de famille devront rester chez eux pour s'occuper de leurs enfants malades ou de leurs proches. Il y aura de toute manière un taux d'absentéisme élevé. C'est en effet d'eux-mêmes que les salariés appliquent le principe de précaution. Voilà pourquoi nous avons considéré d'office que nous devions travailler avec un minimum de gens, et bien sûr des volontaires. Mais la paye sera assurée, que les personnes soient présentes ou non.

Mme Catherine PUISEUX : Les gens qui seront amenés à rester sur le site sont plutôt des cadres que des personnes tenues par une vie de famille, à 35 heures par semaine. En effet, le contrôle de la durée du travail ne sera pas facile. Et puis, notre logique est plutôt de confier à des dirigeants des tâches plus subalternes qu'ils n'en ont l'habitude, et plus polyvalentes. On trouvera donc, parmi la centaine de personnes restant sur le site, essentiellement des patrons de service et des techniciens qui, eux, ont des tâches très précises. Comme les écoles seront fermées, tous ceux qui ont des enfants seront a priori exonérés de toute obligation de présence sur le site.

En matière de droit du travail, il nous faudra tenir compte de certains aspects, notamment du droit de retrait. Parmi la centaine de postes identifiés, on a toujours prévu la personne qui tient le poste et son suppléant. Car il peut y avoir maladie ou défection.

M. Robert NAMIAS : En aucun cas il n'y aura de pression ni de réquisition.

M. le Président : Votre organisation me paraît très achevée. Mais il se trouve que beaucoup d'autres structures sociales ne gèrent pas la crise de façon aussi anticipée que votre entreprise.

M. Robert NAMIAS : On ne peut pas exclure qu'un certain nombre de personnes soient malades en même temps et indisponibles dans le personnel de TF1, y compris parmi les cadres qui sont censés occuper les postes qui font tourner l'entreprise et permettent à la chaîne d'être alimentée et diffusée. Il se pourrait, dans l'absolu, qu'il n'y ait plus personne pour faire fonctionner TF1. Mais statistiquement, ce ne serait pas raisonnable de l'imaginer.

Le but restera de diffuser des programmes et de l'information. S'il s'agit essentiellement de fictions enregistrées, rediffusées, on n'aura besoin que d'un nombre très limité de personnes. En matière d'information, il nous faudra réfléchir à ce que sera son contenu : soit des journaux quasiment normaux parce que les journalistes seront suffisamment nombreux pour faire des reportages de toute nature, soit des journaux qui ne seront plus que de la radio filmée ou des suites de communiqués. L'information n'en sera pas moins décisive et attendue par des millions de Français.

M. Bruno CORTÈS : Nous nous demandons comment nous entrerons dans cette crise, le jour où elle se déclenchera. Il y aura sans doute un effet de sidération pendant les premières heures et les premiers jours, moments où les interdictions seront maximales. Comment réussir à travailler et à installer une antenne ? Comment seront mises en œuvre les procédures d'urgence ? Nous avons du mal à le conceptualiser.

Nous disposons de deux antennes, celle de LCI et celle de TF1. Il faudra profiter au mieux de cet atout dans une optique de continuité d'antenne. L'idée est que les deux directions travailleraient conjointement sur le même site. L'antenne serait disjointe entre LCI qui travaillerait toute la journée sur son programme, comme elle le fait actuellement, à l'exception des grands journaux télévisés de 13 heures et de 20 heures, TF1 se réservant la capacité de diffuser de l'information et de la distraction, et éventuellement des flashs extraordinaires ou des émissions spéciales.

Nous travaillons sur plusieurs scénarios. On a envisagé, au minimum, un type d'information inspiré de celui des chaînes d'information continue à l'anglo-saxonne, comme CNN, avec un présentateur unique, des correspondants au téléphone, trois ou quatre personnalités extérieures intervenant ; au maximum, un type d'information ressemblant à ce qui existe actuellement. Nous essayons de moduler ces différents types d'information en fonction des disponibilités en personnel, des scénarios qui seraient appliqués et des restrictions qui pourraient entraver notre travail.

Mme Catherine PUISEUX : Vous avez évoqué l'éventuelle défection de partenaires externes. Nous avons essayé d'associer les 70 prestataires qui sont vitaux pour notre activité. Certains ont répondu présents, avec des plans très intéressants. Je pense notamment aux prestataires de restauration collective et de nettoyage, dont il ne faut pas sous-estimer l'importance dans ces moments-là. Par contre, TDF n'a pas répondu, ce qui m'inquiète beaucoup. Car tout ce que nous développons ne sera d'aucune utilité si TDF n'assure pas la continuité le jour venu. Ce qui est vrai pour TDF, l'est aussi, par exemple, pour EDF et les compagnies des eaux.

M. le Président : Lorsque j'étais allé voir le préfet de La Réunion, à propos de la crise du chikungunya, il s'était plaint de ne pouvoir s'adresser à la population qu'à travers les journalistes qui relayaient ses propos. Il aurait voulu pouvoir parler directement aux Réunionnais.

On peut tout à fait imaginer que ce que le préfet n'a pas obtenu à La Réunion, le ministre de la santé, le Premier ministre, le Président de la République, ou encore la personne en charge de la gestion de la crise sur tel ou tel aspect l'obtienne à Paris, en cas de pandémie.

Il ne serait pas inutile qu'il y ait d'un côté les informations professionnelles, assurées par les journalistes, et de l'autre les informations publiques, une sorte d'information officielle. Est-ce que ce dualisme a un intérêt ?

M. Robert NAMIAS : De manière générale, un journaliste est très demandeur d'information et de transparence. Nous nous nourrissons d'informations. Si on nous en donne, nous la diffusons après l'avoir vérifiée et être allés sur le terrain. L'une des grandes leçons qu'on devrait retenir de la canicule de 2003 était le manque absolu de transparence de l'information donnée. On ne peut donc pas reprocher aux médias d'avoir donné des « informations » plus ou moins vérifiées à partir des données des pompes funèbres, des urgences dans les hôpitaux ou des interventions des pompiers.

La difficulté sera sans doute d'identifier le moment où l'on entre dans la pandémie. À partir de quel moment les médias prendront-ils la responsabilité et le risque de dire que la pandémie de grippe aviaire est là, qu'il va falloir se protéger et appliquer toutes les mesures de prévention qu'on aura précédemment arrêtées à l'intérieur des entreprises et dans le secteur public ?

Il va de soi que les médias ne manqueront par de relayer l'annonce de l'entrée en phase pandémique, que cette annonce émane du préfet, d'un médecin, du ministre de la santé, du Premier ministre ou du Président de la République.

Le problème, c'est l'information quotidienne : faudra-t-il faire de l'information quotidienne ? Quel type d'information ? Faudra-t-il simplement égrener le nombre de cas supplémentaires chaque jour ou bien, plus tard, évoquer la courbe descendante ? Donnera-t-on des informations pratiques ? Une communication, dont il faudra trouver le rythme, hebdomadaire, bihebdomadaire voire quotidienne, me paraît absolument indispensable.

Si le rôle des médias n'est pas stratégique, quel est-il ? Comment voulez-vous assurer cette communication, sinon par les médias ? L'idée d'un point quotidien, ou bihebdomadaire, ou hebdomadaire, me paraît tout à fait souhaitable, à la fois pour prévenir le mieux possible le développement de la pandémie, et parce que cela permet aux journalistes que nous sommes de travailler dans de bonnes conditions. Ce sera un élément d'information parmi d'autres, mais ce sera un élément très important.

M. le Président : Pendant l'affaire de la Dombes, nous avons été nterpellés sur le fait que nous mettions en cause l'avenir d'une filière économique. Les médias ont également été stigmatisés. Vos reportages avaient pourtant une forte tonalité pédagogique, expliquant que le poulet n'était pas un danger pour la santé. Comment avez-vous vécu cette crise ?

M. Robert NAMIAS : Au début, il s'agissait d'une information presque comme une autre. Puis on s'est aperçu que cette information avait un caractère anxiogène très particulier et que même si on essayait d'expliquer qu'il n'y a pas de transmission à l'homme, que si le poulet est cuit, il ne présente aucun danger, on n'était pas entendu. La seule chose qui restait, c'était : « vous nous parlez encore et toujours de la grippe aviaire ».

Pendant le mois de mars, au plus fort de la crise du CPE, on comptait plus d'une trentaine de sujets sur la grippe aviaire. Pourtant les gens ne s'y intéressaient plus. En un an, il y a eu 202 sujets sur la grippe aviaire. Je pourrai vous laisser le document, avec le contenu de chacun des sujets.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La difficulté majeure qui entrave la communication en période de crise semble tenir au fait que l'opinion publique ne perçoit pas toujours de façon rationnelle les informations qu'elle reçoit. Comme nous le rappelait l'expert américain de la gestion de crise, dont j'ai évoqué l'audition au début de notre réunion, quand la crise est là, l'opinion publique n'entend plus rien.

M. Bruno CORTÈS : Ayant la responsabilité des journaux du week-end, je suis soumis au flot d'informations que l'on peut recevoir. Au plus fort de la crise, au mois de novembre, un oiseau mort trouvé à Hong-Kong donnait lieu à une dépêche, de même qu'un enfant qui toussait en Anatolie. Que faire devant des dizaines de milliers d'informations de ce genre chaque jour ? Est-ce que cela traduit une réalité ? Est-ce une surenchère ? Pour autant, au mois de novembre, nous avons traité 75 sujets sur la grippe aviaire sur un mois, ce qui correspond en moyenne à deux sujets par émission, ce qui est très peu. Ils n'ont jamais occupé plus de 35 à 45 % de la durée d'un journal télévisé. Mais au bout de trois ou quatre mois, on assiste à un phénomène de répétition : on voit toujours à peu près les mêmes images et cette répétitivité peut créer de l'angoisse. Avec Robert Namias, nous nous demandions si nous n'en faisions pas trop. On nous a d'ailleurs accusés de jouer sur l'angoisse, parce que la peur ferait vendre. Or c'est faux, car lorsqu'il y a trop de sujets sur un phénomène, les gens finissent par « zapper ».

Je fais remarquer, au demeurant, que ce sont des scientifiques, des épidémiologistes réputés, qui ont publié des livres et des articles dans lesquels ils évoquaient l'hypothèse 500 000 morts ! Ils sont d'ailleurs revenus sur leurs chiffres, depuis.

J'ai travaillé, au sein de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), dans un groupe d'étude sur le plan gouvernemental, où je représentais les médias. Au cours de ces travaux, il a été reproché aux médias d'avoir exagéré l'importance de la menace. Mais à la réflexion, il nous est apparu que nous avions peut-être été instrumentalisés par l'OMS, qui voulait inciter les États à prendre en compte ce risque. Le ministère de la santé a fait de même pour débloquer de l'argent auprès de Bercy. Il y a donc eu, dans le milieu médical international et national, une volonté de dramatiser la pandémie, que nous avons relayée avec beaucoup de bonne foi. Cela dit, ce fut une bonne chose. Car sinon, jamais il n'y aurait le plan gouvernemental, ni d'achat de Tamiflu, ni d'achat de masques, etc. Nous avons peut-être relayé de manière exagérée cette angoisse, mais celle-ci existait bien dans les instances nationales et internationales.

M. Michel LEJEUNE : En cas de contamination humaine dans le monde, que se passera-t-il ? Avez-vous l'intention d'interrompre les programmes ? Ne risque-t-on pas de revenir au schéma qu'on a connu au moment de la guerre en Irak, ou de la révolution en Roumanie avec, toutes les cinq minutes, des informations nouvelles ? Car s'il ne faut pas affoler les populations, il ne faut pas non plus donner l'impression que ce n'est rien. Avez-vous réfléchi à cet équilibre ?

M. Jean-Claude FLORY : Vous dites que l'anxiété génère l'irrationnel. Mais si vous donnez des éléments scientifiques aux Français, au bout d'un moment, l'irrationnel s'efface et la raison revient. J'en veux pour preuve l'évolution de la courbe de consommation de poulet, qui, après avoir chuté de 30 ou 40 %, est « remontée » à moins 10 ou moins 15 %. Car les Français ont fini par être convaincus que le poulet pouvait être consommé.

M. le Président : S'il n'y avait pas eu communication, il y aurait eu la rumeur, qui aurait sapé la confiance, etc. La culture de la communication n'existe pas chez nous, y compris chez des décideurs importants de notre pays. Il serait utile que vous puissiez donner un écho médiatique à l'idée que l'information est la garantie de la transparence, que la transparence, c'est la confiance, et la confiance le retour à l'équilibre et à la rationalité.

M. Bruno CORTÈS : Nous avons des exemples du manque de cohérence au niveau gouvernemental. Le jour où le préfet de l'Ain a autorisé à nouveau les poulets de Bresse à ressortir, on annonçait l'élargissement du périmètre d'interdiction d'accès aux étangs, parce qu'on avait trouvé cinq cygnes morts.

On nous a reproché de créer un sentiment de panique et d'influencer les comportements. Mais il n'y a pas eu d'actes d'incivisme, d'achats de précaution, d'achats massifs de Tamiflu ou de trafics.

M. le Président : Aucune école n'a interdit le poulet à la cantine. Il aurait été très dur pour les élus locaux de résister si une telle décision avait été prise.

M. Bruno CORTÈS : Nous n'avons aucun intérêt à raconter des choses qui pourraient se retourner contre nous. Je ne pense pas non plus que nous ayons relayé de grosses erreurs. Quand elles ont été dites, la source en était médicale - je pense à la polémique sur la nécessité ou non de se faire vacciner contre la grippe saisonnière pour développer une certaine résistance - et elles ont été corrigées le plus vite possible.

M. Robert NAMIAS : Pour ma part, je pense que l'information est forcément bonne à prendre, qu'elle soit bonne ou mauvaise. D'ailleurs, ce qui est bonne nouvelle pour l'un est mauvaise nouvelle pour l'autre. Quand un candidat est élu et que son adversaire est battu, l'information n'a pas le même sens pour l'un et pour l'autre. Mais mieux vaut pourtant donner cette information que la taire.

Pour nous, ce débat sur l'information est tranché, même s'il ne l'est pas pour tout le monde. Ceux qui font l'information ont un sens des responsabilités qui n'a rien à voir avec ce qu'il était il y a vingt-cinq ou trente ans.

Le poids des médias en général, et de TF1 en particulier, engage notre responsabilité, dont nous sommes très conscients. Dans le cas de la grippe aviaire, elle s'exerce à l'égard des agents économiques -agriculteurs, éleveurs- mais aussi à l'égard des consommateurs, c'est-à-dire de tous les Français. Une information qui nous paraît utile sur le plan de la santé publique s'avérera désagréable pour tel ou tel acteur de la vie économique, voire catastrophique pour certains éleveurs.

D'autres affaires tout aussi importantes, je pense au sida, ont pu être gérées à la fois par un accompagnement sanitaire, une recherche et une information qui ont permis que dans des pays comme la France, privilégiés sur le plan sanitaire, l'épidémie soit contenue. En revanche, là où il n'y a pas d'information, pas d'accompagnement, comme en Afrique, l'épidémie fait des ravages. On voit bien qu'en tout état de cause, l'information est indispensable. Nous sommes tout à fait conscients qu'elle doit être équilibrée.

Comment ferons-nous lorsqu'il y aura un premier cas de transmission humaine ? C'est là qu'interviendront la responsabilité et le professionnalisme des journalistes. Dans une chaîne comme la nôtre, l'information sera à sa place. Nous ne ferons pas de flash spécial, même si ce sera sans doute le premier titre du journal. Il y aura également un ou deux sujets pour expliquer que nous sommes entrés dans une deuxième phase de la crise et que tout ce qui avait été dit de manière un peu théorique doit commencer à nous faire réfléchir. Il faudra commencer à se protéger, à vérifier que les médicaments, dont le Tamiflu, sont bien en fabrication, qu'ils pourront être stockés en quantités suffisantes, etc.

On passera donc à la deuxième phase de la crise de manière pédagogique. Un cas ne vaut pas épidémie, et encore moins pandémie. Il faudra vérifier si les cas se multiplient, à quelle vitesse... Ensuite, les pouvoirs publics auront intérêt à prendre le relais et à dire les choses. En matière de santé publique plus encore que dans toute autre, la transparence est indispensable. Nous ne sommes que les porte-parole de l'information : celle-ci est donnée par le Gouvernement. La transparence est la meilleure arme en matière de prévention.

M. le Président : Madame, Messieurs, nous vous remercions.

Audition de M. Pierre MONOD, président de la Conférence nationale des présidents des Unions régionales des médecins libéraux (URML), accompagné du docteur Bernard HUYNH, président de l'URML d'Île-de-France et vice-président de la Conférence nationale des Présidents d'URML, et de M. Alexandre GRENIER, responsable des études de l'URML d'Île-de-France

(Compte rendu de la réunion du mercredi 3 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président.  Depuis six mois, la mission a travaillé, d'abord sur les moyens médicaux disponibles en cas de pandémie, puis sur l'épizootie de grippe aviaire proprement dite et ses conséquences au niveau national et au niveau mondial. Le troisième volet de nos travaux est consacré au plan pandémie du Gouvernement et à notre état de préparation. Nous avons déjà largement abordé la problématique de l'offre hospitalière, visité de nombreux hôpitaux dans nos circonscriptions, reçu les membres de la DHOS, de l'Assistance Publique, etc. Pour ce qui est de l'aspect soins ambulatoires, nous avons déjà entendu le Conseil de l'Ordre des médecins et les syndicats médicaux.

Nous sommes dans une logique de dialogue avec le Gouvernement, d'autant que celui-ci a d'ores et déjà annoncé que les dispositions de son plan étaient évolutives, en fonction de la situation. Face à une responsabilité qui, osons le dire, nous dépasse, nous devons aller au fond des choses, ne pas hésiter à soulever des difficultés qui ne sauraient rester cachées et reconnaître que certaines mesures devront être renforcées en cas de besoin. On sait l'importance que ce plan accorde à la médecine de ville, dans la mesure où la stratégie désormais affichée repose sur le confinement de la population au domicile, à l'exception des personnes requises pour travailler, et sur le maintien à domicile des malades qui devront autant que possible être soignés et médicalement surveillés chez eux.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous avons souhaité vous auditionner car vous réunissez l'ensemble des médecins libéraux, toutes spécialités et tous syndicats confondus. Quelle est la situation au sein de vos unions ? La formation passe-t-elle bien ? Les médecins sont-ils inquiets ou, à l'inverse, se sentent-ils prêts ?

M. Pierre MONOD : Médecin libéral à Castelnaudary, je suis président de l'URML de Languedoc-Roussillon et président de la conférence nationale des présidents d'URML. Le docteur Bernard Huynh préside l'URML d'Île-de-France ; M. Alexandre Grenier est directeur des études au sein de l'URML d'Ile-de-France et a, de surcroît, été chargé par la conférence nationale des présidents de coordonner l'action des permanents des URML sur le dossier de la grippe aviaire, c'est donc notre « Monsieur grippe aviaire ».

Rappelons qu'au niveau régional, l'URML est la seule institution élue tous les six ans au suffrage universel direct, à la proportionnelle, par l'ensemble des médecins ayant une activité libérale, hospitaliers compris, généralistes et spécialistes. Nous sommes organisés en deux collèges. Nous vivons actuellement une période électorale, d'où de vifs débats, comme le veut le jeu démocratique, dans la mesure où la représentativité des divers syndicats est fixée à cette occasion.

Nos missions, très nombreuses, recouvrent, entre autres, tout ce qui touche à l'évaluation des pratiques professionnelles, aux réflexions sur l'organisation du système de santé, la formation et l'information des médecins et des professionnels de santé comme des usagers, et sur la coordination des systèmes de santé. Nous sommes assez seuls pour l'instant car les autres professionnels de santé ne disposent pas d'institutions similaires à l'échelon régional. Celui-ci étant à l'évidence le plus pertinent en matière de grippe aviaire, nous avons un rôle important à jouer dans ce domaine et nous nous efforçons de le faire en coordination avec les autres institutions. Nous sommes à ce titre de plus en plus sollicités par les pouvoirs publics car nous sommes reconnus comme l'interlocuteur sur tous ces dossiers.

Les URML fonctionnant comme un véritable parlement des médecins au niveau de chaque région, le bouche-à-oreille au sein des unions ne rapporte pas forcément les mêmes échos que ce que l'on peut lire dans la presse au sujet de la grippe aviaire. Aussi commencerai-je par vous livrer, un peu en vrac, les réflexions des médecins généralistes libéraux sur cette question.

La grippe aviaire a toutes probabilités de survenir. Quand et comment ? On n'en sait rien. Nous laissons à la presse le débat sur les colverts et les chats... Mais la grippe, on connaît. Elle a de tout temps existé. La grippe aviaire n'est finalement qu'une grippe un peu spéciale, qui sera sans doute plus grave, voire mortelle, et sous forme épidémique.

Partant de là, trois certitudes. Premièrement, les médecins et professionnels libéraux seront à l'évidence en première ligne. Deuxièmement, ce sera, quoi qu'on fasse, la panique et nos structures hospitalières seront incapables d'y faire face - n'y voyez pas une critique mais un constat : cela tient tout simplement aux pratiques de nos concitoyens, habitués à se tourner d'abord vers l'hôpital. Troisièmement, cela durera. À la différence d'une catastrophe ou d'un attentat, la grippe aviaire sévira pendant des semaines, avec un épuisement de la population.

Ce n'est pas à nos yeux un problème thérapeutique : la question de savoir si le Tamiflu est utile ou non et quand il faut l'administrer est certes importante, mais ce n'est pas celle qui nous préoccupe. Nous avons des choix à faire en amont. La meilleure assurance anti-panique à nos yeux est la formation et l'information des professionnels de santé, qui restent les meilleurs conseillers en santé de leurs patients - on l'oublie quelque peu. Le conseil du pharmacien, du dentiste, du kiné, de l'infirmière, c'est important, au moins autant que Santé Magazine. Et nous avons davantage de lecteurs...

Il faut ensuite faire remonter les critiques et les informations recueillies au plus près des territoires. Je reconnais à Xavier BERTRAND - j'ai parfois été plus dur à l'égard de ses services - le mérite d'écouter ; il a toujours dit que son plan était évolutif et qu'il fallait savoir l'adapter. C'est en expliquant ce plan, dont le premier mérite est d'exister, et en le confrontant à la réalité de ceux que j'appelle souvent « mes Indiens », mes médecins « râleurs » comme tous les médecins, que nous entendrons leurs remarques. Elles sont toujours pertinentes, pour peu que nous sachions les trier et les analyser.

Il faudra bien, à un moment ou un autre, stabiliser le dispositif et trancher. Fait-on des visites à domicile ? Dans ce cas, comment tourneront les cabinets ? Des dispensaires de campagne, comme en temps de guerre ? Quid de la prise en charge des autres pathologies ? La grand-mère a le droit de se casser le col du fémur sans pour autant avoir de la fièvre ! N'oublions pas que l'on s'inscrit dans la durée. Dans une catastrophe de type attentat, on peut tout différer, ce qui n'est pas le cas si la crise doit durer plusieurs semaines.

Bref, il nous faut construire l'armée suisse, selon la théorie « the right man in the right place », selon laquelle chacun doit savoir ce qu'il a à faire pour minimiser la panique. Ce sera de toute façon un peu paniquant ; il y aura toujours la pression des médias et des gens qui se plaindront. Stabiliser le plan prendra un peu de temps : il faut être pressé, mais ne pas aller trop vite. Une fois que les professionnels se le seront appropriés, parce qu'on le leur aura expliqué et qu'on aura pris en compte leurs observations, chacun devra savoir ce qu'il aura à faire. Sans doute faudra-t-il organiser des répétitions au niveau des territoires. Pourquoi nous sommes-nous proposés comme formateurs nationaux ? Parce que le problème ne se pose pas au niveau de la technique de formation, mais dans le fait de toucher le plus grand nombre de professionnels de santé, et de s'inscrire au plus près du territoire, dans les villes et les villages. C'est l'occasion unique de réunir les professionnels de santé - ce sera une première en France -, de faire en sorte qu'ils se parlent, de les évaluer, de mettre en place un coordonnateur local avec, peut-être, un statut un peu à part pour jouer le rôle d'un « chef de canton ».

Le plan ne doit pas être un gadget pour faire bien, pour faire croire que l'État est efficace : partir ainsi, ce serait partir sur une mauvaise voie. En revanche, si l'on se donne les moyens, sans précipitation mais en activant les choses, de s'inscrire dans la durée et de mettre au point une réponse utilisable face à toute catastrophe sanitaire, quelles qu'en soient l'ampleur et la durée, sous la coordination des préfets et avec le concours de cette armée suisse des libéraux qui répondront présent, ce sera une très grande avancée en matière de santé publique, que l'évolution de la démographie médicale rend du reste indispensable. Cela permettra, de surcroît, à tous les professionnels de santé de se retrouver et de travailler ensemble. Voilà pour l'état d'esprit ; Bernard Huynh va vous détailler la déclinaison technique de nos propositions.

M. Bernard HUYNH : Nous avons commencé à nous intéresser au sujet de la grippe aviaire en septembre dernier. En tant que médecins, nous pensons que, dans une situation de tension, une équipe médicale a besoin d'un chef de file. Dans la mesure où elles sont placées au bon niveau, c'est-à-dire le niveau régional, et qu'elles rassemblent dans un cadre consensuel tous les médecins libéraux de la région, les unions régionales nous ont paru être les bons interlocuteurs pour l'organisation des soins de ville. Aussi avons-nous fait connaître au ministère de la santé notre désir de nous impliquer, ainsi que nos capacités d'organisation.

Parallèlement, nous avons travaillé à la déclinaison du plan gouvernemental - lequel, pour la médecine de ville, se limitait à des têtes de chapitre, sans aucune fiche technique. Aussi avons-nous constitué des groupes de travail, qui ont rapidement mis en évidence la nécessité, pour éviter la débâcle, de disposer d'informations virologiques et épidémiologiques fiables, de notions thérapeutiques évidemment - les médecins les ont généralement. Mais plus spécifiquement dans ce type de crise, il est indispensable de disposer d'un système d'information fiable et rapide et d'une formation adéquate, capable d'expliciter, non seulement les problèmes de grippe, mais également l'action des autres professionnels de santé et les conditions de prise en charge d'un risque massif appelé à se produire tôt ou tard et, qui plus, est sous une forme imprévisible. Je pense que dans cette crise, il arrivera quelque chose d'étonnant qui fera qu'une partie de l'information deviendra immédiatement obsolète ; en revanche, les articulations, la coordination entre professionnels, leur confiance réciproque subsisteront.

Fin décembre, nous avons pu mettre au point une sorte de plan en quatre volets : information, formation, protection des professionnels, de leurs familles et de leurs personnels - objet d'angoisses bien légitimes en période d'épidémie -, maintien à domicile. Celui-ci doit à l'évidence s'organiser : il est facile de dire que les malades seront confinés chez eux et les rassemblements supprimés. Fermera-t-on, alors que sévira une maladie mortelle, les églises, les temples et les mosquées ? C'est évidemment impensable. Empêchera-t-on les gens d'aller faire leurs courses ? Le confinement n'est pas une solution en soi. Il doit être aménagé, limité aux malades et aux cas suspects, et accompagné des moyens de maintien à domicile, en termes de survie alimentaire, de thérapie et de surveillance. De ce point de vue, il nous a paru nécessaire de mettre au point une sorte de « colis standard » qui serait déposé sur demande au domicile des malades. Imaginer que les médecins transporteront et distribueront eux-mêmes les colis est invraisemblable... Ainsi que je l'ai expliqué aux services du ministère, le médecin actuel a, en moyenne, cinquante ans et les immeubles d'Île-de-France n'ont pas tous un ascenseur en état de marche ! Il faut donc prévoir un système de distribution de ce colis standard qui s'apparenterait à une ration de guerre contenant les médicaments, le thermomètre et les masques pour la famille, les sacs pour éliminer les déchets, etc.

Nous avons également imaginé, à l'URML Île-de-France, et notre idée a été reprise par toutes les unions, un système de fiches de surveillance avec quatre questions simples qu'un standardiste pourrait poser au téléphone, ce qui permettrait au médecin de n'aller voir que les malades dont l'état se dégrade, état que l'on évaluerait donc par le biais d'une fiche standardisée et d'un questionnaire confié à des instituts de sondages ou des call centers requis pour l'occasion : ce serait autant d'économisé sur la ressource médicale et permettrait de limiter autant que faire se peut les visites.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Avez-vous déjà mis au point une fiche ?

M. Bernard HUYNH : Bien sûr ! Nous l'avons réalisée en fonction de ce que nous connaissons des problèmes de grippe chez l'adulte et l'enfant : nos unions rassemblent autant les spécialistes que les généralistes et nous savons que si la grippe peut être très grave pour l'adulte comme pour l'enfant, les signes de gravité ne sont pas les mêmes. Les URML vivant des cotisations des médecins libéraux, nous avons, sur nos propres moyens, amélioré nos systèmes d'information et recueilli les numéros de portables, de fax et les adresses électroniques qui permettront de diffuser aux médecins une information à la fois rapide et ciblée. Moi-même, qui suis abonné à DGS Urgence, je reçois tant de documents qui ne m'intéressent pas ! Nous visons un système d'information qui nous permette, par exemple, de ne parler qu'aux pédiatres de la région de Rambouillet sans avoir à « balancer » l'information aux 25 000 médecins d'Île-de-France : la multiplication des messages nuit à leur efficacité.

Le volet formation est une occasion unique de faire se rencontrer les professionnels de santé. La question de la pédagogie et du contenu est tout à fait secondaire : à supposer que la grippe arrive dans trois ans, tout l'environnement technique aura eu le temps de changer. En revanche, la relation, la confiance, l'organisation, le chef de file, le principe d'un référent de zone, auquel on s'adressera pour avoir l'information ou le matériel, sont des aspects essentiels et demeureront.

Le volet protection a donné lieu à des discussions parfois difficiles avec le cabinet du Ministre. Les masques ont été stockés dans les hôpitaux ; il ne faut pas les distribuer, nous dit-on, alors qu'il nous paraît précisément important de se familiariser avec ces équipements. On touche là à un des principaux défauts du plan pandémie, particulièrement en Île-de-France où la densité démographique et, par le fait, le risque épidémique sont plus élevés qu'ailleurs, à savoir la difficile articulation avec les services déconcentrés de la santé et, plus encore, les services qui ne dépendent pas du ministère de la santé. Je me souviens avoir passé tout un après-midi à la Préfecture de police où, en fait de plan de pandémie grippale en Île-de-France, nous avons passé quatre heures à discuter du ramassage des oiseaux morts ! La réunion suivante, qui devait être consacrée à l'organisation de l'action des libéraux, a été annulée quarante-huit heures avant et on n'a plus jamais parlé de cette affaire... Pour l'instant, la seule information que j'ai reçue des services déconcentrés de l'État se limite aux modalités de transfert d'un oiseau mort en Bretagne pour analyse... C'est peu ! On a entendu la DRASS et certains hôpitaux expliquer que les masques étaient réservés aux seuls hospitaliers et inviter les libéraux à les acheter directement à des fabricants eux-mêmes en rupture de stock, les hôpitaux leur ayant tout pris... Vous imaginez l'état d'esprit des médecins !

Nous pouvons nous prévaloir d'une articulation naturelle avec les régions, contrairement aux syndicats dont l'aire d'influence varie d'une zone à l'autre. Un travail de régionalisation de toutes les ressources devrait être mené au niveau de l'État.

M. le Président : Nous partageons à 100 % les orientations, les approches et les interrogations que vous venez d'exposer. Vos propos de ce matin tranchent agréablement avec ce que nous avons pu entendre ces jours passés sur l'état d'esprit du corps médical... J'approuve mot pour mot vos objectifs comme votre perception de la problématique : vous avez parfaitement raison sur le fait qu'elle se situe moins au niveau thérapeutique qu'à celui de la gestion de la panique, comme sur le fait qu'au-delà de la grippe aviaire, se pose plus généralement la question de l'organisation de la santé publique. Je tenais à vous remercier du travail que vous avez réalisé.

Mme Catherine GENISSON : Je suis également totalement d'accord avec votre démarche, non seulement sur la grippe aviaire proprement dite, mais également sur l'organisation de notre offre de soins. Cela dit, vous avez beaucoup parlé de la circulation des informations du haut vers le bas, mais comment envisagez-vous la remontée des informations, essentielle à l'adaptation du plan ? Remarquons au passage que votre démarche va un peu à l'inverse de ce qu'avait initialement imaginé le Gouvernement : les libéraux se voyaient relégués en queue d'un dispositif axé sur l'organisation hospitalière, alors qu'ils seront finalement en première ligne.

Un sujet continue toutefois d'accrocher : la permanence des soins. N'y voyez aucune acrimonie de ma part, d'autant que je suis issue d'un département où le système marche plutôt bien. Reste que votre plan fonctionnerait bien si la permanence des soins fonctionnait encore comme il y a quatre ou cinq ans ; or si, dans le Pas-de-Calais, les médecins libéraux ont mis au point un dispositif assez efficace, c'est loin d'être le cas partout et cela pose un problème majeur. Cette crise, du fait de son importance et de sa durée, ne pourrait-elle être l'occasion d'une nouvelle mobilisation des professionnels de santé ? Je partage votre crainte d'une situation de panique liée à l'engorgement des services d'urgence, mais ce phénomène ne tient-il pas également à l'insuffisante réponse du secteur libéral dans le cadre de la permanence des soins ?

M. le Président : Comment concevez-vous la protection du corps médical, des personnels et de leurs familles ? Que pensez-vous de l'utilisation éventuelle du Tamiflu à titre prophylactique ?

Pour ce qui est des zones urbaines, singulièrement de l'Île-de-France, nous avons compris, en visitant l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière il y a quelques semaines, qu'une gestion fondée sur la seule alternative médecine de ville-hôpital était difficilement envisageable. Le secteur hospitalier nous a semblé n'avoir aucune vision stratégique ni aucune capacité à gérer son environnement, d'où notre crainte de voir le bateau, incapable de maîtriser les flux, sombrer corps et biens - à tel point que, le soir même, au cours d'une réunion de la mission, nous nous sommes interrogés, avec le Ministre de la santé, sur la nécessité de créer des « annexes de tri », comme on dit en médecine militaire. Ce serait une évolution stratégique assez fondamentale, mais je ne vois pas comment il pourrait en aller autrement, tout au moins dans les zones urbaines denses.

Reste le délicat problème de la mobilisation des troupes. Si la solution dite de la réquisition n'est probablement pas la plus intelligente, mais a contrario ni vous ni nous ne pouvons nous satisfaire d'un « tout ira bien » autoproclamé. Entre ces deux extrêmes, il devrait être possible de trouver quelque chose.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Je m'en tiendrai à l'articulation entre l'hôpital et la ville. Y a-t-il eu des réunions préparatoires entre services d'urgence, SAMU et services de médecine ambulatoire ? Tout porte désormais à croire qu'il faudra envisager l'installation d'annexes dans les lycées ou les gymnases des grands centres urbains, mais également certaines villes de province, afin d'y faire de la médecine de surveillance.

S'agissant de la formation et de l'information, vous avez parlé de toucher le plus grand nombre de professionnels de santé - infirmiers, kinés, dentistes, etc. Nous ne les avons pas encore reçus. Connaissez-vous leur détermination et leurs souhaits ?

Vous avez enfin parlé d'organiser des expérimentations locales. Pour l'instant, il n'y a pratiquement eu que des expérimentations nationales. Avez-vous envisagé des expériences de ce genre dans des villes de moyenne importance ?

M. Pierre MONOD : Madame Génisson, nous partageons votre souci : d'un côté le médecin libéral de cinquante ans, las et qui baisse un peu les bras...

Mme Catherine GENISSON : C'est surtout le jeune qui m'inquiète.

M. Pierre MONOD : ...et de l'autre, le jeune qui n'a pas du tout la même culture. Mais si l'on part sur ces bases, les perspectives sont bien peu prometteuses ! Peut-être la grippe aviaire est-elle l'occasion de repositionner le professionnel de santé en donnant un sens à ses missions. Le parallèle, peut-être un peu choquant, avec l'état de guerre doit nous booster en nous incitant à revoir de temps en temps nos valeurs dans une société un peu facile.

M. le Président : Comme à l'occasion d'un tsunami !

M. Pierre MONOD : Exactement ! Le problème de la permanence des soins nous a interpellés : nous n'étions pas toujours très fiers de la manière dont les choses se passaient. S'il n'est pas forcément opportun de parler de réquisition, les mots d'armée suisse dans ma bouche n'étaient cependant pas totalement anodins : il y a des responsabilités citoyennes à rappeler au sein d'un groupe professionnel et la grippe est l'occasion d'en parler - d'où l'importance des réunions de formation et de suivi. Bernard Huynh vous parlera du travail de pyramidage que nous avons réalisé dans ce domaine.

La protection du corps médical est, je le sais, un réel souci du Ministre ; une véritable réflexion s'impose sur l'assistance au corps médical, c'est-à-dire sur la logistique à assurer derrière le médecin et son équipe - ce peut être plusieurs médecins, des kinés, des infirmières et des paramédicaux - qui animeront un poste avancé installé dans un gymnase ou ailleurs. Se pose toutefois un réel problème d'identification d'un certain nombre de professionnels de santé au niveau régional : qui représente les infirmières ? Les syndicats ? Dans ce cas, il faut tous les consulter car il n'existe pas encore d'Ordre. Cette crise peut être l'occasion de mettre en place une cellule régionale d'échange entre professionnels de santé.

Pour ce qui est de la circulation et la remontée d'information, il existe déjà des réseaux : nous avons, par exemple, beaucoup travaillé avec les GROG203. Je ne crois pas que l'on puisse créer un répertoire, enfermé dans un ordinateur blindé, de l'ensemble des professionnels de santés rappelables en appuyant sur un bouton... L'expérience montre qu'il n'existe pas de répertoire fiable : il sera toujours faux dans une proportion de 12 à 18 % et le nôtre n'est pas meilleur. Nous avons choqué tout le monde, Ordre et administration, en disant que la France ne savait pas compter ses médecins : notre but n'était pas de choquer, mais d'essayer d'avancer vers quelque chose qui soit un peu moins faux.

Mme Catherine GENISSON : Le problème n'est pas tant celui de votre propre répertoire que des dispositions visant à faire remonter l'information. Sont-elles suffisantes et efficaces ? On a vu ce qu'il en a été lors de la canicule. Comment les informations remontent-elles du terrain ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Qui doit prendre l'initiative de ces réunions interprofessionnelles ? Est-ce le préfet ?

M. Pierre MONOD : Pour les régions, la DRASS et l'URML ; pour le département, le préfet. C'est l'occasion ou jamais de mettre en place une réalité derrière la notion des territoires de santé ; cela dit, on pourrait envisager que des conseillers généraux eux-mêmes professionnels de santé aident à faire remonter l'information. Pourquoi pas ?

Mme Catherine GENISSON : Ne serait-il pas judicieux d'associer les ARH ? Il serait bon de réunir les professionnels libéraux, mais également les hospitaliers, et d'instituer des connexions simples et claires entre la médecine libérale et la médecine hospitalière. Les ARH doivent-elles rester hors du circuit ?

M. Pierre MONOD : Encore faudrait-il régler le problème de l'articulation ARH-DRASS... Tant que le paysage régional ne sera pas mieux organisé et que certaines ARH ne feront pas leur travail au plus près du terrain, il sera difficile de les considérer comme le meilleur interlocuteur. Au niveau régional, nous devons réapprendre à travailler avec les DRASS car c'est un problème de santé publique. Au niveau départemental, c'est le préfet qui est compétent. Si l'on rajoute les ARH comme interlocuteurs au niveau régional, je ferai ce que l'on me dira, mais...

M. le Président : Au demeurant, le débat est d'ores et déjà réglé : dans le domaine de la sécurité sanitaire, l'autorité appartient clairement aux préfets. Représentantes de l'autorité de l'État, les ARH sont évidemment utile mais, en la circonstance, elles sont sous l'autorité du préfet. L'organigramme, à cet égard, est clair et ne souffre aucun débat : la gestion de la sécurité sanitaire relève du préfet qui exerce, en matière de santé publique, les pleins pouvoirs.

M. Bernard HUYNH : La pyramide que nous avons conçue en matière d'information fonctionne aussi bien dans le sens descendant que dans le sens ascendant. Premièrement, partant du principe que les fichiers sont a priori faux, nous devons faire en sorte que les gens qui n'ont pas été joints directement puissent recevoir l'information. Or, l'information locale fonctionne également par imbibition : la constitution des groupes locaux d'une dizaine de médecins, permet à tous recevoir l'information, même si celle-ci n'est arrivée directement qu'à huit d'entre eux, les deux autres étant informés par le relais, le « dizainier », mais également par leur collègue du cabinet d'à côté. On règle ainsi la question de la mise à jour de fichiers qui, de toute façon, se périmeront en quelques jours.

Deuxièmement, nous avons imaginé un système de plusieurs étages en fonction du nombre de médecins dans chaque région. Autrement dit, l'information ne circule pas d'une seule traite. Prenons le cas de l'Île-de-France, qui compte 25 000 médecins. Parmi eux, 250 médecins particulièrement motivés, habitués et entraînés constitueront le premier degré. Nous les considérerons comme des médecins libéraux de santé publique ; ils recevront à ce titre une formation spécifique et feront l'objet d'un engagement spécifique, voire d'une indemnisation régulière pour transmettre l'information ou la recueillir auprès de 2 500 médecins, et ainsi de suite dans un troisième degré pour atteindre finalement les 25 000. Cette organisation en degrés d'information permet de minimiser les pertes en ligne et d'assurer l'information de tous tout en gardant la possibilité de cibler les destinataires si besoin est, par zone ou par spécialité.

M. le Président : Cette organisation existe-t-elle déjà ou est-ce celle que vous souhaitez mettre en place ?

M. Bernard HUYNH : C'est l'organisation que nous avons proposée à la DRASS, assortie d'un statut de médecin de santé publique libéral, et que le préfet de région a retenue comme thème de travail dans le cadre du projet de plan régional de santé publique (PRSP).

M. le Président : Et qu'en pensent les organisations syndicales ?

M. Bernard HUYNH : Elles sont d'accord : c'est nous qui les représentons !

M. le Président : Une fausse note peut arriver dans tout orchestre !

M. Bernard HUYNH : Nous n'avons pas entendu de critiques majeures de la part des représentants syndicaux - généralement assez haut placés - qui siègent dans l'URML d'Île-de-France. Certes, des divergences pourraient apparaître qui, finalement, aboutissent à un consensus après discussion. Mais nous n'avons pas relevé de divergences de fond.

Pour ce qui est des expériences locales, nous avons un excellent modèle d'articulation hôpital-ville, celui de la bronchiolite, maladie où l'enjeu essentiel est de laisser les enfants à la maison autant que possible, tout en restant capable de prendre très rapidement en charge à l'hôpital les cas les plus fragiles. Les réseaux bronchiolite fonctionnent très bien et pourraient parfaitement être adaptés à la pandémie grippale. Ce dispositif permet tout à la fois un maintien à domicile de très bonne qualité et une articulation médecine de ville/hôpital garantissant une admission en urgence sitôt que l'état du malade l'exige.

M. le Président : Ce réseau fonctionne, du reste, avec des professionnels de santé non médecins.

M. Bernard HUYNH : En effet. Le réseau Île-de-France, qui fonctionne depuis maintenant six ans, permet le maintien des enfants à domicile, avec de la kinésithérapie, mais également l'admission dans des services de pédiatrie hautement spécialisés de ceux qui en ont besoin. Cet excellent modèle peut tout à fait être repris et étendu.

Pour ce qui est des annexes de tri, je crois que tous les systèmes peuvent être utiles ; encore faut-il savoir mobiliser les ressources en fonction des besoins.

Toujours à propos d'expériences locales, nous avons un projet avec une commune de la petite couronne, et pour lequel nous aurons besoin du soutien du ministère, consistera à reproduire un scénario de grippe aviaire dans une grande commune de la périphérie parisienne. Le but n'est pas d'arriver avec des solutions toutes prêtes, mais de pointer les difficultés pratiques qui apparaîtront.

Mme Catherine GENISSON : Vous nous avez parlé de la déclinaison de votre plan dans les zones urbaines. Avez-vous réfléchi aux zones rurales, où les problématiques peuvent être assez différentes ?

M. Pierre MONOD : Les URML n'ont pas de plan - ou sinon, on leur demanderait de quoi elles se mêlent...

Mme Catherine GENISSON : Moi, je trouverais cela très bien !

M. Pierre MONOD : ...mais seulement des propositions d'amélioration. Nous vous remettrons à ce propos notre évaluation de la journée de formation : bien que la DGS ait fait ce qu'elle a pu, cela a été, sinon, un échec total, en tout cas une déception, faute d'avoir répondu aux attentes des médecins venus se former. Nous-même en portons une part de responsabilité pour n'avoir pas assez insisté sur son contenu auprès des organisateurs : nous avons entendu des débats sur le Tamiflu et son utilisation, certes passionnants, mais hors de propos.

Les zones rurales sont, elles aussi, confrontées à la même problématique : où trouver le médecin, le professionnel de santé ? Là encore, c'est l'occasion de tester les capacités de nos centres 15 et de notre système de permanence des soins. Là encore, il y a une articulation à trouver entre le public et le privé, mais tout porte à croire qu'en cas de pandémie, nous serons sans doute amenés à perdre un peu de notre caractère libéral.

J'aimerais que les choses soient relativement cadrées dans l'esprit des professionnels de santé, afin qu'eux non plus n'en viennent pas à céder à la panique et à quitter leur poste. En toute franchise, c'est une inquiétude : je ne voudrais pas que l'on revive 1940... Il nous faut être en mesure d'imaginer ce que pourrait être le degré de gravité, et donc de mobilisation - autrement dit, savoir si l'état de guerre sera décrété, et à quel moment l'on sortira du statut libéral. J'ai été très surpris par une des premières réflexions des médecins : « Notre assurance en responsabilité civile va-t-elle marcher ? » On a envie de rétorquer que ce ne sera plus le problème... Reste qu'il va falloir poser ce genre de question, et y répondre, oser dire, sans parler de réquisition, qu'en situation de pandémie grippale, les libertés professionnelles, comme d'autres libertés, pourraient faire l'objet de certaines restrictions, à discuter avec les organisations syndicales. Pour notre part, en tant qu'institution, et à la différence des syndicats, nous estimons de notre responsabilité d'apporter l'information, mais il faut nous donner des instructions précises. Discutons-en, mais une fois les règles arrêtées, une seule autorité sera chargée de diffuser l'information - ce sera le préfet, et non La Dépêche du Midi - avec des messages spécifiques aux professionnels de santé, des schémas d'organisation en cascade, etc. Cela renvoie une fois de plus à l'image de l'armée suisse ; c'est en tout cas ainsi que nous voyons les choses.

M. le Président. Cette conversation est tout à fait passionnante et nous vous croyons totalement dans le vrai. Nous ne pouvons que vous inciter à continuer à travailler dans ce sens. L'Assemblée nationale pourra, au besoin, vous servir d'interlocuteur. Nous serons heureux de recevoir vos documents ; n'hésitez pas à nous faire parvenir la suite de vos réflexions. N'hésitez pas à rester en contact avec nous et à nous faire part de vos réflexions. Cet échange nous réconforte un peu, après ce que nous avons entendu ces derniers jours...

M. Bernard HUYNH : Peut-être parce que nous aussi sommes des élus !

M. le Président : Et confrontés bientôt à des élections.

M. Pierre MONOD : Dans deux mois.

M. le Président : Seront-elles de nature à changer les choses ?

M. Pierre MONOD : Je ne le pense pas. Même si je ne me représente pas, le paysage ne devrait pas foncièrement changer. Les URML devraient surtout beaucoup se professionnaliser : nous avons assez poussé dans ce sens... Certains dossiers, comme la question de la démarche qualité et de l'évolution des pratiques professionnelles notamment devraient nous occuper un moment. Ce sont des dossiers très professionnels, peut-être un peu moins polémiques, sur lesquels il convient de travailler sereinement. Les élus des unions sont par nature des gens du concret, du terrain ; notre mode d'élection, au suffrage universel direct, nous oblige à rester en phase avec la réalité et à garder les pieds sur terre.

Mme Catherine GENISSON : Avez-vous de jeunes médecins parmi les candidats ?

M. Bernard HUYNH : Quelques-uns, mais pas assez !

Mme Catherine GENISSON : On sent vraiment une rupture...

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Quel est le pourcentage de votants ?

M. Pierre MONOD : 60 % aux deux dernières élections, il y a six et douze ans.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : C'est élevé, pour une élection professionnelle.

Mme Catherine GENISSON : Ce n'est pas tant l'état d'esprit des cinquantenaires qui m'inquiète que celui des jeunes. Le changement des mentalités est incroyable !

M. Bernard HUYNH : Nous travaillons beaucoup sur le renouvellement des générations.

M. Pierre MONOD : Vous avez raison, madame Génisson. Encore nous faut-il leur offrir un monde qui leur convienne.

Mme Catherine GENISSON : Le problème est que ce qui leur convient n'a rien à voir avec ce que nous avons connu...

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

Table ronde sur l'état de préparation des hôpitaux à la pandémie, avec des représentants de l'Association des directeurs d'hôpital : M. Jean-Luc CHASSANIOL, président, et M. Marc LAMOUR ; de la Conférence des présidents de CME de centres hospitaliers : M. Francis FELLINGER, président ; de la Conférence des présidents de CME de CHU : M. Pierre FUENTES, président ; du Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH) : M. Jean-Olivier ARNAUD, président

(Compte rendu de la réunion du mercredi 3 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Au cours du dernier trimestre 2005, la mission a travaillé sur les moyens médicaux disponibles en cas de pandémie, avant de s'intéresser plus particulièrement à l'épizootie aviaire proprement dite, objet d'un rapport rendu début mars. Nous procédons maintenant à l'évaluation du « plan pandémie » du Gouvernement, ce qui nous amène à nous pencher sur la situation de l'hôpital comme de la médecine de ville. Face à une problématique qui reste essentiellement d'anticipation, notre rôle de contrôle s'apparente plutôt à un rôle de dialogue avec le Gouvernement. Nous pouvons aussi lui faire passer des messages s'ils nous semblent justes, d'autant que le « plan pandémie » est encore en évolution et nous pouvons participer à cette évolution. Plusieurs de nos collègues ont eu l'occasion de visiter les hôpitaux de leur département pour voir où en était leur préparation au risque pandémique ; nous avons également auditionné diverses administrations hospitalières.

Nous vous avons invités pour connaître vos réactions vis-à-vis du plan gouvernemental, les problèmes encore en suspens sur le plan hospitalier. Adhérez-vous aux orientations stratégiques du plan ? Le niveau de préparation hospitalier vous paraît-il satisfaisant ? Quel est l'état d'esprit du personnel hospitalier en général ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Au cours de nos visites dans différents établissements hospitaliers, nous avons eu le sentiment que le niveau de préparation était très variable d'un hôpital à l'autre. Du côté des personnels, nous avons senti, en entendant les responsables syndicaux, une certaine inquiétude face au risque pandémique. Quel est votre sentiment ?

M. Jean-Olivier ARNAUD : Nous avons dernièrement procédé, auprès des établissements, à une enquête dont les résultats, que nous vous remettrons, sont assez significatifs. L'échantillon, quoique restreint, couvre à peu près toute la palette : quelques CHU, quelques hôpitaux généraux et quelques établissements accueillant des personnes âgées. On constate une assez bonne sensibilisation des établissements au risque pandémique et une assez bonne réception des instructions reçues par les hospitaliers - directions et médecins responsables, particulièrement aux urgences. La gestion des risques est progressivement entrée dans nos habitudes et les hôpitaux se sont souvent organisés en conséquence,, avec des cellules préparation et de gestion des risques, qui ont pris en charge l'affaire de la pandémie en liaison avec les comités de lutte contre les infections nosocomiales et les urgences. L'état des approvisionnements est assez variable, notamment pour ce qui touche au Tamiflu et aux masques. Globalement, l'objectif des pouvoirs publics de sensibiliser les personnels hospitaliers a été atteint.

En revanche, la coordination de tous les acteurs concernés - professions libérales, sapeurs pompiers, CCAS, mairies, transports urbains - est encore loin d'être assurée. Quant à l'état de mobilisation des hôpitaux, il reste très variable : si l'organisation est assez bonne dans les CHU et les gros hôpitaux généraux, où les moyens sont plus importants, on constate une complète sous-information et une préparation nettement insuffisante dans les établissements non hospitaliers au sens strict, accueillant des personnes âgées, EHPAD et maisons de retraite, publics et privés. J'ai pu constater à Cannes, où a été signée une convention entre l'hôpital et les maisons de retraite, à quel point ces établissements étaient demandeurs d'informations et d'équipements. Ils se sentent très isolés, alors même qu'ils ont vocation à recevoir une population par définition fragile et sensible.

Les modalités de la déprogrammation demandent enfin à être mieux définies. Les hôpitaux sont invités à déprogrammer certaines activités en cas de pandémie, mais la déprogrammation reste pour le moment un objectif. L'opération n'est pas sans conséquences et n'est pas si facile à mettre en œuvre : il faut s'y préparer dès aujourd'hui et l'assortir de garanties pour des établissements qui, de facto, se mettront d'eux-mêmes en sous-activité.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous parlez de garanties financières...

M. Jean-Olivier ARNAUD : Vous me précédez : cela signifiera des « sous-recettes ».

M. Francis FELLINGER : Un gros effort est fait actuellement, et les objectifs du plan suscitent globalement l'adhésion. Il reste que cette affaire prendra beaucoup plus de temps que nous-ne le pensions au départ : il y a encore beaucoup à faire. Il faut former des milliers, voire des millions de personnes, ce qui n'a rien d'évident. Autant de raisons de rester modestes, d'autant que nous ne savons pas ce qui nous attend : si tout ce passe comme prévu dans le scénario-catastrophe, cela pourra se gérer, mais rien ne dit qu'il n'en ira pas différemment.

Notre système hospitalier est forcément très hétérogène du fait de son maillage territorial. Parmi les quelque 540 centres hospitaliers que je représente ici, certains sont bien organisés, d'autres moins. Probablement les établissements sièges de services d'accueil et d'urgence (SAU) ont-ils une culture et une organisation de l'urgence qui leur facilite les choses par rapport à des établissements plus petits, notamment en butte à des difficultés de personnel non médical et de budget. Cela dit, les expériences de la canicule et du chikungunya ont montré que le système hospitalier, contrairement à d'autres, a toujours tenu, même à flux tendu, fût-ce au prix des pires difficultés. Restons modestes, certes, mais disons-nous que nous ne sommes pas si mauvais que cela... D'autant que nous avons le maillage SAMU-SMUR-SAU, sans oublier certains réseaux de gériatrie.

Cela dit, si la philosophie générale de ce plan emporte notre adhésion, plusieurs points nous posent difficulté, à commencer par la formation, qui a pris quelque retard.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La formation des médecins ?

M. Francis FELLINGER : Des médecins, mais également de tous les autres personnels car nous aurons besoin de tout le monde. On peut commencer par des formations minimales, quitte à les réactiver par la suite, comme un vaccin, car dans des situations d'urgence, si l'on n'est pas très vite opérationnel, on est vite dépassé. Et pour être vite opérationnel, il faut constamment réapprendre et se remettre à niveau.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il y a donc déjà eu des formations ?

M. Francis FELLINGER : Bien sûr, par le biais des référents. La formation « pandémie » fait partie intégrante des plans blancs et du plan, dont elle n'est qu'un volet. Des référents régionaux NBC ont été mis en place dans chaque zone de défense.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Avez-vous une idée du taux d'adhésion des personnels ?

M. Francis FELLINGER : C'est très hétérogène. Il m'est impossible, faute de retours, de vous donner des chiffres. Il existe, certes, une adhésion intellectuelle mais pour ce qui est de l'adhésion « pratique », elle est très variable d'un établissement à l'autre.

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Pour ce qui est de la formation, des progrès s'imposent au niveau de la coordination nationale. Néanmoins, un appel d'offres vient d'être lancé par le ministère de la santé, et beaucoup de régions, voire des hôpitaux, ont commencé à former leurs médecins et leurs personnels. Ajoutons que la mise en place de plans de formation d'envergure nationale ne va pas sans poser des problèmes dans des établissements déjà confrontés à des réductions d'effectifs - et cela va au-delà de la grippe aviaire.

M. Francis FELLINGER : Un comité pédagogique national a été mis en place en avril afin de mettre au point des outils de formation, mais force est d'admettre que cela prend plus de temps que prévu. Il est nécessaire de passer par des relais ; une journée de formation des formateurs est d'ailleurs prévue le 23 mai. La réalité n'est pas toujours aussi simple que sur le papier...

Une fois entrés dans la phase pandémique, nous serons en situation de guerre et tout le monde sera mobilisé. En revanche, la phase - éventuelle - d'entrée dans la pandémie sera délicate pour les hôpitaux, probablement placés en première ligne. Même si, en théorie, il est prévu des filtrages pré-hospitaliers, nul doute que l'apparition de plusieurs cas simultanés provoquera des mouvements de panique et un afflux de patients dans les services d'urgences. Ce sera pour nous une période de « calage » très délicate, qui verra se mélanger des gens réellement malades, des gens potentiellement malades et des gens angoissés qu'il sera impossible, à ce stade, de filtrer et d'organiser en flux séparés. Cela sera d'autant plus problématique que les personnes potentiellement malades, en phase préclinique, sont précisément les plus contagieuses. Ce point devra être rapidement éclairci tant au niveau de la coordination ville-hôpital qu'à celui de la mise en place de structures de tri. Ces systèmes-tampons ne sont pas, pour l'instant, opérationnels. C'est à ce moment-là que se posera le problème de la déprogrammation, puisque nous serons conduits à mettre des établissements en « veille active », en déprogrammant des activités, sans être sûrs que cette déprogrammation soit véritablement justifiée, ce qui ne sera pas sans conséquences financières et humaines. Cette phase pré-pandémique sera certainement très difficile à gérer pour le secteur hospitalier public, qui sera probablement le seul en ligne à ce moment-là car les systèmes de ville ne seront pas encore réactifs et les systèmes-tampons pas encore activés.

M. le Président : Qui, à votre avis, devrait avoir la responsabilité de la décision politique de la déprogrammation ?

M. Jean-Olivier ARNAUD : Elle relève, à nos yeux, des pouvoirs publics, conformément à l'organisation prévue dans le plan blanc qui prévoit une montée en charge progressive.

M. Francis FELLINGER : Le plan blanc est d'abord mis en œuvre par le directeur. Le problème est qu'auparavant,on peut passer par un épisode plus ou moins bref marqué par la constatation des premiers cas dans une région donnée : que fait-on ? On interrompt l'activité de l'hôpital ? Comment gérer les flux ? Avant même que le préfet ou le directeur de l'ARH ne prenne une décision, il faudra réagir immédiatement, et ce sera du ressort des dirigeants locaux.

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Cette décision doit être prise par les cellules de crise mises en place dans le cadre des plans blancs et qui réunissent directeurs et médecins.

M. Jean-Olivier ARNAUD : Les plans « canicule » ou « grand froid » prévoient d'ores et déjà des procédures de montée en charge graduée. On peut supposer que les pouvoirs publics, qui disposeront d'informations, les communiqueront aux établissements et mettront en place cette déprogrammation de précaution ; lorsque la pandémie sera déclarée, la déprogrammation s'imposera d'elle-même. C'est la période préalable qui posera effectivement problème, surtout si la déprogrammation s'avère, après coup, superflue.

M. le Président : Pour des raisons d'ordre public, de coordination et de transmission d'informations, il me paraît évident que le mécanisme ne peut être enclenché que par les pouvoirs publics, autrement dit le préfet. Il ne peut s'agir que d'une décision de sécurité sanitaire, prise au plan national et sous l'autorité des préfets. Il serait dramatique de vous en faire porter la responsabilité : imaginez que l'on se mette à déprogrammer à Bordeaux tout en répétant à Limoges qu'il n'y a pas de problème... Peut-être faudra-t-il affiner la problématique de « l'atterrissage », c'est-à-dire de l'entrée en pandémie ; mais elle ne peut qu'être coordonnée par l'État, sous sa responsabilité.

M. Pierre FUENTES : Les centres hospitaliers universitaires ont, sur certains aspects, une sensibilité un peu particulière. Beaucoup moins nombreux - ils représentent vingt-neuf grosses villes -, ces établissements sont, par définition, volumineux et constituent le pivot de notre organisation sanitaire.

Je crois comprendre que vous vous intéressez aujourd'hui à la phase pandémique proprement dite et non pas à la période pré-pandémique de veille - au cours de laquelle l'InVS doit jouer son rôle, puisque c'est à partir des données remontant des établissements vers l'InVS que les pouvoirs publics doivent prendre leurs décisions. Sans doute faudra-t-il introduire un peu « d'affinage » dans la déprogrammation, le moment venu. Il n'est qu'à voir comment on procède lors de mouvements de grève où l'on dit ne conserver que l'activité d'urgence en supprimant toute activité programmée : il y a derrière cette formule une marge relativement importante. Mais il conviendra, à un moment donné, de définir ce qui est considéré comme « déprogrammable », et pendant combien de temps : certaines interventions sont déprogrammables une semaine, d'autres un mois, d'autres six mois. Déprogrammer ne signifie rien en soi : encore faut-il définir des échelles de temps et de gravité. Déprogrammer une prothèse totale de hanche est une chose, déprogrammer une chirurgie du cancer du poumon une autre : cela peut attendre une semaine, voire quinze jours ou trois semaines, mais pas six mois.

Globalement, l'adhésion des CHU au plan gouvernemental est bonne ; je partage à cet égard les remarques de Francis Fellinger. Le dispositif actuel de veille sanitaire fonctionne convenablement.

Pour ce qui est de la préparation à la pandémie dans les CHU, deux points d'interrogation demeurent. Premièrement, nous sommes un peu dans la situation du Désert des Tartares : après une période d'effervescence et une montée en tension, liées à l'hiver, à l'apparition de cas animaux ou humains de par le monde, rapportés par la presse ou les pouvoirs publics, le plan ayant été lancé et les beaux jours revenant, on a l'impression que la menace de grippe se dissipe - ce qui est scientifiquement inexact : si les risques de grippe diminuent habituellement avec les beaux jours sous nos latitudes, ils ne sont pas nuls en cas d'infestation massive. D'où un risque d'essoufflement dans la mobilisation des énergies face à un risque potentiel, même si tous les spécialistes le jugent réel. Il va falloir procéder à des injections de rappel régulières pour maintenir cette mobilisation.

Le deuxième point qui inquiète très clairement les CHU est l'afflux massif de patients en cas de pandémie. Les spécialistes estiment entre 20 à 30 % la part de population contaminée, dont 20 à 30 % appelant une hospitalisation. Le risque est évidemment de faire entrer la grippe à l'hôpital où elle pourrait devenir une maladie nosocomiale pour les autres hospitalisés comme pour le personnel - surtout que, depuis une dizaine d'années, tout le monde a pris l'habitude de se tourner systématiquement vers l'hôpital à défaut de trouver dans la médecine libérale une réponse conforme à son attente. Les CHU, parce qu'ils sont les plus gros établissements, de surcroît généralement sièges de SAU, se retrouveront à coup sûr en première ligne face à cette arrivée massive de gens qu,i non seulement ne nécessiteront pas d'hospitalisation, mais introduiront la grippe à l'intérieur de l'hôpital, contaminant les malades et les personnels, thrombosant les services et surtout nos services de réanimation dont les patients, pour l'essentiel, ne relèvent pas de l'intervention programmée.

D'autres que nous vous ont certainement posé la question : ne conviendrait-il pas de réfléchir, comme pour la médecine de ville, à une sectorisation de tout ou partie des établissements hospitaliers, par le biais d'une déprogrammation sélective et totale dans certains établissements, qui permettrait de reporter les pathologies classiques dans certains hôpitaux et de concentrer les malades grippés dans d'autres établissements ? Ce serait théoriquement la meilleure façon de protéger de la maladie les autres malades et les personnels hospitaliers, mais cela poserait probablement des difficultés pratiques et organisationnelles assez lourdes. Ce n'est pas nouveau, et la question s'est déjà posée à l'occasion d'autres épidémies de mettre en place, durant une période limitée, des structures spécifiquement dédiées, autrement dit une nouvelle répartition des lits, au lieu d'une mobilisation d'ensemble des lits, qui verrait se mêler des personnels formés et d'autres non formés, des malades non grippés et des grippés contagieux.

M. le Président : Est-ce à dire que la séparation, au sein des hôpitaux, entre secteurs infestés et non infestés est, pour vous, une vue de l'esprit et ne résistera pas à l'afflux des malades ? Beaucoup d'établissements ont d'ores et déjà organisé des cheminements séparés.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Sans oublier que si les grosses métropoles disposent de plusieurs établissements, certaines zones n'ont qu'un seul hôpital...

M. Pierre FUENTES : Je n'ai pas dit que c'était la solution, mais seulement une question posée par certains, et qui vaut pour l'ensemble des établissements de soins, publics et privés. Cela exigera probablement une organisation assez complexe, à supposer qu'elle soit politiquement bien perçue, car elle n'est pas sans inconvénients. Elle se heurterait, en tout état de cause, à des difficultés géographiques, certaines régions étant nettement sous-équipées en termes de nombre de lits par rapport à d'autres. Sur le plan épidémiologique et de la diffusion de la maladie, ce pourrait être une réponse ; de l'avis des experts, cette solution ne peut être envisagée que si l'on abandonne l'idée de maintenir la grippe à l'extérieur de l'hôpital - c'est en fait ce qu'ils préconisent. Or, la culture sanitaire de la population française fait que nos concitoyens se tournent de plus en plus vers l'hôpital. Il faut en tenir compte.

M. le Président : Pour avoir visité nombre d'hôpitaux dans les grandes agglomérations, nous avons tout lieu de craindre que le flux ne soit ingérable : la sectorisation sera difficile, sinon impossible en région parisienne compte tenu de la concentration des établissements intra muros - où iront les habitants du Val-de-Marne ou de la Seine-et-Marne ? Force est de constater qu'il faudra la mise en place de sas dans des écoles ou des gymnases réquisitionnés pour l'occasion, par lesquels passeront tous les grippés avant d'entrer dans l'hôpital mais il reste à savoir ce qu'il en sera pour les autres pathologies. Que pensez-vous de cette stratégie ?

M. Pierre Fuentes : Elle nous paraît intéressante. En fait, bon nombre de malades candidats à l'hospitalisation - comme c'est le cas aujourd'hui pour les patients qui se présentent aux urgences - sont en fait des candidats à une prise en charge socio-médicale : une personne de soixante-quinze ans, avec la grippe, 40° de température et de possibles complications a besoin que l'on s'occupe un peu d'elle pour la toilette, les repas, la prise de médicaments. Cela nécessite un accompagnement mais pas un séjour en centre hospitalier et a fortiori dans un centre hospitalier universitaire. Indépendamment des établissements pour personnes âgées, les solutions « de guerre », type écoles ou gymnases réquisitionnés et dotés d'une logistique hôtelière médicalisée a minima restent le seul moyen de traiter des flux de cette ampleur.

M. Francis FELLINGER : Il faut évidemment mettre en place des structures-tampons qui servent, d'une part, de sas préalablement à l'entrée dans le système institutionnel, d'autre part, de structures intermédiaires à l'intention des personnes nécessitant plus un accompagnement social qu'une prise en charge médicale lourde.

La réanimation pose en revanche un problème majeur : il faut à l'évidence en doubler les capacités.

M. le Président : Est-ce à dire que vous êtes en train de le faire ou qu'il faut le faire ?

M. Francis FELLINGER : On ne peut pas doubler les structures de réanimation : ce serait une grave erreur, sur le plan médical comme sur le plan économique. Nous devons trouver des systèmes mobiles, dans l'esprit de la médecine militaire. Des réflexions sont en cours.

M. le Président : Où en êtes-vous dans la mise en œuvre ?

M. Francis FELLINGER : C'est totalement embryonnaire.

M. le Président : Autrement dit, vos hôpitaux n'ont pas acheté de ventilateurs plus légers, ni formé de personnels, et encore moins en réanimation pédiatrique, elle-même très spécifique.

M. Francis FELLINGER : Non, même si nous avons probablement quelques réserves en réanimation adulte, bon nombre de spécialités médicales ayant dans leur cursus des formations ou des stages de réanimation permettant aux praticiens de devenir rapidement opérationnels. Par ailleurs, la déprogrammation fournira un volant supplémentaire d'anesthésistes. La réanimation pédiatrique, en revanche, pose un énorme problème : en effet, la pédiatrie hospitalière est une des disciplines hospitalières les plus sinistrées, notamment en termes d'encadrement en personnel. La mise en œuvre d'une formation aussi lourde ne se fait pas du jour au lendemain, d'autant qu'il faut déjà avoir des pédiatres pour les former.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur :. Comment voyez-vous ces unités de réanimation mobiles ?

M. le Président : Légères, plus que mobiles...

M. Francis FELLINGER : En effet. Les gros centres hospitaliers et les CHU disposent de structures intermédiaires de soins intensifs divers et variés et post-opératoires qui peuvent être réorientées ; nous réfléchissons, par ailleurs, à transformer des lits classiques en lits de réanimation par l'adjonction de « kits » permettant d'assurer à tout le moins une pré-réanimation ou une réanimation mobile.

M. Jean-Luc CHASSANIOL : L'association des directeurs d'hôpital adhère globalement au plan gouvernemental, mais la plus grosse faiblesse qui ressort de notre enquête est celle relevée par le professeur Fuentes : la séparation entre zones de haute densité virale et zones de basse densité virale n'apparaît pas gérable dans les gros établissements. Il serait hautement souhaitable que les prochaines conférences sanitaires inscrivent systématiquement à leur ordre du jour une réflexion sur la distinction entre hôpitaux à haute ou à basse densité virale. Derrière la question du classement dans l'une ou l'autre de ces deux catégories, qui relèvera des pouvoirs publics, se profilera inévitablement celle des transferts des personnels d'un établissement à un autre pendant la pandémie. C'est là le maillon faible car, pour l'instant, aucune doctrine n'est arrêtée en la matière, et le choix d'une doctrine aura des répercussions importantes en termes d'organisation.

Restent enfin des secteurs où la réflexion n'est pas encore suffisamment poussée : les établissements accueillant des personnes âgées, mais également les établissements psychiatriques, qui posent des problèmes très particuliers. Il faudrait éventuellement les évacuer ou prévoir des procédures de confinements très complexes, tant du point de vus du droit que de celui de la dangerosité.

M. le Président : Avez-vous reçu des consignes d'évacuation des hôpitaux psychiatriques ?

M. Jean-Luc CHASSANIOL : On peut arriver à un stade où cela s'imposera pour soigner les malades ; c'est du reste prévu dans les textes.

M. le Président : Je ne comprends pas. Quand des gens seront soignés à Sainte-Anne, ils resteront soignés à Sainte-Anne...

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Par forcément. Si leur état nécessite des soins qui vont au-delà d'un simple généraliste, il faudra bien les transférer dans un autre service.

M. le Président : Dans l'hypothèse d'une réanimation lourde, certes ; mais pour tout le reste...

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Ce ne sera pas traité à Sainte-Anne, mais à Cochin ou ailleurs.

M. le Président : Comment cela ? Vous croyez vos psychiatres incapables de faire de la réanimation légère ?

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Ce sera difficile...

M. le Président : Comment cela ?

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Sainte-Anne a évidemment des réanimateurs au centre Raymond-Garcin ; mais dans d'autres établissements psychiatriques, les malades devront être transférés dans un service de médecine générale ou de spécialité.

M. le Président : Si l'on commence comme ça... Vous avez raison de poser la question, mais on ne peut pas demander aux gens de se soigner à domicile et ne pas appliquer ce principe aux structures hospitalières... Il faut que les médecins se déplacent. Imaginez le bal des ambulances entre Sainte-Anne et Cochin !

M. Francis FELLINGER : Faire porter un masque chez un malade agité ou psychotique ne sera pas évident...

M. le Président : Raison de plus pour qu'il reste dans son établissement !

M. Francis FELLINGER : Je suis assez d'accord. Mieux vaut renforcer les équipes médicales dans les structures psychiatriques que de les évacuer.

M. Jean-Olivier ARNAUD : La question pourra se poser si la pandémie touche le personnel.

M. le Président : Venons-en précisément au personnel. Vous représentez les cadres, mais où en sont les autres personnels ?

M. Jean-Olivier ARNAUD : Le niveau de sensibilisation, de formation, de préparation, de connaissances, de communication nécessite d'être sérieusement relevé. Si, évidemment, un travail efficace a pu être mené au niveau du corps médical et des directions, les personnels restent mal informés des risques réels liés à la grippe aviaire, de l'usage des masques, du Tamiflu, etc. Il faut impérativement renforcer la formation.

Se pose ensuite le risque d'un absentéisme massif...

M. le Président : C'est-à-dire ?

M. Jean-Olivier ARNAUD : Il y a tout lieu de supposer qu'une pandémie touchera indifféremment les hospitaliers comme les personnes extérieures à l'hôpital. Nous aurons donc à faire face à un surcroît d'activité, qui plus est, avec un personnel réduit. Les prolongations et les astreintes à présence poseront inévitablement des difficultés particulières sur le moyen et le long terme.

M. le Président : Au niveau des principes, en quels termes aborde-t-on la question ? Viendra qui voudra ? Attend-on de voir combien il y aura malades, ou ceux qui ont des problèmes familiaux?

M. Jean-Olivier ARNAUD : L'organisation du plan blanc se mettra en place et il prévoira une surmobilisation des personnels en cas d'afflux de victimes. Les hôpitaux ont la possibilité de rappeler des personnels...

M. le Président : Ont-ils une autorité en la matière ? Y a-t-il une obligation de venir ?

M. Jean-Olivier ARNAUD : Oui.

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Je serai plus pessimiste... Si un décret oblige théoriquement chacun à laisser son numéro de téléphone, il existe malheureusement parfois des réticences à le communiquer à la direction de l'hôpital ! On peut évidemment le rechercher sur Internet, mais les gens peuvent être sur liste rouge. Cela nous ramène à la question de l'information : il serait intéressant qu'au niveau ministériel, un kit d'information unique soit préparé à l'intention du million d'agents hospitaliers...

M. Jean-Olivier ARNAUD : Ne pourrait-on pas faire encore plus centralisé ?

M. Jean-Luc CHASSANIOL : ...sous la forme d'un quatre-pages joint à chaque bulletin de salaire, et qui préciserait un minimum de comportements de base à adopter en cas de grippe aviaire. Les agents ne les connaissent pas. Ce quatre-pages ministériel pourrait ainsi décrire les points durs et les mesures à prendre en cas d'urgence, mais également valoriser l'hôpital. Les gens ont besoin d'être valorisés. La canicule a montré que l'hôpital public savait se mobiliser. Ce document émanant du plus haut niveau pourrait avoir un réel impact sur des agents qui ne sont pas agents hospitaliers par hasard : ils croient à ce qu'ils font. Encore faudrait-il valoriser ces professions par un signe fort des pouvoirs publics qui, pour l'instant, s'adressent trop exclusivement aux médecins et aux cadres.

M. Jean-Olivier ARNAUD : On peut supposer que, comme toujours, la culture hospitalière prendra le dessus dans tous les services : c'est précisément là-dessus que repose l'efficacité des plans blancs, sur ce « bouche à oreille électronique » qui pousse les gens à se mobiliser spontanément en cas de catastrophe. Cette auto-mobilisation se retrouve à chaque fois que les gens en comprennent la nécessité, pour peu que cette chaîne d'information et de solidarité fonctionne. Reste que beaucoup de fausses données sur la grippe aviaire circulent encore parmi les personnels hospitaliers.

Cela dit, on peut supposer que des mères de familles ou autres personnes seront astreintes à résidence quand bien même elles voudraient venir travailler, soit qu'il leur faille s'occuper de membres de leur famille, soit qu'elles se croient malades et donc contagieuses, et donc tenues de respecter les consignes de maintien à domicile. Comment réagiront-elles ? On ne sait pas. Là encore, les gens ont besoin de consignes précises - pour savoir jusqu'à quand on vient travailler, à partir de quel moment on ne vient pas, comment on se réorganise, etc.

La coordination territoriale comme la coordination entre les différents services publics sera à mon sens indispensable. En temps de guerre, tout le monde doit se mobiliser : on ne peut tout faire reposer sur l'hôpital. L'ensemble des participants de l'action publique sanitaire devrait agir de concert. Qui devrait les coordonner ? Le préfet ou la DDASS ? Ce ne sont pas forcément les échelons les plus appropriés. Les maires et les conseillers municipaux connaissent bien le terrain. On a vu, depuis la canicule, les maires de certaines villes prendre en charge les systèmes d'alerte, constituer des fichiers d'adresses de personnes âgées, bref, se lancer dans une préparation que l'on pourrait mettre à profit - en tout cas dans les villes sensibles à la canicule.

M. le Président : Sitôt que sera donnée l'alerte pré-pandémique, puis pandémique, vous serez en plan blanc ; autrement dit, vous disposerez d'un cadre juridique. M. Chassaniol a fait état de consignes syndicales ; de votre côté, vous répondez qu'on arrive à mobiliser les personnels. Mais vous ajoutez qu'il faudra également compter avec les agents obligés de garder leurs enfants ou des parents âgées, confrontés à des difficultés de transports ou tout simplement malades. D'accord, mais on ne peut en rester là. On ne peut pas dire : on verra bien. Tout cela se prépare, ce qui pose le problème fondamental de l'adhésion des personnels du service public à une mission intrinsèquement de service public. Or nous avons eu, sur ce point, des discussions assez tendues avec certains syndicats ; nous avons entendu le ministre de l'éducation nationale nous expliquer que les enseignants pourraient continuer à faire de l'enseignement à domicile, par téléphone, mais sur la base du volontariat... Je m'étonne que l'on puisse raisonner sur la base du volontariat pour quelque chose qui relève fondamentalement du service public ! Autrement dit, il devrait y avoir une culture du service public et la préparation de cette crise nous amène, à cet égard, à nous pencher sur ces problèmes de management.

A contrario, le directeur de l'information de TF1 nous a expliqué hier que des réunions avaient été organisées avec l'ensemble des personnels, que des plans de mobilisation par étape avaient été élaborés, organisant le remplacement des malades, que leurs sous-traitants - restauration, services de sécurité, nettoyage - avaient été invités à prendre des dispositions de préparation à la pandémie... Il semblerait que le service public n'en soit pas encore là ! En attendant, nous « tournons autour du pot » : d'un côté, il y a le plan blanc, mais de l'autre, on a l'impression d'un grand vide, à tous les niveaux, dans les politiques de management et de mobilisation autour des missions du service public. Sans une mobilisation, testée à l'occasion d'exercices en grandeur réelle, et sans prise de conscience des personnels de l'hôpital public, comment imaginer que des gens traverseront la moitié de l'Île-de-France pour venir travailler sans être sûrs que leurs enfants seront gardés ?

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Et, d'ailleurs, comment feront-ils avec des transports extrêmement réduits ?

M. le Président : Il y aura des transports !

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Nous n'avons eu aucune réunion de coordination sur ce point...

M. le Président : J'entends bien : chacun à son niveau a sa part de responsabilité et personne ne peut s'en abstraire. Lorsque les médecins libéraux nous disent que les médecins seront là, sans autre précision, je ne peux accepter ce genre de discours. Par ailleurs, on ne peut pas avantage accepter d'entendre le service public nous répondre : « il y a les plans blancs et nous ferons notre travail ». Je voudrais plus de précisions... Préparons un peu mieux la situation ! J'ai été très surpris de l'état d'esprit des personnels lors de notre visite d'un grand CHU parisien : ils étaient dans un état de sidération totale, convaincus qu'ils allaient mourir ! Notre rôle est de maintenir la pression pour inciter à se préparer, sans pour autant que les gens en déduisent qu'ils vont mourir !

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Je veux croire qu'il y avait, à l'occasion de notre visite dans cet hôpital parisien, une surenchère de la part de représentants syndicaux vis-à-vis de leur direction, également présente... D'où ma question de tout à l'heure sur les réactions des représentants des personnels hospitaliers. Pense-t-on déjà à un organigramme des personnels en place au moment de la crise ?

M. Jean-Olivier ARNAUD : C'est précisément le plan blanc...

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Je parle du nombre minimum de personnels nécessaires pour qu'un service fonctionne. Est-ce faisable ?

M. le Président : A-t-on, dans chaque service, fait le tour des agents en leur demandant s'ils avaient des enfants ou des personnes âgées à charge, de quel âge, s'ils peuvent rester seuls, ou encore la distance travail-domicile, etc. ? Commence-t-on à poser de genre de questions ?

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Non, pas de manière formalisée et systématique.

M. Francis FELLINGER : Nous savons que nous aurons affaire à un afflux massif. Nous savons que notre personnel est sous-informé et sous-formé, ce qui suppose un effort rapide et important, au niveau central, de formation obligatoire, et non pas dépendant de la bonne volonté des uns et des autres, de l'air du temps ou de l'humeur syndicale du moment. Ce qui ne nous empêchera pas de devoir faire face à cet afflux de malades, avec un minimum de 30 % de gens indisponibles, pour raisons maladie, familiales ou autres.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Et quel pourrait être le maximum d'absents ?

M. Francis FELLINGER : Cela pourrait être le double...

M. Pierre FUENTES : Entendez 30 %, plus les 7 à 15 % habituels ! Il faut voir les choses en face.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Soit un sur deux...

M. Francis FELLINGER : La seule solution, sur laquelle on a pris beaucoup de retard, reste un recensement, par territoire, de tous les gens mobilisables - médecins, infirmiers, etc. - dans le cadre d'une réserve sanitaire, comme le prévoit du reste le plan. Par exemple, les écoles étant fermées, les infirmières scolaires pourraient venir en renfort ; encore faut-il organiser ce renfort l'avance mais, pour l'heure, on n'avance pas beaucoup.

M. le Président : Pour l'instant, le ministère de l'éducation nationale n'a même pas prévu de demander à ses enseignants de travailler par téléphone ! De là à demander aux infirmières scolaires d'aller dans les hôpitaux...

M. Francis FELLINGER : C'est précisément cela, l'organisation. Il faudra bien prévoir qui pilotera les sas dont nous parlions tout à l'heure : je n'ai pas trop de craintes sur la présence de la médecine de ville, mais sera-t-elle immédiatement opérationnelle pour assurer le pilotage ? Il faudra, au moins au début, transférer des personnels de chez nous, ce qui nous en fera d'autant de moins... Sans oublier les autres malades : une péritonite sera toujours une péritonite, grippe aviaire ou pas. Tout ce flux minimal devra également être estimé dans le cadre d'un pilotage national, régional et territorial, encore insuffisamment opérant.

M. le Président : Vous avez raison de soulever le problème du pilotage territorial, mais on ne pourra pas faire l'impasse, dans le cadre de la préparation, d'un contact direct avec le personnel et d'un appel à la mobilisation. On ne saurait en rester à une situation où ces choses continueraient de n'être évoquées qu'au niveau des cadres supérieurs alors que les personnels en sont à se demander s'il faut doivent faire leur devoir ou se résoudre à mourir... Sans tomber systématiquement dans le pessimisme, il est permis de penser que la gestion d'une crise se traduira, au départ, par un choc brutal, qui pourrait avoir un effet dévastateur sur la structure hospitalière. Rappelons que la crise ne sera pas thérapeutique ; elle sera d'abord politique, au sens premier du terme.

M. Francis FELLINGER : D'où la nécessité de former les gens, et de façon obligatoire.

M. Jean-Olivier ARNAUD : Attention au syndrome du Désert des Tartares : on se mobilise pour des tas de choses et, à la fin des fins, on se heurte à une sorte d'incrédulité des personnels, qui aboutit à une mobilisation très irrégulière.

M. Francis FELLINGER : On n'en est pas encore là : pour commencer, il faudrait former...

M. Jean-Olivier ARNAUD : Je rencontre pas mal d'hospitaliers assez sceptiques.

M. le Président : Il y a beaucoup de déni médical.

M. Jean-Olivier ARNAUD : Disons que certains estiment qu'on en fait beaucoup... or, le principe de précaution suppose d'en faire plus que ce qui paraît nécessaire, faute de quoi on n'a plus de réserves. Le seul moyen de contrer ce mouvement reste la formation sur les aspects cliniques mais également sur l'organisation et le management. La mobilisation reste nécessaire et c'est une bonne occasion de restaurer la culture du plan blanc et des valeurs comme la chaîne de solidarité ou le service public. Reste que l'hôpital ne peut pas être le seul opérateur : il sera fatalement débordé. Les autorités civiles non sanitaires, État et collectivités locales, doivent être parties prenantes dans cette affaire. Les DASS ne pourront pas être partout. Les autorités municipales sont souvent très réactives.

M. Roland CHASSAIN : C'est vrai !

M. Pierre FUENTES : Sur le plan de la motivation, les hôpitaux universitaires sont relativement chanceux car la pression y est maintenue par les spécialistes des services des maladies infectieuses, à chaque fois centres de référence, sans oublier cette culture d'enseignement propre aux gros établissements. Si l'on ne peut y nier un certain effet « Désert des Tartares », nous ne manquons pas de spécialistes et d'experts pour nous rappeler en permanence, sur la base d'un faisceau d'informations scientifiques, que la pandémie va arriver, dans un an, dans cinq ans, dans dix ans, sous la forme du H5N1 ou d'un autre ; tous sont certains que cela va arriver. Cela maintient une pression interne dans les CHU.

M. Jean-Marie Le Guen fait remarquer, à juste titre, les insuffisances de l'organisation actuelle et les améliorations à y apporter. Il faut effectivement s'assurer auprès de tous les partenaires sanitaires de leur participation à la gestion de la crise, qu'il s'agisse des médecins libéraux, des personnels des établissements privés et du personnel paramédical privé. Les directeurs d'hôpitaux ne manqueront pas d'arguer que si l'on déprogramme d'un côté en laissant les autres programmer à leur guise, nos établissements n'auront plus de ressources suffisantes tandis que les autres seront dans une situation financière très favorable... Je trouve déjà la situation actuelle, hors pandémie, assez immorale dans la mesure où l'on demande aux hôpitaux, particulièrement aux CHU, de se charger de ce dont le secteur privé ne veut pas. Il y a donc ceux qui choisissent ce qu'ils veulent bien faire, et les autres font le reste : et c'est cela que l'on appelle le service public. En période de pandémie, une permanence des soins qui ne repose que sur le bon vouloir de la médecine libérale devient proprement immorale. Jusqu'à présent, l'État n'est jamais parvenu à faire autrement ; mais en rester à un tel système dans une situation de crise ne me paraît pas acceptable.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Les directeurs d'établissements ont-ils eu des réunions de concertation avec les représentants des établissements privés ?

M. Marc LAMOUR : Dans le département du Finistère, et sous l'autorité de la DDASS, deux réunions se sont déjà tenues, auxquelles était convié l'ensemble des représentants des structures d'hospitalisation publiques et privées, et qui portaient précisément sur les modalités de coopération. Quatre groupes de travail ont été constitués, qui ont déjà commencé à se réunir.

M. Jean-Luc CHASSANIOL : Aujourd'hui même, depuis sept heures du matin, le CHU et les cliniques privées de Dijon sont impliqués dans un exercice « grippe aviaire-plan blanc » avec l'ARH.

M. le Président : Ne trouvez-vous pas que ces exercices devraient être beaucoup plus fréquents ? Vous me direz que les hôpitaux sont déjà bien occupés...

M. Jean-Luc CHASSANIOL : C'est vrai que ces opérations sont plutôt lourdes... L'idéal serait de passer de un à deux exercices par an, comme le préconisent du reste tous les manuels de gestion des risques, afin que les automatismes se mettent en place. De même, en matière de formation : nous sommes bien obligés d'en mettre une en place au moins tous les deux ans pour chaque agent en matière de « sécurité incendie »... Ce n'est donc pas infaisable.

M. Jean-Olivier ARNAUD : La collaboration public-privé devrait probablement commencer à se faire jour, notamment à l'occasion de la préparation de la déprogrammation. Nous avons reçu des instructions pour la préparer. Reste que certaines personnes n'accepteront jamais un report d'intervention de douze semaines et s'adresseront ailleurs.

M. le Président : Ce genre de considération sera balayé en période de pandémie...

M. Jean-Olivier ARNAUD : Je parlais de la déprogrammation de précaution.

M. le Président : Tout porte à croire que cette période durera malheureusement très peu de temps. Le scénario le plus probable est le suivant : premier jour, trois cas suspects dans une famille aux environs de Djakarta ou une autre ville ; le lendemain, c'est tout le village qui est touché ; à « J + 3 » ou « J +4 », c'est l'alerte générale et la bataille pour distribuer le Tamiflu et mettre en place la quarantaine ; pendant ce temps, les moteurs commencent à tourner chez nous, sachant que nous avons toutes les chances de prendre le choc de plein fouet deux semaines plus tard... Dès « J + 3 », l'État vous aura donné les instructions et vous serez en train d'organiser la déprogrammation généralisée ; au bout d'une semaine, si l'épidémie n'est pas contenue à Djarkarta, les cas se seront déjà multipliés à Hong-Kong et ailleurs, et l'incendie se propagera, quand bien même on aura bloqué tous les vols en provenance d'Asie. Tous les modèles de prévision sont formels : en trois semaines, la pandémie est là. Et contrairement à ce que croient certains, cela ne commencera pas par un cas isolé détecté à Roissy, mais un peu partout, à Brest et ailleurs, sans qu'on sache trop par où c'est arrivé. On n'aura guère le temps de jouer sur la déprogrammation...

M. Francis FELLINGER : Les exercices de l'an passé ont montré que l'impact financier, a fortiori dans un contexte de tarification à l'activité, pouvait être un frein à la déprogrammation. Quoi qu'il en soit, effectivement, je partage votre avis : le mouvement sera très rapide, ce sera un tsunami.

L'investissement en formation exigerait davantage d'exercices, et dans le cadre d'une réflexion plus globale que la seule grippe aviaire. Le choc auquel nous nous préparons peut être d'une tout autre nature, infectieux, chimique...

M. Pierre FUENTES : Des stocks de médicaments antiviraux ont été constitués. Mais qu'en est-il des médicaments « environnants » ? Lors de l'épidémie de chikungunya à La Réunion, il n'y avait plus de paracétamol, par exemple... On m'a demandé d'appeler votre attention sur cet aspect : il n'y a pas que le Tamiflu.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous pensez aussi aux antibiotiques ?

M. Pierre FUENTES : Aux antibiotiques, à l'aspirine, à toutes les spécialités à base de paracétamol, diverses et variées...

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Cette remarque figurait déjà dans notre premier rapport, consacré aux moyens médicaux disponibles en cas de pandémie : les professionnels nous avaient déjà alertés sur une possible pénurie de blouses, de gants, d'antibiotiques et de médicaments annexes. Le message a été envoyé et le ministre a répondu que tous ces produits seraient pris en charge.

Des responsables d'établissements privés nous ont dit que leur concours avait été refusé lors de la canicule. Est-ce exact ?

M. Marc LAMOUR : Se serait-il agi d'un phénomène local ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Avez-vous eu connaissance de choses de ce genre ?

M. Marc LAMOUR : Pas du tout.

M. Pierre FUENTES : Certains représentants de l'hospitalisation privée - peut-être les avez-vous entendus - ont dit publiquement que leurs établissements, à l'époque, avaient été très peu sollicités. Chacun l'interprétera comme il l'entend...

M. Jean-Olivier ARNAUD : Au risque de paraître trivial, je voudrais revenir sur les aspects financiers : toutes ces perspectives ont un coût, alors même que la situation financière des hôpitaux est très tendue. Sachant qu'il nous faudra à un moment ou à un autre réduire notre activité, on peut craindre des difficultés. Pour l'heure, nous n'avons pas l'intention de dramatiser la situation, mais il faudrait que le Gouvernement nous fasse au moins savoir si une compensation est prévue dans les enveloppes financières 2006 ou autres. Cela suffirait à nous rassurer.

M. le Président : Vous avez raison, je n'imagine pas que les pouvoirs publics ne tirent pas les conséquences d'une crise de ce type, ni même d'un bégaiement de crise, et cela vaut pour l'hôpital public comme pour la médecine libérale. Pour autant, cela ne se fera pas forcément dans les conditions que tout un chacun s'imaginera.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Personne ne sera pénalisé.

M. le Président : Je ne vois pas comment il pourrait en aller autrement dans une crise où l'on demande aux personnels hospitaliers d'être sur les premières lignes de défense.

M. Jean-Olivier ARNAUD : Nous non plus, nous ne l'imaginons pas...

M. le Président : Le Parlement lui-même n'a pas beaucoup hésité lorsqu'il s'est agi de doter l'assurance maladie de moyens supplémentaires au titre de la préparation du plan : il a immédiatement voté 500 millions d'euros, sans chercher à savoir si 430 millions auraient suffi. Ce qui ne veut pas dire que nous ne vérifierons pas après... Nous avons voté les crédits mais nous attendons en retour une mobilisation N'y voyez aucune accusation, seulement une interrogation : nous, élus, et vous, responsables du service public, sommes-nous capables de mettre en œuvre des logiques de management - appelez-les comme vous voulez - à même de mobiliser les gens sans qu'il soit besoin de les faire chercher par deux gendarmes, de leur donner confiance, espoir et de leur faire comprendre le sens de leur action ? Pouvons-nous espérer faire passer un tel message, en l'état actuel des choses ? Si vous avez le sentiment qu'il y a des choses à faire de ce côté-là, n'hésitez pas à nous le dire : nous sommes également là pour inciter les pouvoirs publics à vous donner des moyens.

M. Jean-Olivier ARNAUD : Le concept de management de crise est une chose assez récente dans le monde hospitalier, mais il se met en place. Nombre d'hôpitaux et particulièrement de CHU se sont dotés d'une direction des risques dans le cadre de la mise en place des plans blancs. Bien sûr, nous n'en sommes qu'au début : il n'y a pas encore de manœuvres, de répétitions, d'entraînements, pas suffisamment de préparation et pas encore les indispensables connexions entre services publics. Tout cela est encore embryonnaire, mais doit être développé.

M. Jean-Luc CHASSANIOL : C'est certainement l'occasion d'engager une vraie campagne publicitaire nationale sur les métiers des hôpitaux et la valorisation du service public hospitalier, comme nous le demandons depuis des années. Nous avons peut-être là un point d'accroche pour revaloriser ces métiers et redonner envie aux gens de les exercer. Il faut rendre les personnels fiers de ce qu'ils font. Le management de crise reste encore trop circonscrit au niveau des cadres supérieurs. Il faut trouver les moyens de le faire descendre au niveau de tous les agents hospitaliers, dont on aura besoin. Cela passe par une vraie campagne nationale, qui du reste ne coûterait pas très cher, compte tenu des enjeux.

M. le Président : Je suis totalement d'accord avec vous, d'autant que vous allez être confrontés à des difficultés de recrutement dans les années à venir. Il serait bon de redonner un souffle, une véritable ambition à une « politique du personnel » pour l'ensemble de la fonction publique hospitalière.

M. Francis FELLINGER : Le management de crise est une chose et nous ne sommes peut-être pas si mauvais dans ce domaine. Le problème se pose plutôt au niveau de la motivation. Globalement, 80 % des gens sont motivés, peut-être davantage dans les petites structures, peut-être un peu moins dans les plus importantes...

M. le Président : La motivation ne va pas sans l'espoir.

M. Francis FELLINGER : En effet, et c'est pour cela qu'il faut informer et former.

M. le Président : Certains des représentants syndicaux que nous avons rencontrés nous ont dit être, certes, mobilisés, mais exprimaient en même temps un tel sentiment de désespoir, d'abandon...

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La mort : le mot revenait souvent dans leurs propos.

M. le Président : C'était terrifiant. Ils nous disaient, en gros : « On fera notre devoir, mais on va mourir ». Ils assureront leur mission, probablement, mais quel catastrophisme ! Non seulement il n'y a aucune raison de céder à un tel catastrophisme, mais ce n'est assurément pas la bonne manière de gérer la crise qui nous attend.

M. Jean-Luc CHASSANIOL : En effet !

M. le Président : D'où la nécessité de communiquer davantage et de vous en donner les moyens. Le déni de la crise existe dans le corps médical, ne nous leurrons pas. C'est aussi une forme de résistance.

M. Jean-Olivier ARNAUD : Et cet état d'esprit est encore plus fort dans la population générale.

M. le Président : C'est finalement assez normal, tout comme les réactions à l'égard de la consommation de poulet... Mais on ne peut pas admettre cette attitude de déni dans les hôpitaux, qui subiront le choc de plein fouet.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

Audition conjointe des organisations syndicales de personnels hospitaliers : CFDT, Mme Nathalie WANOUNOU et M. Fabrice RONDEPIERRE ; FO, M. Didier BERNUS

(Compte rendu de la réunion du mardi 9 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : La mission d'information sur la grippe aviaire a commencé par travailler sur les moyens médicaux dont le pays doit disposer pour faire face au risque de pandémie : ses travaux ont fait l'objet d'un premier rapport au mois de janvier. Puis, elle s'est intéressée à l'épizootie aviaire proprement dite, et a publié un second rapport.

Nous nous consacrons maintenant à l'évaluation du plan « pandémie » du Gouvernement, en nous attachant à examiner comment le système de santé dans son ensemble se prépare à affronter le risque, qu'il s'agisse de l'hôpital ou de la médecine ambulatoire. Après avoir reçu les représentants des directeurs d'hôpitaux et des présidents des commissions médicales d'établissements (CME), nous sommes heureux d'entendre aujourd'hui les organisations syndicales - CFTC exceptée car son représentant est empêché - dans le cadre de deux auditions successives. C'est des personnels hospitaliers que dépendra en grande partie la capacité de résistance de notre système de santé au choc de la pandémie ; mais nous savons bien, pour nous être rendus, les uns et les autres, dans un certain nombre d'hôpitaux, qu'ils s'interrogent. Il nous importe donc de connaître l'appréciation que leurs représentants syndicaux portent sur la préparation des établissements hospitaliers à la menace de pandémie.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous souhaitons savoir ce que les personnels hospitaliers disposent comme informations sur l'organisation des soins prévue, savoir si vous êtes satisfaits de la formation dispensée et ce que vous attendez des directeurs d'établissement.

Mme Nathalie WANOUNOU : L'élément le plus frappant est l'inégalité dans la mise en œuvre du plan « pandémie » selon les établissements, une grande latitude étant laissée aux directeurs. De plus, pour que le dispositif soit appliqué efficacement, il faudrait privilégier la concertation, l'information et la formation, ce qui n'est pas fait de manière identique en tous lieux. Si l'on souhaite mobiliser les personnels, une concertation réelle serait préférable à une simple information. Or, dans certains établissements, des mesures sont imposées qui ne sont pas toujours d'une parfaite cohérence avec le plan gouvernemental, et l'anticipation fait parfois défaut. Cela vaut notamment pour la garde des enfants, préoccupation majeure des mères, puisqu'en cas de pandémie, les écoles risquent d'être fermées. Ainsi, on propose de regrouper les enfants dans les Instituts de formation aux soins infirmiers, où les élèves infirmiers s'occuperaient d'eux. Mais si l'on concentre ainsi les enfants en un seul lieu, pourquoi ne pas laisser les crèches ouvertes ? Il apparaît, par ailleurs, que certains membres du personnel seraient amenés à travailler dans un établissement autre que celui auquel ils sont affectés en temps ordinaire. Si c'est le cas, cela nécessite d'être anticipé et ne peut se faire sans concertation préalable.

L'information, pourtant indispensable, est elle aussi très inégalement dispensée. Certaines directions d'établissement ont réuni le personnel en assemblée générale pour les informer des mesures qu'elles comptent prendre en cas de pandémie mais d'autres refusent de dévoiler leur plan pour, soi-disant, ne pas affoler le personnel. Cette attitude est particulièrement contre-productive, car l'ensemble du personnel attend des informations et s'inquiète de ne pas en recevoir.

C'est aussi l'hétérogénéité qui prévaut en matière de formation, et les recommandations de la DHOS à ce sujet manquent de précision. Pourquoi ne pas prévoir un module spécifique, un kit de formation en quelque sorte ? Les directions pourraient, si nécessaire, l'adapter aux établissements, mais au moins aurait-on un discours d'ensemble cohérent.

M. Didier BERNUS : Comme il est difficile d'appréhender la forme, l'ampleur et les caractéristiques exactes de ce qui pourrait se produire, nous avons fondé notre réflexion sur les événements de l'été 2003 et sur les difficultés, révélées par la canicule, qu'éprouvent depuis longtemps les établissements hospitaliers pour remplir leurs missions de service public.

Pour autant, nous n'avons pas de réponse précise à la question de savoir si les hôpitaux ont les moyens de faire face à une crise sanitaire majeure. Certes, le ministre nous a réunis en décembre dernier pour nous dire ce qu'il comptait faire, et sur le dispositif qui a été mis au point. Mais il ne s'est plus rien passé depuis lors, ce que nous regrettons car nous sommes convaincus que plusieurs niveaux d'intervention sont nécessaires et qu'il revient au niveau national de donner l'impulsion aux niveaux régional et départemental. Or, la situation est effectivement très inégale selon les régions, les départements et les établissements, ce qui pose problème. La trop grande latitude laissée aux directions d'établissement pour la prévention, l'organisation, l'information et la formation, aura pour conséquence que partout où le personnel ne se sera pas approprié le dispositif, on aura du mal à faire face au choc.

D'une manière générale, l'information des personnels est encore lacunaire. Il est donc nécessaire d'élaborer des plaquettes d'information simples et en nombre suffisant pour toucher chaque agent hospitalier. Comme on ignore, bien sûr, combien d'agents seront touché par le virus en cas de pandémie, il faut faire le maximum pour que ceux qui demeureront valides grâce aux mesures de protection comme les masques, soient d'autant plus efficaces. 

L'organisation des conditions de vie des agents en cas de pandémie doit également être précisée, qu'il s'agisse de la garde des enfants ou des moyens de déplacement, notamment dans les zones urbaines. Que feront ceux qui, en région parisienne par exemple, habitent à plus d'une heure de l'hôpital qui les emploie si les transports en commun sont désorganisés ? Devront-ils prendre leur service dans un établissement plus proche de leur domicile ? Toutes les questions de ce type tenant compte des particularismes locaux doivent faire l'objet d'études plus poussées.

Pour l'accès aux équipements de protection, le flou persiste. On conçoit qu'il n'est pas simple de fabriquer et de stocker les millions de masques nécessaires aux quelque 900 000 personnes qui travaillent dans les établissements hospitaliers français, mais nous ne savons rien de l'état de la production. Où en est-on ? Toutes les régions seront-elles également dotées, ou certaines seront-elles plus particulièrement ciblées ? Nous avons besoin d'avoir des réponses à ces questions.

Enfin, il faut associer les personnels à la réflexion en cours et, dans ce domaine aussi, les pratiques varient fortement. Le plan prévu pour chaque établissement ou chaque groupe d'établissements doit faire l'objet d'une concertation : on doit savoir comment diffuser l'information et comment s'organise l'implication de l'encadrement.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Vous avez tous deux fait état de la diversité des pratiques. Comment avez-vous pu l'apprécier ? Est-elle, selon vous, imputable à la tutelle ou aux directeurs d'établissement ?

Mme Catherine GÉNISSON : Des adaptations sont certes nécessaires, mais des plans de crise aiguë ou majeure existent déjà dans les hôpitaux. Pourtant, à vous entendre, on a le sentiment que l'on part de rien et qu'il n'y a pas de référence. Pourquoi ? J'observe, d'autre part, que vous n'avez pas évoqué la question de la protection médicamenteuse du personnel. On vous a annoncé des changements d'affectation en cas de crise mais cela me paraît difficilement réalisable.

M. Pierre HELLIER : Je suis surpris par vos interrogations sur les masques, car dans les hôpitaux que j'ai visités tout au moins, des stocks étaient déjà constitués. Avez-vous fait part de vos craintes relatives à la garde des enfants et aux éventuels changements d'affectation ? Après nos visites dans les hôpitaux, nous pensions que l'information avait été mieux diffusée, ce qui ne semble pas être le cas.

M. François GUILLAUME : J'espère que la concertation accrue à laquelle vous aspirez aura lieu car elle est essentielle. Sur un plan général, peut-on, à votre avis, compter sur la disponibilité du personnel si la crise sanitaire se déclare, ou doit-on craindre que certains refusent d'assurer leur service par peur de la contagion ? Faudra-t-il demander autant aux agents qui ont de jeunes enfants qu'à ceux qui n'ont pas de charges de famille ? Il faudra sans doute, pour faire face à la pandémie avec le plus d'efficacité possible, mobiliser l'ensemble des services ; le personnel admettra-t-il une déspécialisation temporaire et la mutualisation des moyens afin d'être plus efficaces ? Enfin, de quelles protections minimales souhaitez-vous disposer ?

M. Didier BERNUS : On a vu, à l'été 2003, qu'en cas de crise, le personnel hospitalier se met à la disposition des établissements sans attendre les directives et sans mettre en avant les questions de récupération ou de rémunération des heures supplémentaires. C'est dans la culture et l'éthique de ces personnels.

M. le Président : La situation ne serait pas la même qu'à l'été 2003 car le risque de contagion était, alors, inexistant.

M. Didier BERNUS : Lorsque les premiers cas de sida ont commencé d'être traités dans les établissements, les personnels ont demandé des informations et souhaité que des mesures de protection soient prises mais ils ne se sont jamais dérobés.

M. le Président : Les choses ont été différentes pour le SRAS.

M. Didier BERNUS : En cas de pandémie, la protection du personnel doit être efficace, ne serait-ce que pour qu'il reste valide à son poste. Si le personnel dispose de la protection nécessaire pour assurer ses missions, sa disponibilité est acquise pour affronter toutes les situations, même les plus contagieuses. Et pour en revenir à l'épisode de la canicule, je rappelle que les fonctionnaires hospitaliers se sont présentés spontanément pour aider là où l'on avait besoin d'eux.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Quelle est votre opinion sur la prise de Tamiflu à titre prophylactique ?

M. Didier BERNUS : Des informations qui nous ont été données à ce sujet, il ressort que les avis sont très partagés sinon contradictoires. Certains scientifiques considèrent qu'il n'y a pas lieu d'utiliser cette molécule au long cours et que sa prescription n'a de sens que dans la période précédant de peu le déclenchement probable de la maladie.

M. le Président : La question de la disponibilité des personnels est la question centrale, et vous avez indiqué qu'elle dépendrait de la protection qui serait fournie. Sur le plan de l'équité, cela me paraît évident. Il convient donc de définir précisément, et dès maintenant, les protections nécessaires, sans quoi le dispositif explosera sous la pression des événements, quelle que soit l'éthique des personnels. La maladie étant fortement contagieuse et potentiellement mortelle pour les personnels et leurs familles, les agents ne s'exposeront pas s'ils ont, par exemple, un enfant ou une personne âgée à charge. Ils seront par ailleurs appelés à des déplacements qui leur feront courir des risques de contamination. Aussi, la liste des mesures de protection doit-elle être établie dès à présent. Il n'est pas possible d'en rester à des déclarations d'intention auxquelles adhèreront tous les personnels mais qui risqueraient d'être violemment mises à l'épreuve des faits en cas de crise sanitaire avérée.

M. Didier BERNUS : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Selon les informations qui nous ont été transmises, il est prévu que les personnels soient équipés de masques à haute capacité de filtration, qui seront disponibles courant 2006. D'autre part, deux médicaments auraient révélé une certaine efficacité, à condition d'être administrés précocement, la réserve étant que l'on ignore sous quelle forme le virus muterait.

M. le Président : Vous ne formulez donc aucune revendication particulière ?

M. Didier BERNUS : A quoi bon revendiquer pour revendiquer, si la communauté scientifique n'est pas d'accord et n'apporte pas de réponses précises ? Nous déplorons justement de ne rien savoir sur l'évolution des connaissances car si un traitement préventif avait une efficacité avérée, nous dirions ce que nous voulons.

M. le Président : Ainsi, vous nous dites n'avoir pas eu de remontées d'informations, et vous n'êtes donc pas en mesure de nous dire aujourd'hui comment il faudrait compléter le « panier sécurité » du personnel hospitalier ?

Mme Nathalie WANOUNOU : Des mesures particulières devront être prises pour les membres du personnel souffrant de certaines pathologies, et pour les femmes enceintes. Les tâches qui les exposeraient le moins possible au virus devront leur être confiées. De même, on peut imaginer de ne pas affecter les parents de jeunes enfants à l'accueil des personnes contaminées dans les zones à haute densité ; ils seraient rassurés, et viendraient travailler au lieu de s'abstenir pour protéger les leurs. Le déclenchement éventuel de l'épidémie aura des répercussions sur toute l'organisation de la société ; l'important est donc d'informer les agents hospitaliers sur les dispositifs prévus et de les faire participer aux décisions concrètes.

M. le Président : Je voudrais que l'on se focalise sur « le panier sécurité » des personnels. Ils se trouveront dans une situation juridique définie par les plans blancs, qui déterminent un certain nombre d'obligations. Ils pourront, par exemple, être réquisitionnés. Lors de nos visites dans les établissements hospitaliers, nous avons rencontré des membres du personnel pour certains très inquiets. Il semble que des dispositifs existent sur le papier mais que, sur le plan psychologique, on ne soit pas prêt. Un sentiment de mise en danger personnelle prévaut et les personnels s'interrogent, par exemple sur le point de savoir s'ils sont assurés et ce qu'il adviendra des leurs s'ils sont victimes d'une contagion fatale. Il me paraît que toutes ces questions doivent être traitées maintenant et non au troisième jour de propagation de l'épidémie.

M. Didier BERNUS : Il existe une très forte demande d'informations individualisées, qu'il revient aux directions d'établissements de satisfaire. On peut, certes, décréter une organisation nationale de préparation à la lutte contre une éventuelle pandémie, mais l'approche doit aussi être locale. Si l'on ne s'assure pas que chaque agent dispose des informations nécessaires sur l'organisation spécifique de l'établissement dans lequel il travaille, sur les équipements auxquels il aura accès et sur les mesures de protection qui seront prises, cela ne fonctionnera pas. Toutes ces questions sur les masques, les vaccins, etc. doivent trouver une réponse à l'échelon local car au moment de la pandémie, on fera avec ce dont on disposera sur place.

M. Fabrice RONDEPIERRE : Vous avez semblé surpris de nous entendre souligner la diversité des approches selon les établissements. Sachez que nombreux sont ceux dans lesquels le sujet n'a même pas encore été évoqué. Dans d'autres cas, il l'a parfois été incidemment, au cours d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). La première inégalité est là : tous les établissements n'ont pas indiqué à leurs personnels comment les difficultés seraient traitées en cas de crise avérée. Dans ces conditions, nous n'avons effectivement guère de retours d'informations, dans la mesure où le sujet n'est tout simplement pas mis à l'ordre du jour !

Vous avez aussi évoqué la disponibilité des personnels, leur mobilisation et la mutualisation des moyens. Traiter de ces questions, c'est traiter de l'impact de l'épidémie éventuelle sur le fonctionnement et l'organisation des établissements, qui ont actuellement le plus grand mal à gérer leurs personnels, tant les difficultés de recrutement et les problèmes financiers sont importantes. Or, on sait qu'au-delà d'un certain taux d'absentéisme, aucune organisation ne peut plus fonctionner.

M. le Président : Quelle est la proportion minimale de l'effectif selon vous indispensable au fonctionnement des services ? Des directeurs d'hôpitaux l'ont estimé à la moitié environ. Que pensez-vous de cette évaluation ?

M. Didier BERNUS : C'est une évaluation générique.

M. Fabrice RONDEPIERRE : Mais comment gérer 30 à 40 % d'absentéisme dans un établissement ? Des priorités devront être définies pour assurer les missions de service public 24 heures sur 24 pendant plusieurs mois, et les établissements devront recevoir des instructions sur les modalités de gestion de la pénurie.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il faudra, en premier lieu, déprogrammer certains activités.

M. Fabrice RONDEPIERRE : Oui, mais dans ce cas, l'exercice devra être poussé très loin.

M. le Président : Cela dépendra beaucoup du nombre d'agents disponibles, et c'est pourquoi il faut mette ce problème sur la table dès maintenant. Si des problèmes, aujourd'hui prévisibles, ne sont pas résolus maintenant, leur acuité sera décuplée lorsque la crise se déclenchera.

M. Fabrice RONDEPIERRE : Peut-être faudrait-il aller jusqu'à fournir aux directions d'établissement un mode d'emploi pour la gestion d'un hôpital où il manque la moitié du personnel, car elles seront contraintes à des choix.

M. Gérard CHARASSE : Y a-t-il eu des débats sur l'information au sein des conseils d'administration des établissements ? Les avez-vous suscités ?

M. le Président : L'alerte a été lancée en septembre. Des circulaires ont été diffusées. Nous sommes en mai. Pourquoi le processus patine-t-il ? Qui ne suit pas ? Les ARH ? Les directions ?

M. Didier BERNUS : Actuellement, la priorité des services hospitaliers n'est pas la grippe aviaire, c'est celle du fonctionnement quotidien des établissements. Vous devez prendre conscience de ces difficultés quotidiennes. Il s'agit, tous les jours, de savoir comment faire pour accueillir un malade aux urgences, comment lui trouver un lit , en passant trois heures au téléphone ! Nous avons aussi le plus grand mal à faire tourner les équipes, au point que nous sommes contraints de rappeler les agents au repos. Aujourd'hui, un conseil d'administration s'inquiète, car il manque dix millions dans ses caisses pour finir l'exercice ! Comment va-t-on faire ? Nous sommes en train de voter les états prévisionnels de recettes et de dépenses : tous les établissements hospitaliers affichent des déficits considérables, et l'on parle de plans de retour à l'équilibre qui supposent la suppression de centaines de postes ! Les esprits sont tout entiers occupés par ces difficultés. La pénurie de personnel est réelle et elle conduit, dans tous les établissements, y compris les CHU, à la fermeture de services, et non des moindres, pendant deux à trois mois l'été. Ces services, parfois, ne rouvrent pas. Aussi la communauté hospitalière réagit-elle à la grippe aviaire seulement occasionnellement, par à-coups, lorsque les médias en parlent ; lorsque ce n'est pas le cas, les préoccupations de la gestion quotidienne reprennent le dessus.

Vous avez raison d'appeler l'attention sur les protections nécessaires, mais de quels moyens budgétaires disposerons-nous ? Il faudra payer les fournisseurs : comment feront des établissements qui, s'ils ne sont pas, juridiquement, en cessation de paiement, se demandent malgré tout comment ils vont réussir à payer leur personnel à la fin de l'année ?

Mme Jacqueline FRAYSSE : Mon groupe partage vos préoccupations. Pour ma part, je consacre beaucoup de temps à défendre l'hôpital Foch de Suresnes, dont le contrat de retour à l'équilibre prévoit 26 licenciements. C'est aussi le cas de l'hôpital de Nanterre. Il est vrai que dans un tel contexte, les préoccupations immédiates prennent le pas sur la gestion d'une crise hypothétique. Lors d'une précédente audition, j'ai été frappée par l'intervention du chef du service de pédiatrie de l'hôpital de Lille qui, parce que son service est déjà plein actuellement, se demande comment il ferait s'il devait accueillir beaucoup d'autres enfants si la grippe aviaire frappait demain - sans doute dans les couloirs - et qui a souligné la nécessité d'acheter des respirateurs. Comme les organisations syndicales, notre groupe a une conscience aiguë de la nécessité d'allouer des moyens financiers et humains suffisants à l'hôpital pour lui permettre de faire face aujourd'hui à la gestion quotidienne de l'établissement et, demain, en plus, à la pandémie éventuelle. Ces questions sont liées.

Mme Nathalie WANOUNOU : Seule une véritable concertation permettrait à chacun de prendre la mesure du dispositif. Mais la multiplicité des acteurs - préfets, ARH, DRASS, DDASS, comités départementaux, directions d'établissements... - est très grande, et il n'existe pas vraiment d'instance de coordination dans ce cadre, non plus qu'entre hôpital et médecine ambulatoire. Les mieux informés sont les SAMU et les services d'urgences, qui seront les services de première ligne, mais l'information et la communication pèchent pour les autres. Les premiers cas d'oiseaux trouvés morts contaminés par le virus H5N1 ont créé la panique dans l'opinion publique. Le personnel a des craintes mais n'est-ce pas faute d'informations justes ? Les personnels ont besoin d'informations qui ne soient pas forcément alarmistes mais qui fassent le point de la situation.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Quel niveau de coordination vous semble le meilleur ? Qui, du préfet ou de l'ARH, devrait la piloter ?

Mme Nathalie WANOUNOU : L'ARH, puisque l'organisation des soins se fait au niveau régional. Les établissements sanitaires à but lucratif auront aussi un rôle à jouer, qui doit être coordonné avec le secteur hospitalier, car ils travaillent essentiellement sur des activités programmées.

M. Pierre HELLIER : Un plan de coordination est nécessaire dans chaque établissement.

Mme Nathalie WANOUNOU : Oui, mais il faut aussi une coordination sur chaque territoire de santé.

M. le Président : Je suis frappé de constater que, sauf dans quelques cas, l'information première n'a pas été diffusée.

M. Didier BERNUS : Au moins certains responsables s'en préoccupent-ils. C'est une bonne chose, mais il faut faire parvenir les informations directement aux salariés.

M. le Président : Madame, Messieurs, je vous remercie.

Audition conjointe des organisations syndicales de personnels hospitaliers : CFE-CGC : M. Paul CHAUVOT, CGT : Mme Nadine PRIGENT et M. Christophe PRUDHOMME, UNSA Santé-Sociaux : M. Jean-Claude BELLOQUE et M. Frédéric ANCELET

(Compte rendu de la réunion du mardi 9 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Après s'être penchée sur les moyens médicaux et les matériels nécessaires pour faire face au risque de pandémie, la mission d'information sur la grippe aviaire s'est intéressée à l'épizootie proprement dite. Elle examine maintenant le plan « pandémie » du Gouvernement. Nous travaillons sur la préparation du système de santé dans son ensemble, médecine hospitalière et médecine ambulatoire. Dans ce cadre, nous avons voulu connaître le point de vue des organisations syndicales représentatives des personnels hospitaliers. Quel est votre degré d'information ? Où en est la préparation des établissements ? Quelles sont les réactions des personnels ?

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : Nous souhaitons, en particulier, connaître vos propositions tendant à calmer l'inquiétude que nous avons ressentie au cours de nos visites dans différents établissements.

M. le Président : Les organisations syndicales que nous venons d'entendre, juste avant vous, nous ont fait comprendre que le niveau d'information était très inégal selon les établissements, et parfois même inexistant, que le personnel a, malgré tout, la volonté de participer à l'application des plans locaux de lutte contre la pandémie éventuelle mais que leurs attentes ne sont pas encore clairement formulées. Nous sommes, par ailleurs, bien conscients de la situation des hôpitaux, en termes de moyens financiers et humains. Au-delà de cette situation, certes très préoccupante mais que nous ne règlerons pas aujourd'hui, comment voyez-vous les choses ?

Mme Nadine PRIGENT : Nous sommes heureux que, six mois après sa création, votre mission d'information aborde le sujet de l'hôpital. Nous avons certes été entendus, ou du moins réunis, le 5 décembre, par la mission interministérielle de lutte contre la grippe aviaire, mais cette démarche nous a semblé de façade.

Certains dispositifs sont mis en place dans les régions, notamment dans les grands centres hospitaliers, et des réunions d'information et de formation ont eu lieu ou sont programmées. En cas de pandémie, notre système de santé sera mis à l'épreuve dans sa globalité, qu'il s'agisse de la médecine de ville, des services d'urgence, du système hospitalier, ou des soins à domicile. Cependant, le plan « grippe aviaire » repose en grande partie sur les SAMU et l'hôpital, dès l'apparition des premiers cas suspects. Par ailleurs, le rapport de l'InVS prévoit qu'en cas d'épidémie, de 500 000 à 1 million de personnes seront hospitalisées, étant précisé que cette modélisation ne prend pas en compte « l'intervention des pouvoirs publics ». Nous nous interrogeons précisément sur le point de savoir quelle serait effectivement cette intervention et quelle serait son incidence réelle car le problème actuel est bien de savoir si l'hôpital sera en mesure de répondre à un afflux de malades, et dans quelles conditions.

La situation actuelle de l'hôpital public se traduit par des tensions majeures en termes de capacité d'hospitalisation, en particulier dans les grandes métropoles, là où le risque de diffusion pandémique est majeur. Nous manquons de lits et de personnels, des postes sont vacants et des services sont fermés par manque de personnels.

Durant l'hiver 2005, alors que le nombre de cas de grippe saisonnière se situait dans une moyenne basse, plusieurs préfets ont été contraints de déclencher des plans blancs face à l'engorgement des hôpitaux. Alors que leurs moyens diminuent, les établissements hospitaliers doivent pallier les carences du système de soins - baisse de la démographie médicale dans certaines régions et réduction de la permanence des soins notamment. L'afflux aux urgences n'est que le miroir grossissant de ces difficultés.

Cette situation est due à trois éléments distincts. Les éléments anciens sont, d'une part, les restructurations hospitalières qui ont fortement diminué les capacités d'accueil depuis quinze ans, avec la fermeture de plus de 150 000 lits, et, d'autre part, la crise démographique du personnel, touchant notamment les infirmières. À ce sujet, ceux qui, jusqu'en 1998, ont fermé des écoles d'infirmières et qui, aujourd'hui encore, continuent de supprimer des lits d'hôpitaux sous couvert de restructuration ou de faux arguments de sécurité portent une bien lourde responsabilité. L'élément nouveau, c'est une décision prise dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale, et qui se traduit par des plans de retour à l'équilibre imposés aux établissements ainsi plongés dans une crise budgétaire grave. Non seulement nous n'avons pas obtenu la reconduction des moyens, mais l'enveloppe 2006 est amputée de 250 millions pour compenser les dépenses 2005, et 560 millions d'économies sont imposés au secteur hospitalier.

La représentation nationale ne peut rester insensible aux risques que fait courir la pérennisation d'une situation budgétaire qui, pour la première fois, va conduire à réaliser l'ajustement des moyens en jouant sur la principale masse variable dans les hôpitaux, les personnels. La Fédération hospitalière de France dit que 23 000 emplois sont menacés, mais notre organisation estime que les compressions d'effectifs concerneront de 25 000 à 40 000 emplois. Les hôpitaux privés participant au service public en sont aux plans de licenciement et de suppressions d'emplois, dont 350 pour le seul hôpital Foch, le plus important d'entre eux.

Cette diminution de moyens survient alors que l'hôpital connaît une crise majeure. La réforme « Hôpital 2007 » peine à se mettre en place et aggrave les dysfonctionnements. Le système de tarification à l'activité montre, comme prévu, ses limites, crée des tensions avec le secteur privé à but lucratif et entraîne une sélection des patients selon des critères de rentabilité. La nouvelle gouvernance se traduit par des luttes de pouvoir entre directeurs et médecins, ainsi qu'entre médecins, et freine toute analyse réelle des évolutions nécessaires pour répondre aux besoins des populations. La cerise sur le gâteau est le dernier rapport sur les plateaux de chirurgie, dont le parti pris et l'analyse indigente ne font pas honneur à son rédacteur. Dans le même temps, la Croix-Rouge a décidé de réorienter ses activités et tente de fermer des centres de santé de proximité, notamment dans les quartiers les plus défavorisés. Ces évolutions auront des conséquences sur les capacités en lits, sur la recherche, sur la formation, sur l'investissement et donc sur la qualité de l'offre de soins. Les admettre, c'est se « tirer une balle dans le pied ».

À tout cela s'ajoutent l'épuisement des personnels, la fuite des jeunes - on constate ainsi un taux très élevé d'abandon des études en fin de première année dans les écoles d'infirmières -, le refus de régulariser la situation des médecins qui ont obtenu leur diplôme hors de l'Union européenne, et enfin le projet de réforme du statut des praticiens hospitaliers, rejeté par les organisations qui représentent 80 % de cette profession et qui est à l'origine de la journée de grève prévue le 11 mai.

Comment mobiliser les hospitaliers dans leur ensemble face au risque sanitaire que représente la grippe aviaire, quand des réformes sont à ce point décrédibilisées, quand les directions des établissements ne savent plus comment envisager le devenir de leur hôpital, quand les personnels sont considérés comme les variables d'ajustement d'une politique comptable aveugle, sans logique de santé publique ?

Il faut être lucide sur l'état de notre système de santé. Crise professionnelle, crise budgétaire, crise démocratique : autant de qualificatifs pour décrire une situation préoccupante et la pandémie, si elle se déclarait, viendrait percuter un quotidien et un accès aux soins déjà dégradés...

Peut-être pensez-vous que je m'écarte du sujet. Je ne le pense pas. En effet, la question est de savoir si l'élément-pivot du service public de santé qu'est l'hôpital dispose des moyens pour remplir sa mission. Nous déclarons avec force que ce n'est pas le cas aujourd'hui et que ce le sera encore moins demain, quelle que soit la crise qui se produira. La première étape à franchir sera celle de cet été. Si nous ne disposons pas des moyens pour assurer la continuité de fonctionnement du service public hospitalier, nous déclarons solennellement que la catastrophe annoncée se produira réellement et qu'il faudra en rechercher les responsables.

Il nous semble toutefois encore temps de rectifier la situation. Aussi, notre organisation demande un moratoire sur toutes les suppressions d'emplois prévues dans le secteur hospitalier et dans les centres de santé, notamment ceux de la Croix-Rouge ; une véritable négociation sur l'emploi, la formation, la résorption de la précarité ; la remise à niveau des budgets hospitaliers, et, enfin, une loi de financement de la sécurité sociale rectificative destinée à accorder des moyens nécessaires aux établissements, à la hauteur de leurs besoins en activité, investissement, modernisation et développement d'activités nouvelles, en emploi et en formation.

Le service public hospitalier n'est pas une machine à produire des soins ; ses missions sont essentielles à la cohésion sociale. Nous pensons que votre mission d'information, dans laquelle les métiers de la santé sont très représentés, avec quinze membres sur trente et même cinq sur six au bureau, sera sensible à nos arguments.

Pour conclure, je paraphraserais un éminent défenseur de la santé publique, le professeur Claude Got : « II y a une forme de malfaisance dans cette situation, témoignant de la discordance entre l'annonce d'une priorité nationale et l'absence de mise à niveau des moyens permettant d'assurer la gestion de cette priorité ».

M. le Président : Si je comprends bien, vous pensez qu'il n'y a donc rien à faire pour préparer notre système de soins à une éventuelle pandémie de grippe aviaire. Notre mission n'est pas la commission des affaires sociales et ne parler que de la situation générale des hôpitaux me paraît hors de propos. Chacune des personnes que nous auditionnons nous adresse un discours particulier, et le vôtre me paraît assez démobilisateur. Il faut en revenir à notre sujet. Je ne pense pas, d'ailleurs, que le fond de votre pensée soit que, s'agissant de la grippe aviaire, il n'y a rien à faire ; mais si c'était le cas, je serais très inquiet et c'est pourtant la conclusion, erronée, que l'on pourrait tirer de votre intervention.

M. Pierre HELLIER : Je suis également attristé et déçu par la teneur de votre discours. C'est de la survie de la population qu'il s'agit, et les organisations syndicales que nous venons d'entendre, juste avant vous, nous ont dit qu'en cas de crise sanitaire, elles ne mettraient pas leurs revendications en avant.

M. Paul CHAUVOT : Je ne m'attarderai pas sur la situation des hôpitaux, que nous connaissons tous, mais rappellerai les problèmes auxquels nous exposerait une pandémie sévère de grippe aviaire et qui nécessiteront une organisation quasi militaire. La CFE-CGC en a recensé quatre.

Les personnels en place seront très sollicités. Il faut donc entreprendre rapidement la formation spécifique des médecins libéraux et créer une réserve sanitaire composée d'étudiants en médecine, de médecins retraités depuis moins de cinq ans, d'infirmières retraitées, ainsi que de militaires chargés de protéger les sites de stockage des médicaments, car il y pourrait y avoir un problème de sécurité si le Tamiflu venait à manquer.

Outre les locaux existants, il conviendra d'utiliser d'autres structures telles que les bâtiments affectés aux colonies de vacances ou les centres de thalassothérapie, réquisitionner les hôtels voisins des grands hôpitaux et, aussi, isoler des entités dédiées à l'intérieur des hôpitaux.

Des moyens techniques de protection seront nécessaires, dont la production doit être assurée, qu'il s'agisse de masques et de tenues pour les personnels, de Tamiflu et, le plus rapidement possible, d'un vaccin.

Enfin, limiter l'épidémie suppose une restriction des déplacements, l'organisation de services minimum, la suppression des réunions, la fermeture des écoles, salles de spectacles, lieux de culte et transports en commun. Il conviendrait de favoriser le télétravail et la télésanté et de prévoir des moyens militaires de décontamination pour les véhicules - il y a, sur ce point, des équipements complets dans des entrepôts qui ne servent à rien et que l'on pourrait utiliser.

M. Jean-Claude BELLOQUE : Je centrerai mon propos sur les inquiétudes des personnels de santé et des professionnels du transport sanitaire et d'urgence. Les agents se posent aussi des questions s'agissant de l'organisation du travail. Les services de soins mais aussi les consultations et les services administratifs pourraient travailler par garde de 24 heures, pour limiter les déplacements et les sorties. S'agissant des assignations de postes et des réquisitions, fera-t-on appel au volontariat ? Quelles seront les contreparties ? Les deux membres d'un couple d'agents hospitaliers parents de jeunes enfants pourront-ils être réquisitionnés (problématique pour la garde des enfants...)? Y aura-t-il une « priorisation » des personnels réquisitionnés en fonction de leur situation familiale ou autre ? Comment la famille sera-t-elle protégée si un membre du personnel contracte la maladie ? Qu'en sera-t-il de l'accès aux équipements de protection ? La grippe aviaire contractée au cours de l'exercice professionnel sera-t-elle reconnue comme maladie professionnelle ? Quelle sera la prise en charge médicale de la famille ? Comment la garde des enfants sera-t-elle assurée ? Si toutes ces questions ne sont pas traitées dès maintenant, le risque existe que des personnels ne se présentent pas à leur poste, bien qu'ils l'aient toujours fait jusqu'à présent en cas de crise sanitaire. Par ailleurs, la formation aurait déjà dû commencer, car elle ne saurait débuter un mois avant le déclenchement de l'épidémie. D'une manière générale, comment l'information sera-t-elle diffusée ? Actuellement, les personnels sont dans l'ignorance, et ils veulent des réponses.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Est-ce à dire que, jusqu'à présent, l'information n'a pas été diffusée dans les hôpitaux ?

M. Jean-Claude BELLOQUE : Aucune réponse précise n'a été apportée aux interrogations du personnel sur le mode de fonctionnement des services en cas de déclenchement de l'épidémie.

M. Frédéric ANCELET : L'information nationale est transmise par le biais des différentes instances, et l'on nous a ainsi présenté le document qui figure sur le site officiel. Les grands établissements ont défini et fait connaître leur plan, mais ce n'est pas le cas d'autres structures, les maisons de retraite par exemple. Si un cas se déclarait dans un EHPAD, comment le gérer ? Faudrait-il prévoir une mise en quarantaine ? Vers où le malade devrait-il être dirigé ? La formation devrait être généralisée. Or, toute formation a un coût, en temps comme en moyens financiers, que l'on ne peut ignorer, et les établissements n'ont pas toujours les capacités de l'assumer. De plus, non seulement la diffusion de l'information n'a pas lieu, mais cette information évolue constamment. En réalité, les personnels qui sont auprès des patients, notamment dans les maisons de retraite, n'ont pas d'autres informations que celles dont dispose le grand public. Lors de l'épidémie de SRAS, des mesures spécifiques avaient été définies, et il faut penser au même type de procédures. Les grandes structures hospitalières seraient évidemment sollicitées, puisque c'est là que sont les services d'urgence, mais qu'en serait-il des autres ?

M. Christophe PRUDHOMME : Le problème est de savoir aujourd'hui qui fait quoi, quelles sont les priorités de ceux qui dirigent le système hospitalier, et qui le dirige ? Tout ce qui vous a été décrit de la situation des hôpitaux est exact, et la grippe aviaire vient s'ajouter à ces problèmes. C'est dans ce contexte que l'on nous demande de faire de l'information ! On reçoit des notes d'information par des canaux divers : il est fâcheux que la coordination ne soit pas le fait d'une tête unique. M. Didier Houssin, délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, est venu, tout seul, nous présenter son plan. Nous avons demandé comment serait assurée la protection des travailleurs au contact des volailles, puisque c'est ainsi que la contamination peut se faire ; il est apparu qu'il n'y a eu aucune coordination entre le ministère de l'agriculture et celui de la santé. Dans le secteur agro-alimentaire, une note précise que les tenues de protection ne seraient fournies au personnel qu'après l'apparition du premier cas.

M. le Président : Pas dans les élevages, tout de même ?

M. Christophe PRUDHOMME : Qu'on élève un poulet ou qu'on le plume, le risque est le même ! Le problème est double. Il tient, d'une part, à la multiplicité des interlocuteurs, qui traduit le délitement de l'État, y compris dans la coordination de la gestion des situations de crise, si bien qu'on ne sait pas qui dirige, d'autre part à la multiplicité des canaux d'information, plus ou moins fiables. Le personnel des maisons de retraite reçoit plus d'informations par les medias que par l'encadrement, ce qui pose un problème de confiance. Il faudrait un canal unique d'informations fiables, car trop d'informations nuit à l'information.

M. le Président : J'entends vos observations légitimes sur le retard de l'information et sur les conséquences néfastes de la pluralité de sources d'informations. Je sais que, dans le milieu hospitalier, certains ont insisté sur le diagnostic et la mise en quarantaine des premiers cas, mais nous nous plaçons aujourd'hui dans l'hypothèse d'une infestation de masse touchant un tiers de la population, avec l'entrée en vigueur d'un plan blanc requérant la mobilisation extraordinaire de tous les personnels hospitaliers. Selon vous, cette mobilisation du personnel aura-t-elle lieu ?

M. Frédéric ANCELET : La grippe aviaire est très médiatisée et elle effraye réellement les professionnels, qui pensent qu'une personne contaminée par le virus est condamnée. Pour autant, lorsque l'éventualité d'un plan blanc est évoquée, le personnel indique qu'il obéira aux ordres qui lui seront donnés. Ils appartiennent au service public de santé et s'ils ne sont pas réquisitionnés, ils se présenteront pour la plupart spontanément, mais ils se demandent néanmoins ce qu'ils devront faire quand ils seront en contact avec un malade contaminé, même si les modes de protection sont connus. En cas de pandémie, bien des infirmières sont prêtes à faire garder leurs enfants par une grand-mère. Mais pour d'autres personnels, les problèmes d'organisation les font réagir ainsi : « Je serai malade, je n'irai pas ».

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : On vous dit cela ?

M. Frédéric ANCELET : Oui. C'est pourquoi il est essentiel d'informer les personnels, pour qui, aujourd'hui, « grippe aviaire » signifie « mort ». Il ne faut pas raconter n'importe quoi aux soignants mais leur donner des informations claires et justes et dans un délai approprié, pour ne pas donner le sentiment qu'il faudra courir après l'information : cela susciterait toutes sortes de supputations et pourrait provoquer une absence des personnels.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir ainsi traduit les inquiétudes que vous avez perçues chez les personnels hospitaliers.

M. Christophe PRUDHOMME : La peur existe, mais ce n'est pas le seul problème. Il a été annoncé que seuls viendraient à l'hôpital les malades graves. Qui dit malades graves dit haute technicité. Or, la grippe entraîne une détresse respiratoire : se posera alors le problème de l'insuffisance des capacités de réanimation, d'où une question éthique sur le choix des malades à admettre en réanimation. Nos services sont à peu près dimensionnés pour un fonctionnement normal, même si c'est parfois un peu « limite » dans certaines régions. En cas de pandémie, il y a une forte inquiétude des soignants, notamment en pédiatrie, car le personnel des services spécialisés sait bien que l'on parviendra, au mieux, à doubler le nombre de lits de réanimation, notamment en transformant ce que l'on appelle les services de porte, c'est-à-dire les service d'urgence. Autant dire que les capacités d'accueil seront très réduites. Imaginez ce que serait un triage : « Celui-là, on le laisse mourir », ou « celui-là, on s'en occupe » ; surtout s'il s'agit d'enfants. Cet aspect des choses doit être inclus dans la formation des personnels, qui en reste pour l'instant à l'aspect factuel. Actuellement, entre urgentistes et spécialistes des maladies infectieuses, nous bricolons, il n'y a pas d'autre mot, des séances d'information plutôt que de formation ; mais quand on travaille à flux tendus, comme c'est le cas pour chacun de nous, dégager deux ou trois heures à cette fin est une véritable gageure, surtout en phase de démobilisation sur le sujet. Voilà pourquoi ce que Mme Prigent a exposé tout à l'heure n'était pas mal venu. Lorsque nous réussissons à organiser ces sessions de formation, obligatoires puisqu'elles ont lieu pendant le temps de travail, tout le monde est présent, car le personnel est très motivé.

M. Gérard BAPT : Je n'entrerai pas dans la controverse sur l'insuffisante coordination entre services vétérinaires et services de santé humaine mais, sur le strict plan de l'organisation générale du plan « pandémie », je suis surpris d'entendre dire que l'on ne sait pas qui est le pilote. Le pilote, c'est le préfet, et donc la DRASS, qui a un interlocuteur à la direction de chaque établissement, comme je l'ai constaté au CHU de Toulouse.

M. le Président : Il y a parfois un décalage entre le schéma idéal et la réalité...

M. Gérard BAPT : Il n'empêche que, dans tous les cas, la coordination revient au préfet.

M. Christophe PRUDHOMME : Comme on l'a vu pour le SRAS, du fait des lacunes dans la permanence des soins, il n'y a plus de sécurité sanitaire aux frontières. C'est le SAMU qui l'assure, avec ses propres moyens. D'autre part, de quels moyens disposent les préfets ? Les DDASS ont très peu de moyens pour faire beaucoup de choses. Nos interlocuteurs ont peu de pouvoirs, et ils manquent, eux aussi, de formation et d'information. L'information devrait venir des DRASS mais, je le répète, les canaux d'information sont trop nombreux : des réunions sont organisées par les ARH, le ministère, telle agence ou telle autre, et par M. Didier Houssin, dont l'équipe ne compte que quatre personnes.

M. le Président : Elle a été renforcée depuis.

M. Christophe PRUDHOMME : Qui dirige la préparation des opérations sur le plan national ? Les personnels sont inquiets : faute de stratégie clairement définie, on ne sait pas si l'on devra confiner, si l'on devra rester sur place au cas où l'on aura été au contact de malades contagieux, s'il y aura des hôpitaux dédiés... On ne sait même pas si les horaires de travail seront modifiés... À un moment ou à un autre, il faudra bien trancher !

M. le Président : Nous avons entendu votre message, et nous avons nous-mêmes commencé à parler au ministre de la santé du problème majeur de la stratégie en zone urbaine dense. Mais ce que nous cherchons à faire aujourd'hui, c'est à appréhender la capacité d'adaptation - ou de résilience comme on dit actuellement - du personnel à une crise grave. Avez-vous des demandes spécifiques à formuler sur le statut du personnel? Qu'attendez-vous des pouvoirs publics en termes de garanties et d'éléments de sécurité ? Si la question n'est pas posée maintenant et que des réponses ne lui sont pas apportées avant que la crise se déclare, nous ne pourrons pas affronter le choc.

M. Christophe PRUDHOMME : A ce jour, tout le monde se sent concerné : on ne sait ni si l'on sera requis volontaire, ni s'il faudra confiner le personnel... Rappelons-nous que lorsque le nombre de cas de SRAS a pris de l'ampleur en Chine, on a confiné là-bas des hôpitaux entiers. Ce sont des questions qui se poseront.

M. le Président : J'espère que l'on n'en viendra pas aux méthodes chinoises, avec l'armée montant la garde autour d'hôpitaux en quarantaine... Pour ce qui est des réquisitions éventuelles, je pense qu'on ne pourra s'en tenir au volontariat.

M. Christophe PRUDHOMME : Cela n'a pas été explicitement dit au personnel.

M. le Président : La CGT a-t-elle des demandes particulières concernant la protection du personnel ? Si un plan blanc est déclenché, le personnel devra être présent. Quelle serait l'attitude de la CGT dans ce cas ?

M. Christophe PRUDHOMME : Le personnel répondra aux réquisitions : c'est la loi ! Mais il sera, lui aussi, touché par la maladie, puisque l'on estime à 25 ou 30 % la proportion de la population qui risque d'être contaminée. Dans l'effectif indemne de contagion, on risque de constater la fuite de ceux qui, par peur, disparaîtront dans la nature. Pour éviter une telle fuite, il faut donner aux personnels l'assurance qu'ils bénéficieront de mesures de protection de qualité.

M. le Président : Lesquelles ?

M. Christophe PRUDHOMME : Notre première revendication est que tous les collègues qui travaillent dans les hôpitaux soient au complet à la fin de l'année, à l'unité près. Aujourd'hui, le personnel ayant un contrat à durée déterminée, ou partant en retraite, n'est pas remplacé. C'est pourquoi nous sollicitons une loi de financement de la sécurité sociale rectificative.

M. le Président : Les problèmes sont-ils uniquement liés à des questions d'effectifs ? Ils ne concernent ni le Tamiflu, ni les assurances-décès, ni la protection sanitaire des fonctionnaires hospitaliers, etc. ?

M. Frédéric ANCELET : Notre collègue et nous-mêmes avons déjà évoqué certaines mesures nécessaires de protection des travailleurs et de leurs familles. Les personnels attendent ainsi qu'on leur donne des garanties. Ils veulent savoir quand ils rentreront chez eux s'ils sont réquisitionnés car ils ne vont pas rester trois mois, voire davantage à l'hôpital ! Enfin, il faut leur fournir des moyens de protection garantissant à leurs proches une barrière efficace contre une éventuelle contamination.

M. le Président : Il faut donc des moyens prophylactiques.

M. Frédéric ANCELET : Il faut aussi que soit précisé ce qu'il adviendra si un membre du personnel contracte la maladie et succombe. Comment sa famille sera-t-elle prise en charge ? Ces décès seront-ils considérés comme des accidents du travail, ou consécutifs à une maladie professionnelle ? Sans doute n'est-il pas possible d'apporter pour l'instant de réponses précises à ces questions, mais il faut y réfléchir sérieusement car elles se poseront.

M. le Président : Bien sûr !

Mme Catherine GÉNISSON : Je retiens de vos témoignages qu'il y a encore une grande incertitude dans les plans de préparation à la pandémie, qu'une information venant de sources multiples perd de son efficacité et que des demandes de protection existent mais qu'il est difficile de les formuler précisément car elles dépendent de la manière dont vous devrez travailler. En résumé, le plan doit être plus précis pour que vous puissiez faire part de revendications légitimes. Sur un autre plan, l'épineuse question du triage doit également être abordée. La fonction de médecin trieur sera la pire. S'agissant de la prise en charge en réanimation, se pose un problème non seulement de quantité, mais aussi de qualité des respirateurs. Il faut donc qu'il y ait une commande plus précise en amont du plan. C'est un message que nous devons faire passer.

M. le Président : Nous avions déjà été alertés sur la situation des services de réanimation et singulièrement sur celle, vraiment préoccupante, de la réanimation pédiatrique. Vos propos sont opportuns car c'est une affaire nationale.

M. Paul CHAUVOT : Je comprends mieux maintenant les préoccupations qui vous animent. Je tiens à souligner que l'inquiétude des personnels est aggravée par les medias, qui leur donnent à penser qu'ils risquent leur vie. Il faut revoir l'information. Dans un autre domaine, il faut, tout au moins pour la première vague pandémique, au cours de laquelle il n'y aura pas de vaccin disponible, prévoir des hébergements gratuits dans des hôtels réquisitionnés pour les personnels qui ne voudront pas exposer leur famille au risque de contamination. Enfin, un épidémiologiste m'a dit considérer l'efficacité du Tamiflu comme bien supérieure à celle des masques mais il semble que, comme on en manquera, il sera réservé aux malades les plus graves, et non au personnel.

M. le Président : Cette information est erronée sur le fond et discutable sur le plan de la stratégie.

M. Paul CHAUVOT : Alors, il faut le dire ! L'époque n'est plus celle où le personnel hospitalier était composé de religieuses qui se consacraient à un sacerdoce ! En cas de crise, des vocations se manifesteront à nouveau, mais il faut créer des conditions favorables. Il faut que les gens se sentent utiles à la population.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Les personnels sont des gens consciencieux, qui seront là quand on aura besoin d'eux, comme toujours. La situation terrible dans laquelle se trouvent les hôpitaux crée des tensions et les démotive, mais c'est un autre débat. De ce qui a été dit aujourd'hui, je retiens la nécessité de continuer à travailler avec les organisations syndicales sur l'information du personnel et notamment sur l'évaluation du risque, car la contamination par le virus de la grippe aviaire ne signifie pas la mort. Il faut aussi préciser les exigences formulées, voir s'il convient de traiter à part le cas des femmes seules avec enfants, et définir les préconisations relatives aux réquisitions. Enfin, il ne faut pas se faire d'illusions sur le Tamiflu, qui est un traitement préventif et non curatif, mais le personnel doit avoir du Tamiflu, c'est une priorité. Des masques sont prévus pour les membres du personnel hospitalier qui, parce qu'ils seront en première ligne, doivent bénéficier de ces protections.

M. le Président : C'est la contrepartie de leur engagement dans le service public.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Ce doit être une priorité pour eux comme pour les professionnels de santé libéraux. Il y a là un champ d'action pour les organisations syndicales, mais l'information n'est pas suffisamment remontée des établissements pour que des revendications précises soient formulées. Le représentant de Force Ouvrière a indiqué tout à l'heure que la tension est telle à l'hôpital que l'on s'occupe d'autre chose que de la pandémie éventuelle. Cependant, les organisations syndicales doivent avoir une réflexion plus positive sur la protection du personnel pour qu'il puisse travailler dans des conditions raisonnables et pour limiter les fuites. Du travail reste à faire.

M. le Président : De fait, on ne saurait faire l'impasse sur ce qu'il adviendrait si nous n'étions pas préparés à gérer la crise.

Mme Nadine PRIGENT : La situation actuelle témoigne de la carence des pouvoirs publics à mesurer les risques. Pour avoir travaillé en réanimation, je sais ce que c'est de travailler en temps de crise tout en se protégeant de la maladie. Ce qui comptera, plus que le Tamiflu, ce sont les conditions de travail, une protection efficace contre la contagion et le nombre que nous serons pour nous occuper des malades. À cet égard, je suis dépitée que vous sous-estimiez la situation de l'emploi à l'hôpital. Penser faire revenir des infirmières à la retraite ne suffira pas : on a déjà essayé, et on a essuyé un échec cuisant. Quant à dire au personnel qui travaille déjà en situation tendue qu'il devra travailler plus, cela est difficile. Certes, il faut chercher à donner confiance aux professionnels, mais la démotivation est réelle et les mauvaises conditions de travail expliquent la fuite du personnel qualifié et le fort taux d'abandon dans les écoles d'infirmières. Rien de tout cela ne doit être sous-estimé. La Fédération hospitalière de France dit que 23 000 emplois sont menacés.

M. le Président : Ne croyez pas que nous ne vous écoutons pas, mais on peut avoir des points de vue différents. Même si vous avez raison de dire que ces questions pèsent lourdement, nous ne sommes pas vos interlocuteurs premiers sur ce sujet.

Mme Nadine PRIGENT : Il faudra voir comment reconnaître le travail accompli dans des conditions difficiles par le personnel réquisitionné. Lorsque, à la suite de la canicule, on a voulu donner une prime, elle a été refusée, le personnel concerné expliquant que ce qu'il voulait, c'était des emplois supplémentaires leur permettant de travailler convenablement au quotidien. Des volontaires se présentent toujours quand c'est nécessaire, et il y en a eu encore récemment pour partir en Guyane et à La Réunion quand sévissait une épidémie de dengue. Peut-être les représentants du personnel n'ont-ils pas encore pris la mesure complète des problèmes à traiter mais, quoi qu'il en soit, l'indispensable est de former, de dire la vérité et de ne pas penser que, même si la réquisition est prévue par les textes, on pourra réquisitionner n'importe qui, n'importe comment. Je crois beaucoup à la mobilisation des personnes.

M. Frédéric ANCELET : Il est essentiel d'informer précisément sur le Tamiflu, pour dire que, contrairement à ce que le personnel a entendu, ou cru entendre, dans les medias, c'est une méthode efficace de prévention, et qu'il leur sera distribué.

M. le Président : Je vous rappelle que nous ne sommes pas le Gouvernement mais une mission parlementaire d'information, appelée à faire des recommandations à l'exécutif.

M. Frédéric ANCELET : Puisque vous avez évoqué les mesures de protection souhaitables, je vous apporte notre point de vue. Les personnels ont l'habitude de travailler à flux tendus, et ils trouvent toujours les ressources nécessaires pour donner encore plus dans des situations de crise. Mais ce que nous souhaitons vraiment, c'est que le personnel, doté du matériel adéquat, puisse apporter des soins de qualité. Il faudra donc des masques, des gants, des tabliers, des respirateurs adaptés à la situation en quantité suffisante, car nous ne serons pas là uniquement pour gérer l'afflux des malades et les accueillir : il faudra aussi pouvoir les soigner correctement !

M. Gérard BAPT : Tout le monde semble penser que le risque de pandémie est aujourd'hui écarté parce que l'hiver est fini, alors même que des cas sont encore signalés ici ou là. C'est dire la difficulté d'informer en se gardant à la fois de tout alarmisme et de tout excès d'optimisme. La décision prise par M. Bush de débloquer 2,3 milliards de dollars pour l'exercice 2007 au titre de la protection contre l'éventualité d'une pandémie de grippe aviaire montre que, contrairement à ce qui se dit, la vigilance continue de s'imposer. Mais, au CHU de Toulouse, où il est question de supprimer 200 postes équivalent temps plein de médecins, j'ai le sentiment que rien n'a bougé depuis le lancement du plan « pandémie ».

M. le Président : On a même le sentiment d'un recul. La sensibilité au problème est moins forte qu'au mois de novembre.

M. Christophe PRUDHOMME : J'ai cru comprendre que l'on préconisait désormais la distribution de Tamiflu aux personnes potentiellement exposées.

M. le Président : C'est une piste de réflexion.

M. Christophe PRUDHOMME : Je vous rappelle que pour l'instant, l'accent est mis sur la protection par les masques, le traitement par Tamiflu n'intervenant qu'en seconde ligne. Si la décision devait être prise de distribuer le Tamiflu, il faudra prendre garde à ce qu'elle ne soit pas comprise comme un changement brutal du dispositif de prévention.

M. le Président : Nous avons retenu, de ce que vous nous avez tous dit, que les informations ne sont pas descendues, que les personnels sont davantage informés par les medias que par ce qui devraient être les canaux « normaux », que la formation est lacunaire et la coordination de la préparation à la crise difficile. Il en résulte que le danger mortel est sur-estimé et le risque pandémique sous-évalué, ce qui crée un grave effet de ciseau qui peut faire craindre une perte de confiance et un risque de fuite du personnel si l'épidémie éclate un jour.

Madame, Messieurs, je vous remercie.

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Audition de M. Michel VOISIN, député, représentant de l'Association des Maires de France (AMF)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 10 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui notre collègue Michel Voisin, député de l'Ain et maire de Replonges.

Mon cher collègue, notre mission d'information est soucieuse de connaître le point de vue des responsables des collectivités locales sur la crise de la grippe aviaire. Nous vous écouterons avec d'autant plus d'intérêt que vous êtes élu de la Dombes, une région particulièrement touchée en ce moment.

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : Les travaux de notre mission s'organisent autour de trois thèmes : les moyens médicaux disponibles en cas de pandémie ; l'épizootie de grippe aviaire ; l'évaluation du plan gouvernemental de lutte contre la pandémie. Nous voulons aujourd'hui entendre le point de vue de l'Association des maires de France, représentée, ici, par l'un de nos collègues qui est aussi un élu de la seule région de France qui a été touchée par le virus H5N1.

M. Michel VOISIN : Plus personne ne parle du virus H5N1, mais les problèmes existent toujours : il y a moins de dix jours, nous avons trouvé trois cygnes infectés, l'un dans la commune de Marlieux, les deux autres dans celle de Villars-lès-Dombes. Toutes les mesures de précaution sont appliquées, comme au mois de février, même si personne n'en parle plus. Cela dit, nous avons du mal à nous remettre de la pression médiatique que nous avons subie.

En France, 65 oiseaux ont été infectés : un sur l'étang de Berre ; un sur le lac de Divonne-les-Bains ; un sur le lac de Bouvent, à Bourg-en-Bresse, les 62 autres dans la Dombes. Les maires ont appliqué à la lettre les directives du ministère et de la préfecture, avec tous les désagréments que l'application de ces mesures ont causés à la population. À ce jour, 25 étangs sont toujours sous protection, et une dizaine de communes sont encore touchées.

Le premier cas déclaré était celui d'un canard milouin. Il semblerait qu'il ait migré à partir des rives du Danube, où sévissaient de grands froids. Nous avions très peur des migrations venues d'Afrique mais elles n'ont rien amené. Les mesures de protection prises étaient bien adaptées puisqu'aucune autre région française n'a été touchée. Comme l'a dit le Premier ministre lors de sa visite dans la Dombes, il faut manifester la solidarité de la Nation à la seule région touchée, à ceux qui ont consenti un effort exemplaire ayant permis d'éviter le pire.

Alors que les premiers cas d'oiseaux porteurs du virus concernaient des canards, ce sont aujourd'hui des cas de cygnes infectés qui sont relevés. D'après les études qui ont été menées, les cygnes sont très réceptifs au virus, et, malheureusement, ils prolifèrent, puisque l'on peut trouver jusqu'à une cinquantaine de cygnes sur un étang. Cet oiseau est protégé. Un autre fléau de la Dombes est le cormoran, dont la régulation a été interdite.

Si la filière avicole parvient tant bien que mal à remonter la pente, malgré quelques cas très douloureux, la pisciculture, elle, est complètement sinistrée. Or il faut savoir que l'économie de la Dombes se concentre sur quelques secteurs : l'agriculture traditionnelle - élevage bovin et céréales ; la filière avicole ; la chasse ; la pisciculture ; le tourisme. La pisciculture est sinistrée : les étangs de culture n'ont pas été péchés ni empoissonnés depuis trois mois. Les oiseaux ne sont pas régulés. Nous demandons qu'ils puissent l'être. La seule réponse qui nous ait été faite a consisté à publier la liste des sites que la France proposait d'intégrer dans le périmètre du réseau Natura 2000, qui englobe les zones protégées pour les oiseaux. Comme si l'on ne pouvait pas attendre un mois ou un mois et demi pour le faire ! Non, cette liste a été publiée au beau milieu de la crise et les exploitants d'étangs sont plutôt fâchés. Je dois assister samedi prochain à l'assemblée générale du Syndicat des exploitants d'étangs. Je risque d'essuyer la colère des exploitants, car, comme vous le savez, une fois passée la phase de médiatisation, une fois que les ministres venus visiter la région sont repartis à Paris, il n'y a plus qu'un seul responsable : le député. C'est lui qui doit résoudre tous les problèmes.

Mme la ministre de l'écologie et du développement durable refuse donc la régulation des cygnes, en mettant en avant les contraintes de Bruxelles. Pour ce qui est du tir au cormoran, les chasseurs doivent, à présent, respecter une nouvelle disposition instaurant, dans les zones humides, l'interdiction d'utiliser des munitions à base de plomb et leur remplacement par des cartouches à base de grenaille d'acier. Or, avec une cartouche de ce type, qui porte à 30 mètres, vous ne tuerez jamais un cormoran ! Auparavant, les chasseurs tiraient le cormoran avec des plombs de deux grammes. Cela leur est maintenant interdit. J'ai demandé qu'une dérogation soit accordée : j'attends toujours la réponse. C'est une région entière qui est en train d'être sinistrée. Le préfet de l'Ain a écrit à Mme la ministre de l'écologie. Nous attendons la réponse.

M. le Président : Qui est responsable, sur le plan administratif, de toutes ces questions ?

M. Michel VOISIN : Il y a plusieurs responsables, et c'est bien le problème ! S'agissant de la filière avicole et de la pisciculture, le responsable est le ministre de l'agriculture.

M. le Président : L'interdiction d'accès aux étangs n'a pas pour objet de protéger les poissons, mais les hommes, n'est-ce pas ?

M. Michel VOISIN : En effet. Les fientes du cygne peuvent maintenir la présence du virus dans l'étang pendant plusieurs mois. Il faut éviter que l'homme ne transporte le virus sans s'en apercevoir.

M. le Président : On peut comprendre que les étangs soient considérés comme potentiellement infectés par le virus. Mais quel est le cycle de vie de ce virus ? Comment traiter l'eau ?

M. Michel VOISIN : Un vétérinaire m'a écrit que la durée du virus H5N1 déposé par une fiente de canard dans une eau à faible température était comprise entre 30 et 40 jours.

M. le Président : Mais que dit l'administration ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Rien.

M. le Président : L'interdiction d'accès aux étangs, comme la levée de cette interdiction, doit bien obéir à un protocole.

M. Michel VOISIN : Je ne sais pas. Les exploitants d'étangs ont demandé - et c'est à mon avis une erreur - l'éradication complète des cygnes, ce qui a suscité une levée de boucliers des associations de protection de la nature. C'est une erreur que de l'avoir demandé, mais c'était certainement la solution. Tant que l'on entretiendra cette espèce très réceptive au virus, le problème perdurera. Les exploitants ont ensuite proposé que l'on conserve un couple de cygnes par hectare. Cela représente à peu près cent couples. Or, il y a aujourd'hui 2 000 cygnes recensés dans la Dombes.

M. le Président : Je ne comprends pas bien : on se bat actuellement pour empêcher la propagation du virus H5N1 dans les espèces animales car sa propagation aurait pour résultat d'accroître les risques pour la santé humaine. Dans une logique de santé publique, ne devrait-on pas, dès lors, donner la priorité à l'éradication ponctuelle - car il ne s'agit pas d'éliminer tous les cygnes - des animaux porteurs du virus ? Le maintien de la biodiversité est certes une exigence respectable, mais en l'occurrence, ce souci s'avère dangereux s'il conduit à entretenir un foyer viral. Quelle réponse avez-vous eue sur ce point ?

M. Michel VOISIN : Aucune, puisque l'autorité de régulation est le ministère de l'écologie, lequel, pour l'instant, ne nous a pas répondu. Mais il est vrai que l'éradication, du point de vue de la santé publique, serait certainement la meilleure des solutions. Les cygnes existent partout ailleurs que dans la Dombes, et l'on peut les réintroduire en nombre à tout moment. Ils se sont multipliés ces dernières années à un rythme extraordinaire. C'est une décision politique que l'on attend.

Mme Bérengère POLETTI : Je ne comprends pas comment le débat a été organisé sur cette question.

M. Michel VOISIN : En réalité, il n'y a pas eu de débat. On demande au préfet de faire respecter les règles : le cygne est un oiseau protégé, on ne doit pas y toucher.

M. le Président : Il est permis s'interroger sur la légitimité qu'il y a à maintenir des cygnes sur les étangs de la Dombes, sachant qu'ils sont très réceptifs au virus, qu'ils entretiennent. On ne se pose aucunement la question de savoir comment contenir l'épidémie, ni de la réduire, et ce au nom de la défense de la biodiversité. Or, on prend ainsi le risque de voir un jour le virus se propager au-delà des étangs.

Mme Geneviève GAILLARD : J'entends bien ce que vous dites. Cela dit, la recherche n'a pas encore répondu à toutes les questions. On a vu qu'un élevage de dindons en France, bien que confiné, a été contaminé. Aujourd'hui, malgré la présence de cygnes infectés, il n'y a pas eu d'autres problèmes. Malgré l'infection de plusieurs individus de plusieurs espèces, la situation n'a pas dramatiquement empiré.

M. le Président : Mais que pensez-vous du fait que l'on maintienne, pour des raisons abstraites, un foyer infectieux viral dans une zone donnée ? Alors qu'on demande aux pisciculteurs d'arrêter leur activité, aux chasseurs de ne plus chasser, au nom de quoi décide-t-on de laisser vivre plusieurs couples de cygnes sur un étang, au nom de quel principe, qui primerait donc sur l'exigence de décontamination de l'étang ? J'avoue ne pas comprendre.

Mme Geneviève GAILLARD : Je prendrais le problème à l'envers. Pourquoi empêcher les pisciculteurs de poursuivre normalement leur activité ? Car de toute façon, ce virus H5N1 ne va pas disparaître, pas plus que ne vont disparaître la plupart des virus aviaires. L'éradication des cygnes n'y changera rien. C'est pourquoi il me semble essentiel que la recherche sur le virus progresse. Je n'exclus que pas que l'on parvienne, d'ici deux ou trois ans, à une solution consistant à vacciner les animaux.

M. le Président : Il faut bien voir que l'épizootie, ou plutôt la panzootie, n'est pas derrière nous, ni dans la Dombes ni ailleurs. Nous devrons vivre avec elle pendant encore plusieurs années encore. Il n'empêche que dans l'état actuel des choses, la stratégie qui prévaut est de contenir l'extension du virus, et que dans cette logique, il est difficilement compréhensible que la protection de quelques couples de cygnes soit considérée comme un principe supérieur. Je ne comprends pas que la décision publique ne soit pas plus rationnelle.

M. Michel VOISIN : J'ajoute que la Dombes communique avec la Saône, et qu'aucun cygne n'a été affecté dans la Saône. Il serait aisé de réintroduire dans la Dombes des cygnes venus de la Saône. Il n'est pas acceptable que l'on sacrifie la Dombes comme on est en train de le faire.

Un quotidien rapportait récemment les propos de M. Jean-Luc Payet-Pigeon, qui est à la fois agriculteur, membre du conseil d'administration de la fédération des chasseurs de l'Ain et président du syndicat des propriétaires et exploitants piscicoles de la Dombes : « Du point de vue sanitaire, il ne faut pas faire porter la responsabilité du virus aux cygnes. Ils l'ont sûrement favorisé, mais ils sont aussi un bon indicateur de la qualité de l'environnement. En plus, méfions-nous de leur image positive chez les gens. Avant de lancer une opération de régulation, il faut voir l'effet boomerang... ». Le journaliste commente : « Une précision non dénuée de sens, mais qui a été largement sifflée par l'assistance... ». Mais pour sa part, le président de la chambre d'agriculture de l'Ain déclare : « Si l'un des acteurs de la richesse de la Dombes est remis en cause par les cygnes, j'invite les chasseurs à se réunir pour opérer une régulation des cygnes en Dombes, et ceci en toute illégalité ». Voilà ce qui risque de se passer.

Mme Geneviève GAILLARD : Je ne dis pas que les cygnes doivent être préservés à tout prix. Je dis qu'une fois qu'ils auront été éradiqués, le virus sera peut-être toujours présent.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : C'est une excellente réponse.

M. Michel VOISIN : Cette réponse ne sera pas admise !

M. le Président : Cette réponse se situe dans l'hypothèse d'une période d'infestation généralisée, au cours de laquelle il y aurait lieu de se défendre autrement contre le virus. Chaque période appelle une stratégie particulière. Mais actuellement, il n'y a qu'un seul foyer en France. Le devoir des pouvoirs publics, dans ce contexte, est de réduire le foyer. Quand la présence du virus est généralisée, il est de créer des sas de protection entre les zones infectées et celles qui ne le sont pas. Mais nous n'en sommes pas là. L'infestation n'est pas généralisée, elle est circonscrite à un endroit précis. Les pouvoirs publics doivent la réduire, puisque c'est encore possible.

M. Michel VOISIN : Et c'est encore possible grâce aux mesures qui ont été prises et appliquées de manière très vigoureuse. Il faut aller jusqu'au bout.

M. le Président : En effet. En outre, si demain des abattages sont nécessaires, au nom de quoi l'abattage de quelques milliers de dindes serait-elle plus supportable que l'éradication de quelques dizaines de cygnes. Tout cela me semble très loin de la rationalité.

Mme Geneviève GAILLARD : Je le redis, mon propos n'est pas de défendre les cygnes de la Dombes. Je dis simplement que leur disparition n'aura pas nécessairement pour effet la disparition du foyer.

M. Michel VOISIN : Il reste que les exploitants d'étang vont prendre la décision de réguler les cygnes, pour faire disparaître les foyers d'infection. Il faut se mettre à leur place.

M. le Président : Je pense qu'il y a un décalage entre le fait de demander aux exploitants et éleveurs de consentir des efforts économiques importants et le fait d'interdire la régulation momentanée des cygnes.

M. Michel VOISIN : Je souligne que les chasseurs ont été exemplaires. Ce sont eux qui surveillaient les étangs, qui ramassaient les oiseaux morts. Je n'ai pas vu un seul écologiste pour faire ce travail.

Mme Geneviève GAILLARD : J'imagine que des analyses scientifiques ont été faites par l'AFSSA et les services vétérinaires. Toute décision, dans un sens comme dans l'autre, doit être prise à l'aune d'une expertise scientifique rigoureuse.

M. Michel VOISIN : Je voudrais revenir à la situation de la région. Elle est sinistrée, du fait des mesures qui ont été prises mais qui ont, certes, permis qu'il n'y ait pas d'autre foyer d'infection en France. Il me semble que la solidarité nationale doit à présent se manifester. La filière avicole a été soutenue, et reprend tant bien que mal. Comme je l'ai dit, la pisciculture, elle, est sinistrée. Mais elle n'est pas la seule. La restauration l'est aussi : les restaurateurs ont subi une réduction de 70 % de leur chiffre d'affaires entre le mois de février et le mois d'avril. Les pools muséographiques traversent une période dramatique. Le parc ornithologique est fermé, interdit au public. Le sanctuaire d'Ars, qui amène chaque année 600 000 personnes à visiter la région, ne voit plus personne. Le musée de cire, situé à proximité, enregistre une baisse considérable de sa fréquentation. C'est toute l'économie qui est sinistrée, d'autant que l'image que les médias ont donnée de la Dombes est déplorable.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Quelle a été la réaction des élus territoriaux ?

M. Michel VOISIN : La région et le conseil général ont fait l'acquisition de plus de 100 tonnes de volailles, qu'ils ont offerts aux Restaus du cœur, et ce afin de permettre aux éleveurs de déstocker et de faire repartir la production.

Mais cela ne concerne que la filière avicole. Les autres acteurs économiques de la Dombes sont touchés de plein fouet. Cette situation, j'insiste, est la conséquence des images qui ont été montrées à la télévision. Ceux qui ne connaissent pas la région ont eu l'impression d'une région entièrement contaminée par un virus mortel, qu'il fallait fuir à tout prix.

Mme Geneviève GAILLARD : Je pense que le mal ne date pas d'aujourd'hui, et que ce n'est pas en éliminant tous les cygnes que l'on fera revenir les touristes. Il y a peut-être d'autres actions à mener.

M. Michel VOISIN : Ce n'est pas moi qui conseille de faire cela, ce sont les exploitants qui vont le faire.

Mme Geneviève GAILLARD : Il faut leur expliquer que cela ne servira à rien.

M. Michel VOISIN : La position des maires a été d'appliquer strictement les directives, ce qui n'a pas été facile. Le poulet de Bresse, par exemple, est une AOC. Les éleveurs ont des contraintes strictes à respecter : par exemple, leurs volailles doivent être élevées en plein air un certain nombre d'heures par jour. Ils allaient voir le maire pour protester contre les mesures de confinement en lui faisant part de leur intention de ne pas les respecter. Le maire tâchait de les convaincre de ne pas passer outre, faute de quoi ils n'obtiendraient pas les aides. Cela a été une période très difficile à vivre.

M. Gérard BAPT : Il y a un paradoxe à éradiquer les élevages qui ont été infectés et, dans le même temps, à vouloir protéger des cygnes qui sont infectés de manière subaiguë et dont l'espèce n'est pas menacée.

Mme Bérengère POLETTI : Je partage ce point de vue : j'ai du mal à comprendre, en effet, que l'on envisage d'éradiquer des dindes en grand nombre tout en continuant à protéger les cygnes. Il n'y a là rien de rationnel.

M. Michel VOISIN : Je dois préciser que le cygne est ce que l'on appelle une sentinelle naïve. Puisqu'il est très réceptif au virus, il permet de localiser les foyers d'infection. C'est pour cette raison que les exploitants ont proposé, judicieusement, me semble-t-il, de maintenir un couple de cygnes par hectare, qu'il serait facile de surveiller. Mais le ministère n'a pas répondu à cette proposition.

M. le Président : On a l'impression que les pouvoirs publics n'assument plus la gestion de la crise dès lors que celle-ci est passée. Si l'on commence à déraper, soit par des initiatives illégales, soit par des recommandations publiques incompréhensibles, la situation va devenir difficile à maîtriser.

Mme Geneviève GAILLARD : Je pense qu'on ne peut pas dire à la fois que les cygnes infectés entretiennent le foyer de contamination et qu'ils sont de bonnes sentinelles.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Les élevages de la région sont-ils toujours confinés ?

M. Michel VOISIN : Oui, jusqu'au 21 ou 25 mai. Un autre problème va se poser, celui de la chasse. Les permis de chasse vont être bientôt mis en vente. On s'attend à ce que la chasse aux canards soit interdite.

Mme Bérengère POLETTI : Je ne comprends pas que l'on n'organise pas un débat dans le but de savoir si, oui ou non, abattre les cygnes de la Dombes peut avoir un intérêt. On prend les décisions sans réflexion préalable ?

M. Michel VOISIN : Bernard Accoyer a proposé que se tienne une réunion à laquelle participeraient les ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement, du tourisme, des PME et de l'artisanat, et de la santé.

M. le Président : Je suis très étonné. Cette épizootie est une crise majeure, et maintenant que la période la plus aiguë est passée, l'État semble considérer que les choses reprennent leur cours habituel. C'est une erreur stratégique, qui montre qu'il n'y a pas de gestion de la crise à la hauteur des enjeux. Comment gérera-t-on les problèmes qui pourront se poser demain dans une quinzaine d'autres régions si l'on n'a pas été capable de gérer ceux qui se posent dans la Dombes ?

Mme Geneviève GAILLARD : J'avais suggéré au ministre de l'agriculture, lors de son audition par la mission, la mise en place d'une gestion organisée. Je ne sais pas ce qu'il a entrepris. Mais il est clair que nous aurons à gérer ce problème pendant encore plusieurs années, jusqu'à ce que l'on ait trouvé un moyen médical de lutter contre le virus. Et quand bien même l'on parviendrait à mettre au point un vaccin pour les animaux d'élevage, les oiseaux sauvages seront toujours susceptibles d'être porteurs du virus. J'ajoute que cette situation ne concerne pas le seul virus H5N1.

Il n'est pas possible de traiter les problèmes de manière ponctuelle, sans vision à long terme. Les conséquences peuvent être dramatiques, pour la filière avicole comme pour tous les élevages qui ne sont pas des élevages industriels confinés.

M. Michel VOISIN : Dans cette affaire, Dominique Bussereau est très présent. Je l'ai encore rencontré hier pendant trois quarts d'heure, pour faire le point. Le problème vient du ministère de l'écologie, compétent pour tout ce qui concerne la protection des oiseaux.

M. le Président : Depuis que cette crise s'est manifestée dans son double aspect - grippe aviaire et risque pandémique - l'État a clairement dit que la menace était globale et qu'elle devait être gérée de façon globale. Les difficultés de telle ou telle population relevant du ministère de l'agriculture sont spécifiques et méritent, en effet, toute l'attention du ministre de l'agriculture. Le problème n'est pas là : le problème, c'est l'absence d'une gestion globale, et donc interministérielle, d'une menace collective. La gestion de la fin de la crise dans la Dombes doit faire partie de la gestion du problème d'ensemble.

M. Gérard CHARASSE : On peut faire la même remarque sur le plan international.

M. le Président : Tout à fait. L'absence d'une gestion globale de la crise est très inquiétante.

Mme Bérengère POLETTI : Un délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire a été désigné : n'entre-t-il pas dans son rôle d'organiser cette gestion d'ensemble ? Nous devrions l'entendre.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous l'entendrons.

M. le Président : Monsieur le Député Voisin, mon cher Collègue, je vous remercie.

Audition de M. Francis TRINCARETTO, conseiller municipal de la ville de Maubeuge, et de Mme Gaëlle COURANT, directrice du service de santé publique de la ville de Maubeuge

(Compte rendu de la réunion du mercredi 10 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Notre mission a, dans un premier temps, travaillé sur la question des moyens médicaux disponibles en cas de pandémie. Puis, elle s'est penchée sur l'épizootie de grippe aviaire. Aujourd'hui, elle se consacre à l'évaluation du plan gouvernemental de préparation à une pandémie.

Dans ce cadre, nous voulions faire le point sur l'état d'avancement des préparatifs dans les collectivités locales. Nous avons proposé au maire de Maubeuge de venir nous parler de ce qui se passe dans sa ville. Il n'a pu se déplacer mais M. Trincaretto, ici présent, le représente. Merci, Monsieur, d'être venu.

M. Francis TRINCARETTO : Je suis conseiller municipal de la ville de Maubeuge, délégué à la santé publique, et par ailleurs chirurgien au centre hospitalier de Maubeuge, ce qui me permet d'être un peu familier de la grippe aviaire, et d'entretenir des liens privilégiés avec le centre hospitalier - car les mesures que la ville pourrait prendre ne sauront efficaces que s'il existe une bonne coopération entre les services municipaux et le centre hospitalier. Je suis venu accompagné de Mme Gaëlle Courant, directrice du service de santé publique de la ville.

S'agissant du risque de pandémie de grippe aviaire, nous tenons essentiellement nos informations de la préfecture, qui nous a expliqué les différentes phases de la pandémie et les dispositions à prendre en fonction de ces phases.

Nous avons tout d'abord dû traiter la phase dite « inter-pandémique », en vue de prévenir la dissémination de l'épizootie sur le territoire. Les mesures préconisées ont été prises très vite : information du public, via « La lettre du maire », sur une éventuelle mesure de confinement et sur la nécessité d'améliorer les conditions d'élevage de la volaille ; recensement des volailles et des oiseaux, grâce à des fiches mises à la disposition du public.

141 fiches ont déjà été soumises à la signature du maire, avant d'être envoyées à la direction départementale des services vétérinaires. Permettez-moi de vous faire remarquer que le fait de n'être soumis à aucune date butoir pour l'envoi de ces fiches pose un problème. Je note cependant que ce travail a eu des effets secondaires positifs et inattendus, les propriétaires de volailles en ayant profité pour améliorer les conditions d'élevage et, parfois, régler quelques conflits de voisinage.

Globalement, tout se passe bien, malgré l'absence de date butoir. Vous savez, ce problème risque fort de se poser pendant des années, et nous devrons répéter le dispositif, mettre en place des fichiers, et les suivre de près.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Y a-t-il eu des mouvements de mauvaise humeur ?

M. Francis TRINCARETTO : Non, car les gens ont compris qu'il s'agissait de mesures de prévention. Malgré les conséquences économiques, tout se passe assez bien. La première phase de migration est passée, mais nous attendons la prochaine. La préfecture nous a donné des informations très précises et nous a expliqué les dispositifs que nous devions mettre en place en fonction des différentes phases.

En termes d'organisation communale, nous avons désigné un correspondant de pandémie grippale - en l'occurrence, moi-même. Cela étant, je pense qu'il conviendrait de nommer plusieurs correspondants, au cas où l'un d'eux tomberait malade.

Ce correspondant doit-il nécessairement être un élu ? Un élu municipal ? Peut-être, au surplus, serait-il intéressant de passer à l'échelle intercommunale, pour tenir compte de l'implantation des structures d'hospitalisation, et mieux coordonner nos actions.

Il est par ailleurs demandé de mettre en place une cellule de veille. Il existait déjà, à Maubeuge, une cellule de crise communale.

Je remarque, à cet égard, que nous sommes de plus en plus sollicités sur des questions de santé publique - canicule, risque climatique, risque nucléaire - qui vont au-delà de nos compétences classiques d'élus locaux. Et aujourd'hui, on nous demande de gérer ce risque de pandémie, à grand renfort de courriers répétitifs auxquels la préfecture nous invite à répondre vite. Nous avons la chance de disposer de techniciens formés, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas de toutes les villes de 35 000 habitants : c'est un vrai problème.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment est composée la cellule de veille ?

M. Francis TRINCARETTO: Elle comprend des habitants de la ville, mais aussi des personnels du centre hospitalier.

Mme Gaëlle COURANT : Cette cellule de veille communale est composée de personnels des différents services susceptibles d'intervenir en cas de crise - service communication, pour la diffusion des informations à la population ; service santé publique ; CCAS ; agents de la police municipale, qui pourraient être amenés à gérer la circulation publique ; et d'autres services, en fonction du type de crise.

M. le Président : Vous réunissez-vous ponctuellement, en cas de besoin, ou régulièrement ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous nous réunissons chaque fois qu'il le faut, les crises ne se gérant pas de la même manière, même s'il y a quelques éléments communs et invariables. Nous avons pour objectif d'élaborer d'ici la fin de l'année des procédures écrites pour chaque type de risque et de mettre en place un système nous permettant de contacter très vite les personnes chargées de gérer ces risques.

Des réunions de coordination sont déjà organisées. Si l'on s'en tient à la cellule de veille de Maubeuge, il va de soi qu'elle se concentre sur l'organisation municipale de la gestion de la crise elle-même, mais également sur la coordination avec d'autres structures, notamment l'hôpital de Maubeuge, qui compte lui aussi une cellule de crise.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Combien y a-t-il d'habitants à Maubeuge ?

M. Francis TRINCARETTO : 35 000.

M. le Président : Et au niveau intercommunal ?

M. Francis TRINCARETTO : 150 000.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Y a-t-il eu une formation des personnels hospitaliers au risque de pandémie ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous avons mis en place un dispositif de formation continue - une séance de formation a déjà eu lieu avec les médecins de ville, qui auront la plus grosse charge de travail.

M. le Président : Mais qu'en est-il pour les personnels hospitaliers ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous avons organisé un exercice de simulation dans un service, dont nous avons tiré certaines conclusions. Nous en organiserons d'autres pour améliorer encore le dispositif.

Nous avons par ailleurs évalué le travail de la cellule de veille.

Nous avons également évalué, dans l'hôpital, le degré d'acceptation par les visiteurs et les malades du port du masque, par exemple, ce qui a donné de bons résultats en général, sauf pour les adolescents, mais nous pouvons espérer qu'ils changeront d'attitude en cas de pandémie.

Le centre hospitalier de Maubeuge a l'avantage de bénéficier d'un département de santé publique, dont le directeur est très compétent.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous avons vraiment envie, avec le Président, de vous décerner un label trois étoiles pour la qualité des relations que vous entretenez avec le centre hospitalier, ce qui n'est pas le cas de toutes les villes, au vu des auditions que nous avons déjà menées.

M. Francis TRINCARETTO : Le fait que je sois praticien hospitalier a certainement facilité les choses.

M. le Président : En cas de maintien des malades à domicile, avez-vous prévu des mesures de surveillance médicale des personnes chez elles ? Avez-vous cerné les problèmes qui pourraient se poser et avez-vous pu y répondre ? Etes-vous aidés par les services de l'État ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous recevons régulièrement des directives de la préfecture, qui, de surcroît, a organisé plusieurs réunions au niveau de la sous-préfecture, au cours desquelles nous avons pu poser des questions, mais sans obtenir, cependant, de réponses précises et claires.

Et donc, plutôt que d'attendre les réponses, nous agissons, avec nos propres moyens.

S'agissant du maintien à domicile des malades, nous devrons nous occuper plus particulièrement des personnes âgées, des personnes handicapées, et de celles, plus difficiles à repérer, atteintes de maladies respiratoires, qui sont plus nombreuses dans le Nord de la France que dans le Sud.

Notre service s'appelle « Santé publique, handicap et personnes âgées ». Depuis la canicule de 2003, nous avons mis en place un système de repérage des personnes âgées, en lien avec le CCAS, et nous avons évalué leurs besoins, notamment en termes de santé. Nous avons mené des enquêtes, établi des statistiques sur les personnes âgées de plus de 65 ans. Nous sommes en train de dépouiller environ 900 questionnaires d'une cinquantaine d'items.

M. le Président : Avez-vous établi un fichier téléphonique ? Avez-vous les moyens d'envoyer des messages, d'en recevoir, d'assurer une sorte de veille sanitaire minimale ?

M. Francis TRINCARETTO : Chaque année, nous envoyons un courrier personnalisé à toutes les personnes concernées, ne serait-ce que pour les informer de la conduite à tenir en cas de canicule.

Mme Courant a contacté la préfecture pour savoir s'il y avait du nouveau en matière de gestion du risque canicule, mais elle n'a toujours pas obtenu de réponse, alors que nous sommes à la veille de l'été ! Nous craignons que la préfecture ne nous réponde pas davantage si nous l'interrogeons à propos de la grippe aviaire !

M. le Président : Nous sommes bien conscients de ce problème... Les personnes âgées acceptent-elles facilement de donner leur numéro de téléphone ?

Mme Gaëlle COURANT : Chaque année, nous envoyons une lettre expliquant aux personnes âgées les raisons du recensement dans le cadre du risque canicule, avec un petit dépliant d'information et de recommandations, ainsi qu'un coupon-réponse à nous renvoyer au cas où ces personnes accepteraient d'être listées dans nos fichiers des personnes vulnérables. Ce fichier est informatisé - à chaque ligne, nous trouvons les coordonnées de la personne, son état de santé, le nom de son médecin référent, celui de son infirmier etc. En cas de déclenchement de l'alerte canicule par la préfecture, il nous est demandé d'appeler, durant dix jours, les personnes âgées recensées dans ce listing, et de poser un certain nombre de questions pour détecter, par téléphone, une éventuelle détresse. À la suite de cette conversation, il arrive que nous envoyions quelqu'un sur place.

Nous rencontrons un problème lorsque la personne ne répond pas au téléphone. Faut-il intervenir, et comment, quand nous ignorons si la personne est tombée ou si elle est simplement partie en vacances ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Avez-vous mis à la disposition de la population un numéro de téléphone gratuit ?

M. Francis TRINCARETTO : Oui, et la permanence est assurée 24 heures sur 24.

M. Jean-Claude FLORY : Sur les 35 000 habitants, combien sont vulnérables ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous considérons que toutes les personnes de plus de 65 ans sont vulnérables, soit environ 4 000 personnes.

Mme Gaëlle COURANT : Entre 160 et 170 personnes ont renvoyé le coupon et se sont déclarées vulnérables. 4 000 personnes environ ont plus de 65 ans à Maubeuge, et 6 000 personnes ont plus de 60 ans, sur 35 000 habitants.

M. le Président : Votre ville est jeune ! Votre stratégie consiste, si je comprends bien, à créer un lien entre la mairie et les personnes concernées, plutôt qu'à mettre en place un encadrement par quartier.

M. Francis TRINCARETTO : Non, pas vraiment, ces deux actions ne sont pas exclusives.

M. le Président : De nombreux médecins libéraux se plaignent de ne pas avoir reçu de formation. Vous semblez avoir pris des initiatives. Comment se sont-elles passées ?

M. Francis TRINCARETTO : Les médecins généralistes auront en charge la gestion des flux vers l'hôpital et la gestion des malades restés à domicile.

M. le Président : Pardonnez-moi de vous interrompre : l'hôpital est-il à Maubeuge même ?

M. Francis TRINCARETTO : Oui, et il y a aussi des structures hospitalières dans la proche banlieue de Maubeuge, à une dizaine de kilomètres.

S'agissant des médecins généralistes, j'ai pris l'initiative de rencontrer l'animateur principal de la médecine libérale à Maubeuge, et je l'ai interrogé sur la façon dont les généralistes envisageaient la crise de la grippe aviaire. Il m'a répondu que ses confrères avaient bien eu des informations, mais qu'ils se posaient encore beaucoup de questions sur la gestion de la crise, en période de pandémie. Par exemple, comment soigner tous les malades alors que nombre de médecins seront eux-mêmes malades ? Les médecins vont-ils continuer à s'occuper de leur clientèle ou seront-ils affectés à des territoires ? Nous n'avons pas de réponse.

Le centre hospitalier avait proposé de travailler par quartier, supposant que probablement, un médecin sur deux sera malade et ne pourra pas travailler.

Un autre problème tient à féminisation du monde médical - sans parler des infirmières ! Les femmes médecins devront s'occuper de leurs enfants puisque les crèches seront fermées. Comment faire ?

En termes d'organisation, les médecins ne sont pas encore très mobilisés. Nous allons revoir la question avec l'hôpital, à moins que le Gouvernement n'impose un modèle. Je pense qu'il faudra être très directif en cas de pandémie.

M. le Président : Vos propos confirment totalement notre vision. En cas de pandémie, les personnes devront rester chez elles. Avez-vous été sensibilisés par la préfecture aux divers problèmes qui pourraient se poser, ou y avez-vous réfléchi par vous-même ? Avez-vous rencontré des gérants de supermarché, par exemple ?

M. Francis TRINCARETTO : Non, nous ne les avons pas rencontrés, mais il aurait été intéressant de le faire, ne serait-ce que dans le cadre du risque canicule.

M. le Président : Selon les plans de préparation, il serait demandé à la population de constituer des réserves. Le préfet a-t-il abordé cette question avec vous ?

M. Francis TRINCARETTO : Non, et nous n'avons pas davantage de réponse sur la manière dont nous allons gérer le social et l'économique.

M. le Président : Y a-t-il eu une réflexion sur l'organisation des pompes funèbres ?

M. Francis TRINCARETTO : Selon les statistiques, une pandémie causerait, au plan national, la mort de 250 000 à 300 000 personnes, soit, pour Maubeuge, entre 130 et 150 morts. Selon une première évaluation, il semble qu'il y ait assez de sociétés de pompes funèbres pour gérer la situation. Cela étant, elles ne s'occupent que d'une partie de la chaîne. Restent les problèmes liés aux capacités des cimetières etc. Nous ne nous sommes pas encore occupés de cette question, qui figure en dernier dans les directives préfectorales.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : J'aurai une dernière question : avez-vous noué des contacts, au sein du département, avec les autres communes ou les autres maires ? Le préfet a-t-il réuni tous les maires du département ?

M. Francis TRINCARETTO : La seule réunion à laquelle je me suis rendu était organisée à la sous-préfecture, et rassemblait une soixantaine de maires ou de leurs représentants. Le directeur des services vétérinaires du Nord-Pas-de-Calais ainsi que des représentants de la DRASS étaient présents.

Au travers des questions posées, j'ai eu le sentiment que les élus n'étaient pas encore prêts. À Maubeuge, outre le fait que je sois médecin, nous avons aussi la chance de travailler avec des personnes vraiment compétentes et de disposer d'un service de santé publique. C'est vrai que nous sommes dans une région agricole, ce qui explique que la filière avicole soit davantage au cœur des préoccupations que la pandémie. Peut-être aussi la pandémie apparaît-elle comme un risque encore trop lointain pour s'avérer véritablement inquiétant. Cependant, je pense qu'il est grand temps de sensibiliser les petites villes ! Il reste que les communes se trouvent confrontées à deux problèmes : d'une part, elles n'ont pas de compétences particulières en matière de santé publique, d'autre part, et surtout, la mise en place de dispositifs de gestion des risques a des incidences financières non négligeables qu'il faut intégrer.

Au sein de la communauté d'agglomérations, certaines villes coopèrent car elles ont bien compris l'intérêt d'harmoniser nos pratiques.

M. le Président : Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et de nous avoir livré votre témoignage. A l'évidence, vous êtes bien avancés par rapport à d'autres collectivités sur la préparation de votre ville au risque de pandémie. Vous avez su prendre d'heureuses initiatives, ce qui est encourageant. Votre expérience témoigne aussi de la richesse du lien qui peut se nouer entre la municipalité et l'hôpital. Votre témoignage est très intéressant, même si, malheureusement, je ne pense pas qu'il reflète la situation réelle du pays.

Audition de MM. Pierre GUINOT-DELÉRY, secrétaire général de la Ville de Paris, et Thierry LE LAY, directeur de la protection et de la prévention à la Ville de Paris

(Compte rendu de la réunion du mercredi 10 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Le Président Jean-Marie Le Guen m'a demandé de l'excuser auprès de vous et d'assurer la présidence de cette réunion.

Après avoir consacré ses premiers travaux aux moyens médicaux disponibles en cas de pandémie, puis s'être intéressée à l'épizootie de grippe aviaire, la mission procède actuellement à l'évaluation du « plan Pandémie » du Gouvernement. Dans ce cadre, nous souhaiitons savoir comment les collectivités locales se préparaient au risque pandémique. Après avoir reçu des représentants d'une ville moyenne, nous voulions savoir où en était la ville de Paris, surtout depuis qu'elle est dotée d'un « plan Pandémie » municipal.

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : A la demande du maire, nous avons créé, début 2002, une structure de gestion de crise. C'est dans le cadre de cette organisation centralisée, qui n'existait pas en tant que telle auparavant, que nous nous préparons à l'éventuelle pandémie de grippe aviaire, la direction de la protection et de la prévention que dirige M. Thierry Le Lay étant le pilote clairement identifié du dispositif. D'autre part, nous avons engagé un important cycle de formation à la gestion de crise. En 2005, il a concerné quelque 350 cadres des services de la Ville, à charge pour eux de répercuter ce qu'ils avaient appris dans leurs services respectifs. En 2006, ce cycle de formation bénéficiera à une cinquantaine d'élus, conseillers de Paris ou conseillers d'arrondissement. À notre demande, les formateurs ont inclus dans ces sessions un module spécifiquement consacré à la grippe aviaire.

Bien entendu, nous travaillons en étroite collaboration avec la préfecture de police, et plus particulièrement avec la préfète responsable de la zone de défense - qui couvre dix millions d'habitants. Des réunions hebdomadaires, le mardi, sont organisées à son initiative. Je n'y participe qu'exceptionnellement, mais des membres du secrétariat général ou du cabinet du maire y sont dépêchés. La préfète choisit les interlocuteurs, et les représentants des secteurs considérés peuvent être entendus. Chaque mardi, des sujets très divers sont abordés, comme, par exemple, la continuité des approvisionnements, la permanence du fonctionnement des services médico-sociaux ou encore l'intervention et la protection des professionnels de santé. Ces habitudes de travail ont été prises il y a maintenant un moment et nous les avons appliquées par exemple lors de la canicule de l'été 2003.

Voilà pour le cadre général. S'agissant de la préparation à la pandémie, nous avons mis au point une organisation qui tient compte des deux phases distinguées par les autorités de l'État, celle de dix jours environ pendant lesquels les services seraient maintenus mais sur un mode quelque peu dégradé, et celle qui suivra, d'installation dans la pandémie.

Nous avons déterminé les services municipaux dont le fonctionnement devrait absolument être maintenu au cours de la première phase. Ainsi, il est apparu que, pour ne pas aggraver une situation sanitaire qui sera déjà délicate, il était essentiel d'assurer la permanence du service municipal de collecte des ordures ménagères, qui devra fonctionner, non pas même en mode dégradé, mais normalement.

Dans le domaine social, nous recourrons au fichier CHALEX que nous avons constitué, après la canicule de 2003, avec la bénédiction de la CNIL et à partir des signalements faits volontairement des personnes isolées. En cas de pandémie, nous leur prêterions une attention particulière, en s'assurant qu'elles disposent de l'approvisionnement nécessaire et qu'elles n'ont pas de problèmes de santé. En cas de besoin, les agents des services sociaux polyvalents de la Ville pourraient leur rendre visite à domicile.

Enfin, nous devons nous assurer que, pendant cette période de crise profonde, certaines fonctions logistiques essentielles continueront d'être exercées, qu'il s'agisse de la fourniture des services informatiques, du traitement des payes ou des transports automobiles municipaux destinés à acheminer personnes et matériels.

Une fois ces missions capitales identifiées, chacune des vingt-deux directions de la Ville a déterminé, en consultant le fichier du personnel, ceux de ses agents, parce qu'ils habitent loin de leur lieu d'affectation, auraient du mal à venir travailler si les transports en commun devaient fonctionner en mode dégradé. Elles ont aussi évalué le nombre de fonctionnaires parents d'enfants de moins de 12 ans, qui éprouveront sans doute des difficultés pour les faire garder, les consignes gouvernementales étant qu'écoles et crèches seront fermées en cas de crise. Tous calculs faits, il est apparu que l'on pourrait trouver les 8 500 agents - sur l'effectif de 46 000 personnes qui est celui de la Ville - dont la présence serait nécessaire pour faire fonctionner les services définis comme indispensables, au maximum de leur capacité.

Toutefois, des éléments d'incertitude demeurent. Non seulement on ne sait pas quelle proportion de ces 8 500 fonctionnaires sera atteinte par le virus, mais il peut se produire à Paris le phénomène d'« évaporation » constaté ailleurs en temps de crise. Que l'on se rappelle ce qui s'est passé lorsque le cyclone a frappé la Nouvelle-Orléans : certains n'ont rien eu à faire de plus pressé que de monter dans leur voiture pour aller se mettre à l'abri. Les agents de la Ville de Paris ont beau avoir le sens du service public, on ne peut pas exclure qu'ils aient des réflexes inattendus et pas toujours très glorieux. La réserve communale - avec des personnes qui ne sont pas dans les effectifs de la Ville - pourrait permettre de suppléer pour partie les défaillances éventuelles, et l'on peut aussi solliciter les agents dont la présence n'a pas été jugée indispensable dans un premier temps ; il reste que l'on ne pourra pas demander aux jardiniers de procéder à la collecte des ordures ménagères. Mais l'idée est désormais admise qu'une situation exceptionnelle emporte des obligations exceptionnelles. Je pense donc que, dans le vivier de notre effectif total, nous parviendrons à compenser les défaillances pour assurer la permanence des missions prioritaires. J'en veux pour preuve qu'à l'été 2003, des agents se sont portés volontaires pour aider leurs collègues des services funéraires, acceptant ainsi d'assumer des tâches particulièrement éprouvantes sur les plans psychologique et physique.

Dans le même temps, nous avons commencé d'acheter du matériel de protection pour les agents auxquels nous demanderons de se déplacer au risque d'être contaminés. Déjà, 3,5 millions de masques sont stockés, et nous avons prévu et budgété l'achat de 1,5 million de masques cette année. Nous avons par ailleurs informé les organisations syndicales du dispositif prévu. Le professeur Gilles Brücker, directeur général de l'Institut national de veille sanitaire, est venu exposer au Comité d'hygiène et de sécurité central de la Ville de Paris central l'état des connaissances sur la grippe aviaire. Le dispositif doit maintenant être décliné dans chaque direction, au sein de son comité d'hygiène et de sécurité. J'ai ainsi réuni le comité hygiène et sécurité du secrétariat général pour expliquer comment notre instance serait organisée en cas de pandémie.

Les agents de la Ville seront donc informés par les leurs organisations syndicales mais aussi par notre site intranet, qui comprend une rubrique « grippe aviaire » régulièrement mise à jour. 20 000 de nos 46 000 agents sont reliés à un terminal dans l'exercice de leurs fonctions, et il y a des terminaux en accès libre dans les ateliers. Nous avons par ailleurs renforcé la communication sur support papier.

Vous savez sans doute qu'une expérimentation a eu lieu, il y a quelques semaines, dans le 20e arrondissement. Pendant cinq jours, les éboueurs ont collecté les ordures ménagères en portant la tenue recommandée en cas de pandémie : masque, gants et combinaison. La population et la presse avaient été prévenues, il n'y a eu aucune panique et les riverains se sont félicités que la municipalité se prépare très en amont à une crise éventuelle. Selon moi, en matière de gestion de crise, rien n'est pire que de minorer les risques ou de taire les dispositions que l'on prend. L'expérimentation a mis au jour le besoin d'impliquer les bailleurs sociaux dans le dispositif, puisqu'il leur reviendra d'informer les gardiens d'immeubles des précautions à prendre dans la manipulation de déchets dont certains seraient, en cas de pandémie, potentiellement contaminés. Je les réunirai à cette fin. Nous avons aussi constaté que les masques dont nous avons fait l'acquisition sont sans doute adaptés aux besoins du personnel administratif mais que, pour les agents chargés de tâches physiques, cet équipement n'est manifestement pas confortable. Il est donc probable que nos prochaines acquisitions porteront sur un modèle différent. Les participants à l'exercice nous ont également signalé des difficultés s'agissant des bottes : nous regardons le problème.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Votre stock actuel est-il constitué de masques FPP2 ?

M. Thierry LE LAY : Oui.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Ces masques sont plutôt destinés aux personnels hospitaliers.

M. Thierry LE LAY : Nous envisageons d'acheter des masques avec valve pour les éboueurs.

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : Si nous nous sommes équipés comme nous l'avons fait, c'est que les travailleurs sociaux qui seront appelés à se rendre au domicile de personnes en péril courront un risque de contamination pendant leurs déplacements et lors de leurs visites. Mais nous allons adapter nos prochains achats, en fonction des enseignements tirés de l'exercice.

Je vais à présent rencontrer les maires d'arrondissement et les directeurs des services des mairies d'arrondissement, car non seulement les services de l'état-civil devront rester ouverts, mais les mairies d'arrondissements participeront au dispositif. En effet, dès que l'épidémie aura été officiellement déclarée, la cellule de crise centrale, dont la composition est déjà connue, pourra être réunie en une heure à l'Hôtel de ville, dans une salle prévue à cet effet et équipée des moyens de communication nécessaires. Mais cette cellule de crise devra avoir des relais dans les arrondissements, aussi bien pour faire passer informations et consignes à la population que pour faire remonter les lacunes éventuelles du dispositif à combler d'urgence. Ce relais devrait être assuré, dans chaque mairie d'arrondissement, par un groupe réuni autour du maire et rassemblant quelques élus et quelques collaborateurs ainsi que le personnel de l'état civil. C'est ce que nous expliquerons au cours des réunions qui se tiendront fin mai ou début juin.

S'agissant de l'information de la population parisienne, nous avons créé une rubrique « grippe aviaire » sur le site officiel de la Ville, Paris.fr, et nous avons prévu de faire paraître dans le prochain numéro de notre revue municipale, « A Paris », un encart spécial reprenant les informations fournies par le ministère de la santé.

Nous avons aussi eu à régler, au cours de l'hiver, le ramassage des oiseaux morts. Il en mourrait bien entendu tous les jours, mais ce qui passait inaperçu est devenu un sujet d'inquiétude pour tous... Dans un premier temps, une société privée a été chargée du ramassage, sur signalements au 3975, numéro de téléphone unique voulu par le maire et non surtaxé, à la différence de celui de l'ancien « Paris Info Service ». Ensuite, toutes garanties de protection leur ayant été données, les agents de la direction des parcs, jardins et espaces verts ont accepté d'assurer le ramassage, comme ils le faisaient auparavant. Les choses sont un peu plus compliquées à la direction de la protection de l'environnement - chargée notamment de la collecte des ordures ménagères et du nettoiement de la voie publique - où de plus grandes réticences s'expriment, mais je ne doute pas que les discussions aboutiront et que les agents de cette direction ramasseront, eux aussi, les oiseaux morts.

M. François GUILLAUME : En dehors de la question de la collecte des ordures ménagères, quelles sont les mesures prévues pour les autres secteurs de la vie quotidienne à Paris ? Qu'en sera-t-il des transports ? Les salles de spectacle et les restaurants seront-ils fermés ? Les manifestations sportives et culturelles seront-elles annulées ? Quels contacts existent entre la Ville et les hôpitaux ? Comment l'afflux vers les établissements hospitaliers sera-t-il organisé et comment gèrera-t-on le maintien à domicile des malades ? Chacun sait-il ce qu'il doit faire pour que, le jour venu, les décisions nécessaires soient prises et appliquées dans les délais les plus brefs ?

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : Il faut savoir que la Ville de Paris n'est pas encore une collectivité locale de plein exercice comme les autres : certaines décisions ne relèvent pas du maire mais du préfet de police. Nous travaillons naturellement en liaison étroite avec la préfecture de police et, si une crise devait se déclencher, un représentant du préfet de police siègera dans notre cellule de crise centrale et l'un de nos représentants siègera à la cellule de crise de la préfecture de police.

M. François GUILLAUME : On se rend compte, au fil des auditions, que tout le monde attend tout de l'État : décisions, idées, moyens... Pourtant, chaque collectivité devrait mettre en place un dispositif propre et, pour cela, y réfléchir dès maintenant avec tous les opérateurs afin que rien ne soit négligé, qu'il s'agisse d'organisation, d'approvisionnement, de transferts vers les hôpitaux, de maintien à domicile ou de répartition des médecins sur le territoire. En fait, il faut en venir à un type d'organisation presque militaire.

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : J'ai passé onze années dans le corps préfectoral et j'ai notamment été préfet délégué à la sécurité à Lyon. Mon expérience des situations de crise me fait dire qu'il y a effectivement des analogies avec l'organisation militaire, mais qu'il est surtout primordial qu'une autorité et une seule soit responsable du déclenchement des initiatives et de leur application. Or, s'agissant des transports, par exemple, la RATP n'est pas sous l'autorité de la Ville : elle dépend du STIF, le syndicat des transports d'Ile-de-France, présidé par le président du conseil régional, et le maire n'a aucun moyen de dire à la présidente de la RATP qu'il veut qu'un autobus passe à tel endroit ou à tel autre.

L'organisation à mettre en place au moment du déclenchement de l'épidémie résulte d'un dispositif qui s'élabore sous l'autorité du préfet de police et de sa collaboratrice directe, la préfète responsable de la zone de défense. La Ville est allée un peu au-delà de ce qui serait strictement nécessaire sur le plan juridique. Nous avons ainsi prévu de pouvoir, le cas échéant, acheminer nos fonctionnaires par nos propres moyens sur leur lieu de travail, et aussi de les héberger dans des gymnases et des écoles pour limiter les allées et venues et, avec elles, les risques de contamination. La logistique est donc déjà prévue mais nous continuons à en discuter chaque semaine avec la préfecture de police.

S'agissant des hôpitaux, le maire de Paris est certes, es qualité, président du conseil d'administration de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, l'AP-HP. Mais si vous le croisez, demandez donc à M. Delanoë dans quelles conditions il a été prévenu du dernier changement de directeur général de cette institution... Et lorsque la Ville a versé une subvention supplémentaire aux services d'urgences de l'AP-HP, sa répartition a été faite par le ministère de la santé bien davantage que par la municipalité...

C'est la préfecture de police et non la Ville qui mène les discussions avec la grande distribution pour voir comment assurer la permanence de l'approvisionnement.

En résumé, nous ne sommes pas démunis, mais nous sommes insérés dans un environnement administratif et juridique particulier. Nous assumons toutes nos responsabilités, en allant même, parfois, au-delà. Par exemple, personne ne nous avait spécialement demandé d'informer la population. Pourtant, vous avez sans doute remarqué les affichettes quelque peu provocatrices - « Si vous aimez les oiseaux, ne les nourrissez pas » - que nous venons d'apposer à l'entrée des parcs et jardins de Paris, par lesquelles nous rappelons une interdiction ancienne, et bien oubliée, de nourrir les pigeons.

Nous sommes prêts à nous mettre à la disposition de l'État, mais les initiatives doivent provenir de la préfecture de police, qu'il s'agisse de définir quand le plan doit être déclenché, quelles sont les priorités ou quels sont les besoins à satisfaire en complément des moyens que l'État peut mobiliser. La Ville a une organisation municipale crédible, qui tient compte des singularités parisiennes, mais les textes veulent que la coordination des secours relève de l'autorité préfectorale. Certes, aucune tête ne doit dépasser, mais le premier du rang est le préfet de police, derrière lequel chacun fait ce qu'il a à faire.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : S'il y a pandémie, les hôpitaux ne pourront pas accueillir toutes les personnes touchées par le virus, et l'on demandera donc à de nombreuses personnes malades de rester chez elles. Si, comme certaines projections le laissent penser, 20 % de la population parisienne est contaminée, comment prendra-t-on en charge 400 000 malades, pour la plupart restés à domicile ?

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : Nous avons largement prévu cette organisation, qui sera du ressort des services sociaux polyvalents. Les signalements par le 3975 et l'utilisation des fichiers déjà constitués permettront aux travailleurs sociaux, qui figurent au nombre des 8 500 agents dont nous avons estimé la présence indispensable, en cas de pandémie, de rendre visite et de porter secours à ceux qui en ont besoin. Par le biais des centres d'action sociale et par le fichier des allocataires, nous avons déjà une assez bonne connaissance des personnes qui pourraient se retrouver en difficulté et nous les contacterons, au moins par téléphone. Si elles ne répondent pas ou si elles disent avoir besoin d'un appui, nous irons chez elles et, le cas échéant, le relais sera passé aux équipes médicales, car les travailleurs sociaux ne sont pas des soignants. Enfin, les centres de santé pourraient être des lieux de vaccination. Le maillage existe donc déjà et, même si une part d'inconnu demeure, l'articulation entre préfecture de police, services sociaux et professionnels de santé devrait permettre la prise en charge des plus vulnérables.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Plutôt que de maintenir ouverts au public les services de l'état-civil, ne pourrait-on imaginer des déclarations par voie électronique ?

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : Indépendamment de l'hypothèse d'une pandémie de grippe aviaire, nous avons entrepris de numériser l'état-civil, si bien que, dans certains arrondissements, on peut désormais télécharger des documents, au lieu de se déplacer. Mais dans les cas que vous évoquez, il me semble juridiquement improbable que l'on puisse accepter une déclaration de naissance ou de décès sur la foi d'un appel téléphonique ou d'un message électronique.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Francis DELON, Secrétaire général de la défense nationale, et de M. Didier HOUSSIN, Directeur général de la santé, Délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire

(Compte rendu de la réunion du
mardi 30 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : L'objet premier de cette audition des deux plus hauts responsables de la préparation du plan « pandémie » est de faire le bilan de l'exercice national « pandémie grippale » qui s'est déroulé les 24 et 25 avril derniers, exercice auquel, disons-le franchement, notre mission d'information aurait apprécié d'être plus directement associée : le contrôle parlementaire devrait pouvoir s'exercer également à ce niveau.

M. Francis DELON : Ce deuxième exercice majeur - le premier avait eu lieu en juin 2005 - s'est déroulé sur deux demi-journées. Il s'agissait d'un exercice dit d'état-major visant à tester le processus de décision au niveau gouvernemental dans une phase critique de la pandémie, c'est-à-dire en situation 5 et 6. Le but était également de vérifier comment la transition pouvait s'opérer entre la gestion de la crise en phase 5 et celle de la phase 6, puisqu'il est admis que le Premier ministre en confie, en principe, au ministre de la santé, en phase 5 et plutôt au ministre de l'intérieur en phase 6, c'est-à-dire en situation de pandémie avérée ; nous voulions voir comment se passait le témoin entre les deux ministres. Élément nouveau par rapport aux précédents exercices : des organisations internationales avaient été conviées à participer et plusieurs pays ont envoyé des représentants à Paris pour suivre en temps réel les événements « injectés » dans le cadre du scénario.

Le cadre général était celui de l'arrivée de la pandémie en France, avec l'apparition de cas humains groupés à l'étranger, puis en France, évoluant ensuite en situation 6. À noter que pour la première fois, l'exercice ne s'est pas déroulé au SGDN, mais sur place, dans les ministères : la première demi-journée s'est jouée au ministère de la santé, la seconde au ministère de l'intérieur. Le but était d'entraîner les autorités gouvernementales et les services de l'État appelés à intervenir dans la gestion de la crise, mais également de tester les aspects de communication publique et d'évaluer les mesures du plan gouvernemental, déjà révisé par rapport à la première mouture, et de chercher naturellement à l'améliorer.

Les « joueurs » : le ministre de la santé lui-même, pendant toute la durée de l'exercice, y compris durant la phase qui s'est déroulée au ministère de l'intérieur, les cabinets ministériels et les hauts fonctionnaires responsables des questions liées à la pandémie grippale. Étaient également invités des représentants de la société civile à travers deux panels « opinion publique » installés au ministère de l'intérieur et à celui de la santé, et quatre groupes professionnels - gestionnaires territoriaux de crise, professions de santé, entreprises et services à la population, monde agricole et filière agroalimentaire - appelés à réagir en temps réel aux décisions prises, afin d'en mesurer l'impact et d'éclairer les décideurs. Du côté des partenaires étrangers, ont participé l'OMS, la direction générale de la santé et de la protection des consommateurs de la Commission européenne, l'Organisation mondiale de la santé animale, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, et des observateurs des États-Unis, de l'Allemagne, de l'Australie, du Luxembourg et du Maroc.

Parmi les enseignements à tirer de cet exercice, il faut d'abord souligner le niveau élevé de participation et d'implication des ministères : ce n'est pas toujours le cas, même lors d'exercices dits majeurs. Si les médias semblent désormais se désintéresser de la menace de pandémie grippale, cet état d'esprit ne se retrouve pas chez les responsables, pleinement conscients de la gravité du risque et de la nécessité d'un traitement attentif.

Il est également apparu que le plan gouvernemental était bien connu des participants dans tous les ministères et que ses grandes lignes comme les mesures proposées étaient pertinentes. Des améliorations peuvent bien sûr être apportées, mais grosso modo, le plan fonctionne. Quelques développements s'imposent, notamment sur les mesures à appliquer dans la situation charnière 5B, entre la phase 5 et la phase 6 ; les aspects européens et internationaux n'ont, à l'évidence, pas encore été assez approfondis ; il conviendra également de travailler sur les plans de continuité des opérateurs d'importance vitale - administrations, collectivités territoriales, entreprises - afin d'éviter toute interruption des services essentiels.

Bon nombre de joueurs pensaient que toutes les mesures prévues dans le plan devaient être appliquées, alors que celui-ci doit être considéré comme une boîte à outils où les mesures doivent être sélectionnées en fonction des paramètres du moment. Cette dimension de choix des mesures ne semble pas avoir été totalement prise en compte.

Dans le domaine de la communication, un progrès considérable a été accompli depuis l'exercice de juin 2005, qui témoigne d'une réelle volonté de transparence. Chacun est bien conscient du fait que, pour être efficace, la parole publique doit être crédible et crue. Cette nécessité est désormais parfaitement intégrée.

M. Didier HOUSSIN : Un exercice de ce genre, pour tous ceux qui sont engagés dans sa pratique, apparaît tout à la fois comme une rupture, presque un moment de détente, mais aussi comme un aiguillon face à une situation certes simulée mais - l'actualité en Indonésie le montre - qui semble proche de la réalité. C'est donc un événement particulièrement utile et mobilisateur.

Son premier mérite est de nous faire sortir de la dimension un peu théorique du plan gouvernemental en le confrontant à des questions pratiques. Les panels ont, à cet égard, été d'une grande utilité en permettant d'avoir à chaque instant le « retour », les réactions des collectivités comme du grand public à certaines situations ou décisions.

Il aura également montré à quel point certaines décisions sont difficiles, à plus forte raison lorsqu'elles doivent être prises dans un cadre temporel très contraint. C'est particulièrement le cas des décisions pour lesquelles le regard national est trop limité, celles qui touchent aux frontières, à la concertation européenne et à la transmission des instructions au niveau international, ou encore aux Français à l'étranger. Autre catégorie de questions difficiles, celles qui, au contraire, concernent des échelons très fins de la société : ainsi en est-il de ce qui se passe au sein des entreprises, ou encore des prisons, en situation de pandémie.

Du côté du ministère de la santé, l'exercice aura été l'occasion d'un véritable bond en avant dans sa capacité à gérer une crise de cette nature. Des progrès restent évidemment à faire, notamment dans les procédures de fonctionnement de la cellule interministérielle de crise, mais pour la première fois, il a été possible de travailler dans des locaux de gestion de crise dignes de ce nom et de voir le ministre de la santé engagé personnellement et durant de longues heures dans une action de coordination interministérielle.

Le scénario nous a confrontés à des points appelant à être affinés : la préparation à la pandémie grippale dans les TOM - Polynésie et Nouvelle-Calédonie en particulier - le problème des prisons, déjà mentionné, l'accès du public au numéraire et aux minima sociaux, notamment, appelleront un traitement spécifique. L'exercice aura été à cet égard l'occasion de se pencher sur une série de sujets susceptibles de devenir cruciaux en situation de pandémie.

Il aura également permis de réfléchir au rôle de la délégation interministérielle en situation de crise. Durant les derniers mois celle ci a eu un rôle de « pré-mâchage » de certaines décisions ou orientations techniques, et un rôle de mobilisation et de suivi. Au moment de l'exercice, elle a eu un rôle d'appui au ministre de la santé puis au ministre de l'intérieur en charge de l'action interministérielle, particulièrement au moment du passage de témoin, où la Délégation a été un élément de continuité.

Pour ce qui est des améliorations à apporter au plan, sans doute faudra-t-il s'inspirer aussi de celles qui viennent d'être apportées au plan américain en précisant clairement les tâches dévolues à certains ministères. Si l'actuel plan précise les catégories d'actions, celles-ci ne sont pas clairement affectées à un ministère précis. Nous aurons à travailler sur cette affectation, afin que chaque département ministériel sache exactement quelle est sa responsabilité dans une action donnée.

Nous aurons également à nous pencher sur les délais de préparation de certaines actions. L'exercice a montré à quel point l'équilibre était difficile à trouver entre la nécessité d'attendre l'instruction officielle, au risque de retarder la mise en œuvre de la décision, et celle d'anticiper, au risque de provoquer un emballement du processus. C'est la raison pour laquelle le délai de préparation de chaque tâche devra être précisément connu : par exemple, si l'on parle de pré-positionner les antiviraux à tel endroit, encore faut-il savoir exactement quel délai prendra l'opération de pré-positionnement, afin d'avoir une idée de la nécessaire anticipation.

Au total, je retire de cet exercice une double leçon : premièrement, le regard national sur certains secteurs est, à l'évidence, beaucoup trop limité et nous devons être très attentifs à la dimension internationale ou mondiale, qu'il s'agisse des communications, des grandes entreprises, des frontières, des vols internationaux ou encore de la transmission des instructions de l'OMS. Deuxièmement, le regard national reste, par ailleurs, quelque peu grossier et nous devrons voir s'affiner et se généraliser la préparation, notamment, des collectivités territoriales, des établissements de santé, des entreprises et s'organiser également des exercices à tous ces niveaux.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il était utile que vous veniez nous faire part des résultats du dernier exercice car bon nombre de questions se posent encore, dont certaines assez critiques.

Notre première interrogation, au sein de la mission, portait sur la gestion globale de la crise, apparemment quelque peu difficile dans la mesure où plusieurs ministères sont concernés. Comment la rendre véritablement opérationnelle ? Certains n'ont pas hésité à parler d'un défaut de l'État dans la gestion de la crise.

Il conviendrait également de répondre au plus vite aux inquiétudes des personnels médicaux, dans les hôpitaux comme dans la médecine ambulatoire, que nous ont rapportées tant les syndicats que les cadres hospitaliers, que nous avons rencontrés. Les personnels de La Pitié-Salpêtrière m'ont fait part de leurs craintes à propos des locaux, à leur avis trop exigus, du nombre de respirateurs et des matériels dont disposeraient les services de réanimation ou de pédiatrie au cas où surviendrait la pandémie. Les agents se demandent également si une assurance est prévue face aux risques encourus, y compris pour leurs propres familles.

La question m'a également été posée, voilà seulement quelques jours, des modalités de distribution des médicaments, Tamiflu, masques et autres. Passera-t-elle par les hôpitaux ou par le réseau des distributeurs et des pharmacies ?

Enfin, si la vie sociale doit continuer, les interrogations demeurent quant au fonctionnement des écoles, des transports, du commerce et de la distribution. Y a-t-on répondu ?

M. le Président : Toutes ces questions ont effectivement été posées au cours de nos auditions ; mais il serait bon, dans un premier temps, d'en rester à celles qui ont trait à l'exercice proprement dit.

M. Gérard BAPT : J'aimerais connaître les réactions des panels représentant les groupes socioprofessionnels aux décisions prises par l'autorité centrale.

M. Didier HOUSSIN : La fluidité de la transmission des informations entre les différentes structures de la cellule interministérielle de crise et les panels a montré ses limites, à tel point que ces derniers ont parfois été amenés à réagir sans avoir nécessairement d'informations précises sur la décision prise ou sur l'évolution de la situation au niveau de la cellule de crise. Les retours portaient davantage sur la manière dont fonctionnait le dispositif d'exercice que sur des questions de fond. Les positions prises, malgré tout, par les panels, ont été instructives. Je me suis remémoré les réactions du panel « grand public », lors de l'exercice pandémie 05, à propos des Français à l'étranger : dans un premier temps, il tenait à faire revenir au plus vite ces Français au pays, jusqu'à ce que la question se pose du risque de contagion... Ce qui montre à quel point les réactions peuvent aussi rapidement évoluer !

Quant aux réactions du panel « gestionnaires territoriaux », particulièrement le deuxième jour, elles mettaient, pour l'essentiel, l'accent sur des aspects pratiques - accès aux minima sociaux, poursuite ou non de l'activité de l'entreprise, chômage partiel ou non, etc. -, autrement dit sur la façon dont la société continuera à fonctionner.

M. Francis DELON : Lors du premier exercice de juin 2005, c'était l'incrédulité qui dominait dans les réactions de l'opinion publique : elle n'était pas du tout préparée à entendre et à voir le scénario que nous lui soumettions. L'idée d'avoir affaire à une telle pandémie leur paraissait totalement incroyable ; l'exercice leur paraissait n'avoir aucune relation avec la réalité. Un an plus tard, alors que le scénario est tout aussi catastrophique, les réactions sont totalement différentes. Les médias ont fait leur travail : l'idée qu'une telle catastrophe peut arriver est désormais ancrée.

Mme Catherine GÉNISSON : Qui est le chef de la cellule interministérielle de crise ? Il s'est toujours agi pour l'instant d'exercices-cadres. Quand passerons-nous aux exercices opérationnels ? S'agissant, enfin, des respirateurs, au-delà de la question de la quantité se pose celle de la qualité des matériels.

M. le Président : J'avoue ne pas avoir encore compris ce qui justifie le passage du relais au ministère de l'intérieur au moment de la phase 6, hormis la persistance d'habitudes hiérarchiques au sein du Gouvernement - quel qu'il soit. Je pourrais, à la limite, comprendre que le relais soit pris par Matignon, mais pourquoi la place Beauvau ?

À ce propos, vous avez indiqué que le ministre de la santé avait participé en personne à l'exercice. Mais qui avait la responsabilité de l'exercice au ministère de l'intérieur ?

M. Francis DELON : Votre question rejoint l'interrogation du rapporteur sur la gestion de crise. Une situation de pandémie ne peut être l'apanage d'aucun ministère en tant que tel : une crise aussi importante met fatalement en cause nombre de responsables et de structures. On ne peut affirmer que tel ou tel ministre en serait « naturellement » le responsable ; au demeurant, le plan ne dit pas que la responsabilité de la crise en phase 6 revient au ministre de l'intérieur. Si j'ai indiqué tout à l'heure qu'il était admis comme naturel que le Premier ministre la lui confie, celui-ci peut parfaitement en décider autrement, tout comme il peut ne pas confier la gestion de la phase 5 au ministre de la santé. Autrement dit, la décision appartient au seul Premier ministre dans la mesure où une crise de ce genre ne se limite pas à un problème de santé et pas davantage à un problème de maintien de l'ordre : elle touche également l'activité économique, les transports, l'éducation nationale, la vie de tous les Français.

M. le Président : Si le choix du responsable politique appartient au Premier ministre, le plan prévoit tout de même un transfert qui n'est pas sans conséquences sur le plan géographique et, par le fait, sur le plan humain. Selon que l'on sera place Beauvau ou ailleurs, l'environnement humain comme les experts à qui l'on aura affaire ne seront pas nécessairement les mêmes et l'on n'y traitera pas les problèmes de santé publique de la même façon. Ce qui pose la question, et elle n'est pas neutre, des lieux et des équipes mobilisables dans les différentes phases. J'entends bien qu'une crise de ce genre ne se limite pas à l'aspect santé publique ; il reste que donner la priorité à autre chose qu'à la culture « santé publique » n'est pas, à mon avis, sans poser problème.

M. Pierre HELLIER : Je ne partage pas cette analyse. Les maires et les préfets, en première ligne sur le terrain, sont des relais naturels du ministère de l'intérieur. Il faut naturellement une cellule « santé », mais tous les ministères sont concernés face à une pandémie.

M. Delon a laissé entendre que la population avait désormais pris conscience du risque pandémique... Je n'en ai pas du tout l'impression sur le terrain !

M. le Président : Ce n'est pas contradictoire : cela signifie simplement que, mis en situation, les gens ne sont plus étonnés comme ils l'étaient voilà un an. Sur le terrain, on ne peut qu'être d'accord avec M. Hellier ; mais une fois mis en situation, les gens réagissent et se remémorent ce qu'ils ont entendu sur le sujet.

M. Didier HOUSSIN : rappelle que le transfert géographique du portage de la cellule interministèrielle n'entraîne aucune modification au niveau des personnes présentes dans la cellule interministérielle.

Le pilotage au ministère de l'intérieur était assuré par un membre du cabinet du ministre, qui était l'animateur de la cellule. N'oublions pas enfin que, parallèlement à cet exercice d'état-major, des exercices de terrain ont été organisés - l'exercice « épizootie » à Kergloff, en Bretagne, l'exercice « arrivée d'une suspicion de cas » à Lyon, un exercice hospitalier dans un établissement d'Île-de-France -, qu'il faudra continuer à marier avec les exercices d'état-major. Il faut souhaiter que de plus en plus d'exercices à des niveaux fins soient organisées au sein d'entreprises, de collectivités locales, d'établissements de santé et dans la prise en charge de malades à domicile.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La DILGA vous paraît-elle suffisamment étoffée ?

M. Didier HOUSSIN : L'exercice a montré que le DILGA et son équipe pouvaient venir utilement en appui au ministre responsable et faire profiter de leur expérience interministérielle, à tel point que l'on pourrait utilement officialiser sa participation à la gestion de crise. L'effectif de la DILGA aurait effectivement besoin d'être un peu renforcé, notamment dans les domaines de l'appui logistique et de l'appui à la DHOS pour tout ce qui touche à l'animation du secteur des établissements et professionnels de santé ainsi, que sur les questions de documentation et de communication. Le ministre de la santé est au courant de cette demande.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Que pensez-vous du système COBRA, qui semblerait donner satisfaction en Grande-Bretagne ?

M. Francis DELON : La Grande-Bretagne s'est effectivement dotée d'un lieu unique de décision située dans les locaux du Cabinet Office à Downing Street, sous la forme d'une salle de situation équipée en permanence et qui permet au Premier ministre de réunir tous les responsables concernés, lorsque la situation l'exige. Nous n'avons pas un tel système à Matignon : outre le fait que la géographie des lieux ne s'y prête pas aisément, d'autres considérations entrent en ligne de compte. Nous n'avons pas fait le choix d'un lieu de gestion unique de la crise ; plusieurs lieux sont possibles, dont le ministère de l'intérieur - ce qui explique que le ministre de l'intérieur soit considéré comme un gestionnaire « naturel » dans la mesure où il dispose d'équipements permanents pour ce faire ; le ministère de la défense a une salle de situation de ce genre, évidemment. La question est posée de savoir si le ministère de la santé ne devrait pas en être doté.

M. Didier HOUSSIN : Je réponds aux autres remarques de votre Rapporteur. La France a la chance de disposer d'une organisation d'État structurée au niveau territorial autour des préfets, ce qui lui donne une capacité interministérielle et de lien entre le niveau national et le niveau territorial qui fait parfois défaut dans d'autres pays où la transmission du niveau fédéral au niveau de l'état, par exemple, est plus délicate.

L'inquiétude des professionnels de santé, tant libéraux qu'hospitaliers, est tout à la fois réelle et compréhensible dans la mesure où ils seront les premiers exposés. Elle se manifeste sous plusieurs modes : les professionnels ont commencé par se déclarer insuffisamment informés. Le ministre de la santé a répondu à cette préoccupation en lançant une campagne de formation des libéraux et des hospitaliers, en plein développement, et qui se poursuivra tout au long de l'année 2006 et une campagne nationale d'information à destination, certes, du grand public, mais également des professionnels de santé.

Leur deuxième inquiétude porte sur la manière dont les choses vont s'organiser au niveau le plus fin - le rôle des CODAMUPS, par exemple, dans l'organisation de la permanence des soins en situation pandémique, l'articulation ville-hôpital, la mise en place de structures intermédiaires de prise en charge. C'est vrai qu'il reste des choses à préciser à ce niveau. Il sera évidemment souhaitable d'y associer les professionnels de santé afin qu'ils apportent leur contribution, d'autant que cette organisation sera largement fonction du contexte.

Quant à la question de leur sécurité, leur troisième crainte, elle doit être envisagée sous deux aspects. Pour ce qui est de leur sécurité physique, le maximum est fait. L'État a acquis d'importantes quantités de médicaments antiviraux, qui seront à leur disposition pour usage sitôt qu'ils auront le sentiment d'avoir été exposés ; des stocks importants de masques FFP 2 à haute capacité de filtration ont été constitués dans les établissements de santé et sont en cours de constitution au niveau zonal afin d'être distribués aux professionnels de santé. Des moyens complémentaires de protection leur seront également attribués ; un kit de première protection est en cours de constitution.

Au-delà de la capacité physique à se protéger du virus pandémique se posent des questions de sécurité plus générales concernant les professionnels et leurs familles, et sous plusieurs angles : assurance, maladie, assurance décès, perte de rémunération en cas d'arrêt de travail, protection de l'entourage. Une réunion de travail s'est tenue ce matin même avec des responsables des assurances pour connaître le degré de mobilisation de ces organismes. Certains ont, d'ores et déjà, enclenché des processus de réassurance afin de pouvoir faire face à des dépenses plus importantes en cas de pandémie, mais un travail reste à faire pour informer les professionnels de santé que leurs assureurs sont précisément en train de se préparer à cette éventualité.

La logistique prévue pour la distribution des masques chirurgicaux et des antiviraux va des stocks de l'État aux stocks dépositaires puis aux grossistes répartiteurs, enfin aux pharmacies d'officine ou aux PUI des établissements de santé. Des conventions sont en cours de négociation entre les différents opérateurs. Un dispositif de secours est en préparation pour le cas où il ne serait pas possible de passer par les pharmacies d'officine en raison d'agressions de pharmaciens, par exemple.

L'objectif que la vie continue au mieux en situation de pandémie mène à un nombre considérable de questions. Il est alors important de définir précisément les éléments de certitudes sur lesquels s'appuyer. En situation de pandémie, les établissements d'enseignement seront fermés, ce qui bouleversera, à n'en pas douter, la vie quotidienne des parents contraints de garder leurs enfants à la maison. En revanche, tout sera fait pour que les transports, y compris les transports en commun dans les grandes agglomérations, continuent à fonctionner ; le port du masque y sera sans doute obligatoire et les horaires seront aménagés compte tenu du degré d'absentéisme des agents des transports. Pour ce qui est de l'approvisionnement alimentaire, des contacts ont été pris avec les responsables de la grande distribution : les problèmes ne se posent pas tant au niveau de la production ou du transport des denrées qu'au niveau de la distribution. La préparation à la pandémie est relativement facile dans les grandes entreprises ou collectivités territoriales, beaucoup moins dans les petites : elles devront informer leurs employés, acquérir les masques de protection nécessaires et adopter une organisation garantissant un niveau d'absentéisme le plus bas possible. La question se pose également de la distribution du numéraire, du ramassage des déchets, etc.,

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Ont-elles reçu des informations suffisantes ?

M. Didier HOUSSIN : Le MEDEF a mis en place un site d'information, opérationnel depuis plusieurs mois. Des contacts ont été pris à plusieurs reprises par la Délégation avec les différents secteurs - grande distribution, restauration, assurances, eau et énergie, etc. Des réunions d'information ont été organisées avec les responsables sécurité des entreprises, regroupés dans diverses associations. De son côté, le MINEFI entretient des contacts étroits avec les grands opérateurs. Au total, le travail de préparation est encore cependant inégal : si certaines entreprises sont d'ores et déjà bien préparés - le plan de Sanofi-Aventis, par exemple, est à l'évidence déjà élaboré -, d'autres le sont moins.

M. le Président : Mon sentiment est que notre état de préparation est très inégal, parfois très avancé - la présence de « militants de la cause pandémique » y fait beaucoup, jusque dans certaines petites villes du Nord, en créant une sorte de cercle vertueux -, parfois beaucoup moins, y compris dans certains hôpitaux ou chez certains professionnels de santé. Nous avons eu à cet égard, avec les syndicats, une table ronde assez préoccupante, même si nous savons faire la part des exagérations syndicales... La question est de savoir si cette situation est liée à des retards de communication, à des initiatives non prises ou à des causes de nature plus théorique. Sans doute faut-il prendre en compte la lassitude d'une opinion publique qui ne voulait plus entendre parler de grippe aviaire, mais il doit certainement exister des causes plus profondes auxquelles nous devons réfléchir.

Je ne suis toujours pas convaincu de la nécessité de cette prééminence donnée au ministère de l'intérieur ; je reconnais volontiers le rôle des préfets, mais ceux-ci représentent d'abord l'État et non le ministre de l'intérieur. Vous-même, Monsieur le délégué interministériel, êtes la preuve d'une volonté d'action interministérielle, mais celle-ci ne nous paraît pas aussi palpable sur le terrain. Nous connaissons suffisamment l'administration pour craindre, au plus fort de la crise, une marginalisation du ministère de la santé - dont nul ici n'ignore la faiblesse institutionnelle - d'autres questions d'ordre public prenant alors le dessus. Ce problème se pose dans tous les pays, jusqu'aux États-Unis où l'on a débattu pour savoir si la gestion de la crise devait revenir au Homeland Security ou au ministère de la santé. Qu'on le veuille ou non, les réflexes ne sont pas les mêmes dans les différentes administrations, cela n'est pas sans conséquences sur la gestion du système. Je n'entends pas, pour ma part, écarter cette affaire du passage de la phase 5 à la phase 6 : je reste un militant de la cause interministérielle ; mais quel est rapport de forces politique qui existe à un moment donné dans la cellule de crise ? Il me paraît légitime d'y réfléchir et j'entends qu'une part importante de la gestion relève du ministère de la santé, avec son administration, ses réflexes, sa culture, que les autres ministères n'ont pas. On ne saurait se retrancher derrière des raisons d'ordre administratif pour justifier le passage d'un ministère à un autre. D'accord sur l'interministérialité ; encore faut-il savoir de quelle culture procédera la gestion de crise.

M. Francis DELON : Je me réjouis de vos propos sur la nécessité d'une gestion interministérielle, que l'Union européenne elle-même considère comme l'un des points forts du dispositif de préparation de la France. Dans certains États, cette gestion relève du seul ministère de la santé, mais celui-ci peut éprouver des difficultés à mobiliser les autres ministères. Chez nous, c'est le Premier ministre qui a la main sur les opérations ; il peut les mener seul ou par le biais d'un ministre, à travers les procédures que nous avons évoquées.

Cela dit, le ministère de la santé devra, à l'évidence, être présent à tous les stades. Le choix de confier le poste de délégué interministériel au directeur général de la santé n'a rien d'innocent : il traduit précisément cette préoccupation.

M. Pierre HELLIER : Il n'est évidemment pas question d'écarter le ministère de la santé, mais le moment viendra, fatalement, où il n'y aura pas que des décisions médicales à prendre : ce n'est pas le ministère de la santé qui pourra les prendre.

M. le Président : Il faut mener une réflexion sur la manière dont l'État agit et s'adresse soit à ses fonctionnaires, soit aux citoyens. Nous conservons une vision beaucoup trop hiérarchisée et descendante de la mobilisation de l'État sur ces questions. Dans notre culture française, l'État apparaît toujours en surplomb par rapport à la société, ce qui ne me paraît pas totalement adapté à la situation. Il s'agit là de questions éminemment politiques ; or, depuis le début, nous faisons l'impasse dessus. Elles sont pourtant fondamentales et expliquent pour partie les difficultés rencontrées sur le terrain.

Messieurs, nous vous remercions.

Audition de Mme Nelly OLIN, Ministre de l'écologie et du développement durable

(Compte rendu de la réunion du mardi 30 mai 2006)

Présidence de M. Pierre Hellier

M. Pierre HELLIER, Président : Madame la ministre, nous vous remercions d'être venue devant notre mission, pour faire le point sur différents sujets concernant la grippe aviaire en France, alors que la situation semble aujourd'hui stabilisée et que les mesures de confinement des élevages ont été levées.

Mme Nelly OLIN, ministre de l'écologie et du développement durable : Je tenais d'abord à vous dire que les décisions prises dès août 2005, sous l'autorité du Premier ministre, avaient fait l'objet d'échanges interministériels soutenus, dans la mesure où plusieurs ministères, et principalement ceux de la santé, de l'agriculture et de l'écologie et du développement durable, étaient directement concernés par la grippe aviaire. Au demeurant, le Gouvernement dans son entier a fait preuve d'une parfaite solidarité face à la menace à laquelle nous étions confrontés.

Le caractère très interministériel de la gestion de cette crise ne saurait pour autant masquer une répartition des compétences à nos yeux parfaitement claire. Le ministère de l'écologie et du développement durable est, pour sa part, compétent pour tout ce qui touche à la connaissance des espèces sauvages - en l'occurrence, des voies migratoires des oiseaux - à la surveillance de l'état sanitaire de la faune sauvage, notamment avicole, à la protection des oiseaux sauvages face aux risques de grippe aviaire, et, bien entendu, à la police de la chasse. En revanche, les questions de police sanitaire sont du ressort du ministre de l'agriculture et de la pêche pour ce qui concerne les animaux, et de celui de la santé pour ce qui concerne la protection des personnes.

Je veux insister sur l'importance du dispositif de surveillance qui préexistait à la crise et qui a prouvé son efficacité : c'est lui qui a permis de détecter les cas de la Dombes et de l'étang de Berre.

La surveillance se présente en deux volets. Premièrement, la surveillance passive consiste à observer les mortalités et à effectuer des investigations sur des oiseaux trouvés morts. Un réseau de surveillance, dit SAGIR, a été mis en place à cet effet, coordonné par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'ONCFS, et la Fédération nationale des chasseurs. Il fait appel au concours des chasseurs et de toute personne amenée à être présente dans le milieu naturel. Je veux insister sur la participation civique des chasseurs durant l'automne et l'hiver derniers, à tous égards exemplaire. Les investigations sont menées par les laboratoires vétérinaires départementaux, qui effectuent autopsies et analyses en relation avec les directions départementales des services vétérinaires, et par les laboratoires nationaux de référence pour les analyses de confirmation.

Deuxièmement, la surveillance dite active consiste à effectuer des prélèvements sur des oiseaux vivants capturés, des appelants ou des oiseaux fraîchement abattus par action de chasse. Le plan de surveillance active est coordonné par l'ONCFS. Les prélèvements sont réalisés par les agents de cet établissement. Parallèlement, la politique de baguage et de suivi des oiseaux mise en place par les naturalistes, les chasseurs et l'ONCFS s'est révélée particulièrement précieuse pour connaître les itinéraires de migration. Elle illustre parfaitement l'intérêt de politiques préventives poursuivies dans la durée et qui bénéficient de l'expérience et de la compétence de l'ONCFS.

Des mesures de surveillance ont été également mises en place au niveau international en Afrique, en Asie et dans les pays de l'Est, coordonnées par la FAO et l'OIE, afin de mettre en évidence les foyers de grippe aviaire dans les populations sauvages. Par ailleurs, le Gouvernement a souhaité compléter le plan « pandémie grippale » par une clarification des mesures à prendre dans les zones de protection et de surveillance. J'ai tenu, à cette occasion, à ce qu'une logique d'ensemble apparaisse et que la chasse notamment ne soit pas plus spécialement mise en accusation que les autres activités humaines. Les mesures de restriction de circulation et d'activité dans chaque zone, résumées dans la fiche B3 annexée au plan gouvernemental, ont pour objectif premier d'éviter la dispersion du virus dans la faune sauvage comme son transport par des déplacements non nécessaires des hommes et de leurs animaux. Précisons que si la chasse aux oiseaux est interdite dans ces zones, la chasse aux autres espèces ne l'est pas nécessairement, quand bien même elle peut rester soumise à un encadrement strict pour éviter la dispersion virale. La chasse aux grands ongulés notamment reste possible, ne serait-ce que pour éviter les surdensités de chevreuils et de sangliers dont les conséquences économiques et sanitaires peuvent être très lourdes. Dans chaque cas, une analyse épidémiologique conduite localement permettra aux préfets de prendre les mesures les plus appropriées.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous souhaitions vous entendre, Madame la ministre, avant d'achever nos travaux, pour voir avec vous les réponses qu'il est possible d'apporter aujourd'hui aux interrogations que les chasseurs s'étaient posées devant nous, lors de leur audition au mois de février, et alors que nous sommes en sortie de crise et que la menace semble provisoirement s'éloigner, les migrations étant maintenant terminées.

Ma première question concerne l'interdiction des appelants. Les chasseurs de gibier d'eau ne sont évidemment pas satisfaits, l'un d'entre eux étant même allé jusqu'à nous dire qu'aller à la chasse aux canards sans appelants, c'était comme aller au bal sans sa femme... Il est bien entendu que le principe de précaution doit s'appliquer dans cette affaire, ne serait-ce que pour des raisons virologiques, du fait du risque de contamination des eaux. Mais la concertation est-elle satisfaisante entre le ministère et les chasseurs ? Les migrations sont à présent terminées, mais la chasse rouvrira en septembre, c'est-à-dire juste avant ou au moment des prochaines migrations : qu'en sera-t-il à ce moment-là ?

Mme la ministre : J'ai moi-même reçu des délégations de chasseurs fort mécontents de l'interdiction des appelants. Certains soutenaient que nous avions pris des mesures trop draconiennes ; les mêmes n'auraient pas manqué, s'il s'était produit une crise grave, de reprocher au Gouvernement de ne pas les avoir prises... Explications faites, tout le monde a compris, à défaut d'avoir tout accepté.

Dès janvier dernier, j'ai créé un groupe de travail réunissant les services de mon ministère, mais également ceux de l'agriculture et de la pêche ainsi que la fédération nationale des chasseurs et l'association nationale des chasseurs de gibier d'eau. Ce groupe est parvenu à la rédaction d'un document décrivant précisément les pratiques de chasse aux appelants en France - pratiquement le seul pays réellement concerné par ce mode de chasse - et notamment les relations entre les pratiques de chasse et les risques sanitaires. Le but était de permettre une appropriation de ce sujet délicat par la direction générale de l'alimentation - la DGAL - du ministère de l'agriculture, qui représente notre pays au Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale ; dès début mai, la DGAL a été invitée à prendre des contacts informels avec la Commission sur la base de ce document et des propositions que les deux ministères en avaient tirées. Nos propositions ont, depuis, été officiellement transmises et nous avons souhaité que ce sujet soit mis à l'ordre du jour du prochain comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale. De son côté, l'AFSSA devrait, dans les jours qui viennent, rendre son avis sur ce document et sur nos propositions.

Sans pouvoir encore vous les détailler, je peux d'ores et déjà vous en exposer le principe. Elles distinguent, en premier lieu, des mesures d'identification des détenteurs d'appelants comme des oiseaux, ainsi que des mesures de surveillance sanitaire collective garantissant une réaction rapide et proportionnée sitôt détecté un cas d'infection au H5N1. Sont ensuite proposées des mesures visant à limiter les contacts directs ou indirects entre appelants, milieux naturels et oiseaux sauvages ou d'élevage, en prévoyant une stricte séparation entre appelants et oiseaux domestiques, des mesures de désinfection des véhicules et des matériels, une limitation du déplacement des oiseaux, des dispositifs d'emploi des appelants visant à réduire leurs contacts directs ou indirects avec l'eau. J'espère que la Commission acceptera de revenir sur l'interdiction générale des appelants en zone sensible, qu'elle avait exigée, pour retenir les mêmes règles de subsidiarité qui président aux décisions concernant les élevages. Les États membres pourraient ainsi moduler les mesures applicables aux appelants, depuis l'interdiction totale jusqu'à des dispositions minimales. Le sujet est complexe, mais nous ne pouvons nous permettre de déroger aux règles sanitaires et de précaution établies alors que tout laisse craindre une possible pandémie pour l'avenir. Les systèmes sont régulièrement évalués et peuvent bien évidemment être améliorés et modifiés.

Mme Geneviève GAILLARD : Je suis de ceux qui pensent que, dans un contexte d'épizootie, la chasse aux appelants n'est pas une nécessité absolue et qu'elle appelle, de surcroît, un contrôle très strict dans tous les domaines - domaine financier, utilisation, nombre d'oiseaux, etc.- afin d'être beaucoup mieux réglementée.

Vous avez indiqué, à juste raison, que la surveillance active était assurée par les naturalistes, les chasseurs et l'ONCFS. Je regrette que le petit journal édité par le ministère de l'écologie, et qui consacre un encart au rôle des chasseurs - pas négligeable, il est vrai, dans cette affaire  - oublie totalement les associations de protection de l'environnement et des animaux, qui jouent un rôle tout aussi fondamental. Les naturalistes, qui font partie de ces associations, auraient bien aimé voir leur rôle reconnu : il n'y a pas que les chasseurs...

J'aimerais savoir comment vous travaillez avec les autres ministères. J'ai été particulièrement surprise par la décision du ministre de l'éducation nationale d'interdire les sorties « nature » ; je suis du reste persuadée qu'elle a contribué à amplifier la psychose autour de la grippe aviaire. Comme si les oiseaux allaient vous faire leurs besoins sur la tête, ou les gens se mettre à toucher des aigles ou des vautours et immédiatement  se contaminer! J'ai trouvé cette mesure tout à la fois excessive et préjudiciable à la gestion de la crise. Votre ministère a-t-il son mot à dire lorsque vos collègues prennent de telles initiatives ? Il faut savoir raison garder...

Enfin, je voudrais vous interroger sur l'interdiction des expositions d'oiseaux de volière, qui a lourdement pénalisé les éleveurs producteurs. Envisagez-vous de lever cette interdiction, d'autant plus inutile que ces oiseaux ne sortent jamais de leurs volières ?

M. Michel LEJEUNE : Les chasseurs s'inquiètent pour la prochaine ouverture de la chasse en septembre : que va-t-il se passer pour les gibiers à plumes ? Par ailleurs, quelle est votre position sur les gibiers dits de repeuplement, c'est-à-dire des animaux produits en élevages et relâchés dans la nature ? Peut-on imaginer qu'ils présentent un risque ?

Mme la ministre : La chasse aux appelants, je l'ai dit, sera contrôlée. Si j'ai rendu par écrit hommage aux chasseurs, j'ai également rencontré les membres de la LPO en Vendée, où ils observaient aux côtés de l'ONCFS, l'arrivée des oiseaux migrateurs. J'ai eu le plaisir de saluer leur travail réalisé, du reste, dans le cadre d'un partenariat très efficace. Au final, aucun oiseau infecté n'a été découvert, ce qui est un peu rassurant.

À propos des sorties scolaires, j'ai omis de vous rappeler que tous les oiseaux des zoos avaient été vaccinés au prix d'un travail gigantesque, dont j'ai pu me rendre compte au zoo de la Palmyre ; sa responsable m'avait, elle aussi, interpellée sur la suppression des visites scolaires. Renseignements pris auprès de mon collègue Gilles de Robien, celui-ci a interdit non pas les sorties, mais les contacts directs avec les oiseaux. Il appartient maintenant aux chefs d'établissement de prendre leurs décisions en évitant toute interprétation exagérée.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : On a vu passer des circulaires pour le moins regrettables.

Mme la Ministre : Mais le ministère avait seulement interdit le contact avec les oiseaux, ce que l'on peut comprendre.

Je ne saurais vous répondre sur les oiseaux de volières, madame Gaillard : ils relèvent de la compétence de mon collègue Bussereau.

Mme Geneviève GAILLARD : Y compris les perruches et autres ?

Mme la ministre : Oui. Ma compétence se limite à la faune sauvage.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Et le recensement des oiseaux par les maires ? Cette demande vient-elle de vous ou du ministre de l'agriculture ?

Mme la ministre : Du ministère de l'agriculture. Cela dit, il n'y a eu aucune fausse note entre nous : tout cela a fait l'objet de discussions interministérielles.

S'agissant du gibier de repeuplement destiné à la chasse, l'AFSSA vient de rendre un avis préconisant une protection et un confinement des élevages, suivi d'un vide sanitaire, et le baguage au moment des lâchers.

Pour la chasse à proprement parler, si j'ai publié l'arrêté fixant les dates de chasse - d'abord pour éviter un contentieux avec Bruxelles, ensuite pour laisser au Conseil d'État le temps de juger sur le fond, ce qu'il n'a pas fait l'année dernière -, je suis pour l'instant incapable de vous dire ce que sera l'avenir ; nous nous efforçons d'agir de manière sereine et efficace et c'est seulement au moment où nous aurons toutes les analyses et les examens - peut-être verrons-nous le ciel s'éclaircir - que nous pourrons arrêter nos décisions. Je comprends l'inquiétude des chasseurs, mais nous continuerons à travailler avec les fédérations : l'important est de faire passer les messages et d'expliquer. Certains pensaient que nous exagérions volontairement dans le but d'interdire purement et simplement la chasse aux appelants : nous n'en sommes pas là.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous avons été interrogés sur la régulation des oiseaux sauvages, des cygnes en particulier.

Mme la ministre : Sur les cygnes, nous avons donné une autorisation de tir à titre sanitaire dans la Dombes. Sur les cormorans, j'ai pris l'attache du ministère de l'agriculture afin d'examiner ensemble, avant la prochaine saison de tir, les conditions dans lesquelles le tir de ces oiseaux pourrait être maintenu dans les zones de protection ou de surveillance.

M. Michel LEJEUNE : Et même étendu... Les cormorans ne manquent pas !

Mme Geneviève GAILLARD : Ne soyons pas hypocrites. Disons clairement qu'on les tire également pour limiter leur prolifération : c'est ce que tout le monde demande. Mais ce n'est pas en tirant sur les oiseaux sauvages qu'on limitera l'infestation par le virus de la grippe aviaire...

Mme la ministre : Absolument.

Mme Geneviève GAILLARD : ...d'autant que des canards peuvent être infectés sans que personne ne s'en aperçoive. Je suis totalement opposée à l'idée de tirer sur tout ce qui bouge...

Mme la ministre : Je ne crois pas non plus qu'il faille faire cela...

Mme Geneviève GAILLARD : C'est pourtant ce que l'on fait avec l'autorisation de tir des cygnes.

Mme la ministre : La lutte contre la grippe aviaire ne passe pas par des destructions d'oiseaux sauvages.

Mme Geneviève GAILLARD : Mais c'est bien ce que voulait M. Voisin en demandant l'autorisation de tir des cygnes, qui ne changera absolument rien. Il y aura toujours des cygnes, et ils seront toujours infectés.

Mme la ministre : La Dombes est un cas particulier et c'est uniquement dans un but sanitaire que nous avons donné cette autorisation de tir.

Mme Geneviève GAILLARD : Auquel cas, il faut empêcher les oiseaux de venir ; or, on n'y parviendra pas en tirant dessus, car l'eau sera toujours contaminée et les animaux également. Peut-être même cette zone restera-t-elle infectée de façon endémique pendant un certain temps. En tirant sur les cygnes, on en fait venir d'autres, car la nature a horreur du vide, et qui s'infecteront au contact de l'eau contaminée ; autrement dit, on entretient un cycle ! Il y a d'autres mesures sanitaires à prendre, probablement plus efficaces. M. Voisin voulait que l'on détruise les cygnes. Si vous répondez favorablement à sa demande, ce sera ridicule.

Mme la ministre : À défaut de pouvoir faire des analyses sur des cygnes vivants, il faut bien faire des tirs de prélèvement pour vérifier qu'ils ne sont pas infectés, dans l'espoir de lever les mesures prises dans la Dombes.

Mme Geneviève GAILLARD : Il faut voir comment c'est fait...

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il faut également comprendre la terrible pression dont notre collègue Voisin était l'objet. Il était lui-même très attristé par cette affaire.

Mme Geneviève GAILLARD : Il ne faut surtout pas laisser certains s'engouffrer dans ce qu'ils pourraient croire être une brèche. Tuer un cygne ou deux à fins d'analyse, je veux bien ; mais au-delà d'un certain nombre, cela s'appelle de la destruction. Soyons très vigilants.

Mme la ministre : Je suis moi-même très choquée lorsque j'entends que la panique fait regarder le moindre oiseau de travers et que certains seraient prêts à tuer des espèces protégées et même à abandonner leurs animaux familiers.

M. le Président : Les migrations se sont bien passées et aucun oiseau contaminé n'a été découvert...

Mme la ministre : En effet, et il faut saluer le travail réalisé par tous les intervenants.

M. le Président : ...mais la vigilance reste de mise pour les prochaines migrations. Avez-vous prévu de maintenir le même dispositif, notamment pour la surveillance en amont, en Afrique ?

Mme la ministre : Tout à fait. Rappelons que le partenariat entre la LPO et l'ONCFS en Vendée existe depuis de nombreuses années, même si la grippe aviaire a évidemment conduit à renforcer les moyens de surveillance : on a toujours surveillé les oiseaux migrateurs, mais nous sommes d'autant plus fondés aujourd'hui à maintenir le dispositif.

Rappelons, enfin, que c'est une question de solidarité nationale, compte tenu des enjeux économiques et sociaux de cette affaire. La grippe aviaire était par ailleurs une maladie finalement mal connue ; nous avons un peu avancé depuis. Nos mesures de précaution et de prévention visent essentiellement à préparer l'avenir.

M. le Président : Madame la ministre, nous vous remercions.

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N° 2833 - Tome III - Rapport de M. Jean-Pierre Door fait au nom de la mission d'information sur la grippe aviaire : - Plan pandémie :une stratégie de gestion de crise

1  Premier ministre, Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), réf. n° 1700 /SGDN/PSE/PPS

2 OMS, Département des maladies transmissibles : surveillance et action, Programme mondial de lutte contre la grippe, « Plan mondial OMS de préparation à une pandémie de grippe », réf. WHO/CDS/CSR/GIP/2005.5, 2005

3 Audition du 15 mars 2006.

4 Voir sur ce point : http://www.who.int/csr/disease/influenza/influenzanetwork/en/index.html.

5 Global Outbreak Alert and Response Network (GOARN).

6 Audition du 2 novembre 2005.

7 OMS, Department of Communicable Disease Surveillance and Response, « Influenza Pandemic Plan. The Role of WHO and Guidelines », WHO/CDS/CSR/EDC/99.1.

8 Audition du 24 novembre 2005 : cf compte rendu tome I du rapport

9 Audition du 15 mars 2006

10 OMS, Département des maladies transmissibles : surveillance et action, Programme mondial contre la grippe, « Comment faire face à la menace d'une pandémie de grippe aviaire - Mesures stratégiques recommandées », WHO/CDS/CSR/GIP/2005.8, 2005

11 Audition du 29 mars 2006

12 Audition du 2 novembre 2005

13 Audition du 24 novembre 2005

14 Plan gouvernemental n° 1100/SGDN/PSE/PPS du 11 octobre 2004

15 Audition du 2 mai 2006

16 Audition du 29 novembre 2005

17 Audition du 2 novembre 2005

18 Plan gouvernemental n° 1700 /SGDN/PSE/PPS du 6 janvier 2006

19 Audition du 30 mai 2006

20 Audition du 29 novembre 2005

21 Audition du 29 mars 2006

22 Audition du 30 mai 2005.

23 Audition du 30 mai 2006.

24 Audition du 29 novembre 2005.

25 Citation extraite du chapitre V « Information, formation et communication » du plan gouvernemental.

26 University of Toronto, Joint Centre for Bioethics, Pandemic Influenza Working Group, « Stand on guard for thee » Ethical considerations in preparedness planning for pandemic influenza, 2005.

27 Table ronde du 3 mai 2006.

28 Table ronde du 26 avril 2006.

29 Kit disponible sur le site Internet du ministère de la santé et des solidarités (www.sante.gouv.fr).

30 Audition du 30 mai 2006.

31 Audition du 2 mai 2006.

32 Audition du 2 mai 2006.

33 Hirsch Emmanuel, « Engager l'éthique face à la pandémie grippale », édito, espace éthique de l'AP-HP, www.espace-ethique.org, mars 2006.

34 Audition du 2 novembre 2005.

35 Audition du 23 novembre 2005.

36 OMS, Department of Communicable Disease Surveillance and Response, « WHO checklist for influenza pandemic preparedness planning », WHO/CDS/CSR/GIP/2005.4.

37 Dans son rapport précité, M. Jean-Michel Dubernard souligne que l'exigence de proportionnalité des mesures de police « a été posée par un arrêt du Conseil d'État de 1933 [Conseil d'État, 19 mai 1933, Benjamin, recueil « Lebon » p. 541, http://www.conseil-etat.fr/ce/jurisp/index_ju_la21.shtml]. Comme l'indiquait alors le commissaire du gouvernement, suivant une formule souvent reprise, « la liberté est la règle, la restriction de police l'exception. » D'un point de vue de santé publique, cette notion de proportionnalité, proche de l'évaluation du ratio bénéfices/risques, est souvent utilisée en matière de réglementation en santé publique, notamment dans le domaine de l'évaluation des médicaments. En l'espèce, elle pourrait conduire le ministre, en cas d'une attaque bioterroriste, à recommander la prescription d'un médicament à grande échelle, par exemple un certain type d'antibiotiques ».

38 Audition du 30 mai 2006.

39 Caractérisées respectivement par l'absence de nouveau virus, le constat d'une épizootie sans cas humain et le constat de cas humains isolés à l'étranger.

40 Caractérisée par l'apparition de cas humains isolés en France sans transmission inter-humaine.

41 Audition du 30 mai 2006.

42 En l'espèce : le ministre chargé de l'agriculture pour les questions vétérinaires, le ministre chargé de la santé pour les questions sanitaires et le ministre chargé de l'intérieur pour les questions de sécurité civile, d'ordre public ou de continuité de la vie collective

43 Selon le plan, la CIC est composée de « représentants des cabinets ou des directions des ministères de la santé, du travail, de l'agriculture, de la justice, de l'économie, des finances et de l'industrie, des affaires étrangères, de l'intérieur, de la défense, de l'éducation nationale, des transports, de l'outre-mer, de l'écologie, du tourisme, de tout autre département ministériel concerné, du secrétariat général de la défense nationale (SGDN), du service d'information du gouvernement (SIG), et des principales agences sanitaires : Institut de veille sanitaire (InVS), Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) ».

44 Le plan cite les secteurs suivants : énergie, activités financières et bancaires, budget de l'État, communications électroniques, poste et messagerie, distribution, communication économique.

45 En application des dispositions de l'article 1er du décret n° 2002-84 du 16 janvier 2002 relatif aux pouvoirs des préfets de zone, il est en effet « responsable des mesures de défense non militaires, de sécurité civile, de gestion des crises ». Cet article précise que le préfet de zone « s'assure de la permanence et de la sécurité des liaisons de communications gouvernementales ».

46 La fiche A.6 cite notamment des représentants « de l'ARH [agence régionale de l'hospitalisation], du SAMU [service d'aide médicale urgente], du SDIS [service départemental d'incendie et de secours], du conseil général, du conseil départemental de l'ordre des médecins, de l'Union régionale des médecins libéraux, des pharmaciens, des structures de médecine du travail, des médecins de collectivités, en particulier de l'éducation nationale, d'établissements de santé, de services médicaux de visites à domicile (de type SOS médecins), éventuellement d'associations médicales humanitaires » ainsi que des « services d'aide à domicile, établissements sociaux et médico-sociaux (maisons de retraites notamment), caisses d'allocations familiales et collectivités territoriales ».

47 Audition du 30 mai 2006.

48 Table ronde du 3 mai 2006.

49 Auditions du 10 mai 2006.

50 Audition du 30 mai 2006.

51 Audition du 29 mars 2006.

52 COM (2005) 607 final « Planification de la préparation et de l'intervention de la communauté européenne en cas de grippe pandémique ».

53 Règlements (CE) n° 1084/2003 et n° 1085/2003 de la Commission, du 3 juin 2003, concernant l'examen des modifications des termes d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'autorité compétente d'un État membre pour des médicaments à usage humain et des médicaments vétérinaires.

54 Créé par le règlement (CE) n° 851/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, instituant un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies ; la fiche technique A.3 précise que « Le centre est opérationnel depuis mai 2005 ».

55 Créé par la décision n° 2119/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 1998, instaurant un réseau de surveillance épidémiologique et de contrôle des maladies transmissibles dans la Communauté.

56 Les 25 États-membres, mais aussi la Norvège, la Roumanie et la Suisse, participent à ce réseau (voir sur ce point son site internet : www.eiss.org)

57 Audition du 29 novembre 2005.

58 Sont concernés les ministères chargés des affaires étrangères, de l'agriculture, de l'intérieur, de la santé et de la défense ainsi que le SGAE.

59 Selon cet article, « « urgence de santé publique de portée internationale » s'entend d'un événement extraordinaire dont il est déterminé, comme prévu dans le présent Règlement,

i) qu'il constitue un risque pour la santé publique dans d'autres Etats en raison du risque de propagation internationale de maladies ;

et ii) qu'il peut requérir une action internationale coordonnée ».

60 Voir sur ce point la circulaire DHOS/HFD n° 2002/284 du 3 mai 2002 relative à l'organisation de l'accueil de victimes dans les établissements de santé.

61 Table ronde du 22 mai 2006.

62 Audition du 12 avril 2006.

63 Table ronde du 26 avril 2006.

64 Audition du 29 novembre 2006.

65 Audition du 29 mars 2006.

66 Audition du 2 novembre 2006.

67 Voir sur ce point le tome I du présent rapport, page 54.

68 La fiche technique G.4 précise qu'il s'agit notamment des personnels en contact avec les malades (personnels de santé, des associations de sécurité civile, des forces de l'ordre) ou en contact répété et prolongé avec le public (y compris certains employés des commerces), ainsi qu'à « certains personnels travaillant dans des installations ou établissements dont le fonctionnement normal est indispensable pour garantir la sécurité de la population ».

69 Audition du 29 mars 2006.

70 Audition du 29 mars 2006.

71 Principaux composants des masques FFP2. Comme l'a rappelé M. Xavier Bertrand, en dehors des matériaux annexes - élastiques, attaches plastiques, languette nasale -, un masque FFP2 est constitué de deux éléments de tissu : un tissu de soutien dit spun, fait d'un matériau non tissé dérivé du pétrole, et un tissu de filtration dit meltblown, non tissé également mais dont la forte charge électrostatique assure une grande capacité filtrante.

72 Audition du 29 mars 2006.

73 Voir sur ce point le tome I du présent rapport, page 44.

74 Audition du 29 mars 2006.

75 Audition du 29 mars 2006.

76 Audition du 29 novembre 2005

77 Audition du 2 novembre 2006.

78 Audition du 29 mars 2006.

79 Audition du 12 avril 2006.

80 D'après les informations fournies à votre rapporteur, il s'agit notamment de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), de la direction du tourisme (DT), du service de défense et de sécurité (SDS) et su service d'information et de communication (SIC) de ce ministère.

81 Audition du 10 mai 2006.

82 Audition du 30 mai 2006.

83 Audition du 12 avril 2006.

84 Le ministre a ainsi évoqué « des concours très simplifiés, consistant en deux épreuves, l'une écrite et l'autre orale, en une seule phase, couplée à une formation initiale réduite ; un doublement des recrutements l'année suivante, en veillant à ce que la moitié des recrutés prennent leurs fonctions après une formation adaptée pour remplacer les départs à la retraite de l'année ; le maintien, à titre exceptionnel, de professeurs en exercice qui devaient partir à la retraite pour compenser des non recrutements ».

85 FMI, « Global Financial Stability Report », Market Developments and Issues, 2006.

86 Gilbert Patrick, La grippe peut-elle paralyser les chaînes de production ? in Cohen Jean-Marie et Errieau  Gilles, « Les défis de la grippe », Joué les tours La Simarre Éditeur, 2004.

87 Audition du 30 mai 2006.

88 Ce guide peut être consulté, notamment, sur le site internet du Mouvement des entreprises de France (Medef) : http://www.medef.fr/staging/medias/upload/89524_FICHIER.pdf

89 Voir également : http://www.medef.fr/staging/site/page.php?pag_id=45740

90 Voir sur ce point : http://www.medef.fr/staging/medias/upload/90094_FICHIER.pdf

91 « Préparation à la lutte contre une pandémie », http://www.invs.sante.fr/publications/2005/pandemie_grippale_170205/rapport_pandemie_grippale.pdf

92 Audition du 29 mars 2006.

93 Audition du 29 mars 2006.

94 Rapport fait au nom de la commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et sociales de la canicule, 25 février 2004.

95 Audition du 15 mars 2006

96 Idem

97 Idem

98 Idem

99 Audition du 15 mars 2006

100 Idem

101 - Avis du CSHPF du 16 janvier 2004 relatif à la prophylaxie chez les personnes à risque lors d'une épidémie de grippe dans une collectivité, en période de circulation du virus grippal.

102 Audition du 29 mars 2006

103 Audition du 15 février 2006

104 Audition du 23 novembre 2005

105 Audition du 29 mars

106 Audition du 8 février 2006

107 Liste provisoire des laboratoires agréés P3 par les autorités sanitaires, susceptibles de traiter les prélèvements avec la technique RT-PCR et disposant du niveau de biosécurité requis :

Zone de défense Nord : Lille : CHU de Lille - Hôpital A. Calmette - Institut de microbiologie -Zone de défense Est : Strasbourg : CHU - Institut de virologie ; Dijon : CHU - Laboratoire virologie ; Reims : CHU - Laboratoire de virologie - Zone de défense Sud-Est : Grenoble : CHU - Laboratoire de virologie et bactériologie ; Saint Etienne : CHU - Laboratoire de virologie et de bactériologie (Hôpital Nord) - Zone de défense Sud : Marseille : AP-HP - CHU - Hôpital de la Timone - Laboratoire de virologie - Zone de défense Sud Ouest : Bordeaux - CHU - Laboratoire de virologie ; Toulouse : CHU PURPAN - Laboratoire de virologie - Zone de défense Ouest : Rennes : CHU de Pontchaillou - Laboratoire de bactériologie et de virologie ; Caen : Labo de virologie humaine et moléculaire, avenue Georges Clemenceau - 14033 Caen Cedex ; Rouen : CHU (hôpital Charles Nicole) - Laboratoire de virologie ; Nantes : CHU - Unité fonctionnelle de virologie - Zone de défense Ile de France : AP-HP : Pitié Salpetrière - Laboratoire de virologie (Pour Bichat : actuellement un laboratoire P2+ non habilité P3).

108 Audition du 15 février 2006

109 Audition du 23 novembre 2005

110 Audition du 15 mars 2006

111 Audition du 15 mars 2006

112 Audition du 29 mars 2006

113 Audition du 15 février 2006

114 Cellule Regionale de Veille et d'Action sur les Urgences - http://www.prefecture-police-paris.interieur.gouv.fr/documentation/dossiers/canicule/Plan%20canicule%20Annexes.pdf

115 Audition du 15 février 2006

116 Audition du 29 mars

117 Article de Libération du 7 décembre 2005.

118 http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-enq/r1455-t1.asp

119 Audition du 1er février 2006

120 Audition du 3 mai 2006

121 Audition du 3 mai 2006

122 Audition du 3 mai 2006

123 Audition du 8 février 2006

124 Audition du 3 mai 2006

125 Audition du 29 mars 2006

126 Audition du 15 février 2006

127 Audition du 15 février 2006

128 Audition du 26 avril 2006

129 Audition du 30 mai 2006

130 Audition du 29 mars 2006

131 Audition du 1er février 2006

132 Audition du 30 mai 2006

133 Audition du 29 mars 2006

134 [1] N°1864 tome 11

135 [2] Source site internet de l'ART

136 [3] N°1686

137 [4] Le code de déontologie médicale qui est de valeur réglementaire devra intégrer cette donnée :un rapport sur cette question est disponible sur le site du Conseil national de l'ordre des médecins

138 [5] On trouvera une description précise d'une station de télémédecine, accompagnée de photographies dans le rapport n°1686

139

140 Audition du 23 novembre 2006

141 Audition du 15 février 2006

142 Audition du 1er février 2006

143 Audition du 29 mars 2006

144 Audition du 9 mai 2006

145 Audition du 15 février 2006

146 Audition du 9 mai 2006

147 Audition du 9 mai 2006

148 Audition du 29 mars

149 Audition du 1er février 2006

150 Audition du 23 novembre 2005

151 Audition du 23 novembre 2005

152 Audition du 23 novembre 2005

153 Audition du 3 mai 2006

154 Audition du 3 mai 2006

155 Audition du 3 mai 2006

156 Unité de Proximité, d'Accueil, de Traitement et d'Orientation des Urgences.

157 Audition du 15 février 2006

158 Rapport de la Cour des comptes, 2004

159 Audition du 29 mars 2006

160 Audition du 29 mars 2006

161 Audition du 23 novembre 2006

162 Audition du 29 mars 2006

163 Chen. H et Al. Establishment of multiple sublineages of H5N1 influenza virus in Asia : Implications for pandemic control. PNAS. 2006

164 Pour plus d'exactitude, les titres ont été maintenus en anglais.

165 [3] Le laboratoire de haute sécurité P3 a été construit en 1999. L'adaptation des techniques en place pour le diagnostic spécifique de la grippe aviaire a été réalisée par l'envoi d'un technicien de l'Institut Pasteur de Dakar en formation à l'Institut Pasteur du Cambodge, au mois de février 2006.

166 On entend par « séquençage » la détermination de l'ordre linéaire exact des composants de tout ou partie d'un gène. On appelle « séquence génétique » l'enchaînement des nucléotides d'acides désoxyribonucléiques (ADN) et ribonucléiques (ARN) ainsi obtenu.

167 Rapports n° 3502 du 20 décembre 2001 sur « La brevetabilité du vivant » et n° 1487 du 4 mars 2004 sur « Les conséquences des modes d'appropriation du vivant sur les plans économique, juridique et éthique » faits au nom de l'OPECST par M. Alain CLAEYS, député.

168 ENSERINK Martin, « As H5N1 keeps spreading, a call to release more data », Science, 3 mars 2006.

169 Laboratoire de référence de l'Organisation internationale des épizooties (OIE) et de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) pour la grippe aviaire.

170 BADER Jean-Michel, « Des chercheurs réclament un accès plus large aux données H5N1 », Le Figaro, 18 mars 2006.

171 Rapport COM(2002) 2 final de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, « Évaluation des implications dans le domaine de la recherche fondamentale en génie génétique de la non publication ou de la publication tardive de documents dont l'objet pourrait être brevetable comme prévu à l'article 16(b) de la directive 98/44/CE relative à la protection des inventions biotechnologiques », 14 janvier 2002.

172 HENRY Claude, TROMMETTER, Michel et TUBIANA Laurence, Innovations et droits de propriété intellectuelle : quels enjeux pour les biotechnologies ? in TIROLE Jean (sous la direction de), « Propriété intellectuelle », Conseil d'analyse économique, rapport au Premier ministre, 11 juin 2003. Voir également le rapport COM (2005) 312 final de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, « Évolution et implications du droit des brevets dans le domaine de la biotechnologie et du génie génétique », 14 juillet 2005.

173 Voir la décision de la division d'opposition de l'OEB Relaxine du 6 juillet 1994.

174 Voir la décision de la division d'opposition de l'OEB ICOS du 20 juin 2001.

175 « Santé publique, innovation et droits de propriété intellectuelle », Commission indépendante sur les droits de la propriété intellectuelle, l'innovation et la santé publique de l'OMS, avril 2006.

176 GAUMONT-PRAT Hélène Jurisclasseur « Brevets », fascicule n° 4241 « Brevetabilité du vivant : animal et humain - application du droit des brevets aux inventions biotechnologiques », 30 août 2004.

177 Chambre des recours de l'OEB, Alpha interféron / Biogen, le 16 février 1989.

178 Audition du 15 mars 2006.

179 Institut de zooprophylaxie expérimentale des trois-Vénétie, laboratoire de référence de l'OIE et de la FAO pour la grippe aviaire.

180 CAPUA Ilaria, « Avian influenza virus : sequence database proposal », 9 mars 2006, article n° 20060309.0750, www.promedmail.org (site d'échange de données géré par la International Society for Infectious Diseases).

181 Banque de données de l'OMS sur les virus grippaux, accessible via le site Global Atlas of Infectious Diseases (http://gamapserver.who.int/GlobalAtlas/home.asp), hébergée par le Los Alamos national Laboratory (laboratoire du Département américain de l'énergie géré par l'Université de Californie).

182 Voir leur liste : www.who.int/csr/disease/avian_influenza/guidelines/referencelabs/en/index.html.

183 Le Dr Ilaria CAPUA a ainsi déclaré que lorsqu'elle a obtenu la séquence d'une souche H5N1 prélevée au Nigéria, « un scientifique de l'OMS » lui aurait proposé « qu'elle soumette la séquence génétique du virus nigérian à la base de données virus grippaux du Los Alamos national Laboratory. En échange, elle recevrait un mot de passe lui donnant accès aux milliers de séquences déjà répertoriées » (voir l'article précité du Figaro).

184 Voir par exemple NAU Jean-Yves, « Appel pour la mise en commun des données sur le H5N1 », Le Monde, 11 avril 2006.

185 Symposium tenu du 3 au 6 avril 2006, Saint John's College de Cambridge, actes à paraître.

186 Voir notamment : www.offlu.net.

187 DORMONT Dominique et HERMITTE Marie-Angèle, Propositions pour le principe de précaution a la lumière de l'affaire de la vache folle, in KOURILSKY Philippe et VINEY Geneviève, « Le principe de précaution » (annexe n° 3), rapport au Premier ministre, 15 octobre 1999.

188 Ces banques de données publiques sont respectivement américaine (www.ncbi.nlm.nih.gov), japonaise (www.ddbj.nig.ac.jp) et commune à 18 États européens et Israël (www.embl.org). Leur interconnexion est assurée par la International Nucleotide Sequence Databases Collaboration (www.insdc.org).

189 Médecine, chirurgie, obstétrique

190 Nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique

191 Missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation

192 Asia-Europe Meeting

193 Asian Nations

194 Comités départementaux d'aide médicale urgente et de permanence des soins.

195 Déchets d'activité de soins à risques infectieux

196 Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail

197 Union Régionale des Médecins Libéraux.

198 Comité départemental de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires.

199 Centre local d'information et de coordination gérontologique

200 Participant au service public hospitalier.

201 Unité de Proximité, d'Accueil, de Traitement et d'Orientation des Urgences.

202 Agence générale des Equipements et Produits de Santé

203 Groupes Régionaux d'Observation de la Grippe